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La connaissance de l'étendue chez Descartes

Author(s): Jean Laporte


Source: Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 123, No. 5/8 (MAI-AOUT. 1937),
pp. 257-289
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41084322 .
Accessed: 06/11/2014 09:35

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La connaissancede l'étendue
chez Descartes

La notiond'étenduesoulève,chezDescartes,biendesproblèmes
d'ordremétaphysique, physiqueou mathématique. Mais il en est
un qui commandetousles autres,et qui pourtantn'a guèreretenu
l'attentiondes historiens1, quoiqu'il ait été signalépar Gassendi
etparMalebranche : comment peut-ilyavoirunepenséedel'étendue?
On sait sur quellesbases, à partirdu Cogito,a été établiela
distinction de l'étendueet de la pensée.Tout revientà ceci, que
l'une n'a « riendu tout de communavec l'autre2», que l'une est
la « négation» de l'autre3,que leursnaturessontopposéesau point
de « s'exclure»4; et c'estpourquoiellespeuventêtreposéescomme
des substancesdifférentes5.
Mais, par ailleurs,tout ce dont l'espritest informé,il ne
le voitque danssa penséeet commeunobjetimmanent à sa pensée,
αJe ne puis avoiraucuneconnaissancede ce qui est horsde moi
que par l'entremise des idéesque j'en ai euesen moi6». Et les idées
qui sonten moi peuventbienêtreproduites « à l'occasion» descorps,
voiremême- occasionétantici synonyme de causepartielle7 - par
les corps.Elles n'en sontpas moins,si l'on ose ainsi s'exprimer,
d'étoffe spirituelle; elles sont des modifications de monàme, à la
manièredontles empreintes faitespar le cachetsontdes modifi-

1. Il fautfaireune exceptionpourM. NormanSmith{Studiesin theCartesian


Philosophy, Londres1902,p. 92 et suiv.),et aussi,naturellement,
pourM. Brunsch-
vicg,qui,du reste,posele problème en termesassezdifférents.
2. Réponseaux V**Objections ^contre la IIe Méditationn° 7).
3. « Nonsolumnoninvolvitalteram,sed etiamnegat» (Entretien avecBurman
Adam-Tannery, t. V, p. 163).
4. IIe et IVe Méditations.Réponseaux IV**Objections.
5. Rép. aux IV» Objections.
6. A. T., t. III, p. 474.
7. V. Iraitedel Homme;Diopirique,IVe Discours; Notasm programma, A. T.,
t. VIII, 2* partie,p. 358.
tomb cacxm. - mai-août. - 1937 n0· &-Ô, 7-8)

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cationsdela cire1.C'est en ce sens qu'elles doiventêtre dites toutes


innées2.L'idée d'étendue comme les autres8.
Dès lors,qui expliquera par quel miracle l'esprit,irrémédiable-
mentrenferméen soi, y peut découvrirmême l'apparencede ce qui
est par définitionle contrairede soi ?
Difficultéinsoluble,semble-t-il,si l'on s'en tient aux interpré-
tations ordinaires du Cartésianisme.

I
A vrai dire, cette difficultén'a rien de particulierà Descartes.
Elle se retrouvedans beaucoup de doctrinesantérieuresou posté-
rieuresà lui. Mais aucune d'elles ne nous fournitrien qui puisse,
du point de vue cartésien,passer pour une solution satisfaisante.
Saint Augustin,qui a aperçu tant de problèmes,n'a pas manqué
de signaler celui-ci. En maint endroit4,il se demande comment
notre âme, simple et par conséquent non spacieuse, peut contenir
en son sein, dans les « palais de la mémoire» ou dans le champ de
la conscience,l'immensitédes espaces. Et il répondque l'âme possède
certaine forcemerveilleuse- mira quaedam vis - grâce à quoi,
comme l'œil, encore que bien petit, sait illuminertoute la voûte
céleste,elle est capable de « comprendrepar la pensée » l'univers.
Elle n'a pas, pour ce faire,besoin du corps,non plus que Dieu, qui
est puresprit,n'a besoindu corpspourconnaîtrela réalitéphysique6.
Ou plutôt, s'il y a en elle une connaissance des objets corporels,
celle des sens et de l'imagination,qui s'opère avec l'aide du corps,il
y en a une autre qui s'opère par Γ intelligencepure : aliterfigurantes
animo imagines corporum,aut per corpus corpora videntes,aliler
autem rationes artemqueineffabiliter pulchram ialium figurarum
super aciem mentissimplici intelligentiacapientes*.

1. A. T., t. IV, p. 113.


2. A. T., t. III, p. 418,et A. T., t. VIII, 2* partie,p. 358-359.
3. A. T., t. VIII, 2e partie,p. 359 : « Undesequituripsasmotuumetfigurarum
ideas nobisesse innatas.»
4. Confessions, lib.X, cap. 8, et surtout De quanlitateanimœ,cap. 14 et suiv.-
V. aussi Cont.Epist.Fundamenti, cap. 17.
5. De Civil.Dei. lib. XXII. cap. 29.
6. Trinilatelib. IX, cap. 6 - Cf.,1etextedes Soliloques(lib. I cap. 4). cité
parArnaulddans les IVe6Objections, où estaffirmée de «comprendre
l'impossibilité
la géométrie par la seuleentremise des sens».
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J.LAPORTE. - CONNAISSANCEDE L'ÉTENDUE CHEZ DESCARTES 259

Celarevientà direque l'âmea unefaçonimmatérielle de connaî-


treles chosesmatérielles. Telleestaussila réponsede saintThomas
et de sonécole: Animaper intelledum cognoscilcorporacogniiione
immateriali1.
Pour les Thomistes, assurément, l'embarrasest aussi pressant
que possible,puisque « connaître » une chose,à leursyeux,c'est
« a
proprementla devenir». Fierialia se,diraJeande SaintThomas.
Et SaintThomasavant lui, reproduisant Aristote2,avait soutenu
que, dans la connaissance, l'âme est d'une certaine manièretout
ce qu'elle connaît: animaestquodammodo omnia*.D'une certaine
manière: caril va de soi que si l'âmehumaine, parexemple, connaît
une pierre,ellene devientpas cettepierreintégralement : maiselle
devient« pétréité» ; elle devientles chosesdifférentes d'elle-même
quantd leurforme. Le privilègede l'êtreconnaissant estjustement
de pouvoirrecevoir, outresa formeà lui,celledes autresêtres: et
cetteformede l'objetextérieur, en tantqu'elles'imprime en notre
sensou en notreintellect, pour y déterminer une réactionqui est
proprement la connaissancede l'objet, c'est Vespècesensibleou
non
intelligible, pas ce que nousconnaissons(id quodcognoscimus)
maisce par quoi nousconnaissons(id quo cognoscimus)*. Mainte-
nant,qu'unechosesoitreçuedansuneautre,cela ne se peutconce-
voirque si la seconde,pourentrerdans la première, revêtun être
du mêmeordre: Omnequodrecipitur in altero,recipilursecundam
modumrecipienlis. L'esprit,recevantles formesdes chosesmaté-
rielles,les reçoità sa manière, immatériellement : Intellectus
species
corporum quœ suntmateriales et mobiles,recipitimmaterialiter et
immobiliter secundùm modumsuum5.La dématérialisation s'opère
déjà, à un premierdegré,par le sens; à un degrépluscompletpar
Yintellectagent6.Maissensibleou intelligible, Yespècea toujourscette
doublepropriétéd'êtreimmatérielle et de faireconnaîtrela chose

1. Sum. Theologie,l* au., 84 art. I, in corp.


2. De Anima, III, 37.
3. Sum. Th., Ia qu. 84, art. I, in corp.
4. Comment, in lib. de Anima,III, lect. 8 ; cf.De Veritate, qu. VIII, art. 7 ;
Quod-libel, VIII, art.2 ; I» qu. 85, art. II, etc.
5. I* qu. 84, art. I, in cap.
6. « Sensusautemcognoscitivus est,quia receptivus estspecierumsinematéria,
et intellectus adhùc magiscognoscitivus, quia magisseparatus est a materià.»
S. Th.,I· qu. 14,art. I, in corp.: cf. Ia qu. 80, art. I, in corp.
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260 REVUE PHILOSOPHIQUE

matériellequi l'a impriméedans l'esprit: Ad speciem,quœ estmedium


cognoscendi,requirunturduo : scilicet reprœsentatiorei cognilœ,
quœ competitei secundampropinquitatemad cognoscibile ; et esse
spirituale,vel immateriale,quod ei competitsecundam quôd habet
esse in cognoscente1.
Double propriétéqui, comme on voit, enveloppe tout le pro-
blème : puisque tout le problème est de savoir commentquelque
chose d'immatérielpeut être, ou causer, la « représentation» de
quelque chose de matériel.
Descartes ne peut, certes, se contenter d'une solution aussi
verbale. Les espèces intentionnelles lui apparaissent, comme elles
apparaîtrontà Malebranche,des inventionschimériques2.D'autant
que, instrumentset non objets de connaissance,elles sont en elles-
mêmes inconscientes: et lui qui, du point de vue où l'a placé le
Cogito,ne peut admettred'inconscientdans l'esprit,il cherchepré-
cisément,sous le nom d'idée,ce que nous percevonsimmédiatement,
ce que nous avons de présentà la conscience quand nous disons
connaître quelque chose8. Les idées sont en nous « comme des
tableaux ou images4». De ce point de vue, l'idée étant supposée
différentede la chose,ne faut-ilpas bien,pour nous la faireconnaître,
qu'elle lui ressemble? Et, si l'on envisage dans l'idée, non l'acte
de percevoir,mais le contenuperçu,ou la réalitéobjective,ne serait-ce
pas un non-sens de prétendreavec Spinoza que l'idée du cercle
n'est point circulaire,que l'idée de l'espace n'est point spatiale6?

Du même coup se trouve exclue une autre solution que pour-


raient suggérercertaines interprétationshistoriquesde nos jours,
et qui reviendrait,elle aussi - par une voie très éloignée de celle
des « espèces » - à spiritualiserl'étendue afin de la rendreconnais-
sable. M. Brunschvicg,dans ses admirables travaux sur le Spino-

1. De veritate,ou. III. art. I, in corp.


2. Voirpar exemple,La Dioptrique.
3. Rép. aux //«·Objections, définition2; cf.A. T., t. III, p. 392-393.
4. ///· Méditation.
5. De Intelledusemendaiione, n° 27. - De son côté,M. Merrylees considère
comme« évident» qu'une idée ne « ressemble» pas à son objet,qu'une idée de
couleurn'estpas colorée,et que pareillement, l'idéede l'espacen'estpas spatiale:
« obviouslyit is notspatial,butofspace» [Descartes, p. 192-194).C'est justement
passerà côté de la difficulté.
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J. LAPORTE. - CONNAISSANCE DE L'ÉTENDUE CHEZ DESCARTES 261

zismeet surla philosophie mathématique, a montré,avec autant


d'éruditionque de profondeur, quelle révolution a produite,au
χνΐΐθsiècle,la conceptionde la géométrieanalytique,telle que
DescartesTa élaborée.Il ne s'agiraitpas d'unesimpleapplicationde
l'algèbreà la géométrie,mais,endroit,toutau moins,d'unevéritable
réductiondela géométrie à l'algèbre.« Parla méthode dontje mesers,
ditDescartes, toutce qui tombesousla considération des géomètres
se réduità un mêmegenrede problèmes, qui est de chercherla
valeurdes racinesde quelqueéquation1.» Pour connaîtreles pro-
priétésdu cercle,par exemple,il n'est pas besoinde regarderla
figure: il suffîtd'étudieret de discuterl'équation : x2+y*=r*.
Mais,d'autrepart,uneéquationalgébriqueesten elle-mêmes étran-
à
gère l'espace. Elle est affaire de quantitépure, et « la notion de
est
quantité purement intellectuelle : elle s'établit a prioripar la
seulecapacitéqu'a l'espritde conduireet de poursuivre à l'infini
de
longueschaînesde raisons2». Ainsice qui semblaitd'abordn'être
que la symbolisation graphiqued'une équationfinitpar être« la
résolutiondesrapports spatiaux»enopérations del'esprit8. La dimen-
sion spatiale,fourniepar une sorted'imagination a priori,n'est
plus qu'un appui extérieurpour une conceptiondont la valeur
essentielleestindépendante de toutereprésentation imaginative4 ».
On en arrivemême- tantle dynamisme de la penséea « détaché
l'étenduede son apparencestatique5» - à « ne plus apercevoir
cetteextériorité réciproque des partiesqui estle traitle plusappa-
rentdu milieuspatial6». Intellectualisée de la sorte,rienn'em-
pêche que l'étendue ne soit un attribut de Dieu, commele veut
Spinoza, ou une idée de Dieu, comme le veut Malebranche.Rien
non
n'empêchedonc, plus,qu'elle soit, ne comme le veutDescartes,
une idée innée de l'homme.
Explicationingénieuse, séduisante,et d'une hauteportée.Elle
vaut sans douteen ce qui conernceSpinoza,dontles thèsesessen-

