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© Armand Colin, 2020

ISBN : 9782200627546

Illustration de couverture : Shutterstock © DayNightArt

Cet ouvrage constitue la 3e édition


du livre paru sous le titre
Introduction à la stylistique © Armand Colin, 2007

Armand Colin est une marque de Dunod Editeur


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https://www.armand-colin.com/

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SOMMAIRE

Avant-propos 7

1. L’organisation textuelle 11

2. Les procédés énonciatifs 31

3. Les constituants syntaxiques du texte 65

4. Les procédés lexicaux 113

5. Rhétorique et figures de style 125

6. Dix exercices d’application sur les procédés stylistiques étudiés


155

Exemples d’analyse stylistique 173

Bibliographie 195

Index 199

Table des matières 203


AVANT-PROPOS

L A STYLISTIQUE est une discipline traditionnellement réservée aux


étudiants et aux enseignants des cursus de lettres. Il est néanmoins
dommage de la cantonner au seul usage de spécialistes, car c’est elle qui
permet à tout amateur de beaux textes de comprendre le langage de la
littérature.
Pourquoi un roman, un poème, une pièce de théâtre touchent-ils leur
destinataire ? Par quels moyens, quelles techniques d’assemblage des mots,
un auteur parvient-il à susciter le rire ou les larmes, l’admiration ou
l’indignation ? C’est là qu’intervient la stylistique, car si les définitions de
cette discipline – que certains refusent de considérer comme une science –
sont divergentes, toutes admettent que son propos est l’analyse et
l’interprétation des faits langagiers, essentiellement dans un texte littéraire,
« pour scruter et isoler les diverses composantes verbales de la littérarité »
(G. Molinié, Éléments de stylistique française).
Cet ouvrage propose une étude des instruments d’analyse permettant de
repérer, de classer et surtout d’interpréter ces faits de langage. Les termes
techniques, lorsqu’ils ne sont pas immédiatement expliqués, sont suivis
d’un astérisque (*), renvoyant à l’index ; celui-ci indique la page où figure
la définition (et les termes expliqués sont mis en gras). Divers textes
littéraires sont analysés au moyen de ces outils et un commentaire, signalé
par le sigle ☞, met en relation un procédé et son interprétation.
Chemin faisant, ce livre montre :
que certains procédés stylistiques sont propres à un genre et que par
conséquent un poème qui forme un tout n’appelle pas le même
commentaire qu’une page de roman, que le texte dramatique ne réclame
pas les mêmes outils d’analyse que le texte narratif ;
que l’analyse stylistique doit obligatoirement avoir une composante
historique : par exemple, le lecteur qui ignore l’influence de la rhétorique
sur l’art du poète au XVIe siècle peut faire un contresens total sur un
poème de Ronsard en voyant de la sincérité personnelle là où il y a art
d’émouvoir le destinataire par le choix des arguments ;
que, par le repérage dans un texte de toutes les particularités d’utilisation
de la langue, la stylistique permet de définir le « style » propre à un
auteur, ce style qui « est l’homme », selon les propos déformés de
Buffon, et qui, « pour l’écrivain, aussi bien que la couleur pour le
peintre, est une question non de technique, mais de vision », selon Proust
(Le Temps retrouvé, 1927) ; la stylistique fait ainsi le lien entre le
langage et la pensée individuelle – contrairement à l’ancienne rhétorique
–, et l’analyse stylistique ouvre sur celle de la littérature.
On a souhaité que cet ouvrage permette au lecteur de tester ses capacités
stylistiques. C’est pourquoi lui sont offerts :
d’emblée, un conseil de méthode. Quand le lecteur arrive aux exemples
qui émaillent l’ouvrage :
qu’il s’efforce de ne pas regarder tout de suite la solution proposée
en-dessous des textes littéraires, et qui est précédée du sigle ☞,
mais qu’il analyse d’abord par lui-même l’effet produit par le procédé
présenté,
puis qu’il regarde l’explication qui suit, comme une correction, un
complément d’information à sa réflexion ;
des exercices groupés à l’avant-dernier chapitre sur les différents points
étudiés :
l’organisation textuelle,
les procédés énonciatifs,
les constituants syntaxiques de texte,
les procédés lexicaux,
la rhétorique et les figures du style.
au dernier chapitre, la mise en pratique d’une analyse stylistique à partir
de l’observation d’un texte. Là encore :
que le lecteur s’efforce de faire lui-même les analyses stylistiques
proposées,
qu’il se reporte ensuite à l’exemple de plan donné comme à une
« solution » possible…
Saisissant avec plus d’acuité comment l’auteur agit sur son lecteur,
discernant de manière plus précise l’empreinte de l’écrivain sur son œuvre,
l’amateur éclairé goûtera davantage encore ses lectures, car il saura
désormais décrypter le langage de la littérature.
1

L’ORGANISATION TEXTUELLE

L ’ÉTUDE stylistique d’un texte commence par l’observation de sa


structure d’ensemble. Son articulation apparaît-elle d’emblée dans sa
disposition à l’intérieur de la page ? Le paragraphe dans le texte en prose
non théâtral, la réplique courte ou la tirade dans le discours dramatique, la
strophe dans le poème sont autant de procédés de segmentation qu’il
convient d’examiner en premier lieu.

LE PARAGRAPHE
Dans un texte en prose, en particulier dans le texte romanesque, il faut
s’interroger sur le rôle des paragraphes, qui d’abord sont là pour faciliter la
lecture, mais ont aussi une fonction sémantique* en définissant une unité de
sens.
On remarquera que la fonction du paragraphe a évolué au XIXe siècle :
alors que jusque-là, le retour à la ligne est peu fréquent, comme on peut le
voir dans La Princesse de Clèves par exemple, et qu’il correspond
essentiellement à un changement de lieu ou de jour, à partir de l’époque
romantique ses fonctions deviennent beaucoup plus complexes.

Longueur des paragraphes

Le paragraphe court
Le paragraphe court segmente le propos. Réduit à une seule phrase, elle-
même limitée à une proposition simple, voire minimale, il peut aboutir à
dramatiser ou solenniser le propos. Ainsi, l’organisation des paragraphes
chez Hugo correspond à une véritable mise en page de la tension
dramatique :

Peu à peu, cette tache, qui n’était plus une forme, pâlit.
Puis elle s’amoindrit.
Puis elle se dissipa.
À l’instant où le navire s’effaça à l’horizon, la tête disparut sous l’eau. Il
n’y eut plus rien que la mer.
Fin des Travailleurs de la mer.

☞ Le blanc qu’instaure le retour à la ligne peut également correspondre à


une ellipse dans la narration, et le paragraphe court marquer un
« extraordinaire changement de vitesse » (M. Proust, À propos du style de
Flaubert, 1920) dans le récit :

Il voyagea.
Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente,
l’étourdissement des paysages et des ruines, l’amertume des sympathies
interrompues.
Il revint.
Flaubert, L’Éducation sentimentale, troisième partie.

☞ Ces trois paragraphes qui ouvrent l’avant-dernier chapitre traduisent à


la fois l’ennui du héros et le grand « blanc » chronologique qui sépare
l’essentiel de la diégèse* – où les personnages sont « emboît[és] dans les
événements de 1848 » (Flaubert) – de son dénouement, la dernière
rencontre entre Madame Arnoux et Frédéric.

Flaubert ne veut pas, comme il l’écrit à Louise Colet, « une série de


paragraphes tournés, arrêtés, qui ne dévalent pas les uns sur les autres ». « Il
va falloir, conclut-il, les dévisser, lâcher les joints, comme on fait aux mâts
de navire quand on veut que les voiles prennent plus de vent ». Il donne
ainsi l’impression que « ça n’est jamais fini » (M. Sandras, « Le blanc,
l’alinéa », in Communications, n° 19, 1972). Bourget, dans ses Essais de
psychologie contemporaine (1920) s’insurgeait d’ailleurs contre la
décomposition du livre, contre l’autonomie laissée à la page et au
paragraphe, symptôme à ses yeux d’un style de décadence.
À partir du milieu du XIXe siècle, le paragraphe très court se rencontre
souvent dans le roman. Il convient de réfléchir à ce qu’apportent à la
narration ces respirations nombreuses :

Revenus à Visagra, Manuel appela. Rien ne répondit. Il appela de


nouveau. Rien. Il monta au dernier étage de la maison d’où il put
découvrir les toits. Derrière chaque angle, là où il avait posté un homme,
il y avait un fusil abandonné. Même les trois fusils-mitrailleurs. Visagra
était encore défendue : défendue par des armes sans hommes.
On manquait de fusils au front de Malaga, au front de Cordoue, au front
d’Aragon. On manquait de fusils à Madrid.
Sur une aire à peine éloignée, on battait du blé…
Manuel jeta enfin sa branche, redescendit, les jambes en coton. Toutes
les portes étaient ouvertes : à côté des fenêtres, appuyés aux rideaux, les
derniers fusils veillaient sur Tolède.
Malraux, L’Espoir, première partie, II, II, 7.

☞ La narration épouse le point de vue du personnage Manuel, en une


focalisation interne*. De la constatation, à partir de ce qu’il contemple du
haut des toits, que Visagra est une « tanière de fuyards », Manuel passe à la
réflexion sur la situation paradoxale dans laquelle se trouvent les
révolutionnaires (paragraphe 2). Son regard en même temps enregistre le
spectacle qui s’offre à sa vue (paragraphe 3). Puis le personnage revient à la
réalité de l’action (paragraphe 4), sans que néanmoins sa réflexion soit
totalement interrompue (la fin du paragraphe 4 correspond à la fin du
paragraphe 1). Les blancs typographiques, en ménageant une pause entre
narration, ébauche d’un monologue intérieur*, description subjective et
reprise de la narration, suffisent à indiquer implicitement que les quatre
segments ne sont pas exactement sur le même plan narratif : le commentaire
explicite du narrateur n’est pas nécessaire.

Le paragraphe long
Il donne une unité à des éléments divers. Chez Balzac par exemple, il
permet de lier le récit et son interprétation. Il peut être une marque de
lyrisme, comme chez Chateaubriand. Chez Zola, il va souvent de pair avec
la description d’un univers multiple :

Mme Desforges arrivait enfin au premier étage, lorsqu’une poussée,


plus rude que les autres, l’immobilisa un instant. Elle avait maintenant,
au-dessous d’elle, les rayons du rez-de-chaussée, ce peuple de clientes
épandu qu’elle venait de traverser. C’était un nouveau spectacle, un
océan de têtes vues en raccourci, cachant les corsages, grouillant dans
une agitation de fourmilière. Les pancartes blanches n’étaient plus que
des lignes minces, les piles de rubans s’écrasaient, le promontoire de
flanelle coupait la galerie d’un mur étroit ; tandis que les tapis et les
soies brodées, qui pavoisaient les balustrades, pendaient à ses pieds
ainsi que des bannières de procession, accrochées sous le jubé d’une
église. Au loin, elle apercevait des angles de galeries latérales, comme
du haut des charpentes d’un clocher on distingue des coins de rues
voisines, où remuent les taches noires des passants. Mais ce qui la
surprenait surtout, dans la fatigue de ses yeux aveuglés par le pêle-mêle
éclatant des couleurs, c’était, lorsqu’elle fermait les paupières, de sentir
davantage la foule, à son bruit sourd de marée montante et à la chaleur
humaine qu’elle exhalait. Une fine poussière s’élevait des planchers,
chargée de l’odeur de la femme, l’odeur de son linge et de sa nuque, de
ses jupes et de sa chevelure, une odeur pénétrante, envahissante, qui
semblait être l’encens de ce temple élevé au culte de son corps.
Zola, Au Bonheur des dames.

☞ La description est focalisée* par Mme Desforges. Les comparaisons et


les métaphores*, liées autant à la vision subjective du personnage qu’à
l’imaginaire de Zola, transforment progressivement le Bonheur des dames
en un univers mythique. Selon un procédé récurrent chez Zola, c’est la
dernière phrase qui révèle le sens caché de l’élément décrit, et celui-ci
s’efface alors devant le symbole : le magasin de mode devient un lieu de
culte d’abord chrétien puis païen ; la femme en est la divinité, dont
l’érotisme est marqué par la reprise du substantif odeur, accompagné
d’expansions, c’est-à-dire de groupes de mots facultatifs dépendant de lui
(compléments déterminatifs puis épithètes) de masse volumétrique
croissante, qui, créant une cadence majeure*, donnent à l’énoncé un souffle
oratoire et au paragraphe une clôture solennelle (cf. ci-dessous).

Structure des paragraphes


L’ouverture du paragraphe correspond souvent à une rupture soit
spatiale, soit temporelle, soit actorielle (apparition de nouveaux
personnages), soit thématique, qui se marque par des indicateurs spatio-
temporels, des changements de temps verbaux, des connecteurs* logiques,
des éléments anaphoriques ou des procédés de reprise créant un lien ou une
opposition avec le paragraphe précédent :

[...] Dans la nuit maintenant libérée, le désir devenait sans entraves et


c’était son grondement qui parvenait jusqu’à Rieux.
Du port obscur montèrent les premières fusées des réjouissances
officielles. La ville les salua par une longue et sourde exclamation. [...]
Camus, La Peste, V.

☞ À un paragraphe de description et de réflexion, entièrement à


l’imparfait, succède la reprise de la narration événementielle au passé
simple. Un lien thématique unit cependant les deux paragraphes : à la nuit
fait écho l’adjectif obscur et le désir sans entraves a comme manifestation à
la fois concrète et symbolique l’éclatement des premières fusées des
réjouissances officielles.

La clôture du paragraphe témoigne peut-être encore davantage d’une


recherche de la part de l’écrivain : elle doit soit surprendre, soit constituer
un point d’orgue.
Du point de vue du thème, la dernière phrase soit constituera une
synthèse de ce qui précède ou une annonce du contenu du paragraphe
suivant (comme dans le texte de Camus cité ci-dessus), soit créera un effet
de surprise par une rupture avec ce qui précède ou en introduisant un ultime
rebondissement, le blanc qui suit produisant alors un effet de suspens :
Elle ne pleurait pas. Elle ralluma cette bougie dont j’avais surpris la
lueur. Et j’aperçus – c’était vrai – au fond, le petit cadavre couché sur un
matelas, habillé en costume marin ; et le cou et la tête livides autant que
la lueur même de la bougie, dépassaient d’un grand col carré bleu. Il
était recroquevillé sur lui-même, bras et jambes et dos recourbés,
l’enfant. Le coup de lance lui avait fait comme un axe pour la mort par
le milieu du ventre. Sa mère, elle pleurait fort, à côté, à genoux, le père
aussi. Et puis, ils se mirent à gémir encore tous ensemble. Mais j’avais
bien soif.
Céline, Voyage au bout de la nuit.

☞ La dernière phrase, à la fin d’un paragraphe décrivant par les yeux du


narrateur-personnage le triste spectacle qui s’offre à lui, crée un contraste
souligné par la conjonction de coordination, tant par sa longueur que par
son thème : c’est par un anti-héros cynique que sont mises en lumière les
horreurs de la guerre, et l’absence de pathos renforce la virulence de la
critique.

La longueur de la dernière phrase d’un paragraphe est également à


prendre en compte :
soit elle est ample, dans une clôture solennelle :

Le silence autour de cette apparition qui appelait le cri angoissait


l’oreille, comme si l’air tout à coup se fût révélé opaque à la
transmission du son, ou, encore, en face de cette paroi constellée, il
évoquait la chute nauséeuse et molle des mauvais rêves où le monde
bascule, et où le cri au-dessus de nous d’une bouche intarissablement
ouverte ne nous rejoint plus.
Gracq, Le Rivage des Syrtes, « Une croisière ».

☞ C’est par une phrase au style périodique*, avec une longue clausule*
que se termine le paragraphe décrivant l’apparition du volcan du Tängri, cet
« au-delà fabuleux » auquel le héros aspire, pour le malheur de son peuple.
Écrivain « classique », Gracq a recours, comme les grands orateurs, à une
rhétorique de l’amplification dans laquelle trouvent leur place comme ici
des figures d’analogie* (comme si… la chute nauséeuse…).
soit la dernière phrase est très courte, souvent par contraste avec ce qui
précède, comme dans le passage de Voyage au bout de la nuit. Elle peut
contenir une pointe, c’est-à-dire un trait d’esprit : dans le passage de
L’Espoir cité plus haut, le complément déterminatif sans hommes crée
un paradoxe par rapport au reste du syntagme* (défendue par des armes).

L’ORGANISATION DU TEXTE DRAMATIQUE


Dans une œuvre dramatique, les articulations visibles du texte ne sont
pas constituées par le paragraphe mais par les prises de paroles des
différents personnages sous forme de répliques ou de tirades.

La tirade : définition et structure


Toutes les études sur le sujet insistent sur la difficulté de donner des
limites précises à la tirade et à la réplique. Quand on doit employer ces
termes dans une étude, il est donc prudent d’indiquer le sens qu’on leur
donne. Pierre Larthomas, dans Le Langage dramatique (1972), insiste sur
l’observation du contexte discursif ou cotexte, ce terme étant plus restrictif
et plus précis que celui de contexte : « Telle réplique plus courte paraîtra
être une tirade, si elle est entourée de répliques très brèves ; une autre,
quoique plus longue, aura moins ce caractère, si, comme dans la tragédie
classique, elle répond à un long développement et en annonce un autre non
moins long. » Furetière, dans son Dictionnaire (1690), mentionne un autre
élément important pour l’identification de la tirade, en précisant « qu’on le
dit particulièrement des beaux endroits de quelque composition ».
La réplique longue sera donc sans hésitation appelée tirade : elle est
toujours en effet un discours très organisé, afin d’être claire à l’auditoire
malgré ses dimensions. La réplique plus courte sera baptisée ou non tirade
selon le cotexte et sa structure.
Il faut être attentif au rattachement de la tirade aux autres répliques. Dans
le théâtre classique notamment, elle peut former une unité relativement
indépendante. Ainsi, lorsqu’elle a une fonction narrative – cas fréquent
puisqu’en raison de la règle des trois unités, seuls des récits peuvent faire
connaître au spectateur des événements antérieurs au début de la pièce ou
extérieurs à l’endroit où elle se déroule – souvent, au mépris de la
vraisemblance, ce récit de grande ampleur est nettement détaché du
contexte dramatique, par une phrase d’introduction :

J’ignore de quel crime on a pu me noircir :


De tous ceux que j’ai faits je vais vous éclaircir.
Racine, Britannicus, IV, 2.

Soixante et onze vers plus loin, une phrase de conclusion marquera la fin
du récit :

C’est le sincère aveu que je voulais vous faire :


Voilà tous mes forfaits. [...]
Ibid.

Mais parfois une longue tirade peut être « déguisée » (F. Tonge, L’Art du
dialogue dans les comédies en prose d’Alfred de Musset, Nizet, 1967), en
étant segmentée par une ou plusieurs brèves interventions d’un
interlocuteur, qui ne coupent pas néanmoins le fil logique de celle-là : le
long récit d’Agnès dans la scène 5 de l’acte II de L’École des femmes est
ponctué par un « fort bien » et deux apartés d’Arnolphe qui ont pour unique
fonction de souligner la progression chronologique et dramatique de la
narration tout en brisant la monotonie de la tirade.
La composition de la tirade doit également être dégagée. Son
architecture d’ensemble respecte la disposition* commune à la majorité des
discours rhétoriques. Dans la tirade narrative, la composition suit le plus
souvent la chronologie. Il y a souvent passage du temps de l’énonciation* à
celui du récit, et emploi du passé simple, si les événements sont antérieurs
au jour où est censée se dérouler l’action dramatique (cf. p. 73) :

Mon mal vient de plus loin. À peine au fils d’Égée


Sous les lois de l’hymen je m’étais engagée,
Mon repos, mon bonheur semblait être affermi,
Athènes me montra mon superbe ennemi.
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue.
Racine, Phèdre, I, 3.

Des indications temporelles, sous forme de propositions, de


compléments nominaux et adverbiaux, structurent souvent les étapes du
récit ; ainsi dans le passage ci-dessus, la locution adverbiale à peine marque
un enchaînement chronologique rapide des procès, c’est-à-dire des actions,
contenus dans les trois propositions (je m’étais engagée, semblait affermi,
montra) retraçant le coup de foudre de Phèdre.
Jacques Schérer, après quelques autres critiques, remarque dans La
Dramaturgie classique (Nizet, 1950) que dans les tirades – et ce processus
peut s’étendre aux répliques d’une certaine dimension – les vers tendent à
s’organiser en « quatrains », généralement séparés par une ponctuation forte
et unifiés par la rime (aa, bb). Ceux-ci donnent le plus souvent au passage
une tonalité lyrique mais aussi une certaine majesté, ou structurent un
discours rhétorique :

Je suis Romaine, hélas ! puisqu’Horace est Romain,


J’en ai reçu le titre en recevant sa main,
Mais ce nœud me tiendrait en esclave enchaînée,
S’il m’empêchait de voir en quels lieux je suis née.
Albe, où j’ai commencé de respirer le jour,
Albe, mon cher pays, et mon premier amour,
Lorsqu’entre nous et toi je vois la guerre ouverte,
Je crains notre victoire autant que notre perte.
Corneille, Horace, I, 1.

☞ Les deux quatrains prennent place dans une tirade où s’exprime le


déchirement de Sabine entre ses deux patries, et chacun correspond à une
facette du personnage ; ils contribuent, avec l’interjection hélas et
l’invocation – procédé auquel ils sont souvent associés – au pays bien-aimé,
à créer « une tension sentimentale [...], une exaltation nouvelle de l’esprit »
(M. Roques, Sur la rythmique de Corneille, à propos d’une scène de
Rodogune, extrait des Mélanges Drouhet, Bucarest, Bucovina, 1940).

Effet de sens des tirades et des répliques courtes


Si la tirade est entourée de répliques courtes, l’attention est attirée sur un
seul discours et sur un unique personnage. Ainsi, à la scène 2 de l’acte III
de Ruy Blas, la grande tirade de Ruy Blas, qui ouvre la scène, marque la
transformation du valet méprisé en ministre « si terrible et si grand ». Les
répliques des autres « ministres intègres » se limitent au plus à deux vers :
le rapport de force est donc posé par les dimensions des différents discours.
Si plusieurs tirades ont des longueurs similaires, elles marquent un
rapport d’égalité ou de rivalité entre deux personnages, comme dans la
scène 2 de l’acte I d’Andromaque où les deux protagonistes, Pyrrhus et
Oreste, dans leur première rencontre, se partagent un nombre de vers à peu
près équivalent, dans un échange qui tient déjà de l’affrontement. Ces
tirades peuvent donc être le cadre d’un duo d’amour (celui de Chimène et
de Rodrigue dans la scène 4 de l’acte III du Cid) ou d’une joute oratoire
comme celle qui oppose Célimène à Arsinoé dans la scène 4 de l’acte III du
Misanthrope. Il faut éventuellement relever les parallélismes qui relient les
deux tirades, comme, entre autres, la reprise ironique par Célimène de la
dernière phrase d’Arsinoé qui constitue la clausule* assassine du discours
que la coquette adresse à la prude.
De même que la longueur du paragraphe évolue au cours des siècles, la
tirade n’occupe pas la même place à toutes les époques. Au XVIIe siècle, les
héros sont des orateurs (cf. Marc Fumaroli, Héros et Orateurs, Droz, 1996)
et la tirade semble également une réponse à l’attitude du public de
l’époque : elle force l’attention de spectateurs fort turbulents, enclins à
penser que tout discours de faibles dimensions n’est pas important pour la
compréhension de la pièce... et ne mérite donc pas qu’on l’écoute !
L’échange de répliques courtes est moins fréquent que la tirade dans le
théâtre classique, et la stichomythie, dialogue formé de courtes répliques
de même longueur ou de longueur approximative – selon la définition de
Jacques Schérer (op. cit.) qui élargit le sens de ce terme désignant chez
d’autres un dialogue dont chaque réplique emplit exactement un vers –,
marque une forte tension que souligne souvent un parallélisme de
construction :

TARTUFFE.
Mais si d’un œil bénin vous voyez mes hommages,
Pourquoi m’en refuser d’assurés témoignages ?
ELMIRE.
Mais comment consentir à ce que vous voulez,
Sans offenser le Ciel, dont toujours vous parlez ?
Molière, Tartuffe, IV, 5.

☞ La même conjonction inaugurale marquant l’objection aux paroles de


l’interlocuteur, et l’infinitif délibératif se retrouvent dans les deux
répliques : l’affrontement entre le séducteur qui veut vaincre les dernières
résistances de la femme mariée et celle-ci qui veut dévoiler le « scélérat » à
son mari caché sous la table passe par le langage.

À partir du XVIIIe siècle, au contraire, la réplique courte prédomine –


comme chez Marivaux qui veut rendre ainsi le style de la conversation – et
la tirade, plus rare, n’en acquiert que plus d’importance. Dans les Caprices
de Marianne de Musset, les métaphores* prédominent à l’intérieur des
quelques tirades de la pièce, comme celle d’Octave (I, 1), où elles
introduisent la poésie à l’intérieur d’une scène qui oscille ainsi entre le
grotesque et le sublime, dans une esthétique propre au drame romantique.
Il faut donc ne pas oublier cet arrière-plan historique lors d’une analyse
du partage du temps de parole entre les différents personnages d’une scène.

L’ORGANISATION DU POÈME
La disposition typographique d’un poème a des effets de sens : le blanc
typographique, équivalent visuel du silence, comme le dit Claudel dans
Réflexions et propositions sur le vers français (1925), isole différents
segments qui constituent chacun une unité distincte. À partir du XIXe siècle,
des poètes donnent une signification toute personnelle à la mise en page de
leurs poèmes : Apollinaire en est un exemple avec son recueil
Calligrammes dont les poèmes deviennent autant des objets à voir qu’à
entendre. Mais la disposition de tout texte versifié est dans une certaine
mesure signifiante.

Vers courts, vers longs


L’alexandrin, le décasyllabe et l’octosyllabe sont les vers les plus
fréquemment utilisés dans la poésie française versifiée. Les autres mètres
(ou mesures du vers), et en particulier les vers courts, correspondent à un
écart par rapport à la norme et ont des emplois plus spécifiques. Ainsi, le
vers court, en particulier le vers impair, soit de sept syllabes (heptasyllabe)
soit de cinq syllabes (pentasyllabe), se rattache généralement au genre
mineur de la chanson :

C’est l’abbé qui fait l’église ;


C’est le roi qui fait la tour ;
Qui fait l’hiver ? C’est la bise.
Qui fait le nid ? C’est l’amour.
Hugo, Les Chansons des rues et des bois, « Le Nid ».

☞ Les procédés de répétitions et de parallélismes de construction


donnent à ce début de poème en heptasyllabes des allures de chanson
enfantine.

En hétérométrie, c’est-à-dire lorsque le poète combine des mètres*


différents, la présence d’un vers court isolé, associé à des vers plus longs,
aboutit à une mise en relief souvent significative du segment court. La
Fontaine est coutumier de ce procédé :

Je me figure un auteur
Qui dit : je chanterai la guerre
Que firent les Titans au Maître du tonnerre.
C’est promettre beaucoup ; mais qu’en sort-il souvent ?
Du vent.
La Fontaine, Fables, livre V, « La Montagne qui accouche ».

☞ Le contraste entre la grandeur des promesses et la petitesse du résultat


a sa traduction formelle dans l’opposition entre les vers de mètres*
croissants (7, 8 puis 12 syllabes) qui précèdent le dernier vers, et celui-ci
qui comporte deux syllabes.

L’organisation strophique
Un poème peut être composé d’une suite de rimes plates sans
organisation formelle récurrente, ou divisé en strophes, correspondant à la
répétition d’un schéma métrique et rimique. Chaque strophe correspond
également à une unité syntaxique : une ponctuation forte la clôt jusqu’à
l’époque romantique où commencent à être brisées les formes poétiques
traditionnelles. À l’unité syntaxique s’ajoute le plus souvent l’unité
thématique :

Mignonne, allons voir si la rose


Qui ce matin avait desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.

Las ! voyez comme en peu d’espace,


Mignonne, elle a dessus la place
Las las ses beautez laissé cheoir !
O vrayment marastre Nature,
Puis qu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.
Ronsard, Le Premier Livre des odes, XVII.

☞ La première strophe, de modalité* jussive, est une invitation à la


promenade. La deuxième strophe exprime la plainte du poète face au
caractère éphémère de la fleur. La tonalité est lyrique* grâce aux
interjections (las) et à la modalité exclamative des phrases. La troisième
strophe, commençant par donc, connecteur logique, c’est-à-dire mot
établissant un lien entre deux énoncés, révèle la fonction perlocutoire
(c’est-à-dire, selon la terminologie de O. Ducrot (Le Dire et le Dit ; 1984) le
but visé, qui n’est pas explicitement inscrit dans l’énoncé) de l’ensemble du
discours : par une stratégie argumentative s’appuyant sur un syllogisme*, le
poète veut persuader l’être aimé de lui accorder ses faveurs. En effet
l’allocutaire* est comme la rose ; or, la rose se fane et la femme se fanera ;
donc, que cette dernière aime le locuteur pendant qu’il est temps.

Lorsque, à partir du XIXe siècle, la strophe ne présente plus


obligatoirement une structure syntaxique close, d’autres correspondances
s’établissent entre la disposition typographique et le sens du poème :

À la fenêtre recelant
Le santal vieux qui se dédore
De sa viole étincelant
Jadis avec flûte ou mandore,
Est la Sainte pâle, étalant
Le livre vieux qui se déplie
Du Magnificat ruisselant
Jadis selon vêpre et complie :

À ce vitrage d’ostensoir
Que frôle une harpe par l’Ange
Formée avec son vol du soir
Pour la délicate phalange

Du doigt que, sans le vieux santal


Ni le vieux livre, elle balance
Sur le plumage instrumental,
Musicienne du silence.
Mallarmé, Poésies, « Sainte ».

☞ Le poème est composé d’une seule phrase, qui s’articule selon les
strophes : dans la première, un syntagme* complément de lieu ; dans la
seconde, le groupe verbe-sujet ; dans la troisième, une reprise du
complément de lieu ; dans la quatrième, une relative et son antécédent. Des
symétries apparaissent, entre le premier et le deuxième quatrains, construits
sur le même schéma syntaxique, et entre les deux premiers et les deux
derniers quatrains (structure et thème semblables : À la fenêtre/À ce
vitrage ; répétition avec inversion de l’ordre adjectif-substantif de santal
vieux et livre vieux) qui montrent la substitution, à la sainte liturgique
patronne de la musique sacrée, d’une sainte patronne de la musique idéale,
celle de la poésie, domaine de l’ineffable (musicienne du silence).

Quand la disposition strophique se fige pour aboutir à un poème à forme


fixe, comme le sonnet, il faut étudier comment le propos s’organise dans ce
cadre rigide et contraignant par sa petitesse (14 vers), son équilibre (deux
quatrains/ deux tercets s’organisant sur un système rimique différent) et son
déséquilibre (la deuxième partie du poème est plus courte que la première).
La syntaxe peut épouser la strophe ou en déborder, le niveau sémantique*
cadrer ou non avec le niveau strophique. Cette coïncidence de la pensée,
avec le cadre formel dans lequel elle s’exprime, ou cet effet de « trompe-
l’œil » (A. Gendre, Évolution du sonnet français, PUF, 1996) quand l’ordre
intérieur est brouillé dans un ordonnancement extérieur parfait, construit le
sens poétique :

Tout le parfait dont le ciel nous honore,


Tout l’imparfait qui naît dessous les cieux,
Tout ce qui paît nos esprits et nos yeux,
Et tout cela qui nos plaisirs dévore :

Tout le malheur qui notre âge dédore,


Tout le bonheur des siècles les plus vieux,
Rome du temps de ses premiers aïeux
Le tenait clos, ainsi qu’une Pandore.

Mais le destin, débrouillant ce chaos,


Où tout le bien et le mal fut enclos,
A fait depuis que les vertus divines

Volant au ciel ont laissé les péchés,


Qui jusqu’ici se sont tenus cachés
Sous les monceaux de ces vieilles ruines.
Du Bellay, Les Antiquités de Rome, XIX.

☞ Deux univers et deux âges s’opposent dans les quatrains et les tercets,
comme l’indique la conjonction de coordination à valeur adversative mais :
pour chacune des deux parties, une phrase et un temps différents
(l’imparfait, situant le procès hors de l’actualité présente du locuteur, et le
passé composé, marquant les conséquences présentes résultant de
l’achèvement du procès). La structure des deux phrases est inversée : la
protase* dans la première est plus développée que l’apodose*, avec
l’anaphore* de tout. C’est le triomphe de la cité terrestre, qui portait en elle
les germes de sa chute. Dans le sizain, l’apodose plus longue que la protase
crée une cadence majeure* qui contribue « à grandir les tercets, à leur
donner de la pompe, de l’ampleur » (Th. De Banville, Petit Traité de poésie
française, 1872) : la ruine de Rome est aussi la défaite du mal, et peut-être
l’annonce d’un nouveau monde chrétien dont parlent d’autres poèmes du
recueil.

Ainsi, dans le texte en prose comme dans le texte en vers, l’organisation


typographique a une fonction sémantique, c’est-à-dire qu’elle est chargée de
sens.
2

LES PROCÉDÉS ÉNONCIATIFS

L ’ÉNONCIATION est la « mise en fonctionnement de la langue par un acte


individuel d’utilisation » (É. Benveniste, Problèmes de linguistique
générale, Gallimard, 1974), c’est « l’acte même de produire un énoncé »
par un locuteur – c’est-à-dire par celui qui parle. L’énoncé est le résultat de
l’activité du locuteur sous forme d’un segment de discours, donc, à l’écrit,
d’un texte. L’énonciation suppose obligatoirement l’existence, face au
locuteur, d’un destinataire, implicite ou explicite, appelé par É. Benveniste
allocutaire.
L’étude du dispositif énonciatif est un élément important de l’analyse
stylistique d’un texte littéraire en raison de sa complexité.

AUTEUR ET LOCUTEUR, DESTINATAIRE


ET LECTEUR

Le texte littéraire instaure en effet une situation d’énonciation très


particulière : celui qui produit le texte, c’est-à-dire l’auteur, n’est pas
obligatoirement celui qui parle, et le destinataire, auquel s’adresse ce
dernier, n’est pas obligatoirement le lecteur. Dans l’analyse d’une œuvre,
sous quel nom précis désigner le locuteur et le destinataire ? Il faut
distinguer deux plans d’énonciation : ceux que É. Benveniste appelle « le
discours » et « l’histoire ».

DISCOURS, RÉCIT, MODALITÉS


• Tout texte est un discours, au sens où il est proféré et suppose un
destinataire, mais dans certains cas, on perçoit clairement que « quelqu’un
s’adresse à quelqu’un » (É. Benveniste). On parle alors de « discours » :

La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur


Éluard, Capitale de la douleur, « La courbe de tes yeux… ».

Permettez-moi, je vous en supplie, de faire un peu de réflexion sur la


nature et l’esprit de l’homme.
Cardinal de Retz, Mémoires, première partie.

☞ Dans ces deux textes, la temporalité (le présent) et les pronoms


personnels (le pronom je et les pronoms tu et vous) sont ceux du discours
(cf. p. 73) : les interlocuteurs sont impliqués dans ce qui est formulé.

