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Depuis plus de vingt ans, les travaux d’Axel Honneth (né en 1949) sont
au cœur de débats importants dans les domaines de la philo sophie morale,
sociale et politique. Dès l’un de ses premiers ouvrages, intitulé La Lutte
pour la reconnaissance, Honneth développe une « théorie sociale à teneur
normative »1. Cette idée le situe dans le prolongement de l’École de
Francfort et de penseurs comme Theodor Adorno, Max Horkheimer,
Herbert Marcuse et Jürgen Habermas, qui élaborèrent une théorie critique
des sociétés modernes. La théorie critique, dont se réclame Honneth à la
suite de ses illustres prédécesseurs, vise à analyser en profondeur les
évolutions historiques qu’ont connues et que connaissent aujourd’hui les
sociétés modernes. Plus particulièrement, elle envisage les trans formations
sociales sous la perspective d’un « intérêt à l’émancipation », tant
individuel que collectif, et examine les tendances qui contribuent ou, au
contraire, s’opposent à l’avènement d’une société d’individus véritablement
libres.
Au sein de l’École de Francfort, la démarche de Honneth a la spécificité
de placer le concept de reconnaissance au centre de sa « théorie sociale à
teneur normative ». Le terme de reconnaissance peut s’entendre de
plusieurs façons : reconnaissance cognitive d’un objet ou d’une personne,
reconnaissance de la légitimité d’une autorité institutionnelle,
reconnaissance de soi sous la forme de l’aveu ou du souvenir. Mais le sens
particulier d’où part Honneth est celui de la reconnaissance comme une
relation morale entre des sujets, une relation par laquelle des individus
humains se reconnaissent mutuellement certaines qualités morales. C’est
par la reconnaissance réciproque que des sujets humains sont à même de
trouver une confirmation de leurs attentes morales les plus fondamentales
en termes de besoin, de droit et de solidarité. La reconnaissance
interpersonnelle endosse différentes formes : sentiments d’amour et
d’amitié qu’éprouvent l’un pour l’autre des individus, respect mutuel de
leurs droits ou encore participation à des relations de coopération sociale.
Dans les formes affectives, juridiques et sociales de reconnaissance, c’est
bien la « dignité » morale des sujets humains qui est chaque fois en jeu, en
ce que la reconnaissance doit permettre à tout un chacun d’acquérir et de
maintenir un rapport positif à soi-même.
Le concept de reconnaissance fournit à Honneth la base normative de sa
théorie critique de la société. La tâche d’une telle théorie critique est de
repérer, au sein des sociétés modernes, les malaises et les injustices
structurelles qui gangrènent la vie sociale. Les expériences de mépris et de
déni de reconnaissance apparaissent comme autant de symptômes
révélateurs des « patho logies sociales »2. Mais, pour Honneth, ces
expériences négatives que subissent des individus et des groupes sociaux
ont la caractéristique de motiver des « luttes pour la reconnaissance » qui
visent à intensifier ou à élargir le champ de la reconnaissance. Ces luttes
s’inscrivent ainsi dans « un processus historique de progrès moral »3. Ce
progrès sert d’étalon critique à un diagnostic des « pathologies sociales »,
c’est-à-dire des formes de vie sociale dans lesquelles la possibilité offerte
en principe à chacun de se réaliser sur les trois plans de l’amour, du droit et
de la solidarité est systématiquement obstruée. La théorie de la
reconnaissance d’Axel Honneth se définit alors comme « une théorie
critique de la société qui devra expliquer certains processus de trans‐
formation sociale en fonction d’exigences normatives structurellement
inscrites dans la relation de reconnaissance mutuelle »4.
LA RECONNAISSANCE EN DÉBAT
La parution en 1992 de La Lutte pour la reconnaissance a coïncidé avec
l’explosion du thème de la reconnaissance. Ce thème est pourtant plus
ancien, puisqu’il remonte à Hegel (qui lui a accordé une place de choix,
notamment – mais pas seulement – dans sa Phénoménologie de l’esprit) et,
avant lui, à des philosophes comme Rousseau et Fichte. L’actualisation du
thème hégélien de la reconnaissance a connu des fortunes diverses, sur
lesquelles il faut brièvement revenir pour mieux saisir l’originalité de la
pensée de notre auteur.
Dans un article paru la même année que La Lutte pour la reconnaissance,
le philosophe canadien Charles Taylor a émis l’hypothèse suivant laquelle
la reconnaissance constitue un problème spécifiquement moderne. Le
problème que soulève, dans le cadre de la modernité, la reconnaissance est
lié au fait que « notre identité est partiellement formée par la
reconnaissance ou par son absence, ou encore par la mauvaise perception
qu’en ont les autres »5. Le problème brûlant de la reconnaissance ne pouvait
surgir dans les sociétés traditionnelles, dans la mesure où la reconnaissance
des individus y allait de soi en vertu des positions occupées par chacun au
sein d’une hiérarchie sociale préalablement donnée. Avec la modernité, la
lente remise en question des privilèges sociaux de l’Ancien Régime a
généré de nouvelles attentes de reconnaissance. Après que les rangs et les
privilèges sociaux ont été disqualifiés, la question devient de savoir qui peut
légitimement prétendre à la reconnaissance et sous quelles conditions.
La réponse à cette question paraît de prime abord évidente : chaque
individu possède le droit d’être reconnu, indépendamment de son rang et de
son statut social. Cependant, pour Taylor, la réponse politique au problème
de la reconnaissance est plus contrastée. Elle peut motiver soit une
« politique de la reconnaissance égalitaire », soit une « politique de la
différence » : « Avec la politique d’égale dignité, ce qui est établi est censé
être universellement le même, un ensemble identique de droits et de
privilèges ; avec la politique de la différence, ce que l’on nous demande de
reconnaître, c’est l’identité unique de cet individu ou de ce groupe, ce qui le
distingue de tous les autres.6 » Alors qu’une politique égalitaire tend à
évacuer la question de la diversité culturelle au nom d’un strict principe de
non-discrimination et de neutralité, une politique de la différence entend
faire droit aux demandes particulières d’identité qui émanent des individus
et des groupes. À partir du cas des droits de la minorité francophone au
Canada, Taylor estime que ces deux formes modernes de politique de la
reconnaissance ne s’excluent pas nécessairement l’une l’autre. Un
libéralisme politique « hospitalier » à la diversité culturelle est selon lui
envisageable, qui ne contre viendrait pas fondamentalement au principe de
l’égale dignité des personnes. Face à une politique strictement
« égalitariste », une politique « différentialiste » de la reconnaissance est
seule en mesure de relever les défis contemporains du multiculturalisme.
Taylor partait dans ses réflexions d’une thèse anthropologique de plus
vaste portée pour laquelle les êtres humains restent, y compris dans le
contexte de la modernité, solidement attachés à des « évaluations fortes »
qu’ils expriment par leurs demandes d’identité et d’authenticité. Partant de
« la connexion étroite entre identité et reconnaissance », il ajoutait que les
identités se construisent non pas dans le for intérieur de chacun, mais de
manière « dialogique », en rapport à autrui, de sorte que « nous définissons
notre identité toujours au cours d’un dialogue avec – parfois lors d’une lutte
contre – les choses que nos “autres donneurs de sens” veulent voir en
nous »7.
La politique « différentialiste » de la reconnaissance préconisée par
Taylor de même que son postulat anthropologique n’ont pas manqué de
susciter des réactions. Nancy Fraser a observé un profond changement de
paradigme dans nos conceptions de la justice, qu’elle ne conteste pas en tant
que tel mais dont elle nous invite à bien saisir les implications théoriques et
politiques. D’un paradigme de la redistribution équitable des biens socio-
économiques, nous serions progressivement passés à un paradigme de la
reconnaissance des différentes identités culturelles. Si, dans le courant des
années 1960, les solutions à apporter aux inégalités produites par la
structure économique occupaient encore le devant de la scène politique,
l’attention s’est peu à peu portée, au tournant des années 1970 et 1980, vers
les « politiques de l’identité » et leurs revendications en matière
d’indépendance nationale, de différences culturelles, et d’identités sexuelles
ou de genre. Aux yeux de Fraser, ces politiques de l’identité culturelle
risquent d’évincer tout bonnement les politiques luttant contre les inégalités
sociales et économiques. Face à ce risque, le change ment de paradigme
exige de notre part non pas de devoir choisir une conception au détriment
de l’autre, mais de réfléchir à une conception plus nuancée de la justice
sociale. Fraser défend ainsi une conception « bidimensionnelle » de la
justice qui intégrerait à la fois la redistribution égalitaire et la
reconnaissance des différences « comme des dimensions de la justice que
l’on peut trouver dans tous les mouvements sociaux »8. Cette conception
bidimensionnelle a l’avantage de ne pas écarter la question toujours aussi
brûlante des inégalités socio-économiques tout en insistant sur la spécificité
et la nouveauté des enjeux portés par la reconnaissance des identités
culturelles.
