Vous êtes sur la page 1sur 6

INTRODUCTION

Explorer l'espace et le temps dans une œuvre romanesque, c'est essayer de comprendre
celle-ci dans l'interstice qu'autorise une analyse textuelle. Bien plus, c'est lui construire un
sens à partir de ces deux structures qui relèvent de la poétique. En effet, un texte littéraire est
une combinatoire de signes, c'est-à-dire un ensemble de relations des éléments d'un tout, et
une analyse structurale "croit que la partie ne peut se comprendre qu'une fois mise en relation
avec le tout dont elle fait partie". Aussi avons-nous, eu égard à ces postulats, intitulé notre
propos "L'espace et le temps romanesques : deux paramètres poétiques de lisibilité de l'échec
de la quête de l’amour et de la modernité dans l’œuvre « pour le bonheur des miens » de
l’écrivain Etty Macaire. L'objectif ici recherché est de mettre en exergue la fonctionnalité de
ces deux structures heuristiques, de montrer qu'elles sont un "opérateur de lisibilité. L'espace
et le temps sont par conséquent porteurs de sens. Il s'agit, dans une certaine mesure, de
renforcer le lien entre poétique littéraire et préoccupation thématique. Nous entendons étudier
l'armature du récit, scruter les signes qui font référence à la présentation de l'espace et du
temps. Plus exactement, nous procéderons à une étude des langages spatiaux et temporels
selon les deux dimensions du signifiant et du signifié, afin de faire ressortir la contrepartie
poétique de la thématique autour de laquelle s'articule l'œuvre de l’auteur.

QUI EST L’AUTEUR ?

Macaire Etty est critique littéraire. Il est un écrivain et enseignant ivoirien né le 5 juillet
1967 à Bocanda. Professeur certifié de lettres modernes et diplômé de l'École normale
supérieure, il a enseigné pendant plus de 20 ans avant d'être promu Inspecteur en chef. Il
anime par ailleurs, depuis plusieurs années des chroniques littéraires dans des quotidiens
ivoiriens et collabore avec des maisons d’édition qui sollicitent son expertise. Il est depuis le
02 Avril 2016, le président de l’Association des Écrivains de Côte d’Ivoire. (AECI) Pour le
bonheur des miens est son 3ème roman. Il a aussi écrit :
• La dignité écorchée.
• Autopsie de la société ivoirienne Tome 1.
• Le chant du Korafola.
• Mes saintes colères.
I. DEFINITIONS

❖ L’ESPACE : L'espace narratif se conçoit comme un volume plus ou moins vaste et plus
ou moins délimité où se situent les objets de l'univers du récit. L’espace littéraire est
donc présenté comme un espace événementiel dont la double fonction est d'animer la
Lettre, et de donner sens à la Vie.
Un roman peut présenter un espace ouvert et des lieux diversifiés ou bien un espace
restreint et un lieu unique. L’espace donne un sens au roman. On cherchera à définir la
fonction des différents lieux dans le roman en établissant par exemple un réseau
d’oppositions.
Les choix effectués par un auteur peuvent offrir de nombreux aspects symboliques. Un
lieu, par exemple, peut symboliser l’enfermement ; une période comme la nuit peut
signifier l’angoisse; une saison la tristesse ou le bonheur. Cette période, cette saison
peuvent refléter l’état d’esprit du héros.

