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Université Sidi Mohammed Ben Abdellah

Faculté des Lettres & Sciences Humaines. Sais-Fès


Département de langue & littérature françaises

Cours du Professeur
Abdelhak BOUAZZA

Typologie des textes narratifs


S1

Année universitaire 2020-2021


Objectifs du cours :

➢ Faire connaître les différents genres littéraires et types de textes


avec leurs spécificités respectives.

➢ Apprendre à distinguer les genres et types de textes ; à décrypter


les différentes significations des textes et discours ; à appréhender
et rendre compte des champs lexicaux et des réseaux symboliques.

➢ Maîtriser suffisamment les méthodes et les techniques de description


et d’analyse pour les appliquer sur les différents types de textes.

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CONTENU DU COURS

Préliminaires

1. Qu’est-ce que la narration ?


2. Courant, mouvement et genre littéraires
2.1 Le courant littéraire
2.2 Le mouvement littéraire
2.3 Le genre littéraire

COURS1 :
La chanson de geste dans la littérature
La légende de Roland

Introduction
1. Qu’est-ce que la chanson de geste ?
2. La littérature orale
3. Fonctions de la littérature orale
4. Le conte/ la légende/l’épopée/ Le mythe
5. La mort de Roland : pistes d’analyse

Cours 2 :
La littérature chevaleresque
Introduction
1. Le roman de chevalerie
1.1 Devenir chevalier
2. Les valeurs chevaleresques
3. L’amour courtois ou la fin'amor
Conclusion
Bibliographie

Cours 3 :
Le fabliau
Introduction
1. Le fabliau : définition
2. Naissance du fabliau
3. Fonctions du fabliau
4. Thématique du fabliau

2
Conclusion
Bibliographie

Cours 4 :

Le conte
1. Le conte : définition
2. Caractéristiques du conte
3. Typologie des contes
4. Cendrillon : résumé et signification du nom
5. Le schéma narratif de Cendrillon
Conclusion
Bibliographie

L’autobiographie et les genres


narratifs avoisinants
Cours 5 :

Introduction
1. Définition du genre
2. Le pacte autobiographique
3. Le problème de la mémoire
4. Critères du genre
5. Genres avoisinants de l’autobiographie
Conclusion
Bibliographie

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Préliminaires :

1. Qu’est-ce que la narration ?


2. Courant, mouvement et genre littéraires
2.1 Le courant littéraire
2.2 Le mouvement littéraire
2.3 Le genre littéraire

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1. Qu’est-ce que la narration ?

La narration c’est la relation détaillée, écrite ou orale d'un fait ou d'un événement. Le
texte narratif a pour but principal de raconter une histoire au lecteur, développée le plus
souvent dans une œuvre littéraire comme le roman, la nouvelle, le récit, l’épopée etc. Ce
sont des genres littéraires connus pat l’exposé détaillé des faits et d'actions constituant une
intrigue. L’acte narratif suit en général un schéma appelé schéma narratif. Les temps qui
dominent sont l’imparfait et le passé simple. Les actions s’enchaînent aux côtés des
dialogues et des descriptions. En s'attachant aux actions et aux événements, la narration fait
avancer l'action en mettant en œuvre l'aspect temporel du récit.

Dans le récit à la première personne, le narrateur est alors un personnage de l’histoire.


Le narrateur est généralement un personnage principal du roman, mais peut également
(plus rarement) n’être qu’un personnage secondaire. Ce mode narratif à la première
personne implique généralement une bonne connaissance des émotions et des pensées du
narrateur, et permet un rapprochement du narrateur, représenté par le « je » Le lecteur
peut facilement s’y identifier (c’est le narrateur homodiégétique). La narration peut
également se faire à la troisième personne. Le narrateur ne fait alors pas partie de l’histoire,
mais ne fait que la raconter. Il peut parfois intervenir pour donner ses sentiments ou juger
les personnages par exemple (c’est le narrateur hétérodiégétique).

Pour récapituler, un texte narratif raconte une suite d'événements réels ou imaginaires
qui s'enchaînent les uns aux autres pour mener d'un début à une fin. Dans un texte narratif,
il y a toujours un narrateur (absent ou présent dans la narration) qui raconte les événements
ou les faits réalisés par des personnages et les situe dans l’espace et le temps. Dans un texte
narratif, il n’y a pas que la narration, il peut être entrecoupé de passages descriptif, explicatif
ou argumentatif. Tout texte se caractérise donc par une variation ou hétérogénéité
compositionnelle.

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2. Courant, mouvement et genre littéraire

Les notions de courant littéraire, mouvement littéraire et genre littéraire sont des
classifications que l’on a créées afin d’étudier la littérature. La littérature est un vaste
domaine qui ne cesse de s’élargir avec le cumul des œuvres, et il s’avère qu’il est difficile,
sinon impossible, de l’étudier en un seul bloc. Il est donc nécessaire de faire des divisions et
subdivisions suivant des critères et caractéristiques bien précis afin de l’aborder
méthodiquement.
Si le genre correspond en gros à la forme du texte, le courant, pour sa part, est une
division plus ou moins artificielle créée pour les besoins de l’histoire littéraire. Ces divisions
ont souvent été nommées des années ou des siècles plus tard par des historiens et des
critiques de la littérature. Ces divisions se sont faites suivant des ressemblances et des
différences entre les textes de certaines époques.

2.1 Le courant littéraire

Les noms des courants littéraires tels qu’on les connait maintenant (humanisme,
classicisme, réalisme, naturalisme, symbolisme, Parnasse etc.) remontent au travail des
critiques littéraires universitaires du XIXème siècle. Les critiques ont toujours classé les
œuvres littéraires selon la nature interne qui caractérise chaque genre séparément, mais
aussi suivant des critères esthétiques communes qui se réclament des mêmes valeurs ou
idéaux.

Au XIXème siècle, l’écrivain français Stendhal publie un essai ‘’Racine et


Shakespeare’’ (1823) dans lequel il établit des liens de la production de son époque autour
de thèmes et d'approches communes. Stendhal est le premier à avoir utilisé un mot venu
d'Italie " le romanticisme", qui donne naissance au romantisme. C’est pour la première fois
que des auteurs se regroupent sous un nom commun.

La critique universitaire s’attelle donc à classer les œuvres, non seulement les
œuvres de leur contemporain, mais également de leur prédécesseur. C’est ainsi que voient
le jour des courants littéraires comme le courant humaniste du XVIème siècle, le courant
baroque et classique du XVIIème (Molière, la Fontaine, Racine, corneille etc.), le siècle des
Lumières (XVIIIème siècle). Le XIXème siècle a vu naitre le réalisme (Balzac, Flaubert), le
romantisme (Victor Hugo, Alfred de Musset etc.), le naturalisme (Zola), le symbolisme (en
poésie avec Verlaine, Mallarmé etc.). Le début du XXème est marqué par l’apparition du
Surréalisme avec le manifeste du Surréalisme d'André Breton en 1924, l’existentialisme de
Sartre qui prône les notions d’engagement. Vient ensuite la tentation de l'absurde, qui met

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en question l'Homme, son mode de communication, notamment au théâtre, avec Ionesco et
Beckett.
Le but donc des courants littéraires est de fixer dans le temps tel auteur, tel ouvrage
avec telle époque. Il faut dire tout de même que la critique au XIXème siècle a imposé cette
périodisation ; or un courant littéraire n’est pas forcément prisonnier des dates arbitraires.
Le courant littéraire désigne donc cette tendance en littérature pour regrouper des œuvres
autour de constantes (caractères stables d’opinions et de valeurs) qui s’en dégagent :
thématiques abordées, style de l’auteur, genre littéraire privilégié, etc.

L’écrivain ne peut donc être séparé de son siècle, de son époque, de son contexte
historique, social et idéologique : il partage avec ses contemporains une façon de voir le
monde, une sensibilité, une langue, une religion, un art et une musique, une architecture...
Qu’il soit de son temps ou en réaction contre son temps, l’écrivain s’inscrit dans la société
qui l’entoure. Qu’il le veuille ou non, il est influencé par le goût du public, les canons
esthétiques, la pensée philosophique du moment, les problèmes politiques, sociaux,
éthiques et religieux de son époque, l’état de la science et de la civilisation en cours, etc.
Dans ses œuvres, il traduit (parfois sans le savoir) les préoccupations de ses contemporains.

C’est ainsi que le courant littéraire est le reflet d’une société et d’une époque données.
Le passage d’un courant littéraire à un autre se fait quand on remet en cause l’héritage des
prédécesseurs. Ce sont en général les jeunes écrivains, poètes ou artistes qui poussent plus
loin les idées et l’esthétique de l’art et la littérature en refusant le legs des « anciens ». Leur
contestation donnera naissance à un autre courant en réaction au précédent. La naissance
d’un courant est une réponse neuve de la pratique littéraire.

➢ Pourquoi le courant littéraire ?

L’intérêt du courant littéraire n’est pas de classer définitivement une œuvre, mais de
donner, d’un point de vue didactique, un point de départ à l’analyse. Quand on sait, par
exemple, qu’une œuvre se réclame du romantisme ou du réalisme, ou qu’elle est qualifiée
de courtoise ou d’épique, on peut commencer sa lecture suivant cette esthétique, quitte à
changer ses hypothèses de lecture plus tard. De la même façon, la division par siècles
permet d’éviter les anachronismes (confusion des dates et des époques) : on ne peut pas
lire Perceval (roman de Chrétien de Troyes écrit vers 1180) comme on lit le Seigneur des
Anneaux ni Tristan et Iseult comme on lit Roméo et Juliette (tragédie de William
Shakespeare fin XVI e siècle) Il faut se servir de ces connaissances historique et littéraire
pour interpréter les textes, pour mieux les comprendre.

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2.2 Le mouvement littéraire
Il arrive parfois qu’un regroupement d’auteurs se réclamant d’un idéal esthétique
commun ou une idéologie commune se tissent des relations entre eux et forment ainsi une
‘’école’’. Au XIXème siècle, on parlait de cénacle, mot employé jusqu’au début du XXe siècle
pour désigner les regroupements étroits d’écrivains comme le cénacle de Victor Hugo et les
romantiques.

Le terme mouvement littéraire désigne un ensemble d'auteurs et d’œuvres le plus


souvent réunis dans un manifeste. Le manifeste est cette déclaration écrite ou publique par
laquelle l’ensemble des écrivains et poètes exposent leur programme esthétique. Le
mouvement littéraire forme ainsi une école qui tourne autour des principes communs.

L'histoire littéraire est définie par l'apparition de mouvements successifs qui réunissent
les artistes et les écrivains autour d'un objectif commun du monde et de la littérature.
Chaque mouvement s'inscrit dans un contexte historique particulier et s'affirme comme
une rupture radicale avec les mouvements qui l'ont précédé. Un courant littéraire se
distingue d'un mouvement littéraire par son absence d'école, il présente cependant une
unité esthétique et idéologique.

2.3 Le genre littéraire

Les œuvres qui se réclament de la même esthétique (exigence d’harmonie et de


beauté) finissent par se réclamer du même genre qui se consolide par l’usage et le succès.
Le genre littéraire est donc une catégorie qui rassemble les textes par ‘’familles’’ qui
fonctionnent suivant presque la même nature interne. D’ailleurs, l’œuvre littéraire n’est
jamais singulière et unique en son genre ; elle tisse toujours des relations avec d’autres
œuvres avec lesquelles elle a des points communs : c’est l’intertextualité.

