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Abbé Christian KUNGWA

Sursum Corda

Première partie : INTRODUCTON GENERALE A LA PHILOSOPHIE

0. INTRODUCTION
Est-il nécessaire d’introduire à la philosophie ? Bien sûr, car introduire à la
philosophie, c’est une partie importante de ce cours. C’est un travail difficile mais pas
impossible bien que la matière soit indéfinissable. Il est vrai que la philosophie dépend de la
situation où l’on se trouve. Faudra-t-il affirmer que la philosophie n’est pas a priori une
science, ni une matière de connaissance, mais une vie. Nous allons le découvrir au cours de
cette année scolaire, surtout quand nous serons soumis aux questions essentielles de petits
enfants.
Peut-on alors définir la philosophie ? Certainement, si nous partons de l’étymologie du
mot. Cependant, toute philosophie s’élabore au cours d’un dialogue, soit avec soi-même soit
avec un autre.

I. Qu’est-ce que la philosophie ?

Origine et étymologie du mot

Depuis l’apparition de l’homme sur la terre, il s’est étonné de voir comment le monde
fonctionne. Il s’est posé la question sur ses origines et celles de l’humanité. D’où : pourquoi
j’existe ? Pourquoi ce monde et tout ce qui l’entoure ? Il s’est avéré que les réponses à toutes
ses questions lui semblaient obscures. Cet étonnement, c’est le début de la philosophie.
Plus tard, les grecs se sont aussi posés ces mêmes questions. Ce sont les sages qui ont
pu apporter un peu de lumière. Pour ce faire, la Grèce avait de l’admiration pour les sages.
Conscient des limites intellectuelles et spirituelles de l’homme, Pythagore de Samos, sage et
mathématicien grec du sixième siècle (570-490 av. J.-C.), estime que le mot sage ne convenait
qu’à Dieu, seul Etre capable de posséder la sagesse et la vérité.
Ainsi, pour marquer la différence entre l’homme et Dieu, puisque Dieu Seul possède
la sagesse, mais l’homme peut la rechercher ou s’approcher d’elle sans jamais la posséder, il a
inventé pour l’homme le mot « philosophia » (amour de la sagesse) à partir de trois mots
grecs (philia-très-sophia).
 Philosophie vient du grec philein : aimer, rechercher, désirer et sophia : sagesse. Cette
étymologie du mot signifie donc l’amour …, la recherche …, le désir …, de la
sagesse. Cela nous suffit-il pour admettre cette définition ? Qu’est-ce que la sagesse ?
Comment l’acquérir ? Nombreux philosophes se disaient :
 « Qu’est-ce que la philosophie ? » J. Lachelier répondit : « je ne sais pas ! » Et
tout le monde se moquait de lui. Pourtant sa réponse était pleine de sens.
 Pour sa part, un plus grand philosophe contemporain, tout savant qu’il était,
répétait : « Il n’y a pas de philosophie qu’on puisse apprendre ; on ne peut
qu’apprendre à philosopher ».

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A bien considérer son étymologie, le mot philosophie a un sens privatif, c’est-à-dire, il nie dès
le départ la prétention de posséder la sagesse. Bien plutôt, on s’en fait ami, consacrant ainsi sa
vie pour la rechercher.
 Pour notre part, nous ne pouvons que vous apprendre à essayer à
comprendre… tout. De la sorte, vous serez au cœur même de la philosophie.

II. Qu’est-ce que comprendre,


Du latin ‘’cum – prehendere’’ qui signifie d’abord saisir, puis ‘’prendre avec’’. Mais
avec quoi ? Avec autre chose, lier, re-lier, rattacher. C’est aussi prendre avec soi, faire sien,
assimiler. C’est être pris avec, se rendre : la vérité chasse l’erreur admise. (cf. l’histoire de
Suzanne et Daniel).
Comprendre, c’est se donner à la vérité qui se montre : « qui ne se laisse prendre ne
saurait lui-même comprendre » (Heidegger).
En un mot, comprendre, c’est unifier. Et c’est la raison qui unifie. Donc, la
philosophie, entant que cette raison de comprendre, est cette intention d’unité.
Que dire ? Sinon, la philosophie est aussi vieille que l’humanité. Dès lors que
l’homme a commencé à exister, il se pose la question de savoir : pourquoi ‘’je suis (fille ou
garçon), ‘’pourquoi cette chose est là et non pas ici’’, … N’est-ce pas une démarche de
comprendre ? Est-ce qu’on apprend cela ? Certainement, non ! Pourtant, c’est cela la
Philosophie. Qui n’est pas philosophe ?

III. La critique

C’est l’âge mur de la pensée. Du grec, Kritikè – est la faculté de penser, l’art de juger.
 C’est l’examen d’une réalité quelconque – un principe ou un fait dans le
dessein de l’évaluer, de formuler un jugement d’appréciation à son sujet.
o Esprit critique : celui qui n’accepte aucune assertion sans s’interroger d’abord
sur la valeur de cette assertion.
o Examen critique : qui examine la valeur logique, intellectuelle d’un énoncé,
d’un texte, d’une assertion. Qui juge objectivement de cette valeur.
 C’est aussi une tendance de l’esprit à émettre des jugements négatifs,
défavorables.
La philosophie est une discipline qui se caractérise par l’amour de la Vérité et par une
méthode rigoureuse. Bref, toute philosophie commence par la quête du Vrai.
Certes, l’homme se pose des questions sur ce Vrai, et y apporte des réponses. Mais,
celles-ci ne sont pas du même ordre.
Résumant tout ce que nous venons de dire, la philosophie est une discipline qui se caractérise
par l’amour de la Vérité et par une méthode rigoureuse.

 Il y a double sens de la philosophie :


1. Vision du monde, une manière de concevoir le monde. L’affirmation « tout homme est
philosophe » est acceptable, non pour dire que la philosophie est comme l’âme que

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tout homme possède, mais simplement pour signifier que tout homme a sa manière de
voir les choses ou de donner sens à ce qui lui arrive, selon sa « vision du monde »
(Weltanschauung). C’est le sens large du mot philosophie ;
2. Réflexion critique sur tous les problèmes, sur les solutions proposées, sur l’esprit lui-
même.
 But de la philosophie : c’est la sagesse.
 Objet de la philosophie : c’est la totalité du réel.
 Méthode de la philosophie : c’est la réflexion critique (philosophique).
 Domaine de la philosophie : l’invérifiable

IV. Importance du Cours


Ce cours consiste à apprendre à l’élève quelque chose de la philosophie, à s’y exercer
personnellement, et à se familiariser avec l’esprit de cette discipline. Et cela, dans le but de
chercher la Vérité de chose.
LA VERITE : étymologiquement, elle vient du latin ‘’Veritas’’ (la Vérité, le vrai, la réalité).
D’après Saint Thomas d’Aquin, la Vérité est la relation adéquate de la pensée avec le réel. La
vérité est une, mais bien des voies nous y mènent.
Dès lors, l’on se posera la question de savoir si l’on peut un jour renoncer à la
réflexion ! Celui qui fera ainsi, après avoir suivi ce cours, aura peu de chance de devenir un
philosophe, et il n’est pas pour autant sûr de demeurer vivant. Au contraire, le philosophe est
le médecin de la civilisation, c’est-à-dire celui qui soigne non seulement le raisonnement,
mais aussi l’agir des hommes pour un meilleur épanouissement de la société. Il est considéré
comme la ‘’chouette de Minerve qui prend son envol à la tombée du jour’’, disait Hegel.
La philosophie plaide en faveur de l’homme, de son épanouissement et de sa liberté,
de sa dignité et de ses droits inaliénables ; elle aide à apprécier chaque chose à sa juste valeur.

