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Études littéraires

Fonctions et historicité des formes romanesques


Jacques Michon

Volume 14, numéro 1, avril 1981

Sémiotique textuelle et histoire littéraire du Québec

URI : https://id.erudit.org/iderudit/500538ar
DOI : https://doi.org/10.7202/500538ar

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Département des littératures de l'Université Laval

ISSN
0014-214X (imprimé)
1708-9069 (numérique)

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Citer cet article


Michon, J. (1981). Fonctions et historicité des formes romanesques. Études
littéraires, 14(1), 61–79. https://doi.org/10.7202/500538ar

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FONCTIONS ET HISTORICITÉ
DES FORMES ROMANESQUES

Jacques michon

On peut envisager l'histoire de la littérature sous l'angle des


structures, c'est-à-dire non plus comme une suite de faits
hétérogènes liés entre eux selon une causalité approximative
(vie de l'auteur, sources et influences), mais comme la mise
en perspective diachronique de tableaux synchroniques. Ce
ne sont pas les éléments ou les formes qui changent d'un
système à l'autre, mais leur fonction et leur valeur1. En
pratiquant des coupes successives dans le corpus du roman
québécois de 1940 à 1975, nous tenterons d'établir les traits
généraux qui l'ordonnent en séries ou en systèmes distincts. Il
ne s'agit pas d'être exhaustif, ni de rendre compte de toutes
les séries, mais d'effectuer certains sondages ponctuels à des
moments précis et sur des œuvres qui ont été sélectionnées
par la critique comme significatives dans la production de leur
époque. Notre corpus se trouvera donc limité à ce qu'on
pourrait appeler le roman destiné à un public moyen (par
opposition au roman de masse pour grand public ou au
roman d'avant-garde pour public restreint). La consécration
par une classe relativement homogène (la petite bourgeoisie
intellectuelle libérale) doit assurer à l'ensemble de ces textes
une certaine unité esthétique et idéologique.
La notion de série que nous empruntons aux formalistes, en
y ajoutant une dimension sociale absente chez ces derniers,
permet d'écarter toute approche qui valoriserait l'œuvre parti-
culière aux dépens de ce qui la détermine et la traverse
d'abord, c'est-à-dire ces structures et ces configurations qui
situent le texte dans un genre. La série sera définie d'après
certains traits formels destinés à produire certains effets de
sens. Ainsi la classification en genres (roman du cas de
conscience, roman social ou roman de l'écriture) sera établie
à deux niveaux; celui des formes immanentes au texte (ana-
lepse, focalisation et voix) et celui des normes ou des règles
esthétiques ou idéologiques correspondant à son horizon
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d'attente2, il ne s'agit pas de produire une typologie des


formes romanesques, mais de montrer comment la forme,
dans une série donnée, oriente la lecture; qu'elle crée une
situation spécifique de communication, un lieu où doit se
situer le lecteur qui veut décoder le texte dans son effet
propre. Beaucoup plus que le contenu explicite c'est la série,
soit le langage «transformé par sa destination sociale» (l'écri-
ture selon Barthes)3, qui détermine la lisibilité du texte. C'est
ainsi que nous nous proposons d'étudier les modes de lecture
du roman depuis 1940 à travers certaines de ses figures
discursives.
L'analyse formelle appliquée à l'évolution du roman québé-
cois dans son ensemble a été tentée pour la première fois par
Henri Tuchmaier dans sa thèse intitulée Évolution de la
technique du roman canadien-français4. Sur le plan des
techniques narratives le corpus de Tuchmaier, qui couvre
plus de cent ans de production (1837-1958), se divise en deux
séries, l'une correspondant au roman traditionnel (le roman
de la fidélité de 1837 à 1930) et l'autre au roman moderne (de
1930 à 1958). Ce clivage repose sur deux types de figures,
l'une fondée sur les bouleversements de l'ordre d'exposition
des événements (les anachronies)5 et l'autre sur les rapports
entre le narrateur et l'histoire (auto- ou hétéro-diégétique). Le
roman traditionnel serait caractérisé selon l'étude de Tuch-
maier par un narrateur omniscient, externe (hétéro-diégétique),
alors que le roman moderne valoriserait davantage le narra-
teur acteur (autodiégétique) et l'alternance des narrateurs,
procédé qui «À partir de 1950 [...] devient de plus en plus
fréquent6».
Au niveau de l'ordre, ou de la distribution des événements,
le roman traditionnel, jusqu'aux années trente, suit la repré-
sentation chronologique la plus rigoureuse, nous dit Tuch-
maier (p. 222).
Dans le roman de la fidélité, l'auteur s'efforce de renseigner le lecteur dès les
premiers chapitres de façon à ne pas créer de confusion au milieu du récit en
relatant des scènes appartenant à des époques lointaines. Si un nouveau
personnage important apparaît plus tard, le romancier donnera des indi-
cations sur son existence passée ayant soin de préciser l'époque où les faits
relatés se sont produits, (p. 224-225)
Après 1930 le roman moderne modifie un peu cette représen-
tation du temps en y introduisant la simultanéité7; cette
63

construction, qui constitue une technique traditionnelle du


roman réaliste, représente une nouveauté dans le roman
québécois de l'époque. De 1930 à 1958, Tuchmaier ne cons­
tate aucune autre innovation sur ce plan, ce qui l'amène à
conclure que «la technique employée par les romanciers
canadiens-français pour donner l'impression du temps révèle
un retard considérable sur celle de la littérature moderne
(p. 247)». On sera d'accord avec cette affirmation, si l'on
songe, par exemple, à la complexité du roman proustien. Mais
la comparaison est injuste si l'on considère que le roman
québécois de l'époque ne connaît pas les mêmes conditions
de production que le roman européen, ni ne répond aux
mêmes attentes idéologique et esthétique. L'auteur en con­
vient en partie lorsqu'il attribue au lecteur de l'époque les
limites du discours romanesque (p. 247).
Cette première élaboration d'une approche formelle de
l'évolution du roman au Québec, malgré certains partis pris
inhérents au moment de sa rédaction 8 , demeure un point de
départ important. En élargissant le corpus aux années soixante
et soixante-dix nous reviendrons sur ces traces en ce qui
concerne les analepses (flashback) et le statut du narrateur,
mais en proposant une analyse qui tienne compte aussi de la
fonction spécifique de ces figures dans leur énonciation et
dans leur série.