❖ LE TEMPS : Le temps de narration est le temps principal d'un récit en français : passé
simple, passé composé ou présent. Il est employé pour les évènements considérés
comme principaux, qui constituent la trame de l'histoire et y apparaissent dans l'ordre
selon lequel ils se sont réellement produits. Le temps. L'étude du temps dans un
roman permet d'évaluer la durée des événements rapportés. Cette durée peut être brève
ou étendue. Une narration ne rapporte pas toujours les faits dans leur déroulement
chronologique. Un roman peut s’inscrire de façon très précise dans une époque, comme
presque tous les romans historiques ; ou bien accorder au contexte historique une place
secondaire (c’est le cas, par exemple, de certains romans psychologiques).Étudier le
temps dans un roman conduit à évaluer la durée des événements rapportés. Cette durée
peut être brève ou au contraire étendue. Une narration ne rapporte pas toujours les faits
dans leur déroulement chronologique. L’ordre de succession des événements peut
s’interrompre pour laisser place à un « retour en arrière ».
Lorsqu’une période de temps n’est pas racontée, on dit qu’il y a ellipse dans le récit.
L’ellipse met en valeur le fait qui la suit en attirant l’attention du lecteur. La temporalité
dans le roman dépend également de la vitesse du récit. Il est important de mettre en
relation la durée de la fiction et la longueur de la narration. Une longue période peut
être racontée en quelques mots. Au contraire, une rencontre de quelques minutes peut
donner lieu à une narration de plusieurs pages. Ces variations suggèrent une hiérarchie
dans les faits et donnent au roman son rythme propre.
Le rythme du récit dépend enfin du mode adopté pour raconter :
• soit plusieurs événements diffus et dispersés dans le temps sont envisagés et
rassemblés dans la narration. On a un résumé.
• soit une action ponctuelle est rapportée comme si elle se déroulait « en temps
réel ». On a alors une scène.
Dans le roman, résumé et scène alternent en général.
II. L’ESPACE DANS L’ŒUVRE « POUR LE BONHEUR DES MIENS »
L’espace romanesque est l’univers imaginaire, fictif où évoluent les personnages. Le
romancier peut décrire ces espaces fictifs pour ancrer le récit dans le réel et donner l’illusion
du réel. Exemple : Gbagbokaha dans Pour le bonheur des miens de Macaire Etty.
‘’Pour le bonheur des miens’’ de Macaire Etty raconte l’histoire d’une jeune fille, cette
histoire commence à Boignikro, où Toto Ama Fleury vit avec ses parents et son frère dans une
indigence qui pourrait attirer la compassion de n’importe quelle personne. Koula son frère
aîné est infirme. En dépit de ce tourbillon d’épreuves, elle obtient son BAC et est orientée
dans la capitale du pays en philosophie. Son père illégalement forcé à aller à la retraite, se
retrouve dans l’incapacité à faire face aux charges de ses besoins pour pouvoir poursuivre ses
études. Mais pour la soutenir moralement il lui dit : « Tu sais ma fille, tu n’as point besoin
d’être riche pour être heureuse. Quel que soit le métier que tu exerceras un jour, l’essentiel est
qu’il te permette de vivre décemment. » : (page 72). Elle n’a aucun appui d’un membre de sa
famille, aucun appui d’une autre personne. Elle dit à la page 70 du roman : « Cette fois-ci, je
bouchai les oreilles aux supplications de mon cœur pour écouter l’ordre de ma raison qui
penchait pour le réalisme et le pragmatisme ». Elle ne peut que compter sur elle-même.
L’histoire de Fleury est à l’image de celle vécue par de nombreuses autres filles qui pour pouvoir
subvenir à leur besoin ‘’vendent leur corps’’ pour de l’argent. L’auteur touche plusieurs points ;
l’hypocrisie, la dépravation des mœurs, la méchanceté.