Fraser critique au passage la manière dont certaines approches de la
reconnaissance, dont celle de Taylor, « réifient » la notion d’identité. Le
modèle qu’elle appelle « identitaire » de la reconnaissance « impose une
identité de groupe, considérablement simplifiée »9, aux personnes victimes
de mépris social. À cela elle oppose un modèle « statutaire » de
reconnaissance, pour lequel le déni de reconnaissance se définit non pas en
fonction d’une identité forte, mais par une « relation institutionnalisée de
subordination sociale »10. Les dénis de reconnaissance se caractérisent
moins par la blessure d’une identité forte que par l’exclusion de la vie
publique dont souffrent injustement certains individus et groupes sociaux :
« Le déni de reconnaissance est affaire de manifestations publiques et
vérifiables d’obstacles au statut de membres à part entière de la société
imposés à certaines personnes, et ces obstacles sont moralement
indéfendables.11 » Dès lors, dans le cas par exemple des luttes féministes,
« les revendications de reconnaissance ne visent pas à valoriser la féminité,
mais plutôt à mettre fin à la subordination »12. Au lieu de sanctionner les
dérives de « l’identitarisme », la lutte contre les dénis de reconnaissance
doit mener à des politiques d’inclusion à l’espace public vis-à-vis des
personnes et des groupes concernés.
Aux marges des débats lancés par Taylor et par Fraser, Judith Butler a
mis l’accent sur les liens que la reconnaissance entretient avec le pouvoir. À
partir du concept d’idéologie forgé par Louis Althusser, Butler prétend que
les individus ne sont reconnus en tant que sujets qu’une fois interpellés par
les normes sociales dominantes13. Les individus se soumettent d’autant plus
volontiers qu’en vertu de leur propre « désir de reconnaissance », les formes
de pouvoir ne leur sont pas imposées de l’extérieur mais les constituent du
dedans : « Dans la mesure où le désir est impliqué dans les normes sociales,
il est lié à la question du pouvoir et à celle de savoir qui peut être reconnu
comme humain.14 » Le fait que les sujets résultent d’une reconnaissance
assujettissante au pouvoir n’exclut cependant pas la possibilité de reprises,
d’écarts ou de résistances vis-à-vis des normes15. Butler en tire une série de
conclusions relatives aux questions de genre et à la politique sexuelle. Si les
codes sociaux qui définissent leur sexualité renvoient à une idéologie
dominante, à travers notamment le partage entre « normalité »
(hétérosexuelle) et « déviance » (lesbienne, gay, bisexuelle, transgenre), les
sujets gardent néanmoins la possibilité de subvertir les normes dominantes
en les prenant pour ainsi dire à leur propre jeu.
Paul Ricœur enfin a développé une réflexion autour de la reconnaissance
à partir d’un usage spécifique à la langue française, où le terme désigne
également la gratitude éprouvée à l’égard d’un acte de générosité. Comprise
en ce sens, la reconnaissance doit permettre de répondre à la lancinante
question : « Quand un sujet s’estimera-t-il véritablement reconnu ?16 » La
reconnaissance comme gratitude offre un aperçu de ce que Ricœur nomme
des « états de paix », c’est-à-dire des situations relativement exceptionnelles
ayant la caractéristique d’excéder ou de suspendre les logiques de
réciprocité et de justice réparatrice. Le pardon exprimé en public est un
exemple de ces « états de paix » où les agents posent des gestes gratuits,
sans demandes en retour. L’exception des « états de paix » vis-à-vis des
normes de justice et de réciprocité laisse entrevoir une « clairière » au sein
de laquelle les luttes « interminables » pour la reconnaissance se trouvent
suspendues, au moins pour un temps.
Le thème de la reconnaissance est aujourd’hui encore au cœur de
nombreux débats. Le bref rappel des positions de Taylor, de Fraser, de
Butler et de Ricœur suffit à montrer que les réappropriations du thème
hégélien de la reconnaissance sont tout sauf univoques. Ces auteurs
s’accordent pour mettre en question une conception « monologique » de
l’identité humaine et lui opposer une conception « dialogique ».
Ils partagent l’idée que le rapport à soi des individus ou des groupes sociaux
se construit par et à travers la reconnaissance. Mais force est de constater
que plutôt qu’à une approche convergente, nous avons affaire à des théories
de la reconnaissance qui varient avec les perspectives philosophiques et
selon la teneur des problèmes sociaux, politiques, moraux
(multiculturalisme, exclusion sociale, politiques sexuelles, pardon),
auxquels Taylor, Fraser, Butler et Ricœur tentent, à l’aide du concept de
reconnaissance, d’apporter une réponse17.
Les théories contemporaines de la reconnaissance sont si diverses qu’il
apparaît difficile de déterminer la place exacte que Honneth occupe parmi
elles. Contrairement à Taylor, la diversité culturelle et le multiculturalisme
ne sont pas au centre des préoccupations de Honneth, bien qu’il semble
camper sur une approche « égalitariste » plutôt que « différentialiste » du
problème18. Comme nous le verrons, Honneth estime, dans son débat avec
Fraser, que la question de la redistribution économique peut être intégrée à
la question de la reconnaissance, à condition de s’appuyer sur un concept
sensiblement élargi, quasi anthropologique, de reconnaissance. S’il admet
avec Butler que la reconnaissance peut parfois prendre l’allure d’une
idéologie, il refuse pourtant de réduire la reconnaissance à une forme de
pouvoir assujettissant. La reconnaissance se joue avant tout sur le plan
« horizontal » des relations intersubjectives, et non pas sur celui « vertical »
du pouvoir. Et Honneth se démarque de Ricœur en conservant l’idée de
réciprocité au sein des relations de reconnaissance, quitte à considérer les
« luttes pour la reconnaissance » comme étant « interminables » et les
attentes de reconnaissance comme étant sans cesse susceptibles de
nouvelles formulations.
VERS UNE « VIE ÉTHIQUE DÉMOCRATIQUE »
Nous occupera moins ici la place des réflexions de Honneth parmi les
théories contemporaines de la reconnaissance que la présentation d’une vue
d’ensemble sur sa philosophie morale, sociale et politique. Si la
reconnaissance représente bel et bien un concept-clé de sa « théorie sociale
à teneur normative », la popularité de ce thème a peut-être eu tendance à
masquer une idée autrement plus centrale chez lui. De La Lutte pour la
reconnaissance jusque dans ses écrits les plus récents, Honneth n’a cessé
d’orienter sa théorie critique à l’idée d’une « vie éthique démocratique ».
Celle-ci cherche à exposer les principaux contours d’une forme moderne de
vie sociale dans laquelle la libre réalisation de chacun de ses membres serait
assurée par leur participation à un ensemble de relations de reconnaissance.
La meilleure façon de cerner l’idée de « vie éthique démocratique » est
encore d’en définir les deux principaux termes. Le terme « démocratique »,
tout d’abord, ne se limite pas à un régime politique particulier. Il renvoie
plus fondamentalement à une norme universelle de justice qui stipule que
« la socialisation des êtres humains ne peut réussir que dans les conditions
d’une liberté coopérative »19. L’idéal démocratique, que Honneth exprime
en termes de « liberté coopérative » ou encore de « liberté sociale » et de
« liberté communicationnelle », reprend une assertion majeure de sa théorie
de la reconnaissance : des sujets ne se réalisent pleinement qu’en
bénéficiant de la reconnaissance des multiples facettes – affective,
juridique, sociale – de leur « dignité » morale.