Dans son discours, le locuteur marque son attitude énonciative face à son
allocutaire* par des modalités d’énonciation* : la modalité assertive ou
déclarative vise à communiquer une certitude, la modalité interrogative
marque un questionnement, la modalité injonctive (ou jussive) un ordre.
La modalité exclamative exprime, quant à elle, une attitude affective du
locuteur à l’égard du contenu de son énoncé et vient se surajouter aux trois
types de modalité ci-dessus : si l’on considère que sa marque distinctive à
l’écrit est le point d’exclamation et à l’oral une intonation ascendante ou
comportant un fort accent d’emphase sur la dernière syllabe, on peut
remarquer qu’elle se combine à des énoncés assertifs, interrogatifs et
jussifs, comme le montrent les énoncés suivants qui ponctuent une scène de
grande tension :

ROSINE
J’étouffe de fureur !
BARTHOLO
Quelle rage a-t-on d’apprendre ce qu’on craint toujours de savoir !
BARTHOLO
Qu’elle ignore au moins que je l’ai lue !
Beaumarchais, Le Barbier de Séville, II, 15.
☞ Dans cette scène de tension, la modalité exclamative marque
l’exacerbation des sentiments des deux personnages qui s’affrontent. Elle
exprime très fortement la subjectivité* du locuteur à l’intérieur de
l’affirmation, de l’interrogation rhétorique* et de l’ordre. On remarque que
la situation de communication est ici faussée puisque les trois répliques
constituent des apartés.
Remarque : la modalité interrogative peut recouvrir un faux
questionnement, notamment lorsqu’elle s’accompagne d’une négation.
Cette interrogation, dite « rhétorique » ou « oratoire », équivaut alors à
une affirmation plus forte que si elle était formulée à la modalité assertive :

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,


Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges
Jeter l’ancre un seul jour ?
Lamartine, Méditations poétiques, « Le Lac ».

☞ En usant de l’interrogation rhétorique, le poète pousse son


interlocuteur, auquel il s’associe par le biais du pronom nous, à partager son
opinion sur la triste condition des mortels. Ce procédé contribue à la
tonalité lyrique de la strophe.

L’interrogation rhétorique est très proche de la modalité exclamative, ce


qui explique souvent que, comme dans la citation de Beaumarchais ci-
dessus, le point d’exclamation se substitue au point d’interrogation.
• Dans d’autres cas, le locuteur « n’emprunte jamais l’appareil formel du
discours » (É. Benveniste, op. cit.), c’est-à-dire le système des temps et des
pronoms évoqué ci-dessus, et il laisse « les événements se raconter d’eux-
mêmes » (ibid.). Même si du point de vue de l’énonciation*, il y a discours,
les marques de celui-ci n’apparaissent pas dans le texte et on parle
« d’histoire » (É. Benveniste, ibid.) ou de « récit » (G. Genette,
Figures III) :

Tout à coup elle découvrit, dans une boîte de satin noir, une superbe
rivière de diamants ; et son cœur se mit à battre d’un désir immodéré.
Ses mains tremblaient en la prenant. Elle l’attacha autour de sa gorge,
sur sa robe montante, et demeura en extase devant elle-même.
Maupassant, Contes et Nouvelles, « La Parure ».

☞ Le passé simple, temps détaché de celui du discours (cf. p. 73), et la


troisième personne sont les caractéristiques formelles de l’histoire. Celui
qui raconte l’histoire et celui qui l’écoute ne sont pas impliqués dans le
contenu du « récit historique » (É. Benveniste, op. cit.).

La distinction entre récit et discours n’est cependant pas absolue car,


comme le remarque entre autres G. Genette (op.cit.), « il y a presque
toujours une certaine proportion de récit dans le discours, une certaine dose
de discours dans le récit », notamment dans le récit à la première personne
(cf. ci-dessous), puisque se mêlent un pronom propre au discours, le je, et
un temps propre au récit, le passé simple. Il faut néanmoins partir de la
distinction entre ces deux plans d’énonciation* pour définir l’identité du
locuteur.

L’IDENTITÉ DU LOCUTEUR
L’identification du je dans un texte littéraire est celle qui pose le plus de
difficultés. Les pages qui suivent ont pour objet de récapituler à quelles
instances énonciatives ce je peut renvoyer.

Hors du récit de fiction


Quand le discours n’est pas assumé par un personnage fictionnel
(comme dans une pièce de théâtre ou dans les passages au discours direct*
dans un roman), doit-on systématiquement assimiler le je à l’auteur ?
Le pronom de la première personne renvoie uniquement à la réalité du
discours, et ne représente aucun individu particulier : c’est pourquoi il est
appelé pronom nominal (ou embrayeur), c’est-à-dire que je est le nom
que se donne celui qui parle pendant le temps où il parle. Par conséquent :
il doit tout d’abord être analysé par rapport au discours particulier dans
lequel il apparaît. Ainsi, même si le thème du poème « Demain dès
l’aube », dans les Contemplations, est lié à la vie de Hugo, puisqu’il y
est fait allusion à la mort de sa fille Léopoldine et au pèlerinage que le
père accomplit sur sa tombe chaque année le 4 septembre, jour
anniversaire de sa mort (le poème étant daté du 3 septembre), ce je ne
peut être réduit à l’homme Hugo. L’émotion qui transparaît dans le
poème est « plus universellement humaine » et ce je renvoie tout autant à
l’écrivain qu’à un « poète essentiel, absolu » (E. Souriau, La
Correspondance des arts, Flammarion, 1947) ;
au moment de la lecture, celui qui lit s’approprie momentanément ce
pronom je ; il y a donc dilatation du je, et le discours du locuteur trouve
des échos dans chaque homme :

Pourquoi ma connaissance est-elle bornée ? ma taille ? ma durée à cent


ans plutôt qu’à mille ?
Pascal, Pensées, « La place de l’homme dans la nature :
les deux infinis ».

☞ Les interrogations du philosophe sont aussi celles du lecteur, de tous


ceux qui réfléchissent à « la place de l’homme dans la nature ».

ne renvoyant pas à un personnage clairement identifié par son nom


(contrairement au pronom anaphorique il qui renvoie sans ambiguïté à
un référent* placé avant lui), le je peut, au sein d’un même texte,
exprimer des voix différentes. Ainsi chez la Bruyère, tantôt le je réplique
au personnage portraituré, et devient à son tour personnage, dans le cadre
d’une mise en scène fréquente dans les Caractères :

Oui, Théodote, j’ai observé le point de votre naissance ; vous serez


placé, et bientôt [...]
La Bruyère, Les Caractères, « De la Cour », 61.

tantôt il correspond à une réflexion du moraliste, réflexion à portée


universelle, et au je peut alors être substitué le pronom plus généralisant
on :

J’éviterai avec soin d’offenser personne, si je suis équitable ; mais sur


toutes choses un homme d’esprit, si j’aime le moins du monde mes
intérêts.
La Bruyère, Les Caractères, « Du mérite personnel », 36.

Dans un récit de fiction

Auteur et narrateur
Dans sa préface au Lys dans la vallée, Balzac écrit : « Dans plusieurs
fragments de son œuvre l’auteur produit un personnage qui raconte en son
nom [...] Mais le "moi" n’est pas sans danger pour l’auteur. Si la masse
lisante s’est agrandie, la somme de l’intelligence publique n’a pas augmenté
en proportion. Malgré l’autorité de la chose jugée, beaucoup de personnes
se donnent encore aujourd’hui le ridicule de rendre un écrivain complice de
sentiments qu’il attribue à ses personnages ; et s’il emploie le "je" presque
toutes sont tentées de le confondre avec le narrateur [...] ».
L’utilisation du je dans un texte de fiction vise en effet à confondre
l’auteur et celui qui raconte, c’est-à-dire le narrateur, auprès du lecteur
naïf, alors qu’il n’en est rien :

Condamné à mort !
Voilà cinq semaines que j’habite avec cette pensée, toujours seul avec
elle, toujours glacé de sa présence, toujours courbé sous son poids !
Hugo, Le Dernier Jour d’un condamné.

☞ Celui qui dit je a tué dans des circonstances mystérieuses, pleure sur
l’avenir de sa fille unique... et meurt en laissant le roman inachevé. Cet
homme sans nom qui raconte son histoire est un personnage de roman
inventé par l’auteur qui lui délègue le rôle de narrateur ; il n’est bien sûr pas
Hugo. L’auteur par ce choix narratif veut faire croire « qu’il y a eu, en effet,
une liasse de papiers jaunes et inégaux sur lesquels on a trouvé, enregistrées
une à une, les dernières pensées d’un misérable » ; le lecteur semble
entendre directement la voix du héros, d’où une plus grande intimité avec le
narrateur auquel il s’identifie, une plus grande émotion aussi, qui permet à
Hugo de mieux transmettre son « plaidoyer, direct ou indirect, comme on
voudra, pour l’abolition de la peine de mort » (Préface). Le je permet aussi
à Hugo « d’élaguer de toutes parts dans son sujet le contingent, le nom
propre, et se borner à plaider la cause d’un condamné quelconque » (ibid.).

On voit donc que l’utilisation du je :


crée l’impression d’un témoignage, la fiction se donnant pour
document ;
place le lecteur en position d’interlocuteur, le discours du je supposant
un allocutaire* ;
en même temps privilégie une identification du lecteur au personnage,
puisqu’au moment où le lecteur lit le discours à la première personne, il
se l’approprie.

Narrateur et personnage
Un récit raconte, par le biais du discours du narrateur, l’histoire de
personnages. Mais alors que la voix du narrateur et celle du personnage sont
distinctes dans un roman à la troisième personne, excepté dans le discours
indirect libre*, dans un roman à la première personne, une même personne
grammaticale désigne le narrateur et le personnage. Cependant il faut
distinguer le sujet de l’énonciation – le « moi narrateur » – du sujet de
l’énoncé – le « moi de l’action », dont parle Léo Spitzer (Études de style).
Le premier use des temps du discours (cf. p. 72) et vise un destinataire plus
ou moins explicite, tandis qu’au second, lié aux temps du récit (cf. p. 73),
on pourrait aisément substituer un il :

Je fus plusieurs jours sans oser jeter les yeux sur la maudite tapisserie.
Il ne serait peut-être pas inutile, pour rendre vraisemblable
l’invraisemblable histoire que je vais raconter, d’apprendre à mes belles
lectrices qu’à cette époque j’étais en vérité un assez joli garçon. J’avais
les yeux les plus beaux du monde : je le dis parce qu’on me l’a dit ; un
teint un peu plus frais que celui que j’ai maintenant, un vrai teint
d’œillet ; une chevelure brune et bouclée que j’ai encore, et dix-sept ans
que je n’ai plus.
Gautier, Contes et Récits fantastiques, « Omphale ».

☞ Dans cette nouvelle, le narrateur se fait très clairement percevoir en


tant que tel : il discourt fictivement au présent avec un destinataire (ses
belles lectrices) auxquels il présente le je personnage, jeune homme distinct
de lui-même, ancré dans un passé révolu qui se marque par l’imparfait et le
passé simple.

Donc, quand on analyse le statut de la voix qui raconte l’histoire dans


une fiction :
on doit toujours parler de narrateur, et jamais d’auteur : raconter, c’est
jouer « un rôle fictif » (G. Genette, Figures III) ;
quand coexistent un niveau de discours et un niveau de récit, on
distingue le « moi de l’action » du « moi narrateur ».

Le cas du récit autobiographique


L’autobiographie est un récit où un narrateur qui dit je (dans la plupart
des cas) fait le récit d’un personnage qui apparaît sous la même identité du
je. On se retrouve dans une situation semblable à celle évoquée ci-dessus.
Mais l’auteur d’une autobiographie passe, implicitement ou explicitement,
le pacte suivant avec son lecteur : il s’engage à ce « qu’il y ait identité de
nom entre l’auteur (tel qu’il figure, par son nom, sur la couverture), le
narrateur du récit et le personnage dont on parle » (Ph. Lejeune, Le Pacte
autobiographique, Le Seuil, 1975). Dans l’analyse du récit
autobiographique, il faut donc également parler de « narrateur » et de
« personnage » :

J’ignore ce que je fis jusqu’à cinq ou six ans : je ne sais comment


j’appris à lire [...].
Rousseau, Les Confessions, livre premier.
☞ Le narrateur qui a pour nom Rousseau est ancré dans le présent tandis
que le moi de l’action, ayant également la même identité, est dans la sphère
du récit au passé simple ; le narrateur n’a pas ici une connaissance totale de
son personnage (cf. p. 45).

L’IDENTITÉ DU DESTINATAIRE
Destinataire et lecteur
Le lecteur en tant que personne qui lit effectivement une œuvre ne doit
pas être confondu avec le destinataire désigné de celle-ci.

Le « lecteur virtuel »
Le « lecteur », présent dans la Fable « Les Deux Amis » de La Fontaine,
dans les Confessions de Rousseau ou dans le poème « Au lecteur » des
Fleurs du Mal de Baudelaire, est une construction du locuteur, c’est-à-dire
du fabuliste, de l’autobiographe ou du poète : il fonctionne dans l’univers
du texte. Ce « lecteur virtuel », comme l’appelle G. Genette (Nouveau
Discours du récit, Le Seuil, 1983) est néanmoins un « relais [...] avec le
lecteur réel » (ibid.) qui peut prendre pour lui cette adresse.

Le « narrataire intradiégétique »
Dans un récit de fiction, le narrateur peut explicitement viser un
destinataire précis, interne à la diégèse, c’est-à-dire à l’histoire, au contenu
narratif, que Genette appelle le narrataire intradiégétique. C’est le cas
dans le roman épistolaire : dans les Lettres portugaises de Guilleragues, le
narrateur est une religieuse portugaise et ses lettres ne prennent pas en
compte le lecteur virtuel mais s’adressent à celui qui l’a trahie. La Chute de
Camus se présente comme le monologue d’un narrateur je, Clamence,
s’adressant à un interlocuteur muet qui se révèle peu à peu être un double
du narrateur :

Je vous reverrai demain, sans doute. Demain, oui, c’est cela. Non, non,
je ne puis rester.
Camus, La Chute.

Dans La Modification de Butor, roman écrit à la deuxième personne, le


vous peut s’interpréter comme une adresse à un lecteur virtuel jamais
nommé, invité à s’identifier au héros de la diégèse* ; mais il désigne aussi le
personnage auquel s’adresse le narrateur, lui « racontant sa propre histoire »
(M. Butor, Essais sur le roman, « L’usage des pronoms personnels dans le
roman », 1969) et lui permettant ainsi de voir peu à peu clair en lui, de se
modifier : ce dialogue est une forme de monologue intérieur*.
Dans l’analyse stylistique d’un texte, il importe donc de relever, quand
elles existent, toutes les marques d’adresse du locuteur à un destinataire,
d’identifier ce dernier et de dégager l’effet produit par ce procédé sur le
lecteur : un sentiment de complicité avec le locuteur dans le cas d’une
adresse au lecteur virtuel, ou une sensation de pénétrer en fraude dans la
diégèse*, dans le cas d’une adresse à un narrataire intradiégétique, puisque
ce récit ne lui est pas – en théorie ! – destiné.

Locuteur et destinataire dans le texte théâtral


Le langage dramatique est un langage « surpris » (P. Larthomas, Le
Langage dramatique, A. Colin, 1972) : alors que les discours directs* qui le
composent donnent l’impression de n’être prononcés que pour un
destinataire qui est sur scène, ils visent en première et dernière instance le
public « caché dans une ombre propice » (ibid.) ; l’énonciation est donc
toujours double. Ainsi que l’analyse Anne Ubersfeld dans Lire le théâtre
(Éditions sociales, 1978), l’ensemble du discours tenu par le texte théâtral
est constitué de deux sous-ensembles :
un « discours rapporteur » émis par l’auteur et qui a pour destinataire le
public ;
un « discours rapporté » émis par le personnage par la médiation de
l’acteur, et qui a pour destinataire un autre personnage.
Il convient donc de souligner les écarts par rapport au fonctionnement de
ces « quatre voix » (A. Ubersfeld, ibid.) généralement mêlées, écarts qui
constituent une rupture de l’illusion théâtrale. Ainsi, dans le fameux
monologue où Harpagon s’adresse directement aux « gens assemblés »
(L’Avare, IV, 7) – procédé fréquent dans la comédie antique – Molière
suscite le rire du public, toujours ravi que soit brisée la barrière invisible qui
le sépare du monde de l’illusion. Ces ruptures sont devenues fréquentes
dans le théâtre du XXe siècle :

PROLOGUE. – Voilà. Ces personnages vont vous jouer l’histoire


d’Antigone.
Anouilh, Antigone.

☞ En faisant du Prologue, partie qui dans le théâtre antique ouvrait la


pièce et précédait la première intervention du chœur, un personnage de sa
pièce, Anouilh insiste sur le fait que « nous sommes au théâtre »
(A. Ubersfeld, ibid.) : le spectateur, par le biais du pronom vous est le
destinataire direct du « discours rapporté ». En revanche, Anouilh laisse
dans l’ombre la question de la médiation du comédien, puisqu’il fait dire au
Prologue que ce sont les « personnages » qui « jouent », et non les acteurs.

LE POINT DE VUE DU NARRATEUR


Le récit est fréquent dans le texte littéraire : dans le roman, mais aussi
dans le poème (Vigny, Les Destinées, « La Mort du loup »), la fable,
puisque celle-ci consiste en un petit récit destiné à illustrer une morale,
l’oraison funèbre (Bossuet, Oraison funèbre de Henriette-Anne
d’Angleterre). Un narrateur raconte une histoire dans laquelle interviennent
un ou plusieurs personnages. Quel rapport le narrateur entretient-il avec ses
personnages ? Dans le discours du narrateur que constitue le récit
(cf. p. 32), comment se fait entendre la voix des personnages ?

La focalisation

Les différentes focalisations


G. Genette, dans Figures III, étudie longuement le point de vue du
narrateur sur la diégèse*, qu’il désigne par le terme focalisation et établit
les distinctions suivantes :
Lorsque le narrateur en dit plus que n’en sait aucun des personnages, on
parle de narrateur omniscient et de récit non focalisé ou à focalisation
zéro :

Comme elle y était, le Prince de Clèves y arriva. Il fut tellement surpris


de sa beauté qu’il ne put cacher sa surprise, et Mlle de Chartres ne put
s’empêcher de rougir en voyant l’étonnement qu’elle lui avait donné.
Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves.

Lorsque le narrateur ne dit que ce que sait ou perçoit tel ou tel


personnage, le point de vue est restreint et on parle de récit à focalisation
interne :

Il y avait un bon quart d’heure qu’il était là, quand il vit en face de lui,
de l’autre côté de la ruelle, une porte ouverte et, au fond de l’ombre très
noire, une sorte de corsage ou de chemise qui s’agitait faiblement.
Giono, Le Hussard sur le toit, I.

☞ Le corsage va se révéler être « une femme, un peu hébétée et suante »,


mais le narrateur ne donne tout d’abord que l’impression visuelle
d’Angelo ; « il rend compte, sans commentaire, d’Angelo, avec lequel le
lecteur est ainsi mis en contact direct » (P. Citron, Notice sur Le Hussard
sur le toit, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1339).

Lorsque le narrateur en dit moins que pourrait en savoir un personnage,


qu’il apparaît comme un simple observateur extérieur à l’histoire narrée,
on parle de récit à focalisation externe ou « objectif » ou
« behavio(u)riste ». Le narrateur se fonde uniquement sur le
« comportement » des personnages – behaviour en anglais, ayant donné
behaviorism, mot créé par un psychologue américain, ou behaviourism
en anglais britannique, « théorie limitant la psychologie à l’étude du
comportement ». Ce terme a été choisi parce que ce procédé narratif a
été popularisé par des écrivains de langue anglaise comme Dashiell
Hammet ou Hemingway :

Vers la fin du mois d’octobre dernier, un jeune homme entra dans le


Palais-Royal [...].
Balzac, La Peau de chagrin, « Le Talisman ».

☞ On ne saura l’identité du personnage, désigné plus loin par


l’expression « le jeune homme », « l’inconnu », que vingt pages plus loin,
quand il se fait interpeller par un ami (« Eh ! c’est Raphaël ») puis par un
autre (« Raphaël de Valentin, s’il vous plaît ! ») : la focalisation demeure
externe.

En fait, peu de récits n’adoptent qu’un seul mode narratif, surtout la


focalisation interne qui ne peut être parfaite que dans le monologue
intérieur*. C’est ainsi que Sartre a reproché à Mauriac « cette façon de
s’identifier d’abord avec son personnage [focalisation interne] et puis de
l’abandonner soudain et de le considérer du dehors, comme un juge [récit
non-focalisé] » (Situations, l, Gallimard, 1947). De plus, comme le
remarque Jean Verrier (Les Débuts de roman, Bertrand Lacoste, 1992),
« qui sait n’est pas toujours qui parle » : le point de vue peut être celui du
personnage mais la mise en mots ne peut pas toujours lui être attribuée.
Ainsi dans le passage de Au Bonheur des dames cité ci-dessus (cf. p. 14), la
scène est vue par le personnage de Mme Desforges mais les métaphores*
religieuses qui transforment le lieu réel en lieu mythique sont à mettre au
compte de l’écriture de Zola.
Ainsi, sur toute une œuvre, différents points de vue peuvent se
superposer : Genette remarque avec justesse que « le récit non focalisé peut
le plus souvent s’analyser comme un récit multifocalisé » : dans la citation
de La Princesse de Clèves que nous venons de donner, on peut considérer
qu’est d’abord exprimé le point de vue de M. de Clèves puis celui de Mlle
de Chartres.

Focalisation et effets de sens


C’est pourquoi, dans une explication stylistique, on ne doit avoir recours
à ce type d’analyse que lorsqu’il est pertinent pour le sens du texte. Le point
de vue du narrateur sur ses personnages doit être relié à la mise en scène
choisie par l’auteur pour son roman.
La focalisation zéro peut être utilisée par exemple lorsqu’il s’agit de
pénétrer dans la pensée d’un personnage et d’en dévoiler des aspects qui
échappent au personnage lui-même. C’est le type de focalisation choisi par
Balzac pour nombre de portraits :

Cette figure annonçait une finesse dangereuse, une probité sans chaleur,
l’égoïsme d’un homme habitué à concentrer ses sentiments dans la
jouissance de l’avarice et sur le seul être qui lui fût réellement de
quelque chose, sa fille Eugénie, sa seule héritière.
Balzac, Eugénie Grandet.

La focalisation interne, en épousant le point de vue d’un personnage,


offre une vision subjective des événements, comme dans Un balcon en forêt
de Gracq où la parole intérieure domine, traduisant le sentiment tout
personnel que le personnage du lieutenant Grange a sur la période
historique de la « drôle de guerre », qui se confond pour lui avec « le temps
des grandes vacances ».
La focalisation externe, limitant les informations données au lecteur,
suscite la curiosité de ce dernier et crée un effet d’attente. C’est pourquoi le
point de vue extérieur est fréquent dans le début de roman.

Focalisation et incipit
Dans le début de roman ou incipit, le héros peut être présenté de
l’extérieur et rester dans un premier temps inconnu (cf. ci-dessus le début
de La Peau de chagrin) : le lecteur a donc l’impression d’entrer dans
l’histoire en même temps que le narrateur. Peut suivre une focalisation zéro,
permettant la présentation détaillée du caractère du héros. L’entrée dans
l’histoire est alors progressive, la dramatisation est retardée, ce qui produit
un effet d’attente tandis que le lecteur acquiert un savoir parfait sur le
personnage. Dans nombre de romans balzaciens, comme Le Curé de
village, cette focalisation zéro est immédiate, puisque l’auteur veut insérer
ses personnages dans un contexte historique, politique, etc., qui les
explique.
Dans d’autres cas, la narration dans l’incipit utilise la focalisation
interne. L’information sur le personnage est alors minimale, le lecteur est
projeté dans une histoire en cours et l’effet de dramatisation est immédiat :

En entrant dans la chambre, Roubaud posa sur la table le pain d’une


livre, le pâté et la bouteille de vin blanc. Mais, le matin, avant de
descendre à son poste, la mère Victoire avait dû couvrir le feu de son
poêle, d’un tel poussier, que la chaleur était suffocante. Et le sous-chef
de gare, ayant ouvert une fenêtre, s’y accouda.
Zola, La Bête humaine.

☞ Les articles définis (cf. p. 82), l’appellation familière de la mère


Victoire font pénétrer le lecteur dans l’univers supposé connu de Roubaud,
que son patronyme suffit à introduire dans le roman. Parce qu’il épouse le
point de vue de son personnage, le narrateur ne juge pas utile de préciser
davantage la topographie et les objets : le lecteur a ainsi l’impression de
prendre la diégèse* in medias res. Andrea Del Lungo (« Pour une poétique
de l’incipit », in Poétique n° 4) définit l’incipit in medias res comme « tout
incipit narratif qui réalise une entrée directe dans l’histoire sans aucun
élément informatif ou introductif explicite, et qui produit un effet de
dramatisation » immédiate. Les naturalistes, nous le voyons ici, usent
beaucoup de ces « incipits dynamiques ».

Dans Les Misérables, le jeu des focalisations permet à Hugo à plusieurs


reprises de différer l’identification d’un personnage... déjà connu. Ainsi
Jean Valjean est décrit lors de sa première apparition par les yeux des
« rares habitants qui se trouvaient en ce moment à leurs fenêtres » ; puis,
quand il a changé d’identité, par un « on » qui renvoie à tous ceux dans
Montreuil-sur-Mer qui s’interrogent sur un homme « étranger au
département » répondant au nom de Madeleine ; puis par Marius qui a
remarqué « un homme vieux » aux « cheveux très blancs », surnommé par
les étudiants du quartier M. Leblanc : chaque nouvelle identité de Jean
Valjean correspond à une nouvelle phase du roman.
Ce faux suspens – car plusieurs fois se retrouve une formule comme « le
lecteur a deviné sans doute » – rattache Les Misérables à l’esthétique
mélodramatique des romans-feuilletons de l’époque. Il permet également
d’isoler Jean Valjean dans son extériorité mystérieuse, résultat de ses efforts
incessants pour dissimuler sa véritable identité afin d’échapper à Javert et
de faire « une foule de bonnes actions en se cachant comme on se cache
pour les mauvaises » (Les Misérables, I, V, 3).

La relation du narrateur à la diégèse


Le narrateur peut être soit absent soit présent dans l’histoire qu’il
raconte. Genette propose de distinguer les types de récits suivants :
ou bien le narrateur est extérieur au récit, et il est dit extradiégétique.
C’est le cas le plus fréquent dans les romans. Le récit se fait alors à la
troisième personne et le je n’intervient pas dans la diégèse*, comme dans
Le Rouge et le Noir de Stendhal. En conséquence, le lecteur a
l’impression d’être en contact direct avec la diégèse*, tandis que l’auteur,
en rendant le narrateur invisible, préserve l’apparence objective du récit
« comme si l’observateur était absolument indifférent » (Butor, Essais
sur le roman) ;
ou bien le narrateur est intérieur au récit. Le je établit un lien entre les
événements racontés et le lecteur, et se présente comme garant de
l’authenticité de ce qu’il raconte ; on parle de narrateur intradiégétique
et trois cas de figures se présentent alors.
Si le narrateur raconte une histoire dans laquelle il n’apparaît pas, on
parle alors de narrateur hétérodiégétique :

[...] j’ai fini par découvrir ce que je voulais, c’est-à-dire l’histoire de ma


mule et de ce fameux coup de pied gardé pendant sept ans. Le conte en
est joli quoique un peu naïf, et je vais essayer de vous le dire tel que je
l’ai lu hier matin [...].
Daudet, Les Lettres de mon moulin, « La mule du pape ».

☞ Le narrateur est totalement absent de la suite de son conte, le


déterminant possessif ma (ma mule) ayant seulement une valeur éthique* et
signifiant « la mule dont je cherchais l’histoire ».

S’il raconte une histoire dans laquelle il joue un rôle secondaire, on parle
de narrateur homodiégétique : ainsi François Seurel dans Le Grand
Meaulnes.
Quand il est le héros de son récit, le narrateur est autodiégétique :

Mais puisque vous me demandez quelques-uns de mes souvenirs, je vais


vous dire une singulière aventure qui m’est arrivée ici, il y a une dizaine
d’années. [...] Un soir, comme je revenais tout seul et assez fatigué [...],
je m’arrêtai quelques secondes pour reprendre haleine.
Maupassant, La Maison Tellier, « Sur l’eau ».

☞ Dans ce cas, le je revêt tantôt le statut de narrateur, comme c’est le cas


dans la première phrase où le je est associé au présent, temps du discours,
tantôt celui de personnage, comme dans la deuxième phrase où le je est
alors associé au passé simple, temps de la diégèse* (cf. p. 72).

Remarque : dans certains romans (Manon Lescaut de l’abbé Prévost,


Dominique de Fromentin) et nouvelles (Les Diaboliques de Barbey
d’Aurevilly, un grand nombre de celles de Maupassant), plusieurs récits
s’emboîtent l’un dans l’autre dans une construction narrative complexe.
Ainsi dans Le Rideau cramoisi de Barbey d’Aurevilly, le narrateur à la
première personne est intradiégétique puisque l’histoire ne se raconte pas
d’elle-même ; il est homodiégétique puisqu’il ne joue qu’un rôle secondaire
dans le récit qu’il fait, où le vicomte de Brassard est le personnage
principal. Celui-ci à son tour prend la parole pour raconter l’histoire du
« rideau cramoisi » dont il est le héros : il est donc à ce moment-là narrateur
intradiégétique et autodiégétique.

L’intrusion de l’auteur-narrateur dans le récit


Dans un récit où le narrateur est extradiégétique, il arrive que l’auteur
veuille briser l’illusion romanesque et jouer avec le lecteur. Ces
interventions sont très fréquentes dans la littérature burlesque*, qui s’inspire
de la littérature épique où l’auteur apparaît en tant que tel, comme dans
l’Odyssée ou l’Énéide :

Je ne vous dirai point combien de fois elle broncha et eut peur de son
ombre ; il suffit que vous sachiez qu’il s’égara dans un bois et que,
tantôt ne voyant goutte et tantôt éclairé de la lune, il trouva le jour
auprès d’une métairie où il jugea à propos de faire repaître son cheval et
où nous le laisserons.
Scarron, Le Roman comique, chap. II, deuxième partie.

☞ Le romancier démonte ses propres techniques d’écriture pour montrer


au lecteur que « la façon la plus sûre pour trouver la part de vérité que
contient une œuvre de fiction est de ne pas être dupe de cette fiction » (Jean
Serroy, Roman et Réalité, Minard, 1981). Diderot (Jacques le fataliste),
Stendhal (dans la majeure partie de son œuvre), Gide (Les Faux-
Monnayeurs) sont, parmi d’autres, les héritiers de Scarron en la matière.
La voix qui se fait entendre alors est en fait difficile à nommer. Elle est
proche de l’auteur lorsqu’il y a réflexion sur la création littéraire, mais il est
impossible de savoir si, dans la réalité, le romancier Scarron ne connaît pas
les motivations de ses personnages (« Ragotin se leva et sortit hors de son
lit, je n’ai pas bien su pourquoi », I, 146) ou si cette ignorance est
l’exclusivité de celui qui raconte l’histoire, donc du narrateur. C’est
pourquoi mieux vaut employer dans ce cas le terme d’auteur-narrateur.

Dans les récits que constituent les Fables de La Fontaine, la voix du


fabuliste se fait souvent entendre, s’adressant le plus souvent directement à
son lecteur (cf. p. 40)
tantôt pour le faire réfléchir :

Qui d’eux aimait le mieux ? que t’en semble, lecteur ?


Fables, VIII, « Les Deux Amis ».

tantôt pour commenter la construction de son œuvre :


Un hérisson du voisinage,
Dans mes vers nouveau personnage
Fables, XII, « Le Renard, les Mouches et le Hérisson ».

☞ Ces interventions de l’auteur-narrateur contribuent à créer l’illusion


d’un récit oral familier dans lequel le conteur intervient pour capter
l’attention de l’auditoire. Le possessif et le datif éthique – c’est-à-dire
l’utilisation du déterminant possessif de la première personne ou du pronom
personnel de la deuxième personne visant à impliquer directement le
locuteur et le destinataire dans le contenu narratif – contribuent ainsi à
associer le lecteur à la diégèse* :

Maint Estafier accourt ; on vous happe notre homme,


On vous l’échine, on vous l’assomme.
Fables, XII, « Un fou et un sage ».

Dans tous les cas, l’irruption de l’auteur-narrateur dans le récit place


l’œuvre dans un registre moins sérieux : cette voix établit une distance entre
la diégèse* et le lecteur, qui ne peut plus prendre celle-là pour argent
comptant.

Les intrusions de l’auteur dans le texte dramatique : les


didascalies
« Dans la Poésie dramatique, il n’y a que les Personnes introduites par le
Poète qui parlent, sans qu’il y prenne aucune part » : c’est ainsi qu’au
e
XVII siècle, d’Aubignac souligne la spécificité du langage dramatique, où le
dramaturge est complètement coupé de ses personnages. Le spectateur
entend une série de discours directs*, sans aucun intermédiaire, qui sont
ceux des personnages, et toute l’information sur les décors et sur l’attitude
des personnages est véhiculée par cet unique discours. Le texte écrit peut
néanmoins comporter une autre « couche discursive » (A. Ubersfeld,
op. cit.) : les didascalies, c’est-à-dire toutes les indications scéniques (lieux,
personnages, mouvements, etc.) qui figurent en dehors du texte prononcé
par les personnages. Écrites en italique ou en plus petits caractères que les
répliques des personnages, elles annoncent un autre registre énonciatif :
l’auteur y fait entendre sa voix. Les didascalies font donc partie du texte et
elles ne doivent jamais être passées sous silence, tant dans la lecture que
dans le commentaire. Il importe d’identifier leur destinataire et de définir
leur fonction, qui a partie liée avec la forme sous laquelle elles apparaissent.
Elles visent le plus souvent le « praticien du théâtre » (A. Ubersfeld,
ibid.) et équivalent à un ordre donné à l’acteur ou au metteur en scène. Mais
elles s’adressent également au lecteur qui, face au seul texte, plante décor et
personnages sur sa « scène mentale » (A. Ubersfeld, « Le discours de
théâtre », in A. Rey et D. Couty, Le Théâtre, Bordas, 1980). Peu
nombreuses au XVIIe siècle, d’une part parce qu’on considère que le poète ne
doit pas parler, comme le prescrit d’Aubignac, d’autre part parce que « c’est
mêler de la prose parmi des vers » (d’Aubignac), elles s’étoffent au fil des
siècles au fur et à mesure que le rôle du metteur en scène s’accroît. Parce
qu’elles indiquent un jeu scénique, la catégorie grammaticale du verbe y est
fortement représentée ; ainsi dans les Précieuses ridicules : « après avoir
salué », « s’embrassant l’un l’autre », « ils sortent ». Les didascalies sont
inexistantes dans la tragédie parce que la gestuelle y était strictement
codifiée. Il est d’autant plus nécessaire de commenter les rares occurrences
qu’on rencontre comme le « Elle s’assied », accompagnant la première
apparition de Phèdre, qui s’explique parce que les personnages tragiques ne
devaient jamais s’asseoir et qui indique, comme le dit Œnone, que « la
Reine touche presque à son terme fatal ». Dans le théâtre de Beckett,
hypertrophiées, elles montrent, face au dialogue « mourant » (A. Robbe-
Grillet, Pour un nouveau roman, Éd. de Minuit, 1963), l’importance de la
gestuelle, qui consolide la présence du personnage.
À partir du XIXe siècle, brossant un décor plus précis et qui joue un rôle
dans l’atmosphère de la pièce – pensons au drame romantique –, les
didascalies apparaissent sous formes de phrases nominales où les
substantifs sont accompagnés d’expansions* à fonction descriptive :

Les caveaux qui renferment le tombeau de Charlemagne à Aix-la-


Chapelle. De grandes voûtes d’architecture lombarde. Gros piliers bas,
pleins-cintres, chapiteaux d’oiseaux et de fleurs.
Hugo, Hernani, acte IV.
Certaines didascalies ont leur principale fonction en marge de la
représentation. Un cas particulier se trouve dans le Tartuffe :

Le Ciel défend, de vrai, certains contentements ;


(C’est un scélérat qui parle.)
Mais on trouve avec lui des accommodements ;
Selon divers besoins, il est une science
D’étendre les liens de notre conscience
Et de rectifier le mal de l’action
Avec la pureté de notre intention.
Molière, Tartuffe, IV, 5.