1.0 Fonctions des analepses

La description que Tuchmaier donne des figures tempo­


relles vaut pour le corpus québécois jusqu'aux années soixante,
mais au-delà de 1965 on assiste à des transformations signifi­
catives et à l'apparition de nouvelles séries. D'un point de vue
strictement quantitatif d'abord, on constate certaines ruptures
sur le plan des analepses. Par exemple dans le texte des
années quarante et cinquante la fréquence de cette figure ne
dépasse pas 30% de l'ensemble du récit. L'analepse se pré­
sente comme une figure d'appoint qui vient ajouter après
coup, généralement au début du roman, des informations sur
les événements passés, qui doivent servir à l'intelligence des
événements en cours; c'est le roman psychologique qui se
rapproche le plus du maximum de 30%, le récit d'introspection
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commandant en effet la rétrospection 9 . Dans les autres genres


(roman social ou roman de moeurs) ce rapport ne dépasse
jamais 20% 10 . Mais, à partir de 1965, parallèlement à la
reproduction des anciennes séries, on voit émerger un nou­
veau type de récit qui fait un usage systématique du procédé
et la proportion augmente et dépasse 50% 11 . La figure ne sert
plus alors à donner des informations ponctuelles sur l'histoire
mais devient le mode principal de la narration des événements.
Pour rendre compte avec plus de précision de cette trans­
formation, il faut s'arrêter aux changements de fonction des
analepses d'une série à l'autre.

1.1 1940-1965: le roman traditionnel


L'analepse qui apparaît comme une rupture dans le fil
chronologique du récit, constitue en fait un facteur d'inté­
gration sémantique, de cohésion et de surdétermination du
contenu de l'histoire. Cette intégration peut s'effectuer à
plusieurs niveaux : au niveau intradiégétique elle peut cons­
tituer un événement du récit et jouer un rôle de transformation
dans l'histoire; sur le plan extradiégétique elle vient apporter
un complément d'information sur le contenu du récit. Dans le
premier cas l'analepse est destinée à un ou plusieurs person­
nages du drame ; par exemple dans Lorenzo12 de Jean Basile,
le récit rétrospectif de Cybèle communique un savoir au héros
qui se trouve ainsi initié au secret de celle qu'il vient de
sauver. L'analepse à fonction intradiégétique sert aussi de
mémoire et de modèle au récit principal ; lorsque dans Louise
Genest, de Bertrand Vac, l'héroïne est à la recherche de son
fils perdu en forêt, elle se remémore 13 le récit similaire du
jeune Éphrem que lui racontait le Père André (p. 76-78). La
métadiégèse sert ici le propos du récit principal et vient en
motiver la structure par le rapprochement analogique de la
mise en abyme.
Dans le deuxième cas, l'analepse vise surtout à informer le
lecteur, elle vient compléter ou motiver le contenu du récit
premier. C'est la fonction dominante de cette figure : elle sert,
entre autres, à qualifier le personnage et à vraisemblabiliser sa
position dans le récit. Ainsi les séquences rétrospectives sur
l'enfance heureuse d'Emmanuel et l'enfance difficile de Jean
Lévesque, dans Bonheur d'occasion, accentuent les rôles
FORMES ROMANESQUES 65

opposés des deux héros; le passé de Madeleine dans Pous-


sière sur la ville u et l'enfance de Ly Laroudan dans Ils
posséderont la terre15 expliquent leur caractère passionné; le
pessimisme et le comportement suicidaire de Jean Cherteffe
dans Évadé de la nuit16 sera motivé par une série de malheurs
antérieurs (l'ivrognerie et la mort du père, l'enfance difficile en
orphelinat, etc.). Robert Charbonneau apporte une justifi-
cation psychologique à cette construction lorsqu'il écrit dans
Connaissance du personnage :

Le caractère, l'hérédité, les habitudes et les autres composants de nos actes,


joints aux gauchissements de la réalisation, rendent difficile d'identifier ia
vérité de l'homme dans ses actions. Ce geste de mépris qui nous échappe,
auquel nous faisons à peine attention, c'est très loin, peut-être, dans notre
enfance qu'il faut en rechercher les racines. Dans la vie de chacun, il y a un
acte pour lequel nous sommes faits et sur lequel pivote notre destinée17.

Le retour en arrière aurait donc pour fonction de montrer ce


geste, ces événements qui déterminent le contenu ou le
programme du personnage, renforçant la logique causale sur
laquelle repose le récit.
Si dans l'analepse la chronologie des événements est boule-
versée, le principe de causalité, lui, qui sous-tend l'organi-
sation de l'histoire se trouve mis en valeur; en évoquant un
désordre passé par rapport à un ordre présent^, ou inver-
sement en montrant l'ordre antérieur à partir d'une situation
effective de désordre. Cette dernière situation prédomine
dans le roman québécois; plusieurs séquences rétrospectives
de Bonheur d'occasion évoquent les années heureuses des
Laçasse alors que leur position dans le récit se dégrade19;
dans Le Survenant la fécondité passée des Beauchemin est
opposée à la stérilité du dernier descendant, Amable 20 ; dans
Poussière sur la ville la rencontre euphorique d'Alain et
Madeleine fait contraste avec leur mésentente actuelle (p. 146-
148). L'évocation de l'ordre aboli, qui sert de mémoire au récit,
fait sentir la présence du désordre et la nécessité de sa
résolution. Pour intéresser le lecteur, l'exposition de la néga-
tivité précède ainsi la présentation de ce dont elle est l'envers,
l'indice, le signe. Le récit commence par l'exposé du malheur,
l'extraordinaire, pour ensuite revenir en arrière et montrer
l'ordre qui a été rompu, instaurant ainsi la positivité de
l'histoire21.
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1.2 1965-1975 : les romans de la mémoire