Tout comme la reconnaissance, la « liberté sociale » n’est pas un thème
entièrement neuf. On la retrouve chez une série de penseurs modernes, au
premier rang desquels figure à nouveau Hegel, mais aussi Marx et Dewey.
Bien qu’il ne soit pas réputé pour être un « démocrate », Hegel a avancé
que la vraie liberté doit être comprise comme l’unité de la liberté
particulière et de la liberté universelle, de la liberté individuelle et de la
liberté collective. Un individu n’est véritablement libre que lorsque sa
liberté particulière concourt à la réalisation effective de la liberté universelle
de tous. Marx énoncera pareillement qu’une société juste se fonde sur une
« association dans laquelle le libre développement de chacun est la
condition du libre développement de tous »20. L’expression de « liberté
coopérative », dont Honneth fait usage, est directement empruntée au
philosophe pragmatiste John Dewey, pour lequel la démocratie est l’affaire
d’»une vie faite de communion libre et enrichissante » et d’»un intérêt
commun, c’est-à-dire une préoccupation de la part de chacun pour l’action
conjointe et pour la contribution de chacun des membres qui s’y livrent »21.
En puisant chez ces trois penseurs, Honneth voit en l’idéal démocratique
« un horizon ouvert au sein duquel les sujets apprendraient à s’estimer
mutuellement dans les fins qu’ils auraient librement choisi de donner à leur
propre existence »22. L’idéal démocratique associé à la « liberté sociale », à
une forme de liberté dont bénéficierait chaque individu à la condition que se
réalise universellement la liberté de tous les autres, dessine les traits de ce à
quoi devrait ressembler une société pour être considérée comme « juste ».
Au principe de justice contenu dans l’idéal démocratique, on pourrait
toutefois facilement reprocher le caractère abstrait et désincarné. N’y aurait-
il pas un hiatus entre un tel principe et la réalité sociale à laquelle il est
censé s’appliquer ? C’est ici que la notion de « vie éthique » (Sittlichkeit)
intervient et prend tout son sens. Elle désigne l’ensemble des pratiques et
des institutions constitutives d’une forme de vie sociale. La catégorie de
« vie éthique » est liée à la critique bien connue que Hegel a adressée aux
concepts kantiens de « moralité » et de « devoir-être ». Kant entendait à
travers ces concepts maintenir un écart entre la norme de justice et ses
domaines d’application, entre ce qui devrait être et ce qui existe réellement.
Hegel lui objecte que « l’idée n’est pas assez impuissante pour devoir être
seulement et ne pas être effective »23. À la différence de Kant (ou, en tout
cas, d’une certaine interprétation de ce dernier), Hegel ne conçoit pas les
institutions et les pratiques de la vie éthique moderne comme une terre
étrangère à l’idée normative de « liberté sociale », mais au contraire comme
le lieu par excellence où cette idée tend à se réaliser.
Avec la catégorie de « vie éthique », Hegel n’entend pas mettre à plat la
normativité avec tout ce qui existe, comme si les institutions dans lesquelles
nous évoluons et les pratiques auxquelles nous participons étaient toujours,
du seul fait de leur existence, porteuses d’émancipation. S’intéresser à la
complexité de la « vie éthique » conduit en revanche à examiner, au sein
des institutions et pratiques sociales existantes, les processus divers au
cours desquels la norme universelle de la « liberté sociale » trouve
effectivement à se réaliser. La « vie éthique » ouvre ainsi la voie à un
diagnostic critique sur les « pathologies sociales » en tant qu’elles trahissent
« une incapacité des sociétés à exprimer adéquate ment le potentiel
rationnel déjà inhérent à leurs institutions, à leurs pratiques et leurs routines
quotidiennes »24. Là où la catégorie kantienne de la « moralité » en reste à
une stricte séparation entre l’être et le devoir-être, entre la réalité sociale et
les principes normatifs, la catégorie hégélienne de la « vie éthique » permet
de départager, au cœur même des pratiques et des institutions existantes,
entre les phénomènes qui concourent aux processus d’émancipation
individuelle et collective, et ceux qui, au contraire, y font obstruction.
Par la conjugaison des termes de « démocratique » et de « vie éthique »,
l’idée de « vie éthique démocratique » résume l’entreprise philosophique de
Honneth qui est de poursuivre le projet, initié par l’École de Francfort,
d’une théorie critique. Sa « théorie sociale à teneur normative » consiste en
une analyse de l’évolution des sociétés modernes. Une analyse qui prend la
forme d’un diagnostic critique sur les progrès (ou, le cas échéant, les
blocages et les reculs) en matière de « liberté sociale » que connaissent les
institutions et les pratiques propres à la vie éthique moderne.
L’idée de « vie éthique démocratique » se clarifiera lorsque nous
retracerons le cheminement de Honneth depuis La Lutte pour la
reconnaissance (1992) jusqu’à son dernier ouvrage intitulé Le Droit de la
liberté (2011). Cheminement qui nous conduira à nous attarder sur sa
« réactualisation de la Philosophie du droit de Hegel » (2001) ainsi que sur
sa controverse avec Nancy Fraser (2003). Nous verrons comment, parti
d’une réflexion sur le thème hégélien de la « lutte pour la reconnaissance »,
Honneth en est venu, au cours de ces vingt dernières années, à porter peu à
peu son attention sur les institutions de la reconnaissance et à examiner
dans quelle mesure elles sont susceptibles de réaliser l’idéal démocratique
de la « liberté sociale ».
Plusieurs raisons expliquent a posteriori ce progressif déplacement de
perspective. La première est liée au fait que les relations interpersonnelles
de reconnaissance nécessitent un critère normatif pour qu’on puisse juger
de leur caractère satisfaisant ou non satisfaisant, de leur réussite ou de leur
échec. Dans La Lutte pour la reconnaissance, le critère proposé par
Honneth était celui, négatif et subjectif, d’une identité psychologique non
blessée, intacte, d’une identité qui ne soit pas soumise à des expériences de
mépris. Selon un tel critère, des relations de reconnaissance sont
satisfaisantes lorsque les sujets n’éprouvent pas un quelconque sentiment de
déni ou de mépris. Par là, Honneth prêtait cependant le flanc à la critique
que lui a notamment adressée Fraser en termes de « psychologisme » et
d’»identitarisme ». Avec le modèle de la « liberté sociale », mis au jour
grâce à sa relecture de la Philosophie du droit de Hegel, il met en revanche
à la disposition de sa « théorie sociale à teneur normative » un critère plus
approprié et sans doute plus cohérent. Ce critère fait dépendre la réussite
des « luttes pour la reconnaissance » non pas tant du caractère intact des
identités subjectives que de la façon dont des demandes particulières de
reconnaissance participent à un processus général d’émancipation
individuelle et collective et à une démocratisation de la vie éthique dans son
ensemble.
Une deuxième raison vient de ce que, dans ses premiers travaux, Honneth
n’envisageait pas encore la manière dont les rapports inter subjectifs de
reconnaissance s’inscrivent dans le réseau institutionnel de la vie éthique
moderne. Là encore, une relecture du Hegel de la maturité et de sa
Philosophie du droit lui aura permis de mieux prendre en considération
l’ancrage institutionnel des relations de reconnaissance par rapport à ses
précédentes réflexions où la reconnaissance interpersonnelle relevait d’une
dimension en quelque sorte pré- institutionnelle. Au terme de notre
parcours, il apparaîtra que l’idée de « vie éthique démocratique » fonde
chez Honneth ce qu’on pourrait appeler « le droit de la reconnaissance ».
Pour reprendre une expression de facture hégélienne, à travers le droit de la
reconnaissance est visé le droit accordé à chacun de « mener une vie
universelle »25, le droit de mener une vie qui soit digne d’être vécue parmi
les institutions et les pratiques sociales.
1. La Lutte pour la reconnaissance, p. 9. Les références complètes des ouvrages et articles d’Axel
Honneth figurent en bibliographie en fin d’ouvrage.
2. Cf. « Les pathologies sociales. Tradition et actualité de la philosophie sociale », in La Société du
mépris, p. 39-100.
3. La Lutte pour la reconnaissance, p. 282.
4. Ibid., p. 10.
5. C. Taylor, « La politique de la reconnaissance », in Multiculturalisme. Différence et démocratie,
Paris, Champs-Flammarion, 1994, p. 41.
