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La science politique est la dernière venue des sciences sociales (début XXe dans le monde, et années 60 en France). Ce caractère
récent a des conséquences, puisque la science po tâtonne un peu au niveau méthodologique, n’a pas réglé ses problèmes
fondamentaux et qui plus est se renouvelle en permanence.
Les hommes se sont toujours intéressés aux questions politiques (Platon, Aristote, Machiavel, Montesquieu, Hobbes, Rousseau,
Tocqueville…). Pour autant, la démarche ne relève pas forcément de ce qu’on appelle la science politique ; on parlerait plutôt de
philosophie politique. En effet c’est une démarche moraliste, essayiste, à la recherche du gouvernement idéal.
Il faut alors compléter cette réflexion par la mise en œuvre d’une méthode d’investigation scientifique, pour essayer de mettre en
évidence ce qui est et non se contenter de dire ce qui devrait être. Cette démarche n’est pas aisée pour de nombreuses raisons.
D’abord, la science politique apparaît aux non-initiés comme une sorte de fourre-tout, parce qu’on observe que beaucoup
d’individus parlent au nom de la science po, notamment des universitaires d’autres disciplines, des journalistes… Cette idée est
illustrée par la notion de politologue, qui renvoie au commentaire journalistique sur la politique.
Ainsi dans l’esprit des citoyens il y a un brouillage entre discours savants (de politistes) et discours de politologues. Cette idée on la
retrouve à travers l’expression « sciences politiques » au pluriel, qui implique finalement de prélever des éléments politiques dans
l’ensemble des sciences sociales.
Or si toutes les disciplines des sciences sociales ont vocation à s’intéresser aux phénomènes politiques, la spécificité de la science
politique c’est que la politique est son objet exclusif.
Ensuite, la science politique est une discipline fragile, qui nécessite des conditions particulières en termes de liberté de conscience
et d’expression pour exister et se développer. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles elle n’est apparue que tardivement, et
plus encore dans les pays de l’ancien bloc soviétique.
Ainsi la répression politique peut être un facteur empêchant le développement des sciences sociales. A ce titre Robert Merton a fait
une étude sur les effets néfastes du totalitarisme sur la démarche scientifique : les scientifiques sont complétement dépendants vis-
à-vis du pouvoir politique (interdiction de la démarche critique).
Finalement s’il n’y a pas de démocratie, il ne peut y avoir de science sociale, parce que la démocratie encourage l’esprit scientifique ;
c’est un régime fondé sur le débat, la tolérance, l’égalité, voire qui accepte le désordre.
Maurice Duverger (années 50) disait de la science po qu’elle était une discipline dans l’enfance. Ce caractère récent se retrouve en
particulier dans la difficulté de donner une définition précise à cette discipline. En fait il n’existe pas une mais des définitions, aucune
ne faisant véritablement consensus. On peut tout de même les regrouper dans plusieurs catégories :
Les définitions qui essayent de mettre en évidence la spécificité de la science politique ; elles sont presque sociologiques.
Ex – Madeleine Grawitz : « l’étude de la façon dont les hommes conçoivent ou utilisent les institutions qui régissent leur vie en
commun, les idées et la volonté qui les anime, pour assurer la régulation sociale ».
Les définitions plus rigoureuses, qui essayent d’être plus exhaustives ; elles traduisent la volonté d’émancipation de la sp.
Ex – Bernard Lacroix : « l’explication des conditions et des formes du débat politique, l’explication des faits et gestes des pros
engagés dans cette activités, l’étude de la manière dont ce déploiement d’activités affecte les acteurs sociaux ».
Les définitions sommaires, qui mettent en avant le terme « politique ». Ex – JM Denquin : « la science de l’univers
politique » ; Rémi Lefebvre : « l’étude des faits considérés à un moment donné comme politique ».
Ce terme est très courant en termes d’usage, et se caractérise par sa redoutable banalité qui renvoie schématiquement à deux
approches : la Politique au sens d’Aristote, à savoir le gouvernement idéal de la société et la recherche du bien commun ; la
politique au sens péjoratif, celle qui a mauvaise presse (politique des bavardages, de la corruption…).
