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: L’étonnement philosophique
Question structurante : qu’est-ce que l’étonnement philosophique et comment
peut-on l’appréhender depuis ses origines jusqu’au temps présent ?
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Plan du cours
Introduction
Conclusion
Séquence 1
Introduction
L’intitulé du cours de cette année, l’étonnement philosophique, caractérise
l’attitude intellectuelle ou morale originaire, inaugurée par les premiers penseurs,
dans les premières écoles philosophiques de la Grèce antique. Suivant d’autres
orientations et d’autres problématiques, les modernes et les contemporains ont
poursuivi l’entreprise philosophique jusqu’à nos jours. Nous étudierons ce thème à
partir d’un postulat : si l’étonnement veut dire «penser» et non « penser à1» alors
l’étonnement philosophique, bien qu’étant l’invention des grecs, a existé et existera
pour toujours et il doit être exploré et exposé à des fins purement philosophiques 2.
S’étonner3 est un acte intellectuel qui consiste à trouver étrange, à être surpris par
quelque chose. L’étonnement vient du latin attonare, c’est-à-dire « frapper par la
foudre », ou être frappé de stupeur. D’où l’idée d’une forte surprise provoquée par
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Selon Alain de Benoist, dans Ce que penser veut dire, penser à consiste à évoquer des
souvenirs, à se fixer des projets, à caresser des fantasmes alors que penser est un travail de la
pensée. C’est un acte intellectuel qui consiste à comprendre le sens du monde et notre existence ;
cela débouche également sur l’acte et l’art de d’interpréter et de se représenter le monde. En cela,
l’homme est un animal herméneutique. Mais on peut se demander, à la suite de Heidegger, « qu’est-
ce qui nous appelle à penser ». Explicitant ce propos, A.B. écrit qu’il s’agit de se demander qu’est-ce
qui en l’homme appelle l’homme à penser. Ou encore, qu’est-ce qui requiert et provoque sa pensée ?
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En effet, A.B. écrit qu’ « à toutes les époques, des penseurs-des philosophes, des idéologues, des
théoriciens, mais aussi des essayistes et des écrivains- se sont consacrés au travail de la pensée. En
s’efforçant de penser le monde, ils ont proposé autant de conceptions du monde permettant(ou non)
de mieux de le comprendre. Le rôle de l’historien des idées est d’examiner ces théories, d’en
comprendre la signification, d’en évaluer la cohérence et la portée, d’en exposer la généalogie, d’en
repérer les filiations », p.14. Cf. Dans l’avant-propos de Ce que penser veut dire.
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quelque chose d’inattendu ou d’extraordinaire. Selon le Dictionnaire le Robert,
c’est une « stupéfaction, état de l’homme abasourdi en présence d’un spectacle
extraordinaire, merveilleux ». Tel est le comportement qui caractérise celui qui
s’adonne à la philosophie. Malgré la clarté de cette définition de l’acte qui fonde le
concept, le mot philosophie est, sans doute, « un mot équivoque, souvent chargé
d’affects, de répulsions ou de sympathies, un mot qui inquiète ou rassure » (J. Russ),
et désigne d’emblée une science et la quête du bonheur. Ainsi sous ce mot,
apparaissent deux exigences cardinales : l’idée d’une recherche du vrai ou de la
vérité sous l’autorité de la raison et celle d’une quête des valeurs. Cette double
exigence est déjà contenue dans la signification étymologique du mot, à savoir philo-
sophos- qui signifie l’amour de la sagesse. Celle-ci s’entend en savoir, savoir-être et
savoir-faire. La philosophie (nous reviendrons dans les développements qui vont
suivre) désigne un travail critique de la pensée sur elle-même. Penser, c’est dire non,
selon Alain. Cet exercice intellectuel consiste à purifier ou à libérer l’esprit des idées
reçues, à savoir les opinions, le sens commun, le dogmatisme, les préjugés, c’est-à-
dire « l’homme doit arriver à voir clair dans ce qu’il pense, dans ce qu’il veut et ce
qu’il fait. Il veut penser par lui-même. Il veut saisir par l’entendement et prouver, dans
la mesure du possible, ce qui est vrai », (K. Jaspers, p.92). Ainsi, la philosophie se
caractérise-t-elle par cet acte de libération de tout ce qui est constitutif des obstacles
à l’acte de penser, au questionnement, à l’interrogation, à la connaissance.
