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URI : https://id.erudit.org/iderudit/1019809ar
DOI : https://doi.org/10.7202/1019809ar
Éditeur(s)
Laval théologique et philosophique, Université Laval
ISSN
0023-9054 (imprimé)
1703-8804 (numérique)
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U N E IN T E R P R É T A T IO N
Com m ent nous possédons une telle connaissance, ou l’ origine des pre
miers principes dans notre intelligence, tel est le problèm e que nous enten
dons étudier. Ou plus exactement, nous nous proposons de reprendre
la solution qu ’en a donnée Aristote, et de montrer qu ’elle en est une de
juste milieu entre le sensualisme et l’innéisme. Saint Thom as et ses com
mentateurs, en particulier Cajétan et Jean de Saint-Thomas, ne l’ ont pas
comprise autrement. N ous mettrons donc en lumière la justesse de leur
interprétation com m e la pénétration de leurs développements. Nous
verrons qu’ ils se sont appliqués à scruter les implications de la position
initiale, au point de nous donner à eux tous une véritable synthèse. N ous
essaierons donc de la reconstituer en prenant pour base de nos recherches
le dix-neuvième et dernier chapitre du second livre des Seconds Analy
tiques.
1 « E t id e o a d s c ie n t ia m q u a e e s t d e d e m o n s tr a t io n e , u t ile e s t u t s c ia t u r q u a lite r
p r im a p r in c ip ia c o g n o s c a n t u r » .— S. T h o m a s , In I I Posteriorum Analyticorum,
l e c t .2 0 , n .2 .
2 Sec. Anal., I, c.2, 72b4.
LA C O N N A IS S A N C E DES P R E M IE R S P R IN C IP E S 291
principes, et qu’il existe donc une connaissance plus certaine que celle des
principes. Telle est la difficulté où nous nous jetons à déclarer que les
principes sont acquis. Il s’agit donc de comprendre com m ent la double
affirmation d ’Aristote n’est nullement contradictoire, commeDt elle n’est
point tiraillement entre des inconciliables.
Enfin, et parmi les animaux qui ont la mémoire, Aristote fait la distinc
tion entre les hommes et les brutes. Distinction qu’il fonde sur le yiveadai
M . T ricot:
et qui réside une et identique dans tous les sujets particuliers) que vient
le priacipe de l’ art et de la science, de l’art en ce qui regarde le devenir,
et de la science en ce qui regarde l’être».
Le Père Le B lond:
Ici encore il faut lire une note, mais contrairement à celle de M . Tricot,
c’ est une note qui correspond à la traduction et qui entreprend de la justi
fier. C ’est d ’ailleurs le seul avantage que le P. Le Blond ait sur M . Tricot.
Selon lui, en effet, et bien des auteurs seraient de son sentiment, il ne peut
être question dans le présent texte de séparer l’expérience et l’ universel.
Le f) ne distingue pas l’une et l’ autre, il explique l’une par l’autre. M ais
la distinction très juste par ailleurs, que faisait M . T ricot entre la double
saisie possible de l’universel, ne paraît pas être venue à l’ esprit du P. Le
Blond. Si le sens saisit l’ universel, il faut simplement dire que l’expérience
est la connaissance de l’ universel. M ais celle-ci n’est rien d ’autre que la
connaissance du principe, rien d ’autre que la science elle-même. Le P. Le
Blond a donc cette logique d ’identifier l’ expérience et la science.
Or, saint Thom as écrit: «Ita etiam ex experimento, aut etiam ulterius
ex universali quiescente in anima ( . . . )— ex hoc igitur experimento, et ex
tali universali per experimentum accepto, est in anima id quod est prin-
cipium artis et scientiae». A vec cet «aut etiam ulterius», dit notre auteur,
saint Thom as com mente Aristote par Aristote, c’est-à-dire qu’il s’appuie
sur le premier livre de la Métaphysique «où la distinction entre l ’expérience,
qui reste particulière, et la science et l’ art, qui sont réellement universels,
est affirmée de façon nette». E t le plus grave peut-être, c’ est qu’il minimise
le rapprochem ent entre sensibilité et intelligence, qu ’il détruit «la saveur
‘ sensualiste’ du morceau» qui est pourtant indéniable.
