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Par un arrêt du 1er juillet 2019, le Conseil d’Etat est venu apporter des précisions sur le
régime des contrats administratifs, et plus particulièrement sur les conditions dans lesquelles les
parties peuvent saisir le juge d’un recours en contestation de la validité de l’acte.
S’agissant des faits, il était question d’une convention liant l’Association pour le musée des Iles
de Saint-Pierre et Miquelon et le Conseil général de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-
Miquelon, passée en 1998. L’acte prévoyait, sans limitation de durée, qu’elle devait faire don à
cette collectivité de l’ensemble de sa collection en vue de son affectation au nouveau musée créé
par cette dernière, ainsi que les modalités de sa participation à la mission de service public de
gestion dudit musée. Mais, estimant que ses œuvres n’étaient pas exposées comme elles le
méritaient, l’Association a introduit une action en contestation de la validité de cette convention
devant le tribunal administratif en 2014.
Sa demande a été rejetée le 15 juin 2015 au visa de l’article 2224 du code civil : selon les juges,
un tel recours étant soumis à la règle de prescription quinquennale, son action était irrecevable.
Après le rejet de son appel pour le même motif, l’Association a formé un pourvoi en cassation.
L’affaire a d’abord été renvoyée au Tribunal des conflits qui, caractérisant un contrat public, a
confirmé que le juge administratif était compétent.
Le Conseil d’Etat a ainsi dû déterminer s’il y avait lieu d’enserrer une action en contestation de
validité introduite par l’une des parties dans un délai de prescription et, le cas échéant, lequel. Il
censure finalement l’application du code civil, précisant qu’une telle action est ouverte aux
parties d’un contrat, et ce durant toute la durée de son exécution.
Nous verrons ainsi que, en estimant que le recours en contestation de la validité d’une
convention n’était pas soumis à la prescription quinquennale de droit commun (I), le Conseil
d’Etat étaye finalement l’office du juge administratif en tant que garant de la stabilité et de la
loyauté des relations contractuelles entre les parties (II).
Le Conseil d’Etat rappelant en amont les apports de la jurisprudence Béziers I sur le recours en
contestation de validité d’un contrat public (A), il se prononce sur l’applicabilité de la disposition
du code civil en censurant le syllogisme opéré par les juges du fond (B).
A – L’examen des moyens invocables lors d’un recours de plein contentieux
Si les contrats sont la loi des parties et doivent trouver application, il arrive que certains soient
entachés d’illégalité sur le fond ou sur la forme. Dans ce cas, l’acte illicite est frappé de nullité et
réputé inexistant. Cette décision du Conseil d’Etat vient apporter des précisions sur le droit de
recours des parties à un contrat administratif en la matière, les juges examinant les moyens
invoqués par le requérant pour régler le fond de l’affaire.
Pour ce faire, ils reprennent le considérant de principe du célèbre arrêt Commune de Béziers I en
date du 28 décembre 2009, dans lequel l’Assemblée du Conseil d’Etat avait consacré la
possibilité pour les parties à un contrat public de saisir le juge d’un recours en contestation de la
validité du contrat qui les lie et d’en demander l’annulation. Il en ressort notamment que la
nullité d’une convention ne se constate pas, mais qu’elle se prononce nécessairement par le juge
après qu’il ait apprécié la validité de l’acte litigieux. Cette appréciation ne s’opère pas
uniquement au regard des vices de procédure et des irrégularités sur le fond, mais elle relève
d’une mise en balance de ces éléments et leurs conséquences avec l’objectif de stabilité des
relations contractuelles et l’intérêt général qui lui est attaché.
Sur la demande de l’Association pour le musée des Iles de Saint-Pierre et Miquelon, le Conseil
d’Etat s’est donc attelé à déterminer si les moyens soulevés entachaient véritablement la licéité
de la convention en cause vis-à-vis de ces considérations. Il a ainsi apprécié la gravité des vices
de procédure invoqués au regard de l’exigence de loyauté des relations entre les parties. Jugeant
ces moyens insuffisants, au vu notamment de la durée pendant laquelle la convention avait été
exécutée à la date du recours, il estime finalement que l’association requérante n’est pas fondée à
se plaindre du jugement rendu par le tribunal administratif rejetant sa demande.
Force est de constater que les moyens recevables au soutien d’une demande d’annulation
d’un contrat relèvent essentiellement d’un souci de loyauté des relations entre les parties à celui-
ci. Par conséquent, l’application mécanique de la prescription quinquennale de droit commun est
écartée par le juge administratif qui doit veiller, selon les circonstances de chaque espèce, à
apprécier la licéité d’une convention en appréciant les irrégularités invoquées au regard du
respect de cette exigence. Il s’agit finalement d’assurer l’exécution du contrat dans des
conditions satisfaisantes, notamment vis-à-vis du droit à un recours effectif, tout en garantissant
la sauvegarde de l’intérêt général attaché aux contrats administratifs.
En précisant que le délai de recours en annulation d’une convention courrait durant toute
l’exécution de celle-ci, le Conseil d’Etat amorce un virage jurisprudentiel consécutif à la réforme
de la prescription en matière civile de 2008 (A) pour enfin dégager les règles de contentieux
propres au recours Béziers I compte tenu de la singularité des contrats publics (B).
La décision des juges du fond reposant sur l’application du droit commun, elle présentait somme
toute une certaine continuité au regard du contentieux relatif aux contrats publics. En effet, le
Conseil d’Etat avait rappelé à plusieurs reprises que les actions en contestation de validité étaient
gouvernées par la prescription trentenaire de l’ancien article 2262 du code civil, en vertu
notamment de la jurisprudence Commune d’Arzon en date du 9 juillet 1937.
Toutefois, la réforme de la prescription civile opérée par la loi du 17 juin 2008 a introduit une
incertitude quant à la perpétuation de ce principe. D’abord, l’article 2262 précité ayant été
abrogé, la prescription trentenaire appliquée jusqu’alors est devenue quinquennale en vertu du
nouvel article 2224. Mais surtout, l’ancien code énonçait à son article 2227 la règle générale
selon laquelle les personnes publiques étaient soumises aux mêmes prescriptions que les
particuliers, de même qu’elles pouvaient les opposer. Cette disposition a également été abrogée,
sans pour autant que la règle qu’elle consacrait n’ait été reprise. Aussi, la question se posait de
savoir si elle subsistait malgré cette modification légale.
Avant le renvoi de l’affaire au Tribunal des conflits, à l’occasion de la première audience devant
le Conseil d’Etat, le rapporteur public a estimé que la Haute juridiction avait neutralisé
l’abrogation de l’ancien article 2227 dans son avis n°405797 en date du 31 mars 2017, donc que
cette règle était toujours en vigueur et que, ce faisant, la Cour d’appel n’avait pas commis
d’erreur de droit. Or nous l’avons vu, lors de l’examen du litige, les juges du Conseil d’Etat se
sont finalement opposés à ces conclusions, assurant que les parties au contrat pouvaient
introduire un recours en contestation de validité tout au long de la vie de l’acte qui les lie, en
vertu des principes de loyauté et de stabilité des relations contractuelles.
En refusant d’apposer un délai de prescription fixe aux recours en contestation de validité d’une
convention, comme c’était le cas jusqu’à présent suivant la jurisprudence Commune d’Arzon, le
juge endosse pleinement le rôle de garant des bonnes relations contractuelles entre les parties et
veille donc à moduler ses prérogatives selon les circonstances de chaque espèce.