☞ En stigmatisant les faux dévots dans sa pièce, Molière sait qu’il


s’aventure sur un terrain dangereux car « la fausse piété et la vraie ont je ne
sais combien d’actions qui leur sont communes » (Bourdaloue). Cette
didascalie est un témoignage écrit de ce qu’il ne dénonce ici que « les
friponneries couvertes de ces faux-monnayeurs en dévotion » (Molière,
Premier placet) : les directeurs de conscience malhonnêtes. Elle constitue
un « avertissement au lecteur ».

LES DIFFÉRENTS TYPES DE DISCOURS RAPPORTÉS


Lorsque, notamment dans le cadre du roman, un narrateur donne la
parole à ses personnages, il y a dédoublement de l’énonciation*. Comment,
de manière formelle, s’introduit alors le discours d’autrui dans celui du
locuteur premier ?

Le discours direct
Le locuteur peut choisir de citer fidèlement les paroles qu’il rapporte :
c’est le discours direct. Le décalage énonciatif est alors marqué par les
guillemets (à partir du XIXe siècle) ou, dans le cas où les paroles de plusieurs
personnages s’enchaînent, par le tiret. Le narrateur peut indiquer le
changement de locuteur soit par une phrase introductive comportant un acte
de parole, soit par une incise, dans laquelle le sujet est postposé au verbe, à
l’intérieur ou à la fin du discours direct et qui, à la manière d’une
didascalie, donne des indications sur le ton de la voix, l’attitude ou les
sentiments du personnage. Parfois, pour éviter la répétition pesante de ces
indications, le narrateur peut être plus allusif :

Le visage de Fabrizio m’arrêta, amical et triste.


– Tu es fou, Aldo, je pense. Regarde-moi ! Marino t’aime plus que nous
tous. Mais il a peur de toi, et il sait pourquoi, et moi je ne le sais pas...
Fabrizio fronça les sourcils, dans cet effort naïf et théâtral de la
réflexion très juvénile qui me déridait et qui le rendait encore d’un seul
coup à l’enfance.
– ... et quelquefois je pense qu’il a raison.
Je le frappai sur l’épaule, souriant déjà à demi.
– C’est bon, Fabrizio. Ne me garde pas rancune.
Gracq, Le Rivage des Syrtes, « La chambre des cartes ».

☞ Dans En lisant en écrivant, Gracq estimait qu’en présentant


simultanément « les voix et les mimiques » des personnages, le film
l’emportait en « efficacité dramatique » sur le roman. Ici, par un procédé
fréquent chez cet auteur, la phrase qui précède le discours direct centre
l’attention sur celui qui va parler, l’apostrophe confirmant ensuite l’identité
du locuteur : cela traduit une volonté marquée d’associer étroitement le
« champ visuel » et le « contre-champ sonore ».

Remarque : le discours direct n’est donc pas complètement autonome


puisque le narrateur a besoin de reconstituer la situation d’énonciation*
pour que le message puisse être correctement interprété par le lecteur ; ce
faisant, il interprète les intentions de celui qui parle (en mentionnant, par
exemple « prétendit-il » ou « avec arrogance ») : « le contrat de littérarité ne
porte jamais que sur la teneur du discours » (G. Genette, Nouveau Discours
du récit).
Répétant un acte de parole, le discours direct présente les caractéristiques
de l’énonciation* de discours : pronoms nominaux, désignant directement
les interlocuteurs (cf. p. 35), expressions déictiques, c’est-à-dire localisant
leur référent* dans la situation de communication, temps de l’énonciation*,
principalement le présent, modalités* exclamative, jussive, interrogative,
voire structures agrammaticales.
La rupture avec le récit est donc sensiblement marquée :

– Monsieur Thénardier ! ce vieux t’a fait poser ! tu es trop bon, vois-tu !


Moi, je te vous lui aurais coupé la margoulette en quatre pour
commencer ! [...] Personne ! numéro dix-sept ! C’est une grande porte
cochère ! Pas de monsieur Fabre, rue Saint-Dominique ! et ventre à
terre, et pourboire au cocher, et tout !
Hugo, Les Misérables, « Marius », VIII, 20.

☞ Le discours direct est très présent chez Hugo, car la langue parlée par
chacun rend son appartenance sociale et sa psychologie immédiatement
sensibles, comme ici : la « misère » se manifeste aussi par la langue, en
particulier par celle qui « clopine » (Hugo), l’argot.

Remarque : le texte dramatique est uniquement constitué d’une suite de


discours directs de personnages. La parole du dramaturge est
obligatoirement absente, sauf dans les didascalies*.

Le discours indirect
En recourant au discours indirect, le narrateur choisit de ne pas donner la
parole à ses personnages mais de transcrire leur propos à sa guise. Cela se
marque sur le plan formel :
par la subordination syntaxique : le discours est rapporté dans une
proposition subordonnée dépendant d’une proposition principale dont le
verbe indique la prise de parole (« il dit que ») ;
par la substitution à toutes les modalités possibles dans le discours direct
de la seule modalité assertive (« il lui demanda s’il viendrait » au lieu de
« viendra-t-il ? ») ;
par la transposition des déictiques* dans le cadre énonciatif du récit
(d’« aujourd’hui » à « ce jour-là », de « ici » à « là ») ;
par la transposition des personnes si le narrateur et le personnage ne sont
pas confondus : « je » et « tu » deviennent « il », les possessifs suivant la
même transformation ;
par la transposition des temps qui sont alors repérés par rapport au
moment du récit (« Il déclara : "J’ai fait, je fais, je ferai cela" » devient
« Il déclara qu’il avait fait, qu’il faisait, qu’il ferait cela ») : ces formes
en ais marquent toutes un « décalage [...] dans l’ordre de la prise en
charge énonciative » (Le Goffic, Points de vue sur l’imparfait),
puisqu’elles renvoient à un locuteur qui n’est pas le narrateur.
Le discours indirect, parce qu’il efface comme nous venons de le voir
toutes les marques formelles du discours qu’il rapporte en l’intégrant dans
le récit, permet au narrateur de filtrer les propos de son personnage : « Le
narrateur ne se contente pas de transposer les paroles en propositions
subordonnées, mais [...] il les condense, les intègre à son propre discours, et
donc les interprète en son propre style » (G. Genette, Figures III). Il en est
ainsi dans Manon Lescaut où le narrateur des Grieux s’interpose souvent
entre la parole des autres personnages, notamment celle de Manon, et le
lecteur :

Enfin, elle me dit qu’elle était sortie de ce lieu la dernière, pour cacher
son désordre, et que, ne suivant que le mouvement de son cœur et
l’impétuosité de ses désirs, elle était venue droit au séminaire, avec la
résolution d’y mourir si elle ne me trouvait pas disposé à lui pardonner.
Où trouver un barbare qu’un repentir si vif et si tendre n’eût pas
touché ?
Abbé Prévost, Manon Lescaut, première partie.

☞ Comme le sous-entend la dernière phrase à l’infinitif délibératif, le


narrateur des Grieux justifie sa conduite devant « l’honnête homme » à qui
il raconte son aventure en ne reproduisant du discours de Manon que les
éléments propres à émouvoir.

Ce discours donne aussi une unité à la narration, puisqu’il ne


l’interrompt pas ; mais la subordination, lorsque le propos ainsi rapporté est
long, crée une phrase lourde, qui peut nuire au rythme du récit. Cela
explique que, dès le XVIIe siècle, dans les récits alertes que constituent les
Fables de La Fontaine, au XVIIIe siècle chez Marivaux et Rousseau entre
autres, et surtout à partir du XIXe siècle dans les romans naturalistes
notamment, on trouve souvent un autre type de discours : le discours
indirect libre.

Le discours indirect libre


Il tient à la fois du discours direct et du discours indirect :
comme le discours indirect, il est intégré dans le système énonciatif du
récit : il y a donc transposition des personnes, des temps et des
déictiques ;
mais il conserve la syntaxe et les modalités du discours direct :

Il eût voulu réfléchir, mais les idées tourbillonnaient confusément dans


sa tête. De plus, il ressentait un petit pincement au côté droit, là, sous les
côtes ; il n’y couperait pas : c’était la crise de foie. Y avait-il seulement
de l’eau de Vichy à la maison ? Si au moins son épouse était rentrée !
Gide, Les Faux-Monnayeurs, II.

☞ On remarque que les caractéristiques énoncées plus haut se retrouvent


le plus souvent mais non obligatoirement, en particulier à partir de la fin du
e *
XIX siècle : ainsi le déictique là tel qu’il est utilisé par Gide renvoie à une
énonciation* de discours, non de récit.

Ce procédé, essentiellement littéraire, contrairement aux deux autres,


superpose la voix du narrateur et celle du personnage, et deux « langues »
(M. Bakhtine, Esthétique et Théorie du roman) peuvent alors se rencontrer,
comme ci-dessus où le terme épouse appartient plus au discours du
narrateur qu’à celui de Monsieur Profitendieu dans l’état de trouble où se
trouve ce dernier mais constitue néanmoins une citation du langage
bourgeois habituel du personnage en temps normal. En fait, il est
impossible de reconstituer deux énoncés distincts et c’est cette ambiguïté,
relevée par tous les critiques (G. Genette, op. cit. ; D. Cohn, La
Transparence intérieure, Le Seuil, 1981, entre autres), qui en fait l’intérêt.
Le discours indirect libre est de ce fait l’outil idéal pour véhiculer
l’ironie, puisque parler de façon ironique, pour reprendre les analyses de O.
Ducrot (op. cit.), consiste pour un locuteur à proférer un énoncé en le
mettant en même temps à distance – le point de vue manifesté, que lui-
même récuse, étant attribué à un autre énonciateur. Ce type d’énoncé est
donc marqué par ce que O. Ducrot appelle la « polyphonie » :

Après l’ennui de cette déception, son cœur, de nouveau, resta vide, et


alors la série des mêmes journées recommença.
Elles allaient donc maintenant se suivre ainsi à la file, toujours pareilles,
innombrables et n’apportant rien ! Les autres existences, si plates
qu’elles fussent, avaient au moins la chance d’un événement. Une
aventure amenait parfois des péripéties à l’infini, et le décor changeait.
Mais, pour elle, rien n’arrivait, Dieu l’avait voulu !
Flaubert, Madame Bovary, I, 9.

☞ Si le deuxième paragraphe reproduisait au discours direct les


réflexions de Madame Bovary, seul apparaîtrait le point de vue d’Emma et
le lecteur serait libre de compatir ou non à sa situation. Le discours indirect
libre, en faisant entendre simultanément la voix du narrateur, opère une
destruction ironique de la perspective du personnage : le narrateur ne croit
pas, quant à lui, que tout ce qui arrive à son héroïne soit « la faute de la
fatalité » (Madame Bovary, III, 11). Emma est certes saisie du dedans par le
discours indirect libre, mais sans que l’auteur, par le truchement de son
narrateur, cesse de « se moque[r] de sa jeune première » (Flaubert, Lettre à
Louise Colet).

Remarques :
• La frontière entre discours indirect libre, discours direct et narration
pure est de plus en plus ténue dans le roman du XXe siècle :

Son père semblait enfin s’apercevoir qu’elle était là. Thérèse, d’un bref
regard, scruta ce visage sali de bile, ces joues hérissées de poils durs
d’un blanc jaune que les lanternes éclairaient vivement. Elle dit à voix
basse : « J’ai tant souffert ; je suis rompue ; » puis s’interrompit : à quoi
bon parler ? Il ne l’écoute plus ; ne la voit plus. Que lui importe ce que
Thérèse éprouve ? Cela seul compte : son ascension vers le Sénat
interrompue, compromise à cause de cette fille (toutes des hystériques
quand elles ne sont pas des idiotes). Heureusement, elle ne s’appelle
plus Larroque ; c’est une Desqueyroux. [...] Il prit le bras de Thérèse.
Mauriac, Thérèse Desqueyroux, I.

☞ On ne sait si on est à l’intérieur de la pensée de Thérèse ou de celle de


son père, ou si le point de vue adopté est celui du narrateur qui aurait une
« toute-connaissance [...] divine » (J.-P. Sartre, Situations, I) de l’âme de ses
personnages. La concordance par rapport aux temps de la narration n’est
pas observée, ce qui à la fois produit un effet de dramatisation et rapproche
la temporalité de l’énoncé du narrateur de celle du discours des
personnages.

• Les guillemets et l’italique peuvent, à l’intérieur d’un discours donné,


isoler des termes appartenant à un autre énonciateur ; ceux-ci sont ainsi mis
à distance par le locuteur en même temps que soulignés :

La capitaine Magnard patronisait les réservistes et les jeunes aspirants


avec une rondeur de comédie ; à coups de tapes sur l’épaule et de brûle-
gueule qu’il leur poussait familièrement sous le nez, il les « mettait en
confiance ».
Gracq, Un balcon en forêt.

☞ La parole de l’autre est incorporée dans l’énoncé du narrateur –


comme le prouve l’imparfait à l’intérieur de la citation, qui fonctionne par
rapport à la temporalité du récit et non du discours – mais reste grâce à la
ponctuation marquée comme un énoncé étranger à celui du locuteur
premier. Les guillemets peuvent signifier, comme ici, le « refus de prendre à
son compte une façon de parler [...], écartée comme vulgaire ou fausse »
(R. Laufer, « Du ponctuel au scriptural », Langue française, n° 45).

• Il peut y avoir « contamination » entre le discours des personnages et le


discours du narrateur, lorsque l’auteur choisit de leur accorder un registre*
de langue similaire. C’est ce qui se passe fréquemment chez Zola, dans les
romans auxquels il veut donner « l’odeur du peuple » (Zola, Préface de
L’Assommoir) :

Mais la mauvaise humeur grandissait. Ça devenait crevant à la fin. Il


fallait décider quelque chose. On ne comptait pas sans doute se regarder
comme ça le blanc des yeux jusqu’au dîner. Alors, pendant un quart
d’heure, en face de l’averse entêtée, on se creusa le cerveau.
Zola, L’Assommoir, III.

☞ Dans la dernière phrase, le discours indirect libre a laissé place à la


narration, mais la métaphore* adjectivale l’averse entêtée et la métaphore
verbale se creuser le cerveau appartiennent au langage populaire : le
narrateur, qui épouse le point de vue des personnages (les invités de la noce
de Gervaise et Coupeau) par l’emploi du pronom indéfini on, adopte aussi
leur langage.
• Le discours indirect libre, nous l’avons vu, a souvent été utilisé pour
traduire les pensées d’un personnage. Il permet en effet d’atteindre une plus
grande vraisemblance dans le rendu d’une pensée, puisqu’on peut dire que
le travail de mise en forme revient au narrateur, l’instance énonciative du
personnage se contentant d’en livrer le thème. Mais à la fin du XIXe siècle,
des romanciers veulent « exprimer avec force et rapidité les pensées les plus
intimes, les plus spontanées, celles qui paraissent se former à l’insu de la
conscience et qui semblent antérieures au discours organisé » (Valéry
Larbaud, Préface des Lauriers sont coupés de É. Dujardin). Certains ont eu
recours au « monologue intérieur » (É. Dujardin, Le Monologue intérieur,
Messein, 1931) appelé aussi « monologue immédiat » (G. Genette, op. cit.)
ou « monologue autonome » (D. Cohn, op. cit.). Ce « discours adressé à
personne » (E. Dujardin, ibid.) se caractérise par l’absence de médiation du
narrateur et par des « phrases directes réduites au minimum syntaxial »
(ibid.) :

Non je ne descendrai pas non je ne veux pas voir le type tant pis si
scandale oh je suis bien dans mon bain il est trop chaud j’adore ça
tralala dommage j’arrive pas à siffler vraiment bien comme un garçon
oh je suis bien avec moi les tenant à deux mains je les aime j’en soupèse
l’abondance [...]
Albert Cohen, Belle du Seigneur, I, 18.

☞ Cohen va plus loin puisqu’il choisit une phrase sans clôture (toute
ponctuation, même finale, en est absente), à la syntaxe relâchée – les
substantifs ne sont pas tous déterminés (scandale), le pronom représentant
les n’a pas de référent* – pour traduire la pensée « la plus proche de
l’inconscient » (É. Dujardin, op. cit.) de son héroïne. Mais il faut néanmoins
souligner les limites (le roman s’adresse à un lecteur, donc il doit être
compréhensible) et la convention (la pensée peut-elle se verbaliser ?) d’un
tel choix.
3

LES CONSTITUANTS SYNTAXIQUES


DU TEXTE

A NALYSER un texte, c’est aussi identifier et interpréter les constituants


syntaxiques du texte. Pourquoi telle catégorie grammaticale est-elle
fortement représentée ici, absente là ? Quelle valeur stylistique donner à la
prédominance de telle ou telle fonction grammaticale ? Comment
s’ordonnent les mots dans la phrase ? Les pages qui suivent répondent aux
questions d’ordre grammatical que l’on doit se poser lors d’une étude
stylistique.

LE VERBE
Phrases verbales, phrases nominales
Parce que le verbe est le constituant central de la phrase de base
permettant de décrire un procès*, la juxtaposition de plusieurs verbes dans
une phrase centre l’attention sur les procès :

Il rampait à plat ventre, galopait à quatre pattes, prenait son panier aux
dents, se tordait, glissait, ondulait, serpentait d’un mort à l’autre, et
vidait la giberne ou la cartouchière comme un singe ouvre une noix.
Hugo, Les Misérables, V, I, 15.

☞ La juxtaposition de verbes sans sujet répété marque le caractère


protéiforme et insaisissable de Gavroche, « l’enfant feu follet » (ibid.) : est-
il cheval, serpent ou singe ?
Quand le sujet, quoique commun à plusieurs verbes, est répété, chaque
procès est alors isolé, et l’on a affaire comme dans Les Caractères de La
Bruyère à une « collection [...] d’attitudes » (Barthes, Essais critiques, Le
Seuil, 1964) :

Vous le voyez planté et qui a pris racine au milieu de ses tulipes et


devant la Solitaire, il ouvre de grands yeux, il se frotte les mains, il se
baisse, il la voit de plus près, il ne l’a jamais vue si belle, il a le cœur
épanoui de joie.
La Bruyère, Les Caractères, « De la mode », 2.

☞ Il y a ici, de plus, parataxe, c’est-à-dire absence de subordination, et


asyndète, c’est-à-dire absence de coordination : l’énumération est donc
ouverte, comme si ne figuraient que quelques exemples des manifestations
maniaques du « fleuriste » (ibid.).

Au contraire, dans l’écriture artiste (cf. p. 84), c’est le substantif qui


domine pour rendre les sensations perçues : les procès sont traduits par une
structure [nom exprimant une action + complément déterminatif exprimant
le sujet de l’action], appelé aussi génitif subjectif. Les écrivains n’hésitent
pas à parer à l’insuffisance numérique des substantifs d’action ou d’état en
ayant recours à des mots rares ou à des néologismes* : Proust, dans son
pastiche du Journal des Goncourt (À la recherche du temps perdu, « Le
Temps retrouvé »), parle de « l’épellement apeuré d’une confession sur le
renoncement à écrire », du « dernier allumement d’une lueur », de « la
vivante effeuillaison de la fleur ».
Le verbe peut totalement disparaître de la phrase et celle-ci devenir une
phrase nominale : la réalité notionnelle à laquelle renvoie le nom occupe
alors tout l’espace de l’énoncé. C’est pourquoi ce type de phrase apparaît
dans la description, quand le narrateur souhaite détacher cette dernière de la
trame narrative, car le sujet de l’énoncé apparaît alors « hors de toute
détermination temporelle » et « hors de toute relation avec le locuteur »
(É. Benveniste, op. cit.) :
Paysage minéral, parfaitement tellurique : gneiss, porphyre, grès,
serpentine, schistes pourris. Horizons entièrement fermés de roches
acérées, aiguilles de Lus, canines, molaires, incisives, dents de chiens,
de lions, de tigres, de poissons carnassiers.
Giono, Un roi sans divertissement.

Remarque : on appelle parfois abusivement phrase nominale tout


énoncé* sans verbe, même s’il ne comporte pas de nom (cf. ci-dessous
« Condamné ! »). Dans bien des cas, ce type de structure est utilisé « pour
communiquer un message fortement conditionné par une situation
d’énonciation* particulière » (M. Riegel, J.-C. Pellat, R. Rioul, Grammaire
méthodique du français, PUF, 1994), qui n’est compréhensible que si on le
met en relation avec une situation déterminée, ce qui amène à nuancer
l’interprétation de É. Benveniste citée plus haut. L’effet produit est
cependant le même : une plus grande expressivité que celui de la phrase
canonique (cf. également p. 86). Les énoncés sans verbe sont très fréquents
dans la langue orale courante où l’on recherche la brièveté et l’expressivité.
Dans le texte littéraire, ils apparaissent dans le discours direct*, notamment
dans des situations d’échanges rapides :

PÈRE UBU
[...] Qui es-tu, bouffre ?
LE NOBLE
Comte de Vitepsk.
PÈRE UBU
De combien sont tes revenus ?
LE NOBLE
Trois millions de rixdales.
PÈRE UBU
(Il le prend avec le crochet et le passe dans le trou.)
Condamné !
MÈRE UBU.
Quelle basse férocité !
Jarry, Ubu roi, III, 2.
☞ Dans les énoncés sans verbe de ce passage, seul figure le prédicat,
c’est-à-dire l’information principale ; le thème, c’est-à-dire le support
notionnel, ce dont on parle, est fourni par la situation d’énonciation* (les
didascalies* ou la réplique précédente). Ces constructions se rencontrent
surtout dans la comédie où le niveau de langue est plus relâché, et souvent,
comme ici, dans des moments de tension.

Le verbe en construction absolue


Certaines constructions verbales peuvent avoir des effets stylistiques.
Des verbes transitifs directs, nécessitant dans le langage courant
l’expression de leur complément d’objet, peuvent être construits sans
complément, de manière absolue. L’effet de sens qu’entraîne cet écart par
rapport à la norme doit être commenté ; en l’absence de tout complément, le
procès-verbal est mis en relief :

Là, vivant à discrétion,


La galande fit chère lie,
Mangea, rongea ; Dieu sait la vie,
Et le lard qui périt en cette occasion.
La Fontaine, Fables, III, « La Belette entrée dans un grenier ».

☞ La fréquence des verbes constitue une des caractéristiques du style de


La Fontaine ; en ne donnant pas de complément d’objet aux verbes manger
et ronger, le poète centre l’attention sur le sujet en action.

La notion d’aspect
Il faut aussi dans l’analyse d’une forme verbale prendre en considération
la notion d’aspect, c’est-à-dire la manière dont elle présente le procès. On
distinguera ainsi cinq aspects différents.

L’aspect accompli et l’aspect inaccompli


Les formes simples du verbe présentent un procès en cours
d’accomplissement, donc inaccompli (mangeant, dormir, je travaille…), les
formes composées présentant un procès entièrement achevé, donc accompli
(ayant mangé, avoir dormi, j’avais travaillé).

L’aspect global et l’aspect sécant


Quand le procès est perçu de l’intérieur sans que soient prises en
considération ses limites comme dans l’imparfait de l’indicatif (cf. ci-
après), on parle d’aspect sécant. Quand il est perçu de l’extérieur, avec ses
limites temporelles comme le passé simple (cf. ci-après), on parle d’aspect
global. Cette distinction est plus juste que celle entre aspect duratif et aspect
ponctuel (cf. p. 74).

L’aspect perfectif et l’aspect imperfectif


C’est le sens du verbe qui véhicule cet aspect : dans le cas d’un verbe
perfectif, le procès doit se prolonger jusqu’à son terme pour être
effectivement réalisé (naître, mourir, entrer, sortir) ; dans le cas d’un verbe
imperfectif, le procès est engagé dès son début et peut se prolonger en
théorie indéfiniment (vivre, travailler, pleurer).

L’aspect semelfactif et l’aspect itératif


Quand le procès est unique, il a un aspect semelfactif (du latin semel,
« une fois ») ; quand il se répète, un aspect itératif. Ces indications sont
données par le temps (le passé simple est le plus souvent semelfactif), par
des indicateurs temporels (il vient souvent, tous les deux jours) ou par le
sens même du verbe (rabâcher, recommencer).

L’aspect inchoatif et l’aspect terminatif


Ce sont principalement des périphrases verbales qui indiquent si le
procès est saisi à son début et a un aspect inchoatif (se mettre à, commencer
à) ou est saisi à sa fin et a un aspect terminatif (finir de, cesser de).

Valeur des temps de l’indicatif


L’actualisation est, pour une unité de la langue, le passage du virtuel au
réel, c’est-à-dire de la langue au discours. Le réel est conçu comme tel dans
la mesure où le locuteur peut le situer par rapport à lui, au lieu où il se
trouve et au moment où il parle (« moi, ici, maintenant »). À l’écrit, le
« réel » est soit le contexte historique, soit, dans le cas d’un discours de
fiction, le cotexte* :

Je suis seul ici, maintenant, bien à l’abri.


Robbe-Grillet, Dans le labyrinthe.

☞ En plaçant dans cette phrase d’incipit* un pronom embrayeur*, le


temps présent et des adverbes déictiques* référant à une situation
d’énonciation* non identifiable par le cotexte*, Alain Robbe-Grillet, chef
de file du « nouveau roman », refuse de préciser, comme c’est la tradition
en début de roman, la situation narrative et donc de rendre « l’intelligibilité
du monde » : « l’écriture romanesque ne vise pas à informer » (A. Robbe-
Grillet, Pour un nouveau roman).

L’indicatif est le mode de l’actualisation* du procès. Il est le seul mode à


situer le procès dans la chronologie : passé, présent et avenir. Il faut
analyser l’organisation temporelle d’un texte selon les deux plans
d’énonciation* définis ci-dessus (cf. p. 31) : le « discours » et « l’histoire ».

Le présent
Le présent évoque un procès contemporain de l’énonciation*. C’est
pourquoi il prédomine dès que l’acte d’énonciation ne se dissimule pas.
Ainsi, dans le roman à la première personne ou dans un récit
autobiographique (cf. p. 40, les passages au présent font entendre la voix du
narrateur au moment où il raconte, tandis que les passages au passé simple
présentent les procès séparés du moment de l’énonciation :

Ce que je me rappelle le mieux, c’est l’état de souffrance, de soif, de


dévorante chaleur et de fièvre où je fus tout le temps de ce voyage.
George Sand, Histoire de ma vie, II, 14.
Cependant si le présent est le temps du discours, il se rencontre
également dans le système de l’histoire : alors que le cotexte* est au passé,
un court passage peut être au présent. Cette figure narrative que Fontanier,
dans Les Figures du discours (rééd. Flammarion, 1968), appelle énallage
(nom féminin), c’est-à-dire échange d’un temps contre un autre – on parle
aussi de temps « métaphorique » (D. Cohn, La Transparence intérieure) –,
est le présent de narration. Comme l’analyse Ph. Lejeune (Je est un autre,
« Le récit d’enfance ironique »), « les signes marquant le rapport du
narrateur à l’histoire manquent soudain, si bien que l’histoire semble
"crever" l’écran diégétique [...] pour venir sur le devant de la scène ».
L’effet produit est celui d’une mise en relief, ce qui explique que le présent
narratif soit souvent employé dans l’hypotypose* :

Tout à coup, au moment où le housard baissé


Se penchait vers lui, l’homme, une espèce de maure,
Saisit un pistolet qu’il étreignait encore,
Et vise au front mon père en criant : « Caramba ! »
Le coup passa si près que le chapeau tomba [...].
Hugo, La Légende des siècles, « Après la bataille ».

☞ Ici le présent produit un effet de dramatisation d’autant plus grand


qu’il est réservé uniquement aux verbes des propositions principales (saisit,
vise).

Il existe des cas extrêmes où la narration se fait entièrement ou presque


au présent ; on parle alors de présent historique. Le temps de l’énonciation
semble alors contemporain du temps de la diégèse*, comme dans Les
Grands Chemins de Giono ou L’Enfant de Jules Vallès :

Mon premier souvenir date donc d’une fessée. Mon second est plein
d’étonnement et de larmes.
C’est au coin d’un feu de fagots, sous le manteau d’une vieille
cheminée, ma mère tricote dans un coin [...].
Jules Vallès, L’Enfant, I.
☞ Alors que les procès au présent des deux premières phrases ont pour
agent le narrateur, ensuite la narration semble « le fait du personnage »
(Ph. Lejeune, op. cit.). Ainsi que le souligne Ph. Lejeune, à cause de ce
mélange des voix, L’Enfant tient à la fois du journal ou du monologue
contemporain des événements, et du récit rétrospectif.

Passé simple, imparfait et passé composé


Dans l’énonciation* historique, le locuteur n’intervient pas et les
événements racontés apparaissent comme totalement coupés du moment de
l’énonciation. Le temps fondamental du système de l’histoire – que Genette
nomme récit (cf. p. 31) – est le passé simple. La Grammaire générale et
raisonnée de Port-Royal (1660) spécifiait déjà que le passé simple ne
pouvait s’employer que pour parler « d’un temps qui soit au moins éloigné
d’un jour de celui auquel nous parlons », et Corneille se fit blâmer par
l’Académie pour l’avoir utilisé dans le récit par Rodrigue de son combat
contre les Maures, transgressant ainsi la règle de l’unité de temps imposée
au texte dramatique. Disparu du langage parlé de par cette absence de
relation avec la situation d’énonciation, il constitue « la pierre d’angle du
Récit » (R. Barthes, Le Degré zéro de l’écriture, Le Seuil, 1953), au point
que R. Barthes estime qu’il « n’est plus chargé d’exprimer un temps », mais
qu’il « fait partie d’un rituel des Belles-Lettres », qu’il « signifie une
création ». Même si les romans de science-fiction sont écrits au passé
simple alors qu’ils font référence à un temps à venir, le passé simple reste
un temps du passé : George Orwell, dans son roman 1984 paru en 1949, fait
comme si ce temps de fiction était déjà révolu.
Le passé simple évoque des procès de manière non sécante*, c’est-à-dire
extérieure et globale*, « sans le pénétrer », contrairement à l’imparfait qui
présente un procès vu de l’intérieur, opposant « à un certain point du temps
une partie du procès déjà accomplie à une autre qui reste à accomplir »
(R. Martin, Temps et Aspect, Klinsieck, 1971) et qui ne peut exister de
manière autonome : un procès à l’imparfait laisse attendre un autre procès à
un autre temps du passé ; c’est pourquoi on peut dire que c’est un temps
« anaphorique », c’est-à-dire qui a besoin de s’appuyer sur un antécédent
temporel fourni par le contexte, que ce soit un verbe à un autre temps verbal
ou un circonstanciel de temps. Alors que le passé simple, de par son
autonomie, est le temps « du premier plan » (ibid.), l’imparfait est celui
« du second plan » :

Depuis un moment, ils se tenaient immobiles, debout à quelques pas


l’un de l’autre, et Mrs Dare feignait de lire la lettre qu’il venait de lui
tendre, mais il y avait plusieurs secondes déjà qu’elle avait pris
connaissance de ce document et maintenant, du coin de l’œil, elle
observait le nouveau venu. Sans bien savoir pourquoi, elle éprouvait un
sentiment de gêne à le regarder en face. « En tout cas, se dit-elle pour se
rassurer, il a certainement l’air honnête. »
Julien Green, Moïra, I, 1.

☞ L’imparfait qui ouvre cet incipit* fait pénétrer le lecteur dans une
action déjà commencée, in medias res*, mais « le terme du procès passé est
laissé totalement ignoré » (R. Martin). La succession des imparfaits (se
tenaient, observait, éprouvait), renforce l’effet d’attente produit par le
pronom anaphorique* ils, dépourvu de référent*. C’est le passé simple (dit)
qui introduit une rupture.

Contrairement à l’imparfait qui peut présenter des faits simultanés


comme dans le texte de Julien Green, le passé simple, parce qu’il évoque un
procès limité dans le temps, est apte à marquer la succession
chronologique :

Quand il les sentit dominés, bien à lui, il se campa d’aplomb, ploya le


genou et leva la bûche de bois avec lenteur.
Jules Renard, Le Vigneron dans sa vigne, « L’homme fort ».

Remarque : parce qu’on a souvent appelé le passé simple un « temps


point » par opposition à l’imparfait « temps ligne », on entend trop souvent
dire à tort que le passé simple décrit des procès brefs. Ce n’est que la vision
du procès qui est ponctuelle et il vaut mieux parler, pour éviter toute
confusion, d’aspect global* :
Il épousa Mignonne, et vécut heureux avec elle un fort grand nombre
d’années.
Mme Leprince de Beaumont, Contes,
« Le prince Désir et la princesse Mignonne ».

☞ Le passé simple « parcourt l’espace temporel du procès de sa limite


initiale à sa limite finale » (R. Martin).

À la fois temps du discours et du récit, l’imparfait dans le premier cas


exprime un procès situé hors de l’actualité du locuteur :

La Révérende… Mère… désire… désire… [...]


La Révérende… Mère… désirait… aurait désiré…
Bernanos, Dialogues des Carmélites, deuxième tableau, 10.