N ous ne reprendrons pas les critiques que nous formulions déjà contre
les explications de M . Tricot. N ous ajouterons tou t juste pour bien mar
quer que c ’est l’intelligibilité même du morceau que détruit l’interprétation
du P. Le Blond. E t d ’abord une simple question. Pourquoi donc cet
élément du texte: rot) èvos -irapà rà 7roXXd n’ apparaît-il pas dans sa
traduction ? C ’est bien parce qu ’il s’agit de la connaissance de l’universel
com m e unité en dehors du multiple que cette connaissance ne se laisse pas
réduire à l’expérience.
Que saint Thom as voit le principe dans une proposition, cela ressort,
il nous semble, de l’exemple q u ’il donne com m e principe, et spécialement
com m e principe d ’art. M ais le principe d ’art est ce qui règle l’action de
l ’artiste, et nous ne voyons pas com m ent une notion simple pourrait consti
tuer une telle règle. Ce n’est pas la notion de fièvre, ni la notion de telle
herbe qui dirige l’opération du m édecin; c ’est plutôt le rapprochem ent de
ces deux notions dans la proposition qui énonce: telle espèce d ’herbe guérit
la fièvre. «H oc accipitur u t quaedam regula medicinae». M ais en parlant
de l ’universel, l’exemple est tou t au contraire celui d ’un incomplexe, d ’ une
certaine nature. C ’est l’hom m e, c ’est la nature humaine dans laquelle
Socrate et Platon sont semblables. C et universel est reçu de l ’expérience,
et «ex tali universali per experimentum accepto, est in anima id quod est
principium artis et scientiae». Si l’universel avait été le principe, n ’eût-il
pas fallu dire: «et tale universale per experimentum acceptum est in anima
id quod est principium artis et scientiae» ? Chez saint Thomas, com m e
chez Aristote, le «ex» ne peut que montrer la distinction entre ce qui pro
vient et ce d ’ où il provient. Puis il ajoute: si cet universel concerne l’action
(puta circa sanationem vel agriculturam), il appartient à l ’art; s’il concerne
le nécessaire (puta circa numéros et figuras), il revient à la science. M ais
tou t cela s’entend encore et plus encore des notions, car, à ce point de vue,
il est certain que les principes reviennent à l’art ou à la science par les notions
mêm es qu ’ils engagent. E t pour toutes ces raisons nous n’hésitons pas à
conclure que saint Thom as a très nettement distingué le principe-proposi-
tion de l’universel-simple notion.
connu par quelque puissance cognitive du sujet sentant. C ’est ainsi que
l’ universel appréhendé par l’intelligence est un sensible par accident à
condition d ’être appréhendé au moment même où la chose est sentie.
Mais, ajoute-t-il, si l’ universel est simplement appréhendé «in singulari»,
cette appréhension ne relève point de l’intelligence mais de la cogitative.
Car la cogitative, qui est une puissance sensitive, participe en quelque sorte
à l’intelligence à laquelle elle est jointe dans l’homme. Elle ne saisit pas
seulement l’individu com me principe ou terme de quelque action, mais
elle l’ atteint aussi dans sa ressemblance avec d ’autres individus1.
Où l’on discerne que la cogitative est pour ainsi dire la faculté de l’ex
périence. C ’est l’affirmation de saint Thom as au début de la Métaphysique.
L ’expérience est à la cogitative ce qu’est l’habitude à la mémoire chez les
animaux, et ce qu’est l ’art ou la science à la raison proprement dite. Car
la cogitative est aussi appelée raison mais raison particulière, parce que
d ’une part elle est capable de rapprochement, et que d ’autre part ce sont
les singuliers ou images individuelles qui font l’ objet de ses rapprochements2.
E n quoi nous rejoignons le rôle de l’expérience tel qu ’il est si bien décrit
dans les Analytiques. Il s’agit, en effet, et avec la raison, d ’ en arriver à un
universel en repos tout entier dans l’âme com m e une unité en dehors de la
m ultiplicité et du mouvement. L ’expérience est ce pont entre la singu
larité, le multiple et le mouvant où réside l’universel, et cet état d ’univer
salité, d ’unité et de stabilité sous lequel l’ intelligence le considère. Il faut
à cette fin que la cogitative touche à l’universel dans les singuliers, mais il
faut surtout qu’elle rapproche les singuliers précisément sur ce point où,
selon l’expression d ’Aristote, ils lui paraissent indifférents ou indifférenciés.
