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D’APPRENTISSAGE
CHEZ L’ENFANT
Écouter, observer, aider
TROUBLES

Comment savoir ?
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Chez le même éditeur

Dans la collection « Cahiers de Sainte-Anne »


Surdité et santé mentale. Communiquer au cœur du soin, par C. QUÉREL
Regards périphériques sur l’autisme. Évaluer pour mieux accompagner, par Y. CONTEJEAN et C. DOYEN
L’accueil familial thérapeutique pour adulte. Des familles qui soignent ?, par P. BARREAU, O. DUPUY, B. GADEYNE,
B. GARNIER, A. VELASCO
Santé mentale et précarité. Aller vers et rétablir, par J.-P. ARVEILLER et A. MERCUEL

Dans la collection « Psychiatrie »


Les troubles anxieux, par J.-Ph. BOULENGER, J.-P. LÉPINE
Les troubles bipolaires, par M.-L. BOURGEOIS, Ch. GAY, Ch. HENRY, M. MASSON
Les personnalités pathologiques, par J.-D. GUELFI, P. HARDY
Les thymorégulateurs, par H. VERDOUX
Les antipsychotiques, par P. THOMAS
Les antidépresseurs, par E. CORRUBLE
L’autisme : de l’enfance à l’âge adulte, par C. BARTHÉLÉMY, F. BONNET-BRILHAUT
Pathologies schizophréniques, par J. DALÉRY, Th. d’A MATO, M. SAOUD
Psychiatrie de l’enfant, par A. DANION-GRILLIAT, C. BURSZTEJN
Psychiatrie de la personne âgée, par J.-P CLÉMENT
Les états dépressifs, par M. GOUDEMAND
Suicides et tentatives de suicide, par Ph. COURTET

Dans d’autres collections


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Psychopharmacologie essentielle, par S.M. STAHL
Psychopharmacologie essentielle : le guide du prescripteur, par S.M. STAHL
Traité européen de psychiatrie et de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, par P. FERRARI
et O. BONNOT
Traité de psychiatrie, par M.G. GELDER, R. MAYOU et Ph. COWEN
Traité d’addictologie, par M. REYNAUD
Le Livre de l’interne en psychiatrie, par J.-P. OLIÉ, Th. GALLARDA et E. DUAUX
Cas clinique en psychiatrie, par H. LOÔ et J.-P. OLIÉ
Guide pratique de thérapie cognitive et comportementale dans les troubles liés à l’usage de cocaïne
ou de drogues stimulantes, par L. KARILA et M. REYNAUD
Addiction au cannabis, par M. REYNAUD et A. BENYAMINA
Addiction à la cocaïne, par L. KARILA et M. REYNAUD
Thérapies cognitives et comportementales et addictions, par H. RAHIOUI et M. REYNAUD
Stress, pathologies et immunité, par J.-M. THURIN et N. BAUMANN
Psychologie, par D. MYERS
Collection Cahiers de Sainte-Anne

TROUBLES
D’APPRENTISSAGE
CHEZ L’ENFANT
Comment savoir ?
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Coordonné par
Évelyne Lenoble
Dominique Durazzi
Direction éditoriale : Fabienne Roulleaux
Édition : Agnès Aubert
Fabrication : Estelle Perez
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Composition et couverture : Patrick Leleux PAO, Caen (14)
Impression et reliure : Europe Média Duplication, Lassay-les-Châteaux

Illustration de couverture : Esprit de la femme © Julien Tromeur – Fotolia.com

© 2014, Lavoisier, Paris


ISBN : 978-2-257-20584-1
Le comité de rédaction
des « Cahiers de Sainte-Anne »

Les membres du comité de rédaction sont rattachés au centre hospitalier


Sainte-Anne, Paris.

Brigitte GADEYNE, psychiatre, praticien hospitalier du Pôle 16e arrondissement.


Bertrand GARNIER, psychiatre, responsable du Pôle 16e arrondissement.
Catherine LAVIELLE, documentaliste, responsable de la Bibliothèque médicale.
Gérard MASSÉ, psychiatre, chef de service du Secteur 15.
Gilles MÉNAGÉ, cadre de santé, service de Psychiatrie infanto-juvénile, Pôle
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16e arrondissement.
Martine PERRASSE, directrice des soins, directrice du Pôle formation.
Henry RUTTER, cadre supérieur de santé, Direction des soins.
Nadine SATORI, infirmière spécialiste clinique, unité des Troubles du compor-
tement alimentaire.
Les auteurs de l’ouvrage

Les auteurs de cet ouvrage – à l’exception du professeur Georgieff et du docteur


Goffinet – constituent l’équipe de l’Unité de psychopathologie de l’enfant et de
l’adolescent (UPPEA – centre référent pour les troubles des apprentissages) du
centre hospitalier Sainte-Anne à Paris.

Marika BERGÈS-BOUNES, psychologue.


Corinne BERNARDEAU, psychologue.
Frédérique DESBARAX, orthophoniste.
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Marie-Claude DEVAUX, orthophoniste.
Dominique DURAZZI, pédopsychiatre, praticien hospitalier.
Nicolas GEORGIEFF, professeur de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, univer-
sité LYON 1, centre hospitalier Le Vinatier et institut des sciences cognitives à Lyon.
Geneviève GINOUX, psychologue.
Hélène GIRARD, orthophoniste.
Maureen GOFFINET, pédopsychiatre, praticien hospitalier, responsable du
Groupe scolaire thérapeutique du centre hospitalier Sainte-Anne à Paris.
Claire JOSSO-FAURITE, psychologue.
Marie LAURENT, psychologue.
Gérard LEBUGLE, psychologue.
Évelyne LENOBLE, pédopsychiatre, praticien hospitalier, responsable de l’UPPEA.
Claire MELJAC, docteur en psychologie, association DEEP (pour le développe-
ment et l’étude de l’examen psychologique).
VIII Troubles d’apprentissage chez l’enfant

Sophie MENDELSOHN, psychologue.


Luce MONIER, psychologue.
Anne-Marie PECARELO, psychologue.
Jérôme SCALABRINI, psychologue.
Michèle SCHNAIDT, psychologue.

Les auteurs de cet ouvrage déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt en lien avec le texte publié.
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Remerciements

À nos jeunes patients et à leur famille, auprès de qui nous apprenons beaucoup,
À nos collègues des équipes soignantes et des équipes enseignantes pour la
richesse et l’ouverture de nos échanges ; leur qualité d’engagement soutient la
nôtre,
À nos maîtres et prédécesseurs, qui nous ont légué un héritage passionnant et
nous ont appris à réfléchir,
Aux acteurs ayant des responsabilités institutionnelles, pour leur soutien,

Le présent ouvrage est le fruit de toutes ces rencontres.


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Sommaire

Les auteurs de l’ouvrage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VII

Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . IX

Liste des abréviations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XI

Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XIII

Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XVII
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1. Apprendre – Une aventure pour tous les enfants,
par É. Lenoble . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

Mise en place du langage et entrée dans les apprentissages . . . . . . . . . . 1

En cas d’embarras . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

Un peu d’histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

Repérer et décrire les troubles – Avec quels outils ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

Définir les troubles – Selon quelles nosographies ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

Prévalence de ces troubles – Quelle fréquence ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

Soigner dans le contexte actuel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14


Limite du champ « médical » en matière de troubles
d’apprentissage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

Ligne directrice de l’UPPEA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19


XXII Troubles d’apprentissage chez l’enfant

Julian de Ajuriaguerra (1911-1993) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

Jean Bergès (1928-2004). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21


Spécificités et ouvertures propres au champ des troubles
d’apprentissage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

I. CLINIQUE ET APPROCHE MULTIDIMENSIONNELLE


Coordinateurs : D. Durazzi et É. Lenoble . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

2. Approches théorico-cliniques
– Intérêt d’une lecture psychodynamique,
par D. Durazzi, S. Mendelsohn, M. Bergès-Bounes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Complexité des troubles – Actualité de la recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
L’abord psychodynamique – Une série de questions . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
La question de l’organisation du sujet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
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Anatole, ou l’aventure du savoir autodidacte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

Arthur ou l’évitement phobique à l’œuvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31


La question du corps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
La question du désir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
Un détour métaphorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
La « bulle » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
Sortir de la bulle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
Accompagner la sortie de la bulle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38

3. Pédopsychiatrie et neurosciences
– Lectures neuroscientifique et psychopathologique
des troubles des apprentissages, par N. Georgieff . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
Sommaire XXIII

4. Articulations du système de soins au médico-social


et à l’Éducation nationale, par D. Durazzi, J. Scalabrini, M. Schnaidt . . . 51
Scolarité et parcours de soins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
La scolarisation en classe ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
La scolarisation en classes spécialisées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
L’orientation vers un établissement médico-éducatif. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
L’orientation vers une institution soignante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56

La place des centres référents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56


La loi de 2005 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
Pistes de réflexion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
Importance du travail transversal – La concertation entre les différents
intervenants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
Perspectives et questions suscitées par la loi de 2005. . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
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Comment l’enfant vit-il son statut d’élève handicapé ? . . . . . . . . . . . . . . . . 60
Adaptation des équipes soignantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62

5. L’enfant, l’élève, le patient


– Quand la cure institutionnelle se déplace à l’école
Un exemple de travail d’articulation entre équipe soignante,
équipe scolaire et parents, par M. Goffinet. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63

Présentation du lieu de soins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63


Le travail d’articulation soin-école – Réflexions sur le vécu
et l’intérêt des réunions parents-pédagogues-soignants . . . . . . . . . . . . . 64
Du côté de l’école. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
Du côté des soignants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
Du côté du patient . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
XXIV Troubles d’apprentissage chez l’enfant

Du côté des parents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67


Travail en amont et spontanéité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
Hypothèses psychodynamiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
Les troubles de l’apprentissage – Des symptômes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
Les réunions « hors les murs ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72

II. EN PRATIQUE
Accueil de la demande des familles et des enfants
en difficulté, indication et réalisation des investigations
et suivis spécialisés
Coordinateurs : C. Bernardeau, J. Scalabrini et M. Schnaidt . . . . . . . . . 73

6. Organisation et outils de travail d’une équipe


pluridisciplinaire, par M. Schnaidt, L. Monier, C. Bernardeau . . . . . . . . . 75
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Adrien, dyspraxie et fragilité identitaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78

Théa, une enfant intelligente en difficultés scolaires . . . . . . . . . . . . . . . 80

7. Une fabrique d’outils cliniques pour l’investigation


des difficultés d’apprentissages . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
7.1. Un, deux, trois… le raisonnement logique,
par C. Meljac, J. Scalabrini . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
Apprentissage, représentation de soi et élaboration du nombre . . . . . 83
Jean Piaget (1896-1980) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
Des outils cliniques prévenants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
Épreuve de Schéma corporel-R . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
Efficience à l’UDN-II – Pour une investigation prévenante . . . . . . . . . . . . . 96
Sommaire XXV

Lev Vygotski (1896-1934) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96

Teddy, corps et pensée logique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99

7.2. Il était une fois… le bilan orthophonique,


par F. Desbarax, M.-C. Devaux, H. Girard. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103

Suzanne Borel-Maisonny (1900-1995) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104


Le bilan orthophonique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
Les conduites de récit – Une épreuve de langage originale . . . . . . . . . . . 108

8. Une fabrique d’outils thérapeutiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115


8.1. Graphothérapie clinique et remédiation en langue écrite
– Deux approches spécifiques de difficultés avec l’écrit . . . . . . . . 115

La graphothérapie clinique, par M. Laurent, M. Schnaidt . . . . . . . . . . . . . . . . 116


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Trace, lettre, écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
Le trouble dans l’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
Que recouvrent ces difficultés avec l’inscription ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119

Roger Misès (1924-2012) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120


Le dispositif thérapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121

Paul, mode d’inscription, mode d’être. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122

La remédiation en langue écrite, par G. Ginoux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126


L’observation sur la langue écrite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
La lecture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
L’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128
Corps et affects . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
XXVI Troubles d’apprentissage chez l’enfant

Antoine, le corps dans tous ses états . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130


Le travail de remédiation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130

Camille, le débordement imaginaire de la lettre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131


Position subjective et non lecture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132
Organisation et modalités de la remédiation en langue écrite . . . . . . . . . 133

8.2. Les groupes thérapeutiques à médiation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136


La relaxation thérapeutique chez l’enfant,
par M. Bergès-Bounes, C. Josso-Faurite, A.-M. Pecarelo . . . . . . . . . . . . . . . . . 137
Histoire et dispositif thérapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137
Troubles des apprentissages et relaxation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139

Edwin, maux à mots . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141


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Théa, l’indifférence au savoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143

Le Calvin’s T Group®, par G. Lebugle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145


Le dispositif thérapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146
Le support de médiation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
La population de patients concernés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148
Les objectifs thérapeutiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
Illustration du travail clinique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150

Les groupes « logico-mathématiques »,


par C. Bernardeau, M.-C. Devaux, C. Josso-Faurite, J. Scalabrini . . . . . . . . . . . . 154

Edwin, les origines du raisonnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157

Théa, savoir et position subjective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159


Sommaire XXVII

Conclusion, par É. Lenoble . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161

Annexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
Centres référents des troubles des apprentissages du langage oral
et écrit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
Institutions ressources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170
Réseau associatif ressource. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171

Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
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Liste des abréviations

AEEH : Allocation d’éducation de l’enfant handicapé


AES : Allocation d’éducation spéciale (remplacé par l’AEEH)
AS : Assistante sociale
ASE : Aide sociale à l’enfance
AVS (I ou Co) : Auxiliaire de vie scolaire (individuel ou collectif )
AVU : Auxiliaire de vie universitaire
CAF : Caisse d’allocation familiale
CAMSP : Centre d’aide médico-sociale précoce
CAT : Centre d’aide par le travail (remplacé par l’ESAT)
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CATTP : Centre d’aide thérapeutique à temps partiel
CDAPH : Commission des droits et de l’autonomie des personnes
handicapées
CDCPA : Conseil départemental d’orientation vers les enseigne-
ments adaptés
CLIS : Classe d’intégration scolaire (1991) puis Classe pour
l’inclusion scolaire (2009)
CMP : Centre médico-psychologique
CMPP : Centre médico-psychopédagogique
CRA : Centre ressources autisme
CRTLA : Centre référent pour les troubles du langage et des
apprentissages
EMS : Établissement médico-social
EREA : Établissement régional d’enseignement adapté
XII Troubles d’apprentissage chez l’enfant

ESAT : Établissement et service d’aide par le travail


GEVA : Guide d’évaluation des besoins de compensation de la
personne handicapée
IME : Institut médico-éducatif
ITEP : Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique
MDPH : Maison départementale des personnes handicapées
PAI : Projet d’accueil individualisé
PCH : Prestation de compensation du handicap
PPRE : Programme personnalisé de réussite éducative
PPS : Plan personnalisé de scolarisation
RASED : Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté
SAAAIS : Service d’aide à l’acquisition de l’autonomie et l’inté-
gration scolaire
SAFEP : Service d’accompagnement familial et d’éducation
précoce
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SEGPA : Section d’enseignement général et professionnel adapté
SESSAD (SSESD) : Service d’éducation spéciale et de soins à domicile
ULIS : Unité localisée pour l’inclusion scolaire (anciennement
UPI avant 2010)
UPI : Unité pédagogique d’intégration (voir ULIS)
Préface

Plus que pour toute autre discipline médicale, l’exercice de la psychiatrie


amène à parcourir les frontières entre normal et pathologique. Les vraies cri-
tiques et les faux procès qui ciblent régulièrement les classifications internatio-
nales témoignent de cette oscillation. Mais bien au-delà de ces polémiques,
dont s’emparent d’ailleurs plus volontiers les journalistes et autres bretteurs que
les cliniciens, c’est l’exercice même de la psychiatrie qui repose obstinément
cette question, au gré d’un double mouvement contradictoire.
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D’une part, tout un chacun, psychiatre compris, peut entrapercevoir la souf-
france d’autrui, ses interrogations, ses tentations, ses raccourcis voire ses aberra-
tions. La douleur psychique d’un patient déprimé, l’expansion inextinguible de
l’humeur d’un patient maniaque, l’angoisse térébrante d’un patient psychotique
sont autant de sensations, d’émotions et de pensées partagées. Mais dans le même
temps, une rupture radicale s’impose et l’expérience vécue par nos patients nous
est, pour l’essentiel, étrangère. La tension entre cette résonance de l’expérience
pathologique et l’altérité fondamentale de celle-ci renouvelle constamment la
position du clinicien.

Dans cette nouvelle publication des « Cahiers de Sainte-Anne » sur les


troubles d’apprentissage chez l’enfant, cette question prend une autre dimen-
sion encore. La pédopsychiatrie démultiplie en effet ces interrogations au gré
du développement de l’enfant. Et en son sein, les troubles d’apprentissage
plus encore ne sauraient être pensés en dehors du fil du temps. L’exercice est
périlleux. Poser un diagnostic, ce pourrait être trancher trop tôt, ne plus comp-
ter sur les potentialités évolutives d’un enfant voire même ne plus les penser.
XIV Troubles d’apprentissage chez l’enfant

À l’inverse, s’interdire de poser un diagnostic pourrait priver un enfant et sa


famille de la possibilité de construire leur chemin et de lui donner un sens,
c’est-à-dire autant une signification qu’une direction.

Au-delà de ce dilemme, cherchons à resituer le diagnostic dans ce chemine-


ment. Étape plutôt que destination – et toutes les étapes ne sont pas obligatoires
dans un voyage –, le diagnostic ne devrait en rien interdire de penser. Il impose
au contraire une intense activité de réflexion, toujours renouvelée chez l’enfant,
sa famille, et tous les thérapeutes qui les accompagnent.

Alors comment penser ? La matière brute, la clinique, est assurément le meil-


leur maître et la source de tout savoir. Mais encore faut-il savoir y regarder, guidé
et éclairé par des interrogations théoriques. Il y a quelques années déjà, alors
Interne au sein de l’Unité de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent
(UPPEA), j’ai été surpris par la diversité des modèles animant la démarche de
soin. Piaget se devait de converser avec Lacan, et il était toujours possible de se
décaler de l’un à l’autre, comme pour mieux y voir au sein des symptômes, des
demandes, de la souffrance mais aussi des surprises que chaque jour la clinique
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nous apporte. Le présent ouvrage réussit à restituer cette dynamique, à la faire
partager. Tout particulièrement par sa volonté d’éviter deux écueils. Celui d’une
prétendue absence de théorie sous-jacente tout d’abord, qui finit toujours
par trahir ses présupposés ou, pire, laisse le psychiatre singulièrement myope,
ratant l’essentiel de ce qui se joue devant lui. Celui des certitudes ensuite, qui
encombrent l’exercice au lieu de le nourrir et font vite quitter la position de
soignant : en matière de psychiatrie, les certitudes relèvent plus souvent du
délire que de l’exercice clinique.

Il faut aussi souligner ici la place du corps dans la compréhension et l’aide


apportée aux enfants présentant un trouble de l’apprentissage. La tentation
est grande en psychiatrie de perdre de vue le champ somatique au gré du
questionnement sur le fonctionnement psychique. Et lorsque ce corps s’impose
dans le champ des préoccupations, bien souvent il méduse, laissant le clinicien
obnubilé par ces manifestations physiques. Il est donc toujours salutaire d’inté-
grer ces dimensions en psychiatrie, aussi bien d’un point de vue pratique que
d’un point de vue théorique. La pratique du schéma corporel et de l’UDN-II
Préface XV

comme outils d’investigations situe précisément le corps, les corps physiques


et leurs propriétés, au cœur de l’exercice. De même, les outils de remédiation
sont volontiers aussi corporels que ludiques. Il n’est d’ailleurs probablement
pas anodin de constater que Julian de Ajuriaguerra et Jean Bergès, qui ont
tous deux profondément marqué la trajectoire de l’UPPEA, furent tous deux
neuropsychiatres. Au-delà du titre, il y a tout à parier que leurs détours par la
médecine du corps ont nourri leur pensée clinique.

Ce n’est certes pas par œcuménisme qu’il faut multiplier les échanges avec
différents courants de pensée et pratiques, c’est parce que ces rencontres animent
l’exercice de la psychiatrie. Cet ouvrage en témoigne.

Raphaël GAILLARD
Professeur de Psychiatrie à l’Université Paris Descartes,
praticien hospitalier au centre hospitalier Sainte-Anne, Paris
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Avant-propos

À l’heure des injonctions bien souvent contradictoires faites aux enfants :


réussite scolaire indispensable pour pouvoir espérer une place dans un monde
professionnel de plus en plus exigeant, valorisation des études longues et acadé-
miques, valorisation tout aussi importante de l’immédiateté, de la rapidité voire
du court-circuit, par l’essor des formidables moyens de communication actuels,
capables de diffuser « en temps réel », sans limite, sans filtre et sans hiérarchie,
une masse impressionnante d’informations et de connaissances, chacun se trouve
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interrogé dans son propre rapport au savoir : doit-on continuer à apprendre
comme à l’école de Jules Ferry, auprès d’un maître ? Peut-on se constituer, se
bricoler, avec ou sans l’aide de ses pairs ou d’un maître, son propre savoir sur
mesure, issu de l’expérience et des multiples sources d’informations disponibles
très aisément pour une grande majorité d’entre nous ?

Comment apprend-on ? C’est la question que nous renvoient les enfants


embarrassés sur le chemin des apprentissages, quels qu’ils soient… C’est la ques-
tion que se posent les parents, les enseignants, les éducateurs et les professionnels
du soin dès lors qu’un enfant bute sur ce qui paraît aller de soi à cet âge de la
vie : apprendre.

Alors, écouter, observer… pour pouvoir aider au mieux : voici le défi auquel
nous sommes tous confrontés.

Le présent ouvrage proposera au lecteur une exploration dans ce monde


complexe : celui de la mise en place, parfois troublée, des apprentissages attendus
XVIII Troubles d’apprentissage chez l’enfant

habituellement chez tout enfant en âge de fréquenter l’école : savoir lire, écrire,
compter…

C’est de leur place de cliniciens que les auteurs ont écrit les textes rassemblés
dans cet ouvrage collectif, émanant d’une équipe de « centre référent pour le
diagnostic et la prise en charge médicale des troubles du langage et des appren-
tissages chez l’enfant », celle de l’Unité de psychopathologie de l’enfant et de
l’adolescent (UPPEA), structure de consultation hospitalière de spécialité basée
au sein du service de Psychologie et de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent
du centre hospitalier Sainte-Anne à Paris.

Notre propos partira d’un premier point d’accroche : « Apprendre, une aven-
ture pour tous les enfants » et invitera ainsi le lecteur à partager quelques consi-
dérations générales sur la mise en place du langage et l’entrée dans les appren-
tissages, sur les embarras possiblement rencontrés en chemin, et sur les questions
ouvertes lorsque des difficultés s’annoncent.

Ce qui nous engagera à avancer plus précisément dans l’abord théorico-


clinique des troubles d’apprentissage chez l’enfant, et à souligner l’intérêt d’une
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lecture psychodynamique des diverses formes de difficultés rencontrées. Le cha-
pitre « Pédopsychiatrie et Neurosciences », dont la rédaction a été confiée au
professeur Nicolas Georgieff, complètera ces réflexions et permettra une fruc-
tueuse mise en perspective des différents modes de lecture, neuroscientifique et
psychopathologique, des troubles d’apprentissage.

Un élargissement des points de vue aux différents champs professionnels


concernés par ces troubles trouvera à se déployer au sein du chapitre traitant
des « Articulations du système de soins au médico-social et à l’Éducation
nationale », qui sera illustré par un exemple de travail institutionnel conjoint
entre équipe soignante et équipe enseignante, au service d’enfants en grandes
difficultés : « L’enfant, l’élève, le patient – Quand la cure institutionnelle se
déplace à l’école ».

Les trois derniers chapitres, rassemblés dans la partie intitulée « En Pratique »


exposeront plus précisément les outils de travail clinique (outils d’investigation,
outils thérapeutiques et de remédiations spécialisées) utilisés et inventés en
Avant-propos XIX

pratique quotidienne, dans un centre référent pour les troubles du langage et


des apprentissages. Le lecteur sera invité à suivre le parcours d’un enfant adressé,
à titre de consultation de recours, en « centre référent », au motif de ses troubles
d’apprentissages.

De nombreuses illustrations cliniques éclaireront notre propos.

Enfin quelques réflexions seront proposées en guise de conclusion, en espé-


rant avoir suscité, chez le lecteur, un certain appétit pour continuer à mener ses
propres explorations.

Évelyne LENOBLE
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Apprendre – Une aventure
Chiffres toujours coupés
par la pièce de puzzle :
Univers 55 roman
corps 44

pour tous les enfants


É. Lenoble

Mise en place du langage et entrée


dans les apprentissages
Une des caractéristiques incontournable de l’enfance est de se développer,
de grandir, d’apprendre et d’aller toujours plus loin…
Dès les premières heures de la vie, un formidable appétit d’apprendre est
à l’œuvre. C’est l’heureuse contrepartie, semble-t-il, de notre prématuration
physiologique : le petit d’homme vient en effet au monde immature, inachevé,
démuni face aux contraintes venant tant de son monde interne (la faim, la soif, le
besoin de se réchauffer…), que du monde extérieur (percevoir et comprendre le
monde, trouver à se nourrir, se mouvoir, se protéger des dangers…). Le nouveau-né
humain ne sait rien faire de tout cela, et se retrouve ainsi dans un grand état
de dépendance : il doit être porté, nourri, protégé… Son immaturité, souvent
pointée comme source de faiblesse et de vulnérabilité non négligeables, le rend
2 Troubles d’apprentissage chez l’enfant

par ailleurs fort de multiples potentialités en jachère, car non encore déterminées.
C’est là sa chance : une part de liberté, d’inventivité et de créativité lui est laissée,
de même qu’une formidable disposition à apprendre et à se perfectionner sans
cesse s’il sait s’appuyer sur les relations dont il dépend, sur les rencontres qui le
nourriront, et la force de vie qui l’anime déjà.
De telles coordonnées présidant à l’entrée dans la vie du petit humain, laissent
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ainsi la part belle aux rencontres, à l’influence du milieu et de l’éducation, sur le
développement.
Parmi les rencontres fondatrices, portées par les adultes les plus proches du tout
jeune nouveau-né (en général, il s’agit de ses parents), nous nous attarderons ici sur
celle avec le langage. Elle est centrale, déterminante, tant pour le sujet de cet ouvrage,
que pour chaque sujet accédant à son statut d’être humain, doué de parole.

POINTS CLÉS – Le Langage oral :


Apprendre à parler ou entrer dans le langage ?

ğ Pour un enfant, se mettre à parler, c’est passer du « ça parle autour de moi »


à « je parle ».
ğ C’est une opération risquée, qui nécessite d’accepter l’épreuve de la sépa-
ration et de l’individuation.
ğ C’est une opération qui est constitutive de l’apparition d’une subjectivité
propre à l’enfant, qui parlera à la première personne : « je… ».
ğ C’est une opération qui occupe en général les deux premières années de la
vie : l’apparition du langage est éminemment variable d’un enfant à l’autre,
si la compréhension est en général précoce, la production du langage par
l’enfant s’installe entre un et deux ans.
ğ C’est une opération qui se fait dans le lien à un autre humain qui s’adresse
à l’enfant et lui fait crédit de son statut de sujet parlant.

La rencontre avec le langage, si « naturelle » apparemment, constitue une


épreuve pour chaque enfant. Rappelons ici l’étymologie du mot enfant, infans en
latin : « qui ne parle pas ». Cette projection dans le monde du langage a lieu au
sein de la sphère familiale. Comme toute initiation, elle comporte une dimension
de forçage pour l’enfant qui n’a pas le choix et doit accepter les contraintes et les
codes de sa langue maternelle. Cette opération lui permet de se faire reconnaître
Apprendre – Une aventure pour tous les enfants 3

et entendre auprès de ses parents et de ses pairs : l’ « infans » accède ainsi au


statut de sujet parlant.
Quelques années plus tard, ce même enfant va à l’école, il devient élève, tout
d’abord à l’« école maternelle », le plus souvent dès sa troisième année, puis à
la « grande école », l’école primaire, obligatoire sous nos contrées, à partir de
l’âge de six ans. Une nouvelle épreuve l’y attend, qui, cette fois se situe hors de
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la sphère familiale, dans un lieu hautement symbolique et chargé d’une mission
sociale et culturelle forte : l’école.

POINTS CLÉS – La langue à l’épreuve du scolaire

ğ La position subjective de chaque enfant est à nouveau grandement sollicitée


lors de la confrontation aux apprentissages scolaires.
ğ L’entrée dans le code nécessaire à ces acquisitions rejoue le premier coup
de force de l’entrée dans le langage oral.
ğ La langue de l’école n’est pas celle de la maison.
ğ La confrontation directe aux codes de la langue écrite se fait dès la grande
section de maternelle (vers les 5 ans du jeune élève), et devient un impératif
incontournable au Cours Préparatoire (6 à 7 ans).
ğ L’impératif de « passer par l’écrit » court tout au long des études primaires,
secondaires et universitaires.
ğ L’ouverture, la créativité, la liberté sont au rendez-vous… après l’épreuve.

En cas d’embarras
Il arrive parfois que des embarras soient présents, tant sur le chemin de l’acqui-
sition du langage, que sur celui de l’accès aux différentes formes de savoirs :
– Le langage ne se met pas en place, ou s’installe avec difficultés, ou encore
avec du retard. Par exemple, l’enfant rentre à l’école à l’âge de 3 ans, et personne,
à part sa mère et quelques très proches, n’arrive à le comprendre lorsqu’il se
lance dans la parole…
4 Troubles d’apprentissage chez l’enfant

– L’enfant, apparemment vif et bien développé, ne montre aucun appétit sco-


laire.
– L’enfant bute sur les apprentissages malgré ses tentatives de bien faire et les
différents dispositifs pédagogiques mis à sa disposition…
Dans chacune de ces circonstances, les parents, les éducateurs de l’enfant au
sens large (famille élargie, entourage social, enseignants...), les institutions et bien
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sûr l’enfant lui-même se trouvent pris au dépourvu, démunis. L’inquiétude ne
tarde pas à envahir l’espace, et des appels à l’aide sont lancés dans de multiples
directions.
C’est à ce titre que les professionnels de santé peuvent être sollicités par les
familles, les enfants ainsi que les partenaires institutionnels du monde de l’enfance
(école, santé, médico-social). Il leur est alors communément demandé : « Que
faire, que proposer lorsqu’un enfant, quel qu’il soit, se trouve empêché [1] dans
son accès aux apprentissages scolaires ? ».

Un peu d’histoire
L’École a été rendue obligatoire en France par Jules Ferry dans les années
1880. Cette décision majeure donne la mesure de l’enjeu constitué par la
volonté politique d’assurer à tous un certain nombre d’acquisitions (au mini-
mum lire, écrire, compter), par l’intermédiaire de la scolarisation. C’est un choix
qui engage toute une société, bien au-delà des seuls professionnels en prise
directe avec les enfants.
Les questions soulevées par les enfants qui n’apprennent pas, ou mal, ou
avec difficulté et lenteur excessive, ou bien de façon partielle et différenciée
selon l’objet proposé à leur apprentissage, malgré une fréquentation assidue
de l’école, ont ainsi mobilisé de longue date les autorités et les professionnels
de terrain. Rappelons qu’une vingtaine d’années après la révolution culturelle
enclenchée par Jules Ferry et par la décision de rendre l’école obligatoire, le
ministère de l’« Instruction Publique » a fait appel à un psychologue, Alfred
Binet, et à un médecin, Théodore Simon, précisément pour tenter d’avan-
cer et de résoudre le problème des enfants qui s’avéraient résistants à cette
Apprendre – Une aventure pour tous les enfants 5

nouvelle situation. C’est ainsi que sont nées, dans les années 1900, les premières
« échelles d’intelligence », dont on sait le succès et les développements ulté-
rieurs qu’elles ont connus.
Les sciences de l’éducation, la psychologie du développement, la médecine,
la sociologie, la linguistique, l’anthropologie, etc. ont été tour à tour convoquées
à ce débat.
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Dès lors que le registre médical est interrogé pour répondre à l’énigme posée
par les enfants résistants aux apprentissages scolaires, il apporte ses outils, ses
façons de penser et d’opérer : repérer les difficultés, les décrire en termes de
signes et de symptômes, les regrouper éventuellement en syndrome, organiser
une nosographie, nommer les entités pathologiques et les rapporter à des catégo-
ries diagnostiques, etc. puis élaborer une réponse « thérapeutique », c’est-à-dire
proposer des actions de prise en charge.

Repérer et décrire les troubles


– Avec quels outils ?
Du côté de la psychologie, et de son large champ de compétence, c’est
principalement l’appel à la psychométrie, domaine historiquement fondateur,
qui est privilégié lorsqu’il est question d’investiguer le champ des difficultés
d’apprentissage. La mise au point d’outils d’investigation standardisés, dits psy-
chométriques, a pour visée d’approcher au mieux les capacités cognitives d’un
sujet, à travers son adaptation à une série d’épreuves formalisées. Le traitement
des résultats obtenus par un enfant à ce type d’épreuves permet de le situer
en comparaison avec la moyenne statistique des résultats obtenus par ses pairs.
C’est le principe même de l’outil le plus couramment utilisé, le WISC1, et de
bien d’autres (NEMI II, NEPSY II, K ABC2…).

1. WISC IV : Wechsler Intelligence Scale for Children, IVe révision, ECPA (Éditions du Centre de
psychologie appliquée).
2. NEMI II : nouvelle échelle métrique de l’intelligence 2. G. Cognet, ECPA.
NEPSY II : bilan neuropsychologique de l’enfant. M. Korkman, U. Kirk, S. Kemp, ECPA.
K ABC : batterie pour l’examen psychologique de l’enfant. A.S. Kaufman, N.L. Kaufman, ECPA.
6 Troubles d’apprentissage chez l’enfant

La psychologie dispose également d’autres outils, plus qualitatifs3, fort utiles en


clinique car ils s’attachent précisément à rendre compte de la singularité du fonc-
tionnement d’un sujet, tant au plan de ses dispositions cognitives, intellectuelles,
etc. qu’à celui de la construction de sa personnalité4.
Les outils actuels, dits d’évaluation de l’intelligence et/ou des compétences
sont les descendants des premières échelles d’intelligence mises au point par
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Binet et Simon. Ils ont été constitués selon une double visée, scientifique d’une
part, afin d’analyser et d’étudier précisément une difficulté rencontrée dans
l’expérience pédagogique, et d’autre part, une toute autre visée tributaire de la
façon dont une société « égalitaire » traite ceux de ses membres qui sortent du
rang. En effet, la pratique d’évaluations standardisées a également pour objectif
de donner des points d’appui pour dépister, trier et orienter les enfants
selon leurs capacités intellectuelles et leurs aptitudes à répondre aux exigences
scolaires. Ce dernier point très délicat reste une question tout à fait actuelle,
convoquant des axes de réflexion éthique et épistémologique [2] incontour-
nables, tant les risques de dérive dans le maniement des outils, sont présents
et redoutables.
La mise au point et la pratique de tests standardisés (sous forme d’échelles, de
questionnaires, ou de tests) en matière de troubles d’apprentissage se sont égale-
ment étendues aux autres professionnels dont la spécialité les conduit à recevoir
des jeunes patients en difficultés avec les apprentissages, notamment les pédiatres,
orthophonistes, psychomotriciens, ergothérapeutes, etc.
Bien évidemment, les connaissances actuelles en matière de troubles d’ap-
prentissage sont fragmentaires et doivent être régulièrement revues à la lumière
de différents apports. De même, les pratiques cliniques sont en perpétuelle
évolution, appelant au développement de programmes de recherche selon dif-
férents axes fondamentaux (neurosciences principalement) ou cliniques, afin de
valider ou non les hypothèses de travail sur lesquelles les praticiens s’appuient
quotidiennement.

3. UDN II : utilisation du nombre. C. Meljac et G. Lemmel. ECPA.


4. Tests projectifs : RORSCHACH, TAT, CAT, etc.
Apprendre – Une aventure pour tous les enfants 7

Définir les troubles


– Selon quelles nosographies ?
Il existe un réel problème de définitions des troubles d’apprentissage.
L’instabilité et la mouvance perpétuelle des termes proposés pour catégoriser
ces troubles témoignent de l’embarras des cliniciens et des chercheurs et de la
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complexité du domaine étudié.
Historiquement, les premiers termes apparus sont les « dys », en voici quelques
exemples les plus fréquemment utilisés :
– dysphasie : trouble du langage oral ;
– dyslexie-dysorthographie : trouble du langage écrit ;
– dyspraxie : trouble de la coordination et de la construction du geste ;
– dyscalculie : trouble dans le domaine logico-mathématique.
Ces termes, tous formés en « dys », en réfèrent à un « mauvais » fonction-
nement d’une fonction « normale » : ici la formidable capacité d’apprendre,
attribuée à tous les enfants.
Ces dysfonctionnements ont été classiquement repérés par les praticiens
(pédopsychiatres, neuropédiatres, psychologues…) comme des « troubles ins-
trumentaux », c’est-à-dire des troubles portant sur les instruments dont dispose
un enfant pour s’approprier le monde extérieur, le comprendre et s’y adapter,
ce dont témoigne les travaux initiés par J. de Ajuriaguerra, R. Mises, B. Gibello et
bien d’autres, dans les années 1960 à 1980.
Ce sont ces mêmes termes « dys », issus de la clinique et d’une nomination
médicale traditionnelle, qui restent actuellement les plus utilisés dans le langage
courant, en famille, à l’école, et lors des demandes de consultation faites auprès
des services spécialisés.
Actuellement, trois nosographies sont officiellement en vigueur : la CFTMEA5
(R 2012), la CIM-106 et le très récent DSM-57 .

5. CFTMEA : Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent, établie par
R. Mises et N. Quemada. R 2012 : 4e révision de cette classification depuis sa première parution en 1988.
6. CIM-10 : Classification internationale des maladies, dixième révision établie par l’OMS – Chapitre
V (F) : Troubles mentaux et du comportement. Paris, Masson, 1994.
7. DSM-5 : Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. American Psychiatic Association, 2013.
8 Troubles d’apprentissage chez l’enfant

Les anciens « troubles instrumentaux » de la CFTMEA (dyslexie, dysortho-


graphie, dysphasie, dyscalculie, etc.) ont été renommés, dans les années 1980,
« troubles spécifiques des acquisitions scolaires » (CIM-10) ou bien « troubles
des apprentissages » (DSM-IV8), puis « troubles spécifiques des apprentissages »
(DSM-5) et sont devenus à cette occasion des catégories nosographiques à part
entière.
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La question de la spécificité des troubles d’apprentissage reste cepen-
dant ouverte. Chacune des versions de ces nosographies traite ce point de
façon différente. Le DSM-IV par exemple ne retenait pas le qualificatif « spé-
cifique » pour le trouble lui-même, mais l’appliquait à d’autres déterminants,
notamment la culture, le sexe de l’enfant, etc. Le choix retenu par les auteurs
du DSM-5 est tout autre. L’ensemble des troubles d’apprentissage retrouve
le qualificatif de « spécifique » dans son intitulé, mais rassemble dans une
seule catégorie tous les troubles (SLD pour Specific Learning Disorders), c’est-
à-dire ceux relevant de la lecture, de l’écriture, du calcul, du raisonnement,
etc. Le DSM-5, de façon nouvelle, insiste sur une dimension fondamentale et
fort pertinente en clinique : l’accès au sens, et non la seule mise en place de
mécanismes fonctionnels de processus appris « par cœur », est désormais
nécessaire pour qu’une opération d’apprentissage soit considérée comme
en place chez un enfant.
La CIM-10 quant à elle, retient le terme d’« acquisitions scolaires », et main-
tient le découpage différencié selon l’objet d’apprentissage (langage oral, écrit,
mathématiques…) ainsi que la notion de trouble spécifique.
La CFTMEA dans sa version R 2012, confirme de son côté, son attachement
à une double lecture de la complexité clinique. Le praticien ordonne son
diagnostic selon deux dimensions, une dimension dite « principale » situant
le fonctionnement global de l’enfant au plan de son organisation psychopa-
thologique, cela en référence aux grands regroupements de la nosographie
classique – troubles envahissant du développement, troubles névrotiques,
pathologies limites, troubles réactionnels, variations de la normale –, une

8. DSM-IV : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, quatrième révision établie par
l’American Psychiatic Association – traduction française sous la direction de J.D. Guelfi. Paris, Masson, 1996.
Apprendre – Une aventure pour tous les enfants 9

autre dite « complémentaire » pour compléter et préciser un point parti-


culier venant faire appel, gêner l’enfant ou son entourage. Les « troubles du
développement et des fonctions instrumentales », recouvrant les différentes
sortes de difficultés d’apprentissage, font partie de ce deuxième temps du
diagnostic.
Les diverses classifications s’accordent malgré tout sur un point important. Dans
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tous les cas, les troubles du langage oral sont clairement distingués de ceux affec-
tant le langage écrit.
Autre point, non négligeable et commun à ces trois nosographies, les troubles
du développement moteur, ou troubles d’acquisition de la coordination, sont là
aussi clairement distingués des troubles d’apprentissage, et traités dans un autre
chapitre.
Actuellement, l’effort pour préciser et cerner une définition des troubles
d’apprentissage a abouti en pratique, au consensus suivant : le « diagnostic » de
troubles « dys » est essentiellement clinique, et repose sur un faisceau d’éléments
à recueillir et à analyser, dont voici quelques fondamentaux :
– une description la plus précise possible des difficultés présentées par l’enfant
lors de l’examen clinique, ainsi que le recueil des données transmises par les
tiers – parents et entourage plus large (scolaire notamment). Les nosographies
en vigueur proposent, à titre de repères factuels, une série d’items préétablis à
valider ou non pour porter le diagnostic ;
– le recours à la passation individuelle de tests formalisés et étalonnés (bilan
psychologique, orthophonique, psychomoteur, etc.).
Le trouble est affirmé dans un registre particulier (langage, praxies, organisa-
tion perceptive, raisonnement, etc.) au vu des signes retenus lors de la rencontre
clinique avec l’enfant, et des données issues de la passation de tests.
La persistance des difficultés de l’enfant, leurs répercussions sur les per-
formances académiques (résultats scolaires) ou bien tout simplement dans les
gestes de la vie quotidienne (fluidité des actes de langage, appétence pour
les livres, plaisir du récit, capacité à partager les règles d’un jeu, organisation
du geste et de la motricité en situation ludique, etc.), constituent une série
10 Troubles d’apprentissage chez l’enfant

d’éléments dont la signification nécessite une appréhension globale de la per-


sonnalité de l’enfant, de son « style » d’inscription au monde, de son appétit
d’apprendre.
C’est toute l’importance et la pertinence d’un examen clinique bien conduit
qui est ici en jeu.
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En complément, les examens formalisés, ceux qui sont repérés sous le terme
de « tests », sont proposés à titre d’outils spécifiques complémentaires, dont la
visée est de cerner au plus près ce qui « dysfonctionne » et empêche l’enfant de
s’engager dans l’acte d’apprendre.
Dans le registre des troubles d’apprentissage, on observe souvent des résultats
contrastés au traditionnel « bilan d’évaluation ». Les tests d’efficience globale
du fonctionnement cognitif situent le plus souvent l’enfant dans la moyenne de
sa classe d’âge, alors que les résultats des investigations portant spécifiquement
sur le domaine suspecté de trouble, situent l’enfant à un ou deux écarts type en
dessous de la moyenne de son âge.
C’est donc une définition principalement descriptive, sémiologique, qui sert
actuellement de référence, avec un appui sur une quantification statistique des
résultats obtenus aux investigations formalisées.
La prise en compte d’éléments psychopathologiques propres à l’enfant en
difficulté avec les apprentissages, n’est pas mise en avant par les modes de
pensée nosographique actuels. Elle est cependant quotidiennement utilisée en
clinique, car elle permet de faire appel à la notion de structure sous-jacente
susceptible de rendre compte du symptôme observé, et d’articuler les troubles
constatés au sens que peut prendre, chez chaque enfant, le désir d’apprendre,
moteur irremplaçable, pour avancer malgré les embarras rencontrés. Les réfé-
rences à la psychopathologie constituent en pratique les fondements de divers
modes d’action thérapeutique, rassemblés sous le terme d’« approches psy-
chodynamiques » des troubles d’apprentissage, marquant ainsi dans le vocable
choisi, la nécessité de préserver, voire d’insuffler auprès d’un enfant en panne
avec les apprentissages et auprès des adultes qui lui viennent en aide, une
pensée dynamique, mobile et créative.
Apprendre – Une aventure pour tous les enfants 11

POINTS CLÉS – Quelques définitions-repères


ğ Les difficultés de langage
• Retard de parole
Perturbation de la production orale des mots : suppression, substitution,
inversion, voire ajouts de phonèmes (= sons produits) ou de syllabes.
Contrairement au trouble d’articulation, où c’est systématiquement le
même son qui est altéré (/z/ pour /s/ par exemple), ces altérations de parole
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(= trouble phonologique) sont variables selon les mots. Par exemple, « héli-
coptère » est produit « hénitotère », alors que l’enfant a la capacité de
produire isolément chacun des sons constituant ce mot.

s 2ETARD DE LANGAGE ORAL


Trouble fonctionnel caractérisé par un décalage chronologique dans l’appari-
tion et dans le développement du langage (par exemple : apparition tardive
du langage, lexique réduit, syntaxe peu élaborée, etc.). Ainsi, l’enfant dit
« gasson tombé » pour « le garçon est tombé ». La compréhension est
généralement de meilleure qualité que l’expression.

s Dyslexie
Difficulté d’acquisition de la lecture ayant un caractère durable et se mani-
festant par des erreurs variables (déchiffrage de mots et de syllabes, identi-
fication et reconnaissance de mots, devinement et/ou substitution de mots,
compréhension de texte, etc.), chez des enfants scolarisés, ayant un niveau
d’efficience intellectuelle normal, sans problème sensoriel primaire (visuel ou
auditif), sans lésion cérébrale, sans trouble psychique grave, sans carence
éducative grave. Différents types de dyslexie ont été décrits.

s Dysorthographie
Difficulté d’acquisition de l’orthographe liée à un manque de maîtrise de la trans-
cription (par exemple : corbeau est écrit « crodo »), et/ou à un manque de maîtrise
du découpage des mots (par exemple : à l’approche est écrit « a la proche »), et/ou
à un manque de maîtrise des règles (usage et grammaire ; par exemple « caillou »
est écrit « cayou », et « il vient » est écrit « il vien »). Elle a un caractère durable,
chez des enfants scolarisés présentant un niveau d’efficience intellectuelle nor-
mal, sans problème sensoriel primaire (visuel, auditif), sans lésion cérébrale, sans
trouble psychique grave, sans carence éducative grave.

s Dysphasie
Altération durable de l’organisation du langage qui excède le simple retard de
langage. L’enfant n’a pas les moyens langagiers d’exprimer ce qu’il pense, ce
qu’il ressent. C’est un trouble rare dont le diagnostic est tardif.
12 Troubles d’apprentissage chez l’enfant

ğ Les difficultés logico-mathématiques


Les troubles apparaissant lors de la confrontation aux apprentissages mathé-
matiques formalisés sont très souvent regroupés sous le terme-étiquette de
dyscalculie développementale, pensée sur le modèle de l’acalculie – dépriva-
tion chez les sujets cérébrolésés de la faculté de calcul. L’utilisation de cette
appellation s’avère réductrice en clinique infanto-juvénile.
En effet, les difficultés d’apprentissage des mathématiques excèdent large-
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ment le champ du calcul. Elles mettent en jeu des dysfonctionnements dans
des domaines très divers : l’espace, le temps, le nombre, le raisonnement
ou encore l’organisation de la pensée.
Plus récemment, d’autres termes, encore trop réducteurs, sont apparus tels
que l’innumérisme qui évoque l’insuffisance des connaissances et des com-
pétences de bases requises pour conduire un calcul.

