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Sophie Pailloux-Riggi
Agrégée de Lettres modernes
Livret de l’enseignant
Avant-propos .................................................................................................... 3
Bibliographie .................................................................................................... 27
OBJECTIFS :
Étude de la nouvelle au XIXe siècle ; réalisme et naturalisme ; réflexion plus générale sur les
enjeux de la représentation du monde et de l’individu (objectivité ou stylisation) ; inscrip-
tion d’une esthétique complexe dans une histoire littéraire mais aussi sociale et culturelle.
PROBLÉMATIQUES :
Comment restituer la complexité du réel dans une forme brève ?
Comment concilier réussite littéraire et tableaux de la misère sociale ?
ORGANISATION :
Séances prévues pour une heure, possibilité de regrouper les séances 2 et 3, 4 et 5, et 7 et 8
pour des cours de deux heures.
o Séance 10 – Point de vue, voix, style : restituer les singularités d’un milieu
dans la langue
Objectifs : choix narratologiques et stylistique du réalisme : au rebours d’un reflet plat du réel.
Initiation aux questions de point de vue et aux effets de voix.
Support : « Lecture transversale 1 », questionnaire et documents.
Contenu : le réalisme tient moins aux choix thématiques, qu’à leur traitement esthétique, en
particulier au niveau de la narration et de la langue. Choix des points de vue, des types de dis-
cours (discours direct et indirect libre), langue « populaire ».
Débat en classe : réussite de ces procédés ? Empathie ou condescendance ? Y a-t-il une
éthique du réalisme littéraire (et cinématographique, photographique, etc.) ?
Pour la séance suivante : lire les documents, et répondre au questionnaire « l’œuvre en
débat ».
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1 Il est agent de change : le lien avec la bourgeoisie d’argent et une modernité capitaliste
est donc clairement établi. Il est caractérisé comme maniaque : ce collectionneur s’illusionne
sur la valeur de ses « curiosités », passionné jusqu’à la bêtise (voir la fin du passage).
2 Trois personnages sont en présence : un chasseur de curiosités, une cabaretière
raisonnable et plutôt compatissante (« voyant un homme fatigué », p. 16, l. 27), qui vend
néanmoins son écumoire, un paysan anonyme qui flaire la bonne affaire.
Interprétations
l
Un type de maniaque
3 Les trois temps sont :
– catégorisation du personnage principal, et définition de cette catégorie moderne (l’amateur
de hautes curiosités) au présent ;
– passage à l’imparfait d’habitude (évocation de la forme que prend la manie chez le person-
nage) et retour à la généralisation au présent ;
– enfin événement, qui vaut début de l’intrigue, avec dramatisation : « Un jour »… « d’habi-
tude ».
On glisse ainsi du plus général à l’anecdote significative et piquante.
4 Ces éléments sont : les illusions sur la valeur de ses trésors, l’accumulation d’objets
hétéroclites, la jouissance de la chasse au trésor, l’épuisement physique pour satisfaire sa pas-
sion.
l
Tel sera pris qui croyait prendre
5 Il s’agit d’un cabaret de campagne, modeste (voir la valeur péjorative des adjectifs). Des
paysans discutent procès et récoltes ; il y a donc un contraste fort entre le lieu et les rêves de
M. Bretoncel.
6 M. Bretoncel est convaincu de sa compétence pour reconnaître un objet d’art dont la
véritable valeur est ignorée par le paysan. Celui-ci identifie une proie facile à dépouiller.
l
Ironie et connivence
7 Un premier achat, révélateur des pulsions maniaques du personnage, est immédiatement
disqualifié par le narrateur, qui est la voix de la raison et de la vérité : la passoire se révèle d’un
médiocre intérêt, et la disposition de ses trous est ridicule. M. Bretoncel sera donc bel et bien
une dupe.
8 Cette obsession est portée par l’agitation de M. Bretoncel (étude des verbes), l’attache-
ment à des mots alimentant sa manie, la métaphore de la chasse. L’ensemble est déconstruit
et ironisé.
9 La métaphore filée de la chasse se renverse (le chasseur finalement attrapé) : duperie,
illusions, apparences et réalité. Héritage de la comédie morale : on fera saisir un type de
maniaque, et les réactions qu’il suscite.
Et vous ?