1. Géométrie,
A. T., t. VI, p. 475. M. Brunschvicga soinde noterque la réduc-
tionde la géométrie
à l'algèbren'estpas encoretoutà faitréaliséechezDescartes;
maisque « sa méthodey tendaitmanifestement ».V. Les Etapes,p. 132.
2. Brunschvicg. Les Étapes de la philosophiemathématique,
p. 123.
3. Id., Spinoza et ses contemporains,p. 478.
4. Les Étapes, p. 123.
5. Le Platonismede Spinoza dans le ChroniconSpinozanum, 1923, p. 266.
6. Spinoza et ses contemporains,p. 466.
3 4* 2

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262 REVUE PHILOSOPHIQUE

tielless'éclairent par elle d'unevive lumière,et dontcertainesfor-


mulesambiguës, commecellequ'ona citéeplushauttouchantl'idée
du cercle,trouventen elle leurjustification. Aussibienest-cepour
Spinozaqu'elle a été inventée.Elle est plus contestableen ce qui
concerneMalebranche.Quant à Descartes,M. Brunschvicg, tout
le premier, nousavertitqu'elle ne s'appliqueà lui qu'à moitié1.Il
y aurait,en effet, chezDescartes,deux sortesd'étendues: celle du
géomètre, qui estune étendueintellectualisée, et celledu physicien,
qui estune étendue et
pure simple2. Mais, cela étant, notreproblème
demeureentier.Même si Ton concède,en effet,qu'aux yeux de
Descartes,l'algèbresoit une disciplineplus « spirituelle » que la
géométrieenclidienne, voire intégralement ; même si
spirituelle
Ton concèdequ'une équationalgébriquepuisse avoir une signi-
ficationgéométrique sans qu'aientdû être présupposésdes axes
de coordonnées, ou touteautrebase de référence spatiale; mêmesi
l'on concèdequ'avec la géométrie analytique,nous arrivionsbien
à connaître l'étenduede façontout« intérieure » : encorefaudra-t-il
convenirque c'est là une connaissancescientifique, donc excep-
et
tionnelle, qu'à côté d'elle subsiste,chez le savant même,une
connaissance sensibleou imaginative qui est essentiellement « exté-
rieure». Qu'on rabaissetant qu'on voudracette« représentation
statique» : il resteque c'est une représentation d'étendue.Qu'on
la traite,si Tony tient,d'illusoire: il resteque, commel'a montré
le Cogito,l'illusion,en tant que donnéede conscience, est ici une
réalité.Sentir,imaginer,c'est encorepenser3.L'étendue,sentie
ou imaginée,sous sa formela plus brute,est une idée « présente
à l'esprit», « inhérente en l'esprit4». Et la questionesttoujoursde
savoircommentune telle idée est possible.A quoi s'ajoutera,si
l'étenduesentieou imaginéedoitse doublerd'uneétenduepurement
intellectuelle, la questionde savoircommentle mêmenom s'ap-
plique à l'une et à l'autre,commentdeux « idées » de caractère
radicalement différent- l'une statique,l'autredynamique,l'une
extérieure5 l'autre intérieure, l'une indivisible,l'autredivisible-

qui se sont inspirésde ses travaux,n'ont pas eu la


1. D'autres historiens,
mêmeprudence.
2. Les Etapes,p. 107; cf. p. 113,p. 132, etc.
3. //« Méditation.
4. Rép. aux //· Objedions.
4-

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J.LAPORTE. - CONNAISSANCEDE L'ÉTENDUE CHEZ DESCARTES 263

peuvent non seulementconduire, comme des méthodes diverses,


au même résultat,mais'exhiber le^même objet.
En sorteque la spiritualisationde l'étendue,d'où qu'elle se fasse,
loinde supprimerla difficulté
initiale,ne serviraitqu'à la compliquer.

II

La vraie pensée de Descartes me semble être au contrairequ'il


n'y a ni deux genresd'étendue,ni, à strictement
parler,deux genres
de connaissance de l'étendue.

A) La thèse s'affirmedès les Regulœ:


« Cette forcepar laquelle nous connaissons est purementspi-
rituelle...; et elle est unique, soit qu'elle reçoive des figuresdu
sens commun, en même temps que de l'imagination,soit qu'elle
s'applique à celles qui sont conservéesdans la mémoire,soit qu'elle
en formede nouvelles... C'est une seule et même force (una et
eadem est vis) qui, si elle s'applique avec l'imagination au sens
commun,est dite voir, toucher,etc. ; si elle s'applique à l'imagina-
tion seule en tant que celle-ciest revêtuede figuresvariées,est dite
se souvenir; si elle s'applique à l'imaginationpour en fabriquerde
nouvelles,est dite imaginerou concevoir(imaginari velconcipere);
enfin,si elle agit seule, est dite entendre(intelligere)1.»
Ce n'est pas là une opinionémise en passant, c'est la base même
de la doctrinedes Regulœ.Dans tous les cas et danstous les domaines,
l'opérationde notreforceou facultéde connaîtrese réduità « voir »
(iniueri), l'inférence(illaiio) n'étantjamais qu'un intuituscontinué
(dedudio), ou morcelé (enumeralio), en vertu d'un déplacement
de l'attention.Mais l'acte de «voir », purementréceptif,est toujours
identiqueà lui-même.On ne peut donc, du côté du sujet, admettre
de différenciation dans la connaissance,si ce n'est que la vue de
l'objet existe, tantôt à l'état pur, tantôt additionnéed'ingrédients
qui ne sont pas proprementconnaissance.
Voilà pourquoil'entendementest dit seul capable de connaître*

1. Regulœ12, A. T., t. X, p. 415, 416.


2. Regulœ8, A. T., t. X, p. 398 : c soluminteUectum
essescient!»capacem» ;
cf. Préfacesdes Principes.
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264 REVUE PHILOSOPHIQUE

et Vintuitus,rapporté à l'entendementseul1 : rien de plus naturel


si c'est justement le fait de connaîtreou d'avoir un intuitos,en
tant que dégagé de tout ce qui n'est pas lui, qui caractérisel'en-
tendement.
Voilà pourquoi aussi l'expérienceest présentée tantôt comme
source d'incertitudeet d'erreur2,tantôt comme fondementindis-
pensable de la science8. Elle est « trompeuse » lorsqu'elle est
« confuse » ; elle est « certaine » ; lorsqu'elle est « précise »4.
Et même dans les données des sens et de l'imagination, il
est des propriétéset des rapportsqu'on peut discerneravec préci-
sion, sans que riend'autre les « offusque» ainsi les faits « simples»
comme la transmissiondu mouvementd'un bout à l'autre d'un
bâton5, ou bien encore les « notions communes » (unité, égalité,
nombre,durée, etc.) qui peuvent être saisies « en contemplantles
images des choses matérielles6». On dit que tout cela est connu
intellectuellement : rien de plus naturelencore,si le mot « intellec-
tuel » désigne justement ce qu'il y a de précis dans l'expérience
interneou externe: quse iniellectuspraecisèvel in seipso vel in phan-
fasiâ esse experitur7.
A cette définitionde la connaissance, réputée intellectuelle
lorsqu'elleest pure et par là précise,réputéesensibleou imaginative
lorsqu'elle est troublée d'éléments étrangers et par là confuse,
Descartes est demeuré constammentfidèle.
Il la reprendet l'explique dans les Méditationset les Principes:
l'entendementn'a d'autre fonctionque d'apercevoir : perceptiosive
operatioinlellectûss.Mais, par ailleurs,sentiret imaginersont aussi
des manières d'apercevoir : sentire,imaginari et pure intelligere,

1. Regulœ3, A. T., t. X, p. 20 : « Per inluitumintelligo, nonfluctuantem sen-


suum fldem,vel maie componentisimaginationis judiciumfallax,sed mentis
puraeet attenta?tam facilemdistinctumque conceptum..., seu, quod idem est,
mentispuraeet attenta? nondubiumconceptum, oui a sola rationislucenascitur.»
2. Regulœ2, A. T., t. X, p. 365.
3. Regulœ5, A. T., t. X, p. 380.
4. Regulœ2, A. T., t. X, p. 365 et VIII, t. X, p. 394.
5. Reaulœ9, A. T., t. X, p. 402.
6. Regulœ12, A. T., t. X, p. 419-420.
7. Regulœ12,A. T., t. X, p. 425, cf. p. 423, : « intellectum a nullounquam
experimento decipiposse,si praecisètantùmintuaturremsibi objectam,prout
illamhabet,vel in seipso,vel in phantasmate ».
8. Principes^l, 32.
2

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J.LAPORTE. - CONNAISSANCEDE L'ÉTENDUE CHEZ DESCARTES 265

suni tantùmdiversimodipercipiendi1. Où est alors la différence ?


