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Philosophique de la France et de l'Étranger.
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La notiond'étenduesoulève,chezDescartes,biendesproblèmes
d'ordremétaphysique, physiqueou mathématique. Mais il en est
un qui commandetousles autres,et qui pourtantn'a guèreretenu
l'attentiondes historiens1, quoiqu'il ait été signalépar Gassendi
etparMalebranche : comment peut-ilyavoirunepenséedel'étendue?
On sait sur quellesbases, à partirdu Cogito,a été établiela
distinction de l'étendueet de la pensée.Tout revientà ceci, que
l'une n'a « riendu tout de communavec l'autre2», que l'une est
la « négation» de l'autre3,que leursnaturessontopposéesau point
de « s'exclure»4; et c'estpourquoiellespeuventêtreposéescomme
des substancesdifférentes5.
Mais, par ailleurs,tout ce dont l'espritest informé,il ne
le voitque danssa penséeet commeunobjetimmanent à sa pensée,
αJe ne puis avoiraucuneconnaissancede ce qui est horsde moi
que par l'entremise des idéesque j'en ai euesen moi6». Et les idées
qui sonten moi peuventbienêtreproduites « à l'occasion» descorps,
voiremême- occasionétantici synonyme de causepartielle7 - par
les corps.Elles n'en sontpas moins,si l'on ose ainsi s'exprimer,
d'étoffe spirituelle; elles sont des modifications de monàme, à la
manièredontles empreintes faitespar le cachetsontdes modifi-
14 2
I
A vrai dire, cette difficultén'a rien de particulierà Descartes.
Elle se retrouvedans beaucoup de doctrinesantérieuresou posté-
rieuresà lui. Mais aucune d'elles ne nous fournitrien qui puisse,
du point de vue cartésien,passer pour une solution satisfaisante.
Saint Augustin,qui a aperçu tant de problèmes,n'a pas manqué
de signaler celui-ci. En maint endroit4,il se demande comment
notre âme, simple et par conséquent non spacieuse, peut contenir
en son sein, dans les « palais de la mémoire» ou dans le champ de
la conscience,l'immensitédes espaces. Et il répondque l'âme possède
certaine forcemerveilleuse- mira quaedam vis - grâce à quoi,
comme l'œil, encore que bien petit, sait illuminertoute la voûte
céleste,elle est capable de « comprendrepar la pensée » l'univers.
Elle n'a pas, pour ce faire,besoin du corps,non plus que Dieu, qui
est puresprit,n'a besoindu corpspourconnaîtrela réalitéphysique6.
Ou plutôt, s'il y a en elle une connaissance des objets corporels,
celle des sens et de l'imagination,qui s'opère avec l'aide du corps,il
y en a une autre qui s'opère par Γ intelligencepure : aliterfigurantes
animo imagines corporum,aut per corpus corpora videntes,aliler
autem rationes artemqueineffabiliter pulchram ialium figurarum
super aciem mentissimplici intelligentiacapientes*.
1. Géométrie,
A. T., t. VI, p. 475. M. Brunschvicga soinde noterque la réduc-
tionde la géométrie
à l'algèbren'estpas encoretoutà faitréaliséechezDescartes;
maisque « sa méthodey tendaitmanifestement ».V. Les Etapes,p. 132.
2. Brunschvicg. Les Étapes de la philosophiemathématique,
p. 123.
3. Id., Spinoza et ses contemporains,p. 478.
4. Les Étapes, p. 123.
5. Le Platonismede Spinoza dans le ChroniconSpinozanum, 1923, p. 266.
6. Spinoza et ses contemporains,p. 466.
3 4* 2
II
1. PrincipesI, 32.
2. V. Passions,art. 26.
3. VI9 Meditation. Descartesdit même: « cetteidée distinctede la nature
corporelle que j*ai en monimagination » (ibid.). C'est encorede la mêmefaçon
que Descartesattribueparfoisaux sens une connaissanceintuitivedes choses
corporelles. VoirA. T., t. V, p. 137.