La répétition des actes de la cogitative en même temps que les groupements
q u ’elle opère au sein des singuliers ont donc pour effet de mettre fin aux
fluctuations et mutations extérieures, de voiler la multiplicité et la diversité,
d ’unifier et de stabiliser les singuliers tout au profit de la connaissance d’ un
universel. L ’arrêt dans l’ âme de l’universel ne peut se faire sans que les
singuliers eux-mêmes aient été fixés. « C ’est ainsi que, dans une bataille,
au milieu d ’une déroute, un soldat s’arrêtant, un autre s’arrête, puis un
autre encore, jusqu’à ce que l’armée soit revenue à son ordre prim itif:
de même l’âme est constituée de façon à pouvoir éprouver quelque chose
de sem blable» (100al2).
i
f
LA C O N N A IS S A N C E D E S P R E M IE R S P R IN C IP E S 299
 1’intellect agent près, ce dernier texte n ’est-il pas une simple reprise
des Analytiques à la ligne 100a6 ? E t l’impression qu’il laisse, tou t com m e
les deux autres, c ’est qu’il suffit de l’intellect agent et de sa lumière pour
que l’intelligence puisse com poser ou diviser les termes, et connaître ainsi
les principes.
q u ’il n’ est pas intelligible, saint Thom as ne refuse pas totalement au sin
gulier d ’être atteint par l’intelligence; il lui laisse d ’être connu par elle d ’une
connaissance indirecte, par réflexion ou conversion à l’image qui le repré
sente. Â nier cette connaissance, affirme saint Thomas, il devient impos
sible d ’expliquer la capacité de l’intelligence à former une proposition telle
que Socrate est homme1. E t qui niera que la proposition ainsi formée ne
dise quelque chose à l’intelligence, qu’elle ne soit l’ expression d ’une réalité
intelligible ? Poussons même la proposition singulière à ce qui paraît bien
être son extrême limite: Socrate est Socrate, et Socrate n’est pas Platon.
N i Socrate, ni Platon ne sont proprem ent des intelligibles, mais l ’intelli
gence n’en form e pas moins des propositions toutes chargées de significa
tion puisque la première pose l’identité de Socrate avec lui-même, et la
seconde, sa division de Platon. Où l’on voit que l’intelligibilité des pro
positions singulières a sa vraie raison dans la com position même des sin
guliers com m e dans la mise en branle de notions déterminées. L e parti
culier com plexe que le sens ou la cogitative jugeait d ’ une façon fort impar
faite et confuse, l’intelligence est en mesure d ’ en faire son propre objet, de
se le dire et de se l’ exprimer par elle-même et pour elle-même.
2 Αηλον δή Sri ήμιν rà τρω τά irayw yÿ y νωριξίιν ivaym ûov καί yàp καί αίσθησή ούτω
τ i καθόλου ίμνοίέΐ.
304 L A V A L T H É O L O G IQ U E E T P H IL O SO PH IQ U E
Si les notions sont acquises à partir des singuliers sensibles, cela fournissait
à Aristote l’argument le plus fort contre l ’innéité des principes eux-mêmes.
C ar il restait aux principes d ’être acquis d ’une façon semblable à celle dont
sont acquises les notions. N e devons-nous pas tirer notre connaissance
des complexes là même où nous puisons celle des incom plexes? Ce qui
fait le réalisme de notre connaissance, ce qui fait d ’elle une connaissance
de choses réelles, c ’est justement que nos appréhensions se rattachent
aux singuliers existants, et que nos propositions, nos vérités expriment les
rapports que les choses ainsi appréhendées nourrissent dans la réalité même.
Une fois établi que les notions sont acquises en partant des singuliers par
l’intermédiaire des sensations externes et surtout internes, il n’y a donc
plus qu ’à reconnaître un procédé similaire pour l’ acquisition des principes.
N ous disons similaire, et similaire seulement, car nous l’avons vu, avec
l’expérience, la connaissance d ’un singulier incom plexe n’est pas stricte
m ent identique à celle d ’un singulier com plexe. M ais nonobstant leur
différence, leur similitude permettait tou t de même au Philosophe de se
fonder sur la nécessité de la sensation dans le cas des universels pour inférer
celle de l’induction dans le cas des propositions qui constituent les principes.
et incertaine puisque pour les cas non expérimentés il n’est pas clair qu’il
en soit ainsi. Il répugne donc que les principes auxquels nous reconnais
sons la plus grande certitude soient le fruit d ’une telle induction1.
