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Thème 

: L’étonnement philosophique
Question structurante : qu’est-ce que l’étonnement philosophique et comment
peut-on l’appréhender depuis ses origines jusqu’au temps présent ?

Résumé : Quand, où et comment est né l’étonnement philosophique ? Qu’est-


ce qui le singularise des autres formes de savoirs tels le mythe, la religion, la
science… ? Quels sens revêt l’acte de philosopher dans l’histoire ? Qu’est-ce qu’un
système et quel(s) lien(s) existent-ils entre les systèmes philosophiques ? Quel est le
discours philosophique sur la modernité ? Répondre à ces différentes interrogations
permettra de se faire une idée et une culture philosophique sur la philosophie depuis
la Grèce antique jusqu’aux temps modernes. Tel est l’objectif de ce cours
intitulé l’étonnement philosophique.

Objectif général : Comprendre l’origine et le commencement de l’étonnement


philosophique et les différentes conceptions que les philosophes vont élaborer à la
lumière des contextes et des problèmes qui se posent à l’homme.

Objectif spécifique1 (os1) : distinguer l’origine et le commencement de


l’étonnement philosophique

OS2 : Analyser la pluralité des définitions

OS3 : analyser la spécificité du discours philosophique et la diversité des systèmes

OS4 : Analyser le discours philosophique en référence aux questions (ou enjeux)


de la modernité

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Plan du cours

Introduction

Chapitre1 : Origine et commencements de l’étonnement philosophique

Chapitre2 : Essais de définitions

Chapitre3 : Spécificité du discours philosophique et diversité des systèmes

Chapitre4 : Discours philosophique et modernité

Conclusion

Séquence 1 

Introduction
L’intitulé du cours de cette année, l’étonnement philosophique, caractérise
l’attitude intellectuelle ou morale originaire, inaugurée par les premiers penseurs,
dans les premières écoles philosophiques de la Grèce antique. Suivant d’autres
orientations et d’autres problématiques, les modernes et les contemporains ont
poursuivi l’entreprise philosophique jusqu’à nos jours. Nous étudierons ce thème à
partir d’un postulat : si l’étonnement veut dire «penser» et non « penser à1» alors
l’étonnement philosophique, bien qu’étant l’invention des grecs, a existé et existera
pour toujours et il doit être exploré et exposé à des fins purement philosophiques 2.

S’étonner3 est un acte intellectuel qui consiste à trouver étrange, à être surpris par
quelque chose. L’étonnement vient du latin attonare, c’est-à-dire « frapper par la
foudre », ou être frappé de stupeur. D’où l’idée d’une forte surprise provoquée par

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Selon Alain de Benoist, dans Ce que penser veut dire, penser à consiste à évoquer des
souvenirs, à se fixer des projets, à caresser des fantasmes alors que penser est un travail de la
pensée. C’est un acte intellectuel qui consiste à comprendre le sens du monde et notre existence  ;
cela débouche également sur l’acte et l’art de d’interpréter et de se représenter le monde. En cela,
l’homme est un animal herméneutique. Mais on peut se demander, à la suite de Heidegger, « qu’est-
ce qui nous appelle à penser ». Explicitant ce propos, A.B. écrit qu’il s’agit de se demander qu’est-ce
qui en l’homme appelle l’homme à penser. Ou encore, qu’est-ce qui requiert et provoque sa pensée ?
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En effet, A.B. écrit qu’ « à toutes les époques, des penseurs-des philosophes, des idéologues, des
théoriciens, mais aussi des essayistes et des écrivains- se sont consacrés au travail de la pensée. En
s’efforçant de penser le monde, ils ont proposé autant de conceptions du monde permettant(ou non)
de mieux de le comprendre. Le rôle de l’historien des idées est d’examiner ces théories, d’en
comprendre la signification, d’en évaluer la cohérence et la portée, d’en exposer la généalogie, d’en
repérer les filiations », p.14. Cf. Dans l’avant-propos de Ce que penser veut dire.
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quelque chose d’inattendu ou d’extraordinaire. Selon le Dictionnaire le Robert,
c’est une « stupéfaction, état de l’homme abasourdi en présence d’un spectacle
extraordinaire, merveilleux ». Tel est le comportement qui caractérise celui qui
s’adonne à la philosophie. Malgré la clarté de cette définition de l’acte qui fonde le
concept, le mot philosophie est, sans doute, « un mot équivoque, souvent chargé
d’affects, de répulsions ou de sympathies, un mot qui inquiète ou rassure » (J. Russ),
et désigne d’emblée une science et la quête du bonheur. Ainsi sous ce mot,
apparaissent deux exigences cardinales : l’idée d’une recherche du vrai ou de la
vérité sous l’autorité de la raison et celle d’une quête des valeurs. Cette double
exigence est déjà contenue dans la signification étymologique du mot, à savoir philo-
sophos- qui signifie l’amour de la sagesse. Celle-ci s’entend en savoir, savoir-être et
savoir-faire. La philosophie (nous reviendrons dans les développements qui vont
suivre) désigne un travail critique de la pensée sur elle-même. Penser, c’est dire non,
selon Alain. Cet exercice intellectuel consiste à purifier ou à libérer l’esprit des idées
reçues, à savoir les opinions, le sens commun, le dogmatisme, les préjugés, c’est-à-
dire « l’homme doit arriver à voir clair dans ce qu’il pense, dans ce qu’il veut et ce
qu’il fait. Il veut penser par lui-même. Il veut saisir par l’entendement et prouver, dans
la mesure du possible, ce qui est vrai », (K. Jaspers, p.92). Ainsi, la philosophie se
caractérise-t-elle par cet acte de libération de tout ce qui est constitutif des obstacles
à l’acte de penser, au questionnement, à l’interrogation, à la connaissance.