Lecture critique
On pourra suggérer que ce début donne parfaitement le ton de la nouvelle, et contient déjà
toutes ses potentialités – peut-être même trop, du fait de l’ironie voyante du narrateur et du
caractère mécanique de la duperie qui s’amorce.
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1 Miss Harriet : regard du peintre, puis regard double, enfin regard de Miss Harriet selon le
peintre. La Retraite de M. Bougran : M. Bougran lui-même.
2 On fera noter l’importance du vocabulaire subjectif : connotation des verbes, dimension
évaluative des adjectifs, métaphores… et surtout mise en place d’indices de focalisation. Ces
éléments suggèrent que l’on voit avec les personnages (verbes de vision, moments de con-
templation, pause dans le récit).
Interprétations
l
Miss Harriet : le paysage d’une âme
3 La description du paysage est structurée en quatre temps :
– évocation générale d’une soirée magnifique (« un de ces soirs de bien-être où la chair et l’e-
sprit sont heureux », présent de vérité générale, p. 44-45, l. 335-336) ;
– retour progressif sur la singularité de ce moment (passé simple) ;
– suspension dans l’évocation mêlée du paysage et des émotions de l’Anglaise (imparfait) ;
– scène du coucher de soleil, réaction émue de Miss Harriet, prise sur le vif, comme un cro-
quis, par le peintre.
4 L’émotion est rendue par le jeu des temps : suspension et choc face au paysage ; rythme
des phrases et accumulation des adjectifs et autres expansions du nom ; importance du vocab-
ulaire de la sensation et de la sensualité.
5 La sensualité est ici fortement érotique : notez le choix délibérément ambigu des termes.
C’est un pastiche romantique.
l
La Retraite de M. Bougran : le jardin dénaturé
6 Notez la progression des termes, de la tenue (du propre à l’apprêté) à la perversion (du
mot torture, p. 88, l. 260 à assassiner, p. 89, l. 276) ; relevez les formes verbales en particulier :
une dynamique contrariée. Insistance et précision dans l’accumulation des termes. L’analogie
entre nature et société s’appuie sur la métaphore filée : montrez le renversement, d’abord
c’est la torture humaine qui permet de rendre compte d’un rapport perverti à la nature, puis
ce rapport perverti à la nature devient le signe même d’une modernité perverse, dont l’admi-
nistration est une variante.
7 Sous le regard de M. Bougran se dévoile une nature torturée. Vient ensuite l’explicitation
assumée par le narrateur, qui se distingue radicalement de son personnage. Celui-ci reste à la
surface de la réalité, constatant la perversion du réel, sans l’interpréter pour son propre
compte.
l
Analogies, symboles et significations
8 Non, Maupassant exprime une exaltation intime, reflétée et comme amplifiée par le pay-
sage, ce qui souligne le sentimentalisme excessif de Miss Harriet. Chez Huysmans, la descrip-
tion rend compte d’une modernité pervertissant la nature, comme le langage et les relations
humaines, qui a donc une portée plus large, polémique et presque anthropologique, sans dire
grand-chose sur M. Bougran.
9 Révélation sur l’intériorité de Miss Harriet et effet de contraste entre le peintre et la
vieille fille, qui noue le drame (passion/rire). Révélation sur le fonctionnement du monde
moderne et annonce de l’issue des tortures de M. Bougran : la mort.
Et vous ?
Lecture critique
Valorisez les lectures ironiques ou délibérément emphatiques (pastiche du romantisme) pour
Maupassant, et les lecteurs sérieuses, inquiètes, pour Huysmans.
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1 Ce personnage instille une possibilité du chantage et fait redoubler la rivalité au sein de la
maison.
2 Mme Henriette et Rosalie meurent ; Suzanne est promue, un nouveau personnage, la
vachère, arrive ; Simonat se remarie. Ainsi, le double trio bourgeois (avec rôle supplémentaire
de P. Mabru) se reconstitue : Monsieur, Madame, la servante-maîtresse (et la jeune servante).
Interprétations
l
Finir à toute allure
3 Chantage de Suzanne, situation bloquée, puis succession de dénouements : mort de
Rosalie, remariage, prospérité de Suzanne, suspension du récit.
