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NOTE À L'ISSUE DU COLLOQUE RSR « CHRISTOLOGIE ET HISTOIRE

DE JÉSUS »

Joseph Moingt

Centre Sèvres | Recherches de Science Religieuse

2011/1 - Tome 99
pages 31 à 35

ISSN 0034-1258

Article disponible en ligne à l'adresse:


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http://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2011-1-page-31.htm
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Pour citer cet article :


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Moingt Joseph , « Note à l'issue du colloque RSR « christologie et histoire de Jésus » » ,
Recherches de Science Religieuse, 2011/1 Tome 99, p. 31-35.
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NOTE À L’ISSUE DU COLLOQUE RSR
« CHRISTOLOGIE ET HISTOIRE DE JÉSUS »

par Joseph Moingt,


Professeur émérite Centre Sèvres – Facultés Jésuites de Paris
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J ’étais intervenu au début des débats conclusifs du colloque pour dire

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que j’avais assisté la veille avec effarement à la tentative d’effacer deux
siècles de débats autour du Jésus historique, en raccrochant les cinq ou
six volumes de J. P. Meier au wagon de tête de la première quête. J’avais
entendu dire, en effet, que la rigueur critique de cet historien avait déblayé
les obstacles accumulés par ses prédécesseurs et qu’il était possible, main-
tenant, d’établir sur des bases historiques solides une théologie de la vie
de Jésus, une christologie messianique de l’accomplissement des Écritures
par l’activité thaumaturgique de Jésus, qu’il serait loisible d’élever ensuite
à une haute christologie, peut-être même sans avoir besoin de passer par
sa résurrection. Alors, je demandais si l’on s’était suffisamment inquiété
de la déconstruction de l’historiographie biblique, opérée en gros depuis
le tournant du siècle, qui avait transformé l’histoire de l’Ancien Testament
en champ de ruines, à tel point que je ne savais plus comment parler de
l’histoire du salut ni de la révélation des Écritures en tant que théologien et
dans le plein respect de la vérité de l’histoire. Je concluais en remarquant
qu’on avait beaucoup parlé la veille de modestie et de discrétion mais que
je craignais que nous en ayons manqué.

Plusieurs auditeurs ont regretté la brièveté de mon intervention et ont


cherché à l’interpréter sur la base de quelques propos que j’avais tenus ici
ou là au cours du colloque. On a pensé ou bien que je ne voyais pas l’inté-
rêt des travaux historiques pour la recherche théologique, ou bien que je
m’étais arrêté aux débats du siècle dernier entre Käsemann et Bultmann
sans m’intéresser à la troisième quête, ou encore que je reprochais à Meier
de verser dans l’historicisme. C’est pourquoi je vais m’expliquer un peu
plus longuement.

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Je ne voudrais pas me livrer à une discussion détaillée des propos visés


par cette intervention. Je m’en étais d’ailleurs ouvert, dès l’issue de nos
débats, aux trois conférenciers de la veille qui avaient volontiers convenu
qu’il n’y a pas de désaccord de fond entre nous, et, de toutes façons, je ne
suis pas l’arbitre des débats ! Aussi vais-je me borner aux données objectives
du problème qui me préoccupe.

Oui, j’avais bien soutenu que pour moi, théologien, l’intérêt des débats
sur le Jésus de l’histoire se concentrait autour de la problématique débattue
entre Bultmann et Käsemann, au sujet de la continuité ou discontinuité
entre la prédication de Jésus et celle des apôtres. Mais je n’ai pas voulu dire
que les termes de cette problématique avaient été définis une fois pour
toutes par ces deux théologiens et historiens et il me semble avoir montré
dans mes livres que je me suis aussi fortement intéressé aux recherches pos-
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térieures, mais pour autant, il est vrai, qu’elles entraient dans cette problé-

