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APPROCHE SYSTÉMIQUE

APPLIQUÉE A LA PÉDAGOGIE
COLLECTION SCIENCE DE L'ÉDUCATION

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COLLECTION SCIENCE DE L'ÉDUCATION
sous la direction de Daniel Zimmermann

Jerry Pocztar

APPROCHE SYSTÉMIQUE
APPLIQUÉE
A LA PÉDAGOGIE

ESF é d i t e u r

17, rue Viète, 75017 Paris


Du même auteur :

Théories et pratique de l'enseignement programmé.


Guide à l'usage des enseignants.
Unesco, Paris, 1971 (Monographies sur l'éducation).
Traduit en anglais.

La définition des objectifs Pédagogiques. Bases, composantes et réfé-


rences de ces techniques.
Paris, ESF, 1987 ( 3 éd.).
Traduit en portugais et en espagnol.

L'analyse systémique de l'éducation.


Essai.
Paris, ESF, 1989.

© LES É D I T I O N S ESF éditeur 1992


ISBN 2-7101-0934-4

La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d ' u n e part,
q u e les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage p r i v é du copiste et non destinées
à une utilisation collective » et, d'autre part, q u e les analyses et les courtes citations dans un
b u t d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite
sans le consentement de l ' a u t e u r ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1
de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, p a r quelque p r o c é d é q u e ce soit, constitue-
rait donc une contrefaçon sanctionnée p a r les articles 425 et suivants du Code pénal.
à Dany, Cécile et Jeanne
INTRODUCTION

« Si vous n 'avez que des observations, vous fai-


tes de la botanique, et si vous n 'avez que des
théories, vous faites de la philosophie. »