V. Quelques tentatives définitionnelles de la philosophie


Nous vous proposons ici quelques définitions de la philosophie, selon certains auteurs :
 « La philosophie est l’amour de la sagesse », Pythagore (Ve siècle)
 « La philosophie est la recherche passionnée de la vérité », (d’après les socratiques)
 « J’estime philosophe tout homme, de quelque degré qu’il soit, qui essaie de temps en
temps de se donner une vue d’ensemble de ce qu’il sait », (Paul Valéry).
 « Le philosophe est celui qui possède la totalité du savoir dans la mesure du
possible », (Aristote)
 « C’est proprement avoir les yeux fermés sans tacher jamais de les ouvrir que de vivre
sans philosopher », (Descartes)
 « La philosophie peut se définir comme la science de tout, mais comme la science du
tout », (Thibaudet)
 « La philosophie, c’est l’effort de l’homme pour reprendre le réel de chaque jour en
vue de mieux l’expliquer, le schématiser », (Mutuza Kabe).

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Deuxième partie : DOCTRINES PHILOSOPHIQUES


Nous allons parcourir ici les pensées de quelques auteurs, choisis selon le programme.

0. Introduction

Dans les lignes précédentes, nous avons souligné que toute philosophie part de la
vision du monde qui entoure le philosophe. Et cela concerne l’homme de tous les temps et de
tous lieux. Celui-ci n’a cessé de se poser des questions sur l’énigme de l’univers.
Parmi les grandes écoles « présocratiques » (celles qui ont précédé Socrate) qui ont
marqué la période du 8e au 6e, nous citons :
 L’école de Milet qui a pour grandes figures : Thalès, Anaximandre et
Anaximène ; ils se préoccupent tous de déterminer l’unique matière dont sont
sorties toutes choses. Pour Thalès (625 – 547 av. J.-C.), la matière originelle,
c’est l’eau ; pour Anaximandre (611 – 547 av. J.-C.), c’est l’infini ou illimité
et pour Anaximène (586 – 526 av. J.-C.), c’est l’air.
 A cette école succède l’important mouvement du pythagorisme qui eut pour
centre la Grande Grèce. Son influence fut certaine dans le domaine
mathématique, mais sur le plan de la pensée, le pythagorisme tombe plutôt
dans le mysticisme et est considéré comme une franc-maçonnerie religieuse.
Selon Pythagore de Samos (570 – 490 av. J.-C.), chef de file du mouvement,
c’est le nombre qui explique tout dans l’univers.
 Vient après Héraclite d’Ephèse avec son école. Ce philosophe est surtout
connu pour sa ‘’loi du devenir’’, c’est-à-dire une conception selon laquelle tout
se meut et se transforme, ‘’Pantha rhei, uden menei) : tout coule tout passe ;
rien ne demeure
 Presque contemporain d’Héraclite (540 – 475 av. J.-C.), Parménide d’Elée
(515 – 440 av. J.-C.) fonde l’école des éléades pour refuser la loi du devenir.
Pour Parménide et ses disciples, tout est statique et le mouvement n’est
qu’apparent. Il considère que l’Être est, et que le Non-Être n’est pas. Ce
dernier chemin n’a pas d’issue et est condamné par Parménide, et avec lui
toutes les incohérences du discours. L’affirmation que « l’être est » est aussi le
modèle du discours vrai, c’est-à-dire celui d’où émerge la vérité absolue.
 Plus proche de Socrate, la sophistique1 ouvre la porte au scepticisme
intellectuel et au subjectivisme moral. Il a fallu attendre Socrate pour jeter les
bases d’une morale rationnelle, rompre avec le dogmatisme des physiologues
et l’éristique des sophistes.

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Sophistes (du grec sophistês, « expert, maître ouvrier, sage »), à l'origine nom désignant des savants et sages
grecs, tels que les Sept Sages ; au Ve siècle av. J.-C., terme appliqué aux maîtres itinérants qui dispensaient,
contre rétribution, un enseignement dans différents domaines intellectuels et moraux. Ne formant pas une
véritable école, les sophistes ont cependant popularisé les idées de différents philosophes ; l'interprétation de
cette pensée leur permit de déduire que vérité et moralité sont essentiellement affaires d'opinion. Dans leur
propre enseignement, ils mettaient l'accent sur les formes de l'argumentation, comme l'art de la rhétorique qui
procurait à leurs élèves des techniques leur facilitant la voie du succès dans la vie, en particulier dans la vie
publique.

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Avec Socrate, la philosophie cesse d’être l’étude de l’univers pour devenir la science de
l’homme et de son bonheur.

I. SOCRATE (470-399)

1. L’homme et son œuvre

 Vie :
Fils de Sophronique (Sculpteur) et de Phaénarète (Sage-femme), Socrate est né à
Athènes en 470 av. J.C. Avec Xanthippe, ils eurent trois fils dont l’un s’appelait Lamproclès.
De son père, Socrate a appris le métier de sculpteur pour gagner sa vie et le travail de sa mère
(obstétrique) lui a inspiré une méthode pour sa philosophie.
Lors de sa visite à Athènes, l’oracle du temple de Delphes l’a proclamé qu’il est le
plus sage des hommes ; il s’en étonne : « Je ne sais rien de plus que les autres hommes. Bien
de gens croient savoir quelque chose, alors qu’ils ne savent rien. Mais du moins je sais que je
ne sais rien ».
Inquiété par la dépravation des mœurs, il consacra sa vie et sa mort à la reforme
morale de ses concitoyens. En effet, la démocratie athénienne était minée par la démagogie,
les incompétences notoires et la discorde. Les Sophistes favorisaient l’arrivisme et le mépris
de la vérité2.
Ces sophistes, essentiellement professeurs d’arts utiles, se présentaient comme
possédant la connaissance de tout ce qui est utile à ‘homme, et vendaient ce savoir à prix
d’argent. Ils apprenaient l’art de faire triompher une opinion, quelle que soit, sans aucun souci
de la vérité de la thèse.
Pour Socrate, au contraire, une seule question est souveraine : celle de la Vérité - le
vrai bien et vrai bonheur de l’homme. A quarante ans, il entreprend de travailler à la
conversion morale de ses concitoyens. Il parcourt les rues en enseignant aux gens la vertu.
Mais il refuse les méthodes des Sophistes : il ne prend rien pour ses leçons3.
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Les sophistes furent populaires pendant un certain temps, notamment à Athènes. Mais le scepticisme dont ils
faisaient preuve à l'égard de la vérité absolue et de la moralité finit par donner lieu à de virulentes critiques.
Socrate, Platon et Aristote mirent en question le fondement philosophique de leur enseignement, Platon et
Aristote les condamnant en outre pour avoir perçu de l'argent. Un peu plus tard, ils se virent accusés d'absence de
moralité par l'État. En conséquence, le mot sophiste acquit un sens péjoratif, comme le terme moderne de
sophisme que l'on pourrait définir comme un raisonnement subtil mais trompeur, voire faux.