ğ La dyspraxie
La dyspraxie, littéralement trouble de l’action, est un concept largement dif-
fusé par les médias comme les professionnels mais qui ne semble pas faire
consensus. Notamment dans les différentes nosographies qui n’emploient
pas ce terme.
En effet, le DSM-IV parle de trouble des acquisitions de la coordination
– connu sous l’acronyme de TAC – défini « comme une perturbation marquée
du développement de la coordination motrice ». Le DSM-5 avance la notion
de Developmental Coordination Disorders. La CIM-10 quant à elle évoque
l’expression de « trouble spécifique du développement moteur ». Selon la
CFTMEA, on parle de « trouble névrotique avec perturbation prédominante
des fonctions instrumentales ». Tous ces discours s’attachent à classer et
décrire les troubles. Malgré la description d’une même réalité, la multitude
des termes et des définitions semblent insuffisants pour comprendre préci-
sément la dyspraxie.
Julian de Ajuriaguerra et son équipe ont été à l’origine d’un article princeps
sur la dyspraxie, et ont proposé la définition suivante : « Il s’agit notamment
d’enfants d’intelligence normale, ayant une relative facilité dans le domaine
du langage, mais présentant par ailleurs des difficultés importantes sur le
plan moteur et de l’organisation spatiale. Ces enfants consultent pour des
motifs très variés : maladresse, difficultés d’écriture, difficultés scolaires »
(Stambak, L’Hériteau, Auzias, Bergès et de Ajuriaguerra, 1964)9. Cette défini-
tion permet de garder toute la complexité de la dyspraxie et de penser qu’il
1 n’y a pas une dyspraxie mais des dyspraxies, « conséquence de facteurs
multiples et variés qui empêchent la motricité dans le sens mécanique du
terme, de devenir une activité symbolique » (Ibid.).

9. Ajuriaguerra J, Auzias M, Bergès J, L’Heriteau D, Stambak M. Les dyspraxies chez l’enfant.


La Psychiatrie de l’Enfant, VII, fasc. 2, 1964.
Apprendre – Une aventure pour tous les enfants 13

ğ Les difficultés avec l’inscription écrite


Il s’agit d’un trouble complexe de la relation à l’écriture souvent désigné de
façon réductrice sous le terme de dysgraphie. Ce trouble se révèle dans une
tension corporelle et des crispations qui désorganisent l’écriture et la rendent
difficilement lisible et souvent trop lente. Ce trouble se rencontre chez des
enfants et des adolescents dont le langage – oral et écrit – la motricité ou
l’organisation cognitive ne présentent aucun dysfonctionnement.
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Dans la CFTMEA, les difficultés avec l’inscription de l’écriture sont mention-
nées dans la rubrique « troubles psycho-fonctionnels » en tant que « crampe
des écrivains ».

Prévalence de ces troubles


– Quelle fréquence ?
Les chiffres avancés par les différentes publications scientifiques sont très
variables. En cela, ils reflètent la diversité des définitions retenues et des méthodes
employées pour parvenir à une estimation des troubles d’apprentissage dans
une population d’enfants. En effet, le choix d’une nosographie, puis des critères
d’inclusion et des outils d’évaluation diffèrent d’une étude à l’autre, et ne per-
mettent que difficilement des comparaisons.
Pour ce qui est du langage oral, on estime, en moyenne, que 1 à 6-8 % de
la population d’enfants d’âge préscolaire présentent des troubles du dévelop-
pement du langage oral, ces chiffres sont ramenés à 0,5-1 % pour la population
d’âge scolaire [5]. L’une des principales difficultés rencontrées dans la mise au
point de ces estimations réside justement dans le fait qu’il s’agit d’un « trouble
du développement » d’une fonction (le langage oral). La distinction entre retard
(difficulté transitoire, principalement fonctionnelle) et déviance du développe-
ment (difficulté structurelle, persistante) s’avère de ce fait très délicate.
En ce qui concerne les apprentissages proprement dits, ou acquisitions sco-
laires (lecture, écriture, calcul), les chiffres de prévalence [3] seraient compris entre
2 et 10 % selon les études anglo-saxonnes fondées sur les critères diagnostiques
établis par le DSM-IV. Ce sont les difficultés concernant le langage écrit qui ont
14 Troubles d’apprentissage chez l’enfant

été le plus étudiées, et la plupart des auteurs ont remarqué que ces troubles
concernaient en majorité les garçons (la même remarque a été faite concernant
les difficultés de langage oral).

Soigner dans le contexte actuel


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Depuis une quinzaine d’années, les choses ont beaucoup évolué en ce qui
concerne l’approche des enfants présentant des difficultés dans les apprentis-
sages, tant au plan d’une prise de conscience sociale de l’ampleur du problème,
qu’au plan des mesures proposées pour y répondre.
Il est important de souligner à ce propos la place importante tenue par la
mobilisation de différentes associations de parents d’enfants « dys », soucieuses
d’éviter à leurs enfants des parcours scolaires chaotiques et douloureux et deman-
dant instamment que des mesures de reconnaissance et d’adaptation soient ins-
tituées.
En témoignent toute une série d’émergences, dans les instances officielles, de
textes soulignant la nécessité de prendre en compte ce champ complexe (Haut
Comité de santé publique en 1999, Conférence nationale de Santé en 2001, puis
inscription parmi les objectifs du rapport annexé à la loi du 9 août 20049 relative
à la politique de santé publique - « Amélioration du dépistage et de la prise en
charge des troubles du langage oral et écrit »).
La prise de conscience du caractère multidimensionnel des troubles, de même
que leur fréquence et la possible gravité de leurs conséquences ont d’ailleurs
abouti en mars 2001 à la présentation d’un plan d’action interministériel pour
« les enfants atteints d’un trouble spécifique du langage » (Tableau 1-I). Ce plan
et les mesures qui en découlaient (28 au total), réunissait trois instances minis-
térielles (Éducation nationale, Santé, Personnes handicapées) et était l’aboutis-
sement d’un long travail de réflexion marqué par la publication en juillet 2000
du rapport dirigé par J.-C. Ringard, « À propos de l’enfant dysphasique et de

9. Loi n°2004-806 du 9 août 2004 relative à la santé publique (en annexe : rapport d’objectifs de
santé publique pour la période 2004-2008).
Apprendre – Une aventure pour tous les enfants 15

l’enfant dyslexique »10, complété dans un second temps, en mars 2001, par la
présentation commune des travaux réalisés sous la direction de J.-C. Ringard et de
F. Veber (ministère de la Santé) en direction des « enfants atteints d’un trouble
spécifique du langage oral et écrit »11.

Tableau 1-I. Plan d’action interministériel* de mars 2001 « en faveur des enfants
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atteints d’un trouble spécifique du langage ».
Objectifs

« Proposer des solutions permettant de répondre aux besoins des enfants, des familles et des
professionnels de la Santé et de l’Éducation nationale face aux troubles de l’apprentissage du
langage oral et écrit ».
« Ces solutions doivent contribuer très concrètement à une meilleure prévention des troubles
du langage quelle qu’en soit l’origine, un meilleur repérage des troubles spécifiques,
l’établissement d’un diagnostic plus rapide et plus sûr, une meilleure prise en charge des 4 à
5 % d’enfants concernés (1 % présentant des troubles sévères). »

Axes prioritaires retenus et actions préconisées

Le plan s’articule en cinq axes prioritaires ouvrant sur vingt-huit actions :


– mieux prévenir dès la maternelle (2 actions) ;
– mieux identifier les enfants porteurs d’un trouble spécifique du langage oral et écrit
(6 actions) ;
– mieux prendre en charge (6 actions) ;
– mieux informer, chercher et rechercher (12 actions) ;
– assurer le suivi du plan d’action (2 actions).

Ces vingt-huit actions engagent

– le ministère de l’Éducation nationale pour onze d’entre elles ;


– le ministère de la Santé pour onze d’entre elles ;
– les deux ministères conjointement pour six d’entre elles.

Calendrier de mise en œuvre : juin 2001 à fin 2003.

* Ministère de l’Éducation nationale, ministère de la Santé, secrétariat d’État aux Personnes handicapées.

Ainsi, depuis 2001, le paysage éducatif et social ainsi que les réponses appor-
tées aux difficultés que rencontrent les enfants sur le chemin des apprentissages
ont été l’objet de profonds bouleversements [4]. Un des plus importants est la

10. Rapport rendu par J.-C. Ringard (Éducation nationale) au ministre de l’Éducation nationale, février
2000.
11. « Plan d’action pour les enfant atteints d’un trouble spécifique du langage » : propositions par
Mme le Dr F. Veber et M. J.-C. Ringard au ministre de l’Éducation nationale, au ministre délégué à la Santé
et au secrétaire d’État aux Personnes handicapées, mars 2001.
16 Troubles d’apprentissage chez l’enfant

parution, en 2005, de la loi « pour l’égalité des droits et des chances, la partici-
pation et la citoyenneté des personnes handicapées ».
La prise en compte des troubles d’apprentissage chez l’enfant dans un sys-
tème régi par une loi cadre, celle sur le handicap en général (toutes spécialités
et tous âges confondus) a permis de garantir à tout enfant, quel que soit son
« handicap » reconnu, la validité de son inscription scolaire, par principe, dans
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l’école de son quartier. Cette mesure n’est pas toujours applicable, néanmoins
sa portée symbolique est très importante. Elle a permis également au système
d’AVS (auxiliaire de vie scolaire) de se développer considérablement. L’enfant
en difficulté bénéficie alors de l’accompagnement, en situation scolaire, d’une
personne admise dans la classe, à côté de lui, pour l’aider à accomplir son
travail. Ce dispositif constitue en lui-même une véritable révolution des habi-
tudes pédagogiques de l’école française, ouvrant la voie à bon nombre de
questions.
Un point très important doit être souligné à ce propos : la place particulière
des « troubles d’apprentissage » chez l’enfant au regard de la question du han-
dicap. En effet, par définition, l’enfant qui entre à l’école ne sait pas ce qu’il devra
apprendre, il ne s’agit pas là d’un manque par défaut de fonctionnement d’une
fonction mentale ou somatique, il s’agit d’un manque « normal », structurel, sain
et surtout indispensable pour ouvrir l’appétit d’apprendre, mettre en mouvement
le désir de savoir et aussi ordonner les conditions de la rencontre pédagogique.
L’élève qui ne sait pas encore, sera confié à l’enseignant qui sait et dont le métier
et la mission sont de transmettre le savoir. Le déséquilibre fait partie de la relation
pédagogique, ce n’est pas un handicap, c’est un moteur.
La décision d’inscrire les troubles d’apprentissage dans le registre de la situa-
tion de handicap, si elle permet une reconnaissance et de salutaires mesures
d’adaptation visant à soutenir l’enfant dans les embarras qu’il rencontre, n’en
reste pas moins une disposition délicate à manier. Le clinicien se doit d’y réfléchir
au cas par cas, tant il est précieux pour tous de soutenir au mieux la dynamique
pédagogique, articulée par essence autour d’une valeur positive indispensable
à tout élève : le crédit qui lui est fait qu’il va apprendre encore plus, « faire des
progrès »…
Apprendre – Une aventure pour tous les enfants 17

En ce qui concerne la production de nouveaux savoirs et la mise en place


d’actions de recherche spécifiquement dédiées au vaste champ des troubles
d’apprentissage, de nombreux travaux ont été conduits. Ils reprennent d’an-
ciennes pistes pour les améliorer et les approfondir, ou bien initient de nouveaux
travaux à partir notamment des neurosciences. Une mission d’expertise collective
a d’ailleurs été confiée en 2007 à l’Institut national de la santé et de la recherche
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médicale, afin de faire le point concernant les données scientifiques actuellement
disponibles [3].
La diffusion de ces savoirs, la sensibilisation à destination d’un large public, la
réalisation de guides d’information à l’usage des parents et des professionnels
concernés, ont été quant à elles confiées à l’Institut national de prévention et
d’éducation pour la santé, dont le site Internet12 permet un accès facile à une
large base de données.
En ce qui concerne de possibles recommandations de bonnes pratiques,
chaque corps professionnel (médecins, orthophonistes, psychologues, psycho-
motriciens, ergothérapeutes, etc…) peut se référer aux publications cliniques et
scientifiques propres à son champ et aux codes de déontologie régissant son
exercice. À l’heure actuelle, nous ne disposons pas de recommandations émanant
de la Haute autorité de santé, spécifiquement établies en direction de la prise en
charge sanitaire des troubles d’apprentissage chez l’enfant.

Limite du champ « médical » en matière


de troubles d’apprentissage
Les derniers points abordés soulignent, s’il en était besoin, les limites des
réponses organisées du seul point de vue des professionnels de la santé en
matière de troubles d’apprentissage.
Les travaux des pédagogues sont incontournables. Ils nous rappellent les
conditions et les contraintes propres à toute situation pédagogique ainsi que
l’important corpus de connaissances produit par une discipline incontournable

12. www.inpes.sante.fr, onglet « Espaces thématiques », puis onglet « Troubles dys ».


18 Troubles d’apprentissage chez l’enfant

pour notre propos, « les sciences de l’Éducation ». Les outils de remédiation


spécialisée mis au point par les pédagogues sont une mine d’inventions et de
créations. Ils ne seront pas traités dans cet ouvrage, et nous ne pouvons qu’inviter
le lecteur intéressé à s’y référer13.
Les sociologues, tout comme les anthropologues, portent le débat à un
autre niveau, celui du collectif et des valeurs qui organisent tout groupe social,
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en matière d’édification, de diffusion et de transmission d’un savoir et de
connaissances communes, à valeur plus ou moins universelles. Nous quittons
donc dans ce cas le registre individuel, singulier, celui de la rencontre clinique,
centré sur un enfant, sa famille, son école. Ce n’est bien sûr pas le propos de
cet ouvrage, mais il est là aussi bien précieux pour notre pratique de pouvoir
consulter de tels travaux, en raison de la mise en perspective qu’ils apportent.
Le poids des déterminants sociaux et culturels ne peut être mis de côté lorsque
l’on s’intéresse aux questions soulevées par les difficultés d’apprentissage chez
l’enfant.
Enfin, dernier point d’ouverture transdisciplinaire, et non des moindres : s’in-
terroger à propos du langage lui-même. Quelles connaissances peut-on articuler
pour approcher sa structure, sa complexité, sa fonction et ses règles de fonction-
nement ?
Les linguistes, les philosophes, les psychanalystes se sont penchés sur la ques-
tion, chacun avec leurs outils. Leurs travaux nous servent dans notre pratique quo-
tidienne et nous y ferons référence tout au long de cet ouvrage.
Les écrivains, qui prennent la langue elle-même pour matériau de leur créa-
tivité artistique s’interrogent avec grâce et brio sur ce mystère que constituent
l’écriture et la lecture. Quelques citations, choisies parmi une profusion d’œuvres,
nous aideront à clore ce chapitre essentiel et à rappeler notre dette envers tout
ce que notre pratique clinique doit aux apports venus d’autres horizons, la litté-
rature en particulier.

13. Le lecteur intéressé peut consulter le site Internet de l’INSHEA (www.inshea.fr) : Institut national
supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements
adaptés.
Apprendre – Une aventure pour tous les enfants 19

« C’est un mystère, la lecture. Comment on y parvient, on ne sait pas… Un jour


on reconnaît le mot sur la page, on le dit à voix haute, et c’est un bout de dieu
qui s’en va, une première fracture du paradis. On continue avec le mot suivant, et
l’univers qui faisait un tout ne fait plus rien que des phrases, des terres perdues
dans le blanc de la page. »
C. Bobin, Une petite robe de fête, Gallimard 1991
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« Et comment désormais ne pas se demander si c’est un bonheur ou un malheur
pour chaque enfant d’apprendre ? Il faudrait toujours se poser la question avant
de les obliger à s’asseoir, à écouter, à répéter. »
J. Benameur, Les demeurées, Denoël, 2000

« Les mots les plus simples perdaient leur substance dès qu’on me demandait
de les envisager comme objet de connaissance. »
D. Pennac, Chagrin d’école, Gallimard 2007

Ligne directrice de l’UPPEA14


C’est donc dans un paysage déjà habité de pratiques, de connaissances et de
références multiples, que l’équipe de l’Unité de psychopathologie de l’enfant et
de l’adolescent (UPPEA) du centre hospitalier Sainte-Anne a constitué un savoir-
faire, dont le lecteur sera invité à prendre connaissance au fil de cet ouvrage,
en suivant le parcours d’un enfant adressé vers une consultation hospitalière de
spécialité, au motif de ses difficultés d’apprentissage.
Cette approche spécialisée est bien sûr basée sur une solide expérience cli-
nique. Elle est également nourrie de multiples références théoriques et portée
par un héritage. Citons notamment l’apport important de deux médecins ayant
exercé au centre hospitalier Sainte-Anne et ayant beaucoup contribué à l’avancée
des connaissances en pédopsychiatrie :

14. Unité de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent


20 Troubles d’apprentissage chez l’enfant

– Julian de Ajuriaguerra, qui avait ouvert en 1946 une consultation pour les
enfants ayant « des troubles du langage et de la motricité » au sein des structures
historiques de l’hôpital Henri Rousselle, au centre hospitalier Sainte-Anne ;
– Jean Bergès, qui lui a succédé en 1960 et a dirigé pendant trente-cinq ans
(de 1960 à 1995) cette consultation, renommée par lui « Unité de biopsycho-
pathologie de l’enfant et de l’adolescent ».
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Tous deux étaient neuropsychiatres, passionnés par la clinique, par la recherche
et par les divers courants de pensée à l’œuvre à l’époque. Ils avaient pour habi-
tude et pour règle de théoriser leurs pratiques.

Julian de Ajuriaguerra (1911-1993)


Neurologue, psychiatre, neuropsychologue,
initiateur de la neuropsychiatrie de l’enfant
en France
Tout au long de son parcours, ce clinicien remarquable et ce chercheur infa-
tigable, s’est employé à construire et tisser des liens entre psychopathologie et
neurobiologie, à proposer une synthèse, des articulations possibles entre travaux
venus d’horizons différents. Lui-même s’était beaucoup déplacé entre les diffé-
rents univers clinique, scientifique et linguistique. Venu du Pays basque du sud
(Euskadi), il avait le basque pour langue maternelle, le castillan pour langue scolaire
et le français pour langue universitaire. Son immense culture lui avait fait côtoyer
nombre d’œuvres majeures (dont celles de Freud, Piaget et Wallon) et recevoir
l’enseignement de grands maîtres (Jean Lhermitte et André Thomas pour la neuro-
logie, Henri Claude, Gaëtan de Clérambault et Pierre Janet pour la psychiatrie).
Depuis la consultation pour « les troubles du langage et de la motricité »
ouverte par lui en 1946 au centre hospitalier Sainte-Anne à Paris, jusqu’à sa
nomination en 1959 en tant que Professeur à la faculté de médecine de Genève,
puis celle de Professeur au Collège de France où il occupa, entre 1976 et 1981,
la chaire de neuropsychologie du développement, J. de Ajuriaguerra a conduit de
nombreux travaux, et ses élèves ont tous rendu hommage aux multiples qualités
de leur maître (curiosité insatiable, humour, élégance, ouverture à la discussion,
etc.). Outre ses nombreuses publications scientifiques et son enseignement,
J. de Ajuriaguerra a été l’auteur du premier Manuel de Psychiatrie de l’enfant
paru en français dans les années 1970 (Éditions Masson). Dans cet ouvrage
très complet et fourni, il introduit notamment les enfants « dys » (dysphasiques,
Apprendre – Une aventure pour tous les enfants 21

dyslexiques, dyspraxiques…). Un point l’intéressait fortement parmi tous ceux sur


lesquels peut buter un enfant dans ses apprentissages, l’écriture. Une pratique
clinique originale en est née, la graphothérapie clinique.

Jean Bergès (1928-2004)


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Pédiatre, neuropsychiatre
et psychanalyste

Jean Bergès a commencé sa carrière auprès des enfants nés prématurément,


vers la fin des années 1950, au moment de l’essor de la médecine néonatale. On
commençait à « sauver » des vies, et on s’interrogeait sur le développement futur
de ces petits « prématurés ». Parallèlement, Jean Bergès se forme à la neuropsy-
chiatrie infantile et fréquente la consultation de J. de Ajuriaguerra. Le mouvement,
les « praxies », l’émergence du geste et son organisation, sur un fond « tonico-
postural » propre à chaque enfant, l’intéressent et le conduisent rapidement à
s’interroger sur un point crucial : la rencontre entre les contraintes du corps et celles
du langage, ainsi que sur ce qui se passe entre une mère et son enfant. La « dyade
mère-enfant » lui paraissait un concept peu approprié à ses observations cliniques,
et il défendait avec beaucoup de pertinence, l’hypothèse de la primauté du sym-
bolique chez l’enfant, incarné par l’omniprésence des déterminations langagières.
Une des énigmes qui nourrissait sa pensée, toujours vive et prête à toutes
sortes de développement ingénieux, se formulait en ces termes : « Comment,
pour un enfant, les mots s’accrochent-ils au corps ? ». Venu de l’exercice de
la neurologie auprès des tout-petits, il a rencontré la psychanalyse en chemin.
Sa réflexion théorique et sa pratique clinique s’en sont trouvées transformées.
L’enrichissement et l’inventivité s’y sont déployés avec beaucoup de finesse, de
subtilité et une qualité d’écoute dans sa rencontre avec l’enfant qui ont fait de
ses présentations cliniques et de ses séminaires, un haut lieu de formation. Jean
Bergès a repris en 1960 la consultation fondée au centre hospitalier Sainte-Anne
par J. de Ajuriaguerra, et l’a dirigée jusqu’en 1995, en la renommant Unité de
biopsychopathologie de l’enfant et de l’adolescent. Une pratique originale est née
de toutes ces interrogations et confrontations entre corps et psyché : la relaxation
thérapeutique pour enfant, « méthode Bergès® ». L’enseignement théorique qui
s’est tenu sous forme de séminaire mensuel à Sainte-Anne, sur plusieurs années,
a été publié en 2005 aux Éditions Érès (textes rassemblés par M. Bergès-Bounes)
dans un ouvrage intitulé Le corps dans la neurologie et dans la psychanalyse.
22 Troubles d’apprentissage chez l’enfant

L’équipe de l’UPPEA, forte de ces références et de ces travaux, a été identifiée


« centre référent pour le diagnostic et la prise en charge médicale des troubles spéci-
fiques d’apprentissage du langage oral et écrit » dans le cadre du plan d’action inter-
ministériel de 2001 en faveur des enfants atteints d’un trouble spécifique du langage.

Spécificités et ouvertures propres


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au champ des troubles d’apprentissage
Les années d’expérience acquise au contact des enfants embarrassés dans les
apprentissages amènent nombre de professionnels à penser le caractère « spé-
cifique » attaché à ce domaine, non pas tant du côté des troubles présentés par
l’enfant, que du côté des réponses qui leur sont opposées.
Un « centre référent pour les troubles des apprentissages » accueille par
définition toutes sortes d’enfants souffrant de difficultés d’apprentissage, quel que
soit le contexte psychopathologique et/ou somatique (déficits sensoriels, neuro-
logiques, pathologie génétique…) concomitant.
L’enjeu d’un « bilan pluridisciplinaire de spécialité » est justement de pro-
poser une analyse, la plus fine et précise possible, des mécanismes en jeu dans
les difficultés telles qu’elles apparaissent au travers des investigations spéciali-
sées. Ce temps de bilan permet le plus souvent d’apercevoir et de dégager
des points d’appui, des leviers qui orienteront, de façon la plus pertinente
possible pour chaque enfant, la mise en place d’actions thérapeutiques et de
remédiations.
Le travail de synthèse, qui succède nécessairement à celui de l’analyse propre
au temps du bilan, s’organise le plus souvent autour des quatre points suivants,
ayant valeur de coordonnées d’orientation pour se repérer dans la complexité
de la clinique des troubles d’apprentissage :
1. Les articulations à construire et à faire fonctionner entre les troubles d’ap-
prentissage repérables et identifiables chez un enfant donné et le fonctionnement
psychopathologique global de cet enfant, c’est-à-dire entre son « style cognitif »
et son mode d’organisation psychique, sa position singulière de sujet doué de
parole et d’intentionnalité.
Apprendre – Une aventure pour tous les enfants 23

2. La motivation, c’est-à-dire ce qui fait moteur pour chaque enfant, tout au


long du chemin vers les connaissances, ce qui soutient son désir d’apprendre, ce
qui nourrit, amplifie sa curiosité, ou bien vient l’entraver.
3. Les conditions d’une bonne mobilité psychique, d’une souplesse de pen-
sée, d’une fluidité des processus cognitifs, et le rapport possible de ces éléments
de flexibilité mentale avec la notion somatique de plasticité cérébrale.
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4. Les liens entre construction de l’image du corps, symbolisation des éprouvés
corporels, émergence du langage et des processus de pensée ouvrant la voie au
développement des apprentissages.
Bien évidemment, le travail de consultation hospitalière de spécialité consti-
tue un aspect seulement des dispositions à prendre pour soutenir un enfant en
panne avec les apprentissages, et doit s’articuler à tous les autres champs de
compétence requis autour de l’enfant. Il s’agit du champ pédagogique (ensei-
gnants spécialisés ou non, rééducateurs), de celui des relais possibles auprès des
équipes soignantes de proximité (CMP, CMPP, SESSAD, etc.) et des praticiens
libéraux (orthophonistes, psychomotriciens, ergothérapeutes, psychopédago-
gues, pédiatres, pédopsychiatres, neuropédiatres, etc.) engagés auprès de l’en-
fant, ainsi que du champ des mesures sociales initiées par toutes les démarches
relevant de la sphère du handicap.

Pour en savoir plus


1. Bergès J, Bergès-Bounes M, Jean-Calmettes S (sous la direction de). Que nous apprennent les enfants qui
n’apprennent pas ? Érès, Toulouse, 2003. Réédition, 2012.
2. Collectif. Conférence de consensus en psychologie : « L’examen psychologique et l’utilisation des mesures
en psychologie de l’enfant », 2010.
3. INSERM, expertise collective. Dyslexie, dysorthographie et dyscalculie – Bilan des données scientifiques.
Éditions de l’Inserm, 2007.
4. Lenoble E. Apprentissage et référence : quelques réflexions de dix ans d’expérience d’un Centre référent
pour troubles d’apprentissage chez l’enfant. Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence, 2012, 60 :
190-194.
5. Soares-Boucaud I, Labruyère N, Jery S, Georgieff N. Dysphasies développementales ou troubles spécifiques
du développement du langage. EMC, 2009, 37-201-E-15.
I. CLINIQUE ET APPROCHE
MULTIDIMENSIONNELLE
COORDINATEURS : D. DURAZZI ET É. LENOBLE
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Approches théorico-cliniques
– Intérêt d’une lecture
psychodynamique
D. Durazzi, S. Mendelsohn, M. Bergès-Bounes

Comment aider un enfant quel que soit son équipement initial à progresser
dans les apprentissages ?
Le professeur Nicolas Georgieff dans sa note de lecture commentant le rap-
port INSERM de 2007 sur les troubles d’apprentissage [5] illustre la probléma-
tique du pédopsychiatre tenu de prendre en compte aussi bien la part d’inné
que la part d’acquis dans ces troubles : « On peut donc proposer un modèle
pluri déterministe tel qu’il s’impose globalement en psychiatrie, et un gradient
entre causalité environnementale et psychologique prédominante (produisant
des anomalies acquises) et causalité génétique et biologique prédominante
prédisposant à des anomalies innées, ces deux causalités interagissant le plus
souvent ». Ce commentaire encourage à aborder les difficultés cognitives en se
gardant de toute simplification.
Autrement dit, le pédopsychiatre ne peut se contenter de tentatives d’explications
fondées sur l’opposition « organogénèse, psychogénèse » et doit penser un processus
26 Clinique et approche multidimensionnelle

dynamique où interagissent différentes forces et contraintes : contraintes organiques


ou environnementales, forces du désir de savoir, de se construire de grandir.

Complexité des troubles


– Actualité de la recherche
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Prendre en compte la complexité des troubles conduit à proposer plusieurs
façons de les aborder. Souvent plusieurs actions se conjuguent tant au plan des
investigations que des actions thérapeutiques à engager. L’abord psychodynamique
consiste à prendre en considération la position subjective particulière à chaque
enfant, à s’interroger sur ce qui, dans cette position, peut entraver les apprentissages,
à réfléchir aux aides qui peuvent être apportées. Tantôt il s’agit d’encourager voire
de réanimer le désir d’apprendre, tantôt d’aider la pensée à s’organiser. La réponse
thérapeutique n’est pas toujours une psychothérapie classique, ou une prise en
charge orthophonique ou encore un suivi en psychomotricité. Parfois, un détour par
une technique à médiation corporelle (relaxation psychothérapique, graphothéra-
pie clinique, etc.) peut être proposé avec profit. Dans les cas complexes, la propo-
sition de soin ne peut être que personnalisée, « spécifique » pour chaque enfant.
Les recherches sur les processus psychodynamiques déterminants dans le
domaine de l’apprentissage nous paraissent tout aussi nécessaires que celles
menées dans le domaine des sciences de l’éducation, de la sociologie, des neu-
rosciences ou de la génétique [3].
Dans ces deux derniers domaines, les récents apports fournis par les connais-
sances sur la plasticité cérébrale et sur l’épigenèse, nous imposent de nous déga-
ger de la tentation d’explication se référant à une causalité linéaire.
À l’heure actuelle, les recherches menées en neurosciences ou en génétique
ont permis des avancées intéressantes dans le domaine des connaissances ; toute-
fois, dans le domaine des propositions thérapeutiques, leur portée est encore
limitée. Aucune méthode orthophonique ne se distingue dans le domaine des
dyslexies ; quant aux dyspraxies, les chercheurs cliniciens s’orientent essentielle-
ment vers des mesures de compensation du handicap.
Approches théorico-cliniques – Intérêt d’une lecture psychodynamique 27

Prendre en compte l’équipement initial de l’enfant est certes indispensable,


mais il faut à partir de cette réalité, s’interroger sur tout ce qui peut stimuler ou
entraver son développement cognitif. Parce que le petit sujet humain se construit
dans l’échange avec ses pairs et avec des adultes, parce qu’il progresse en ayant
pour moteur le désir de ce qui lui manque, il est important d’interroger les pro-
cessus psychodynamiques mis en jeu.
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POINTS CLÉS – Épigénèse et plasticité cérébrale

ğ L’épigenèse étudie la façon dont les gènes s’expriment en fonction du milieu


environnant.
ğ La plasticité cérébrale est la capacité des tissus nerveux à changer de spé-
cialité, à mettre en place de nouveaux circuits et réseaux neuronaux, il s’agit
d’une voie de recherche qui comme les approches épigénétiques conduit à
réinterroger les interactions inné-acquis.

Figure 2-1. Exemple spectaculaire de plasticité cérébrale


(figure reproduite de [4] The Lancet © (2007), avec l’autorisation d’Elsevier).

ğ En juillet 2007 est paru dans The Lancet un article illustrant de façon spec-
taculaire les pouvoirs de la plasticité cérébrale [4]. L’article exposait le cas
d’un homme de 44 ans, fonctionnaire, marié et père de deux enfants, qui se
plaignait de douleurs dans les jambes d’apparition récente. Le bilan médical
28 Clinique et approche multidimensionnelle

avait produit ces étonnantes images (Figure 2-1) et conclut sur un diagnostic
d’hydrocéphalie.
Le liquide céphalorachidien – en noir sur la photographie – avait progres-
sivement envahi la boite crânienne ; le tissu nerveux du cerveau – en
gris – s’était trouvé repoussé et réduit à une mince bande aplatie contre
la paroi osseuse. Malgré cela, le cerveau s’était adapté et cet homme
avait pu mener une existence normale de « White-collar worker » (« col
blanc »).
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L’abord psychodynamique
– Une série de questions
L’exposé qui suit vise essentiellement à poser quelques jalons et à permettre
au lecteur de désirer avancer un peu plus dans ce domaine.

La question de l’organisation du sujet


Qui est donc le petit sujet qui va se confronter dès l’entrée en maternelle à un
nouveau monde dont l’organisation les lois, les codes et même le langage diffèrent
de son monde familier ?
En premier lieu, il est souhaitable que le sujet, dans sa constitution, soit suf-
fisamment assuré. Les différentes pathologies regroupées actuellement dans le
groupe des « troubles envahissants du développement » nous renvoient à cette
question. Lorsque le clinicien est confronté à une problématique relevant de ces
troubles, il doit tenir compte d’une double difficulté. En effet, c’est à la fois la
fragilité du sujet lui-même et son rapport très mal assuré à la réalité du monde
qui vont venir faire obstacle dans la situation d’apprentissage. Les failles sym-
boliques décrites dans ces cas-là par les psychanalystes et les pédopsychiatres,
la difficulté à faire des liens ainsi que les difficultés à généraliser décrites par les
cognitivistes, peuvent cependant trouver des suppléances et certains enfants
atteints de ces troubles ont pu s’appuyer sur une pensée en images, une logique
mathématique, un savoir encyclopédique, ou encore sur un intérêt particulier
pour suivre un parcours d’apprentissage.
Approches théorico-cliniques – Intérêt d’une lecture psychodynamique 29

Anatole, ou l’aventure du savoir


autodidacte
Lorsque nous faisons la rencontre d’Anatole au centre de réfé-
rence des troubles d’apprentissage, il est déjà précédé par une
réputation de « cas atypique ». Bien qu’Anatole sache effecti-
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vement lire et écrire, cela ayant été vérifié à plusieurs reprises, ni ses différentes
institutrices, depuis son entrée à l’école élémentaire, ni l’orthophoniste qui le suit
depuis la fin du CP, ne comprennent pourquoi Anatole refuse si farouchement
de faire état de ce qu’il sait dans le cadre scolaire habituel. Ce constat a amené
l’école à prendre la décision de proposer le redoublement du CE2, non parce
qu’il serait en échec, car personne ne peut avoir une idée précise de l’état de
ses connaissances ou de ses capacités d’apprentissage, mais plutôt pour donner
une chance à cet enfant de 9 ans de trouver comment mettre à profit dans ce
cadre-là la curiosité pour le savoir qu’il manifeste souvent de manière inattendue
ou décalée.

Anatole est en effet dans une position ambiguë, car il est bien entré dans le
langage et dans la construction du savoir, mais sans que cela implique pour lui
de s’inscrire dans la mise en circulation de ce savoir ou dans le partage des
connaissances. Il a une approche tout à fait solitaire des éléments de savoir qui
l’intéressent – en particulier les dinosaures et certaines questions de mathéma-
tique ou de physique. Il est capable d’accumuler des connaissances approfondies
sur ces sujets, en lisant des livres que l’on aurait pu croire hors de sa portée,
ou bien en se renseignant sur Internet pendant des heures, mais sans rien en
montrer, comme s’il s’agissait d’un trésor à garder précieusement caché. De fait,
si Anatole fait du savoir une chose secrète qui l’isole des autres, cela lui donne
aussi à ses propres yeux une valeur que son histoire familiale ne lui a pas permis
de trouver dans d’autres registres de la vie. Détenir ce savoir, dont il est seul à
connaître la portée, lui donne ainsi un pouvoir imaginaire sur son environnement,
qui lui a certainement permis de supporter les aléas de liens affectifs fragilisés
et de se soutenir lui-même.

Ce redoublement, très mal accueilli au départ par Anatole qui s’est senti
humilié et stigmatisé, a finalement permis qu’un travail s’engage avec lui.
Grâce à la coopération des parents et de l’orthophoniste, en tenant compte
de son grand appétit de connaissances et en valorisant ses propres stratégies
d’apprentissage, notamment dans le cadre d’un atelier logico-mathématique
mais aussi par des entretiens individuels, il est devenu possible de construire
un environnement suffisamment sûr. Dans ce contexte, Anatole a pu faire
30 Clinique et approche multidimensionnelle

l’expérience que le savoir n’a pas seulement une fonction défensive, rigide
et isolante, mais qu’il peut aussi devenir une modalité plus plastique de la
rencontre avec l’autre.

Articuler son Savoir propre, avec les Connaissances générales proposées par
l’institution scolaire constitue, pour chaque enfant, une épreuve, un travail qui ne
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va pas forcément de soi, comme vient de l’illustrer le cas du jeune Anatole, et
comme nous le montrent nombre d’enfants venus consulter pour les embarras
qu’ils rencontrent lors de cette confrontation.

POINTS CLÉS – Savoir et Connaissances

ğ Cette distinction est issue des théories proposées par la psychanalyse, pour
rendre compte des conditions nécessaires à l’émergence d’un sujet doué
de parole. Ce sujet, celui qui peut dire « je », n’est pas constitué d’un bloc,
une partie de ce qui l’a fondé lui échappe. C’est un effet de la rencontre
avec le langage, système à valeur symbolique déjà là lorsque l’enfant vient
au monde.
ğ Le Savoir se situerait du côté de l’« Inconscient », au sens de la psychanalyse,
c’est-à-dire de cette partie du psychisme qui échappe à chacun de nous, mais
reste active à son insu, celle qui est liée aux fondements de chacun, à la
façon dont il s’est approprié la langue qu’il parle, ce qui est en rapport avec
le mystère des origines (inscription dans la filiation, la langue maternelle, la
culture familiale, etc.)
ğ Les Connaissances seraient à situer du côté du « Moi Conscient », du moi de
la connaissance rationnelle, universelle, partageable avec d’autres, formalisée
par les apprentissages scolaires et universitaires.

Dans d’autres configurations cliniques apparemment plus favorables, alors


que la constitution même du sujet semble mieux assurée et ne perturbe pas son
rapport à la réalité, certains mécanismes – anxieux, phobiques ou obsessionnels –
peuvent rendre compte à eux seuls de dysfonctionnements cognitifs, ou bien venir
renforcer un trouble préexistant. Nous avons à faire alors avec un déterminisme
inconscient propre à chaque sujet et qui ne pourra s’appréhender que dans la
rencontre intersubjective à visée thérapeutique. Cette rencontre peut se réaliser
dans le cadre de psychothérapies classiques mais également dans le cadre de
groupes thérapeutiques à visée de remédiation.
Approches théorico-cliniques – Intérêt d’une lecture psychodynamique 31

Arthur ou l’évitement phobique à l’œuvre


Un garçon de 9 ans, Arthur, en thérapie depuis 2 ans, commen-
çant à entrer dans la lecture (il est en CM1 et présente encore
des difficultés à lire), exprime ainsi ses embarras : « je préfère
être à la maison avec ma mère… à la maison j’écris mieux,
je lis mieux, j’apprends mieux… ma mère est là… à l’école, les maîtresses me
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crient dessus, ma mère elle crie pas… et puis elle a arrêté de travailler depuis
2 ans pour m’aider dans mes devoirs, pour avoir du temps avec moi… j’ai une
arme secrète, c’est ma mère… dès que je vois un texte un peu long, j’ai peur…
j’ai peur de pas y arriver… toutes ces lettres… avant, j’avais l’impression que
ces lettres étaient des monstres… le T, un monstre avec la tête toute plate, avec
deux yeux au bout, comme un requin marteau, avec une grande hache… le S,
un serpent venimeux… le W, un monstre avec trois pattes et trois têtes, ça fait
trop peur et ça a pas de bras… le i avec une tête au bout, les fils pleins de sang
dessus… rien que d’en parler, ça me fait peur ! Et puis il faut jamais oublier le
point… maintenant je n’ai plus peur des lettres mais des fois je pense à des trucs
qui font peur, les araignées, les mygales, les zombis qui tuent et qui dévorent, les
fantômes, les monstres marins… mon imagination n’a pas de limites ! ».

Arthur a refusé longtemps « les lettres du maître », parce qu’il voulait « inventer »
les siennes, marquant ainsi son refus de la loi générale. Les « lettres-monstres »
d’Arthur sont rarement exprimées par les enfants non-lecteurs avec ce luxe de
représentations imaginaires. Ce sont le plus souvent l’inhibition et l’angoisse
– sous forme de malaise corporel – qui dominent le tableau : perplexité, silence,
incompréhension, oubli, « difficultés de concentration », devant les lettres, ces
formes à identifier et à assimiler mais qui restent des énigmes, impuissantes à
activer pour eux l’envie et le plaisir de savoir nécessaires à l’acte d’apprendre. Le
spectacle de ces enfants en panne devant quelques lignes ou quelques lettres à
lire peut être impressionnant : maux de ventre, de tête, pleurs, picotements des
yeux – qui peuvent se fermer –, impossibilité d’articuler un son, rien ne sort, rien
ne rentre dans ce corps tout angoisse, très présent dans ses manifestations de
souffrance impossibles à dire. Ce qui sort, c’est souvent un « je suis nul, le plus
nul ! », dans un mouvement de découragement et d’impuissance qui contraste
avec ce que l’on pourrait appeler leur « rébellion » devant la lettre, rébellion sup-
posant un désir de combattre, de ne pas se soumettre. Défi, résistance active : à
quoi ? Aux lettres et aux mots venus de l’autre, aux lois du scolaire, à ces formes
à lire impératives qui les persécutent, les regardent, commandent, ne leur laissant
aucun espace pour s’échapper. Refus de se soumettre, refus de perdre ce à quoi
ils tiennent le plus ? « Je ne veux pas lire parce que je ne veux pas grandir »,
32 Clinique et approche multidimensionnelle

entend-on souvent, « je ne veux pas mourir… ». Lire égale mourir, l’équation est
en place ; lire égale lâcher son enfance, son statut de « petit trésor », lâcher la
langue de la maison, lâcher la mère.

La question du corps
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Une large part de nos réflexions, quelle que soit la structuration des enfants en
termes psychopathologiques, concerne la question du corps. Sans doute faut-il y voir
l’influence de deux maîtres fondateurs des recherches sur les troubles d’apprentis-
sage, Julian de Ajuriaguerra et Jean Bergès, dont l’article princeps sur la dyspraxie
continue de faire référence [1]. Il s’agit aussi du poids de l’expérience clinique qui
nous fait rencontrer des enfants encore mal autonomisés dans leur corps, des enfants
qui ne situent leur corps ni dans l’espace ni dans le temps, des enfants dont l’assise nar-
cissique insuffisante ne leur permet pas le jeu du doute, de l’hypothèse, de l’expéri-
mentation, de l’échec, la mobilité mentale que demande le plaisir des apprentissages.
Le langage courant témoigne des liens étroits qui relient corps et apprentis-
sages, « être tout ouïe », « avaler sa leçon », « recracher sa copie », « dévorer
les livres », etc. sont des métaphores bien connues.
Pour que le corps de l’enfant participe à rendre son espace de pensée dis-
ponible, deux modes d’approche sont proposés : la relaxation thérapeutique et
la graphothérapie, qui seront développées dans le chapitre 8 (pp. 137-144 et
pp. 116-125).

La question du désir
Une dimension toute aussi importante nous paraît être la question du désir.
Nous avons souvent à faire à des enfants quelque peu passifs, qui délèguent aux
adultes tutélaires, principalement la mère, le champ du savoir et du vouloir. Les
parents s’étonnent : ces enfants travaillent, savent leur leçon apprise avec leur
mère, mais se l’approprient si peu qu’ils ne pourront rien en faire à l’école ou au
collège. Les élèves en difficulté se plaignent souvent de ne pas aimer leur maître
ou de ne pas en être aimés. Comment alors avoir de l’appétence pour le savoir
proposé à l’école, et comment désirer le retenir ?
Approches théorico-cliniques – Intérêt d’une lecture psychodynamique 33

Un détour métaphorique
La « bulle »
Les deux dimensions du corps et du désir se croisent, se chevauchent et
s’influencent. Elles reflètent le double flux énergétique qui nous mobilise tous ;
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les psychanalystes parlent de libido d’objet et de libido narcissique ou bien de
jouissance du corps et de jouissance phallique. Une traduction très simpliste de
ces notions théoriques pourrait être plaisir de « buller » chez soi, de se « ressour-
cer » dans un intérieur « cocoonant », de goûter l’eau, le sable chaud, etc., avec,
en contre point, le plaisir de la sortie en ville, d’une course en montagne, d’une
découverte étonnante, d’une épreuve réussie, de rencontre nouvelles.
La tension entre une tendance au repli sur soi, sur la maison, sur maman et
papa et l’envie de découvrir le monde, d’y exercer sa force, est présente en
chacun de nous ; l’enfant y est d’autant plus soumis que le souvenir du sein
maternel est proche. Il aura alors d’autant plus de mal à quitter l’univers du
« cocooning » qu’il ne sent pas toujours « les titres en poche » [6] pour s’auto-
riser à explorer le vaste monde. L’univers du « cocooning » n’est pas l’univers de
l’apprentissage, le temps s’y étire, s’y dilate dans une bulle dépourvue d’angles,
les repères se perdent, l’indifférenciation et l’immobilité règnent… Rester dans
l’univers clos de la bulle est risqué : nous ne désirons plus, nous avons tout, nous
pouvons parfois être des mégalomanes tout puissants retranchés dans notre
royaume mais la peur, la persécution, « le film d’horreur », comme le disait un
jeune patient, peuvent y surgir. Dans cet univers indifférencié nous pouvons en
effet fondre, disparaître, nous liquéfier dans l’eau qui nous baigne, nous faire
dévorer par le sein qui nous nourrit.