4 Dialogue au discours direct, puis série de passés simples, puis de passés composés : on se
rapproche du présent (occasion de rappeler les valeurs respectives de ces temps). Accélération
du temps jusqu’à la conjonction avec le présent.
l
La forme d’une vie
5 Suzanne se caractérise par une habileté du ton et de la méthode dans l’affichage du
respect de la hiérarchie, une rhétorique simple et efficace (vous/moi/nous). Cette caractérisa-
tion devient très positive en fin de narration.
6 Il s’agit d’un psycho-récit : le narrateur semble entrer dans les pensées de Suzanne, et ne
porte plus de jugement extérieur sur ses actes.
7 L’ironie tragique est une notion issue de la réflexion sur le théâtre (exemple canonique :
Œdipe roi de Sophocle), c’est l’effet produit par un écart déconcertant entre les discours et la
réalité, ce que croit savoir un personnage et son destin en marche. Ici, l’ironie tragique tient au
caractère très mécanique du déroulement des vies rapidement racontées : on note la répéti-
tion du même et l’emboîtement des situations à l’issue prévisible ; c’est justement ce qui a
permis la réussite sociale de Rosalie, ainsi que ses qualités humaines, qui font d’elle un indi-
vidu singulier, qui causeront sa perte (le dévouement à la famille), et elle sera remplacée par
son double (Suzanne la servante habile). Mais la tonalité du récit n’est pas tragique : on note
un effet de détachement, dans l’accélération du récit de la mort de Rosalie et les diverses péri-
péties de la vie familiale. Rosalie est très vite oubliée par les Simonat, et le texte évite tout
pathétique à son sujet (l’individu disparaît dans la catégorie des « servantes », comme le titre
pouvait dès le début le suggérer).
l
Structures complexes et effets de bouclage ironiques
8 Une recherche généralisée du profit caractérise les épouses et maîtresses (tous les per-
sonnages veulent « devenir » ou arriver). Toutefois, Suzanne se distingue par une lucidité plus
grande et sans doute également une perversité suggérée de tous (voir les ennuis de sa maî-
tresse).
9 Les relations humaines sont guidées par l’amour de soi, les calculs et les stratégies : un
véritable « jeu » où il ne faut pas commettre de « fautes ».
10 Le lecteur est confronté à une sorte de relativisme moral qui enregistre un certain type de
fonctionnement social et à la victoire du plus cynique.
Retour au texte
1 Il s’agit d’une scène d’exécution, au petit matin : la foule attend, en présence des gen-
darmes. Le corbillard part et les protagonistes se réunissent au café.
2 L’exécution proprement dite fait l’objet d’une ellipse : quelques images brutes se succè-
dent, sans évocation narrative de la mort du condamné.
Interprétations
l
Le choc des images
3 Le passage est écrit au présent : pas de succession des moments, mais juxtaposition d’in-
stants, de choses vues, perte de la cohérence chronologique, qui donne le sentiment d’un
déroulement dépourvu de nécessité, voire absurde.
4 Les adjectifs restituent des sensations de cruauté, d’étrangeté, de maigreur, de malaise et
de maladie : cette scène se place aux confins du fantastique. Les nombreuses notations de
couleur esquissent un croquis malsain.
5 L’ambiance de cette scène est morbide et frôle la folie. Les signes de mort contrastent
avec une vie « ricanante ».
l
Le refus de l’analyse
6 Les plans rapides sur des objets, les notations de couleur aboutissent à une série
d’éblouissements vagues : il n’y a pas de panorama, ni de récit séquentiel.
7 Juxtaposition et vitesse sont les maîtres mots. On notera l’importance des quelques
adverbes qui suggèrent le déroulement non marqué du temps.
8 Les personnages sont tous anonymes et font preuve d’une relative passivité. Ils sont spec-
tateurs de la scène plutôt qu’acteurs.
l
Fantasme, complaisance ou regard critique ?
9 Le narrateur efface toute trace d’investissement subjectif. Il n’est pas le condamné lui-
même, comme chez Victor Hugo. Sa vision extérieure est à la fois éloignée et capable de gros
plan.
10 Le dessin montre des dégradés de noir, qui servent la vision plutôt que la chose vue.
Toutefois, la tête coupée prédomine. Cette insistance sur l’individu (yeux, cri) est absente chez
Schwob, qui met l’accent sur une atmosphère, un paysage décrit par touches.
Et vous ?