Elle ne peutvenirque d'un surcroît qui est susceptibled'accompa-
gneret de recouvrir la perception. La connaissancesensibleet la
conscienceimaginative - les deux sontici assimilables, commeil
se voitdanslesillusionsdurêveou du délire2- enferment d'abord,
dans leur« conceptformel », « quelquesorted'intellection8 ». Mais
ellesenferment aussi autrechose.Quoi donc? des sentiments, tels
que douleur,couleur,sens,saveur,etc., que nous concevonsbien
clairement et distinctement quand nousles considérons commedes
étatsde notreâme,maisdontnousne pouvonsplusriendirequand
nousles considérons commedes chosesou commedes propriétés de
choses« qui subsistent horsde notreesprit4». En fait,nousavons
dèsle jeuneâgeunetendanceà extérioriser nossentiments, à mettre
par exemple la douleur dans nos organes et les couleursou le son
dansles objets5.Cetamalgamede l'affection et de la représentation
tientà « l'unionet commeau mélangede l'âmeavec le corps» dans
lequell'âmeest« immergée »e.Là estla sourcede nos « idéesmaté-
riellement fausses»,ou, ce qui estla mêmechose,de notreconnais-
sancesensibleetimaginative7. Onpeutl'appeler,cetteconnaissance,
une « façonconfusede penser»8,pourvuqu'au reboursd'unSpinoza
ou d'un Leibniz,on entendebien que la confusion consistedans
l'embrouillement de deuxfacteurs spécifiquement - l'un
différents
subjectif, l'autre objectif,dirions-nous en langagemoderne,senti-
mentet idée,diraitMalebranche en sonlangage,qui n'estpas tout
à faitceluide Descartes9 - et que cet embrouillement mêmea une

1. PrincipesI, 32.
2. V. Passions,art. 26.
3. VI9 Meditation. Descartesdit même: « cetteidée distinctede la nature
corporelle que j*ai en monimagination » (ibid.). C'est encorede la mêmefaçon
que Descartesattribueparfoisaux sens une connaissanceintuitivedes choses
corporelles. VoirA. T., t. V, p. 137.
4. PrincipesI, 68,cf.69-70; v. aussi66 : « Nouspouvonsavoirdes sentiments
uneconnaissance claireet distincte, pourvuque nousprenions gardeà ne compren-
dredanslesjugements que nousen ferons que ce que nousconnaîtrons précisément
Dapla clartéde notreDercention. »
5. PrincipesI, 47 et 67.
6. « Immersa», PrincipesI, 47 ; cf. VI* Méditation ; Principes,IV, 190;
A. T., t. V, p. 137; A. T., t. III, p. 424,etc.
7. VI· Meditation et Rép. aux IV**Objections.
8. Les sensationssont « confusa»quaedam cogitationes» (PrincipesIV, 190
et VI* Méditation) ; et Yimaginalio s'opposeà la claraperceptio (A. T., t. V. n. 160).
^9. Cf. Entretiens mäaphysiques, V, 2, etc. On sait que pour DescartesVidée
2

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266 REVUE PHILOSOPHIQUE

cause,savoirl'influence du corps1: confusœ


perturbatrice quaedam
cogitaiiones,quas mensnon habeta se solâ, sed ab eo quod a corpore,
cui intiméconjuncia est, aliquid patiatur2.
Nous en revenonsdonctoujoursà la doctrinedes Requise: un
seulgenrede connaissance, qui estla prisede conscience d'unobjet,
quel qu'il soit,par l'âme. Mais deux états de la connaissance: l'un
dans lequel l'âme est livréeà elle-même(de se sola) et alors elle
voitclair,c'estl'entendement ; l'autredanslequelellesubitl'action
intimedu corps(a corpore cui intimé conjunciaest,aliquidpalialur),
c'est le sensou l'imagination3.

B) De ce pointde vue, on n'a pas tropde peineà interpréter


les pages de la IIe Méditationoù Descartess'expliquespéciale-
ment sur la manièredont nous connaissonsl'étendue; c'est le
fameuxtextedu morceaude cire- si souventexploitéen sens
diverspar les commentateurs.
Rappelons-nous bien,d'abord,le but que s'y proposeDescartes
et la place que tientle textedansla chaînede déductions qui part
du Cogito.
Qu'est-cequia étédémontré ? - Quel'espritestdistinctducorps,
ou plus exactement qu'il a consciencede son existence propre,en
tant qu'elle peut êtreconçuecommeindépendante de l'existence
du corps.

est souventprisede façontrèslargecommesignifiant toutcontenude conscience.


PourMalebranche, au contraire, Vidéedésignece qui est connucomme« distingué
de moi ». Mais dans le fond,la penséedes deux philosophes est bienidentique:
il y a dans l'expérience sensibleperception et affection: le progrèsde la connais-
sanceconsisteà discerner les deuxéléments, de façonque le secondne nousappa-
raisseplusque commel'occasiondu premier. - Cf.Principes,II, 1.
1. VIe Méditation etPrincipes,IV, 190.On voitqu'enappelantla connaissance
sensibleune connaissanceconfuse,DescartessembleparlercommeLeibniz,mais
penseà l'opposéde lui. Il ne songenullement, commeKant le reprochera
en effet,
à Leibnizdans VEsthélique transcendenlale et dans VAmphibolie des conceptsde
la réflexion,à réduirela sensibilité à l'entendement. Au contraire, il veutmontrer
que la confusion qui se remarqueen la sensibilité vientd'un principeentièrement
hétérogèneà l'entendement.
2. PrincipesI, 190 : Descartesrépèteque les facultésde sentiret d'imaginer
« n'appartiennent à l'âme qu'en tantqu'elle est jointeau corps» (A. T., t. III,
p. 479). V. aussiA. T., t. III, p. 424.
3. Le débutde la VIe Méditation opposeVimaginalion et la pureintellection.
Puisquela suitede la mêmeMéditation observeque l'imagination « enferme quel-
que sorted'intellection »,c'estdoncbienla « pureté» qui distingue la penséeintel-
lectuelleproprement dite de la pensée imaginative.
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J.LAPORTE.- CONNAISSANCEDE L'ÉTENDUE CHEZ DESCARTES 267

Et qu'est-cequi està démontrer ? - Quel'espritse connaîtavant


le corps,ou plus exactementque la connaissancemêmedu corps
supposela miseenjeu (etpartantla conscience)d'unepenséetoute
spirituelle, c'est-à-direagissantindépendamment de l'action du
corps.
Il va de soi que, si cettenouvelledémonstration aboutissaità
trouverque la naturemêmedu corpsest au fondspirituelle, elle
contredirait la précédente ; et les deuxmoitiésde la IIe Méditation
se détruiraient mutuellement.
D'un autrecôté,commela réalitédu corpsn'a pas encoreété
établie,unepenséespirituelle ne peutvouloirdireici qu'unepensée
dégagéedes états qui, selon l'opinioncommune,- nous savons
que cetteopinionseraaussicellede Descartes,maisil suffit qu'elle
soit posée présentement à titrehypothétique, - passentpour
impliquerl'intervention de notreorganisme: l'imagination et le
sens.Descartesdonneune tellepenséecommedénotant« un esprit
humain», parceque, selonl'opinioncommune, le senset l'imagina-
tionse rencontrent en l'âme des bêtes,et qu'à ce moment,il n'a
pas encorele droitde faireétatde la thèse- qui a déjà étéet conti-
nuerad'êtrela sienneparailleurs- que les bêtesn'ontpointd'âme.
Tout l'effort de la déductioncartésienne va donc consisterà
fairevoirque dansla connaissance du corpsintervient quelquechose
la
qui passe portée des sens et de l'imagination.
On y réussirapar une analyseexacte de ladite connaissance,
où, du côtéde l'objetcommedu côtédu sujet,serontéliminéstous
les revêtements et tousles accessoires, où la matière« toutenue »*
seramiseen regardde l'esprittoutnu.
C'est à quoi sertl'exempledu morceaude cire :
« Prenonsce morceaude cire. Il vienttout fraîchement d'être
tiréde la ruche,il n'a pas encoreperdula douceurdu mielqu'il
contenait, il retientencorequelquechosede l'odeurdes fleursdont
il a étérecueilli; sa couleur,sa figure, sa grandeur sontapparentes;
il estdur,il estfroid,il est maniable; et,si vous frappezdessus,il
rendraquelqueson. Enfin,toutesles chosesqui peuventdistincte-
mentfaireconnaître un corpsse rencontrent en celui-ci.Maisvoici
on
que, pendantque je parle, l'approche du feu : ce qui restaitde

1. « Tanquamvestibusdetractisnudamconsidero» (IIe Méditation).


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268 REVUE PHILOSOPHIQUE

saveurs'exhale,l'odeurs'évapore,sa couleurse change,sa figure


se perd,sa grandeuraugmente,il devientliquide,il s'échauffe, à
peinele peut-onmanier,et,quoiquel'on frappedessus,il ne rendra
plusaucunson.La mêmeciredemeure-t-elle encoreaprèsce chan-
gement ? Il faut avouer qu'elle demeure ; personnen'en doute,
personne n'en juge autrement. Qu'est-ce donc que Tonconnaissait
en ce morceaude cireavec tantde distinction ? Certes,ce ne peut
êtreriende tout ce que j'y ai remarquépar l'entremise des sens
(quœ sensibus atiingebam), puisque toutes les chosesqui tombaient
sous le goût,sous l'odorat,sous la vue, sous l'attouchement et
sous l'ouïe,se trouventchangées,et que cependantla mêmecire
demeure.»
On voitle principedirecteur de cetteanalyse- qui faitsonger
au débutde l[Eslhétique transcendentale, mais qui, elle,restetoute
positive. C'est le principe même de la méthode cartésienne. Jecrois
savoirtrèsclairement ce que je veux direquand je dis connaître
cet objet : qu'est-ceque j'ai alorsde présent à la conscience ?
J'ai sans douteprésentesà la consciencedes donnéessensibles.
Mais ces donnéessensiblespeuventvarieret disparaître sans que
je cessepourcela de direque cet objet est devantmoi. Par « cet
objet », j'entendsdoncautrechose.
Quoi ? La substanceséparéede ses accidents? Plusieursont
vouluprendreen ce sens-làla phrasequi vientaussitôtaprès:
« Peut-êtreétait-cece que je pensemaintenant, à savoirque
cettecire n'étaitpas ni cette douceurde miel,ni cetteagréable
odeurde fleurs, ni cetteblancheur, ni cettefigure, ni ce son; mais
seulement un corpsqui, un peu auparavant,me paraissaitsensible
sous ces formeset qui maintenantse fait sentirsous d'autres.»
Mais Descartesa énergiquement protesté: il n'a jamais pensé
que la substancepût nous êtreconnueà part de ses accidents:
« Je n'ai pointfaitabstractiondu conceptde la cired'avec celui
de ses accidents,maisplutôtj'ai voulumontrer commentsa subs-
tanceest manifestée par les accidents »a. Entendez qu'il a cherché,
la naturede la substancene se connaissantjamais directement

1. Bép. aux Ve» Objections(contrela II· Méditation,n° 8) ; cf. Rép. aux Ins-
tances: et Enl. avecBurman,A. T., t. V, p. 151; v. aussi Lett,à Morus,A. T.,
t. V, p. 268-269.
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J. LAPORTE. - CONNAISSANCE DE L'ÉTENDUE CHEZ DESCARTES 269

par elle-même, à déterminer ceux qui nousla fontconnaître, c'est-


à-direceux où s'observece caractèrepermanent qui, de l'aveu de
toutle monde,est la marquede la substance1.Ce ne sontpoint,
nousvenonsde le voir,les accidentsrelatifs à nossens,telsque cha-
leur,couleur,odeur,etc.,ou, pour user du vocabulairede Locke
et de Leibniz,les qualitéssecondaires. « Retranchons-les » doncet
« voyonsce qui reste» : « Certes,il nedemeure rienque quelquechose
d'étendu,de flexibleet d'immuable»2- qualitésprimaires.
Ce sontcellesqui, pour Descartes,ont toujoursdéfiniet défi-
nironttoujoursl'essencede la matière3.
Commentles connaissons-nous ?
Onseraittentédépenserqu'ellesnouspeuventêtreentièrement
révélées,sinon par les sens, du moins par l'imagination, qui
reproduit et qui assembleou dissocieles donnéesdes sens. Il n'en
est riencependant:
« Qu'est-ceque cela,flexible et muable? N'est-cepas que j'ima-
gineque cettecireétantrondeestcapablede devenircarrée,et de
passerdu carréen une figure triangulaire ? - Non certes,ce n'est
pas cela, puisqueje conçoiscapable recevoirune infinité
la de de
semblableschangements, et je ne saurais néanmoinsparcourir
cetteinfinité parmonimagination ; et parconséquent cetteconcep-
tionquej'ai dela cirene s'accomplit pas,non perficitur,parla faculté
d'imaginer. »
De mêmepourl'extension:
« Qu'est-cemaintenant que cetteextension ? N'est-ellepas aussi
inconnue? Car elle devientplus grandequand la cirese fond,plus