☞ Le passage de vie à trépas de la prieure est marqué par le changement


de temps : on ne peut plus parler des morts au présent.
Dans le deuxième cas, « il renvoie à des repères temporels déterminés en
dehors de lui » (Le Goffic, Points de vue sur l’imparfait) : l’énoncé au
passé simple. C’est pour cette raison qu’avec d’autres linguistes, Pierre
Le Goffic estime que l’imparfait n’est pas un temps. Paul Ricœur va
d’ailleurs plus loin en écrivant (Temps et Récit, II, Le Seuil, 1983) : « On
peut parler de l’absence de temporalité de la fiction. » C’est à cela qu’il
attribue la possibilité de l’association du déictique* « maintenant » et de
l’imparfait, surtout à partir des naturalistes :

Il aperçut à quelque distance devant lui, encore à demi fondue dans le


rideau de pluie, une silhouette qui trébuchait sur les cailloux entre les
flaques. [...] Il y avait dans sa démarche quelque chose qui l’intriguait ;
sous le crépitement maintenant serré de l’averse dont elle semblait ne se
soucier mie, c’était à s’y méprendre celle d’une gamine en chemin pour
l’école buissonnière. [...] Maintenant qu’il s’était un peu rapproché, ce
n’était plus tout à fait une petite fille : quand elle se mettait à courir, les
hanches étaient presque d’une femme [...].
Gracq, Un balcon en forêt.
Ces « combinaisons discordantes [...] qui seraient inacceptables dans des
assertions de réalité » (P. Ricœur, op. cit.) prouvent à son sens que
l’imparfait a perdu sa valeur temporelle. Vuillaume dans sa Grammaire
temporelle des récits (Éditions de Minuit, 1990) les explique autrement :
« L’adverbe se définit par rapport au moment de la lecture et date, non pas
l’événement auquel réfère la proposition au passé, mais le reflet présent de
cet événement. » Il crée le « sentiment net d’une proximité
psychologique ». Cette explication, qui n’exclut pas l’autre, renvoie aux
effets de brouillage (ici entre le niveau de la diégèse* et celui de la
narration) auxquels se sont livrés fréquemment, suivis de beaucoup
d’autres, les naturalistes.
De par son aspect duratif, qui est un effet de sens produit par son aspect
sécant*, l’imparfait est entre autres le temps de la description : les procès
ainsi évoqués constituent une toile de fond sur laquelle vient s’inscrire
l’événement au passé simple. Mais les romanciers naturalistes, dans la
deuxième moitié du XIXe siècle, se mettent à utiliser de manière récurrente
l’imparfait là où l’on attendrait le passé simple :

Mais, fouillant sous ses manches, Hamilcar tira deux larges coutelas ; et
à demi courbé, le pied gauche en avant, les yeux flamboyants, les dents
serrées, il les défiait, immobile sous le candélabre d’or.
Flaubert, Salammbô, VII.

Il se mit à ses genoux et, lentement, il la dévêtait, ayant commencé par


les bottines et par les bas, pour baiser ses pieds.
Maupassant, Les Sœurs Rondoli, « Le mal d’André ».

Il choisit dans son armoire une chemise à col ouvert, vérifia si ses
souliers, si sa raquette, étaient valides ; et quelques instants plus tard, il
enfourchait sa bicyclette pour être plus vite au club.
R. Martin du Gard, Les Thibault, « La belle saison », VI.

Il est alors appelé imparfait « de rupture », « de clôture »,


« pittoresque » ou « historique », certains faisant la différence entre ces
appellations et entre les types de structures citées ci-dessus, selon que
l’imparfait est situé ou non en fin de paragraphe, et qu’il y a présence ou
absence de complément circonstanciel. A. Thibaudet, dans son Gustave
Flaubert (Plon, 1922), estime qu’il « dessine [...] l’attitude continuée qui
sort d’un acte instantané » ; H. Bonnard (Code du français courant) le
qualifie d’imparfait « flash », permettant une sorte d’arrêt sur image ;
O. Ducrot (op. cit.) l’interprète comme un facteur de cohésion avec ce qui
précède, parce qu’il présente « une vue totalisante ». Il a dans tous les cas
une fonction narrative puisqu’il introduit une situation postérieure au
dernier événement exprimé au passé simple. À partir de Flaubert, cet
« emploi nouveau » de l’imparfait (Proust, « À propos du style de
Flaubert », 1920) est devenu un procédé fréquent qui peut s’expliquer par la
volonté de rompre avec une continuité logique – puisqu’à un procès dont
sont perçus le début et la fin succède un procès dont on n’a pas vu le
commencement – et de passer d’un point de vue extérieur à un point de vue
intérieur ; il va d’ailleurs de pair avec la place de plus en plus grande
accordée au discours indirect libre*. Toutes ces « singularités
grammaticales » traduisent une « vision nouvelle » (Proust, ibid.)
Remarque : le participe présent, qui est appelé improprement ainsi
puisqu’il n’a pas de valeur temporelle propre mais marque une
concomitance avec le procès principal, a, dans un contexte passé, une
valeur aspectuelle semblable à celle de l’imparfait puisqu’il saisit lui aussi
le procès en cours de déroulement. C’est pourquoi à côté de « l’éternel
imparfait » (Proust, op. cit.) qui envahit l’œuvre de Flaubert pour traduire
notamment « l’embêtement de l’existence » (lettre de Flaubert à
Baudelaire), on rencontre conjointement chez lui le participe présent qui
« marque une continuité sur laquelle trancheront les moments individuels et
saillants des temps verbaux » (A. Thibaudet, op. cit.) :

Déjà ils se voyaient en manches de chemise, au bord d’une plate-bande,


émondant des rosiers, et bêchant, binant, maniant la terre, dépotant des
tulipes.
Flaubert, Bouvard et Pécuchet, I.

À cause de cette valeur, Claude Simon, dans La Route des Flandres, a


privilégié le participe pour traduire, comme il le déclare à la journaliste
Claude Sarraute, « la contiguïté dans la conscience » des souvenirs, sans
« commencement ni fin ».
Le passé composé appartient au système du discours car son repère
temporel est le moment de l’énonciation*. Forme composée, il a une valeur
aspectuelle d’accompli et souvent il indique que le procès achevé a un
retentissement dans le présent du locuteur :

Les doux souvenirs de mes beaux ans passés avec autant de tranquillité
que d’innocence, m’ont laissé mille impressions charmantes que j’aime
sans cesse à me rappeler.
Rousseau, Les Confessions, livre VII.

☞ Le résultat du procès exprimé par le passé composé est que les


souvenirs sont toujours inscrits dans le présent du locuteur et qu’il peut
donc se les rappeler. Le passé composé n’est pas permutable ici avec un
passé simple.

Parce qu’il est rattaché au présent du locuteur, il a pris à l’oral la place


du passé simple. Mais contrairement à celui-ci qui ordonne les différents
procès chronologiquement, le passé composé ne les situe pas les uns par
rapport aux autres. En faisant le choix d’une narration au passé composé,
Camus dans L’Étranger ne coupe pas le narrateur de son passé ;
C. Viaggiani (Camus « L’Étranger », Archives des lettres modernes) estime
même que dans la première partie, les événements sont racontés au jour le
jour, sans ordre strict, comme si Meursault tenait un journal :

J’ai pris l’autobus à deux heures. Il faisait très chaud. J’ai mangé au
restaurant, chez Céleste, comme d’habitude. [...] Quand je suis parti, ils
m’ont accompagné à la porte. [...] J’ai couru pour ne pas manquer le
départ.
Camus, L’Étranger, I, 1.

☞ Le récit du voyage de Meursault jusqu’à l’asile est interrompu par un


retour en arrière pour évoquer le repas chez Céleste : le passé simple ne
pourrait rendre compte de cette discontinuité dans la chronologie qui a fait
dire à Sartre : « Une phrase de L’Étranger, c’est une île. Et nous cascadons
de phrase en phrase, de néant en néant » (Situations, I). De plus, la
répétition des auxiliaires contribue à la platitude et à la monotonie du style,
propre à traduire une conception de l’existence qui rappelle celle formulée
dans La Nausée de Sartre, quelques années auparavant : « Quand on vit, il
n’arrive rien, les décors changent, les gens entrent et sortent, voilà tout. Il
n’y a jamais de commencements. Les jours s’ajoutent aux jours, sans rime
ni raison ; c’est une addition interminable et monotone ».

Le futur
Il faut signaler la présence récurrente du futur catégorique, temps du
discours qui situe le moment du procès postérieurement à l’énonciation*,
dans le discours amoureux en poésie. Dans ce dialogue fictif avec l’être
aimé, ce temps, qui présente un procès non constaté comme néanmoins
certain, assimile un simple rêve à deux à une prophétie, en le plaçant à
l’intérieur de l’univers de croyance de l’énonciateur :

Ce sera l’un de ces matins où je dors plus longtemps que toi


Tu m’attendras comme tu fais souvent quand mon sommeil s’obstine
Aragon, Elsa, « Ce sera l’un de ces matins ».

L’infinitif de narration

Nous avons vu que dans un récit au passé, une énallage* temporelle


pouvait substituer, à des fins de dramatisation, un présent à un passé simple
(cf. p. 73). Une énallage du mode peut produire le même effet avec
l’introduction de l’infinitif de narration, appelé aussi parfois « infinitif
historique ».
Il est introduit obligatoirement par la particule de et la phrase dont il est
le centre s’ouvre fréquemment par la conjonction de coordination et : ce
procès qui ne peut être situé temporellement que par le contexte narratif,
puisque l’infinitif n’est pas un mode qui actualise*, est donc saisi comme
une conséquence des procès immédiatement antérieurs, exprimés au passé
simple. Ce tour, emprunté au latin, a été employé principalement par La
Fontaine ; sa concision, puisqu’il y a ellipse de l’article devant le « sujet »
de l’infinitif, le rend apte à « signifier une soudaineté et hâtivité d’action »
(C. Maupas, 1618) :

L’homme tendit ses rets. Le Chat de grand matin


Sort pour aller chercher sa proie.
Les derniers traits de l’ombre empêchent qu’il ne voie
Le filet ; il y tombe, en danger de mourir ;
Et mon Chat de crier, et le Rat d’accourir,
La Fontaine, Fables, VIII, « Le Chat et le Rat ».

☞ L’effet de dramatisation passe ici par une première énallage


temporelle (du passé simple au présent) puis par une deuxième énallage,
modale celle-là (du présent de l’indicatif à l’infinitif de narration) ainsi que
par la non-concordance entre les limites syntaxiques et métriques : au
moyen du rejet en début de vers du COD de voie, la disposition métrique
mime le sens de la phrase, empêchant qu’on ne voie d’emblée... le filet.

LES DÉTERMINANTS
Les déterminants permettent d’actualiser le nom, le faisant passer de la
langue, tel qu’on le trouve dans un dictionnaire par exemple, dans le
discours, et de désigner un « objet » réel particulier auquel renvoie le
locuteur : le référent. Le système des déterminants est porteur d’un grand
nombre de valeurs référentielles.

Les articles

L’article indéfini et l’article défini


L’article indéfini introduit dans le discours un élément qui n’a pas encore
été identifié, tandis que l’article défini détermine un substantif dont le
référent est supposé parfaitement identifiable. C’est pourquoi l’article
indéfini est très présent dans les incipits* de récits, notamment pour
déterminer des substantifs désignant des personnages repérés pour la
première fois :
Nous étions à l’étude, quand le Proviseur entra, suivi d’un nouveau
habillé en bourgeois et d’un garçon de classe qui portait un grand
pupitre.
Flaubert, incipit de Madame Bovary.

☞ Dans le cadre connu du narrateur et supposé connu du destinataire,


déterminé par l’article défini (l’étude, le Proviseur) surgit le héros du
roman, Charles Bovary (un nouveau), accompagné d’un autre personnage
que le narrateur ne désire par identifier davantage car c’est une figure sans
importance, d’où l’emploi de l’article indéfini (un garçon de classe) : le
choix des articles va de pair avec la focalisation interne*.

La seconde mention du personnage ne peut être faite que par un


substantif déterminé par l’article défini (ou le déterminant démonstratif,
cf. p. 88) puisque la notion est devenue une « possession actuelle de la
pensée » (G. Moignet, Systématique de la langue française, Klincksieck,
1981) ; l’article défini est « mémoriel » (ibid.) et a un rôle anaphorique,
l’anaphore (nom féminin) étant la reprise d’un élément antérieur dans le
texte :

Resté dans l’angle, derrière la porte, si bien qu’on l’apercevait à peine,


le nouveau était un gars de la campagne [...].
Ibid.

☞ L’article indéfini déterminant un attribut (un gars) donne à celui-ci


une valeur classifiante.

Dans le texte poétique, l’article défini est souvent employé pour


déterminer des éléments qui n’ont pas été identifiés préalablement. Ce
procédé place le lecteur, moins clairement envisagé que dans le récit, dans
la position d’un voyeur pénétrant par effraction à l’intérieur de l’univers
secret du poète :

J’ai embrassé l’aube d’été.


Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les
camps d’ombres ne quittaient pas la route du bois. J’ai marché réveillant
les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se
levèrent sans bruit.
Rimbaud, Les Illuminations, « Aube ».

☞ Les substantifs, quand ils sont déterminés, le sont tous par un article
défini : les lieux (palais, camps d’ombre, bois) et les éléments rencontrés
par le poète dans son vagabondage (haleines, pierreries, ailes) sont
supposés connus alors qu’ils gardent leur mystère, ce qui contribue à créer
une atmosphère onirique et poétique. Ce poème peut en effet être interprété
à la fois comme le récit d’un rêve puisque la dernière phrase est : « Au
réveil il était midi », et comme celui d’une extase poétique.

L’article défini marque également la valeur générique des noms non


comptables (substantifs désignant la matière : le bronze) ou des noms
abstraits dits « compacts » (la chance), alors que l’article partitif détermine
des occurrences particulières (de la chance, du bronze). Tout écart par
rapport à cette norme traduit une perception originale du monde. Dans la
deuxième moitié du XIXe siècle, les Goncourt et d’autres romanciers
(Flaubert, Zola, Huysmans, entre autres) transcrivent dans leur style leur
vision du monde, fortement marquée par la peinture impressionniste : c’est
ce qu’on a coutume d’appeler le style ou l’écriture artiste. « La vision
artiste [...] dissocie, désintègre, éparpille les ensembles en une multitude de
touches ou de notations qui épuisent la totalité des éléments d’une
impression, mais rendent en même temps le caractère fortuit et hétéroclite
de leur rencontre » (H. Mitterand, Le Regard et le Signe). C’est pourquoi
l’article indéfini va servir à présenter une vision fragmentée de ce qui est
généralement saisi comme compact :

Il avait toujours sa jolie figure inquiétante de gueuse ; mais un certain


arrangement des cheveux, la coupe de la barbe, lui donnaient une
gravité.
Zola, L’Œuvre, VII.
☞ Le substantif abstrait gravité, s’il était suivi d’une épithète, d’une
relative ou d’un complément du nom, accepterait très normalement d’être
déterminé par l’indéfini qui, de l’ensemble « gravité », extrairait un élément
particulier : « une gravité profonde », « qui impressionnait », « de
sénateur », par exemple. C’est l’absence de tout élément restreignant le sens
du substantif qui rend la détermination par l’indéfini surprenante : il y a une
esthétique de l’expression rare chez les adeptes de l’écriture artiste, qui les
pousse à innover tant dans le domaine lexical que syntaxique (cf. p. 93 et
120).

Remarque : la détermination d’un nom non nombrable par un article


pluriel « augmente la valeur du mot abstrait » (F. Brunot, La Pensée et la
Langue, Masson, 1926) tout en lui donnant une valeur plus concrète.
Quoique blâmés par l’Académie, les « pluriels augmentatifs » (ibid.) ont été
très en faveur au XVIIe siècle, dans le langage galant marqué par la préciosité
qui recherchait l’hyperbole* :

Je sais de ses froideurs tout ce que l’on récite ;


Racine, Phèdre, II, 1.

☞ Le substantif au pluriel à la fois désigne les marques concrètes de


froideur de « l’insensible Hippolyte » et insiste sur la « haine fatale » qu’il
éprouve pour toutes les femmes.

On retrouve ces pluriels en quantité dans le style artiste* pour les raisons
citées ci-contre :

[...] Il s’échappait, battait les buissons, fouillait les terriers avec


d’adroites cruautés de furet chasseur [...].
A. Daudet, Sapho, VIII.

L’absence de déterminant
L’absence de déterminant, dans les cas où elle n’est pas imposée par des
contraintes de langue (comme après certaines prépositions), peut constituer
un choix stylistique :
elle apparaît dans certaines phrases nominales*, notamment descriptives,
qui constituent des énoncés abrégés où toute l’attention est centrée sur
les réalités auxquelles réfèrent les substantifs. Comme le remarque G.
Guillaume (Langage et Science du langage, Nizet, 1964), l’expressivité
s’accroît de par la réduction de l’expression grammaticale :

Profond silence, hors le frôlement des cartes et quelques cris du roi qui
se fâchait.
Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, IV, 38, 5.

☞ Dans les Mémoires, Chateaubriand adopte souvent ce « style du


voyageur » (J.-M. Gautier, Le Style des Mémoires d’outre-tombe, Droz,
1959) pour traduire des impressions reçues ou pour croquer rapidement des
lieux ;
c’est aussi par souci d’expressivité que l’absence de déterminant s’allie
très souvent à l’infinitif de narration* ;
elle est fréquente dans une énumération où l’accumulation de notions
compte davantage que l’actualisation* précise des éléments :

Ce n’était qu’amours, amants, amantes, dames persécutées


s’évanouissant dans des pavillons solitaires, postillons qu’on tue à tous
les relais, chevaux qu’on crève à toutes les pages, forêts sombres,
troubles du cœur, serments, sanglots, larmes et baisers, nacelles au clair
de lune, rossignols dans les bosquets, messieurs braves comme des
lions, doux comme des agneaux, vertueux comme on ne l’est pas,
toujours bien mis et qui pleurent comme des urnes.
Flaubert, Madame Bovary, I, 6.

☞ Ici se trouvent énumérés tous les poncifs qui traînaient dans les
romans populaires, « cette poussière » à laquelle Emma, adolescente, « se
graissa les mains » « dans les vieux cabinets de lecture » (ibid.), en prenant
pour des réalités ce qui n’est que virtuel : cette juxtaposition d’éléments
hétéroclites, tous visant à faire « pleurer Margot », est une marque de
l’ironie* de Flaubert vis-à-vis des rêves de son héroïne.

Remarque : le nom propre, parce qu’il s’autodétermine, présente le


personnage qu’il désigne comme déjà identifié. Un personnage ainsi
désigné pour la première fois est alors posé comme déjà connu, voire
intimement connu dans le cas où le personnage est désigné par son seul
prénom. Ce parti pris narratif donne l’impression au lecteur qu’il entre dans
un univers fictionnel déjà constitué et qu’il y a rétention d’informations de
la part du narrateur :

À peine âgé de vingt ans, Octave venait de sortir de l’école


polytechnique.
Stendhal, Armance, I.

☞ Alors que le titre laisse présager comme héros du roman un


personnage féminin, la première phrase met en scène un jeune homme déjà
identifié : il y a donc à la fois effet de surprise et effet d’attente, pour un
lecteur entraîné dans une histoire déjà commencée.

Les déterminants démonstratifs


Le déterminant démonstratif a deux emplois essentiels :
• un emploi déictique* où il désigne un référent* présent dans la
situation d’énonciation* et identifiable par cette seule situation ; c’est
pourquoi il suppose dans ce cas un interlocuteur présent :

TARTUFFE.
(Il tire un mouchoir de sa poche.)
Ah ! mon Dieu, je vous prie,
Avant que de parler prenez-moi ce mouchoir.
DORINE.
Comment ?
TARTUFFE.
Couvrez ce sein que je ne saurais voir.
Molière, Tartuffe, III.

☞ Dans la situation d’énonciation lors de la représentation théâtrale, le


démonstratif ce a une valeur déictique.
• un emploi anaphorique où il désigne un référent* présent dans le
cotexte* qui précède. L’anaphore est dite fidèle quand c’est le même
substantif qui est repris ; elle est dite infidèle quand la reprise
s’accompagne de changements lexicaux :

Au bout d’une ruelle silencieuse, humide et sombre, formée par les


murailles à pignon des maisons voisines, se voit le cintre d’une porte
bâtarde assez large et assez haute pour le passage d’un cavalier,
circonstance qui déjà vous annonce qu’au temps où cette construction
fut terminée les voitures n’existaient pas. Ce cintre, supporté par deux
jambages, est tout en granit. La porte, en chêne fendillé comme l’écorce
des arbres qui fournirent le bois, est pleine de clous énormes [...].
Balzac, La Comédie humaine, Béatrix, I, « Les personnages ».

☞ Parce que les lieux pour Balzac « indiquerai[en]t au besoin à


l’observateur la qualité de ceux qui les habitent » (Les Employés in La
Comédie Humaine), la prise de connaissance du héros au début du roman
commence souvent par celle de son habitation. Le parcours descriptif va
généralement de l’extérieur vers l’intérieur, et la focalisation* peut se faire
comme ici par un observateur extérieur, confondu avec le lecteur virtuel*
par le biais du pronom vous. La cohérence et la progression descriptive se
font par des anaphores fidèles (le cintre d’une porte/ce cintre) ou infidèles,
avec le passage d’une porte à l’hyperonyme* construction. Les anaphores
sont soit démonstratives (ce cintre) soit définies (la porte).

• Il est des cas où valeur anaphorique et valeur déictique ne sont pas


clairement séparables, par exemple cette lettre de Mme de Sévigné à Mme
de Grignan, écrite « Aux Rochers, dimanche 31 mai 1671 » :
Enfin, ma fille, nous voici dans ces pauvres Rochers. Quel moyen de
revoir ces allées, ces devises, ce petit cabinet, ces livres, cette chambre,
sans mourir de tristesse ?
Madame de Sévigné, Lettres.

☞ On peut considérer que le démonstratif a une valeur anaphorique


parce qu’il réfère à l’en-tête de la lettre, mais qu’il véhicule aussi une valeur
déictique dans la mesure où Mme de Sévigné se trouve dans les lieux
qu’elle décrit. Il ne peut se justifier pleinement néanmoins que par le fait
que « le locuteur présuppose que son interlocuteur a déjà à l’esprit le
référent auquel il veut référer » (G. Kleiber, « Déictiques, embrayeurs, etc.,
comment les définir ? », Information grammaticale, n° 30) : la mère évoque
à sa fille des lieux que celle-ci connaît déjà (valeur anaphorique) en même
temps que, par le dialogue différé de la lettre, elle installe par la pensée
auprès d’elle (valeur déictique) celle dont l’absence la fait « mourir de
tristesse ».

DEUX VECTEURS DE LA SUBJECTIVITÉ DU LOCUTEUR : LES


ADJECTIFS ET LES ADVERBES

« L’adjectif, c’est la graisse du style », écrit Hugo. La catégorie


adjectivale doit être l’objet d’une grande attention car elle est en particulier
un lieu privilégié de subjectivité. Le locuteur peut en effet exprimer
directement son attitude à l’égard du contenu de son discours. C’est ce que
Jakobson appelle la « fonction émotive » du langage (Essais de
linguistique générale, Éd. de Minuit, 1963), qui « colore à quelque degré
tous nos propos » (ibid.).
C. Kerbrat-Orecchioni (L’Énonciation, de la subjectivité dans le
langage, A. Colin, 1980) oppose :
les adjectifs « objectifs », ou « classifiants » (J.-C. Milner, De la
syntaxe à l’interprétation, Le Seuil, 1978) qui décrivent le monde et
peuvent s’interpréter hors d’un acte énonciatif précis (une table carrée,
un homme célibataire). Ils ne peuvent ni figurer dans une proposition
exclamative (*quelle table carrée !) ni varier en degré (*tu es plus
célibataire que moi) ;
et les adjectifs « subjectifs » ou « non classifiants » qui, portant un
jugement sur le monde, doivent être mis en relation avec l’acte
énonciatif dans lequel ils figurent.
Parmi les adjectifs subjectifs, elle distingue plusieurs catégories :
les adjectifs « affectifs » exprimant une « réaction émotionnelle » du
locuteur (amusant, terrible) ;
les adjectifs « évaluatifs », énonçant un jugement du locuteur ; parmi
ceux-ci, les adjectifs « non axiologiques » marquent une simple
évaluation qualitative ou quantitative de l’objet (minuscule, énorme),
alors que les adjectifs « axiologiques » indiquent un jugement de valeur
de la part du locuteur (sordide, remarquable).
En fait, la distinction entre affectif, axiologique et non axiologique n’est
pas toujours simple et varie selon le contexte : dans « que ce cours est
long ! », l’adjectif est à la fois affectif et axiologique ; dans « nous avons
fait un long voyage », il est évaluatif et non axiologique ; dans « je me suis
acheté une robe longue pour cette soirée », il sera même objectif, de même
que de manière plaisante on pourra parler d’une « femme très mariée »,
faisant passer le participe adjectivé de l’objectif au subjectif. C’est pourquoi
il vaut mieux parler d’emploi objectif, subjectif, axiologique, etc. :

Le pays était plat, pâle, fade et mouillé. Une ville basse, hérissée de
clochers d’église, commençait à se montrer derrière un rideau
d’oseraies. Les marécages alternaient avec les prairies, les saules
blanchâtres avec les peupliers jaunissants. Une rivière coulait à droite et
roulait lourdement des eaux bourbeuses entre des berges souillées de
limon.
Fromentin, Dominique, IV.

☞ « La difficulté de peindre avec le pinceau me fit essayer la plume »,


écrit Fromentin dans la préface à la troisième édition d’Un été dans le
Sahara. Dans ses romans, « paysage et âme s’accomplissent en fait l’un à
partir de l’autre » (J.-P. Richard, Littérature et Sensation, Le Seuil, 1954) et
la subjectivité du narrateur s’exprime dans la description notamment par le
biais des adjectifs qui y tiennent une grande place. Ici, ils sont
essentiellement axiologiques (les adjectifs plat et pâle acquérant cette
valeur à cause de leur juxtaposition à l’adjectif fade et la suffixation en -âtre
donnant cette valeur à l’adjectif blanc) : la ville est un lieu « monotone et
laid » (ibid.) pour le jeune héros campagnard.

Lorsque l’adjectif qualificatif épithète n’a pas une place fixe, comme
c’est le cas par exemple pour les adjectifs classifiants* ou suivis d’un
complément, toujours postposés, sa position prend souvent une valeur
stylistique.
Lorsqu’il est placé devant le substantif, il acquiert une valeur subjective,
affective, appréciative ou d’insistance – il est d’ailleurs notable que
l’antéposition de l’épithète a toujours été considérée comme un trait propre
à la langue littéraire – alors que, postposé au substantif, il a une valeur plus
objective, simplement descriptive :

Allez-vous-en la voir, et me laissez enfin


Dans ce petit coin sombre, avec mon noir chagrin.
Molière, Le Misanthrope, V, 1.

☞ Alors que l’adjectif sombre a ici son sens propre de « privé de


lumière », l’adjectif noir, antéposé, ne renvoie plus à la couleur mais prend
un caractère plus abstrait, métaphorique. Exprimant ici une qualité
impliquée par la définition même du nom chagrin, il constitue un simple
ornement rhétorique, ce que l’on appelle également une « épithète de
nature », toujours antéposée (cf. les « blancs moutons », la « verte
campagne »).
Des adjectifs très courants comme petit, grand, vieux, ancien, changent
radicalement de sens selon leur place par rapport au substantif. Antéposé au
nom, ce type d’adjectif modifie son contenu notionnel et définit avec le
substantif une classe nouvelle ; postposé, il renvoie uniquement au référent*
du groupe nominal. C’est ainsi que René Rocher, directeur du théâtre de la
Comédie-Caumartin, avait pu donner comme devise à son théâtre qui ne
comportait que deux cent cinquante places : « Théâtre petit... oui, mais pas
petit théâtre ».
Les écrivains ont beaucoup joué avec la place de l’épithète : « Souvent je
réfléchis un quart d’heure pour placer un adjectif avant ou après son
substantif », écrit Stendhal. Les adeptes de l’écriture artiste* aiment à
prendre le plus souvent le contre-pied de l’usage dit « normal » :

[...] elle nous laisse l’illusion d’un salutaire geste.


Huysmans, La Cathédrale.

☞ « Utiliser l’ordre inverse, c’est créer un groupe neuf, qui se substitue à


un cliché et où chaque élément, en raison de sa place inhabituelle retrouve
son maximum de vigueur et d’expressivité » (Cressot, La Phrase et le
vocabulaire de J.-K. Huysmans, Droz, 1938). Ici, l’adjectif salutaire,
d’emploi généralement objectif et de masse volumétrique plus importante
que le substantif geste, figurerait plus normalement après le nom qu’il
qualifie.
Parce que l’adverbe peut marquer la manière ou l’intensité, qu’il modifie
le sens d’un terme ou porte sur toute la phrase dans le cas des adverbes de
discours, il est propre à exprimer l’attitude de l’énonciateur :

Heureusement, les hasards de la vie sont affreusement plats, et jadis (car


c’est jadis déjà) on montait vingt fois en voiture publique, – comme
aujourd’hui vingt fois en wagon, – sans rencontrer un causeur animé et
intéressant ;
Barbey d’Aurevilly, Les Diaboliques, « Le rideau cramoisi ».

☞ Chez Barbey d’Aurevilly où la narration est éminemment subjective,


les adverbes reviennent fréquemment. Ce sont eux qui permettent de cerner
le narrateur premier anonyme des Diaboliques dont on devine que c’est un
homme vieillissant (à cause de déjà modifiant jadis), déçu et amer, comme
on le perçoit avec l’adverbe de discours malheureusement et avec l’adverbe
hyperbolique* affreusement modifiant l’adjectif plats : en un mot, un double
de l’auteur.
LES PRONOMS PERSONNELS
L’analyse du système des pronoms personnels entre, comme nous
l’avons vu plus haut (cf. p. 58), dans l’étude du dispositif énonciatif.
Certains emplois particuliers ont une signification du point de vue
stylistique.

Tu/vous

Dans une situation de discours, l’allocutaire* est désigné par le pronom


de la deuxième personne du singulier, tu. Le pronom de la deuxième
personne du pluriel s’utilise comme forme de politesse, parce que la
dilatation du sens impliquée par le pluriel entraîne une connotation* de
déférence : cet emploi est si courant qu’il est rare qu’on le désigne sous le
terme d’énallage*. Il faut être sensible à l’intérieur d’un texte au jeu entre le
tu et le vous qui sont révélateurs des rapports sociaux, du niveau d’intimité
entre les personnages et des mœurs d’une époque. Ainsi, dans Le Jeu de
l’amour et du hasard de Marivaux, le frère tutoie la sœur qui le vouvoie :
cela montre certes de la part de celui-là de l’affection vis-à-vis d’une sœur
sans doute plus jeune que lui, mais c’est aussi une marque de la relative
dépendance dans laquelle se trouve Silvia par rapport aux hommes de sa
famille. Au sein d’un grand nombre de ses pièces (La Surprise de l’amour,
La Nouvelle Colonie ou La Ligue des femmes), Marivaux aborde la question
de la place de la femme par rapport à celle de l’homme dans la famille et
dans la société : le langage fait partie du code social.
Dans la tragédie classique, qui se situe dans une époque où le
vouvoiement est de règle entre personnes de qualité, celui-ci peut laisser
place au tutoiement dans des circonstances solennelles ou quand un
personnage est sous le coup d’une grande émotion :

ORESTE.
Vous seule avez poussé les coups…
HERMIONE.
Tais-toi, perfide,
Et n’impute qu’à toi ton lâche parricide.
Racine, Andromaque, V, 3.

☞ L’effet dramatique du tutoiement est d’autant plus saisissant que la


plupart du temps, comme ici, il est le fait d’un seul personnage. Il marque
ici la haine d’Hermione pour celui qu’elle considère désormais comme un
« monstre » (ibid.) et également le début de son égarement – puisqu’elle ne
respecte plus les règles de la civilité de l’époque – qui va la conduire au
suicide. Il constitue pour Oreste le coup de grâce que lui porte Hermione et
qui l’entraîne lui aussi dans la folie.

On
Ce pronom est rangé à la fois parmi les personnels à cause de son
fonctionnement syntaxique et parmi les indéfinis parce qu’il marque
l’indétermination : il vient du latin homo, « l’homme », et désignait
primitivement « l’homme en général, les hommes ». Mais parce qu’il
permet d’éviter la désignation directe de la personne, il peut se substituer
par énallage* à tous les autres pronoms personnels. C’est pourquoi, quand il
apparaît dans un texte, il faut d’une part préciser quand c’est possible la ou
les personne(s) à laquelle (auxquelles) il renvoie indirectement, et d’autre
part – surtout – mettre en lumière les raisons qui poussent le locuteur à
dissimuler ainsi le référent*.
• On peut renvoyer à la troisième personne du singulier :

[...] il fut frappé de la froideur glaciale de la main qu’il prenait ; il la


serrait avec une force convulsive ; on fit un dernier effort pour la lui
ôter, mais enfin cette main lui resta.
Stendhal, Le Rouge et le Noir, IX.

☞ L’usage du pronom on permet de centrer l’attention sur la main de


Madame de Rênal et de traduire l’état d’esprit de Julien : le possesseur de la
main ne lui est rien si ce n’est « un ennemi avec lequel il [a fallu] se battre »
(ibid.).
• On peut renvoyer à la deuxième personne et le locuteur ne semble pas
alors s’adresser directement à son allocutaire*. Il se rencontre fréquemment
dans un emploi hypocoristique, c’est-à-dire marquant l’affection, la
familiarité :

Eh bien ! petite, est-on toujours fâchée ?


Maupassant, Notre cœur, III, I.

Le discours ironique use aussi du pronom indéfini qui permet une mise à
distance (cf. p. 90) :

Je vois que votre cœur m’applaudit en secret ;


Je vois que l’on m’écoute avec moins de regret
Racine, Bérénice, I, 4.

☞ Le choix par Antiochus du pronom on pour s’adresser à Bérénice


participe du ton railleur qu’il adopte pour faire remarquer à celle qu’il aime
sans espoir qu’elle est attentive à ses paroles uniquement lorsqu’elles ont
trait à Titus, son rival.

• Le on renvoyant à la première personne est souvent appelé on « de


modestie » : c’est celui derrière lequel se dissimule l’auteur ou, très souvent
dans le discours amoureux « classique », la femme qui aime :

Allez, vous êtes fou, dans vos transports jaloux,


Et ne méritez pas l’amour qu’on a pour vous.
Molière, Le Misanthrope, IV, 3.

☞ Célimène se joue d’Alceste qui exècre la dissimulation en restant


masquée : le pronom on peut toujours s’interpréter de manière générique.

• Dans le langage courant, on se substitue très fréquemment à nous. Dans


le récit, il contribue ainsi à créer un lien entre le narrateur, les personnages
et lecteur. « Le mot : On que j’ai dû employer, écrit Valéry dans Autres
rhumbs, tient lieu d’un sujet indistinct, à la fois spectateur, auteur, auditeur,
acteur, en qui le voir et le être vu, l’agir et le subir, sont réunis et même
curieusement composés. » Les naturalistes ont beaucoup usé de ce procédé :

[...] alors on entama des chansons, on fit des tours de force, on portait
des poids, on passait sous son pouce, on essayait à soulever les
charrettes sur ses épaules, on disait des gaudrioles, on embrassait les
dames.
Flaubert, Madame Bovary, I, 4.

☞ L’introduction du pronom on permet le passage à une focalisation


interne* : contrairement à d’autres passages où le narrateur maintient par
rapport à ses personnages une distance propice à l’ironie*, ici il fait corps
avec eux.

Ce pronom est tellement chargé d’indétermination qu’il peut au sein


d’une même phrase renvoyer à plusieurs référents :

Si ces personnes étaient en danger d’être assassinées s’offenseraient-


elles de ce qu’on les avertirait de l’embûche qu’on leur dresse ?
Pascal, Les Provinciales, onzième lettre.

☞ Dans cette œuvre polémique où il se défend contre les attaques et les


calomnies des jésuites, Pascal recourt très souvent à des tournures
impersonnelles et généralisantes derrière lesquelles il dissimule les
adversaires en présence. Ici l’indéfini désigne d’abord « ceux qui accusent
des fautes publiques » puis « ceux qui les commettent » (ibid.).