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Les sophistes ont peu contribué au développement de la pensée philosophique occidentale. Cependant, ils
furent les premiers à systématiser l'éducation. On retiendra parmi les sophistes éminents du Ve siècle Protagoras,

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Ce faisant, il se heurte aux hommes en place et aux institutions et est accusé


injustement de ‘’ne pas reconnaître les dieux de la cité et d’en introduire de nouveaux, et
aussi de corrompre la jeunesse’’. Les juges le condamnent à boire la ciguë. Il meurt en 399
en discutant avec ses amis sur l’immortalité de l’âme.

 Œuvre :
Socrate n’a rien laissé comme écrit de sa pensée. Ce que nous savons de lui nous est
parvenu de ses disciples :
 Platon dans les dialogues, Criton, Phédon et surtout dans l’Apologie de Socrate qui
réunit les trois discours de défense que Socrate aurait présentés au tribunal devant ses
juges.
 Xénophon dans les Mémorables.
La question fondamentale de Socrate reposait sur le bonheur de l’homme : ‘’comment
rendre l’homme heureux ?’’ Et la réponse à cette question, il la trouve dans l’homme lui-
même : par la connaissance et la pratique du bien (de la Vertu).

2. L’Ironie socratique ou la méthode négative

Cette méthode consiste à poser une série des questions pour amener l’interlocuteur à se
contredire et s’apercevoir qu’il ignore ce qu’il croyait savoir, à connaître son ignorance. Il a
ainsi une ignorance savante, qui sait qu’elle ignore ; et une ignorance inquiète, qui s’ignore.
La première est le point de départ de la vraie science parce qu’elle est désencombrée de
l’erreur et désireuse de la vérité. Loin d’être une absence de pensée, c’est la pensée d’une
absence. L’esprit vidé est comparable, non à une amphore vide, mais à un estomac vide et en
appétit, aimant d’avance sa nourriture. Bref, l’ironie consiste à poser une série de questions à
l’interlocuteur pour lui montrer qu’il ne connait rien. L’objectif c’est de lui faire arriver à la
vérité.

3. La Maïeutique ou la Méthode positive

Socrate aimait dire qu’il faisait le même métier que sa mère : de même Socrate
n’apporte point le bébé mais aide à le mettre au jour. De même Socrate n’apporte pas du
dehors la science mais aide seulement l’esprit du disciple à s’expliciter, à se rendre visible et
consciente la vérité qui est en lui, implicite et obscure. Socrate n’enseigne rien : il fait
réfléchir. Cette Maïeutique consiste à faire pousser l’homme à découvrir la vérité qui est lui
par la réflexion. Socrate a découvert que l’homme ne connait pas qu’il possède en lui la
vérité. D’où, il vit dans l’aveuglement. Que faire alors face à cela ? Il faut le faire sortir de cet
état de l’implicite pour le faire parvenir à l’explicite.

Gorgias, Hippias d'Elis, et Prodicos de Céos.

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4. La Vertu selon Socrate : Elle consiste à faire le bien


La vertu selon Socrate, est la science du bien. Il s’était proposé de travailler à la
conversion morale de ses concitoyens. Nous avons vu qu’il se posait des questions,
réfléchissait sur son expérience et sur les choses de la vie qu’il observait, et invitait les autres
à faire de même. Il était persuadé que la vertu consiste dans la science du bien. ‘’Nul n’est
mauvais volontairement’’, disait-il. Il suffit de connaître le bien pour le faire.
Faudra-t-il encore ajouter que Socrate était intimement convaincu que le désir le plus
profond de tout homme était d’être heureux, mais que souvent il se trompait dans le choix des
valeurs pouvant le conduire au bonheur. Pourquoi les hommes se trompent-ils en prenant pour
un bien ce qui est en réalité un mal ? Par ignorance ! répondait-il. Bref, sa vertu est
essentiellement le fait de pratiquer le bien. Quand tu connais le bien, il faut le faire.

5. Conclusion
Avec Socrate, l’humanité sort du stade de la pensée mythique. Il met l’homme sur la
route d’une connaissance basée sur la réflexion rationnelle et critique.
 Avec lui apparaît, d’une manière explicite, une conception considérant chaque
individu comme un principe autonome d’activité personnelle et responsable.
 A partir de Socrate et de sa conception de l’homme peut se concevoir la possibilité
d’un comportement éthique.
 Mais Socrate n’était pas chrétien. Il sous-estimait le poids du mal sur la volonté de
l’homme. Il croyait qu’il suffisait de connaître le bien pour le pratiquer. Sa morale
était trop intellectualiste, ignorant la faiblesse de la volonté humaine. C’est ce qu’on
appelle intellectualisme morale.

II. RENE DESCARTES (1596 – 1650)

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L’époque de Descartes, c’est celle où s’éveille la science moderne : astronomie,


physique. Une science qui, depuis le début du siècle, se détachant de la scolastique et des
philosophies antiques, a acquis son autonomie et se veut exacte et positive. Cette science,
basée sur les méthodes nouvelles, bouleverse par ses découvertes la vision du monde héritée
des anciens grecs à travers tout le moyen-âge.
En astronomie, par exemple, on croyait comme les anciens grecs, que des astres
étaient des corps incorruptibles, parfaitement sphériques, qu’ils tournaient autour de la terre
par un mouvement parfaitement circulaires et uniforme, et qu’ils étaient mus des esprits. Les
découvertes de l’astronomie nouvelle devaient ruiner ces convictions.
En refusant de lier la science à une métaphysique, la rupture avec l’antiquité comme
avec la renaissance va être consommée. On est entré de plain-pied dans le monde moderne.
Descartes, étudiant au collège de la Flèche, s’émerveillera devant « ces longues
chaines de raisons, toutes simples et faciles » des mathématiques et rêvera d’un savoir qui
s’en inspirerait. Pour cette science qui, parfaitement, ‘’remplit et satisfait l’esprit’’, il
éprouvera de la passion.

II.1. VIE ET ŒUVRES


a. SA VIE

René Descartes naquit le 31 mars 1596 à la Haye, près de Tour, en France. Il a étudié
au collège royal de la Flèche, tenu par les Jésuites. Après ses études, il se dit déçu des
enseignements reçus de ses Maîtres : « Je me trouvais embarrassé de tant doutes et d’erreurs,
qu’il me semblait n’avoir fait aucun profit si non que j’avais découvert de plus en plus mon
ignorance. Or, j’étais en l’une des plus célèbres écoles de l’Europe ».
Par contre, il est séduit par la science nouvelle et rêve d’étendre la certitude
mathématique à l’ensemble du savoir. « Je me plaisais surtout aux mathématiques, à cause de
la certitude et de l’évidence de leurs raisons ; (…) je m’étonnais de ce que, leurs fondements
étant si fermes et si solides, on n’avait rien bâti dessus de plus révélé ».
En 1614, il passe son baccalauréat et sa licence en droit ; et ensuite s’engage dans
l’armée. Dès cette époque, il regrette la scolastique et prétend subsister à une philosophie
routinière, un système de pensée qui tient compte des acquisitions de la science moderne et
qui ne lie plus science et métaphysique.
A 24 ans, près d’Ulm, il connaît une nuit d’enthousiasme où il découvre les
‘’fondements d’une science admirable’’ dans le ‘’grand livre du monde’’. Il quitte alors
l’armée, voyage à Hollande, Allemagne, France, pour se fixer en Hollande. C’est là qu’il