M. TURNER
(Université de Chicago)
Pour la Science, n° 158, décembre 1990.

La Pédagogie est à l'ordre d u jour. En ce sens q u ' o n a t t e n d beau-


coup d'elle dans u n m o m e n t de l'histoire où la formation de tous,
jeunes ou pas, devient u n facteur décisif de croissance et de déve-
l o p p e m e n t . Il n ' e s t pas de pays, de milieu, d e société q u i ne
soient concernés. Et si l ' o n constate à n o u v e a u q u e le p r e m i e r
besoin est celui d ' u n e f o r m a t i o n généralisée, le second, p r o p r e
à le satisfaire, est la Pédagogie, d o n t on a t t e n d q u ' e l l e e n offre
les moyens. A survoler ce m a r c h é n o u v e a u o ù offre et d e m a n d e
en Pédagogie semblent changer de dimension et franchir des seuils
t a n t quantitatifs q u e qualitatifs, on p e u t s ' é t o n n e r d u n o u v e a u
paysage ou des nouvelles d o n n e s q u i nous sont présentés. La
d e m a n d e est pressante, faite d'exigences de niveau, de r e n d e m e n t ,
de d é b i t . . . L'offre, au contraire, v e n u e d u milieu e n s e i g n a n t —
au sens large —, q u i se trouve ainsi sollicité, s'avère parfois
vétusté, ou peut-être prend-elle de ceux qui lui d e m a n d e n t secours
u n air de sagesse, de vénérabilité q u ' o n ne lui avait plus r e c o n n u
depuis longtemps. Des milieux indifférents, voire méprisants ou
hostiles, s e m b l e n t vouloir découvrir ce m o n d e d e la Pédagogie,
trop m é c o n n u et q u i mériterait enfin, après u n e l o n g u e p é r i o d e
d'éclipse ou d'obsolescence, u n e reconnaissance renouvelée d o n t
les media savent faire l'affiche. Quelle demande ? Quelle offre ?
Mais peut-être faut-il déjà des pluriels pour laisser entendre la
complexité, les contradictions, voire les crises latentes ou les pro-
blèmes en suspens de ce marché dont la nouveauté est peut-être
complète et mérite de ce fait les moyens d'une analyse capable
de la prendre en compte.
En fait, faut-il peut-être l'entremise de cette analyse nouvelle pour
faire se rencontrer les deux mondes de l'offre et de la demande
pédagogiques, qui pensent se connaître, qui se font des clins d'œil
à l'occasion et surtout maintenant, mais parfois par-delà des abî-
mes d'incompréhensions accumulées, d'attentes souvent déçues,
de rendez-vous manqués. La complexité évoquée, déjà sensible
dans notre propos et qu'il nous faudra décrire et analyser, exige
une approche et des modalités qui correspondent à sa nature.
L'analyse, ou plutôt l'approche de système, telle que nous avons
tenté de la pratiquer dans un essai antérieur nous paraît pro-
pre à répondre aux besoins de cette situation particulière et à nos
besoins. Elle offre la possibilité d'une étude conjuguée des offres
et des demandes en pédagogie dans des termes assez originaux
pour susciter des idées, des réflexions, peut-être des projets. Par-
ler offre et demande dans ces domaines dont l'humanisme ou les
humanités semblent interdire l'accès est en apparence aventureux,
surtout si l'on situe cette étude dans des termes qui ont longue-
ment prévalu dans le passé. Mais nous voulons être aventuriste
— comme le genre de l'essai nous y autorise — sans pour autant
rompre avec les attaches, si importantes, avec le passé. Compro-
mis, alors ? Non. Résolument pas. Nos lendemains très immé-
diats, ceux dont les médias, à l'écoute des futurologues, nous des-
sinent les ombres et surtout les lumières, exigent des points de
vue nouveaux, de moyen terme ouvrant sur de longs et divers
termes. Car il ne s'agit plus d'un marché, mais du marché. Celui
de l'éducation. On peut le baptiser des noms ou prénoms de
l'ingénierie, du marketing, des technologies de la gestion ou
d'autres termes d'un instant de mode ou d'un peu plus, que nos
prospecteurs de marché explorent ou inventent, le fait est là : la
formation est un marché ouvert, et par conséquent la Pédagogie,
sous toutes les formes qu'elle peut présenter, l'est aussi.
1. Jerry Pocztar, Analyse de l'éducation : essai, Paris, ESF éditeur, 1989, 205 p.
Pour elle, vieille dame qui ouvrait jusqu'il y a peu aux carrières
de la formation, de nouvelles voies, plus prometteuses que les
Hollywood de légende, semblent ouvertes. La Pédagogie est, en
effet, sollicitée comme une star. Mais n'est-ce pas la vieille dame
aussi couronnée de gloire que déchue, attendant l'arrivée de nou-
velles vedettes, dont on attend le retour alors que de jeunes têtes