En anglais il y a 3 mots pour traduire « politique », qui révèlent les trois domaines d’intervention prioritaire de la science politique :
Polity = le gouvernement, le pouvoir politique, la régulation sociale ; tout ce qui attrait à l’organisation d’une collectivité.
Politics = la vie politique, la compétition entre les acteurs pour conquérir/conserver/exercer le pouvoir.
Policy = l’action politique, de manière générale ou de manière sectorielle.
En ce domaine il n’y a pas de véritable singularité de la science politique. Lorsqu’on parle de la méthode on utilise le singulier. Ce
terme a plusieurs significations, mais celle que l’on va retenir est celle d’un ensemble d’opérations intellectuelles et matérielles à
accomplir pour déceler l’existence d’une réalité, puis d’en comprendre et d’en expliquer les caractéristiques objectives.
Les sciences sociales se sont développées en la matière lorsqu’elles se sont engagées dans la voie de la transposition de la méthode
scientifique, à savoir la méthode expérimentale. En fait l’idée-même de sciences sociales est une sorte de pari, qui consistait à
utiliser la méthode scientifique pour étudier les phénomènes sociaux.
Le cadre générale de la méthode expérimentale a été fondé par Claude Bernard ( Introduction à la médecine expérimentale), qui
disait que « le savant complet est celui qui embrasse à la fois la théorie expérimentale et la pratique expérimentale ». Cela suppose
alors de suivre la démarche suivante : le savant constate un fait (avec une problématique particulière), à partir duquel une idée naît,
en vue de laquelle il va instituer une expérience, en imagine et réalise les conditions matérielles.
En fait à l’origine de la méthode expérimentale il y a l’observation des phénomènes. Celle-ci doit permettre de déterminer un
certain nombre d’hypothèses, qui vont ensuite être soumises à une vérification à partir de laquelle on va dégager des explications.
D’un point de vue didactique on les scinde en quatre étapes, mais en réalité ce n’est pas si mécanique.
I – L’observation
Pour exposer cette phase, il faut partir de deux jugements formulés par Gaston Bachelard :
L’un extrait du Nouvel esprit scientifique : « la science suscite un monde, non plus par une impulsion magique immanente à
la réalité, mais bien par une impulsion rationnelle immanente à l’esprit ; après avoir formé dans les premiers efforts de
l’esprit scientifique une raison à l’image du monde, l’activité spirituelle de la science moderne s’attache à construire un
monde à l’image de la raison ».
L’autre extrait de La formation de l’esprit scientifique : « la science réalise ses objets sans jamais les trouver tout faits ; elle
ne correspond pas à un monde à décrire, mais à un monde à construire ; le fait est conquis, construit, constaté ».
Cela nous apprend la philosophie générale de la démarche scientifique, à savoir la quête de rationalité, qui va conduire à constater
des phénomènes, que l’on va par la suite conquérir puis construire dans le cadre d’une observation scientifique.
Cette observation se distingue de l’observation courante, en ce qu’elle est préparée (le chercheur ne va pas sur le terrain sans s’être
documenté) et surtout rigoureuse, en ce qu’elle s’entoure d’un certain nombre de procédures de contrôle pour ne pas fausser la
validité des résultats. De plus elle refuse tout argument d’autorité, et n’hésite pas à déranger, à être « insolente ».
II – La conquête de l’objet
Cette conquête s’effectue par ce que Bachelard appelle la rupture épistémologique : il faut rompre avec le sens commun, les
fausses évidences, les apparences, les idées préconçues ; c’est s’armer d’un instrument critique pour appréhender toute chose.
Francis Bacon dans Novum Organum (1620) évoque l’existence de fantômes. En fait il définit le concept de prénotion (qui sera
repris par Durkheim), et les assimile à des fantômes qui nous défigure le véritable aspect des choses et que nous prenons pourtant
pour les choses elles-mêmes. Il distingue quatre types de fantôme :
Les fantômes de race : ils tiennent à la race humaine, à ses caractéristiques psycho-physiologique, cad que l’être humain pour
appréhender les choses utilise ses sens, sens qui peuvent fausser son jugement.
Les fantômes de la caverne : ce sont ceux qui résultent de l’histoire personnelle de chacun (selon le vécu, les goûts, l’état
physique du moment, l’éducation…).