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écrira son œuvre philosophique et scientifique, entretenant une correspondance abondante


avec les esprits les plus intelligents de son époque.
Il meurt à Stockholm, en Suède où il avait été invité par la reine Christine, suite à une
pneumonie, le 11 février 1650, après s’être écrié : « Oh, mon âme ! Il faut qu’on parte ».

b. Œuvres de Descartes

Descartes a laissé des écrits dans plusieurs domaines : en physique, géométrie,


mécanique, logique, morale, mais les plus importants sont :
 Les principes de la philosophie (1644)
 Les méditations métaphysiques (1641)
 Le discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les
sciences (1637). C’est l’œuvre maitresse et premier ouvrage philosophique écrit en
français.
 Règles pour la direction de l’esprit (1628)
 Traité des passions (1649)
 Traité de l’homme (1662)
 Traité du monde (1664)
 Dioptrique (1637)
 La géométrie (1637)
 Les météores (1637)

II.2. Valeur de la connaissance selon Descartes

Descartes est frappé par le fait que la philosophie qu’on lui enseigne, ‘’il ne se trouve
aucune chose encore dont on ne dispute et par conséquent qui ne soit douteuse’’. Le discours
commence par l’affirmation célèbre : « Le bon sens est la chose du monde la mieux
partagée ».
Mais, il poursuit par cette phrase qu’on pourrait mettre en épigraphe de toute son
œuvre : ‘’Car, ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, mais le principal est de l’appliquer
bien’’. Et il va élaborer une méthode qui apprendra aux hommes à faire un bon usage de leur
raison.

La méthode cartésienne : Le Doute méthodique


Le point de départ de la métaphysique de Descartes est le doute. (‘’Pour entreprendre
la recherche de la vérité, il faut donc ‘’une fois’’ en sa vie ‘’douter de toutes les choses où
l’on aperçoit le moindre soupçon d’incertitude’’).

a. Les raisons de douter : Descartes envisage trois séries de considérations qui justifient
le doute :
 Nos sens nous trompent quelques fois ;
 Notre raison nous fait faire des fautes de raisonnement ;

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 La conscience ne nous permet pas toujours de distinguer entre veille et


sommeil, en rêve nous prenons pour réels des objets imaginaires.
Plus tard, Descartes va radicaliser le doute en inventant l’hypothèse du ‘’mauvais
génie’’ qui aurait employé toute son industrie à me tromper’’. Cette hypothèse n’est plus une
raison mais un moyen de douter. Elle révèle la nature du doute cartésien.
b. Nature du doute cartésien : il est méthodique (un itinéraire pour conduire l’esprit
d’une évidence à une autre), Universel (il doute de tout), Hyperbolique (il doute
même des hypothèses mathématiques), Volontaire et provisoire.
c. But du doute : Descartes ne veut jamais ébranler le vrai mais toujours l’essayer et
l’éprouver. Il croit en l’existence de la vérité, il n’est pas Sceptique.
d. La vérité fondamentale : au terme de son doute, Descartes rencontre aussitôt une
première certitude : ‘’Cogito ergo sum’’ (Je pense, donc je suis). Au moment où je
doute de tout, et du fait que je doute de tout, je suis rassuré de l’existence de la pensée
qui doute (l’existence du sujet pensant).
e. Le principe de l’idée claire et distincte : ayant découvert une première certitude, il
décide de n’accepter pour vrai que ce qu’on pense clairement et distinctement, c’est-à-
dire qui est à l’abri de tout doute. Il demande : « qu’est-ce qui le garantit que ‘cogito
ergo sum’ est vrai ? » Et il répond : « c’est parce que je le vois de manière claire et
distincte dans mon esprit ». Ainsi, l’idée claire et distincte devient non seulement le
centre de la méthode mais aussi de tout le cartésianisme.
f. La véracité de Dieu : il affirme que Dieu, en créant notre âme, l’a dotée des idées
claires et distinctes, de sorte que nous le portions en nous dès notre naissance ; elles
sont innées. Parmi ces idées, il y a celle de perfection ou d’infini qui viennent non pas
de nous-mêmes mais plutôt d’un être parfait et infini, qui est Dieu. Dans sa perfection,
Dieu ne pouvant se tromper ni nous tromper, les idées claires et distinctes sont
garanties par la véracité.

D’aucun doute qu’ici, Descartes tombe dans un cercle vicieux : il affirme la vérité des
idées claires et distinctes en s’appuyant sur la véracité de Dieu dont l’existence est démontrée
à partir de ces idées-mêmes.
Pour Descartes, l’existence de Dieu s’impose comme deuxième certitude ou vérité
indiscutable.

Les règles de la méthode

D’après Descartes, la méthode est un ensemble de règles certaines et faciles, par


l’observation exacte desquelles on sera certain de ne prendre jamais le faux pour le vrai, et de
parvenir à la connaissance vraie de tout ce dont on sera capable. Ainsi, la méthode peut être
considérée sous deux aspects : Eviter l’erreur et découvrir la vérité.

Voici ces règles :

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1. Règle de l’évidence : ne rien accepter qui ne soit évident, c’est-à-dire clair et distinct.
(Eviter la prévention et la précipitation) ; c’est l’étape de l’écoute sans rien dire. Tu
prends tout sans distinction ; tous les problèmes ; toutes les idées ensembles.
2. Règle de l’analyse : toujours examiner tous les aspects pour bien cerner le problème
ou la chose étudiée ; c’est l’étape de tamiser. Ce qui est bon on retient. Le mal, on
rejette.
3. Règle de la synthèse : avoir une vue synthétique ou globale, chercher les liens entre les
différentes parties (ou différents aspects) ; on retient ce qui est important et qui va
aider.
4. Règle du dénombrement : énumérer complètement les données du problème et passer
en revue chacun des éléments de sa solution pour s’assurer qu’on l’a correctement
résolu. C’est l’évaluation de ce que l’on a fait. C’est la deuxième analyse.

CONCLUSION

A. Importance de Descartes
 Descartes a proposé dans toute son ampleur le problème critique : il s’agit de savoir si
en général nous possédons la vérité et quel moyen nous avons pour nous en assurer.
 L’originalité de Descartes consiste dans le fait qu’il inaugure une réflexion
indépendante de la foi. La philosophie retrouve une certaine autonomie. Il a libéré la
pensée d’un certain dogmatisme : en particulier la conception médiévale de
l’infaillibilité d’Aristote. L’adage ‘’Magister dixit’’ n’est plus désormais sans réplique.
 Il est enfin un véritable génie de la mathématique. Il a créé la géométrie analytique qui
permet de résoudre par l’algèbre des problèmes de géométrie.

B. Faiblesse du Cartésianisme

Malgré les qualités, on reproche toutefois à Descartes les points ci-après :


 Son doute hyperbolique : douter c’est bien, et cela libère l’homme de toute confiance
aveugle, mais aller jusqu’à douter des vérités mathématiques, cela est une exagération.
 Son hypothèse du mauvais génie : une telle hypothèse rend toute vérité impossible ;
car le mauvais génie peut même nous tromper sur le fait de notre propre existence.
Pascal disait ‘’la dernière démarche de la raison est de reconnaitre qu’il a une infinité
de choses qui la surpassent’’.
 Sa preuve de l’existence de Dieu : il passe de l’idée de Dieu à l’affirmation de son
existence comme si tout ce à quoi on pense existe nécessairement, il fait de Dieu une
pure pensée.
 Sa conception de l’homme : comme Dieu, l’homme est aussi considéré comme une
pure pensée (une âme pensante qui peut se passer du corps).