d'affiche sont attendues ? Nous exposerons ainsi les termes d ' u n
marché pédagogique qui n'est pas simple, mais l'a-t-il jamais été ?
Sa complexité ne s'offre peut-être pas encore à la formalisation,
mais elle lui en ouvre la voie, comme des signes le laissent paraî-
tre. Nous voulons dire par là que la théorie économique d ' A d a m
Smith, entre autres, ouvrait à une compréhension formelle des
lois de l'offre et de la demande qui valait d'abord pour l'échange
des denrées alimentaires (les physiocrates et Turgot), les ressour-
ces primaires d'échange,... avant que, bien plus tard, mais pas
tellement, les produits de la matière grise ne deviennent échan-
geables à leur tour. Mais ce n'était pas tout encore : échanger
des logiciels, des didacticiels, des futurs « intelligentiels », cela mar-
quait des points sur le marché de l'éducation. Il manquait à les
placer enfin en pédagogie. C'est en partie le moment où cela est
en train de se faire. Le moment aussi est venu, très vite, de faire
le point entre offre et demande dans ce domaine enfin atteint
par les fièvres du marché... Et de ne pas se tromper.
Car quelle(s) demande(s) ? Quelle(s) offre(s) ? Dans la découverte
soudaine des unes et des autres, décideurs, démarcheurs et autres
responsables sont à la recherche de leurs jalons, de leurs atouts,
de leurs marges de manœuvre, voire de marchandage, faute de voir
clair dans le jeu. Nous essaierons de décrire ce marché, qui ne res-
semble à notre avis à aucun autre et qui est pourtant de valeur,
de marque, décisive pour toutes les autres dans les (au moins) deux
décennies qui viennent. La Pédagogie y perdra-t-elle ou y gagnera-
t-elle une âme ? ou, plus prosaïquement, mais aussi avec plus de
sérieux, y acquerra-t-elle les gages d'une certaine scientificité, et
ainsi d'une honorabilité de bon aloi ? Parler de marché est
aujourd'hui une affaire des plus sérieuses en même temps que des
plus compliquées. L'âme vient après ou au-delà de pratiques
dûment éprouvées... mais il nous faudra prouver ces priorités qui
n'ont pas toujours été ni bien comprises ni bien acceptées.
C'est ainsi que l'innovation pédagogique, sous ses aspects multi,
voire protéiformes, est promue dans l'ensemble du monde ensei-
gnant et dans les secteurs privés qui y découvrent un attrait com-
mercial de plus en plus affirmé. Nous pensons que l'étude de
ce marché est matière à de multiples réflexions, pour peu que
l'on s'efforce d'y découvrir un ordre et des voies d'étude. Les lois
de ce marché sont propres à toutes celles qui régissent la circula-
tion des marchandises. Mais nous pensons pouvoir montrer qu'elles
présentent des particularités spécifiques à cette denrée tout à fait
spéciale qu'est devenue la pédagogie. A moins qu'elle soit deve-
nue marchandise au même titre que toutes les autres qui ont,
chacune à leur tour, rejoint la bourse des valeurs cotées sur le
marché commercial, et parfois, comme aux États-Unis, boursier
(dans l'Est au moins, la formation continue est cotée en bourse).
Objet de marché, commercial, boursier, reconnue sur les places mar-
chandes, la pédagogie se fait une place, sinon partout une cote.
Reste à définir sa valeur d'usage et d'échange, ce qui retiendra
quelque temps notre attention. Car cette situation, sans être radi-
calement nouvelle, présage de nouveaux statuts, hors de la tradi-
tion mais pas encore dans les normes de l'actualité ou de celles
que celle-ci laisse entrevoir. Envisager la pédagogie et ses ressour-
ces comme objet de marché en fait-il pour autant un objet d'étude
systémique ? Nous voulons dire par là la matière d'une étude
d'une forme particulière, telle que nous l'avons rappelée dans
l'ouvrage cité plus haut. L'analyse systémique ou l'approche du
même nom se veut globalisante, préconisant que l'on observe les
« totalités » avant, mais aussi avec elles les éléments ou parties qui
les constituent. Nous renvoyons là aux ouvrages-princeps et à ceux
que nous avons pu citer dans le livre que nous venons d'évoquer.
Si l'on a rapproché à l'occasion la Gestalt-théorie de l'analyse
systémique, c'est que leurs objets et leurs méthodes leur offrent
des terrains d'investigation communs ou du moins très voisins.
Dire que le tout est plus que la somme des parties, que la « bonne
forme » ou « gestalt » — c'est-à-dire aussi la plus « rationnelle »
— a été choisie par l'évolution pour mieux assurer la survie, affir-