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Pour y parvenir, le cours sera structuré autour des axes suivants : d’abord, nous
traiterons de l’origine et du commencement de l’étonnement philosophique, à la suite
de quoi nous nous intéresserons à la définition de la philosophie. Faisant suite, nous
aborderons la question de la spécificité du discours philosophique et celle de la
diversité des systèmes qui fait tant débat. Enfin, il sera utile d’analyser le discours
philosophique en référence aux problèmes ou enjeux de la modernité qui suscite tant
une controverse plurielle.
S1 : l’origine
« Que cette science ne soit pas productrice, on le voit à ceux qui les premiers
philosophèrent ; car c’est par l’étonnement que les hommes, maintenant comme au
début, commencèrent à philosopher, s’étonnant d’abord des plus banales parmi les
choses embarrassantes, avançant ensuite peu à peu dans cette voie(15) pour
s’interroger sur des choses plus importantes, comme les affections de la lune et
celles du soleil et des étoiles, et comme le devenir de l’univers. Or, celui qui
s’interroge et qui s’étonne estime qu’il ignore (c’est pourquoi aussi l’amateur de
mythes est d’une certaine façon philosophe, car le mythe est composé de choses
étonnantes), de sorte, si c’est pour échapper à l’ignorance que les hommes ont
philosophé, il est clair que c’est pour savoir qu’ils poursuivaient la science, et non en
vue de quelque utilité. D’ailleurs, le cours même des événements en témoigne : on
avait presque déjà toutes les choses nécessaires et toutes celles qui se rapportent à
la commodité et à l’agrément quand on commença à chercher cette sorte de
connaissance. Il est donc clair que nous ne la cherchons pour aucun autre avantage,
mais que, comme l’homme libre, disons-nous, est celui qui vit pour lui-même et non
pour quelqu’un d’autre, de même nous la cherchons en tant qu’elle est la seule
science libre, car elle seule est en vue d’elle-même. », (Métaphysique, Livre A,
982b10-30).
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3°/A quelle finalité s’étonnent-ils ?
Selon Karl Jaspers, « le point de départ, c’est le moment où l’on a commencé à
penser ».p151.En effet, « l’origine, c’est la vérité qui à tout moment fonde et
soutient la recherche », p.151.
Nb : À ce titre aussi, on peut noter le texte du philosophe Luc Ferry, dans lequel
l’auteur assimile le miracle grec à l’Odyssée. (À lire à titre facultatif : Mythologie et
philosophie, t1).
Le commencement de notre tradition n’est que relatif, il est lui-même déjà le produit
de certaines conditions préalables (cf. la section 2 qui suit). Selon Hegel, la science
philosophique mais aussi l’art ont leurs racines dans la vie grecque dont ils ont puisé
l’esprit. Il écrit que « les Grecs ont certes plus ou moins reçu les rudiments de leur
religion, de leur culture, de leur consensus social, d’Asie, de Syrie et d’Egypte ; mais
ils ont effacé, transformé, élaboré, bouleversé ce que cette origine avait d’étranger,
ils l’ont à ce point métamorphosé, que ce qu’ils ont comme nous apprécié, reconnu
et aimé, est essentiellement leur », Leçons sur l’histoire de la philosophie, t1, la
philosophie grecque, Vrin, p.22.
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Selon J.P. Vernant, en premier lieu, « se constitue un domaine de pensée
extérieur et étranger à la religion. Les « physiciens »d’Ionie donnent de la genèse du
cosmos et des phénomènes naturels des explications de caractère profane, d’esprit
pleinement positif. Ils ignorent délibérément les Puissances divines reconnues par le
culte, les pratiques rituelles établies et les récits sacrés 4 dont les
poètes »théologiens » comme Hésiode avaient, dans leur chant, fixé la tradition »
(pp.2-3).
En second lieu, « s’est dégagée l’idée d’un ordre cosmique reposant non plus sur
la puissance d’un dieu souverain, mais sur une loi immanente à l’univers, une règle
de répartition imposant à tous les éléments constituant la nature un ordre égalitaire,
de telle sorte qu’aucun ne puisse exercer sur les autres sa domination » (kratos).
Synthèse : trois traits : caractère profane et positif, notion d’un ordre de la nature
abstraitement conçu et fondé sur des rapports de stricte égalité, vision géométrique
d’un univers situé dans un espace homogène et symétrique ont structuré la pensée
philosophique fondatrice.
