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L’explosion
de la communication
DES MÊMES AUTEURS
Une histoire de l’informatique, La Découverte, Paris, 1987 (édition de poche : Seuil, coll.
« Points sciences », Paris, 1990.
La Techno-science en question. Éléments pour une archéologie du XXe siècle (en coll. avec
Alain-Marc Rieu et Frank Tinland), Champ Vallon, Seyssel, 1990.
La Tribu informatique, Métailié, Paris, 1990.
L’Utopie de la communication. Le mythe du « village planétaire », La Découverte, Paris,
1990 (édition de poche : La Découverte/Poche, Paris, 1997, 2004).
À l’image de l’homme. Du Golem aux créatures virtuelles, Seuil, coll. « Science ouverte »,
Paris, 1995.
L’Argumentation dans la communication, La Découverte, coll. « Repères », Paris, 1996,
4e éd. 2006.
La Parole manipulée, La Découverte, Paris, 1997 (édition de poche : La Découverte/
Poche, Paris, 2000, 2004).
L’Option informatique au lycée (en coll. avec Éric Heilmann et Guislaine Dufour), Hachette
classique, Paris, 1998.
Histoire des théories de l’argumentation (en coll. avec Gilles Gauthier), La Découverte,
coll. « Repères », Paris, 2000, nouv. éd. 2011.
Le Culte de l’Internet. Une menace pour le lien social ?, La Découverte, Paris, 2000.
Éloge de la parole, La Découverte, Paris, 2003 (édition de poche : la Découverte/Poche,
Paris, 2007).
Argumenter en situation difficile, La Découverte, Paris, 2004 (édition de poche : Pocket,
Paris, 2006).
L’Incompétence démocratique. La crise de la parole aux sources du malaise (dans la) poli-
tique, La Découverte, Paris, 2006.
Convaincre sans manipuler. Apprendre à argumenter, La Découverte, Paris, 2008.
Les Refusants. Comment refuse-t-on de devenir un exécuteur ?, La Découverte, Paris, 2009.
Le Silence et la parole contre les excès de la communication (en coll. avec David Le Breton),
Érès, Toulouse, 2009.
The Culture of the Internet and the Internet as Cult. Social Fears and Religious Fantasies,
Litwin Books, Duluth, 2011.
L’explosion de la
communication
Introduction
aux théories et aux pratiques
de la communication
QUATRIÈME ÉDITION
Cet ouvrage a été précédemment publié sous le titre L’Explosion de la
communication. La naissance d’une nouvelle idéologie, La Découverte/Éditions
du Boréal, Paris/Montréal, 1989 (édition de poche : La Découverte/Poche,
Paris, 1996).
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ISBN 978-2-7071-7382-9
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Un domaine complexe
Les pratiques
Les techniques
Les théories
Les enjeux
Le geste
Le premier moyen de communication humaine est peut-être
une sorte de langage de signes gestuels, éventuellement associé à
l’émission de sons vocaux limités. C’est en tout cas l’hypothèse for-
mulée en son temps par Darwin et, aujourd’hui, par de nombreux
préhistoriens. Le plein oral ne serait donc pas le premier moyen
utilisé. Son usage n’est de toutes les façons possibles que vers
moins 100 000 ans, période où l’appareil phonatoire (appareil res-
piratoire, larynx, cavités de résonance) devient suffisamment déve-
loppé pour permettre d’articuler une variété de sons assez vaste
pour délivrer la parole.
Or il est difficile de faire démarrer l’humanité de cette période,
celle du « pré sapiens », puisque bien avant 100 000, l’homme (homo
erectus et avant lui homo habilis) développe à la fois une activité
technique de fabrication et d’usage d’outils spécialisés et une acti-
vité sociale, et ce depuis au moins 2 000 000 d’années. L’homme
existerait donc avant le langage oral. Le linguiste français Claude
L E TRANSPORT DES MESSAGES 21
L’oral
La « brillante carrière du sonore » (Hagège, 1999, p. 23) com-
mence dans la préhistoire, se poursuit donc aujourd’hui. L’oralité,
l’« orature », terme que propose Claude Hagège, en parallèle à
l’« écriture », s’est généralisée et universalisée. Même les sociétés
modernes, pourtant saturées de moyens de communication les plus
variés, semblent accorder un privilège constant à cette modalité du
langage. Hagège soutient à cet égard que « la communication orale,
seule naturelle, est seule chargée de tout le sens d’origine. Elle est
multiplanaire. Un phénomène capital, dont aucun système d’écri-
ture connu ne conserve la trace, le fait bien apparaître. Ce phéno-
mène est l’intonation… qui stratifie souvent le discours oral en une
structure hiérarchique où le message principal n’est pas prononcé
sur le même registre que les incises, éventuellement imbriquées les
unes dans les autres. Une reproduction graphique qui, bien
qu’exacte pour le reste, ne note pas l’intonation, peut paraître qua-
siment inintelligible » (Hagège, 1999, p. 109).
On remarquera également que l’oral a englobé et absorbé le
geste, dans une modalité orale/gestuelle assez complète. L’orature
implique non seulement le geste mais le corps tout entier. La com-
munication orale directe inscrit tous ses participants dans le même
espace sonore, visuel, physique, qui est l’espace le plus complet
pour la communication. Mais l’oral présente l’avantage de pouvoir
se passer, si cela est nécessaire, du visuel (il peut donc se maintenir
dans l’obscurité, ce qui n’est pas le cas du geste) et même s’exercer
à distance, à portée de voix (et plus tard grâce à une voix retrans-
mise, par téléphone par exemple). Ces caractéristiques lui donnent
une très grande plasticité et donc une supériorité sur le seul mode
gestuel. Cela explique peut-être son adoption et son universalisation
22 P RATIQUE ET TECHNIQUES DE COMMUNICATION
L’image
L’image apparaît entre 50 000 et 30 000. Certains signes gra-
phiques sont plus anciens encore, comme les dessins géométriques
de la grotte de Blombos, en Afrique du Sud, découverts en 2002 et
qui remonteraient à moins 77 000 ans. Comment interpréter
aujourd’hui ces nuages de points géométriques, ces mains, négati-
ves et positives, qui se projettent sur la roche, ces scènes animaliè-
res qui abondent dans ce qu’on appelle les « grottes ornées »,
comme la grotte de Lascaux ou, découverte plus récemment, la
grotte Chauvet (voir Jean Clottes, dir., et la recension des graphies
préhistoriques par Louis-René Nougier) ? Première forme d’« art »,
comme le soutiennent certains ? Manifestations religieuses, pour
conjurer le destin, selon d’autres ? Esquisse d’un langage codifié ?
Prolongement du geste désignateur en geste dessinateur ?
Il est sûr en tout cas que nos catégories contemporaines sont à la
fois trop étroites et trop éloignées de la réalité humaine des débuts
de l’homo sapiens pour que nous puissions interpréter avec certi-
tude ces multiples manifestations de ce qui pourrait bien être mal-
gré tout une forme de communication pleine et entière. Ne trouve-
t-on pas là, dans ces magnifiques peintures représentant des
animaux, puis des scènes de chasse, à la fois les modalités du récit
et celle de la description, qui constituent des genres de communi-
cation à part entière (voir chapitres suivants) ?
Quoi qu’il en soit l’image va devenir, jusqu’à aujourd’hui, un
moyen universel de communication. Elle permet de décrire des
situations en les représentant, sous forme de documentaire ou de
reportage filmé. Elle autorise également la construction de véri-
L E TRANSPORT DES MESSAGES 23
L’écrit
Quatrième grand moyen de communication, après le geste,
l’orature et l’image, l’écriture est aussi chronologiquement le plus
tardif. Sur l’immense échelle de l’histoire de l’être humain, celle-ci
apparaît dans les derniers instants. Les premières traces d’écriture
connues datent du IVe millénaire avant notre ère (moins 6 000
ans).
Il faudra attendre l’invention, deux millénaires plus tard, de
l’écriture alphabétique, pour que son emploi commence à se géné-
raliser. L’écriture entretient un curieux rapport à l’orature. Au début
l’écriture est analogique et vient de l’image : les premières écritures
sont des dessins stylisés (pictogrammes). Puis, par un mouvement
d’innovation interne, l’écrit va se rapprocher du monde des sons.
Selon J.-L. Cunchillos, « l’inventeur de l’alphabet est celui qui a le
premier réussi à faire la décomposition d’une langue dans ses sons
les plus simples et qui a créé les signes graphiques pour représenter
ces sons, ou phonèmes » (1998, p. 172).
Le système d’écriture phonique grec sera le premier à noter tous
les sons, aussi bien les consonnes (ce que fait l’hébreu ou l’araméen)
que les voyelles. Cette innovation a permis de transformer la lecture
en une sorte d’automatisme. Comme le dit Havelock, l’écriture en
vint à ressembler à un courant électrique communiquant directe-
ment au cerveau les sons de la langue évoqués, de telle sorte que
leur signification résonnait, si l’on peut dire, dans la conscience du
lecteur sans référence à des particularités quelconques de la graphie.
L’abstraction qu’impliquait le système de codification alphabéti-
que renforça considérablement la tendance naturelle de l’écriture à
être un moyen de communication relativement indépendant de la
langue qu’elle sert à retranscrire. Un même système de notation
écrite, surtout s’il est alphabétique, peut en effet servir à retrans-
crire des langues tout à fait différentes. L’écriture hébraïque par
exemple, sert aussi bien à retranscrire le yiddish, pourtant composé
essentiellement de mots d’origine germanique et slave, que
l’hébreu ancien et l’hébreu moderne qui en est dérivé. L’écriture
arabe sert aussi bien à retranscrire le persan, qui est une langue
indo-européenne au même titre que le latin et le français, que
l’arabe parlé, qui est une langue sémitique.
Kemal Atatürk, par volonté d’occidentalisation de son pays, a pu
supprimer par décret, en 1928, l’écriture arabe employée pour
24 P RATIQUE ET TECHNIQUES DE COMMUNICATION
Du moyen au support
Chacun de ces quatre moyens de communication, le geste, l’ora-
ture, l’écriture et l’image (si l’on veut bien laisser de côté le cas très
particulier de la musique), va se développer, se réaliser pourrait-on
dire, souvent en se combinant, à travers de multiples supports de
communication. Ainsi l’oral par exemple, qui s’appuie essentielle-
ment sur le son et la dimension acoustique, va bénéficier des pro-
grès dans ce domaine, jusqu’à la radio et au téléphone modernes.
Le développement de l’écriture va impulser un mouvement d’inno-
vation, de l’imprimerie jusqu’à l’informatique. L’image va s’animer,
se sonoriser jusqu’à la télévision et la vidéo. Du moyen au support,
c’est un vaste mouvement d’innovation qui se met en place au
service de la communication et du transport de la parole.
Du téléphone à la radio
Du télégraphe à Internet
Parallèlement, le développement des systèmes postaux permet
le transport, rapide pour l’époque, de la lettre manuscrite. Le texte
écrit, manuel ou imprimé, peut ainsi être porté à distance et conservé
pendant longtemps. Au XVIIe siècle naît l’idée de « faire connaître
sa pensée à grande distance ». L’astronome anglais Robert Hooke,
auteur de ce projet, fait la description technique d’un système de
transmission de signaux par sémaphore (voir Flichy, 1991, p. 17).
L’ingénieur Chappe construit en 1794 un télégraphe optique
pour les besoins de la Convention. Le principe est simple : de loin
en loin, on édifie des tours porteuses de bras articulés. Les lettres de
l’alphabet, qui sont déjà un codage du son, sont à leur tour codées.
Telle position des bras du sémaphore représente telle lettre de
l’alphabet. Il suffit dès lors d’un opérateur par tour, qui reçoit le
message et le répercute au suivant. Un texte écrit peut ainsi aller de
Paris à Lille, à Strasbourg ou à Marseille, bien plus rapidement
qu’un cheval au galop, mesure jusque-là du transport du courrier.
Le système ne fonctionne cependant ni par faible visibilité –
brumes et brouillards – ni la nuit…
L’invention du télégraphe électrique, dans la décennie 1830-1840,
pallie ces inconvénients, en augmentant considérablement la vitesse
de transmission. On se sert alors des lignes et du courant électrique
pour transmettre des impulsions codées. Il suffit par exemple de trois
positions (pas d’impulsion, une impulsion courte, une longue) dans
l’« alphabet morse » – du nom de Samuel Morse, l’un des inventeurs
du procédé –, pour coder toutes les lettres de l’alphabet.