La notion de genre littéraire n’existait pas au Moyen Âge bien qu’Aristote (322-384 av.
J.-C) ait été le premier à avoir parlé du genre littéraire. Aristote a catégorisé les œuvres
écrites de l’époque en une tripartition : l'épique, le lyrique et le dramatique. La notion du
genre traduit donc les caractéristiques propres à chaque texte pour le réceptionner et en
interpréter le sens. D’un point de vue formel, ces trois genres ne se ressemblent pas, car
chaque genre se distingue de l’autre par sa forme (le roman est en prose, la poésie est en
vers et le théâtre est un dialogue), mais également par le style, la thématique (fond) et les
procédés littéraires. Chaque genre a donc ses règles habituelles de fonctionnement, et on
ne lira jamais une pièce de théâtre comme on lit un poème ou une narration.

Les libraires classent d’ailleurs les textes littéraires contemporains en différents rayons
suivant le genre : rayon « roman », rayon « poésie », rayon « théâtre » etc. Ce classement
est fait non seulement pour faciliter la recherche mais pour également orienter la lecture.

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➢ Mimèsis/ diégèsis

Dans sa Poétique, Aristote distinguait deux genres majeurs : des textes où l'on
raconte des paroles ou des actions (diégèsis): c’est le genre narratif, des textes où l'on fait
parler au style direct des personnages (mimèsis): c’est le genre théâtral . Donc la notion du
genre porte sur le contenu sémantique du discours : c’est une notion traditionnelle. La
classification d’Aristote met l'accent sur un caractère prescriptif ou normatif ; elle définit
des normes, énonce des préférences en caractérisant des genres comme supérieurs à
d'autres. Cette classification permet encore au destinataire de formuler des jugements de
valeur sur des œuvres réalisées. Dominique Combe dit que le genre relève d’une expérience
qui guide la lecture.

Tzvetan Todorov dit que le genre, à part qu’il soit lié à l’expérience et à la pratique de
la lecture ou même à l’audition ou au spectacle, reste toujours en rapport avec l’idéologie
dominante d’une époque donnée. Le genre traduit ainsi un système d'idées, d'opinions et
de croyances qui forme une doctrine pouvant influencer les comportements individuels ou
collectifs :

« Chaque époque a son propre système de genres, qui est en rapport avec
l'idéologie dominante. Une société choisit et codifie les actes qui correspondent
au plus près à son idéologie ; c'est pourquoi l'existence de certains genres dans
une société, leur absence dans une autre, sont révélatrices de cette idéologie. »

Todorov, Tzvetan. « L'Origine des genres », Les Genres du discours, Seuil, 1978.

➢ Pourquoi classe-t-on les œuvres selon les genres ?

Le genre traduit une convention discursive, il constitue une convention pour instituer
l'activité de lecture. Le genre essaie donc d’instaurer une communication avec le lecteur.
La mention générique affichée dans la première page de couverture (roman, récit, poésie,
théâtre etc.) oriente la lecture. C’est un moyen de communication entre l’auteur et le
lecteur. Le genre sert de point de référence en littérature ; c’est lui qui donne des balises à
la lecture, qui guide le lecteur dans son appréhension du texte littéraire. En effet, le lecteur
a des attentes bien précises du genre romanesque, poétique ou scénique. La mécanique du
texte amène donc un acte de lecture particulier. Les genres littéraires les plus courants
aujourd’hui sont la poésie, le théâtre, le roman, la nouvelle, l’essai et le conte.

➢ L’horizon d’attente

Le genre sert à modeler un horizon d'attente. Dans son livre (Pour une esthétique de
la réception, 1978), le critique allemand Hans Robert Jauss a élaboré la notion d’horizon
d'attente. Le genre nous fournit donc des éléments de reconnaissance du sens de l'œuvre
et nous oriente dans sa lecture et son interprétation : nous abordons différemment le sens

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d'un énoncé selon qu'il se rencontre dans un conte de fées, un récit de voyage, un poème
lyrique ou une parodie.

Le genre peut créer une valeur esthétique. Selon Jauss, il n'y a de valeur esthétique
que dans l'écart entre l'horizon d'attente d'une œuvre et la façon dont l'œuvre bouleverse
cet horizon d'attente. Le genre contribue doc à la nouveauté littéraire.

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BIBLIOGRAPHIE

• CANVAT, Karl, Enseigner la littérature par les genres, Pour une approche théorique et
didactique de la notion de genre littéraire, Bruxelles, Ed. De Boeck Duculot, Col. « Savoirs
en pratique », 1999.

• COMBE, Dominique, Les genres Littéraires, Paris, Hachette, Col. « Contours littéraires »,
1992.

• DUMORTIER, Jean- Louis, Lire le récit de fiction, Pour étayer un apprentissage : théorie et
pratique, Bruxelles, Ed. De Boeck Duculot, Col. « Savoirs en pratique », 2001.

• JAUSS, Hans Robert, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978.

• REUTER, Yves, L’analyse du récit, Paris, Armand Colin, 2009.

• TODOROV, Tzvetan, « L'Origine des genres », in Les Genres du discours, Seuil, 1978.

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Cours 1 :

La chanson de geste dans la littérature


La légende de Roland

Introduction
1. Qu’est-ce que la chanson de geste ?
2. La littérature orale
3. Récits de la littérature orale
3.1 Le conte/ la légende/l’épopée/ Le mythe
4. La mort de Roland : pistes d’analyse

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Introduction

La Chanson de Roland a été probablement écrite vers 1100 par un poète anonyme qui
s’appellerait Turold. La Chanson de Roland relate l’histoire de la bataille de Roncevaux et la
mort de Roland sous le règne de Charlemagne. C’est une histoire colportée essentiellement
par les troubadours durant les XII et XIIIème siècles. Charlemagne est le roi des Francs mort
en 814 ; il est couronné empereur à Rome par le pape Léon III en l’an 800. Ce fut un grand
conquérant avec ses vastes guerres lointaines, notamment contre les musulmans qui
venaient d’envahir l’Espagne. Il est donc le représentant glorieux de la lutte de la foi
chrétienne contre les Sarrasins, nom donné à l'époque médiévale aux peuples de
confession musulmane.
La Chanson de Roland relate donc un événement historique qui s'est déroulé trois
siècles plus tôt. Il s’agit du retour de l’armée de Charlemagne en 778, après avoir rasé la ville
chrétienne de Pampelune, et l’embuscade basque qui massacre l’arrière-garde de
Charlemagne guidée par Roland. Selon le chroniqueur Eginhard (770-840), les Francs furent
massacrés jusqu'au dernier.
Si la bataille de Roncevaux est attestée par l’historiographie, il est à dire cependant
qu’elle a été tellement défigurée et l’ordre chronologique bouleversé au point d’attribuer à
Charlemagne la victoire de Poitiers, de faire de Roland son neveu. L’imagination y était
beaucoup plus présente que la réalité au point que ce fait historique devient légendaire.

1. Qu’est-ce que la chanson de geste ?

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La chanson de geste vient du mot latin gesta et signifie ‘’actions’’, ‘’haut fait’’ ou
encore ‘’action d'éclat accomplie’’. Une ‘’geste’’ est donc, au sens étymologique, un exploit
célèbre ; et chanson de geste est l'équivalent de chanson d'exploits. La chanson de geste est
toujours sous forme d’un long poème épique versifié, composé en langue française. Celui-ci
relate les exploits guerriers appartenant au passé comme la Geste de Charlemagne, la Geste
de Guillaume etc.

Comme son nom l’indique, la chanson de geste est un poème narratif chanté par les
trouvères, poètes et compositeurs de langue d'oïl (langue du nord) au Moyen Âge, alors que
la poésie lyrique des troubadours était composée en langue d'oc (langue du sud). Les
trouvères et les troubadours sont des hommes professionnels qui relatent leurs histoires
avec un accompagnement musical.

La plus ancienne chanson de geste connue est la chanson de Roland dans la version
du manuscrit d'Oxford qui date sans doute des alentours de 1098. Les versions se sont
succédé avec des ajouts et retranchements. Le Moyen-âge ignore la propriété littéraire, car
on conçoit très généralement le texte littéraire comme un bien commun, susceptible
d'être "amélioré" , voire détérioré ou remis au goût du jour au gré des ambitions ou des
intérêts commerciaux des jongleurs.

Avec le temps, les aspects historiques et militaires se sont affaiblis en faveur de


l’imagination où s'est ajoutée une forte touche de merveilleux. Des géants, de la magie et
des monstres apparaissent parmi les ennemis avec les Sarrasins pour distraire les seigneurs
pendant les soirées d'hiver au château.

Il faut dire que la chanson de geste se trouve pratiquement dans toutes les sociétés.
Dans la culture arabe, on a la Sira, (la Sira de Antara par exemple) ; en Russie on a
la byline qui est une forme traditionnelle de la poésie narrative héroïque transmise
oralement et racontant les hauts faits de bogatyrs (preux chevaliers) et d'autres personnages
légendaires. Bref, la chanson de geste relève de la littérature orale qui englobe tout
l’héritage culturel qui se transmet oralement d’une génération à l’autre comme les contes,
les légendes, les récits folkloriques, les chansons etc.

2. La littérature orale

Si la littérature est définie comme « un usage de mots qui les rend porteurs d’un
message dont la forme et le fond intéressent tous les hommes » ou encore comme ‘’l’usage
esthétique du langage’’ elle n’est pas ainsi seulement restreinte de l’écrit ou de l’imprimé
(le langage écrit), mais elle inclut encore le lange oral.

La littérature orale n’a jamais, pendant des siècles, suscité un quelconque intérêt pour
les chercheurs. Considérée comme marginale par les études littéraires, Il a fallu attendre la

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fin du XIXème siècle pour que des ethnologues comme Paul Sébillot, Saintyves, Van Gennep
procèdent à la collecte des textes oraux éparpillés partout en France et en Europe pour les
étudier. En tant que patrimoine immatériel universel, les textes oraux sont considérés
actuellement avec autant d’intérêt que la littérature savante comme étant un champ
privilégié de manifestations langagières dans un contexte culturel et social. La marginalité
de la littérature orale résulte d’un excès et d’un manque : excès d’étrangeté et d’extranéité
à la fois, mais manque d’auteur (auteur anonyme), de trace matérielle écrite en langue
savante, de stabilité, de pérennité et d’élaboration.

La littérature orale est une littérature qui fleurit par excellence dans les sociétés sans
écriture. Elle émane du peuple et exprime son imaginaire collectif. Mais en Occident
médiéval, l’oralité existe et correspond à un choix ; car l’écriture était cantonnée dans un
rôle technique. La tradition orale est une façon de préserver et de transmettre l'histoire,
la loi et la littérature de génération en génération dans les sociétés humaines (peuples,
ethnies, etc.) qui n'ont pas de système d'écriture ou qui, dans certaines circonstances,
choisissent ou sont contraintes de ne pas l'utiliser.

3. Récits de la littérature orale

La littérature orale est le signe de l'identité propre à une culture ou une


communauté. Elle traduit le fonds culturel de chaque société en véhiculant ses croyances,
ses représentations symboliques, ses modèles culturels ou sa vision du monde naturel. La
littérature orale pose- sous une forme symbolique- des problèmes communs à toutes les
sociétés humaines (explication du monde, relations entre les membres du groupe familial,
etc.)

