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Dyscalculie et difficultés

d’apprentissage
en mathématiques
Guide pratique de prise en charge

Marie-Pascale Noël
et Giannis Karagiannakis
Dyscalculie et difficultés d’apprentissage
en mathématiques
Dyscalculie et difficultés d’apprentissage
en mathématiques

Guide pratique de prise en charge

Sous la direction de Marie-Pascale Noël


et Giannis Karagiannakis
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© De Boeck Supérieur SA, 2020


Rue du Bosquet, 7 - B-1348 Louvain-la-Neuve

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Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie)
partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le
communiquer au public, sous quelque forme ou de quelque manière que ce soit.

Dépôt légal :
Bibliothèque royale de Belgique : 2020/13647/087
Bibliothèque nationale de France : juillet 2020
ISBN : 978-2-8073-1899-1
Sommaire

Les auteurs ................................................................................................... 7


Introduction générale................................................................................. 9

Chapitre 1 Les bases d’une intervention cognitive


pour les problèmes d’apprentissage
en mathématiques et les dyscalculies........................... 11
Chapitre 2 Les capacités numériques de base................................. 49
Chapitre 3 La représentation en base 10.......................................... 87
Chapitre 4 L’arithmétique..................................................................... 125
Chapitre 5 La résolution de problèmes............................................. 215
Chapitre 6 Les nombres rationnels.................................................... 257

Table des matières........................................................................................ 315

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Les auteurs

Marie-Pascale Noël est professeure de psychologie à l’université catholique de


Louvain (UCLouvain), en Belgique, et maître de recherche au Fonds national de la
recherche scientifique de Belgique. Elle s’intéresse à la dyscalculie et aux difficultés
d’apprentissage en mathématiques depuis près de 20 ans. Elle est titulaire de cours en
neuropsychologie de l’enfant et en cognition numérique de l’enfant, et est régulière-
ment invitée en France, en Suisse et au Vietnam pour intervenir sur ces sujets. Elle a
publié de nombreux écrits (livres, chapitres de livres, articles scientifiques) dans le
domaine du développement numérique de l’enfant et des difficultés à ce niveau, ainsi
que deux batteries d’évaluation des troubles du calcul chez l’enfant (le Tedi-Math et
le Tedi-Math Grand). Elle est également responsable, au sein de l’UCLouvain, d’un
centre clinique : les consultations psychologiques spécialisées en neuropsychologie et
logopédie de l’enfant.

Giannis Karagiannakis est maître de conférences et chercheur associé au labora-


toire de psychologie expérimentale de l’université d’Athènes. Il a dispensé des pro-
grammes de formation sur la gestion des difficultés d’apprentissage en mathématiques
à plusieurs milliers de personnes dans le monde entier. Ses recherches portent sur la
cognition numérique, soit l’étude des fonctions cognitives (spécifiques et générales)
qui peuvent être liées aux forces et aux faiblesses en mathématiques, ainsi que sur le
développement de programmes d’instructions différenciées en mathématiques pour
les élèves de 8 à 18 ans. Depuis deux ans, il est collaborateur scientifique à l’Institut
de recherche en psychologie à l’UCLouvain, en Belgique, et collabore avec le profes-
seur Marie-Pascale Noël. L’objectif principal de ce projet est le développement et la
standardisation d’un outil d’évaluation des compétences numériques de l’enfant : le
« Mathematical Profile  &  Dyscalculia Test » (test de dyscalculie et de profil
mathématique).

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Introduction générale

Cet ouvrage est né de la collaboration de deux experts, une neuropsychologue de


l’enfant et un mathématicien, intéressés par la problématique des troubles de l’ap-
prentissage en mathématiques et des dyscalculies. Chacun d’entre eux a développé
une carrière alliant recherche scientifique et intérêt pour le champ de la clinique.
Le but de ce livre est de créer des ponts entre, d’une part, ce que la science a pu
mettre en évidence concernant le développement numérique chez l’enfant et les dif-
ficultés liées à ce développement et, d’autre part, la pratique clinique.
Il s’adresse à toute personne qui est amenée à accompagner les enfants en difficulté
d’apprentissage en mathématiques, que ceux-ci aient été diagnostiqués dyscalculiques
ou pas. Il peut s’agir de professeurs de mathématiques travaillant dans l’enseignement
spécialisé, de logopèdes, d’orthophonistes ou de logopédistes, d’orthopédagogues, de
psychologues scolaires ou de neuropsychologues. Dès lors, nous utiliserons réguliè-
rement le terme de « coach en mathématiques » pour faire référence à ces différents
professionnels de l’accompagnement. Notons toutefois que notre approche se base
sur l’analyse cognitive détaillée des processus mis en jeu, et qu’une formation de base
dans ce domaine est donc nécessaire pour comprendre le contenu de cet ouvrage.
Le livre comporte six chapitres :
• Le chapitre 1 explique les grandes lignes d’une instruction ou d’une remédia-
tion efficace ;
• Le chapitre 2 porte sur les habiletés numériques élémentaires, comme le comp-
tage et le dénombrement ;
• Le chapitre 3 se focalise sur la maîtrise des codes numériques symboliques,
c’est-à-dire les nombres verbaux et les nombres arabes, en explorant en parti-
culier le transcodage et la compréhension de la base 10 sous-jacente à ces deux
systèmes ;
• Le chapitre 4 s’intéresse à la réalisation des opérations arithmétiques de base,
addition-soustraction et multiplication-division ;
• Le chapitre 5 porte sur la résolution des problèmes verbaux ;

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Dyscalculie et difficultés d’apprentissage en mathématiques

• Le chapitre 6 aborde les nombres rationnels, soit les fractions et les nombres
décimaux.
Une structure similaire sous-tend les chapitres 2 à 6. Chaque chapitre comprend
une partie théorique et une partie pratique. La partie théorique inclut l’explication
des processus en question et de leur développement ; les difficultés et défis rencontrés
lors de ce développement sont présentés, notamment chez les personnes présentant
une dyscalculie ou des difficultés d’apprentissage en mathématiques. Ensuite, une
synthèse des études d’intervention visant à remédier à ces difficultés est présentée.
Les deux  dernières sections sont davantage orientées vers la pratique clinique.
D’abord, une courte section s’intéresse à l’évaluation de ces processus pour aider le
clinicien à jauger la nécessité d’apporter une aide à ce niveau à l’enfant qu’il accom-
pagne, mais aussi pour permettre d’évaluer, le cas échéant, l’efficacité de sa prise en
charge. Enfin, chaque chapitre se termine par une proposition claire et concrète d’un
programme d’intervention pour accompagner les enfants dans le développement du
processus en question. Ces programmes sont basés sur les connaissances scientifiques
présentées dans la partie théorique du chapitre, mais également sur les expériences
cliniques des deux auteurs de l’ouvrage.
À travers ce livre, nous souhaitons outiller au maximum les coaches pour leur
permettre d’intervenir de manière plus efficace dans leur accompagnement des
enfants en difficulté d’apprentissage et ainsi aider ces enfants à traverser ces
obstacles.

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Chapitre 1
Les bases d’une intervention
cognitive pour les problèmes
d’apprentissage en mathématiques
et les dyscalculies

1. Qu’entend-on par dyscalculie


ou difficulté d’apprentissage en mathématiques ?
Les systèmes éducatifs du monde entier accordent une grande importance au
développement des compétences numériques des enfants, car posséder des aptitudes
en mathématiques est essentiel pour vivre et participer à nos sociétés modernes
(­Ancker & Kaufman, 2007). Cependant, tout le monde n’est pas capable de maîtriser
les bases des mathématiques. Par exemple, au Minnesota, 21 % des enfants de 11 ans
quittent l’école primaire sans atteindre le niveau de mathématiques attendu et 5 %
n’atteignent même pas les compétences numériques attendues d’un enfant de 7 ans
(Gross, 2007). Ces difficultés sont généralement appelées « difficultés d’apprentissage
en mathématiques » ou DAM. Lorsque ces difficultés sont sévères, persistantes et ne
sont pas dues à un manque d’intelligence ou à une scolarisation inadéquate, on les
appelle « dyscalculies développementales » (DD).
La prévalence de la DD est d’environ 6 %. Par exemple, Gross-Tsur, Manor et
Shalev (1996) ont testé 3 029 enfants israéliens de quatrième année primaire et ont
utilisé deux critères pour détecter la présence d’une dyscalculie ; (1) avoir une intel-
ligence dans la normale et (2) obtenir un score à un test de mathématiques inférieur
à la performance moyenne obtenue par les enfants deux années plus jeunes (enfants
de deuxième année primaire). Ils ont constaté que 6,5 % des enfants répondaient à ces
critères. De même, dans une étude récente portant sur 2 421 enfants d’école primaire,
­Morsanyi, Bers, McCormack et McGourty (2018) ont identifié des difficultés

