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FOLIO ESSAIS
Jacqueline Cerquiglini-Toulet
Éliane Viennot, Joan DeJean,
Edwige Keller-Rahbé,
Christie McDonald
Femmes et littérature
Une histoire culturelle
I
Gallimard
Ont contribué à ce volume
MARTINE REID
*1. Si quelques ouvrages de cette sorte existent déjà, ils sont demeurés très généraux ou
très fragmentaires. On peut néanmoins évoquer la synthèse suggestive dirigée par Sonya
Stephens, Women’s Writing in France (2000), le travail, sous forme anthologique, de Vicki
Mistacco, Les Femmes et la tradition littéraire (2006-2007), ainsi que l’ouvrage d’Alison Finch,
French Literature. A Cultural History (2010), l’une des premières à tenter une (brève) synthèse
« genrée » de l’ensemble, du Moyen Âge à l’époque contemporaine.
Notes
1. On trouvera, au fil des chapitres, diverses considérations sur les termes servant à
désigner la femme qui écrit.
2. Alain Vaillant, auquel on doit la synthèse la plus complète sur le sujet, le rappelle
dans l’avant-propos de L’Histoire littéraire, Paris, Armand Colin, 2010 (p. 16).
3. « Pour ne pas retomber […] dans l’arbitraire et ne pas s’abandonner aux excès du
schématisme ou aux hasards de l’intuition, rappelle encore Alain Vaillant, on doit
s’appuyer sur […] un système explicite de description et d’interprétation des faits
littéraires » (ibid., p. 15). Sur le même sujet, voir aussi l’imposante synthèse dirigée par
e
Luc Fraisse, L’Histoire littéraire à l’aube du XXI siècle, Paris, PUF, 2005.
4. Pour un historique précis sur l’histoire culturelle telle qu’elle est entendue et
pratiquée en France, voir Philippe Poirrier, Les Enjeux de l’histoire culturelle, Paris,
Éditions du Seuil, coll. Points Histoire, inédit, 2004.
5. Je reprends ici l’expression de Françoise Héritier dans Masculin / Féminin. La
pensée de la différence, Paris, Éditions du Seuil, 1996, p. 24.
6. Voir, à titre indicatif, et à la suite de bien d’autres analyses, les observations
réunies dans Martine Reid (dir.), Les Femmes dans la critique et l’histoire littéraire, Paris,
Honoré Champion, 2011, ainsi que les quatre premiers chapitres de Des Femmes en
littérature, Paris, Belin, 2010.
7. Pour une synthèse de la question, voir Bertrand Lançon et Adeline Gargam,
Histoire de la misogynie de l’Antiquité à nos jours, Paris, Arkhè Éditions, 2013.
8. Alain Vaillant observe ce qu’il appelle les « piétinements » d’une histoire littéraire
essentiellement occupée aujourd’hui de reconduire ses activités les plus traditionnelles,
l’érudition, les éditions savantes et le « biographisme » (op. cit., p. 12-13) ; l’arrivée du
numérique a par ailleurs précipité une partie de la recherche en littérature dans un néo-
positivisme dont il reste à penser le sens et à mesurer les effets.
9. Voir notamment Stéphane Zékian, L’Invention des classiques, Paris, Éditions du
CNRS, 2012.
10. Sur ce point, on se rapportera par exemple aux observations énoncées par Michel
de Certeau dans la première partie de L’Écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, coll. Folio
histoire, 1975.
11. Voir Marcel Detienne, L’Identité nationale, une énigme, Paris, Gallimard,
coll. Folio histoire, 2010.
12. C’est le projet, clairement explicité dans la préface, de l’ouvrage dirigé par
Christie McDonald et Susan Suleiman, French Global. A New Approach to Literary
History, New York, Columbia University Press, 2010 [traduction française : French
Global. Une nouvelle perspective sur l’histoire littéraire, Paris, Éditions Garnier, 2015].
13. Voir notamment Joan DeJean et Nancy K. Miller (dir.), The Politics of Tradition.
Women, Tradition, Literature in French, Baltimore, The Johns Hopkins University Press,
1991 et Eva Martin Sartori (dir.), The Feminist Encyclopedia of French Literature,
Westport-Londres, Greenwood Press, 1999.
PREMIÈRE PARTIE
LE MOYEN ÂGE
1150-1450
JACQUELINE CERQUIGLINI-TOULET
Chapitre premier
PENSER LA FEMME QUI ÉCRITS
Le jeu de mot est déjà chez Gautier de Coinci 3. Adam a été trompé « par
Evain sa moullier ». Le Christ : « Tous nous a ressüés. Garde nous de
moullier » (Le Christ nous a tous essuyés. Qu’il nous protège de la pluie…
et de la femme). Ces conceptions cosmo-médicales de la femme ont une
répercussion dans les mentalités chez les hommes comme chez les femmes.
Lorsque Héloïse au Paraclet requiert d’Abélard une règle spécifique pour
les femmes, elle fait remarquer que certaines prescriptions de saint Benoît
ne s’appliquent pas physiologiquement à la femme : « Et que peuvent leur
importer ces prescriptions sur les chausses en lin, ou bien sur les tuniques
qui entreraient en contact avec leur peau, puisque le flux qui les purge tous
les mois de leurs humeurs superflues en rend l’usage parfaitement
impossible 4 » ou encore elle rappelle que selon les livres de médecine les
femmes s’enivrent moins facilement que les hommes à cause de l’humidité
de leurs corps. Elle cite à ce propos Macrobe, dans les Saturnales,
livre VII : « Quand le vin qu’elle [la femme] boit tombe dans des humeurs
aussi abondantes, il y perd toute sa force, et sa puissance étant ainsi
moindre, il ne monte pas aisément au cerveau » (Lettre VI, p. 243). Pour
Héloïse, dès la constitution des corps il n’y a pas d’égalité de l’homme et de
la femme, et elle parle continûment dans cette lettre de sexe fort et faible.
Qui sont donc les femmes ? Christine de Pizan pose la question dans
son Epistre à Maistre Pierre Col du Débat sur le Roman de la Rose 5, non
en termes de physiologie mais de relations : « Qui sont fames ? Qui sont
elles ? Sont ce serpens, loups, lyons, dragons, guievres ou bestes ravissables
devourans et ennemies a nature humainne, qu’il conviengne fere art a les
decepvoir et prandre ? » (éd. E. Hicks, p. 139) (Qui sont les femmes ? Qui
sont-elles ? Sont-elles serpents, loups, lions, dragons, vipères ou bêtes
prédatrices dévorantes, hostiles à la nature humaine qu’il faille faire des arts
pour les tromper et les capturer ?). Sa réponse, qui se place d’abord dans le
champ de la relation familiale ou sociale, se fait en fin de période
essentielle : « Et par Dieu, si sont elles, vos meres, vos suers, vos filles, vos
fammes et vos amies ; elles sont vous mesmes et vous meesmes elles » (Et,
par Dieu, elles sont vos mères, vos sœurs, vos filles, vos femmes et vos
amies ; elles sont vous-même et vous-même elles). Du XIIe au XVe siècle, de
la religieuse forcée, Héloïse, à la laïque assumée, Christine, la différence de
conception est majeure.
Aux yeux de la religion, la différence biologique de l’homme et de la
femme s’appuie sur un récit de création, celui de la Genèse dans la Bible.
Une différence physique est soutenue par un récit mythique qui met en
place une vision seconde de la femme : seconde chronologiquement (la
femme est créée après l’homme, mais malgré tout le même jour que lui, le
sixième) et essentiellement (elle est créée à partir de l’homme). On en
déduit un statut, celui de sa dépendance : née d’une côte de l’homme, elle
est à ses côtés pour le seconder. Le Moyen Âge exploite dans le détail les
éléments de ce récit de création. L’homme naît de la poussière de la terre
(homo vient de humus) mais du souffle de Dieu, alors que la femme est
créée d’une matière plus noble : une côte de l’homme ; non pas du souffle
mais de la main de Dieu ; l’homme est façonné hors du paradis, la femme
dans le paradis, et ainsi à l’infini. Jean Le Fèvre dans son Livre de Leesce
commente cette formation pour situer la place de la femme par rapport à
l’homme. Créée d’une de ses côtes pour être à ses côtés, elle « ne fu pas
faite du chief / Pour segnourir » (v. 1255-1256) pas plus que des « piés,
pour servir » (v. 1258) (elle n’a pas été faite de la tête, pour commander ni
des pieds pour servir) *1. À l’origine, elle est conçue comme la compaigne
de l’homme et sa paire (v. 1264) (son égale). Le terme latin chez les
théologiens est celui de socia. Sa « subjection » (v. 1268) est une
conséquence de la faute. La suite de l’histoire de la Genèse, le récit de la
tentation en particulier, la pourvoit de traits moraux qui vont la caractériser.
Comme le serpent qu’elle a écouté, et qui pourtant l’a trompée, elle est
rusée. Les médiévaux, Pierre le Mangeur par exemple au XIIe siècle,
justifient ce rapprochement à l’aide du proverbe « Qui se ressemble,
s’assemble » et dans beaucoup de miniatures médiévales le serpent a tête de
femme *2 (ill. 1). Tous les textes féministes ou antiféministes que le Moyen
Âge produit en abondance partent de là, que l’on en tire des conséquences
favorables ou défavorables pour la femme, louange ou vitupération. Les
types de raisonnement, souvent formels, semblent parfois tenir du jeu mais
ils entérinent ce constat. Matheolus dans ses Lamentations que traduit Jean
Le Fèvre 6 au XIVe siècle va jusqu’à déduire, par un raisonnement logique, la
disparition de la femme au jour du Jugement dernier. Puisqu’elle a été faite
d’une côte d’Adam et qu’au jour du Jugement Adam doit retrouver son
intégrité :
Adonc le gendre femenin,
Si com j’ay dit, plein de venin,
Tout au neant revertia
Et ainsi s’esvanouira.
(Livre III, v. 1437-1440)
(Alors le genre féminin, / Comme je l’ai dit plein de venin, / Retournera au néant / Et
ainsi s’évanouira.)
Entre 1135 et 1138, Geffrey Gaimar, dans son Estoire des Engleis 3,
présente sa commanditaire : « Dame Custance, la gentil » (v. 6430), c’est-à-
dire la noble, épouse d’un membre d’une vieille famille du Lincolnshire,
Ralf Fitz Gilbert. Cette dame est lettrée. Il précise qu’elle s’est fait copier le
livre de David (elle désigne sans doute de cette manière le Livre des
Psaumes) : « Dame Custance en ad l’escrit, / En sa chambre sovent le lit / E
ad pour l’escrire doné / Un marc d’argent ars e pesé » (Dame Constance en
possède le texte. Elle le lit souvent dans sa chambre et pour la copie en a
donné un marc d’argent pur et bien pesé ; v. 6489-6492). Samson de
Nanteuil 4 traduit les Proverbes de Salomon à la demande d’Aeliz
(Adélaïde) de Condet et de son fils Roger. On offre donc à ces grandes
dames aussi bien un livre de voyage vers l’au-delà, Saint Brendan, de la
littérature scientifique moralisée (un bestiaire), un livre historique ou une
traduction de la Bible. Si sous-jacente soit-elle, la portée religieuse est
toujours présente.
La figure qui domine tout le XIIe siècle est celle d’Aliénor d’Aquitaine
(c. 1122-1204). Petite-fille du premier troubadour connu, Guillaume IX,
elle joue, par ses deux mariages, avec Louis VII, roi de France, puis avec
Henri Plantagenêt qui devient roi d’Angleterre sous le nom d’Henri II, un
rôle éminent dans la promotion des lettres en langue d’oc et en langue d’oïl.
Pour la littérature d’oc, la Vida de Bernard de Ventadour qu’écrit Uc de
Saint-Circ le présente à la cour d’Aliénor, ayant composé pour elle de
nombreuses chansons jusqu’au départ de cette dernière, qu’il donne comme
duchesse de Normandie, pour l’Angleterre. En langue d’oïl, le chroniqueur
Wace, né à Jersey, auteur du Roman de Brut, traduction de l’Historia
Regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth, trace le portrait d’Aliénor
5
dans son Roman de Rou de 1160 (il s’agit d’une histoire des Normands et
de leur chef Rollon) :
Du roi Henri voil faire ceste premier page,
Qui prist Alianor, dame de haut parage,
(…)
France est Alienor et debonnaire et sage ;
Roÿne fu de France en son premier aage
(v. 17-18 et 24-25)
(Je veux consacrer cette première page au roi Henri qui a épousé Aliénor, dame de
haut rang (…) Aliénor est noble, bienveillante et sage. Elle fut d’abord reine de
France.)
o o
4. Blanche raconte, Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, 3142, f 1r .
CHANTER
(LES TROBAIRITZ)
o
5. La Comtesse de Die, BnF, fr. 12473, f 126v.
Que sait-on de ces femmes ? Leur nom pour certaines d’entre elles, leur
statut social, élevé le plus souvent, leur culture. Comme pour les
troubadours, nous disposons en effet, dans les manuscrits qui ont conservé
leurs textes, d’une courte vie (Vida) et d’une razo (un commentaire)
généralement tirée, comme la vida très souvent, des textes eux-mêmes. Une
vingtaine de noms de poétesses nous sont parvenus 2, certains peut-être
inventés, pour une vingtaine de pièces en regard des 460 noms de
troubadours pour un corpus d’environ 2 500 pièces. Dans le manuscrit qui
offre des vignettes des trobairitz (le manuscrit H), huit sont représentées :
Almucs de Castelnou, Azalaïs de Porcairagues, la Comtesse de Die, Iseut
de Capion, Marie de Ventadour, Na (c’est-à-dire Dame) Castelloza, Na
Lombarda, Na Tibors de Sarenom, plus une anonyme. Il ne s’agit pas de
portraits mais de silhouettes de femmes. Nous avons conservé une canso
d’Azalaïs de Porcairagues, quatre de Castelloza, quatre de la Comtesse de
Die avec, pour l’une des pièces de cette dernière, la mélodie (ill. 5). Quatre
cansos constituent les corpus les plus grands, alors que nous savons par la
vida de la Comtesse de Die que cette dernière composa « mantas bonas
canços » (maintes bonnes chansons). Une telle dissymétrie par rapport aux
troubadours est frappante. Pourquoi les chansons des femmes poètes n’ont-
elles pas été notées 3 ? Ces femmes n’étaient sans doute pas perçues comme
exerçant un métier, remplissant une fonction, alors que les vidas précisent
qu’elles connaissaient bien « l’art de trouver » et qu’elles étaient « mout
ensenhadas », très cultivées, parfois même « fort maïstra », très savantes.
C’est ce que nous dit la vida de Tibors de Sarenom : « Cortesa fo et
ensenhada, avinenz e fort maïstra ; et saup trobar » (Elle était courtoise et
cultivée, avenante et fort savante et elle savait « trouver »). Castelloza est
ainsi présentée : « Et era domna mout gaia et mout enseignada e mout
bella » (Et c’était une dame très gaie, très cultivée et très belle). Toujours
sont liés gaieté, beauté et savoir. Certes, gaieté et beauté peuvent aussi être
attribuées aux hommes, mais avec une insistance mise sur le fait qu’il s’agit
de qualités acquises. La vida de Bernard de Ventadour dit que bien qu’il fût
né pauvre, il « devint bel homme », celle de Peire Cardenal qu’arrivé à
l’âge d’homme, « il se sentit joyeux, beau et jeune ». Toutes ces qualités,
des hommes comme des femmes, relèvent du joy, notion complexe qui ne
s’égale pas uniquement à la joie (gaudium) mais aussi au jeu (jocus), à une
joie agissante 4. Le joy est une des valeurs essentielles de la culture du Midi.
La culture des trobairitz apparaît dans les allusions littéraires que l’on
rencontre dans leurs poèmes. Par deux fois, la Comtesse de Die affirme son
amour grâce à une comparaison avec un personnage de roman : « je vous
aime plus que Seguin n’aima Valense » dans la pièce « Il me faut chanter ce
que je ne voudrais point chanter », et « je suis plus éprise de lui que Floire
ne le fut de Blanchefleur » dans la canso « J’ai été en grand souci ». Dans
les deux cas, elle occupe la place de l’homme, c’est-à-dire du sujet agissant,
car c’est bien là une des caractéristiques de la poésie des trobairitz :
affirmer leur amour en je. Dans une troisième pièce enfin, la Comtesse
désigne par le senhal (le nom dissimulé) Floris le nom de son amant. Le
personnage de Seguin est celui d’un héros de roman que l’on ne connaît
aujourd’hui que par une autre mention d’un troubadour : Arnaut de Mareuil.
L’autre référence est au roman idyllique anonyme des années 1150-1160
Floire et Blancheflor, qui semble avoir eu beaucoup de succès dans le Midi.
Dans le roman de Flamenca, l’héroïne répète la scène qu’elle doit
interpréter à l’église pour pouvoir glisser un mot à Guillaume, son ami, en
faisant jouer au livre de Floire et Blancheflor, qu’elle possède donc, le rôle
du psautier. La provocation par rapport à la religion ne peut être plus
patente. On est aux limites du sacrilège. Le rôle des cours du Midi, de la
souveraineté des femmes dans ces cours, est essentiel. Azalaïs de
Porcairagues envoie sa chanson « Ar em al freg temps vengut » (Nous voici
à la saison froide) « Ves Narbona » (vers Narbonne ; v. 50), c’est-à-dire à
Ermengarde de Narbonne 5, celle qui, dit-elle, est le modèle des deux
valeurs essentielles de cette poésie, « Joiz et Jovenz », joie et jeunesse. La
conscience de leur art qu’ont ces poétesses se marque avec acuité dans leur
maniement de la versification. La Comtesse de Die joue ainsi dans une
pièce avec des rimes dérivatives, faisant entendre en alternance terminaison
masculine et féminine pour un même mot : « Ab Joi et ab Joven
m’apais / Et Jois et Jovenz m’apaia, / Que mos amics es li plus gais / Per
qu’ieu sui coindet’ e gaia » (De Joie et de Jeunesse, je me repais, / et Joie et
Jeunesse me repaissent / car mon ami est le plus gai / Ce qui fait que je suis
aimable et gaie). Le jeu se poursuit sur les quatre strophes et l’envoi,
conjoignant virtuosité technique et jeu avec les genres grammaticaux. La
mise en regard du masculin et du féminin par le biais de la grammaire
s’observe aussi dans l’échange de strophes entre Bernard Arnaud et
Lombarda : « Je voudrais être Lombard pour Dame Lombarde » dit le
poète, ce à quoi la dame répond « Je voudrais avoir pour Bernard le nom de
Bernarde / Et pour Arnaut être appelée Arnaude ». Dans un senhal, le poète
appelait la dame « Miral de Pres » (Miroir de Prix, Miroir de la valeur), la
dame lui renvoie l’image dans un jeu à l’infini.
Dans la poésie courtoise, le troubadour prie une dame d’un rang social
supérieur. Il la désigne au masculin, du terme de midons, « mon seigneur ».
La dame se refuse ou met des conditions pour accorder son amour. La
poésie est tendue vers un futur qui se réalisera ou non. Une inversion des
rôles est-elle possible ? Non. Qui est celui que prie la dame ? Il est toujours
désigné du terme de chevalier, et Azalaïs de Porcairagues précise qu’il ne
doit pas être d’un rang supérieur à celui de petit vassal, car il ne faut pas
aimer pour la richesse, dit-elle. Tout se joue autour d’une foi engagée, d’un
pacte, d’un serment que le chevalier, très souvent, est accusé d’enfreindre :
« E membre-vos de nostres covinenz » (Qu’il vous souvienne de notre
accord), rappelle la Comtesse de Die dans « Il me faut chanter ce que je ne
voudrais pas ». L’aveu du désir est direct : « Ben volria mon cavalier / Tener
un ser en mos bratz nut » (Je voudrais bien tenir un soir mon chevalier nu
dans mes bras) et lui servir de coussin, dit la Comtesse de Die dans la canso
« J’ai été en grand souci ». La poésie des femmes poètes d’Occitanie n’est
pas le miroir de celle des hommes. En assumant la position de sujet, la
femme change la donne. Elle chante la trahison, l’abandon, comme dans les
Héroïdes, et la douleur d’aimer qui succède à la joie. À l’inverse de celle
des hommes, la poésie des femmes troubadours est tournée vers le passé.
Quels rapports entretiennent la femme et l’homme qui composent ? La
dame peut déclarer à l’homme son amour, comme le fait Azalaïs de
Porcairagues à l’endroit de Raimbaut d’Orange. Elle peut provoquer un
poète à chanter. C’est le rôle que joue Marie de Ventadour à l’égard de Gui
d’Ussel en lui proposant une tenson sur le sujet de la parité en amour :
« Gui d’Uissel, be’m pesa de vos / Car vos ètz laissatz de chantar » (Gui
d’Ussel, j’ai grande peine à cause de vous car vous avez cessé de chanter).
Elle y affirme avec force que « la dame doit fait honneur à son
amant / comme à un ami non comme à un seigneur ». Marie de Ventadour,
Marie de Turenne, est la femme d’Eble V, l’une de ces tres de Torena, les
trois de Turenne, trois sœurs qui, selon Bertrand de Born, ont pris à elles
trois toute la beauté du monde. Elle règne sur la cour de Ventadour de 1186
à 1222 environ. Elle est l’inspiratrice de plusieurs poètes, Gaulcem Faidit
en particulier, qui la chante sous son nom et peut-être aussi sous le senhal
de Bos Espers (Bon Espoir). Elle intervient comme juge dans des débats
conjuguant les figures de mécène et de poète. On rencontre aussi le cas
étonnant d’un couple de troubadours. Les razos des pièces de Raimon de
Miraval expliquent qu’il avait une femme « Belle et gracieuse et qui savait
bien “trouver” couplets et danses ». Raimon la répudie, croyant épouser son
amie, sous le prétexte « qe non covenian dui trobador en un alberc » (qu’il
ne peut y avoir deux troubadours sous un même toit). Cerner la place de la
trobairitz dans cette infinité de jeux relève de la gageure. Le miroir est
déformant.
Un mythe apparaît au XVIe siècle, à la vie tenace, celui des cours
d’amour, lancé par Jean de Nostredame, le frère de Michel, Nostradamus,
l’astrologue. Jean de Nostredame, dans sa Vie des plus célèbres et anciens
poètes provençaux de 1575, est un grand pourvoyeur de mythes et un grand
inventeur de femmes écrivains. C’est lui qui « invente » Clémence Isaure,
qui passe pour être la fondatrice des Jeux floraux de Toulouse, que nous
avons évoquée. Que seraient les cours d’amour ? Des tribunaux où des
dames rassemblées jugeraient de points de casuistique amoureuse. On
appuie cette théorie au début du XIXe siècle, grande période du « goût
troubadour », sur la découverte d’un manuscrit d’André le Chapelain, le De
arte amandi (L’Art d’aimer), qui enregistre dans sa deuxième partie une
série de « jugements d’amour » rendus par de grandes dames de la fin du
e
XII siècle. C’est François Raynouard qui en 1817, dans son édition d’un
CONTER
(MARIE DE FRANCE)
Trois œuvres de la fin du XIIe siècle sont signées du nom d’une femme :
Marie. Ce sont les Lais, les Fables et L’Espurgatoire Seint Patriz 8. « Oëz,
seignurs, ke dit Marie », dit le prologue de Guigemar, « Marie ai num, si sui
de France », lit-on à l’épilogue des Fables, et « Jo, Marie, ai mis en
memoire / Le livre de l’Espurgatoire / En romanz, k’il seit entendables / a
laie genz e covenables » (Moi, Marie, j’ai préservé de l’oubli le livre du
Purgatoire, en le mettant en langue romane pour qu’il soit compréhensible
et accessible aux laïcs ; v. 2297-2300) dans le troisième texte. S’agit-il de la
même Marie ? La plupart des critiques s’accordent à le penser mais c’est au
président Fauchet, au XVIe siècle, dans son Recueil de l’origine de la langue
et poésie française de 1581, que l’on doit la « construction » du nom Marie
de France à partir de la mention qu’il lit dans l’épilogue des Fables. On
ajoute parfois à la production de Marie, essentiellement depuis les travaux
de June Hall McCash de 2002 9, La Vie de seinte Audrée, elle aussi signée
Marie et en des termes voisins à ceux rencontrés pour les trois autres
textes : « Mut par est fol ki se oblie. / Ici escris mon nom Marie, / Pur ce ke
soie remembrée » (Il est bien fou qui ne pense pas à lui-même. J’écris ici
mon nom Marie, pour que l’on se souvienne de moi ; v. 4618-4620). Mais il
faut remarquer que la formule « Il est bien fou qui s’oublie » est un
proverbe 10 qui renvoie à l’idée qu’il faut penser à son salut 11. Par ailleurs,
d’autres critiques, Françoise Laurent pour la France, Sharon Kinoshita et
Peggy McCracken 12 pour les États-Unis, ont montré que l’orientation
anglo-saxonne des goûts de la personne qui signe Marie la Vie de seinte
Audrée éloigne d’une attribution à Marie de France. Pour la Marie des Lais,
diverses identités ont été proposées, notamment : fille naturelle de Geoffroi
Plantagenêt, ce qui en ferait la demi-sœur d’Henri II, et abbesse de
Shaftesbury, sœur de Thomas Becket et abbesse de Barking. Toutes ou
presque situent Marie comme vivant en Angleterre dans l’entourage
d’Henri II. Mais ce qui importe est : pourquoi Marie de France signe-t-
elle ? Elle le dit dans l’épilogue des Fables. Pour que d’autres, les clercs, ne
s’approprient pas son travail, son labur. « Cil uevre mal ki sei ublie » (Il
agit mal qui s’oublie), précise-t-elle. À la différence de Christine de Pizan,
deux siècles plus tard, elle ne renvoie pas de l’un de ses ouvrages à l’autre,
des Fables par exemple aux Lais, ce qui entretient chez les critiques une
interrogation : est-ce bien la même femme ? En fait, la conscience de faire
œuvre pour un sujet, homme ou femme, s’apprend ou se développe. Notre
enquête sur la femme écrivain permet de mesurer ce point.
Qu’est-ce qui fait écrire Marie ? La réponse donnée par les auteurs
masculins à cette question tient à leur statut social. Si l’auteur n’est pas
dépendant économiquement, la formule est : « Talent m’est pris de
chanter » (J’ai le désir de chanter). Le mot talent en ancien français désigne
le désir. S’il s’agit d’écrivains commandités, le poète indique d’où vient
l’ordre, à la demande de qui il écrit. Marie est noble. Son contemporain
Denis Piramus, qui a vécu comme elle pendant un temps à la cour
d’Henri II d’Angleterre et d’Aliénor d’Aquitaine, l’appelle « Dame
Marie ». Cette dernière invoque donc son désir. C’est ainsi qu’elle
commence le Lai du Chaitivel : « Talent me prist de remembrer / Un lai
dunt jo oï parler » (J’ai le désir de rappeler un lai dont j’ai entendu parler).
Marie de France n’écrit pas sur commande, même si, dans un deuxième
temps, elle dédie ses œuvres à des personnages particuliers. Elle rend
compte de ce désir d’écrire dans le prologue général de ses lais en utilisant
différents ordres d’arguments. Une justification d’ordre général, d’abord :
l’utilité. C’est un topos d’exorde. Il faut faire fructifier ses dons : « Ki Deus
a duné escïence / Et de parler bone eloquence / Ne s’en deit taisir ne
celer, / Ainz se deit voluntiers mustrer. » (Celui à qui Dieu a donné le savoir
et le don de bien parler, il ne doit pas se taire ni cacher ces dons mais
s’empresser de les rendre manifestes.) Ce prologue montre une conscience
littéraire très vive. Ce texte qu’elle écrit après l’ensemble des douze lais se
présente comme un art poétique. Elle y mentionne sa connaissance des
Anciens — elle cite Priscien —, leur théorie de l’écriture obscure qui
permet la glose, l’utilité d’un travail littéraire difficile qui éloigne du vice,
le choix enfin d’une matière. Diverses options s’offraient à elle : traduire de
« latin en romaunz » — elle sait donc le latin — mais d’autres l’ont fait.
Elle choisit une matière neuve : composer des lais à partir des récits bretons
qu’elle a entendu raconter et ainsi les sauver de l’oubli. Ce rôle accordé à la
mémoire, aussi bien à l’égard des récits des anciens Bretons que de son
propre nom, constitue une sorte de signature. Pour accomplir ce programme
poétique, Marie souligne la peine qu’elle a prise dans ce travail : « Soventes
fiez en ai veillié » (Souvent, j’en ai veillé). Elle vit donc celui-ci non
comme un divertissement, mais comme une mission : « Ki de bone mateire
traite, / Mult li peise si bien n’est faite » (Qui traite d’une bonne matière
souffre beaucoup si elle n’est bien menée), affirme-t-elle à l’ouverture de
Guigemar. Mais elle pointe aussi le plaisir qu’elle prend à rapporter ces
récits et à les mettre par écrit : « Al recunter mut me delit » (À le raconter,
je prends un grand plaisir ; v. 534), dit-elle dans l’épilogue de Milun et à
l’ouverture du Lai du Chèvrefeuille : « Asez me plest e bien le voil » (Tel
est mon grand plaisir et ma volonté). L’écriture a des vertus curatives : elle
éloigne de la douleur, « de grant dolur delivrer » (v. 27). Elle dédie son
œuvre au roi, « En l’honur de vus, nobles reis, / Ki tant estes pruez e
curteis » (En votre honneur, noble roi, qui êtes si vaillant et si courtois)
— on s’accorde à y voir Henri II d’Angleterre —, mais la volonté d’écrire
est venue d’elle : « En mon quoer pensoe e diseie, / Sire, jes vos
presentereie » (Je pensais et disais en mon cœur, Seigneur, que je vous les
offrirais ; v. 49-50). Elle esquisse donc à peine en conclusion, signe de son
rang élevé, un topos d’humilité : « Ne me tenez a surquidiee » (Ne me jugez
pas outrecuidante ; v. 54).
Les sujets abordés par Marie dans ses Lais offrent toute la gamme
possible des rapports de l’homme et de la femme : unions déséquilibrées
d’un vieil homme et d’une jeune femme qui aboutit à la mort de l’amant,
symbolique dans le Laustic, sous les espèces du rossignol, effective dans
Yonec ; naissance d’un enfant hors mariage qui tue le mari officiel (Yonec)
ou qui marie à la fin ses parents (Milun). Quatre en effet des douze lais de
Marie offrent une figure de mal mariée : Guigemar, Yonec, Milun, le
Laustic. D’autres situations se présentent : mariage pour convenance de
lignage (Fresne) avec une jeune fille qui est en fait la sœur jumelle de celle
qu’aime le héros, mariage aussitôt annulé une fois l’identité noble de la
jeune fille aimée reconnue ; mari entre deux femmes (Eliduc) où l’épouse
s’efface en se faisant religieuse, mais où les deux membres du nouveau
couple finissent, au bout d’un temps, par entrer également en religion ; père
qui aime trop sa fille pour accepter qu’elle se marie (Deus Amanz) ;
retrouvailles pour le couple de Tristan et Yseut, désignée seulement par son
titre : « la reine », dans le Lai du Chèvrefeuille. Marie explore la liberté
d’aimer pour l’homme comme pour la femme. Lanval refuse l’amour de la
reine Guenièvre pour celui de la fée ; la dame du Lai des Quatre Deuls ou
Lai du Chaitivel ne veut pas choisir entre ses quatre chevaliers servants et
leur accorde à tous des faveurs, ce qui conduit trois d’entre eux à la mort ;
Guigemar au début de son aventure est incapable d’aimer : « De tant i out
mespris nature / Ke unc de nule amur n’out cure » (En cela Nature s’était
trompée / Car il était insensible à l’amour ; v. 57-58). La dame souvent se
déclare la première, comme Guilliadon dans Eliduc. Marie ne se pose aucun
interdit dans l’exposition de la complexité des rapports humains, dans
l’imbroglio des naissances et des filiations, dans l’obscurité des désirs.
Ainsi que l’affirme le Lai d’Equitan : « Tels est la mesure d’amer / Que nuls
n’i deit reisun garder » (Telle est la mesure en amour que nul n’y peut
garder mesure ; v. 19-20).
Marie met parfois en abyme son écriture par le biais d’un de ses
personnages. Il en va ainsi dans le Lai du Chaitivel où la dame décide
d’écrire un lai de l’aventure :
Marie avait choisi de transcrire des contes oraux bretons dans les Lais.
Avec les Fables, elle dit traduire de l’anglais du roi Alfred des fables
d’origine antique. Dans Le Purgatoire de saint Patrick, elle adapte le récit
latin d’un moine anglais, Henry de Saltrey. Cette traversée des langues est
un excellent témoin de l’ampleur de sa culture et de la diversité de ses
intérêts. Si l’on en juge par le nombre de manuscrits conservés — vingt-
cinq à l’heure actuelle —, son recueil de cent deux fables a eu du succès, et
davantage que les lais dont on ne compte que six manuscrits. Un recueil de
fables répondait plus sans doute à ce que l’on attend de l’écriture d’une
femme au Moyen Âge. L’auteur de l’Isopet I ne dit-il pas qu’il a écrit son
recueil tout particulièrement pour les dames ? Même si Marie de France ne
dédie pas son recueil à une femme, mais à un « cunte Willame / le plus
vaillant de nul realme » (un comte Guillaume, le plus valeureux de tout
royaume ; Épilogue, v. 9-10) — on pense soit à Guillaume de Mandeville,
comte d’Essex de 1167 à 1189, soit à Guillaume le Maréchal, comte de
Pembroke en 1199 —, même si elle ne le concevait pas comme un miroir
pour les dames mais bien, comme on a pu le montrer, comme un miroir des
princes, ses fables, avec d’autres recueils de fables ou avec des écrits de
type didactique, se trouvent dans des bibliothèques de femmes. Marie de
Brabant, deuxième femme de Philippe III de France, dit le Hardi, possède le
manuscrit de l’Arsenal 3142.
La stature de Marie de France au XIIe siècle est exceptionnelle par sa
culture, latine, celtique et française. Elle cite Priscien dans son Prologue
général (v. 10), Ovide dans le Lai de Guigemar (v. 239), elle connaît la
légende arthurienne, les histoires de Tristan et d’Iseut comme en témoigne
son Lai du Chèvrefeuille : « Plusur le m’unt cunté e dit / E jeo l’ai trouvé en
escrit / De Tristam e de la reïne » (Plusieurs me l’ont racontée et dite et je
l’ai trouvée écrite, l’histoire de Tristan et de la reine ; v. 5-7). Elle est
volontairement originale par ses choix d’écriture : écrire à partir de récits
oraux celtes plutôt que de traduire du latin. Elle est exceptionnelle enfin par
la conscience de son art qui implique un travail et n’est pas pensé comme
un pur divertissement. On ne rencontre pas une femme de son envergure
écrivant en français au XIIIe siècle. Christine de Pizan, qui ne la connaît sans
doute pas, ne la cite pas.
HORS DU COUVENT :
L’ÉCRITURE DES BÉGUINES
Le mouvement des béguines joue un rôle important dans la conscience
que prend la femme d’une possible autonomie matérielle et intellectuelle.
Qui sont ces femmes ? Des célibataires ou des veuves pieuses qui se
regroupent en communautés laïques, sans règle. Le mouvement apparaît à
la fin du XIIe siècle dans le diocèse de Liège, s’étend dans la région rhénane
puis plus largement en Europe. Il suscite des réactions violentes au sein de
l’Église. Au second concile de Lyon, en 1274, Gilbert de Tournai, frère
mineur, intitule le rapport qu’il y présente De scandalis ecclesiae (Des
scandales de l’Église). Il mentionne en particulier les béguines, femmes
illettrées selon lui. Il veut dire par là : femmes ne sachant pas le latin. Que
leur reproche Gilbert de Tournai ? D’usurper la position du clerc en
enseignant et en transmettant tout particulièrement ce qu’il disqualifie des
termes de « subtilitates » (des subtilités au sens qu’il donne à ce terme, à
savoir des hérésies) et de « novitates », des nouveautés. L’utilisation du
vernaculaire fait partie de ces nouveautés. La vocation enseignante des
béguines 29 est sentie comme un danger par les clercs, qu’elle se déploie au
niveau élémentaire de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture à des
enfants, filles et garçons, ou qu’elle s’étende à la diffusion d’une pensée
élaborée hors du contrôle unique de l’Église. Les béguines ont écrit, ou fait
écrire, en français, ou plus exactement en picard pour Marguerite Porete, en
flamand pour Hadewijch d’Anvers, en allemand pour Mechtild (Mathilde)
de Magdeburg, en provençal pour Philippa Porcelet. Douceline de Digne
dont elle rapporte la vie fonde, ainsi qu’elle le retrace au deuxième chapitre
de cette Vie, les béguines de Provence avec l’aide de son frère, Hugues de
Digne, prédicateur franciscain célèbre.
Marguerite Porete meurt la même année que Marguerite d’Oingt.
Béguine, originaire du Hainaut — on pense à la ville de Valenciennes — où
son livre est brûlé une première fois en 1306, elle est brûlée vive à Paris,
place de Grève, en 1310, comme hérétique et relapse. Son livre, Le Mirouer
des simples ames anienties et qui seulement demourent en vouloir et desir
d’amour 30, n’a été conservé que dans un manuscrit en français, une copie
rajeunie du XVe siècle, et deux en latin, mais il a connu une diffusion dans
les langues de l’Europe, en Italie en particulier. On compte deux traductions
italiennes, une traduction anglaise et peut-être une traduction allemande.
C’est une spéculation sur l’amour mystique qui fait dialoguer, pour
l’essentiel, Âme, Amour et Raison. La Trinité de Marguerite Porete se
compose d’essences féminines, Amour et Âme, mais aussi d’une entité
désignée au masculin, le Loingprés qui représente Dieu en ses paradoxes,
tout à la fois éloigné et proche. Le texte unit poèmes — certains à forme
fixe, comme un rondeau — et chapitres en prose au nombre de 139 ou 140.
Le texte en effet n’a pas été rédigé d’une seule traite, mais recueille au fil
des années, selon les spécialistes, l’enseignement qu’elle dispensait à ses
compagnes de béguinage. Il s’ouvre sur une pièce lyrique en quatre
strophes de sept octosyllabes : « Vous qui en ce livre lirez » qui dénie aux
théologiens et aux clercs la compréhension du livre s’ils n’abandonnent,
avec humilité, Raison au profit d’Amour et de Foi : « Humiliez dont voz
sciences / Qui sont de Raison fondees », enseigne la dernière strophe.
Raison est sans cesse prise en défaut, marquant son ébahissement (c’est le
titre du chapitre 8) par des formules du type « Hee, pour Dieu ! dit Raison,
qu’esse a dire ? » (chapitre 9), formule qui ponctue tout le chapitre 11, ou
« He Dieux ! he Dieux ! he Dieux ! dit Raison, que dit ceste creature ? C’est
maintenant pour tout esbahir ! » (chapitre 86), ou encore « Hay Dieux, dit
Raison, comment ose l’en ce dire ? » (chapitre 87). Le langage de
Marguerite Porete, très imagé, animé par des proverbes, vigoureux
— « asnes » sont ceux d’après elle qui vivent du conseil de Raison
(chapitre 68) —, s’adresse d’abord à des auditeurs : « Or oyez et entendez
bien, auditeurs de ce livre ! » (chapitre 12), « Entendez ces motz
divinement, par amour, auditeurs de ce livre » (chapitre 58), « Entendez la
glose, auditeurs de ce livre » (chapitre 82). Cette volonté d’enseigner, voire
cette posture du prêche — interdit aux femmes —, cette position d’autorité,
cette assurance et cette détermination n’ont pas paru admissibles à
l’inquisiteur Guillaume de Paris, dominicain, confesseur du roi Philippe le
Bel, et aux vingt et un théologiens de la Sorbonne qui condamnèrent
Marguerite Porete. Elle fut brûlée avec son livre. Des exemplaires pourtant
ont subsisté. Marguerite de Navarre au XVIe siècle en a lu un (notre actuel
manuscrit de Chantilly), sans doute dans la bibliothèque du couvent de
Madeleine-lès-Orléans que la reine de Navarre fréquentait. Ce couvent
dépendait de l’ordre de Fontevrault. Elle parle longuement dans ses
Prisons 31 de Marguerite Porete et de son livre :
temps se marque de diverses manières. Elle fait copier l’album de son mari
enrichi par des poètes de son entourage, Guillaume de Thignonville, son
écuyer panetier, Jean de Lorraine, Jean de Calabre, le fils de René d’Anjou.
C’est le manuscrit conservé actuellement à la Bibliothèque inguimbertine
de Carpentras, manuscrit 375. Un manuscrit qui porte sa devise, « Rien ne
m’est plus », devise reprise à la mère de son mari, Valentine Visconti,
témoigne de l’activité de son cercle poétique. Il s’agit d’un manuscrit
d’Alain Chartier (BnF fr. 20026) qui s’ouvre sur La Belle Dame sans mercy.
Il porte sur la première page la signature de ses familiers, qui, comme elle,
appréciaient la poésie lyrique, Liber amicorum selon la formule de Pierre
Champion 34. Parmi eux, six noms de femmes. Des recueils et des livres lui
sont dédiés. Il en va ainsi d’un recueil de ballades et de rondeaux,
aujourd’hui perdus, que lui offrent en 1470 Robert du Herlin, secrétaire du
roi Louis XI, et Regnault le Queux 35. Elle figure enfin comme juge en
compagnie d’une autre princesse, l’épouse du frère de son mari, la comtesse
d’Angoulême, Marguerite de Rohan (morte en 1496), épouse de Jean
d’Orléans. Le débat à juger est celui de Deux demoiselles, l’une nommée la
Noire et l’autre la Tannée 36 sur la question de savoir quelle est la plus
malheureuse. Les deux dames sont poètes et exposent leur malheur dans des
rondeaux. Celle vêtue de noir voit celui qu’elle aime chaque jour mais sans
pouvoir lui faire part de sa douleur, celle vêtue d’une robe couleur tannée,
c’est-à-dire d’un brun roux, n’a plus de nouvelles de son ami. Passent dans
leur dialogue, retranscrit par un narrateur caché derrière une treille — c’est
la mise en scène de La Belle Dame sans mercy d’Alain Chartier —, des vers
de chansons à la mode et des motifs de la poésie de la cour de Blois : « Et
meurs de soyf emprès le puys » (p. 292), dit la Noire, écho au « Je meurs de
soif auprés de la fontaine » du prince. « Riens ne m’est plus » (p. 282)
affirme la Tannée, s’appropriant la devise mélancolique de Marie de Clèves.
Comme toujours dans ce genre de débat, la question n’est pas énoncée pour
être tranchée, mais l’œuvre a fait entendre une poésie de l’amour insatisfait
dans la tonalité des deux pièces de Marie à qui on soumet l’œuvre et à qui
on rend ainsi hommage.
Un autre cercle de femmes poètes se constitue autour de Marguerite
d’Écosse (1424-1445), jeune épouse du futur Louis XI. Fille du roi-poète
Jacques Ier d’Écosse, Marguerite est mariée en 1436 — elle a douze ans —
au dauphin Louis âgé de treize ans. Elle vient alors vivre en France auprès
de Marie d’Anjou, la mère de son mari, femme de Charles VII. Il se déploie
autour d’elle une intense activité poétique sur laquelle nous avons un
témoignage surprenant. Dans l’enquête commandée par Charles VII sur les
circonstances de sa mort, Jamet de Tillay, écuyer, déclare que ses dames
d’honneur, Marguerite de Salignac, Jeanne Filleul et Prégente de Melun, en
étaient responsables « pour ce qu’il avoit oy dire que c’estoient elles qui la
faisoient trop veiller a faire rondeaux et ballades (…) et aucunesfois se
occupoit a faire rondeaux tellement qu’elle en faisoit douze pour un jour qui
luy estoit choses bien contraire 37 » (parce qu’il avait entendu dire que
c’étaient elles qui la faisaient trop veiller à faire rondeaux et ballades (…) et
que parfois elle se consacrait tant à faire des rondeaux qu’elle en faisait
douze en un jour, ce qui lui nuisait beaucoup). Mourir de poésie. Nous
n’avons gardé aucune composition de Marguerite d’Écosse, nous en avons
une de Jeanne Filleul 38 (ms. BnF, fr. 9223) sur la douleur d’être abandonnée
que l’on rencontre dans plusieurs recueils : « A l’eure que m’eustes
laissée / Seulle esgarée, / Tout mon plaisir se trespassa » (Du moment où
vous me laissâtes, seule, égarée, tout mon plaisir mourut). La tonalité est
sombre. Une légende court à partir du XVIe siècle mettant en scène le goût
de Marguerite d’Écosse pour la poésie et son admiration en particulier pour
Alain Chartier. L’anecdote est rapportée par Jean Bouchet dans ses Annalles
d’Aquitaine. À son entourage lui faisant reproche d’avoir donné un baiser à
Alain Chartier endormi, grand poète mais fort laid, elle aurait répondu : « Je
n’ai pas baisé l’homme, mais la precieuse bouche de laquelle sont yssuz et
sortis tant de bons motz et vertueuses parolles ». Anecdote controuvée
— Alain Chartier meurt à Avignon en 1430, Marguerite d’Écosse arrive en
France en 1436 —, mais qui traverse les siècles et les genres. Marie de
Gournay la rapporte dans ses Advis de 1641, Théodore Chassériau lui
consacre un dessin à la plume en 1840 et on la retrouve dans La Poupée
sanglante de Gaston Leroux, roman paru en 1923. À sa mort en 1445, le
poète Blosseville lui consacre une ballade : « Vous qui parlés de la beaulté
d’Eslaine ». C’est la pièce 99 du recueil de poésies lyriques contenues dans
le manuscrit Nouvelles acquisitions françaises 15771 de la BnF. Cette
ballade est fondée sur une énumération de femmes célèbres empruntées à la
mythologie, à la Bible, à l’Antiquité : Hélène, Judith, Polyxène, Elisa
(c’est-à-dire Didon), Lucresse et Esther que surpassait la Dauphine. Cette
énumération de femmes célèbres donne une bonne idée des qualités prisées
alors chez la femme : beauté, force, amour, fidélité, chasteté, courage.
D’autres noms de femmes poètes se rencontrent dans les recueils du
e
XV siècle. Mademoiselle de Beauchastel, selon la rubrique du recueil
ms. BnF, fr. 9223, Jammette de Nesson, nièce de Pierre de Nesson, l’auteur
d’un Lai de Guerre en réponse au Lai de Paix d’Alain Chartier. Dans le
Champion des Dames de Martin Le Franc, alors que le Champion vient de
se livrer à un long éloge de Christine de Pizan, l’Adversaire s’étonne que ce
dernier n’ait pas cité « la belle Jamette, / Niepce de Pierre de Nesson »
(v. 18986-18987). « Et l’appell’ on l’aultre Minerve » (v. 18990), ajoute-t-il.
Dans la bouche du détracteur des femmes, est-ce ironique ? On ne connaît
qu’une pièce de Jammette de Nesson qui apparaît dans le manuscrit BnF,
Nouvelles acquisitions françaises 15771, pièce LXXV, sous une rubrique
qui dissimule en partie le nom : De Nesson a Ja. Ce rondeau, « C’est pour
me receller les biens » (C’est pour me cacher les biens), est adressé au poète
Taneguy du Chatel qui répond par un rondeau sur les mêmes mots rimes.
Cet échange est présent également dans le manuscrit BnF, fr. 9223 sous le
numéro LXVII, pour la pièce de Jammette. La rubrique donne là son nom
en clair : Jammette de Nesson. Ce rondeau se trouve aussi dans le manuscrit
BnF, fr. 1719.
Sur la foi des signatures codées et en anagramme que l’on trouve dans
deux pièces, il semble que l’on puisse considérer Jacqueline de
Hacqueville, que l’on rencontre dans l’entourage de Marguerite d’Écosse
puis dans celui de la reine Marie d’Anjou, comme l’auteure de ces deux
pièces, dans un échange avec le poète compositeur Antoine Busnoys. « Ja
que lui ne si actende » (variante : « Je que li ne ») est l’incipit de la
première pièce, « Pour les biens qu’en vous j’aperçoy » celui de la seconde.
Les lettres redistribuées de cet incipit donnent : « Ces vers pour Busnoy
Jaqueline ». Busnoys lui avait de son côté adressé deux rondeaux, avec son
nom en acrostiche. Dans le rondeau « A vous sans autre me viens rendre »,
on lit « A Jaqueline » ; dans le rondeau « Je ne puis vivre ainsi tousjours »,
son nom en entier, « Jaqueline d’Aqueville ». L’activité des poétesses du
e
XV siècle n’est conservée que dans le cadre de recueils collectifs, comme
témoignage de jeux qui plaisent mais non comme signe d’une œuvre.
Le XVe siècle offre également des livres de femmes qui relèvent de
genres mixtes. Ainsi du témoignage d’une dame de cour, Éléonore de
Poitiers (née entre 1444 et 1446, morte le 14 mars 1509), qui nous livre ses
souvenirs de la cour de Marie de Bourgogne, fille de Charles le Téméraire,
et ceux de sa mère. L’ouvrage rend compte à travers une mémoire familiale
des usages, du cérémonial de la cour que les deux femmes ont fréquentée.
Éléonore traite de points d’étiquette : comment l’on salue, par quel geste et
par quel titre, comment on se place selon son rang, comment l’on porte le
deuil, livrant en quelque sorte pour le domaine féminin le pendant du travail
qui est celui, pour les hommes, des hérauts d’armes. Elle évoque quelques
événements marquants : la naissance et le baptême de Marie de Bourgogne,
le baptême de son fils, Philippe d’Autriche, la réception du Dauphin, le
futur Louis XI. L’ouvrage est connu sous le titre Les Honneurs de la Cour,
ou, dans l’édition la plus récente, Les Etats de France 39.
Les femmes que nous avons évoquées, du XIIe au XVe siècle, ont eu des
obstacles à vaincre pour écrire, obstacles moraux, sociaux, juridiques,
culturels. Pourquoi la femme écrit-elle ? Rien ne l’exige, rien ne l’y pousse.
N’assisterait-on pas, de la part de ces femmes, si timide soit-elle, à une
invention de soi ? Elle se manifeste au travers des formules où elles
revendiquent leur nom : « Jo, Marie » pour Marie de France, « Ego
Margareta ancilla Christi » chez Marguerite d’Oingt, invention et
revendication qui culminent dans le je triomphant d’une femme du
e
XIV siècle, Christine de Pizan : « Je, Christine », non plus « ancilla
*1. On peut citer par exemple le livre du poète italien Bonvesin de la Riva, contemporain
de Marguerite, Il libro delle tre scritture, qui date d’un peu avant 1274. Chez Bonvesin de la
Riva, l’écriture noire peint les tourments de l’Enfer, la rouge renvoie à la Passion, la dorée au
Paradis. On trouve également des lettres de couleur et leur symbolisme dans les Gesta
e
romanorum et des chansons du XIII siècle.
*2. Un trouvère du nom de Gui des Prés apparaît dans l’envoi d’une pièce attribuée à
Perrin d’Angicourt, « Je ne chant pas por verdor ». Sainte appartient-elle à cette famille ?
*3. Le sens d’erreur en poésie n’est pas relevé par le Dictionnaire du moyen français de
l’ATILF. Si l’on fait fond sur la métaphore avec la partie du corps, le genou, il doit s’agir d’une
faute d’articulation, d’enchaînement des idées ou des mots.
Chapitre IV
ÉCRIRE : CHRISTINE DE PIZAN
(1365-VERS 1430)
Christine de Pizan écrit au XIVe siècle d’une place très singulière. Elle
n’est ni noble ni religieuse. Mariée, elle a des enfants et un ménage. La
mort de son mari va orienter son destin. À sa disparition, elle choisit de se
consacrer à l’étude, à l’écriture, et, chose inouïe pour une femme, d’en
vivre (ill. 7). Laïque, elle se fait pourtant clergesse. Comment cette
mutation est-elle possible ? Christine de Pizan analyse avec lucidité les
conditions nécessaires pour qu’une femme parvienne à écrire. Pour cela elle
fait de son histoire personnelle un exemple.
Christine de Pizan est née dans un milieu lettré. Elle a vécu parmi les
livres. Son père, Thomas, est un savant et un érudit. Mais en raison des
préjugés courants sur l’éducation des filles, que Christine résume en la
personne de sa mère qui la veut occuper de « fillaces 7 » (le mot n’est pas
forcément péjoratif au Moyen Âge), du travail du fil et, de manière
allégorique, dans la figure de Dame Opinion, elle n’a pas été incitée à
l’étude. Dame Opinion représente le poids de la coutume, cet us, cet usage,
mis en avant déjà par le Roman de Silence. Christine dénonce dans toute
son œuvre cette inégalité qui n’est pas d’essence mais d’éducation, non pas
de
nature mais de nourreture, selon les termes médiévaux. Pour elle, sa
naissance comme fille n’est pas un fait du hasard. Elle la représente comme
la lutte grandiose entre son père : Thomas de Pizan, et sa mère : Nature.
Débat entre un père de chair et une mère allégorique, mise en scène du
combat de la nature et de la culture dans la formation de l’humain. Le père
veut un garçon pour en faire le droit héritier de sa sagesse, la mère une fille
comme elle-même. Entre le père de chair et la mère allégorique, c’est cette
dernière qui gagne, mais Christine malgré tout se désigne dans Le Livre de
la Mutacion de Fortune comme « filz » — c’est la leçon de tous les
manuscrits — « de noble homme et renommé / (…) qui philosophe ert
nommé » (fils d’un homme noble et renommé, appelé philosophe ; v. 171-
172). Le sexe de Christine dépend de la volonté de la puissance supérieure,
de la mère, Nature. Dans le processus de la génération, ce sexe féminin ne
tient pas au « moule », c’est-à-dire à la forme qui est le fait de l’homme,
mais à la « détrempe », c’est-à-dire à la matière composée des quatre
éléments par Nature (Advision, p. 14). Cette mise en scène relève d’une
stratégie. Christine s’instaure en autorité en transcendant les détails de sa
vie par l’écriture. Dans l’Advision Cristine, sorte d’autobiographie
allégorique, elle analyse avec une précision implacable ce qui, alors qu’elle
en avait le goût, « naturellement et de nativité », l’a éloignée de l’étude :
« l’occupacion des affaires que ont communement les mariees et aussi la
charge de souvent porter enfans » (p. 108). Elle ne passe pas sous silence sa
part de responsabilité due à sa très grande jeunesse. Enfant, elle a parfois
préféré s’amuser plutôt qu’apprendre. La mort de son mari change son
destin. De ce moment, elle s’emploie à « recouvrer » ce qu’elle appelle
« ses pertes passees » (Advision, p. 110) : mort du roi protecteur, Charles V,
mort du père savant, Thomas, mort du mari aimé, Estienne Castel. Elle se
met sur le chemin de longue étude, titre qu’elle donne à l’un de ses
ouvrages.
7. Christine de Pizan dans son étude. Début des Cent balades,
o
Paris, BnF, ms fr. 835, f 1.
Les figures tutélaires de Christine dans la vie (il n’en va pas de même
dans l’œuvre) sont des figures d’hommes. Sa mère biologique, qui incarne
pour elle le parfait visage d’Opinion, cherche à la maintenir dans le rôle
imparti à son sexe, la voulant occuper aux travaux du fil, de l’aiguille, de la
quenouille qui définissent alors la femme, réprimant ses « impatiences ».
Elle intervient toujours dans l’œuvre de sa fille pour interrompre sa lecture
ou son écriture. À la fin du Chemin de Long Estude, elle frappe à la porte et
réveille Christine : « Qu’a l’uys de ma chambre hurta, / Qui de tant gesir
s’esmerveille » (car elle frappa à ma porte, s’étonnant de me voir tant rester
au lit ; v. 6396-6397). Elle met ainsi un terme au songe, et partant à l’œuvre.
Au début de la Cité des Dames, elle appelle Christine à table, interrompant
la lecture que cette dernière se proposait de faire des Lamentations de
Matheolus, livre qu’on lui avait prêté et qui parlait, croyait-elle, « a la
reverence des femmes » (p. 40). Et l’interruption s’effectue toujours pour
des activités quotidiennes, domestiques, mais essentielles : se lever, manger.
Car c’est aussi la « bonne mère » d’une bonne fille, « la charge
agreable (…) envieillie sus les bras de sa seule fille qui n’est oublieuse des
grans maternelz benefices d’elle receuz » (Advision, p. 116). La position de
Christine par rapport à Opinion est nuancée. Elle fait de l’allégorie dans
l’Advision la fille d’Ignorance et de Désir de savoir (II, III, p. 54),
combinant ainsi le défaut de connaissance, négatif, et l’envie d’apprendre,
positive. De même, si Christine admire son père dont elle loue le « trésor »,
c’est-à-dire le savoir, dont elle n’a pu ne retenir pour elle-même que « des
racleures et des paillettes » (Mutacion de Fortune, v. 453), l’ironie avec
laquelle elle parle de l’activité vaine des alchimistes rejaillit indirectement
sur lui, eux qui « toute jour et nuit font feu contemplant ung fournel. Mau
peus et mau vestus, se paissent de vent et la font chastiaulx en Espagne »
(qui jour et nuit font du feu, contemplant un four. Mal nourris et mal vêtus,
ils se repaissent de vent et font là des châteaux en Espagne ; Advision,
p. 82-83). Certes, elle le présente toujours comme philosophe et
mathématicien, mais elle ne peut ignorer les jugements que des
contemporains qu’elle connaît, Philippe de Mézières 8 en particulier, portent
sur lui. Elle ne dissimule pas enfin que son mari l’a tenue à l’écart des
affaires financières du ménage et qu’elle a dû à sa mort lutter pour tenter de
rétablir la situation. Dans un siècle où se pose la question de l’héritage en
termes politiques — un royaume peut-il se transmettre par les femmes *2,
« tomber en quenouille », selon la formule consacrée —, il est significatif
de voir Christine traiter le problème dans le domaine intellectuel. Une fille
peut-elle hériter du « trésor » de son père, de sa science ? Non, semble-t-il.
C’est contre cette « opinion » que Christine va lutter. Elle s’emploie donc
dans son œuvre à construire des figures d’autorité qui sont des mères :
Raison et Philosophie. Cette dernière s’adresse à Boèce en l’appelant son
fils : « a mon chier amé filz Bouece le tres souffisant philosophe »
(Advision, III, I) ; de même, elle s’adresse à Christine en termes de « fille ».
Le père de chair de Christine, Thomas, avait voulu « un filz masle, qui fust
son hoir » (un fils mâle qui fût son héritier ; Mutacion, v. 382), Nature lui
donne une fille, semblable à elle, mais qui est aussi un fils en esprit.
Christine se constitue par cette naissance paradoxale en figure d’autorité.
L’ÉCRITURE POLÉMIQUE
SE FAIRE HOMME
Se faire homme est l’image par laquelle Christine de Pizan a dit sa prise
en main des choses de sa maison, la charge des procès qu’elle a entrepris
pour récupérer ses biens, où elle se défend elle-même face aux moqueries
des autres avocats et à des juges « remplis de vin et graisse d’aise »
(Advision, p. 105). Pour dire sa conquête de l’écriture, elle emploie une
autre métaphore : « mettre la main à la plume ».
« Mettre la main à la plume », pour la femme, est un acte transgressif
sur deux plans. Sur le plan concret du contrôle de son propre texte, le geste
signe une émancipation de la tutelle masculine, une prise directe de la
femme sur son propre discours. Nul besoin désormais de manière obligée
d’un copiste ou d’un intermédiaire, tels ces clercs donnant à entendre la
parole des mystiques qui souvent transcrivent une voix qu’en fait ils
contrôlent. Nul besoin de stratégie du désespoir comme celle qu’évoquent
ces textes qui montrent la femme convertissant la broderie, leur domaine, en
écriture imagée. C’est ce que fait Philomena chez Chrétien de Troyes, qui
révèle par ce biais le viol dont elle a été l’objet après que Térée, son beau-
frère et son violeur, lui a coupé la langue. Sur le plan symbolique, la femme
remplace la quenouille par la plume, elle substitue à l’emblème féminin par
excellence l’outil masculin de la domination intellectuelle. La plume, en
effet, est pensée par les auteurs mâles comme un attribut masculin qu’ils
égalent par métaphore au phallus. La femme, elle, est semblable au support,
au parchemin, au papier. Cette métaphore sexuelle de l’écriture est présente
chez Jean de Meun, chez Eustache Deschamps, chez Jean Regnier 19 :
« Pour escriprë ont bonne plume / Qui n’est refoulée ne tendre, / Il ne leur
faut que beau volume » (Pour écrire ils ont bonne plume / Qui n’est ni
fatiguée ni fragile, / Il ne leur manque qu’un beau volume ; v. 110-112).
S’emparer de la plume n’est donc pas un acte anodin. Voulant promouvoir
une écriture en faveur des femmes, Christine déroule son action en deux
temps : excaver et bâtir, dans le langage de la construction qui est le sien
(ill. 8). Elle réfute les écrits misogynes ou licencieux et en particulier Le
Roman de la Rose, comme elle l’a fait dans Le Livre des epistres du debat
sus le Rommant de la Rose, et construit une cité en l’honneur des dames,
cité qui les accueille et les protège. Déblaiement des erreurs et édification,
au sens architectural et moral, tels sont les deux mouvements de la
fondation de la Cité des Dames. Il faut détruire pour rebâtir, montrer
l’inanité du proverbe, voix de la doxa, que répètent les misogynes :
« pleurer, parler, filer, mit Dieu en femme ». Christine précise même qu’il
s’agit d’« un proverbe en latin ». Le détail a son importance. Le latin reste
et restera pour longtemps le signe du pouvoir des clercs — et des hommes.
Faut-il rappeler que la loi de Camille Sée qui institue l’enseignement
secondaire pour les jeunes filles en 1880 exclut pour elles les langues
mortes ? Cette croyance qu’« une femme ne sait pas le latin » est si bien
ancrée chez les clercs qu’elle peut entraîner des affirmations aberrantes.