2. Paul Guillaume, La psychologie de la forme, Paris, Flammarion, 1948, 237 p. ; Wolf-


gang Kôhler, Psychologie de la forme. Introduction à de nouveaux concepts en psycho-
logie, Paris, Gallimard, 1964, 381 p.
mer encore que la globalité est précédente aux éléments dans les
choix de l'adaptation ou dans la meilleure façon d'en rendre
compte, autant d'idées qui voient converger les deux attitudes
théoriques. La Pédagogie, au moins dans ses formes sinon théo-
risées du moins thématisées, est-elle différente dans ses rôles de
celui que jouent les gestalts ? A première vue on peut dire qu'elle
s'efforce de formaliser les termes d'une adaptation — notion et
mot que nous emploierons très souvent — qui suppose un orga-
nisme, être complexe, global, et son environnement vital. Mais
aussi les moyens d'explication de cette adaptation, encore peu
développés dans ce domaine au point que nous avons pu avancer
l'hypothèse que le « système » éducatif n'en serait réellement un
que si on le voulait, c'est-à-dire si on le (re)construisait. La pers-
pective gestaltiste devrait nous aider à définir quelques « bonnes
formes » pédagogiques, assez peu nombreuses à notre avis, et
autour desquelles l'adaptation, voulue ou pas, planifiée ou non,
volontariste ou bien passive, a créé mille et une « formes » sous
lesquelles elle se présente sur le marché que nous voulons étudier.
A parler d'adaptation, autant le faire à bon escient dans ce
domaine peut-être spécial de la Pédagogie où elle règne sans avoir
pour autant un rôle épistémologique ou simplement explicatif vrai-
ment reconnu. Nous le ferons avec des William James et John
Dewey, des B.F. Skinner ou encore des Cousinet ou Jean Piaget,
et bien avant eux des Charles Darwin ou Émile Durkheim. Ils
ont tracé des voies qui se sont souvent perdues, comme des rivières
dans les Causses cévenols. Nous les avons écoutés avant leurs
« plongées », puis entendus à leurs diverses résurgences. Nous espé-
rons pouvoir restituer leur inspiration au travers du projet qui est
le nôtre : montrer que si la Pédagogie fut d'abord moyen d'adap-
tation passive pour affronter les besoins auxquels elle devait faire
face, elle devint, devient, doit devenir active et consciente de tous
les aspects de son rôle et de sa fonction adaptatifs en tant que
force première de l'adaptation des individus et des groupes dans
nos sociétés. De nos civilisations ? Cela dépend peut-être de ce
que nous voulons qu'elles soient. Que la Pédagogie soit un des
moyens d'adapter le « petit d'Homme » aux conditions de vie très
évolutives dans lesquelles il devra se frayer son chemin, nul n'en
doute, et cette Pédagogie générale et généreuse affirme toujours
très haut, par la voix de ses hérauts, sa vocation universelle, trou-
vant son inspiration aux plus fortes sources de l'humanisme. Pour
chaque théoricien de la Pédagogie, le « petit d'Homme » qu'elle
livrera sera un parangon des vertus les plus hautes... dans son
domaine d'appartenance sociale, psychologique, culturelle, etc. Ce
même théoricien voudra parfois, dans ses élans humanistes, faire
sortir ce petit d'homme des cercles où il est né, où il aurait dû
passer sa vie si l'on avait « laissé faire les choses ». Illusion ? Pari
perdu d'avance ? Défi vain et vaniteux à la fois ? La Pédagogie
est-elle ainsi faite qu'elle doive entretenir des illusions perdues
et faire des paris jamais récompensés ? La sociologie et la psycho-
logie de l'éducation offrent sur ce plan des données qui semblent
peu optimistes. La discrimination, la différence, la distinction sont
la règle, nous disent les spécialistes. Et, ajoutent-ils, la Pédago-
gie participe pour ce qui la concerne à ce partage culturel et par
suite social des distributions qui s'opèrent dans la société. Faut-il
voir émerger là des déterminismes jusqu'alors cachés, voire des
fatalités auxquelles il n'y aurait aucun remède ? Le seul fait de
prendre conscience d'une telle situation, grâce à la Science, est-il
libérateur et ouvre-t-il, pour la Pédagogie, le passage d'une adap-
tation passive et en cela aliénante, à une adaptation active et du
même coup libératrice ? Nous espérons que quelques éléments de
réflexion sinon de réponse aideront le lecteur à (mieux) se poser
ces problèmes à défaut d'y répondre.
Mais la Pédagogie protéiforme, telle que le marché où elle se pré-
sente de plus en plus et nous la manifeste sous des aspects en
apparence incohérents ou pour le moins hétéroclites et venus du
passé, d'autres aux aspects pris dans une dynamique « innovante »
pas toujours contrôlée, n'est pas aussi incohérente ni désordon-
née qu'il y paraît. A l'examen d'un « macroscope » à la Joël de
Rosnay elle réduit la multitude des formes qu'elle revêt à
quelques thèmes, relativement peu nombreux, sur lesquels on sem-
ble avoir, au fil des ans brodé des dessins aux arabesques com-
pliquées mais où ils sont toujours présents. Cette lunette systé-
mique n'est pas sans rappeler, dans ses effets, d'autres phéno-
mènes. Ainsi va-t-il de ces quelques notes de solfège qui ouvrent
les voies à une infinité d'harmonies. Noam Chomsky disait en