Vivre dans des conditions difficiles ou misérables n’est certes pas facile mais la facilité est
une option que chaque jeune fille devrait bannir de son esprit. Il interpelle également sur des
valeurs que nous sommes en train de perdre : « l’humanité ». Les gens ne sont plus très
sensibles à la souffrance des autres, personne ne veut aider sans rien avoir en retour et la
méfiance s’installe de plus en plus.
Sur ces Vingt et Un chapitres courant sur 140 pages, Macaire Etty enseigne, conseille et met
face à des réalités qui font parties de notre quotidien. Chacun y reçoit sa part. les jeunes et
particulièrement les jeunes filles sont invitées à ne pas succomber à la facilité malgré les
difficultés, les enseignants à exercer leur métier avec loyauté et les cadres à ne pas user de
leur statut pour intimider les plus vulnérables.
III. LE TEMPS DANS L’ŒUVRE « POUR LE BONHEUR DES MIENS »
Le temps est une donnée complexe et à l'instar de l'espace dont il est par ailleurs solidaire,
il a une implication dans la construction d'un sens au texte. De manière générale, il désigne
une grandeur qui indique l'intervalle entre deux périodes ou encore entre le début et la fin
d'une œuvre. Le temps romanesque est malléable, réversible, raccourci. Mais les indicateurs
temporels permettent d’ancrer le récit dans le réel. C’est la manière dont les faits sont
racontés. C’est-à-dire la position que prend le narrateur à la troisième personne pour raconter
son histoire. Le narrateur est un être fictif qui se différencie de l’auteur, personne réelle qui a
écrit le livre. Pour analyser la position du narrateur, on se sert de la focalisation. Le narrateur
peut adopter trois positions dans le récit. Si le narrateur sait tout et voit tout de l’action et sa
position est supérieure à celle de ses personnages la focalisation est dite zéro. Si le narrateur a
la même vision, les mêmes sensations et les mêmes sentiments que son personnage, sa
position est égale à celle de son personnage, on parle de focalisation interne. Si le narrateur
est extérieur à l’action en position de témoin neutre, on parle de focalisation externe. L'auteur
présente ainsi les antagonismes des notions de « l'être et de l'avoir » développé par les
philosophes existentialistes, surtout de Gabriel Marcel. L'idéal serait pour Fleury, de ne
souiller son âme mais la réalité est qu'elle a besoin de ressources pour aider ses parents et
continuer ses études. La tonalité d'un texte est une façon particulière de raconter un
événement. En employant différents procédés d'écriture et en mettant en valeur certains
thèmes, il est possible de provoquer chez le lecteur ou le spectateur diverses émotions : le rire,
la tristesse, l'angoisse, la terreur. Macaire a réussi à provoquer tant d’émotion en le lisant et
quand une œuvre a cet effet chez le lecteur, on peut dire sans ambages : j’aimé le livre.
L’auteur pose des problématiques existentielles très importantes : la réalisation sociale des
personnes issues des couches les plus défavorisées dans un environnement ultra et supra
capitaliste. Il invite à réfléchir sur l’idéal de réussite scolaire et professionnelle des personnes
de manière générale mais plus particulièrement les filles de familles modestes dans une
société phallocrate et vénale. Dans de pareilles situations, l’intelligence est-elle la seule
garantie de réussite ? L’exigence de la satisfaction de besoin de subsistance ne corrompt-elle
pas les valeurs.
À la page 39 cette phrase de Macaire Etty : « Oui, une fois encore, un homme a fait
pleurer une femme ». L’auteur donne raison aux mouvements féministes qui se battent pour
l’égalité des genres dans la société. Surtout, la condition de la femme fait la satire d’une
société hyper phallocrate. Il indexe des hommes qui ne sont que des prédateurs sexuels. La
charité, l’aide inconditionnelle sont presqu’inexistantes chez ce genre. Ils ne pensent qu’à
profiter de la faiblesse de la situation sociale de pauvres de filles, élèves, étudiantes pour en
abuser, leur faire du chantage. Ces vices déplorables donnent raison aux femmes, qui avec
force et énergie, font des hommes, l’objet de leur diabolisation. Cette diabolisation et ce