6. Ibid., p. 57.
7. Ibid., p. 50.
8. N. Fraser, Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, Paris, La
Découverte, 2005, p. 45.
9. Ibid., p. 78.
10. Ibid., p. 79.
11. Ibid., p. 51.
12. N. Fraser, « Pour une politique féministe à l’âge de la reconnaissance. Une approche
bidimensionnelle de la justice de genre », in Le Féminisme en mouvements. Des années 1960 à l’ère
néolibérale, Paris, La Découverte, 2012, p. 231.
13. Voir en particulier J. Butler, La Vie psychique du pouvoir, Paris, Léo Scheer, 2002.
14. J. Butler, Défaire le genre, Paris, Éditions Amsterdam, 2012, p. 15.
15. J. Butler, Le Récit de soi, Paris, PUF, 2007, p. 18 : « Le sujet n’est pas un effet nécessaire produit
par la norme et n’est jamais non plus complètement libre d’ignorer la norme qui inaugure sa
réflexivité ; on se bat invariablement contre les conditions de sa propre vie que l’on n’a pas été en
mesure de choisir. »
16. P. Ricœur, Parcours de la reconnaissance. Trois études, Paris, Stock, 2004, p. 316.
17. Voir à ce sujet l’utile synthèse de Haud Guéguen et Guillaume Malochet : Les Théories de la
reconnaissance, Paris, La Découverte, 2012.
18. Sur la question du multiculturalisme, Honneth est assez proche de la position défendue par Jürgen
Habermas (J. Habermas, « La lutte pour la reconnaissance dans l’État de droit démocratique », in
L’Intégration républicaine, Paris, Fayard, 1998, p. 161-204).
19. « Une pathologie sociale de la raison. Sur l’héritage intellectuel de la Théorie critique », in La
Société du mépris, p. 110.
20. K. Marx, Manifeste du parti communiste, in Œuvres. Économie I, Paris, Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade », 1965, p. 183.
21. J. Dewey, Le Public et ses problèmes, Paris, Gallimard, 2005, p. 284, 289.
22. La Lutte pour la reconnaissance, p. 298.
23. G. W. F. Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé, Paris, Vrin, 2012, § 6,
remarque, p. 92.
24. « Une pathologie sociale de la raison. Sur l’héritage intellectuel de la Théorie critique », in La
Société du mépris, p. 106-107.
25. G. W. F. Hegel, Principes de la philosophie du droit, Paris, PUF, 2003, § 258, remarque, p. 334.
I
66. La Lutte pour la reconnaissance, p. 289 : « Par le concept d’éthicité, nous désignons maintenant
l’ensemble des conditions intersubjectives dont on peut prouver qu’elles constituent les présupposés
nécessaires de la réalisation individuelle de soi. »
67. « Reconnaissance et reproduction sociale », p. 53 : « Dans sa participation à un monde social
vécu où il est possible de rencontrer chacun des trois modèles de reconnais sance, sous une forme
concrète ou une autre, le sujet peut se référer à lui-même sous les modalités positives de la confiance
en soi, du respect de soi et de l’estime de soi. »
68. « Reconnaissance et justice ».
69. « La théorie de la reconnaissance : une esquisse », p. 136.
70. Voir à ce propos le recueil de textes d’A. Berten, P. Da Silviera, H. Pourtois (éd.), Libéraux et
communautariens, Paris, PUF, 1997.
71. La Lutte pour la reconnaissance, p. 288-289.
72. « Reconnaissance et reproduction sociale », p. 53-54 : « La liberté de se réaliser soi-même
dépend de conditions qui ne sont pas à la libre disposition du sujet humain mais ne sont remplies que
grâce aux partenaires de l’interaction. Les différents modèles de reconnaissance représentent des
présuppositions intersubjectives que nous devons nécessaire ment ajouter à notre réflexion si nous
voulons décrire les structures générales d’une vie réussie. »
73. J. Rawls, Théorie de la justice (1973), Paris, Seuil, 1997.
74. « Justice et liberté communicationnelle. Réflexions à partir de Hegel », p. 54 : « Notre conception
de la justice perd tout caractère de théorie distributive et prend la forme d’une théorie normative de la
communication : car les principes de la distribution équitable sont remplacés par ceux qui se
rapportent à la garantie par l’État des présupposés de la reconnaissance mutuelle. »
75. Dans son tout premier ouvrage, Honneth tentait de réhabiliter théoriquement le motif de la
conflictualité sociale face au modèle communicationnel de Habermas. Voir A. Honneth, Kritik der
Macht. Reflexionstufen einer kritischen Gesellschaftstheorie, Francfort, Suhrkamp, 1986.
76. La Lutte pour la reconnaissance, p. 158.
77. « Justice et liberté communicationnelle », p. 62 : « Chacun des trois principes normatifs, qu’il
s’agit de défendre en vue de l’autonomie individuelle de chacun, posséderait un excédent
sémantique, exigeant plus de justice spécifique à chaque sphère qu’il n’y en a déjà réalisée dans les
pratiques et les institutions existantes. »
78. La Lutte pour la reconnaissance, p. 273 : « À la différence de tous les modèles utilitaristes, notre
concept de lutte sociale suggère que les motifs de résistance et de révolte sociale se constituent dans
le cadre d’expériences morales qui découlent du non-respect d’attentes de reconnaissance
profondément enracinées. »
79. Les Pathologies de la liberté, p. 85.
80. « Justice et liberté communicationnelle », p. 58.
81. « La reconnaissance comme idéologie », in La Société du mépris, p. 258.
82 . Ibid., p. 272.
III
Redistribution ou reconnaissance ?
Les institutions
de la reconnaissance
Dès l’époque de son débat avec Nancy Fraser, Honneth avait proposé une
actualisation de la Philosophie du droit de Hegel dans un ouvrage qui a été
traduit en français sous le titre Les Pathologies de la liberté. Son projet était
de relire la philosophie hégélienne du droit en vue d’en démontrer
l’actualité. Le pari sous-jacent à cette relecture était de montrer que la voie
tracée par Hegel offrait une alternative intéressante aux courants
aujourd’hui dominants en philosophie sociale et politique, qu’il s’agisse
d’un modèle néokantien relativement formel de justice ou d’une conception
néo-aristotélicienne de la vie bonne fondée sur une communauté de valeurs.
ACTUALITÉ DE LA PHILOSOPHIE DU DROIT DE HEGEL
Actualiser la Philosophie du droit ne signifiait toutefois pas prendre pour
argent comptant l’ensemble des idées exposées par Hegel. Fidèle là encore
à une ligne d’interprétation allemande, Honneth se démarque de la lettre du
texte hégélien sur au moins deux points. Il entend, tout d’abord, ne pas
endosser les prémisses métaphysiques sur lesquelles Hegel construit son
système philosophique. Selon Honneth, Hegel aurait défendu une forme de
« monisme » philosophique dans lequel l’esprit serait au principe de toutes
choses et aurait développé une logique dialectique qui nous serait « entre-
temps devenue complètement incompréhensible »99. Le cadre résolument
matérialiste et post-métaphysique de la pensée philosophique
contemporaine enjoint de nous délester de ces embarrassantes prémisses.
Honneth récuse ensuite chez Hegel sa conception non démocratique de
l’État. Le modèle hégélien d’un État fort auquel les citoyens seraient
unilatéralement subordonnés sans bénéficier en retour de la possibilité
d’exercer un quelconque contrôle sur les institutions politiques se trouve
aujourd’hui en porte-à-faux avec nos attentes démocratiques les plus
élémentaires. À travers sa réactualisation de la Philosophie du droit,
Honneth souhaite nous donner l’image d’un Hegel à la fois démocratisé et
débarrassé de sa métaphysique de l’esprit.