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Dyscalculie et difficultés d’apprentissage en mathématiques

persistantes et graves en mathématiques dans 6 % des cas. Après l’application de leurs
critères d’exclusion, 5,7 % présentaient des difficultés d’apprentissage spécifique en
mathématiques. Pourtant, nombre de ces DAM ne sont pas détectées (Barbaresi,
Katusic, Colligan, Weaver, & Jacobsen, 2005).
La plupart du temps, ces problèmes sont persistants. Par exemple, Shalev, Manor,
Auerbach et Gross-Tsur (1998) ont suivi, sur une période de trois ans, les enfants
qu’ils avaient détectés comme présentant une dyscalculie lorsque ceux-ci étaient en
quatrième année primaire (voir l’étude susmentionnée). Ils ont constaté que presque
tous avaient encore un score faible à un test de mathématiques (inférieur au percen-
tile 25) et qu’environ la moitié d’entre eux présentaient encore des difficultés très
graves avec un score sous le percentile 5. Ces DAM persistent même à l’âge adulte et
on estime qu’un cinquième des adultes en Angleterre ont des compétences en calcul
inférieures au niveau de base requis pour gérer les situations de la vie courante
(Williams, ­Clemens, Oleinikova, & Tarvin, 2003). Les difficultés rencontrées par les
personnes atteintes de dyscalculie sont multiples et peuvent concerner, entre autres,
la maîtrise des codes numériques (lire et écrire des nombres arabes, comprendre le
système en base 10), le stockage de faits arithmétiques dans la mémoire à long terme
(par exemple, se rappeler que 5 + 4 = 9 ou que 8 × 3 = 24), la réalisation des procé-
dures de calcul ou la résolution de problèmes verbaux en mathématiques.

2. Quelles sont les causes de ces difficultés ?


Outre des facteurs globaux tels qu’un faible niveau socioéconomique, des difficul-
tés d’ordre affectif, un quotient intellectuel faible,  etc., les recherches en sciences
cognitives ont tenté d’identifier le processus numérique le plus élémentaire qui
constituerait la pierre angulaire de tout apprentissage mathématique ultérieur et qui,
s’il était altéré, conduirait à des DAM.

2.1. Un déficit au niveau d’un processus numérique


de base
L’une des hypothèses dominantes dans le champ concerne le « système approxi-
matif de la magnitude numérique ». En effet, les bébés naissent avec une capacité
innée à détecter, de manière approximative, la numérosité ou le nombre d’éléments
dans un ensemble (voir chapitre 2). La représentation sous-jacente s’appelle le sys-
tème numérique approximatif. Il s’agit d’une représentation non verbale qui soutient
un sens intuitif et approximatif du nombre chez l’homme ainsi que chez d’autres
espèces animales. Selon Wilson et Dehaene (2007) ou Piazza et al. (2010), une défi-
cience au niveau de ce système numérique approximatif expliquerait l’apparition des
DD. En effet, des recherches ont montré que la capacité à détecter le plus grand

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Les bases d’une intervention cognitive…

ensemble parmi deux sans compter (soit une tâche évaluant ce système numérique
approximatif), mesurée à l’âge préscolaire, prédit de manière sélective la performance
scolaire en mathématiques à l’âge de 6  ans (Mazzocco, Feigenson,  &  Halberda,
2011a). Deuxièmement, dans de telles tâches, certaines recherches ont observé que
les enfants avec DAM ou DD avaient des performances inférieures à celles des enfants
à développement typique (par exemple, Mazzocco, Feigenson, & Halberda, 2011b ;
Piazza et al., 2010).
Cependant, plusieurs autres recherches n’ont pas réussi à reproduire ces résultats
(pour une revue, voir De Smedt, Noël, Gilmore, & Ansari, 2013). D’autres recherches
encore ont fait valoir que ce n’était pas tant cette représentation approximative de la
magnitude numérique qui constituerait la base des apprentissages mathématiques,
mais plutôt la capacité de l’enfant à associer des symboles numériques, par exemple,
les mots nombres tels que « cinq » ou les nombres arabes tels que « 5 », à leur sens,
c’est-à-dire à la grandeur numérique qu’ils représentent (Noël  &  Rousselle, 2011 ;
Rousselle & Noël, 2007). En effet, les nombres symboliques permettent d’aller au-delà
d’une représentation approximative de la magnitude et d’activer une représentation
numérique précise, ce qu’exigent les mathématiques. De nombreuses recherches ont
en effet montré que la performance dans les tests de mathématiques est davantage
corrélée à la capacité de juger, parmi deux nombres arabes, celui qui est le plus grand
plutôt qu’à la capacité de comparer des ensembles d’éléments (c’est-à-dire, des
­comparaisons non symboliques). Schneider et al. (2017) ont synthétisé, dans une
méta-analyse, les études mesurant le lien entre les tâches de comparaison de nombres
symboliques (des chiffres arabes) et non symboliques (des collections de points) avec
la performance en mathématiques et ont trouvé une association significativement
plus élevée avec les tâches symboliques (r = 0,302) qu’avec les tâches non symboliques
(r = 0,241). En outre, plusieurs recherches ont indiqué que la performance des per-
sonnes avec DD est particulièrement altérée dans la comparaison des nombres sym-
boliques, et pas tellement dans la comparaison non symbolique. Ainsi, dans une
méta-analyse, Schwenk et al. (2017) ont examiné ces différences et ont montré que
les enfants atteints de DD étaient significativement plus lents que les contrôles dans
les tâches de comparaison symbolique (g de Hedges = 0,75) et, dans une moindre
mesure, dans les tâches non symboliques (collections de points) (g de Hedges = 0,24).
Un autre traitement numérique invoqué comme cause possible de la DD est le
subitizing, c’est-à-dire l’évaluation rapide et précise de petites collections de points
(de 1 à 4 points). Quelques études ont en effet observé une altération de ce processus
chez les enfants atteints de DD (par exemple, Ashkenazi, Mark-Zigdon, & Henik,
2013 ; Moeller, Neuburger, Kaufmann, Landerl, & Nuerk, 2009 ; Schleifer & Landerl,
2011).
Enfin, des recherches récentes ont examiné un autre aspect fondamental des
nombres : leur valeur ordinale. En effet, les enfants atteints de DD sont plus lents que
les enfants typiques lorsqu’il s’agit de réciter la suite des nombres (Landerl,
Bevan,  &  Butterworth, 2004). De plus, la capacité de juger si trois nombres sont

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Dyscalculie et difficultés d’apprentissage en mathématiques

présentés dans l’ordre (ascendant, ou descendant comme 6 3 2) ou non (par exemple,