Les fantômes de convention et de société : ils sont issus de la vie en société, qui génère des éléments de déformation dont le
principal est le langage qui obéit à un certain nombre de codes, qui génèrent une certaine déformation des idées qu’il
véhicule.
Les fantômes des dogmes : c’est l’idée que la perception que l’on a de la réalité est déformée par les dogmes, produits par les
religions, la philosophie et même la science.
Mais Bacon n’est pas le seul à avoir affirmé cette nécessité de se méfier des évidences. En effet Descartes (début XVIIe) dans Le
discours de la méthode exalte ce qu’il appelle le doute méthodique : c’est l’idée qu’une vérité ne devient une vérité que si elle peut
être mise en doute. Il préconise alors l’utilisation des mathématiques, puisqu’on ne progresse que dans la vérification.
On retrouve aussi cette idée chez Pierre Bayle (XVII-XVIIIe) qui applique à la recherche scientifique le principe du protestantisme :
c’est l’idée qu’il ne peut exister de dogme, et ce même dans la religion. Il considère qu’il est important d’avoir un esprit critique,
pour refuser les arguments d’autorité. Le problème pour lui, c’est que l’esprit est plein de préjugés.
On la retrouve chez Claude Bernard, qui place cette démarche critique au centre de la méthode expérimentale, avec sa formule
« l’observateur doit être le photographe du phénomène ; son esprit doit être passif ; il écoute la nature et écrit sous sa dictée ».
Ensuite Weber (XIX-XXe) dans son Essai sur la théorie de la science, explique que le trait fondamental de la démarche scientifique
c’est l’inachèvement et l’objectivité. A cet égard, il distingue l’homme politique, animé par des jugements de valeur qui sont
personnels et subjectifs (ex : ils n’ont pas la même perception de la liberté), et le savant qui développe des rapports aux valeurs qui
marquent une certaine distance par rapport à celles-ci (ex : la liberté devient l’objet de recherche au bout duquel il existe des débats
dans une société).
IV – La vérification de l’objet
L’expérimentation c’est la vérification des hypothèses :
Soit elle devient une réponse, et elle est confirmée ; soit on fait une croix dessus, car elle est infirmée.
Soit on ne peut ni infirmer ni confirmer, auquel cas il faut reformuler la question.
Méthode des sciences sociales 6
Elle pose parfois problème dans le domaine des sciences sociales, avec la difficulté voire l’impossibilité de faire des vérifications
compte tenu des résistances à la fois pratiques, juridiques, éthiques... Cf. Milgram. Elle peut être réalisée en laboratoire, ou direct
sur le terrain dans le déroulement des phénomènes sociaux. Elle peut être provoquée lorsqu’elle découle d’une action directe de la
part du chercheur, ou invoquée lorsqu’il utilise en expérimentation qui n’est pas de son fait.
Certains sociologues considèrent que l’expérimentation est impossible, ce qui a conduit Durkheim à considérer qu’il fallait utiliser
des méthodes comparatives, aussi appelées expérimentations indirectes. Il s’agit de rechercher les différences et les ressemblances
et d’en interpréter la signification. C’est l’idée d’une systématisation des comparaisons pour remédier à la difficulté concrète.
Ensuite il y a les phases d’explication et de généralisation : il s’agit de répondre aux questions Pourquoi ? pour mettre en évidence
la causalité et Comment ? pour expliquer la manière dont il se manifeste.
Les phénomènes se caractérisant par leur complexité, l’explication est toujours difficile à déterminer. Cette difficulté est accentuée
par la fragmentation des sciences sociales – il y a l’explication sociologique, historique, démographique, socio-politique… Ce n’est
pas avec une seule explication que l’on pourra comprendre l’entier phénomène. Tout cela plaide pour une pluridisciplinarité pour
pouvoir donner une explication globale à des phénomènes globaux.
Ce sont en fait des prismes plaqués sur la réalité, ce pourquoi elles devraient être mises en commun ; il faut que le découpage
disciplinaire soit secondaire pour comprendre globalement les phénomènes sociaux. Il faut quand même préciser que les sciences
sociales commencent à se fédérer autour des objets, ce qui implique un certain rapprochement des disciplines – ex : terrorisme.
