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Avant-propos
1 - L’organisation textuelle
1. Le paragraphe
3. L’organisation du poème
3. L’identité du locuteur
4. L’identité du destinataire
2. Les déterminants
5. La phrase
2. Dénotation et connotation
3. L’invention
4. La disposition
5. L’élocution
6 - Exemples d’analyse stylistique
1. Baudelaire, « Le Flacon »
Bibliographie
2 édition
e
Bozzetto La Science-fiction
Claudon/Haddad-
Précis de littérature comparée
Wotling
Couprie Le Théâtre
Hugues L’Utopie
Miraux L’Autobiographie
La Littérature française du
Mitterand
xxe siècle
Prince Le Fantastique
Valette Le Roman
L’organisation textuelle
L’étude stylistique d’un texte commence par l’observation de sa
structure d’ensemble. Son articulation apparaît-elle d’emblée dans sa
disposition à l’intérieur de la page ? Le paragraphe dans le texte en prose
non théâtral, la réplique courte ou la tirade dans le discours dramatique,
la strophe dans le poème sont autant de procédés de segmentation qu’il
convient d’examiner en premier lieu.
1. Le paragraphe
Le paragraphe court
Le paragraphe long
Il donne une unité à des éléments divers. Chez Balzac par exemple, il
permet de lier le récit et son interprétation. Il peut être une marque de
lyrisme, comme chez Chateaubriand. Chez Zola, il va souvent de pair
avec la description d’un univers multiple :
Mme Desforges arrivait enfin au premier étage, lorsqu’une poussée,
plus rude que les autres, l’immobilisa un instant. Elle avait maintenant,
au-dessous d’elle, les rayons du rez-de-chaussée, ce peuple de clientes
épandu qu’elle venait de traverser. C’était un nouveau spectacle, un
océan de têtes vues en raccourci, cachant les corsages, grouillant dans
une agitation de fourmilière. Les pancartes blanches n’étaient plus que
des lignes minces, les piles de rubans s’écrasaient, le promontoire de
flanelle coupait la galerie d’un mur étroit ; tandis que les tapis et les
soies brodées, qui pavoisaient les balustrades, pendaient à ses pieds
ainsi que des bannières de procession, accrochées sous le jubé d’une
église. Au loin, elle apercevait des angles de galeries latérales, comme
du haut des charpentes d’un clocher on distingue des coins de rues
voisines, où remuent les taches noires des passants. Mais ce qui la
surprenait surtout, dans la fatigue de ses yeux aveuglés par le pêle-mêle
éclatant des couleurs, c’était, lorsqu’elle fermait les paupières, de sentir
davantage la foule, à son bruit sourd de marée montante et à la chaleur
humaine qu’elle exhalait. Une fine poussière s’élevait des planchers,
chargée de l’odeur de la femme, l’odeur de son linge et de sa nuque, des
ses jupes et de sa chevelure, une odeur pénétrante, envahissante, qui
semblait être l’encens de ce temple élevé au culte de son corps.
Zola,
La Peste, V.
Toutes les études sur le sujet insistent sur la difficulté de donner des
limites précises à la tirade et à la réplique. Quand on doit employer ces
termes dans une étude, il est donc prudent d’indiquer le sens qu’on leur
donne. Pierre Larthomas, dans Le Langage dramatique, insiste sur
l’observation du contexte discursif ou cotexte, ce terme étant plus
restrictif et plus précis que celui de contexte : « Telle réplique plus courte
paraîtra être une tirade, si elle est entourée de répliques très brèves ; une
autre, quoique plus longue, aura moins ce caractère, si, comme dans la
tragédie classique, elle répond à un long développement et en annonce un
autre non moins long. » Furetière, dans son dictionnaire (1690),
mentionne un autre élément important pour l’identification de la tirade,
en précisant « qu’on le dit particulièrement des beaux endroits de quelque
composition ».
La réplique longue sera donc sans hésitation appelée tirade : elle est
toujours en effet un discours très organisé afin d’être claire à l’auditoire
malgré ses dimensions. La réplique plus courte sera baptisée ou non
tirade selon le cotexte et sa structure.
Il faut être attentif au rattachement de la tirade aux autres répliques.
