Vous êtes sur la page 1sur 7

f. w. j.

sch e l l i n g

Le Système de l’idéalisme transcendantal


Présenté, traduit et annoté par
c h r istian dub ois

ditions allia
16 , ru e cha rle ma g n e , pa ris iv e
2023
prface

q u ’ u n système qui modifie complètement et même ren-


verse toutes les conceptions régnantes non seulement dans la
vie ordinaire mais même dans la majeure partie des sciences,
rencontre, en dépit de la démonstration la plus rigoureuse
de ses principes, une opposition constante même chez ceux
qui sont en mesure de sentir ou de comprendre réellement
l’évidence de ses démonstrations, voilà qui ne peut avoir
son fondement que dans l’incapacité de faire abstraction
de la foule de problèmes particuliers qu’à l’occasion d’un
tel changement de point de vue, l’imagination s’affaire
à jeter sur le tapis et qu’elle puise dans le riche domaine de
l’expérience, troublant ainsi le jugement et le jetant dans
l’inquiétude. On ne peut nier la force des démonstrations,
on ne peut rien substituer non plus à ces principes qui soit
certain et évident, mais on redoute les conséquences, pré-
sentées comme monstrueuses, que l’on voit d’avance en
résulter, et on désespère de résoudre toutes les difficultés
que ces principes ne manqueront pas de rencontrer dans
leur application. Mais, puisque l’on peut exiger à bon droit
de quiconque prend part aux recherches philosophiques
qu’il soit capable de n’importe quelle abstraction et qu’il
sache saisir les principes dans leur plus haute généralité,
là où le particulier disparaît complètement et où, pourvu
qu’il s’agisse bien de la plus haute généralité, est certaine-
ment contenue à l’avance la solution de tous les problèmes
possibles, il est naturel que lors de la première élaboration
du système toutes les recherches qui descendent jusqu’au
particulier soient écartées, et qu’on ne tire au clair que la
première chose qui soit nécessaire, [à savoir] les principes, 330
et qu’on les mette entièrement hors de doute. Cependant,
tout système trouve la pierre de touche la plus certaine de
sa vérité en ceci que non seulement il résout avec facilité des
problèmes auparavant insolubles, mais encore qu’il suscite
de tout nouveaux problèmes, demeurés impensés jusque
là, et que, d’un ébranlement général de ce qui était reçu
pour vrai, il fait surgir un nouveau genre de vérité. Or tel est
justement le propre de l’idéalisme transcendantal que, dès
 l e s yst  m e d e l’i d  a l i sm e t r a n scendantal pr fac e 