manque d’humanité se justifient dans ce combat féminin surtout quand elles sont violées et
infectées par le virus du VIH SIDA comme Fleury. Dans le récit de l’auteur, il précise que
fleury et plusieurs étudiantes ont été victimes de viol par les forces de l’ordre pour réprimer
des revendications d’étudiants. J’ai bien aimé ce passage dans le livre de l’auteur qui peint la
bestialité des hommes et la méchanceté voire l’inhumanité de nos gouvernants. Ils
n’améliorent pas le système éducatif et scolaire, envoient leurs enfants étudier à l’étranger,
alourdissent les frais de scolarité qui deviennent insupportables pour les pauvres et quand il y
a des revendications justes des étudiants pour dénoncer toutes ces injustices et défectuosités,
ils sont poursuivis, battus, emprisonnés, les étudiantes violées.
Toto Ama Fleury est la fille de Toto Kacou Roger (un vigile) et d’une blanchisseuse dont
le nom n’est pas donné. Elle a un frère aîné nommé Koula. Fleury est d’une famille pauvre
qui vivait à Boignikro. Pour être plus concret, référons-nous à cet extrait du chapitre 1, pages
7 et 8: « J’appartiens à l’une des familles les plus démunies de Boignikro. Mon père Toto
Kacou Roger, était vigile à l’hôpital général. Nous habitions(…) dans un bidonville dénommé
ironiquement Petit-Paris. Pour aider mon père à supporter le poids de ses charges, ma mère
s’était transformée en blanchisseuse. (…) Pour tout dire, nous vivions dans une indigence à
faire frémir le diable de compassion. (…) Koula, mon frère aîné, qui aurait pu soutenir la
famille s’était fait écraser les deux membres inférieurs alors qu’il avait voulu s’accrocher à un
énorme camion qui transportait l’équipe de football de Boignikro. »Fleury était donc d’une
origine à la condition sociale défavorable et vulnérable. Fleury est une jeune fille d’une très
grande beauté qui faisait tourner la tête à tous les hommes. C’est son amie Fany Clara qui lui
fait prendre conscience de cette beauté en ces termes au chapitre 1, page 13 : « Sans aucun
produit cosmétique ni dans les cheveux ni sur ton enveloppe corporelle, tu es une princesse.
Ta beauté est naturelle et n’attend qu’à être mise en valeur. » Il va sans dire que la nature a été
généreuse envers Fleury en la faisant ravissante.
Ce sera cette même Clara qui lui fera une coiffure éblouissante qui mettra en évidence
sa beauté et lui offrira des produits cosmétiques de luxe au chapitre 2, page 18 : « Sur-le-
champ(…) elle m’appliqua avec dextérité un défrisant dans les cheveux. De mes cheveux
maintenant défrisés, elle réussit à faire émerger une coiffure qui avant même son terme,
annonçait son originalité et sa réussite. Elle avait raison, j’étais très belle (...) Fany mit les
boîtes de produits de beauté dans mon sac à main, puis le reste dans un sachet noir. »
Comme on le constate, le sens de l’amitié de Clara permettra à Fleury de s’affirmer.
Cette nouvelle coiffure de Fleury lèvera le voile sur sa beauté car « En ville [elle] ne
[passait] plus inaperçue (…) Des hommes connus ou inconnus, se surpassèrent en ruse pour
[la] séduire. » (cf. page 23)
Fleury était donc devenue une reine de beauté, dans la ville de Boignikro, qui faisait
soupirer des hommes respectables.
CONCLUSION

Sur ces Vingt et Un chapitres courant sur 140 pages, Macaire Etty enseigne, conseille et
met face à des réalités qui font parties de notre quotidien. Chacun y reçoit sa part, les jeunes et
particulièrement les jeunes filles sont invités à ne pas succomber à la facilité malgré les
difficultés, les enseignants à exercer leur métier avec loyauté et les cadres à ne pas user de
leur statut pour intimider les plus vulnérables. Ce roman sera toujours d’actualité au vu de la
pertinence de ses thèmes sociaux-scolaires et de la persistance des maux qui sévissent dans
les écoles et universités. A preuve, notre héroïne était très brillante mais est passée dare-dare
dans le filet. Au-delà, plusieurs jeunes filles se laissent encore en ce 21ème siècle, dicter par
les compromissions, le suivisme, les effets de mode. Au-delà, tous sont coupables. Toutes les
parties intéressées pertinentes du système, depuis la demande jusqu’à l’offre d’éducation.

Vous aimerez peut-être aussi