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Nature et Technique Ce qui est

naturel a-t-il plus de valeur que ce qui est produit


par l'homme ? Tweeter

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Plan
Introduction

I- La distinction nature et technique

A - Détermination conceptuelle de la nature et de la technique (Aristote, Physique


II 1)

B- La valeur morale de cette distinction : la nature comme norme et comme


supérieure à la technique

Conclusion I

II- Remise en question de la distinction morale

A-la nature a-t-elle de la valeur ?

B- La technique est-elle mauvaise en soi ?

Conclusion II

III- Remise en question de la distinction nature et technique

A- Existe-t-il du pur naturel et du pur artificiel ?

B- La nature comme insatisfaction devant la modernité

Conclusion III

Conclusion générale

Annexe : le cosmos antique et le mot d’ordre " vivre en conformité avec la nature "

Bibliographie

Cours
Introduction
1) Qu’est-ce que faire de la philosophie ?

Ce cours sert d’introduction à la philosophie  : nous allons voir ce qu’est la


philosophie, en en faisant. Nous allons partir d’opinions communes, souvent
entendues, autant dans les médias que dans les bars, le soir à table devant la télé,
que dans les cours de récréation. Il s’agit de nos conceptions courantes
concernant la nature, et la technique. Force est de constater que la première est
souvent violemment critiquée, et la seconde, valorisée et défendue. Cf. marée
noire, effet de serre, etc.  : c’est la faute à la technique, à l’homme, qui souille la
nature. La nature se révolte des agressions causées par l’homme (tempêtes,
etc.) ; nous la faisons souffrir. Cf. aussi produits bio, produits du terroir, retour à la
campagne contre la ville… : vive le retour à la nature !

Que va-t-on faire face à ces conceptions, ie, en quoi cela va-t-il consister, de
réfléchir philosophiquement sur elles ? Faire de la philosophie consiste à réfléchir
sur nos conceptions courantes, à chercher ce qu’elles présupposent, ie, ce qui se
cache derrière, et quels sont leurs enjeux, ie, leurs conséquences et leur
importance pour l’homme.

On nomme ces conceptions courantes des opinions, parce que ce sont, avant
qu’on réfléchisse sur elles, des idées sans fondement, non interrogées. Une
opinion peut être vraie, comme être fausse. Mais c’est un savoir faillible, fragile.
Ce sont des idées vagues, que nous ne comprenons pas vraiment, et qui peuvent
nous faire dire des mais aussi faire certaines choses erronées ou dangereuses.

Ici, il s’agira donc de savoir si nos conceptions courantes concernant la nature et


la technique sont fondées, en recherchant quels sont leurs présupposés. Nous
devons nous demander, afin de formuler des jugements corrects et réfléchis
concernant ces deux points : mais d’abord, qu’est-ce que la nature ? qu’est-ce que
la technique  ? qu’est-ce qui fonde la distinction nature et technique, et cette
distinction est-elle fondée ?

Cela s’appelle réfléchir conceptuellement : un concept est une idée qui regroupe
tous les caractères essentiels d’une notion, et ceux-là seulement  ; on essaie de
dégager l’essentiel de l’accidentel. D’où le rôle secondaire des exemples  : il faut
faire attention à leur utilisation, car un exemple ne peut nous instruire sur ce
qu’est la chose. Ainsi, si je vous demande ce qu’est la beauté
(../../../new/cours/pages/cours-veriteplaton.html#Socrate), il faut essayer de
répondre de la façon la plus générale possible  : ie, pas en en donnant une série
d’exemples ! De même, si je vous demande comment sont les irlandaises, si vous
me dites "  elles sont rousses  ", il y a de fortes chances que votre jugement soit
erroné (c’est une opinion). Cf. le statut de l’induction (in cours théorie et
expérience (../../../new/cours/pages/cours-theorieexperience.html#BM1)).

Il faut ensuite (enfin !) transformer ces questions en problème : le problème met


en évidence le fond de la question, ce qui est le plus important dans la question.
On se demandera ainsi si la nature est meilleure que la technique ; si la technique
est mauvaise en soi ; et enfin, comment la nature peut-elle être une valeur, et cette
conception est-elle innocente ? La formulation du problème obtenue à travers ce
questionnement, sera le titre de notre cours  ; voici ce problème  : "  ce qui est
naturel a-t-il plus de valeur que ce qui est produit par l’activité de l’homme  (la
technique) ? "
Pour répondre à toutes ces questions, nous allons donc chercher tout ce que
présupposent nos opinions courantes, et voir : 1) si elles sont valides ou pas ; 2) si
elles sont dangereuses ou pas. Bien sûr, il faudra chercher, si nous les
"  critiquons  ", au sens où nous les passons au crible du jugement, de l’analyse
conceptuelle et réflexive, comment les rectifier –sinon, cela ne sert à rien. On sera
alors passé de l’opinion commune à la pensée philosophique. Ce travail est celui
là-même que nous ferons toute l’année en cours, et que vous devrez élaborer dans
vos dissertations.

NB  : suite de ce cours  : "  qu’est-ce que la philosophie 


(../../../new/cours/pages/cours-philosophie.html)", surtout la partie sur Socrate

2) Quels sont les présupposés de nos opinions communes concernant la nature et


la technique ?

1. Présupposé premier : louer le naturel, c’est le faire au détriment de l’homme et de


son activité sur ou à partir de cette nature : c’est donc présupposer que l’homme
est un être qui introduit du désordre dans le monde/ nature, et donc, que la nature
est en soi quelque chose qui a de la valeur, qui est en ordre ; et que la technique
est destructrice de cet ordre, qu’elle est en soi mauvaise. Transformation du
présupposé en problème (qui indique à travers quelle question nous devrons faire
l’analyse de ce présupposé) : la nature a-t-elle de la valeur ? la technique est-elle
mauvaise en soi ?
2. Deuxième présupposé : allons plus loin : louer le naturel au détriment de la
technique, c’est sous-entendre que la distinction nature et technique va de soi,
qu’elle est claire ; et donc, que la nature existe en soi. Transformation du
présupposé en problème : la distinction nature et technique est-elle fondée ? la
nature existe-t-elle en soi ? (ou : y a-t-il encore du sens à parler d’une pure nature,
et même de quelque chose comme la nature ? )

Nous allons donc analyser chacun de ces présupposés, afin d’analyser nos
opinions communes concernant la technique et la nature. Nous le ferons en
prenant pour fil directeur les deux grandes questions/ problèmes que nous avons
obtenues en transformant les présupposés en problèmes.

3) Plan du cours 

La première partie est une première analyse critique, qui va essentiellement


consister à décortiquer les notions de nature et de technique, et à montrer à
travers elles comment nos opinions paraissent être fondées.

Puis, dans les parties II et III, nous en ferons une critique plus poussée, en
montrant en quoi, cette fois, nos opinions ne sont pas fondées, à la fois en ce
qu’elles entretiennent des fausses notions de la nature et de la technique, et en ce
qu’elles sont dangereuses socialement/ politiquement. Il faut donc préciser que
c’est surtout dans la partie III que les deux grandes questions formulées ici auront
leur place et trouveront une réponse  ; mais elles doivent bien rester dans votre
tête pendant l’analyse de la première partie, puisque c’est vers la résolution du
problème que nous tendons.

I- La distinction nature et technique

A-Détermination conceptuelle de la nature et de la technique (Aristote, Physique II


1)
Pour avoir des traits clairs et essentiels des notions de nature et de technique,
nous allons nous aider d’un texte d’un grand philosophe de l’Antiquité  : il s’agit
d’Aristote. Pourquoi s’aider de textes, et de ce qu’ont dit des philosophes ? Parce
que nous ne pouvons, seuls, réfléchir sur nos opinions, pour en faire sortir ce
qu’elles ont d’encore ininterrogé. Nous avons besoin pour cela de nous confronter
à la pensée des autres, et, en l’occurrence, des philosophes. Celle-ci n’est pas une
opinion parmi d’autres : ils ont, avant nous, réfléchi sur des opinions, pour en faire
des concepts. Ils l’ont fait en réfléchissant par eux-mêmes, certes, mais aussi, en
réfléchissant et en confrontant leur pensée à ce qu’on dit d’autres philosophes
avant eux.

Aristote est un philosophe qui vivait en Grèce au IVe siècle av. JC. Il a beaucoup
écrit sur la nature. Dans l’ouvrage d’où est issu ce texte, il détermine l’objet de la
physique. Son objet va être l’étude de la nature. C’est donc à une détermination de
ce qu’est la nature, et de ce qu’elle n’est pas, que donne lieu l’interrogation
d’Aristote sur la physique. Sa réflexion intéresse donc notre propos, puisque nous
cherchons ici ce qu’est la nature (et ce qu’est la technique).

Lisons ce texte.

Aristote, Physique, II, 1 

Parmi les êtres (…), les uns existent par nature, les autres par d’autres causes ; par
nature, les animaux et leurs parties, les plantes et les corps simples, comme terre,
feu, eau, air ; de ces choses en effet, et des autres de même sorte, on dit qu’elles
sont par nature./ Or, toutes les choses dont nous venons de parler diffèrent
manifestement de celles qui n’existent pas par nature ; chaque être naturel, en
effet, a en soi-même un principe de mouvement et de fixité, les uns quant au lieu,
les autres quant à l’accroissement et au décroissement, d’autres quant à
l’altération. Au contraire, un lit, un manteau ou tout autre objet de ce genre, en tant
que chacun a droit à ce nom, c’est-à-dire dans la mesure où il est un produit de
l’art, ne possèdent aucune tendance naturelle au changement, mais seulement en
tant qu'ils ont cet accident d'être en pierre ou en bois ou en quelque mixte, et sous
ce rapport ; car la nature est un principe et une cause de mouvement et de repos
pour la chose en laquelle elle réside immédiatement, par essence et non par
accident.

Exercice : apprendre à commenter un texte : trouvez la structure du texte.

Ensuite, donner la consigne essentielle pour bien suivre le cours : chaque fois que
l’on trouvera une caractéristique/ définition de nos deux termes (nature/
technique), la noter sur une feuille à part (et bien sûr la souligner au rouge dans le
cahier).

1)" être par nature " et " être par l’art "

Dans ce texte, Aristote cherche à déterminer ce qu’est un être naturel. Pour cela, il
fait une première distinction  : tout ce qui existe, existe soit par nature, soit par
d’autres causes. Distinction bien générale  ! Ce qu’on sait, c’est seulement que
certains êtres dans le monde sont naturels. Et que être naturel c’est être produit
par la nature ; cf. expressions " par d’autres causes " et " produit de l’art " : il y a
des causes naturelles, et d’autres qui ne sont pas naturelles. Avant de déterminer
ce que sont les causes non naturelles, et quels sont les êtres qui existent donc par
des causes non naturelles, Aristote donne des exemples d’êtres naturels  :
animaux, plantes, éléments et parties qui composent ces êtres. On peut bien sûr
ajouter à la liste d’Aristote les hommes ! Nous pouvons donc dire quels êtres sont
naturels (avant même de savoir pourquoi ils le sont)  : sont naturels, les êtres
vivants et leurs éléments.  

Ensuite, Aristote caractérise davantage sa distinction générale : tout ce qui existe


est soit le produit de la nature, soit le produit de l’art. Les causes non naturelles
ont donc maintenant un nom : ce sont les causes venant, non de la nature, mais
de l’art. Qu’est-ce que l’art  ? Ce terme ne désigne pas l’art au sens où nous
l’entendons communément aujourd’hui, à savoir, faire des œuvres qui plaisent. Il
s’agit tout simplement de toute activité consistant à fabriquer quelque chose. Il
est synonyme d’artisanat, mais aussi, de technique. L’origine de certains êtres est
donc dans une cause non naturelle, qui est l’art : autre moyen de dire que ce qui
est à l’origine de ces choses, c’est l’homme  ! Comment nommer ces êtres  ? On
peut nommer ces choses fabriquées par l’homme de plusieurs manières  : des
artifices, des artefacts, des œuvres, ou encore, pourquoi pas, des objets
techniques, tout simplement. Exemples donnés par Aristote  : sont artificiels (=
produits par l’art, non par la nature) les manteaux, les lits, etc.

