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2017
LES ARTS POÉTIQUES
DU XIIIe AU XVIIe SIÈCLE
TENSIONS ET DIALOGUE
ENTRE THÉORIE ET PR ATIQUE
2017
Publié avec le soutien de l’Institut Universitaire de France univ
Lille Nord de France, E59000 Lille, France UdL3, STL,
F-59653 Villeneuve d’Ascq France, CNRS UMR 8163
D/2017/0095/53
ISBN 978-2-503-52991-2
DOI 10.1484/M.LATIN-EB.5.107420
Grégory E ms
Mathieu M inet
INTRODUCTION
5
6 gr égory ems & m athi eu mi net
la pratique d’auteurs dans le cadre d’un genre codifié (voir sur ce point
les analyses d’Aline Smeesters et de Virginie Leroux).
part le statut de l’art poétique qui ne prescrit pas tant qu’il entérine
une pratique et intègre des innovations. Toujours concernant la Renais-
sance, Michel Jourde, pour sa part, insiste d’emblée sur le fait que la
poésie est à la confluence de deux sources : la lecture des poésies anté-
rieures et la compulsion des Arts poétiques, qui fournissent les règles et
partant systématisent un art. La question de savoir qui de la poésie ou
de la poétique a l’antécédence a pourtant été posée par les auteurs de la
Renaissance. C’est ce que M. Jourde examine chez quelques auteurs du
x v i e siècle et, en particulier, chez Jacques Peletier du Mans en pointant
les enjeux qu’un tel questionnement fait émerger (« La poésie avant la
poétique : enjeux d’une antécédence chez Jacques Peletier du Mans »).
Une deuxième section (« par-delà la problématique théorie-pra-
tique ») réunit les articles qui envisagent le rapport entre théorie et
pratique par le biais d’une approche latérale, ou articulant cette problé-
matique avec des questions qui la mettent en jeu. Annelyse Lemmens
(« Le frontispice, mise en scène de la poésie néo-latine… ») envisage les
frontispices des Arts poétiques ou des recueils de poésies, et met au jour
les différents rôles qu’ils jouent au sein de l’œuvre : liminaire de l’œuvre,
le frontispice invite le lecteur à y pénétrer mais en propose aussi un
programme synthétique, marqué par des considérations politiques ou
faisant prévaloir certaines préférences esthétiques. Jane H. M. Taylor
(« A Grammar of Legibility… ») insiste sur l’importance d’une étude
de la « mise en texte » des Arts poétiques, en envisageant le cas parti-
culier du Grant et vray art de pleine Rhetorique de Pierre Fabry, dont
le paratexte fournit aux lecteurs un appareil facilitant une consultation
ponctuelle de l’ouvrage. Travaillant sur un corpus de textes produits
ou traduits au sein d’univers culturels différents, mais toujours dans
un contexte polémique et dans une visée politique, Nathalie Hancisse
(« ‘I’ay mis la main au papier pour escrire / d’un different que i’ay voulu
transcrire’: translation, politics and Mary Stuart’s poetical voice ») en-
visage l’influence des poésies en langues étrangères sur la production
anglophone, en analysant les interactions entre le texte-source et ses
traductions. Enfin, Tom Deneire (« Reconsidering Imitatio Auctorum.
A dynamic-functionalist approach to imitation in neo-latin poetry »)
interroge cette notion d’influence et d’innutrition sous l’angle de
l’imitatio, processus dont il décortique la complexité, et dont l’étude
déborde largement le cadre de la simple recherche de loci similes.
Une troisième et dernière section est consacrée à l’« étude des pra-
tiques à l’aune des théories », avec un focus d’une part sur quelques au-
teurs et d’autre part sur quelques genres. Ludmilla Evdokimova (« L’art
de la parole et la gradation des styles dans les poèmes lyriques de
introduction 9
DISCOURS INAUGUR AL
11
12 l a m bert iseba ert
15
16 oli v i er del sau x
En soi, l’on peut dégager trois dimensions des codes poétiques. Pre-
mièrement, les arts poétiques qui théorisent ces codes. Deuxièmement,
les commentaires métadiscurifs des écrivains sur les codes. Troisième-
ment, les pratiques poétiques, c’est-à-dire, d’une part, la façon dont les
écrivains appliquent ou non les codes théoriques dans leurs œuvres et,
d’autre part, la façon dont les écrivains mettent en place de nouveaux
codes par leurs pratiques5.
Cette contribution se concentrera sur la dimension théorique. Celle-
ci est encore aujourd’hui difficile à étudier en raison d’un désintérêt,
encore récent, de la critique pour les arts poétiques médio-français.
Ceux-ci sont la plupart inédits ou mal édités – faute d’étude matérielle
récente sur la tradition manuscrite et imprimée de ces textes – et il
n’existe aucun ouvrage de synthèse sur le sujet6.
L’écrivain médiéval était pourtant un facteur (ou factiste), un artisan
du verbe. L’on jugeait ses textes à l’aune de ses qualités esthétiques et
de la mise en œuvre d’un certain nombre de règles formelles ; non en
fonction de l’originalité du sujet7. Vu cette conception de la rédaction
d’un texte, le nombre d’arts poétiques en français devrait être impor-
tant. Pourtant, ceux que l’on a conservés sont rares, tardifs et bien dif-
férents des arts poétiques latins et de ceux du x v i e siècle. C’est ainsi
qu’en 1521, dans ce qu’il intitulait significativement le Vray art de
rethorique, Pierre Fabry pouvait souligner que :
telles listes, Recueil d’Arts de seconde rhétorique, éd. E. Langlois, Paris, 1902, p. 39‑48,
65‑72, 97 et Jacques Legrand, Archiloge Sophie, éd. E. Beltran.
5 L’on ne suivra donc pas une voie archéologique, qui consisterait à reconstituer les
codes connus pas les auteurs et observer leur mise en place dans leurs œuvres. Edmond
Faral a appliqué une telle démarche pour les textes en ancien français, en montrant com-
ment les écrivains français ont convoqué dans leurs textes la plupart des figures rhé-
toriques proposées par les arts poétiques latins (E. Faral, Les arts poétiques du x ii e et
du x iii e siècle. Recherches et documents sur la technique littéraire du Moyen Âge, Paris,
Champion, 1971 [Bibliothèque de l’École des Hautes Études 238]). Une telle étude res-
terait à faire pour les textes en moyen français. À ce propos, l’on se réfèrera à Cl. Thiry,
« Rhétorique et genres littéraires au x v e siècle », dans Sémantique lexicale et Sémantique
grammaticale en Moyen Français, éd. M. Wilmet, Bruxelles, 1979, p. 23‑50.
6 Sans nul doute, les travaux du GDR / CNRS 3063 « Théories du Poétique » dirigé
par Michèle Gally permettront de combler certaines lacunes, en particulier pour ce qui
concerne l’Instructif de seconde rhetorique. À ce propos, l’on se réfèrera à : Le poétique
et ses normes, section du n° 21 (2011) des Cahiers de recheches médiévales et humanistes
(introduction de M. Gally, J.-Ch. Monferran et J.-Cl. Mühlethaler, p. 203‑304).
7 Sur cette question, voir Original et Originalité. Aspects linguistiques, historiques et
littéraires, Louvain-la-Neuve, mai 2010, éd. O. Delsaux et H. Haug, Louvain-la-Neuve,
2012.
défense et illustr ation des arts « poétiuqes fr a nçais » 17
8 P. Fabri, Le grand et vrai art de pleine rhétorique, éd. A. Héron, Rouen, 1890, p. 8.
9 Éd. St. Marzano, Turnhout (Texte, Codex & Contexte 10), 2009, p. 43‑45.
18 oli v i er del sau x
Avant la fin du xiv e siècle, les seuls textes qui s’apparentent à des
arts poétiques sont des traductions plus ou moins libres des traités de
rhétoriques cicéroniens ou pseudo-cicéroniens.
Premièrement, dans la seconde moitié du xiii e siècle, au troisième
livre de son Livres dou tresor, œuvre encyclopédique écrite en français,
le florentin Brunetto Latini traite de la poétique. Il y traduit libre-
ment des extraits de Cicéron et de Geoffroy de Vinsauf 11. Ces passages
auront une influence notable sur tous les écrivains français médiévaux
qui se réfèreront à ce sujet. Brunetto Latini exige de fonder son écri-
ture sur l’apprentissage d’un code auquel il faut se conformer : « Or est
il donc prové que la escience de retorique n’est pas dou tout aquise par
nature ou par us, mais por enseignemens ou por art » (éd. S. Baldwin
et P. Barrette, p. 292).
Deuxièmement, à la même époque (1282), Jean d’Antioche traduit
le De inventione de Cicéron et la Rhétorique à Hérennius12 . Concrète-
ment, le traducteur fond les deux traités latins cicéroniens en un seul
ouvrage, qu’il divise en six livres. Cependant, cette traduction d’un
niveau technique indéniable a eu un impact très limité. Rédigé à Acre,
ce texte n’a pas circulé en dehors de la sphère du commanditaire de
chaut, pour qu’apparaissent les premiers arts poétiques en tant que tels.
En effet, bien que ne se nommant pas arts poétiques, quelques textes du
xiv e siècle, au statut peu ou mal défini par leurs auteurs, offrent une
réflexion sur le texte poétique en français, qui se distingue de celle des
arts poétiques latins14.
Ainsi, le plus grand poète français du xiv e siècle, Guillaume Ma-
chaut, n’a jamais rédigé d’art poétique proprement dit. Cependant,
son Remède de Fortune, recueil de poèmes écrit vers 1342, donne un
tableau complet des formes poétiques alors en usage et des types géné-
riques d’après lesquels ils devaient se régler, mais il n’a fait suivre ces
exemples d’aucun commentaire15.
14 Cl. Thiry, « Première partie », La poésie française du Moyen Âge au XX e siècle, éd.
M. Jarrety, Paris, 1997, p. 62‑67.
15 Guillaume de Machaut, Œuvres, éd. E. Hoepffner, Paris, 1908‑1921 (Société des
anciens textes français), t. 2, p. 1‑157. Cette promotion de l’imitation de la pratique du
poète plus que le respect de la théorie qu’il établit se retrouve chez un contemporain
de Deschamps, Christine de Pizan, qui dans un manuscrit destiné à la reine de France
Isabeau de Bavière précise que la pièce qu’elle a rédigée permet d’apprendre à rimer :
« Ci s’ensuit une assemblee de plusieurs Rimes auques toutes leonimes en façon de lay
pour apprendre à rimer leonimement » (Londres, British Library, Harley 4431, fol. 25b).
16 Eustache Deschamps, Art de dictier et de fere chançons (1392). Manuscrits : Paris,
BnF, fr. 840 et Paris, BnF, nafr. 6221. Éditions : Eustache Deschamps, Œuvres com-
plètes, éd. Marquis de Queux de Saint-Hilaire et G. Raynaud, Paris, 1878‑1904 (SATF),
t. 7 ; D. M. Sinnreich, Eustache Deschamps’ « L’art de dictier », Ph.D., City University
of New York, 1987 ; Eustache Deschamps, L’art de dictier, éd. J.-Fr. Kosta-Théfaine,
Clermont-Ferrand, 2010 ; Clotilde Dauphant (éd. et trad.), Eustache Deschamps, Antho-
logie, Paris, Librairie Générale Française, 2014 (Lettres gothiques / Le livre de poche
n° 32861). Travaux : R. Dragonetti, « ‘La poesie… ceste musique naturele’ : essai d’exé-
gèse d’un passage de l’Art de dictier d’Eustache Deschamps », dans Fin du Moyen Âge
et Renaissance. Mélanges de philologie française offerts à Robert Guiette, Anvers, 1961,
p. 49‑64 ; G. Lote, « Quelques remarques sur l’Art de dictier d’Eustache Deschamps »,
dans Mélanges de philologie romane et de littérature médiévale offerts à Ernest Hoepffner
par ses élèves et ses amis, Paris, 1949 (Publications de la Faculté des lettres de Strasbourg
113), t. 1, p. 361‑367 ; K. Varty, « Deschamps’ Art de dictier », French Studies, 19
(1965), p. 164‑168 ; Cl. Dauphant, Varier dans l’ordre : la composition des Œuvres com-
plètes d’Eustache Deschamps (manuscrit Bnf fr. 840), thèse de doctorat soutenue en 2010
(Paris, Université de Paris IV) et publié chez Champion en 2016.
défense et i llust r at ion des a rts « poét iques fr a nça is » 21
Jacques L egr a nd
Moins d’une dizaine d’années après l’art poétique de Deschamps,
un religieux parisien, Jacques Legrand, rédige un traité encyclopédique,
21 L’on citera également ce passage du prologue du traducteur Laurent de Premierfait
au De amicitia de Cicéron : « Cest art rethorique, dont Tulle fut le prince en langaige
latin, avient a l’omme par trois manieres : assavoir par naturel engin, par doctrine que
l’en reçoit des saiges et par usaige de souvent parler ou escrire latin ou autre langaige. »
(Paris, BnF, nafr. 6220, fol. 17r ; voir notre édition publiée chez Champion [Classiques
français du Moyen Âge], 2016).
22 J. Cerquiglini-Toulet, ‘Un engin si soutil’. Guillaume de Machaut et l’écriture au
x iv e siècle, Genève, Paris, Slatkine, 1985 (Bibliothèque du x v e siècle 47), p. 20.
23 Éd. E. Hoepffner, t. 1, p. 1, v. 1‑5, Paris, 1908‑1921 (SATF).
24 Par exemple, à deux reprises, le titre Serventoys est donné à un virelai dans les deux
manuscrits (p. 281 et 282).
24 oli v i er del sau x
Cependant, il est conscient qu’il existe un large écart entre les règles
qu’il présente et la diversité des pratiques en usage. Aussi doit-il très
souvent se contenter de distinguer un usage privilégié plutôt que de
définir une règle contraignante. Par exemple, pour les rondeaux, il re-
connait qu’ils se font de diversses manieres, puis affirme qu’a [s]on advis
il existe une commmune façon (p. 143). De toute manière, l’innova-
tion personnelle doit prédominer. L’écrivain devant versifier en [s]oy et
à [s]on plaisir (p. 141 et 144).
28 Recueil d’Arts de seconde rhétorique, éd. E. Langlois, p. 11‑103. L’on pourrait sou-
haiter une étude codicologique et philologique précise de la transmission manuscrite de
ces arts de seconde rhétorique.
29 Le Cycle de ‘La Belle Dame sans Mercy’. Une anthologie poétique du x v e siècle (BNF
MS FR. 1131), éd. D. Hult, Paris, 2003 (Champion Classiques. Moyen Âge).
30 Édition : Recueil d’Arts de seconde rhétorique, éd. E. Langlois, p. 104‑198.
26 oli v i er del sau x
la dame de l’amant-poète estime qu’elle n’a pas le don, l’engien, nécessaire pour écrire
des textes. Elle demande à Machaut de lui envoyer, non pas un art poétique, mais un
« tutorat » constitué d’échantillons de ses poésies : « Et sur ce je vous envoie un virelay
lequel j’ay fait ; et se yl y a aucune chose a amender, si le veuilliez faire, car vous le sarés
miex faire que je ne fais, car j’ai trop petit engien [sic] pour bien faire une tele besongne.
Et aussi ne eu je unques qui rien m’en aprist ; pour quoy je vous pri, treschiers amis, qu’il
vous plaise a moy envoier de vos livres et de vos dis, par quoy je puisse tenir de vous à
faire de vos bons dis et de bonnes chansons, quar c’est le plus grant esbatement que je aie
que de oÿr et de chanter bons dis et bonnes chansons, se je le savoie bien faire. Et quant
il plaira a Dieu que je vous voie (laquele chose je desire tant que je ne le vous porroie
escrire ne vous ne le porriés penser), s’il vous plaist, vous les m’apenrez a mieulz faire et
dire ; quar je en apenroie plus de vous en un jour que je ne feroie d’un autre enj. an »
(éd. P. Imbs, Paris, 1999 [Lettres gothiques], p. 48).
défense et i llust r at ion des a rts « poét iques fr a nça is » 29
velles formes, comme le dit Évrart de Conty dans son Livre des Eschez
amoureux moralisés :
La siziesme Muse est soubtilesse et adinvencion, c’est-à-dire quant on a
bien apris et bien estudié en aucune science et que on a tout bien im-
primé en sa memoire, on se doit asoutillier et adjouster du sien et de
nouvel trouver aucunes choses, pour la science acquise plus aussi embe-
lir et parfaire39.
Dès lors, l’art poétique fonctionne davantage sur la mise en évidence des
pratiques des écrivains que sur celle des règles des théoriciens. C’est ce qui
est précisé à l’ouverture du premier art de seconde rhétorique conservé :
Et affin que quiconques voulra soy introduire à faire aucuns diz ou
balades, il convient que on les face selon ce que donnerent les premiers
rethoriques, dont aucuns s’ensuyvent : Guillaume de Lorris, Jean de
Meun, Machaut, etc… (Regles de la seconde rhetorique, éd. cit., p. 11).
Il importe de souligner que les écrivains dont on cite les usages in-
novants et ceux dont on donne les poésies comme exemples sont des
écrivains français récents. Excepté quelques allusions aux théoriciens
Cicéron, Horace ou Aristote, aucune pratique d’un écrivain latin ou
bilingue n’est citée comme illustration. C’est pourquoi ces arts de se-
conde rhétorique semblent réellement avoir pour fonction de fonder,
justifier et légitimer une tradition poétique proprement française. La
poétique française s’enrichit de ses propres inventions, sans dépendre
du modèle latin. On le voit dans un des arts de seconde rhétorique où
Cretin est loué pour avoir, comme il est dit, enrichi la technique du
couplet à rimes plates. Cette pratique devient alors un précepte :
De ceste maniere de rhethoricque est composé le Rommant de la Roze
par dix et onze, et par huyt et neuf sillabes. Semblablement, les trans-
lations des Eneydes de Virgille, les Epistres d’Ovide et plusieurs autres
histoyres en sont plaines. La quelle façon de rime est à present bien
enrichie par monseigneur Cretin, pere des orateurs modernes, le quel en
ses compositions a trouvé ceste digne et nouvelle manière qu’il use en
telle ryme de deux vers masculins et deux aprés feminins.
Et à la verité ceste mode et invention sonne beaucoup myeulx et a tres
parfaict et entier accent plus que toutes les autres susdites compositions
de ceste rime de doublette, car il est notoyre que opposita juxta se po-
sita magis eluescunt. Et de ladicte invention icelluy Cretin a usé en son
oeuvre qu’il fait sur le Recueil des Cronicques de France et autres ses
oeuvres. (Art et science de rethorique vulgaire, éd. cit., p. 270).
Deuxièmement, les mises en garde contre les écarts par rapport aux
règles sont nombreuses et plus fortes que dans les autres traités :
De redicte on se doit garder / Que ne soit en cinquante vers / Du moins
se doit contregarder / Qui plus pres la met à revers / Il produit les vers
et compose / Soit en romans ou en misteres / Mal fait qui autrement
dispose / En ditz de quelzconques matieres (fol. a iiij v°).
41 D’ailleurs, le fait que l’on ait conservé peu de témoins, copiés dans des recueils à
visée thésaurisante et dans des supports assez fragiles, est peut-être l’indice d’une diffu-
sion malgré tout importante, mais sur des supports provisoires à valeurs d’usage.
42 Sur ces trois particularités du texte, voir E. Marguin-Hamon, « Arts poétiques
médiolatins […] ».
défense et i llust r at ion des a rts « poét iques fr a nça is » 33
Il faut noter que l’écrivain qui sert de caution à la licence est tou-
jours un écrivain français. On le voit a contrario avec le vice d’inno-
vacion, dont l’Instructif précise qu’il s’agit bien d’un vice car « ne s’en
mesla Maistre Alain <Chartier> ».
Quatrièmement, l’Instructif est le seul art de seconde rhétorique
à traiter d’autres formes que les pièces à formes fixes. Plusieurs para-
graphes sont ainsi consacrés au théâtre et au roman43.
Cinquièmement, l’Instructif offre à l’écriture poétique une légitimité
inconnue des autres arts, puisqu’il esquisse une théorie de l’inspira-
tion44. En effet, comme chez Deschamps ou Machaut, dès les premières
lignes du traité, l’auteur affirme qu’aucune œuvre poétique ne verrait le
jour sans un don extérieur. Cependant, les instigateurs de cette fureur
ne sont désormais plus Dieu, Amours ou la Nature, mais les Muses :
Recevez les impressions / De Clio et de Fronesis, / Dames de grans dis-
creciens, / De Minerva aussi choisis / Et du dieu Appolo saisiz. / Les
clers raiz fulgens d’eloquence / Par manipules grans merciz / L’on rende
à la divine essence (fol. c iij r°).
C onclusion
Nous voudrions, pour finir, mettre en évidence une manifestation
d’une « conscience poétique » à la fin du Moyen Âge en rupture avec
les traités déjà présentés, à savoir les Douze dames de rethorique. Ce
texte permet de s’interroger sur la place du code poétique dans le pro-
cessus de rédaction d’un texte littéraire français, notamment par rap-
port à l’inspiration. En effet, émerge chez plusieurs écrivains français
du x v e siècle une conception de l’écriture fondée sur un don spontané,
indépendament de la mise en pratique de règles46.
Six manuscrits de luxe conservés dans des milieux curiaux conservent
aujourd’hui ce texte. Il s’agit du compte rendu d’un débat littéraire aux-
quels participèrent en 1463 des poètes et des dignitaires de la cour de
Bourbon et de Bourgogne47. Au fil d’un échange épistolaire, les poètes
Chastelain et Robertet défendent chacun leur conception de la poésie.
À un moment de leur correspondance, les deux poètes voient appa-
raître les douze dames de rhétorique, à savoir : Science, Eloquence, Pro-
fundité, Gravité de sens, Vieille Acquisition, Multiforme Richesse, Florie
Memoire, Noble Nature, Clere Invencion, Precieuse Possession, Deducion
loable, Glorieuse Achevissance.
Dans un premier temps, ces dames défendent Robertet contre
Chastelain. En effet, Robertet, marqué par un séjour en Italie, opte
50 D. Kelly, The arts of poetry and prose, Turnhout (Typologie des sources du Moyen
Âge occidental 59), 1991.
51 J. Cerquiglini-Toulet, J.-Cl. Mühlethaler et J.-Y. Tilliette, « Poétiques en transi-
tion (…) ».
52 S. Lusignan, Parler vulgairement. Les intellectuels et la langue française aux x iii e et
x iv e siècles, Paris, 1986 (Études médiévales), p. 35 et 106.
53 M. Gally, « Archéologie des arts poétiques français », p. 9.
38 oli v i er del sau x
Octovien revient sur cette question dans un texte dont nous prépa-
rons l’étude et l’édition, l’Altercation des trois dames (c. 1500). Il s’agit
d’une intervention de Dame Utilité, qui répond à Dame Elegance. Elle
estime que la rhétorique et le rhétoricien trompent ; ils ne font que sé-
duire en enjolivant le contenu de son message. Leur discours est déta-
ché de la vérité, voire de la réalité (vu le caractère inédit du texte, nous
citons de longs extraits de son intervention) :
Ce qu’on touche et qu’on voyt à l’oeil, / Respondist Dame Utilité, /
N’est pas si vain comment orgueil. / Elle ne dist pas verité. / Tel procés
qu’elle a recité / Plain de rethoricque saulvaige / Doibt mieulx estre dist
vanité / Que mon vray et commun langaige.
Pour ce non obstant que je soye / Bien poy expert en rethoricque, / Par
quoy mes motz je ne pourroye / Appliquer coment elle applicque, / Il
suffira bien que je explicque / La substance de mon propos, / Car vostre
engin est angelicque / À bien entendant pou de motz (fol. 27r-27v).
[…]
Pareillement celle science / De parler rethoricquement / Que aulcuns
appellent eloquence, / Vestue si pompeusement, / Il ne sert rien que
quant on ment / Pour les simples gens decepvoir / Car tant plus parlon
simplement / Tant mieulx vault qui vueult dire voir (fol. 29v-30r).
[…]
La premiere qui est nommee / Logique generalement / Est en troys
membres divisee. / Et grammaire premierement / Logique especialle-
ment / Rethorique, mais toutes troys / Ne servent qu’à congruement /
Orner vray latin ou françoys.
Parler ainsy c’est pou de chose. / Aulcunes foys mieulx vault se taire. /
Tel parle qui rien faire n’ose. / Mieulx vauldroyt mains dire et plus
faire / La parole n’est que exemplaire /
De la pensee et le myreur. / Ung simple homme aussy bien declaire / Sa
volunté que ung orateur (fol. 31r).
BIBLIOGRAPHIE
ENTRE CONSERVATOIRE
ET ESPACE DE LIBERTÉ
LA POÉSIE MÉDIOLATINE ET SES
IMPLICATIONS THÉORIQUES EN QUESTION
41
42 el sa m a rgui n - h a mon
tés, y est sensible. À cela s’ajoute l’épigramme, forme plus brève, mais
adaptée aux usages de nos auteurs, et l’épitaphe (qu’elle trouve place ou
non dans un rouleau mortuaire), qui prend également bien souvent la
forme d’une adresse au défunt.
Comme ses deux contemporains, Hildebert de Lavardin est l’auteur
de vers de circonstances et d’épitaphes2 . Marbode3, Baudri4 de Bour-
gueil et lui sont aussi les auteurs de distiques élégiaques plutôt en prise,
chez Baudri du moins, avec une actualité touchant son réseau de socia-
bilité, et occasionnellement chez Hildebert consacrés à la déploration
des maux de l’époque (sur les ruines de Rome). Chacun sacrifie à la
topique de la déploration, de la louange, ou de l’évocation de figures
mythiques (Pâris et Hélène, la Rome antique…), mais d’une manière
qui lui est propre. L’œuvre théorique de Marbode constitue à cet égard
un lieu où s’éclairent les traits communs entre les trois œuvres.
Elle semble résulter d’une synthèse habile entre un fond rhétorique
ancien bien maîtrisé (Rhétorique a Hérennius) et le fruit d’une expé-
rience, la sienne et celle de ses amis (ils s’envoient mutuellement leur
production, qui prend la forme d’échanges épistolaires, comme je l’ai
indiqué). C’est pourquoi ce traité se présente sous la forme d’un pro-
simètre : la règle est énoncée en prose, très brièvement et clairement,
et l’exemple, plus copieux, suit, en vers – il doit être directement uti-
lisable par le versificateur. Le traité met à plat, sans distinction ni hié-
rarchisation, un certain nombre de procédés qui relèvent de l’ornatus
facilis, exclusivement. Ce choix peut correspondre de la part de Mar-
bode à une pratique poétique, qu’il partage avec Hildebert et Baudri :
les poèmes de circonstances où il s’illustre ne relèvent pas de l’ornatus
difficilis, non plus que les pièces de Baudri et dans une moindre mesure
d’Hildebert.
19 Baudri, n° 73 (éd. et trad. Tilliette, p. 67‑68) v. 3‑6. « Mais gémir sur la mort ne
devrait servir presque à rien, puisque la mort du Christ est notre médecine. Le médecin
ne fera pas défaut, à moins que ne fasse défaut le malade. Bienheureuse maladie, dont la
mort du Christ est le remède ! »
20 Marbode, De ornamentis 4. « La traductio est ce qui fait que, lorsque le même
mot est répété un peu trop souvent, non seulement il ne blesse pas l’esprit, mais en plus
il rend le discours mieux lissé, selon le modèle : / si rien dans la vie ne t’est plus plaisant
que la vie, / achève une vie indigne, exempte de vertu. / Pourquoi te soucier de qui te
donne de nombreux soucis ? / Je voudrais aimer toujours, si rien ne s’y trouvait d’amer. »
21 Marbode, Carmina, n° XXXII (« À Odon, comte-évêque », P.L. 171, col. 1724C-
D). « Non pas que je sois de telle sorte que vous m’ayez pour ami intime / mais parce
que je vous sais de telle sorte que je fais de vous mon ami intime. / Ne me donnez rien,
je vous aime plus que ce que vous avez. / Et ce que vous avez je l’aime, mais je ne réclame
pas ces biens. / Je ne veux pas que me soient donnés des présents, mais je veux être aimé
pauvre. / Il me suffit comme présent qu’un même amour nous lie. »
ent r e conservatoir e et espace de li bert é 49
22 Baudri, n° 53 (épitaphe d’un jeune chevalier, éd. et trad. Tilliette, p. 59), v. 9‑10.
« Quand fleurit la rose de mai, cette rose s’est flétrie. Le cinquième jour avant la fin du
mois a vu le terme de ses jours et de ses années. »
23 Hildebert, Carm. 5. « Tu demandes d’où vient le mal, alors que toutes choses
créées sont bonne ? / Il y a des maux qui sont des maux en raison de leur défaut propre. /
Alors que leur principe est dépourvu de vice, / ces doux fruits ont tôt fait de tirer le vice
d’eux-mêmes et par eux-mêmes. » Le vers 2 comporte très certainement, au-delà du sens
qu’impose la métrique et dont la traduction rend compte, une référence implicite au jeu
de mots devenu topique entre mălum, le mal, et mālum, la pomme (associée au péché).
24 Selon un principe cher à la pensée médiévale et appelé à une grande fortune durant
le XIIe siècle chartrain, selon laquelle tout signe visible ou audible, en particulier le mot,
est signe d’un intelligible invisible voulu par Dieu. Sur ce point voir Hennig Brinkmann,
Mittelalterliche Hermeneutik, Tübingen, 1980, p. 45‑46.
25 Marbode, De ornamentis 25. « Il y a conduplicatio quand au nom de l’amplification
ou de la plainte se produit la répétition d’un même ou de plusieurs verbes, sur le mode : /
Et toi n’as tu pas tué de ton glaive, enfant cruelle, ton père ? / Et toi ne l’as-tu pas tué,
lui au nom de qui la mort devait t’échoir. / Est-ce que tu fuis la lumière, ordure et
contagion de la vie ? / Est-ce que tu fuis ? Est-ce que si un juge voulait t’épargner / tu ne
devrais pas te donner la mort de tes propres mains ? »
50 el sa m a rgui n - h a mon
À côté de ces figures qui tiennent d’un jeu sur les mots et les sonori-
tés, plus que sur le sens et l’organisation du discours poétique, Marbode
range, suivant en cela la tradition, parmi les couleurs de rhétorique, un
ornement qui procède plus nettement des stratégies argumentatives
propres à l’art oratoire : la persuasio.
dépasse ? / Ou qui serait sage qui l’ordonnerait, lorsque, ce qu’il ordonne, il en est
incapable ? »
29 Hildebert, Carm. 39. « Versus cuius supra de Petro Pictaviensi episcopo », v. 17‑18
(éd. Scott). « Il convint qu’en la présence du Seigneur, le héraut se tût, / mais aussi que,
face au silence du héraut, le Seigneur commandât. »
30 Marbode, Carmina, n° XXVIII (« Sermo de vitiis et virtutibus. — Petendam esse
solitudinem », P.L. 171, col. 1667A). « Celui qui souffre ou a peur, il est évident qu’il
n’est pas heureux ; / celui qui perd ce qu’il aime, ou qui aime ce qu’il pourrait perdre, /
il souffre ou il a peur ; mais en ces extrêmes il n’y a pas de plaisir / que tu ne puisses
aussitôt perdre. »
31 Baudri, n° 2 (éd. et trad. Tilliette, p. 6), v. 55‑56. « J’atteins la rive et ne puis m’y
accrocher ; c’est alors aux rochers que je m’accroche, et je détache de ces rochers un roc. »
52 el sa m a rgui n - h a mon
Persuasio
On trouve chez ces auteurs, et particulièrement chez Baudri, dans
les lettres versifiées qu’il attribue à Pâris et Hélène et par lesquelles
il fait, conformément à la tradition ovidienne, dialoguer les futurs
amants, une forte emprise rhétorique. Les missives que l’on vient de
citer, et particulièrement celle de Pâris, ressortissent totalement à l’art
du plaidoyer. Les procédés choisis s’en ressentent, et notamment ce que
Marbode consigne, conformément à la Rhétorique à Hérennius (I, 23 :
ex ratiocinatione controversia constat…), au chapitre intitulé ratiocinatio.
Celle-ci consiste pour Marbode à construire le discours, monologique,
autour d’une succession de questions et de réponses :
R atiocinatio
Ratiocinatio est, per quam ipsi a nobis rationem poscimus, quare qui-
dque dicamus, et crebro nosmet a nobis petimus uniuscuiusque proposi-
tionis explanationem, hoc modo :
Dives avarus eget. Per quid ? Quia, cum petit usus,
Tangere parta timet. Cur ? Ne minuatur acervus.
Cur metuit minui ? Quia mavult crescere. Quare ?
Non esset vitium, si non ratione careret32 .
Les questions sont là aussi pour balayer par anticipation toute objec-
tion au discours, celui-ci visant à convaincre, à persuader un interlocu-
teur identifié (Hélène), ou anonyme, voire collectif. C’est à la comtesse
Ermengarde que Marbode s’adresse, dans une exhortation à l’humilité
qui tient du memento mori, d’autant plus mémorable du fait de l’anno-
minatio qui renforce la rime léonine :
Mollities lecti quid confert murice tecti ?
Aufert quippe tori gaudia posse mori.
(…) Quem laudis titulum dant tibi post tumulum ?
Quid maris et terrae properem bona cuncta referre,
Quae quasi te ditant, et tibi suppeditant ?
Divitiae tales sunt nulli perpetuales,
Cum mundo vadunt, cumque cadente cadunt34.
35 Matthieu de Vendôme, Ars versificatoria, éd. F. Munari, Rome, 1988. Sur les arts
poétiques latins du x ii e siècle, voir Edmond Faral, Les arts poétiques du x ii e et du x iii e
siècle, Paris (Bibliothèque de l’École des Hautes Études, 238), 1924.
36 Mathieu de Vendôme, Ars versificatoria, II, 11 (éd. F. Munari). « Assurément,
comme, dans la constitution d’un objet matériel, l’objet tout entier s’illumine plus
élégamment de ce que l’on y dispose quelque perle ou quelque emblème, de même il y
a certains mots, qui sont comme des substituts de perles, et qui, artistement disposés,
feront que tout le mètre se verra égayé. Leur ornement multiforme, en effet, distribue le
bénéfice de ses charmes aux autres mots alentour, et, comme en société, leur administre
les agréments d’une certaine gaieté. »
ent r e conservatoir e et espace de li bert é 55
Pourtant, s’il inclut bien les figures de pensée, à savoir l’ornatus diffi-
cilis, à la différence de Marbode, Mathieu ne fait que donner la liste des
couleurs de rhétorique (à savoir les figures d’ornatus facilis), considérant
que d’autres (peut-être est-ce précisément une allusion à Marbode) les
ont expliquées avant lui37. Cela révèle sans doute une ambition supé-
rieure, celle de s’adresser par son traité à tous les poètes qui entendent
s’illustrer dans les genres nobles, c’est-à-dire ceux précisément qui, selon
les classifications anciennes, relèvent de l’ornatus difficilis.
En parallèle à cette activité théorique, ressortissant à des fonctions
pédagogiques, Mathieu s’illustre par sa pratique du vers latin. Il est
principalement l’auteur de comédies et de poèmes satiriques.
Or son œuvre théorique, dans les choix de présentation qu’elle
opère, semble faire fi de l’expérience poétique elle-même. Insistons sur
le caractère puissamment aporétique de l’énoncé théorique de Mathieu,
qui ne fait pas mystère d’un certain conservatisme. Ainsi condamne-t-il
l’usage des vers léonins :
Amplius a praesentis doctrinae traditione excludantur versus inopes
rerum nugaeque canorae, sicilicet frivolae nugarum aggregationes, quae
quasi joculatrices vel gesticulatrices auribus alludunt solo consonantiae
blandimento, quae possunt cadaver exanimatum imitari, promptua-
rium sine [vino], manipulum sine grano, cibarium sine condimento,
quae vesicae distentae possunt comparari, quae ventoso distenta sibilo
sine venustate sonum distillans ex sola ventositate sui tumoris contrahit
venustatem : scilicet versus leonini, quorum venustas sicut ratio nomi-
nis ignoratur ; in quibus quidam tibicines et imperiti in exercitio leonis
morum maxime gloriantur38.
La comédie
La relative liberté dont disposent les auteurs s’illustrant dans ce
genre tient au peu de préceptes qui le régissent. Rappelons qu’il n’est
défini qu’en termes référentiels par Horace, qui au plan de la forme
s’en tient à quelques allusions à la tradition (qu’il réprouve en partie).
Mathieu de Vendôme n’ajoute aucune donnée technique précise à la
définition antique, se contentant de présenter en ces termes la comédie
(une des servantes de philosophia) :
Tertia surrepit comoedia, cotidiano hiatu, humiliato capite, nullius fes-
tivitatis praetendens delicias40.
