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UNIVERSITÉ GASTON BERGER DESAINT-LOUIS ANNEE ACADEMIQUE: 2022-2023

LICENCE II
SEMESTRE I
UFR DE SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES COURS : DR Papa FARA DIALLO
DEPARTEMENT SCIENCE POLITIQUE TD : MM. A. BEYE, A. TALL Mme
BARRO

ANTHROPOLOGIE POLITIQUE
TRAVAUX DIRIGÉS

FICHE 4 : LE POUVOIR POLITIQUE NON COERCITIF

Toutes les sociétés, archaïques ou non, sont politiques. Mais la notion de politique peut avoir
plusieurs sens : l’un d’eux correspond à notre univers où l’État est omniprésent et où la relation
de commandement-obéissance prime ; l’autre correspond à un univers très différent où la
relation hiérarchisée et autoritaire n’existe pas.
« Les sociétés primitives sont des sociétés sans État parce que l’État y est impossible. Il n’y a
(…) pas de roi dans la tribu, mais un chef qui n’est pas un chef d’État. Qu’est-ce que cela
signifie ? Simplement que le chef ne dispose d’aucune autorité, d’aucun pouvoir de coercition.
Le chef n’est pas un commandant, les gens de la tribu n’ont aucun devoir d’obéissance -
L’espace de la chefferie n’est pas le lieu du pouvoir ».
Mais il y a plus : non seulement les sociétés tribales ne connaissent pas le phénomène étatique
mais elles luttent contre son émergence. C’est pourquoi elles ne sont pas simplement des
« sociétés sans État » mais aussi et surtout des « sociétés contre l’État ». Ces sociétés ont donc
une prescience car elles se savent menacées par le risque de division, d’inégalité mais elles
peuvent s’en prémunir. Clastre analyse différents mécanismes permettant d’éviter l’émergence
de la coercition, de la hiérarchie.
A travers la manière dont la violence s'articule dans ces deux modèles politiques de société,
c'est l'essence de l'État dans sa particularité qui nous est livrée ici, comme organe séparé. C'est
sur ce dernier point que notre étude va se centrer.

Exercice de commentaire :

« Le pouvoir s'accomplit dans une relation sociale caractéristique : commandement obéissance'.


D'où il résulte d'emblée que les sociétés ou ne s'observe pas cette relation essentielle sont des
sociétés sans pouvoir. (...) Ce qu'il convient de relever d'abord, c'est le traditionalisme de cette
conception qui exprime assez fidèlement l'esprit de la recherche ethnologique: à savoir, la
certitude jamais remise en doute que le pouvoir politique se donne seulement en une relation
qui se résout, en définitive, en un rapport de coercition. De sorte que sur ce point, entre
Nietzsche, Max Weber (le pouvoir d'État comme monopole de l'usage légitime de la violence)
ou I ‘ethnologie contemporaine, la parenté est plus proche qu'il n'y parait et les langues différent
peu de se dire à partir d'un même fond: la vérité et L’être du pouvoir consistent en la violence
et I ‘on ne peut pas penser le pouvoir sans son prédicat, la violence.»,
Clastres, P. (1974). La société contre l'État. Paris, France : Éditions de Minuit ; p. 10-11.

Document 2 : Clastres, Pierre, La société contre l'État, Paris, Éditions de Minuit, [1974] 2011,
pp. 169-186.
Références bibliographiques :
BALANDIER Georges, Anthropologie politique, Paris, PUF, 1967.
Balandier, Georges, « L’anthropologie africaniste et la question du pouvoir », in Cahiers
internationaux de sociologie, Vol. 65, 1978, pp. 197-211.
Clastres, Pierre, La société contre l'État, Paris, Éditions de Minuit, [1974] 2011.
Evans-Pritchard, Edward, Les Nuer, Paris, Gallimard, 1962.
Lapierre, Jean-William, Vivre sans État ? Essai sur le pouvoir politique et l'innovation sociale.
Paris, Seuil, 1977.
UNIVERSITÉ GASTON BERGER DESAINT-LOUIS ANNEE ACADEMIQUE: 2022-2023

LICENCE II
SEMESTRE I
UFR DE SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES COURS : DR Papa FARA DIALLO
DEPARTEMENT SCIENCE POLITIQUE TD : MM. A. BEYE, A. TALL Mme
BARRO

ANTHROPOLOGIE POLITIQUE
TRAVAUX DIRIGÉS
FICHE 5 -LES GRANDS COURANTS DE PENSÉE DE L'ANTHROPOLOGIE :
L'ÉVOLUTIONNISME, LE DIFFUSIONNISME ET LE FONCTIONNALISME

I- NOTE INTRODUCTIVE

L’anthropologie, dès ses origines, est globalement dominée par l’évolutionnisme, tant
en Europe qu’aux États-Unis. La découverte de nouvelles sociétés avec ou sans État, organisées
selon des principes si différents de ceux des sociétés européennes, suscitent de nombreuses
interrogations. L’une des questions majeures réside dans la différence de développement
technique et industriel entre les sociétés européennes, américaines et celles des autres
continents. Comment expliquer ces différences ? Est-ce l’absence de contacts, l’isolement, qui
a conduit à cette situation ? Sont-ce des logiques internes ? Ces sociétés représentent-elles ce
que toute société a été ? Assez rapidement la question des contacts entre civilisations s’est posée
– chez Henri Lewis Morgan comme chez Edward Burnett Tylor – et a été très partiellement
explorée. Des diffusions et des emprunts ont été identifiés, qu’il s’agisse de traits culturels, de
techniques, d’art, de langues, etc. Cela suscitera controverses et polémiques, au point de voir
se former vers la fin du XIXe et surtout au début du XXe siècle, un courant qualifié de
diffusionniste.
Seulement, alors que l'évolutionnisme tente de la reconstruire logiquement, le
diffusionnisme a cherché à établir d'une façon plus objective et plus prudente les critères et les
lois permettant de distinguer des moments successifs à travers les processus temporels de la
diffusion. Bref, l'école diffusionniste a constitué un moment important dans l'effort des
ethnologues pour découvrir, en l'absence de toute chronologie, une dimension temporelle, sans
véritables dates, dans les faits sociaux et culturels. De toutes ces recherches qui ont été
abandonnées à partir de Malinowski et, d'une façon plus générale, à partir de l'apparition de
l'école fonctionnaliste en ethnologie, que reste-t-il aujourd'hui ? La sociologie fonctionnaliste a
été élaborée à partir de quelques notions qui lui préexistaient. D'abord, elle mobilisa le corps
des réflexions de Bronislaw Malinowski qui inventa le fonctionnalisme en anthropologie à
partir de la notion de fonction. Mais elle y adjoint les notions de rôles et statuts qui avaient été
problématisées par le sociologue Everett Cherrington Hughes et l'anthropologue Ralph Linton.
Elle constitue une alternative aux théories anthropologiques alors dominantes, l'évolutionnisme
et le diffusionnisme. Malinowski rompt avec ces deux théories en affirmant qu'une société ne
doit pas être analysée à partir de son histoire mais de son fonctionnement.
L’objet de cette séance est de permettre aux étudiants de comprendre les trois grands courants
théoriques qui ont marqué le balbutiement de l’anthropologie : l’évolutionnisme, le
diffusionnisme et le fonctionnalisme. Ces courants seront articulés à des notions clés - comme
l’histoire, la culture et la fonction -et des moments décisifs comme l’impérialisme et la
colonisation en mettant la focale sur leurs principaux postulats pour apprécier leurs validités et
leurs limites.
II. Exercice