3.1 Le conte/ la légende/l’épopée/ Le mythe

Principalement de tradition orale, le conte, la légende, l’épopée et le mythe sont des récits
imaginaires qui recourent au merveilleux et au surnaturel.
➢ Le conte : il se présente d’emblée, à la différence de la légende et du mythe, comme un
récit de fiction rejetant ainsi toute vraisemblance (caractère de ce qui semble vrai, juste). Le
conte n’a aucun ancrage dans la réalité, car il fait intervenir les anges, les morts, les dieux et
les esprits. Il fait partie de la littérature orale visant ainsi à distraire ou à édifier, car il porte
en lui une force émotionnelle ou philosophique puissante.

➢ La légende : elle prend ancrage dans la réalité, mais les événements qu’elle raconte de
façon détaillée finissent par prendre la couleur de l’imaginaire (l'imagination). La légende

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est donc un récit à caractère merveilleux, où les faits historiques sont transformés par
l'imagination populaire ou l'invention poétique. Car, au début la légende est une histoire
vraie mais qui a subi des modifications au cours de sa transmission orale d’où le
côtoiement du vrai et le faux

➢ L’épopée : elle raconte l’exploit d’un héros ou d’un peuple et prend souvent la forme
d’un poème ou d’un chant. L’épopée prend ancrage dans la réalité mais le merveilleux y est
aussi présent. Puisant ses sources dans l’Histoire, l’épopée s'en distingue par la relation du
vraisemblable et non des faits réels.

➢ Le mythe : c’est une légende orale qui appartient à un fonds si ancien que l'on ne peut
en fixer l'origine. Il relate des histoires de dieux ou de héros auxquels il attribue des
caractéristiques surhumaines. Le mythe a le plus souvent une fonction de cohésion sociale
en regroupant les croyances d’un peuple sur l’origine du monde. Le mythe est donc
fondateur.

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La Chanson de Roland
( Ex tr ai t de l a mort de Roland)
Auteur : Anonyme

D' un aut eur in co nn u, la cha ns o n d e R ola nd es t u ne c hans on de ges te dat ant


du X I s i èc le . L a c h ans o n de g es t e es t un p o èm e é piq ue qu i ch ant e l es
ex pl oi ts d es h ér os épi qu es o u l ég en dair es . Co mp os é d e 4 0 0 0 v er s , l a
cha ns o n de R ol and r ac ont e , bas ée s ur des f ait s his tor iqu es , le mas s a cr e de
l'ar r ièr e - gar d e d e l ' ar m ée de Char le ma gne ( r oi et e mp er e ur des Fr an cs à
par tir d e 7 6 8 ) au c ol de Roncevaux, le 15 août 778.

V
Car Roland sent que la mort est proche :
Par les oreilles lui sort la cervelle.
Pour ses pairs il prie que Dieu les appelle,
Et pour lui-même implore l'ange Gabriel.
Prenant son olifant dans une main, Et Durandal son épée ;
De plus d'une portée d'arbalète Il s'avance vers l'Espagne.
Au sommet d'un tertre, sous deux beaux arbres
Il y a quatre blocs de marbre luisant ;
C'est là qu'il tombe à la renverse, sur l'herbe verte ;
Il s'est évanoui, la mort est proche.
X

Roland frappe sur une roche bise ;


Il en abat plus que je ne saurais dire ;
L'épée grince, mais ne s'ébrèche ni ne se brise,
Rebondissant en l'air.
Quand le comte voit qu'il ne la brisera pas,
Il la plaint bien tendrement en se parlant à lui-même :
Ah, Durandal, comme tu es bonne et sainte !
Dans ton pommeau d'or sont de nombreuses reliques,
Une dent de saint Pierre, du sang de saint Basile,
Des cheveux de monseigneur saint Denis,
Du vêtement de sainte Marie ;
II n'est pas juste que des païens te possèdent,
C'est de chrétiens que tu dois être honorée.
Que de vastes terres avec toi j'aurais conquises,
Que tient Charles, qui a la barbe fleurie !
L'empereur est puissant et riche.
Ne soit jamais l'épée d'un couard !
Que Dieu ne permette pas à la France telle honte !

Roland sent que la mort l'entreprend,

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Et dans la tête et le cœur lui descend.
Dessous un pin il va courant
Et sur l'herbe verte s'allonge,
Plaçant sous lui épée et olifant,
Et regardant vers la grande Espagne ;
A in si fa it -il p arce qu'il veut que Ch arle magn e
Et tou s se s so ldat s de son armée
Disent que le noble comte est mort en conquérant.
Il bat sa coulpe de tous ses péchés,
Et pour leur rémission, offre à Dieu son gant.

XIII

Le comte Roland est couché sous un pin,


Il s'est tourné vers l'Espagne.
De tant de choses il se souvient :
Des terres conquises pour douce France,
De ceux de son lignage,
De Charlemagne, son seigneur qui l'éleva,
Et des français dont il est si aimé.
Ne peut s'empêcher de pleurer et de soupirer.
Mais il ne veut pas se mettre en oubli ;
II bat sa coulpe, implore de Dieu merci.
« Vrai Dieu, qui jamais ne mentis
Qui a ressuscité saint Lazare d'entre les morts,
Qui a préservé Daniel des lions,
Préserve mon âme de tous les périls
Pour les péchés que j'ai fait en ma vie.»
Il offre son gant droit à Dieu,
Et saint Gabriel le prend de sa main.
La tête inclinée sur son épaule,
Les mains jointes, il expira.
Dieu lui envoya son ange chérubin
Et saint Michel du Péril en mer ;
Saint Gabriel vint aussi,
Pour emporter l'âme du comte en Paradis.

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La chanson de Roland raconte les guerres menées par Charlemagne en Espagne au XIIIème
siècle signé d’un certain Turold dont l’identité n’est pas sûre. La chanson de geste
appartient donc au registre épique qui raconte les exploits d’un héros dans un contexte
guerrier. Elle s’inscrit dans la tradition des épopées antiques comme l’Iliade et l’Odyssée. Le
héros agit pour le bien de la communauté et dans le respect du Dieu et du roi. Les scènes

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d’action suscitent l’admiration du lecteur ou de l’auditeur ; elles suscitent encore le
pathétisme par le principe d’amplification et de l’exagération.
Il s’agit d’une guerre sainte que Roland mène contre les Sarrasins d’où une lutte entre le
bien et le mal. La bravoure et l’orgueil de Roland l’ont mis en péril. L’épée signifie la
bravoure, l’olifant signifie l’aide qu’il n’a pas réclamée à temps dans cette lutte contre les
Sarrasins. Dans la chanson de geste, c’est l’aspect épique qui domine, mais ici il y a la
présence du tragique.

La mort de Roland : pistes d’analyse

➢ Type du texte :

Le type du texte est narratif descriptif. Le narrateur raconte et décrit la mort du héros au
présent de l’indicatif pour rendre l’action vivace et immédiate (vivacité et immédiateté de
l’action).

➢ Champs lexicaux :

Le champ lexical de la mort : s’évanouir, tomber à la renverse, sur l’herbe verte s’allonge,
battre sa coulpe (se confesser avant de mourir), expirer, emporter l’âme, implorer Dieu etc.

Eléments terrestres vs éléments célestes.

• Eléments terrestres= mont aigu, tertre, un pin, l’herbe verte


• Eléments célestes= les anges du ciel, Gabriel, ange Chérubin, Dieu, Chérubin.

C’est l’opposition traditionnelle ciel/terre de la religion chrétienne.

Par trois fois, il bat sa coulpe, se faire pardonner ses péchés avant de mourir.
Le geste de frapper sa main contre sa poitrine est accompagné des paroles de
Roland, qui demande pardon à Dieu pour toutes ses fautes.
Les gestes (se frapper la poitrine et la parole) permettent de dépeindre Roland comme un fe
rvent chrétien, dont la foi est bonne. Ce sont des gestes rituels que tout
chrétien doit faire avant de mourir au Moyen-âge. Il demande pardon et est humble.

Il demande pardon pour tous les péchés de sa vie (v17-v18) (v33-v34)

➢ Les figures de style :

Les figures d’amplification (l’hyperbole) et la répétition par un procédé anaphorique ; figure


d’insistance qui consiste à répéter un mot ou une expression au début d’une proposition, un
vers ou une strophe :

16
Car Roland sent que la mort est proche
Roland sent que la mort l’entreprend

➢ La tonalité du texte :

La tonalité du texte est tragique/pathétique qui déclenche un sentiment d’attendrissement,


de pitié et de compassion face à la mort de Roland.

Car Roland sent que la mort est proche


Par les oreilles lui sort la cervelle

BIBLIOGRAPHIE :

• LAFONT, Robert, La Geste de Roland : L'épopée de la frontière, L'Harmattan, 1991.


• MAURICE, Jean, La Chanson de Roland, Presses universitaires de France, coll. « Études
littéraires », 1992.
• ZINK, Michel , Introduction à la littérature française du Moyen Âge, Hachette
Livre, coll. « Le Livre de poche », 1993.
• DUFOURNET, Jean, La chanson de Roland, Flammarion, 1993.
• PAQUETTE, Jean-Marcel, La Chanson de Roland : Métamorphose du texte, Orléans,
Éditions Paradigme, 2014.

17
Cours 2 :

La littérature chevaleresque
Introduction
1. Le roman de chevalerie
1.1 Devenir chevalier
2. Les valeurs chevaleresques
3. L’amour courtois ou la fin'amor
Conclusion
Bibliographie
***************************

Introduction

Venu après les chansons de geste centrées sur Charlemagne et ses combats contre les
Sarrazins, le roman de chevalerie appartient à la littérature « courtoise », ainsi appelée
parce qu’elle concerne les cours seigneuriales et royales. C’est une littérature qui a connu
son apogée au Moyen Âge, du XIIe au XVe siècle. Comme les chansons de gestes, la
littérature courtoise est constituée en vers, déclamés par les troubadours et destinés aux
élites aristocratiques. Evoquant exclusivement la Bretagne, Chrétien de Troyes (écrivain et
poète français du XII e siècle) écrivait des romans sur les légendes liées au roi Arthur comme
Érec et Énide, Yvain ou le Chevalier au lion, Lancelot ou le Chevalier à la charrette, Perceval
ou le Conte.

S’il a des qualités incontournables pour mériter le nom de chevalier comme des
valeurs guerrières qui doivent être entretenues au moyen d’exploits retentissants, et par le
salut de son âme, que doit assurer une certaine forme d’ascèse, le héros du roman de
Chevalerie est préoccupé également par l’amour.

1. Le roman de chevalerie

Au Moyen-âge, période intermédiaire entre l’Antiquité et la Renaissance (du Ve au XV


e siècle) la société est organisée selon le système féodal en trois ordres ou classes :
Premièrement, il y a le clergé qui est constitué de toutes les personnes qui prient (oratores).
Il est divisé en clergé séculier qui vit parmi les laïcs (qui ne font pas partie du clergé) et
le clergé régulier (qui suit des règles) : ce sont les moines qui vivent dans des monastères. En

18
deuxième rang, il y a la noblesse qui est constituée de l'ordre de ceux qui font la guerre
(bellatores). Les guerriers constituent ce que l’on appelle la noblesse d'arme. Enfin, il y a le
tiers-état constitué de l'ordre de ceux qui travaillent (labradores).

Au XIIème siècle nait le roman, une forme de littérature narrative écrite en vers et
destinée à être lue à haute voix devant un public composé de seigneurs. Contrairement aux
chansons de geste qui s’appuient sur des événements historiques, le roman conte des
aventures fictives. On appelle roman de chevalerie ou romans courtois les romans qui
racontent les exploits guerriers et les amours des chevaliers : le chevalier combat pour
acquérir sa dame (Lancelot et Guenièvre, Yvain et Laudine etc.)