Selon Jean-Pierre Vernant, «les physiciens recherchent d’où et par quelle voie le
monde est venu à l’être », p.131. Pour les présocratiques, il faut examiner le premier
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En effet, il est important de faire remarquer que, selon Alain de Benoist (dont nous avons évoqué
plus haut la pensée), « la philosophie est d’abord un questionnement sur les choses ultimes, et qu’il
ne peut y avoir de liberté de questionner si la réponse est donnée d’avance par la foi », p.164.cf. A.B.,
dans Ce que penser veut dire, op.cit.
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principe5 qui gouverne le monde ou toute chose, (c’est-à-dire ce qui fait qu’une chose
est ce qu’elle est).
Selon Diogène Laërce, Thalès passe pour avoir le premier étudié l’astrologie et
prédit les éclipses de soleil et les solstices ; il fixa à trente jours la durée du mois ; « il
soupçonna que l’eau était le principe des choses ; que le monde était animé et
rempli de démons », pp.52-53. Aussi, retient-on de lui quelques idées ou maximes
bien connues. Quelqu’un lui demande ce qui du jour ou de la nuit fut créée d’abord ;
il répond que « la nuit est en avance d’un jour ».p.56 ; qu’est-ce qui est le plus
difficile ; se connaitre, dit-il ; le plus facile, donner des conseils. Il répondit également
à quelques questions éthiques ou morales : comment vivre vertueusement : en ne
faisant pas ce que nous reprochons à autrui ; la beauté ne vient pas d’un beau
visage, mais de belles actions. Selon D. Laërce, il est l’auteur du fameux « connais-
toi toi-même », p.57. Le principe qu’il défendait est l’eau : arguments : la terre repose
sur l’eau, la nourriture des choses est humide, le chaud vient de l’humidité.
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Dans son ouvrage, Michel Meyer écrit que « philosopher, c’est bien procéder à un questionnement
radical, où l’on ne peut présupposer aucune réponse préalable, car cela rendrait ce questionnement
dérivé », Qu’est-ce que le questionnement ?, Paris, Vrin, 2017, pp.9-10.
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Quant à Anaximandre, il pensait que « le premier principe était l’Illimité, sans
toutefois définir si c’était l’air, l’eau ou autre chose ; qu’il changeait en ses parties et
restait pourtant immuable en son tout », p103. S’agissant d’Anaximène, il considère
que l’air est antérieur à l’eau alors que pour Héraclite d’Éphèse pose, c’est plutôt le
feu. En effet, le principe est « ce à partir de quoi en premier une chose est ou
advient ou est connue », selon Aristote, livre Δ, 1012b15-20.
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4-les sophistes : le changement de paradigme
Dans les leçons sur l’histoire de la philosophie, Hegel écrit que « les sophistes sont
les maîtres de la Grèce, c’est par eux que la culture proprement dite est venue à
l’existence. Ils ont pris la place des poètes et des rhapsodes qui étaient auparavant
les maîtres universels ».p.
Il s’agit d’esprits puissants, qui étaient, par rapport au savoir de leur temps, des
esprits universels. Ils sont les premiers à s’étonner du réel, des phénomènes, de
l’existence dans ce qu’elle comporte d’ordinaire et d’extraordinaire. Jeanne Hersch
écrit que « ce qui suscita avant tout leur étonnement, ce fut le spectacle du
changement. Nous vivons dans un monde où tout ne cesse de changer. ..Tout ce
que nous contemplons, tout ce dont nous nous servons, et tous les êtres vivants, et
les hommes, et nous-mêmes : tout ne cesse de changer, tout passe »,
(L’étonnement philosophique : une histoire de la philosophie, p.11). Cf : Héraclite. La
première question qui se posa à peu près est celle-ci : « Qu’y-a-t-il donc qui persiste
à travers le changement » ? La réponse, formulée par les milésiens, c’est que c’est
la substance qui persiste dans tout ce qui change et ne cesse de passer. On peut
retenir différentes réponses à propos de la substance qui est au fond de tout et qui
gouverne toutes choses.