Dans le théâtre classique notamment, elle peut former une unité
relativement indépendante. Ainsi, lorsqu’elle a une fonction narrative –
cas fréquent puisqu’en raison de la règle des trois unités, seuls des récits
peuvent faire connaître au spectateur des événements antérieurs au début
de la pièce ou extérieurs à l’endroit où elle se déroule – souvent, au
mépris de la vraisemblance, ce récit de grande ampleur est nettement
détaché du contexte dramatique, par une phrase d’introduction :
J’ignore de quel crime on a pu me noircir :
De tous ceux que j’ai faits je vais vous éclaircir.
Racine,
Britannicus, IV, 2.
Mais parfois une longue tirade peut être « déguisée » (F. Tonge, L’Art
du dialogue dans les comédies en prose d’Alfred de Musset, Nizet, 1967),
en étant segmentée par une ou plusieurs brèves interventions d’un
interlocuteur, qui ne coupent pas néanmoins le fil logique de celle-là : le
long récit d’Agnès dans la scène 5 de l’acte II de L’École des femmes est
ponctué par un « fort bien » et deux apartés d’Arnolphe qui ont pour
unique fonction de souligner la progression chronologique et dramatique
de la narration tout en brisant la monotonie de la tirade.
La composition de la tirade doit également être dégagée. Son
architecture d’ensemble respecte la disposition* commune à la majorité
des discours rhétoriques. Dans la tirade narrative, la composition suit le
plus souvent la chronologie. Il y a souvent passage du temps de
l’énonciation* à celui du récit, et emploi du passé simple, si les
événements sont antérieurs au jour où est censée se dérouler l’action
dramatique (cf. p. 52) :
Mon mal vient de plus loin. À peine au fils d’Égée
Sous les lois de l’hymen je m’étais engagée,
Mon repos, mon bonheur semblait être affermi,
Athènes me montra mon superbe ennemi.
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue.
Racine,
Phèdre, I, 3.
Horace, I, 1.
Tartuffe, IV, 5.
3. L’organisation du poème
À ce vitrage d’ostensoir
Que frôle une harpe par l’Ange
Formée avec son vol du soir
Pour la délicate phalange
Du doigt que, sans le vieux santal
Ni le vieux livre, elle balance
Sur le plumage instrumental,
Musicienne du silence.
Mallarmé,
Poésies, « Sainte ».
→ Le poème est composé d’une seule phrase, qui s’articule selon les
strophes : dans la première, un syntagme* complément de lieu ; dans la
seconde, le groupe verbe-sujet ; dans la troisième, une reprise du
complément de lieu ; dans la quatrième, une relative et son antécédent.
Des symétries apparaissent, entre le premier et le deuxième quatrains,
construits sur le même schéma syntaxique, et entre les deux premiers et
les deux derniers quatrains (structure et thème semblables : À la fenêtre/À
ce vitrage ; répétition avec inversion de l’ordre adjectif-substantif de
santal vieux et livre vieux) qui montrent la substitution, à la sainte
liturgique patronne de la musique sacrée, d’une sainte patronne de la
musique idéale, celle de la poésie, domaine de l’ineffable (musicienne du
silence).
Quand la disposition strophique se fige pour aboutir à un poème à
forme fixe, comme le sonnet, il faut étudier comment le propos
s’organise dans ce cadre rigide et contraignant par sa petitesse (14 vers),
son équilibre (deux quatrains/deux tercets s’organisant sur un système
rimique différent) et son déséquilibre (la deuxième partie du poème est
plus courte que la première). La syntaxe peut épouser la strophe ou en
déborder, le niveau sémantique* cadrer ou non avec le niveau strophique.
Cette coïncidence de la pensée, avec le cadre formel dans lequel elle
s’exprime, ou cet effet de « trompe-l’œil » (A. Gendre) quand l’ordre
intérieur est brouillé dans un ordonnancement extérieur parfait, construit
le sens poétique :
Tout le parfait dont le ciel nous honore,
Tout l’imparfait qui naît dessous les cieux,
Tout ce qui paît nos esprits et nos yeux,
Et tout cela qui nos plaisirs dévore :
3. L’identité du locuteur
Auteur et narrateur
Narrateur et personnage
4. L’identité du destinataire
Le lecteur en tant que personne qui lit effectivement une œuvre ne doit
pas être confondu avec le destinataire désigné de celle-ci.
