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Cours d’introduction : Qu’est-ce que la philosophie ?

Rembrandt, Philosophe en méditation, 1632.

Texte1 : Aristote, extrait de Métaphysique

" C'est, en effet, l'étonnement qui poussa, comme aujourd'hui, les premiers
penseurs aux spéculations philosophiques. Au début, leur étonnement porta
sur les difficultés qui se présentaient les premières à l’esprit ; puis, s'avançant
ainsi peu à peu, ils étendirent leur exploration à des problèmes plus
importants, tels que les phénomènes de la Lune, ceux du Soleil et des Étoiles,
enfin la genèse de l'Univers. Or apercevoir une difficulté et s'étonner, c'est
reconnaître sa propre ignorance (c'est pourquoi même l'amour des mythes est, en quelque
manière, amour de la Sagesse, car le mythe est un assemblage de merveilleux). Ainsi donc, si ce fut
bien pour échapper à l'ignorance que les premiers philosophes se livrèrent à la philosophie, c'est
qu'évidemment ils poursuivaient le savoir en vue de la seule connaissance et non pour une fin
utilitaire. Et ce qui s'est passé en réalité en fournit la preuve : presque toutes les nécessités de la
vie, et les choses qui intéressent son bien-être et son agrément avaient reçu satisfaction, quand on
commença à rechercher une discipline de ce genre. Je conclus que, manifestement, nous n'avons en
vue, dans notre recherche, aucun intérêt étranger. Mais, de même que nous appelons libre celui qui
est à lui-même sa fin et n'existe pas pour un autre, ainsi cette science est aussi la seule de toutes les
sciences qui soit une discipline libérale, puisque seule elle est à elle-même sa propre fin. "

Texte 2 : Epictète, Entretiens, II

« Vois-le bien: le commencement de la philosophie, c’est le sentiment du


conflit des hommes entre eux; on cherche d'où vient le conflit; l'on juge avec
méfiance la pure et simple opinion; l'on examine si cette opinion est juste, et
l'on découvre une règle comme on a découvert la balance pour les poids et
le cordeau pour les lignes droites ou courbes. Voilà le début de la
philosophie.

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Toutes les opinions sont-elles justes ? Comment pourraient-elles l'être si elles se
contredisent ? – Toutes ne sont donc pas justes, mais du moins celles qui sont les nôtres. - Et
pourquoi celles-ci plutôt que celles des Syriens ou des Egyptiens ? Pourquoi les miennes
plutôt que celles de tel ou tel ? – Pas plus les unes que les autres. – Il ne suffit donc pas
qu'une chose paraisse vraie pour qu'elle le soit ; quand il s'agit de poids et de mesures, la
simple apparence ne nous suffit pas. »

Texte 3 : Epicure, Lettre à Ménécée

« Quand on est jeune il ne faut pas remettre à philosopher, et quand on est


vieux il ne faut pas se lasser de philosopher. Car jamais il n’est trop tôt ou
trop tard pour travailler à la santé de l’âme. Or celui qui dit que l’heure de
philosopher n’est pas encore arrivée ou est passée pour lui, ressemble à un
homme qui dirait que l’heure d’être heureux n’est pas encore venue pour
lui ou qu’elle n’est plus. Le jeune homme et le vieillard doivent donc
philosopher l’un et l’autre, celui-ci pour rajeunir au contact du bien, en se remémorant les
jours agréables du passé ; celui-là afin d’être, quoique jeune, tranquille comme un ancien en
face de l’avenir. Par conséquent il faut méditer sur les causes qui peuvent produire le
bonheur puisque, lorsqu’il est à nous, nous avons tout, et que, quand il nous manque, nous
faisons tout pour l’avoir.

(…) Médite donc tous ces enseignements et tous ceux qui s’y rattachent, médite-les jour et
nuit, à part toi et aussi en commun avec ton semblable. Si tu le fais, jamais tu n’éprouveras le
moindre trouble en songe ou éveillé, et tu vivras comme un dieu parmi les hommes. Car un
homme qui vit au milieu de biens impérissables ne ressemble en rien à un être mortel.»

Texte 4 : Descartes, Les principes de la philosophie, 1644, Première partie.