43 Babio, v. 34‑39 (trad. Laye). « Dans sa bouche, vous faites, abeilles, votre rayon de
miel. Ses yeux sont des astres, ses cheveux sont tels que tu les portes, Phoebus ; Phillis
est enclose en ses doigts, comme en son pied le pied de Thaïs. Elle présente le visage
d’Hélène, avec la taille de la fine Corinne. La clarté de midi est égalée par son sourire,
comme par ses dents l’ivoire. À la voir telle, heureux celui à qui il est permis de la
fléchir ! »
44 Mathieu de Vendôme, Ars versificatoria, I, 56, 15‑16, 23‑28. « Ses yeux rayonnent
plus que les étoiles et par leur faveur / simple s’annoncent pour être des serviteurs de
Vénus. / (…) / La gloire de son visage de rose aspire aux baisers, d’un rire modeste ses
lèvres s’enflent, soutenues selon l’usage. / Pour qu’elles ne soient pas laissées ballantes,
retenues par un modeste renflement ses lèvres rougissent, pleines du miel de Dioné. / Ses
dents le disputent à l’ivoire et dans l’alignement parfait / de leur ordonnance ont soin
d’être toutes de semblable tenue. »
45 Mathieu de Vendôme, Ars versificatoria, I, 57, 1‑2. « Et si l’auditeur est un
voluptueux, qui dit n’accorder aucun prix aux longs discours, qu’il apprécie une telle
description physique : / Ses dents rivalisent avec l’ivoire, son front dégagé avec le lait, /
son cou avec la neige, la lueur de ses yeux avec les étoiles, ses lèvres avec les roses. »
ent r e conservatoir e et espace de li bert é 59
Pour autant Mathieu ne préjuge pas là du genre dans lequel ces des-
criptions sont employées. Faut-il en conclure que ses propos ont une
valeur générale, ou plutôt trans-générique ?
Le manuel favorise, mais il n’est pas le seul à y contribuer, la fixation
de figures obligées, de loci communes (figures de femmes, ici, Thaïs,
Hélène, Corinne etc.). Ces descriptions s’expriment en distiques, forme
érotico-élégiaque par excellence.
La reprise par l’auteur comique de ces codes (blason et formules
consacrées) participe d’un jeu, d’un second degré que révèle le contexte
dans lequel ils sont convoqués. Le poète s’approprie en effet ces élé-
ments topiques pour les détourner et user de la subversion comme prin-
cipal effet comique – ce qui suppose, soit dit en passant, une culture
commune à l’auteur et son lectorat, censé comprendre à quel système
de références de tels modes de descriptio renvoient.
Les ressorts listés plus haut, et relevant de l’ornatus facilis – répé-
tition, paronomase etc. – servent de cadre, d’écrin, à ces procédés de
variatio qui consistent à détourner des figures d’un registre plus élevé.
Plus uiola Viola, plus florens flore recenti,
Plus precio prestans, plusque decore decens ;
Et quem deuoui Croceo plus inclita flore47.
Pour autant, rien dans l’Ars versificatoria ne laisse à penser que Ma-
thieu puisse préconiser, théoriser de là la variatio autrement que pour
la condamner (Mathieu, Ars versificatoria I, 36). Un décalage existe
donc bel et bien entre le genre comique tel que Mathieu le lit, le voit,
le pratique et ce qu’il consent à en dire dans son œuvre normative. Il
oblitère ainsi totalement la dimension subversive de la comédie, dont
un des ressorts les plus sûrs dans la production contemporaine tient à
la transposition de topoï poétiques caractérisant les genres plus nobles
(panégyriques, élégies, épopée etc.).
Plus largement, le découpage générique présenté par Mathieu ne
prend pas en compte l’hybridation opérée au xii e siècle entre poésie
satirique, comédie et vers élégiaques50.
L’élégie
L’élégie est le genre que l’ars versificatoria définit le plus précisé-
ment : il est celui de l’apprêt, quand les trois autres, pour des raisons
diverses, se caractérisent selon lui par leur sobriété.
C’est au chapitre où il traite de l’élégie, et donc pour celle-ci en pre-
mier lieu, que Mathieu dresse une critériologie des genres poétiques qui
couvre : le contenu – les idées, d’une part, la forme des mots et leur
ornement, d’autre part, la qualité de l’expression enfin. Cette critériolo-
gie s’applique certes à l’ensemble des genres, et fait appel à des exemples
48 Babio, v. 311‑312 (trad. Laye). « Pâris n’eut pas sa flamme amoureuse diminuée
par les désastres, par tant d’épées, ni par la ruine de son père, celle de Troie ou la sienne
propre. »
49 Virgile, Énéide I, v. 238‑241 (trad. J. Perret). « Cet avenir me consolait de la chute
de Troie et de ses ruines lamentables ; je compensais par de nouveaux destins ceux qui
nous furent contraires. Mais la même fortune poursuit encore ces hommes, chassés par
tant de misères. »
50 G. Orlandi, « Classical Latin Satire and Medieval Elegiac Comedy », in
P. Godman, O. Murray (éd.), Latin Poetry and the classical Tradition, Oxford, 1990,
p. 97‑114.
ent r e conservatoir e et espace de li bert é 61
non élégiaques (Stace, Lucain), mais c’est à l’énoncé des règles prévalant
pour l’élégie que, selon l’économie et l’ordre du traité, il l’accroche51.
Il y fait l’éloge du déséquilibre :
Quarta
[Ov. Rem. 379] Pharetratos Elegia cantat amores,
Favorali supercilio, oculo quasi vocativo, fronte expositiva petulantiae,
cujus labella prodiga saporis ad oscula videntur suspirare ; quae ultima
procedens non ex indignitate, se potius ex inaequalitate pedum : tamen
in effectu jocunditatis staturae claudicantis vendicat detrimentum,
juxta illud Ovidii :
[Am. III, 1, 10] In pedibus vitium causa decoris erit52 .
Le beau est à trouver dans le défaut lui-même : c’est la leçon que tire
Mathieu du vers d’Ovide, poète remis à l’honneur, on l’a dit, depuis le
début du siècle, mais que Mathieu associe essentiellement à une tradi-
tion élégiaque, celle des Héroïdes, et amoureuse (l’allégorie de l’Élégie
ressemble étrangement aux modèles féminins célébrés, en distiques pré-
cisément, par Mathieu lui-même), plutôt qu’aux Métamorphoses. No-
tons à cet égard que si c’est Ovide que l’ars versificatoria cite à l’appui
du passage consacré à l’élégie, les préceptes d’Horace font foi en ma-
tière de tragédie, mais aucun auteur (Auctor) ne vient étayer le propos
de Mathieu concernant la satire et la comédie.
Le distique élégiaque est la forme métrique à laquelle émarge une
grande part de la production poétique latine lettrée. De fait, un certain
nombre de poètes s’y sont illustrés – on l’a vu plus haut pour le cercle
angevin. Le genre élégiaque est aisément identifiable car il s’attache tra-
ditionnellement une forme caractéristique, celle du distique : cette adé-
quation (apparente) forme-genre en fait un paradigme poétique dont
un théoricien à l’esprit systémique comme Mathieu aime à se saisir.
Amplius, in praefatis exemplis, per pentametros versus potius quam
per hexametros fuit procedendum, ut Elegiae denotaretur epithetum,
quod in elegis et pentametris obtinet monarchiam, et etiam quod in
praefata visione praesentia documenta et exempla meae visa est instil-
51 Mathieu de Vendôme, Ars versificatoria, II, 8‑9 : Elegia audita est mihi propalare
tripartitam versificatoriae facultatis elegantiam. (9) Etenim sunt tria quae redolent in
carmine : verba polita, dicendique color, interiorque favus.
52 Mathieu de Vendôme, Ars versificatoria, II, 8. « Quatrième, / [Ov. Rem. 379]
l’élégie chante les amours au carquois, / sourcil favorable, œil presque aguicheur, front
exprimant l’audace, lèvres prodigues de saveurs qui semblent aspirer aux baisers ; elle
est la dernière à s’avancer, non qu’elle soit indigne, mais plutôt parce que ses pieds sont
inégaux : et pourtant elle se venge du défaut de sa claudication par l’effet de son heureuse
allure, en témoigne Ovide : [Am. III, 1, 10] Le défaut de ses pieds l’embellira. »
62 el sa m a rgui n - h a mon
lare audientiae. Et iterum, quia levius est inferre vulnera quam sanare,
initiari quam versus terminare, item pentameter terminalis debet esse
sententiae quae in hexametro continetur, auditori levior pars debuit
familiariter praesentari, ut suis hexametris praecedentibus pentametros
quasi modo insitionis adaptaret53.
53 Mathieu, Ars versificatoria, II, 40. « Plus largement, dans les exemples susdits, il
fallut s’avancer en pentamètres plutôt qu’en hexamètres, pour que fût relevé le qualificatif
d’Élégie, parce que dans les élégiaques et les pentamètres elle détient la couronne, et
aussi parce que dans une évocation susdite elle sembla instiller à mon oreille les présents
enseignements et exemples. Et de nouveau, parce qu’il est plus aisé de porter les coups
que d’y remédier, d’entamer plutôt que d’achever les vers, de même le pentamètre doit
être au terme de la phrase qui est contenue dans l’hexamètre, et à l’auditeur devrait
être présentée naturellement une partie plus légère, pour que sur le mode de la greffe il
adaptât les pentamètres aux hexamètres qui les précèdent. »
54 Sur la prédominance de la poésie rythmique dans ce type d’usage, voir P. Bourgain,
Poésie lyrique latine du Moyen Âge, Paris, 2000.
55 Archipoète, vers goliardiques (H. Krefell [éd.], Der Archipoeta, Berlin, 1992, IV,
p. 54‑56). « Souvent de la grande misère de ma pauvreté / je me lamente en vers auprès
des hommes lettrés. / Les laïcs n’entendent rien aux problèmes des poètes / et ils ne me
donnent rien – cela se voit de reste ! / Poète le plus pauvre entres tous poètes pauvres, /
je n’ai absolument rien que ce que vous me voyez, / aussi souvent je me morfonds
ent r e conservatoir e et espace de li bert é 63
tandis que vous, vous riez ; / mais n’allez pas penser que je suis pauvre par ma faute. »
(traduction P. Bourgain, Poésie lyrique latine du Moyen Âge, Paris, 2000, p. 305)
56 D. Norberg, Introduction à l’étude de la versification latine médiévale, Stockholm,
1958, p. 150‑151.
57 Hilarius (N. M. Häring [éd.], Studi medievali, 1976, p. 936). « Langue de serf,
langue de perfidie, / source de trouble, graine de zizanie ! / Nous voyons bien aujourd’hui
sa bassesse / en subissant une grave sentence ! / Envers nous le maître a grand tort. »
(traduction P. Bourgain, Poésie lyrique latine du Moyen Âge, Paris, 2000, p. 177)
64 el sa m a rgui n - h a mon
Et l’hexamètre ?
Mathieu, s’appuyant sur l’art poétique d’Horace, rappelle que l’hexa-
mètre est le pied de la tragédie :
(…) Tragoedia
[Horace, Ars poet. 97] Projicit ampullas et sexquipedalia verba.
et pedibus innitens coturnatis, rigida superficie, minaci supercilio, as-
suetae ferocitatis multifariam intonat conjecturam58.
58 Mathieu, Ars versificatoria, II, 5. « La Tragédie / [Horace, Ars poet. 97] rejette
le style ampoulé et les mots d’un pied et demi (trad. F. Villeneuve) / et ses pieds appuyés
sur des cothurnes, d’aspect raide, le sourcil menaçant, fait résonner de toute part des
prédictions dont la sauvagerie est de mise. »
ent r e conservatoir e et espace de li bert é 65
Du genre au style
Contrairement à Mathieu, ni Geoffroy, ni Évrard, ni Jean de Gar-
lande ne voient l’intérêt de consacrer un chapitre aux genres. Ce sont
les modalités d’écriture qui priment : nature de la matière, des orne-
ments mis en œuvre, de la forme également – la roue de Virgile est fon-
dée sur la notion de style et non de genre. Le principe en est beaucoup
plus englobant, car il part de la matière élue (l’ensemble du réel pris
comme champ référentiel en son entier), hiérarchisée en trois catégo-
ries, mais, pour cette raison, est censé embrasser tout le prisme de la
création poétique.
Prenant acte de ce changement de paradigme, il nous faut interroger
la présence, sous forme de citations ou d’imprégnation moins avouée
et plus profonde, dans les artes, d’une production poétique contempo-
raine, en posant la question suivante : la roue de Virgile, et le bascule-
ment vers la notion de style est-elle le résultat d’une prise en compte,
avec une génération de décalage, de l’expérience épique des Gautier,
Joseph, Alain… ?
Prenons celui qui le premier vient à conjoindre la notion littérale
de « style » (stylus) et la hiérarchie des trois univers référentiels repérés
par Servius chez Virgile, Geoffroy de Vinsauf :
De stylis nihil dicit Horatius, nisi quod vitia stylorum. Ideo nos di-
camus de stylis, et postmodum de vitiis quod dicit Horatius. Sunt
igitur tres styli, humilis, mediocris, grandiloquus. Et tales recipiunt
appellationes styli ratione personarum vel rerum de quibus fit tractatus.
Quando enim de generalibus personis vel rebus tractatur, tunc est stylus
grandiloquus : quando de humilibus, humilis ; quando de mediocribus,
mediocris. Quolibet stylo utitur Virgilius : in Bucolicis humili, in Geor-
gicis mediocri, in Eneyde grandiloquo60.
puis, concernant les vices, dire ce que dit Horace. Il y a donc trois styles, l’humble, le
médian, le grandiose. Et de tels styles reçoivent leur dénomination de l’importance des
personnes, ou des objets dont il est traité. Quand on traite en effet de personnes ou
d’objets nobles, alors le style est grandiose ; quand on traite d’humbles personnes ou
objets, il est humble ; quand c’est de personnes ou d’objets de statut médian, le style est
médian. Virgile se sert de n’importe lequel de ces styles : dans les Bucoliques de l’humble,
dans les Géorgiques du médian, dans l’Énéide du grandiose. »
61 G. E. Duckworth, « Variety and repetition in Virgil’s Hexameters », Transactions
and Proceedings of the American Philological Association, 95 (1964), p. 9‑65 ; Id.,
« Horace’s Hexameters and the Date of the Ars Poetica », Transactions and Proceedings
of the American Philological Association, 96 (1965), p. 73‑95 ; Id., « Studies in Latin
Hexameter Poetry », Transactions and Proceedings of the American Philological
Association, 97 (1966), p. 67‑113 ; Id., « Five Centuries of Latin Hexameter Poetry :
Silver Age and Later Empire », Transactions and Proceedings of the American Philological
Association, 98 (1967), p. 77‑150 ; J.-Y. Tilliette, « Insula me genuit. L’influence de
l’Énéide sur l’épopée latine du x ii e siècle », dans Lectures médiévales de Virgile. Actes du
colloque de Rome (25‑28 octobre 1982), Rome, 1985 (Publications de l’École française de
Rome 80), p. 121‑142, spécialement p. 126‑127.
ent r e conservatoir e et espace de li bert é 67
Quia Virgilius posuit hic nomen pastoris, scilicet Daphnis, dicit « for-
mosi pecoris » et cetera. Eodem modo contingit invenire de Salvatore
Incarnato
Ex ove procedit pastor, procedit ab agna
Dux aries, agnum mistica lana parit68.
68 Jean de Garlande, Parisiana Poetria I, 381 sq. « Sur l’art de trouver des substantifs.
Il s’ensuit de l’art de trouver des substantifs et des adjectifs et des verbes, une fois établie
et pensée la matière. Il faut penser tous les noms qui conviennent à telle matière ; de
sorte que, si la matière concerne un verger, il faut penser des noms du type : prairies,
troupeau, mouton, bélier, loup ; ce que nous pouvons faire à l’exemple de Virgile, qui
dit dans l’épitaphe à Jules César : / Moi Daphnis dans les bois, jusqu’ici connu jusqu’aux
cieux, / Gardien d’un beau troupeau, moi-même encore plus beau. / Parce que Virgile
a disposé un nom de berger, à savoir Daphnis, il dit ‘d’un beau troupeau’, etc. De la
même façon il arrive de trouver, concernant le Sauveur incarné : / Du mouton procède
le berger, procède de l’agnelle / Le chef, le bélier, la laine mystique engendre l’agneau. »
70 el sa m a rgui n - h a mon
69 Jean de Garlande, Parisiana Poetria I, 124 sq. « Trois genres de personnes et trois
genres d’hommes. Trois genres de personnes doivent être ici considérés selon trois genres
d’hommes, qui sont les curiaux, les civils, les ruraux. Sont curiaux ceux qui tiennent la
curie et font des célébrations, comme Monseigneur le Pape, les cardinaux, les légats, les
archevêques, et leurs suffragants, comme les archidiacres, les diacres, les officiaux, les
maîtres, les écoliers. De même, les empereurs, rois, marquis et les ducs. Les personnes
civiles sont le consul, le prévôt, et les autres personnes qui habitent la cité. Les ruraux
sont ceux qui cultivent les champs, comme les veneurs, les agriculteurs, les viticulteurs,
les oiseleurs. C’est selon ces trois genres d’hommes que Virgile invente un style triple,
dont il sera question plus tard. »
ent r e conservatoir e et espace de li bert é 71
Poetria rithmica79
Le Laborinthus et la Parisiana Poetria donnent un coup d’envoi à
la prise en compte de cet aspect dans un contexte normatif scolaire
et parisien. Pour autant, de tous les auteurs cités jusqu’à présent, Jean
de Garlande est le seul (Évrard l’Allemand reste plus modeste en ce
domaine) à consacrer toute une partie de son traité (censément tripar-
tite) à la poétique rythmique, qu’il distingue d’une première partie pro-
saïque et d’une seconde métrique.
En réalité, des traités existent avant cela, pour ne prendre que
l’exemple d’Albéric du Mont-Cassin, dès la fin xi e siècle. Pourtant, ces
textes appartiennent à des circuits de diffusion un peu en marge de
notre ère géoculturelle : une influence mutuelle avec la production poé-
tique ici visée est dans ces conditions plus difficile à identifier80.
Cette ultime partie de la Parisiana énonce un certain nombre de
règles et de définitions introductives, pour beaucoup empruntées aux
corpus théoriques musicaux, puis recense différents types de rythmes,
jalonnant son propos d’encarts consacrés à la composition des strophes,
et autres, mais aussi aux couleurs de rhétorique.
Il est intéressant, dans l’exemple qui suit, de voir que Jean reprend
de manière claire et illustrée la liste des procédés de l’ornatus facilis qui
conviennent à la poésie rythmique, manière d’affirmer que le rythme
relève de plein droit du champ poétique tel que l’organisent les artes
et leurs normes. Il s’agit en effet là, pour une grande part, des couleurs
données par Marbode un siècle avant : rime finale et léonine, parono-
mase, traductio, exclamatio, repetitio (rythmique et lexicale), etc. actua-
lisées en tenant compte, notamment, de l’isosyllabisme en quoi consiste
en partie la notion de rythme.
De coloribus rethoricis. Item colores rethorici necessarii sunt in rithmo
sicut in metro, et isti precipue : Similiter Desinens, Compar in Numero
Sillabarum, Annominatio et ejus species, Traductio, Exclamatio, Repe-
titio. Similiter Desinens est color rethoricus continens rectas consonan-
cias in fine dictionum […]81.
81 Jean de Garlande, Parisiana poetria VII, 863 sq. « Sur les couleurs rhétoriques.
De même les couleurs de rhétorique sont nécessaires au rythme comme au mètre, et
principalement celles-ci : la rime finale, l’isosyllabisme, la paronymie et ses différentes
espèces, la traductio, l’exclamatio, la répétition. La rime finale est une couleur rhétorique
qui contient des convergences exactes de son en fin de mots etc. »
82 Jean de Garlande, Parisiana poetria VII, 917 sq. « Vierge, Mère du Sauveur, /
étoile de la mer, goutte de rosée, / et berceau de douceur : / prodigue ton souffle de vraie
fleur, / la fleur d’un fruit et d’un parfum, / le fruit de la bravoure. / Dans cette mer sois
nous réconfort / barque, malgré tout, / rameur, souffle, refuge. / Souffle tu te répands
en cette mer, / toi qui te distingues par l’éclat toujours singulier / d’un feu précurseur. »
76 el sa m a rgui n - h a mon
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Adrian A r mstrong
THÉORIE ET PR ATIQUE,
ALLER ET RETOUR
L’ART DE RHÉTORIQUE
ET LA POÉSIE DE JEAN MOLINET
DANS DEUX RECUEILS MANUSCRITS
79
80 a dr i a n a r mst rong
dans quelle mesure l’Art permet aux lecteurs de ces manuscrits d’éva-
luer les aspects formels des « co-textes » qui l’accompagnent4. Il n’en va
pas seulement de la poétique de Molinet, mais aussi de la relation entre
la théorie et la pratique du vers français à la fin du Moyen Âge.
Dans son Art, que l’on peut dater entre 1482 et 1492, Molinet ne
se contente pas de présenter différents mètres, rimes et strophes, ni
d’indiquer l’emploi qu’en font les poètes contemporains : ses exemples
et explications reflètent des principes sous-jacents qui, pour être impli-
cites, n’en sont pas moins pertinents ; principes que résume la tournure
sur laquelle commence l’Art proprement dit : « Rethorique vulgaire
est une espece de musique appellée richmique5 ». Philipp Jeserich en a
exposé magistralement les implications : cette conception de la « retho-
rique », autant dire de la versification, est nourrie de théories musicales
spéculatives dans la tradition boécienne, selon lesquelles les règles nu-
mériques qui gouvernent la composition expriment une harmonie cos-
mique6, prêtant une dimension métaphysique à la versification. Cette
dernière repose sur des équivalences, telles l’isométrie des vers ou la
similitude sonore des rimes, qui sont motivées plutôt qu’arbitraires,
les chiffres possédant une vérité à laquelle les signes linguistiques ne
peuvent prétendre. La valorisation de la complexité dans l’Art, ainsi
que dans l’esthétique des rhétoriqueurs en général, traduit cette notion
de la forme : en construisant des rimes de plus en plus riches et large-
ment étendues (rimes batelées, rimes enchaînées, rimes entre français
et latin, etc.), les poètes rendent le principe d’équivalence de plus en
plus manifeste. À l’accroissement de la complexité correspond celui de
la qualité esthétique, voire d’une intensification du plaisir que produit
le texte, toutes ces tendances exprimant un même ordre transcendant.
L’Art de Molinet propose ainsi une tacite métaphysique de la virtuo-
7 BnF, ms. fr. 2375, fol. 164v. Les textes que fournissent les manuscrits diffèrent,
parfois sensiblement, des éditions modernes, auxquelles il nous a semblé pourtant utile
de renvoyer pour permettre aux lecteurs une plus grande accessibilité aux textes. Dans
les citations de manuscrits, i/j et u/v sont dissimilés, les abréviations et signes diacri-
tiques résolus, les apostrophes et cédilles introduites, etc. Les signes de ponctuation et
les capitales suivent l’usage moderne. BnF, ms. fr. 2375 est folioté ; Gonville and Caius
College 187 : 220 est paginé, sauf pour une trentaine de feuillets dont la foliotation date
du x v i e siècle (voir A. Armstrong, « The Shaping », p. 216).
8 Le deuxième art de seconde rhétorique (fol. 38v-41r) est édité dans Recueil, éd.
E. Langlois, p. 253‑264.
82 a dr i a n a r mst rong
9 Les Faictz et dictz de Jean Molinet, éd. N. Dupire, Paris, 1936‑1939, t. 1, p. 59‑64,
v. 1‑8. Ce manuscrit est le seul témoin connu de ce texte. Sur le discours politique du
poème, voir J. Devaux, Jean Molinet, indiciaire bourguignon, Paris, 1996, p. 212‑214,
226‑228 ; nous modifions la ponctuation du v. 5 suivant les remarques de ce dernier
(p. 227, n. 230).
10 Ni H. Chatelain, Recherches sur le vers français au x v e siècle : rimes, mètres et
strophes, Paris, 1908, p. 102, ni N. Dupire, Jean Molinet : la vie – les œuvres, Paris, 1932,
p. 336, n’en relève ailleurs que chez Molinet.
11 Sur ce huitain chez Molinet, voir surtout Cl. Thiry, « Prospections et prospectives
sur la Rhétorique seconde », Le Moyen Français, 46‑47 (2000), p. 541‑562 (p. 552‑559).
12 BnF, ms. fr. 2375, fol. 18v-19r ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 222. La strophe citée
à titre d’exemple est adaptée de Complainte sur la mort madame d’Ostrisse, v. 369‑376 ;
Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 162‑180.
théor i e et pr at ique , a ller et r etour 83
strophe. C’est une technique que l’Art n’évoque qu’en passant, dans
une courte description du septain d’heptasyllabes « dont la derraine
[ligne] chet en commun proverbe », mais qu’affectionnait l’indiciaire,
pour la raison sans doute qu’elle lui permettait de mieux étayer ses
arguments politiques en y intégrant une sagesse commune relevant de
la tradition17. Suivant son habitude et à l’instar de Michault Taillevent
qui avait élargi l’usage de l’épiphonème au sein de la poésie didactique,
Molinet lie étroitement un proverbe au reste de la strophe sur un plan
tant thématique que formel18. Dans De nus de Nuz, par contraste, la
relative autonomie formelle des vers en –c fait ressortir les proverbes,
invitant les lecteurs à réfléchir aux liens entre proverbes et strophes
et, partant, à les réconcilier. Ainsi la pratique formelle de ce poème
dépasse-t-elle largement les éléments théoriques que l’on peut dégager
de l’Art. Parallèlement, l’Art permet d’apprécier à quel point De nus
de Nuz détourne une forme connue, et d’entrevoir quelques effets du
détournement.
La forme de la pièce suivante de Molinet, Les Eages du monde
(fol. 59v-65r), ressemble à celle qu’emploie l’indiciaire dans De nus de
Nuz, à ceci près que le septième vers de chaque strophe comporte une
rime batelée, si bien que la séquence des rimes est identique au schéma
« classique » : aabaaaabbbbcc19. Bien que la batelure au septième vers re-
lie plus étroitement le distique final au reste de la strophe, ce distique
garde une certaine autonomie du fait de son mètre octosyllabique.
Ce qui met en valeur, encore une fois, l’épiphonème. Les strophes ra-
content des épisodes de l’histoire universelle, glosés à chaque fois par
un proverbe approprié :
Cesar fondu, le pesant monde chut ;
Si le rechust Octovïen Auguste.
Entre ses bras dormit en paix et jut.
Dieu fut conchut, son facteur, qui perchut
Qu’on le dechupt pa<r> diablerie auguste.
Le monde injuste reforme est [sic] adjuste.
17 BnF, ms. fr. 2375, fol. 16v ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 218. L’importance des
expressions proverbiales chez Molinet est indiquée par l’ampleur de l’index que son édi-
teur y consacre : Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 3, p. 1217‑1231.
18 Sur l’épiphonème chez Michault Taillevent, voir A. Armstrong, The Virtuoso
Circle : Competition, Collaboration, and Complexity in Late Medieval French Poetry,
Tempe, 2012, p. 57‑58.
19 Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 588‑596. À part De nus de Nuz, c’est le
seul poème où Molinet utilise ce type de strophe.
théor i e et pr at ique , a ller et r etour 85
20 BnF, ms. fr. 2375, fol. 63r-v ; cf. Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 593,
v. 145‑152. Sur la périodisation de l’histoire du monde et sa moralisation dans ce poème,
voir J. Devaux, Jean Molinet, p. 70‑72.
21 Sur la légitimation du savoir dans la poésie au bas Moyen Âge, voir A. Armstrong
et S. Kay, Knowing Poetry, p. 19‑20.
22 BnF, ms. fr. 2375, fol. 18r ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 220‑221. Les « mettres
[…] de XI piedz » sont des décasyllabes à rimes féminines. La Journée de Therouenne
figure dans Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 127‑136 ; voir sur ce poème
Cl. Thiry, « La Poésie de circonstance », dans La Littérature française aux x iv e et x v e
siècles : Partie historique, éd. D. Poirion, A. Biermann, D. Tillmann-Bartylla, Grun-
driss der romanischen Literaturen des Mittelalters, t. 8.1, Heidelberg, 1988, p. 111‑138
(p. 131‑134) ; A. Armstrong, The Virtuoso Circle, p. 135‑151.
23 Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 205‑208. Voir J. Devaux, Jean Molinet,
p. 459‑460.
86 a dr i a n a r mst rong
29 Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 766‑767 ; les termes cités figurent aux
v. 23 et 27. Voir Fr. Cornilliat, « Or ne mens », p. 188.
30 Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 817‑819, 812‑814. Dupire dispose la
Lettre en quatrains suivis d’un sixain final ; dans ce recueil elle forme pourtant une
séquence ininterrompue de distiques.
31 BnF, ms. fr. 2375, fol. 19v ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 223. L’Épitaphe figure
dans Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 34‑35 ; voir sur ce poème A. Armstrong,
« Avatars d’un griffonnage à succès : L’Épitaphe du duc Philippe de Bourgogne de Jean
Molinet », Le Moyen Âge, 113 (2007), p. 25‑44.
88 a dr i a n a r mst rong
La glose en dit plus long que l’Art non seulement sur le langage
du Bergier, mais aussi sur les connotations de sa versification. L’autre
pièce de circonstance où Molinet emploie le huitain « classique » est
la Complainte de Grece (fol. 160r-164v), prosimètre qui exhorte la no-
blesse bourguignonne à soutenir le projet que nourrissait Philippe le
Bon de venir en aide à la Grèce conquise par les Turcs… et dont ce
recueil, comme la majorité des autres témoins manuscrits, ne transmet
que les sections en vers36. Il s’agit de la plainte de la Grèce personni-
fiée, en huitains « classiques », et de deux douzains hétérométriques où
l’« acteur » présente sa composition et exprime son espoir que la Grèce
sera bientôt secourue. Ceux-ci riment 7a3a3a7b7a3a3a7b3b3b7c7c, les
rimes b étant féminines. Schéma peu commun, qui semble avoir induit
le copiste de BnF, ms. fr. 2375 – comme ceux de quelques autres ma-
nuscrits – en erreur. Les vers trisyllabiques sont transcrits à raison de
deux vers par ligne, pour produire des hexasyllabes ou heptasyllabes se-
lon les rimes et variantes. Le résultat ressemble à deux neuvains d’hep-
tasyllabes, avec quelques vers hypométriques :
Gresse que Turcqz vont gastant
Estoit ainsy regrettant
La region où demeure
Le fort lyon très puissant,
Rugissant que cessant
Fut sa doleur sans demeure.
Viengne l’heure que il y queure
Et demeure [sc. deveure] le tirant
Qu’ainsi le va detirant37 !
Le poème n’a cependant rien d’une ballade : c’est une pièce à dix di-
zains, sans envoi ni refrain, et dont chaque strophe s’achève sur le vers
d’un rondeau que le compositeur Busnoys avait envoyé à l’indiciaire41.
Le rondeau manque au recueil, de sorte que l’exploit formel de Molinet
42 Cf. Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 709‑713 ; Recueil, éd. E. Langlois,
p. 223.
43 Voir ibidem.
44 BnF, ms. fr. 2375, fol. 39v ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 259.
45 Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 483‑490.
92 a dr i a n a r mst rong
une grille de lecture pour expliciter les relations entre l’Art et les autres
pièces de Molinet dans le manuscrit de Cambridge, pièces qui peuvent
se répartir en trois catégories.
La première catégorie, celle des poèmes dont l’Art rend bien compte
de la versification, comprend deux principaux sous-ensembles. Il y a
tout d’abord différentes compositions à forme fixe, notamment celles
qui illustrent la « ballade commune » et le chant royal dans tous les té-
moins de l’Art excepté dans ce manuscrit même, et qui figurent parmi
les derniers textes de Gonville and Caius College 187 : 22049. Ensuite,
les pièces composées exclusivement en huitains tels que l’Art les expose :
le huitain « classique » de décasyllabes avec ou sans batelure, le huitain
octosyllabique partageant son schéma de rimes avec celui qu’avait déve-
loppé Chastelain, et le huitain octosyllabique rimant ababbcbc dont
Molinet reconnaît le caractère traditionnel :
Aultre taille de vers huittains appellez vers franchois, qu’ilz sont assez
communs en pluseurs livres et traictez, comme en La Belle Dame sans
merchi, L’Hospital d’Amours et Le Champyon des dames50.
phique est la seule que l’on trouve dans la Complainte des trespassés
(p. 241‑243), les Lamentables regrés pour le trespas de monseigneur Al-
bert duc de Zassen (p. 249‑252), Dictier à ung prebstre (p. 326‑328), La
très desirée et prouffitable naissance de Charles d’Austrice (p. 374‑379),
La Nativité madame Lienor (p. 404‑407), L’Alliance matrimoniale des
enfans d’Austrice et d’Espaigne (p. 416‑421), et Epitaphe de monsei-
gneur Henry de Berghes (p. 464‑466)51. Autant vaut pour Le Voiage
de Napples (p. 260‑266), où les huitains sont cependant précédés
d’un passage en prose – moyen d’expression exclu, par définition, de
l’Art52 . Cas semblable mais beaucoup plus complexe : La Ressource du
petit peuple, important prosimètre allégorique où Molinet commente
les difficultés auxquelles font face les Pays-Bas bourguignons depuis la
débâcle de Nancy53. Les sections en vers sont détachées des passages en
prose. Ceux-ci sont transcrits plus avant dans le recueil (p. 310‑325),
avec des renvois à celles-là54. L’éparpillement du texte exige la relecture
des vers, que le copiste principal du manuscrit avait présentés comme
trois compositions indépendantes. Il est clair, à la lumière de l’Art, que
les huitains « classiques » avec batelure expriment le sérieux d’une
reprobation de la ghuerre, adressant aux prinches de ghuerre, composée
par ledit Molinet (p. 74) ; mais, ayant découvert que ce poème consti-
tue la première section versifiée de la Ressource et qu’il s’agit d’un dis-
cours prononcé par la Vérité personnifiée, les lecteurs seront obligés d’y
attribuer une importance plus profonde. La strophe ne convient plus
seulement à l’œuvre de l’indiciaire, d’un commentateur qui fait auto-
rité ; grâce à la personnification, elle participe d’une vérité supérieure
à celle que les êtres humains peuvent percevoir et exprimer. En ce qui
51 Ces poèmes figurent respectivement dans Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2,
p. 433‑435 ; t. 1, p. 362‑366 ; t. 2, p. 425‑427 ; t. 1, p. 352‑358 ; t. 1, p. 347‑351 ; t. 1,
p. 335‑340 ; t. 1, p. 383‑385. Il faut y ajouter Epitaphe de Hubin son chien (p. 472‑474),
pièce attribuable à Molinet : voir A. Armstrong, « The Shaping », p. 260.
52 Voir Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 277‑283. La prose de l’indiciaire
est représentée par plusieurs autres pièces dans le recueil, surtout des pronostications :
des sections de Prenostication des gouverneurs de la terre (p. 267‑268, fol. 121v-p. 280)
et d’Encoires prenostication (p. 285‑287, fol. 127r, p. 288), ainsi que Prenostication de la
guerre des grands (p. 280‑284), Aultre prenostication (p. 284‑285) et Lettre missive à vene-
rable et cathefumineuse personne, Jo. de Wisoc, president en Papagosse (p. 287-fol. 127r).
Ces textes figurent respectivement dans J. Molinet, Les Pronostications joyeuses, éd.
J. Koopmans et P. Verhuyck, Genève, 1998, p. 125‑128, 121‑125, 175‑179, 176‑177,
203‑229, 77‑82 ; Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 915‑917.
53 Voir ibidem, t. 1, p. 137‑161.
54 Voir A. Armstrong, « The Shaping », p. 243 ; A. Armstrong, « The Practice of
Textual Transmission : Jean Molinet’s Ressource du Petit Peuple », Forum for Modern
Language Studies, 33 (1997), p. 270‑282 (p. 274‑277).
théor i e et pr at ique , a ller et r etour 95
55 Cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 239. Cela dit, la mise en page de l’exemple dans
l’Art (p. 142‑143) brouille la séquence des strophes. Le texte est transcrit à raison de
deux vers par ligne et les huitains sont groupés deux par deux.
56 Voir J. Molinet, Pronostications, p. 51‑76 ; Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2,
p. 545‑547. Sur la relation entre les Graces sans villonnie et les Gratias, voir ci-dessus,
n. 27.
57 Gonville and Caius College 187 : 220, p. 148 ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 247.
La Robe figure dans Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 258‑264 ; voir J. Devaux,
Jean Molinet, p. 525.
96 a dr i a n a r mst rong
poète ne devant trouver que deux rimes sur une même syllabe, s’avère
trompeuse : la « riqueracque » a sa propre rigueur.
58 Gonville and Caius College 187 : 220, p. 133 ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 218.
59 Voir Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 628‑635. Pour l’exemple du douzain
(octosyllabique) dans l’Art, voir ci-dessus, n. 42.
théor i e et pr at ique , a ller et r etour 97
Comme dans BnF, ms. fr. 2375, la catégorie la plus diverse et inté-
ressante comprend les pièces dont l’Art traite la forme de manière par-
tielle ou indirecte. Nous avons remarqué ci-dessus le statut ambigu des
alexandrins à rimes plates de l’Épitaphe du duc Philippe de Bourgogne.
On trouve le même schéma, qui soulève les mêmes questions, dans un
Épitaphe de Philippe le Beau attribuable à l’indiciaire (p. 335‑336) et
dans Complainte d’ung gentilhomme à sa dame (p. 454‑457)66. L’élé-
ment formel le plus frappant de la Complainte est pourtant son emploi
soutenu de rimes équivoques, au moyen desquelles le « gentilhomme »
tempête contre la dame qui lui a, croit-il, transmis la syphilis :
Belle aux biaux yeux, pour qui plus de mal je comporte
Que pour femme aujourd’huy qui sur terre con porte […]67.