3 2 6) est un très bon prédicteur de la réussite en mathématiques, plus encore que la
capacité à comparer la grandeur de deux nombres (Lyons & Beilock, 2011, Morsanyi,
O’Mahony,  &  McCormack, 2017), et les personnes atteintes d’une DD semblent
présenter des faiblesses dans ce processus (Rubinsten & Sury, 2011). Cependant, des
recherches plus récentes suggèrent que cette difficulté n’est pas spécifiquement liée
au domaine numérique. En effet, la performance dans des tâches où il s’agit de juger
l’ordre de séquences non numériques (par exemple, les mois de l’année ou les lettres)
est également corrélée avec la performance en mathématiques (chez les adultes,
Morsanyi et al., 2017 ; Vos, Sasanguie, Gevers, & Reynvoet, 2017) et permet de pré-
dire, chez des enfants de première année primaire, leurs performances en mathéma-
tiques un an plus tard (O’Connor, Morsanyi, &  McCormack, 2018). Enfin, des
difficultés dans des tâches de jugement d’ordre numérique ou non numérique sont
observées chez les personnes atteintes de DD (Morsanyi, van Bers, O’Connor,
& McCormack, 2018). Notons que ces difficultés d’ordre ne se limitent pas aux tâches
de jugement d’ordre. En effet, dans la mémoire à court terme, les personnes avec une
DD sont particulièrement en difficulté lorsqu’il s’agit de mémoriser l’ordre de pré-
sentation des items, plutôt que les items eux-mêmes (Attout, Salmon, & Majerus,
2015 ; De Visscher, Szmalec, Van der Linden, & Noël, 2015).
Actuellement, de plus en plus de travaux montrent que la DD ne serait pas une
entité homogène caractérisée par une seule cause sous-jacente, mais plutôt qu’il exis-
terait différents profils de DD. Skagerlund et Träff (2016) ont par exemple montré
que certains DAM résultaient de faiblesses dans le traitement des nombres symbo-
liques, d’autres dans le traitement des nombres symboliques et non symboliques et
que des déficits cognitifs plus généraux pouvaient aussi être à l’origine de certaines
DD (Träff, Olsson, Östergren, & Skagerlund, 2017). Szucs (2016) a distingué les per-
sonnes atteintes de DD selon qu’elles présentaient, ou non, des problèmes de lecture
associés. Les personnes avec DD et des problèmes de lecture seraient caractérisées par
une faiblesse au niveau de la mémoire à court terme et de travail verbal, tandis que
les « DD pures » seraient associées à une faiblesse au niveau de la mémoire à court
terme et de travail visuo-spatiale. De Visscher et al., Noël (2015) ont décrit deux
autres profils de DD. Les DD, caractérisées par des difficultés spécifiques dans la
mémorisation des réponses aux petits calculs (ce qu’on appelle les faits arithmé-
tiques), seraient dues à une hypersensibilité à l’interférence liée à la similarité des
items à mémoriser alors que les DD plus globales seraient liées à un problème dans
le traitement de l’ordre. D’autres auteurs n’ont pas fait de distinction a priori, mais
ont procédé à des analyses en clusters afin de déterminer différents sous-groupes de
personnes atteintes de DD. Ainsi, Bartelet, Ansari, Vaessen et Blomert (2014) ont
répertorié six groupes distincts d’enfants avec DD : certains avec des faiblesses au
niveau du système des nombres approximatifs, d’autres avec des difficultés spatiales,
d’autres encore avec des difficultés à accéder à la magnitude numérique des nombres
symboliques, etc. À l’heure actuelle, de nombreux auteurs sont d’accord avec l’idée

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Les bases d’une intervention cognitive…

que le développement numérique repose sur plusieurs composants neurocognitifs et


que toute altération de l’un d’entre eux peut compromettre cet apprentissage (Fias,
Menon, & Szucs, 2013). En conséquence, une hétérogénéité des DD est attendue (voir
aussi Andersson & Östergren, 2012).
Nous avons commencé par souligner que différents processus numériques de base
sont importants pour l’apprentissage des mathématiques, en particulier, le système
numérique approximatif, le subitizing, l’accès à la magnitude numérique à partir de
nombres symboliques ou le traitement de l’ordre. Un déficit dans chacun d’eux pour-
rait éventuellement conduire à une DD. Outre ces processus numériques de base, les
processus cognitifs généraux sont également importants pour un bon développement
numérique.

2.2. Un déficit au niveau d’un ou de plusieurs


processus cognitifs généraux

2.2.1. Le langage
L’un d’entre eux est le langage. En effet, si les bébés naissent avec une certaine sen-
sibilité à la dimension de la magnitude numérique, le premier apprentissage numé-
rique de l’enfant est celui de la chaîne numérique verbale, soit un apprentissage verbal
dans lequel les mots doivent être appris et produits dans un ordre déterminé. De
nombreux articles ont montré que les enfants présentant un trouble spécifique du
langage montrent de grandes difficultés dans les apprentissages numériques, qu’il
s’agisse du développement de la chaîne numérique verbale, du dénombrement ou du
calcul (Donlan, Cowan, Newton,  &  Lloyd, 2007 ; Fazio, 1994). Globalement, le
niveau  mathématique de ces enfants correspond à leur niveau langagier (Durkin,
Mok, & Conti-Ramsden, 2013). Toutefois, il semble que ce retard serait présent pour
les traitements numériques exacts, mais pas pour les traitements numériques approxi-
matifs portant sur du matériel non symbolique (Nys, Content, & Leybaert, 2013).
Cette relation entre capacités langagières et calcul est également observée dans des
populations tout-venant en considérant plus spécifiquement le rôle des capacités
phonologiques dans le développement numérique et mathématique. Ainsi, plusieurs
études montrent une corrélation entre la performance arithmétique des enfants et
leur conscience phonologique (la conscience des sons ou phonèmes qui constituent
les mots) (voir Donlan et al., 2007 ; Hecht, Torgesen, Wagner, & Raschotte, 2001 ;
Leather & Henry, 1994). Ces capacités de conscience phonologique (mesurées à l’âge
de 4 ou 5 ans) permettraient également de prédire les compétences mathématiques
ultérieures des enfants (Alloway et al., 2005 ; Simmons & Singleton, 2008). Cependant,
Krajewski et Schnieder (2009) montrent que les capacités de conscience phono­
logique mesurées à l’âge de 5 ans corrèlent significativement avec la performance en
mathématiques à l’âge de 8  ans lorsqu’il s’agit des capacités de base (comptage et

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Dyscalculie et difficultés d’apprentissage en mathématiques

lecture de nombres arabes), mais beaucoup moins lorsqu’il s’agit de tâches nécessitant
la compréhension de la quantité exprimée par les nombres.
De nombreuses recherches se sont aussi intéressées aux personnes présentant une
dyslexie, puisqu’il s’agit là d’un trouble caractérisé par des capacités de conscience
phonologique faibles. Une revue de la question montre que ces personnes ont souvent
de piètres performances en mathématiques, en particulier dans le comptage et la
récupération de faits arithmétiques en mémoire (Simmons & Singleton, 2008). Des
chercheurs ont également étudié des participants dyslexiques en veillant à ce qu’au-
cun ne présente une DD associée. Plusieurs recherches montrent que ces personnes
dyslexiques auraient surtout des difficultés dans la constitution d’un réseau de faits
arithmétiques en mémoire à long terme (par exemple, Boets  &  De Smedt, 2010 ;
Cirino, Ewing-Cobbs, Barnes, Fuchs, & Fletcher, 2007). Selon Göbel (2015), l’asso-
ciation entre un déficit phonologique et des difficultés de constitution d’un réseau de
faits arithmétiques en mémoire serait liée au fait qu’une même structure cérébrale, le
gyrus angulaire gauche, serait impliquée dans ces deux processus.

2.2.2. La mémoire
Un deuxième domaine important est celui de la mémoire. En effet, les mathéma-
tiques requièrent la mémorisation et puis la récupération d’informations, comme les
mots nombres et leur ordre dans la liste de comptage ou les faits arithmétiques. Une
étude a révélé que les enfants avec DD étaient plus lents à réciter la suite numérique
(Landerl et al., 2004) et de nombreuses autres ont constaté que les enfants avec
DD  avaient des difficultés à mémoriser les faits arithmétiques (par exemple,
Garnett & Fleischner, 1983 ; Geary, Hoard, & Hamson, 1999). Les difficultés liées à
la mémorisation de faits arithmétiques ne s’expliqueraient pas par des capacités de
mémoire à long terme globalement faibles (De Visscher  &  Noël, 2014a-b ;
Mussolin & Noël, 2018), mais par une sensibilité exagérée aux interférences liées à
la similarité des items à mémoriser (De Visscher  &  Noël, 2014a-b). Une autre
recherche réalisée chez des étudiants universitaires a montré une corrélation entre
la capacité à mémoriser des séquences et les capacités de calcul (Holmes & McGregor,
2007).
En ce qui concerne la mémoire de travail, de nombreuses études ont montré que
tous les composants (y compris l’inhibition, la flexibilité et la mise à jour) sont asso-
ciés à la performance mathématique, la corrélation la plus élevée étant constatée avec
la mise à jour verbale (voir la méta-analyse de Friso-van den Bos, Van der Ven,
Kroesbergen, & van Luit, 2013.) De plus, lorsqu’on compare les différents domaines
numériques, il apparaît que les capacités de mémoire de travail sont davantage cor-
rélées avec la résolution de problèmes verbaux et les calculs (voir la méta-analyse de
Peng, Namkung, Barnes, & Sun, 2016). Enfin, plusieurs études ont montré que les
enfants atteints de DAM avaient une mémoire de travail verbale et visuo-spatiale
médiocre (voir la méta-analyse de Swanson & Jerman, 2006).

