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Le travail et la technique/Introduction
Chapitre no1
Leçon : Le travail
et la technique
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sommaire
au
Le travail
Chap.
comme
suiv. :
malédiction
Nous allons nous rendre compte que les concepts de travail et de technique nous mènent tous
les deux à penser le rapport d'échange qui peut exister entre l'humain et la nature. Connaître et
contempler la nature est une chose, et c'est à la science de parvenir à ce résultat, mais pour
vivre l'homme doit aussi et avant tout savoir agir dans le monde physique. Parce qu'il n'a pas
l'instinct des animaux, la place qu'il occupe dans l'univers de la nature est moins le résultat
d'une adaptation spontanée que d'une confrontation dont les formes sont justement le travail et
la technique. Mais pour voir cela plus clairement, définissons ces termes.
Sommaire
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1 Technique
2 Travail
3 Lien entre technique et travail
4 Pourquoi travaille-t-on ?
Mais il ne faut pas réduire la technique au objets matériels et concrets que sont les outils.
Outre la production d'outils, la technique désigne aussi des savoir-faire liés au corps
(technique de nage, de sommeil...) et des savoir-faire liés à l'esprit (méthodes des sciences,
exercices spirituels...)
Concernant la production des outils, on ne peut ignorer son histoire, nous nous limiterons
cependant à une chronologie simplifiée en 3 périodes :
Jusqu'au XVIIIe siècle, l'humain était dans l'ère de la techné au sens large
Il est ensuite entré dans l'ère des machines et de l'industrie
Et depuis 1945, nous sommes dans l'ère du nucléaire et de l'informatique
Si nous regardions de plus près, nous verrions l'apparition de la distinction entre trois
concepts : l'outil, l'instrument et la machine, mais la langue française n'aide pas l'esprit à bien
les différencier à cause de l'extension de l'usage qu'elle en fait. Au sens large, le terme
d'instrument possède la signification la plus générale puisqu'il nous renvoie à l'idée de moyen.
Ainsi, pouvons-nous dire que toute technique est l'instrument du pouvoir que l'homme exerce
sur la nature. Au sens large toujours, le terme d'outil désigne tout objet fabriqué par l'homme
pour agir sur la matière. Une machine est donc en ce sens tout autant un outil qu'un marteau.
Mais en précisant :
L'outil est un objet amplifiant les capacités du corps humain du point de vue
mécanique, accroissant sa force.
L'instrument est un objet amplifiant les capacités du corps humain au niveau des
perceptions (instruments de mesure, de musique...)
La machine, quant à elle, est une structure organisée pour transformer l'énergie en
force mécanique, voire en informations pour les dernières machines.
Il est important de préciser que les progrès techniques, l'apparition de nouveaux objets
techniques, entraîne une modification de ces catégories, à l'instar de l'évolution du monde
vivant faisant apparaître parfois des formes de vies inclassables. Le progrès donnant des
formes à la fois outils, instruments et machines. Comment classer les satellites et les
ordinateurs ?
Comment définir alors le concept de technique ? Qu'est-ce qu'il y a de commun à toutes les
idées que nous venons d'évoquer ? Il semble que nous pouvons affirmer que la technique est
toujours la mise en œuvre d'un procédé afin de produire des objets où des savoir-faire
que la nature ne peut fournir elle-même, et ceci dans le but d'agir efficacement dans le
monde. Notons l'apparition du terme technologie, qui tend à remplacer celui de technique. On
entend tout d'abord le regroupement de plusieurs techniques très différentes en vue de
produire un même objet, par exemple le lancement d'une fusée requiert de nombreux savoir-
faire différents. Technologie sous-entend que la technique se différencie de l'art et de
l'artisanat, car elle dépend de la science, et la technique est aujourd'hui l'application du savoir
scientifique, et il dépendent désormais l'un de l'autre pour se développer l'un l'autre.
Ainsi, le travail semble être l'effort par lequel l'homme parvient à transformer le réel (la
matière ou les idées), à nier ce qui apparaît par une activité dont les règles ne sont pas
spontanées ni données. Alors que le point de vue économique insiste davantage sur l'idée de
productivité du travail, les points de vue physique et psychologique ne retiennent que celle de
l'effort important et pénible réclamé par le travail.
Chapitre no2
Leçon : Le travail
et la technique
Chap.