1.1 Devenir Chevalier

Les seigneurs se préparent très jeunes au métier des armes. Ils sont tout d’abord
pages, c’est-à-dire qu’ils aident le suzerain à s’habiller et font de légères tâches pour lui
(messages, courses, etc.). Ils sont ensuite valets, puis, écuyers – ils s’occupent alors des
chevaux, entretiennent les armes, portent les bagages, etc. Vers l’âge de quinze ans, ils sont
enfin admis au combat. C’est par la cérémonie de l’adoubement que l’écuyer devient
chevalier. Le rituel, assez complexe, commence la veille de la cérémonie : le futur chevalier
doit prendre un bain, jeûner et passer la nuit en prières. Après la messe et la communion du
matin, on remet au jeune homme ses armes défensives et offensives. On le frappe ensuite
violemment, soit de la main, soit du plat d’une épée : c’est la colée, qui vise à éprouver le
jeune chevalier et à montrer sa force. Il est ensuite invité à prouver son habileté et sa
puissance au jeu de la quintaine (jeu d’entrainement médiéval à percuter avec
sa lance tendue bouclier d'un mannequin). Enfin, le nouveau chevalier doit prêter serment
sur la Bible, promettre fidélité à son seigneur et protection aux pauvres, à la suite de quoi on
le fête en donnant un grand banquet en son honneur.

2. Les valeurs chevaleresques

Le chevalier doit posséder diverses qualités. C’est un code moral, très strict qui lui sert de
valeurs de référence. Parmi ces qualités, il y a :

➢ La prouesse : le chevalier doit être preux, c’est-à-dire vaillant. Par le mot


« prouesse », on désignait l’ensemble des qualités morales et physiques qui font la
vaillance d’un guerrier.

➢ La force physique : Le chevalier doit être fort physiquement et psychologiquement. Il


doit être fort, agile, rapide et courageux. Il doit être surtout intrépide pour ne plus
reculer devant le danger. Il ne craint pas pour sa vie, puisqu’il la voue à protéger les
faibles.

19
➢ La loyauté : Le premier devoir du chevalier est de tenir parole comme le dicte
l’honneur. Il ne doit jamais rompre la foi qu’il a jurée, c’en est fait de sa réputation. Il
faut savoir que la chevalerie est une fraternité dont tous les membres s’entraident.
D’ailleurs, il est important que les chevaliers puissent se faire confiance, puisqu’ils
vont combattre ensemble : ils doivent être assurés que leurs camarades ne les
laisseront pas tomber.

➢ La largesse : Etre généreux est qualité du chevalier modèle. Il s’agit du mépris du


profit, voire de la prodigalité. Un chevalier ne devait pas s’attacher aux richesses,
mais les distribuer autour de lui dans la joie. Le chevalier se rend au service des
communautés. Il tue les dragons, arrête les voleurs, défend la veuve et l’orphelin. Il
est indispensable à la société.

➢ La mesure : un chevalier modèle est celui qui sa it réprimer les excès de sa colère,
de son envie, de sa haine, de sa cupidité. Il est capable de rester maître de lui-même
dans le feu de l’action. Point de vengeance ni de vindicte.

➢ La beauté : Un chevalier doit être non seulement fort et courageux mais beau
également. Dans le monde courtois, la laideur est une tare, une faiblesse. Les
chevaliers doivent aussi avoir du charme et de l’esprit, être polis et bien élevés, être
courtois. Chrétien de Troyes insiste sur la présence des femmes dans ses œuvres, car
celles-ci domestiquent les chevaliers dans un monde d’hommes.

• La courtoisie : Le chevalier est un courtois, un galant envers les dames mais tout en
observant les règles morales selon une éthique de l’honneur. En fait, ce qu’un
chevalier doit redouter, c’est la honte, plus encore que la mort.

• La foi en Dieu : Dans une société purement chrétienne, le chevalier est un pieu. Sa foi
en Dieu est inaltérable, car avant de devenir chevalier il doit prêter serment sur la
Bible (voir la piété de Roland quand il était mourant).

3. L’amour courtois ou la fin’amor

On appelle roman courtois ce récit écrit en langue romane, d'abord en vers


octosyllabiques ensuite en prose pendant une période qui s’étend du XI e siècle jusqu’au
XVII e siècle. (Cervantès a publié son chef-d'œuvre Don Quichotte de la Manche en 1605 qui
parodie les romans de chevalerie par la création d’un personnage mythique Don
Quichotte. Dans les romans courtois, tous les exploits du chevalier ont pour but de plaire à
son amante : il est toujours partagé entre l'aventure et l'amour. Le merveilleux chrétien et le
surnaturel occupent une grande place dans le récit courtois.

20
Pendant la deuxième moitié du XIIe siècle, les auteurs de romans courtois les plus
renommés sont : Béroul et Thomas d'Angleterre, les auteurs de Tristan et Iseult, Chrétien de
Troyes, l'auteur de Lancelot ou le chevalier à la charrette ou encore Yvain ou le chevalier au
lion.

L’amour courtois est une expression forgée par le médiéviste français Gaston Paris
(1839-1903) d’après l'expression «la fin'amor », expression médiévale occitane. L'amour
courtois est une relation entre l'homme et la femme de bonne société, au Moyen-âge. C'est
un amour réservé exclusivement aux nobles datant de l'époque médiévale, où un coup de
foudre se produit entre deux personnes de haut rang. L’homme finit par séduire une femme
de qualité pour pouvoir vivre l’un pour l’autre. Mais leur amour doit rester secret sous peine
de très lourdes conséquences et cet amour perdura tout au long de leur vie. L’amour
courtois vient de corteisie (cortezia), qui désigne les aspects intérieurs, modestie et contrôle
de soi, équilibre entre le sentiment et la raison, volonté de conformation aux idéaux
reconnus d'un milieu.

L'amour courtois trouve son origine dans la littérature arabo-andalouse, notamment


chez le poète arabe du IX siècle Ibn Dawoud, et surtout chez Ibn Hazm. Le professeur
chercheur algérien, Mohammed Abbassa, dit que la poésie troubadouresque dans laquelle le
poète idéalise la dame et la respecte, ne reflète aucunement les traditions de la société
européenne à l'époque, mais c’est une poésie qui est tout à fait étrangère aux Européens.
Elle se ressemble profondément à la poésie andalouse, et surtout les Muwashshahat et les
Azdjal. C’est un art de vivre et une élégance morale arabo-musulmane.

Dans cet amour idéalisé, on confère à la femme une certaine vénération par sa
beauté. L'homme essaie de la conquérir en prouvant sa bravoure et son courage lors de
combats (tournois) ou alors en effectuant des exploits mais aussi par des vers, des poésies
qui vont impressionner et charmer la dame en question qui pourtant semble toujours
inaccessible.

*********************************

Poèmes d’amour courtois

Par sa joie ma Dame peut guérir,


par sa colère elle peut tuer.
Par elle le plus sage peut sombrer dans la folie,
le plus beau perdre sa beauté,
le plus courtois devenir un rustre,
et le plus rustre devenir courtois.

Puisqu'on ne peut en trouver de plus noble,

21
ni en voir de plus belle, ni même en entendre parler,
je la veux pour moi seul,
pour que mon coeur y trouve fraîcheur,
ma chair nouveauté,
sans plus jamais vieillir.

Si ma dame veut bien son amour donner,


Je suis prêt à le prendre et à rendre grâce,
et à le cacher et à le clamer,
et pour son plaisir, dire et faire,
et ce qui a tant de prix le chérir,
et pour sa louange m'élancer !
Guillaume de Poitiers, duc d'Aquitaine (1100-1124)

*******************
Tout ce qu'il désire,
l'amant doit le demander avec délicatesse
et la dame lui accordera.
Mais elle doit bien choisir son moment.
L'amant doit la prier et se mettre à disposition.
Qu'elle soit son amante ou sa dame de sagesse
la dame doit à l'ami, faire honneur
comme à un compagnon et non comme à un seigneur.

Maria de Ventadorn,( femme troubadour) (1180-1205)


,
Texte :
Lancelot ou le chevalier de la charrette

Ce texte est tiré du roman Lancelot ou le Chevalier à la charrette, écrit en langue romane par
Chrétien de Troyes, poète et auteur de romans de chevalerie au XII e siècle. À la cour du roi Arthur,
souverain du Royaume de Logres, et pendant le festin de l'Ascension, un prince étranger du nom de
Méléagant vient troubler la fête : il lance un défi au roi, affronte en duel son sénéchal et, pour prix de
sa victoire, enlève la reine Guenièvre, femme du roi. Mû par l’honneur et l’amour, Lancelot, le preux
chevalier, entreprend alors de délivrer l'épouse de son suzerain. Mais pour réussir dans cette quête, il
doit accomplir des prouesses et réaliser des sacrifices qui sont autant d'épreuves dans son parcours
initiatique. C’est de l'univers chevaleresque qu’il s’agit où le merveilleux trouve place.
***************************

Ce soir-là, Lancelot se mit au lit plus tôt que de coutume, disant qu’il était souffrant, et les heures lui
parurent longues comme des années ; vous tous, qui en avez fait autant, vous pouvez bien
comprendre cela ! Enfin, quand il vit que dans la maison il n’y avait plus une chandelle, une lampe ni
une lanterne qui ne fût éteinte, il se leva et franchit le mur du verger qui était vieil et décrépit. Au
ciel, ni lune ni étoile : il ne s’en chagrina point.

22
La reine l’attendait à la fenêtre ; elle n’avait point de cotte ni de bliaut, mais seulement un
manteau d’écarlate sur sa blanche chemise. Et tous deux, allongeant le bras de leur mieux, se prirent
par la main.
— Dame, si je pouvais entrer !
— Entrer, beau doux ami ? Mais ne savez-vous pas que le sénéchal couche ici même ? Et ne
voyez-vous pas que ces barreaux sont roides et forts ? Jamais vous ne pourriez les écarter.
— Dame, rien, hors vous, ne me saurait retenir.
Et déjà Lancelot, que jamais nul fer n’arrêta, tirait sur les barreaux tranchants si rudement qu’il les
déchaussa ; pourtant, ce ne fut pas sans se blesser aux doigts.
— Eh bien, dit la reine, attendez que je sois couchée et ne faites aucun bruit à cause de Keu.