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Les bases d’une intervention cognitive…

2.2.3. Le domaine visuo-spatial


Un troisième domaine cognitif qui semble être impliqué dans le développement
numérique est le domaine visuo-spatial. En effet, les mathématiques nécessitent évi-
demment un traitement visuo-spatial pour la géométrie, mais aussi pour comprendre
le système positionnel des nombres arabes ou pour résoudre des calculs en colonnes
de nombres à plusieurs chiffres. Les processus visuo-spatiaux semblent également
sollicités dans la résolution de problèmes verbaux puisque l’utilisation d’images
visuelles est corrélée avec de meilleures performances dans la résolution de ces pro-
blèmes (van Garderen, 2006). De plus, de nombreuses recherches soutiennent que la
représentation des nombres est orientée dans l’espace (Hubbard, Piazza,
Pinel, & Dehaene, 2005) avec, dans nos cultures occidentales, les petits nombres repré-
sentés à gauche et les grands nombres vers la droite. La tâche de positionnement de
nombres sur une ligne numérique non graduée avec un nombre écrit à chaque extré-
mité (par exemple, 0 et 100) mesure cette mise en correspondance entre nombres et
espace. La méta-analyse de Schneider et al. (2018), montre que la précision dans cette
tâche corrèle de manière significative avec la compétence mathématique, soulignant
ainsi l’importance de cette connexion entre nombres et espace dans le développement
numérique. Certaines recherches ont montré que les capacités en mathématiques
étaient en lien avec les ­compétences spatiales (Mix & Cheng, 2012 ; Osmon, Smerz,
Braun, & Plambeck, 2006, pour une revue, voir Crollen & Noël, 2017). Rourke (1993),
Rourke & Conway (1997) et Rourke et Finlayson (1978) ont identifié un type de DD
qui résulterait de difficultés visuo-spatiales. À cet égard, plusieurs auteurs ont observé
que les enfants ayant des déficits au niveau de leurs capacités visuo-spatiales mais des
capacités verbales intactes avaient des performances plus médiocres que leurs pairs en
géométrie (Mammarella, Giofrè, Ferrara, & Cornoldi, 2013), en calcul écrit et dans la
sériation numérique (Mammarella, Lucangeli,  &  Cornoldi, 2010). Crollen et Noël
(2015) et Crollen, Vanderclausen, Allaire, Pollaris et Noël (2015) sont allées plus loin
et ont montré que, chez les enfants présentant une déficience visuo-spatiale, la repré-
sentation de la magnitude numérique est moins précise et son orientation gauche-
droite moins fortement établie. Cependant, toutes les DD ne seraient pas dues à de
faibles compétences visuo-spatiales. Par exemple, Szucs, Devine, Soltesz, Nobes et
Gabriel (2013) n’ont pas trouvé de différence significative entre les enfants avec une
DD et les enfants contrôles dans deux tâches visuo-spatiales (orientation mentale et
symétrie spatiale), mais ont constaté une faiblesse au niveau des capacités de mémoire
à court terme et de mémoire de travail visuo-spatiale.

2.2.4. Le raisonnement
Enfin, la capacité de raisonnement est évidemment importante pour résoudre au
moins les problèmes mathématiques les plus complexes. Certaines études ont en effet
montré que le raisonnement non verbal mesuré avec le test des matrices en première
ou en troisième année primaires prédisait la résolution de problèmes verbaux ou la

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Dyscalculie et difficultés d’apprentissage en mathématiques

réussite en mathématiques un an après (Fuchs et al., 2005 ; Fuchs et al., 2006 ; Nunes
et al., 2007). Sur un échantillon couvrant une large tranche d’âge (6 à 21 ans), Green,
Bunge, Chiongbian, Barrow et Ferrer (2017) ont constaté que le raisonnement fluide
était un prédicteur significatif des résultats en mathématiques, 1,5 et 3 ans plus tard.
En outre, Morsanyi, Devine, Nobes et Szucs (2013) ainsi que Schwartz (2017) ont
constaté que les enfants atteints de DD avaient des capacités de raisonnement infé-
rieures aux enfants contrôles (dans ce cas, le raisonnement transitif). Enfin, Nunes et
al. (2007), ont constaté que la formation des enfants au raisonnement logique entraî-
nait des progrès plus importants en mathématiques qu’un groupe contrôle n’ayant
pas reçu cette formation ; ce qui soutient l’idée d’un lien de causalité entre le raison-
nement logique et l’apprentissage mathématique.
En conclusion, le développement numérique et l’apprentissage des mathéma-
tiques reposent sur plusieurs processus fondamentaux ; des processus numériques de
base, mais aussi de nombreux domaines cognitifs généraux, notamment le langage,
la mémoire, les compétences visuo-spatiales et le raisonnement. En conséquence, une
dégradation dans l’un de ces processus peut entraîner des difficultés spécifiques dans
le domaine numérique. Des recherches ultérieures tenteront de préciser ces différents
profils de DD, mais tous les cliniciens, enseignants spéciaux ou coaches en mathéma-
tiques travaillant avec un enfant atteint de DAM ou de DD, doivent être conscients
de cette hétérogénéité et doivent tenter de comprendre quel est le profil spécifique de
l’enfant qu’ils accompagnent de manière à être les plus efficaces possible dans l’inter-
vention qu’ils proposent.

3. Pratiques pédagogiques efficaces


Répondre au besoin d’améliorer les résultats en mathématiques de tous les élèves
constitue un défi indéniable. Actuellement, les mathématiques à l’école oscillent entre
des pratiques d’enseignement plus traditionnelles dirigées par un enseignant et des
approches plus novatrices centrées sur les élèves. Les pratiques dirigées par l’ensei-
gnant font en sorte que les élèves travaillent sur un ensemble de problèmes et les
encouragent à utiliser des stratégies qu’ils ont mémorisées dans la plupart des cas.
Puis, dès que possible, les enseignants donnent aux élèves des feuilles d’exercices
qu’ils doivent compléter individuellement. Dans ce processus, les échanges verbaux
entre élèves sont très limités ou inexistants. Au contraire, l’instruction centrée sur
l’élève accorde une valeur primordiale au développement des idées personnelles de
l’enfant sur les mathématiques. Les activités centrées sur l’élève lui offrent la possibi-
lité de participer activement au processus de génération des connaissances mathéma-
tiques (Clements & Battista, 1990). Les élèves apprennent de multiples stratégies pour
expliquer et résoudre les problèmes de mathématiques, en mettant davantage l’accent
sur la compréhension des concepts mathématiques sous-jacents que sur l’acquisition
de la fluidité procédurale. Les possibilités de communiquer leur compréhension

18
Les bases d’une intervention cognitive…

mathématique visent à renforcer le raisonnement métacognitif des élèves. Cependant,


toutes ces pratiques se déroulent dans l’environnement de la classe où peu d’attention
est accordée aux larges différences interindividuelles concernant les expériences pré-
alables, les connaissances et les compétences d’entrée des élèves d’une même classe
(Ketterlin-Geller, Chard, & Fien, 2008).
Généralement, les élèves sans DAM bénéficient davantage des pratiques péda-
gogiques centrées sur l’élève en raison des exigences organisationnelles, sociales,
verbales et des exigences des tâches plus grandes dans cette approche, tandis que
les pratiques dirigées par l’enseignant peuvent être particulièrement utiles pour les
élèves avec une DAM. Cela s’explique par le fait que ces dernières pratiques font
souvent moins appel à l’attention, à la mémoire de travail, au langage et aux res-
sources cognitives générales, des domaines dans lesquels les élèves avec DAM
peuvent présenter des faiblesses. Travailler la fluence procédurale avec les élèves
atteints de DAM peut être particulièrement approprié quand ils commencent à
maîtriser les connaissances et les compétences de base (par exemple, la reconnais-
sance des chiffres, les faits arithmétiques) qui nécessitent relativement peu de rai-
sonnement abstrait ou de stratégies complexes (Kroesbergen  &  Van Luit, 2003 ;
Kroesbergen, Van Luit, & Maas, 2004).
Une analyse de suivi de groupes d’élèves avec ou sans DAM a montré que pour les
élèves sans DAM, l’instruction dirigée par l’enseignant et celle centrée sur l’élève
avaient toutes les deux des effets positifs significatifs d’ampleur à peu près égales
(Morgan, Farkas, & Maczuga, 2014). En revanche, pour les élèves avec DAM, seule
l’instruction dirigée par l’enseignant avec des exercices de drill était associée de
manière significative à une meilleure réussite.
D’autre part, des résultats prometteurs suggèrent que les étudiants en DAM pour-
raient également bénéficier de la présentation de stratégies multiples avec un accent mis
sur la compréhension. Par exemple, Bottge et Hasselbring (1993) ont comparé les
performances de deux groupes d’adolescents avec DAM dans la résolution de pro-
blèmes dans deux conditions, l’une impliquant des problèmes verbaux standards et
l’autre des problèmes contextualisés présentés sur vidéodisque. L’approche contextua-
lisée a pour caractéristique de mettre l’accent sur les applications du monde réel, de se
concentrer sur la compréhension des concepts sous-jacents de problèmes réels et d’inté-
grer des discussions avec les élèves. Bien que les deux groupes aient amélioré leurs
performances, les étudiants résolvant des problèmes contextualisés ont nettement
mieux réussi au test après l’intervention et ont été en mesure d’utiliser leurs compé-
tences, après la phase d’instruction, dans deux tâches de transfert. Les auteurs concluent
qu’enseigner aux élèves la pensée mathématique en insistant plus fortement sur le
développement des concepts est essentiel au succès en mathématiques et conduirait non
seulement à une compréhension plus approfondie des mathématiques, mais également
à une meilleure maîtrise du calcul (Baker, Gersten, & Lee, 2002).
Malheureusement, la communauté scientifique, les pouvoirs politiques et les admi-
nistrations scolaires n’ont pas accordé autant d’attention à l’enseignement des