Exercice de commentaire :

Le fonctionnalisme de Malinowski est né dans le contexte du colonialisme. En s’opposant à


l’évolutionnisme et au diffusionnisme, Malinowski a élaboré une théorie de la société et de la
culture répondant à tous les besoins fondamentaux de l’homme — la vision d’une société
harmonieuse, équilibrée où il minimisait l’analyse des conflits et des inégalités. (…) Les
sociétés autochtones étaient intéressantes dans la mesure où elles aidaient les chercheurs dans
leur quête des origines de l’homme. Les autochtones ont été « chosifiés », traités comme les
objets d’une enquête scientifique. La théorie dominante, dans la deuxième moitié du dix-
neuvième siècle, était l’évolutionnisme. L’évolutionnisme plaçait des institutions occidentales
(comme la famille nucléaire dominée par le mâle) au pinacle des réalisations humaines.
L’hypothèse d’une ligne d’évolution unique, suivie par toute l’humanité, restait la base de
l’anthropologie même s’il y eût désaccord sur l’ordre d’apparition des institutions humaines.
Malinowski se montra hostile aux théories évolutionnistes comme celles de Morgan dans
Ancient Society. La théorie évolutionniste stipulait que des cultures continuent de « trainer »
des croyances et des «coutumes vestiges », ce que Malinowski a contesté. Selon lui, de tels «
vestiges » n’existent pas : si quelque chose survit c’est pour remplir une nouvelle fonction dans
la société. Malinowski était également anti-diffusionniste, convaincu de ce que les phénomènes
culturels n’étaient ni adoptés ni empruntés aux autres cultures. Pour lui, la culture n’était pas
une conséquence des emprunts mais plutôt déterminée par les « besoins primaires ».

(…) Malinowski n’a pas critiqué le colonialisme. Il affectait de le considérer d’une façon neutre,
comme une autre forme de changement social. Au sujet du colonialisme en Afrique, il ramenait
tout à un choc entre institutions africaines et institutions européennes. On le voit d’après les
termes mêmes employés (par exemple «higher») cette «neutralité» n’était qu’un leurre. Pour
Malinowski, la relation entre Noirs et Blancs était à sens unique, les Noirs subissant
passivement l’influence des Blancs. L’adaptation progressive des institutions autochtones aux
conditions modernes était inévitable. De toute façon, pour Malinowski l’assimilation à un mode
de vie « supérieur » était pour l’indigène la meilleure chose. Ainsi, l’Indirect Rule était-il
rentable à cause de son caractère protecteur et non-désintégrateur. En Mélanésie, l’Indirect Rule
était important pour son rôle préservateur, celui de prévenir l’extinction des Trobriandais.
Important aussi en Afrique, dans son rôle assimilateur, l’Indirect Rule permettait un
changement social équilibré.
Winslow, D. (1987). Le fonctionnalisme de Bronislaw Manilowski et le « Pacific Way ».
Culture, 7(1), 19–27.
III. Documents
Document 1 :C. Lévi-Strauss, Race et histoire, Gonthier-Unesco, 1961, p. 45-50.