1. Principes I, 52-53 et 63.


2. Cf. Rép. aux lreBObjections: « Je conçois pleinementce que c'est que le
corps, en pensant que c'est une chose étendue, figurée, mobile, etc. », et
Principes. II, 11.
3. Réponses aux lreBObjections: « Je conçois pleinementce que c'est que le
corps en pensant que c'est une chose étendue, figurée,mobile, etc. ». V. aussi, dans
les Principes, une analyse qui rappelle beaucoup celle de la IIe Méditation: « ...Si
attendentes ad ideam quam habemus alicujus corporis, exempli causa lapidis,
rejiciamus ab ilia id omne quod ad corporis naturam non requiri cognoseiinus :
nempè rejiciamus primo duritiem...; rejiciamus etiam colorem... ; ac denique
rejiciamusfriguset calorem,aliasque omnes qualitates, quia vel non considerantur
in lapide, vel, iis mutatis, non ideo lapis corporisnaturam amississe existimatur.
Ità enim advertamus, nihil plané in ejus ideâ remanere, praeterquam quòd sit
quid extensum in longum, latum et profundum...» (Principes ,11, 11). V. aussi
Principes, II, 4 ; Réponses aux 111**Objections(réponseà l'objection2), etc.
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270 REVUE PHILOSOPHIQUE

grandequand elle bout, et plus grandeencorequand la chaleur


augmente; et je ne concevraispas clairement et selonla véritéce
la
que c'est que de cire,si je ne pensaisque ce mêmemorceauque
nous considéronsest capable de recevoirplus de variétésselon
l'extensionque je n'en ai jamais imaginé.»
En d'autrestermes,dire que ce morceaude cire est flexible,
muableet étendu,c'est direqu'il est susceptibled'un nombreilli-
mitéde formes et de grandeurs. Mais,de ces formes et de ces gran-
deurs,les senset mêmel'imagination ne sauraientjamaismerepré-
senterqu'unnombretrèslimité.Doncma connaissance de ce qu'est
réellement ce morceaude cireenferme quelque chose qui déborde
les sens et l'imagination : à savoirla conscienced'une possibilité
infinie Maiscettepossibilité
de spécifications. infinien'estqu'unautre
nom de l'universalité propre aux idées générales.C'est pourquoi
Descartes,après avoir constaté «
que je ne sauraiscomprendre par
l'imagination ce que c'est que ce morceaude cire » s'empresse
d'ajouter: « Je dis un morceaude cireen particulier, car pourla
cireen général,il est encoreplusévident.» II fautdoncavouerque
même la connaissanced'un objet particulierest d'une certaine
manièreuniverselle.Or tout le mondeconvientque l'universel
ressortità une facultésupérieure à l'imagination commeau sens,
et, partant,tout à faitincorporelle, étrangère, titre,aux ani-
à ce
et
maux, qui est le privilègede l'homme1. Descartesest donc en
droitde conclureque je ne puispercevoir « selonla vérité» ce mor-
ceau de cire« sans un esprithumain» : nonpossumsine humana
mentepercipere.
Que signifieau juste cetteconclusion?
Pour le tirerau clair, selon le préceptedes Regulse,distin-
guons,dans notreconnaissancede la cire, « ce qui connaît» et
« ce qui est connu2».
Ce qui connaît,c'est Γ αesprit» (mens): « ma perception
n'est
point une vision,ni un attouchement, ni une et
imagination, ne l'a

1. DescartesreprendRegiuspouravoirsoutenu- commele feraSpinoza-


que la connaissancedes universauxdépendde l'imagination et nonde l'entende-
ment: « Nequevideocurvelisperceptionem universalium magisad imaginationem
quam ad intellectum pertinere. Ego enimillamsoli intellectui tribuo,qui ideam
ex seipsasingularem ad multarefert.» {Lett,à Regius,24 mai 1640,A. T., t. III,
P. 66.)
2. RegulasVIII, A. T., t. X, p. 398-399; et XII, t. X, p. 411.
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J.LAPORTE. - CONNAISSANCEDE L'ÉTENDUE CHEZ DESCARTES 271

jamais été, quoiqu'ille semblâtainsi auparavant,mais seulement


une inspection de l'esprit,laquellepeutêtreimparfaite et confuse,
commeelle était auparavant,ou bien claireet distincte,comme
elle est à présent,selonque monattentionse porteplus ou moins
aux chosesqui sonten elle et dontelle est composée».
On a beaucoupépiloguesur cette« inspectionde l'esprit», où
certainsont cru entrevoir je ne sais quelle activitésynthétisante
ou constituante, plusou moinsparentede cellequ'admettral'idéa-
lismekantien.Chimères. Les Réponsesaux J/esObjections usentde
l'expression pour désigner la conscience immédiate que l'esprita
de lui-même dans le Cogito1, h'inspectio mentisest donctoutbon-
nementsynonyme de Yinluiiusmentis, ou lumièrenaturelle, dont
les
parlent Regulœ(et aussi diverses lettresà Mersenne et à New-
castle).Et si la suitede la IIe Méditation l'assimileau jugement,
le
c'estque jugement, y à considérer la connaissance et nonl'assen-
timent,se réduitbienà une « perception » ou « vue » - à la vue
d'unrapportentredeuxtermes, laquellepourDescartesestentière-
menthomogèneà celle des termeseux-mêmes2. En attribuantà
une inspectio mentisla connaissancedu corps,la IIe Méditation
ne dit doncriende plus que ce que disaientles Regulœ(6 et 12)
attribuant à Yiniuilusla connaissance de cettenaturesimplequ'est
l'étendue.Et en spécifiant qu'il s'agitde l'espritseul - nonvisio,
non taciio,non imaginatio,sed solius mentisinspectio- elle ne fait
que reprendrece qui était dans les Regulœ(3), la définitionmêmede
Yiniuilus: J'entendspar intuitus,non flucluanlemsensuumfidem,
vel malê componentis imaginationisjudiciumfallax,sed mentispurse
et attentœ...facilemdisiinctumqueconcepium...seu, quod idem est,
mentispurse et aitentœnon dubium concepiumqui a solâ rationis
luce nascitur*.Là comme ici, Descartes ne vise qu'à mettreen évi-
dence l'acte de la connaissance« pure », exclusionfaite des « affec-

1. « Lorsquequelqu'undit : Je pensedoncje suis,ou j'existe,il en conclutpar


son existenceet sa penséecommepar la forcede quelquesyllogisme, maiscomme
une choseconnuede soi ; il la voit par une simpleinspection de l'esprit.»
2. Regulœ6 et 12. Les rapportssuivantlesquelsse composentles natures
simplessonteux-mêmes des naturessimplesou réductibles à des naturessimples.
Je ne voisdoncpas pourquoicertainshistoriens ontvouluétablirune distinction
radicaleentrece qu'ilsnomment, dansun langagefortpeu cartésien, les intuitions
de concept et les intuitionsdejugement. Distinctionqui soulèveà leursyeuxtoute
eortede difficultés. Mais il n'existeriende tel pourDescartes.
9. Jtiegulœ 3, A. T., t. X, p. 368.
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272 REVUE PHILOSOPHIQUE

tions » dont l'amalgaineavec la connaissancepure constituela


sensibilitéou l'imagination,et rend la penséeconfuse.,
et que
l'attention sait discerner: mentisinspeclioquœ vel imperfeclaesse
polestet confusa,ut prias eral, vel clara et distincta,ut nunc est,
proul minusvel magis ad Ma ex quibus constatallendo.
Mais que, dans la connaissancedu corps,ainsi entendue,ce
qui connaîtsoit l'espritpur,cela ne faitpas que ce qui est connu
soit spirituel,ou spiritualise. Ge qui est connu,c'est, « dépouillée
de ses formes extérieures», ou des qualitéssensiblesqui ne lui sont
pointessentielles, la matérialité commetelle,à savoirl'extension,
ou l'espace,qui formel'essencedu corps1.L'extensionavec ses trois
dimensions, et avec « sa propriétéd'être divisibleen plusieurs
parties»2. Cetteextension-là est l'objet de la géométrie3. Elle est
également l'objet de la Physique4. Et elle faitaussi tout ce qu'il y
a d'effectifdansnosperceptions vulgaires. Carc'estla mêmeétendue
« que ne je sauraisatteindre à moinsd'êtredoué d'entendement ou
d'esprit(quœ.nonnisi mente percipilur)», c'est « la même» que je
suis dit voir,toucher,imaginer,sous les espèces* du morceaude
cire5.La même,avec, en moins,les qualitéssensiblesque, dans les
perceptions ordinaires, nous plaquonssur elle, et qui ne sontque
des affections de l'âme, indûmentconsidéréescommepropriétés
des choses; en plus,la conscience que cetteextension, qui demeure
une fois les qualités sensiblesôtées, n'est limitéeni quant aux
grandeurs,ni quant aux figuresqu'elle peut prendre; laquelle
conscienceimpliqueévidemment celle d'un pouvoirillimitéd'élar-
girou rétrécir, d'augmenter ou diviserune étenduedonnée,c'est-
à-direde nousen représenter d'autresde dimensions et de contours,
incessamment variés.Ce pouvoirest sans nul douteactif,et, puis-
qu'il est sans bornes,nousavonsdoublemotifde le faireremonter

1. V. Principes,II, 11,uneanalysede la perception que nousavonsd'unepierre,


qui est toutesemblableà celle du morceaude cire dans la IIe Méditation.Cf.
fíép.aux IIICS Objections (Rép. à l'objection2) : αJe n'ai prouvéautrechosepar
l'exemplede la cire,sinonque la couleur,la figure, pointà la
etc.,n'appartiennent
raisonformelle de la cire,c'est-à-dire qu'on peutconcevoirtoutce qui se trouve
nécessairement dans la cire,sans avoir besoinde penserà elles. »
2. Principes, 1, (52; cf. Lett, à Gibieuf,A. T., t. III, p. 477 et Ve Méditation.
3. Discours de la méthode,4e partie.
4. Principes, II. 1 et 4, cf. Le Monde.
5. //e Méditation.
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J. LAPORTE. - CONNAISSANCEDE L'ÉTENDUE CHEZ DESCARTES 273

à la volonté5.La volontéseraitdonc à la sourcede notrefaculté


d'universaliser, en tant que cette facultécomportel'évocation
virtuelled'une infinité de représentations diverses- et bienque,
naturellement, la vue du rapportdes représentations entreelles
appartienne à l'entendement1. Elle est, par ailleurs, à la sourcede
notrefacultéde dissocier lesqualitéssecondaires d'aveclesprimaires:
car cettedissociation, qu'elle soit réelleou purement mentale,est
un acte d'attention2, et l'attentionestle nerfdu librearbitre3. En
sorteque les deux caractèrespar où notreconnaissancede la cire
s'opposeau faitde sentirou d'imaginer - Yabstraction et la géné-
ralisation- sont,au fond,d'originevolontaire, ce qui, du reste,
ne faitici que souligner davantagele rôle de l'esprit4.Quoi qu'il
en soit,et quelquenomqu'on lui donne,l'activité,préliminaire à
qui
l'inspectio, va, soit à isolerl'étendue, soit à la partager, suppose
naturellement une matièreà quoi elle s'applique.Cette matière
sera doncpar elle-même une sortede continuum encoreindiviséet
sans forme, maissusceptible de recevoirn'importe quellesdivisions
et dispositions.
C'estainsique nousla présente, aprèsle Discoursde la Méthode,
la Ve Méditation : « la quantitécontinue,ou bien l'extensionde
longueur, largeuret profondeur, qui est en la choseà qui on l'at-
«
tribue», dans laquelle je puis nombrer plusieursdiversesparties,

1. IVe Méditation.Il n'y a dans l'âme que la volontéqui soitactive,et il n'y


a que la volontéqui soit infinie.
2. C'est en ce sensque, commenous l'avonsvu, Descartesattribueà l'enten-
dement« perceptionem universalium » : « illamsoli intellectui
tribuo,qui ideam
ex seipsasingularem ad multarefert » (A. T., t. III, p. 66).
3. V. Principes,II, 8 : « Totam naturamsubstantialcorpórea?quae est in
spatio decempedum,possimusconsiderare, quamvisad istammensuramdecem
pedum non attendamus.»
4. V. les Lettresà Meslnnd; cf. La LibertéchezDescaries in Revue de Métaphy-
siqueetde Morale,janvier1937.- II est vraique, dans les Eegulœ,l'abstraction
est rapportéeà l'entendement (Reg.14,A. T., t. X, p. 444). Maisdanscet ouvrage,
Descartesn'a pas encorenettement délimité,commeil le feraplus tard,les fonc-
tionsde l'entendement et cellesde la volonté: c'est ainsiqu'il attribueencoreà
l'entendement toutesles opérationsdu jugement,non pas seulementl'acte de
ou de nier {Reg. 12, A. T., t. X, p. 420).
voir (intueri), mais celui d'affirmer
5. La IIe Méditation se borneà mettreen lumièrel'existenced'une faculté
supérieure
spirituelle et au sens.Le texteoriginalparlesimplement
à l'imagination
de mens.La traduction françaiseemploiele motentendement, maisen le prenant
au senslarge,et commesynonyme d'esprit(« quel est ce morceaude cirequi ne
peut êtrecomprisque par l'entendement ou par l'esprit? ») C'est seulementla
IVe Méditationqui différenciera
formellement, à l'intérieurde l'esprit,l'entende-
mentet la volonté.
tombcxxm. - mai-août.- 1937 (n°· 5-6, 7-8)
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274 REVUE PHILOSOPHIQUE

à chacunede ces diversespartiestoutessortesde gran-


et attribuer
de
deurs, figures, de situationset de mouvements a1.