Un siècle plus tard, la mise en place des grands réseaux informa-
tiques, avec comme matrice initiale le réseau militaire SAGE, dans
les années 1950, puis aujourd’hui Internet, permettra de perfec-
tionner le principe du télégraphe avec le « courrier électronique »
(e-mail). On peut désormais envoyer des textes écrits très rapide-
ment d’un ordinateur à un autre. On peut aussi accéder directe-
ment à des sites d’information ou participer à des échanges écrits
simultanés (forum de discussion). Le tout constituera la « commu-
nication médiatisée par ordinateur » (voir infra, chapitre 11).
Le nouveau monde des réseaux informatiques émerge à la
confluence de deux événements, l’un technique, l’autre politique.
Sur le plan technique, les passerelles jetées entre des principaux
34 P RATIQUE ET TECHNIQUES DE COMMUNICATION
Individualisme et communication
L’une des ruptures anthropologiques qui va transformer en pro-
fondeur nos pratiques de communication ne dépend pas directe-
ment de la communication elle-même. Si nous communiquons
comme nous le faisons aujourd’hui, c’est parce que s’est imposée
progressivement l’idée que le centre de la société, sa valeur essen-
tielle, son axe principal, était l’individu. Les sociétés modernes sont
des sociétés individualistes, au sens fort du terme (que le terme soit
devenu, dans certains usages, péjoratif, ne nous concerne pas ici),
des « sociétés globales composées de gens qui se considèrent
comme des individus » comme le dit Louis Dumont (1991, p. 22).
La société individualiste ne s’est pas construite en un jour et sa
formation comporte de multiples étapes, depuis l’inauguration de
la démocratie grecque, jusqu’à l’institution de la chrétienté puis la
promotion du « sujet politique » au XVIIIe siècle. Chacune de ces
L E MISE EN FORME DE LA PAROLE 41
La communication informative
La communication informative sert à décrire le plus objective-
ment possible un fait, un événement, une opinion, dont on a été le
témoin. Par exemple dire, comme dans (A) « il y a trois arbres dans
la cour… » suppose qu’un autre témoin, observateur de la même
scène, dirait la même chose. La communication informative
s’appuie essentiellement sur des descriptions objectives qui ont
pour idéal d’être un modèle le plus fidèle possible du réel.
Tout le monde n’a pas le goût, ni parfois l’aptitude, à faire de
telles descriptions. Cette pratique est en effet très exigeante car elle
nécessite à la fois un grand oubli de soi, de sa subjectivité, de ses
préférences, de ses émotions, une capacité à s’extraire de soi-même,
et en même temps un très grand travail personnel de construction
et d’élaboration. Comme le remarque François Laplantine, « la des-
cription entre en conflit permanent avec la narration » (2010,
p. 32).
Faire une description informative, en effet, n’est pas proposer
un simple reflet perceptif du réel, qui ne se donne jamais fidèle-
ment à l’observateur. Décrire, dans ce cas, nécessite une élaboration
L E MISE EN FORME DE LA PAROLE 43
Objectivité et universalité
Nous avons aujourd’hui une attitude extrêmement ambiguë vis-
à-vis de ce genre de communication. Beaucoup d’activités de nos
sociétés sont organisées autour de l’information et de sa communi-
cation. Au point même que l’on parle désormais de « société de
l’information » pour décrire les sociétés modernes, présentes et à
venir, sans d’ailleurs que l’on sache toujours définir de quoi il
s’agit. L’importance croissante prise par la communication techno-
logique, par l’échange d’informations avec les machines, puis entre
les machines elles-mêmes, a fait de l’information une donnée sou-
vent centrale.
Le développement des médias, corollaire de celui du désir de
connaître et de savoir ce qui se passe ailleurs, a fait de l’information
une exigence quotidienne pour l’homme moderne, grand consom-
mateur de journaux écrits, d’émissions de radio ou de télévision, de
nouvelles sur des sites Internet. La norme individualiste qui con-
siste à « juger par soi-même » renforce cette exigence d’une infor-
mation neutre et objective, qui servira de base aux jugements et
aux prises de positions individuelles.
L’information et sa communication occupent donc bien une
position impériale dans le champ de la communication. Elle est
associée à une valeur dominante de l’époque : l’universalité. Quoi
de plus universel en effet qu’une information objective ? Sauf que
cette universalité n’est souvent possible qu’au nom d’une réduc-
tion draconienne du champ sur lequel opère l’information. On ne
44 P RATIQUE ET TECHNIQUES DE COMMUNICATION
La communication argumentative
L’objectif d’un énoncé argumentatif est de convaincre un audi-
toire de partager l’opinion d’un orateur. Dans l’exemple B, on voit
bien que l’opinion de celui qui parle est qu’il faut abattre les trois
arbres de la cour. Il propose une « bonne raison » ou, autrement dit,
un argument, à l’appui de cette opinion : ces arbres dégagent une
humidité préjudiciable aux murs des maisons qui les entourent.
Nous ne sommes plus dans un énoncé informatif, dont la
contrainte est de tout dire d’une situation. Ici, celui qui parle a
sélectionné volontairement un aspect qu’il a « amplifié » : l’humi-
dité produite par les arbres. Nous ne sommes pas non plus dans un
énoncé expressif : il n’y a que très peu de place au ressenti. Il s’agit
d’une opinion, à mi-chemin donc, entre l’objectivité et la subjecti-
vité. Cette opinion peut être partagée par d’autres, là où le ressenti
reste une donnée forcément individuelle. Mais elle ne peut pas
être partagée par tous, car il s’agirait dans ce cas d’une évidence
objective.
Un autre voisin pourra dire que certes il y a de l’humidité mais
que les inconvénients de celle-ci sont bien faibles au regard du plai-
sir que procure la verdure dans la cour. Tout ici est une question de
« cadrage ». Nous ne regardons pas tous certains aspects du réel de
la même façon. De cette différence de point de vue entre les indivi-
dus naît l’argumentation comme genre privilégié de la communi-
cation. Il s’appuie sur des techniques qui transforment une opi-
L E MISE EN FORME DE LA PAROLE 45
La communication expressive
La communication expressive permet d’extérioriser une sensibi-
lité personnelle, un sentiment, une manière singulière de voir le
monde, souvent chargée d’émotions. Chacun d’entre nous est cou-
ramment l’auteur d’énoncés expressifs, mais ce genre de communi-
cation renvoie plus généralement à la poésie, à la littérature, au
récit, à l’art dramatique voire à la peinture ou à l’image. Ce mode
de communication s’appuie sur des figures fortes, souvent des
métaphores, comme lorsque, dans l’énoncé C, on parle des arbres
comme de « grands-pères protecteurs » et que l’on évoque leur pré-
sence comme « rassurante ».
Là où l’informatif fait appel à une certaine forme d’universa-
lisme, et l’argumentation à des opinions partagées socialement (il y
a bien des « communautés argumentatives », pour reprendre l’ex-
pression du sociologue suisse Uli Windisch), l’expressif est le genre
de communication le plus propre à l’individu, à sa subjectivité, à ce
qu’il y a de plus irréductiblement singulier en chacun de nous, à ce
qu’il y a aussi de plus authentique. Il est donc historiquement très
lié à l’émergence de l’individu comme valeur centrale d’une société.
Avec l’individu, c’est aussi, comme nous l’avons vu, l’intériorité qui
émerge comme nouvel espace à conquérir, à investir. Pour atteindre
la sagesse, « creuse en toi », disait l’un des philosophes de ce nou-
veau monde des représentations intérieures, Marc-Aurèle.
La communication expressive fait passer ce qui est le plus inté-
rieur vers la lumière des autres. Mais, outre ce « parlé de soi », elle
est aussi un « parlé des autres » et une vision toute subjective du
réel, parfois même une vision totalement imaginaire. La littérature
et la peinture ne font finalement que systématiser et institutionna-
liser ce regard très particulier que nous portons sur le monde quoti-
diennement et que nous tentons de communiquer à autrui sous
des formes les plus directes. Un certain nombre de professions ou
d’activités correspondent à une spécialisation de cette modalité de
la communication : auteurs, artistes, écrivains, publicitaires, quand
L E MISE EN FORME DE LA PAROLE 47
La polytypologie de la parole
Comme toute typologie, celle qui vient d’être présentée reste
malgré tout très théorique face à la richesse et la complexité de la
communication. Tout au long d’un dialogue par exemple, chaque
48 P RATIQUE ET TECHNIQUES DE COMMUNICATION
Le fait d’être au service d’une cause qui n’est pas la leur caracté-
rise ces métiers, qui assurent de ce fait à leurs membres une grande
mobilité professionnelle, à l’intérieur de leur spécialité. On peut
aisément passer, tant les compétences requises sont, pour l’essen-
tiel, les mêmes, du journalisme à la communication d’entreprise,
ou de la direction de la communication d’une grande société au
service communication d’une collectivité locale, même si les pos-
tures éthiques sont différentes dans chacune des situations.
L’orientation vers tel ou tel des métiers de la communication
dépend de deux paramètres : d’une part un goût général pour la
communication, d’autre part une sensibilité particulière pour l’un
des genres. S’intéresser à la communication, au point d’en faire un
métier, c’est regarder le monde autrement, c’est regarder le monde
à partir de son milieu, de ces lieux où s’échangent les sentiments,
les informations, les points de vue. Le goût pour la communication
est un goût pour l’échange, pour la circulation, pour le mouve-
ment. C’est aussi un regard sur les êtres qui s’intéresse peut-être
plus à la façon dont ils le disent qu’à ce qu’ils disent.
La place de l’émotion
L’expression n’est évidemment pas sans rapport avec le monde
de l’émotion dont il constitue sans doute une des tentatives de
maîtrise les plus abouties. Là aussi, il faut faire le départ, entre
l’émotion qui est liée à la présence, qui participe de la présence, et
l’émotion mise en forme dans un processus de communication.
Toute l’émotion ne se traduit pas dans la communication et l’émo-
tion est aussi présente dans les autres genres de la communication,
mais plus on s’éloigne de l’expressif pour gagner les territoires de
l’argumentatif et de l’informatif, plus on s’éloigne du genre qui lui
est le plus approprié et plus on risque aussi la confusion des genres.
L’argumentation doit toujours se méfier d’un appel hors de pro-
pos à l’émotion et il n’y a pas de bonne information sans que celle-
ci refoule les émotions de celui qui la produit (ce qui ne veut pas
dire qu’un fait décrit objectivement ne peut pas émouvoir celui qui
le reçoit : un attentat consciencieusement décrit par un reporter qui
n’y mettra aucune émotion n’en bouleversera pas moins ceux qui y
assistent grâce à sa médiation).
La communication expressive est donc une mise en forme d’un
état vécu, d’un ressenti subjectif, d’une émotion que l’on veut faire
partager, mais elle peut être aussi volonté de transmettre une fic-
tion, une invention dont la référence au réel est de plus en plus
lâche. On peut ainsi communiquer une manière subjective de voir
quelque chose qui existe réellement ou qui est pure invention.
Dans le premier cas, il s’agit d’un rapport subjectif au réel, qu’il
s’agisse d’un fait, du parler de soi ou des autres. Dans le deuxième
cas, c’est l’imaginaire et la fiction qui prend le dessus pour mettre
en scène des mondes qui n’existent pas… en dehors de la commu-
nication qui se tient à leur propos. Ces deux modalités ne seront
sans doute pas si éloignées qu’il n’y paraît. Dire aux autres la
manière personnelle qu’on a de voir un monde qu’ils voient eux
aussi, relève d’une sorte de fiction et la mise en scène imaginative
de mondes qui n’existent pas s’appuie en fait toujours sur des élé-
ments que chacun connaît déjà.
Le rôle de l’imagination
L’élément commun à l’ensemble du genre expressif est le fait
que toutes les communications qui en sont issues sont guidées, en
quelque sorte, par l’imagination. C’est bien au sens où l’emploie
Bachelard, la « conscience imaginante » qui l’emporte ici sur la
« conscience de rationalité » qui marque de son sceau les deux
L ES TECHNIQUES D ’ EXPRESSION 59
Communiquer la fiction
Les récits dont il vient d’être question, même s’ils relèvent d’une
imagination du réel, n’en ont pas moins comme point de départ le
factuel. Le contrat de communication qui les concerne implique
bien, pour l’auditoire, que l’on parle d’un réel préexistant à la
parole de celui qui en fait un message. Il est temps maintenant de
faire ce que Jean-Marie Schaeffer appelle un « partage entre le fictif
et le factuel », partage que cet auteur qualifie de « conquête
humaine » (1999, p. 16). Le récit de voyage, récit factuel à domi-
nante expressive, se distingue bien du récit de fiction, du conte, du
mythe, de la fable, de l’utopie.