Cette révolution intellectuelle, nous la devons à l’œuvre grandiose d’un certain


nombre de penseurs qui sont restés des symboles quoique le débat sur l‘origine de
ce nouveau mode de pensée persiste encore. Ainsi un auteur comme J. Russ a écrit
que « c’est en Grèce que l’homme a commencés à être dans sa patrie », p23.

Avec eux, c’est-à-dire les présocratiques, est né ce qu’on a appelé communément


le miracle grec. Qu’est-ce que c’est ? Comment ces premiers penseurs ont-ils tenté
d’expliquer ce qu’on a appelé le premier principe, puisque tout découle de cette
question première ? Et quelle direction l’étonnement philosophique prendra-t-il dans
l’histoire de la philosophie et quels en sont les enjeux dans la modernité ? Telles sont
quelques questions auxquelles nous tenterons d’apporter des réponses en montrant
à chaque étape ce que sont le sens et l’essence de la réflexion philosophique, et ce,
depuis l’antiquité jusqu’au temps présent.

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Pour y parvenir, le cours sera structuré autour des axes suivants : d’abord, nous
traiterons de l’origine et du commencement de l’étonnement philosophique, à la suite
de quoi nous nous intéresserons à la définition de la philosophie. Faisant suite, nous
aborderons la question de la spécificité du discours philosophique et celle de la
diversité des systèmes qui fait tant débat. Enfin, il sera utile d’analyser le discours
philosophique en référence aux problèmes ou enjeux de la modernité qui suscite tant
une controverse plurielle.

Chapitre 1: Origine et commencement de l’étonnement philosophique

S1 : l’origine

Pour aborder cette idée, nous partirons de ce texte d’Aristote.

« Que cette science ne soit pas productrice, on le voit à ceux qui les premiers
philosophèrent ;  car c’est par l’étonnement que les hommes, maintenant comme au
début, commencèrent à philosopher, s’étonnant d’abord des plus banales parmi les
choses embarrassantes, avançant ensuite peu à peu dans cette voie(15) pour
s’interroger sur des choses plus importantes, comme les affections de la lune et
celles du soleil et des étoiles, et comme le devenir de l’univers. Or, celui qui
s’interroge et qui s’étonne estime qu’il ignore (c’est pourquoi aussi l’amateur de
mythes est d’une certaine façon philosophe, car le mythe est composé de choses
étonnantes), de sorte, si c’est pour échapper à l’ignorance que les hommes ont
philosophé, il est clair que c’est pour savoir qu’ils poursuivaient la science, et non en
vue de quelque utilité. D’ailleurs, le cours même des événements en témoigne : on
avait presque déjà toutes les choses nécessaires et toutes celles qui se rapportent à
la commodité et à l’agrément quand on commença à chercher cette sorte de
connaissance. Il est donc clair que nous ne la cherchons pour aucun autre avantage,
mais que, comme l’homme libre, disons-nous, est celui qui vit pour lui-même et non
pour quelqu’un d’autre, de même nous la cherchons en tant qu’elle est la seule
science libre, car elle seule est en vue d’elle-même. », (Métaphysique, Livre A,
982b10-30).

