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Clio.

Femmes, Genre, Histoire 


51 | 2020
Femmes et genre en migration

Angela Groppi (1947-2020), pionnière de l’histoire


des femmes en Italie
Anna Bellavitis

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/clio/18359
DOI : 10.4000/clio.18359
ISSN : 1777-5299

Éditeur
Belin

Édition imprimée
Date de publication : 1 juillet 2020
Pagination : 257-259
ISBN : 978-2410017090
ISSN : 1252-7017
 

Référence électronique
Anna Bellavitis, « Angela Groppi (1947-2020), pionnière de l’histoire des femmes en Italie », Clio.
Femmes, Genre, Histoire [En ligne], 51 | 2020, mis en ligne le 02 janvier 2023, consulté le 05 janvier
2023. URL : http://journals.openedition.org/clio/18359  ; DOI : https://doi.org/10.4000/clio.18359

Tous droits réservés


Portrait

Angela Groppi (1947-2020),


pionnière de l’histoire des femmes en Italie

Anna BELLAVITIS

Professeure associata d’histoire moderne à l’université de Rome-La


Sapienza jusqu’à sa retraite, en 2017, Angela Groppi avait, auparavant,
longtemps travaillé à la Fondazione Basso de Rome et à l’Istituto
dell’Enciclopedia Treccani. Elle avait également été professeure invitée
à l’Institut européen de Florence, à l’université Paris Diderot et à
l’EHESS, avant que l’université italienne ne lui ouvre enfin ses portes,
en 2000. Ses premiers travaux portaient sur la Révolution française et,
dans les années 1970, alors qu’elle militait au sein de la jeunesse
communiste italienne, elle avait fréquenté les séminaires d’Albert
Soboul à la Sorbonne. Angela avait toujours gardé une relation très
étroite avec la France, dont elle avait une image presque idéalisée.
Depuis quelques années, elle séjournait souvent à Paris pour suivre, à
travers la correspondance de Mazarin aux Archives nationales, les
traces de la mélancolie de Lucrezia Barberini d’Este.
Angela Groppi était une historienne extrêmement curieuse et
novatrice. Ses recherches, toujours fondées sur une connaissance vaste
et profonde des sources d’archives, ont porté sur le travail des femmes,
sur les institutions féminines d’enfermement et d’éducation, sur
l’assistance aux personnes âgées, sur le rôle économique des marchands
juifs et calvinistes dans la Rome moderne, sur la citoyenneté, sur
l’enfance, sur la mélancolie… Le dernier livre qu’elle a dirigé, publié en
258 Anna Bellavitis

2014, porte sur le recensement de 1733 des Juifs de Rome, un


document exceptionnel qu’elle avait découvert aux Archives d’État de
Rome. Son dernier travail, auquel elle tenait beaucoup, est un article
intitulé « Les deux corps des juifs : droits et pratiques de citoyenneté
des habitants du ghetto de Rome, XVIe-XVIIIe siècle », dans le dossier
Droit(s) et minorités juives, XVIe-XIXe siècle, qu’elle a dirigé avec Michaël
Gasperoni, publié dans le dernier numéro des Annales HSS, daté de
2018, mais sorti fin 2019. En pensant le travail en termes de genre, en
insistant sur la nécessité d’étudier en parallèle le travail et la valeur
(lavoro e valore) des femmes, les activités productives des femmes et leurs
droits à la propriété et à la gestion des biens, en démontrant que
l’assistance aux personnes âgées n’était pas le comportement “normal”
d’une supposée famille méditerranéenne, mais le fruit d’une
négociation permanente entre les institutions d’assistance et des
familles hostiles à l’idée de s’en occuper, Angela Groppi a apporté une
contribution fondamentale au renouvellement de l’histoire sociale et de
l’histoire des femmes et du genre.
L’histoire des femmes lui doit beaucoup : elle avait été l’une des
fondatrices de la première revue italienne d’histoire des femmes,
Memoria. Rivista di storia delle donne, en 1981, et de la SIS, la Società
Italiana delle Storiche (Société italienne des historiennes), en 1989.
Dans le numéro de Clio. HFS consacré à « L’histoire des femmes en
revues » (16/2002), elle définissait Memoria comme « une expérience
d’invention, caractérisée par une innovation et une diffusion
limitées ». Les 33 numéros de la revue, sortis de 1981 à 1993, ont sans
doute été, pour l’Italie de l’époque, une « invention » mais, souligne-t-
elle, « dans un paysage culturel silencieux et peu perméable aux études
féministes développées dans d’autres réalités nationales », cette
« invention » n’a pas pu avoir un effet durable d’innovation et de
diffusion. Memoria a été effectivement une expérience fondamentale,
qui en a inspiré d’autres, en Italie et au-delà, mais l’université italienne
a été longtemps sourde et hostile à l’histoire des femmes, ce qui
explique aussi les difficultés qu’une historienne talentueuse comme
Angela Groppi a rencontrées pour obtenir un poste stable à
l’université. Dans ce même article, Angela exprimait des doutes sur le
choix du “séparatisme” de la part de la rédaction de la revue :
« initialement conçu comme un outil pour défier la discipline et
Angela Groppi (1947-2020) 259

construire une solidarité intellectuelle entre femmes, le séparatisme


s’était transformé chemin faisant, en une limite ontologique » : un
choix programmatique de moins en moins soutenable au fur et à
mesure que l’intérêt d’historiens hommes commençait à se
manifester, mais qui pouvait toujours servir de prétexte pour justifier
l’extranéité d’un monde masculin qui se considérait comme exclu : il
aurait bien voulu… mais on ne le lui concédait pas, et donc il ne le
pouvait pas. Ce débat sur le séparatisme reste d’actualité aujourd’hui
au sein de la SIS et de la rédaction de Genesis, mais, concluait Angela
Groppi, ce n’est sans doute pas la raison qui a conduit à clore
l’expérience de Memoria, mais plutôt l’évolution du contexte politique,
la crise du mouvement féministe et la difficulté à parler en même
temps à un public spécialisé et à un public militant. Il a d’ailleurs fallu
attendre dix ans et la fondation de la SIS, pour qu’une autre revue
voie le jour, en 2002, Genesis. Rivista della Società Italiana delle Storiche. Le
contexte a changé, mais l’histoire des femmes et du genre a encore du
mal à trouver sa place dans l’espace académique italien.
Dans les dernières années, la production d’Angela Groppi n’avait
été que très marginalement réduite par la maladie. Au contraire, la
recherche, la réflexion et l’écriture l’avaient probablement soutenue et
aidée à garder un regard toujours perçant, lucide et désenchanté sur le
temps présent. Elle était très critique à l’égard de la politique italienne,
et elle n’épargnait pas ses critiques au système universitaire de son
pays. Quand on avait l’occasion de se voir ou de se téléphoner, ce qui
arrivait assez souvent, elle me parlait de la situation désastreuse des
transports et de l’entretien des rues à Rome, qui rendait encore plus
compliqués et pénibles ses déplacements à l’hôpital pour les soins.
Mais elle avait encore tant de projets, elle s’intéressait à l’histoire des
couleurs et elle espérait qu’on puisse un jour écrire une histoire
européenne des couturières. Angela a toujours été très généreuse avec
les collègues plus jeunes, toujours prête à relire, à conseiller, à discuter
une idée, une hypothèse, toujours enthousiaste de les accompagner
ou de les suivre dans de nouveaux projets. Angela était un esprit libre
et rigoureux, une intelligence critique et empathique. Elle nous
manque beaucoup.

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