Les chercheurs disposent de nombreuses méthodes d’explication, nous prendrons l’exemple de l’analyse fonctionnaliste. Comme
son nom l’indique, elle est centrée sur la notion de fonction, cad du rôle, de la tâche qu’exerce un phénomène dans l’ensemble
social auquel il appartient. Ce terme revêt plusieurs significations :
Une commune : elle signifie l’action ou le rôle spécifique d’un élément ou d’un organe ; la profession ou l’ensemble des
tâches. Elle a été utilisée par les juristes pour classer les fonctions d’Etat dans le cadre de la séparation des pouvoirs.
Une mathématique : il s’agit de la relation entre deux ou plusieurs éléments, de telle sorte que toute variation introduite
dans l’un provoque une modification dans l’autre. Y = f(X), Y étant la variable dépendante et X la variable indépendante.
Une biologique : c’est la contribution qu’apporte un élément à l’organisation et à l’action de l’ensemble dont il fait partie.
C’est la définition médicale de la vie, qui est un ensemble de fonctions qui empêchent la mort. Paradoxalement, les sciences
sociales vont s’approcher de cette conception.
Dans le domaine fonctionnaliste, trois courants peuvent être identifiés :
Les précurseurs - Spencer établit un parallèle entre l’organisation des organismes vivants et celle des sociétés humaines, qui est
caractérisé par un mouvement que Durkheim appellera la division du travail : le processus des sociétés humaines se traduit par
le passage de l’homogène à l’hétérogène sous la pression d’une logique, d’une tendance naturelle des stés à la diversification
organique et la spécialisation des missions.
Durkheim, tout en rejetant cette approche (trop caricaturale), compare les fonctions sociales aux fonctions biologiques. La division
du travail remplit une pluralité de fonctions : économique, puis morale car elle maintient une cohésion par complémentarité et
interdépendance, cad une solidarité organique.
Le fonctionnalisme connaît un développement important avec l’essor de l’anthropologie. Radcliffe-Brown dans Le concept de
fonction dans les sciences sociales définit la fonction comme la contribution d’un élément à la vie sociale, considérée comme
l’ensemble du fonctionnement du système social. Il y a une interdépendance des fonctions, qui si elles ne sont pas remplies
conduit à la disparition de la société.
Malinowski dans Une théorie scientifique de la culture explique qu’il fonde son analyse fonctionnaliste sur plusieurs postulats :
l’unité fonctionnelle de la société, cad que chaque société est un tout composé d’éléments qui remplissent des fonctions
indispensables à l’existence du monde social. Tous les éléments sociaux remplissent une ou plusieurs fonctions, de sorte qu’ils sont
aussi indispensables au fonctionnement de la société.
Ce fonctionnalisme absolu va être critiqué : Merton dans Eléments de l’état sociologique développe une approche beaucoup
plus pragmatique. « Il est hasardeux de reconnaître à chaque élément une fonction spécifique » - ex : les boutons de manchette
sont devenus inutiles avec l’invention de la boutonnière, pour autant ils conservent une fonction sociale d’orthodoxie.
Ses concepts sont entrés dans le langage courant, notamment :
La notion d’équivalence fonctionnelle : de même qu’un seul élément peut avoir plusieurs fonctions, une seule fonction
peut être remplie par des éléments interchangeables.
La notion de dysfonction : les fonctions sont celles qui contribuent à l’adaptation ou l’ajustement du système, et les
dysfonctions sont celles qui gênent ces processus. Un élément va produire un effet contraire à celui escompté.
La distinction entre fonctions manifestes/latentes : les premières sont celles qui sont comprises et voulues (ce qui est
officiel, comme la fonction destructrice de la consommation) et les secondes ne sont ni comprises ni voulues (la fonction
ostentatoire de la consommation – Cf. Théorie de la classe de loisir de Veblen).
Dans le domaine de la science politique, l’analyse fonctionnaliste est très utilisée, en particulier dans l’étude des phénomènes
partisans : ils font vivre les institutions politiques en fournissant un personnel politique et un encadrement. Cf. Lavau dans A quoi
sert le PCF ? où il explique que le PCF exerce une fonction dysfonctionnelle latente : la fonction tribunitienne.
L’objet a été formé, des hypothèses ont été formulées puis vérifiées… Il reste la détermination des cadres généraux d’analyse. C’est
l’idée de fixer des cadres généraux aux connaissances acquises, au savoir scientifique.
