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BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE

Bernard Sesboüé

Centre Sèvres | Recherches de Science Religieuse

2011/1 - Tome 99
pages 135 à 160

ISSN 0034-1258

Article disponible en ligne à l'adresse:


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Pour citer cet article :


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Sesboüé Bernard , « Bulletin de théologie Patristique grecque » ,
Recherches de Science Religieuse, 2011/1 Tome 99, p. 135-160.
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BULLETIN

BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE

par Bernard Sesboüé


Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris

I. Le IIe siècle : Pères apostoliques et apologètes. La Gnose (1-6)


II. Le IIIe siècle : Clément et Origène (7-8)
III. Le IVe siècle : Eusèbe, Athanase, Basile, les deux Grégoire (9-17)
IV. À partir du Ve siècle : Jean Chrysostome, Cyrille d’Alexandrie
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et autres (18-22)
V. Histoire et Théologie des Pères (23-28)

I. Le IIe siècle :
Pères apostoliques et apologètes. La Gnose.

1. Bengt Holmberg (éd.), Exploring Early Christian Identity, « Wissenschaftliche


Untersuchungen zum Neuen testament 226 », Mohr Siebeck Tübingen, 2008,
206 pages.
2. Odes de Salomon, trad. par Joseph Guirau et A.-G. Hamman, intr. et notes
de A.-G. Hamman, « Les Pères dans la foi », Migne, Paris, 2008, 114 pages.
3. M. C. Steenberg, Irenaeus on Creation. The Cosmic Christ and the Saga of
Redemption, Brill, Leiden/Boston, 2008, 244 pages.
4. Donna Singles, L’homme debout. Le Credo de saint Irénée, Cerf, Paris,
2008, 160 pages.
5. Cyril Pasquier, Aux portes de la gloire. Analyse théologique du millénarisme
de saint Irénée de Lyon, « Studia oecumenica friburgensia 50 », Academic
Press Fribourg, 2008, 174 pages.
6. Pseudo-Justin, Ouvrages apologétiques, Exhortation aux Grecs (Marcel
d’Ancyre ?) ; Discours aux grecs, Sur la monarchie, intr., texte grec, trad. et notes
par B. Pouderon avec la coll. de C. Bost-Pouderon, M.-J. Pierre et P.  Pilard,
« Sources chrétiennes 528 », Cerf, Paris, 2009, 430 pages.

1. B. Holmberg édite une série de contributions portant sur une Exploration de


l’identité chrétienne ancienne. Il s’agit des cent premières années du mouvement
des « croyants au Christ », à cheval sur les Ier et IIe siècles. L’éditeur pose au départ
plusieurs préalables : définition première de ce mouvement à partir d’un certain
nombre de caractéristiques ; vérification du vocabulaire qui parle de « chrétiens »

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et de « Juifs », jugé par certains chercheurs anachronique car ces deux termes
n’ont pas le sens qu’on leur donne aujourd’hui. De fait, le langage préférentiel
choisi sera celui de « Judéens » et de « Christ-believers ». Enfin la notion d’identité
vaut d’abord d’une personne et n’est appliquée à un groupe ou à une commu-
nauté que de manière analogique, pour lesquels on retiendra surtout le « profil
social reconnaissable » : mémoire donatrice, « mythe », rites et comportements
qui distinguent les membres de la communauté du monde extérieur. De plus, toute
identité oscille entre l’héritage reçu (identité passive) et la tâche à réaliser (identité
active). Dans ce cadre le livre ouvre six fenêtres sur les cent premières années du
« mouvement du Christ ».
S. Byrskog va de la mémoire à l’identité à partir de la manière dont les évan-
giles racontent la mémoire du mouvement de Jésus. L’identité des croyants au
Christ tient à leur confession du Seigneur, Jésus de Nazareth, c’est-à-dire à leur
christologie.
A. Runesson se concentre sur trois « inventeurs » de l’identité chrétienne : Paul,
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Ignace d’Antioche et Théodose Ier, et revient sur la question des vocabulaires : le

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mouvement chrétien était à son origine un « Judaïsme apostolique » qui compre-
nait des Juifs et des gentils. Mais ceux-ci, devenus « croyant au Christ », devin-
rent au IIe siècle des « proto-chrétiens », religion émergeant comme un nouveau
phénomène dans l’histoire. Paul a joué un rôle décisif dans la prise de conscience
de l’identité religieuse de ceux qui croient au Christ, au-delà de toute identité eth-
nique. Avec Ignace d’Antioche le proto-christianisme ne peut plus être qualifié de
judaïsme. En 380 Théodose décide que le christianisme de Nicée serait la religion
de l’empire à l’exclusion de toute autre forme de religion, étape capitale du déve-
loppement social et politique de l’identité chrétienne.
R. Roitto cherche à rendre compte de l’identité du premier mouvement du Christ
à partir de ses normes de comportement. Cette « approche cognitive » cherche
à dégager une structure cohérente de compréhension du lien entre l’identité « en
Christ » et la dynamique sociale.
M. Tellbe propose un prototype du croyant au Christ au cours de la formation de
la première identité chrétienne à Ephèse. Cette ville a vu vivre à la fin du Ier siècle
différents groupes chrétiens, pauliniens, johanniques et autres, dont les textes
permettent d’identifier des prototypes variés et d’y détecter en même temps des
conflits et une communauté de foi et de pratique. La distinction entre commu-
nauté et « orthodoxie » s’appuie sur le livre déjà ancien de Bauer (mais traduit
en anglais en 1971) et semble ignorer l’ouvrage beaucoup plus récent de A. Le
Boulluec sur le même sujet (cf. RSR 76 [1988]), p. 607-610).
R. Thorsteinsson étudie les documents romains du mouvement du Christ et ana-
lyse leur idéal moral sur l’amour du prochain. On a dit que c’était le trait qui avait
contribué au développement d’un christianisme attractif. L’auteur réfute l’idée
que cet enseignement aurait été nouveau, alors que ce succès est dû à sa res-
semblance fondamentale avec l’enseignement établi de l’école stoïcienne dont le
point de vue est plus universel. Le stoïcisme a pavé la voie au succès du christia-
nisme qui n’aurait introduit aucune innovation morale.
La dernière fenêtre surprendra. F. Ivarsson réfléchit sur les stéréotypes de mas-
culin et d’efféminé dans les lettres de Paul. Seuls les croyants au Christ seraient

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vraiment virils. La masculinité jouerait un rôle stratégique dans la construction


paulinienne de l’identité chrétienne.
B. Holmberg tire quelques conclusions à partir des couples incontournables
d’un tel sujet : unicité et identité, mémoire et identité, ethnicité et identité, unité et
diversité. Ce livre, intelligent, suggestif et parfois risqué (le rôle dévolu à Théodose
Ier n’est pas à sa place ici et nous paraît très exagéré), cherche à débrouiller les
divers aspects d’un problème très complexe, sans pour autant le résoudre.

2. Le regretté P. Adalbert Hamman, o.f.m., qui a travaillé toute sa vie avec une
immense énergie pour publier de manière accessible des traductions des œuvres
des Pères de l’Église, nous livre de manière posthume celle des Odes de Salomon,
dans la collection qu’il a fondée et développée sous des titres divers. On peut y
voir une sorte d’inclusion de son œuvre, puisque ces mêmes Odes introduisaient
en 1957 le premier volume qu’il lançait sous le titre Naissance des Lettres chré-
tiennes. Il se réjouissait de ce que cette première parution ait été une « véritable
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révélation pour le grand public ». Aujourd’hui il propose une refonte complète de

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cette traduction qui tienne compte des améliorations apportées au texte syriaque
à travers un demi-siècle de travaux et d’éditions critiques. Il a accompli ce travail
avec le concours de J. Guirau pour la traduction.
L’introduction ne résout évidemment pas le mystère de l’auteur, qui a écrit,
selon l’opinion actuelle, en syriaque. Le milieu théologique est judéo-chrétien, non
gnostique, sinon au sens qu’Irénée donnait à la vraie gnose. Un certain nombre
de rapprochements s’imposent et permettent d’éclairer le texte : les documents
de Qumrân, le milieu johannique, l’influence des Psaumes. Au plan doctrinal on
y trouve non pas un exposé catéchétique mais des références « chantées » à
presque tous les points du Credo : doctrine trinitaire, création par le Verbe, christo-
centrisme où l’incarnation est vue comme un abaissement et une exaltation, sym-
bolique de la croix cosmique, maternité virginale de Marie, victoire sur le Dragon
et insistance sur la descente aux enfers. La théologie syrienne d’Ephrem puisera
plus tard aux mêmes sources que les Odes. Les allusions à la liturgie baptismale
sautent aux yeux, sans qu’il s’agisse proprement d’hymnes baptismales. Ce poète
est aussi un mystique qui chante l’expérience de sa foi. La traduction est simple,
vivante et plus imagée que la précédente, sachant transposer le jeu des évoca-
tions. L’annotation, malheureusement placée à la fin des textes, est précise et
précieuse pour la compréhension. Enfin deux autres textes d’inspiration proche
sont donnés en appendice : « Le chant de la perle » et le quatorzième poème de
Qumrân. Ce petit ouvrage fait honneur à la mémoire du P. Hamman.

3. Irénée et la création, le Christ cosmique et le récit de la rédemption, le titre


du livre de M. C. Steenberg, indique le cadre de son essai : reconnaître toute la
place de la création dans la théologie d’Irénée, sans l’isoler de sa préoccupation
première pour le salut de l’homme. La création est, dans la pensée de l’évêque,
inséparable de son millénarisme, car le commencement et la fin des temps se
correspondent, selon la réciprocité du commencement et de la fin. Une phrase
est ici capitale : le récit de la création « est à la fois un récit du passé, tel qu’il se
déroula, et une prophétie de l’avenir : en effet, si “un jour du Seigneur est comme

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mille ans” et si la création a été achevée en six jours, il est clair que la consom-
mation des choses aura lieu la six millième année » (CH V, 28,3). Toute l’histoire
du salut est inscrite en filigrane dans le récit des jours de la création et les pre-
miers chapitres de la Genèse (1-11). Cette lecture de l’œuvre d’Irénée interprète
sa sotériologie du côté de l’amont et de la prophétie, pour rejoindre le fondement
cosmique du dessein de Dieu. L’auteur parle ainsi du « créationnisme » consistant
d’Irénée, terme qu’il faut prendre au sens d’une structuration forte du projet d’Iré-
née dans la donnée de la création. Que la création soit au centre de la théologie
d’Irénée est en un sens une erreur, car ce centre, c’est l’homme, vers lequel toute
la création est orientée. Mais la cosmologie est inséparable de la sotériologie dans
l’édifice d’une création anthropocentrique. L’homme qui en est le but dernier est le
Verbe incarné, le Christ. Tel est le dessein de l’ouvrage qui prend en compte pour
comparaison les sources contemporaines parallèles, gnostiques, juives, et surtout
apologètes (Théophile d’Antioche, Justin, Barnabé, Hippolyte).
La création est bonne, car elle a pour motivation la bonté même de Dieu : le
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Créateur veut créer, de même que le Sauveur veut sauver. La bonté de Dieu