65 Cf. Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 468‑475. Le texte est lacunaire et
l’ordre des strophes perturbe parfois l’alternation des metres : voir A. Armstrong, « The
Shaping », p. 230.
66 Voir H. Servant, Artistes et gens de lettres à Valenciennes à la fin du Moyen Âge
(vers 1440‑1507), Paris, 1998, p. 319‑322 ; Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2,
p. 729‑731. Sur l’attribution de l’Épitaphe, voir aussi A. Armstrong, « The Shaping »,
p. 244.
67 Gonville and Caius College 187 : 220, p. 454 ; cf. Les Faictz et dictz, éd. N. Du-
pire, t. 2, p. 729, v. 1‑2. Le jeu des rimes est rehaussé par la mise en page du manuscrit.
La syllabe finale de chaque couplet est transcrite en exposant ; le préfixe « com » qui la
précède dans les vers impairs est représenté par la graphie cō, tandis que le mot « con »
des vers pairs est représenté par l’abréviation latine 9 (voir A. Armstrong, Technique and
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les rimes de la Complainte, voir surtout Fr. Cornilliat, « Or ne mens », p. 67‑68, 72‑74,
271‑277.
68 Gonville and Caius College 187 : 220, p. 155 ; cf. Recueil, éd. E. Langlois,
p. 251‑252.
théor i e et pr at ique , a ller et r etour 99
69 Noter que la séquence des signatures (A. Armstrong, « The Shaping », p. 217)
suggère que les trois premiers cahiers du recueil, dont les pages où se trouve Letania
minor, sont peut-être postérieurs aux cahiers où l’Art est transcrit.
70 Voir Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 536‑539. Sur la version octosylla-
bique, voir A. Armstrong, « Printing and Metrical Naturalisation ».
71 Voir Ph. Jeserich, Musica naturalis, p. 397. Le poème figure dans Les Faictz et
dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 439‑442.
72 Autres poèmes où la rime riche joue un rôle majeur : une version remaniée de
Lettre de recommanchon (p. 10) et Domine mi reverende (p. 10‑11), qui riment tous les
deux sur « ‑dé » et « ‑table » ; en plus, Domine mi reverende fait rimer mots latins et
mots français. Voir ibidem, t. 2, p. 808‑809, 775‑776. Une ballade que le copiste attri-
bue à Molinet, « O toy pecheur, que folle oultrecuidanche » (p. 91), emploie la rime
enchaînée, signalée dans l’Art (p. 152 ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 224‑225). Les hui-
tains décasyllabiques de la ballade ne reflètent pourtant pas les structures décrites dans
le manuel, selon lequel « doibt chascun coupplet avoir, par rigueur de examen, autant de
lignes que le refrain contient de sillebes » (p. 139 ; cf. ibidem, p. 235).
100 a dr i a n a r mst rong
76 Voir Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 649‑655. Voir aussi J. Devaux, Jean
Molinet, p. 310‑312.
77 Voir Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 569‑583. Sur la façon dont l’Art
de Molinet expose les « rimes à double queue » et le « double fatras », voir Gonville
and Caius College 187 : 220, p. 152‑153, 137‑138 ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 225,
234‑235.
78 Gonville and Caius College 187 : 220, p. 137 ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 234.
Sur le décalage entre la théorie et la pratique du fatras chez Molinet, voir P. Uhl, « Les
Fatras ‘entés’ de Jean Molinet : l’aboutissement du ‘processus de rectification’ et la poésie
102 a dr i a n a r mst rong
du non-sens », dans Jean Molinet et son temps, éd. J. Devaux, E. Doudet, E. Lecuppre-
Desjardin, p. 249‑261 (p. 260‑261).
79 A. Schoysman, « Prosimètre et varietas chez Jean Lemaire de Belges », dans
Le Prosimètre à la Renaissance, Paris, 2005, p. 111‑124.
80 Voir Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 36‑58, 232‑250. Voir A. Armstrong,
« The Manuscript Reception of Jean Molinet’s Trosne d’Honneur », Medium Ævum, 74
(2005), p. 311‑328 ; A. Armstrong, « Prosimètre et savoir », dans Le Prosimètre, p. 125‑
142 (p. 130‑134).
81 Voir Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 77‑99. Sur ce texte, voir surtout
J. Devaux, Jean Molinet, p. 313‑317, 351‑364, 399‑406.
82 Voir Cl. Thiry, « Au Carrefour des deux rhétoriques : les prosimètres de Jean
Molinet », dans Du mot au texte : actes du III e colloque international sur le moyen fran-
çais (Düsseldorf, 17‑19 septembre 1980), éd. P. Wunderli, Tubingue, 1982, p. 213‑227
(p. 216‑217).
83 Ce dernier prosimètre, absent du recueil de Cambridge, figure dans Les Faictz et
dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 100‑126.
théor i e et pr at ique , a ller et r etour 103
En guise de conclusion
86 Gonville and Caius College 187 : 220, p. 308 ; cf. Les Faictz et dictz, éd. N. Du-
pire, t. 2, p. 838, v. 1‑8. Des huitains semblables figurent à la même page du manuscrit
et à la p. 348 ; cf. ibidem, t. 2, p. 838‑839, v. 9‑16 ; p. 849.
87 Cf. ibidem, t. 2, p. 780.
88 Cf. ibidem, t. 2, p. 804‑805. Sur le remaniement dans ce manuscrit, voir A. Arm
strong, « The Shaping », p. 245.
théor i e et pr at ique , a ller et r etour 105
BIBLIOGRAPHIE
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Le Moyen Français, 46‑47 (2000), p. 541‑562.
89 La présente étude a été rédigée dans le cadre d’un projet collectif, « Transcultural
Critical Editing : Vernacular Poetry in the Burgundian Netherlands, 1450‑1530 », sub-
ventionné par l’Arts and Humanities Research Council (AHRC).
Jean-Charles Monfer r an
DE L’ANTHOLOGIE
ET DE L’ART POÉTIQUE FR ANÇAIS
À LA RENAISSANCE
Je voudr ais pr éciser d’emblée que je ne traiterai pas dans cette
contribution de deux sujets qui, d’une certaine manière, sont très
proches de celui annoncé. Une première optique aurait consisté à re-
garder comment celui qui rédige un art poétique à la Renaissance a
presque toujours en ligne de mire sa propre pratique poétique : l’art
poétique constitue en effet presque à tous coups la préface, la postface
ou le commentaire plus ou moins distant d’une œuvre poétique person-
nelle, laquelle peut suivre le traité ou l’intégrer par manière de fleurs,
d’extraits ou de références. C’est du moins le cas en France où l’art poé-
tique en langue vulgaire est écrit pour l’essentiel par des poètes, non
par des polygraphes ou des érudits. Ayant déjà eu l’occasion d’aborder
ce lien de la théorie et de la production personnelle1, j’ai préféré plutôt
m’intéresser ici à la manière dont les poéticiens s’appliquent à lire et à
collecter d’autres œuvres que les leurs. À cet égard, et c’est là le second
sujet que j’écarterai en partie, je ne m’intéresserai pas ici directement à
la manière dont l’art poétique, par le choix de ses exemples ou de ses
illustrations, oriente l’institution littéraire, en créant un canon ou un
palmarès des poètes et de leurs productions.
De façon plus étroite, je souhaiterais m’intéresser aux relations, en-
core peu étudiées, qui s’élaborent au cours du x v i e siècle entre l’art poé-
tique français et les anthologies de poésie en langue vulgaire. Dans un
premier temps, je regarderai comment a pu se nouer parfois leur destin
éditorial (et pourquoi). Dans un second moment, je voudrais, à partir
de l’exemple de Sébillet, montrer comment certains poéticiens utilisent
la lecture des recueils collectifs de leur temps, et proposer une réflexion
sur ce que ces usages nous apprennent de l’art poétique renaissant.
1 J.-C. Monferran, L’École des Muses, Les arts poétiques français à la Renaissance
(1548‑1610), Genève, 2011, p. 193 sq. (« Théorie et pratique : l’art poétique et son
double »)
107
108 je a n - ch a r les monfer r a n
D estins croisés
Ces deux entreprises mises en parallèle sont sans doute très diffé-
rentes, dans la mesure déjà où la poétique ne constitue pas la pièce
maîtresse du premier volume, au contraire du second (ainsi que l’in-
diquent les titres respectifs des ouvrages). Elles soulignent avant tout
le rôle joué dans ces livraisons par les hommes du livre, et le poids des
impératifs économiques. Jane Taylor a ainsi pu montrer que l’Instructif
ne sert pas vraiment à former un poète et qu’il possède d’abord une
fonction publicitaire ou promotionnelle7. En ouvrant l’anthologie par
un art de seconde rhétorique, Antoine Vérard cherche à susciter à la
fois une compétence et un goût pour la poésie courtoise auprès d’un
public large, essentiellement bourgeois, peu familier de cette littérature.
Il s’agit de « créer les conditions d’une consommation » d’une telle
poésie8. La formule de Jane Taylor s’appliquerait assurément moins
bien à l’ouvrage de Sébillet. Il n’empêche que les imprimeurs-libraires
se servent de son succès pour mettre en valeur l’anthologie poétique et
la cautionner comme, à l’inverse, ils profitent du succès des anthologies
poétiques pour faire acheter les ouvrages doctrinaux. En effet, le prin-
cipal recueil joint à l’Art poétique français de Sébillet n’est rien d’autre
que la réimpression du Recueil de vraye Poesie Françoyse prinse de plu-
sieurs poëtes les plus excellentz de ce regne, publié d’abord chez Denis
Janot en 1543, puis chez le même éditeur en 15449, et qui connaîtra,
après avoir intégré le volume de poétique réuni autour de Sébillet en
1551 et 1555, une nouvelle édition séparée en 1559 (Poesie facetieuse ex-
traite des œuvres des plus fameux Poëtes de notre siècle, Lyon, B. Rigaud,
1559)10. Ces anthologies poétiques, qui se plaisent aux poésies récréa-
tives, ont assurément trouvé leur public au milieu du siècle, comme en
témoignent leur multiplication et le délai serré de leurs réimpressions11.
coucher / Avecques sa femme nouvelle » constitue une variation à partir d’une pièce qui
se trouve dans Le Recueil de vraye Poesie Françoyse (« Un mary se voulant coucher »)
comme dans toutes ses rééditions, de même que l’autre pièce citée par Rabelais (« S’il
est ainsi que coignée sans manche / Ne sert de rien ») provient de La Fleur de poesie
française, Paris, 1543.
12 Voir quelques éléments dans L’École des Muses, p. 298‑299.
13 Ces distorsions sont d’autant plus compréhensibles que, dans le cas de Sébillet, il
est à peu près assuré que l’auteur de l’art poétique n’est pour rien dans la compilation
de l’anthologie, comme sans doute dans son insertion à la suite du traité. Il est plus dif-
ficile de se prononcer sur le cas de « l’Infortuné », auteur de l’Instructif et dont rien ne
nous dit qu’il ait été (ou non, ou en partie) le compilateur du Jardin de Plaisance. Voir
à ce sujet la mise au point de J. Taylor, « La Double Fonction », p. 345. Pour une belle
analyse qui va au contraire dans le sens d’une cohérence forte du traité inaugural et du
Jardin de Plaisance, voir E. Buron, « De la théorie de l’Instructif à la pratique du Jardin
de Plaisance », Cahiers de Recherches Médiévales et Humanistes, 21 (2011), p. 205‑222,
spécialement p. 219‑222.
14 Jacques Peletier, « Proeme sur le second livre », L’Algèbre, Lyon, 1554, p. 120 (ortho-
graphe modernisée).
de l’a nthologi e et de l’a rt poét ique fr a nça is 111
cette solidarité étroite des deux sœurs vaut d’autant plus quand celles-
ci choisissent la langue vulgaire. Au fond, ce que disent ces livraisons,
c’est la capacité qu’a désormais la poésie vernaculaire à s’organiser en
art et à proposer des modèles qui soient contemporains, l’anthologie
constituant l’aboutissement nécessaire de l’art poétique vernaculaire et
de sa défense linguistique. Pas de théorie, donc, sans pratique ; en tout
cas, pas d’art de poésie française sans son appendice. Aussi, quand le
traité doctrinal ne recourra pas aux exemples ou aux citations, ou ne
sera pas suivi d’une anthologie, il sera en quelque sorte complété, dans
le cas de la Deffence, par le recueil poétique du printemps 1549, consti-
tué notamment de l’Olive et des Vers lyriques, et dans le cas de l’Art
poétique de Peletier, accompagné des Opuscules du Manceau. Il n’est
pas sûr qu’on puisse observer les mêmes pratiques dans l’édition des
arts poétiques néo-latins, en grande partie étrangers à ce militantisme
linguistique et à cette volonté de reconnaissance : ont-ils pu être eux-
mêmes édités avec des florilèges ou avec divers types de cahiers d’exer-
cice15 ?
À bien y regarder, un certain nombre d’anthologies françaises de
poésie répètent les arts poétiques, en circonscrivant à leur manière le
champ des lettres françaises. Elles prônent l’expression poétique (et
une expression collective) en langue vernaculaire, mettent en place un
canon des poètes français, et sélectionnent certaines de leurs œuvres (la
tendance qu’elles ont en outre à s’inspirer les unes des autres accentue
de fait la mise en avant de certains textes) ; elles servent, enfin, pour
certaines, à un premier travail de catalogage ou parfois d’étiquetage des
productions vulgaires.
Contrairement au Jardin de Plaisance, dont le titre rappelle un cadre,
spatial et narratif, comme le lien de la poésie et du plaisir, les antho-
logies ultérieures mettent en effet souvent l’accent sur la promotion de
la poésie en langue vulgaire, ainsi des Fleurs de Poesie françoyse (Paris,
Galiot du Pré, 1534) ou de La Fleur de poesie françoyse (Paris, Lotrian,
15 Je n’ai pas mené de recherches en ce sens. L’Art poétique de Vida ouvre en 1527
un volume des poésies de ce dernier (Rome, apud Ludovicum Vincentum, 1527). Aline
Smeesters me signale que les Poeticarum Institutionum Libri Tres de Jacobus Pontanus
(Ingolstadt, 1594) sont suivis d’un « Tyrocinium Poeticum » de Pontanus lui-même.
Sur la réception anthologique de la poésie néo-latine, souvent méconnue, voir l’article
très utile de John Sparrow, « Renaissance Latin Poetry : Some Sixteenth-Century Ita-
lian Anthologies », in Cultural Aspects of the Italian Renaissance. Essays in Honour of
P. O. Kristeller, ed. C. H. Clough, Manchester, New-York, 1976, p. 386‑405 ainsi que
L. Forster, « On Petrarchism in Latin and the Role of Anthologies », in Acta Conventus
Neo-Latini Lovaniensis, Leuven, München, 1973, p. 235‑244. Merci à Aline Smeesters
de m’avoir signalé ces parutions.
112 je a n - ch a r les monfer r a n
1543), du Recueil de vraye poesie françoise, déjà évoqué, mais aussi des
Traductions de latin en françois (Paris, Groulleau, 1550), ou bien en-
core des Muses françaises ralliées de diverses pars (Paris, M. Guillemot,
1599). Dans leur grande majorité, ces anthologies optent pour une pro-
duction délibérément monolingue, où le latin n’a aucun droit de cité.
Par ailleurs, quand bien même elles reposent pendant longtemps sur
un régime d’anonymat, celui-ci peut avoir tendance à se fissurer, fai-
sant apparaître les noms les plus saillants (parfois aux places les plus
saillantes) : ainsi du Recueil de vraye Poesie françoyse qui s’ouvre sur le
nom de Clément Marot, seul poète à être renommé par la suite, mais
qui distingue aussi Antoine Macault, Des Essarts, Charles de Sainte
Marthe et le Cardinal de Tournon. Au cours du siècle, et parallèlement
à l’assignation de plus en plus courante du livre au nom de son auteur,
les poèmes ou extraits seront également référés à leur auteur, comme
dans le Parnasse des poètes françois (Paris, G. Corrozet, 1571 [Gallica
NUMM-70725]), ou bien encore Le Parnasse des plus excellens poètes
de ce temps (Paris, M. Guillemot, 1607 [Ars 8° B 9912])16. Enfin, le
parcours à vocation narrative du Jardin de Plaisance peut laisser parfois
place à des classements plus nettement génériques : ainsi de La fleur de
poesie francoyse (Paris, Lotrian, 1543), déjà évoquée, dont le sous-titre
rappelle qu’il s’agit d’un recueil joyeulx contenant plusieurs huictains,
dixains, quatrains, chansons et aultres dictez de diverses matieres mis en
nottes musicalles par plusieurs autheurs et reduictz en ce petit livre et qui
organise en effet son parcours en distinguant les formes employées, du
huitain au rondeau, mais qui, plus discrètement, ordonne les pièces se-
lon des variations tonales, proposant des séquences en général non mê-
lées de poésies courtoises puis de poésies paillardes et suscitant parfois
17 Ainsi, dans la suite des huitains, le lecteur peut lire cinq pièces consécutives liées
par le motif de l’œil (Cvr°-Cvir°). Sur les effets de composition dans ces recueils, voir
N. Dauvois, « Formes lyriques et sociabilité de cour. L’exemple des recueils poétiques »,
Cahiers V.-L. Saulnier 29 (2012), p. 121‑136.
18 Une enquête sur l’Académie de Deimier montrerait sans doute que celui-ci utilise
abondamment les anthologies dont il peut disposer au début du xvii e siècle. Il est en
tout cas assuré que, s’il ne se sert pas de L’Académie des modernes poetes françois (Paris,
1599), il a sous la main le second tome du Parnasse des plus excellens poetes (Paris, 1607).
Voir, sur ce point, mon article, « Le Commentaire sur Desportes… de Pierre de Dei-
mier », dans Philippe Desportes (1546‑1606). Un poète presque parfait entre Renaissance
et Classicisme, éd. J. Balsamo, Paris, 2000, p. 397‑398.
19 [Thomas Sébillet], Art poétique françoys [1548], Paris, éd. F. Gaiffe, 1910, II, X,
p. 171.
20 Voir Les Fleurs de Poesie Françoyse. Hecatomphile, éd. G. Defaux, Paris, STFM,
2002, p. 42‑44.
114 je a n - ch a r les monfer r a n
21 Voir le poème et ses variantes dans Mellin de Saint-Gelais, Œuvres poétiques fran-
çaises, éd. D. Stone Jr., Paris, STFM, 1993, I, p. 8‑15. Toutefois, le relevé des variantes
discriminantes entre le texte tel qu’il apparaît dans les Œuvres de 1547, p. 23‑24 et celui
des Fleurs de poesie y est incomplet. On notera comme Stone la variation du vers 24
(« Quand plus prochain de la fin on le pense », O// « Quand plus prochain de sa fin on
le pense » F) et du vers 47 (« Qu’on ne peult taire » O// « Qu’on veut celer » F), mais
aussi la variation graphique du vers 13 (ombre O//umbre F), et surtout la variation de
titre (« Description d’amour » O// « Ung autre Autheur diffinit Amour » F). Sébillet
suit à chaque fois le texte de F.
22 Il s’agit du vers 30 (« Rendant au cœur inconstance infinye »), rectifié par Sébil-
let (« Rendant le cœur en inconstance ferme »). Le vers 27 est également corrigé à rai-
son : « Faisant le sens gouverneur de raison » devient « Faisant les sens gouverneurs de
raison ».
23 Voir Les Fleurs de Poesie Françoyse, éd. G. Defaux, p. 40‑42.
24 Rappelons que Sébillet est avant tout un traducteur. En tous les cas, cette nouvelle
traduction se retrouve dans La Louange des femmes, Lyon, J. de Tournes, 1551, p. 29‑30,
opuscule qu’on attribue en tout ou partie à Sébillet (voir L’École des Muses, p. 209,
n. 80). Il jouxte alors un texte qui a pour titre « Definition d’Amour », et qui est une
variation libre autour du texte de Saint-Gelais. Sébillet a pu lui-même trouver cette pièce
néo-latine soit, comme signalé par F. Gaiffe, dans une édition de Marulle (Epigrammata
et Hymni, Paris, C. Wechel, 1529, lib. I, fol. 11v-fol. 12r, « De amore »), ou bien encore
dans l’anthologie de Cornarius où la pièce est donnée sous le nom de Marulle : Selecta
Epigrammata graeca latine versa, ex septem Epigrammatum Graecorum libris, éd. J. Cor-
narius, Bâle, 1529, p. 376.
25 Voir l’exemplaire de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, R 102
895.
de l’a nthologi e et de l’a rt poét ique fr a nça is 115
26 Sébillet, Art poétique françoys, II, XIII, p. 181 (Lay, « Trop est chose avanturée »)
et p. 183 (Virelay, « Qui pourroit descrire »). Voir les mêmes textes dans P. Fabri, le
Grand et Vray Art de pleine Rhetorique, éd. A. Héron, Rouen, 1889‑1890 (Slatkine
Reprints, 1969), II, p. 52‑53 et 58‑59. Les références à Fabri n’ont pas échappé à la vigi-
lance, rarement mise en défaut, de F. Gaiffe, mais ce dernier n’arrive pas à concevoir que
Sébillet tire ces textes directement de Fabri, comme en témoigne sa note 2 p. 183 sur
le virelai : « Cet exemple, déjà cité par Fabri est également tiré du Livre de l’Espérance
(et Gaiffe de signaler les variantes). Dans les Œuvres d’Alain Chartier, il n’est pas inti-
tulé virelai ». Cette appellation, Sébillet la tire bien évidemment de Fabri. L’annotation
de Francis Goyet (in Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, Paris, 1990,
p. 179, n. 232 et 234) est ici beaucoup plus claire.
27 Sébillet, APF, II, XV, p. 193 (éd. F. Goyet, p. 148) : « tu liras aus œuvres de Bona-
venture dés Périers la Satyre d’Horace qui commence, Qui fit, Moecenas, ut nemo quam
sibi sortem, etc. tournée en vers de huit syllabes non riméz ».
116 je a n - ch a r les monfer r a n
28 Ainsi, comme le signale F. Gaiffe, p. 56, deux vers anonymes cités par Sébil-
let, « M’amie un jour le dieu Mars desarma. Comme il dormoit soubs la verte ramee »
(éd. F. Goyet, 74) sont mis en musique par Certon (puis par Gardane) et se retrouvent
dans le Douzieme livre contenant XXX chansons nouvelles, Paris, 1543.
29 Voir Marie-Madeleine Fragonard, dans Histoire de la France littéraire, éd. F. Les-
tringant et M. Zink, Paris, 2006, p. 796 : « La poésie s’épanouit, invente, se libère,
nargue au fond ses premiers catalogueurs. On parierait que le rôle des anthologies est
plus actif, éduque plus, donne plus l’appétit de la diversité : à la fin du siècle, tout le
modernisme passe par elles. Mais du Jardin de Plaisance et fleurs de rhétorique de 1501
et de l’anthologie italienne de Giolito (1547) qui fait connaître les néo-pétrarquistes aux
anthologies successives de la poésie ‘moderne’ à la fin du siècle, Académie des modernes
poètes françois (1599), Muses ralliées (1603), Parnasse des plus excellens poètes de son temps
(1607) où paraissent Sponde, Du Perron, Bertaud, Laugier de Porchères ou aux collec-
tions théâtrales éditées par Raphaël du Petit Val, ces ‘bouquets poétiques’ en échantil-
lons accélèrent le sentiment d’une vraie diversité, interne aux recueils selon les principes
antiques, mais aussi constitutive d’une écriture contemporaine ».
30 APF, II, X, p. 170‑171 et II, XI, p. 175 (éd. Goyet, p. 136 et 139). Ainsi, Le Recueil
de vraye poésie française (1544) propose deux « Enigmes », mais aussi une « Description
des graces et beaultez recueillies par un amant » suivie d’un « Blason des cheveux ».
de l’a nthologi e et de l’a rt poét ique fr a nça is 117
BIBLIOGRAPHIE
119
120 michel jour de
[…] il n’à jamęs etè (j’antàn de/ la memoęre/ des Siecle/s) que/ les homme/s
n’e/t contè, me/surè, chantè, silogizè, c’ę́t a dire/, ręsonnè, se/lon le/ plus e
le/ moins. Qui pourroęt dire/ ni a peine/ panser qu’un homme/ ´t ȩ le/ pre/-
mier parlè Grec, Latin, Françoęs ? qui sont chose/s ancore/s moindre/s que/
les Discipline/s. Le/ grand miracle/ de/ Nature/, ęt de/ pouvoęr tousjours
augmanter ses chose/s sans fin. E pource/ ęle/ à donnè pre/miere/mant a
l’homme/ une/ me/sure/ e nombre/ de/ parler, sans consideracion toute/foęs
d’artifice/ poëtique/. Puis par curiosite e par imitacion, les homme/s trou-
vans la chose/ bęle/, an ont fęt un usage/ : apręs, l’ont redigè en Art peu a
peu einsi que/ les espriz ont commancè a s’ouvrir3.
19 Peletier, Art poëtique, I, 2, p. 268 (nous soulignons). Sur la relation entre théorie
et pratique dans les arts poétiques français issus d’Horace, voir J.-C. Monferran, L’École
des Muses. Les arts poétiques français à la Renaissance (1548‑1610). Sébillet, Du Bellay,
Peletier et les autres, Genève, 2011, en part. p. 165‑246.
20 Peletier, Art poëtique, II, 4, p. 356.
21 Peletier, Art poëtique, II, 5, p. 362.
22 A. Politien, Les Silves, éd. P. Galand, Paris, 1987, « Nutricia », v. 77‑81,
p. 302‑303 : […] refugas tantum sonus attigit aures, / Concurrere ferum uulgus : nume-
rosque modosque / Vocis et arcanas mirati in carmine leges / Densi humeris : arrecti ani-
mis, imota tenebant / Ora cateruatim […] (« lorsque les accents <de la belle éloquence>
eurent seulement effleuré les oreilles des hommes qui s’apprêtaient à fuir, leur foule sau-
vage accourut et se rassembla : émerveillés par les rythmes et les mesures, par les lois
secrètes de la poésie, ils se tenaient là par groupes, serrés épaule contre épaule, l’esprit en
éveil, ils gardaient le silence […] »).
126 michel jour de
tiques, une histoire qui, pour Peletier comme pour Lucrèce ou Vitruve,
a commencé autour des premiers feux, avant que les arts ne soient éta-
blis, une histoire qui se poursuit même au temps des arts poétiques, et
toujours un peu indépendamment de ces derniers.
L’autre orientation propre à Peletier, qui est une conséquence logique
de ce premier récit, constitue une singularité dont il est particulière-
ment conscient, puisque c’est de cette manière qu’il résume son Art
poëtique en 1579 dans un texte autobiographique23 : il n’a pas écrit
un art poétique pour les Français seulement mais pour « absolument
toutes les nations ensemble ». Son titre (Art poëtique) qui revient au
strict modèle horatien (Ars poetica), sacrifie ainsi sans remords l’adjectif
« français » qui caractérisait les publications de Sébillet (Art poetique
françois) ou de Du Bellay (Deffence, et Illustration de la langue fran-
çoyse). Surtout, c’est selon ce principe que Peletier choisit d’organiser
son ouvrage en deux livres, dont il présente le second en ces termes :
Aprȩs avoęr tretè les precepcions univȩrsȩle/s de/ la Poësie/, me/ samble/ ę́tre/
tans d’antre/mȩler les particularitez de/ la Françoȩse/ : Dequele/s la pre/-
miere/, ę́t la Rime/ […]24.
cements, au temps où, selon les termes mêmes d’Épicure, une même
nature s’exerça différemment « dans chaque peuple » (ethnos), la nais-
sance du langage humain coïncidant avec celle de la diversité des lan-
gues27. Chacun possède un « langage naturel »28 et la poésie ne saurait
être autre chose qu’un usage réglé et heureux de ce langage, ce qui jus-
tifie le silence dans lequel Peletier tient la production poétique latine
de son temps, alors qu’une partie de son œuvre savante est elle-même
latine29.
En toute logique, ce mode de valorisation de la poésie en vulgaire
devrait donc s’élargir à une forme de comparatisme, sur le modèle de
l’ethnographie vitruvienne. Or, de ce point de vue, l’ouvrage de Peletier
est particulièrement décevant. Dès le premier livre, le désir de parler
« universellement », « pour toutes nations », se heurte à la sélection
des exemples, qui proviennent presque exclusivement du domaine fran-
çais, avec quelques emprunts, attendus, aux domaines grecs, latins et
italiens. L’universel vers lequel tendait la poétique de Peletier30, sa prise
en compte de la variété de la poésie produite par les hommes, cela ne
se réalise pas ici, et sans doute nulle part ailleurs au x v i e siècle. Pele-
tier publie pourtant son livre en 1555 à Lyon, à l’instant même où l’on
importe – depuis Venise, pour l’essentiel – une nouvelle forme de sa-
voir géographique, consistant, selon l’expression de Jean-Marc Besse, en
« la révélation de l’universalité terrestre », en l’« irruption des lointains
dans le proche »31 : en 1552, Denis Sauvage a traduit pour Guillaume
Rouillé les Histoires de Paolo Jovio Comois Evesque de Nocera, sur les
choses faictes et avenues de son temps en toutes les parties du monde32 ;
en 1556, paraît la version française d’une Histoire du nouveau monde
27 Épicure, Lettre à Hérodote, p. 121.
28 Peletier, Art poëtique, I, 7, p. 307.
29 Peletier s’est exprimé sur ce point dès sa traduction de l’Art poétique d’Horace en
1541 (Œuvres complètes, t. I, p. 34‑37, 92‑104) et il a consacré un poème à cette question
dans ses Œuvres poetiques (Paris, 1547, sig. Lii v°) : « A un poete qui n’escrivoit qu’en
Latin ».
30 L’utilisation du terme par Peletier mériterait une étude en soi (le dernier mot du
livre est « Univers »). Pour Peletier, comme pour Pontano ou Fracastor avant lui, la poé-
sie se distingue de l’éloquence par sa vocation « universelle ». Sur ces questions, voir
F. Cornilliat, Sujet caduc, noble sujet. La poésie de la Renaissance et le choix de ses « argu-
ments », Genève, 1999.
31 J.-M. Besse, Les Grandeurs de la terre. Aspects du savoir géographique à la Renais-
sance, Lyon, 2003, p. 310‑318 ; Id., « La géographie de la Renaissance et la représentation
de l’universalité », Rivista geografica italiana, 112 (2005), p. 63‑79.
32 Histoires de Paolo Jovio Comois Evesque de Nocera, sur les choses faictes et avenues
de son temps en toutes les parties du monde [Paolo Giovio, Historiarum sui temporis libri,
1550‑1552], traduictes de Latin en François par le Signeur du Parq Champenois [Denis
Sauvage], Lyon, 1552.
128 michel jour de
33 L’Histoire du nouveau monde descouvert par les Portugaloys, escrite par le seigneur
Pierre Bembo [Pietro Bembo, Rerum Venetarum Historiae Libri XII, 1551, extrait du
Livre VI], Lyon, 1556. Sur ce texte, dont l’attribution à Bembo a été parfois – à tort –
contestée, voir C. H. Clough, « Pietro Bembo’s L’Histoire du Nouveau Monde », British
Library Journal, 4 (1978), p. 8‑21.
34 Description de l’Afrique, tierce partie du monde (…) escrite de nôtre tems par
Jean Leon, African (…). Plus, Cinq Navigations au païs des Noirs, avec les discours sur
icelles […], Lyon, 1556 ; De l’Afrique, Contenant les Navigations des Capitaines Portuga-
lois, et autres, faites audit Païs, jusques aux Indes, tant Orientales, que Occidentales (…),
Lyon, 1556.
35 La Description des terres trouvées de nostre temps, avec le sommaire de plusieurs belles
antiquitez, contenant une partie de l’excellence et magnificence des richesses, triumphes
et largesses des anciens, Lyon, 1559 (rééd. de Les Nouvelles et antiques merveilles, Paris,
1554).
36 Épître dédicatoire à « M. d’Ivor secretaire du Roy », citée par R. L. Hawkins,
Maistre Charles Fontaine parisien, Cambridge, 1916, p. 204.
37 On se souvient qu’au chapitre 4 de la Poétique (1448b-1449a), les deux « causes
naturelles » de « l’art poétique » (ê [technê] poiêtikê), le plaisir de l’imitation d’une part,
celui de la mélodie et des rythmes de l’autre, sont immédiatement rapportées à une his-
toire strictement grecque de cet « art poétique », inscrite dans les caractères propres de
l a poési e ava nt l a poét ique 129
Bologne par Jean Léon l’Africain au début des années 1520, alors qu’il
collabore avec Jacob Mantino, médecin juif d’origine catalane désirant
étudier les sources arabes, demeurera manuscrit jusqu’en… 1956 !38 Et
il sera longtemps légitime de dire que « la poétique ne voyage pas »,
comme Rousseau le dit de la philosophie dans la longue note du Dis-
cours sur l’inégalité, où il montre comment le discours sur l’homme est
un discours sur l’homme européen, alors que « depuis trois ou quatre
cents ans […] les habitans de l’Europe inondent les autres parties du
monde, et publient sans cesse de nouveaux recueils de voyages et de
relations »39.
la langue grecque. Seul le passage sur les possibles « prédécesseurs d’Homère » (1448b)
et les discussions sur l’origine sicilienne de la comédie (1449b) pourront servir de sup-
ports à une discussion élargie, comme chez Tommaso Campanella, qui cherche à inscrire
sa poétique dans son projet « universaliste ». Voir T. Campanella, Poetica, testo italiano
inedito e rifacimento latino, a cura di L. Firpo, Roma, 1944, p. 262‑263.
38 « Il trattato dell’arte metrica di Giovanni Leone Africano », ed. A. Codazzi, Studi
orientalistici in onore dei Giorgio Levi Della Vida, 2 vol., Roma, 1956, vol. 1, p. 180‑198.
Voir N. Z. Davis, Léon l’Africain. Un voyageur entre deux mondes, Paris, 2007, p. 98‑103.
39 J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les
hommes (1755), Note X, éd. J. Starobinski, Paris, 1969, p. 142. Sur les difficultés épis-
témologiques rencontrées par les projets d’« ethnopoétique » ou de « poétique com-
parée », voir M. Beaujour, « “Ils ne savent pas ce qu’ils font.” L’ethnopoétique et la
méconnaissance des “arts poétiques” des sociétés sans écriture », L’Homme, 111‑112
(1989), p. 208‑221 (t. 29 n° 111‑112. Littérature et anthropologie).
40 Sur la tension entre ces deux approches du fait poétique, voir C. Esteve, La Inven-
ció dels orígens. La història literària en la poètica del Renaixement, Barcelona, 2008 ; Id.,
« Origins and Principles. The History of Poetry in Early Modern Literary Criticism »,
dans The Making of Humanities, vol. 1., Early Modern Europe, éd. R. Bold, J. Maat and
T. Weststeijn, Amsterdam, 2010, p. 231‑248.
41 Pour la France, voir E. Mortgat-Longuet, Clio au Parnasse. Naissance de l’« his-
toire littéraire » française aux x v i e et x v ii e siècles, Paris, 2006.
130 michel jour de
ces « discours » n’ont jamais paru47. Quoi qu’il en soit, c’est dans ces
mêmes réseaux italiens, auquel Fauchet accède par l’intermédiaire de
Jacopo Corbinelli, que fut rédigé un des ouvrages les plus originaux
qui furent consacrés à la poésie au cours du x v i e siècle, celui de Gian-
maria Barbieri, Dell’origine della poesia rimata, où l’auteur défend la
thèse d’une origine arabe de la poésie rimée des langues romanes. Ja-
net Espiner-Scott48 considérait que, le livre de Barbieri étant demeuré
manuscrit jusqu’à la fin du x v iii e siècle49, Fauchet ne pouvait en avoir
pris connaissance, mais on a appris depuis que les manuscrits légués par
Barbieri à son fils Ludovico avaient circulé à Paris, grâce à Corbinelli,
enrichissant ainsi les recherches lexicographiques d’un Jean Nicot50.
Que cet « ami », quel qu’il soit, ait envisagé ou non la publication
d’un tel livre, le savoir historique ou ethnographique que ce livre aurait
pu contenir demeure tout à fait absent du livre de Fauchet et l’on en
est réduit à imaginer en quoi aurait consisté un tel savoir. Pigafetta
a publié en 1591 un ouvrage de nature ethnographique, consacré au
« royaume de Congo », fondé sur le témoignage du navigateur portu-
gais Duarte Lopes : on y lit des informations précises – exceptionnelles
au x v i e siècle – concernant différents aspects de la pratique musicale
africaine, en particulier une description détaillée de la kora et de son
utilisation, description qui vise à produire chez le lecteur le sentiment
d’une « maîtrise », la reconnaissance d’un « art » du « rythme » et
de l’« expression »51. De telles expériences auditives, qu’on retrouve
47 Selon G. Lumbroso (Memorie italiane del buon tempo antico, 1889, p. 158, cité par
Espiner-Scott, p. 78), le manuscrit aurait été perdu lors d’un naufrage le 5 février 1584.
Nous n’avons pas identifié la source de ce récit.
48 Espiner-Scott, Claude Fauchet, p. 139. Sur les relations de Fauchet et Corbinelli,
voir p. 74‑75.