l’instant où il est admis, il impose de faire, pour ainsi dire, et à présenter la philosophie entière pour ce qu’elle est
resurgir tout savoir à partir de zéro, de reprendre à nouveaux vraiment, à savoir l’histoire progressive de la conscience
frais l’examen de ce qui depuis longtemps a passé pour vérité de soi, histoire au regard de laquelle ce qui est sédimenté
établie et, à supposer même que ce savoir soutienne l’épreuve, dans l’expérience ne sert pour ainsi dire que de mémorial
de le faire resurgir, à tout le moins, de cette épreuve sous une (Denkmal ) et de document. Pour retracer cette histoire de
forme et avec un visage entièrement nouveaux. façon précise et complète, il importait avant tout non seule-
Le but du présent ouvrage est précisément de donner ment de distinguer rigoureusement ses différentes époques
à l’idéalisme transcendantal l’ampleur qu’il doit réellement et, à l’intérieur de celles-ci, les différents moments, mais
avoir, celle d’un système de l’ensemble du savoir ; son but aussi de les présenter en une succession où l’on soit certain,
sera donc de fournir la preuve de ce système non pas simple- grâce à la méthode même par laquelle elle est découverte,
ment en général, mais par le fait lui-même, c’est-à-dire par qu’aucun chaînon nécessaire n’a été sauté, et de donner
l’extension effective de ses principes à tous les problèmes ainsi à l’ensemble une cohérence interne à laquelle aucun
possibles concernant les principaux objets du savoir, soit âge futur ne puisse toucher et qui soit en quelque sorte,
que ces problèmes aient déjà été posés auparavant sans être pour toute élaboration ultérieure, la charpente immuable
résolus, soit qu’ils n’aient été rendus possibles et n’aient sur laquelle tout devra reposer. Ce qui a surtout poussé
surgi pour la première fois que grâce au système lui-même. l’auteur à consacrer un zèle tout particulier à la mise en
Il en résulte tout naturellement que cet ouvrage doit tou- évidence de cette cohérence qui est à proprement parler
cher à des questions et des sujets qui sont encore demeurés un étagement d’intuitions par quoi le Moi s’élève jusqu’à la
inaperçus ou informulés chez le très grand nombre de ceux conscience à sa plus haute puissance, ce fut ce parallélisme
qui se permettent pourtant à l’heure actuelle de porter un de la Nature et de l’Intelligence auquel il a été conduit
jugement en matière de philosophie, et cela parce qu’ils depuis longtemps déjà et dont la présentation complète ne
s’en tiennent encore aux premiers rudiments du système peut être fournie ni par la seule philosophie transcendan-
sans pouvoir les dépasser, soit en vertu d’une incapacité tale, ni par la seule philosophie de la Nature, mais seulement
originaire de seulement saisir ce qui est requis par les par ces deux sciences qui, pour cette raison même, doivent
premiers principes de tout savoir, soit en vertu d’un pré- être les deux sciences éternellement opposées qui jamais
jugé, soit encore pour une autre raison quelconque. Aussi, ne peuvent se fondre en une seule. La preuve concluante
bien que la présente recherche remonte, comme il se doit, de l’entière équivalence des deux sciences du point de vue
jusqu’aux premiers principes, les gens de cette espèce n’ont théorique, équivalence que l’auteur s’est contenté d’af-
pas grand-chose à attendre de cet ouvrage puisque, en ce firmer jusqu’ici, doit par conséquent être cherchée dans la
qui concerne les premières recherches, il ne peut rien s’y philosophie transcendantale et en particulier dans l’exposé
présenter qui n’ait déjà été dit depuis longtemps soit dans qu’en donne le présent ouvrage, lequel doit dès lors être 332
331 les écrits de l’inventeur de la Doctrine de la science, soit considéré comme le pendant nécessaire à ses écrits de
dans ceux de l’auteur, avec cette réserve que, dans le pré- philosophie de la Nature. En effet, cet ouvrage met précisé-
sent travail, l’exposé peut avoir acquis sur certains points ment en évidence que ces mêmes puissances de l’intuition
une plus grande clarté qu’auparavant, clarté qui, toutefois, qui sont présentes dans le Moi peuvent aussi, jusqu’à une
ne peut en aucune façon suppléer à une carence originaire certaine limite, être repérées dans la Nature, et, puisque
d’esprit. Du reste, le moyen par lequel l’auteur s’est efforcé cette limite est justement celle de la philosophie théorique
d’atteindre son but, à savoir la présentation de l’idéalisme et de la philosophie pratique, qu’il est donc indifférent, du
dans toute son extension, a consisté à exposer toutes les seul point de vue théorique, de faire de l’objectif ou du
parties de la philosophie en un seul enchaînement continu subjectif le terme premier, dès lors que seule la philosophie
 l e s yst  m e d e l’i d  a l i sm e t r a n scendantal pr fac e 