4. PrincipesI, 68,cf.69-70; v. aussi66 : « Nouspouvonsavoirdes sentiments
uneconnaissance claireet distincte, pourvuque nousprenions gardeà ne compren-
dredanslesjugements que nousen ferons que ce que nousconnaîtrons précisément
Dapla clartéde notreDercention. »
5. PrincipesI, 47 et 67.
6. « Immersa», PrincipesI, 47 ; cf. VI* Méditation ; Principes,IV, 190;
A. T., t. V, p. 137; A. T., t. III, p. 424,etc.
7. VI· Meditation et Rép. aux IV**Objections.
8. Les sensationssont « confusa»quaedam cogitationes» (PrincipesIV, 190
et VI* Méditation) ; et Yimaginalio s'opposeà la claraperceptio (A. T., t. V. n. 160).
^9. Cf. Entretiens mäaphysiques, V, 2, etc. On sait que pour DescartesVidée
2
1. Bép. aux Ve» Objections(contrela II· Méditation,n° 8) ; cf. Rép. aux Ins-
tances: et Enl. avecBurman,A. T., t. V, p. 151; v. aussi Lett,à Morus,A. T.,
t. V, p. 268-269.
2
d'une chose étenduepénètreune autre partie qui lui soit égale, sans
comprendreen même temps que l'étendue qui est au milieu de ces
deux parties soit ôtée ou anéantie : or une chose réduiteau néant
n'en saurait pénétrerune autre1. Mais impénétrabilité et tangibilité
apparaissent par là comme des propriétésdérivées, à la façon du
propriumquarto modo des : la
logiciens2 preuve en est qu'elles présup-
posent la relation à des parties, et l'idée d'une chose divisée ou
terminée; or, nous pouvons concevoirun corps continu,dans lequel
on ne considèrerien que l'étendue,abstractionfaite de toute divi-
sion ou terminaison3.
Le partes extra paries n'est-il donc pas essentiel à la notion
d'étendue ? Il semble bien que je puisse envisagerl'extensionpure
et simplesans envisagerla relationréciproquede ses parties. Mais,
en même temps,je comprendsque cette extensionse prête à une
telle relation de parties4.Autrementdit, le continu indivisé est
pensé comme divisible; l'indéterminéest déterminable.Détermina-
ble par quoi, sinon par les sentimentsde couleur, de résistanceet
autres qui viennenty découper des portions et figuresdiverses?
Et ne sont-ce pas ces sentiments-làqui caractérisentle sens et
l'imagination5? Si donc, il est de l'essence de l'étendue, non pas
d'avoir actuellementdes parties,mais de pouvoir en admettre,on
doit convenirqu'il est aussi de l'essence de l'étendue de pouvoir
êtreimaginée; et c'est une des raisonspour lesquelleson ne saurait
fairede l'étendue un attributde Dieu : Illud solumquod est imagi-
nabile, ut habenspartesextrapartes,quse sinl deierminalse magnitu-
dico esse extensum*.
dines et figurée,
1. A. T., t. v, p. 342.
2. A. T.. t. V, p. 269.
3. A. T.. t. V. p. 269.
4. A. T., t. V, p. 341 : « Quamvisautemin extensione habitudinem partiumad
invicemfacile comprehendamus, videor tamen extensionemoptimèpercipere
quamvisde habitudinepartiumad invicemplane non cogitem.»
5. A. T., t. V, p. 270 : « Per ens extensumcommuniter omnesmtelligunt ah-
quid imaginabile... atque in hoc entevariaspartesdéterminât«magnitudinis et
figura?,quarumuna nullomodoalia sit. possuntimaginatione distinguere. »
6. A. T., t. V, p. 270 ; Dans unelettreà Mesland,du 9 février 1645,Descartes
disait: « Ces motsd'extension et de quantiténe sontinventésparles hommesque
poursignifier cettequantitéextérieure quisevoitetse touche.» (A.T., t. IV,p. 170.)
Cettephrasea été rayéepar lui,sansdoutepourla raisonqu'indiquentles lettres
à Morus: l'étenduen'est pas forcément quelquechosequi se voit et se touche,
puisqueses partiespeuventéchapperaux sens; maismêmeces partiesinsensibles
doiventêtreimaginables.