Introduction
préc. :
Chap. L'humain est
suiv. : homo faber
Nous avons vus que la technique, rendant notre travail efficace, va nous libérer de la
nature mais aussi du travail lui-même. À quelle liberté parvient-on ? Quel est l'objectif du
développement technique ?
Sommaire
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L'humain doit donc engager une lutte contre la nature qui aura pour forme le travail : alors
que la nature semble tout donner à l'animal, l'homme naît démuni, et doit donc de lui-même
transformer la nature pour l'adapter à ses besoins. Le travail semble être aussi un effort
permanent contre l'attraction de la terre autrement dit la mort.
Si le travail est punition, il n'est pas conforme à la nature humaine. Rousseau, dans son Essai
sur l'origine des langues dit que les hommes sont naturellement indolents (au sens d'inertes,
résistants face à une activité comme le travail) et se plaisent à ne rien faire. C'est seulement
lorsqu'ils vivent en société que l'inquiétude de l'avenir va les rendre actifs. Dans une société, il
faut faire montre d'une certaine performance, avoir des caps à franchir, imposés par
l'inquiétude.
Aristote n'assimile pas le travail à la poësis, ni à la praxis, il le considère comme faisant partie
des deux catégories, car le travail a une action modificatrice à la fois sur le réel et sur la nature
humaine. Aristote préfère à l'idée du travail et à la nécessité l'idée de loisir et de liberté. Mais
il ne faut pas confondre les différents sens du loisirs : dans le sens commun, le loisir
correspond au moment du jeu et de la détente, ou encore un temps pour consommer, et donc
tout loisir est un temps pour récupérer du travail, permettant de conserver un certain
rendement, ou encore le temps qui n'est pas passé à travailler est utilisé pour l'usage du fruit
de notre travail. Ainsi, loisir et travail sont les deux phases d'une même activité, car le travail
n'a pas de valeur en lui-même, et nous ne pouvons travailler éternellement : le jeu et la détente
n'ont donc pas d'autres buts que le travail lui-même[2].
Aristote conçoit différemment le loisir, comme étant l'ensemble des activités faites pour elles-
mêmes, qui ne sont pas nécessaires. Nous pouvons les choisir, et c'est là que nous sommes
réellement libres. Le loisir n'est donc pas nécessaire mais essentiel, dans le sens où il concerne
notre être, notre nature et son développement (les arts, la philosophie ne sont pas nécessaires).
Cependant, le loisir ne semble pas incompatible avec le travail : la réalisation d'un chef-
d'œuvre, le plus souvent, a demandé un travail énorme à l'artiste; tout comme la philosophie
demande un effort de réflexion...
Ainsi, la nature va nous servir de modèle pour produire nos propres objets, mais les choses
naturelles ne sont pas de simples plans à suivre, la nature va inspirer nos plans de
construction, car la production technique suppose que nous ayons compris au préalable la
nature et ses lois afin de produire des objets efficaces. Cette compréhension permet aussi
d'inspirer de nouvelles idées, par exemple les combinaisons de nageurs sportif ayant une
structure analogue à celle des peaux de requins. Dans le fait d'exécuter ce que la nature ne
peut faire, il y a deux choses :
Premièrement, la technique est le moyen par lequel l'humain va augmenter les effets
ou détourner à d'autres fins les activités de la nature. Ainsi le marteau augmente la
force de notre bras, et l'irrigation est bien un détournement de l'écoulement l'eau, en
vue de cultiver des terres qui ne seraient pas fertiles sans ce moyen.
Deuxièmement, à cause de la technique, il existe une rivalité humain/nature.
L'homme, en inventant et produisant des choses qui n'existent pas, imite encore la nature, qui
invente aussi, comme en témoignent les mutations génétiques. Les objets artificiels peuvent
être alors comparés à ceux de la nature car tout en étant très différents, ils peuvent rivaliser en
termes d'effet et de capacités, et ce ne sont pas toujours les créations techniques qui ont le
dessus (par exemple, certaines molécules contre le cancer ne peuvent être produites que par de
petites fleurs et toute notre industrie, si gigantesque soit-elle, en est incapable)
La première intuition prend le contrepied d'Aristote, qui disait que l'étonnement est le moteur
de la connaissance, en démontrant que la condition pour progresser dans le savoir consiste à
postuler qu'il n'y a rien d'étonnant ni d'admirable dans la nature. Aucune exception, aucun
mystère, aucune puissance cachée ne peut y exister, sinon, par avance, la science n'a aucune
raison d'être.