« J'aurais voulu […] expliquer ce que c'est que la philosophie, en


commençant par les choses les plus vulgaires, comme sont : que ce
mot « philosophie » signifie l'étude de la sagesse, et que par la
sagesse on n'entend pas seulement la prudence dans les affaires,
mais une parfaite connaissance de toutes les choses que l'homme
peut savoir, tant pour la conduite de sa vie, que pour la
conservation de sa santé et l'invention de tous les arts ; et qu'afin que cette connaissance soit
telle, il est nécessaire qu'elle soit déduite des premières causes, en sorte que, pour étudier à
l'acquérir, ce qui se nomme proprement philosopher, il faut commencer par la recherche de
ces premières causes, c'est-à-dire des principes ; et que ces principes doivent avoir deux
conditions : l'une, qu'ils soient si clairs et si évidents que l'esprit humain ne puisse douter de
leur vérité, lorsqu'il s'applique avec attention à les considérer ; l'autre, que ce soit d'eux que
dépende la connaissance des autres choses, en sorte qu'ils puissent être connus sans elles,
mais non pas réciproquement elles sans eux ; et qu'après cela il faut tâcher de déduire
tellement de ces principes la connaissance des choses qui en dépendent, qu'il n’y ait rien en
toute la suite des déductions qu'on en fait qui ne soit très manifeste. Il n'y a véritablement
que Dieu seul qui soit parfaitement sage, c'est-à-dire qui ait l'entière connaissance de la vérité
de toutes choses ; mais on peut dire que les hommes ont plus ou moins de sagesse à raison
de ce qu’ils ont plus ou moins de connaissance des vérités plus importantes."

Texte5 : Hobbes, Léviathan, 1651, Livre IV, § 46.


"Par PHILOSOPHIE, on entend la connaissance acquise par le
raisonnement qui va de la façon dont une chose est engendrée jusqu'à
ses propriétés, ou qui va des propriétés à quelque voie possible

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d'engendrement de cette chose, afin d'être capable de produire, aussi loin que le permettent
le sujet et les forces humaines, les effets que requiert la vie humaine. Ainsi, le géomètre, par
raisonnement, à partir de la construction de figures, découvre de nombreuses propriétés de
ces figures, et, en partant des propriétés, de nouvelles façons de les construire, afin de
pouvoir mesurer la terre et l'eau, et pour un nombre infini d'autres usages. De même,
l'astronome, à partir du lever, du coucher, et du mouvement du soleil et des étoiles dans les
différentes parties des cieux, découvre les causes du jour et de la nuit, et des différentes
saisons de l'année, et de cette façon, il tient un calcul du temps ; et il en est de même dans les
autres sciences.
Par cette définition, il est évident que nous ne devons pas compter comme une part de la
philosophie cette connaissance originaire appelée expérience, en laquelle consiste la
prudence, parce qu'elle n'est pas obtenue par raisonnement, mais se trouve aussi bien chez
les bêtes brutes que chez l'homme; et elle n'est que le souvenir de successions d'événements
du passé, dans lequel l'omission d'une petite circonstance, altérant le raisonnement, déçoit
l'attente du plus prudent, tandis que le raisonnement juste ne produit que la vérité générale,
éternelle et immuable .
Nous ne devons donc pas donner non plus ce nom à de fausses conclusions, car celui qui
raisonne d'une façon juste avec les mots qu'il comprend ne peut jamais conclure par une
erreur.
Nous ne devons pas le donner non plus à ce qu'on sait par révélation surnaturelle, parce que
cela n'est pas acquis par raisonnement.
Nous ne devons pas le donner non plus à ce qui est obtenu par raisonnement à partir de
l'autorité des livres, parce que ce n'est pas obtenu par un raisonnement qui va de la cause à
l'effet, ou de l'effet à la cause, et ce n'est [donc] pas connaissance, mais foi."

Texte 6 : Karl Jaspers, Introduction à la philosophie, 1950, tr. fr. Jeanne Hersch,
"Qu'est-ce que cette philosophie, si universelle et qui se manifeste sous
des formes si étranges ? Le mot grec « philosophe » (philosophos) est
formé par opposition à sophos. Il désigne celui qui aime le savoir, par
différence avec celui qui, possédant le savoir, se nomme savant. Ce
sens persiste encore aujourd'hui : l'essence de la philosophie, c'est la
recherche de la vérité, non sa possession, même si elle se trahit elle-
même, comme il arrive souvent, jusqu'à dégénérer en dogmatisme, en
un savoir mis en formules, définitif, complet, transmissible par l'enseignement. Faire de la
philosophie, c'est être en route. Les questions, en philosophie, sont plus essentielles que les
réponses, et chaque réponse devient une nouvelle question.
Pourtant, cette marche en avant - qui est le sort de l'homme dans le temps - n'exclut pas la
possibilité d'un profond apaisement, et même à certains instants suprêmes, d'une sorte
d'achèvement. Celui-ci n'est jamais enfermé dans un savoir formulable, dans des énoncés ou
des professions de foi ; il l'est dans la façon dont s'accomplit, au sein de l'histoire, la
condition d'un être humain auquel se révèle l'être même. Conquérir cette réalité dans la
situation donnée, toujours particulière, où l'on se trouve placé, tel est le sens de l'effort
philosophique.(…)
Nous pouvons recourir à d'autres formules pour exprimer la signification de la
philosophie. Aucune n'épuise cette signification et aucune ne s'avère la seule. Dans
l'Antiquité, définissant la philosophie d'après son objet, on a dit qu'elle était connaissance
des choses divines et humaines, ou de l'être en tant qu'être; la définissant d'après son but, on
a dit qu'elle était apprendre à mourir, ou qu'elle était la conquête, par la pensée, du bonheur,
ou de la ressemblance divine; la définissant enfin par ce qu'elle embrasse, on a dit qu'elle