Un des travers de la sociologie au XXe est l’hyperfactualisme : c’est la tentation des sociologues de ne pas parvenir à cette phase de
généralisation, de s’arrêter à l’explication et de refuser de déterminer des cadres généraux d’analyse par méfiance vis-à-vis de ce qui
pourrait se rapprocher du discours spéculatif, de l’élaboration de dogmes.
Méthode des sciences sociales 7
Par cadres généraux d’analyse on entend :
Les lois scientifiques : il s’agit de déterminer un énoncé général qui fixerait la connaissance – ex : les lois de Duverger, qui
consacrent l’influence politique des modes de scrutin sur le système des partis.
Les modèles : il s’agit d’une représentation figurée, d’une schématisation de la réalité – matérielle ou théorique – qui a pour
but de synthétiser la connaissance.
Les typologies : il s’agit de classer, des déterminer des catégories en mettant en évidence ce qui rapproche et ce qui sépare
les éléments. On réduit la diversité des phénomènes sociaux à un certain nombre de catégories.
A ce titre Weber propose des types idéaux. Par exemple il distingue quatre types d’action : l’action rationnelle par rapport à un but,
par rapport à une valeur, l’action affective ou émotionnelle, et l’action traditionnelle.
Elles sont beaucoup utilisées en science politique, en particulier pour les partis politiques :
◊ La typologie institutionnelle : elle se fonde sur la structure des partis politiques, leurs règles d’organisation – ex : partis de
cadres, partis de masse, paris électeurs, partis contestataires...
◊ La typologie fonctionnaliste : elle conduit à classer en insistant sur la notion de fonction – ex : Lowi dans La fin du libéralisme
distingue les partis constituants des partis programmatiques, et les partis responsables.
Les théories : la théorisation est un peu l’objectif final des expériences scientifiques. Bourdieu l’avait définie comme « un
programme de recherche qui appelle non le débat théorique mais la mise en œuvre pratique capable de les réfuter ou de les
généraliser, ou mieux de spécifier ou de différencier leur prétention à la généralité ». Louis Debroglie « la théorie est ce que
l’intelligence humaine ajoute à l’expérience » pb de subjectivité par rationalité humaine.
Les tenants de l’école empirique reprochent aux théories d’être spéculatives, de s’éloigner de la réalité. Ceux de l’école rationaliste
considèrent au contraire qu’elles permettent de séparer ce qui est connu de ce qui ne l’est pas, et surtout elles permettent la mise
en œuvre de la réfutation.
Merton considère qu’il y a trois niveaux de théorisation :
ð Les théories particulières : elles sont tendancielles – ex : Lasswell dans Power and personality - Théorie de l’engagement
politique : l’évolution de la personnalité politique se caractérise par un déplacement de motif personnel vers un objet
d’intérêt public. Il explique que la majeure partie des personnalités présentent une certaine frustration. Une fois que
l’engagement et la réussite politique interviennent, l’individu essaye de rationaliser son engagement, de minimiser ses motifs
d’ordre privé en faisant référence à l’intérêt général.
ð Les théories moyennes : la généralisation est plus importante, car on essaye de rendre compte d’un phénomène social de
manière plus globale. Cf. Easton est sa Théorie du système politique. On a plutôt tendance à s’en méfier car on considère qu’il
y a une part importante de discours spéculatif.
ð Les théories générales : elles expliquent l’ensemble du phénomène social, et réduisent à une explication le fonctionnement
du système social – ex : l’idéologie marxiste.
Dans le domaine de la science politique, on s’intéresse à la question de la recherche documentaire. Le traitement documentaire est
à la fois important pour la phase de construction de l’objet et pour la phase d’observation à part entière (à suivre au 2 nd semestre…).
On va en aborder deux axes fondamentaux :
L’enquête part questionnaire ou sondages d’opinion.
Les techniques vivantes, cad l’entretien de recherche et l’enquête de terrain (cf. TD).
