Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
C'est ce que résume Gilbert Simondon : "Le travail est l'activité humaine par
laquelle l'homme réalise en lui-même sa médiation entre l'espèce humaine et la
nature"[1].
On peut toutefois opposer à tout ce qui précède que l'idée qu'il existe un travail
spécifiquement humain est à la fois contestable et n'est pas réellement utile, sauf à
valoriser un peu orgueilleusement l'être humain.
a. Définition du terme
En ce sens, on dira que le maçon possède une technique qui lui permet par exemple
de construire un mur, ou que le footballeur possède une technique qui lui permet
par exemple de frapper dans la balle et de marquer un but.
On parlera de savoir-faire quand une procédure inventée devient reproductible par
l'acteur (le footballeur possède une technique dans la mesure où il est capable de
répéter son geste, par exemple tirer un coup-franc. On ne dira pas de quelqu'un qui
a réussi à marquer un but sur coup-franc qu'il possède une technique s'il est
incapable de reproduire son exploit).
Si l'on réunit les différents sens du mot "technique",on peut dire que la technique
est, incontestablement, à l'origine de la culture humaine, c’est-à-dire de la
domination de la nature. L'homme n'a pas, comme un animal, à sa disposition un
rapport instinctif, naturel, avec son milieu, et en premier lieu avec son corps. Là où
l’animal dispose d’outils et d'instruments qui sont substantiellement liés à son
organisme, là où l'outil animal détermine à son tour un rapport précis et fini avec un
environnement déterminé (par exemple, le nid pour l’oiseau, destiné à un usage et à
une période bien précises), l’homme n’entretient avec la nature que des relations
d’extériorité. Non seulement, il n’y pas vraiment d’instinct, mais son corps, loin
d’être l’instrument de son adaptation au milieu est, au contraire, le signe de sa
différence, le corps de l’homme naissant ne sachant rien faire.
Depuis la fin du XVIe siècle et le XVIIe siècle, les techniques ont pris leur point de
départ dans des connaissances scientifiques. Auparavant, la technique n'était pas
guidée par la science ; il existait des techniques davantage reliées à des savoir-faire
qu'à des connaissances théoriques. Les Grecs et les Romains savaient faire des
ponts mais leurs connaissances techniques n'étaient que très sommairement et
parfois pas du tout reliées à des connaissances scientifiques. Même si les Grecs,
contrairement à une représentation convenue, étaient loin de mépriser la technê, il
n'en reste pas moins que le domaine de la technê se distingue nettement de celui de
l'épistémé, c'est-à-dire de la science ou du savoir théorique.
C'est avec Galilée que la conception de la science change : Galilée est ingénieur
militaire à Venise, sa fonction est de construire des machines efficaces et
résistantes, mais c'est aussi un très grand savant qui marque historiquement et
théoriquement une nouvelle manière de penser la physique à partir des machines.
Ce n'est donc que récemment (depuis trois ou quatre siècles) que la technique et la
science sont dans une dépendance réciproque ; les principes de la rationalité
technique sont les mêmes que ceux de la pensée scientifique parmi lesquels le
principe d'économie et de simplicité qui conduisent à poser sans cesse la question
de l'optimisation : comment obtenir le résultat cherché au meilleur coût.
On est pourtant tenté, d'un côté, de parler d'une rationalité des techniques
magiques, par exemple, dans la mesure où elles sont l'application cohérente de
certains principes. Mais d'un autre côté non, car ceux-ci sont contraires aux
principes des connaissances positives (attestées par l'expérience) et le résultat
obtenu par ces techniques ne correspond pas au succès espéré et parfois même est
un échec. Ceci conduit à penser que le caractère vérifiable des succès
d'une pratique, indépendamment de la nature de ses principes, est le critère pour
distinguer une pratique d'une technique. Une pratique même purement empirique,
si elle est efficace, aurait ainsi le statut d'une technique, ce qui est une manière de
renouer avec la généalogie des techniques.
"Un outil est un objet inerte fabriqué artificiellement, à dessein, qui va être interposé, en
médiateur, c'est-à-dire en tant que moyen, entre l'organe corporel qui agit (le plus souvent la
main) et l'objet extracorporel sur lequel s'exerce l'action."[3]
Les outils sont donc le prolongement du corps humain ; ils dépendent de gestes
techniques, incorporés, qui supposent un apprentissage plus ou moins long.[4] En
tant que tels, on peut dire que les outils sont des médiatisations de l'action. On
peut par ailleurs les distinguer des instruments, qui peuvent être définis quant à
eux comme "l'objet technique qui permet de prolonger et d'adapter le corps pour
obtenir une meilleure perception"[5]. L'instrument est donc "outil de
perception"[6].