2
Ainsi,d'unepart,toutechoseétenduedoit:« tombersousl'ima-
ginationm1 ; et, d'autrepart,l'étenduene se connaîtdans sa vérité
que par l'entendement ! Les deux thèsesse concilientaisément
si l'on prendgardeque l'étenduede l'imagination n'estrienautre
chose que l'étenduede l'entendement habilléede sensationsou
plutôtd'imagessensiblesqui en diversifient l'uniformité, et que le
rapport de la seconde à la première est tout bonnement le rapport
de l'indéterminé au déterminé. La théoriede Descartesest ici très
exactement celleque développera Malebranche à proposde Yétendue
intelligible - cette « étendue »
intelligible ou, si l'on préfère, cette
« idée de l'étendue», représentation globale, indifférenciée et illi-
mitée,que nous avons à la
toujoursprésente conscience, même quand
nousfermons les yeux,sortede « canevas» où l'âme,par les senti-
mentsqu'elle y projette,brodeune variétéde dessins,toile sur
laquelle elle trace des imagescommeferaitun peintreavec son
pinceau2.
Rienqui ressemble à une transmutation de l'extension en prin-
cipe intérieur et non spatial,rienqui s'apparenteà l'étendueindi-
visibleet divinede Spinoza.Bien plutôt,songeantque, pour Des-
cartes(commed'ailleurspourMalebranche), la « notionprimitive »
de l'étenduen'estpas une idée généraleau sensordinairedu mot,
maisune nature« singulière », dontles diversesétenduessontdes
parties,non des espèces8,la rapprocherait-on d'une autre notion
qui, elleaussi, est « intuition» et non« concept qui, elleaussi,est
»,
une αgrandeur infiniedonnée», qui, elle aussi,faità la foisl'objet
de la géométrie etla tramede nosperceptions empiriques, - l'espace
de YEsthétique transcendentale.
III
Mais plus l'analysecartésiennesoulignece que l'idée de ce
continuumqu'on appelle étenduea d'irréductiblement spatial,
1. VIe Méditation.
2. Réponses aux V" Objections(contrela VIe Méditation,n° 3). Cf. IIe Médi-
tation.
3. Réponses aux Ve· Objections(contrela VIe Méditation,n° 18).
4. Reg. 12, A. T., t. X, p. 419.
5. A la véritéceci n'estqu'une conclusion: Descartesne le dit pas formelle-
ment.Peut-êtreexagère-t-on quelquepeu en affirmantà cet égardune différence
profondeentreles Requiseet les ouvragespostérieurs.
3 5 • 2
1. F/* Médilaiion.
2. Réponsesaux III** Objections (Objection4 surla IIe Méditation).
3. Le texteplushautcitéde la VI9 Méditation dit,dansla traductionfrançaise,
« concevoirou entendre», là où le latindit simplement : intelligere.
2
1. ///*Méditation.
2. ///«Méditation, cf.A. T.,*t.I, p. 560-561: « Nos idées,ne pouvantrecevoir
leur formeni leurêtreque de quelquesobjetsextérieurs ou de nous-mêmes, ne
peuventreprésenteraucuneréalitéou perfection qui ne soiten ces objetsou bien
en nous,et semblable.»
3. VIe Méditation,cf. Rép. aux /«■»et aux IV** Obiedions.
4. F/« Méditation,cf.A. T., t. III. d. 428-429.
5. Principes.IL 1.
6. F/* Méditation.
7. Principes,II, 1.
2
1. V7e Méditation.
2. VIe Méditation : cf. Disc, de la Mélh.,5e partie,Abrégédes Méditations :
1*11.à Elisabeth.A. T.. t. III. n. 665. etc.
3. Principes,II, 2 : « mensest cônscianona se solà profîcisci ».
4. Ent.avecBurman: A. T., t. V, p. 163; et Lettà Arnauld,A. T., t. V, p. 222.
5. A. T., t. III, p. 508 : « nonest ipsiaccidentaria, sed essentialis».
6. A. T., t. III, p. 493 : « mentem esseimitam,
corporirealiteret substantialiter
nonpersitumaut dispositionem... sed perverummodumunionis». Cf.VI9 Médi-
tationet Lett,à Elisabeth,t. III, p. 690 et suiv. V. aussi Discoursde la méthode,
5e partie,Réponsesaux IVe8etaux VIe*Objections, AbrégédesMéditations, etc.
7. A. T., t. V, p. 163: « Hoc explicatu difficillimum, hicexperientia,
sed sufficit
quaehîcadèo clara est,ut negarinullomodopossit.»,cf.A. T., t. III, p. 693.
8. Lett,à Elisabeth,A. T., t. III, p. 691.
9. A. T., t. III, p. 424.
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