Expression écrite
Le pamphlet peut prendre diverses formes. On peut attendre soit une évocation linéaire d’une
exécution : le petit matin (et les connotations négatives attachées à une aube mortelle), l’agi-
tation des fonctionnaires, les angoisses du condamné, l’attente obscène de la foule, la décapi-
tation elle-même, l’évacuation du cadavre. Dans ce cas, il s’agirait d’une réécriture « mar-
quée » du texte de Schwob, avec un jugement négatif explicite sur l’exécution et ses
modalités.
Sinon, on peut attendre un texte qui se concentre sur les enjeux de l’exécution, qui soit moins
narratif que démonstratif : violence du geste de l’exécution, horreur du spectacle, terreur du
condamné, un meurtre légitime.
N.-B. : il ne s’agit pas nécessairement de proposer un pamphlet anti-peine de mort, pour les
élèves, mais de réfléchir sur les ressorts d’une écriture polémique, et sur la possibilité d’évo-
quer l’extrême violence).
Interprétations
l
Enregistrer le réel ?
3 L’appareil photographie (doc. I), la tour Eiffel, les cordes et le seau de peinture visibles
(doc. II), l’orgue de Barbarie (doc. III) et les volets asymétriques en arrière-plan, les tonneaux,
l’échelle, le sol en terre battue, les tenues (doc. IV), tous ces éléments ancrent la scène dans
le réel.
4 Ces documents témoignent de la réflexion sur le geste même de photographier : saisie du
symbole architectural de la modernité ; petit métier en voie de disparition ; immuabilité du
monde rural.
l
Mises en scènes
5 Effets de cadrage et jeux d’ombres et de lumière (choix délibéré de la géométrie ; costume
blanc en contraste et lumière sur le visage…) suggèrent la distance par rapport au sujet.
6 Plusieurs aspects techniques rendent compte de la volonté de dépasser la simple archive
photographique : posture des figures, souci de l’arrière-plan, effets de naturel (asymétrie) et
composition (verticalité des lignes), jeux d’ombres/lumière.
l
Interroger le rapport à la parole et à l’écriture
7 Les autoportraits sont fréquents. Ici, on constate une mise en rapport du théâtre, dans sa
dimension la plus incarnée (pantomime) et de la photographie : succession des arts visuels
dans une histoire orientée, progressiste, de la modernité ?
8 Cette photographie révèle un paradoxe : d’un côté, la fixité, la rigidité de la pose ; de
l’autre, l’essentiel, qui reste à venir (geste même du photographe, tirage de l’épreuve) : dans la
coexistence de l’objet moderne et de la figure fascinante, inépuisable du Pierrot blanc, qui
concentre toute la lumière (plis, etc.).
9 Image pure, dynamique ; musique inaudible et en voie d’extinction ; regards muets. La
photographie ne prétend pas se substituer aux arts de la parole, mais propose un regard
aiguisé sur le monde.
Et vous ?
Expression écrite
Plan possible : apparemment, se contenter d’un reflet du réel ? Aspect documentaire des pho-
tographies : enregistrer le réel, témoigner de la modernité (photographie, tour Eiffel) et d’un
passé qui est peut-être en train de s’éloigner (petits métiers).
En réalité, accentuer effets de contraste, possibilité de mise en scène, de cadrage : les photo-
graphies témoignent surtout du regard qui est posé sur les gens et sur la modernité : contraste
noir/blanc qui accentue l’écart entre le costume de Pierrot et l’appareil photo ; choix du
Interprétations
l
Les classes populaires ont aussi leurs drames
3 Les personnages doivent affronter toutes les formes de misère : économique, sentimen-
tale, existentielle… et en particulier, une expérience de la mort et de la perte.
4 En matière d’amour, Suzanne est une exception, qui joue sa partie avec habileté. Pour les
autres personnages féminins, on relève : une fidélité suggérée à sa famille (la femme du chô-
meur) ; un profond désespoir (Rosalie Prudent) ; une mort par dévouement (Rosalie, dans
Les Servantes) ; un suicide (Harriet la sentimentale) ; une indifférence placide (mère Nicolas).
5 La mort révèle un caractère. C’est le point d’aboutissement d’un drame.
l
À la recherche des voix du peuple
6 Une voix « populaire » contient des inflexions marquées : accentuations, élisions, toutes
déformations des mots ; syntaxe et lexique ; langage simple et resserré sur l’essentiel.