N ous entrevoyons déjà que Jean de Saint-Thomas interprétera Aris-
tote de cette manière que l’induction est uniquement quelque chose de
prérequis à la connaissance des principes. Or Vasquez avait déjà rencontré
et fermement com battu cette opinion. Pour certains, disait-il, l’induction
n’est pas ce qui engendre l’assentiment aux premiers principes : pour ne pas
être conséquence formelle, elle ne peut que fournir la matière et n’être
tout au plus qu’une certaine condition.
Si cela était, répond Vasquez, l’effort, le labeur d ’Aristote serait inutile
et vain. C ’est à tort qu ’il aurait prouvé que la connaissance des principes
naît des préconnus par le truchement de l’induction. Com m e la connais
sance des conclusions a sa cause dans la connaissance des principes, de même
cette dernière sort de l’expérience com m e d ’une connaissance antécédente,
et elle en sort par voie d ’inférence et de conséquence. Que l’ on ne dise pas
que cette argumentation n ’est que probable, qu’ elle ne saurait donner plus
qu’une opinion touchant les principes, et que la science y trouverait ainsi
la mort. Les singuliers connus ont au contraire la puissance d ’ engendrer
une connaissance certaine si l’ on a soin d ’ observer les circonstances des
singuliers assumés. Aristote a d ’ailleurs reconnu un syllogisme topique,
et l’induction, à l’instar du syllogisme, est une forme d ’argumenter ou
nécessaire ou probable selon que les singuliers sont considérés avec ou
sans exactitude2.
N ous ne tenterons pas ici de décider lequel de Vasquez ou de Jean de
Saint-Thomas a touché la vraie doctrine de l’induction. N ous inclinons
à croire qu’il existe une induction certaine et efficace, et nous pouvons
tou t au moins soulever certains doutes sur ce qu’en dit Jean de Saint-
Thomas. D e fait, il nous paraît effrayé par l’énumération com plète
des singuliers alors que singuliers peut tout bonnem ent désigner des infé
rieurs qui sont eux-mêmes des universels. Il semble encore méconnaître la
différence qu ’ il y a entre la connaissance de tous les singuliers pris séparé
ment et leur connaissance dans l’universel ou selon l’espèce. Sur ces deux
premiers points, on consultera le chapitre cinq du premier livre des Seconds
Analytiques, avec le commentaire qu’ en donne saint Thom as3. Enfin,
Jean de Saint-Thomas érige certainement er induction pure et simple
l’induction qui n’ est que dialectique. Selon saint Albert, en effet, les
Premiers Analytiques traitent de l’induction selon q u ’elle est com mune au
dialecticien et au philosophe, cependant que les Topiques la définissent de
la manière où elle revient au dialecticien seulement4.
Il est encore aussi certain que l’une et l’autre affirmation sont tou t
à fait conformes à l’esprit com m e à la lettre de saint Thom as et d ’Anstote.
Celui-ci ne disait-il pas dès le début que si les principes ne sont pas innés
«nous devons nécessairement posséder quelque puissance de les acquérir,
sans pourtant que cette puissance soit supérieure en exactitude à la con
naissance même des principes». À quoi saint Thom as ajoutait: «U nde
non eodem m odo principiorum cognitio fit in nobis ex praeexistenti cogni
tione, sicut accidit in his quae cognoscuntur per demonstrationem». II
faut voir en ces textes le principe de toutes les déterminations antérieures,
la lumière qui doit éclairer la véritable interprétation de cet im portant
chapitre. Car il n’en est pour l’ ensemble q u ’une interprétation possible:
celle qui maintient la distinction du sens et de l’intelligence, celle qui
donne à chacune de ces puissances la juste place qui lui revient. Il faut
ici fuir des extrêmes: ou bien, attribuer au sens une priorité telle que l’intel
ligence se verrait à son égard dans un état de stricte dépendance; ou bien,
reconnaître à celle-ci une telle suffisance qu’ elle se passerait totalement ou
presque de la sensation. Il faut admettre la nécessité du sens, mais ne pas
croire que tout soit donné avec lui. Il faut com battre l’innéisme sans m a
gnifier le sens com me sans avilir l’intelligence. Le tou t est de les bien
accorder. E t c ’ est peut-être pour avoir longuement parlé de sensation et
d ’ induction que le Philosophe consacre aux habitus intellectuels les dernières
phrases de son chapitre.
