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Jean Miler
2005/1 - Tome 93
pages 83 à 106
ISSN 0034-1258
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Pour citer cet article :
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Miler Jean, « Bulletin d'exégèse des synoptiques »,
Recherches de Science Religieuse, 2005/1 Tome 93, p. 83-106.
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BULLETIN
(Première partie)
I. L’évangile de Matthieu (1-8)
II. L’évangile de Marc (9-17)
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1. Michel TALBOT, « Heureux les doux car ils hériteront la terre » (Mt 5,4[5]),
Études Bibliques NS no 46, Gabalda, Paris, 2002, 454 p.
2. H. Benedict GREEN, Matthew, Poet of the Beatitudes, JStNT SS 203, Acade-
mic Press, Sheffield, 2001, 352 p.
3. Christof LANDMESSER, Jüngerberufung und Zuwendung zu Gott. Ein exegetis-
cher Beitrag zum Konzept der mattäischen Soteriologie im Anschluß an Mt
9,9-13, WUNT 133, Mohr Siebeck, Tübingen, 2001, 210 p.
4. Gloria HERAS OLIVER, Jesús según san Mateo. Analisis narrativo del primer
evangelio, Ediciones Universidad de Navarra, Pamplona, 2001, 288 p.
5. David E. AUNE, (Ed.), The Gospel of Matthew in Current Study. Studies in
Memory of William G. Thompson, S.J., Eerdmans, Grand Rapids, 2001, 192 p.
6. Martin STIEWE et Christian VOUGA, Le Sermon sur la montagne. Un abrégé de
l’Évangile dans le miroitement de ses interprétations, Labor et Fides, Genève,
2002, 300 p.
7. Rudolf SCHNACKENBURG, The Gospel of Matthew, Eerdmans, Grand Rapid et
Cambridge, 2002, 290 p.
8. Pierre BONNARD, L’évangile de Matthieu, CNT 1, Labor et Fides, Genève,
2002, 470 p.
1. Le livre de Michel TALBOT, « Heureux les doux car ils hériteront la terre »
(Mt 5,4[5]), est la publication d’un travail de thèse dirigée par le P. Michel
Gourges et soutenue au Collège dominicain de philosophie et de théologie
d’Ottawa.
On sait que la béatitude des doux pose bien des questions à l’interprète.
Quelle est la qualité de ces hommes à qui est faite la promesse d’hériter la
terre ? Étant données les divergences de la tradition manuscrite, cette
béatitude est-elle à lire en deuxième ou en troisième position dans la série
des huit béatitudes ? Est-elle un simple doublet de la béatitude des pauvres ?
L’auteur se confronte à ces questions et cherche « à démontrer que la
un non-violent », mais il est aussi « celui qui, dans le souci qu’il a d’être
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conforme à la volonté de Dieu, recherche le bien de l’autre. Autrement dit, il
est un être essentiellement bon et compatissant » (p. 375). L’auteur insiste
sur ce double aspect de résistance au mal et d’attitude active qui cherche le
bien de l’autre. Il prend distance par rapport à J. Dupont qui voyait dans la
béatitude des doux un dédoublement de celle des pauvres, mais il en
demeure à mon sens proche quant à la signification qu’il reconnaît au
qualificatif « doux » en Mt (cf. J. Dupont, Les béatitudes, T. III, Gabalda, Paris
1973, p. 544-546).
À la lecture de ce livre, plusieurs remarques ou questions nous viennent à
l’esprit.
1) À la fin de la brève présentation de l’état de la recherche, l’auteur
indique sans plus le justifier son propos : « étudier systématiquement tous les
passages de la Bible où figure le mot “doux” » (p.38). Cette approche permet
d’établir une entrée de dictionnaire, mais pourquoi se limiter alors au corpus
canonique ? Et à quelles conditions l’opération qui consiste à reverser la
. /.
signification d’une occurrence de πρα ς sur celle de la béatitude des doux
est-elle légitime ?
2) Un gros travail a été fait pour dégager la signification des deux autres
. /.
occurrences de πρα ς en Matthieu par la mise en œuvre d’une analyse
structurelle dont nous ne discuterons pas ici la pertinence des résultats. La
mise en œuvre de cette méthode pour les béatitudes, voire le début du
Sermon sur la montagne, n’aurait-elle pu également être mise en œuvre et se
révéler féconde ?
3) L’analyse des occurrences de « doux » et « douceur » dans l’Ancien
Testament est justifiée par le fait que Mt 5,4 « s’avère être une citation du
Psaume 37,11 » (p. 294). En raison même de ce phénomène d’allusion, ce
Psaume aurait mérité un traitement particulier pour rechercher et faire
percevoir les échos éventuels dans le texte matthéen. Il n’est pas rare, en
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effet, que, dans le premier évangile, une citation ou une allusion soit un indice
fourni au lecteur pour l’inviter à reconnaître des échos multiples entre le récit
de la vie de Jésus et les Écritures anciennes.
Hebraic verse in Greek » (p. 42) peut-il être identifié à l’évangéliste ? Cette
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question conduit à la partie sans doute la plus originale de l’ouvrage :
l’identification de passages de Matthieu, composés selon les canons de la
poésie hébraïque. Un premier chapitre (p. 48-73) examine le « remodelage »
de citations de l’Ancien Testament. Le choix est justifié par le fait que les
Béatitudes témoignent d’une nette et forte influence de l’Ancien Testament,
tant dans leur forme que dans leur contenu. Cinq des dix citations d’accom-
plissement ainsi que les citations de Mt 2,6 ; 4,4.10 et 21,13 sont examinées
et les traces d’un façonnage poétique de ces citations par l’évangéliste sont
mises en évidence. Le chapitre suivant élargit l’analyse à d’autres passages
de Matthieu qui montrent une influence de la poésie hébraïque et de la Bible
grecque. L’auteur les classe en trois catégories (p. 162) :
1) Ceux pour lesquels des indices de rédaction ou certaines dissonances
avec leur contexte suggère que leur composition est antérieure à l’évangile
(6,9-13 ; 11,7-9 ; 11,13 ; 11,16-19b ; 11,21-24 ; 23,37-38)
2) Ceux dont la position dans l’évangile et leur aspect soigneusement
travaillé (their more carefully crafted character) suggère une complète
relation à l’ensemble et une part significative dans l’organisation de son
contenu : 11,5 ; 11,28-30 : 28,18-20.