L’intérêt de l’utilisation du pronom indéfini on est donc qu’il constitue


une frontière entre la catégorie de la personne définie et celle de la masse
indéfinie, le référent se dérobant toujours à l’identification absolue, comme
bien des écrivains l’ont d’ailleurs mis en lumière de façon plaisante :
L’opinion de l’opinion ! Tiens, je commence à en avoir assez ! on a dit,
on dit, on dira [...] Qui ça, On ? Ce n’est jamais tout le monde ; c’est
même rarement deux interlocuteurs : ils se contredisent. C’est à peine
soi [...] quand On, monsieur On, est tout seul à raconter des histoires.
Paul Hervieu, Les paroles restent, III, I.

Le pronom de la troisième personne sans référent


Le pronom personnel de la troisième personne qui désigne la « non-
personne » (É. Benveniste, op. cit.), celle qui ne participe pas à l’acte
d’énonciation*, n’est qu’un « substitut abréviatif », un simple
« représentant » d’un élément présent dans le cotexte*, le plus souvent
antécédent : c’est un pronom anaphorique. C’est pourquoi son utilisation en
tête d’incipit* sans référent* posé préalablement crée une énigme, le lecteur
se demandant qui est ce personnage qu’il est censé connaître :

Il arriva chez nous un dimanche de novembre 189...


Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, « Le pensionnaire ».

☞ On peut certes penser que le pronom il réfère au « pensionnaire » dont


il est question dans le titre du chapitre, voire au « Grand Meaulnes » du titre
de l’œuvre, mais rien n’est sûr, et les paragraphes suivants, en opérant un
retour en arrière sur les conditions d’installation du narrateur dans l’école
de campagne qui va servir de cadre à la diégèse*, prolongent l’effet
d’attente : d’emblée, le personnage d’Augustin apparaît comme
insaisissable et l’atmosphère d’étrangeté qui baigne tout le roman est ainsi
créée dès le premier mot.

LA PHRASE
La phrase est une « unité stylistique » (G. Antoine, La Coordination en
français, t. I). Elle forme en effet le noyau central où se rassemblent tous les
procédés propres au style d’un écrivain. La manière dont les mots
s’organisent dans cette « unité de discours » (É. Benveniste, op. cit.), la
combinaison de la syntaxe et du rythme de la phrase construisent le sens de
l’énoncé.
Remarque : on peut distinguer « phrase » et « énoncé », qui sont souvent
employés de manière synonyme, en ce que la phrase est une catégorie
abstraite et l’énoncé « le résultat concret d’un acte de parole individuel »
(A. Sancier, D. Denis, Grammaire du français, Le Livre de poche, 1994).

Parataxe et hypotaxe
Lorsque la phrase est composée d’une seule proposition, elle est appelée
phrase simple. Quand elle est composée de plusieurs propositions, elle est
dite phrase complexe. Les propositions peuvent alors être sur le même plan
syntaxique, indépendantes les unes des autres, juxtaposées ou coordonnées.
On parle dans ce cas de parataxe, c’est-à-dire d’absence de rapports de
subordination.
L’usage de la parataxe est très fréquent au XVIIIe siècle, associé à
l’absence de coordination, appelée asyndète (nom féminin) : cette écriture a
reçu le nom de « style coupé ». L’absence de liens précisant le rapport entre
les différentes propositions, donne l’impression d’un refus d’interprétation
de la part du locuteur et participe d’une esthétique de l’implicite. Le texte
polémique du XVIIIe siècle passe très souvent par ce style. Voltaire « préfère
la notation d’un fait brut à l’explication de ses causes [...] et [...] cherche à
laisser le lecteur découvrir par lui-même la conclusion des faits présentés ».
(J.-R. Monty, « Étude sur le style polémique de Voltaire », Studies on
Voltaire and the Eighteenth Century, 44, 1966) :

Je suis indigent, tu es libéral ; je suis en danger, tu viens à mon secours ;


on me trompe, tu me dis la vérité ; on me néglige, tu me consoles ; je
suis ignorant, tu m’instruis : je t’appellerai sans difficulté vertueux.
Mais que deviendront les vertus cardinales et théologales ? Quelques-
unes resteront dans les écoles.
Voltaire, Dictionnaire philosophique, « Vertu ».

☞ C’est l’accumulation des actions charitables, dans une suite de


propositions juxtaposées, qui prouve à l’évidence que la vertu est l’apanage
uniquement de celui qui « aura fait quelque acte de vertu dont les autres
hommes auront profité » (ibid.) et non du saint qui « pri[e] dans la
solitude » (ibid.) ; le raisonnement, s’il était explicité par des liens
circonstanciels (« si, alors qu’on me trompe, tu me dis la vérité, je
t’appellerai vertueux »), perdrait de sa force parce qu’il serait moins concis.

Dans un récit au passé simple, parce que le seul ordre linéaire suffit pour
ce temps à marquer la succession chronologique des procès, l’asyndète
insiste sur leur enchaînement, sur la relation de cause à effet :

Un loup parut ; tout le troupeau s’enfuit.


La Fontaine, Fables, IX, « Le Berger et son troupeau ».

Quand une proposition entretient par rapport à une autre un rapport de


subordination, on parle d’une construction de la phrase par hypotaxe.
Celle-ci est très fréquente dans les textes d’analyse, où la structure
phrastique précise minutieusement le raisonnement de la pensée :

Quelque intérêt que j’eusse à ne point quitter Hortense, j’imaginai qu’il


fallait le faire céder à ce que je croyais me devoir à moi-même, et que
mon amour m’avait même engagé trop loin.
Crébillon fils, Les Égarements du cœur et de l’esprit, III.

☞ Dans ce roman d’apprentissage, le personnage du jeune Meilcour ne


cesse de se perdre dans des raisonnements et des déductions dont le
narrateur – Meilcour devenu libertin – met en lumière la naïveté et la
maladresse.

L’emphase syntaxique
Les mots dans la phrase s’organisent selon un ordre canonique : sujet,
verbe, complément d’objet ou attribut, complément d’objet indirect,
compléments circonstanciels. Le déplacement d’un constituant syntaxique
aboutit à sa mise en relief. Mais, parce que, contrairement à ce qui se passe
dans une langue casuelle (c’est-à-dire comportant des déclinaisons), en
français l’ordre des mots est une marque de la fonction syntaxique – « le
chat mange la souris » n’a pas le même sens que « la souris mange le chat »
– peu de constituants sont mobiles, à part la majorité des circonstanciels et
les épithètes détachées. Or leur place en tête de phrase entraîne plus un effet
d’attente des constituants essentiels de la phrase que leur propre mise en
relief :

Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,


Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
Hugo, Les Contemplations, « Demain dès l’aube... ».

☞ Dans ce poème qui repose tout entier sur un effet de suspens quant à
la nature du rendez-vous du poète et à l’identité du destinataire (cf. p. 40)
du discours, les compléments circonstanciels de temps détachés en tête de
phrase font attendre l’information essentielle ou prédicat que constitue le
procès, mis encore en relief par son rejet dans le vers suivant.

De plus, la place canonique du sujet étant en tête de phrase, cette


position ne constitue pas une mise en relief. Pour isoler d’une façon
expressive un constituant syntaxique et lui donner une fonction
prédicative*, on recourt donc aux trois moyens formels suivants :
la dislocation de la phrase, par laquelle le constituant est détaché en
tête ou en fin de phrase, séparé par une forte pause, et repris ou annoncé
par un pronom :

La mère fait du tricot


Le fils fait la guerre
Elle trouve ça tout naturel la mère
Et le père qu’est-ce qu’il fait le père ?
Prévert, Paroles, « Familiale ».

☞ Dans un texte d’où ne serait pas supprimée presque toute la


ponctuation, une virgule séparerait les sujets détachés la mère et le père.
L’effet d’insistance est renforcé pour ce dernier élément par sa double
présence en tête et en fin de phrase.

Comme cette structure se rencontre souvent à l’oral sans effet


d’insistance chez ceux qui maîtrisent mal le langage, parce qu’ils oublient
qu’un syntagme nominal sujet dispense de l’utilisation du pronom
personnel (ex : « le maître, il m’a grondé »), elle devient la marque d’un
niveau de langue familier, associée à d’autres éléments pareillement
connotés* : ainsi, dans l’exemple ci-dessus, le pronom démonstratif ça,
considéré comme une variante familière de cela, et le pronom interrogatif
renforcé qu’est-ce que, auxquels certains reprochent sa lourdeur ;
l’extraction du constituant, qui est alors isolé en tête de phrase par le
morphème de présentation c’est… qui/c’est… que. Cette structure est
également appelée phrase clivée ou focalisation, et l’élément extrait
focus ou foyer. Les constituants syntaxiques le plus souvent extraits sont
le sujet et les circonstanciels ; le complément d’objet direct l’est
beaucoup plus rarement :

OCTAVE. – Je ne vous aime pas, Marianne ; c’était Coelio qui vous


aimait.
Musset, Les Caprices de Marianne, II, 6.

☞ Dans la dernière phrase de la pièce se retrouve le thème du


dédoublement, qui parcourt toute l’œuvre de Musset : Marianne, entre les
deux personnages masculins qui se complètent, a choisi d’aimer Octave,
celui qui est « heureux d’être fou » et non Coelio, celui qui est « fou de ne
pas être heureux ». L’extraction du sujet permet la segmentation de la
phrase en deux parties égales (4/4), les accents linguistiques portant sur
Coelio et sur aimait. Par ce procédé et par la construction asyndétique* de
l’ensemble de la phrase, la clôture de la pièce acquiert une grande intensité
dramatique.

la phrase pseudo-clivée ou semi-clivée, combinaison des deux


structures de la dislocation et de l’extraction, par le biais du morphème
ce qui/ce que… c’est :
Ce qui retarde la marche de l’instruction parmi nous, c’est le manque de
bons professeurs.
Tocqueville, Voyage en Amérique,
« Cahiers non alphabétiques » 2 et 3.

☞ Une telle structure, aboutissant à la postposition du sujet (le manque


de bons professeurs), ménage un effet d’attente.

Le rythme de la phrase

Retours accentuels, structurels et sonores


Le rythme, notion bien difficile à cerner comme le montre
H. Meschonnic (Critique du rythme, Verdier, 1982) en confrontant les
définitions de différents dictionnaires et encyclopédies, peut être considéré
comme un mouvement général, perceptible à la lecture, qui résulte du retour
à intervalles réguliers de temps forts, de mots ou de sonorités.
Le mot en français est accentué sur la dernière syllabe non muette : c’est
l’accent tonique (cheval, rose). Dans une combinaison de mots, certains
sont non accentuables : ce sont les clitiques (articles, pronoms conjoints,
prépositions, conjonctions) qui « inclinent » – comme le signifie
étymologiquement leur nom – sur le ou les mots qui suivent, du point de
vue fonctionnel et accentuel (je mange). À l’intérieur d’une phrase, l’accent
le plus perceptible est celui de la fin de groupe syntaxique (ou syntagme).
Mais ce rythme linguistique est toujours dépendant de l’interprétation du
lecteur, contrairement à l’accent métrique dans un texte versifié qui est
soumis à des règles strictes (cf. B. Buffard-Moret, Introduction à la
versification) ; ainsi la phrase : « Quelle heure de repos a diverti mes
craintes », vers de Malherbe (Poésies, « Pour la guérison de Chrysante »)
peut avoir deux accents syntaxiques (repos, crainte) ou quatre (heure,
repos, diverti, crainte) mais n’a obligatoirement que deux accents
métriques, l’un avant la césure (repos), l’autre à la rime (crainte).
Lorsqu’un discours se fait oratoire ou poétique, le rythme est primordial.
Il repose :
sur le retour à peu près régulier des accents forts :
Les mystères de Jésus-Christ sont une chute continuelle.
Bossuet, Panégyrique de saint Thomas de Cantorbéry.

☞ C’est par une phrase à la cadence régulière (3/4/4/4) que Bossuet


ouvre son discours.

sur le regroupement d’éléments parallèles en groupes binaires ou


ternaires :

Cette médiocrité fut en grande partie l’ouvrage de mon naturel ardent


mais faible, moins prompt à entreprendre que facile à décourager,
sortant du repos par secousses, mais y rentrant par lassitude et par goût,
et qui, me ramenant toujours, loin des grandes vertus et plus loin des
grands vices, à la vie oiseuse et tranquille pour laquelle je me sentais né,
ne m’a jamais permis d’aller à rien de grand, soit en bien soit en mal.
Rousseau, Les Confessions, VII.

☞ Les structures binaires qui organisent cette phrase servent ici, outre
leur aspect oratoire, à mettre en lumière « une nature vouée à l’instabilité »,
une « psychologie à renversement » (M. Raymond, Jean-Jacques Rousseau.
La quête de soi et la rêverie, Corti, 1962).

L’organisation ternaire est également récurrente dans un style oratoire


parce qu’elle a un effet d’insistance :

Il ne se plaignait point, n’accusait personne, ne désespérait de rien.


Fromentin, Dominique, X.

☞ La structure ternaire qui « envisage une question sous toutes ses faces,
en épuise tous les aspects » (Grammont, « Études sur le vers français »,
Revue des langues romanes, t. XLVI, 1903) est un trait caractéristique du
style de Fromentin.
sur des récurrences de sons consonantiques (allitérations) ou vocaliques
(assonances) :

[...] des coups de becs contre le tronc des chênes, des froissements
d’animaux qui marchent, broutent ou broient entre leurs dents les
noyaux des fruits, des bruissements d’ondes, de faibles gémissements,
de sourds meuglements, de doux roucoulements, remplissent ces déserts
d’une sauvage et tendre harmonie.
Chateaubriand, Atala, Prologue.

☞ Allitérations* en [k], [m], [br], assonances* en [ɔ͂], [ɑ̃ ], [ɥi], [u]


traduisent dans le style la « sauvage et tendre harmonie » qui règne sur les
rives du Meschacebé.

Remarque : « Il n’y a aucun rapport entre le son et le sens d’un mot ; Et


cependant c’est l’affaire du poète de nous donner la sensation de l’union
intime entre la parole et l’esprit » (Valéry, « Questions de poésie »,
Variété III, 1936) : les sons ne constituent que très rarement une harmonie
imitative (ainsi l’occlusive [k] dans l’exemple ci-dessus, reproduisant peut-
être le bruit sec des coups de becs), mais la répétition de sons permet de
mettre en étroite relation divers référents*, ici les différentes voix de la
forêt.

Protase et apodose ; cadences majeure et mineure


La protase est, du point de vue mélodique, la première partie de la
phrase, d’inflexion montante ; la partie descendante est appelée l’apodose
(nom féminin) ; le sommet de la courbe mélodique de la phrase constituant
l’articulation entre la protase et l’apodose est désigné sous le nom d’acmé
(nom féminin) :

Tout à coup, suivant les règles de la danse, Adrienne se trouva placée


seule avec moi au milieu du cercle.
Nerval, Sylvie, « Adrienne ».
☞ Les circonstanciels constituent la partie montante de la phrase, faisant
attendre le nom de l’héroïne, situé juste après l’acmé sur le mot danse.

Dans bien des phrases – et dans la phrase complexe* notamment – la


détermination de l’acmé est très subjective et plusieurs interprétations sont
possibles. Il faut étayer son choix sur le rapport qu’entretiennent la syntaxe
et le sens :

Obsédés par les pierres du sentier, ne pensant qu’à ne pas secouer les
civières, ils avançaient au pas, d’un pas ordonné et ralenti à chaque
rampe ; et ce rythme accordé à la douleur sur un si long chemin semblait
emplir cette gorge immense où criaient là-haut les derniers oiseaux,
comme l’eût empli le battement solennel des tambours d’une marche
funèbre.
Malraux, L’Espoir, III, 3.

☞ La ponctuation semi-forte que constitue le point-virgule délimite la


protase et l’apodose ; l’acmé se situe sur rampe. Mais chacune des deux
parties de cette longue phrase a sa propre ligne mélodique. Dans la
première, l’acmé se situe sur civières et la protase est constituée par les
groupes épithètes détachés. L’acmé de la deuxième partie peut se situer soit
sur chemin, le groupe verbal constituant l’apodose dans laquelle les
éléments abstraits de la protase (rythme, douleur) prennent une épaisseur
concrète (semblait emplir cette gorge immense), soit sur oiseaux, et la
comparaison, qui donne son sens symbolique à la descente des civières,
forme alors l’apodose.

Lorsque dans une phrase les groupes syntaxiques s’organisent en masses


de volume de plus en plus important ou lorsque l’apodose est plus longue
que la protase, on parle de cadence majeure. Dans l’exemple ci-dessus, la
deuxième partie de la phrase est plus longue que la première et, dans
chacune des parties, la protase est moins longue que l’apodose ; le dernier
groupe syntaxique de chacune de ces parties est très développé, dans le
premier cas par le biais du groupe binaire de participes adjectives (ordonné
et ralenti) et par le circonstanciel (à chaque rampe), dans le deuxième cas
par l’enchâssement des compléments déterminatifs (des tambours d’une
marche funèbre) : la cadence majeure organise donc l’ensemble de la phrase
et lui donne une ampleur qui caractérise le style oratoire de Malraux. On
peut parler de période (cf. ci-dessous).
Au contraire, lorsque les groupes syntaxiques s’organisent en masses de
volume décroissant, ou lorsque la protase est plus longue que l’apodose, on
a affaire à une cadence mineure :

Puisqu’elle ne pourrait jamais, en robe de velours à manches courtes,


sur un piano d’Érard, dans un concert, battant de ses doigts légers les
touches d’ivoire, sentir, comme une brise, circuler autour d’elle un
murmure d’extase, ce n’était pas la peine de s’ennuyer à étudier.
Flaubert, Madame Bovary, I, 9.

☞ La disproportion entre la dimension de la protase, constituée par la


proposition circonstancielle de cause, et celle de l’apodose, qui contient la
proposition principale, produit un effet de chute ironique* à l’intérieur du
discours indirect libre* : le prétexte qu’Emma se donne pour abandonner la
musique ne sert qu’à masquer son caractère velléitaire, dont se moque la
voix du narrateur qui se superpose à celle du personnage.

La période
La période, structure caractéristique du « grand style » du siècle de Louis
XIV puis de tout discours rhétorique, peut se définir comme une phrase
complexe qui se caractérise par :
une unité sémantique : elle forme une unité de sens, celui-ci n’étant
vraiment complet qu’à la fin de la phrase. Dans le texte de Malraux ci-
dessus, l’apodose donne son sens symbolique et sa grandeur à la scène
évoquée dans la protase ;
une unité syntaxique : elle forme une phrase complète, composée de
diverses propositions, indépendantes, principales et subordonnées,
souvent liées par des connecteurs* (mais, puis, car, ainsi…) qui
soulignent la cohésion de la structure. La conjonction et dans le texte de
Malraux établit un lien logique entre les deux parties de la phrase ;
une unité rythmique fondée sur des parallélismes, une égalité des
membres de la phrase ou au contraire un volume croissant ou décroissant
de ceux-ci :

Ô mort, nous te rendons grâces des lumières que tu répands sur notre
ignorance : toi seule nous convaincs de notre bassesse, toi seule nous
fais connaître notre dignité : si l’homme s’estime trop, tu sais déprimer
son orgueil ; si l’homme se méprise trop, tu sais relever son courage ; et
pour réduire toutes ses pensées à un juste tempérament, tu lui apprends
ces deux vérités, qui lui ouvrent les yeux pour se bien connaître : qu’il
est méprisable en tant qu’il passe, et infiniment estimable en tant qu’il
aboutit à l’éternité.
Bossuet, Sermon sur la mort.

☞ Cette période est structurée par les parallélismes – la plupart des


propositions fonctionnent en groupes binaires – que renforcent les
anaphores* (toi seule, si l’homme…), les antithèses* (relever, déprimer), la
répétition d’un même suffixe (méprisable, estimable), de la forme
pronominale (s’estime, se méprise), l’ensemble de ces procédés créant des
récurrences sonores. Alors que dans la première partie de la période, les
membres sont de longueur équivalente, la seconde partie procède par
groupes rythmiques croissants (méprisable/infiniment estimable ; il passe/il
aboutit à l’éternité) faisant attendre, dans la clausule (cf. ci-dessous), le
terme qui réfère au « triomphe de la vie dans la victoire de la mort » (ibid.) :
l’éternité.

Le dernier membre de la période, appelé clausule et constituant la chute,


est souvent remarquable :
par son rythme : la clausule préférée de Bossuet, comme ci-dessus, est
composée d’un groupe de cinq syllabes (à l’éternité), que H. Morier
dans son Dictionnaire de poétique et de rhétorique qualifie de
« majestatif » parce qu’il est emphatique et se rencontre très souvent
dans la prose cadencée des orateurs religieux ;
par la présence de figures comme la comparaison : c’est le cas dans le
passage de L’Espoir, cité ci-dessus.
4

LES PROCÉDÉS LEXICAUX

N OUS venons d’étudier l’organisation syntaxique des mots à l’intérieur


d’un énoncé. Il importe également de s’interroger sur la valeur
sémantique* du mot, à la fois en l’analysant dans le système linguistique et
en prenant en compte les relations de sens qu’il entretient avec d’autres
termes du cotexte*.

SIGNE, SIGNIFIANT, SIGNIFIÉ, RÉFÉRENT


Dans son Cours de linguistique générale (Payot, 1916), Ferdinand de
Saussure affirme que le signe linguistique – dont fait partie le mot – unit
non une chose et un nom mais une partie concrète ou « signifiant » (sons ou
phonèmes, lettres ou graphèmes) et une partie abstraite ou « signifié ». Le
signifiant évoque un signifié et un référent*, c’est-à-dire ce à quoi le mot
renvoie, dans le réel ou l’imaginaire.
Ainsi le mot français cheval et le mot anglais horse sont des signifiants
différents renvoyant au même signifié, « un mammifère domestique de la
famille des équidés, animal de monture et de trait » (Larousse). Pour
renvoyer à un référent, le mot cheval doit être relié à une situation
d’énonciation* particulière ; la phrase : « J’ai un cheval gris » donne un
référent au substantif, puisque le déterminant indéfini permet ici de
renvoyer à un animal unique, existant dans le monde.
Remarque : certains auteurs, comme J.-C. Milner (Introduction à une
science du langage, Le Seuil, 1989), distinguent référence actuelle
(référence que le signe a en discours) et référence virtuelle (référence que le
signe a hors discours).

DÉNOTATION ET CONNOTATION
Dénotation
Un mot a un sens invariant et non subjectif, qu’on peut analyser hors du
discours : c’est ce que l’on appelle sa dénotation, ainsi la définition du mot
cheval donnée ci-dessus.
Pour établir cette dénotation, il faut « identifier les principales unités de
sens qui constituent sa définition » (C. Fromilhague, A. Sancier,
Introduction à l’analyse stylistique, Dunod, 1991), appelées sèmes. On
distingue les sèmes génériques (pour un substantif : concret/abstrait ;
inanimé/animé ; animal/humain ; masculin/féminin, etc.) et les sèmes
spécifiques, c’est-à-dire ses sens particuliers comme « animal de monture »
qui distinguent par exemple le cheval de la vache ou de l’antilope.
L’étude des sèmes génériques récurrents à travers le lexique dans un
texte peut permettre de caractériser l’univers de référence créé par
l’écrivain :

Il approchait ainsi de l’imagination par la tension d’un esprit sans cesse


en contact avec ce que le monde des idées contient de meilleur et de
plus beau, et touchait au pathétique par la connaissance parfaite des
duretés de la vie et par l’ambition dévorante d’en gagner les joies
légitimes, fût-ce au prix de beaucoup de combats.
Fromentin, Dominique, X.

☞ Dans ce roman d’analyse psychologique prédominent les substantifs


abstraits déterminés par l’article défini qui leur donne une référence
virtuelle* : le narrateur présente ainsi sa propre histoire comme exemplaire,
dans une perspective didactique bien plus classique que romantique.
L’étude des sèmes spécifiques permet de dégager les relations
sémantiques qui suivent.

Antonymie et synonymie
L’antonymie est l’opposition sémantique entre deux termes appartenant
à la même partie du discours : arriver/partir ; petit/grand ; garçon/fille.
La synonymie est l’équivalence sémantique entre deux mots appartenant
à la même partie du discours. Mais une synonymie totale ne peut exister, car
deux mots ne peuvent avoir tous leurs sèmes* en commun : au sème
« gaieté » de l’adjectif gai, son synonyme jovial ajoute un sème
« d’enjouement communicatif ». C’est pourquoi certains préfèrent parler de
parasynonyme.
Énumérations, structures binaires et ternaires mettent souvent en liaison
synonymes* et/ou antonymes* :

Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites,


orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont
perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde
n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et
se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose
sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si
affreux.
Musset, On ne badine pas avec l’amour, II, 5.

☞ Synonymie (faux, hypocrites, etc.) et antonymie (sublime/affreux)


structurent une des dernières phrases de la passe d’armes entre Perdican et
Camille, à la fin de l’acte II. Ces procédés insistent de manière
hyperbolique* sur la fausseté de l’être humain et sur le miracle de l’amour,
en même temps qu’ils donnent à la tirade* du héros romantique une
conclusion emphatique.

Hyperonymie et hyponymie
Un hyperonyme est un mot générique dont le sens inclut celui d’autres
mots : animal est l’hyperonyme de tous les noms d’animaux.
Un hyponyme est un mot dont le sens est inclus dans celui d’un autre
mot : cheval, hibou sont des hyponymes d’animal.
Le recours systématique aux hyponymes marque un souci d’analyse, de
pittoresque ou d’exhaustivité ; le recours aux hyperonymes donne au texte
une portée généralisante :

On mit devant chacune d’elles un couvert magnifique, avec un étui d’or


massif, où il y avait une cuiller, une fourchette, et un couteau de fin or,
garni de diamants et de rubis.
Perrault, Contes, « La Belle au bois dormant ».

☞ Le conte de fées allie la simplification – celle des personnages, par


exemple, réduits à des types, caractérisés de manière extrêmement vague
(« jolie », « laid », « le plus grand », « la meilleure », etc.) – et la fantaisie
d’un monde enchanté. C’est pourquoi alternent hyperonymes et, comme ici,
hyponymes qui ont pour fonction de traduire la richesse d’un palais
merveilleux.

La cohésion textuelle peut aussi passer par l’hyperonymie, anaphore


infidèle* qui aboutit à classer un référent* au sein d’une catégorie plus
vaste : ce procédé est fréquent chez La Fontaine par exemple, où dans la
fable « Le Lion et le Moucheron » (Fables, II) « moucheron » est repris par
l’hyperonyme « insecte » et « lion » par celui de « quadrupède ».

Polysémie
La polysémie est, pour un terme donné, la coexistence de plusieurs sens
dérivant clairement l’un de l’autre. Les mots monosémiques, qui n’ont
qu’un seul signifié, sont très rares : ce sont principalement les noms propres
et les noms savants. Le substantif cœur peut signifier « organe central de
l’appareil circulatoire », « partie centrale de quelque chose », « bonté », au
XVIIe siècle « courage ».
Remarque : il faut être très attentif à l’évolution sémantique de certains
mots dans le temps. Leur sens classique, étymologique, est souvent plus fort
que leur sens courant actuel. Ainsi les adjectifs étonnant et formidable ont,
au XVIIe siècle et pour le second jusqu’au XIXe, le sens de « qui frappe
comme le tonnerre », « qui suscite la terreur ».
La polysémie, engendrant des jeux de mots, est à l’origine de certaines
figures de style comme :
la syllepse de sens dans laquelle un mot est employé à la fois au sens
propre et au sens figuré : cette figure est très fréquente dans la littérature
baroque et précieuse où flamme et feu, entre autres, renvoient à la fois à
l’un des quatre éléments et à l’amour ;
l’antanaclase (mot féminin) ou répétition d’un même mot pris en
différents sens : « C’est au cœur [milieu] de la société que l’on manque
le plus de cœur [charité] » (cité par H. Morier, op. cit.).

Connotation
Au sens premier de la dénotation peut s’ajouter un sens additionnel, sa
connotation. Ce sens est simplement suggéré et secondaire : ainsi môme a le
sens dénotatif de « enfant » et un signifié* supplémentaire, connotatif, qui
est l’appartenance à un registre* de langue familier. La connotation est
marque de subjectivité en ce qu’elle révèle la présence d’un locuteur et en
manifeste les particularités. Elle peut être liée à différents procédés.

Usage du mot rare, du néologisme, de l’archaïsme


L’usage du mot rare ou du néologisme, création d’un mot nouveau, a des
effets de sens variés. Récurrents, ils peuvent aboutir à créer un univers
étrange, ce qui explique la fréquence de ce procédé chez les poètes pour
faire surgir un monde inconnu, exotique, comme chez Leconte de Lisle –
qui use également, comme avant lui Hugo, des noms propres connotateurs
eux aussi – ou chez Saint-John Perse :

Vingt Cipayes, la main sur leurs pommeaux fourbis


Et le crâne rasé ceint du paliacate,
Gardent le vieux Nabab et la Begum d’Arkate ;
Autour danse un essaim léger de Lall-Bibis.
Leconte de Lisle, Poèmes barbares, « Le Conseil du Fakir ».
☞ Les sonorités de ces noms hindous et les images qui y sont attachées
sont plus importantes que leur sens, obscur pour le profane.

Les adeptes de l’écriture artiste*, notamment les décadents Goncourt et


Huysmans, ont fait de ce procédé une des caractéristiques de leur style pour
faire surgir « des images nouvelles et invues » (Mallarmé) : Huysmans mêle
néologismes et mots rares empruntés à l’argot (tocasson : « laid et
méchant »), au parler parisien ou rustique (chauboulue : « éruption de
rougeurs »), aux langues techniques (conopée : « voile du tabernacle »), aux
langues étrangères (schirim, mot hébreu signifiant « bouc sauvage »). C’est
l’envahissement d’un « vocabulaire bizarre, compliqué, nombreux et
chinois » (Maupassant, Préface de Pierre et Jean, 1887) visant à
l’hermétisme.
Un archaïsme est un mot ou une expression qui n’est plus en usage par
rapport à l’époque du texte observé. Il peut être :
lexical :

Ah ! sollicitude à mon oreille est rude :


Il put étrangement son ancienneté.
Molière, Les Femmes savantes, II, 7.

☞ Le mot est considéré par Philaminte et Bélise comme sorti de l’usage,


« bien collet monté » (ibid.), cette expression métaphorique faisant allusion
à une partie de vêtement à la mode pour la génération précédente.

sémantique, c’est-à-dire qu’un terme est employé dans un sens vieilli.


Valéry choisit souvent le sens étymologique ou classique d’un mot :
charmes au sens de « sortilège » et de « chant », procéder au sens de
« s’avancer », poudre au sens de « poussière » ;
grammatical, et il procède alors d’une construction disparue de l’usage.
La Fontaine pratique à la fois l’archaïsme lexical et grammatical,
omettant souvent le pronom sujet, l’article devant le nom, employant la
périphrase issue de l’ancien français [aller + participe], sans idée de
mouvement : « Je me vas désaltérant » (Fables, I, « Le Loup et
l’Agneau »). Les contemporains de La Fontaine liaient l’utilisation de
l’archaïsme à un style enjoué : il était réservé aux genres mineurs. Ces
tours permettent aux Fables de « garder leur qualité naïve de vieux
apologues » (J.-D. Biard, Le Style des fables de La Fontaine, Nizet,
1970).

Les registres de langue


Le lexique et les structures syntaxiques employées par des interlocuteurs
varient selon les situations de communication, et le choix d’un certain type
de langage apporte des indications sur le locuteur et son destinataire.
Certaines de ces indications sont d’ordre sociolinguistique : il s’agit des
niveaux de langue.
On distingue généralement trois niveaux de langue : littéraire ou
soutenu, courant ou non marqué, familier (que l’on distingue parfois de
populaire, la frontière entre les deux registres étant très ténue).
Il faut analyser le niveau de langue dans un texte littéraire, notamment
lorsque plusieurs registres coexistent, dans les perspectives qui suivent.
Il faut identifier la voix qui s’exprime : si par exemple, dans un roman, le
niveau familier n’apparaît que dans le discours rapporté des personnages,
comme l’argot dans la bouche de certains personnages hugoliens,
l’emploi de ce registre informe en premier lieu de l’appartenance de
l’énonciateur à une certaine communauté sociale. Si deux registres sont
utilisés de manière concomitante par le narrateur tout au long du roman,
la « langue du peuple » se coulant « dans un moule très travaillé » (Zola,
Préface de L’Assommoir, cf. aussi p. 63), cette concomitance crée la
littérarité de l’œuvre :

Celui-ci avait pénétré sans plaisir dans l’eau froide, avait marqué un
temps d’arrêt comme s’immergeaient d’abord son pénis et ses couilles,
puis son nombril. Il s’était alors ondoyé le torse et foutu carrément à la
flotte.
J.-P. Manchette, Trois hommes à abattre.

☞ En coordonnant des termes populaires à des termes non marqués (son


pénis et ses couilles) ou littéraires (Il s’était alors ondoyé le torse et foutu
carrément à la flotte, ondoyer ayant ici le sens rare de « arroser d’eau »), J.-
P. Manchette se place dans la tradition du roman « série noire » des années
cinquante, avec un narrateur usant du langage propre au « milieu », en
même temps qu’il brise les cloisons qui séparent traditionnellement le
roman policier de l’écriture littéraire.

Une disconvenance entre le registre de langue adopté et le sujet crée le


burlesque ou l’héroï-comique. Le burlesque transpose un sujet noble en
termes triviaux :

Cependant la Didon se pique


De son hôte de plus en plus [...]
L’autre, avec toute sa raison,
Sent aussi quelque échauffaison,
Et monsieur, ainsi que madame,
A bien du désordre dans l’âme.
Scarron, Virgile travesti, livre I.

☞ Le comique naît du contraste entre la dignité des héros épiques et


l’expression « basse », avec l’emploi connoté populaire de l’article défini
devant le nom propre (la Didon), de se piquer au sens de « s’éprendre »,
d’échauffaison, qui désigne au sens propre une maladie, et de
l’anachronisme monsieur, madame.

L’héroï-comique, symétriquement, traite un sujet vulgaire dans un style


noble, hors de propos avec la situation :

À l’heure où commencent à gercer les doigts de rose de l’aurore, je


montai tel un dard rapide dans un autobus à puissante stature et aux
yeux de vache [...].
Queneau, Exercices de style, « Ampoulé ».

☞ Queneau use de métaphores* et de caractérisations* homériques qui


engendrent l’anachronisme et la bouffonnerie.
Le lexique, mais également des procédés morphosyntaxiques peuvent
connoter un registre de langue. On a vu que l’antéposition de l’adjectif
(cf. p. 92) avait une connotation « littéraire ». Il en est de même de
l’emploi de certains modes et de certains temps : le subjonctif imparfait
ou le passé simple passent maintenant pour « littéraires », voire
archaïques*, et peuvent être à ce titre employés pour connoter un style
soutenu, ou au contraire de manière plaisante.
Dans le texte dramatique, les personnages n’existent que par leur
discours (cf. p. 42) qui doit donc les situer socialement : ces différents
niveaux de langue sont appelés parlures (P. Larthomas, Le Langage
dramatique). Le contraste peut être très marqué entre les parlures des
personnages : ainsi, dans les pièces de Molière, les personnages
pittoresques des paysans (Don Juan) ou des valets d’origine paysanne
(Le Médecin malgré lui), qui ne jouent pas un rôle principal et dont la
prononciation défectueuse et le patois ont avant tout une fonction
comique. Ailleurs, les distinctions peuvent être plus subtiles : Suzanne
(Le Mariage de Figaro), Lisette (Le Jeu de l’amour et du hasard) ont un
langage beaucoup moins marqué socialement qui va de pair avec le
rapport beaucoup plus intime entre maîtresse et servante.
Remarque : les modalisateurs, termes par lesquels le locuteur exprime
sa plus ou moins grande adhésion au contenu de l’énoncé (adverbes* de
phrase, connecteurs* logiques…), l’emploi subjectif* de certains adjectifs
(cf. p. 90), l’usage des guillemets et de l’italique (cf. p. 62), de suffixes à
valeur axiologique (blanchâtre, fadasse, rêvasser, cf. p. 90 constituent aussi
des procédés de connotation.