Questions auxquelles il faudra répondre

1°/De quoi traite Aristote dans ce texte ?

2°/Qu’est-ce que l’étonnement ?

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3°/A quelle finalité s’étonnent-ils ?

4°/En quoi la philosophie est-elle une activité en vue d’elle-même ?

5°/Est-ce à dire qu’elle ne comporte aucune utilité ?

Au-delà de l’intérêt du texte, à savoir les raisons du « philosopher », il y a lieu de


distinguer l’origine du commencement. En effet, une confusion persiste très souvent
entre origine et commencement si bien qu’il est toujours nécessaire de faire la
distinction. Jaspers nous dit qu’un commencement est autre chose qu’une origine en
ce sens que « le commencement est historique …tandis que l’origine, c’est la source
d’où jaillit constamment l’impulsion à philosopher », (Karl Jaspers, p.15).

Selon Karl Jaspers, « le point de départ, c’est le moment où l’on a commencé à
penser ».p151.En effet, « l’origine, c’est la vérité qui à tout moment fonde et
soutient la recherche », p.151.

Nb : À ce titre aussi, on peut noter le texte du philosophe Luc Ferry, dans lequel
l’auteur assimile le miracle grec à l’Odyssée. (À lire à titre facultatif : Mythologie et
philosophie, t1).

S2 : le (s) commencement(s) et conditions de naissance

1-la controverse autour du lieu de naissance

Le commencement de notre tradition n’est que relatif, il est lui-même déjà le produit
de certaines conditions préalables (cf. la section 2 qui suit). Selon Hegel, la science
philosophique mais aussi l’art ont leurs racines dans la vie grecque dont ils ont puisé
l’esprit. Il écrit que  « les Grecs ont certes plus ou moins reçu les rudiments de leur
religion, de leur culture, de leur consensus social, d’Asie, de Syrie et d’Egypte ; mais
ils ont effacé, transformé, élaboré, bouleversé ce que cette origine avait d’étranger,
ils l’ont à ce point métamorphosé, que ce qu’ils ont comme nous apprécié, reconnu
et aimé, est essentiellement leur », Leçons sur l’histoire de la philosophie, t1, la
philosophie grecque, Vrin, p.22.

2-conditions de naissance (J.F. Pradeau, pp.12-13).

Trois conditions principales ont marqué la naissance de ce nouveau type de


réflexion au début du VIème siècle, dans la colonie grecque de Milet, en Asie
mineure.

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Selon J.P. Vernant, en premier lieu, « se constitue un domaine de pensée
extérieur et étranger à la religion. Les « physiciens »d’Ionie donnent de la genèse du
cosmos et des phénomènes naturels des explications de caractère profane, d’esprit
pleinement positif. Ils ignorent délibérément les Puissances divines reconnues par le
culte, les pratiques rituelles établies et les récits sacrés 4 dont les
poètes »théologiens » comme Hésiode avaient, dans leur chant, fixé la tradition »
(pp.2-3).

En second lieu, « s’est dégagée l’idée d’un ordre cosmique reposant non plus sur
la puissance d’un dieu souverain, mais sur une loi immanente à l’univers, une règle
de répartition imposant à tous les éléments constituant la nature un ordre égalitaire,
de telle sorte qu’aucun ne puisse exercer sur les autres sa domination » (kratos).

En dernier lieu, « cette pensée a un caractère profondément géométrique », (p.3).


Désormais, elle considère le monde comme étant fait de relations réciproques,
symétriques et réversibles.

Synthèse : trois traits : caractère profane et positif, notion d’un ordre de la nature
abstraitement conçu et fondé sur des rapports de stricte égalité, vision géométrique
d’un univers situé dans un espace homogène et symétrique ont structuré la pensée
philosophique fondatrice.

Selon Jean-Pierre Vernant, ces traits définissent solidairement ce que la rationalité


grecque, « dans sa forme et dans son contenu, comporte de neuf par rapport au
passé et d’original par comparaison avec les civilisations du Proche-Orient que les
Grecs ont pu connaitre », (p.3). C’est le commencement dont toute chose procède.