Pierre Col répond ainsi à Christine en défendant Ovide : « Ovide, quant il
escript l’Art d’amours, il escript en latin, le quel n’entendent fammes » (éd.
Hicks, p. 105 ; éd. Valentini, p. 341), sans prendre conscience que le latin
était la langue des Romains et des Romaines. À la différence d’un esprit
comme Nicole Oresme, il ne pense pas historiquement le latin ; celui-ci est
une langue sacrée hors de la portée des femmes.
Dame Raison, dans la Cité des Dames 20, si elle concède que le proverbe
est vrai en un certain sens, démontre qu’il ne doit pas être utilisé comme un
reproche à l’encontre des femmes. Pleurer : il y a une valeur positive des
larmes, et le Christ lui-même a pleuré avec Marie-Madeleine et Marthe la
mort de leur frère Lazare. Christine montre en outre par ses choix d’écriture
qu’une femme n’est pas confinée au lyrisme des pleurs. Elle peut atteindre
tous les territoires du clerc : l’histoire, la philosophie, la stratégie. Parler :
pour réfuter ce point, Christine a recours à l’ironie. Si Dieu n’avait pas
donné la parole aux femmes, elles seraient muettes. Elle affirme plus
sérieusement que Dieu « a mis lengage en femme pour en estre servy ».
Quant à filer, c’est une tâche noble et Christine, si elle ne souhaite pas que
les femmes soient définies par cette seule activité, ne la dévalorise pas. Elle
montre donc dans la Cité des Dames qu’il y a des femmes célèbres dans
tous les domaines : la guerre, les arts, la morale, la sainteté. Les femmes ont
illustré des arts existants : la poésie avec Sapho, la peinture avec les
grecques Thamar et Yrane, la romaine Marcia, célèbre pour son autoportrait
et cette Parisienne, contemporaine de Christine, Anastaise, à laquelle la
poétesse confie l’illustration des marges de ses manuscrits pour y faire
« vigneteures d’enluminures et champaignes d’istoires » (I, 41, p. 192), à
savoir des bordures décorées et des fonds. De plus, des femmes ont inventé
des sciences et des arts nouveaux, telle Carmenta à qui l’on doit l’invention
de l’alphabet latin, ou Sapho, celle de formes poétiques nouvelles, les vers
saphiques. La façon dont Christine de Pizan traite Sapho est significative de
sa méthode par rapport à ce que propose Boccace dans son De mulieribus
claris des années 1361-1362, traduit en français en 1401 sous le titre Des
cleres et nobles femmes 21. Christine de Pizan en effet poursuit deux buts :
exalter les pouvoirs intellectuels de la femme, minimiser sa dépendance à
l’homme à laquelle l’assujettit l’amour. Dans Le Livre de la Cité des
Dames, Christine indique donc que Sapho a écrit « chançons et dictiez, lais
et plaintes plourables et lamentacions estranges d’amour » et elle ajoute, ce
qu’elle ne trouve pas chez Boccace, « et d’autre sentement » (I, 30, p. 160).
Elle complète l’histoire de Sapho d’une anecdote qui provient d’une erreur
dans la traduction que Simon de Hesdin et Nicolas de Gonesse — ce dernier
est un exact contemporain de Christine — ont donné de Valère Maxime. On
trouve chez Valère Maxime qu’à sa mort Platon avait à son chevet les
mimes de Sophron (« sub capite Sophronis mimos »). Les deux traducteurs
ne connaissent pas Sophron et traduisent : « eust dessoubz son chief les
menestres Sapho ». L’anecdote plaît à Christine en ce qu’elle apporte une
caution scientifique par la garantie d’une autorité, Platon, aux écrits de la
poétesse grecque. Elle la rapporte dans Le Livre de la Cité des Dames (I,
30, p. 160) et la reprend dans Le Livre du Corps de Policie 22 où, parlant de
la mort de Platon, elle écrit : « Si parut bien meismes a sa mort l’amour que
il avoit tousjours a toutes manieres de livres, car on trouva coste lui les
livres d’une femme pouete qui avoit nom Sapho, qui escripsoit d’amours en
vers joyeux et gracieux, ce dit Orace » (L’amour qu’il portait toujours à
différentes sortes de livres parut bien même à sa mort car on trouva à côté
de lui les livres d’une femme poète qui s’appelait Sapho, qui écrivait sur
l’amour en vers joyeux et gracieux, selon Horace ; III, 4, p. 97, lignes 34-
37). Christine use d’une double stratégie. Pour elle, Sapho a écrit non
seulement d’amour mais aussi « d’autre sentement » et si elle a bien écrit
« des plaintes plourables et des lamentacions d’amour », la « manière du
faire », selon une distinction que fait Guillaume de Machaut, était joyeuse.
Elle a écrit d’amour « en vers joyeux et gracieux ». La femme ne doit plus
être confinée à un seul type d’écriture et à une seule expérience : la douleur.
Christine s’emploie donc à estomper le lien de l’écriture féminine à l’amour
et à mettre en évidence au contraire le lien de cette écriture au savoir. Elle
intitule le chapitre qu’elle consacre à Sapho « Ci dit de Sapho, la tres
soubtille femme, poete et philosophe ». Le titre dans la traduction de
Boccace de 1401 est « De Saphe Lesbie grande clergesse » et l’incipit « Cy
après s’ensuit de Saphe Lesbie, poeterresse et grant clergesse. La
XLVIIe rubriche » (t. I, p. 155). Le titre de « philosophe » est le compliment
suprême pour Christine, supérieur à la désignation de « clergesse », laudatif
néanmoins, qui s’applique dans la Cité des Dames à Carmentis (I, XXXIII,
p. 166), Cassandre (II, V, p. 232) et sainte Catherine (III, III, p. 436),
comme nous l’avons noté. Christine conclut le chapitre qui porte sur Sapho
par l’exemple de Léonce qu’elle trouve également chez Boccace. Elle écrit :
« Leonce, qui fu femme grecque, fu autresi si tres grant philosophe que elle
osa par pures et vrayes raisons reprendre et redarguer le philosophe
Teophraste qui en son temps tant estoit renommez » (Léonce, femme
grecque, était aussi une si grande philosophe qu’elle osa avec de pures et
vraies raisons reprendre et contredire le philosophe Theophraste qui en son
temps était si renommé ; I, 30, p. 160). Theophraste passait au Moyen Âge
pour avoir écrit un ouvrage contre le mariage intitulé L’Aureole (Le Livre
d’or), perdu. Jean de Meun le cite dans Le Roman de la Rose par la bouche
du Jaloux (éd. Lecoy, v. 8531-8536). Ce que Christine fait disparaître de
l’exemple de Boccace est que, selon ce dernier, Leuntium était certes une
grande philosophe, mais aussi une prostituée. Les adversaires de Christine
dans le Débat sur le Roman de la Rose n’ont pas laissé passer un tel point.
Jean de Montreuil assimile Christine à Léonce et Jean de Meun à
Theophraste. Il dit de Christine : « Encore qu’elle ne manque pas tout à fait
d’esprit — pour autant qu’une femme puisse en avoir — il me semblait
entendre “la courtisane grecque Leuntion, qui, ainsi que nous le rappelle
Cicéron, osa écrire contre le grand philosophe Theophraste” » (traduction
par Eric Hicks de la lettre « Ut sunt mores », in Le Livre des epistres du
debat sus le Rommant de la Rose, p. 43). La disqualification de l’écriture
féminine passe par une mise en cause des mœurs de la femme qui écrit. Là
encore, ce sont des accusations de cet ordre que l’on retrouve au XVIe siècle
à l’encontre de Louise Labé.
La femme écrit de la marge, marge due à son sexe, mais aussi à sa
langue : langue d’oc, franco-provençal ou « faux français d’Angleterre »,
ainsi que le nomme la nonne qui rédige La Vie d’Edouard le Confesseur.
Ces origines disent quelque chose des sociétés et des systèmes politiques
dont ces femmes sont issues. Les sociétés du Midi en effet ont octroyé à la
femme un statut plus libéral que la France du Nord et le cas des religieuses
est à considérer à part. Christine de Pizan, elle, vient d’Italie. Elle arrive très
jeune à Paris, à l’âge de cinq ans, mais garde un lien fort avec sa langue et
son pays d’origine, et avec ses écrivains : Dante, Pétrarque, Boccace. « Je
suis comme toy femme ytalienne », s’écrie-t-elle en s’adressant à Minerve à
l’ouverture du Livre des fais d’armes et de chevalerie. Minerve passe en
effet pour être née en Italie, dans l’interprétation évhémériste des dieux qui
fait d’eux des rois et princes célèbres des temps anciens. La place que
l’Université accorde à la femme en Italie est bien différente de celle qui lui
est faite en France où la femme n’y est pas admise. Christine se plaît à le
rappeler dans Le Livre de la Cité des Dames à travers un exemple
contemporain, « n’a mie LX ans », celui de Novella (p. 316). Celle-ci est la
fille d’un grand légiste de Bologne, Jean André, qui l’a instruite et qui lui
délègue son enseignement quand il est empêché. Elle fait alors cours à ses
étudiants, le visage caché par un petit rideau pour que sa beauté ne trouble
pas ses auditeurs, clercs masculins. Christine de Pizan arrive d’un ailleurs :
l’Italie, et parle d’un ailleurs : son statut de femme. Elle fait de cette donnée
une position revendiquée, biographique et intellectuelle. Partie de l’écriture
lyrique, de l’écriture d’amour qui plaît à la cour, elle se déplace vers une
écriture savante, qui lui plaît parce qu’elle est pour une femme une
conquête. Elle déplace le point de gravité de ses œuvres, des « choses
legieres » au commencement aux choses de plus « greigneur estude » (de
plus grande étude). Elle a recours à cette posture chaque fois qu’elle veut
interrompre de manière volontaire une situation qui ne lui convient plus.
C’est ainsi qu’elle met fin au débat sur le Roman de la Rose qu’elle avait
initié : « mais mieulx me plaist exerciter en autre matiere mieulx a ma
plaisance » (Mais il me plaît mieux de m’exercer dans une autre matière qui
me convient mieux ; Lettre à Pierre Col, éd. Hicks, p. 150, éd. Valentini,
p. 208). Quelques jours après, elle commence Le Livre du Chemin de Long
Estude.
ÉCRIRE EN FEMME
o
9. Othéa envoyant son épître à Hector, Paris, BnF, ms fr. 606, f 1v.
Un cas exceptionnel est celui de Catherine de Sienne (1347-1380),
tertiaire dominicaine, qui, alors qu’elle est illettrée, c’est-à-dire ne sachant
pas le latin, a laissé un corpus de 383 lettres en langue vernaculaire, en
italien. Dictant ses lettres, elle s’adresse aux princes, aux cardinaux, prônant
le retour de la papauté d’Avignon à Rome. Elle a écrit ainsi à Charles V, le
roi de France, au pape de Rome Urbain VI et à la reine de Naples Jeanne Ire
qui soutient son adversaire Clément VI, le pape d’Avignon. Dans une lettre
d’octobre 1377 qu’elle adresse à son directeur de conscience Raymond de
Capoue, elle précise : « Cette lettre, et une autre que je vous ai envoyée, je
les ai écrites de ma main. (…) [Dieu] m’avait fait ce don et pourvue de ce
soulagement en me donnant la faculté d’écrire, afin que, descendant des
hauteurs, je puisse un peu soulager mon cœur auprès de quelqu’un pour
qu’il n’éclate pas 8 ». L’écriture, pour Catherine, tant faculté spirituelle que
capacité matérielle, est un don de Dieu. Écrire pour alléger son cœur après
une vision est une motivation que l’on rencontre chez d’autres femmes
mystiques. Marguerite d’Oingt écrit ainsi à son confesseur : « Ainsi com
Nostri Sires li mit au cuer, elle se pensa que s’ela metoyt en escrit ces
choses que sos cuers en seroyt plus alegiez. Se comença a escrire tot co qui
est ou livre, tot per ordre aussi come illi les avoyt ou cuer (…) Et quant illi
ot tot escrit, illi fu tote garie » (Elle pensa que si elle mettait ces choses en
écrit, comme Notre-Seigneur les lui avait mises dans le cœur, son cœur en
serait plus allégé. Elle commença à écrire tout ce qui est dans le livre, tout
en ordre comme elle l’avait dans le cœur (…) Et quand elle eut tout écrit,
elle fut toute guérie ; Lettre, § 138, p. 142). L’écriture pour ces femmes est
pensée comme une cure, une médecine. Elle est voulue par Dieu : « Et por
co je croy que ce fut escrit per la volunta de Nostre Segnour ». Que le
public, par ailleurs, soit en manque de lettres privées écrites par des
femmes, les inventions d’attribution le montrent. On donne ainsi à Anne de
Bretagne des Epîtres en vers qu’elle serait censée avoir écrites pendant la
campagne en Italie de son époux, Louis XII. On offre à Louise de Savoie un
manuscrit illustré des XXI Epistres d’Ovide (manuscrit BnF, fr. 875) de la
traduction par Octovien de Saint-Gelais des Héroïdes. L’enlumineur
Robinet Testard y met en valeur le geste d’écrire une lettre en présentant ces
héroïnes à mi-buste se livrant à cette activité.
Autre idée ayant cours rétrospectivement : la femme médiévale serait
attachée à son foyer, régnant sur l’intérieur de sa maison, immobile. Un
reproche pourtant que les clercs lui adressent est qu’elle « trotte », courant
aux pèlerinages, aux églises, se distrayant à tous les sens du terme, sortant
du droit chemin et s’amusant. Trottaconventos (Trottecouvents) est le nom
significatif que Juan Ruiz, au XIVe siècle, donne à son entremetteuse dans Le
Libro de Buen amor. Existe-t-il des récits de voyage écrits par des femmes ?
On a au IVe siècle le récit en latin d’un pèlerinage qu’une grande dame, une
religieuse, Égérie (ou Éthérie), accomplit des confins de l’Occident, sans
doute la Galice, à Jérusalem. Elle retrace en je son pèlerinage, s’adressant à
des dames. Son voyage se fait selon la Bible. On visite les lieux qui y sont
mentionnés, on communie dans le souvenir des événements qui s’y sont
passés. À l’autre bout du Moyen Âge, au XVe siècle, en Angleterre, une
bourgeoise, mariée, mère de quatorze enfants, dicte en moyen anglais le
récit de ses expériences mystiques et de ses voyages : Margery Kempe
(c. 1373-c. 1440). Elle s’est rendue en Terre sainte en 1413 après avoir pris
congé de son mari et de son confesseur. À chaque lieu, elle a écouté les
religieux franciscains dire ce que Notre Seigneur y a souffert. Là, le Christ
lui a ordonné d’entreprendre deux autres pèlerinages à Rome et à Saint-
Jacques, ce qu’elle fait. À la fin de sa vie, devenue veuve, elle effectue un
voyage de Lynn, sa résidence, à Dantzig pour raccompagner sa belle-fille
devenue veuve également. Le voyage à l’aller se fait essentiellement par
mer avec une escale en Norvège. Mais Margery Kempe accomplit seule le
retour, en chariot ou le plus souvent à pied, à travers toute l’Allemagne
jusqu’à Calais où elle embarque pour l’Angleterre. Ce qu’elle dicte,
longtemps après les faits rapportés, est, plus qu’un récit de voyage, un récit
de vie, le récit de ses tribulations. Le mot revient avec une grande
fréquence. On rencontre aussi le terme chez Christine de Pizan dans ses
écrits autobiographiques. Margery Kempe fait continûment son récit à la
troisième personne, se désignant comme « cette créature ». On se rappelle
que c’est la façon qu’a Marguerite d’Oingt de se désigner quand elle
rapporte ses visions. Margery Kempe nous montre comment elle, qui ne sait
ni lire ni écrire, a acquis sa culture théologique : par l’écoute des sermons et
en se faisant lire par un prêtre, qu’elle défraie, les livres qu’elle souhaite
connaître et dont elle nous donne la liste : la Bible avec des commentaires
des docteurs, les Révélations de sainte Brigitte, le livre The Prick of Love
attribué à Walter Hilton, le Stimulus Amoris (L’aiguillon d’Amour) attribué
à saint Bonaventure, l’Incendium Amoris de Richard Rolle de Hampole.
Inquiétante par ses comportements excessifs, pleurs abondants, cris,
évanouissements, accusée de lollardisme, elle est examinée plusieurs fois
par les autorités ecclésiastiques mais chaque fois lavée du soupçon
d’hérésie. Elle a du mal à faire transcrire son livre, mal copié une première
fois, mal écrit, et que le prêtre à qui elle confie cette version n’arrive pas à
lire. Avec une grande minutie, elle fait retracer dans un « Proème », un
prologue, les péripéties de cette écriture qui n’aboutit que grâce à une
intervention divine : le prêtre perd la vue puis la recouvre. Le livre est
achevé en 1436. Ce proème peut se lire comme une allégorie des difficultés
d’accès à l’écriture pour une femme.
Certains genres sont-ils « interdits » aux femmes ? Des femmes ont-
elles écrit des épopées ou du théâtre ? Oui, en latin. Hrotsvita (c. 935-
c. 973), chanoinesse au couvent de Gandersheim, une abbaye de dames
nobles de Saxe, a écrit une épopée sur le règne d’Otton Ier, commandée par
l’abbesse de Gandersheim, Gerberge, nièce d’Otton : les Gesta Oddonis
(967-968). Elle est aussi l’auteure de six « comédies » religieuses,
composées à l’imitation de Térence qu’elle connaît bien. Plus que de théâtre
à proprement parler, il s’agit de dialogues hagiographiques en prose rimée
sur des sujets chrétiens. Dans la préface de ses Drames 9, Hrotsvita se
désigne elle-même, glosant en latin, par une étymologie symbolique, son
nom allemand : « Ego, clamor (Hrôt) validus (swîth) Gandeshemensis ».
Elle souligne par là sa mission de type prophétique, ou à tout le moins
didactique. La formule renvoie à l’expression de saint Jean-Baptiste : « Ego
vox clamantis in deserto 10 ». Son œuvre, redécouverte à la fin du Moyen
Âge, en 1493, par l’humaniste Conrad Celtis, a été publiée par ce dernier à
Nuremberg en 1501. Selon une suspicion que l’on voit souvent à l’œuvre à
propos de l’écriture de femmes 11, l’érudit Joseph Aschbach dans sa thèse de
1867 prétend qu’il s’agit d’un faux, c’est-à-dire d’une création de Celtis lui-
même. Le débat a agité les milieux savants, et jusqu’aux journaux, dans
l’Europe de la seconde moitié du XIXe siècle, époque où les pastiches
fleurissent. Pensons à Clotilde de Surville. La découverte de nouveaux
témoins a fait litière de cette hypothèse. Pour ce qui est du théâtre, toujours,
la bénédictine Hildegarde de Bingen, dans son œuvre abondante et variée, a
composé autour de 1151 un Ordo virtutum, chanté. Il s’agit d’une moralité
mettant en scène dix-sept vertus, toutes femmes qui viennent en aide à
l’Âme que dispute le diable. Les vertus, sous la gouverne de leur reine
Humilité, triomphent ; le diable est enchaîné et l’Âme est portée en
procession hors de scène. Si les femmes font bien partie du public du
théâtre au Moyen Âge, si elles font partie des troupes, on ne connaît pas en
revanche d’ouvrage dramatique en français composé par une femme qui se
désigne en tant que telle avant Marguerite de Navarre.
Plus surprenant d’un point de vue moderne, on ne rencontre pas de
noms de femmes ayant écrit ce que l’on appelle déjà au XIIe siècle des
romans, c’est-à-dire des textes longs de fiction. Marie de France écrit des
Lais dont le plus long, Eliduc, ne dépasse pas 1184 vers, Christine de Pizan,
pour l’aspect fictionnel de son œuvre, des dits. Comment comprendre le
phénomène ? La femme qui écrit se trouve majoritairement dans un couvent
et l’écriture de divertissement, de « vanité », selon le terme employé par les
hommes de religion, ne lui convient pas. En outre la femme mystique pense
l’écriture brève comme un signe d’élection. Le Livre qui apparaît à
Marguerite d’Oingt dans l’expérience qu’elle rapporte dans son Miroir ne
comporte que deux pages. Chez Marguerite Porete, la longueur est le propre
des disciples de Raison. Elle est porteuse d’ennui alors que la concision est
la marque de l’intelligence d’Amour. Pour les femmes dans le siècle, la
pression sociale — poids des convenances, rôle des confesseurs — voue la
femme à une écriture morale. De plus, quant à la longueur, peut-on
imaginer qu’indirectement, de manière ironique, ces écrivaines répondent,
inconsciemment peut-être, à l’accusation de loquacité portée contre la
femme par les misogynes ? Ce type d’ironie ne messiérait pas à Christine de
Pizan. Les conventions s’inscrivent dans la longue durée. En 1967, Louis
Aragon dans son roman Blanche ou l’Oubli prête à son narrateur les mots
suivants : il admettait de penser que Blanche « écrivît, au sens inférieur de
ce mot, des lettres à une amie en France, les comptes de son ménage, un
journal comme une jeune fille, que sais-je ? mais non pas qu’elle se fût mise
à écrire, ce qui s’appelle écrire, c’est-à-dire à se servir de l’écriture comme
d’une machine à inventer, à imaginer » 12. La lectrice par ses choix rétablit-
elle l’équilibre ?
Chapitre VI
EN AVAL : LECTRICES
e
Un texte de la deuxième moitié du XV siècle prétend enregistrer des
paroles de femmes. Il est le fait d’un homme, un clerc, qui dit s’être vu
confier cette tâche par un groupe de femmes pour tenir une minute de leurs
veillées qui ont lieu entre Noël et la Chandeleur, moment du Carnaval. Le
ton satirique est donné d’emblée par le titre : Les Evangiles des Quenouilles
(ill. 10) 11. Les six femmes conteuses correspondent pour l’auteur, de
manière amusée, aux quatre Évangélistes chrétiens, selon la proportion bien
connue « qu’en tout tesmoignage de verité, il convient trois femmes pour
deux hommes » (p. 78). Le nom des dames les désigne de plus comme
d’anciennes prostituées et vraies sorcières : dame Ysengrine du Glay, dame
Transeline du Croq, dame Abonde du Four, dame Sebile des Mares, dame
Gomberde la Faee, dame Berthe de Corne. Le texte n’en enregistre pas
moins un savoir de la femme qui circonscrit son espace et ses champs
d’action : le corps, la sexualité, la santé et une forme de connaissance de la
marche du monde à travers des notions portant sur la météorologie, les
astres et l’interprétation des présages. Les six femmes des Evangiles des
Quenouilles sont vieilles et ont eu de nombreux maris, « sans les acointes
de coste » (p. 82) comme précise le clerc (sans les à-côtés). En fait, quel
que soit le type de son savoir, qu’il naisse de l’expérience ou des livres, la
femme savante fait peur. Se profile toujours à l’arrière-plan la figure de la
sorcière. Les stratégies pour la disqualifier sont toujours les mêmes : elle ne
peut être que vieille et luxurieuse ou prostituée. Parce qu’elle échappe par
ce dernier trait à son rôle de mère ? Parce qu’elle existe aussi par elle-
même.
Les auteurs masculins médiévaux perçoivent-ils linguistiquement une
parole propre de la femme, des traits de son langage ? Pour le traité Femina,
manuel d’apprentissage du français en Angleterre 12, il y aurait une manière
de parler affectée des femmes qui privilégieraient le bégaiement ou une
façon de parler du nez pour séduire 13. La notation, de l’ordre de la
prononciation, est-elle ironique ? On rencontre des notations semblables de
saint Jérôme dans ses lettres. Parlant de celles qu’il appelle d’un diminutif
des mulierculae, des donzelles, il écrit : « elles jugent “rustique” de
prononcer les mots entiers : elles les laissent couler de leurs lèvres ou les
font siffler à travers leurs dents comme s’ils étaient invertébrés »
(lettre XXII, 29). Et dans une autre lettre à Furia (54, 5) : « J’en sais une
aux épaules entourées d’une écharpe couleur d’hyacinthe, qui bégaie en
nasillant on ne sait quels propos infects ; elle fait du vacarme, mais son
palais ramolli estropie les mots 14 ». Il n’y a sans doute pas d’influence
directe de ces notations du Ve siècle sur la prononciation du latin aux
e
remarques d’un traité du XV siècle pour l’apprentissage du français en
Angleterre mais une même attention, quasi anthropologique, à la femme et
à son parler, et une même volonté satirique.
Dans le sentiment moderne, on associerait volontiers un trait de
vocabulaire, l’abondance du diminutif, au parler féminin. Le soubassement
idéologique de cette impression est évident, mais peut-être Christine de
Pizan a-t-elle donné des gages à cette idée par le mot-définition dont elle se
qualifie : seulette. En fait, le diminutif n’est pas caractéristique de la langue
de la femme. Il n’indexe pas un sexe mais un ton, celui de l’humilité, de la
fragilité, du quotidien. Dante distingue ainsi « per diminutionem » ton
tragique et ton comique dans le De vulgari eloquentia (II, VIII). La langue
de la femme écrivain ne marque pas, semble-t-il, un goût plus prononcé que
celle de l’homme pour le diminutif — Jean Lemaire de Belges à la fin du
Moyen Âge est un exemple éclatant d’un tel goût 15. En revanche, l’homme
emploie volontiers ce trait de langue pour parler de la femme et connoter sa
faiblesse. Christine de Pizan reprend un tel usage quand elle veut parler de
la fragilité de la femme. Dans son écriture, elle utilise aussi abondamment
une formule de protection du type « sauve soit la grace des diseurs 16 » (sous
réserve de la grâce de ceux qui disent) ou « sauve leur reverence 17 » (sauf le
respect que je leur dois) qui, tout en affichant une certaine prudence, lui
permet d’affirmer avec force ses opinions. Marguerite Porete use une fois
d’une telle formule pour parler de ses opposants : « Non fais, sauve leur
Raison, qui leur fait a moy ce dire » (Non, pardon pour leur Raison, qui leur
fait dire cela en ce qui me concerne ; p. 98). D’autres traits de langue
caractérisent-ils la parole des femmes ? Les défenseurs de cette dernière la
félicitent de ne pas blasphémer comme les hommes qui mettent en pièces le
corps du Christ, jurant « par ses dens, sa teste, / Son corps, son ventre,
barbe et yeulx », ainsi que le déplorent Eloy d’Amerval dans Le Livre de la
deablerie (v. 3390-3391) et avant lui Eustache Deschamps, Christine de
Pizan et tous les moralistes et prédicateurs. Pour le héros de Martin Le
Franc, le Champion des Dames, la parole de la femme est « doulcette »
(v. 20012). Il développe pour en parler un emploi intensif des
hypocoristiques :
*1. Christine de Pizan a parlé de Didon avant la Cité des Dames, dans L’Epistre au dieu
d’Amours, v. 445-460, et dans le Debat de deux amans, v. 1481-1491.
*2. Martin Le Franc consacre un débat important entre le Champion et l’Adversaire à ces
puys dans son Champion des Dames, éd. Robert Deschaux, Paris, Champion, 1999, t. I, p. 157-
162, où il n’est question que de l’activité de composition des hommes, « clercs et lais »
(v. 3987-3988).
*3. « D’ores en avant plus ne parlera premiere se aprés autrui non » (L’Epistre Othea,
p. 321) (dorénavant tu ne parleras plus la première, sinon après autrui) ainsi que l’annonce
Junon à Écho chez Christine.
Chapitre VIII
DE LA FEMME, DE L’AMOUR
ET DE LA LANGUE
Ce tableau répertoire les auteures ayant écrit dans toutes les formes du
français (oc, oïl, anglo-normand) du XIIe siècle (date des premières
attestations) jusqu’à la fin du XVe siècle. Pour une mise en perspective, il
s’ouvre, de manière non exhaustive, sur des auteures ayant écrit en latin
(dès le IIe siècle) et sur des femmes ayant écrit dans d’autres langues
vernaculaires européennes. Il précise pour chacune le titre des œuvres, la
date, le statut social de la femme et la lanqué utilisée.
STATU
NOM TITRE DATE LANGUE
SOCIAL
Marie Robine Le Livre des meurt en 1399 d’une famille dicte en gascon
Révélations pauvre
Margery Kempe dicte son livre, récit vers 1373-vers bourgeoise anglais
de sa vision, de sa 1436-1438
vie, de ses voyages
ANTHOLOGIES, RECUEILS
e
TEXTES ET AUTEURS JUSQU’AU XII SIÈCLE
DHUODA, Manuel pour mon fils, introduction, texte critique, notes par
Pierre Riché ; traduction de Bernard de Vregeville et Claude
Mondésert, Paris, Éditions du Cerf, coll. Sources chrétiennes, 1975.
ÉTHÉRIE, Journal de voyage, éd. et trad. Hélène Pétré, Paris, Éditions
du Cerf, coll. Sources chrétiennes, 1948, nouveau tirage, 1971.
HROTSVITA, Théâtre (Dramata), éd. et trad. Monique Goullet, Paris,
Les Belles Lettres, 1999.
e
TEXTES ET AUTEURS DU XII SIÈCLE
e
TEXTES ET AUTEURS DU XIII SIÈCLE
e
TEXTES ET AUTEURS DU XV SIÈCLE
e
TEXTES ET AUTEURS DU XVI SIÈCLE
I
PENSER LA FEMME QUI ÉCRIT
II
EN AMONT : COMMANDITAIRES
1. Benedeit, Le Voyage de saint Brendan, édition bilingue Ian Short et Brian
Merrilees, Paris, Champion, coll. Champion classiques, 2006.
2. Philippe de Thaon, Le Bestiaire, éd. Emmanuel Walberg, Lünd, H. Möller ; Paris,
H. Welter, 1900.
3. Geffrey Gaimar, L’Estoire des Engleis, éd. Alexander Bell, Oxford, Anglo-
Norman Text Society / Blackwell, 1960.
4. Les Proverbes de Salemon by Sanson de Nanteuil, éd. C. Claire Isoz, 3 vol.,
Londres, Birkbeck College / Anglo-Norman Text Society, coll. Anglo-Norman texts 44,
45, 50, 1988-1994.
5. Wace, Le Roman de Rou, éd. Anthony J. Holden, t. I, Paris, Picard, coll. SATF,
1970.
6. Benoit de Sainte-Maure, Le Roman de Troie, éd. Léopold Constans, 6 vol., Paris,
Firmin Didot, 1904-1912 ; voir t. II, 1906.
7. Gace Brulé, Chansons, éd. Holger Petersen Dyggve, Helsinki, Société
néophilologique, Mémoires de la Société néophilologique de Helsinki (Helsingfors), XVI,
1951.
8. Jean le Marchant, Miracles de Notre-Dame de Chartres, éd. Pierre Kunstmann,
Chartres, Société archéologique d’Eure-et-Loir ; Ottawa, Éditions de l’Université
d’Ottawa, 1973.
9. Adenet le Roi, Cléomadés, t. V des Œuvres d’Adenet le Roi, éd. Albert Henry,
2 vol., Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 1971.
10. Olivier Delsaux, « La traduction en moyen français chez les dames de la haute
noblesse à la fin du Moyen Âge : entre outil de savoir et instrument de pouvoir », in La
Traduction vers le moyen français, dir. Claudio Galderisi et Cinzia Pignatelli, Turnhout,
Brepols, 2007, p. 395-410.
11. Jean de le Mote, Li regret Guillaume, comte de Hainaut, éd. Auguste Scheler,
Louvain, J. Lefever, 1882.
III
ÉCRIRE EN LANGUE VERNACULAIRE
IV
ÉCRIRE : CHRISTINE DE PIZAN
(1365-VERS 1430)
V
QUELS GENRES D’ÉCRITURE POUR LA FEMME ?
1. Dhuoda, Manuel pour mon fils, introduction, texte critique, notes par Pierre
Riché ; traduction de Bernard de Vregeville et Claude Mondésert, Paris, Éditions du Cerf,
coll. Sources chrétiennes, 1975.
2. Ce début est remarquablement analysé par Peter Dronke au chapitre « Dhuoda »
de son Women Writers of the Middle Ages, Cambridge, Cambridge University Press,
1984, p. 39-40. Dronke suggère une comparaison éclairante avec l’entrée en texte d’Anna
Akhmatova dans son Poème sans héros.
3. Voir Suzanne Solente, « Deux chapitres de l’influence littéraire de Christine de
Pisan », Bibliothèque de l’École des Chartes, 94, 1933, p. 27-45. Suzanne Solente analyse
les Enseignemens de la dame anonyme aux pages 30-38 de son article. La suite de son
étude porte sur La Louenge de mariage et recueil des hystoires des bonnes, vertueuses et
illustres femmes de Pierre de Lesnauderie paru en 1523.
4. Recueil de lettres anglo-françaises (1265-1399), éd. Frédéric-Joseph Tanquerey,
Paris, Champion, 1916.
5. Voir ici même.
6. Lettres d’Abélard et Héloïse, éd. cit.
7. Jean de Meun, La Vie et les Epistres Pierres Abaelart et Heloys sa fame, éd. Eric
Hicks, Paris, Champion, 1991.
8. Lettre 272, trad. Étienne Cartier, Lettres de sainte Catherine de Sienne, t. II, Paris,
Poussielgue Frères, 1886, p. 404.
9. Hrotsvita, Théâtre (Dramata), éd. et trad. Monique Goullet, Paris, Les Belles
Lettres, 1999.
10. Jean, 1, 23.
11. Voir ici même.
o
12. Aragon, Blanche ou l’Oubli, Paris, Éditions Gallimard, coll. Folio n 792, 1972,
p. 365.
VI
EN AVAL : LECTRICES
VII
CIRCULATION DE LA PAROLE
ET DE L’ÉCRITURE DES FEMMES
VIII
DE LA FEMME, DE L’AMOUR ET DE LA LANGUE
1. Louise de Keralio, Collection des meilleurs ouvrages françois composés par des
femmes, dédiée aux femmes françoises, Paris, Lagrange, 1786-1789. Voir infra,
e e
XVIII siècle, chap. 3 et XIX siècle, chap. 1.
2. Jean Chaperon, Le Chemin de long estude de Dame Cristine de Pise, 1549, éd.
Claire Le Brun-Gouanvic, Paris, Honoré Champion, 2008.
3. Refrain de la ballade V des Cent Balades, Christine de Pizan, Œuvres poétiques,
éd. Maurice Roy, t. I, op. cit.
4. Kari Elisabeth Børresen, « Théologiennes au Moyen Âge », Revue théologique de
e
Louvain, 20 année, fasc. 1, 1989, p. 67-71. Voir p. 67.
5. À la demande de Charles V, le texte est traduit en français par Denis Foulechat en
1372. Voir Eric Hicks, « A Mirror for Misogynists : John of Salisbury’s Policraticus
(8.11) in the Translation of Denis Foulechat (1372) », in Reinterpreting Christine de
Pizan, dir. Earl Jeffrey Richards avec Joan Williamson, Nadia Margolis et Christine Reno,
Athens et Londres, The University of Georgia Press, 1992, p. 77-107.
DEUXIÈME PARTIE
LA FIN DE LA RENAISSANCE *1
1475-1615
ÉLIANE VIENNOT
*1. Comme bien d’autres spécialistes de la Renaissance, je considère que cette période
e
commence avec Pétrarque, vers le milieu du XIV siècle.
Dans les dernières décennies du XVe siècle, des innovations
technologiques majeures et l’ouverture d’un moment politique très
particulier ont été à l’origine de ce que deux universitaires ont récemment
appelé « un développement exponentiel du nombre de femmes ayant
cherché à accéder au statut d’auteur », dessinant « une époque fondatrice
pour l’écriture au féminin 1 ».
Les obstacles à la réalisation de cette éclosion étaient pourtant
immenses, et ils le sont restés jusqu’aux premières décennies du XVIIe siècle.
Ces obstacles, fondés sur le refus des lettrés de renoncer à leur monopole de
la parole publique et des grandes charges administratives, se sont même vus
consolidés par un accroissement sans précédent des discours misogynes et
antiféministes. « Did women have a Renaissance ? » demandait en 1977
l’historienne états-unienne Joan Kelly 2, afin de mettre en évidence la
nécessité de réexaminer, dans la perspective du genre, les connotations
positives si souvent attachées à cette période. Tout nous pousse en effet à
identifier la Renaissance à un temps de progrès et d’ouverture : artistes
géniaux, humanistes de haute volée, rois « éclairés », grandes découvertes
géographiques et scientifiques, retrouvailles avec la culture antique,
splendides réalisations architecturales… C’est bien ce que cherchaient les
hommes qui, au XIXe siècle, ont donné ce nom à cette période, en noircissant
au passage la précédente (simple « âge intermédiaire » pour Pétrarque 3),
tant était grand leur désir de croire que l’histoire de l’humanité se
caractérise par un mouvement général de progrès. D’où leurs invitations à
tout considérer sous cet angle, y compris l’histoire des femmes de cette
époque, comme en témoigne le titre de l’étude fondatrice de René de
Maulde La Clavière : Vers le bonheur ! Les femmes de la Renaissance
(1898).
Or cette vision ne jette pas seulement un voile pudique sur les
nombreux conflits que ce temps a vus fleurir (guerres civiles, guerres
d’Italie, conquête du Pérou, reconquista espagnole, guerres de religion,
guerres de succession…), de même que sur les régressions de la rationalité
qui l’ont affecté (goût pour la magie, recul de la pensée d’Aristote, croyance
au Diable, progrès de l’Inquisition…). Elle empêche surtout de voir
l’accentuation systématique de l’écart entre les sexes qui la caractérise, et
que pilotèrent les hommes que l’école nous a appris à révérer le plus : les
savants, les intellectuels, les hommes de culture. Elle nous empêche même
de considérer les pires extrémités de cette offensive : la fameuse chasse aux
sorcières, que la plupart des gens croient pouvoir attribuer à
l’obscurantisme prétendu du Moyen Âge, alors que la fin de cette épidémie
se situe, pour la France, sous le règne de Louis XIII, et qu’elle continua de
sévir encore un bon siècle dans d’autres pays d’Europe.
Dans le même temps, et en raison même de sa brutalité, l’offensive
visant à restreindre les pouvoirs des femmes a rencontré des oppositions
vigoureuses, de la part de femmes et d’hommes convaincus de l’égale
valeur des deux sexes, et déterminés à rééquilibrer le rapport des forces
entre eux. Ce sont leurs efforts, paradoxalement secondés par des
contradictions internes au camp des lettrés, qui ont abouti, dès les années
1530, à l’éclosion d’un bouquet d’écrivaines lui aussi sans précédent, et,
dès la fin du XVIe siècle, à la levée partielle des empêchements pesant sur
l’instruction des filles. Les trois chapitres consacrés à cette période
examineront donc successivement l’ensemble des empêchements mis sur la
route des femmes, puis l’ensemble des facteurs positifs qui ont
contrebalancé ces obstacles, et enfin cette floraison inattendue, puisque près
de cent-quarante autrices *1 ont pu y être repérées, là où les dix siècles
précédents en avaient laissé émerger à peine une cinquantaine.
*1. J’utilise ce terme introduit à la Renaissance par les lettrés latinistes avec bien d’autres
féminins en -trice ; frère jumeau d’actrice (tous deux viennent d’auctrix, comme auteur et
acteur viennent d’auctor), il a alors un sens large (autrice d’un crime, d’une lettre…). Il
e
régressera à partir du milieu du XVII siècle, condamné par les grammairiens et lexicographes
masculinistes avec d’autres substantifs désignant des activités prestigieuses relevant du savoir et
de la création : médecine, peintresse, philosophesse, poétesse…
Chapitre premier
DES HÉRITAGES LOURDS
Le milieu universitaire :
un monde en plein essor
On sait encore peu de choses sur l’éducation des filles avant le temps de
l’instruction obligatoire. Plusieurs études ont pourtant vu le jour depuis
l’Histoire de l’éducation des femmes en France de Paul Rousselot (1884),
et surtout depuis une quarantaine d’années. Les enquêtes sont cependant
rendues difficiles par le peu d’archives permettant de reconstituer les
enseignements dispensés, par l’absence de sources sur l’évaluation du
niveau des élèves scolarisées, par la nécessité pour leurs responsables de
mentir sur leurs objectifs (produire de bonnes épouses et de bonnes
chrétiennes, surtout pas des savantes !), afin de plaire aux parents, de ne pas
déclencher les foudres des opposants à l’instruction des filles, ou les
reproches de leurs hiérarchies…
Pendant la guerre de Cent Ans, les monastères féminins qui abritaient
des savantes et formaient des jeunes des deux sexes sont entrés dans une
phase de régression ; nombreux sont ceux qui ont fermé leurs portes, et
ceux qui ont survécu ont souvent vu leurs activités éducatives péricliter. Les
écoles professionnelles, qui avaient pu être fréquentées par des femmes au
Moyen Âge, en sont devenues des déserts, tant en raison de l’impossibilité
pour elles de capitaliser leur savoir en termes de carrières, qu’à cause des
méthodes violentes par lesquelles les clercs défendent leur monopole sur le
système scolaire et ses bienfaits. Aucun autre type d’établissement n’a pris
le relais. Les filles appartenant au monde de l’artisanat et de la boutique
fréquentent parfois les écoles municipales, qui reçoivent les enfants des
deux sexes dans des classes mixtes ou non ; on n’y enseigne que des savoirs
sommaires, et les élèves les quittent vers douze ans. Les autres, si elles sont
instruites, le sont à la maison, soit par l’un ou l’autre de leurs parents, soit
par des précepteurs. Lorsqu’il ne s’agit pas de princesses, sur lesquelles des
archives ou des témoignages ont pu être retrouvés, on ne sait rien de ces
détails, car aucune de celles qui ont laissé des traces dans la littérature n’en
parle dans ses œuvres. Et on en sait bien peu pour les plus grandes elles-
mêmes.
On peut néanmoins déduire d’autres sources, et surtout du
fonctionnement de la société, que l’éducation des filles était loin d’être
négligée. Toutes les familles qui ont « du bien » se doivent d’apprendre à
leurs enfants à le conserver, voire à l’accroître. Cela implique de savoir lire
des contrats, des quittances, des mémoires, rédiger des billets, des lettres,
mobiliser des connaissances pour vivre selon son « état », tenir son rang,
élever ses enfants, servir les autorités dont on dépend. Tout le monde sait
que « tout peut arriver », que la fortune est changeante, que le veuvage peut
survenir très vite, qu’il faudra porter la génération suivante à l’âge adulte et
l’« établir » au mieux, que les relations peuvent se tendre entre parents…
Des milliers de missives conservées dans les bibliothèques et les centres
d’archives témoignent de la familiarité des femmes avec l’écrit, voire avec
les bases de la rhétorique, sans parler de l’art de la diplomatie ni de celui de
la dissimulation. L’étendue et la maîtrise de ces savoirs ont été récemment
mises en lumière par Eugénie Pascal, qui a étudié sous cet angle une
cinquantaine de femmes de l’aristocratie princière, à partir d’environ
1 500 lettres rédigées entre les années 1560 et les années 1620 6. Or presque
aucune d’elles n’a laissé une « œuvre ». Une autre étude, réalisée par Nicole
Dufournaud dans différents milieux de la France de l’Ouest (de la noblesse
terrienne au grand négoce, en passant par les « petits métiers » urbains) a
montré les connaissances, les capacités et les savoirs de ces femmes. Mais
là encore, aucune n’a songé à écrire autre chose que ce qui était utile à ses
activités 7.
La multiplication de ces explorations prouverait certainement que, loin
d’être laissée à l’abandon, l’instruction des filles est un souci permanent des
familles. Mais aussi que leur instruction ne vise jamais à former des
« lettrées ». Elle ne leur donne que très exceptionnellement accès au
« savoir savant », à la culture ancienne, à ces litterae humaniores (ces
« lettres qui rendent plus humain ») que dispensent les facultés des arts, et
que vantent les anciens écoliers lorsque, devenus des intellectuels patentés,
ils jouissent pleinement des fruits que leur savoir leur a permis d’acquérir.
Les officiers d’État sont l’arbre qui cache la forêt. Des milliers d’autres
emplois se créent durant cette période, en aval de ceux de l’administration
royale ou à côté. Partout, des escouades de diplômés trouvent à s’employer
dans les secteurs du droit, de la médecine, de l’enseignement, du
« conseil », de l’écriture mercenaire, et le plus souvent dans plusieurs de ces
activités à la fois.
En province, c’est le domaine juridique qui offre les meilleures carrières
et les meilleures chances de promotion, au sein des tribunaux civils ou
ecclésiastiques, dans les nombreuses activités privées d’avocats, de
procureurs, de conseillers… L’enseignement est aussi un débouché naturel
des anciens universitaires, qui travaillent au service de l’Église, des villes,
de particuliers, et bien entendu dans les collèges et les universités elles-
mêmes. Les autres trouvent des emplois dans les échelons les plus modestes
de l’administration des municipalités, des juridictions de sénéchaussées ou
de bailliage, et encore chez les particuliers qui, de plus en plus, ont recours
à des « employés aux écritures », des procureurs, des secrétaires… Si les
diplômés en médecine ne constituent pas encore une caste de notables, ils
trouvent aisément du travail au service des bourgeois, des grands et des
princes, qui apprécient hautement leur polyvalence.
La fabrique des idées et des divertissements intellectuels fonctionne
aussi à plein dans les grandes villes du royaume. Tout homme qui sait
tourner des vers ou a appris la rhétorique de l’éloge et du blâme peut se voir
rémunéré pour ses talents, qu’il s’agisse d’animer une cérémonie, de faire la
propagande d’un puissant, d’un clan ou d’un courant religieux, ou encore de
dénigrer des personnes ou des groupes 9.
L’ACCROISSEMENT
DE LA SUPRÉMATIE MASCULINE
Entamé dès le XIIIe siècle, le travail visant à faire régresser le droit des
femmes se poursuit. Dans les couches aisées, la vieille pratique du douaire a
quasiment disparu ; il s’agissait d’un don fait par le mari à son épouse pour
le cas où il mourrait avant elle, le reste des biens communs allant à leurs
enfants. C’est à présent la famille de l’épouse qui pourvoit à ce risque avec
une dot, mais celle-ci est désormais considérée comme sa part d’héritage :
la femme n’aura rien d’autre à la mort de ses parents. Quant au mari, il
considère de plus en plus cette dot comme un bien commun au couple, qu’il
gère en tant que chef de famille, et qu’il pourra bientôt vendre sans l’accord
de son épouse. Au XVIe siècle, en effet, on n’a quasiment plus besoin de la
signature des femmes dans les actes juridiques, même quand il s’agit de
leurs propres biens. D’où l’augmentation des conflits entre familles, la
multiplication des recours en justice — et l’essor du monde qui en vit !
L’accroissement de « puissance paternelle », vieux concept issu du droit
romain, est également au cœur des modifications du droit et de la
jurisprudence. L’âge de la majorité s’est considérablement élevé : vingt-
cinq ans pour les femmes, trente pour les hommes. Leur liberté dans le
choix de leur conjoint (toute relative dans cette société) est en outre
d’autant plus mince que le bras de fer entamé depuis le XIIe siècle entre
l’Église et les chefs des familles possédantes à propos du mariage est en
passe d’être gagné par ces derniers. Là où la puissance spirituelle, pour
imposer l’indissolubilité des unions, avait établi que seul le « oui » des
contractants en faisait la validité, les familles possédantes obtiennent au
e
XVI siècle que l’engagement se fasse en public. Ce recul, acté lors du
Le nouvel ordre sexuel qui s’ancre chaque jour davantage dans le droit,
les règlements et les pratiques sociales est également imposé dans les
mœurs, notamment, dans les villes, par des groupes d’hommes organisés en
confréries. « Dénommées Principautés d’amour, Royaume des aubes, de la
jeunesse, de l’infanterie ou encore, dans le Midi, Abbayes de jovens
[jeunes], elles étaient composées de jeunes célibataires et de garçons mariés
âgés de dix-huit à trente-six ans. Ils élisaient un ancien, comme roi ou
abbé. […] Il exerçait sa juridiction après un défilé public, une “montre” de
toute la bande, plus ou moins déguisée ou armée, en froc, en cotte d’armes
ou en pourpoint 12. » Ces fraternités font payer aux nouveaux époux une
sorte d’impôt qui alimente leurs caisses et permet d’organiser les « fêtes ».
Mais si les sommes réclamées sont dérisoires lorsqu’il s’agit de premières
noces entre jeunes, elles sont plus lourdes dans le cas (fréquent) où le marié
est plus âgé que la mariée, et elles se muent en véritables amendes dans le
cas inverse. Si les époux refusent de payer, la fête se mue en charivari,
chahut visant à l’humiliation du « contrevenant », qui se voit promené dans
le quartier assis à l’envers sur un âne, sous les quolibets de la troupe. Et si
le couple bénéficie de soutiens dans son voisinage, de véritables rixes
éclatent avec les hommes de « l’abbaye ». Celle-ci s’occupe en outre de
faire régner l’ordre des mâles, en appelant à se moquer des femmes jugées
dominatrices, en dénonçant les épouses infidèles et les cocus complaisants,
en désignant à la vindicte populaire les jeunes célibataires soupçonnées
d’avoir des relations sexuelles, « quitte, explique Jacques Rossiaud, à en
faire de futures victimes des agressions collectives 13 ».
Loin de n’être que le produit d’anciens « rites de passage » villageois, et
loin de ne bénéficier que d’une simple complaisance de la part des autorités
municipales, cette police des mœurs s’inscrit pour elles dans une politique
de gestion des pouvoirs. Les abbayes sont « des institutions reconnues,
intégrées au corps de ville. L’abbé, son trésorier, ses prieurs sont bien
souvent élus en présence des magistrats urbains ; les litiges internes au
groupe sont arbitrés par le Conseil de ville. » Par ailleurs, « l’abbaye n’est
presque jamais une formation spontanée, elle est suscitée ou contrôlée par
la collectivité urbaine 14 ». Bien des échevins, des consuls, des magistrats,
des officiers qui jouent un rôle public dans les municipalités, qui siègent
dans les tribunaux, ont fait partie de ces joyeuses bandes au temps où ils
faisaient leurs études, et ce sont d’ailleurs bien souvent de jeunes robins qui
les entraînent — d’où l’impunité des viols collectifs.
Quoique cette institution soit reprise en main à partir de la fin du
e
XV siècle, parallèlement à l’accession de la haute clergie à la noblesse, elle
se maintient souvent telle quelle. Dans le Lyon des années 1560, par
exemple, on trouve « une vingtaine d’abbayes, avec toute une série d’abbés,
barons, capitaines, amiraux, princes, comtes, princesses [hommes travestis],
juges et patriarches de Maugouvert [mal gouverné] à leur tête. Elles
forment des associations distinctes, mais s’adressent de mutuelles
convocations et défilent ensemble les jours de fête. » Lors de l’une d’entre
elles, en 1566, « sept chars portent des maris dont l’identité est précisée par
le nom de leur rue et par leur métier ; divers instruments servent à les
battre : des tripes, des bâtons, des couteaux, des fourchettes, des cuillères,
des pelles, des tranchoirs et des cruches ; on leur lance des pierres, on leur
tire la barbe, on les frappe au sexe ». Et pour ceux qui n’auraient pas assisté
à la fête, on en publie aussitôt les couplets moqueurs, afin que la honte des
stigmatisés soit bien connue, de même que les mots dont il convient de les
accabler. Les charivaris sont pourtant officiellement interdits dans cette
ville, excepté lorsqu’ils s’en prennent aux femmes « coupables » d’avoir
des relations avec des prêtres 15.
La sorcellerie diabolique :
une activité essentiellement féminine
La répression de la sorcellerie
Un jeu sérieux
e
Des commentateurs du XX siècle ont voulu inscrire cette production
sous le signe du jeu rhétorique sans rapport avec la réalité, et donc sans
gravité. Selon Émile Telle, l’un des promoteurs de cette thèse, qui regarda
sous cet angle L’Œuvre de Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre, et la
querelle des femmes, « le féminisme est né d’un antiféminisme littéraire et
fictif 24 ». Il est vrai que beaucoup de titres dénotent l’amusement de leurs
auteurs, à l’image des nombreux Sermon joyeux (qui prouvent qu’on se
moque aussi des ordres prêcheurs), ou encore des intitulés fondés sur
l’antiphrase, comme les Quinze Joies de mariage (qui décrivent les
souffrances des maris) ou La Louenge des femmes (que signe en 1551 un
certain André Misogyne). Il est vrai aussi que certains auteurs répondent à
d’autres, à l’image de celui qui réplique au Purgatoire des mauvais marys
(v. 1480) par L’Enfer des mauvaises femmes (v. 1500), dont il calque
jusqu’à la forme ; deux textes que les éditeurs se plaisent ensuite à imprimer
ensemble. Il est vrai encore qu’il arrive aux mêmes auteurs de défendre une
position et son contraire, soit à peu de temps d’intervalle, soit dans la même
œuvre, tel Jean de Marconville avec son De la bonté et mauvaiseté des
femmes (1563) et son De l’heur et malheur de mariage (1564). Et il est un
fait que les étudiants étaient entraînés à soutenir n’importe quelle thèse et
son contraire, d’où procédait pour la plupart d’entre eux un goût aigu de la
dérision.
Aucun de ces faits, cependant, ne peut conduire à penser que cette
production était sans conséquence dans la réalité, et encore moins que tout
cela était « pour rire ». Du reste, comme le remarquait Joan Kelly dans un
autre article fameux, « les hommes penseraient-ils que c’est juste un sujet
“littéraire” si les femmes avaient produit un tel corpus de textes exprimant
le dégoût des hommes et du mariage pendant plusieurs siècles […] ? 25 »
C’est plutôt la poursuite de cette attitude de dérision qui a conduit les
lettrés, jusqu’à la fin du XXe siècle, à minimiser l’importance de ce flot
ininterrompu d’ouvrages mis au service de l’approfondissement de la
domination masculine, à l’époque où « le monde [se remplissait] de gens
savants, de précepteurs très doctes, de librairies très amples ».
Il convient au contraire de comprendre l’utilité de cette production dans
le contexte du renforcement de la puissance masculine. Pour une part,
l’incessant bavardage sur les femmes, le mariage et l’amour auquel se
livrent les lettrés depuis déjà une bonne centaine d’années (et auquel leurs
descendants se livreront jusqu’au début du XXe siècle) est un exutoire. Il
traduit le traumatisme d’une classe d’hommes qui se pense toujours vouée
par essence au célibat (celui des êtres supérieurs, prêtres ou philosophes)
mais que les nécessités de l’époque incitent à se marier 26. Traumatisme
d’autant plus grand qu’ils ont été gavés de textes misogynes pendant leurs
études : se marier, c’est livrer son corps, sa santé, sa vie, à une créature du
Diable. En témoigne la peur de la nuit de noces que Montaigne décrit chez
ses collègues, au point que certains, tout bardés de diplômes qu’ils soient,
recourent à des amulettes 27 ; et en témoigne aussi le Tiers Livre de Rabelais,
entièrement consacré à cette question : Panurge doit-il se marier ?
Ce bavardage compulsif trahit aussi la mauvaise conscience de gens qui
savent ce qu’ils doivent à l’enseignement, à la culture, aux dispositifs mis
au point pour favoriser leur groupe, toutes choses dont sont privées leurs
mères, sœurs, filles et « belles amies », alors qu’ils sont à même de mesurer
leur intelligence et de constater leur frustration, voire leurs efforts pour
sortir de l’ignorance. Le même Montaigne décrit par exemple des femmes
de son milieu cherchant désespérément à s’instruire dans les domaines
forclos. Il ne peut s’empêcher de gronder, et contre elles, et contre les
hommes qui leur viennent en aide, qu’il accuse de volonté de pouvoir avec
une perversité consommée :
Ce n’est pas proprement à elles de vouloir et désirer ; leur rôle est souffrir, obéir,
consentir ; c’est pourquoi Nature leur a donné une perpétuelle capacité [à l’activité
sexuelle] ; à nous, rare et incertaine ; elles ont toujours leur heure, afin qu’elles soient
30
toujours prêtes à la nôtre .
Toutes les lois et coutumes ont fait le mari maître des actions de la femme, et de
l’usufruit de tous les biens qui lui échoient, et ne permettent que la femme puisse être
en jugement [ait accès à la justice], […] sans l’autorité du mari ou du juge.
Ces restrictions, explique le juriste, ont une utilité sociale et politique : elles
sont destinées à « montrer l’autorité, puissance et commandement que le
mari a sur la femme, de droit divin et humain, et la subjection, révérence et
obéissance que doit la femme au mari en tout honneur et chose licite ».
Quant à la répudiation, il ne va pas jusqu’à la remettre en selle, mais il ne
cache pas que, là où elle était pratiquée, c’était un bon « moyen pour tenir
en cervelle les femmes superbes 31 ».
Comme son titre l’indique, l’ouvrage où paraissent ces lignes traite de la
chose publique. Pour ce partisan de la monarchie absolue, en effet, tout se
tient. Si le monarque est obéi, c’est parce que toute personne a appris, dans
sa famille, la nécessité de la subordination à un maître unique. Et ce
système politique est le meilleur, parce qu’il est fondé sur le droit naturel.
C’est donc à tous les étages de la société que les femmes doivent être
sujettes à des hommes — y compris au plus élevé, où aucune ne devrait être
admise :
La gynécocratie est droitement contre les lois de Nature, qui a donné aux hommes
la force, la prudence, les armes, le commandement, et l’a ôté aux femmes ; et la loi de
Dieu a disertement [sagement] ordonné que la femme fût sujette à l’homme, non
seulement au gouvernement des royaumes et empires, [mais] aussi en la famille de
32
chacun en particulier .
Si l’on se souvient qu’à l’heure où paraît ce traité, Henri III est roi de
France depuis un an, on comprend que c’est un véritable avertissement qui
lui est lancé : s’il ne met pas au rancart sa mère Catherine de Médicis
(1519-1589), qui gouverne depuis 1560, seule ou avec l’un de ses fils, il ne
devra pas s’étonner de n’être pas obéi. Mais c’est aussi un appel à ne pas
lui obéir, car tous les hommes doivent craindre un roi qui gouverne avec
des femmes : n’est-ce pas la porte ouverte à ce que toute épouse exige de
partager l’autorité ? D’ailleurs, tous les royaumes « tombés en quenouille »
souffrent de graves troubles, que Bodin rappelle à l’envi. Heureusement que
la France possède la loi salique ! conclut-il, comme si elle n’avait pas
provoqué la guerre de Cent Ans.
Rapidement réédité en français, vite mis en latin par son auteur lui-
même, traduit en italien et en espagnol avant la fin du siècle, le succès de ce
livre bénéficie à l’évidence du long conflit intervenu entre les reines
Élisabeth Ire d’Angleterre (1533-1603) et sa cousine Marie Stuart d’Écosse
(1542-1587), dont l’issue fut l’exécution de la seconde sur ordre de la
première. Un conflit que d’autres intellectuels avaient alimenté de l’autre
côté de la Manche avec les mêmes arguments, comme en témoigne le
pamphlet rédigé contre Marie par le pasteur John Knox à l’heure où elle
était devenue reine : The First Blast of the Trumpet Against the Monstruous
Regiment of Women (Le premier coup de trompette contre le monstrueux
gouvernement des femmes, 1558, ill. 2, 2bis).
2. The First Blast of the Trumpet Against the Monstruous Regiment of Women. Veritas
temporis filia. MDLVIII.
2 bis. Première page de The First Blast, To Awake Women Degenerate (Le premier coup
de trompette pour réveiller les femmes dégénérées).
L’INVENTION DE L’IMPRIMERIE
La révolution gutembergienne
Les communs exercices de leur sexe sont tenus pour profanes, Elle [la reine]
renvoie aux dames de ville les ouvrages et veut que leurs esprits s’élèvent plus haut,
qu’ils courent dans les bons livres, s’arrêtent sur les bons exemples, et fassent passer
heureusement le génie et les grâces d’une langue en une autre. La musique, la
peinture, la poésie et les mathématiques ne permettent qu’une heure de temps leur
24
échappe sans plaisir ou profit .
Néoplatonisme, pétrarquisme :
le soutien apporté aux idéologies philogynes
L’Académie du Palais,
ou les premières académiciennes
C’était une assemblée qu’il faisait deux fois la semaine en son cabinet, pour ouïr
les plus doctes hommes qu’il pouvait, et même quelques dames qui avaient étudié, sur
43
un problème toujours proposé par celui qui avait le mieux fait à la dernière dispute .
e
Si c’est une femme qui, à l’orée du XV siècle, a donné le coup d’envoi
public d’une Querelle qui couvait déjà, ce sont longtemps des hommes qui
relèvent le gant : ils se font ainsi les « champions » que Christine se désolait
de ne pas voir entrer en lice pour défendre son sexe. Le mot féministe
n’existant pas encore, c’est alors ce terme qui, à la suite du Champion des
dames de Le Franc, tend à s’imposer pour désigner ceux qui s’engagent
dans ce combat, à côté d’autres termes empruntés au même champ lexical
venu du Moyen Âge mais toujours très présent dans l’imaginaire de
l’époque. Ainsi l’auteur signant « le Dolent fortuné » propose-t-il, vers
1470, un Chevalier des dames qui sera imprimé deux fois avant de recevoir
un titre plus agressif : Le Garant des dames contre les calomniateurs de la
noblesse féminine. Ces champions combattent ceux de l’autre camp,
notamment les « méchants » du Roman de la Rose — du moins tant que
dure le succès éditorial de ce texte. Le Chevalier des dames met ainsi en
scène Noble Cœur, qui, ayant entendu les plaintes de Noblesse féminine et
l’appel de Nature à la défendre, entre en joute — verbalement puis
physiquement — contre Cœur Vilain (Jean de Meun) et Male Bouche (son
héros)… qu’il finit par abattre tous les deux. D’autres titres mettent en
valeur la seule joute oratoire, comme L’Avocat des dames ou le Procès
d’honneur féminin de Pierre Michaut (vers 1460) et même, sous la plume de
Jean Marot (père de Clément), La Vray-disant Advocate des dames (vers
1506), un plaidoyer mis dans la bouche d’une femme et dédié à la reine
Anne de Bretagne 48.