C) Et c'est encoreainsi que nous la présentent, neufans plus


tard, les lettres où Descartes s'expliquelui-même,en réponseà
Morus, surses formules des Méditations touchantla naturedu corps,
et spécialement son
sur analyse du morceau de cire2: le corpsconsiste
dans l'étendue,et l'étendue,réduiteà elle seule,consistedans un
continude dimensions indéterminées - corpuscontinuum indeter-
minatœmagnitudinis, sive indefinitum, in quo nihilpraelerexten-
sionemconsideratur3.
Impossible, en effet,de définir le corpspar les qualitéssensibles.
Le rapportaux sens n'exprimequ'une propriété« extrinsèque»,
et nonl'essenceentière(naluraintegra) dela matière4, puisque,d'une
part,la matière pourrait même
exister s'il n'existait
pointd'hommes5,
et qu'en faitles particulesles plusténuesde la matièrene tombent
jamais sousnos sens8; d'autrepart,le corpsne laissepas de rester
lui-même, alorsqu'il n'estplus ni mou,ni dur,ni froid,ni chaud,
ni riende semblable7.
Le corpsse doitdéfinir par l'étendue.Non pas, commele veut
Morus,par tangibilité Γimpénétrabilité.
la et Car l'une et l'autre,
en tant que propriétés intrinsèques du corps,peuventse déduire
de l'étenduesupposéedonnée.Dès qu'on se donnel'étendueavec
ses partiesen rapportles unesavec les autres(habiludinem parlium
ad invicem), on ne peut nierque chacunede ces partiesne touche
ses voisines8 : on ne peut pas, non plus, concevoirqu'une partie

1. Le Discoursde la méthode ditde même(4e partie)à proposde cetteétendue


qui est « l'objetde géométrie » : « un corpscontinu,ou un espaceinfiniment
étendu
en longueur,largeuret hauteurou profondeur, divisibleen diversespartiesqui
paraissentavoir diversesfigureset grandeurs, et êtremues ou transportées en
toutessortes»; voiraussi Rép. aux IIe* Objections, Demande4 ; PrincipesI, 23;
cf. Météores, dise. I.
2. V. la Premièrelettre de Morus(A. T., t. V, p. 239), et la réponsede Des-
cartes {ibid., p. 267).
3. Lett,à Morusdu 5 février1649,A. T., t. V, p. 269.
4. A. T., t. V, p. 268.
5. Ibid.
6. A. T., t. V, p. 341 et p. 268.
7. A. T., t. V, p. 268 : « Potestenimcorpusretinereomnemsuam corporis
naturam,quamvisnonsit ad sensummolle,nee durum,neecalidum,necdenique
habeat υliam sensibilemqualitatem.
8. A. T., t. V, p. 341-342.
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J. LAPORTE. - CONNAISSANCEDE L'ÉTENDUE CHEZ DESCARTES 275

d'une chose étenduepénètreune autre partie qui lui soit égale, sans
comprendreen même temps que l'étendue qui est au milieu de ces
deux parties soit ôtée ou anéantie : or une chose réduiteau néant
n'en saurait pénétrerune autre1. Mais impénétrabilité et tangibilité
apparaissent par là comme des propriétésdérivées, à la façon du
propriumquarto modo des : la
logiciens2 preuve en est qu'elles présup-
posent la relation à des parties, et l'idée d'une chose divisée ou
terminée; or, nous pouvons concevoirun corps continu,dans lequel
on ne considèrerien que l'étendue,abstractionfaite de toute divi-
sion ou terminaison3.
Le partes extra paries n'est-il donc pas essentiel à la notion
d'étendue ? Il semble bien que je puisse envisagerl'extensionpure
et simplesans envisagerla relationréciproquede ses parties. Mais,
en même temps,je comprendsque cette extensionse prête à une
telle relation de parties4.Autrementdit, le continu indivisé est
pensé comme divisible; l'indéterminéest déterminable.Détermina-
ble par quoi, sinon par les sentimentsde couleur, de résistanceet
autres qui viennenty découper des portions et figuresdiverses?
Et ne sont-ce pas ces sentiments-làqui caractérisentle sens et
l'imagination5? Si donc, il est de l'essence de l'étendue, non pas
d'avoir actuellementdes parties,mais de pouvoir en admettre,on
doit convenirqu'il est aussi de l'essence de l'étendue de pouvoir
êtreimaginée; et c'est une des raisonspour lesquelleson ne saurait
fairede l'étendue un attributde Dieu : Illud solumquod est imagi-
nabile, ut habenspartesextrapartes,quse sinl deierminalse magnitu-
dico esse extensum*.
dines et figurée,

1. A. T., t. v, p. 342.
2. A. T.. t. V, p. 269.
3. A. T.. t. V. p. 269.
4. A. T., t. V, p. 341 : « Quamvisautemin extensione habitudinem partiumad
invicemfacile comprehendamus, videor tamen extensionemoptimèpercipere
quamvisde habitudinepartiumad invicemplane non cogitem.»
5. A. T., t. V, p. 270 : « Per ens extensumcommuniter omnesmtelligunt ah-
quid imaginabile... atque in hoc entevariaspartesdéterminât«magnitudinis et
figura?,quarumuna nullomodoalia sit. possuntimaginatione distinguere. »
6. A. T., t. V, p. 270 ; Dans unelettreà Mesland,du 9 février 1645,Descartes
disait: « Ces motsd'extension et de quantiténe sontinventésparles hommesque
poursignifier cettequantitéextérieure quisevoitetse touche.» (A.T., t. IV,p. 170.)
Cettephrasea été rayéepar lui,sansdoutepourla raisonqu'indiquentles lettres
à Morus: l'étenduen'est pas forcément quelquechosequi se voit et se touche,
puisqueses partiespeuventéchapperaux sens; maismêmeces partiesinsensibles
doiventêtreimaginables.
2

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276 REVUE PHILOSOPHIQUE

Ainsi,d'unepart,toutechoseétenduedoit:« tombersousl'ima-
ginationm1 ; et, d'autrepart,l'étenduene se connaîtdans sa vérité
que par l'entendement ! Les deux thèsesse concilientaisément
si l'on prendgardeque l'étenduede l'imagination n'estrienautre
chose que l'étenduede l'entendement habilléede sensationsou
plutôtd'imagessensiblesqui en diversifient l'uniformité, et que le
rapport de la seconde à la première est tout bonnement le rapport
de l'indéterminé au déterminé. La théoriede Descartesest ici très
exactement celleque développera Malebranche à proposde Yétendue
intelligible - cette « étendue »
intelligible ou, si l'on préfère, cette
« idée de l'étendue», représentation globale, indifférenciée et illi-
mitée,que nous avons à la
toujoursprésente conscience, même quand
nousfermons les yeux,sortede « canevas» où l'âme,par les senti-
mentsqu'elle y projette,brodeune variétéde dessins,toile sur
laquelle elle trace des imagescommeferaitun peintreavec son
pinceau2.
Rienqui ressemble à une transmutation de l'extension en prin-
cipe intérieur et non spatial,rienqui s'apparenteà l'étendueindi-
visibleet divinede Spinoza.Bien plutôt,songeantque, pour Des-
cartes(commed'ailleurspourMalebranche), la « notionprimitive »
de l'étenduen'estpas une idée généraleau sensordinairedu mot,
maisune nature« singulière », dontles diversesétenduessontdes
parties,non des espèces8,la rapprocherait-on d'une autre notion
qui, elleaussi, est « intuition» et non« concept qui, elleaussi,est
»,
une αgrandeur infiniedonnée», qui, elle aussi,faità la foisl'objet
de la géométrie etla tramede nosperceptions empiriques, - l'espace
de YEsthétique transcendentale.

III
Mais plus l'analysecartésiennesoulignece que l'idée de ce
continuumqu'on appelle étenduea d'irréductiblement spatial,

1. A. T., t. V, p. 270 et p. 275.


2. V. Malebranche.Entretiensmétaphysiques,I, 10; IIe Entretiensur la mort;
Réponse à Régis, II, 5 ; Recueil des réponsesà Arnauld, t. I, p. 199, p. 342 ; t. IV,
p. 229-230, etc.
3. V. A. T., t. V, p. 221 : « Per cogitationem,igitur,non intelligouniversale
quid... sed naturam particularem,quae recepit omnes illos modos, ut etiam exten·
sio est natura quae recipit omnes figuras. »
2

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J. LAPORTE. - CONNAISSANCEDE L'ÉTENDUE CHEZ DESCARTES 277

plus elle souligne la nécessité d'expliquer d'où peut venir, à un


espritnon spatial, une pareille idée.