En effet, les sciences depuis Descartes, nous font découvrir la nature comme étant un vaste
empire de la banalité, une grande machinerie. À l'origine de cette réflexion, il y a eu
l'expérience des automates rendant compte de l'ingéniosité des humains pour produire des
artifices (combinaisons habiles de techniques). Par l'artifice technique, on peut produire des
effets semblables à la nature, il est alors probable que la nature dissimule son propre artifice,
semblable à celui des humains. Raisonnement justifié par le principe de causalité (voir le
cours sur la démonstration). Ainsi nous devons, pour l'appréhender, considérer que la nature
imite la technique des humains, et pas l'inverse comme le dit Aristote.
La nature, le modèle, doit donc être considéré à l'image de son image : le corps est une
machine, le cœur une pompe, les muscles des ressorts, les veines une tuyauterie... À chaque
fois, l'artifice représente le modèle pour décrire la nature. Évidemment, la complexité des
créations humaines est moindre que celles de la nature, il existe un écart infini entre l'humain
et Dieu. C'est d'ailleurs cette complexité qui donne l'illusion d'avoir affaire à autres chose que
des machines naturelles.
Mais selon Descartes, il existe une exception, celle de la conscience et de l'esprit, qui ne peut
être expliquée comme un mécanisme. Nous sommes des machines mais nous sommes
essentiellement une conscience qui peut réfléchir sur cette machinerie. Le grand mystère est
de savoir pourquoi et comment existe l'esprit, sa présence métaphysique, dans un monde
physique.
La deuxième intuition, la science est une technologie du réel, est en corrélation avec la
première. Descartes est obsédé par la vérité, car il a le soucis d'agir efficacement dans le
monde; la science ne devrait être développée que si elle a des applications pratiques; par
conséquent le fait que la science n'émette pas la vérité (voir le cours sur le savoir) mais des
théories de plus en plus vraisemblables importe peu, du moment qu'elle permet d'obtenir les
effets désirés.
Quelle conséquence de ces deux intuitions ? La possibilité "de se rendre maître et possesseur
de la nature" : non-seulement l'invention d'artifices mais aussi de repousser les limites de la
mort et de toujours savoir comment agir à chaque instant de nos vies. Les sciences, en rendant
la technique efficace, arrachent l'humain à la malédiction évoquée plus haut. En considérant
les réalités de la nature, et en particulier le corps humain, comme des mécanismes, les progrès
vont nous permettre d'en disposer et de les utiliser comme s'il s'agissait de nos propres
machines.
Chapitre no3
Leçon : Le travail
et la technique
Chap. Le travail comme
préc. : malédiction
Logique du
Chap.
développement
suiv. :
technique
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La technique humaine est invention, l'animal lui n'invente rien, il fait en fonction de ce que la
nature lui donne (l'instinct). Or, il y a véritablement technique lorsqu'il y a médiation du but à
atteindre, c'est-à-dire lorsqu'on artificialise ce que la nature ne peut fournir elle-même. Alors
qu'un animal est dans ce qu'on peut appeler "instrumentation" (quand un castor construit un
barrage, c'est instinctif, il répond à une nécessité naturelle), l'humain seul est dans la
"technique", dans le report du but à atteindre pour être plus performant.
En tout cas, la réflexion remplace l'instinct. Aristote dit qu'il ne sert à rien de posséder un outil
aussi complexe que la main si nous n'avons pas les facultés, les capacités intellectuelles pour
savoir l'utiliser, d'autant plus que la main est l'outil des outils.
La technique est donc bien propre à l'humain, et ses effets confirment cette idée; alors que la
technique animale est le prolongement de ce qu'il est, a pour seule fonction de préserver son
être, elle semble être tout le contraire chez l'être humain. D'abord, notre technique se distingue
de notre corps, de notre être, on peut en avoir plusieurs. Mais surtout, l'invention permanente
traduit chez l'Homo faber qu'il ne s'en tient pas à ce qu'il est, pour changer sans cesse son
milieu, son existence. C'est le seul être naturel qui va refuser sa nature.
Le travail est une activité propre à l'humain; au contraire de l'animal, il doit préalablement se
doter des moyens d'atteindre les mêmes buts. La travail commence avec l'effort d'invention, il
se poursuit par l'effort de réalisation des moyens techniques inventés et se termine par l'effort
de maitrise.