Chaque fois que nous sommes portés à qualifier une culture humaine d’inerte ou de stationnaire,
nous devons donc nous demander si cet immobilisme apparent ne résulte pas de l’ignorance où
nous sommes de ses intérêts véritables, conscients ou inconscients, et si, ayant des critères
différents des nôtres, cette culture n’est pas à cette égard, victime de la même illusion.
Autrement dit, nous apparaitrions l’un à l’autre comme dépourvu d’intérêt, tout simplement
parce que nous ne nous ressemblons pas.
La civilisation occidentale s’est entièrement tournée depuis deux ou trois siècles, vers la mise
à disposition de l’homme de moyens mécaniques de plus en plus puissants. Si l’on n’adopte ce
critère, on fera de la quantité d’énergie disponible par tête d’habitant l’expression du plus ou
moins haut degré de développement des sociétés humaines. La civilisation occidentale, sous sa
forme nord-américaine, occupera la place de tête, les sociétés européennes venant ensuite, avec,
à la traine, une masse de sociétés asiatiques et africaines qui deviendront vite indistincte. Or ces
centaines ou même ces milliers de sociétés que l’on appelle « insuffisamment développées » et
« primitives », qui se fondent dans un ensemble confus quand on les envisage sous le rapport
que nous venons de citer (et qui n’est guère propre à les qualifier, puisse que cette ligne de
développement leur manque ou occupe chez elles une place très secondaire), elles se placent
aux antipodes les unes des autres ; selon le point de vue choisi, on aboutirait donc à des
classements différents.
Si le critère retenu avait été le degré d’aptitude à triompher des milieux géographiques les plus
hostiles, il n’y a guère de doute que les Esquimaux d’une part, les Bédouins, emporteraient la
palme. L’Inde a su, mieux qu’une autre civilisation, élaboré un système philosophico-religieux,
la Chine, un genre de vie, capable de réduire les conséquences psychologiques d’un
déséquilibre démographique. Il y’a déjà treize siècles, l’Islam a formulé une théorie de la
solidarité de toute les formes de la vie humaine : technique, économique, social, spirituel, que
l’Occident ne devait retrouver que tout récemment, avec certains aspects de la pensée marxiste
et la naissance de l’ethnologie moderne. On sait quelle place prééminente cette vision
prophétique a permis aux arabes d’occuper dans la vie intellectuelle du Moyen-âge. L’Occident,
maître des machines, témoigne de connaissances très élémentaires sur l’utilisation et les
ressources de cette suprême machine qu’est le corps humain. Dans ce domaine au contraire,
comme dans celui, connexe, des rapports entre le physique et le moral, l’Orient et l’Extrême-
Orient possèdent sur lui une avance de plusieurs millénaires ; ils ont produit ses vastes sommes
théoriques et pratiques que sont le yoga de l’Inde, les techniques du souffle chinoise ou la
gymnastique viscérale des anciens Maoris. L’agriculture sans terre, depuis peu à l’ordre du jour,
a été pratiquée depuis plusieurs siècles par certains peuples polynésiens qui eussent pu
enseigner au monde l’art de la navigation, et qui l’on profondément bouleversé, au XVIIIe
siècle, en lui révélant une vie sociale et morale plus libre et plus généreuse que tout ce que l’on
soupçonnait […]
D’ailleurs, ce ne sont pas tellement ces apports morcelés qui doivent retenir l’attention, car il
risquerait de nous donner l’idée, doublement fausse, d’une civilisation mondiale composée
comme un habit d’Arlequin. On a trop fait état de toutes les propriétés : phénicienne pour
l’écriture ; chinoise pour le papier, la poudre à canon, la boussole ; indienne pour le verre et
l’acier… Ces éléments sont moins importants que la façon dont chaque culture les groupe, les
retient ou les exclut. Et ce qui fait l’originalité de chacune d’elle réside plutôt dans sa façon
particulière de résoudre les problèmes, de mettre en perspective les valeurs, qui sont
approximativement les mêmes pour tous les hommes : car tous les hommes sans exceptions
possèdent un langage, des techniques, un art, des connaissances de type scientifique, des
croyances religieuses, une organisation sociale, économique et politique. Or, ce dosage n’est
jamais le même pour chaque culture, et de plus en plus l’ethnologie moderne s’attache à déceler
les origines secrètes de ces options plutôt qu’à dresser un inventaire de traits séparés.

IV. Bibliographie

Altran, Scott, « Théorie cognitive de la culture : Une alternative évolutionniste à la


sociobiologie et à la sélection collective », L’Homme (166), 2003, p. 107-144.
Boas, Franz, “Evolution or diffusion”, American Anthropologist, 26, p. 340-344.
Bonté, Pierre & Izard, Michel, Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Paris, PUF,
1991.

Deliege R., Une histoire de l’anthropologie. Écoles, auteurs, théories, Paris, Seuil, 2006.

Elliot-Smith, G., Culture: The Diffusion Controversy, Londres, 1927.


Evans-Pritchard,Edward & Meyer, Fortes, Les systèmes politiques africains, Edition,1940.

Geertz, Clifford, Bali : Interprétation d’une culture, Paris, Gallimard, 1983.


Lalèyê I.-P., 1985. « Le fonctionnement social : une phénoménologie des enjeux », Revue
Sénégalaise de Philosophie, n°7-8, p. 183-198.
Malinowski, Bronislaw, Une théorie scientifique de la culture. Paris, François Maspero, 1970.
Merton, Robert King, Éléments de théorie et de méthodesociologique, Plon, Paris, [1949] 1965.
Parsons, Talcott, The Structure of Social Action, McGraw-Hill, New York, 1937.
Radcliff-Brown, Alfred Reginald, Structure et fonction dans la société primitive, Minuit, Paris,
[1952] 1968.
Radcliffe-Brown, Alfred, Structure et fonction dans la société primitive, Paris, Seuil, [1952]
1972.
Sperber, Dan, « Anthropologie et psychologie : pour une épidémiologie des représentations »,
in : D. Sperber (réd.), La contagion des idées, Paris, Odile Jacob, 1996, p. 79-105.
Taylor, E.-B., Primitive
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ANTHROPOLOGIE POLITIQUE
TRAVAUX DIRIGÉS

FICHE 6 –L’ANTHROPOLOGIE DYNAMISTE

I- NOTE INTRODUCTIVE

Aussi appelé dynamiste, l’anthropologie dynamique est un courant qui apparait dans les années
1950. Il est l’héritier de l’école de Manchester qui avait commencé des travaux proches de
l’anthropologie dynamique. Cette anthropologie se distingue de l’anthropologie classique à la
même époque dans leur souci de donner une vision dynamique. Les anthropologues de ce
courant ne considèrent pas le changement comme négatif, ils considèrent que le changement
peut être utile à l’anthropologie et donc l’appréhende comme un phénomène pour mettre en
avant les dynamiques des sociétés. Ce courant est contre le fonctionnalisme et le structuralisme
car ces courants s’intéressaient à ce qui perdure alors que l’anthropologie dynamique s’intéresse
à ce qui ne va pas, ne dure pas…. Avec cette façon de penser la société, les anthropologues
dynamistes abolissent la distinction qu’avait fait Lévi-Strauss entre société chaude et société
froide.
Cette anthropologie se fixe comme objectif d’appréhender l’histoire (coupure avec le
structuralisme). Elle affirme le caractère dynamique des sociétés. On entend prendre en
considération les facteurs externes et internes de changements dans les sociétés, ce qui fait
référence à la notion d’acculturation. L’autre thème cher à Balandier est tradition et modernité.
La modernité se nourrit de la tradition et vice-versa. Les conséquences de cette politique de la
colonisation vont pouvoir être interprétées avec la tradition et la modernité. La modernité va
provoquer la dénaturation des unités politiques. Les sociétés qui avaient des instruments
politiques efficaces ne vont plus être utilisées car elles seront sous l’autorité de la France. Il y
a toujours une imbrication entre tradition et modernité (surtout dans les villes). Ainsi, le
colonialisme s’affiche comme « force modernisante » et les conséquences politiques de la
colonisation s’interprètent sous l’angle du rapport tradition/modernité.
Voilà en quoi l’anthropologie dynamique était une posture innovante dans la démarche
anthropologique.