49 G. Barbieri, Dell’origine della poesia rimata, opera di Gianmaria Barbieri Mode-
nese, pubblicata ora per la prima volta e con Annotazioni illustrata dal Cav. Ab. Girolamo
Tiraboschi, Modena, 1790. Sur l’œuvre de Barbieri, voir G. Bertoni, Giovanni Maria
Barbieri e gli studi romanzi nel sec. x v i , Modena, Vicenzi, 1905 ; S. Debenedetti, Gli
studi provenzali in Italia nel Cinquecento e Tre secoli di studi provenzali, ed. C. Segre,
Padova, 1995 (1ère éd. respectivement 1911 et 1930) ; C. Esteve, La Invenció dels orígens,
p. 228‑238. Sur le contexte de sa publication au x v iii e siècle, voir J. L. Teodoro Peris,
Vida i mort de la llengua llatina. Una polèmica lingüistica al segle x v iii , València, 2004 ;
R. M. Dainotto, « Of the Arab Origin of Modern Europe : Giammaria Barbieri, Juan
Andrés, and the Origin of Rhyme », Comparative Literature, 58‑4 (2007), p. 271‑292.
50 Voir R. Rosenstein, « Miquel de la Tor’s Songbook in Sixteenth-Century France.
From Barbieri’s mss via Corbinelli to Nicot’s Thresor », dans Mélanges de langue et de
littérature médiévales offerts à Herman Braet, éd. C. Bel, P. Dumont et Fr. Willaert,
Louvain, 2006, p. 925‑943.
51 Relatione del realme di Congo, regione dell’Africa, tratta per Filippo Pigafetta dalli
ragionamenti del Signor Odoardo Lopez Portoghese, Roma, 1591, p. 69 : « […] percuo-
132 michel jour de
tono maestrenolmente il leuto, dal quale escen non so io se dica melodia ò romore tale,
che diletta al senso loro. Di più (cosa admirabile) mediante quell’ordigno significano i
concetti del l’animo suo, et fansi intendere tanto chiaro, che quasi ogni cosa, la quale con
la lingua si puore manifestare, con la mano dichiarano in toccando lo stromento […].
Hanno eriando flauti, e piseri soffiati con arte […] » (« ils pincent magistralement le
luth, produisant ainsi une mélodie ou un son – je ne sais ce qu’il faut dire – qui délecte
leur oreille. De plus [chose admirable], au moyen de cet instrument, ils expriment leurs
pensées et ils se font comprendre si clairement que, presque tout ce qui peut s’énon-
cer par la parole, ils peuvent le rendre au moyen des doigts, en touchant de cet instru-
ment. […] À la cour du roi, on a aussi des flûtes et des fifres dont on joue avec art […] ».
Trad. W. Bal, p. 194‑195).
52 Nous avons analysé ailleurs différents exemples de telles expériences auditives :
M. Jourde, « Autopsie et réalités sonores au seizième siècle : contribution à une his-
toire de l’expérience auditive », dans Esculape et Dionysos. Mélanges en l’honneur de
Jean Céard, éd. J. Dupèbe, F. Giacone, E. Naya et A.-P. Pouey-Mounou, Genève, 2008,
p. 375‑391.
53 Fauchet, Recueil de l’origine, p. 52.
54 Fauchet, Recueil de l’origine, p. 61.
l a poési e ava nt l a poét ique 133
55 Sur les problèmes posés par cette expression, associée aux travaux de Marcel Jousse,
voir H. Meschonnic, « Critique de l’anthropologie du rythme », dans Id., Critique du
rythme. Anthropologie historique du langage, Lagrasse, 1982, p. 643‑702 ; P. Michon,
« Marcel Mauss retrouvé. Origine d’une anthropologie du rythme », Ruthmos, 2010
(http://rhuthmos.eu/spip.php ?article13).
56 Fauchet, Recueil de l’origine, p. 61‑63. Voir Bède le Vénérable, Libri II De arte
metrica et De schematibus et tropis, ed. C. B. Kendall, Saarbrücken, 1991. Sur les glisse-
ments sémantiques subis par ce lexique dans la poétique médiévale et renaissante, voir
P. Zumthor, Langue, texte, énigme, Paris, 1975, p. 125‑143 (« Du rythme à la rime ») ;
K. Meerhoff, Rhétorique et poétique au x v i e siècle en France. Du Bellay, Ramus et les
autres, Leyden, 1986 ; C. Doutrelepont, « “Rythme”, “nombre”, “mètre” », dans Mé-
triques du Moyen Âge et de la Renaissance, éd. Dominique Billy, Paris, Montréal, 1999,
p. 99‑115 ; Oc, oïl, si. Les langues de la poésie entre grammaire et musique, éd. M. Gally,
Paris, 2010, en part. p. 367‑369.
57 C. Ginzburg, Nulle île n’est une île. Quatre regards sur la littérature anglaise,
Lagrasse, 2005 (1ère éd. 2002), p. 48‑74 (« Identité comme altérité. Une discussion sur
la rime pendant la période élisabéthaine »). Voir déjà : M. Hodgen, Early Anthropology
in the Sixteenth and Seventeenth Centuries, Philadelphia, 1964, p. 340‑343.
58 C. Ginzburg, Le Fil et les traces. Vrai faux fictif, Lagrasse, 2010 (1ère éd. 2006).
134 michel jour de
59 G. Puttenham, The Art of English Poesy [1589], ed. Fr. Whigham, W. A. Rebhorn,
Ithaca, London, 2007, I, 6, p. 100‑101.
60 Puttenham, The Art of English Poesy, I, 5, p. 100 : « […] it appeareth that our vul-
gar rhyming poesy was common to all the nations of the world besides, whom the Latin
and the Greeks in special called barbarous. So as it was, notwithstanding, the first and
most ancient poesy, and the most universal, which two points do otherwise give to all
human inventions and affairs no small credit. This is proved by certificate of merchants
and travelers, who by late navigations have surveyed the whole world and discovered
large countries and strange peoples wild and savage, affirming that the American, the
Peruvian, and the very Cannibal do sing and also say their highest and holiest matters
in certain rhyming versicles and not in prose […]. »
61 Puttenham, The Art of English Poesy, p. 100. (« […] Voilà qui prouve aussi que
notre forme de poésie vulgaire est plus ancienne que la poésie artificielle des Grecs et des
Latins, parce que notre poésie vient d’un instinct naturel qui précède l’art ou l’observa-
tion et qui se retrouve chez les sauvages et les peuples incivils, bien antérieurs à la science
ou à la civilisation, tout comme le nu est antérieur au vêtement et l’ignorant antérieur au
savant. » Trad. C. Ginzburg, Nulle île n’est une île, p. 62.
62 Ginzburg insiste à ce sujet sur l’influence possible de Montaigne : elle demeure
hypothétique en ce qui concerne Puttenham, mais elle est plus probable chez Samuel
l a poési e ava nt l a poét ique 135
Daniel (A Defence of rhyme, 1603), beau-frère de John Florio, le traducteur anglais des
Essais. Voir Sidney’s “The Defence of Poesy” and Selected Renaissance Literary Criticism,
éd. G. Alexander, London, 2004.
63 Cette catégorie du « barbare » est présente chez Pey de Garros, Du Bartas ou
Auger Gaillard. Voir Ph. Gardy, La Leçon de Nérac. Du Bartas et les poètes occitans
(1550‑1650), Bordeaux, 1998 ; J.-Fr. Courouau, « Les apologies de la langue française
(x v i e siècle) et de la langue occitane (x v i e-x v ii e siècles). Naissance d’une double mytho-
graphie », Nouvelle Revue du Seizième Siècle, 21‑2 (2003), p. 35‑51, et 22‑2 (2004),
p. 23‑39 ; Id., « Moun lengatge bèl ». Les choix linguistiques minoritaires en France
(1490‑1660), Genève, 2008.
64 Puttenham, The Art of English Poesy, « Introduction », p. 40‑41 : les éditeurs
nomment Du Bellay, Ronsard, Sébillet et Peletier. En ce qui concerne le savoir le plus
technique sur la poésie, c’est surtout à Scaliger qu’emprunte Puttenham.
65 Le chapitre de Peletier était rythmé par des formulations du même genre (Art poë-
tique, p. 257‑259) : « les anciens ont fęt Apolon e les Muse/s presider a la Poësie/ », « L’un
dira qu’Orfee/ trouva la Lire/ : l’autre/, que/ Line/ : e l’autre/ ancor que/ ce/ fut Anfion », « E
Æt ce/ qui à etè dìt d’Anfion e d’Orfee/ : que/ par le/ son de/ leur Lire/, iz tiroÆt les Arbre/s
e les Piȩrre/s aprȩs soȩ ». Les formulations de Puttenham sont beaucoup plus proches de
Peletier que de celles de Philip Sidney, qui reprend sans réserve la tradition des nomo-
thètes : voir Sidney’s “The Defence of Poesy”, p. 4‑5.
66 Puttenham, The Art of English Poesy, I, 3, p. 96 : « […] by all likelihood had more
poets done in other places and in other ages before them, though there be no remem-
brance left of them by reason of the records by some accident of time perished and fail-
ing. »
136 michel jour de
ment « plus noble » que la seconde, c’est à la fois parce qu’elle fut « la
première en usage parmi le genre humain » et parce que, dans l’expé-
rience de chaque homme et chaque femme, elle continuera toujours
de précéder la langue apprise75. Dans le Banquet, Dante rapprochait
même cette langue vulgaire d’un « feu » premier, préalable au geste de
l’homme de l’art :
Questo mio volgare fu congiugnitore de li mei generanti, che con esso
parlavano, sì come’l fuoco è disponitore del ferro al fabbro che fa lo
coltello ; per che manifesto è lui essere concorso a la mia generazione, e
così essere alcuna cagione del mio essere. Ancora, questo mio volgare fu
introduttore di me ne la via di scienza […]76.
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Annelyse L emmens
143
144 a n nelyse lem m ens
15 Cette contribution s’insère dans le cadre d’une thèse de doctorat centrée sur l’évo-
lution du frontispice anversois entre 1585 et 1650 et intitulée Le livre mis en scène. Sta-
tuts, fonctions et usages du frontispice dans les anciens Pays-Bas entre 1585 et 1650.
16 A. Smeesters, Aux rives de la lumière. La poésie de la naissance chez les auteurs néo-
latins des anciens Pays-Bas entre la fin du x v e siècle et le milieu du x v ii e siècle, Leuven,
2011, p. 12‑13.
17 A. Smeesters, Aux rives de la lumière…, p. 3, 11 et A. Thill, La lyre jésuite. Antho-
logie de poèmes latins (1620‑1730), Genève (Travaux du Grand Siècle XIV), 1999, p. 1.
18 Nous nous permettons de prendre l’exemple de l’enseignement jésuite dans la me-
sure où la moitié des poètes liés à notre corpus sont issus de cet ordre.
19 Le cursus académique jésuite, fixé dès 1599 dans les Anciens Pays-Bas par la Ratio
Studiorum, prévoit cinq classes d’humanités où l’apprentissage du latin est à la fois le
but et le moyen de l’enseignement : aux trois classes de grammaire (dites Figura, Gram-
matica et Syntaxis) succèdent une classe de poétique (centrée sur l’apprentissage des
le frontspice , mise en scène de l a poési e néo - l at i ne 147
and Pageantry in the Renaissance and Baroque. Part I. Triumphal Celebraions and the
Rituals of Statecraft, ed. B. Wisch et S. Scott Munshower, 1990, p. 137‑138.
54 A. Mascardi, Silvarum libri IV, Anvers, 1622.
55 Voir la notice de l’ouvrage dans R. J. Judson et C. Van De Velde, Corpus Rubenia-
num…, part XXI, vol. 1, p. 216‑217, n° 48.
56 Ibid. : le putti de gauche, jouant de la lyre, symbolise la poésie épique, laquelle
caractérise le premier livre de silves. À droite, le putti soufflant dans une double flute
symbolise la poésie élégiaque, duquel genre relèvent les silves des deuxième et quatrième
livres. Quant aux masques, ils pourraient référer à la tragédie, présente dans les trois pre-
miers livres, et à la comédie, bien que ce dernier genre ne soit pas représenté. Le second
masque pourrait donc plutôt faire allusion au genre héroïque présent dans le second
livre, ou encore être un jeu autour du nom de l’auteur.
156 a n nelyse lem m ens
ANNEXE
BIBLIOGRAPHIE
Textes
Imago Primi Sæculi Societatis Iesu, Anvers, ex officina Plantiniana Balthasaris
Moreti, 1640.
Bar ber ini , M., Poemata, Anvers, ex officina Plantiniana Balthasaris Moreti
1634.
C a billi au, B., Epistolarum, Heroum et Heroidum Libri Quatuor, Anvers,
apud Henricum Aertssens, 1636.
D e C orte , C., Poemata, Anvers, apud Henricum Aertssens, 1629.
H or ace , Opera, Anvers, apud Ioannem Cnobbarum, 1630.
H oy er , M., Tragoediae aliaque poëmata, Anvers, apud Henricum Aertssens,
1641.
M ascar di , A., Silvarum libri IV, Anvers, ex officina Plantiniana, 1622.
M asculi , J.‑B., Lyricorum sive odarum, Anvers, apud Iohannes Meursium,
1645.
S ar biewsk i , M. C., Lyricorum libri IV Epodon liber unus alterque Epigram-
matum, Anvers, Ex officina Plantiniana Balthasaris Moreti, 1632.
Va n Bauhu ysen B. et B. C a billi au, Epigrammata – C. M a lapert, Poe
mata, Anvers, ex officina Plantiniana Balthasaris Moreti, 1634.
Études critiques
C hatelain , J. M., « Pour la gloire de Dieu et du roi : le livre de prestige
au x v ii e siècle », dans La naissance du livre moderne (xiv e-xvii e siècles) :
Mise en page et mise en texte du livre français, éd. H.‑J. Martin, Paris,
2000, p. 354‑363.
le frontspice , mise en scène de l a poési e néo - l at i ne 159
S meester s , A., Aux rives de la lumière. La poésie de la naissance chez les au-
teurs néo-latins des anciens Pays-Bas entre la fin du xv e siècle et le milieu
du xvii e siècle, Leuven, 2011.
Thill , A., La lyre jésuite. Anthologie de poèmes latins (1620‑1730), Genève
(Travaux du Grand Siècle 14), 1999.
Ill. 1 : Imago Primi Saeculi Societatis Iesu
Antuerpiæ, 1640. Frontispice.
(Museum Plantin-Moretus, Prentenkabinet, Antwerpen, inv. A 797)
Museum Plantin-Moretus.
Ill. 2 : Q. Horatii Flacci Opera ab obscœnitate expurgata
Antuerpiæ, 1630. Frontispice.
(Museum Plantin-Moretus, Prentenkabinet, Antwerpen, inv. B 1146.16)
Museum Plantin-Moretus.
Ill. 3 : C. Curti Poemata
Antuerpiæ, 1629. Frontispice.
(Bibliothèque Royale de Belgique, Bruxelles, inv. VB 6300 A)
Bibliothèque royale de Belgique.
Ill. 4 : M. Hoyeri Tragoediae aliaque poëmata
Antuerpiæ, 1641. Frontispice.
(Museum Plantin-Moretus, Prentenkabinet, Antwerpen, inv. A 271.2)
Museum Plantin-Moretus.
Ill. 5 : M. C. Sarbievii Lyricorum livri IV Epodon liber unus
alterque Epigrammatum
Antuerpiæ, 1632. Frontispice.
(Museum Plantin-Moretus, Prentenkabinet, Antwerpen, inv. A 828)
Museum Plantin-Moretus.
Ill. 6 : I. B. Masculi Lyricorum sive odarum
Antuerpiæ, 1645. Frontispice.
(Erfgoedbibliotheek Hendrik Conscience, Antwerpen, inv. C 1481)
Erfgoedbibliotheek Hendrik Conscience.
Ill. 7 : A. Mascardi Silvarum libri IV ad Alexandrum principem estensem
S.R.E. cardinalem
Antuerpiæ, 1622. Frontispice.
(Museum Plantin-Moretus, Prentenkabinet, Antwerpen, inv. A 322)
Museum Plantin-Moretus.
Ill. 8 : B. Cabiliavi Epistolarum, Heroum et Heroidum Libri Quatuor
Antuerpiæ, 1636. Frontispice.
(Erfgoedbibliotheek Hendrik Conscience, Antwerpen, inv. C 43.190)
Erfgoedbibliotheek Hendrik Conscience.
Jane H. M. Taylor
A GR AMMAR OF LEGIBILITY *
PIERRE FABRI’S GR ANT ET VR AY ART DE
PLEINE RHETORIQUE AND ITS MISE EN TEXTE
161
162 ja ne h . m . tay lor
5 In his edition of Fabri’s Grant et vray art, p. iv-vi, Héron discusses, at length, the
location of Méray – is it Mérey in the Berry, or Mérey in the Eure ? – but without being
able to come to a conclusion.
6 See G. Gros, Le poète, la Vierge et le prince du Puy : étude sur les Puys marials de
la France du Nord du x iv e siècle à la Renaissance, Paris, 1992, p. 120‑121, 125‑127, and
cf. Id., Le poème du Puy marial : étude sur le serventois et le chant royal du x iv e siècle à
la Renaissance, Paris, 1996, and D. Hüe, La poésie palinodique à Rouen (1486‑1550),
Paris, 2002.
7 In his edition of Fabri’s Grant et vray art, p. viii.
8 Petit traité dialogue fait en l’honneur de Dieu et de sa mère, nommé le Défensore
de la conception, published by Martin Morin in Rouen, with a privilège (see Paris, BnF,
D 7602) dated 1514 ; see most fully D. Hüe, La poésie palinodique à Rouen, p. 114‑128,
and G. Gros, Le poème du Puy marial, p. 160‑162. The topic, of course, would become
vitally important to a Puy dedicated to the Immaculate Conception. On the publisher,
Martin Morin, see E. Frère, De l’imprimerie et de la librairie à Rouen, dans les x v e et
x v i e siècles, et de Martin Morin…, Rouen, 1843.
9 Paris, BnF, fr. 24315, fol. 20r-24r.
10 See http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b55005729x.r=.langFR ; Professor Hüe is
intending to make a study of this text.
11 French vernacular books : books published in the French language before 1601, ed.
A. Pettegree et al., Leiden, 2012, I, p. 263.
a gr a m m a r of legi bi lit y 163
rial procedures give his own treatise a specificity which we should not
underestimate: however rudimentarily, however unsuccessfully, he has
reflected on the norms propagated by illustrious predecessors. Accord-
ingly, he is eager that his readers should understand the art of verse as
a developing science, where the latest authorities (the modernes) have
instituted new and exciting prescriptions: introducing a section on the
importance of matching lexicon to metaphor, he gives an « addition
selon les facteurs et orateurs modernes pour bien composer ung champ
royal » (fol. 36v)19. Rime equivoque, he says « a esté fort usitee es vielz
livres, et par les modernes delaissee… » (fol. 8v) ; the longest lines are
of « treize [syllabes] selon les anciens et selon les modernes de unze »
(fol. 1v). And indeed he feels free, regularly, to edit, or take issue with
L’Infortuné. Take, for instance, from the Instructif, L’Infortuné’s re-
mark on the rondeau:
Par et pour, mais, doncq, par, car, quant
Ne se doibt rondeau commencer… (Instructif, fol. b.ii.r)
And he certainly abrogates the right to edit and adapt – take, this
time deriving from Molinet’s prose Art de rhétorique, Fabri’s rather
unsuccessfully revised explanation of the verse-form known as a rique
raque: Fabri borrows Molinet’s example, and, in part, his predecessor’s
exposition:
La ricqueracque est en maniere d’une longue chanson faicte par couplets
de six ou de sept sillabes la ligne, et chascun couplet a deux diverses
croisees, la premiere ligne et la tierce de sillabes imparfaictes, la seconde
et la quarte de parfaictes, et pareillement la seconde croisee distinguees
et differentes en termination. Et doit tenir ceste mode de sillabes en
tous ses couplets affin qu’elle soit convenable. Au champ de ceste taille
couloura messire Georges Chastellain ses Croniques abregies. (Molinet,
Art, p. 247)
19 Here his focus is the lexis of metaphor. The modernes, he says, prescribe appro-
priateness : if the poet « veult parler de la mer il doibt user de termes marins et de
choses propres ». On Fabri’s originality in this context, see Gros, Le poème du Puy mar-
ial, p. 344‑357.
166 ja ne h . m . tay lor
24 That is Guillaume Alexis, author of Le martilloge des faulces langues and Le dé-
bat de l’homme et de la femme, among other notable moralistic works. I have, however,
been unable to identify this specific reference, in Alexis’ Œuvres poétiques, ed. A. Piaget
and Emile Picot, 3 vols, Paris (Société des anciens textes français), 1906‑1908, not least
because in none of the contents does Alexis use the alexandrine.
25 It is not clear how significant is the use of capitals in the marginal heads : are the
lower case initials of what I have called « sub-sub-heads » intended to indicate hierar-
chies… ?
26 See Blair, Too much to know, p. 90‑93.
168 ja ne h . m . tay lor
31 These entries are not, of course, well designed : better headwords might have been
leonine and equivoque…
32 By « indexer » I do not imply a specific role in the print-shop, nor that the author
himself might have been responsible : an index, usually thought of as no more than a
mechanical exercise, might be delegated to amanuenses, or to one of the correctors or
jobbing writers employed, more or less permanently, by the libraire. I concede that by
calling the indexer « he » and « him », I am pre-empting possible female candidates –
but I suspect that the prime suspects will be either Fabri himself, or Symon Gruel, or
one of their (in all probability male) correcteurs.
170 ja ne h . m . tay lor
33 Paris, BnF, Réserve Vélins 577, one of Vérard’s presentation copies, is available on
Gallica. Note that there exist three manuscripts of Molinet’s Art : Paris, BnF, fr. 2159
(on which see Armstrong, « Versification »), Paris, BnF, fr. 2375, and Cambridge, Gon-
ville & Caius College ms. 187:220 ; Fabri could of course have been consulting any one
of these, or another now lost, with finding aids as in his 1521 edition. Fabri could also
have consulted the four editions of Molinet’s Art that preceded his own publicatio ; in
none of them, however, are finding aids devised on the scale, or with the rigour, de-
scribed here.
a gr a m m a r of legi bi lit y 171
34 Mantovani, « Pierre Fabri », p. 54. See also Gros, Le poème du Puy marial, p. 98,
suggesting that Fabri’s was one of the rhetorical treatises emanating from « une asso-
ciation dont ils fixeraient le règlement ». Hüe, La poésie palinodique à Rouen, p. 897,
wonders : « Fabri a-t-il contribué à fixer les règles du Puy, ou s’est-il contenté de les en-
registrer ? » If indeed Fabri was partially responsible for setting the « rules » for the Puy
de la Conception, then the efforts made to promote effective navigation of a text of this
sort would also seem particularly rational.
35 I borrow the term mise en texte (as opposed to mise en page) from R. Chartie ; by
it he means the strategies by which a book is remodelled, modernised, simplified, ab-
breviated, supplied with paratextual information, and thereby acquires the means which
publishers employ to ensure a « lecture correcte » (see « Du livre au lire », dans Id.,
Pratiques de la lecture, Marseille, 1985, p. 62‑88).
36 La poésie palinodique à Rouen, p. 332‑377 ; Hüe, p. 343‑357, studies a particular
family of notable poets, the Le Lieurs, but many remain merely names ; see also Hüe’s
earlier paper, « La Fête aux Normands », dans Provinces, régions, terroirs au Moyen Âge :
de la réalité à l’imaginaire. Actes du colloque international des Rencontres européennes de
Strasbourg, Strasbourg, 1993, p. 9‑56, and Gros, Le poète, p. 200‑201, p. 246‑248. Gros
also (ibid., p. 128‑131) gives a list of the princes and their social station. For descriptions
of the manuscripts containing poems presented at Rouen, see Gros, Le poète, p. 219‑248,
and D. Hüe, Petite anthologie palinodique (1486‑1550), Paris, 2002, p. 373‑414.
37 See Blair, Too much to know, p. 117 sq.
172 ja ne h . m . tay lor
that the Art has been compillé et composé by Pierre Fabri – and this
need mean no more than that he has assembled the materials and wo-
ven them together. But as Blair points out, Latin compilare has a wider
range: « compilers selected, summarized, sorted, and presented textual
material to facilitate its use by others38 ». The cramped, awkward pages
of Fabri’s Grant et vray art are, I believe, designed, however inexpertly,
for easy reference – just as the florilegia and the commonplace books
were designed for hurried and immediate consultation by sermon-writ-
ers. The facteurs and the princes are not necessarily professional poets:
did Fabri, did his publisher, see an opportunity for good sales in the
preparation of a handy compendium that would be, according to the
latest thinking on page design, easier for an amateur to consult than
would continuous text ? We should, in any case, salute the effective
means of textual navigation provided here by writer or publisher – and
recognise a pioneering attempt to capitalise on the technical possibili-
ties offered by print in 1521…
BIBLIOGRAPHY
Primary sources
Fa br i , P., Cy ensuit le grant et vray art de pleine rhétorique : utille, proffitable
et nécessaire à toutes gens qui désirent à bien élegamment parler et escrire,
Rouen, Symon Gruel, 1521 ; facsimile, Geneva, 1972.
—, Le grant et vray art de pleine rhétorique, ed. A. Héron, 2 vols, Rouen,
1889‑1890.
Recueil d’arts de seconde rhétorique, ed. E. Langlois, Paris, 1902.
Studies
A r mstrong , A., « Versification on the page in Jean Molinet’s Art de rhéto-
rique: from the æsthetic to the utilitarian », Text, 15 (2003), p. 121‑139.
B lair , A. M., Too much to know: managing scholarly information before the
modern age, New Haven, London, 2010.
C erquiglini -Toulet, J. et J.‑C Mühletha ler , Poétiques en transition :
entre Moyen Âge et Renaissance, Lausanne (Études de Lettres 4), 2002.
G ros , G., Le poète, la Vierge et le prince du Puy : étude sur les Puys marials de
la France du Nord du xiv e siècle à la Renaissance, Paris, 1992.
38 Ibid., p. 175 ; I should point out, however, that Molinet also talks of having « com-
piled » his Art : see Paris, BnF, fr. 2159, fol. 1r (quoted by Armstrong, « Versification »).
a gr a m m a r of legi bi lit y 173
179
180 nath a li e h a ncisse
2 Sir Philip Sidney, Un Plaidoyer pour la Poésie (trad. Maurice Lebel), Québec, 1965,
p. 98.
« i ’ay mis l a m a i n au pa pi er pour escr ir e » 181
and set out with all maner of fresh colours and figures, which maketh
that it sooner inuegleth the iudgement of man, and carieth his opinion
this way and that, whither soever the heart by impression of the eare
shalbe most affectionatly bent and directed […]. So as the Poets were
also from the beginning the best perswaders and their eloquence the
first Rethoricke of the world3.
3 George Puttenham, The Arte of English Poesie, ed. G. D. Willcock and A. Walker,
Cambridge, [1936] 1970, p. 8.
4 J. Lamb, « A Defense of Puttenham’s Arte of English Poesy », English Literary
Renaissance, 39‑1 (Winter 2009), p. 29.
5 P. C. Herman, Royal Poetrie. Monarchic Verse and the Political Imaginary of Early
Modern England, Ithaca, London, 2010, p. 14.
6 George Puttenham, The Arte of English Poesie, p. 248.
182 nath a li e h a ncisse
8 [George Buchanan], De Maria Scotorum Regina totaque eius contra Regem coniu-
ratione, foedo cum Bothuelio adulterio, nefaria in maritum crudelitate et rabie, horrendo
insuper et deterrimo eiusdem parricidio, plena et tragica plane historia… Actio contra
Mariam Scotorum Reginam in qua ream et consciam esse eam huius parricidii, necessariis
argumentis evincitur, London, 1571.
9 J. Durkan, Bibliography of George Buchanan, Glasgow, 1994, p. xiv.
10 B[ucha na n] G[eorge], Ane Detectioun of the duinges of Marie Quene of Scottes,
touchand the murder of hir husband, and hir conspiracie, adulterie, and pretensed mariage
with the Erle Bothwell. And ane defence of the trew Lordis, mainteineris of The Kingis
Graces ctioun (sic) and authaoritie (sic). Ane oratioun, with declaration of evidence against
Marie the Scottish Quene, etc. [By Thomas Wilson?]. The writynges & letters found in
the sayd casket, which are aouwit to be written with the Scottishe Quenis awne hand.
Translatit out of the Latine Quhilke Was Written by G. B., [transl. Thomas Wilson and
George Buchanan], Edinburgh? [London]: John Day, 1571.
11 George Buchanan, Histoire de Marie Royne d’Escosse, touchant la conjuration faicte
contre le Roy, & l’adultere commis avec le Comte de Bothvvel, histoire vrayment tra-
gique, traduicte de Latin en François, trans. (Th. Waltem ?) Felipe Camuz, (Édimbourg ?)
La Rochelle, 1572.
12 See A. E. MacRobert, et al., Mary Queen of Scots and the Casket Letters, London,
2002 et Hans Villius, « The Casket Letters : A Famous Case Reopened », The Histori-
cal Journal, 28‑3 (1985), p. 517‑534.
13 George Buchanan, Histoire de Marie Royne d’Escosse (…), sig. T.iiv.
184 nath a li e h a ncisse
Three pairs of words are juxtaposed (“mon fils // mon païs”, “mon
honneur // mes subjects”, “ma vie // mon ame assubjetie”) and, as they
are combined, add weight to the symbolic implications of Mary’s sub-
mission to Bothwell. By pairing “mon fils” with “mon païs” in parti-
cular, the lines emphasise the danger that Mary’s physical and mental
surrender to Bothwell would mean for the country, as her abandon-
ment of the heir to the throne together with her realm symbolises
giving up on Scotland altogether. What is at stake with the publica-
tion of these sonnets is thus nothing less than Mary’s legitimacy as a
monarch. Would it be profitable for Scotland to keep a ruler who her-
self denies her status and betrays her people ? If the head of state loses
her mind, then by extension the whole nation seems threatened with
the same madness and inconstancy that characterise their queen. The
sonnets thus strengthen the conclusion that the Anglo-Scots translator
reached some pages earlier, when he declares of Mary:
[…] and quhom by right we might for hyr haynous deides haif executit,
hir we haif touchit with na uther punischment, but onely restraynit hyr
from doing mair mischief16.
The sonnets thus denote two types of tension, one between author’s
and publisher’s intention – viz. between the private and the public
sphere – and one caused by the deep ambiguity about where to draw
the line between authenticity and forgery. Translation further height-
ens this twofold tension as the poems, whose meaning remains other-
wise the same, undergo significant changes in form depending on the
language of the book. The following section examines the treatment of
the sonnets in the vernacular versions of the treatise.
First, on the formal level, major differences strike the eye when look-
ing at the two versions. Whereas in the French version, the sonnets are
only given in French, in the Anglo-Scots version they are first printed
in French and then followed by an English translation. The reader will
thus read the poems twice, with what is presented as the original ver-
sion giving authority to the lines in translation. This claim for authen-
ticity is highlighted by the title in larger type, reading “The writynges
and letters found in the sayd casket, which are avowit to be written
with the Scottishe Quenis awne hand18.” The use of a variety of ty-
pographies also enhances this “reality effect”19 carefully constructed in
the Anglo-Scots edition – by means of typographically coding the lan-
guages, with the French lines printed in italics and the English in black-
of the time, echoing Mary’s accusation that her rival has borrowed her
arguments from someone else: “Qui pourtant n’est en son esprit crois-
sant / Ains emprunté de quelque auteur luisant.” Here, Mary likens
borrowing to what would be considered as plagiarism today, as she
blames her opponent for not being able to write her letters herself 23.
The English translation renders these accusations as clearly as the
French sonnet:
And wald fayne deceive my love,
By writinges and paintit learning,
Quhilk nat the lesse did not breid in hir braine,
But borowit from sum feate authour,
To fayne one sturt and haif none.
And for all that hyr payntit wordis,
Hyr teares, hyr plaintes full of dissimulation,
And hyr hye cryes and lamentations
Hath won that poynt, that you keip in store,
Hir letters and writinges, to quhilk you geif trust,
Ye, and lovest and belevist hyr more than me24.
Even though the French rhyme scheme is lost in translation, the
translator apparently tried to compensate it with more typical Anglo-
Saxon poetical features, for instance alliterations (“did not breid in hir
braine”) or idiomatic expressions (“To fayne one sturt and have none”,
“keip in store”). In terms of ideas and meaning, the English transla-
tion closely follows the source sonnet. “Fardez” is twice translated by
“paintit”, which conveys the same idea of a negative view of fiction
seen as unnaturalness and forgery, compared in both languages to no
more than female make-up or painting. The French word “fictions” is
significantly rendered by “dissimulation”, again identifying fiction not
with the noble art of literary creation, but more basically with cheat-
ing. With hindsight, the intense irony of the whole process is to be
stressed, as the language used for translation of the poems and of the
whole treatise was itself a scam. Fearing to be directly associated with
the propaganda against Mary Stuart, Elizabeth I and her councillors
attempted to produce what should have looked like a Scottish ver-
sion of the text, published in Edinburgh and consequently under the
responsibility of the Scots25. The trick was however soon discovered,
and Mary’s angry reaction against her cousin’s policy shook for a while
Elizabeth’s so carefully composed image of the ideal monarch26.
23 Voir P. Kewes, Plagiarism in Early Modern England, London, 2003.
24 George Buchanan, Ane Detectioun of the Duinges, sig. Riiii.
25 J. E. Phillips, Images of a Queen, p. 63.
26 Ibidem.
188 nath a li e h a ncisse
Well aware of going against prevailing views about the roles of Poet
and Historian, Sidney boldly states that “the Poet (…) never lyeth”,
thus going further than defending the idea of a truth specifically be-
longing to, or conveyed by, poetry (a so-called ‘poetic truth’). Not only
able to lay claim to a veracity of the same nature as that of the Histo-
rian, the Poet is also more authentic a writer than the latter. This, Sid-
ney posits, is caused by the difference of purpose at the basis of each of
their writings. Unlike the Historian, bound by convention to a faith-
ful representation of true events, the Poet writes with more freedom
and therefore with more authenticity. As Robert E. Stillman points out
about Sidney’s vision in the Defence, “[p]oetry better remedies history’s
ills because it escapes confinement to the historical – hence its seeming
triviality and its real potential for grandeur28.” This is based on Sid-
ney’s concept of Ideas, or “fore-conceits”, and on the greater value he
attributes to those created by poetry, in contrast to the Ideas exploited
by historians or philosophers. For Sidney, as Stillman further explains,
“Ideas have […] a rhetorical, rather than just as conceptual power, ren-
dering them superior both to the always conditioned examples of un-
satisfying history and to the abstractions of philosophical thought29.”
Just as the present time, the Renaissance was an age where bound-
aries between truth and fiction were questioned over and over, with
consequences for the definition of the areas customarily allotted to
Poetry and History, as William Nelson argues31. Moreover, the opposi-
tion that Sidney makes between the roles of Poet and Historian, and
his doubts about the historian’s methods, are interestingly resonant
with Buchanan’s own views and practice of historiography. Although
the Scottish humanist strongly criticised the inclusion of Arthurian
lore in history books in his Rerum Scotticarum Historia32 , Buchanan’s
De Maria Scotorum Regina and the Casket Letter’s sonnets have to be
interpreted in the context of an early modern redefinition of history
and poetry as separate genres. Long considered as part of the liberal
arts together with poetry, history progressively acquired the status of
a scholarly discipline, but historiographers still continued to use the
quasi-historical mode in their writings, “because of a persistent feel-
ing that ‘true’ examples have more force than fictional ones […]33.” In
his treatise Buchanan makes use of a variety of documents and genres
where he fully displays his outstanding mastery of rhetoric, by means
of fictional examples and inclusion of sonnets to back up his argu-
ment. When we then consider the use that was made of these sonnets,
the closing lines of the stanza read a posteriori as an ironic metatex-
tual commentary on the fate of Mary Stuart’s own writing: “[…] par
vous sont gardées / Ses lettre’ escrite’ auquels vous donnez foy.” The
Queen of Scots’s letters and poems, certainly published against her
will and without any certainty as to their authenticity, struck a final
blow against her ambitions as Queen of Scotland. As a result of this
publication, Mary’s voice sounds so unbecoming to a ruler by divine
right, and her lines so assertive, that they spiral out of control, stand-
ing in stark contrast to her cousin’s carefully ordered verse. The form
of the last of the Casket poems illustrates this unwitting hijacking of
her poetic voice, as the usual sonnet is replaced by a sextet giving the
impression that Mary stops short after she started to comment on the
purpose of her poems: “I’ay mis la main au papier pour escrire / D’un
different que i’ay voulu transcrire34.” Mary’s purported words bear wit-
ness to the dangerous sides of poetry writing, both caused by possible
cross-lingual misinterpretations and tense political contexts. English
theorists have indeed subsequently reflected on these tensions in their
treatises on poetry, as explored in the next section of this paper.