Sans doute, l'explicationparaît indiquée d'abord par la manière


même dont l'imaginationvient d'être présentée.Tout ce qui est
étendueest imaginable.Mais l'imaginationest une manièrede penser,
dans laquelle, de l'avis de tout le monde,l'espritest en collaboration
avec le corps. Et Descartesest bien du mêmeavis : l'esprit,quand il
imagine,« se tournevers le corps » (se convertit ad corpus),il « s'ap-
plique au corps »*, il « contemple » dans le corps « quelque forme
»2
corporelle ; il imaginel'extension « en se tournant et s'appliquant
à une espèce corporellequi est étendue »8. La connaissance ima-
ginative (ou sensible) comportedonc un contact direct de l'esprit
avec l'étendue réelle. L'esprit n'a donc qu'à discerner(prœcisè
inlueri), au sein de cette donnée, ce qu'elle renfermede clair et
de distinct,pour obtenir,y exerçantensuitesa fonctionde générali-
sation, la connaissance intellectuellede l'étendue.
Fort bien. Seulement,en ce cas, outre qu'il ne peut plus être
question d'innéité pour nos idées relatives aux corps, il faut que
toutes ces idées, bien qu'elles ne se réduisentpas à l'imagination,
aient néanmoins dans l'imaginationleur base première.Or, Des-
cartes dit cela, en effet,ou semble le dire,dans les Regulœ,lorsqu'il
oppose aux choses « purementspirituelles» qui sont connues sans
le secours d'aucune image corporelle (absque ullius imaginis cor-
poreœ adjumento),les choses « purementmatérielles», comme la
figure,l'étendue et le mouvement,qui ne sont connusque dans les
corps (non nisi in corporibusesse cognoscuntur)1 et pour lesquelles,
donc, une image corporelle doit être Il
requise5. spécifiemême que,
si l'entendementse propose d'examinerquelque chose qui ait rap-
portau corps,c'est dans l'imaginationqu'il faut,aussi distinctement
que possible,s'en formerl'idée (ejus idea, quam distinctissimè poierii

1. VIe Méditation.
2. Réponses aux V" Objections(contrela VIe Méditation,n° 3). Cf. IIe Médi-
tation.
3. Réponses aux Ve· Objections(contrela VIe Méditation,n° 18).
4. Reg. 12, A. T., t. X, p. 419.
5. A la véritéceci n'estqu'une conclusion: Descartesne le dit pas formelle-
ment.Peut-êtreexagère-t-on quelquepeu en affirmantà cet égardune différence
profondeentreles Requiseet les ouvragespostérieurs.
3 5 • 2

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278 REVUE PHILOSOPHIQUE

in imaginationeest formanda)1.Mais, par la suite, il tient un autre


langage. Dans les Réponsesà Gassendi,il admet une connaissance
non-imaginativeet des choses spirituelleset aussi des choses corpo-
relles2: « encoreque les figuresgéométriquessoient tout à faitcor-
porelles,néanmoinsil ne faut pas nous persuaderque ces idées qui
servent à nous les faire concevoir le soient aussi, quand elles ne
tombentpoint sous l'imagination»s. Et dans une lettreà Mersenne
(juillet 1641) : « II y a peu de choses, même corporelles,que nous
puissionsimaginer,bien que nous soyonscapables de les concevoir.
Et même toute cette science que Ton pourraitpeut-êtrecroire la
plus soumiseà notreimagination,parce qu'elle ne considèreque les
figures,les grandeurset les mouvements,n'est nullementfondée
sur ses fantômes,mais seulementsur les notionsclaires et distinctes
de notre esprit4.» Ainsi, nous pouvons avoir des choses géomé-
triques,et par conséquent de l'étendue,une connaissance exempte
de tout appel à l'imagination. Non qu'en pratique, le mathéma-
ticienne fassede l'imaginationun usage constant,en quoi il contraste
avec le métaphysicien6, et mêmeavec le physicien6.Mais il s'en sert
comme d'un auxiliaire très utile, non indispensable. Une lettre
fameuseà Elisabeth (28 juin 1643) assure que « le corps,c'est-à-dire
l'extension,les figureset les mouvements» se connaissent« beau-
coup mieux par l'entendementaidé de l'imagination», mais qu'ils
« se peuvent aussi connaîtrepar l'entendementseul »7.

Quel est donc le rôle exact de l'imagination?


Descartes a cherchéà le préciserdans la VIe Méditationet dans
les Réponses aux Objections.Les facultésd'entendreet d'imaginer,

1. Reg. 12,A. T., t. p. X, 416-417,v. aussiReg. 14,A. T., t. X, p. 442-443.


2. Rép. aux Ve*Objections (contrela VIe Méditation, n° 4). Dans les Notaein
programma, voulant à Regius l'existenced'une « intellection pure », c'est-à-
direqui n'ait à faired'aucuneimagecorporelle (hocest,quœcircànullasimagines
corpóreasversatur), il invoquela connaissanceque nous pouvonsavoirde Dieu,
de l'esprithumainet des autreschosesincorporelles ; mais il ne parle pas des
chosescorporelles (A. T.. t. VIII, 2e partie,p. 363).
3. Rép. aux V<*Objections {contrela VIo Méditation, n° 4).
4. A. T., t. III, p. 395.
5. A. T., t. III, p. 692 et A. T., t. II, p. 620.
6. A. T., t. V, p. 176-177.On sait que pour saint Thomas,au contraire, le
métaphysicien ne doit recourirni au sens ni à l'imagination ; le mathématicien
recourtà Γimagination et non au sens; le physicienrecourtà l'imagination et
au sens.
7. A. T., t. III, p. 691.
2

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déclare-t-ilà Gassendi, ne diffèrentpas seulement selon le plus


ou le moins, mais comme deux manières d'agir totalement diffé-
rentesa1. Il le prouve par l'exemple du chiliogone,que nous enten-
dons (inielligimus) « très clairementtout entieret tout à la fois,
quoique nous ne le puissions pas ainsi clairement imaginer »f.
Argumentsubstantiellement identiqueà celui que la IIe Méditation
tirait de l'exemple du morceau de cire, dont la flexibilité,la muta-
bilité, le divisibilitésignifientune multitude de perceptionsiné-
puisable à l'imagination,et saisissable seulement par l'entende-
ment. D'où l'on infèrequ'entendementet imaginationne sont pas
même chose. Mais le fondementde cette dualité ? La IIe Médi-
tationrépondaitque dans l'intellection,Vinspectiomentisest « pure ».
Cela ne suffitpas à expliquerqu'elle soitplus riche.La VIe Méditation
introduitdes considérationsd'un autre genre : « Lorsque j'imagine
un triangle,non seulementje conçois que c'est une figurecomposée
de trois lignes, mais avec cela j'envisage ces trois lignes comme
présentes par la force et l'application intérieurede mon esprit
(tanquam praesentesacie mentisintueor); et c'est proprementce
que j'appelle imaginer.Que si je veux penser à un chiliogone,je
conçois bien, à la vérité, que c'est une figurecomposée de mille
côtés, aussi facilementque je conçois qu'un triangleest une figure
composée de trois côtés seulement; mais je ne peux pas imaginer
les millecôtés d'un chiliogonecommeje fais des troisd'un triangle,
ni pour ainsi direles regardercommeprésentsavec les yeux de mon
esprit.Et quoique, suivantla coutumeque j'ai de me servirtoujours
de mon imaginationlorsqueje pense aux chosescorporelles,il arrive
qu'en concevantun chiliogoneje me représenteconfusément quelque
figure,toutefoisil est très évident que cette figuren'est point un
chiliogone,puisqu'elle ne diffèrenullementde celle que je me repré-
senteraissi je pensais à un myriogoneou à quelque autre figurede
beaucoup de côtés, et qu'elle ne sert en aucune façon à découvrir
les propriétésqui fontla différence du chiliogoned'avec les autres
polygones. Que s'il est question de considérerun pentagone, il
est bien vrai que je puis concevoir(intelligere)sa figure,aussi bien
que celle d'un chiliogone,sans le secours de l'imagination; mais je

1. Réponsesaux Ve*Objections n° 1).


la VI· Méditation
{contre
2. Ibid.
2

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la puis aussi imaginer, en appliquantl'attentionde monesprità


chacunde ses cinq côtés,et tout ensembleà l'aire ou à l'espace
qu'ils renferment. Ainsi,je connaisclairement que j'ai besoind'une
particulière contentiond'espritpour imaginer,de laquelle je ne
meserspointpourconcevoir ou pourentendre ; et cetteparticulière
contention d'esprit montre évidemment la différence qui est entre
l'imagination et l'intellection ou conceptionpure »*.
Les réponses à Hobbes,pareillement, caractérisent l'imagination*
par ceci « que pour imaginer,par exemple,un pentagone,il est
besoind'une particulière contention d'espritqui nous rendecette
figure(c'est-à-dire cinqses côtés et l'espace qu'ils renferment)
commeprésente»a.
Toujoursla « contention », ou effort, aboutissantà une « repré-
sentation».
Qu'est-ceà dire? D'après les expressions mêmesde Descartes,
on « se rendprésent» un pentagone, on « le regardecommeprésent
avec les yeuxde l'esprit(ianquampraesentem acie mentisinlueri)»f
on « se le représente (sibi repraesentare) »,« enappliquantJ'attentio η
de son esprità chacundes cinq côtéset toutensembleà l'aireou
à l'espacequ'ils renferment » : cela semblebiensignifier une cons-
tructionmentalede la figureou, pour user du langagemoderne,
une manièrede la « réaliseren pensée».
Dans cette perspective,« imaginer» ( imaginari ) s'oppose à
« entendre » (intelligere) de la mêmefaçonque s'y oppose« conce-
voir» (concipere).Ces deux termesde concevoir et d'entendre sont
souventprispoursynonymes (particulièrement dans la traduction
française desMéditations)3. Maislorsqu'onleurveutdonner leursens
toutà faitstrict,Descartes,dansun passagetroppeu remarquéde
YEntretien avecBurman,demandequ'onles distingue soigneusement
(accurate). Et ilcite comme exemples l'accord des perfections de Dieu,
l'unitéde son êtreet de ses décrets,et cet acte simplepar où Dieu
connaîttouteschoses: toutcela, dit-il,« nousne le concevonspas,
maisnousl'entendons, parceque nousne pouvons,pourainsidire,
nousle représenter (nonconcipimus, sedinlelligimus, quoniamnobisf

1. F/* Médilaiion.
2. Réponsesaux III** Objections (Objection4 surla IIe Méditation).
3. Le texteplushautcitéde la VI9 Méditation dit,dansla traductionfrançaise,
« concevoirou entendre», là où le latindit simplement : intelligere.
2

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J. LAPORTE. - CONNAISSANCE DE L'ÉTENDUE CHEZ DESCARTES 281

ul ità loquar,repraesenlare nonpossumus)1». La conceptionserait


donc, dans le domaine des chosesspirituelles,le symétrique de ce
tioη
qu'est l'imagina pour les chosescorporelles2 «
: une représen-
tation» (lorsquela « représentation » est totaleet adéquate,alors
concipere devientcomprehendere)*. Tandis que l'intellection serait,
à Tégardde Tuneet de l'autre,ce qu'estla définition d'uneopération
mathématique à l'égardde l'opérationeffectuée. On songeà Yin-
tention de Husserlet à son Erfüllung. On songeaux consciences de
règle,aux sentiments dedirection
mentale mis enlumière W.
par James,
parBinet,par l'écolede Wurzbourg. On songeau schemekantien;
ou plutôtencoreau schémadynamique bergsonien : et n'est-ilpas
remarquable, en effet, que, chezBergsonaussi,ce soitdans le pas-
sage du schémaà l'imageque s'éprouvele sentimentde Veffort
intellectuel- de la « contention »4? Mais la véritéest que nous
retrouvons simplement ici,avec plusde développement, ce qu'avait
établi,dans la IIe Méditation, l'analysedu morceaude cire: point
de perception d'uneétendue,mêmeparticulière, sans la conscience
d'un pouvoir,qui passe l'imagination, de varierà l'infinila repré-
sentationde cetteétendue.Un tel pouvoirnousapparaissaitdéjà,
il nous apparaît mieux encorecommeune tendanceévocatrice
et constructive, qui appartient à la volonté,suivantl'acceptionque
Descartesdonneà ce mot.Laditetendance,en tantque perçuepar
Yinspectio mentis,faitle fondde notreconnaissanceintellectuelle,
de la matière,dont le rapportà la connaissanceimaginativene
seraitdonc pas seulement- ainsi que le donnaientà penserles
Lettres à Morus- de l'indéterminé au déterminé, mais du virtuel
à l'actuel.