Si l’on fait exception de ses prémisses métaphysiques et de sa conception
non démocratique de l’État subsiste chez Hegel un geste philosophique
puissant dont Honneth entend souligner la pertinence toujours actuelle. Ce
geste consiste à développer, à partir d’une critique de certaines conceptions
inadéquates de la liberté qui ont prévalu à l’ère moderne, une théorie de la
justice fondée sur l’idée de « liberté communicationnelle » ou de « liberté
sociale ». Hegel distingue dans sa Philosophie du droit trois sphères de
liberté correspondant à ce qu’il appelle le droit juridique abstrait, la
moralité intérieure et la vie éthique. Honneth interprète ces trois
dimensions, juridique, morale et éthique, de la liberté comme autant de
modèles au travers desquels les sujets des sociétés modernes ont compris la
notion de liberté individuelle. Au droit juridique abstrait est associée la
« liberté négative » d’un sujet porteur de certains droits inaliénables
(comprenant le droit à l’intégrité physique et morale de sa personne, le droit
de propriété privée et la liberté contractuelle) ; à la moralité, la « liberté
réflexive » d’un sujet qui, ayant librement conscience de ses propres actes
et intentions, en assume la responsabilité ; et à la vie éthique la « liberté
sociale » d’un sujet participant à une série d’interactions au sein des sphères
institutionnelles (la famille, le marché, l’État) qui constituent la « vie
éthique » (Sittlichkeit) moderne.
La force philosophique de Hegel aura été de montrer la supériorité du
modèle de la « liberté sociale » sur les deux autres modèles de liberté qu’on
peut, en comparaison, qualifier d’»individualistes ». Par rapport aux
modèles « individualistes » de liberté, la supériorité de la « liberté
communicationnelle » consiste dans le fait de concevoir les sujets non plus
comme isolés et atomisés les uns par rapport aux autres, mais comme
prenant part à des sphères d’interaction sociale où l’exercice par chacun de
sa liberté individuelle s’avère complémentaire à celle de tous les autres.
L’exemple que Honneth emprunte à Hegel pour rendre compte de ce
modèle de la « liberté sociale » est celui de la relation amoureuse : les
sentiments qu’éprouvent l’un pour l’autre deux amants signifient non pas
une restriction de leurs libertés individuelles mais au contraire un
élargissement volontaire de leurs capacités d’agir dans le monde. À travers
le sentiment amoureux, les amants limitent d’autant plus volontiers leurs
libertés individuelles au profit d’autrui que leur acte d’autolimitation est
réciproque. Hegel remarque ainsi que « l’amour désigne la conscience de
l’unité que je forme avec quelqu’un d’autre, de telle sorte que je ne sois pas
isolé pour moi, mais qu’il ne me soit possible d’acquérir la conscience de
moi que par la suppression de mon être-pour-soi et par la connaissance de
moi-même comme d’une unité que je forme avec l’autre et que l’autre
forme avec moi »100.
Nous retrouvons dans ce passage de la Philosophie du droit les
caractéristiques essentielles de la reconnaissance mutuelle comme l’‐
expérience morale d’une autolimitation réciproque des libertés
individuelles. Mais Honneth insiste désormais plus nettement
qu’auparavant sur la connexion nécessaire entre reconnaissance et liberté.
La nature de cette connexion est que la reconnaissance réciproque dont
bénéficient les individus au sein de la vie éthique doit fournir la condition
intersubjective nécessaire à l’autonomie individuelle : « L’autonomie
individuelle ne peut se développer que dans la mesure où il entretient des
relations de reconnaissance avec d’autres sujets, relations qui, suivant leur
forme, rendent possible une reconnaissance mutuelle de certains aspects de
la personnalité.101 » Le modèle de la « liberté communicationnelle »
entraîne, pour reprendre une expression de Hegel, un « gain en liberté
affirmative »102 par rapport aux deux autres modèles « individualistes ». À
l’image des relations amoureuses, ce gain consiste en ceci que les sujets
évoluant parmi les différentes sphères institutionnelles de la vie éthique sont
en mesure de participer à des rapports de reconnaissance au sein desquels
l’exercice par un individu de sa liberté se montre complémentaire (et non
pas en contradiction) avec celle de ses partenaires d’interaction.
Pour limités qu’ils soient par rapport à la « liberté sociale », les modèles
« individualistes » de la « liberté négative » et de la « liberté réflexive »
n’en font pas moins partie intégrante de la notion moderne de liberté et de
la conception que les membres des sociétés modernes ont appris à se forger
d’eux-mêmes. La liberté négative et la liberté réflexive offrent des voies de
sortie aux individus lorsque les conditions intersubjectives de leur
autonomie (que la vie éthique est censée leur fournir) ne sont pas (ou plus)
correctement remplies. En d’autres termes, ces deux types de liberté
marquent une possibilité de retrait vis-à-vis de l’ensemble des relations
sociales qui caractérisent la vie éthique. En bénéficiant de droits subjectifs
inaliénables ou en pratiquant une réflexion intérieure sur les motifs qui
guident leurs actions, les individus gardent la possibilité de se retirer de la
vie éthique. Mais, ajoute Honneth, ce retrait hors de la sphère éthique est en
même temps le symptôme d’une souffrance liée au fait d’être
« indéterminé », d’une « pathologie de la liberté ». Les individus « souffrent
d’indéterminité »103 lorsqu’ils se trouvent dans un rapport d’isolation et
d’abstraction vis-à-vis des autres partenaires d’interaction, phénomène
d’atomisation et d’isolement que seul le passage à la sphère éthique permet
de dépasser.
Le modèle de la « liberté communicationnelle » permet de pointer, sans
toutefois en minorer l’importance, les limites inhérentes à la « liberté
négative » et à la « liberté réflexive ». Les limites et les insuffisances de ces
modèles « individualistes » résident dans leur incapacité à saisir
correctement les conditions intersubjectives nécessaires au plein
développement de l’autonomie individuelle. Cette incapacité théorique se
traduit concrètement par une souffrance des individus, celle d’être réduits à
des éléments indéterminés, abstraits, isolés et atomisés les uns par rapport
aux autres. En montrant la supériorité de la « liberté sociale » sur la
« liberté négative » et la « liberté réflexive », Hegel nous propose en
quelque sorte une « critique thérapeutique » des modèles individualistes de
liberté, qui vise à détecter et à remédier à la souffrance liée au fait d’être
« indéterminé ».
D’après la lecture qu’en donne Honneth, Hegel dans sa Philosophie du
droit développe, sur fond de critique des autres conceptions inadéquates,
incomplètes, de la liberté individuelle, une théorie de la justice basée sur
l’idée de « liberté communicationnelle ». Honneth dégage ainsi à partir de
Hegel une théorie de la justice qui se donne ultimement pour objet de
« reconstruire systématiquement les étapes nécessaires par lesquelles la
volonté libre de chaque homme parvient, dans le présent, à la réalité
effective »104. Selon le modèle de la « liberté communicationnelle », une
société juste est une société dans laquelle la liberté de chacun est
conditionnée par la réalisation de la liberté de tous. Parallèlement à sa
critique de l’insuffisance des modèles « individualistes » de la liberté, Hegel
nous fraie un chemin inédit parmi les débats contemporains en philosophie
sociale et politique. À la croisée du principe kantien de l’autonomie
formelle de l’individu et de l’idée néo-aristotélicienne d’une communauté
de valeurs, Hegel laisse entrevoir une conception de la justice sociale en
termes de « liberté communicationnelle », où l’accent est mis sur les
conditions intersubjectives de l’autonomie individuelle. Son modèle de
justice calqué sur la « liberté communicationnelle » évite les travers
inhérents tant à une conception strictement « individualiste » de
l’autonomie personnelle qu’à une vision trop « substantialiste » de la
communauté de valeurs.
Dans sa Philosophie du droit, Hegel caractérisait la vie éthique moderne
par trois complexes institutionnels : la sphère de l’intimité familiale, la
sphère économique de la société civile et la sphère politique de l’État.