37 Ibidem, p. 569.
38 George Puttenham, The Arte of English Poesie, p. 82.
39 George Puttenham, The Arte of English Poesie, p. 117.
192 nath a li e h a ncisse
edgement of “the usual Normane and Saxon word” shows, but rather
for fear of too heavy a dependence on artificially crafted words, com-
pounds not yet recorded by usage that did not sound “natural” and
homely enough according to his taste. In that respect, the very first
sentence of his treatise significantly highlights the difference between
the poets’ and the translators’ methods, when he claims that “[e]ven
so the very Poet makes and contrives out of his own braine, both the
verse and matter of his poeme, and not by any foreine copie or exam-
ple, as doth the translator, who therefore may well be sayd a versifier,
but not a Poet40.” In his view, poet and translator stand worlds apart,
on the one hand the creator and on the second hand, a “versifier”.
However, when we consider the widespread Renaissance poetic ideal of
writing beautiful verse by means of imitating the Classic masters, there
is a distinction to be made between Classical imitatio as a means to
aemulatio, and imitatio understood as an excessive copying of “foreine
example” that introduces aberrations into the language.
Furthermore, theoretical discourses on poetry were the new vehi-
cles for national and ideological concerns which their authors sought
to champion, as Philip Sidney’s example shows. As James E. Phillips
pointed out, Buchanan was part of the same intellectual circle as Sid-
ney41. In his poetical treatise, Sidney defends poetry as the best suited
vehicle to stand up for his own political stance, i. e. liberation from
tyranny, and Buchanan exposed similar considerations on tyranny and
the people’s right (and duty) to tyrannicide in his 1579 De jure regni
apud Scotos, as Robert Stillman explains42 . Both Elizabeth I and Mary
Stuart’s poetical productions have thus to be situated within a context
of political and religious activism. In her article on Elizabeth I’s trans-
lation of Boethius’ Consolation of Philosophy, Lysbeth Benkert shows
how the Queen’s textual productions paralleled the militant translation
activity of the Countess of Pembroke – Philip Sidney’s sister –, who
was famous for her translation of the Psalms. As Benkert indicates,
the translation of Psalms was characteristic of Protestant sympathies:
“[t]hroughout the Reformation in Europe, the Psalms had been used
by militant Protestants as a battle cry for radical reform and holy
wars against the Catholics. When the Catholic Mary, Queen of Scots
40 Ibidem, p. 3.
41 Voir J. E. Phillips, « George Buchanan and the Sidney Circle », Huntington
Library Quarterly, 12 (1948), p. 23‑56.
42 R. E. Stillman, « The Truths of a Slippery World », p. 1302.
« i ’ay mis l a m a i n au pa pi er pour escr ir e » 193
BIBLIOGRAPHY
Primary Sources
B ucha na n , G., De Maria Scotorum Regina totaque eius contra Regem con
iuratione, foedo cum Bothuelio adulterio, nefaria in maritum crudeli-
tate et rabie, horrendo insuper et deterrimo eiusdem parricidio, plena et
tragica plane historia… Actio contra Mariam Scotorum Reginam in qua
Conferences
A r mstrong , G., « Reading between the Lines: Coding English Continen-
tal Books in the 1580s and 1590s ». Paper presented at the Renaissance
Society of America Annual Meeting in Washington, D. C., on 24th of
March 2012.
Tom D eneir e
1 Poetica, 3, 257‑258.
2 Ioannes Sturmius, De imitatione libri tres, Strasbourg, 1574, and Gerardus Johannes
Vossius, De imitatione cum oratoria, tum praecipue Poetica, Amsterdam, 1647. For more
information on the vernacular reception of imitational poetics, see A. Moss, ‘Literary
Imitation in the sixteenth century : writers and readers, Latin and French’, in The Cam-
bridge History of Literary Criticism. Volume III : The Renaissance, ed. G. P. Norton,
Cambridge, 2006, p. 113‑118.
3 H. Gmelin, ‘Das Prinzip der Imitatio in den romanischen Literatur der Renais-
sance’, Romanische Forschungen 46/2 (1932), p. 83‑360 ; Th. M. Greene, The Light in
Troy : Imitation and Discovery in Renaissance poetry, London, 1982 and J. Jansen, Imita-
tio. Literaire navolging (imitatio auctorum) in de Europese letterkunde van de renaissance
(1500‑1700), Hilversum, 2008 (bibliography : p. 488‑517).
197
198 tom deneir e
4 This paper will not address imitatio naturae or mimesis, even if the distinction
between both is ultimately artificial. Cf. G.-W. Pigman, ‘Versions of Imitation in the
Renaissance’, Renaissance Quarterly, 33 (1980), p. 1‑32 (p. 2): ‘I have intentionally ex-
cluded discussions of literary representation deriving from Plato and Aristotle, although
they also go by the name of imitation and even though this more philosophical tradition
often mingles with the rhetorical theories about models, as in the cases of Phoebammon
and Giovanfrancesco Pico della Mirandola. Consequently the common distinction be-
tween philosophical and rhetorical imitation is somewhat misleading because it obscures
the distinctions among the varieties of rhetorical imitation’ (Pigman refers at this point
to A. J. Smith, ‘Theory and Practice in Renaissance Poetry : Two Kinds of Imitation’,
Bulletin of the John Rylands Library, 47 [1964], p. 212‑243).
5 See Jansen, Imitatio, chapter 2.
6 A short, but interesting speculation on the functionality of Neo-Latin imitatio
(together with a rejection of ‘the mechanical pursuit of classical parallels’) is found in
H.-J. Van Dam, ‘Taking Occasion by the Forelock : Dutch Poets and Appropriation of
Occasional Poems’, in Latinitas Perennis. Volume II : Appropriation and Latin Litera-
ture, ed. Y. Maes, J. Papy, W. Verbaal, Leiden, Boston (Brill’s Studies in Intellectual His-
tory 178), 2009, p. 95‑128 (p. 111‑112 and n. 65).
7 N. Kaminski, ‘Imitatio’, in Historisches Wörterbuch der Rhetorik, ed. G. Ueding
et al., Tübingen, 1992-…, IV, p. 235‑303 (col. 265).
r econsi der i ng i mitatio auctorum 199
I mitatio as Quellenforschung
Quite obviously the connection between imitatio and Quellenfor
schung is one of instinctive logic. If imitation is the creative use of liter-
ary models, then identifying these models is a conditio sine qua non for
any research about imitatio. Accordingly, it will be immediately clear
that there is nothing wrong with Quellenforschung in itself. However,
the point this paper wishes to make is that Quellenforschung should
not be an end in itself, but only a stepping-stone in the interpretation
of imitatio as function of literary language. Nevertheless, as the quote
from the Historisches Wörterbuch der Rhetorik has illustrated, it seems
that the scholarly tradition has experienced difficulties in transcending
this step of Quellenforschung. There are good reasons for such a meth-
odological predisposition. In the following two will be identified in
more detail: (1) the fact that the Early Modern metaliterary tradition
operates from an essentially didactic viewpoint, and (2) our contem-
porary preconceptions of Renaissance literature as dominated by the
aesthetics of identity.
If one considers the history of our present-day use of imitatio auc-
torum, it becomes immediately clear that we have inherited the con-
cept from humanist literary criticism, which in turn took it over from
the classical tradition of rhetoric and poetics9. Now even though this
metaliterary tradition comprises very diverse works10, they all share
8 Cf. the methodology implicit in Jansen, Imitatio, p. 51, n. 14: “Onderzoek naar
bronnen of mogelijk ontleende passages in de renaissancistische letterkunde heeft zich al
sinds lang op een warme belangstelling mogen verheugen”.
9 On imitatio in classical literature, see A. Reiff, Interpretatio, imitatio, aemulatio.
Begriff und Vorstellung literarischer Abhängigkeit bei den Römern, Düsseldorf, 1959 ;
D. Russel, in Creative imitation and Latin literature, ed. D. West, T. Woodman, Lon-
don, New York, 1979, p. 1‑16 and A. N. Cizek, Imitatio et tractatio. Die literarisch-
rhetorischen Grundlagenden der Nachahmung in Antike und Mittelalter, Tübingen
(Rhetorik-Forschungen 7), 1994.
10 See Pigman, ‘Versions of Imitation’, p. 2: “Writers discuss imitation from so many
different points of view : as a path to the sublime (‘Longinus’), as a reinforcement of
one’s natural inclinations (Poliziano) or a substitute for undesirable inclinations (Cor-
tesi), as a method for enriching one’s writing with stylistic gems (Vida), as the surest or
200 tom deneir e
Indeed, the gerundives sumenda and derigenda are quite telling for
the fact that Quintilian is not analysing imitatio, but arguing for the
necessity of the notion in learning rhetoric.
The same is noticeable in the Neo-Latin tradition. Vossius, for in-
stance, opens his book De imitatione by intimately connecting imitatio
with practice (usus) and exercise (exercitatio).
Magnus in eo veterum est consensus tribus esse opus ad comparandam
eloquentiam sive eam quae est oratorum, sive illam poetarum. Eorum
primum statuunt naturam, quae incipit, alterum artem, quae dirigit,
tertium vero usum, qui perficit. Unde solum hunc artifices facere ait
poetarum ingeniosissimus. Usus vero nomine hic intelligitur omnis illa
exercitatio quae artis praecepta consequitur quaque dicendi vel carminis
pangendi firma quaedam facilitas comparatur. (…) nunc ea persequar
quae pertinent ad usum, quo nomine complector tum imitationem
eminentium virorum, tum etiam conatum meliorum, si consequi liceat.
only way to learn Latin (Delminio), as providing the competitive stimulus necessary for
achievement (Calcagnini), and as a means of ‘illustrating’ a vulgar language (Du Bel-
lay)”.
11 See H. C. Gotoff, Cicero’s elegant style. An analysis of the Pro Archia, Urbana,
Chicago, London, 1979, p. 38.
12 See also Moss, ‘Literary Imitation’, p. 107: ‘The history of literary criticism in our
period is therefore to a large extent a history of which models were recommended for
imitation, of instructions as to how they were to be imitated, and of the side-effects of
such prescriptions’.
13 “It is from these and other authors worthy of our study that we must draw our
stock of words, the variety of our figures and our methods of composition, while we
must form our minds on the model of every excellence. For there can be no doubt
that in art no small portion of our task lies in imitation.” Quintilianus, inst., 10, 2, 1
(translation from The Institutio oratoria of Quintilian, with an English translation by
H. E. Butler, 4 vols, London [The Loeb classical library], 1921‑1922).
r econsi der i ng i mitatio auctorum 201
14 “On this point there is a great consensus among the ancients that three things are
necessary to acquire eloquence whether that of the orators or that of the poets. They
constitute the first of these in nature which starts, the second in the art that directs, but
the third in practice that makes perfect. Hence the most talented of the poets says that
this alone gives skills. But by practice I understand all that exercise that follows the rules
of the art and by which one acquires some stable facility in speaking or in making verse.
(…) now I will continue with aspects related to exercise, a term in which I comprise both
the imitation of eminent men and the aspiration to acquire a high level if possible. I call
imitation the effort by which we form ourselves to the example of someone else to make
ourselves like him.” Text and translation from Gerardus Johannes Vossius, Poeticarum
institutionum libri tres / Three Books on Poetics, ed. J. Bloemendal, in collaboration with
E. Rabbie, Leiden, 2010, p. 1956‑1959.
15 On the didactic dimension of imitatio, see the first section of Jansen’s book
(‘Onderwijs’, in Jansen, Imitatio, p. 15‑20).
16 For instance by Sturmius, Vossius or Justus Lipsius (see Jansen, Imitatio, p. 56‑57).
202 tom deneir e
tor in the artistic system, and those that put forward their own artistic
structures, codes, etcetera and therefore use originality as a normative
factor17. In this view, Greek and Roman authors – and with them their
medieval successors and humanist admirers – are clearly part of the
first system, which views good literature as that which succesfully fol-
lows previous models. With the aesthetic revolution of Romanticism,
however, a new criterion of artistry was then introduced, namely the
unique style and substance of the work18, which implies that good lit-
erature should break with or even oppose previous models. The logi-
cal consequence is that modern scholars tend to approach imitatio, the
aesthetic notion of identity, from their own aesthetic predisposition of
originality19. Accordingly, it is almost inevitable to think of imitation
in terms of original versus borrowed material. Therefore, the research
question again boils down to analyzing what is original and what has
been borrowed, i. e. Quellenforschung. Surely, it seems, the aesthetics of
identity justify, nay necessitate, a method of identifying ?
Still, for all its general value, it seems that Lotman’s typology is sim-
ply too rigid and binary. First of all, it is incorrect to oppose imitatio
and originality both in ancient and in humanist literariness. In the
abovementioned paragraph on imitatio Quintilian immediately goes
on to put the notion in perspective by saying: [a]nte omnia igitur imi-
tatio per se ipsa non sufficit, vel quia pigri est ingenii contentum esse iis,
quae sint ab aliis inventa (“The first point, then, that we must realise
is that imitation alone is not sufficient, if only for the reason that a
sluggish nature is only too ready to rest content with the inventions
of others20”). In the humanist tradition, which incidentally coincides
with the rising importance of ingenium (originality) in the metaliter-
ary debate, this is further explored. Time and again, it is stressed that
imitatio consists precisely in the harmony of imitation and creativ-
ity, hence its almost ubiquitous connection, even identification with
aemulatio21. Secondly, modern literary theory, especially postmodern
17 See Y. Lotman, The Structure of the Artistic Text, translated from the Russian
by G. Lenhoff and R. Vroon, Ann Arbor (Michigan Slavic Contributions 7), 1977,
p. 289‑292.
18 See e.g. R. Mortier, L’originalité : une nouvelle categorie esthétique au siècle des
lumières, Genève, 1982.
19 Cf. Jansen, Imitatio, p. 49 and n. 7.
20 Quintilianus, inst., 10, 2, 4 (translation from The Institutio oratoria of Quintilian,
IV, p. 77).
21 See e.g. J. Omphalius’s concept of imitatio as discussed by Moss, ‘Literary Imita-
tion’, p. 109: ‘Imitation, he claims, is not a prescription for servile copying or a license
to plagiarize, but a spur to emulation, as the imitator strives not only to reproduce the
r econsi der i ng i mitatio auctorum 203
achievements of his forerunners, but to surpass them’. Some humanists, however, did
explicitly distinguish between imitatio and aemulatio, for instance Erasmus (see Pigman,
‘Versions of Imitation’, p. 18‑29).
204 tom deneir e
22 Kaminski, ‘Imitatio’, col. 265 suggest four other strands of literary theory which
offer a methodological perspective for imitatio research : ‘Rezeptionsästhetik, Intertextu-
alität, Dialogizität (im Sinne von M. Bachtin), Dekonstruktion’.
23 J. Culler, Structuralist Poetics. Structuralism, linguistics and the study of literature,
London, New York (Routledge Classics), 2002 (first published 1975), p. 138.
24 There are many more ways to define subcategories of imitatio than will be dis-
cussed in the following (see also Jansen, Imitatio, p. 61‑63). Moss, ‘Literary imitation’,
p. 111‑112 also touches on some functions of imitation, yet without attempting to theo-
rize or systematize these.
r econsi der i ng i mitatio auctorum 205
piles which one can draw from at random. Heuristic imitation, thirdly,
is the kind of imitation that is open about its model, but at the same
time distances itself from it. The fourth type, which is admittedly al-
most a species of the third, is dialectical imitation, which more or less
equals parody25.
Pigman, finally, has discussed different versions of imitation through
the lens of the metaphors humanists used to speak about imitatio. He
distinguishes transformative, dissimulative, and eristic metaphors and
although “(t)hese classes do not strictly correlate with the three types
of imitation26”, one can still use them to understand the processes
involved in imitation. The first category often uses apian imagery
(Bienengleichnis), which illustrates not only transformative imitation
(turning one thing into another as bees turn nectar into honey), but
also non-transformative following, gathering, or borrowing. Dissimu-
lative imagery refers to concealing or disguising the relation between
text and model, while eristic metaphors (from the Greek ἔρις) repre-
sent “an open struggle with the model for preeminence, a struggle in
which the model must be recognized to assure the text’s victory27”.
to discard such notions of intent. Even Pigman concedes that “an imi-
tation’s concealment, therefore, does not necessarily imply absence of
function33”. After all, if an author is not consciously aware of using an
echo from Horace, should it then be useless to consider this reminis-
cence as a part of what makes his text poetry, in other words to study
this imitatio as a function of Neo-Latin poetics34 ?
37 See Even-Zohar, Polysystem Studies, p. 39‑43. See also D. De Geest, ‘Cultural Rep-
ertoires within a Functionalist Perspective : A Methodological Approach’, in Cultural
Repertoires. Structure, Function and Dynamics, ed. G. J. Dorleijn, H. L. J. Vanstiphout,
Leuven, 2003, p. 201‑215.
38 Even-Zohar, Polysystem Studies, p. 39.
39 Even-Zohar himself refers to Pierre Bourdieu’s notion of habitus to account for
the ‘behavioural’ dimension to explain this dimension of repertoire (Even-Zohar, Poly-
system Studies, p. 42).
40 Even-Zohar calls this primary and secondary ‘types’, but his use of the word type
is unclear. In his general discussion of the opposition (Polysystem Studies, p. 20‑22) he
reserves it for ‘products’ and ‘models’, yet it seems the notion also applies to systemic
processes (general operations within the system), procedures (particular operations of
production or consumption), or conversions (movement within the system’s stratifica-
tion) as well.
41 Even-Zohar, Polysystem Studies, p. 21.
r econsi der i ng i mitatio auctorum 209
42 See e.g. J. Haig Gaisser, Catullus and his Renaissance Readers, Oxford, 1993.
43 J. Papy, ‘La poésie de Juste Lipse. Esquisse d’une évaluation critique de sa tech-
nique poétique’, in, Juste Lipse (1547‑1606) en son temps. Actes du colloque de Strasbourg,
1994, éd. Chr. Mouchel, Paris, 1994, p. 163‑214 (for a markedly Catullan poem, see
p. 168).
210 tom deneir e
in some cases that of poetry in the Catullan vena, knowing that this
will at least render his poetry acceptable for the contemporary audi-
ence. Therefore, Lipsius’s imitation of Catullus is obviously a second-
ary product, which perpetuates existing structures and norms of the
system’s repertoire.
On the other hand, when the poeta vates Giovani Pontano imitated
Catullus, we have quite a different situation. Pontano’s daring poetry
that owes much to Catullus was clearly quite innovative in the con-
temporary field of the Neo-Latin erotic lyric44. In comparison with the
rest of the Italian lyric scene Catullus’ hendecasyllables and Pontano’s
reception of them differ on all levels of the repertoire (lexicon, syntax,
genre, etc.). Therefore, Pontano’s imitatio Catulli is clearly a primary
product vis-à-vis the system’s repertoire. He is trying to change the sys-
tem’s repertoire and to canonize Catullus as a model for love poetry.
In this way, this example illustrates how the dynamic-functionalist
interpretation of imitatio as a primary or secondary element of the
literary repertoire, adds to our understanding of the general poetic
function of imitatio. Indeed, in the differences between Lipsius’s and
Pontano’s imitation of Catullus we see the importance of combining
Quellenforschung – which reveals which author is imitated – with the
dynamic-functionalist approach of imitatio – which reveals the poetic
nature of the relationship between a text and its model.
Incipe parve puer risu cognoscere matrem (J. Sannazaro, De partu Vir-
ginis, 3, 231)46
Ergo age, care puer, risu cognosce parentes (J. Passerat, Genethliacon
Henrici Memmii Nepotis)47
(…) ille complexum petens / et e pudico dulce subridens sinu / matrem
fatetur (D. Heinsius, Herodes Infanticida, actus 2)48
Parvulus (…) qui risu nosse parentes / incipiat (I. Pontanus, Poemata)49
Incipe, nunc dulci matrem cognoscere risu (G. Becanus, Elegiae, 1, 3)50
Dumque suam vultu matrem ridente fatetur / natus (R. Rapin, Eclogae
sacrae, 11)51
Coepisti tandem risu cognoscere matrem ! (G. Pascoli, Thallusa, 194)52
donec avet risu maternos noscere sensus (M. Pisini, Lallum, 19)53
However quick it may be, such a glance already reveals the prolific
influence of Virgil’s splendid line. In Renaissance Italy we find it in
Jacopo Sannazaro’s Christian epic De Partu Virginis (1526) where he
just copied the full verse, thus imitating it maximally54. In France it is
present in Jean Passerat’s Genethliacon for his patron Henri de Mesmes’
grandchild, dated on 1 January 1586, and also in the eleventh poem of
René Rapin’s Eclogae Sacrae (1659). Finally, in the Low Countries we
find it in Daniel Heinsius’ play Herodes Infanticida, published in 1632,
but written several years earlier, in Isaac Pontanus’ Poemata (1634),
46 Iacopo Sannazaro. De Partu Virginis, ed. Ch. Fantazzi, A. Perosa, Firenze (Istituto
Nazionale di Studi sul Rinascimento. Studi e Testi 17), 1988, p. 71.
47 Ioannis Passeratius, Kalendae Ianuariae et Varia quaedam Poemata. Quibus ac-
cesserunt eiusdem Authoris Miscellanea nunquam antehac typis mandata, Paris, 1606,
p. 59‑62.
48 Danielis Heinsii Herodes Infanticida, Tragoedia, Amsterdam, 1632, p. 20.
49 ‘Epithalamium in Nuptias (…) Frederici Sandii (…) eiusque Sponsae (…) Evermoet
ab Essen’, in IIsaci (sic) Pontani Poematum libri VI, Amsterdam, 1634, p. 42‑45 (p. 45).
50 ‘Elegia III. Invenietis infantem pannis involutum, et positum in praesepio. Lucae 2’,
in Sidroni Hosschii e Societate Jesu Elegiarum libri sex. Item Guilielmi Becani ex eadem
societate Idyllia et Elegiae, Antwerp, 1667, p. 333‑335 (p. 335).
51 ‘In Virginem Expiatam Ecloga XI. Laudes’, in Renati Rapini, Multo elegantis-
simi poetae, Hortorum Libri, Ecolgae, Liber de Carmine Pastorali, Odae, Leiden, 1672,
p. 35‑38 (p. 36).
52 Pascoli. Tutte le poesie, ed. A. Colasanti, trad. N. Calzolaio., Roma (I Mammut 72.
Grandi Tascabili Economici Newton), 2001, p. 1064‑1073 (p. 1070‑1072).
53 M. Pisini, Album, Cortona, 2006, p. 16.
54 De partu Virginis contains numerous references to Vergil’s fourth ecloga in this
specific part (see The Major Latin Poems of Jacopo Sannazaro, transl. into English prose
with comment. and selected verse transl. by R. Nash, Detroit [Mich.], 1996, p. 14).
212 tom deneir e
57 Cf. Ovidius, Pont., 2, 3, 90: gutta per attonitas ibat oborta genas.
58 Cf. Ovidius, Fast., 4, 138: nunc alii flores, nunc nova danda rosa est.
59 Postquam prima quies : Vergilius, Aen., 1, 723 and Mens agitat : Aen., 6, 727 ;
9, 187 (see also Lucanius, 6, 415 and Statius, Theb., 2, 177).
60 On the certamen, see D. Sacré, ‘‘Et Batavi sudamus adhuc sudore Latino’. Het
Certamen Hoeufftianum’, Hermeneus, 65 (1993), p. 120‑124.
214 tom deneir e
C onclusion
In the end we see that while Quellenforschung furnishes the nec-
essary elements for discussions of literary interpretation such as the
above one, the dynamic-functionalist approach of PS theory is able to
offer interpretative options and to argue about their likelihood. As
always, it is not a question of being right or wrong in such interpreta-
tions, but a question of finding an interpretation that explains as much
of the observed literary object as possible.
In this way it should also be clear from the above that this paper is
by no means a denial of the value of Quellenforschung or an attempt
to stir up a methodological querelle des anciens et modernes, as if old
philology should be replaced by modern literary theory. It aims for
methodological symbiosis and self-criticism, if anything, and does so in
a conscious attempt to take note of the recent outcry for more meth-
odological reflection in Neo-Latin Studies64 – methodological reflec-
tion which is quite necessary as already the quote from the Historisches
Wörterbuch der Rhetorik pointed out.
Finally, in the context of this collection of essays, it should be clear
that this exploration of imitatio as a critical concept calls for caution in
recuperating notions from classical and humanist artes poeticae. They
are not works of literary theory, but handbooks for writing poetry, as
Thomas Greene has pointed out on occasion65. And perhaps it was no
coincidence that such an obervation should come from the scholar who
devoted so much attention to the topic of imitatio…
65 Cf. Th. Greene, ‘The Flexibility of the Self in Renaissance Literature’, in The Dis-
ciplines of Criticism : essays in literary theory, interpretation, and history, ed. P. Demetz,
Th. Greene, L. Nelson Jr., New Haven, 1968, p. 241‑264 (p. 250), who views such trea-
tises as part of the ‘institute-genre’, ‘one of the most popular and typical of the Renais-
sance’, comprising not only artes poeticae but also works like Machiavelli’s Il Principe,
Castiglione’s Il Cortegiano and even Erasmus’ devotional Encheiridion.
216 tom deneir e
APPENDIX
BIBLIOGRAPHY
L’ART DE LA PAROLE ET LA
GR ADATION DES STYLES DANS LES
POÈMES LYRIQUES DE DESCHAMPS
L’hér itage poétique d’E ustache D escha mps est varié tant
du point de vue des thématiques de ses poèmes que des moyens lexi-
caux, rhétoriques et rythmiques qu’il utilise. Or, la question de savoir
s’il existe un lien entre ces poèmes divers et les doctrines des styles
connues au Moyen Âge n’a pas été suffisamment étudiée, bien que des
remarques aient été faites à ce propos1. Pour répondre à cette question,
il faudrait décrire d’une manière plus complète les idées de Deschamps
concernant l’art du langage et notamment ses jugements sur la diffé-
rentiation des styles. Deschamps fut auteur de l’Art de dictier, mais ses
idées sur l’art d’écrire ne s’y réduisent pas. Dans ses poèmes on trouve
des traces d’autres doctrines qui, selon nous, non seulement lui sont
connues, mais exercent encore une influence sur sa pratique littéraire.
Parallèlement, il ne faut pas considérer l’Art de dictier comme son
unique manifeste poétique2 .
1 Voir en particulier notre article : « Rhétorique et poésie dans l’Art de dictier », dans
Autour d’Eustache Deschamps. Actes du colloque (Amiens, 1998), éd. D. Buschinger,
Amiens, 1999, p. 93‑102 où nous mettons certains poèmes de Deschamps en rapport
avec le style élevé. Voir aussi : M. Lacassagne, « Eustache Deschamps, praticien du style
moyen », Centaurus. Studia classica et medievalia, 7 (2010), p. 151‑165 qui souligne le
lien entre d’une part les poèmes de Deschamps consacrés à la louange d’une forme de
mediocritas horacienne et d’autre part le style moyen. À notre avis, les frontières du style
moyen chez Deschamps sont plus larges et moins précises, puisque, comme nous allons
le voir, l’influence des diverses doctrines des styles se reflète dans son œuvre poétique.
2 De toute évidence, l’Art de dictier fut écrit suite à une commande de Louis d’Or-
léans, protecteur du poète (voir Eustache Deschamps, l’Art de dictier, éd. D. M. Sinn
reich-Levi, East Lansing, 1994, p. 139 ; plus loin nous citons le traité de Deschamps
d’après cette édition). Deschamps répète en plusieurs endroits que l’Art de dictier est le
fruit d’une commande, même s’il ne découvre pas le nom de son mécène. Ainsi, en par-
ticulier : « car ce qui fait en est a esté du commendement d’un mien tresgrant et especial
seigneur et maistre, auquel pour mon petit engin ne autrement, pour l’obeissance que
je lui doy, excusacion n’eust pas eu lieu, quant a moy » (l’Art de dictier, p. 102‑104). Il
se peut que l’explication de la locution « ars liberaulx » qu’il fournit au début du traité
– ces arts, dit-il, sont destinés aux gens libres, c’est-à-dire, nobles, issus des bonnes fa-
milles – soit citée pour signaler la noblesse du commanditaire et souligner que la lecture
219
220 lu dmi ll a ev dok i mova
Il est impossible de dire par ailleurs si les doctrines des styles que
nous allons évoquer sont applicables à toutes les œuvres du poète sans
aucune exception ; dans l’ensemble de son œuvre, on constate plutôt
des tendances diverses qui permettent de situer certains poèmes dans la
hiérarchie des styles hauts ou bas, alors que d’autres restent, semble-t-il,
en dehors de cette classification. Par ses vues sur la littérature et sur la
manière d’écrire, telles qu’elles imprègnent ses poèmes, Deschamps est
éclectique et il est difficile de réduire ses jugements à un système cohé-
rent. Il n’est pas exclu que des contradictions entre les doctrines qui
apparaissent dans ses poèmes s’expliquent par le fait que ceux-ci soient
écrits à des moments différents de sa vie alors même que les datations
ne sont pas toujours faciles à établir.
Deschamps connaît les gradations ternaire et binaire des styles. Il
mentionne la doctrine du premier type, en particulier, dans son poème
ironique D’un beau dit de ceuls qui contreuvent nouvelles bourdes et
mensonges daté de 16 et 17 octobre 1400 (n° 1404)3 ; dans ce cas la
doctrine en question fait partie de l’exposé détaillé des arts de la rhéto-
rique et de l’art poétique.
Ce poème appartient au cycle de ses œuvres adressées à ses amis
et collègues qui l’entouraient lorsqu’il était au service du roi. À en
juger par les poèmes eux-mêmes, c’était une sorte de société littéraire
semblable à l’entourage arrageois d’Adam de la Halle ou encore plus,
peut-être, à la confrérie de Basoche4. Deschamps appelle ses amis « fu-
de ce traité lui convient (l’Art de dictier, p. 54). Plus loin, lorsqu’il définit le serventois
consacrée à la Vierge, Deschamps, contrairement à son habitude, n’illustre sa définition
d’aucun exemple et assure que les « nobles hommes n’ont pas accoutumé de ce faire »
(l’Art de dictier, p. 82). D’une manière analogue, le bref paragraphe consacré aux sottes
chansons et pastourelles ne comporte pas d’exemples ; cette fois Deschamps avoue qu’il
les omet à cause de la « briefte » à laquelle il vise (l’Art de dictier, p. 94). Pourtant Des-
champs lui-même a composé des poèmes de ce genre. On a ainsi l’impression que Des-
champs adapte son exposé de l’art de versification aux goûts et aux exigences de son
destinataire. Voir à ce sujet : Cl. Dauphant, La Poétique des Œuvres complètes d’Eustache
Deschamps (ms. BnF fr. 840). Composition et variation formelle, Paris, 2015, qui consacre
à l’Art de dictier de Deschamps et à son accord avec l’œuvre du poète un chapitre de son
livre (p. 92-134). Notre point de vue ne coïncide pas avec le sien ; à notre avis, de plus,
Cl. Dauphant exagère beaucoup l’originalité du traité de Deschamps, car elle ne tient
pas compte des traités de la rythmique latine (I trattati medievali di ritmica latina, éd.
G. Mari, Milano, 1899), tradition à laquelle Deschamps est directement lié.
3 Ici et plus loin les poèmes de Deschamps sont cités d’après l’édition suivante : Eus-
tache Deschamps, Œuvres complètes, éd. du marquis de Queux de Saint-Hilaire et de
G. Raynaud, t. 1‑11, Paris, 1878‑1904 ; les numéros des poèmes renvoient à cette édition.
4 P. Unruh, « Fumeur » Poetry and Music of the Chantilly Codex : a Study of its
Meaning and Background. A Thesis Submitted in Partial Fulfilment of the Requi-
rements for the Degree of Master of Arts, the University of British Columbia, 1983,
p. 51‑71. Pour les lettres et les chartes de Deschamps, voir l’ouvrage récent de K. Becker,
Le lyrisme d’Eustache Deschamps. Entre poésie et pragmatisme, Paris, 2012, p. 52-61.
l a pa role et le st y le da ns les poèm es ly r iques 221
meux » ; cet adjectif (dont l’une des significations est « colérique5 »),
est proche par son sens de « mélancolique6 » ; au Moyen Âge l’état
de la mélancolie est considéré comme propice à la création poétique.
Dans plusieurs poèmes de ce cycle, Deschamps utilise les adjectifs « fu-
meux » et « mélancolieux » pratiquement comme des synonymes7.
Dans le poème en question Deschamps convoque – en tant que
prince des « fumeux » – l’assemblée burlesque, en ordonnant à ses su-
jets de s’y rendre et d’y réciter leurs œuvres ; il expose en même temps
les règles que ses sujets doivent suivre et les fondements de la science
qu’ils doivent maîtriser. Il s’agit sans aucun doute de la rhétorique et,
plus précisément, d’une version spécifique de cet art. Bien que le ton
du poème soit ironique, cet exposé contient une part de sérieux, car,
comme nous le montrerons, une conception analogue de la rhétorique
est évidente dans d’autres œuvres du poète où l’ironie n’a pas de place.
De plus, cet exposé reflète les connaissances qu’a Deschamps dans ce
domaine et permet d’établir les sources auxquelles il a recours. D’une
part, Deschamps y formule des thèses énoncées aussi dans l’Art de dic-
tier et dans la ballade sur la rhétorique (n° 1367) qui lui est proche :
c’est une science pratique qui demande pourtant une préparation
théorique8 ; l’orateur doit parler « hardiment »9. Deschamps y utilise
le syntagme « parler en habobdance » qui remonte probablement à la
définition de la rhétorique formulée par Isidore10.
Le prince des fumeux expose à ses sujets des règles qui concernent
l’inventio et l’elocutio. Dans la plupart des cas, ces règles coïncident
avec celles, généralement connues : il faut éviter les sujets bas, préférer
5 Dictionnaire du Moyen français en ligne : http://www.atilf.fr/dmf/.
6 P. Unruh, « Fumeur » Poetry, p. 3‑5.
7 Ainsi, par exemple, dans La charte des fumeux datée de 9 décembre 1368 (n° 1398) :
« Jehan Fumée, par la grace du monde / Ou tous baras et tricherie habonde / Empereres
et sires des Fumeux / Et palatins des Merencolieux / A tous baillis, prevost et senes-
chaulx / Dus, contes, princes […]. / Vous esclarcirons leur manière / Et leur condicion
premiere. / Ilz parlent variablement / Ilz se demaines sotement ; / […] / Plain sont de
grant merancolie… » (Œuvres complètes, t. 7, p. 312‑312).
8 « Et que ceuls ou loquence habonde / Et qui ont belle theorique / Et de parler
bonne pratique / En faiz de beaus comptes compter, / Choses nouvelles rapporter… »
(Œuvres complètes, t. 7, p. 351‑352).
9 Œuvres complètes, t. 7, p. 347. Telle est la définition de la rhétorique dans l’Art de
dictier ; pour l’analyse, voir notamment notre article : « Rhétorique et poésie dans l’Art
de dictier », p. 93‑97.
10 Œuvres complètes, t. 7, p. 347. Cf. Isidore, Etymologiae, II, 1 (http://www.thelatin-
library.com/isidore/2.shtml) : Rhetorica est bene dicendi scientia in civibus quaestionibus,
[eloquentiae copia] ad persuadendum justa et bona (« La rhétorique est l’art de bien parler
dans les questions civiles, [l’abondance de l’éloquence] qui sert à persuader de ce qui est
juste et bon »). La locution « parler en habondance » évoque également l’Art de dictier
où Deschamps parle de la « facunde des diz » (l’Art de dictier, p. 64).
222 lu dmi ll a ev dok i mova
17 Ainsi, dans le livre 5, chapitre 8 : « Et aussi ne sont pas tousjours ensemble belle
facunde et bonne prudence […]. Marcianus Capella fist ung livre intitulé De nuptiis
Mercurii et Philologie. Or appert doncques comment ou temps passé ont deceu le peuple
par leur beau parler et par leur eloquence. Et comment par leur malice perissoient les
polices [sic dans cette édition]. Et de ce recite Tules ou commencement de rethorique en
proposant une question et met que la chose publicque de Romme avoit esté grandement
dommagee et grevee par eloquence. Et que moult de grandes citez ont souffert ancien-
nement miseres et calamitez par gens tresdissers en parler et de grande facunde et tels
estoient ceulx que Aristote appelle demagoges et de ce fut dit ou VII chapitre du quart
et comment les adulateurs decevoient les princes anciennement par leur beau parler. Et
decevoient de jour en jour sicomme il est exprimé et dit elegaument et noblement en la
saincte Escripture Hest. XVI. Multi bonitate principum etc. » Nous suivons l’édition :
Livre de Politiques d’Aristote, éd. A. Vérard, 1489, p. cl x x v i .
18 M. Andrieu, « Avant-propos », dans Le Pontifical romain au Moyen Âge, Citta
di Vaticano, t. 1 (1938), p. v-v iii ; M. Andrieu, « Introduction », dans Le Pontifical
romain au Moyen Âge, t. 2, p. 263‑315 ; A.-G. Martimort avec la collab. de R. Cabié
et al., L’Église en prière, t. 1, Paris, 1984, p. 69‑70 ; voir en outre : A.-G. Martimort,
Les « ordines », les ordinaires et les cérémoniaux, Turnhout, 1991.
l a pa role et le st y le da ns les poèm es ly r iques 225
19 Une gradation analogue des tons des voix n’est pas absente du Pontifical de la Cu-
rie romaine, où elle est pourtant moins complexe : la voix élevée y est opposée à la voix
plus basse. Dans le Pontificale de Guillaume Durand, cette gradation devient ternaire.