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comme créateur se révèle dans l’incarnation du Fils, sommet de la volonté du
Père. Irénée insiste beaucoup sur la création ex nihilo, contre les gnostiques parti-
sans d’un dualisme venant d’une matière préexistante. L’eschatologie millénariste
appartient à cette même histoire et informe le récit de la création lui-même. Car le
Fils est à la fois créateur et rédempteur, alpha et oméga, fondement et perfection
de la création. Le cosmos est l’œuvre des deux mains de Dieu, c’est-à-dire le Fils
et l’Esprit, thème hérité des psaumes (119,73 ; 80,14-15 ; Job 10,8-9). La création
a donc une portée trinitaire, (même si le mot est absent), œuvre commune dans
laquelle chacun joue un rôle original : le Père est celui « de qui », le Fils celui « par
qui » et l’Esprit est enfin celui qui achève la création. Mais le Père est seul à être
nommé Créateur, car il est seul Père. Cette distinction dans la création se retrouve
dans l’économie de la rédemption. Irénée aime à analyser la chronologie des six
jours qui correspondent aux six mille ans de l’histoire, de même que le jour de la
désobéissance et de la mort d’Adam sera aussi le jour de la mort du Seigneur,
récapitulant par son obéissance la mort de l’humanité. Les jours de la création
inaugurent la rédemption, car la croix cosmique est imprimée dans tout l’univers.
Si les animaux de la création sont au départ herbivores et que la nature est sans
violence, cette étape doit avoir sa correspondance à la fin des temps. Au cœur
de cette création se trouve celle de l’homme, porteur de l’image du Fils incarné.
« Dans les temps antérieurs on disait bien que l’homme avait été fait à l’image de
Dieu, mais cela n’apparaissait pas, car le Verbe était encore invisible, lui à l’image
de qui l’homme avait été fait » (CH V, 16,2). L’incarnation est donc venue révéler
le sens dernier de l’image. La composition de l’homme fait de lui un être de chair,
vivant par son âme, élément immortel en relation avec le Saint-Esprit. Le vrai para-
dis de l’humanité est eschatologique. Adam et Eve sont des enfants orientés vers
la perfection de la fin (telos). La transgression de l’humanité transforme le cours de
l’histoire qui s’annonçait. La chute a été le fruit du désir d’une connaissance déso-
béissante à un interdit. Mais la tentation d’Adam sera récapitulée par l’attitude
du Christ lors de ses tentations au désert. La motivation du mal était la jalousie
et par la chute l’être même de l’homme a été altéré. Le péché, commis par pro-

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vocation et immaturité, a modifié la réalisation de cette économie de perfection,


car la désobéissance a introduit la mort. Mais l’humanité humble et repentante
et la grâce de Dieu montrent que l’économie n’est pas détruite. Le témoignage
de l’incarnation est capital pour le potentiel positif maintenu après l’Eden. C’est
donc toute l’histoire du salut, avec son accomplissement eschatologique qui se
trouve récapitulée de manière prophétique dans les premiers récits de la Genèse.
Pour Irénée création et salut sont quasi synonymes. Dieu conduira son œuvre à
la perfection et à la victoire, malgré les entraves que le mal jaloux vient dresser
contre son plan. Les récits protologiques présentent le rapport divinement inspiré
de l’origine de l’unique économie du salut de l’humanité. Remercions l’auteur de
cette contribution ou la richesse des analyses et de l’érudition est équilibrée par
une visée synthétique qui constitue un apport nouveau à la théologie irénéenne
de la récapitulation.

4. D. Singles, élève à Lyon de Maurice Jourjon, puis professeur de théologie


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dans la même Faculté, était devenue une vraie spécialiste d’Irénée. Mais elle

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n’avait pu avant sa mort mettre la dernière main à cet ouvrage, L’homme debout.
Le Credo de saint Irénée, dans lequel elle voulait faire connaître au grand public
les secrets de la pensée de l’évêque de Lyon. Le livre paraît de manière pos-
thume grâce à I. Granstedt. Après une présentation rapide du contexte historique
de la fin du IIe siècle marqué par la gnose, le livre commente successivement
les grandes affirmations du Symbole des apôtres avec les pensées et les textes
d’Irénée. Le premier article présente la création comme une symphonie inache-
vée, réalisée par les deux mains de Dieu ; la création de l’homme image de Dieu,
inscrite dans sa chair modelée avec tendresse par ces mêmes mains ; de l’homme
en croissance qui est à la fois corps, « âme vivante » ou souffle habité par l’Es-
prit. Le second article célèbre l’incarnation du Verbe qui s’est fait cela même que
nous sommes pour faire de nous cela même qu’il est ; le Verbe en recherche de
la compagnie des hommes ; le Christ, né de la Vierge, s’accoutumant à eux pour
les accoutumer à lui ; menant le combat du rachat de l’humanité ; révélant sur sa
croix la croix cosmique qui embrasse l’univers ; le Christ Sauveur et récapitulateur,
descendu aux enfers pour apporter le salut à toutes les générations qui l’ont pré-
cédé ; le Christ ressuscité enfin. Le troisième article confesse l’Esprit Saint, notre
« communion avec le Christ » qui nous conduit vers le Père et vit dans la sainte
Église, gouvernée par ceux que les apôtres ont établis à leur place, leurs succes-
seurs qui doivent allier à la connaissance intégrale des Écritures le bel exemple de
la conduite. L’auteur célèbre, à l’instar d’Irénée, l’homme, fragile enfant au départ
mais vivant, l’homme libre et promis à l’incorruptibilité, bref l’homme vivant qui est
la gloire de Dieu et dont la vie consiste à voir Dieu. De manière très accessible ce
livre de première main est une introduction fine et « goûteuse » à la pensée d’Iré-
née, qui n’oublie pas le point de vue de l’actualisation. On peut regretter que l’au-
teur n’ait pas choisi comme texte de référence une des nombreuses formules de
foi données par Irénée, lui-même maillon important dans la genèse des Symboles
de l’Église ancienne. Sans doute est-ce un souci pédagogique qui l’a poussée à
partir d’un texte que le lecteur connaît par cœur.

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5. C. Pasquier s’est intéressé au secteur le plus délicat de la théologie d’Irénée,


et rarement analysé pour lui-même, le millénarisme, avec son livre Aux portes de
la gloire. Analyse théologique du millénarisme de saint Irénée de Lyon. L’intention
est à la fois historique et doctrinale. L’auteur entend montrer que la pensée iré-
néenne sur ce point, loin d’être une hérésie grossière, est une doctrine « raison-
nable, fiable, intégrable dans le corpus dogmatique de la foi de l’Église ». Il rend
compte justement de la « chronologie » irénéenne des eschata : l’apostasie de
l’Antéchrist ; la parousie du Christ qui vient ressusciter les justes d’une première
résurrection encore corporelle ; inauguration du temps du regnum justorum, pen-
dant une durée de mille ans, qui correspond au septième millénaire ; enfin le juge-
ment dernier ou général, moment de la seconde résurrection pour les uns et de
la seconde mort pour les autres, apparition des cieux nouveaux et de la terre
nouvelle, c’est-à-dire du Royaume des cieux. Le temps du royaume terrestre des
justes est un temps d’accoutumance et de préparation au royaume des cieux. Ce
millénarisme littéral n’est pas un fondamentalisme. L’argumentation scripturaire
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d’Irénée est alors analysée.

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Tout ce livre est marqué par l’intrépidité de l’auteur et à ce titre il est sympa-
thique. Mais on aurait aimé que celui-ci s’investisse plus avant dans la significa-
tion du millénium chez Irénée, dont nous lui concéderons volontiers qu’il n’a rien
de grossier et qu’il appartient bien à la grande fresque de l’histoire du salut du
théologien. Mais de là à le présenter comme le cœur ou le sommet de la pensée
irénéenne, il y a un pas qu’il est difficile de franchir et que l’appel récurrent à la
« mise en abyme » ne suffit pas à prouver. L’analyse des argumentations scriptu-
raires n’est pas sans valeur, mais elle ne montre pas que, dans cette section
comme dans toute l’œuvre, le but poursuivi par l’évêque est de prouver l’accord
des deux Testaments : les eschata prouvent contre les gnostiques l’unité d’un seul
Dieu et d’un unique Christ. Il est aussi trop facile de dire qu’Irénée enchaîne les
thèmes ou les textes selon la logique enfantine du « Marabout – bout d’ficelle
– selle de cheval… ». Il y a toujours une intention derrière les rapprochements
apparemment les plus verbaux. Le concept de tradition utilisé par l’auteur est
plus moderne qu’irénéen. Peut-on dire que l’antéchrist « récapitulera, si l’on peut
dire, le Christ » ? Il s’agit d’une récapitulation antithétique, celle du mal dans l’his-
toire du monde. Chez Irénée les frontières du symbolique et du réel ne sont pas
les mêmes que pour nous. Nous croyons plus heureuse l’intégration entre créa-
tion, salut et eschatologie proposée ci-dessus par M.C. Steenberg. La seconde
et la troisième partie, comparaison et synthèse, posent un léger problème, car on
ne compare pas la réflexion d’un homme avec le « magistère en général ». Dire
qu’Irénée « s’engouffre en quelque sorte dans l’interstice ouvert par le magistère »
est anachronique, si l’on pense à l’état de celui-ci au IIe siècle. Si le millenium iré-
néen peut être justifié, c’est dans le cadre de sa théologie personnelle, étant bien
admis qu’il appartient à un autre âge culturel et que le millénium, sorte d’intermé-
diaire entre le monde terrestre et le monde de la résurrection définitive, lui pose les
mêmes difficultés qu’à nous. Le millénium est à la fin le pendant du paradis ter-
restre au début. La comparaison entre millenium et purgatoire doit être prise avec
beaucoup de précaution. Mais cet ouvrage a raison d’attirer notre attention sur la
portée doctrinale de l’eschatologie irénéenne et fourmille de notations judicieuses.

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6. Sous le nom de Justin, nous sont parvenus une série d’ouvrages postérieurs au
IIe siècle. Puisqu’ils revendiquent ce patronage et témoignent de certains archaïsmes,
nous en parlons au terme de la section consacrée à ce siècle. B. Pouderon avec
l’équipe de chercheurs qu’il a animée, a rassemblé dans ce volume, sous le titre
Ouvrages apologétiques, trois de ces écrits. L’introduction présente la constitution
de ce corpus apologétique pseudépigraphe, ses attestations d’Eusèbe à Photius,
sa tradition manuscrite et ses premières éditions au XVIe siècle.
La Cohortatio ad graecos, est le document le plus long qui comprend : une refu-
tatio dénonçant les erreurs païennes, riche d’informations sur la tradition doxogra-
phique des philosophes grecs ; une expositio ou démonstration de la supériorité
des prophètes juifs, de leur inspiration divine et de leur antériorité, en particulier de
Moïse (avec la citation répétée de Ex 3,14) ; et une argumentatio ou « synthèse » qui
récupère au bénéfice de la foi chrétienne la tradition grecque grâce à la thèse de
l’emprunt, illustrée par une nouvelle séquence de textes. Par exemple, l’anthropo-
morphisme des dieux grecs serait une perversion de l’enseignement de la création
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de l’homme à l’image et à la ressemblance de Dieu. La péroraison est une exhor-