3) Ceux dont l’état relativement peu raffiné (unpolished) suggère qu’ils ont
pris forme dans le cours de l’écriture du livre : 1,20b-21 ; 10,8 ; 11,25-26 ;
11,27 ; 16,17-19.
Des auteurs avaient remarqué la forme poétique de tel ou tel passage de
l’évangile, mais il n’existait pas, à ma connaissance, d’étude aussi précise et
documentée. Les observations apparaissent souvent pertinentes et les
démonstrations convaincantes. J’émettrai cependant deux réserves. Des
considérations relativement fréquentes sur les sources de ces passages
viennent distraire le lecteur de ce qui fait l’objet de l’analyse (cf. p. 60, 91, 93,
95, etc.). De plus, l’absence de distinction entre les différents niveaux
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pécheurs à partir de 11,5 (p. 192-197), l’analyse de la citation d’accomplis-
sement de 2,18 (p. 224-226), les liens plaqués entre les Béatitudes et le reste
du Sermon sur la montagne (p. 256-261) ou la volonté d’y reconnaître une
influence de Shema ou du double commandement (p. 284-292). Comment
résister à l’appel indéfini des échos qui renvoient d’un texte à un autre ? La
question est méthodologique et demanderait l’élaboration de critères plus
rigoureux. Mais la musique d’ensemble sonne juste.
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du texte (chapitre 3). Il s’agit d’une interprétation du récit qui en exploite
également l’implicite par sa mise en relation avec l’ensemble de l’évangile.
Un exemple permettra de préciser la méthode mise en œuvre par l’auteur.
Pour ce dernier, il est « manifeste » que les trois récits de vocation suivent un
concept formellement unifié (p. 78). La parole de Jésus qui appelle Matthieu
à sa suite prend aussitôt effectivité dans la réponse de celui-ci. Mais la
mission et la capacité de l’exercer qui sont liées à cet appel ne sont pas
racontées explicitement ; elles sont à reconnaître dans l’exhortation de Jésus
à la miséricorde (9,10-13). De même, l’agir de salut de Jésus qui communi-
que le pardon des péchés (1,21) et la présence de Dieu (1,23) trouve son
effectivité dans l’appel auquel Matthieu répond positivement et dans le repas
partagé avec les publicains et les pécheurs. En Jésus, Dieu accueille les
pécheurs, et les Pharisiens qui ne peuvent et ne veulent pas reconnaître ce
qui advient en lui demeurent à distance et se trouvent dans la position des
pécheurs qu’ils excluent. On lira dans ces chapitres de très belles pages sur
la communauté de table de Jésus avec les pécheurs et le refus des
Pharisiens ainsi qu’une intéressante analyse du jeu d’intertextualité lié à la
citation de Os 6,6 en 9,13 (par contre l’allusion à Ez 34 nous semble
surdéterminée, pp. 104-110).
Le quatrième chapitre resitue l’étude au niveau de l’ensemble de l’évangile
de Matthieu, en particulier de sa sotériologie, et prend en compte son
contexte historique. À la fin du premier siècle, le judaïsme a rejeté la
communauté matthéenne qui se tourne vers les nations et le rédacteur en
voit le fondement dans le rejet de la personne de Jésus comme étant
« Dieu-avec-nous ». La sollicitude de Jésus pour les pécheurs (l’auteur
propose à la suite de Hofius de traduire ε’′λεος par Zuwendung [= l’action de
se tourner vers]), par exemple dans l’appel de Matthieu, signifie d’abord le
rétablissement de la communion avec Dieu. Et c’est sur la base de cet appel
que se fait entendre l’exigence de la sollicitude pour les hommes et pour Dieu
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dans la suite du Christ présent pour toujours dans sa communauté. Mais les
membres de la communauté matthéenne vivent aussi dans l’attente de la
venue du Fils de l’homme dans la gloire. Seuls entreront dans le Royaume
ceux qui font la volonté de Dieu et le disciple chemine dans l’histoire avec une
non-certitude de son salut. Le livre se termine avec une trop rapide et trop
schématique (pour ne pas dire caricaturale) mise en relation des théologies
de Paul et Matthieu.
Le livre, d’écriture sobre et claire, est fermement composé et repose sur
une lecture des textes, précise et serrée ; des qualités qu’il convient de
souligner. La bibliographie (partagée entre sources, outils de travail, com-
mentaires, monographies et études particulières) est abondante, mais res-
treinte à des ouvrages en allemand ou en anglais.
La lecture proposée par C. Landmesser est stimulante en raison de la très
grande attention portée à la lettre du texte et des questions que l’auteur
soulève à partir d’elle. Nous ne le suivrons pas toujours dans les conclusions
tirées des indices relevés et pourrons prendre distance par rapport à la
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méthode qui a conduit à des résultats qui se révèlent très justes par ailleurs.
Ainsi l’auteur se demande (p. 63) avec justesse à qui, au verset 13, est
adressé l’impératif « allez et apprenez ». Il remarque que
— en 9b on rencontre un autre impératif adressé par Jésus au publicain
Matthieu, et conclut à une inclusion, mais de manière injustifiée car une
récurrence ne suffit pas à en définir une (niveau de l’analyse structurelle,
p. 63). Signalons au passage, et par ailleurs, que l’aspect et le temps des
verbes mériteraient d’être traités avec plus de souplesse (p. 53ss) ;
— l’introduction de ces impératifs est rédactionnelle (p. 111) ;
— les deux autres occurrences de l’impératif « apprenez » concernent les
disciples (exact en 24,32 ; inexact en 11,29) (niveau de l’analyse « séman-
tique », p. 112).
