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L’objectif de notre travail est de mettre en évidence les différentes modalités d’intervention
orthophonique auprès des parents d’enfants surexposés aux écrans avant l'âge de 3 ans sur le
territoire tangérois.
b. Stade verbal :
b.1 Acquisition lexicale :
Généralement, peu après 1 an, les enfants prononcent leurs premiers mots. Les énoncés
sont composés presqu'exclusivement de mots isolés. Il existe des relations entre le choix des
premiers mots et les routines de productions favorites des enfants durant leur babillage, qui
servent de repères et de modèles (Ferguson & Farwell, 1975).
La production des premiers mots s'accroît d'abord très lentement, avec peu de
généralisations à d'autres contextes, parce que les enfants focalisent davantage sur les aspects
de signification, d'usage et de symbolique conventionnelle des mots (Bakeman & Adamson,
1986). La croissance lexicale s'accélère vers 18 mois, après l'acquisition d'une cinquantaine de
mots, et l'on note une explosion du vocabulaire (Bates & Camevale, 1993).
L'acquisition du vocabulaire n'est pas linéaire, mais marquée d'une période de
stagnation, de pics et de régressions (Bassano, Maillochon, & Erne, 1998).
Entre 18-24 mois, les premières combinaisons de mots de l'enfant marquent l'entrée
dans la syntaxe, aspect linguistique qui sera traité dans la section suivante.
b.2 Acquisition syntaxique :
En 1973 Brown décrit 5 stades du développement morphosyntaxique chez l’enfant
typique : le premier stade est l’énoncé d'un à deux mots entre 12 et 26 mois, puis autour de 28
mois, apparaissent les énoncés de deux mots et plus. Les phrases simples sont construites entre
31 et 34 mois, la combinaison d’une phrase simple avec une autre est possible autour de 38
mois puis la coordination de phrases simples (à l’aide d’une préposition par exemple) se fait
entre 41 et 46 mois. Enfin, la construction de récit se fait généralement à partir de 47 mois
(environ 4 ans (Brown, 1973).
Vers la fin de la période d'assemblage de deux mots, l'enfant maîtrise la plupart des
formes syntaxiques et grammaticales essentielles de sa langue. Vers 5-6 ans, la maîtrise des
conventions morphosyntaxiques est atteinte et l'architecture de base du langage est
essentiellement en place. Les habiletés grammaticales seraient pleinement développées vers 8
ans (Nober & Nober, 1977).
Entre 5 et 6 ans, les capacités pragmatiques et les compétences méta-linguistiques sont
en plein essor. Vers 5 ans, l’enfant commence à établir des liens plus clairs et plus variés entre
les événements qui se déroulent dans un récit mais l’auditeur a parfois besoin de fournir des
efforts d’interprétation. Petit à petit, on observe une extension des propositions de temps et de
conditions, l’utilisation de l’interrogation partielle ou totale, de la voix passive, également, une
pluralité des temps employés… Puis l’entrée à l’école avec l’apprentissage de la lecture et de
l’écriture soutient et encourage de nouveaux apprentissages. Le bain de langage, les échanges
avec les pairs, les parents, l’entourage, sont le meilleur moyen pour l’enfant de développer son
langage (Livret Objectif Langage, 1990).
b. Importance de l’imitation :
Les premiers temps de sa vie, le bébé observe l’autre puis l’imite. Il reproduit les façons
de faire de ses parents, les façons qu’ils ont de gérer leurs émotions, de les manifester… C’est
« l’apprentissage social par imitation » (Kendler K., Walters E., Neale M., et al., 1995).
Jacqueline Nadel décrit 3 types de bénéfices fondamentaux pour le développement, tirés
de l’imitation :
− Bénéfice moteur : il y a consolidation des traces motrices qui tend vers une
automatisation du geste en exerçant l’imagerie motrice du bébé.
− Bénéfice social : l’imitation immédiate induit forcément un public : être imité, autant
pour le bébé que pour le parent, agit comme une récompense et renforce les interactions.
− Bénéfice de conscience de soi : le bébé qui imite fait sienne une action qui ne l’est pas
et l’initiateur du mouvement accepte de partager son action, et inversement.
L’asymétrie, quand le bébé et le parent s’imitent à tour de rôle, engendre la distinction
moi - l’autre.