Cette littérature se renouvelle et s’intensifie dans les années 1530, sans
doute en raison de l’entrée en scène de la sœur du roi comme autrice
imprimée. La princesse compte en effet des partisans aussi déterminés
qu’elle à combattre la misogynie ambiante. Jean Du Pré lui dédie Le Palais
des nobles dames en 1534. La même année, Clément Marot écrit pour le
mariage de sa belle-sœur une Épître présentée à la reine de Navarre par
Madame Ysabeau [la mariée] et deux autres demoiselles habillées en
Amazone, pour féliciter Marguerite de sa victoire sur les théologiens de la
Sorbonne ; et il traduit dans la foulée L’Abbé et la Femme savante
d’Érasme (Abbatis et eruditae), où la seconde se moquait du premier. Jean
Bouchet chante la grandeur de feue Louise de Savoie dans Le Jugement
poetic de l’honneur femenin (1537). Héroët défend l’idéal féminin proposé
par Castiglione dans Le Courtisan en publiant La Parfaicte Amye de cour
(1542), riposte à L’Amye de cour de Bertrand de la Borderie, qui soutenait
que les femmes de ce milieu étaient bien plus intéressées et cyniques que
vertueuses. Après la mort de Marguerite, le poète et savant Charles de
Sainte-Marthe rend hommage à sa protectrice : il compose et publie, en
latin puis en français, une Oraison funèbre de l’incomparable Marguerite
(1550), dans laquelle il érige sa culture en modèle de l’éducation à donner
aux femmes.
D’autres écrivains travaillent dans le même sens. Ce sont parfois des
anonymes, comme celui qui publie à Paris La Grant Triumphe et honneur
des dames et bourgeoises de Paris et de tout le royaulme de France (1531),
ou celui qui fait paraître une Epistre à la louange des dames, addressante à
une dame tholosaine (1545) — riposte à peine voilée aux très misogynes
Controverses des sexes Masculin et Femenin du sieur de Drusac. Le plus
souvent, toutefois, ces hommes s’engagent à découvert dans le débat,
cherchant à convaincre leurs contemporains de l’injustice qui accable les
femmes. François Habert publie un Jardin de foelicité, avec la louenge et
haultesse du sexe femenin, en ryme françoyse (1541), qu’il dédie
partiellement à la duchesse d’Étampes. Le Lyonnais Claude de Taillemont
affiche ses convictions platonisantes et sa confiance en l’excellence des
femmes dans un Discours des Champs faez [fées] à l’honneur et exaltation
de l’Amour et des dames (1553). Le secrétaire du cardinal Jean du Bellay,
François de Billon, compose Le Fort inexpugnable de l’honneur du Sexe
Femenin (1555), qu’il dédie collectivement à Catherine de Médicis,
Marguerite de France, Jeanne d’Albret, Marguerite de Bourbon-Vendôme
(1516-1559) et Anne d’Este (1531-1607). Un chanoine de Périgueux,
François Arnault de La Borie, entre en guerre lui aussi contre la Bible des
misogynes de la région avec son Anti-Drusac, ou Livret contre Drusac, faict
à l’honneur des femmes nobles, bonnes & honnestes (1564). Alexandre Van
den Bussche dédie à une certaine Madame de La Chastre un Recueil des
Dames illustres en vertu (1576). Le calviniste Alexandre de Pontaymeri
offre à la maréchale de Retz un Paradoxe apologetique où il est fidellement
demonstré que la femme est beaucoup plus parfaicte que l’homme en toute
action de vertu (1594).
On voit que la tendance est à la spécialisation : au sein de cette
production qui est en train de devenir un genre littéraire en soi, les ouvrages
sur les femmes « excellentes » en général commencent à côtoyer des livres
qui s’intéressent à des séries particulières : ici les vertueuses, mais ce sera
bientôt le tour des « femmes fortes » et des savantes, sans parler des
déclinaisons plus spécifiques encore auxquelles se livrera le XVIIe siècle : les
impératrices, les muses, les femmes illustres par leurs écrits, les précieuses,
les Amazones, etc. 49
e
L’attrait de la Réforme pour les femmes du XVI siècle pourrait bien
n’avoir rien qui lui soit propre, au-delà de la volonté des réformateurs de
faciliter l’accès aux textes pour le plus grand nombre, dont elles font partie.
Leur enthousiasme a sans doute surtout à voir avec la phase de flottement
institutionnel qui caractérise toutes les religions nouvelles, quand l’objectif
principal est de « gagner des parts de marché » et que les décideurs sont
prêts à faire feu de tout bois pour y parvenir — y compris s’appuyer sur des
êtres ordinairement tenus pour seconds, voire négligeables, voire
nécessairement soumis. C’est peu dire, en tout cas, que l’émancipation des
femmes n’était pas au programme des réformateurs. Le malentendu est ici
aussi grand que celui qui concerne l’émancipation des pauvres, qui crurent
par centaines l’heure du partage arrivée en entendant Luther appeler à la
dissidence vis-à-vis des autorités, et dont les révoltes furent écrasées dans le
sang, avec l’accord du réformateur.
Concernant les relations entre les sexes, les idées des chefs des
nouvelles Églises n’ont rien de progressistes. Toute femme doit être une
épouse et vivre sous l’autorité de son mari. Tout homme doit être un chef de
famille. C’est à cet objectif que répond l’abolition de la vie conventuelle et
du célibat des prêtres. Aucune femme n’est donc plus appelée à vivre dans
l’indépendance physique, morale et matérielle des hommes, au seul service
de Dieu, et encore moins à faire une carrière religieuse aux pouvoirs
étendus (quoique sous la tutelle de l’institution). Les deux époux doivent
prendre en charge l’instruction religieuse quotidienne de leurs enfants, ce
qui travaille au resserrement de leurs liens et au polissage des mœurs des
hommes. Le divorce est théoriquement possible, mais dans les faits il
demeure rare, et il n’est guère revendiqué que par des hommes se plaignant
d’épouses adultères. Par ailleurs, les familles sont placées sous l’autorité du
consistoire, assemblée locale composée du pasteur, de diacres et
« d’anciens » — uniquement des hommes — qui veille au respect des règles
édictées par les synodes, c’est-à-dire exerce un contrôle moral sur la
communauté.
Les recherches de Raymond A. Mentzer, « qui ont porté sur un grand
nombre de registres de consistoires des Églises locales, conduisent à penser
que [leurs] efforts […] pour placer la femme sous l’autorité masculine
furent largement suivis d’effets 56 ». S’il paraît indéniable que les
protestantes ont bénéficié de l’importance donnée à la lecture par leurs
autorités, il semble bien que la Réforme ait plutôt accentué leur
domestication. La situation française ne peut pas, en tout cas, être
généralisée. Si tant de liberté s’observe longtemps dans ce pays, c’est
d’abord que la Réforme s’y implanta sous la direction de Calvin, qui se mit
au travail plus tard que ses homologues (il était plus jeune), et qu’il la pilota
depuis Genève (ayant dû quitter la France après l’affaire des Placards, en
1534). C’est aussi que cette phase d’implantation fut suivie de quarante ans
de guerres, qui favorisèrent les prises d’initiative des femmes, sans que les
dirigeants aient les moyens ni l’envie de les entraver. C’est enfin que ce
contexte empêcha la multiplication des sectes réformées qui allaient se
multiplier en Europe du Nord et du Centre, et surtout sur le continent nord-
américain, où l’idéal patriarcal de bien des fondateurs allait s’épanouir en
toute liberté. En France même, il est patent que les protestantes ne firent
plus guère parler d’elles après la fin des guerres, et qu’à de rares exceptions
près, elles étaient alors déjà rentrées dans le rang pour ce qui est de la prise
de parole publique.
La réforme catholique :
une véritable ouverture pour les femmes
Les pionnières
Jusqu’en 1530, on l’a dit, seules des autrices décédées de longue date
sont proposées au public francophone amateur de livres. Deux princesses
font toutefois exception. La première est la jeune Marguerite d’Autriche,
dont une Complainte déplorant la rupture de ses fiançailles avec
Charles VIII est publiée en 1492 à Anvers. Sans doute la diplomatie
autrichienne n’est-elle pas étrangère à cette opération, mais les strophes
sont en rapport avec l’âge (douze ans) et la forte personnalité de la future
gouvernante des Pays-Bas. La seconde est la femme qui l’avait élevée,
Anne de France. L’ancienne régente publie à Lyon, en 1520
vraisemblablement, le texte qu’on appellera ses Enseignements à sa fille.
Tout autre est l’ambition de Marguerite de Navarre. L’année où meurt sa
mère (n’aurait-elle pas osé avant ?), elle publie sa première œuvre, le Miroir
de l’âme pécheresse. On est en 1531, elle a trente-neuf ans, il y a déjà
plusieurs années qu’elle écrit, elle sait ce qu’elle fait. Deux ans plus tard,
elle republie l’œuvre en la faisant suivre de pièces rendues « sensibles » par
le contexte religieux, dont la traduction d’un psaume de David par Marot.
La Sorbonne met le livre à l’Index en attendant un examen plus approfondi,
mais la menace ne conduit qu’à l’intervention protectrice de François Ier.
Marguerite fait imprimer aussitôt une deuxième œuvre, le Dialogue en
forme de vision nocturne. Ensuite, elle n’arrête plus. Alors que les
rééditions du Miroir s’enchaînent, elle s’attelle à de nouveaux textes.
Plusieurs pièces de théâtre sont données au public à partir de 1545. Deux
ans plus tard, les Marguerites de la Marguerite des Princesses rassemblent
des œuvres de différents genres. La même année, la mort de son frère lui
inspire également La Navire, ou Consolation du roi François Ier à sa sœur.
Ses dernières œuvres — pièces et poésies — ne sont pas publiées de son
vivant, et elle laisse à sa mort, inachevé, le nouveau Decameron, auquel elle
travaillait depuis longtemps : l’Heptaméron, qui sera imprimé une dizaine
d’années plus tard.
Ainsi, pour la seconde fois après Christine de Pizan *2, une femme fait la
démonstration que son sexe est capable de produire une œuvre étendue,
ambitieuse et plaisante. Mais le geste de Marguerite est encore plus
transgressif que celui de Christine. Si elle aussi s’installe dans un champ
identifié comme le monopole des hommes de savoir, elle le fait à une
époque où l’imprimerie a permis à des centaines d’entre eux de s’affirmer.
D’autre part, elle le fait comme membre d’une classe qui ordinairement ne
se « commet » pas dans cette activité : tourner des vers est bien vu dans la
haute aristocratie, mais porter ses écrits chez l’imprimeur est l’affaire de
ceux qui n’ont pas d’autres sources de valeur que leur cerveau, pas d’autres
moyens pour se faire remarquer que la production de ces biens matériels
que sont les livres. Si l’on ajoute à cela que la reine de Navarre est
ouvertement féministe, on comprend qu’elle ait joué dans l’arrivée des
femmes sur la scène littéraire un rôle absolument déterminant.
Quelques années après sa première publication, en effet, d’autres lui
emboîtent le pas. Elles sont pourtant issues de milieux bien différents. La
Lyonnaise Claudine Scève (v. 1510- ?) fait paraître en 1532 ou 1533 la
traduction d’un roman italien. La Picarde Marguerite Briet (v. 1510-
ap. 1552) publie quatre œuvres entre 1538 et 1543, sous le nom
d’Hélisenne, dame de Crenne. La Flamande Marie Dentière fait connaître
ses opinions réformées dans un bref ouvrage publié à Genève en 1539. Une
autre Lyonnaise, Pernette du Guillet (v. 1520-1545), est révélée au public
comme poétesse l’année même de sa mort.
La poésie
Le théâtre
La sœur de François Ier s’attaque pour sa part à une autre tradition, celle
du recueil de contes dont Boccace avait lancé la vogue avec son Decameron
(v. 1350). Bâti sur une structure simple (dix personnages immobilisés pour
une raison indépendante de leur volonté racontent chacun une histoire par
jour durant dix jours), et facilement imitable (moyennant modifications de
« l’histoire cadre » et des récits des personnages), ce livre avait déjà inspiré
plusieurs auteurs. Marguerite reprend ce dispositif en vue d’une œuvre plus
complexe, tant pour les caractères des « devisant·es » et la variété de leurs
récits que pour l’ampleur et la profondeur de leurs débats. L’œuvre n’est
pas terminée à la mort de la reine. Les soixante-douze histoires écrites
paraissent d’abord en 1558 sous le nom d’Histoire des Amans fortunez, puis
dès l’année suivante sous le nom d’Heptaméron, avant de constituer le
premier best-seller féminin (une vingtaine d’éditions jusqu’en 1615). C’est
sur ce texte que reposera la réputation littéraire de la reine de Navarre,
jusqu’au XXe siècle où l’on redécouvrira le reste de son œuvre.
La fiction narrative est peu représentée chez les autrices de la fin de la
Renaissance, si ce n’est — à nouveau — par le biais de la traduction. On ne
peut évidemment rien dire de celle, perdue, des Héroïdes d’Ovide par
L’Aubépine, si ce n’est qu’elle témoigne du goût persistant des femmes
pour ces épîtres véhémentes des grandes héroïnes de l’Antiquité. On peut
en revanche observer que Gournay publie dans le même ouvrage sa
traduction du deuxième livre de l’Énéide (toujours les malheurs de Didon)
et le récit du Proumenoir (dont l’héroïne est également bien malheureuse).
À lire l’épître à Montaigne qui ouvre le volume, Gournay lui aurait d’abord
raconté cette histoire un jour qu’ils se promenaient ensemble (d’où le titre),
puis elle l’aurait mise noir sur blanc et la lui aurait envoyée avec l’épître, et
le tout aurait été retrouvé dans les papiers de Montaigne après sa mort. On
doute aujourd’hui de cette mise en scène. Quant au texte, c’est une nouvelle
inspirée des Discours des Champs faez de Taillemont (1553), qui s’inscrit
dans la vogue naissante des « histoires tragiques » : la princesse Alinda va
d’un malheur à l’autre, affligée par son père, roi de Perse, qui veut la marier
dans un pays ennemi, puis par l’homme qui propose de l’aider à échapper à
ce sort, et enfin par l’hôte qui abrite leur fuite. Le récit est fait par la
princesse elle-même, à la première personne du singulier, mais Gournay
l’entrelarde de ses propres réflexions. C’est l’unique texte de cette veine
qu’elle produira 27. Enfin, Beaulieu propose, quatre ans avant la parution des
premières parties de l’Astrée, un bref roman sentimental en prose rempli de
discussions philosophiques : L’Histoire de la Chiaramonte (1603). Ici, c’est
un creuset commun qu’on peut soupçonner, sachant que la jeune femme
était liée, comme d’Urfé, à la reine Marguerite.
L’histoire
Les autrices de ce temps n’hésitent pas non plus à donner des conseils
ou à délivrer des savoirs. Plusieurs suivent une voie ouverte par Christine
de Pizan, dont le Tresor de la Cité des Dames *12 a été imprimé trois fois
entre 1497 et 1536. Anne de France, qui possédait l’ouvrage, s’inspire aussi
des Enseignements de Saint Louis à sa fille Isabelle. Le traité d’éducation
féminine qu’elle rédige vers 1503 s’adresse à sa fille unique, qui n’a alors
qu’une douzaine d’années mais qui pourrait bien être mariée rapidement à
un prince de la famille royale vu l’intérêt qu’elle représente en tant
qu’héritière du duché de Bourbon ; l’ouvrage est donc spécifiquement
conçu pour une princesse de son rang, et rempli de conseils vers lesquels
elle pourra revenir plus tard. Il lui est finalement offert en 1505, à
l’occasion de son mariage avec l’homme qu’Anne a choisi, Charles de
Montpensier. Les trente développements qui le composent se fondent sur
l’expérience de l’ancienne régente, sa connaissance de la Cour et de la
politique, sa compréhension des conditions auxquelles les femmes peuvent
s’y maintenir et s’y imposer. C’est ce que comprit Marguerite de Navarre,
qui fit rééditer le texte à Toulouse en 1535, sans doute à l’intention de sa
propre fille, peut-être aussi avec l’idée d’un public plus large (de femmes,
de pédagogues).
Entre les deux dates, Bourbon-Montpensier avait rédigé une Instruction
des jeunes filles, mais on ignore son contenu. Bien plus tard dans le siècle,
Romieu publie son Instruction pour les jeunes dames (1572), adaptation du
Dialogo de la bella creanza de le donne d’Alessandro Piccolomini (1539),
qu’elle remanie pour en faire disparaître les aspects satiriques :
remplacement du préambule paradoxal par « une épître liminaire à visée
univoque et strictement didactique », remplacement de la maquerelle-
conseillère en « mère d’élection » honorable, omission des passages
graveleux ou simplement comiques, mise en valeur de l’enseignement
délivré 31. C’est au contraire avec une grande fidélité que Cambis traduit
l’Epitre du Seigneur Jean George Tryssin, de la vie que doit tenir une Dame
veuve (1554), dont l’original avait paru pour la première fois en 1524 à
Rome.
Une poussière d’autres textes pédagogiques s’inscrivent dans une veine
religieuse. Des modèles de prières parsèment l’œuvre de Marguerite de
Navarre, dès la réédition du Miroir de l’âme pécheresse, en 1533. Peut-être
sous son influence paraissent les Quinze Oraisons attribuées à Brigitte de
Suède (1531, 1532, 1537). Ce mouvement reprend un demi-siècle plus tard,
sous l’influence cette fois de la réforme catholique. En 1580 est traduit en
français Le Dialogue et Oraisons de l’excellente Vierge saincte Catherine
de Sienne, religieuse du tiers ordre S. Dominique… En 1584, les conseils
d’une nonne italienne sont publiés à Louvain sous le titre Practique
Spirituelle d’une servante de Dieu, à l’exemple de laquelle se peut exercer
toute Religieuse ou personne spirituelle. Fort utile pour vivre
spirituellement dedans les Monasteres, et hors d’iceux ; l’autrice est sans
doute Angelica Paola Antonia de’ Negri (1508-1555), connue pour d’autres
ouvrages encore en Italie. En 1588, c’est une œuvre de la princesse de
Parme, Marie de Portugal, qui est imprimée à Anvers, à l’initiative de son
époux retourné vivre en Flandre après sa mort : La Practique Spirituelle de
la devote et religieuse Princesse de Parma […] avec les Litanies de la
Sacree Vierge Marie, comme les disent ceux qui sont de la Congregation de
la dicte Vierge, et un Catalogue des livres Spirituels tant pour se convertir à
Dieu, que pour faire progres aux sainctes vertus.
Enfin, deux écrivaines délivrent de vrais savoirs (de leur époque). C’est
comme traductrice que Marie de Cotteblanche tente de faire progresser
l’astronomie, avec les Trois Dialogues de Pierre de Messie [Pero Mexia, ou
Mejía], touchant la nature du soleil, de la terre et des meteores, et de toutes
les choses qui se font et apparoissent en l’air (1566). C’est comme sage-
femme expérimentée que Louise Bourgeois, épouse d’un chirurgien et
accoucheuse de plusieurs très grandes dames et de la reine Marie de
Médicis, propose en 1609 le premier traité d’obstétrique d’une Française.
Ses Observations diverses sur la sterilité, perte de fruict, fœcondité,
accouchements et maladies des femmes et enfants nouveaux naiz… sont
fondées sur des connaissances d’anatomie relativement approfondies. Cet
ouvrage n’est que le premier de ceux que Bourgeois livrera au public.
STRATÉGIES AUCTORIALES :
L’EXHIBITION DU SUJET FÉMININ
Les grandes dames qui ne publient pas ne se cachent pas pour autant.
Leurs manuscrits portent toutes sortes de traces d’elles : noms, armoiries,
enluminures, allusions biographiques, voire inscriptions au fil des textes.
« Souvent oraison / Te présente Catherine d’Amboise 32 », écrit par exemple
dans son épître au Christ celle qui termine ses autres compositions
poétiques par la phrase « Fin par moi, K. d’Amboise ».
Les autrices imprimées font de même savoir qui elles sont d’une
manière ou d’une autre, du moins dans leur immense majorité. Là encore,
l’exemple des princesses a dû jouer un rôle majeur. Toutes affichent leur
nom et leur principal titre, voire plusieurs, en couverture des plaquettes ou
des ouvrages publiés : Harangue de tres noble et tres vertueuse dame
Madame Marie d’Estuart, Royne d’Escosse, Douairiere de France…, Les
Regrets et Complaintes de tres-illustre Princesse Elizabeth d’Austriche…,
Le Chant douloureux de Madame la duchesse de Guyse, etc. Celles qui
n’ont pas de titres aussi prestigieux en arborent d’autres : l’Epistre
consolatoire de Messire Iean Boccace est présentée comme traduicte
d’Italien en Françoys par Damoiselle Marguerite de Cambis, Baronne
d’Aigremont et Lieutenante de Nismes. L’autrice des Sonets, Prieres et
Devises en forme de pasquins signale son statut de religieuse : par Sr [sœur]
Anne de Marquets. La Subtile et Naifve Recherche de l’heresie est
revendiquée par Didiere Gillet, simple femme de village. Les Observations
de l’accoucheuse royale sont non moins fièrement affichées comme
amplement traictees et heureusement praticquees par L. Bourgeois dite
Boursier sage femme de la Roine.
Certaines préfèrent laisser découvrir leur nom à l’intérieur du livre.
Gournay signe sa première œuvre par une périphrase désignant sa relation
avec l’homme qui lui sert d’égide : Le Proumenoir de Monsieur de
Montaigne, par sa fille d’alliance. L’expression est répétée dans le mot de
« L’imprimeur au lecteur » (« Il y a quelques années que ce livret fut
envoyé à Monseigneur de Montaigne par sa fille d’alliance… ») ; l’énigme
est résolue à la fin de l’épître au grand homme qui suit, écrite « À Gournay
le 26e de novembre 1588 ». Elle signe de même sa « Preface sur les Essais
de Michel seigneur de Montaigne. Par sa fille d’alliance ». Beaulieu use
d’une périphrase plus neutre dans les deux ouvrages qu’elle donne en
1603 : par une demoiselle françoise. Mais dans la Chiaramonte, les épîtres
dédicatoires sont signées M.D.B., et dans La Premiere Atteinte contre ceux
qui accusent les Comédies, deux sonnets d’Isabella Andreini sont adressés
« À Mademoiselle de Beau-lieu ». Brabant n’inscrit pas son nom sur la
couverture des Annonces de l’esprit et de l’âme fidèle, contenant le
Cantique des Cantiques de Salomon en ryme françoise, avec le triomphe de
l’agneau, par très illustre princesse Marguerite, royne de Navarre, plus
autres œuvres de mesme sujet, la plus part encores de la mesme princesse
(1602) : c’est en feuilletant le livre qu’on découvre que « Damoiselle Marie
de Brabant, femme du seigneur de Blacy » est à la fois l’éditrice du volume,
la rimeuse du Cantique et l’autrice de plusieurs pièces.
Les textes insérés dans les ouvrages d’une tierce personne révèlent
également le nom de leurs autrices. Le Recueil des œuvres de feu
Bonaventure des Periers (1544) fait place à un « Envoi. Par Jacqueline de
Stuard, Lyonnaise », auquel répond l’auteur, puis à une « Chanson. A
Claude Bectone, Dauphinoise », suivie de sa « Réponse ». Les
Epigrammaton ad principes et magnates Galliae de La Jessée (1574)
abritent un poème intitulé « Ad J. Gesseum Camillae Morellae ». Le Passe-
Temps de Monsieur de la Motte-Messemé (1595) contient un « Sonnet à
Monsieur de la Motte-Messamé, fait par Madame de Rivery », suivi des
initiales M.L.G. (Marie Le Gendre). Plus curieux, c’est en ouvrant Les
Fleurs des Secrets moraux sur les passions du cœur humain du père Loryot
(1614, ill. 7) qu’on découvre — en première position — le discours de
Marguerite de Valois sur l’excellence des femmes ; la couverture annonçait
seulement que les écrits du Jésuite étaient dediez a la Royne Marguerite,
duchesse de Valois, et imprimez par le commandement de sa Majesté. Cette
dernière précision montre toutefois que l’initiative lui revenait.
D’autres préfèrent s’identifier par des initiales. Cette pratique est alors
relativement répandue chez les hommes aussi. Plus que d’un désir de
dissimulation, elle semble relever d’un code permettant à des milieux de se
reconnaître, à une époque où le public visé est mince et sait de quoi il
retourne. Il est peu probable, par exemple, que l’imprimeur des Amours
pastoralles de Daphnis et Chloé […]. Ensemble Un debat Indiciel de Folie,
et d’Amour, fait par Dame L.L.L. Plus quelques vers François […]
P[ar] M.D.R. Poetevine (1578) ait cherché à dissimuler les noms de Labé et
de des Roches. On n’imagine pas non plus que Marie Dentière ait pensé
tromper qui que ce soit en signant M.D. l’Epistre tresutile faicte et
composée par une femme chrestienne de Tornay ; cette chrétienne-là était
depuis plusieurs années déjà une activiste bien connue dans le microcosme
protestant suisse.
Parler de soi
e
Aucun écrivain du XVI siècle n’entreprend d’écrire sur soi afin de
mieux comprendre les ressorts intimes de sa vie, en tablant sur la curiosité
du public pour cette exploration. Montaigne lui-même, qui pousse le plus
loin cet exercice, cherche à « connaître l’homme » — le mâle humain. S’il
s’explore, c’est qu’il en est un, et qu’il n’a pas meilleur matériau sous la
main. Mais ses auteurs préférés sont des candidats tout aussi valables pour
cette étude, et il se perd régulièrement de vue, ou il s’englobe dans un nous
aux contours mouvants. Les philosophes et moralistes évoquées plus haut
ne s’aventurent pas sur ces terres : l’investigation du « nous, les femmes »
et de « moi d’abord, qui suis la mieux placée » n’est pas à la portée de ces
intellectuelles sur le fil du rasoir, qui défient le monde en se hissant sur la
plus haute marche de la parole publique, alors qu’elles ne sont attendues sur
aucune.
L’expression du je est néanmoins fréquente dans les genres qui
l’autorisent ou la requièrent, comme certaines poésies, les lettres, les
fictions où un personnage prend en charge la narration, les textes politiques
où un·e dirigeant·e doit s’exprimer en son nom, les déplorations… Ces
genres sont toutefois hautement dominés par des conventions qui imposent
des formes et des topoi. Faute d’admettre que les femmes sont aussi habiles
que les hommes à les manier, on a souvent pris pour des confessions des
propos dont rien ne permet de savoir s’ils ont un fondement de réalité.
Hélisenne et Labé ont longtemps été victimes de ces lectures simplistes, qui
faisaient de l’une une épouse persécutée et de l’autre une aventurière
intrépide. De même, les je qui s’expriment dans les Missives des Dames des
Roches mettent en scène des sujets féminins qui évoquent leur vie, leurs
sentiments, leurs réflexions, et il fait peu de doute qu’elles ont mis
beaucoup de leur expérience personnelle dans ces textes. Mais il est tout
aussi certain qu’elles ont soigneusement choisi les sujets mis en avant, et
écarté ceux qu’elles estimaient propres à les mettre en difficulté.
Un autre type de prudence est à observer dans le cas des lettres
familières publiées par des hommes. Celles qui sont signées Bourges et
Mornay dans le Premier Livre de Gaspard de Saillans (1569), Perrin et
Cherué dans les Lettres missives et familières d’Estienne du Tronchet
(1583), Boislevesque dans les Lettres d’Estienne Pasquier (1586) peuvent
avoir été retouchées (voire écrites) par ces auteurs. Qui peuvent en outre
avoir été influencés par le gros recueil de missives de « femmes
exemplaires » publié en 1548 par Ortensio Lando (Lettere di molte valorose
donne), véritable réservoir de lettres modèles proposées à l’admiration des
hommes — et à l’imitation des femmes. On aura davantage accès à leur
intimité en lisant des correspondances jamais considérées comme
publiables par leurs contemporains, quoique les usages y dictent également
leurs impératifs 47.
Les récits de vies présentent d’autres biais. Certaines autrices sont fort
discrètes. Jeanne de Jussie ne parle d’elle qu’à deux reprises, à propos de
lettres que les religieuses lui ont demandé de rédiger. Encore ne le fait-elle
qu’une fois à la première personne (une lettre « écrite par moi »), se
contentant pour l’autre de cette simple notation : « Sœur Jeanne de Jussie
l’écrivit, qui toutefois était fort malade 48 ». On n’en saura pas plus sur la
secrétaire du couvent. Mornay s’évoque davantage dans le livre qu’elle
consacre à son mari, mais elle ne donne de sa vie personnelle « qu’un récit
très partiel et limité à l’histoire de l’engagement de sa famille à la
Réforme 49 ». Jeanne d’Albret est au contraire au centre de son Ample
Déclaration, et les notations intimes affleurent à l’occasion. Mentionnant
par exemple le moment houleux où son mari revint à la religion catholique,
elle commente sobrement : « Chacun sait, et me sied mieux de le taire que
d’en dire davantage, que les faveurs ou rigueurs ne m’ont fait aller ni d’un
côté ni d’autre 50 ». Une figure à la fois héroïque et tragique se dégage ainsi
du texte, mais il faut se souvenir qu’il a été pensé pour convaincre ses
contemporain·es du bien-fondé de ses choix. N’ayant pas ce souci,
Marguerite de Valois se laisse davantage aller à parler d’elle. Cherchant
souvent à mettre en évidence les torts de ses ennemis, elle ne craint pas
d’évoquer les affronts qu’elle a subis, les difficultés que lui créa son mari,
la peur que lui inspirait sa mère. Chemin faisant, il lui arrive de s’aventurer
sur les voies de l’auto-analyse. Elle s’interroge par exemple sur les
« puissances » inconnues que son frère aîné éveilla en elle quand il l’invita
à prendre son parti, alors qu’elle n’avait que seize ans, l’ouvrant à la vie
politique ; ou sur les bienfaits qu’elle tira de la lecture durant les quelques
mois où elle fut gardée à vue au Louvre.
Enfin, les femmes n’hésitent pas à parler d’elles dans les préfaces et
dédicaces qu’elles signent, car il est d’usage que les personnes présentant
l’œuvre éditée s’expliquent, à la première personne, sur ce qui les a
conduites à entreprendre son écriture, ou sa traduction, ou sa publication. Si
les textes ainsi produits se révèlent d’ordinaire de peu d’intérêt lorsqu’il
s’agit d’un homme s’adressant à un autre homme ou « au lecteur », ils
s’avèrent souvent d’une grande richesse lorsqu’un homme s’adresse à une
femme (la chose paraît toujours à justifier), et encore davantage lorsqu’une
femme s’adresse à une autre, ou à un homme, ou au public. La dédicace de
Labé à Bourges est pour l’écrivaine l’occasion de s’expliquer sur sa relation
à l’écriture. Celle de Cotteblanche à Saluces laisse comprendre qu’elle lui
devait sa connaissance de l’italien, et le texte révèle qu’il y avait « entre les
deux femmes une complicité intellectuelle et une véritable communion
sororale 51 ». Celle de Vigny « A Messieurs les présidents et conseillers de la
cour de Parlement » lui permet d’évoquer la douleur qu’elle ressent encore :
« Souvent elle monte à tel degré qu’elle ferme le passage à ma voix, et
empêche ma parole. […] le seul souvenir [du meurtre] me fait retomber en
des angoisses extrêmes 52. »
Là encore, toutefois, des topoi orientent l’expression. Le plus récurrent
est celui des limites intellectuelles de ces femmes, ou de leurs ambitions.
Graville se dit « ignorante et peu savante femme », elle s’excuse de sa
« dure tête et langue mal apprise » 53. Montenay évoque sa « faible
petitesse 54 », Peronnet son « ignorance et petitesse 55 », Beaulieu ses
« ombres 56 », Cambis « la bassesse du style [et] rudesse du langage de la
traductrice 57 », Minut son « imbécilité 58 » (c’est-à-dire sa faiblesse). Ces
formules ne sont pas à prendre au pied de la lettre. Il s’agit en réalité d’une
stratégie destinée à désamorcer l’irritation des lecteurs que pourrait
offusquer l’audace de ces femmes : une captatio benevolentiae.
Même Marguerite de Valois semble s’excuser, s’adressant à Brantôme
dans l’ouverture de ses Mémoires, d’écrire « nûment et sans ornement
aucun, ne m’en estimant pas capable, et n’en ayant aussi maintenant le
loisir 59 ». Cette défausse-là ne trouve pas sa source dans la peur de choquer
mais dans le souci de se démarquer des scribes auxquels, de plus en plus, le
pouvoir a recours pour produire l’histoire officielle : mettre des ornements
dans un récit, c’est savoir mentir. Elle, elle a fait l’histoire, elle l’a vécue,
elle n’a pas besoin de perdre du temps avec la rhétorique (ce qui ne
l’empêche pas d’en user). Cet orgueil peut d’ailleurs se retrouver chez
d’autres. Ainsi la simple femme de village Gillet précise-t-elle : « Ce sont
les mots d’une femme grossière et ignorante, non point le discours poli de
quelque savant docteur 60. »
Ces femmes qui écrivent, qui publient, qui osent transgresser les
traditions et les injonctions à s’y conformer, et qui s’intéressent
passionnément à leur sexe, que disent-elles ? Pour autant qu’on le sache,
puisque leurs productions ont disparu en nombre, elles n’entendaient pas
parler pour ne rien dire. Presque toutes celles dont on a conservé les textes
dénoncent les maux dont elles souffrent, répondent aux accusations dont
elles sont victimes, travaillent à élaborer un point de vue féminin sur leur
condition, voire sur les possibilités de leur émancipation. Les plus
audacieuses n’hésitent même pas à s’aventurer sur les terrains minés
(l’amour, la sexualité), voire impraticables (la sorcellerie, le
commandement *14).
toute action et parole juste, et le crédit d’en être cru — ou pour le moins écouté. De
*15
moi, […] eussé-je les arguments de Carnéade , il n’y a si chétif qui ne me rembarre
avec solennelle approbation de la compagnie assistante, par un sourire, un hochet [un
hochement de tête] ou quelque plaisanterie, quand il aura dit : « C’est une femme qui
78
parle » .
Des autrices font davantage que donner des exemples. Labé invite les
femmes à « mettre [leurs] conceptions par écrit, le faire soigneusement, et
non dédaigner la gloire, et s’en parer plutôt que de chaines, anneaux, et
somptueux habits », ornements qui n’appartiennent pas véritablement à la
personne qui les porte. Écrire, explique-t-elle, est le gage d’un double
plaisir : d’abord celui de la création, ensuite celui du retour aux textes,
même des années plus tard : « Nous retrouvons le plaisir passé qu’avons eu,
ou en la matière dont écrivions, ou en l’intelligence des sciences où lors
étions adonnée ». Et que dire du plaisir « de le voir [notre sexe] non en
beauté seulement mais en science et vertu [dé]passer ou égaler les
hommes » ? Labé entrevoit là une émulation bénéfique pour tout le monde :
« Les hommes mettront plus de peine et d’étude aux sciences vertueuses, de
peur qu’ils n’aient honte de voir précéder [passer devant eux] celles
desquelles ils ont prétendu être toujours supérieurs quasi en tout. » Pour la
Lyonnaise, la conclusion s’impose : « Je ne puis faire autre chose que prier
les vertueuses dames d’élever un peu leurs esprits par dessus leurs
quenouilles et fuseaux 81. »
Catherine des Roches pense pour sa part que le savoir est la source
d’émancipation la plus sûre. Elle développe d’abord ce thème dans la fable
Agnodice. Pour secourir les femmes méprisées et condamnées aux tâches
domestiques par leurs époux, cette « dame gentille / Que le Ciel avait fait
belle, sage et subtile » se déguise en homme, étudie la médecine, devient
experte en la matière, et guérit ses semblables de leur mélancolie, avant de
triompher de l’hostilité des hommes lorsqu’ils apprennent que ce joli
médecin est une femme. Elle leur fait alors promettre de laisser leurs
épouses étudier. C’est pourquoi l’Envie « A poursuivi depuis d’une haine
immortelle / Les dames qui étaient vertueuses comme elle 82. » La
démonstration se poursuit de manière plus pédagogique dans les Dialogues
de Placide et Sévère, puis d’Iris et Pasithée. Dans le premier, deux pères de
famille confrontent leurs idées — fort opposées — sur l’instruction
féminine. Dans le second, leurs deux filles laissent voir les conséquences de
ces deux options : l’illettrée est naïve, narcissique, dépendante, prête à se
laisser berner par le premier séducteur, la lettrée est spirituelle, autonome et
avisée.
D’autres écrits ouvrent des perspectives sur d’autres maux. Les
Enseignements d’Anne de France à sa fille sont, sur un ton extrêmement
austère, un manuel de survie pour grandes dames, dans un monde que
l’ancienne régente sait impitoyable pour leur espèce. Une fois devenue
adulte, Suzanne devra entretenir une compagnie de femmes, qu’elle
surveillera de près car la réputation des suivantes d’une princesse rejaillit
sur elle, mais dont elle ne fera surtout pas des dragons de vertu. Instruites,
éduquées, parées selon leur rang, elles devront tenir leur place au milieu des
hommes, et ne pas craindre même d’être courtisées — à condition de
toujours dominer la situation. Suzanne elle-même devra en faire autant, tout
en restant parfaitement fidèle à son mari : l’habile gestion des hommes qui
le servent est la meilleure façon de servir l’entreprise commune qu’est la
Maison — et de rester à sa direction. Ce dont il est question, explique Anne,
c’est de « réduire à bonne voie les fous et les désordonnés en leur
charnalité 83 ».
Marguerite de Navarre, extrêmement critique envers la violence
masculine, promeut la gestion des tensions par le dialogue, notamment à
travers les débats qui suivent la narration des nouvelles de l’Heptaméron
— dont la meneuse de jeu (en qui l’on reconnaît le double de l’autrice) est
lumineusement nommée Parlamente. L’équilibre numérique entre les sexes
fait également partie des solutions qu’entrevoit la reine, qui fait deviser cinq
femmes et cinq hommes dans cette œuvre, en s’inspirant peut-être des jeux
de dames où une équipe masculine affronte une équipe féminine, dont on a
vu qu’elle était familière *17. Mais elle suggère aussi, dans la Comédie des
quatre femmes, que de substantiels échanges entre femmes sont nécessaires
avant la confrontation avec les hommes. Dans cette pièce, en effet, deux
célibataires et deux mariées débattent en compagnie d’une plus âgée, et les
hommes — également au nombre de cinq — n’entrent en scène qu’à la fin
de la pièce.
La reine de Navarre va jusqu’à suggérer ce qu’on peut faire en cas de
(tentative de) viol dans la quatrième nouvelle de l’Heptaméron. C’est
l’histoire d’une très grande dame (qu’on soupçonne être l’autrice elle-
même) assaillie de nuit par un grand seigneur qui s’est introduit dans sa
chambre, alors qu’il recevait la Cour dans son château. L’héroïne
commence par se battre avec lui, elle le griffe au visage, puis, voyant qu’il a
l’avantage, crie suffisamment pour que sa dame de compagnie accoure,
mettant le prédateur en fuite. Commence alors un long débat — deux fois
plus long que celui qui va clore la nouvelle — entre la victime et celle qui
est venue à son secours. Car la grande dame est décidée à dénoncer le
violeur et à le faire arrêter par son frère, son supérieur hiérarchique,
également présent dans le château. La suivante la convainc de n’en rien
faire, en arguant qu’on mettra en doute son refus, que personne ne croira
qu’elle en a réchappé, que son frère ne pourra même pas sévir
discrètement, etc. La grande dame finit par être convaincue et paraît le
lendemain devant la Cour comme si de rien n’était, tandis que son assaillant
se fait porter malade. Mais l’ancienne victime, si c’est bien elle, se venge en
mettant noir sur blanc toute cette histoire. Dénonçant aussi bien l’agression
physique que le silence imposé aux victimes, elle montre que la violence
masculine est systémique et impunie dans la France de son temps.
a fait grâce à certaines bonnes femmes, leur révélant par ses saintes écritures quelque
chose sainte et bonne, ne l’oseront-elles écrire […] ? Ah, ce serait trop hardiment fait
[que] les vouloir empêcher. Et à nous fait trop follement de cacher le talent que Dieu
84
nous a donné .
honoré de l’homme pour son infirmité et faiblesse. Vous me pardonnerez si je vous dis
que l’infirmité et faiblesse n’engendrent point l’honneur, mais le mépris et la pitié ; et
qu’il y a bien plus d’apparence que les femmes soient honorées des hommes par
[pour] leurs excellences.
Dans sa notice sur Camille de Morel, Philip Ford rapporte que cette
grande lettrée écrivait comme ses contemporains masculins sous bien des
aspects ; « mais elle évite les genres “suspects”, comme la poésie
amoureuse, ce qui lui permet de sauvegarder sa réputation de jeune fille
chaste et docte 98 ». Les mariées et les veuves n’ont a priori pas davantage
la possibilité de suivre les poètes sur ce terrain, sauf à éveiller de graves
soupçons sur leur moralité et à s’attirer les accusations les plus brutales. En
témoignent les jugements sur Labé que rappelle François Rigolot : « “Cette
impudique Louise Labé” (Claude Rubys, 1573) ; “simple courtisane”
(Pierre de Saint-Julien, 1584) ; “plebeia meretrix [putain du peuple]”
(Calvin, 1560) 99 ».
La Lyonnaise est en effet l’une des rares à déconstruire la relation entre
« l’amant » (qui courtise, parle, écrit, se plaint ou se félicite) et « l’aimée »
(courtisée, muette ou seulement répondante, voire refusante et « sans
merci »). Et elle est la seule à assumer cette posture en publiant ses écrits
sous son nom. Si elle ne va pas, dans ses sonnets, jusqu’à célébrer le corps
de l’aimé, elle chante à la première personne les souffrances et les bonheurs
de l’amour pour un homme rencontré, aimé, embrassé, enlacé, puis parti,
absent, regretté, dont elle rêve le retour. Dans ses élégies, le même
je féminin narre la manière dont l’amour est entré avec fracas dans sa vie, et
les effets que cette expérience fondamentale y a induits. Aucune culpabilité
n’émerge des deux ensembles. Si les « dames lyonnaises » y sont implorées
pour leur indulgence, c’est parce que la même chose pourrait bien leur
arriver. Mieux : la chose est souhaitable. Car sans amour, pas de vie, pas de
bonheur, pas d’intelligence, pas d’art, pas de littérature. C’est ce
qu’affirment les dieux commis d’office pour défendre Amour et Folie dans
le Débat qui les oppose. Labé fait notamment dire à Apollon cette phrase
qui apparaît comme un métadiscours sur les Euvres de L.L.L. : « Bref, le
plus grand plaisir qui soit après amour, c’est d’en parler. » Mercure renvoie
lui aussi à l’ensemble de l’œuvre en expliquant à quel point l’amour fait du
bien aux femmes :
De fait, l’amour fait du bien à tout le monde : les hommes qui n’aiment
pas, dit Apollon, sont « gens mornes, sans esprit, qui n’ont grâce aucune à
parler, une voix rude, un aller pensif, un visage de mauvaise rencontre, un
œil baissé… craintifs, avares, impitoyables, ignorants et n’estimant
personne : loups garous 100 ! »
Ces pensées hardies ne se retrouvent pas chez les homologues de la
Lyonnaise, ni les chants d’amour à la première personne — à quelques
exceptions près qui ne sont toutefois pas comparables. Du Guillet chante
l’homme aimé, mais elle laisse comprendre que leur relation est chaste, que
seule l’imagination s’aventure au-delà de ce qui est possible entre eux. Et
elle n’a pas publié ses poèmes. Par ailleurs, elle s’y présente en général
« non pas comme une amante active, mais plutôt comme bien-aimée,
admirative devant les vertus de son amant, parfois soumise 101 ». Le Gendre
suit Labé pour le style, mais l’amour célébré est celui qu’elle éprouvait pour
son mari, dont elle pleure le décès. Coignard s’avoue franche ronsardienne,
mais c’est à Dieu qu’elle déclare son amour. Plus originale encore,
L’Aubépine s’aventure sur le terrain de la poésie érotique, mais elle ne
publie pas non plus. On sait par ailleurs que les thèmes de l’amour et de
l’adultère étaient au programme des joutes poétiques de son salon : si les
historiens du XXe siècle ont pu qualifier celui-ci de « paillard », la réputation
de son animatrice ne paraît pas en avoir jamais souffert 102.
Marguerite de Valois s’autorise quant à elle un vrai pas de côté, dans ses
dernières années, alors qu’elle est protégée par son statut de reine démariée
(ou en passe de l’être) et de pilier du régime. Encore n’est-ce que de
manière bien discrète, et à propos d’hommes décédés. Pour le premier, Jean
de Galard, exécuté sur ordre de la royauté en 1586, la reine publie
tardivement, et dans un recueil collectif où aucune pièce n’est signée (Les
Muses françoises ralliées…, 1599), une réfection lissée de stances qu’elle
avait probablement écrites peu après l’événement. Pour le second, Hector
Regnault de Durfort, baron de Bajaumont, son dernier compagnon, elle fait
paraître deux ans après sa mort de nouvelles stances, intitulées « Regrets de
Daphné sur le trépas de Daphnis », dans un recueil poétique d’un de ses
protégés (Vital d’Audiguier, Meslanges et Vers funèbres…, 1614). Seul le
Paris mondain de l’époque a pu comprendre les tenants et les aboutissants
de la dernière célébration. Elle avait aussi laissé courir des poèmes chantant
ses amours avec un jeune homme dont l’assassinat avait défrayé la
chronique quelques années auparavant, amours dont la réalité n’est pas
attestée mais dont la rumeur l’avait peut-être flattée 103.
Parmi les autres écrivaines qui traitent de l’amour, quelques-unes le font
dans des formats brefs et des cadres suffisamment contraints pour que leurs
propos ne portent pas à conséquence. Dauvrelat fournit par exemple un
dizain pour un recueil issu d’une joute poétique où étaient imposés le
premier vers du poème (« La fin d’amour n’est que mélancolie ») et le
dernier (« La fin d’espoir c’est d’avoir jouissance ») 104. C’est aussi le cas de
celles qui traitent des amours de l’auteur qui les invite à s’exprimer dans
son livre, comme le font en 1578 La Rochefoucaut et Mallessec avec deux
sonnets évoquant Clovis Hesteau 105. Terissan appelle Pierre de Brach à ne
pas se laisser aller à la douleur du deuil de son épouse, glissant un très
discret « [Moi] j’aimerait toujours, plus que le ciel, la terre 106. » D’autres
font parler une tierce personne. Marguerite de Navarre fait s’exprimer dans
Les Prisons (demeurées manuscrites) un amoureux qui pourrait bien être
l’un de ses porte-parole. Catherine des Roches publie dans les Missives des
poésies amoureuses qu’elle intitule « Imitations », comme le faisaient
d’autres poètes. Dans certaines, c’est un homme qui s’exprime. Dans
d’autres, il s’agit d’un récit à la troisième personne : amours de Damon et
de Phyllis, amours d’Orphée. Romieu livre de même une églogue où
s’exprime un amant désespéré.
Le sujet semble plus simple à traiter dans des récits fictionnels — mais
on a vu qu’elles ne sont pas nombreuses à emprunter cette voie. Hélisenne,
qui prend le double risque de mener les siens à la première personne et de
donner à leur héroïne son nom de plume, prend la précaution de souligner
qu’il s’agit de contre-exemples : voyant ce qui m’est arrivé, explique-t-elle
aux « très chères dames » dédicataires des Angoisses, « vous pourrez éviter
les dangereux lacs *18 d’amour en y résistant du commencement, sans
continuer en amoureuses pensées ». Le Songe est quant à lui présenté dès le
titre comme apte à instiguer [inviter] toutes personnes a s’alliener de
vice & s’approcher de vertu. Les autres narratrices trouvent également des
moyens de réduire les risques liés au traitement du sujet : Marguerite de
Navarre en choisissant le genre des contes ; Gournay en situant les
malheurs de la princesse Alinda dans une Perse aussi lointaine
qu’intemporelle ; Graville et Scève en traduisant des fictions masculines.
Seule Beaulieu, peut-être parce qu’elle écrit la Chiaramonte au début du
e
XVII siècle, aborde avec moins de précaution ce qu’elle décrit dans sa
DISCOURS CITOYENS
La religion
Jésus n’est-il pas aussi bien mort pour les pauvres ignorants et idiots, que pour
Messieurs les rasés, tondus et mitrés ? […] Avons-nous deux Évangiles ? L’un pour les
113
hommes et l’autre pour les femmes ? L’un pour les sages et l’autre pour les fous ?
quand on voit guerres, pestes et famines sur la terre ; nation contre nation, royaume
contre royaume, le père contre le fils, la mère contre la fille, l’un au champ pris et
123
l’autre délaissé […] et tant de sectes partout pulluler et régner .
La littérature
Plus manipulatrices sont les entreprises visant à faire parler des femmes
politiques, incapables de se défendre pour une raison ou une autre. Ainsi,
Jacqueline de Longwy est décédée depuis trois ans lorsque paraît L’Esprit
de Madame la Duchesse de Montpensier, a la Royne Mere. Remonstrance
Chrestienne, par laquelle on congnoistra que les Roys tiennent leur autorité
de Dieu, & qu’ils florissent [en] donnant cours à l’Evangile par leur pays
(1564), dont les neufs sonnets semblent revenir à un certain « S.E.S.X. » 148.
L’aventure arrive aussi à Jeanne d’Albret, qu’un non moins énigmatique
« C.B.D.C. » fait parler, le temps d’un sonnet, dans le Brief Discours sur la
mort de la Royne de Navarre : advenue à Paris le IX. Jour de juin 1572 149.
Jean-Antoine de Baïf fournit pour sa part une « Complainte de la Reine
Marie [Stuart], à Seigneur Simon Nicolas » dans ses Euvres en rimes de
1573, alors qu’elle est aux mains de sa cousine depuis cinq ans. Des lettres
et des sonnets de la plus célèbre prisonnière d’Angleterre ont déjà paru,
outre-Manche et en France, dont il n’est pas plus sûr qu’ils soient de sa
plume.
Une autre veine se fait sentir à la fin du siècle, celle des « histoires
pitoyables » susceptibles de susciter dans le lectorat des émotions sans
enjeux politiques, inspirées par des malheurs réels advenus à des personnes
particulières. Les femmes paraissant d’emblée plus émouvantes que les
hommes dans cette situation, puisqu’elles sont a priori démunies de
puissance, on les fait témoigner en priorité. Les titres manifestent cette
emphase, comme l’anonyme Histoire sanguinaire, cruelle et emerveillable
d’une femme de Cahors en Quercy, près Montaubant, qui desesperée pour
le mauvais gouvernement et menage de son mary, et pour ne pouvoir
apaiser la famine insuportable de sa famille, massacra inhumainement ses
deux petis enffans, et consecutivement sondict mary, pour lesquelz meurdres
elle fut executée à mort par ordonance de justice le 5e jour de feburier
mil VCIIIJXX trois [1583] dernier passé. Ce récit, publié à Toulouse un an
après le fait divers, est publié Avec la remontrance qu’elle fit publiquement
au dernier suplice sur le devoir des hommes mariez envers leurs femmes et
enffans. De même, la victime prend la parole dans Les Pitoyables et
Funestes Regrets de Marguerite d’Auge sur l’assassin[nat] commis par
J. Jumeau sur Claude Antoine son mary, où repentante de son adultère,
demande pardon à Dieu, et exhorte les femmes à aymer leurs marys.
Exécutez à Paris (1600) 150.
*1. Voir chap. II, « Des livres de toutes sortes, du moment qu’ils se vendent ».
*2. Voir Moyen Âge, chap. III.
*3. Voir infra, chap. II.
*4. Strophes régulières développant un propos sous forme de monologue.
*5. Poèmes de deux ou trois strophes dont une partie du premier vers revient en refrain à la
fin de chacune.
*6. Poésies strophiques susceptibles d’être mises en musique.
*7. Poésies de ton plaintif en rimes plates, sans longueur définie.
*8. Poèmes d’amour construits sur quatorze vers, selon le modèle rendu célèbre par
Pétrarque.
*9. Marguerite de Navarre raconte dans le prologue de l’Heptaméron que Catherine et
Marguerite de France avaient caressé le projet de participer à la rédaction d’un Décaméron
français — projet qu’elle seule finit par mettre en œuvre.
*10. Ce nom, devenu « vendeur », a été donné à un très grand nombre de narrations
historiques de l’Ancien Régime écrites par des gens d’un certain rang, en dépit des titres
qu’elles avaient pu recevoir de leur temps, et quelle qu’ait été la posture de leurs auteurs et
autrices.
*11. Ce mot désigne auparavant des comptes rendus de négociations ou des récits
historiques portant sur un événement ponctuel.
*12. Aujourd’hui Livre des Trois Vertus ; voir « Le Moyen Âge », chap. III et IV.
*13. Plus exactement : IEN GARDE VN LEAL, sachant que j et i ne sont alors pas distingués,
et que leal est une variante de loyal.
*14. Pour la sorcellerie, voir néanmoins chap. I, « Une épée de Damoclès suspendue sur la
tête de toutes les femmes ». Pour l’exercice du pouvoir, la seule (d’après mes observations) à
contester la loi salique est Miremont, dans la dédicace « Aux Dames » de son Apologie pour les
dames : « La France seulement, et quelque peuple inique / Banqueroute au devoir, ains qu’à sa
loi salique / Fraudant injustement ce sexe… » (in Protestations et revendications féminines.
e e
Textes oubliés et inédits sur l’éducation féminine, XVI -XVII siècle, éd. Colette H. Winn, Paris,
H. Champion, 2002, p. 109).
*15. Carnéade de Cyrène, fondateur d’une académie, était cité par Montaigne.
*16. Voir chap. précédent, « La mise en valeur des femmes fortes ».
*17. Voir infra, chap. II.
*18. C’est-à-dire lacets : métaphore du filet qui permet d’attraper le poisson.
*19. Cydippe est un personnage des Héroïdes d’Ovide, Francesca de Rimini de la Divine
Comédie de Dante.
*20. Les œuvres d’autres auteurs citant des passages d’elle.
*21. Mais il est alors anonyme. Le nom de l’autrice n’apparaîtra que dans l’édition de
1527.
*22. La « coutume de Paris », ou plus exactement d’Île-de-France, que les juristes du
Parlement de Paris tentaient d’imposer dans d’autres régions, était très défavorable aux
femmes ; elle inspirera de nombreuses dispositions du Code civil de 1804.
*23. On appelle ainsi un sonnet entièrement composé en rimes féminines.
*24. Voir infra, infra, chap. I.
Bibliographie
TEXTES
I
DES HÉRITAGES LOURDS
II
UNE PÉRIODE FAVORABLE
À L’EXPRESSION DES FEMMES
1. Cette thèse a été notamment développée par Ian McLean (The Renaissance Notion
of Woman. A Study in the Fortunes of Scholasticism and Medical Science in European
Intellectual Life, Cambridge-Londres-New York, Cambridge University Press, 1980) et
reprise par Marc Angenot, qui observe la longévité des publications pour et contre, mais
e
qui parle d’écrivains « attardés » dès la fin du XVI siècle (Les Champions des femmes.
Examen du discours sur la supériorité des femmes, 1400-1800, Montréal, Presses
universitaires du Québec, 1977).
2. Pour une vue d’ensemble de ses premiers siècles, voir les quatre volumes
Revisiter la « querelle des femmes ». Discours sur l’égalité / inégalité des sexes, de la
Renaissance aux lendemains de la Révolution, Saint-Étienne, Publications de l’Université
de Saint-Étienne, 2012-2015.
e
3. Frédéric Barbier, Histoire du livre en Occident, Paris, Armand Colin, 3 éd. 2012,
p. 141.
4. Voir Henri-Jean Martin, Roger Chartier et Jean-Pierre Vivet (dir.), Histoire de
e
l’édition française, t. I, Le Livre conquérant. Du Moyen Âge au milieu du XVII siècle,
Paris, Promodis, 1983, p. 543 (Roger Doucet, Les Bibliothèques parisiennes au
e
XVI siècle, Paris, Picard, 1956).
5. Cité par Henri-Jean Martin, Histoire et pouvoirs de l’écrit, Paris, Albin Michel,
1996 [1988], p. 323 (Albert Labarre, Le Livre dans la vie amiénoise du seizième siècle.
L’enseignement des inventaires après décès 1503-1576, Paris, Publications de la faculté
des lettres et sciences humaines de Paris-Sorbonne, 1971).
6. Voir Michel Simonin, « Trois femmes en librairie : Françoise de Louvain, Marie
Langelier, Françoise Patelé (1571-1645) », p. 149-173, et Annie Parent-Charon, « À
propos des femmes et des métiers du livre dans le Paris de la Renaissance », p. 137-148,
in Dominique de Courcelles et Carmen van Julianá (dir.), Des femmes et des livres,
e e
France et Espagne, XIV -XVII siècle, Paris, École des Chartes, 1999.
7. Sur les imprimeuses, voir Roméo Arbour, Dictionnaire des femmes libraires en
France, 1470-1870, Genève, Droz, 2003, p. 13 ; également, la thèse de Maria Grazia
e
Dalai, « Femmes imprimeuses à Lyon au XVI siècle » (université de Vérone, 2019).
8. Voir entre autres : Jean Delisle (dir.), Portraits de traductrices, Ottawa, Presses de
e
l’Université d’Ottawa, 2002 (XVII siècle et au-delà) ; Jean-Philippe Beaulieu (dir.), D’une
écriture à l’autre. Les femmes et la traduction sous l’Ancien Régime, Ottawa, Presses de
e e
l’Université d’Ottawa, 2004 (XVI -XVIII siècle) ; Andrée Lerousseau (dir.), Des femmes
e
traductrices. Entre altérité et affirmation de soi, Paris, L’Harmattan, 2013 (XIX -
e
XX siècle).
9. Henri Estienne, Traicté de la conformité du language françois avec le grec (1565),
cité par Évelyne Berriot-Salvadore, Les Femmes dans la société française de la
Renaissance, Genève, Droz, 1990, p. 343.
10. « Votre aïeule, écrit-il à son fils Paul, entendait aussi facilement que si l’on eût
parlé en français, tout ce qui se disait en latin ; et votre tante Catherine, loin d’avoir
besoin d’interprète pour comprendre cette langue, savait s’y énoncer de manière à être
parfaitement claire pour tout le monde » (Léon Feugère, Essai sur la vie et les ouvrages
d’Henri Estienne suivi d’une étude sur Scévole de Sainte-Marthe, Paris, J. Delalain, 1853,
p. 23).
11. Le système obligeant tout éditeur à signer avec l’auteur, pour chaque livre, un
contrat aux termes duquel l’auteur est rémunéré en fonction de la vente de son livre, selon
un certain pourcentage, a été mis en place à la Révolution, moment où la classe lettrée est
arrivée au pouvoir.
12. Yolande d’Aragon (1373-1442) en Anjou, Isabelle de Portugal (1398-1471) en
Bourgogne, Marie de Bourgogne (1457-1482), bru de la précédente et héritière du duché.
13. Louis avait été marié à la jeune sœur d’Anne, Jeanne de France. Leur couple
étant resté stérile (et Louis ayant fort peu fréquenté Jeanne), Anne témoigna que l’union
n’avait pas été consommée, afin de permettre son annulation, puis le remariage de Louis
avec l’héritière de Bretagne (qui aurait pu, se remariant de son côté, transmettre son
duché à une autre famille qu’à celle de France). Sacrifiée, Jeanne se fit religieuse et fonda
l’ordre de l’Annonciade (elle sera canonisée en 1950).
14. Pierre de Bourdeille, abbé de Brantôme, « Discours sur Anne de Bretagne », in
Recueil des Dames, poésies et tombeaux, éd. Étienne Vaucheret, Paris, Gallimard, coll.
Bibliothèque de la Pléiade, 1991, p. 13.
15. Voir Aubrée David-Chapy, « La “cour des dames”, d’Anne de France à Louise
de Savoie : un espace de pouvoir à la rencontre de l’éthique et du politique », in Kathleen
Wilson-Chevalier et Caroline zum Kolk (dir.), Femmes à la cour de France. Charges et
e e
fonctions (XV -XIX siècle), Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion,
2018.
16. Voir Jacqueline Boucher, Société et mentalités autour de Henri III, 4 vol., Lille,
Publications de la faculté de Lille III, 1981, t. I, p. 147 sq.
17. Voir Éliane Viennot, « La transmission du savoir-faire politique entre femmes,
d’Anne de France à Marie de Médicis », in Marie Roig Miranda (dir.), La Transmission
e e
du savoir dans l’Europe des XVI et XVII siècles, Paris, H. Champion, 2001, p. 87-98.
18. Sur les salons des années 1540 et 1550, voir notamment Richard Cooper, « Le
cercle de Lucantonio Ridolfi », in Michèle Clément et Janine Incardona (dir.),
L’Émergence littéraire des femmes à Lyon à la Renaissance, 1520-1560, Saint-Étienne,
Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2008, p. 33-42.
19. Claude La Charité, « Du Dialogo de la bella creanza de le donne (1539)
d’Alessandro Piccolomini à l’Instruction pour les jeunes dames (1572) de Marie de
Romieu, ou quand le paradoxe fait l’opinion », RHR [Réforme Humanisme Renaissance],
o
Lyon, n 53, décembre 2001, p. 103-112.
20. Catherine de Clermont, maréchale de Retz, Album de poésies (manuscrit
français 25455 de la BnF), éd. critique Colette H. Winn et François Rouget, Paris,
H. Champion, 2004. Voir également, sur le salon lui-même, l’article récent de Margarete
Zimmermann, « Le “salon” de Claude-Catherine de Clermont, maréchale de Retz, et la
e
Querelle des femmes au XVI siècle », in Armel Dubois-Nayt, Nicole Dufournaud et Anne
Paupert (dir.), Revisiter la « querelle des femmes » 3, op. cit., p. 199-212.