Le « lecteur virtuel »
Le « narrataire intradiégétique »
Dans un récit de fiction, le narrateur peut explicitement viser un
destinataire précis, interne à la diégèse, c’est-à-dire à l’histoire, au
contenu narratif, que G. Genette appelle le narrataire intradiégétique.
C’est le cas dans le roman épistolaire : dans les Lettres portugaises de
Guilleragues, le narrateur est une religieuse portugaise et ses lettres ne
prennent pas en compte le lecteur virtuel mais s’adressent à celui qui l’a
trahie. La Chute de Camus se présente comme le monologue d’un
narrateur je, Clamence, s’adressant à un interlocuteur muet qui se révèle
peu à peu être un double du narrateur :
Je vous reverrai demain, sans doute. Demain, oui, c’est cela. Non,
non, je ne puis rester.
Camus,
La Chute.
Antigone.
5.1 La focalisation
• Lorsque le narrateur en dit plus que n’en sait aucun des personnages,
on parle de narrateur omniscient et de récit non focalisé ou à focalisation
zéro :
Comme elle y était, le Prince de Clèves y arriva. Il fut tellement
surpris de sa beauté qu’il ne put cacher sa surprise, et Mlle de Chartres
ne put s’empêcher de rougir en voyant l’étonnement qu’elle lui avait
donné.
Madame de La Fayette,
La Princesse de Clèves.
Eugénie Grandet.
Focalisation et incipit
La Bête humaine.
→ Les article définis (cf. p. 58), l’appellation familière de la mère
Victoire, font pénétrer le lecteur dans l’univers supposé connu de
Roubaud, que son patronyme suffit à introduire dans le roman. Parce
qu’il épouse le point de vue de son personnage, le narrateur ne juge pas
utile de préciser davantage la topographie et les objets : le lecteur a ainsi
l’impression de prendre la diégèse* in medias res. Andrea Del Lungo
(« Pour une poétique de l’incipit », in Poétique n° 4) définit l’incipit in
medias res comme « tout incipit narratif qui réalise une entrée directe
dans l’histoire sans aucun élément informatif ou introductif explicite, et
qui produit un effet de dramatisation » immédiate. Les naturalistes, nous
le voyons ici, usent beaucoup de ces « incipits dynamiques ».
Dans Les Misérables, le jeu des focalisations permet à Hugo à
plusieurs reprises de différer l’identification ; d’un personnage déjà
connu. Ainsi Jean Valjean est décrit lors de sa première apparition par les
yeux des « rares habitants qui se trouvaient en ce moment à leurs
fenêtres » ; puis, quand il a changé d’identité, par un « on » qui renvoie à
tous ceux dans Montreuil-sur-Mer qui s’interrogent sur un homme
« étranger au département » répondant au nom de Madeleine ; puis par
Marius qui a remarqué « un homme vieux » aux « cheveux très blancs »,
surnommé par les étudiants du quartier M. Leblanc : chaque nouvelle
identité de Jean Valjean correspond à une nouvelle phase du roman.
Ce faux suspens – car plusieurs fois se retrouve une formule comme
« le lecteur a deviné sans doute ; » – rattache Les Misérables à
l’esthétique mélodramatique des romans-feuilletons de l’époque. Il
permet également d’isoler Jean Valjean dans son extériorité mystérieuse,
résultat de ses efforts incessants pour dissimuler sa véritable identité afin
d’échapper à Javert pour faire « une foule de bonnes actions en se
cachant comme on se cache pour les mauvaises » (Les Misérables, I, V,
3).
Le narrateur peut être soit absent soit présent dans l’histoire qu’il
raconte. G. Genette propose de distinguer les types de récits suivants :
– ou bien le narrateur est extérieur au récit, il est dit extradiégétique.