Il n’y avait ni chandelle ni cierge, pour ce que le sénéchal se plaignait de la clarté, disant qu’elle
l’empêchait de dormir. Lancelot traversa la chambre tout doucement, entra dans la pièce voisine et,
quand il fut devant le lit de la reine, il la salua profondément. Elle lui rendit son salut, puis elle lui
tendit les bras et l’attira auprès d’elle. Il avait les mains humides de sang et certes elle le sentit bien,
mais elle crut que c’était la sueur causée par la verdeur de son âge. Et grande fut la joie qu’ils
s’entrefirent, car ils avaient beaucoup souffert l’un par l’autre ; quand ils s’embrassèrent, il leur en
vint un tel plaisir que jamais le pareil ne fut éprouvé par personne. Mais on ne saurait dire en un
conte quels déduits Lancelot eut toute cette nuit ! Aussi, lorsque le jour parut et qu’il lui fallut quitter
celle qu’il aimait autant qu’un cœur mortel peut aimer, ce fut un grand martyre pour lui : son corps
partait, son âme demeura. Il s’agenouilla devant sa dame pour prendre congé, tandis qu’elle le
recommandait à Dieu tendrement. Puis il s’en fut, après avoir remis soigneusement les barreaux en
place ; et la reine s’endormit en pensant à lui.
Au matin, elle sommeillait encore dans sa chambre encourtinée, lorsque Méléagant vint lui
rendre visite, comme il avait coutume. D’abord qu’il entra, il aperçut les traces de sang frais sur les
draps. Il alla au lit de Keu dans la pièce voisine et le vit pareillement taché : car les blessures du
sénéchal s’étaient rouvertes durant la nuit.
— Dame, voici du nouveau ! s’écria-t-il. Mon père vous a très bien gardée de moi, mais très mal
de Keu le sénéchal. Et c’est grande déloyauté à vous que d’avoir honni l’un des plus prud’hommes du
monde pour en choisir le plus mauvais !
À ces mots, Keu, pour souffrant qu’il fut, ne put se tenir de crier qu’il était prêt à se défendre
d’une telle injure ou par épreuves ou par bataille. Mais Méléagant, sans lui répondre, envoya quérir
son père. Et lorsque le roi Baudemagu eut vu les draps sanglants :
— Dame, dit-il, vous avez mal agi !
— Sire, répondit la reine, je ne mets pas mon corps au marché ! Bien souvent, la nuit, le nez me
saigne. Que Dieu ne me pardonne jamais, si c’est Keu qui porta ce sang dans mon lit ! Voyez, fit-elle à
Lancelot qui était venu avec le roi, pour quelle femme on me tient et de quoi l’on m’accuse !
— Dame, dit celui-ci, il n’y a au monde chevalier contre qui je ne vous en défende.
— Si vous l’osez nier, je suis tout prêt à le prouver contre vous ! s’écria Méléagant.
— Comment ? Êtes-vous donc déjà guéri des plaies que je vous fis hier ?
— Je n’ai plaie, dit Méléagant, qui puisse m’empêcher de soutenir le droit.
— Dieu m’aide ! dit Lancelot, puisqu’il vous en faut encore, allez-vous faire armer !
Bientôt les deux chevaliers se trouvèrent sur la place, et le roi avec eux.

23
— Sire, dit Lancelot, une bataille pour une si haute chose ne saurait être faite sans serment.
Le roi fit apporter les meilleures reliques qu’on put trouver, et tous deux se mirent à genoux.
— Par Dieu et par tous les saints, dit Méléagant, c’est le sang de Keu le sénéchal que je vis au lit
de la reine !
— Par Dieu et par tous les saints, dit Lancelot, vous en êtes parjure !
Alors ils enfourchèrent leurs destriers et laissèrent courre : leurs lances se brisèrent, et ils se
heurtèrent de leurs chevaux, de leurs écus, de leurs corps, si rudement qu’ils touchèrent de l’échine
l’arçon d’arrière ; mais Méléagant vola par-dessus la croupe de son destrier. Aussitôt Lancelot saute à
terre, dégaine, jette l’écu sur sa tête et court à celui qu’il hait à mort. Méléagant se défend en bon
chevalier, car il était preux, s’il était traître et félon ; mais sa blessure s’était remise à saigner et
Lancelot le pressait plus vivement qu’il n’avait fait la première fois.
Quand le roi vit qu’à nouveau la bataille tournait mal pour son fils, il ne put le souffrir : il fit
encore implorer la reine au nom de Dieu et des services qu’il lui avait rendus.
— Sire, dit-elle, allez les départir.
Et le roi s’empressa demander à Lancelot que la reine voulait qu’il laissât maintenant la bataille.
— Dame, le voulez-vous ? cria Lancelot.
— Oui, fit-elle.
— Et vous ? demanda Lancelot à Méléagant.
— Oui, car je vous retrouverai quand il me plaira.

Lancelot mit à regret son épée au fourreau, disant à son adversaire qu’il sût bien que c’était par
force. Puis il passa la journée avec sa dame, et le lendemain il repartit, comme il devait, vers le pont
Sous l’Eau, en quête de monseigneur Gauvain, accompagné de quarante chevaliers.

Le Chevalier à la charrette, Jacques Boulenger,


1922. (adaptation)
Questions :
• Etudier le genre et le type du texte.
• Etudier les thématiques traitées par le texte.
• Etudier les champs lexicaux et les rapports qu’ils entretiennent entre eux.
• Etudier les temps verbaux du texte.

BIBLIOGRAPHIE

• ABBASSA, Mohammed, Les Sources de l'amour courtois des troubadours, Annales du


patrimoine, 08/2008.
• DUBY, Georges, La Chevalerie, Paris, Perrin, 1993.
• Le Moyen Âge. Adolescence de la chrétienté occidentale 980-1140, Genève, Skira, 1995
[1967],
• FLORI, Jean La Chevalerie, Luçon, Éditions Jean-Paul Gisserot, 1998.
• MARKALE, Jean, Lancelot et la chevalerie arthurienne, Paris, Imago, 1985.
• Dictionnaire du Moyen Âge, histoire et société, Paris, Encyclopædia universalis et Albin
Michel, 1997.

24
Cours 3 :
Le fabliau

Introduction
1. L e fabliau : définition
2. Naissance du fabliau
3. Fonctions du fabliau
4. Thématique du fabliau
Conclusion
Bibliographie

**********************

Introduction

Durant le Moyen Âge tardif (XIVe – XVe siècle), un genre spécifique de la littérature française
médiévale voit sa naissance dans les provinces du nord – (Picardie, Artois et Flandre) : il
s’appelle le fabliau, petit récit simple mais amusant. Le spécialiste de la littérature
médiévale Joseph Bédier (1864-1938) dit qu’une partie des sujets des fabliaux appartient au
patrimoine de tous les pays, de tous les peuples et de toutes les époques (Inde, Grèce…),
mais la plus grande quantité de ces fabliaux est née en France et s’adresse au public
bourgeois comme à celui du peuple. Si dans la littérature courtoise la femme était le sujet du
culte (voir la poésie de la fin’amor), dans les fabliaux elle est présentée comme la femme
infidèle, frivole et fausse. C’est dire que pour amuser le public, les fabliaux brisent bien des
tabous.

1. Le fabliau : définition

Le fabliau (du picard fabliau, lui-même issu du latin fabula) signifie littéralement « petit
récit » ; c’est le nom qu’on donne dans la littérature française du Moyen Âge à de petites
histoires en vers simples et amusantes, et qui ne se proposent guère que pour distraire ou
faire rire les auditeurs et les lecteurs ainsi que de donner des leçons de morale.

Le genre de fabliau est caractérisé par un nombre réduit de personnages


(généralement de deux à trois, rarement cinq) qui apparaissent en scène dans une action
réduite à une seule « aventure » qui progresse de manière linéaire dans un espace réduit et
dans un temps resserré. Les fabliaux tournent majoritairement autour de la description de la

25
vie quotidienne des hommes du Moyen Âge. Tous les personnages représentent un statut
social : le bourgeois, le vilain, la femme, le prêtre, le riche commerçant...

Selon Joseph Bédier, le plus ancien fabliau qui nous connaissons est celui de Richeut, poème
narratif qui date de 1159. C’est l’histoire d’une prostituée qui utilise les hommes de toutes
les classes (noble, bourgeois, ecclésiastique) à son avantage tout en faisant croire à chacun
qu’il est le père de son fils que son fils Samson. Les trois hommes lui prodiguent des
cadeaux, elle et son fils, au point de se ruiner eux-mêmes (voir Le Fabliau de Richeut, 1891).
Les plus récents fabliaux sont de Jean de Condé qui meurt vers 1340.

Le fabliau respecte le schéma narratif : c’est un récit court qui fait intervenir un
nombre restreint de personnages ; ce ne sont jamais des héros, mais des types définis
surtout par leur caractère ; ce sont toujours les faibles qui gagnent. L’action a lieu en un
temps limité mais incertain (”jadis”, “un jour”) et dans un espace restreint (souvent,
la campagne).

Le genre entre en décadence dès le début du XIVe siècle. Le mot fabliau est remplacé
par l’expression de dit. Le dit est genre littéraire du Moyen Âge qui intervient dans le titre de
nombreux poèmes, surtout s’il s’agit d’une sorte de parabole ou d’allégorie : Dit de la lampe,
Dit de l’unicorne et du serpent, Dit de la panthère d’amour, Dit du verger, Dit du lion, Dit de
la fontaine amoureuse. (Encyclopaedia universalis). Ces textes très proches des fabliaux
présentent d’une façon allégorique un sujet familier ou une actualité. Sémantiquement le
terme « dit » s’oppose parfois au mot « chant ». Il s’agit donc d’une poésie lue ou récitée,
mais non chantée.

2. Naissance du fabliau

La naissance du fabliau est due à cette période appelée l’âge de jongleurs qui se situe
au Moyen-âge entre le XIIe au XIIIe siècle. Il s’agit de la période de la production
divertissante des artistes généraux : chanteurs, conteurs, saltimbanques, musiciens,
acrobates, mimes, danseurs, etc. Ils accompagnaient des troubadours (poètes utilisant la
langue d’oc – le dialecte du sud de la France) et plus tard aussi des trouvères (poètes
utilisant la langue d’oïl – le dialecte du nord de la France) à l’instrument et chantaient les
chansons de gestes, les œuvres poétiques ou récitaient des textes narratifs sur les places
publiques (rues, marchés, foires), dans les palais ou dans les cours féodaux.

Le genre de fabliau apparaît pendant que la poésie du Moyen Âge cesse d’être
strictement épique et sacrée. Il vit près de deux siècles, aussi longtemps et de la même vie
que d’autres genres narratifs ou lyriques, répandus par les jongleurs.

3. Fonctions du fabliau

26
Les fabliaux sont des caricatures plaisantes conçues spécifiquement pour rire. Le
narrateur qui est un troubadour (ou trouvère) intervient dans le récit, dans les formules
d’introduction et de conclusion. Le fabliau sert à la fois à faire rire par une ruse,
un quiproquo), mais aussi faire la critique de la société. Il comporte d’ailleurs une morale.

Les fabliaux ont peint les mœurs de la vie réelle jusqu’à leur disparition suite à la
naissance d’un autre genre littéraire à partir du XV e siècle : la farce. L’esprit de ces deux
genres pourrait même être semblable. Le fabliau raconte vivement, dans un rythme court,
une aventure plaisante. La farce met en dialogue ce que le fabliau avait raconté. Il semble
alors que l’un des genres succède à l’autre et qu’il s’agit simplement d’une transformation
du premier. Les sujets du fabliau et ceux de la farce devraient être presque identiques, car
les personnages de la farce sont de petites gens : des marchands, des paysans, des valets,
etc. Il s’agit rarement des nobles. L’histoire de la farce ainsi que du fabliau est souvent
simple et rattachée à la vie quotidienne. La farce fait aussi comme le fabliau la satire de
l’actualité et s’en prend aux puissants. L’essentiel de ces deux genres médiévaux est de rire,
la distraction et le comique.

4. Thématique du fabliau

Au Moyen-âge, la diffusion des textes se faisait principalement grâce à l’oral. Les


textes étaient écrits, le plus souvent anonymement, en ancien français, et des conteurs les
récitaient devant la Cour, accompagnés d’un instrument de musique. Ils allaient de châteaux
en châteaux pour raconter leurs histoires, c’est pourquoi on dit qu’ils sont des
artistes itinérants.

Dans son livre « Fabliaux du Moyen Âge », le médiéviste français Alexandre Micha
(1905-2007) décrit le principe des fabliaux de la manière suivante :

Dans ces petites histoires, on raconte le plus souvent une bonne ruse, une
simple débrouillardise ou tout un plan savamment conçu. Ceux dont on se
moque ont mérité d’être trompés, par leur vice, leur lâcheté ou leur naïveté.
Parfois aussi on se moque du trompeur, du voleur volé, du piégeur piégé, du
mari jaloux trompé.