Nous obtenons ainsi des définitions un peu plus précises : la définition du naturel
est maintenant la suivante : est naturel, ce qui n’est pas le produit de l’art, ce qui
n’est pas artificiel. Est produit de l’art, artificiel, ce qui est fabriqué par l’homme, ce
que la nature n’a pas fait. La nature est donc indépendante de l’homme. Mais
l’homme, de par son activité technique, fait des choses qu’il ajoute à la nature.

Mais cette première détermination du naturel n’est pas encore assez


déterminante  : pourquoi en effet les êtres de nature diffèrent-ils des êtres
artificiels  ? Sur quoi repose la distinction  ? Est-elle seulement génétique  ? -Est
génétique une définition qui définit la chose par son mode d'engendrement.
Aristote va en fait passer à un second mode de définition : la définition essentielle,
qui définit la chose par ce qu’elle est. La première en effet ne suffit pas, car
comme on le voit dans ce texte, les êtres artificiels sont après tout eux aussi
composés d’éléments naturels  ! –On fabrique les objets techniques à partir de
quelque chose, et ce quelque chose, c’est la nature  : la technique est donc une
activité seconde, qui suppose la nature. La nature est cause première de ce qui
est, et la technique cause seconde  : c’est dire que l’homme n’est pas créateur,
alors que la nature l’est. Fabriquer n’est pas créer… Aristote va dire que ce qui fait
que les êtres naturels sont naturels, c’est qu’ils ont en eux un principe et une
cause interne de mouvement. Ie  : ils se meuvent par eux-mêmes, ils "  bougent  "
tout seuls. Ils n’ont pas besoin pour être, vivre, bouger, d’une intervention
extérieure. La nature n’est donc pas une cause externe mais une cause interne.
Elle est immanente aux êtres naturels. Les êtres naturels sont donc autonomes.
Alors que, par opposition, un être artificiel, s’il peut parfois, certes, se mouvoir tout
seul, a besoin comme cause ultime de son mouvement (et de son être  !), de
l’homme.

Exemples : la montre, l’ordinateur, etc., par opposition à une plante, un animal, un


homme.

NB  : Que faire de la pierre  ? Fait-elle partie de la nature  ? On aurait en effet


tendance à le penser. La pierre n’est pas produite par l’homme, elle existe
indépendamment de l’activité humaine  : bref, elle n’est pas artificielle. Pourtant,
elle ne semble pas être un être vivant, et ressemble plutôt à la montre, en ce
qu’elle ne bouge pas toute seule  : elle n’est donc pas naturelle  ! Ici, la définition
génétique semblerait donc mieux convenir  : comme il y a des êtres qui sont par
nature et d’autres qui sont par d’autres causes, à savoir, l’homme, et que la pierre
n’est pas par l’homme, alors, elle est par nature. Mais nous avons vu que la
définition génétique n’était, hélas, pas assez déterminante. On peut répondre à
cela que dans le monde, il y a : ce qui est produit par la nature, ce qui est produit
par l’homme … et ce qui est produit par le hasard et la nécessité. Entre dans cette
dernière sorte de "  cause  ", la matière. Ainsi, nous pouvons échapper à notre
difficulté : si la nature est ce qui existe indépendamment de l’activité humaine, elle
n’est pourtant pas la matière. En effet, la matière est quelque chose d’inorganisé,
qui n’obéit qu’au hasard, c’est-à-dire, qu’elle est un mode d’existence non
seulement indifférent à l’activité humaine, mais également indifférent à tout
principe et à toute loi. Or, la nature, nous venons de le voir, est un principe
d’organisation des êtres naturels. Elle est ce qui fait qu’ils poussent, qu’ils
croissent, qu’ils vivent. Toutes ces activités ne sont dues ni à l’homme, ni au
hasard. L’herbe ne pousse pas par hasard, par exemple, mais par nature. Si
l’homme peut l’aider à pousser mieux, par certaines sortes d’engrais, c’est
toujours au bout du compte la nature qui fait pousser l’herbe, pas l’homme.
L’herbe, encore, ne pousse pas n’importe comment, mais par nature, etc. – A tel
point qu’on est souvent tenté, devant la nature, de recourir au principe de finalité :
on dirait vraiment que les êtres naturels sont organisés en vue de fins, tout en eux
est tellement bien agencé…

Conclusion de ce texte (que nous a-t-il apporté de primordial pour notre sujet) :

D’abord, faisons un tableau récapitulatif des principales définitions de la nature et


de la technique  (consigne  : faire ce tableau sur une feuille à part car nous
continuerons à le remplir au fil du développement) :

1. sont naturels les êtres vivants et leurs éléments (définition génétique)

(2) est naturel ce qui n’est pas artificiel -Première

(3) est artificiel ce qui est fabriqué par l’homme -Seconde

4. la nature est un principe et une cause interne de mouvement (définition


essentielle)

la nature n’est pas l’univers matériel


Ainsi, on peut dire que l’opposition à l’artificiel est constitutive de la définition
même du naturel. Communément, quand nous parlons de la nature, ou,
réciproquement, de la technique, nous avons en tête cette opposition nette et
tranchée entre ce qui est naturel et ce qui est artificiel.

2) Cette opposition nature/ technique est-elle une opposition de valeur ?

Nous voilà donc en présence d’une distinction fondamentale, qui se trouve au


soubassement de toutes nos conceptions courantes concernant la nature.
Seulement, nous disposons maintenant de définitions plus claires, ce qui va nous
permettre d’aller plus loin dans la critique (= passage au crible) de nos opinions.
Nous avons vu que nous pensons spontanément, d’abord, que la technique et la
nature se distinguent, mais aussi, qu’elles se distinguent en valeur. Si nous avons
maintenant des arguments en faveur de la première opinion, encore nous faut-il en
trouver pour appuyer la seconde. En quoi l’opposition naturel et artificiel/
technique, qui est une opposition entre deux genres d’être, peut-elle en venir à
désigner une opposition entre deux domaines de l’être, dont l’un aurait une valeur
supérieure à l’autre  ? Reprenons notre tableau, et cherchons comment on passe
de l’une de ces distinctions à l’autre.
D’abord, prenons les définitions (2) et (3)  : il apparaît que ce qui est naturel est
antérieur à l’homme, premier par rapport à l’activité technique/ fabricatrice de
l’homme. Cf. fait que même les objets techniques/ artificiels sont composés
d’éléments naturels : c’est dire que la nature est première chronologiquement. Les
objets faits par l’homme viennent toujours après les objets (êtres !) naturels, qu’ils
sont toujours tenter d’imiter. Ensuite, regardons les définitions (1) et (4) : la nature,
c’est ce qui est vivant, et c’est ce qui est autonome, ce qui se meut par soi. C’est
dire que les objets faits par l’homme ne sont pas aussi " au point " que les objets
naturels, et que l’homme ne peut faire aussi bien que la nature. Ils ne subsistent
pas par eux-mêmes  ; il leur manque l’indépendance, l’autonomie, qui caractérise
les premiers .

Donc  : l’artificiel est maintenant ce qui est second par rapport à la nature, mais
aussi, ce qui ne fait que l’imiter, sans pouvoir la surpasser ou même l’égaliser. Cf.
l’art : on va dire qu’il n’est qu’artifice –l’artifice ira même alors jusqu’à signifier le
factice, le faux par rapport au vrai, au " naturel " : l’artificiel a donc maintenant une
connotation négative. C’est de là que sont dérivées les expressions : " il n’est pas
naturel " (connotation de mensonge, d’inauthenticité, par opposition à la sincérité)

Les objets techniques, artificiels, paraissent donc avoir un moindre être par
rapport aux objets naturels.

Suite du tableau (les élèves y inscriront les nouvelles définitions à la suite du


tableau que nous avons commencé plus haut)    : voici les nouvelles
déterminations/ définitions que nous avons obtenu :

(6) est naturel ce qui est premier, originaire

(7) est artificiel ce qui est second ; ce qui imite 

(8) le naturel est autonome alors que (9) l’artificiel est dépendant

Mais Aristote ne semble pas dire ni même sous-entendre que ce que l’homme
ajoute à la nature est par définition quelque chose de mal, de condamnable. Il dit
même souvent que par l’art, l’homme achève la nature, la perfectionne. Si la
distinction entre les êtres techniques et les êtres naturels désigne certes deux
genres d’être de valeur différente, il ne s’agit donc pas encore de valeur morale.
Comment peut-on donc en venir à moraliser cette distinction nature/ technique?
Ie, à formuler les jugements suivants : " la nature, c’est bien, la technique, l’artifice,
c’est mal " ?

B- La valeur morale de cette distinction  : la nature comme norme et comme


supérieure à la technique

D’où peut bien venir la condamnation morale de l’objet technique, artificiel, fait de
main d’homme et ajouté par l’homme à la nature ?

1) la nature comme ordre

Il faut pour cela que l’on croit que la nature est quelque chose de sacré ; qu’elle est
bonne ; qu’elle est un ordre préalable à l’homme ; ainsi, toute modification de cet
ordre est néfaste à la nature.

On peut trouver nombre d’arguments permettant de justifier cette croyance, pour


le moment non réfléchie.

a) la biosphère
La nature, d’abord, n’est-elle pas l’ensemble des êtres vivants  ? Or, cet ensemble
n’est-il pas bien ordonné ?

Dans la première affirmation, on retrouve l’idée de vie, et notre respect pour la vie.
On peut insister ici sur le fait que l’objet technique, par rapport à l’objet naturel,
n’est pas vivant parce qu’il n’a pas d’âme ; alors que l’être (pas l’objet !) naturel  en
a une (même les plantes !) ; l’âme a en effet ici le sens général de principe de vie,
de ce qui fait être, de ce qui fait vivre (elle semble être synonyme de nature).
L’objet technique est seulement un amas de matière. Cela expliquerait que l’on ne
doive pas se comporter envers la nature comme envers un vulgaire objet. D’un
objet, vous pouvez faire n’importe quoi, mais pas d’un être naturel. Ainsi, du fait
que la nature n’est pas un objet comme les autres, beaucoup, aujourd’hui, veulent
en faire un être de droit.

Dans la seconde affirmation, on retrouve plutôt la biosphère. Tous les éléments


naturels se tiennent, de telle sorte qu’en déplacer un, c’est obligatoirement
" déranger " l’ordre existant, le détruire, le transformer, le dégrader… Que dire ici de
la technique, entendue comme ensemble des objets artificiels ?

D’abord, qu’elle n’est pas capable de produire un tel monde, un tel ordre. Il ne peut
y avoir de "  monde  " des objets techniques, car ces derniers ne sont pas
interdépendants comme le sont les êtres naturels ; pas de notion d’équilibre, etc.
Pas de " sens ".

Pire encore  : par la technique, on insère dans la nature de nouveaux objets, qui
ont, du moins, nos objets techniques à nous aujourd’hui, les propriétés de modifier
la biosphère… Modifier voulant dire perturber le bel ordre naturel, ce qui déjà est
mauvais en soi (mauvais au sens de nuisible à la biosphère, à la vie), mais aussi,
le dégrader, et, au bout du compte, le détruire.