Les champs lexicaux notionnels


Le terme de « champ » désigne un ensemble homogène de mots qui
s’associent dans la pensée parce qu’ils renvoient à la même notion.
L’analyse des champs notionnels présente un intérêt certain pour la
compréhension d’un texte, à condition de ne pas se contenter de procéder à
un simple relevé de termes, mais d’étudier quelles sont les catégories
grammaticales représentées, la place de ces mots dans la phrase et dans le
texte, éventuellement les figures auxquelles ils sont intégrés (cf. les figures
de sens p. 144 sq. qui ont aussi une composante sémantique), les réseaux
sonores qui les unissent :

Mon Dieu, que votre amour en vrai tyran agit,


Et qu’en un trouble étrange il me jette l’esprit !
Que sur les cœurs il prend un furieux empire,
Et qu’avec violence il veut ce qu’il désire !
Quoi ? de votre poursuite on ne peut se parer,
Et vous ne donnez pas le temps de respirer ?
Sied-il bien de tenir une rigueur si grande,
De vouloir sans quartier les choses qu’on demande,
Et d’abuser ainsi par vos efforts pressants
Du faible que pour vous vous voyez qu’ont les gens ?
Molière, Tartuffe, IV, 5.

☞ Pour décrire l’amour de Tartuffe, le discours d’Elmire utilise le


lexique de la force : verbes et circonstanciels marquant la volonté ou la
violence (agit, jette, prend, veut, abuser ; avec violence, sans quartier),
caractérisations* soulignant le sens du substantif (vrai tyran, furieux
empire, rigueur si grande, efforts pressants). L’association entre amour et
violence se fait par le biais des métaphores filées* du pouvoir abusif (tyran,
empire) et de la guerre (poursuite, se parer, sans quartier) et des
récurrences sonores : dans le polyptote* veut/vouloir et l’allitération* en [v]
liant des unités lexicales comportant le même sème* (avec violence il veut).
Certains de ces termes se trouvent accentués par leur place avant la césure
(violence, poursuite, sans quartier) ou à la rime (empire, désire, si grande,
pressants). L’étude des champs notionnels met en lumière la tonalité
précieuse de ce discours dans lequel la métaphore masque ou transforme le
référent*, par bienséance, par pudeur ou par jeu.
5

RHÉTORIQUE ET FIGURES DE STYLE

L ’ÉTUDE des figures de style, ces « tournures remarquables exprimant


intentionnellement une idée ou un sentiment grâce aux divers moyens
phonétiques, morphologiques, syntaxiques, sémantiques ou logiques, dont
dispose la langue » (D. Bergez et al., Vocabulaire de l’analyse littéraire,
Dunod, 1994) est indissociable de celle de la rhétorique. Celle-ci, définie à
la fois comme « l’art de persuader » et « l’art de bien dire », a été souvent
considérée comme la « stylistique des Anciens » (P. Guiraud, La Stylistique,
PUF, 1955). C’est le déclin de l’ancienne rhétorique (cf. ci-après) qui a
entraîné l’émergence de la stylistique : « La stylistique est une rhétorique
moderne » (ibid.), et Todorov estime qu’elle occupe « le domaine de
l’ancienne elocutio* » (Dictionnaire encyclopédique des sciences du
langage, Le Seuil, 1972). Mais sa finalité est différente. La rhétorique est
avant tout un art d’écrire : elle s’intéresse donc « aux moyens en relation
avec leur fin. » (P. Guiraud, in Le Langage, dir. A. Martinet, « Encyclopédie
de la Pléiade », 1968). La stylistique, elle, « pose d’emblée comme objet un
texte littéraire, et [...] essaie d’en scruter le fonctionnement linguistique »
(G. Molinié, Éléments de stylistique française) : c’est donc une pratique
d’observation et d’analyse. Mais pour les figures de style, elle est l’héritière
directe de la rhétorique, science dont il nous faut d’abord comprendre la
nature.

DE L’ART DE L’ÉLOQUENCE À LA CONSTRUCTION DU TEXTE


LITTÉRAIRE
Historique

La rhétorique est née au Ve siècle avant J.-C. en Sicile de la nécessité


dans laquelle se trouvaient les citoyens syracusains de plaider pour
récupérer les biens dont ils avaient été spoliés par les tyrans. La rhétorique
étudie donc les procédés de langage non pour eux-mêmes mais en tant
qu’ils permettent d’atteindre un objectif. Elle enseigne aussi bien à réfuter
qu’à démontrer et est indifférente à la morale : elle se présente comme une
parole avant tout efficace, jouant sur les tendances, les désirs, les émotions
du destinataire.
Du domaine judiciaire – ce que les Anciens appelaient le genre
judiciaire –, visant après un temps d’accusation puis de défense à obtenir
d’une tierce personne un jugement, elle passe dans le domaine politique
(genre délibératif) où par la persuasion ou la dissuasion, elle cherche à
entraîner l’auditoire à une certaine forme d’action. Puis elle se développe
dans les discours d’apparat (genre démonstratif ou épidictique), qui
reposent sur l’éloge ou le blâme.
Progressivement la rhétorique devient une fin en soi et à l’âge classique
le théoricien La Mesnardière écrit dans sa Poétique (1640) : « L’Art de bien
parler, qu’ils appellent la Rhétorique, est absolument nécessaire au Poète et
à l’Orateur » : la rhétorique est alors « la base de toute science – normative
et descriptive – de la littérature » (A. Kibedi Varga, Rhétorique et
Littérature, 1970).
La part de la rhétorique est essentielle dans la tragédie et la poésie
lyrique de l’époque classique. À la même période et jusqu’à la fin du
XVIIIe siècle, elle intervient dans d’autres genres, comme le roman et la
fable. Elle a encore un rôle, notamment du point de vue de l’élocution*,
dans les œuvres postérieures. Mais la littérature romantique l’a rejetée et
« c’est l’émancipation progressive du joug de la rhétorique qui caractérise
l’histoire du roman, du théâtre et de la poésie modernes » (ibid).
Ainsi, pour bien rendre compte d’une œuvre classique, il est primordial
d’analyser le rapport qu’elle entretient avec la rhétorique, tandis qu’à partir
du XIXe siècle, les structures fondamentales d’une œuvre ne sont plus liées
aux règles de la rhétorique. Cependant il faut souligner l’influence
qu’exerce encore la rhétorique classique chez certains auteurs modernes,
comme Baudelaire, Valéry, Giraudoux ou Malraux, par exemple.

Rhétorique et littérature classique


Comme l’orateur, l’écrivain s’adresse à quelqu’un. De plus, dans la
littérature dramatique par exemple (cf. p. 18), des personnages internes à
l’œuvre s’adressent les uns aux autres. Ainsi, des situations similaires se
rencontrent en rhétorique et en littérature :
entre le genre judiciaire et la tragédie : la tragédie, avec très souvent
deux sujets parallèles, un sujet politique et un sujet amoureux dans
lequel interviennent des rivalités, représente plusieurs situations de
procès. Dans Le Cid, Rodrigue à la fois s’accuse et se justifie auprès de
Chimène qui est juge et arbitre ;
entre le genre délibératif d’une part et la tragédie, la poésie lyrique et
tout discours romanesque de persuasion de l’autre : chaque fois qu’un
personnage veut en persuader un autre sur n’importe quel sujet, il doit
argumenter. Toute « conversation » dans la littérature dramatique et
romanesque classique – et jusque bien après le XVIIe siècle, comme on
peut le constater par exemple dans un grand nombre de lettres des
Liaisons dangereuses – est un débat. La poésie amoureuse qui vise à
fléchir le cœur de l’aimée tient souvent du discours délibératif (cf. p. 25,
« Mignonne, allons voir si la rose », avec le donc du vers 13) ;
entre le genre démonstratif d’une part et la tragédie et la poésie de
l’autre : chaque fois qu’un discours vise à susciter l’admiration de
l’auditeur sans pour autant faire avancer l’action et qu’il se présente
comme orné, il est « démonstratif » ou « épidictique ». Tout récit, toute
description dans la tragédie, toute énumération des beautés de la Dame
(poésie amoureuse), du prince (poésie officielle), de Dieu (poésie
religieuse), de la nature (poésie descriptive) appartiennent à ce genre.

LES CINQ PARTIES DE LA RHÉTORIQUE


Selon les traités de rhétorique, la construction d’un discours comportait
trois phases :
l’invention, ou recherche des arguments ;
la disposition, ou mise en forme de ces arguments ;
l’élocution, ou choix des mots et des tours destinés à orner le discours.
Les deux autres parties qui figuraient dans ces traités intéressaient
l’orateur :
l’action, concernant l’utilisation de la voix et la gestuelle ;
la mémoire, répertoriant tous les moyens d’apprendre un long texte par
cœur. Seules les trois premières parties intéressent l’analyse stylistique
d’un texte littéraire.

L’INVENTION
Les arguments visent à persuader l’auditeur en se fondant :
sur l’ethos c’est-à-dire l’image que l’orateur donne de sa personne, qui
doit accroître sa crédibilité ;
sur le pathos, c’est-à-dire les passions qu’il suscite chez le récepteur ;
sur le logos, c’est-à-dire le raisonnement.

L’ethos et le pathos
L’ethos et le pathos jouent essentiellement au début et à la fin d’un
discours.
• L’ethos apparaît à chaque fois que le discours « est comme un miroir
qui représente l’Orateur » (Gibert, La Rhétorique ou les Règles de
l’éloquence, Paris, 1730) et se marque stylistiquement par la prédominance
du je :

Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple, et dont l’exécution


n’aura point d’imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme
dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce sera moi.
Rousseau, Les Confessions, livre I.
☞ L’incipit* des Confessions vise à façonner l’image de l’énonciateur
qui se présente dans sa singularité absolue et dans son exemplarité
universelle.

• Le pathos peut se marquer stylistiquement :


par la présence des pronoms de l’interlocution, puisque le locuteur veut
« aller au cœur » (Gibert, op. cit.) de son destinataire ;
par l’usage de termes subjectifs*, intensifs, hyperboliques* ;
par des figures comme l’antithèse*, le parallélisme;
par des procédés d’emphase dans la construction de la phrase
(cf. p. 102) ;
par la modalité* jussive, interrogative ou exclamative :

Consterné par votre lettre, j’ignore encore, Madame, comment je pourrai


y répondre. Sans doute, s’il faut choisir entre votre malheur et le mien,
c’est à moi à me sacrifier, et je ne balance pas : mais de si grands
intérêts méritent bien, ce me semble, d’être avant tout discutés et
éclaircis ; et comment y parvenir, si nous ne devons nous parler ni nous
voir ?
Quoi ! tandis que les sentiments les plus doux nous unissent, une vaine
terreur suffira pour nous séparer, peut-être sans retour ! En vain l’amitié
tendre, l’ardent amour, réclameront leurs droits ; leurs voix ne seront
point entendues ; et pourquoi ? quel est donc ce danger pressant qui
vous menace ?
Laclos, Les Liaisons dangereuses, lettre XCI.

☞ Pour émouvoir la Présidente de Tourvel, le Vicomte de Valmont


recourt à la modalité* exclamative, aux interrogations rhétoriques*, aux
structures binaires d’insistance (l’amitié tendre, l’ardent amour), à
l’hyperbole* (avec l’emploi du superlatif relatif les plus doux), aux adjectifs
subjectifs*, évaluatifs* et axiologiques* (vaine, tendre, ardent).

Le logos
Le logos est l’organisation des arguments. Une partie de ceux-ci se
rangent dans des catégories formelles limitées, appelées « lieux » ou
« topoï » (« topos » au singulier) dans lesquels puise l’orateur pour étayer
son raisonnement. Les traités de rhétorique en retiennent généralement
sept :
la définition (cf. chez Pascal, p. 145),
la division (cf. chez La Fontaine, p. 141),
le genre et l’espèce (cf. chez Molière, p. 123),
la cause et l’effet (cf. chez Voltaire, p. 101),
la comparaison (cf. chez Ronsard, p. 25),
les contraires (cf. chez Rousseau, p. 106),
les circonstances (cf. chez Corneille, p. 21).

Les formes du raisonnement


Il existe deux grands types de raisonnement :
le raisonnement par induction, qui fait passer du particulier au général
ou d’un cas particulier à un autre cas particulier, par analogie. Les fables
reposent sur ce type de raisonnement : l’exemple contenu dans le récit,
qui peut être lu comme une allégorie*, permet d’opérer dans la morale
une généralisation. L’exemple, s’il réfère au particulier, pour faire
autorité, doit néanmoins avoir une valeur généralisante (cf. p. 168) ;
le raisonnement par déduction, qui procède du général au particulier. Sa
forme usuelle est le syllogisme : à partir de deux propositions appelées
prémisses, dont la première est dite la « majeure » et la seconde la
« mineure », on tire une conclusion : « Tous les hommes sont mortels
(majeure), or Socrate est un homme (mineure), donc Socrate est mortel
(conclusion) » ;
Il est rare que les syllogismes rhétoriques soient sous cette forme
canonique. Ils sont tantôt abrégés, dans l’enthymème où l’une des
propositions est supprimée : « Tous les hommes sont mortels, donc Socrate
est mortel » ; tantôt amplifiés :
dans l’épichérème où chaque prémisse est justifiée. Ce type de
raisonnement est très fréquent dans le discours classique où « une
proposition n’est pas immédiatement suivie par une autre, mais par un
commentaire destiné à 1"‘illustrer", pour le plaisir de l’esprit et des
sens » (A. Kibedi Varga, op. cit.) :

Moins on mérite un bien moins on l’ose espérer.


Nos vœux sur des discours ont peine à s’assurer.
On soupçonne aisément un sort tout plein de gloire,
Et l’on veut en jouir avant que de le croire.
Molière, Tartuffe, IV, 5.

☞ Les trois derniers vers cités constituent l’illustration de la prémisse


occupant le premier vers.
dans le dilemme, dont la majeure contient une alternative à plusieurs
termes (ainsi dans Le Cid [I, 7], pour Rodrigue, alternative entre l’amour
et l’honneur) et dont les mineures montrent que chaque cas de
l’alternative implique la même conclusion (or dans les deux cas il perdra
Chimène, donc il faut choisir l’honneur).

LA DISPOSITION
Les arguments sont ensuite mis en forme selon un plan canonique, dont
certaines subdivisions peuvent être réduites, supprimées ou développées
selon le sujet traité, mais qui correspond à la structure de la majorité des
discours « classiques » :
l’exorde, qui constitue le début du discours, dans lequel l’orateur
cherche à capter l’intérêt du public. Les procédés stylistiques pour y
parvenir peuvent être l’apostrophe, la modalité* interrogative ou jussive,
et de manière générale tout ce qui est lié à l’ethos* et au pathos*
(cf. p. 143) ;
la narration, qui expose les faits ;
la confirmation, qui présente les arguments de l’attaque et
éventuellement les objections de la défense dans une partie appelée
réfutation ;
la péroraison, constituant la fin du discours, qui doit elle aussi produire
l’émotion et a des caractéristiques stylistiques similaires à celle de
l’exorde :

Voilà comme il me vit, et reçut guérison.


Vous-même, à votre avis, n’ai-je pas eu raison ?
Et pouvais-je, après tout, avoir la conscience
De le laisser mourir faute d’une assistance,
Moi qui compatis tant aux gens qu’on fait souffrir
Et ne puis, sans pleurer, voir un poulet mourir ?
Molière, L’École des femmes, 11, 5.

☞ Dans la péroraison du discours d’Agnès qui vise à obtenir l’adhésion


d’Arnolphe, le pathos* se marque par des adresses insistantes à
l’interlocuteur (pronom renforcé vous-même, à votre avis), des
interrogations rhétoriques équivalant à de fortes assertions déguisées, des
structures binaires de soulignement. En même temps, Agnès appuie son
raisonnement final sur l’ethos*, en se mettant en scène de manière appuyée
(le je, renforcé par la forme tonique moi, est sujet de tous les verbes
conjugués de la dernière phrase).

L’ÉLOCUTION
C’est la partie de la rhétorique qui concerne le plus directement l’analyse
stylistique, avec les « figures », qui sont le principal instrument de « l’art de
bien dire ». La définition de la figure et la détermination des catégories de
figures suscitent bien des débats chez les théoriciens (cf. J.-J. Robrieux, Les
Figures de style et de rhétorique) dans lesquels nous ne pouvons entrer ici.
Nous rappellerons seulement :
que la notion « d’écart » par rapport à une « norme » revient dans la
plupart des analyses : « Les figures du discours sont les traits, les formes
ou les tours plus ou moins remarquables et d’un effet plus ou moins
heureux, par lesquels le discours, dans l’expression des idées, des
pensées ou des sentiments, s’éloigne plus ou moins de ce qui en eût été
l’expression simple et commune. » (Fontanier, Traité des figures du
discours, publié de 1818 à 1827). Il est néanmoins plus fructueux de
considérer qu’une figure est avant tout une « norme codée »
(C. Fromilhague, Les Figures de styles), repérable par cela même ;
que considérée à l’origine comme un simple ornement (cf. Du Marsais,
Des tropes ou Des différents sens, 1730), la figure a été sentie par
d’autres comme « un moyen d’expression nécessaire et inévitable »
(Molinié, Vocabulaire de la stylistique), c’est-à-dire comme la seule
expression adéquate à son objet ;
que toute classification est discutable (cf. G. Genette, Figures I) mais
constitue une commodité pédagogique. Celle que nous avons choisie
s’inspire de celle adoptée par la plupart des traités classiques jusqu’à la
fin du XIXe siècle (cf. Fontanier, op. cit.) ;
que les définitions varient selon les théoriciens et que, dans un ouvrage
d’initiation comme celui-ci, nous choisissons de présenter celle qui est la
plus communément admise, en ne répertoriant que les figures les plus
connues. Celles qui ont déjà été définies plus haut sont suivies d’un
astérisque, permettant au lecteur de se reporter à l’index.

Les figures de diction


Elles concernent la forme des mots et jouent avec le matériel phonique et
morphologique de la langue.
L’aphérèse est la chute d’un phonème*, d’un groupe de phonèmes ou
des graphèmes* correspondants au début d’un mot : « blême » pour
« problème » ; l’apocope est le même phénomène en fin de mot :
« prof » pour « professeur » ; la syncope désigne une chute en milieu de
mot :
« M’sieur » pour « Monsieur ». Ces figures sont liées à un niveau de
langue familier :

Et p’isque me v’là une « dame » à c’t’heure, allez me la chercher la


vôtre, de dame [...].
A. Salacrou, Les Fiancés du Havre, I.
La paronomase consiste à rapprocher dans une phrase des mots de
sonorité voisine. Elle est très employée en poésie où elle permet de lier
phoniquement des concepts éloignés :

Feuilles de jour et mousse de rosée,


Roseaux du vent, sourires parfumés
Eluard, Capitale de la douleur, « La courbe de tes yeux… ».

☞ La liberté d’écriture des surréalistes a bouleversé le système


d’engendrement des images qui se fait fréquemment, comme ici, par le biais
de rapprochements sonores.
Voir aussi l’allitération* et l’assonance*.

Les figures de construction


Elles peuvent être fondées sur la répétition.
Le polyptote consiste à reprendre dans une phrase un terme en lui
faisant subir un changement « de cas, de genres, de nombres, de
personnes, de temps, de modes » (Fontanier, op. cit.) :

Après avoir souffert, il faut souffrir encore ;


Il faut aimer sans cesse après avoir aimé.
Musset, Poésies nouvelles, « Nuit d’août ».

☞ Ce procédé d’insistance, en liant des procès d’aspect* accompli (avoir


souffert, avoir aimé) à des procès inaccomplis (souffrir, aimer), souligne
l’immuable vocation amoureuse du poète.

• La dérivation est le rapprochement de plusieurs mots dérivés du même


radical :

Ainsi ceulx qui jadis souloient, à teste basse,


Du triomphe romain la gloire accompagner,
Sur ces poudreux tumbeaux exercent leur audace,
Et osent les vaincuz les vainqueurs desdaigner.
Du Bellay, Les Antiquitez de Rome, XIV.

Les deux termes rapprochés par dérivation (vaincuz, vainqueurs) sont


antithétiques*. Placés de chaque côté de la césure dans le dernier vers d’un
sonnet, ils constituent une pointe, un trait final, procédé fréquent dans ce
poème à forme fixe.
L’anaphore rhétorique – qui ne doit pas être confondue avec l’anaphore
grammaticale (cf. p 83) – est la répétition d’un mot ou d’un groupe de
mots en tête de phrases, de membres de phrases ou de vers successifs ;
l’épiphore est la répétition en fin de segment :

C’est la seule parole qui me reste ; c’est la seule réflexion que me


permet, dans un accident si étrange, une si juste et si sensible douleur.
Bossuet, Oraison funèbre de Henriette-Anne d’Angleterre.

☞ Le procédé d’insistance que constitue l’anaphore est fréquent dans les


textes oratoires. Ici il se combine à un parallélisme de construction (phrase
clivée * par le morphème de présentation c’est… qui/que), à une structure
binaire (si juste et si sensible) et à une organisation de la phrase par masses
volumétriques croissantes*, aboutissant à une cadence majeure*.

L’antépiphore (nom féminin) est la répétition d’un même vers en début


et en fin de strophe. Ce procédé est récurrent dans les quintils (strophes
de cinq vers) de Baudelaire et contribue à peindre le caractère lancinant
du souvenir, ou l’obsession :

Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides,


Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment
De lire la secrète horreur du dévouement
Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avides ?
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides ?
Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Réversibilité ».
L’anadiplose (nom féminin) est la reprise d’un élément situé en fin de
phrase au début de la phrase suivante. C’est une figure d’enchaînement
qui à la fois insiste sur la progression logique de la pensée et souligne
l’élément charnière :

Je n’écoute plus rien ; et pour jamais, adieu.


Pour jamais ! Ah ! Seigneur, songez-vous en vous-même
Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ?
Racine, Bérénice, IV, 5.

☞ La reprise de pour jamais constitue une articulation de la tirade* de


Bérénice où celle-ci fait une ultime tentative pour fléchir Titus. La première
occurrence conclut une phase de reproches, tandis que la seconde introduit
dans cette fin de discours le pathos*.

Voir aussi l’antanaclase*.


La disposition et les procédés de liaison des syntagmes* à l’intérieur de
la phrase définissent certaines figures de construction :
Le chiasme juxtapose ou coordonne deux syntagmes* dont les termes
sont inversés :

Un roi chantait en bas, en haut mourait un Dieu.


Hugo, La Légende des siècles, « Booz endormi ».

☞ Cette figure permet souvent le rapprochement d’éléments


antithétiques*, ici les deux compléments circonstanciels de lieu et les
thèmes divin et humain.
Le zeugme (ou zeugma) est la coordination ou la juxtaposition
d’éléments incompatibles :
sur le plan syntaxique :

L’air était plein d’encens et les prés de verdures


Hugo, Les Rayons et les Ombres, « Tristesse d’Olympia ».
☞ Le verbe et l’adjectifs sous-entendus (étaient pleins) ne sont pas
conformes aux termes exprimés puisqu’ils seraient au pluriel ; le raccourci
syntaxique aboutit à une plus grande concision.

[...] il est incroyable combien elle a su par là servir et nuire à quantité de


gens.
Saint-Simon, Mémoires.

☞ L’ancienne langue n’interdisait pas de donner le même complément à


deux verbes de construction différente (ici servir transitif direct, nuire
transitif indirect), mais Vaugelas avait condamné ce procédé, récurrent dans
le style archaïsant de Saint-Simon.
Remarque : le zeugme syntaxique est proche de l’anacoluthe (nom
féminin) ou rupture de construction :

Le Poète est semblable au prince des nuées


Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « L’Albatros ».

☞ L’épithète détachée ne peut normalement renvoyer qu’au sujet. Le


support d’exilé (le Poète) est à tirer du possessif ses et du COD l’.

Zeugme syntaxique et anacoluthe se rencontrent fréquemment tant que la


syntaxe n’est pas régie par des règles strictes, c’est-à-dire jusqu’à l’époque
classique incluse. Ils deviennent par la suite plus rares ; ils peuvent alors
marquer le trouble du locuteur ou donner un tour classique au style.
sur le plan sémantique : également appelé attelage, il réunit souvent un
élément abstrait et concret, soit dans une intention comique, soit à cause
de l’étrangeté du rapprochement, dans une perspective poétique :

des faces insonores, couleur de papaye et d’ennui


Saint-John Perse, Éloges, « Pour fêter une enfance », IV.

• L’hypallage (nom féminin) également est génératrice d’étrangeté et


donc présente dans le texte poétique, puisqu’elle consiste à attribuer une
épithète ou toute autre caractérisation (complément du nom, etc.) convenant
à un substantif, à un autre substantif de la phrase :

Je suis d’un pas rêveur le sentier solitaire


Lamartine, Méditations poétiques, XXIII.

☞ L’adjectif rêveur s’applique davantage au pronom je qu’au substantif


pas. Voir aussi la syllepse*.

• La polysyndète s’oppose à l’asyndète* : l’élément de coordination est


repris devant chaque terme d’une série. Ce procédé crée l’illusion d’une
phrase qui se construit spontanément, en même temps qu’il rythme
l’énumération et donne un caractère oratoire à l’énoncé :

Aussitôt c’est le jour ! et la tôle des toits s’allume dans la transe, et la


rade est livrée au malaise, et le ciel à la verve, et le Conteur s’élance
dans la veille !
Saint-John Perse, Éloges, XVI.

• La gradation présente une suite d’idées ou de mots dans un ordre


ascendant, cas le plus fréquent, ou descendant :

Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre.


La Fontaine, Fables, II, « Le Lièvre et les Grenouilles ».

☞ La Fontaine s’est inspiré d’un vers d’Ovide où seule l’ombre était


mentionnée. Pour souligner davantage le caractère poltron du lièvre, il a
recours à une gradation descendante reprise par tout.
• L’hyperbate (nom féminin) est une figure par laquelle on ajoute à la
phrase qui semblait terminée un syntagme qui, par sa position après une
pause, est mis fortement en valeur :

Il n’est rien de si lourdement et largement fautier que les lois, ni si


ordinairement.
Montaigne, Essais, III, 13.

• La parenthèse est l’insertion dans une phrase d’un élément qui rompt
la construction syntaxique. Celui-ci est souvent le fait d’un locuteur autre
que celui qui s’exprime dans le reste de l’énoncé ; le récit peut ainsi laisser
la place au discours et la parenthèse introduire la polyphonie* :

Un loup rempli d’humanité


(S’il en est de tels dans le monde)
La Fontaine, Fables, X, « Le Loup et les Bergers ».

☞ La parenthèse laisse entendre la voix de l’auteur-narrateur (cf. p. 52).

La parenthèse peut devenir une figure récurrente chez un auteur, comme


chez Giono dans Un roi sans divertissement ou chez Claude Simon. Le
style acquiert alors une certaine oralité parce que ce procédé donne
l’illusion d’une réflexion en train de se faire, ou d’un récit malhabilement
organisé. Claude Simon multiplie les parenthèses dans lesquelles figurent
non des précisions secondaires mais l’information essentielle : la parenthèse
n’est plus un « facteur d’approfondissement du discours », mais « se mue
en disjoncteur, introduisant des annexes qui bientôt deviennent principales »
(Christine Genin, L’Écheveau de la mémoire, « La Route des Flandres » de
Claude Simon, Champion, 1997).
• L’épanorthose (nom féminin) consiste à revenir sur ce qu’on a dit pour
le renforcer, l’atténuer ou le rétracter. Cette figure donne l’impression que le
locuteur est à la poursuite du mot juste, et confère ainsi plus de poids au
propos :

Le temps s’en va, le temps s’en va, ma Dame :


Las ! le temps non, mais nous nous en allons,
[...]
Ronsard, Continuation des Amours, VII.

☞ Le pathos*, présent dans la partie conclusive de ce discours


d’invitation à l’amour, naît de la répétition de la première phrase (ou
épanalepse), de l’interjection (las !) et de l’épanorthose qui souligne le
caractère éphémère de la vie humaine.

• L’antithèse est l’opposition de deux termes qui sont rapprochés pour


mieux en faire ressortir le contraste. Elle est omniprésente dans l’univers
manichéen de Hugo :

Tu nous tiens par la joie, et surtout par les larmes ;


Jeune homme on te maudit, on t’adore vieillard.
Hugo, Les Rayons et les Ombres, « Tristesse d’Olympio ».

☞ Dans ce recueil dont le titre même est antithétique, Hugo insiste sur la
toute-puissance de l’amour par divers procédés d’amplification : des
constructions parallèles, dont une sous la forme d’un chiasme* dans le
deuxième vers, et des antithèses* (joie/larmes ; jeune homme/vieillard ;
maudit/adore).

• L’oxymore (nom masculin) ou oxymoron est aussi une figure


d’opposition qui consiste à placer dans un rapport de dépendance deux
termes qui devraient logiquement s’exclure l’un de l’autre. C’est pourquoi,
produisant un sentiment d’étrangeté, il est très présent dans la poésie,
notamment chez les baroques en même temps que l’antithèse* pour décrire
un univers instable et inconstant, chez les précieux, et également chez
Hugo. L’alliance la plus fréquente est celle de l’épithète et du substantif :
« obscure clarté » (Corneille, Le Cid), « orgueilleuse faiblesse » (Racine,
Iphigénie), « une grande petite fille » (Hugo, Les Misérables).

Les figures de sens ou tropes


Ce sont « des figures par lesquelles on fait prendre à un mot une
signification qui n’est pas précisément la signification propre de ce mot »
(Du Marsais, Des Tropes ou des Différents sens, 1730). Leur étude concerne
donc directement l’analyse sémantique (cf. p. 113).

Comparaison et métaphore
La comparaison n’est donc pas un trope, puisqu’elle n’opère pas un
transfert de sens mais rapproche des termes ou des notions au moyen d’un
outil de comparaison.
Le comparant doit toujours renvoyer à un référent* virtuel déterminé par
l’article* défini ou indéfini pour qu’il y ait figure : « tu es belle comme ta
mère » n’est pas une figure, « tu es belle comme le jour, comme une
déesse » en est une.
La métaphore, en revanche, est un trope, puisqu’elle opère un transfert
de sens d’un mot à un autre en vertu d’un rapport d’analogie : Hugo dans
Les Pauvres Gens peut dire que « la mer, c’est la forêt », parce qu’il établit
un rapport d’analogie entre la forêt où l’on risquait de se faire voler et la
mer où la tempête prive le pêcheur de poissons.
Une bonne façon d’analyser une métaphore ou une comparaison est de
rendre compte de leur fonctionnement syntaxique qui conditionne en partie
leur sens.
La comparaison est introduite soit par un lien syntaxique (comme, ainsi
que, de même que, pareil à, plus que), soit par un verbe modalisateur*
(ressembler, sembler, avoir l’air, on eût dit). Dans le deuxième cas, la
comparaison repose sur la subjectivité d’un locuteur :

Le ciel qui de bleu était devenu blanc, était de blanc devenu gris. On eût
dit une grande ardoise.
Hugo, Les Travailleurs de la mer, deuxième partie, III, VI.

☞ Hugo fait souvent intervenir un regard extérieur (cf. p. 47) qui observe
et interprète le monde qui « n’existe pas sans un sujet pour le voir, le
penser, sans un moi pour tenter de le structurer et d’en saisir les
correspondances » (M. Roman, M.-C. Bellosta, « Les Misérables » roman
pensif, Belin, 1995).
La métaphore peut établir une relation entre deux termes appartenant à la
même catégorie grammaticale, celle du nom ; elle peut alors être :
attributive :

L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; [...]


Pascal, Pensées, première partie, III, 264.

Votre âme est un paysage choisi [...]


Verlaine, Fêtes galantes, « Clair de lune ».

☞ Ce type de métaphore a la forme d’une définition où le comparant est


donné comme l’équivalent du comparé, ce qui explique qu’elle peut avoir
une fonction didactique, comme dans le premier exemple. Mais lorsque le
motif, c’est-à-dire l’élément ou l’ensemble des éléments communs au
comparant et au comparé (faible, dans le texte de Pascal) est absent, comme
dans le second exemple, la structure attributive produit un effet de surprise :
la définition devient énigmatique.
appositive :

Voix sans poumons, corps invisibles,


Lutins volans, char des oiseaux,
[...]
Vents [...]
Drelincourt, Sonnets chrétiens, XXIV.

☞ Les poètes baroques antéposent très souvent le comparant au comparé


et accumulent des métaphores empruntées à des domaines divers, en un
groupement que A. Moret (Le Lyrisme baroque en Allemagne, 1936)
appelle l’ikon : le comparé semble alors s’effacer derrière les comparants et
le monde sensible est donné comme difficile à saisir dans sa réalité.

fondée sur une structure [nom + complément déterminatif], quand elle


peut être transformée en structure attributive :
Cet astre lance des regards
Dans un nuage épais et sombre
Qui reflechissans à costé
Nous font voir des montagnes d’ombre
Avec des sources de clarté.
Tristan, Poésies galantes et héroïques, « La Mer ».

☞ Il y a identité entre les montagnes et l’ombre, entre les sources et la


clarté.

Dans tous ces cas, le comparant et le comparé sont exprimés : les


métaphores sont dites in praesentia. Elles sont dites in absentia lorsque le
comparé n’est pas immédiatement exprimé :

Deux guerriers ont couru l’un sur l’autre ; leurs armes


Ont éclaboussé l’air de lueurs et de sang.
Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Duellum ».

☞ Seules des apostrophes à « ma chère », à une « amazone inhumaine »


laissent deviner que ce combat de deux guerriers peut être lu également
comme la description de la passion meurtrière. Cette métaphore filée* qui
personnifie une idée abstraite, ce récit qui a à la fois une signification
littérale et une signification symbolique sont appelés des allégories.

Sont également considérées comme in absentia les métaphores dans


lesquelles le terme non mentionné est le comparant. Elles établissent une
relation entre :
deux noms, dans certaines structures [nom + complément déterminatif] :

L’air est plein d’une haleine de roses,


[...]
Malherbe, Chanson.
☞ Le comparant humain est absent, alors que le motif (haleine) est
exprimé ;

le nom et le verbe :

Mais dans l’onde déjà cette guerre s’allume,


[...]
Saint-Amant, Moïse sauvé, VII.

☞ Ce type de métaphore est très souvent utilisé avec un verbe


comportant un sème* dynamique pour recatégoriser l’abstrait dans le
concret, comme ici, ou l’inanimé dans l’animé ;

le nom et l’adjectif :

De durs cahots secouèrent la voiture sur une piste écorchée et galeuse,


rongée de larges plaques malsaines d’une herbe maigre.
Gracq, Le Rivage des Syrtes, « Une prise de commandement ».