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III. LA PHILOSOPHIE EXISTENTIELLE

0. Introduction
L’existentialisme est sans doute le courant philosophique le plus important du 20 ème
siècle. Mais ce mot recouvre un complexe d’attitude diverses. A côté de grands noms de
philosophie existentielle, les allemands Karl Jaspers (1889-1973) et Martin Heidegger (1889-
1976) ; les français Gabriel Marcel (1889-1973) Jean-Paul Sartre (1905-1980) , on trouve
d’autres philosophes qui se réclament de ce mouvement : Chestov, Nicolas Berdiaef,
Jankélévitch, Merleau-Ponty… et la plupart des existentialistes contemporains saluent en
Soeren Kierkegaard (1813-1855) un danois, leur précurseur.
Mais, si tous ces philosophes, malgré la diversité de leur pensée se réclament de
l’existentialisme, quels sont leurs traits communs ?

 L’existentialisme est une philosophie de la subjectivité ;


 Sa doctrine fondamentale proclame la liberté de l’homme dans l’accomplissement de
sa destinée ;
 Et sa méthode principale est la description phénoménologique.

L’existentialisme, une philosophie de la subjectivité

Les présocratiques ont porté attention sur l’origine du Cosmos. Socrate, Descartes, …
ont ramené cette attention des choses ou des idées vers l’homme pensant : ‘’connais-toi toi-
même’’ (Socrate) ; ‘’je pense, donc je suis’’ (Descartes),…

La philosophie existentielle, elle, ramène l’attention vers l’homme dans ce qu’il a de


plus personnel, vers le sujet, le ‘‘je’’ dans ce qu’il a d’incommunicable. Le sujet du ‘‘connais-
toi’’…, celui de ‘‘je pense’’… pouvait être aussi bien vous que moi, c’est n’importe qui, c’est
le ‘‘on’’.

Bref, la subjectivité c’est le domaine des réalités qui adhèrent le plus profondément à
mon être personnel ; celles qui le constituent dans son intériorité ; et que, pour ce motif, je ne
puis extra poser.

L’existentialisme, qui proclame la liberté de l’homme dans l’accomplissement de


sa destinée

C’est lorsque je m’engage personnellement, c’est-à-dire dans l’acte libre, que la


subjectivité est la plus présente. Les philosophes existentialistes affirment tous la liberté de
l’homme contre les ‘’totalitarismes’’ et les doctrines déterministes.

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Abbé Christian KUNGWA
Sursum Corda

La philosophie existentielle s’intéresse au sujet humain, chaque fois unique, qui doit
librement achever sa création. Bref, la liberté est vraiment la doctrine fondamentale de la
philosophie existentielle.

L’existentialisme, une philosophie dont la méthode est la description


phénoménologique

Puisque la liberté est par essence imprévisible et qu’il ne peut être question de la
contraindre, la seule façon d’en parler et d’y inciter autrui est de décrire ses démarches, afin
de suggérer la réflexion et la décision personnelle.
Tous les existentialistes contemporains sont phénoménologues, c’est-à-dire qu’ils
s’efforcent par la description, de faire passer de l’implicite à l’explicite, des réalités dont nous
vivons tous, mais sans en prendre une conscience suffisante. Ainsi, la phénoménologie,
description qui vise à dégager une signification, essaie d’atteindre la subjectivité, le ‘‘je’’.

 Tendances de l’existentialisme

L’existentialisme a deux tendances, à savoir :

- L’existentialisme athée (qui nie l’existence de Dieu) représenté par : Martin Heidegger
et Jean-Paul Sartre.
- L’existentialisme croyant (qui affirme l’existence de Die) représenté par : Soeren
Kierkegaard, Karl Jaspers et Gabriel Marcel.

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Abbé Christian KUNGWA
Sursum Corda

I. JEAN-PAUL SARTRE (1905-1980)

01.Vie et œuvres
a. Vie
Né à Paris le 21 juin 1905, Jean-Paul Sartre est décédé le 15 avril 1980, dans la même
ville. Il est l’un des philosophes français les plus connus de l’époque contemporaine. A la
suite de la mort prématurée de son père (1907), il fut élevé par la famille de sa mère dans un
milieu bourgeois où l’autorité de son grand-père maternel Albert Schweitzer (d’origine
alsacienne et protestante) l’a plus que traumatisé.
Intellectuellement très brillant, il devient professeur d’université à l’âge de 24 ans.
Proclamé « Prix Nobel » de la littérature en 1964, il refuse ce privilège pour ne pas appartenir
à une classe bourgeoise dont il garde un mauvais souvenir à partir de son grand-père (comme
classe d’autoritarisme et d’oppression). Il prit part à la seconde guerre mondiale où il fut fait
prisonnier puis s’évade pour, enfin, s’engager dans le journalisme.
Journaliste, critique littéraire, essayiste, J.-P. Sartre ne cesse jusqu’à sa mort
d’interpeller le monde contemporain au nom de l’homme et de la liberté. Mais sa pensée a fort
évolué vers la fin de sa vie. Alors qu’il prépare un nouvel ouvrage qu’il estime de première
importance, il a jugé son œuvre.

b. Œuvres de Sartre
Œuvres philosophiques

 L’imaginaire (1940) ;
 L’être et le néant (1943)4, la plus importante où sont exposées les thèses de
l’existentialisme sartrien ;
 L’existentialisme est un humanisme (1946), conférence pour le grand public où il
présente de manière simplifiée les grandes thèses de sa philosophie ;
 Situation I-VII (1947-1976);
 Saint-Genet ;
 Critique de la raison dialectique (1960);
 Les mots (1964), œuvre autobiographique.
Romans et nouvelles
4
Dans l’Être et le Néant, Sartre définit le « pour-soi » humain comme néantisation de l’« en-soi » réifié ; il n’est
donc pas un être, mais projet d’être, toujours en élan vers ce qu’il n’est pas. Il est néant, et ce néant néantisant le
donné — chose ou motif — coïncide avec sa liberté. Celle-ci est tellement absolue qu’elle provoque d’abord
l’angoisse, non le désir, et l’humain cherche plutôt à se « faire chose » pour s’y dérober. Sartre prend à parti tous
les types de déterminismes, comme des exemples, dans le domaine théorique, de la « mauvaise foi ».

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Abbé Christian KUNGWA
Sursum Corda

 La nausée (1938), roman ;


 Le mur (1939), nouvelle ;
 Les chemins de la liberté (1945-1951)

Théâtres
 Les mouches (1943) ;
 Huit-clos (1944)5 ;
 Mort sans sépulture (1946) ;
 Les mains sales (1948)6 ;
 Le diable et le bon Dieu (1951) ;
 Les Séquestrés d’Altona (1959).