3. Joël de Rosnay, Le macroscope, Paris, Le Seuil, 1975, 295 p.


l i n g u i s t i q u e q u ' a v e c les é l é m e n t s d ' u n l e x i q u e e t d e s r è g l e s d ' u n e
syntaxe e n n o m b r e fini, o n p o u v a i t e n g e n d r e r u n n o m b r e i n d é -
fini d ' é n o n c é s signifiants. Ou e n c o r e le j e u d ' é c h e c s q u i , avec
q u e l q u e s p i o n s e t q u e l q u e s règles s i m p l e s , o u v r e u n e q u a s i - i n f i n i t é
d e p a r t i e s o r i g i n a l e s . P e u t - ê t r e e n v a - t - i l a i n s i d e la P é d a g o g i e ,
p a r i q u e n o u s a i m e r i o n s t e n t e r d e t e n i r avec l ' a i d e d e l a s y s t é m i -
q u e . A i n s i sera t-elle, p a r l ' a n a l o g i e d o n t n o u s v o u l o n s n o u s éclai-
r e r u n i n s t a n t , f a i t e d e q u e l q u e s « faits » e t d e q u e l q u e s « r è g l e s »
e n n o m b r e d é t e r m i n é e t l i m i t é , m a i s d o n t la c o m b i n a i s o n , p a r
le j e u d e la « c o m p é t e n c e » p é d a g o g i q u e , p o u r r a i t d o n n e r l i e u à
u n n o m b r e n o n d é c h i f f r a b l e d e « p e r f o r m a n c e s ». C e s i m a g e s n e
v a l e n t , p o u r n o t r e p r o p o s , p a s p l u s q u ' u n e a n a l o g i e d a n s u n dis-
cours o u u n e d é m o n s t r a t i o n : tracer u n e voie, éclairer u n c h e m i n
d e r é f l e x i o n , a v a n t d e d é c r i r e e x a c t e m e n t l ' i t i n é r a i r e à suivre. M a i s
n o u s p r e n d r o n s ces i m a g e s à l ' e n v e r s , e n ce s e n s q u ' a u l i e u d e
partir des é l é m e n t s et des règles p r é - d é f i n i s p o u r r e n d r e c o m p t e
d ' u n e multiplicité d'objets ou d'opérations empiriques, nous pren-
d r o n s le p a r t i d e d i r e q u e n o u s c o n n a i s s o n s c e t t e d i v e r s i t é o u c e t t e
multiplicité — ce q u e n o u s a u r o n s t e n t é d e f a i r e d a n s l ' é t u d e
d u « m a r c h é p é d a g o g i q u e » — et q u e n o u s s o m m e s capable d ' e n
i n d u i r e les « s c h è m e s » q u i se r é d u i s e n t à d e s é l é m e n t s e t à d e s
règles.
N o u s c r o y o n s q u ' i l existe p e u d e ces « s c h è m e s », t o u t c o m m e il
existe p e u d e « p l a n s d e vie » p o u r le b i o l o g i s t e o u le n a t u r a l i s t e
q u i o b s e r v e n t le n o m b r e j a m a i s c o m p l è t e m e n t e t d é f i n i t i v e m e n t
établi des espèces e n évolution. U n e telle d é m a r c h e , que nous
a v o n s d i t e « à l ' e n v e r s », n e l ' e s t p a s a b s o l u m e n t p o u r q u i c h e r -
che. G a s t o n B a c h e l a r d n o u s invitait d é j à à a f f r o n t e r la m u l t i p l i -
c i t é d e s f a i t s o u p h é n o m è n e s , à p r e n d r e ce r e c u l n é c e s s a i r e q u i
p e r m e t la p e r c e p t i o n d ' « u n i t é s » é p i s t é m o l o g i q u e s s i g n i f i a n t e s .
Derrière l ' i n n o m b r a b l e des pratiques, techniques, théories, etc.,
c o m b i e n y a - t - i l d e « m o d e s », d e p h a r e s , d i s o n s p o u r u n e fois
d e « s c h è m e s » q u i les r é d u i s e n t e t les e n g l o b e n t , t o u t e n les décri-
v a n t ? T r è s p e u à n o t r e avis, m a i s il n o u s f a u d r a b i e n s û r le m o n -
trer. D i s o n s t o u t d e s u i t e q u e ce p e t i t n o m b r e d e « s c h è m e s » q u e
n o u s a v o n s i d e n t i f i é s p o u r n o t r e p a r t , e t classés e t c a t a l o g u é s a u
g r é d e n o s r é f l e x i o n s s e l o n les t r a c é s é v o q u é s , p o u r r a i t v a r i e r a v e c