Ces quelques phrases ont trait aux habitus par lesquels nous saisissons
la vérité, et elles reprennent des idées du premier livre sur la possibilité de
la science1. Il y a des habitus, com me l’ opinion, qui sont susceptibles
d ’erreur, mais il en est d ’autres, com m e la science, qui sont toujours vrais.
M ais la science ne peut être l’unique habitus de l’intellect spéculatif. Elle
se définit en effet par la démonstration, et la dém onstration implique que
certaines vérités sont indémontrables. D e ceux-là qui ont cru à la néces
sité de démontrer pour connaître avec certitude, les uns ont simplement
gémi sur l’impossibilité de la science, et les autres ont vainement essayé
de la maintenir en admettant des démonstrations circulaires. Il n’y a
donc qu’une position, et c ’est de reconnaître une connaissance absolument
certaine mais non démonstrative des principes. «A l ’exception de l ’intel
ligence, aucun genre de connaissance c e peut être plus vrai que la science»
(lO O bll).
Or ce qui nous paraît ici le plus significatif, c’est qu ’Aristote ait dé
nommé cet habitus des principes du nom même de la puissance: le vovs,
c ’est-à-dire Yintelligence. M ais voilà, paraît-il, un aboutissement assez
surprenant, une façon de procéder assez étrange. Aristote a largement
exposé la nécessité de l’induction pour ne s’arrêter à rien d ’autre qu’à
l'intelligence. C ’est à se demander s’il ne faudrait pas identifier induction
Où l’ on voit que sous une forme un peu plus com plexe c ’est encore la
position de Yasquez qui reparaît au jour. Le P . Le B lond voudrait avant
tou t qu’Aristote soit sensualiste, et, com m e Vasquez, il voudrait que l’in
duction soit suffisante pour nous assurer la connaissance parfaite et totale
des principes. L ’intention qui animait Vasquez paraît être aussi la sienne:
sauvegarder le labeur d ’Aristote. M ais com m e c’ est Aristote lui-même
qui introduit cette espèce de négation de l’induction qu’est Yintelligence,
il faut bien que ce soit ce même Aristote qui ruine son propre labeur. C ’ est
pourquoi Jean de Saint-Thomas a toujours raison. Â prôner com m e unique
assertion que la connaissance des principes nous vient de la connaissance
des particuliers, on aboutit fatalement à cette impasse que l’induction sup
prime Vintelligence ou que l’intelligence devient un véritable discours.
Tandis que si l’on voit dans l’induction ce qui est seulement la condition
de la connaissance des principes, il y a place pour cette autre affirmation
que la dite connaissance a sa raison formelle dans l’intelligence m ême des
termes et la connaissance de leur connexion. L ’intelligence ne peut plus
alors se confondre avec l ’induction, ni se définir com m e une connaissance
discursive. Il ne fa it plus de doute que l’induction et Yintelligence sont
vraiment choses distinctes, et l’ on ne s’ étonne plus qu’il y ait entre elles
cette même coupure que l’ on doit discerner entre ce qui est la condition,
même nécessaire, et le m otif ou la raison formelle de cette connaissance.
Dire que notre connaissance ne s’explique pas sans le sens, ce n’est pas
affirmer que le sens à lui seul suffit à l’ expliquer. E t si telle avait été la
position d ’Aristote, il nous semble q u ’il aurait dû faire de quelque sens, de
la cogitative notamment, le siège de Vhabitus des principes; ou bien encore,
qu’il aurait dû faire de l’induction elle-même Vhabitus des principes. Cet
habitus nous aurait alors déterminés à induire com m e la science nous déter
mine à conclure. C ’est-à-dire que Vhabitus des principes se serait défini
par tout ce processus qui va des propositions singulières au principe lui-
même, com me la science ne com porte pas seulement les conclusions mais la
démonstration elle-même. S’il a mis l’intelligence face aux seuls principes,
s’il l’a définie com m e une connaissance toute simple com parée à la science,
il faut en voir la raison en ce que nous affirmions dès le début et que nous
croyons maintenant démontré, savoir que la position d ’Aristote est une
position de juste milieu entre le sensualisme et l’innéisme. E t nous ne
voyons vraiment pas comment, sur cette question, saint Thom as et ses
grands com mentateurs peuvent avoir trahi la pensée du Philosophe.
E m manuel T r é p a n ie r .