Il s’agit d’un genre ancien, dont on aurait tort de croire qu’il ne
s’actualise pas, lui aussi, dans les supports et les contraintes les plus
modernes de la communication. Ainsi la publicité utilise massive-
ment l’expression fictionnelle. La fable représente un des genres de
fiction les plus connus, notamment grâce à Jean de La Fontaine. Le
conte, qui permet de poser un regard émerveillé et de ce fait renou-
velé sur la réalité, est lui aussi un genre essentiel de la communica-
tion expressive. Souvent approprié à la forme orale de la communi-
cation et à la coprésence de l’émetteur et du récepteur, le conte est
le plus aux antipodes du point de vue réaliste car il met en scène,
pour tenir en éveil l’auditeur, le merveilleux, le féerique, le fantasti-
que et le mystère. Le conte fait rêver, il déplace le réel.
La fiction échappe-t-elle totalement au réel ? Ou, plutôt, n’en
est-elle qu’une modalité particulière ? Cette ancienne question,
déjà contenue dans la discussion d’Aristote sur le rôle de la « mime-
sis », nous renvoie à ces dimensions constitutives de la fiction que
sont l’imitation, l’illusion, la ressemblance. Il est vrai que le conte,
la fable, sont souvent une parabole, c’est-à-dire une parole qui fait
un détour pour exprimer ce qu’elle a à dire.
Certains ont pu croire, à la faveur d’innovations techniques
récentes qu’une sorte d’au-delà du réel avait été ouvert, sous le nom
de « réalité virtuelle ». Les lubies mystico-philosophiques dévelop-
pées autour de ce thème n’ont pas convaincu qu’il y avait là autre
chose, dans ces nouvelles créations permises par l’informatique,
qu’une nouvelle modalité de la fiction s’exprimant ici sur Internet.
Comme le rappelle Jean-Marie Schaeffer, qui prend l’exemple du
jeu vidéo dont le personnage central est Lara Croft, un temps
coqueluche sexy d’une partie des adolescents, « au niveau de son
statut ontologique, Lara Croft n’est ni plus ni moins “virtuelle”
que n’importe quel autre personnage imaginaire. Le fait qu’il
s’agisse d’un personnage de fiction incarné dans une simulation
L ES TECHNIQUES D ’ EXPRESSION 65
Métonymie et synecdoque
À l’autre pôle des tropes figure la métonymie, plus simple appa-
remment dans sa construction. Là où la métaphore détourne le
phore grâce à un terme analogue (« Gilles est un vrai bulldozer », ou
mieux, en parlant de Gilles, dire « quel bulldozer ! »), la métonymie,
et ce cas particulier de la métonymie qu’est la synecdoque, substi-
tue au terme que l’on veut évoquer un autre plus évocateur encore,
plus près de la façon dont on le ressent. Ainsi, on dira « boire une
bonne bouteille », là où il est question, en réalité, de boire ce
qu’elle contient, et l’on dira « Robert sort encore avec une jeu-
nesse » pour dire qu’il choisit toujours ses relations féminines
parmi des femmes beaucoup plus jeunes que lui. La synecdoque,
cas particulier de la métonymie, implique un lien plus étroit, plus
logique, plus fonctionnel ou plus causal entre les deux termes,
comme dans l’expression qui consiste à parler d’une « voile » pour
désigner le bateau, ou dans celle qui autorise à dire qu’« on s’est
payé sa tête », prenant ainsi la partie pour le tout.
Métaphores et métonymies sont-elles des figures propres au
genre expressif ? Elles en constituent sans aucun doute le moyen
technique central. Mais, comme nous le verrons, la métaphore, et
l’analogie qu’elle recèle souvent, est également une figure argu-
mentative. Mais, dans ce cas, c’est plutôt sous l’angle de la compa-
68 P RATIQUE ET TECHNIQUES DE COMMUNICATION
raison à des fins persuasives qu’elle est utilisée (voir chapitre sui-
vant). Le genre informatif, s’il peut toujours s’en dispenser, peut
néanmoins utiliser, mais pour leur force descriptive uniquement, la
métaphore et la métonymie. Dans ce dernier cas, il s’agit bien
d’une figure d’appoint qui n’est jamais nécessaire, là où, dans le
genre expressif, le trope constitue un détour qui est en fait l’unique
voie d’accès pour faire partager par un auditoire ce que l’on veut lui
communiquer. Comment en effet dire autrement : « Il a combattu
comme un lion ? »
4/Les techniques du convaincre :
de l’argumentation à la manipulation
des lecteurs) qui leur sont maintenant dédiées dans les journaux,
les petites et grandes émissions de télévision où l’on traite des
« sujets de société ».
Le monde judiciaire est ordonné autour de la possibilité pour
tous ses acteurs de prendre la parole pour argumenter leur point de
vue. La publicité commerciale et institutionnelle est, en principe,
une activité d’argumentation, même si elle n’est pas exempte de
manipulation. Le monde politique, en démocratie, déploie son
activité autour d’arguments visant à convaincre. La vie profession-
nelle d’aujourd’hui, où on attache tant d’importance à l’échange
de parole, à la « réunion » comme outil de travail, à la nécessité de
convaincre plutôt que de commander, est en partie organisée
autour de l’argumentation.
La préparation de l’argumentation
double légitimité, celle que leur confère l’élection et celle que dis-
tribuent les médias.
Les trois domaines dans lesquels ces professionnels déploient
leurs talents sont celui des études (qu’il faut distinguer des
recherches à caractère scientifique) visant à mieux connaître, dans
une perspective opérationnelle, le climat politique et électoral, les
activités de conseil stratégique, pour orienter dans tel ou tel sens
l’argumentation des candidats, et enfin la conduite d’opérations
diverses visant à utiliser au mieux les médias.
Le marketing politique a à sa disposition un certain nombre
d’instruments qui sont plus ou moins sous son contrôle, comme la
publicité politique ou les sondages d’opinion. Les uns permettent
de connaître, éventuellement au jour le jour, les sentiments et les
réactions du public, là où l’autre permet de faire par venir plus
directement un message politique. Ces ressources multiples ont pu
donner l’illusion d’un schéma fonctionnel où l’homme politique
pouvait s’adapter en permanence et presque en « temps réel » à
l’opinion dont il est censé obtenir le soutien.
Les sondages d’opinion se généralisent dans les années 1960.
L’usage des sondages permet aux journalistes, notamment dans le
cadre des émissions politiques, de faire armes égales avec les repré-
sentants du politique. Les uns peuvent arguer de leur pouvoir de
représentation et de leur connaissance du « terrain » électoral, là où
les autres trouvent dans le sondage ou l’étude politique le succé-
dané d’une connaissance qu’ils n’ont pas.
Il faut clairement distinguer à ce sujet entre le sondage, instru-
ment au service du marketing politique, pris dans les deux contrain-
tes d’avoir un coût qui doit rester limité et d’être commandé pour
servir à une finalité précise, et l’enquête, tel que les sociologues par
exemple les conduisent. Celle-ci relève de la recherche fondamentale
et son objectif est de produire des connaissances approfondies. Les
sondages ne s’intéressent par définition qu’aux « opinions », là où les
enquêtes cherchent à cerner des attitudes, des valeurs et des repré-
sentations, moins facilement présentables en termes simples et qui
ne permettent pas toujours de tirer des conclusions opérationnelles
sur un réel toujours complexe. Selon Lacroix, un nombre croissant
de sondages et d’enquêtes tendent aujourd’hui « à n’être que
des artefacts qui créent de toutes pièces ce qu’elles sont censées
mesurer ».
Malgré leurs limites intrinsèques, tous ces outils participent de
la préparation de l’argumentation, de la recherche des accords
préalables et de la mise en œuvre de stratégies argumentatives.
L’élément central et concret de toute argumentation est l’« argu-
L ES TECHNIQUES DU CONVAINCRE : DE L’ ARGUMENTATION À LA MANIPULATION 75
réalité est sans doute entre les deux. Il est impossible de définir le
message publicitaire sous l’angle d’une catégorie unique qui lui
donnerait une spécificité immuable. Dans ce sens « la » publicité
n’existe pas.
Du point de vue d’une stricte analyse technique, on remarquera
que certains énoncés publicitaires sont de véritables informations
sur le produit. On a affaire dans ce cas à une communication des-
criptive, telle que nous la détaillons au chapitre suivant. D’autres
énoncés sont purement et simplement esthétiques, dans le but
sans doute de capter l’attention des publics. Ils relèvent de la com-
munication expressive. D’autres tentent de convaincre en utilisant
des procédés reconnus comme manipulateurs. C’est le cas de
l’emploi des techniques pavloviennes, associant par exemple une
image érotique à un produit dans le but de le rendre « agréable » à
l’auditoire par contamination mutuelle des deux thèmes. D’autres
énoncés, enfin, proposent de bonnes raisons d’acheter un produit.
Dans ce dernier cas, nous sommes clairement dans la communica-
tion argumentative.
Encore faut-il distinguer les effets des messages publicitaires sur
différents publics. Un énoncé manipulateur fera rire une partie du
public qui en déjouera les effets, mais forcera à la consommation
ceux qui n’auront pas évalué à temps le procédé utilisé (c’est
comme cela que l’on voit des célibataires acheter des automobiles
breaks, des pères de familles nombreuses acquérir des coupés
sports). La manipulation publicitaire sait aussi utiliser les ressorts
psychologiques de l’envie et du besoin irrationnel.
On se gardera, de ce point de vue, d’une vision trop pessimiste,
mais aussi d’une vision trop optimiste de la situation. On retiendra
que rien, techniquement, du point de vue de la communication,
n’empêche la publicité d’être agréable et informative quand elle est
argumentative. Que la situation soit souvent différente, c’est-à-dire
que la dimension argumentative soit pratiquement absente, n’est
pas lié à des contraintes propres aux techniques de communica-
tion, mais au choix des acteurs concernés.
Un oubli de l’éthique ?
Le rappel de cette redécouverte des possibilités offertes par la
rhétorique ancienne ne serait pas complet si l’on ne disait pas aussi
que tout un pan de la réflexion rhétorique est néanmoins absent.
82 P RATIQUE ET TECHNIQUES DE COMMUNICATION
Tout ce qui a trait à la question éthique est parfois balayé d’un trait
de plume dans un milieu souvent serré de près par la demande
d’efficacité immédiate. Ainsi, pour Aristote, la mise en œuvre de la
parole pour convaincre s’accompagnait-elle du respect nécessaire
de règles, dont la principale est sans doute le renoncement à « plai-
der en dehors de la cause ».
Il s’agit en l’occurrence de se tenir à l’écart des procédés qui font
appel, par exemple, à une émotion qui n’aurait rien à voir avec la
cause défendue. Aristote nous rappelle que « dans plusieurs cités, la
loi interdit […] de parler hors de la cause ; dans les délibérations, les
auditeurs y veillent suffisamment eux-mêmes » (Livre I, 1355 a).
« Car il ne faut pas pervertir le juge, en le portant à la colère, la
crainte ou la haine ; ce serait fausser la règle dont on doit se servir »
(Livre I, 1354 a). Or, aujourd’hui, de nombreuses publicités plai-
dent essentiellement « en dehors de la cause » (sur le modèle pavlo-
vien par exemple de l’association d’un produit à un stimulus éroti-
que, vieille ficelle toujours d’actualité), s’affranchissant ainsi de
toute préoccupation éthique dans ce domaine.
Tout cela est très différent de ce qui apparaît comme un « vérita-
ble » argument, du moins un argument éthiquement acceptable car
il plaide « à l’intérieur de la cause », par exemple dans la campagne
désormais classique du loueur de voitures Avis : « Quand vous êtes
second, vous vous efforcez d’en faire plus. » De fait, c’est souvent
vraisemblable…
Argumentation et manipulation
La séduction
La séduction en elle-même n’est guère condamnable et son
usage dans le registre des sentiments est le plus souvent porteur
d’une dynamique propice à l’établissement des relations. Utilisée
en dehors de son champ d’origine, la séduction devient une arme
là où l’argumentation pourrait être le lieu de rapports pacifiés.