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était le savoir de tout savoir, l'art de tous les arts, la science en général, qui ne se limite pas à
tel ou tel domaine particulier.
Aujourd'hui, si l'on essaie de parler du sens de la philosophie, on pourrait peut-être recourir
aux formules suivantes : elle tend à apercevoir la réalité originelle ; à saisir la réalité par la
manière dont je me comporte envers moi-même quand je pense et par mon activité
intérieure; à ouvrir notre être aux profondeurs de l'englobant ; à assumer en une lutte
fraternelle, quel que soit le sens de la vérité énoncée, le risque de la communication d'homme
à homme ; à garder sa raison patiemment et inlassablement en éveil, même devant l'être le
plus étranger, qui se ferme et se refuse.
La philosophie est ce qui ramène au centre où l'homme devient lui-même en s'insérant
dans la réalité."
Texte 8: César Chesneau Dumarsais , Article « Philosophe » de L’Encyclopédie, tome XII,
1765.

"Les autres hommes sont déterminés à agir sans sentir, ni connaître les
causes qui les font mouvoir, sans même songer qu'il y en ait.
Le philosophe au contraire démêle les causes autant qu'il est en lui, et
souvent même les prévient, et se livre à elles avec connaissance : c'est une
horloge qui se monte, pour ainsi dire, quelquefois elle-même. Ainsi il
évite les objets qui peuvent lui causer des sentiments qui ne conviennent
ni au bien-être, ni à l'être raisonnable, et cherche ceux qui peuvent exciter en lui des
affections convenables à l'état où il se trouve. La raison est à l'égard du philosophe ce que la
grâce[1] est à l'égard du chrétien. La grâce détermine le chrétien à agir ; la raison détermine
le philosophe.
Les autres hommes sont emportés par leurs passions, sans que les actions qu'ils font soient
précédées de la réflexion ; ce sont des hommes qui marchent
dans les ténèbres ; au lieu que le philosophe, dans ses passions
mêmes, n'agit qu'après la réflexion ; il marche la nuit, mais il
est précédé d'un flambeau.
La vérité n'est pas pour le philosophe une maîtresse qui
corrompe son imagination, et qu'il croie trouver partout ; il se
contente de la pouvoir démêler où il peut l'apercevoir ; il ne la
confond point avec la vraisemblance ; il prend pour vrai ce qui est vrai, pour faux ce qui est
faux, pour douteux ce qui est douteux, et pour vraisemblance ce qui n'est que vraisemblance.
Il fait plus, et c'est ici une grande perfection du philosophe, c'est que lorsqu'il n'a point de
motif pour juger, il sait demeurer indéterminé. […]
L'esprit philosophique est donc un esprit d'observation et de justesse, qui rapporte tout à
ses véritables principes ; mais ce n'est pas l'esprit seul que le philosophe cultive, il porte plus
loin son attention et ses soins.
L'homme n'est point un monstre qui ne doive vivre que dans les abîmes de la mer ou dans
le fond d'une forêt : les seules nécessités de la vie lui rendent le commerce des autres
nécessaire ; et dans quelque état où il puisse se trouver, ses besoins et le bien-être l'engagent
à vivre en société. Ainsi la raison exige de lui qu'il connaisse, qu'il étudie, et qu'il travaille à
acquérir les qualités sociables.
Notre philosophe ne se croit pas en exil dans ce monde ; il ne se croit pas en pays ennemi ; il
veut jouir en sage économe[2] des biens que la nature lui offre ; il veut trouver du plaisir avec
les autres ; et pour en trouver, il faut en faire : ainsi il cherche à convenir à ceux avec qui le
hasard ou son choix le font vivre ; et il trouve en même temps ce qui lui convient : c'est un
honnête homme qui veut plaire et se rendre utile.
La plupart des grands à qui les dissipations ne laissent pas assez de temps pour méditer,
sont féroces envers ceux qu'ils ne croient pas leurs égaux. Les philosophes ordinaires qui