Sortir de la bulle
Les adultes savent bien que la bulle peut être délicieuse mais qu’il faut savoir
en sortir. Leurs séjours dans la bulle sont organisés et limités. Ils planent par-
fois, mais leurs décollages sont ritualisés, leurs atterrissages sous la sauvegarde
d’une tour de contrôle bien organisée. Pas question de rester « perchés » pour
34 Clinique et approche multidimensionnelle

employer un terme à la mode, voire « demeurés » comme l’héroïne de Jeanne


Benameur [2]. Quand ils réintégrent le monde des objets et du désir, il peut
toutefois rester quelques marques positives ou négatives de leurs voyages. Du
monde de la bulle, ils peuvent aussi bien conserver l’assurance mégalomane
que la terreur panique qui les rendra muets ou sidérés dans l’incompréhen-
sion. Adultes ou enfants, nous ne choisissons pas toujours le sable que nous
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emportons avec nous, va-t-il gêner notre vue, ou nous réconforter? De même
nos façons d’organiser nos voyages peuvent nous modifier, nous pouvons choisir
de nous fier aux panneaux de signalisation qui nous préviennent d’un dan-
ger (mode phobique), ou bien compter sur notre capacité de maîtrise (mode
obsessionnel), notre séjour au monde des objets et de la connaissance en sera
différent. Parfois, nous confondons les panneaux et lisons « danger » là où il n’y
a pas lieu, parfois notre volonté de maîtrise nous rend rigides et peu mobiles
psychiquement. Pour les enfants, sortir de la bulle peut aussi être considéré
comme un drame, un effondrement, un abandon, un rejet, il faut trouver un res-
ponsable : « maman ne m’aime pas, elle n’en fait qu’à sa tête » ou bien « maman
m’aime, mais papa commande ». Ce sera vers ce que le père possède, que se
vectorisera alors le désir, la curiosité, et l’intérêt de l’enfant. Il est souhaitable,
comme le font tous les grands textes de référence, que soit énoncée la loi qui
soumet papa et maman et qui leur a permis à eux aussi de grandir et d’avoir des
enfants. La Bible, par exemple, nous transmet cette loi sous forme d’un mythe
fort intéressant pour notre sujet, en nous signifiant que nous avons été chassés
de l’Eden où, immortels, nous ne manquions de rien. Nous en avons été chas-
sés pour avoir goûté au fruit de l’Arbre de la Connaissance qui permet par la
découverte de la différence sexuelle, la rencontre amoureuse [7].
Nous ne sommes pas immortels, papa et maman mourront, nous ne sommes
pas tout puissants, tout cela est bien difficile à accepter sans quelque révolte. Une
forme de rébellion (mode hystérique) peut être de choisir de n’en rien savoir
du tout, de nier au moins une partie de l’énoncé (pas d’impuissance, ou pas de
manque ou pas de différence sexuelle) ou bien de se tourner vers un homme ou
une femme dont la prestance et la puissance laissent miroiter qu’ils sont épargnés
par la loi commune. Séduire ce personnage, régner sur lui peut tenter, il peut s’agir
du père mais aussi des figures d’autorité côtoyées par l’enfant et l’adolescent. Ces
Approches théorico-cliniques – Intérêt d’une lecture psychodynamique 35

modes de rébellion venant peser sur le rapport à l’enseignant et aux apprentis-


sages, sont toutefois des défenses actives.
D’autres enfants peuvent se déprimer parfois de façon massive, ou bien trou-
ver refuge dans l’inhibition et le renoncement à la curiosité. Ce renoncement peut
être total ou électif (les mathématiques, la lecture, l’histoire).
Certains enfants enfin sont pris dans une problématique particulière, ils
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semblent n’avoir pas suffisamment acquis de représentation de leur corps pour
pouvoir se détacher du corps de leur mère. Ils sont maladroits, se cognent, comme
s’ils évoluaient dans un monde aux limites et aux contours flous comme celles de
leurs propre corps. Ils développent en parallèle un investissement fort du langage,
ils parlent presque comme des adultes, souvent toutefois, leur voix paraît mal
posée, peu incarnée. Une part d’eux même semble encore mal individualisée.
D’autre fois, cette maladresse apparaît à l’adolescence, moment de réorganisation
qui, en réactivant la problématique d’individuation, peut transformer des enfants
vifs et lestes en adolescents gauches et raides.

Accompagner la sortie de la bulle


Nous pourrions dire que le travail du thérapeute est de donner l’envie et
la force nécessaire à l’enfant qui voudrait bien apprendre, mais qui ne veut,
ne sait, ou ne peut sortir de la bulle. Il s’agira aussi de permettre que la sortie
ne soit pas trop coûteuse, que des peurs ou des rigidités ne paralysent pas
l’intelligence.
Reprenons le chemin qui mène du bébé à l’écolier prêt à apprendre c’est-à-
dire acceptant les apports du monde extérieur, pouvant les mobiliser, les garder.
L’accès au symbolique – capacité à entrer dans la langue orale, puis dans la
langue écrite, et à accéder au langage mathématique – s’ancre dans le corps et le
désir. Le tout jeune enfant soumis à des alternances de tension et de détente, de
présence et d’absence de sa mère, construit peu à peu son espace psychique, ses
capacités de représentations d’anticipation et de pensée. Au tout début, il prend
appui sur les mots de sa mère qu’il apprend à reconnaître, à découper dans la
mélodie du discours. Il est aidé en cela par l’intonation, la scansion, les répétitions,
les ruptures, les pauses, le rythme du discours. Au début, c’est la mère qui sait
36 Clinique et approche multidimensionnelle

pour l’enfant, c’est elle qui attribue à son enfant des sensations : « tu as faim, soif,
etc. » ; des mouvements affectifs : « tu es content, en colère, etc. ». L’enfant va
peu à peu sortir d’un monde indifférencié sans relief et nommer les objets qui
l’entourent. La mère lui permet alors, au moment du stade du miroir longuement
décrit par des auteurs tels que Wallon et Lacan, de s’inscrire symboliquement,
c’est-à-dire de pouvoir se représenter sans se voir. L’enfant peut se penser déta-
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ché du corps maternel.
Dans le premier temps d’« individuation séparation », le savoir vient de la
mère. Par la suite, en développant sa motricité, l’enfant va pouvoir jouer les sépa-
rations, jouer à en être l’acteur : il s’éloigne, il se cache et apprend à maîtriser
l’absence. Il peut d’abord jouer « seul en présence de sa mère » (selon la formu-
lation, devenue classique, de Winnicott), puis avoir suffisamment symbolisé cette
présence pour pouvoir être seul sans angoisse. Les questions qu’il pose alors
portent sur ce qu’il ne voit pas, sur ce qui lui manque, sur ce qui apparaît : la
naissance des bébés, la différence des sexes, la mort, les occupations des parents,
leur désir. Le petit chercheur émet des hypothèses, se forge ses théories. Cette
position de chercheur ne peut être tenue que si l’enfant accepte une certaine
solitude, un certain manque à être « maman me quitte pour papa, elle ne fait pas
tout ce que je veux, je ne suis pas tout ce qu’elle veut, elle ne sait pas tout, je suis
soumis à la différence des sexes, à la mort, à la séparation… »
Une telle position, quelque peu ardue, de jeune chercheur se nourrit égale-
ment d’un recours à l’imagination : un monde peut-être recréé dans les récits et
les jeux inventés par l’enfant. Les livres mis à sa disposition commencent à appri-
voiser les peurs et l’impuissance, le loup est vaincu, les marâtres sont confondues,
l’orpheline épouse le prince. Certains enfants ont du mal à quitter ce monde
imaginaire, qui répond au refus des pertes qu’ils ont à reconnaître pour grandir.
D’autres savent en jouer et développent ainsi leurs capacités d’hypothèse et
leur mobilité psychique. Enfin, d’autres enfants semblent bien en panne avec un
imaginaire qui leur fait défaut pour habiller l’arbitraire du savoir formalisé, et les
empêchent ainsi d’accéder au monde des hypothèses.
L’entrée à l’école maternelle, puis au CP, réactualise les problématiques d’indi-
viduation séparation. L’enfant doit se plier à une loi commune, les codes ne sont
plus ceux de la maison. L’entrée dans la langue écrite nécessite un nouveau jeu
Approches théorico-cliniques – Intérêt d’une lecture psychodynamique 37

de découpage ; il faut découper dans ces guirlandes, ces dessins que forment les
lettres, des unités signifiantes, les graphèmes, qui correspondent aux phonèmes
de la langue orale. Le corps est mobilisé, la bouche, le larynx, les yeux, les oreilles,
les mains, les doigts, le tonus corporel sont mis à contribution. L’indisponibilité du
corps peut se traduire en lignes qui se confondent, en traits brouillés, en agitation,
en crampes de la main, en maux de tête de ventre. L’écriture sollicite autant l’apti-
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tude motrice que le désir de laisser une trace. Les mathématiques, quant à elles,
vont s’appuyer sur l’intégration des représentations du corps (système décimal),
de l’absence (zéro), de la séparation (soustraction, division), sur la capacité acquise
au cours du développement sensorimoteur (apports de J. Piaget [9]) à poser un
point d’origine.
L’adolescence est la dernière étape à franchir. Les phobies, la dépression, l’ef-
fondrement scolaire peuvent alors témoigner d’une fragilité de la construction
du sujet. Sur fond de bouleversement hormonal, la question du corps se pose
à nouveau, avec celle de l’identité sexuée et du désir. Certains adolescents se
replient dans une morosité et une inhibition de la pensée, le temps de faire ce
travail de deuil de l’enfance. Parfois cette étape est aussi l’occasion d’une remo-
bilisation et nous avons ainsi pu voir la lecture se mettre en place après quinze
ans. Daniel Pennac illustre de même dans son livre Chagrin d’école un éveil tardif
aux apprentissages [8].

POINTS CLÉS – Qu’appelle-t-on « défenses hystériques,


phobiques, obsessionnelles » ?
ğ Ces termes ne se réfèrent pas chez l’enfant à un mode d’organisation struc-
turé et stable mais plutôt à des modes plus ou moins transitoires d’aména-
gement de l’angoisse, qui est une peur sans objet. Ces modes de défenses
ne sont pas forcément pathologiques, toutefois certains peuvent avoir une
incidence sur les apprentissages.
ğ Les modes de défenses hystériques tel l’oubli, la méconnaissance, l’incom-
préhension pouvant aller jusqu’à l’obtusion.
ğ Les modes de défenses phobiques qui permettent de fixer l’angoisse sur
un objet une situation : objet phobique (par exemple certaines lettres de
l’alphabet, ou les maths, etc.), situation phobogène (affronter un contrôle…)
peuvent alors faire l’objet d’évitement tenace.
ğ Les modes de défenses obsessionnels tel le perfectionnisme, le désir de
maitrise, le cloisonnement de la pensée, entraînant une possible rigidité de
pensée, ou une angoisse de performance néfaste pour l’enfant.
38 Clinique et approche multidimensionnelle

Conclusion
L’approche psychodynamique vise à aider l’enfant à construire son assise nar-
cissique (estime de soi, appropriation de son corps, identité), à pouvoir faire jouer
son imagination tout en gardant les pieds sur terre, grâce à l’appui de l’intégration
de la loi commune qui nous rend tout à la fois manquants et désirants.
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L’intérêt d’une lecture psychodynamique est de constituer une trame sur
laquelle viennent se nouer les différentes remédiations et thérapies. Cette lecture
repose sur le crédit fait à l’enfant en ses capacités de changement et d’évolution,
et soutient de ce fait le désir de savoir propre à l’enfant.

Pour en savoir plus


1. Ajuriaguerra J, Auzias M, Bergès J, L’Heriteau D, Stambak M. Les dyspraxies chez l’enfant. La Psychiatrie de
l’Enfant, VII, fasc. 2, 1964.
2. Benameur J. Les demeurées. Denoël, 2000.
3. Chiland C. L’enfant de six ans et son avenir. PUF, Paris, 1971.
4. Feuillet L, Dufour H, Pelletier J. Brain of a white-collar worker. The Lancet, 2007, 370 : 262.
5. INSERM, expertise collective. Dyslexie, dysorthographie et dyscalculie - Bilan des données scientifiques.
Éditions de l’Inserm, 2007.
6. Lacan J. Le Séminaire. Livre IV : La relation d’objet. Seuil, Paris, 1994.
7. Menès M. L’enfant et le savoir. Seuil, Paris, 2012.
8. Pennac D. Chagrin d’école. Gallimard, Paris, 2007.
9. Piaget J. « La Naissance de l’intelligence chez l’enfant ». Delachaux et Niestlé, 1936.
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Pédopsychiatrie et neurosciences
Chiffres toujours coupés
par la pièce de puzzle :
Univers 55 roman
corps 44

– Lectures neuroscientifique
et psychopathologique
des troubles des apprentissages
N. Georgieff

Les connaissances actuelles sur les troubles dits spécifiques de la lecture, de


l’écriture et du calcul, privilégient les champs de la psychologie cognitive, des
neurosciences – neuropsychologie, neurobiologie et génétique, épidémiologie –,
ainsi que les pratiques de rééducation et leur évaluation. Les troubles du déve-
loppement du langage écrit et du calcul sont en effet récemment devenus un
objet privilégié des recherches en psychologie expérimentale, neuropsychologie
et neurosciences [1]. Les travaux de recherche publiés dans la littérature scien-
tifique internationale ont été recensés récemment par l’Inserm (2007) [2]. Il en
résulte notamment la mise en évidence de facteurs génétiques de ces troubles,
et d’anomalies cérébrales structurelles et/ou fonctionnelles associées aux anoma-
lies cliniques. La dyslexie développementale en est un excellent exemple [4]. Les
points de vue des sciences cliniques [5] sont diffusés quant à eux dans des publica-
tions soumises à des critères d’évaluation différents, et leur faible prise en compte
par le rapport Inserm a donné lieu à débat. Nous reviendrons ici sur quelques
40 Clinique et approche multidimensionnelle

aspects de la difficile articulation entre pratique clinique et neurosciences expéri-


mentales et objectives, à propos des troubles des apprentissages.
Comme souvent en psychiatrie et psychologie, il existe pour les mêmes
objets d’étude deux champs de connaissance correspondant à deux perspec-
tives méthodologiques : l’une fondée sur l’approche objective expérimentale,
l’autre fondée sur l’approche clinique intersubjective. La première correspond
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aux sciences cognitives, aux neurosciences et à l’épidémiologie ; dans la seconde,
s’inscrivent notamment la psychopathologie clinique, les sciences de l’éducation
et de la rééducation, les pratiques sociales. Les troubles des apprentissages ont
été l’objet de nombreux travaux de psychopathologues cliniciens, psychanalystes
ou non, ainsi que de chercheurs en sciences de l’éducation. De ce fait, les troubles
des apprentissages ont suscité depuis plusieurs décennies des convergences, des
confrontations, et parfois des oppositions, entre tenants des approches éduca-
tives, psychopathologiques et neurologiques. Pourtant, le dialogue et l’échange
sont ici comme ailleurs obligatoires. Les troubles des apprentissages sont, comme
le développement lui-même, un objet d’étude et de pratique pluridisciplinaire,
à la croisée des sciences expérimentales et des sciences humaines.
Le dialogue n’est cependant pas toujours aisé. Très schématiquement, nous
soulèverons pour éclairer ces difficultés trois questions : la recherche expérimen-
tale partage-t-elle réellement le même objet que la pratique clinique ? La réalité
psychopathologique ou psychiatrique est-elle définie de la même manière par
chercheurs et cliniciens ? Enfin, les fonctions étudiées, mémoire, langage, sont-elles
définies par les uns et les autres de la même manière ?
La première question posée est de savoir déjà si la recherche objective et la
pratique clinique traitent bien du même objet. Comme le montre l’expertise col-
lective de l’Inserm, l’objet des recherches neuroscientifiques consiste en effet dans
les troubles dits « spécifiques » des apprentissages, excluant un déficit sensoriel
bien sûr, l’échec scolaire, les troubles associés à un retard développemental global,
les facteurs environnementaux (pédagogie inadaptée, niveau socioculturel insuf-
fisant, diversité linguistique) et les « troubles mentaux avérés ». Cette définition
restrictive, qui interroge le psychiatre d’enfant en pratique comme en théorie, est
un premier point de débat.
Pédopsychiatrie et neurosciences 41

Certes, les troubles « spécifiques » au sens de cette définition restrictive existent,


incontestablement. Cependant, la problématique des « troubles des apprentis-
sages » se pose au psychiatre d’enfant le plus souvent dans un contexte environ-
nemental et socio-culturel, pédagogique, psychopathologique ou psychiatrique
avéré et varié, et rarement sous la forme d’un « trouble spécifique ». En termes de
parcours de vie, contexte socio-culturel précaire, problématiques transculturelles.
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En termes psychopathologique, confrontation à l’adversité (pathologies somatiques,
ruptures affectives), et souvent antécédents de carence et de maltraitance, associa-
tion avec les troubles envahissants du développement, plus souvent les états limites
et « dysharmonies » psychotiques ou d’évolution (ou Multiplex Developmental
Disorders), les troubles névrotiques et conduites d’échec et d’évitement de la sco-
larité et des apprentissages (dites souvent encore « phobies scolaires »), des états
d’inhibition sans déficit intellectuel, les troubles anxieux, les troubles de l’humeur.
C’est donc souvent l’absence de spécificité – au sens de l’existence d’une com-
posante psychopathologique quelle qu’elle soit – d’une difficulté d’apprentissage
qui justifie le plus souvent l’intervention du pédopsychiatre « généraliste » (et non
de ceux qui se spécialisent dans cette clinique de l’apprentissage au sein de pôles
de référence spécifiques pluridisciplinaires).
Il faut alors se demander en quoi les données de la recherche neuroscienti-
fique sont pertinentes pour le pédopsychiatre, autrement bien sûr qu’à l’étape
du dépistage et de l’orientation qui le concerne au même titre que d’autres
professionnels de l’enfance et du développement. La question est alors de savoir
si la compréhension des mécanismes biologiques, génétiques et cognitifs en jeu
s’applique à ces situations auxquelles la pédopsychiatrie répond plus souvent par
des pratiques empiriques que par des rééducations fondées sur les connaissances
neuropsychologiques et neuroscientifiques.
La réponse doit être nuancée selon le contexte clinique psychiatrique des
« troubles des apprentissages ». Tous n’impliquent probablement pas en effet
des anomalies intrinsèques de même nature des mécanismes cognitifs de la lec-
ture, de l’écriture ou du calcul.
Un premier type de trouble des apprentissages rencontré en clinique, largement
décrit par les cliniciens, psychologues ou psychiatres, se réfère à des inhibitions
fonctionnelles plus ou moins ponctuelles ou étendues des apprentissages, dues à
42 Clinique et approche multidimensionnelle

des états intentionnels, c’est-à dire à des stratégies inconscientes qui perturbent le
fonctionnement cognitif du fait d’effets de sens propres au sujet, au contexte et
à son histoire. Ces troubles fonctionnels ont longtemps été référés au modèle du
symptôme névrotique. Il est souvent opposé, mais à tort, au modèle neurocognitif
prévalent du dysfonctionnement des mécanismes cognitifs : c’est l’opposition sté-
rile « symptôme/déficit », qui oppose de manière artificielle logique ou causalité
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intentionnelle ou motivationnelle (consciente ou non consciente : le sens d’une inhi-
bition, lorsque le trouble d’apprentissage correspond à un refus ou un évitement)
et logique ou causalité mécaniste ou de production (une anomalie ou déficit des
processus cognitifs). Une anomalie cognitive est un mécanisme, et non une cause.
Les deux démarches sont distinctes mais ne se contrarient ni ne s’excluent, et on
ne peut opposer désir et mécanismes. Elles sont complémentaires, et l’expérience
clinique conduit à supposer qu’il existe des troubles des apprentissages de nature
« fonctionnelle », réversibles, sans anomalies structurelles des processus cognitifs
mis en jeu, sensibles aux approches psychothérapiques individuelles et familiales.
L’anomalie de performance n’est pas liée alors à une altération première de la com-
pétence. Le déterminisme premier du trouble est dans ces cas environnemental et
psychologique, et l’on se trouve clairement en dehors du champ des « troubles
spécifiques des apprentissages ». Il ne faut cependant veiller à ne pas exclure ceux-ci,
de manière dualiste, au nom de l’existence de troubles que nous dirons « fonction-
nels » pour certaines difficultés d’apprentissage. Les déterminismes cognitifs, géné-
tique et neurobiologique sont également en jeu. Et ce d’autant qu’une anomalie
de performance de nature fonctionnelle peut probablement à terme se chronici-
ser et se transformer en déficit de compétence. Un intérêt majeur des recherches
neuroscientifiques est ici d’attirer l’attention du clinicien sur le poids spécifique du
déterminisme neurocognitif dans les troubles du développement.
Le second type de trouble couramment observé correspond à des troubles
des apprentissages associés à des troubles développementaux étendus du spectre
autistique (TED ou TSA), Multiplex Developmental Disorders ou MDD (en termes
cliniques, états limites, troubles graves de la personnalité, dysharmonies), ou à des
états psychopathologiques (troubles anxieux, troubles de la personnalité, troubles
de l’humeur). La question posée alors est la suivante : la nature des processus sous-
jacents aux troubles des apprentissages est-elle ici analogue, du point de vue des
Pédopsychiatrie et neurosciences 43

anomalies des mécanismes neurocognitifs, à ce qui est connu pour les « troubles
spécifiques » ? Car dans ces situations, le déficit de performance est bien lié à
des anomalies des compétences et donc des mécanismes cognitifs. Cette question
a des implications importantes pour la prise en charge de ces enfants qui associe
toujours pratiques de soin et de rééducation.
En fait, on voit que le problème en pédopsychiatrie est de concevoir la plura-
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lité des déterminismes distincts mais coexistants : déterminisme environnemental,
déterminisme psychologique (qui implique la régulation émotionnelle, les moda-
lités d’attachement, les représentations de soi et la conscience de soi, ou narcis-
sisme, la production de plaisir par le fonctionnement cognitif, la régulation de
l’humeur), déterminisme génétique et épigénétique, et neurobiologique. Tous
sont susceptibles d’infléchir le développement d’une compétence, comme l’ap-
prentissage de la lecture, et tous interagissent. D’où la nécessité de pratiques plu-
ralistes associant approches psychothérapiques et rééducatives ou pédagogiques.
On peut proposer un modèle pluri-déterministe, tel qu’il s’impose globalement
en psychiatrie, et un gradient entre causalité environnementale et psychologique
première ou prédominante (produisant des anomalies d’apparence acquises),
et causalité génétique et biologique première ou prédominante prédisposant à
des anomalies d’apparence innées ; le premier et le second ordre de causalités
interagissant le plus souvent. Une perspective dimensionnelle et polyfactorielle
pluricausale est plus pertinente en psychiatrie qu’une perspective catégorielle et
monofactorielle qui semble inspirer la définition des « troubles spécifiques des
apprentissages ».
La difficulté tient au fait que ces différentes causalités peuvent toutes induire
dans les pathologies psychiatriques des anomalies cognitives et neurobiologiques,
comme l’a bien montré la recherche en psychopathologie cognitive : troubles
dépressifs, troubles anxieux et troubles psychotiques s’accompagnent également
d’anomalies cognitives et neuropsychologiques plus ou moins réversibles ou irré-
versibles. La clinique psychiatrique se prête ainsi aux différentes lectures psycho-
logique, cognitive et neurobiologique ou neuropsychologique.
L’implication du niveau cognitif, accessible à l’approche neuropsychologique,
diffère cependant selon le contexte étiologique en fonction d’un gradient entre
deux pôles : anomalies cognitives premières et plus ou moins irréversibles si le
44 Clinique et approche multidimensionnelle

primum movens du trouble est génétique de manière prédominante (mais non


exclusive car également dépendant de l’environnement), comme c’est le cas pour
les « troubles spécifiques », anomalies cognitives secondaires et réversibles pour
les troubles dont le primum movens est environnemental ou psychopathologique
(mais également génétique pour une part), et probablement anomalies à la fois
premières et secondaires, plus ou moins réversibles, pour les troubles sévères du
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développement (TED, MDD) dont le déterminisme associe facteurs génétiques
et environnementaux selon le principe de l’épigenèse.
Ce modèle pluri-déterministe nous conduit au second point, la définition du
fait ou de la réalité psychopathologique. Le problème n’est pas seulement scien-
tifique, mais aussi social : la place du pédopsychiatre dans la prise en charge,
comme dans la compréhension du trouble, est interrogée. Si les troubles des
apprentissages sont placés hors du champ psychopathologique, la légitimité du
pédopsychiatre dans ce champ de pratique est mise en question. Son rôle doit-il
être réduit ici à une simple contribution au diagnostic ou dépistage des TSA, et
au-delà à la prise en charge éventuelle de troubles psychologiques seulement
secondaires au trouble des apprentissages ? Ou bien le pédopsychiatre est-il
concerné par les troubles des apprentissages au même titre que par les autres
troubles du développement constituant la psychopathologie de l’enfant ? Tout
dépend de la définition de cette dernière.
Il s’agit donc de savoir si les « troubles spécifiques des apprentissages » sont,
de par leur déterminisme et/ou leur nature, hétérogènes au domaine clinique
de la pédopsychiatrie, que l’on peut définir aujourd’hui comme celui d’une
psychopathologie du développement. Question de point de vue, comme nous
le verrons.
La lecture de l’expertise collective publiée en 2007 [2] témoigne en effet
d’une certaine ambiguïté sur ce point, c’est-à-dire quant aux relations entre
troubles spécifiques des apprentissages, et psychopathologie ou facteurs psycho-
logiques. D’une part, il est rappelé que les travaux actuels insistent sur la causalité
génétique et biologique des troubles spécifiques (p. 19 in [2]) ; de l’autre, est
suggéré un modèle polyfactoriel combinant facteurs constitutionnels et facteurs
environnementaux pour les troubles spécifiques eux-mêmes (pp. 21-23 in [2]),
conformément aux modèles actuels de la pathologie psychiatrique. Le paragraphe
Pédopsychiatrie et neurosciences 45

consacré aux facteurs génétiques est également informatif, mais aussi nuancé et
critique, posant bien les limites d’un déterminisme génétique des comportements
(p. 45 in [2]), de même que celles d’une causalité cérébrale des anomalies cogni-
tives (p. 44 in [2]). Le rôle des facteurs environnementaux est également réguliè-
rement soulevé (pp. 22-23 in [2]).
Corrélativement, se pose la question des critères qui permettent d’écarter
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l’existence d’un trouble psychopathologique associé. Or, ici encore, l’expertise
témoigne d’une certaine ambiguïté. Il est rappelé que les troubles spécifiques
des apprentissages ne peuvent être attribués à une « pathologie psychiatrique
avérée » (p. 60 in [2]). Mais il est précisé que « le caractère spécifique des troubles
des apprentissages […] n’implique pas qu’ils soient monofactoriels ou isolés ».
La distribution des troubles dits spécifiques « infirme les seules explications socio-
logiques et pédagogiques […] par ailleurs, certaines difficultés d’apprentissages
peuvent s’inscrire dans une psychopathologie avérée ou dans des interactions
précoces perturbées » (p. 9 in [2]).
Ces oscillations témoignent de la manière variable dont la réalité psycho-
pathologique est définie, donc d’une insuffisance de précision de sa définition.
La question est en effet de savoir si la psychopathologie est exclue parce qu’elle
n’existe pas, où parce qu’elle n’est pas vue ou reconnue du fait de prémices
qui l’écartent a priori : le trouble des apprentissages étant défini comme non
psychopathologique par nature. On voit que ce qui est en cause est en fait la
définition du psychopathologique. Si la psychopathologie est réduite à l’existence
de troubles patents, son exclusion est facile. Il en va différemment si elle est définie
comme une dimension nécessairement associée à celle du trouble instrumental.
Bien sûr, si le trouble des apprentissages est exclu a priori du champ psycho-
pathologique par une approche catégorielle, la dimension psychopathologique
de ce trouble fait retour par la voie de l’association à ce dernier sur le même
mode, inter- ou co-catégoriel. C’est l’impasse de la « co-morbidité » psycho-
pathologique ou psychiatrique de troubles définis par postulat comme non psy-
chiatriques ou non psychopathologiques.
La lecture de l’expertise collective de 2007 en témoigne. La notion de
comorbidité réintroduit en effet dans le modèle des « troubles spécifiques des
46 Clinique et approche multidimensionnelle

apprentissages » la psychopathologie à travers de nombreuses associations entre


trouble spécifique des apprentissages et trouble psychopathologique (pp. 9 et
33 in [2]). La dyslexie constitue un facteur de risque élevé pour d’autres troubles.
Le paragraphe « troubles comportementaux et émotionnels associés » réintroduit
ainsi une dimension psychopathologique des troubles dits spécifiques, dont il
apparaît difficile d’affirmer la nature secondaire sinon de manière tautologique
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(c’est-à-dire en se référant à la définition préalable de ceux-ci qui postule leur
« spécificité »). En fait, ici aussi s’oppose une perspective catégorielle, pour
laquelle la relation entre trouble des apprentissages et troubles psychopatho-
logiques (anxiété, troubles des conduites, dépression) ne peut être que causale
et linéaire, les premiers causant les seconds, ou inversement, et une perspective
dimensionnelle qui éclaire la dimension psychopathologique de tout trouble des
apprentissages. Il semble qu’un modèle uni-causal linéaire empêche de prendre
en compte ici les différentes dimensions ensemble, comme si prises en compte
des processus cognitifs et des logiques psycho-affectives et environnementales
s’excluaient mutuellement en tant que causes exclusives, ou comme si une hié-
rarchie causale était supposée entre ces deux logiques. On retrouve ici une ten-
dance à vouloir subordonner de manière réductrice la psychopathologie au fonc-
tionnement cognitif (elle serait la conséquence du trouble des apprentissages),
pour contester la subordination inverse et tout aussi réductrice des troubles des
apprentissages aux facteurs dits « psychologiques » ou affectifs. Or, l’une et l’autre
démarches méconnaissent la nature des interrelations réciproques entre fonction-
nement psychique au sens large, et développement des apprentissages.
Réintroduire la psychopathologie sous la forme d’une co-morbidité du trouble
est la conséquence logique inévitable d’une exclusion préalable de celle-ci de
la définition du trouble. Une fois posé le postulat que le trouble des apprentis-
sages n’est pas de nature psychopathologique ou ne s’inscrit pas en tant que tel
dans une dimension psychopathologique, cette dernière ne peut être interprétée
autrement que comme associée et/ou secondaire au trouble.
Précisément, un modèle dimensionnel évite cette impasse. Il permet de définir
la réalité psychopathologique comme une dimension de la clinique. Comme toute
réalité comportementale et psychique humaine, les troubles des apprentissages se
laissent décrire et comprendre, et peut-être expliquer, dans différentes dimensions
Pédopsychiatrie et neurosciences 47

– psychologique, sociale, biologique. Mais à quoi correspondent ces dimensions ?


À des propriétés de l’objet étudié, ou à des manières de l’appréhender et de
le décrire – à des méthodes donc ? Difficile de trancher sur ce point. En ce qui
concerne les propriétés de l’objet, la dimension psychopathologique peut être
classiquement définie par la prise en compte de la vie émotionnelle ou affective, de
la vie imaginaire ou fantasmatique, de la motivation ou du désir, de l’intersubjectivité,
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de la conscience ou représentation de soi et d’autrui, de l’état de l’humeur, de
l’organisation de la personnalité, du type d’attachement… donc d’une référence
à différents modèles psychopathologiques, psychanalytiques ou non. Elle a aussi
pour particularité de donner une place importante à l’histoire, événementielle et/ou
subjective, de l’individu dans le développement des troubles. Elle confère ainsi de
manière générale une place importante à l’environnement, surtout humain et inter-
personnel, dans la compréhension de la pathologie. Mais elle n’est plus seule à le
faire, le rôle de l’environnement et donc de l’histoire personnelle étant aujourd’hui
aussi pris en compte et compris par la génétique, notamment depuis la révolution
épigénétique qui privilégie les facteurs environnementaux d’expression des gènes.
La neurobiologie elle aussi prend en compte l’histoire personnelle, notamment par
les conséquences des situations de maltraitance et carence sur le développement
cérébral. De même, la prise en compte de la vie affective ou émotionnelle ne peut
plus être considérée comme le privilège de la psychopathologie, les neurosciences
donnant à l’affect ou à l’émotion une place croissante. Enfin, l’intersubjectivité est
aussi l’objet des neurosciences sociales de l’empathie.
La spécificité de l’approche psychopathologique est donc peut-être à
rechercher ailleurs aujourd’hui. Ce qui la caractérise peut-être le plus clairement
aujourd’hui tient selon nous à la prise en compte de deux réalités. La première
est la relation que le sujet entretient avec ses difficultés d’apprentissage, l’expé-
rience subjective de ceux-ci, et par là la réaction de l’ensemble de l’organisation
psychique à ces troubles. La seconde, corrélative, est le retentissement du trouble
d’apprentissage sur la construction et l’organisation de ce que l’on appellera,
faute de mieux, la personnalité [3] et l’autoreprésentation réflexive de soi, et en
particulier que la psychanalyse décrit comme organisation narcissique. On voit
ici que ce qui spécifie l’exploration psychopathologique tient principalement à
sa méthode : l’écoute du sujet dans l’intersubjectivité, qui révèle ces réalités de
48 Clinique et approche multidimensionnelle

nature intersubjective. Alors que la méthode neuropsychologique ou cognitive


révèle de manière objective les troubles de performances et les mécanismes des
compétences.
Ce qui nous conduit au dernier point : la définition des fonctions. Le langage
en est un exemple. L’approche psychopathologique ne réduit pas ce dernier à
un outil de communication ou d’expression de l’activité mentale. Elle en décrit
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aussi la fonction narrative (la construction d’un récit mettant le sujet et son his-
toire en scène), sa fonction de création de cohérence donc, la portée littéraire,
métaphorique et poétique, la fonction associative, la fonction symbolique et son
rôle dans le processus de subjectivation, sa fonction imaginaire et son rôle dans
la créativité fantasmatique… Chaque approche, cognitive, biologique, ou clinique
tend en effet à réduire les propriétés de l’esprit humain à ce qu’elle en saisit par
sa méthode. La valeur de la psychopathologie est ici d’ouvrir une profondeur
de champ dans la compréhension de chaque « fonction » et du comportement
humain. Elle nous rappelle que ni le langage, ni la mémoire, ni la conscience, ni la
perception ne se réduisent à l’exécution d’une fonction entièrement connue, et
qu’il nous reste à comprendre leur nature réelle au delà sans doute des catégories
psychologiques commodes mais arbitraires que nous utilisons encore aujourd’hui.
Cette interrogation concerne aussi ce que nous appelons ici les apprentissages.

Peut-être sommes nous finalement confrontés ici, autour des « troubles des
apprentissages », à un autre cas exemplaire de l’écart méthodologique entre la
perspective clinique et la perspective de la recherche expérimentale, neuros-
cientifique notamment. On constate déjà une différence importante entre elles
dans la manière dont elles abordent le dysfonctionnement cliniquement constaté :
l’approche clinique utilise le modèle de la fonction (mémoire, langage…) pour
éclairer l’anomalie pathologique, alors que la recherche utilise cette dernière pour
éclairer la fonction normale qui est son véritable objet.
La démarche clinique, du fait de la commande sociale qui lui est faite : prendre en
compte la situation particulière d’un sujet et y répondre en termes de traitement, est
dans l’impossibilité de simplifier son objet, elle est affrontée à la complexité à travers
chaque cas, chaque situation, qui dans sa singularité ne se réduit à aucun modèle.
Pédopsychiatrie et neurosciences 49

La recherche adopte, pour produire des connaissances généralisables, un nécessaire


réductionnisme méthodologique pour réduire la complexité de son objet et rendre
comparables les différents cas au-delà de leur singularité et de leurs différences. La
première privilégie ce que chaque cas a de singulier, la seconde ce que tous ont de
commun. La première part du modèle, qui permet le diagnostic, mais l’abandonne
vite pour éclairer la complexité du cas, alors que la seconde est contrainte de voir
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le cas par le prisme du modèle. Pour cela, la pratique de recherche voit la singularité
du cas comme un ensemble de biais à écarter, pour purifier son objet : l’anomalie
d’une fonction – c’est la condition de l’interprétation des données de l’expéri-
mentation. À l’inverse, l’approche clinique rencontre surtout des objets impurs, qui
tous s’écartent du modèle, et elle privilégie tout ce qu’ils montrent de particulier
et que la recherche considère comme biais. La recherche peut être ainsi conduite à
construire un objet idéal qui s’éloigne de la réalité des faits cliniques, au risque de
fabriquer en laboratoire une clinique psychiatrique artificielle, éloignée de la réalité
mais conforme à ses principes. Le risque pour la clinique est inversement de se
perdre dans la complexité au détriment de l’intelligibilité du réel. Enfin, la recherche
privilégie l’étude de la fonction ou dysfonction (lecture, écriture, mémoire…) alors
que l’approche clinique privilégie la relation du sujet à cette fonction ou dysfonc-
tion. La construction de l’entité des troubles spécifiques des apprentissages, qui
semble issue de la pratique de la recherche plutôt que de la clinique, illustre ce
possible malentendu entre les deux perspectives. Chacune éclaire une même réa-
lité de manière différente, selon ses propres critères méthodologiques. Si cet écart
entre les points de vue peut être source de malentendus, il ne tient qu’à nous d’en
faire une source d’enrichissement des connaissances, en rapprochant chercheurs et
cliniciens et en favorisant leur dialogue à partir de leurs points de vue respectifs sur
une même réalité.

Pour en savoir plus


1. Dehaene S. Les neurones de la lecture. Odile Jacob, Paris, 2007.
2. INSERM, expertise collective. Dyslexie, dysorthographie et dyscalculie – Bilan des données scientifiques.
Éditions de l’Inserm, 2007.
3. Georgieff N, Speranza M. Psychopathologie de l’intersubjectivité. Elsevier Masson, Paris, 2013.
4. Ramus F. Génétique de la dyslexie développementale. In : S Chokron et J-F Démonet (Eds.). Approche neuro-
psychologique des troubles des apprentissages. Solal, Marseille, 2010, pp. 67-90.
5. Soares-Boucaud I, Cheynel-Alberola ML, Georgieff N. La dyslexie développementale en pédopsychiatrie :
diagnostic et prise en charge. Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence, 2007, 55 : 220-225.
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Articulations du système de soins
Chiffres toujours coupés
par la pièce de puzzle :
Univers 55 roman
corps 44

au médico-social
et à l’Éducation nationale
D. Durazzi, J. Scalabrini, M. Schnaidt

Décrire les articulations entre système de soins, champ médico-social, et sys-


tème scolaire tel qu’il est organisé sous l’égide de l’Éducation nationale, rend
compte du caractère multidimensionnel de la prise en charge d’un enfant ayant
des difficultés d’apprentissage et de la complémentarité des interventions. Une
de ces dimensions peut-être la prise en compte des difficultés sous forme de
reconnaissance d’un handicap. Cette reconnaissance peut être nécessaire et
utile, elle ne s’impose pas cependant pour tous les enfants. C’est pourquoi,
le parcours de soins sera exposé tel qu’il est suivi par l’enfant en fonction de
l’importance de ses difficultés, et de leur retentissement sur sa progression sco-
laire. La loi de 2005, qui concerne la situation de handicap au sens large, sera
résumée dans un second temps dans la mesure où elle ne concerne pas tous
les élèves en difficulté.
52 Clinique et approche multidimensionnelle

Scolarité et parcours de soins


L’école est souvent le premier interlocuteur des parents et de l’enfant en dif-
ficulté d’apprentissage. L’école peut recourir au RASED1, équipe constituée d’en-
seignants spécialisés et d’un(e) psychologue scolaire ; l’avis du médecin scolaire
est également souvent requis. Selon les cas, s’il s’avère indiqué d’orienter l’élève
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en difficulté vers un parcours de soins, l’enfant rencontrera soit des professionnels
libéraux (orthophonistes, psychomotriciens, psychologues, psychiatres), soit des pro-
fessionnels appartenant à une équipe CMPP2 ou CMP3. La composition de ces
équipes est sensiblement la même, toutefois les CMP, du fait de leur rattachement
hospitalier et de la souplesse d’un système de financement adapté et spécifique, ont
vocation à recevoir les cas les plus difficiles. Les CMP et les CMPP peuvent proposer
des prises en charge individuelles (psychothérapie, orthophonie, psychomotricité)
mais également des prises en charge en groupe (psychodrame, relaxation, langage,
écriture). Ils peuvent également assurer un travail de consultations familiales.
Les CMP sont également disponibles pour un travail de liaison et d’échanges
entre les différents intervenants tant du côté du soin que du côté de l’enseigne-
ment. Les CMP assurent ainsi une cohérence du suivi tout au long d’un parcours
qui, dans les cas difficiles, peut être marqué par la discontinuité des structures
d’accueil et des orientations.
Leur travail s’inscrit dans la durée et permet qu’au fil des années se construisent
des liens qui facilitent les contacts entre les différents acteurs entourant un enfant
en difficulté.
Les CMP sont rattachés à un intersecteur de pédopsychiatrie qui dispose de
structures de soins variées : centre d’accueil à temps partiel, hôpital de jour, voire
hospitalisation à temps complet. Ces différents dispositifs de soins intègrent dans
leur travail les échanges entre parents et enseignants.
Il s’agit, sans trahir les secrets familiaux, de soutenir le travail des enseignants
qui peuvent être déroutés par les enfants en difficulté, ainsi que d’entendre

1. RASED : réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté.


2. CMPP : centre médico-psycho-pédagogique.
3. CMP : centre médico-psychologique.
Articulations du système de soins au médico-social et à l’Éducation nationale 53

que le même enfant peut se montrer différent en famille, sur le lieu de soin ou
à l’école. Cette écoute permet que les orientations soient les plus pertinentes
possible et recueillent une plus grande adhésion des intervenants, ce qui est
une condition de leur réussite.
Ces concertations peuvent être plus ou moins formelles. Elles ont lieu le plus
souvent au sein d’un dispositif mis en place par le système scolaire, « l’équipe
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éducative », nommée aussi « équipe de suivi pédagogique » qui se réunit à
l’initiative du chef d’établissement. Elle comprend les parents, le chef d’établis-
sement, les professeurs concernés, les membres du RASED, le médecin scolaire,
l’infirmière scolaire, l’assistante sociale scolaire, et les soignants engagés dans la
prise en charge de l’enfant.
L’équipe éducative est un lieu de dialogue, un groupe de travail qui réfléchit
à la scolarité de l’enfant.
Selon les difficultés de l’enfant, plusieurs solutions sont envisagées :
– maintien en classe ordinaire ;
– inclusion en classes spécialisées ;
– recours à des services médico-éducatifs ;
– recours à des services de soins à temps complet ou partiel.

La scolarisation en classe ordinaire


L’élève peut bénéficier du réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté
(RASED), d’un projet d’accompagnement individualisé (PAI), et de soins à l’exté-
rieur de l’école. Le PAI est mis en place à la demande des parents, conseillés par
le directeur. La famille sollicite le chef d’établissement qui élaborera la mise en
place et assurera un suivi du PAI avec le médecin scolaire. Le PAI peut permettre
l’aménagement de la scolarité pour des prises en charge thérapeutiques durant
le temps scolaire. Ce dispositif est toutefois affaibli par la diminution du nombre
de RASED, ce qui a eu pour conséquence d’orienter plus souvent les élèves en
difficulté vers les CLIS4 et le ULIS5 .

4. CLIS : classe pour l’inclusion scolaire ; ULIS : unité localisée pour l’inclusion scolaire.
5. Rapport de commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois sur l’application
de la loi n°2005-102 du 11 février 2005, pour l’égalité des droits et des chances, la participation et
54 Clinique et approche multidimensionnelle

Les élèves en difficulté au collège peuvent être également accueillis dans


des dispositifs plus spécifiques qui font partie du secteur de l’enseignement
adapté : soit dans les sections d’enseignement général et professionnel adapté
(SEGPA) ou dans des établissements régionaux d’enseignement adapté (EREA).
Les SEGPA font partie d’un collège. Elles accueillent des enfants en échec scolaire,
qui n’ont pas un statut de handicapé. Sur le plan pédagogique, elles proposent
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un enseignement général en 6e et 5e avant de proposer un enseignement profes-
sionnel en 4e et 3e. En sortant du collège, les élèves sont principalement orientés
vers des centres de formation des apprentis (CFA) ou des lycées professionnels.
Les EREA sont similaires aux SEGPA, et peuvent proposer des internats.
L’équipe pédagogique peut encore proposer la mise en place d’un pro-
gramme personnalisé de réussite éducative6 (PPRE), qui ne nécessite pas la recon-
naissance d’un handicap par la maison départementale des personnes handica-
pées (MDPH). Il permet un soutien pédagogique spécifique sur une courte durée
et est automatique en cas de redoublement.
L’élève peut aussi être maintenu en classe ordinaire avec l’appui d’un certain
nombre d’aides, pour lesquelles l’accord de la MDPH s’impose :
– aides humaines (auxiliaire de vie scolaire – AVS, ou intervention d’une équipe
de soins et de suivi à domicile – SESSAD) ;
– aides techniques : matériel pédagogique adapté, ordinateur…
– aides financières : prestation de compensation du handicap (PCH).
Ces aides sont obtenues après un recours à la MDPH et s’intègrent dans le
cadre d’un projet personnalisé de scolarité (PPS).

La scolarisation en classes spécialisées


Sur décision de la MDPH, une orientation vers l’enseignement spécialisé de
l’Éducation nationale est proposée : classe d’inclusion scolaire (CLIS) pour le pri-
maire ou unité locale d’inclusion scolaire (ULIS) pour le secondaire. Ces classes sont
la citoyenneté des personnes handicapées, établi par Mmes Claire-Lise Campion et Isabelle Debré et
enregistré à la présidence du Sénat le 4 juillet 2012.
6. Articles 16 et 17 de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école.
Articulations du système de soins au médico-social et à l’Éducation nationale 55

intégrées dans un établissement scolaire ordinaire. Elles bénéficient d’effectifs réduits


et elles sont spécialisées en fonction des difficultés d’apprentissage. Les enseignants
nommés dans ces classes ont reçu une formation spécifique. Les élèves peuvent être
accueillis à temps partiel en classe ordinaire et participent à la vie scolaire.
La loi de 2005 (voir p. 57) place les parents en première ligne. Ce sont eux qui
saisissent la MDPH. L’enseignant référent ou le directeur d’établissement scolaire
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conseillent les parents et vérifient qu’ils sont correctement informés. L’enseignant
référent de secteur a pour mission d’aider les parents dans la constitution du dos-
sier MDPH et de veiller à la bonne articulation des différentes instances. L’article 64
de la loi énonce qu’« un interlocuteur unique prend en charge les démarches
complexes imposées aujourd’hui à la personne ou sa famille ». En cas de désaccord
entre les parents, l’équipe éducative et la MDPH, un médiateur est désigné pour
privilégier le consensus et maintenir les parents au centre du dispositif.
Le projet personnalisé de scolarisation accompagne tout élève en situation de
handicap au long de son parcours. Il permet de coordonner la scolarisation avec
les différents accompagnements qui peuvent être nécessaires à l’élève (pédago-
gique, éducatif, social, médical, et paramédical). Le PPS est élaboré à la demande
des parents, mais il est construit par une équipe technique d’évaluation pluridis-
ciplinaire de la MDPH.