02. LA PHILOSOPHIE DE SARTRE (DOCTRINE)

a. Le fait de l’existence est absurde

En bon existentialiste, Sartre a éprouvé l’être avant d’expliciter sa structure. C’est


l’expérience de l’absurde qui est à la base de sa réflexion. Il l’exprime dans son roman ‘’la
nausée’’, à travers son héros, Antoine de Roquentin qui découvre sous un jour de pluie,
désœuvré et incertain, le mystère métaphysique de l’être : ‘’tout est gratuit : le jardin, cette
ville et moi-même ; quand il arrive qu’on s’en rende compte, ça vous tourne le cœur et tout se
met à flotter ; voilà la ‘’nausée’’7.
Il entend par ‘’absurde’’ ce qui est non déductible par la raison et non dans le sens
d’une vie laide, cruelle et un pessimisme. Il eut une saisie immédiate d’être : « jamais avant
ces derniers jours, je n’avais pressenti ce que voulait dire exister. Exister, c’est être là (da
sein), simplement ; les existants apparaissent, se laissent rencontrer, mais on ne peut jamais
les déduire ».

b. L’existence précède l’essence

5
Avec Huis clos, Sartre pose la question des relations entre individus et de l'impossibilité d'y échapper,
autrement dit lorsque « l'enfer, c'est les Autres ». L'action se déroule dans le salon d'une chambre d'hôtel, où sont
tenus enfermés pour l'éternité deux femmes et un homme, tous trois réprouvés : Inès la perverse, Estelle
l'infanticide et Garcin le déserteur. Ces trois personnages, condamnés à l'enfer, ne peuvent échapper au néant de
la mort, et pourtant ils conservent la psychologie des vivants, entretenant des rapports de désir, de jalousie et de
haine.
6
Les Mains sales n’est pas une pièce politique mais la tragédie d’une subjectivité moraliste devant les nécessités
de l’action politique : c’est Hoederer et non Hugo qui reste son idéal d’homme politique. Les falsifications
staliniennes du passé restent injustifiables.
7
La Nausée se présente comme le journal intime d’Antoine Roquentin qui, la trentaine dépassée, s’installe à
Bouville. Las de l’aventure et des voyages, il projette de terminer la biographie du marquis de Rollebon, homme
fort laid qui séduisait toutes les femmes.

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Abbé Christian KUNGWA
Sursum Corda

La liberté Sartre établit une différence entre l’existence de l’homme et celle de


choses. L’homme est conscient de son existence, et par cette conscience, fait exister le monde.
Ainsi, il qualifie l’homme de ‘’pour-soi’’, c’est-à-dire un être conscient et libre ; et la chose
‘’en-soi’’, c’est-à-dire elle existe mais s’ignore.
Chez l’homme, l’existence précède l’essence, c’est-à-dire l’homme existe d’abord, se
rencontre, surgit dans le monde et se définit après. L’homme tel que le conçoit
l’existentialiste, s’il n’est pas définissable, c’est qu’il n’est d’abord rien. Il ne sera qu’ensuite,
et il sera tel qu’il se sera fait.
Par contre, un stylo, par exemple, avant d’exister, a été imaginé, conçu, dessiné,
construit selon un modèle et un usage déterminé. Pour le stylo donc, l’essence précède
l’existence. Ainsi, l’être des choses est préconçu : « l’homme n’est l’objet ni l’outil de
personne ».

c. totale et absolue de l’homme

De ces prémisses : « l’homme existe tout simplement …, sa personnalité n’est


construite sur un modèle dessiné d’avance et pour un but précis …, il n’est pas le terme d’un
projet, d’un concept ou d’une nature … ». Sartre tirera les conclusions qu’il est responsable de
ce qu’il est : ‘’qu’il est libre’’. La chose est. L’homme existe, c’est-à-dire échappe toujours à
ce qu’il est ‘’car exister selon lui, c’est sortir de.
L’homme est un être qui s’est retrouvé au monde sans le savoir et sans le vouloir.
C’est un ‘‘da sein’’, c’est-à-dire un être jeté dans le monde. Par conséquent, il est totalement
et absolument libre.
o Libre par rapport au monde : certes, tout homme est ‘’en situation’’. Mais on ne peut
pas dire que les situations ‘‘déterminent’’ sa conduite. « je n’ai pas d’ordre à recevoir
à personne ; il n’y a personne au-dessus de moi pour me dicter une ligne de
conduite ».
o Libre par rapport à lui-même : en effet, l’homme n’est pas, mais est en perpétuel
devenir ; c’est un ‘’être et un néant’’ (un être en progrès continuel).

 La liberté sartrienne est une liberté :

 Responsable : l’homme fait librement ses choix et il est responsable de tout ce qui lui
arrive : « ni mon père, ni ma mère, ni mes amis, ni mes ennemis, ni mon corps, ni mon
passé, ni mes conditions de vie ne sont pour moi un destin. Je ne suis pas fixé par mon
destin mais ma vie est en continuel devenir, est toujours en train de se faire ».
 De courage héroïque : « quoi qu’il m’arrive, je veux toujours m’en sortir ». Car,
exister pour Sartre, c’est « sortir de ».

Toutefois, Sartre souligne ici quelques attitudes négatives face à la liberté et distingue :

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Abbé Christian KUNGWA
Sursum Corda

 Le lâche : celui qi nie sa liberté ou se renie en acceptant un rôle social quelconque


sans vouloir le transcender. C’est pourquoi Sartre refuse le prix Nobel de littérature en
1964.
 Le salaud : est exactement chez Sartre ce ‘’gros plein d’être’’ qui oublie d’exister et
s’arroge quelque supériorité essentielle.

La morale sartrienne proclame : « dès qu’il y a engagement, je suis obligé de vouloir


en même temps que ma liberté, la liberté des autres ; je ne puis prendre ma liberté pour but
qui si je prends également celle des autres pour but ».

d. L’athéisme de Sartre

Sartre nie l’existence de Dieu parce qu’elle est incompatible avec la liberté humaine !
« Si Dieu existe, l’homme cesse d’être libre ; car son existence serait conçue par Dieu, son
créateur, et ne serait donc pas différente des objets fabriqués. Et Sartre exprime cet athéisme
dans ce syllogisme hypothétique :

« Ou l’homme existe, ou Dieu existe


Or l’homme existe
Donc… ».

03.CONCLUSION

Sartre est sans doute essentiellement moraliste. Philosophe de la liberté héroïque et de


la responsabilité, il est par son altruisme un grand défenseur des opprimés et un farouche
combattant de l’injustice sociale. Son humanisme le rapproche du marxisme, mais s’en
éloigne pourtant par sa critique sévère et son opposition au conservatisme.

Sa conception exagérée de la liberté l’amène à l’athéisme : il fait de Dieu le concurrent


de l’homme au lieu de le considérer comme père qui crée avec amour. Le Dieu amour révélé
par l’évangile qui crée des êtres libres dont il attend qu’ils répondent librement à son amour.

S’il est bien marqué l’ineffable grandeur de l’homme libre et responsable, son erreur
c’est d’avoir pris l’étape pour la fin, la libération pour la liberté. Mais, comme dit dans
l’introduction, sa pensée a fort évolué vers la fin de sa vie. Il a jugé lui-même son œuvre.