L’usage de la séduction ou d’une façon plus générale, le recours
à l’émotion, conduit souvent à ce que l’on appelle l’amalgame. Il y
a là une vieille question à laquelle la rhétorique se heurte depuis
longtemps, sinon depuis son origine. En témoigne l’ancienne
histoire grecque qui raconte que le défenseur d’une femme très
belle (en fait modèle vivant des statues d’Aphrodite) mais cruelle
meurtrière de son mari, faute d’argument pour convaincre les
juges, dégrafa la robe de l’accusée pour la faire apparaître dans
toute sa nudité. À sa question : « Pouvez-vous condamner une
femme aussi belle ? », le jury répondit non, nous ne le pouvons pas.
Il faut dire que la beauté avait des vertus antiques qu’elle n’a peut-
être plus… sauf à voir dans le ressort unique d’innombrables publi-
cités contemporaines, qui montrent une jolie femme au côté d’une
84 P RATIQUE ET TECHNIQUES DE COMMUNICATION
La propagande
La propagande dans les formes extrêmement sophistiquées que
lui a conférées le XXe siècle, reste le modèle de référence de la
manipulation du rapport orateur/auditoire en vue de lui faire
accepter, bon gré mal gré, certaines opinions. La propagande réside
essentiellement dans la manipulation psychologique de l’auditoire,
doublée le plus souvent de l’usage de moyens de coercition phy-
sique, afin de le conditionner à recevoir une opinion donnée.
On a trop oublié par exemple que l’action redoutable des propa-
gandistes du régime nazi, avec à leur tête le sinistre Goebbels,
devait son efficacité sur le peuple allemand non seulement aux dis-
cours et aux mises en scène « esthétiques » de foules bien ordonnées,
mais aussi au fait que la gestapo et les autres polices politiques
menaçaient d’internement, ou pire, tout opposant éventuel. Le
conditionnement des foules passe aussi par la répression des audi-
toires qui les composent.
La propagande est née, paradoxalement, de la démocratie. Pour
qu’il y ait propagande en effet il faut qu’il y ait luttes d’idées et que
l’avis du peuple compte. Dans un contexte où la pure coercition
suffit, la propagande n’a pas de sens. Mais l’objectif de la propa-
gande est bien de supprimer la possibilité de choix qui est au
fondement de la démocratie. Elle va donc le faire en donnant l’illu-
sion d’un accord entre le propagandiste et sa victime.
Jacques Ellul souligne que l’existence de la propagande moderne
est liée à une double prise de conscience, d’une part de celle de
l’efficacité effective sur les foules de la mise en œuvre de techni-
ques d’influence, d’autre part de l’importance de la psychologie
dans le domaine du politique. Pour Ellul cette prise de conscience
généralisée se fait à l’occasion de la guerre de 1914-1918 et de la
Révolution d’Octobre en Russie. L’analyse des phénomènes de pro-
pagande est d’ailleurs l’une des matrices historiques des sciences de
la communication (voir infra, chapitre 6).
La propagande est donc la manière de présenter et de diffuser
une information politique de telle manière que son récepteur soit à
la fois en accord avec elle et dans l’incapacité de faire un autre
choix à son sujet. Comme le rappelle Hitler dans Mein Kampf :
lorsqu’« une nouvelle conception du monde est enseignée à tout
un peuple, voire même imposée en cas de nécessité », cela va de
pair avec une organisation sociale qui « englobe le minimum
d’hommes absolument indispensables pour occuper le centre ner-
veux de l’État ». La propagande est incompatible en effet avec le
86 P RATIQUE ET TECHNIQUES DE COMMUNICATION
Un monde cynique ?
La deuxième raison tiendrait à ce que la manipulation ne serait
pas un concept pertinent simplement parce que tout serait mani-
pulation. Tout procédé, tout artifice, dans le domaine de la parole
relèverait de la manipulation. La rhétorique, dès sa naissance, se
voit suspectée, comme art du convaincre, d’être pure manipula-
tion. Dans les relations humaines tout serait artificiel, manipulable
et, in fine, la seule règle de la parole serait le rapport de force. Cette
objection est la plus faible car en fait elle ne s’oppose pas à l’exis-
tence de la manipulation bien au contraire. Mais, elle la cadre mal
en lui supposant un empire qu’elle n’a pas.
La manipulation consiste bien à établir un rapport de force mais
la caractéristique de cette entreprise est qu’elle cache qu’elle le fait.
Les techniciens de la manipulation savent bien qu’il faut cacher à
l’auditoire les procédés utilisés pour le « convaincre », sous peine de
perdre l’efficacité attendue. Certains craignent d’accepter l’exis-
tence de la manipulation de peur, inconsciemment sans doute, de
découvrir qu’elle est partout et que les cyniques ont raison. La
réalité est plus modeste.
Phénomène éthiquement et moralement détestable, bien trop
présent dans l’univers quotidien, la manipulation n’en occupe pas
moins un territoire toujours plus modeste que ce qu’on imagine.
Même si dans certaines situations stratégiquement importantes le
recours à de tels procédés a tendance à s’intensifier, par exemple
pendant les conflits et les guerres ou, ce qui n’est pas comparable,
pendant les campagnes électorales. Toute description objective de
la manipulation ne peut que constater son caractère limité dans
l’espace public. Nous ne vivons pas dans un univers de manipula-
tion généralisée.
De la description à l’information
La description constitue d’abord une pratique courante de la
communication quotidienne. Nous sommes fréquemment amenés,
dans la discussion ordinaire, à décrire une scène, dont nous avons
été témoin, ou à raconter tel événement, bref à informer un audi-
toire. On demande dans ce cas à notre parole d’être fidèle à ce que
nous avons vu. Nous pouvons également être témoin dans un
cadre plus formel, celui d’un constat, dans le cadre d’un accident
automobile, ou d’un délit, dans le contexte d’une affaire judiciaire
(qui s’appelle d’ailleurs, dans le langage propre à la procédure, une
« information judiciaire »).
La description est ensuite à la base de beaucoup de spécialisa-
tions professionnelles, y compris dans le champ de la communica-
tion. Une part importante du travail journalistique, autour de
l’enquête et du reportage, nécessite de mettre en œuvre des des-
criptions précises, demandant une grande rigueur.
L’information, si on veut bien la distinguer du commentaire et
de l’opinion, n’est rien d’autre que le produit d’une description. Le
travail de documentation s’appuie lui aussi, pour une part essen-
tielle, sur une description appropriée. Décrire, enfin, est à la base
de l’activité de tout traitement informatique. Un algorithme n’est
au fond que la description de l’ensemble des opérations qui s’appli-
quent à des données, qui deviennent ainsi des « informations »,
traitées par ordinateur.
L ES TECHNIQUES DE L’ INFORMATION 95
L’idéal d’objectivité
L’objectivité est une tension, un idéal, un objectif à atteindre.
Que cela soit difficile et appelle une grande rigueur n’est pas en soi
une raison pour condamner la recherche de cette objectivité. Plutôt
que de parler d’objectivité, mieux vaudrait parler d’un « idéal
d’objectivité ». L’important est que les conditions dans lesquelles
une description a été réalisée soient les plus explicites possible.
D’où l’importance de bien connaître les règles de composition de la
description.
L’objectivité connaît aussi une autre limite : elle ne s’applique pas
à toutes les situations. Tout ne peut pas toujours être décrit objecti-
vement. Pour le dire autrement, on ne peut décrire que certaines
parties du réel, celles qui se laissent saisir dans un « modèle réduit ».
D’autres éléments du réel ne se prêtent qu’à l’interprétation, ou
encore au ressenti. L’émotion ressentie ne peut guère faire l’objet
d’une description informative, alors que, comme nous l’avons vu au
chapitre 3, elle peut faire l’objet d’un récit, c’est-à-dire d’une des-
cription subjective. Ces deux réserves étant faites, nous admettrons
ici qu’une description objective est possible. De ce fait, l’informa-
tion dispose d’un véritable statut épistémologique.
La notion d’information a certes une très grande plasticité qui
nuit parfois à sa compréhension. On oppose parfois, comme le fait
Daniel Bougnoux, l’information à la communication. Ce faisant,
on prend toutefois le risque de créer une confusion, laissant croire
que l’information ne serait pas, elle aussi, un élément communica-
ble. Comme nous l’avons vu, la communication a plusieurs conte-
nus possibles : l’information en est un, mais aussi l’opinion ou le
ressenti. Chacun de ces contenus s’insère dans des relations
96 P RATIQUE ET TECHNIQUES DE COMMUNICATION
La matrice judiciaire
Mais cette prise de conscience s’opère probablement de façon
systématique au sein des pratiques judiciaires qui sont aux fonde-
ments de la démocratie grecque. Tout jugement de justice implique
en effet une part de description des faits, qui a dû se révéler pro-
gressivement distincte de l’interprétation que l’on en donne.
L’accusé a-t-il tué ? En quelles circonstances ? Avec quelles armes ?
Que peuvent en dire les témoins ? Quelles sont les traces matériel-
les, les indices ? Quelle est la fiabilité de leur témoignage ? Toutes
ces questions sont là pour établir des faits, indépendamment de
l’argumentation qui, dans un second temps, s’appuiera sur eux.
Les faits peuvent désigner une personne comme l’auteur d’un
acte, ils ne disent rien sur sa culpabilité : on peut tuer, et être
reconnu innocent (en état de légitime défense par exemple). On
peut donc décrire le plus objectivement possible les faits, mais la
description s’arrêtera au seuil de l’interprétation qui, elle, relève
essentiellement d’une opinion, donc d’une argumentation. Même
si les procédures judiciaires antiques s’exercent dans un contexte
social et culturel bien différent du nôtre, la description des faits
constitue un passage obligé des procédures qui renoncent – c’est
bien le cas dans la justice démocratique antique – à toute pratique
ordalique ou magique.
Comme le montre bien Jacqueline de Romilly dans son analyse
de la violence antique, la démocratie permet de passer d’une auto-
maticité archaïque (il a tué, le sang a été versé, donc la vengeance
doit s’exercer sur lui), à la justice qui sépare les faits (il a tué) de la
signification que nous leur donnerons (Est-il vraiment coupable ?
Ne peut-on pas trouver de bonnes raisons de l’acquitter ?). De cette
partition essentielle est né le statut du « fait », l’autonomie de la
description par rapport à l’argumentation. La procédure judiciaire
est donc un bon candidat pour être la matrice de l’information au
sens que nous lui donnons encore aujourd’hui.
Les pro cé dés de mémo ri sa tion qui sont à la dis po si tion de
l’orateur antique permettent également, selon Frances Yates, de se
souvenir des faits en tant que tels. La « mémoire artificielle » de
l’Antiquité est aussi une mémoire qui traite de l’information. La
notion de « fait », d’« information » est donc déjà bien constituée
L ES TECHNIQUES DE L’ INFORMATION 99
L’écriture journalistique
La description journalistique
Les règles de composition de ces descriptions spécifiques ont été
implicitement codifiées, dans une certaine mesure, par la profes-
sion. Elles se transmettent dans l’enseignement des écoles de jour-
nalisme, dans les « manuels » de formation, mais aussi sur le ter-
rain, par l’exemple. C’est en effet en regardant, en lisant, en
évaluant les descriptions faites par tel ou tel « grand » journaliste
qu’on saisit les règles de l’art, mais aussi les écarts possibles, même
si ceux-ci, dans le genre descriptif, ne sont pas immenses…
Selon Michel Voirol, il faut distinguer entre le compte rendu, le
reportage et l’enquête. Le compte rendu représente une part pré-
pondérante du journalisme de terrain. Il s’agit pour cet auteur d’un
« genre strictement informatif ». Il évoque à cette occasion « cette
maladie du journalisme qui consiste à mélanger sans cesse le com-
mentaire et l’information » (2006, p. 46). Le reportage suppose une
description plus « vivante » tout en restant informative. Elle mettra
en scène des personnages typés, des paroles et des scènes pleines de
couleurs, de bruits et d’odeurs, des dialogues. La frontière entre la
description informative et la description expressive est, dans ce
genre journalistique, parfois mince et elle appelle toute la vigilance
du journaliste qui à la fois « prête ses sens à autrui » mais dans le
même temps doit éviter toute subjectivité. Maîtriser ce paradoxe
est la base de toute information de qualité.
Le troisième genre journalistique est l’enquête. Elle s’appuie sur
des comptes rendus, nécessite une investigation de terrain, mais
elle ajoute une dimension supplémentaire. « Le sujet de l’enquête,
dit encore Michel Voirol, est un pro blème » (2006, p. 51).
L’enquête appelle une démarche de construction de l’information
106 P RATIQUE ET TECHNIQUES DE COMMUNICATION
L’art de la documentation
Le monde moderne a vu se diversifier, s’institutionnaliser et se
développer considérablement, les « banques d’information » de
toute sorte. Il a fallu développer dans ce cadre, c’est aussi le rôle des
sciences de l’information, un corps de techniques pour organiser,
analyser les documents, les décrire et les annoter, mais aussi per-
mettre et faciliter leur accès.