II. Exercice de dissertation

Sujet : La place des contextes et des trajectoires historiques dans l’anthropologie


dynamiste.
III. Documents

III : Documents n° 1. Liliane Voyé, « Présentation du texte de Georges Balandier


« Phénomènes sociaux totaux et dynamique sociale » », SociologieS [En ligne],

L'époque qui voit s'écrire cet article (1961) est celle des décolonisations. Toujours imprégné
des expériences du résistant qu'il a été durant la guerre et surtout savant connaisseur de l'Afrique
(Sénégal, Mauritanie, Guinée, Gabon, Congo…) où il a longtemps conduit ses recherches (en
particulier de 1946 à 1951), Georges Balandier participe alors activement à la réflexion et,
durant un bref moment, à l'information officielle de l'action politique visant à concevoir le
processus de décolonisation. Déjà il est sensible à la question des mutations. En effet, loin de
se limiter à l'étude des aspects traditionnels des sociétés africaines, Georges Balandier a
d'emblée, comme en témoignent ses thèses Changements sociaux au Gabon et au
Congo et Sociologie des Brazzavilles noires défendues en 1954, tourné son regard vers les
changements, « les turbulences » qui secouent ces sociétés. Cette perspective n'a jamais cessé
de traverser ses recherches. Avec le concept de « tiers monde » qu'il invente en 1956 pour
souligner les analogies qu'il voit entre les pays africains et le « tiers état », on la retrouvera aussi
au cœur des travaux du Centre d'études africaines, qu'il crée en 1957 à l'ÉPHÉ alors qu'il vient
de publier Afrique ambiguë, ainsi que dans son enseignement à la Sorbonne où il sera élu en
1962.

L'article proposé ici reflète la situation de ce moment agité, à laquelle Georges Balandier était
doublement partie prenante. Et parce qu'il était (et reste) un des plus savants connaisseurs de
l'Afrique, et parce qu'il a très tôt pris le risque de prendre parti pour l'indépendance des pays de
ce continent, annonçant son invincible engagement pour la démocratie. Témoignant de ces deux
fondements, cet article recèle d'emblée la plupart des thèmes majeurs que celui-ci ne cessera de
peaufiner tout au long de ses travaux, thèmes qui font la singularité et la richesse d'une pensée
toujours en alerte. Il est aussi l'illustration d'une méthode rigoureuse que l'auteur n'a cessé de
mettre en œuvre sans complaisance tout autant que sans rigidité, quel que soit l'objet sur lequel
porte son regard.

D'entrée de jeu, le titre de cet article porte en lui une dimension cruciale de la théorie de Georges
Balandier puisqu'il y est question de « dynamique sociale». Pour celui-ci, en effet, « les choses
sociales » comme il les désigne dès les premières lignes de ce texte, sont toujours « en
mouvement ». Lorsque Georges Balandier écrit cela au tout début des années 1960 et alors qu'il
travaille en Afrique, la tradition ethnologique française considère les sociétés traditionnelles
comme a-historiques, figées qu'elles seraient dans l'immobilisme des traditions. Certes elle ne
nie pas que ces sociétés connaissent certains changements mais elle considère néanmoins que
c'est l'invariance, la fixité qui est leur règle. Et elle attribue le peu de désordre, de conflit et de
tension qu'elles produisent à la force immobile des mythes qui les gouvernent. Ceux-ci
effaceraient le temps historique en atrophiant la mémoire collective et en annulant toute forme
de projet par l'anticipation contrainte qu'ils dessinent de l'avenir. « Dès lors, dit Georges
Balandier, ceux qui se placent dans cette perspective considèrent que l'ordre des choses ne peut
être transformé, que la société ne se produit pas mais se reproduit et que l'individu se règle sur
la conformité » (Balandier, 1974, p. 205). Ainsi définies comme a-historiques,
autoreproductibles et quasiment dépourvues de tensions, ces sociétés vont, pour la plupart des
ethnologues français de l'époque, être considérées comme des laboratoires de recherche où l'on
peut étudier à l'état pur ce qui n'est plus saisissable dans le monde occidental, trop complexe et
trop bouillonnant.
Georges Balandier va mettre cette vision des choses radicalement en question, suite notamment
à ses études sur les Fangs, qui lui révèlent, comme il le dit, « le travail historique accompli sans
répit par les générations africaines successives » (Balandier, 1997, p. 254), « le travail de la
société sur elle-même » (Balandier, 1977, p. 233). Dès lors, sa conviction est faite : « il n'existe
pas de sociétés achevées, elles sont toutes en voie de se faire, elles portent constamment en elles
le débat et l'incertitude et elles sont toutes ouvertes à l'évènement et aux impulsions qui les
lancent dans l'histoire » (Ibid., p. 225), traversées qu'elles sont par les pratiques des acteurs qui,
loin d'être en tous points conformes, conduisent des stratégies, rusent, manipulent et contestent.

Cette démarche, qui met l'événement, la pratique et le changement en son cœur, débouche en
outre sur l'affirmation du caractère approximatif parce que mouvant de toute structure. Georges
Balandier s'écarte ainsi tant de la définition marxiste de celle-ci, affirmant le caractère
déterminant en dernière instance de l'infrastructure, que de celle du structuralisme qui en fait
un modèle d'ordre invariant de la réalité ou encore de celle du structuro-fonctionnalisme qui
insiste sur l'existence d'un équilibre qui serait garanti par les valeurs. Pour lui, toute structure
est traversée par la dialectique de l'ordre et du désordre et la société est en continuel
engendrement, jamais achevée, ce qui l'amène à parler de la « Grande Fabrique Sociale ».