et des possibles narratifs

Si l'on excepte certains textes limites comme ceux de


Nicole Brossard qui effectuent une déconstruction systé­
matique de l'organisation logico-sémantique du récit (voir ici
même l'article d'Irène Duranleau), le roman moderne des
dernières années reprend la même structure de base : dans
Les Grands-Pères de Victor-Lévy Beaulieu, Milien évoque les
heures euphoriques qu'il a vécu avec sa (première) femme par
opposition à son désarroi actuel 22 . Ce qui change après 1965
dans plusieurs récits ce n'est pas tant la disposition générale à
exposer un désordre que la manière de le représenter. Ainsi la
logique narrative se perpétue mais dans un nouveau discours,
dans une nouvelle formulation. Au lieu de simplement ajouter
une information, de venir renforcer ou déterminer après coup
l'ordre sémantique, la rétrospection devient le mode principal
de la narration; de sorte que l'histoire n'est plus racontée
directement comme un événement actuel mais comme un fait
passé que se remémore un sujet. Les héros d'André Major,
Momo dans L'Épouvantai!23 et Therrien dans L'Épidémie24,
sont mis en scène après l'événement, les principaux faits sont
racontés dans la distance d'un regard rétrospectif 25 ; l'écart
entre la diégèse et le discours récapitulatif semble condamner
l'individu à une remémoration infinie. Le décalage ainsi créé
entre le vécu et sa prise de conscience, qui coïncide avec la
narration, confine le sujet à la rêverie solitaire, l'exclut de
toute action directe, l'empêche d'avoir une prise immédiate
sur le réel. Il est agi au lieu d'agir, il est montré en train de
réfléchir, de rêver sur ce qu'il a fait, au lieu d'être représenté
en acte. On constate le même type de mise en scène dans
Kamouraska26 d'Anne Hébert, dans Les Grands-Pères et dans
L'Élan d'Amérique : le récit juxtapose une série d'événements
rétrospectifs, représentant le flux discontinu de la mémoire
d'un sujet aliéné (désordre actualisé) et arrêté dans son
évolution.
Au lieu d'étaler les faits diachroniquement selon l'ordre
conventionnel d'exposition, le récit présente dès le départ les
principaux événements pour les reprendre par la suite indé­
finiment, ajoutant progressivement des détails, comblant des
ellipses, rajustant la perspective et reconstituant ainsi peu à
FORMES ROMANESQUES 67

peu une histoire à la manière d'une mosaïque. La représen-


tation par fragments discontinus facilite aussi les jeux ana-
logiques et les rapprochements métaphoriques entre les
séquences. La répétition et la mise en parallèle des événe-
ments rétrospectifs amène peu à peu le lecteur à effectuer une
lecture paradigmatique de l'histoire. On peut voir, par exemple,
dans les épisodes de la vie antérieure de Claire Peabody
{L'Élan d'Amérique), repris plusieurs fois au cours du récit,
comme le viol, la mort de David et l'avortement, différentes
manifestations du même parcours narratif, soit une amélio-
ration non obtenue.
Chez Hubert Aquin et Victor-Lévy Beaulieu le parallélisme
des situations et des événements ne sera pas intégré dans une
seule histoire à la manière de Kamouraska ou de L'Élan
d'Amérique, mais il sera l'occasion de plusieurs équivoques et
ambiguïtés qui permettront différentes versions possibles. Au
lieu de servir à dévoiler le sens des événements, le récit
contribue ici au contraire à en multiplier les directions et les
interprétations. Ainsi le récit répète plusieurs fois les mêmes
p séquences avec des variantes, mais sans jamais arrêter une
version définitive.
Le nom du personnage constitue souvent l'embrayeur privi-
légié de ce type de fonctionnement : le contenu polysémique
ou les sèmes contradictoires attribués à un même nom
propre, comme au signifiant Milienne dans Les Grands-Pères
ou a « la femme blonde» (à la fois adjuvant et/ou opposant du
héros) dans Prochain Épisode27, permet une multiplication
d'interprétations incompatibles ou disjointes. Alors que dans
le récit traditionnel la polysémie est résolue ou réduite à un
seul contenu, comme dans La Voix28 de Roger Foumier où un
personnage portant deux noms propres différents est reconnu
à la fin comme une seule personne, dans le récit moderne ce
type d'ambiguïté ou d'équivoque est au contraire maintenu et
exploité.
La relation entre les niveaux narratifs peut aussi devenir le
lieu de cette hésitation ou de ces virtualités sémantiques. Là
où le récit classique respecte la disjonction des niveaux,
l'extradiégétique correspondant à l'univers du narrateur et du
lecteur, l'intradiégétique à celui des personnages, le roman
(des possibles narratifs) va pervertir ce rapport en faisant
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intervenir le monde du narrateur dans l'univers de l'histoire,


en brouillant la frontière entre ce qui relève de l'un et de
l'autre 29.

Nous savons que le récit classique est aussi construit sur


des récurrences et des parallélismes d'événements30, mais
nous savons également que ce récit est dominé par Taxe de la
temporalité et par le principe de causalité qu'elle recouvre. Si
deux événements se ressemblent, ils sont quand même dis-
tincts par le fait que A s'est produit avant B, qu'entre A et B il y
a une transformation qui rend leur position respective irré-
versible, que le second terme présuppose le premier, comme
le désordre présuppose l'ordre, comme le récit premier
(niveau diégétique) présuppose un narrateur extradiégétique.
Dans les récits de la modernité au contraire A peut être
parfois simultanément ou concurremment B, le nom de
Milienne peut désigner à la fois un et/ou deux personnages, et
l'énoncé du héros peut être confondu avec celui du narrateur,
comme dans Prochain Épisode ou dans Don Quichotte de la
démanche3^. Aucun rapport de présupposition ne lie les deux
éléments, ils peuvent être interchangeables et réversibles32.
Au lieu de mettre l'accent sur la diégèse, sur l'action pro-
gressive et l'enchaînement logique des événements, le roman
met en valeur les possibles du récit; ainsi le narrateur de
Beaulieu n'arrive plus à terminer son récit qui éclate dans
toutes les directions, l'écrivain fictif est submergé par ses
créatures et toutes les histoires auxquelles elles ont donné
lieu.
Le règne de l'indétermination et le refus de la clôture du
récit n'exclut pas la vraisemblance ou l'effet du réel, qui
repose moins sur le contenu logique que sur le support fictif
de ce contenu, soit sur le sujet qui voit (le personnage
focalisé) ou qui s'énonce (le narrateur). Les errements du
récit sont attribués à la conscience défaillante d'un vieillard
dans Les Grands-Pères ou à celle du héros-narrateur, histori-
quement aliéné, dans Prochain Épisode ou Don Quichotte de
la démanche. Les procédés de déstabilisation du texte tradi-
tionnel ne visent pas tant à détruire la fonction fictionnelle ou
mimétique du récit qu'à remettre en cause «l'illusion de la
totalité33». On veut montrer que le réel ne peut être saisi
globalement par une seule conscience omnisciente, qu'il ne
FORMES ROMANESQUES