De nombreuses institutions (administrations, entreprises, jour-
naux) disposent, en propre, de centres de documentation pour les
sujets qui les concernent, où sont collectés et rangés des informa-
tions d’origines extrêmement diverses (coupures de presse, rap-
ports d’étude, livres, notes internes et archives, etc.). Rien de tout
cela ne serait utilisable si chacun de ces documents n’était pas
transformé en information aisément manipulable par les utilisa-
teurs. En fonction des besoins, de grandes bases de données, éco-
nomiques, par exemple, ont été constituées, auxquelles on a accès
au titre d’un service payant.
La documentation permet en fait de faire circuler ces données.
Par une métonymie abusive, on assimile parfois ces données à
l’information qui les décrit. C’est oublier que la fiche de catalogue
n’est pas le livre, que le catalogue de musée est bien distinct de
l’exposition elle-même, et que le mot clef qui permet d’y accéder
est autre chose que la donnée elle-même. C’est prendre l’étiquette
pour la bouteille… L’extension illimitée du sens du mot information
tient à cette confusion. Le développement d’Internet, des techni-
108 P RATIQUE ET TECHNIQUES DE COMMUNICATION
Un procédé ancien
Au XIVe siècle avant J.-C., une tablette avec écriture cunéiforme
(Musée du Louvre, pièce AO 7093) sert de support à une lettre.
Celle-ci est envoyée par Rib-Addi, prince de Byblos, au pharaon
L ES TECHNIQUES DE L’ INFORMATION 111
Un terme russe
Selon Guy Durandin, le terme « désinformation » est la traduc-
tion littérale du mot russe « dezinformatsia ». Ce mot a été employé
pour la première fois par les Soviétiques dès le début des années
1920 pour désigner les opérations d’intoxication menées par les
pays capitalistes contre eux. Une définition systématique du mot
apparaît pour la première fois en URSS dans la « Grande encyclopé-
die soviétique » (édition de 1972, tome 8, p. 29). La « dezinformat-
zia » est « la diffusion de l’information déformée ou faussée de
manière préméditée. Dans les pays bourgeois, on utilise très large-
ment la désinformation comme un moyen de propagande politique
112 P RATIQUE ET TECHNIQUES DE COMMUNICATION
Rhéthorique
ancienne ANTIQUITÉ
Théorie de
l’argumentation
Notion
d’information
Théorie de
l’expression Sciences
exactes et
sciences de
Recherches l’ingénieur
sur le
langage
Sciences
humaines
Linguistique
Analyse du
discours Sciences
humaines
Philosphies de la appliquées à la
communication communication
Nouvelle
rhétorique Cybernétique
XXe SIÈCLE
L’empire rhétorique
Démocratie et rhétorique
Il n’est pas inutile de rappeler dans quelles circonstances se met
en place ce que Roland Barthes appelle l’« empire rhétorique »
(1970). Ce sont les Grecs qui inventent les grandes techniques qui
constituent les fondements de la rhétorique, la techné rétoriké ou art
de convaincre. Ils en furent également les premiers théoriciens. Ces
techniques avaient, notamment à Athènes, un usage essentielle-
ment juridique, dans le cadre des plaidoiries de procès, mais aussi
un usage politique, à l’Agora, et enfin un usage symbolique,
puisque le discours dit « épidictique », l’éloge funèbre par exemple,
permettait de transmettre les valeurs propres à la cité.
La révolution des esprits, qui s’opère entre le VIIIe et le VIIe siècle
en Grèce et notamment à Athènes, et qui conduira à la révolution
démocratique, se traduit donc immédiatement par une extraordi-
naire prééminence de la parole sur tous les autres instruments de
pouvoir. La parole devient « l’outil politique par excellence, la clef
de toute autorité dans l’État, le moyen de commandement et de
domination sur autrui » (Vernant, 2012, p. 44).
De nouvelles institutions se mettent en place, notamment une
nouvelle forme de justice. « Ces procès étaient d’un type nouveau ;
ils mobilisaient de grands jurys populaires, devant lesquels, pour
convaincre, il fallait être “éloquent”. Cette éloquence, participant à
la fois de la démocratie et de la démagogie, du judiciaire et du
G ÉNÉALOGIE DES THÉORIES MODERNES DE LA COMMUNICATION 121
L’apport d’Aristote
L’un des élèves de Platon, Aristote (384-322 avant J.-C.), qui sera
aussi précepteur d’Alexandre le Grand, définira la rhétorique non
plus comme un pur outil de pouvoir par la persuasion, mais
comme l’art de « découvrir tout ce qu’un cas donné comporte de
persuasif ». La rhétorique d’Aristote se présente comme une
pratique très souple, qui tient compte des circonstances. Ce qui
compte avant tout chez un orateur, c’est sa capacité à faire face en
toute occasion et à adapter son discours au contexte.
La rhétorique d’Aristote propose d’appuyer l’exercice de la
parole sur une théorie du raisonnement plutôt que sur une
pratique des passions : les « technologues », nous dit-il, « consa-
crent la majeure partie de leurs traités aux questions extérieures à
ce qui en est le sujet » en utilisant, pour émouvoir le juge, « la
suspicion, la pitié, la colère et autres passions de l’âme » (Rhéto-
rique, Livre I, 1, 1354 a), sans recourir à des « preuves techniques ».
Si on généralisait la règle introduite dans quelques cités, à savoir
l’interdiction de « plaider en dehors de la cause », alors les techno-
124 FONDEMENTS DES SCIENCES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION
Le déclin de la rhétorique
L’importance de la théorie argumentative va décroître au sein de
la rhétorique, au fur et à mesure, paradoxalement, que celle-ci va
voir son rôle s’accroître et devenir finalement le contenu de tout
G ÉNÉALOGIE DES THÉORIES MODERNES DE LA COMMUNICATION 125
Le renouveau contemporain
Le domaine, clairement déconsidéré parce que réduit à un « art
du bien dire » très formel, assimilé à une glose stérile ou à des dis-
cours pompeux (d’où la péjoration du terme « rhétorique » et de
quelques éléments de son lexique, comme « péroraison »), reste glo-
balement en friche tout au long du XXe siècle. Le renouveau, on l’a
vu, viendra dans les années 1950 de ce que Chaïm Perelman appel-
lera la « nouvelle rhétorique ». Philosophe et juriste, professeur à
l’université de Bruxelles, Chaïm Perelman (1912-1984) publie, en
1958, puis en 1970, en collaboration avec L. Olbrechts-Tyteca
(1958, 1970, 2008), un Traité de l’argumentation qui connaîtra plu-
sieurs éditions et de nombreuses traductions.
La « nouvelle rhétorique » (sous-titre de son ouvrage) renoue, en
l’actualisant, avec la tradition rhétorique aristotélicienne. Elle s’ins-
crit dans une rupture avec la logique démonstrative et l’évidence
126 FONDEMENTS DES SCIENCES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION
Le continent cybernétique
Du comportement à la communication
Avec le feed-back, dispositif informationnel par excellence, on
tenait enfin, du moins Wiener le pensait-il, la localisation et la
possibilité de formalisation des phénomènes de « prise de déci-
sion », le cœur de toute activité intelligente et organisée. En créant
des machines qui avaient une autonomie suffisante pour percevoir
et analyser des informations en provenance du monde extérieur et
prendre en permanence des décisions afin de remplir un certain
but fixé par avance, les techniciens avaient pointé le doigt vers un
niveau de réalité qui ne concernait pas uniquement les machines,
mais aussi le comportement de tout être qui échange des informa-
tions, c’est-à-dire qui communique avec son environnement et se
détermine en conséquence.
Le vaste programme de recherche qui s’ouvrait alors ne concer-
nait pas uniquement les constructeurs de machines, mais aussi
tous ceux qui, de près ou de loin, avaient pour tâche d’expliquer le
comportement humain en termes physiologiques ainsi que dans sa
dimension psychologique et sociale.
Wiener proposa alors, dans un texte de 1942 rédigé avec un de
ses collègues médecins, McCulloch, et un logicien, Pitts, une classi-
fication des comportements qui serait indépendante du support
physique ou biologique, mais qui prendrait en revanche en compte
la nature des échanges avec le milieu extérieur. Tout « être »
pouvait ainsi se définir par la nature des échanges d’information
qu’il entretenait avec l’environnement.
Wiener, en 1942, parlait encore de « comportement », au sens
de « comportement d’échange d’information ». Le « comporte-
ment » était une notion ancienne, développée depuis le début du
130 FONDEMENTS DES SCIENCES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION
La naissance de la cybernétique
Cette « méthode d’étude comportementale » de la réalité
conduisit Wiener à privilégier rapidement la notion de communi-
cation, qui sera au centre de son œuvre à partir de 1947 (voir l’ou-
vrage Cybernétique et société, 1954).
Après cinq années de maturation – à partir de 1942, date à
laquelle la méthode comportementale d’étude fut mise au point –,
Wiener éprouva le besoin de fédérer le champ nouveau du savoir
qu’il avait largement contribué à créer. Il fallait pour cela un mot
qui puisse unifier les grandes notions qui n’étaient plus simple-
ment en gestation, et surtout qui puisse fonctionner comme signe
de ralliement de tous ceux qui se reconnaissaient dans ces
nouvelles idées.
Wiener remarqua que toute la terminologie existante était trop
exclusivement marquée soit par un vocabulaire d’ingénieurs, pour
tout ce qui concernait les machines, soit par celui des sciences du
vivant, pour ce qui concernait l’humain. Il fit cette remarque,
pertinente à l’époque, selon laquelle il n’y avait pas de terminolo-
gie commune à ces deux domaines. Le mot « cybernétique » fut la
première tentative dans ce sens, le premier pont jeté entre les disci-
plines.
Wiener indiqua que « cybernétique » venait du mot grec qui
désignait le « pilote » et dont la forme latine dérivée fournissait le
mot « gouvernail ». Il aurait pu tout aussi bien ajouter que cette
famille de racines étymologiques conduisait également au
« gouvernement », comme « forme de pilotage du social ». Le choix
de ce terme permit en tout cas de situer un peu plus clairement le
nouveau champ de recherche, d’autant qu’il fut popularisé par
l’ouvrage que Wiener édita en 1948 – mais, curieusement, en
anglais – chez l’éditeur Hermann à Nancy.
Ce livre, bien qu’il fût peu lu, sinon par les spécialistes, connut
un important succès dans le public qui y eut accès par le biais de la
littérature de vulgarisation, très attentive à partir de là à toutes les
productions de la cybernétique. Les lecteurs français du journal
Le Monde en apprirent la teneur dans le détail, tout au long d’une
pleine page du journal dans son numéro daté du 28 décembre 1948.
La situation québécoise
Au Québec et en France, sauf exception, il faudra attendre les
années 1970 pour que des filières de formation à l’information et à
la communication suscitent l’émergence d’un nouveau champ
spécifique dans les universités.
Au Québec, nous pourrions situer les premiers moments d’une
institutionnalisation d’un champ professionnel spécifique en
communication vers le début de la décennie 1960. Déjà l’implanta-
tion des deux premières chaînes de télévision de Radio-Canada à
partir de 1952, en contribuant à transformer significativement les
144 FONDEMENTS DES SCIENCES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION
Un champ morcelé
Le domaine des études en information et communication appa-
raît donc comme morcelé, hétérogène. Il s’agit d’un champ multi-
disciplinaire qui se forme à partir de sources assez diverses : études
littéraires, linguistique, sémiologie, information documentaire,
sociologie de la littérature, philosophie, psychologie, sciences
humaines, techniques et sciences de l’ingénieur. Ces conditions de
formation expliquent sans doute pourquoi il n’existe pas à ce jour
en communication une intégration des connaissances semblable à
celle que l’on retrouve dans d’autres disciplines plus classiques. Le
champ universitaire des savoirs sur la communication équivaut
aujourd’hui davantage à un carrefour de problématiques croisées
qu’à une discipline scientifique proprement dite.
Ces problématiques voient se côtoyer, et parfois s’opposer, des
paradigmes issus des trois genres que nous avons décrits dans la
première partie, qu’il s’agisse de la part expressive de la communi-
cation, à laquelle linguistique et littérature consacrent une partie
de leurs travaux, de la part argumentative, où linguistique et
sciences humaines se rencontrent, parfois tant bien que mal, ou de
la part informative, où se côtoient des approches comme la science
de l’information documentaire, le corpus de savoirs en journalisme
ou le vaste continent en cours de construction autour des
nouvelles technologies.