19
Dyscalculie et difficultés d’apprentissage en mathématiques

mathématiques pour les élèves avec DAM qu’à celui de la lecture pour les élèves dys-
lexiques. Bien que la recherche sur « ce qui fonctionne le mieux » dans l’enseignement
des mathématiques pour les élèves avec des DAM soit limitée, certaines méta-analyses
mettent en évidence les pratiques d’intervention, basées sur les preuves, qui sont les plus
efficaces pour les étudiants en DAM. Selon la méta-analyse réalisée par Gersten et al.
(2009), les sept stratégies de remédiation les plus efficaces pour les étudiants avec DAM
sont les suivantes : (1) des instructions explicites, (2) l’utilisation de représentations
visuelles, (3) la verbalisation par l’étudiant, (4) l’utilisation de plusieurs exemples péda-
gogiques, (5) l’utilisation d’heuristiques et de multiples stratégies, (6) le fait de donner
des feedbacks permanents, et (7) l’enseignement assisté par des pairs. L’analyse a mon-
tré que, parmi les stratégies d’instruction susmentionnées, celles amenant les plus
grandes tailles d’effet étaient l’instruction explicite (taille d’effet de 1,22, p < 0,001) et
l’utilisation d’heuristiques et de multiples stratégies (taille d’effet de 1,56, p < 0,001).
L’instruction explicite fournit à l’élève une guidance étape par étape et des possibilités
de pratique (résoudre des exercices) avec des retours ciblés. L’utilisation d’heuristiques
avec des exemples multiples suit une approche plus générique pour résoudre un pro-
blème en impliquant plusieurs façons de résoudre un problème et des discussions avec
les élèves pour évaluer les solutions proposées. D’autres revues de la littérature sou-
tiennent également l’efficacité de l’instruction explicite (par exemple, Chodura,
Kuhn, & Holling, 2015 ; Ketterlin-Geller et al., 2008 ; Kroesbergen & Van Luit, 2003) et
de l’utilisation d’heuristiques et de stratégies multiples (Kroesbergen & van Luit, 2002).
Stevens, Rodgers et Powell (2017) ont récemment effectué une méta-analyse de
25 années d’intervention en mathématiques auprès d’élèves avec DAM de la quatrième
à la douzième année scolaire. L’objectif était de déterminer les effets d’intervention en
mathématiques sur les résultats des élèves. Ils ont constaté une extrême variabilité dans
l’ampleur et la direction des effets, allant de – 0,66 à 4,65, avec une médiane de 0,71.
Les effets moyens constatés étaient moins importants que ceux calculés dans les revues
de littérature précédentes qui s’étaient centrées sur les interventions proposées aux
élèves du primaire exclusivement (par exemple, Chodura et al., 2015 ; Gersten et al.,
2009), ce qui suggère que les interventions chez les élèves avec DAM sont plus efficaces
lorsque ceux-ci sont plus jeunes. En effet, les élèves plus âgés ont probablement plus
de lacunes au niveau de leurs connaissances et plus de conceptions mathématiques
erronées, compte tenu de la structure hiérarchique de l’enseignement des mathéma-
tiques. En termes de contenu d’intervention, les résultats indiquent que les étudiants
ne répondraient pas favorablement aux interventions ciblant un domaine de contenu
spécifique alors que l’élève aurait des lacunes dans les connaissances préalables. Ma
(1999) soutient également cette conclusion en affirmant que les idées fausses et les
difficultés concomitantes des élèves en mathématiques résultent probablement de
l’apprentissage de règles ou d’algorithmes en début d’apprentissage, qui ne sont pas
précis ou qui ne sont pas étayés conceptuellement. En conséquence, elle a suggéré que
les interventions mathématiques pour les élèves en difficulté devraient avoir une fonc-
tion corrective et impliquer de réenseigner les concepts et les principes mathématiques

20
Les bases d’une intervention cognitive…

fondamentaux. Par conséquent, il peut être utile d’élaborer des interventions portant
sur des domaines variés partant du plus simple au plus complexe. Travailler de
manière large, touchant plusieurs domaines, y compris revoir des choses plus basiques,
permettra aux étudiants de pouvoir, par la suite, réaliser des tâches mathématiques
plus avancées. En effet, des lacunes plus élémentaires empêchent certains élèves de
pouvoir traiter correctement une série de problèmes, impliquant un raisonnement
mathématique de niveau supérieur (Stevens, Rodgers, & Powell, 2018). Par exemple,
résoudre une équation peut être impossible pour certains élèves, car ils ont des lacunes
dans des connaissances relevant d’apprentissages antérieurs. Revoir ces apprentissages
plus basiques leur permettra d’aller plus loin.

4. De la recherche à la pratique
Dans la section précédente, nous avons vu que les instructions explicites, l’utilisa-
tion d’heuristiques (approche davantage dirigée par l’enseignant) ainsi que de mul-
tiples stratégies et des instructions conceptuelles (approche davantage orientée par
les étudiants) semblent être les stratégies pédagogiques les plus efficaces pour les
étudiants en DAM. Pour cette raison, nous porterons davantage notre attention sur
les principes de (1) l’instruction explicite, (2) de l’utilisation d’heuristique et (3) sur
l’instruction favorisant une flexibilité mathématique en incluant également les autres
caractéristiques d’intervention invoquées, soit l’utilisation de représentations
visuelles, l’utilisation d’exemples multiples, le fait de fournir des feedbacks ou une
rétroaction continue et la possibilité d’un soutien apporté par des pairs. Nous décri-
rons donc une approche pédagogique intégrant plusieurs stratégies pédagogiques,
une compréhension approfondie des aspects conceptuels et une prise de décision en
ce qui concerne la stratégie adaptée à chaque élève.
Avant de passer à la description des différents types d’instructions fondées sur des
preuves, nous souhaitons mentionner une des limites principales de ces études, selon
notre point de vue. En effet, les chercheurs ont recruté les échantillons d’étudiants
avec DAM, principalement en utilisant un test de performance mathématique, puis
en sélectionnant les étudiants dont les scores se situaient sous un seuil déterminé.
Pourtant, Murphy, Mazzocco, Hanich et Early (2007) ont constaté que les seuils
couramment utilisés (percentiles  10 et 25) conduisaient à identifier des groupes
d’élèves présentant des profils cognitifs différents. Par conséquent, l’hétérogénéité des
participants dans ce type d’étude est une limite majeure à l’efficacité des interventions
proposées aux étudiants avec DAM. En effet, une stratégie pédagogique donnée
pourrait très bien être bénéfique pour un enfant avec DAM, mais ne pas nécessaire-
ment être efficace pour un autre élève qui présenterait des forces et des faiblesses
différentes en termes de compétences en mathématiques. Ainsi, en pratique clinique,
les cliniciens ou les coaches doivent être conscients des différents besoins de chaque
étudiant afin de leur fournir la pratique pédagogique la plus adaptée. Comme Ball,