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tation (cohortatio) à la conversion au christianisme. La date de la composition de
l’ouvrage s’inscrit entre la publication de la chronique de Julius Africanus qu’il utilise
et Cyrille d’Alexandrie qui le cite. L’ambiance littéraire évoque Eusèbe. C’est l’œuvre
d’un lettré formé dans la rhétorique, à la fois héritier de la culture hellénique et de
la tradition juive. Il est un partisan de la theôria, étude attentive du sens caché des
Écritures, plus que de l’allegoria, et sa théologie est très monarchienne, indices per-
mettant avec vraisemblance une attribution à Marcel d’Ancyre. Le livre a connu une
diffusion dès le Ve siècle et son attribution à Justin est acquise au VIe.
L’Oratio ad Graecos est un discours polémique peu original contre la religion
grecque. Son auteur y proclame sa « défection » de la religion païenne et la justifie
par les témoignages des poètes (Homère, Hésiode et les tragiques) qui attestent
les mœurs scandaleuses des dieux, imitées dans les fêtes des hommes. Nous en
possédons deux versions, l’une en grec sous le titre Pros Hellènas qui représente
l’original et une autre en syriaque intitulée Hupomnèmata, adaptation de la précé-
dente. L’éditeur du volume donne cette dernière avec sa traduction à la suite du
texte grec. L’ouvrage est antérieur à la fin des persécutions, et suit sans doute de
peu la diffusion des œuvres de Clément et d’Origène dont il manifeste l’influence.
La version syriaque attribue l’ouvrage à un certain Ambrosios dont on ne sait s’il en
est l’auteur ou l’adaptateur.
Le De Monarchia est un ouvrage médiocre, fait principalement de citations d’au-
teurs grecs qui témoignent de l’unicité divine. Ce centon fait appel à des textes
d’Eschyle, Sophocle, Philémon, Euripide, Orphée, Pythagore, du Timée de Platon
et de Ménandre, pour finir sur une citation d’Homère. Le texte fut très tôt attribué
à Justin. Son auteur reste inconnu et le débat sur sa datation très ouvert, entre la
fin du IIe siècle et les années 311/312. Il n’est pas impossible que cette compila-
tion ait été le fait d’un Juif hellénisé, reprise par un polémiste chrétien. L’édition de
B. Pouderon a tenu à privilégier la tradition textuelle au détriment des conjectures
des divers éditeurs qui se sont penchés sur ces textes. Le volume contient aussi
le texte syriaque du témoignage de Mar Shahdost, sur l’histoire de la traduction
des Septante, un long appendice sur l’origine des séquences de citations et leur

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logique argumentative, et enfin une série de notes complémentaires avant les index
d’usage. Cet ouvrage, chargé d’une grande érudition, porte sur des textes impor-
tants pour l’histoire des idées et des relations entre christianisme et hellénisme au
seuil de la conversion de l’empire.

II. Le IIIe siècle : Clément et Origène

7. Michel Cambe, Avenir solaire et angélique des justes. Le psaume 19 (18)


commenté par Clément d’Alexandrie, « Cahiers de Biblia Patristica 10 »,
Université de Strasbourg, 2009, 216 pages.
8. Origène, Commentaire sur l’épître aux Romains, t. 1 (Livres I-II), texte cri-
tique établi par C.P. Hammond Bammel, Intr. par M. Fédou, trad., notes et index
par L. Brésars, « Sources chrétiennes » 532, Cerf, Paris, 2009, 458 pages.
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7. Sous le titre Avenir solaire et angélique des justes, M. Cambe propose le texte
grec, la traduction et une importante analyse d’une section des Eglogues pro-
phétiques où Clément d’Alexandrie commente le psaume 19 (18). Sur l’origine de
cette œuvre mineure de Clément, qui attire aujourd’hui l’attention, le chercheur
privilégie l’hypothèse de P. Nautin, qui voit dans cet écrit des extraits pratiqués par
un copiste du IIIe siècle à partir d’un texte de Clément faisant suite aux Stromates.
Le développement particulier concernant le Ps 19 constitue une section à part :
c’est un « choix » fait chez le prophète David, le « grand parolier de la prière chré-
tienne », qui nous donne un témoignage intéressant de l’exégèse alexandrine et
spirituelle avant Origène et de l’exégèse psalmique chez Clément. Le commen-
taire est présenté en trois parties : 1) Les acteurs célestes de la louange de Dieu,
c’est-à-dire les anges « premiers créés » (protoctistes), ou les sept anges supé-
rieurs qui président à la suite de la création. Le Logos lui-même est appelé pro-
toctiste, parce qu’il est engendré avant l’étoile du matin selon le Ps 110. Ces sept
anges ne sont pas sans rapport avec l’Esprit Saint septiforme. 2) La partie centrale
du commentaire s’attarde sur la formule : « Dans le soleil il a établi sa tente » et
développe une large symbolique solaire. Pour le commentateur il s’agit d’abord
du Christ qui à la fin des temps, terme de sa course solaire, se reposera dans
son Église devenue « héliomorphe » ; ensuite c’est Dieu lui-même qui se repose
dans les proctoctistes. La formule psalmique est successivement commentée au
futur, interprétation ecclésiale et eschatologique, car au moment de la parousie le
Christ établira la Tente-Église dans le soleil ; puis au passé où il s’agit des anges en
marche vers leur établissement définitif (apocatastase en un sens spécial) auprès
des protoctistes. Les âmes des justes (gnostiques) parviennent à un état propre-
ment angélique où l’on ne prend ni femme ni mari (cf. Lc 20,35) et accèdent même
à la nature  protoctiste des anges. Car anges et justes ont une même vocation
solaire avec le Christ, « soleil levant » et « soleil de justice ». 3) Le peuple davi-
dique, serviteur du Seigneur qui est à la fois Loi et Logos, prie pour être pur à
l’exemple de David lui-même. La conclusion revient sur le travail de l’abréviateur
dans le texte des Eglogues, tel qu’il nous est parvenu. Une annexe étudie deux

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BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 143

autres interprétations de psaumes dues à Clément. Ce bref aperçu rend compte


d’une étude très fouillée sur le psaume lui-même et le commentaire de Clément,
qui tient compte des nombreux parallèles juifs, bibliques et chrétiens du thème
solaire. L’éditeur navigue allègrement dans cette forêt de symboles sursaturés.
Peut-être se laisse-t-il trop aller à la transcription des mots grecs au lieu de les
traduire.

8. Les « Sources chrétiennes » commencent la publication de la traduction du


Commentaire d’Origène sur l’épître aux Romains. Ce premier volume contient une
substantielle introduction de M. Fédou, le texte critique établi par C. P. Hammond
Bammel, et la traduction des deux premiers livres, avec notes et index de L. Brésard.
L’introduction situe ce commentaire dans l’œuvre d’Origène, grand admirateur de
Paul en qui l’alexandrin « a trouvé le principe de sa propre exégèse » spirituelle,
admiration qui se redouble pour l’épître aux Romains, sommet de l’enseignement
de l’apôtre. Mais la traduction qui nous reste du commentaire est de Rufin (vers
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405-406) dont on sait les libertés qu’il prend avec le texte originel (coupes, résu-

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més, compléments, etc.). M. Fédou, après avoir signalé les fragments grecs à notre
disposition, fait un point précis de la question de la fiabilité du traducteur sur la
base des études récentes qui se sont penchées sur elle, grâce à des comparai-
sons précises avec des textes grecs traduits par Rufin et que nous avons conser-
vés : les auteurs évoluent entre une sévérité assez grande (V. Buccheit parle d’un
« faussaire ») et une appréciation très positive (G. Bardy, M. Wagner, A. Jaubert),
sinon quant au texte lui-même, mais quant au respect de la pensée origénienne (H.
Görgemann, H. Krapp, E. Junod). L’étude plus récente d’A. Grappone (cf. RSR 97
[2009], p. 112-113) confirme cette position. Le jugement de J. Scherer est sensible-
ment plus sévère, mais il est corrigé par H. Chadwick. La conclusion ne peut donc
qu’être prudente, même si on peut faire une réelle confiance au contenu origénien
du texte dont nous disposons. La même prudence est requise sur la manière dont
Rufin a « suppléé » aux tomes qui lui manquaient du commentaire d’Origène.
L’analyse théologique du Commentaire tire ses clés de lecture de la préface
même d’Origène. Dans cette oeuvre dirigée contre Marcion, l’Alexandrin prend
le plus grand soin de clarifier les mots et expressions qui ne sont pas clairs et se
heurte au grand nombre de questions abordées par l’apôtre. Il fait le point des dif-
férents sens du terme de loi : loi naturelle, lois humaines, loi de Moïse, loi du Christ,
mais il refuse de discréditer la loi de Moïse au profit de l’Évangile. Bien entendu,
conformément à son penchant pour l’exégèse spirituelle, il distingue la circonci-
sion charnelle de la circoncision spirituelle. Sa théologie du péché « d’origine »
professe clairement son universalité et sa présence dans les petits enfants que
l’Église baptise, mais estime que sa transmission ne se réfère pas uniquement à la
faute d’Adam. L’universalité du péché s’explique aussi par l’influence des autres
pécheurs, ce que nous appelons aujourd’hui le « péché du monde ». Origène
confesse clairement la justification par la grâce moyennant la foi, car le Dieu juste
est également bon. Le médiateur de cette justification est le Christ, « Justice de
Dieu » : « La justice de Dieu, parvenant par la foi en Jésus-Christ à tous ceux qui
croient, Juifs ou Grecs, les justifie, purifiés des anciens crimes, et les rend dignes
de la gloire de Dieu. Et cela, elle ne le fait pas en raison de leurs mérites et de

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144 B. SESBOÜÉ

leurs œuvres, mais elle offre gratuitement la gloire aux croyants » (III, 4,12). Cette
gratuité est illustrée par plusieurs scènes évangéliques : le larron pardonné, le
publicain pénitent et a contrario le pharisien orgueilleux. On ne saurait donc impu-
ter à Origène aucune forme de pélagianisme. Celui-ci se penche également sur
le rapport si complexe d’Israël aux nations, qui occupe une place majeure dans
l’épître de Paul et constitue un grand « mystère », celui de la réalisation du dessein
de Dieu dans l’histoire, dont les dons sont sans repentance. Sa réflexion sur la
circoncision est très élaborée et n’oublie pas les objections faites à sa réalité phy-
sique. Origène donne enfin des commentaires « tropologiques », en exhortant ses
lecteurs à une existence baptismale authentique. Sur ce plan il insiste sur la liberté
et la responsabilité de l’homme dans sa réponse à la grâce. À propos de Rm
13,1-7, l’Alexandrin pose la difficile question de l’obéissance à un pouvoir injuste
et persécuteur et prône le paiement de l’impôt. Grâce à la traduction de Rufin
la postérité du Commentaire d’Origène sera importante et durable. Une section
passionnante nous en résume l’histoire : de l’interférence de la traduction de Rufin
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avec la crise pélagienne, puisque tant Augustin que son adversaire chercheront à

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mettre le Commentaire au service de leurs thèses, jusqu’à Abélard et Guillaume de
Saint Thierry au Moyen-Âge, et surtout aux interprétations contrastées du temps
de la Réforme. En Rm 5,12 Erasme rappelle que le texte grec porte eph’hô et non
en hô. Une recherche active enfin a repris en considération au XXe siècle l’œuvre
d’Origène. Cette analyse qui dépasse de beaucoup le contenu des deux premiers
livres est remarquable par sa précision.
Il ne faut pas chercher chez Origène une anticipation de la lecture augustinienne
et plus tard luthérienne de l’épître qui marquera tant l’Occident. Sa réflexion vise
des adversaires situés sur un tout autre front, qui mettent en cause le libre arbitre
humain. Origène s’est davantage intéressé aux mots, aux phrases et aux grandes
idées qu’à la construction de l’épître. Il reste sur le plan de l’objectivité du mystère
et ne s’interroge pas sur sa propre situation existentielle. La traduction propo-
sée est agréable à lire, malgré telle ou telle petite erreur (par ex. « de façon à ce
que… », p. 317). L’annotation est discrète mais précise. Remercions les Sources
chrétiennes de cette très belle réalisation et souhaitons que la parution des autres
livres ne tarde pas.