Ce chapitre se veut aussi l’occasion de réfléchir à la manière dont
se sont construites dans nos divers lieux d’enseignement et de
recherche, de même qu’au niveau de nos différentes approches
complémentaires ou contradictoires, les représentations que nous
avons aujourd’hui des sciences de l’information et de la communication
(SIC). Au fil des pages de ce livre, nous avons vu que le champ d’étude
de la communication était marqué par des affrontements idéolo-
giques, par des chocs épistémologiques entre paradigmes. Plutôt que
146 FONDEMENTS DES SCIENCES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION
Les précurseurs
À côté de l’Institut français de presse (IFP) créé en 1946, du
Centre international d’enseignement du journalisme (CIEJ) de
Strasbourg fondé en 1956 et du Centre d’études littéraires et scien-
tifiques appliquées (CELSA) créé en 1963 – trois lieux de formation
qui restaient tout de même assez spécialisés (presse, relations
publiques) –, c’est sans doute la création à Paris en 1962 du Centre
d’études des communications de masse (CECMAS) qui constitue
l’un des événements précurseurs importants dans la formation du
domaine des SIC en France.
G ÉNÉALOGIE DES THÉORIES MODERNES DE LA COMMUNICATION 147
C’est aux États-Unis, dans les décennies 1930 et 1940, que naît
l’une des traditions de recherche qui deviendra déterminante pour
le développement d’un domaine universitaire propre aux sciences
de l’information et de la communication. Cette tradition de
sciences sociales, dite des media studies, va ainsi prendre pour
objets l’impact et la signification de la presse, du cinéma et de la
radio dans la vie des gens.
Ainsi, pour revenir aux trois apports principaux constituant les
fondements des théories modernes de la communication décrits au
chapitre précédent, nous constatons que cette tradition des media
studies se situe en quelque sorte au croisement de ces trois pôles :
elle se constitue d’abord essentiellement à travers l’apport décisif
des sciences humaines et sociales à l’étude de la communication de
masse ; en second lieu, le privilège que cette tradition empirique
accorde aux phénomènes d’influence et de persuasion entre en
résonance avec les problématiques de la rhétorique décrites précé-
demment ; finalement, le « schéma canonique » de la communica-
tion sociale implicite dans la tradition des media studies s’inspire
directement du modèle de Shannon, lui-même proche de la cyber-
nétique naissante.
D’ailleurs, la référence explicite à la théorie de l’information de
Shannon et à la cybernétique constituera souvent, dans les
années 1950 et 1960 aux États-Unis, une stratégie utilisée par les
156 FONDEMENTS DES SCIENCES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION
La critique de l’empirisme
Des sociologues européens de la culture – comme Edgar Morin –
notaient que le souci du quantitatif et du concret de la tendance
empirique-fonctionnaliste américaine l’amenait à faire fi de la réfé-
rence fondamentale à la totalité socioculturelle : les empiristes
ignoraient toute perspective historique. Edgar Morin observa ainsi
que l’étude empirique des communications de masse s’isolait de
toute sociologie de la culture. Ces études empiriques ne condui-
saient qu’à des constatations relativement superficielles et, en der-
nière analyse, contestables. Morin proposa de considérer les médias
selon les diverses cultures qui s’y expriment et qui les utilisent
selon des patterns variés : la culture de masse, la culture cultivée, la
culture scolaire, la ou les cultures politiques, etc.
La problématique morcelée des empiristes apparaissait directe-
ment liée au contexte social dans lequel ces recherches étaient pro-
duites. Ces enquêtes étaient généralement commandées par les res-
ponsables de la diffusion (presse, cinéma, radio, puis télévision) et
les agences publicitaires désireux de connaître l’efficacité de leurs
messages et les caractéristiques sociodémographiques de leurs
publics. Les commanditaires (se) posaient des questions précises
qui portaient forcément sur le court terme : il n’y avait, pour eux à
première vue, aucun intérêt à financer des recherches « théoriques »
soucieuses de prendre en compte le long terme.
Ces « recherches administratives », selon l’expression de Paul
Lazarsfeld, ont progressivement conduit les chercheurs de Colum-
bia à évacuer de leurs problématiques toute perspective critique qui
aurait pu remettre en cause le système industriel de diffusion lui-
166 FONDEMENTS DES SCIENCES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION
La typologie de Lasswell
C’est le politologue Harold D. Lasswell qui, dans son célèbre
article de 1948, a énoncé une première typologie des fonctions
remplies par la communication dans la société (Lasswell, 1960). Il a
ainsi identifié trois fonctions sociales des actes de communication :
surveillance de l’environnement sociopolitique, intégration entre
les diverses composantes de la société, transmission de l’héritage
culturel.
Cette typologie a inspiré de nombreux chercheurs, notamment
C.R. Wright, pour qui la communication de masse apparaît comme
un processus social suffisamment structuré et répétitif pour qu’on
puisse lui appliquer les principes de l’analyse fonctionnelle. Il
introduit la distinction entre fonctions latentes (non intentionnel-
les) et manifestes des communications de masse ; il montre que
tout acte de communication n’a pas nécessairement une valeur
positive pour le fonctionnement du système.
Certains événements de communication apparaissent remplir
des fonctions pour certaines composantes, alors qu’ils peuvent être
interprétés simultanément comme dysfonctions pour d’autres élé-
ments du système. C’est la traduction en langage fonctionnaliste
de la réalité du processus de réception qui peut susciter des décoda-
ges différents, et même contradictoires, de la part de récepteurs
s’identifiant à des contextes différents (nous verrons d’ailleurs, au
chapitre 10, que cette conception s’est beaucoup raffiné avec les
travaux subséquents sur la réception).
Wright formule ainsi synthétiquement sa question paradigmati-
que : « Quelles sont les fonctions (et dysfonctions) manifestes et
170 FONDEMENTS DES SCIENCES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION
Critiques et controverses
Des controverses idéologiques passionnées s’instaurèrent parmi
les intellectuels américains, autour de l’émergence et de l’affirma-
tion de plus en plus évidente de cette culture de masse dans la quo-
tidienneté des citoyens. Fondamentalement, cette nouvelle culture
était ressentie comme inférieure à la culture traditionnelle ou
humaniste, culture partagée précisément par ces élites qui débat-
taient si férocement de l’évolution de leur société.
Alors que cette culture humaniste était produite par des élites
dont les critères esthétiques s’inscrivaient dans des traditions artis-
tiques ou littéraires reconnues depuis longtemps, alors que depuis
le XIXe siècle, les œuvres d’art étaient le produit d’actes de création
C RITIQUES DE LA CULTURE DE MASSE 185
Métacritiques et accusations
probablement celle qui alla le plus loin pour saisir ces phénomènes
de culture en termes de communication cybernétique.
Mais le modèle de Moles ne renvoie-t-il pas en même temps à
une vision élitiste de la création culturelle ? N’invite-t-il pas les
créateurs à un isolement social et à des actions unidirectionnelles
s’adressant à des publics contraints à n’adopter que des pratiques
culturelles marquées surtout par la passivité. Une autre critique du
modèle de Moles renvoie à son cul-de-sac culturaliste qui dessine
un cycle ne permettant pas l’articulation du système de diffusion à
des cadres sociaux plus larges.
Ce modèle, fermé sur lui-même, semble se réduire à une tauto-
logie expliquant la force de la culture par le pouvoir de la culture.
Les idées sont posées comme existantes a priori indépendamment
de leurs expressions concrètes et matérielles. Moles ne s’interroge
pas sur leur généalogie : comment sont-elles apparues ? Comment
se sont-elles développées ? (voir sur ces questions l’important tra-
vail d’Edgar Morin, 1991). Le seul élément externe au cycle pro-
prement dit concerne les « décisions » influençant la structure des
médias.
L’explication du fonctionnement des décisions réside, pour
Moles, dans les différences de « valeurs » entre les acteurs. Mais, là
encore, d’où proviennent ces valeurs, ces idéologies ? Comment se
sont-elles ancrées dans les consciences des acteurs et dans leurs
actions ? L’usage d’un tel modèle théorique a pour conséquence
politique de nous obliger à postuler conceptuellement une autono-
mie d’action des pratiques culturelles dans la société.
Ce qui veut dire qu’une action culturelle même isolée posséde-
rait virtuellement la capacité d’engendrer des transformations
sociales significatives. Ce culturalisme conduit à un optimisme
humaniste. Toutefois, cette manière de définir l’autonomie de l’ins-
tance culturelle fait souvent face à la critique qui veut que les
actions culturelles ne puissent être envisagées et perçues hors de la
dynamique d’ensemble des rapports sociaux, économiques et poli-
tiques.
Critiques contemporaines
L’avènement de la culture-monde
C’est pendant l’été 1969 que se produit l’un des premiers événe-
ments emblématiques de cette culture-monde. Il s’agit de la retrans-
mission télévisuelle en direct et à l’échelle de la planète, des
premiers pas de Neil Armstrong sur la Lune (Sirinelli, 2002b,
p. 150). On sait que ses premières paroles furent pour dire qu’il
accomplissait des « petits pas pour l’homme » mais que ceux-ci
représentaient un « grand pas pour l’humanité ». Voilà un événe-
ment géopolitique transnational fédérateur des nations, des généra-
tions, des classes sociales et, au plus près des écrans cathodiques, des
individus dont la première médiation consiste à être reliés entre eux
via les médias et dispositifs interactifs de communication.
Car aujourd’hui, le développement des pratiques culturelles de
masse renvoie bien davantage à un mouvement d’intensification de
l’individualisme ambiant qu’à un réveil politique des foules (Ehren-
berg, 1995; Roman, 1998). La diffusion planétaire des matchs télévisés
du « Mondial » de football, tous les quatre ans, constitue certaine-
ment un autre exemple spectaculaire de cette culture de masse cris-
tallisée en culture-monde. Sport de la mondialisation, le football
suscite des mouvements forts d’identification nationale et de com-
pétition entre les pays dans un contexte où l’entente sur les règles
du jeu devient la métaphore politique évoquant l’idéal de la bonne
entente universelle des États-nations (Boniface, 2001).
Autre événement significatif de la culture-monde : la chute du
Mur de Berlin en 1989 et ce que ce retournement a pu symboliser
politiquement (l’échec consommé du « socialisme réel », la fin de la
guerre froide) pour les individus et les peuples de l’Europe de l’Est
ayant traversé le siècle dans l’adversité et les doubles discours. Ou
encore : les tragiques attentats du 11 septembre 2001 à New York et
Washington, où des terroristes détournent des avions de lignes régu-
lières pour les utiliser comme bombes humaines contre les tours du
World Trade Center et l’édifice du Pentagone. Ce jour-là, compte
tenu de la gravité et de l’ampleur du drame humain, un nouveau
type de conflits politico-militaires (suscités à partir de l’action terro-
riste de réseaux clandestins islamistes opérant à un niveau mondial)
surgissait à l’échelle de la planète. Nous vivrons certainement pen-
dant une bonne partie du XXIe siècle avec les conséquences de ce
nouveau type de conflits géopolitiques armés opposant les gouverne-
ments des grandes puissances à des réseaux anonymes transnatio-
naux pouvant surgir à tous moments et en tous lieux.
La société mondiale du XXIe siècle, plus encore que celle du
siècle précédent, devient une « société du risque », non seulement
202 FONDEMENTS DES SCIENCES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION
Médias et démocratie :
reconstruction ou éclipse du public ?
écarts entre les modè les de déve lop pe ment à l’œuvre dans les
différents pays. Pensons aux écarts entre les pays d’Asie nouvelle-
ment industrialisés comme la Corée du Sud et les pays apparem-
ment exclus même du système de dépendance, comme la Somalie
(Mosco, 2009). Enfin, avec le tri om phe de l’idéo lo gie libé rale
devenue pensée unique, il semble bien que ces espoirs de démo-
cratisation de la communication par la promotion d’un Nouvel
ordre mondial de la communication ont été définitivement étouf-
fés (Mosco, 2009, p. 12-14 ; voir aussi Preston et alii, 1989). C’est
que la mondialisation des systèmes et réseaux de communication
à laquelle nous assistons présentement marque un triomphe du
modèle capi ta liste néo li bé ral à l’échelle mon diale (D. Schiller,
1999 ; McChesnay, 1999 ; Herman et McChesnay, 1997 ; McChes-
nay et alii, 1998).