Est médiat (du latin medium) ce qui n'est atteint qu'indirectement, à l'aide
d'un intermédiaire. La médiation est ce qui met en rapport deux choses
originairement distinctes. Au sens le plus général, la médiation implique
l'existence d'un terme distinct de ceux qui entrent en relation par son
intermédiaire.
Ex. : savoir qu'il y a un feu indirectement en observant son effet qu'est la
fumée est une connaissance médiate.
Est immédiat ce qui est atteint directement, sans médiation, sans
intermédiaire.
Ex. : savoir qu'il y a un feu en l'observant directement.
2. Les machines : d'après Simondon, ce sont la forme la plus générale de
l'individu technique. indépendantes des actions et de l'énergie humaine, elles
exécutent des tâches que l'homme ne pourrait accomplir sans elles, ou bien pas
aussi vite, ni si précisément ; mais elle restent confinées à des projets précis,
définis par les ingénieurs.
Hannah Arendt est consciente que la distinction entre le monde du travail (labor)
et le monde technique de l'œuvre (work) est inhabituelle. L'acquisition d'une
technique ne nécessite t-elle pas en effet un long et patient travail ? Le monde du
travail n'est-il pas constitué d'objets techniques (outils, machines, technologies) ? Et
n'est-ce pas le travail humain qui produit les objets, et donc le monde technique ?
Plus encore, tout travail ne met-il pas en œuvre une technique ? Pour Arendt, ces
deux dimensions de la condition humaine possèdent néanmoins des logiques tout à
fait différentes.
Arendt commence par souligner le fait qu'on retrouve dans la plupart des langues
indo-européennes, la division fondamentale entre le monde du travail et le monde
technique de l'œuvre: les couples labor/opus en latin, ponia/ergon en
grec, arbeiten/werken en allemand, labour/work en anglais, lavorare/operare en
italien, etc., attestent de l'importance et de l'ancienneté de la division entre travailler
et œuvrer[7].
"Tout ce que produit le travail est fait pour être absorbé presque immédiatement dans le
processus vital, et cette consommation, régénérant le processus vital, produit – ou plutôt
reproduit – une nouvelle « force de travail » nécessaire à l'entretien du corps"[8].
→ nous travaillons pour assouvir nos besoins vitaux : faim, soif, etc. Or ceux-ci se
renouvellent perpétuellement, c'est pourquoi le travail suit la même logique.
Le travail est le domaine de l'éphémère, de ce qui ne dure pas. C'est pourquoile
travail est une activité qui ne connaît jamais de fin, une activité épuisante,
toujours à recommencer, parce que le besoin biologique revient de manière
cyclique et parce qu'en permanence la nature menace d'envahir et de submerger le
monde humain.
→ le travail ne peut donc en aucun cas représenter la valeur humaine la plus
importante. Le travail n'est pas encore ce qui est spécifiquement humain ou plus
exactement il correspond à la naturalité de l'homme, qui est pour Arendt la non-
humanité de l'homme
"Avoir un commencement précis, une fin précise et prévisible, voilà qui caractérise la
fabrication qui, par ce seul signe, se distingue de toutes les autres activités humaines." [9]
L'œuvre est donc l'humanité de l'homme comme homo faber, ce par quoi le monde
dans lequel l'homme vit est un monde humain, un monde où la marque de l'homme
est repérable, y compris dans ce qui peut être pris comme nature.
"Aujourd'hui on ne ravaude plus les vêtements, on n'affûte plus les ciseaux, on ne répare plus
les montres, on préfère changer de voiture automobile plutôt que de changer de moteur, on ne
fait plus durer les choses car elles ne sont plus faites pour durer et perdurer"[10].
Gilbert Simondon insiste lui aussi sur la différence entre le travail et la technique,
même si sa justification diffère quelque peu de celle d'Hannah Arendt.
Par la technique, l'homme n'est donc pas en lien direct avec la nature, car le monde
de la technique s'interpose entre lui et la nature. Lien entre l'homme et la nature, la
technique constitue un "mixte de naturel et d'humain". D'une part, la technique
relève de la nature, car elle est mise en œuvre des lois naturelles (par exemple une
ampoule électrique à incandescence utilise les lois de l'électricité, car c'est le
passage du courant électrique dans le fil qui échauffe celui-ci et crée de la lumière).