☞ Toutes les métaphores adjectivales suggèrent l’assimilation de la route


à un malade sans que le comparant soit mentionné, et le sème* spécifique de
« mauvais état physique » est commun à écorchée, galeuse, rongée,
plaques, malsaines et maigre. Cette « série de métaphores reliées les unes
aux autres par la syntaxe et par le sens » (M. Rifaterre, La Production du
texte, Le Seuil, 1979) est appelée métaphore filée.

L’analyse de la structure syntaxique de la métaphore ou de la


comparaison, doublée d’une réflexion sur la relation analogique plus ou
moins évidente qu’entretiennent le comparant et le comparé, permet de
définir la fonction de ces figures ; elle peut être :
ornementale, leur première fonction dans la rhétorique classique ;
didactique, notamment quand elles rapprochent l’abstrait du concret
(cf. la métaphore pascalienne) ;
poétique, en ce qu’elles construisent un univers propre au locuteur, où se
superpose au monde connu un univers mystérieux (cf. la métaphore
verlainienne).

Les autres tropes


La métonymie est une figure par laquelle un nom se substitue à un autre
en vertu d’une relation non analogique mais suffisamment nette, d’un
rapport de contiguïté, entre la cause et l’effet (« vivre de son travail », pour
« vivre de l’argent qu’on gagne en travaillant »), le contenant et le contenu
(« aimer la bouteille » pour « aimer le vin »), l’abstrait et le concret (« une
beauté » pour « une belle femme »), etc.
La synecdoque désigne quelque chose par un terme dont le sens inclut
celui du terme propre « un bronze » pour « une statue de bronze » ou est
inclus par lui (« une voile » pour « un navire ») : elle permet de signifier
« le plus pour le moins ou le moins pour le plus » (Du Marsais, op. cit.) et
de désigner le tout par la partie, la matière par l’objet, le genre par l’espèce
(donc l’hyponyme* par l’hyperonyme*), le pluriel par le singulier
(« l’homme » pour « les hommes » dans la citation de Pascal ci-dessus), le
nom commun par le nom propre (« un Harpagon » pour « un avare »),
procédé appelé antonomase (nom féminin).
Ces types de figures ne sont jamais énigmatiques, ce qui explique qu’ils
soient fréquents dans la littérature classique, notamment l’abstrait pour le
concret et l’hyperonyme* pour l’hyponyme*, qui donne une valeur
exemplaire au propos :

Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées


La valeur n’attend point le nombre des années.
Corneille, Le Cid, II, 2.

☞ Rodrigue se désigne emphatiquement par un pluriel et par un terme


abstrait (les âmes bien nées), parce que l’individu, dans une éthique
aristocratique, se définit avant tout par son appartenance à la caste de la
noblesse, qui se distingue par son courage et par sa force toujours
triomphante.
Les figures de pensée
La plupart des figures que nous avons examinées jusqu’à présent sont
facilement repérables parce qu’elles portent sur un « segment déterminé »
(G. Molinié, Dictionnaire de rhétorique) : elles entrent dans la catégorie
que G. Molinié appelle celle des figures micro-structurales.
D’autres figures ne sont pas assimilables à des dispositions formelles ;
leur perception dépend alors du contexte d’énonciation*. Elles sont dites
macro-structurales. C’est le cas des figures de pensée.
• L’ironie* est une figure de pensée parfois difficile à repérer (cf. p. 61)
et qui se marque souvent par l’antiphrase. Cette figure consiste à employer
une expression dans un sens contraire à son sens littéral :

Nana, jusque-là endormie, fut reprise de la fièvre de son triomphe. Ah


bien ! c’était Rose Mignon qui devait passer une jolie matinée !
Zola, Nana, II.

☞ Seul le cotexte* précédent, qui a révélé que Rose Mignon était au


théâtre la rivale de Nana, permet de comprendre que l’adjectif jolie, dans le
discours indirect libre* de Nana est employé ironiquement de manière
antiphrastique.

• La prétérition est une figure par laquelle on déclare ne pas parler


d’une chose, tout en attirant l’attention sur elle sous une forme le plus
souvent négative, ou interrogative :

Qu’est-il besoin, Nabal, qu’à tes yeux je rappelle


De Joad et de moi la fameuse querelle,
Quand j’osai contre lui disputer l’encensoir,
Mes brigues, mes combats, mes pleurs, mon désespoir ?
Racine, Athalie, III, 3.

☞ La prétérition se fait par le biais de l’interrogation rhétorique*, qui


équivaut à une forte assertion à la forme négative. C’est un procédé oratoire
qui, associé ici à la gradation*, suscite le pathos*.
• La litote consiste à atténuer l’expression de sa pensée pour faire
entendre le plus en disant le moins :

– Et puis, tenez, monsieur Marius, je crois que j’étais un peu amoureuse


de vous.
Hugo, Les Misérables, quatrième partie, XII, 6.

☞ Cette ultime confidence d’Éponine qui meurt pour avoir sauvé


Marius, cette « litote si dramatiquement placée » (R. Ricatte, « Style parlé
et psychologie dans Les Misérables », in Centenaire des Misérables.
Hommage à Victor Hugo, 1962) donne une tonalité mélodramatique à cette
fin de chapitre. Cette esthétique du paroxysme est une des composantes
d’une « littérature ayant ce but : Le Peuple » (Hugo, William Shakespeare,
II, 5, 5).

• L’euphémisme est l’expression atténuée d’une réalité déplaisante ou


vulgaire. L’évocation de la mort en particulier se fait par le biais
d’euphémismes :

Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine.


Chénier, Bucoliques, « La Jeune Tarentine ».

☞ Le passé composé a une valeur aspectuelle d’accompli. Le résultat du


procès (Myrto est morte) est perceptible dans le présent du locuteur. Ce
temps ne peut être remplacé par un passé simple (cf. p. 79).

• L’hyperbole (nom féminin) est une figure d’amplification, qui consiste


en une exagération de l’expression destinée à produire une forte impression.
Cette figure, très courante dans la littérature – et dans le langage parlé de
toutes les époques ! est récurrente notamment dans le style précieux et chez
Hugo. La catégorie de l’adjectif et de l’adverbe (cf. p. 90) produit de
nombreuses hyperboles :
Jamais un visage si spirituel, si touchant, si parlant, jamais une fraîcheur
pareille, jamais tant de grâces ni plus d’esprit, jamais tant de gaieté et
d’amusement, jamais de créature plus séduisante.
Saint-Simon, Mémoires, t. II.

☞ Saint-Simon use fréquemment de tours hyperboliques pour souligner


les qualités et surtout les défauts de ses personnages, en particulier dans des
tournures négatives placées en tête de phrase. Ici la phrase nominale*
permet l’accumulation des traits, renforcée par les structures binaires et
ternaires et l’anaphore* de jamais.
• La prosopopée est un discours fictif attribué à un absent, un mort, une
entité abstraite :

Je fay quand il me plait par un contraire effort,


Et mourir le bois vif, et vivre le bois mort,
Et redonne la mort au bois mort que j’anime.
Martial de Brives, Parnasse séraphique, « Énigme sur le vent ».

☞ Les énigmes, très à la mode chez les baroques et les précieux,


utilisaient souvent la figure de la prosopopée.

• La définition de l’hypotypose (nom féminin) telle qu’on la trouve chez


P. Fontanier – et reprise presque mot pour mot par H. Morier et B. Dupriez
– est très subjective : « L’hypotypose peint les chose d’une manière si vive
et si énergique, qu’elle les met en quelque sorte sous les yeux, et fait d’un
récit ou d’une description, une image, un tableau ou même une scène
vivante. » Le danger est que l’on voie des hypotyposes partout ! Pour
mettre les choses « sous les yeux », l’hypotypose recherche :
l’accumulation de détails pittoresques qui doivent signifier, c’est-à-dire
« contribuer à donner l’impression voulue » (ibid.) ;
une actualisation* qui crée la dramatisation par l’usage d’embrayeurs*,
de déterminants définis*, de l’énallage* temporel. Dans les récits, le
présent de narration* est très souvent utilisé avec l’hypotypose, car il
abolit le décalage entre le révolu et le moment de renonciation*.
Ici les fondemens des chasteaux rehaussés
Par les ressuscitans promptement sont percés ;
Ici un arbre sent des bras de sa racine
Grouiller un chef vivant, sortir une poitrine ;
Là l’eau trouble bouillonne, et puis s’éparpillant
Sent en soi des cheveux et un chef s’esveillant.
Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques, « Jugement ».

☞ L’anaphore* des déictiques* (ici, là), les participes présents et


l’adjectif verbal ressuscitans indiquant un procès en cours
d’accomplissement, l’accumulation de verbes comportant un sème*
spécifique dynamique font de la résurrection des corps une « scène
vivante » (P. Fontanier, op. cit.) marquée par la métamorphose, le
mouvement : ce « jaillissement verbal » (J. Rousset, La Littérature de l’âge
baroque en France, Corti, 1953) est caractéristique de l’esthétique baroque.
6

DIX EXERCICES D’APPLICATION SUR LES


PROCÉDÉS STYLISTIQUES ÉTUDIÉS

Voir les réponses après l’exercice 10 (p. 165).

EXERCICE 1 – ORGANISATION TEXTUELLE ET PROCÉDÉS


LEXICAUX

Relire « L’organisation du poème » (p. 23) et « Connotation » (p. 118).

Laridon et César, frères dont l’origine


Venait de chiens fameux, beaux, bien faits et hardis,
A deux maîtres divers échus au temps jadis,
Hantaient, l’un les forêts, et l’autre la cuisine.
Ils avaient eu d’abord chacun un autre nom ;
Mais la diverse nourriture
Fortifiant en l’un cette heureuse nature,
En l’autre l’altérant, un certain marmiton
Nomma celui-ci Laridon :
Son frère, ayant couru mainte haute aventure,
Mis maint Cerf aux abois, maint Sanglier abattu,
Fut le premier César que la gent chienne ait eu.
On eut soin d’empêcher qu’une indigne maîtresse
Ne fit en ses enfants dégénérer son sang :
Laridon négligé témoignait sa tendresse
A l’objet le premier passant.
Il peupla tout de son engeance :
Tournebroches par lui rendus communs en France
Y font un corps à part, gens fuyants les hasards,
Peuple antipode des Césars.
On ne suit pas toujours ses aïeux ni son père :
Le peu de soin, le temps, tout fait qu’on dégénère :
Faute de cultiver la nature et ses dons,
O combien de Césars deviendront Laridons !
La Fontaine, Fables, VIII, 24 : « L’Education »

1. Observez le schéma des rimes des 4 premiers vers. Observez le schéma


des rimes des 4 derniers vers. En quoi la versification sert-elle
l’organisation de la fable ?
2. Quel est le mètre qui domine ? Essayez de dire pourquoi en songeant à la
tonalité du texte.
3. De quel chien est-il essentiellement question dans les octosyllabes ? Que
pouvez-vous en déduire de la répartition entre alexandrins et
octosyllabes ? Que pensez-vous du choix des mots à la rime dans les
deux derniers vers ?

EXERCICE 2 – PROCÉDÉS ÉNONCIATIFS


Relire « Discours, récit, modalités » (p. 32) et « L’identité du
destinataire » (p. 40).

HARPAGON – Au voleur ! au voleur ! à l’assassin ! au meurtrier !


Justice, juste Ciel ! je suis perdu, je suis assassiné, on m’a coupé la
gorge, on m’a dérobé mon argent. Qui peut-ce être ? Qu’est-il devenu ?
Où est-il ? Où se cache-t-il ? Que ferai-je pour le trouver ? Où courir ?
Où ne pas courir ? N’est-il point là ? N’est-il point ici ? Qui est-ce ?
Arrête. Rends-moi mon argent, coquin… (Il se prend lui-même par le
bras.) Ah ! c’est moi. Mon esprit est troublé, et j’ignore où je suis, qui je
suis, et ce que je fais. Hélas ! mon pauvre argent, mon pauvre argent,
mon cher ami ! on m’a privé de toi ; et puisque tu m’es enlevé, j’ai
perdu mon support, ma consolation, ma joie ; tout est fini pour moi, et je
n’ai plus que faire au monde : sans toi, il m’est impossible de vivre.
C’en est fait, je n’en puis plus ; je me meurs, je suis mort, je suis
enterré. N’y a-t-il personne qui veuille me ressusciter, en me rendant
mon cher argent, ou en m’apprenant qui l’a pris ? Euh ? que dites-vous ?
Ce n’est personne. Il faut, qui que ce soit qui ait fait le coup, qu’avec
beaucoup de soin on ait épié l’heure ; et l’on a choisi justement le temps
que je parlais à mon traître de fils. Sortons. Je veux aller quérir la
justice, et faire donner la question à toute la maison : à servantes, à
valets, à fils, à fille, et à moi aussi. Que de gens assemblés ! Je ne jette
mes regards sur personne qui ne me donne des soupçons, et tout me
semble mon voleur. Eh ! de quoi est-ce qu’on parle là ? De celui qui m’a
dérobé ? Quel bruit fait-on là-haut ? Est-ce mon voleur qui y est ? De
grâce, si l’on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l’on m’en
dise. N’est-il point caché là parmi vous ? Ils me regardent tous, et se
mettent à rire. Vous verrez qu’ils ont part sans doute au vol que l’on m’a
fait. Allons vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des juges,
des gênes, des potences et des bourreaux. je veux faire pendre tout le
monde ; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai moi-même après.
Molière, L’Avare, acte IV, scène 7

1. Un monologue en fait s’adresse toujours à quelqu’un : à qui s’adresse


Harpagon ? Est-ce toujours à la même personne ?
2. Quelle particularité de l’état d’esprit d’Harpagon veulent traduire les
multiples interrogations ? Quel effet produisent-elles sur le spectateur ?
3. Sur quels éléments les interrogations partielles interrogent-elles ? Est-ce
que ce sont des interrogations rhétoriques ? Que reflètent-elles des
préoccupations d’Harpagon ? Que révèlent-elles de l’état d’esprit
d’Harpagon ?
4. Relevez toutes les interrogations totales. Quelle est leur forme ? Que
suggèrent-elles ?
EXERCICE 3 – PROCÉDÉS ÉNONCIATIFS ET CONSTITUANTS
SYNTAXIQUES

Relire « Le point de vue du narrateur » (p. 43) et « Les déterminants »


(p. 82).
Voici l’incipit du roman de Simenon, Maigret s’amuse :

Le petit vieux à barbichette sortant à nouveau de l’ombre de l’entrepôt,


à reculons, regardait à gauche et à droite, avec un geste des deux mains
pour attirer vers lui le lourd camion dont il dirigeait la manœuvre.

Quel est l’effet produit par l’emploi de l’article défini ?

EXERCICE 4 – PROCÉDÉS ÉNONCIATIFS ET CONSTITUANTS


SYNTAXIQUES

Relire « Le point de vue du narrateur » (p. 43) et « Les pronoms


personnels » (p. 94).
Voici maintenant l’incipit de La Maison du canal de Simenon :

Dans le flot de voyageurs qui coulait par saccades vers la sortie, elle
était la seule à ne pas se presser. Son sac de voyage à la main, la tête
dressée sous le voile de deuil, elle attendit son tour de tendre son billets
à l’employé, puis elle fit quelques pas (...).

Quel procédé syntaxique est étrange dans ces premières phrases du


roman ? Quel est l’effet produit ?

EXERCICE 5 – CONSTITUANTS SYNTAXIQUES


Relire « Les déterminants » (p. 82), « Phrases verbales, phrases
nominales » (p. 65).
Profond silence, hors le frôlement des cartes et quelques cris du roi qui
se fâchait.
Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe

Chateaubriand est en train de décrire une entrevue avec le roi. Quelle


impression donne l’absence de déterminant ? quel type de style crée cette
phrase sans verbe ?

EXERCICE 6 – CONSTITUANTS SYNTAXIQUES


Relire « Valeur des temps de l’indicatif » (p. 70), « Les déterminants »
(p. 82), « Le rythme de la phrase » (p. 105).

a) Il ne se trouvait autour d’elle aucun homme qui pût lui inspirer une de
ces folies auxquelles les femmes se livrent, poussées par le désespoir
que leur cause une vie sans issue, sans événement, sans intérêt.
b) Il écrivit une de ces lettres folles où les jeunes gens opposent le
pistolet à un refus.
c) Ce gentilhomme était un de ces petits esprits doucement établis entre
l’inoffensive nullité qui comprend encore, et la fière stupidité qui ne
veut ni rien accepter ni rien entendre.

1. Dans ces phrases extraites des Illusions perdues, quelle est la


particularité commune aux propositions relatives ? Pour répondre, soyez
attentif à la valeur du déterminant de « femmes » et de « jeunes gens »,
ainsi qu’à celle du temps présent. ?
2. Que pensez-vous du rythme de ces phrases ?
3. Quel est l’effet produit par ces différents procédés, qui va avec le projet
de Balzac, tel qu’il le présente à « La Bien-Aimée » Mme Hanska, en
disant qu’il veut créer des « individualités typisées » et des « types
individualisés » ?
EXERCICE 7 – CONSTITUANTS SYNTAXIQUES ET PROCÉDÉS
LEXICAUX

Relire « Deux vecteurs de la subjectivité du locuteur : les adjectifs et les


adverbes » (p. 90) et dénotation et connotation (p. 114).

Le ciel si pâle et les arbres si grêles


Semblent sourire à nos costumes clairs
Qui vont flottant légers avec des airs
De nonchalance et des mouvements d’ailes.

Et le vent doux ride l’humble bassin,


Et la lueur du soleil qu’atténue
L’ombre des bas tilleuls de l’avenue
Nous parvient bleue et mourante à dessein.
Trompeurs exquis et coquettes charmantes,
Cœurs tendres mais affranchis du serment,
Nous devisons délicieusement,
Et les amants lutinent les amantes

De qui la main imperceptible sait


Parfois donner un souffle qu’on échange
Contre un baiser sur l’extrême phalange
Du petit doigt, et comme la chose est

Immensément excessive et farouche,


On est puni par un regard très sec,
Lequel contraste, au demeurant, avec
La moue assez clémente de la bouche.
Verlaine, Fêtes galantes, « A la promenade »

1. Relevez tous les adjectifs. Lesquels vous semblent étranges par rapport à
l’élément qu’ils qualifient ?
2. Quel est le mètre des vers du poème ? Combien de syllabes du vers
occupe l’adjectif « délicieusement » ? Dans quelle pièce de Molière des
personnages ridicules utilisent ces longs adverbes en –ment ? Quel est le
courant littéraire dont se moque Molière et qu’imite Verlaine ?
3. Relevez des procédés syntaxiques qui marquent un goût pour
l’expression rare, l’archaïsme.
4. En quoi tous ces éléments ont-ils leur place dans ce poème d’un recueil
intitulé Fêtes galantes ?

EXERCICE 8 – PROCÉDÉS LEXICAUX ET FIGURES


DE STYLE

Relire « Dénotation et connotation » (p. 114) et « Les figures de pensée »


(p. 150).

THOMAS DIAFOIRUS, tirant de sa poche une grande thèse roulée,


qu’il présente à Angélique
J’ai, contre les circulateurs, soutenu une thèse, qu’avec la permission de
monsieur, j’ose présenter à mademoiselle, comme un hommage que je
lui dois des prémices de mon esprit.
ANGELIQUE
Monsieur, c’est pour moi un meuble inutile, et je ne me connais pas à
ces choses-là.
TOINETTE
Donnez, donnez. Elle est toujours bonne à prendre pour l’image : cela
servira à parer notre chambre.
THOMAS DIAFOIRUS
Avec la permission aussi de monsieur, je vous invite à venir voir, l’un de
ces jours, pour vous divertir, la dissection d’une femme, sur quoi je dois
raisonner.
TOINETTE
Le divertissement sera agréable. Il y en a qui donnent la comédie à leurs
maîtresses ; mais donner une dissection est quelque chose de plus
galant.
MONSIEUR DIAFOIRUS
Au reste, pour ce qui est des qualités requises pour le mariage et la
propagation, je vous assure que, selon les règles de nos docteurs, il est
tel qu’on le peut souhaiter ; qu’il possède en un degré louable la vertu
prolifique, et qu’il est du tempérament qu’il faut pour engendrer et
procréer des enfants bien conditionnés.
ARGAN
N’est-ce pas votre intention, monsieur, de le pousser à la cour, et d’y
ménager pour lui une charge de médecin ?
MONSIEUR DIAFOIRUS
A vous en parler franchement, notre métier auprès des grands ne m’a
jamais paru agréable ; et j’ai toujours trouvé qu’il valait mieux pour
nous autres demeurer au public. Le public est commode. Vous n’avez à
répondre de vos actions à personne ; et, pourvu que l’on suive le courant
des règles de l’art, on ne se met point en peine de tout ce qui peut
arriver. Mais ce qu’il y a de fâcheux auprès des grands, c’est que, quand
ils viennent à être malades, ils veulent absolument que leurs médecins
les guérissent.
TOINETTE
Cela est plaisant ! et ils sont bien impertinents de vouloir que, vous
autres messieurs, vous les guérissiez. Vous n’êtes point auprès d’eux
pour cela ; vous n’y êtes que pour recevoir vos pensions et leur ordonner
des remèdes ; c’est à eux à guérir s’ils peuvent.
Molière, Le Malade imaginaire, II, 5

Thomas Diafoirus est venu avec son père demander à Argan la main de
sa fille.
1. Qu’ont en commun les termes suivants employés par Toinette :
divertissement, donner la comédie, galant ? En quoi l’expression donner
une dissection est-elle une bonne trouvaille de la part de Toinette ?
2. À quel registre appartiennent les termes dissection, prolifique, procréer,
bien conditionné (= pourvu des qualités requises) ? Quel effet produisent
ces termes dans le contexte où ils sont employés ?
3. Quelle est la figure de pensée qui domine dans ce passage ?
EXERCICE 9 – FIGURES DE STYLE
Relire « Les figures de construction » (p. 136).
Quel est l’effet produit par la polysyndète dans la première strophe de
cette pièce des Poèmes saturniens, de Verlaine, « Mon rêve familier » ?

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant


D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.

EXERCICE 10 – CONSTITUANTS SYNTAXIQUES, PROCÉDÉS


LEXICAUX ET FIGURES DE STYLE

Relire « Les temps de l’indicatif » (p. 70), « Deux vecteurs de la


subjectivité du locuteur : les adjectifs et les adverbes » (p. 90), « Le rythme
de la phrase » (p. 105), « Les figures de sens ou tropes » (p. 144).
Dans son roman Une Vie, très inspiré de Madame Bovary parce qu’il
admire Flaubert, Maupassant évoque la monotonie de la vie de jeune mariée
de son héroïne (chapitre VI). Relevez quelques procédés stylistiques
traduisant « l’embêtement de l’existence » (Flaubert).

Étaient-ce la même campagne, la même herbe, les mêmes arbres qu’au


mois de mai ? Qu’étaient donc devenues la gaieté ensoleillée des
feuilles, et la poésie verte du gazon où flambaient les pissenlits, où
saignaient les coquelicots, où rayonnaient les marguerites, où
frétillaient, comme au bout de fils invisibles, les fantasques papillons
jaunes ? Et cette griserie de l’air chargé de vie, d’arômes, d’atomes
fécondants n’existait plus.
Les avenues détrempées par les continuelles averses d’automne
s’allongeaient, couvertes d’un épais tapis de feuilles mortes, sous la
maigreur grelottante des peupliers presque nus. Les branches grêles
tremblaient au vent, agitaient encore quelque feuillage prêt à s’égrener
dans l’espace. Et, sans cesse, tout au long du jour, comme une pluie
incessante et triste à faire pleurer, ces dernières feuilles, toutes jaunes
maintenant, pareilles à de larges sous d’or, se détachaient, tournoyaient,
voltigeaient et tombaient.

RÉPONSES
Réponse 1
1. Les quatre premiers vers ont des rimes abba et forment un système clos,
présentant les deux personnages. Quatre alexandrins en rimes plates
développent la morale.
2. Les octosyllabes permettent une rupture dans le style héroï-comique de
la fable. Alors qu’une une réalité triviale – l’histoire de deux chiens – est
évoquée de manière solennelle, les octosyllabes sont consacrés à
l’évocation de Laridon : à un vers court, qui n’est pas un vers noble,
correspond un personnage dégénéré.
3. Il y a une opposition comique entre dons et Laridons aux deux derniers
vers de la fable, qui contribue à créer, avec le choix de l’apostrophe
solennelle ô, le style héroï-comique propre à cette fable.
Même si chez La Fontaine, rien n’est systématique, le choix des mètres
et des rimes appuie souvent le sens du propos.

Réponse 2
1. Harpagon commence par appeler le Ciel à son secours. Puis il s’adresse
à son argent comme à un être cher. Il s’adresse ensuite au public,
rompant l’illusion théâtrale. De manière encore plus subtile, il s’adresse
à différents groupes du public puisqu’il oppose vous (vous verrez) à ils
(qu’ils ont part).
2. Ces multiples interrogations traduisent le basculement d’Harpagon dans
la folie. Mais Molière n’a pas voulu créer une scène tragique et l’adresse
au spectateur, qui est brutalement introduit au cœur de l’intrigue, a un
effet comique.
3. Les interrogations partielles portent sur l’identité du voleur, le lieu où ce
voleur et le trésor se peuvent se trouver, ainsi que sur la nature des bruits
et des conversations autour d’Harpagon. Ces questions ne sont pas
rhétoriques : Harpagon souhaiterait que quelqu’un lui réponde ! Elles
marquent donc son obsession et sa déraison.
4. Quant aux interrogations totales, elles ont le plus souvent une structure
négative. La réponse est donc ainsi orientée, Harpagon incitant tout le
monde à lui répondre, à le renseigner.
Ainsi la multiplicité des destinataires, le nombre des questions et la
variété de leur forme contribuent à peindre l’état mental d’Harpagon,
totalement bouleversé par le vol de sa cassette.

Réponse 3
Cet emploi est intrigant : pourquoi présenter comme connu un
personnage inconnu du lecteur ?
Celui-ci aura la clé de l’énigme quelques lignes plus loin :

C’était le troisième camion qui sortait ainsi, en une demi-heure, du vaste


hall au fronton duquel on lisait : Catoire et Potut, Métaux, des mots
familiers à Maigret, puisqu’il les avait chaque jour sous les yeux depuis
plus de trente ans.

Le lecteur comprend en lisant ces lignes que le début du récit se fait du


point de vue du personnage de Maigret, qui, lui, connaît bien « le petit
vieux ». Ce procédé de focalisation interne produit un effet de dramatisation
immédiate.

Réponse 4
Dans le deuxième incipit, le pronom personnel anaphorique il est
employé sans antécédent. Depuis le début du XXe siècle, les romanciers
usent fréquemment de ce procédé qui pique la curiosité du lecteur en incipit
de roman : qui est cette personne dont je ne sais rien, pas même le nom et à
propos de laquelle on me fait croire qu’on n’a pas besoin de me la
présenter ?

Réponse 5
Dans les Mémoires, Chateaubriand adopte souvent ce « style du
voyageur » (J.-M. Gautier, Le Style des Mémoires d’outre-tombe, Droz,
1959), avec des phrases nominales, des groupes nominaux sans
déterminants, pour traduire des impressions fugitives ou pour croquer
rapidement des lieux.

Réponse 6
1. Le groupe déterminé par un démonstratif est identifiable grâce à la
proposition relative qui suit (phrases a et b) ou le groupe adjectival qui
caractérise le substantif (phrase c)
Il y a passage de la présentation d’un individu (une femme, un homme,
un gentilhomme) à l’inscription de celui-ci dans un cadre plus vaste, par le
biais de la structure « un de ces », qui permet le passage du singulier au
pluriel généralisant.
La proposition relative dans a et b comporte :
un sujet au pluriel où le GN est déterminé par un article défini à valeur
généralisante : les femmes, les jeunes gens ;
un verbe au présent à valeur omnitemporelle (ou présent de vérité
générale) : se livrent, opposent.
Elle va dans le même sens de la généralisation que la proposition
principale. Dans la citation 3, la structure est un peu différente mais l’effet
est le même. La proposition relative a fait place à un participe passé
adjectivé, qui est totalement équivalent à la relative (on pourrait permuter
avec : un de ces petits esprits qui sont doucement établis… mais il y aurait
alors une avalanche peu élégante de propositions relatives !). La fin de la
phrase comporte elle aussi des marques de généralisation avec le présent de
vérité générale et les noms abstraits déterminés par l’article défini (la
nullité, la stupidité).
2. Ces phrases ont toutes une cadence majeure, avec des relatives de grande
ampleur, qui se s’achèvent sur un rythme ternaire (sans issue, sans
événement, sans intérêt) ou binaire (l’inoffensive nullité et la fière
stupidité ; ni rien accepter ni rien entendre) ou par une formule
surprenante, avec le lien établi par exemple dans la phrase b entre
pistolet et refus, qui a des allures de zeugme.
3. Comme l’écrit Balzac dans la préface de La Comédie Humaine, « il y a
des situations qui se présentent dans toutes les existences, des phases
typiques »…

Réponse 7
1. Qu’est-ce qu’un humble bassin ? une ombre bleue ? une chose (= un
baiser) à la fois immensément excessive et farouche ? Comment des
trompeurs peuvent-ils être exquis ? On remarque que les adjectifs ont
tous une valeur subjective et créent une atmosphère étrange. Les
adjectifs pâle, grêles, légers, doux, humble, bas avec les substantifs
nonchalance, lueurs, et les verbes ride, atténue contribuent à établir une
esthétique de la « fadeur » (cf. Jean-Pierre Richard, Poésie et
profondeur, « Fadeur de Verlaine »).
2. Le poème est en décasyllabes et « délicieusement » occupe le
2e hémistiche (4/6). Verlaine pastiche les tournures précieuses, avec les
adverbes intensifs si (si pâle, si grêles), très (très sec), les adverbes longs
(délicieusement, mis en valeur par la diérèse (dé-li-ci-eu-se-ment) ;
immensément) qui rappellent les adverbes emphatiques du jargon
précieux (cf. dans Les Précieuses ridicules, sc. 9 : « furieusement bien »,
« le sublime en est touché délicieusement », « effroyablement belles » et
l’épisode du sonnet de Trissotin dans Les Femmes savantes, III, 2 :
« Votre prudence est endormie, De traiter magnifiquement, Et de loger
superbement, Votre plus cruelle ennemie. »)
3. Verlaine cultive archaïsmes et constructions rares. La structure archaïque
aller + participe (qui vont flottant) est une tournure fréquente chez lui,
qui crée un mouvement dans la description (même si le sens est duratif,
il reste quelque chose du sens du verbe de mouvement). La construction
nous parvient bleue est rare elle aussi et comporte également un sème de
mouvement. Les emplois des relatifs de qui, lequel sont également
archaïsants.
4. Ce cinquième poème, intitulé « À la promenade », comme le fut une
gravure d’après Watteau, un des peintres de la galanterie du XVIIIe siècle,
fait partie d’un recueil qui a été souvent considéré par ses contemporains
comme une exquise « transposition d’art » offrant « la sensation juste
que donnent les tableaux de Lancret de Watteau » (Philippe Dauriac,
dans Le Monde Illustré du 26 juin 1869).

Réponse 8
1. Les termes employés par Toinette font allusion à la vie mondaine et
galante. L’expression forgée par Toinette donner une dissection (avec
l’article indéfini) mise en parallèle avec l’expression figée donner la
comédie (avec l’article défini) souligne le ridicule du personnage de
Thomas Diafoirus qui ne connaît pas les convenances de la conversation
galante.
2. Les termes dissection, prolifique, procréer, bien conditionné
appartiennent au langage médical et font allusion à des réalités du corps
triviales : le cadavre, la reproduction à la place de l’amour, l’homme
assimilé à un étalon, et l’éventuelle débilité de la descendance évoquée
en creux. Là encore ces termes montrent que Thomas Diafoirus et son
père ne savent pas adapter leur discours à leur destinataire, et cela suscite
le rire.
3. La figure de pensée qui domine est l’ironie, avec le discours de Toinette,
qui ne cesse de faire croire qu’elle adhère aux propos des Diafoirus,
notamment dans sa dernière réplique qui est en fait une attaque contre les
médecins charlatans.

Réponse 9
Verlaine aime ce procédé qui donne à la fois l’impression d’un style un
peu familier, de la confidence, d’un propos qui se construit au fil de la
plume, tandis que se précise la pensée ou le tableau qu’il imagine. Ici cette
répétition traduit également l’obsession de recherche de la figure de la
femme aimée idéale.

Réponse 10
Un certain nombre de procédés stylistiques marquent la répétition
d’événements tristes et contribuent donc à souligner la monotonie et la
tristesse de l’existence de la jeune femme :
répétition dans une structure ternaire de la même construction (la même
+ nom),
adjectifs marquant la durée (continuelles, incessante) qui s’appliquent
tous deux au mauvais temps, réel ou métaphorique (averses, pluie),
locution adverbiale sans cesse qui est de la même famille lexicale que
incessante et qui s’applique à la chute des feuilles,
imparfait qui inscrit cette description pleine de mélancolie dans la durée.
EXEMPLES D’ANALYSE STYLISTIQUE

BAUDELAIRE, LES FLEURS DU MAL,


« LE FLACON »
Nous proposons, à partir de trois textes – un poème, un texte
romanesque, un texte théâtral, présentés par ordre de difficulté croissante –,
de montrer comment les différents niveaux d’analyse stylistique présentés
dans cet ouvrage peuvent conduire à une juste appréciation de la nature et
des effets de sens d’un texte littéraire.
L’organisation textuelle
Les « strophes » d’alexandrins ne forment pas un système clos sur lui-
même puisque les rimes sont plates, créant des échos sonores rapprochés, et
que certaines strophes enjambent (str. 1-2 ; str. 6-7).
À l’intérieur de la strophe, se produisent des phénomènes de discordance
entre le mètre* et la syntaxe (enjambement externe : v. 1-2, contre-rejet
externe : v. 14-15, v. 27-28 ; rejet externe : v. 21-22 ; enjambements internes
v. 5, 6, 7, 13, 22, 28 ; rejet interne : 27) qui soit donnent une allure plus
prosaïque au vers, en atténuant les accents métriques, soit ont une valeur
expressive, comme les trimètres romantiques (vers où la césure médiane
est estompée et dont le rythme est 4/4/4) des v. 12 et 14, liés au thème de
l’envol des papillons et du vertige.
Le connecteur* logique ainsi au début de la strophe 6 articule le poème
en deux parties.

Conclusion : le poème oscille entre prosaïsme et poésie ; deux


mouvements se dessinent, qu’il va falloir préciser.

Les procédés énonciatifs


Le plan d’énonciation* dans le poème est celui du discours (temps :
présent, imparfait, futur ; déictique* : voilà v. 13). Mais dans les strophes 1
à 5, le locuteur se dissimule derrière le pronom on, alors que dans les
strophes 5 à 7, il s’adresse à un destinataire qui n’est pas le lecteur virtuel,
mais dont l’identification est problématique (aimable pestilence, cher
poison, liqueur qui me ronge).
La modalité* assertive laisse place dans les deux dernières strophes à la
modalité exclamative.

Conclusion : Les deux mouvements du poème sont également


perceptibles dans l’énonciation. Il faut préciser l’identité de l’interlocuteur
du poète.