La désaffection pour les relais institutionnels ou associatifs : le sondage est un moyen d’expression directe, de démocratie
d’opinion, à opposer à la démocratie représentative. Il y a tout de même des paramètres d’impatience et de voyeurisme.
a) Le développement des sondages
A l’origine des sondages il y a une pratique qui apparaît aux EU au début du XIXe : le vote de paille. En 1824, deux journaux ont
l’idée d’organiser une sorte de vote fictif sur l’élection présidentielle. Ce faisant ils introduisent une pratique qui va durer plus d’un
siècle : organiser une sorte de sondage empirique, cad interroger de manière aléatoire des personnes pour connaître leur intention
de vote. Au départ ce sont des bulletins de vote à découper dans le journal, plus tard on interroge les passants… Etant entendu que
ce procédé est avant tout commercial, l’objectif étant de créer un évènement artificiel jouant sur l’impatience des électeurs.
Ce procédé rappelle le sondage, car il s’agit là aussi de prévoir le résultat de l’élection à partir de la connaissance d’une fraction de
l’électorat. Il se développe très largement dans toutes élections, et devient un véritable rituel tout au long du XIXe. Ex : en 1922 le
Literary Digest organise un grand vote de paille attribuant 59,96% des voix, et il en obtint 58,71%.
Il y a aussi une autre pratique qui s’est développée au début du XXe : les études de marché. Il commence à se développer avec
l’ambition de connaître les attentes et les besoins des consommateurs en utilisant une enquête scientifique. On met en œuvre un
protocole d’enquête sous forme de questionnaire, qui va être administré à une population spécifique. En effet le produit susceptible
d’être mis en vente correspond à un type particulier de consommateurs.
On voit alors que s’imposent les éléments constitutifs du sondage : le questionnaire et l’échantillon.
La réussite entraîne l’idée de mettre en commun ces deux procédés : le procédé technique est celui de l’étude de marché, et
l’objectif est celui du vote de paille. On la doit à trois personnalités importantes : Roper, Crossley et Gallup pour l’élection de 1936.
Le contexte de cette élection est particulier : les instituts annoncent une défaite de Roosevelt – l’idée générale est qu’il y a une
volonté de changement, une certaine usure. Surtout qu’en face de lui le candidat républicain Landon est extrêmement populaire. Le
Les sondages n’ont pas de finalité prédictive, il s’agit simplement d’une technique d’observation. Nos sociétés sont très impatientes
et voyeuristes d’un certain côté, ce sont des sociétés d’information qui demandent aux sondages de faire des pronostics.
On constate ce phénomène dans le domaine scientifique aussi : les recherches génétiques cherchent à prévoir les risques potentiels
de maladie (ex : cancer). En fait toutes les démarches scientifiques essayent de prévoir, d’anticiper les évolutions à venir, mais de
manière générale elles sont plutôt dans une logique d’observation de ce qui est.
Il faut garder à l’esprit qu’une intention de vote n’est pas un vote, étant entendue qu’elle peut changer. Finalement on condamne la
pratique des sondages à l’égard d’un de ses dévoiement, en raison surtout d’une méconnaissance du procédé et de sa finalité.
Les sondages sont une indication de tendance mesurée dans un contexte différent de celui de l’élection – le sondé n’est pas
l’électeur. Ce phénomène se trouve amplifié aujourd’hui par l’utilisation d’internet, là où les individus ont tendance à se lâcher et ne
pas exprimer ce qu’ils comptent faire réellement. Ainsi le sondage est une tendance, qui est nécessairement approximative.
Cela a généré la mise en œuvre de la procédure de redressement. En effet il y a des cas de sous-déclaration de vote, parce qu’il
existe dans nos sociétés une pression sociale exercée à l’égard de certains partis. Les individus s’intègrent alors dans une logique de
conformisme, car ils n’ont pas envie de passer pour qqn de déviant (ex : communisme pendant la guerre froide, extrême droit ajd).
Ainsi les instituts de sondage ont pris l’habitude de redresser les sondages, cad d’appliquer des coefficients de redressement aux
chiffres bruts obtenus. S’ils ne le faisaient pas, il y aurait une distorsion encore plus grande entre les résultats du sondage et la
réalité. Ex : à la veille du 1er tour de 2002 les sondages donnaient 5% pour Le Pen, portés à 10% après redressement.
Cela montre bien que ce procédé ne relève pas de la science, de la vérité absolue.