C’est le cas le plus fréquent dans les romans. Le récit se fait alors à la
troisième personne et le je n’intervient pas dans la diégèse*, comme dans
Le Rouge et le Noir de Stendhal. En conséquence, le lecteur a
l’impression d’être en contact direct avec la diégèse*, tandis que l’auteur,
en rendant le narrateur invisible, préserve l’apparence objective du récit
« comme si l’observateur était absolument indifférent » (Butor, Essais
sur le roman) ;
– ou bien le narrateur est intérieur au récit. Le je établit un lien entre
les événements racontés et le lecteur et se présente comme garant de
l’authenticité de ce qu’il raconte ; on parle de narrateur intradiégétique et
deux cas de figures se présentent alors. Si le narrateur raconte une
histoire dans laquelle il n’apparaît pas, on parle alors de narrateur
hétérodiégétique :
[…] j’ai fini par découvrir ce que je voulais, c’est-à-dire l’histoire de
ma mule et de ce fameux coup de pied gardé pendant sept ans. Le conte
en est joli quoique un peu naïf, et je vais essayer de vous le dire tel que
je l’ai lu hier matin […].
Daudet,
Tartuffe, IV, 5.
→ En stigmatisant les faux dévots dans sa pièce, Molière sait qu’il
s’aventure sur un terrain dangereux car « la fausse piété et la vraie ont je
ne sais combien d’actions qui leur sont communes » (Bourdaloue). Cette
didascalie est un témoignage écrit de ce qu’il ne dénonce ici que « les
friponneries couvertes de ces faux-monnayeurs en dévotion » (Molière,
Premier placet) : les directeurs de conscience malhonnêtes. Elle constitue
un « avertissement au lecteur ».
→ Le discours direct est très présent chez Hugo, car la langue parlée
par chacun rend son appartenance sociale et sa psychologie
immédiatement sensibles, comme ici : la « misère » se manifeste aussi
par la langue, en particulier par celle qui « clopine » (Hugo), l’argot.
Remarque : le texte dramatique est uniquement constitué d’une suite
de discours directs de personnages. La parole du dramaturge est
obligatoirement absente, sauf dans les didascalies*.
Madame Bovary, I, 9.
Thérèse Desqueyroux, I.
→ On ne sait si on est à l’intérieur de la pensée de Thérèse ou de celle
de son père, ou si le point de vue adopté est celui du narrateur qui aurait
une « toute-connaissance […] divine » (J.-P. Sartre, Situations, I) de
l’âme de ses personnages. La concordance par rapport aux temps de la
narration n’est pas observée, ce qui à la fois produit un effet de
dramatisation et rapproche la temporalité de l’énoncé du narrateur de
celle du discours des personnages.
• Les guillemets et l’italique peuvent, à l’intérieur d’un discours donné,
isoler des termes appartenant à un autre énonciateur ; ceux-ci sont ainsi
mis à distance par le locuteur en même temps que soulignés :
La capitaine Magnard patronisait les réservistes et les jeunes
aspirants avec une rondeur de comédie ; à coups de tapes sur l’épaule et
de brûle-gueule qu’il leur poussait familièrement sous le nez, il les
« mettait en confiance ».
Gracq,
Un balcon en forêt.
L’Assommoir, III.
→ Cohen va plus loin puisqu’il choisit une phrase sans clôture (toute
ponctuation, même finale en est absente), à la syntaxe relâchée – les
substantifs ne sont pas tous déterminés (scandale), le pronom
représentant les n’a pas de référent* – pour traduire la pensée « la plus
proche de l’inconscient » (E. Dujardin, op. cit.) de son héroïne. Mais il
faut néanmoins souligner les limites (le roman s’adresse à un lecteur,
donc il doit être compréhensible) et la convention (la pensée peut-elle se
verbaliser ?) d’un tel choix.
3
1. Le verbe
C’est le sens du verbe qui véhicule cet aspect : dans le cas d’un verbe
perfectif, le procès doit se prolonger jusqu’à son terme pour être
effectivement réalisé (naître, mourir, entrer, sortir) ; dans le cas d’un
verbe imperfectif, le procès est engagé dès son début et peut se prolonger
en théorie indéfiniment (vivre, travailler, pleurer).
Dans le labyrinthe.
Le présent
L’Enfant, I.