Ici, on en arrive à un nouveau sens du terme d’artificiel et donc par là même de la


nature (puisque ces deux termes se définissent par opposition l’un à l’autre), qui a
une connotation explicitement morale, et qui nous permet de comprendre
pourquoi on dit parfois que la nature c’est bien et la technique, c’est mal. De
"  produit par l’homme  ", ajouté à la nature et extérieur à elle, l’artificiel se met à
vouloir dire ce qui souille la nature. On voit ici germer l’opposition pur/ impur, qui
va être appliquée à l’opposition nature/ technique…

Suite du tableau :

(10) la nature est la biosphère = ordre naturel = bel ordre, équilibre

(11) la technique, l’artificiel, est dérangement, dégradation, destruction au moins


potentielle de cet ordre

On voit à quel point notre condamnation morale de l’artificiel, de la technique,


semble être fondée. En effet, il semble que tout ce que l’homme institue, ne puisse
être que cause de désordre, d’instabilité. La nature, elle, semble pouvoir être une
norme, un guide pour les actions des hommes. Tout en elle est harmonie,
équilibre, régularité… Tout ce que fait l’homme semble être " mauvais ". Croire en
la nature, apparemment, c’est ne pas croire en l’homme (attitude non humaniste,
donc).

b) la nature comme norme : deux exemples

Prenons d’abord un exemple classique de ce recours à la nature comme norme : il


s’agit de la codification par l’Eglise de tout ce qui concerne le sexe.
Les organes sexuels servent à la procréation ; donc leur utilisation naturelle est la
procréation ; a-t-on le droit d’en déduire que par conséquent, toute activité sexuelle
doit être faite en vue de la procréation ? C’est ce qui s’est fait au Moyen Age, sous
l’égide de l’Eglise. La " nature ", ici (mais évidemment, en conformité avec la peur
du sexe caractéristique de l’Eglise, qui en faisait un péché sexuel), servait à
donner des règles d’action pour la vie quotidienne. Les prêtres vont codifier, en se
réglant sur la nature, le sexe, en disant que, comme la nature le montre, il ne faut
" user " du sexe que pour procréer … Conséquence : il ne faut se prêter à ce genre
d’activité que tel et tel jour de la semaine, que en vue de faire des enfants, il ne
faut pas s’adonner à la masturbation, à l’homosexualité (d’où des valeurs
morales : " il ne faut pas s’adonner à l’homosexualité ", par exemple). Parce que,
j’insiste, ce n’est pas naturel, ce n’est pas conforme à ce que la nature "  veut  ",
" commande ".

On voit donc que la nature peut être une norme, un modèle, pour l’institution de la
société et de nos règles d’action. La nature pourrait nous dire ce qu’il faut faire. Il
faut que l’action de l’homme se fonde sur la nature, et ce, à la fois pour ne pas
détruire la nature, qui n’est pas n’importe quoi, qui n’est pas pure matière, mais
aussi pour ne pas agir n’importe comment. C’est donc à la fois par respect envers
la nature, et envers nous-mêmes, que nous devons prendre la nature pour modèle.

Deuxième exemple : échelle des êtres et hiérarchie entre les êtres/ hommes.

La biosphère peut apparaître comme une " échelle des êtres ", avec un haut et un
bas, et une continuité entre tous les degrés d’être qui s’inscrivent sur cette échelle.

Haut

Dieu De Dieu aux anges

Homme Du sage au fou (= sous-homme)

Animaux Des mammifères supérieurs aux vers de


terre

Végétaux  

Minéraux  

Bas

On retrouve, dans l’échelle des êtres, une hiérarchie  : c’est donc une échelle de
valeur. En haut veut dire "  plus d’être  " mais aussi "  mieux  " qu’en dessous. Par
conséquent, si on veut se guider sur cette échelle des êtres pour ériger dans le
monde social, ou monde de l’homme, une hiérarchie, force est de constater que
les hommes se distinguent eux-mêmes en différentes classes, et qu’il y a des
hommes qui valent mieux que d’autres, et cela, " par nature ". Ainsi, il y aurait des
"  sous-hommes  "  : ils se situent en dessous de l’humanité mais au-dessus de
l’animalité (ce sont eux qui font la jonction entre le règne humain et le règne
animal, comme la plante carnivore fait la jonction entre le règne animal et le règne
végétal, et les cristaux, entre le règne végétal et le règne minéral). Ces sous-
hommes sont par nature inférieurs, et ne peuvent se débarrasser de cette
infériorité : elle est inscrite dans leur définition. Inutile de préciser que ce recours à
la nature est celui que l’on trouve dans nombre de formes de racisme… (or  : on
confond ici naturel et culturel)
NB : dans cette représentation classique de l’échelle des êtres, vous constaterez
que l’homme vient avant le strictement naturel, qui correspond ici aux règnes
animal, végétal, minéral. Le règne naturel ne serait alors pas, contrairement à ce
que nous venons de dire, doté d’une grande valeur, et d’une valeur supérieure à
l’homme… Mais précisons que ce qui est doué d’une grande valeur, c’est l’échelle
des êtres en son entier ; et que si tous les genres d’êtres sont une seule échelle, ils
diffèrent seulement en degré : dès lors, il est possible de dire que les genres d’être
en bas de l’échelle ont une certaine valeur, et peuvent même, comme nous l’avons
vu, avoir des droits. On retrouve de toute façon l’importance de l’ordre, de
l’équilibre…

2) la peur de la technique

Nous venons de voir que la technique est, par rapport à la nature, condamnable,
parce qu’elle est dangereuse, potentiellement destructrice, mais aussi, parce que
la nature est source de valeurs et même est une valeur (cf. biosphère, vie…, pas
pure matière inerte, pas " n’importe quel objet " dont on peut faire n’importe quoi).
Allons plus loin encore dans la recherche des raisons qui nous font condamner la
technique. Ce qui est sous-jacent également, derrière la condamnation de la
technique, c’est la peur devant la technique.

On vient de le voir : la technique est potentiellement destructrice de la nature, par


là, elle fait peur. Mais encore, si la technique fait peur, c’est parce que par elle,
l’homme voudrait se mesurer à la nature, ou aux dieux.

a) la technique, puissance démoniaque ?

Cf. mythe de Prométhée  (../../../new/cours/pages/cours-travail.html#I-)(in Platon,


Protagoras) : mythe de la création de l’homme et des animaux : Epiméthée avait
été chargé de la répartition des qualités appropriées à la vie et à la défense des
êtres vivants  : à cet effet, il devait puiser dans une réserve limitée. Aux uns, il
attribua la force sans la vitesse, aux autres, celle-ci, sans celle-là ; aux plus frêles il
donna des ailes pour fuir ou alors il réserva un refuge souterrain aux plus
menacés, ce qui les rendait inaccessibles. Il chercha donc à distribuer
équitablement les moyens mis à disposition. Mais, comme Epiméthée avait tout
dépensé, l’homme, qui avait été oublié, ne put rien recevoir. Prométhée chercha
alors à réparer cette lacune, et, pour sauver l’homme, "  nu, sans chaussures, ni
couvertures ni cornes  ", il lui attribua le feu qu’il vola à Héphaïstos et à Athéna.
Bref  : il lui donna la "  technique  ". Par elle, il va compenser et corriger son
infériorité (qui deviendra supériorité  !). Il va fabriquer ce qu’il ne possède pas en
naissant, contrairement aux animaux qui, eux, naissent pourvus de tout ce qu’il
leur faut pour survivre. Les animaux sont en harmonie avec la nature. Ils ont des
"  outils  " naturels. Mais ces outils n’ont pas les mêmes caractéristiques que les
outils humains.

Signification  : l’homme a les moyens de dominer la nature, de faire lui-même,


finalement, une nature à lui. Mais la technique fait bien peur : elle est, ici, assimilée
au feu, et plus précisément, au feu des dieux (auxquels elle a été volée)…

Faust  : pour l’assimilation de la puissance humaine sur la nature à un pacte


diabolique

Frankenstein : la créature devient le maître de son maître


Le technicien s’apparente donc, comme on peut le voir à travers ces grands
mythes, à un apprenti-sorcier ! NB : Distinction magie et sorcellerie : la magie est
connaissance des secrets de la nature, afin d’acquérir certains pouvoirs et d’agir
sur elle ; la sorcellerie, utilisation de ces connaissances pour jeter des sorts, pour
faire le bien ou pour faire la mal. La technique est proche de la magie, pas de la
sorcellerie. Encore que …

L’homme rivalise, par la technique, avec la matière, mais aussi, avec la vie, c’est-à-
dire avec la nature. Or, c’est dangereux, car ces forces sont plus fortes que lui, ou
bien peuvent se retourner contre lui. La technique, désir de maîtrise de la nature,
et de pénétrer dans ses mystères, pour pouvoir " faire " comme elle, nous échappe,
de sorte que nous ne maîtrisons plus notre propre maîtrise.

Ici, nous avons deux nouvelles déterminations de la technique :

(12) il s’agit de la technique comme puissance de l’homme

et même, (13) comme désir de recréer la nature, de rivaliser avec la nature

Exemple  de ce "  pouvoir  " technique : le "  génie génétique  " (ou les
"  biotechnologies  ")  : la génétique appliquée à l’amélioration des plantes  : la
découverte de l’unicité du code génétique chez les êtres vivants mène à la
possibilité d’introduire chez une plante des gènes venant d’une autre espèce
végétale très éloignée. Or, cela fait peur, car c’est une transgression de la barrière
que constitue la reproduction sexuée et une modification des espèces : or, peut-on
impunément défier la nature, allier des contraires, croiser des espèces  ? Cela
semble mener, encore une fois, à la destruction de nature ! De plus, on n’a aucun
moyen de contrôler les expériences ayant lieu dans les multiples laboratoires
dispersés dans le monde (Cf. X Files). Enfin, notre monde est devenu tellement
complexe, que l’on ne peut savoir à l’avance quelles seront les conséquences à
terme de nos actions/ inventions techniques  ; elles peuvent avoir des
conséquences non prévues, et surtout, non voulues (exemple  : les organismes
génétiquement modifiés  : pourraient-ils induire une résistance aux
antibiotiques ?).

Ici, l’homme devient le rival de la nature  : il est lui aussi créateur, et ce qui est
troublant, c’est que ce qu’il crée est naturel, pas artificiel (il n’est dit artificiel que
du fait que son créateur n’est pas la nature, mais l’homme –cf. problème déjà
rencontré à propos de la pierre, ci-dessus). Mais si on passe de la définition
génétique à la définition essentielle, force est de constater que le produit de
l’homme est un être naturel, pas un objet technique !

La technique apparaît donc condamnable à plusieurs titres  : elle est au moins


potentiellement destructrice de la nature, en ce qu’elle bouleverse son équilibre, et
le dégrade en le souillant, mais encore, en ce qu’elle est dangereuse. Ajoutons
qu’elle est encore aliénante.

b) La technique est déshumanisante 

Aliéner veut dire : rendre étranger (à soi-même). La technique dégraderait encore


l’homme, et serait dangereuse pour l’humanité, qu’elle détruirait petit à petit. Si le
premier point est banal, puisqu’on le trouve dans tout débat sur nos modes de vie
et sur la pollution (la voiture, l’effet de serre, le traitement des déchets, etc.), le
second est moins courant. Nous allons privilégier, dans notre développement, son
analyse.
Marx a critiqué de manière acerbe la déshumanisation entraînée par la " révolution
industrielle  " (la division du travail permise par l’avènement de la machine/
automate, et donc, par l’invasion de la technique moderne dans tous les domaines
de la vie humaine –ici la technique a à voir avec la production industrielle,
production de masse) :

Marx, Le Capital, Livre I, tome II, trad. J. Roy, Ed. sociales

" Un certain rabougrissement de corps et d’esprit est inséparable de la division du


travail dans la société. Elle attaque l’individu à la racine de sa vie, c’est elle qui la
première fournit l’idée et la matière d’une pathologie industrielle. Subdiviser un
homme, c’est l’exécuter, s’il a mérité une sentence de mort ; c’est l’assassiner, s’il
ne la mérite pas. La subdivision du travail est l’assassinat d’un peuple "

" La facilité du travail devient une torture en ce sens que la machine ne délivre pas
l’ouvrier du travail mais dépouille le travail de son intérêt (…) Dans la manufacture
et le métier, l’ouvrier se sert de son outil, dans la fabrique, il sert la machine. Là, le
mouvement de l’instrument de travail part de lui, ici il ne fait que le suivre. Dans la
manufacture, les ouvriers forment autant de membres d’un mécanisme vivant.
Dans la fabrique, ils sont incorporés à un mécanisme mort qui existe
indépendamment d’eux "

L’ouvrier moderne, qui se situe dans une usine de plus en plus technicisée, ne
s’appartient plus lui-même. Il n’est plus un homme : plus besoin de réfléchir, il suit
la machine. La machine fait de l’homme son outil, et elle le dégrade donc. Homme
= rouage de la machine, et donc, esclave de " sa " créature.