Dans le dernier quart du XXe siècle, en effet, le développement
des communications a coïncidé de plus en plus intimement avec
le mouvement dominant de mondialisation de l’économie et des
cultures à l’échelle des grandes régions du globe. Ce mouvement
s’est accéléré en particulier depuis 1990 avec la chute du commu-
nisme, la fin de la guerre froide, la globalisation du capitalisme et
l’internationalisation de nombreux mouvements sociaux ancrés
dans de mul ti ples lut tes de recon nais sance (fémi nisme, éco lo -
gisme, mouvements identitaires religieux ou civiques) (Castells,
1999).
Les médias et les réseaux de communication jouent un double
rôle clé dans le processus de mondialisation économique. D’abord,
ils constituent un mécanisme essentiel de la mondialisation écono-
mique : les réseaux et dispositifs de communication numérique
jouent un rôle fondamental dans les processus d’échange et de dis-
tribution planétaire en temps réel des données économiques et de
la monnaie électronique qui assurent le fonctionnement quotidien
des transnationales organisées en réseaux (Castells, 1998). Rôle
fondamental également pour la construction de l’interdépendance
économique entre les États et la globalisation financière entre les
différentes régions de la planète (Schiller, 1999).
L’« économie-monde » (la catégorie est de Braudel, qui cherchait à
saisir les mouvements historiques à long terme) d’aujourd’hui
– devenue économie capitaliste globalisée – ne peut se concevoir sans la
mise en place des réseaux et dispositifs numériques pour assurer une
communication instantanée des données entre les entreprises et les
agences publiques et privées situées dans les principales parties du
monde. Deuxièmement, les médias en tant que diffuseurs de conte-
nus jouent un rôle clé dans la promotion de l’idéologie libérale « glo-
A NALYSES POLITIQUES DE LA COMMUNICATION 225
La construction d’agenda
Pour élaborer leur modèle de la construction d’agenda,
McCombs et Shaw s’appuient sur une remarque du politologue
B. C. Cohen qui, en 1963, avait écrit que si la presse ne pouvait pas
toujours réussir à convaincre les gens de ce qu’il faut penser (« what
to think »), elle avait plus de succès à leur dire ce à quoi il faut pen-
ser (« what to think about »). Le modèle originel qu’ils construisent
en 1972 se propose de traiter du lien entre d’une part, l’importance
accordée par les médias à certaines questions sociales (social issues)
pendant une campagne électorale et, d’autre part, l’ordre d’impor-
tance attribué à ces mêmes questions par un public d’électeurs
(ayant utilisé ces mêmes médias).
Leur hypothèse consiste à soutenir que pendant une campagne
électorale, les médias construiraient l’ordre d’importance (set the
agenda) des enjeux politiques, influençant de ce fait les attitudes
des électeurs face à ces questions. Leur premier terrain concerne les
opinions d’un échantillon de cent électeurs de la petite ville de
Chapel Hill en Caroline du Nord, pendant l’élection présidentielle
de 1968. Parallèlement, les médias sélectionnés comptent cinq
quotidiens (dont l’un d’audience nationale), deux hebdos et deux
journaux télévisés. Leurs résultats démontrent une forte corrélation
entre l’ordre d’importance accordé aux enjeux par les médias et
celui attribué par les électeurs ayant utilisé ces médias. Par ailleurs,
ils découvrent que les électeurs indécis seraient plus attentifs aux
informations diffusées par les médias pendant la campagne,
contredisant apparemment l’un des constats du credo de Lazarsfeld
(affirmant que ce sont plutôt les électeurs convaincus qui sont les
forts consommateurs de médias).
S’il est vrai que la recherche de McCombs et Shaw représente
une percée pour l’étude de la communication politique, il faut
quand même rappeler que la problématique de la construction
d’agenda était déjà présente dans d’autres domaines, en particulier
en sociologie et en science politique. La typologie de Rogers et
Dearing, qui trace un bilan des études de ce genre, insiste sur trois
axes de recherche concernant le processus de construction
d’agenda. Il y a d’abord la mise en agenda de l’opinion publique
(public agenda-setting) : les travaux de McCombs et Shaw s’inscri-
vent dans ce premier axe en cherchant à cerner l’impact des médias
A NALYSES POLITIQUES DE LA COMMUNICATION 227
codes avec les autres (voir Radway, 1974 ; Fish, 1980 ; Schroder,
1994).
L’asymétrie émetteur-récepteur
Dans son texte fondateur de 1974 (mentionné plus haut) pré-
sentant son modèle « encodage/décodage » des messages télévisés,
Stuart Hall soutient que les moments de la production et de la
réception d’un message télévisé dépendent de deux procès discur-
sifs différents. Cela implique que les structures de significations
mises en œuvre successivement lors de l’encodage – moment de la
246 L A QUESTION DES USAGES ET DE LA RÉCEPTION
L’expérience du zapping
mie de la radio té lé dif fu sion, mesure que l’on pour rait défi nir
comme « fiction statistique » de public (Dayan, 1998 ; Méadel et
Proulx, 1998). L’audience statistique n’existe que dans la mesure
où elle est mobilisée par des responsables de réseaux, des publici-
tai res ou des annon ceurs qui s’en ser vent comme éta lon de
mesure dans l’organisation économique des industries de la com-
munication.
Malgré une forte hétérogénéité des travaux de cette troisième
génération, si l’on tente de saisir les grandes tendances de ce cou-
rant, nous constatons que cette opération réflexive des chercheurs
porte essentiellement sur trois objets : la déconstruction des
notions de « public » et d’« audience », la description du contexte
plus large dans lequel les recherches sont produites (ici, c’est la
fonction sociale et économique de la recherche au sein du système
des industries culturelles que l’on tente d’expliciter) et l’élargisse-
ment de la problématique de la réception à l’ensemble de la culture
produite par les médias.
L’écueil du déterminisme
De Certeau précurseur :
l’usage comme invention du quotidien
Le modèle de la traduction
Le procès d’appropriation
Si l’on tentait de proposer aujourd’hui une définition du procès
d’appropriation d’une technologie, nous dirions que sa réalisation
effective suppose les conditions suivantes : d’abord un niveau
minimal de maîtrise technique et cognitive de l’artefact par l’usa-
ger. Ensuite il suppose une intégration significative de l’objet tech-
nique dans la vie quotidienne de l’usager (au travail ou hors
travail). Cette maîtrise et cette intégration devront être suffisam-
ment avancées pour permettre à l’usager de réaliser à l’occasion, à
l’aide de l’objet technique, des gestes de création, c’est-à-dire des
actions qui génèrent de la nouveauté en regard de ses pratiques
habituelles.
Enfin, et pour rejoindre ici spécifiquement le niveau collectif de
l’appropriation, il apparaît nécessaire que l’usager soit adéquate-
ment représenté que ce soit dans le cadre de l’élaboration de politi-
ques publiques concernant l’innovation technique ou dans celui
de la délimitation de l’offre industrielle d’objets techniques le
concernant. En d’autres mots, à propos de cette dernière condition,
l’appropriation sociale réussie suppose que l’usager exerce un
contrôle (même relatif) sur les porte-parole qui chercheront à le
représenter auprès de l’État ou au sein du marché de l’innovation
technique.
De nombreux travaux en sociologie des usages ont contribué
jusqu’ici à documenter l’une ou l’autre de ces différentes condi-
tions. La question de la maîtrise technique et cognitive de l’artefact
a été abordée par les travaux portant sur la nécessaire acculturation
U SAGES DES TECHNOLOGIES DE L’ INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION 285
Le développement du calcul
Les ingénieurs de la Renaissance, curieux de tout et cherchant
dans les mathématiques le moyen de passer « des recettes aux
raisons », furent à l’origine d’un des plus grands bouleversements
que connut la technique du calcul. Là où, depuis des millénaires,
l’empirisme était la règle, l’usage des mathématiques appliquées
transforma en profondeur, notamment en matière de construction,
les pratiques habituelles.
Les applications militaires furent un des principaux points de
départ de l’usage des mathématiques en matière technique. L’un
des premiers exemples connus de ce fait fut, à la fin du XVe siècle,
l’installation par les artilleurs de Charles VIII, sur une plage des
environs de Naples, de toiles disposées de loin en loin afin de
mesurer la portée des boulets en fonction des angles de tir. Curieu-
sement, cinq siècles plus tard, les progrès décisifs qui conduiront à
l’invention de l’ordinateur interviendront également à l’occasion
de la mise en œuvre de nouvelles méthodes de calcul des tables de
tir pour l’armée américaine en guerre (voir, notamment, Augarten,
1984).
Le développement industriel du XIXe siècle fit de la fin de ce
siècle et du début du suivant l’âge d’or du calcul appliqué à la tech-
nique. De grands ouvrages architecturaux commencèrent à sortir
de terre. Les ponts, les tunnels, les tours et les gratte-ciel furent les
produits directs de l’« empire de l’équation différentielle » dont le
champ d’application recouvre celui de tout objet soumis à une
force. Désormais, la moindre pile de pont, le moindre plancher
d’un immeuble de quelque importance existaient d’abord sous la
forme d’un calcul ad hoc, qui en garantissait à coup sûr et a priori la
fiabilité et la sécurité.
Le seul frein à cette expansion fut les progrès nettement plus
lents des machines à calculer. Les besoins étaient là, la théorie
aussi, mais la réalisation pratique péchait toujours par excès de
lenteur puisque les calculs étaient pratiquement tous faits à la
main, travail à peine soulagé par le recours à la règle à calcul, véri-
table sceptre moderne de l’ingénieur, ou aux machines de tables
électromécaniques, assez peu pratiques.
L A SOCIÉTÉ DE L’ INFORMATION EXISTE - T- ELLE ? 293
Le développement de la mécanographie
Le terrain de l’informatique fut également largement préparé
par le développement de la mécanographie, technique dont l’objet
est de mécaniser la collecte et le traitement de données statistiques
et comptables et, plus généralement, de toutes les informations
sociales et économiques que l’on peut rencontrer ou susciter à cette
occasion.
L’inventaire et le fichier furent, nous l’avons vu, une très
ancienne pratique humaine, liés en général au développement des
villes ou des États centralisés, dans des périodes d’accroissement et
de concentration de richesses. Les Mésopotamiens laissèrent les
premiers des traces certaines de l’existence de tels inventaires, qui
sont étroitement associés à la naissance de l’écriture. Le développe-
ment des activités marchandes à la Renaissance fit faire un bond en
avant aux techniques comptables. La mise en place d’États centrali-
sés au cœur de la production de richesses en Europe et aux États-
Unis, à partir des XVIIe-XVIIIe siècles, imposa les recensements de
biens matériels, mais aussi de populations. Les énormes masses de
données prises en compte firent que l’information devait désor-
mais être traitée par des machines.
La collecte d’informations sociales et économiques se révélait
d’autant plus précieuse en Amérique du Nord que cette société était
animée d’un mouvement d’une ampleur sans cesse croissante, du
fait de l’émigration, des transferts massifs de population vers
l’Ouest et du fort taux de natalité des nouveaux arrivants. L’infor-
mation, comme la communication, a toujours partie liée aux
mouvements et aux déplacements intensifs des marchandises et
des personnes.
L’Américain Hermann Hollerith (1860-1929) mit en service la
première machine mécanographique pendant l’été 1890 après que
son projet eut été retenu et financé par le Census Bureau, service de
l’administration américaine chargé de l’organisation et du traite-
ment des recensements de population. Ceux-ci avaient une
certaine importance dans un pays où la Constitution fondait sur
un tel dénombrement les représentations équitables dans les deux
chambres des États fédérés et de leur population.
À partir de cette poussée initiale, la mécanographie connut un
grand succès. La carte perforée qu’elle utilisait comme support
L A SOCIÉTÉ DE L’ INFORMATION EXISTE - T- ELLE ? 295
La naissance de l’ordinateur
La nouvelle machine fut conçue entre l’automne 1944 et l’été
1945. L’équipe d’ingénieurs, autour de J. Mauchly et J.P. Eckert, qui
contribua à la rédaction des plans de ce qui devait être une des
principales inventions de cette période, avait déjà une certaine
expérience des machines à calculer, notamment électroniques.
Mauchly et Eckert avaient en effet construit l’ENIAC, un gros
calculateur financé par l’armée et destiné à calculer des tables de tir
balistiques.