La pédiatre Catherine Guéguen (2017), rappelle l’importance des neurones miroirs, qui,
dès le plus jeune âge poussent les bébés à reproduire inconsciemment ce qu’ils observent chez
les autres et notamment chez leurs modèles : les parents. Les neurones miroirs constituent une
sorte de sixième sens qui rend les émotions contagieuses et entraînent des apprentissages
implicites.
c. Importance de la manipulation :
« Le cerveau ne s’organise pas en observant le réel, mais en agissant sur lui »
(Desmurget, 2011 : 120).
Le jeune enfant a besoin de découvrir et de manipuler les éléments du monde qui
l’entoure. Ce sont ses expériences qui lui permettent de développer des compétences et des
connaissances (Boutillier, 2012 : 12). Les relations de l’enfant avec le monde environnant réel
et les manipulations qu’il effectue sur les objets ont donc un rôle primordial dans son
développement. Selon Jean-Marie Dolle, spécialiste de la théorie piagétienne, « la
connaissance provient de l’activité du sujet, et particulièrement, de sa capacité à extraire de
l’élément du milieu ou objet ses propriétés. » (Desmurget, 2011 : 120). La connaissance est
composée à la fois de ce que le sujet tire de l’objet et également de ce qu’il y introduit en le
transformant (Desmurget, 2011 : 120).
Le petit enfant comprend qu’il a un pouvoir d’action sur les objets et un pouvoir
d’attribuer des actions spécifiques à ces objets : les lancer, les transporter, les faire rouler... il
teste les actions dans le but de voir quels effets elles peuvent générer. De cette façon, il
découvre les caractéristiques physiques des objets. Selon Morel (2003), c’est au cours de la
réitération d’expériences similaires que l’enfant extrait des lois concernant les propriétés de ses
actions et des relations que les objets entretiennent entre eux. Par exemple, le jeune enfant qui
lâche des objets depuis sa chaise haute fait l’expérience suivante : « lorsque je lâche cet objet,
il tombe, je recommence, il tombe encore... ». C’est parce qu’il va pouvoir répéter cette
conduite, et constater que c’est pareil chez l’autre, qu’il va construire la certitude liée à la
pesanteur (Morel, 2005).
Ainsi, par le travail de ses mains, l’enfant peut établir des certitudes, ou « invariants »,
concernant les propriétés des objets et les relations qu’ils entretiennent entre eux, les effets de
ses actions, sa possibilité d’être lui-même cause. Grâce à ces invariants, l’enfant va pouvoir
commencer à résoudre des problèmes en anticipant les résultats des actions qu’il va effectuer
(Boutillier, 2012 : 13).
Cette capacité d’anticipation va permettre à l’enfant de se décentrer petit à petit de
l’action immédiate et de se concentrer sur les transformations qui relient les événements. Il
construit de nouvelles mises en relations causales et temporelles. Il devient capable de
distinguer un objet de sa fonction c’est-à-dire qu’il peut détourner un objet de son contexte. «
Ce n’est plus l’objet ou l’action qui le guide, mais ce vers quoi il veut aller parce qu’il a
construit des liens causaux et temporels » (Morel, 2005).
d. Importance du jeu :
Piaget présente le jeu comme une des sources de la pensée symbolique, indispensable
dans le développement du langage (Nader-Grobois, 2014 : 298).
Vers 2 ans les manipulations du jeune enfant (objets empilés, alignés) donnent
naissance à des activités fonctionnelles d’utilisation. Grâce aux capacités d’imitation différée,
l’enfant joue à faire semblant : coiffer sa poupée, la coucher... Entre 12 et 24 mois, l’enfant
ayant acquis la permanence de l’objet développe la capacité à imiter un modèle qui n’est pas
disponible immédiatement : c’est la mise en place de l’imitation différée. L’imitation
s’intériorise et les représentations mentales s’élaborent (Brin et al., 2011 : 133).
Ce n’est pas l’objet en lui-même qui apprend quelque chose à l’enfant mais bien ce
qu’il décide d’en faire selon ses préoccupations cognitives (Job-Pigeard, et al., 2013).
Ainsi, c’est par le jeu que l’enfant passe d’une intelligence sensori-motrice à une
intelligence symbolique. Le jeu est un facteur de développement sur plusieurs plans : cognitif,
affectif, social et langagier (Nieuwenhoven, De Vriendt, 2010 : 93). Ces activités sont donc
essentielles au développement du langage et au déploiement des fonctions cognitives
(Desmurget, 2011 : 113).