Il en tire la conclusion que l’impératif est adressé aux disciples et
indirectement à la communauté. Il resterait à expliquer pourquoi le change-
ment de destinataire entre 12 et 13 n’est pas mentionné. Si la conclusion
nous apparaît procéder d’une juste intuition, la démonstration n’est pas
correcte et l’exégèse historico-critique, à moins de considérer le texte de
l’évangile comme une pure compilation, ne permet en aucune manière
d’arriver à un tel résultat. Selon une approche narrative, le narrateur construit
un lecteur par la manière dont il raconte. Au verset 10, la phrase καὶ
ε
Qγένετο... καὶ Qδού
ι est construite de manière à attirer l’attention sur ce qui
se passe : voici, Jésus mange avec des publicains et des pécheurs. Comme
le remarque C. Landmesser (p. 102), « Ce que le rédacteur de l’évangile de
Matthieu raconte en Mt 9,10b.11 devait apparaître paradoxal aux hommes
religieux de son temps ». En rapportant la réaction des Pharisiens, le
narrateur amène le lecteur modèle à se situer par rapport à ce que fait Jésus
et à leur attitude. La parole de Jésus au verset 12 est introduite de manière
ouverte sans précision des destinataires pour qu’entende celui qui a des
oreilles pour entendre, aussi bien les Pharisiens que les disciples et le
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type d’approche est, pourrait-on dire, synchronique à l’extrême en ce sens où
il n’y a plus ni avant ni après dans la lecture. Le fait que l’ange dise à Joseph
que Jésus sauvera son peuple de ses péchés suffit-il à caractériser l’occur-
rence de sauver dans le dialogue qui fait suite à l’épisode du jeune homme
riche (19,25) comme référent au salut des péchés ? Est-il légitime de
reverser le contenu de la charge de Mt 23, sur cette première controverse
entre les Pharisiens et Jésus ? La prise en compte du développement du
récit, qui a un commencement, un milieu et une fin, nous semblerait devoir
davantage être prise en compte. Elle permettrait de faire apparaître des
évolutions, des transformations ou des déplacements. En quoi, par exemple,
la reconnaissance de Jésus par les disciples en 14,33 diffère-t-elle de celle
de 16,16 ? Comment passe-t-on de la promesse du début (Il sauvera son
peuple [=Israël], 1,21) à la mission universelle ?
Ces quelques remarques portent plutôt sur des points de méthode ; loin de
vouloir dissuader quiconque, elles disent au contraire l’intérêt trouvé à la
lecture de ce livre.
4. Dans son livre Jesús según san Mateo, Gloria HERAS OLIVER propose
une analyse narrative de l’évangile de Matthieu en vue de mettre en lumière
sa structure et les traits de la figure de Jésus, le personnage principal du récit.
Cet ouvrage est l’aboutissement d’un travail de thèse fait à l’université de
Navarre à Pampelune. La facture de l’ouvrage apparaît « classique » puisque
sont étudiés successivement et de manière systématique la temporalité, la
distance et le point de vue, la voix narrative pour conduire à la mise en valeur
de l’intrigue. Les travaux de G. Genette servent ici de référence principale.
Le premier chapitre présente un bref aperçu de la notion de narration,
d’Aristote aux théories contemporaines, soulignant les capacités du récit à
représenter des actions et à faire comprendre les événements racontés ;
c’est dire que toute fonction rhétorique n’est pas absente du récit. L’auteur du
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narrateur qui, plus on avance dans le récit, s’efface pour laisser place à celle
de Jésus. Le dernier chapitre, s’appuyant sur les analyses précédentes,
dégage l’intrigue du récit et la fonction des personnages dans cette configu-
ration de l’intrigue. Le développement de celle-ci conduit l’auteur à la
conclusion que Matthieu utilise le schéma d’annonce/accomplissement (plus
que l’autre schéma également présent d’acceptation/refus) comme fil
conducteur à partir duquel il organise les événements. Mais cette opposition
est à considérer comme l’un des axes essentiels de la théologie de Matthieu
plus que comme un élément structurant qui permettrait de délimiter le récit.
Le fait qu’un critère unique ne permette pas de dégager une structure
n’empêche cependant pas d’en proposer une. L’auteur le fait avec la
prudence requise et divise le récit en trois grands ensembles : après le titre
et la généalogie (1,1-17), 1) la présentation de Jésus (1,18-4,16) ; 2) le
ministère de Jésus (4,17-25,46 [4,17-11,1 et 11,2-25,46]) ; 3) la Passion, la
mort et la Résurrection de Jésus (26,1-28,20).
L’auteur souligne avec justesse la dimension didactique du récit matthéen.
Celui-ci vise à faire comprendre que par sa vie, sa mort et sa Résurrection,
Jésus est celui qui vient accomplir le plan divin de salut dont les prophètes de
l’Ancien Testament s’étaient fait l’écho dans l’histoire d’Israël. Par la place
qu’il donne aux enseignements et aux paroles de Jésus, le narrateur invite
ainsi à « s’approcher » de la personne de Jésus. Il nous semble cependant
qu’une attention plus grande aurait pu être accordée au jeu de relation des
personnages, et l’autorité de Jésus mise en valeur de manière plus juste.
Pour le narrateur matthéen, Jésus n’est pas seul et le Royaume des cieux,
l’accomplissement des promesses de Dieu, adviennent dans la relation entre
Jésus et les disciples, Jésus et « tout Israël ». L’importance du schéma
annonce/accomplissement est avec raison mise en valeur, mais il resterait à
préciser davantage la forme que prend l’accomplissement en Jésus. Au
terme, le lecteur demeure avec une question. Quel est le lien entre le salut
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que Jésus réalise pour son peuple, Israël (cf. 1,21), et l’ouverture finale à la
mission universelle ?
Ce livre est écrit clairement et, en raison du caractère méthodique de ses
analyses et développements, il mérite d’être conseillé à qui s’intéresse à la
mise en œuvre de l’analyse narrative appliquée à l’ensemble d’un évangile.
dans leur diversité donne une bonne idée de la manière dont l’évangile de
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Matthieu est travaillé et reçu outre-atlantique : pluralité des approches
(historico-critique, analyse narrative, lectures féministe, postcoloniale, post-
moderne, etc.), prise en compte du contexte transformé des relations entre
juifs et chrétiens, attention à l’histoire de la réception.
Le titre des différentes contributions donne une idée assez précise du
contenu du livre. Donald Senior, Directions in Matthean Studies ; Amy-Jill
Levine, Matthew’s Advice to a Divided Readership (analyse de Mt 15,21-28
en dialogue avec différentes approches anciennes et modernes) ; Graham
N. Stanton, The Early Reception of Matthew’s Gospel : New Evidence from
Papyri ? ; Daniel J. Harrington, Matthew’s Gospel : Pastoral Problems and
Possibilities (l’actualisation de Mt dans la pratique pastorale : mise en œuvre
d’une pluralité de lectures et prise en compte du contexte actuel des relations
entre juifs et chrétiens) ; Elaine Wainwright, The Matthean Jesus and the
Healing of Women (lecture féministe de Mt 8-9) ; Richard S. Ascough,
Matthew and Community Formation (la communauté matthéenne correspond
au modèle de l’« association volontaire », assez courante dans le monde
gréco-romain du Ier siècle) ; Wendy Cotter, Greco-Roman Apotheosis Tradi-
tions and the Resurrection Appearances in Matthew ; Jack Dean Kingsbury,
The Birth Narrative of Matthew. (une lecture « narrative » de Mt 1,18-25) ;
Anthony J. Saldarini, Reading Matthew without Anti-Semitism (relecture de
propos matthéens qui ont pu nourrir l’antisémitisme).