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Abbé Christian KUNGWA
Sursum Corda

II. GABRIEL MARCEL (1889-1973)


a. Vie
Compatriote et contemporain de Sartre, Gabriel Marcel est né à Paris le 07 décembre
1889. A vingt ans il obtient son agrégation de philosophie. Très tôt il abandonne
l’enseignement pour se consacrer à la musique, à la critique littéraire, au théâtre et à une
œuvre philosophique qui le classe parmi les grands penseurs de notre époque.
Elevé dans une atmosphère agnostique, Marcel s’interroge au cours de longues années
sur l’être, la destinée, la foi, la prière. A quarante ans, il rencontre Dieu qui l’invite dans le
catholicisme. Fidèle à ses principes, il demande le baptême et s’engage irrévocablement.
Pendant toute sa vie, il poursuit une méditation et une réflexion tout à fait personnelles
à l’abri des modes et des influences, mais passionnément tournée vers l’homme. Il meurt en
1973.

b. Œuvres

Gabriel Marcel est l’auteur de plusieurs œuvres, telle que :

 Le Cœur des autres (1921) ;


 Un homme de Dieu (théâtre 1925) ;
 Journal métaphysique (1927) ; œuvre écrite 16 ans avant l’Etre et le Néant de Sartre
(œuvre maîtresse).
 Un monde cassé (théâtre 1929) ;
 Être et Avoir (1935) ;
 Du refus à l'invocation (1940);
 Homo Viator (1945) ;
 Le Mystère de l’Etre (1951) ;
 Rome n’est plus dans le monde (théâtre 1951) ;
 Position et approche concrètes du mystère ontologique
 Les hommes contre l’humain

LA PHILOSOPHIE DE MARCEL (SA DOCTRINE)


Adversaire résolu du rationalisme et de toute la philosophie du ‘’Cogito’’ désincarné,
Gabriel entend philosopher sur l’expérience humaine. Le philosophe, parce qu’il cherche la
Vérité, accepte la situation telle qu’elle s’offre.
Pour G. Marcel, l’admiration est d’une importance capitale : la vraie philosophie
débute par la découverte émerveillée et par la reconnaissance aussi lucide que possible de la
situation existentielle qui est mienne et au sein de laquelle je me fais-moi.
Son but est bien, non seulement d’atteindre, mieux que l’ont fait tous les rationalistes
et les idéalistes ses prédécesseurs, mieux que le font les scientistes dans leur arrogance, qui
tous ont, en quelque façon, contribué à créer l’image d’un ‘’monde cassé’’, c’est-à-dire
dépersonnalisé, inhumain. Il faut, nous dit Marcel, ‘’restituer son poids ontologique à
l’expérience humaine’’.

18
Abbé Christian KUNGWA
Sursum Corda

a) L’expérience personnelle
Le point de départ de sa philosophie, comme de tous les existentialistes, est la
réflexion sur l’existence humaine : non pas je pense mais j’existe. Or je n’existe que parce
que situé dans le temps et dans l’espace : je me trouve dans des situations matérielles,
psychiques et spirituelles dans lesquelles j’agis et qui m’influencent. Ainsi, notre condition
humaine c’est d’être-en-situation.
L’homme est «da sein », « être jeté dans le monde », « l’être pour la mort », etc.
Marcel est donc frappé par l’idée de la mort qui éveille l’angoisse et par le fait que l’existence
est absurde, c’est-à-dire non déductible par la raison. Mais, au lieu de s’abimer dans le
désespoir et la nausée, comme Sartre, Marcel accepte le monde et la vie comme l’effet d’un
amour mystérieux, d’un don, d’une grâce.
Selon Marcel, l’homme est le forgeron de son destin, c’est chacun qui détermine ce
qu’il sera, son essence individuel : « nous ne sommes vraiment que ce que nous devenons ».
Dans ce point de vue, il va dans le même sens que Sartre qui pense que l’existence précède
l’essence. C’est pour cela qu’il refuse lui-même de s’enfermer dans un « -isme » qui le
définirait. Mais, l’absurdité de l’existence ne l’autorise pas à tomber dans le refus de Dieu,
jusque même à nier son existence, comme Sartre.
Pour lui, la mort n’est pas la fin de tout, mais comme une brisure et une séparation et
une entrée dans la plénitude de vie. Il a eu le mérite d’être appelé « le philosophe de
l’expérience », parce qu’il ne cède pas au découragement devant l’absurdité de la vie et de la
mort, mais il invite à les accueillir comme l’effet d’un amour mystérieux.
Marcel établit une différence entre ‘’Vivre’’ et ‘’Exister’’. Il y a une chose qui
s’appelle ‘’vivre’’, il y a une chose qui s’appelle ‘’exister’’ ; j’ai choisi d’exister. Mais,
qu’est-ce qu’ ‘’exister’’ ? Selon Marcel, exister c’est se faire en se dépassant. L’homme est
donc appelé à un progrès continuel, un devenir perpétuel.

b) Les relations constructives

1. Analysant l’existence, Marcel découvre qu’elle est constituée de quatre relations


fondamentales : avec le monde, avec moi-même, avec autrui et avec Dieu. J’existe en
relations constructives.
2. Avec le monde : où j’occupe une certaine place, à un certain moment ;
3. Avec moi-même : tel corps, telles qualités physiques, psychologiques, tel caractère,…
4. Avec les autres : parents, éducateurs, milieu social, civique, culturel, tels camarades de
travail, d’étude, de jeu, tels amis …

c) Méthode
Gabriel Marcel distingue, dans l’existence, deux types de réalités :

 La réalité-problème : avec laquelle nous entretenons des relations d’avoir ou de


possession. Exemple : un objet, une chose (nous pouvons posséder une table, une
voiture, une montre, …

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Abbé Christian KUNGWA
Sursum Corda

Le problème est donc une réalité qui est située devant moi, un objet que je peux
examiner du dehors, sans me sentir concerné. Elle appartient au monde de science et
de la technique. Face à cette réalité, on recourt à une solution rationnelle ou
scientifique.
 La réalité-mystère : avec laquelle nous entretenons les relations d’être. Elle est une
réalité telle que j’y suis moi-même impliqué. C’est une réalité que je ne peux
objectiver ou examiner du dehors sans me sentir concerné. On l’approche non pas par
des méthodes rationnelles, mais plutôt par la méditation et le recueillement.

Schématiquement, une telle distinction méthodologique pourrait se présenter comme


suit :

Etre, existence Avoir, possession


Subjectivité Objectivité

Mystère Problème
Recueillement (ou méditation) Solution rationnelle (ou scientifique)

Note

Pour suivre le cheminement de la pensée de G. Marcel, il est intéressant de se poser les


quatre questions suivantes :

1. Pour G. Marcel, quel est le point de départ « indubitable » ?


= l’existence
2. Où saisit-on l’ « existence » ?
= dans l’être-en-situation
3. De quoi est composée cette « situation » ?
= de relations constructives avec le monde, avec moi-même, avec les autres,
avec Dieu.
4. Comment appréhender/comprendre « en vérité » ces relations constructives ?
= problème ou mystère
= spectacle et participation
= être ou avoir

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Abbé Christian KUNGWA
Sursum Corda

CONCLUSION
La philosophie de G. Marcel se propose avant tout d’ouvrir l’esprit et de l’engager
dans une recherche personnelle. Marqué par les circonstances son œuvre courageuse signale
sans relâche les exagérations ou les travers de son époque.