La technique serait donc en son fond, en son essence même, aliénante et


destructrice de l’humanité de l’homme. Pourquoi cela paraît-il essentiel à la
technique, à tel point qu’on peut la dire inhumaine ?

Il nous faut ici explorer un aspect de la technique que nous n’avons pas encore
exploré, et qui pourtant, lui est essentiel. Rappel  : nous sommes passés du
technique comme qualifiant un objet non naturel, à la technique comme désignant
une puissance, et un certain mode d’activité. Mais qu’est-ce qu’une activité
technique  ? Qu’est-ce qu’agir techniquement  ? (14) Est technique, toute activité
dans laquelle nous agençons des moyens, en vue d’obtenir telle fin. Ce qui
l’intéresse, c’est l’efficacité, et les moyens.

D’où un trait qui va participer de la dénonciation de la technique : la technique ne


s’intéresse pas aux fins qu’elle vise et qu’elle sert à atteindre. Que ces fins aient ou
non de la valeur, cela n’intéresse pas la technique ; et de toute façon, elle ne peut y
répondre, parce que ce n’est pas son problème, elle n’est pas "  qualifiée pour
cela ".

Exemples :

les scientifiques et les techniciens qui ont inventé et fabriqué la bombe H ont agi
de manière technique : ils ont agencé des moyens en vue de parvenir à la
fabrication de la bombe ; ils n’avaient pas à se soucier de la valeur de la fin visée
(= la bombe) ; il appartient à la philosophie ou à l’éthique (= réflexion sur les
valeurs) de se prononcer sur la fin et de dire si elle est une valeur digne ou non
d’être poursuivie
le médecin qui soigne quelqu’un doit le faire de la manière façon possible, ie, en
se demandant : la fin étant posée (la guérison) comment faire pour l’obtenir ? ;
mais jamais il ne se demandera : la fin est-elle bonne ? (par exemple : est-il bon
pour le malade d’être guéri ? (s’il est " condamné " à plus long terme) est-il bon
pour la nation qu’il soit guéri (si c’est un terroriste)) ?

Bref : la technique ne pense pas, et n’est pas morale.

Conséquence : si la technique est considération des moyens, de l’efficacité, alors,


tout ce qu’elle touche ne peut être que ravalé au rang de moyen. Ainsi, une
civilisation (comme la nôtre) où la technique a tant d’importance, et envahit tous
les domaines de la vie, ne peut qu’être une civilisation où tout est moyen, et où
tout devient un prétexte d’efficacité. Cf. aujourd’hui les ouvriers à l’usine, l’homme
qui n’est plus que moyen, l’argent et la consommation comme seules valeurs… La
technique, alors, serait essentiellement immorale, dégradation de l’humanité 

Conclusion I 

Nous avons donc vu ici que l’opposition nature et technique, non seulement va de
soi, mais encore, semble bien renvoyer à une opposition d’un point de vue de la
valeur. La nature est supérieure à la technique en ce qu’elle est première et
pourvue d’un degré d’être ontologiquement supérieur, car "  plus solide  "  ; mais
aussi, en ce qu’elle est susceptible de nous apporter des normes pour l’action. A
côté de la nature, la technique semble être condamnable car elle est dangereuse
pour l’humanité et pour la nature qui l’englobe.

Nous allons maintenant réfléchir plus profondément encore sur le bien-fondé de la


distinction nature et technique. Nous nous attacherons d’abord à la distinction
morale, et ensuite, à la distinction elle-même.

II- Remise en question de la distinction morale

A-la nature a-t-elle de la valeur ?

Nous allons maintenant nous demander, pour voir si notre propos est vraiment
fondé en raison (= justifié), si la nature peut vraiment être érigée en norme de
conduite, si elle peut être source des valeurs. A-t-elle en elle de quoi donner des
valeurs à l’homme ? Peut-on assimiler ce qui est naturel, et ce qui a de la valeur ?

1) la nature est, elle ne dit pas ce qui doit être

a) Qu’est-ce donc qu’une valeur morale ?

C’est une règle, une norme, qui dirige nos actions. Et qui nous dit, plus
précisément, ce qu’il faut faire. Elle nous dit ce qui est bien, ou ce qui est mal. Elle
est synonyme de devoir moral.

Exemple : " il ne faut pas tuer " ; " il ne faut pas s’adonner à la paresse ", etc. –Je
précise que si la première est une valeur morale proprement dite, la seconde est
une valeur sociale. Par rapport à la seconde, la valeur morale est censée valoir
indépendamment des circonstances et de l’utilité. On dit qu’elle a une valeur
absolue, pas relative. Ainsi, ne pas s’adonner à la paresse peut être un impératif
pour telle société mais pas pour une autre, tout dépend de notre conception du
monde, de notre religion, etc. Ou bien même, elle peut être un impératif pour le
bon fonctionnement de la société  : elle "  vaut  " alors parce qu’elle est utile. Par
contre, ne pas tuer est un impératif qui vaut en toutes circonstances, et qui ne
peut valoir seulement parce qu’il est utile.

Il faut donc se demander si la nature peut nous indiquer ce que l’on doit faire. Ce
qui se fait peut-il être érigé en "  devoir-être  ", ie, ce qui se fait, est-ce ce qui doit
être ?
b) la nature personnifiée

Pour répondre à cette question, et voir ce qui peut bien poser problème, nous
allons partir de l’exemple déjà utilisé plus haut (codification des relations
sexuelles par l’Eglise).

On se demandera si la nature commande quelque chose ; que suppose donc cette


affirmation ?

Elle suppose une certaine personnification de la nature. Rien d’étonnant à cela,


puisque la nature, nous l’avons vu, n’est nullement synonyme d’univers matériel,
de hasard. Tout en elle semble obéir à une fin, à un plan. C’est comme si elle avait
voulu ce qui est.

NB  : la nature a un nouveau sens ici  : il s’agit de la (15) nature comme force
créatrice, comme créatrice des êtres naturels. Cf. distinction " nature naturante "
et "  nature naturée  " que l’on trouve chez Spinoza. Elle est en germe dans la
définition aristotélicienne de la nature, puisqu’elle n’est autre que le principe de vie,
d’organisation, des êtres naturels  ; certes, Aristote disait que la nature n’est pas
une cause externe, mais interne, contrairement à l’art ; mais il pense bien la nature
comme ce qui fait vivre et être les êtres naturels…

Le problème est alors que pour croire à la nature, il faut croire en Dieu. On écoute
ses " commandements " en croyant que c’est Dieu qui parle à travers la nature. Ou
alors, il faut croire que la nature obéit au principe de finalité. Mais c’est dire qu’elle
pense, qu’elle veut, qu’elle est intelligente, bref, c’est lui prêter une âme. Cf.
l’animisme.

Or, il y a bien longtemps que l’on ne croit plus cela !

Darwin et la sélection naturelle (in cours religion (../../../new/cours/pages/cours-


religion.html#IIB2)) : la nature n’est pas soumise au principe de finalité ; le croire
est une attitude typiquement anthropomorphique  : parce que certains effets
naturels ressemblent à des effets qui dans notre activité sont le résultat de la
technique, de l’intelligence, nous croyons que ces effets sont dus au même genre
de cause, et donc, que la nature est soit intelligente, finalisée, soit qu’elle renvoie à
Dieu, entendu comme artisan divin. Mais c’est une attitude qui projette indûment
sur la nature ce qui ne vaut que de l’homme.

On peut ainsi considérer que le recours à la nature comme norme, qui suppose
une certaine personnification de la nature, en tant qu’elle lui prête des fins, et un
sens, est une résurgence moderne de l’attitude religieuse :

Comte, Cours de philosophie positive, Première leçon

Dans l’état métaphysique, qui n’est au fond qu’une simple modification générale
du premier, les agents surnaturels sont remplacés par des forces abstraites,
véritables entités (abstractions personnifiées) inhérentes aux divers êtres du
monde, et conçues comme capables d’engendrer par elles-mêmes tous les
phénomènes observés, dont l’explication consiste alors à assigner pour chacun
l’entité correspondante.

Dans ce texte, Comte parle de l’état métaphysique de l’esprit humain (manière de


penser à une époque donnée de l’humanité). Cet état est pour lui l’adolescence de
l’esprit humain. C’est un état voué à être dépassé, qui n’est donc pas "  positif  ".
L’état positif de l’humanité, qui correspond à un progrès, et qui ne tend pas vers un
autre état, est l’état scientifique. L’enfance de l’humanité, c’est l’état religieux. Etat
dans lequel nous mettons derrière chaque phénomène "  naturel  ", des forces
surnaturelles. L’état métaphysique n’est que la continuation du même état, sauf
que ces forces sont " naturalisées ". Mais au bout du compte, c’est pratiquement
le même genre de pensée  : sous la "  nature  ", sous les "  forces naturelles  ", se
cache "  Dieu  " ou autres "  forces surnaturelles  ". L’idéologie naturaliste n’est que
l’idéologie religieuse parvenue à l’âge adulte. En effet, on est passé de l’idée d’un
acteur à l’origine de l’existence, à l’idée d’un acte. On a remplacé " se fait par Dieu "
par " se fait tout seul ".

Aujourd’hui, plus précisément, depuis la révolution scientifique du 17e siècle


(../../../new/cours/pages/cours-progrescopernic.html), la nature est pour nous le
domaine … de ce qui est, point. Elle ne parle pas, elle ne dit rien, elle n’a pas de
sens. L’homme est alors libre de créer ses propres valeurs.

c) La nature n’est-elle pas plutôt le règne du spontané, de la violence ?

On peut encore aller plus loin dans la critique du raisonnement qui consiste à
déduire de la nature (ce qui est) les valeurs morales et sociales (ce qui doit être,
ce qu’on doit faire). En effet, ne peut-on pas dire que cela revient à ériger en norme
la spontanéité et la violence ? Car si les conceptions naturalistes des valeurs tirent
argument, pour se justifier, du bel ordre de la nature, ne peut-on également tirer
argument, pour les contredire, de la brutalité et du désordre de la nature ?

Exemples  : la jungle et les instincts les plus "  naturels  " (non disciplinés, donc),
pour la brutalité et la spontanéité ; les tempêtes, et autres catastrophes naturelles,
pour le désordre.

Dès lors, ériger la nature en norme, c’est dire que les hommes doivent se laisser
aller à satisfaire tous leurs instincts, à se battre pour obtenir ce qu’ils veulent, à
s’entre-tuer, etc. Or, n’est-ce pas plutôt cet état de nature assimilé à un état de
guerre qu’il convient de fuir pour qu’une société soit viable, que les hommes vivent
en harmonie les uns avec les autres ? Et n’est-ce pas vouloir réduire l’homme à un
animal  ? Cf. cours Etat, Hobbes (../../../new/cours/pages/cours-etat.html#A)
Hobbes).

NB : n’allons pas toutefois une fois encore projeter nos valeurs sur la nature ! En
effet, la brutalité, le désordre, etc., que nous trouvons dans la nature, n’a rien
d’immoral. Est immoral en effet quelqu’un qui choisit sciemment le mal, qui sait
qu’il fait quelque chose de mal. Les animaux, et plus encore les éléments qui se
déchaînent avec pour conséquence la mort de milliers d’hommes, ne font donc
rien de mal. La nature n’est pas immorale, mais amorale (ie  : elle n’a rien à voir
avec la morale, elle est un domaine différent). Mais c’est dire qu’elle n’a rien à
nous apporter dans le domaine des valeurs, et plus précisément des valeurs
morales.

d) L’homme, être culturel

On conclura en disant que l’homme est un être certes naturel, mais aussi, culturel,
et libre. Contrairement à l’animal, il ne colle pas à la nature. Il a su inventer de
nouveaux " besoins ", non plus naturels, mais culturels. Est-ce à dire qu’il est alors
dénaturé, un monstre, parce qu’il ne suit pas la nature, jusque dans ses besoins
les plus élémentaires (boire, manger, procréer)  ? Je ne pense pas  : c’est au
contraire parce qu’il ne suit pas la nature dans la satisfaction de ses besoins,
parce qu’il ne boit pas toujours par soif, parce qu’il ne mange pas toujours par
faim, parce qu’il ne fait pas l’amour seulement pour procréer, parce qu’il ne
s’habille pas seulement pour se réchauffer ou se protéger du soleil, etc., que
l’homme est homme, et non plus seulement un être strictement naturel, animal.
C’est à l’homme d’inventer ses propres valeurs, de dire ce qui doit être, et une
valeur est justement ce qui n’est pas, ce qui n’est pas " naturel ".