7 La variation des points de vue permet une vision totalisante de la situation. Elle rend
compte du caractère émouvant de la solidarité et de la solitude qui subsistent pourtant dans
la misère. On distingue une gradation dans le pathétique (patron ruiné, ouvrier, femme,
enfant), une voix de plus en plus naïve, simple, allant aux questions les plus essentielles.
8 La dimension pittoresque (regard posé de l’extérieur sur l’autre, pensé comme différent)
de la langue « populaire » s’oppose à la tentative de comprendre l’autre, dans sa diversité,
d’atteindre un universel humain dans le peuple. Exemples : le pittoresque du paysan roué chez
Champfleury et de la paysanne impassible de Banville ; du côté de l’authenticité, malgré
l’aspect lisse des ouvriers exemplaires de Zola, véritables martyrs de la société industrielle ;
idem chez Maupassant (Rosalie Prudent, mais moins chez les personnages secondaires de Miss
Harriet, Mme Lecacheur est caricaturale) ; voix non caractérisée de l’aide-bourreau.
l
Quel regard sur le peuple ?
9 Le sentiment de découvrir un autre monde vaut principalement pour Rosalie Prudent, Miss
Harriet et Le Père Nicolas. Les drames universaux (jalousie, ambition, détresse amoureuse,
deuils) trouvent ici une formulation plus singulière, liée à la situation sociale difficile des pro-
tagonistes. On assiste ici à l’invention d’une forme d’exemplarité qui n’est pas l’apanage des
classes dominantes, ni associée à un idéal social et économique. Mais cette invention est mise
en œuvre avec une certaine ambiguïté : le critère de vérité est associé à la séduction malsaine
d’un exotisme (faire des pauvres l’incarnation d’une altérité radicale, voir en eux la trace d’un
universel ancien qui s’est dissipé dans les couches sociales supérieures).
10 Brunetière reproche au naturalisme français d’exploiter la misère réelle avec, en réalité, la
plus grande indifférence ; de faire du pittoresque avec de la souffrance humaine, au contraire ;
de mépriser son objet.
Un débat éthique possible : quel regard sur les figures du petit peuple dans ces nouvelles ?
Dimension plus ou moins caricaturale (paysan de Champfleury ; personnages de Maupassant ;
parfois étrangeté indécidable chez Banville ; abstraction gênante de l’ouvrier qui ne boit pas et
de la femme dévouée chez Zola, trop mélodramatique peut-être ; figure de la servante trop
habile chez Maupassant…).
Interprétations
l
« Tranches de vie »
3 Dans les deux nouvelles de Maupassant, ce sont les protagonistes eux-mêmes qui évo-
quent un moment fort de leur vie. Leur prise de parole est dramatisée au début de la nouvelle.
Dans Miss Harriet, le contexte est précisément évoqué : un voyage (loin des circonstances
habituelles de la vie en société), des compagnons de voyage engourdis, et la longue confidence
de Léon Chenal répond à la sollicitation d’une femme : « dites-nous quelque chose pour nous
faire rire » (p. 34, l. 39). Dans Rosalie Prudent, on a également une mise en place méthodique
du contexte : résumé efficace de l’affaire, insistance sur un mystère, évocation des person-
nages concernés, contexte du procès, puis soudain rupture : « Alors elle se décida » (p. 60,
l. 40), qui annonce la déposition saisissante de Rosalie. Le discours direct permet une singula-
risation et une caractérisation forte (émotions, positions, etc.) des personnages, encore accen-
tuée par l’effet de discordance avec le cadrage du début de la nouvelle (du « rire » attendu aux
larmes, face à cette histoire d’amour terrible dans Miss Harriet ; de l’horreur du crime à l’ac-
quittement, dans Rosalie Prudent : l’individu déborde largement les stéréotypes habituels, chez
Maupassant). Dans les autres nouvelles, la prise de parole permet de représenter la réalité du
point de vue du personnage (obsession de M. Bretoncel, la mère Nicolas, M. Bougran) ou de
montrer son habileté (le paysan chez Champfleury, Les Servantes), sauf chez Schwob, où les
discours rapportés à la fin de la nouvelle ne dissipent pas l’impression de mystère.