D’après Honneth, en mettant au jour la vie éthique des sociétés modernes,
l’idée de Hegel était de montrer que chacune de ces sphères contient, pour
les individus qui y prennent part, un potentiel d’apprentissage qui leur est
chaque fois propre : « Le sujet parvient au degré le plus élevé
d’individualité en ce qu’il apprend, par anticipation aux différentes sphères,
à disposer des schèmes et des motifs cognitifs qui s’ordonnent selon la série
qui part de la sensation [dans la famille], passe par la rationalité en finalité
[dans la société civile] et aboutit à la raison [dans l’État].105 » En
participant aux différentes sphères constitutives de la vie éthique moderne,
les individus sont amenés à décentrer progressivement leurs perspectives en
direction de leurs partenaires d’interaction. Dans la famille, les individus
apprennent à se rapporter à leurs propres « besoins » et à leurs
« sentiments » en étroite communication avec autrui. Dans la société civile,
ils visent à réaliser leurs « intérêts particuliers » en coordonnant leurs
actions sur le terrain de la coopération économique. Dans l’État,
l’apprentissage des individus se fait sur la base d’une communauté politique
où les citoyens se construisent une image positive d’eux-mêmes en termes
d’»estime ».
Honneth reproche cependant à Hegel d’être resté par trop tributaire de la
configuration institutionnelle de son époque. Fils de son temps, il nous
aurait livré une « analyse institutionnelle » de la société du début du
XIXe siècle, en lieu et place d’une « analyse structurelle et normative des
sociétés modernes »106. En témoigneraient, tout particulièrement, sa
conception datée des rapports entre les sexes au sein de la famille
(conception d’après laquelle le rôle de « chef de famille » revient en priorité
au mari) ainsi que sa défense rétrograde de la monarchie constitutionnelle.
En ce sens, actualiser la philosophie hégélienne du droit exige aussi pour
Honneth, à côté de la reprise d’une théorie communicationnelle de la justice
et de la « critique thérapeutique » des modèles « individualistes » de la
liberté, de prendre acte des transformations qu’ont connues, depuis la mort
de Hegel et le début du XIXe siècle, les principales institutions des sociétés
modernes.
INSTITUTIONNALISER LA « LIBERTÉ SOCIALE »
Dans son dernier ouvrage, Le Droit de la liberté, Honneth prolonge sa
tentative d’actualisation de la philosophie du droit hégélienne107. En
écartant les prémisses métaphysiques du système hégélien, Honneth doit
pouvoir proposer un outil méthodologique comparable à celui, jugé
obsolète, d’où était parti Hegel. La méthode censée se substituer aux
prémisses métaphysiques du système hégélien est appelée « reconstruction
normative ». La méthode de la reconstruction normative part de l’idée
d’une connexion nécessaire entre théorie de la justice et analyse sociale.
Honneth préconise d’articuler à nouveaux frais une réflexion sur les
principes de justice avec une analyse sociologique serrée des
transformations qu’ont connues les différentes sphères institutionnelles
modernes. La méthode reconstructive vise à dégager de la vie éthique
moderne les valeurs et les normes qui forment le cœur de la compréhension
morale que nous avons développée de nous-mêmes en tant que membres
des sociétés modernes. Elle se fonde sur une série de prémisses
méthodologiques dont la pertinence doit se vérifier à même la démarche qui
consiste à coupler systématiquement théorie normative de la justice et
analyse socio logique de la modernité, à mener de concert une réflexion de
nature normative et un diagnostic sur le développement historique des
sociétés modernes.
Une première prémisse part de l’idée selon laquelle toute société humaine
se reproduit sur la base d’une série d’idéaux et de normes communes qui
forment pour ainsi dire les « valeurs ultimes » en fonction desquelles les
individus socialisés se reconnaissent mutuellement, au cœur même des
pratiques et des institutions sociales, un ensemble de droits et de devoirs.
D’où une deuxième prémisse : si les valeurs et les idées ne prennent à leur
tour sens que du fait de leur inscription dans une série de pratiques et
d’institutions sociales, alors l’idée de justice ne peut être correctement
comprise de manière « constructiviste » ou « externaliste », mais
uniquement de manière « immanente » à la réalité sociale. Honneth entend
ainsi se démarquer d’autres théories contemporaines de la justice, qui,
comme Rawls ou Habermas, définissent d’abord a priori des principes
normatifs (celui d’une redistribution équitable ou d’une discussion sans
contrainte), pour ensuite seulement réfléchir à leur application dans la
réalité sociale.
En admettant que l’idée de justice ne plane pas au-dessus de la réalité
sociale mais qu’elle soit au contraire profondément ancrée en elle, on
pourrait reprocher à la méthode d’une reconstruction normative et à ses
prémisses de départ de basculer sinon dans un conservatisme au moins dans
une accommodation paresseuse avec les conditions sociales existantes.
Honneth doit donc préserver un espace de manœuvre suffisant pour
l’exercice d’une forme de critique sociale. Or, l’hypothèse selon laquelle les
valeurs et les idées sont profondément ancrées dans la vie sociale
n’implique pas forcément une affirmation béate ou cynique vis-à-vis de tout
ce qui existe. Il y a place, à condition d’interpréter la notion hégélienne de
« vie éthique » en des termes dynamiques, pour une évaluation critique des
conditions sociales existantes. Honneth dégage la possibilité d’une
« critique reconstructive » en montrant que le caractère « éthique » des
institutions dépend de leur capacité à réaliser effectivement l’ensemble des
valeurs et des idéaux dont elles sont censées être les porteuses. Autrement
dit, même si les normes et les valeurs sont enracinées dans la structure des
sociétés modernes, la réalité sociale existante n’épuise jamais tout à fait le
potentiel normatif que contiennent les différentes sphères institutionnelles
de la vie éthique moderne.
Après avoir clarifié dans ses grandes lignes les intentions de sa méthode
reconstructive, Honneth propose de considérer la liberté individuelle
comme la « valeur ultime » autour de laquelle gravite l’intégration
normative des sociétés modernes. La liberté des modernes se laisse
cependant comprendre de différentes façons, compréhensions divergentes
d’une même notion qu’il faut alors pouvoir départager et hiérarchiser entre
elles. Pour ce faire, Honneth s’aide des trois modèles de liberté tirés de sa
lecture de Hegel en réaffirmant la supériorité de la « liberté sociale » sur les
modèles « individualistes » concurrents de la « liberté négative » et de la
« liberté réflexive ». Par rapport à ses précédentes réflexions, il fait en outre
correspondre à chacun des modèles de liberté une conception spécifique de
la justice sociale. La « liberté négative » comprise comme l’absence
d’entraves extérieures va de pair avec une théorie contractualiste,
hobbesienne, de la justice où il s’agit de faire droit aux intérêts bien
compris des individus. La « liberté réflexive » entendue comme le rapport
conscient d’un sujet rationnel à ses propres actions débouche quant à elle
sur une conception kantienne de la justice qui est fonction des attentes
morales universalisables de chacun. À la « liberté sociale », enfin,
correspond un modèle de justice en termes de théorie de l’éthicité qui
appréhende la qualité des relations éthiques auxquelles participent des
individus socialisés. Par rapport à cette dernière, les limites des modèles de
justice associés à la « liberté négative » et à la « liberté réflexive » se situent
dans leur incapacité à saisir dans toute leur complexité les conditions
sociales nécessaires à la réalisation effective de la liberté. En raison de leur
abstraction et de leur aveuglement vis-à-vis des contextes socio-historiques
particuliers, ces modèles de liberté et de justice en restent à l’énonciation
d’une possibilité de la liberté, mais sans jamais franchir le pas décisif
suivant qui considère l’effectuation de la liberté individuelle au sein de la
réalité sociale.
Honneth distingue deux dimensions à la « liberté sociale » : la « liberté
intersubjective » et la « liberté objective ». La « liberté intersubjective » est
celle en jeu dans la reconnaissance mutuelle des attentes formulées entre
des partenaires d’interaction ; la « liberté objective » renvoie quant à elle à
l’expérience d’une complémentarité des attentes morales sur la base de
normes institutionnelles définissant pour chacun quels sont ses droits et ses
obligations. Hegel dans sa Philosophie du droit comprenait déjà la liberté
effective comme « l’unité de la liberté subjective et de la liberté
objective »108, comme l’adéquation entre des attentes subjectives
particulières et des normes objectivement sédimentées dans le réseau
institutionnel de la vie éthique. Dans ses Manuscrits parisiens, Marx avait
avancé une conception relativement similaire de la liberté sociale, où la
coopération socio-institutionnelle formait la condition nécessaire à
l’effectuation de la liberté de tous109. En suivant les intuitions théoriques de
Hegel et du jeune Marx, la reconnaissance interpersonnelle (la « liberté
intersubjective ») prend toujours lieu et place dans les institutions de la vie
sociale (la « liberté objective »). L’entrecroisement de ces deux dimensions,
intersubjective et objective, de la liberté sociale explique pourquoi Honneth
parle désormais des « institutions de la reconnaissance » pour désigner
l’objet de sa théorie critique : « Les individus n’expérimentent et ne
réalisent la liberté effective que lorsqu’ils participent à des institutions
sociales marquées par des pratiques de reconnaissance réciproque.110 »
Le modèle de la « liberté sociale » propose un critère général de justice.