pratique (laquelle toutefois, dans cette approche, n’a pas Les vérités de la philosophie pratique ne peuvent elles-
voix au chapitre) peut trancher ce dernier point ; [il en mêmes se présenter, dans un système de l’idéalisme
résulte également] que l’idéalisme lui non plus n’a pas de transcendantal, que comme des chaînons intermédiaires, et
fondement purement théorique et que, dans la mesure où ce qui, dans la philosophie pratique, ressortit proprement
l’on n’admet d’évidence que théorique, il ne peut jamais à un tel système, c’est seulement l’objectif en elle, objectif
avoir l’évidence dont est susceptible la science de la Nature, qui, dans sa plus grande généralité, constitue l’histoire,
elle dont le fondement aussi bien que les démonstrations laquelle, dans un système de l’idéalisme, demande à être
sont de part en part théoriques. Les lecteurs qui sont au déduite de manière tout aussi transcendantale que l’objectif
courant de la philosophie de la Nature concluront également du premier ordre, à savoir la Nature. Cette déduction de
de ces explications que c’est pour une raison située assez l’histoire nous conduit en même temps à démontrer que
profond dans la chose même que l’auteur a opposé cette ce que nous avons considéré comme le fondement dernier
science à la philosophie transcendantale et l’a complète- de l’harmonie entre le subjectif et l’objectif dans l’agir doit
ment séparée d’elle dès lors que si toute notre tâche n’était à vrai dire être pensé comme un Absolument-Identique ; se
que d’expliquer la Nature, nous n’aurions sûrement jamais représenter toutefois cet Absolument-Identique comme un
été poussés à l’idéalisme. être substantiel ou personnel serait aussi faux que d’en faire
Quant aux déductions qui ont été opérées, dans le pré- une simple abstraction, cette dernière opinion n’ayant pu
sent ouvrage, des principaux objets de la Nature, la matière être mise au compte de l’idéalisme qu’à la faveur de la plus
en général et ses fonctions universelles, l’organisme, etc., grossière méprise.
ce sont certes des déductions idéalistes, mais non pour En ce qui concerne les principes de la téléologie, le lecteur
autant (ce que beaucoup considèrent comme équivalent) saisira sans aucun doute de lui-même qu’ils indiquent la seule
des déductions téléologiques, lesquelles ne peuvent pas voie susceptible d’expliquer d’une manière compréhensible
être plus satisfaisantes dans l’idéalisme que dans un autre la coexistence du mécanisme et de la finalité dans la Nature.
système. En effet, même si je démontre, par exemple, – Enfin, pour ce qui est des propositions concernant la philo­
qu’il est nécessaire pour les besoins de la liberté ou des sophie de l’art avec laquelle se conclut l’ensemble, l’auteur
fins pratiques qu’il y ait de la matière avec telles ou telles prie ceux qui peuvent éventuellement avoir pour elles un
déterminations, ou que l’intelligence intuitionne son agir intérêt particulier de tenir compte du fait que l’ensemble de
sur le monde extérieur comme médiatisé par un organisme, cette recherche, qui est infinie lorsqu’on la considère en elle-
cette démonstration ne me donne cependant encore aucune même, n’est ici exposé que dans sa relation avec le système
réponse à la question de savoir comment et par quel méca- de la philosophie, ce qui explique que bien des aspects de ce
nisme l’intelligence intuitionne précisément cela même qui grand objet aient dû d’avance être exclus de notre examen.
333 est nécessaire à cet effet. Toutes les démonstrations que Finalement, l’auteur remarque qu’il a eu comme objectif 334
l’idéaliste fournit pour l’existence de choses extérieures secondaire de donner une présentation de l’idéalisme
déterminées doivent bien plutôt être faites à partir du transcendantal qui soit, autant que faire se peut, lisible et
mécanisme originaire de l’intuition elle-même, c’est-à- compréhensible par tous ; qu’il y ait déjà réussi en quelque
dire grâce à une construction effective des objets. Malgré manière grâce à la méthode qu’il a choisie, c’est ce dont
le caractère idéaliste des démonstrations, leur simple l’expérience l’a convaincu par deux fois lors de l’exposé
tournure téléologique ne ferait cependant pas progresser public du système.
d’un pas le véritable savoir puisque, comme chacun sait, Cette courte préface suffira en tout cas à éveiller quelque
l’explication téléologique d’un objet ne peut absolument intérêt pour ce travail chez ceux qui se trouvent au même
rien m’apprendre sur son origine effective. point que l’auteur et travaillent avec lui à la solution des
 l e s yst  m e d e l’i d  a l i sm e t r a n scendantal