L’homme doit donc, pour être homme, transcender la nature, et cela, en un double
sens  : a) en tant qu’il doit, comme nous venons de le voir, inventer de nouveaux
besoins pour se différencier de la nature, mais également, b) en tant qu’il doit
maîtriser ses instincts afin de pouvoir vivre en harmonie avec ses semblables, et
avec lui-même (cf. cours Etat (../../../new/cours/pages/cours-etat.html) et Droit
(../../../new/cours/pages/cours-droit.html))

2) nature et idéologie

En fait, ce que nous pouvons maintenant déceler derrière les louanges du naturel
et derrière toute volonté sociale de prendre le naturel comme modèle, c’est la
justification de l’ordre établi, sous toutes ses formes les plus pernicieuses.
Certains hommes, détenteurs du pouvoir (qu’il soit politique ou religieux), ont
certains idéaux, certaines conceptions de l’homme ; et pour les justifier, de même
que pour les faire accepter par tout le monde, ils s’appuient sur la nature. Procédé
facile de justification, puisque la nature a tant d’attrait sur les hommes !

Exemples : on peut de cette façon :

dénoncer l’homosexualité ;
justifier l’inégalité des sexes (la femme est moins forte que l’homme, elle est
seulement un moyen pour l’homme et pour la procréation en général, etc.) ;
justifier l’inégalité des races (cf. ci-dessus, échelle des êtres et hiérarchie entre les
êtres/ hommes)
justifier la hiérarchie sociale (cf. Eglise au Moyen Age, qui se servait du cosmos
aristotélicien, lui-même hiérarchisé ; mais aussi, dans l’Antiquité, Platon et
Aristote).

Ceci est illégitime et même erroné, car c’est ériger en naturel ce qui est culturel (et
habituel). Cf. Levi Strauss, Race et histoire, in cours autrui 
(../../../new/cours/pages/cours-autrui.html#BIIILHUM): l’ethnocentrisme, et le
racisme, relèvent d’une telle assimilation. Précisons que ce n’est pas toujours
conscient et donc pas toujours volontaire…

Conclusion A

La nature ne peut donc être érigée en norme, en modèle de nos actions. Elle n’a
rien à voir avec la morale, ni même avec aucune valeur. Elle est amorale. Cela,
parce qu’elle ne peut être dite commander quoi que ce soit, ni même "  vouloir  "
quoi que ce soit. Le croire, c’est tomber dans l’illusion anthropomorphiste (qui
consiste à donner à la nature une forme humaine, à lui prêter certaines
caractéristiques qui ne peuvent valoir que de l’homme). Le vouloir, cache toujours
une certaine idéologie.

B- La technique est-elle mauvaise en soi ?

Une fois la valorisation de la nature condamnée, il faut nous attacher à voir si la


condamnation de la technique peut également être dénoncée comme fausse.

La technique, au double sens de ce qui est artificiel, fabriqué par l’homme, et de


l’activité ou puissance technique, ne peut être mauvaise en soi. Si elle peut être
l’objet d’une désapprobation, ce n’est pas en tant que telle, de par son essence,
mais par les mauvais usages que l’homme peut en faire.
Commençons par étudier l’argument selon lequel la technique serait
essentiellement aliénante, déshumanisante :

1) l’aliénation est-elle constitutive de la technique ?

Je pense plutôt qu’elle ne l’est que par l’usage que l’on en fait. Le côté aliénant
vient d’une volonté des dirigeants et n’est que la conséquence du capitalisme, pas
l’essence de la technique. C’est en fait un usage accidentel de la technique. Ne
confondons pas technique et monde industriel, technique et capitalisme,
technique et application de la technique (même si la technique vise l’efficacité et
donc vise à être appliquée…).

De toute façon, comment cette aliénation pourrait-elle lui être essentielle, puisque
la technique, nous venons de le voir, ne se prononce pas sur les fins ? Comment
donc aurait-elle pu porter en elle l’énoncé (la valeur) : " seul a de la valeur ce qui
est moyen  et nous devons tout ramener au rang de moyen " ? Si elle s’intéresse
aux moyens, elle ne dit jamais que ce moyen est une/ la valeur ! Ainsi, tout comme
la nature, la technique n’est pas immorale, mais amorale, ie, elle relève tout
simplement d’un autre domaine d’activité que la morale.

Mais alors, si la technique est amorale, pourquoi ne pas dire qu’elle a à être
complétée par la morale  ? Pourquoi ne pas décider d’accompagner toute
technique, du moins en ce qui concerne les grandes décisions, celles qui ont un
enjeu important pour l’humanité, de la morale (plus précisément, de l’éthique, qui
a, par rapport à la morale, une connotation de réflexion) ? C’est d’ailleurs bien ce
que nous sommes en train de faire, à travers les comités d’éthique. Nous
réfléchissons maintenant sur les conséquences de nos capacités techniques, sur
les fins que la technique nous permet d’atteindre. Quand une fin nous paraît sans
valeur ou dangereuse pour l’homme, nous décrétons un "  moratoire  "  : arrêt
momentané de la recherche, pouvant durer plusieurs années, afin de réfléchir
sérieusement sur l’innovation technique en question.

NB  : nous pouvons dire la même chose à propos de la soi-disant destruction


essentielle à la technique : elle est accidentelle, et il nous appartient de l’éviter : cf.
traitement des déchets, etc. Nous prenons aujourd’hui de plus en plus conscience
des dangers d’une technique non réfléchie, d’une technique aveugle.

La technique n’est donc pas essentiellement, en son fond, aliénante/


déshumanisante et immorale.

2) technique et humanisation

Au contraire, ne participe-t-elle pas de la grandeur de l’homme ? Critiquer la


technique en disant qu’elle et aliénante, ie, déshumanisante, c’est dire qu’elle n’est
pas essentiellement humaine, qu’elle ne peut définir l’homme. Or, n’avons-nous
pas vu, à travers le mythe de Prométhée, que la technique semble différencier
l’homme de l’animal ? L’homme, par la technique, ne peut-il progresser ?

Certes, n’allons pas faire l’erreur inverse de la précédente : ne passons pas de la


thèse selon laquelle la technique est immorale et déshumanisante, à celle selon
laquelle elle est entièrement morale et humanisante. On sait que l’enthousiasme
envers la technique et son potentiel de progrès a été déçu… (Cf. Condorcet,
Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, Garnier
Flammarion et Rousseau, Discours sur les sciences et les arts, ainsi que Discours
sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes, pour les représentations de ces deux
opinions, toutes les deux également fausses).
Si on étudie l’histoire de l’homme depuis la préhistoire, et plus précisément,
l’histoire des techniques, force est de constater que les inventions techniques ont
rythmé l’évolution de l’homme. C’est par la technique que l’homme semble être
devenu homme. –Cela, parce que toute technique étant domination de la nature,
c’est par elle que l’homme peut sortir de la nature, et devenir un être de culture.

Ainsi, selon D. Bourg, philosophe des techniques, l’humanisation s’est effectuée à


travers l’usage des outils. Les hommes ont commencé, à travers les premiers
outils, à manipuler leur environnement. Puis, est venu le langage, faculté
symbolique. Langage et technique se sont donc développés ensemble, même si à
strictement parler, la technique est venue d’abord.

Vous allez me dire que certains animaux utilisent des outils ; et que, dès lors, on
ne voit pas en quoi la technique, le maniement d’outils, pourraient définir l’homme.
Mais on répondra, avec D. Bourg, que la technique, dans le cas de l’homme, ne se
borne pas à manier des outils, au gré des circonstances. Ainsi, un animal maniera
effectivement des outils :

Pour un usage alimentaire :

pour allonger la distance d’action du bras (exemple : avec un bâton)


à augmenter la puissance mécanique du geste (exemple : avec une masse)

Pour un usage défensif ou offensif (utilisation de quelque chose ou même d’un


partenaire comme bouclier par exemple)

Mais l’animal ne fait qu’utiliser des choses existant déjà dans son environnement,
pour ce moment précis, pour cette circonstance précise. Sitôt utilisé, l’"outil " est
jeté. C’est-à-dire  : chez les animaux, il n’y a pas de permanence des objets
techniques. L’homme, lui, a su constituer un véritable environnement technique,
constitué de véritables outils, en tant qu’ils s’inscrivent dans la durée ; de plus, il
sait utiliser les outils à des fins autre qu’adaptatives (comme il sait aussi,
contrairement à l’animal, utiliser les mots pour une fin autre que la
communication  : cf. cours langage (../../../new/cours/pages/cours-
langage.html#DESCARTES TEXTE)). Les outils, la technique, participent bien du
monde humain, en créant, justement, un monde proprement humain, différent du
monde naturel.

Conclusion B

Sans la technique, nous serions sans doute restés indéfiniment dans le même
état, et serions encore des animaux  ! La technique peut donc être source de
progrès, à la fois parce qu’elle humanise l’homme en l’arrachant à la nature, et en
ce qu’elle permet de créer des nouvelles normes éthiques. Cf. les comités
d’éthique, nécessités par les " progrès " des possibilités de la technique. Mais en
ce dernier sens, bien sûr, il semble que ce soit à nous de rendre possible
l’assimilation des innovations techniques à de véritables progrès.

Conclusion II

Nous venons de remettre en question la valeur morale de la distinction nature et


technique. D’abord, nous avons vu que dire que la "  nature c’est bien  " est un
énoncé contradictoire : on ne peut attribuer le terme " bien " à ce qui est naturel.
Ensuite, nous avons vu que l’énoncé  : "  la technique c’est mal  " est également
dépourvu de fondement. La technique ne peut être " mauvaise " que si on en fait
un mauvais usage  : mais elle n’est pas en son fond, en son essence, mauvaise.
Bien au contraire. Elle peut permettre à l’homme de progresser et de mieux
connaître jusqu’où il peut aller (et a envie d’aller).

III- Remise en question de la distinction nature et technique

Notre distinction de valeur entre la nature et la technique n’est donc pas fondée. Et
la seconde, celle qui se contente de croire à une distinction bien tranchée entre la
nature et la technique, et en l’existence d’une pure nature, l’est-elle ?

A- Existe-t-il du pur naturel et du pur artificiel ?

Nous avons déjà, rappelons-le, rencontré des objets ou êtres qu’on hésite à
classer dans le genre "  nature  " ou dans le genre "  technique  ". Cf. la pierre, et
l’organisme génétiquement modifié. Face à eux, on hésite à affirmer, du moins
avec assurance, que certaines choses doivent leur être à certaines sortes de
causes dites "  naturelles  " et d’autres, à des causes dites "  artificielles  ",
"  techniques  ". Notre distinction nature et technique est-elle bien fondée  ? Tout
n’est-il pas naturel ? Ou bien tout n’est-il pas, même, technique ? Tout n’est-il pas
produit de la même façon ?

1) pas de pur artificiel

En fait, force est de constater qu’il est rare de rencontrer des objets qui soient
purement artificiels, au sens où ils ne seraient que dus à l’homme. Ainsi, tout ce
qui est fabriqué par l’homme est composé d’éléments naturels. Même les produits
"  chimiques  " sont naturels. Et l’homme lui-même, rappelons-le, fait partie de la
nature  ! Pourquoi alors ce qu’il produit serait-il produit d’une façon "  non
naturelle ", ou différente de la manière dont la nature produit ses effets ?