peut être réduit à une seule logique narrative, que la part


d'obscurité, d'inexpliqué, d'imprévu dans le récit correspond
à l'opacité du langage et du discours qui traverse le sujet et le
structure. Le thème de l'œuvre ouverte ou de l'impossible
fermeture du récit est homologué à un défaut (désordre) du
langage lui-même, et appartient probablement plus que tout
autre au roman contemporain. Alors que le poète entreprend
de rémunérer, corriger ce défaut par la création d'un langage
nouveau, total, neuf, inouï (voir Mallarmé), le romancier prend
le parti au contraire d'en rendre compte.

2.0 Codes de focalisation et de narration

Sur une longue période on constate que le roman contem­


porain préfère la focalisation interne et la narration auto-
diégétique au récit à focalisation zéro (narration omnisciente)
et à narration hétéro-diégétique. On connaît la querelle de
Sartre et de Mauriac à propos du narrateur-dieu et le parti pris
de la critique formaliste des années cinquante à ce sujet 34 .
Tuchmaier, qui fait partie de cette tradition, note que le récit
autodiégétique apparaît au Québec avec les années trente, ce
qui représente dans sa perspective un progrès formel et place
les romans ultérieurs, à narrateur hétérodiégétique et omnis­
cient, comme Bonheur d'occasion, en position anachronique
(p. 154-156). En dirait-on autant des narrateurs de Roch
Carrier ou de Marie-Claire Biais qui mettent en scène des
narrateurs de ce type? Pour éviter ce genre d'évaluation
fondée sur un parti pris esthétique, il faut tenir compte de
renonciation de la série dans laquelle s'inscrit la figure. Le
sens et la fonction des formes narratives changent suivant
leur contexte socio-historique ou leur intertextualité.
Le roman social des années quarante et cinquante, comme
celui de Ringuet, Gabrieile Roy, Roger Lemelin, Pierre Géli-
nas, qui utilise la narration omnisciente, témoigne d'un intérêt
nouveau au Québec pour l'enquête sociale et le compte rendu
réaliste35. La tendance du discours savant de cette époque à
traiter les faits sociaux de manière objective, sans prendre de
parti idéologique, en refusant tout engagement social expli­
cite, appelait et correspondait bien dans le domaine littéraire
à la narration dite objective. Vingt ans plus tard dans le
ÉTUDES LITTÉRAIRES-AVRIL 1981 70

contexte de la révolution tranquille, qui a donné lieu à une


réévaluation globale de la société québécoise et de son
histoire, la même figure (narration omnisciente) apparaît dans
un discours parodique 36 . Les mêmes formes sont mises au
service de deux types de discours opposés : les discours
objectif ou réaliste d'une part et le discours grotesque ou
carnavalesque d'autre part 37 . Le code de focalisation (zéro ou
interne) et le narrateur (auto- ou hétéro-diégétique) sont des
réalités de toutes les époques; d'une décennie à l'autre ce
n'est pas la forme qui change mais sa fonction. En changeant
de série la figure change de rôle. On adoptera ainsi, en partie,
le point de vue de W.-C. Booth qui propose dans The Rhetoric
of Fiction38 d'évaluer la technique narrative romanesque
d'après l'effet recherché, plutôt qu'en fonction d'un système
de valeurs formelles prédéterminées.

2.1 Le roman du cas de conscience

Le récit à narrateurs extradiégétiques multiples offrira un


autre exemple de l'importance de cette contextualisation des
formes. Tuchmaier distingue à partir de 1950 une nouvelle
série romanesque fondée sur l'alternance des narrateurs
(p. 149-150), qui correspond à ce que nous proposons d'appe­
ler le roman du cas de conscience. Cette série repose sur une
forme simple qu'on définira à l'instar de A. Jolies 39 comme la
forme qui met en scène une contradiction, une confrontation
de plusieurs normes, présentées de façon objective ou neutre.
Le cas pose une question relative à la norme hiérarchiquement
supérieure; le narrateur du cas soumet cette question au
narrataire qu'il interpelle en juge d'une situation dont il
présente tous les éléments. Dans plusieurs romans des années
cinquante cette forme simple prend, entre autres, l'aspect
d'un récit à plusieurs voix 40 ; un même événement est envisagé
ou pris en charge par plusieurs narrateurs (ou personnages)
qui viennent exposer leur point de vue et offrir de la situation
des versions différentes.
Au delà des visages d'André Giroux représente bien ce type
de récit. L'histoire repose sur un fait divers : le meurtre d'une
fille de joie par un jeune homme de bonne famille. Le récit est
constitué par les témoignages de ceux qui ont connu le
FORMES ROMANESQUES 71

meurtrier; les uns condamnent le héros, d'autres lui par-


donnent son méfait en invoquant des circonstances atté-
nuantes. La technique de la narration à plusieurs voix sert ici
renonciation du cas qui repose sur la «dispersion des
normes41». Langlet est-il coupable? Sur cette question cha-
cun des personnages prend position. Ces positions clairement
exprimées peuvent être placées sur un carré logique :
INNOCENT + COUPABLE
pour - l'avocat, chap. IX
- Sicotte, chap. XI

INNOCENT •+ ► COUPABLE

pour la femme de peine, chap. VI pour Giguère, chap. III


I pour Ratté, chap. V
pour la bibliothécaire, chap. VII
pour les dames du bridge, chap. VIII