Comparer en particulier : De examinatione, ordinatione et consecratione episcopi : Tunc
electus sedet super faldistorium, in medio chori post episcopos contra faciem consecratoris
sibi paratum, assistentibus sibi archidiacono, archipresbitero et canonicis suis. Predicti vero
duo episcopi ad faldistoria sua redeunt ad sedentum. Et consecrator media voce, in modum
lectionis, incipit sequentem examinationem Cartaginensis concilii. Ceteri vero episcopi
prosequuntur submissa voce et dicunt quecumque dixerit consecrator (M. Andrieux, Le
Pontifical romain au Moyen Âge, t. 3, p. 379) – « De l’examen, de l’ordination et de la
consécration de l’évêque : Alors l’élu s’assied sur un siège, au milieu du chœur derrière les
évêques, en face de son consécrateur, assisté de l’archidiacre, de l’archiprêtre et des cha-
noines. Les deux évêques mentionnés plus haut retournent à leurs sièges pour s’asseoir.
Et le consécrateur commence à procéder à l’examen du Concile de Carthage qui suit, à
la manière de la lecture effectuée de voix moyenne. » Voir aussi : Tunc ordinator imponit
utramquemanum super caput illius dicens : Accipe spiritum sanctum. Idemque faciunt et
dicunt omnes episcopi […] Quo facto, illo genu flectente, dicit ordinator media voce et alii
episcopi, submissa tamen voce, cum ipso : Oratio. Propitiare, Domine, supplicationibus nos-
tris […] Deinde consecrator dicit voce mediocri, iunctis manibus […] Quod sequitur dicit
plane legendo. Per dominum. Et respondeant omnes : Amen » (ibidem, p. 382‑384) –
« Alors le consécrateur pose ses deux mains sur la tête [de l’élu] et dit : ‘Reçois le Saint
Esprit’. Tous les évêques font de même et prononcent ces paroles […] Lorsque cela est fait
et l’élu se met à genoux, le consécrateur dit à voix moyenne et d’autres évêques répètent
avec lui, cependant à voix basse. Oraison. Sois favorable à nos supplications, Seigneur
[…] Ensuite le consécrateur, les mains jointes, dit à voix moyenne […] Ce qui suit se
prononce de manière intelligible en lisant. Au nom du Seigneur. Et les autres répondent :
‘Amen’. » En outre : Ordo in sabbato sancto : Deinde dicit mediocri voce super fontes, iunc-
tis manibus ante pectus : Per omnia secula seculorum (ibidem, p. 590) – « La Cérémo-
nie de Samedi saint : Ensuite il dit d’une voix moyenne, sur les fonts baptismaux, les
mains jointes devant la poitrine : ‘Aux siècles des siècles’. » Pour le rôle de la voix haute,
cf. De ordinatione presbiteri : In ordinatione itaque procedit hoc modo. Diaconibus enim
ad sedes suas reversis, archidiaconus clamat alta voce dicens : ‘Accedant qui ordinandi sunt
ad ordinem presbiterii’. […] Tunc episcopus ad altare conversus flexis genibus incipiat ante
medium altaris alta voce : Alleluia (ibidem, p. 364 ; 369) – « De l’ordination du prêtre :
Pendant l’ordination on procède de la façon suivante. Lorsque les diacres retournent à
leurs sièges, l’archidiacre dit de voix haute : ‘Que ceux qui doivent être ordonnés prêtres
viennent […] Alors l’évêque, étant à genoux au milieu de l’autel et tourné vers lui, com-
mence de voix haute : Alleluia. » De plus : De examinatione, ordinatione et consecratione
episcopi : Tunc consecrator stans ante cathedram incipit excelsa voce hymnum Te Deum
laudeamus (ibidem, p. 391) – « De l’examen, de l’ordination et de la consécration de
l’évêque : Ensuite le consécrateur, debout devant la chaire, commence de voix haute
l’hymne ‘Nous te louons, Seigneur’. » Comparer, enfin, le bréviaire des Frères mineurs
(1243‑1244) : Incipiunt orationes divini officii. […] Cum autem perventum fuerit ad lec-
tiones lector petat benedictionem, inclinato capite versus altare, et sacerdos sedens […] me-
diocri voce eam devote conferat (S. J. P. Van Dijk, Sources of the Modern Roman Liturgy,
t. 2 (1963), Leiden, p. 339‑340) – « Commencent les oraisons du saint office : Lorsque
vient le moment des lectures, le lecteur demande la bénédiction, en inclinant la tête vers
l’autel, et le prêtre assis […] la lui donne en disant dévotement de voix moyenne. »
226 lu dmi ll a ev dok i mova
20 Dicenda quoque sunt submissa leniter, matura graviter, inflexa moderate. Quum
magna dicimus, graviter proferenda sun ; quum autem parva dicimus, humiliter ; quum
mediocria, temperate. Nam etiam in parvis causis nihil grande, nihil sublime dicendum
est ; sed levi ac pedestri more loquendum est. In causis vero majoribus, ubi de Deo vel homi-
num salute referimus, plus magnificentiae et fulgoris est exhibendum. In comparatis vero
causis, ubi nihil agitur, nisi ut auditor delectetur, moderate dicendum est. Sed notandum
est quod, quamvis de magnis rebus quisquam dicat, non tamen semper magnifice dicere
debet (Albertanus Brixiensis, « Ars loquendi et tacendi », in Brunetto Latinos Levnet
og Skrifter, ed. T. Sundby, Kjøbenhavn, 1869, p. cx iii) – « Il faut parler tranquillement
de ce qui est petit, de ce qui est mûr avec énergie, de ce qui s’approche de la mort avec
réserve. Lorsque nous parlons de ce qui est grand, nous prononçons énergiquement ; de
ce qui est humble, de façon quotidienne ; de ce qui est intermédiaire entre les deux, avec
sobriété. En effet, il ne faut pas donner à ta voix de la grandeur et du sublime quand tu
touches aux sujets infimes, mais il est préférable de parler avec facilité et de façon quo-
tidienne. Lorsqu’il s’agit de sujets importants, comme de Dieu ou du salut des humains,
l a pa role et le st y le da ns les poèm es ly r iques 227
téraire qui y est exposée. Il se peut que l’ironie avec laquelle le métier
de l’écrivain y est décrite, s’explique par le fait que le poète s’adresse à
une confrérie d’amis et réunissant dans son activité les principes bur-
lesque et sérieux, comme d’autres associations artistiques médiévales.
Cette tradition, qui est inséparable de l’image du poète bouffon, dont
la sottise et la folie servent de masque à la sagesse, ne disparaît pas à
l’époque de la Renaissance ; Deschamps lui-même construit sa propre
image en accord avec ce masque. L’ironie avec laquelle le métier de
l’écrivain est présenté s’explique aussi, probablement, par les doutes du
poète quant au rôle positif de l’éloquence pour la vie de l’État.
Dans la ballade n° 43, Deschamps caractérise – à nouveau d’une fa-
çon ironique – une gradation analogue des modes de parole semblables
aux styles : d’une part, le cri et la prolixité, d’autre part, les paroles
prononcées à voix basse et le silence s’opposent ici au discours modéré,
construit « par maniere ordonnée » et que le poète croit le plus par-
fait. La possibilité d’identifier cette opposition à la gradation des styles
est confirmée, en particulier, par les épithètes qui en accompagnent la
chaîne intermédiaire : en effet, il s’agit du discours bien « ordonné » ;
le verbe « ordonner », ainsi que son participe passé sont utilisés dans le
sens de « composer une œuvre littéraire en accord avec les règles », en
particulier, dans le Prologue de Guillaume de Machaut25. Comme chez
Albertano da Brescia, la hauteur du style est associée chez Deschamps
à la force de la voix : le cri, la voix modérée ou basse correspondent
aux styles élevé, moyen et humble. La mention du silence comme com-
posante de la situation communicative rapproche aussi Deschamps et
Albertano. La caractéristique de ces stratégies de langage constitue chez
Deschamps une partie du tableau satirique de la société. Deschamps
semble affirmer : dans la société où il vit, les lois qui règlent la façon de
parler perdent leur sens initial et changent de signification.
Par trop parler est haine engendree,
Et en pert on du sien en pluseurs cas ;
Le dire voir a mainte gens n’agree,
Et qui le dit, il convient parler bas.
Qui trop se taist, on ne lui donne pas,
Mais lui toult l’en ; lors fault crier et braire.
Muiaux n’ont rien ; sachiez aux advocas
Lequel vault mieulx : ou parler, ou soy taire ?
Soit sur ces deux vo sentence donnee.
que le style bas est trop simple et plat ; en ce qui concerne le style moyen, il oscille entre
ces deux extrêmes.
31 Qui in mediocri genus orationis profecti sunt, si pervenire eo non potuerunt, errantes
perveniunt ad confine genus eius generis, quod appellamus dissolutum, quod est sine ner-
vis et articulis, ut hoc modo appellem fluctuans eo quod fluctuat huc et illuc nec potest
confirmate neque viriliter sese expedire (IV, 16) – « Ceux qui ont visé le style moyen et
qui n’y sont pas parvenus, en se fourvoyant, aboutissent au style voisin : celui-ci nous
l’appelons flasque, parce qu’il n’a ni nerfs ni articulations : je pourrais de même l’appeler
ondoyant parce qu’il flotte ici et là et n’arrive pas à se développer d’une manière nette
et virile. » Nous citons la Rhétorique à Herennius, texte établi et traduit par G. Achard,
Paris, 1989, p. 144.
32 Dissolutus et fluitans est ille qui nescit tenorem mediocris styli observare, id est qui
nescit observare proprietates mediocrium personarum vel rerum, sed ita loquitur quan-
doque de mediocribus sicut loquendum est de humilibus, quandoque vero sicut loquendum
esset de grandibus personis, vel de grandibus rebus, et ita, quia nescit tenere in medio et
stylum suum moderari, dissolvitur et fluit, tum inferius ad humilem stylum, tum superius
ad grandiloquum stylum (Geoffroi de Vinsauf, « Documentum de arte versificandi »,
dans E. Faral, Les arts poétiques, p. 313) – « Le style qui ne sait pas garder la teneur
du moyen, c’est-à-dire, observer les propriétés des personnages et objets médiocres, est
flasque et flottant au hasard ; alors on parle quelquefois des personnes et des objets mé-
diocres comme il faut parler des humbles et quelquefois des grands ; et de cette façon,
puisqu’il ne sait pas se tenir au juste milieu et devenir modéré, il devient flasque et coule
tantôt en bas, vers le style humble, tantôt en haut, vers le grandiose. »
33 Tertio considerandum est ut stylum materiae non variemus, id est ut de grandiloquo
stylo non descendemus ad humilem. Quod notat his verbis : / amphora coepit / Institui
currente rota : cur urceus exitur ? (Geoffroi de Vinsauf, « Documentum de arte ver-
sificandi », dans E. Faral, Les arts poétiques, p. 315) – « Troisièmement, il faut veiller
attentivement à ne pas varier le style du sujet, c’est-à-dire à ne pas descendre du style
grandiose à l’humble. Ce qu’il [Horace] exprime en ces mots : ‘Tu as commencé à tour-
ner une amphore : la roue tourne ; pourquoi ne vient-il qu’une cruche ?’ » Nous citons
la traduction de l’Art poétique d’Horace par F. Richard : http://bcs.fltr.ucl.ac.be/hor/
PisonsTrad.html.
l a pa role et le st y le da ns les poèm es ly r iques 233
lesquels il entend les paroles ornées et polies en accord avec les règles
de la rhétorique. Dans la ballade n° 1363, à part les « bos mos », un
autre terme de la rhétorique apparaît : la « matere basse », appelée, de
plus, « orde » (c’est-à-dire, vilaine). À en juger par le titre, Deschamps
s’adresse dans cette ballade à Renaud d’Angennes (1379‑1415), cham-
bellan et conseiller de Charles VI38 ; pourtant, dans l’envoi, un autre
personnage, sous un nom semblable, est directement cité – Renaud de
Trie. Il y a lieu de croire que le titre, ajouté par le copiste, identifie
d’une façon erronée le destinataire véritable de la ballade – Renaud
de Trie – à Renaud d’Angennes. En effet, la ballade de Deschamps
semble être écrite en réponse au poème de Renaud de Trie. Ce der-
nier apparaît dans la Réponse au recueil des Cent ballades attribué à
Jean Le Seneschal. Le recueil représente, comme l’on sait, une longue
dispute du chevalier et de la dame : le premier défend la fidélité dans
l’amour, la seconde la légèreté. Les auteurs des poèmes qui constituent
la Réponse se joignent à la première ou à la deuxième opinion ; Renaud
de Trie apparaît comme partisan de Gignarde, c’est-à-dire, de la dame39.
Le poème de Deschamps est un blâme grossier et obscène adressé à son
adversaire. Selon lui, Renaud parle sans arrêt des sujets vulgaires – ces
vers sont une allusion évidente aux propos de Renaud qui recommande
aux chevaliers de solliciter l’amour de toutes les belles sans exception.
Deschamps le comble d’insultes et l’accuse, en premier lieu, d’avoir usé
des « bos mos » pour parler des sujets vilains et bas. Ce faisant Des-
champs conteste l’essence de la poésie courtoise : l’objet dont elle parle
est bas. Pourtant, les paroles utilisés par les poètes sont belles, élevées ;
elles ne correspondent donc pas à leur objet. Deschamps insiste donc
sur la nécessité d’employer les mots dans le sens qui leur est propre.
Les mots bas conviennent aux sujets bas, alors que les « belles paroles »
demandent un thème approprié :
De melin meleche, Regnault,
Et de l’orde matere basse
Parlez voulentiers bas et hault
38 Le poème est intitulé Sote balade de Messire Renault d’Angenne (Œuvres complètes,
t. 7, p. 201). Outre cet homme de cour, la base de données Opération Charles VI (http://
www.vjf.cnrs.fr/charlesVI/) enregistre aussi un des membres de la soi-disant Cour
Amoureuse de Charles VI, pratiquement sous le même nom et avec les dates de vie iden-
tiques. Selon les créateurs de la base, il n’est pas exclu qu’il s’agisse de la même personne.
39 Les Cent Ballades, poème du x iv e siècle, composé par Jean Seneschal avec la collabo-
ration de Philippe d’Artois, comte d’Eu, de Boucicaut le jeune et de Jean de Cresecque,
éd. G. Renaud, Paris, 1905. Pour Renaud de Trie voir G. Renaud, « Introduction »,
dans Les Cent Ballades, poème du x iv e siècle, p. lv ii - li x . Pour le poème de Renaud de
Trie voir : Les Cent Ballades, poème du x iv e siècle, p. 201‑202.
l a pa role et le st y le da ns les poèm es ly r iques 235
Les gradations des styles que les poèmes lyriques de Deschamps per-
mettent de dégager convergent avec sa propre pratique littéraire ; par-
fois des systèmes ternaires semblent tendre vers une simplification, se
transformant donc en une opposition des deux styles. Ainsi, les deux
premiers systèmes des styles analysés plus haut (qui en effet ont beau-
coup d’analogies entre eux) permettent de mettre certains poèmes de
Deschamps en rapport avec le style élevé, d’autres, par contre, avec le
style moyen. Parmi les poèmes de la première sorte sont ceux, en par-
ticulier, dont le ton est caractérisé par le poète comme fort et clair :
Deschamps annonce qu’il crie, qu’il fond en pleurs ou gémit – comme,
par exemple, dans quelques plaintes ou pleurs écrits à l’occasion de la
mort de personnes célèbres ou liés à des événements tragiques.
Des poèmes où le poète n’est pas en proie au deuil, à l’indignation
ou à d’autres émotions fortes, mais où il s’adresse à son lecteur ou audi-
teur avec un discours moral prononcé d’une voix modérée et raison-
nable, évoquent plutôt le style moyen. Certains thèmes s’accordent bien
à cette intonation : ainsi, l’éloge de la raison, du comportement sage
et prudent, des règles qu’on doit suivre dans chaque affaire. Quelques
poèmes de ce genre sont appelés « enseignements ». Le contraste des
styles élevé et moyen peut être illustré, par exemple, par la ballade
n° 46 où Deschamps invite les habitants de Champagne à pleurer à
l’occasion du décès de leur évêque et par la ballade n° 99 où il adresse
au prince un enseignement. Ce dernier poème confirme une fois de
plus que Deschamps a lu la Politique d’Aristote traduite par Nicole
Oresme : son refrain évoque les entretiens d’Aristote et d’Alexandre le
Grand ; le prologue d’Oresme à la Politique en fait également mention.
En apprenant au monarque de bien gouverner le pays et, ensuite, en
faisant référence aux entretiens d’Aristote avec Alexandre, Deschamps
s’assimile lui-même au Philosophe41. En ce qui concerne le style bas de
ce système, il n’est pas représenté, semble-t-il, dans l’œuvre poétique de
Deschamps ; cette gradation des styles se réduit donc à une opposition
binaire de l’élevé et du moyen, avec d’une part le cri et d’autre part un
discours modéré, calme et didactique.
Au contraire, toutes les chaînes du système ternaire des styles décrit
par Deschamps dans la ballade n° 417 trouvent leur correspondance
dans son œuvre poétique. En effet, ses ballades amoureuses où il utilise
le vocabulaire et les procédés du registre aristocratisant sont en confor-
mité avec le style élevé. Les ballades n° 515 et n° 516 dans lesquelles les
deux amants qui se séparent et échangent des répliques peuvent servir
d’exemple : tout au long de ces deux textes le poète ne s’écarte pas de
ce registre. De plus, la dénomination générique de « pleur » indique
dans la première ballade la hauteur du style (les pleurs de Deschamps,
comme nous l’avons déjà signalé, appartiennent au style supérieur).
Dans la seconde ballade les épithètes mises au superlatif sont un mar-
queur complémentaire de la hauteur du style : elles sont utilisées dans
le discours de la dame qui dit adieu à son amant. Les auteurs des artes
dictaminis conseillent d’utiliser les épithètes de cette sorte, lorsqu’on
s’adresse au destinataire noble.
Adieu, adieu, tresdoulce creature,
Adieu, mon bien, m’esperance et m’amour,
Adieu, biauté, toute parfaite et pure,
Adieu, gent corps, adieu, dame d’onnour,
Adieu, regart plain de toute douçour,
Adieu, adieu, franc cuer et plain de joye :
Je n’aray bien jusques je vous revoye.
41 Voir également les ballades n° 50 et n° 76. Pourtant parfois Deschamps ironise sur
les effets que peut produire un discours raisonnable et didactique ; dans ces cas leur style
semble inférieur (ainsi, dans la ballade n° 100).
l a pa role et le st y le da ns les poèm es ly r iques 237
[…]
Or vueille Amour, Pitié, Raison, Droiture
[…]
Concevoir mon tresdouleureux plour42 .
Adieu le bel, le bon, le gracieux,
Le noble cueur, de tous bien renommé,
Gens corps, puissant en tous fais, vertueux,
Humble, hardy, courtois et bien amé,
Larges en dons, Alixandre nommé,
De qui renoms et gentillesce estrive,
Adieu, adieu, l’un des meilleurs qui vive !
Pour vo depart est mes cueurs douloureux
Qui au vostre est parfaitement fermé,
Comme au meilleur et au plus amoureux
Et le plus vray qui oncques feust formé43.
50 Ainsi, Geoffroi de Vinsauf assure dans sa Poetria nova que le sermo levis est privé
de toute gravité : Si sermo velit esse levis pulchrique coloris, / Tolle modos omnes gravitatis
et utere planis, / Quorum planities turpis ne terreat aures ; « Poetria nova », dans E. Faral,
Les arts poétiques, p. 231. – « Si le discours veut être facile et orné de belles couleurs, /
Enlève toutes les figures graves et use celles qui sont intelligibles, / Mais toutefois de
sorte que leur platitude n’offense pas les oreilles. » À sa suite, Évrard l’Allemand oppose
de la même manière l’ornatus facilis à l’ornatus difficilis : Prima curro via plana, gravi-
tate relicta omni… (« Laborintus », dans E. Faral, Les arts poétiques, p. 351) – « D’abord
j’emprunte ce chemin plat, en laissant derrière tout ce qui est grave. » Pour l’Antiquité
et notamment pour la Rhétorique à Herennius le caractère grave est le trait distinctif
du haut style : In gravi consumetur oratio figura, si quae cuisque rei poterunt ornatissima
verba reperiri, sive propria sive extranea, unam quamque in rem adcommodabuntur, et si
graves sententiae, quae in amplificatione et conmiseratione tractantur eligentur et si exor-
nationes sententiarum aut verborum, quae gravitatem habebunt, de quibus post dicemus,
adhibebuntur (IV, 11) – « Un discours aura un style de type élevé si l’on applique à
chaque idée le vocabulaire propre ou figuré le plus beau que l’on pourra trouver, si l’on
choisit des pensées nobles qui se prêtent à l’amplification et à l’appel de la pitié et si l’on
emploie des figures de pensée ou de mots qui ont de la grandeur – figures dont nous
parlerons plus loin. » (Rhétorique à Herennius, p. 138‑139). Jean de Garlande appelle le
style le plus haut « grave », puisqu’il demande la présence des personnages importants
par leur statut social : Item sunt tres stili secundum tres status hominum. Pastorali vite
convenit stilus humilis, agricolis mediocris, gravis gravibus personis que presunt pastoribus
et agricolis (Parisiana poetria, ed. T. Lawler, New Haven, London, 1974, p. 86) – « De
même il y trois styles selon les trois statuts d’hommes. À la vie pastorale convient le
style humble, aux agriculteurs le style médian, le grave aux personnes importantes qui
viennent avant les bergers et les agriculteurs. » Nous citons la traduction d’E. Marguin-
Hamon publiée dans son article « La théorie des styles selon Jean de Garlande et sa mise
en application dans l’œuvre poétique », p. 27.
51 Par exemple, la ballade n° 129 : « Ballade sur Poeterie : Princes d’enfer, o ta forsen-
nerie / Au monde voit on porter Cerberus / O ses III chiefs monstrant ta seignerie ; /
Des trois Raiges y est fait tes escus : / C’est d’Aletho, Thesiphone et Megus », etc.
(Œuvres complètes, t. 1, p. 251).
52 Comparer les ballades n° 8 (« De Nepturnus et de Glaucus me plain / Qui contre
moy font la mer felonnesse… » ; Œuvres complètes, t. 1, p. 80) et n° 35.
l a pa role et le st y le da ns les poèm es ly r iques 241
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Michiel Verweij
243
244 michi el v erw eij
1 Voir M. T. Herrick, Comic theory in the Sixteenth Century, Urbana (Illinois), 1950.
2 « Je n’ignorais pas dans quelle mesure notre langage est éloigné du style très heu-
reux et de l’élocution des anciens auteurs comiques. Mais à voir le très beau travail que
l’on a investi dans les choses profanes, frivoles, pour ne pas dire obscènes, je regrette
souvent qu’il n’y ait eu personne parmi les chrétiens qui ait obtenu pour son talent la
même gloire pour faire passer les histoires saintes dans des pièces comiques et je m’en
suis plaint aux amis des Belles Lettres. Les auteurs récents qui s’y sont adonnés, même
s’ils ont bien leur mérite, sont loin de cette élégance admirable de Plaute et de Térence,
il faut bien l’avouer, et ils sont froids si on les compare à ces deux auteurs classiques.
On ne trouve rien dans les œuvres récentes qui soit dit d’une façon élégante ou agréable
l a com édi e scol a ir e néo - l at i ne 245
Il est évident qu’un auteur comme Schonaeus cherche aussi (et sur-
tout) à valoriser sa propre entreprise, qu’il présente – notamment à des
fins commerciales – comme innovante. De plus, un passage comme ce-
lui-ci, écrit après un siècle d’efforts de maîtres d’école, et à un moment
où circulait une production impressionnante de comédies scolaires,
atteste l’incertitude qui demeurait à propos des buts et de la nature du
genre, et rappelle l’absence de manuels à même de guider les auteurs
comiques de l’époque.
qui ne vient pas de leurs comédies comme d’une source riche et claire de l’éloquence
latine. Sans vouloir reprocher rien aux auteurs modernes, ce sont bien ceux qui ornent
leurs œuvres avec les fleurs de Plaute et de Térence qui sont recommandés le plus. »
Voir M. Verweij, « An author in search of support : Preliminary texts for the Tobaeus
(1569) of Cornelius Schonaeus », in Neo-Latin Drama. Forms, Functions, Receptions, ed.
J. Bloemendal, P. H. Ford, Hildesheim, Zürich, New York (Noctes Neolatinae – Neo-
Latin texts and studies 9), 2008, p. 133‑164.
3 Pour le théâtre néo-latin aux Pays-Bas largo sensu voir les études fondamentales
de J. IJsewijn, « Annales theatri Belgo-Latini. Inventaris van het Latijns toneel uit de
Nederlanden », in Liber amicorum Prof. Dr. G. Degroote, ed. J. Veremans, Brussel, 1980,
p. 41‑55, et « Theatrum Belgo-Latinum. Het Neolatijns toneel in de Nederlanden »,
Academiae analecta. Mededelingen Koninklijke Academie voor Wetenschappen, Letteren
en Schone Kunsten van België. Klasse der Letteren, 43 (1981), p. 69‑114.
4 Sur Crocus, voir E. Kearns, « Pagan wisdom, Christian revelation : two Latin
Biblical plays », Humanistica Lovaniensia, 36 (1987), p. 212‑238.
246 michi el v erw eij
5 C’est la thèse de J. A. Parente, Religious drama and the humanist tradition. Chris-
tian theater in Germany and in the Netherlands 1500‑1680, Leiden, New-York, 1987
(Studies in the history of Christian thought 39), p. 7.
l a com édi e scol a ir e néo - l at i ne 247
Le théâtr e de M acropedius
Parmi les auteurs de comédies scolaires de la première période,
Georgius Macropedius est sans doute l’écrivain le plus intéressant6.
Né à Gemert dans le Brabant-Septentrional, il rejoignit les Frères de la
Vie commune et enseigna dans plusieurs écoles de cette communauté,
d’abord à Liège, puis à Utrecht et finalement à Bois-le-Duc. La plu-
part de ses pièces ont été écrites pour l’école d’Utrecht. Sa première
comédie, Asotus, date d’environ 1508 et fut probablement écrite pour
l’école de Bois-le-Duc. Sa production comprend douze pièces, dont la
moitié de contenu biblique ou religieux. Parmi ces drames religieux
on trouve de vraies pièces bibliques comme l’Asotus, basé sur l’histoire
du fils prodigue, le Lazarus mendicus ou le Josephus, mais aussi une
réinterprétation de l’Elckerlyc moyen-néerlandais, drame allégorique
où le protagoniste est, au moment de sa mort, délaissé par tous ses
amis, demeurant avec la seule Dueght (la Vertu) pour compagne. Ce
8 « Avant que les acteurs ne jouent la comédie, ils veulent que je vous parle sérieu-
sement, spectateurs, d’un sujet qui est dans l’intérêt de tous. La dernière fois que nous
avons présenté une pièce, c’était il y a douze mois. Je vous expliquerai la double raison
de cela. L’année passée il y avait des personnes de mauvaise volonté qui en bavardant, en
public et en privé, en étaient arrivé à un tel point de folie qu’ils racontaient que nous
voulions attaquer le clergé et les dirigeants de la ville et, en fait, que nous voulions res-
taurer l’ancienne comédie. »
250 michi el v erw eij
Je vais inviter les notables du bourg avec leurs femmes ! Ba. Le curé, il sera là aussi ?
Bs. Pourquoi demandes-tu ? »
11 Sur la métrique de Macropedius voir surtout Engelberts, Bassarus, p. 45‑48 ; Put-
tiger, Asotus, p. 129‑132.
252 michi el v erw eij
Il est évident qu’on ne peut pas parler ici de grande poésie. Le mes-
sage moral, cependant, est clair et repose sur la répétition dans les vers
pairs des degrés de comparaison du mot stultus (adapté dans la deu-
xième strophe à cause de la longueur du vers). Il s’agit de strophes de
quatre tétrasyllabes ïambiques. Les autres chants de chœur sont dans
la même veine, quoique le refrain de la deuxième strophe y soit devenu
is stultior. Le dernier chœur fournit une alternative sage avec le refrain
prudentis est. La musique accompagnant ces chants a été transmise
dans les anciennes éditions.
Dans ce cas, nous aurions clairement un élément nouveau par rap-
port du genre classique, qui prouve l’indépendance vis-à-vis de la tradi-
tion classique ou des manuels littéraires, mais qui se base probablement
sur les habitudes et considérations de la vie des écoles ou pour le dire
autrement sur des considérations purement pratiques, sans lien avec les
arts poétiques classiques.
Ces chants de chœur sont probablement à la base des interludes et
entractes dans le drame scolaire des jésuites (à partir de la seconde moi-
tié du x v i e et surtout au x v ii e siècle) et, par là, dans les pièces en ver-
naculaire comme les comédies de Molière. Les chants de chœur qu’on
trouve dans les tragédies vernaculaires du x v ii e siècle empruntent leur
modèle probablement davantage à la tragédie grecque, même si l’on
ne peut pas exclure une influence de la tradition des drames scolaires.
L’existence de ces chants scolaires constitue un exemple intéressant d’un
ajout non-classique dicté par d’autres motifs sans recours à un manuel
ou modèle littéraire et montre, de nouveau, la connexion étroite entre
ce type de théâtre et la vie quotidienne des écoles.
En rassemblant toutes les données, on constate que le drame de
Macropedius, comme celui de ses contemporains et collègues, emprunte
certaines particularités formelles à la comédie classique romaine : divi-
13 « Celui qui mange et boit salement, il est fou, il est fou, il est fou, et il nuit à son
propre caractère, il est fou, il est fou, il est fou. Celui qui, souvent aux fêtes, il est plus
fou, il est plus fou, il est plus fou, remplit son ventre de vin, il est plus fou, il est plus
fou, il est plus fou. Celui qui meurt à cause de la nourriture, il est le plus fou, il est le
plus fou, il est le plus fou, et néglige le salut de son âme, il est le plus fou, il est le plus
fou, il est le plus fou. »
254 michi el v erw eij
15 Voir M. Verweij, « Comic elements in 16th-century Latin school drama in the Low
Countries », Humanistica Lovaniensia, 53 (2004), p. 175‑190.
l a com édi e scol a ir e néo - l at i ne 257
des textes qui présentent une morale chrétienne dans une langue et une
forme classique. Même si Schonaeus, en dépit de la manifeste influence
térentienne précisée plus haut, n’est pas un auteur comique à nos yeux,
le succès qu’ont connu ses œuvres réimprimées jusqu’en 1778 prouve
qu’il a atteint son but.
Pour illustrer l’œuvre de Schonaeus, nous citons un passage du
prologue de sa première pièce, le Tobaeus de 1569, ainsi qu’une partie
d’une scène de ce drame. Comme d’habitude, le prologue n’insiste pas
sur le contenu de la pièce, mais réclame surtout le silence. Après quoi,
l’auteur commente la nature de sa comédie : ce passage constitue un bel
exemple des différences entre la comédie romaine et le drame scolaire
(v. 1‑17 et 31‑41) :
Salvete, spectatores candidissimi,
Huc quotquot accessistis, actiunculam
Novam hanc vestra decoraturi praesentia.
Priusquam noster hic grex in proscenium
Se conferat, rogatos unum hoc vos velim
Maximopere, ut mihi quae ad hanc rem attinent,
Pauca locuturo paulisper dignemini
Accommodare aurem patientem ac benevolam.
dum nuper haec in lucem prodit fabula,
A malevolis quibusdam nostram industriam
Sentimus improbarier, qui ipsi tamen
Ignavia torpescentes, nullum suae
Quam ubique venditant scientiae specimen
Unquam edidere, sed in canum mordacium
Morem bonorum diligentiam suis
Conviciis dicteriisque identidem
Lacerant, nihil ipsi proferentes doctius.
…
Nunc quam sumus acturi, cognoscite fabulam,
Ex mysticis vobis depromptam literis.
Non hic amore demens adolescentulus
Pudenda coram iactitabit crimina
Nec fabulosus quispiam deus, viri
Mentitus formam, amantem fallet coniugem
Nec miles adversa ostentabit vulnera
Nec servus argento emunget senem, nihil
Horum nostra exhibebit actiuncula !
Nil hic profanum aut ludicrum, verum sacram
Piamque grex repraesentabit historiam16 !
16 « Spectateurs si radieux, qui êtes venus ici pour rehausser cette nouvelle comédie
de votre présence, je vous salue ! Avant que notre troupe ne vienne sur scène, je voudrais
258 michi el v erw eij
vous demander une chose surtout : de me prêter une oreille attentive et bienveillante
quand je vous parle ! Quand cette pièce fut présentée récemment, nous avons senti que
certaines personnes de mauvaise volonté, qui par paresse n’ont jamais donné un échantil-
lon de leur érudition, ont condamné notre effort. Oui, comme des chiens, ils ont lacéré
notre travail avec leurs insultes, sans rien présenter de plus intelligent. (…) Maintenant,
apprenez l’histoire que nous allons présenter, prise de l’Écriture sainte. Ici il n’y a pas
de place pour un jeune amant fou qui se vante de ses crimes scandaleux, ou pour un
dieu mythologique qui, prenant la forme d’un homme, trompe l’épouse qui l’aime ou
pour un soldat qui montre ses plaies ou pour un esclave qui vole l’argent de son maître,
oh non, rien de tout ça dans notre pièce ! Ici vous ne trouverez rien de profane ou de
ridicule, mais la troupe présentera une histoire sainte et pieuse ! »
l a com édi e scol a ir e néo - l at i ne 259
17 « An. Hein ! To. C’est pour l’enterrer en secret pendant la nuit. An. Tu es fou !
L’enterrer ? To. Pourquoi pas, peureuse ? An. Regarde ce que tu fais. Tu sais que le roi
260 michi el v erw eij
Il est clair que ce passage peu comique quant à son contenu, est
en fait une mosaïque de locutions empruntées à l’ancienne comédie
romaine. La question pour Schonaeus n’était pas de savoir comment
écrire une vraie comédie à l’antique ou comment faire revivre le genre
de Plaute et de Térence, mais de comment écrire dans la langue de
Térence des pièces dont le contenu soit convenable (parce que chrétien
et moral).
d’Assyrie nous a menacés de ne pas enterrer en secret les corps des Israélites. Voilà pour-
quoi si tu as du bon sens, veille à ne pas me perdre avec toi ! To. Balivernes ! Cela ne
m’empêchera jamais de continuer ce genre d’obsèques, même si ce tyran nous menace
de mille tortures ! Même s’il nous promet la mort, elle n’a rien de mauvais qui me fasse
fort peur ! An. Mon époux, si tu as du bon sens, change d’avis. Ah, combien je crains
que cette résolution ne nous soit sous peu préjudiciable ! To. Tu continues d’être une
femme ? Ai-je jamais voulu quelque chose pour laquelle tu ne m’aies pas contrarié ? Si
je cherche maintenant ce que je fais de mal, tu ne pourrais pas dans cette affaire garder
avec autant de confiance ta position. An. Eh bien, quoi ? »
l a com édi e scol a ir e néo - l at i ne 261
C onclusion
Ce qui est remarquable dans les œuvres de Macropedius, de Scho-
naeus et de leurs collègues, c’est que les auteurs du drame scolaire n’ont
pas essayé de créer ni une vraie comédie classique ni une théorie de la
comédie. Leur intérêt était ailleurs. Ils se sont avant tout préoccupés de
la langue utilisée, c’est-à-dire d’écrire dans le style de Plaute et/ou de
Térence. Ils ont adapté la forme de la comédie pour diffuser un mes-
sage édifiant dans un cadre pédagogique. On constate que l’imitation
touche à des aspects superficiels (division en cinq actes, présence d’un
prologue et d’un argumentum, imitation de certains motifs de l’ancienne
comédie comme pour le servus currens), mais, pour le reste, les auteurs
s’orientent plutôt vers un théâtre vernaculaire ou s’appuient sur les théo-
ries existantes de la rhétorique et de l’Ars poetica d’Horace. Écrire une
comédie scolaire revenait essentiellement à essayer d’écrire un drame en
cinq actes avec un prologue, un argumentum, (éventuellement) un épi-
logue, de terminer sa pièce sur le mot magique Plaudite et d’utiliser des
formes linguistiques empruntées au latin archaïque, telles que puisées
chez Plaute et Térence, et en cela unanimement considérées comme
des formes typiquement « comiques ». Tous ces éléments proviennent
d’une lecture et d’une étude des textes sans théorie, ce qui explique que
la comédie néo-latine apparaît, de prime abord, comme un mélange
bizarre du langage de la comédie romaine et d’un contenu biblique.
Ce n’est que dans un second temps que le genre commence à tendre
vers la tragédie, surtout celle de Sénèque ; un développement qui an-
nonce la grande tragédie, en latin et en vernaculaire, du x v ii e siècle. Le
drame scolaire trouvera un refuge chez les jésuites et les autres ordres
religieux qui y reconnaîtront un outil de moralisation exploitable à
grande échelle, avec des interludes et de la musique. La matière sera
plutôt empruntée à l’histoire et le théâtre scolaire deviendra de plus
en plus tragique. L’absence de manuel concret pour la comédie, le but
essentiellement pédagogique du genre, le fait que les auteurs devaient
s’appuyer sur la pratique du théâtre vernaculaire et les pièces des au-
teurs classiques, ont été les facteurs dominants qui ont donné au drame
scolaire néo-latin son caractère particulier et qui ont marqué, finale-
ment, son développement vers un classicisme plus pur et vers la tragé-
die. Le théâtre sérieux que constitue la tragédie était mieux adapté aux
exigences pédagogiques. Car, enfin, le drame scolaire a d’une certaine
façon toujours souffert de cette ambivalence entre ces deux buts prin-
cipaux : formation linguistique et moralisation chrétienne. Cette der-
nière n’était pas servie par le langage comique qui, en même temps,
262 michi el v erw eij
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séparément : « Cornelius Schonaeus 1541‑1611. A Bibliography of his
Printed Works », Humanistica Lovaniensia, 32 (1983), p. 367‑433 ; 33
(1984), p. 206‑314 ; 34B (1985), p. 1‑113 ; 35 (1986), p. 219‑283.