Cette critique d'une vision dichotomique du monde, opposant les sociétés immobiles de la
tradition à celles en mouvement perpétuel de la modernité va par ailleurs conduire Georges
Balandier à contester le cloisonnement, jusque-là posé comme étanche, entre ethnologie et
sociologie : tandis qu'à la première serait réservée l'étude des sociétés dites primitives où la
pérennité de la règle empêche l'histoire de faire irruption, les sociétés occidentales « qui font
de l'histoire le moteur de leur développement » (Balandier, 1974, p. 210) seraient le terrain
réservé à la sociologie. Georges Balandier récuse avec vigueur ce partage des terrains et plaide
pour ce qu'il appelle une « sociologie généralisée » (Balandier, 2003, p. 183) et ce tout à la fois
parce que le mouvement est de tous temps et de tous lieux, et parce que « l'exotique » est loin
de n'être qu'ailleurs : l'inconnu et l'inédit sont de plus en plus présents ici et maintenant.

L'importance majeure attribuée au mouvement qui récuse avec force toute forme d'opposition
radicale entre tradition et modernité va traverser toute l'oeuvre de Georges Balandier et guider
sa pensée de façon permanente à travers le temps – de celui de la fin des colonies à celui de la
surmodernité et de la globalisation – tout comme à travers l'espace – des « Brazzavilles noires »
aux « nouveaux Nouveaux Mondes » (y compris celui du virtuel), explorés avec perspicacité
dans Le Grand Système (2001) et dont, dit-il, « nous sommes à la fois les indigènes – nous leur
appartenons – et les étrangers – nous y sommes souvent dépaysés bien que nous les
pratiquions » (Balandier, 2003, p. 95).

Si Georges Balandier a ainsi révolutionné l'approche des sociétés et la distribution des tâches
scientifiques, c'est en particulier parce qu'il s'est toujours montré attentif aux acteurs sociaux
les plus divers qu'il entend saisir dans leur quotidien. L'article reproduit ici en témoigne
pleinement puisqu'il est construit à partir de la relation de deux « institutions » – le bilaba des
Fang et le malaki des Ba-kongo – qui l'une et l'autre portent sur « l'échange de dons et le défi
du don ». Seule une étude dynamique de celles-ci, dit Georges Balandier, permet d'y discerner
les « révélateurs d'une vie sociale en partie cachée et d'un devenir social encore masqué ». Car
s'il s'agit là de pratiques rituelles que dès lors d'aucuns jugeraient statiques et au résultat
prévisible, « le jeu n'est jamais simple et l'issue ne paraît pas unique : parce que ces institutions
comportent des thèmes multiples et complexes, les accentuations varient selon les époques et
les conjonctures, les résultats diffèrent selon le calcul des individus et des groupes en cause ».
Le bilaba et le malaki apparaissent ainsi comme des institutions fonctionnant en tant que
« révélateurs de certains dynamismes économiques, sociaux et politiques […] ; elles sont
sensibles à toute conjoncture qui menace les équilibres établis et elles permettent aux
ajustements nouveaux de se réaliser », tant au niveau économique que dans les domaines social
et politique. On a donc affaire à des institutions totales dans la mesure où elles jouent sur le tout
et en font percevoir le mouvement. Ainsi leur caractère de structure officielle ne réussit-il pas
à endiguer les dynamismes qui y sont sans cesse à l'oeuvre et qui induisent des changements.

L'observation de la vie quotidienne sera une constante des travaux de Georges Balandier,
comme le montrent encore très clairement ses récents ouvrages sur la modernité que sont Le
Détour (1985), Le Désordre (1988), Le Dédale (1994), Le Grand Système (2001) et, au-delà de
sa conception différente et de l'évocation par touches du parcours d'ensemble de
l'auteur, Civilisés, dit-on (2003) qui témoigne largement de ce même souci en référence lui
aussi à la modernité/surmodernité. Dans ces différents ouvrages, tout comme il l'a fait
antérieurement en Afrique – l'Afrique des gens, comme il y insiste (Ibid., p. 166) –, c'est au
quotidien que Georges Balandier traque le mouvement. Le développement des nouveaux modes
de tissage du lien social que sont les réseaux, la multiplication des nouvelles technologies
d'information et de communication et la technicisation généralisée croissante, la prolifération
des signes, les transformations du rapport aux objets, les retours de « la vigueur disciplinaire de
la croyance » tout autant que la montée de la « nébuleuse mystique-ésotérique », le souci des
corps, la dominance du marchand… : voilà autant d'« objets » parmi d'autres que Georges
Balandier explore pour saisir l'engendrement actuel de la société, les forces qui y sont à l'oeuvre
et qui ne cessent de la travailler. À le lire, on ressent pleinement la puissance critique du regard
qu'il porte sur toutes choses, y compris sur celles que d'autres considèreraient comme
insignifiantes alors que lui y décèle des indices de ce qui se trame et oriente le devenir. On y
découvre aussi son refus de pratiquer une sociologie « de la pure rationalité » ou du « calcul
individualiste », comme il désigne certaines dérives de la discipline, qui « sont défaillantes du
fait de leur insuffisante attention au désir et aux désirs, à l'imaginaire et à l'intuition, aux
passions et à leur violence, aux attentes et à leur insatisfaction » (Balandier, 1994, p. 175).

Cette exploration des différentes dimensions du quotidien pour y débusquer le mouvement


conduit à nouveau Georges Balandier à s'interroger sur le fonctionnement, le rôle et le statut
des sciences sociales et humaines, sur les défis auxquels elles sont aujourd'hui confrontées et
sur la nécessité de leur évolution. Prises qu'elles sont entre l'attente de les voir remplir une
fonction opératoire – celle de l'utilité présente – et leur « vocation » pourrait-on dire qui
consiste à « éclairer ce qui s'accomplit en cette période de nouveaux commencements, de mettre
en oeuvre une prospective du sens selon la double acception du terme » (Balandier, 2001,
p. 227), il s'agit pour elles d'éviter les pièges d'une scientificité apparente, ceux qui pourraient
la conduire à « privilégier une lecture techniciste, l'interprétation systémique au détriment d'une
connaissance de ce qui se préfigure en des formes inédites et de ce qui s'expérimente
continûment dans le champ plus modeste de la quotidienneté » (Ibid., p. 225). S'appuyant sur
« une pratique de recherche concrète plus fermement établie et plus féconde » (Ibid., p. 225), il
s'agit aussi qu'elles gardent avec fermeté « une part de la liberté qui les rendait créatrices par
distanciation, discordance ou dissidence » (Ibid., p. 226) et qu'elles restent fidèles au projet de
leurs fondateurs qui se voulaient « explorateurs du social assumant des risques […], aidant à
l'élaboration des visions possibles de ce qui advenait en leur époque » (Ibid., p. 228).