T t
NON COUPABLE -* ► NON INNOCENT

pour Marie Eve, chap. IV pour le père de Langlet, chap. XII


pour le père Brillart, chap. XIV
(interprétation théologique) (interprétation naturaliste)

La diversité des points de vue ne fait que renforcer le message


implicite et accentuer la norme souhaitée par l'auteur fictif de
différentes façons : ainsi ceux qui adoptent la version de
culpabilité sont tous qualifiés négativement, selon le code
social, Ratté est un intégriste, la bibliothécaire est scrupu-
leuse, les dames du bridge sont vaniteuses; quant à la
femme de peine, elle est la seule à nier les faits et sa naïveté
discrédite son point de vue. Au-delà des interprétations natu-
raliste (la tare héréditaire) du père de Langlet et théologique
(l'intention pure) du Père Brillart, c'est la position de l'avocat
et de Sicotte, qui subsume toutes les autres, qui se présente
comme la plus conforme au message implicite du roman, dont
le titre nous donne la piste : au-delà des visages ou des
apparences, Langlet est un homme, c'est-à-dire un être com-
plexe à la fois innocent et coupable42.
Trou de mémoire43, d'Hubert Aquin, qui utilise le même
procédé, inaugure quant à lui une nouvelle série, en donnant
ÉTUDES LITTÉRAIRES - AVRIL 1981 72

à cette structure de la narration à plusieurs voix une autre


fonction et une autre signification. Le récit de l'événement
principal (le meurtre de Joan) par le narrateur autodiégétique,
P.-X. Magnant, est dénoncé par un second narrateur qui
présente une version remaniée de l'histoire, version qui sera
elle-même réécrite par un troisième narrateur, et ainsi de
suite. L'accent dès lors n'est plus mis sur l'inventaire des
points de vue et sur leur concurrence devant la loi, comme
dans le cas précédent, mais sur leur véracité et leur authen­
ticité. Ce ne sont pas des normes ou des principes qui
s'affrontent ici, mais des voix dont l'origine et l'identité nous
échappent. L'intérêt est moins porté sur le contenu du discours
que sur l'identité du sujet qui l'énonce et sur son statut. La
question posée n'est plus qui a raison? quelle est la meilleure
norme ou l'opinion la plus juste ? mais qui parle ? qui s'énonce
dans ce discours? qui se cache derrière celui qui parle? celle
(RR) qui se donne pour la dernière instance du récit dans
Trou de mémoire ne résout pas l'énigme. Ainsi renonciation
devient plus importante que l'énoncé. Alors que dans le
roman du cas de conscience chaque version était donnée
comme un témoignage véridique (réaliste) où seule la légiti­
mité de l'un ou de l'autre point de vue était discutable, dans le
roman d'Aquin c'est l'authenticité de renonciation qui est
questionnée, la possibilité d'une vérité du discours et la réalité
de sa référence qui est mise en doute.

2.2 le roman de l'écriture

Avec Aquin et les jeunes romanciers des années soixante


nous entrons dans l'ère du soupçon du récit. On peut voir, à
l'aide de cet exemple du changement de fonction d'une
technique donnée, ce qui peut distinguer globalement la série
des romans du cas de conscience de ce qu'André Belleau
appelle, à juste titre, le «roman de l'écriture 44 ». Désormais
(depuis 1965) le récit met l'accent sur la narration, non sur
l'histoire (la loi et l'ordre), sur le fait de parler et de raconter,
non sur ce qui est raconté : «La littérature est une sorte de
formalisme dans lequel le contenu est secondaire [.,.]», écrit
Aquin, « Je ne cherche pas quoi dire, mais comment le dire 45 ».
V.-L. Beaulieu dans Don Quichotte de la démanche, Aquin
dans Prochain Épisode, Nicole Brossard 4 6 et Laurent
FORMES ROMANESQUES 73

Girouard47 font surtout l'histoire d'un récit en train de se faire


ou de se défaire.
Le narrateur devenu écrivain réfléchit sur sa fonction,
adopte un regard critique sur le roman, et parodie les procédés
classiques (raccords, analepses, ellipses) : «Ainsi qu'on l'écri-
vait au siècle dernier, transportons-nous dans la chambre de
Mme Flora Tremblée48», «on va faire un flashback [...] dans
l'enfance49», «on saute par-dessus le déjeuner parce qu'y se
passe absolument rien5°», etc. Là où l'on cherchait à natura-
liser l'énoncé narratif, le narrateur dévoile l'artifice, letrompe-
l'œil du récit classique. On introduit dans la série littéraire des
énoncés qui lui étaient jusque-là étrangers : notes en bas de
page51, énoncés publicitaires52, bande dessinée, photos et
illustrations53. Alors que « les romans des années quarante et
cinquante», comme l'écrit André Belleau, « [...] donnent à voir
la littérature détachée de toutes conditions de production et
en traduisent par là même une conception nettement idéa-
liste54», le roman des années soixante et soixante-dix exhibe
à des degrés divers sa littérarité et sa matérialité55. Au lieu de
camoufler la «construction hybride56» du roman, on l'affiche.
Le roman journal est une réalité des années quarante et
cinquante dans les œuvres de Pierre Baillargeon57 et Jean
Simard58, mais ce n'est qu'après 1960 que dans ce type de
récit on aborde le sujet des conditions de production. Au
roman journal s'ajoute alors le journal du roman ; soit que l'on
fasse le journal d'un récit présenté d'abord de façon conven-
tionnelle, comme dans Le Vent du diable59 d'André Major, ou
que l'on présente simultanément le compte rendu de l'histoire
et l'histoire du compte rendu, comme dans Le Libraire60 de
Gérard Bessette ou Salut Galarneau! de Jacques Godbout.
La fin de l'énoncé narratif coïncide alors avec la fin de la
fonction de l'écriture dans le récit.
Nous avons observé comment certaines figures du discours
qui traversent différentes séries romanesques étalées diachro-
niquement de 1940 à 1975, comme le roman du cas de
conscience et le roman de l'écriture, changent de sens et de
fonction suivant la disposition générale de la série elle-même.
D'où l'importance de saisir, d'étudier le sens global de celle-
ci, d'aborder l'ensemble du système avant de s'arrêter aux
éléments qui la composent.
ÉTUDES LITTÉRAIRES-AVRIL 1981 74