Un enfant a également besoin de passer du temps à ne rien faire. Les temps d’attente
sans stimulation sont indispensables à l’enfant pour développer sa capacité d’anticipation,
d’imagination, de repos. L’ennui fonde le désir, la créativité, et la pensée prospective
(Desmurget, 2011 : 33). Selon une étude de Christoff et al., lorsque l’enfant s’ennuie, il y a une
forte activation des aires impliquées dans le raisonnement projectif et la résolution de
problèmes (Desmurget, 2011 : 34).
Teboul affirme que lorsque le jeune enfant est seul, ce temps lui est utile : il lui permet
de mettre de la distance entre le reste du monde et lui : il teste, selon l’expression de Winnicott,
sa capacité à être seul. Ainsi, l’ennui joue un rôle important dans le processus de maturation de
l’enfant (Teboul,2005).
B. Ecran :
1. Types :
Une distinction est réalisée parmi les différents écrans utilisés au quotidien. Certains
écrans sont dits « passifs » tandis que d'autres sont considérés comme des écrans « actifs »
(Bergeron,2018).
a. Passif :
Sont considérés comme passifs les écrans tels que la télévision et l'ordinateur, ne
nécessitant aucune manipulation pour fonctionner, et devant lesquels l'enfant ne manifeste
aucune activité. Cette forme de passivité est particulièrement inadaptée aux enfants en quête
de découvrir le monde qui les entoure (Bergeron,2018). En effet, les enfants ont davantage
besoin de jeu et d'échanges langagiers pour que leur développement soit favorisé (TISSERON,
2007).
En réponse à cet argument, des dessins animés dits « interactifs » ou « éducatifs »
commencent à voir le jour, comme par exemple le dessin animé Dora l'Exploratrice, très
apprécié des parents. Nous pouvons nous questionner concernant le type « d'interaction »
réellement proposé par ce type de support. Dans son mémoire de fin d'études sur le thème des
écrans, Léa Sivel s'est intéressée à la question de l'interaction ou de l'interactivité offerte par le
dessin animé Dora l'Exploratrice. Après une analyse de différentes séquences, elle en a conclu
que ce dessin animé ne proposait ni interactions ni interactivité contrairement à ce qui était
annoncé aux parents. Ainsi, les personnages n'opinent pas de la tête pour accompagner
positivement une action réalisée par l'enfant, ils n'adaptent pas leurs propos aux capacités de
compréhension de l'enfant, ne réalisent pas de dénomination des objets auxquels l'enfant
semble s'intéresser, ne réalisent pas d'encouragements ni de reformulations lorsque cela serait
nécessaire (SIVEL, 2016).
Quelles que soient les qualités attribuées aux différentes productions télévisées, il ne
faut pas oublier qu'une télévision ne peut offrir à l'enfant l'étayage dont il a besoin pour se
développer (Bergeron,2018).
b. Actif :
En opposition à la passivité de la télévision, les tablettes tactiles sont quant à elles
qualifiées d'écrans « actifs », sources d'éveil et d'apprentissage. Il est vrai que les sélections de
l'utilisateur modifient les éléments qui apparaissent à l'écran. Les agissements de l'enfant ont
donc un impact sur la tablette (Bergeron,2018).
Mais ces écrans « actifs » répondent-ils réellement aux besoins d'activité que l'on
connaît chez l'enfant ? Peut-on estimer que l'enfant découvre le monde au travers de sa tablette
tactile ? (Bergeron,2018).
De sa naissance à l'âge de trois ans environ, l'enfant explore le monde au moyen de ses
cinq sens, afin de parvenir à le comprendre et à se le représenter. Il a besoin d'agir sur les
différents objets qui l'entoure, afin d'en découvrir les propriétés. Découvrir un livre passe
notamment par le fait de le soulever, de le retourner, de l'ouvrir, d'en tourner les pages, ce qui
est impossible derrière un écran. Concernant les interactions langagières, fondamentales au
développement langagier du jeune enfant, la tablette n'est pas plus que la télévision en mesure
d'adapter le discours, le regard, la posture aux réactions de l'enfant. Elle n'est donc pas un
support d'interactions langagières. L'enfant qui ne recevrait pas d'encouragements ou de
réponses liées à ses actions risquerait de cesser ses expériences et à terme en viendrait donc à
se désintéresser de son environnement (SPITZ, 1993).