L’analyse d’un sondage doit nécessiter une rigueur, une prudence méthodologique. Très souvent les sondeurs demandent aux gens
de se positionner par rapport à des variables différentes (un peu, beaucoup, assez…). Le problème c’est que les journalistes ont
tendance derrière à les ramener à une dichotomie dans une logique de simplification. Egalement il faut émettre des réserves quant
à la représentativité de l’échantillon, et des mots employés dans le sondage (ex : avoir de la sympathie). Enfin il faut toujours
prendre en compte le contexte social dans lequel les réponses sont collectées.
En fait il faut toujours avoir un regard critique sur la méthode pour utiliser les résultats du sondage. Etant entendu qu’il s’agit avant
tout d’un produit commercial : les sondages ne sont pas réalisés par des organismes publics animés par l’intérêt public et la
scientificité. Ce sont des organismes privés – instituts qui les fabriquent et organismes de presse qui les publient – qui cherchent en
premier lieu à satisfaire le client. Ils sont soumis à la loi du marché, donc à des impératifs de rentabilité.
Opinion = expression à un moment donné, forcément évolutive.
Attitude = disposition durable susceptible de se traduire par des actes.
En matière d’électorat, le problème ces dernières années c’est qu’on a plus des comportements d’opinion que d’attitude : certains
changent brusquement de comportement électoral, ce dans une logique consumériste qui s’explique par un certain désaveu de la
classe politique. On a l’impression que l’idéologie est faite pour les campagnes, et qu’une fois au pouvoir on est dans une logique de
réalisme politique bureaucratique. Il y a une sorte d’utilisation stratégique du vote pour régler leurs problèmes (ex : exprimer une
contestation) alors qu’il sert uniquement à élire quelqu’un.
On a l’idée que la somme de toutes les opinions constitue l’opinion publique. Cette notion est apparue au XVIIIe, mais sa définition
a changé depuis. Au début elle renvoyait à l’opinion des élites façonnées par la philosophie des Lumières, les grands penseurs qui
remettaient en cause l’absolutisme de la monarchie. Au XIXe, elle renvoyait à l’opinion éclairée des élites bourgeoises, avec les
grandes idées humanistes de libéralisme économique. Il faudra attendre la fin du XIXe pour qu’elle renvoie à l’opinion des masses.
En effet elle correspond à la massification de la vie politique, soit la reconnaissance des libertés politiques et le suffrage universel.
On peut considérer que l’affaire Dreyfus est assez symptomatique, car l’objectif est de susciter le soutien de l’opinion publique. A
cet égard, l’acte majeur n’est pas le procès mais la déclaration de guerre au régime politique faite par Zola et publiée dans la presse.
Tönnies dans Critique de l’opinion publique (1922) estime qu’elle évoque à la fois une conscience collective et un jugement unifié, ce
qui contraste avec la cacophonie des avis, des croyances de la population.
Cette notion va surtout se développer dans la 2 nde moitié du XXe avec le développement des médias, et va devenir une réalité très
imposante qui va bénéficier grandement de l’invention de sondages, puisqu’ils vont lui donner une véritable assise en lui fournissant
un instrument de mesure. C’est d’ailleurs là où se situe la critique de Bourdieu L’opinion publique n’existe pas, dans laquelle il
explique que c’est un construit social dans laquelle on regroupe toutes les idées. En fait elle existe, mais elle est insaisissable.
Le sondage est non seulement un instrument de mesure peu fiable, mais il a tendance à faire naître des opinions arrêtées là où elles
n’existaient pas, ou du moins où elles n’étaient pas consolidées. En effet il postule que tout le monde a une opinion sur tout, or ce
n’est pas le cas. A cet égard il opère une assimilation fallacieuse avec la liberté d’opinion. Dans un sondage on ne demande pas de se
renseigner et de réfléchir, mais juste de répondre à une question. Cela aboutit à une surreprésentation des opinions dominantes,
car ceux n’ayant pas d’opinion répètent ce qu’ils ont entendu ailleurs. En fait, le sondage est une mise en forme du sens commun.
Egalement on considère que toutes les opinions se valent, alors qu’en réalité elles n’ont pas toutes la même force sociale.
Se pose aussi la question de ceux qui refusent de répondre. En règle générale les instituts de sondage exercent une pression pour les
limiter : soit ils les évacuent purement et simplement de l’échantillon, soit ils les minimisent en les faisant figurer discrètement.