Pour ce critère, les institutions de la vie éthique doivent non seulement
fournir aux individus des règles et des symboles leur permettant d’identifier
les attentes de chacun et ainsi assurer la stabilité de leurs interactions
quotidiennes, mais de plus être structurées de manière à ce que les sujets
fassent concrètement l’expérience d’une liberté intersubjective résultant de
leur participation à une forme de vie éthique commune. La conception de la
justice concomitante au modèle de la « liberté sociale » est celle d’une
théorie de la vie éthique moderne qui examinera, sous la perspective d’une
« reconstruction normative », si les chances de participer pleinement à des
« institutions de la reconnaissance » sont ou non effectivement garanties. À
partir de là, Honneth peut déployer l’idée d’une théorie de la justice comme
analyse sociologique de la modernité, tout en préservant l’espace de
manœuvre nécessaire à un diagnostic critique sur l’évolution des sociétés
modernes et de leurs principales institutions.
Dans la continuité de Hegel et de sa Philosophie du droit, Honneth place
trois complexes institutionnels au cœur de son analyse sociologique : les
relations interpersonnelles (qui peuvent être d’ordre intime, amical ou
familial), les relations entre producteurs et consommateurs sur le marché, et
la sphère de l’espace public démocratique à laquelle participent les citoyens
d’une même communauté politique. Si ces sphères institutionnelles ont un
air de parenté avec celles traitées en son temps par Hegel (la famille, la
société civile, l’État), elles témoignent cependant d’importantes évolutions
qui nous éloignent de ses analyses plus qu’elles nous en rapprochent. La
tâche d’une « reconstruction normative », d’une théorie de la justice comme
analyse socio-historique de la modernité, sera précisément de mesurer la
distance qui nous sépare de Hegel.
Aux côtés des trois institutions formant le cœur de la vie éthique
moderne, Honneth traite également des institutions « non éthiques »,
périphériques pour ainsi dire, du droit positif et de la moralité subjective.
Celles-ci correspondent à l’institutionnalisation des modèles de la liberté
négative et de la liberté réflexive. Pour importantes qu’elles soient,
notamment parce qu’elles offrent la possibilité aux acteurs de se détacher
d’une vie éthique défaillante, les institutions du droit et de la moralité en
restent à la définition d’une liberté possible et non pas effective. Seules les
institutions éthiques de l’intimité, du marché et de l’espace public
démocratique fournissent les conditions de réalisation effective de
l’autonomie individuelle. À chacune de ces sphères institutionnelles est
associé un principe normatif qui lui-même s’avère inséparable de nos
interactions les plus quotidiennes. C’est ainsi qu’à la sphère des relations
interpersonnelles est associé le principe d’une réponse adéquate aux attentes
affectives de chacun, à celle du marché le principe d’une coopération libre
et équitable entre les agents économiques, et à celle de l’espace public
démocratique le principe d’une discussion sans contrainte qui mènera à des
prises de décision communes sur le vivre-ensemble111.
Ces trois sphères institutionnelles et leurs principes normatifs respectifs
ne sont pas sans rappeler les trois formes de reconnaissance (amoureuse,
juridique, sociale) d’où Honneth était parti dans ses travaux précédents.
Mais elles s’en détachent cependant par le fait que les rapports
interpersonnels de reconnaissance s’inscrivent à présent dans un réseau
d’institutions. Alors que dans La Lutte pour la reconnaissance il semblait
assumer que les modes de reconnaissance supplantent toujours leurs modes
concrets d’institutionnalisation, Honneth part désormais du présupposé que
les rapports de reconnaissance ne se laissent appréhender qu’à travers les
institutions de la vie éthique moderne. Il garde l’idée d’une conception
pluraliste de la justice sociale, mais en lui associant un ensemble de
principes normatifs que leur teneur distingue légèrement de ceux de
l’amour, du droit et de la coopération sociale.
Armé de la méthode de la « reconstruction normative » et du modèle de
justice véhiculé par la « liberté sociale », quel diagnostic critique pouvons-
nous poser sur l’évolution des différentes « institutions de la
reconnaissance » à l’époque moderne ? Quand il aborde le versant plus
sociologique de sa démarche, Honneth se montre relativement optimiste eu
égard à la première sphère institutionnelle, celle des relations
interpersonnelles. Qu’il s’agisse des liens d’intimité sexuelle dans le couple,
des rapports d’amitié ou encore des liens tissés au sein de la famille
mononucléaire, une tendance historique à la « démocratisation » se dessine,
au cours de laquelle il est devenu possible à chacun d’exprimer sur un pied
d’égalité ses besoins en termes d’affection et de sentiments. C’est en
particulier la « triade » formée par les parents et l’enfant au sein de la
famille contemporaine qui retient l’attention de Honneth. À la différence du
modèle « autoritaire » de la famille qui a prévalu pendant plusieurs siècles,
la personne de l’enfant est aujourd’hui de plus en plus reconnue dans sa
particularité et son individualité propre.
Le tableau se noircit s’agissant des deux autres sphères institutionnelles.
Honneth y repère des « évolutions perturbatrices » qui trahissent un
décalage entre les conditions institutionnelles existantes et les principes
normatifs du marché et de la sphère publique démocratique. Sous le coup de
la « désorganisation de l’économie capitaliste », le principe de coopération
sociale tend à être supplanté par une concurrence accrue, impitoyable, entre
les producteurs et consommateurs sur le marché. La sphère démocratique se
caractérise quant à elle par une poussée de « privatisation » qui a
notamment pour effet de provoquer auprès du public un sentiment
généralisé d’»apathie » et de désengagement vis-à-vis de la vie
citoyenne112.
L’analyse critique des « institutions de la reconnaissance » existantes
s’accompagne chez Honneth d’un espoir dans les différentes luttes sociales
qui devront permettre de contrecarrer les tendances à « l’évolution
perturbatrice » des sociétés modernes. Tout comme dans La Lutte pour la
reconnaissance, il insiste sur le moteur historique que représentent les luttes
pour l’émancipation et sur la signification particulière que revêtent ces
luttes à la lumière d’un « progrès moral » des sociétés modernes. De telles
luttes peuvent convoquer les normes que contiennent au moins
potentiellement les « institutions de la reconnaissance », tantôt afin de
veiller à leur application concrète, tantôt en vue de les intensifier et de les
élargir. Rien ne dit cependant que ces principes implantés dans les
institutions et les pratiques de la vie éthique moderne ne fassent eux-mêmes
un jour l’objet de profondes transformations. L’entreprise d’une
« reconstruction normative » proposée par Honneth dans Le Droit de la
liberté serait alors à reprendre à nouveaux frais. Mais tout porte à croire que
les luttes en cours ou à venir, qu’elles soient à tendance réformatrice ou
révolutionnaire, continueront de faire appel à la norme démocratique de la
« liberté sociale » comprise comme l’expérience d’une complémentarité
foncière entre des libertés individuelles participant à des rapports
institutionnalisés de reconnaissance réciproque. En ce sens, l’idéal d’une
« vie éthique démocratique » n’est pas seulement derrière nous, comme un
héritage livré par la modernité, mais aussi et surtout devant nous, au titre de
projet à réaliser.
99. Les Pathologies de la liberté, p. 25.
100. G. W. F. Hegel, Principes de la philosophie du droit, op. cit., § 158, addition, p. 199.
101. « Justice et communication. Réflexions à partir de Hegel », p. 49.
102. G. W. F. Hegel, Principes de la philosophie du droit, op. cit., § 149, addition, p. 194 (trad.
modifiée).
103. Les Pathologies de la liberté, p. 53. « Souffrir d’indéterminité » (Leiden an Unbestimmtheit) est
le titre original de l’ouvrage consacré à la réactualisation de la philosophie hégélienne du droit.