D'autre part, la technique est le produit de l'activité humaine, et a donc par
définition une dimension humaine.
II. A quoi servent le travail et la technique ? (le travail et la technique : pour quoi
faire ?)
"Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus."
Comme l'écrit Bergson, "d'une manière générale, le travail humain consiste à créer
de l'utilité"[12]
et il ajoute que "tant que le travail n'est pas fait, il n'y a « rien », - rien de ce que l'on
voulait obtenir."
Pour Bergson, toute action humaine (et le travail en particulier) a comme origine
une insatisfaction. On agit parce que l'on se propose un but, et si l'on recherche
quelque chose, c'est parce qu'on en ressent la privation :
"Toute action vise à obtenir un objet dont on se sent privé, ou à créer quelque chose qui
n'existe pas encore."[13]
Nous travaillons donc pour combler un manque, et le premier de ces manques est
celui que crée le besoin physique. Pour combler le manque de nourriture, le
manque de chaleur, etc., il est nécessaire d'agir, de travailler.
Par conséquent, et comme nous l'avons déjà souligné, le travail permet donc
dans un premier temps de subvenir aux besoins vitaux. "Il faut manger pour
vivre, et non pas vivre pour manger" nous dit Valère dans L'avare (Acte III, scène
5). Mais l'on pourrait ajouter : "Il faut travailler pour manger".
Pourtant, si au départ, l'homme ne travaille que pour satisfaire ses propres besoins
vitaux, le travail est très vite dévié de ce but primitif, notamment quand il s'agit de
travailler non plus seulement pour soi-même, mais pour autrui. C'est ce que montre
Pierre Clastres lorsqu'il analyse le rapport des hommes au travail dans les sociétés
primitives, et l'apparition d'un travail "aliéné" qui coïncide justement selon lui avec
la disparition de la société primitive.
On voit donc que le but recherché dans le travail peut être multiple, et que selon le
but que l'on prend en compte, le sens et la valeur du travail changent.
Boris Vian
"La meilleure preuve que le travail n'enrichit pas c'est que les pauvres travaillent sans fin."
Jean d’Ormesson (1959).
Nous l'avons vu avec Pierre Clastres : chez les indiens des tribus amazoniennes, le
travail est perçu comme une nécessité (dont on aimerait bien se passer) et est réduit
au minimum (environ 4 heures par jour seulement), et le reste du temps est
employé à l'oisiveté, au jeu, à la guerre ou à la fête, et c'est dans ces activités que
les hommes trouvent un réel plaisir.
L'étymologie du mot français "travail" est intéressante à plus d'un titre, puisqu'à
l'origine ce terme désignait une "machine où l'on assujettit les bœufs, les chevaux
difficiles, etc., pour les ferrer". Le terme français vient du latin tripalium, attesté
dès 578 sous la forme trepalium au sens d' "instrument de torture" dans une
décision du Concile d'Auxerre. Littéralement, il s'agissait d'une machine faite de
trois (tri) pieux (palus).
De même, le verbe "travailler" a d'abord signifié "tourmenter, peiner, souffrir",
notamment en parlant d'une femme qui va accoucher. C'est d'ailleurs le seul sens du
mot jusqu'au XVIe siècle. Ce n'est qu'alors qu'il se substitue à "ouvrer".
→ cf. texte de Hannah Arendt, La condition de l’homme moderne, Chap. III, §1,
pp. 127-129.
Le récit de la Genèse est quand à lui on ne peut plus clair ; le travail est décrit
comme une punition, celle du péché originel :
"Il dit à l'homme : Puisque tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as mangé de l'arbre au
sujet duquel je t'avais donné cet ordre : Tu n'en mangeras point ! le sol sera maudit à cause de
toi. C'est à force de peine que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie, il te produira
des épines et des ronces, et tu mangeras de l'herbe des champs.
C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu'à ce que tu retournes dans la
terre, d'où tu as été pris ; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière"[15].
Jusqu'à la fin du Moyen Âge, le travail n'est guère valorisé (cf. plus haut l'origine
du mot en français) : il désigne l'idée de tourment, de souffrance, de peine.