III. Le IVe siècle :
Eusèbe, Athanase, Basile, les deux Grégoire.

9. Eusèbe de Césarée, Questions évangéliques, intr., texte critique, trad. et notes


par Cl. Zamagni, « Sources chrétiennes 523 », Cerf, Paris, 2008, 256 pages.
10. Gregor Von Nazianz, Über Vorsehung, Peri Pronoias, hrsggb, übersetzt
und kommentiert von Andreas Schwab, “Classica Monacensia 35”, Gunter Narr
Verlag, Tübingen, 2009, 142 pages.
11. Justin Mossay, Nazianze et les Grégoire. Réflexions d’un helléniste retraité,
Ed. Safran, Bruxelles, 192 pages.

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BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 145

12. Grégoire de Nysse, Contre Eunome, I, 1-146, Texte de W. Jaeger, Intr. trad. et
notes par R. Winling, « Sources chrétiennes 521 », Cerf, Paris, 2008, 226 pages.
13. Grégoire de Nysse, Homélies sur le Cantique des cantiques, trad. et notes
par Adelin Rousseau, intr. et bibl. par B. Pottier, Lessius, Bruxelles, 2008, 352
pages.
14. Gregorii Nysseni in Hexaemeron. Opera exegetica in Genesim, pars I, edi-
dit Hubertus R. Drobner, Gregorii Nysseni Opera (Jaeger), Vol. IV, I, Brill, Leiden-
Boston, 2009, 104 pages.
15. Michel Corbin, La vie de Moïse selon Grégoire de Nysse, « Initiations aux
Pères de l’Église », Cerf, Paris, 2008, 392 pages.
16. Lucas Francisco Mateo-Seco, Giulio Maspero, The Brill Dictionary of
Gregory of Nyssa, « Vigiliae Christianae, Supplements 99 », transl. by Seth
Cherney, Brill, Leiden-Boston, 2010, 812 pages.
17. Grégoire de Nysse : la Bible dans la construction de son discours. Actes
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du Colloque de Paris (9-10 février 2007), éd. par Matthieu Cassin et Hélène

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Grelier, Institut d’Études Augustiniennes, Paris, 2008, 324 pages.

9. Les vingt Questions évangéliques d’Eusèbe de Césarée, dont le texte origi-


nal est perdu, étaient adressées d’abord à un certain Stéphanos (16) et ensuite
à Marinos (4), deux personnages inconnus. Le document nous est aujourd’hui
accessible par des chaînes de fragments, en particulier la chaîne de Nicétas, et
une eklogè grecque ou « sélection en abrégé », fondée sur l’ensemble de l’œuvre
et provenant d’un seul manuscrit, publié par A. Mai en 1825 et 1847. Nous dispo-
sons également de certains éléments de versions syriaques. L’eklogè et le texte
de Nicétas, plus abondant, représentent deux sources qui ont eu accès à l’original
de manière indépendante, les deux textes coïncidant dans leur partie commune.
Leur accord permet de reconstituer l’original avec vraisemblance. Une édition
scientifique demande de séparer les différentes traditions textuelles. Celle-ci pose
un premier jalon, en se contentant de donner le texte de l’eklogè, réalisée à une
époque incertaine par un auteur inconnu. Le texte établi par Mai a été amélioré.
Le genre littéraire de la question-réponse était connu dans la littérature hellénis-
tique, mais Eusèbe innove pour la littérature chrétienne. La datation des Questions
les rapproche de la Démonstration, car les deux œuvres ont été écrites en paral-
lèle, c’est-à-dire avant ou autour de 320. Remarquons au passage qu’à cette
date Eusèbe emploie déjà l’expression de theotokos pour la Vierge Marie comme
une désignation qui va de soi (À Marinos Q. II, 6). Ces questions constituent un
ouvrage proprement exégétique, ce qui correspond à un intérêt majeur d’Eusèbe
pour l’Écriture. Ce dernier se situe à mi-chemin entre Antioche et Alexandrie ;
influencé d’abord par Origène, il rejoint progressivement l’exégèse littérale, plus
proche de son tempérament positif. Qui sont les premiers destinataires de l’ou-
vrage : des philosophes et moralistes païens (Celse ou Porphyre), prompts à cri-
tiquer les contradictions de l’Écriture, ou les milieux chrétiens représentés par
les deux dédicataires ? Eusèbe avait sans doute dans sa visée ce double public,

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146 B. SESBOÜÉ

auquel il propose un ouvrage savant et quasi encyclopédique, qui a l’ambition de


scruter toutes les réponses possibles, même contradictoires. L’ouvrage sera très
lu et utilisé, signe qu’il abordait de véritables problèmes pour les chrétiens. Treize
questions à Stéphanos portent sur les deux généalogies de Jésus (Mt 1,1-17 ;
Lc 3,23-38) qui comportent non seulement des contradictions bien visibles entre
elles et avec l’A.T., mais aussi un certain nombre de traits énigmatiques, comme
la présence des trois femmes dont deux n’ont rien d’édifiant. Trois autres ques-
tions débordent les généalogies, mais demeurent proches du cadre des récits de
l’enfance. Les réponses à Marinos concernent les récits de la résurrection, qui
échappent à la continuité spatio-temporelle et contiennent diverses contradictions
immédiates. Les réponses ont un côté philologique et historique, elles ne font pas
intervenir l’allégorie et sont pour l’essentiel d’ordre théologique, essayant d’éta-
blir une harmonie, soit chronologique soit de type sémantique, entre les textes
bibliques. Le côté apologétique n’est pas absent à nos yeux, même si Eusèbe
entendait se situer au-delà, comme le montre le souci origénien de proposer au
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même problème plusieurs solutions incompatibles. Cette excellente édition per-

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met un accès aisé à un document sans doute second mais nullement secondaire.

10. A. Schwab a édité, traduit et longuement commenté le bref poème (71 vers)
de Grégoire de Nazianze Sur la Providence. Cette monographie très complète ana-
lyse la tradition manuscrite de l’œuvre, puis ses éditions de J. de Billy au XVIe siècle
à C. Moreschini à la fin du XXe, et donne le texte grec et sa traduction allemande.
Le commentaire poursuit deux buts : montrer la structure de l’argumentation et
justifier la traduction de passages difficiles. Le texte est divisé en sept sections : 1)
La création et le maintien du monde dans l’être ; sa relation au Créateur. 2) Contre
ceux qui voient dans le monde une nature automate et qui demeure sans chef
(avec la reprise de l’argument athanasien du chœur sans maître). 3) Contre les
tenants du fatalisme astral, qui usent de l’argument logique du regressus ad infi-
nitum et font appel à la différence des destinées et aux catastrophes collectives ;
hasard et nécessité. 4) Dieu gouverne toutes choses, le ciel et les étoiles comme
la terre, par sa providence et sa sagesse dans une connaissance inaccessible à
l’homme. 5) et 6) Reprise des argumentations contre l’astrologie et étude du cas
de l’étoile de Bethléem : la naissance de Jésus fin de l’astrologie. 7) Le chemin et
la nature des étoiles comparés à ceux tout différents des hommes. Cette mono-
graphie exhaustive et quasi parfaite dans le domaine de l’histoire des idées ne fait
que renvoyer en finale à une nécessaire reprise spéculative et religieuse du thème.

11. C’est un ouvrage original, au ton familier et sympathique, mais très informé
auprès des anciens comme des modernes, que nous livre J. Mossay avec Nazianze
et les Grégoire. Nous avons-là une petite somme d’informations sur Nazianze,
sa géographie, son histoire à partir de fouilles récentes, et toute la déclinaison
de la famille : Grégoire l’Ancien, le converti devenu évêque marié, conciliateur et
compréhensif ; « Madame » Nonna, l’épouse et généreuse maîtresse de maison ;
Gorgonie, la sœur, devenue pour son frère une « icône littéraire » ; Grégoire le fils,
le Théologien, écrivain, poète formé aux écoles et qui fut un temps archevêque de
Constantinople ; Césaire enfin, le frère cadet, médecin et magistrat. Pour rassem-

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BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 147

bler contenu et anecdotes, l’auteur a mis largement à contribution les œuvres et


correspondances du théologien, en sachant décoder la rhétorique floue des pané-
gyriques. Il s’est aussi intéressé aux sépultures de la famille, à la transmission des
textes, à l’édition des Mauristes, aux hagiographes, avant de donner divers docu-
ments photographiques. Cette manière de faire de l’histoire le plus concrètement
possible, en suivant un lieu et une famille, est à la fois pittoresque et suggestive.
Elle nous permet de rejoindre à travers une multitude de détails des personnages
vivants et de mieux comprendre le tempérament complexe de Grégoire. L’auteur
nous offre dans cette monographie un petit « Tout sur Nazianze ».

12. R. Winling entame aux « Sources chrétiennes » la publication de la traduc-


tion du Contre Eunome de Grégoire de Nysse. Ainsi la deuxième manche de la
grande controverse eunoméenne devient accessible en français, après la pre-
mière qui avait opposé le même Eunome à Basile le Grand, frère aîné de Grégoire
(SC 299 et 305). R. Winling se sert du texte établi par W. Jaeger et a constitué
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une équipe (avec M. Canévet, M. van Parys, et M. Cassin), afin de mener à bien la

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traduction de l’œuvre. Ce premier tome retrace l’histoire de cette seconde contro-
verse : évolution d’Eunome après sa première Apologie, circonstances de la paru-
tion du Contre Eunome, éléments de la théologie du Cappadocien correspondant
au premier livre : l’incompréhensibilité de Dieu et la théologie trinitaire où Grégoire
s’inscrit dans le sillage de son frère sur l’unité de la substance et les trois hypos-
tases égales, mais en donnant aux arguments un tour plus spéculatif. Beaucoup
de ses arguments sont repris de Basile dont il se montre assez dépendant, car
il veut rendre justice à son frère. Par exemple, l’argument sur la traduction de
Pr 8,22 par ektèsato, chez Symmaque, Aquila et Theodotion au lieu du ektise
de la Septante vient de Basile (Contre Eunome II, 20). Ce tome donne ensuite la
première partie du Ier livre de Grégoire (1-146), où le Cappadocien répond avec
toutes les ressources de la rhétorique aux injures adressées par Eunome à Basile,
revient sur les enjeux de la première polémique et dresse des deux adversaires
un portrait particulièrement contrasté. On sent chez le cadet le souci de venger
l’honneur de la famille. Mais l’enveloppe rhétorique des arguments maintient le
flou sur des points précis sur lesquels l’historien serait curieux d’en savoir plus.
La traduction est précise et rigoureuse. Nous exprimons cependant un regret
devant l’option du traducteur de garder en français la transcription d’ousie, au lieu
de substance, d’agennèsie, au lieu d’innascibilité, et de garder souvent le terme
d’épinoia. La tâche première du traducteur est de traduire, même dans les cas où
l’on ne trouve pas en français de terme idéal. Traduire ces mots techniques est un
acte d’interprétation et toujours un risque à courir. Celui qui sait le grec évalue la
valeur de la correspondance entre le mot grec et sa traduction française ; celui qui
ne le connaît pas ne voit pas s’introduire dans le texte un mot d’une langue étran-
gère qui restera toujours pour lui un point aveugle. C’est l’option que nous avions
prise, avec toutes les difficultés qu’elle comportait, dans la traduction du Contre
Eunome de Basile ; c’est au nom de la même option que nous nous étions permis
dans le passé de critiquer dans ce bulletin certaines traductions de Maxime le
Confesseur – nous pensons d’ailleurs aussi que la traduction de l’expression de
Basile « bouche de la piété » aurait été plus heureuse que « bouche de piété »

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148 B. SESBOÜÉ

(p. 112). Malgré ce détail nous attendons avec un grand intérêt la suite de la publi-
cation de qualité de cette œuvre importante.