Bref : il semble que l’artificiel, ou le " pur " artificiel, ne soit qu’une chimère.

2) pas de pur naturel

Mais que se cache-t-il sous les produits que nous appelons naturels, ie, non
transformés par la technique ? Y en a-t-il ?

En fait, ce qui pour nous est naturel  : la campagne, les produits du terroir, les
produits bio, etc., ne sont pas naturels. Ils sont toujours modifiés par l’homme et
ce qu’on leur prête de naturel n’est que l’idée que nous nous faisons du naturel. Ou
bien, ce qui pour nous est naturel, ce n’est au bout du compte que l’habitude, qui
est toujours comme une seconde nature…

Voici quelques exemples.

- la campagne  : cf. ces mots de Dagognet  : "  le plus souvent (le) naturel est
l’artificiel d’hier. Nous y sommes tellement accoutumés que nous le croyons
" originaire " ou premier. La " campagne " le montre bien : les limites de la forêt, les
bandes parallèles des champs cultivés, les divers chemins, il n’est rien qui n’expose
la marque de l’homme  ; de même, les végétaux n’ont-ils pas été sélectionnés,
améliorés, croisés  ? Le prétendument naturel est malingre, chétif, alors que le
cultivé frappe par sa taille ou son exubérance. La nature est encore "  notre
création "

- les produits du terroir  : n’importe quelle ménagère n’accepterait aujourd’hui


d’acheter du saumon non rose  ; ça ne fait pas vrai, naturel  ; et la pub vante
d’ailleurs ce produit comme naturel ; or, la couleur qui pour nous fait " naturel " est
en fait fabriquée par l’homme.
- les produits bio : certes, ils sont cultivés sans pesticides et dépourvus de
colorants synthétiques, mais ils sont modifiés quand même  ! -Ceci, parce que la
nature n’est pas immédiatement adaptée à nos besoins. Il faut toujours la
travailler, la manipuler, pour en faire quelque chose. Les fruits, et n’importe quelle
denrée, ne naissent pas tout faits ! –Du moins, pas les fruits que nous mangeons
aujourd’hui. Les fruits poussaient tout seuls quand on ne connaissait pas encore
l’agriculture et qu’on se contentait de cueillir et de pêcher. Mais depuis, il n’y a plus
vraiment d’espèces sauvages, du moins plus beaucoup. Elles sont domestiquées
et mises en culture.

Ce que nous montrent tous ces exemples, c’est que l’idée de nature est en fait
empruntée de culture. Elle est culturelle, et a d’ailleurs subi nombre de
modifications au cours de l’histoire. Ce qui est naturel et ce qui ne l’est pas, ne
cesse de changer.

Ainsi, par exemple, les jardins à la française, avec tous leurs tracés géométriques,
nous paraissent artificiels  ; or, à l’époque où on a commencé à les "  faire  ",
(Lenôtre), ils étaient le modèle même du naturel, car on pensait que la nature était
ordonnée et régie par les mêmes lois mathématiques que celles qui gouvernent
notre raison (= thèse rationaliste). Aujourd’hui, on pense plutôt que ces jardins
sont le comble de l’artificiel, et que les jardins à l’anglaise sont naturels.

Prenons encore notre réaction devant un paysage de montagne  : notre émotion,


notre admiration, notre sentiment d’appartenir à ce grand tout qu’est la nature, et
de la "  grandeur  " de la nature, est tout culturel. "  Le goût des paysages de
montagnes n’est apparu en Europe qu’au 18è siècle, en rapport avec l’émergence du
romantisme, alors que la plupart des gens croient aujourd’hui qu’apprécier la beauté
des montagnes est un fait universel, inscrit dans la nature des choses comme dans
celle de l’espèce humaine ". La montagne était, avant cela, " laide ".

Il n’existe donc pas de naturel à l’état pur. La " nature " n’est pas la nature mais un
arrangement et une projection humain(e)s.

3) la nature n’existe pas

Il faut bien, finalement, se rendre à l’évidence : ce que nous nommons " nature "


n’existe pas. Rappelons-nous : nous avons vu, déjà, que la nature renvoie, à ce qu’il
semble, à un domaine non seulement opposé à la technique, mais aussi, au
hasard, à la matière. Si bien que finalement, parler de " nature ", c’est parler d’une
sorte de principe mystérieux, qui animerait et créerait les êtres naturels. Or, nous
avons déjà été tenté d’accuser cette conception d’anthropocentrisme. Prêter des
fins, des intentions, à la nature, c’est lui prêter une âme. C’est en faire une
personne. Et, finalement, c’est arriver à Dieu…

Devant ce mode de pensée indigne de l’homme moderne, pourquoi ne pas dire


que tout est matière, et qu’il n’y a pas de " nature " ? On peut nommer cette thèse :
"  philosophie artificialiste  "(celle que C. Rosset, dans L’anti-nature, essaie de
mettre en œuvre), car elle affirme que dans l’univers, tout se fait de la même
manière : i.e., de façon technique –mais pas au sens où cela reviendrait à attribuer
à la nature une intelligence, car on vient de s’y opposer.

En quoi consiste en effet, précisément, l’artificialisme ?

D’abord, il a deux prétentions majeures :


1) délivrer l’artifice de sa signification essentiellement humaine (ie : selon laquelle
il y aurait une manière de faire être des choses typiquement humaine, différente
essentiellement de la manière de faire "  naturelle  "); cela revient à cesser de
penser l’artifice sur fond de nature

2) au bout du compte il s’agit de dédiaboliser la technique, bien sûr

Son affirmation principale consiste donc à affirmer qu’il n’y a pas de différence
entre le faire de l’homme et le faire de la " nature ". Ie : il n’y a même pas de faire
naturel, il n’y a pas non plus de faire de l’homme  ; mais tout faire est artificiel.
Artificiel veut dire précisément : " qui produit ses effets sans l’aide d’une " nature ",
sorte de force cachée derrière les apparences".

Sont proches de l’artificialisme, toute conception mécaniste (Descartes) ou


atomiste (Lucrèce) de l’univers. C’est bien toujours contre l’existence d’une nature
qu’elles se dressent.

Prenons l’exemple du mécanisme de Descartes :

Descartes, Les principes de la philosophie, quatrième partie, article 403

Je ne reconnais aucune différence entre les machines que font les artisans et les
divers corps que la nature seule compose, sinon que les effets des machines ne
dépendent que de l'agencement de certains tuyaux, ou ressorts, ou autres
instruments, qui, devant avoir quelque proportion avec les mains de ceux qui les
font, sont toujours si grands que leurs figures et mouvements se peuvent voir, au
lieu que les tuyaux ou ressorts qui causent les effets des corps naturels sont
ordinairement trop petits pour être aperçus de nos sens. Et il est certain que
toutes les règles des mécaniques appartiennent à la physique, en sorte que toutes
les choses qui sont artificielles, sont avec cela naturelles. Car, par exemple,
lorsqu'une montre marque les heures par le moyen des roues dont elle est faite,
cela ne lui est pas moins naturel qu'il est à un arbre de produire des fruits.

Dans ce texte, Descartes se demande ce qui distingue les êtres naturels des
machines, ou êtres artificiels. Réponse : seulement leur origine (= leur créateur) :
les machines sont faites par l’homme, pas les êtres naturels. Mais du point de vue
de l’essence, et du fonctionnement, êtres naturels et êtres artificiels ne se
distinguent pas, ils obéissent aux mêmes lois. Il s’agit donc d’un même genre
d’être. Ils se distinguent génétiquement, mais pas essentiellement.

Il faut noter que le but de Descartes est bien de se débarrasser de la nature en son
sens mystérieux, ie, entendue comme quelque chose qui se cacherait sous la
matière en mouvement. En effet, l’assimilation se fait d’abord des êtres naturels
vers les êtres artificiels puis alors seulement des êtres artificiels vers les êtres
naturels. Autrement dit, après avoir dit que la nature fonctionne et est constituée
comme une machine, est donc une machine, et rien d’autre (ie pour Descartes, un
amas de matière en mouvement), il peut alors dire que, à son tour, la machine est
naturelle, elle fait partie de la nature. Conséquence : expliquer la nature est aussi
simple que d’expliquer une machine. Plus de mystères, plus de forces
mystérieuses. N’est-ce pas le présupposé de la biologie moderne ?

Conclusion A

Bref : pas de sens à distinguer le naturel de l’artificiel ! Les objets artificiels sont
naturels, et (je dirais même  : "  parce que  ") les objets naturels sont artificiels.
L’idée de nature n’aurait donc finalement aucun sens, puisque rien de tel n’existe.
B- La nature comme insatisfaction devant la modernité

En fait, si, l’idée de nature a un sens  : ce n’est justement qu’une idée, qui a
beaucoup à nous apprendre sur l’homme lui-même qui se forge cette idée. En
effet, cette idée, présente dans la plupart des grandes phases de l’histoire de
l’homme, renvoie à un état d’insatisfaction devant nos conditions de vie, devant la
civilisation en général. Elle exprime alors un désir proprement humain : celui d’un
état meilleur que l’état présent. Cette insatisfaction et ce désir se retrouvent ainsi,
de façon caractéristique, dans tous les temps de crise traversés par l’humanité :
tout va mal dans le monde, "  la société est pourrie  ", l’homme pollue, etc. Où se
tourner pour trouver le bonheur  ? Vers un état originel, pur, qui sera nommé
" nature " ; c’est un état non encore dégradé par l’homme.

La distinction du naturel et de l’artificiel masque donc toujours une critique de la


modernité. Nous allons pour le montrer analyser deux exemples de l’utilisation de
la nature en ce sens  : il s’agit du mythe du bon sauvage, et de l’écologie.

1) le mythe du bon sauvage

On retrouve donc cette utilisation de l’idée de nature dans le mythe du bon


sauvage. Exemples bien connus de ce bon sauvage  : Robinson Crusoe, mais
aussi, Tarzan. Le (bon) sauvage est à la fois meilleur et plus heureux que l’homme
civilisé. A quoi doit-il cet état de supériorité ? A ce qu’il vit selon la nature.

Vivre selon la nature, c’est vivre dans un état ...  qui, comme par hasard, est
dépourvu des conditions qui caractérisent notre état présent, ou état social  : il
ignore la propriété privée, il suppose l’égalité des conditions, etc. On voit donc bien
quelle est la fonction de ce "  mythe  "  : il a une fonction de jugement  : il sert à
dénoncer la civilisation, et plus particulièrement les institutions politiques,
économiques, religieuses.

L’homme, originellement, était proche de la nature (= homme naturel), et il était


heureux, il vivait dans un état paradisiaque. Aujourd’hui, l’homme civilisé, dénaturé,
est malheureux, et même, dépravé…

C’est donc contre la modernité que l’on recourt à cette idée d’état de nature. Elle
n’est bien sûr qu’une fiction, qu’une expérience de pensée, qui nous permet de
prendre du recul par rapport à ce que nous sommes, à nous extraire de notre
société et de la société pour penser les conditions qui nous rendraient heureux.

NB : on trouve ce même mythe et ce même emploi du naturel dans le western.

En effet, l’Ouest originaire, qui est souvent le thème majeur des westerns,
correspond bien au paradis, à une origine bonne ou en tout cas innocente.
Découverte de l’Ouest = découverte du paradis originel.