1. A. T., t. V, p. 154 : « Hîc accurate distingui débet inter intellectionem,


conceptionemet imaginationem,quae distinctioest magni usûs. E. g., Dei perfec-
tiones non imaginamur,nec concipimus,sed intelligimus», etc. Cf. p. 105.
2. Ibid.
3. Il est remarquableque, déjà dans les Regulœ,« imagination» et « conception»
(imaginari vel concipere)sont rapprochéesdans une commune opposition à « intel-
lection » (inlelligere). Voir Reg. 12, A. T., t. X, p. 416.
4. Notons bien toutefoisque chez Descartes, la « contention » n'est pas un
effortpurement intellectuel : elle comporte d'abord une action de l'âme sur la
fantaisie, considérée comme partie du cerveau, c'est-à-dire sur la glande pinéale
où elle trace des figuresmatérielles.Voir Passions, art. 42 et 43 ; et Entretienarec
Burman,A. T., t. V, p. 162-163 : « Cum enim mens facile possit très lineas formare
in cérebro et eas depingere, potest facile illas turn inspicere, et sic imaginari
triangulum,etc.. Cum autem non ità possit mille lineolas ducere et forinai-ein
cérebro, etc. »
Ί

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282 REVUE PHILOSOPHIQUE

On comprend, dès lors, pourquoi l'intellection d'une figure


géométrique s'accompagne ordinairementd'images ou du moins
d'un commencementd'images, puisque c'est là son termenormal.
Et l'on comprend aussi que cette intellection,puisque Vinspedio
mentispeut saisir la tendance non encore actualisée, se produise,
à la rigueur,avant l'apparition des images ou par delà les images
apparues.
Par contre,on ne réussitpas à comprendrecommentune ten-
dance à construiredes images pourraitse constituerindépendam-
ment de toute donnée préalable d'ordreimagé ; en d'autres termes,
comment l'intellectiond'une figurepourrait avoir un sens indé-
pendammentde toute référenceà une représentationspatiale, ne
fût-ceque la représentationde ce continuumindéfiniqui demeure,
avons-nousvu, sans les imageset sans les sensations,une foiseffacés
les éléments affectifs.
Nous en revenonstoujoursau même point : D'où l'esprittire-t-il
la représentationde ce continuum?

Descartes répond sans hésiter: de lui-même.Dans l'intellection


(dum intelligit),l'esprit« se tourneen quelque façonvers soi-même
et considèrequelqu'une des idées qu'il a en soi »*.
Sur quoi Gassendi lui objecte que l'esprit, dont l'essence est
d'être sans parties,ne saurait considéreren lui-mêmeune extension
dont l'essence est d'être divisible en parties.
Et Descartes de répliquer: « II ne se faut pas imaginerque l'es-
prit ait des parties,encore qu'il conçoive des parties dans le corps.
Car qui vous a appris que tout ce que l'espritconçoit doit êtreréel-
lement en lui ? »*.
Pareille réplique a bien l'air de nous inviterà prendrei'innéité
de façon assez large. Si l'idée du corps n'est pas « réellementen
l'esprit », elle s'offredonc à l'esprit comme du dehors. Et de fait,
n'est-ellepas une de ces « essences» qui ont dû êtrecrééespar Dieu,
ni plus ni moins que les choses subsistantes3,une de ces « vraies et
immuables natures » qui s'imposent à notre entendementet ne

1. VI· Méditation : cf.Rép.aux V6·Objections (contre n· 1) :


la VI· Méditation,
c Dans Γintellection,
l'espritne se sertque de soi-même.»
2. Rép. aux V·» Objections (cont.la VI· Méditation,n» 5).
3. V. les célèbreslettresà Mersenne.
2

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J. LAPORTE. - CONNAISSANCE DE L'ÉTENDUE CHEZ DESCARTES 283

sont pointson œuvre71 Dire que nous la puisonsen nous,c'est


diresimplement que nousla tirons,suivantle motde la Ve Médi-
«
tation,du Trésorde notrepensée», ou, si Ton préfère, que nous
avonsde naissancela clefdu mondeintelligible dontellefaitpartie.
Cetteinterprétation de l'innéitéa pourelle,on le sait,des his-
torienséminents- entreautre Bordas-Demoulin,Hannequin,
Delbos2- et elle s'appuie sur de nombreuxtextes.Il convient
mêmede recourir à elle pourexpliquerla réponsefaiteà Hobbes,
touchant« la facultéque nousavonsennousde produire » nosidées*:
car ladite réponsene sauraitmarquerune production à
efficace,
moinsdecontredire lesdéclarationsformelles
etrépétées de Descartes
surla passivitéde l'entendement4. Encorene faut-ilpas pousserle
»
« réalismedes essences jusqu'au Platonisme ou jusqu'au Malebran-
chisme.Descartesn'a jamaisparléd'unκόσμοςνοητός. En revanche,
il a nié à plusieursreprises,que les idées fussentdes réalités
« actuelles» différentes
de notrefacultéde penser: quadauiemistœ
ideae sintactuates,vetquòdsintspeciesnéscioqusea cogilandifacultate
diversœ,nec unquamscripsisse,neccogitasse6.Il a ditmaintesfoisque
cesidéessont« néesavecmoi» ; et,danslemoment mêmeoùilsouligne
qu'elles ne sont point« feintesni inventées ni
», fabriquées par mon
esprit, il note leurparenté avec cet et
esprit, qu'elles« s'accordent si
ma
bienavec natureque,lorsqueje commence la
à découvrir, me il ne
semblepas que j'approuveriende nouveau«». La plusimportante
d'entreelles,à savoirl'idéede l'Infiniou de Dieu,estcertes,à bien
plus forteraisonencorequ'aucuneautre,une αvraieet immuable
nature», indépendante de moi.On ne peut pourtantprétendre, à
strictement « »
parler,qu'ellesoit quelquechosede différentde moi.
Elle est«néeetproduite avecmoidès lorsque j'ai été créé,ainsique
l'estl'idéede moi-même ». Dieu l'a miseenmoi« pourêtrecommela
marque de l'ouvrier imprimée surson ouvrage» : entendezque, me
créant, « il m'a en quelquefaçonproduità sonimageetsemblance »,
1. IIIe et Ve Méditationset Rép. aux I™ Objections,cf. Entretienavec Burman.
A. T., t. V, p. 160.
2. V. Delbos : V Idéalisme et le Réalisme dans la philosophie de Descartes.
Année Philosophique, 1911. p. 49-50.
3. V. à ce sujet les justes remarques de Delbos (loc. cit.)
4. V. IVe Méditation: Lett,à Mesland, A. T., t. IV, p. 113. Traité des Passions
art. 17-19 : Lett,à Newcastle,A. T., t. V, p. 136, etc.
5. Notasin programma,A. T., t. VIII, 2e partie, p. 366 : cf. p. 357.
6. V· Méditation.
2

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284 REVUE PHILOSOPHIQUE

Et « je conçoiscette ressemblance, dans laquellel'idée de Dieu se


trouvecontenue,par la mêmefacultépar laquelleje me conçois
moi-même ; c'est-à-direque, lorsqueje fais réflexion sur moi », je
remarqueà la foisque je suis une choseimparfaite et que j'aspire
sans cesse à me dépasser; j'aperçoisle parfaitabsolu,commele
termeimpliquédans toutesmes aspirations ; je pense l'Infinien
la
acte, par simple conscience que j'ai de cet infinien puissance
qu'est ma liberté.Et ainsil'idée de Dieu se découvrebienen moi,
commeétantmoiet en mêmetempsautrechoseque moi1.
C'est égalementd'une réflexion sur mon êtrepropre- ex sut
ipsius contemplatione reflexa2 - que me sontvenuesles idées de
« la substance, de la durée,du nombre, etc.3.N'est-ilpas à présumer
»
que le « lieu des essencesest dans l'âme,et nonailleurs? Et que
cela est vrai de toutes,y comprisles idées qui ont rapportau
corps,et qui ne sontpas moinsque les autresdes « idéesinnées» ?4
Point de difficulté pour les notionsdes attributscommunsau
corps et à l'âme, de ceux notamment qui se traduisentpar des
relations numériques5. Maisque diredesautres,ceux qui concernent
la corporéitécommetelle,et qui ne sontexprimablesau moyen
des nombresque par rapportà quelqueterrainde correspondance
préalablement définien termescorporels ? Descartesse borneà
observer: « Pour ce qui est des autresqualitésdontles idées des
chosescorporelles sontcomposées,à savoirl'étendue,la figure, la
situationet le mouvement, il estvraiqu'ellesne sontpointformel-
lementen moi,puisqueje ne suis qu'une chose qui pense; mais
parceque ce sontseulement certainsmodesde la substance,et que
je suis moi-même une substance,il semblequ'elles puissentêtre

1. IIIe Méditation(sub fine).Les Réponsesaux IIe* Objections décriventde


façonanaloguenotreaccessionà l'idéed'infinipar une réflexion sur« la puissance
que nous avons de nombrer».
2. Regula»12, A. T., t. X, p. 422-423.
3. IIIe Méditation : « Quandje penseque je suismaintenant et que je me res-
souviensoutrecela d'avoir été autrefois,et que je conçoisplusieursdiverses
pensées,dontje connaisle nombre,alorsj'acquiersen moiles idéesde la duréeet
du nombre,lesquellespar aprèsje puis transférer à toutesles autreschosesque
je voudrai. »
4. Descartesassure,au sujet des « notionsprimitives », qu'il « ne fautpas le»
chercher ailleursqu'en notreâme, qui les a toutesen soi par sa nature» (A. T.,
t. Ill, p. 666).
5. IIIe Méditation.
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contenuesen moiéminemment »*.Cettedistinction du formellement


et de Véminemmeni est traditionnelle, et sertordinairement à faire
entendreque Dieu, ens realissimum, puisserenfermer en lui, sans
êtrematériel, toutce qu'il y a d'êtrepositifdans la matière.Mais
appliquéeà l'âme humaine,elle ne dissipepas l'obscurité.Car,en
admettantque l'âme humaineait en sa substanceplus de réalité
qu'il n'en fautpourconstituer l'idéed'étendue,resteà savoircom-
mentsa réalitésurabondante se détermine et, si l'on veut,se limite
elle-même de manièreà revêtircetteformespécialequ'estla repré-
sentationde l'étendue.La « réalitéobjective» de touteidée,nousle
savons, requiertune cause productrice2. Dans le cas de l'idée
d'étendue, la cause ne peutpas êtrenotreâme,en tantqu'elle est
une chose qui pense,puisquel'apparitionde cetteidée « ne pré-
supposepointla pensée», autrementdit que nous n'avonsnulle
consciencede la produire3. Serait-ceDieu qui agiraitimmédiate-
mentsurnotreâme de manièreà y fairenaîtreune tellereprésen-
tation? Assurément, il le pourrait: et c'est pourquoila seulepré-
sence en nous de l'idée d'étenduene nous donnepas le droitde
conclureavec certitudeà l'existencehorsde nous de la chose4.Il
le pourrait,mais alors il nous décevrait: car cetteidée s'offreà
nous commereprésentant quelquechosede radicalement différent
et de Dieu et de notreesprit- ipsamenimclarèinielligimus tan-
quamrema Deo eta nobissivea mente nostrâplanédiversam5 - et
elle s'accompagne, au moinsdans les sensations,d'une forteten-
dance à croirequ'elle provientd'une substanceextérieure6. « Si
la
doncDieu présentait immédiatement parlui-même à notrepensée,
ou s'il faisaitqu'ellenousfûtprésentée par quelquechose,où ne se
rencontrât ni extension,ni figure,ni mouvement, il ne pourrait
êtreexcuséde tromperie »7.Dieu n'estpas trompeur : doncl'idée