L’orientation vers un établissement médico-éducatif


L’accueil de l’enfant nécessite parfois que les temps de soins, les temps d’ap-
prentissages, les temps éducatifs soient regroupés sur un même lieu. Cet accueil
peut être réalisé dans des établissements médico-sociaux. Toutes ces structures
disposent d’un personnel soignant (orthophoniste, psychomotricien, psycho-
logue, psychiatre), d’éducateurs et d’un personnel enseignant.
La MDPH intervient lors de l’orientation de l’enfant en dehors de son école
de secteur (où il reste cependant inscrit) vers un établissement du champ médico-
social : pour les plus jeunes en institut médico-éducatif (IME) ou en institut médico-
pédagogique (IMP), après 14 ans, en institut médico-professionnel (IMPRO) et, en
cas de troubles du comportement, quelque soit l’âge, en institut thérapeutique
éducatif et pédagogique (ITEP).
56 Clinique et approche multidimensionnelle

L’orientation vers une institution soignante


Dans ces structures, la priorité est donnée aux soins ; l’admission a lieu sur indi-
cation médicale, et ne dépend pas de la MDPH. Ces lieux de soins sont réservés
aux enfants particulièrement désorganisés, présentant des troubles souvent asso-
ciés du langage, de la pensée, de la communication, de l’affectivité.
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L’enseignement y est assuré par des enseignants spécialisés détachés de l’Édu-
cation nationale. La classe fait partie d’une unité d’enseignement pédagogique.
Des intégrations scolaires à temps partiel sur l’école de secteur peuvent également
être maintenues.
Ces structures, qui sont les mieux dotées en personnel soignant, offre un cadre
contenant et rassurant. Elles permettent, sur des temps d’accueil longs, une meil-
leure prise en charge des troubles et la poursuite des apprentissages. Les échanges
soignants-enseignants y sont facilités et les enseignants particulièrement soutenus
pour maintenir leur mission.
Les liens avec l’école de référence sont nécessaires lorsqu’une intégration à
temps partiel est indiquée. Cette intégration permet à l’enfant d’être reconnu
dans un statut social d’écolier, de garder des éléments de référence quant aux exi-
gences du monde scolaire. Les alternances temps de soin, temps d’apprentissage
permettent une meilleure qualité de présence lors des temps d’apprentissage.
Enfin, il existe des structures soins études qui s’adressent aux adolescents et
leur permettent de poursuivre, malgré leur fragilité psychique, des études secon-
daires ou supérieures.

La place des centres référents


Les centres référents pour les troubles d’apprentissage interviennent en principe
en seconde intention, à titre de « consultation de recours », par exemple lorsqu’une
équipe soignante déjà engagée auprès d’un enfant souhaite un avis complémen-
taire, ou bien lorsqu’il existe des différends entre les intervenants en place – équipe
soignante, équipe éducative, MDPH, famille. Dans leurs missions d’orientation et
de soins, les centres référents tiennent une place de tiers, visant tantôt à soutenir
Articulations du système de soins au médico-social et à l’Éducation nationale 57

le travail des équipes locales, tantôt à concourir à sa mise en place. Cela néces-
site un patient travail de recueil d’informations auprès des soignants, des équipes
éducatives et des enseignants ainsi qu’un travail d’articulation et de transmission
auprès de ces intervenants, qui doit être mené dans le respect du secret médical.
L’intervention du centre référent permet alors un regard différent. À la faveur d’une
nouvelle évaluation, émerge une autre lecture des symptômes, d’autres propositions
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de soins. Il est important que les échanges entre équipes soignantes (celles de « pre-
mière ligne » et les consultations dites « de recours ») permettent aux différentes
lectures de trouver une cohérence et de s’enrichir mutuellement. Le point de vue
des équipes qui accompagnent l’enfant au plus près et dans la durée est essentiel. La
confrontation entre un point de vue longitudinal et un avis ponctuel est nécessaire
dès lors qu’il faut soutenir une prise en charge complexe et au long cours.
Par la suite, le centre référent peut être à nouveau sollicité pour le même
enfant par l’équipe qui assure le suivi, à titre d’avis sur l’évolution, et/ou d’aide à
l’orientation scolaire ou thérapeutique.
Les centres référents interviennent également lorsque s’imposent des inves-
tigations ou des suivis plus particuliers dans des domaines où leur expérience a
permis le développement de compétences particulièrement spécialisées – lan-
gage oral, langage écrit, calcul, concentration.

La loi de 2005
La loi du 11 février 2005, « loi pour l’égalité des droits et des chances, la par-
ticipation et la citoyenneté des personnes handicapées »7, vise à assurer à tous,
adultes ou enfants, quel que soit le handicap, les mêmes droits.
L’enfant en difficulté d’apprentissage qui doit bénéficier d’aides humaines ou
techniques, être orienté en classe d’inclusion ou vers des établissements médi-
caux sociaux, entre dans le cadre de la loi de 2005. Celle-ci fait actuellement
figure de cadre principal articulant systèmes de soins, services médicaux sociaux
et Éducation nationale.

7. Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et
la citoyenneté des personnes handicapées.
58 Clinique et approche multidimensionnelle

L’intégration scolaire des enfants en difficulté a suivi un long chemin depuis la


création des classes de perfectionnement (loi de 1909) au début du xxe siècle.
Il aboutit aujourd’hui à la loi du 11 février 2005. Cette loi a introduit plusieurs
innovations : une définition du handicap, le droit pour chaque enfant quel que
soit son handicap à être inscrit dans l’école proche de son domicile, une nouvelle
place attribuée aux parents, la création des MDPH.
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La définition du handicap proposée par la loi de 2005 recouvre un vaste
champ (article 2) : « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limi-
tation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son
environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable
ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cogni-
tives ou psychiques, d’un polyhandicap ou trouble de santé invalidant. »
Dans ce nouveau champ, sont à présent inscrits les troubles d’apprentissage, ce
qui impose le passage par le statut d’handicapé pour obtenir une orientation ou
l’appui de certaines structures. Cette reconnaissance, se fait sous l’égide de la MDPH
du département de l’élève. Les MDPH sont des groupements d’intérêt public (GIP)
qui se trouvent sous la tutelle administrative et financière du Conseil général. Cette
politique départementale peut entraîner certaines disparités dans les prises en charge.
La création des MDPH vise à une simplification des formalités administratives
en proposant un « guichet unique » qui regroupe tous les acteurs œuvrant dans
l’insertion et dans l’aide aux personnes en situation de handicap. Elles ont une
mission d’accueil, d’information, d’accompagnement et de conseil aux personnes
handicapées et à leurs familles.
La MDPH est saisie par les parents. Une équipe technique pluridisciplinaire
évalue les pathologies et leur retentissement. Elle s’appuie sur différents avis
– parents, équipe éducative, thérapeutes. Selon les conclusions de cette équipe,
la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH)
statue. Les CDAPH se prononcent sur l’orientation en classes d’inclusion ou vers
les établissements médico-sociaux et sur l’attribution de dispositifs d’aide : allo-
cation pour enfant handicapé, carte d’invalidité et de priorité, aides techniques
et matérielles, ordinateur, logiciels particuliers, aides humaines (AVS), aides théra-
peutiques d’un SESSAD.
Articulations du système de soins au médico-social et à l’Éducation nationale 59

Pistes de réflexion
Importance du travail transversal
– La concertation entre les différents intervenants
La concertation entre parents, équipes soignantes et équipes éducatives
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relève, pour la plupart des thérapeutes confrontés à des pathologies nécessitant
un suivi au long cours et des adaptations scolaires, du champ thérapeutique lui-
même. Il s’agit d’une activité fondamentale bien que chronophage. La loi de
2005, en instituant le projet personnalisé de scolarité, a reconnu la nécessité de
ces concertations qui font partie des traditions de travail des équipes éducatives,
des équipes soignantes et des services sociaux.

Perspectives et questions suscitées


par la loi de 2005
Cette loi, qui régit une grande partie des articulations enseignants, parents,
soignants, vient à peine de dépasser l’âge de raison, elle suscite dans son appli-
cation quelques réflexions.
La loi de 2005 est une loi aux intentions généreuses. Elle s’est inscrite dans le
dispositif de soins et d’insertion qui lui préexistait et vise à une meilleure cohé-
rence de celui-ci. Elle s’inscrit également dans un contexte de crise économique ;
certaines structures se sont trouvées fragilisées financièrement, ce qui rend parfois
difficile les prises en charge. Les RASED ont subi une diminution non négligeable
de leurs effectifs. Les CMP ont souvent des listes d’attente, et peuvent se trouver
démunis en personnel. Cependant, ils ont une place charnière dans le dispositif
de soins. Ils assurent une mission de prévention et de soins irremplaçable. Leur
répartition sur le territoire permet des soins accessibles ; leur mode de finance-
ment garantit une totale gratuité des soins ; leur insertion dans le tissu social et les
autres dispositifs de soins facilite les concertations nécessaires.
L’application de la loi de 2005 suscite quelques interrogations. Certains
parents et enfants reculent devant le statut d’handicapé qui permet l’ac-
cès aux aides et/ou aux orientations spécialisées. Toutefois, on assiste plutôt
60 Clinique et approche multidimensionnelle

actuellement à une inflation continue des demandes d’aides auprès de la MDPH.


Les équipes surchargées des MDPH doivent être saisies longtemps à l’avance.
Les équipes d’évaluation peuvent parfois tendre à déléguer, en matière de
troubles d’apprentissage, leur expertise aux centres référents qui se trouvent
eux-même engorgés et quelque peu détournés dans leurs missions. Enfin, il faut
constater que certaines décisions d’orientation scolaire ou d’aménagement du
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temps scolaire, autrefois dévolues à l’école, et se tenant au plus près de l’enfant,
sont à présent du ressort de la MDPH, ce qui implique un parcours plus long,
plus compliqué et une anticipation parfois dès le début de l’année scolaire de
l’orientation de l’enfant :
– Comment rendre le parcours de l’élève plus facile ?
– L’inclusion scolaire est-elle toujours pertinente ?
– Y a-t-il un risque de parcours d’échec dans ce choix ?
Les enseignants spécialisés doivent être stables dans leur fonction, ce qui
ne peut pas toujours être assuré. La difficile question de la formation des AVS
n’est pas encore résolue. Nous ne disposons pas encore d’études longitudi-
nales sur le devenir des enfants reconnus handicapés en raison de leur troubles
d’apprentissage, ni d’études comparatives avec d’autres groupes d’enfants
qui ont suivi, à troubles équivalents, d’autres filières. Combien d’enfants pré-
sentant des troubles des apprentissages, reconnus handicapés le restent-ils à
l’âge adulte ?

Comment l’enfant vit-il son statut


d’élève handicapé ?
Certains enfants semblent soulagés et trouvent dans leur statut, dans la
reconnaissance de leur trouble, un apaisement de la blessure narcissique liée
à l’échec scolaire. D’autres enfants semblent surtout bénéficier des mesures
d’accompagnement qui leur sont proposées et qui leur permettent de rompre
avec un vécu d’échec. D’autres enfants enfin résistent à l’adoption de ce statut,
particulièrement quand il s’impose lors d’une orientation scolaire difficile à
accepter.
Articulations du système de soins au médico-social et à l’Éducation nationale 61

POINT DE VUE – Écriture et handicap

ğ À la suite de ces dispositions législatives, toutes les difficultés que ren-


contrent les enfants et les adolescents pour « lire, écrire, compter » tendent
donc à être situées dans le registre du handicap après qu’un diagnostic les a
désignées en tant que « trouble spécifique des apprentissages », un trouble
en « dys », dyslexie, dyscalculie, dyspraxie... Cela peut permettre, à l’issue
d’une procédure auprès d’une MDPH, la mise en place de divers aménage-
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ments scolaires.
Ces mesures, si elles répondent à l’intention louable de soulager des enfants
parfois très gênés dans leur scolarité, ne sont pas sans susciter bon nombre
de réserves quant aux conséquences qu’elles induisent.
ğ À cet égard, on peut évoquer le mode de prise en charge actuel des enfants
qui rencontrent des troubles dans l’inscription de l’écriture, ceux dont l’écri-
ture est trop lente et/ou brouillonne et pas suffisamment lisible. Selon cette
approche, ces difficultés sont suspectées d’être le signe d’une dyspraxie,
c’est-à-dire d’un trouble de la coordination motrice qui empêcherait l’auto-
matisation du geste d’écrire ; le « coût cognitif » de l’écriture deviendrait
trop élevé, d’où une fatigue, une lenteur et une écriture jamais correctement
tracée.
L’usage d’un ordinateur, le recours à un(e) auxiliair(e) de vie scolaire qui peut
le cas échéant écrire à la place de l’enfant, ou la mise en place d’un tiers
temps pour les travaux écrits deviendraient alors incontournables.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne s’agit jamais de mesures
anodines. Par exemple, bien que l’ordinateur soit devenu banal dans la vie
quotidienne des enfants, cette utilisation dans le cadre scolaire n’est pas
sans poser problème.
La réaction de certains enfants en témoigne d’ailleurs. L’expérience montre
qu’ils sont nombreux à refuser de tels aménagements ; soit qu’ils les
ressentent comme une privation, voire un risque de perte de leur écriture
manuscrite, soit qu’ils se sentent marginalisés par ce statut différent de celui
des autres élèves de leur classe.
ğ D’autre part, même si la loi donne une représentation extensive à la notion
de handicap, ce terme continue de véhiculer une connotation péjorative. Le
qualificatif « handicapé » reste synonyme de défaillance et d’atteinte irré-
médiable ; être reconnu en tant qu’handicapé peut être vécu, aussi bien du
côté de l’enfant que du côté des parents, comme une véritable blessure
narcissique.
Le diagnostic qui officialise la difficulté avec l’écriture, qui l’authentifie, peut
parfois même prendre la valeur d’une marque identitaire en venant inscrire
l’enfant dans un statut déficitaire dont il lui est toujours délicat de se dégager
par la suite.
62 Clinique et approche multidimensionnelle

ğ De plus, considérer les embarras avec l’inscription de l’écriture comme seule-


ment liés à un problème d’organisation visuomotrice, c’est en évacuer toute
la complexité clinique, c’est situer l’écriture dans un registre purement fonc-
tionnel de doigts qui bougent et de formes à tracer, en oubliant que de par son
appartenance au registre symbolique, l’acte d’écrire engage aussi chacun en
tant que sujet dans des enjeux relationnels, identitaires et affectifs majeurs.
Comme nous le verrons par la suite, le fait de « mal écrire » doit être envisagé
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comme une composante du fonctionnement affectif d’un enfant. Il témoigne
toujours en effet d’une fragilité existentielle qui nécessite d’être prise en
compte à un moment ou un autre, en tant que telle, dans une approche
psychothérapeutique spécifique. Bien souvent, c’est plutôt l’adaptation à la
situation scolaire qui est privilégiée au détriment du soin ; le mal être de
l’enfant, sa souffrance, risquent alors d’être négligés lorsqu’ils ne sont pas
tout bonnement méconnus ou occultés.
Et si toutefois un soin est envisagé, il peut s’avérer compliqué par la mise
en place de ces mesures palliatives ; en effet, l’enfant se trouve alors mis
dans la position paradoxale de devoir investir un processus thérapeutique
parfois long, toujours complexe, alors que certains aménagements scolaires
le maintiennent dans une situation de dépendance et de passivité qui vient
entraver ou nier par avance l’évolution qu’une approche thérapeutique pour-
rait lui permettre.

Adaptation des équipes soignantes


L’application de la loi de 2005 a nécessité une adaptation des équipes soignantes
et enseignantes, qui doivent tenir compte d’un calendrier exigeant, d’interlocuteurs
moins familiers que ceux auxquels ils étaient habitués, du refus de certains parents
qui s’opposent à la saisie de la MDPH. Les soignants ont dû également s’adapter
à des changements de nomination, à l’éclosion d’un nouveau système de prise en
compte des difficultés se référant plus aux notions de désavantage social et de
handicap, qu’aux traditionnelles notions de soins et de « guérison ».
La place que tient « la réussite scolaire » dans le devenir social de l’enfant est très
importante, les équipes soignantes se sentent donc tenues de disposer de temps
de concertations et d’échanges suffisants pour permettre aux enfants plus ou moins
empêchés d’apprendre, de s’inscrire dans un parcours d’apprentissage. Ces équipes
doivent à présent tenir compte du statut d’enfant handicapé souvent assigné à leurs
jeunes patients, et travailler pour que le handicap ne devienne pas un destin.
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L’enfant, l’élève, le patient
Chiffres toujours coupés
par la pièce de puzzle :
Univers 55 roman
corps 44

– Quand la cure institutionnelle


se déplace à l’école 5
Un exemple de travail d’articulation entre équipe
soignante, équipe scolaire et parents

M. Goffinet

Présentation du lieu de soins


Fondée en 1949 par Pierre Mâle, La Petite École, devenue avec Pierre Bourdier,
le GST, acronyme de groupe scolaire thérapeutique, est un lieu de psychothéra-
pie institutionnelle pour une vingtaine d’enfants âgés de 6 à 12 ans. Il accueille
des enfants dont les troubles psychiques empêchent une scolarisation classique,
mais qui ne relèvent pas pour autant d’un hôpital de jour à temps plein. Chaque
enfant a un emploi du temps qui lui est propre, d’aucuns sont accueillis 6 à 7
demi-journées par semaine, d’autres ne viennent qu’une demi-journée. Le reste
du temps, ils sont à l’école, soit en classe ordinaire, avec ou sans AVS, soit en CLIS.
En moyenne ils resteront 3 ans et demi au GST. Le groupe de patients est à dessein
64 Clinique et approche multidimensionnelle

hétérogène : dépression grave de l’enfant, psychose plus ou moins sévère, tableau


de carence psychoaffective, inhibition névrotique.
L’équipe soignante est pluridisciplinaire : infirmiers, enseignante spécialisée,
psychiatres, psychanalyste, assistant-social, psychomotriciens, orthophoniste, art-
thérapeute, agent de service, cadre de santé, stagiaires ; seuls les trois infirmiers,
l’enseignante et l’agent de service travaillent à temps plein.
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La tranche d’âge des enfants reçus correspond aux 6-12 ans (période de
l’école primaire). Depuis toujours, pour chaque enfant accueilli au GST, inscrit ou
non à la MDPH, l’équipe soignante se déplace à l’école pour des réunions parents,
pédagogues, soignants. Depuis la loi de 2005, ces réunions sont identifiées comme
« réunions de suivi pédagogique ».

Le travail d’articulation soin-école


– Réflexions sur le vécu et l’intérêt des
réunions parents-pédagogues-soignants
Un groupe de travail qui a réuni pendant six mois les soignants du GST et
les professionnels des écoles environnantes (directeur, enseignants, psychologues
scolaires) a permis d’éclairer les expériences de chacun.

Du côté de l’école
L’annonce d’une réunion avec l’équipe de pédopsychiatrie n’est pas forcé-
ment bienvenue. L’enseignant est souvent contraint à faire la réunion sur son temps
personnel, ou bien à quitter sa classe pour participer à ces réunions, obligeant
alors ses collègues à prendre en charge ses élèves.
Surtout, l’arrivée de l’équipe soignante sur le lieu scolaire peut faire l’effet
d’une menace : savoir médical tout puissant qui vient évaluer et juger les com-
pétences de l’enseignant. « Pourquoi cet enseignant n’est-il pas capable d’ap-
prendre à cet enfant ? », « Sa pédagogie est-elle la bonne ? »
Le vécu d’échec est souvent massif pour l’enseignant. Il va devoir devant les parents
et d’autres professionnels raconter les impasses dans lesquelles il se trouve. Ce n’est pas
L’enfant – l’élève – le patient 65

seulement son autorité qui peut être remise en question par un patient turbulent, mais
aussi sa capacité de pédagogue face à un enfant qui ne comprend pas une consigne
malgré plusieurs explications, qui bute sur la combinatoire alors qu’il comprend la
numération, qui savait hier et qui ne sait plus aujourd’hui, qui veut participer mais qui
est toujours à côté, etc. Bref, un enfant qui laisse perplexe et démuni. Ce sentiment
s’accroît encore paradoxalement face à un élève calme et tranquille en apparence.
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Heureusement, ce sentiment d’être jugé dans son travail n’est pas toujours
retrouvé et au contraire, lorsqu’une réunion « prend », c’est l’impression d’être
moins seul(e) et de pouvoir enfin quitter une impasse qui apparaît. Les ensei-
gnants peuvent alors parler de ces temps de travail comme d’une enveloppe,
d’un appui, d’une respiration, d’un lieu de tissage, etc. et constater qu’à l’issue
de ces réunions, le travail d’enseignant redevient possible. Les objectifs de l’école
sont définis avec l’accord de tous pour cet enfant et non plus uniquement en
fonction des programmes de l’Éducation nationale. Des apprentissages restent
possibles malgré les absences de l’élève pour ses soins.
A contrario, le groupe de travail à mis en exergue un écueil possible de ces
réunions côté école : opérer un désinvestissement de l’enseignant. En effet, pour
rassurer ou déculpabiliser l’enseignant devant l’énigme que représente cet enfant,
il est aisé de lui décrire ce que l’on imagine du fonctionnement mental de l’enfant :
les entraves psychiques qui désorganisent sa pensée, les mécanismes de défenses
archaïques auquel il est confronté. Or, si l’enfant semble « trop » malade, trop
étrange à l’enseignant, cela peut au contraire le décourager et notamment ne plus
lui permettre de voir dans l’enfant sa partie élève et lui faire crédit de pouvoir
apprendre. Comment oser apprendre à un enfant la combinatoire alors qu’il est
décrit comme morcelé et envahi par un monde imaginaire ? Et pourtant, nous
avons tous vu des enfants entrer dans la lecture alors que rien ne tient dans leur
monde interne. Et pour certains, c’est même les apprentissages scolaires qui les
aident à faire tenir les choses ensemble et à donner du sens à leur environnement.

Du côté des soignants


En allant aux réunions, l’équipe soignante redoute parfois d’être le réceptacle
des doléances de l’école : « là ce n’est pas de mon ressort, il est trop malade ».
66 Clinique et approche multidimensionnelle

L’équipe craint d’être confrontée à une énumération de comportements déviants,


perturbateurs, dangereux, inadaptés sur lesquels elle devrait agir : attente anxieuse
d’une solution médicale miracle et pourquoi pas d’un traitement sédatif efficace...
Ou encore, les enfants étant accueillis au GST sur le temps scolaire, peut
émerger une rivalité entre deux intérêts qui s’opposeraient, le thérapeutique et
le pédagogique, l’un empêchant l’autre. L’école se plaint alors de l’absence de
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l’élève sur les temps de classe et de ne pouvoir accompagner correctement ce
dernier dans ses apprentissages. « Déjà qu’il a des problèmes, si en plus il saute
la moitié des explications... »
Toutefois, c’est souvent au cours de ces réunions que l’alliance thérapeutique
avec la famille va pouvoir se faire et ce, grâce à la place de l’école. Pour beaucoup,
l’école représente la norme sociale, et en cela, la parole de l’enseignant et du
directeur est décisive. Les parents n’acceptent les soins qu’avec l’« autorisation »
ou la réassurance de l’école. En effet, la proposition médicale semble paradoxale :
« Votre enfant a des difficultés scolaires ? Diminuons son temps de classe et ça
va s’arranger ! ». C’est seulement lorsque les pédagogues décrivent aux parents,
par exemple, comment les apprentissages ne font pas sens pour l’enfant, l’indis-
ponibilité psychique à laquelle ils sont confrontés, la fatigabilité qu’ils perçoivent
parfois après seulement quelques minutes de travail, la souffrance de l’enfant dans
le groupe, et qu’ils expliquent comment la diminution du temps de classe ne va
pas entraver leur enfant mais au contraire lui permettre de profiter pleinement
de ses temps de classe, que les parents pourront alors vivre les temps de soins
de façon plus sereine.
De plus, il est souvent très surprenant, et en cela intéressant, d’entendre l’école
parler des patients. Est-ce du même enfant dont nous parlons ? Cet enfant si
triste et docile au GST, qui vole l’argent de la maîtresse, cet enfant si vide avec
nous qui se réjouit de réciter sa poésie, cet enfant tellement perdu qui réussit les
problèmes, cet enfant si tranquille au GST qui fugue de l’école, urine dans les
poubelles à la récréation, pousse la maîtresse à l’eau lors du cours de natation,
cet enfant dont nous connaissons l’efficience intellectuelle entravée au moment
du bilan psychologique, que l’enseignant nous décrit comme astucieux... Nous
avons souvent le regard et le vécu des parents pour nous parler de l’enfant, mais
il est également précieux et stimulant de confronter notre vision à celle de l’école.
L’enfant – l’élève – le patient 67

Du côté du patient
Nos jeunes patients sont toujours informés des réunions scolaires. Ils savent qui
de l’équipe se déplace dans leur école. Ils savent également que leurs parents y
seront présents ainsi que leurs deux enseignants (celui de l’école et celui du GST).
Le dispositif institutionnel permet un accompagnement au plus près de l’enfant
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pendant ces temps de réunion scolaire ; en effet, alors que le médecin et l’assistant
social sont à l’école, l’enfant est au GST avec les autres patients et les infirmiers.
Régulièrement, les infirmiers rapportent des réactions importantes des patients
pendant le temps de la réunion : « Boris qui se désorganise complètement, s’agite,
semble à nouveau éclaté... Arnaud, qui se met à rouspéter contre tout, ne suppor-
tant pas de ne pas être lui-même présent à cette réunion nous montrant alors à
quel point il est angoissé dès que quelque chose lui échappe. Elena qui semble
subitement prise de remords et qui vient expliquer les bobards racontés à sa maî-
tresse, montrant combien elle est soulagée que la parole circule... ». Nous ferons
des hypothèses sur ces mouvements.

Du côté des parents


Ils peuvent sembler parfois mal à l’aise face à cet alignement de professionnels,
qui peut prendre un air de tribunal et sont alors relativement silencieux. Coincés
entre discours médical et discours pédagogique, ils cherchent leur place et ne
se sentent pas toujours légitimes pour poser des questions quand, emportés,
l’équipe « jargonne » AVS, PPS, PAI, PPRE, CLIS, MDPH, EREA...
À l’inverse, ils sont parfois soulagés de ne plus être dans le face à face d’un
entretien avec le médecin ou le directeur. Mais c’est aussi parfois dans cette situa-
tion où il n’y a pas un discours scolaire ou médical unique, qu’ils peuvent se
positionner avec leurs souhaits de parents pour leur enfant. Par exemple, cette
mère, le plus souvent silencieuse en entretien médical, qui a pu, lors d’une réunion
scolaire, exprimer son refus de voir son enfant séparé du reste de sa classe pour
recevoir des soins dispensés au sein de l’école par un SESSAD, ou ces parents qui,
en s’appuyant sur le discours de l’enseignant, ont refusé la suggestion de CLIS faite
par les soignants, ce qui, quatre ans plus tard, s’est avéré pertinent…
68 Clinique et approche multidimensionnelle

Travail en amont et spontanéité


Deux points paraissent à tous importants.
Le travail en amont de ces réunions. Au GST, nous en parlons en équipe et aux
familles, à l’école, la psychologue scolaire en parle avec l’enseignante, et surtout
l’enseignante GST et l’enseignant(e) de l’école se rencontrent préalablement pour
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se coordonner.
Cependant, malgré ce travail en amont (ou peut-être grâce à ce travail préa-
lable), il semble indispensable, bien que parfois difficile, de venir à ces réunions le
plus « ouvert » et disponible psychiquement. Si l’on se présente avec un objectif
préalablement défini – faire accepter plus de temps de classe à l’école, donner
une solution à l’enseignante sur comment faire, faire prescrire un traitement phar-
macologique par le médecin, etc. –, alors la réunion se transforme en joute. Il
faut supporter de se laisser surprendre... Le fait que ces réunions fassent partie
du cadre thérapeutique, qu’elles ne soient pas une demande exceptionnelle en
situation d’urgence, qu’elles aient lieu même si « tout va bien », permet d’éviter
l’écueil du trop décisionnel.

Hypothèses psychodynamiques
Les troubles de l’apprentissage – Des symptômes
Roger Misès [1] écrivait souvent qu’il faut au maximum éviter la déscolarisa-
tion et favoriser les soins ambulatoires. Quelles sont les situations cliniques qui
nous font proposer la psychothérapie institutionnelle et sa lourde conséquence,
le retrait plus ou moins partiel de l’école ? Lorsqu’il y a trop de discontinuité
psychique pour un suivi ambulatoire, lorsque les liens sont trop menaçants et qu’il
faut diffracter le transfert, lorsque les angoisses sont si morcelantes que l’enfant
ne peut lier les expériences vécues avec ses ressentis et qu’il faut tout rassembler
dans un même espace, lorsque l’enfant n’est pas suffisamment sujet et notamment
en deçà de toute préoccupation scolaire (« il n’est pas en place d’élève » disent
très bien les enseignants), lorsque le groupe (notamment l’école) fait menace alors
qu’individuellement tout va bien, lorsque la famille est trop fragilisée pour assurer
L’enfant – l’élève – le patient 69

un suivi ambulatoire, etc. Bref, toutes ces situations où il manque du lien, de la


circulation de pensée et où la violence et les forces de déliaison règnent. Il s’agit
de situations cliniques où l’on a besoin d’être plusieurs, pour pouvoir maintenir
une pensée vivante.
Les troubles des apprentissages sont considérés par l’équipe du GST comme des
symptômes. Ils sont donc pris dans les mouvements psychoaffectifs de l’enfant et à
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ce titre le reflet de multiples conflits, empêchements ou écueils du développement.
Apprendre, c’est accepter d’être manquant, c’est renoncer à sa toute
puissance, pouvoir dire « je ne sais pas », supporter l’échec, pouvoir perdre
quelque chose sans danger, déplacer une information d’un contexte et la réu-
tiliser ailleurs, supporter l’aléatoire, etc. Or, pour tout cela, il faut se sentir suffi-
samment entier, sujet et confiant du monde extérieur. Comment apprendre les
soustractions à un enfant qui se désorganise dès qu’il voit sa main disparaître
dans un gant ? Comment pouvoir réfléchir seul si maman répète toujours « je
sais tout ce que tu as dans la tête » ? Comment écouter la maîtresse si je dois
surveiller tous les élèves dont j’ai peur ? Comment garder une information en
soi alors que mon corps n’est pas fermé et plein de trous ? Apprendre, c’est
aussi se risquer à comprendre et donc pouvoir s’interroger sur ses origines,
son passé, pouvoir faire des liens entre différents éléments, donner du sens au
monde qui nous entoure, percevoir les choses dans leur globalité et non plus de
manière disjointes... mais « comment faire des liens alors qu’il est dangereux de
parler de maman à papa ou l’inverse ? » ou « comment comprendre si maman
tremble dès que je pose une question sur mon vrai père ? »... Il existe des
dizaines d’exemples cliniques où apparaissent d’éventuelles intrications entre
vies affectives et troubles des apprentissages.

Les réunions « hors les murs »


Si après ces réunions, l’équipe soignante constate des progrès chez ses patients,
notamment dans les apprentissages, c’est que quelque chose a été opérant pour
eux au niveau des différentes entraves décrites plus haut. Voici quelques hypo-
thèses sur ce qui se joue au niveau psychodynamique et qui a pu avoir un effet
thérapeutique.
70 Clinique et approche multidimensionnelle

Le premier effet, est un effet de contenance. Les mouvements de déception,


d’agacement et d’effroi qui émergent face aux comportements inadaptés des
enfants peuvent se parler, se partager, être mis en sens et ainsi ne pas donner lieu
à des contre-attitudes avec l’enfant.
Par ailleurs, lors de ces réunions école-soignants-parents, la relation n’est plus
duelle – soignant-malade, soignant-parent, enseignant-parent, enseignant-élève –
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mais plus une relation à trois. Il n’y a plus de face à face mais de la tiercéité. Et
parfois même, situation quatuor quand le consultant est présent voire quintet quand
l’enseignant référent MDPH est là. Il n’y a plus un savoir contre un autre mais plutôt
plusieurs discours, plusieurs points de vue qui racontent l’enfant. Cette symphonie
(cette cacophonie ?) à plusieurs voix permet de diminuer les tensions et les enjeux,
qui auparavant cristallisaient les échanges médecin-parents, école-parents.
Enfin, en voyant tantôt les soignants, tantôt les enseignants, s’interroger, réfléchir et
ne pas savoir, les parents constatent que les professionnels sont « castrés » et peuvent
alors parfois réactiver leur propres capacités d’élaboration et de questionnement.
Ces réunions permettent de redéfinir la place et le rôle de chacun.
Différenciation indispensable afin de pouvoir échanger et coexister. Trois places
sont ainsi définies – parents, soignants, enseignants – et trois positions subjectives
existent alors et coexistent – l’enfant, le patient et l’élève –, réunis dans un même
espace-temps. On pourrait même ajouter le citoyen quand la MDPH rappelle les
droits de l’enfant et la place que la société lui fait.
L’enfant existe alors dans l’esprit des soignants, parents ou enseignants non
plus seulement que comme l’un ou l’autre mais comme les trois à la fois. En
particulier, il est extrêmement précieux d’entendre l’enseignant parler de l’élève
quand le soignant ne voit plus que le malade. Le discours de l’enseignant per-
met de « dépsychiatriser » le malade dans l’esprit des soignants et parfois des
parents. De même, en humanisant par notre discours de « psy » les compor-
tements étranges voire effrayants d’un enfant en classe, nous permettons aux
enseignants de retrouver les parties élèves dont ils ont besoin pour faire crédit
à l’enfant qu’il peut apprendre.
Ainsi, ce nouvel éclairage « dépsychiatrise » quand les intervenants sont eux-
mêmes envahis par les projections multiples auxquelles les confrontent les patients.
L’enfant – l’élève – le patient 71

De plus, la comparaison des différents vécus d’enseignant, de parents et de


soignants permet de comprendre la place où chacun est mis transférentielle-
ment par l’enfant. Lors de ces réunions sont mis en scène certains mouvements
psychiques en jeu. Ainsi, par exemple, c’est en réalisant que plus d’une dizaine
de professionnels soignants-pédagogues étaient réunis autour de la table pour
s’occuper d’un enfant que sa passivité agressive est apparue à chacun.
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La différenciation entre chacun se fait aussi par le constat qu’au-delà de
la mise en commun des différents points de vue, tout ne se dit pas ; l’espace
psychique de chacun peut alors être délimité et être conservé. Les parents
vérifient que l’équipe soignante ne restitue pas à l’école les éléments de leur
vie intime, qu’ils ont déposés en entretien. Ils découvrent que la maîtresse ne
va pas systématiquement raconter tout de la vie de l’élève, constat que pourra
également faire l’enfant secondairement. Un parent s’entend dire « ce qui se
passe à la récréation, c’est du ressort de l’école » permettant alors de dégager
mère et enfant d’un lien aliénant.
Tous ces mouvements ont donc un effet déconfusionnant sur les différents
adultes qui entourent l’enfant et sur la place qu’on lui fait et à laquelle on l’attend.
Mais au-delà de l’effet sur les professionnels et les parents, ces réunions agissent
également dans l’ici et maintenant sur l’enfant.
L’annonce à l’enfant de la tenue d’une réunion à son sujet, a un effet thé-
rapeutique à part entière : reconnaissance de sa souffrance, découverte qu’il
existe dans nos pensées même en son absence et valorisation narcissique.
Pendant le temps de la réunion, l’enfant est accompagné par les infirmiers au
GST et manifeste souvent beaucoup d’angoisses ou de questions. Une grande
partie du travail est alors de l’aider à se représenter ce qui se passe. Les infir-
miers expliquent qui est présent à la réunion, ils nomment les participants, ils
décrivent le lieu de la réunion, et imaginent avec l’enfant ce qui peut se dire. En
expliquant les liens qui se font entre ces trois discours – enfant-malade-élève –,
l’enfant peut alors lui-même ramener au GST des angoisses ou des difficultés
rencontrées à l’école et dont il ne pouvait parler auparavant, car dans un autre
lieu et comme vécu par un autre que lui. L’effet est parfois spectaculaire sur le
comportement avec des bagarres qui disparaissent de l’école pour envahir le
GST et plus directement sur les apprentissages : la relation à l’enseignant est
72 Clinique et approche multidimensionnelle

modifiée, l’enfant se met à le solliciter activement pour questionner ce qu’il


n’arrive pas à faire en classe. Comme lors des réunions à l’école, l’enfant peut se
mettre en position d’interroger, de demander de l’aide. Pour certains, une posi-
tion d’élève émerge, ou pour ceux mieux structurés mais qui étaient empêchés,
la pensée circule à nouveau. Le clivage diminue, les séparations sont opérantes.
Pour renforcer ce temps, il est très important de restituer à l’enfant après la
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réunion ce qui le concerne, comme le conseille Françoise Dolto, et ce que chacun
attend de lui et comprend de lui.
Parfois, pour certains enfants ayant très peu de capacités de représentation
psychique, l’équipe soignante a décidé de faire, au contraire, la réunion sur un
temps où l’enfant est à l’école de manière à ce qu’il puisse venir en fin de réu-
nion, constater de lui-même la présence de chacun et entendre ce qui avait été
décidé ou dit de lui.

Conclusion
L’ensemble des participants à ce groupe de travail a confirmé l’importance de
regards différents et d’échanges croisés. En effet, la gravité des troubles de nos
patients amènent tous ceux qui les accompagnent à risquer des vécus particuliers
reflétant le fonctionnement psychique de ces enfants : vécu de toute puissance,
de découragement voire d’inanité, tentation de passage à l’acte, rejet et clivage.
L’intensité de ces ressentis est un risque permanent, qui peut paralyser la pensée
et entraver le travail. Il est donc fondamental de pouvoir parler et partager dans
un groupe qui fera tiers et évitera cet écueil.
Enfin et surtout, le travail d’élaboration et de mise en commun des différents
vécus aide à la constitution d’un sujet moins morcelé, qui puisse être à la fois
patient, élève et enfant.

Pour en savoir plus


1. Misès R. La cure en institution. ESF, 1980.
II. EN PRATIQUE
COORDINATEURS : C. BERNARDEAU, J. SCALABRINI ET M. SCHNAIDT
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Accueil de la demande
des familles et des enfants
en difficulté, indication
et réalisation des investigations
et suivis spécialisés

L’équipe de l’UPPEA, centre référent pour les troubles d’apprentissage,


est actuellement composée de médecins (pédopsychiatres), de psychologues,
d’orthophonistes et d’un secrétariat. Comme cela a été précisé dans le premier
chapitre de cet ouvrage, cette équipe s’est organisée depuis plus de soixante ans
comme consultation hospitalière de spécialité en direction des enfants et adoles-
cents en grande difficulté d’apprentissage.
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Organisation et outils de travail
Chiffres toujours coupés
par la pièce de puzzle :
Univers 55 roman
corps 44

d’une équipe pluridisciplinaire


1
M. Schnaidt, L. Monier, C. Bernardeau

Les demandes qui sont adressées à l’UPPEA pour un enfant ou un ado-


lescent sont accueillies dans un premier temps par un consultant, psychologue
ou pédopsychiatre. C’est la préconsultation. Elle s’organise en deux temps ;
parents et enfant sont reçus chacun à leur tour. En ce qui concerne l’enfant,
dans un entretien aussi large que possible, il s’agit de lui permettre de s’appro-
prier la demande qui est faite à son sujet. C’est-à-dire de faire apparaître ce
qui lui appartient en le dissociant de ce qui appartient à ses parents, afin que
la démarche qu’ils ont engagée, prenne sens pour lui. Il lui est ainsi offert une
possibilité d’exprimer éventuellement une souffrance et une demande d’aide.
Avec les parents, le premier entretien ne vise pas uniquement à recueillir des
données anamnestiques ou factuelles. Il s’agit d’engager avec eux un travail
d’élaboration pour qu’ils précisent le sens de leur demande au-delà du motif
qu’ils ont initialement avancé.
Ces entretiens permettent au consultant de cerner la problématique, d’adap-
ter et d’organiser le bilan qui sera proposé en fonction de la situation et de ses
hypothèses.
76 En pratique

En effet l’équipe ne répond pas toujours de la même manière à chacune des


demandes. Il a été choisi de ne pas avoir de protocole pré-établi mais de se laisser
guider d’abord par l’enfant et par la question posée que nous faisons nôtre, au
moins le temps du bilan. Ce dernier se construit pas à pas et selon les difficultés
repérées au fur et à mesure par les divers cliniciens pour ajuster au mieux réflexion
et réponse à la particularité de chaque enfant. L’enfant se trouve donc placé à la
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fois dans un temps long et des situations variées. C’est de fait un bilan diffracté
qui entraîne souvent élaboration et maturation.
C’est un bilan, qui ne se veut pas mesure des compétences mais observa-
tion plurielle. Il précise les différents registres de fonctionnement de l’enfant : la
pensée, le langage, la personnalité, le corps, en le plaçant au centre du dispositif.
En fait, le projet commun de l’équipe consiste essentiellement, quel que soit le
matériel utilisé, à solliciter la parole de l’enfant, celle qui vient vraiment de lui.
Il ne s’agit surtout pas de le réduire à une grille d’évaluations, de mesures, mais
d’apprécier les domaines dans lesquels il peut penser plus aisément, montrer ses
compétences et aussi ceux dans lesquels il est en panne. Ce sont les « surprises »
des bilans, les décalages, qui sont intéressants parce qu’ils signent l’émergence
d’un sujet. C’est la raison pour laquelle nombre de bilans ont des effets théra-
peutiques.
Le bilan est constitué d’outils traditionnels utilisés habituellement dans un ser-
vice de pédopsychiatrie mais également d’outils spécifiques élaborés au sein de
l’UPPEA. Seuls ces derniers seront présentés.

POINTS CLÉS – Les examens du bilan

ğ Les tests classiques


• L’évaluation globale du fonctionnement cognitif : WISC-IV (Wechsler
Intelligence Scale for Children, IVe révision), WPPSI-III (Wechsler Preschool
and Primary Scale of Intelligence, IIIe révision), K-ABC-II (batterie pour l’exa-
men psychologique de l’enfant, IIe version), NEPSY-II (bilan neuropsycholo-
gique de l’enfant, IIe version)
• L’évaluation de l’organisation de la personnalité à travers les tests projectifs :
Rorschach, TAT (Thematic Apperception Test), CAT (Children Apperception
Test), phrases à compléter…
• Bilan orthophonique
Organisation et outils de travail d’une équipe pluridisciplinaire 77

ğ Les examens spécifiques


• L’évaluation du domaine logico-mathématique (par exemple l’UDN-II [utilisa-
tion du nombre, 2e version]) : évaluation des processus de pensée logique
en référence aux théories piagétiennes
• L’évaluation de la langue écrite : observation de la position subjective de
l’enfant dans son utilisation des stratégies de lecture et d’écriture
• L’examen spécialisé de l’écriture : observation de la relation de l’enfant à
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l’inscription de l’écriture
• L’épreuve de Schéma corporel-R : mise en évidence des étapes de la construc-
tion de l’image du corps

Au terme du bilan, l’enfant est reçu d’abord seul puis avec ses parents pour
une consultation de synthèse. Cette dernière est assurée par un(e) psychologue
ou un des médecins de l’équipe. C’est le moment choisi pour rendre compte
des évaluations et où sont envisagées les différentes possibilités de suivis théra-
peutiques.
Ces entretiens avec l’enfant et les parents prennent toujours la forme d’un
échange lors duquel les observations de l’équipe viennent s’articuler avec leurs
remarques, leurs hypothèses et leurs représentations.
Le bilan, outre ce qu’il peut révéler d’inattendu, sert à relancer des interro-
gations sur la psychopathologie de l’enfant, le diagnostic. Souvent il a été pour
l’enfant et sa famille une occasion de questionnement, de réflexion autour de la
plainte initiale.
Le temps du bilan a amené les parents « à penser » leur enfant, les a sensibili-
sés à son fonctionnement psychique. Il leur a permis également de reconnaître sa
souffrance au-delà des embarras exprimés. De sorte que les demandes au départ
les plus instrumentales, les plus opératoires, peuvent aboutir à des prises en charge
thérapeutiques moins ciblées sur le symptôme d’appel. Comme il l’a été souligné
pour le bilan, les indications de suivis ne se font pas selon des critères pré-établis.
De nombreux éléments sont pris en compte au cas par cas : la symptomatologie,
la problématique dégagée à travers le bilan, l’approche thérapeutique la plus
pertinente pour l’enfant et sa famille, etc. Dans le service, plusieurs interventions
éventuellement conjointes sont privilégiées, notamment dans les troubles d’ap-
prentissage.
78 En pratique

POINTS CLÉS – Suivis possibles au sein de l’UPPEA

ğ Suivis classiques
• Rééducation orthophonique
• Psychothérapie individuelle analytique
• Suivi de parents, consultations thérapeutiques (parents et/ou enfant)
ğ Suivis spécifiques
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• Remédiation de la langue écrite individuelle ou en groupe
• Remédiation logico-mathématique individuelle ou en groupe
• Graphothérapie clinique
• Groupe thérapeutique (Calvin’s T Group® )
• Relaxation individuelle ou en groupe

Adrien, dyspraxie et fragilité identitaire


Adrien, 8 ans, nous est adressé par l’école pour des difficultés
scolaires dans tous les registres – lecture, passage à l’écrit et
calcul – et ce, malgré les différents suivis en cours – ortho-
phonie, psychomotricité et psychothérapie. Adrien, après avoir
redoublé la grande section de maternelle, est actuellement en
fin de CP. La question d’une dyspraxie est posée par l’enseignante.
Les parents s’inquiètent des embarras scolaires de leur garçon mais aussi de
son attitude : « il est capable du meilleur comme du pire… il peut jouer les
idiots ». Il peut se montrer opposant, en particulier à l’école. Ils disent se saisir
de cette démarche auprès de notre service pour rassembler et articuler « une
référence » entre les multiples prises en charge de leur fils.

Adrien a déjà une longue histoire médicale ; l’inquiétude sur sa « normalité » a


débuté dès la grossesse. Des investigations neurologiques et génétiques n’ont
pas permis de mettre en évidence une quelconque anomalie.