Si l'affirmation du mouvement et l'exigence de l'exploration minutieuse de la quotidienneté sont


deux aspects majeurs et constants de la sociologie de Georges Balandier, une sociologie dont il
entend définir le projet sans concession aux modes, on ne peut par ailleurs taire l'attention qu'à
travers toute son oeuvre, il accorde au pouvoir et au politique. Le texte « Phénomènes sociaux
totaux et dynamique sociale », montre ce thème clairement présent dans les deux institutions
décrites, le bilaba et le malaki. On y voit le jeu des rapports sociaux, avec les rivalités et les
alliances, les conflits qui s'engagent et les réseaux qui se forment, les modes d'acquisition du
prestige et de l'autorité en référence à la distribution et à la consommation des richesses et à
l'organisation de manifestations publiques et de fêtes garanties par le sacré qui est, souligne
Georges Balandier, « une des dimensions du champ politique » (Balandier, 1967, p. 137), soit
qu'il soit l'instrument de sa légitimité, soit qu'il vienne le contester ou le limiter. On y décèle
aussi ses liens avec l'économie et ses jeux ambigus avec la notabilité morale. Mais là encore
rien n'est joué d'avance : « un même cadre institutionnel s'accorde aux circonstances et se
charge de significations et de fonctions présentant des différences selon la situation à laquelle
on le réfère ; il obéit à la stratégie variable des individus éminents et des groupes qui les suivent
et la révèle ».

Présent de l'une ou l'autre manière dans tous les écrits de Georges Balandier, comme par
exemple dans Le Détour : pouvoir et modernité, ce thème du pouvoir et du politique est
évidemment au coeur de son Anthropologie politique où Balandier définit les buts principaux
de celle-ci : il s'agit de ne pas lier le politique aux seules sociétés modernes ni à l'existence d'un
appareil étatique ; les processus de formation et de transformation des systèmes politiques
doivent être étudiés « à la faveur d'une recherche parallèle à celle de l'historien » ; et il convient
de conduire une démarche comparative et non de se cantonner à l'examen d'une histoire
particulière. Ces points de méthode vont être repris et mis en oeuvre inlassablement, comme le
montre encore la réédition et l'actualisation de son ouvrage Le Pouvoir sur scènes (2006). Le
projet théorique explicite reste identique à ce qu'il était au départ : il s'agit de proposer « une
contribution propice à la reconnaissance des éléments symboliques et imaginaires, des
processus dramatiques et des jeux d'apparence qui sont à l'oeuvre dans le gouvernement de
toutes les sociétés et dans les façons dont celles-ci assument leur présence à l'Histoire »
(Balandier, 2006, p. 10). Mais désormais Georges Balandier s'inquiète car il voit « le
mouvement des idées, l'épreuve de l'évènement » reconfigurer l'espace politique, en particulier
à partir de la progression ravageuse de « l'empire communicationnel » qui envahit tout : « les
espaces du symbolique et du sacré, des pouvoirs économique et politique, des savoirs et des
savoir-faire et des explorations culturelles. […] Et le pouvoir découvre que sa légitimité dépend
de la capacité des gouvernants à communiquer, à agir sur les facteurs d'opinions » (Ibid.,
pp. 157-158), opinions qui sont de plus en plus « fabriquées et captives ». Georges Balandier
redoute de voir ainsi s'amplifier la fonction politique des images, où la guerre apparaît comme
« une variété de jeux vidéo ». Certes, dit-il, « le politique relève de la scénologie, le social
également. Il en a toujours été ainsi, mais les techniques de communication actuelles engendrent
une progression rapide de l'intensité dramatique, une capacité croissante d'en calculer et
maîtriser les effets, de les dévier aussi selon les intérêts en jeu » (Ibid. p. 169). Si le pouvoir
s'est toujours mis en scène, il le faisait autrefois en temps réel, dans la présence physique de ses
« spectateurs » qui étaient alors des participants porteurs de leurs rôles réels, alors
qu'aujourd'hui, il s'agit d'un spectacle transmis à distance pour la multitude et qui, empruntant
les modèles de la publicité et du show – le terme anglais n'est pas utilisé par hasard ni par
« trahison »de la langue française – (Balandier ne voit-il pas lui-même les candidats aux
diverses élections comme des rock-stars ?) – « en appelle plus à l'émotion qu'à la réflexion »
(Ibid. p. 172). Et le fait de voir le « citoyen-spectateur » – avec la contradiction que contient
déjà cette expression – « rendu proche » et physiquement présent par le jeu du face-à-face ou
du questionnement direct par le truchement de la technologie, est loin d'apaiser le souci de
Georges Balandier : il craint qu'il ne s'agisse là que d'un jeu, d'où l'implication réelle dans le
débat politique est absente et qui, de plus, affaiblit la fonction symbolique du politique dont « le
détour » par l'Afrique l'a rendu pleinement conscient.