3-les présocratiques : (le miracle grec) quelques écoles

Selon Jean-Pierre Vernant, «les physiciens recherchent d’où et par quelle voie le
monde est venu à l’être », p.131. Pour les présocratiques, il faut examiner le premier

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En effet, il est important de faire remarquer que, selon Alain de Benoist (dont nous avons évoqué
plus haut la pensée), « la philosophie est d’abord un questionnement sur les choses ultimes, et qu’il
ne peut y avoir de liberté de questionner si la réponse est donnée d’avance par la foi », p.164.cf. A.B.,
dans Ce que penser veut dire, op.cit.

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principe5 qui gouverne le monde ou toute chose, (c’est-à-dire ce qui fait qu’une chose
est ce qu’elle est).

-la géométrisation de l’univers physique : cette révolution intellectuelle consacre


l’avènement d’une forme de pensée et d’un système d’explication sans analogie
dans le mythe. Par exemple, Anaximandre localise la terre, immobile, au centre du
monde. Selon le doxographe, JPV, cet auteur ajoute que « si elle demeure en repos
à cette place, sans avoir besoin d’aucun support, c’est parce qu’à égale distance de
tous les points de la circonférence céleste, elle n’a aucune raison d’aller en bas
plutôt qu’en haut, ni d’un côté plutôt que de l’autre. Anaximandre situe donc le
cosmos dans un espace mathématisé constitué par des relations purement
géométriques », p.133.

Qu’est-ce qui caractérise le nouvel ordre de la nature ? En quelques mots, on peut


dire qu’il y a l’idée d’une image du monde en étages-avec un haut et un bas, d’une
terre qui a un support, d’une sorte de domination.

Désormais, « c’est l’égalité et la symétrie des diverses puissances constituant le


cosmos qui caractérisent le nouvel ordre de la nature. La suprématie
appartient exclusivement à une loi d’équilibre et de constante réciprocité », p.134.

Selon Diogène Laërce, Thalès passe pour avoir le premier étudié l’astrologie et
prédit les éclipses de soleil et les solstices ; il fixa à trente jours la durée du mois ; « il
soupçonna que l’eau était le principe des choses ; que le monde était animé et
rempli de démons », pp.52-53. Aussi, retient-on de lui quelques idées ou maximes
bien connues. Quelqu’un lui demande ce qui du jour ou de la nuit fut créée d’abord  ;
il répond que « la nuit est en avance d’un jour ».p.56 ; qu’est-ce qui est le plus
difficile ; se connaitre, dit-il ; le plus facile, donner des conseils. Il répondit également
à quelques questions éthiques ou morales : comment vivre vertueusement : en ne
faisant pas ce que nous reprochons à autrui ; la beauté ne vient pas d’un beau
visage, mais de belles actions. Selon D. Laërce, il est l’auteur du fameux « connais-
toi toi-même », p.57. Le principe qu’il défendait est l’eau : arguments : la terre repose
sur l’eau, la nourriture des choses est humide, le chaud vient de l’humidité.

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Dans son ouvrage, Michel Meyer écrit que « philosopher, c’est bien procéder à un questionnement
radical, où l’on ne peut présupposer aucune réponse préalable, car cela rendrait ce questionnement
dérivé  », Qu’est-ce que le questionnement ?, Paris, Vrin, 2017, pp.9-10.

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Quant à Anaximandre, il pensait que «  le premier principe était l’Illimité, sans
toutefois définir si c’était l’air, l’eau ou autre chose ; qu’il changeait en ses parties et
restait pourtant immuable en son tout », p103. S’agissant d’Anaximène, il considère
que l’air est antérieur à l’eau alors que pour Héraclite d’Éphèse pose, c’est plutôt le
feu. En effet, le principe est « ce à partir de quoi en premier une chose est ou
advient ou est connue », selon Aristote, livre Δ, 1012b15-20.

En effet, qu’est-ce que le problème de l’un et du multiple ? Ce problème est lié à