21
Dyscalculie et difficultés d’apprentissage en mathématiques

Lubienski et Mewborn (2001) le prétendent, le bon enseignant en mathématiques est


celui qui sait adapter son enseignement aux différents besoins des enfants, plus encore
que celui qui a une solide expérience en mathématiques. Or, on sait que trop souvent,
les enseignants des niveaux élémentaire et moyen ne sont pas suffisamment formés
à la fois en ce qui concerne leurs propres connaissances en mathématiques, mais aussi
en ce qui concerne la manière de les enseigner à leurs élèves (Ball, Hill, & Bass, 2005).
Ceci est encore plus flagrant lorsque l’enseignant doit répondre aux besoins des étu-
diants en DAM présentant des profils mathématiques hétérogènes.
Par conséquent, un point-clé pour l’enseignant traditionnel, mais encore plus
pour ceux qui travaillent avec des enfants en difficulté d’apprentissage (enseignants
du spécialisé, cliniciens, coaches en mathématiques), est de savoir comment adapter
leurs interventions aux élèves avec DAM avec lesquels ils travaillent et planifier le
cours de leur intervention en tenant compte du profil mathématique de chaque étu-
diant DAM. Après avoir expliqué les trois stratégies d’instruction (explicite, utilisa-
tion de méthodes heuristiques, flexibilité mathématique), nous essaierons de relever
ce défi en suggérant certaines pistes pour aider à la prise de décision sur la façon de
planifier des interventions individuelles en sélectionnant des éléments de toutes les
stratégies d’enseignement susmentionnées. Ce que nous proposons n’est pas de choi-
sir exclusivement une stratégie pédagogique, mais de composer le cocktail d’inter-
vention le mieux adapté au profil mathématique de chaque élève.
Ainsi, bien que toutes les interventions contiennent les caractéristiques des trois
stratégies (explicite, utilisation d’heuristiques, flexibilité mathématique), leur répar-
tition différera suivant les différents profils mathématiques des élèves avec DAM.
Ceci est dans la lignée des travaux de Fuchs et al. (2016), qui ont montré qu’une
intervention combinant un enseignement explicite et de très bonnes explications
avait permis d’améliorer la compréhension de contenus mathématiques, en particu-
lier chez les étudiants ayant une mémoire de travail limitée. Pour décrire la stratégie
pédagogique qui favoriserait différemment chacune de ses composantes sur la base
du profil mathématique de chaque élève en DAM, nous introduirons le terme de
stratégie d’intervention « Flexplicite » (flexible et explicite). Ainsi, nous décrirons
d’abord en détail les principes de la stratégie d’intervention Flexplicite, puis nous
formulerons des recommandations sur la manière de l’appliquer à des élèves avec
DAM présentant des profils mathématiques différents.

4.1. Composants d’une stratégie d’intervention Flexplicite

4.1.1. Instruction explicite


L’enseignement explicite est l’un des piliers de nombreux programmes de l’ensei-
gnement spécial. C’est une pratique basée sur les preuves (evidenced-based) qui four-
nit aux enseignants un cadre de travail concret et faisable pour dispenser un

22
Les bases d’une intervention cognitive…

enseignement efficace et systématique. Il comprend des éléments pédagogiques tels


que :
• Une modélisation claire des étapes spécifiques permettant de résoudre le pro-
blème en réfléchissant à voix haute et en utilisant des explications et des
démonstrations (montrer comment on résout un problème) non ambiguës ;
• Les prérequis ou compétences préalables sont travaillés, en présentant plu-
sieurs exemples pédagogiques du problème et en appliquant leurs solutions ;
• Fournir aux étudiants un retour d’information immédiat sur leur façon de faire
et leur expliquer si nécessaire, comment il fallait faire.
En règle générale, les enseignants vont expliquer et montrer comment procéder
au début de l’instruction lors de l’introduction d’une nouvelle procédure ou d’un
nouveau concept. Dans les modes pédagogiques efficaces, les enseignants indiquent
aux élèves quel contenu mathématique ils vont apprendre et comment ils vont l’appli-
quer. Lorsqu’ils enseignent une nouvelle procédure ou un nouveau concept, les
enseignants réfléchissent à voix haute en utilisant un langage clair et non ambigu pour
guider les étudiants dans les étapes nécessaires à la résolution du problème (par
exemple, « Aujourd’hui, je vais vous montrer comment résoudre les problèmes de
soustraction qui ont des nombres à deux chiffres », voir figure 1.1). Lors de la modé-
lisation des étapes de la résolution du problème au tableau, l’enseignant verbalise les
procédures, explique les symboles utilisés et leur signification, et explique les proces-
sus de prise de décision et de réflexion (par exemple, « Ce problème dit cinquante-
huit moins vingt-trois » [pointant le signe moins], « Nous enlevons d’abord les
dizaines… », voir la figure  1.1). Pendant la démonstration, l’enseignant invite les
élèves à participer de manière active (par exemple, « Pouvez-vous diviser cinquante-
huit et vingt-trois ? », voir la figure 1.1). Cette participation active des élèves favorise
leur motivation à apprendre de nouveaux contenus (Archer  &  Hughes, 2010).
L’implication des élèves permet également à l’enseignant de déterminer si la tâche est
facile ou difficile pour le groupe ou pour un élève en particulier. Si la tâche est relati-
vement facile, l’enseignant les félicite pour leur implication (Bravo ! Beau travail !) et
deux ou trois exemples d’instruction peuvent suffire. En revanche, si la tâche semble
complexe et que les élèves manquent de compétences et de connaissances préalables,
ils auront besoin d’un soutien supplémentaire. Dans ce cas, l’enseignant peut utiliser
du matériel concret (par exemple, des vraies pièces d’euros, voir figure 1.9) ou des
éléments visuels (par exemple, des cartes de nombres superposables (voir figure 1.8),
pour aider les élèves qui ont du mal à suivre le modèle de l’enseignant ou qui
manquent de compétences au niveau des prérequis (par exemple, comment scinder
un nombre à deux chiffres en dizaines et unités). La pratique guidée avec le recours
à du matériel supplémentaire aidera les étudiants en difficulté à se concentrer davan-
tage et à les garder sur la bonne voie.

23
Dyscalculie et difficultés d’apprentissage en mathématiques

Aujourd’hui, je vais vous montrer comment résoudre des problèmes de soustraction avec des
nombres à deux chiffres en utilisant des bulles. Cette stratégie vous permettra de résoudre
des soustractions de nombres à deux chiffres mentalement.
Ce problème dit « cinquante-huit moins vingt-trois » (pointant le signe moins).
Pouvez-vous décomposer cinquante-huit et vingt-trois ?

58 − 23 = =

Cinquante-huit est constitué de cinquante et de huit (pointer vers 58) et vingt-trois est consti-
tué de vingt et de trois (pointer vers 23).
D’abord je soustrais les dizaines, donc cinquante moins vingt, cela fait trente et j’écris le
résultat dans la première bulle.

58 − 23 = 30 =

Maintenant, je vais soustraire les unités, huit moins trois, il me reste cinq. C’est pour cela que
j’écris « + 5 » dans la seconde bulle (pointer vers le signe +).

58 − 23 = 30 + 5 =

Et pour terminer, je vais trouver ce qui me reste au total, soit trente plus cinq égalent trente-
cinq et j’écris ce résultat final dans le dernier cadre.

58 − 23 = 30 + 5 = 35

Donc, pour résoudre un problème comme cinquante-huit moins vingt-trois en utilisant les
bulles, je soustrais d’abord les dizaines, j’écris le résultat dans la bulle des dizaines, puis je
soustrais les unités et je mets le résultat dans la bulle des unités et finalement je les addi-
tionne pour trouver la réponse.

Figure 1.1.  Exemple d’instruction explicite de base : l’enseignant introduit un problème de soustrac-


tion facile avec des nombres à deux chiffres à l’aide du modèle des bulles.

Au début de l’apprentissage et lors des premiers exercices, l’enseignant fournit un


feedback immédiat pour éviter les erreurs d’apprentissage et il permet aux étudiants de
poser des questions afin d’obtenir des clarifications. Un retour rapide et régulier sur les
productions de l’élève réduit les risques de malentendus ou de mauvaise compréhension
et aide les élèves à approfondir leur compréhension des concepts et leurs compétences en
mathématiques (Doabler et al., 2012). Les enseignants doivent fournir ces feedbacks dès
que possible, car il est plus facile pour l’élève de corriger ses erreurs ou ses idées fausses si
elles sont détectées dès le début de l’apprentissage (Stein, Silbert, & Carnine, 2006). Par

24
Les bases d’une intervention cognitive…

exemple, lorsque les élèves répondent 305 au problème 58 – 23 (figure 1.1), l’enseignant


leur demande de représenter les nombres 30 et 5 à l’aide des cartes numériques qui se
chevauchent (voir la figure 1.8) afin de les aider à comprendre leurs erreurs et à trouver
la bonne réponse. Après cela, l’enseignant donne des commentaires positifs aux élèves
pour leur indiquer que cette fois, ils se débrouillent bien et qu’ils peuvent continuer ainsi.
Lorsque les élèves sont capables de résoudre facilement ce type de problèmes de
soustraction simples (sans emprunt, comme 47 – 15 ou 64 – 31) en utilisant le modèle
à bulles, l’enseignant peut procéder à la démonstration de problèmes plus complexes
en suivant les mêmes étapes pédagogiques. Il pourrait aller plus loin et montrer com-
ment résoudre le problème de soustraction sans emprunt avec des nombres à trois
chiffres (par exemple 679 – 423) ou bien avec des nombres à deux chiffres avec emprunt
(voir la figure 1.2).