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méditent trop, ou plutôt qui méditent mal, le sont envers tout le monde ; ils fuient les
hommes, et les hommes les évitent. Mais notre philosophe, qui sait se partager entre la retraite
et le commerce des hommes, est plein d'humanité. C'est le Chrémès[3] de Térence qui sent
qu'il est homme, et que la seule humanité intéresse à la mauvaise ou à la bonne fortune de
son voisin.Homo sum, humani a mi nihil alienum puto.[4]
Il serait inutile de remarquer ici combien le philosophe est jaloux de tout, ce qui s'appelle
honneur et probité[5]. La société civile est, pour ainsi dire, une divinité pour lui sur la terre ;
il l'encense, il l'honore par la probité, par une attention exacte à ses devoirs, et par un désir
sincère de n'en être pas un membre inutile ou embarrassant. Les sentiments de probité
entrent autant dans la constitution mécanique du philosophe, que les lumières de l'esprit. Plus
vous trouverez de raison dans un homme, plus vous trouverez en lui de probité. Au
contraire où règnent le fanatisme et la superstition, règnent les passions et l'emportement. Le
tempérament du philosophe, c'est d'agir par esprit d'ordre ou par raison ; comme il aime
extrêmement la société, il lui importe bien plus qu'au reste des hommes de disposer tous ses
ressorts à ne produire que des effets conformes à l'idée d'honnête homme. […]
Cet amour de la société si essentiel au philosophe fait voir combien est véritable la
remarque de l'empereur Antonin : « Que les peuples seront heureux quand les rois
seront philosophes, ou quand les philosophes seront rois ! » […] Le vrai philosophe est donc un
honnête homme qui agit en tout par raison, et qui joint à un esprit de réflexion et de justesse
les mœurs et les qualités sociables. Entez[6] un souverain sur un philosophe d'une telle
trempe, et vous aurez un parfait souverain."

Dumarsais, article "Philosophe" de l'Encyclopédie, tome XII, 1765.

[1] Aide ou faveur dispensée par Dieu.


[2] Gestionnaire, organisateur.
[3] Personnage d'une comédie de Térence (194-159 av. J.-C.).
[4] "Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m'est étranger."
[5] Honnêteté.
[6] Entez : greffez.

Texte9 : Paul-Henri Thiry D'Holbach, Essai sur les préjugés, 1770, Chapitre VII,

"Le Philosophe est donc un homme qui, connaissant le prix de la sagesse


et les dangers de la folie, pour son bonheur propre et pour celui des
autres, travaille à chercher la vérité. Cela posé, appliquons à la
philosophie la règle générale qui doit être établie pour juger sainement
des hommes et de leur conduite ; voyons si elle est vraiment utile ;
voyons si elle procure des avantages réels à celui qui la possède et à ceux qui en recueillent
les fruits ; d’après cet examen, mesurons nos sentiments pour la philosophie et pour ceux qui
la professent.
Si l'habitude de méditer, si les sciences et les arts ne servaient qu’à faire imaginer des
systèmes stériles, à raffiner sur des plaisirs passagers et souvent dangereux, à nourrir le luxe,
à favoriser la mollesse, à repaître l’oisiveté, quel cas pourrait-on en faire ? Quelle estime
devrions-nous à ceux qui s’en occupent ? Quelle reconnaissance la société doit-elle à ces
hommes qui n’emploient les forces de leur esprit qu’à des disputes théologiques dont les
suites sont communément si fatales, à des controverses qui troublent et divisent les citoyens,
à des recherches laborieuses qui ne conduisent à rien ? Les connaissances humaines, pour
mériter notre estime, doivent avoir des objets plus nobles, plus utiles, plus étendus ; c’est son
propre bonheur, c’est le bonheur de ses associés, c’est le bien-être de toute l’espèce humaine
que l’ami de la sagesse doit se proposer ; c’est en pesant les préjugés des hommes dans la
balance de la raison qu’il apprend à s’en dégager lui-même, qu’il peut procurer le calme à