celui du permanent et de l’éphémère, car l’éphémère appartient au monde du
multiple, au monde du pluriel. Tel est le problème qui préoccupa Parménide. Donc,
penser le permanent consiste à chercher ce qui est un. Ainsi, écrit Jeanne Hersch, « 
si l’on veut nommer ce qui est ni changeant ni éphémère, on parle de l’Eternel ou de
l’Un. L’Un et l’Eternel, c’est ce qui ne change pas», p.15. Chez lui, l’être, c’est-à-dire
ce qui est, est et ce qui n’est pas, c’est-à-dire le non-être, n’est pas. Alors que chez
Héraclite, il s’agit de retrouver l’origine. En effet, la réalité physique doit son
existence à un affrontement qui est au-delà de ses contraires. Le réel est un combat,
un devenir. C’est le changement même qui porte les choses soumises au
changement. On connait de lui la célèbre phrase : « On ne se baigne jamais deux
fois dans le même fleuve. Lorsqu’on y retourne, l’eau de naguère est déjà loin ; c’est
un autre fleuve, une autre eau. Héraclite met l’accent sur le multiple, sur les
contraires, sur le changement, sur le combat, sur l’écoulement. Pour lui, la seule
substance, c’est le changement lui-même. Si l’on se fie à ce qu’en a retenu la
tradition(ou les doxographes), les éléates (Zénon et Parménide), les tenants de cette
doctrine nient l’existence du mouvement, du devenir, de la multiplicité, pour ne plus
considérer que l’unicité et l’immuabilité de l’être.

En résumant, on peut dire que les présocratiques cherchent le principe (archè ou


principium) au sens où le principe est « ce qui commence et commande », (Laurent
Cournarie, Le principe : une histoire métaphysique, p.27). En effet, le principe est
« ce à partir de quoi en premier une chose est ou advient ou est connue », selon
Aristote, livre Δ, 1012b15-20.

En se préoccupant, non pas de la matière, mais du pouvoir du logos dans la cité,


les sophistes changent de paradigmes dans le champ de la réflexion philosophique.

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4-les sophistes : le changement de paradigme

Dans les leçons sur l’histoire de la philosophie, Hegel écrit que « les sophistes sont
les maîtres de la Grèce, c’est par eux que la culture proprement dite est venue à
l’existence. Ils ont pris la place des poètes et des rhapsodes qui étaient auparavant
les maîtres universels ».p.

Il s’agit d’esprits puissants, qui étaient, par rapport au savoir de leur temps, des
esprits universels. Ils sont les premiers à s’étonner du réel, des phénomènes, de
l’existence dans ce qu’elle comporte d’ordinaire et d’extraordinaire. Jeanne Hersch
écrit que « ce qui suscita avant tout leur étonnement, ce fut le spectacle du
changement. Nous vivons dans un monde où tout ne cesse de changer. ..Tout ce
que nous contemplons, tout ce dont nous nous servons, et tous les êtres vivants, et
les hommes, et nous-mêmes : tout ne cesse de changer, tout passe »,
(L’étonnement philosophique : une histoire de la philosophie, p.11). Cf : Héraclite. La
première question qui se posa à peu près est celle-ci : « Qu’y-a-t-il donc qui persiste
à travers le changement » ? La réponse, formulée par les milésiens, c’est que c’est
la substance qui persiste dans tout ce qui change et ne cesse de passer. On peut
retenir différentes réponses à propos de la substance qui est au fond de tout et qui
gouverne toutes choses.

Deux caractéristiques ont marqué ce groupe de penseurs: le pragmatisme et le


relativisme.

Suivant la perspective des sophistes, Socrate, aussi, oriente et conçoit l’objet


philosophique sous l’angle des questions morales et spirituelles. Avec lui, le discours
philosophique est ordonné au concept afin d’accéder à son intelligibilité.

5-Socrate et l’invention du concept

Dans l’absolu, toute philosophie invente des concepts à travers lesquels elle
maque une singularité à l’égard des autres systèmes philosophiques auxquels elle
est soit antérieure ou postérieure. Par ses concepts, elle signe son identité. Avant de
définir la notion du concept, il nous faut le distinguer de l’idée et de la notion avec
lesquels il est souvent confondu. En effet, L’idée est l’objet que l’on a dans
l’esprit alors que la notion renvoie à une connaissance élémentaire. Différent de
ces deux catégories, le concept  a émergé fondamentalement en philosophie sous

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la figure de Socrate. Avec cette figure de la philosophie, le concept sert à totaliser en
définissant. Non pas dire le tout des choses, comme le firent les présocratiques,
Socrate pense selon le tout. Chercher l’universel selon le tout (katé oloune).
Exemple : quel est le tout du courage ? En d’autres termes, qu’est-ce que le
courage ? Penser, c’est opérer conceptuellement. Il s’agit d’une opération
d’abstraction.