21. Marguerite de Valois, Album de poésies, éd. Colette H. Winn et François Rouget,
Paris, Éditions Classiques Garnier, 2009.
22. Voir Sophie Cinquin-Strobel, « Le mécénat de Marguerite de Valois au prisme
des épîtres dédicatoires : une mise en scène du moi au service de revendications
politiques ? », in Catherine Magnien et Éliane Viennot (dir.), Autrice, mécène,
inspiratrice : de Marguerite de Valois à la reine Margot, Rennes, Presses universitaires de
Rennes, 2019, p. 47-66.
23. L’hôtel de Sens, toujours visible, abrite aujourd’hui la bibliothèque Forney.
e
L’hôtel de la reine Marguerite a été démoli dès le XVII siècle ; il n’en reste plus que la
chapelle des Beaux-Arts.
24. Pierre Matthieu, Histoire de France soubs les regnes de François I, Henry II,
François II, Charles IX, Henry III, Henry IV, Louys XIII…, 2 vol., Paris, Veuve Nicolas
Buon, 1631, t. II, p. 40.
25. De même que les dames étaient responsables de la vie de la cour, elles avaient
davantage de temps que les seigneurs pour s’occuper des relations avec les artisans, les
artistes et les auteurs chargés de mettre en valeur le patrimoine monumental et l’histoire
de la famille ; voir entre autres June Hall McCash (dir.), The Cultural Patronage of
Medieval Women, Athens, Georgia, University of Georgia Press, 1995 ; Cynthia Miller
Lawrence (dir.), Women and Art in Early Modern Europe. Patrons, Collectors, and
Connoisseurs, University Park (Pennsylvania), Pennsylvania State University Press,
1997.
26. Grégoire le Grand (pape de 590 à 604) avait réuni sous ce nom trois femmes :
Marie de Magdala, disciple du Christ, délivrée par lui de sept démons ; Marie de
Béthanie, sœur de Marthe et de Lazare, qui boit les paroles de Jésus chaque fois qu’il leur
rend visite ; et une pécheresse anonyme, que Luc décrit lavant de ses larmes les pieds du
Christ et se voyant par lui promettre le pardon. Cette figure composite rassemblait donc la
sorcellerie, la dévotion et la prostitution…
27. Voir Pauline Schmitt Pantel, « Autour du traité de Plutarque Vertus de femmes
o
(Gunaikôn Aretai) », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, n 30, 2009, p. 39-60
(http://clio.revues.org/9369).
28. Voir Kathleen Wilson-Chevalier, « Art patronage and women (including
o
Habsburg) in the orbit of King Francis I », Renaissance Studies, vol. 16, n 4,
décembre 2002, p. 476 sq.
29. Voir, à ce sujet, « Marguerite de Navarre et son influence spirituelle sur les
vitraux de la cathédrale Sainte-Marie d’Auch », in Kathleen Wilson-Chevalier (dir. avec
la collab. d’Eugénie Pascal), Patronnes et mécènes en France à la Renaissance, Saint-
Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, coll. L’École du genre, 2007,
p. 321-340 ; d’autres séries de sibylles sont visibles dans les cathédrales de Beauvais et
e
d’Amiens, qui datent toutes de la première moitié du XVI siècle.
30. Voir Étienne Cartier, Essais historiques de la ville d’Amboise et de son château,
Poitiers, imprimerie de Saurin frères, 1842, p. 65, n. 4.
31. Marguerite de Valois, Album de poésies, éd. cit.
32. Sur la célébration poético-amoureuse des filles de la reine, voir Édouard Frémy,
L’Académie des derniers Valois. Académie de Poésie et de Musique, 1570-1576,
Académie du Palais, 1576-1585, d’après des documents nouveaux et inédits, Paris,
E. Leroux, 1887, p. 187 sq.
33. Voir Étienne Cartier, Essais historiques de la ville d’Amboise et de son château,
op. cit., p. 64.
34. Voir Aurore Evain, « Les reines et princesses de France, mécènes, patronnes et
e
protectrices du théâtre au XVI siècle », in Kathleen Wilson-Chevalier (dir. avec la collab.
d’Eugénie Pascal), Patronnes et mécènes en France à la Renaissance, op. cit., p. 63-64.
35. On ne sait dans quelles versions ces pièces ont été jouées. Voir Marguerite de
Valois, Correspondance (1569-1614), éd. Éliane Viennot, Paris, H. Champion, 1998,
lettre 114.
36. La Loi salique, première loi des Français est un traité anonyme sans titre datant
du début des années 1460 ; cette dénomination figurait dans l’ouvrage. Il paraît en 1488,
sous Anne de France ; il reparaîtra à diverses reprises dans le même contexte (sous Louise
de Savoie et Diane de Poitiers), avant d’être oublié au profit du grand pamphlet opposé à
Catherine de Médicis, le Discours merveilleux de la vie et déportements de la reine
Catherine de Médicis, reine mère (1574) ; l’expression lois fondamentales du royaume
figure pour la première fois dans le Droit des magistrats de Théodore de Bèze (1574).
37. Sa seconde phase a été bien étudiée par Arlette Jouanna dans Le Devoir de
révolte. La noblesse française et la gestation de l’État moderne, 1559-1661, Paris,
Fayard, 1989.
38. Voir les synthèses récentes d’Elizabeth L’Estrange, « Sainte Anne et le mécénat
d’Anne de France », in Kathleen Wilson-Chevalier (dir. avec la collab. d’Eugénie Pascal),
Patronnes et mécènes en France à la Renaissance, op. cit., p. 135-154 ; Élodie Lequain,
« Anne de France et les livres : la tradition et le pouvoir », ibid., p. 155-169.
39. Voir, outre la référence ci-dessus, Elizabeth L’Estrange, « Le mécénat d’Anne de
Bretagne », ibid., p. 169-193 ; Cynthia Brown, « Le mécénat d’Anne de Bretagne et la
politique du livre », ibid., p. 195-224.
40. Voir Mary Beth Winn, « Louise de Savoie, ses enfants et ses livres : du pouvoir
familial au pouvoir d’État », ibid., p. 251-281.
41. Barbara Stephenson, « “La protection de vostre faveur”. Le patronage humaniste
de Marguerite de Navarre », ibid., p. 319.
42. Voir notamment les six synthèses réunies dans Patronnes et mécènes en France à
la Renaissance (op. cit.) : Sheila ffolliott, « La reine mécène idéale de la Renaissance :
Catherine de Médicis définie par elle-même ou définie par les autres ? » (trad.
Jeffrey T. Chamberlain) ; Caroline zum Kolk, « Le mécénat de Catherine de Médicis
d’après sa correspondance » ; Laurent Odde, « Les coulisses du pouvoir : châteaux,
jardins et fêtes. Quelques aspects du mécénat (transgressif) de Catherine de Médicis » ;
Chantal Turbide, « Catherine de Médicis, mécène d’art contemporain : l’hôtel de la Reine
et ses collections » ; Alexandra Zvereva, « Catherine de Médicis et les portraitistes
français » ; Michèle Bimbenet-Privat, « Catherine et ses orfèvres : précision, exigence,
autorité ».
43. Les Histoires du sieur d’Aubigné [Histoire universelle], tome second, Maillé,
Jean Moussat, 1618, p. 184.
44. Édouard Frémy, L’Académie des derniers Valois, op. cit., chap. 5 (« L’Académie
du Palais, Académiciens et académiciennes »), p. 149 et 152 ; l’auteur cité entre
guillemets est Guillaume Colletet, dans sa Vie d’Antoine de Baïf ; Philippe Desportes, l’un
des poètes préférés d’Henri III et de sa sœur Marguerite, était le secrétaire de cette
académie.
45. Agrippa d’Aubigné, À mes filles touchant les femmes doctes de nostre siecle, in
Œuvres complètes, t. I, Lettres, éd. Eugène Réaume et François de Caussade, Paris,
Alphonse Lemerre, 1873, p. 448 (Œuvres, éd. Henri Weber, Jacques Balibé et Marguerite
Soulié, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1969, p. 853).
46. Pierre de Bourdeille, abbé de Brantôme, « Discours sur Marguerite, reine de
Navarre et de France » [1665], in Recueil des Dames, poésies et tombeaux, éd. Étienne
Vaucheret, op. cit., p. 119-158, ici p. 133.
47. Pierre de L’Estoile, Registre-Journal de Henri III, t. V, 1585-1587, éd. Madeleine
Lazard et Gilbert Schrenck, Genève, Droz, 2001, p. 246.
48. Pour plus de détails sur cette production, voir Helen J. Swift, Gender, Writing,
and Performance. Men Defending Women in Late Medieval France, 1440-1538, Oxford,
Clarendon Press, 2008.
49. Voir la liste (non exhaustive) des « Dictionnaires et recueils » sur le site de la
SIEFAR (http://siefar. org/dictionnaire-des-femmes-de-l-ancienne-france/dictionnaires-
anciens/).
50. Pontus de Tyard, Solitaire Premier [1552], éd. Silvio F. Baridon, Genève, Droz,
1950, p. xxi-xxiv.
51. Il est intéressant de noter qu’elle porte les mêmes noms — féminisés — que son
père, Fulvio Pellegrino Morato.
52. Sur ce salon, voir Philip Ford, « An Early French Renaissance Salon : the Morel
o
Household », Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme, vol. 28, n 1, 2004,
p. 9-20.
e
53. Voir notamment Madeleine Lazard, « Deux féministes poitevines au XVI siècle :
o
les dames des Roches », Albineana, Cahiers d’Aubigné, 1990, vol. 3, n 1, p. 143-153.
54. Déposition de Boniface VIII par les agents de Philippe le Bel (1303), élection de
Clément V sous pression française (1304), installation de la papauté à Avignon (1309-
1418), grand schisme d’Occident (1378-1417), conciles de Pise (1409), de Constance
(1414-1418), de Pavie (1423-1424), de Bâle (1431-1449)…
55. Sur le premier point, voir Nancy Lyman Roelker, « The Role of Noblewomen in
the French Reformation », Archiv für Reformationsgeschichte / Archive for Reformation
History, vol. 63, 1972, p. 181, et Roland H. Bainton, Women of the Reformation in France
and England, Boston, Beacon Press, 1975, p. 113. Sur le second, Natalie Zemon Davis,
Les Cultures du peuple, op. cit., p. 126-134.
56. Raymond A. Mentzer, « La place et le rôle des femmes dans les Églises
o
réformées », Archives de sciences sociales des religions, n 113, janvier-mars 2001,
p. 119-132, p. 110.
e
57. Sur ces femmes, voir Éliane Viennot, « Des “femmes d’État” au XVI siècle. Les
princesses de la Ligue et l’écriture de l’Histoire », in Danielle Haase-Dubosc et Éliane
Viennot (dir.), Femmes et pouvoirs sous l’Ancien Régime, Paris, Rivages, 1991, p. 77-97 ;
e
« Veuves de mère en fille au XVI siècle : le cas du clan Guise », in Nicole Pellegrin et
Colette H. Winn (dir.), Veufs, veuves et veuvage dans la France d’Ancien Régime, Paris,
H. Champion, 2003 (éd. num. Classiques Garnier Numérique / Champion Électronique,
2004).
58. Voir Barbara Diefendorf, « An Age of Gold ? Parisian Women, the Holy League
and the Roots of Catholic Renowal », in Michael Wolfe (dir.), Changing Identities in
Early Modern France, Durham, Duke University Press, 1997, p. 169-190.
III
UN MONDE NOUVEAU :
LES FEMMES ET LEURS ÉCRITS
LE DIX-SEPTIÈME SIÈCLE
UN GRAND SIÈCLE
POUR LES FEMMES AUTEURS
JOAN DEJEAN
Traduit de l’anglais (États-Unis)
Chapitre premier
DEVENIR (FEMME) AUTEUR
AU XVIIe SIÈCLE
ainsi que dans plusieurs villes de province *2. Cependant, ce qui se crée au
début du XVIIe siècle, hors de la Cour, dans des résidences parisiennes
privées, est sans précédent. Le salon devient rapidement une pratique
confirmée par l’usage, dont la longévité et l’influence n’auront d’équivalent
nulle part ailleurs.
Le premier salon de ce genre semble avoir vu le jour en 1603. Cette
année-là, Henri IV nomme Charles de Rechignevoisin, sieur des Loges,
gentilhomme ordinaire de la chambre du roi. Sa femme, Marie Bruneau,
dame des Loges (1585-1641), ouvre les portes de leur hôtel particulier de la
rue de Tournon, proche du futur palais du Luxembourg, à un type inédit
d’assemblée littéraire. Valentin Conrart, instigateur du projet de l’Académie
française, considère le salon de Madame des Loges comme « une académie
d’ordinaire 4 ». Des Loges ne doit pas seulement sa renommée à la qualité
de sa conversation ou de son érudition (elle connaît l’italien, le latin et
même le grec), mais aussi à ses écrits, en particulier à ses talents
d’épistolière. Bien que quelques-unes de ses missives se soient retrouvées
dans des recueils épistolaires, rien n’indique qu’elle en ait souhaité la
publication. D’après Conrart, « pour fuir toute vanité elle n’a jamais voulu
permettre qu’aucune de ces pièces de sa façon fût exposée au public 5 », et
c’est peut-être cette décision qui l’a justement protégée des critiques. Dans
une lettre qu’il lui adresse directement, Jean-Louis Guez de Balzac la
couvre d’éloges précisément parce qu’elle n’est pas publiée. À ses yeux,
elle n’est pas ce qu’il appelle une « femme docteur » : « Vous savez une
infinité de choses rares, mais vous n’en faites pas la savante. […] Vos livres
et vos papiers ne paraissent point […] La pédanterie n’est pas supportable
en un maître ès arts, comment le sera-t-elle en une femme 6. » Cette lettre de
1628 constitue peut-être la toute première indication des débats enflammés
qui allaient être suscités par le nouvel ascendant des femmes sur le monde
des lettres. En 1629, Des Loges et son mari quittent Paris, comme bon
nombre de protestants. En 1639, lorsqu’un retour à Paris est définitivement
inconcevable, la salonnière essuie les premiers tirs de la critique. Jean
Chapelain, dans une lettre à Guez de Balzac, l’accuse d’avoir osé « s’ériger
en écrivaine », une « affectation » qu’il juge « dégoûtante » chez une
femme 7. La formulation de Chapelain fait date : le verbe « s’ériger » et le
substantif « écrivaine », qui fait titre d’exception au XVIIe siècle (et à la
connotation toujours péjorative), vont désormais être repris chaque fois que
la présence des femmes dans la République des Lettres sera jugée
malvenue. L’hostilité de Chapelain s’explique peut-être par le
remplacement de Des Loges dans la vie littéraire parisienne par la marquise
de Rambouillet. Cette dernière se garde bien de publier ses écrits, et est
toujours soucieuse d’éviter les sujets qui fâchent, tels que la religion ou la
politique.
En 1600, âgée seulement de 12 ans, Catherine de Vivonne Savelli
(1588-1665) épouse Charles d’Angennes, futur marquis de Rambouillet. La
très jeune mariée a reçu à Rome une éducation bilingue, en français et en
italien ; elle appartient à l’une des plus éminentes familles romaines (elle
compte déjà deux papes), liée par le sang aux Médicis et aux Strozzi. À
20 ans, la marquise décide de bouder les « assemblées du Louvre »
auxquelles elle ne trouve « rien de plaisant ». Les divertissements de la
Cour ne sont tout bonnement pas à la hauteur de ses attentes et elle est
prompte à railler « le méchant ordre qu’il y a pour ces choses-là en
France 8 ». La marquise se met en devoir de faire mieux. Elle y réussit si
bien qu’en 1680, Sévigné conclura qu’à son apogée, « l’hôtel de
Rambouillet était le Louvre 9 ».
La nouvelle résidence de la marquise est un véritable chef-d’œuvre qui
contribue beaucoup au succès de son salon. La marquise conçoit elle-même
les plans de son hôtel particulier, et dans le moindre détail. Tandis que, pour
l’extérieur, elle choisit pour les revêtements et les toitures le même mélange
de brique, de pierre et d’ardoise utilisé par Henri IV pour la Place Dauphine
et la Place Royale, l’intérieur est le seul fruit de sa créativité et de son
imagination débordante. Les espaces et leur agencement sont du jamais-vu
pour les Parisiens.
Si, de l’avis de certains, la marquise a commencé à tenir des assemblées
personnelles dès 1613, elle n’imprime véritablement sa marque sur la scène
littéraire parisienne qu’à partir de 1622 environ ; à cette époque, son mari et
elle ont acquis et complètement reconstruit une demeure rue Saint-Thomas-
du-Louvre 10. La marquise laisse également libre cours à son esprit inventif
pour la conception des espaces intérieurs. De nos jours, l’aménagement des
espaces intérieurs en « enfilade » passe pour être caractéristique des palais
baroques, et l’on en impute la vogue à leurs exemples français, à Versailles
en particulier. Bien que les architectes français du XVIe siècle connaissent ce
parti, il n’est que rarement mis en œuvre… jusqu’à ce qu’une procession
d’élite intellectuelle ne commence à arpenter l’espace en « enfilade » de
l’hôtel de la marquise.
Dans les années 1660, le premier grand historien de l’architecture
parisienne, Henri Sauval, affirme que la marquise a ouvert la voie aux
futurs châteaux royaux : « les portes en enfilade de son appartement ont
servi de modèles […] à ces longues suites de portes qui sont les principales
beautés de nos châteaux et de nos palais ». C’est aussi le premier hôtel
particulier de Paris à arborer de telles hauteurs de plafond (15 pieds,
soit 4,5 mètres, dans la chambre bleue), ainsi que des fenêtres allant du sol
au plafond, ce qui, ajoute Sauval, rendent cette chambre « très gaie et
laissent jouir sans obstacle de l’air, de la vue et du plaisir du jardin 11 ».
Mais l’audace est poussée plus loin encore.
Alors que les grandes demeures de l’époque privilégient les coloris
foncés (rouges, couleurs fauves, lambris en cuir gaufré…), à Rambouillet,
la pièce maîtresse de la grande enfilade est si radicalement nouvelle, avec
ses murs couverts de « brocatelle bleue à ramages blanc et or », qu’il est
difficile pour les visiteurs de l’oublier. Les sièges sont tapissés de « velours
bleu, rehaussé d’or et d’argent », pour reprendre la description de Sauval.
La pièce est rapidement appelée la « chambre bleue », tant la couleur
choisie par la marquise est extraordinaire, à l’image de l’ensemble de sa
résidence. Au XVIIe siècle, le bleu n’apparaît que dans 1 % des demeures
parisiennes 12.
La chambre n’a pas à l’époque le sens que nous lui donnons
aujourd’hui ; ce n’est pas encore une pièce privée et elle compte une
douzaine de sièges et de « carreaux » (de larges coussins de sol) pour
recevoir les invités. C’est là qu’assise ou allongée sur un « lit de repos »,
objet tout aussi original que la couleur bleue, la marquise préside au salon
devenu le plus légendaire de tous. Pour Sauval, son influence est telle qu’il
inspire « l’amour des lettres par toute la France » ; il affirme même par la
suite : « c’est de là que l’Académie française a tiré son origine ».
Un peu plus de mérite aurait pu être accordé au salon de Des Loges :
après tout, avant même Rambouillet, c’est là que Conrart a l’idée de réunir
chez lui un groupe d’hommes de lettres, eux aussi des réguliers du salon,
qui devaient devenir les fondateurs de la première Académie du pays.
L’académie de la marquise de Rambouillet et celle de Richelieu
nourissent la même ambition quant à la langue française : remplacer le latin
dans le rôle qu’il a joué jusque-là, celui d’une langue à ce point supérieure
qu’elle serait celle de tout Européen instruit.
Le public prend connaissance des résultats de leurs discussions
communes en 1647, lorsque Claude Favre de Vaugelas, membre assidu des
deux académies, publie Remarques sur la langue française utiles à ceux qui
veulent bien parler et bien écrire, véritable manifeste en faveur de la
modernité, tant linguistique que littéraire, de la langue française. Le traité
rend également hommage à l’influence des salons et des femmes qui s’y
sont distinguées. Pour ceux qui espèrent parler et écrire un français
« parfait », Vaugelas a une solution simple : l’abandon de l’étude des
langues anciennes et de la littérature classique. Il va jusqu’à affirmer qu’il
est bon de suivre l’opinion de ceux qui s’efforcent de n’utiliser que le
français, car « ils vont tout droit à ce qu’ils ont accoutumé de dire ou
entendre dire », et qu’il convient d’imiter ceux qui vivent dans « la ville où
le Prince réside » afin de se garder de « la contagion des provinces ». Enfin,
le modèle proposé par Vaugelas attribue aux femmes un rôle au moins égal
à celui des hommes : « dans les doutes de la langue il vaut mieux pour
l’ordinaire consulter les femmes et ceux qui n’ont pas étudié que ceux qui
sont bien savants en la langue grecque et en la latine 13 ».
De 1647 à la fin du règne de Louis XIV, le manifeste de Vaugelas est
réédité au moins seize fois. Le texte devient absolument fondateur alors que
la langue française est l’objet de l’une des codifications majeures de son
histoire. Rien d’étonnant, donc, à une période où tout le monde se doit
d’avoir lu Vaugelas, si l’importance croissante de la langue française
entraîne dans son sillage de nombreuses femmes auteurs.
Sous l’action des deux académies, c’est la notion même d’auteur qui
évolue. Pour Vaugelas, beaucoup de ses contemporains sont des auteurs de
renom, « quoiqu’ils n’aient rien donné au public ». Dans son esprit, les
conversations les plus raffinées, telles que celle de la marquise,
s’apparentent à une forme de création littéraire. La définition inclut aussi,
selon lui, les auteurs dont les œuvres restent à l’état de manuscrit, sans être
imprimées.
Les académies ouvrent une troisième voie dans cette nouvelle façon
d’être auteur, sans rien « livrer au public » : l’ouvrage collectif, où la
contribution des auteurs n’est pas accompagnée de leurs noms. L’exemple
le plus célèbre reste aujourd’hui La Guirlande de Julie, regroupant quarante
poèmes manuscrits envoyés à la marquise de Rambouillet en 1641 en
l’honneur de sa fille, Julie d’Angennes. Le recueil, emblématique du type
de dialogue à l’œuvre dans les académies, se voit ainsi « signé » de
plusieurs plumes plutôt que d’une seule.
Dans le Paris du XVIIe siècle, les salons gagnent en puissance. Certaines
héritières directes de Rambouillet, telles que Madeleine de Souvré,
marquise de Sablé (1599-1678), font les premiers pas de leurs carrières
dans son salon. D’autres habituées de la chambre bleue — Marguerite
Hessein, dame de La Sablière (1636-1693), et Madeleine de Scudéry —
perpétuent la tradition jusqu’à la fin du siècle. Les auteurs trop jeunes pour
avoir connu l’âge d’or du salon de Scudéry n’en resteront pas moins fidèles
à ce modèle : le salon de Marie-Jeanne L’Héritier de Villandon (1664-
1734), inauguré en 1710, fait partie de ceux qui perpétuent cette tradition du
e *3
XVII siècle jusqu’au siècle suivant .
e
*1. Voir XVIII siècle, chap. I.
e
*2. Voir XVI siècle, « La fin de la Renaissance », « Cercles, salons et cours de femmes ».
e
*3. Voir XVIII siècle, chap. II.
Chapitre II
AMAZONES, FEMMES FORTES
ET FRONDEUSES
Gomberville 4. Puis, à la fin des années 1630 et au début des années 1640,
c’est une Amazone en chair et en os qui apparaît : Barbe d’Ernecourt, dame
de Saint-Balmon ou Saint-Baslemont (1606-1660). Le récit de ses exploits
est bientôt relayé de tous côtés.
Son mari est parti au combat sous le commandement du duc de
Lorraine, car la Lorraine est alors ravagée par la France et l’Autriche. C’est
à cheval et vêtue en homme que cette Amazone moderne décide de
défendre elle-même ses terres. Elle remporte de tels succès que nombre de
ses voisins lui demandent très vite de protéger les leurs. « Elle a toujours
l’épée au côté ; quand elle monte à cheval, elle quitte sa jupe et prend des
bottes… On ne saurait être plus vaillante qu’elle ; elle a tué ou pris de sa
main plus de 40 hommes 5 », raconte Tallemant des Réaux. Elle trouve
également le temps d’écrire des pièces de théâtre ; elle explore ainsi deux
genres alors récemment définis par Corneille avec une tragédie chrétienne,
Les Jumeaux martyrs, et une tragi-comédie, La Fille généreuse (toutes deux
en 1650). La vie exceptionnelle de Saint-Balmon inspire bientôt un volume
dédié à sa biographie, L’Amazone chrétienne, ou les Aventures de Madame
de Saint-Balmon (1678) de Jean-Marie de Vernon. Elle y est célébrée en
véritable héroïne, qui n’a rien à envier à ses homologues masculins :
« Quiconque examine attentivement la conduite de Barbe d’Ernecourt, la
peut égaler aux héros de l’antiquité, il la peut proposer pour modèle aux
plus pieux et aux plus braves. »
Ses exploits hors du commun donnent naissance à une abondante
iconographie, largement diffusée. Au début des années 1640, Claude
Deruet, un peintre lorrain connu pour ses illustrations d’Amazones
légendaires, peint le premier portrait équestre de l’aristocrate guerrière. En
1646, il finit une seconde version du tableau, cette fois monumentale
(3,74 mètres par 4,08 mètres). Le tableau reste à ce jour le plus grand
portrait d’une femme en armes dont la participation au combat n’est pas
seulement fictionnelle. Le format de la toile la destine clairement à
apparaître dans un espace public tel qu’un château royal. Vernon explique
d’ailleurs que Saint-Balmon a fait livrer le portrait à Anne d’Autriche 6 (il se
trouve de nos jours au Musée lorrain de Nancy). Le portrait de Deruet fait
de Saint-Balmon l’égale de dirigeants contemporains tels que Louis XIII :
c’est en tenue de combat complète qu’elle apparaît, sur fond de scènes de
batailles. Au milieu des années 1640, lorsque la réputation de Saint-Balmon
est à son apogée, une gravure du portrait de Deruet est exécutée par
Balthazar Moncornet et est mise en circulation. Jamais une femme bien
réelle n’avait vu un portrait célébrant ses exploits militaires connaître une
diffusion si large.
La France est alors prise d’un fol engouement pour les Amazones. Peu
après 1645, Marie de Cossé-Brissac (1621-1710), épouse du maréchal de
La Meilleraye, commande (probablement à l’artiste Charles Poerson) une
« galerie » de quinze portraits de femmes illustres pour son cabinet de
peintures privé. Parmi celles-ci, elle a retenu les trois reines des Amazones
les plus populaires — Penthésilée, Hippolyte et Antiope —, ainsi que
Sémiramis, la fameuse reine guerrière d’Assyrie, souvent représentée à
l’époque sous les traits d’une Amazone. Certains portraits sont
particulièrement saisissants : l’héroïne biblique Jaël est dépeinte marteau à
la main, en train de ficher un piquet de tente dans la tempe de Siséra ;
Judith, quant à elle, brandit à bout de bras la tête ensanglantée
d’Holopherne.
Même s’il est impossible de juger du nombre exact de femmes à s’être
engagées, cette décennie est sans doute celle qui est la plus imprégnée de
l’esprit de ces Amazones. Seule une autre d’entre elles, Catherine Meurdrac
de La Guette (1613-1676), laisse un témoignage de ses prouesses. Même si
l’on a parfois contesté l’authenticité des Mémoires de Madame de La
Guette, écrits par elle-même (1681), la personne éponyme est bien réelle,
comme l’atteste la correspondance de Sévigné. Les dernières éditions
critiques admettent aussi l’authenticité de ces mémoires. Les mémoires
dressent le portrait d’une guerrière qui affirme « mon humeur a toujours été
martiale », et qui, comme Saint-Balmon, s’habille en homme, participe aux
combats et vit en soldat au cours d’une longue succession de conflits armés.
La Guette raconte même sa rencontre avec des officiers qui, l’ayant
reconnue, lui apprennent que « dans l’armée de Lorraine on vous appelle la
Saint Ballemont [sic] de la Brie 7 ».
Les premières œuvres de la longue carrière de Scudéry et leurs années
de publication, 1641 et 1642, marquent ainsi un moment décisif pour
l’entrée des femmes dans la sphère publique. Les arguments proposés par
Scudéry dans Les Femmes illustres sont bientôt monnaie courante. À leur
suite, des déclarations bien plus audacieuses sont exprimées au grand jour
et sans retenue.
Louis XIII meurt en mai 1643. Pendant la régence, où la visibilité
politique des femmes est à son comble dans la monarchie, des publications
d’un nouveau genre voient rapidement le jour. Elles sont toutes dédiées à la
souveraine, et leurs titres ne laissent aucun doute quant à l’ère nouvelle qui
s’annonce au milieu de la longue polémique de la Querelle des femmes *1, au
cours de laquelle le postulat d’une supériorité féminine occupe largement le
devant de la scène.
La première de ces publications est signée seulement « par L.S.D.L.L. »
mais sa dédicace à la régente est signée « la Femme généreuse », ce qui, de
l’avis de certains, suggère que l’auteur est peut-être bien une femme. Le
titre de l’œuvre revendique clairement ses convictions : « La Femme
généreuse, qui montre que son sexe est plus noble, meilleur politique, plus
vaillant, plus savant, plus vertueux et plus économe que celui des
hommes ». L’auteur conclut d’ailleurs sans ambiguïté que « les femmes
surpassent [les hommes] en tout 8 ».
Suivent deux productions étonnantes, véritables chefs-d’œuvre de
l’imprimerie parisienne. Leur parution coïncide avec la mise en place de
galeries privées de portraits, telles que celle de la maréchale de La
Meilleraye. Les auteurs de ces deux ouvrages semblent offrir aux femmes
qui n’en ont autrement pas les moyens la possibilité d’avoir dans leurs
propres demeures des représentations des héroïnes Amazones.
En 1645, le moine franciscain Jacques Du Bosc publie La Femme
héroïque, ou les Héroïnes comparées avec les héros en toute sorte de vertu,
richement orné de dix-huit eaux-fortes en pleine page de François
Chauveau. Dans le volume de Du Bosc, planches d’illustration et texte
alternent pour démontrer qu’en effet, les femmes « surpassent [les hommes]
en tout ». Les illustrations de Chauveau sont placées deux par deux et en
regard. On trouve ainsi, par exemple, David sur la page de gauche, une épée
dans une main et la tête de Goliath dans l’autre, tandis que sur la page de
droite, Judith occupe la même posture, mais tenant cette fois la tête
d’Holopherne. Le duo le plus probant est sans doute celui qui montre
« Cyrus victorieux de Spargapise » en vis-à-vis de « Thomyris victorieuse
de Cyrus » 9.
Deux ans plus tard, le jésuite Pierre Le Moyne publie une galerie de
portraits encore plus remarquables, montrant cette fois exclusivement des
Amazones qu’il qualifie de « fortes ». La Gallerie des femmes fortes est
illustrée de vingt superbes planches, dessinées par Claude Vignon et
gravées par Abraham Bosse et Gilles Rousselet. Ces portraits représentent
plusieurs héroïnes qui se trouvent déjà dans le cabinet privé de la maréchale
de La Meilleraye, auxquelles s’ajoutent certaines à qui Scudéry donne la
parole dans Les Femmes illustres, ou à qui elle la donnera dans ses futurs
romans. Les artistes n’ont en aucun cas cherché à atténuer la violence qui
apparaissait dans la collection de la maréchale. Jaël, par exemple, est tout
sourire alors qu’elle s’approche de la tente de Siséra, marteau et piquet à la
main. En arrière-plan, Siséra gît sur le sol près du marteau de Jaël, la tête
ensanglantée.
1. Jahel [Jaël] in La Gallerie des femmes fortes, par le pere Le Moyne de la Compagnie
de Jesus. Quatriesme edition, reveuë & corrigée, A Paris, par la Compagnie des libraires
du Palais. M. DC. LXIII, p. 36.
L’immense succès de Le Moyne n’arrive qu’à retardement : c’est
seulement dans les années 1660 qu’il est réédité neuf fois. La première des
deux éditions de 1660 est publiée à Leyde par la famille d’imprimeurs-
libraires hollandais Elzevir. Leurs volumes reprennent en très petit format
(in-douze) l’élégant in-quarto de Le Moyne et proposent des versions à bas
prix, assez rudimentaires, des planches de l’édition originale. En 1663, la
Compagnie des libraires de Paris commence à diffuser plus largement de
modestes versions in-octavo de l’édition luxueuse de Le Moyne. Toutes ces
éditions infiniment moins coûteuses attestent la vogue du petit format, et
prouvent qu’un vaste public se plaît à contempler la violence dont font
preuve ces héroïnes.
L’auteur veille à souligner qu’il n’entend pas dicter aux femmes une
quelconque conduite, mais qu’il cherche seulement à montrer ce dont elles
sont capables. « Je dis seulement, précise-t-il, que ce droit commun qui leur
a ôté les armes ne leur a pas ôté le cœur ni coupé les mains 10. » Pour autant,
on imagine mal comment tant d’images représentant des exploits militaires
féminins avec tant de violence — surtout lorsque ces images apparaissent
de façon quasi simultanée pendant les années 1640 — aient pu être vues
comme un pur hasard.
Puis arrive la Fronde…
Pendant la guerre civile qui fait rage de 1648 à 1653, les galeries de
femmes « fortes » et « héroïques » de Du Bosc ou Le Moyne semblent
devenir une réalité. En jouant un rôle de premier plan dans le soulèvement
d’une partie de la noblesse contre la monarchie, les femmes apportent la
preuve la plus ostensible de la réalité de l’héroïsme féminin. Elles livrent
bataille et conduisent des armées, percent les défenses des villes et
défendent des bastions.
C’est en janvier 1650 que se met en place le commandement de ces
frondeuses, lorsque la reine-régente et Mazarin font arrêter les deux frères
de la duchesse de Longueville (1619-1679) — le prince de Condé et le
prince de Conti — ainsi que son mari, le duc de Longueville. La duchesse
les remplace aussitôt dans leurs fonctions, et conduit l’armée espagnole qui
marche sur Paris. Lorsque la régente et Mazarin tentent de l’emprisonner à
son tour, elle se déguise en homme, et monte à cheval comme un homme.
Elle chevauche alors plusieurs jours sans s’arrêter le long de la côte
normande ; elle dort dans des granges au milieu des bottes de foin. Elle
parvient à convaincre un pêcheur de la conduire en Hollande, d’où elle
repart aussitôt pour la France afin de retrouver ses troupes. Peu après,
résolue à libérer son mari, la princesse de Condé (1628-1694) rassemble
elle aussi des forces armées, prend la ville de Bordeaux et convainc ses
habitants de se rallier à la cause rebelle.
Par ailleurs, difficile de trouver une Amazone plus engagée et éclatante
que la cousine germaine de Louis XIV, Anne Marie Louise d’Orléans,
duchesse de Montpensier, dite la Grande Mademoiselle (1627-1693). Elle
arbore diverses tenues, toutes empruntées au vestiaire militaire masculin et,
en 1652, elle est l’héroïne des heures les plus mémorables des frondeurs. En
mars, elle s’introduit dans la ville d’Orléans par la seule entrée que
personne n’a pensé à fortifier et gagne la ville à sa cause. En juillet, alors
que les portes de Paris ont été fermées à toutes les troupes et que les forces
royales tiennent l’armée des frondeurs à l’extérieur de la ville, la Grande
Mademoiselle ordonne d’ouvrir les portes de la capitale aux troupes
rebelles 11.
Dès le début, on voit dans les frondeuses de véritables Amazones
modernes. Des pamphlets anonymes, connus sous le nom de mazarinades,
fleurissent dès que le conflit se déclare, et avant même qu’il ne finisse,
environ 6 000 mazarinades ont été publiées. Ces dernières sont le
couronnement des petits formats de l’imprimerie parisienne. Assez minces
pour être glissées dans la poche, à l’abri des regards indiscrets, pensées
pour être produites à bas prix et rapidement (du jour au lendemain si
besoin), elles sont destinées à rapporter les dernières actualités à une
population « affamée de nouvelles », aux dires d’un contemporain 12. Pour
leurs auteurs, les frondeuses constituent manifestement un sujet de choix.
Les titres de certaines mazarinades misent largement sur le modèle des
Amazones pour relater les prouesses militaires des frondeuses, comme en
témoigne L’Amazone française au secours des Parisiens, ou l’Approche des
troupes de Madame la Duchesse de Chevreuse de 1649. Leurs auteurs
anonymes qualifient souvent les diverses héroïnes de la Fronde de « reine
des Amazones » ou d’« Amazone française », ou encore de « vraie
Amazone » 13. Dans ce contexte, il ne faut pas oublier que les mazarinades
sont lues par le public le plus large que l’on puisse imaginer pour
l’imprimerie de l’époque. Un tirage de 500 à 700 exemplaires est alors jugé
plus que satisfaisant, or on estime que certaines étaient tirées à plus de
5 000 exemplaires et parfois réimprimées à plusieurs reprises. Quiconque
partageait l’opinion de Guez de Balzac sur les « femmes cavaliers » se voit
confronté à leur célébration quotidienne et à un public qui se délecte de leur
« usurpation » de prérogatives traditionnellement masculines.
En 1653, lorsque Louis XIV reprend Paris et le reste du pays en main, il
s’empresse de condamner certains frondeurs et frondeuses à l’exil. Tous
sont tenus à l’écart de la Cour, et certains n’y retrouveront jamais une place.
Dès lors, les auteurs cessent de revendiquer une quelconque égalité ou
supériorité féminine. Mais l’esprit de la Fronde et de ses Amazones va
toutefois subsister par d’autres voies.
De nombreux mémoires et journaux intimes relatent les aventures des
Amazones de la Fronde, même si leurs contemporains n’en ont pas encore
connaissance. Les souvenirs de Marie d’Orléans-Longueville, duchesse de
Nemours (1625-1707) sont intitulés Mémoires de M.L.D.D.N. contenant ce
qui s’est passé de plus particulier en France pendant la guerre de Paris
jusqu’à la prison du cardinal de Retz, arrivée en 1652, et voient le jour à
Cologne en 1709. Mais à part cet ouvrage, aucun mémoire concernant la
Fronde ne paraît du vivant du Roi-Soleil, qui préfère éviter tout rappel de
cette époque tumultueuse où la grande noblesse s’était opposée à la
monarchie et à son règne.
Personne néanmoins ne relate les aventures de ces femmes avec autant
de délectation et de détails que la Grande Mademoiselle : elle prend un
plaisir manifeste à veiller à ce que ses exploits soient reconnus à leur juste
valeur. Elle entreprend la rédaction de ses mémoires très vite après son exil
forcé à la fin du soulèvement. Mais c’est seulement en 1728, après la mort
de tous les acteurs du conflit, que son récit paraît pour la première fois ; il
sera réédité à intervalles réguliers durant tout le XVIIIe siècle.
Cependant, c’est à travers un roman que les victoires des frondeurs et
les exploits des Amazones obtiennent le succès le plus durable, et qu’ils
touchent le plus grand nombre de lecteurs. Le 9 juillet 1648, un privilège
royal est accordé pour la publication des premiers volumes d’un tout nouvel
ouvrage, et ce alors que la Fronde commence à s’avérer inéluctable en
raison des tensions grandissantes entre le parlement de Paris et la
monarchie. Un mois plus tard, l’arrestation d’un membre très estimé du
Parlement, Pierre Broussel, précipite les événements. Le 7 janvier 1649,
lorsque les deux premiers volumes d’Artamène, ou le Grand Cyrus sortent
des presses d’Augustin Courbé, la tension est à son comble dans la capitale.
Deux jours plus tôt, la Cour a quitté le Louvre et s’est réfugiée à Saint-
Germain-en-Laye, éloignant ainsi le jeune roi de Paris. Le surlendemain de
la publication, la régente ordonne aux villages avoisinants de cesser
d’approvisionner la ville, en particulier en pain. Débute alors ce qui
deviendra le « siège de Paris ». Ainsi, les premiers volumes du roman sont
rédigés durant les mois de folle effervescence qui ont suivi l’arrestation de
Broussel en août : bon nombre des rues de Paris sont bloquées par des
barricades, et 15 à 25 % des Parisiens, estime-t-on, ont pris les armes pour
défendre la ville. Leur publication en janvier 1649 coïncide également avec
la première série — sans doute la plus importante — de mazarinades. Un
des auteurs de ces pamphlets estime que pour les seuls premiers mois de
1649, quelque 3 500 mazarinades ont paru 14.
Le tout nouveau roman est vraiment aux antipodes de ces mazarinades
qui se lisent si rapidement : une fois imprimée, l’édition originale
d’Artamène compte 13 095 pages (de nos jours, l’édition en ligne se réduit
à 7 443 pages). Avec près d’un million de mots, ce roman est considéré
comme le plus long jamais publié.
Or, malgré ce caractère exceptionnel, Artamène se trouve vite pris dans
le déferlement d’écrits sur la guerre civile. Le public y voit moins un récit
de fiction que le genre de bulletin d’information politique et militaire dont il
est alors si « affamé ». Des observateurs du temps avancent même
qu’Artamène, justement parce que c’est un roman, permet à son auteur de
livrer une version plus exacte du soulèvement contre la monarchie que les
œuvres prétendument historiques. Dans sa préface, le premier traducteur
anglais d’Artamène résume l’opinion souvent exprimée à propos de
l’ouvrage : « Les intrigues et les infortunes de la guerre et de la paix sont,
souvent, mieux exposées […] dans un roman que dans une relation
véritable, qui, étant obligée de nommer les personnes, est souvent contrainte
à la partialité et à l’indulgence 15. » En d’autres termes, les romanciers n’ont
pas les mêmes contraintes que les historiens et disposent de la liberté
nécessaire pour dire la vérité sur l’histoire.
C’est exactement sous cet angle, semble-t-il, que l’auteur souhaite
qu’on lise Artamène. Sa version de l’histoire est remarquable d’abord en
raison de la place accordée aux prouesses militaires féminines. Le premier
volume commence par un long hommage à la principale chef de file de la
Fronde, la duchesse de Longueville. La dédicace n’est pas sans rappeler le
style de Du Bosc et de Le Moyne, et de leurs galeries de portraits : « Ce
vainqueur de la moitié du monde [le Grand Cyrus] croit avec raison que
votre altesse serait digne de le commander tout entier. » La dédicace évoque
ensuite rois, trônes et dynasties afin de poser la question de leur légitimité,
les « vertus militaires » de « héros dignes d’être des rois », ou encore les
héroïnes qui sont les égales de ces héros. Artamène se présente par
conséquent comme un roman des plus singuliers, dont l’intrigue a moins
pour fil conducteur des péripéties amoureuses qu’une chronique de guerres
et de batailles.
Tout comme celle des Femmes illustres, la dédicace est signée par un
homme qui se dit « serviteur » de la duchesse de Longueville. Cette fois, la
page de titre ne laisse aucun doute quant à l’identité de l’auteur du roman :
« par Monsieur de Scudéry Gouverneur de Notre Dame de la Garde ».
L’identification de l’auteur, exceptionnellement précise, est absolument
sans précédent pour le genre romanesque du XVIIe siècle, où la grande
majorité des œuvres ne fait aucune mention du nom de l’auteur en page de
titre. Cette incroyable précision n’échappe pas aux lecteurs contemporains,
y compris la duchesse de Longueville ; tous ont bien conscience qu’il s’agit
là d’un prête-nom.
Lorsque le cinquième volume sort des presses, le 15 octobre 1650, sa
dédicataire tente d’échapper aux forces loyalistes. Après sa fuite
spectaculaire en Hollande, amplement documentée, la duchesse de
Longueville a temporairement établi son camp à Stenay, d’où elle mène des
négociations avec les Espagnols. Le dernier volet des aventures d’Artamène
avait tant bien que mal réussi à se frayer un chemin à travers les zones de
combat et les divers points de contrôle : le 22 décembre, l’exemplaire que
Madeleine de Scudéry destinait spécialement à la plus éminente des
Amazones de France arrive enfin à Stenay. Le 30 décembre, la duchesse
prend la plume pour remercier personnellement l’auteur : « [V]os ouvrages
adoucissent si agréablement l’ennui de ma vie présente que je vous dois
quasi d’aussi grands remerciements là-dessus que sur la solide obligation
que je vous ai de n’avoir pas changé pour moi avec la fortune. » Comme
Jean-François Sarasin, écrivain et ami de Scudéry, s’empresse de l’en
informer, « depuis huit jours, qu’on a apporté ici la 5e partie de ses
aventures, […] ces personnes ont toujours été du petit coucher […] on ne
les a interrompues que par des acclamations et des louanges ». Ainsi, en
1650, une alliance insolite est solidement mise en place : le plus long roman
de la littérature est devenu le livre de chevet des chefs de file d’une
insurrection contre la Couronne. Ceux qui se sont engagés dans la lutte
disent eux-mêmes voir en Artamène une chronique de leurs propres
aventures. En pleine Fronde, une gazette termine même son compte rendu
des nouvelles du jour en notant « comme l’on voit dans une histoire du très
beau roman de Cyrus 16 ».
Sarasin le premier reconnaît que personne ne se serait attendu à une
telle situation. « Rien n’est si contraire au bel esprit que la guerre civile »,
confie-t-il à Scudéry elle-même, « […] les muses ne suivent pas les
armées », et ceux avec qui la duchesse négocie « ne sont pas des gens de
l’Académie 17 ». Qu’importe, Artamène suscite partout le même
enthousiasme qu’à Stenay en décembre 1650. Du début à la fin de la guerre
civile, pour les frondeurs comme pour ceux qui attendent les dernières
nouvelles de leurs exploits, le roman de Scudéry reste incontournable, et
semble avoir été pensé par l’auteur et l’imprimeur pour ce public épris
d’action militaire.
2. Artamène, ou le Grand Cyrus… par Mr de Scudery…
Première partie, Paris, A. Courbé, 1654, p. 64 et 65.
La mise en page d’Artamène est typique de celle utilisée par les
imprimeurs pour les œuvres de fiction jusqu’à la fin des années 1660 : le
premier paragraphe du roman s’étale sur 65 pages, et lorsque le texte est
interrompu, ce n’est pas pour commencer un nouveau paragraphe, mais
pour insérer une lettre entière. Cette mise en page compacte est
particulièrement adaptée à ce type d’œuvre romanesque : Le Grand Cyrus
privilégie l’action et les rebondissements, et non l’intériorité ou la réflexion.
Artamène est un véritable roman d’action où le lecteur, tenu en haleine, est
encouragé à ne pas interrompre sa lecture.
Alors qu’en 1642, Courbé avait publié Les Femmes illustres en in-
quarto, il choisit cette fois un format plus petit, l’in-octavo. Mais les
volumes d’Artamène comptent un si grand nombre de pages que leur
épaisseur ne permet pas de les transporter facilement ou de les glisser dans
la poche. Cependant, l’apparition d’une œuvre de Scudéry dans un format
plus moderne marque une étape importante pour le roman, car elle laisse
présager que ce sont désormais des volumes de taille moins importante qui
permettront de cibler un plus vaste public.
Pour ne pas perdre l’attention d’un auditoire passionné par les questions
militaires, et pour assurer qu’il s’agit bien d’une chronique historique en
temps réel, Scudéry respecte avec rigueur l’échéancier qu’elle s’est
assigné : les premiers volumes étaient entre les mains des lecteurs six mois
seulement après le début de son projet. Tout au long de la guerre civile, les
volumes épais relatant les exploits du Grand Cyrus se succèdent tous les six
mois environ. C’est un rythme de production très rapide pour un roman,
même si l’on est loin de la parution quasi instantanée des mazarinades. Le
public y est sensible, et voit en Artamène une fiction très proche des
événements en cours.
Dans l’« avis aux lecteurs » qui ouvre le troisième volume, l’auteur
explique qu’elle avait initialement prévu de publier les volumes deux à
deux, mais que, cédant à l’impatience du public, elle décide de faire paraître
le troisième volume sans attendre le quatrième. En effet, le troisième
volume sort des presses en même temps que les deux premiers, le
7 décembre 1649. Autrement dit, Scudéry a réussi à composer trois volumes
de 600 ou 800 pages chacun en seulement six mois. De plus, elle ne fait pas
languir ses lecteurs : le quatrième volume paraît le 15 mars 1650. À ce
moment-là, la duchesse de Longueville, à qui chaque tome est
systématiquement dédié, est déjà en fuite et tente désespérément de
rejoindre la Hollande.
Les parutions se succèdent sans relâche, et sept mois plus tard, en
octobre, le cinquième volume est disponible ; la sixième livraison quitte les
presses de Courbé le 12 avril 1651. Du début à la fin, Scudéry ne laisse
aucun doute quant au modèle du héros de son roman, le général le plus
éminent des frondeurs, Louis II de Bourbon, prince de Condé. Dans le
premier volume, Artamène entre en scène « l’épée à la main droite et le
bouclier à la gauche » et à la tête d’une armée de 4 000 hommes. Le Grand
Cyrus est décrit comme « le preneur de villes et le gagneur des batailles »,
une description que Scudéry utilise systématiquement dans sa
correspondance au sujet du « Grand Condé 18 ». Le rapprochement est de
plus en plus clair au fil des volumes. Contemporains de la Fronde, et avec
les splendides illustrations de François Chauveau à l’esprit, les premiers
lecteurs ne manquent pas de voir la fiction de Scudéry comme un grand
roman politique.
Le quatrième volume est à cet égard un exemple particulièrement
parlant. Un des frontispices de Chauveau représente une conversation entre
deux femmes et un homme. L’homme, derrière les barreaux, est prisonnier
dans la tour d’une vaste forteresse en pierre. Le volume atterrit dans les
mains du prince de Condé alors qu’il est justement prisonnier du château
qui a très bien pu inspirer Chauveau, le château de Vincennes. Dans les
pages suivantes, Cyrus s’inquiète du sort de l’héroïne, Mandane. Le modèle
qui a inspiré cette dernière est lui aussi tout à fait clair. Il s’agit de la sœur
de Condé, la duchesse de Longueville, qui est bien sûr en exil. Personne ne
sachant où elle se trouve, ou si elle a réussi à échapper à l’arrestation, on
suit passionnément les dernières aventures de l’héroïne. Cyrus apprend
rapidement que Mandane s’est réfugiée à Éphèse et est désormais hors de
danger. Peu de temps après avoir imaginé l’évasion de son héroïne fictive,
Scudéry donne dans sa correspondance du 22 février 1650 les dernières
nouvelles de la fuite de Longueville. Ainsi, de volume en volume, Scudéry
invente une intrigue susceptible d’être lue à la lumière des péripéties de la
guerre civile.
Impossible d’être prise au sérieux par les combattants si l’œuvre ne fait
pas preuve d’une exactitude parfaite. La correspondance de Scudéry
préfigure ainsi celle de Sévigné, une véritable journaliste avant l’heure qui
cherche toujours à être au courant de la moindre nouvelle. Par exemple, dès
que les princes quittent Vincennes, Scudéry se rend au château pour se
rendre compte en personne de leurs conditions de détention. Quant aux
combats militaires de Cyrus, réputés pour être des victoires éclair, Scudéry
disposait d’informateurs. Pour chaque bataille flamboyante d’Artamène,
elle recrée l’une des grandes victoires de Condé, de sa préparation à la mise
en place des stratégies qui devaient assurer sa victoire. Chaque fois, son
récit est bien plus détaillé et bien plus fidèle à la réalité que ne le sont les
descriptions contemporaines, supposément historiques, y compris celles qui
sont officiellement validées, comme celles de La Gazette.
Des détails clefs qui apparaissent dans sa description des combats
indiquent qu’une personne proche des Condé lui communiquait le seul
compte rendu véritable des batailles, ainsi que des documents issus des
archives de cette famille — des documents qui ne seront imprimés et
accessibles que plus tard, au XVIIIe siècle. Ainsi, les grandes batailles
militaires d’Artamène / Cyrus sont pour l’essentiel des reconstitutions des
plus grandes victoires du Grand Condé 19. Pendant la rédaction de son
roman, Scudéry est régulièrement en contact avec le secrétaire du prince de
Conti, Jean-François Sarasin. À n’en pas douter, il devait lui communiquer
les manuscrits des archives familiales.
Cependant, il ne faut pas voir en Artamène une défense inconditionnelle
des frondeurs et de leur cause. Le roman comme la correspondance de
Scudéry attestent d’une double allégeance, à la fois à la monarchie et à la
famille de Condé. Si les princes rebelles ont toute son admiration et sa
sympathie, Scudéry semble ne jamais douter de la victoire finale des forces
royales. Elle prédit d’ailleurs les conséquences à long terme de ce
renversement provisoire de l’ordre, et la suite des événements lui donnera
largement raison. En mars 1651, après que les Parisiens ont dressé des
barricades autour du Palais-Royal pour empêcher Louis XIV et Anne
d’Autriche de rejoindre Mazarin à Saint-Germain-en-Laye, elle note : « car
enfin ce pauvre jeune Roi est présentement plus prisonnier qu’eux », et elle
ajoute : « Le Roi semble haïr tous ceux qui veulent abaisser son autorité, et,
selon toutes les apparences, il se souviendra longtemps de tout ce qu’on lui
fait aujourd’hui. »
Alors même qu’elle écrit ces lignes, Courbé finit d’imprimer le sixième
volume d’Artamène. Mais avant que le suivant ne paraisse se produit un
événement qui marque un tournant dans l’histoire de France : le
7 septembre 1651, Louis XIV devient officiellement majeur. Le septième
volume, qui sort des presses le 15 novembre, vérifie les prédictions de
Scudéry quant à l’avènement royal et la signification d’une nouvelle ère.
Tandis que les péripéties s’enchaînaient sans relâche dans les six premiers
volumes, le septième témoigne du premier changement radical dans le style
romanesque de Scudéry. Elle introduit en effet un nouvel élément au cœur
du récit, à savoir les dialogues, qui allaient d’ailleurs devenir sa signature
dans les décennies suivantes. Dans la conversation telle que l’entend
Scudéry, plusieurs personnages se réunissent pour débattre d’un sujet
donné. Le plus souvent, c’est un aspect bien précis des relations
amoureuses, dont le lien avec l’intrigue principale n’est que très
approximatif. Ces conversations indiquent que Scudéry s’éloigne peu à peu
des péripéties militaires qui étaient au cœur de ses romans pour se
concentrer sur les intrigues amoureuses, jusque-là secondaires. Désormais,
sa fiction porte moins sur l’action que sur la dimension psychologique.
C’est là un tournant décisif dans l’histoire du roman français du XVIIe siècle.
Les dernières parties de l’œuvre coïncident avec les dénouements et
l’épilogue de la Fronde. Les neuf mois qui séparent la publication du
septième de celle du huitième volume en août 1652 sont le théâtre de
quelques-uns des plus violents conflits. Les forces rebelles menées par
Condé affrontent les troupes royales conduites par Turenne dans un combat
spectaculaire. Montpensier s’empare de la ville d’Orléans et orchestre
depuis une tour de la Bastille l’entrée des troupes de Condé dans la capitale.
Quatre jours après la parution du huitième volume, Mazarin s’enfuit.
Mais la victoire des frondeurs est de courte durée. Le 15 février 1653,
lorsque l’impression de la neuvième partie est terminée, Condé a quitté
Paris, Louis XIV a triomphalement remis la main sur sa capitale et Mazarin
est de retour. Composé alors que la rébellion approche de sa défaite, ce
nouveau volume marque la fin de l’âge des Amazones pour les femmes
auteurs. Il marque également la fin de la prédominance de l’action dans les
fictions de Scudéry.
Le dixième et dernier volume d’Artamène est le seul à être composé
sous le pouvoir désormais presque incontesté de la monarchie. Il paraît en
septembre 1653. Dans cet ultime volume, la romancière offre à ses lecteurs
beaucoup plus qu’une conclusion aux aventures de Cyrus et Mandane.
Désormais, au lieu de mettre en exergue le rôle des femmes sur le champ de
bataille et dans la sphère publique, le roman portera toute son attention sur
la sphère privée et sur une question déjà soulevée dans Les Femmes
illustres : comment les femmes peuvent-elles occuper une place de choix
dans « les beaux arts, les belles lettres et […] toutes les choses dont [leur]
esprit est capable » ? Au terme de neuf parties consacrées à des personnages
qui livrent bataille et traversent des continents entiers, et alors que des
milliers de pages semblaient conduire Artamène à un dénouement attendu
pour un roman au XVIIe siècle, à savoir le mariage, Scudéry change
radicalement de cap.
Pour ce faire, elle se tourne une fois encore vers celle qui lui avait
permis de terminer Les Femmes illustres en encourageant la formation
intellectuelle des femmes, Sapho. Dès le premier volume d’Artamène,
Sapho est certes mentionnée, mais elle ne fait que passer. Dans le volume
final, au contraire, Scudéry place Sapho sur le devant de la scène, puisque
pas moins de 700 pages sont dédiées à l’« Histoire de Sapho ». Scudéry
offre non seulement une des premières biographies de Sapho depuis
l’Antiquité, mais aussi un avant-goût du nouveau roman sur lequel elle
travaille en parallèle.
Le dernier frontispice que François Chauveau a créé pour Artamène
n’aurait pas déparé dans la galerie de femmes fortes parue au cours de la
décennie précédente. Une guerrière, en armes et en tenue de combat, est au
centre de la gravure ; un soldat, agenouillé à ses pieds, offre à son
admiration la tête tranchée d’un ennemi. Quelques pages après avoir
contemplé l’image de cette guerrière, les lecteurs suivent l’arrivée des
personnages du roman au pays des Sauromates, territoire des Amazones
selon Hérodote. Mais Artamène ne se termine pas par les aventures d’une
nouvelle Amazone française, comme on aurait pu s’y attendre.
En effet, nulle femme guerrière n’habite le pays des Sauromates selon
Scudéry. Au contraire, le roman se conclut sur une vision idéale des
lendemains d’une guerre civile : « Il se fit un soulèvement si grand et subit
parmi ces peuples qu’il fallait en venir aux armes. » Dans la fiction de
Scudéry, le soulèvement est tel que « le prince des Sauromates fut
constraint de faire la paix » et d’accepter les termes dictés par ceux qui se
sont dressés contre son gouvernement. Les chefs de file de la rébellion
contraignent avant tout le monarque à « souffrir dans le cœur de son état un
autre petit état 20 ». Ceux que Scudéry nomme « les nouveaux Sauromates »
décident de dévaster les terres qui entourent leur État autonome, un
territoire si vaste qu’il faut au moins deux ou trois jours pour en atteindre
les limites. Grâce aux terres à jamais ravagées de ce véritable no man’s
land, les Sauromates espèrent garantir la pérennité de leurs « lois
particulières » et les prévenir de toute corruption.
Sous la plume de Scudéry, le pays des Amazones d’Hérodote devient
une sorte d’utopie révolutionnaire, un royaume gouverné par une reine et où
les règles sont dictées par les femmes, en particulier celles qui codifient les
rapports entre les sexes : « On y a même fait des loix particulières pour
l’amour. » L’« inconstance », par exemple, constitue un tel crime qu’« il y a
des punitions pour les amants infidèles ». Scudéry porte le plus grand soin à
l’élaboration des lois qui gouvernent le mariage, et ces « lois particulières »
sont absolument centrales à sa biographie de Sapho.
Scudéry avait bien conscience des légendes inventées dans l’Antiquité
au sujet de Sapho, et qui avaient fini par être présentées comme un récit
véridique de sa vie. Dans « Histoire de Sapho », Scudéry s’éloigne de tous
les modèles précédents, notamment celui des Epistulae Heroidum. Chez
Ovide, ne répondant pas à son amour, Sapho, délaissée par son amant
Phaon, choisit de se suicider en se jetant d’une falaise.
La Sapho de Scudéry est tout l’inverse de son modèle ovidien. Son sort
(personnel comme professionnel) est entièrement dans ses mains. Elle
décide de se « retirer » de son île natale, Lesbos, afin de fuir les rumeurs et
les affabulations qui sont le contre-coup de son succès. Elle choisit de
s’installer au pays des nouveaux Sauromates en raison de la « liberté »
qu’elle y trouve, en particulier celle de ne pas se marier. S’ensuit une
longue critique du mariage et de ses dangers pour les femmes. C’est avec
« haine » que Sapho regarde l’institution du mariage, qu’elle décrit comme
« un long esclavage ». Les hommes, explique-t-elle, dès lors qu’ils
deviennent maris, deviennent « comme des maîtres si propres à devenir
tyrans ». Trop souvent, ajoute-t-elle, ils « ne regardent les femmes que
comme les premières esclaves de leurs maisons ».
Sapho autorise Phaon à l’accompagner dans son voyage, à la condition
qu’il accepte « la certitude de ne l’épouser jamais », car, insiste-t-elle,
« pour s’aimer toujours avec une égale ardeur, il [faut] ne s’épouser
jamais ». Libre des chaînes de l’« esclavage » du mariage et réfugiée dans
un univers utopique protégé du monde extérieur, la Sapho de Scudéry
trouve la liberté de consacrer sa vie à l’écriture.
Jusqu’au dernier volume, Artamène est en page de titre par « M. de
Scudéry ». Les critiques de l’époque parlent toujours du roman comme
celui de Madeleine de Scudéry — ses détracteurs comme ses admirateurs.
Certains critiques du XXe siècle ont cependant contesté cette attribution.