13. Peu avant de mourir, le P. Adelin Rousseau, moine de l’Abbaye d’Orval, nous a
laissé, comme une sorte de testament, une belle traduction complète des Homélies
sur le Cantique des cantiques, de Grégoire de Nysse. Il n’est que juste de rendre
hommage à cet infatigable travailleur qui a consacré de nombreuses années de
sa vie à la traduction française et à la rétroversion grecque du Contre les hérésies
d’Irénée, avant de se consacrer à la Démonstration, puis aux Trois discours contre
les Ariens d’Athanase (cf. RSR 94 [2006], p. 607-608) et  enfin à Grégoire de Nysse.
Après la traduction de larges morceaux choisis donnée par M. Canévet sous le titre
La colombe et la ténèbre (Orante, 1967), voici donc une traduction intégrale du
grand texte mystique de Grégoire, faite à partir de l’édition de H. Langerbeck (GNO
vol. VI), parfois corrigée. Le poème biblique qui évoque l’expérience amoureuse sert
de prétexte à un commentaire spirituel et « intelligible », qui constitue une sorte de
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« carte du tendre » nuptiale de l’ascension mystique culminant dans la description

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d’un progrès infini de l’âme-épouse : « Ainsi, jamais celui qui monte ne cesse d’en-
treprendre commencement après commencement, et jamais non plus ne trouve
son achèvement en lui-même ce commencement de biens toujours plus grands »
(Homélie VI, p. 187). Mais cette ascension n’est possible que parce que l’époux est
d’abord descendu dans son propre jardin. Grégoire a employé une fois dans cette
homélie le terme d’epektasis, que Jean Daniélou avait transposé en épectase. Notre
traducteur a évité ce terme ésotérique en français pour reprendre une formule ver-
bale (« le fait d’être tendu en avant »), toute proche du verbe employé en Ph. 3,13. Au
terme de ses interprétations allégoriques, rhétoriques, parfois subtiles mais toujours
spirituelles, où il avoue avoir donné « un peu de sa sueur », Grégoire fait à son lec-
teur la même réflexion qu’Origène : « Rien n’empêche que quelqu’un ne reçoive de
celui qui révèle les mystères cachés une interprétation plus utile à l’âme » (p. 265).
Le texte ne reçoit que très peu de notes, de nature philologique, mais toutes impor-
tantes pour la compréhension ou la traduction du texte. L’introduction thématique
de B. Pottier sera utile, mais elle reste brève. Elle analyse en particulier le thème de
l’épectase et en reprend le terme.

14. La grande édition des Gregorii Nysseni Opera (W. Jaeger) vient de publier
le in Hexaemeron du Cappadocien (Vol IV, 1) dans la série des Opera exegetica
in Genesim, réalisation due à H.-R. Drobner. Selon la grande tradition de la col-
lection l’éditeur donne une abondante bibliographie, décrit méthodiquement
les 59 manuscrits du texte et des fragments qu’il a collationnés pour aboutir à
un stemma. Il fait le point des éditions imprimées et des traductions latines et
modernes (celles-ci étrangement rares : deux en allemand, une en italien). Il donne
la liste précieuse des variantes choisies par différence avec les éditions Morel-
Migne et Forbes. Suit le texte grec avec son apparat critique et les notes concer-
nant en particulier les citations des auteurs chrétiens et païens.
Dans cet ouvrage, auquel certains manuscrits donnent le titre d’Apologie de
l’Hexaemeron de Basile, Grégoire, qui a déjà complété l’ouvrage de son frère en
écrivant son livre Sur La création de l’homme, entend reprendre, voire corriger

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BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 149

les homélies de celui-ci, pour qui son admiration est toujours inconditionnelle.
Il entend en rester à une exégèse littérale selon le modèle prôné par Basile, qui
prend les choses dont parle l’Écriture pour ce qu’elles sont et non pour des allégo-
ries. Il désire aussi mettre l’enseignement de la Genèse en accord avec la science
de son temps. Mais alors que Basile restait descriptif, Grégoire propose une « phi-
losophie de la création » ; il dégage les significations et surtout un ordre logique
entre les êtres, qui obéit à un mouvement ascendant de la puissance créatrice
de l’inférieur vers le plus parfait, le but dernier du tout étant l’homme. Il reconnaît
une sorte d’évolution des plantes aux animaux et à l’homme, selon un ordre qui
respecte continuité et discontinuité. Il respecte donc le sens de la lettre, comme le
demandait son frère, mais il ne s’interdit pas le sens philosophique.

15. M. Corbin donne un commentaire de La vie de Moïse de Grégoire de Nysse.


Il en emprunte le texte à la traduction de Jean Daniélou, dans la dernière édition
des Sources chrétiennes en 1968 (notée SC 1 bis). On peut d’ailleurs relever là
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une petite confusion. L’édition de 1968 est l’édition 1 ter dans la collection des

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Sources chrétiennes. Une référence de M. Corbin renvoie en fait à l’édition de
1955 (p. 28) où une traduction de J. Daniélou est critiquée, alors qu’elle a été
modifiée dans la troisième édition. Certains indices laissent planer un doute sur la
traduction utilisée et de toute façon corrigée par le commentateur.
La première partie, l’histoire est citée partiellement ; par contre la seconde par-
tie, la contemplation, est reprise intégralement. À cet ouvrage de référence s’ajou-
tent des citations d’autres œuvres de Grégoire de Nysse en raison de la parenté
des thèmes. Le commentateur a pu utiliser avant sa parution la traduction des
Homélies sur le Cantique des cantiques par A. Rousseau, recensée ci-dessus.
Un commentaire n’est ni une mise en situation historique, ni une exégèse tech-
nique du texte : il se met sur sa longueur d’onde, pour le prolonger et l’approfondir
au bénéfice de notre monde culturel. Aussi bien le propos n’est-il pas « d’érudi-
tion savante, mais d’effort pour faire goûter […] certaine façon de se rapporter
aux Écritures de vie, certaine musique intérieure ». Le commentateur prend donc
le relais de l’auteur et poursuit son exégèse spirituelle et anagogique, dans un
rapport direct et immédiat avec le texte et dans son écoute. Sont successive-
ment étudiés les grands thèmes chers à Grégoire : le progrès et le dépassement
continu, dans l’esprit de Ph 3,13, vers le mystère d’un Dieu toujours plus grand,
la métaphysique du « plus », bref, un Grégoire très proche d’Anselme, auteur cher
à M. Corbin. Les grandes étapes de la vie de Moïse sont parcourues selon l’ordre
donné par Grégoire et jalonnent la marche en avant du Législateur vers la perfec-
tion : la naissance spirituelle et la théophanie du buisson ardent, l’affrontement
avec Pharaon, la délivrance pascale, la montée vers le Sinaï et la rencontre de
Dieu dans la ténèbre, les tables brisées et restaurées, l’épektasis surtout, lon-
guement exposée (bien que le mot ne se trouve pas dans le livre de Grégoire),
où s’exprime la dialectique du non et du plus, la marche vers la terre promise
enfin. L’Écriture, les Pères de l’Église, les philosophes, mais aussi des auteurs
modernes et contemporains viennent illustrer et nourrir cette longue contempla-
tion. L’ouvrage est de haute tenue et l’on ne peut que saluer l’élévation de la pen-
sée, la rigueur de la réflexion, la large culture ancienne et moderne, un certain style

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150 B. SESBOÜÉ

enfin. On regrettera peut-être une certaine inconditionnalité à l’égard de Grégoire


qui interdit toute prise de distance et toute confrontation aux auteurs qui se sont
déjà penchés sur ce grand texte.

16. Les éditions Brill publient une traduction du Diccionario de san Gregorio de
Nisa édité en espagnol et en italien par L. F. Mateo-Seco et G. Maspero, sous le
titre The Brill Dictionary of Gregory of Nyssa. Il s’agit aussi d’une nouvelle édition
révisée et augmentée. Le projet de l’ouvrage est sensiblement différent du Lexicon
Gregorianum publié entre 1999-2008 par la Forschungsstelle Gregor von Nyssa an
der Westfälischen Wiehlelms–Universität sous la direction de Fr. Mann et dont cette
revue a rendu plusieurs fois compte (RSR 90 [2002], p. 268-269 ; 93 [2005], p. 136-
137 ; 94 [2006], p. 119-120). De dimension plus réduite et en un seul volume de
800 pages, cet ouvrage comporte des entrées qui vont bien au-delà du vocabu-
laire de Grégoire qui n’est retenu que de manière très sélective (epektasis, theôria,
homoousios, hypostasis, eikôn, agapè, mustèrion, ousia, phusis, prosôpon, etc.).
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On y trouve par contre une présentation de sa biographie, de chacune de ses

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œuvres et de leur chronologie, des notices géographiques (Cappadoce, Nysse),
des articles sur certains penseurs (Aristote, Platon, Plotin, Porphyre, Philon), des
chrétiens antérieurs (Origène, Grégoire le Thaumaturge, Méthode d’Olympe), de
grands contemporains (son frère Basile et sa sœur Macrine, Grégoire de Nazianze,
mais aussi Arius et Eunome, Apollinaire de Laodicée), des hommes devenus
ensuite témoins de son influence (Grégoire Palamas), ainsi que des dossiers his-
toriques (arianisme, conciles et synodes). Mais l’accent est également mis sur de
nombreux thèmes théologiques importants pas forcément reliés au vocabulaire de
Grégoire (anthropologie, théologie apophatique, christologie, création, croix, déifi-
cation, ecclésiologie, eschatologie, exégèse, foi et raison, corps mystique, péché
originel, philosophie du langage, résurrection, théologie de l’histoire, Trinité, etc).
Les interprétations récentes de son œuvre (H. Urs von Balthasar, J. Daniélou, etc.)
ne sont pas oubliées. Nous disposons ainsi d’une sorte de somme sur Grégoire, à
la fois historique et théologique, ou d’un long chapitre de patrologie devenu mono-
graphie. Chaque notice, riche en information, est méthodiquement subdivisée en
fonction des différentes œuvres du Cappadocien ou des différents sens selon les-
quels le thème est considéré, et dotée d’une bibliographie très à jour. Les renvois
aux œuvres de Grégoire sont innombrables. Ce dictionnaire rendra des services
très complémentaires de ceux du Lexikon.