J’aimerais indiquer en terminant cette présentation trois questions qui
émergent de manière plus ou moins explicite à la lecture de ce livre.
1) L’importance de la mise en œuvre de méthodes différentes pour la
lecture de Matthieu est souvent soulignée ; plusieurs rappellent que l’adop-
tion de lectures nouvelles ne peut pas avoir pour conséquence de remiser
parmi les pièces de musée d’autres plus anciennes comme l’approche
historico-critique. Comment alors articuler, théoriquement et pratiquement,
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montagne, ne comble pas ce manque, mais comme quelques autres
publications récentes (que les auteurs ne mentionnent pas), il apporte une
contribution intéressante, surtout en raison de l’importance accordée aux
interprétations proposées dans la tradition des Églises protestantes. Les
« commentateurs » retenus sont les suivants : L. Ragaz, Jean Calvin, Huld-
rych Zwingli, Martin Luther, François d’Assise, Eduard Thurneyssen et Karl
Barth, Dietrich Bonhoeffer. Référence est faite également à plusieurs autres
(Augustin, Thomas d’Aquin) mais de manière trop sommaire.
Les trois premiers chapitres forment introduction à l’ensemble du livre. Les
auteurs considèrent d’abord le SM « comme (une) brève présentation de
l’Évangile », mais omettent le fait que celui-ci, s’il parle bien des persécu-
tions, ne fait pas référence à la Croix. Le deuxième chapitre traite de la
structuration du SM et propose celle qui est retenue par les auteurs et à
propos de laquelle de sérieuses réserves peuvent légitimement être émises.
Les arguments avancés (p. 22) ne suffisent pas en effet à faire de 7,1-12 un
résumé du centre du discours, correspondant à l’énoncé de la thèse
(5,17-20). Sont ensuite exposées les principales lignes d’interprétation du SM
au cours de l’histoire. Le choix des auteurs retenus permet ainsi de faire
apparaître les questions majeures que pose au lecteur ce texte difficile.
Chacune des parties du livre est construite selon le même schéma : après
une lecture exégétique d’une section du SM reposant sur une étude assez
précise du texte, les auteurs présentent, avec de larges extraits significatifs à
l’appui, l’interprétation faite de l’ensemble du SM par un auteur et ils en
proposent une évaluation critique. Ainsi, par exemple, la lecture des Béati-
tudes est suivie par la présentation du commentaire du SM de Leonhard
Ragaz. Le lecteur pourrait s’étonner que l’histoire de l’interprétation com-
mence par l’un des commentateurs les plus récents. Ce choix est cependant
justifié : « La raison de cet ordre de présentation tient au fait que Ragaz (...)
lit l’ensemble de la prédication du Jésus matthéen à partir de son ouverture :
BULLETIN D’EXÉGÈSE DES SYNOPTIQUES 93
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Cette première thèse est « déclinée » tout au long du commentaire du
Sermon sur la montagne. Elle n’est pas fausse et trouve des appuis dans le
texte. En effet, la justice surabondante à laquelle appelle le Jésus matthéen
trouve son fondement dans l’être et l’excès de Dieu qui, dans sa libéralité, fait
« tomber la pluie sur les justes et les injustes ». On regrettera cependant le
caractère quelque peu forcé à vouloir découvrir dans chaque section du SM
l’opposition entre le « système de l’échange » et l’esprit du don : antithèses
(p. 90-99), triade (p. 125-143), lys des champs (p. 179-190).
Les auteurs soulignent que la théologie qui sous-tend l’écriture matthéenne
est une théologie de la création et non une théologie de la Croix que
voudraient y retrouver ceux qui lisent Matthieu à la lumière des écrits
pauliniens. La révélation de Dieu « n’a pas lieu, pour Matthieu, dans ce que
Paul appelle la “croix”, mais dans la parole de Jésus qui invite ses disciples
et ses auditeurs à percevoir la beauté de la création et à la comprendre
comme l’expression de la magnanimité gracieuse de l’amour et de la
providence du Père céleste » (p. 248). On pourra s’étonner de l’importance
accordée à la notion de beauté, mais les auteurs insistent avec raison sur la
« magnanimité gracieuse » de l’agir de Dieu, sur la primauté du don par
rapport à l’impératif, sur l’autorité du Jésus matthéen et l’importance de son
appel relativement à la question de la possibilité de vivre la justice du
Royaume.
2) « L’esprit du sermon sur la montagne qui imprègne l’existence de
confiance, de miséricorde, de douce fermeté, de la recherche de la paix et de
la justice est proclamé comme bonne nouvelle aussi bien pour l’individu que
pour l’église et la société tout entière » (p. 13).
Cette thèse dans ce qu’elle a de trop immédiatement universaliste est
heureusement nuancée à la fin du livre avec la prise en compte de la figure
des disciples : « les destinataires du discours sont les disciples de Jésus,
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mais toute personne qui écoute Jésus peut en tout temps devenir disciple en
se mettant à sa suite et en mettant sa parole en pratique » (p. 278).
Au terme de la lecture, le lecteur percevra avec encore plus d’acuité le
caractère redoutable des questions posées par l’interprétation du discours
inaugural de Jésus dans l’évangile de Matthieu. Le mérite de la construction
de ce livre est de renvoyer le lecteur à la résistance de la lettre du SM, qui
semble échapper à toute interprétation, et de le faire entrer lui-même dans un
acte de lecture.
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deux grands commentaires, celui de U. Luz en allemand et celui de W.D.
Davies et D.C. Allison en anglais, et ce n’est en rien dévaloriser le travail de
Pierre Bonnard que de souhaiter, dans la collection des Commentaires du
Nouveau Testament, la parution d’un nouveau volume en français sur le
premier Évangile.
9. R.T. FRANCE, The Gospel of Mark. A Commentary on the Greek Text, NIGTC,
Eerdmans/Paternoster, Grand Rapids/Carlisle, 2002, xxxvii + 720 p.
10. Camille FOCANT, L’évangile selon Marc, Commentaire biblique : Nouveau
Testament (CbNT 2), Cerf, Paris, 2004, 665 p.