La grande tâche de l’homme ici-bas, c’est de passer de l’existence à l’être, c’est-à-dire


de la participation où il est immergé sans l’avoir voulu à une nouvelle participation, cette fois
consciente et libre avec le monde, soi-même, les autres et Dieu. Chacun doit reconnaître sa
vocation, s’y consacrer et rester fidèle, quelles que soient les épreuves de la vie.
La philosophie de Marcel est de nature à nous aider beaucoup à tel ou tel moment de
notre itinéraire spirituel. Il faut dire la variété, la profondeur, l’authenticité d’une pensée qui
nous défend contre toutes les tentations de l’inhumain, - contre « la Trinité maléfique de la
Technique, du collectif, de l’abstrait » (P. Ricœur). – qui nous rend sensibles au mystère où
nous baignons, où nous sommes, qui nous éduque à une méthode personnelle de réflexion et
qui inlassablement nous oriente vers la communion charitable avec le prochain et avec Dieu.
« En philosophie comme ailleurs, seul l’authentique dure, et c’est pourquoi G. Marcel
est assuré d’avoir toujours des lecteurs. En son œuvre, l’homme parle directement à
l’homme ; elle aura toujours des lecteurs parce qu’il ne cessera jamais de se faire de nouveaux
amis » (E. Gilson).

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Sursum Corda

I. HENRI BERGSON (1859-1941)

1. VIE
Né à Paris, le 18 octobre 1859, Bergson fut élève de l'École normale supérieure en
même temps que Jean Jaurès. Agrégé de philosophie en 1881, il enseigna dans le secondaire
jusqu'en 1898, année où il devint professeur à l'École normale supérieure puis, deux ans plus
tard, au Collège de France. En 1914, il fut élu à l'Académie française. En 1917, Bergson se
rendit à plusieurs reprises aux États-Unis où il rencontra le président Wilson pour tenter de le
convaincre d'entrer en guerre contre l'Allemagne.
En 1921, Bergson démissionna du Collège de France pour se consacrer aux affaires
internationales et à la politique. En 1927, il reçut le prix Nobel de littérature. D'origine juive,
il se tourna vers le catholicisme. Pendant les vingt dernières années de sa vie, il ne publia
qu'un seul ouvrage : les Deux Sources de la morale et de la religion (1932), dans lequel il
explore les prolongements religieux de sa philosophie. Il mourut le 4 janvier 1941.
Il eut le prix Nobel de littérature, auteur d'une philosophie de la conscience et du
vivant.

2. ŒUVRE PHILOSOPHIQUE
Le premier ouvrage publié par Bergson, en 1889, fut sa thèse, sous le titre : Essai sur
les données immédiates de la conscience, qui suscita aussitôt un immense intérêt parmi les
philosophes. Bergson, à travers une relecture d'Aristote, repose les questions traditionnelles de
la philosophie (celles du temps, de la liberté, de la conscience) ; il renvoie dos à dos les
théories antagonistes (par exemple, le déterminisme et l'indéterminisme) en montrant que la
philosophie est restée prisonnière de faux problèmes.
Aussi tenta-t-il de reposer les questions de façon « concrète », c'est-à-dire en suivant
les « données immédiates » de la conscience et de prouver que, de cette façon, les faux
problèmes (par exemple, les paradoxes de Zénon sur le mouvement) s'évanouissent d'eux-
mêmes. Bergson y apparaît déjà en possession d'une partie de ce que sera le « bergsonisme » :
opposition entre le temps spatialisé et la véritable durée vécue de la conscience, refus de la
dialectique et des faux problèmes, souci de rejoindre l'expérience concrète.
En 1896, Matière et Mémoire pose le problème des rapports entre la pensée et la
matière, et tente de montrer que l'acte de la pensée est irréductible à de simples processus
cérébraux. Parallèlement, il développe la conception de la conscience, présente dans son
premier livre, en analysant les différents registres de la mémoire dans laquelle il voit la
condition même de la conscience.
En 1899, le Rire. Essai sur la signification du comique explore le phénomène du
comique dans sa dimension à la fois psychologique, sociale et métaphysique. Annonçant un
thème central de l'Évolution créatrice, Bergson oppose la vie dans ce qu'elle a de spontané,
d'inventif, de libre, et le mécanique dans ce qu'il a de saccadé, de répétitif, d'incontrôlé.
Si on ne rit à proprement parler que de l'humain, on rit de l'humain qui semble cesser
momentanément d'être humain pour devenir pure mécanique, automate enfermé dans la

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Sursum Corda

répétition ou la caricature. D'où la célèbre formule : « Le comique, c'est du mécanique


plaqué sur du vivant. » Comparant dans une dernière partie la tragédie à la comédie,
Bergson est amené à formuler pour la première fois sa théorie de l'art : l'art tente de
rejoindre la singularité qui échappe au langage comme à la vie quotidienne, même si la
comédie, contrairement à la tragédie, forge des types (l'avare, le misanthrope, etc.) plutôt que
des personnages singuliers.
En 1907, l'Évolution créatrice entreprend, par un dialogue constant avec la biologie de
son temps, de penser le vivant en rejetant aussi bien le mécanisme matérialiste traditionnel
que le finalisme métaphysique de Leibniz. Il tente de montrer que ces deux positions
reviennent en fait au même, consistant à abolir, dans les deux cas, l'action du temps en
supposant tout donné d'emblée, d'avance, soit dans les éléments de la matière et l'ordre de
l'univers, soit dans l'entendement et les desseins du Créateur.
Insistant sur toutes les situations où la nature semble hésiter entre plusieurs solutions,
il en vient à penser l'univers non comme la réalisation d'un plan (déposé dans la matière ou
dans l'entendement divin) mais comme l'effet d'une poussée qui se différencie de plus en plus
à mesure qu'elle se confronte à la matière : c'est la théorie de l'élan vital. L'unité de cet élan
n'est donc pas à chercher à la fin mais bien au début, avant que cet élan ne se fragmente sous
l'effet de la matière qu'il soulève.
En 1932, les Deux Sources de la morale et de la religion appliquent à ces nouveaux
domaines de réflexion les distinctions établies dans l'Évolution créatrice. De même qu'il y a
dans la durée, d'une part, son élan créateur et, d'autre part, ses retombées mortes, de même il
existe une société « close » et une société « ouverte » (distinctions qui seront reprises par le
philosophe britannique Karl Popper), une morale « close » faite d'interdits et d'obligations,
expression de la pression sociale, et une morale « ouverte », celle du saint et du héros ; de
même aussi une religion « statique » au service de la cohésion du groupe et une religion
« dynamique », celle des mystiques.

3. Doctrine
Bergson a renoncé à édifier un système au sens classique du terme, mais sa
philosophie est saluée comme une purification et une libération : au lieu d’expliquer tout par
les lois scientifiques (scientisme, déterminisme …) ou par les lois logiques (intellectualisme,
rationalisme), il propose de se transporter à l’intérieur de l’objet pour mieux le connaître.
Pour lui, notre entendement reste rivé à la trompeuse superficialité des choses, alors
que l’essence intime et véritable de l’être se révèle à nous immédiatement c’est-à-dire par
intuition. Il définit l’intuition comme une espèce de sympathie intellectuelle par laquelle on
se transporte à l’intérieur de l’objet pour coïncider avec ce qu’elle a d’unique et
d’inexprimable. Sa doctrine, c’est donc un intuitionnisme spiritualiste, mais son
intuitionnisme reste critique et se distingue ainsi du mysticisme.
4. Conclusion
Pour Bergson, « la philosophie n’est qu’un retour conscient et réfléchi aux données de
l’intuition ». Cette doctrine a arraché le mouvement de la pensée des ornières du
déterminisme scientifique, de l’intellectualisme et du positivisme pour l’orienter vers une
métaphysique spiritualiste. D’une réputation universelle, Bergson reste parmi les rares
philosophes que la gloire ait visité : après la mort, il a été couronné philosophe officiel de la
France.

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