La division sociale : répartition des tâches entre tous les individus d'une même société,
à l'origine même de la société humaine.
La division technique : au sein d'une même branche d'activité des tâches d'une
production, le travail industriel en est l'illustration. Mais elle peut s'appliquer à d'autres
domaines, comme le savoir...
On peut faire coïncider dans l'Histoire le moment où est développée la division technique du
travail et la révolution technique (l'ère des machines).
Adam Smith, auteur du XVIIIe siècle, dit dans sa Recherche sur la nature et les causes de la
richesse des nations que la division du travail est à l'origine de l'invention des machines, et
que quand l'humain est limité à une seule tâche, il y est d'autant plus attentif, plus apte à
réfléchir sur le moyen de faciliter cette tâche; c'est par exemple parce qu'on veut s'épargner la
peine de travailler que l'on se fait remplacer par une machine. Mais le perfectionnement des
machines n'est pas seulement le fait des humains qui travaillent avec. Il existe dans notre
société une branche de l'industrie qui s'occupe uniquement de cela et n'est que le
prolongement de la science. Depuis cette époque, la science est une tâche dévolue à certains
humains, les savants. Cette branche se divise elle-même en plusieurs fois. Parce que les
savants ont pour profession de ne pas agir mais de tout observer, ils peuvent mettre en rapport
et combiner des réalités et des forces en apparence très dissemblables. Leur rôle social est
l'invention qui se termine par l'invention technique.
Ce type de travail est aussi aliénant car nous ne le faisons plus pour nous-même, mais pour un
autre, en échange de salaire (on dit qu'on offre sa force de travail). En offrant sa force de
travail, l'ouvrier ne s'appartient plus lui-même.
Le travail est aliénant quand il est divisé car il n'est plus une activité qu'il fait pour lui-même
et de par lui-même et tend à n'être plus qu'un simple effort. L'humain n'est libre que lorsqu'il
satisfait ses pulsions animales. On peut donc comprendre la passion du bricolage ou du
jardinage si l'on voit que dans ces activités, l'humain s'y retrouve lui-même, car non-
seulement il y exerce librement ses facultés, mais en plus il possède la transformation de la
nature qu'il a produite. Le parallèle est faisable avec un élève qui ne considère ses études que
comme un effort pour obtenir dans l'avenir un emploi : il ne travaille que pour travailler. Au
lieu de s'intéresser à son activité d'étudiant, il ne cherche que des méthodes pour réussir ses
exercices.
Or le travail peut-être autre chose qu'une dépense physique. Quand il n'est pas divisé, il
transforme l'humain mais surtout engendre l'humain, car :
Sur le plan objectif, par son travail, l'humain se révèle à lui-même. En travaillant, on
marque le réel, on laisse une empreinte dans la nature : notre nature devient sensible,
tournée vers l'extérieur, objective. On voit ce que l'humain vaut dans les
transformations qu'il a produites. Le travail créé aussi des rapport sociaux, et une
personne révèle son humanité à tous par son travail. Le produit de son travail va
rendre manifeste aux autres sa faculté, objectivement.
Chapitre no4
Leçon : Le travail
et la technique
Chap. L'humain est
préc. : homo faber
Conséquences
Chap. éthiques du
suiv. : développement
technique
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1 Accélération
2 Le besoin
3 L'adaptation
4 L'innovation
D'autre part, cette logique se concrétise aussi par une assimilation : comme Descartes l'avait
dit, le point de vue technologique considère la nature à l'image des machines; par conséquent,
plus la science progresse, plus la frontière entre Nature et Technique (entre êtres vivants et
machines) devient mince. C'est désormais dans un tel monde que l'être humain doit vivre.
Chapitre no5
Leçon : Le travail
et la technique
Logique du
Chap.
développement
préc. :
technique
Ici, nous voulons évaluer du point de vue éthique les conséquences générales du
développement technique, en évitant les jugements trop tranchés, car les progrès apparaissent
toujours ambivalents, comme dans le mythe d'Icare que Platon montre dans son Ménon. Dans
ce mythe, la technique est montrée comme libératrice mais aussi mortelle. On doit donc
distinguer la technique et l'usage que nous en faisons. Cependant, on doit rappeler que le
développement technique est imprévisible et autonome; il faut donc comprendre que les
objets techniques sont simplement des moyens pour atteindre un but, mais imposent des
finalités en révélant des applications insoupçonnées et deviennent des finalités en eux-mêmes.