Adrien se présente comme un enfant dont le contact est difficile et emprunté ;


il n’a pas vraiment de parole authentique. C’est un garçon petit, pataud qui parle
volontiers, mais dont le discours est peu organisé (champ lexical peu étoffé,
quelques digressions et une certaine précipitation dans la parole).
Compte-tenu de la multiplicité des embarras de cet enfant, et afin de préciser la
question de la dyspraxie, il nous a semblé nécessaire de réaliser une évaluation
la plus large possible : fonctionnement cognitif, processus de pensée logique et
organisation de la personnalité.
Organisation et outils de travail d’une équipe pluridisciplinaire 79

Au WISC (échelle d’efficience globale), les résultats d’Adrien sont très inférieurs
à ceux attendus pour les enfants du même âge. On repère des difficultés mas-
sives et invalidantes dans le domaine des aptitudes spatiales et perceptives, mais
également dans le domaine de la coordination visuo-motrice.

En revanche il montre de bonnes compétences dans le registre de l’intelligence


sociale et pratique, ce qui souligne son intérêt pour le monde extérieur.
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On observe, au cours du bilan, qu’Adrien sait profiter de l’étayage et du cadre
apporté par l’adulte. Cela lui permet de s’investir dans les activités et de contenir
certaines angoisses.
L’UDN-II (épreuve de pensée logique qui sera développée p. 96) montre qu’Adrien a
un fonctionnement cognitif qui se rapproche davantage de son âge réel. Certaines
épreuves sont réussies, parfois au-delà de son âge (par exemple les épreuves de
logique et d’utilisation du nombre).
Il est à l’aise aux épreuves à composantes spatiales (sériations et origine spa-
tiale) ; ce qui ne va pas dans le sens de l’hypothèse de dyspraxie soulevée par
les observations scolaires et les difficultés spatiales et perceptives repérées au
WISC.
La confrontation à un matériel scolaire provoque par ailleurs des réactions d’oppo-
sition et d’agitation massives.
Le Rorschach, est dominé par l’angoisse envahissante et persévérante. Le proto-
cole d’Adrien tourne en boucle autour de deux thèmes : les monstres et la mort,
sans échappatoire.

Finalement, l’ensemble de ce bilan est surprenant par son hétérogénéité. Il


oriente donc le diagnostic vers des difficultés complexes des apprentissages
(en logico-mathématique et en lecture) évoluant vers un fond d’organisation dys-
harmonique. En effet, la qualité de la relation à l’autre est bien fragile chez Adrien
et il risque de s’organiser face au savoir scolaire sur un mode persécutif.
Face aux difficultés d’organisation de personnalité de cet enfant, nous encoura-
geons les parents et Adrien à poursuivre sa psychothérapie, afin de permettre la
différenciation des places et des espaces. La prise en charge en psychomotricité
nous semble également à soutenir car elle permet de travailler à partir du corps,
les domaines de l’organisation spatiale et perceptive.

Une année plus tard, les parents sollicitent à nouveau notre unité. Adrien n’est
rentré que partiellement dans la lecture et ne peut toujours pas écrire. Nous
apprenons qu’il n’a plus aucune prise en charge. La psychomotricité est arrivée à
80 En pratique

son terme et l’orthophoniste a jugé que son approche n’était plus pertinente. Les
parents de leur côté ont décidé d’interrompre la psychothérapie.

Adrien est accueilli à ce moment-là dans une classe spécialisée à petit effectif.
Une observation de la langue écrite est alors proposée. Elle met en évidence un
profil très hétérogène avec une coexistence de bonnes capacités et d’échecs
massifs dans les épreuves de lecture et d’orthographe. De nombreux méca-
nismes typiques de dyslexie, dysorthographie sont relevés. Adrien n’ayant plus de
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prise en charge, une remédiation en lecture lui est alors proposée, ainsi qu’une
intégration au groupe thérapeutique Calvin’s T Group®. Cette dernière indication
nous a semblé adaptée pour répondre à ses problématiques relationnelles et lui
permettre d’investir l’écriture sur un mode créatif.

Théa, une enfant intelligente


en difficultés scolaires
Théa, 8 ans, vient sur indication de la psychologue scolaire
après une tentative avortée de suivi orthophonique. Devant
les réticences de cette petite fille à s’engager dans le travail
et son intérêt exclusif pour le jeu, l’orthophoniste a préféré suspendre la prise en
charge. Aux deux tiers de sa deuxième année de CP, Théa demeure arrêtée sur le
seuil de la lecture, en panne aussi avec le calcul. Une énurésie primaire persiste
par ailleurs de façon ponctuelle.

Théa est la cadette d’une fratrie de quatre. Les trois aînés de 15, 13 et 10 ans
étant des garçons dont la scolarité n’a jusque-là posé aucun problème ; le plus
âgé a même sauté une classe.

Lors de la pré-consultation, elle se présente comme une petite fille très vive, au
côté d’une mère extrêmement inquiète, voire angoissée. Cette dernière a inter-
rompu une activité professionnelle très investie à la naissance de sa fille. Quant
au père, il est souvent absent pour de longues périodes comme c’est le cas lors
de ce premier rendez-vous.

Théa n’hésite pas à prendre la parole pour évoquer ses chamailleries avec ses
frères aînés, qui refusent de jouer avec elle, et les consolations qu’elle trouve
auprès de maman. La consultante apprend au passage qu’en l’absence du père,
Théa dort avec sa mère. Interrogée au sujet de l’école, Théa reste évasive, s’en
tient à la cour de récréation et aux copains, très investis.
Organisation et outils de travail d’une équipe pluridisciplinaire 81

À l’issue de cette première consultation, un UDN-II est programmé. Il a pour


but d’explorer la capacité de Théa à construire et défendre des hypothèses, ainsi
que sa mobilité psychique et cognitive, dans un cadre ludique, très loin de la
chose scolaire qui fait l’objet d’une résistance acharnée. À cet examen opératoire
s’adjoint une épreuve de Schéma corporel-R.
Abordées sans réticence, ces investigations concordent quant aux compétences
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cognitives de Théa et à l’absence de toute désorganisation psychologique. Petite
fille intelligente, à la pensée structurée et harmonieuse, Théa semble pourtant
hésiter à s’engager dans la voie du nombre. Alors qu’elle dispose de toutes
les capacités requises, le maniement de la numération (lecture et écriture de
nombres, mais aussi additions et soustractions) demeure difficilement accessible.
L’imaginaire, utilisé de façon défensive comme un écran au nombre, n’empêche
pas le raisonnement de se mettre en marche de façon très concluante dès lors
que les exercices proposés n’empruntent pas une forme trop ouvertement sco-
laire. Théa dispose en fait de tous les outils nécessaires pour passer aisément en
CE1, et ses empêchements scolaires n’en sont que plus énigmatiques.
L’accès au savoir fait manifestement l’objet d’un conflit psychique qui se traduit
par des moments d’égarement ponctuels ou une soudaine lenteur qui cèdent
en cours d’épreuve dès lors que l’examinatrice ne s’y attarde pas – comme si
Théa tenait à se montrer en difficulté, sur-jouant presque ses embarras, un œil
sur son interlocutrice.
En dehors de la numération, les seules réelles difficultés portent sur le manie-
ment des comparaisons, c’est-à-dire la reconnaissance de la différence et de
l’inégalité. S’agit-il là d’une position de résistance face à la différence des sexes
ou d’une difficulté à faire avec la rivalité, dans une fratrie où les garçons sont
surreprésentés ?
Lors de la consultation de synthèse qui clôt le bilan, les deux parents sont pré-
sents pour accompagner Théa. La consultante propose alors deux suivis en
groupe, logico-mathématique et de relaxation. Il s’agit par là de permettre à cette
petite fille d’aborder tranquillement l’objet mathématique, de découvrir dans un
contexte décalé du cadre scolaire le plaisir de penser, d’apprivoiser la dimension
du nombre. Il s’agit aussi de travailler la question de la rivalité et de l’autonomie
chez une enfant qui semble très accrochée à l’adulte, vissée à une position de
dépendance qui ne lui permet pas de grandir – entre autres, en acceptant de
s’engager dans les apprentissages.
Parallèlement à ces suivis (voir p. précédente et p. 143), Théa et ses parents
seront reçus pour des consultations ponctuelles.
82 En pratique

Une large palette d’outils d’investigation et d’approches thérapeutiques peut


donc être proposée aux enfants embarrassés avec les apprentissages. La concep-
tion des uns comme des autres s’est toujours faite en étroite interrelation dans un
processus d’enrichissement mutuel.
En effet, une démarche d’investigation, quelle qu’elle soit, doit mettre en évi-
dence chez un enfant non seulement ses empêchements, mais aussi ses ressources.
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Elle doit nous guider dans le choix de l’approche thérapeutique la plus adap-
tée, qui permette de prendre en compte une organisation psychique particu-
lière, unique. Tous les dispositifs thérapeutiques ont été mis en place dans cette
perspective et, au même titre que les outils d’investigation, ont été construits en
référence à une lignée théorique mais également en s’appuyant sur une longue
pratique clinique avec les patients.
Il s’agit donc d’un travail d’élaboration et de conceptualisation constamment
en évolution.
L’UPPEA pour sa part, a toujours cherché à combiner intimement les deux
approches, c’est-à-dire les élaborations des chercheurs les plus pointus et l’expé-
rience clinique acquise auprès d’enfants et d’adolescents présentant des troubles
d’apprentissage.
C’est sous ce double éclairage que vont être maintenant présentés certains des
tests (l’épreuve de Schéma corporel-R, l’épreuve logico-mathématique UDN-II,
les conduites de récit qui font partie du bilan orthophonique) et des outils thé-
rapeutiques mis au point dans l’unité.
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Une fabrique d’outils cliniques
Chiffres toujours coupés
par la pièce de puzzle :
Univers 55 roman
corps 44

pour l’investigation
des difficultés d’apprentissages

Un, deux, trois… le raisonnement logique


C. Meljac, J. Scalabrini

Apprentissage, représentation de soi


et élaboration du nombre
Corps et pensée mathématique, autant de terres nouvelles, longtemps négligées,
dont l’exploration aujourd’hui encore apparaît d’autant plus passionnante qu’elle
effraye souvent les praticiens, démunis face à des enfants troublés par les mathématiques.
Pour mieux comprendre ce qui est en cause dans l’apprentissage de ce
domaine, il convient de revenir sur l’histoire des mathématiques et sur la succes-
sion des acquisitions progressives accomplies par chaque enfant.
Commençons par l’histoire [3], la partie la plus facilement accessible (appa-
remment), et plus spécifiquement par l’archéologie.
84 En pratique

Il nous reste d’innombrables témoignages des premières esquisses mathéma-


tiques. En Orient comme en Occident, au Nord comme au Sud, les premiers
« savants » qui vivaient il y a plusieurs milliers d’années ont élaboré peu à peu
les mêmes astuces pour mieux comprendre et prévoir leur quotidien. Partout, ils
ont entassé des cailloux, fabriqué des nœuds sur des cordelettes et gravé des
encoches sur des supports variés (os et parois de grottes). Quelques-unes de
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ces marques nous sont parvenues. On retrouve partout les mêmes inventions
mathématiques. Quelles merveilleuses leçons !
L’homme qui, il y a 20 000 ans, a fait 55 entailles sur un os de loup retrouvé
en ex-Tchécoslovaquie était déjà un sacré érudit (pour l’époque) !
L’étude minutieuse de ces premiers itinéraires, effectués il y a si longtemps,
nous renvoie à une évidence. Chacune de ces cultures, si éloignée qu’elle puisse
sembler dans le temps et dans l’espace, a utilisé les mains et les dix doigts que
chaque être humain a toujours à disposition comme référence permanente. De
nombreuses variantes existent : certains comptaient avec des doigts repliés éten-
dus successivement, d’autres faisaient le contraire et partaient d’une position
étendue des doigts. Les possibilités de comptage à partir des doigts approchent
l’infini : on peut en effet ajouter aux doigts de la main ceux des pieds de même
que les phalanges et les articulations.
Dans le monde entier, les hommes se sont donc servi des doigts pour compter.
Il existerait même des méthodes de calcul permettant d’aller jusqu’à dix milliards
à partir des deux mains.
Ces faits, et bien d’autres nous renvoient à une évidence : le corps est le pre-
mier support de la pensée mathématique.
Dans cet ordre d’idée, les doigts forment autant d’unités distinctes. Ce sont
les prolongements des membres articulés au tronc, lieu de sensations continues,
diffuses et complexes, berceau et émetteur de messages ininterrompus dans un
premier temps. Ces messages s’élaboreront peu à peu et contribueront à faire du
corps un centre vital, un axe stable et organisateur, particulièrement au moment
de l’acquisition de la station assise et debout.
Nombreux sont les auteurs, essentiellement psychanalystes, qui ont parlé de
cette période que traverse tout bébé humain et ont montré comment, au cours
Une fabrique d’outils cliniques 85

du développement, l’ensemble corporel fournissait au jeune enfant des points de


repères indispensables. Dans cette perspective, les doigts, à l’extrémité de cette
construction subtile, permettant de multiples réalisations, semblent avoir pris le
rôle d’instrument de connaissance.
Plusieurs auteurs [8], notamment Michel Fayol [1], ont montré combien les
méconnaissances des gnosies1 digitales et sans doute plus généralement les
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troubles du schéma corporel, dans leurs aspects symboliques, jouent un rôle
déterminant au cours du développement de l’enfant, particulièrement semble-t-il
dans le domaine des acquisitions numériques.
L’étude de l’archéologie nous renvoie donc directement à l’histoire de l’enfant
constructeur de ses propres connaissances. Pour mieux, appréhender la com-
plexité des premières acquisitions numériques, il semble important d’exposer ici
dans de brefs paragraphes la genèse des structures logiques élémentaires telle
qu’elle a été reconstruite et exposée par Jean Piaget.

Jean Piaget (1896-1980)


La science, les premiers hommes et les enfants

Jean Piaget, devenu célèbre en psychologie de l’enfant pour sa description des


stades de développement, a élaboré un système conceptuel dont l’articulation est
extrêmement subtile. Il l’a d’emblée voulu très ambitieux, c’est-à-dire donnant
un aperçu général de l’intelligence et de ses multiples aspects au cours de la
maturation de chaque être humain.
Malgré ses nombreux voyages à l’étranger et son poste de professeur à la
Sorbonne, il a fait l’essentiel de sa carrière en Suisse, principalement à Genève.
Dès l’âge de dix ans, Piaget commence donc son trajet scientifique en travail-
lant sur les transmissions héréditaires chez les animaux peuplant les profondeurs
du lac Léman dont il était voisin. Il médite dès son plus jeune âge sur les rapports
existant entre la génétique et le développement des êtres vivants.

1. Gnosie : capacité de percevoir et reconnaître la forme d’un objet grâce à l’utilisation des sens
(la vue, le toucher…).
86 En pratique

Dans cet élan, il s’interroge sur la façon dont les premiers hommes ont pu
acquérir progressivement le langage, faire du feu, dessiner et même aborder les
bases mathématiques comme la numération.
Hélas, comme le jeune Jean Piaget ne peut rencontrer l’homme de Néandertal
ni celui de Cro-Magnon, il se tourne vers l’enfant, qui, comme son lointain ancêtre,
devient constructeur lui-même de nouveaux savoirs. Jean Piaget, lui-même, est
père de deux filles et d’un garçon. Il les observe systématiquement et savam-
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ment au cours de leurs premières années ; il note avec patience et subtilité leurs
conduites, leurs expressions et leurs émotions. C’est à partir de ces éléments
qu’il bâtit l’essentiel de sa théorie sur les étapes du développement chez l’enfant
et dégage ce qu’il considère comme les principes fondamentaux réglant l’acqui-
sition des savoirs, du plus élémentaire au plus sophistiqué.
Sa productivité est remarquable. Les titres de ses livres et de ses articles
constituent à eux seuls un véritable volume [7]. Un jour, quelqu’un demanda à
Piaget comment il parvenait à rédiger et à publier de si nombreuses études. Avec
l’humour dont il était capable, il répliqua : « C’est que je n’ai pas à lire Piaget. ».
À partir des années 1940, on assiste à une véritable Piaget-mania et beaucoup
considèrent que les problèmes étudiés par Piaget sont définitivement résolus.

Quelques années plus tard, le « système piagétien » a été soumis à de vives cri-
tiques. Certaines remarques sont parfaitement fondées, d’autres révèlent de vrais
malentendus, à moins qu’il ne s’agisse de profondes ignorances. Un bilan intéres-
sant en est tiré [2]. Aujourd’hui, il est possible d’en garder les apports principaux.

Au xxie siècle, il nous est possible de retirer les apports principaux des travaux
menés par Piaget. Nous nous intéresserons plus particulièrement ici, à son analyse
de la genèse du nombre. Pour lui, le nombre résulte d’une fusion-coordination
entre deux structures fondamentales :
– La structure de classe, « permettant de mettre ensemble ce qui va bien
ensemble », c’est-à-dire de dégager l’élément commun présenté par plusieurs
objets apparemment très dissemblables.
– La structure d’ordre permettant de classer des éléments en fonction d’un
critère, par exemple, du plus petit au plus grand, du plus foncé au plus clair.
D’autres concepts fondamentaux, selon la théorie de Piaget, se construisent
environ à la même période, c’est-à-dire en gros autour des années d’entrée à
l’école élémentaire. Citons par exemple :
Une fabrique d’outils cliniques 87

• La conservation des quantités discontinues : si deux collections (de jetons


par exemple) ont été mises en terme à terme et jugées égales (chaque jeton
rouge correspondant à un jeton vert par exemple) la disposition peut être
modifiée sans jouer sur l’égalité (si une collection de jetons verts est rassem-
blée sans ajout ni retrait, la quantité de verts sera toujours égale à celles de
rouge).
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• Autre point important du système piagétien : la réversibilité qui permet
au sujet de se représenter des situations antérieures – points de départ de ses
actions – et de s’y référer pour évaluer l’ampleur de modifications éventuelles.
C’est une façon d’abolir le temps et de se retrouver, en pensée, à son point de
départ, de réfléchir à son action et d’élaborer des hypothèses qui permettront,
à une autre occasion d’améliorer ses performances. La réversibilité qui rend pos-
sible une infinité de mises en scène sur un petit théâtre intérieur est certainement
une opération mentale qui nous sépare radicalement, nous humains, des animaux
pris dans l’instant, relativement peu perfectibles et/ou sensibles aux processus
d’apprentissage.
Les théories de Piaget ont pu parfois sembler obscures et extrêmement abs-
traites. En fait, lorsque l’on fait fonctionner le système à partir d’expériences s’arti-
culant dans le quotidien, on en réalise l’ampleur et la portée.
Si l’élève imagine que les quantités changent selon leurs apparences, alors
les exercices de mathématiques deviennent absurdes. Ce sont les principes de
conservation et de réversibilité qui assurent la cohérence des démonstrations
du maître.

Des outils cliniques prévenants


C’est à partir de cet ensemble de considérations que les praticiens-cher-
cheurs travaillant à l’UPPEA ont mis au point progressivement une série d’ins-
truments précieux qui, toujours en impression chez les éditeurs spécialisés,
garderont sans doute encore longtemps tout leur intérêt. Ce chapitre décrira
tout spécialement deux d’entre eux. Ils ont justement été créés pour permettre
d’aborder l’étude des troubles portant sur les apprentissages fondamentaux.
88 En pratique

Ils interrogent donc constamment les obstacles à franchir par l’enfant pour
accéder à la connaissance telle qu’elle se présente durant ce qu’on peut appe-
ler la période de latence. Ils couvrent par conséquent les années de l’école
élémentaire et du collège.
Ces deux outils sont l’épreuve de Schéma corporel-Révisé [4] et l’UDN-II
(utilisation du nombre, 2e version) [5], [6]. Le premier outil d’investigation, Schéma
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corporel-R, s’intéresse, comme son nom l’indique, à l’élaboration développemen-
tale de l’image du corps chez les enfants, tandis que le second, utilisation du
nombre-II, se centre sur les opérations logico-mathématiques plus particulière-
ment dans leurs aspects numériques.
On pourrait croire qu’il s’agit de techniques totalement différentes : il n’en
est rien. Elles appartiennent à la même « famille » dans la mesure où toutes les
deux recherchent les expressions variées d’un concept fondamental à travers la
résolution de situations-problèmes tenant compte de l’âge de l’enfant, de son
niveau d’étude et des modalités d’aide qui peuvent lui être fournies. Ces deux
instruments proposent donc aux praticiens des procédures visant à soutenir
la démarche d’investigation du sujet avec lequel ils travaillent. Il ne s’agit pas
d’évaluer rapidement un rendement brut mais de rechercher finement chez le
sujet consultant l’éventail de ses « compétences ». Est-il en mesure d’élaborer
des hypothèses, de les valider ou bien de les rejeter ? Apparaît-il libre dans sa
réflexion ou adopte-t-il un mode de pensée rigide susceptible d’empêcher ses
réalisations et de stopper ses progrès ?

Épreuve de Schéma corporel-R


Une première version de cette épreuve a été directement inspirée par une
commande de Julian de Ajuriaguerra, faite après la rédaction d’un article prin-
ceps qu’il avait dirigé sur les enfants dyspraxiques [8]. À l’issue de nombreuses
années de travail au cours desquelles l’équipe avait étudié un échantillon signi-
ficatif d’enfants reconnus comme « dyspraxiques », Julian de Ajuriaguerra, avait
été en effet, sensibilisé par l’absence totale d’instruments pouvant aider le « spé-
cialiste » lorsqu’il cherchait à évaluer la connaissance que l’enfant avait de son
propre corps.
Une fabrique d’outils cliniques 89

Il existait bien des techniques telles que le dessin du bonhomme (Figure 7-1), ou
la dame de Fay (dessinée après la consigne : « Une dame se promène et il pleut. »,
Figure 7-2) mais ces tests se basant sur la motricité graphique pouvaient être biaisés
en raison de maladresses ou du manque de motivation présentés par l’enfant.
Jean Bergès continua à approfondir une série d’outils basée sur l’imitation de
gestes. Cependant, sur le thème de la représentation du corps dans ses différentes
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figurations (corps, visage, face, profil…), rien n’était encore à la disposition du
praticien.
Julian de Ajuriaguerra qui s’intéressait particulièrement aux images du
corps, à sa construction et à ses variations, fut alors le premier à synthétiser
ses réflexions sur ce qu’on peut appeler le schéma corporel : « Édifié sur
les impressions tactiles, kinesthésiques, labyrinthiques et visuels, le schéma
corporel réalise, dans une construction active constamment remaniée des
données actuelles et du passé, la synthèse dynamique qui fournit à nos actes
comme à nos perceptions, le cadre spatial de référence où ils prennent leur
signification »2.
Le même auteur propose aux psychologues de construire une nouvelle
technique destinée à étudier l’image du corps chez l’enfant. Elle ne fera plus
appel comme les tests classiques, à des situations de puzzle et d’emboîtement
de pièces.
L’épreuve de Schéma corporel devait donc tourner le dos à ces facilités de
cotations centrées sur les ajustements spatiaux plutôt que sur l’image elle-même
(Figure 7-3). Cette épreuve tient compte de la justesse des constructions, sans plus
se soucier de la coïncidence des assemblages qu’il s’agisse de lignes et formes
(Figure 7-4).
Pour réussir le « bon assemblage », l’enfant doit donc se représenter les arti-
culations entre les pièces, savoir que les bras s’attachent à l’épaule et non pas au
milieu du corps, Il doit aussi avoir observé (et compris) que les jambes se placent
à l’extrémité basse des hémicorps, etc.

2. In : Ajuriaguerra, J. Évolution et troubles de la connaissance corporelle et de la conscience de soi.


Manuel de psychiatrie de l’enfant. Masson, Paris, 1970 (2e éd., 1977), pp. 385-405.
90 En pratique
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Figure 7-1. Dessin du bonhomme tracé par un enfant de 5 ans.

Figure 7-2. Dessin de la dame de Fay par un auteur de 10 ans.


Une fabrique d’outils cliniques 91
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Figure 7-3. Exemple d’item d’emboîtement tiré de la WISC-III.

Figure 7-4. Pièces du corps, orienté de face, à assembler.


92 En pratique

POINTS CLÉS – L’épreuve de Schéma Corporel-R présente


deux types d’orientation

ğ L’épreuve de face est destinée à de jeunes enfants entre 3 et 8 ans. Le pra-


ticien demande à l’enfant d’assembler le corps puis le visage en disposant
des pièces nécessaires (Figure 7-5).
ğ L’épreuve de profil, destinée à des enfants de 6 à 11 ; 11 ans3, se compose
des mêmes éléments dessinés de profil. On les présente parmi d’autres
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(représentation de face ou de profil opposé) et on demande à l’enfant de
choisir ce qui convient d’assembler.
On distingue trois modes de procédures appliquées successivement.
ğ Évocation : l’enfant travaille sans repère, de façon analytique. Les parties
du corps (dessinées) sont présentées successivement, c’est-à-dire les unes
après les autres. Le sujet doit décider où se placera, par exemple, un bras
s’il ne dispose que d’un repère, la figure.
L’enfant doit pouvoir se repérer grâce à la tête, seul point fixe, et estimer la
zone de tolérance où doit être placée approximativement la pièce qu’on lui
demande de localiser.

Figure 7-5. Exemple d’un assemblage complet du corps vu de face.

3. Par convention en psychologie, l’âge chronologique s’écrit pour un enfant de 11 ans et 11 mois,
11 ; 11 ans.
Une fabrique d’outils cliniques 93

ğ Construction : selon la deuxième modalité, il convient de coordonner les


différentes pièces. Elles sont toutes à la disposition du sujet.
ğ Reproduction : cette dernière modalité permet au sujet de se guider – et de
se corriger – selon le modèle.
ğ Malgré quelques imprécisions (tolérées), on voit que l’auteur de cet assem-
blage a parfaitement en tête la structure générale d’un corps humain, le cou
se place sous le visage bien articulé aux hémicorps. Les bras sont en liaison
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avec l’épaule et se terminent par des mains bien orientées (les pouces sont
chaque fois à l’intérieur). Et les jambes, terminées par les pieds, prolongent
l’ensemble tronc-bassin et se posent bien latéralisées sur le sol.
ğ Il a fallu 6 ans accomplis pour parvenir à cette performance. C’est un indice,
parmi d’autres, de bonnes capacités d’entrée dans les apprentissages. Pour
que les connaissances présentées en classe parviennent à bien s’intégrer,
mieux vaut disposer d’un corps-repère harmonieusement structuré.
ğ Le praticien choisira à chaque fois sur quelles orientations (face, profil) il
désire travailler, en fonction de l’âge de l’enfant et de son niveau supposé
(Figure 7-6).
ğ L’ensemble de cette épreuve a été soigneusement étalonné, d’abord au
moment de la première publication de l’épreuve et ensuite lors de la seconde
édition en 2010. Nous disposons maintenant de normes très précises tenant
compte de l’âge de l’enfant, du contenu de la représentation et des modalités
de travail.

3 à 5 ; 11 ans 6 à 8 ; 11 ans 9 à 11 ; 11 ans

Face Face + Profil Profil

Corps + visage

Évocation Construction Reproduction*


*Proposée seulement si la phrase Construction n’a pas été parfaitement réussie.

Figure 7-6. Résumé de l’épreuve de Schéma corporel-R.


94 En pratique

Julian de Ajuriaguerra avait tout d’abord réservé, du moins le croyait-il, l’exploi-


tation d’un tel matériel à un petit groupe de chercheurs.
Alors que la structure du visage face ou profil est en général bien préservée
même chez le jeune enfant, on remarquera sur la Figure 7-7 trois exemples de
reproductions (toutes les pièces nécessaires sont à la disposition de l’enfant) qui
doivent attirer l’attention par leur étrangeté inquiétante. La troisième image de
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profil est intéressante. Elle montre bien que, dans une « démarche de réalisme
intellectuel », l’enfant tient à affirmer la présence de deux yeux, deux oreilles dans
un visage. Il ne parvient pas à tenir compte du fait que la disposition de profil est
telle qu’on ne peut voir, alors, qu’un seul des organes symétriques.

Figure 7-7. Exemples de construction du visage provenant d’enfants en difficultés.

Le succès de la technique dépassa ses attentes. L’utilisation du Schéma cor-


porel, au lieu de se restreindre au groupe initial, se répandit très vite. Cet instru-
ment devint indispensable à toute une série de professionnels (psychologues et
psychomotriciens essentiellement mais aussi orthophonistes et ergothérapeutes).
Les assemblages variés réalisés par les enfants permettaient des interprétations
originales et ouvraient des perspectives inattendues (Figure 7-8).
En 2010, une révision s’imposa. Elle avait pour but non seulement de recalibrer
le matériel mais aussi de préciser les normes d’étalonnage et les étapes déve-
loppementales ainsi que l’ensemble des interprétations. Les praticiens disposent
donc maintenant d’un corpus de résultats très important permettant de préciser
Une fabrique d’outils cliniques 95

les étapes rythmant la mise au point de l’image du corps. Ils sauront en repérer
les différentes altérations et seront en mesure de proposer, dans chaque cas, les
conclusions qui semblent le mieux convenir.

Âge Corps de face


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Type d’assemblage : Type d’assemblage :
entassement recherche de paires
3 ans

Type d’assemblage : Type d’assemblage :


en étoile apparition d’un axe organisateur

4 à 5 ans

Type d’assemblage : Type d’assemblage :


bras en « ailes » organisation globale

Figure 7-8. Types d’assemblages de la construction du corps.


Ces types d’assemblages, plus particulièrement, entassement, recherche de paires en étoile et
en ailes, ont en général disparu avant 6 ans. Leur « survivance » après le cours préparatoire est
souvent un signe d’alerte.
96 En pratique

L’épreuve est largement recommandée à tous ceux qui travaillent avec des
enfants jusqu’à 11 ans et plus âgés si on relève des difficultés importantes.
Ces constructions (voir Figure 7-8) montrent bien la variété des réalisations
des enfants ; c’est pourquoi, l’épreuve est largement recommandée pour de
jeunes patients jusqu’à 11 ; 11 ans et même plus âgés si des difficultés impor-
tantes ont été signalées lors de l’anamnèse ou au cours des épreuves antérieu-
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rement proposées.

Efficience à l’UDN-II
– Pour une investigation prévenante
En complément à une épreuve classique comme les échelles de Wechsler
(WISC), l’UDN-II offre aux cliniciens l’occasion d’une pratique innovante, sans
véritable équivalent. Il tire sa source non seulement des élaborations théoriques
de Jean Piaget d’une part et de Lev Vygotski de l’autre, mais aussi d’une longue
pratique clinique auprès d’enfants présentant des difficultés d’apprentissage
particulièrement en mathématique. Il donne ainsi l’occasion unique de travailler
sur les conduites d’un sujet et sur ses potentialités plutôt que sur ses perfor-
mances brutes.

Lev Vygotski (1896-1934)


La Zone proximale de développement

On a pu dire que Lev Vygotski a été pour la psychologie ce que Mozart a


représenté dans la musique. Dans les deux cas, une trajectoire éblouissante
et brève : Lev Vygotski, comme Wolfgang Amadeus Mozart, meurt à 37 ans.
Cette disparition prématurée est suivie d’une longue éclipse puis d’une résur-
rection éclatante.
Lev Vygotski a 21 ans lorsqu’éclate la Révolution d’octobre en Russie
(1917). Il est alors encore étudiant à l’université de Moscou et, transporté
par les idées nouvelles, commence immédiatement une brillante carrière de
Une fabrique d’outils cliniques 97

chercheur. C’est aux rapports entre le langage et la pensée que Lev Vygotski
consacre la plupart de ses recherches. Pour lui, les commentaires verbaux
sont intimement liés à l’activité, quel que soit celui qui l’a entreprise, enfant
comme adulte. Ce passage par le langage aide le sujet à se retrouver dans
une tâche et à l’organiser.

Lev Vygotski est particulièrement connu pour ses réflexions sur ce que l’on
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a appelé la Zone proximale de développement (ZPD). Le repérage de la ZPD
indique jusqu’où peut aller un sujet lorsqu’il est soutenu par un adulte com-
pétent. C’est dans cette zone préalablement précisée, grâce à des épreuves
spécialisées que l’éducateur ou l’enseignant doivent travailler afin d’aider un
apprenant et de fortifier ses progrès. En effet, si les thèmes proposés sont
trop faciles, ils n’apparaîtront que comme des séances « rabâchage » ; s’ils
sont trop ardus, ils risquent de rebuter les sujets en formation. Le concept
de ZPD s’est révélé extrêmement utile entre autre pour les enseignants.
Beaucoup de techniques mises au point au centre hospitalier Sainte-Anne
s’en inspirent en les articulant aux principes piagétiens (Vygotski et Piaget
étaient pratiquement jumeaux et ont entretenu pendant des années une
correspondance fournie.)

Lev Vygotski meurt en pleine période de « purge stalinienne ». Ses amis,


paniqués à l’idée de voir ses recherches et ses archives précieuses mises à la
poubelle ou même brûlées en place publique, s’activent pour les dérober et les
cacher. Lev Vygotski demeure quasi inconnu jusque dans les années 1970 où
on le « redécouvre » et on le réédite en anglais et en français (sans compter
d’autres langues).

Tous les professionnels qui ont goûté à ce plaisir – celui d’une interaction
continue avec un sujet en cours de réflexion – en conviennent aisément : l’UDN-II
n’a pas vraiment de concurrence dans son champ.
C’est au centre hospitalier Sainte-Anne qu’une première version de cet ins-
trument est mise au point en 1980 sous la direction du docteur Jean Bergès. Le
test paraîtra immédiatement aux Éditions du centre de psychologie appliquée
(ECPA) sous le nom d’UDN-80. L’instrument demeure d’abord très modeste : il
est destiné essentiellement à des enfants entre 4 et 7 ans. Il est remanié en 1999
avec un nouvel étalonnage et paraîtra dès lors sous le nom d’UDN-II.
98 En pratique

L’UDN-II comporte seize épreuves explorant cinq domaines divisés en sous-


épreuves. Les cinq familles dans lesquelles se rangent chacun des thèmes sur
lesquels on invitera l’enfant à travailler sont les suivantes : conservation, logique
élémentaire, utilisation du nombre, origine spatiale et connaissances scolaires.
La plupart des tâches conviennent selon des adaptations spécifiques à un vaste
public allant de 4-5 ans jusqu’à 12-13 ans.
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L’UDN-II offre un intérêt particulier pour les cas d’enfants et d’adolescents
présentant un échec confirmé dans les domaines scientifiques, et plus précisé-
ment en mathématiques. Cependant, dans la mesure où les explorations effectuées
grâce à l’UDN-II visent à repérer les procédures mentales indispensables pour
pénétrer dans le monde de la connaissance, qu’elle soit ou non strictement sco-
laire, il s’agit d’un instrument d’intérêt général s’adaptant à tous les cas, y compris
aux enfants « hors du lire » (n’accédant pas à la lecture) et aux enfants précoces.
Les expériences de Jean Piaget et de son cercle genevois, reprises par l’équipe
de l’UPPEA peuvent parfois apparaître anodines. Il s’agit par exemple pour l’en-
fant de faire des boules de pâte à modeler, d’introduire des cylindres dans des
éprouvettes, d’assembler des œufs et des coquetiers, des bouteilles et des bou-
chons, de distinguer la couleur de pull-overs. Autant de jeux apparemment sans
importance. Cependant, sous leurs habillages ludiques, ces expériences portent
sur des questions fondamentales dans la construction de l’être humain. Qu’est-ce
que l’identité et la permanence ? Un élément d’un ensemble peut-il en remplacer
un autre ? Comment reste-t-on le même sous d’apparentes transformations ? Où
poser des limites, et quand se référer à des repères ? Est-il possible par la pensée
d’inverser le cours du temps ?
Il s’agit là d’interrogations fondamentales, s’appliquant, certes, à des objets
dans des conditions expérimentales mais aussi à tout être humain qui aura bien
des difficultés à se construire s’il n’essaie pas d’y répondre progressivement.
En se confrontant à ces énigmes, d’apparence banale, non angoissante et même
souvent récréative, imaginées par l’école piagétienne et réunies dans l’UDN-II, le
sujet s’affronte donc à la complexité de son organisation interne. En difficulté ou
non, il se dévoile par ses manipulations, ses propositions, ses essais, ses erreurs et
ses réussites, ses réponses bien ou mal formulées, ses errements surprenants ou
Une fabrique d’outils cliniques 99

ses intuitions fulgurantes. Lorsque le sujet reste enfermé dans son échec, l’UDN-II
propose des modalités d’étayage, fermes et souples à la fois, semblables à celles
recommandées par Lev Vygotski. De telles interventions prennent alors une
importance surprenante : elles aident le sujet à découvrir les contraintes de son
action et ses espaces de liberté, souvent bien plus considérables que ceux qu’il
s’accorde spontanément.
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Chaque enfant et de façon générale, chaque être humain, apparaît comme
« déroutant » à partir du moment où il évolue le plus souvent à un rythme
inattendu et personnel lorsque les circonstances changent. On ne peut donc,
comme certains le voudraient, dresser un catalogue déterminé et permanent des
compétences des uns et des autres. C’est bien ce qu’a montré le travail de la pre-
mière Conférence de consensus en psychologie dédiée à l’étude des instruments
de mesure psychologique destinés aux enfants et aux adolescents ( juin 2010).
Au-delà de l’analyse approfondie du jeune apprenant en panne (c’est la tâche
d’un centre de référence consacré aux troubles des apprentissages), l’applica-
tion réfléchie et raisonnée des instruments, qui ont pu être mis au point, permet
d’avoir un aperçu sur ce véritable kaléidoscope : l’esprit humain.

Teddy, corps et pensée logique


Teddy est le premier enfant d’une famille de deux garçons
et nous le voyons alors qu’il est encore très jeune. C’est un
garçon agité, passionné par les moteurs (train, mixeur…) et
qui semble très angoissé. Nous apprenons, dès les premières
rencontres, que sa mère a eu une grossesse difficile, ponctuée d’ennuis de santé
et de soucis importants pour les membres de sa famille.

Teddy s’adapte mal à l’école et a des troubles des apprentissages particulière-


ment en mathématiques. Dans le passé, il a pu bénéficier de soutien en ortho-
phonie et en psychomotricité mais ses échecs dans une école très exigeante
demeurent importants, ce qui nous amène à le rencontrer.

Nous sélectionnerons ici, parmi la batterie d’épreuves très riche qui lui ont été
proposées, les résultats de l’UDN-II ainsi que du Schéma corporel-R. Teddy est
alors âgé de 8 ; 4 ans et suit le programme d’une classe quelque peu indéfinie
entre le CE1 et le CE2.
100 En pratique

À l’UDN-II, on note une désorganisation importante de Teddy face à l’espace.

On lui propose l’épreuve des classifications portant sur 27 cartes variant selon
trois critères (nature, couleur et taille). À cet âge, la majorité des enfants parvient
à dégager (parfois avec aide) la présence de deux critères à partir desquels peut
s’opérer le regroupement suggéré : il s’agit de celui de la couleur et de la forme,
la notion de taille demeurant plus abstraite.

Quant à la consigne de rangement elle-même (mettre les cartes identiques l’une


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sur l’autre ou alignées), c’est une activité qui à cet âge est en général familière.

Il n’en est pas ainsi pour Teddy, qui se montre totalement perdu et qui mélange
la couleur et la nature d’un objet sans parvenir à opérer un tri cohérent. Il n’a plus
aucun point de repère dans l’exécution du rangement sans toutefois parvenir à
exprimer clairement son trouble.
Les cartes se superposent dans des tas hétéroclites mais Teddy continue vaillam-
ment à les entasser. L’épreuve doit être arrêtée après un échec complet.
Une autre des épreuves de l’UDN-II porte sur la sériation. On propose à Teddy de
bien ranger des baguettes de longueur différente (allant, par exemple, de la plus
petite à la plus grande). Teddy ne voit pas du tout ce qu’il doit faire.
Ainsi, dès qu’il se saisit d’un élément, on est obligé, pour obtenir le résultat visé,
d’accompagner son action : « Tu prends la plus grande de celles qui restent ».

Teddy se montre extrêmement troublé par la contradiction qui se trouve au cœur


même du travail de sériation : l’élément retenu doit être en même temps plus
petit que celui déjà placé et plus grand que ceux qui ne sont pas encore disposés.
Plus grand ou plus petit ? Le conflit est pour lui insoluble.

Toutefois, alors que Piaget considère que pour dénombrer utilement, il faut
préalablement construire et organiser l’idée de sériation, Teddy, sans doute bien
entraîné, semble avoir élaboré un concept approprié de Nombre. Dans une épreuve
où on lui demande d’habiller des poupées en retenant « juste ce qu’il faut » (pour
que chaque poupée ait sa robe, « pas plus pas moins »), Teddy dénombre spon-
tanément et préalablement les poupées, puis va chercher en une fois la quantité
correcte de robes. La performance de Teddy semble indiquer que, malgré ses
difficultés, il est en train d’accéder à quelques notions de base, ici le nombre.

À l’épreuve de Schéma corporel-R, Teddy se montre d’abord totalement perdu


(Figure 7-9). Il fait preuve d’une grande imprécision dans l’image du corps et a
le plus grand mal à rectifier des inversions tenaces (éléments droits placés à
gauche). La présence du modèle ne parvient pas à éliminer ces défauts de latérali-
sation : il se montre surtout très embarrassé par le nombre de pièce à assembler.
Une fabrique d’outils cliniques 101
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Figure 7-9. Épreuve de Schéma corporel-R orientation de face-corps réalisée
par Teddy.

Le corps de profil est mieux reconstruit car les pièces à disposer, après une
première phase de choix, sont peu nombreuses. Les difficultés de Teddy réappa-
raissent quand il s’agit d’organiser l’apparence globale du visage de profil. Celle-ci
est totalement détruite, que le modèle soit absent ou présent, même si les pièces
qui lui sont présentées sont bien reconnues et bien choisies.

Figure 7-10. Épreuve de Schéma corporel-R orientation profil-visage réalisée


par Teddy.
102 En pratique

L’ensemble des résultats de Teddy est évidement discuté avec sa famille. On


évoque notamment la perspective d’une approche thérapeutique pour l’aider à
mieux se construire, à être plus autonome et plus libre dans l’acquisition de
ses connaissances. On propose des séances de relaxation thérapeutique pour
soutenir sa construction de l’image du corps et une participation à un groupe
logico-mathématique dans une optique de soutien à l’élaboration d’une pensée
autonome, plus fluide et mieux planifiée.
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Ces suggestions ne semblent pas vraiment être retenues par la famille et sont
mises de côté. Seule l’orientation dans une école à petit effectif trouve grâce à
leurs yeux. Teddy fréquente ce cours depuis 4 ans. Les enseignants l’aident à
évoluer dans un sens moins inquiétant mais, sur le fond (il a été revu récemment),
les obstacles détectés, tant à l’UDN-II qu’au Schéma corporel-R, persistent. Il
a maintenant 12 ans et des questions se posent sur les futurs remaniements
psychiques de ce jeune adolescent.

Pour en revenir aux instruments utilisés, les techniques mises au point au centre
hospitalier Sainte-Anne permettent donc des explorations originales, très sensibles
aux différentes formes de difficultés d’apprentissages. Elles ciblent au mieux leurs
objectifs et constituent une aide dans l’opération délicate d’évaluation portant
sur les troubles développementaux et cognitifs qui freinent l’entrée d’un enfant
dans le monde de la connaissance et son épanouissement. De telles investigations
présentent dans ce sens, un intérêt pronostique certain.

Pour en savoir plus


1. Fayol M. L’acquisition du nombre. PUF, Paris, 2012.
2. Houdé O, Meljac C. L’esprit piagétien. Hommage international à Jean Piaget. PUF, Paris, 2000.
3. Meljac C. Qui donc a inventé les mathématiques ? Le petit ANAE, Baumes-les-Dames, 2011.
4. Meljac C, Fauconnier E, Scalabrini J. Manuel d’une épreuve de Schéma Corporel révisée. ECPA, Paris, 2010.
5. Meljac C, Lemmel G. Manuel de l’UDN II. Construction et utilisation du nombre. ECPA, Paris, 1999.
6. Meljac C, Lemmel G. Observer et comprendre la pensée de l’enfant. Dunod, Paris, 2007.
7. Piaget J, Szeminska A. La genèse du nombre chez l’enfant. Delachaux et Niestlé, Neuchâtel-Paris, 1941.
8. Stambak M, L’Hériteau D, Auzias M, Bergès J, Ajuriaguerra J de. Les dyspraxies chez l’enfant. La psychiatrie
de l’enfant, 1964, VII-2, 381-496.
9. Van Hout A, Meljac C, Fisher JP. Troubles du calcul et dyscalculies chez l’enfant. Masson, Paris, 2005.
10. Vygotski LS. Pensée et langage. La Dispute, Paris, 2005.
Une fabrique d’outils cliniques 103

Il était une fois…


le bilan orthophonique
F. Desbarax, M.-C. Devaux, H. Girard
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Victor était un jeune garçon malin et charmeur. Adoré par sa mère et son
père qui avaient, à sa naissance, convoqué autour de son berceau toutes les fées
possibles et imaginables, il avait mangé d’un bel appétit, peu dormi, marché de
bonne heure, souri à tous mais peu parlé. Les années passèrent, Victor grandit
mais ne parlait toujours pas…
À la manière de Victor, comme à celle du célèbre prince de Motordu [5], le
temps du bilan ouvre un espace de récits possibles. Il s’agit en fait d’introduire
une temporalité, d’étirer une réalité souvent présentée comme figée, présente
de toute éternité : un « je suis dyslexique » qui résonne comme presque un
destin. Il est proposé à l’enfant de construire une histoire (son histoire ?) avec
les mots et les lettres, autour d’une trame composée de questions ouvertes
comme d’épreuves précises, notamment ce que nous appelons « les conduites
de récit », sollicitation directe des capacités narratives. À charge pour les ortho-
phonistes, d’y lire une cohérence. À l’UPPEA le bilan orthophonique est struc-
turé comme un récit, un récit dont l’enfant sera l’auteur, et, autant que faire se
peut, le sujet.
C’est au centre hospitalier Sainte-Anne, dans les années qui ont suivi la
Seconde Guerre mondiale, autour de Suzanne Borel-Maisonny [1], que se sont
développées les premières consultations orthophoniques. Elles s’adressaient à
l’origine à des enfants qui présentaient des pathologies physiologiques avérées
(infirmes moteurs cérébraux, malentendants, etc.) et entraient difficilement dans
le langage. Elles se sont progressivement ouvertes à des enfants aux fonctions
intègres (sans trouble de l’audition, de la vision, sans atteinte cognitive, géné-
tique ou neurologique) dont l’accès au langage puis aux apprentissages était
néanmoins perturbé.
104 En pratique

Suzanne Borel-Maisonny
(1900-1995)
Fondatrice de l’orthophonie en France
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Suzanne Borel-Maisonny crée le diplôme en 1955 et œuvre activement pour
l’obtention d’un statut légal de la profession et la mise en place d’une nomen-
clature (1964) à travers la fondation du SNO (Syndicat national des orthopho-
nistes, 1959). C’est dans un esprit de recherche et de partage que l’ARPLOEV
(Association des rééducateurs de la parole, du langage oral et écrit, de la voix)
voit le jour à la croisée des chemins du secteur médical et du secteur éducatif.
Grammairienne et phonéticienne de formation, S. Borel-Maisonny exerce dans
divers hôpitaux parisiens, à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, à l’hôpital Saint-Michel
auprès d’enfants atteints de fentes labio-palatines et à l’hôpital Henri-Rousselle
à Sainte-Anne. Progressivement, face aux patients qu’on lui présente, elle s’inté-
resse à tous les troubles du langage (surdité, bégaiement, dyslexie, dysortho-
graphie, etc.), aux difficultés instrumentales qu’elle a beaucoup explorées et à la
polysensorialité. Grâce à l’observation, la recherche clinique et expérimentale, elle
élabore la méthode phonétique et gestuelle de l’apprentissage de la lecture. Elle
crée de nombreux tests, dont trois valises distinctes : le test sans parole, le test
d’orientation, de jugement et de langage ainsi que le test d’aptitude, permettant
l’exploration du langage et la mise en exergue de canaux fonctionnels servant de
point d’appui à la rééducation.