17. Grégoire de Nysse : la Bible dans la construction de son discours, tel fut le
thème du colloque origénien tenu à Paris en 2007 et dont les Actes ont été édités
par M. Cassin et H. Grelier. Son objet était de tenter une réflexion synthétique et
d’étudier, non pas l’exégèse grégorienne de tel ou tel lieu biblique, mais la place de
l’Écriture dans l’argumentation et l’élaboration de ses traités. Les contributions sont
réparties en trois parties. 1) Perspectives générales : Cl. Moreschini montre comment
la validité de la sagesse profane se trouve vérifiée par le texte sacré ; M.-O. Boulnois
analyse la fécondité du cercle herméneutique entre l’élaboration théologique et une
exégèse renouvelée selon le principe de la cohérence des Écritures qui sont tou-
jours l’arbitre dernier entre les interprètes ; O. Sferlea revient sur le thème de l’in-

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BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 151

finité divine à partir des références bibliques invoquées par Grégoire. 2) Oeuvres
doctrinales de Grégoire : R. Winling, dont nous venons de recenser la traduction du
Contre Eunome I, montre comment Eunome met l’Écriture au service de la raison
philosophique, tandis que Grégoire fait le contraire ; M. Cassin pose le même pro-
blème à Contre Eunome III (où la dépendance de l’exégèse de Grégoire à celle de
Basile est manifeste) ; trois communications sont consacrées au Contre Apollinaire :
M. Harl sur l’interprétation de Za 13,7, F. Vinel sur l’usage structurant des Épitres
pauliniennes, et H. Grelier sur l’intégration du texte biblique, arbitre du discours
doctrinal ; V. Decroll étudie le substrat biblique des attributs divins dans les petits
traités trinitaires. 3) Œuvres pastorales et exégétiques : E. Mühlenberg explique com-
ment Grégoire, dans la Lettre canonique sur la pénitence, traduit en termes logiques
une pensée sous-jacente aux textes bibliques ; M. Alexandre traite de l’usage que
fait Grégoire, dans la IIIe Homélie sur l’Oraison dominicale (et à sa suite Évagre et
Maxime le Confesseur), de la variante de Lc 11,2 qui met en équivalence la venue
du Règne de Dieu et celle de l’Esprit, pour en tirer un argument en faveur de la divi-
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nité de celui-ci ; O. Munnich rend compte du rôle des figures bibliques, en particulier

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de celle de Moïse dans l’Éloge de Basile ; pour J. Reynard les citations bibliques de
l’homélie De tridui spatio irriguent la pensée de l’orateur, qui se fait à la fois exégète
et théologien ; J. Leemanns revient sur l’usage de l’Écriture dans les panégyriques sur
les martyrs. Les trois contributions finales portent sur les Homélies sur le Cantique
des cantiques : G. Maspero interroge le sens du terme historia appliqué à l’Écriture ;
A. Lallemand s’enquiert de la portée des catachrèses (procédé abusif de langage)
identifiées par Grégoire dans le Cantique, afin de faire servir la philologie à l’inter-
prétation spirituelle du texte ; B. Vanden Auweele livre en finale quelques réflexions
sur le statut de l’Écriture comprise sur le mode du désir. Certaines conclusions se
dégagent de cet ensemble complexe : la prise en compte du seul genre littéraire ne
suffit pas à rendre compte en vérité d’une œuvre. Il faut aussi considérer d’autres
paramètres (le contexte de la rédaction, les buts fixés à l’ouvrage, etc.). Même si
certaines contributions reviennent inévitablement à des exégèses de détail, l’ou-
vrage honore bien son cahier des charges, et apporte une nouveauté réelle dans
l’appréhension du rôle de la Bible dans le discours de Grégoire.

IV. À partir du Ve siècle :


Jean Chrysostome, Cyrille d’Alexandrie et autres

18. Jean Chrysostome, L’eucharistie, école de vie, Sélection de sept homélies


sur l’eucharistie, intr., trad., notes ; guide et index par J. Marsaux, « Les Pères
dans la foi 99 », Migne, Paris, 2009, 220 pages.
19. Laurence Brottier, Les « Propos sur la contrition » de Jean Chrysostome
et le destin d’écrits de jeunesse méconnus, « Patrimoines, christianisme »,
Cerf, Paris, 2010, 452 pages.
20. Gaspar Hernandez Peludo, Cristo y el Espiritu segùn el In Ioannis
Evangelium de san Cirillo de Alejandria, « Plenitudo temporis 11 », Publicaciones
Universidad Pontificia, Salamanca, 2009, 528 pages.

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152 B. SESBOÜÉ

21. Sozomène, Histoire ecclésiastique, Livres VII-IX, texte grec de l’édition J.


Bidez – G. C. Hansen (GCS), intr. par Guy Sabbah, notes de Laurent Angliviel de la
Beaumelle et G. Sabban, trad. de A.-J Festugiere (+) et Bernard Grillet, « Sources
chrétiennes » 516, Cerf, Paris, 2008, 488 pages.
22. Anasasius of Sinai, Hexaemeron, ed. and transl. by Clement A. Kuehn and
John D. Baggarly, “Orientalia Christiana analecta 278”, Pont. Istit. Orientale,
Roma, 2007, 496 pages.

18. J. Marsaux publie sous le titre L’eucharistie, école de vie la traduction de


sept homélies de Jean Chrysostome sur ce sacrement (n. 3 aux néophytes, naguère
publiée par A. Wenger en SC 50, n. 9 sur la pénitence, n. 2 sur la trahison de Judas,
n. 82 sur Matthieu, sur la croix, n. 27 sur 1 Co et n. 17 sur He). L’introduction
d’usage situe la figure de Jean dans le contexte religieux divisé de l’Antioche de la
fin du IVe siècle : admirateur de Paul, promoteur de la liturgie et apôtre de la gran-
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deur du mystère eucharistique, « table redoutable et effrayante ». L’ouvrage donne

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en parallèle l’Anaphore des douze Apôtres et celle dite de saint Jean Chrysostome
qui l’adopte en l’adaptant (selon la thèse de R. Taft). La doctrine eucharistique
de Jean insiste beaucoup sur le sacrifice, mais l’orateur convertit totalement le
sens que le mot retenait dans les religions païennes et pour une part dans l’A.T.
Le sacrifice chrétien est le culte spirituel dont parle Paul (Rm 12,1) ; il consiste
dans l’obéissance à la parole du Seigneur auquel se remet l’âme de manière per-
sonnelle ; c’est un culte « immatériel » dans le don de soi à Dieu qui passe par la
« charité sacrificielle » de l’amour du prochain. Mais nos sacrifices ne peuvent
s’accomplir que par la médiation du Christ. L’essentiel du sacrifice consiste dans
l’action de grâces, qu’exprime le terme même d’eucharistie. Celle-ci est en son
cœur un mémorial (terme préférable à l’expression « d’action mémorielle »), dans
lequel l’événement est rendu présent ou plutôt nous sommes rendus présents à
l’événement unique. L’épiclèse rappelle que ce n’est pas le ministre qui transforme
les oblats par sa propre puissance : il est placé dans l’Église pour faire descendre
par sa prière le Saint-Esprit sur les oblats, comme jadis le feu sur les sacrifices.
Toute la pédagogie du mystère est symbolique : elle fait passer du visible à l’invi-
sible. Ceci oriente vers une compréhension authentique de la présence réelle qui
n’est pas de l’ordre du visible mais requiert la foi et les yeux de l’âme.

19. Laurence Brottier a déjà publié sur Jean Chrysostome (cf. RSR 94 [2006],
p. 614-615) dont elle est une spécialiste reconnue. Elle donne aujourd’hui un gros
ouvrage consacré aux  Propos sur la contrition, deux petites œuvres de jeunesse
de l’orateur (écrites peu après 381) qui ont été l’objet d’une certaine mésestime.
L’auteur introduit longuement les deux opuscules aux plans littéraire et théolo-
gique ; elle en donne ensuite une traduction (sur le texte repris dans PG 47, qui
aurait pu être aéré par la création d’un plus grand nombre de paragraphes), nour-
rie d’une très riche annotation qui renvoie aux parallèles dans l’œuvre de Jean et
dans de nombreux auteurs spirituels ; elle élargit encore son étude en montrant
les prolongements du thème dans toute l’œuvre de l’orateur sous forme d’abon-
dants morceaux choisis, et en descendant l’histoire de la spiritualité tant en Orient

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BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 153

(Ephrem, Jean Cassien, Jean Climaque, Syméon le Nouveau théologien,…) qu’en


Occident (les Cisterciens, Jean Ruusbroec, la Devotio moderna et Ignace de
Loyola). Les deux opuscules de départ deviennent ainsi un prétexte à une large
somme d’histoire de la spiritualité sur la contrition, les larmes et le deuil. Sept
annexes viennent compléter l’ouvrage. Ce remarquable ensemble sera précieux
tant pour la connaissance de Jean Chrysostome que pour la théologie spirituelle.
L’auteur se penche d’abord sur la difficile traduction des termes katanuxis/com-
punctio, couramment traduits par componction, terme qui dans la sémantique
française s’est considérablement affaibli pour exprimer une « gravité recueillie et
affectée » (Robert), ou le plus souvent ridicule. Or l’idée de broyer se trouve dans
les deux termes de contritio (broiement) et de compunctio (la piqûre qui blesse).
Le terme de contrition se tient donc au plus près du titre grec. L. Brottier, fervente
chrysostomienne a raison de mettre en relief ce thème profondément chrétien.
Mais elle ne reconnaît peut-être pas suffisamment l’exagération et l’unilatéralisme
de ces deux opuscules. Leur « mésestime » dans l’histoire a quelque raison, vu
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leur caractère pessimiste et leurs jugements d’une sévérité quasi désespérée por-

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tés sur le christianisme du temps. Le premier décrit avec complaisance oratoire
un monde chrétien saisi par la folie et en contradiction flagrante avec les ensei-
gnements évangéliques sur la colère, le ressentiment, les parjures, la vaine gloire,
le refus de pardonner et la course aux richesses. Les clercs et les moines ne sont
pas meilleurs que les autres baptisés. L’exemple de saint Paul invite au contraire
à vivre dans une contrition permanente et conduit à une sérieuse exhortation au
« deuil spirituel » (penthos). Les avertissements sévères de l’Écriture doivent être
pris au sérieux quand ils annoncent les châtiments préparés pour les auteurs de
ces péchés. Le second propos évoque le thème du désert intérieur, revient sur
l’exemple de Paul auquel il ajoute celui de David et se termine sur la distance infi-
nie entre l’insuffisance des hommes et la surabondance des bienfaits de Dieu. De
manière répétée l’orateur se défend de toute exagération et considère cette objec-
tion comme un piège diabolique. Mais n’y a-t-il pas là une sorte de dénégation ?
Sans édulcorer la portée spirituelle du thème de la conversion, de la contrition et
des larmes, on peut aussi reconnaître que l’évangile dit aussi tout autre chose
et sortir de cet unilatéralisme quelque peu vengeur. Le souffle oratoire amplifie
naturellement les choses et pousse Jean à prendre les métaphores évangéliques
au premier degré et sans les équilibrer par tant d’autres textes sur la miséricorde
qui en seraient les pendants normaux et apaisants. Le traitement élargi du thème
dans l’histoire de la spiritualité risque de donner à penser que tous ces auteurs
partagent le même unilatéralisme que Jean, qui se tempèrera lui-même dans la
suite de sa carrière et saura mettre son talent oratoire au service de tout l’évangile.