Cette signification générale, en plus d'une approche interne,


appelle aussi la connaissance du contexte socio-historique et
de l'intertextualité des œuvres. C'est-à-dire la connaissance
du rapport que l'œuvre littéraire entretient avec les textes non
littéraires ou avec les autres textes de fiction, et la connais-
sance de la structure du champ intellectuel qui conditionne et
détermine le rôle et la position que doit occuper telle ou telle
série dans le champ de la production.
Si ces différents plans (interne et externe) apparaissent
comme séparés dans notre analyse, c'est pour le besoin de la
théorie, dans l'œuvre ils sont donnés simultanément. Ainsi la
mise en scène de la littérature par elle-même à l'intérieur des
romans de l'écriture laisse facilement entrevoir la destination
sociale et le lecteur visé par ce type de texte. En 1940 et 1950,
par exemple, le roman du cas de conscience, par sa forme et
les questions qu'il soulevait, présupposait une classe de
lecteur spécifique (l'intellectuel libéral). De 1950 à 1970, d'une
série à l'autre, le personnel littéraire a changé et avec lui son
discours et son roman. Le roman québécois ne s'est pas
transformé seulement de l'intérieur, selon une logique imma-
nente aux textes, mais il s'est modifié en conjonction avec des
transformations externes (idéologiques et culturelles). Le
remplacement d'une série par une autre n'a pas été le fruit du
hasard ou d'une usure des formes, mais a été lié à des
changements dans le champ symbolique et dans le champ
social. Ainsi il faudrait montrer comment les séries sont en
concurrence les unes avec les autres pour la conquête du
marché, et comment cette rivalité repose sur la concurrence
et les alliances stratégiques de fractions de classe et de
producteurs61. On pourrait évoquer par exemple la rivalité du
roman du cas de conscience et du roman social durant les
années cinquante qui s'est résolue à la faveur du premier,
parce qu'il bénéficiait d'un appui des élites intellectuelles. Ce
sont tous ces aspects relatifs à la structure du champ littéraire
et à l'horizon d'attente des séries qu'il faudra aborder ultérieu-
rement. C'est à cette condition et dans cette perspective
générale que la démarche descriptive que nous avons adoptée
dans la présente étude devrait trouver tout son sens.

Université de Sherbrooke
FORMES ROMANESQUES 75

Notes

1
Ce programme que traçaient les formalistes russes dans les années vingt a
été formulé par G. Genette en ces termes :
« [...] suivre la littérature dans son évolution globale en pratiquant des
coupes synchroniques à diverses étapes, et en comparant les tableaux
entre eux. L'évolution littéraire apparaît alors dans toute sa richesse,
qui tient à ce que le système subsiste en se modifiant sans cesse. [...]
L'histoire littéraire ainsi comprise devient l'histoire d'un système : c'est
révolution des fonctions qui est significative, et non celle des éléments,
et la connaissance des relations synchroniques précède nécessai­
rement celle des procès».
Figure I, Paris, Seuil, 1966, p. 167-168. Voir à ce propos les textes de
B. EIKHENBAUM et J. TYNIANOV dans Théorie de la littérature, Paris, Seuil,
1965, p. 65-73, 102-136.
2
Le point de vue structural strict n'est pas suffisant pour déterminer la
littérarité d'un texte, c'est plutôt l'institution, ou le contrat ou le pacte de
lecture sanctionné par elle, qui en détermine la fonction. Voir à ce sujet la
critique du formalisme de T. TODOROV, «La notion de littérature», dans Les
Genres du discours, Paris, Seuil, 1978, p. 13-26, et de H.-R. JAUSS,
« Littérature médiévale et théorie des genres», Poétique, 1 (1970), p. 97. On
pourra aussi lire notre «Sémiotique du texte poétique et histoire littéraire»
à paraître dans Actes du colloque Crémazie-Nelligan, Montréal, Fides.
3
R. BARTHES, Le Degré zéro de l'écriture, «Points», Paris, Seuil, 1972, p. 14.
4
Thèse présentée à l'École des gradués de l'Université Laval pour obtenir le
grade de docteur de l'Université, 1958, 369 pages.
s Pour désigner ces figures discursives nous utiliserons la terminologie de
G. Genette, Figures III, Paris, Seuil, 1972.
6
P. 149-150. Cette structure des instances narratives multiples a été bien
exploitée dans la série des romans du cas de conscience, comme nous le
verrons plus loin. Au sujet de l'horizon d'attente de cette série et de la
fonction qu'y joue cette forme voir notre «Esthétique et réception du
roman conforme: 1940-1957», à paraître dans Le Québécois et sa litté-
rature, édité par René Dionne, Sherbrooke, Naaman.
7
Voir par exemple dans Bonheur d'occasion de Gabrielle ROY (Montréal,
Beauchemin, 1973) les chapitres 15 (la visite des Laçasse à Saint-Denis) et
16 (la séduction de Florentine par Jean Lévesque) qui racontent succes­
sivement deux événements qui se sont produits simultanément.
8 Par exemple ce parti pris esthétique pour le roman qui montre ce qui se
passe dans l'histoire (showing) par la focalisation interne, au lieu de le dire
(telling) par la focalisation zéro, traduit une préoccupation des milieux de
la critique des années cinquante. À ce sujet rappelons la querelle entre
Sartre et Mauriac sur le rôle du narrateur. Les études de R. ROBIDOUX et
A. RENAUD, Le Roman canadien-français du vingtième siècle, Ottawa,
Éditions de l'Université d'Ottawa, 1966, et de G. BESSETTE, Une littérature
en ébullition, Montréal, Jour, 1968, adoptent le même point de vue. À ce
propos on lira en particulier les analyses sur Bonheur d'occasion par les
premiers (p. 75-91), le second (p. 219-255) et celle de Guy LAFLÈCHE, «Les
ÉTUDES LITTÉRAIRES-AVRIL 1981 76