→ Alors que les procès au présent des deux premières phrases ont
pour agent le narrateur, ensuite la narration semble « le fait du
personnage » (Ph. Lejeune, op. cit.). Ainsi que le souligne Ph. Lejeune, à
cause de ce mélange des voix, L’Enfant tient à la fois du journal ou du
monologue contemporain des événements et du récit rétrospectif.
Moïra, I, 1.
L’imparfait qui ouvre cet incipit* fait pénétrer le lecteur dans une
action déjà commencée, in medias res*, mais « le terme du procès passé
est laissé totalement ignoré » (R. Martin). La succession des imparfaits
(se tenaient, observait, éprouvait), renforce l’effet d’attente produit par le
pronom anaphorique* ils, dépourvu de référent*. C’est le passé simple
(dit) qui introduit une rupture.
Contrairement à l’imparfait qui peut présenter des faits simultanés
comme dans le texte de Julien Green, le passé simple, parce qu’il évoque
un procès limité dans le temps, est apte à marquer la succession
chronologique :
Quand il les sentit dominés, bien à lui, il se campa d’aplomb, ploya le
genou et leva la bûche de bois avec lenteur.
Jules Renard,
Le Vigneron dans sa vigne, « L’homme fort ».
Un balcon en forêt.
Salammbô, VII.
Bouvard et Pécuchet, I.
L’Étranger, I, 1.
Le futur
2. Les déterminants
Les déterminants permettent d’actualiser le nom, le faisant passer de la
langue, tel qu’on le trouve dans un dictionnaire par exemple, dans le
discours, et de désigner un « objet » réel particulier auquel renvoie le
locuteur : le référent. Le système des déterminants est porteur d’un grand
nombre de valeurs référentielles.
→ Les substantifs, quand ils sont déterminés, le sont tous par un article
défini : les lieux (palais, camps d’ombre, bois) et les éléments rencontrés
par le poète dans son vagabondage (haleines, pierreries, ailes) sont
supposés connus alors qu’ils gardent leur mystère, ce qui contribue à
créer une atmosphère onirique et poétique. Ce poème peut en effet être
interprété à la fois comme le récit d’un rêve puisque la dernière phrase
est : « Au réveil il était midi », et comme celui d’une extase poétique.
L’article défini marque également la valeur générique des noms non
comptables (substantifs désignant la matière : le bronze) ou des noms
abstraits dits « compacts » (la chance), alors que l’article partitif
détermine des occurrences particulières (de la chance, du bronze). Tout
écart par rapport à cette norme traduit une perception originale du
monde. Dans la deuxième moitié du xixe siècle, les Goncourt et d’autres
romanciers (Flaubert, Zola, Huysmans, entre autres) transcrivent dans
leur style leur vision du monde, fortement marquée par la peinture
impressionniste : c’est ce qu’on a coutume d’appeler le style ou l’écriture
artiste. « La vision artiste […] dissocie, désintègre, éparpille les
ensembles en une multitude de touches ou de notations qui épuisent la
totalité des éléments d’une impression, mais rendent en même temps le
caractère fortuit et hétéroclite de leur rencontre » (H. Mitterand, Le
Regard et le Signe). C’est pourquoi l’article indéfini va servir à présenter
une vision fragmentée de ce qui est généralement saisi comme compact :
Il avait toujours sa jolie figure inquiétante de gueuse ; mais un certain
arrangement des cheveux, la coupe de la barbe, lui donnaient une
gravité.
Zola,
L’Œuvre, VII.
Phèdre, II, 1.
Sapho, VIII.
L’absence de déterminant
L’absence de déterminant, dans les cas où elle n’est pas imposée par
des contraintes de langue (comme après certaines prépositions), peut
constituer un choix stylistique :
– elle apparaît dans certaines phrases nominales*, notamment
descriptives, qui constituent des énoncés abrégés où toute l’attention est
centrée sur les réalités auxquelles réfèrent les substantifs. Comme le
remarque G. Guillaume (Langage et Science du langage, Nizet, 1964),
l’expressivité s’accroît de par la réduction de l’expression grammaticale :
Profond silence, hors le frôlement des cartes et quelques cris du roi
qui se fâchait.