mêmes problèmes, ainsi qu’à y convier ceux qui sont avides introduction
de s’informer et d’apprendre, en même temps qu’elle rebu-
tera à l’avance ceux qui ne sont ni conscients de l’un ni
sincèrement désireux de l’autre, et ce faisant elle aura donc §1
atteint tous ses buts.
concept de la philosophie transcendantale
Iéna, fin mars 1800.
1. Tout savoir repose sur l’accord de quelque chose
d’objec­tif avec quelque chose de subjectif. – En effet, on
ne sait que le vrai ; or la vérité est généralement posée dans
l’accord des représentations avec leurs objets.
2. Nous pouvons appeler nature l’ensemble de tout ce
qui est simplement objectif dans notre savoir ; l’ensemble
de tout ce qui est subjectif serait appelé par contre le
Moi ou l’intelligence. Les deux concepts sont opposés l’un
à l’autre. On pense originellement l’intelligence comme ce
qui simplement représente et la nature comme le simple
représentable, la première comme le conscient et la seconde
comme l’inconscient. Or dans tout savoir une coïncidence
réciproque des deux (de ce qui est conscient et de ce qui est
en soi inconscient) est nécessaire. La tâche qui s’impose est
d’expli­quer cette coïncidence.
3. Dans le savoir lui-même – en tant que je sais – objectif et
subjectif sont unis au point qu’on ne peut pas dire auquel des
deux revient la priorité. Il n’y a ici ni premier ni second, les
deux sont contemporains et ne sont qu’un. – Dès que je veux
expliquer cette identité, je dois déjà l’avoir supprimée. Pour
l’expliquer, je dois nécessairement, puisque rien ne m’est
donné par ailleurs en dehors de ces deux facteurs du savoir
(comme principe d’explication), poser l’un avant l’autre, 340
partir de l’un pour en arriver à l’autre. Duquel des deux je
dois partir, n’est pas déterminé par la tâche en question.
4. Deux cas seulement sont donc possibles.
A. Ou bien l’on fait de l’objectif le terme premier et la question
est alors : comment s’y ajoutera un subjectif qui s’accorde avec lui ?
Le concept du subjectif n’est pas contenu dans le concept de
l’objectif, les deux s’excluent plutôt mutuellement. Le sub-
jectif doit donc s’ajouter à l’objectif. – Dans le concept de
nature il n’est pas inclus qu’il y ait aussi quelque chose d’intel­
ligent qui la représente. La nature, semble-t-il, existerait
 l e s yst  m e d e l’i d  a l i sm e t r a n scendantal introduc tion 