Bonheurs d'occasion du roman québécois», Voix et images, III, I


(septembre 1977), p. 96-115, qui se situe, semble-t-il, dans cette tradition.
9
Ils posséderont la terre de Robert CHARBONNEAU, « Bibliothèque canadienne-
française», Montréal, Fides, 1970 ( 1 r e édition : Montréal, l'Arbre, 1941)
comprend 25% d'analepses; Au delà des visages d'André GIROUX « Biblio­
thèque canadienne-française», Montréal, Fides, 1966 (1 re édition : Montréal,
Variétés, 1948), 24%; La Fin des songes de Robert ÉLIE, «Bibliothèque
canadienne-française», Montréal, Fides, 1968 (1 re édition : Montréal, Beau-
chemin, 1950), 32%.
10
R. LEMELIN, AU pied de la pente douce, Montréal, l'Arbre, 1944, 9% ; G. ROY,
Bonheur d'occasion, 11%; J.-J. RICHARD, Neuf jours de haine, Montréal,
l'Actuelle, 1972 ( l r e édition : Montréal, l'Arbre, 1948), 18%; Y. THÉRIAULT,
La Fille laide, Montréal, l'Actuelle, 1971 ( 1 r e édition : Montréal, Beau-
chemin, 1950), 14%; B. VAC, Louise Genest, «CLF poche», Montréal,
C.L.F., 1967 ( 1 r e édition: 1950), 1 1 % ; R. LEMELIN, Pierre le magnifique,
«CLF poche», Montréal, C.L.F., 1971 (1 r e édition : Québec, Institut litté­
raire de Québec, 1952), 14%; J.-J. RICHARD, Le Feu dans l'amiante,
Montréal, Réédition Québec, 1971 ( 1 r e édition : à compte d'auteur,
1956), 4%.
11
R. BENOIT, Quelqu'un pour m'écouter, Montréal, C.L.F., 1967, 50%; V.-L.
BEAULIEU, Les Grands-Pères, Montréal, Jour, 1971, 6 1 % ; A. LANGEVIN,
L'Élan d'Amérique, Montréal, C.L.F., 1972, 88%.
1
2 Montréal, Jour, 1963.
13 Montréal, C.L.F., 1967, p. 164-165.
1" 10e éd., Montréal, C.L.F., 1972, p. 17-18 ( 1 r e édition : 1953).
15 p. 121-122.
16 Montréal, C.L.F., 1951.
17 Montréal, l'Arbre, 1944, p. 12-13.
i8
Comme dans les récits de Maupassant dont Sartre décrit la structure dans
Qu'est-ce que la littérature?, «Idées», Paris, Gallimard, 1972, p. 172-175.
19 « Elle [Rose-Anna] voyait la journée de ses noces, claire, limpide, avec des
sons de cloches qui voyageaient par le village et les champs. EJIe retrouvait
des parfums de la terre, elle retrouvait sur cette route de sa jeunesse, tant
de fois, tant de fois parcourue par le souvenir, des joies qui avaient le goût
sain et profond des choses de la terre. Et puis, ramenant les yeux sur le
désordre qui l'entourait, elle aurait presque haï à cette minute les réminis­
cences qui avaient occupé son esprit», p. 311 (nous soulignons).
20 «Bibliothèque canadienne-française», Montréal, Fides, 1967, p. 91-92
(1 r e édition: Montréal, Beauchemin, 1945).
21 Voir C. GRIVEL, Production de l'intérêt romanesque, Paris, The Hague,
Mouton, 1973, p. 90.
22 Voir J. MICHON, « Les avatars de l'histoire : Les Grands-Pères de Victor-Lévy
Beaulieu», Voix et images, V, 2 (hiver 1980), p. 308-310.
23 M o n t r é a l , Jour, 1974.
24 Montréal, Jour, 1975.
FORMES ROMANESQUES 77

25 Dans L'Épidémie cette structure se trouve reflétée dans les thèmes du


regard et de la possession à distance: Therrien ne possédera Émérence
que par l'intermédiaire de son appareil photo (p. 31).
26 Paris, Seuil, 1970.
27 Montréal, C.L.F., 1965.
28 Montréal, C.L.F., 1968.
29 Même dans la narration autodiégétique traditionnelle, où le narrateur
désigne la même personne, ou porte le même nom propre que le héros, ces
niveaux sont toujours bien distingués: sur le plan de la représentation le
héros qui raconte sa vie n'est plus celui de l'histoire qui fait l'objet du récit.
L'interférence entre narrateur et fiction devient possible lorsque c'est le
récit lui-même en train de s'écrire qui devient le sujet de l'histoire, comme
chez Beaulieu par exemple dans Don Quichotte de la démanche, Montréal,
l'Aurore, 1974; cette interférence des niveaux est illustrée de façon
radicale dans ce récit par le changement de personne grammaticale à
l'intérieur d'une même phrase (p. 206). Au sujet de cette figure (la
métalepse selon la terminologie de G. Genette) dans certains romans
québécois récents voir J. MICHON, «Le discours du récit romanesque au
Québec depuis 1940», Histoire littéraire du Québec, 2 (1980), à paraître.
30
Voir l'analyse de Jacques BLAIS, «L'unité organique de Bonheur d'occa-
sion», Études françaises, 6, 1 (février 1970), p. 25-50.
31
Comme l'écrit G. GENETTE à propos de Robbe-Grillet : « [...] il étale horizon­
talement, dans la continuité spatio-temporelle, la relation verticale qui unit
les diverses variantes d'un thème, il dispose en série les termes d'un choix,
il transpose une concurrence en concaténation [...]». Figures I, p. 85.
32
À propos du nom de Milienne voir notre article dans Voix et images, (hiver
1980), p. 313; et sur la réversibilité des énoncés du héros et du narrateur
dans Prochain Épisode voir ici même l'article de J.-M. LÉARD.
33
Le roman moderne «depuis Flaubert a systématiquement aboli la téléo-
logie de la fable épique et développé des techniques narratives destinées à
réintroduire dans la relation du passé la perspective d'un avenir encore
ouvert, à remplacer la vision d'un narrateur omniscient par une pluralité
d'aperçus relatifs, et à détruire l'illusion de la totalité close en usant de
détails incidents, surprenants, et qui, restant inexpliqués, font clairement
apparaître que l'histoire ne peut être totalisée». H.-R. JAUSS, Pour une
esthétique de la réception, traduit de l'allemand par C. Maillard, Paris,
Gallimard, 1978, p. 102.
34
Voir plus haut note 8.
35
À propos de «la recherche d'une conscience objective» chez les intel­
lectuels des années quarante et cinquante, voir F. DUMONT, «Vie intel­
lectuelle et société, depuis 1945 : la recherche d'une nouvelle conscience »,
dans Histoire de la littérature française du Québec, de P. de GRANDPRÉ,
t. III, Montréal, Beauchemin, 1Ç69, p. 19-20.
36
Voir à ce sujet J. MICHON, «Aspects du roman québécois des années
soixante», The French Review, LUI, 6 (mai 1980), p. 812-815.
37
Voir P. NEPVEU, « Le grotesque dans La Guerre, yes sir!», Nord, 6 (automne
1976), p. 49-59 ; et G. MARCOTTE, « Les enfants de Grand-Mère Antoinette»,
dans Le Roman à l'imparfait, Montréal, la Presse, 1976, p. 93-137.
ÉTUDES LITTÉRAIRES- AVRIL 1981 78