Des premières investigations, qui interrogeaient essentiellement les instru-


ments, aux observations actuelles, qui se sont décalées du côté des pratiques
de langage, le bilan a beaucoup évolué. Il excède largement l’analyse des com-
pétences phonologiques, lexicales, syntaxiques, orthographiques. Maîtriser l’oral
puis l’écrit implique, outre une maîtrise de la langue, la capacité à entrer dans
différents jeux de langage (raconter, écouter, dialoguer, comprendre, argumen-
ter, différencier, analyser, résumer) en adaptant son langage à chaque situation.
Lorsqu’un enfant consulte pour un trouble du langage, il est rare que l’ensemble
de ses pratiques soient atteintes : il faut alors repérer les jeux possibles, les sou-
plesses et les rigidités, les écarts entre langue (commune) et langage (l’utilisation
qui en est faite).
Une fabrique d’outils cliniques 105

Les enfants que nous recevons ont pour beaucoup une histoire longue et
complexe avec le langage, qu’il s’agisse d’un oral malaisé ou d’un écrit difficile.
Ils ont pour la plupart déjà effectué au moins un bilan orthophonique, récem-
ment ou non. Parfois un diagnostic orthophonique est posé, entériné par
un terme précis (retard de langage/de parole, dyslexie/dysorthographie…).
Parfois les questions restent ouvertes (est-ce une dysphasie ? est-ce une dys-
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lexie ?...) et mettent en exergue la difficulté à nommer le trouble lorsque la
position des enfants est mouvante, variable selon les supports et l’interlo-
cuteur, et souvent déconcertante. Pour certains, la rééducation s’est parfois
perpétuée pendant des années sans pause. D’autres, plus rares, n’ont jamais
consulté d’orthophoniste. Ou encore la prise en charge orthophonique a été
interrompue.
Ainsi se rencontrent deux temporalités : le temps long du développement du
langage et ses aléas, le temps court du bilan puisque nous ne rencontrons l’enfant
que ponctuellement, ce qui nous demande de l’aborder sous un angle particulier.
En effet, comment s’adresser à un patient sans amorcer un travail thérapeutique ?
Comment faire en sorte que l’enfant soit suffisamment présent et disponible lors
du bilan, et en même temps qu’il ne l’investisse pas trop afin de laisser le champ
libre à une rééducation ultérieure, qui, la plupart du temps, se déroulera ailleurs
avec une autre orthophoniste.
Ainsi se conjuguent un ensemble de questions. Questions du consultant qui
adresse l’enfant à l’UPPEA et qui concernent le champ du trouble (« S’agit-il
essentiellement d’un trouble du langage ou l’enfant est-il pris dans une patholo-
gie plus globale ? »). Questions des parents, souvent orientées par la recherche
d’une origine (« D’où ça vient ? ») et d’une action à venir (« Qu’est-ce qu’on
peut faire ? »). Questions des professionnels de santé quand les suivis s’enlisent.
Questions des institutions, aux prises avec les exigences scolaires et les nécessités
de l’orientation. Plus rarement, questions de l’enfant, qui lui, est perdu dans un
faisceau d’interrogations qu’il fait rarement siennes.
Le bilan fait à l’UPPEA n’a pas pour vocation essentielle de confirmer ou d’in-
firmer un diagnostic… souvent déjà posé. Il s’agit avant tout de favoriser chez
l’enfant ou l’adolescent, l’émergence ou l’élaboration de représentations concer-
nant ses difficultés avec la langue, la lettre et son histoire, son expérience des
106 En pratique

livres, sa propre inscription temporelle. Pour pouvoir, le cas échéant, les remettre
sur le métier.

Le bilan orthophonique
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La première partie du bilan est un entretien semi-directif qui soumet à l’enfant
les questions suivantes :
– Comment formulerait-il le motif de sa venue ce jour ?
– Comment se représente-t-il la naissance de l’écriture ?
– Quels sont les buts de l’écriture, de la lecture ?
– Quel regard porte-t-il sur les livres à la maison et les lectures familiales ?
Puis, dans un second temps, les diverses pratiques de langage sont observées.
Pour ce faire, les batteries classiques de bilan sont utilisées, qui permettent d’étu-
dier la structure du langage (phonologie, lexique, syntaxe) sur les deux versants,
compréhension et expression. Ces outils sont employés en prenant le temps de
plusieurs passations diversement étayées, ce qui nous permet de repérer des
écarts, qui, quand ils apparaissent, signent une mobilité possible et tracent des
pistes de travail. Un instrument élaboré récemment au sein de l’équipe est éga-
lement utilisé, l’analyse des conduites de récit.

POINTS CLÉS – Les bases du bilan de langage


ğ Si, pour chaque enfant, l’entrée dans le langage est un trajet individuel, il
existe néanmoins des éléments communs à tous qui doivent se mettre
en place. Ce sont ces éléments qu’un bilan classique examine. Quels
sont-ils ?
ğ Afin de s’approprier le langage, l’enfant doit pouvoir écouter puis progressi-
vement établir des discriminations de plus en plus fines, la première étant
d’isoler les sons de la parole… des bruits.
ğ Dans cette écoute, il va devoir percevoir et reconnaître des petites diffé-
rences de fréquence, d’intensité, de rythme, isoler des unités, trouver des
similitudes. Il doit également établir des césures dans le déroulement de la
« chaîne parlée » afin d’identifier les phonèmes et les reproduire en mobili-
sant son corps (praxies). Progressivement, l’enfant va en extraire des règles
grâce à des mécanismes de pensée reposant sur la comparaison, la généra-
lisation, la particularisation.
Une fabrique d’outils cliniques 107

ğ Les mêmes types de mécanismes sont en jeu lors de l’acquisition de la


lecture et de la transcription. C’est pourquoi certaines épreuves, qui font réfé-
rence à des notions anciennement désignées sous le vocable de pré-requis,
sont reprises dans de nombreux tests d’évaluation visant à la recherche de
troubles :
– épreuves de discrimination auditive : bruits, sons, phonèmes, syllabes…
– épreuves de perception et de repérage temporel (séquentialité, rythme,
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temps social, vécu) ;
– épreuves de repérage et d’organisation spatiale (visuel, corporel…) ;
– épreuves graphiques (dessins, signes, formes…) ;
– épreuves praxiques ;
– épreuves de mémorisation (entrée auditive /entrée visuelle, avec ou sans
signification…) ;
– possibilité de dénomination.

POINTS CLÉS – Les leçons de la dictée :


Une épreuve de langage écrit
ğ Épreuve incontournable de notre bilan, la dictée est parfois difficilement vécue
parce qu’elle vient pointer, une fois de plus, des difficultés ou une faiblesse
en langage écrit. La dictée doit être une occasion pour analyser, certes, les
erreurs de l’enfant, mais surtout le regard qu’il peut porter dessus : peut-
il réfléchir et penser ses erreurs, et de quelle manière ? Il s’agit donc, en
plus de l’analyse classique (erreurs d’orthographe d’usage, grammaticales,
phonétiques, de segmentation, etc.) de voir si l’enfant possède des repères
et des capacités qui ne seraient pas utilisées spontanément. Pour cela, il
est observé quels sont les types d’étayage efficients, si l’enfant parvient à
les utiliser et à se les approprier, ou si, a contrario, la réflexion sur l’écrit est
verrouillée ou indisponible.
ğ Ainsi, la dictée est proposée en premier lieu de manière classique : le texte
est lu à l’enfant une première fois, puis dicté, rhèse après rhèse, à son
rythme. Les réactions de l’enfant sont alors observées : soupirs éventuels,
passivité ou au contraire entrain, posture corporelle générale et tenue du
crayon en particulier. En parallèle, l’engagement global de l’enfant dans
l’épreuve est noté : fait-il des pauses pour se relire, demande-t-il qu’on
lui répète l’énoncé, s’applique-t-il, fait-il de nombreuses ratures, des cor-
rections immédiates ou à rebours, est-il autonome ou demande-t-il, par
exemple, l’autorisation d’aller à la ligne, s’il doit mettre une majuscule en
début de phrase, etc. ?
108 En pratique

ğ La dictée terminée, un travail de reprise est effectué en plusieurs étapes.


s En premier lieu, l’enfant peut relire son écrit seul, et s’auto-corriger. Parfois,
ce moment est saisi par l’enfant, qui s’attèle à sa relecture. Cependant, par-
vient-il à en faire émerger une ou des corrections ou ajoute-t-il des erreurs ?
Ce temps qui lui est imparti est-il utilisé à bon escient ? Car parfois, voire
souvent, l’enfant ne fait que survoler sa relecture, ou refuse même de
revenir sur son écrit.
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s Puis une relecture supplémentaire est effectuée : l’orthophoniste pointe
silencieusement chaque mot dont l’orthographe est erronée, indiquant
ainsi le lieu, mais pas la nature, de l’erreur. Ensuite viennent les questions
de grammaire qui mobilisent directement, quand ils existent, les repères
grammaticaux.
s Enfin, sont proposés des jeux d’associations sur le sens et les sons pour
travailler l’image du mot ou du segment de phrase [3]. Ainsi, pas à pas, au
fil des divers étayages se dessinent les points d’ancrage et les points de
faiblesse et se réamorce une réflexion sur le langage.

Les conduites de récit


– Une épreuve de langage originale
Le long chemin déjà parcouru par les enfants en difficulté qui sont adres-
sés à l’UPPEA, l’effet d’usure général et la particularité des questions qui sont
posées, ont donc amené l’équipe, et c’est une tradition à l’Unité, à rechercher de
nouveaux instruments moins contraints, plus ouverts, favorisant, pour ce qui nous
concerne, l’observation qualitative des conduites langagières. Et parmi celles-ci
des conduites de récit.
Le récit est en effet une pratique langagière première, incontournable. Très
tôt l’enfant commence à raconter, même avec des moyens linguistiques encore
peu développés. Certains auteurs (Brigaudiot/Danon Boileau) [2] considèrent le
« bravo » avec lequel l’enfant ponctue ses premiers pas comme un récit à part
entière, sous entendant par là que dans ce « bravo » sont contenus un sujet
(l’enfant), une adresse (le ou les adultes spectateurs), une temporalité ( je suis
parti d’ici et je suis arrivé là), une action ( j’ai marché) et une tension (ce n’était
pas gagné). Cette mise en mot minimale d’une épopée corporelle fondatrice
s’enrichit au fil des années, se sophistique, se diversifie. Mais, pour qu’il y ait
Une fabrique d’outils cliniques 109

récit, ces fondamentaux demeurent. L’enfant devient progressivement capable


de raconter autre chose que ses propres éprouvés. À quatre ans, l’enfant peut
restituer certains éléments d’une histoire ; vers huit ans, il maîtrise bien cette
pratique, par la suite largement convoquée, à l’oral comme à l’écrit, au cours
des apprentissages.
Au départ (années 1985-1995), objet d’étude d’une équipe du CNRS4, dont
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les travaux ont d’abord porté sur les compétences narratives des enfants non-lec-
teurs, les conduites de récit ont progressivement été intégrées au bilan de langage
dans une procédure maintenant formalisée.
Deux supports sont proposés à l’enfant : une bande-dessinée (Figure 7-11) et
un récit à paraphraser (voir encart ci-dessous). La bande-dessinée est un support
visuel. Après un temps d’observation, le support est retiré et l’enfant est invité
à raconter l’histoire à une tierce personne qui ne la connaît pas. La paraphrase
consiste à restituer une courte histoire qui a été lue à l’enfant une ou deux fois.
Dans la paraphrase, les mots sont donnés, reste à élaborer les images mentales.
Dans la bande-dessinée, les images sont données, il lui faut trouver les mots.
À noter que la comparaison des deux récits obtenus, leur homogénéité ou leur
disparité éventuelles, peut éclairer un mode de fonctionnement de l’enfant, plus
auditif ou plus visuel, et orienter les interrogations et les investigations.

Épreuve de paraphrase de récit


Texte lu à l’enfant : « Un voyage dangereux »
Souvent Paul va en Bretagne effectuer des livraisons avec son camion. Un jour,
à la sortie d’un village, il voit deux infirmières qui lui font signe. Des infirmières,
il ne pouvait pas les laisser seules au bord de la route ! Il les fit monter dans son
camion. Il essaya de leur parler. Elles ne répondaient presque rien et elles avaient
une grosse voix. Bientôt il leur trouva un air bizarre. Il avait lu dans le journal
qu’une banque avait été dévalisée par deux bandits quelques jours auparavant.
Paul pensa : « Ces bandits ont pu se déguiser en infirmière, et c’est peut-être
eux qui sont assis à côté de moi. »

4. Laboratoire d’études sur l’acquisition et la pathologie du langage chez l’enfant, université de


Paris V – CNRS, URA 1031.
110 En pratique

Alors il eut peur. Et peu après, en traversant Nantes, il s’arrêta devant un hôtel et
dit aux deux infirmières qu’il n’allait pas plus loin. Elles s’en allèrent rapidement
sans le remercier.

Après dîner, la radio annonça : « On vient d’arrêter près de Nantes les auteurs
du hold-up de la Banque Populaire®, ils avaient pris des habits d’infirmière et
faisaient de l’auto-stop. Malheureusement pour eux, ils ont stoppé une voiture
dans laquelle se trouvaient des gendarmes. Un des gendarmes les a reconnus :
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ils portaient de grosses chaussures d’homme ! ».

Eh bien, Paul l’avait échappé belle.

Une analyse des narrations des enfants, enregistrées puis transcrites, est ensuite
menée pour repérer comment, et à quel degré, l’enfant peut-il s’impliquer dans
ses récits, de quelle place parle-t-il, et quelle place attribue-t-il à son interlocuteur.
C’est ce qu’on appelle les manifestations de la subjectivité langagière.
De fait, la qualité d’un récit ne joue pas uniquement, loin s’en faut, sur la
mise en œuvre de compétences lexiques et syntaxiques. Bien raconter, c’est
être capable de se décentrer suffisamment pour s’adresser à un interlocuteur
supposé ne pas connaître l’histoire et lui fournir les éléments (« qui » fait
« quoi ») dont il a besoin pour comprendre. Cette capacité à se différen-
cier, à se placer du point de vue d’autrui se manifeste à travers différents
indicateurs. Par exemple, la façon dont les personnages sont introduits : un
enfant qui débute son récit par « l’ours, il » utilise d’emblée l’article défini
et présuppose par là même un savoir partagé avec son interlocuteur (il par-
tage des connaissances et un vécu plus qu’il ne raconte). Autre exemple,
pour la reprise des personnages dans le fil du récit, l’utilisation d’anaphores
floues (« … l’ours mord le poisson. Il part ». On peut alors se demander :
qui part ?) est la marque d’une pratique de langage encore très empreinte
de petite enfance. Elle signifie que quelque chose du passage de la langue
de la maison, de l’intime, à l’autre, celle de l’école par exemple, ne s’est pas
totalement accompli. Il faut aussi pouvoir décoder l’implicite inhérent à tout
support – tout ne peut être mis en mots et à fortiori en images. Il y a toujours
des vides à traiter, à lire et à interpréter. C’est particulièrement vrai dans
la bande-dessinée où le support visuel est par essence incomplet. Chaque
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111

Dupa © Le Lombard (DARGAUD – LOMBARD s.a.), 2014.


Figure 7-11. Bande dessinée Cubitus.
Une fabrique d’outils cliniques
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112 En pratique

image ne représente qu’un moment, initial ou final, d’une action. L’enfant est
donc amené à penser ce qui s’appelle « l’entre image », ce vide apparent qui
sépare/réunit deux images. C’est sa capacité à se représenter ce qui n’est pas
montré, à faire des hypothèses qui est sollicitée. Certains enfants collent au
support et s’appuient essentiellement sur leurs capacités mnésiques, au risque
d’ailleurs d’oublier certains éléments. Ils produisent alors des récits linéaires,
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descriptifs, souvent ternes.
Après l’avoir décodé, il faut ensuite pouvoir manipuler cet implicite pour en
transmettre les clés sans pour autant le dévoiler trop précocement.
Il faut aussi être en mesure de hiérarchiser les événements principaux et secon-
daires. Une histoire se déroule à plusieurs niveaux.
Un premier niveau, celui des actions et de leurs complications, ce qui est appelé
la trame, composée des événements principaux. Cette trame est essentielle mais
insuffisante pour susciter l’attention et l’intérêt de l’interlocuteur.
Un second niveau sous-tend et explique le premier, celui des éléments
secondaires. Plus un récit est riche, plus il présente d’éléments secondaires
explicatifs, souvent situés dans le registre des émotions (« Il le mord…pour se
venger. Il pleure… parce qu’il a mal. Il se réveille… parce qu’il a peur »). La
variété des affects que l’enfant prête aux personnages vient justifier les actions,
expliciter les liens entre les images, les liens interpersonnels et détermine la
tonalité du récit. Du récit purement descriptif où seule la succession des actions
porte le sens (« Il nage. Un poisson lui mord la queue. L’ours mord à nouveau
le poisson. »), évacuant ainsi toute émotion, toute tension, au récit très animé
qui fait la part belle aux ressentis des protagonistes (« …le poisson le mord. Il
a mal et pour se venger… »).
Ainsi, le choix de certains éléments de langage, le type de construction d’un
récit, sa structure, son rythme, ses lacunes ou ses trop-pleins sont autant d’indica-
teurs de la façon dont l’enfant s’approprie le langage, s’y engage et s’y positionne.
Il faut ensuite vérifier si cette position perdure, ou non, dans les autres pratiques
langagières observées au cours du bilan orthophonique. Y-a-t-il par exemple cor-
rélation entre un effacement du sujet dans le récit et des difficultés importantes
Une fabrique d’outils cliniques 113

d’accès au langage écrit ? Les récits des enfants non-lecteurs, souvent lacunaires
et pauvres, le disent [4].
Il faut également vérifier si cette position est spécifique au langage ou bien
s’étend aux autres domaines de la pensée. Par exemple, débordement de sub-
jectivité narrative et difficulté d’accès aux mathématiques se répondent-ils ? Une
difficulté à hiérarchiser les événements d’un récit fait-elle écho à un défaut d’orga-
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nisation temporelle et à une difficulté à sérier des éléments ?
Au-delà de ces difficultés à raconter, on rencontre des impossibilités totales,
par exemple chez des enfants psychotiques qui, le plus souvent appréhendent
chaque image de la bande dessinée comme un univers fragmenté, sans rapport
avec ce qui précède ni ce qui suit, ruinant toute amorce narrative.
Interroger les conduites de récit permet ainsi d’éclairer l’articulation spécifique
pour chaque enfant entre la façon dont il raconte et la façon dont il écrit, dont il
pense et dont il compte. Les possibilités d’interrogations croisées sont multiples,
elles font la richesse du bilan et favorisent l’émergence d’hypothèses qui peuvent
venir relancer un fonctionnement souvent figé, tant du point de vue de l’enfant
que des équipes.

Pour en savoir plus


1. Borel Maisonny S. Langage oral et écrit. Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, édition 1973.
2. Brigaudiot M, Danon Boileau L. La naissance du langage dans les deux premières années. PUF, Paris, 2009.
3. Chassagny C. Pédagogie relationnelle du langage. PUF, Paris, 1977.
4. Kugler A-M, Préneron C. Conduites narratives : récits d’enfants non lecteurs. In : Des enfants hors du lire,
sous la direction de C. Préneron, C. Meljac et S. Netchine, Païdos Recherche, 1994.
5. Pef. La belle lisse poire du prince de Motordu, Gallimard, Paris, 1980.
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Chiffres toujours coupés

Une fabrique d’outilspar la pièce de puzzle :


Univers 55 roman
corps 44

thérapeutiques

Graphothérapie clinique
et remédiation en langue écrite
– Deux approches spécifiques
de difficultés avec l’écrit

En français, les termes « écrire », « écriture » peuvent prêter à confusion. En


effet, ils désignent tout autant la langue écrite, la manière d’exprimer sa pensée
par l’écrit, que l’inscription d’un texte et la trace matérielle ainsi produite.
Il arrive qu’on retrouve cette ambiguïté dans les demandes de consultation,
les motifs en sont en effet bien souvent présentés comme « difficultés à l’écrit »,
« problèmes en écriture », sans plus de précision.
S’agit-il d’un empêchement dans le maniement de la langue écrite (pour
orthographier ou lire) ? Ou cela concerne-t-il plutôt la trace écrite et l’inscrip-
tion ? Et dans ces contextes, en quoi la remédiation en langue écrite ou la gra-
phothérapie clinique seraient-elles des indications thérapeutiques individuelles
pertinentes ?
116 En pratique

Les premières rencontres avec l’enfant et sa famille vont permettre de préci-


ser le plus finement possible la forme que prennent ces embarras. Une attention
particulière sera portée sur le rapport que l’enfant entretient avec l’écrit et
notamment sur la manière dont il appréhende les lettres.

POINTS CLÉS – Les lettres


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ğ Ce sont les éléments fondamentaux de la langue écrite dans notre système
alphabétique. La constitution des écritures alphabétiques est le fruit d’une
longue histoire, de la Mésopotamie antique à nos jours… [5]. Ce trajet est
celui d’une symbolisation progressive des premières traces déposées sur
différents supports (os, cornes, terre, argile, papier, etc.).
ğ Chaque enfant qui « apprend » à écrire, refait pour lui-même, le trajet de la
symbolisation. Les lettres de notre alphabet actuel peuvent s’appréhender
selon trois dimensions :
• Réelle : c’est la trace matérielle laissée sur le support d’écriture, celle qui
demande à l’enfant d’engager son corps et son geste pour tracer ; c’est
également la trace sonore, celle qui s’entend lors de l’épellation.
• Imaginaire : c’est le dessin de la lettre, la forme que l’enfant doit
« apprendre » à tracer et à reproduire.
• Symbolique : cette forme matérialisée, reproductible et identifiable, reçoit
une valeur arbitraire (elle est associée à un son de la langue orale) et devient
ainsi un élément du code en vigueur pour qu’une langue puisse s’écrire et
se lire.

La graphothérapie clinique
M. Laurent, M. Schnaidt

La graphothérapie clinique s’adresse à des enfants ou des adolescents qui


« écrivent mal », c’est l’inscription de l’écriture qui les gêne. Leur écriture
n’est pas fonctionnelle, c’est-à-dire qu’elle n’est pas suffisamment lisible ou
trop lente.
Ce trouble dans l’écriture ouvre bien des questions. Qu’en est-il de cette
« difficulté d’apprentissage » ? L’écriture est-elle seulement l’acquisition d’une
compétence scolaire ? [2] Que viennent vraiment mobiliser l’écriture et l’acte
d’écrire ?
Une fabrique d’outils thérapeutiques 117

Trace, lettre, écriture


Pour tout un chacun, écrire est une activité éminemment complexe à la croisée
de plusieurs champs.
Le champ du corporel d’abord : lorsque l’on écrit, on déploie un mouvement.
L’enfant trace l’écriture, la façonne de sa main. Il doit apprendre à tenir un stylo, à
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former des lettres, à les organiser sur des lignes. Écrire nécessite donc un certain
savoir-faire.
Écrire, c’est aussi inscrire du langage et de ce fait le champ symbolique est
convoqué : les lettres ne sont pas seulement des formes, ce sont des symboles
langagiers, elles représentent des sons de la langue.
Plusieurs étapes et toute la durée de la scolarité primaire sont nécessaires à
l’enfant pour qu’il donne à l’écriture sa pleine dimension symbolique et langa-
gière. Cette mise en place s’articule à l’apprentissage du langage écrit (la lecture
et la transcription).
Lorsque l’enfant commence à écrire à l’époque de la maternelle, il cherche
à reproduire des formes : il trace les lettres et les mots comme s’il les dessinait,
par petits segments, plus ou moins bien ajustés les uns aux autres (le « m », par
exemple est constitué de trois petites cannes). À cette étape, la lettre n’est pas
différenciée en tant que telle.
On peut considérer que la lettre a acquis un statut de symbole lorsque l’enfant
la trace comme une unité qui équivaut à un son, et qu’il est en mesure de lier
harmonieusement plusieurs lettres entre elles pour inscrire des mots.
L’acte d’écrire devient véritablement un acte de langage lorsque l’enfant porte
essentiellement son attention sur ce qu’il dit en écrivant plutôt que sur le tracé
de l’écriture.
Tout en étant langage, l’écriture toutefois garde sa qualité de trace. C’est une
trace séparée de soi : contrairement à la communication orale qui implique la
présence de l’autre, lorsqu’on écrit on s’adresse à quelqu’un qui n’est pas là.
C’est aussi une trace représentative de soi, elle est fixée sur un support, offerte
au regard et à l’appréciation de celui qui va lire.
118 En pratique

D’où l’importance pour l’enfant qui s’approprie l’écriture d’être suffisamment


confiant en lui-même, dans sa propre valeur, sa propre image, et d’être en mesure
d’élaborer les représentations liées à la perte et à l’absence.
La mise en place de l’écriture renvoie ainsi à la capacité à conjuguer les champs
du corporel, du symbolique et de la trace. Écrire ce n’est donc pas seulement
bouger les doigts et reproduire des formes, l’écriture confronte aussi chacun à
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des enjeux identitaires, relationnels et affectifs essentiels.

Le trouble dans l’écriture


Certains enfants ont beaucoup de mal à faire avec ces enjeux complexes,
propres à l’inscription. L’observation montre que, chez eux, l’acte d’écrire s’ac-
compagne chaque fois d’un malaise corporel. Ils sont agités, tendus, crispés parfois
même jusqu’à l’ébauche de crampe ; leur mode de faire est entravé, retenu par
la tension, leurs articulations sont verrouillées, leurs doigts peuvent être serrés sur
le stylo empêchant toute mobilité. Souvent, ils se plaignent de fatigue, voire de
douleur à la main, aux doigts, etc. ; il arrive aussi que leur main transpire, que leur
respiration se bloque. Le rythme et la pression de leur écriture sont souvent anar-
chiques et discontinus ; le trait est alors par moments très appuyé, par moments
ténu, à d’autres, vacillant, trembloté.
L’entourage remarque rarement ce malaise corporel. C’est plutôt l’écriture qui
retient l’attention, elle peut être en effet très dysharmonieuse, le tracé des lettres
est particulièrement malmené. Elles ne sont, pas inscrites comme une unité mais
tracées par petits fragments de trait. Elles sont, d’autre part, mal différenciées dans
leur forme et leurs proportions (les « a » ressemblent à des « o », les « l » à des
« e »…). Leurs liaisons sont aléatoires et achoppent la plupart du temps, elles
s’enchevêtrent ou sont trop écartées. On peut dire que ces lettres n’ont pas en
réalité un statut de lettre symbolique, elles continuent d’être appréhendées dans
leur forme, comme du dessin. Ainsi, on voit, à la façon dont ces enfants tracent les
lettres et les mots, qu’ils n’ont pas donné à l’écriture sa véritable appartenance
symbolique et langagière.
Cette écriture désordonnée, difficilement lisible, désorganisée par la tension,
montre bien leur relation conflictuelle à l’inscription du langage.
Une fabrique d’outils thérapeutiques 119

Que recouvrent ces difficultés avec l’inscription ?


Ces enfants n’ont pas de difficulté avec le langage, aussi bien à l’oral qu’à l’écrit.
Ils parlent souvent très bien, ils peuvent disposer d’une bonne orthographe et
rédiger des textes de qualité. Ce n’est pas non plus un problème de maladresse,
ils sont capables de bien dessiner et de montrer une certaine aisance dans leurs
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activités sportives, par exemple.
Le travail de consultation auprès d’eux et de leur famille a permis d’observer
que l’embarras qu’ils rencontrent avec l’écriture s’inscrit toujours dans un
ensemble de difficultés plus large qui s’exprime au plan du comportement et au
plan relationnel.
En effet, il s’agit d’enfants dont le rapport aux autres, le mode de penser et la
manière de sentir, sont très contrastés et déconcertants. Ils peuvent être charmants,
agréables dans l’échange et à d’autres moments extrêmement agaçants car raides
dans leur pensée et dans leurs opinions. Ils sont normalement intelligents mais ils
peuvent être en échec scolaire du fait de leur refus de l’effort et de leur résistance
à composer avec les règles et les contraintes. Ce sont généralement des enfants
très exigeants avec eux-mêmes, mais prompts à se décourager lorsque leurs réa-
lisations ne sont pas à la hauteur de leurs attentes.
Ils sont aussi souvent d’une grande sensibilité, mais ils ont beaucoup de mal à
percevoir ce qu’ils ressentent ; leurs émotions, leurs affects sont confus et s’expri-
ment plutôt sous forme de manifestations corporelles. Ces enfants peuvent par
exemple être débordés émotionnellement, agités, tendus, ou bien sujets à des
affaissements toniques, à des effondrements d’allure dépressive.
On s’aperçoit d’autre part qu’ils sont particulièrement sensibles à toute expé-
rience autour de la séparation et de la perte, ce qui les conduit à adopter des posi-
tions de maîtrise rendant leurs relations aux autres particulièrement compliquées.
Ces particularités du fonctionnement psychique se rencontrent à des degrés
divers chez tous, et elles s’expriment de manière plus ou moins perceptible.
Parfois, le mal être de l’enfant se signale d’abord dans sa difficulté à bien écrire ;
dans d’autres cas, la question de l’écriture peut passer totalement inaperçue ou
seulement en arrière-plan d’une symptomatologie beaucoup plus marquée.
120 En pratique

Mais, dans tous ces cas, le trouble avec la trace écrite fait partie intrinsèque de
ce tableau clinique qui révèle un enfant insuffisamment robuste dans ses assises
identitaires et narcissiques, c’est-à-dire fragilisé dans sa capacité à accéder à un
statut de sujet bien différencié [4]. Cette organisation psychique n’est pas sans
évoquer ce que Roger Misès a décrit sous le terme de « pathologies limites de
l’enfance ».
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Ce sont ces problématiques complexes qui vont être prises en compte dans
le cadre de la graphothérapie clinique. Cette approche thérapeutique, d’ordre
psychothérapique, a en effet été entièrement pensée en référence à l’organisation
psychique de ces enfants.

Roger Misès
(1924-2012)

Roger Misès, clinicien et formateur hors pair, psychiatre et psychanalyste,


membre titulaire de la Société psychanalytique de Paris, professeur de pédopsy-
chiatrie à l’université Paris-Sud, a profondément marqué l’histoire de la pédopsy-
chiatrie de son empreinte.
En 1957, il reprend la direction de la Fondation Vallée, établissement de santé
mentale pour enfants et adolescents situé à Gentilly. À l’époque, la psychiatrie
est asilaire ; il trouve à son arrivée plus de deux cents enfants considérés comme
des « arriérés » et à ce titre, ne faisant pas l’objet de prise en charge thérapeu-
tique propre. Il dirigera cet établissement jusqu’en 1990, en faisant un lieu de
référence de la pédopsychiatrie française, révolutionnant au passage ce que l’on
appelle aujourd’hui la psychothérapie institutionnelle. Il change ainsi radicalement
la prise en charge des enfants accueillis dans ce lieu, engageant une réflexion à
la fois sur la conception de leur trouble, la manière de les traiter, la formation des
équipes, et améliore les conditions d’hébergement.
Ce parcours donnera lieu à diverses publications, et à l’élaboration du concept
de « dysharmonies d’évolution » pour aborder la question des états limites de
la personnalité.
Une fabrique d’outils thérapeutiques 121

Il ne reniera jamais cet engagement humaniste, qui le conduira à s’intéresser


à tous les débats importants de la profession. Il sera aussi un pilier de la politique
de la sectorisation, en préconisant le développement de soins de proximité, en
multicollaboration ; il s’intéresse également à la question de la classification des
troubles mentaux pour laquelle il défend un axe psychodynamique en s’opposant
à la vision anglo-saxonne du DSM ; avec le psychologue Roger Perron, il codirige
le laboratoire d’études génétiques de la personnalité (université Paris-XI-CNRS)
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consacré à la psychopathologie infantile.

Auteur de nombreux ouvrages – dont La cure en institution (ESF, 1980) et Les


pathologies limites de l’enfance (PUF, 1999) –, il supervisa, en 1987, La classifi-
cation des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent (éd. EHESP), dont la
troisième révision est parue en 2012.

En dernier lieu, il participe au débat lié à la publication de la Haute autorité de


santé (2012), à propos des recommandations sur la prise en charge des enfants et
adolescents autistes qu’il interroge avec tout le poids de son expérience clinique
et la rigueur de pensée qu’on lui connaît.

Le dispositif thérapeutique
Dès les années 1960, les études menées sous la direction du professeur Julian
de Ajuriaguerra sur les enfants qui « écrivent mal » avaient permis de mettre
en évidence l’état tensionnel caractéristique de leur difficulté. La nécessité d’un
cadre thérapeutique spécifique s’est imposée ; il s’est inspiré des travaux de la
même époque concernant la relaxation [1]. La graphothérapie clinique s’est ainsi
élaborée comme une approche de relaxation spécifique, prenant en compte
l’engagement du corps dans l’acte de tracer. Un travail de conceptualisation se
poursuit depuis autour de Marie-Alice Du Pasquier, psychanalyste [3].
La graphothérapie clinique ne concerne jamais directement l’écriture. Il ne
s’agit pas d’un travail de remédiation, ni de rééducation dans lequel on corrigerait
l’écriture de l’enfant ou son mode de faire. Le processus thérapeutique repose
sur la mise en jeu des articulations entre le corps, la trace et le regard au travers
des échanges transférentiels1 entre l’enfant et le thérapeute.

1. Transfert : processus par lequel les désirs inconscients s’actualisent dans le cadre d’une relation
thérapeutique.
122 En pratique

Concrètement, en séance, l’enfant est assis à une table, face au thérapeute. Il


dispose d’une grande feuille de papier et de pastels. Il est invité à réaliser des
tracés, « le plus librement possible », en étant attentif à ce qu’il peut percevoir
dans son corps lorsqu’il trace.
Ces tracés ne sont jamais de l’écriture, ni du dessin. Ils sont envisagés comme la
projection d’un mouvement dans toutes ses composantes kinesthésiques, toniques et
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sensorielles. C’est-à-dire comme la projection du vécu corporel tel qu’il va s’expri-
mer dans la texture de la trace et se visualiser sur la feuille. Peuvent ainsi être pris en
compte par exemple la manière dont l’enfant investit l’espace de la feuille : est-ce qu’il
déborde ou au contraire est-ce qu’il se restreint, mais aussi la façon dont il module son
tonus dans l’appui ou dans l’effleurement, de même que le rythme avec lequel il trace.
Au début, puis éventuellement à d’autres moments de la thérapie, le théra-
peute propose les tracés et les réalise devant l’enfant, favorisant ainsi des possi-
bilités d’identification.
Par ailleurs, il intervient dans une perspective de mise en sens en commen-
tant ou en formulant des hypothèses à propos de ce qu’il observe chez l’enfant.
Ces interventions visent à aider celui-ci à percevoir, à différencier, à nommer ses
éprouvés, afin qu’il puisse se les approprier et leur donner toute leur dimension
émotionnelle et affective.
L’objectif de cette approche n’est pas l’amélioration de l’écriture en elle-même,
il s’agit plutôt d’offrir à l’enfant la possibilité d’élaborer ce qui fait frein dans son
fonctionnement. Il pourra ainsi à mesure aménager un rapport plus confiant à lui-
même, un rapport aux autres davantage ajusté, gages d’une inscription plus sereine.

Paul, mode d’inscription, mode d’être


Paul, 9 ans, termine son CM1 lorsqu’il nous est adressé par
l’école, pour des difficultés avec l’écriture. Son maître n’arrive
pas à le lire et on lui reproche d’être trop lent.

Lors du premier entretien et de l’examen de l’écriture, Paul


s’exprime dans un langage riche et bien construit mais son discours souvent
prolixe et son agitation de fond laissent percevoir un malaise et une difficulté à
trouver une place suffisamment confortable dans l’échange.
Une fabrique d’outils thérapeutiques 123

Il explique qu’il a essayé de faire des efforts pour avoir une écriture plus lisible
mais rien n’y fait : « mon écriture reste moche ». Paul souligne qu’il aime bien
écrire et que son écriture lui convient lorsqu’il a le temps de s’appliquer. En plus
de ces difficultés, Paul fait part de résultats faibles en mathématiques précisant
alors que pour ces exercices, il utilise sa propre méthode plutôt que celle de son
maître: « il n’accepte pas ma méthode, il ne comprend pas ! ». Ses relations avec
ses camarades de classe sont complexes et instables : il a du mal à garder ses
amis et il se fait souvent malmener par les autres.
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À l’examen de l’écriture, on observe un état tensionnel très net ; Paul semble
mobiliser tout son corps, son poignet est raidi, ses doigts sont très serrés autour
du stylo et peu mobiles. Son geste d’inscription est saccadé plutôt que rapide.
Ce mode de faire et cette tension se traduisent dans une écriture fragmentée,
au tracé trembloté et aux lettres anguleuses et mal différenciées.

Paul reconnaît spontanément une crispation dans le bras ainsi que la sudation
de sa main. Il confie que cela le gêne particulièrement. En effet, il est souvent
obligé de s’arrêter d’écrire pour détendre son bras, ce qui le ralentit d’autant plus.
Il aimerait bien être aidé.

Les parents de Paul, de leur côté, confient leur découragement. Sa mère explique
qu’elle a du mal à le comprendre depuis toujours, contrairement à sa fille aînée.
Elle décrit un enfant impulsif, « difficile à gérer », qui manque de confiance en
lui ; il se dévalorise beaucoup. Il ne supporte pas l’échec et la frustration peut
l’amener à « piquer des crises très impressionnantes ». Le moment des devoirs
est particulièrement conflictuel ; il rechigne à s’y mettre et ne peut travailler qu’en
sa présence.

On note aussi un sommeil difficile, depuis toujours, avec de gros problèmes


d’endormissement, et un eczéma qui se manifeste par périodes depuis la petite
enfance.

Cette année scolaire a été particulièrement laborieuse pour Paul, ses difficultés se
sont révélées plus pénalisantes qu’en début de primaire. Les parents s’inquiètent
aussi beaucoup de son attitude de plus en plus préoccupante.
124 En pratique

Nous proposons que Paul soit revu dans le cadre d’autres examens afin de préci-
ser ses embarras et de réfléchir à une approche thérapeutique pertinente.

Les résultats à l’UDN-II montrent qu’il dispose bien des capacités attendues à
son âge, mais qu’il peut être freiné dans sa pensée par des positions de maîtrise
irréductibles.

Les épreuves projectives montrent également des mécanismes de contrôle coû-


teux sur le plan de la mobilité de pensée. Les récits de Paul se caractérisent par
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des thématiques régressives et dépressives. L’angoisse de séparation est vive.
On observe aussi un monde émotionnel très confus et vite envahissant.

La graphothérapie clinique nous a semblé être le cadre thérapeutique dont Paul


pourrait bénéficier au mieux, compte tenu du fonctionnement qui se dégageait
de ce bilan. Cette prise en charge a débuté quelques semaines plus tard.
Selon le dispositif décrit précédemment, Paul est invité à tracer en cherchant un
mouvement le « plus libre possible ». Il se montre extrêmement mal à l’aise dans
les débuts de ce travail quels que soient les tracés qu’il est amené à réaliser.

Ainsi, à chaque début de séance, Paul tend systématiquement le pastel au


thérapeute pour qu’il lui propose une trace qu’il va ensuite s’efforcer de suivre
scrupuleusement. Il ne peut s’en écarter, restant dans un collage, fondant
sa trace dans celle de l’autre, ni prendre aucun élan. Il semble alors animé
par une vive crainte de mal faire, mais il est difficile à ce stade-là de savoir
précisément ce qui sous-tend cette attitude. Il paraît pris dans une certaine
ambivalence vis-à-vis de son thérapeute dont il semble à la fois réclamer et fuir
la présence. Ce malaise se perçoit aussi dans sa posture, dans son mode de
tracer. Paul semble comme enroulé sur lui-même, le torse voûté, son regard
restant accroché à la trace, évitant celui de l’autre. Son avant-bras, engagé
d’un seul bloc, est entièrement suspendu, sans contact avec la feuille. Paul
ne sent rien et, par exemple, doit regarder son épaule pour déterminer si elle
est haussée ou non.
Il trace de manière égale, sans jamais faire varier la pression ou la vitesse de son
geste. Toute invitation à explorer ces divers modes de faire tombe finalement à
plat. Il semble que la confrontation à une différenciation qui permettrait la percep-
tion d’un quelconque ressenti corporel est alors pour lui difficile d’accès.
Une série d’absences imprévues, tant de son fait que de celui du thérapeute, et
la rupture ainsi provoquée va venir bousculer cette apparente immobilité du travail.
Dans la suite des séances, Paul alors privilégie un mouvement d’aller-retour qui
mobilise le déplacement de l’avant-bras autour du coude. Ce tracé en va-et-vient,
tout en permettant une continuité, impose une scansion. Et Paul qui, jusque-là,
Une fabrique d’outils thérapeutiques 125

s’engageait dans ce tracé de manière uniforme, s’installe progressivement dans


un mode de faire moins mécanique. Il peut, par exemple, poser davantage son
avant-bras sur la feuille, sa colonne vertébrale peut commencer à se dérouler et
son menton à se décoller de son torse. Le mouvement est davantage investi et se
différencie. Le rythme, notamment, est plus nuancé, indiquant que la temporalité
commence à s’incarner et à s’intérioriser.

Indéniablement, un changement s’est ébauché. On peut faire l’hypothèse que


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cet épisode inattendu de pertes et de retrouvailles répétées, l’a amené à éprou-
ver la continuité du travail et la permanence du lien au thérapeute. Cela semble
avoir permis l’installation d’une relation transférentielle plus souple et on voit ici
comment Paul peut commencer de trouver plus tranquillement sa propre place.
Cette séquence de graphothérapie clinique montre comment ce dispositif spé-
cifique a permis l’amorce d’un processus d’individuation. Au cours des mois
suivants ce mouvement s’est révélé, par exemple, au travers des échanges
avec le thérapeute dans les récits que Paul peut construire à l’occasion des
parenthèses de vacances. Contrairement au début de la prise en charge, où
il ne pouvait absolument rien dire de ces moments d’absence, qui restaient
alors vides de représentation, Paul devient progressivement plus libre de
les évoquer avec des mots. Il peut aussi montrer davantage qu’il est touché
émotionnellement dans certains moments de séparation, par exemple en se
plaignant de « fatigue ».

Dans le même temps, Paul commence à exister de manière moins ténue c’est-
à-dire dans une posture plus campée. Il est plus à même de déployer son
geste dans la recherche d’une aisance, et d’ajuster spontanément le déroulé
de son mouvement en fonction de son ressenti. Il paraît donc progressivement
pouvoir ainsi s’éprouver à travers un espace corporel et un espace psychique
plus définis.

Pour en savoir plus


1. Dechaud-Ferbus M. La psychothérapie psychanalytique corporelle. L’inanalysable en psychanalyse. Le divan
par devant. L’Harmattan, Paris, 2011.
2. Du Pasquier MA, Schnaidt M. Mal écrire, une affaire d’apprentissage ? In : Que nous apprennent les enfants
qui n’apprennent pas ? Érès, Toulouse, 2003, pp. 223-233.
3. Du Pasquier MA. L’enfant qui écrit mal. Ou la difficulté d’accès au symbolique interrogée à travers l’écriture.
La psychiatrie de l’enfant. Tome XLV, 2002, 2, pp. 333-377.
4. Misès R. Les pathologies limites de l’enfance. PUF, Paris, 1990.
5. Pommier G. Naissance et Renaissance de l’écriture. PUF, Paris, 1993.
126 En pratique

La remédiation en langue écrite


G. Ginoux
Il existe dans notre société, un nombre non négligeable d’enfants qui restent
coincés dans des difficultés considérables et persistantes de l’apprentissage de la
lecture et de l’écriture. À l’occasion de la pratique de consultations et d’examens
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à l’UPPEA, de nombreuses demandes les concernant sont reçues.
Les jeunes consultants arrivent le plus souvent au bout de plusieurs années
d’échec des apprentissages dans l’attente d’un avis spécifique et de nouvelles
propositions thérapeutiques.
Ces demandes sont le plus souvent adressées par des équipes qui se sentent
embarrassées face à des enfants pour lesquels les solutions thérapeutiques habituelles
ne montrent que peu ou pas d’effet. Les enfants n’ont pu se saisir des différentes juxta-
positions de soin organisées et ils restent coincés dans un rapport impossible à l’écrit.
Durant les premières consultations, l’équipe tente d’envisager le rapport de
l’enfant avec le langage écrit d’une manière plus large et en lien avec sa position
subjective et son organisation psychique. Le dispositif proposé (qu’il s’agisse de
celui de l’observation ou de celui du soin) tente de conjuguer dans un même
espace, langage écrit, position subjective et organisation psychique.
Il est ainsi proposé à l’enfant dans un premier temps, ce qui est appelé « une
observation de la langue écrite ». Cette observation concerne plus spécifiquement :
– de jeunes enfants pour lesquels l’installation des précurseurs de la lecture
n’a pu s’organiser ;
– de jeunes apprenants présentant des troubles sévères et résistants de l’acqui-
sition de la lecture et de l’écriture ;
– des enfants et adolescents présentant des dysorthographies sévères et résistantes.