Ces significations perdurent à travers la théologie chrétienne (Tu travailleras à la
sueur de ton front) et l'éthique protestante. En de rares circonstances, le travail
évoque le fait de voyager. Ce sens est perpétué en anglais avec le mot travel. Plutôt
connoté négativement, au Moyen Âge, le terme "travail" est d'ailleurs beaucoup
moins utilisé qu'aujourd'hui. Il n'en existe par exemple aucune trace dans les récits
de Rabelais : Pantagruel et Gargantua !
b. Le travail valorisé
"Il ne manque à l'oisiveté du sage qu'un meilleur nom, et que méditer, parler, lire et être
tranquille s'appelât travailler."
Ce n'est qu'à partir des XVIIe et XVIII siècles que des voix commencent à se
faire entendre pour considérer le travail comme un antidote efficace à l'oisiveté et à
la pauvreté.
Signe des temps, Montesquieu écrit dans L'Esprit des lois :
"Un homme n'est pas pauvre parce qu'il n'a rien, mais parce qu'il ne travaille pas".
Le processus qui était à l'œuvre dans les camps de concentration, et plus encore
dans les camps d'extermination nazis, était un processus de déshumanisation (il
s'agissait de faire perdre aux hommes leur statut d'hommes et donc leur dignité
d'êtres humains). Or, le statut du travail révèle à la fois son côté avilissant et son
côté valorisant, selon la nature du travail fourni.
" […] il est horloger de son métier, et ici à la Buna, il travaille dans la mécanique de
précision. Cela fait de lui un des rares détenus à avoir conservé cette dignité et cette assurance
qui naissent de l'exercice d'un métier dans lequel on se sent compétent"[16].
Il s'agit là d'un travail qualifié, dans lequel l'homme se trouve valorisé. Ici, le travail
permet à l'homme de se réaliser en tant qu'homme. Mais à l'inverse, le travail peut
devenir un esclavage et même tuer, de sorte que les prisonniers en arrivent à
préférer les coups au travail :
"il vaut cent fois mieux être battu, parce que généralement les coups ne tuent pas, alors que le
travail si, et d'une vilaine mort, car lorsqu'on s'en aperçoit il est déjà trop tard" [17].
"Les nouveaux prisonniers en particulier étaient contraints d'accomplir des tâches absurdes
[…]. Il se sentaient avilis […] et préféraient un travail, même plus dur, qui produisît quelque
chose d'utile…"[18]
"Le travail était devenu parfaitement inutile. On recommençait des gestes qui n'avaient ni sens
ni but. À la fatigue du labeur physique s'ajoutait la rage de savoir que ce que l'on faisait ne
servait à rien et que l'on ne travaillait même pas."[19]
On voit donc bien qu'il y a deux types de travail : un travail qui a du sens, et qui
confère sa dignité à l'homme, et un travail qui n'en a pas, et par là-même avilit
l'homme.
La définition de la technique nous a fait dire que la technique est avant tout
utilitaire. Or, Simondon s'oppose à cette vision de l'objet technique comme
purement utilitaire. Selon lui, il existe deux rapports possibles à l'objet technique :
1. un rapport d'utilité
2. un rapport de compréhension
Or, c'est le deuxième rapport qui est le rapport "vrai" à l'objet technique. Ce faisant,
l'homme comprend le fonctionnement, l'essence de l'objet technique comme
"cristallisation matérielle d'un schème opératoire et d'une pensée qui a résolu un
problème"[20].
Dans le premier rapport, l'homme reste extérieur à l'objet technique, et c'est pour
cette raison, comme nous le verrons plus bas, qu'il peut se retrouver aliéné par
celui-ci. Dans le deuxième rapport au contraire, il y a compréhension de l'objet
technique, c'est-à-dire que l'homme s'approprie réellement l'objet technique.
"Il faut travailler, sinon par goût, au moins par désespoir, puisque, tout bien vérifié, travailler
est moins ennuyeux que s’amuser."
"Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste.
Cette folie traîne à sa suite des misères individuelles et sociales qui, depuis des siècles,
torturent la triste humanité. Cette folie est l'amour du travail, la passion moribonde du travail,
poussée jusqu'à l'épuisement des forces vitales de l'individu et de sa progéniture."
Pierre Clastres : dans les sociétés primitives, le travail prend peu de temps (voir les
données exactes).