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son cœur, qu’il peut mettre des bornes à ses désirs, qu’il se détrompe des objets que le
vulgaire poursuit aux dépens de son repos, de sa vertu, de sa félicité : c’est en attaquant les
erreurs qui troublent la raison ou qui l’empêchent de se développer que la sagesse peut
aspirer à la gloire si légitime de contribuer un jour à diminuer, ou même à faire disparaître,
les calamités en tout genre dont les mortels sont affligés.
L’homme le plus libre est celui qui a le moins de préjugés ; l’homme le plus heureux est celui
qui a le moins de besoins, de passions, de désirs, ou qui est le plus à portée de les satisfaire ;
l’homme le plus satisfait est celui dont l’esprit est le plus agréablement occupé et dont l’âme
jouit le plus souvent du degré d’activité dont elle est susceptible ; l’homme le plus content de
lui-même est celui qui a le droit de s’aimer et de s’estimer, qui rentre avec complaisance dans
son propre intérieur et qui a la conscience de mériter de la part des autres les sentiments qu’il
a pour lui-même.
Ainsi le philosophe est libre. Vit-il sous la tyrannie ? Son esprit est au moins dégagé des
entraves qui incommodent celui des autres ; il ne tremble point comme eux devant leurs
terribles chimères ; son âme a conservé tout son ressort ; la violence n’a point de prise sur sa
pensée ; il se fortifie contre l’infortune, et en raison de sa propre énergie, qui se nourrit d’elle-
même, de son imagination plus ou moins susceptible de s’allumer, le sage devient un
enthousiaste et souvent un martyr de la vérité. Son âme sera paisible au sein même du
malheur, il ne sera point abattu par les mépris du vulgaire ; il bravera les menaces de la
tyrannie ; elle ne peut rien contre celui qui ne craint point la mort. C'est ainsi que souvent
l’on a vu l’âme de quelques sages rendue plus audacieuse par le danger, irritée par les
obstacles, échauffée par la gloire, attaquer ouvertement le mensonge, la superstition et la
tyrannie au risque même de succomber sous leurs coups. S’ils ont été regardés comme des
insensés par leurs concitoyens prévenus ; si leurs contemporains aveugles leur ont refusé le
tribut de louanges que méritait leur courage, leur imagination allumée les soutenait contre
l’injustice de leur siècle, elle leur montrait une postérité reconnaissante de leurs bienfaits ;
elle leur faisait entendre d’avance les bénédictions et les applaudissements que les hommes
détrompés donneraient un jour à leur mémoire et à leurs entreprises généreuses. Oui, sans
doute, ô Socrate ! dans ta prison ton âme était plus libre, plus élevée, plus contente que celle
de cet infâme Anytus, et de ces juges superstitieux qui te condamnèrent à la mort. […]
Ce n’est donc ni la singularité, ni la misanthropie, ni l’arrogance qui constitue la
philosophie ; c’est l’esprit observateur, c’est l’amour de la vérité, c’est l’affection du genre
humain, c’est l’indignation et la pitié des calamités qu’il éprouve. En un mot, c’est l’humanité
qui caractérise le Sage. Si la philosophie ne lui procure point un bonheur complet, elle le met
au moins sur la route pour l’obtenir ; si elle ne le mène point toujours à la connaissance
entière de la vérité, elle dissipe au moins une portion des nuages qui empêchent de
l’apercevoir ; si elle ne lui montre point toujours des réalités, elle sert au moins à détruire
pour lui un grand nombre d’illusions dont les autres mortels sont les jouets infortunés."

Florilège de citations à compléter à partir des textes proposés ci-dessus.


Aristote : “C’est à bon droit que la philosophie est appelée science de la vérité” Métaphysique

– Epicure : “La philosophie n’est pas une science pure et théorique, c’est une règle pratique
d’action ; bien plus, elle est elle-même une action, une énergie qui procure, par des discours
et des raisonnements, la vie bienheureuse.” Maximes

– Marc-Aurèle : “La philosophie consiste à garder ses démons intérieurs à l’abri des
outrages, innocent, supérieur aux plaisirs et aux peines, ne laissant rien au hasard et surtout
attendant une mort propice à la pensée.” Pensées pour moi-même

– Pascal : “Se moquer de la philosophie, c’est vraiment philosopher.” Pensées

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– Descartes : “Ce mot de philosophie signifie l’étude de la sagesse et par la sagesse on entend
une parfaite connaissance de toutes les choses que l’homme peut savoir, tant pour la
conduite de sa vie que pour la conservation de sa santé et l’invention de tous les
arts”. Discours de la Méthode

– Descartes : “Toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines sont la
métaphysique, le tronc est la physique, et les branches qui en sortent sont toutes les autres
sciences, la médecine, la mécanique et la morale”. Discours de la méthode

– Kant : “La philosophie est un système de connaissance rationnelle à partir de


concepts. » Métaphysique des Moeurs

– Schopenhauer : “La philosophie naît de notre étonnement au sujet du monde et de notre


existence.” Le Monde comme Volonté et comme représentation

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