En étant autonome, le développement technique nous impose donc ses propres valeurs, un
mode de vie : en nous libérant des nécessités de la vie, la technique nous soumet à son propre
développement, elle n'est donc pas neutre.
Le plus évident est celui lié à la puissance qu'elle permet : C'est à partir de 1914 que
l'Homo faber réalise vraiment quels pouvoir de destructions il détient : Entre 1805 et
1815, les guerres napoléoniennes ont fait 2,5 millions de morts. Alors qu'en seulement
quatre ans (1914-1918) la première guerre mondiale en fait 9 millions, la seconde 62
millions... Désormais, à cause de cette puissance, les destructions possibles sont à
l'échelle de la planète entière. Comme le dit Michel Serres dans Le Contrat Naturel : «
non seulement la nouvelle nature est comme telle, globale, mais elle réagit
globalement à nos actions locales. » Nous sommes à un moment essentiel de l'Histoire
Humaine : pour la première fois, l'avenir du monde dépend réellement de nos propres
choix.
Ce n'est pas pour autant qu'il faudrait adopter la solution inverse et parier sur le
développement technique en supposant qu'il sera assez efficace pour pallier aux périls qu'il
produit lui-même. Comme le croyait Descartes, en nous permettant de toujours faire bien,
c'est-à-dire efficacement, le progrès ne pourra aboutir qu'à nous donner la capacité de toujours
faire le bien. Cela est peut-être possible mais reste un horizon idéal. En attendant, nous
voyons que plus la technique se développe et plus les dangers se multiplient et se globalisent.
Quelles solutions reste-t-il alors ? Pouvons-nous croire que la solution politique et juridique
envisagée aujourd'hui suffise ? La création des comités d'éthique réfléchissant sur de
nouvelles normes et les soumettant au pouvoir politique semble nécessaire. Cependant, cette
réponse législative reste encore locale alors que le problème est global. Si ce qui est régulé ou
interdit dans un pays ne l'est pas dans d'autres, les problèmes posés par la technique restent
des dangers et demeurent identiques.
Il est donc nécessaire, avant d'envisager toute solution concrète, de revenir à ce qui chez
l'humain est à l'origine de tous les grands changements et tous les grands bouleversements de
son histoire, à savoir les idées. Contrairement à ce que l'on croit, justement à cause de notre
logique technicienne, ce sont les idées qui changent le monde. Si les sociétés humaines ont
connu de telles révolutions au XVIIIe siècle c'est parce que de nouvelles idées, comme celle
d'une égalité entre les humains, sont devenues évidentes. Alors que le XVIIIe siècle fut un
tournant de l'histoire humaine à cause d'une nouvelle conception de la relation entre les
hommes, le XXIe siècle devra être un nouveau changement de cap de cette histoire à partir
d'une nouvelle conception de la relation entre la nature et l'homme.
Comment résumer cette nouvelle idée qui doit devenir une évidence pour chacun ? Il faut
abandonner la perspective du projet cartésien, et nous rappeler la perspicacité d'Aristote :
inspirons-nous de la nature elle-même. Jusqu'à présent par la technique l'humain maîtrise
toujours mieux la nature pour en tirer profit, il ne s'adapte donc plus à elle, mais y vit comme
un parasite. Or, comme tout parasite, il se met lui-même en danger par ses excès : il va
disparaître en détruisant son hôte. Aussi, il est nécessaire d'adopter une solution que la nature
elle-même a déjà envisagée depuis longtemps : la symbiose. À l'image, par exemple, des
fourmis qui colonisent certains acacias et leur apportent un entretien, « rétribué » par la
présence d'un abri. Nous devons désormais établir un rapport d'échange mutuel avec la nature,
et notre propre technique nous en donne les moyens. L'alternative historique est simple : la
mort ou la symbiose.
L'efficacité technique nous donne l'illusion d'une maîtrise, or nous ne maîtrisons pas notre
maîtrise sur la nature. Nous la soumettons peut-être, mais nous nous laissons asservir par le
développement technique, nous ne le dirigeons pas et nous nous en remettons entièrement à
lui. Il est temps de retrouver le sens du mot sagesse au sens socratique, et de nous rappeler,
pour reprendre la jolie formule de Saint-Exupéry, que nous n'héritons pas la Terre de nos
parents, mais que nous l'empruntons à nos enfants.