2. Le travail aliénant
Simondon définit le progrès technique (il faut entendre par là le progrès des objets
techniques) comme un processus de concrétisation, c'est-à-dire le passage de
l'abstrait au concret. Cela signifie que des synergies[21] nouvelles apparaissent
(ex : moteur automobile).
Au départ, il existe une structure qui répond à une fonction, puis le progrès
technique va permettre à une même structure d'assurer plusieurs fonctions (Ex. : le
téléphone portable a au départ pour fonction de téléphoner, puis il est devenu
appareil photo, borne internet, etc.). Autrement dit, la complexité fonctionnelle ne
cesse d'augmenter. Cela signifie que non seulement il y a synergie mais il y a aussi
appropriation de fonctions qui étaient auparavant assurées par l'homme ou par un
autre objet dans une phase distincte du processus de production d'un résultat.
Ce processus de concrétisation est accompagné d'autres progrès. On pourra dire en
effet que l'objet, toutes choses égales par ailleurs, ira :
- vers un moindre volume
- vers un moindre poids
- vers un moindre nombre de pièces
- vers un moindre temps de réponse
- vers un moindre prix
On peut ajouter aussi trois "nouvelles lois d'évolution" qui peuvent être énoncées
suivant un concept d'augmentation qui voudrait que l'objet aille :
- vers une augmentation de l'auto-régulation
- vers une augmentation de l'auto-corrélation
- vers une augmentation de l'auto-suffisance (ex. : batteries des appareils
électroniques, portables, etc.).
Ces trois lois peuvent être regroupées au titre d'une évolution vers l'auto-
adaptation.
L'auto-adaptation serait une capacité de réponse autonome aux perturbations et
accidents externes et internes dans une zone de fonctionnement déterminé.
Une des conséquences les plus importantes du progrès technique est celle de la
modification de notre environnement. Les scientifiques se sont en effet rendu
compte que le développement des techniques humaines avait peu à peu altéré le
milieu naturel, et que cette altération n'a cessé de croître avec le temps. Cette prise
de conscience a donné naissance à un nouveau courant politique : l'écologisme (à
ne pas confondre avec l'écologie, la science qui étudie le rapport des êtres vivants
avec leur milieu), dont le but est la défense de notre environnement contre les
méfaits de l'action humaine.
Dès 1972, la Conférence mondiale sur l'environnement de Stockholm, organisée
dans le cadre des Nations unies, a posé les premiers droits et devoirs dans le
domaine de la préservation de l’environnement. Ainsi, le principe 9 de
la déclaration de Stockholm énonce :
"Tous les commandements et toutes les maximes de l'éthique traditionnelle, quelle que soit la
différence de leur contenu, présentent cette restriction à l'environnement immédiat de
l'action"[24]
Les éthiques traditionnelles s'intéressent à ce qui est immédiat, alors que si une
catastrophe écologique doit avoir lieu, ce sera dans des décennies, voire des
siècles ; elles sont donc impuissantes. C'est pourquoi il y a besoin d'une éthique
nouvelle qui remplace les éthiques traditionnelles.
Cette éthique nouvelle se fonde sur le principe de responsabilité, qui dit que nous
sommes responsables des conséquences que nos actions auront sur toutes les
générations futures. Il nous faut donc adopter un nouvel impératif, que Jonas
énonce ainsi :
"Un impératif adapté au nouveau type de l'agir humain et qui s'adresse au nouveau
type de sujets de l'agir s'énoncerait à peu près ainsi : "Agis de façon que les effets
de ton action soient compatibles avec la Permanence d'une vie authentiquement
humaine sur terre" ; ou pour l'exprimer négativement : "Agis de façon que les effets
de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d'une telle vie" ;
ou simplement : "Ne compromets pas les conditions pour la survie indéfinie de
l'humanité sur terre" ; ou encore, formulé de nouveau positivement : "Inclus dans
ton choix actuel l'intégrité future de l'homme comme objet secondaire de ton
vouloir"."
Puisque nous sommes dans l'incapacité de prévoir avec certitude lesquelles de nos
actions ne seront pas catastrophiques et lesquelles le seront, il faut donc adopter une
attitude sceptique. Cela signifie que nous devons, lorsque nous pensons qu'il existe
un risque, tout faire pour l'éviter. La réflexion de Jonas a ainsi donné naissance à ce
que nous appelons aujourd'hui le "principe de précaution". Celui-ci stipule que si
une action présente un risque, même très peu probable, mais aux conséquences
désastreuses, alors il faut éviter de faire cette action.