Et il est bien dénonciation de la civilisation (de l’Amérique présente) car on y voit


que,

à peine découvert, il a été détruit, par la faute de l’homme (cf. Indiens, alcoolisme,
etc.). En privilégiant le progrès technique, et économique, en détruisant les
Indigènes, les hommes blancs ont détruit tout espoir d’un monde meilleur, alors
que la découverte de l’Ouest est au départ perçu comme un milieu où pouvaient
s’épanouir les qualités d’un homme meilleur…

Ainsi, certains westerns vont privilégier le paradis originaire. Ce sont les premiers
westerns mais également ceux des années 70, alors que fleurissaient
mouvements hippies et écologiques. Ces westerns relatent l’installation des
trappeurs dans l’Ouest dépeint comme une nature pure et innocente, et donc, les
premiers contacts entre l’homme blanc et les Indiens. C’est le monde d’avant les
massacres, quand la nature était encore intacte. Alors, les Indiens sont dépeints
comme un peuple noble, vivant en harmonie avec la nature, heureux et innocents.
Il s’agit de dénoncer la civilisation américaine, qui a massacré ce peuple de " bons
sauvages ", et qui a donc rompu toute attache avec la nature, qui s’est donc dès
l’origine empêchée de trouver jamais le bonheur. Il s’agit aussi d’une critique de la
société en elle-même. Exemples récents : A. Penn, Little Big Man ; M. Cimino, La
porte du paradis ; K. Costner, Danse avec les loups (récit d’un militaire nordiste qui
se rend chez les Indiens Sioux pour s’éloigner de la guerre civile, une vraie
boucherie. Propice à dépeindre un contraste entre les Indiens et les Blancs, au
détriment des seconds, bien sûr. On a bien ici un regard nostalgique sur un monde
irrémédiablement perdu, représenté au moment où il est menacé).

Mais attention : cet état de nature n’est pas censé avoir existé  : il n’est pas réel.
Ainsi, pour reprendre notre exemple des westerns, il faut remarquer qu’ils ne
montrent pas ce qui s’est vraiment passé dans l’Ouest américain. C’est un ailleurs
situé hors du temps. Mais il est généralement cru, car il incarne un désir d’ailleurs.
Plus précisément, l’état de nature est une idée, et une idée vague car ce qu’elle
désigne, c’est seulement quelque chose d’absent de ce qui est actuellement.

Cf. Rousseau, bien connu pour recourir à l’état de nature et pour avoir loué cet état
au détriment de l’artifice, et, justement, pour exprimer son dégoût de l’artifice et de
la civilisation en général :

Rousseau, Préface du Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes 

" (…) ce n'est pas une légère entreprise que de démêler ce qu'il y a d'originaire et
d'artificiel dans la nature de l'homme, et de bien connaître un état qui n'existe plus,
qui n'a peut-être point existé, qui probablement n'existera jamais, et dont il est
pourtant nécessaire d'avoir des notions justes pour bien juger de notre état
présent. "

On voit ici que l’état de nature n’est pas censé exister, et ce n’est pas cela qui
importe. Qu’il ait existé, ou qu’il n’ait jamais existé, ou même qu’il n’existe jamais,
peu importe, ce n’est pas ça qui est en jeu. Car l’état de nature est une fiction, une
simple expérience de pensée –une hypothèse de travail. On imagine un état de
nature, un état sans société, sans culture. Et il nous sert précisément à juger de
notre état présent. C’est donc un critère de jugement, une idée normative. Pas un
fait réel. Le présupposé de Rousseau, c’est que l’homme s’est dégradé au cours
de l’histoire. En recourant à l’hypothèse normative de l’état de nature, qui est celle
d’une origine bonne de l’homme, il s’agit d’en comprendre les raisons. Mais c’est
bien présupposer que cet état dépravé de l’homme n’aurait pas dû être : comment
alors a-t-il bien pu arriver  ? –C’est en se fondant sur cette distinction que
Rousseau critiquera la distinction être/ apparaître  : l’homme naturel est
authentique, innocent, "  vrai  ", il devient, dans l’état social, mensonger,
inauthentique, il n’est plus " lui-même "…

Nous sommes donc ici en présence d’un nouveau sens du terme de nature, et par
là-même, du terme d’artifice :

(16) naturel : état antérieur, heureux, innocent, de l’humanité 

(17) artificiel  : dénaturation de l’homme  ; état social, malheureux et moralement


condamnable
2) l’écologie

Si on réfléchit sur les présupposés du mouvement écologique, on peut montrer


qu’il repose sur les mêmes postulats que ceux que nous avons mis à nu dans le
" mythe du bon sauvage ", et de l’état de nature. Il s’agit bien d’une nostalgie pour
un passé qui est censé avoir été et qui n’est plus, et d’une critique de la modernité
en général, de l’artifice en particulier.

Lisons ce texte de Luc Ferry, et analysons avec lui les présupposés centraux de
tout mouvement écologique.

Luc Ferry, Le nouvel ordre écologique, Le Livre de Poche, p. 23

(…) en des temps où les repères éthiques sont plus que jamais flottants et
indéterminés, elle laisse poindre la promesse inespérée d’un enracinement enfin
objectif et certain d’un nouvel idéal moral : la pureté retrouve ses droits, mais ces
derniers ne sont plus fondés sur une croyance religieuse ou " idéologique ". Ils se
veulent et bien " prouvés ", " démontrés "par les données les plus incontestables
d’une science nouvelle, l’écologie, qui pour être globale, comme l’était la
philosophie, n’en est pas moins aussi indubitable que les sciences positives sur
lesquelles elle s’appuie en permanence. Si les services de santé ont démontré que
fumer provoquait des maladies graves, si les laboratoires ont cerné l’effet
désastreux des aérosols, si les constructeurs automobiles eux-mêmes doivent
bien reconnaître un lien entre la pollution des gaz d’échappement et la
déforestation, n’est-il pas insensé, voire immoral, de poursuivre avec insouciance
dans la voie de la déprédation ? Et n’est-ce pas le monde moderne tout entier, avec
son anthropocentrisme arrogant dans l’industrie comme dans la culture (…) qu’il
convient d’incriminer ?

Commentaire rapide du texte : le mouvement écologique, comme on le voit dans


ce texte, prétend donc en revenir à un monde ordonné et harmonieux, sensé et
finalisé (idée de nature comme cosmos), qui peut servir de norme morale en ces
temps de crise (morale). Mais de façon plus objective que les philosophies du
temps passé  : elle s’appuie en effet sur des données scientifiques, et sur une
science dont elle emprunte d’ailleurs le nom, l’écologie. Sous-entendu de Ferry : ce
n’est pas si différent des cosmologies de l’Antiquité

On retrouve donc bien dans le mouvement écologique, tout ce qui participe de


l’illusion naturaliste (faire chercher les élèves) :

croit en l’ordre cosmique, en un univers sensé, qu’il n’appelle pas cosmos, mais
" biosphère " ou " écosystème "
critique de l’artifice, de la technique, et du monde moderne en général (désigné
tantôt comme consumériste, capitaliste, technicien, scientiste, occidental tout
court)
nature comme pure et originaire, comme innocente et bonne
donc : l’écologie exprime la nostalgie devant un paradis perdu comme réponse à
la crise moderne

Mais qu’est-ce que le mouvement écologique  ? Il n’y en a pas qu’un mais


plusieurs ; il faut donc en faire l’inventaire, afin de ne pas se tromper d’adversaire.
L. Ferry en relève trois :

1. Courant humaniste français : à travers la nature, c’est encore et toujours l’homme


qu’il s’agit de protéger : l’environnement n’est pas doté d’une valeur intrinsèque.
D’ailleurs, l’idée même d’environnement suppose que la nature n’est que ce qui
entoure l’homme, situé au centre (nature = moyen pour l’homme). Si on " défend "
la nature, c’est parce que sa destruction met l’homme en danger. On s’intéresse
donc à la nature de manière indirecte. Elle n’a pas de valeur absolue.
2. Courant utilitariste anglo-saxon : inclut les animaux dans la sphère des
préoccupations morales (car les animaux sont des êtres qui souffrent)
3. Courant anti-humaniste allemand et américain (Cf. Greenpeace) : la nature
comme telle, y compris, donc, sous ses formes végétale et minérale, est un être
porteur de droits. Il ne s’agit plus de défendre la nature pour protéger l’homme de
lui-même : il s’agit plutôt de défendre la nature contre les hommes. L’écosystème
a une valeur supérieure à l’homme, espèce nuisible. Cette forme d’écologie est
donc une remise en cause de l’humanisme.

Cf. B. Devall : " l’écologie profonde, à la différence de l’environnementalisme de type


réformiste, n’est pas seulement un mouvement social pragmatique, orienté vers le
court terme, avec pour but de stopper l’énergie nucléaire ou de purifier les cours
d’eau. Son objectif premier est de remettre en question les modèles de pensée
conventionnels dans l’Occident moderne et d’y proposer une alternative ".

Pour ce mouvement, il s’agit donc de renverser les valeurs occidentales, de les


abandonner, si l’on veut "  sauver la planète  "  ; pourquoi  ? Parce que les valeurs
fondatrices de l’Occident sont destructrices. Ces valeurs consistent, d’une façon
générale, à affirmer que  : l’homme est la valeur suprême  ; que la nature est son
moyen, et qu’il peut en faire tout ce qu’il veut, puisqu’elle n’a aucune valeur  ; la
science, technique appliquée, a comme seul but de nous donner les moyens de
dominer la nature  ; l’homme occidental a pour seule fin la production, et la
consommation. L’homme occidental considère la nature comme un stock d’objets
dont il peut faire ce qu’il veut. Nous sommes donc une " civilisation conquérante,
dont la seule référence est l’homme et dont toute l’action tend à une maîtrise de
totale de la terre " (A. Waechter). Cf. aussi Greenpeace (Chroniques, avril 1979)  :
"  Les systèmes de valeurs humanistes doivent être remplacés par des valeurs
suprahumanistes qui placent toute vie végétale et animale dans la sphère de prise
en considération légale et morale. Et à la longue, que cela plaise ou non à tel ou tel,
il faudra bien recourir le cas échéant à la force pour lutter contre ceux qui
continuent à détériorer l’environnement ".

Ceci permet de comprendre pourquoi 1) et 3) s’opposent. Pour 3),


l’environnementalisme ne peut qu’échouer, car 1) il ne voit pas que le système
actuel ne peut être réformé, s’il n’est pas détruit à sa base même ; 2) il continue,
au fond, à adhérer aux valeurs fondatrices de l’Occident, qui sont le véritable
responsable de ce qui est dénoncé… Sources de ce mouvement  : valeurs de
l’Orient (cf. bouddhisme zen) ; modes de vie traditionnels des Indiens d’Amérique ;
car on recherche des modes de vie alternatifs, et surtout, des modes de vie dans
lesquels l’homme vit en harmonie avec la nature.

En plus d’être un mode de pensée foncièrement anti-humaniste, l’écologie


profonde est encore un mode de pensée  anthropomorphiste, qui n’est pas
conscient, semble-t-il, de ses postulats.

Cf. idée d’attribuer un droit et une valeur intrinsèque aux êtres naturels, que l’on
entende par là les animaux ou les minéraux.

Face à une telle entreprise, on se demandera si l’on peut intenter directement un


procès à un animal qui vous a mordu ou à une troupe d’insectes ayant dévasté un
champ. L’animal ou l’insecte a-t-il agi délibérément, dans l’intention de nuire ?
De même, on se demandera si l’animal, l’insecte, ou le cours d’eau, peuvent porter
plainte contre celui qui l’a pollué, etc. Lui a-t-on " fait du mal " ? Si la question se
pose pour l’animal, elle semble plus absurde dans le cas du cours d’eau. Est-il un
être porteur de droits et qui a des intérêts  ? Pour l’écologie profonde, oui  ; pour
l’écologie environnementaliste, qui considère la nature comme un environnement,
comme ce qui, donc, entoure l’homme qui est au centre et vaut mieux que ce qui
l’entoure, non : si procès il y a pour pollution et autre dommage, il faudra que l’on
puisse repérer des dommages causés à un tiers : ie, à l’homme ; et que l’on puisse
trouver un coupable (cf. l’affaire de la marée noire du 12 décembre 1999, et ci-
dessus, critique de la valeur morale de la nature).