Toutes ces œuvres de la littérature trouvent leur origine dans le divertissement


carnavalesque. Les fêtes de Carnaval accompagnent la période de l’hiver au printemps et
célèbrent le réveil de la nature, la vie, la fantaisie et l’imagination. Le Carnaval représente un
héritage des traditions religieuses de la plus haute Antiquité. Au début du Moyen Âge, il
s’installe avec d’autres fêtes chrétiennes et signifie un certain refus de la vie quotidienne.
Pendant quelques jours, il est possible de se libérer des règles et des coutumes du quotidien.
Grâce aux masques ou aux déguisements, les esclaves deviennent les maîtres et au
contraire, les hommes se déguisent en femmes, etc. En bref, chacun peut changer pour un
instant le mode de vie, oublier la pauvreté, la douleur, les soucis. Tous sont égaux au cours
de ces fêtes pleines de la satire et de l’humour.

27
Parmi les divertissements populaires au Moyen Âge, le théâtre forain sert d’’occasion
de réjouissances mais aussi pour l’encouragement du commerce. Les foires les plus connues
pendant le développement des grandes foires médiévales sont celles de la Champagne ou
également la foire parisienne du Lendit. Les spectacles, parodiques ou bouffons,
apparaissant pendant les fêtes foraines se produisent de foire en foire et également sur les
marchés régionaux les plus modestes. Ce sont des représentations divertissantes
rudimentaires pour des gens qui ne savaient pas lire ni écrire.

Le fabliau brise les tabous en parlant de la nudité de la femme considérée à l’époque


comme un interdit. Être vu nu par d’autres que de très proches appartenant au cercle
restreint de la maisonnée (conjoint, serviteurs ou servante) est, pour l’homme comme pour
la femme, source d’une honte irrémédiable, insupportable. Les fabliaux qui se moquent
volontiers tournent en dérision la pudeur. Un fabliau raconte par exemple l’histoire d’un
chevalier qui a tout perdu voyage avec son écuyer, tous deux inquiets sur leur avenir. Ils
passent près d’une fontaine où se baignent trois dames qui ont laissé leurs vêtements sous
un arbre. L’écuyer bondit et s’empare des robes qui valent bien 100 livres et vont les tirer
d’embarras.

BIBLIOGRAPHIE

• BEDIER, Joseph, Les Fabliaux, études de littérature populaire et d’histoire littéraire du


Moyen Âge, 1893.
• MICHA, Alexandre, Fabliaux du Moyen Age, Flammarion, 1998.
• TREFORT, Cécile (sous la direction de), Le nu et le vêtu dans les fabliaux, (XIIe-XIIIe siècles),
Senefiance, 2001.

************************************
Texte

Du Convoiteux et de l’Envieux

Les fabliaux sont de courts récits populaires du Moyen Âge, parfois en vers, le plus souvent
satiriques. Ils commencent généralement par une phrase d'introduction du narrateur et se
terminent par une morale. Même s'ils comportent une visée morale, celle-ci n'est souvent qu'un
prétexte, car ils comportent très souvent une satire sociale, qui concerne de façon récurrente les
mêmes catégories sociales : les moines, les vilains (paysans), les femmes.

*************************

Messieurs, je vous ai jusqu’ici assez conté de mensonges. Je vais enfin vous dire une aventure vraie,
car le conteur qui ne sait que des fables ne mérite point de paraître à la cour des grands. S’il entend

28
son métier, il doit entremêler habilement ses historiettes, et entre deux vertes avoir soin d’en faire
passer une mûre. Telle est la mienne que je vous garantis vraie.
Il y a un peu plus de cent ans que vivaient deux compagnons, gens assez pervers. L’un était un
convoiteux dont rien ne pouvait rassasier les désirs, et l’autre un envieux que désespérait le bien
d’autrui. C’est un homme bien haïssable que l’envieux, puisqu’il déteste tout le monde ; mais l’autre
est encore pire, je crois, car c’est la convoitise et la rage d’avoir qui fait prêter à usure, qui pousse à
inventer des mesures fausses, et qui rend injuste et fripon.
Nos deux gens donc, un jour d’été qu’ils faisaient route ensemble, rencontrèrent dans une
plaine saint Martin. Le saint, au premier coup d’œil, connut leurs inclinations vicieuses et la
perversité de leur cœur. Néanmoins il marcha quelque temps de compagnie sans se faire connaître.
Mais, arrivé à un endroit où le chemin se partageait en deux, il leur annonça qu’il allait les quitter ;
puis, se nommant à eux, il ajouta pour les éprouver : « Je veux que vous puissiez vous féliciter de
m’avoir rencontré. Que l’un de vous me demande un don, je promets de le lui accorder à l’instant ;
mais ce sera à condition que celui qui n’aura rien demandé obtiendra le double. »
Le convoiteux, malgré toute l’envie qu’il avait de faire un souhait magnifique, se promit bien
cependant de se taire, afin d’avoir encore deux fois davantage. Il excitait son camarade à parler.
« Allons, bel ami, demandez hardiment, puisque vous êtes sûr d’obtenir : il ne tient qu’à vous d’être
riche pour la vie ; voyons si vous saurez souhaiter. » L’autre, qui serait mort de douleur si celui-ci eût
eu quelque chose de plus que lui, n’avait garde vraiment de déférer à cette instance. Tous deux
restèrent ainsi longtemps sans vouloir se décider. Mais le premier, que dévorait la soif d’avoir, ayant
menacé son compagnon de le battre s’il ne parlait pas : « Eh bien ! oui, je vais demander, répondit
l’envieux en colère, et loin d’y gagner, tu t’en repentiras. »
Alors il demanda au bienheureux de perdre un œil, afin que son camarade perdît les deux. Sa
prière fut exaucée à l’instant même, et tout le parti qu’ils tirèrent de la bonne volonté du saint, ce fut
d’être l’un borgne et l’autre aveugle.
C’est une justice que le mal qui arrive aux méchants ; et si quelqu’un était tenté de plaindre
ceux-ci, je prie saint Martin de leur en envoyer autant.

Fabliaux et Contes du Moyen Âge, Heath, 1913 (pp. 55-56).


Traduction par Louis Tarsot .

Pistes d’analyse :

• Les questions formelles (temps, espace), discours/récit,


• Schéma actantiel,
• Caractéristiques des personnages,
• La langue et des mots-clés caractéristiques pour les « catégories » particulières des
fabliaux.

Les valeurs du présent

29
• Le présent de l’action : dans un récit au passé, on peut utiliser le présent pour mettre en
valeur l’action et rendre le texte plus vivant : c’est le présent de narration.
• Le présent utilisé par le conteur, qui ne correspond pas au même présent que celui de
l’histoire : quand le récit est au passé, le narrateur peut faire des commentaires grâce
au présent d’énonciation.

• Le présent employé dans les dialogues : il évoque un fait qui a lieu en même temps que la
parole, c’est le présent d’actualité (être en train de…)

• Le présent de la morale, qui donne à celle-ci une valeur intemporelle : le présent de vérité
générale est employé pour une définition, un proverbe, une vérité vraie en tout temps.
« Mieux vaut tard que jamais ».

Les étapes du récit :

➢ La situation initiale est celle du début de l’histoire. C’est une sorte d’introduction qui
présente le héros, les personnages du récit, le lieu du récit…
➢ L’élément perturbateur est le fait qui bouleverse la situation de départ. C’est cet événement
qui déclenche l’histoire.
➢ Les péripéties sont les différentes actions de l’histoire
➢ Le dénouement : un événement nouveau va survenir, qui va permettre au récit de se
terminer.
➢ La situation finale est une conclusion au récit. Il y a soit rétablissement de la situation de
départ, soit nouvelle situation.

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Cours 4
Cendrillon ou La Petite Pantoufle de Verre
Un conte populaire

Introduction

1. Le conte : définition
2. Caractéristiques du conte
3. Typologie des contes
4. Cendrillon : résumé et signification du nom
5. Le schéma narratif de Cendrillon

*********************************
Introduction :

Le conte est un genre essentiellement oral, mais il apparait en littérature au moment


où il disparaît du folklore à la fin du XVIIe siècle. Faisant partie du patrimoine oral, il se
trouve dans toutes les cultures et civilisations. Le même conte peut se trouver dans toutes
les civilisations depuis des millénaires, mais avec des versions multiples comme c’est le cas
de Cendrillon. Cendrillon est un conte populaire éponyme, c’est-à-dire qui prend le nom du
personnage central appelé Cendrillon En Occident comme en Orient, le conte n’est pas le
même mais il obéit presque au même schéma, c’est la « trame récurrente »
vraisemblablement liée au genre humain, aux questionnements qui l'interpellent depuis
toujours.

1. Le conte : définition

Le conte est un récit merveilleux qui renvoie à un univers féérique où le lecteur ne se


pose pas la question sur la réalité des faits : c’est un récit enchanteur de ce qui n’existe pas.
Mariel Morize-Nicolas dit :

"Pénétrer dans l'univers du conte, c'est entrer dans un monde codifié : le lecteur
accepte le merveilleux et ne s'étonne pas de croiser des fées et sorcières, de
rencontrer un chat botté capable, d'un seul pas, de franchir sept lieues,
d'accompagner une petite sirène à la surface des eaux...la magie y est une pratique
courante !"

En France, l'académicien Charles Perrault (1613-1688) est le premier à avoir donné au


conte ses lettres de noblesse, avec ses Histoires ou Contes du temps passé, ou Contes de ma

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Mère L'Oye, bref recueil de huit contes pris dans "la matière de France" : La Belle au bois
dormant, Riquet à la houppe, La Barbe bleue, Cendrillon, Le Petit chaperon rouge, Le Chat
Botté, Les Fées, Le Petit Poucet. Destinés à instruire les enfants, les contes de Perrault
s’adressent en réalité aux adultes.

Au XIX e siècle, le conteur danois Hans Christian Andersen (1805 -1875) qui a écrit environ
cent-cinquante contes entre (1835-1873) est devenu célèbre à l’échelle européenne par ses
nouvelles et ses « contes de fées ».

Parmi les multiples versions du conte que l'histoire littéraire a retenues il y en a une
retranscrite au IIIe siècle par l’orateur et historien romain Claude Élien (175-235 ap. J.C).
L'auteur raconte l'histoire de Rhodope, une jeune Grecque embarquée en Égypte comme
esclave. Un jour, un aigle lui vola une de ses pantoufles alors qu'elle était au bain. L'oiseau
laissa tomber la pantoufle aux pieds du pharaon Psammétique ; celui-ci, frappé de stupeur
par la délicatesse de la pantoufle, promit d'épouser la femme à qui elle appartenait.

2. Caractéristiques du conte

D’origine orale, les contes traversent les âges et sont transmis des parents aux enfants.
Souvent porteurs d’une morale, ils nous enseignent des leçons de vie et présentent les
mêmes caractéristiques :

• ils viennent du folklore ou s'en donnent l'apparence ;


• ils utilisent de nombreuses marques d'oralité ;
• le merveilleux en est souvent un ingrédient obligé ;
• ils possèdent des personnages stéréotypés ;
• leurs repères spatio-temporels sont extrêmement flous ;
• Ils traduisent l’imaginaire collectif ;
• tout récit est basé sur un schéma narratif : situation initiale, élément perturbateur,
péripéties, élément de résolution, situation finale.