Antoine Adam, par exemple, dit avoir eu « l’impression », en lisant
Artamène, que Georges est à l’origine le seul auteur, et que Madeleine a
progressivement pris le relais au fil des volumes. D’autres estiment qu’en
raison de son expérience dans l’armée Georges est le seul à qui revient la
description détaillée des scènes de bataille 21. L’hypothèse est peu
convaincante, étant donné que Victor Cousin a démontré, preuves à l’appui,
que Madeleine avait accès aux récits de témoins des combats qui inspirèrent
ses scènes de fiction. Pourquoi, tout simplement, ne pas prendre Madeleine
de Scudéry au mot, et accepter le fait qu’elle ait rédigé le plus long roman
jamais publié ? Si elle choisit de ne jamais apposer son nom sur une page de
titre, c’est peut-être qu’elle craint la réaction de certains de ses
contemporains qui s’indignent à l’idée de voir des femmes revendiquer leur
statut d’auteur. Après la mort de son frère en 1667, sa correspondance
privée montre bien qu’elle a tout d’un auteur.
Un échange de lettres avec Pierre Daniel Huet en 1670 en est un parfait
exemple. Huet est le plus grand spécialiste de l’Antiquité de l’époque. Dans
son tout récent Traité de l’origine des romans, Huet lève le voile sur les
romans qu’« une fille, autant illustre par sa modestie que par son mérite,
avait mis au jour sous un nom emprunté », et précise : « Enfin le temps lui a
rendu la justice qu’elle s’était refusée, et nous a appris que L’Illustre Bassa,
Le Grand Cyrus et Clélie sont les ouvrages de mademoiselle de Scudéry. »
Peu après la parution du traité en novembre, Scudéry écrit à l’auteur et
raconte combien le Traité est couvert d’éloges. Or cela aurait été l’occasion
idéale de mettre les choses au clair et de revendiquer la participation de
Georges, ou bien de réfuter les révélations de Huet. Mais Scudéry ne dit pas
un mot à ce sujet. En revanche, elle s’oppose sans détour à l’une de ses
remarques.
Huet reproche en effet aux romans d’entretenir le lectorat féminin dans
son « ignorance » car, affirme-t-il, les femmes lisent ce genre de fiction aux
dépens du reste, notamment des livres d’histoire. Scudéry conteste
vivement cette « accusation » : « Comme l’histoire […] est mêlée aux
romans dont la scène est tirée de l’Antiquité, les femmes qui ont de l’esprit
doivent raisonnablement chercher à lire les originaux de ces sortes de
choses dont elles trouvent des passages dans les romans. » Pour preuve, elle
donne l’exemple d’une « amie qui n’eût jamais connu Xénophon ni
Hérodote, si elle n’eût jamais lu le Cyrus, et qui en le lisant s’[était]
accoutumée à aimer l’histoire 22 ».
Les remarques de Scudéry montrent bien qu’elle envisage son roman de
la même façon que Les Femmes illustres : il a pour but d’instruire, et elle
entend fournir des lectures sérieuses à cette nouvelle classe de femmes qui
disposent de temps libre. Cet objectif explique le sérieux avec lequel
Scudéry documente ses fictions. Dans les nombreuses préfaces et adresses
« au lecteur » au début de chaque volume d’Artamène, Scudéry cite avec
soin les sources classiques dont elle s’est inspirée pour modeler ses
personnages et leurs aventures, en particulier Hérodote et Xénophon. Aucun
critique de l’époque ne songe à déprécier le travail de recherche de Scudéry,
et l’on admire réellement l’érudition de son œuvre. En 1733 par exemple,
« Histoire de Sapho » reçoit les louanges d’un des premiers grands experts
de Sapho, Christian Wolff. Et, en effet, tous les aspects importants de la vie
de l’héroïne de Scudéry apparaissent déjà dans l’Antiquité, chez un de ses
premiers biographes 23.
Diffusé dans toute l’Europe, Artamène est sans doute le succès le plus
fulgurant de la littérature française de la première moitié du XVIIe siècle.
L’édition originale s’écoule si vite qu’Augustin Courbé réimprime presque
aussitôt les premiers volumes. Dès 1650, il faut réimprimer les trois
premiers volumes, puis encore une fois les deux premiers en 1654 — et ce
n’est là que le début. Lorsque paraît le dixième volume, le roman compte
déjà cinq éditions au moins. Il est difficile de connaître le nombre exact des
réimpressions car les éditions qui ont survécu sont presque toujours
hybrides, c’est-à-dire composés de volumes provenant d’impressions
différentes. Pour donner un ordre de comparaison, la Phèdre de Racine,
infiniment plus courte, et plus célèbre aujourd’hui que le roman de Scudéry,
n’a bénéficié de son côté que de trois réimpressions entre sa première
édition de 1677 et la fin du XVIIe siècle. Les chiffres exacts des tirages du
e
XVII siècle ne nous sont pas parvenus, mais les efforts de Courbé pour
répondre à la demande ainsi que le nombre et la rapidité des rééditions
indiquent que le roman enregistre d’emblée des ventes sans précédent, sans
compter les traductions.
Dès 1653-1655, le roman monumental est disponible en anglais. On
s’arrache la traduction, qui est par conséquent révisée et réimprimée.
D’autres traductions exigent plus de temps, mais on peut bientôt se procurer
Artamène en espagnol, en allemand, en italien, et même en arabe. Aucune
autre œuvre du XVIIe siècle ne connaît une diffusion d’une telle ampleur :
Artamène annonce les succès de librairie du XVIIIe siècle, lorsque le français
sera devenu une langue « universelle ».
À l’étranger, c’est en Angleterre qu’Artamène connaît le plus grand
succès. La publication du roman coïncide avec la troisième guerre civile
anglaise (1649-1651) : cette fois encore, le public voit dans l’œuvre de
Scudéry un commentaire des événements en cours. Pour ne donner qu’un
exemple, de 1652 à 1654, Dorothy Osborne, partisane royaliste de
Charles II, dévore chaque tome dès sa publication. Elle envoie ensuite les
volumes à son prétendant William Temple, au service du Commonwealth à
Londres. Ses lettres font aussi bien le commentaire des événements
fictionnels que de ceux de la véritable guerre. Artamène se fraye ainsi un
chemin, une nouvelle fois, à travers une guerre civile et toutes ses zones
sous surveillance.
La popularité du roman outre-Manche ne s’arrête pas avec l’exil de
Charles II en France. Le 7 décembre 1660, Samuel Pepys confie dans son
Journal que sa femme et lui restaient à lire Artamène « till 12 at night, and
so to bed ». En 1711, Joseph Addison déclare dans le périodique The
Spectator que toute femme élégante se doit d’avoir le roman de Scudéry
dans sa bibliothèque. Encore en 1716, Alexander Pope recommande « les
cinq volumes du Grand Cyrus » à Martha Blount (dont il était peut-être
amoureux) et les lui envoie. Walter Scott insiste sur le fait que l’on lit
toujours le roman en Angleterre dans les années 1730. Scott savait bien ce
dont il parlait, puisqu’il fait référence à Artamène dans ses propres romans,
et que certains épisodes clés d’Ivanhoe (1820) sont directement inspirés des
aventures de Cyrus 24.
L’abondance d’informations disponibles sur les lecteurs anglais
d’Artamène révèle d’abord que l’intuition de Scudéry quant à son public ne
l’a pas trompée et qu’elle joue un rôle particulièrement important auprès
des lectrices. Cela montre aussi que l’on continue à lire Scudéry à la
période la plus décisive dans l’évolution du roman anglais. Elle est la
première femme auteur à exercer une telle influence, et figure parmi les
quelques Françaises appelées à jouer un tel rôle dans la formation du roman
anglais moderne.
Bizarrement, on dispose de beaucoup moins d’informations sur le
lectorat d’Artamène en France au cours des décennies qui suivent sa
première édition. Mais une chose est sûre : lorsque des critiques tels que
Boileau déclarent que ses romans sont « oubliés » une dizaine d’années
après leur parution, l’argument se révèle infondé. En 1770, par exemple, la
« Nouvelle bibliothèque de campagne », qui propose une anthologie des
« meilleurs romans, tant anciens que modernes », publie un épisode
d’Artamène aux côtés de passages de romans bien plus récents comme ceux
de Prévost.
Une telle longévité et une influence si considérable ont peut-être joué
un rôle de catalyseur dans la violente réaction contre les intellectuelles. Au
lendemain de la Fronde, l’hostilité contre les écrits féminins, qui était restée
relativement latente depuis les années 1620, devient patente et se répand de
plus en plus. La cible de cette extraordinaire animosité est le nouveau
roman de Scudéry, Clélie.
Dans l’année qui s’écoule entre la dernière livraison d’Artamène et la
parution du premier volume de Clélie en août 1654, la vie de Scudéry
change du tout au tout. Pour la première fois, elle vit seule, et dans des
conditions inouïes. Elle vit non seulement en un lieu dont elle rêvait, mais
aussi dans une demeure qu’elle conservera jusqu’à la fin de ses jours. À
45 ans, elle jouit pour la première fois d’une indépendance, d’une stabilité
financière et d’une maîtrise de son cadre de vie exceptionnelles pour un
auteur de son époque qui n’appartient ni à la haute aristocratie ni à un
milieu extrêmement aisé — pour une femme auteur, c’était presque
inimaginable. La Fronde n’est pas synonyme de prospérité financière,
surtout pour Georges de Scudéry, qui perd en 1647 sa charge de gouverneur
de Notre-Dame-de-la-Garde à Marseille. Les métamorphoses du sort de
Madeleine de Scudéry en 1653-1654 ont une explication très simple :
l’extraordinaire succès commercial d’Artamène, ou le Grand Cyrus.
Pour s’établir en titre de savantes, les femmes se sont avisées […] de refuser
l’usage reçu en blâmant les formes communes […] Elles ont voulu imiter parmi elles
ces nobles et illustres assemblées […] où l’on rend si solennellement justice aux belles
pensées et bons mots. Et enfin elles ont inventé un nom de gloire […] Elles s’appellent
précieuses et […] tiennent des assemblées […] donnent leurs sentiments des ouvrages
16
d’autrui .
Ces sortes de femmes appelées précieuses, après avoir été dans les ténèbres et
n’avoir jugé des vers et de la prose qu’en secret, commencèrent à le faire en
public […] Cette puissance qu’alors elles usurpèrent, s’est depuis augmentée et elles
ont porté si loin leur empire […] [qu’] elles ont voulu se mêler elles-mêmes à
écrire […] Et on les a vu faire un nouveau langage et donner à notre langue cent
façons de parler qui n’avaient point encore vu le jour.
Le respect que l’on doit à l’illustre nom qui est à la tête de ce livre, et la
considération que l’on doit avoir pour les éminentes personnes qui sont descendues de
ceux qui l’ont porté, m’oblige à dire […] en donnant cette histoire au public, qu’elle
n’est tirée d’aucun manuscrit qui nous soit demeuré du temps des personnes dont elle
parle. L’auteur ayant voulu […] écrire des aventures inventées au plaisir a jugé plus à
15
propos de prendre des noms connus dans nos histoires .
Celle qui est sans doute la plus illustre femme auteur de la tradition
française est restée dans l’histoire littéraire sous le nom de « Madame de
Lafayette ». Du vivant de l’auteur, ce nom ne correspond ni à son état civil,
ni à ses noms d’auteur. Or Lafayette, tout comme Villedieu, porte une
attention toute particulière aux noms sous lesquels elle apparaît.
En décembre 1650, sa mère, veuve depuis peu, épouse Renaud René,
chevalier de Sévigné. Ce dernier n’est autre que celui qui, quelques années
plus tard, utilise pour la première fois le nouveau mot « précieuse ».
Sévigné est l’oncle par alliance de Marie de Rabutin-Chantal, l’amie la plus
proche de la belle-fille aînée du chevalier, Marie-Madeleine.
En mai 1651, Marie-Madeleine manifeste déjà l’autonomie juridique
exceptionnelle qui la caractérise tout au long de sa vie. La majorité est alors
fixée à vingt-cinq ans ; mais à tout juste dix-sept, elle est déjà « fille
émancipée, jouissant de ses biens et droits ». Elle se passe ainsi de
l’autorisation d’un tuteur. Elle est dans une position quasi inconcevable
pour une jeune fille de son âge, toutes époques et sociétés confondues : elle
est seule en charge des biens immobiliers considérables légués par son père.
Cette « fille émancipée » ne tarde pas à s’affirmer également sur la scène
littéraire.
En décembre 1654, elle écrit à Gilles Ménage, l’érudit avec qui elle
s’entretient de questions intellectuelles, notamment au sujet de l’étude des
langues (Lafayette lit et écrit couramment l’italien et l’espagnol ; elle
maîtrise aussi le latin et étudie le grec et l’hébreu). Elle remercie Ménage de
lui avoir procuré la première partie de Clélie peu après sa sortie le 31 août
1654. Elle dit l’avoir lu « avec tout le plaisir imaginable 1 ». Le deuxième
tome n’est pas encore imprimé que la jeune femme entre déjà dans la vie
adulte.
Le 14 février 1655, son contrat de mariage avec le comte de Lafayette
est signé. On trouve parmi ses témoins « dame Marie de Rabutin de
Chantal », déjà « veuve du […] marquis de Sévigné », décrite comme
l’« alliée d’icelle demoiselle » 2. Ce mariage avec un comte est une union
spectaculaire pour la fille de l’ingénieur Marc Pioche, spécialiste en
fortifications, qui a collaboré à des constructions telles que celle de l’hôtel
particulier de ses amis le marquis et la marquise de Rambouillet.
L’ascension sociale de la famille avait été soigneusement préparée par ses
parents : leurs nombreux investissements (majoritairement immobiliers)
permettent de garantir à leur fille aînée une dot de 150 000 livres. Les deux
cadettes, quant à elles, entrent au couvent ; cette stratégie, répandue à
l’époque, permettait de doter richement l’aînée.
Le jeune couple quitte bientôt Paris pour se rendre sur les terres du
comte, à Espinasse, dans le Bourbonnais (l’Allier). À peine arrivée, la
comtesse écrit le 27 août à Ménage ; la lettre sera suivie de plusieurs autres,
de plus en plus pressantes. Elle vient d’apprendre que le deuxième volume
de Clélie est sur le point de paraître : « Mandez-moi combien de temps il
faut que je me résolve à la patience », écrit-elle. L’impression est achevée le
15 septembre. Trois jours plus tard, la jeune mariée supplie déjà : « Je vous
conjure d’employer votre crédit auprès de Mademoiselle de Scudéry pour
obtenir ce tome. » Son impatience à recevoir chaque nouveau volume ne
faiblira pas. Le 23 janvier 1657, « sentant venir » le tome VI, elle
renouvelle ses requêtes : l’impression est terminée le 15 février, et le 6 mars
elle dit attendre « Clélie avec toute l’impatience que j’ai accoutumé d’avoir
pour elle ».
Durant les premières années de son mariage, la comtesse devient
également un membre éminent de la communauté des précieuses,
rassemblées dans le Marais autour de Scudéry et son cercle. Lafayette
apparaît dans Le Grand Dictionnaire des Précieuses de Somaize sous le
nom de Féliciane. En janvier 1658, lors de leur voyage d’Amsterdam à
Paris, les frères Villiers sont bien décidés à rencontrer durant leur périple
tous ceux et celles dont la notoriété dépasse les frontières. Ils rendent visite
à Lafayette qui se trouve alors à Paris pour la naissance de son premier fils,
Louis. Les deux hommes la décrivent comme « une des précieuses de plus
haut rang et de la plus grande volée 3 ». En 1662, lorsque paraît La
Princesse de Montpensier, sa première publication autonome, Lafayette
demande à Ménage de mettre de côté plusieurs exemplaires « parfaitement
reliés […] de maroquin et doré sur tranches ». Elle en réserve un pour
Ménage lui-même, « car je prétends que mes œuvres aient la place dans
votre bibliothèque ». Elle demande de transmettre de sa part le second
exemplaire à Scudéry : la jeune femme veut s’assurer que sa devancière,
qu’elle admire tant, comprenne qui est à l’origine du roman anonyme dont
tout le monde parle 4.
La jeune femme fait preuve des mêmes talents de stratège dans la
sphère familiale. Suite à son émancipation, elle signe tous ses documents de
son nom de jeune fille, « M. Pioche », et continue à l’utiliser après son
mariage, pendant quelques années. Mais le nom « Pioche » disparaît dans le
mois qui suit la publication de La Princesse de Montpensier et ne réapparaît
que rarement. L’auteur adopte une signature qu’elle utilise presque
systématiquement par la suite : « Marie Madeleine de La Vergne ». Son
père était parfois appelé « La Vergne » en raison de terres sur lesquelles,
aux dires de certains, il n’avait aucun droit. Une fois accolé à « de
Lafayette », « de La Vergne » fait meilleur effet que « Pioche ». Pour les
grandes occasions, telle que la signature du contrat de mariage de son fils
aîné, elle signe « de La Vergne / de Lafayette ».
En 1656, alors qu’elle est âgée de tout juste vingt-deux ans, son mari
(rarement à Paris) signe une procuration qui lui confère le pouvoir d’agir en
son nom, « de prendre garde […] à tous les biens et affaires de leur
maison […] et à quoi que le tout se puisse montrer 5 ». Une telle situation
d’indépendance juridique et financière est aussi exceptionnelle que l’était
celle due à son émancipation précoce. Aux mains de Lafayette, les finances
du couple prospèrent grandement. Elle garantit à chacun de ses fils un
héritage qui dépasse de beaucoup la dot qui constituait les fondations
économiques de son mariage.
Lafayette est également libre d’élire domicile où elle le souhaite, ce qui
est tout aussi rare. Après un bref séjour sur les terres de son mari, au début
du mariage, elle passe le reste de ses jours dans la dernière demeure qu’elle
a habitée avec ses parents, une maison située rue de Vaugirard et dont la
construction a été achevée par Marc Pioche en 1642. Pioche n’appartient
pas à l’aristocratie, mais la résidence qu’il imagine pour sa famille a tout
d’une demeure noble : l’espace de vie comporte douze chambres, et les
écuries logent quatre chevaux. Pour Lafayette, le mariage n’a rien du « long
esclavage » qui effraie tant la Sapho de Scudéry.
C’est avec la même vigilance que la redoutable femme d’affaires mène
ses « biens et affaires » littéraires, tout d’abord avec Zayde, qui témoigne de
l’influence de Scudéry et marque un nouveau départ pour le roman français.
Zayde reproduit la structure narrative utilisée par Scudéry dans ses longs
romans. Le récit principal à la troisième personne est interrompu par une
série d’histoires où les personnages racontent, cette fois à la première
personne, leur histoire ou celle d’un tiers : comme chez Scudéry, ces
histoires sont parfois si longues qu’elles prennent presque le dessus sur le
récit qui les encadre.
Le roman de Lafayette se démarque néanmoins très nettement de ceux
de sa devancière. Les deux volumes qui composent Zayde forment un total
de 977 pages, à peine plus que les deux premiers volumes de Clélie. Zayde
introduit aussi la mise en page moderne : le second paragraphe débute dès
la deuxième page, le troisième commence à la page 4, le quatrième à la
page 10, le cinquième en bas de la même page. Ensemble, Barbin et
Lafayette ont inventé un nouveau modèle typographique pour la fiction en
prose. Désormais, les imprimeurs français opteront de plus en plus pour ce
type de mise en page.
Ces paragraphes brefs encouragent un nouveau type de lecture. La mise
en page traditionnelle, où un paragraphe pouvait courir sur plus de
cinquante pages, incitait les lecteurs à se focaliser sur l’action. Mais avec ce
6. Zayde, histoire espagnole, par M. de Segrais, avec un Traité de l’origine des romans,
par M. Huet, Paris, C. Barbin, 1670-1671, t. I, p. 10.
genre à part entière. Pour la première fois, Sévigné ne constitue plus un cas
sui generis et l’on dispose d’un cadre dans lequel mieux situer sa
correspondance. La femme désormais connue sous le nom de « Madame de
Sévigné » devient la première femme auteur à être continûment mise en
valeur dans le système éducatif français. Le titre de l’édition de 1812 en dit
long : Beauté des lettres de Madame de Sévigné, ou Choix de ses lettres les
plus remarquables sous le rapport de la pensée et du style, recueillies et
publiées pour l’instruction de la jeunesse. Dans une préface, on explique
qu’avec Sévigné commence le style épistolaire moderne : « Les lettres de
Balzac et de Voiture sont oubliées aujourd’hui, […] mais les lettres [de
Sévigné] vivront autant que notre langue 19. » Ce recueil de 1812 est réédité
au moins douze fois avant 1888. À cette date, Sévigné est déjà entrée au
panthéon des grands auteurs classiques français. Elle devient la seule
femme auteur à être célébrée de la sorte en raison de ses qualités
maternelles exceptionnelles.
Entre 1890 et 1914, cinq femmes seulement figurent au programme de
l’agrégation, et seulement deux d’entre elles, Lafayette et Sévigné,
apparaissent plus d’une fois. Cependant, Sévigné devance largement son
amie la plus chère : elle est au programme de l’agrégation masculine quatre
fois (contre deux pour Lafayette), et trois fois pour l’agrégation féminine
(une seulement pour Lafayette). De plus, alors que la notoriété de Sévigné
est confirmée, le genre épistolaire connaît un succès sans précédent.
Toujours entre 1890 et 1914, à une période où le système éducatif privilégie
le genre théâtral (choisi pour soixante-quatre sujets du concours), seulement
dix-neuf sujets se rapportent au roman, suivi de près par le genre épistolaire
avec seize sujets 20.
Au fil des siècles, le nom d’auteur « Madame de Sévigné » ne varie pas
mais le corpus qu’il représente change sans cesse d’aspect. Peut-être plus
que pour n’importe quel auteur, on lit avant tout des morceaux choisis de
son œuvre. Aujourd’hui, même si l’on dispose sans doute de la collection la
plus complète possible de sa correspondance, on lit rarement cette dernière
dans son intégralité. Les lecteurs d’aujourd’hui connaissent plutôt des
recueils de lettres et, comme dans les éditions anciennes, Sévigné apparaît
chaque fois sous un nouveau jour. Peu d’entre eux font l’expérience de la
grande complexité de sa correspondance, et de la façon dont la marquise
parvient à juxtaposer ses marques d’affection maternelles à des
commentaires politiques des plus acérés pour une plume de l’époque de
Louis XIV. En témoignent par exemple la remarquable série de lettres de
l’automne 1675 dans laquelle Sévigné livre à sa fille un compte rendu
détaillé de la répression de la révolte populaire qui a lieu à Rennes 21.
Un troisième nom est lié à ceux de Lafayette et Sévigné dès leur entrée
sur la scène littéraire en 1659, celui de Desjardins / Villedieu. Mais à la
différence de ses contemporaines, Villedieu n’est jamais devenue un auteur
classique. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer, en premier lieu le fait
qu’avec Villedieu un vent de scandale atteint pour la première fois la
littérature féminine du XVIIe siècle.
Dans les années 1670, Villedieu se découvre un talent hors pair pour les
expérimentations formelles : elle écrit coup sur coup plusieurs romans qui
laissent tous entrevoir la future évolution de la fiction. Villedieu s’essaie à
la fiction épistolaire 22, ainsi qu’à la nouvelle historique avec Les Désordres
de l’amour. Lorsque Les Désordres sortent des presses en 1675, Barbin a
déjà publié la fiction qui deviendra son plus grand succès, Mémoires de la
vie d’Henriette-Sylvie de Molière. Entre 1671 et janvier 1674, les six petits
volumes qui composent le roman paraissent à intervalles réguliers ; chaque
tome fait tout juste la moitié de La Princesse de Montpensier. Ces volumes
marquent un tournant décisif dans le succès de la publication en petit
format.
Cette transition avait été amorcée dans l’œuvre de Scudéry. Les Femmes
illustres est publié en in-quarto, un format largement plus petit que l’in-
folio traditionnel dans lequel toute œuvre importante paraît alors. Mais,
comme les in-folio, les in-quarto ont l’inconvénient d’être difficilement
transportables. Les érudits à qui ils sont destinés les lisent souvent seuls
dans leur bibliothèque personnelle, debout devant un lutrin ou un autre
support de lecture. Même les plus petits d’entre eux sont difficiles à lire
assis sur une chaise.
Presque vingt ans plus tard, Artamène et Clélie paraissent en format in-
octavo : de dimensions beaucoup plus modestes, ils se transportent
facilement et sont destinés à des lecteurs ordinaires qui préfèrent lire assis,
dans toutes sortes de contextes, et souvent loin de chez eux. La plupart des
premiers lecteurs de Scudéry savourent probablement ses romans en
groupe, une personne étant chargée de lire l’œuvre à haute voix ; il s’agit
bien davantage d’un divertissement que d’une expérience érudite et
solitaire. Mais les volumes des romans de Scudéry restent épais et bien trop
volumineux pour être glissés dans la poche du lecteur.
Désireux d’élargir leur public, les libraires parisiens impriment des
volumes plus légers et plus maniables. Ils commencent par réduire le format
de l’in-octavo et le divisent en plusieurs volumes plus minces : en 1669-
1670, Zayde est un des derniers romans à paraître dans ce format réduit.
Déjà en 1669, dans les mois qui précèdent la parution de Zayde, Barbin a
publié deux œuvres de Villedieu en in-douze, Journal amoureux et Nouveau
Recueil de quelques pièces galantes.
Les formats in-douze sont introduits en Hollande à partir des
années 1630 par la famille d’imprimeurs Elzevir. Dans un premier temps,
ils impriment surtout des œuvres de l’Antiquité, la plupart en latin. En
1645, une traduction hollandaise d’Ibrahim de Georges de Scudéry est l’un
des premiers romans à paraître au format in-douze. En 1655, le Roman
comique de Scarron devient le premier roman français qu’ils publient en
langue originale et dans un petit format. Dans les années 1660, les Elzevir
étendent l’usage du petit format à de nombreuses œuvres de fiction
modernes, et à des œuvres imprimées en français, puis à des œuvres
destinées à un lectorat féminin ou écrites par des femmes. En 1660, les
Elzevir impriment une version in-douze de La Gallerie des femmes fortes
de Le Moyne, initialement publié en un somptueux et imposant in-folio.
Leur première édition d’une femme française date de 1661 : Les Femmes
illustres de Scudéry.
En 1671, lorsque Barbin entreprend la publication de Mémoires de la
vie d’Henriette-Sylvie de Molière en in-douze, la révolution du petit format
est achevée. Désormais, en France, c’est le petit format que l’on utilise pour
les récits de fiction tels que La Princesse de Clèves, premier roman de
Lafayette à paraître en in-douze. Les éditeurs hollandais ne tardent pas à
imprimer davantage de romans français dans leur format de prédilection.
Lorsque le roman conquiert le marché européen dans les dernières
décennies du siècle, la fiction française se lit pour l’essentiel dans ces petits
volumes. Le format in-douze requiert moins de papier, rendant le délai
d’impression bien plus court. Ce format signifie également moins de cahiers
à coudre, donc une confection plus rapide. Pour les libraires, tout cela
signifie un gain de temps et d’argent. Les œuvres peuvent être vendues
moins cher, et elles sont disponibles plus rapidement. Ce coût de production
revu à la baisse est essentiel à l’augmentation radicale du nombre de
lecteurs de récits de fiction, et encourage surtout le développement du
lectorat féminin. Ces œuvres-là sont véritablement les premiers livres de
poche, que l’on peut glisser dans la poche d’un vêtement masculin ou
féminin 23.
Henriette-Sylvie de Villedieu est l’un des premiers grands succès de ce
format. Les premiers volumes sont réimprimés avant même que les derniers
tomes ne soient sortis, et des éditions hollandaises non autorisées ne tardent
pas à voir le jour. Avant la fin du siècle, le roman est réimprimé cinq fois en
France ; c’est aussi la première œuvre de Villedieu à être traduite en anglais
(1672-1677).
On comprend aisément pourquoi ce roman a un tel succès à travers
toute l’Europe. L’héroïne de Villedieu a elle-même beaucoup voyagé ; elle
traverse les frontières et passe de ville en ville avec la plus grande facilité.
C’est aussi une héroïne unique en son genre au XVIIe siècle. En effet,
Henriette-Sylvie est si en avance sur son temps que l’on peut considérer que
Villedieu a eu plus d’influence sur le roman du XVIIIe siècle que n’importe
quel autre auteur de son époque. On entend encore l’écho de la voix de
l’héroïne de Villedieu dans La Vie de Marianne, ou les Aventures de
Madame la comtesse de *** (1731-1745) de Marivaux. Et, vraiment, les
aventures de Marianne ne sont rien à côté de celles de Sylvie.
La naissance de Sylvie est pour le moins mystérieuse : « Pour
commencer, je n’ai jamais bien su qui j’étais : je sais seulement que je ne
suis pas une personne qui ait de communes destinées ; que ma naissance,
mon éducation, et mes mariages ont été l’effet d’autant d’aventures
extraordinaires. » Elle laisse entendre souvent qu’elle est noble, peut-être la
fille du duc de Candale. Elle vit « noblement » et pour toutes les personnes
qu’elle fréquente Sylvie est une aristocrate.
Dans les « aventures extraordinaires » qu’elle évoque, Sylvie est
presque toujours « déguisée en homme ». Comme les Amazones de la
Fronde, elle commence par abandonner ce qu’elle appelle « l’équipage de
[s]on sexe » afin de passer inaperçue lors de ses voyages. Plus tard, elle
décide de s’habiller en homme pour une tout autre raison, lorsque son mari
Dom Francisco Gonsales de Menéze, bien plus âgé qu’elle, devient jaloux
de son premier amour, le comte d’Englesac : « il me fit mille reproches et
mille menaces… Je ne reçus plus que de mauvais traitements. » Lorsqu’elle
apprend qu’il projette de l’« enlever en une de ses maisons pour [l]’y tenir
enfermée », Sylvie prend ses bijoux et quitte Bruxelles en compagnie de sa
fidèle servante, « toutes deux en habit d’homme ».
Au cours de leurs voyages, elles croisent plus d’une femme vêtue de la
sorte, et pour les mêmes raisons. La comtesse du Cardonnoy, par exemple,
fuit elle aussi la violence du domicile conjugal « en habit d’homme ». Les
femmes mentionnées par Villedieu peuvent être imaginaires ou réelles (par
exemple la marquise de Ganges qui vient d’être assassinée) mais sont
forcées, tout comme Sylvie, de fuir « la maison de son mari qui la traitait
inhumainement ».
Les aventures d’Henriette-Sylvie pendant sa fuite et sa rencontre avec le
comte d’Englesac invitent à réfléchir à l’inégalité des destins masculins et
féminins. Comme l’explique Sylvie, puisque « le comte était beau, d’une
taille approchant la mienne, et pouvait passer pour moi en un besoin, chez
une dame qui avait la précaution de n’admettre aucune lumière dans ses
plaisirs », ils peuvent échanger leurs rôles auprès de la belle marquise qu’ils
essaient tous deux de séduire. Habillée en homme, Sylvie courtise la
marquise le jour ; la nuit, le comte la remplace. « Enfin l’intrigue dura
jusques à ce que le mari de la dame ayant surpris je ne sais comment de ses
lettres avec les réponses que je lui faisais de ma propre main, il entra dans
une extrême jalousie et donna ordre de nous épier. » Un soir, alors qu’elle
se trouve déguisée auprès de la marquise et qu’elle lutte contre sa demande
de « profiter de notre solitude », le marquis sort brusquement de sa cachette
« pour nous sacrifier tous deux à son honneur ». La marquise parvient à
s’échapper, mais Sylvie se trouve piégée : « Cet homme […] vint à moi
l’épée haute […] il me désarma, et appelant ses valets […], il leur
commanda de me dépouiller […] ces bourreaux eurent commencé à
déchirer mes habits et ma gorge leur parut à découvert […] Je fus encore
bienheureuse de ce qu’on pût apercevoir que je n’étais qu’une femme. » La
scène se finit par une satire des mœurs sexuelles de l’époque, où le mari
trompé, plutôt que de neutraliser l’individu qu’il a pris pour l’amant de sa
femme, tente de le séduire. Le marquis implore le pardon de Sylvie « à
genoux », lui baise les mains, « et en un mot il se radoucit tellement […]
que le plus grand danger que je courus ce jour-là ne fut pas celui d’être
tuée ».
La scène permet à l’héroïne de Villedieu de comparer les conséquences
des écarts de conduite des hommes et des femmes. Alors qu’aucun homme
(ni le comte, ni le marquis, encore moins le « vieux mari ») n’est inquiété
au cours de ces « aventures extraordinaires », Sylvie n’a pas autant de
chance : « Enfin mon nom est devenu l’exécration des honnêtes gens […],
jusqu’à le mettre sous la presse et à faire des romans de ma vie qui
n’avaient pas un seul mot de vérité 24. »
Le sort de Sylvie semble présager du destin de son auteur. À la mort de
Villedieu, l’annonce de son décès dans Le Mercure Galant de
novembre 1683 n’est que louanges pour « une dame que son esprit a rendu
illustre » et pour son œuvre : « peu de personnes ont un style aussi aisé ».
Quinze ans plus tard, le lexicographe Pierre Richelet estime suffisamment
Villedieu pour en faire la seule femme à paraître dans son recueil Les Plus
Belles Lettres françaises. Dans la seconde édition de 1698, la préface qu’il
ajoute, « Particularités de la vie des auteurs français qui ont écrit des
lettres », et l’entrée « Des Jardins (Marie-Catherine) » la distinguent
clairement, mais cette fois c’est pour la condamner : « elle renonça
entièrement au mariage, et se résolut à passer le reste de ses jours dans la
galanterie 25 ».
Sans l’intervention de Pierre Bayle, cette image sulfureuse de Villedieu
aurait pu rester la seule biographie à peu près contemporaine de l’auteur. En
1702, dans la première réédition de son dictionnaire, après le portrait
dépeint par Richelet, Pierre Bayle ajoute l’article « Jardins (Marie-
Catherine des) ». Bayle cite l’entrée de Richelet en entier et ajoute :
« L’auteur qui me fournit ce narré a omis beaucoup de choses […] Bien des
gens m’ont assuré que la galanterie de cette femme fût infiniment plus
petite […] Il serait juste de ne pas excuser Mr. Richelet ; car comme il
demeurait à Paris et qu’il n’y menait pas une vie sédentaire, il lui était facile
de s’informer 26. » Mais dans les siècles qui suivent, ce sont les accusations
de Richelet qui sont invariablement rattachées à la biographie de Villedieu,
tandis que la défense de Bayle est tombée dans l’oubli.
Richelet invente là une nouvelle manière de censurer celles qui osent
« s’ériger en écrivaine ». Dans la dernière décennie du siècle, alors que le
« roman » de la vie de Villedieu est diffusé, d’autres femmes auteurs
n’auront pas la chance d’avoir Bayle pour défendre leur réputation.
Tout au long des années 1670 et 1680, les femmes auteurs qui
apparaissent dans le sillage de Scudéry sont de véritables pionnières.
Lafayette écrit La Princesse de Clèves, le roman qui devait être l’œuvre
phare de la fiction du XVIIe siècle. Sévigné, elle, rédige la plus grande partie
de sa correspondance. Villedieu publie la plus grande partie de ses romans
et de ses fictions avant-gardistes. Parfois, un nouveau visage fait son
apparition. Dans les années 1680, trois romans de Catherine Bernard (1662-
1712) sont publiés, y compris son œuvre la plus connue, Les Malheurs de
l’amour (probablement rédigé en collaboration avec Fontenelle en 1687).
Ces deux décennies qui ont vu naître tant de chefs-d’œuvre sont un moment
décisif dans l’histoire de la littérature féminine.
Mais, d’une certaine manière, le meilleur reste à venir. En 1690, Marie-
Catherine Le Jumel de Barneville, baronne d’Aulnoy (1650-1705) entame
sa carrière littéraire avec deux publications : Histoire d’Hypolite, comte de
Duglas et Mémoires de la cour d’Espagne. Avec le recul, on peut voir ces
œuvres comme les prémices de ce que réservent les toutes dernières années
du siècle.
Dans les années 1690, le nombre de publications des femmes auteurs
battent tous les records. Pour la première fois, il ne s’agit plus d’une seule
femme qui inspirerait ses héritières, comme c’était le cas pour Scudéry et
Lafayette. Au même moment, une demi-douzaine de femmes créent un
genre nouveau qui prend vite le nom de conte de fées. Dès 1695, la
production littéraire féminine occupe une part si importante du marché du
livre que, pour la première fois, il semble tout à fait normal pour une femme
de « s’ériger en écrivaine ». Un nouveau genre de tradition littéraire est né.
Chapitre VI
LA PLUS GRANDE
DES GÉNÉRATIONS ?
Ne croyez pas, Madame, que les plaisirs de Paris me fassent oublier que vous
m’avez ordonné de vous envoyer tout ce qui se fera de nouveau dans cette ville. Je
laisse au Mercure Galant le soin de vous instruire des conquêtes de notre grand
monarque… Pour moi, je me charge de vous apprendre ce qui se passe dans les ruelles
des dames et dans le cabinet des muses. Pour commencer à m’en acquitter, je vous
envoie la Princesse de Pretintailles.
Le mot est apparu à l’écrit deux fois auparavant, et chaque fois dans un
conte de fées. En 1695, dans « Marmoisan », L’Héritier figure un
personnage qui « eut la solide gloire d’inventer tous les Stinquerques [une
sorte d’écharpe également introduite en 1693] et les Falbalas de son
siècle 11 ». En 1698 suit le conte d’Aulnoy « Le Pigeon et la Colombe »,
dans lequel une fée arbore un « tablier en falbala ». Pourtant, le mot n’entre
dans le dictionnaire de l’Académie française qu’en 1762.
Quant au terme qui donne son nom au périodique d’Auneuil,
« pretintailles », qui désigne une mode parisienne encore plus récente, une
autre bande de tissu qui orne les jupes, l’auteur est la première à l’utiliser
dans une publication en septembre 1702. Une autre femme auteur de contes
de fées, L’Héritier, la suit de près : en juin 1703, dans le premier numéro de
son nouveau périodique, L’Érudition enjouée, L’Héritier donne aux lecteurs
éloignés de Paris des exemples de l’utilisation du mot : « des jupes
pretintaillées », différentes des « jupes en pretintailles ». Comme
« falbala », le mot ne fait son apparition dans un dictionnaire qu’en 1762.
Les fées et princesses des contes de fées ont ainsi une longueur d’avance
sur les membres de l’Académie française quand il s’agit d’informer les
dames vivant loin de Paris de « tout ce qui se fera de nouveau dans cette
grande ville ».
Malgré son titre, le périodique d’Auneuil n’est pas un mensuel. Le
numéro suivant ne paraît qu’en novembre 1702, et le silence qui suit n’est
interrompu qu’en mars 1703. Chaque numéro propose un conte de fées, et
chacun conte discute de la mode de l’époque. Le numéro de mars 1703, Les
Colinettes, nouvelles du temps, par exemple, donne à ses lectrices éloignées
de la capitale les dernières informations quant aux « colinettes », un
nouveau genre de coiffe qu’adoptent les Parisiennes pour les tenues
décontractées. (Le mot fait sa première apparition dans un dictionnaire dans
l’édition de 1771 du Dictionnaire de Trévoux.)
Dans le domaine de la mode parisienne de la fin du siècle, d’Auneuil
sait pertinemment qu’elle n’a qu’un seul rival, Le Mercure Galant. Déjà
dans les premiers numéros, en 1672, Donneau de Visé a publié des articles
présentant les dernières tendances parisiennes. En 1678, il a même inclus
des illustrations de toilettes féminines, ainsi que des mentions publicitaires
pour les plus grands marchands d’étoffes et couturières de l’époque. La
couverture médiatique de la mode parisienne assurée par Le Mercure
Galant marque les débuts du journalisme de mode moderne et des journaux
de mode de la capitale qui fleurissent à partir de la fin du
e
XVIII siècle. D’Auneuil est la première à emboîter le pas à Donneau de Visé
le même public — d’où leur choix de mettre en scène des princesses vêtues
à la dernière mode. C’est ainsi que les années 1690 marquent l’avènement
simultané de la mode parisienne et des contes de fées français.
Les contes de fées eux-mêmes sont une forme de haute couture. Une
décennie durant, ils représentent une force à ne pas sous-estimer dans le
monde de l’édition parisienne. Les recueils se succèdent et finissent par
former un corpus de contes. Puis, comme toutes les tendances, le conte de
fées disparaît aussi subitement qu’il est apparu.
Le premier signe de cette désaffection à l’égard du conte de fées date
peut-être de 1702, lorsque Durand publie Les Petits Soupers de l’été 1699,
ou Aventures galantes, avec l’Origine des fées. Le roman de Durand relève
d’un genre hybride, l’histoire principale offre l’équivalent littéraire des fêtes
galantes de Watteau : des histoires d’amour dans un cadre contemporain, un
parc ou un domaine à la campagne près de Paris ; plusieurs contes sont
intercalés dans ce cadre, notamment « L’Origine des fées », dans lequel un
personnage — qui n’est autre que Jupiter — prédit l’apparition de
« femmes illustres qui célébreront les fées et renouvelleront leurs faits avec
beaucoup d’esprit et d’art 14 ».
Le roman de Durand est en même temps empreint d’une profonde
nostalgie. Il dépeint l’été de l’année 1699 comme le moment privilégié où
sont nées les histoires racontant les prouesses des fées. À en croire le
roman, en 1702 l’âge d’or du conte appartient déjà au passé.
C’est en effet le cas. L’année 1703 voit paraître les derniers numéros du
périodique d’Auneuil. Après cette date, les femmes françaises ne publient
plus aucun recueil de contes de fées : les derniers à être écrits par des
femmes appartenant à la grande génération des années 1690 sont inclus par
L’Héritier dans son volume de 1705, La Tour ténébreuse, et par d’Auneuil
dans son roman de 1709, Les Chevaliers errants et le génie familier. En
1710, lorsque Murat publie Les Lutins du château de Kernosy sous son nom
d’auteur, « Madame la comtesse de M*** », elle qualifie sa nouvelle œuvre
de « nouvelle historique » sans utiliser le mot « conte ». Et, cette fois-ci, le
pouvoir magique n’est plus aux mains de fées mais de « lutins », des êtres
traditionnellement définis comme masculins.
Murat est la première des auteurs de contes de fées à réaliser que la
prédiction de Durand en 1702 disait vrai. En 1704, lorsque paraît la
première version des Mille et Une Nuits d’Antoine Galland, le public
français découvre un genre de contes merveilleux radicalement différent.
Cette nouvelle tradition n’est pas du tout française. Les pouvoirs magiques
sont aux mains de personnages masculins, et les femmes n’ont presque plus
de rôle créatif (on dit cependant que Shéhérazade, la conteuse de Galland,
aurait été inspirée par d’Aulnoy). Au début du XVIIIe siècle, plusieurs
écrivains masculins créent ce qu’ils appellent des « contes orientaux » : ce
nouveau genre fait alors oublier le conte de fées.
En réalité, c’est au delà des frontières françaises, en Angleterre, que le
succès du conte de fées français est pérenne. L’Angleterre est le deuxième
pays européen où s’élabore une nouvelle tradition de fiction narrative en
prose, ce qu’on appelle souvent le roman moderne. En Angleterre, les
années 1690 à 1740 sont la période clé où apparaissent de nouveaux genres
de fiction. Le conte de fées fait alors partie des genres les plus appréciés,
mais reste perçu comme un genre résolument français. En l’espace de
cinquante ans, soixante-deux contes français sont traduits en anglais et
connaissent souvent plusieurs traductions, mais pas un seul ne paraît de la
main d’un auteur anglais 15.
En Angleterre aussi, le conte de fées est un domaine purement féminin.
En effet, la place occupée par d’Aulnoy dans le développement du genre est
telle que son nom devient synonyme de conte de fées.
Tandis qu’en France le succès d’Aulnoy et des premières créatrices de
contes de fées s’estompe à partir des années 1720, il ne fait que s’accroître
en Angleterre. Les contes d’Aulnoy y sont souvent réédités jusqu’au
e
XIX siècle. Conçus à l’origine pour un public adulte, ses contes changent
peu à peu de lectorat : dans les années 1770, l’œuvre d’Aulnoy est devenue
l’archétype d’un genre littéraire en pleine expansion, la fiction pour enfants.
Son nom est lié à une figure semblable à celle de Ma Mère l’Oye, Mother
Bunch.
Avant que le conte de fées ne fasse fureur dans le monde littéraire
parisien au milieu des années 1690, certaines des plus grandes conteuses se
sont déjà distinguées dans d’autres genres romanesques, notamment
d’Aulnoy. Hypolite, comte de Duglas, qui contient le tout premier conte de
fées, est achevé d’imprimer le 2 février 1690. Au mois de novembre de la
même année, Barbin a déjà fini d’imprimer les deux volumes de ses
Mémoires de la cour d’Espagne. L’œuvre s’ouvre sur une déclaration du
narrateur : « Ce n’est pas dans l’histoire générale que l’on apprend de
certaines particularités qui plaisent ordinairement plus que l’histoire
même […]. Cette raison m’a persuadé que je pouvais écrire avec succès
plusieurs choses secrètes qui se sont passées à Madrid 16. » D’Aulnoy donne
là la définition la plus précise fournie à l’époque de sa création d’un
différent type de fiction, bientôt appelé histoire secrète. Les auteurs de ces
histoires définissent leur domaine comme celui des « secrets de l’histoire »,
des histoires qui n’ont jamais été dévoilées dans ce que d’Aulnoy appelle
l’histoire générale ou « l’histoire même ». Les « particularités qui plaisent
plus que l’histoire même » sont les histoires d’amour qui, d’après les
femmes qui excellent dans le genre, sont la clef pour comprendre les actions
des grands dirigeants de l’histoire.
À la fin des années 1690, Bayle accuse Villedieu d’être responsable de
la prolifération de ce genre subversif et d’avoir
ouvert la porte à une licence, dont on abuse tous les jours de plus en plus ; c’est celle
de prêter ses inventions, et ses intrigues galantes, aux plus grands hommes des
derniers siècles, et de les mêler avec des faits qui ont quelque fondement dans
l’histoire. Ce mélange de vérité et de la fable se répand dans une infinité de livres
nouveaux, perd le goût des jeunes gens, et fait que l’on n’ose plus croire ce qui est au
17
fond croyable .
Il est vrai, ma chère cousine, que le séjour que j’ai fait à Londres et l’amitié que la
Duchesse de Richemont [Frances Stuart, duchesse de Richmond] et Madame Hayde
[Anne Hyde, duchesse d’York] avaient pour moi m’ont mise en état de savoir d’elles
20
des aventures très agréables et fort particulières de la cour d’Angleterre .
D’Aulnoy répond ainsi aux questions que ses premières œuvres ont
suscité d’emblée et que des générations de commentateurs n’ont cessé de
poser : d’Aulnoy s’est-elle vraiment rendue en Espagne et en Angleterre ?
Ses nombreuses publications du début des années 1690 reposaient-elles sur
des renseignements de première main et de véritables témoignages ? Ou
bien l’auteur utilise-t-elle des éléments glanés çà et là dans des sources
contemporaines, afin de donner l’illusion de la vraisemblance ? En
l’absence de preuves, difficile de trancher, mais une chose est sûre : si
d’Aulnoy n’a pas fait de séjour prolongé en Espagne et en Angleterre, elle
n’en réussit pas moins à rassembler assez d’éléments pour persuader ses
lecteurs de la fiabilité de ses propos. Pour les lecteurs du XVIIe siècle comme
pour les générations suivantes, les « choses secrètes » révélées dans ses
romans passent pour de véritables témoignages de la vie dans ces pays et à
leurs Cours. Dans les années 1830, les textes d’Aulnoy continuent d’être
perçus de la sorte : pour Ruy Blas, Victor Hugo fait des Mémoires de la
cour d’Espagne sa principale source d’information.
Trois mois seulement avant que d’Aulnoy ne ralentisse le rythme de sa
production, Charlotte de Caumont de La Force lui emboîte le pas, comme
elle le fera trois ans plus tard après la publication du premier conte de fées.
À partir d’août 1694, La Force publie plusieurs romans qu’elle qualifie
d’« histoire secrète » : ce faisant, elle invente le nom qui serait celui de
toutes ces fictions. La série débute avec Histoire secrète de Bourgogne,
suivie un an plus tard par Histoire secrète des amours de Henry IV, roi de
Castille. Chaque roman comprend une dédicace ou une préface indiquant
que l’auteur est une femme. Au tournant du siècle, La Force devient sans
doute la plus ardente partisane du genre. Une autre femme fort prolifique,
Anne de La Roche-Guilhen, utilise un nom d’auteur calqué sur celui de
« Madame D.*** » : en page de titre de ses Histoires des favorites,
contenant ce qui s’est passé de plus remarquable sous plusieurs règnes,
paru en 1697, l’auteur signe « par Mademoiselle D*** ». Mais au-delà des
frontières françaises, les lecteurs ont une vision très différente du genre et
de ses développements.
En Angleterre, comme cela avait été le cas pour le conte de fées, la
popularité d’Aulnoy éclipse tous les autres auteurs de fictions historiques et,
dans ce cas, son influence est encore plus marquée. Ses fictions historiques
sont traduites presque immédiatement, plus rapidement encore que ses
contes de fées. Son œuvre la plus célèbre, la Relation du voyage d’Espagne,
paraît en anglais dès 1692 sous le titre The Ingenious and Diverting Lady’s
Travels into Spain. Elle est rééditée au moins douze fois avant 1740,
devenant l’un des romans les plus lus en Angleterre durant ces décennies
décisives pour le développement du roman anglais.
La période qui va de 1690 à 1740 est déterminante pour l’apparition du
roman anglais moderne. D’Aulnoy est alors l’auteur français le plus traduit
outre-Manche. Trente-six éditions de ses œuvres voient le jour durant cette
période, c’est-à-dire plus que les éditions cumulées de La Force, La Roche-
Guilhen, Mailly et Le Noble, et plus que toutes les éditions de Lafayette et
des Mille et Une Nuits réunies 21. Presque oubliée par l’histoire littéraire
moderne, d’Aulnoy est à l’époque l’auteur français le plus important en
Angleterre. Les critiques ont repéré l’influence d’Aulnoy sur des aspects
clés du roman anglais du XVIIIe siècle.
En décembre 1696 paraît Mémoires de madame la comtesse de M***,
une des créations féminines les plus magistrales des années 1690. Le nom
d’auteur en page de titre indique aux lecteurs de l’édition originale l’identité
de l’auteur des mémoires, que les lecteurs français bien avisés ne tardent
pas à reconnaître : il s’agit de la comtesse de Murat.
L’édition originale s’ouvre sur un « avertissement » dans lequel la
narratrice se présente, et expose avec véhémence les raisons qui l’ont
conduite à publier ce récit : « Malgré tous les bruits qui ont été répandus
contre ma conduite, j’avais pris le parti de ne rien écrire pour me justifier,
mais certains mémoires qui paraissent depuis peu m’ont déterminée à faire
l’histoire de ma vie. » Des mémoires attribués à Saint-Évremond, explique-
t-elle, « peuvent insinuer une opinion très désavantageuse des femmes.
Cependant je sais par ma propre expérience, que l’imprudence et le hasard
ont souvent plus de part à leurs fautes que défaut de vertu. Les mémoires de
ma vie feront connaître qu’il n’est pas toujours sûr de juger sur les
apparences 22. »
Vient ensuite une seconde page de titre qui reprend le même message :
« La Défense des dames ou les mémoires de la comtesse de M*** dans
lesquels on verra que très souvent il y a beaucoup plus de malheur que de
dérèglement dans la conduite des femmes ». À la fin des deux longs
volumes, les lecteurs rencontrent la même phrase, reprise presque mot pour
mot :
J’espère au reste continuer le dessein que j’ai de justifier les femmes. J’en ai
connu plusieurs qu’on n’a pas plus ménagées que moi, et je ferai voir par le récit de
leurs aventures, encore mieux que par les miennes, que souvent les apparences nous
trompent, et qu’il y a plus de malheur que de dérèglement dans la conduite des
23
Femmes .
[…] que ne doit-on pas craindre pour les jeunes gens ! C’est pour eux et en leur faveur
qu’il faut tâcher de les munir contre ce nouveau poison. Les jeunes gens sont ce qu’il y
a de plus sacré dans tous les états ; ils en sont la base et le fondement […]. Si l’on
souffre que de faux principes leur gâchent l’esprit et le jugement, il n’y a plus de
ressource, le mauvais goût et l’ignorance achèveront de prendre le dessus, et voilà les
17
lettres entièrement perdues .
L’argument de Dacier semble avoir touché une corde sensible chez ses
contemporains et déclenché le genre de polémique publique et générale que
le dialogue de Boileau avait échoué à susciter. En 1714, Hardouin Le Fèvre
de Fontenay reprend la direction du Mercure Galant, devenu Le Nouveau
Mercure Galant. En avril 1715, le périodique rapporte une vive discussion
entre deux femmes au jardin des Tuileries. Leur dispute porte sur les propos
de Dacier dans Des causes de la corruption du goût. L’une d’elles, une
grande blonde, est une admiratrice fervente de Dacier et remarque que « son
exemple suffit à faire voir l’injustice des hommes qui nous veulent exclure
de la République des Lettres ». La brune aurait préféré que Dacier ne
critique pas le roman français contemporain. Le mois suivant, le nouvel
éditeur reprend le procédé de son précurseur, Donneau de Visé, et convie
des lecteurs à donner leur opinion sur l’ouvrage de Dacier 18 — un déjà-vu
qui rappelle l’épisode de La Princesse de Clèves de 1678.
Les dernières années du « siècle de Louis XIV » sont ainsi le théâtre
d’un phénomène exceptionnel dans l’histoire littéraire des femmes de
l’époque moderne. Deux femmes, deux remarquables spécialistes de
l’Antiquité, publient leurs œuvres, et signent même ouvertement leurs
publications, reconnaissant ainsi officiellement leur travail. Elles sont même
couvertes d’éloges. Un des érudits les plus célèbres du siècle, Ménage,
parle de Le Fèvre Dacier comme de « la femme la plus savante de toutes les
femmes de notre époque et des époques passées 19 ». À une autre époque,
même une seule carrière aussi remarquable aurait été absolument hors du
commun.
La première de ces femmes est une éminente créatrice de tragédies néo-
classiques ; elle adopte une position clairement féministe et ses pièces ont
toujours pour héroïnes des femmes fortes. Ce faisant, elle parvient à
réconcilier le monde de l’érudition et la littérature féminine du XVIIe siècle.
L’autre est une brillante spécialiste de l’Antiquité dont les travaux font
autorité pendant des décennies, voire des siècles. Elle ne reconnaît qu’une
tradition, celle, entièrement masculine, de l’érudition classique.
Ce n’est pas un hasard si le débat quant à l’influence de Dacier sur le
lectorat féminin rapporté par Le Nouveau Mercure se déroule au jardin des
Tuileries. Le Mercure a toujours promis à ses lecteurs de les tenir informés
des dernières nouvelles des tendances parisiennes. Or, en avril 1715, cinq
mois avant la mort de Louis XIV et la fin de son règne, les lieux de
promenade de la capitale sont au faîte de l’élégance parisienne. Au début du
e
XVIII siècle, le jardin des Tuileries est le plus apprécié des jardins parisiens.
Achevée à la fin des années 1670, la rénovation des Tuileries par André
Le Nôtre a conféré à cet espace une place de choix dans le programme de
renouvellement urbain imaginé par Louis XIV, concrétisant ce dont avait
rêvé Henri IV pour sa capitale au début du siècle. C’est là que la
participation des femmes à la vie de la capitale, qui commence avec
l’inauguration du Pont Neuf au début du siècle, est exposée aux visiteurs
qui assistent dans ce jardin à une scène unique en Europe.
Les jardins parisiens deviennent un lieu particulièrement apprécié des
femmes. Aux Tuileries, hommes et femmes marchent côte à côte, ou les
femmes se promènent entre elles, voire seules, parfois jusqu’à neuf ou dix
heures du soir. Lors des chaudes soirées d’été, Sévigné s’y réfugie et y flâne
tous les jours pendant des heures, seule ou avec une amie. Et quand les
femmes se promènent aux Tuileries, elles adoptent la nouvelle mode créée
par les maîtresses couturières de Paris : elles sont toujours habillées « en
négligé » ou « en déshabillé ».
À la fin du siècle, alors que le succès des femmes sur la scène littéraire
parisienne est à son apogée, un nouvel espace fait son apparition et
parachève les projets de Louis XIV pour la ville. Dans ce nouveau projet,
les Tuileries raccordent le vieux Paris aux nouveaux quartiers qui se
développent à l’est. Le dessin du projet est achevé à la fin des années 1690 ;
l’avenue destinée à être au centre d’un nouveau quartier, d’abord appelée
« avenue des Tuileries », reçoit son nom définitif le 28 décembre 1709 : elle
s’appellera désormais l’avenue des Champs-Élysées.
9. Reproduction du Plan de Paris sous Louis XV, 1737, par M. l’abbé Delagrive. Détail :
les Champs-Élysées.
TEXTES
I
E
DEVENIR (FEMME) AUTEUR AU XVII SIÈCLE
II
AMAZONES, FEMMES FORTES ET FRONDEUSES
III
APRÈS LA GUERRE CIVILE : LA PRÉCIEUSE
1. Madeleine de Scudéry, Clélie, histoire romaine, Paris, Augustin Courbé, 1654-
1660, t. I, p. 396-408.
2. Jean Chapelain, Lettres, op. cit., t. I, p. 413.
3. Correspondance du Chevalier de Sévigné et de Christine de France, duchesse de
Savoie, éd. Jean Lemoine et Frédéric Saulnier, Paris, Société de l’Histoire de France,
1911, p. 246.
4. Bien que l’on ne connaisse pas les détails du contrat signé entre Scudéry et son
éditeur, Augustin Courbé, pour Artamène et Clélie, certains de ses contemporains notent
combien cette collaboration est financièrement fructueuse. Pierre Bayle, par exemple, fait
référence à « ces longs et vastes récits d’aventures héroïques qui avaient fait gagner tant
d’argent aux imprimeurs ». Artamène et Clélie en font partie. Voir Dictionnaire historique
et critique, op. cit., article « Jardins, des » n. a (note a).
5. Contrat du 4 juillet 1654 (AN MC XVI/275). Sur l’histoire de la rue de Beauce et
de la demeure de Scudéry, voir Maurice Dumolin, « La rue Charlot », La Cité. Bulletin de
e e
la Société historique et archéologique des III et IV arrondissements de Paris, Paris,
Honoré Champion, janvier 1930, p. 182. Les dates exactes du départ de Georges de
Scudéry et de son mariage en Normandie restent incertaines.
6. « Histoire de Sapho », in Artamène, ou le Grand Cyrus, op. cit., t. X, p. 598.
7. Clélie, histoire romaine, op. cit., t. X, p. 934.
8. Ibid. Pour quatre des nombreuses discussions de cette nature, t. II, p. 29-30, t. V,
p. 1065, t. VI, p. 625-626, t. X, p. 950-951.
9. Artamène, ou le Grand Cyrus, op. cit., t. X, p. 633, 644, 676-677.
10. Jean-François Sarasin, Les Œuvres de Monsieur Sarasin, Paris, Augustin
Courbé, 1656. La dédicace de Ménage n’est pas paginée.
11. Michel de Pure, La Prétieuse ou le Mystère des ruelles dédiée à telle qui n’y
pense pas, 4 vol., Paris, Pierre Lamy et Guillaume de Luynes, 1656-1658, t. I, p. 177,
180, 195, 60, 63.
12. Ibid., t. I, p. 87.
13. Ibid., t. I, p. 309.
14. Ibid., t. I, p. 378-388.
15. Comme Artamène, Clélie compte parmi ses lecteurs des personnalités au
pouvoir : un exemplaire de l’édition de Courbé de 1658-1660, « relié au chiffre de
Louis XIV et Marie-Thérèse », se trouve aujourd’hui dans les collections de la BnF.
16. Michel de Pure, La Précieuse ou le Mystère des ruelles dédiée à telle qui n’y
pense pas, op. cit., t. IV, p. 333-334.
17. « Histoire de Sapho » in Artamène, ou le Grand Cyrus, op. cit., t. X, p. 584-587.
18. Ibid., t. IV, p. 15.
19. Michel de Pure, Épigone, histoire du siècle futur, Paris, Pierre Lamy, 1659,
p. 470 et 540.
20. Antoine Baudeau de Somaize, Les Véritables Précieuses, Paris, Jean Ribou,
1660, préface. Du même auteur, Le Procès des précieuses, Paris, Étienne Loyson, 1660,
p. 29, 57-58, 16, 18.
21. Antoine Baudeau de Somaize, Les Véritables Précieuses, op. cit., préface.
22. Antoine Baudeau de Somaize, Le Grand Dictionnaire des Précieuses, ou la Clef
de la langue des ruelles, Paris, Jean Ribou, 1660, p. 70.
23. Ibid., nouv. éd., 1661, p. 3-4, 6.
24. Roger Lathuillère, La Préciosité. Étude historique et linguistique, t. I, Position
du problème – les origines, Genève, Droz, 1966, p. 38. Le critique ne trouve aucune trace
de la plupart des néologismes dont on attribue la création aux précieuses, et les rares
termes qu’il relève, tel « prosateur », sont passés depuis longtemps dans l’usage courant.
Pour des travaux plus récents sur les précieuses, voir Roger Duchêne, Les Précieuses, ou
Comment l’esprit vint aux femmes, Paris, Fayard, 2001, et Myriam Maître, Les
e
Précieuses. Naissance des femmes de lettres en France au XVII siècle, Paris, Honoré
Champion, 1999.
25. Voir les statistiques de Carolyn Lougee sur les mariages contractés par les
femmes des salons in Le Paradis des Femmes. Women, Salons, and Social Stratification
in Seventeenth-Century France, Princeton, NJ, Princeton University Press, 1976, p. 138-
170 ; voir aussi p. 23-26, 41-42, 51-53.
26. Contrat de mariage d’Angélique Robineau et Étienne Laugeois, 22 avril 1675 :
AN/MC/ET/LI/404. Le testament de sa sœur Marie, 13 mars 1674 : AN/MC/ET/LI/400.