Chateaubriand,
Madame Bovary, I, 6.
→ Ici se trouvent énumérés tous les poncifs qui traînaient dans les
romans populaires, « cette poussière » à laquelle Emma, adolescente, « se
graissa les mains » « dans les vieux cabinets de lecture » (ibid.), en
prenant pour des réalités ce qui n’est que virtuel : cette juxtaposition
d’éléments hétéroclites, tous visant à faire « pleurer Margot », est une
marque de l’ironie* de Flaubert vis-à-vis des rêves de son héroïne.
Remarque : le nom propre, parce qu’il s’autodétermine, présente le
personnage qu’il désigne comme déjà identifié. Un personnage ainsi
désigné pour la première fois est alors posé comme déjà connu, voire
intimement connu dans le cas où le personnage est désigné par son seul
prénom. Ce parti pris narratif donne l’impression au lecteur qu’il entre
dans un univers fictionnel déjà constitué et qu’il y a rétention
d’informations de la part du narrateur :
À peine âgé de vingt ans, Octave venait de sortir de l’école
polytechnique.
Stendhal,
Armance, I.
Tartuffe, III.
Lettres.
Dominique, IV.
Le Misanthrope, V, 1.
La Cathédrale.
4.1 Tu/vous
Andromaque, V, 3.
4.2 On
Le discours ironique use aussi du pronom indéfini qui permet une mise
à distance (cf. p. 42) :
Je vois que votre cœur m’applaudit en secret ;
Je vois que l’on m’écoute avec moins de regret
Racine,
Bérénice, I, 4.
Le Misanthrope, IV, 3.
Madame Bovary, I, 4.
5. La phrase
→ Dans ce poème qui repose tout entier sur un effet de suspens quant
à la nature du rendez-vous du poète et à l’identité du destinataire (cf.
p. 24) du discours, les compléments circonstanciels de temps détachés en
tête de phrase font attendre l’information essentielle ou prédicat que
constitue le procès, mis encore en relief par son rejet dans le vers suivant.
De plus, la place canonique du sujet étant en tête de phrase, cette
position ne constitue pas une mise en relief. Pour isoler d’une façon
expressive un constituant syntaxique et lui donner une fonction
prédicative*, on recourt donc aux trois moyens formels suivants :
– la dislocation de la phrase, par laquelle le constituant est détaché en
tête ou en fin de phrase, séparé par une forte pause, et repris ou annoncé
par un pronom :
La mère fait du tricot
Le fils fait la guerre
Elle trouve ça tout naturel la mère
Et le père qu’est-ce qu’il fait le père ?
Prévert,
Paroles, « Familiale ».
Dominique, X.
Atala, Prologue.
Sylvie, « Adrienne ».
L’Espoir, III, 3.
Madame Bovary, I, 9.
La période
2.1 Dénotation
Dominique, X.
Hyperonymie et hyponymie
Polysémie
2.2 Connotation
Tartuffe, IV, 5.
1. De l’art de l’éloquence
à la construction du texte littéraire
1.1 Historique
La rhétorique est née au ve siècle avant J.-C. en Sicile de la nécessité
dans laquelle se trouvaient les citoyens syracusains de plaider pour
récupérer les biens dont ils avaient été spoliés par les tyrans. La
rhétorique étudie donc les procédés de langage non pour eux-mêmes
mais en tant qu’ils permettent d’atteindre un objectif. Elle enseigne aussi
bien à réfuter qu’à démontrer et est indifférente à la morale : elle se
présente comme une parole avant tout efficace, jouant sur les tendances,
les désirs, les émotions du destinataire.
Du domaine judiciaire – ce que les Anciens appelaient le genre
judiciaire –, visant après un temps d’accusation puis de défense à obtenir
d’une tierce personne un jugement, elle passe dans le domaine politique
(genre délibératif) où par la persuasion ou la dissuasion, elle cherche à
entraîner l’auditoire à une certaine forme d’action. Puis elle se développe
dans les discours d’apparat (genre démonstratif ou épidictique), qui
reposent sur l’éloge ou le blâme.