1. ///*Méditation.
2. ///«Méditation, cf.A. T.,*t.I, p. 560-561: « Nos idées,ne pouvantrecevoir
leur formeni leurêtreque de quelquesobjetsextérieurs ou de nous-mêmes, ne
peuventreprésenteraucuneréalitéou perfection qui ne soiten ces objetsou bien
en nous,et semblable.»
3. VIe Méditation,cf. Rép. aux /«■»et aux IV** Obiedions.
4. F/« Méditation,cf.A. T., t. III. d. 428-429.
5. Principes.IL 1.
6. F/* Méditation.
7. Principes,II, 1.
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286 REVUE PHILOSOPHIQUE

d'étendue« vienten moi de quelquecréature» où sa réalitén'est


pas contenue« éminemment », maisbien« formellement »*.
Cettecréature,quelle est-elle ? Je sais,par le précédentraison-
nement, qu'il y a descorps.Maisje sais aussi,plusparticulièrement,
qu'il y a moncorps; moncorpsavec lequelj'ai « conscience » d'être
« intimement uni »a. Oui, dans « les sentiments », par exemple,ou
dans les mouvements volontaires,j'ai conscience que ce qui se
passe en monespritne procèdepas de lui seul,maisde l'interven-
tionde cettechoseétendueet mobilequ'onnommele corpshumain8.
J'ai Γ « expérience », trèsdifficile à expliquer,sansdoute,maisirré-
cusable4, d'une « »
jonction qui n'est pas « accidentelle » mais« essen-
tielle»5,qui ne se ramènepas à une simplecorrélation entrel'âme
et le corps,mais qui faitd'eux, à la lettre,une seule substance·.
Or,à quoirevientcette« unionsubstantielle » ? Beaucouprépugnent
à l'admettre, parcequ'à leurs yeux, elle rendrait l'âme matérielle,
en quoiils trouvent unecontradiction. Ils onttortde s'élevercontre
un fait,mêmed'allurecontradictoire, du momentque.c'estun fait7.
Maisils n'ontpas tortde jugerque telleest bienla signification de
la « notionprimitive» révéléepar ce fait; Descartesy insiste:
concevoirl'âme unie au corps,c'est « proprement » - encore
qu'elle eût pu exister en
indépendamment corpset, ce sens,soit
du
- «
immatérielle la concevoircommematérielle »8.Et il ne s'agit
pas là d'uneexpression échappéeà sa plume,il avait tenule même
à
langage Hyperaspistes9 ; il le tiendraencoreà Arnaulddansune
lettreoù il faitressortir l'actionde l'âme sur le corps : en tant
qu'apte à s'unir au corps,l'âmepeutêtreditecorporelle - si enim
per corporeuminielligamus id quod pertineiad corpus,quamvis sit

1. V7e Méditation.
2. VIe Méditation : cf. Disc, de la Mélh.,5e partie,Abrégédes Méditations :
1*11.à Elisabeth.A. T.. t. III. n. 665. etc.
3. Principes,II, 2 : « mensest cônscianona se solà profîcisci ».
4. Ent.avecBurman: A. T., t. V, p. 163; et Lettà Arnauld,A. T., t. V, p. 222.
5. A. T., t. III, p. 508 : « nonest ipsiaccidentaria, sed essentialis».
6. A. T., t. III, p. 493 : « mentem esseimitam,
corporirealiteret substantialiter
nonpersitumaut dispositionem... sed perverummodumunionis». Cf.VI9 Médi-
tationet Lett,à Elisabeth,t. III, p. 690 et suiv. V. aussi Discoursde la méthode,
5e partie,Réponsesaux IVe8etaux VIe*Objections, AbrégédesMéditations, etc.
7. A. T., t. V, p. 163: « Hoc explicatu difficillimum, hicexperientia,
sed sufficit
quaehîcadèo clara est,ut negarinullomodopossit.»,cf.A. T., t. III, p. 693.
8. Lett,à Elisabeth,A. T., t. III, p. 691.
9. A. T., t. III, p. 424.
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alteriusnaturœ,mens eiiam corpóreadici polesl, quaienus est apta


corporiuniri1.Au surplus,les explications qu'il donneà Elisabeth
écartenttout soupçonde métaphoreou d'équivoque: « Puisque
VotreAltesseremarquequ'il estplusfaciled'attribuer de la matière
et de l'extensionà l'âmeque de lui attribuer la capacitéde mouvoir
un corpset d'en êtremue,sans av £r de matière,je la supplied
vouloir librementattribuercette matièreet cette extensionà
l'âme; car cela n'estautrechoseque la concevoirunieau corps3.»
Quant à ce qu'il ajoute aussitôtaprès,que l'extensionde la
matièreainsiattribuée à la penséeest« d'autrenature» que l'exten-
sion et la matièreordinaire, en ce que celle-ci« est déterminée à
certainlieu duquel elle excluttoute autre extensionde corps »,
ce que ne faitpas la première, cetteremarque, vraisemblablement
destinéeà sauvegarder la présencede l'âme toutentièreen chaque
partiedu corps3,indiquesimplement que l'âme unie au corps,en
devenantétendue,ne devientpas, pourautant,selonl'expression
dontMalebranche useraà proposde sonétendueintelligible, étendue
localement. C'est-à-dire qu'elle ne se situe pas dans l'espace réel,
qu'elle n'occupepas de place déterminée.
En un mot,l'âme,en vertude la pressionqu'elle subitde tout
le corps,se dilate,en quelque manière,et reçoit,à ses frontières
inférieures,une sorted'extensionindéterminée - un peu comme,
chezBergson,se spatialisele moisuperficiel. Mais,c'est une exten-
sionde ce genrequi fait,nousl'avonsvu,l'objet,ou plutôtl'élément
de nos connaissances intellectuellesde la matière.De cettenotion
d'étendue, dans laquelle la volonté se meutet tailleà son gré,il
nous sera facilede tirertoutesles idéesgéométriques. Nul besoin
de « contempler une formecorporelle», si l'on entendpar là une
forme corporelle
particulière4.Au contraire, nouscontemplerons une
telleforme, - ce qui serasentirou imaginer - dès que, de propos

1. Lett,à Arnauld,A. T., t. V, p. 223.


2. A. T., t. III, p. 694. Nous avons vu que, dans les Regulœ(12 et 14), Des-
cartesconsidérait Yimagination (ou la fantaisie)commeune véritable« partiedu
corps». Mais alors,semble-t-il, il entendaitparlersimplement du siègecérébral
de la penséeimaginative (cf.Lett,à Mersenne,21 avril 1641,A. T., t. 111,p. 361
et Rép. aux Ve*Objections; contrela VIe Méditation,n° 4) ; il n'avait pas en vue
l'unionproprement ditedu corpset de l'âme.
3. Cf. A. T.. t. III. n. 434.
4. F/e Méditationet Réponse aux Ve· Objections{contrela VIe Méditationn°'):
« dans l'imagination,
l'espritcontemplequelqueformecorporelle».V. aussi ibid.,
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288 REVUE PHILOSOPHIQUE

délibéré ou parla motiondeschosesextérieures transmise desorganes


au cerveau,notreespritsera « appliqué» à une modification parti-
culièrede la glandepinéale1: non que les figures dessinéesdans la
glandesoientà proprement parlerce que nousvoyonsquand nous
imaginons ou sentons; maiselles« donnentoccasion» dans l'esprit
à desreprésentations qui - réserve faitedesaffectionssurajoutées -
leurressemblent2. Et le mot«occasion» estmisicipourbienmarquer
que l'actiondu cerveau,encoreque réelle,ne pourraitfaireexister
ces représentations dans l'esprit,si l'espritn'étaitpas « d'une telle
nature» que les représentations, sous le choc,dussents'y former8.
Voilà commentsensationset imagesnous sontinnées,non moins
que nos idéesmathématiques, et cela dansce qu'ellesont de repré-
sentatif4 (commed'ailleursdans ce qu'ellesont d'affectif5). Toute3
nos connaissances concernant la matièresontbientaillées« sur le
patron» d'unmême« original» qui estla notionprimitive de l'exten-
sion6.Et cette notionn'est pas absolument- non plus que ne
l'est,à l'opposé,la notiond'infini - différentede nous: pourl'aper-
cevoir,nousn'avonspas à noustourner versquelque« espèce»
« »
étrangère7, mais bien vers nous-mêmes,vers nous-mêmestels
que nous sommes dès notrecréation,de par cette« unionintime»
avec le corpsqui faitnotre« nature»8.

S'il en est ainsi,le problèmeest résolu.


Il s'agissaitde savoircommentl'espritimmatériel peut,sans
sortirde soi,percevoir ou mêmerêverla matière.
Deux issuesseulement la matière
étaientouvertes: spiritualiser
ou matérialiser l'esprit.

n° 4 : « quant à l'imagination,qui ne peutêtreque des chosescorporelles, il est


vraique, pouren former une,il est besoind'uneespècequi soitun véritablecorps
et à laauellel'esDrits'aDDliaue».
1. EntrelienavecBurman: A. T., t. V, p. 162,cf.Regulœ12,A. T., t. X, p. 414.
2. Noiœin programma, A. T., t. VIII (2e partie),p. 358-359; cf.A. T., t. III,
p. 418.
3. Principes,IV, 197.
4. Notœin programma, loc.id., p. 358-359.
ο. loia., p. joy.
6. A. T.. t. III. D. 665.
7. Ftép.aux Ve*Objections (cont.la VIe Méditation, n° 4).
8. VIe Méditation. L'unionde l'âme et du corpsjoueraitainsichez Descartes
un rôleanalogueà celuique jouentchez Kant les formes a prioride la sensibilité.
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Maisle premier partin'allaitqu'à éluderle problème, en faisant


évanouirce qui étaitprécisément à connaître, le spatialen tantque
spatial,ou plutôten le réduisantà l'étatd'uneapparencequi n'en
gardepas moins,pourla conscience, sa réalité.
Qu'on s'y prenne comme on voudra, l'extensiondemeure,avec
le parlesextrapartesqu'elle implique.Si donc l'espritarrive à
connaître en lui-même cetteréalité,ce ne pourraêtrequ'à la condi-
tiond'y participer, en quelquemesure,par son êtrepropre.L'in-
fluencedu corps,qui a toujoursété considéréepar la tradition
chrétienne comme« appesantissant l'âme », est le principede cette
participation. Lié au corps point faireavec lui « un seultout»,
au de
l'espritporte, envenant au monde,la « ressemblance » de la matière,
de mêmequ'il porte,en sa volontélibre,la ressemblance de Dieu.
A partirde cetteressemblance, et en réfléchissant surelle,la pensée
aura de quoiconstituer la substancede toutesses idéesintellectuelles
d'étendue,tandis que mouvements
les particuliers desoncerveau, sous
l'actiondeschosesextérieures ou de ses désirspersonnels, viendront
modifier ce fondcommund'extension, en sensationset en images.
On peut,de la sorte,rendrecompteet de notreconnaissance
intellectuelle de l'étendue,et de notreconnaissancesensibleou
imaginative. le peut,touten maintenant
On l'innéitéde la connais-
sance en général.Maisà quel prix? Il ne fautpas se le dissimuler.
L'affirmation de Γ « unionsubstantielle » nous obligeà concevoir
l'âmeet le corpsà la foiscommefaisantdeux et commene faisant
qu'un, « ce qui se contraried1. Elle met donc la penséeen face
d'un incompréhensible, d'un « irrationnel », suivantl'expression
aujourd'huiconsacrée,que Descartesa délibérément envisagéet
accepté.Et, d'autrepart,il est évidentque, sur la base de cette
union,si l'espritconnaîtl'étendueen lui-même, c'est (suivantune
autre expressionconsacrée)en se transcendant lui-même.Trans-
cendancepar en bas, pourainsiparler,symétrique de cettetrans-
cendancepar en haut,que marquela connaissancede l'infini.
Surcechapitre, commesurplusieurs autres,onn'assurera à la phi-
losophiedeDescartes sonaplombqu'à la condition de n'yprésupposer
- en dépitde l'usage- ni un idéalisme,ni un rationalisme.
Jean Laporte.

1. A. T., t. III, p. 693.


tomb cum. - mai-août.- 1937 (ν0· 5-β 7-8)
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