Aline Smeesters
LE GENETHLIACON SALONINI ET
LE GENETHLIACON LUCANI COMME
MODÈLES PR ATIQUES (ET THÉORIQUES ?)
DU POÈME GÉNÉTHLIAQUE NÉO-LATIN
1 Il existe d’autres textes antiques portant l’intitulé « généthliaque », mais ils sem-
blent avoir exercé une influence bien moindre sur la théorie et la pratique des néo-
latins : ainsi en va-t-il de l’Ἀπελλᾶ γενεθλιακός d’Aristide, du Genethliacos ad Ausonium
nepotem d’Ausone ou encore du Genethliacus de Mamertin. Pour plus de détails, voir
A. Smeesters, Aux rives de la lumière. La poésie de la naissance chez les auteurs néo-latins
des anciens Pays-Bas entre la fin du x v e siècle et le milieu du x v ii e siècle, Leuven (Supple-
menta Humanistica Lovaniensia 29), 2011, p. 14‑16.
263
264 a li ne sm eest er s
Le plan type fourni par les rhéteurs grecs (conseillant de traiter succes-
sivement le temps et le lieu de la naissance, puis les différents aspects
de la personnalité de la personne fêtée) a pu fournir aux poètes des
lignes générales, qui coïncident d’ailleurs avec les grandes orientations
de la rhétorique épidictique ; mais ce plan est rarement appliqué tel
quel. Par contre, certains poètes ont clairement choisi de prendre direc-
tement modèle sur les textes de Virgile et de Stace.
Le généthliaque de Virgile est une églogue à tonalité prophétique,
annonçant les futurs hauts faits de l’enfant nouveau-né au fil des étapes
de sa vie à venir. Au début et à la fin du poème, deux brèves allusions
renvoient à des personnalités vaticinatrices bien connues : la Sibylle de
Cumes (v. 4 : Ultima Cumaei venit jam carminis aetas) et les Parques
(v. 46‑47 : « Talia saecla » suis dixerunt « currite » fusis / Concordes
stabili fatorum numine Parcae) ; mais pour le reste, le texte prophétique
est mis directement dans la bouche du poète. Dans le généthliaque de
Stace, nous trouvons également un long passage prophétique, où les
grands événements de la vie de Lucain (la composition de ses œuvres
poétiques, son mariage, sa mort précoce) lui sont prédits au moment
de sa naissance (il s’agit bien évidemment d’une prophétie à posteriori,
puisque l’occasion du poème est l’anniversaire de la mort de Lucain).
Dans ce second exemple, contrairement au premier, la prophétie (en
discours direct) est encadrée par une petite fiction mythologique : Stace
met en scène la Muse Calliope qui accueille Lucain à sa naissance. Ce
motif (la divinité qui accueille le nouveau-né et prophétise son avenir)
va connaître une certaine faveur chez les auteurs de généthliaques néo-
latins. Certains vont d’ailleurs le combiner avec une prophétie dont le
contenu est plus « virgilien » – renvoyant ainsi de manière combinée
aux deux grands genethliaca antiques. Ce choix s’inscrit évidemment
aussi dans les débats sur l’imitation, puisqu’il implique une prise de
parti par rapport aux grandes questions qui agitent les poètes et poé-
ticiens néo-latins : Virgile doit-il être le seul modèle en poésie ? Est-il
souhaitable d’imiter des auteurs tardifs comme Stace ?
Cet article tentera de retracer le parcours de ce motif typiquement
« généthliaque » au fil de la production des poètes néo-latins et du dis-
cours théorique des poéticiens. Avant d’entrer dans le vif du sujet, un
avertissement s’impose cependant : je ne voudrais pas donner la fausse
impression que tout texte généthliaque avait forcément une tonalité
prophétique et devait nécessairement inclure ce motif mythologisant.
Il existait une infinité d’autres manières de composer un généthliaque,
comme le prouve suffisamment la pratique des poètes néo-latins, qui
produisent aussi bien des élégies d’anniversaire à la manière d’Ovide
le genethli acon s a lonin i et le genethli acon luca ni 265
ou de Tibulle, que des poèmes familiers livrant des récits réalistes d’ac-
couchements, des hymnes d’actions de grâces rendues à Dieu pour la
progéniture accordée, des épigrammes plaisantes jouant sur le lieu, le
temps ou les circonstances particulières d’une naissance… Il me semble
pourtant que l’imitation (structurelle, thématique et/ou lexicale) de ce
motif précis du Genethliacon Lucani de Stace a pu constituer un in-
dice, un marqueur générique tendant à suggérer que tel poème (ou une
portion de ce poème) avait été conçu comme un généthliaque par son
auteur, et/ou a pu être identifié comme généthliaque par les lecteurs
de cette époque (quand bien même le mot « généthliaque » n’était pas
donné dans le titre).
Le motif de Stace
Commençons par considérer plus en détail les vers 36‑41 et 105‑6
de la silve II, 7 de Stace, c’est-à-dire les vers qui encadrent l’interven-
tion prophétique de Calliope :
Natum protinus atque humum per ipsam 36
Primo murmure dulce vagientem
Blando Calliope sinu recepit.
Tum primum posito remissa luctu
Longos Orpheos exuit dolores 40
Et dixit : « Puer o dicate Musis,
[…] »
Sic fata est leviterque decidentes 105
Abrasit lacrimas nitente plectro2 .
2 Traduction d’H. J. Izaac (édition des Belles Lettres, 1944) : « Dès sa naissance,
quand il reposait encore sur le sol et au premier bruit de ses doux vagissements, Cal-
liope le reçut affectueusement sur son sein. Alors pour la première fois, oubliant sa dou-
leur et se reprenant, elle dépouilla le long deuil d’Orphée et dit : ‘Enfant consacré aux
Muses, […]’ Telles furent ses paroles, et, vivement, elle essuya de son plectre brillant les
larmes qui tombaient de ses yeux ».
3 F. Ploton-Nicollet, « La topique de la ‘nourrice divine’ : un motif récurrent dans la
poésie d’éloge depuis Stace (i er s.) jusqu’à Sidoine Apollinaire (v e s.) », dans La lyre et la
266 a li ne sm eest er s
5 Éditions modernes : Ange Politien. Les Silves, texte traduit et commenté par P. Ga-
land, Paris, 1987 ; Angelo Poliziano. Silvae, ed. F. Bausi, Firenze, 1996 ; Angelo Poliziano.
Sylvae, ed. and transl. by C. Fantazzi, Cambridge, 2004.
6 Remarque : la silve Ambra présente également un récit romancé de la naissance
d’Homère.
7 P. Galand, introduction à l’édition des Silves, 1987, p. 127 ; voir aussi p. 79.
8 P. Galand, « La poétique latine d’Ange Politien : de la Mimésis à la métatextua
lité », Latomus, 47 (1988), p. 146‑155 (p. 152).
9 P. Harsting, « More Evidence of Menander Rhetor on the Wedding Speech : An-
gelo Poliziano’s Transcriptions in the Statius Commentary (1480‑81). Re-edited with a
Discussion of the Manuscript Sources and Earlier Editions », Cahiers de l’Institut du
Moyen-Âge Grec et Latin, 72 (2001), p. 11‑34.
268 a li ne sm eest er s
13 Pour l’ouverture de la prophétie, cf. Stace, Silves, IV, 3, 124 : Dicebam, veniet… (la
Sibylle se rappelle avoir prophétisé la naissance de Domitien).
14 Cf. Virgile, Énéide, II, 790‑791 : Haec ubi dicta dedit… / …tenuisque recessit in
auras.
15 Traduction de Perrine Galand (1987) : « À ta naissance, Maron, quittant le som-
met du Parnasse, Calliope vint en toute hâte, parmi ses sœurs aoniennes, et te prit, te
porta dans ses tendres bras et tout en te berçant te caressa de sa main et trois fois elle
t’embrassa, trois fois elle chanta des présages, trois fois elle ceignit tes tempes de lau-
rier. […] De l’Élysée arrive aussi Manto qui connaît l’avenir ; Manto qui d’un fleuve
avait conçu le jeune Ocnus, Ocnus qui t’avait donné le nom de sa mère, ô Mantoue.
Elle vient ; agitant ses bandelettes et ses cheveux hérissés, roulant des yeux sanglants,
telle, elle ouvrit sa bouche pleine de dieu et sous le choc exhala du fond de son cœur
des paroles véridiques : ‘Je te disais, je m’en souviens […]’ Quand Manto eut proféré ces
prédictions arrachées à son cœur véridique, son visage s’apaisa et elle sourit au tendre
nourrisson ; cueillant sur sa bouche des baisers, elle lui inspira l’amour sacré et lui insuf-
fla l’ardeur spirituelle ; puis elle se retira dans les airs légers. À de si beaux oracles, en ri-
ant, les Muses applaudirent, les nymphes applaudirent, et celui qui était venu du sommet
élevé de la montagne, le faune aux pieds de chèvre, agita vigoureusement ses cornes ; et
les trois Sœurs gravèrent le présage avec leur stylet d’acier. »
16 Par exemple, aux vers 78‑80, la Manto de Politien prédit que Virgile surpassera
les auteurs grecs tels qu’Hésiode, Théocrite et Homère, tandis que chez Stace (Silves,
II, 7, 75‑80), Calliope prédisait que Lucain surpasserait Ennius, Lucrèce… et Virgile lui-
même. Aux vers 81 et suivants, Manto retrace ensuite la carrière poétique de Virgile,
en partant de ses œuvres de jeunesse, ainsi que Calliope l’avait fait pour Lucain aux
vers 54‑72 de la silve de Stace.
17 Quelques convergences remarquables : chez Politien, le jeune Virgile est supera mis-
sus ab arce (v. 69), en écho au caelo demittitur alto de la quatrième bucolique (v. 7) ; de-
venu poète, il est admiré par Linus et Orphée (v. 72, en écho aux vers 55‑56 de Virgile :
non me carminibus vincet nec Thracius Orpheus / nec Linus) ; au vers 82, l’expression
incipe magne puer renvoie évidemment à l’incipe parve puer virgilien (v. 60, 62) ; enfin,
les vers 121‑131 de la silve Manto sont dédiés précisément à l’évocation de la quatrième
bucolique de Virgile (interprétée par Politien comme une prophétie de la naissance du
Christ).
270 a li ne sm eest er s
27 Le passage peut évoquer la description des Parques aux noces de Thétis et Pélée,
chez Catulle, LXIV, 305‑322.
28 Intonuit laevum : cf. Virgile, Énéide, IX, 630‑631.
29 Traduction personnelle : « Dites-le moi, Piérides ! Lorsque l’enfant est sorti de sa
mère, c’est vous / Qui l’avez recueilli sur votre sein, qui l’avez réchauffé dans vos bras, /
Qui avez ceint son tendre front d’une souple guirlande de baccar. / […] / Aussitôt,
voici que du seuil du grand Jupiter sortent les Parques, / Les antiques Parques, au corps
drapé d’un vêtement couleur de neige, / Aux tempes blanches couronnées des feuilles du
chêne de Chaonie. / Après avoir embrassé la mère et, le front serein, / Donné d’heureux
baisers au petit garçon nouveau-né, / Filant une laine immaculée sur leur fuseau mis à
tourner, / Elles tirèrent de telles paroles de leur poitrine fatidique : / ‘Ô enfant né sous
un ciel si favorable, sous des dieux / Si bienveillants, grandis… / […]’ / Les Parques en
avaient fini. Alors Jupiter, du haut de l’éther, / Tonna à gauche ; et dans la partie sereine
du ciel, / Un éclair bien visible brilla, répandant une grande lumière. »
le genethli acon s a lonin i et le genethli acon luca ni 273
Dans son édition de 1997, Allan Wilson constate les nombreux rap-
prochements (thématiques et lexicaux) entre ce poème de Naugerius
et ce qu’il appelle « le généthliaque virtuel » de Politien pour Virgile
dans la silve Manto. Il conclut : « I think the influence was vague
and more a matter of some general inspiration than specific debts30 ».
Je serais d’avis que d’une part, Naugerius connaissait bien la silve de
Politien, et que d’autre part, tous deux s’inspiraient des deux mêmes
modèles principaux : les genethliaca de Stace et de Virgile ; par ailleurs,
tous deux ont évidemment aussi fait appel à d’autres sources antiques
et à leur inspiration personnelle.
Dans l’édition princeps des Lusus (1530)31, les poèmes ne sont pas
numérotés et la plupart ne portent pas de titre. Le poème qui nous
intéresse y est donc offert au public sans numéro ni intitulé. Les Lusus
connurent ensuite plusieurs rééditions et furent en outre inclus dans
des anthologies. Celle de Jean de Gannay (vers 1546)32 est la première à
donner des titres à tous les poèmes ; mais la moitié sont des titres assez
verbeux qui ne seront pas retenus par la postérité. Notre poème s’y voit
intituler Omen Parcarum de puero recens nato33. D’autres titres sont
ensuite proposés dans l’anthologie déjà citée de Joh. Matthaeus Tosca-
nus, Carmina illustrium poetarum Italorum (Paris, 1576‑1577) : c’est là
que le lusus XLIV se voit pour la première fois qualifier de Genethli-
acon (t. 1, p. 213). C’est donc, comme pour l’extrait de la silve de Poli-
tien, à l’occasion d’une réédition tardive et posthume que le poème de
Naugerius est identifié par ses éditeurs comme un généthliaque. Dans
les Delitiae de Gruterus (Francfort, 1608) – qui pour les Lusus de Nau-
gerius se basent principalement sur Toscanus −, le poème est également
intitulé Genethliacon (t. 2, p. 131), tandis que dans l’index figure l’en-
trée Genethliacon bellatoris. Le titre aujourd’hui le plus courant, Gene
thliacon pueri nobilis, apparaît dans l’édition des frères Volpi en 171834.
un geste vers lui (il est emmailloté), il sourit, tourne aimablement les
yeux et incline la tête (v. 88‑93). Le Dauphin astral quant à lui rejoint
le bébé en se camouflant parmi les feux de joie ; après son discours, il
transmet à l’enfant une flamme qui pénètre jusqu’au plus profond de
ses os (Dixerat ; atque facem puero injicit : altius illa / Ad vivum perse-
dit, et ossa sub intima venit, v. 224‑225) ; suite à quoi l’enfant éternue
deux fois à gauche, ce que les personnes présentes interprètent comme
un présage (Munere quo primum bis laevum sternuit infans. / Accepere
omen matres, et conscia turba, v. 226‑227).
Du côté des anciens Pays-Bas, et plus précisément des Provinces-
Unies, le grand poète Daniel Heinsius (1580‑1655) célébra en distiques
élégiaques le jour anniversaire de la naissance d’Ovide (In natalem
P. Ovidii Nasonis diem38, élégie II, 9 dans les éditions de 1640 et
1649)39. Selon Heinsius, la déesse Vénus accueillit Ovide dès sa venue
au monde (protinus excepit nascentem, v. 9) ; l’une des Muses prononça
ensuite une prophétie (v. 15‑56), à la suite de laquelle les divinités pré-
sentes versèrent des larmes.
Dans les Pays-Bas espagnols enfin, le jésuite Jacobus Wallius
(1599‑1690) composa un long genethliacon en hexamètres pour la
naissance du fils héritier du comte de Schwartzenberg, à Bruxelles en
165240. Nous y retrouvons Uranie qui, souriant à l’enfant nouveau-né
et l’embrassant trois fois (ter dulce adridens, ter oscula jungens, v. 203),
prédit son avenir à partir de la position des astres ; elle oint ensuite
l’enfant de parfum avant de disparaître (Dixit, et ambrosio puerum per-
fudit odore / Demulsitque manu, tenuesque recessit in auras, v. 290‑291).
Comme s’il avait compris la prophétie, l’enfant sourit alors trois fois à
sa mère, et celle-ci répond joyeusement à son sourire (v. 292‑294).
tuit Statius Lucanum celebrare) ; les espoirs peuvent être tirés d’oracles,
augures, songes, mirabilia, prophéties… éventuellement inventés pour
l’occasion (ici Scaliger évoque la quatrième bucolique de Virgile : Di-
vinus poeta eruit e Sibyllinis vaticinationibus laudes Salonini). Suivent
des considérations sur le jour et la saison de la naissance (le passage
est inspiré du Pseudo-Denys qui, dans une perspective rhétorique, envi-
sageait systématiquement les aspects liés au temps et au lieu), sur les
divinités associées aux naissances (Scaliger suggère notamment de faire
intervenir les Parques dans un poème héroïque) et sur les naissances de
divinités et les anecdotes qui leur sont associées. Le chapitre se clôt sur
des considérations plus philosophiques, décrivant la génération comme
moyen de perpétuer éternellement les espèces, par-delà la mort des in-
dividus, et par opposition avec l’existence éternelle de Dieu. Le motif
qui nous occupe se laisse bien deviner entre les lignes, mais il n’est pas
explicitement décrit.
Pendant le siècle suivant, à peu près tout poéticien (et même rhéto-
ricien) s’aventurant à parler du généthliaque le fera à partir de Scali-
ger – en le résumant sur certains points, le complétant sur d’autres…
À travers Scaliger ou en remontant directement à cette source, les théo-
riciens s’inspirent aussi régulièrement du pseudo-Denys. Mais au cours
du x v ii e siècle, apparaît chez certains poéticiens, notamment jésuites,
une volonté de refonder la théorie du généthliaque sur la pratique poé-
tique, antique et néo-latine, et en particulier sur le double modèle de
Virgile et de Stace – ce qui va entraîner une définition de plus en plus
précise du motif stacien qui m’intéresse.
Dans son De arte poetica paru à Rome vers 1630, le jésuite italien
Alessandro Donati se base exclusivement sur les modèles de Virgile et
de Stace pour proposer deux plans types du généthliaque45. L’évoca-
tion du motif ici envisagé est cependant rendue floue à dessein, pour
l’ouvrir à une infinité de variations. Décrivant les ingrédients présents
chez Virgile, Donati indique que le poète peut « joindre un présage des
événements futurs, qu’il appuyera, s’il le souhaite, sur le témoignage de
quelque dieu » (Attexitur deinde praesagium futurorum, Divi, si libet
alicujus testimonio roboraturum). Dans le plan basé sur le modèle de
Stace, le poète est invité à « prédire avec force louanges les hauts faits
destinés à être accomplis par l’enfant, soit à travers une prophétie, soit
d’une autre façon » (Tum sive per vaticinium, sive alio modo res a puero
gerendas cum laude praedices ; Donati précise en marge : Statius per
vaticinium).
45 Alexander Donatus s.j., De arte poetica libri tres, s.l.n.d. (approbation de 1630),
p. 332. Voir A. Smeesters, Aux rives de la lumière, p. 31‑33.
278 a li ne sm eest er s
Nous trouvons par contre des indications beaucoup plus précises dans
les Observationes poeticae exemplis illustratae (Anvers, 1685) d’un autre
jésuite, Johannes Dekenus46. La description du poème généthliaque y
est entièrement basée sur la pratique, antique mais surtout néo-latine.
Dekenus commence par séparer le généthliaque de naissance (quod ca-
nitur in nativitate alicujus) du généthliaque d’anniversaire (quod recur-
rente natali die vel poetae ipsius, vel alterius cujuspiam canitur). Dans la
catégorie du généthliaque de naissance, il distingue six motifs types, ti-
rés à l’origine de la quatrième bucolique de Virgile ou du Genethliacon
Lucani de Stace, et ensuite développés par les néo-latins. Or, sur ces six
motifs, trois nous intéressent directement : le premier, le cinquième et
le sixième. En premier lieu, Dekenus signale que « les Poètes invoquent
Lucine, Vénus, les Grâces, les Muses, Apollon pour qu’ils assistent à la
naissance de l’enfant ; ou ils déclarent qu’ils ont été présents, qu’ils ont
soulevé l’enfant, qu’ils l’ont lavé47 ». Ce motif est tiré à la fois de Vir-
gile (nascenti puero… fave Lucina) et de Stace (natum protinus… Calliope
sinu recepit) ; parmi les exemples qui suivent, nous retrouvons les pas-
sages de Lotichius et Heinsius déjà évoqués (plus un passage de Clau-
dien). Dekenus mentionne ensuite successivement l’émotion de la terre
natale et des terres ennemies (motif n° 2, tiré de Stace)48, l’interpellation
du nouveau-né par le poète (motif n° 3, tiré de Virgile et de son fameux
incipe parve puer)49 et la promesse d’un nouvel âge d’or (motif n° 4, tiré
50 Spondent puero nato omnia fore felicia, omnia mutanda in melius ; aquas in lac ;
terram fore fertilem. (« Ils promettent à l’enfant nouveau-né que tout lui sourira, que le
monde deviendra meilleur, que les eaux se changeront en lait, que la terre sera fertile. »)
51 Puero fata sua canunt, et futura praedicunt, ea nempe, quae probabiliter futura
sunt ; seu seriem rerum ab eo adulta jam aetate gerendarum pandunt.
52 Vel adhibent vaticinationem aut cantum patris, Dei vel Deae, Musaeve ad cunas
de rebus a puero nato maturiori aetate gerendis, quam vaticinationem excipit applausus
Parcarum etc.
53 Et quidem liberaliter ac pleno spiritu futura illa praedicunt vel ipsi per se poetae, vel
per alios, quando facta illa contigerunt, ac si omnia tot annis praevidissent.
54 Referunt, quomodo Apollo etc. infantem foverint in ulnis, Musae viridi baccare cu-
nas cinxerunt, praedicentes ab isto puero futura. Vide sup. Genethliacum, quod canitur in
nativitate alicujus, num. 1 et 5.
280 a li ne sm eest er s
perfidia stimulabat. Igitur paulo liberius exultanti et insultanti Satyrae, quod maxime
Satyra amat, per verborum licentiam, indulseram. […] Et utrumque, duos abhinc annos,
exiisse in lucem poematium accepi. Sempiternae mallem nocti damnata. […] Quaprop-
ter abdicare […] atque adeo etiam abolere, si possem, Musae illos meae partus in animo
erat. […] Paternus vicit amor. Insontibus, quam dederam, servari vitam malui. Sed ca-
stigatum expurgavi Genethliacum, ita ut nihil jam offensionis habeat, nec mihi quicquam
creare invidiae queat (p. 8‑11). Traduction d’Isidore Liseux dans « Éclaircissements sur
la Satire Sotadique de Nicolas Chorier, connue sous les noms d’Aloysia, de Meursius et,
en dernier lieu, de Dialogues de Luisa Sigea », La curiosité littéraire et bibliographique,
3e série, 1882, p. 177‑234 (p. 187‑188).
58 Sur cette question : I. Liseux, « Éclaircissements », p. 226‑227.
59 Sur cette œuvre : voir notamment l’analyse de L. Leibacher-Ouvrard, « Transtex-
tualité et construction de la sexualité : la Satyra sotadica de Chorier », L’esprit créateur,
35 (1995), p. 51‑66.
60 G. Casanova, Histoire de ma vie, éd. 1960, vol. 1, p. 23 ; cité par L. Leibacher-
Ouvrard, « Transtextualité », p. 62.
61 L. Leibacher-Ouvrard, « Transtextualité », p. 61 : « L’érudition déployée ici sou-
ligne (…) de manière exemplaire le caractère livresque, savant, élitiste, tourné vers le
passé classique mais aussi éminemment européen, de la pornographie telle qu’elle naît au
282 a li ne sm eest er s
nus, qui se trouvent à peine dans les meilleurs lexiques, les antithèses,
les pointes, les rapprochements de termes ayant le même son et un sens
différent62 ». Toutes ces caractéristiques se retrouvent également dans
le genethliacon Tuberonis.
Voici donc ce que Chorier a fait du motif désormais traditionnel de
Stace, appliqué à la naissance du petit Tubero. Dans sa parodie, l’enfant
nouveau-né est accueilli, non par Junon Lucine (qui crache au visage
de la parturiente avant de s’enfuir), mais par trois dieux assez particu-
liers : Laverne, déesse des voleurs (citée notamment par Horace dans ses
Épîtres, I, 16, 60) ; Cotytto, déesse de l’impudicité (citée par Juvénal,
2, 92) ; et Mercure, qui apparaît ici en tant que dieu de la fraude ; cha-
cun de ces dieux à son tour va émettre une prophétie. Chorier, confor-
mément aux variations observées dans notre corpus de généthliaques
néo-latins, joue donc lui aussi sur l’identité des dieux présents autour
du berceau, mais avec des intentions tout autres que laudatives ; le lec-
teur peut penser à cet égard au modèle de l’In Rufinum de Claudien,
où Rufin nouveau-né est accueilli par Mégère63. Le contenu des trois
prophéties, comme l’on peut s’y attendre, est hautement satirique voire
(s’agissant de Cotytto) salace ; quant aux gestes posés par les dieux et
l’enfant avant et après chaque monologue, ils sont eux aussi assez signi-
ficatifs et cocasses. Laissons parler le texte, qui servira de conclusion à
cet article :
Cum parturiret fessa mater pondere : 7
« Lucina Juno, fer bonam favens opem »,
Clamat. Gementis luridum in vultum exspuit
Aversa Juno, gannit et retro fugit. 10
Laverna venit : « hae meae partes erunt »,
Dixit renidens, et manus lavit Styge.
Obstetricatur, ac cadentem suscipit
De matre. Prima vagienti basia
Impingit, ebria gaudio et spe praescia. 15
BIBLIOGRAPHIE
Textes
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illustrium, Francfort, 1608.
sir libertin l’aiguillonne ; éperdue, avec rage / Elle fatigue ses membres agiles de rapides
mouvements ; / Piquée du taon occulte, spontanément elle coule, / Fondue en eau, et
d’une blanche liqueur souille ses cuisses. / ‘Joli enfant’, dit-elle, ‘ô comble de ma joie, /
[…]’/ Elle se tait ; l’enfant bande : ainsi accepte-t-il l’augure. »
66 Traduction d’Alcide Bonneau (1882) : « ‘Moi, je te prodiguerai à pleines mains
tous mes trésors, / Espoir du Styx, ô cher enfant !’ ajoute / En brandissant la verge
d’or le Cyllénien. / ‘[…]’ / Ses ongles crochus démangent à l’enfant : ainsi / Accepte-
t-il l’augure. Le neveu d’Atlas se réjouit ; / Laverna hurle, chantonnant je ne sais quoi
d’aigre ; / La molle Cotytto remue ses reins flexibles. »
le genethli acon s a lonin i et le genethli acon luca ni 285
Études critiques
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286 a li ne sm eest er s
THÉORIE ET PR ATIQUE
DE L’ÉLÉGIE LATINE AU XVIe SIÈCLE
1 Nam nullum poema plures mutationes recepit quam elegia, atque ideo difficile est ei
certam attribuere materiem aut ad genus aliquod poematis redigere […]. Explicatio eorum
quae ad elegiae antiquitatem et artificium spectant, Explicationes de elegia, in Trattati di
poetica e retorica del Cinquecento, ed. B. Weinberg, Bari, 1970, t. 1, p. 531.
2 Sur le genre dans l’Antiquité, voir notamment les ouvrages de P. Veyne, L’Élégie
érotique romaine, Paris, 1983 ; A. Videau-Delibes, Les Tristes d’Ovide et l’élégie romaine,
Paris, 1991 ; E. Delbey, Poétique de l’élégie romaine. Les âges cicéronien et augustéen,
Paris, 2001 ; P. Pinotti, L’elegia latina, Roma, 2002. Pour ce qui est de la théorie à
l’époque néo-latine, on consultera la synthèse de J. A. Sánchez Marín, « La elegía, de
la antigüedad a Julio César Escalígero », in Retórica, poética y géneros literarios, dir.
J. A. Sánchez Marín et M. N. Muñoz Martín, Granada, 2004, p. 387‑396.
3 Horace, Art Poétique, v. 75‑78. « Dans l’union de deux vers inégaux on enferma
d’abord la plainte, puis la satisfaction d’un vœu exaucé. Quel créateur pourtant inventa
la brièveté des vers élégiaques ? Les grammairiens en disputent et le procès est encore
pendant » (traduction CUF).
287
288 v irgi ni e lerou x
4 Horatii Flacci opera, ed. G. Fabricius, Bâle, 1555, p. 920. F. Robortello, Explicatio-
nes de elegia, p. 533 ; S. Minturno, De poeta, Venezia, 1559, p. 405 (chap. V) ; J.-C. Scali-
ger, Poetices libri septem, III, 124, ed. L. Deitz, G. Vogt-Spira, Stuttgart-Bad Cannstatt,
1994, t. 3, p. 200.
5 C. Landino dans Horace, Opera, 1555, p. 920.
6 Versus elegiacos exiguos. i. modicos respectu heroicorum vel quia epigrammata
epithalamia et alia breui hoc carmine scribunt vel quia sententiae non in multos versus
extenduntur. J. Bade, Horace, Paris, 1503, fol. 8r.
7 Exiguos elegos] Tenues, si cum heroico, de quo proxime dixit, conferantur. Non enim
tam alte se attollunt, nec tam grauiter sonant, nec omnino tam sublimi stylo conficiuntur.
Francesci Lovisini, dans Horatii Flacci opera, ed. G. Fabricius, Bâle, 1555, p. 1058.
8 Quintilien, Institution oratoire, X, 1, 93. « Pour l’élégie aussi, nous défions les
Grecs, et Tibulle me semble être l’auteur le plus châtié et le plus élégant. Certains pré-
fèrent Properce. Ovide est plus léger que les deux autres, Gallus plus sévère » (traduction
CUF).
9 Voir notre communication « Quintilianus « censor in litteris acerrimus » : postérité
des jugements de Quintilien sur les poètes antiques (inst., X, 1, 46‑72 et 85‑100) dans les
poétiques latines de la Renaissance (1486‑1561) », dans Quintilien ancien et moderne, éd.
P. Galand, F. Hallyn, C. Lévy et W. Verbaal, Turnhout, 2010, p. 351‑382.
théor i e et pr at ique de l’ élégi e l at i ne au x v i e si ècle 289
et son exploitation érotique, explique que les amants sont tout à fait
semblables à des morts puisqu’ils semblent être dépourvus de leur âme
dont on dit qu’elle a migré dans le corps aimé10. On constate donc un
hiatus entre les modèles proposés – les élégiaques latins – et les carac-
téristiques spécifiées qui ne concernent que partiellement l’élégie latine
et qui se réfèrent surtout à l’épigramme grecque. L’élégie, essentielle-
ment caractérisée par une structure métrique aux potentialités variées
et par une élégance stylistique dont la nature spécifique n’est pas pré-
cisée, devient donc quasiment une « forme ouverte », loin de posséder
une structure et une thématique nettement identifiables comme c’est le
cas pour la satire ou l’épopée11.
Les productions poétiques et théoriques du Moyen Âge ont accentué
la malléabilité du genre, si bien que chez Matthieu de Vendôme, l’élé-
gie en vient à incarner l’élégance poétique. Jean-Yves Tilliette a montré
à quel point les arts poétiques médiévaux brouillent les frontières entre
le discours théorique et sa réalisation pratique, comme si la seule façon
d’énoncer ce que doit être un poème était d’énoncer ce poème même12 .
Comme le fait Geoffroy de Vinsauf, Matthieu de Vendôme intègre dans
son Ars versificatoria de nombreux exemples antiques ou originaux, or
les exemples originaux sont toujours en distiques élégiaques. Le livre II
s’ouvre par une fiction en prose, inspirée d’Ovide, plusieurs fois cité,
qui décrit l’apparition d’allégories dans un jardin que Flore printanière
a revêtu de fleurs : sont présentes Philosophie, Tragédie, Satire, Comé-
die et enfin Élégie plus longuement décrite13. Mathieu met l’accent sur
l’invite érotique de cette dernière, mentionnant notamment ses œil-
lades et ses jolies lèvres, prodigues de leur saveur, qui semblent appeler
les baisers (cuius labellula prodiga saporis ad oscula videntur suspirare).
Il rend compte de la spécificité du distique qu’il traduit, comme Ovide,
Renaissance des genres. Pratiques et théories des genres littéraires entre Italie et Espagne
(x v e-x v ii e siècles), éd. P. Bravo, C. Iglesias et G. Sangirardi, Dijon, 2012, p. 65‑81. L’en-
semble de ses œuvres poétiques est édité par B. Soldati, Carmina, Firenze, 1902 et par
J. Oeschger, Carmina, Bari, 1948. Pour une présentation générale de l’œuvre poétique de
Pontano, voir E. Paratore, La poesia di Giovanni Pontano, Roma, 1967 ; L. Monti Sabia,
Poeti latini del Quattrocento, ed. Fr. Arnaldi et al., Milano, Napoli, 1964, p. 305‑783 et
ses articles dans L. Monti Sabia, S. Monti, Studi su Giovanni Pontano, ed. G. Germano,
Messina, 2009 ; G. Parenti, Poëta Proteus alter. Forma e storia di tre libri di Pontano,
Roma, 1985 et la synthèse de D. Coppini, « Carmina di Giovanni Pontano », in Lette-
ratura italiana. Le Opere, ed. A. Asor Rosa, vol. 1, Dalle Origini al Cinquecento, Torino,
1992, p. 713‑741.
18 Voir G. Parenti, « Contaminatio di modelli e di generi nel ‘Liber Parthenopeus’
di Pontano », in Intertestualità e smontaggi, ed. R. Cardini, M. Religiosi, Roma, 1988,
p. 47‑75. Sur le recueil, on consultera aussi C. Dionisotti, « Juvenilia del Pontano »,
Studi di bibliografia e di storia in onore di Tammaro de Marinis, Città del Vaticano,
Verona, 1964, II, p. 181‑206 ; W. Ludwig, « Catullus renatus : Anfänge und frühe Ent
wicklung des catullischen Stils in der neulateinischen Dichtung », in Litterae neolati-
nae. Schriften zur neulateinischen Literatur, ed. W. Ludwig, München, 1989, p. 162‑194
et A. Iacono, Le fonti del Parthenopeus sive Amorum libri di Giovanni Gioviano Pon-
tano, Napoli, 1999.
19 L’élégie I, 6 a été étudiée par J. Nassichuk, « Plaisir sensuel et inspiration poétique
chez Pontano (Parthenopeus, I, 6) », dans Le plaisir, de l’Antiquité à la Renaissance, éd.
P. Galand-Hallyn, C. Lévy et W. Verbaal, Turnhout, 2008, p. 213‑235. Il aborde aussi
l’élégie I, 18 dans « Bacchus dans l’œuvre élégiaque de Giovanni Pontano », Internatio-
nal Journal of the Classical Tradition, 17‑1 (mars 2010), p. 1‑21.
20 L. Parra García, « Pervivencia de los tópicos de la elegía latina en la poética pon-
taniana : a propósito de Parthenopeus I, 3 », in Homenaje al profesor Antonio Fontán, ed.
J. M. Maestre Maestre, Madrid, 2002, p. 827‑841.
21 Sur les élégies I, 9 et I, 19, voir U. Auhagen, « Pontano als Catullus Ovidianus :
am. 1, 9 », in Pontano und Catull, ed. T. Baier, Tübingen, 2003, p. 123-134 et D. Gall,
292 v irgi ni e lerou x
de Sappho. De tels sujets, même traités par un Hipponax, ont de la grâce : la matière
est enjouée par elle-même. Nul ne saurait, en effet, chanter un hyménée sur un ton de
colère, ni faire de l’Amour, par le moyen du style, une Erinye ou un géant, ni changer le
rire en pleurs ». Du Style, 132, trad. P. Chiron, CUF, p. 40‑41.
30 « Après avoir traité de la clarté et de l’autorité du discours empreint de grandeur,
il conviendra de traiter de l’élégance et de la beauté de ce discours. Car le discours qui
possède de la clarté, de l’ampleur et de l’autorité a toujours besoin d’une certaine beauté
et d’une certaine eurythmie, pour éviter de devenir quelque chose d’âpre. (…) La beauté
du discours sera au sens propre une heureuse combinaison et une juste proportion de
tous les composants, pensées, méthodes, expressions, etc., de chacune de ses catégories
stylistiques (…) ». Les catégories stylistiques du discours, p. 296 et 298, trad. M. Patillon,
p. 397. Pour l’Actius, voir Dialoge, ed. H. Kiefer, München, 1984, p. 279‑511 ; P. Laurens,
« Trois lectures du vers virgilien (Coluccio Salutati, Giovanni Gioviano Pontano, Jules-
César Scaliger) », dans P. Laurens, La dernière muse latine. Douze lectures poétiques, de
Claudien à la génération baroque, Paris, 2008 (Les Belles Lettres/essais), p. 126‑138 et
H. Casanova-Robin, « De l’Actius au Jardin des Hespérides : les vertus imitatives du lan-
gage poétique selon Giovanni Pontano », dans Clément Janequin, un musicien au milieu
des poètes, éd. O. Halévy, I. His et J. Vignes, Paris, 2013, p. 117-130. Rappelons que
M. Deramaix prépare actuellement une édition du texte.
31 On songe encore une fois à Hermogène : « Nous appellerons beauté du discours au
sens propre celle que nous venons de dire. Mais il existe souvent dans le discours certains
éléments qui se distinguent clairement des autres, un certain ornement plaqué sur lui de
l’extérieur pour lui donner une parure, et à qui seul certains ont donné le nom de beauté
du discours ». Les catégories stylistiques…, trad. M. Patillon p. 399.