20. G.-H. Peludo, a consacré sa thèse à l’étude de la relation entre le Christ et


l’Esprit Saint dans l’économie du salut à partir du Commentaire sur l’évangile de
Jean de Cyrille d’Alexandrie. Il s’agit donc, dans une ligne dynamique et morale,
de la seule articulation des rôles du Verbe incarné et de l’Esprit. Pour répondre
à cette question, le commentaire de Cyrille sur Jean est un document privilégié.
Cinq chapitres en développent le contenu : 1) Le Verbe et l’Esprit dans l’humanité
avant l’incarnation : la prédestination de toute l’humanité dans le dessein du Père,

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154 B. SESBOÜÉ

le rôle médiateur du Verbe et celui de l’Esprit, créateur et sanctificateur, pour que


l’homme soit à l’image de Dieu ; après la perte de l’Esprit en raison du péché, le
Verbe et l’Esprit prophétique interviennent pédagogiquement avec Abraham, jus-
tifié par la foi, la Loi de Moïse et l’inspiration des prophètes jusqu’à Jean-Baptiste,
à la fois apôtre et prophète du Christ. 2) L’incarnation du Verbe, œuvre de l’Esprit
créateur (et non procréateur, car il agit « d’en haut ») vient « récapituler » l’hu-
manité tout entière, c’est-à-dire non seulement lui rendre les biens perdus par le
péché, mais aussi la conduire à l’adoption divine. Le Christ est Esprit et fait de son
humanité, un Esprit vivifiant (cf. Jn 6,63) et le Verbe incarné donne l’Esprit qui est
sien sans mesure. 3) L’onction du Christ par l’Esprit à la théophanie du Jourdain
n’est pas la réponse à une indigence personnelle du Verbe. Il s’agit d’un aspect
du mystère trinitaire et d’une « auto-onction » à visée purement sotériologique et
à valeur de signe : le Fils oint avec son propre Esprit le temple de son humanité (cf.
Jn 17,18-19), mais il le fait en tant que médiateur et Fils unique devenu homme.
Il faut considérer le Christ comme le second Adam sans péché qui recrée à nou-
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veau la totalité du lignage humain inclus dans sa propre humanité. Cyrille rejoint

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ici le thème de l’accoutumance et de la récapitulation. 4) le Christ, oint par l’Esprit,
devient son dispensateur, à travers la distance qui va du baptême à sa résur-
rection, en raison de la récapitulation progressive de l’humanité dans le Christ.
Au terme du mystère pascal, par la victoire sur la mort et la corruption, les biens
perdus en Adam reviennent avec de nouveaux dons en Jésus pour l’humanité. 5)
Le Christ glorifié devient alors, entre Pâque et Pentecôte, le donateur de l’Esprit
pour une habitation personnelle de celui-ci dans les croyants et l’adoption filiale. Il
souffle l’Esprit sur ses apôtres comme le Créateur avait insufflé l’esprit en Adam.
L’ouvrage livre des analyses serrées et cherche à faire saillir le mouvement
interne aux argumentations de Cyrille. Il éclaire les grandes articulations entre
incarnation et Jourdain, baptême et résurrection, rôle du Fils et rôle de l’Esprit.
Il présente une bonne synthèse d’une question qui n’avait pas jusqu’ici fait l’ob-
jet d’une recherche spécifique. C’est un Cyrille très irénéen qu’il nous propose,
dans une théologie du Christ récapitulateur de l’humanité. On peut regretter à cer-
tains moments l’usage de catégories scolastiques (surnaturel, alors que le thème
de l’image et de la ressemblance eut pu rendre service, grâce d’union, grâce du
Christ tête, causalité exemplaire, ou efficiente et instrumentale etc.), un peu ana-
chroniques, même si elles apportent leur part de précision conceptuelle.

21. Voici le dernier tome de l’édition de l’Histoire ecclésiastique de Sozomène,


publiée par les « Sources chrétiennes » selon les mêmes principes et avec
la même équipe que les tomes précédents (cf. RSR 97, [2009], p. 125-126), à
laquelle s’est ajouté L. Angliviel de la Beaumelle pour l’annotation. Une fois encore
une bonne introduction de G. Sabbah décrit et analyse le contenu des trois livres :
le livre VII est consacré au règne et à la politique religieuse de Théodose en Orient,
notamment au concile de Constantinople de 381 (appelé « œcuménique » par la
titulature des chapitres, signe de leur caractère tardif) et à l’élection de Nectaire
après la démission de Grégoire de Nazianze ; le livre VIII, qui porte sur les règnes
d’Arcadius et d’Honorius, est en fait dominé par la personne et l’histoire de Jean
Chrysostome ; le livre IX est tronqué et ne forme pas binôme comme les précé-

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BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 155

dents. Il donne une place importante aux événements militaires et politiques et


passe des affaires religieuses de l’Orient (Pulchérie) aux affaires politiques de l’Oc-
cident (Honorius), pour en revenir finalement à l’Orient. Le livre s’arrête brusque-
ment en 439 pour une raison qui reste énigmatique. On peut émettre l’hypothèse
qu’une dernière séquence aurait fait retour à l’Occident (Valentinien III ?). Sabbah
revient sur la méthode et la thèse théologique « providentialiste » de l’historien,
nicéen convaincu, et sur la comparaison judicieuse entre Socrate et Sozomène
qui traitent de la même époque. Il souligne la différence d’esprit entre les deux
œuvres et maintient l’originalité de l’œuvre de Sozomène. La traduction est excel-
lente et rend bien la vivacité spontanée du récit, dans lequel l’historien n’hésite
pas à intervenir avec ses remarques personnelles. Une annotation extrêmement
abondante fournit au lecteur un recul critique en l’avertissant des données histo-
riques que Sozomène passe sous silence et de l’orientation de son historiographie.
Nous disposons ainsi d’un point très exact sur cette période.
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22. Anastase le Sinaïte, moine peu connu du VIIe siècle, aurait écrit un Hexaemeron

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dont C. A. Kuehn et D. Baggarly nous présentent une édition critique et une tra-
duction. L’introduction des éditeurs s’attache surtout à la question de l’auteur et
de la date et retrace l’histoire de la recherche sur le document, du XVIe siècle à
nos jours à partir des études effectuée par Sakkos en 1964 et depuis lors par G.
Weiss, M. Richard et J. A. Munitiz qui préface l’ouvrage. Baggarly, l’un des tra-
ducteurs de la présente édition, situait en 1970 la datation de l’œuvre entre 1042
et 1164, ce qui expliquerait bien l’absence de manuscrits anciens. Mais ces 40
dernières années ont connu un rebondissement dans le cadre d’une recherche
intense sur Anastase. En 1985 K.-H. Uthemann reconnaît une relation étroite entre
les œuvres reconnues comme authentiques d’Anastase et l’Hexaemeron, en raison
de la proximité entre les deux récits de la création de l’homme dont l’un se trouve
dans le Sermon II. Anastase serait donc l’auteur des deux ouvrages ainsi que du
Hodegos (Viae dux). Mais Uthemann attendait pour prendre une position défini-
tive l’établissement d’une édition critique. Depuis lors, A. Binggeli n’a pas hésité
pas à suggérer la date de 680 pour une première compilation et 691-692 pour
la rédaction finale. En conclusion, les auteurs, qui reconnaissent l’ensemble des
autres œuvres attribuées à Anastase, avouent une relative incertitude au sujet de
l’auteur de l’Hexaemeron. L’étude de la tradition manuscrite se distribue en trois
familles principales et deux complémentaires. L’histoire des éditions et une abon-
dante bibliographie complètent la présentation. Suit alors le texte grec avec son
apparat critique et la traduction anglaise. Mais l’ouvrage, purement philologique,
ne comporte aucune étude théologique du traité d’Anastase et aucune annotation.
Les références aux Pères de l’Église évoqués par cet auteur (Basile de Césarée,
« Grégoire » sans que soit toujours précisé lequel, et d’autres), ne sont même pas
mentionnées. C’est vraiment le texte tout nu qui est donné.
Essayons de compenser cette lacune par quelques indications sur le contenu des
12 livres de l’œuvre, dont les six premiers commentent le premier récit de la création
(Gn 1) et les six derniers le second et celui de la chute (Gn 2-3). L’auteur entend
rester attentif au « sens corporel et physique » du texte biblique dont il fait d’abord
une description littérale en protestant qu’il ne cherche pas à le détruire ; il se distan-

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cie ainsi d’Origène. Il s’interroge sur l’antinomie de la création du temps et dans le


temps, sur la difficulté venant de la distance mise par le récit entre la création de la
lumière et celle des astres. Il montre que chaque jour la création procède par sépa-
ration, de la lumière et des ténèbres, des eaux d’en bas et des eaux d’en haut, de
la terre et de l’eau, du jour et de la nuit, des oiseaux et des poissons, de l’homme
enfin et des animaux (II, II,3). Il connaît les diverses positions des « philosophes de la
nature », en particulier Platon, sur les éléments du monde et s’inscrit dans un ferme
géocentrisme. La polémique anti-juive revient assez fréquemment. Mais son centre
de gravité se situe au niveau de la typologie fondée sur les textes de Paul, « la plus
brillante lampe de l’Église » qui nous dit que l’A.T. et la Loi étaient des ombres de la
vérité concernant le Christ et l’Église, typologie appelée allégorie et relevant de la
tradition alexandrine. Le récit de la Genèse est une annonce anticipée du mystère
du Christ et de l’Église, symbolisé par l’homme et la femme, selon des comparai-
sons foisonnantes et pas toujours compatibles entre elles. Toute l’Écriture est citée
à comparaître, car toute l’histoire du salut des Juifs et des gentils est en cause dès
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ce premier moment. La création s’est accomplie dans le commencement qui est le

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Verbe. Elle est l’image et le prototype de l’Église, lumière qui luira dans les ténèbres.
Elle est d’emblée christocentrique comme chez Irénée. « Que la lumière soit » veut
dire « que le Christ paraisse sur la terre ». Abel est aussi le type du Christ. Les cieux
racontent la gloire de Dieu, c’est-à-dire les deux natures du Christ. Les eaux ras-
semblées en une seule masse annoncent les nations rassemblées. L’apparition du
continent symbolise la résurrection du Christ. Le soleil et la lune représentent aussi
le Christ et l’Église. Anastase se livre à la correspondance des dates et des heures
et à la symbolique des chiffres. Bien entendu le commentaire du sixième jour est
capital. Le « Faisons l’homme à l’image et à l’homoiôsis de Dieu » renvoie à une
décision trinitaire et annonce l’homoousion du Christ. L’homme à l’image de Dieu
est le prototype du Christ. Le sixième jour prophétise l’incarnation, mais aussi le jour
où le Christ est mort en croix. Le septième donne lieu à une réflexion sur le millenium
et à une lecture eschatologique de la résurrection.
Le commentaire de Gn 2-3 est de la même veine (Anastase est tout à fait conscient
qu’il y a deux récits distincts de la création) et permet de nouveaux symbolismes : le
jardin du paradis est le type de l’Église, il est spirituel et prophétique. La référence
à Ep 5 est fréquente. L’homme et la femme deviennent une seule chair comme
deux personnes divines ne font qu’un seul Dieu. La femme est créée pour être
une aide de l’homme, mais cette aide est réciproque. Elle a été l’aide de l’homme
dans le péché, mais elle est plus pardonnable, car elle s’est défendue contre le
serpent, alors qu’Adam a mangé sans mot dire. Ce ne sont là que quelques épis
glanés. L’auteur cite Papias, Clément et Pantène, Justin et Irénée, Origène qu’il
appelle le « tordu » (kurtos, VII.VII.3), le « pauvre » Origène (VIII,I,2) dont les interpré-
tations selon la lettre de l’Ancien et du Nouveau Testament ont été très utiles et dont
l’œuvre au service de l’Église a été prodigieuse, mais qui s’est écarté de la vérité
avec sa thèse de la préexistence des âmes ; Basile, les deux Grégoire, Épiphane,
Cyrille d’Alexandrie, Jean Chrysostome, Ambroise et bien d’autres. Son travail pro-
pose une sorte de synthèse récapitulative des ouvrages patristiques. Le ton est vif
et l’auteur très présent et dialoguant dans son texte, répétitif et parfois bavard. Sa
théologie est très développée dans la ligne du concile de Chalcédoine.

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V. Histoire et Théologie des Pères

23. Roger S. Bagnall, Livres chrétiens antiques d’Égypte, École pratique


des Hautes Études, « Hautes Études du monde gréco romain 44 », Genève,
Librairie Droz S.A., 2009, 118 pages.
24. Hubertus R. Drobner, The Fathers of the Church. A Comprehensive
introduction, translated by Siegfried S. Schatzmann, Hendrickson Publishers,
Peabody, Massachusetts, 2007, 632 pages.
25. Histoire de la littérature grecque chrétienne, Bernard Pouderon, dir., sous
la responsabilité de Enrico Norelli et Bernard Pouderon, Cerf, Paris, 2008, 336
pages.
26. Le Seigneur est mon berger. Le psaume 22 lu par les Pères, « Les Pères
dans la foi » 98, textes traduits par R. Alexandre, F. Bouet, M. Cassin, V. Dolidon
et D. Marianelli, intr. F. Bouet, Migne, 2008, 114 pages.
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27. Dorotei Getov, A Catalogue of greek liturgical Manuscripts in the « Ivan

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Dujcev Centre for slavo-byzantine Studies », “Orientalia Christiana analecta
279”, Pont. Istit. Orientale, Roma, 2007, 620 pages.
28. Fabienne Jourdan, Orphée et les chrétiens. La réception du mythe d’Or-
phée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles. T. I :
Orphée du repoussoir au préfigurateur du Christ, « Anagôgê », Les Belles
Lettres, Paris, 2010, 488 pages.