11. Jacob Chacko NALUPARAYIL, The Identity of Jesus in Mark. An Essay On
Narrative Christology, SBF Anal 49, Franciscan Printing Press, Jerusalem,
2000, 638 pages.
12. Michel TRIMAILLE, La christologie de saint Marc, Collection « Jésus et
Jésus-Christ » 82, Desclée, Paris, 2001, 248 p.
13. Pierre-Yves BRANDT, L’identité de Jésus et l’identité de son disciple. Le récit
de la transfiguration comme clef de lecture de l’Évangile de Marc, Novum
Testamentum et Orbis Antiquus 50, Éditions Universitaires de Fribourg —
Vandenhoeck & Ruprecht, Fribourg — Göttingen, 2002, xviii + 368 p.
14. Elizabeth STRUTHERS MALBON, In the Company of Jesus. Characters in
Mark’s Gospel, Westminster John Knox Press, Louisville, 2000, xx + 244 p.
15. Patrice ROLIN, Les controverses dans l’évangile de Marc, Études Bibliques
NS 43, Gabalda, Paris, 2001, 384 p.
BULLETIN D’EXÉGÈSE DES SYNOPTIQUES 95
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qu’il se donne à lire. L’approche est donc synchronique et l’auteur ne se veut
attaché à aucune méthode particulière. Ainsi les résultats de l’approche
historico-critique sont pris en compte, mais uniquement quand ils permettent
d’éclairer le texte. L’évangile de Marc est abordé en tant que récit, un « drame
en trois actes », et l’auteur prend en compte les acquis de la recherche
récente qui ont permis de mieux connaître le contexte historique et culturel du
premier siècle.
Une troisième option marque la rédaction de ce commentaire et rejoint
celle de la collection dans laquelle il paraît : le travail est fait directement à
partir du texte grec, en l’occurrence la 27e édition de l’édition critique de
Nestle-Aland. Une note de critique textuelle précède cependant chaque unité
littéraire commentée, et témoigne de l’intérêt de l’auteur pour l’établissement
du texte travaillé.
Dans la suite de l’introduction, R.T. France aborde diverses questions. Le
genre littéraire : Marc relève du genre de la biographie, sous-classe du genre
« vie des hommes célèbres », mais s’en distingue par des marques distinc-
tives telles la personnalité du héros (une figure « plus qu’humaine » qui
connaît une mort ignominieuse), une facture ordonnée à la prédication et
adaptée à la lecture publique. La structuration : reconnaissant l’importance
d’épisodes de transition, l’auteur n’absolutise pas le plan relativement
classique qu’il retient. Après le titre et un bref prologue, le récit de Marc est
composé comme un drame en trois actes : 1,14-8,21 (La Galilée) ; 8,22-
10,52 (Sur le chemin vers Jérusalem) ; 11,1-16,8 (Jérusalem). Dans cette
structuration, l’auteur insiste sur la fonction métadiscursive des deux discours
(4 et 13) qui permettent au lecteur de réfléchir à ce qui s’est passé dans le
récit jusque-là. L’auteur : R.T. France souligne le caractère vivant de l’écriture
et les qualités de conteur de l’auteur (Marc, disciple de Pierre). Il insiste en
particulier sur son art d’enchâsser les récits, l’exemple le plus célèbre étant
celui de la fille de Jaïre et de l’hémorroïsse. Le message : prenant avec
96 J. MILER
raison distance par rapport aux études qui cherchent à déterminer LE but
précis du récit de Marc ou LE titre christologique prévalant, l’auteur souligne
que le propos premier de Marc est d’écrire un récit de la vie de Jésus de
Nazareth et que l’identité du personnage principal se donne à comprendre
dans le développement du récit. Mais Jésus n’est pas seul, et à proprement
parler l’évangile de Marc est récit de l’histoire de Jésus et ses disciples. Pour
l’auteur, une « saine christologie » débouche sur l’être-disciple. Les disciples
avec leurs traits positifs et négatifs sont pour le lecteur un guide pour sa
propre suite du Christ. L’auteur prolonge ces pages sur le message de
l’évangile par des développements sur les thèmes du Royaume de Dieu, du
secret, de l’eschatologie et de la symbolique des lieux. L’origine du livre :
R.T. France agrée la position de M. Hengel selon laquelle le second évangile
aurait été écrit en 69, à Rome, par Jean-Marc qui fut disciple de Pierre. Mais,
en raison du voile qui recouvre l’origine des évangiles, il pense que cette
position ne peut pas vraiment intervenir dans l’exégèse de l’évangile.
Le commentaire est solide, précis, le plus souvent proche du texte. Mais il
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de percevoir les raisons du choix des points qui font l’objet d’un commentaire.
Au début de chaque unité, sous-section ou section, un développement met
en relief de manière heureuse la continuité du tissu narratif que le commen-
taire par verset pourrait faire oublier. Les positions sont équilibrées, voire
classiques, et fermement étayées.
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commentaire va à l’essentiel. Les jugements sont nuancés et équilibrés. Les
« Notes », où l’auteur traite de l’histoire de la rédaction, aborde de manière
plus développée des questions techniques, fournit des éclaircissements sur
des termes ou expressions difficiles, donne des informations relevant de
l’archéologie ou du contexte historique.
En fin de volume, plusieurs index (auteurs modernes, références à la Bible
et à la littérature ancienne, sujets traités) seront d’une grande utilité pour ceux
qui travailleront avec le commentaire. Signalons que l’index biblique fournit la
référence de tous les versets cités de l’évangile de Marc.
La principale qualité du commentaire est de proposer une lecture suivie et
cohérente du récit selon une approche narrative (à titre d’exemple, et il y en
aurait bien d’autres, on pourra se reporter au procès de Jésus et au faux
témoignage sur la destruction du Temple, p. 551). L’auteur a un souci
constant de faire apparaître la trame du récit, de mettre en évidence
l’enchaînement des épisodes, de dégager les fils qui relient entre eux les
éléments de l’intrigue, de souligner les traits qui caractérisent les personna-
ges. Plus on avance dans la lecture, plus se dégagent l’identité narrative du
personnage principal et, relativement à lui — cet aspect pourrait être davan-
tage souligné —, l’identité des autres personnages : disciples, adversaires et
personnages secondaires.
Une difficulté importante attend le commentateur d’un récit : faire progres-
ser pas à pas le lecteur sans lui communiquer à l’avance et de manière indue
des informations qui anticiperaient sur la suite des événements. La difficulté
se redouble quand, par sa construction même, le récit invite à une deuxième
lecture. C’est le cas de l’évangile de Marc, à la fin duquel le narrateur renvoie
le lecteur à la « Galilée » où commence « l’heureuse annonce ». Il le conduit
ainsi « à élaborer sa propre synthèse de l’histoire de Jésus » (p. 600).