L’observation sur la langue écrite


Il s’agit du premier temps de rencontre avec l’enfant. Cette consultation porte
un regard attentif au rapport qu’il a progressivement construit et installé avec la
lecture et l’écriture, non seulement dans une visée diagnostique, mais aussi théra-
peutique dans l’idée de proposer par la suite un suivi spécifique.
Une fabrique d’outils thérapeutiques 127

Cette consultation qui se déroule de manière informelle est l’occasion pour


l’équipe soignante de prendre connaissance avec l’enfant de divers éléments :
– le niveau réel de ses connaissances en lecture et écriture ;
– les croyances organisées et développées face à l’écrit au sens large ;
– les procédures de non lecture à l’œuvre ;
– les procédures de lectures efficientes sur lesquelles il est possible de s’appuyer.
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Il nous a aussi semblé important de questionner le jeune consultant autour
d’axes complémentaires en lien avec son développement comme par exemple :
– le rapport au temps, à l’espace, à la filiation ;
– la représentation qu’il a (ou pas) de ses difficultés, de son histoire scolaire
et personnelle ;
– les relations entretenues avec ses pairs et sa famille.
La manière dont il a organisé et compris l’utilisation de l’écrit et son fonction-
nement est également regardée avec attention.

La lecture
L’accès à la lecture demande un certain rapport à l’abstraction et plus par-
ticulièrement le passage du rapport figuratif de la lettre à sa valeur symbolique
de signe linguistique. Ce qui est demandé à un enfant pour entrer dans l’écrit,
c’est bien d’accepter de négliger le dessin de la lettre, sa forme qui renvoie à son
nom. La lettre ne doit pas se montrer aveuglante par sa trop grande présence et
sa matérialité. Si l’enfant se laisse happer par l’indice perceptif de la lettre, son
accès au signe linguistique devient impossible. Il effectue alors un acte de recon-
naissance et non de lecture (cf. encadré « Les lettres », p. 116) [1].
Les enfants qui présentent des impossibilités à lire montrent une sorte d’in-
compréhension du fonctionnement combinatoire des syllabes dans l’écrit. Ils s’ins-
pirent aussi très souvent de « théories » qui finalement les empêchent d’utiliser
les règles de conversion grapho-phonétiques et ne peuvent rendre compte de
leur démarche individuelle de lecture. À la place, ce sont diverses stratégies spon-
tanées et inadéquates (devinement, nom de la lettre, syllabation, non-mots, etc.)
qui les empêchent d’accéder à la lecture. Cette pseudo-lecture se traduit par un
128 En pratique

enchevêtrement de perceptions et de comportements aléatoires où la représen-


tation de l’organisation et du fonctionnement de la lecture est absente.
Avec une utilisation d’éléments isolés du mot ou de la phrase, les enfants ne
parviennent que très difficilement à construire du sens. Ils ont un recours excessif
au contexte, lui-même construit à partir d’indices partiels. Ils s’enferment alors
dans une lecture hors sens.
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Par ailleurs, même s’ils ont un accès minimal à la lecture, celle-ci se résume le
plus souvent à ânonner une succession de syllabes sans que la question de la
compréhension et du rapport au langage ne soient représentés. Lire se résumerait
à « faire des sons », écrire, « à faire des lettres ».
Les enfants hors du lire se montrent aussi très attachés à certaines stratégies
et croyances régulièrement repérables et difficilement mobilisables.

POINTS CLÉS – Pour les enfants hors du lire


ğ Lire consiste à broder mais plus encore à deviner les mots à partir de recon-
naissances globales isolées et parcellaires.
ğ Lire consiste à détourner des mécanismes de lecture experte, concernant le
registre idéographique, pour produire une pseudo-lecture.
Flanelle → femelle → flamme / lapin → lapi → plus n → la peine / une pipe
→ le pape
Chaque matin notre lapin se sauve → c’est mon petit bain chaud
ğ Lire ne consiste pas à produire du sens mais représente une activité imposée
dont l’enfant ne veut pas. Il doit adopter une voix spécifique pour l’occasion
et il va par exemple, se mettre à ânonner.
ğ Lire consiste à dire le nom des lettres qui fonctionnent alors comme un
substantif non modifiable.
s Toi → t et o et i / du lion → o et u + i, ça fait oui
s Cravate → c et a ->ça , v et a → va → ça va

L’écriture

En ce qui concerne l’écriture, le grand nombre et l’instabilité de formes


graphiques qui existent en français constituent des écueils supplémentaires. Ce
paramètre du langage écrit les gêne considérablement et les pousse à réduire le
nombre de formes, refusant ainsi leur diversité en les limitant arbitrairement. Le
Une fabrique d’outils thérapeutiques 129

système orthographique se trouve mis de côté et il n’existera par exemple, qu’un


seul graphème pour eux correspondant au son /o/.
Le rapport à la lettre reste quant à lui complexe car la lettre ne semble pas avoir
acquis le statut de signe linguistique. De plus, la dysorthographie massive qui s’exprime
montre que la relation son/graphème ne s’est pas s’installée et se réduit, dans les cas
les plus extrêmes, à la juxtaposition aléatoire de lettres et/ou de graphèmes [4].
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Comme pour cette fillette âgée de 10 ans, reçue en observation du langage
écrit et pour laquelle l’écriture se résume à l’égrenage de lettres hors sens.

Corps et affects

Au moment où l’enfant se confronte à la lecture et à l’écriture, une attention


particulière est portée aux conduites de fuites, aux affects réactionnels plus ou
moins envahissants, que sollicite la lecture comme, la peur, l’inquiétude, le doute,
l’inhibition, l’évitement, etc. Ils peuvent se traduire par des décharges motrices et
langagières : agitation des jambes, maux de ventre, de tête, tics.
Tout cela s’articule aussi à la nécessité de se représenter l’organisation psycho-
pathologique de l’enfant ; travailler le rapport à l’écrit avec un enfant dont
130 En pratique

l’organisation psychique est du côté de la névrose ne relève pas des mêmes modalités
s’il est plutôt organisé du côté de la psychose ou s’il présente une pathologie limite.
C’est à l’issue de cette première observation que pourra être proposé à un
enfant un travail sur le langage écrit.
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Antoine, le corps dans tous ses états
Antoine est un jeune garçon de 9 ans qui est reçu pour un
non accès à la lecture et à l’écriture et qui n’a pu se saisir
des aides proposées. Lorsqu’il est reçu en observation sur
la langue écrite, Antoine, évoque des sentiments douloureux
concernant son histoire personnelle. Il se place devant une feuille de lecture et
commence quelques tentatives de lecture qu’il agrémente systématiquement
de « ouille, ouille, ouille… aille, aille, aille ». Antoine met beaucoup de conviction
à sa lecture bien qu’elle se résume à la nomination de lettres et à des associa-
tions de phonèmes incompréhensibles. Antoine lit visiblement les yeux fermés
et justifie avec beaucoup d’irritation sa lecture singulière : « là y a le mot, après
je ferme les yeux et comme ça je vois mieux pour lire dans ma tête ».

Le travail de remédiation
Le terme de « remédiation » a été choisi pour sa neutralité et sa maniabilité.
Cette pratique thérapeutique sort d’un modèle classique purement cognitif ou psy-
chopédagogique. Il s’agit d’une pratique qui est de l’ordre d’une thérapie de la lec-
ture. Elle s’appuie sur l’organisation d’un cadre thérapeutique spécifique qui laisse à
l’enfant la possibilité d’exprimer tout le rapport singulier qu’il a organisé avec l’écrit.
Cette position thérapeutique permet à l’enfant d’inscrire sur le papier et au travers
de la lettre et du lire, ses impasses, ses questionnements, ses peurs, ses angoisses
etc. ; tout ce qui peut faire échec à sa place de sujet face au langage et à sa loi
symbolique. C’est le « hors lire » qui est utilisé comme support thérapeutique [5].
Les erreurs produites, les impossibilités, les variations particulières ne sont jamais
envisagées sur le mode d’une méconnaissance, d’une faille, d’un retard, d’une
incapacité, d’un déficit mais plutôt comme l’expression d’impasses de construc-
tion psychique, de souffrance chez un sujet coincé « hors du lire ». Ainsi, une
Une fabrique d’outils thérapeutiques 131

séance peut uniquement s’organiser autour d’un travail sur une lettre si l’enfant
reçu en thérapie n’est pas en mesure d’aller plus loin.
La langue écrite est quant à elle toujours replacée dans une théorie plus géné-
rale du langage, de son histoire, de son organisation linguistique.

Camille,
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le débordement imaginaire de la lettre
Camille arrive très agité, « je suis tombé dans les arbres, on
faisait une bataille, ils m’ont pris, ils m’ont jeté ».
Camille prend un crayon, décide d’écrire « lavabo » :
– « Je le sais pas en français le “b“ ». Camille trace des « b » sur sa feuille de
toutes les tailles, puis il inscrit des ronds à l’intérieur d’un des « b » :

– « C’est un gros bébé, ou deux bébés, c’est mon frère et moi, j’étais un petit truc
et je suis sorti, je fais les ciseaux, c’est pour couper la ficelle… ça c’est la tête de
maman, je lui ai fait un petit bedon… coucou je suis sorti ! C’est moi ! Un gros petit
bébé, plein de grands cheveux, là aussi il est coupé, on voit la trace de la marque,
je donnais des coups de pieds, un petit pied cassé ».
132 En pratique

Camille continue à dessiner :

– « Un bonhomme, un bonhomme de “b“, “bb“, les cheveux “b“, les fleurs “b“,
partout “bb“, pleins de petites fleurs ».

Position subjective et non lecture


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Les enfants qui ne peuvent lire et écrire montrent des relations particulières
concernant l’apprentissage de l’écrit et mobilisent des positions subjectives spé-
cifiques.
L’ampleur des difficultés présentes chez ces enfants les conduisent à exprimer
des comportements de peur, de doute et d’angoisse face à la lecture et l’écriture.
La peur de l’échec, les blessures narcissiques sont autant de freins et d’obstacles
à leur entrée dans l’écrit.
Souvent, la nature et l’importance des embarras existants sont largement occultées
par l’enfant, par sa famille et parfois même par l’école. Dans des tentatives de colma-
tage des difficultés, les enfants développent des stratégies inadéquates, des solutions
partielles et aléatoires. Ils se construisent ainsi une carapace qu’ils trouvent sécurisante
et qu’ils expriment de diverses manières : passivité, inhibition, hyper-émotivité.
Le manque d’autonomie, la dépendance, le recours à l’autre sont permanents
non seulement en situation d’apprentissage mais aussi dans la vie quotidienne. Par
ailleurs, les difficultés de concentration font que l’attention de ces enfants est de
courte durée et fragile et ne se fixe que de manière fugace et dispersée. Enfin,
la présence d’une certaine rigidité cognitive rend difficile la prise d’initiatives,
l’organisation et le maniement d’hypothèses [2].
Des conduites de fuite et de répétitions stéréotypées durant la lecture, souvent
à des fins de vérification, signent une lutte contre le désir de savoir et l’acte de lire.
Il nous semble utile de préciser que parfois, le passage d’un enfant d’une quasi
non lecture à une lecture de qualité moyenne est difficile à accepter. Il lui semble
au départ que ce qu’il a acquis en lecture n’est pas véritablement avantageux
pour lui comparé à ce qu’il lui est demandé de fournir sur le plan des apprentis-
sages et de l’exigence scolaire. Il est alors enclin à préserver ses anciennes procé-
dures de fonctionnement et son rapport au lire afin de se rassurer.
Une fabrique d’outils thérapeutiques 133

Organisation et modalités de la remédiation


en langue écrite
La prise en charge des enfants en panne dans la lecture se fait au rythme d’une
séance hebdomadaire (soit individuelle, soit en groupe) d’une demi-heure et
utilise différents outils comme médiateur thérapeutique.
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L’enfant a le libre choix de tout l’écrit qu’il utilise. Il peut apporter ses écrits,
ses livres, ses lectures, ou utiliser tout ce qui concerne l’écrit et qui est à sa dis-
position dans le bureau. Un ordinateur est aussi à sa disposition et le choix de
son utilisation dépend aussi de lui. L’ordinateur aide les enfants et adolescents
à contourner certaines inhibitions particulièrement invalidantes comme les rejets
du papier et de l’écriture manuelle. Il présente divers logiciels didactiques,
comme des dictées visuelles ou un travail sur la grammaire de la phrase. Le
choix du travail se fait avec l’enfant qui participe ainsi à l’organisation de ses
apprentissages.

POINTS CLÉS – La lecture en couleur


ğ Il existe plus spécifiquement un média thérapeutique qui utilise la couleur2
et qui est représenté par des tableaux affichés sur les murs. La couleur
présente un intérêt majeur comme média d’apprentissage du fait de ses
qualités d’invariance, mais aussi de son caractère familier et de sa fonction
de délimitation et de contenance [3].
Les panneaux en couleur se déclinent en trois outils différents qui corres-
pondent à trois niveaux de relation entre oral et écrit :
s Un niveau général : c’est la mise en relation son/couleur.
s Un niveau articulé : cette relation son/couleur est appliquée au système de
transcription (langue orale/ langue écrite).
s Un niveau systématisé : les mots sont organisés en fonction de cette cor-
respondance son/couleur. Il s’agit de faire jouer un invariant qui est la cou-
leur dans un rapport avec les unités linguistiques de la langue (par exemple
« ou » est inscrit en vert quelle que soit sa représentation graphique, « i »
en rouge, « a » en blanc, etc.).

2. Il s’agit de l’application d’une théorie de l’apprentissage développée par Caleb Gattegno.


134 En pratique

ğ Premier outil
s Il est représenté par un seul tableau noir où le premier niveau de correspon-
dance son-couleur est représenté par 37 rectangles de couleurs différentes.
Il permet de médiatiser la relation oral/écrit dans la modalité non alphabé-
tique que constitue la couleur. Ce tableau qui ne comporte aucune lettre
permet de neutraliser le rôle prédominant accordé à la lettre par l’épellation
très souvent utilisée par les enfants « hors du lire ».
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ğ Deuxième outil
s Il est constitué par une série de huit tableaux où sont représentées toutes
les manières différentes d’orthographier les phonèmes en français. Chaque
phonème reçoit une couleur et celle-ci reste la même quelle que soit sa
transcription graphique. Par exemple, « i, is, y, ient, hie, ids » sont tous
écrits en rouge3.
ğ Troisième outil
s Il consiste en une série de seize tableaux où les mots sont inscrits en
couleur. La relation son/couleur du premier tableau est reprise de manière
systématisée, une couleur représentant toujours le même son quelle que
soit sa transcription graphique. La couleur agit ainsi pour chaque phonème
comme un fait invariable. Cela permet d’établir une correspondance entre
unités visuelles et système phonologique de la langue.
s L’utilisation d’une « lecture en couleur » constitue une aide précieuse pour les
jeunes consultants en panne en lecture et en écriture. Elle représente un outil
sur lequel les enfants s’appuient volontiers pour sortir de leur non lecture.
s Cependant, cet usage de la couleur ne s’étend jamais à l’exercice de l’écri-
ture. Celle-ci est abordée au même moment que l’apprentissage de la lec-
ture et de la correspondance couleur/son/forme.
s Les enfants qui s’approprient progressivement le langage écrit choisiront
d’eux-mêmes et le plus souvent dans d’autres lieux comme la maison
ou l’école, le moment propice à leur passage vers une lecture en noir et
blanc.

Dans cet espace thérapeutique, l’enfant progresse ainsi toujours à son


rythme, la flexibilité restant un des facteurs essentiels de ce travail. Ce qui lui
est demandé n’est jamais d’apprendre au sens strict mais de regarder, d’obser-
ver, d’expérimenter, de jouer avec le langage. L’entrée dans le lire participe

3. La lecture du français exige l’intégration de multiples formes pour un même son. Le décalage entre
langue orale et langue écrite est très marqué et les irrégularités sont nombreuses. Des aménagements se
sont organisés comme l’apparition des digraphes « ph » ou de trigraphes « oin ».
Une fabrique d’outils thérapeutiques 135

ainsi pour lui à une véritable construction de sa pensée, de son savoir et de sa


place de sujet.

Pour en savoir plus


1. Berges J. Le corps dans la neurologie et la psychanalyse : leçons cliniques d’un psychanalyste d’enfants. Érès,
Toulouse, 2007 (rééd).
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2. Berges-Bounes M, Forget JM. L’enfant et les apprentissages malmenés. Collection « Psychanalyse et
Clinique ». Érès, Toulouse, 2010.
3. Gattegno C. La lecture en couleur. Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1966.
4. Stambak M, L’Hériteau D, Auzias M, Berges J, Ajuriaguerra J de. Les dyspraxies chez l’enfant. Psychiatrie de
l’Enfant, 1964, 381 : 496-7-2.
5. Winnicott DW. Jeu et réalité. Collection « Folio essai ». Gallimard, Paris, 1975.
136 En pratique

Les groupes thérapeutiques à médiation

Des groupes thérapeutiques à médiation sont parfois plus pertinents pour


certains patients que des suivis en individuel. Ces groupes sont organisés selon
plusieurs dispositifs : de groupe ou en groupe.
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Dans les prises en charge en groupe, bien que les patients soient reçus à plu-
sieurs, la sollicitation des thérapeutes est individuelle et l’objet singulier : chaque
patient vient, bien qu’en compagnie d’autres, pour y mener son propre travail.
Dans le cas des prises en charge de groupe, les patients sont reçus à plusieurs
pour mener un travail commun, nourri d’allers-retours de l’individuel au collectif :
c’est à l’ensemble des participants que s’adressent les thérapeutes, et l’objet à
construire est le fruit de leurs échanges.
Les indications sont donc différentes d’un groupe à l’autre, et pensées singu-
lièrement pour chaque patient.
Ponctuel ou prolongé, le passage par un groupe participe d’un projet théra-
peutique global ou constitue la réponse unique à la problématique de l’enfant. Il
peut s’agir d’une étape dans l’évolution vers un travail analytique individuel mais
aussi d’une indication ciblée inscrite dans une temporalité plus longue, le travail se
prolongeant parfois sur plusieurs années. Il n’est pas rare que les suivis en groupe
se combinent avec d’autres propositions thérapeutiques.
Plusieurs dispositifs groupaux (relaxation thérapeutique et Calvin’s T Group®
pour les indications en groupe, et groupe logico-mathématique pour les suivis de
groupe) ont été pensés et créés dans le cadre de l’UPPEA, représentant le fruit
d’années d’expérience et d’élaboration. Par-delà la variété des dispositifs, cette
appartenance historique et théorique commune résonne autant dans leur forme
que dans leurs ressorts et visées thérapeutiques.
Tous ont recours à une médiation (le corps, l’écriture, l’objet mathématique)
et mobilisent plusieurs thérapeutes, ce qui permet de diffracter le transfert, le
rendant moins anxiogène. Il s’agit de groupes ouverts bien que le nombre de
places y soit limité (en moyenne, six enfants par groupe) : de nouveaux patients
peuvent donc s’y intégrer à tout moment de l’année.
Une fabrique d’outils thérapeutiques 137

La composition même des groupes permet de mettre au travail les identifica-


tions horizontales (entre patients) et verticales (patients/thérapeutes). La place du
sujet dans le collectif y est interrogée. Comment exister sous le regard de l’autre ?
Comment être un parmi d’autres ? Comment faire avec le discours de l’Autre
quand il s’agit de la loi et du savoir ?
Par des vecteurs différents, tous visent à favoriser la différenciation, l’individua-
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tion, l’accès à la subjectivation, ce qui se traduit notamment par la (re)conquête
d’une mobilité psychique, la réanimation du fil associatif, la possibilité de produire
des hypothèses et de s’engager dans la pensée mais aussi dans des relations – y
compris conflictuelles. Il s’agit en somme de permettre aux patients d’accéder
à une existence autonome, subjective et singulière, dans la reconnaissance de
l’altérité.
Pour cela, chaque groupe a sa façon de convoquer le tiers, d’interroger la
séparation et d’élaborer le rapport à l’autre.

La relaxation thérapeutique chez l’enfant


M. Bergès-Bounes, C. Josso-Faurite, A.-M. Pecarelo

Histoire et dispositif thérapeutique


La relaxation thérapeutique chez l’enfant [2] a été introduite au centre hos-
pitalier Sainte-Anne autour des années 1960 par J. de Ajuriaguerra, J. Bergès et
leurs collaborateurs. Ils se sont inspirés de l’ouvrage Le Training autogène de H.
Schultz [4], et en ont adapté la technique aux enfants présentant des difficultés
avec le corps et le langage, en aménageant des suivis en groupes.
Il faut rappeler que ce service historique de Sainte-Anne, à l’origine de tant
d’élaborations sur le corps de l’enfant était un vrai laboratoire où les idées s’entre-
croisaient et s’enrichissaient l’une l’autre : les travaux de H. Wallon [5] sur les
échanges tonico-moteurs précoces mère-bébé, « le stade du miroir » repris par
J. Lacan [3], le Manuel de psychiatrie de l’enfant de J. de Ajuriaguerra, qui fait
encore autorité, les ouvrages de J. Bergès [1] sur la difficile question du corps, mais
138 En pratique

aussi les débuts de l’orthophonie, avec Mme S. Borel-Maisonny et ceux de la psy-


chomotricité avec Mme G.-B. Soubiran. Tous ces pionniers mettaient en commun
leurs interrogations dans ce service et ont participé activement à la naissance de
la pédopsychiatrie.
La relaxation thérapeutique s’adressait alors essentiellement à des enfants
présentant des troubles psychomoteurs : instabilité, tics, difficultés graphiques,
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maladresses, inhibitions, mais la gamme des indications s’est peu à peu élargie aux
troubles des apprentissages (lecture, écriture, calcul, raisonnement), aux troubles à
expression somatique (migraines, difficultés de l’endormissement, maux de ventre),
aux troubles somatiques (neurologie, oncologie, handicap) et aux troubles réac-
tionnels (traumatismes). En effet, cette approche propose à la fois une détente
musculaire en même temps qu’une concentration mentale, c’est-à-dire une solli-
citation du côté de la pensée et de la symbolisation. Ce n’est donc pas une
gymnastique ou un massage, ni une rééducation, ou un maternage, mais un travail
sur le corps que l’enfant vient faire chaque semaine. Cette approche mobilise à
la fois le registre de la sensation et celui de la représentation par l’intermédiaire
du thérapeute en relaxation qui propose des mots et des images pour aider à la
détente, et en même temps touche et mobilise les différentes parties du corps
de l’enfant en les nommant : depuis le bras droit jusqu’au front en passant par
la respiration.
Aujourd’hui, le même protocole perdure. Il peut être proposé individuel-
lement, mais nous lui préférons la relaxation en groupe : groupe ouvert de six
enfants « tout-venant » d’âges voisins, présentant des pathologies différentes et
commençant leur cure à mesure de leur entrée dans le groupe ; chaque enfant fait
ainsi partie d’un groupe expérimentant ensemble cette technique, mais se trouve
pris en charge individuellement par un thérapeute, toujours le même, qui lui parle
et le mobilise, sous le regard des autres enfants, et des thérapeutes présents dans
la pièce : d’où à la fois une égalité dans la cure et un régime de faveur.
Ce travail de relaxation vient faire tiers pour les enfants, tiers le plus souvent
par rapport au corps de la mère dont ils restent dépendants longtemps, en
quasi position d’objet (les garçons essentiellement). La relaxation vise l’auto-
nomie. Dès la première séance, nous disons à l’enfant : « c’est toi qui sais » ;
c’est lui qui sait s’il est détendu à travers les mobilisations du thérapeute, qui
Une fabrique d’outils thérapeutiques 139

ne sont pas un contrôle comme dans un rapport élève-professeur, mais qui lui
permettent de repérer les tensions et de pouvoir les penser. Nous lui proposons
dès le départ, non pas de se détendre à tout prix, mais d’être présent à ce qui
se passe en lui à ce moment là.
De la même manière, en début de séance, il peut parler mais uniquement s’il
le souhaite ; nous ne lui demandons pas de nous restituer tout ce qu’il pense ou
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sent, il est libre de le faire ou pas. En somme, nous lui faisons tout de suite le cré-
dit qu’il est un sujet et qu’il n’est pas le corps ou l’objet de l’autre. De la même
manière, c’est lui qui nous dira lorsqu’il souhaite terminer sa cure de relaxation.

Troubles des apprentissages et relaxation


S’autoriser à recevoir le savoir de l’autre, en l’occurrence de l’instituteur,
l’incorporer à ses connaissances et se l’approprier pour penser, parler et s’enga-
ger en son nom propre dans un acte scolaire, nécessite tout d’abord d’avoir un
minimum d’assurance identitaire, pour accueillir la surprise, laisser la place au pos-
sible, s’adapter à la nouveauté, et accepter les règles sans en être trop fortement
désorganisé. Il faut en outre faire preuve de souplesse psychique, de mobilité de
pensée pour pouvoir jouer des hypothèses, c’est-à-dire en émettre, les éprou-
ver, éventuellement en changer pour en élaborer d’autres. Ainsi, les questions
de place et d’autonomie colorent le rapport au savoir de chacun et sont donc
centrales pour lire, écrire et compter. Par exemple, l’acte de lire nécessite une
pensée suffisamment mobile pour assembler les lettres en syllabes, les syllabes
en mots, en lâcher, en couper, puis prendre de la distance par rapport à ce qui a
été déchiffré pour accéder au sens. Véritable « gymnastique de la perte » disait
Jean Bergès, sur laquelle les enfants sont notés dès le CP. Opérations mentales très
difficiles pour les non-lecteurs, tout à fait immobiles dans leur tête, incapables du
moindre lien ou de réversibilité mentale.
C’est précisément sur ces questions de place, d’autonomie et de mobilité
psychique (si délicates chez les enfants en panne dans les apprentissages, pris dans
des positions d’inhibition intellectuelle ou de refus inconscients) que la relaxation
va agir. Elle peut apporter de la souplesse, de la liberté, par l’accès au symbolique,
le passage au projet, à l’hypothèse, à l’anticipation en lien avec le travail sur le
140 En pratique

corps, ses rythmes, ses organes, son fonctionnement, ses écarts et ses déborde-
ments. Abord transversal et indirect du symptôme d’appel (lecture, calcul, raison-
nement) qui vient souvent en complément de la remédiation en lecture ou en
calcul souvent proposée en amont, mais qui, dans les cas les plus complexes s’est
avérée insuffisante et bute sur la rigidité psychique défensive de l’enfant. Une
thérapie peut lui être proposée en parallèle et des entretiens familiaux peuvent
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également être associés au dispositif de soin.
Comme nous l’avons dit, la relaxation propose de ressentir, de penser son
corps et de le symboliser par des mots : progressivement, segment par segment
– les bras, les jambes, les fessiers, le dos, la nuque, avant d’aborder la phase de
généralisation et de respiration –, l’enfant peut faire l’expérience que chaque
partie de son corps est limitée par une autre et y est articulée. Éprouver la soli-
dité de l’enveloppe corporelle qui limite l’intérieur de l’extérieur, habiter un
corps qui constitue un vécu nodal, un axe, ancrer un critère d’origine, un corps
qui acquiert un statut de référentiel permanent à partir duquel organiser temps,
espace, généalogie. Questionnement autour de l’origine, des origines, de laquelle
découle habituellement chez l’enfant une multitude de questions, la fameuse pul-
sion épistémophile : « D’où vient-on ? » « Comment fait-on les bébés ? », etc.,
mais qui sont si souvent barrées, refoulées, interdites chez les enfants en panne
dans les apprentissages. Ainsi, cet enfant de 10 ans, CM1, qui consulte selon sa
mère, pour « problèmes en français : dyslexie-dysorthographie et hyperactivité »
et dont le regard fixe le planisphère du bureau, est manifestement incapable de
situer le pays d’origine de son père, dont il n’a eu que très peu de nouvelles
depuis sa naissance. Il a pourtant les yeux au bon endroit sur la carte, et énumère
bon nombre des pays limitrophes, mais conclut « non vraiment j’sais pas, faut
demander à ma mère ». Question du savoir barré, très douloureux, qui renvoie
également cet autre enfant non lecteur de 9 ans, adopté à 4 ans, à la question
des origines. Sa mère déclare en entretien : « ça y est ! Il lit depuis une semaine,
mais depuis qu’il lit, il ne dort plus de la nuit, il rumine, il est souvent question
de son pays d’origine ». Les angoisses à expression somatique (sommeil, maux de
ventre, migraines, asthme, etc.), si souvent au devant de la scène dans le champ
de l’enfance, sont peu à peu élaborées au cours de la cure et infiltrent moins le
déroulement de la pensée.
Une fabrique d’outils thérapeutiques 141

Comment la relaxation thérapeutique va-t-elle permettre à l’enfant de lâcher sa


position d’objet de l’autre vers plus d’autonomie ? L’élaboration des angoisses de
séparation constitue un volet essentiel de cette expérience personnelle. Afin d’as-
souplir son rapport de trop grande proximité à l’autre maternel, l’enfant est invité
à faire l’expérience d’être seul parmi ses camarades, la « capacité à être seul » de
Winnicott. Absence sur fond de présence et présence sur fond d’absence, parce
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que l’enfant sait, dans le transfert au thérapeute et au groupe, qu’il n’est pas
lâché, abandonné : il y a d’abord la coupure, la séparation de corps, nécessaire et
douloureuse, matérialisée par la séance de relaxation, car le corps de l’enfant est
encore trop souvent le prolongement de celui de sa mère, comme en témoignent
toutes ces mères qui ont tant de mal à nous confier leur enfant le temps de la
séance et qui restent derrière la porte, profitant de la moindre ouverture pour
regarder ce qui se passe. Il y a aussi, les allers et venues du thérapeute auprès de
l’enfant, tantôt très proche s’adressant à lui, tantôt éloigné, s’occupant d’un autre
enfant ou s’abstenant de le regarder. L’enfant ouvre les yeux, repère où est son
thérapeute dans la salle, regarde les autres enfants du groupe, les écoute, leur
parle, et cet espace et ce temps de possibles, d’expérimentations corporelles, ce
cadre thérapeutique de présence sur fond d’absence est très vite investi comme
un espace de liberté, rare pour lui, puisqu’il est sous le contrôle de l’adulte en
toutes occasions.
La relaxation thérapeutique propose également de faire l’expérience de l’état
de résolution tonique, c’est-à-dire du tonus mis à zéro, puisqu’il ne s’agit pas de
bouger, mais de penser. Échanger de l’action contre de la représentation, déplacer
le plaisir de la mobilité physique à celui de la mobilité psychique.

Edwin, maux à mots


Edwin, 8 ans et demi, CE2, issu d’une grossesse à risque
(parents âgés, mère primipare, décollement placentaire, toxé-
mie gravidique), né prématurément par déclenchement de
l’accouchement à 30 semaines, et dont la santé a nécessité
un lourd suivi médical, consulte pour trouble de la concentration, agitation, diffi-
cultés en mathématiques et en lecture. Il a redoublé le CP et a un niveau de lec-
ture de CE1. Plusieurs années de suivis en CMPP (entretiens, psychomotricité,
142 En pratique

orthophonie), suivis qui s’essoufflent et sont désinvestis par la famille. Edwin,


quant à lui, peut nommer ses thérapeutes, mais il en parle au passé. Décrit
par ses parents comme peu autonome, il souffre de crises d’asthme à chaque
séparation. Une relaxation est proposée après le bilan psychologique réalisé
dans l’équipe, ainsi que des entretiens familiaux. Un groupe logico-mathéma-
tique viendra par la suite compléter le dispositif thérapeutique.
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L’objectif de la relaxation pour Edwin est de proposer un autre regard sur le
corps de cet enfant, si souvent examiné par les médecins, et coincé dans un dis-
cours maternel entièrement du côté des angoisses somatiques, ce qui semble
renforcer le lien mère-fils. Un regard qui le prendrait en compte comme sujet
pensant, hors du champ médical, afin qu’Edwin puisse à son tour s’autoriser à
jouer de sa pensée avec des hypothèses autour du savoir et de la connaissance,
dans une meilleure mobilité mentale, plus active et une vie fantasmatique plus
riche ; en somme, la relaxation lui permettrait de penser au lieu de s’agiter.

Le début de la cure d’Edwin est – à l’image de son arrivée au monde ? – bien


compliqué : venues irrégulières, en retard, se trompant de groupe, démarrage
en pointillés avec difficulté à occuper la place qui lui est proposée, ne s’instal-
lant que sur la moitié inférieure de son matelas, gardant les jambes au sol. Il
est cependant très sensible au fait d’avoir un dossier à son nom, témoin de
notre engagement à son égard, de la garantie de sa place au sein du groupe.
Ainsi, dès le début de sa cure, il parle de son asthme à sa thérapeute. C’est
d’ailleurs sur ce point que les parents remarquent la première amélioration
(crises moins fréquentes et moins intenses), amélioration qui renforce leur
alliance thérapeutique. En relaxation, Edwin semble tout d’abord peu concerné
par ce que lui dit sa thérapeute, en opposition passive sur le ventre, cachant
son visage, se rendant invisible. Se faisant oublier ? C’est le groupe qui l’inté-
resse plus que les exercices en eux-mêmes : les chahuts d’un enfant agité
par exemple, auquel il s’identifie en reproduisant les rythmies. Mais surtout ce
sont les échanges entre enfants, concernant la présence ou l’absence de leur
mère. « Elle est où ta mère à toi ? » adresse-t-il à un enfant du groupe, vivant
en foyer, et accompagné par une éducatrice. C’est au moment du travail sur la
respiration qu’Edwin quitte sa position apparemment passive. Se sent-il enfin
« exister » ? Il se montre ensuite plus engagé, parlant à sa thérapeute de ses
problèmes corporels mais aussi d’un voyage qu’il a fait dans ce qu’il nomme
son « pays d’origine ». La question des origines, posée en relaxation, va en
effet se déployer et cheminer dans le suivi logico-mathématique proposé en
parallèle à l’unité, et dont Edwin va largement profiter pour progresser (groupe
logico-mathématique présenté p. 157).
Une fabrique d’outils thérapeutiques 143

Théa, l’indifférence au savoir


Évoquons ici le suivi en relaxation de Théa que nous avons déjà
présentée dans l’introduction de cette partie, jolie fillette de
huit ans, qui consulte pour d’importantes difficultés scolaires.
Par son apparence apprêtée aussi bien que par ses attitudes,
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Théa évoque une poupée. D’une séance à l’autre, ses tenues et coiffures n’ont
de cesse de se renouveler, offrant au regard des trésors d’inventivité qui semblent
inépuisables, à quoi l’on devine la participation des parents à ce petit théâtre.
Poupée, elle l’est en relaxation sur deux versants : le bébé poupon jouant avec
ses pieds dans des expérimentations sensorielles, mais aussi la petite femme
coquette lançant à ses voisins des œillades aguicheuses.

Théa se présente aux premières séances dans une disponibilité extrême. Étendue
sur le dos, les yeux grands ouverts, elle se livre sans reste lorsque la thérapeute
vient la mobiliser, docile à ses manipulations comme si elle était tout entière objet
de l’autre. À qui son corps appartient-il ?
Théa regarde et surtout se donne à voir dans une quête sans frein d’un miroir
où prendre corps. Son avidité spéculaire a tôt fait de se tourner vers les autres
enfants du groupe – les garçons en particulier – auxquels elle adresse des œil-
lades séductrices ou dont elle imite la posture, se faisant reflet de leur corps.
Son regard est de ceux qui appellent sans pour autant reconnaître. L’autre peine
à s’y inscrire autrement que comme appui mimétique, moi idéal : c’est sa propre
forme que Théa cherche dans l’autre. L’œil est l’organe essentiel qui prime sur
toute autre perception mais aussi sur toute représentation : lorsqu’est évoqué
« l’enfoncement des bras » (étape initiale de la cure de relaxation), elle tourne la
tête pour voir si ses bras disparaissent vraiment dans le matelas...

Elle fait très vite part à sa thérapeute de sa difficulté à « penser à une image »,
contradiction dans les termes, incompatibilité du vu et du représenté, l’image
recouvrant pour elle le visible sans aucun recours métaphorique : « Si je ferme
les yeux je vois que du noir ». Théa, qui n’existe que pour le regard de l’autre, ne
risque-t-elle pas de disparaître si la vue lui est ôtée ?
Comment la thérapie de relaxation va-t-elle alors œuvrer pour cette jeune patiente ?

Les suggestions qui lui sont proposées achoppent d’abord sur son accrochage au
corps : comme un tout petit, elle cherche à attraper les cheveux de la thérapeute
penchée sur elle, et lorsque sont nommées les différentes parties de son corps,
Théa les touche ou les regarde comme pour vérifier leur présence.
144 En pratique

Si elle parle, quoique de façon un peu immature, elle est en peine pour manier la
dimension métaphorique du langage. Ainsi, à l’évocation des bras détendus « comme
un tissu épais », elle tire sur sa robe, puis sur le drap, comme pour vérifier (ou don-
ner à voir ?) leur élasticité. Les suggestions proposées sont ainsi ramenées à leur
concrétude, vidées de leur contenu symbolique, dans un aplatissement du langage.
Cependant, au fil des séances et selon la progression habituelle de la cure de
relaxation, la plupart des mobilisations corporelles cèdent la place à de simples
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évocations verbales, la référence au corps comme ensemble se substitue à l’évo-
cation des différents segments, en même temps que la thérapeute prend davan-
tage de distance. Comme les autres patients, Théa se trouve ainsi confrontée à
la question de la perte et de l’absence. Là où elle attend un contact physique et
d’être, la poupée dont la thérapeute jouerait, celle-ci lui propose des représenta-
tions ; là où elle guette un regard, elle reçoit des paroles.
Quittant son attitude d’enfant-objet au corps malléable et manipulable à souhait,
Théa témoigne peu à peu d’une opposition clairement adressée. Ses jambes se
raidissent, elle se soustrait aux mobilisations, tourne le dos à sa thérapeute. Son
acquiescement de façade cède la place à des exclamations agacées lourdes de
frustration : « J’y arrive pas ! ».
Dans un second temps, des interrogations se font jour à l’adresse de la thérapeute.
Ainsi, lorsque est évoquée la pesanteur de tout le corps : « ça veut dire c’est léger
ou c’est lourd ? », question qui porte sur la signification, qui prend donc au sérieux
le langage dans sa capacité de représentation. Question, aussi, qui suppose que
l’Autre n’est plus seulement un miroir mais qu’il aurait quelque chose à lui dire.
Parallèlement, Théa est reçue au groupe logico-mathématique où elle se montre
particulièrement pertinente, ainsi que pour des consultations individuelles et fami-
liales. Au terme de son deuxième CP, les progrès scolaires sont manifestes ; Théa
a quitté sa position d’objet pour se faire sujet d’un savoir possible.
L’un des ressorts thérapeutiques de la relaxation tient sans doute à ce forçage sym-
bolique qui prend à rebours les attentes régressives du patient pour le confronter
au manque tout en lui offrant la possibilité d’en symboliser quelque chose.

Pour en savoir plus


1. Bergès J. Le corps dans la neurologie et dans la psychanalyse. Leçons cliniques d’un psychanalyste d’enfants.
Éres, Toulouse, 2005.
2. Bergès-Bounes M, Bonnet Ch, Ginoux G, Pecarelo AM, Sironneau-Bernardeau C. La Relaxation thérapeu-
tique chez l’enfant. Corps, Langage, sujet. Méthode J. Bergès®. Masson, Paris, 2008.
3. Lacan J. Écrits, Le Seuil, Paris, 1966.
4. Schultz JH. Le training autogène. PUF, Paris, 1968.
5. Wallon H. L’enfant turbulent, 2e éd. PUF, Paris, 1984.
Une fabrique d’outils thérapeutiques 145

Le Calvin’s T Group®
G. Lebugle

Parmi l’éventail des propositions thérapeutiques en groupe imaginées par


l’UPPEA, cet atelier thérapeutique propose une médiation à partir des planches
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de bandes dessinées issues de l’esprit loufoque de Bill Watterson (Calvin &
Hobbes4). Dans son travail d’écriture et de mise en scène, l’auteur, en effet raconte
les aventures d’un drôle de garnement prénommé Calvin. Au fil des pages, ce
dernier se distingue par une certaine inadaptation aux exigences du monde
extérieur. Son point d’appui essentiel se révèle au travers du lien imaginaire qu’il
entretient avec son doudou Hobbes. Leurs échanges donnent un aperçu des
difficultés existentielles de Calvin et proposent des enchaînements de conflits
illustrés par des situations à la fois cocasses et très justes [5]. La représentation
des parents et des adultes, campés dans des rôles assez caricaturaux, souvent
dépassés par l’énergie fulgurante de Calvin, montre tout à fait finement les
processus d’identification à l’œuvre chez ce héros. Et tout au long de ses histoires,
les difficultés qu’il rencontre pourraient être volontiers interprétées comme un
aperçu des embûches marquant le développement psychologique normal (c’est-
à-dire chahuté…) chez tout enfant.
Cette dimension psychodynamique sera bien évidemment élaborée dans une
approche inspirée de la psychanalyse.
En regard des points d’articulation théorique inhérents à toute forme de prise
en charge en groupe, et en contrepoint, la clinique des enfants accueillis dans
ce cadre nous éclaire sur l’intérêt et l’originalité de cette perspective thérapeu-
tique. Les quelques illustrations qui viennent clore ce propos mettent l’accent
sur la dimension clinique in vivo et soulignent combien certains de nos patients
éprouvent de difficulté à élaborer des hypothèses et à se confronter à des repré-
sentations métaphoriques.
Elles mettent en lumière les différences qui peuvent exister dans la capacité à
faire sens chez les enfants.

4. Watterson B. Calvin and Hobbes, Ed. Andrews and Mc Mill, 1988.


146 En pratique

Le dispositif thérapeutique [2, 3]


L’accueil des patients de ce groupe thérapeutique répond à une procédure
d’intégration habituelle du travail en équipe.
C’est d’abord le consultant de la famille et de l’enfant qui pose l’indication.
Le thérapeute responsable du groupe les reçoit ensuite lui-même en entretien.
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Cela permet de valider la proposition initiale et de repérer les problématiques
en jeu qui vont devoir se travailler. Cette double anticipation clinique partagée
avec le consultant permet de construire le projet thérapeutique. À l’adresse des
parents, cette proposition se solde normalement par un compromis d’alliance
thérapeutique, quelles que soient l’ambivalence ou les réticences qui sont leur
lot et qui se travailleront tout au long de la prise en charge. Il est précisé à
l’enfant qu’il s’agit là d’un travail et qu’il participera à quatre ou cinq séances
d’essai avant de décider de sa poursuite. Il n’est pas question ici d’une activité
de loisir, il lui faut donc s’engager.
Au fil du temps et de l’expérience, l’équipe accueillant les enfants s’est consti-
tuée autour d’un ou deux thérapeutes et de cothérapeutes. Il y a quatre à six
patients par groupe ; chacun est accueilli individuellement par un cothérapeute
assis à la table de travail. Il s’agit en effet d’un travail en groupe où l’adresse est
individualisée. Par ailleurs ce dispositif permet une enveloppe, une bulle de pro-
tection quoique fragile, qui permet au sujet de déployer sa créativité et de nouer
un lien privilégié avec son cothérapeute. L’originalité du dispositif consiste dans
le choix d’un accueil modulé au fil des séances ; en effet, d’une séance à l’autre,
le cothérapeute change alors que le thérapeute reste. Cette variation, qui repose
entre autre sur la possibilité de diffraction du transfert, permet d’éviter potentiel-
lement les effets de transfert massif et leur cristallisation sur tel ou tel cothérapeute,
ce qui engage l’enfant à investir un espace thérapeutique de sa propre place.
Le thérapeute est quant à lui debout, et va d’une place à l’autre au gré des
besoins des patients et de l’animation du groupe. Il intervient sur un mode
d’étayage, de propositions, de tiers, de garant de l’ordre, ou pour donner sens
aux productions de l’enfant.
Après chaque séance, toute l’équipe participe à un temps de reprise. Cela
permet une élaboration groupale nécessaire à la continuité du travail ; chacun
Une fabrique d’outils thérapeutiques 147

des participants est concerné par le travail de réflexion et l’éprouvé de tous,


et peut voir s’ouvrir ainsi de nouvelles perspectives d’échanges avec tel ou
tel patient.
Un compte-rendu d’observation clinique est ensuite rédigé dans la semaine
par chacun des cothérapeutes, ce qui permet une réélaboration plus fine du
travail, et d’en garder la trace. Un séminaire d’encadrement théorique vient com-
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pléter ce dispositif d’élaboration et de supervision thérapeutique.

Le support de médiation
Le matériel proposé aux patients pour la séance est composé d’une planche
ou d’une suite de planches retravaillées issues des albums originaux de la bande
dessinée.
Ces planches ont été préparées spécialement pour chaque séance. D’une part,
les écrits de toutes les bulles, quel qu’en soit le type, ont été effacés (à l’excep-
tion éventuelle de points d’interrogation ou d’exclamation qui soulignent l’attente
d’un texte). D’autre part il s’agit la plupart du temps d’un travail de recomposition
de la part du thérapeute pour mettre en scène une problématique particulière
(conflit entre les personnages, rivalité, frustration, évocation du sentiment de perte,
d’abandon, de solitude, d’impuissance ou à l’inverse de toute-puissance, etc.). La
qualité graphique et expressive de cette œuvre, le registre assez délirant du héros,
par le processus d’identification qu’ils suscitent permettent aux patients de laisser
libre cours à leur imagination.
Tout d’abord, l’enfant prend possession de la planche, l’explore, et en pro-
pose un premier récit ou commentaire.
Dans un second temps, il est invité à écrire l’histoire, éventuellement avec
l’étayage du cothérapeute. Deux stylos de couleurs différentes lui sont fournis
à cette intention ; il choisit celui avec lequel il va écrire et un autre pour le
cothérapeute. En effet, pour les enfants qui n’ont pas la maîtrise de l’écrit, ou
qui s’y refusent, le cothérapeute peut pallier cette défaillance à titre plus ou
moins provisoire ; une négociation répartissant l’attribution des personnages
peut se faire.
L’écriture d’une histoire sur ce média répond à des critères bien spécifiques :
148 En pratique

– la plupart des écrits se fait sous forme dialogique, ce qui suppose pour le
sujet de différencier les personnages et de leur attribuer des espaces de parole
séparés (l’expérience montre que ce n’est pas toujours le cas, du moins au démar-
rage) ;
– l’histoire s’organise avec trois types de bulles et de discours, dialogiques,
narratives, de pensées intérieures ou de sentiments ;
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– la ponctuation ne se limite pas à l’écrit ; il faut aussi pouvoir traduire la sono-
rité du texte (bruits, cris d’effroi ou de colère, onomatopées, signes graphiques
spécifiques traduisant les sentiments).
En complément du travail d’écriture, il est parfois proposé, et surtout au début
de la prise en charge, une pochette de feutres, qui permet d’enrichir le travail
d’écriture de l’enfant par du graphisme, qui souvent initie une production plus
proche d’une expression pulsionnelle.
La séance se termine sur la proposition d’un titre à l’histoire ; elle est datée
et signée par le sujet.