23. Roger S. Bagnall, spécialiste des origines du christianisme en Égypte,


entraîne son lecteur dans les arcanes complexes de la papyrologie et de l’étude
des manuscrits, à partir de quatre conférences données à l’EPHE de Paris en 2006.
Il y montre une grande rigueur méthodologique, alliée à une grande modestie dans
l’analyse d’une documentation lacunaire, ce qui ne lui interdit pas la combativité.
Il estime que l’on a cherché à donner à nombre de ces manuscrits des dates trop
hautes, sans preuves solides. Deux causes y ont contribué : un cercle vicieux plus
ou moins conscient où l’on suppose une présence déjà large du christianisme à la
fin du IIe et au IIIe siècle en Égypte, ce qui rend vraisemblable de telles datations,
et où l’on argue ensuite de ces mêmes datations pour prouver la dite présence ;
d’autre part, le souci de montrer que le christianisme nicéen était la déviation d’une
forme primitive jugée plus sympathique. Or nous n’avons pas d’informations sur le
développement du christianisme en Égypte avant Demetrius (189-231) et les éva-
luations possibles donnent des chiffres très modestes : s’il y avait 4 000 chrétiens
en 150, 22 000 vers l’an 200, 117 000 vers 250 (c’est-à-dire 1 % de la population
à la fin de l’épiscopat de Demetrius, 2 % à la fin de celui d’Heraclas), l’existence
d’un grand nombre de papyrus chrétiens datant des deux premiers siècles est
invraisemblable. L’auteur se livre ensuite à deux études de cas discutés, dont l’un
concerne l’identification des fragments d’un papyrus (d’Oxford) de l’évangile de
Mt, où il critique une datation donnée par C. Thiede de 70 ou même 60, alors que
l’ensemble des papyrologues le situe au début du IIIe siècle. Ces études rappellent
de bonnes règles se prudence pour l’exercice particulièrement aléatoire qu’est la

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datation des manuscrits. La question de l’« économie du livre » à l’époque atteste


que le coût de sa production était extrêmement cher, le papyrus étant un petit
peu meilleur marché que le parchemin. Les livres étaient surtout le privilège des
bibliothèques épiscopales et monastiques et au dessus des moyens financiers
des personnes au revenu moyen et plus encore des prêtres. Calculé en pouvoir
d’achat d’aujourd’hui, l’acquisition d’une Bible complète coûtait l’équivalent d’une
automobile ou d’une petite maison. Le passage historique du rouleau de papyrus
au codex de parchemin est l’un des événements techniques majeurs du monde
romain : l’Église a fait le choix de ce dernier, à l’exemple de la culture romaine,
en particulier pour les manuscrits de la Bible. Ce choix implique un changement
radical dans la conception du livre, sur laquelle nous vivons encore aujourd’hui.
Cette réflexion reprend son importance au moment où l’informatique et la mise à
disposition de livres entiers sur Internet nous fait revenir du codex au rouleau. Les
argumentations passent d’une technicité très austère à des ouvertures passion-
nantes sur la culture et la société des premiers siècles de notre ère. Car tout ce qui
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touche au livre touche au cœur de la vie des sociétés.

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24. Voici la traduction anglaise, par S. S. Schatzman, de la patrologie de H.
R. Drobner, éditée en allemand en 1994 et traduite en français en 1999, dont nous
avons déjà rendu compte (RSR 88, [2000], p. 312), parue sous le titre The Fathers
of the Church. A Comprehensive introduction. L’ouvrage demeure fondamentale-
ment le même, mais il a intégré quelques notices complémentaires sur certains
auteurs (Tertullien, Eusèbe de Césarée, Hilaire de Poitiers et Basile de Césarée).
La vraie nouveauté de cette édition réside en une cinquième partie, fort utile, qui
concerne les littératures de l’Orient chrétien, syriaque, copte, arménien, éthiopien,
géorgien, arabe et paléoslave. Toutes les bibliographies ont fait l’objet d’une nou-
velle mise à jour, grâce aux soins de W. Harmless qui ajoute en finale une biblio-
graphie supplémentaire. Nous ne pouvons que renvoyer à l’appréciation positive
que nous avions donnée naguère à cet excellent ouvrage.

25. L’Histoire de la littérature grecque chrétienne, publiée sous la direction de


B. Pouderon, est un ouvrage assez proche de celui qui avait été animé par C.
Moreschini et E. Norelli, Storia della Letteratura Critiana antica greca et latina, I. Da
Paolo all’età cosntantiniana ; II* et II**, Dal Concilio di Nicea agli inizi del Medioevo,
(Morcelliana, Brescia, 1995-1996, recensé par Y.-M. Duval, RSR 87 [1999], p. 130-
131) et qui proposait le parcours considérable allant du Ier au VIIe siècle. La tra-
duction française du tome I, De Paul à l’ère de Constantin (Labor et fides, Genève,
2000) a été recensée dans ce bulletin (RSR 90, [2002], p. 285).
Le nouveau projet, auquel participe toujours E. Norelli est un peu différent : il
ne concerne que la littérature grecque, et se veut sensiblement plus développé,
puisqu’il annonce six tomes et l’intention de remplacer la célèbre Initiation aux
Pères de l’Église de J. Quasten (qui date sans aucun doute, mais qu’on ne peut
qualifier de « désuète »). Ce premier tome n’en est que l’introduction générale :
considérations méthodologiques (E. Norelli) ; le passage de l’histoire ecclésias-
tique à la considération de la littérature grecque chrétienne (P. Siniscalco) ; la trans-
mission, les formes et modèles des écrits littéraires chrétiens (R. Gounelle et G.

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Dorival) ; le développement dogmatique (M.-A. Vannier) ; l’esthétique (M. A. Calvet-


Sebasti) ; enfin les éditions des textes et une présentation des grands instruments
de travail de la discipline (M. Wallraff et B. Gain). On ne peut que désirer que cette
collaboration patristique franco-italienne tienne ses promesses.

26. La collection « Les Pères dans la foi » inaugure une nouvelle série dont
chaque livre sera consacré à un psaume et à sa lecture par différents Pères grecs,
latin ou syriaques. Voici le Ps. 22 (selon la LXX) Le Seigneur est mon berger. Didyme
l’Aveugle, dans la ligne d’Origène, donne une interprétation qu’il appelle allégo-
rique, mais, s’agissant d’un psaume qui est une prière, le sens spirituel est proche
du sens littéral. Didyme insiste sur le fait que le verset 2 dit : « Il m’a fait, non pas
habiter, mais camper (kateskènôsen) », terme employé en Jn 1,14 pour exprimer
l’incarnation. Grégoire de Nysse et Augustin vont dans le même sens, mais les
extraits sont trop brefs pour être significatifs. Diodore de Tarse et Théodoret de
Cyr représentent l’école antiochienne : le premier indexe sa lecture sur l’histoire
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du retour des Juifs de Babylone, mais les deux proposent une interprétation tout

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aussi spirituelle. Malgré la qualité exceptionnelle de ce psaume, ce petit livre intel-
ligent ne fait pas encore la preuve de la pertinence de cette série.

27. Nous ne pouvons ici que présenter rapidement le Catalogue systématique,


publié par Dorotei Getov, des manuscrits liturgiques grecs du Centre Ivan Dujcev
pour les études slavo-byzantines de Sofia. L’ouvrage donne d’abord une descrip-
tion détaillée de 448 manuscrits et documents datés du IXe au XIXe siècle, dont
148 sont pratiquement inconnus : présentation matérielle ; table des textes (livres,
lettres, pièces liturgiques) contenus dans chaque manuscrit et identifiés selon leur
incipit ; indication des éditions de l’œuvre en cause ; renseignements complémen-
taires. Suit un index des auteurs et enfin la liste des incipit de textes non édités
et non reconnus. Une brève introduction raconte l’histoire de ce centre fondé en
1986 et des institutions qui l’ont précédé au XXe siècle. Cet ouvrage, présentant
toutes les garanties de scientificité, sera très utile aux spécialistes.

28. F. Jourdan livre le premier tome d’une œuvre de fond sur Orphée et les chré-
tiens. La réception du mythe d’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des
cinq premiers siècles. L’ouvrage, à l’érudition impressionnante, nous fait assister
à la dialectique subtile par laquelle Clément, surtout dans le Protreptique, exhor-
tation aux Grecs à embrasser la religion nouvelle, mais aussi par l’ensemble de
son œuvre, fait passer ce mythe du stade de repoussoir païen à celui de préfigu-
rateur et d’anticipation du Christ. Orphée, le chanteur et le citharède, étudié à la
loupe grossissante dans le texte de Clément, est considéré comme le fondateur
du paganisme et de la théologie grecque, celui qui récapitule aussi les cultes
secrets et les mystères. À ce titre il est le chantre sophiste, magique et ensor-
celeur, le mystagogue idolâtre, l’auteur de mystères impudents. Il s’oppose au
Christ, Logos de Dieu, homme parfait en ce qu’il est Dieu et instaurateur de la
vraie religion. Mais cette opposition radicale fait aussi de lui une sorte de paral-
lèle qui permet de présenter le Christ avec certains de ses traits : nouvel Orphée,
héritier de l’Orphée biblique qu’est David, Logos et citharède d’un chant nou-

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veau, mystagogue et hiérophante de mystères purifiés, chantre du monothéisme


judéo-chrétien.
L’auteur va toujours au fond de l’étude des termes et des thèmes auxquels
touche son sujet et intègre à son propos plusieurs monographies fort intéres-
santes : une notice précise sur Clément, la définition approfondie du genre litté-
raire protreptique depuis Aristote, le rapport historique entre Celse et Clément,
la théologie du Logos chez ce dernier, les mystères païens et le mystère chré-
tien, l’homme à l’image de Dieu chez Platon. Par la richesse de ses références
culturelles – l’annotation est très riche – dans les milieux intellectuels du IIe siècle,
c’est toute la relation entre chrétiens et païens d’alors qui se trouve évoquée.
Comme le dit justement l’auteur, «il s’agit peut-être moins d’une hellénisation du
christianisme que d’une christianisation de l’hellénisme, elle même héritière d’une
hébraïsation alexandrine » (p. 259). On regrettera seulement une certaine lourdeur
de la présentation : subdivisions trop multipliées, répétitions dues à des annonces
détaillées, conclusions en cascades, ésotérisme du vocabulaire au delà du néces-
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saire, souci de numéroter la moindre distinction. Mais ce ne sont que broutilles au

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regard d’une enquête féconde qui situe la figure du christianisme au sein de l’uni-
vers religieux antique et qui, aujourd’hui où le dialogue interreligieux est à l’ordre
du jour, rend compte d’une forme de dialogue originel entre paganisme et christia-
nisme, celui qui sera repris sous une autre forme dans le Contre Celse d’Origène.
Il constitue également une pédagogie culturelle de la foi chrétienne, originale et
audacieuse, dont certains enseignements sont encore valables aujourd’hui. Le
second tome, attendu, doit élargir la recherche aux auteurs chrétiens d’expression
grecque des cinq premiers siècles.

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