L’auteur a tenté « la gageure de respecter les surprises de la première lecture
tout en apportant les éclairages venus des relectures » (p. 49). Pour l’essen-
98 J. MILER
tiel, il l’a tenue de manière fort heureuse (bons exemples, partiels, de ce type
de traitement : la demande des fils de Zébédée et la guérison de Bartimée,
p. 398 et 406) et la progression du commentaire donne bien à percevoir
comment l’identité de Jésus, Messie, Fils de Dieu se révèle à la fin d’une
lecture seconde.
Camille Focant a rédigé, du second Évangile, un très beau commentaire
qui servira de référence importante dans les années à venir et, souhaitons-le,
plus largement que dans l’espace de la francophonie.
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critique rédactionnelle ainsi que ceux de l’analyse narrative. On peut distin-
guer cependant trois principaux courants : les christologies qui mettent
l’accent sur le titre de Fils de Dieu, celles qui privilégient celui de Fils de
l’homme et celles qui essayent d’harmoniser les deux. Le deuxième volet de
l’état de la recherche porte sur la question difficile et controversée des
sources de l’évangile de Marc. L’auteur opte pour deux sources qui consti-
tuent la tradition pré-marcienne : la source Q et des collections antérieures à
la rédaction évangélique. Sur ces bases, l’auteur indique ses choix métho-
dologiques (p. 64-66), sans cependant en argumenter les raisons. L’appro-
che sera essentiellement narrative, mais l’analyse du récit de Marc est
précédée par une étude préliminaire de la christologie de Marc à partir d’une
comparaison entre l’évangile et les traditions pré-marciennes. L’auteur écrit
(p. 285) que l’intérêt qui l’a guidé dans cette première partie de presque
300 pages est d’obtenir « some preliminary impressions of the Markan
approach to the prominent Christological trends of the PMT (=traditions
pré-marciennes) », à savoir la prévalence du titre de Fils de l’homme comme
unique et exclusive auto-désignation de Jésus. Tous les autres titres chris-
tologiques sont en relation au « nom divin de “Fils de l’homme” » et Marc
donne un contenu aux titres de Messie et de Fils de Dieu par l’histoire de la
vie du Fils de l’homme, particulièrement sa mort et sa résurrection.
La deuxième partie de l’ouvrage traite de l’identité de Jésus selon Marc à
partir d’une analyse narrative, en étudiant successivement l’intrigue, le point
du vue du narrateur et la caractérisation du personnage de Jésus. Les
résultats auxquels il parvient s’inscrivent en continuité et en cohérence
— mais pouvait-il en être autrement — avec celles de la première partie.
Marc a construit l’intrigue de manière à « démontrer que Jésus de Nazareth
est le Fils de l’homme céleste sur la terre (heavenly Son of Man on earth), et
qu’il accomplit son rôle en tant que Messie-Fils de Dieu en éprouvant sa
destinée de souffrance, mort et résurrection en obéissance à son Père »
BULLETIN D’EXÉGÈSE DES SYNOPTIQUES 99
(p. 554). L’effet projeté sur le lecteur est de le « transformer en disciple idéal
de Jésus le Fils de l’homme et messager de sa bonne nouvelle » (idem).
La thèse est exposée de manière claire et des conclusions ressaisissent à
chaque étape les résultats auxquels l’auteur parvient. Le lecteur pourra se
demander si l’auteur n’a pas voulu trop embrasser et, ce faisant, ne donne
pas à sa thèse l’allure qu’elle aurait pu avoir. Dans sa conclusion, l’auteur
ouvre une perspective et formule une question : « si “Fils de l’Homme” est le
nom désignant la personne divine présente en Jésus de Nazareth, quelle est
sa relation avec les titres de “Messie” et de “Fils de Dieu” ? » (p. 555-556). Je
ne m’attarderai pas sur la formulation « personne divine présente en Jésus »,
récurrente dans le livre : elle demanderait à être explicitée pour dissiper toute
trace de dualisme. Je souligne simplement la pertinence de la question.
N’aurait-il pas été préférable de laisser la première partie de l’ouvrage pour,
dans le prolongement de la deuxième partie, traiter cette question selon une
approche narrative qui se révélerait opératoire pour y répondre ?
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la collection qui n’est plus à présenter dans les pages de cette revue. Il vient
après le livre de M. Quesnel sur la christologie du premier évangile et avant
les ouvrages, encore attendus, sur Luc et Jean. Pour traiter de la christologie
de l’évangile de Marc, l’auteur a adopté une démarche que l’on peut qualifier
de synchronique dans la mesure où il considère le texte comme il se donne
à lire sans prendre en compte l’histoire de sa rédaction. En cela, le point de
vue est tout à fait légitime.
L’ouvrage est divisé en deux grandes parties. La première est consacrée à
la « christologie des acteurs » (les gens [= les malades, les foules, etc.], les
adversaires, les proches de Jésus, les acteurs de la révélation [= Jésus,
Dieu]). La perspective pourrait être celle de l’analyse narrative, mais ce n’est
pas le cas. La deuxième partie vise à dégager la « christologie du rédacteur
de Marc ». Là sont étudiés, parmi d’autres (berger, époux, nouvel Adam, etc.)
et de manière plus approfondie, les titres de Messie, Fils de Dieu, Fils de
l’homme. L’auteur insiste sur le fait que l’identité de Jésus se dévoile
progressivement et estime qu’il y a « une complicité certaine entre Fils de
l’Homme et Fils de Dieu, et que la dénomination d’origine daniélique donnée
à Jésus s’inscrit dans la signification globale du titre de Fils de Dieu donné à
Jésus dès les premiers mots du récit » (p. 192). Les chapitres III et IV de
cette partie prennent distance par rapport aux titres donnés à Jésus. Le
premier est consacré à la manière dont Marc « relit le destin de Jésus dans
les Écritures » (mais aucune distinction n’est faite entre citations ou allusions
faites par le rédacteur ou un acteur). Dans le second, l’auteur examine le rôle
de Jésus dans le processus du salut à partir du relevé des occurrences du
verbe « sauver ».
L’introduction de l’ouvrage avait présenté l’architecture du récit de Marc et
le milieu dans lequel il se situe. Une « conclusion » montre comment
l’évangile de Marc a préparé les énoncés des grands Conciles christologi-
ques.