u n e « expérience » o u u n langage différents. Mais n o u s estimons
qu'au-delà de la différence des « étiquettes », chacun pourrait
refaire pour son propre compte la démarche qui est la nôtre, avec
des résultats analogues, sinon identiques. Si nous parvenions à
bien cerner les nôtres, c'est-à-dire à repartir de nos schèmes pour
pouvoir, après coup, éclairer le quotidien des pratiques, leurs théo-
risations, bref, donner quelques critères de réflexion, nous aurions
ainsi rempli une partie non négligeable de notre tâche.
Mais notre réflexion n'est pas simple dans ses détours et l'annonce
qu'on en fait, nous le reconnaissons. Pourtant, un brin de com-
plexité ne nuit pas à l'esprit. Nous voulons partir d'un constat,
celui de la complexité du monde pédagogique, que tous les cher-
cheurs s'accordent à dire non qu'elle est irréductible, mais au
moins coriace. Aussi notre propos de réduire cette complexité ou
cette complication à des schèmes peut-il paraître téméraire. En
fait, comme le style de l'essai le permet, il s'agit surtout, au ris-
que de la provocation, de lancer la réflexion et le débat sur des
problèmes qui paraissent à l'auteur être de quelque conséquence.
Complexité — réduction à la simplicité, voilà notre quadrature.
Car s'il est vrai aujourd'hui que la Pédagogie vit des situations
multiples ou très diverses à affronter, il reste peut-être que la
diversité de ces situations se simplifie en peu d'idées clés que nous
avons désignées par le terme de « schèmes ». Pour en donner par
anticipation une idée, bien simpliste, nous invoquerons celui de
la « discipline ». Tout pédagogue, tout maître, a affaire à la « dis-
cipline » dans sa classe, devant son public d'élèves ou d'étudiants.
Mais qu'est-elle pour le maître « a », pour la maîtresse « b », dans
l'enseignement primaire ou maternel, secondaire ou supérieur ?
Cette simple évocation devrait suffire, pour peu que chacun s'y
attarde un instant, à susciter des souvenirs, des situations, des ima-
ges de personnages avec qui l'on a partagé des bancs de classe
ou des travées d'amphithéâtres. Qu'il s'attarde un moment de
plus et notre interlocuteur s'apercevra que ce spectacle passé qu'on
lui demande de ré-évoquer comporte pour lui toutes sortes de
jugements, d'appréciations qui structurent ce qu'il pense de ce
passé plus ou moins lointain. Le puriste, relayé plus tard par le
spécialiste des sciences de l'éducation, s'interrogera sur la validité
théorique, empirique ou pragmatique, de cette notion si présente
dans l'universel de la réalité et du discours pédagogiques. Il en
va ainsi d'autres « idées » si présentes dans les débats pédagogi-
ques, les réunions, les colloques ou les échanges d'expériences entre
les enseignants. Ressasse-t-on ? Y a-t-il des on-dit, des non-dits
ou autres dits plus ou moins explicites partagés dans une com-
munion de jugements peu ou pas explicités, presque jamais analy-
sés ? Après tout, on a inventé les sciences de l'éducation pour
faire — entre autres projets — surgir les non-dits et en exprimer
les « logiques » souterraines. La mise au jour de ces déterminis-
mes insoupçonnés, dont la sociologie et la psychologie de l'édu-
cation nous offrent les exemples les plus remarquables, nous obli-
gent à repenser nos pratiques enseignantes et les théorisations jus-
tificatrices que nous en faisions. La Pédagogie n'échappe plus à
ces nouveaux regards, et il ne sert de rien de se voiler la face
devant les révélations qui nous sont faites, même et parce qu'elles
sont extrêmement dérangeantes. Que dire, en effet, lorsque la
recherche nous prouve qu'en corrigeant et en notant un devoir