4 Lien avec le document ; anecdote illustrant un fait social (collectionneur manique) ;
reportage généralisé (Zola) ; confidence ou déposition (Maupassant) ; ancrage dans une réalité
bien définie (Banville, Huysmans) ; éléments d’ancrage réels (lieux, faits… chez Schwob).
l
Des héros de la banalité
5 Toutes les nouvelles rapportent des scènes prises dans le mouvement du quotidien, met-
tant en scène des lieux et des personnages ordinaires. C’est la manière dont les événements
sont vécus, qui fait sens dans les récits.
6 Les personnages ne sont pas exceptionnels, au statut supérieur ou aux qualités particuliè-
rement remarquables : ce sont des figures ordinaires. Mais cela n’enlève rien à l’intensité des
drames vécus, au contraire.
l
Des procès-verbaux recomposés
7 Les procédés qui dramatisent l’action sont les suivants : attente des révélations, dans la
scène de procès ; suspens de la narration et annonce d’un drame à venir par celui qui l’a vécu,
dans Miss Harriet ; série des désillusions et progressivité de la déchéance, encore scandée par
les avertissements de la bonne, dans La Retraite ; formes de la répétition dans Les Trouvailles de
M. Bretoncel. Convention tragique : dans la structure ; dans l’exposition ; dans le dénouement ;
dans l’impuissance des personnages face à leur destinée. Textes très abstraits, qui trouvent là
une forme d’incarnation compensatoire.
Travaux d’écriture/
o Dissertation
Analyse du sujet :
Importance des termes « drame », « se poursuit » et « se dénoue », et « silence ».
Image sous-jacente du drame au sens théâtral du terme : idée d’une crise et de son dénoue-
ment.
Paradoxe : image du théâtre implique la parole ; or ici Mauriac parle du silence.
Donc, deux grandes problématiques possibles, selon le degré d’approfondissement de l’ana-
lyse du sujet :
– si les drames humains sont silencieux, peut-on les dire, de quelque manière que ce soit ?
Est-ce trahir une forme de réalité de la vie que de faire passer ces drames du silence à l’expres-
sion ?
– ou bien : justement, contrairement au théâtre, le roman a les moyens de représenter ce qui
reste silencieux : ce qui se passe dans la conscience des personnages, ce qui est exprimé par
des attitudes muettes… il peut suggérer sans forcément restituer une parole prononcée, et
même suggérer sans dire explicitement. On pourra ainsi montrer que le roman, ou le récit
narratif en général, est le moyen privilégié pour saisir les drames silencieux.
Plans possibles :
I. L’objet même du roman est de saisir le drame de la vie, dans le temps, jusqu’à son
terme
1. Le roman et les moments de crise : des moments essentiels (rencontres, découvertes, pas-
sions, trahisons…)
2. Le roman permet de saisir la crise avant même qu’elle surgisse (effets d’annonce : ex.
Maupassant)
3. Le roman a le temps : il suit le personnage jusqu’au dénouement, le plus souvent la mort
(ex : Miss Harriet, La Retraite de M. Bougran, ou les romans connus par les élèves)
II. La forme romanesque est une mise en ordre ou une mise en évidence, qui met au jour
les drames
1. Le drame intime ou silencieux est replacé dans un cadre collectif, social qui lui donne une
nouvelle portée (éducation et déception de Jeanne ; drame d’Harriet sous l’œil des paysans et
du peintre)
2. Le narrateur peut expliquer, commenter le drame humain (Mme de Lafayette, Flaubert…)
3. Le roman révèle des drames possibles, abolissant les séparations entre les êtres (toutes les
nouvelles du recueil : accéder à l’autre, révéler ses drames)
III. La singularité de l’écriture romanesque est justement de pouvoir saisir l’intériorité
d’autrui, à travers le personnage
1. Voir avec le personnage : le connaître en silence (La Retraite de M. Bougran et Miss Harriet)
2. Entrer dans la conscience du personnage : suivre ses pensées, ses émotions (Madame
Bovary)
3. Même la parole, les discours explicites peuvent laisser du mystère et du silence, qui don-
nent l’impression de la vie même (ex de Rosalie Prudent ; de Lol V Stein)
o Écriture d’invention
On pourra relire les textes de Maupassant et de Husymans, ainsi que le texte de Flaubert.