Socrate, contrairement aux sophistes, est un vrai dialecticien. Il ne parle pas de


quelque chose avant de savoir ce que c’est que cette chose. Selon D. Samb, « le
principe du dialecticien est simple : on ne parle pas des existences avant que de
s’enquérir des essences », p.110. (Les premiers dialogues de Platon. Structure
dialectique et ligne doctrinale, Dakar, Les Nouvelles éditions africaines du Sénégal,
1997). Qu’est-ce que l’essence ? Selon D. Samb, « l’essence est ce qui reste le
même, en dehors de la génération et du devenir », p.115, op.cit. En effet, Socrate
invente le concept qui permet de décrire et construire notre imaginaire originaire.
Grâce à lui, on unifie le divers et range la diversité du réel sous l’unité de l’idée. Il
permet de produire une identité.

Il change de paradigme ; il s’agit d’un appel à « l’être », et Socrate l’exerce par ses
interrogations, son ironie, par sa manière d’être, par son mode de vie, par son être
même. Ainsi, P. Hadot écrit que « philosopher, ce n’est plus, comme le veulent les
sophistes, acquérir un savoir, ou un savoir-faire, une sophia, mais c’est se mettre en
question soi-même, parce que l’on éprouvera le sentiment de ne pas être ce que l’on
devrait être », p.56.

Alors avec Socrate, soutient Hadot, « il s’agit donc bien moins d’une mise en
question du savoir apparent que l’on croit posséder que d’une mise en question de
soi-même et des valeurs qui dirigent notre propre vie », p.55.

Qu’est-ce que le concept en philosophie ?

Il s’agit d’élaborer dans la pensée de façon qu’on puisse penser. Il est l’outil de la
philosophie. Celle-ci produit des concepts et les fait travailler. Mais il faut distinguer
l'idée, la notion et le concept.

Distinction conceptuelle :

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-le fondement : la justification nécessaire et suffisante d’un droit, d’un devoir, d’une
valeur, d’un principe ; ce en raison de quoi.

-l’origine : ce qui prépare le commencement ou le précède.

-la cause : ce par quoi.

-le principe : ce à partir de quoi.

Texte de Platon : Les présocratiques et Socrate : la rupture ou de la cause au


principe.

« Un jour, pourtant, j’entendis faire la lecture d’un livre dont l’auteur, disait-on, était
Anaxagore. On y affirmait que c’est l’intelligence qui est ordonnatrice et universelle.
Cette cause-là, elle me plut beaucoup. Il me semblait que c’était une bonne chose,
en un sens, que ce soit l’intelligence qui met en ordre, elle doit ordonner toutes
choses et disposer chacune de la meilleure manière possible. Celui donc qui
voudrait découvrir comment chaque chose vient à exister, périr, ou est, devrait aussi
découvrir quelle est la meilleure manière pour cette chose d’être, de subir ou de faire
quoi que ce soit. En m’appuyant sur ce raisonnement, j’estimais que le seul objet
d’examen qui convienne à un homme, c’était-qu’il s’agisse de lui-même ou de tout le
reste-le meilleur et le mieux. Et qu’il en aurait, du même coup, le savoir du pire, car
c’est une même science qui s’attache aux deux. Voilà à quoi je réfléchissais et, tout
content, je croyais avoir découvert en Anaxagore un maitre capable de m’enseigner
la cause de tout ce qui est, une cause en accord avec mon intelligence à moi . Il
fallait d’abord m’expliquer si la terre est plate ou ronde   ; puis, après me l’avoir
expliqué, il ne manquerait pas de m’en exposer tout au long la cause et la nécessité,
en me disant ce qui était le meilleur, et pourquoi il est meilleur pour elle d’être telle
qu’elle est. Et s’il m’affirmait qu’elle est au centre du monde, il m’exposerait aussi en
détail combien il est meilleur pour elle d’être au centre. Et pour peu qu’il m’apportât
ces révélations, j’étais tout prêt à ne plus désirer désormais d’autre espèce de
cause. (…).

Aussi, c’est tout plein de zèle que je pris son livre, et je le lus aussi rapidement que
j’en étais capable, afin d’acquérir au plus vite la science du meilleur et du pire. Cette
magnifique espérance, il m’a fallu la quitter, ami, et je suis tombé de mon haut. (…).

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Je commence par poser qu’il existe un beau en soi et par soi, un bon, un grand, et
ainsi pour dire le reste. Si tu me les concèdes, ces points de départ, si tu m’accordes
qu’ils existent, j’espère à partir d’eux arriver à te faire voir-et à te faire découvrir-la
cause en raison de laquelle l’âme est une chose immortelle. », Platon, Phédon, 97C-
100C.

Exercice à faire

Séquence1

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