27. Parmi les baux des appartements parisiens de la période 1600-1689 étudiés par
Annik Pardailhé-Galabrun (La Naissance de l’intime, op. cit.), seuls 20 % montent à
500 livres et plus. À titre d’exemple pour 1651 : cette année-là, les parents de Lafayette
payent 700 livres pour la location d’une propriété proche du Louvre pour eux et leurs
deux filles (MC/ET/XCVIII/175), et Sévigné et Henriette de Coulanges déboursent
1 200 livres pour la maison qu’elles partagent rue du Temple (MC/ET/CVIII/178).
28. Pierre Taisand, Lettres inédites de Bossuet et de Mlle de Scudéry, éd. Emmanuel
Miller, Paris, C. Douniol, 1869, p. 183.
29. Sur le rôle de la conversation dans Clélie, voir Chantal Morlet-Chantalat, La
Clélie de Mademoiselle de Scudéry. De l’épopée à la gazette : un discours féminin de la
gloire, Paris, Honoré Champion, 1994. Sur les volumes de conversations de Scudéry, voir
Elizabeth Goldsmith, Exclusive Conversations. The Art of Interaction in Seventeenth-
Century France, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1988.
30. Mademoiselle de Scudéry : sa vie et sa correspondance, op. cit., p. 370.
31. Nicolas Boileau, Œuvres complètes, introduction d’Antoine Adam, éd. Françoise
Escal, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de La Pléiade, 1966, p. 62-86.
32. Lorsque l’on compare les deux éditions, l’assertion de Boileau semble douteuse.
Les éditions basées sur un texte « reconstitué de mémoire », tel le Dom Juan de Molière
publié à Amsterdam en 1683, présentent des différences importantes avec les versions
officielles de l’œuvre ; personne n’est capable de restituer une œuvre entière avec une
fidélité absolue. Les versions de 1688 et 1713 du dialogue de Boileau ne comportent que
de légères variantes stylistiques, et le texte de 1713 semble être une révision faite par
l’auteur. En 1688, par exemple, Sapho remarque que « l’illustre fille dont j’ai à vous
parler a quelque chose de si furieusement beau, elle est si terriblement agréable, que je
suis épouvantablement empêchée quand il vous en faut faire la description » (Le Retour
des pièces choisies, ou bigarrures curieuses, 2 vol., Amsterdam, chez la veuve de
Renouard Varius, 1688, t. II, p. 128). En 1713, le texte est devenu : « L’illustre fille, dont
j’ai à vous entretenir a en toute sa personne je ne sais quoi de si furieusement
extraordinaire et de si terriblement merveilleux, que je ne suis pas médiocrement
embarrassée, quand je songe à vous en tracer le portrait » (nouv. éd. 1713, t. I, p. 475).
33. Nicolas Boileau, Dialogue des héros de roman in Œuvres complètes, op. cit.,
p. 441-489. L’édition des œuvres complètes de Boileau de 1713 (Œuvres de Nicolas
Boileau-Despréaux, 2 vol., Paris, Esprit Billiot) comporte la liste de tous ses écrits avec
leur date de composition et l’âge de Boileau à ce moment-là. Il affirme avoir écrit le
dialogue en 1664, à l’âge de 27 ans.
34. Pierre Daniel Huet, Traité de l’origine des romans, t. I, Zayde, histoire
espagnole, Paris, Claude Barbin, 1670, p. 97.
35. Charles Cotin, Œuvres galantes en prose et en vers, 2 vol., Paris, Étienne
Loyson, 1663, t. I, p. 204.
36. Marguerite Buffet, Eloges des Illustres Sçavantes anciennes et modernes
[Nouvelles observations sur la langue françoise ; où il est traitté des termes anciens et
inusitez et du bel usage des mots nouveaux avec les Eloges des Illustres Sçavantes
anciennes et modernes], Paris, Jean Cusson, 1668, p. 245-247.
37. Nicolas Boileau, Dialogue des héros de roman in Œuvres complètes, op. cit.,
p. 446.
38. Charles Brockden Brown, Memoirs of Stephen Calvert (1798).
39. Madeleine de Scudéry, Discours de la gloire, Paris, Pierre Le Petit, 1671, p. 8-9.
40. Inventaire après décès de Madeleine de Scudéry, 8 juin 1701, AN/MC/RS/1127.
Sur ce type de documents de la période 1690-1726, voir Annik Pardailhé-Galabrun, La
Naissance de l’intime, op. cit., p. 464.
41. Antoine Baudeau de Somaize énumérait 251 femmes dans l’édition définitive de
son Grand Dictionnaire des Précieuses, op. cit. Carolyn Lougee a pu en identifier 171 (Le
Paradis des Femmes, op. cit.) ; Myriam Maître cite 130 femmes qu’elle considère comme
des précieuses (Les Précieuses, op. cit.).
42. Le texte de Marie-Jeanne L’Héritier paraît d’abord sous le titre Le Triomphe de
e
madame Deshoulières, reçue 10 muse au Parnasse, dédié à mademoiselle de Scudéry
par mademoiselle L’Héritier, Paris, Claude Mazuel, 1694. L’Héritier conteste cette
édition et soutient qu’elle a été publiée sans son consentement, probablement parce que
son nom figure en toutes lettres sur la page de titre. Je cite l’édition autorisée de 1695 de
ses Aventures de Finette. Nouvelles et autres ouvrages en vers et en prose de
Mademoiselle L’H***, in Œuvres meslées, contenant l’Innocente Tromperie, l’Avare
puni, Les Enchantemens de l’éloquence, les Aventures de Finette, nouvelles et autres
ouvrages en vers et en prose de Mlle L’H*** [L’Héritier de Villandon], avec le triomphe
de Mme Des Houlières tel qu’il a été composé par Mlle L’H***, Paris, Jean Guignard,
1695, p. 405-406, 423-424.
43. L’Apothéose de Mademoiselle de Scudéry par Mademoiselle L’H***, Paris, Jean
Moreau, 1702, p. 22-23. Le nom de L’Héritier figure en entier dans le privilège de
l’œuvre.
IV
NOUVEAUX COMMENCEMENTS
V
LA NAISSANCE DES GRANDS CLASSIQUES
VI
LA PLUS GRANDE DES GÉNÉRATIONS ?
e
1. Ces chiffres se fondent sur les listes des romans du XVII siècle trouvées in
e
Maurice Lever, La Fiction narrative en prose au siècle. Répertoire bibliographique
XVII
du genre romanesque en France (1600-1700), Paris, Éditions du CNRS, 1976, p. 489-
560.
2. Histoire d’Hypolite, comte de Duglas, 2 vol., Paris, Louis Sevestre, 1690, t. II,
p. 143. Le roman a été souvent réimprimé mais seulement plusieurs décennies plus tard,
une fois que d’Aulnoy est devenue célèbre ; à la différence de ses romans ultérieurs,
celui-ci ne semble pas avoir retenu aussitôt l’attention.
3. Marie-Jeanne L’Héritier de Villandon, Nouvelles et autres ouvrages en vers et en
prose de Madelle L’H***, Paris, Jean Guignard, 1695, « Avis du libraire », p. 400-401.
4. Ibid., p. 165-166, p. 240 ; Œuvres mêlées de Madelle L’H***, Paris, Jean
Guignard, 1696, p. 174. L’achevé d’imprimer des deux œuvres est daté du
8 octobre 1695.
5. Catherine Bernard, Inès de Cordoue, nouvelle espagnole, Paris, Martin et George
Jouvenel, 1697 : « Le Prince rosier » p. 11-44, « Riquet à la houppe » p. 46-72. L’achevé
d’imprimer du roman est daté du 10 mai 1696.
6. Claude Barbin publie les volumes de la première collection de contes d’Aulnoy ;
c’est la veuve de Théodore Girard qui publie ceux de la deuxième série. Aucun
exemplaire des volumes de la première série n’a subsisté. Dans son introduction aux
contes d’Aulnoy, Jacques Barchilon décrit des exemplaires qu’il a examinés dans une
bibliothèque privée maintenant dispersée, et dont on ignore le sort. Il inclut les achevés
d’imprimer de chaque volume et je cite les précisions qu’il fournit (Contes nouveaux ou
les Fées à la mode, éd. Philippe Hourcade, édition du tricentenaire, Paris, Société des
textes français modernes, 1997, « Introduction », p. XLIV-XLVI).
7. Les premiers auteurs de contes de fées semblent avoir utilisé indifféremment
« contes des fées » et « contes de fée ». Le privilège des deux recueils de Murat est daté
du 20 janvier 1698, leur achevé d’imprimer du 31 janvier 1698. Le privilège du volume
de Préchac date du 7 mars 1698.
8. Le Mercure Galant, mars 1684, p. 50-51.
9. Charlotte de Caumont de La Force, Contes des contes, « Libraire au lecteur »,
2 vol., Paris, Simon Bénard, 1698, n.p. Pour l’étude de la création du genre, Mary
e
Elisabeth Storer, Un épisode littéraire de la fin du XVII siècle. La mode des contes de fées
(1685-1700), Paris, Honoré Champion, 1928, reste encore la source d’information la plus
complète.
10. Comtesse d’Auneuil, Nouvelles diverses du temps, La Princesse de Pretintailles,
par Mad. la Comtesse D. L., Paris, P. Ribou, septembre 1702, p. 3-4, 10.
11. L’Héritier de Villandon, Œuvres meslées, contenant l’Innocente tromperie,
l’Avare puni, Les Enchantemens de l’éloquence, les Aventures de Finette, nouvelles et
autres ouvrages en vers et en prose de Mlle L’H*** [L’Héritier de Villandon], avec le
triomphe de Mme Des Houlières tel qu’il a été composé par Mlle L’H***, op. cit., p. 12.
12. Comtesse d’Aulnoy, Contes nouveaux ou les Fées à la mode, op. cit, p. 377.
13. Voir, par exemple, L’Héritier dans Œuvres mêlées […], op. cit., « Les
enchantements de l’éloquence », p. 174.
14. Catherine Durand, Les Petits Soupers de l’été 1699, ou Aventures galantes, avec
l’Origine des fées, 2 vol., Paris, Jean Musier et Jacques Rolin, 1702, t. II, p. 313.
15. Pour plus d’informations sur le destin des contes de fées français en Angleterre,
voir surtout les articles de Melvin D. Palmer et Nancy G. Palmer (« The French Conte de
o
fée in England », Studies in Short Fiction, vol. 11, n 1, hiver 1974, p. 36-64), ainsi que
ceux de Christine A. Jones (« Madame d’Aulnoy Charms the British », The Romaníc
o
Review, vol. 99, n 3-4, mai-novembre 2008, p. 239-256) et de Gabrielle Verdier
(« Comment l’auteur des “Fées à la mode” devint “Mother Bunch”. Métamorphoses de la
o
comtesse d’Aulnoy en Angleterre », Merveilles & contes, vol. 10, n 2, décembre 1996,
p. 285-309).
16. Mémoires de la cour d’Espagne, 2 vol., Paris, Claude Barbin, 1690, t. 1, p. 1-2.
17. Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, op. cit., « Jardins, des », n. a.
18. Relation du voyage d’Espagne, 3 vol., Paris, Claude Barbin, 1691, t. I, p. 1.
19. Mémoires de la cour d’Espagne, op. cit., t. II, p. 415.
20. Mémoires de la cour d’Angleterre, par Madame D.***, 2 vol., Paris, Claude
er
Barbin, 1695, t. I, p. 1. L’achevé d’imprimer de l’œuvre est daté du 1 décembre 1694.
21. Sur la part des auteurs français dans les traductions en anglais du début du
e
XVIIIsiècle, voir W. H. McBurney, A Check-List of English Prose Fiction, 1700-1739,
Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1960.
22. Mémoires de madame la comtesse de M***, 2 vol., Paris, Claude Barbin, 1697,
t. I, p. 1-3. L’achevé d’imprimer est daté du 29 décembre 1696.
23. Ibid., t. II, p. 395-396.
24. Ibid., t. II, p. 40.
e
25. Antoine Adam, Histoire de la littérature française au XVII siècle, 5 vol., Paris,
Del Duca, 1949-1956, t. V, p. 314-319.
26. Les plaidoyers de la dissolution du mariage de La Force et Brion se trouvent à la
bibliothèque de l’Arsenal, dans le ms. 2851, fol. 37-72. Procès de femmes. Charlotte de
Caumont ; Marie-Anne de Châteauneuf-Duclos ; Hortense Mancini, duchesse de
Mazarin ; Émilie de Mascranny, marquise de Gesvres ; Madame Kornmann (Paris,
Calmann-Lévy, 1898) de Jacques Munier-Jolain, « avocat de la cour d’appel de Paris »,
est souvent cité lorsqu’il s’agit de la vie prétendument scandaleuse de La Force (p.3-53).
Pourtant aucune recherche, aucun examen minutieux de l’affaire n’apparaît dans cette
source.
27. Bibliothèque de l’Arsenal, ms. 2851, fol. 37v.
28. Carolyn Lougee, Le Paradis des Femmes, op. cit., chap. III et IX.
29. Bibliothèque de l’Arsenal, ms. 2851, fol. 10r.
30. Mark Cummings offre la meilleure introduction à la notion de rapt de séduction :
« Elopement, Family and the Courts : the Crime of rapt in Early Modern France »,
Proceedings of the Annual Meeting of the Western Society for French History, 1976,
p. 118-125.
31. Bibliothèque de l’Arsenal, ms. 2851, fol. 45v.
32. Bibliothèque de l’Arsenal, ms. 2851, fol. 46r.
33. Bibliothèque de l’Arsenal, ms. 2851, fol. 37v.
34. Shirley Jones Day fait partie des rares chercheurs à proposer une lecture attentive
des fictions d’auteurs comme Aulnoy et La Force sans laisser leurs prétendues
biographies prendre le pas sur l’analyse. The Search for Lyonnesse. Women’s Fiction in
France, 1670-1703, Berne-New York, Peter Lang, 1999.
VII
FEMMES SAVANTES
EDWIGE KELLER-RAHBÉ
Deux témoignages, publiés à des dates clés du XVIIe siècle, attestent la
présence de femmes dramaturges dans le champ littéraire du temps. Le
premier se trouve dans un traité d’éducation et de morale écrit par
Élisabeth-Marie Clément (16 ?-16 ?) en 1664, au début du règne de
Louis XIV :
Melpomène […] est fort visitée des personnes de grand mérite qui composent des
comédies, comme Messieurs de Corneille, qui emportent le prix ; et il y en a encore
d’autres, comme Monsieur Desmarets, Monsieur Boyer, Monsieur Gilbert, Monsieur
Quinault, Mademoiselle Desjardins, Monsieur Lambert, Monsieur Chappuzeau, sans
oublier l’enjouée comédie du Baron de la Crasse, et l’auteur du Festin de Pierre,
Monsieur Montfleury, l’auteur de L’École des femmes, et Monsieur Boursault, qui
1
toutes ces personnes-là composent des poèmes dramatiques .
Une dizaine d’années plus tard, en 1677, une autre femme est jouée
devant un grand monarque européen. Anne de La Roche-Guilhen a
l’honneur de se voir commander par Charles II, pour son anniversaire, une
comédie-ballet en trois actes et en vers. C’est ainsi que la pièce d’une
autrice étrangère, Rare en Tout, est créée le 29 avril 1677 à Whitehall, le
théâtre royal de Londres, peut-être par une troupe française venue s’y
produire. L’unique représentation se serait soldée par un échec dont les
motifs sont mal élucidés.
Les professionnelles que sont Madeleine Béjart et Charlotte de
Longchamp permettent de questionner les mécanismes d’effacement des
femmes dans le monde du théâtre sous un angle très concret. De Madeleine
Béjart, les Scudéry notent avec admiration qu’elle « écrivait fort joliment en
vers et en prose 13 ». De fait, elle s’inscrit dans la catégorie particulière des
comédiens-poètes, très nombreux au XVIIe siècle. L’articulation entre la
profession d’actrice et l’écriture dramatique a par ailleurs été mise en
lumière 14 et l’on sait qu’elle devient plus explicite au siècle suivant 15. Le
cas de cette célèbre comédienne qui a côtoyé durablement Molière intéresse
pour rappeler les pratiques de co-élaboration de l’œuvre au sein du couple,
hautement vraisemblables même si elles demeurent indémontrables 16.
Fille, sœur, épouse de comédiens et souffleuse 17, Charlotte de
Longchamp est la première femme à avoir été jouée de son vivant à la
Comédie-Française, le mardi 4 novembre 1687 à l’Hôtel Guénégaud, avec
Le Voleur ou Titapapouf. Les registres journaliers nous apprennent que cette
petite comédie en prose et en un acte a été donnée avec Britannicus et que
deux autres représentations ont eu lieu les vendredi 7 et samedi 8 novembre.
Charlotte de Longchamp a tiré au total 900 livres de part d’autrice.
Catherine Bernard peut quant à elle se prévaloir de succès romanesques
et poétiques lorsqu’elle en vient à écrire pour le théâtre. Son exemple
infirme l’idée selon laquelle l’activité dramatique serait une erreur de
jeunesse chez les femmes et que les inévitables échecs de leurs pièces les
détourneraient ensuite de la scène. Elle crée deux tragédies en cinq actes et
en vers à la Comédie-Française, Laodamie, Reine d’Épire (Hôtel
Guénégaud, 11 février 1689) et Brutus (Théâtre de la rue des Fossés-Saint-
Germain, 18 décembre 1690). Un troisième projet a même été mis en
chantier sans voir le jour 18.
Marie-Anne Barbier lui rendra hommage dans la préface qu’elle écrit
pour la publication de sa tragédie Arrie et Petus :
[…] je ne te donne pas cette pièce, comme une chose rare, et où toutes les règles
de la poésie de ce temps soient observées : mon sexe, le peu d’expérience que j’ai dans
cet art et la bassesse de mon esprit, ne me permettent pas d’avoir des pensées si
hautes, et si relevées que ces Apollons, qui y réussissent si bien tous les jours, se
24
composant avec leurs merveilleux ouvrages des couronnes d’immortalité .
Que l’éducation fasse défaut au sexe féminin est avéré. Même si depuis
la Renaissance, on apprend aux demoiselles de la cour à « composer un
rondeau, une chanson et, plus tard, un sonnet ou une épigramme 25 », on
enseigne aux femmes « à peine la grammaire, rarement l’orthographe et
jamais les canons de la poétique 26 ». Le théâtre est un genre difficile à ce
titre, et principalement la tragédie qui requiert des connaissances érudites
dans les domaines de l’histoire, des langues anciennes, de la rhétorique et
de la poétique, que possèdent rarement les femmes exclues des circuits
d’éducation académiques. Il incombe aux hommes présents dans
l’entourage de ces femmes — auteurs liés aux milieux théâtraux ou
dramaturges — de pallier ces lacunes et de faire office de modèles, de
médiateurs, de conseillers, de mentors littéraires, comme l’attestent les
nombreux exemples. Dans l’édition originale des Chastes Martyrs (1650),
Corneille signe un poème d’hommage à Marthe Cosnard ; Marie-Catherine
Desjardins a bénéficié de l’expérience de l’abbé d’Aubignac et travaille
avec Molière ; Françoise de Maintenon a été l’épouse de Scarron et reçoit
chez elle les plus grands écrivains de son temps ; à Londres, Anne de La
Roche-Guilhen a rencontré Saint-Évremond chez Hortense Mancini ;
Antoinette Deshoulières compte le poète Jean Dehénault et le dramaturge
Jacques Pradon dans son cercle ; le même Jacques Pradon est un proche de
Catherine Bernard ; Marie-Anne Barbier a collaboré avec Boursault et
connu Fontenelle, tout comme Catherine Bernard.
Anticipant les critiques que pourrait s’attirer sa tragédie, Marthe
Cosnard fait état du risque encouru par les femmes à transgresser l’interdit
fondamental, celui qui consiste à s’exposer en public précisément par la
publication (« J’ai eu beaucoup de peine à me résoudre de donner cette
pièce au public »). L’argument de l’autorité littéraire masculine lui sert alors
d’écran protecteur et de caution morale :
[…] tu seras peut-être bien aise de savoir où j’ai pris le sujet de cette tragédie ;
c’est dans ce beau livre intitulé Agatonphile, l’on reconnaît assez l’excellence de son
auteur [Jean-Pierre Camus, évêque de Belley] ; et ce ne m’est pas peu de gloire
d’avoir en quelque façon suivi les traces d’un homme dont les œuvres et les ouvrages
27
sont irrépréhensibles .
On ne peut donc, sans […] offenser généralement [mon sexe], me ravir le mérite
que j’ai d’avoir fait cette pièce, seule, et sans aucun secours ; et je ne puis m’imaginer
qu’il y ait des personnes assez hardies pour dire ou faire entendre qu’elles ont eu part
dans les vers ou dans la conduite (Habis, « Préface »).
ÉDITIONS CRITIQUES
LE DIX-HUITIÈME SIÈCLE
1715-1793
CHRISTIE MCDONALD
Traduit de l’anglais (États-Unis)
Introduction
nouvelles éditions et interprétations à partir des années 1960 2 pour les voir
retrouver toute leur force et leur importance.
Inlassablement débattue à l’époque des Lumières, la question
concernant les droits des femmes reste en partie inaboutie : la Révolution
avait promis de les reconnaître ; ils n’ont manifestement pas été accordés
équitablement à tous les membres de la société, et le règlement de cette
question est toujours en cours. Comment, grâce à la littérature, la culture et
la politique, les femmes du XVIIIe siècle ont-elles posé les bases de la société
à venir ? Les sections composant les trois chapitres qui viennent d’être
évoqués tenteront d’apporter des éléments de réponse à cette question,
éléments liés aux tendances propres à l’époque bien plus qu’à une
quelconque avancée linéaire du progrès *2.
1. Louise de Keralio, Collection des meilleurs ouvrages françois, composés
par des femmes ; dédiée aux femmes françoises, Paris, Lagrange, 1786. Frontispice
et faux-titre du tome premier.
e
*1. On retrouvera cette contradiction au XIX siècle, voir Introduction.
*2. Je tiens à remercier Caleb Shelburne, Henry Shreffler et Ian Van Wye, ainsi que Sanam
Esfahani-Nader et Kylie Sago, et de même Matthew Barfield et Odile Harter, qui ont contribué
aux recherches nécessitées par la rédaction de ce travail. Je tiens également à exprimer toute ma
gratitude au Summer Humanities and Arts Research Program et à la faculté des arts et des
sciences de Harvard.
Chapitre premier
LIBERTÉS
CONTROVERSES
Il faut être instruite pour écrire lorsqu’on est une femme, et pour être
instruite il faut être considérée comme capable de penser ; ni l’un ni l’autre
n’étant alors considéré comme allant de soi, en débattre s’impose.
Au cours du XVIIIe siècle, la question portant sur la nature de l’être de
sexe féminin voit s’opposer ceux qui considèrent que « la femme » relève
d’une catégorie définie par la biologie (dès lors que les êtres de sexe
féminin peuvent seules s’épanouir et trouver le bonheur dans la sphère
privée), et ceux qui voient « la femme » comme une catégorie relevant de la
culture, indépendante de la biologie (ces derniers plaident pour l’égalité des
sexes, dans la sphère privée comme dans la sphère publique).
L’argumentation d’ordre biologique remonte au moins aussi loin dans le
temps que les théories d’Aristote et s’inscrit dans une controverse globale
sur le processus de reproduction. On s’en souvient, les philosophes
aristotéliciens soutiennent que les femmes ne sont rien de plus que des
réceptacles, des porteuses de la matière qui deviendra un être humain, et
que seuls les hommes possèdent la « semence » qui donne aux enfants âme
et intelligence ; de là provient le dualisme entre le principe maternel ancré
dans la physiologie et le principe paternel ancré dans l’immatérialité de
l’esprit ou intellect. Les aristotéliciens considèrent les femmes comme
d’éternels enfants. Les disciples d’Hippocrate, plus tard ceux de Galien,
soutiennent de leur côté que l’homme et la femme contribuent l’un comme
l’autre à la « semence » à l’origine du nouvel enfant, position plus égalitaire
à laquelle Descartes finit par se rallier.
Aristote influence pourtant durablement la pensée française sur le sujet :
la réflexion de Diderot et de Rousseau sur les femmes témoigne d’une sorte
de renaissance de l’aristotélisme. Dans le même temps, appuyée sur les
principes de l’empirisme, une meilleure compréhension de l’anatomie et de
la reproduction est sensible 1. À mesure qu’une philosophie laïque
commence à se substituer aux croyances religieuses, loin de cesser, la
controverse se poursuit, qui porte notamment sur la part active que les
femmes peuvent prendre dans la société. Les théories sur ce qui constitue le
champ du féminin et celui du masculin, du matériel et de l’immatériel,
conduisent aux débats sur l’importance de l’éducation, ainsi qu’aux prises
de position institutionnelles sur les rôles sociaux et politiques de chacun des
sexes.
Antoine-Léonard Thomas ouvre un débat public sur la nature de la
femme à l’occasion de la publication, en 1772, de l’Essai sur le caractère,
les mœurs et l’esprit des femmes dans les différents siècles 2, auquel
réagissent aussitôt Louise d’Épinay et Denis Diderot dans la
Correspondance littéraire : une femme est-elle déterminée par la culture et
l’éducation ou bien par la loi « naturelle » (les données biologiques)
uniquement ? Est-elle identique à l’homme ou différente ? Peut-elle jouir
des mêmes droits ? Faisant étrangement écho aux vues d’Aristote sur la
reproduction, Diderot, dans « Sur les femmes 3 », affirme que les femmes
sont définies par leur anatomie (leur utérus), qu’elles ne peuvent éprouver
pleinement le plaisir sexuel et qu’elles sont incapables de raisonnement
systématique. Il leur reconnaît toutefois la possibilité d’un certain type de
génie. Ce génie, précise-t-il, consiste en une forme d’irrationalité
imaginative, une sorte d’hystérie. La crainte d’une imagination féminine
trop vive ou trop violente est ainsi intégrée à sa vision de la femme en tant
qu’autre.
Louise d’Épinay répond en privé à l’économiste italien Ferdinando
Galiani avec qui elle entretient alors une abondante correspondance. Elle
conteste la position de Thomas comme celle de Diderot. La culture et
l’éducation, affirme-t-elle pour sa part, jouent un rôle déterminant dans la
constitution des femmes, y compris la faiblesse de leur anatomie. Faisant
suite aux arguments du philosophe cartésien François Poullain de La Barre
dans De l’égalité des deux sexes (1673), elle dénonce l’inégalité des sexes
fondée sur l’opposition entre le corps et l’esprit, allègue que les femmes et
les hommes possèdent la même faculté de raisonner malgré des différences
biologiques, et insiste sur la séparation radicale entre l’humain et l’animal.
Les femmes sont en tout point égales aux hommes : « … en tout pays,
rappelle-t-elle, la valeur des femmes, la trempe de leur esprit et de leur âme
est en proportion exacte de la valeur des hommes 4 ». La condition des
femmes dépend selon elle de la société dans laquelle elles vivent. En
d’autres termes, l’erreur à ses yeux consiste à attribuer à la « nature » ce qui
relève en réalité d’une construction sociale. Hommes et femmes présentent
des imperfections similaires ; les femmes ne sont pas des victimes en raison
de leurs caractéristiques anatomiques mais parce qu’elles ont eu accès à un
moindre degré à l’éducation. Même si Poullain de La Barre pense qu’à peu
près n’importe qui (femmes comprises) est capable de comprendre la
pensée cartésienne, il n’en reconnaît pas moins qu’une telle aptitude
requiert un degré d’éducation dont les femmes ne disposent généralement
pas ; ainsi, l’argument d’une compréhension égale pour les deux sexes se
trouve-t-il freiné dans la pratique par l’absence d’une véritable égalité en
matière d’éducation. À la fin du siècle, Olympe de Gouges affirmera sans
équivoque que les femmes ont été créées égales aux hommes et que,
disposant de « toutes les facultés intellectuelles », elles détiennent de ce fait
des droits « inaliénables et sacrés 5 » ; elle-même se juge composée pour
une part de courage masculin, pour une autre de faiblesse féminine 6. Même
s’il faut s’opposer à Thomas, Diderot et Rousseau, les femmes n’entendent
pas rester muettes au moment où il devient possible de s’affranchir des
théories déterministes et de la hiérarchie sociale : la perfectibilité par
l’éducation leur ouvre une ligne de défense possible.
Mademoiselle Fontette de Sommery (17 ?-1790) procède à des analyses
voisines de celles de Louise d’Épinay dans Doutes sur différentes opinions
reçues dans la société (1783), de même que Madame de Coicy (17 ?-1841)
dans Les Femmes comme il convient de les voir ou Aperçu de ce que les
femmes ont été, de ce qu’elles sont et de ce qu’elles pourraient être (publié
anonymement en 1785) : pour elles, la différence entre les sexes réside
uniquement dans les organes reproducteurs et n’a rien à voir avec
l’intelligence. Madame de Coicy en veut pour preuve l’existence de femmes
célèbres égales des hommes en philosophie et en littérature, qui occupent
des postes de conseillères à l’armée ou même dans la direction de l’État (à
côté de figures connues, comme Anne-Thérèse de Lambert, elle en cite
d’autres, peu connues, comme des lettrées chinoises du XIVe siècle). À
l’instar de Louise d’Épinay et d’autres, elle affirme que le décalage entre
l’inégalité naturelle et l’inégalité au sein de la société résulte en réalité
d’une insuffisance en matière d’éducation.
Dans les débats en cours, l’imagination des femmes, leur capacité à
écrire des textes où elles font preuve de raison, et, ultimement, la crainte
d’une confusion des sexes prédominent largement. Ainsi, dans le sillage des
idées défendues par Rousseau, Thomas soutient-il que les femmes
manquent de pénétration, qu’elles sont incapables d’idées nouvelles ou de
découvertes de principes fondamentaux. Tous deux tiennent néanmoins
pour acquis qu’elles ont plus d’imagination que les hommes, mais avec des
résultats différents.
Dans l’article « Imagination » de l’Encyclopédie ou Dictionnaire
raisonné des sciences, des arts et des métiers (1751-1772), Voltaire
distingue deux types d’imagination : l’une passive et servile, l’autre active
et créatrice. L’imagination active mobilise la mémoire, exige le jugement et
constitue un don de la nature. Considérée sous cet angle, elle explique
l’invention dans les arts et les sciences, au cœur d’une tradition remontant à
Homère, Virgile et Horace 7 : c’est le domaine de l’imagination masculine.
L’imagination passive de son côté met en jeu la perception des objets grâce
aux sens (ils sont gardés en mémoire) et une réaction réflexe commune avec
les animaux (elle est sujette aux passions et aux erreurs) ; elle a pour
conséquence l’esprit grégaire qui conduit, entre autres maux, à la
superstition et au fanatisme : telle est l’imagination des femmes.
Même particulièrement douées, les femmes ne sont pas capables de
produire de grandes œuvres littéraires (Rousseau énoncera la même idée).
Thomas estime néanmoins qu’elles doivent être éduquées, soulignant leur
malléabilité formée par les contingences, comme le climat ou la culture,
contrairement à ce qu’il a défini comme leurs traits essentiels. De telles
affirmations mettent en évidence les contradictions qui habitent les débats
sur les femmes et sur ce qu’on attend d’elles durant tout le siècle : elles
doivent être instruites mais ne doivent pas faire étalage de leur érudition en
public ; leur imagination leur est utile quand elles lisent, mais il est
préférable qu’elles n’écrivent pas, ceci afin de préserver l’« ordre naturel »
de la sphère publique. Si elles se sentent vraiment des dispositions pour
écrire, elles doivent considérer des genres jugés mineurs, le roman ou la
lettre, pour lesquels il existe des modèles féminins, Scudéry, Lafayette ou
Sévigné. Dans une telle perspective, il est légitime de se demander si, en
ambitionnant de se voir reconnues, les femmes oublient leur place
« naturelle » dans la société, ou si la société accorde une importance
excessive à leur réputation.
Les interminables controverses qui avaient constitué la Querelle des
femmes se poursuivent au milieu du XVIIIe siècle avec une question
continûment posée : comment penser l’égalité des hommes et des femmes ?
Si le clergé, détenteur du savoir, prive les femmes d’une éducation solide,
l’argument de leur incapacité (elles ne diffèrent guère des enfants) constitue
le point nodal d’une telle disposition 8 *1. Louise d’Épinay, comme Émilie du
Châtelet, a dû composer avec les contradictions du modèle féminin de son
époque : si elle a collaboré activement à la Correspondance littéraire, c’est
néanmoins à la fin de sa vie qu’elle a publié sous son propre nom le premier
ouvrage qu’elle avait écrit et qui prenait en compte la dimension sociale de
la pédagogie, Les Conversations d’Émilie (1774).
En substituant à des arguments d’ordre théologique et biologique des
écrits de nature sociale et politique, des auteures comme Henriette de
Marans, Fanny de Beauharnais, Félicité de Genlis, Olympe de Gouges et
Germaine de Staël ont réfuté toute idée justifiant de donner aux femmes une
éducation moins étendue qu’aux hommes et de les maintenir dans la sphère
privée. Henriette de Marans exprime sa colère face à la situation des
femmes dans les sérails turcs, et déclare dans ses Pensées errantes (1758) :
« … mon âme n’est pas d’une autre espèce que celle des hommes, et […]
ma vertu m’appartient tout entière 9 ». Un personnage des Lettres du
marquis de Roselle (1764) d’Anne-Louise Élie de Beaumont soutient de son
côté que « la nature a donné [à la femme], comme à l’homme, une raison
susceptible de perfection et de culture 10 ». Dans À tous les penseurs, salut
(1774), Fanny de Beauharnais traite avec ironie un interlocuteur qui
déclare : « Presque tous vos défauts [ceux des femmes] sont le crime des
hommes, de ce sexe vain, qui prend son usurpation pour des droits et votre
bonté pour de la faiblesse 11. » Olympe de Gouges enfin définit l’égalité des
femmes comme un ensemble de droits et plaide en faveur de la maternité 12.
ÉDUCATION ET PÉDAGOGIE
On a dans tous les temps négligé l’éducation des filles ; l’on n’a d’attention que
pour les hommes, et comme si les femmes étaient une espèce à part, on les abandonne
à elles-mêmes sans secours, sans penser qu’elles composent la moitié du monde ;
qu’on est uni à elles nécessairement par des alliances ; qu’elles font le bonheur ou le
malheur des hommes […], que l’éducation des enfants leur est confiée dans la
26
première jeunesse, temps où les impressions se font plus vives et plus profondes .
Monsieur,
J’ai lu, avec beaucoup de plaisir, votre ouvrage sur
l’éducation nationale. C’est ce qui me détermine à vous dédier
ce volume […].
Je vous somme donc aujourd’hui de peser ce que j’ai avancé,
relativement aux droits de la femme, et à l’éducation nationale.
— Et je vous rappelle à ce devoir avec la voix forte de
l’humanité ; car j’ose croire, Monsieur, avoir raisonné sans
passion. — Je plaide pour mon sexe, j’en conviens, mais non
pour moi-même. Je regarde depuis longtemps l’indépendance,
comme le plus grand bonheur de cette vie, et même comme la
base de toute vertu ; et cette indépendance, je me l’assurerai
toujours, en resserrant mes besoins, dussé-je vivre sur des landes
stériles 46.
RÉSEAUX
« Salons épistolaires »
La rédaction de lettres permet le passage de la conversation orale à une
forme de discours public dont le lectorat peut être sensiblement plus large,
et même européen, depuis la Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui
voient (1749) de Diderot ou la Lettre à d’Alembert (1758) de Rousseau aux
échanges de vues dans les journaux, tel le plaidoyer de Voltaire lors de
l’affaire Calas, et aux lettres ouvertes et pamphlets plus avant dans le siècle.
Les correspondances constituent une part importante de la vie de salon et
son prolongement quasi contractuel ; c’est le cas des lettres de Louise
d’Épinay à l’abbé Galiani ou celles de Françoise de Graffigny à François-
Antoine Devaux, mais aussi de la correspondance d’Isabelle de Charrière
avec David-Louis Constant d’Hermenches, Benjamin Constant et James
Boswell, ou encore de celle de Germaine de Staël avec son père, Jacques
Necker, plus tard Constant, Charles de Villers, traducteur de Kant, et
Thomas Jefferson. Émanation de la vie de salon elle aussi, la
Correspondance littéraire, périodique manuscrit, élargit les horizons de la
France à ceux de l’Europe.
Isabelle de Charrière, née Isabelle van Zuylen, appartient à la grande
aristocratie hollandaise et écrira toute sa vie en français. Fixée en Suisse
après son mariage, elle entretient également une abondante correspondance
avec Benjamin Constant, Boswell et David-Louis Constant d’Hermenches,
ainsi qu’avec son traducteur allemand, Ludwig Ferdinand Huber,
correspondance que l’on a comparée à un « salon épistolaire » ou un « salon
virtuel » 71. Sa production littéraire permet d’élargir la notion de salon en y
incluant cette fois un réseau d’interlocuteurs communiquant par lettres.
L’idée de « salon épistolaire » permet de comprendre comment Charrière
actualise et modernise l’image de la grande dame d’Ancien Régime. Elle
s’intéresse aux questions touchant à l’autonomie et à l’indépendance des
femmes, ainsi qu’à la possibilité pour les jeunes filles de décider de leur
avenir. Son dédain pour le style et la frivolité de certaines salonnières la
place dans une situation paradoxale : elle est une salonnière moderne, tout
autant que la preuve vivante de l’aptitude d’une femme à écrire et à penser.
À l’image d’autres épistolières prolixes comme Françoise de Graffigny ou
Louise d’Épinay, Charrière a pu dépasser les contraintes de sa position et
donner à sa vie intime une dimension dramatique et littéraire, la
correspondance secrète constituant l’un des modèles romanesques du
temps. Les auteures de romans épistolaires se sont peut-être senties attirées
par ce mode d’expression parce qu’il leur permettait de traduire en mots
l’un des rares types d’expérience qu’il leur était donné de vivre. Ainsi, se
souvenant de Molière, la future Isabelle de Charrière choisit Agnès comme
nom de plume pour sa correspondance « interdite » avec Hermenches,
transformant la signataire des lettres en une sorte de personnage de sa
dramaturgie personnelle. Elle ne craint pas d’interroger les convenances
sociales et religieuses de l’époque, en se demandant par exemple, dans ses
lettres à Hermenches toujours, s’il lui est possible, à elle protestante,
d’épouser un catholique. Dans ce cas précis, la correspondance a
manifestement tenu lieu de galop d’essai avant l’écriture de romans,
épistolaires pour nombre d’entre eux.
La correspondance de Marie-Jeanne Riccoboni avec l’acteur
britannique David Garrick, de même qu’avec David Hume et Sir Robert
Liston, peut à son tour être lue comme une pièce de théâtre 72. La nature
performative des lettres de femmes et leur maîtrise des conventions
montrent que les tactiques littéraires en jeu dans ces échanges constituent
aussi un moyen d’attirer l’attention des hommes par la narration ; en
transformant ainsi leur vie en un récit captivant, elles parviennent dans une
certaine mesure à inverser la dynamique de pouvoir entre les hommes et les
femmes. Sous son apparence conventionnelle, la correspondance ouvre un
espace de liberté et d’audace qui va trouver sa forme canonique dans le
roman.
La correspondance de Françoise de Graffigny est considérée
aujourd’hui comme l’une de ses productions les plus remarquables, sinon
comme son chef-d’œuvre. De 1738, date à laquelle elle quitte sa Lorraine
natale pour vivre à Paris, à sa mort survenue en 1758, elle écrit à un rythme
soutenu à son ami François-Antoine Devaux, surnommé Panpan.
L’ensemble forme quelque 2 500 lettres au total 73. Ces lettres témoignent de
la grande érudition de l’auteure, de ses lectures dans des domaines très
variés, de ses contacts assidus avec les libraires (elle servira de véritable
« agent littéraire » auprès de ses amis 74). Si elles jettent un éclairage
intéressant sur de nombreux aspects de la vie de celle qui, après sa
séparation d’un mari brutal, la mort de trois enfants puis son veuvage,
entreprend de gagner sa vie en écrivant, elles éclairent également son séjour
à Cirey en 1738 chez Voltaire et Émilie du Châtelet, épisode qui devait la
brouiller avec ses hôtes 75. Graffigny est ensuite introduite dans la vie de
société parisienne par l’entremise de l’actrice Jeanne Quinault (dite
Quinault la cadette, 1699-1788) qui a quitté les planches et tient salon ;
dans ce dernier, elle rencontre le comte de Caylus, Crébillon fils, Duclos,
La Chaussée et Piron, qui l’encouragent à écrire. Elle ouvre ensuite son
propre salon, marie sa nièce Anne-Catherine de Ligniville (dite Minette) au
philosophe Helvétius, et connaît un immense succès en publiant, d’abord
anonymement, les Lettres d’une Péruvienne dont il sera question plus loin.
Qu’il s’agisse de Marie du Deffand, de Louise d’Épinay, de Françoise
de Graffigny, de Marie-Jeanne Riccoboni, d’Isabelle de Charrière et de bien
d’autres encore, les femmes, grâce à la pratique de la correspondance, ont
dépassé les limites de la sphère privée et ont traité de sujets qui ne se
limitaient pas à la vie personnelle, loin s’en faut. Toutefois, les institutions
littéraires et scientifiques ne leur demeuraient guère favorables, et il
continuait de leur être difficile de participer ouvertement aux débats
d’idées. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles elles ont pu
songer à participer à des concours.
Concours et académies
L’Académie de Dijon demeure sans doute dans les mémoires pour avoir
couronné les brillants essais de Rousseau à ses concours de 1750 (« Si le
progrès des sciences et des arts a contribué à corrompre ou à épurer les
mœurs »), puis de 1753 (« Quelle est l’origine de l’inégalité parmi les
hommes et si elle est autorisée par la loi naturelle »).
Les concours de l’Académie française, qui a repris une tradition
médiévale remontant aux Jeux floraux de Toulouse, ainsi que ceux des
académies de province constituent en réalité une composante majeure de la
vie intellectuelle de l’époque. Généreusement dotés, ces concours suscitent
une participation massive : on compte 15 000 contributeurs entre 1670 et
1793, année où le gouvernement révolutionnaire met fin à cette pratique.
Les grandes figures masculines de l’époque, le mathématicien Jacques
Bernoulli, Fontenelle, Rousseau, Voltaire et bien d’autres encore, s’y
distinguent. De 1710 à 1719, on recense 80 concours ; on en compte 475
entre 1780 et 1789 76. Cette pratique gagne également les pays étrangers.
Pendant la période de transition entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, les sujets
deviennent peu à peu plus critiques. Compte tenu du type d’éducation
qu’elles reçoivent, les femmes semblent s’illustrer davantage en vers qu’en
prose. Au fur et à mesure que l’on avance dans le siècle, un nombre
croissant d’entre elles abandonnent néanmoins les joutes poétiques au profit
de compétitions en prose. Même si quelques auteures se limitent aux
concours directement liés aux questions regardant les femmes, dont
l’éducation, beaucoup d’entre elles se risquent à toutes sortes de sujets et de
formes, tel l’éloge : Claire Mazarelli, marquise de Saint-Chamond (1731-
17 ?), fait l’éloge de Maximilien de Béthune, duc de Sully, en 1763 et de
Descartes en 1765 ; Marie-Adélaïde de France (1732-1800) fait celui de
Montesquieu pour l’Académie de Bordeaux dans les années 1780. Certaines
s’affranchissent même de leurs supposés domaines de compétences, ainsi
Émilie du Châtelet quand elle publie anonymement une « Dissertation sur la
nature et la propagation du feu », qu’elle soumet à l’Académie royale des
sciences (1738). L’essai ne remporte pas le prix mais il est publié, chose
très inhabituelle pour une femme de sciences 77. Au total, on estime à une
centaine le nombre de femmes ayant participé à ces concours et à 24 le
nombre de celles qui ont remporté un prix 78.
L’Académie française, on le sait, est demeurée fermée aux femmes
jusqu’en 1980, date de l’élection de Marguerite Yourcenar (Marguerite de
Crayencour, 1903-1987), même si certains de ses membres ont été
favorables à l’admission des femmes dès les années 1650 *12. L’Académie
des Ricovrati les a reçues à partir de 1678 : c’est le cas de Marie-Jeanne
L’Héritier (1664-1734), et de Madeleine de Scudéry avant elle 79. Les
académies de province comptent également dans leurs rangs un certain
nombre de femmes auteurs : Antoinette Des Houlières (1638-1694) avait
été membre de l’Académie d’Arles en 1689 ; lauréate de l’Académie des
sciences, belles-lettres et arts de Rouen en 1746, Anne-Marie Du Bocage
est également la première femme admise dans cette académie à titre de
membre correspondant, tandis qu’elle est reçue dans les académies de Lyon,
Padoue et Rome. En 1787 et en 1789, Louise de Keralio, Marie Le Masson
Le Golft (1749-1826) et Mademoiselle du Chastellier sont reçues à
l’Académie d’Arras en qualité de membres honoraires, soit 3 femmes pour
124 membres au total 80. Si aucune femme n’est couronnée par l’Académie
française entre 1701 et 1815, une vingtaine de femmes auteurs au cours du
siècle remportent un ou plusieurs prix émanant d’autres académies.
L’anonymat des concours a pu encourager les femmes à se porter
candidates ; il a pu également contribuer à introduire une sorte d’égalité
dans ce domaine, même si les formulations liminaires qui accompagnent
l’envoi de manuscrits se signalent généralement par une modestie et même
une auto-dévalorisation très révélatrices. Au vu de l’instruction très inégale
entre les hommes et les femmes, des différences entre Paris et la province,
et du statut de la poésie, on peut se demander dans quelle mesure les
concours sont vraiment placés sous le signe de l’égalité et exempts de partis
pris.
Madame Brisson remporte le prix de l’Académie de Marseille en 1775
avec son Éloge de Madame la Marquise de Sévigné, écrit, selon Fortunée
Briquet, « avec pureté, élégance et délicatesse ». Elle remporte de même le
concours de 1777 sur l’éducation et les femmes, auquel a participé Manon
Phlipon. Mademoiselle de Bermann se voit décerner le premier prix
d’éloquence de l’Académie de Nancy en 1761 et le deuxième prix de
l’Académie de Besançon sur la question de savoir ce qui serait le plus utile
au siècle ; sous le nom de Madame de Châteauregnault, Anne Pérard est
primée en 1782 pour son Éloge historique d’Anne de Montmorency envoyé
à l’Académie de La Rochelle. Isabelle de Charrière a songé à soumettre son
Éloge de Jean-Jacques Rousseau pour le prix de l’Académie française en
1790, mais elle a préféré le faire publier, peut-être consciente du décalage
de son propos avec le ton révolutionnaire du moment ; elle y analyse la
sensibilité de Rousseau, sa qualité de « rêveur » et son génie, ainsi que le
hiatus entre son idéal du passé et la situation présente 81.
Les prix de l’Académie des jeux floraux de Toulouse sont attribués à
une série de femmes poètes : à Marie-Claire de Catellan en 1713 et 1717 ; à
Jeanne de Montégut-Ségla en 1739, 1741 et à une date inconnue ; à
Madame de La Gorce en 1756 et 1757, à Madame la comtesse d’Esparbès
en 1779 et 1780. L’Académie de Rouen distingue Madame de L’Étoile en
1770 et 1771 et Julie d’Assier de La Chassagne, comtesse de Laurencin
(1741- ?) en 1774 et 1777 82. Parmi les femmes récompensées, seule Jeanne
de Montégut-Ségla figure dans l’anthologie de Keralio. Celle-ci s’en tient
plutôt à la première moitié du siècle. Elle ignore de plus l’importante
contribution des femmes dans le domaine du journalisme, à l’époque où
celui-ci devient peu à peu un moyen de diffusion des écrits, des idées, et
plus largement des opinions.
JOURNALISME
e
Au cours du XVIII siècle, grandes lectrices de journaux et revues, les
femmes participent au monde de la presse en qualité de journalistes ; elles
fondent également quelques journaux et périodiques ou en assurent la
direction. En France, on compte toutefois moins de publications à
destination d’un public féminin et écrites par des femmes qu’en Allemagne
ou en Angleterre. Le poids de l’élite, moindre dans ces pays, de même
qu’un contexte éditorial particulier, auquel s’ajoute le fait que plusieurs
périodiques en français sont rédigés à l’étranger (à Londres et surtout à
La Haye, à cause de la présence d’une forte communauté protestante),
figurent au nombre des raisons de cette différence. Dans la France du
temps, publier peut être périlleux sur le plan politique et religieux en raison
du système de censure et de l’obligation d’autorisation de publication (par
accord tacite ou par privilège royal). Si quelques femmes journalistes
publient anonymement, beaucoup toutefois ne dissimulent pas leur sexe.
Les éditrices de journaux sont connues pour ajouter au besoin des
contributions qu’elles signent d’autres noms ou de manière anonyme quand
la copie fait défaut (leurs confrères en font autant). Même si certaines ont
été éphémères, les publications dont elles s’occupent n’en méritent pas
moins d’être mentionnées, car elles constituent de la part des femmes une
courageuse incursion dans un domaine alors relativement neuf. Plusieurs
femmes journalistes et deux périodiques en particulier, la Quintessence des
nouvelles et le Journal des Dames, se détachent du lot.
Anne-Marguerite Du Noyer (1663-1719) est la seule et unique
rédactrice de la Quintessence des nouvelles historiques, critiques,
politiques, morales et galantes, qu’elle publie entre 1711 et 1719 à un
rythme bihebdomadaire. Même si son travail appartient pleinement au
« siècle de Louis XIV » (il est traité dans la partie précédente *13), elle n’en
e
est pas moins la première femme journaliste du XVIII siècle. On en
compte 23 jusqu’en 1793.
Plusieurs autres femmes auteurs s’essaient au journalisme pendant de
brèves périodes. C’est le cas de Marie-Anne Barbier qui publie Les Saisons
littéraires ou Mélanges de poésie, d’histoire et de critique en 1714 et en
1722 : il s’agit d’un périodique trimestriel sous forme épistolaire, tradition
inaugurée avec le Mercure. Jeanne Vaucher et Michel Guyot de Merville
publient à La Haye Le Nouvelliste sans fard (1723, 1725) ainsi que Le
Nouvelliste universel (1724), feuille d’information politique et littéraire
contenant de brèves anecdotes mais également des sujets plus originaux,
abordés néanmoins dans une perspective conservatrice 83.
Depuis l’Angleterre où elle réside, Jeanne-Marie Leprince de Beaumont
publie le Nouveau Magasin français, ou Bibliothèque instructive et
amusante de 1750 à 1752 sur le modèle du Spectator. Le titre s’inspire de
même du magazine littéraire anglais qui fournit un ensemble d’informations
« sur un sujet déterminé pour un groupe déterminé de lecteurs, avec des
articles traitant de sujets d’ordre général, etc. 84 » Cette publication a été
appelée couramment le « Magasin des dames 85 ». Leprince de Beaumont en
rédige la plus grande partie elle-même, mais elle fait également appel à la
collaboration de François Baculard d’Arnaud et d’Anne-Marie Du Bocage,
ainsi qu’à celle de membres de l’Académie de Rouen, dont elle est
originaire.
Le périodique contient une grande variété de rubriques : contes, poésie,
fiction, histoire, science, critique d’ouvrages nouveaux, mémoires,
réflexions morales, conseils aux lectrices et réponses à leurs lettres,
actualités anglaise et russe, observations sur l’éducation des femmes. Une
fois le journalisme abandonné, Leprince de Beaumont continue d’écrire des
textes pédagogiques pour la jeunesse, utilisant le terme « magasin » pour
désigner un nouveau type de produit éditorial : Magasin des enfants (1762),
Magasin des adolescentes (1760) et Magasin des jeunes dames (1772). Les
« magasins » de celle que Voltaire a surnommée la « magasinière » se
proposent d’apprendre aux filles à devenir elles-mêmes des relais
d’information indépendants en faisant usage de leur intelligence pour
apprendre, renouveler et partager culturellement la « marchandise » qu’elle
leur offre dans ses manuels pédagogiques 86.
De son côté, Marie-Françoise, dite Marie-Claudine, de Mézières,
marquise de Saint-Aubin (1717-1790), lance un journal de mode, Le
Courrier de la nouveauté. Feuille hebdomadaire à l’usage des dames
(1757-1758), qui traite de questions relevant de la toilette. Il est
accompagné de publicité de perruquiers, de coiffeuses, de couturiers et
marchands de tissu, de fleuristes et d’organisateurs de réception ; elle leur
ouvre les colonnes de son journal pour autant qu’ils signent leurs articles.
Malgré ses efforts (y compris le choix d’un pseudonyme masculin pour
obtenir l’autorisation de publier), Madame de Saint-Aubin renonce à son
entreprise journalistique pour écrire un roman, Le Danger des liaisons
(1763) *14.
En 1758, Marie-Jeanne Riccoboni publie L’Abeille, journal sur le
modèle du Spectator, puis l’intègre à plusieurs livraisons du Monde comme
il est de Jean-François de Bastide 87, avec une première ébauche des Lettres
d’Adélaïde de Dammartin, comtesse de Sancerre (1767), imaginé comme
une suite à La Vie de Marianne de Marivaux ; dans sa correspondance avec
Bastide, elle demande que son sexe soit tenu secret et que ses publications
demeurent anonymes. Irritée de ne pas avoir pu poursuivre la publication de
son propre périodique, elle expose les difficultés d’un projet plus féministe
que ne le laissent entendre ses romans 88, et insiste avant tout sur la nécessité
d’une solide éducation pour les filles : « Nous, négligées de nos pères, trop
souvent regardées comme des êtres inutiles, à charge, qui viennent enlever
une portion de l’héritage d’un fils […] on nous abandonne aux soins d’une
vieille femme de chambre 89. »
Les quatre fragments indépendants que Riccoboni fait paraître (qui
portent sur le choix du nom l’Abeille, un conte de fées mettant en scène un
jeune homme qui recouvre la vue, une critique des valeurs patriarcales et
une histoire de jeunes mariés et de guerre) ont pour fil rouge l’ambiguïté
sexuelle de la voix narrative. « Je tais mon sexe, seulement pour laisser le
plaisir de le deviner 90 », écrit-elle. La question de savoir comment mêler le
privé et le public dans une publication journalistique, de même que celles
de la traduction en tant qu’adaptation et de la continuation d’œuvres
romanesques inachevées convergent manifestement dans son cas.
Ce n’est pas moi qui veux briller, mais c’est moi je l’avoue qui veux forcer les
normes et rendre aux femmes la justice que les hommes leur refusent comme à plaisir.
Qu’importe à notre gloire qu’ils adorent les charmes que la nature nous a donnés s’ils
veulent dénigrer les vertus ou les talents que le ciel nous a départis. Je veux faire
savoir que nous pouvons tout savoir car notre esprit est ardent et flexible. Que nous
pouvons faire tout le bien dont l’humanité est capable parce que notre âme nous y
porte, et je me promets bien de ne pas tarir sur les preuves. Rien ne me paraîtra plus
digne du prix de mes travaux que les hommages que j’aurais acquis aux femmes
étrangères et nationales. Je les invite avec insistance à me seconder et à ne point
98
écouter une timidité nuisible .
Entre tous les Journaux dont nous sommes inondés, le Journal de Monsieur est
sans contredit le meilleur actuellement, soit par le choix et la variété des pièces, soit
par une hardiesse un peu plus grande dans les censures. Il fait honneur à Mad. la
Présidente Dormoy, d’autant plus qu’on n’avait pas une haute opinion de cette femme
auteur. Il est vrai qu’elle a soin de n’y rien mettre du sien ; mais au moins doit-on lui
savoir gré de s’être donné des coopérateurs en état de jeter de l’agrément, de
l’instruction et du piquant dans son Journal, surtout d’éviter cette partialité, défaut
101
dont sont infectés tous les autres .
La femme savante :
pour ta gouverne, Molière !
e
Ainsi que les pages consacrées au XVII siècle l’ont rappelé *1, Anne
Dacier est peut-être la plus illustre « femme savante » de son temps, une
femme « hors pair » qui défriche le terrain en qualité de philologue et de
traductrice de la prose grecque en français. Elle fait paraître ses traductions
de l’Iliade en 1711 et de l’Odyssée en 1716 de même que des traductions
d’œuvres de Sapho et d’Aristophane. Elle choisit ainsi de s’inscrire dans
une longue tradition, remontant à l’Antiquité, et de la transmettre en prenant
une part active à la fameuse Querelle des Anciens et des Modernes : elle y
défend avec énergie les auteurs anciens.
Anne-Thérèse de Lambert voit en Madame Dacier un modèle pour
toutes les femmes :
Notre Sexe lui doit beaucoup : Elle a protesté contre l’erreur commune qui nous
condamne à l’ignorance. Les hommes autant par dédain que par supériorité, nous ont
interdit tout savoir : Mad. [Dacier] est une autorité qui prouve que les femmes en sont
capables. Elle a associé l’érudition et les bienséances : car à présent on a déplacé la
pudeur. La honte n’est plus pour les vices ; et les femmes ne rougissent plus que de
leur savoir. Enfin, elle a mis en liberté l’esprit qu’on tenait captif sous ce préjugé ; et
10
elle seule nous maintient dans nos droits .
Si, dans aucun de ses ouvrages publiés, Dacier ne fait état de son
opinion sur les femmes, le mariage ou la société, les annotations qui
accompagnent sa traduction de l’Odyssée témoignent néanmoins de son
attention à de tels sujets : « Homère était donc persuadé qu’une femme
prudente et habile est un présent du ciel », note-t-elle par exemple, avant de
comparer cette affirmation à une citation de Salomon dans le Livre des
proverbes : « Une femme sage construit sa maison ».
Dans ses Réflexions nouvelles sur les femmes, Anne-Thérèse de
Lambert n’est pas timide non plus, et récuse le dénigrement traditionnel à
l’égard des femmes instruites. L’ouvrage, publié en 1727 sans son
autorisation, constitue un manifeste pour la seconde vague de la
« préciosité ». Elle fustige Molière, qui a ridiculisé les « femmes savantes »,
et qui a rendu aussi honteux le « savoir des femmes qu[e les] vices qui leur
sont le plus défendus ». Lorsque les lettres et le savoir sont ainsi
dévalorisés, le désordre s’installe, écrit-elle, et de demander sur le mode de
l’interrogation rhétorique pourquoi les femmes ne peuvent pas dire aux
hommes : « Quel droit avez-vous de nous défendre l’étude des sciences et
des beaux-arts ? » Elle ne se fait pas seulement l’avocate du droit des
femmes à l’instruction ; elle défend aussi l’importance, pour tous, du goût,
de la sensibilité, de l’esprit et de l’imagination. « Une dame », écrit-elle
sans nommer Dacier, soutient que le goût est « une harmonie, un accord de
l’esprit et de la raison… ». Sans la supériorité de l’« esprit » résultant de la
« sensibilité » et sans la force de l’imagination, il n’est ni humanité ni
générosité 11. Lorsqu’ils critiquent les « mœurs » des femmes, les hommes
sont tout aussi blâmables de s’être éloignés de celles-ci ; la « politesse, la
« douceur » et la « fine délicatesse » des femmes leur seraient fort
profitables. Lambert déplore la disparition de l’« ancienne galanterie »
même si elle comprend qu’un changement s’impose.
Comme pour les romancières du début du siècle (Tencin, par exemple),
le travail des femmes que nous venons d’évoquer se trouve pris dans les
turbulences de la transition entre Anciens et Modernes, et dans ce que cette
transition a signifié pour les femmes auteurs en particulier.
RELECTURES, RÉÉCRITURES
Dans une note à la Lettre à d’Alembert sur les spectacles, Rousseau fait
l’éloge de Cénie (1750), la pièce de Françoise de Graffigny, exception à sa
vision, dans l’ensemble négative, des femmes auteurs :
Ce n’est point par étourderie que je cite Cénie en cet endroit, quoique cette
charmante Pièce soit l’ouvrage d’une femme ; car, cherchant la vérité de bonne foi, je
ne sais point déguiser ce qui fait contre mon sentiment ; et ce n’est pas à une femme,
mais aux femmes que je refuse les talents des hommes. J’honore d’autant plus
volontiers ceux de l’auteur de Cénie en particulier, qu’ayant à me plaindre de ses
discours, je lui rends un hommage pur et désintéressé, comme tous les éloges sortis de
56
ma plume .
e
Comme la partie consacrée aux dramaturges du XVII siècle le rappelle,
Marie-Anne Barbier doit sa renommée à quatre tragédies, toutes
représentées ; elles sont régulièrement reprises ensuite dans des anthologies
publiées en 1707, 1719, 1723, 1724, et par ses propres soins dans un
ouvrage publié en 1745 64. Elle est également l’auteure de livrets pour
l’opéra-ballet. Alors que les musicologues ont longtemps attribué ceux des
Fêtes de l’été (1716) et des Plaisirs de la campagne (1719) à l’abbé
Pellegrin, la recherche récente a établi que ces derniers étaient bien de la
main de Barbier. Les Fêtes de l’été ont connu à Paris un véritable triomphe ;
le Mercure Galant rend hommage au talent et aux maximes de la librettiste.
L’opéra-ballet se signale par sa complexité dramatique : Barbier y mène ici
trois ou quatre intrigues à la fois, exploitant des registres différents, figurant
les mœurs et les modes vestimentaires de l’époque. Son deuxième livret
d’opéra, Le Jugement de Pâris (1718), est accueilli avec plus
d’enthousiasme encore. Barbier reprend un sujet antique, dont Watteau a
fait un tableau, et relance la Querelle des Anciens et des Modernes en se
rangeant dans le camp des Modernes. Moquant les mythes antiques,
mobilisant l’attention sur les soupçons et les infidélités des héros des
légendes, le texte préfigure la défense du roman en tant que genre littéraire
moderne dont débattront des critiques plus tardifs, comme Nicolas Lenglet
Du Fresnoy, ainsi que nous le verrons plus loin. L’œuvre semble avoir
connu une portée considérable à en juger par son influence sur les théâtres
populaires comme ceux de la Foire ; les plus grands théâtres parisiens
imitent son style d’une manière qui demeure encore exceptionnelle à ce
jour.