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parce que son identité de Fils de Dieu n’est révélée pleinement qu’après sa
mort et sa Résurrection. Brandt apporte une critique nouvelle et fondamen-
tale : elle repose sur une conception moderne de l’identité individuelle. « En
ordonnant aux démons et à ses disciples de se taire, Jésus ne fait rien
d’étonnant, mais adopte tout simplement le comportement attendu d’un
individu qui respecte les règles d’attribution de l’honneur (= par la reconnais-
sance des autres ou du groupe) dans le contexte culturel dans lequel il
vivait » (p. 37). Il ne faudrait pas déduire de l’énoncé de cette thèse que
l’auteur s’en va à la recherche du Jésus de l’histoire. Il s’agit du personnage
de Jésus tel qu’il est mis en récit, et P.-Y. Brandt propose une lecture
synchronique et contextualisée de l’évangile de Marc.
Le long développement qui suit la présentation de la problématique et le
rappel critique de la théorie du secret messianique (39-171) est consacrée à
l’étude de la notion « d’identité individuelle » telle qu’elle pouvait être
comprise au Ier siècle dans le bassin méditerranéen. Cette notion n’étant pas
conceptualisée dans l’Antiquité gréco-romaine, l’auteur définit le cadre
conceptuel dans lequel il travaille (anthropologie psychologique et sociale) et,
pour éviter tout anachronisme, légitime l’utilisation de ces concepts dans un
autre contexte culturel. Suit, à partir d’écrits du monde gréco-romain ou du
judaïsme, une enquête sur le nom et la filiation, sur la notion de personne, la
biographie et l’autobiographie, l’être et le paraître, la liberté individuelle et le
changement d’identité. Au terme, l’auteur conclut (p. 134) : « ... l’identité de
l’individu appartient au groupe. Ce principe s’exprime dans la manière
d’attribuer le nom, d’envisager les modes de filiation. Il suppose que
l’individualité n’est pas intéressante en soi mais seulement pour sa valeur
d’exception ou d’exemplarité... ». Ce chapitre, qui porte la trace des exigen-
ces d’exhaustivité d’une thèse, a l’intérêt de rassembler un ensemble
intéressant de sources. Les deux chapitres suivants ont un caractère plus
directement opératoire pour la lecture des évangiles. L’auteur y propose une
BULLETIN D’EXÉGÈSE DES SYNOPTIQUES 101
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lyse des titres de majesté donnés à Jésus permet de reconnaître la
prévalence que Marc accorde à la désignation de Jésus comme Fils de Dieu.
L’étude du genre littéraire du récit de la Transfiguration, enfin, met en lumière
la lecture typologique de la filiation divine de Jésus qu’opère le récit.
La dernière partie s’attache aux personnages des disciples et tout particu-
lièrement à leur incompréhension. On percevra l’importance de la prise en
compte de cette question, étant donné la place qu’elle tient dans la théorie du
secret messianique. Pour Brandt, le narrateur ne présente pas les disciples
comme un modèle à imiter (par exemple, Pierre à Césarée ne reconnaît pas
adéquatement l’identité de Jésus ; les disciples fuient à la Passion) ; Jésus,
les personnages secondaires (l’hémorroïsse, la Syrophénicienne, Bartimée,
etc.) le sont par contre. Le lecteur se trouve à la fin du récit dans une position
homologue à celle des trois disciples sur la montagne : écouter Jésus et le
suivre (cf. 9,7). Mais il n’entend la voix céleste qu’à travers le médium du récit
des paroles et gestes de Jésus.
L’ouvrage est bien construit et rédigé. Les positions avancées le sont
arguments à l’appui, et, si nécessaire, l’auteur sait reconnaître le caractère
hypothétique de certaines d’entre elles (surtout celles relatives au person-
nage des disciples et au lecteur). Une série d’annexes (plans de l’évangile,
titres de majesté, tableaux synoptiques), un index et une bibliographie
apportent un complément fort utile et facilitent le suivi des argumentations. La
problématique et la démarche suivie sont clairement indiquées et, à chaque
étape, une conclusion ressaisit les principaux acquis.
Un intérêt majeur de cette thèse est d’avoir perçu qu’il appartient à la
caractérisation du personnage de Jésus d’être ou de ne pas être reconnu, et
d’avoir réfléchi sur la question de l’identité de Jésus en tenant compte du fait
que cette identité se dit dans une relation. Un pas de plus pourrait être
accompli en serrant de plus près l’évolution de la relation Jésus-disciples, en
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et témoigne de l’attention de l’auteur à une réflexion méthodologique.
Chaque chapitre, ensuite, est centré sur un personnage particulier : les
personnages féminins, les disciples, les foules, les autorités juives, les
personnages « mineurs », c’est-à-dire ces personnages qui apparaissent à
un moment dans le récit pour ne plus réapparaître, tels la veuve pauvre, la
Syrophénicienne, etc. Dans tous les cas, ces personnages sont étudiés dans
la complexité de leur caractérisation et dans leur relation au lecteur implicite.
Différents articles ont donc été réunis, mais sans grand travail de réécriture.
Le mérite de ce « petit » livre est de rassembler quelques contributions
importantes sur les personnages dans l’évangile de Marc et de fournir à ceux
qui le souhaiteraient une bonne introduction à l’approche narrative d’un récit.
15. Le livre de Patrice ROLIN Les controverses dans l’évangile de Marc est
la version remaniée d’une thèse élaborée sous la direction de François
Vouga. L’auteur étudie les controverses et les dialogues didactiques de Marc
2,1-3,6 et 11,27-12,44. Il le fait selon une approche historico-critique, de
manière relativement scolaire : délimitation de la péricope et description de la
forme, analyse littéraire, histoire de la tradition, rédaction marcienne. Le
travail repose en grande partie sur des analyses statistiques et conduit à des
résultats formulés avec prudence, comme des hypothèses et avec beaucoup
de conditionnels, de « peut-être » et de « sans doute ». L’auteur tire égale-
ment des conclusions au niveau de l’ensemble de l’évangile de Marc.
L’évangéliste « écrirait dans une situation où pour certains chrétiens hellé-
nistiques cultivés l’Évangile (sic) a cessé d’être problématique. Son entre-
prise viserait à mettre en crise le consensus confortable de ces milieux ».
L’hypothèse n’est pas nouvelle.