38
Chicago, University of Chicago Press, 1961. Pour un résumé des positions
de Booth, lire F. VAN ROSSUM-GUYON, «Point de vue ou perspective
narrative. Théorie et concepts critiques», Poétique, 4 (1970), p. 482-484.
39
Formes simples, traduit de l'allemand par A.-M. Buguet, Paris, Seuil, 1972,
p. 137-157.
40
Voir R. CHARBONNEAU, Ils posséderont la terre, R. ÉLIE, La Fin des songes,
E. CLOUTIER, Les Témoins, Montréal, C.L.F., 1953, J. FILIATRAULT, Chaînes,
Montréal, C.L.F., 1955; le récit à focalisation multiple peut représenter
aussi une variante de ce type de récit fondé sur la dispersion des normes.
C. HAMEL dans Solitude de la chair, Montréal, CL.F., 1951, en donne un
exemple et propose la description suivante de la formule par la bouche
de l'un de ses personnages : « Dans la tête d'André s'échafaucle un roman
où ils seraient tous les trois, Fernand, Michelle et lui-même; où chacun, à
tour de rôle, se verrait soi-même par ses propres yeux et verrait les autres à
sa manière à soi ; pour être, à son tour, vu par ces deux autres comme ils
peuvent le voir... Avec une telle construction, un personnage risquerait de
sembler inconsistant. Il apparaîtrait sous trois angles de vision tellement
différents que le lecteur pourrait croire qu'il ne s'agit plus du même
personnage!» (p. 200)
41
JOLLES, Formes simples, p. 143.
42
Dans cette thèse on reconnaîtra le discours libéral chrétien de l'intel­
ligentsia québécoise de l'époque, qui trouvait à s'exprimer, entre autres,
dans La Nouvelle Relève, Le Devoir et Cité libre : « [...] la substance même
du roman doit être l'homme dans sa complexité congénitale», Guy
SYLVESTRE, «Réflexion sur le roman», Culture, 12 (1951), p. 232.
43
Montréal, C.L.F., 1968.
44
Le Romancier fictif, essai sur la représentation de l'écrivain dans le roman
québécois, Montréal, Presses de l'Université du Québec, 1980, p. 61.
4
* Point de fuite, Montréal, C.L.F., 1971, p. 19.
46
Un livre, Montréal, Jour, 1970; Sold-out, étreinte/illustration, Montréal,
Jour, 1973; French Kiss, étreinte/exploration, Montréal, Jour, 1974.
47
La Ville inhumaine, Montréal, Parti pris, 1964.
48
J. BENOIT, Patience et Firlipon, Montréal, Jour, 1970, p. 153.
49
J.-M. POUPART, Chère Touffe, c'est plein plein de fautes dans ta lettre
d'amour, Montréal, Jour, 1973, p. 21.
so Ibid., p. 43.
51
Voir H. AQUIN, Trou de mémoire et J. BENOIT, Patience et Firlipon.
52
Voir J. GODBOUT, Salut Galarneau!, Paris, Seuil, 1967, et R. DUCHARME,
L'Hiver de force, Paris, Gallimard, 1973.
53
Voir N. BROSSARD, Sold-out, et V.-L. BEAULIEU, N'évoque plus que le
désenchantement de ta ténèbre, mon si pauvre Abel, Montréal, VLB
éditeur, 1976.
54
Le Romancier fictif, p. 93-94.
55
Chez J.-M. POUPART, C'est pas donné à tout le monde d'avoir une belle
mort, Montréal, Jour, 1974, ce sont les conditions de production de
l'auteur lui-même qui sont représentées :« Dites-vous que ce passage
aurait pu toucher, cela me suffira sans doute... Fiche deux cent onze.
Absolument pas disponible sous une autre forme. Non» (p. 96). À propos
de ce travail sur fiches dans le processus de sa production, voir les
FORMES ROMANESQUES 79

déclarations de l'auteur dans Le Devoir (14 septembre 1964), p. 12, et dans


La Presse (25 août 1973), interview de J.-C. Trait.
56
Expression utilisée par M. BAKHTINE dans Esthétique et Théorie du roman,
traduit du russe par D. Olivier, Paris, Gallimard, 1978, p. 125, pour désigner
le caractère composite du genre romanesque.
57
Les Médisances de Claude Perrin, Montréal, Parizeau, 1945.
58
Mon fils pourtant heureux, Montréal, CL.F., 1956.
s» Montréal, Jour, 1968.
eo Paris, Julliard, 1960.
61
Voir le cas du roman psychologique en France à la fin du XIXe siècle,
appuyé par la grande bourgeoisie pour contrecarrer l'essor du roman
naturaliste dans R. PONTON, «La naissance du roman psychologique,
capital culturel, capital social et stratégie littéraire à la fin du 19e siècle»,
Actes de la recherche en sciences sociales, 4 (juillet 1975), p. 66-81.

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