Mais qu’est-ce qui se passe quand les unités que je dois retirer sont plus grandes que les
unités que j’ai ? Voyons cela ensemble avec un exemple.

72 − 43 = =

Ce problème dit septante-deux moins quarante-trois (pointer vers le signe moins).


D’abord, on soustrait les dizaines, donc septante moins quarante, cela fait trente, et j’écris
30 dans la première bulle.

72 − 43 = 30 =

Maintenant, je vais soustraire les unités. J’ai deux unités et je dois en soustraire trois.
Combien me manque-t‑il d’unités ? Il me manque une unité. Alors j’écris « moins un » dans la
deuxième bulle (pointer vers le signe moins).

72 − 43 = 30 −1 =

Enfin, je vais trouver ce qui me reste en tout, c’est-à-dire, trente moins un, cela fait vingt-neuf
et j’écris cette réponse finale dans le carré à la fin.

72 − 43 = 30 −1 = 29

Donc, quand on soustrait un nombre à deux chiffres avec le modèle des bulles, vous écrivez
le signe plus (+) dans la seconde bulle pour indiquer les unités qu’il reste ou le signe (-) pour
indiquer les unités manquantes, et puis vous faites l’addition dans le premier cas, c’est-à-dire
quand il vous reste des unités et la soustraction dans le deuxième cas, donc quand il vous
manque des unités.

Figure 1.2.  Exemple d’instruction explicite de base : l’enseignant introduit un problème de soustrac-


tion plus complexe avec des nombres à deux chiffres à l’aide du modèle des bulles.

25
Dyscalculie et difficultés d’apprentissage en mathématiques

Doabler et Fien (2013) ont brièvement résumé les points saillants de la séquence
d’instructions explicites :
• Indiquer clairement les attentes au début de l’instruction ;
• Commencer l’instruction avec un exemple relativement facile ;
• Limiter le nombre d’exemples donnés ;
• Utiliser une formulation cohérente tout au long des activités ;
• Fournir des démonstrations claires et des explications étape par étape ;
• Fournir de nombreux exercices pour mettre en pratique ce qui a été appris ;
• Utiliser du matériel à manipuler pour développer une bonne compréhension
conceptuelle ;
• Donner des feedbacks continus ;
• Faire une révision de tout ce qui a été vu dès la fin de la troisième activité.
Les instructions explicites doivent donc être suivies d’une phase d’exercices et de
mise en pratique de ce qui a été appris pour permettre aux élèves d’améliorer la flui-
dité des processus de résolution pour favoriser leur automatisation et conduire à la
maîtrise (Fuchs et al., 2008b). Ceci peut aussi être fait en utilisant des cartes flash
(c’est-à-dire, des cartes sur lesquelles la question se trouve d’un côté et la réponse de
l’autre) ou des exercices informatisés. Les leçons ou séances devraient aussi inclure
un moment de révision de ce qui a été vu précédemment (VanDerHeyden & Witt,
2005). Cette révision peut prendre différentes formes : exercices d’échauffement en
début de séance, exercices informatisés et révision sous forme d’exercices papier-
crayon (Fuchs et al., 2008a-b).
Une analyse de 34 études d’intervention a montré que l’instruction explicite avait
plus de résultats dans 32 sur 34 des études examinées (Adams & Engelmann, 1996).
C’est également le cas pour les étudiants présentant une DAM. En effet, selon le rap-
port final du Comité consultatif national de mathématiques (National Mathematics
Advisory Panels, 2008), l’enseignement systématique explicite améliore les perfor-
mances des élèves atteints de DAM et favorise le transfert des compétences acquises
à des situations nouvelles. Cependant, le groupe d’experts a noté que, même si les
instructions explicites donnaient systématiquement de meilleurs résultats, rien ne
prouvait qu’elles devraient être utilisées de manière exclusive pour enseigner aux
élèves ayant des difficultés d’apprentissage. Le comité recommande que tous les
enseignants d’élèves ayant des difficultés d’apprentissage utilisent de manière régu-
lière et systématique un enseignement explicite, mais que ce ne soit pas nécessaire-
ment le cas tout le temps (Jayanthi, Gersten, Baker, 2008). En effet, des instructions
explicites ne permettent peut-être pas aux élèves de tirer parti des discussions de
résolution de problèmes avec les enseignants et leurs pairs. Les enseignants ou
coaches en mathématiques pourraient envisager d’intégrer des moments de discus-
sion à l’intérieur des phases d’instruction explicite sur les étapes de résolution de

26
Les bases d’une intervention cognitive…

problèmes ou de calculs afin de donner aux élèves l’occasion d’expliquer leur raison-
nement mathématique. Des explications de haute qualité peuvent, en effet, favoriser
la compréhension du contenu et exposer les élèves à diverses solutions, ce qui
engendre une flexibilité dans la pensée mathématique (Stevens et al., 2018).

4.1.2. Utilisation d’heuristiques


Une heuristique est une méthode qui illustre une approche générique pour la
résolution de problèmes, d’équations, de calculs, etc. L’heuristique peut être utilisée
pour organiser des informations et résoudre divers problèmes de mathématiques.
L’enseignement d’heuristiques, contrairement à l’instruction explicite, n’est pas spé-
cifique à un problème. Les modèles heuristiques peuvent être utilisés pour organiser
l’information et résoudre divers problèmes de mathématiques. Par exemple, un
modèle heuristique pour résoudre des problèmes verbaux peut inclure des étapes
spécifiques telles que « Lire, Question, Information, Dessin, Calcul et Contrôle »
(figures  1.3 et 1.4 pour une illustration, voir aussi le chapitre Résolution de

Figure 1.3.  Heuristique proposée aux élèves pour guider la résolution de problèmes verbaux.

Figure 1.4.  Utilisation du modèle heuristique pour résoudre un problème verbal.

27
Dyscalculie et difficultés d’apprentissage en mathématiques

problèmes). L’approche par modèles heuristiques doit aussi inclure la verbalisation


de l’élève. Celui-ci est invité à raconter l’étape qu’il est en train de réaliser, ses
réflexions sur la manière de procéder, l’étape suivante qu’il va aborder, etc.
Un autre exemple d’heuristique est celui qui comporte les étapes que des étudiants
doivent suivre pour simplifier une expression arithmétique et qui indique l’ordre des
opérations : parenthèse, exposants, multiplications et divisions, additions et soustrac-
tions (PEMDAS). La figure 1.5 présente ces étapes.
L’utilisation d’heuristique permet de retenir les étapes de résolution d’un pro-
blème et peut donc aider les élèves qui ont du mal à avoir une pensée organisée, à
savoir par quoi commencer et l’utilisation d’heuristique permet aussi d’aider à la prise
de décision.

Figure 1.5.  Exemple d’un modèle heuristique pour simplifier une expression arithmétique.

4.1.3. Flexibilité mathématique


Dans l’enseignement des mathématiques, la tendance actuelle est de favoriser la
flexibilité en mathématiques. En effet, un des objectifs-clés dans l’apprentissage de la
résolution de problèmes est le développement de connaissances flexibles, dans les-
quelles les apprenants connaissent plusieurs stratégies et les appliquent de manière
adaptée à diverses situations. Pour les enfants avec des DAM, il n’est pas clair de
savoir si les mêmes objectifs peuvent et doivent être définis. Certains conseillent de
ne leur enseigner qu’une seule stratégie alors que d’autres préconisent de stimuler
l’utilisation flexible de diverses stratégies, comme on le fait avec les enfants à déve-
loppement typique. La recherche de Peters et al. (2014) nous paraît pertinente à ce
sujet. Ces auteurs se sont intéressés à l’utilisation de la stratégie de résolution de la
soustraction de nombres à deux chiffres par l’addition. Cette stratégie permet, en
effet, de résoudre très facilement et très efficacement une soustraction comme 81 – 79
en déterminant combien il faut ajouter à 79 pour obtenir 81 (79 + 1 = 80, 80 + 1 = 81,
donc la réponse est 1  +  1 = 2). Ils ont découvert que les enfants avec DAM sont
capables, tout comme les autres enfants, de sélectionner la stratégie de soustraction