L’emploi de l’électronique et des fameux tubes à vide était loin
d’emporter à l’époque l’adhésion générale. En fait, un véritable
lobby s’était constitué autour de la technique des relais télépho-
niques, qui opposait une certaine résistance à cette nouvelle
approche du calcul. Il fallut toute l’autorité, mais aussi toute l’ingé-
niosité de von Neumann pour imposer un nouveau principe tech-
nique d’organisation de ces machines (Breton, 1996).
L’une des grandes astuces de von Neumann, qui rejoignait sur ce
point l’intuition d’Alan Turing, fut de doter la machine d’une unité
de contrôle interne qui organisait automatiquement, sur la base
d’un programme ad hoc, tous les mouvements internes des infor-
mations qui circulaient dans la machine et qui en entraient ou en
sortaient. Cette conception était révolutionnaire par rapport à
toutes les machines construites jusque-là, qui n’étaient guère plus
que de gros bouliers électriques, auxquels les opérateurs communi-
quaient au fur et à mesure les opérations à faire et les données
nécessaires.
La naissance d’Internet
L’idéologisation de l’information
Wiener va lancer à partir de là deux axes majeurs de réflexion,
qui constitueront les deux branches centrales du paradigme infor-
mationnel : d’une part, une réflexion sur la nature de l’humain,
qui le conduira à prendre des positions théoriquement antihuma-
nistes et, d’autre part, une réflexion de nature quasi sociologique
sur la société idéale qui devrait se reconstruire autour de l’informa-
tion.
Wiener défend ainsi l’idée, déjà « postmoderne », que l’homme,
sur un plan ontologique fondamental, est essentiellement « formé
d’information » et en tire des conclusions radicales. Celles-ci inau-
gurent un certain nombre de réflexions qui auront une fonction
heuristique majeure dans d’autres sciences, notamment en biolo-
gie, qui importera massivement les notions de code, d’information,
dans un nouveau domaine appelé à un grand succès par la suite, la
génétique, construite sur cette métaphore qui se transforme en
relation d’identité : l’homme, c’est de l’information. Le paradigme
informationnel permet ainsi une saisie de l’être tout entier à travers
la notion d’information.
Le paradigme informationnel :
entre libéralisme, anarchisme et intérêt public
vue de les faire condamner ensuite par les cours de justice (Gingras,
2012).
Le recours au courrier électronique facilite les échanges internes
et la coordination au sein d’un mouvement, ce moyen pouvant
constituer par ailleurs un outil efficace pour faire pression auprès
des élus. Les listes et les forums de discussion permettent d’appro-
fondir les débats démocratiques autour d’enjeux sociopolitiques ou
du choix de stratégies de luttes pertinentes (George, 2000). Enfin,
la recherche d’information à l’aide de moteurs de recherche perfor-
mants et auprès de banques de données spécialisées facilite la
construction de dossiers étoffés et bien argumentés, ce qui consti-
tue une condition nécessaire pour une participation appropriée et
pointue à des controverses sociales et à des débats publics traitant
de questions parfois spécialisées, complexes et techniques (Gingras,
1996). Pensons notamment aux dossiers traitant d’environnement
et d’écologie politique.
Insistons encore une fois : il ne s’agit pas d’adhérer ici à un
déterminisme technique qui conclurait à l’émergence de réseaux
sociaux mondiaux de solidarité du simple fait de l’existence de
réseaux techniques de transmission à l’échelle planétaire. L’émer-
gence d’une conscience citoyenne suppose au contraire une néces-
saire distanciation vis-à-vis des illusions de l’idéologie du progrès.
Cela n’empêche pas de prendre acte que les nouveaux réseaux
techniques peuvent constituer une infrastructure utile pour assurer
l’émergence et la perpétuation de réseaux de solidarité entre les
individus, les groupes, les associations qui cherchent aujourd’hui à
promouvoir la nécessité d’autres logiques, alternatives à celle du
marché, pour orienter le développement et les transformations
sociales à l’échelle locale et planétaire. L’usage des dispositifs et
réseaux globaux de communication numérique donne naissance à
des formes inédites (relativement indépendantes des contraintes
d’espace et de temps) de communication et d’échange entre les
personnes qui peuvent déboucher sur des formes nouvelles de soli-
darité (Cardon et Granjon, 2010). D’où la pertinence des débats
publics contemporains autour d’Internet, participant ou non aux
mouvements de transformation des rapports sociaux dans des
secteurs vitaux comme la production, la consommation, les loisirs
et la vie quotidienne. Le Web peut-il agir comme catalyseur dans la
création de nouvelles solidarités citoyennes à l’échelle locale et
globale ? Nous pouvons formuler des hypothèses en ce sens
(Proulx, 2012b ; Jauréguiberry et Proulx, 2002).
Dans le cas des réseaux internationaux de militants dans le
domaine des médias associatifs et communautaires, le chercheur
324 L ES ENJEUX DE LA COMMUNICATION
tant que mode aiguilleur des pratiques des usagers (Boyd, 2010).
L’organisation médiatique s’oriente vers de nouveaux équilibres et
des ajustements progressifs, les acteurs industriels se trouvant à la
recherche de nouveaux modèles d’affaires (business models) fondés
sur des modes inédits de captation de l’attention des utilisateurs
des plateformes du Web social. Cet état des choses suppose que, de
son côté, l’usager (surtout le jeune et le très jeune utilisateur, affi-
chant une identité personnelle encore fragile) adopte dans certains
cas des manières nouvelles d’être attentif aux flux information-
nels : non plus en se centrant exclusivement sur ce qu’il recherche
a priori, mais plutôt en se laissant porter par une curiosité diffuse à
travers les divers « courants de contenus » (streams of content, selon
l’expression de Boyd) qui sillonnent et constituent l’environne-
ment informationnel.
Les contenus sont partout, se présentant sous de multiples
genres et formats, laissant place à un mode d’appropriation par
exploration : « Internet est une ressource à l’exploration dans la
mesure où il prédispose à trois catégories d’enquête curieuse. D’une
part, il offre un gisement illimité d’informations et suscite un senti-
ment grisant, voire pirate, de navigation dans une immensité de
données. D’autre part, structuré autour de ce carrefour qu’est le
lien hypertexte, il offre une providence de directions potentielles
pour nouer de nouvelles formes d’association : ainsi, la lecture sur
Internet a pu être considérée par certains analystes, comme Nicho-
las Carr (2008), comme susceptible de changer notre façon de lire,
en multipliant les distractions, les risques de désorientation, et en
affaiblissant la tenue du plan. […] Enfin, il constitue une opportu-
nité interactionnelle précieuse pour la rencontre, et au-delà pour
l’agrandissement de réseaux personnels : véritable média social, il
permet de constituer des réseaux d’échanges interpersonnels dont
la taille dépasse celle des cercles d’amis de la sociabilité mondaine
[…], voire celle des communautés du fan et de l’amateur […]. Ainsi,
il invente des prises pour la manifestation et la visibilisation de
communautés de grande taille […] aussi appelées […] grands
graphes » (Auray, 2011).
Selon Nicolas Auray, la force politique d’Internet s’est constituée
historiquement dans la primauté accordée à ce « régime explora-
toire », un régime d’attention divisée donnant la primauté à l’expéri-
mentation sur l’intériorisation, aux tâtonnements incertains sur les
apprentissages formels, au jeu et au défi sur l’examen scolaire (dans
le cas notamment des jeunes hackers adolescents appelés aussi script
kiddies). C’est ce régime d’engagement qui fonde l’apparente
liberté, presque anarchique, des jeunes usagers des technologies de
326 L ES ENJEUX DE LA COMMUNICATION
Autre débat, qui n’est pas sans lien avec le précédent, tant l’af-
fect et la sexualité y sont présents, sous une forme généralement
instrumentalisée : celui de la permanence, de l’intensité et de la
persistance des techniques de manipulation dans l’espace public,
sur Internet et dans les médias.
Nous ne reviendrons pas sur les techniques de communication
impliquées, ce point ayant été abordé au début de cet ouvrage. La
question posée est celle de savoir si les débats sur ce thème, si vifs à
une certaine époque, sont encore d’actualité. On pourrait la formu-
ler ainsi : avec la disparition des régimes totalitaires et de l’in-
fluence sur les consciences des idéologies qui en étaient le fonde-
ment, avec l’avancée dans tous les domaines de la démocratie et du
libéralisme (les deux ordres ne se superposant pas forcément), avec
l’élévation du niveau culturel des populations des pays concernés,
la propagande, la manipulation et la désinformation existent-elles
toujours ? Ne sont-ce pas là des catégories d’un autre temps, à
342 L ES ENJEUX DE LA COMMUNICATION
De la critique de la communication
à la communication de la critique
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Introduction
Un domaine complexe 9
Les pratiques 10
Les techniques 11
Les théories 12
Les enjeux 13
Une approche en quatre parties 13
PARTIE I
PRATIQUES ET TECHNIQUES DE COMMUNICATION
La préparation de l’argumentation 71
La mise en œuvre des arguments 75
Les outils de l’argumentation publicitaire 78
Argumentation et manipulation 82
PARTIE II
FONDEMENTS DES SCIENCES DE L’INFORMATION
ET DE LA COMMUNICATION
PARTIE III
LA QUESTION DES USAGES ET DE LA RÉCEPTION
PARTIE IV
LES ENJEUX DE LA COMMUNICATION
GRANDS REPÈRES
Classiques Comment se fait l’histoire. Pratiques Manuels
et enjeux, François Cadiou,
R E P È R E S Clarisse Coulomb, Anne Lemonde R E P È R E S
La formation du couple. Textes et Yves Santamaria. Analyse macroéconomique 1.
essentiels pour la sociologie de la Analyse macroéconomique 2.
La comparaison dans les sciences
famille, Michel Bozon et François 17 auteurs sous la direction de
sociales. Pratiques et méthodes,
Héran. Jean-Olivier Hairault.
Cécile Vigour.
Invitation à la sociologie, La comptabilité nationale,
Peter L. Berger. Enquêter sur le travail. Concepts, Jean-Paul Piriou et Jacques Bournay.
méthodes, récits, Christelle Avril,
Un sociologue à l’usine. Textes Consommation et modes de vie en
Marie Cartier et Delphine Serre.
essentiels pour la sociologie du travail, France. Une approche économique et
Donald Roy. Faire de la sociologie. Les grandes sociologique sur un demi-siècle,
enquêtes françaises depuis 1945, Nicolas Herpin et Daniel Verger.
Dictionnaires Philippe Masson. Déchiffrer l’économie, Denis Clerc.
R E P È R E S Les ficelles du métier. Comment L’explosion de la communication.
conduire sa recherche en sciences Introduction aux théories et aux
Dictionnaire de gestion, Élie Cohen.
sociales, Howard S. Becker. pratiques de la communication,
Dictionnaire d’analyse économique, Philippe Breton et Serge Proulx.
microéconomie, macroéconomie, Le goût de l’observation. Une histoire de la comptabilité
théorie des jeux, etc., Comprendre et pratiquer l’observation nationale, André Vanoli.
Bernard Guerrien. participante en sciences sociales,
Histoire de la psychologie en
Lexique de sciences économiques et Jean Peneff.
France. XIXe-XXe siècles,
sociales, Denis Clerc Guide de l’enquête de terrain, Jacqueline Carroy, Annick Ohayon
et Jean-Paul Piriou. Stéphane Beaud et Florence Weber. et Régine Plas.
Macroéconomie financière, Michel
Guides Guide des méthodes de
Aglietta.
l’archéologie, Jean-Paul Demoule,
R E P È R E S François Giligny, Anne Lehoërff et La mondialisation de l’économie.
Alain Schnapp. Genèse et problèmes, Jacques Adda.
L’art de la thèse. Comment préparer et
rédiger un mémoire de master, une Nouveau Manuel de science
Guide du stage en entreprise, politique, sous la direction
thèse de doctorat ou tout autre travail
Michel Villette. d’Antonin Cohen, Bernard Lacroix
universitaire à l’ère du Net,
Michel Beaud. Manuel de journalisme. Écrire pour le et Philippe Riutort.
Comment parler de la société. journal, Yves Agnès. La théorie économique
Artistes, écrivains, chercheurs et néoclassique. Microéconomie,
Voir, comprendre, analyser les macroéconomie et théorie des jeux,
représentations sociales, Howard
images, Laurent Gervereau. Emmanuelle Bénicourt et Bernard
S. Becker.
Guerrien.
Le vote. Approches sociologiques de
l’institution et des comportements
électoraux, Patrick Lehingue.
Composition Facompo, Lisieux (Calvados)
Achevé d’imprimer sur les presses de l’imprimerie
Laballery à Clamecy (Nièvre)
Dépôt légal : juillet 2012
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