Mais l’auteur ne se limite pas une étude de l’histoire de la rédaction. Il veut
également « montrer » les liens étroits qui unissent les controverses et les
dialogues didactiques, aux stratégies narratives de Marc et à sa perspective
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destinataire, réalité que Marc « présente (ou impose) à son lecteur à travers
la composition de son évangile ».
La première partie vise à préciser le genre littéraire, le Sitz im Leben et
l’intention de l’évangéliste Marc. Les trois chapitres qui composent cette
partie ne sont pas un travail de première main, mais présentent l’état des
travaux sur ces questions. L’auteur arrive à la conclusion suivante : « Par
l’emprunt de genres et de traditions issues de deux cultures différentes, Marc
a réussi un amalgame entre une présentation biographique de Jésus, qui
s’apparente aux bioi hellénistiques, et différentes influences de la littérature
juive, principalement d’ordre prophétique et apocalyptique » (p. 110). Il est un
prophète qui écrit une « vie de prophète » (p. 164), afin de légitimer un style
d’existence communautaire.
La deuxième partie s’intitule « La Règle de vie de la communauté » et
présente une analyse socio-rédactionnelle de Mc 8,22-10,52. D’autres intitu-
lent cette section : « En chemin vers Jérusalem » et proposent donc une
autre interprétation. Le lecteur de la thèse de Bonneau suppose que c’est
l’intérêt de l’auteur pour la reconstitution de la communauté marcienne qui l’a
conduit à faire de l’étude de cette section un test pour vérifier le bien-fondé
des hypothèses émises dans la première partie. La structuration, retenue
sans plus d’arguments, repose sur les deux récits de guérison d’aveugles qui
l’encadrent et sur les trois annonces de la Passion qui rythment la progres-
sion du récit. Entre ces trois annonces, trois leçons de Jésus à ses disciples,
soit sous forme d’enseignement, soit sous forme de « déplacement ». Les
trois séries de leçons sont analysées selon une grille bien précise :
— discrimination des éléments traditionnels et rédactionnels,
— analyse socio-littéraire permettant de repérer les interventions du
rédacteur à partir des codes, techniques et conventions littéraires identifiées
dans la première partie de la thèse.
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voit s’évanouir la vitalité qui, naguère encore, animait sa communauté. La
saveur charismatique, la liberté et l’accessibilité des manifestations et des
révélations spirituelles, l’accueil des petits, ainsi que l’intransigeance de
l’engagement à la suite du Seigneur sont autant d’éléments auxquels le
prophète Marc demeure attaché. Cependant, ces éléments sont compromis,
en partie du moins, par l’institutionnalisation et par la lutte pour le pouvoir qui
en découle » (p. 323). Les conclusions de l’auteur ainsi formulées rejoignent
celles d’autres auteurs, par exemple celles de J.R. Donahue cité dans la
dernière page du livre.
La thèse de Guy Bonneau vise à dégager « l’intention du rédacteur » et à
mettre en lumière la relation qui se construit avec un groupe lecteur par le
médium du récit. En cela son travail s’inscrit dans la ligne des études qui
prêtent attention à l’instance d’énonciation du discours. L’approche qu’il a
choisie est la « critique de la rédaction » qu’il croise avec une approche
socio-historique, essentiellement, et, dans une moindre mesure, avec des
éléments (tel le point de vue) empruntés à l’analyse narrative. On retrouve
avec ce travail le problème méthodologique souligné dans la présentation du
livre de Patrice Rolin (mais la thèse de Guy Bonneau est d’une qualité bien
supérieure). Il est vrai que les ruptures de couches rédactionnelles témoi-
gnent du travail du rédacteur et donc d’une intentionnalité. Il est possible que
« des perturbations du langage ou du comportement, des opacités, des
aphasies ou des fuites sont toujours présentes, à différents niveaux, dans un
texte narratif » et qu’elles renvoient à « des crises ou des apories dans le réel
socio-historique » (p. 56-57). Il ne me semble pas exact d’écrire que ces
éléments sont « des traces laissées volontairement par l’auteur pour que le
lecteur le rejoigne et le suive dans la mise en place des fonctions assignées
à l’écrit » (p. 57). La notion de point de vue n’est pas non plus sans rapport
avec l’instance de l’énonciation. Mais identifier purement et simplement Marc,
rédacteur, auteur réel, auteur implicite, narrateur ou narrataire, lecteur
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Redaction criticism », est synchronique (p. 18), nous dit l’auteur. Ainsi, la
péricope (12,28-34) est d’abord située dans son contexte et brièvement
présentée dans sa forme et sa structure. L’auteur se livre ensuite à une
longue et, souvent, austère analyse de l’épisode, verset par verset. Chaque
mot des commandements est analysé pour lui-même et mis en relation avec
ses autres occurrences dans l’Évangile. Ainsi, par exemple, l’appel à écouter
du Shema cité par Jésus est mis en relation avec la voix céleste de la
Transfiguration qui dit : « Écoutez-le ».
L’auteur conclut que Marc, à partir de la compréhension vétéro-
testamentaire des commandements de l’amour de Dieu et du prochain, opère
un élargissement de l’horizon de signification de ces commandements au
niveau du contenu, des modalités et de l’objet de l’amour. Marc inclut ainsi
dans l’obéissance aux commandements de Dieu — qu’il identifie au
Décalogue — l’obéissance aux « commandements » de Jésus. Ensuite,
l’écoute et l’obéissance sont étendues aux paroles et instructions de Jésus
(cf. 9,7) qui devient également l’objet de l’amour : dans l’évangile de Marc
« Jesus-as-object-of-absolute-obedience is identical to God-as-object-of-
integral love » (p. 183). Enfin, le commandement de l’amour du prochain est
relié au commandement de l’amour de Dieu et la notion de prochain élargie
à tout homme. La lecture est résolument christologique, mais toutes les
analyses qui conduisent à ces conclusions mériteraient plus de nuances.
Keerankeri fonde également sa lecture christologique des deux comman-
dements sur la fin de l’épisode (12,34). L’évaluation positive de la réaction du
scribe par Jésus souligne sa proximité du Royaume de Dieu. Pour l’auteur,
Jésus invite implicitement le scribe à faire un pas de plus pour accéder au
Royaume. L’enjeu de cette avancée est la reconnaissance de la messianité
de Jésus. Un dernier chapitre montre à travers la lecture de la Passion
comment Jésus a vécu ce qu’il a enseigné en accomplissant les comman-
dements de l’amour de Dieu et du prochain.
106 J. MILER
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