Un tel glissement doit mettre en alerte, insiste-t-il, car il pose une question majeure : comment
concilier la démocratie et l'envahissement médiatique, alors que l'exercice de l'une est affaibli
par les jeux de l'autre ? Avec une telle interrogation, Georges Balandier manifeste une fois
encore sa vision de la sociologie et souligne la « mission » qu'il lui attribue et à laquelle il est
obstinément resté fidèle tout au long de son oeuvre. « Elle est un instrument du doute et de la
critique, insiste-t-il, et pour cette raison, elle est nécessaire à la pratique de la démocratie
effective » (Balandier, 2003, p. 321), une démocratie qui « par essence, doit être vertueuse »
(Balandier, 1994, p. 198). Ainsi sans nullement renoncer, loin s'en faut, à l'exigence de rigueur
scientifique qu'il entend lui imposer, notamment dans le traitement des faits, Georges Balandier
considère que le sociologue ne doit jamais oublier qu'il habite lui aussi le monde social et que
dès lors, il ne peut « céder aux séductions théoriciennes qui détournent de l'incommode Sujet
historique en le remplaçant par les seules figures nées de l'abstraction et des logiques mises à
son service » (Balandier, 1997, p. 409). Tout comme les pères fondateurs de la discipline, il se
doit d'être fidèle à certaines valeurs morales, d'avoir un projet de société. Pour ce faire, il
importe avant tout qu'il s'efforce d'identifier ce qui se construit et qu'il soit attentif à l'évènement
car, insiste-t-il, « c'est par l'évènement que les clôtures sont brisées, celles où les systèmes de
pensée rigides enferment la vérité, celles où les croyances intangibles emprisonnent l'espérance,
celles où les sociétés closes maintiennent par force l'illusion de leur excellence » (Ibid., p. 294).
Fidèle à cette démarche, le sociologue se doit aujourd'hui de garder obstinément en tête deux
questions. « Comment parvenir à percevoir, puis à renforcer le lien social dans un monde de
réseaux, dans une société de l'information et du multimédia ? […] Comment reconnaître les
processus qui se conjuguent et menacent d'entraîner une nouvelle et néfaste disparition du Sujet
alors que le maillage des réseaux définit pour l'individu ce qu'il perçoit et interprète, ce qui
informe et fournit la matière de son action et que le pouvoir de construire le social appartient
surtout à ceux – minorité détentrice d'un exorbitant privilège – qui ont la maîtrise des réseaux,
et donc la production de relations et de significations ? » (Balandier, 2001, pp. 37-38).

Ainsi une fois encore, à travers ces questionnements, Georges Balandier se voit acteur dans la
société où il vit et qu'il entend contribuer à saisir dans ses incessants mouvements non pas
seulement ni avant tout pour faire oeuvre savante mais parce qu'il veut aider à « l'interprétation
continue des mutations contemporaines » et à « l'élaboration des visions possibles » (Ibid.,
p. 228) dans un monde où la sociologie et les sciences sociales en général courent le risque
d'être utilisées au service d'un « économique prévalant contre le social » (Ibid., p. 225). Face à
cette menace, Georges Balandier s'engage et incite chaque sociologue à faire de même dans « le
refus de la passivité. Plus que jamais, dit-il, parce que ce temps est celui de la mutation
généralisée, les hommes ont à se produire [n'est-ce pas là, formulée trente ans plus tôt, l'idée de
la réflexivité énoncée par Giddens ?] et, ce faisant, à produire une société qui leur soit
accordée » (Balandier, 2003, p. 288).

Ayant ainsi brièvement et partiellement – partialement aussi peut-être – parcouru l'oeuvre de


Georges Balandier à partir d'un de ses articles datant de 1961, on a, je l'espère, pu en montrer
l'actualité à travers la constance des thèmes et des préoccupations qui transcendent la diversité
et le renouvellement des terrains de recherche et des temps où celles-ci opèrent. Parce qu'ils
sont décisifs, quelques termes jalonnent ce parcours de façon insistante. Pour ma part, je
retiendrai ceux-ci, qui me paraissent particulièrement centraux. Le mouvement, parce qu'il ne
faut jamais perdre de vue que « la production de la société n'a pas d'achèvement » (Balandier,
1994, p. 234). L'évènement, car il est annonciateur de nouveaux commencements et générateur
de devenir. Plus que jamais nécessaire dans ces « nouveaux nouveaux mondes » où nous
vivons, le détour qui, « par la connaissance des différences du dehors et donc des démarches et
postures intellectuelles qui ont permis de la constituer, prépare à reconnaître et à comprendre
les différences endogènes » (Balandier, 2001, p. 245). L'insoumission car « l'exercice de la
démocratie ne peut s'accommoder d'une adhésion molle qui reste plus celle du spectateur à
distance que celle du citoyen actif et partenaire » (Balandier, 2006, p. 12). Tout cela devant être
conçu dans le cadre « d'une défense de la liberté et de l'initiative créatrice contre toutes les
formes de conditionnement, d'un ravivement de l'éthique collective » (Balandier, 2003, p. 347).
N'est-ce pas là, pour l'Association Internationale des Sociologues de Langue Française que,
depuis le départ, Balandier accompagne et stimule de sa pensée lucide, un programme certes
exigeant mais riche de potentialités et qui, par l'insistance qu'il place sur « la recherche de
l'inédit » (Balandier, 2003, p. 346) pourrait être porteur d'une nécessaire différence dans « le
régime intellectuel » de la discipline.

Document n° 2 : Balandier (1951).