même s’il n’y avait rien pour la représenter. La tâche en inanimée (die sogenannte tote Natur) est de façon générale
question peut donc également être formulée ainsi : comment une intelligence qui n’est pas parvenue à maturité, et aussi
ce qui est intelligent (das Intelligente) s’ajoute-t-il à la nature est-ce encore inconsciemment que le caractère intelligent
ou comment la nature en vient-elle à être représentée ? transparaît déjà dans les phénomènes de la nature. – Le but
La tâche en question suppose que la nature ou l’objectif suprême, devenir à soi-même totalement objet, la nature ne
soit premier. Cette tâche est ainsi sans aucun doute celle de l’atteint que par la réflexion suprême et dernière, laquelle
la science de la nature puisque celle-ci fait la même chose. n’est rien d’autre que l’homme ou, plus généralement, ce
– Que la science de la nature pour le moins se rapproche que nous appelons raison ; c’est par elle seulement que la
effectivement – et sans le savoir – de la solution de cette nature retourne complètement en soi-même et qu’il devient
tâche ne peut être indiqué ici que brièvement. manifeste que la nature est originairement identique avec
Si tout savoir a pour ainsi dire deux pôles qui se présup- ce qui est reconnu en nous comme intelligent et conscient.
posent et s’exigent réciproquement, alors ceux-ci doivent Ceci peut suffire à démontrer que la science de la nature
se chercher dans toutes les sciences. C’est pourquoi il doit a la tendance nécessaire de rendre la nature intelligente.
y avoir nécessairement deux sciences fondamentales et il C’est précisément par cette tendance qu’elle devient la
doit être impossible de partir de l’un des pôles sans être philosophie de la nature, laquelle est l’une des sciences fon-
poussé vers l’autre. La tendance nécessaire de toute science damentales de la philosophie .
de la nature est donc d’aller de la nature à l’intelligent. C’est B. Ou bien l’on fait du subjectif le terme premier et la question
cela et rien d’autre qui se trouve à la base de l’effort visant est alors : comment s’y ajoutera un objectif qui s’accorde avec lui ?
à introduire de la théorie dans les phénomènes de la nature. Si tout savoir repose sur l’accord des deux termes (1), 342
– Le suprême perfectionnement de la science de la nature la tâche qui consiste à expliquer cet accord est sans aucun
consisterait dans la spiritualisation parfaite de toutes les lois doute la plus haute de tout savoir, et si, comme on l’accorde
naturelles en lois de l’intuitionner et du penser. Les phéno- généralement, la philosophie est la plus haute et la première
mènes (l’élément matériel) doivent complètement disparaître de toutes les sciences, cette tâche est incontestablement la
et seules les lois (l’élément formel) doivent demeurer. Et de tâche principale de la philosophie.
341 là vient que plus la légalité éclate dans la nature même, plus Mais cette tâche exige seulement l’explication de cette
le voile disparaît : les phénomènes eux-mêmes se spiritua- coïncidence en général et laisse complètement indéterminé
lisent et finalement cessent complètement. Les phénomènes ce que l’explication doit prendre comme point de départ,
optiques ne sont rien d’autre qu’une géométrie dont les ce qu’elle doit établir comme terme premier et comme
lignes sont tracées par la lumière et cette lumière elle-même terme second. – Et puisque les deux opposés sont récipro-
est déjà d’une matérialité équivoque. Dans les phénomènes quement nécessaires l’un à l’autre, le résultat de l’opération
du magnétisme toute trace matérielle disparaît déjà et, des sera inmanquablement le même quel que soit le point d’où
phénomènes de la gravitation, que même les physiciens l’on part.
(Naturforscher) n’ont cru pouvoir comprendre que comme
une action spirituelle immédiate, il ne subsiste que leur loi,
dont l’exécution macroscopique constitue le mécanisme . L’exposé plus développé du concept d’une philosophie de la nature doit
être cherché dans l’écrit de l’auteur : Esquisse d’un système de philosophie
des mouvements célestes. – La théorie achevée de la nature de la nature (Entwurf eines Systems der Naturphilosophie), en liaison avec
serait celle en vertu de laquelle la nature entière se dissou- ­l’Introduction à cette esquisse et les explications que contient le premier
drait en intelligence. – Les produits morts et inconscients cahier de la Revue de physique spéculative (Zeitschrift für spekulative Physik) (a).
(a) Il s’agit de la Déduction générale du processus dynamique ou des catégories
de la nature ne sont que des tentatives avortées de la nature de la physique, parue en avril et septembre 1800, donc légèrement posté-
pour se réfléchir elle-même tandis que la nature que l’on dit rieure au Système (cf. s. w., ii, pp. 635 à 712).
 l e s yst  m e d e l’i d  a l i sm e t r a n scendantal introduc tion 