3. Typologie des contes


Sous ses diverses formes, le conte renferme les normes et les valeurs d’une société. Parmi
ses fonctions, le conte est fait :
* pour rire (facétieux)
* pour réfléchir (sagesse)
* pour avoir peur (fantastique)
* pour explorer ses images intérieures (merveilleux)

32
NB :

Le conte philosophique :

Le conte philosophique n’a rien à voir avec le conte populaire. C’est un genre
littéraire qui nait au XVIIIe siècle en réponse à la censure à l’encontre des
philosophes. Il s’agit d’un court récit allégorique et argumentatif dont on
tire une morale ; on l’appelle philosophique parce qu’il fait l’approche de la
condition humaine ou de la société par un moyen détourné. Pour éviter la
subversion, il recourt au monde imaginaire et aux personnages fictifs. C’est
donc une histoire fictive qui critique la société et le pouvoir en place pour
transmettre des idées et des concepts à portée philosophique : mœurs de
la noblesse, régimes politiques, fanatisme religieux ou encore certains
courants philosophiques. S’Il reprend la construction du conte populaire et
utilise certaines de ses formulations comme "il était une fois", c’est
justement dans le but de se soustraire à la censure. L’auteur à qui l’on doit
l’émergence du genre est incontestablement Voltaire (1694-1778) qui a
écrit entre autres Candide , Micromégas et Zadig.

• Cendrillon : résumé et signification du nom

Cendrillon est l’histoire d’une jeune fille qui se voit livrée à sa belle-mère et ses deux filles
après la mort de sa mère. Elle est le souffre-douleur de ses deux belles-sœurs, Javotte et
Anastasie. C’est une mauvaise famille qui la charge quotidiennement de nettoyer la maison
toute la journée pour dormir tard le soir près des cendres. D’où son nom Cendrillon. Son
père qui est un noble ne se rend compte guère d’une aussi maltraitance. Lors d’un bal
organisé par le fils du roi, Cendrillon parvient à y aller grâce à sa marraine, la fée qui la
transforme avec une jolie robe et des pantoufles en vair (c’est une sorte de fourrure). Parmi
les conditions de la fée, c’est que Cendrillon doit rentrer avant minuit pour ne pas retrouver
sa situation misérable de pauvre. Elle s’exécute à point nommé quand elle était en train de
danser avec le prince, en quittant les lieux précipitamment, elle perd une de ses pantoufles.
Cendrillon apprend que le prince veut retrouver la belle inconnue du bal : il fait essayer la
pantoufle à toutes les femmes nobles du royaume. Un gentilhomme se présente chez le père
de Cendrillon et fait essayer le soulier à Javotte et Anastasie. Impossible pour elles de
l'enfiler. Cendrillon en vient à essayer la pantoufle qui lui va comme un gant. Elle sort la
deuxième qu'elle avait cachée dans sa poche. La marraine apparaît, lui rend ses beaux
habits. Ses belles-sœurs présentent des excuses que Cendrillon accepte. Cendrillon va à la
cour pour se marier avec le prince. Elle mariera ses belles-sœurs Javotte et Anastasie à deux

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grands chevaliers. Cendrillon est parmi les contes les plus célèbres; il n’est que le surnom de
l'héroïne. On ignore son nom réel mais elle est appelée ainsi pace qu'elle se repose dans la
cendre une fois son travail fini. Elle a un second surnom, celui de Cucendron :
« Lorsqu’elle avait fait son ouvrage, elle s’allait mettre en un coin de la cheminée et s’asseoir
dans les cendres ; ce qui faisait qu’on l’appelait communément cucendron ».

Ces deux surnoms sont dérivés du mot cendre, qui a toujours été symbole d'humiliation et
de pénitence.

➢ Le schéma narratif

Le schéma narratif est le déroulement chronologique de l'action d’un récit : ce sont les
étapes de l’action. Le conte est une histoire construite en cinq étapes :

➢ La situation initiale

C’est le début du conte. Les personnages sont présentés. On donne des informations sur
ces personnages et la façon dont ils vivent. Que raconte la situation initiale ?

Depuis la mort de sa mère, Cendrillon est au service de sa belle-mère et ses deux


belles-sœurs : c’est une famille méchante.

➢ L’élément perturbateur

Un événement vient perturber le bon déroulement des choses : il arrive quelque chose ; un
problème se présente aux personnages qui vont devoir changer leurs habitudes, et peut-
être prendre une décision importante. Quel est l’élément perturbateur ?

Toutes les filles du royaume sont invitées au bal organisé par le prince qui
cherche une épouse. Cendrillon veut y aller mais sa marâtre l’interdit.

➢ Les péripéties

Ce sont tous les événements, les aventures provoqués par l’élément perturbateur. Dans un
conte, il y a de nombreuses péripéties (parfois jusqu’à une dizaine). Quelles sont les
principales péripéties ?

• Cendrillon aide ses sœurs à se préparer pour le bal ;


• Laissée seule à la maison, Cendrillon se fait offrir une carosse et des habits par une
fée marraine ;

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• arrivée au bal, Cendrillon éblouit toute la cour au bal parmi lesquels le prince qui
l’invite à revenir le lendemain ;
• Cendrillon retourne au bal et séduit à nouveau le prince ;
• Cendrillon quitte précipitamment le bal sur les douze coups de minuit. Elle s’en retire
mais perd une paire de ses pantoufles.

➢ L’élément de résolution

Après toutes les difficultés rencontrées, le personnage trouve une solution à son
problème. Celui-ci est résolu. C’est la fin des ennuis. Quel est l’élément de résolution ?

Le prince décide de retrouver cette fille inconnue dont il est tombé amoureux, et
toutes les femmes du royaume doivent essayer la pantoufle. Seule Cendrillon
réussit à l’enfiler, démontrant qu’elle est bien l’inconnue que cherche le prince.

➢ La situation finale

C’est la fin de l’histoire. Les personnages retrouvent la vie calme du début et souvent une
vie meilleure. Le conte se termine généralement bien. Quelle est la situation finale ?

Cendrillon quitte la maison pour aller au palais dans de beaux habits fournis par
sa marraine. Elle épouse le prince et trouve deux maris nobles pour ses deux
belles sœurs.

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Cours 5 :
L’autobiographie et les genres
narratifs avoisinants
INTRODUCTION
1. Définition du genre
2. Le pacte autobiographique
3. Le problème de la mémoire
4. Critères du genre
5. Genres avoisinants de l’autobiographie
BIBLIOGRAPHIE

***********************

INTRODUCTION

L’autobiographie est genre littéraire narratif qui nait consciencieusement au XVIII e siècle
avec Jean Jacques Rousseau. C’est une naissance plus ou moins tardive par rapport aux
autres genres narratifs, car avant Rousseau le geste autobiographique est lié le plus souvent
à une pratique religieuse ou morale comme les Confessions écrites entre 397-400 par Saint
Augustin, ouvrage plutôt théologique qu’une narration de sa propre vie. Le sens
contemporain de l’autobiographie n’aurait pu voir le jour sans la présence d’un certain
nombre de conditions et de critères. Ce genre narratif est toujours d’actualité ; il est le plus
dominant et le plus abordé par les critiques et les théoriciens de la littérature, car son souffle
est partout présent dans les autres genres par l’effet de contamination.

1. Définition du genre

Philippe Lejeune est le spécialiste le plus en vue de l'autobiographie. Il est le premier à


avoir soulevé les problèmes de construction de l’existence individuelle et surtout à réfléchir
comment la vie d’un individu pouvait, en s’écrivant, obtenir forme et sens. Dans son ouvrage
intitulé Le pacte autobiographique (1975), il définit l’autobiographie comme étant « le récit
rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met
l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité. »

Mais pour parler d’une autobiographie comme genre au sens plein du terme, Philippe
Lejeune insiste à ce qu’il y ait identité entre les noms du narrateur, de l’auteur et du
personnage. En outre, il met une condition, ce qu’il nomme le pacte autobiographique. Il dit
que « pour qu'il y ait une autobiographie, il faut que l'auteur passe avec ses lecteurs un
pacte, un contrat, qu'il leur raconte sa vie en détail, et rien que sa vie. »
36
2. Le pacte autobiographique

Selon Lejeune, le pacte autobiographique est un engagement explicite ou non qui doit
être noué entre l’auteur de l’autobiographie et son lecteur. C’est un engagement solennel à
travers lequel l’auteur s’engage à se montrer tel qu'il est, dans « toute la vérité de la nature
de leur récit autobiographique ». Cet engagement implique que l’auteur doit tout dévoiler
dans une parfaite vérité, quitte à se ridiculiser en montrant ses défauts.

Lejeune prend comme exemple prototypique du pacte autobiographique celui des


Confessions de J.J Rousseau :

Que la trompette du jugement dernier sonne quand elle voudra, je viendrai, ce


livre à la main, me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement : Voilà
ce que j'ai fait, ce que j'ai pensé, ce que je fus. J'ai dit le bien et le mal avec la
même franchise. Je n'ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon ; et s'il m'est
arrivé d'employer quelque ornement indifférent, ce n'a jamais été que pour
remplir un vide occasionné par mon défaut de mémoire.

A travers ce « pacte autobiographique », nous constatons que ce geste est lié à une pratique
religieuse ou morale. L’auteur n’existe pas véritablement pour lui-même, mais c’est vers
Dieu qu’il se tourne. Le mot « confession », qui dénote l’aveu et la déclaration d’un péché,
est primordialement d’ordre religieux :

(…) je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le souverain juge.


Je dirai hautement : Voilà ce que j'ai fait, ce que j'ai pensé, ce que je fus.
J.J.
Rousseau
Apparemment, Rousseau s’inspire du modèle lointain des Confessions de Saint Augustin qui
se retourne sur sa propre existence en inscrivant son geste dans le cadre religieux de la
confession :
Je veux me souvenir de mes hontes passées et des impuretés charnelles
de mon âme. Non que je les aime, mais afin de vous aimer, mon Dieu. (II,
2)

Il faut dire que cette définition n’a pas eu l’unanimité chez bon nombre de théoriciens.
Beaucoup de critiques considère ce pacte autobiographique qui trace une théorie de
l’écriture autobiographique fondé des bases solides pour la classification des textes, est
inacceptable. Car il y a des auteurs qui avoue ce pacte mais ils finissent par la suite à
rejeter l’aspect référentiel de leurs romans. De plus, dans des autobiographies, on évoque
certes le passé et le présent, mais il y en a d’autres qui évoquent même leurs futures
réalisations. L’autobiographie n’est pas seulement un récit rétrospectif.

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3. Le problème de la mémoire

Si l’autobiographie consiste donc en un retour aux expériences du passé, aux


traumatismes d’enfant et d’adolescent etc, bref ce qu’on appelle autrement la
bio-référentialité, la question qui se pose :
• Est-ce que l’on peut tout dire sur soi ?

• Est-ce que l’on est capable de se rappeler de tous les détails de sa vie, des plus anodins au plus
importants ?

• Est-ce que finalement l’auteur ne finit pas par écrire un roman au lieu d’une autobiographie ?

Ces questions nous confrontent au problème de la mémoire qui peut


corrompre le pacte autobiographique. La mémoire est de nature déficiente et
amnésique et, ne pouvant se rappeler de tout, l’autobiographie bascule dans la
fiction. Ainsi, l’autobiographie n’existe peut-être pas aux yeux du lecteur, car
celui-ci digère plus facilement l’envahissement de la fiction par des éléments
biographiques que la contamination de l’autobiographie par la pure invention. Le
lecteur accepte sans résistance le mensonge déclaré comme tel, au lieu d’une
d’une fausse déclaration de la véracité. Rien n’empêche les auteurs de mentir-
vrai, comme aurait dit Aragon, du moment où les règles de jeu sont connues
d’avance.