La population de patients concernés


Ce dispositif conséquent est évidemment dédié à des patients au profil psycho-
pathologique complexe. Pour l’essentiel, ils répondent par leurs traits de fonc-
tionnement à ce que Roger Misès [4] a décrit comme états limites de la person-
nalité ou dysharmonies d’évolution. Y sont accueillis également des enfants qui
présentent des inhibitions ou des obtusions intellectuelles à tonalité phobique
importante.
Ces patients se caractérisent par une grande instabilité psychique et sont
d’une grande réactivité lorsqu’ils sont confrontés à des situations conflictuelles
et à leurs propres limites.
Incapables de dire leurs émotions dont ils sont peu distanciés, ils réagissent
plutôt par des défenses comportementales, le passage à l’acte, la provocation, la
violence. Ces modalités défensives peuvent souvent s’accompagner d’une fragi-
lité de la distinction entre soi et le monde extérieur. Pour beaucoup d’entre eux,
l’enjeu majeur reste la possibilité d’accepter les exigences de la réalité (comme
celles qui concernent l’école).
Une fabrique d’outils thérapeutiques 149

Selon un abord psychodynamique classique, ce sont les difficultés de structu-


ration de la personnalité au plan psychopathologique qui obligent ces enfants à
recourir à ce type de défenses peu souples, agies dans le comportement (agres-
sion, projection, confusion soi/l’autre) plutôt que de faire appel à des mécanismes
d’élaboration des conflits plus intériorisés, verbalisés et supportant la mise à dis-
tance.
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Ce fonctionnement « explosif » des enfants dysharmoniques, somme toute
assez archaïque, entrave fortement leur capacité à penser et à se penser, ainsi que
leur capacité d’élaboration de conflits. Le processus de subjectivation lui-même
peut être mis à mal. Toutes ces caractéristiques les rendent peu accessibles à un
travail de psychothérapie analytique individuelle.

Les objectifs thérapeutiques


L’un des intérêts majeurs des prises en charge groupale à médiation thérapeu-
tique est de proposer une alternative de soin souple et modulable au regard de
la structure et de la personnalité des patients.
Le support proposé, le parti pris de l’inaptitude du héros vis-à-vis du monde
extérieur, l’extravagance des mises en scènes, qui peuvent aller bien au-delà de
l’imaginaire des patients, est un atout très important pour le travail d’élaboration
psychique, qui autorise et suggère de mettre des mots sur les diverses explosions
comportementales, ainsi que sur les émotions et sentiments de l’enfant « Calvin ».
Travail d’élaboration qui risquerait d’être bien plus épineux s’il s’agissait des
propres ressentis du sujet.
Le premier point auquel l’équipe thérapeutique est confrontée avec nos
jeunes patients, c’est toute la dimension d’effraction, de passage à l’acte éven-
tuel, mais c’est aussi du bruit et de l’excitation pulsionnelle. Inéluctablement, ce
sont des enfants chez qui la destructivité, que ce soit sur le mode de l’illusion
groupale5, ou à titre d’un débordement personnel, s’exprime à un moment ou
5. Illusion groupale : phénomène de collusion identificatoire groupale allant à l’encontre du dispositif
thérapeutique.
150 En pratique

à un autre. En conséquence, le travail transféro-contretransférentiel6 de tous les


membres de l’équipe thérapeutique est largement sollicité autour de la question
du sentiment d’inanité. De ce point de vue, une proposition thérapeutique grou-
pale à médiation présente l’avantage d’un potentiel fort de contenance, avec des
aménagements possibles de la relation.
Par ailleurs, certains patients peuvent se présenter sous l’aspect d’une pensée
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pauvre, sans d’autres liens que très projectifs, ou dans des représentations très
concrètes. Une première étape nécessaire consiste à les aider à investir leur appa-
reil à penser, leur capacité à produire de l’hypothèse. Le support de médiation
peut être alors une aide appréciable, puisque le travail d’élaboration est déplacé
sur le héros de l’histoire. Par ailleurs, chacun des participants peut profiter de la
construction du récit en hypothèses des autres participants, par l’écoute, aller plus
loin en la faisant sienne, s’en différencier. C’est ce travail que nous avons choisi
d’illustrer dans la dernière partie.
L’étayage relationnel modulable à chaque séance structure les échanges entre
les participants sur un mode bien différent de l’habituelle relation thérapeutique
individuelle. Il permet la démultiplication de la fonction de tiers du groupe consti-
tué et autorise toutes sortes de sollicitations et d’alliances aussi bien avec les
adultes qu’avec les autres enfants pendant la séance. Cela suppose de travailler
entre autre la question du sentiment de loyauté.
Le propos de cet atelier consiste surtout à soutenir la possibilité pour le sujet
de pouvoir dérouler le fil de ses associations et de laisser libre cours à sa créati-
vité ; il lui faut pour ce faire en accepter certaines règles et limites. C’est l’occasion
d’initier un processus de subjectivation simple. De plus, la présence à ses côtés du
thérapeute et du cothérapeute peut favoriser un dialogue plus personnel avec
l’enfant ouvrant la perspective d’un travail d’élaboration.

Illustration du travail clinique


Cette illustration présente l’avantage de rappeler que le support de médiation,
aussi intéressant qu’il soit, n’est que le prétexte, l’amorce qui permet d’engager le

6. Travail transféro-contretransférentiel : élaboration des sentiments éprouvés entre le cothérapeute


et le patient.
Une fabrique d’outils thérapeutiques 151

dialogue du patient avec lui-même et avec les autres participants, et au thérapeute


d’être témoin (avec la possibilité d’intervenir ou pas), de suggérer, ou bien encore
d’être saisi dans l’échange par le patient. Cela permettra également d’appuyer
sur la différence qui peut exister entre le travail d’élaboration en psychothérapie
individuelle et cette pratique.
En premier lieu, parlons de la manière dont un nouveau patient lors des
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quatre à cinq premières séances, se découvre et s’expose dans la relation à
l’autre et à lui-même : il s’agit de Sébastien, un jeune garçon de douze ans. Au
cours des deux séances précédentes, son attention avait été surtout attirée par
un autre participant, dans une relation en miroir et en rivalité. À l’occasion de
l’absence de cet « alter ego » qu’il souligne, et probablement en réaction, il
s’adresse directement au thérapeute sur un mode assez critique, lui reprochant
de fournir des stylos abîmés. Son insistance donne à penser qu’il s’agit là d’une
première attaque du dispositif. Nous lui faisons entendre que bien évidement
ces stylos sont abîmés à force de travail, mais qu’ils fonctionnent, et qu’en l’oc-
currence, en acheter d’autres dès maintenant serait jeter l’argent par les fenêtres.
À notre grande surprise, il ne comprend ni la formule, ni la métaphore quand
bien même elle lui est expliquée.
Plus encore, à la fin de la séance, il écrit comme titre de l’histoire, introduisant
une correction essentielle de son point de vue : « ne j’étais pas l’argent par la
fenêtre », intitulé qui n’a rien à voir avec l’histoire qu’il a déroulée.
Il tient alors à justifier la chose : « Oui c’est pas les fenêtres, c’est la fenêtre,
on est pas des pieuvres, on a pas des tentacules pour être à toutes les fenêtres ».
À la séance suivante, il interpelle encore le thérapeute sur la manière dont
il est habillé « classe », c’est-à-dire avec une veste de costume, des boutons
de manchettes. Nous reprenons le terme : « classique, à l’ancienne ». Il répond
du tac au tac : « ça se voit, c’est en train de se déchirer ». Là encore, le double
sens du terme « ancien » lui échappe, quand bien même nous essayons d’en
discuter. Sans méconnaître la dimension transférentielle, paternelle de reproche
à l’adresse du thérapeute (son histoire est marquée par l’absence de son père
depuis l’origine), l’ensemble de l’équipe marque à nouveau sa surprise devant
son impossibilité de comprendre une métaphore. Chez ce garçon, la difficulté
152 En pratique

d’accès à ce registre de langage laisse percevoir que le discours adultomorphe


qui est le sien habituellement n’a en fait guère de consistance, et fait craindre un
fonctionnement en faux-self.
Nous allons maintenant proposer deux exemples de la manière dont nous
pouvons solliciter les patients dans le travail d’hypothèse, c’est-à-dire le travail
qui, justement, peut ouvrir à une multiplicité de sens.
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Dans le premier cas, nous nous saisissons de la proximité du 1er avril pour
proposer une série de planches Calvin du premier avril (il s’agit de trois planches
tirées d’une édition chinoise du Lotus bleu des albums de Tintin). Xavier, sept ans,
adressé en raison d’un fonctionnement de la personnalité assez rigide constitué
autour d’un noyau psychotique [4], s’écrie comme pour lui-même (il ne nous
regarde pas) : « c’est pas Calvin ! »; le thérapeute : « c’est la B.D. de Calvin du
premier avril ! » ; Xavier : « c’est pas Calvin ! » ; l’échange se répète trois fois la
suite. Puis nous lui proposons de s’interroger sur ce qui peut se passer le premier
avril : « c’est la fête ! »; le questionnement réitéré à deux reprises n’y fait rien :
« y a des invités ! »; « on mange ! ». Nous finissons par lui faire entendre que
c’est aussi le jour où l’on fait des farces : « des farces c’est quoi des farces ? » ; le
thérapeute : « une farce du premier avril » ; tout à coup Xavier a une illumination :
« une farce, une blague, c’est une blague ! » et se met à rire, puis se met directe-
ment au travail, décodant à sa guise des signes en langue chinoise que nous avions
laissés au moment d’effacer le texte des bulles : « ça ça veut dire pourquoi ! », et
il construit le scénario d’une histoire tout à fait riche et expressive. Notons qu’à
la fin de la séance un autre patient de dix ans conclut par ce titre : « Calvin se
prend pour Tintin » proposant une hypothèse en lien très judicieuse, empreinte
de souplesse et de compromis, et créative pour le travail.
Pour les enfants encore plus en panne, il est possible de suggérer un tra-
vail d’hypothèse plus simple à l’aide du matériel. Par exemple au moment où
l’enfant donne son titre à l’histoire, à partir d’une planche censée représenter
le décours d’une journée de Calvin, du lever au coucher, Éric, 9 ans, très en
difficulté pour mettre en mots ses idées ses sentiments, propose d’abord le titre
classique suivant ; « la journée de Calvin », s’appuyant dans un premier temps
sur la logique temporelle de la planche. Puis, après un temps de réflexion (son
regard s’attarde sur une image qui montre le héros se prendre un coup sur la
Une fabrique d’outils thérapeutiques 153

figure par un camarade plus costaud qui l’envoie à terre) son visage s’éclaire. Il
rectifie : « la mauvaise journée de Calvin », « à cause de ça ». Cette proposition,
à caractère plus subjectif [1] non seulement nous semble plus incarnée, mais revi-
gore sa curiosité : il remarque qu’il existe une légende de B. Watterson au bas
de la planche « je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui m’ait parlé de l’enfance
comme une époque vraiment heureuse », légende sur laquelle il nous interroge
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sans en comprendre le sel. Malgré tout, au cours de cette séance, il fait montre
d’une intégration plus sensible et plus globale de l’analyse de la planche et d’une
traduction plus aboutie dans son propos.
Cet investissement est essentiel à notre avis pour ces patients, et leur permet
de s’engager plus avant dans la perspective de construction du sens.

Pour en savoir plus


1. Cahn R, Perret-Catipovic M, Ladame F. Le processus de subjectivation à l’adolescence. In : Adolescence et
psychanalyse : une histoire. Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1997.
2. Josso-Faurite C, Lebugle G. L’écriture entravée chez de jeunes patients en mal de subjectivité. In : L’enfant et
les apprentissages malmenés. Érès, Toulouse, 2010.
3. Josso-Faurite C, Lebugle G. Quand Calvin et Hobbes bousculent les enfants « dysharmoniques ». In : Le
dessin et l’écriture dans l’acte clinique, Elsevier-Masson, Paris, 2011.
4. Misès R. Les pathologies limites de l’enfance. Le fil rouge. PUF, Paris, 1999.
5. Winnicott DW. Jeu et réalité. L’espace potentiel. Gallimard, Paris, 1975.
154 En pratique

Les groupes « logico-mathématiques »


C. Bernardeau, M.-C. Devaux, C. Josso-Faurite, J. Scalabrini

À l’origine, la remédiation logico-mathématique était proposée en individuel à


des enfants présentant des difficultés avec les premiers apprentissages du nombre
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[1], les opérations et l’élaboration d’un raisonnement, telles que l’UDN-II per-
met de les repérer lors de la phase d’investigation des troubles d’apprentissage.
Souvent ces embarras excédaient des blocages passagers ou des revendications
identitaires (« je suis plutôt littéraire »,…, « je déteste les maths comme ma
mère »…) pour s’organiser en phobie ou en inhibition sévère.
Les groupes logico-mathématiques sont nés d’une interrogation sur la perti-
nence des suivis individuels pour certains enfants. Parfois l’indication d’un suivi
« logico-mathématique » semblait toujours bien fondée mais il fallait inventer
un cadre, relayer une énergie psychique et intellectuelle qui s’épuisait, tant du
côté de l’enfant que de celui du thérapeute. Et pour d’autres, il était nécessaire
de diffracter une relation duelle, l’appui sur un seul « thérapeute gardien du
savoir » venant empêcher tout engagement [3].
Ces groupes sont proposés à des enfants et des adolescents répartis selon leur âge
(primaire et collège) de six à huit participants, et se tiennent de façon hebdomadaire
pour une durée d’une heure. Ils s’adressent à des patients dont l’organisation psycho-
pathologique est variée (phobie, inhibition intellectuelle…) et qui se caractérisent tous
par leur grande difficulté de pensée. Le travail du groupe vise à une construction du
sujet arrimée au cognitif tout en laissant un certain champ à l’imaginaire.
Ces groupes sont conçus comme des ateliers au sens artisanal du terme, c’est-
à-dire comme des fabriques où il est proposé aux enfants d’évoquer puis de
mettre en chantier commun leurs représentations du nombre et de son histoire,
leurs représentations des opérations, des mesures, des relations… de ce que nous
appelons ici des « objets mathématiques » c’est-à-dire des notions, des concepts
qui font l’objet d’une pensée mathématique.
Classiquement, les participants sont réunis autour d’une table et encadrés par
deux à trois thérapeutes (orthophonistes et psychologues) auxquels peuvent se
joindre des stagiaires.
Une fabrique d’outils thérapeutiques 155

Au milieu de la table, un support épuré, symbolique ou concret qui vient


matérialiser une question logico-mathématique : un chiffre, un signe, une surface,
un point, une boîte… Tout le contraire de fichiers pédagogiques, la proposition
se veut minimale, afin que son caractère énigmatique puisse justement susciter
des interrogations. Elle est conçue en amont, au cours d’une séance préparatoire,
et s’efforce de transcrire dans le champ mathématique une problématique psy-
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chique particulière : la question de l’origine et le zéro, l’abscisse, l’ordonnée et
l’absence de repères, la filiation et la sériation… Sont accueillies dans un premier
temps les évocations, les associations suscitées par l’objet proposé, très souvent
tirées du côté de l’imaginaire, partant à la dérive et chargées d’angoisse : « le zéro
c’est un trou. On peut tomber dedans… ».
Tout naturellement, la première interrogation proposée concerne l’histoire du
nombre et des numérations [2]. En effet, on constate que les mathématiques sont
souvent vécues comme une révélation immédiate, magique, anhistorique. Il est
important que l’enfant découvre que ce qui lui pose problème a mis des milliers
d’années à s’élaborer. La question inaugurale est donc très souvent : « Mais qui
donc a inventé les mathématiques ? ». Le temps s’invite rapidement : « Quand
les hommes ont-ils commencé à compter ? » Et, sur une déclinaison plus person-
nelle… : « Quand est-ce que vous avez commencé à compter ? À calculer ? ».
Ces questions peuvent nous occuper longtemps et viennent nourrir une concep-
tion du temps souvent embryonnaire, voire inexistante. Les enfants découvrent avec
sidération que cette « universalité » désincarnée qui leur est assenée a, tout comme
eux, une origine, des stades de développement, des accélérations et des difficultés
de croissance. Bref, ils découvrent une histoire vieille de plusieurs millénaires au
cours de laquelle le nombre a pris corps et a été codifié. Une histoire qui leur per-
met de tisser les liens entre corps, nombre et numération, entre entier et partie, entre
présence unique, multiple et absence. Et qui, dans un mouvement réflexif, rejaillit
sur la perception de leur histoire propre : très vite arrivent les autres questions des
origines, des espaces, enrichies par la diversité de leurs cultures.
Ce type de groupe logico-mathématique repose sur trois piliers :
1. Son intitulé « logico-mathématique » : ses résonnances scolaires
et rigides voire solennelles ont suscité bien des hésitations, jusqu’à ce que
156 En pratique

l’expérience montre qu’il fonctionnait comme un solide point d’ancrage. Par sa


rigueur, il garantit le cadre, maintient le cap et permet donc une grande souplesse
dans le choix des propositions : c’est ainsi que, pour travailler les repères dans
l’espace ou le « 0 », l’équipe thérapeutique a posé une grande feuille blanche
sur la table, avec l’hypothèse qu’à un moment donné les enfants utilisent cette
surface pour y prendre des repères géométriques, et non pour dessiner.
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2. L’orchestration des différences : du côté des thérapeutes, la diversité
des formations professionnelles met en relation dynamique cognitive, dynamique
psychique et affective. Elle permet d’intégrer les associations libres (analogiques)
de l’enfant vers un travail de la pensée (logique) mené en commun.
Il en va de même pour ce qui est des enfants. Au fil des années, il s’est avéré
que la variété des pathologies garantissait une dynamique de groupe. Plus les
modes de fonctionnement sont homogènes plus les représentations mises en
chantier sont circulaires, répétitives, voire figées et viennent se conforter dans
leurs manques. À l’inverse, des registres extrêmement différents provoquent
des étonnements, des réactions, des rejets qui, pour peu qu’ils soient repris,
génèrent (ré/génèrent) des mouvements de pensée ; comme on le voit chez
Dora, une enfant adoptée, qui dessine son arbre généalogique. Sur son schéma,
aucune branche ne la rattache à ses parents, clairement liés l’un à l’autre. Un
autre enfant l’interpelle: « Mais comment tu fais ? T’es accrochée nulle part ! ».
Ce retour d’un de ses pairs va permettre à Dora de se représenter la filiation.
3. L’écrit : le temps de l’écriture est un incontournable du groupe. Nous
demandons aux enfants de coder, avec des signes, des lettres et des chiffres
ce qui vient d’être élaboré. L’écrit permet de garder une trace du chemine-
ment de leur pensée et d’amener les participants à repérer la diversité des
inscriptions possibles et les difficultés d’élaboration d’un code commun. Ainsi,
au cours d’un travail sur la mesure, chaque enfant s’est référé à une partie de
son corps pour mesurer la pièce : trois pieds pour Xavier, cinq pas pour Théo,
65 pouces pour Zoé, deux corps pour Alexia. Quand il s’est agi de coder ces
différents étalons, chacun a produit un dessin qu’aucun autre ne comprenait
ni ne pouvait utiliser. Il a donc fallu se décider pour un symbole commun et
lui attribuer une valeur.
Une fabrique d’outils thérapeutiques 157

Edwin, les origines du raisonnement


En parallèle de son suivi en relaxation (voir p. 141), Edwin
participe à un groupe logico-mathématique, composé de huit
enfants de même âge. Il est, comme les autres, en difficulté
dans ce domaine, mais pas seulement. Cette prise en charge a
donc pour objectif de l’aider à s’autoriser à penser, à formuler
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ses propres hypothèses pour l’appliquer aux mathématiques qui nécessitent une
bonne mobilité de penser.

Il se montre d’abord peu intéressé par le contenu des séances et par ses pairs ;
il semble assez inhibé et déprimé, regarde par la fenêtre. Mais vite il va s’animer
lorsque nous proposons au groupe de réfléchir sur l’histoire des nombres et celle
des hommes, en particulier en découvrant certaines techniques de comptage de
nos ancêtres.

A)

B)

Figure 8-1. Méthodes des cordelettes (A) et des phalanges (B).


158 En pratique

Edwin va alors mettre à l’œuvre la question de ses propres origines au cours de


plusieurs séances.

Passionné par le football, nous l’amenons avec l’aide de ses pairs à travailler
sur les pays qui participent à la Coupe du monde. Cette proposition l’intéresse
vivement et le mobilise ; ensemble, ils recherchent les pays, leurs capitales et les
situent sur une mappemonde. C’est à ce moment-là qu’il nomme six continents
dont le dernier est le pays d’origine de ses parents, celui de ses propres origines.
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En effet un travail sur l’espace induit inévitablement un travail sur le temps.
Sur cette lancée, Edwin entraîne le groupe sur les chemins de la Préhistoire
et sur les mammouths, et en particulier sur la différence entre les éléphants
d’Afrique et ceux d’Asie. Nous constatons à cette occasion qu’il peut davan-
tage se concentrer sur l’objet mathématique, il suggère en effet au groupe
de comparer les défenses des éléphants en effectuant des proportions et des
conversions.

Figure 8-2. Représentation et proportionnalité.

Il prend maintenant un réel plaisir à penser, à parler de son histoire en évoquant


par exemple, comme en relaxation, le voyage qu’il a fait dans ce qu’il nomme
son « pays d’origine ».
On voit comment ces espaces thérapeutiques – relaxation et groupe logico-
mathématique – ont permis chez ce garçon la circulation des hypothèses, la
déclinaison de ses questions identitaires.
Une fabrique d’outils thérapeutiques 159

Théa, savoir et position subjective


Reparlons de Théa, que nous avons évoquée dans notre intro-
duction (voir p. 80) et dans le cadre de la relaxation théra-
peutique (voir p. 143). Rappelons qu’elle est suivie en groupe
logico-mathématique car la question qui se pose pour cette
fillette est son rapport à la pensée. En effet, Théa se présente
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comme une petite fille intelligente avec une pensée structurée et harmonieuse
mais elle est réticente à s’engager dans la voie des apprentissages scolaires, en
particulier le nombre. Cette double prise en charge vise à lui permettre davantage
de mobilité de penser et à trouver une place de sujet autonome.
D’emblée, elle interroge de différentes manières la place qu’elle occupe dans
le groupe.
Par exemple, dès les premières séances, Théa est réellement participante ;
toutefois elle accentue sa position de plus jeune par une attitude très imma-
ture. En effet elle abuse d’attitudes régressives notamment lors de ses prises
de parole – minauderies, doigts dans la bouche, articulation infantile… Ses
pairs, comme s’ils se sentaient agressés, ne tolèrent pas son comportement
et réagissent violemment. Il faut alors qu’un thérapeute intervienne pour lui
faire apparaître la contradiction entre la bonne qualité de son raisonnement et
son attitude. Ainsi rassurée sur ses capacités, Théa peut assumer une place
plus authentique, elle reprend son discours depuis le début avec un phrasé un
peu plus franc et précis.
À chaque début de séance, les enfants vérifient quasi-systématiquement la
présence de chacun, ce qui semble fédérer l’ensemble du groupe et créer une
unité avant l’entrée dans le travail. On note que Théa se montre particulièrement
sensible à l’absence tant de ses pairs que des thérapeutes, elle cherche alors
à en connaître la raison de façon insistante, quasi-inquisitrice, ne supportant
pas un manque chez des adultes censés tout savoir. Lorsque parfois l’adulte
se trouve dans l’impossibilité de justifier l’absence d’un enfant, Théa réagit en
ne participant plus ; son regard vagabonde sans pouvoir s’accrocher ni être
accroché ; elle s’assied en déséquilibre sur sa chaise, elle semble s’absen-
ter elle-même comme si une défaillance du côté de l’autre entraînait « des
blancs » dans sa propre pensée. Cette fragilité identitaire s’observe à d’autres
moments lorsqu’une autre fille du groupe, plus âgée, se trouve dans l’incapacité
de répondre, voire même de réagir face à l’activité proposée. Théa va alors de
façon spontanée et imprévisible s’installer tout près d’elle en même temps
160 En pratique

qu’elle répond à sa place. Cherche-t-elle à réparer l’autre mais aussi à combler


la place qui semble ainsi vacante ?
Ces deux espaces thérapeutiques (relaxation thérapeutique et groupe logico-
mathématique) ont permis à Théa de se montrer peu à peu plus pertinente dans
son fonctionnement de penser et plus affirmée dans sa position subjective.
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Contrairement à la rigidité, parfois apaisante, parfois angoissante, sous
laquelle il se présente, le nombre est apparu, au fil de ce périple avec les enfants
comme un objet extrêmement souple, à condition d’être traité comme tel, c’est-
à-dire abordé sous un angle qui ne soit que secondairement, celui du calcul
et des opérations. Le nombre renvoie à l’origine, à l’identité et à la différence,
au corps mesurant et mesuré... Autant de notions qui jalonnent les chemins qui
relient la permanence du nombre à la permanence du sujet.
Partis de l’hypothèse qu’il y a quelque chose à penser, à construire, et pas
seulement à apprendre du côté des mathématiques, il apparaît que le sujet peut
trouver à s’y construire et pas seulement à s’y soumettre. En ce sens, le groupe
logico-mathématique paraît constituer un outil thérapeutique qui déborde le
cadre des difficultés d’apprentissage et se prête à un travail sur la structure de
personnalité. C’est justement parce qu’il a une dimension symbolique exacerbée
et assénée comme telle que le nombre suscite reculs, inquiétudes, sidérations,
phobies…Et c’est parce que sa puissance symbolique est aussi forte qu’elle conti-
nue à faire cadre même lorsqu’elle est outrepassée. Il en reste toujours quelque
chose, suffisamment pour contenir un imaginaire corporel qu’on ne s’interdit pas
de solliciter par ailleurs. Les enfants le savent bien, qui se jouent du signifiant
– logico-mathématique, logique aux maths, zarbi maths – sans jamais trop s’en
éloigner.

Pour en savoir plus


1. Bideaud J, Fisher JP, Meljac C. Les chemins du nombre. Presses Universitaires de Lille, 1991.
2. Ifrah G. Histoire universelle des chiffres. PUF, Paris, 1994.
3. Kaës R. Les théories psychanalytiques. PUF, Paris, 1999.
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Conclusion
É. Lenoble

À l’issue de ce long voyage au pays des enfants troublés dans les apprentis-
sages, quelles leçons allons-nous en tirer ?
Le point d’interrogation qui ponctue la phrase précédente semble bien consti-
tuer l’essentiel, à ne jamais perdre de vue : la priorité à donner aux questions,
quelles qu’elles soient, ce qui engage une attention de tous les instants, pour ne
pas se contenter de réponses qui seraient valables, une fois pour toutes…
Les points d’interrogation, tout comme les points de suspension, doivent res-
ter actifs, de façon à maintenir la curiosité en éveil, à ouvrir l’appétit d’apprendre,
à susciter le désir de savoir, et bien sûr laisser la place aux rencontres.
La nécessité, vitale pour la pensée en général et pour tout processus d’ap-
prentissage en particulier, de soutenir une telle position s’applique à chacun des
sujets pris dans l’aventure des apprentissages. L’enfant bien sûr, mais également
les adultes participant à son éducation et aux soins qui doivent lui être appor-
tés. Ses parents, en premier lieu, son entourage familial et social immédiat, ses
enseignants et, le cas échéant, les divers rééducateurs et thérapeutes appelés
auprès de l’enfant, lorsque des difficultés résistantes nécessitent un soutien sup-
plémentaire.
162 Troubles d’apprentissage chez l’enfant

Premier point de réflexion, offert à la perspicacité du lecteur : celui que l’on


pourrait rapporter au temps, le temps si particulier de l’enfance, profondé-
ment marqué par les impératifs du développement. La dimension temporelle,
indissociable de tout processus d’apprentissage, indique suffisamment qu’une
investigation ponctuelle, si précise, « spécifique » et fouillée soit-elle, n’a de
sens que rapportée à un ensemble, à une trajectoire en cours de construction.
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Un « bilan » des troubles d’apprentissage, ne peut jamais se résumer à un
état des lieux de ce qui est défaillant, il se doit justement de repérer les points
d’interrogation et les points de suspension, c’est-à-dire les points de tension, les
points qui ne se laissent pas cerner facilement. C’est précisément autour de ces
points-là que pourront être aperçus des ouvertures, des chemins inattendus…
Un futur, non entièrement prédit, devient pensable, de par le crédit qui peut
alors être porté à l’enfant que quelque chose de nouveau va advenir…
Second point, souvent sujet à discussion : approches dite globales versus
approches « spécifiques » des difficultés d’apprentissage repérées chez un
enfant.
Le présent ouvrage est principalement inspiré par tout ce que nous avons pu
apprendre de nos jeunes consultants « qui n’apprennent pas », et il est traversé
par toutes les questions restées en suspens, celles qui maintiennent actives notre
désir de comprendre encore mieux, d’aider encore mieux les enfants que nous
recevons. Si les familles arrivent jusqu’à l’hôpital, au centre référent des troubles
des apprentissages, pour y confier leur enfant, c’est bien sûr avec l’espoir que
les choses peuvent s’améliorer : crédit est ainsi fait à l’enfant que des progrès
sont possibles pour lui, qu’il va trouver le moyen d’avancer malgré ses embar-
ras, crédit est fait également à notre équipe que nous allons apporter quelques
éléments de compréhension face au mystère de l’échec de l’enfant, et quelques
pistes pour que l’enfant trouve des stratégies efficaces et adaptées à ses troubles
et retrouve le goût d’apprendre.
Parmi les nombreuses questions soulevées tout au long des pages qui ont été
proposées à la curiosité du lecteur, celle du corps revient sans cesse, alors que
le sujet traité est celui des troubles d’apprentissage, supposé se situer dans le
Conclusion 163

domaine dit intellectuel, plus précisément dans le champ actuellement délimité


par ce que l’on désigne du terme « troubles cognitifs ».
Impossible en effet d’apprendre à lire, à écrire, à compter… sans que des
résonnances corporelles soient fortement convoquées.
Serait-ce une illustration, parmi d’autres, de la mystérieuse et incontournable
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dualité psyche-soma, celle qui nous fonde dans notre humanité, mais qui semble
parfois bien difficile à cerner ?
Serait-ce cette dualité que nous pourrions reconnaître dans les débats actuels
traversant les différentes spécialités professionnelles convoquées au chevet des
enfants en mal d’apprentissage : neurologie, psychologie, neuropsychologie, psy-
chiatrie ?
Les Anglo-saxons désignent ce paradigme en juxtaposant deux termes, dans
une formulation devenue classique : Brain and Mind, Cerveau et Pensée.
D’un côté, le « tissu somatique » au sens de l’histologie, de la matière vivante
ultra organisée et hiérarchisée, et de son fonctionnement physiologique propre,
spécifique à l’organe-cerveau, d’un autre côté, la matière réputée insaisissable du
psychisme humain, et l’hypothèse d’un monde caché à explorer : l’inconscient.
Encore plus mystérieux : le « texte de l’inconscient », celui dont les psychanalystes
parlent souvent, celui que les grandes figures de la psychanalyse se sont efforcées
de cerner et de décrire, dont l’étoffe serait constitutive de la structure de notre
position subjective, de notre statut d’être de langage… Contrairement au tissu
somatique, ce tissu psychique ne s’observe pas à l’aide d’un microscope ou
d’appareils sophistiqués d’imagerie médicale, il se déchiffrerait plutôt par voie
auditive, en écoutant ce que nous enseignent les patients.
Les registres de ces différents savoirs ne sont pas du même ordre, mais leur
but commun : analyser, comprendre et approcher au plus près les mécanismes
de pensée, agir, remédier sur ce qui ne fonctionne pas ou bien très mal, ce qui
« dys »fonctionne. Ce sont des questions ouvertes, elles continuent et continue-
ront d’animer les chercheurs et les praticiens se réclamant tant de neurologie, de
psychiatrie que de psychologie.
164 Troubles d’apprentissage chez l’enfant

Le cerveau de l’enfant est immature à la naissance, son développement est pro-


grammé « génétiquement » sur plusieurs années et se trouve fortement impacté
par l’environnement. Les publications dans le domaine des recherches dévelop-
pementales s’appuient largement sur les données de l’épigenèse, cette partie de
la génétique qui s’intéresse plus particulièrement à l’expression de ce qui est ins-
crit au plus profond de notre tissu somatique, le code génétique. Les séquences
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formées avec les lettres de ce code ne sont pas seulement déterminées par les
règles de transmission du patrimoine génétique, elles sont influencées par des
éléments venus de l’environnement…
Il s’agit clairement, dans ce cas, de la lecture d’un texte. Celui qui s’est écrit
avec les lettres constitutives de la double hélice de notre ADN, et avec les mul-
tiples rencontres contextuelles liées à notre environnement de vie familial, social,
scolaire, linguistique, culturel…
Notre « programmation interne » contient ainsi l’inachèvement, la plasti-
cité, l’adaptabilité, promesses de progrès et appel à la fécondité de rencontres
ouvrant à l’altérité.
C’est tout le champ des rencontres qui est, de ce fait, souligné et reconnu
comme constitutif et nécessaire au développement tant d’un organisme que
d’un sujet.
Quant à l’avènement d’un sujet doué de parole, d’un sujet qui pourra parler
de sa propre place, dire « je », un sujet qui ira à l’école et y apprendra beaucoup
de choses, il nécessite la rencontre avec un autre humain, celui de « l’intersub-
jectivité ». Là aussi, un code est indispensable pour médiatiser la rencontre et
l’inscrire. Le langage aura cette fonction…
Il est d’usage, à l’heure actuelle, dans nombre de publications et de manifesta-
tions scientifiques, de distinguer, de séparer les questions concernant le domaine
psychopathologique, supposé difficile à cerner, de celles relevant du domaine
de la cognition, supposée renvoyer à des données neuropsychologiques plus
clairement formalisables. Cette distinction des champs de compétence et de
références théoriques permet certes, de sérier les questions et de les organiser,
ce qui est indispensable pour mener à bien des actions de recherche formalisée.
Conclusion 165

Mais en clinique, les choses se présentent cependant bien autrement, elles


sont « intriquées » comme il est souvent dit, et c’est à un tissu que nous
avons à faire, celui de la vie, celui que chaque enfant a fabriqué, tricoté avec
son histoire, son « équipement », sa personnalité, ses parents, son école, ses
rencontres, etc.
Alors, prenons les choses « à bras le corps », entrons dans « le vif du sujet »,
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et laissons travailler toutes les métaphores de la langue pour ouvrir nos pratiques
et nos recherches en matière de troubles d’apprentissage à toutes sortes de
questionnements féconds et surtout, promesse de savoir…
Annexes
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Centres référents des troubles des
apprentissages du langage oral et écrit1
Région Hôpital Service Téléphone

Alsace CHU Hautepierre, Service de pédiatrie 1 03 88 12 83 28


Strasbourg Centre référent des troubles
d’apprentissage

Aquitaine CHU de Bordeaux, Centre de référence 05 56 79 59 36


hôpital Pellegrin-enfants des troubles spécifiques
du langage

Auvergne CHU de Clermont-Ferrand, Service de psychiatrie 04 73 75 19 50


groupe hospitalier de l’enfant et de l’adolescent
Saint-Jacques Unité d’évaluation des troubles
du développement

Basse- CHU de Caen, CRTLA Centre de référence 02 31 08 18 30


Normandie des troubles du langage
et des apprentissages

CHU Côte-de-Nacre, Service ORL 02 31 06 46 40


Caen Centre Audition et Langage

Bretagne CHU de Brest, hôpital Centre de référence 02 98 22 36 57


Morvan des troubles des
apprentissages

CHRU de Rennes Service MPR enfants 02 99 28 95 33


Centre référent pour les
troubles sévères du langage
et des apprentissages

Centre CHRU de Tours, Service de neurologie 02 47 47 47 57


hôpital Clocheville pédiatrique
Centre référent des troubles
du langage
et des apprentissages

1. Liste mise à jour sur le site de l’INPES (voir p.170).


168 Troubles d’apprentissage chez l’enfant

Région Hôpital Service Téléphone

Centre CHR Orléans, Réseau DYS 45 02 38 74 44 89


(suite) hôpital Porte Madeleine

Champagne- CHU de Reims, American Service de pédiatrie A 03 26 78 88 70


Ardenne Memorial Hospital Centre régional de référence
sur les troubles spécifiques
du développement du langage
oral et écrit
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Franche- CHU de Besançon, Service de pédiatrie 03 81 21 84 29
Comté CHU Saint-Jacques Centre de référence des
troubles d’apprentissage de
l’enfant du langage oral/écrit

Haute- CHU de Rouen, Service de pédiatrie néonatale 02 32 88 80 99


Normandie hôpital Charles-Nicolle et réanimation
Centre d’éducation
fonctionnelle

Groupe Hospitalier Service de neuropédiatrie, 02 32 73 36 30


Du Havre, Centre d’évaluation
hôpital Flaubert des troubles du langage

CHU de Rouen, Centre référent des troubles 02 32 88 01 03


CHU Charles Nicolle des apprentissages

Île-de-France Hôpital Robert-Debré, Service de psychopathologie 01 40 03 22 67


Paris de l’enfant et de l’adolescent

Hôpital Necker, Paris Service de psychiatrie de 01 44 49 45 61


l’enfant et de l’adolescent

CHU Pitié-Salpêtrière, Service de psychiatrie 01 42 16 23 63


Paris de l’enfant et de l’adolescent

CH Sainte-Anne, Paris Unité de psychopathologie 01 45 65 80 69


de l’enfant et de l’adolescent

Hôpital Raymond-Poincaré, Service de médecine physique 01 47 10 79 16


Garches et réadaptation de l’enfant

Hôpital Avicennes, Service de psychopathologie 01 48 95 53 74


Bobigny de l’enfant et de l’adolescent

CHU de Bicêtre, Le Unité de rééducation 01 45 21 22 90


Kremlin-Bicêtre neuropédiatrique

Languedoc- CHU de Montpellier, Service de neuropédiatrie 04 67 33 72 23


Roussillon hôpital Centre référent pour l’analyse
Gui de Chauliac des outils du langage

CHU de Montpellier, Service de neuropédiatrie 04 67 33 01 89


hôpital Unité de neuropsychologie
Gui de Chauliac et analyse des troubles
du langage
Annexes 169

Région Hôpital Service Téléphone

Limousin CHU Limoges, Département de pédiatrie 05 55 05 68 80


CHU Dupuytren Centre de référence des
troubles de l’apprentissage

CHU Dupuytren Service de pédiatrie 05 55 05 68 80


Centre de dépistage
et de prise en charge
des troubles du langage
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Lorraine CHU de Nancy, Service de médecine infantile 1 03 83 15 45 70
hôpital d’Enfants CLAP, Centre référent pour
les troubles du langage
et des apprentissages

Midi- Hôpital des Enfants, Centre d’évaluation des 05 34 55 87 05


Pyrénées Toulouse troubles de langage et des
difficultés d’apprentissage
chez l’enfant

Hôpital de Tarbes Service de pédiatrie 05 62 51 54 26


et de néonatologie
Centre référent du Piémont
pyrénéen

Nord-Pas-de- CHRU de Lille, Service de neurologie 03 20 44 40 57


Calais hôpital Roger Salengro pédiatrique
Centre d’expertise des troubles
des apprentissages

Pays-de- CHU de Nantes Centre de référence des 02 40 08 43 09


Loire Hôtel Dieu-Hôpital troubles spécifiques pour
mère-enfant l’apprentissage du langage

Picardie CHU d’Amiens, Centre de référence régional 03 22 66 87 32


Hôpital Nord des troubles du langage
et des apprentissages

Poitou- Centre hospitalier CMPEA 05 49 01 62 30


Charentes Henri Laborit, Poitiers

Provence- CHU de Nice, Unité de neuropédiatrie 04 92 03 60 80


Alpes-Côte hôpital de l’Archet 2 Centre pédiatrique de
d’Azur diagnostic et de prise
en charge des difficultés
scolaires et des troubles
du développement

CHU La Timone enfants, Service de neurologie 04 91 38 68 07


Marseille pédiatrique

Rhône-Alpes CHU Grenoble, Département de pédiatrie 04 76 76 92 98


hôpital de La Tronche Centre de dépistage et de
référence des troubles des
apprentissages scolaires
170 Troubles d’apprentissage chez l’enfant

Région Hôpital Service Téléphone

Rhône-Alpes Hôpital Édouard-Herriot, Service d’exploration 04 72 11 05 17


(suite) Lyon fonctionnelle-ORL

Hôpital Pierre-Wertheimer, Service de neuropsychiatrie 04 72 35 74 57


Lyon de l’enfant

CH Lyon-Sud Service de pédiatrie, 04 78 86 14 95


unité de neurologie
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CH Lyon-Sud L’ESCALE : Service de 04 78 86 16 63
rééducation fonctionnelle
pédiatrique

CHU Saint-Étienne, Centre d’évaluation 04 77 82 80 38


hôpital des troubles du langage
Nord

DOM-TOM Hôpital d’enfants Unité référente des troubles 02 62 90 87 79


des apprentissages

Institutions ressources2
INPES : Institut national de prévention et d’éducation pour la santé
Site internet : www.inpes.sante.fr
Rubrique : Espaces Thématiques/Troubles « Dys »

INSHEA : Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éduca-


tion des jeunes handicapés et les enseignements adaptés
Site internet : www.inshea.fr/

Handiscol : Plan conduit par le ministère de l’Éducation nationale en faveur de


la scolarisation des élèves handicapés
Site internet : www.education.gouv.fr/.../la-scolarisation-des-eleves-handicapes.html

CARMaL : Centre académique de ressources sur la maîtrise des langages


Site internet : www.langages.crdp.ac-creteil.fr/welcome.php

2. Liste non exhaustive


Annexes 171

Réseau associatif ressource3


ANCREAI : Association nationale des centres régionaux pour l’enfance et l’ado-
lescence inadaptée
Site internet : Ancreai.org
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L’École des Parents : Fédération nationale des écoles des parents et des édu-
cateurs
Site Internet : www.ecoledesparents.org

Fédération Française des Dys : regroupe plusieurs associations de parents


d’enfant « Dys »
Site Internet : www.ffdys.com

3. Liste non exhaustive


Index

A Corps 32, 83, 129, 136-137, 139-141,


162
Acquisition 4, 8, 83, 85
Ajuriaguerra, Julian de 20, 88-89, 121, 137 D
Apprentissage 1, 162
Défense (mécanismes de) 37
Articulation 22, 51, 63
Demande 55, 73, 75
Dénombrement 100
B
Désir (d’apprendre) 23, 32, 35, 47
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Bande dessinée 145 Développement 2, 57, 85-86, 96-97, 105,
Bergès, Jean 21, 89, 97, 137, 139 145, 155, 162, 164
Bilan Diagnostic 9, 77, 105
de langage 106, 109 Dictée 107
orthophonique 103 Dyscalculie 12
Borel-Maisonny, Suzanne 104 Dysharmonie 41-42
d’évolution 120, 148
C Dyslexie 11, 39, 46, 104-105, 140
Centre référent pour les troubles Dysorthographie 11, 104-105, 129, 140
du langage et des apprentissages Dysphasie 11, 105
22, 56, 167 Dyspraxie 12, 61, 78-79
Compétences 88
Compréhension 106, 128 E
Conduites de récit 103, 106, 108 École 4, 52, 63-64, 66
Connaissances 30, 142 Écriture 13, 61, 77, 106, 115, 117-118,
Conservations 87 128, 136, 138, 156
174 Troubles d’apprentissage chez l’enfant

Épigenèse 27, 43, 47 Langage écrit 107


Espaces 100 Langage oral 104
Étalonnage 93 Latence (période) 88
États limites 42, 120, 148 Lecture 106, 127, 140-141
Évaluation 6, 57, 76-77, 102, 107 Lexique 106
Examen psychologique 5, 76 Logico-mathématique 12, 82, 154
Excitation pulsionnelle 149
Expression 106, 138, 140 M
Mathématique 83-84, 96
F
MDPH 55-56, 58, 60, 67
Faux-self 152
Mécanismes cognitifs 41
Misès, Roger 120, 148
G
Mobilité 23, 106, 137, 139, 141
Gnosie 85
Multiplex Developmental Disorders (MDD)
Graphothérapie clinique 21, 115-116, 41-42
121, 124
Groupe thérapeutique 78, 146
N
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H Narcissique (assise, organisation) 32, 38,
47, 120
Handicap 16, 54-55, 58, 61, 138 Neurosciences 6, 17, 39
Hypothèse 36, 132, 139, 145, 150, 163
Nombre 83, 155
Nosographies 7
I
Numération 155
Identification 122, 145
Imitation 89 O
Inhibition 41, 132, 139
Orthophonie 104, 138, 142
Inscription 13, 61-62, 77, 106, 115, 118-
119, 122 Outils d’investigations 5, 82, 88
Intersubjectivité 47, 164
P
L Paraphrase 109
Langage 1, 11, 15, 18, 48, 97, 106, 117, Parole 2, 11, 106
134, 163-164 Pédagogie 17
Index 175

Pensée 156, 161, 163 Stade du miroir 36, 137


Perception 85 Subjectivité 2, 110, 113
Phonèmes 106, 134 Sujet 2-3, 27, 76, 88, 92, 96-99, 103, 108,
Phonologie 106 112, 120, 137, 139, 160, 164
Piaget, Jean 85-87, 96-98, 100 Symbolique 85
Plasticité cérébrale 27 Symbolisation 23, 116, 138
Syntaxe 106
Pré-requis 107
Psychodynamique (abord) 10, 25, 28, 38,
68 T
Psychologue 85 Trace 115-117, 120-121, 124
Psychopathologie 10, 40, 77, 121 Transfert 68, 121, 146
Psychose 64 Troubles
Psychothérapie 26, 52, 63, 78, 151 des apprentissages 41
envahissants du développement (TED)
28, 41-42
R instrumentaux 7-8
Recherche (scientifique) 26, 39-40, 49 névrotiques 41
(spécifiques) des apprentissages 8, 25
Récit 48, 108-109, 147, 150
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Relaxation thérapeutique 21, 136-138,
U
141, 159
Remédiation 115, 130, 140, 154 UDN-II 96-100, 102, 124, 154
Représentation 138, 141, 143, 154
Réversibilité 87 V
Vygotski, Lev 96
S
Savoir 30, 132, 137, 139-140, 161, 165
W
Schéma corporel 77, 82, 88-89, 94, 99, Wallon, Henri 36, 137
101-102
Schéma corporel-R 100 Z
Scolarité 52 Zone proximale de développement (ZPD)
Soins 52 97
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