Faire de l’objectif le terme premier et en dériver le subjectif, De même que le philosophe de la nature tourné seulement
est, comme on vient de l’indiquer, la tâche de la philosophie vers l’objectif ne cherche à éviter rien tant que l’immixtion du
de la nature. subjectif dans son savoir, inversement, le philosophe trans-
Si donc il y a une philosophie transcendantale, il ne lui reste cendantal ne redoute rien tant que l’immixtion de l’objectif
que la direction opposée : partir du subjectif comme premier et dans le principe purement subjectif du savoir. – Le moyen
absolu et faire surgir de lui l’objectif. Philosophie de la nature pour assurer leur séparation (das Ausscheidungsmittel ) est
et philosophie transcendantale se sont donc partagé les deux le scepticisme absolu – non pas le demi-scepticisme dirigé
directions possibles de la philosophie et, si toute philosophie seulement contre les préjugés communs des hommes, sans
doit chercher ou bien à faire de la nature une intelligence ou jamais aller au fond des choses, mais le scepticisme radical
bien de l’intelligence une nature, la philosophie transcen- qui se porte non sur des préjugés particuliers mais sur le
dantale, qui a cette dernière tâche, est alors l’autre science préjugé fondamental avec lequel tous les autres doivent
fondamentale nécessaire de la philosophie. tomber d’eux-mêmes. Car en plus des préjugés introduits
artificiellement dans l’homme, il en existe de bien plus ori-
ginaires, déposés en lui non par l’enseignement ou l’artifice
§2 des hommes mais par la nature elle-même, et qui tiennent
lieu pour tous, à l’exception du philosophe, de principes
corollaires de tout savoir et passent même pour la pierre de touche
de toute vérité aux yeux du simple “penseur original”
Par ce qui précède, nous avons non seulement déduit le (dem blossen Selbstdenker).
concept de la philosophie transcendantale, mais nous avons L’unique préjugé fondamental, auquel se réduisent tous
en même temps procuré au lecteur un aperçu sur le système les autres, n’est autre que celui d’après lequel il existerait des
entier de la philosophie, lequel, comme on le voit, s’accom- choses en dehors de nous ; conviction (ein Fürwahrhalten) qui,
plit par deux sciences fondamentales qui, opposées l’une parce qu’elle ne repose sur aucune raison ou conclusion (car
à l’autre dans le principe et la direction, se cherchent et se il n’y a en sa faveur pas la moindre démonstration probante)
complètent réciproquement. Ce n’est pas le système entier et ne se laisse donc extirper par aucune preuve contraire
de la philosophie mais seulement l’une de ses sciences fon- (naturam furca expellas, tamen usque redibit), fait valoir des
343 damentales qui doit être ici élaborée et qui, conformément prétentions à la certitude immédiate alors qu’elle se rapporte
au concept déduit ci-dessus, doit d’abord être caractérisée à quelque chose qui est tout à fait différent de nous, qui nous
de plus près . est même opposé et duquel on ne comprend pas du tout
1. Si le subjectif est pour la philosophie transcendantale comment il pénètre dans la conscience immédiate – il s’agit
le terme premier, l’unique fondement de toute réalité et donc d’une conviction qui ne peut être considérée pour rien 344
l’unique principe d’explication de toute autre chose (§ 1), de plus qu’un préjugé – à vrai dire un préjugé inné et ori-
la philosophie transcendantale commence alors nécessaire- ginaire – mais qui n’en est pas moins pour cela un préjugé.
ment par le doute universel quant à la réalité de l’objectif. La contradiction consistant en ce qu’une proposition
qui, de par sa nature, ne peut être immédiatement cer-
taine est néanmoins acceptée aussi aveuglément et sans
raison qu’une telle proposition immédiatement certaine,
. Ce n’est que par l’achèvement de la philosophie transcendantale qu’on le philosophe transcendantal ne peut la résoudre à moins
se rendra compte de la nécessité d’une philosophie de la nature comme
science complémentaire et qu’on cessera dès lors également de poser à la de supposer que, d’une manière cachée et sans qu’on l’ait
première des exigences que seule une philosophie de la nature peut remplir. aperçu jusqu’à maintenant, cette proposition soit non pas

Vous aimerez peut-être aussi