104 . Ibid., p. 172.
105 . Ibid., p. 104.
106 . Ibid., p. 124.
107. Das Recht der Freiheit. Grundriß einer demokratischen Sittlichkeit, Francfort, Suhrkamp, 2011.
Une traduction française est annoncée chez Gallimard.
108. G. W. F. Hegel, Principes de la philosophie du droit, op. cit., § 258, remarque, p. 334.
109. Marx supposait qu’au sein d’une production sociale véritablement humaine « nos productions
seraient autant de miroirs où nos êtres rayonneraient l’un vers l’autre » (K. Marx, « Notes de
lecture », in Œuvres. Économie II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1968, p. 33).
110. Das Recht der Freiheit, op. cit., p. 94 (notre traduction).
111. Sur ce dernier point, Honneth rejoint les principes exposés par Habermas dans sa « théorie
discursive de la morale » (voir J. Habermas, De l’éthique de la discussion, Paris, Champs-
Flammarion, 1992). La différence avec Habermas se situe dans l’accent particulier mis sur les
conditions institutionnelles nécessaires à la tenue d’une véritable discussion publique.
112. Honneth s’inscrit dans la lignée des analyses entamées par John Dewey dès la fin des années
1920 sur « l’éclipse du public » (voir J. Dewey, Le Public et ses problèmes, op. cit., p. 199 et
suivantes).
Conclusion
Le droit de la reconnaissance
113. G.W.F. Hegel, Principes de la philosophie du droit, op. cit., § 132, remarque, p. 227.
114. « Une pathologie sociale de la raison », in La Société du mépris, p. 107.
Bibliographie
ARTICLES
« Reconnaissance », in M. Canto-Sperber (dir.), Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale,
Paris, PUF, 1996, p. 1272-1278.
« Reconnaissance et justice », Le Passant ordinaire, n° 38, janvier-février 2002, article consultable
en ligne à l’adresse http://www.passant-ordinaire.com/revue/38-349.asp (dernière consultation
15 juin 2013).
« La théorie de la reconnaissance : une esquisse », Revue du MAUSS, n° 23, 2004, p. 134-136.
« L’autonomie décentrée. Les conséquences de la critique moderne du sujet pour la philosophie
morale », in M. Jouan (éd.), Psychologie morale, Paris, Vrin, 2008, p. 347-363.
« Reconnaissance et reproduction sociale », in J.-P. Payet, A. Battegay (dir.), La Reconnaissance à
l’épreuve : explorations socio-anthropologiques, Lille, Le Septentrion, 2008, p. 45-58.
« Du désir à la reconnaissance. La fondation hégélienne de la conscience de soi », in M. Jouan,
S. Laugier (dir.), Comment penser l’autonomie ?, Paris, PUF, 2009, p. 21-40.
« Justice et liberté communicationnelle. Réflexions à partir de Hegel », in A. Caillé, C. Lazzeri (dir.),
La Reconnaissance aujourd’hui, Paris, CNRS Éditions, 2009, p. 43-64.
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Thomas Hobbes,
l’ordre et la liberté
Norbert Campagna
Imaginer la loi,
le droit dans la littérature
Antoine Garapon et Denis Salas
Jonas,
habiter le monde
Robert Theis
Kant,
la raison du droit
Colas Duflo
Kafka,
le combat avec la Loi
Denis Salas
Kelsen,
plaider la démocratie
Sandrine Baume
Kolakowski,
le clivage de l’humanité
Jacques Dewitte
Lacan,
la loi, le sujet et la jouissance
Franck Chaumon
Fritz Lang,
le jugement
Michel Mesnil
Claude Lefort,
la découverte du politique
Hugues Poltier
Lemkin,
face au génocide
Olivier Beauvallet
Lévinas,
le passeur de justice
Jean-François Rey
John Locke,
le droit avant l’État
Laurent Fonbaustier
Lyotard,
la partie civile
Gérald Sfez
Maât,
l’ordre juste du monde
Bernadette Menu
Marx,
aux origines de la pensée critique
Dick Howard
Mauriac,
la justice des Béatitudes
Jérôme Michel
Merleau-Ponty,
la chair du politique
Myriam Revault d’Allonnes
Michelet,
la magistrature de l’histoire
Olivier Remaud
François Mitterrand,
le fil d’Ariane
Laurence Engel
Montaigne,
le magistrat sans juridiction
François Roussel
Montesquieu,
liberté, droit, histoire
Céline Spector
Mounier,
l’engagement politique
Guy Coq
Jean-Luc Nancy,
retracer le politique
Pierre-Philippe Jandin
Nietzsche,
cruauté et noblesse du droit
Paul Valadier
Michael Oakeshott,
le scepticisme en politique
Quentin Perret
Ortega y Gasset,
l’exigence de la vérité
Yves Lorvellec et Christian Pierre
La Palabre,
une juridiction de la parole
Jean-Godefroy Bidima
Pascal,
la condition de l’homme
François Chirpaz
Jan Patočka,
l’esprit de la dissidence
Alexandra Laignel-Lavastine
Chaïm Perelman,
l’argumentation juridique
Stefan Goltzberg
Péguy,
l’axe de détresse
Jean-Noël Dumont
Philip Pettit,
le républicanisme
Jean-Fabien Spitz
Portalis,
l’esprit de justice
Marceau Long et Jean-Claude Monier
Posner,
l’analyse économique du droit
Sophie Harnay et Alain Marciano
Le Pouvoir,
puissance et sens
Monique Castillo
Proudhon,
un socialisme libertaire
Édouard Jourdain
Rabelais,
fais ce que tu voudras
Thierry Pech
Rawls,
pour une démocratie juste
Vanessa Nurock
Richelieu,
la puissance de gouverner
Arnaud Teyssier
Paul Ricœur,
la promesse et la règle
Olivier Abel
Sade,
le corps constituant
Hugues Jallon
Carl Schmitt,
l’irréductible réalité du politique
Jacky Hummel
Schumpeter,
la démocratie désenchantée
Lucien-Pierre Bouchard
Amartya Sen,
une politique de la liberté
Jean-Michel Bonvin et Nicolas Farvaque
Shakespeare
la comédie de la loi
François Ost
Judith Shklar,
le libéralisme des opprimés
Paul Magnette
Sieyès,
le révolutionnaire et le conservateur
Erwan Sommerer
La Thora,
la législation de Dieu
Raphaël Draï
Tocqueville,
l’apprentissage de la liberté
Laurence Guellec
La Tragédie grecque,
la scène et le tribunal
Frédéric Picco
Michel Villey,
le droit ou les droits ?
Norbert Campagna
Voegelin,
symboles du politique
Thierry Gontier
Voltaire,
le procureur des Lumières
Ghislain Waterlot
Michael Walzer,
le pluralisme et l’universel
Justine Lacroix
Simone Weil,
l’attention au réel
Robert Chenavier
Orson Welles,
la règle du faux
Johan-Frédérik Hel-Guedj
« Le bien commun »
Collection dirigée
par Antoine Garapon
Couverture
4e de couverture
Copyright
Titre
Dedicace
Citation
Introduction
LA RECONNAISSANCE EN DÉBAT
VERS UNE « VIE ÉTHIQUE DÉMOCRATIQUE »
I - La reconnaissance et ses luttes
UN THÈME HÉGÉLIEN
LES TROIS FORMES DE RECONNAISSANCE
UNE ANTHROPOLOGIE HISTORIQUE
II - Une conception de la justice sociale
AMOUR, ÉGALITÉ, SOLIDARITÉ
LE « PROGRÈS MORAL » ENTRAÎNÉ PAR LES LUTTES
III - Redistribution ou reconnaissance ?
FACE AU CHANGEMENT DE PARADIGME
QUESTIONS DE NORMATIVITÉ ET DE THÉORIE SOCIALE
DEUX DÉPLACEMENTS
IV - Les institutions de la reconnaissance
ACTUALITÉ DE LA PHILOSOPHIE DU DROIT DE HEGEL
INSTITUTIONNALISER LA « LIBERTÉ SOCIALE »
Conclusion - Le droit de la reconnaissance
Bibliographie
OUVRAGES
ARTICLES
Table des matières
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