Dans l’absolu, toute philosophie invente des concepts à travers lesquels elle
maque une singularité à l’égard des autres systèmes philosophiques auxquels elle
est soit antérieure ou postérieure. Par ses concepts, elle signe son identité. Avant de
définir la notion du concept, il nous faut le distinguer de l’idée et de la notion avec
lesquels il est souvent confondu. En effet, L’idée est l’objet que l’on a dans
l’esprit alors que la notion renvoie à une connaissance élémentaire. Différent de
ces deux catégories, le concept a émergé fondamentalement en philosophie sous
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la figure de Socrate. Avec cette figure de la philosophie, le concept sert à totaliser en
définissant. Non pas dire le tout des choses, comme le firent les présocratiques,
Socrate pense selon le tout. Chercher l’universel selon le tout (katé oloune).
Exemple : quel est le tout du courage ? En d’autres termes, qu’est-ce que le
courage ? Penser, c’est opérer conceptuellement. Il s’agit d’une opération
d’abstraction.
Il change de paradigme ; il s’agit d’un appel à « l’être », et Socrate l’exerce par ses
interrogations, son ironie, par sa manière d’être, par son mode de vie, par son être
même. Ainsi, P. Hadot écrit que « philosopher, ce n’est plus, comme le veulent les
sophistes, acquérir un savoir, ou un savoir-faire, une sophia, mais c’est se mettre en
question soi-même, parce que l’on éprouvera le sentiment de ne pas être ce que l’on
devrait être », p.56.
Alors avec Socrate, soutient Hadot, « il s’agit donc bien moins d’une mise en
question du savoir apparent que l’on croit posséder que d’une mise en question de
soi-même et des valeurs qui dirigent notre propre vie », p.55.
Il s’agit d’élaborer dans la pensée de façon qu’on puisse penser. Il est l’outil de la
philosophie. Celle-ci produit des concepts et les fait travailler. Mais il faut distinguer
l'idée, la notion et le concept.
Distinction conceptuelle :
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-le fondement : la justification nécessaire et suffisante d’un droit, d’un devoir, d’une
valeur, d’un principe ; ce en raison de quoi.
« Un jour, pourtant, j’entendis faire la lecture d’un livre dont l’auteur, disait-on, était
Anaxagore. On y affirmait que c’est l’intelligence qui est ordonnatrice et universelle.
Cette cause-là, elle me plut beaucoup. Il me semblait que c’était une bonne chose,
en un sens, que ce soit l’intelligence qui met en ordre, elle doit ordonner toutes
choses et disposer chacune de la meilleure manière possible. Celui donc qui
voudrait découvrir comment chaque chose vient à exister, périr, ou est, devrait aussi
découvrir quelle est la meilleure manière pour cette chose d’être, de subir ou de faire
quoi que ce soit. En m’appuyant sur ce raisonnement, j’estimais que le seul objet
d’examen qui convienne à un homme, c’était-qu’il s’agisse de lui-même ou de tout le
reste-le meilleur et le mieux. Et qu’il en aurait, du même coup, le savoir du pire, car
c’est une même science qui s’attache aux deux. Voilà à quoi je réfléchissais et, tout
content, je croyais avoir découvert en Anaxagore un maitre capable de m’enseigner
la cause de tout ce qui est, une cause en accord avec mon intelligence à moi . Il
fallait d’abord m’expliquer si la terre est plate ou ronde ; puis, après me l’avoir
expliqué, il ne manquerait pas de m’en exposer tout au long la cause et la nécessité,
en me disant ce qui était le meilleur, et pourquoi il est meilleur pour elle d’être telle
qu’elle est. Et s’il m’affirmait qu’elle est au centre du monde, il m’exposerait aussi en
détail combien il est meilleur pour elle d’être au centre. Et pour peu qu’il m’apportât
ces révélations, j’étais tout prêt à ne plus désirer désormais d’autre espèce de
cause. (…).
Aussi, c’est tout plein de zèle que je pris son livre, et je le lus aussi rapidement que
j’en étais capable, afin d’acquérir au plus vite la science du meilleur et du pire. Cette
magnifique espérance, il m’a fallu la quitter, ami, et je suis tombé de mon haut. (…).
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Je commence par poser qu’il existe un beau en soi et par soi, un bon, un grand, et
ainsi pour dire le reste. Si tu me les concèdes, ces points de départ, si tu m’accordes
qu’ils existent, j’espère à partir d’eux arriver à te faire voir-et à te faire découvrir-la
cause en raison de laquelle l’âme est une chose immortelle. », Platon, Phédon, 97C-
100C.
Exercice à faire
Séquence1
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