Progressivement la rhétorique devient une fin en soi et à l’âge
classique le théoricien La Mesnardière écrit dans sa Poëtique (1640) :
« L’Art de bien parler, qu’ils appellent la Rhétorique, est absolument
nécessaire au Poëte et à l’Orateur » : la rhétorique est alors « la base de
toute science – normative et descriptive – de la littérature » (A. Kibedi
Varga, Rhétorique et Littérature, 1970).
La part de la rhétorique est essentielle dans la tragédie et la poésie
lyrique de l’époque classique. À la même période et jusqu’à la fin du
xviii siècle, elle intervient dans d’autres genres, comme le roman et la
e
3. L’invention
3.2 Le logos
Tartuffe, IV, 5.
4. La disposition
5. L’élocution
C’est la partie de la rhétorique qui concerne le plus directement
l’analyse stylistique, avec les « figures », qui sont le principal instrument
de « l’art de bien dire ». La définition de la figure et la détermination des
catégories de figures suscitent bien des débats chez les théoriciens (cf. J.-
J. Robrieux, Les Figures de style et de rhétorique) dans lesquels nous ne
pouvons entrer ici.
Nous rappellerons seulement :
– que la notion « d’écart » par rapport à une « norme » revient dans la
plupart des analyses : « Les figures du discours sont les traits, les formes
ou les tours plus ou moins remarquables et d’un effet plus ou moins
heureux, par lesquels le discours, dans l’expression des idées, des
pensées ou des sentiments, s’éloigne plus ou moins de ce qui en eût été
l’expression simple et commune. » (Fontanier, Traité des figures du
discours, publié de 1818 à 1827). Il est néanmoins plus fructueux de
considérer qu’une figure est avant tout une « norme codée » (C.
Fromilhague, Les Figures de style), repérable par cela même ;
– que considérée à l’origine comme un simple ornement (cf. Du
Marsais, Des tropes ou Des différents sens, 1730), la figure a été sentie
par d’autres comme « un moyen d’expression nécessaire et inévitable »
(Molinié, Vocabulaire de la stylistique), c’est-à-dire comme la seule
expression adéquate à son objet ;
– que toute classification est discutable (cf. G. Genette, Figures I) mais
constitue une commodité pédagogique. Celle que nous avons choisie
s’inspire de celle adoptée par la plupart des traités classiques jusqu’à la
fin du xixe siècle (cf. Fontanier, op. cit.) ;
– que les définitions varient selon les théoriciens et que, dans un
ouvrage d’initiation comme celui-ci, nous choisissons de présenter celle
qui est la plus communément admise, en ne répertoriant que les figures
les plus connues. Celles qui ont déjà été définies plus haut sont suivies
d’un astérisque, permettant au lecteur de se reporter à l’index.
Bérénice, IV, 5.
Mémoires.
Éloges, XVI.
• La parenthèse est l’insertion dans une phrase d’un élément qui rompt
la construction syntaxique. Celui-ci est souvent le fait d’un locuteur autre
que celui qui s’exprime dans le reste de l’énoncé ; le récit peut ainsi
laisser la place au discours et la parenthèse introduire la polyphonie* :
Un loup rempli d’humanité
(S’il en est de tels dans le monde)
La Fontaine,
Comparaison et métaphore
Chanson.
Le Cid, II, 2.
La plupart des figures que nous avons examinées jusqu’à présent sont
facilement repérables parce qu’elles portent sur un « segment
déterminé » (G. Molinié, Dictionnaire de rhétorique) : elles entrent dans
la catégorie que G. Molinié appelle celle des figures micro-structurales.
D’autres figures ne sont pas assimilables à des dispositions formelles ;
leur perception dépend alors du contexte d’énonciation*. Elles sont dites
macro-structurales. C’est le cas des figures de pensée.
• L’ironie* est une figure de pensée parfois difficile à repérer (cf. p. 42)
et qui se marque souvent par l’antiphrase. Cette figure consiste à
employer une expression dans un sens contraire à son sens littéral :
Nana, jusque-là endormie, fut reprise de la fièvre de son triomphe.
Ah bien ! c’était Rose Mignon qui devait passer une jolie matinée !
Zola,
Nana, II.
Athalie, III, 3.