La société colonisée à laquelle s'attache l'anthropologue (en la nommant « primitive » ou «
arriérée », etc.) participe, à un degré plus ou moins important (selon son volume, son potentiel
économique, son conservatisme culturel, etc.), à la situation coloniale ; elle est un des
groupements constituant la « colonie ». Et l'on conçoit mal qu'une étude actuelle de cette société
puisse se faire sans tenir compte de cette double réalité, la « colonie », société globale au sein
de laquelle elle s'inscrit, et la situation coloniale créée par celle-ci ; surtout lorsqu'elle se donne
pour objet avoué les faits résultant du « contact », les phénomènes ou processus d'évolution.
Quand, procédant de manière unilatérale, elle les décèle par rapport au seul fonds traditionnel
(ou « primitif ») elle ne peut guère que les énumérer et les classer ; de même, lorsqu'elle se
limite à l'étude du « contact » entre « institutions » de même nature (comme le recommande B.
Malinowski). En fait, les aspects « modernistes » (une fois repérés) ne deviennent
compréhensibles que par rapport à la situation coloniale ; et c'est vers cette reconnaissance que
s'acheminent certains anthropologues anglais (Fortes, Gluckman) en considérant que, dans le
cas de l'Afrique noire colonisée, société noire et société blanche participent intégralement à un
même ensemble, en abordant la notion de « situation ». De même, R. Bastide a évoqué
l'importance de « la situation dans laquelle le processus se fait »à propos de ses études
consacrées à l'interpénétration des civilisations. Nous avons voulu dépasser le cadre de ces
simples indications, en montrant comment une situation coloniale peut être « abordée », et ce
qu'elle implique ; manifester que tout problème actuel de sociologie des peuples colonisés ne
peut être envisagé que par rapport à cette totalité. La notion de « situation » n'est pas le bien de
la seule philosophie existentielle ; elle s'est imposée à divers spécialistes des sciences sociales,
qu'ils utilisent sous le nom de « situation sociale », comme fait H. Wallon, ou sous le nom de «
conjoncture sociale particulière », comme fait G. Gurvitch - la notion de « phénomène social
total » élaborée par Mauss préparait à de telles exigences.
Il est assez significatif que beaucoup des anthropologues opérant au sein des sociétés
colonisées, et s'attachant aux aspects et problèmes actuels de celles-ci, aient évité
(inconsciemment, le plus souvent) d'évoquer la situation concrète particulière à ces sociétés.
Par crainte (plus ou moins consciente) d'avoir à tenir compte d'un « système » et d'une société
précis : la société coloniale à laquelle ils participent. Ils s'en sont rapportés à des systèmes moins
compromettants, la « civilisation occidentale » et les « civilisations primitives », ou se sont
limités à des problèmes restreints pour lesquels ils ont suggéré des solutions à effets restreints
; et c'est par refus de se soumettre à cette dernière attitude, qu'ils croient inévitable et utile à la
seule société coloniale, que certains anthropologues n'acceptent pas de donner à leur discipline
le caractère de science « appliquée ». Il y a là un fait qui rentre dans le cadre de la critique de
l'observation en matière de sciences humaines ; et qui suggère l'important travail critique auquel
doit se livrer, préalablement, l'observateur des sociétés colonisées.
Nous avons eu, fréquemment, l'occasion d'évoquer le caractère en quelque sorte pathologique
des sociétés colonisées, les crises qui marquent les étapes du processus dit d'« évolution » -
crises qui ne correspondent pas à des phases nécessaires de ce processus, qui ont cependant des
caractères spécifiques en fonction du type de société colonisée et de la nature de la situation
coloniale Ces Noirs islamisés ne réagissent pas comme les Noirs « animistes » ou pseudo-
chrétiens, les sociétés africaines de même type ne réagissent pas à la « présence française »
comme à la « présence britannique », etc.) Mettant en cause la société soumise à la colonisation
dans ce qu'elle a de caractéristique, la situation coloniale dans ce qu'elle a de particulier, ces «
crises » permettent, au sociologue, la réalisation d'une analyse compréhensive, parce qu'elles
constituent les seuls points d'où se puissent saisir, d'une manière globale, les transformations de
celle-là sous l'action de celle-ci. Elles font accéder à des « ensembles » et à des liaisons
essentielles, permettent d'éviter les découpages (changements dans la vie économique, dans la
vie politique, etc.) partiels et artificiels qui ne peuvent aboutir qu'à une description et à une
classification scolastique. Nous avons, déjà, indiqué que ces « crises » constituent autant
d'issues donnant vue non seulement sur les phénomènes de contact mais encore sur la société
colonisée dans ses formes traditionnelles ; il faudrait ajouter qu'elles permettent, ainsi, de faire
une analyse tenant compte, à la fois, du « milieu externe » et du « milieu interne » - et tenant
compte de ceux-ci en fonction des rapports réels qu'ils entretiennent, en fonction d'« états vécus
». On pourrait nous reprocher d'avoir recours, d'une façon plus ou moins explicite, à la
dangereuse notion de pathologique, nous demander quels sont les critères des crises
caractéristiques des sociétés colonisées. Nous renvoyons, alors, à tous les passages de cette
étude où sont évoqués les aspects conflictuels des relations entre société colonisée et société
coloniale, culture autochtone et culture importée - liés aux rapports de domination et de
soumission, aux caractères hétérogènes des sociétés et cultures en contact - où est suggérée la
manière dont ces conflits sont ressentis par les individus. L'histoire des sociétés colonisées nous
révèle des périodes durant lesquelles les conflits sont latents, un équilibre ou une adaptation
provisoires étant réalisés, des périodes durant lesquelles les conflits deviennent manifestes
s'exprimant selon les circonstances à tel ou tel niveau (religieux, politique, économique), mais
mettant en cause l'ensemble des relations existant entre sociétés coloniale et colonisée, entre les
cultures animées par chacune d'elles (comme nous l'avons rappelé à propos des églises nègres
de l'Afrique bantou), des moments où l'antagonisme et la distance existant entre celles-ci sont
maxima, qui sont vécus par le « colonial » comme une remise en discussion de l'ordre établi,
par le « colonisé » comme un essai de reconquérir l'autonomie. À chacun de ces moments, qui
peuvent se repérer au long de l'histoire de la société colonisée, celle-ci présente un état de crise
caractérisé ; c'est, alors, que nous l'envisageons en fonction de la situation coloniale concrète ».

IV. Bibliographie

Amselle, Jean-Loup & Diagne, Souleymane Bachir, En quête d’Afriques : Universalisme et


pensée décoloniale, Paris, Albin Michel, 2018.
Amselle, Jean-Loup, Logiques métissés. Anthropologie de l’identité en Afrique et ailleurs,
Paris, Payot, 1990.
Balandier, Georges, « La situation coloniale : approche théorique », Cahiers internationaux de
sociologie, vol. 11, 1951, p. 44-79.
Balandier, Georges, « L’anthropologie africaniste et la question du pouvoir », in Cahiers
internationaux de sociologie, Vol. 65, 1978, pp. 197-211.
Balandier, Georges, Anthropologie politique, Paris, PUF, 1967.
Balandier, Georges, Anthropo-logiques, Paris, Presses Universitaires de France, 1974.
Balandier, Georges, Sens et puissance. Les dynamiques sociales, Paris, PUF, 1971.
Deliege, Robert, Une histoire de l’anthropologie. Écoles, auteurs, théories, Paris, Seuil, 2006.

Diop, Cheikh Anta, Nations nègres et cultures, Paris, Présence africaine, 1979.
Evans-Pritchard, Edward & Meyer, Fortes, Les systèmes politiques africains, 1940.
Gluckman, Max, Custom and conflict in Africa, London, Blackwell, 1956.
Hartog, François, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Le Seuil,
2003.
Hymes, Dell (Ed.), Reinventing Anthropology, New York, Vintage Books, 1974.
Mamdani, Mahmood, Citoyen et sujet. L’Afrique contemporaine et l’héritage du colonialisme
tardif, Paris, Karthala – Sephis, 2004.

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