d'élève nous ne sommes ni aussi objectifs ni aussi innocents que
notre bon vouloir nous le laisse croire ? Nous sommes, nous
apprend-on, les agents de déterminismes bien rôdés ou de logi-
ques dont nous ne sommes pas conscients, victimes aussi, par con-
séquent. Apprendre cela au travers de froides études qui disent
des chiffres et des faits et (à peu près) rien qu'eux n'est pas facile
à accepter, et encore moins à assumer lorsque la recherche vous
inclut dans ses tenants et aboutissants. Le maître qui veut bien
admettre que les élèves de sa classe se rangent selon les notes qu'il
leur attribue avec la meilleure foi du monde aura du mal à
s'entendre dire que ses modes d'évaluation sont « marqués » socio-
logiquement, ou que l'appréciation mûrement pesée d ' u n élève
sur son livret scolaire porte de son côté aussi l'empreinte d'une
« psychologie » elle aussi marquée. Pourtant ce sont là des actes
typiquement pédagogiques qui semblent échapper à des détermi-
nations sournoises. Si sournoises qu'on ne peut les croire, ou qu'on
en charge les « autres », cette communauté indéfinie dont on se
désolidarise. On vit ainsi dans un double monde fait de (plus
ou moins) solides certitudes dans les pratiques que l'on a, mais
que le « savant » démystifie d ' u n côté, et l'accord avec celui-ci
(quand on veut bien l'écouter ou le lire) pour penser que les
« autres » seuls sont concernés, d ' u n autre côté. Ce monde dou-
ble est peut-être en fait un refuge — et nous n'accordons pas
plus de sens à ce terme que celui d'une image et faute de mieux
— devant des réalités que l'on ne peut pas plus assimiler que
tolérer, au moins dans le système de références que l'on a. Mais
y a-t-il des attitudes, des idées, des pratiques ou quelque autre
remède qui permette d'éviter une telle situation conflictuelle de
pédagogue consciencieux et convaincu et d'agent ignorant d'effets
qu'il n'a pas voulus ? La systémique en tant que telle a-t-elle
affaire à de semblables problèmes ? Ses théoriciens et ses pères
fondateurs ne semblent pas y avoir été affrontés. Peut-être même
auraient-ils estimé que c'était là et assez précisément le genre de
question que la systémique ne devrait pas affronter parce qu'ils
ne se poseraient plus à elle. On ne peut donc leur reprocher de
n'y avoir pas répondu. Soit ! Mais nous qui voulons faire œuvre
de systémique et qui sommes un peu familier des problèmes en
question ? Faut-il pour nous que la systémique « digère » les don-
nées des sciences de l'éducation (ou sociales et humaines) et les
restitue sous une forme qui ne serait que d'elle ? Ou bien qu'elle
s'installe à côté de ces sciences pour tenir un discours qui lui serait
spécifique ? Questions que les systémistes ont peu abordées, peut-
être parce qu'ils étaient à peu près tous des scientifiques et que
la question des savoirs empiriques ne se posait pas pour eux, et
qu'elles se posaient d'autant moins encore que l'on s'en tenait
à des proclamations de principe. Car dès que l'on aborde les faits
que la science apporte chaque jour, ces questions sont incontour-
nables. Nous optons donc pour la première des propositions de
l'alternative : la systémique doit : 1) faire avec les sciences, leurs
apports et leurs méthodes ; 2) justifier son existence en appor-
tant autre chose, si elle le peut, comme des éléments de réponse
aux questions posées plus haut. Disant cela, nous pensons être
très proche de l'analyse de système comme « interface de la science
et de la philosophie » chère à von Bertalanffy . Si nous y ajou-
tons des facettes nouvelles, il nous semble que c'est dans l'esprit
même d'une discipline qui vit, donc qui progresse.