4. Critères du genre

Il faut dire que les Confessions, autobiographies anciennes, se distinguent des


autobiographies modernes par la dissolution du MOI, ce moi qui s'adresse avant tout à
Dieu l’omniscient auquel il s’avoue comme interlocuteur unique et privilégié. Si l’auteur
s’adresse à un auditoire humain, il ne le prend que pour témoin. L’ancienne autobiographie
comme celle de Saint Augustin (354-430) a une visée édificatrice : Augustin retrace son
cheminement dans l'espoir que l'exemple de sa conversion soit suivi. Généralement, les
critères de l’autobiographie sont les suivants :

• Le récit en prose à la première personne du singulier (Je) qui est en même temps l’auteur (le
producteur du texte), le narrateur (l’instance qui dit Je) et le protagoniste (le Je dont il est
question) : ce sont une seule et même personne.

5. Le pacte autobiographique ;

• L’écriture autobiographique suppose une réflexion approfondie sur le moi : l’autobiographie


retrace la genèse d’une individualité ; son contenu est centré sur la vie individuelle.

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• L’autobiographie est sensée être exemplaire et véridique : elle nourrit l'intention de dire
toute la vérité et rien que la vérité. ;

• Le récit est rétrospectif, il n’est jamais projeté dans le futur, car l’écriture autobiographique
n’intervient qu’après l’événement ;

• Les temps verbaux utilisés sont le passé (le passé simple et l’imparfait. Lorsque l’auteur
recourt au présent, c’est pour porter un regard critique de l’adulte qu’il est sur l’enfant qu’il
était.

NB : l’autobiographie est généralement en prose, mais il existe des écritures


autobiographiques en vers (Queneau, Chêne et chien, Roubaud, Quelque chose noir, etc.).

Texte :

Les Confessions
Jean-Jacques Rousseau
(Livre premier)
Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau est une autobiographie très célèbre non seulement dans
la littérature française mais également dans la littérature mondiale. C’est un récit où l’auteur
raconte les événements couvrant les cinquante-trois premières années de sa vie jusqu'à 1765.
L’autobiographie est un genre littéraire qui signifie étymologiquement l’écriture de sa propre vie
(auto, soi ; et bios, vie ¡ graphè, graphie ou écriture). Le mot est assez récent, il n’est fabriqué
qu’au début du XIXe siècle (1815 en anglais, 1832 pour l’adjectif et 1842 pour le substantif en
français). Au sens large, l’autobiographie se caractérise donc au moins par l’identité de l’auteur, du
narrateur et du personnage selon ce que Philippe Lejeune appelle ‘’pacte autobiographique’’.

*******************************

Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple, et dont l'exécution n'aura point
d'imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ;
et cet homme, ce sera moi.

Moi seul. Je sens mon cœur, et je connais les hommes. Je ne suis fait comme aucun
de ceux que j'ai vus ; j'ose croire n'être fait comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux
pas mieux, au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans
lequel elle m'a jeté, c'est ce dont on ne peut juger qu'après m'avoir lu.
Que la trompette du jugement dernier sonne quand elle voudra, je viendrai, ce livre à la
main, me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement : Voilà ce que j'ai fait, ce
que j'ai pensé, ce que je fus. J'ai dit le bien et le mal avec la même franchise. Je n'ai rien tu
de mauvais, rien ajouté de bon ; et s'il m'est arrivé d'employer quelque ornement
indifférent, ce n'a jamais été que pour remplir un vide occasionné par mon défaut de
mémoire. J'ai pu supposer vrai ce que je savais avoir pu l'être, jamais ce que je savais être
faux. Je me suis montré tel que je fus : méprisable et vil quand je l'ai été ; bon, généreux,
sublime, quand je l'ai été : j'ai dévoilé mon intérieur tel que tu l'as vu toi-même. Être éternel,
rassemble autour de moi l'innombrable foule de mes semblables ; qu'ils écoutent mes

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confessions, qu'ils gémissent de mes indignités, qu'ils rougissent de mes misères. Que
chacun d'eux découvre à son tour son cœur au pied de ton trône avec la même sincérité, et
puis qu'un seul te dise, s'il l'ose : je fus meilleur que cet homme-là.
Je suis né à Genève, en 1712 d'Isaac Rousseau, Citoyen (2), et de Susanne Bernard,
Citoyenne. Un bien fort médiocre, à partager entre quinze enfants, ayant réduit presque à
rien la portion de mon père, il n'avait pour subsister que son métier d'horloger, dans lequel il
était à la vérité fort habile. Ma mère, fille du ministre (3) Bernard, était plus riche : elle avait
de la sagesse et de la beauté. Ce n'était pas sans peine que mon père l'avait obtenue. Leurs
amours avaient commencé presque avec leur vie ; dès l'âge de huit à neuf ans ils se
promenaient ensemble tous les soirs sur la Treille (4) ; à dix ans ils ne pouvaient plus se
quitter. La sympathie, l'accord des âmes, affermit en eux le sentiment qu'avait produit
l'habitude. Tous deux, nés tendres et sensibles, n'attendaient que le moment de trouver
dans un autre la même disposition, ou plutôt ce moment les attendait eux-mêmes, et
chacun d'eux jeta son cœur dans le premier qui s'ouvrit pour le recevoir. Le sort, qui
semblait contrarier leur passion, ne fit que l'animer. Le jeune amant ne pouvant obtenir sa
maîtresse se consumait de douleur : elle lui conseilla de voyager pour l'oublier. Il voyagea
sans fruit, et revint plus amoureux que jamais. Il retrouva celle qu'il aimait tendre et fidèle.
Après cette épreuve, il ne restait qu'à s'aimer toute la vie ; ils le jurèrent, et le ciel bénit leur
serment.

Notes :
1 - Intus, et in cute : la citation entière est Ego te intus et in cute novi (« Je t'ai connu intérieurement et sous la
peau » (Satire III de Perse).
2 - Citoyen : on était citoyen de Genève si l'on était fils de bourgeois et né dans la ville.
3 - Ministre : au sens religieux, le ministre est celui qui sert Dieu. Il est responsable du culte divin.
4 - La Treille : la promenade de la Treille près de la cathédrale à Genève.

6. Genres avoisinants de l’autobiographie

L’autobiographie prête à confusions avec d’autres genres narratifs avoisinants. Bien que
ceux-ci s’en inspirent, il reste que chaque genre a ses caractéristiques propres.
L’autoportrait, le journal intime, les mémoires, le roman autobiographique, l’autofiction sont
autant de genres théorisés qui racontent sa propre vie. Ainsi l’on se trouve devant des
dénominations génériques et d’étiquettes critiques suite à l’inventivité des écrivains qui
tentent perpétuellement d’innover le genre comme : autobiographie romancée, romanesque
autobiographique, fausse autobiographie, autobiographie fictionnelle, fiction romanesque,
autobiographie monocorde, autobiographie mensongère, nouvelle autobiographie etc. Ces
dénominations traduisent clairement le rapport complexe que le récit autobiographique
entretient la réalité.

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➢ Les mémoires
C’est un genre narratif qui consiste en l’écriture de sa propre vie par une personne qui a
joué un rôle important dans des événements historiques. Il relate soit sa vie d’acteur dans
les événements, soit son témoignage le plus souvent pour justifier ses actes et saisir les traits
généraux de sa personnalité. L'auteur raconte et explique le déroulement des événements
en faisant part de sa vision personnelle des faits. Le « je » des mémoires est souvent moins
central et moins intime que celui de l'autobiographie. C’est le cas de Mémoires de guerre de
Charles De Gaule. Ainsi, on peut parler de roman-mémoires.

➢ L’autoportrait
L’autoportrait est une forme voisine de l’autobiographie : le projet de raconter l’histoire
d’une personnalité n’est pas avoué. L’auteur veut montrer ce qu’il est, et non pas comment
il l’est devenu. Il ne présente pas de récit suivi et chronologique : il est fondamentalement
non narratif où l’autoportraitiste peut raconter les souvenirs, les rêves, les fantasmes ainsi
que ses propres réflexions. Exemples d’autoportrait : Montaigne, Essais ; Leiris, L’Âge
d’homme.

➢ Le journal intime
En principe, comme son nom l’indique, le journal intime n’a pas d'autre destinataire
que l'auteur lui-même : le diariste (Un diariste est donc une personne qui tient un journal
intime). Il est écrit au jour le jour, à la première personne et il est daté. Le diariste ne l'écrit
pas pour plaire, ni pour se valoriser soi-même comme dans le cas de l’autobiographie. Il
exprime ses émotions et ses sentiments, prend du recul par rapport aux événements qu'il
vit, aux personnes qu'il a rencontrées, à ses lectures etc. Le tout est écrit dans une liberté
totale, car aucune structure ne lui est imposée. Le journal est parfois rédigé en style
télégraphique : « Pluie battante ce matin ; réinvasion des idées grises. » ((André
Gide, Journal, 1er mars 1912)

NB :
Bien que confidentiels, les journaux intimes sont souvent publiés soit du
vivant de leurs auteurs, soit après leur mort : c’est le cas de Choses vues
qui rassemble des carnets, des souvenirs et des fragments que Victor Hugo
n'a pas eu le temps de retravailler ou de publier.

➢ Le roman autobiographique
Le roman autobiographique est un genre littéraire issu de l'autobiographie ainsi que
du roman-mémoires. Il n’est pas tout à fait aussi important que l’autobiographie, car le plus
souvent il ne raconte qu’une tranche de vie d’un personnage qui se confond ou s’inspire de
la vie de l'auteur : le roman autobiographique se focalise en général soit sur la vie de

41
l’enfance ou celle de son âge adulte. Dans le roman autobiographique, le plus souvent le
narrateur raconte les problèmes familiaux ou de cœur qu’il a endurés, les moments difficiles
qu’il a vécus etc. L’écriture est ici souvent un processus cathartique pour se réconcilier
avec une page douloureuse de sa vie. A titre d’exemple Le pain nu de Mohammed Choukri
qui raconte la vie misérable de son enfance, La confession d’un enfant de siècle d’Alfred de
Musset où il raconte l’aventure de son amour avec George Sand.

➢ L’autofiction
Depuis le roman écrit par Serge Doubrovsky intitulé Fils en 1977, l’écrivain a forgé un
néologisme pour désigner un nouveau genre littéraire proche de l’autobiographie mais qui
s’en éloigne par plusieurs caractéristiques : c’est l’autofiction. Dans l’autofiction, il s’agit
d’associer deux types de narrations opposés : c’est un récit fondé, comme l’autobiographie,
sur le principe des trois identités (l’auteur est aussi le narrateur et le personnage principal),
mais qui se réclame cependant de la fiction : c’est un mélange de la vie réelle de l’auteur
ainsi que de la fiction dont le but est que le lecteur ne s’identifie pas obligatoireme nt au
narrateur.
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Bibliographie

• ALLEMAND, Roger-Michel, Une “Nouvelle Autobiographie” ? Paris, Lettres


modernes Minard, 2004.
• LEJEUNE, Philippe, Le Pacte autobiographique, Seuil, 1975, (nouv. éd.
1996, coll. « Points »)
• LEJEUNE, Philippe, L'Autobiographie en France, Paris, Armand Colin,
2010. (Première édition, 1971).
• MAILLARD, Michel, L’autobiographie et le biographe, Paris, Nathan, coll. Balises,
2001.

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