Bien qu’elle-même jouisse de louanges exceptionnelles, Marie-Anne
Barbier mesure bien l’injustice faite à toutes les femmes et en appelle à la
tradition pour prouver qu’il y a eu et qu’il y a toujours de grandes auteures.
Dans sa préface à Arrie et Petus, elle écrit à propos des femmes auteurs :
À l’égard du reste on l’a trouvé assez bon, et peut-être meilleur que je n’aurais dû
le souhaiter, puisque certaines gens en ont pris occasion de dire qu’une femme n’était
pas capable de si bien réussir. En vérité je ne me serais jamais imaginé que ce qui a plu
dans mon ouvrage eût dû me nuire, ni qu’on refusât aux personnes de notre sexe le
mérite de produire de bonnes choses. Je sais bien qu’on ne pouvait mieux louer ma
pièce qu’en la trouvant au-dessus de la portée d’une femme, et que cela doit flatter ma
vanité. Cependant j’avoue que je n’ai pas été insensible à cette injustice, et que je n’ai
pu voir sans un peu de dépit qu’on ait voulu me ravir le fruit le plus précieux de mon
travail. À la vérité je ne doute point que le peu de capacité que les hommes accordent
aux femmes n’ait donné lieu au bruit que quelques-uns ont affecté de répandre.
Cependant, sans chercher dans l’Antiquité, notre siècle a fourni assez de Dames
Savantes pour détruire cette prévention, et je pourrais en citer une infinité pour
65
autoriser ce que j’avance .
Drame bourgeois,
théâtre d’éducation et de société
Façonner le changement
Olympe de Gouges travaille au changement de la société dès la fin de
l’Ancien Régime et pendant les premières années de la Révolution. Elle
écrit des comédies mais aussi des drames et, bien qu’elle ait été critiquée
pour son manque d’érudition et son style peu élégant (sa langue maternelle
est l’occitan), elle compte parmi les auteurs les plus audacieux (peut-être
même est-elle la plus intrépide) qui se sont mesurés à des figures littéraires,
philosophiques et politiques considérables, comme Beaumarchais,
Rousseau ou Robespierre, pour débattre de l’état du monde en général, des
droits des femmes et des esclaves en particulier.
Dans Molière chez Ninon ou le Siècle des grands hommes (1788), elle
rend hommage au grand homme de la comédie (Voltaire avait déjà fait de
Ninon un personnage du Dépositaire en 1769) 85. Le Molière d’Olympe de
Gouges raconte l’histoire d’une jeune fille qui quitte sa famille pour
rejoindre la troupe de Molière et qui finit par épouser le dramaturge. Deux
modèles très différents se retrouvent ici : Molière pour la tradition du
théâtre comique, et Ninon de Lenclos (1620-1705) qui figure en femme
forte du XVIIe siècle. Les acteurs, qui mettent aux voix le choix des œuvres,
refusent de jouer la pièce.
Ninon de Lenclos n’en demeure pas moins un modèle : salonnière
matérialiste et libertine (au sens philosophique du terme), elle se prononce
en faveur de l’égalité des hommes et des femmes. Ses lettres apocryphes au
marquis de Sévigné sont publiées en 1750 dans un roman attribué à Louis
Damours ou à Crébillon fils, si proche de ses idées qu’il en paraît
authentique 86. Très peu d’écrits de sa main ont subsisté : La Coquette
vengée (1658), récit qui traite de l’âge et de la mort, et ses lettres sur le
vieillissement à Saint-Évremond, disciple de Gassendi (1697, 1698). Pour
sa part, Félicité de Genlis dénonce les dangers du dogmatisme antireligieux
de Lenclos et son rôle subversif ; elle fait en sorte de discréditer celle
qu’elle considère comme une créature dépravée, ne constituant pas un
exemple de femme de lettres (elle doute d’ailleurs de l’authenticité de ses
écrits) 87. Ninon doit peut-être sa notoriété à sa vie de courtisane et à son
salon, mais Gouges, lorsqu’elle la choisit comme modèle de femme forte,
s’intéresse davantage à sa hardiesse, à sa capacité à être reconnue par des
figures de pouvoir (dont les convictions diffèrent pourtant grandement des
siennes), à sa philosophie de l’amour et de l’égalité. Elle fait également de
Ninon un personnage de Mirabeau aux Champs Élysées, écrite en 1789 et
représentée à la Comédie-Italienne en 1791. Dans cette pièce, Marie de
Sévigné, Ninon de Lenclos et Antoinette Deshoulières figurent aux côtés de
Montesquieu, Voltaire et Benjamin Franklin. L’éloge de Ninon de Lenclos
par Joseph de La Porte pourrait sans doute s’appliquer à Olympe de
Gouges : « Elle joignit toutes les vertus de notre sexe aux grâces du sien ;
ce qui l’a placée peut-être au-dessus des plus grands hommes 88. »
La figure la plus compliquée à laquelle Olympe de Gouges se mesure
est clairement celle de Rousseau. Comme nombre de femmes auteurs, elle
adhère à certaines de ses vues, mais pas à d’autres. Dans son essai Le
Bonheur primitif de l’homme ou les Rêveries patriotiques (1789), elle salue
l’art et le génie de Rousseau ; elle analyse les origines de la société, l’idéal
de la liberté originelle et le rôle de la raison qui permettront de développer
le potentiel de l’humanité ; elle invoque aussi Voltaire et la tolérance en
matière de religion. Elle s’écarte toutefois de la pensée de Rousseau quand
elle aborde la question du mariage et défend la liberté de choix pour les
deux partenaires. Précisant ses idées sur l’inégalité qui caractérise la
situation des femmes, elle déclare, en désaccord sur ce point avec
Rousseau, que sans elles la société dégénère : « Les femmes ne forment-
elles pas la moitié de la Société ? Et malheureusement leur peu d’émulation
contribue à la perte de l’autre moitié. » Elle insiste sur la nature inséparable
des deux sexes : « tous deux, à l’avenir, concourront au bien général, et la
postérité s’applaudira à jamais de ce changement 89 ». Sa critique la plus
sévère à l’égard de Rousseau, Gouges la formule indirectement lorsqu’elle
propose de créer un théâtre national pour les femmes ; contournant l’attaque
qui figure dans la Lettre à d’Alembert, elle imagine une utopie théâtrale. Ce
faisant, elle perpétue le modèle de Molière et propose de représenter avant
tout et surtout ses propres pièces. Dans sa « Préface pour les dames, ou le
Portrait des femmes » (1788), elle affirme que les femmes peuvent agir à la
fois dans l’espace public et dans la sphère privée :
Les hommes soutiennent que nous ne sommes propres exactement qu’à conduire
un ménage ; et que les femmes qui tendent à l’esprit et se livrent avec prétention à la
littérature, sont des êtres insupportables à la société ;… mais mon sentiment est que les
90
femmes peuvent réunir les avantages de l’esprit avec les soins du ménage .
e
*1. Voir XVII siècle, « Un grand siècle pour les femmes auteurs », chap. VII.
*2. Après son mariage en 1765 avec le président du Rey de Meynières qui appartient à
l’une des grandes familles de parlementaires, elle jouit d’une notoriété certaine dans la société
parisienne mais cesse d’écrire ; elle compte Voltaire parmi ses relations mais également
Geneviève d’Arconville et Françoise de Graffigny ; elle rencontre Hume pendant le séjour de ce
dernier à Paris.
*3. Voir les pages consacrées à ses romans dans le chap. III.
*4. Diderot est lui aussi en contact suivi avec Riccoboni en matière de théâtre ; il y fait
explicitement allusion dans Le Paradoxe sur le comédien qu’il rédige entre 1773 et 1777.
e
*5. Voir « La fin de la Renaissance », chap. II, XVII siècle, « Un grand siècle pour les
e
femmes auteurs », chap. I, et les observations qui concernent le XIX siècle, chap. I.
e
*6. Voir XVII siècle, « Un grand siècle pour les femmes auteurs », chap. II.
*7. Celle-ci accédera plus tard à la notoriété dans un roman éponyme de 1823 que l’on doit
à Claire de Duras (1777-1828).
Chapitre III
DILEMMES
Examinez l’ordre social, […] et vous verrez bientôt qu’il est tout
entier armé contre une femme qui veut s’élever à la hauteur de la
réputation des hommes.
FICTIONS
Défenseurs et détracteurs
Parlons seulement de ceux qui traitent d’un amour sage et modéré, conduit avec
toutes les bienséances qu’exige la politesse des mœurs, et qui n’ont contre eux que de
représenter sous des images feintes le cours ordinaire de la vie humaine, et d’en tirer
19
même des instructions salutaires .
Dilemmes
Les femmes auteurs conservent, pour la plupart, dans leur style, un caractère de
tendresse et de séduction qui les distingue : elles ont […] plus de souplesse dans le
cœur, et possèdent, mieux que nous, le grand art des développements : l’on dirait que
l’attrait de leur sexe se communique à leurs ouvrages : elles excellent, surtout, dans les
peintures où l’amour est la nuance qui domine : l’habitude de ce sentiment leur en
facilite l’expression, et en général toutes les passions sont faites pour leur âme et pour
35
leur pinceau .
ALTÉRITÉS
1745, elle publie deux textes brefs dans des recueils imaginés par le comte
de Caylus, Le Mauvais Exemple produit autant de vertus que de vices.
Nouvelle espagnole et La Princesse Azerolle ou l’Excès de la constance.
Deux ans plus tard, souhaitant publier un roman, elle sollicite directement
Malesherbes, responsable de la censure royale (et soutien actif de
l’Encyclopédie). Elle publie alors les Lettres d’une Péruvienne (1747) qui
devient l’un des succès de librairie les plus importants du siècle : l’ouvrage
est traduit en neuf langues 45 et connaît ensuite de très nombreuses
rééditions (la dernière en français date de 1836). Si, soucieux de contrer la
consécration du genre romanesque, Charles Palissot éreinte un « roman
dans lequel on trouve quelquefois du sentiment et de la passion ; mais plus
souvent une métaphysique alambiquée et précieuse, mise à la mode par
quelques beaux-esprits qui croyaient imiter le style de Fontenelle 46 », le
plus généralement la critique vante le caractère profondément original des
Lettres, un roman épistolaire et philosophique. Ses seuls concurrents en
matière de succès littéraires seront, dans la décennie suivante, Candide, La
Nouvelle Héloïse et Paul et Virginie (1787).
Pourquoi le roman suscite-t-il un tel intérêt ? Dans sa quête de savoir,
l’héroïne, Zilia, allie le sentiment et l’intelligence. Princesse inca formée
pour gouverner son pays avec son fiancé, Aza, elle quitte le Pérou sur un
navire espagnol, puis se trouve transférée sur un navire français ; celui-ci
fait route vers la France, pays où Zilia se retrouve bientôt et qu’elle
découvre avec une grande curiosité. Tout ceci est l’objet de lettres qu’elle
adresse fidèlement à son fiancé auquel la violence des conquistadors vient
de l’arracher. À la différence d’Usbek et de Rica, les protagonistes des
Lettres persanes de Montesquieu, elle doit apprendre la langue du pays dans
lequel elle débarque et en comprendre les mœurs. Zilia écrit du point de vue
d’une Péruvienne que sa situation de femme et d’étrangère fragilise
doublement ; elle interroge une culture à laquelle elle se voit contrainte de
s’adapter 47. Comme Usbek, par le même scénario d’ethnographie inversée,
elle rend étrange ce qui est familier au lecteur. Ses observations sur le
fonctionnement de la société française se font rapidement extrêmement
critiques. Parce que « l’autorité est entièrement du côté des hommes », ce
sont eux, et non les femmes, qui sont responsables « de tous les désordres
de la société », déclare-t-elle. Les femmes le savent bien : « Comment ne
seraient-elles pas révoltées contre l’injustice des lois qui tolèrent l’impunité
des hommes, poussée au même excès que leur autorité ? » Le mariage est
par ailleurs l’état où l’inégalité s’exprime de la manière la plus directe : le
mari « est autorisé à punir rigoureusement l’apparence d’une légère
infidélité en se livrant sans honte à toutes celles que le libertinage lui
suggère 48 ». L’intérêt considérable que rencontre le roman s’explique sans
doute par le ton « authentique » des observations d’une étrangère qui finit
par faire ses propres choix et par trouver sa place, ainsi que par son
dénouement exceptionnel : Zilia refuse en effet d’épouser son protecteur et
guide, Déterville, afin de conserver une parfaite indépendance et de se livrer
tout entière au « plaisir d’être ».
Féru de poésie, ami de Françoise de Graffigny avant de devenir
contrôleur général des finances sous Louis XV, Jacques Turgot juge pour sa
part qu’elle va plus loin que Montesquieu (qui n’aurait revendiqué la
paternité des Lettres persanes qu’après le succès de Graffigny 49) en faisant
des Lettres d’une Péruvienne un véritable roman (en ceci que l’observation
de la société est intégrée à la narration). Les recensions de l’abbé Raynal et
de Pierre Clément soulignent le côté novateur du roman — la narration
d’une histoire d’amour empreinte de considérations philosophiques et de
critiques d’ordre culturel — mais n’en moquent pas moins la femme de
lettres 50. Dans la sienne, datée d’avril 1749, Fréron blâme les deux premiers
critiques et aborde la question de l’éducation des femmes, qu’il juge
insuffisante ; il se montre favorable à un accès égal pour les deux sexes à
l’histoire, la géographie, la philosophie, la littérature, le latin et les sciences.
Genlis salue un « roman charmant, digne de sa réputation, et le premier
ouvrage de femme écrit avec élégance 51 ». « Ce roman ingénieux, plein de
grâces et de délicatesse, a placé son auteur au nombre des écrivains
célèbres 52 », renchérit La Porte. Il commente le choix d’une héroïne
originaire du Pérou (l’auteure s’est notamment inspirée d’Alzire de Voltaire
et a puisé ses informations dans Le Commentaire royal, ou l’Histoire des
Incas, rois du Pérou de Garcilaso de la Vega), rappelle l’importance de la
contextualisation historique des infortunes des Incas, de l’introduction des
« quipos » comme forme d’écriture, et de l’expression des sentiments. À
l’instar de certains amis de l’auteure (Fréron et Turgot), La Porte regrette
toutefois le dénouement. Il laisse entendre qu’éconduire Déterville, un
Français qui s’est montré si généreux envers Zilia, revient à insulter son
pays. Françoise de Graffigny refuse toutefois de clore son roman sur l’union
heureuse des deux jeunes gens, et de se conformer ainsi aux attentes
traditionnelles du genre romanesque. La jeune Péruvienne se pose en
étrangère sceptique et en critique, et devient jusqu’à un certain point un
personnage politique.
La Belle et la Bête
Les romans centrent leur attention sur la vie privée en général et sur les
« préoccupations féminines » en particulier ; certaines femmes auteurs de la
seconde moitié du siècle se font fort d’exposer les tensions entre la
conformité aux conventions habituelles de la fiction et une rupture
souhaitée avec les normes sociales alors en vigueur 69.
À la suite de la traduction par l’abbé Prévost des romans de Richardson,
la forme romanesque sert de vecteur aux sentiments et à la sensibilité et, à
travers l’adoption de la forme épistolaire, à la morale. Ainsi qu’on l’a noté
plus haut, les œuvres « féminocentrées » d’auteurs masculins ou féminins
illustrent l’influence grandissante des femmes : si elles n’ont pas suscité un
changement immédiat de leur position dans la société, elles n’en ont pas
moins ouvert un large éventail de perspectives, et ce, à ne considérer que les
femmes auteurs, aussi bien pour le moralisme religieux d’une Genlis que
pour la critique sociale d’une Olympe de Gouges.
Marie-Jeanne Riccoboni s’impose comme une figure majeure de la
sensibilisation au monde privé des femmes. Son premier roman, Lettres de
Mistriss Fanni Butlerd (1757), prétend être la traduction d’un roman
épistolaire anglais monophonique par une traductrice qui oscille entre
fiction et autobiographie, Adelaïde de Varançai. Le recours au dispositif de
la pseudo-traduction permet la transposition culturelle d’une histoire
sentimentale ordinaire entre deux personnages de rang social différent dans
un cadre culturel distinct. Avant la Julie de Rousseau, Fanni écoute avant
tout son cœur et est la seule héroïne des romans de Riccoboni à se donner à
l’homme qu’elle aime : « je n’ai point cédé ; un moment de délire ne m’a
point mise dans ses bras : je me suis donnée ; mes faveurs sont le fruit de
l’amour, sont le prix de l’amour 70 ». Le sentiment de la duplicité des
hommes, comme le talent des femmes à s’exprimer par écrit, se retrouve
dans les Lettres de Milady Juliette Catesby (1759), qui tient davantage du
journal, et Histoire de Miss Jenny (1764), qui s’apparente davantage aux
mémoires. Son dernier roman, Lettres d’Élisabeth-Sophie de Vallière
(1772), associe les formes du journal et des mémoires.
Si l’amour est un thème dominant des romans de Riccoboni, l’attention
portée à la conduite des femmes et à leur réputation en est un autre, que l’on
retrouve dans les romans du temps, de même que dans la vie des femmes
exposées au regard public, comme auteures et comme salonnières. À la
suite de la publication des Liaisons dangereuses (1782), Riccoboni est
brièvement en correspondance avec Laclos à propos de la vraisemblance du
personnage de Merteuil : « C’est en qualité de femme, Monsieur, de
Française, de patriote zélée pour l’honneur de ma nation, que j’ai senti mon
cœur blessé du caractère de Madame de Merteuil », lui écrit-elle. À ses
yeux, le personnage de Merteuil défie les conventions de la société et le
rend égal voire supérieur à n’importe quel libertin, à Valmont par exemple,
ce qui ne lui semble pas possible : « On n’a pas besoin de se mettre en
garde contre des caractères qui ne peuvent exister, j’invite M. de Laclos à
ne jamais orner le vice des agréments qu’il a prêtés à Mme de Merteuil. » À
quoi l’auteur répond que la sensibilité des femmes embellit tout ce qu’elles
touchent et « crée les objets tels qu’ils devraient être… », tandis que les
hommes, « condamnés à un travail plus sévère, ont toujours suffisamment
bien fait quand ils ont rendu la nature avec exactitude et fidélité ». « Je vous
pardonne de tout mon cœur », affirme Riccoboni à la fin de cet échange.
Laclos de son côté prédit que son interlocutrice, dont il admire les romans,
ne tombera pas dans l’oubli : « nos petits-neveux parleront aussi de vous à
leur tour ; et si après vous avoir lue, ils ne regardaient pas comme une
privation de ne plus avoir à vous lire, j’estimerais bien peu le goût de la
postérité. Je vous pardonne de me trouver ces torts par le plaisir que je
trouve à m’en justifier 71 ».
Dans ses romans, Riccoboni traite de l’origine de ses personnages, du
viol, du mariage, de la grossesse et du suicide dans diverses situations de
fortune ; des jeunes femmes de l’aristocratie y traversent des événements
éprouvants avant de mieux comprendre ce qu’elles attendent des hommes et
la manière de parvenir au bonheur. Bien que ne pratiquant pas l’essai,
Riccoboni, en critique avisée, apporte au genre romanesque sa contribution
de moraliste, notamment par une utilisation généreuse de la maxime.
Contrairement à Laclos, elle cherche à peindre des personnages d’une
générosité et d’une bonté exemplaires, augurant d’une amélioration possible
des relations entre les sexes 72. Alors que Charrière exprime le refus de la
condition des femmes de son époque en laissant planer l’incertitude quant
au dénouement de ses romans, Riccoboni conclut les siens sans laisser de
place au doute ; elle y fait preuve d’un féminisme discret mais constant.
Ernestine, l’héroïne d’Histoire d’Ernestine (1762), une jeune artiste peintre
qui exerce son art pour subsister, paraît son image en miroir.
Genlis place ses romans au-dessus de ceux de l’abbé Prévost, même si
elle critique l’immoralité de certains de ses protagonistes (elle la blâme
d’avoir imaginé le suicide de son héroïne dans Histoire de M. le marquis de
Cressy, 1758, roman que La Porte apprécie tout particulièrement). Palissot
l’attaque pour plagiat, tandis que Diderot, Adam Smith ou encore Rétif de
La Bretonne disent tout le bien qu’ils pensent de sa production
romanesque 73. La Porte cite Milady, l’héroïne des Lettres de Milady Juliette
Catesby, qui note ironiquement que les hommes blâment les femmes afin de
protéger leur propre vulnérabilité :
Les hommes nous regardent comme des êtres placés dans l’univers, pour
l’amusement de leurs yeux, pour la récréation de leurs esprits, pour servir de jouet à
cette espèce d’enfance, où les assujettit la fougue de leurs passions, l’impétuosité de
leurs désirs, et l’impudente liberté qu’ils se sont réservée, de les montrer avec
hardiesse, et de les satisfaire sans honte. L’art difficile de résister, de vaincre ses
penchants, de maîtriser la nature même, fut laissé par eux au sexe qu’ils traitent de
faible, qu’ils osent mépriser comme faible : esclaves de leurs sens, lorsqu’ils
paraissent l’être de nos charmes, c’est pour eux qu’ils nous cherchent, qu’ils nous
servent. Ils ne considèrent en nous, que les plaisirs qu’ils peuvent goûter par nous.
L’objet de leurs feintes adorations n’atteint jamais jusqu’à leur estime ; et si nous leur
montrons de la force d’esprit, de la grandeur d’âme, nous sommes d’inhumaines
créatures ; nous passons les limites qu’ils ont osé nous prescrire ; et nous devenons
74
injustes sans le savoir .
[…] si l’on faisait un pas de trop en avant, j’en ferais deux en arrière et il en
arriverait que peu à peu on me perdrait tout-à-fait, en croyant gagner plus que de
raison. Cette manière de battre tout doucement en retraite est, je crois, bien meilleure
83
et plus sûre que de faire d’abord un grand fracas qui ne saurait durer .
L’union qui devrait être la plus délicieuse devient la source de vos peines, j’oserai
le dire, de vos fautes. La Nature en gémit, la raison s’y oppose, et l’Être suprême n’a
pu le vouloir ; il donna une compagne à l’homme ; il se plut à l’embellir, et ce fut le
présent d’un Dieu.
Il ne dit point : je te livre une esclave ; tu ne pourrais la mériter, je te permets de
91
l’asservir. Il dit : je t’associe une créature digne de moi .
La base de données que nous avons constituée 100 fait apparaître une
augmentation continue d’écrits de femmes dans la deuxième moitié du
e
XVIII siècle, tous genres littéraires confondus : 141 pour la période 1750-
1759, 171 pour 1760-1769, 209 pour 1770-1779 ; soit un total de 875
publications de 1750 à 1789. Pour la seule année 1788, nous recensons 56
publications, avant une augmentation spectaculaire à partir de 1789 101.
Les débuts de la Révolution inspirent en effet une volonté d’écrire et de
publier qui se traduit directement dans le nombre de publications : nous y
avons recensé quelque 216 œuvres. Les traductions, pour beaucoup
anonymes, de romans continuent de paraître ; les romans sentimentaux à
connotation bucolique sont toujours à la mode, comme Zilia, roman
pastoral en cinq chants, d’Anne-Marie de Beaufort d’Hautpoul (1763-
1837), Tout s’arrange à la fin, ou Histoire de M. Melfort (1790) d’Élisabeth
Haudry de Montullé (1727-1800) 102. Les femmes rédigent des lettres
(Mademoiselle de Bethomas à M. de Frondeville, président du parlement de
Normandie, 1789), des adresses et des pétitions : c’est le cas de Sophie-
Rémi Courtenai de La Fosse-Ronde, d’Etta Palm, de Madame Grandval ou
de Madame Levacher de Valincourt. Cornélie de Vasse rédige un Mémoire à
l’Assemblée nationale (1790, ill. 10), dans lequel elle demande que la
citoyenneté, et les droits qu’elle implique, soit accordée aux juifs, tandis
que Gouges, Keralio ou encore Marie-Madeleine Jodin (1741-1790)
publient des discours politiques. La question des couvents est plus que
jamais d’actualité : des romans y reviennent, comme Sophie, ou Mémoires
d’une jeune religieuse écrits par elle-même, 1790, de Madame Gautier-
Lacépède ainsi que des protestations et pétitions anonymes écrites par des
femmes, dont Sur la suppression des couvents de Félicité de Genlis 103.
Charrière envoie à la reine sa nouvelle intitulée Aiglonette et Insinuante, ou
la Souplesse (1791), précédée d’un message d’avertissement sur les
relations entre l’autorité et le pouvoir ; la « souplesse » y est recommandée,
tactique nécessaire 104.
La période 1792-1793 compte 31 ouvrages produits par des femmes, cet
effondrement confirmant ce que nous-même et d’autres avions pu observer.
Mary Wollstonecraft publie sa Défense des droits des femmes (1792),
Marie-Françoise de Keralio ( ?-1790, mère de Louise de Keralio) Les
Visites (1792), qui mêle à une déploration de la disparition du monde
d’autrefois des considérations sur la Révolution. Des écrits politiques, ainsi
le Discours de Manon Roland 105 et l’adresse d’Olympe de Gouges au
tribunal révolutionnaire devant lequel elles comparaissent, ou encore les
Réflexions sur le procès de la reine (1793) de Germaine de Staël montrent
que les femmes n’ont pas été brusquement réduites au silence, même si
leurs prises de position en politique ont parfois été payées de leur vie
— Manon Roland et Olympe de Gouges sont guillotinées en
novembre 1793.
10. [Cornélie de Vasse] Mémoire à l’Assemblée nationale.
Pour démontrer aux François les raisons qui doivent les déterminer à admettre les Juifs
indistinctement aux droits de Citoyens, Paris, Baudouin, 1790, p. 1 :
« Quoique je sois femme, j’ose me mêler à ceux qui ont parlé en faveur des Juifs. Quand
il s’agit de plaider la cause de la justice, il n’y a plus de distinction de rang ni de sexes… »
avait écrit Égalité des hommes et des femmes (1622) ; à la fin du siècle
suivant, Marie-Armande Gacon-Dufour publie Mémoire pour le sexe
féminin contre le sexe masculin (1787) tandis que Condorcet, sous
l’influence de sa femme Sophie de Grouchy, plaide en faveur de l’égalité
dans Sur l’admission des femmes au droit de cité (1790), et que Mary
Wollstonecraft fait paraître à Londres A Vindication of the Rights of Woman
(1792), aussitôt traduit en français (Défense des droits des femmes).
« Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la
question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit 108 », affirme Olympe de
Gouges en ouverture à un texte dédié à Marie-Antoinette. L’auteure accuse
aussitôt l’« empire tyrannique » de l’homme, qui veut « commander en
despote sur un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles », et défie la
hiérarchie révolutionnaire, masculine, de prétendre à des principes
« universels » face à l’inégalité de fait infligée aux femmes. Dans le
« Préambule », elle convoque « les mères, les filles, les sœurs,
représentantes de la Nation » pour déclarer les droits inaliénables et sacrés
des femmes ; dans le « Postambule », elle appelle les femmes à se réveiller
et à comprendre que les hommes, en s’affranchissant de l’« esclavage » du
régime monarchique, ont fait preuve d’injustice en maintenant les femmes
dans un état de servitude et de dépendance. Quand donc, demande
l’auteure, les femmes cesseront-elles d’être aveugles ?
L’article I de sa « Déclaration » l’affirme avec force : « La femme naît
libre et demeure égale à l’homme en droits. » Comment des droits peuvent-
ils se prétendre universels lorsqu’ils ne répondent pas aux critères d’une
reconnaissance universelle ? Et de rappeler à l’article X le droit inaliénable,
des femmes comme des hommes, à l’expression de leurs opinions : « Nul
ne doit être inquiété pour ses opinions même fondamentales, la femme a le
droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la
tribune. » À l’article XI, Gouges requiert que les femmes puissent tenir les
pères pour responsables de leurs enfants (effaçant implicitement la
stigmatisation des filles mères), et prédit que les adversaires de sa position
s’inscriront dans une longue tradition de tartuffes, d’hommes d’Église et de
dévotes.
La situation des femmes dans le mariage est comparée à celle de
« l’esclave achetée sur les côtes d’Afrique ». Dans cette perspective,
Gouges propose, dans le « Postambule » toujours, un nouveau contrat entre
des partenaires réellement égaux et permettant d’accéder à la représentation
politique (« Forme du contrat social de l’homme et de la femme ») ; le
divorce découle logiquement de l’autonomie et de l’indépendance des
conjoints. « Le mariage est le tombeau de la confiance et de l’amour »,
juge-t-elle. Elle exige des droits pour « les veuves et les demoiselles
abusées par de fausses promesses », ainsi que des droits semblables pour les
enfants légitimes et illégitimes (le texte de Benjamin Franklin sur miss
Polly Baker, repris par Diderot et Raynal, dans lequel une femme de
l’Amérique coloniale conteste les lois qui la punissent d’avoir eu des
enfants hors mariage, n’est pas sans résonner ici 109). Elle souhaite
également « raccommoder » le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif :
« Je considère ces deux pouvoirs comme l’homme et la femme qui doivent
être unis, mais égaux en force et en vertu, pour faire un bon ménage ».
Les prises de position d’Olympe de Gouges pendant la Révolution ne
sont pas sans présenter quelques contradictions. Royaliste et patriote, elle
défend Necker, Mirabeau et les Girondins. Elle ne craint pas de prendre
violemment Robespierre à partie. À la fin de l’automne 1792, elle le blâme
d’inciter à la violence et lui oppose l’exemple de sa personne et de son
attitude, moins égoïstes dans leur conception de la citoyenneté et du
patriotisme : « Je te plains, Robespierre, et je t’abhorre. Vois quelle
différence entre nos âmes ! La mienne est véritablement républicaine, la
tienne ne la fut jamais. » Elle en appelle à la pensée des Lumières pour
limiter son pouvoir : « la sainte philosophie entravera tes succès ; et, quel
que soit ton triomphe du moment et le désordre de cette anarchie, tu ne
gouverneras jamais des hommes éclairés 110 ». Qualifiant Robespierre de
despote, Gouges décrit en ces termes les sinistres conséquences de ses
ambitions : « Tu te dis l’unique auteur de la Révolution, tu n’en fus, tu n’en
es, tu n’en seras éternellement que l’opprobre et l’exécration […] Le peuple
français, devenu républicain, ne deviendra pas un peuple d’assassins 111 ».
Écrivant au nom des philosophes qui ont condamné la tyrannie et les
tyrans, elle pressent par ailleurs les condamnations à mort à venir, celles du
roi mais aussi celles des Girondins, de Pétion, de Roland, de Condorcet.
Quand elle écrit à la Convention pour tenter de sauver Louis XVI de
l’échafaud, elle est vivement attaquée, mais elle n’entend pas fuir ceux qui
la calomnient 112. Le surlendemain du 21 janvier 1793, jour de l’exécution
de Louis XVI, sa pièce de théâtre, L’Entrée de Dumouriez à Bruxelles ou
les Vivandiers, est jouée au Théâtre de la République (nom alors donné à la
Comédie-Française). Gouges a en effet décidé de produire une pièce sur les
hauts faits de l’armée française, de se déclarer clairement contre la tyrannie,
mais en faveur de la Révolution et de son expansion militaire. Elle entend
célébrer le grand militaire, mais s’interroge : « Sans doute fallait-il une
autre plume que la mienne pour les raconter, pour peindre à la fois le
vaillant soldat et le vrai philosophe ; il fallait le génie du grand Corneille
pour rendre cette ardeur belliqueuse d’un peuple régénéré, né pour la
liberté… Il n’est plus de Corneille. » Gouges plaide en faveur d’une
littérature vivante produite par ceux qui se soucient réellement d’une France
nouvelle. Elle réfute des critiques imaginaires en leur opposant son amour
du pays et de l’armée, et soutient, dans un geste d’autodépréciation peu
habituel, que c’est son patriotisme qui lui permet d’écrire des pièces en cinq
actes davantage que son talent. Elle pose en actrice du changement et
souhaite exporter la Révolution en Belgique : « vous reconnaîtrez que si les
pièces de nos grands philosophes ont produit la Révolution française, la
pièce d’une femme peut produire véritablement celle de la Belgique, et
celle de tous les peuples encore à régénérer 113 ». La pièce, toutefois, ne
rencontre aucun succès.
Interrogeant la différence des sexes comme celle de l’humain et de
l’animal (et annonçant ainsi les débats actuels sur l’identité sexuelle et
transsexuelle), Olympe de Gouges déclare par ailleurs : « Je suis un animal
sans pareil ; je ne suis ni homme ni femme. J’ai tout le courage de l’un, et
quelquefois les faiblesses de l’autre. Je possède l’amour de mon prochain et
la haine de moi seul. Je suis fier, simple, loyal et sensible 114. » Sorte
d’Amazone des temps modernes, dotée des qualités d’une femme et de
celles que la tradition attribue au guerrier, elle se qualifie d’« animal
amphibie ». Une telle définition de soi s’oppose au modèle de Robespierre
ou Rousseau en ceci qu’il suppose que les femmes sont capables d’occuper
des rôles d’hommes 115. Cette position intermédiaire entre hommes et
femmes, radicaux et modérés, entre classes et même entre nations n’aurait
certes pas été ratifiée par Rousseau, ni par Robespierre, par bien des
hommes et des femmes du temps non plus (ainsi le marquis de *** créé par
Charrière dans Lettres trouvées dans des porte-feuilles d’émigrés déclare-t-
il : « Les êtres amphibies sont ce que j’aime le moins dans la création 116 »).
Dans son « Testament politique » remis à la Convention, aux Jacobins, à
la commune de Paris et aux journalistes, Gouges prend la défense du parti
auquel elle a adhéré, la Gironde modérée, dont la chute a accompagné celle
de la haute bourgeoisie et de l’aristocratie, et s’offre avec emphase au
sacrifice : « Vous cherchez le premier coupable ? C’est moi ; frappez […]
J’ai tout prévu, je sais que ma mort est inévitable. » Elle détaille ce que doit
être son héritage philosophique et symbolique :
Je lègue mon cœur à la Patrie, ma probité aux hommes (ils en ont besoin). Mon
âme aux femmes, je ne leur fais pas un don indifférent ; mon génie créateur aux
auteurs dramatiques, il ne leur sera pas inutile […] ; mon désintéressement aux
ambitieux, ma philosophie aux persécutés, mon esprit aux fanatiques, ma religion aux
athées, ma gaieté franche aux femmes sur le retour, et tous les pauvres débris qui me
restent d’une fortune honnête, à mon héritier naturel, à mon fils, s’il me survit.
117
Quant à mes pièces de théâtre […], je les donne à la Comédie française .
Et de qui dépend cette révolution : en vain l’on fera de nouvelles lois, en vain l’on
bouleversera les royaumes ; tant qu’on ne fera rien pour élever l’âme des femmes, tant
qu’elles ne contribueront pas à se rendre plus utiles, plus conséquentes, tant que les
hommes ne seront pas assez grands pour s’occuper sérieusement de leur véritable
118
gloire, l’état ne peut prospérer : c’est moi qui vous le dis .
Si aucune révolution n’est imaginable sans que les femmes n’en soient
partie prenante, Gouges ne se montre pas moins lucide sur le peu de
chances pour elle d’infléchir la situation politique ; elle craint de se voir
condamnée « impitoyablement comme une femme qui n’a que des
paradoxes à offrir, et non des problèmes faciles à résoudre 119 ».
CODA :
ÉCRIRE POUR LOUVOYER
e
*1. Voir XVII siècle, « Un grand siècle pour les femmes auteurs », chap. II, ainsi que les
e
propos sur le roman au XIX siècle, chap. VI.
*2. On a volontiers stigmatisé son état de religieuse défroquée, sa conduite sur le plan
sentimental et familial (elle abandonne ses trois enfants, parmi lesquels le futur D’Alembert),
son caractère d’intrigante et de manipulatrice, preuve que la vie de l’auteure continuait
d’entretenir des liens avec la réputation de ses ouvrages.
*3. L’histoire est également adaptée au théâtre par le dramaturge Pierre-Claude Nivelle de
La Chaussée en 1742 (Amour pour amour) et se trouve à l’origine d’autres adaptations, dont un
opéra-ballet de Marmontel et Grétry (Zémire et Azor, 1771).
*4. « Dès l’origine du christianisme, rappelle Jean-Louis Flandrin, la famille a été
considérée comme une monarchie de droit divin. » Des années 1500 aux années 1700, le
renforcement de l’autorité paternelle et maritale s’accompagne de celle qui vise les biens
privés ; les termes de l’échange restent l’obéissance en retour de la protection. Dans le domaine
e
juridique, les femmes ont perdu du terrain à partir du XIII siècle en raison de l’affirmation de la
patrilinéarité et de leur incapacité à remplir des obligations de réciprocité. Au siècle suivant
apparaissent l’usage du patronyme, l’exclusion des femmes du trône de France, l’incapacité
pour elles de transmettre le droit d’accéder au trône, et en particulier les restrictions juridiques
qui leur sont dès lors imposées (Familles. Parenté, maison, sexualité dans l’ancienne société,
Paris, Éditions du Seuil, 1984, p. 117-124).
Bibliographie
ŒUVRES CITÉES
INTRODUCTION
1. Louise de Keralio, Collection des meilleurs ouvrages français composés par des
femmes, Paris, Lagrange, 1786, t. 1, p. ix.
2. Dans le domaine de la critique, il faut signaler le travail pionnier de Georges May,
e
Le Dilemme du roman au XVIII siècle. Étude sur les rapports du roman et de la critique,
1715-1761, New Haven-Londres-Paris, Yale University Press / Presses universitaires de
France, 1963.
I
LIBERTÉS
II
ÉGALITÉS
1. Cité par Éliane Viennot, dans Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin !
Petite histoire des résistances de la langue française, Paris, Ixe, 2014.
2. Christie McDonald, « Lectures », in Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy
(dir.), Les Fins de l’homme à partir du travail de Jacques Derrida [1981], Paris,
Hermann, 2013, p. 270-281.
3. Antoine Berman, « De la translation à la traduction », Traduction, terminologie,
o
rédaction [TTR], vol. 1, n 1, 1988, p. 23-40.
4. Voir Julie Candler Hayes, Translation, Subjectivity and Culture in France and
England, 1600-1800, Stanford, Stanford University Press, 2009, p. 144. Hayes analyse
l’évolution du rôle du traducteur au cours du siècle, à mesure que le respect du texte
original prend une importance grandissante.
5. Dictionnaire de l’Académie française, 1762.
6. Antoine Berman, art. cit., p. 31.
7. Lawrence Venuti, The Translator’s Invisibility. A History of Translation, Londres,
Routledge, 1995, 2008, p. 81.
8. Le débat sur le degré de liberté admis dans une traduction au regard de la fidélité
(linguistique et culturelle) au texte original porte notamment sur la restitution du passé par
rapport au présent et sur la transmission de la culture à travers la langue. Il a aussi
conduit, à une époque plus récente, à analyser comment la traduction néoclassique est
devenue ethnocentrique. Voir Julie Candler Hayes, Translation, Subjectivity and Culture
in France and England, 1600-1800, op. cit.
9. André Billaz, « Voltaire traducteur de Shakespeare et de la Bible : philosophie
implicite d’une pratique traductrice », Revue d’histoire littéraire de la France, vol. 97,
o
n 3, 1997, p. 375-378.
10. « Lettre au R. P. B[uffier] jésuite, sur Homère », s. d., in Œuvres de Madame la
Marquise de Lambert, avec un abrégé de sa vie, Lausanne, Marc-Michel Bousquet et Cie,
1747, p. 383. Cité in Éliane Itti, Madame Dacier, femme savante du Grand Siècle (1645-
1720), Paris, L’Harmattan, 2012, p. 293-294.
11. Anne-Thérèse de Lambert, Réflexions nouvelles sur les femmes [1727], Paris,
Côté-femmes, 1989, successivement p. 39, 45-46 et 49-50.
12. Émilie Du Châtelet. Selected Philosophical and Scientific Writings, éd. Judith
Zinsser, trad. Isabelle Bour et Judith Zinsser, Chicago, University of Chicago Press, 2009.
13. Judith Zinsser, La Dame d’esprit. A Biography of the Marquise Du Châtelet,
New York, Viking Penguin, 2006, p. 9.
14. Francesco Algarotti, Le Newtonianisme pour les dames, ou Entretiens sur la
lumière, sur les couleurs, et sur l’attraction, 2 vol., trad. Louis-Adrien du Perron
de Castera, Paris, Montalant, 1738.
o e
15. Lettre n 136 au duc de Richelieu, 17 février 1739, in Lettres du XVII et du
e
XVIII siècle. Lettres de la marquise du Châtelet, réunies pour la première fois, revues sur
les autographes et les éditions originales […], éd. Eugène Asse, Paris, Charpentier, 1878,
p. 330.
16. Isaac Newton, Principes mathématiques de la philosophie naturelle, trad. Émilie
du Châtelet, éd. Michel Toulemonde, 2 vol., Ferney-Voltaire, Centre international d’étude
e
du XVIII siècle, 2015.
17. Les Lettres de la marquise du Châtelet, éd. Theodore Besterman, Genève,
Institut et Musée Voltaire, 1958, t. I, p. 267.
18. Ira O. Wade, « Preface », traduction de Fable of the Bees, in Studies on Voltaire
With Some Unpublished Papers of Madame Du Châtelet, op. cit., p. 137.
19. Émilie du Châtelet, « Préface du traducteur 1735 », ibid., p. 133.
20. Ibid., p. 135.
21. Voltaire, Éloge historique de Madame la Marquise du Chastellet, in Les Œuvres
complètes de Voltaire, Oxford, The Voltaire Foundation, vol. 32A, 2006, p. 381, 382
et 387. Voltaire l’écrit en préface à la traduction des Principia par Du Châtelet ; le texte
est republié dans le Mercure en 1754.
22. Judith Zinsser, La Dame d’esprit, op. cit., p. 243.
23. Louise Colet, Émilie du Châtelet, « Lettres inédites au maréchal de Richelieu et à
Saint-Lambert », Revue des deux mondes, vol. 11, 1845, p. 1011.
24. Marie-Pascale Pieretti, « Construction de l’identité auctoriale de Madame
e
Thiroux d’Arconville », in La Traduction des genres non-romanesques au XVIII siècle, éd.
Annie Cointre et Annie Rivara, Metz, Centre d’étude de la traduction, 2003, p. 269-283.
25. Marc André Bernier et Marie-Laure Girou-Swiderski, Madame d’Arconville,
moraliste et chimiste au siècle des Lumières. Études et textes inédits, Oxford, The Voltaire
Foundation, coll. Oxford University Studies in the Enlightenment, 2016.
26. Sherry Simon, Gender in Translation, New York, Routledge, 1996, p. 83.
27. La Femme n’est pas inférieure à l’homme, traduit de l’anglais, Londres [Paris],
1750. Dans le catalogue de la BnF, le texte est attribué à Madeleine de Puisieux et
Philippe-Florent de Puisieux (1713-1772).
28. Le Triomphe des dames, traduit de l’anglais de Miledi P****, Londres, 1751
(attribué dans le catalogue de la BnF à Madeleine et Philippe-Florent de Puisieux).
29. Voir Alice M. Laborde, Diderot et Madame de Puisieux, Saratoga, ANMA Libri,
1984, p. 58-63 ; Michel Delon, Diderot cul par-dessus tête, op. cit., p. 224.
30. La Femme n’est pas inférieure à l’homme, op. cit., p. 7 et 20.
31. L’Année littéraire, année 1756, Amsterdam-Paris, Lambert, 1756, t. III, lettre IV,
p. 73, cité dans Réflexions d’une provinciale sur le Discours de M. Rousseau, citoyen de
Genève, touchant l’origine de l’inégalité des conditions parmi les hommes, éd. Édith
Flammarion, Arras, Artois Presses Université, 2015, p. 31.
32. Voltaire, Œuvres complètes, Paris, Garnier, 1877, t. XL, p. 67, cité ibid.
33. Mercure de France, cité dans Réflexions d’une provinciale sur le discours de
M. Rousseau, op. cit., p. 8.
34. Charlotte Simonin, « “Les feux purs de l’amour ou l’amour de la sexualité dans
la traduction du Paradise Lost de Madame Marie-Anne du Boccage (1748) », in Annie
Cointre, Florence Lautel et Annie Rivara (dir.), La Traduction du discours amoureux
1660-1830, Metz, Université Paul Verlaine, 2005, p. 323-346. Voir aussi Jean Gillet, Le
Paradis perdu dans la littérature française de Voltaire à Chateaubriand, Paris,
Klincksieck, 1977.
35. Rotraud von Kulessa, « Les Amazones de Madame du Boccage dans la traduction
italienne de Luisa Bergalli Gozzi », in Annie Cointre, Florence Lautel et Annie Rivara
(dir.), La Traduction du discours amoureux 1660-1830, op. cit., p. 261.
36. Amélie, roman de Fielding traduit de l’anglais par Madame Riccoboni, Paris,
Brocas et Humblot, 1762.
37. Susan Sniader Lanser, Fictions of Authority : Women Writers and Narrative
Voice, Ithaca, Cornell University Press, 1992, p. 58-59.
38. Riccoboni, « Lettre à M. Humblot, libraire », in Amélie, op. cit., p. 2-5.
39. Voir Joan Hinde Stewart, Gynographs, Lincoln, University of Nebraska Press,
1993, p. 34-35.
40. Anne-Louise Élie de Beaumont, Anecdotes de la cour et du règne d’Édouard II,
roi d’Angleterre par M. de L.M.D.T., et M. de E.D.B., Paris, Pissot, 1776.
41. Fortunée Briquet, Dictionnaire historique des Françaises connues par leurs
écrits, op. cit., p. 121.
42. Le roman est encore attribué au seul Dorat : voir l’édition d’Alain Clerval, Paris,
Le Promeneur, 1995.
43. Dorat est par ailleurs l’auteur d’un nombre considérable d’ouvrages, parmi
lesquels une série d’héroïdes et Amants malheureux, ou le Comte de Comminges (1764)
inspiré du roman de Tencin (ses œuvres complètes comptent 20 vol.). Beauharnais
poursuit de son côté la publication de nombreux romans, dont Lettres de Stéphanie,
roman historique (1778), L’Abailard supposé, ou le Sentiment à l’épreuve (1780) ou Le
Somnambule, œuvres posthumes en prose et en vers, où l’on trouve l’histoire générale
d’une isle très singulière découverte aux Grandes Indes en 1784.
44. Voir Jacob Vernet, Lettres critiques d’un voyageur anglais sur l’article
« Genève » du Dictionnaire encyclopédique, et sur la Lettre de M. d’Alembert à
M. Rousseau touchant les spectacles, Copenhague [Genève], 1766. Voir Yves
Krumenacker, « Marie Huber : une théologienne entre piétisme et Lumières », in Refuge
et Désert. L’évolution théologique des Huguenots de la Révocation à la Révolution
française, éd. Hubert Bost et Claude Lauriol, Paris, Honoré Champion, 2003, p. 99-115.
45. Fortunée Briquet, Dictionnaire historique des Françaises connues par leurs
écrits, op. cit., p. 205.
46. Rousseau, « Profession de foi », Émile, op. cit., p. 346.
47. Marie Huber, Lettres sur la religion essentielle à l’homme, distinguée de ce qui
n’en est que l’accessoire, Amsterdam, Wetstein et Smith, 1738.
48. Yves Krumenacker, « L’évolution du concept de conscience chez Marie Huber »,
o
Dix-huitième Siècle, n 34, 2002, p. 225-237.
49. Voltaire, Œuvres complètes, op. cit., t. X, p. 574.
50. Laurent Versini, dans Choderlos de Laclos, Œuvres complètes, Paris, Gallimard,
coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1979, p. 1163.
51. Marie-Françoise de Mézières, marquise de Saint-Aubin, Le Danger des liaisons,
ou Mémoires de la baronne de Blémon, Genève, 1763, t. I, p. 2-3.
52. Ibid., t. 1, p. 141 et t. 3, p. 109.
53. À l’époque toutefois, Alexandre Robineau fait jouer une comédie intitulée Le
Danger des liaisons, comédie en un acte, représentée en 1783 et publiée chez Cailleau en
1784. Abbé défroqué, Robineau prit le pseudonyme de Beaunoir (anagramme de son
nom) après s’être séparé de l’Église, et sa femme, Louise-Céline Cheval (1766-1821),
signa plusieurs de ses ouvrages, jugés trop libertins pour sa fonction de bibliothécaire du
roi.
54. Œuvres de Madame de Gouges, Paris, Cailleau, 1788, t. I, p. iii. Il semblerait
qu’il existe aussi des versions antérieures du Mariage inattendu de Chérubin.
e
55. Olivier Blanc, Marie-Olympe de Gouges. Une humaniste à la fin du XVIII siècle,
Paris, René Viénet, 2003, p. 17-66.
56. Rousseau, Lettre à d’Alembert sur les spectacles, in Œuvres complètes, op. cit.,
note, p. 44. Il ajoute : « Les femmes en général, n’aiment aucun art, ne se connaissent à
aucun, et n’ont aucun génie. Elles peuvent réussir aux petits ouvrages qui ne demandent
que de la légèreté d’esprit, du goût, de la grâce, quelquefois même de la philosophie et du
raisonnement. Elles peuvent acquérir de la science, de l’érudition, des talents, et tout ce
qui s’acquiert à force de travail. Mais ce feu céleste qui échauffe et embrase l’âme, ce
génie qui consume et dévore, cette brûlante éloquence, ces transports sublimes qui portent
leurs ravissements jusqu’au fond des cœurs, manqueront toujours aux écrits des femmes ;
ils sont tous froids et jolis comme elles ; ils auront tant d’esprit que vous voudrez, jamais
d’âme ; ils seraient cent fois plutôt sensés que passionnés. Elles ne savent ni décrire ni
sentir l’amour même. La seule Sapho, que je sache, et une autre, méritèrent d’être
exceptées […] Or partout où dominent les femmes, leur goût doit aussi dominer ; et voilà
ce qui détermine celui de notre siècle » (ibid., p. 94-95).
e
57. Sabine Juratic, « Les femmes dans la librairie parisienne au XVIII siècle », in
Frédéric Barbier, Sabine Juratic et Dominique Varry (dir.), L’Europe et le livre. Réseaux et
e e
pratiques du négoce de librairie, XVI -XIX siècles, Paris, Klincksieck, 1996, p. 247-276.
58. Denis Diderot, Lettre sur le commerce de la librairie. La propriété littéraire au
e
XVIII siècle, éd. Georges Guiffrey, Paris, Hachette, 1861 ; Jean-Antoine-Nicolas de
Caritat de Condorcet, Œuvres complètes, 21 vol., éd. Sophie de Grouchy, Paris,
Heinrichs, 1804.
59. Carla Hesse, « Enlightenment Epistemology and the Laws of Authorship in
o
Revolutionary France, 1777-1793 », Representations, n 30, « Law and the Order of
Culture », printemps 1990, p. 109-137.
e
60. Six de ces femmes auteurs appartiennent au XVII siècle. Toutes les données ont
été rassemblées par Caleb Shelburne. La plupart des sources proviennent de l’ouvrage de
Cecilia Beach, French Women Playwrights Before the Twentieth Century, recoupées avec
celles de David Trott, « Bases numérisées et bilans : pour un survol du rôle des femmes
dans le théâtre français entre 1700 et 1789 »,
http://homes.chass.utoronto.ca/~trott/femme.htm
61. C’est le cas pour Barbier, Bernard, Du Bocage, Charrière, Deshoulières, Gomez,
Marron, Saintonge et Staël.
62. Caleb Shelburne a procédé à l’analyse statistique des graphiques.
63. Parmi celles-ci : Genlis, 46 ; Laisse, 21 ; Montesson, 15 ; Gouges, 11 ; Favart, 9 ;
Marron, 9 ; Barbier, 8 ; Graffigny, 7 ; Riccoboni, 7 ; et Charrière, 6.
64. Tragédies de Mademoiselle Barbier, Paris, Ribou, 1707, comprend les trois
premières tragédies ; Les Tragédies et autres poésies de Mademoiselle M.-A. Barbier,
Leyde, B. J. Vander Aa, 1719, 1723, 1724 (et à Amsterdam en 1749, le nom de Barbier
étant changé en M.*** B.***), les quatre tragédies principales et de la poésie ; Théâtre de
Mademoiselle Barbier, Paris, Briasson, 1745, les quatre tragédies principales et Le
Faucon, comédie en un acte.
65. Marie-Anne Barbier, Arrie et Petus, in Théâtre de femmes de l’Ancien Régime,
e e
tome III, XVII -XVIII siècle, éd. Aurore Evain, Perry Gethner et Henriette Goldwyn, Saint-
Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, coll. La Cité des dames, 2011,
p. 367-368.
66. Ibid., p. 365 et 367-368
67. Élisabeth Rallo, « Marie-Anne Barbier », in Dictionnaire des femmes des
Lumières, op. cit., p. 99.
68. Voir Madeleine-Angélique de Gomez, Œuvres mêlées, Paris, G. Saugrain, 1724.
69. Madeleine-Angélique de Gomez, Habis, Utrecht, E. Neaulme, 1732, « Préface ».
70. Justine Favart, Les Amours de Bastien et Bastienne, Paris, Veuve Delormel et fils
et Prault fils, 1753.
71. Correspondance littéraire, philosophique et critique de Grimm et de Diderot,
op. cit., t. II, p. 116-117.
72. Mercure de France, avril 1757, vol. 1, p. 119.
73. Anne-Marie Du Bocage, La Colombiade, ou la Foi portée au nouveau monde,
Paris, Desaint, Saillant et Durand, 1756, p. 164-179.
74. George Noël, Une « primitive » oubliée à l’école des « cœurs sensibles ».
Madame de Graffigny, 1695-1758, Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1913.
75. English Showalter, « Writing Off the Stage : Women Authors and Eighteenth-
Century Theater », in Displacements. Women, Tradition, Literatures in French, Londres-
Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1991, p. 154-162.
76. Le drame bourgeois connaît un succès considérable de 1757 à 1771. Ses
défenseurs en sont Madame d’Épinay, Grimm et Voltaire ; ses ennemis, Fréron, Palissot et
Collé. L’immense popularité de Sedaine pour Philosophe sans le savoir (1765) annonce
celui du Père de famille (1769) de Diderot.
77. Beaumarchais, Œuvres, éd. Pierre Larthomas, Paris, Gallimard,
coll. Bibliothèque de La Pléiade, 1988, p. 119. Beaumarchais suit l’Éloge de Richardson,
dans lequel Diderot loue Richardson d’avoir mis en action ce que Montaigne, La
Rochefoucauld et d’autres avaient laissé en maximes : « Une maxime est une règle
abstraite et générale de conduite dont on nous laisse l’application à faire. Elle n’imprime
par elle-même aucune image sensible dans notre esprit » (Diderot, Œuvres esthétiques,
éd. Paul Vernière, Paris, Garnier, 1965, p. 29).
78. Diderot tient que le monde se répartit en ceux qui prennent plaisir à la vie et ceux
qui souffrent ; il s’identifie seulement à ceux qui souffrent (Éloge). Sur la vérité et le
mensonge, il écrit : « Ô Richardson ! j’oserai dire que l’histoire la plus vraie est pleine de
mensonges, et que ton roman est plein de vérités. L’histoire peint quelques individus ; tu
peins l’espèce humaine : l’histoire attribue à quelques individus ce qu’ils n’ont ni dit, ni
fait ; tout ce que tu attribues à l’homme, il l’a dit et fait […]. Le cœur humain, qui a été,
est et sera toujours le même, est le modèle d’après lequel tu copies » (Éloge, in Œuvres
esthétiques, op. cit., p. 39-40).
79. Pour une analyse approfondie, voir Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval, Madame
e
de Genlis et le théâtre d’éducation au XVIII siècle, Oxford, The Voltaire Foundation, coll.
Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 1997.
80. De même que Marie-Élisabeth de La Fite (1750 ?-1794), femme du prédicateur
protestant Jean-Daniel de La Fite avec qui Laisse a collaboré, qui a publié Entretiens,
drames et contes moraux à l’usage des enfants, La Haye, Detune, 1778.
81. Madame de Laisse, Proverbes dramatiques, mêlés d’ariettes connues,
Amsterdam, Veuve Duchesne, 1777, t. 1, p. ix-xii.
82. Ce texte met en scène un homme se ralliant à la thèse de l’égalité des femmes
alors que la thèse de la supériorité des hommes est défendue par une femme. En tenant le
rôle d’une femme qui défend des croyances obsolètes, Beauharnais crée une situation
absurde, dans laquelle l’outrance de l’argumentation ruine pour finir la démonstration
même. Elle ridiculise les hommes qui autorisent les femmes à s’essayer à certaines
formes artistiques mais pas à d’autres, vilipende le déterminisme biologique en matière de
sexe et déplore que les femmes soient limitées à la vie domestique. Elle jette une lumière
crue sur la question de savoir qui peut s’exprimer au nom des femmes dans le contexte
d’une féminisation accrue de la sphère privée au moment même où le savoir se
masculinise davantage.
83. Les Victimes cloîtrées (1791) de Jacques-Marie Boutet de Monvel, Le Couvent
ou les Fruits du caractère et de l’éducation (1790) de Pierre Laujon, ou encore Les
Rigueurs du cloître (1790) de Joseph Fiévée exploitent la même veine.
84. Jacqueline Letzer et Robert Adelson, Women Writing Opera. Creativity and
Controversy in the Age of the French Revolution, Berkeley, University of California
Press, 2001.
85. Olympe de Gouges, Molière chez Ninon ou le Siècle des grands hommes, Paris,
Caillau, 1788.
86. Lettres de Ninon de L’Enclos au marquis de Sevigné, 2 vol., Amsterdam,
François Joly, 1750.
87. Genlis évoque Ninon dans la partie de De l’influence des femmes consacrée à
Madame de Sévigné, stigmatisant son dogmatisme en matière de religion et laissant
entendre que les « philosophes » (Voltaire, d’Alembert…) la tiennent en trop haute
estime (De l’influence des femmes sur la littérature française, Paris, Maradan, 1811,
p. 134-144).
88. Joseph de La Porte, Histoire littéraire des femmes françoises, Paris, Lacombe,
1769, t. I, p. 332.
89. Olympe de Gouges, Le Bonheur primitif de l’homme ou les Rêveries
patriotiques, Amsterdam et Paris, Royer et Bailly, 1789, successivement p. 68 et 105.
90. Olympe de Gouges, Préface pour les dames, ou le Portrait des femmes, in
Œuvres de Madame de Gouges, op. cit., t. I, p. 1.
91. Ibid., p. 122.
92. Olympe de Gouges, Mirabeau aux Champs Élysées, Paris, Garnéry, 1791,
« Préface », p. x.
93. Ibid., p. xiii.
94. Voir Angeles Sirvent Ramos, « Fonction des préfaces dans l’œuvre d’Olympe de
Gouges », in Angeles Sirvent Ramos et al. (dir.), Femmes auteurs du dix-huitième siècle.
Nouvelles approches critiques, Paris, Honoré Champion, 2016, p. 133-148.
95. Gouges décrit un metteur en scène qui tente de lui voler l’attribution de l’une de
ses œuvres ; il lui demande s’il peut couper quelques mots ici et là et ajoute une scène
entière à son insu ; elle est si incongrue que les acteurs ne parviennent pas à garder leur
sérieux (voir Le Couvent, ou les Vœux forcés, Paris, Veuve Duchesne et Veuve Bailly,
1792, p. 36, préface).
96. Gérard Genette, Seuils, Paris, Éditions du Seuil, 1982.
97. Olympe de Gouges, Mirabeau aux Champs Élysées, op. cit., p. x.
98. Christopher L. Miller, The French Atlantic Triangle. Literature and Culture of
the Slave Trade, Durham, Duke University Press, 2008, p. 100.
99. « D’après tous les soins que les grands hommes et les nations se sont donnés,
pour détruire cet affreux préjugé qui a rendu cette espèce d’hommes esclave depuis tant
de siècles, ce drame est devenu une pièce de circonstance : c’est le premier sujet
dramatique où il est mention de leurs mœurs et de leur véritable histoire » (Olympe de
Gouges, Le Bonheur primitif de l’homme ou les Rêveries patriotiques, op. cit., p. 84).
100. Rousseau, Du contrat social, in Œuvres complètes, Paris, Gallimard,
coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1964, t. V, p. 351.
101. Lettres à Madame C… qui contiennent plusieurs anecdotes sur l’histoire du
tems, depuis l’année 1726 jusqu’en 1733, Paris, La Grange, 1787 ; Charlotte-Élisabeth
Aïssé, Lettres à Madame C., éd. Benedetta Craveri, Paris, Payot & Rivages, 2009.
102. Laclos écrivait : « Partout où il y a esclavage, il ne peut y avoir éducation ; dans
toute société, les femmes sont esclaves ; donc la femme sociale n’est pas susceptible
d’éducation », Discours pour l’académie de Châlons-sur-Marne, in Œuvres complètes,
op. cit., p. 391.
103. Le Moniteur, 30 août 1792.
104. Olympe de Gouges, Réflexions sur les hommes nègres, Paris, Cailleau, 1788,
p. 93-95. Pour un commentaire de cette pièce, voir Doris Y. Kadish et Françoise
Massardier-Kenney (dir.), Translating Slavery. Gender and Race in French Women’s
Writing, 1783-1823, Kent-Londres, The Kent State University Press, 1994.
105. Olympe de Gouges, L’Esclavage des Noirs ou l’Heureux Naufrage, Paris,
Veuves Duchesne et Bailly, 1792.
106. Christopher L. Miller, op. cit., p. 126.
107. Ibid., p. 143.
108. Voir Germaine de Staël, Lettres de jeunesse, 1777-1788, in Correspondance
générale, éd. Béatrice W. Jasinski, Paris, Pauvert, 1962, t. I, p. 104.