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matique, celle du rapport du théologique à l’historique, si magistralement
exposée jadis par Pierre Gisel. C’est ainsi que j’ai été fort troublé, je l’avoue,
par l’analyse – que je ne discute pas – de la conscience messianique de Jésus
faite par Meier : là où d’autres y découvrent une christologie implicite, je
décèle une réelle discontinuité entre la prédication du Royaume chez Jésus
et l’Évangile dont Paul se fait le héraut, celui de la transmission aux Nations
des promesses jadis réservées à Israël.
Je commence à peine à réfléchir à ce problème que j’en découvre un
autre. Oui, j’ai bien dit que la déconstruction de l’historiographie biblique
me préoccupait davantage, maintenant, que la suite de la troisième quête.
Car cette suite ne risque que d’approfondir, sur le plan de l’histoire, la dis-
continuité dont je viens de parler. Mais comment, par quelle intelligence
de la foi vais-je pouvoir, en théologien, combler ce fossé si je suis incapable
de dire quelle sorte de révélation de sa mission Jésus a reçue des Écritures,
et plus encore de la connecter avec celle que Paul prétend avoir reçue de
Jésus lui-même ? Il y a bien « l’énigme » des Prophètes, mais quel rapport y
a-t-il entre le discours prophétique ou le courant majoritaire du judaïsme
auquel Jésus se rattachait, ai-je entendu dire, d’une part, et la révélation
dont Paul se réclame et qu’il prétend avoir été ignorée depuis les temps
anciens, d’autre part ?
Tout cela nous éloigne, peut-être, du problème du miracle qui était au
cœur de nos débats. Mais est-ce aussi vrai qu’il le paraît ? J’avais encore dit
que ce problème n’était pas de savoir si Dieu agit à l’encontre ou en dehors
des lois de la nature ou en activant leurs potentialités, mais simplement
s’il agit dans l’histoire. Nous y voici. J’ai entendu louer la discrétion avec
laquelle Dieu avait agi ou plutôt s’était abstenu d’agir dans la passion de
Jésus. S’était-il départi de cette discrétion pour annoncer la venue de Jésus

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son Envoyé ultime ? J’ai entendu appeler la résurrection un miracle. Il faut


donc aussi parler du « miracle » de la révélation. L’histoire peut-elle en éta-
blir le fait aussi facilement qu’elle parle, paraît-il, des miracles de Jésus ?
Si ceux-ci sont révélateurs du Royaume, conjointement avec les paraboles,
quels faits d’histoire peut-on alléguer et connecter aux Écritures en preuve
de la révélation de Dieu dans le passé, celle à laquelle Jésus se réfère ?
Comme quoi, la question des miracles cache le problème de la révélation,
car c’est un seul et même mystère, celui de l’agir de Dieu dans l’histoire des
hommes.

Je vais m’expliquer, pour terminer, sur mon problème avec Meier. Je ne


l’ai pas accusé d’être positiviste, puisque j’ai avoué, au contraire, qu’il m’a
ébranlé. Je ne doute pas de son intention de ne pas affirmer plus que la
plausibilité d’un événement raconté par un récit qui jouit à ses yeux du
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privilège de l’historicité. Il n’empêche qu’il lui arrive, plusieurs fois, d’aller

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plus loin, d’affirmer, par exemple, que la réputation de Jésus d’être un
thaumaturge atteste avec certitude son activité thaumaturgique. Il est vrai
aussi qu’il a parlé « d’épiphanie » à propos de la marche sur les eaux. J’avais
montré, dans mon groupe, en citant Michel de Certeau, que le discours
historiographique, à force de démêler le vrai du faux, arrive à produire
un discours du « faire croire » : il est vraisemblable que nous en avons été
victimes.
De la troisième quête de Meier, je ne retiens pas seulement qu’il n’est plus
permis à un théologien de parler de Jésus comme s’il n’était pas un juif, mais
qu’il y a un intérêt positif à faire état de sa judaïté : par exemple, son analyse
du miracle du pain partagé apporte un éclairage précieux sur la Cène de
Jésus. J’ai cependant attiré l’attention, toujours en citant Certeau, sur le
danger de l’interférence du présent avec le récit du passé. Par exemple,
quand Gerd Theissen dit que tout effort d’écarter Jésus du judaïsme abou-
tit à nourrir l’antisionisme, il tient là un discours « politique » et non histo-
rien. Les exégètes n’en sont peut-être pas toujours suffisamment conscients
quand ils se tiennent sur le même terrain.
J’aurais aussi souhaité que Meier soit plus précis, non quant aux critères
d’historicité, mais quant aux périodes qu’il assigne aux traditions quali-
fiées par lui d’historiques : doivent-elles remonter aux seules années du
ministère public de Jésus ? ou peuvent-elles s’étendre au temps de la for-
mation de la foi pascale des disciples ? qui fut de quelle durée ? et comment
parvient-on à détacher une tradition « pré-pascale » de la rétrodiction
« post-pascale » ? Car la vision pascale des disciples s’est forcément mêlée
à leur foi antérieure en Jésus, à la réminiscence des événements vécus avec
lui, et aux souvenirs qu’ils recueillaient de ceux qui l’avaient côtoyé : tout
cela finissait par former une même tradition orale, qui a sans doute évolué.