28
Les bases d’une intervention cognitive…

la plus appropriée selon le calcul présenté. Ainsi, ils optent pour la stratégie de sous-
traction résolue par addition plutôt que la soustraction directe traditionnellement
enseignée (dans laquelle le plus petit nombre est soustrait du nombre plus grand) de
manière adaptée, en fonction de la taille relative du nombre à soustraire. Ces résultats
corroborent l’opinion selon laquelle les étudiants avec DAM, ou du moins certains
d’entre eux (par exemple, ceux dont les capacités de raisonnement sont moyennes ou
bonnes) peuvent bénéficier de stratégies multiples, remettant en question les pra-
tiques typiques des classes d’enseignement spécial, qui souvent, se concentrent uni-
quement sur la maîtrise courante de la stratégie de soustraction directe.
Ainsi, chaque élève devrait être libre de choisir la stratégie qu’il veut utiliser, mais
l’enseignant devrait aider l’enfant à discuter et à réfléchir sur le choix ainsi posé. Par
exemple, lorsque les élèves apprennent les tables de multiplication, l’enseignant ou
le coach peut introduire des stratégies alternatives pour les élèves qui éprouvent
beaucoup de difficulté à mémoriser les faits arithmétiques. Par exemple, il peut
apprendre à l’élève à résoudre le produit 6 × 8 par des moyens visuels (figure 1.6).
Une solution possible dans ce cas peut être de calculer d’abord la moitié « trois fois
six » (3 × 8 = 24), puis de multiplier le résultat par deux pour trouver la solution
(24 + 24 = 48).

Figure 1.6.  Retrouver un produit (6 × 8) en utilisant un moyen visuel.

Les enseignants ou coaches peuvent également introduire un tableau comme celui


présenté à la figure 1.7. Dans ce tableau, la multiplication est vue comme une addition
répétée. Donc, pour calculer par exemple 6 × 8, c’est-à-dire « six huit », on peut partir
d’un fait simple comme « cinq huit » sur la droite numérique, puis y ajouter un autre
« huit » (en sautant un 8 à droite), ce qui donne la réponse (6 × 8 = 40  +  8 = 48).
Supposons par la suite qu’un élève souhaite calculer le produit 8 × 9, soit « huit neufs ».
Le coach peut lui rappeler la propriété de commutativité de la multiplication, soit que
8× 9 = 9 × 8. Ainsi, au lieu d’essayer de trouver « Que sont 8 neufs ? », l’élève pourrait
essayer de trouver « Que sont neuf huit ? ». Il sait que 10 × 8 = 80, donc pour trouver
9 × 8 (neuf huit), l’élève peut soustraire un 8 (sauter un 8 à gauche) de 80 (8 × 9 = 80 – 8
= 72). Cette approche est basée sur l’établissement de relations entre les faits arithmé-
tiques simples (par exemple, les tables de multiplication par 2, 5, 10) et les autres, de
sorte que les solutions reposent sur des faits connus (simples) plutôt que la mémorisa-
tion de tous les faits (pour les élèves qui présentent des difficultés de mémoire).

29
Dyscalculie et difficultés d’apprentissage en mathématiques

Figure 1.7.  Retrouver un produit (6 × 8) en se basant sur les produits simples.

Au cœur de l’intervention, la verbalisation à voix haute de l’élève est très impor-


tante. Dans cette verbalisation, l’élève décrit le raisonnement derrière la stratégie qu’il
utilise pour résoudre un problème. Ceci leur permet de développer une pensée
mathématique appropriée en verbalisant leur compréhension conceptuelle de la
matière et cela favorise une compréhension profonde. En outre, cela permet aussi au
coach de fournir des feedbacks formatifs.

4.1.4. Autres dimensions à intégrer


Dans l’approche flexplicite décrite ci-dessus, il est important de considérer et
d’intégrer d’autres composants, en particulier, l’utilisation de représentations
visuelles, la verbalisation des élèves, l’utilisation de plusieurs exemples, donner des
feedbacks, favoriser l’échange et le support entre pairs et soutenir la motivation dans
l’apprentissage. C’est ce que nous allons aborder ci-dessous.

Les représentations visuelles


Les représentations visuelles (dessins, représentations graphiques) ont été utilisées
intuitivement par les enseignants pour expliquer et clarifier les problèmes et par les
élèves pour les comprendre et les simplifier. Lorsqu’ils sont utilisés de manière systé-
matique, les représentations visuelles ont des effets positifs sur la performance

30
Les bases d’une intervention cognitive…

mathématique des élèves (Jayanthi et al., 2008). Les chercheurs ont démontré qu’une
séquence d’instruction allant du concret (avec de la manipulation d’objets) au figuratif
(avec des dessins, des schémas) et puis à l’abstraction, profite tout spécialement aux
élèves en difficulté, que ce soit dans l’enseignement primaire ou secondaire (Witzel,
2005). Les représentations visuelles doivent être intégrées aux instructions explicites
afin de clarifier la procédure et d’aider au mieux les élèves en difficulté. Par exemple,
pour résoudre le problème de soustraction « 58 – 23 = » présenté ci-dessus, l’enseignant
ou le coach peut utiliser des cartes numériques qui se chevauchent pour montrer
­comment décomposer un nombre à deux chiffres en dizaines et en unités (figure 1.8).
En utilisant les cartes, l’étudiant peut facilement réaliser, de manière visuelle et kines-
thésique, que 58 est composé de 50  unités et de 8  unités et que 23 est composé de
20 unités et de 3 unités.

Figure 1.8.  Exemple de représentations visuelles : l’enseignant ou le coach montre comment décom-


poser un nombre à deux chiffres.

L’enseignant ou le coach peut également utiliser du matériel concret, par exemple


de vraies pièces de monnaie, pour aider les élèves qui ont encore du mal à soustraire
des nombres entiers du type dizaine-unité ou qui ont du mal à voir s’ils ont suffisam-
ment d’unités (figure 1.9a) ou s’il leur en manque (figure 1.9b).

a b

Figure 1.9.  Exemple de matériel concret : l’enseignant ou le coach montre le modèle à bulles pour
soustraire un nombre à deux chiffres.

31
Dyscalculie et difficultés
d’apprentissage en mathématiques
Guide pratique de prise en charge

Posséder des aptitudes en mathématiques est essentiel pour vivre et participer à nos
sociétés modernes. Cependant, tout le monde n’est pas capable de maîtriser les bases
de cette discipline.

La dyscalculie touche environ 6 % des enfants, soit autant que la dyslexie. Ses consé­
quences affectent directement et durablement la vie de ces enfants s’ils ne sont pas
accompagnés par un spécialiste chargé de leur rééducation. Malheureusement, il
existe peu de professionnels dédiés à la rééducation mathématique, notamment à
cause d’une méconnaissance du trouble. Ce livre a pour ambition de remédier à cette
zone d’ombre, pour mieux guider les personnes en charge d’enfants dyscalculiques.

Depuis les causes de ces difficultés jusqu’au détail de programmes de remédiation, ce


livre propose d’assister les orthophonistes, les orthopédagogues, les neuropsychologues
et les enseignants spécialisés dans le suivi des enfants en difficulté d’apprentissage
en mathématique ou dyscalculiques. Pour comprendre la dyscalculie et la rééducation
qu’elle nécessite, il offre :
• une synthèse des connaissances scientifiques cruciales,
• des conseils méthodologiques,
• des programmes d’intervention.

Ce livre se montrera indispensable pour tous les professionnels accompagnant des enfants
présentant des difficultés d’apprentissage en mathématiques, voire des dyscalculies
développementales.

Les auteurs
Marie-Pascale Noël est, depuis plus de 20 ans, responsable d’un centre de consultations psycho­
logiques spécialisées en neuropsychologie et logopédie de l’enfant. Dans ce cadre, elle a contribué
au développement de prises en charge de personnes présentant une dyscalculie, en se basant sur
les modèles de la psychologie cognitive, y compris la neuropsychologie.
Giannis Karagiannakis est mathématicien et a travaillé pendant plusieurs années avec des enfants
et des adolescents présentant des difficultés d’apprentissage en mathématiques. Ces dernières
années, il a collaboré avec Anny Cooreman, fondatrice et directrice de l’école Eureka à Louvain
(Belgique), école pour enfants présentant des troubles spécifiques d’apprentissage. Ensemble, ils ont
développé de nombreux outils pédagogiques, dont plusieurs sont présentés dans ce livre. Il a partagé
son expérience en donnant des formations sur l’intervention en mathématiques à des cliniciens
et des éducateurs dans le monde entier.

ISBN : 978-2-8073-1899-1 Publics


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• Orthopédagogues
• Neuropsychologues
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