Les constituants syntaxiques du texte

Le verbe
Le présent de vérité générale (v. 1 et 2) et d’habitude (str. 2 : avec
l’adverbe parfois) fait place à un présent d’énonciation* (v. 11 à 20 et
v. 28). Dans les deux dernières strophes apparaît le futur prophétique.

Les déterminants
Les articles indéfinis prédominent dans la première partie : le substantif
ainsi déterminé reste d’une certaine manière virtuel (un coffret, une maison,
un flacon, un vieil amour).

Les adjectifs
Les caractérisants du nom sont très nombreux et prennent la forme
d’adjectifs non classifiants* pour la plupart, évaluatifs*, axiologiques*, de
sens dépréciatif (âcre, ranci, sale, etc.). Les seuls qui soient laudatifs
(charmant, aimable, cher) sont associés à des substantifs à connotation*
dépréciative, dans des oxymores* (cf. ci-après).

Les pronoms personnels


Les pronoms indéfinis (on dirait v. 2, on trouve v. 7), la tournure
impersonnelle (il est v. 1) en début de poème laissent place aux pronoms
personnels de la première et deuxième personnes dans les deux dernières
strophes.

La phrase
Des phrases courtes, ne respectant pas le cadre métrique, ouvrent le
poème et réapparaissent dans la strophe 4.
La phrase déborde du cadre de la strophe dans les strophes 1-2 et 6-7. La
protase* est plus longue que l’apodose*, produisant un effet de chute,
accentué par l’enjambement* strophique pour la seconde occurrence ; les
deux segments exclamatifs qui suivent (v. 26 à 28) sont à rattacher à ce qui
précède ; cette perturbation du cadre syntaxique va de pair avec la modalité*
exclamative.
La phrase est souvent complexe*, avec des propositions subordonnées
qui sont essentiellement des relatives adjectives constituant des expansions*
du substantif.

Conclusion : il y a un glissement d’une réflexion générale dans la


première partie à une histoire particulière, celle du poète, dans la deuxième.
La subjectivité du poète s’exprime dans tout le poème, marqué par le
spleen. Le discours oscille entre simplicité prosaïque et éloquence.
Les procédés lexicaux
La plupart des verbes présupposent un sujet humain mais sont employés
avec un sujet inanimé (se souvient, revient, dormaient, frémissant, saisit,
pousse, terrasse) et ont un sème* spécifique dynamique (jaillit, dégagent,
voltige, se meut…).
Le champ* lexical du souvenir, présent à des places clés (césure ou rime)
et dans les catégories grammaticales du verbe (se souvient, revient) et du
substantif (souvenir, mémoire), est associé à celui du papillon (str. 3-4), du
vertige (str. 4), de la mort (str. 4-5) et du parfum, par le biais des
métaphores : le concret est lié à l’abstrait.
Alors que le mot parfum a une dénotation* positive, les termes
appartenant au même champ* lexical ont des connotations* morbides et
funèbres : âcre odeur, miasmes, odorant (avec ici le sens de « sentant fort »,
pour un cadavre), pestilence.
Conclusion : le thème de la métamorphose parcourt le poème. L’essence
des choses apparaît comme insaisissable. Des correspondances s’établissent
entre la matière et l’esprit : Baudelaire s’inscrit dans une tradition à la fois
néoplatonicienne et baroque.

Rhétorique et figures de style


L’articulation autour du connecteur* logique ainsi fait apparaître un
raisonnement par induction*, fondée sur l’analogie entre le flacon, qui
constitue l’exemple, et le poète.
La deuxième partie du poème permet de découvrir derrière le sens littéral
de la première partie (la découverte et l’ouverture d’un flacon de parfum)
un sens symbolique (le flacon est le poète et l’aimable pestilence peut être
interprétée comme l’amour qui le déchire et qu’il célèbre par ses poèmes) :
ce récit est donc allégorique.
Les métaphores* ont des formes syntaxiques variées :
verbales, elles rapprochent l’abstrait du concret, l’animé de l’inanimé :
un vieux flacon qui se souvient, une âme qui revient, mille pensers
dormaient… Le Vertige, sujet de saisit et de pousse, doté d’une
majuscule, est ainsi personnifié (cf. à deux mains), au sein de ce que
certains appellent une allégorie* et qu’il vaudrait mieux nommer, comme
Fontanier (op. cit.), personnification ;
sous formes de substantifs apposés (v. 9, v. 18, v. 23), ou liés à un autre
par la préposition de (le cadavre d’un amour v. 19), elles donnent une
place prépondérante au comparant – « l’objet à se souvenir » selon
Éluard – plutôt qu’au comparé, « l’objet à oublier », et, comme les
métaphores verbales, font passer l’abstrait ou l’humain dans le monde
sensible ou inanimé ;
adjectivales (une âme/toute vive ; le souvenir enivrant ; un vieil amour
ranci), elles établissent également des correspondances entre le monde
abstrait et le monde concret.
À côté de ces métaphores in praesentia figurent des métaphores in
absentia (v. 8 : une âme; v. 16-17 : un gouffre), dont l’interprétation n’est
pas évidente : les anges (v. 27) réfèrent-il derrière un pluriel emphatique à
l’être aimé (cf. le poème « Réversibilité » : « Ange plein de douceur… ») ?
Des procédés d’insistance sont présents dans tout le poème :
structures binaires (v. 4, v. 11, v. 15, v. 26, v. 28) ;
énumération hyperbolique* du vers 24 ;
hyperbates* dans les trois derniers vers, liant intimement destinataire du
discours et locuteur ;
oxymores dans la dernière strophe (aimable pestilence, cher poison),
soulignant la force destructrice de l’amour ;
allitérations* et assonances*, mettant en relief le bruit de la serrure dans
une harmonie imitative (v. 4), le thème du vertige (v. 13) ;

Conclusion : la complexité des rapports entre comparant et comparé, la


multiplicité des comparants, la difficulté de cerner certains comparés
(aimable pestilence, cher poison réfèrent sans doute à la fois au souvenir, à
l’amour et à l’être aimé) rendent ce poème énigmatique, tandis que les
procédés d’insistance, très présents à la fin du poème, lui donnent une
tonalité lyrique.
Après ce repérage des procédés formels, toujours ouvert sur
l’interprétation, il faut organiser le commentaire stylistique. Il peut ici
mettre en lumière une particularité du style de Baudelaire, « ces heurts ou
bien ces mélanges entre la "noblesse" du "sphinx antique" et "l’ange
inviolé" de la modernité » (Gérald Antoine, « Classicisme et modernité de
l’image dans Les Fleurs du Mal », Vis-à-vis ou le Double Regard critique,
PUF, 1982) : Baudelaire emprunte à la rhétorique classique, à l’imaginaire
baroque, mais fait siens tous ces emprunts, mêlant par son imagination
combinatrice le « beau » et le « bizarre » dans la « sorcellerie évocatoire »
(Baudelaire, Art romantique) des rythmes et des sons.

Plan : on pourrait donc concevoir une étude stylistique qui adopterait le


plan suivant :
Un poème allégorique
Une inspiration baroque
Entre prosaïsme et poésie, entre spleen et idéal : l’esthétique
baudelairienne

ZOLA, LE VENTRE DE PARIS, CHAPITRE 1


Florent, le héros du Ventre de Paris, meurt de faim tandis que le jour finit
de se lever sur les Halles de Paris qui s’ouvrent aux clients.
L’organisation textuelle
Le passage est constitué de la fin d’un paragraphe à fonction descriptive.
Il s’agit donc d’un paragraphe de grande dimension.
La description s’organise de manière spatiale par rapport à Florent (1. 4 :
à droite, 1. 8 : autour de lui…), et temporelle (1. 3 : depuis quatre heures du
matin ; 1. 8 : le soleil enflammait les légumes), par rapport à sa longue
errance à travers les Halles. Le paragraphe se clôt sur deux phrases dont
l’une, longue, constitue la synthèse de ce qui a été décrit auparavant – la
profusion des Halles au matin (1. 15-19) –, et l’autre, brève, présente la
réaction physique de Florent, spectateur affamé (1. 19).

Conclusion : cette longue description ne rompt pas le fil de l’histoire


puisqu’elle passe par le regard du personnage principal.

Les procédés énonciatifs

Le récit se fait à la 3e personne. Le point de vue adopté par le narrateur


est ici celui de Florent, dont les perceptions structurent la description (1. 3 :
Florent entendait; 1. 12 : à sa gauche; 1. 12 ; il tourna les yeux; 1. 14 : il
l’avait sentie). Mais la focalisation* n’est pas entièrement interne* : le
narrateur extérieur traduit les sensations du personnage, notamment par le
biais du pronom on, transformant le vacarme des Halles en une symphonie
(1. 2 : l’on eût dit).

Conclusion : deux visions se superposent, celle du personnage qui


regarde et celle du narrateur qui interprète la réalité.

Les constituants syntaxiques du texte

Le verbe
Dans un texte descriptif, il n’est pas étonnant que l’imparfait domine,
puisque, par son aspect duratif, il permet de constituer les procès en toile de
fond. Mais, parce que les éléments sont perçus par Florent et que cette
perception s’inscrit dans un temps en mouvement, d’autres temps verbaux
apparaissent :
le passé simple (1. 13, 17, etc.), soulignant que la description n’est pas
coupée de la diégèse* : Florent est en train d’errer dans les Halles et ce
qu’il voit provoque une réaction chez lui ;
le plus-que-parfait (1. 14), qui marque un retour en arrière par rapport au
moment décrit, et qui souligne la transformation du marché des Halles au
fil des heures, transformation que les sens exacerbés du personnage
jugent inquiétante.
Parce que la description est chronologique et afin de marquer une étape,
Zola emploie l’adverbe maintenant avec l’imparfait, trait d’écriture
particulier aux naturalistes, comme nous l’avons vu (cf. p. 76) : il contribue
à rapprocher le moment de la diégèse de celui de la narration et à créer un
sentiment de proximité entre le lecteur et le personnage.

Les déterminants
L’article défini, très employé, présente le monde des Halles comme
connu du lecteur ; il a une valeur générique et donne une vision globale et
collective des différents éléments cités. Les déterminants pluriel dominent,
y compris avec des noms non nombrables, en particulier des noms abstraits
(1. 6 : les beurres ; 1. 9 : des pâleurs ; 1. 16 : de nouvelles et incessantes
profondeurs de nourriture). Vigueurs (1. 10), non déterminé, est lui aussi au
pluriel. Ce trait d’écriture propre au style artiste, traduisant la volonté de
s’écarter de la norme, d’une part souligne la débauche de nourriture dans les
Halles, d’autre part tire vers le concret des éléments abstraits : c’est le
triomphe de la matière.
Le démonstratif qui détermine le dernier élément descriptif du
paragraphe (1. 18) a valeur à la fois de déictique* et d’anaphorique* : il fait
référence à un élément qui n’a cessé d’être évoqué tout au long de ce
passage (l’éveil des Halles) tout en lui donnant une nouvelle caractérisation
(il est présenté ici comme fulgurant).

Les adjectifs et les adverbes


Les adjectifs sont essentiellement subjectifs et évaluatifs (1.3 :
magistral; 1. 12 : triomphal ; 1. 18 : folle). Des participes passés employés
de manière adjectivale soulignent le caractère passif du personnage de
Florent, jouet de forces qui le dominent (1. 15-16 : aveuglé, noyé, écrasé).
Des adverbes (1. 12 : encore ; 1. 13 : toujours) contribuent à donner une
impression de mouvement et de transformation continue à ce tableau :
l’écrivain semble transcrire par les mots les procédés picturaux des peintres
impressionnistes qu’il admire. Comme l’écrit Henri Mitterand (« Le Regard
d’Emile Zola », Europe, Zola, avril-mai 1968), « ce sont ses amis Chaillan,
Cézanne, Bazille, Manet, Pissaro, Renoir, Fantin-Latour, qui lui ont appris à
regarder la vie moderne et à la regarder avec l’œil du peintre, habile à
capter le jeu des formes, des couleurs, des mouvements et des éclairages. »

La phrase
La phrase simple domine (1. 4 : À droite, à gauche… ; 1. 14 : La mer…),
ainsi que la parataxe* lorsque la phrase est complexe (1. 9 : Les cœurs
élargis…) : il y a juxtaposition de notations diverses pour décrire le « ventre
de Paris ». L’énumération ouverte est fréquente, traduisant l’idée d’une
débauche infinie de nourriture ou le désarroi sans fond du personnage
(1. 15-16 : aveuglé…).
L’avant-dernière phrase du paragraphe constitue une période* qui clôt
fortement l’épisode descriptif. Sémantiquement elle développe
conjointement deux éléments antithétiques : « mourir de faim » et « Paris
gorgé ». Rythmiquement, elle se construit par masses croissantes (de
aveuglé à devinant… de nourriture ; de dans Paris gorgé à dans ce réveil
fulgurant des Halles), et par structures binaires (aveuglé, noyé ; les oreilles,
l’estomac ; nouvelles et incessantes ; il demanda grâce et une folle douleur
le prit ; dans Paris et dans ce réveil). Protase* et apodose* sont équilibrées,
l’acmé* se situant sur le mot grâce, seul recours de Florent, innocent écrasé
par la société.
La ponctuation faible de la virgule est abondante, hachant la phrase,
procédé propre à l’écriture artiste, qui donne l’impression que l’écrivain
procède par petites touches successives, à la manière du peintre
impressionniste.
Conclusion : Cette description des Halles – la première du roman,
puisqu’on est au chapitre 1 – traduit l’abondance et le mouvement, et pose
d’emblée ce « ventre » comme un organe colossal et monstrueux, vivant et
menaçant.

Les procédés lexicaux


Une partie du lexique est simplement dénotatif* : il répertorie les
nourritures (marée, salades, carottes) et des éléments relatifs à la réalité des
Halles (grilles, carreaux, cloches, marchés, tombereaux, camions). Mais
d’autres termes ont une valeur fortement connotative*. Les verbes, très
nombreux, employés avec un sujet inanimé, comportent un sème animé (1.
1 : bourdonnaient ; l. 11 : saignaient), évoquent le mouvement (1. 7 :
passaient), le bruit (1. 2 : grondaient), la lumière (1. 8 : enflammaient).
Beaucoup marquent un changement d’état (1. 4 : grossir ; 1. 11 :
devenaient ; 1. 12 : s’éboulaient). Le champ lexical des sens est très présent
et les termes appartiennent à toutes les catégories grammaticales. Ainsi des
noms (1. 5 : glapissements), des adjectifs (1. 5 : aiguës), des verbes (1. 2 :
grondaient) traduisent des sensations auditives.
Le champ lexical du débordement, de la violence parcourt le texte (1. 2 :
épanouissement ; 1. 10 : brûlaient ; 1. 12 : brasier ; 1. 18 : douleur ; 1. 19 :
fulgurant).

Conclusion : La nourriture est décrite comme un élément vivant qui


sollicite tous les sens du spectateur Florent. Les éléments dénotatifs sont
moins importants que les éléments connotatifs dans une description qui ne
vise pas à l’objectivité mais qui veut traduire le sentiment de celui qui
regarde.

Rhétorique et figures de style


La figure de sens qui domine est la métaphore*, souvent filée*. C’est
une comparaison, amenée par le modalisateur on eût dit (1. 2) qui introduit
la métaphore filée musicale (des notes aiguës de petite flûte, des basses
sourdes, la gamme du vert). Apparaît alors une métaphore picturale (1. 9 :
l’aquarelle tendre), parallèle à une métaphore du feu et de la lumière
(pâleurs, brûlaient, incandescents…). L’arrivée incessante des
marchandises est traduite par la métaphore de la marée (1. 14 : la mer
continuait à monter…). Toutes les catégories grammaticales étant utilisées
pour cette figure, tout l’univers des Halles semble en mutation.
Les métonymies* fréquentes donnent vie à l’inanimé (1. 1 : les carreaux
bourdonnaient ; 1. 8 : le murmure des marchés).
L’anaphore* de c’était (1. 6) contribue à marquer l’accumulation des
bruits qui laissent Florent « les oreilles sonnantes ».

Conclusion : Les images sont prédominantes dans ce passage et rendent


l’étourdissement, l’éblouissement (cf. 1. 15 : aveuglé), l’anéantissement
(ibid : noyé) du personnage. Tout concourt chez Zola à « dissiper toute
distinction entre les trois acteurs de la création romanesque, le narrateur,
son personnage et son lecteur » (Henri Mitterand, Le Regard et le signe,
PUF, 1987).
Cette pause descriptive reste étroitement liée à la diégèse, puisque les
Halles sont vues par le personnage de Florent tandis qu’il se déplace. Zola
en fait un manifeste artistique, voulant peindre ici avec des mots à la
manière impressionniste, en usant d’une « furie de couleurs » qui faisait
« démesurément exulter » Huysmans, un autre pratiquant de l’écriture
artiste. Il sollicite tous les sens également, au sein de subtiles
correspondances. Mais il ne pratique pas ici l’art pour l’art : l’inanimé est
doté d’une vie menaçante, qui s’exerce à l’encontre du personnage-
spectateur. La technique descriptive s’inscrit dans la poétique du roman.

Plan : on pourrait ainsi adopter le plan suivant :


Une description inscrite dans l’espace et dans le temps
Une description impressionniste
Le « ventre de Paris » : une « Mère Terrible »

CORNEILLE, NICOMÈDE, 1, 2, V. 156-182


183 avant Jésus-Christ : la Bithynie, qui a pour roi Prusias, est sous la
tutelle de Rome. La reine d’Arménie, Laodice, retenue à la cour de Prusias,
est aimée du fils de celui-ci, Attale. Ce dernier a été élevé à Rome et est
acquis à la cause romaine. Il est de retour en Bithynie où vient d’arriver
également son demi-frère Nicomède qu’il ne connaît pas. Celui-ci
commande l’armée de Bithynie, refuse toute alliance avec Rome et est aimé
de Laodice. Attale, après avoir été éconduit par Laodice, la menace de faire
intervenir Rome pour l’obliger à l’aimer. Nicomède, qui assiste à l’entretien
et qui sait qui est Attale, semble dubitatif.
L’organisation textuelle
Le discours de Nicomède prend la forme d’une longue tirade*. Plusieurs
« quatrains » correspondent à des articulations fortes : celui des vers 8-11,
composé d’interrogations rhétoriques*, souligne ironiquement le non-
respect par Attale des valeurs romaines ; celui des vers 20-23 rappelle
l’honneur que Rome a accordé au jeune prince et l’alliance honorifique à
laquelle il peut prétendre ; celui des vers 24-30 invite en conclusion
railleuse Attale à changer radicalement de conduite.
L’alexandrin est le vers de rigueur dans la tragédie. La rime permet ici
souvent des rapprochements de termes qui sont antithétiques* dans le
raisonnement que fait semblant d’adopter Nicomède : ainsi Rois et
Bourgeois (v. 10-11) ; ignominie et reine d’Arménie (v. 16-17) ; haute
alliance et défaut de naissance (v. 20-21) ; honteuses chaînes et reines
(v. 24-25). Dans ce passage, comme plusieurs fois ailleurs dans la pièce
ainsi que dans Tite et Bérénice, Cinna, Sertorius, où Corneille a traité de la
haine des Romains pour la royauté, haine et reine se répondent.
À la césure s’inscrivent plusieurs fois des termes référant soit à
l’honneur soit au déshonneur : s’indignerait (v. 4), dégraderait (v. 6),
glorieux (v. 7), déshonorant (v. 9), orgueil (v. 14), abaisser (v. 16).

Conclusion : dans la première longue intervention de Nicomède face à


son frère qui ne le connaît pas s’opposent deux codes des valeurs
antagonistes, celui des rois et celui de Rome. La structure de la tirade
souligne l’ironie cinglante du locuteur encore masqué pour son
interlocuteur.

Les procédés énonciatifs


Le plan d’énonciation dans le texte théâtral est celui du discours : ici
Nicomède s’adresse à son frère. Très vite cependant le je disparaît, tandis
que le destinataire du « discours rapporté » (cf. p. 42), Attale, est mis au
premier plan : le pronom de la 2e personne, les impératifs sont nombreux.
Le destinataire du « discours rapporteur » est le public qui est dans la même
situation que l’autre spectateur de la scène, la reine Laodice : lui connaît
l’identité du locuteur et peut apprécier complètement l’ironie de ses propos
(cf. ci-dessous), contrairement à Attale qui ne perçoit pas toute l’étendue de
l’ironie, dans le v. 25 par exemple, puisque le pluriel de Rois renvoie en fait
à Nicomède lui-même.
La modalité* injonctive (ou jussive), très présente, et la modalité
interrogative, dans les interrogations* rhétoriques des vers 8-11, sont des
instruments de raillerie vis-à-vis d’Attale.

Conclusion : la situation de discours est très particulière puisqu’un


locuteur qui se dissimule fait la leçon à son interlocuteur, qui en sait moins
que le spectateur. Celui-ci est seul capable de décoder le discours ironique
dans son intégralité.

Les constituants syntaxiques

Le verbe
Une série d’impératifs programmatifs débute au v. 14. Elle marque un
deuxième mouvement dans la tirade : aux reproches succèdent les ordres.
La juxtaposition de plusieurs impératifs au v. 24, rend les injonctions de
plus en plus pressantes et signale ainsi la péroraison* (cf. ci-dessous). Le
discours de Nicomède passe du présent (je crains, v. 1) au conditionnel
(v. 4), marquant le potentiel dans une hypothèse menaçante, puis au passé
composé (v. 8, v. 13) qui indique que le présent d’Attale (son amour pour
Laodice), est, quoi qu’il en pense, inexorablement lié à son passé (son
éducation de citoyen romain).

Les déterminants
Les déterminants possessifs de la 3e personne du singulier occupent une
grande place. Ils présentent Rome comme un maître à qui tout appartient.
Prince, Rois, Reines sont quant à eux, à l’exception d’une occurrence
(v. 17), déterminés soit par l’article indéfini (v. 9) soit par l’article défini
pluriel (v. 25) ou bien ne sont pas déterminés (v. 10). Toutes ces
déterminations revêtent une valeur péjorative en transformant une élite en
une multitude.

Les adjectifs et les adverbes


Ils s’opposent, ceux qualifiant Rome et ce qui s’y rattache ayant un sens
laudatif – magnanimes (v. 12), souverain (v. 22), haute (v. 20) –, ceux ayant
rapport à la royauté possédant un sens péjoratif : honteuses (v. 24).
De la même façon, les comparatifs et les termes indiquant le haut degré
ne s’appliquent pas aux éléments auxquels on s’attendrait : haute alliance,
tant d’ambition, des vœux plus élevés qualifient des éléments qu’une société
aristocratique considère comme médiocres, tandis qu’une telle injure, de si
honteuses chaînes renvoient au contraire à ce qu’elle admire. Le point de
vue adopté est celui des Romains… mais celui qui parle est leur ennemi
juré.

Les pronoms personnels


Le pronom personnel qui domine est celui de la 3e personne du féminin
singulier, représentant Rome et son pouvoir. Y est associé le déterminant
possessif de la 3e personne faisant de Rome un possesseur de toutes choses
et de toutes personnes (sa créature, v. 4 ; ses moindres Bourgeois, v. 11).

La phrase
La complémentation rapproche des termes antagonistes – éclat et injure,
déshonorant et amour d’une reine ; Princes, Rois et moindres bourgeois ;
ignominie et reine d’Arménie – et opère ainsi un renversement des valeurs,
parce que Nicomède, faisant semblant d’épouser le point de vue de Rome,
met en lumière les contradictions d’Attale qui veut être romain mais aimer
en roi.
Aux trois phrases courtes des vers 8 à 13 succède une phrase plus ample
et plus complexe, avec imbrication de subordonnées, correspondant au
programme de conduite que donne ironiquement Nicomède à Attale.

Conclusion : de nombreux procédés mettent en lumière la toute-


puissance de Rome, immédiatement mise en doute par l’ironie mordante de
Nicomède.

Les procédés lexicaux


Tout au long de la tirade s’opposent le champ lexical* de l’honneur et
celui du déshonneur, renvoyant respectivement à Rome (éclat, v. 5 ;
glorieux, v. 7…) et à la royauté (ignominie, v. 16 ; méprise, v. 25).
Toute une série de verbes à sème humain ont pour sujet Rome (savait,
prêter l’appui, s’indignerait…), entraînant une personnification* de la ville
et du pouvoir souverains.

Conclusion : Rome semble la figure dominante de ce passage.

Rhétorique et figures de style


Nicomède utilise un raisonnement par déduction*. Rome n’aime pas les
rois (v. 10-11) ; or vous êtes romain (12-14), donc vous ne devez pas aimer
une reine (v. 16-24). Le topos* de la comparaison vient étayer ce
raisonnement : qu’est-ce qui l’emporte entre les mérites respectifs d’une
reine et de la fille d’un tribun, entre la situation des rois et celle d’un
citoyen romain ?
L’exorde* capte l’attention d’Attale par le paradoxe qu’il développe par
le biais de l’hypothétique et de la structure d’opposition (bien loin de vous
prêter l’appui) qui expriment une mise en garde à laquelle ne s’attendait
pas l’interlocuteur. La péroraison* sur quatre vers se présente avec ses
impératifs comme une exhortation. Mais mise en garde et exhortation sont
feintes : l’ironie que nous avons déjà vue à l’œuvre, marque tout le discours
qui est polyphonique*. Le discours est romain… contrairement au sentiment
profond de Nicomède. Rome est présente dans la tirade par le biais de la
dérivation* suffixale (Rome I Romain) et impropre (nom : un Romain, v. 1 ;
adjectif : Citoyen romain, v. 7).
Les hyperboles* sont nombreuses, par le biais des adjectifs et du haut
degré, comme nous l’avons vu plus haut : elles outrent à la fois l’honneur
lié à Rome et la honte liée à la royauté.
Conclusion : toute la subtilité du texte vient de ce que le discours de
Nicomède est entièrement ironique. Il y a discordance entre le sens apparent
– un raisonnement structuré visant à ramener Attale à la raison –, et le sens
réel et caché — un tissu de railleries. Nicomède n’espère pas qu’Attale
adhère à son raisonnement mais il met en lumière les contradictions internes
du personnage et il se donne le divertissement de se moquer de lui. La ruse
consiste à emprunter le point de vue de Rome que ne peut critiquer le
« Citoyen Romain » Attale, bien qu’il soit parfaitement conscient de la
teneur ironique du discours de Nicomède. Et si ce dernier peut se permettre
de faire semblant de déprécier Laodice, c’est parce qu’il y a une connivence
entre les deux personnages, comme entre Nicomède et le public.
Plan : à la lumière de cette analyse, le commentaire stylistique pourrait
être organisé en deux parties (une structure en trois parties n’étant pas une
nécessité pour cet exercice), mettant en évidence l’ambiguïté du propos de
Nicomède :
Dans l’apparence, un discours romain
Dans la réalité, le discours ironique d’un « résistant ».
BIBLIOGRAPHIE

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INDEX

A
acmé, 108
action, 128
actualisation, 70
adjectif,
affectif, 90
axiologique, 91
classifiant, 90
évaluatif, 91
objectif, 90
subjectif, 90
allégorie, 147
allitérations, 107
allocutaire, 31
anacoluthe, 139
anadiplose, 138
anaphore, 83
anaphore fidèle, 88
anaphore grammaticale, 137
anaphore rhétorique, 137
antanaclase, 118
antépiphore, 137
antiphrase, 150
antithèse, 143
antonomase, 149
antonymie, 115
aphérèse, 135
apocope, 135
apodose, 108
archaïsme, 119
aspect accompli, 69
aspect global, 69
aspect imperfectif, 70
aspect inaccompli, 69
aspect inchoatif, 70
aspect itératif, 70
aspect perfectif, 70
aspect sécant, 69
aspect semelfactif, 70
aspect terminatif, 70
assonances, 107
asyndète, 100
attelage, 140

B
burlesque, 121

C
cadence majeure, 109
cadence mineure, 109
champs lexicaux notionnels, 123
chiasme, 138
clausule, 111
clitique, 105
comparaison, 144
confirmation, 133
connecteur logique, 26
connotation, 118
cotexte, 18

D
datif éthique, 52
déduction, 131
déictiques, 57
dénotation, 114
dérivation, 136
destinataire, 31
didascalies, 53
diégèse, 41
dilemme, 132
discours direct, 56
discours indirect, 58
discours indirect libre, 60
dislocation de la phrase, 103
disposition, 128
double énonciation, 42

E
écriture artiste, 66
élocution, 128
embrayeur, 35
emphase, 102
énallage, 72
énoncé, 31, 100
énonciation, 31
enthymème, 131
épanalepse, 143
épanorthose, 143
épichérème, 132
épidictique, 126
épiphore, 137
épithète de nature, 92
ethos, 129
euphémisme, 152
exorde, 133
expansion, 15
extraction du constituant, 104

F
figures, 125
focalisation, 44, 104
focalisation externe, 45
focalisation interne, 44
focalisation zéro, 44
focus, 104
fonction émotive, 90
foyer, 104

G
génitif subjectif, 66
genre délibératif, 126
genre démonstratif, 126
genre épidictique, 126
genre judiciaire, 126
gradation, 141
graphèmes, 113

H
héroï-comique, 122
hétérométrie, 24
hypallage, 140
hyperbate, 141
hyperbole, 152
hyperonyme, 116
hypocoristique, 96
hyponyme, 116
hypotaxe, 101
hypotypose, 153

I
ikon, 146
imparfait de rupture, 77
incipit, 47
induction, 131
infidèle, 88
infinitif de narration, 81
infinitif historique, 81
interrogation oratoire, 33, 33
interrogation rhétorique, 33
invention, 128
ironie, 61

L
litote, 151
locuteur, 31
logos, 129

M
macro-structurale, 150
medias res, 48
métaphore, 144
métaphore filée, 148
métonymie, 149
mètre, 24
micro-structurale, 150
modalisateurs, 123
modalité assertive, 32
modalité injonctive, 32
modalité interrogative, 32
modalité jussive, 32
monologue autonome, 64
monologue intérieur, 64
motif, 145

N
narrataire, 41
narrateur,
autodiégétique, 50
extradiégétique, 49
homodiégétique, 50
intradiégétique, 49
narration, 133
néologisme, 118
nom compact, 84

O
oratoire, 33
oxymore, 143

P
parasynonyme, 115
parataxe, 66
parenthèse, 141
parlures, 122
paronomase, 135
pathos, 129
période, 110
perlocutoire, 26
péroraison, 133
personnification, 178
phonème, 113
phrase clivée, 104
phrase complexe, 100
phrase pseudo-clivée, 104
phrase semi-clivée, 104
phrase simple, 100
pointe, 18
polyphonie, 61
polyptote, 136
polysémie, 117
polysyndète, 140
prédicat, 68
prétérition, 151
procès, 20
pronom nominal, 35
prosopopée, 153
protase, 108

R
référence actuelle, 114
référence virtuelle, 114
référent, 82
registres de langue, 120
rhétorique, 125

S
sémantique, 29
sème, 114
stichomythie, 22
style coupé, 100
syllepse, 117
syllogisme, 131
syncope, 135
synecdoque, 149
synonymie, 115
syntagme, 105

T
thème, 68
tirade, 18
topos, 130
trimètre romantique, 175
trope, 144

Z
zeugme, 139
TABLE DES MATIÈRES

Sommaire 5

Avant-propos 7

1. L’organisation textuelle 11
Le paragraphe 11
Longueur des paragraphes 12
Structure des paragraphes 15
L’organisation du texte dramatique 18
La tirade : définition et structure 18
Effet de sens des tirades et des répliques courtes 21
L’organisation du poème 23
Vers courts, vers longs 24
L’organisation strophique 25

2. Les procédés énonciatifs 31


Auteur et locuteur, destinataire et lecteur 31
Discours, récit, modalités 32
L’identité du locuteur 35
Hors du récit de fiction 35
Dans un récit de fiction 37
Le cas du récit autobiographique 40
L’identité du destinataire 40
Destinataire et lecteur 40
Locuteur et destinataire dans le texte théâtral 42
Le point de vue du narrateur 43
La focalisation 44
La relation du narrateur à la diégèse 49
L’intrusion de l’auteur-narrateur dans le récit 51
Les intrusions de l’auteur dans le texte dramatique : les didascalies 53
Les différents types de discours rapportés 55
Le discours direct 56
Le discours indirect 58
Le discours indirect libre 60

3. Les constituants syntaxiques du texte 65


Le verbe 65
Phrases verbales, phrases nominales 65
Le verbe en construction absolue 68
La notion d’aspect 69
Valeur des temps de l’indicatif 70
L’infinitif de narration 81
Les déterminants 82
Les articles 82
Les déterminants démonstratifs 88
Deux vecteurs de la subjectivité du locuteur : les adjectifs et les
adverbes 90
Les pronoms personnels 94
Tu/vous 94
On 95
Le pronom de la troisième personne sans référent 99
La phrase 100
Parataxe et hypotaxe 100
L’emphase syntaxique 102
Le rythme de la phrase 105

4. Les procédés lexicaux 113


Signe, signifiant, signifié, référent 113
Dénotation et connotation 114
Dénotation 114
Connotation 118
Les champs lexicaux notionnels 123

5. Rhétorique et figures de style 125


De l’art de l’éloquence à la construction du texte littéraire 126
Historique 126
Rhétorique et littérature classique 127

Les cinq parties de la rhétorique 128


L’invention 129
L’ethos et le pathos 129
Le logos 130
Les formes du raisonnement 131
La disposition 133
L’élocution 134
Les figures de diction 135
Les figures de construction 136
Les figures de sens ou tropes 144
Les figures de pensée 150

6. Dix exercices d’application sur les procédés stylistiques étudiés


155
Exercice 1 – Organisation textuelle et procédés lexicaux 155
Exercice 2 – Procédés énonciatifs 156
Exercice 3 – Procédés énonciatifs et constituants syntaxiques 158
Exercice 4 – Procédés énonciatifs et constituants syntaxiques 158
Exercice 5 – Constituants syntaxiques 159
Exercice 6 – Constituants syntaxiques 159
Exercice 7 – Constituants syntaxiques et procédés lexicaux 160
Exercice 8 – Procédés lexicaux et figures de style 162
Exercice 9 – Figures de style 163
Exercice 10 – Constituants syntaxiques, procédés lexicaux et
figures de style 164
Réponses 165
Réponse 1 165
Réponse 2 165
Réponse 3 166
Réponse 4 167
Réponse 5 167
Réponse 6 167
Réponse 7 168
Réponse 8 170
Réponse 9 170
Réponse 10 171

Exemples d’analyse stylistique 173


Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Le Flacon » 173
L’organisation textuelle 174
Les procédés énonciatifs 175
Les constituants syntaxiques du texte 175
Les procédés lexicaux 177
Rhétorique et figures de style 178

Zola, Le Ventre de Paris, chapitre 1 180


L’organisation textuelle 181
Les procédés énonciatifs 182
Les constituants syntaxiques du texte 182
Les procédés lexicaux 185
Rhétorique et figures de style 186
Corneille, Nicomède, 1, 2, v. 156-182 187
L’organisation textuelle 188
Les procédés énonciatifs 189
Les constituants syntaxiques 190
Rhétorique et figures de style 192

Bibliographie 195
Grammaire, linguistique 195
Versification 195
Rhétorique, stylistique 196

Index 199

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