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Comment l’historien détache-t-il toutes ces strates de la temporalité d’une


tradition ? Modestie et discrétion !
Je dirai un dernier mot, car je me suis aussi prononcé là-dessus, sur le
principe épistémologique mis en avant par Meier : « Le Jésus historique
n’est pas le Jésus réel. Le Jésus réel n’est pas le Jésus historique (ou de l’his-
toire). » J’ai objecté que ce principe est insignifiant, en tant que la même
chose peut être dite de n’importe quel individu. Car l’histoire ne s’inté-
resse pas au singulier, a expliqué Paul Veyne, mais seulement au spécifique,
c’est à dire au compréhensible. Que Jésus soit prophète, eschatologique ou
apocalypticien, ou thaumaturge, ou docteur halakhique, ou tout cela à la
fois, qu’il soit comparable, sur tous ces points, à Jean-Baptiste ou à Élie,
semblable sous tel aspect, différent sous tel autre, tout cela, c’est du spéci-
fique, donc de l’historique (cela permet de classer le personnage dans telle
catégorie d’acteurs historiques), non du théologique (cela ne relève pas
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de la foi, même si cela intéresse le théologien qui tient discours sur Jésus).

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Mais que Jésus soit Jésus et non Jean-Baptiste, et que Jean-Baptiste soit Jean-
Baptiste et non Jésus, cela, dirait Veyne, c’est du singulier, de l’individuel
non classable, non identifiable en tant qu’individuel, et cela n’est pas du
ressort de l’histoire. Cela relève de la révélation et de la foi. Et c’est à ce
point que la route du théologien se sépare de celle de l’historien.

Mais voici que ma réflexion rebondit sur ce point, dont j’aurais voulu
faire la conclusion de cette petite chronique, pour reprendre deux autres
propos que j’ai tenus dans les couloirs.

J’ai dit que l’historien est enfermé dans le livre qu’il lit (mais ai-je raison
d’assimiler à l’historien tout exégète du Nouveau Testament ?), tandis que
le théologien affronte la pensée du monde contemporain, ce à cause de
quoi ils ne peuvent parler le même langage. Le premier écrit sur Jésus de
Nazareth, un homme du passé, en décryptant de vieux textes à l’aide de
documents d’archives ; et il écrit avant tout pour d’autres savants qui ont le
même métier et qui seuls ont compétence pour apprécier ses découvertes
et ses analyses. Le second parle du Jésus de la tradition chrétienne, de celui
auquel croient les chrétiens et auquel ne s’intéressent plus la plupart des
gens de notre société ; les fidèles ont entendu sur les ondes des savants chré-
tiens parler sur Jésus en des termes tout différents de ceux de leurs pas-
teurs ; le théologien doit donc les rassurer, sans pourtant rien leur cacher
de ce qu’il sait lui-même, les éclairer sur des points d’histoire sans ébranler
leur foi en Jésus ; et s’il écrit, il a la secrète et douloureuse ambition que
son livre puisse tomber aux mains de quelques incroyants et leur donner
à penser sur le Jésus auquel il croit. Voilà pourquoi théologiens et historiens
ne parlent pas dans le même espace culturel ni sous le même horizon du

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temps et, sans se désintéresser les uns des autres, n’ont pourtant pas les
mêmes intérêts de connaissances.
Mais c’est bien du même vrai Jésus que parle le théologien, n’en déplaise
à John P. Meier, du Jésus de l’histoire et de l’Évangile, qui ne s’identifie
pas absolument au Jésus des évangiles et des historiens, du Jésus « mainte-
nant ressuscité » mais dont il ne sépare pas l’existence terrestre de sa vie
céleste par une barrière infranchissable à la pensée de la foi. Car il s’agit du
Crucifié Ressuscité, de l’homme du passé qui est passé de la terre au ciel en
passant de la mort à la vie. Pierre et Paul, chacun à sa façon (et sans doute
Jean aussi, tout différemment), attestent et confirment, en témoins et en
croyants, qu’il est devenu (qu’il a été fait, établi, élevé) Christ et Seigneur,
Seigneur et Fils de Dieu, par sa résurrection. Voilà qui oblige le théologien
à confesser la parfaite humanité du Christ dans les strictes limites de son
historicité, et voilà qui l’attache inexorablement à l’histoire des historiens.
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La même expression, « il est devenu », ne permet pas de parler absolument

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de la même façon du Jésus terrestre et du Jésus céleste, tout en interdisant
de les diviser l’un de l’autre. Et le magistère de l’Église ne peut pas inter-
dire au théologien de réintroduire dans la tradition de la foi chrétienne ce
mot de la révélation qui en avait été expulsé. Voilà qui devrait rassembler
théologiens et historiens croyants dans un même combat pour la vérité cri-
tique de la foi chrétienne.

Jocelyn Benoist avait écrit dans notre revue voici quelques années que
Thucydide avait dû, pour devenir à son tour historien, tuer son père
Hérodote. Bonne chance donc à John P. Meier, qui vient de siffler le départ
de la quatrième quête ! Et bonne chance aux théologiens que leur respect
pour l’histoire des historiens voue à de semblables mésaventures !

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