Ainsi proposons-nous d'examiner, après les éventaires du marché


pédagogique, les « quartiers » de ce marché, et ce en étudiant les

4. Ludwig von Bertalanffy, Théorie générale des systèmes, Paris, Dunod, 1973, 295 p.
thèmes ou schèmes = « plans de vie » qui en assurent (plus ou
moins bien) l'architecture et le fonctionnement. Ensuite, comme
nous l'avons laissé pressentir, nous reviendrons aux « éventaires »,
pour y rechercher ordre ou désordre, cohérences ou contradictions,
mais encore et surtout progrès, c'est-à-dire adaptation, ou discor-
dances, c'est-à-dire dysfonctionnements ou aberrations de l'évo-
lution. Si nous arrêtions là notre programme d'enquête et de
réflexion, nous en resterions à une « photographie analytique »,
qu'il resterait à décrypter pour en tirer la signification et les ensei-
gnements. Ce qui constituerait un manque flagrant dans un
ouvrage qui entreprend de jeter un regard particulier sur la Péda-
gogie. Aussi tenterons-nous cet exercice périlleux qui voudra, d'une
formule peut-être prétentieuse, passer de l'étude des « thèmes ou
schèmes par objectifs » aux « objectifs par thème ou schème ».
Notre propos s'inscrit en fait dans la continuité de nos ouvrages
antérieurs, où, partant des objectifs pédagogiques et des techni-
ques de leur définition, nous devions déboucher, en toute logi-
que, sur la pédagogie de leur mise en œuvre, sans oublier tous
les préréquisits et et/ou incidences de celle-ci. Nous tenterons de
répondre à cette attente que nous avions laissée en suspens. Avec
quelque chose qui s'interdit toute vanité, nous souhaiterions pré-
senter les prémisses et les exigences d'une « pédagogie expérimen-
tale » qui bénéficie des apports multiples des sciences de l'édu-
cation. Il va de soi que l'ambition d'un tel projet n'est pas à
la mesure d'une seule personne, d'un seul auteur. Dans l'aven-
ture dans laquelle celui-ci se lance au cours de cette partie de
son essai, il appelle d'avance à mobiliser l'attention, la critique,
la réflexion, bref tous les ressorts d'esprit de lecteurs qui ne s'en
laissent pas conter. Cela signifiera la proposition d'une méthode,
d'une attitude générales à l'éclairage des quelques données dont
les sciences de l'éducation — et d'autres — peuvent s'honorer
pour tracer quelques sentiers aux maîtres qui ne veulent pas vivre
et surtout subir le « double monde » dont nous parlions plus haut.
« Penser la science », écrit Bernard d'Espagnat en matière de titre
à l'un de ses récents ouvrages). Si nous pouvions dire « Penser

5. Bernard d'Espagnat, Penser la science ou les enjeux du savoir, Paris, Dunod, 1990,
294 p.
la P é d a g o g i e », e t y p r é p a r e r u n p e u ! C e l a signifie s o u v e n t s e c o u e r
le v i e i l a r b r e , les p e n s é e s q u i n ' e n s o n t p l u s , les m é t h o d e s ossi-
fiées e n recettes ressassées. A . F i e n k e l k r a u t 6 n o u s invite à u n

esprit vif, e n alerte, t o n i q u e , u n p e u m a i s u n p e u p l u s q u e d a n s

les p u b l i c i t é s d ' e a u x m i n é r a l e s . P o u r q u o i n e p a s essayer d e le

p a r t a g e r ?

6. Alain Fienkelkraut, La défaite de la pensée, Paris, Gallimard, 1987, 168 p.


CONCLUSIONS

« Le but à atteindre est la pénétration de


l'esprit dans ce qu'est le savoir. »
G.W.F. HEGEL, Phénoménologie de l'esprit

Des regards systémiques sur la pédagogie sont insuffisants s'ils se


contentent de découvrir son paysage d'une ou d'autres façons. La
pédagogie est art aidée de science, avons-nous dit. Cela signifie
la mise au jour d'attentes nouvelles dans son domaine, afin de
lui donner plus de rigueur, d'une part, plus d'efficacité de l'autre,
et ce dans une perspective où elle aide à faire se déployer la démo-
cratie intellectuelle, civique, bref celle de l'esprit au sens où
l'entendent des auteurs comme Condorcet au XVIII siècle, Hegel
au XIXe, ou des contemporains comme Finkielkraut.
Nous estimons, au terme de cet ouvrage, que la perspective en
question vaut par elle-même un traitement séparé, de fond, éclairé
par les « pédagogies » que nous offre le marché dans leur bigar-
rure, mais aussi unifiée par un point de vue de permanence. C'est
ainsi que nous pensons que ces regards doubles ou multiples
devraient déboucher sur la proposition de quelque chose qui pour-
rait s'appeler « Pédagogie expérimentale ». Non pas qu'il s'agisse
ici de reprendre le projet d'une « scientifisation » de la pédago-
gie ! Nous avons vu que celui-ci avait fait long feu, par préten-
tion mais aussi par ignorance de la spécificité pédagogique et de
ses voisinages complexes avec la science, ou plutôt avec les scien-
ces. L'approche systémique en apporte moins les prémisses qu'un
terrain d'envol, non pas la définition, mais des éléments pour

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