C’est bien entendu cette troisième forme d’écologie qui est visée dans le texte que
nous avons lu ci-dessus. La première forme est fondée, et on aurait tort de la
critiquer. Nulle nostalgie, nul recours à la nature comme norme suprême  ; nul
danger, donc, car ne fait pas de l’idée de nature un usage idéologique, plus
précisément, un usage anti-humaniste (puisque l’idéologie qui se cache souvent
derrière la nature érigée en modèle, est la plupart du temps anti-humaniste  ; et
raciste).

Vous allez me dire que la forme extrême est extrême, justement, donc rare. Mais
ne nous y trompons pas  : on se dirige de plus en plus vers une telle forme de
pensée, pour deux raisons :

- aujourd’hui, on réclame de plus en plus des droits pour les animaux, première
étape vers le passage à 3)  – car que rencontre-t-on sur le chemin qui va de
l’homme aux pierres et aux montagnes ? Les animaux, bien sûr.

- et nous sommes en période de crise, répétons-le ; or, toute période de crise fait
renaître en nous la nostalgie d’un avant meilleur qu’aujourd’hui, ce qui nous
prépare donc à accueillir toute idéologie naturaliste.

Conclusion III

L’idée de nature, donc, est une idée idéologique et dangereuse, quand on l’érige en
norme : c’est bien ce que nous avons déjà constaté plus haut dans le cours. Mais,
hélas, c’est aussi une idée résurgente et présente semble-t-il en chacun de nous,
au plus profond de nous-mêmes. Méfions-nous donc de cette tentation, de ce
mirage, qui risque d’être de plus en plus présent dans notre ère !

Il est donc utile de se demander, devant n’importe quelle critique de la culture, de


la modernité, ce qui se cache derrière. Soyons vigilants devant cette forme d’anti-
humanisme qui n’est autre qu’idéologique car elle recourt à une idée vague, celle
de nature. Or, répondons-leur que cette nature n’existe pas, qu’elle n’exprime qu’un
sentiment de révolte de l’homme devant l’intolérable. Et que, finalement, elle n’est
autre que la résurgence du sentiment religieux sous une nouvelle forme et sous
un vêtement rationaliste, comme l’a bien vu Comte dans son Discours sur l’esprit
positif. En effet, elle participe de ce désir de vouloir trouver une raison à toute
chose. Or, comme l’avait bien vu Lucrèce, la meilleure manière de lutter contre
toute forme de superstition et donc contre tout avilissement de l’homme, c’est
bien de ne pas croire que toute existence a sa raison, mais que tout est dû au
hasard. Ie : il faut se débarrasser de l’idée qu’il existe quelque chose comme une
" nature ". A l’appui de Lucrèce, je tiens à faire remarquer que nombre de sectes se
servent, en ces temps, avouons-le, de crise, du désir grandissant du "  retour à la
nature ", pour attirer les foules … Soyons donc vigilants !

Conclusion générale
Mais disons rapidement que l’on ne peut se débarrasser de l’idée de nature, à la
fois parce qu’elle est une sorte de fantasme constitutif de l’homme en société
(naturalisme, ici = ensemble de vues fantasmatiques tendant à récuser le
caractère artificiel de l’existence en général), et en ce que la distinction technique
et nature est bien commode dans la vie courante (naturalisme, ici = recherche d’un
ordre transcendant le hasard). Mais ce dont on peut et ce dont il faut se
débarrasser, c’est de toutes les arrière-pensées, de tous les présupposés sous-
jacents, ie, de tout ce qu’il y a d’ininterrogé dans notre idée de nature.

Annexe  : le cosmos antique et le mot d’ordre "  vivre en conformité avec la


nature "

La nature, dans l’Antiquité, a pour nom " cosmos ". Idée que la nature est un bel
ordre, une harmonie, qu’elle a une finalité et un sens. Parler de la nature comme
d’un cosmos, c’est penser que tout ce qui existe dans la nature "  obéit  " à un
certain ordre, et a, donc, un sens, une place propre.

D’où le mot d’ordre que l’on retrouve dans nombre de philosophies de l’Antiquité : il
faut " vivre selon la nature " ; il faut " suivre la nature ". La nature était pour ceux
qui s’interrogeaient sur la manière de vivre heureux, sur la manière de conduire
leur vie, le seul modèle valable. Si on prend l’homme pour modèle, alors, on ne
pourra qu’être malheureux  : cf. à l’époque la crise en politique mais aussi dans
toute la société. L’homme semble alors être la cause de tous les maux : guerres,
trahisons, etc. Certes, on s’éloigne ici, me direz-vous, de la technique à proprement
parler. Mais parler de technique, c’est toujours parler de l’homme par opposition à
la nature. Et, nous venons de le dire, ériger la nature en modèle, c’est se détourner
de l’homme, c’est ne plus croire en l’homme.

Exemple  : le cosmos aristotélicien

1) le cosmos

Pour Aristote, l’univers naturel est un cosmos, un bel ordre, où tous les éléments
se tiennent, et ont un rôle et une place prédéterminés dans ce tout. Il y aura même
des parties de l’univers, donc, certains êtres, qui auront une valeur supérieure à
d’autres. Décrivons donc ce cosmos.

Ce qui est d’abord marquant dans cette représentation du monde, c’est la


distinction nette entre deux mondes  : celui de la Terre, et celui du Ciel. Cette
conception est intuitive, i.e., elle résulte de ce que l’on a coutume d’observer
autour de nous. C’est aussi une résurgence de la croyance ancienne selon laquelle
le ciel est le domaine des dieux … mais cette croyance elle-même repose sur
l’observation quotidienne…

Ce qui les distingue, c’est leur degré de perfection  : en effet, dans le monde
terrestre, on constate que tout est soumis à un perpétuel changement : naissance,
mort, altération ("corruption "), évolution, etc. Au contraire, dans le monde céleste,
il n’y a pas de changements. Les corps célestes se meuvent toujours de la même
manière, ils ne naissent ni ne meurent. Le monde terrestre est donc imparfait et le
monde céleste est parfait. On nomme le premier monde, le monde "sublunaire  ",
ce qui signifie "situé sous la Lune  "  ; si la Lune est une frontière entre les deux
mondes, c'est parce que, contrairement aux autres corps célestes, elle change de
forme constamment. Le monde céleste se nomme le monde "supralunaire", ce qui
signifie qu’il se trouve "au-dessus de la lune ". Ces deux mondes sont donc soumis
à des lois totalement différentes.
On observe ainsi que les différents corps obéissent à un mouvement différent : les
corps "lourds " (une pierre) tombent, les corps "légers" montent (la fumée, la
vapeur). Ils obéissent à un mouvement qui s’effectue en ligne droite. Les corps
célestes se meuvent quant à eux de façon circulaire, et de manière uniforme
(toujours la même).

Le monde sublunaire (ou terrestre) est composé de quatre éléments originaux


dont tous les corps sont une combinaison des quatre : la Terre, l'Eau, l'Air, le Feu.
La Terre au centre, puis l'Eau, l'Air, et enfin le Feu le plus à l'extérieur. Ces quatre
éléments déterminent la manière dont les corps terrestres vont se mouvoir. En
effet, à chaque sorte de corps, classés en lourds et en légers, correspond un
élément naturel, qui est encore appelé un lieu naturel L’élément/ lieu naturel des
corps lourds est soit la terre soit l’eau ; l’élément/ lieu naturel des corps légers est
soit le feu, soit l’air. Les corps ne sont à l’aise que dans ce lieu/ élément, et c’est
pour cela qu’il est qualifié de " naturel ". Leur imposer un autre lieu, c’est leur faire
violence, car c’est les expédier en un lieu qui n’est pas le leur, qui ne leur est pas
propre/ naturel. Aristote dit qu’on les prive de leur lieu naturel. Les corps déplacés
de leur lieu naturel combleront donc cette privation en faisant tout pour retourner
dans leur lieu d’origine. Aristote dit que le mouvement par lequel les corps sont
déplacés de leur lieu d’origine est un mouvement " violent ", et que le mouvement
par lequel le corps rejoint son lieu d’origine est "  naturel  ". Le mouvement n’est
donc pas une réalité positive : il n’a de sens que par le repos qu’il promet (l’idéal
étant en effet de rester éternellement en son lieu propre). Plus précisément, il sert
à remettre les choses en ordre : on voit bien qu’il n’y aurait pas de mouvement, si
on ne dérangeait pas l’ordre.

Voici donc quels sont les mouvements naturels  : aux lourds, la terre et l’eau,
revient le mouvement rectiligne vers le bas. Aux légers, l’air et le feu, revient le
mouvement rectiligne vers le haut. Il faut noter que ces directions, ces lieux, sont
pour Aristote absolus. Il y a un haut et un bas prédéterminés dans l’univers !

Voici donc comment on expliquait la chute des corps chez Aristote  : quand vous
lancez une pierre, vous l’envoyez dans un lieu qui ne lui est pas naturel (l’air, le
haut)  ; vous lui infligez donc un mouvement violent, duquel s’ensuivra
nécessairement un mouvement naturel rectiligne vers le centre de la Terre  ; la
pierre tombe, parce qu’elle veut rejoindre son lieu naturel, comme l’amant désire
rejoindre l’aimé.

S'opposant à ce monde complexe et perturbé, mais totalement déconnecté de


notre expérience, existe le monde Céleste. C'est un monde parfait et immuable,
dont les constituants (Lune, Soleil, planètes, Etoiles) sont chacun sur des sphères
concentriques, au nombre de 8, et qui tournent autour de celle-ci d’un mouvement
circulaire uniforme.

2) cosmos et ordre social

Cette représentation du monde naturel comme "  ordonné  ", où tout se tient, a
inspiré la morale antique. Il faut retranscrire dans sa vie le même équilibre, la
même harmonie. C’est comme si la nature avait tout prévu pour nous indiquer
quelles doivent être nos valeurs morales, quels doivent être les principes
directeurs de notre vie. Le cosmos étant hiérarchisé, il doit y avoir cette même
hiérarchie à l’intérieur de la société, puisque la nature est supérieure à l’homme, et
nous montre ce qu’il faut faire.
Aristote va ainsi fonder sur cette représentation de la nature sa justification de
l’esclavage (in Politiques, livre I)  : il existe des esclaves par nature. Plus
précisément, il existe des êtres inférieurs par nature et des êtres supérieurs par
nature. Les premiers sont ceux qui sont forts physiquement, mais pas très
intelligents  ; les seconds ont une intelligence supérieure. Conséquence  : les
premiers sont destinés à servir les seconds  : ils travailleront à assumer leurs
besoins, tandis que le maître est destiné à commander la maisonnée, et à penser.
Nulle idée, chez Aristote, de lutter contre le naturel : la nature est une valeur, elle
nous montre la place destinée à chacun. Il ne faut surtout pas bouleverser cet
ordre. Mais nous répondrons, bien sûr, que ce qu’il loue comme naturel, n’est que
l’ordre qu’il trouve établi dans sa société, et donc, ce n’est qu’un ordre institué…

On retrouve la même " méthode " dans la République de Platon ; ainsi que chez les
stoïciens, les cyniques, les épicuriens.

Bibliographie

Aristote, Physique II, 1 (distinction nature et artifice)

D. Bourg, Sciences et Vie, hors série n° 200, septembre 1997, pp. 134-142, "  En
quoi nos outils sont-ils uniques  ?  " (technique et humanisation de l’homme)  ;
Technique et progrès, Hatier, Optiques

Les Cyniques Grecs, Livre de Poche (la nature comme modèle)

Descartes, Principes de la philosophie ; Discours de la méthode (pas de distinction


nature/ artifice)

Encyclopédie Universelle, Article " Nature et culture"

L. Ferry, Le nouvel ordre écologique, Le Livre de Poche

Goethe, Faust (le technicien comme apprenti sorcier)

H. Jonas, Le principe responsabilité, Champs Flammarion (pour la forme extrême


de l’écologie)

Platon, Protagoras (le mythe de Prométhée)

C. Rosset, L’anti-nature, Puf Quadrige (tout est artifice)

Rousseau, Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes (état de nature
versus état de société) ; Discours sur les sciences et les arts (technique immorale
et anti-progrès), Garnier Flammarion

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