Que les écrans soient considérés comme « actifs » ou « passifs », ils n'ont pas la capacité
d'offrir la richesse de l'étayage d'un parent, fondé sur un ajustement et des adaptations
permanentes. Par ailleurs, les écrans sont généralement utilisés de façon individuelle, la
multiplicité des écrans au sein d'un foyer permettant à chacun de choisir ce qu'il veut regarder
(Bergeron,2018).
Les écrans ne favorisent donc pas les interactions, ils constituent plutôt une barrière
dans le développement des liens sociaux. L'enfant reste figé dans l'attente d'une réponse, d'une
réaction. Comme il n'obtient pas de réponse, il n'élabore pas sa pensée, et absorbe les images
délivrées par la télévision sans se questionner (Bergeron,2018).
4. Syndrome d’EPEE :
Depuis quelques années, des enfants consultent en pédiatrie et en pédopsychiatrie, avec
de graves symptômes cliniques pouvant s’apparenter à des troubles du spectre autistique,
coexistant avec une exposition massive et très précoce (avant l’âge de 3 ans) aux écrans. C’est
ce qui a mené les spécialistes à parler du « syndrome d’exposition précoce et excessif aux
écrans » (Touati, 2021).
a. Définition :
Le syndrome « d’exposition précoce et excessive aux écrans » a été signalé depuis un
petit nombre d’années, par tous les professionnels de la santé (médecins, pédiatres ou
pédopsychiatres, psychologues, orthophonistes, infirmiers, enseignants de maternelle et
personnels de crèche) (Touati, 2021).
b. Symptômes :
Ce syndrome associe principalement trois ordres de troubles concernant les domaines
de l’attention/concentration, du langage et de la relation aux autres, ce qui engendre les
symptômes suivants :
− Un retard de communication et de langage, qui devient patent vers 18-30 mois, mais
qui est souvent précédé d’une réduction du nombre de mots prononcés, de l’apparition
d’un pseudo-langage (répétition en écho de mots anglais, de chiffes…) ou d’une
prosodie particulière, voire mécanique.
− Un centrage d’intérêt de plus en plus exclusif à la maison sur les écrans, avec une
absence de recherche d’interaction avec le parent, contrairement à ce qui est habituel à
cet âge. Ce désintérêt peut aller jusqu’à un refus de la relation avec détournement du
visage.
− Une absence d’intérêt pour les jeux correspondant à l’âge, en particulier les jeux de
construction ou de « faire semblant »
− Des activités spontanées pauvres et répétitives : alignement de petites voitures, objets
passés devant les yeux.
− Pour les plus âgés, une difficulté de contact avec les autres enfants.
− Des comportements d’allure agressive : objets, jouets jetés à travers la pièce, feuilles
déchirées.
− Une agitation et une instabilité d’attention constante.
− Une maladresse dans l’exploration fine, dans les jeux d’encastrement, les puzzles,
devenant évidente vers 18-20 mois (Touati, 2021).
C. Prevention orthophonique :
1. Généralités et objectifs de la prevention :
Lorsqu’on se place dans le domaine de la prévention, on considère déjà l’existence
d’une maladie (Bourdillon, 2009). Souvent, nous savons intuitivement ce qu’est la prévention,
mais il peut être difficile d’en fournir une définition précise (Flajolet, 2001).
a. Définition de la prévention :
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en 1948, « la prévention est
l’ensemble des mesures visant à éviter ou réduire le nombre et la gravité des maladies, des
accidents et des handicaps ».
La prévention constitue l’ensemble des actions menées dans le but d’éviter l’apparition,
le développement ou l’aggravation de maladies ou d’incapacités. Il existe différentes mesures
de prévention (Casellas, 2016).
b. Types de préventions :
b.1 Prévention primaire :
D’abord, l’OMS définit la prévention primaire comme « l’ensemble des actes visant à
diminuer l’incidence d’une maladie dans une population et à donc réduire, autant que possible,
les risques d’apparition de nouveaux cas. Sont par conséquents pris en compte à ce stade la
prévention, les conduites individuelles à risque, comme les risques en termes
environnementaux ou sociétaux. » La prévention primaire intervient donc à un stade où la
maladie ou les troubles ne sont pas encore présents (Flajolet, 2001).
Sites :
− Job-Pigeard, E., Vanhoutte, C., Lerouge, F. Joue pense parle.
https://jouepenseparle.wordpress.com/
ANNEXES :
Annexe 1 : Recommandations de la SFP à destination des pédiatres et des familles