32 Ce sont ces passages que cite Robortello (Explicatio…, p. 533‑534). : Hinc, quia
elegia amores complectitur, Ovidius ait libro III Elegiarum : Forma decens, vestis tenuis-
sima, vultus amantis, / In pedibus vitium causa decoris erat. [9‑10] Nam hoc posterius
dictum est propter impares versus. Canebatur autem noctu, querula voce, ante fores ami-
carum. Hinc idem Ovidius ait : Quam tu non poteris duro reserare cothurno, / Haec est
blanditiis ianua laxa meis. [47‑48] Versus in ea impares de qua, praeter Horatium, etiam
Ovidius ita inquit : Venit odoratos elegeia nexa capillos / Et puto pes illi longior alter
erat. [7‑8] Idem libro primo, elegia prima : Sex mihi surgit opus numeris, in quinque
residat ! (…) / Musa per undenos emodulanda pedes ! [27 et 30] Et libro III : Et longis
versibus adde breves. [66].
théor i e et pr at ique de l’ élégi e l at i ne au x v i e si ècle 295
De même que l’on peut identifier une filiation entre les élégies et
la théorie poétique de Pontano et la caractérisation du genre élégiaque
par Minturno, son héritier au sein de l’Académie napolitaine, les élégies
du poète flamand Jean Second présentent des parentés avec la théorie
contemporaine du genre37.
38 Voir M. Jourde, « Ego et puer. Subjectivité et mythe dans les Elégies de Jean Se-
cond », dans La Poétique de Jean Second et son influence au x v i e siècle, éd. J. Balsamo et
P. Galand-Hallyn, Paris, 2000 (Les Cahiers de l’Humanisme, série 1, vol. 1), p. 57.
39 W. Ludwig, « Petrus Lotichius Secundus and the Roman Elegists : Prolegomena
to a study of Neo-Latin Elegy », in Litterae Neolatinae. Schriften zur Neulateinischen
Literatur, ed. W. Ludwig, München, 1989, p. 206. De même, Clifford Endres note qu’en
plus de l’influence directe de ses modèles antiques, l’écriture élégiaque de Second a été
influencée par la conception humaniste du genre élégiaque ; il se fonde lui aussi sur la
Poétique de Scaliger ( Joannes Secundus. The Latin Love Elegy in the Renaissance, Ham-
den, Connecticut, 1981, p. 67‑69.)
40 Sur la genèse de la Poétique de Scaliger, voir L. Corvaglia, « La Poetica di Gulio
Cesare Scaligero nella sua genesi e nel suo sviluppo », Giornale critico della filosophia
italiana, 3e série, vol. 13, t. 38 (1959), p. 214‑239.
298 v irgi ni e lerou x
41 J.-C. Scaliger, Poetices libri septem, III, 124, ed. L. Deitz et G. Vogt-Spira, Stut-
tgart-Bad Cannstatt, 1994, t. 3, p. 202. « Arguments : commémoration du jour où
l’amour a commencé ; éloge ou exécration de ce jour ; plainte, demande pressante, prières,
vœux, actions de grâces ; transport de joie ; récit d’amour illégitime ; pleurs ; invectives
en raison d’un défaut ou d’une action ignominieuse ; reproche ; rétractation ; récit de
sa propre vie ; comparaison avec le rival ; menace ; décision d’avoir une autre amie ; re-
proches à la porte, au gardien, à la servante, à la mère, au mari, aux circonstances et
même au ciel ; reproches à Cupidon, à Vénus, à soi-même ; souhait de la mort, de l’exil ;
haine de l’amie absente ; désespoir mêlé à des imprécations comme dans l’Ibis, même si
la cause est autre ; des épicèdes, des épitaphes et des lettres peuvent être composées dans
ce genre de poème ».
42 Ibidem, p. 202 : Candidam oportet esse, mollem, tersam, perspicuam, atque ut ita,
ingenuam. Affectibus anxiam, non sententiis exquisitis. Non conquisitis fabulis offuscatam.
théor i e et pr at ique de l’ élégi e l at i ne au x v i e si ècle 299
subesse arbitror. Pro his igitur sententiae sunto dulces, luculentae, non
languidae, non affectatae, non nimis frequentes43.
43 Poetices libri septem, VI, 7, Lyon, 1561, p. 329b-c. « Properce est un poète au style
aisé, naturel, vraiment élégiaque ; il est toutefois plus soigné que ne l’a jugé la critique ;
car d’une part il aime ce qu’il y a de moins vulgaire et d’autre part en certains endroits
il semble s’adresser au goût d’une élite ; et en effet le début de son œuvre est à la fois
élégant et harmonieux. Toutefois au livre I on peut noter une certaine complaisance à
fermer le pentamètre sur des termes de plusieurs syllabes, type de vers jugé plus amolli
même dans les iambes. D’où l’idée qu’il a délibérément cherché et réuni ces mots de
façon à rendre ses expressions pénibles. Mais il est assez clair que c’est là pure calomnie,
étant donné que dans les livres qui suivent il en usa autrement, − comme s’il n’en avait
pas eu l’occasion ! Peut-être se corrigea-t-il sur le conseil d’un ami, ou sous la pression du
goût plus cultivé d’un siècle qui estimait déjà et Ovide et Tibulle : l’un use plus fréquem-
ment de mots de deux syllabes ; l’autre n’emploie presque jamais de ces termes longs. Il a
d’autre part suivi le conseil que Corinne avait donné à Pindare, de ne jamais composer
des poèmes sans fables, car elles en étaient l’âme : il en insère donc autant qu’il peut.
Mais comme toutes ces fables sont désormais archiconnues, je conseille vivement à notre
poète de les éviter, et tant celles-ci que celles qui ne sont pas connues ; car si les unes
sont dépourvues d’agrément, les autres, à mon avis, ne peuvent que provoquer l’irrita-
tion. Qu’au lieu de cela, il utilise des traits agréables, brillants, qui ne manquent pas de
force, qui ne soient pas affectés ni trop nombreux », trad. C. Caillou, Le livre VI de la
Poétique de Jules César Scaliger (Hypercriticus), traduction et étude, thèse de 3e cycle
présentée sous la direction du professeur P. Laurens, Poitiers, octobre 1988, p. 165‑166.
44 Poetices libri septem, VI, 4, 1561, p. 311b-c. « Suit Pontano, qui a mis tous ses
efforts à réunir ces quatre qualités, j’entends le nerf, le rythme, l’éclat naturel, la grâce ;
et assurément il les possède toutes. Cependant il en est une cinquième qui est comme la
vie de toutes les autres, je veux dire : la mesure ; il l’a complètement ignorée. On dit que
Virgile, après avoir dans le feu de l’inspiration matinale jeté sur le papier bon nombre de
vers, avait coutume l’après-midi de les revoir avec un jugement neuf et d’en réduire consi-
dérablement le nombre. Or je pense que Pontano faisait exactement l’inverse. Satisfait de
son premier jet, il y faisait lors de la relecture, maintes additions. Il avait plus d’égards
pour ses vers que pour sa réputation. C’est pourquoi plein d’éclat, charmant, gracieux,
300 v irgi ni e lerou x
lorsqu’il recherche la vigueur du rythme, il perd sa vivacité par de longs détours. Et alors
il se répand, déborde, s’abandonne, se talonne lui-même, au point de revenir sur ses pas ;
le défaut dont il devrait se corriger se voit à l’évidence », trad. C. Caillou (légèrement
modifiée), p. 79‑80.
45 Illa uero plane Ouidiana, id est arguta, ac digna quouis Epigrammate, Poetices libri
septem, 1561, p. 330b.
46 Ce poème illustre le couple antithétique du feu et de la neige, hérité de l’Anthologie
grecque (A.P. V, 160, 176, 279, 281, 288, 291), dont Leonard Forster a fait l’emblème
du pétrarquisme (The Icy Fire, five studies in european petrarchism, Cambridge, 1969
et « On Petrarchism in latin and the role of anthologies », Acta Conventus Neolatini
Lovaniensis [1971], München-Leuven, 1973, p. 235‑244). Il s’inscrit dans une série
d’imitations d’une épigramme intitulée Niuis globulus, généralement attribuée à Pétrone,
mais que Pierre Laurens suggère d’attribuer plutôt à Ovide L’abeille dans l’ambre, Paris,
1989, p. 178‑182 et 401‑405. Il étudie ces imitations dans « Le Dizain de neige, Histoire
d’un poème, ou : Des sources latines du pétrarquisme européen », A.C.N.L. Turonen-
sis, Université François Rabelais 6‑10 sept. 1976, éd. J.-C. Margolin, Paris, 1980, vol. 1,
p. 557‑570.
théor i e et pr at ique de l’ élégi e l at i ne au x v i e si ècle 301
que Scaliger fait des deux poètes élégiaques antiques les représentants
d’un même idéal stylistique qui met l’accent sur la composition et sur
l’harmonie, Muret met au contraire l’accent sur la spécificité de chacun
des auteurs :
Summa in Tibullo elocutionis elegantia, et proprietas : summa in Pro-
pertio eruditionis poeticae copia, et varietas : in illo Romana propre
omnia, in hoc pleraque transmarina. Illum, nativa quaedam et incor-
rupta Romani sermonis integritas, in media urbe natum et altum esse,
perspicue ostendit : hunc praeter cetera, forma et character ipse dicendi
in Graecorum poetarum scriptis assiduissime versatum esse demonstrat.
Cumque a sapientissimis viris traditum sit, duo esse praecipua poeticae
dictionis ornamenta, to saphes kai to xenikon, illo Tibullus, hoc Proper-
tius excellere videtur. Mollior ille, et delicatior : nervosior hoc et accu-
ratior. Illo magis oblectere : hunc magis, ut opinor, admirere52 .
59 Juvenilia, élégie III, v. 1‑8 : « Tu désires savoir quel est de mes vœux le plus cher, /
Et quelle destinée j’aimerais le mieux vivre ? / Ce ne sont ni des toits posés sur des co-
lonnes Phrygiennes / ni mille livres d’or précieux que je rechercherais, / ni les coquil-
lages qu’il faut aller chercher sur les rivages Erythréens, / ni les arpents labourés par
cent bœufs, / mais passer avec toi tout le temps d’une longue vie, / et, à l’abri, jouir pour
toujours de ton amour ». Le vers 3 reprend Tibulle, III, 3, v. 13 : Quid domus prodest aut
Phrygiis innixa columnis, le vers 4, Tibulle, III, 3, v. 11 : Nam graue quid prodest pondus
mihi diuitis auri, le vers 5, Tibulle III, 3, v. 17 : Quidue in Erythraeo legitur quae litore
concha, le vers 6, Tibulle, III, 3, v. 12 : arua si findant pinguia mille boues. On reconnaît
en outre dans les vers 4 et 6 une transposition de Tibulle, I, 1, v. 1‑2, Muret conservant
la position métrique des mots empruntés : « Diuitias alius fuluo sibi congerat auro / et
teneat culti iugera multa soli (…) ». Enfin, le vers 8 imite Tibulle, I, 1, v. 77 : « ego com-
posito securus aceruo ».
théor i e et pr at ique de l’ élégi e l at i ne au x v i e si ècle 305
60 « Ils n’avaient à eux deux qu’un seul cœur, qu’une seule âme, voyageur, / ceux dont
cette pierre unique couvre à présent les os ».
61 Diomède, ars, in Grammatici latini, éd. H. Keil, Leipzig, 1857, I, p. 484. « L’élégie
est un chant composé en une alternance d’hexamètres et de pentamètres, comme ‘Qu’un
autre amasse un trésor d’or fauve et possède des milliers d’arpents d’un sol bien cultivé’.
Chez les Romains, ce genre fut tout particulièrement illustré par Properce, Tibulle et
Gallus qui imitaient les Grecs Callimaque et Euphorion. Le nom élégie provient soit de
παρὰ τὸ εὖ λέγειν τοὺς τεθνεῶτας (les éloges funéraires étaient presque tous composés
en ce mètre), soit ἀπὸ τοῦ ἐλέου, c’est-à-dire de la pitié, parce que les Grecs ont écrits des
thrènes ou ἐλεεῖα ce mètre ».
306 v irgi ni e lerou x
Ces deux poèmes des Juuenilia illustrent donc les particularités sty-
listiques mises en valeur dans le commentaire philologique : d’un côté,
la simplicité d’une rhétorique de l’enargeia ; de l’autre, la sophistication
d’une poésie érudite et allusive.
Les convergences entre théorie et pratique sont indéniables. On peut
ainsi identifier une influence de la théorie, antique et humaniste, sur
le codage du genre par certains poètes. Les commentaires humanistes
de l’Art poétique d’Horace conduisent ainsi Pontano et Jean Second à
majorer les motifs de la plainte et du vœu par rapport aux élégiaques
antiques et à les exhiber dans leurs élégies métadiscursives. De même,
l’imitation de Tibulle par Muret, dont l’œuvre illustre une parfaite
continuité entre le commentaire des auteurs et la composition poé-
tique, a été orientée par les prescriptions de Diomède, relayées par les
théoriciens humanistes. On trouve des épitaphes chez les élégiaques an-
tiques, mais l’insistance des théoriciens sur l’origine funéraire du genre
contribue à la sélection de ce motif par le poète humaniste. Il faut aussi
prendre en compte l’influence de la praxis humaniste sur la théorie, les
poèmes néo-latins ont parfois servi de filtre et ont à leur tour nourri la
théorie humaniste : Pontano, poète élégiaque et promoteur d’une élé-
gie très ornée, mais aussi théoricien de l’admiratio dans l’Actius, a joué
un rôle indéniable dans la caractérisation du genre par Robortello et
par Minturno. Bien qu’il ne mentionne pas Second dans l’Hypercriti-
cus, Jules-César Scaliger semble tenir compte des Élégies du flamand
lorsqu’il caractérise le genre élégiaque. En tout état de cause, on peut
distinguer l’esthétique napolitaine, qui prône une ornementation et
une érudition mythologique recherchées, de la modération prescrite par
Josse Bade et illustrée par Jean Second.
haut : Me mea : et nunc ipse seram : et mox poma manu ; et plus loin, multa tabella : et
sicca canis. On peut citer de si nombreux passages qu’il est évident que ces exemples ne
sont pas le fruit du hasard mais d’un travail conscient ».
66 Poeticarum institutionum libri III, II, 25 : « Virtutes et artificium elegorum »,
Ingolstadt, 1600 (3e ed.), p. 126.
308 v irgi ni e lerou x
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tano : mirabilia et lieux de mémoire », dans La mythologie classique dans
la littérature néo-latine, éd. V. Leroux, Clermont-Ferrand, 2011, p. 247-
269.
théor i e et pr at ique de l’ élégi e l at i ne au x v i e si ècle 309
1 Cette version beaucoup plus longue que celle de l’édition romaine nous a été conser-
vée dans le codex dit Venturi : au x i x e siècle, le manuscrit était encore en la possession
du Baron Vernazza, mais il brûla en 1904. Une copie de ce manuscrit avait été faite par
Giovanni Battista Venturi et Francesco Novati en 1818. C’est ce texte que Ralf G. Wil-
liams a édité en appendice de l’édition romaine de 1527, en le datant de 1517 (The ‘De
arte poetica’ of Marco Girolamo Vida, translated with commentary and with the text of
1517, ed. R. G. Williams, New York, 1976). Pour une synthèse de la genèse du texte
(très controversée), voir S. Rolfes, Die lateinische Poetik des Marco Girolamo Vida und
ihre Rezeption bei Julius Caesar Scaliger, München-Leipzig, 2001, p. 37‑42 et, plus ré-
cemment, la riche thèse de M.-F. André, Nicolas Bérauld, laissé pour compte des ‘Bonnes
Lettres’. Monographie sur l’humaniste orléanais Nicolas Bérauld (c. 1470-c. 1555), thèse
de doctorat sous la direction de P. Galand, Université de Paris-Sorbonne, novembre
2011, t. II, p. 444 et s. Il existe deux autres éditions modernes de l’Art poétique : Marco
Girolamo Vida : l’‘arte poetica’, ed. Raffaele Girardi, Bari, 1982 et Marco Girolamo Vida.
De arte poetica, Art poétique, édition et traduction de Jean Pappe, Genève, 2013, dont
j’userai ici. Voir aussi le mémoire de master de G. Mérot, Entre imitation et détourne-
ment : quelques aspects du De arte poetica de Marco Girolamo Vida (1527), soutenu sous
ma direction en 2009 à l’EPHE.
2 Marci Hieronymi Vidae Cremonensis de Arte poetica Libri III, eiusdem De Bombyce
lib. II, eiusdem de Ludo scacchorum lib. I, eiusdem Hymni, eiusdem Bucolica, Romae,
1527.
311
312 per r i ne ga l a nd
3 Selon G. Soubeille dans J. Salmon Macrin, Epithalames et odes, éd. et trad. G. S.,
Paris, 1998, p. 40.
4 En 1522 selon S. Rolfes, Die lateinische Poetik, p. 42 et n. 169. Il existe sept exem-
plaires de cette édition, à Leyde, à Rome, à Venise, au Vatican, à Harvard et à la Maza-
rine : 20808 (4) et 21274 (2). Voir M.-F. André, Nicolas Bérauld, p. 446.
5 Texte analysé par M.-F. André, Nicolas Bérauld, p. 447‑448.
6 Sur l’importance de Macrin en France, voir par exemple mon article « Quelques
orientations spécifiques du lyrisme néo-latin en France » [Lecture plénière pour la
France au Congrès international de l’International Society of Neo-Latin Studies, Bonn,
août 2003], in Acta Conventus Neo-Latini Bonnensis, ed. R. Schnur, Tempe (Medieval
and Renaissance Texts and Studies), 2006, p. 299‑320.
je a n sa lmon m acr i n édit eur et lect eur de jérôm e v i da 313
L’édition de l’art poétique de Vida n’a pas été, pour Macrin, la seule
occasion de collaboration avec l’humaniste Bérauld, pilier du cercle de
Budé, qui, sa vie durant, se consacra à transmettre l’héritage du Quat-
trocento aux Français, et notamment les théories littéraires d’Ange
Politien. Autour de 1515 déjà, Macrin (alors âgé de 25 ans) et Bérauld
(son aîné de 20 ans) avaient uni leurs compétences lors d’un cours sur
les Vies des douze Césars de Suétone, donné aux petites écoles de la Sor-
bonne. Les deux amis suivaient les traces de Politien, qui avait égale-
ment commenté, en 1482‑1483, puis en 1490‑1491, le texte suétonien
et publié la magistrale praelectio du second cours, où il analysait, autour
de Suétone, les enjeux de l’historiographie10. Bérauld publia le texte des
Vies, précédé de sa propre praelectio, puis de celle de Politien. Dans la
préface de l’édition, il indique que « son associé et presque collègue »
Macrin, « commentateur docte et soigneux », socium ac pene collegam
doctum et accuratum interpretem, s’était chargé du cours à part égale,
7 Le premier art poétique publié à la Renaissance est celui de Joachim Vadian (Vadia-
nus), à Vienne en 1518. Voir mon article sur « Quelques aspects de l’influence de Quin-
tilien sur les premières poétiques latines de la Renaissance (Fonzio, Vadian, Vida) »,
dans Quintilien ancien et moderne, coll. P. Galand, F. Hallyn, C. Lévy et W. Verbaal,
Turnhout (Latinitates 3), 2010, p. 303‑350.
8 Voir S. Rolfes, Die lateinische Poetik, p. 30‑36.
9 Voir M. Di Cesare, Vida’s Christiad and Vergilian Epic, New York, 1964 et G. Mé-
rot, Entre imitation et détournement.
10 Voir P. Galand-Hallyn, « La leçon d’introduction à Suétone de Nicolas Bérauld
(1515) : développement de l’èthos et poétique de la mémoire », dans Autour de Ramus.
Texte, théorie, commentaire, coll. K. Meerhoff et J. C. Moisan, Québec, 1997, p. 235‑267.
314 per r i ne ga l a nd
laborem hunc sibi nobiscum ex aequo partientem (il avait sans doute
aussi aidé à la révision du texte suétonien) et qu’il avait su séduire les
étudiants par une très élégante praefatio, ce qui avait incité Bérauld à
écrire la sienne. Dans ce volume, les deux amis visaient donc à mettre
à la disposition des étudiants et des lettrés le texte d’un historien im-
portant (sans lui apporter d’améliorations philologiques notables), mais
tout autant sans doute, avec les deux praelectiones de Politien et de
Bérauld (qui s’inspirait peut-être de Macrin), une réflexion théorique
approfondie non seulement sur l’écriture historique elle-même, mais
sur sa place exemplaire dans les artes. Les qualités principales attri-
buées à l’histoire, entendue comme discipline du passé au sens large,
comme poétique de la mémoire, à l’instar de la philologie, se trou-
vaient projetées sur les autres domaines de l’encyclopédie ; mon élève
Marie-Françoise André, dans sa riche monographie toute récente sur
Nicolas Bérauld, montre bien comment l’humaniste, au fil de ses nom-
breuses et diverses préfaces ou annotations, a cherché à constituer un
ensemble normatif cohérent au service de la communauté intellectuelle
groupée autour de Budé. Politien avait surtout souligné la nécessité, en
matière d’écriture, de la fides et de l’enargeia ; Bérauld essayait quant
à lui d’aller plus loin – tout en empruntant au Florentin lui-même ses
conceptions esthétiques originales de la varietas et de l’innutrition – en
faisant l’apologie d’un style « intermédiaire » capable de subsumer et
de varier les diverses qualités des autres styles. Dans sa cohortatio finale,
l’Orléanais développait sa vision de la pédagogie humaniste : il définis-
sait les auteurs à lire, recommandant essentiellement les poètes (avec
une préférence pour les auteurs anciens), esquissant une brève apologie
de la poésie selon les lieux du genre depuis Albertino Mussato, louant
la comédie et la satire pour leur fides ; il identifiait, après Augustin,
l’éthique de l’épopée virgilienne à celle de l’histoire, faisant – en un
glissement de la fides à la mimesis – de l’historia épique une histoire
instructive par son exemplarité ; il faisait aussi intervenir l’Horace des
Epîtres (I, 2, v. 69‑70 et v. 17‑26) pour présenter l’épopée homérique
comme réservoir d’allégories morales. La cohortatio se concluait par une
exhortation à travailler imitée de Quintilien (XII, 11, 21 et s.), et par
un démenti de certaines calomnies.
Macrin, sous l’égide de Bérauld, dans le cercle et avec l’aval de Budé,
s’est ainsi trouvé associé dès ses débuts à une entreprise à vocation mul-
tiple, qui peut jeter quelque lumière sur son appréciation et son utili-
sation ultérieures de Vida : constituer un trésor de textes formateurs
pour les humanistes français débutants ; mettre au point des normes
intellectuelles et littéraires, une « poétique » au sens large, clairement
je a n sa lmon m acr i n édit eur et lect eur de jérôm e v i da 315
Ob id praeceptorem tibi dedi graece lati- Pour cette raison, je t’ai alloué un pré-
neque doctissimum, ac praecipiendi peri- cepteur très savant en grec et latin et très
tissimum, qui utriusque linguae te prae- versé en pédagogie [Melchior Volmar,
ceptis institutisque formaret, et oratorum 1496‑1560, futur précepteur de Théodore
poetarumque assidua, cotidianaque lec- de Bèze et de Calvin, enseignait le grec
tione perpoliret. dans le pensionnat de Bérauld à Orléans,
après avoir été lui-même l’élève de Bé-
rauld], pour te former aux deux langues
par ses préceptes et ses cours, et te per-
fectionner par la lecture assidue et quoti-
dienne des orateurs et des poètes.
Ipse uero, quoties istuc mihi per domes- Quant à moi, chaque fois que mes activités
ticas occupationes ac curas ire licuit, tibi et mes soucis domestiques m’ont permis
quid sequerere coram praescripsi saepe, et de me rendre chez toi, ce à quoi il fallait
posthac saepius, ut spero, praescribam. s’attacher, je te l’ai indiqué souvent de vive
voix, et par la suite, plus souvent encore,
j’espère, je te l’indiquerai.
Interim Hieronymi Vidae poetica prae- Cependant, les préceptes poétiques de Gi-
cepta, quibus † mihi† <nihil> seculis ali- rolamo Vida, en comparaison desquels on
quot elegantius prodiit, ad te mitto non n’a rien produit de plus élégant pendant
legenda modo, sed ediscenda etiam, assi- plusieurs siècles, je te les envoie non seule-
dueque decantanda. Volo enim te et poetas ment pour que tu les lises, mais aussi pour
legere et carmina graece latineque medi- que tu les apprennes et les répètes inlas-
tari ac pangere, sed ἐναρμόσω συνθέσει sablement. En effet, je veux à la fois que
id quod tam belle praestitit Vida noster, tu lises les poètes et que tu conçoives et
ut haud sciam an alius quispiam felicius composes des vers en grec et en latin, mais
unquam, suauiusque cecinerit. Cuius rei « comment composer une œuvre harmo-
fidem facient et alia eius scripta Salmonii nieuse »18, notre cher Vida l’a si bien mon-
nostri cura atque auspiciis propediem exi- tré que je ne sais si quelqu’un d’autre l’a
tura. jamais chanté avec davantage de bonheur
et de charme. Ses autres écrits en feront foi
aussi : ils vont être édités sous peu grâce au
soin et sous les auspices de mon cher Sal-
mon.
Quicumque uero hos tam suaueis tamque Donc, quiconque prendra en main ces
diu expetitos libellos in manus sument, petits livres si agréables et si longtemps
Salmonio ipsi se debere fateantur necesse réclamés, il est forcé d’avouer qu’il le doit à
est, qui missos ad sese ex Italia, non passus Salmon lui-même, qui a refusé que les ou-
est inter blattas tineasque putrescere. vrages qui lui ont été envoyés d’Italie pour-
rissent au milieu des blattes et des teignes.
Vale, Luteciae, Calendis Iulii 152719. Adieu, de Paris, le premier juillet 1527.
tion de Vida, le jeune homme, âgé de 13 ans, est un élève prodige, qui
deux ans plus tard, sera capable d’expliquer publiquement Lucien20. Le
choix de ce dédicataire et le début de la dédicace placent d’emblée l’en-
treprise – à l’instar de celle de Vida lui-même dédiant sa poétique au
dauphin François ou de Quintilien s’adressant à son fils – sous le signe
de la relation pédagogique. Bérauld s’appuie sur l’auctoritas d’Horace
contre Cicéron pour donner en exemple la méthode qu’il a appliquée
à Louis de L’Estoile : constatant chez le jeune homme un « génie peu
commun » (non vulgare ingenium), il a multiplié les procédés de l’ars
pour cultiver ce talent naturel, qu’il juge comme Horace et Politien,
insuffisant en soi, en lui procurant un précepteur de haut niveau et
en intervenant lui-même21. La poésie tenant une place particulièrement
importante dans la conception béraldiennne de l’éducation, le manuel
de Vida apparaît comme un complément indispensable aux leçons de
Volmar et de l’Orléanais. Plusieurs avantages du livre sont ainsi men-
tionnés : il peut être mémorisé aisément, sans doute en partie parce
qu’il est en vers et aussi parce qu’il est « harmonieusement composé » ;
il est d’accès plaisant ( felicius, suavius) mais également plein d’élégance,
elegantius, sans doute aux deux sens du terme comme chez Valla, écrit
à la fois dans un excellent latin et dans un style raffiné. Le texte com-
bine ainsi judicieusement l’énoncé de préceptes poétiques et l’illustra-
tion d’une manière d’écrire appréciable. Il donne donc une très bonne
idée des qualités de la pratique poétique même de Vida, qui se signale
également par sa suavitas (suaveis… libellos) ; nous apprenons de plus
que Macrin a reçu les autres poèmes du Crémonais et se propose de les
éditer comme l’Art poétique.
Bérauld, et de toute évidence Macrin, poursuivent donc ici – comme
lors de l’édition de Suétone – leur tâche de formateurs du premier
humanisme français, en sélectionnant un manuel pour ses qualités de
clarté et d’agrément. Mais les éloges accordés de surcroît à Vida en tant
que poète indiquent que les deux Français peuvent également accepter
sa doctrine. La dédicace passe sous silence les éléments apparemment
les plus importants de la théorie de Vida 22 : la prédilection pour le
genre épique, l’imitation de Virgile ; l’épître se focalise en revanche sur
la question de l’inspiration et du lien ars-ingenium ; tout en admettant
la théorie (ici cicéronienne) du furor platonicien, Bérauld l’équilibre par
l’exigence horatienne de l’ars. Les deux éditeurs taisent ou altèrent sans
état d’âme ce que, jusque là, la critique moderne avait dans l’ensemble
considéré comme les caractéristiques majeures du traité ; il ne s’agit pas,
à mon avis, d’incohérence ou d’opportunisme commercial, car la poli-
tique éditoriale de Bérauld est au contraire assez bien dessinée. Simple-
ment, une lecture plus nuancée de Vida était possible. On commence
à la trouver du reste chez les critiques les plus récents, comme Susanne
Rolfes, qui compare les théories de Vida et de Scaliger, Jean Pappe, qui
vient de publier le texte romain de 1527 en traduction française, Guil-
lemette Mérot, dans un mémoire de master (2009) sur l’imitation chez
Vida, ou encore dans une étude comparative entre Vida et Quintilien
que j’ai publiée il y a peu23. Il est ainsi loisible de montrer que la théorie
du furor chez l’Italien est loin d’être purement conforme au néo-plato-
nisme. Au livre II, v. 395‑454, Vida décrit le processus de l’inspiration
en évoquant, à côté de la possession divine, les émotions changeantes
du poète, les altérations de son corps, l’influence des astres, et insiste
sur la nécessité de résister à l’élan créateur ; il me semble ici suivre de
près le livre X, 7 de l’Institution oratoire, où le rhéteur, à la fois fasciné
et effrayé par la dimension quasi surnaturelle du calor, de la faculté
d’improvisation, cherche à rationaliser le phénomène, à le placer sous
le contrôle de la volonté et du labeur. En cela, Vida rejoint clairement
les théories de Politien, influencé par Stace, à propos de la poésie du
kairos.
Quant au « virgilianisme » de l’Art poétique, une lecture attentive
du texte permet d’en marquer les limites. Malgré l’admiration incon-
testable de Vida pour le poète de Mantoue, le poète n’impose pas à
son disciple son unique imitation ; il s’agit d’une mesure pédagogique
réservée aux élèves les plus jeunes (I, v. 208‑215) et l’Italien ne veut
pas dissuader son lecteur d’explorer et d’imiter les autres écrivains
(III, v. 193‑201). Par ailleurs il conçoit bien l’imitatio, à la façon de
Quintilien et Politien, comme une émulation ostentatoire, qu’il quali-
fie non sans quelque provocation de furtum. Comme Vida insère cette
perspective dans un schéma historiographique cyclique, qui affirme
la supériorité de Virgile sur Homère, on peut aisément supposer, avec
Jean Pappe, que Léon X attendait de l’auteur de la Christiade qu’il sur-
passât à son tour le Mantouan24. Si le Crémonais ne pouvait admettre
un éclectisme aussi audacieux que celui de Politien, il n’était pas non
plus le puriste virgilien qu’on a pu décrire. Profondément épris de docta
varietas à tous les niveaux (cette variété même qu’il admire chez Vir-
gile comme Pontano) – Jean Pappe va même jusqu’à trouver dans son
écriture un certain « baroquisme » alexandrin25 –, Vida rejoint aussi
sur ce plan l’esthétique de Politien. Finalement, comme le remarque
justement Gregor Vogt-Spira, l’originalité de l’Art poétique ne consiste
pas dans sa présentation de Virgile comme modèle (ce qui avait déjà été
fait au Quattrocento), mais dans la manière dont il extrait de l’œuvre
virgilienne des principes d’écriture pratiques, accomplissant « einen
Übergang von Auctoritas zu Methode », « un passage de l’autorité à la
méthode »26.
Reste le Vida champion de Léon X et de la translatio imperii et stu-
dii romaine. Il ne semble pas non plus que l’Art poétique ait eu, à cet
égard, de quoi gêner l’humanisme patriotique de Bérauld et Macrin.
Nous savons que l’auteur de la Christiade avait souvent trouvé sa tâche
pesante ; il écrira, dans son De republicae dignitate (au milieu des an-
nées 40), qu’il avait composé son èpos « contraint et forcé », iussus ne
dicam coactus, que le poème était plus l’œuvre de Léon X que la sienne,
rectiusque fere Leonis X (decimi) poemata quam mea dici possunt, qu’une
fois éteinte la chaleur de l’inspiration, il était retourné, plus tard qu’il
ne l’aurait voulu, à lui-même et à ses études antérieures, restincto in me
calore illo, sine quo negabat Democritus, quemquam poetam magnum
esse posse, serius quam uoluissem, ad me ipsum redii meque retuli ad pris-
tina studia27 ; dès le début de l’Art poétique (I, v. 50‑53), il mettait déjà
en garde le futur poète contre les œuvres de commande et le pouvoir
des rois. J’ai essayé de montrer ailleurs28 que les arts poétiques latins
de la Renaissance ont eu tendance à ériger en véritable dogme moral le
conseil donné par Horace dans l’Épître aux Pisons, lorsqu’il incite son
lecteur à choisir un sujet adapté à ses capacités ; certains théoriciens
estimaient aussi que l’inspiration héroïque n’était plus adaptée au génie
moderne, incapable de maintenir le souffle inspirateur très longtemps.
Vida ici se présente en filigrane comme un anti-modèle, contraint par
son souverain à forcer son tempérament jusqu’à l’altérité, en se lançant
dans une entreprise qui le dépasse. Voilà pourquoi peut-être, au début
de son Art poétique (I, v. 39‑43), il rappelle justement à son lecteur
qu’il lui faudra adopter un genre conforme à ses forces et que, si l’épo-
25 Ibid., p. 23‑29.
26 G. Vogt-Spira, « Von Auctoritas zu Methode. Vergil als literarisches Paradigma in
der Poetik des M. G. Vida », in Seculum tamquam aureum. Internationales Symposium
zur italienischen Renaissance des 14.‑16. Jahrhunderts (Akademie Mainz), ed. C. Zintzen,
Hildesheim, 1997.
27 Ed. Williams, I, p. x i x-x x .
28 P. Galand, « ‘Médiocrité’ éthico-stylistique ».
322 per r i ne ga l a nd
L’art poétique apparaît lié à une discipline, à une morale de vie, dans
la tradition de l’Institution oratoire et aussi des écrits érasmiens contre
la philautie. Aux vers 37‑42, Macrin évoque l’inspiration poétique dans
des termes proches de ceux de Vida (II, v. 445‑454)35 :
34 C’est-à-dire la ville de Loudun, dont Macrin prétend qu’elle fut fondée par Jules
César. Voir P. Galand, « Jean Salmon Macrin compatriote de Jules César : pour l’amour
de ‘Iuliodunum’ », dans L’image de la ‘petite patrie’ provinciale chez les écrivains de la
Renaissance. Actes du colloque organisé à l’Université de Dijon, 15‑17 mars 2012, éd.
S. Laigneau-Fontaine, Genève, 2013, p. 309‑318.
35 Ed. Pappe. Je reprends la traduction versifiée de J. Pappe en la modifiant très légè-
rement au besoin.
je a n sa lmon m acr i n édit eur et lect eur de jérôm e v i da 325
BIBLIOGRAPHIE
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M acr in , Jean Salmon dit —, Epithalames et odes, éd. et trad. G. Soubeille,
Paris, 1998 (1ère éd. 1978).
je a n sa lmon m acr i n édit eur et lect eur de jérôm e v i da 329
331
332 les auteurs
Ancien élève de Jozef IJsewijn, M ichiel Verw eij (Oirschot, 1964) a défendu
en 1993 sa thèse de doctorat, consacrée à deux drames scolaires néolatins et
intitulée Het thema Tobias in het Neolatijnse schooltoneel in de Nederlanden
in de 16de eeuw. De Tobaeus van Cornelius Schonaeus (1569) en de Tobias
les auteur s 335
337
338 table des matières
Ludmilla Ev dokimova
L’art de la parole et la gradation des
styles dans les poèmes lyriques de Des-
champs . . . . . . . . 219
Michiel Verweij La comédie scolaire néo-latine ou com-
ment écrire des textes classiques sans
modèle théorique ? . . . . . 243
Aline S meesters Le Genethliacon Salonini et le Geneth-
liacon Lucani comme modèles prati-
ques (et théoriques ?) du poème géné-
thliaque néo-latin . . . . . 263
Virginie L eroux Théorie et pratique de l’élégie latine
au x v i e siècle . . . . . . 287
Perrine G ala nd Jean Salmon Macrin éditeur et lec-
teur de L’art poétique de Jérôme Vida
(1527) . . . . . . . . 311
L es auteurs . . . . . . . . . 331