Mémoires, t. II.
Exercice 10 sur les constituants syntaxiques, les procédés lexicaux, les figures de
style
Réponse 1
Réponse 2
Réponse 3
Réponse 4
Réponse 5
Réponse 6
Réponse 7
Réponse 8
Réponse 9
Réponse 10
6
1. Baudelaire, « Le Flacon »
Le verbe
Les adjectifs
La phrase
Le verbe
Les déterminants
L’article défini, très employé, présente le monde des Halles comme
connu du lecteur ; il a une valeur générique et donne une vision globale
et collective des différents éléments cités. Les déterminants pluriel
dominent, y compris avec des noms non nombrables, en particulier des
noms abstraits (1. 6 : les beurres ; 1. 9 : des pâleurs ; 1. 16 : de nouvelles
et incessantes profondeurs de nourriture). Vigueurs (1. 10), non
déterminé, est lui aussi au pluriel. Ce trait d’écriture propre au style
artiste, traduisant la volonté de s’écarter de la norme, d’une part souligne
la débauche de nourriture dans les Halles, d’autre part tire vers le concret
des éléments abstraits : c’est le triomphe de la matière.
Le démonstratif qui détermine le dernier élément descriptif du
paragraphe (1.18) a valeur à la fois de déictique* et d’anaphorique* : il
fait référence à un élément qui n’a cessé d’être évoqué tout au long de ce
passage (l’éveil des Halles) tout en lui donnant une nouvelle
caractérisation (il est présenté ici comme fulgurant).
La phrase
La phrase simple domine (1. 4 : A droite, à gauche… ; 1. 14 : La
mer…), ainsi que la parataxe* lorsque la phrase est complexe (1. 9 : Les
cœurs élargis…) : il y a juxtaposition de notations diverses pour décrire
le « ventre de Paris ». L’énumération ouverte est fréquente, traduisant
l’idée d’une débauche infinie de nourriture ou le désarroi sans fond du
personnage (1. 15-16 : aveuglé…).
L’avant-dernière phrase du paragraphe constitue une période* qui clôt
fortement l’épisode descriptif. Sémantiquement elle développe
conjointement deux éléments antithétiques : « mourir de faim » et « Paris
gorgé ». Rythmiquement, elle se construit par masses croissantes (de
aveuglé à devinant… de nourriture ; de dans Paris gorgé à dans ce réveil
fulgurant des Halles), et par structures binaires (aveuglé, noyé ; les
oreilles, l’estomac ; nouvelles et incessantes ; il demanda grâce et une
folle douleur le prit ; dans Paris et dans ce réveil). Protase* et apodose*
sont équilibrées, l’acmé* se situant sur le mot grâce, seul recours de
Florent, innocent écrasé par la société.
La ponctuation faible de la virgule est abondante, hachant la phrase,
procédé propre à l’écriture artiste, qui donne l’impression que l’écrivain
procède par petites touches successives, à la manière du peintre
impressionniste.
Conclusion : Cette description des Halles – la première du roman,
puisqu’on est au chapitre 1 – traduit l’abondance et le mouvement, et
pose d’emblée ce « ventre » comme un organe colossal et monstrueux,
vivant et menaçant.
183 avant Jésus-Christ : la Bithynie, qui a pour roi Prusias, est sous la
tutelle de Rome. La reine d’Arménie, Laodice, retenue à la cour de
Prusias, est aimée du fils de celui-ci, Attale. Ce dernier a été élevé à
Rome et est acquis à la cause romaine. Il est de retour en Bithynie où
vient d’arriver également son demi-frère Nicomède qu’il ne connaît pas.
Celui-ci commande l’armée de Bithynie, refuse toute alliance avec Rome
et est aimé de Laodice. Attale, après avoir été éconduit par Laodice, la
menace de faire intervenir Rome pour l’obliger à l’aimer. Nicomède, qui
assiste à l’entretien et qui sait qui est Attale, semble dubitatif.
Nicomède.
Le verbe
Les déterminants
La phrase
Grammaire, linguistique
Versification
Rhétorique, stylistique
Z-Access
https://wikipedia.org/wiki/Z-Library
ffi
fi