109. Germaine de Staël, Mirza ou Lettre d’un voyageur, in Œuvres de jeunesse, éd.
Simone Balayé, Paris, Desjonquères, 1997, p. 159.
110. Germaine de Staël, Histoire de Pauline, ibid., p. 199.
111. Voir Christopher L. Miller, op. cit., p. 145-157. Voir aussi Appel aux souverains
réunis à Paris, pour en obtenir l’abolition de la traite des nègres (1814), in Œuvres
complètes de Madame la Baronne de Staël-Holstein, Paris, Didot, 1836, t. 2, p. 292-293.
112. Germaine de Staël, De la littérature, op. cit., t. 1, p. 302.
113. Voir Éliane Viennot, « “L’homme” : une construction politique et langagière des
Lumières françaises », Discours prononcé à l’Assemblée nationale à l’occasion du
lancement de la campagne pour la Déclaration des droits humains des citoyennes et des
citoyens, avril 2015, http://www.elianeviennot.fr/Langue/DDH-2avril
III
DILEMMES
1. Anne-Marie Du Bocage, Lettre de Madame *** à une de ses amies sur les
spectacles, et principalement sur l’opéra comique, 1745 ; Lettres sur l’Angleterre, la
Hollande et l’Italie, in Recueil des œuvres de Madame Du Bocage, Lyon, Frères Périsse,
1762, t. III.
2. Anne-Marguerite Du Noyer, Lettres historiques et galantes, Londres, Jean
Nourse, 1741.
e
3. La correspondance de Galiani a été publiée au XIX siècle, les lettres d’Épinay
dans les années 1920. Voir l’édition critique dirigée par Georges Dulac : Ferdinando
Galiani et Louise d’Épinay, Correspondance, 5 vol., Paris, Desjonquères, 1992-1997. Voir
aussi Francis Steegmuller, A Woman, a Man, and Two Kingdoms. The Story of Madame
d’Epinay and the Abbé Galiani, New York, Knopf, 1991.
4. Suzan van Dijk, « Les topoi “féminins” dans les fictions épistolaires et des
correspondances véritables : Mesdames de Graffigny, Riccoboni et Charrière », in
e e
L’Épistolaire au féminin. Correspondance de femmes (XVII -XX siècle), op. cit., p. 39-50.
5. « Les affaires d’État sont mes affaires de cœur ». Lettres de Rosalie Jullien, une
femme dans la Révolution, 1775-1810, éd. Annie Duprat, Paris, Belin, 2016.
6. Outre l’ouvrage de Georges May déjà mentionné, voir Henri Coulet, Le Roman
jusqu’à la Révolution [1967], Paris, Armand Colin, 2000, et Angus Martin, Vivien Mylne
et Richard Frautschi, Bibliographie du genre romanesque français 1751-1800, Londres,
e
Mansell, 1977. Romans de femmes du XVIII siècle, éd. Raymond Trousson, Paris, Robert
Laffont, coll. Bouquins, 1996, constitue une excellente anthologie ; voir aussi Le Second
e
Triomphe du roman du XVIII siècle, sous la dir. de Philip Stewart et Michel Delon,
Oxford, The Voltaire Foundation, 2009.
7. Voir Isabelle Brouard-Arends (dir.), Lectrices d’Ancien Régime, op. cit. ; Georges
e
May, Le Dilemme du roman au XVIII siècle, op. cit. ; Roger Chartier, Lectures et lecteurs
dans la France d’Ancien Régime, Paris, Éditions du Seuil, 1987, et Martine Sonnet,
L’Éducation des filles au temps des Lumières, op. cit.
8. Voir Nancy K. Miller, « The Exquisite Cadavers : Women in Eighteenth-Century
o
Fiction », Diacritics, vol. 5, n 4, hiver 1975, p. 37-43, où l’auteure analyse comment
l’accusation de « féminocentrisme » dans le roman par des hommes (auteurs et critiques)
cherche à déstabiliser le pouvoir grandissant des femmes dans la société, et en particulier
en amour. Elle identifie deux « destins » précis auxquels se trouvent confrontées les
héroïnes : l’intégration euphorique ou réussie dans la société (le mariage), après qu’elles
ont réaffirmé la conscience de leur place dans la société, et le sacrifice dysphorique ou
catastrophique (habituellement la mort) résultant de choix immoraux ou contraires aux
convenances.
9. Henri Coulet, « Préface », in Huguette Krief, Anthologie des romancières de la
période révolutionnaire 1789-1800, Oxford, The Voltaire Foundation, 2005.
10. Germaine de Staël, Essai sur les fictions, in Œuvres de jeunesse, op. cit., p. 131-
133.
11. Germaine de Staël, De la littérature, in Œuvres complètes, op. cit., t. II, chap. IX,
p. 198.
12. Ibid., « Une sensibilité rêveuse et profonde est un des plus grands charmes de
quelques ouvrages modernes ; et ce sont les femmes qui, ne connaissant de la vie que la
faculté d’aimer, ont fait passer la douceur de leurs impressions dans le style de quelques
écrivains. En lisant les livres composés depuis la renaissance des lettres, l’on pourrait
marquer à chaque page, quelles sont les idées qu’on n’avait pas, avant qu’on eût accordé
aux femmes une sorte d’égalité civile » (ibid.).
13. De la littérature, ibid. (citations successives).
14. Dans Essai sur les fictions, elle cite néanmoins Lafayette, Tencin, Fanny Burney
(1752-1840), qu’elle a rencontrée en 1793, et Riccoboni (op. cit., p. 167). Voir Martine
Reid, Des femmes en littérature, Paris, Belin, 2010, p. 34-41.
15. « Toutes les vertus des anciens étaient fondées sur l’amour de la patrie ; les
femmes exercent leurs qualités d’une manière indépendante. La pitié pour la faiblesse, la
sympathie pour le malheur, une élévation d’âme, sans autre but que la jouissance même
de cette élévation, sont beaucoup plus dans leur nature que les vertus politiques » (De la
littérature, op. cit., p. 199).
16. Germaine de Staël, Lettres sur les ouvrages et le caractère de J. J. Rousseau, in
Œuvres complètes, Paris, Honoré Champion, 2008, t. I, p. 91.
17. Voir Joan Hinde Stewart, Gynographs. French Novels by Women of the Late
Eighteenth Century, Lincoln, University of Nebraska Press, 1993.
18. Pour Armand Pierre Jacquin, l’intérêt porté par la société aux préoccupations des
femmes témoigne de leur montée en puissance et de la destruction de l’ancienne structure
patriarcale qui les assujettissait à la volonté de leur père et de leur époux (voir Entretiens
sur les romans, 1755). Nicolas Lenglet Du Fresnoy, dans De l’usage des romans, y voit la
reconnaissance tardive des capacités d’agir féminines dont elles faisaient depuis
longtemps la preuve, notamment dans la culture des salons.
19. Nicolas Lenglet Du Fresnoy, De l’usage des romans, Où l’on fait voir leur
utilité & leurs differens caractères : avec une bibliothèque des Romans, Accompagné de
Remarques critiques sur leur choix & leurs Éditions, Amsterdam, Veuve de Poilras, 1734,
t. I, p. 7-8.
20. Ibid., p. 58-59.
21. Charles Porée condamne le roman en 1736 (De libris qui vulgo dicuntur
Romanenses…, Paris, Marc Bordelet). Voir le compte rendu dans Journal de Trévoux ou
Mémoires pour servir à l’histoire des sciences et des arts, 1736, p. 1450 et sq.
22. Jean-Jacques Rousseau, « Préface », La Nouvelle Héloïse, in Œuvres complètes,
Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1964, t. II, p. 6.
23. Cette idée est exprimée par Diderot dans Sur les femmes, op. cit.
e
24. Jean-Jacques Rousseau, cité in May, Le Dilemme du roman au XVIII siècle, op.
cit., p. 211.
25. Voir Robert Darnton, Gens de lettres, gens du livre, Paris, Odile Jacob, 1990,
p. 107-108. Carla Hesse indique que si le nombre de femmes auteurs augmente peu entre
les années 1750 et les années 1780, il croît nettement après 1789. Elle cite Briquet, dont
les 583 fiches de femmes auteurs témoignent d’une « explosion à la fin du
e
XVIII siècle… » (The Other Enlightenment. How French Women Became Modern, op.
cit.). Martine Reid cite plusieurs sources divergentes et montre que le nombre de romans
écrits par des femmes varie peu, se maintenant autour de 10 % dans la deuxième moitié
e
du XVIII siècle (Des femmes en littérature, op. cit., p. 139-143).
26. Statistiques fournies par Angus Martin, « La survie des textes romanesques du
e
XVIII siècle : l’enseignement des rééditions », in Le Second Triomphe du roman du
e
XVIII siècle, op. cit., p. 171-193, notamment p. 177-178.
27. Ibid., p. 181. Entre 1820 et 2005, la liste des ouvrages le plus souvent réédités ne
comporte aucune œuvre de femme. Comme le souligne Angus Martin, de nombreuses
auteures n’ont été rééditées que récemment. En témoigne le volume Romans de femmes
e
du XVIII siècle, éd. Raymond Trousson, op. cit., suivi de rééditions, de romans
principalement, chez un certain nombre d’éditeurs, dont Des Femmes, Indigo-Côté
femmes et Desjonquères.
28. Bien qu’elle n’ait pas signé ses ouvrages, on sait que Catherine Durand s’est
illustrée dans plusieurs genres, en particulier le roman. Le catalogue de la BnF
mentionne : La Comtesse de Mortane, 1699 ; Les Mémoires secrets de la cour de
Charles VII, 1700 ; Le Comte de Cardonne, ou la Constance victorieuse, histoire
sicilienne, 1702 ; Les Belles Grecques, ou l’Histoire des courtisanes les plus fameuses de
la Grèce, 1712 ; Amarante, ou le Triomphe de l’amitié, 1715.
29. Louise Levesque est notamment l’auteure de : Le Prince des Aigues-Marines et
le Prince invisible, 1722 ; Célénie, histoire allégorique, 1732 ; Le Siècle, ou les Mémoires
du Cte de S***, 1736.
30. Catherine de Lintot publie Trois Nouveaux Contes de fées, 1735, préfacé par
l’abbé Prévost ; Histoire de Mademoiselle de Salens, 1740 ; Histoire de Mlle d’Atilly,
1745.
31. Dans Tecserion, 1737, Marie-Madeleine de Lubert plaide pour l’importance du
seul plaisir, et non de la morale, dans la lecture. Elle est également l’auteure de contes, La
Princesse Couleur de rose et le Prince Céladon (1743), La Princesse Lionnette et le
Prince Coquerico (1743), Blancherose (1751), et du roman Mourat et Turquia, histoire
africaine (1752).
32. Voir Robert Mauzi, « L’idée du bonheur dans la littérature et la pensée
française », thèse de l’université de Paris, 1960, p. 466.
33. De son roman galant, Histoire de la comtesse de Gondez (1725), à ses nouvelles
pastorales des Veillées de Thessalie (publiées en 1731, suivies de quatre rééditions
jusqu’en 1786), son roman historique, Anecdotes de la cour de Philippe-Auguste (1733-
1738), son Histoire de la révolution du royaume de Naples, dans les années 1647 et 1648
(1757), à la Vie de Louis Balbe-Berton de Crillon, surnommé le Brave (1756), traduit en
anglais et « révisé » par Richardson (1760).
e
34. Georges May, Le Dilemme du roman au XVIII siècle, op. cit., p. 237.
35. Claude-Joseph Dorat, « Extrait des Mémoires du comte de Comminges », in
Lettres en vers et œuvres mêlées, Paris, Delalain, 1792, t. 1, p. 38.
36. Roger Marchal, Madame de Lambert et son milieu, Oxford, The Voltaire
Foundation, 1991, p. 226.
37. Jean-François La Harpe, Lycée, ou Cours de littérature ancienne et moderne
[1798], Paris, Didier, 1834, p. 701.
38. Nancy K. Miller, « 1735 : the Gender of the Memoir-Novel », in Denis Hollier
(dir.), A New History of French Literature, Cambridge, Harvard University Press, 1995,
p. 436-442.
39. Joseph de La Porte, Histoire littéraire des femmes françaises, op. cit., t. III,
p. 261.
40. Deux traductions de l’ouvrage en témoignent : Memoirs of the Count of
Comminge. From the French of Monsieur D’Arnaud, Londres, G. Kearsly, 1774 ; The
Fatal Legacy ; or Memoirs of the Count of Comminge. From the French of Monsieur
d’Arnaud, Dublin, C. Jackson, 1781.
41. Angus Martin, La Bibliothèque universelle des romans, 1775-1789.
Présentation, table analytique et index, Oxford, The Voltaire Foundation, coll. SVEC,
vol. 231, 1985, p. 222.
42. Notamment l’Histoire générale du sérail de Michel Baudier (1624), l’Histoire de
l’état présent de l’Empire Ottoman de Paul Rycaut (traduit de l’anglais en français, 1670)
et la Nouvelle Relation de l’intérieur du sérail du Grand Seigneur de Jean-Baptiste
Tavernier (1675). Voir Anecdotes ou Histoire secrète de la maison ottomane, Lyon,
Marcellin Duplain, 1724, « Préface ».
43. Madeleine-Angélique de Gomez, Crémentine, reine de Sanga, histoire indienne,
Paris, Pierre Prault, 1727, t. I, « Préface », n. p.
44. Madeleine-Angélique de Gomez, Entretiens nocturnes de Mercure et de la
Renommée, au jardin des Thuilleries, Paris, Le Clerc et al., 1731, p. 99-103.
45. Les traductions existent en danois, polonais, portugais, russe et suédois, ainsi
qu’en anglais, allemand et italien, avec plusieurs éditions en anglais. Plusieurs éditions
bilingues français-italien à vocation pédagogique ont de même été publiées. Pour la liste
complète de ses ouvrages, voir David Smith, Bibliographie des œuvres de Madame de
e
Graffigny, Ferney-Voltaire, Centre International du XVIII siècle, 2016.
46. Charles Palissot de Montenoy, Mémoires pour servir à l’histoire de notre
er
littérature, depuis François I jusqu’à nos jours, Paris, Crapelet, 1803, t. I, p. 371.
47. Voir Janet Gurkin Altman, « A Woman’s Place in the Enlightenment Sun : the
o
Case of F. de Graffigny », Romance Quarterly, vol. 38, n 3, août 1991, p. 261-272.
48. Françoise de Graffigny, Lettres d’une Péruvienne, Paris, Duchesne, 1752, p. 67-
69.
49. Janet Gurkin Altman, « A Woman’s Place in the Enlightenment Sun : the Case of
F. de Graffigny », art. cit.
50. Guillaume Thomas Raynal, Nouvelles littéraires manuscrites (1747-1755), in
Correspondance littéraire, philosophique et critique par Grimm, Diderot, Raynal,
Meister, etc., éd. Maurice Tourneux, Paris, Garnier Frères, 1877, t. I, p. 132 (lettre 14).
51. Stéphanie-Félicité de Genlis, De l’influence des femmes sur la littérature
française, op. cit., p. 272.
52. Joseph de La Porte, Histoire littéraire des femmes françaises, IV, op. cit., p. 115.
53. Madeleine de Puisieux, L’Éducation du marquis de ***, ou Mémoires de la
e
comtesse de Zurlac, La Haye, Monnier, 1755, 2 partie, p. 29, cité in Huguette Krief et
Valérie André (dir.), Dictionnaire des femmes des Lumières, op. cit., p. 951.
54. Voir mes observations dans « Imagination ethnographique », op. cit., p. 223-240.
55. Le Dictionnaire de l’Académie française de 1762 définit l’animal comme un
« être composé d’un corps organisé et d’une âme sensitive ». Le mot « bête », « animal
irraisonnable » au sens littéral, de même que le mot « animal » désignent au figuré une
personne « stupide » ou « qui n’a point d’esprit ».
56. Voir l’anthologie Beauty and the Beast. Classic Tales About Animal Brides and
Grooms from Around the World, éd. Maria Tatar, New York, Random House, 2017.
57. In La Jeune Amériquaine et les contes marins, 2 vol., La Haye, 1740.
58. La Belle et la Bête entretient une parenté indiscutable avec l’histoire de Psyché et
Cupidon, dont on trouve les premières versions écrites dans L’Âne d’or d’Apulée, que La
Fontaine a adapté en 1669 et dont Molière, Quinault et Corneille ont tiré une tragédie-
e
ballet (1671). Il renvoie aussi à certains contes de fées du XVII siècle, par exemple Le
Mouton, de Marie-Catherine d’Aulnoy, ou Riquet à la houppe dans les versions de
Catherine Bernard et de Charles Perrault (voir Maria Tatar, « Introduction », in Maria
Tatar (dir.), The Cambridge Companion to Fairy Tales, Cambridge, Cambridge University
Press, 2015).
59. Voir Marina Warner, « Reluctant brides : Beauty and the Beast I », in From the
Beast to the Blonde. On Fairy Tales and Their Tellers, New York, Noonday Press, 1996,
p. 272-297 ; Tatiana Korneeva, « Desire and desirability in Villeneuve and Leprince de
o
Beaumont’s “Beauty and the Beast” », Marvels & Tales, vol. 28, n 2, 2014, p. 233-251.
60. Gabrielle-Suzanne de Villeneuve, La Jeune Américaine et les contes marins (La
Belle et la Bête). Les Belles Solitaires ; Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, Magasin
des enfants (La Belle et la Bête), éd. Elisa Biancardi, op. cit.
61. Ibid., p. 51.
62. Ibid.
63. Joseph de La Porte, Histoire littéraire des femmes françaises, op. cit., t. IV,
p. 263 ; cité in Villeneuve, op. cit., p. 53.
64. « Il y a, à la vérité, de savants critiques qui réclament le conte de La Belle et la
Bête comme appartenant à madame de Villeneuve ; mais je ne connais pas cette madame
de Villeneuve, je ne veux pas avoir à partager ma reconnaissance, et je la garde tout
entière à madame Le Prince de Beaumont qui a voulu prouver à ses enfants en magasin,
que la bonté est, à la longue, une qualité à laquelle personne ne résiste, et que, même
dépourvue de beauté, elle finit par se faire aimer pour elle-même : cette morale est
certainement bonne à prêcher aux enfants » (Correspondance littéraire, philosophique et
critique de Grimm et de Diderot, op. cit., t. VII, p. 411, février 1772).
65. Stéphanie-Félicité de Genlis, Théâtre à l’usage des jeunes personnes, Paris,
Panckoucke, 1779, t. I, p. 3-4, « Préface de l’éditeur ».
66. Gabriel-François Coyer, « L’année merveilleuse », in Bagatelles morales,
Londres-Paris, Duchesne, 1754, p. 57 et 68.
67. Jeanne-Marie de Beaumont, « La lettre en réponse à “L’année merveilleuse” », in
Contes et autres écrits, éd. Barbara Kaltz, Oxford, The Voltaire Foundation, 2000, p. 81.
68. Voir Joan Hinde Stewart, Gynographs, op. cit., p. 23 et sq.
69. Dans Gynographs, Joan Hinde Stewart fait des romancières de la fin du
e
XVIII siècle des féministes de la première heure qui entretiennent des conversations
codées sur les « préoccupations féminines », le mariage, l’adultère, la maternité et la
vertu. Elle reconstitue une histoire des romancières à qui ce genre littéraire offre un
espace où les femmes sont relativement libres de communiquer entre elles et de remettre
en question la société.
70. Marie-Jeanne Riccoboni, Lettres de Mistriss Fanni Butlerd, éd. Joan Hinde
Stewart, Genève, Droz, 1979, p. 50, lettre 30.
71. « Correspondance entre Mme Riccoboni et M. de Laclos, avril 1782 », in Laclos,
Œuvres complètes, op. cit., p. 757-765.
72. Henriette Ritter, « Féminité et masculinité selon Madame Riccoboni et Laclos :
la pluralité des genres », in Suzan van Dijk et Madeleine van Strien-Chardonneau (dir.),
Féminité et masculinités dans le texte narratif avant 1800. La question du « gender », op.
cit., p. 245-269.
73. Julia Kavanagh, Women in France during the Eighteenth Century, Philadelphie,
Lea & Blanchard, 1850, t. II, p. 17. La critique récente a attiré l’attention sur un
changement marquant survenu dans l’œuvre de Riccoboni : la « sensiblerie », peut-être un
peu ridicule au premier abord, marquerait le passage de la frivolité élégante à la gravité
(Joan Hinde Stewart, « The Novels of Mme Riccoboni », North Carolina Studies in the
o
Romance Languages and Literatures, n 8, 1976).
74. Joseph de La Porte, Histoire littéraire des femmes françaises, op. cit., t. V, p. 29.
75. Voir Élisabeth Badinter, Les Passions intellectuelles, Paris, Fayard, 1999, t. II,
p. 274.
76. Une femme d’encre et de papier à l’époque des Lumières. Henriette de Marans
(1719-1784), éd. Mathilde Chollet et Huguette Krief, Rennes, Presses universitaires de
Rennes, 2017.
77. « Introduction », in Bonne-Charlotte Bénouville [Henriette de Marans], Pensées
errantes, avec quelques lettres d’un Indien, op. cit., p. 23.
78. Mathilde Chollet, « Une ambition féminine au siècle des Lumières. Éducation et
culture au château : les journaux de Madame de Marans (1719-1784) », thèse de doctorat,
université du Maine, Le Mans, 2014.
79. [Henriette de Marans] Pensées errantes, op. cit., p. 144-145.
80. Madame de Genlis écrit dans ses Mémoires : « D’Alembert […] me dit
amicalement qu’il me conseillait de ne jamais parler à l’avenir de la religion, parce que
cette mode était passée ; qu’il fait employer ma belle imagination sur des sujets seulement
moraux […]. Je répondis qu’il m’était impossible de séparer la religion de la morale […].
Que non seulement je parlerais sans cesse de la religion, mais que je combattrais de tous
mes faibles moyens la fausse philosophie qui l’attaque et la calomnie » (Mémoires inédits
de Madame la comtesse de Genlis, sur le dix-huitième siècle et la révolution française,
Paris, Ladvocat, 1825, t. III, p. 102-104, cité par François Bessire dans « Madame de
Genlis ou l’“ennemie de la philosophie moderne” », in Madame de Genlis. Littérature et
éducation, op. cit., p. 279).
81. Diderot, « Encyclopédie », in Diderot et d’Alembert (dir.), Encyclopédie
raisonnée des sciences, des arts et des métiers, Paris, Briasson, 1751-1765, t. V. Voir
Christie McDonald, « The Utopia of the Text », in The Dialogue of Writing. Essays in
Eighteenth-Century French Literature, Waterloo, Wilfrid Laurier University Press, 1984.
82. [Henriette de Marans] Pensées errantes, op. cit., p. 146.
83. Ibid., p. 93.
84. Le 23 octobre 1762, Isabelle de Charrière écrit au baron Constant
d’Hermenches : « Vous n’êtes pas le premier qui ait des regrets que je ne sois pas un
homme ; j’en ai eu moi-même bien souvent. Non qu’il soit bien sûr que je fusse un
homme si admirable, mais je serais apparemment une créature moins déplacée que je ne
le parais à présent. Ma situation donnerait plus de liberté à mes goûts, un corps plus
robuste servirait mieux un esprit actif… » (Œuvres complètes, op. cit., t. I, p. 143).
85. Journal des Dames, mai 1761, t. I, p. 178-179.
86. Leprince de Beaumont, Lettres d’Émérance à Lucie, Lyon, Bruys et Ponthus ;
Paris, Saillant, 1765, t. I, p. 16, lettre 2.
87. « Autorité politique », in Encyclopédie, op. cit., t. I, p. 898-900.
88. Diderot, « Pensées détachées ou fragments politiques échappés du portefeuille
d’un philosophe », in Œuvres complètes, op. cit., t. X, p. 74-75.
89. « Mariage (Théol.) », in Encyclopédie, op. cit, t. X, p. 103-104.
90. Voir Joan Hinde Stewart, Gynographs, op. cit., p. 136.
91. Fanny de Beauharnais, À tous les penseurs, salut, op. cit., p. 14-15.
92. Ibid., p. 20-21.
93. Jacques Rancière, Le Partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La
Fabrique, 2000.
94. Isabelle de Charrière, Le Noble, conte moral, in Œuvres complètes, op. cit.,
t. VIII, p. 32.
95. Isabelle de Charrière, Lettres écrites de Lausanne, ibid., p. 138, lettre 1.
96. Jacqueline Letzter, Intellectual Tacking, op. cit., p. 38-48.
97. Germaine de Staël, dans Isabelle de Charrière, Correspondance, in Œuvres
complètes, op. cit., t. IV, p. 162, lettre 1104, 27 août 1793.
98. Germaine de Staël, Lettres sur les ouvrages et le caractère de J. J. Rousseau, op.
cit., p. 59-60.
99. Isabelle de Charrière, Éloge de Jean-Jacques Rousseau, Œuvres complètes, op.
cit., t. X, p. 195.
100. “Works of Fiction and Non-Fiction in French by Women in the Eighteenth
Century”, Nader-Esfahani Sanam (dir.), 2019, https://doi.org/10.7910/DVN/DXFSR6,
base de données constituée à partir du fonds de la BnF.
101. Carla Hesse recense le nombre de femmes françaises publiées : 73 de 1754 à
1765 ; 55 de 1766 à 1777 ; 78 de 1777 à 1778 ; 329 de 1789 à 1800, soit 320 textes
publiés par des femmes entre 1789 et 1793, date limite de notre étude (op. cit., p. 37-40).
D’après Darnton, même si le nombre total d’auteurs masculins triple pendant la seconde
moitié du siècle, on ne comptait qu’environ 3 % de femmes auteurs (proportion qui ne
s’est accrue que progressivement). Voir Robert Darnton, Gens de lettres, gens du livre, op.
cit., p. 107-118. Nous remercions notre collègue pour une discussion à ce sujet.
102. Élisabeth Haudry de Montullé est également auteure de deux traductions de
l’anglais : Emma, ou l’Enfant du malheur (1788) et Le Fils naturel, ou Mémoires de M. de
Gréville (1790).
103. Éliane Viennot, Et la modernité fut masculine. La France, les femmes et le
pouvoir 1789-1804, Paris, Perrin, 2016.
104. Voir Jacqueline Letzter, Intellectual Tacking, op. cit.
105. Jeanne-Marie Roland, « Projet de défense au tribunal », in Mémoires de
Madame Roland, éd. Paul de Roux, Paris, Mercure de France, 1966, p. 371-374.
106. Voir Dominique Godineau, « Olympe de Gouges », in Christine Bard (dir.),
Dictionnaire des féministes, Paris, PUF, 2017, p. 660-667.
107. Voir Benoîte Groult, Ainsi soit Olympe de Gouges. La Déclaration des droits de
la femme et autres textes politiques, Paris, Grasset, 2013 ; voir aussi Olivier Blanc,
Olympe de Gouges. Une femme de libertés, Paris, Syros, 1989. Dans Le Deuxième Sexe
(1949-1950), Simone de Beauvoir cite Gouges et Wollstonecraft au nombre des auteurs
ayant écrit sur la nature et le destin des femmes.
108. Olympe de Gouges, Droits de la femme, in Écrits politiques, éd. Olivier Blanc,
op. cit., t. 1, p. 204-215.
109. Voir Christie McDonald, « Opérateurs du changement : de miss Polly Baker à
o
Murphy Brown », Œuvres et critiques, vol. 19, n 1, 1994, p. 70-78.
110. Olympe de Gouges, « Réponse à la justification de Maximilien Robespierre »,
in Écrits politiques, op. cit., t. II, p. 163-168.
111. Olympe de Gouges, « Pronostic sur Maximilien Robespierre », ibid., p. 169-
173.
112. « Laissant à part mon sexe, l’héroïsme et la générosité sont aussi le partage des
femmes et la Révolution en offre plus d’un exemple. Je suis franche et loyale
républicaine, sans tache et sans reproche […] Je crois Louis fautif comme roi ; mais
dépouillé de ce titre proscrit, il cesse d’être coupable aux yeux de la république […] Il ne
suffit pas de faire tomber la tête d’un roi pour le tuer ; il vit encore longtemps après sa
mort ; mais il est mort véritablement, quand il survit à sa chute » (lettre du 16 décembre
1792, in Écrits politiques, op. cit., t. II, p. 192-193).
113. Olympe de Gouges à Dumouriez, 22 janvier 1793, ibid., p. 215.
114. Olympe de Gouges, « Pronostic sur Maximilien Robespierre », ibid., p. 169.
115. Rousseau écrit à propos de Ninon de Lenclos : « […] elle s’était faite
homme […] Mais avec toute sa haute réputation, je n’aurais pas plus voulu de cet
homme-là pour mon ami que pour maîtresse » (Émile, op. cit., p. 736).
116. Isabelle de Charrière, Œuvres complètes, op. cit., t. VIII, p. 436.
117. Olympe de Gouges, « Testament politique », in Écrits politiques, op. cit., t. II,
p. 234-241 et p. 240 successivement.
118. Olympe de Gouges, Mirabeau aux Champs Élysées, in Œuvres complètes, tome
I, Théâtre, éd. Félix-Marcel Castan, Montauban, Éditions Cocagne, 1993, p. 256.
119. Olympe de Gouges, Le Bonheur primitif de l’homme ou les Rêveries
patriotiques, op. cit., p. 23. Voir l’argumentation établie, à partir de la notion de paradoxe,
par Joan W. Scott dans Only Paradoxes to Offer. French Feminists and the Rights of Man,
Cambridge, Harvard University Press, 1996.
120. Voir l’introduction au roman dans Œuvres complètes, op. cit., t. IX, p. 23-34.
121. Emmanuel Kant, Sur l’expression courante : il se peut que ce soit juste en
théorie, mais en pratique cela ne vaut rien, 1793…, trad. Louis Guillermit, Paris, Vrin,
1992.
122. Voir Carla Hesse, « Kant, Foucault and Three Women », in Foucault and the
Writing of History, éd. Jan Goldstein, Cambridge, Mass., Blackwell, 1994, p. 81-98.
123. Isabelle de Charrière, Trois femmes, in Œuvres complètes, op. cit., t. IX, p. 100-
101 (lettre du 25 décembre 1794), 106 (lettre du 5 janvier 1795) et 110 (lettre du
23 janvier 1795).
INDEX DES NOMS *1
Moyen Âge - XVIIIe siècle
*1. Les femmes sont classées à leur propre nom, c’est-à-dire à leur nom de naissance et
non pas au nom de leur époux ; chaque fois que nécessaire, on a procédé à un renvoi. Les reines,
souveraines, religieuses, saintes et fées sont classées à leur prénom.
Abbé, l’ (in Parallèle des Anciens et des Modernes de Charles Perrault) 637-638
ABÉLARD 24, 36, 40, 42, 50, 135, 146-147
A.D.S.D. (auteur des Comptes du monde adventureux, où sont récitées plusieurs belles
histoires mémorables… ; Antoine de Saint-Denis ?) 335, 421
AELDERS VAN NIEUWENHUYS, Etta (épouse de Christian Palm) 786, 887
AELIZ DE CONDET [Aeliz ou Adélaïde] (épouse de Robert de Condet ; mère de Roger) 54-55
AELRED DE RIEVAULX 93
AGNES CELAYNE (servante de John Ravensthorpe) 160
AÏSSÉ, Aïcha, puis Charlotte-Élisabeth, dite Mademoiselle 756, 835, 842, N101
AKHMATOVA, Anna N2
ALAIN CHARTIER 105-107, 158-159, 339, 405
Alberico da Romano : voir Bieiris de Romans
ALBERT, Marie-Madeleine de Bonafons, dite Mademoiselle d’ N*15
ANNE D’ESTE, duchesse de Guise puis de Nemours (petite-fille de Louis XII ; fille de Renée de
er e
Ferrare et Ercole d’Este ; épouse de François I de Lorraine, 2 duc de Guise, puis de
e
Jacques de Savoie, duc de Nemours ; mère d’Henri de Lorraine [3 duc de Guise],
Catherine de Lorraine [duchesse de Montpensier], Charles de Lorraine [Charles de
Savoie-Nemours], Louis de Lorraine [cardinal de Guise]) 283, 308, 313, 321, 328,
348, 375, 410, 413, 422, N21
ANNE DE FRANCE [Anne de Beaujeu], régente (fille de Charlotte de Savoie et Louis XI ;
épouse de Pierre de Beaujeu, duc de Bourbon ; mère de Suzanne de Bourbon) 64, 157,
276-277, 280, 282-283, 288, 291, 295, 301, 310, 326, 354, 361, 381, 394,
411, N15, N17, N36, N38
ANSELME DE CANTORBÉRY (saint) 98
Antiope, reine des Amazones 506
ANTIPATER de Thessalonique 419, N136
ANYTÊ 419
Apollon 173-174, 345, 400-401, 410, 416
Apollon (in Apothéose de mademoiselle de Scudéry de Marie-Jeanne L’Héritier) 556
BARBIN, Claude (libraire parisien) 563, 565-566, 572, 575-579, 585, 588, 590, 592,
594, 599-600, 612, 625-626, 642, 695, N4, N6, N7, N7, N10, N11, N16,
N18, N19, N20, N20, N21, N22, N24, N34
BARBIN, veuve : voir Cochait, Marie
BARBOT, Gabrielle-Suzanne (épouse de Jean-Baptiste de Villeneuve) 722, 853, 865-868,
N59, N60, N63, N64, N86
BARRAL, Pierre 596
BASCHET, Jérôme 28, N8
BEAULIEU, Marie de 287, 329, 350, 354, 358, 365, 374-375, 380-381, 403, 416-
417, N135
BEAUMARCHAIS, Pierre-Augustin Caron de 778, 806, 811-812, 814, 818, 827, 829,
831, 838, N77
BEAUMER, Madame de 775-777, 779, N92, N94
BEAUNOIR : voir Robineau
BEAUVAIS, Esther de 331, 337
BEAUVAU-CRAON, Charles Juste de 838
BEAUVAU-CRAON, Marie-Charlotte de : voir Rohan-Chabot, Marie-Charlotte de
BEAUVILLIERS, Anne de (épouse de Pierre Forget de Fresnes, secrétaire d’État) 375
BEAUVOIR, Simone Lucie Ernestine Marie Bertrand de (fille aînée de Françoise Brasseur et
Georges Bertrand de Beauvoir ; sœur d’Hélène de Beauvoir) N107
BÉCOURT, Marguerite de, dame de Santes 156, N6
Bérénice (in Les Femmes illustres, ou les Harangues héroïques de Scudéry) 502
BERGALLI GOZZI, Luisa 803, N35
BERMANN, Mademoiselle de (autrice de « Lequel serait plus utile dans notre siècle, d’écrire
des ouvrages purement de Belles-Lettres ou de Morale ? », 1761, et de « Combien les
mœurs donnent de prix au talent », 1763) 770
BERNARD ARNAUD 71, N37
BERNARD DE CLAIRVAUX 91-92, 422, N19
BERNARD DE SEPTIMANIE (époux de Dhuoda ; père de Guillaume) 143, 182
BLANCHE DE CASTILLE, reine de France, régente de 1226 à 1236 (épouse de Louis VIII ; mère
de saint Louis) 266, 280, 288
BLANCHE DE FRANCE (fille de Marguerite de Provence et Louis IX ; épouse de Ferdinand de la
Cerda, infant de Castille) 60-62, 86, 157
BLANCHE DE FRANCE [Blanche d’Orléans] (fille de Jeanne d’Évreux et Charles IV ; épouse de
Philippe de Valois, duc d’Orléans) 156
BLOSSEVILLE 107
BLOUNT, Martha 530
BOCCACE, Giovanni Boccaccio, en fr. Jean 40, 43, 76, 126-129, 139-140, 156-158,
251-252, 284, 288, 344, 354-355, 357, 369, 557, 866, N12, N21, N26,
N36, N38
BODIN, Jean 262-263, N31
BOÈCE (Anicius Manlius Severinus Boetius) 117, 155, 344, 382
BOURBON, Suzanne de (fille d’Anne de France et Pierre de Beaujeu ; épouse de Charles III de
Bourbon, duc de Montpensier) 64, 277, 326, 354, 361, 394, 411
BOURBON-VENDÔME, Marguerite de (1516-1559), duchesse de Nevers (sœur aînée d’Antoine
er
de Bourbon ; épouse de François I de Clèves, duc de Nevers) 296, 308
BOURGEOIS, Louise (épouse de Martin Bourcier) 329, 363, 365, 375, 382, 390-391
BOURGES, Clémence de 284, 338, 376, N81, N141
BOURGES, Louise de 331, 378, 380
BRACHART, Jeanne-Charlotte de Bréchard, dite Charlotte de 329, 372, 382, 388, 398,
N73, N96
BRAMES, sieur de (gouverneur de Cusset ; père de Marie de Brames) 349, 377, 413-414
BRANTÔME, Pierre de Bourdeilles, abbé de (mémorialiste) 281, 287, 304, 360, 380,
416, N14, N46
BRISSON, Barnabé (président du Parlement de Paris ; époux de Denise de Vigny) 329, 349,
413
BRISSOT DE WARVILLE, Jacques Pierre Brissot, dit 763-764, 785
BROCKDEN BROWN, Charles N38
BRUNEAU, Marie (épouse de Charles de Rechignevoisin, sieur des Loges) 489-490, 492,
504, N4
BRUNEHAUT ou BRUNEHILDE, reine des Francs 266
CAMBIS, Marguerite de (épouse de Pons d’Aleyrac, baron d’Aigremont) 329, 362, 377,
380
CAMPAN, Jeanne : voir Genet, Jeanne
CAMPET DE SAUJON, Marie-Charlotte Hippolyte de (épouse d’Édouard de Boufflers-Rouverel)
759, 838
CATHERINE II, impératrice de Russie, dite la Grande Catherine (Sophie Frédérique d’Anhalt-
Zerbst) 758, 780, N38
CATHERINE DE VILLIERS 155
CHARLES D’ANJOU, roi de Naples et de Sicile (frère de saint Louis et d’Isabelle de France) 95
CHARLES DE BOURGOGNE, dit le Téméraire (père de Marie de Bourgogne) 108
CHARLES DE DURAZZO [Charles III de Naples, Charles II de Hongrie] (neveu par alliance de
re
Jeanne I de Naples) 244
e er
CHARLES de France [Charles II d’Orléans] (3 fils de François I ) 311
CHARLES II Stuart, roi d’Angleterre 529, 701
CHARLES VIII, roi de France (fils de Charlotte de Savoie et Louis XI ; frère d’Anne de France)
277, 295, 301, 326, 347
CHARLES IX, roi de France (fils de Catherine de Médicis et Henri II) 263, 279, 284, 302-
303, 571
CHARLOTTE DE FRANCE (nièce de Marguerite de Navarre) 381
CHARLOTTE DE SAVOIE, reine de France (épouse de Louis XI ; mère d’Anne de France et
Charles VIII) 156, 277, N8
CLAUDE DE FRANCE [1499-1524] (fille aînée d’Anne de Bretagne et Louis XII ; épouse de
er
François I ) 277, 281, 290, 316, 335, 340, 375
e
CLAUDE DE FRANCE [1547-1575] (2 fille de Catherine de Médicis et Henri II ; épouse de
Charles III de Lorraine) 297, 382, N32
CLAUDIEN 371-372
CLAVIER, Tatiana N10, N22, N25
Clélie (in Clélie, histoire romaine de Scudéry) 535-536, 544, 554, 586, 638
CLÉMENCE DE BARKING (moniale de l’abbaye bénédictine de Barking) 40, 52, 92-94, 183,
N21
CLÉMENCE DE HONGRIE, reine de France (veuve de Louis X) 154, 156
CLÈVES, Sibylle de, Électrice de Saxe [Sibylle von Jülich-Kleve-Berg] (épouse de Jean
er
Frédéric I de Saxe) 316
Clèves, prince de (in La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette) 589
COICY, Madame de (autrice des Femmes comme il convient de les voir) 730
COIGNARD, Gabrielle de (épouse de Pierre de Mansencal, sieur de Miremont ; mère de Jeanne
et Catherine de Mansencal) 329, 342, 376, 392, 401, 410, N121
CONDÉ, Louis II de Bourbon, prince de [1621-1686] (dit le Grand Condé ; frère de la duchesse
de Longueville et de Louis Armand de Conti ; époux de Claire-Clémence de Maillé)
511, 520-523, N18, N19
CONDÉ, princesse de : voir Maillé, Claire-Clémence de
CONRART, Valentin 489, 492, 533, 539-540, 594, N4, N5, N17
Consalve (in Zayde de Madame de Lafayette) 586
CONSTANCE (religieuse, correspondante de Baudri de Bourgueil) 147
CONSTANCE DE RABASTENS 174, 186
Constance (in Trois femmes d’Isabelle de Charrière) 896-897
CONSTANT DE REBECQUE, Benjamin 765
COTTEBLANCHE, Marie de 329, 363, 368-369, 371, 375, 380, 432, N39, N51
COTTIER, Gabriel (imprimeur lyonnais) 330
CRÉBILLON, Prosper Jolyot de, dit Crébillon père 641, 776, 798, 818, 866
Cressy, marquise de (madame de Raisel ; in Histoire de M. le marquis de Cressy de Jeanne-
Marie Riccoboni) 873
CROŸ, Dorothée de 693
CUBIÈRES, Michel de 829
Cupidon 416
CURCHOD, Suzanne (épouse de Jacques Necker ; mère de Germaine Necker) 722-723, 756,
758-759, 761-762, 842, N62, N64
Cydippe 417
Cydippe (in Héroïdes d’Ovide) 288, N*19
Cyrus (in Artamène, ou le Grand Cyrus) 515, 519-522, 524, 530, 638
Cyrus (in La Femme héroïque de Jacques Du Bosc) 508
DENIS FOULECHAT N5
DENISOT, Nicolas (dit le comte d’Alsinois ; précepteur d’Anne, Jane et Margaret Seymour)
313, 334, 421, 430
DENIS PIRAMUS 78, 81-82, 84, 160, 177, 180, N13
DENTIÈRE, Marie d’Ennetières, dite Marie 317, 328, 350, 366, 375, 388, 391, 396-
397, 407-408, 411, N70, N84, N89, N113, N123
DERUET, Claude 505-506
DES ROCHES, dames : voir Fradonnet, Catherine et Neveu, Madeleine
DESAINT, Catherine-Michelle : voir Chauchat, Catherine-Michelle
DESAINT, Nicolas (époux de Catherine-Michelle Chauchat ; libraire parisien) 814, N*15
DES AUTELZ, Guillaume 334, 421
DESBORDES, Marceline Félicité (épouse de François Prosper Valmore) 44, N*5
DESCARTES, René 728, 734, 769, 793, 796, 876
DESJARDINS ou DES JARDINS, Marie-Catherine, dite Madame de VILLEDIEU 543, 559, 561,
563, 565-566, 571, 576-578, 580, 599-602, 604-605, 625, 630, 635, 691-
697, 699, 703, 705, 707, 818, N4, N10, N11, N21, N21
DES LOGES, Charles de Rechignevoisin, sieur (époux de Marie Bruneau) 489-490
DES LOGES, Marie : voir Bruneau, Marie
DESMARETS DE SAINT-SORLAIN, Jean 691, 699, N21
DES PERIERS, Bonaventure 366
DESPORTES, Philippe 284, 304, 336, 350, 368, 421, N44
e
DES ROCHES, François Eboissard, seigneur de La Villée et sieur (2 époux de Madeleine
Neveu) 314
DESROSIERS-BONIN, Diane N1, N21, N25, N153
Déterville (protecteur et guide de Zilia, in Lettres d’une Péruvienne de Françoise de
Graffigny) 860-861
DEVAUX, François-Antoine, dit Panpan 765, 767, 843
DHUODA (épouse de Bernard, duc de Septimanie ; mère de Guillaume) 143, 182, N1, N2
Diane (déesse) 285, 302
« Diane » : voir Marguerite de Valois
DIANE DE FRANCE (fille légitimée de Filippa Duci et Henri II) 297
Dictynne (nymphe suivante de Diane) 285
« Dictynne » : voir CLERMONT, Claude-Catherine de
DIDEROT, Denis 591, 720, 728-730, 741, 756, 761, 765, 780, 797, 816, 818,
827, 838, 842, 873-874, 876-877, 880, 891, N*4, N3, N4, N23, N58,
N76, N77, N78, N81, N88
Didon (Elisa) 103, 107, 355, 357, 384
Didon (in La Cité des Dames de Christine de Pizan) 163, N*1
Didon (in Héroïdes d’Ovide) 288, 384
DI MORA, Isabella 430
DIONYSIA DE MUNCHENSY (Denyse de Monchensy) 64
D.L., comtesse de : voir Bossigny, Louise de
Dolent fortuné, le (auteur du Garant des dames contre les calomniateurs de la noblesse
féminine) 307
DONNEAU DE VISÉ, Jean 567-569, 571, 579, 588-589, 610-611, 619-620, 647, 699
Érinne (in Les Femmes illustres, ou les Harangues héroïques de Scudéry) 502
ERMENGARDE DE NARBONNE 71, 74-75, N5
ERNECOURT, Alberte-Barbe d’ (épouse de Jean-Jacques de Haraucourt, seigneur de Saint-
Balmon ou Saint-Baslemont) 504-507, 693-695, 697-698, 703, N*4
ÉSOPE 640
ESPARBÈS, comtesse d’ (autrice de « Céphise et Célimène », 1780) 771
ESPENCE, Claude d’ (théologien catholique, recteur de l’université en 1540) 369, 376, 421
Esther 107, 410
ESTIENNE CASTEL (époux de Christine de Pizan) 111-113, 115, 117-118, 121, 139, 178
ESTIENNE, Nicole (fille de Geneviève de Verly et Charles Estienne ; épouse de Jean Liébaut)
328, 337, 350, 373-374, 381-382, 386, 388, 421, 425, N23, N44, N66
ESTIENNE, Paul (fils d’Henri II Estienne) N10
ESTIENNE, Perette : voir Bade, Perette
er e er
ESTIENNE, Robert I (2 fils de Guyonne Viart et Henri I Estienne, époux de Perette Bade)
312
ÉTAMPES, duchesse d’ : voir Heilly, Anne d’
Étanges, baron d’ (père de Julie ; in Julie ou la Nouvelle Héloïse de Rousseau) 848, 856,
884-885
Étanges, Julie (in Julie ou La Nouvelle Héloïse de Rousseau) 848, 851, 856, 871, 884-
885
ÉTIENNE DE FOUGÈRES (évêque de Rennes puis chapelain d’Henri II d’Angleterre) 32, N16
ÉTIENNE DE LA MISÉRICORDE (moine cistercien) 76
EUDES DE SOISSONS 91
FAUCHET, Claude 77
FAUCONNIER, Madeleine-Joseph 782-783
FAULQUIER, Janne de 334
FONTENELLE, Bernard Le Bovier de 605, 704-705, 707, 740, 756, 760, 768, 793,
825, 859
FONTETTE DE SOMMERY, Mademoiselle 730, 749, N41
FORÇAY, Hillaire de 338, 430, N9
FRADONNET, Catherine (fille de Madeleine Neveu et André Fradonnet) 314, 329, 342-343,
352-354, 366, 371-373, 376, 378, 381, 386, 389-391, 393, 397, 403-405,
422, 693, N17, N53, N64, N65, N76, N82, N87, N108
FRAGONARD, Jean-Honoré Nicolas 803
FRANCESC EIXIMENIS 37
FRANCESCO DA BARBERINO 36
FRANÇOIS DE SALES (saint ; évêque de Genève) 321, 323
er
FRANÇOIS I (fils de Louise de Savoie et Charles d’Orléans, comte d’Angoulême ; époux de
Claude de France ; père de François de France, Henri II, Charles de France, Marguerite de
France) 177, 228, 277-279, 281, 289, 292, 296, 300-302, 307, 311, 315,
327, 346, 357, 374, N40
FRANÇOIS II (fils aîné de Catherine de Médicis et Henri II) 263, 279, 302-303, 305, 379,
413
FRANÇOIS DE FRANCE [1518-1536] [François III de Bretagne] (fils aîné de Claude de France et
er
François I ) 278-279, 281
FRANÇOIS DE FRANCE [1554-1584] [François d’Alençon, François d’Anjou] (frère de
Marguerite de Valois) 249, 302-303
FRANÇOIS VILLON 32, 37, 171, 177, N*1, N*2, N25
FRANKLIN, Benjamin 760, 832, 891
Gaia 419
GAILLARDE, Jeanne 334, 420, 422, 432, N1, N138
GEOFFROY DE MONMOUTH 56
GERBERGE (abbesse de Gandersheim ; fille de Liutpold de Saxe) 150
GOURNAY, Marie Le Jars de 107, 287, 329, 346, 349, 357-358, 365, 371, 374,
377, 382, 388-390, 398, 403, 405, 414, 889, N3, N27, N71, N74, N78,
N95, N110
Gouverneur (in L’Esclavage des Noirs d’Olympe de Gouges et Mirza ou Lettre d’un voyageur
de Germaine de Staël) 838
Grâces : voir Charites
GROUCHY, Sophie Marie Louise de (épouse de Nicolas de Condorcet) 764, 785, 788, 805,
889, N58, N103
GRUGET, Claude 384
Guénélic (in Les Angoysses douloureuses qui procedent d’amours d’Hélisenne de Crenne)
355
Guenièvre 80
GUERSANS, Jules de 421
GUISE, Louis II de Lorraine, cardinal de (fils d’Anne d’Este et François de Lorraine, duc de
Guise ; frère d’Henri) 280, 321, 348, 413
Guise, duc de (in La Princesse de Montpensier de Madame de Lafayette) 571
HEILLY, Anne Pisseleu d’, duchesse d’Étampes (épouse de Jean IV de Brosse, duc d’Étampes)
296, 300, 302, 308, 382
HELDRIS DE CORNUÄLLE N17
HÉLOÏSE 24-25, 35-36, 40, 42, 47, 50, 135, 146-147, 176-178, 182
HELVÉTIUS, Anne-Catherine : voir Ligniville d’Autricourt, Anne-Catherine de
HENRI III, roi d’Angleterre (époux d’Éléonore de Provence ; père de Béatrice d’Angleterre)
146
HENRI III de Brabant, dit le Débonnaire (père de Marie de Brabant) 59
e
HENRI III (3 fils de Catherine de Médicis et Henri II) 263, 279-280, 302-305, 321-323,
348, 387, 413-415, N44
HENRI IV (Henri de Navarre ; frère de Catherine de Bourbon) 279, 285, 298, 303, 321,
323, 349, 353, 359-360, 379, 387, 409, 413-414, 485, 489, 491, 532, 648,
N*2, N*8
HENRI VIII Tudor, roi d’Angleterre 249
Isis 122
ISRAHEL VAN MECKENEN 33
JAN III DE BAENST (commanditaire de la traduction de La Cité des Dames en flamand) 49,
160
JANOT, Denis 137
Jason (in Héroïdes d’Ovide) 288, 501
JAUCOURT, Louis de 591
JEAN (saint, Évangéliste) 62, 133
JEAN LE FÈVRE DE RESSONS 24, 26-27, 30-31, 39, 42, 131, 275, N*1, N1, N2,
N24
JEAN DE LE MOTE 62, 103, N11, N33
JEAN DE LORRAINE (poète) 104
JEAN Chrysostome (saint) 178
JEAN BOUCHET 142
JEAN CASTEL (fils de Christine de Pizan et Estienne Castel) 111, 119, 137, 142-144
JEAN D’OUTREMEUSE 96
er
JEAN DE CALABRE [Jean II d’Anjou] (fils d’Isabelle de Lorraine et René I d’Anjou) 104
er e
JEAN DE GAND, 1 duc de Lancastre (3 fils de Philippa de Hainaut et Édouard III) 62
JEAN DE VIGNAY 96
JEAN DUPRÉ 48
JEANNE D’ÉVREUX, reine de France (épouse de Charles IV ; mère de Blanche de France) 156
JEANNE FILLEUL (dame d’honneur de Marguerite d’Écosse) 106, 186
re
JEANNE DE FRANCE (sainte ; sœur d’Anne de France ; 1 épouse de Louis XII) N13
JEANNE DE FRANCE [JEANNE II de Navarre] (fille de Marguerite de Bourgogne et Louis X)
242-243
JEANNE DE JUSSIE (sœur) 329, 358-359, 378-379, 381, 412, N48
LA PORTE, Joseph de 832, 855, 858-859, 861, 867, 873, N39, N52, N63, N74,
N88
LA PORTE, Sibille de (imprimeuse lyonnaise) 330, 377
LA PUJADE, Antoine de 336, 338, 343, 421, 430, N9
Lenclos, Ninon de (in Molière chez Ninon ou le Siècle des grands hommes d’Olympe de
Gouges) 831
LENGLET DU FRESNOY, Nicolas 821, 849-851, 857, N18, N19
LENNOX, Charlotte 798
Linos 416
LINTOT, Catherine de : voir Caillot, Catherine
LISTON, Sir Robert 766
L.L.L. [Louïse Labé Lionnoize] : voir Labé, Louise
LOYNES, Antoinette de (épouse de Jean de Morel ; mère de Camille, Lucrèce, Diane, Fédéric)
313, 331, 342, 368, 372, 381, 421, 425
L.S.D.L.L. (auteur de La Femme généreuse) 507, N8
MACROBE 25
Magdelon (in Les Précieuses ridicules de Molière) 542
MARIE D’ANJOU, reine de France (fille de Louis II d’Anjou ; épouse de Charles VII ; mère de
Louis XI) 106, 108
MARIE D’ARAGON : voir Marie de Montpellier
er
MARIE DE BERRY (fille de Jean I , duc de Berry) 63, 65, 154, 156, N3
MARIE DE BOURGOGNE (fille d’Isabelle de Bourbon et Charles le Téméraire, héritière du duché
de Bourgogne) 108-109, N12
e
MARIE DE BRABANT, reine de France (fille d’Henri III, duc de Brabant ; 2 épouse de Philippe
III le Hardi) 59-61, 86, 89, 157
MARIE DE BRETAGNE (fille de Marguerite d’Orléans et Richard de Montfort ; abbesse de
Fontevraud) 155, 158-159, N5
MARIE DE CHAMPAGNE : voir Marie de France, comtesse de Champagne
e er
MARIE DE CLÈVES, duchesse d’Orléans (3 épouse de Charles I , duc d’Orléans ; « madame
d’Orléans ») 62, 104-105, 157-158, 186
MARIE Stuart, reine de France puis d’Écosse (épouse de François II) 263, 297, 328, 346,
364, 426
MARIE DE FRANCE (poétesse) 38, 43, 48-50, 59-60, 66, 76-90, 92, 109, 131, 151,
160-162, 175, 177, 180, 183, N9
MARIE DE FRANCE, comtesse de Champagne et de Brie (fille aînée d’Aliénor d’Aquitaine et
er er
Louis VII ; demi-sœur de Richard I d’Angleterre dit Cœur de Lion ; épouse d’Henri I
le Libéral, comte de Champagne et de Brie) 54, 57-59, 74
MARQUETS, Anne de 329, 341, 364, 369, 371, 374-377, 409, 421, 430, N15,
N116
MARRON, Madame de : voir Carrelet de Loisy, Marie-Anne
MARSILE FICIN 291, 311, 352
Merteuil, marquise de (in Les Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos) 810-811,
856, 871
MESSIE, Pero Mexia ou Mejía, en fr. Pierre de 363, N39
MEURDRAC, Catherine (épouse de Jean Mariot de La Guette) 506-507, N7
MIDDLETON, Alice (belle-fille de Thomas More, fille d’Alice Harpur et John Middleton) 313
Milady (in Lettres de Milady Juliette Catesby de Marie-Jeanne Riccoboni) 873
MILLAR, John 782
MIREMONT, Jacqueline de 329, 350, 375, 382, 388, 391, 397-398, N*14, N72,
N88, N93
Mirza (in L’Esclavage des Noirs d’Olympe de Gouges) 838
Mirza (in Lettres persanes de Montesquieu) 838
Mirza (in Mirza ou Lettre d’un voyageur de Germaine de Staël) 838
Mirza (amante de Zamore ; in Zamore et Mirza d’Olympe de Gouges) 838
Moiro 419
MOLIÈRE, Jean-Baptiste Poquelin, dit 259, 540-544, 546, 554, 640, 642, 697, 699,
701, 705, 766, 792, 818, 831, 833, 843, N21, N32, N58
MONTPENSIER, Anne Marie Louise d’Orléans, duchesse de (la Grande Mademoiselle ; fille de
Marie de Bourbon, princesse de Dombes, et Gaston d’Orléans ; cousine germaine de
Louis XIV) 375, 504, 511, 513, 523, 535, 557, 559-563, 569, 571-572, 575,
590-591, 594, N5, N6, N9
MONTPENSIER, Charles III de (époux de Suzanne de Bourbon) 361, 394
MORE, Anne [née Cresacre] (épouse de John, fils de Thomas More) 313
MOREAU, Marie (épouse Monnet) 830
e
MORE, Cecily [3 fille de Jane Colt et Thomas More] 313
e
MORE, Elizabeth [2 fille de Jane Colt et Thomas More] 313
re
MORE, Jane [née Colt] (1 épouse de Thomas More) 313
MOREL, Antoinette de : voir Loynes, Antoinette de
MOREL, Camille de (fille d’Antoinette de Loynes et Jean de Morel) 313, 330-331, 337,
342, 366, 372, 384, 392, 399-400, 421, 425, N16, N98
MOREL, Diane de (fille d’Antoinette de Loynes et Jean de Morel) 313, 337, 425
MOREL, Fédéric (imprimeur-libraire, fils d’Antoinette de Loynes et Jean de Morel ; époux de
Jeanne de Vascosan, fille de Catherine Bade) 313, 425, N37
MOREL, Jean de (époux d’Antoinette de Loynes ; père de Camille, Lucrèce, Diane, Fédéric)
313, 330-331, 342, 369
MOREL, Lucrèce de (fille d’Antoinette de Loynes et Jean de Morel) 313, 331, 337, 425
MORE, Margaret [Margaret Roper] (1505-1544) (fille aînée de Jane Colt et Thomas More)
313
MORIN-DUMESNIL ou MORIN DU MESNIL, Anne-Louise (épouse de Jean-Baptiste Jacques Élie
de Beaumont) 722, 733, 740-741, 750, 806-807, 854, 856, N10
MORNAY, Charlotte de : voir Arbaleste, Charlotte
Musée 416
Muses 309, 313, 373, 410, 419, 425, 516, 616, N136
Myrô 419
Myrtis 419
Narcisse 171, 173
Narsam : voir Marans, Henriette de
NECKER, Anne Louise Germaine (épouse d’Erik Magnus de Staël-Holstein) 16, 722, 733,
742, 761-763, 765, 784-785, 835, 837-841, 843, 846-848, 851, 885-887,
N*10, N10, N11, N16, N61, N66, N97, N98, N108, N109, N110, N112
NECKER, Jacques (époux de Suzanne Curchod ; père de Germaine de Staël) 761-762, 765,
782, 838, 842, 891, N56, N63
NECKER, Suzanne : voir Curchod, Suzanne
Niobé 391
NIVELLE DE LA CHAUSSÉE, Pierre-Claude 767, N*3
NONNE DE BARKING (auteure de La Vie d’Edouard le Confesseur) 183
Nossis 419
NOSTRADAMUS, Michel de Nostredame, dit 73
ORLÉANS, Louis-Philippe d’, duc de Chartres (fils de Louis Philippe d’Orléans [1747-1793] ;
futur Louis-Philippe) 751
ORMOY, Charlotte d’ : voir Chaumet, Charlotte
Othéa ou Othée (déesse de sapience ; in L’Epistre Othea de Christine de Pizan) 43-44, 144,
147, 163
OTON DE GRANDSON 164
er
OTTON I de Saxe 150
Ouranos 419
OURIKA 838
Ourika (in Mirza ou Lettre d’un voyageur de Germaine de Staël) 838
Ourika (in Ourika de Claire de Duras) N*7
OVIDE (Publius Ovidius Naso) 73, 89, 118, 122, 125, 137, 146-147, 163, 171,
288, 310-311, 336, 357, 384, 501-502, 526, 640, N*19, N14
Ovide (in Apothéose de mademoiselle de Scudéry de Marie-Jeanne L’Héritier) 556
Pallas 345
Pallas (in Le Livre de Leesce de Jean Le Fèvre) 30
PAOLO DA CERTALDO 37
Paolo (in La Divine comédie de Dante [Paolo Malatesta]) 157
PERONNET, Antoinette (imprimeuse lyonnaise ; veuve de Gabriel Cottier) 330, 377, 380
PERPETUA 181
PERRAULT, Charles 609, 611-613, 619, 632, 636-640, 643-644, N2, N12, N58
PERRIN D’ANGICOURT N*2, N2
PERRIN, Marguerite (épouse d’Étienne du Tronchet) 334
PHILIPPE III, dit le Hardi (fils de Saint Louis, destinataire des Enseignements) 60, 63, 86,
89
re
PHILIPPE IV, dit le Bel (époux de Jeanne I de Navarre) 38, 61, 101, 249, N54
e
PHILIPPE V (2 fils de Philippe IV) 242
PHILIPPE VI de Valois 242
PHILIPPE MOUSKES 38, N29
PHLIPON, Jeanne-Marie dite Manon (épouse de Jean-Marie Roland de La Platière) 722, 735,
747, 763, 770, 886-887, 892, N36, N69, N105
PHLIPON, Pierre Gatien (père de Manon ; maître graveur du comte d’Artois) 735
Phyllis (Damon et Phyllis) 403
Phyllis (in Missives de Catherine des Roches) 403
PICCOLOMINI, Alessandro 362, N19, N31
PIERRE D’AMBOISE 158
PIERRE COL 36, 118, 125, 130, 172, N5
PIERRE DUBOIS 38
PIERRE FOURIER (saint ; curé de Mattaincourt) 321
PIERRE MICHAUT (auteur de L’Avocat des dames ou le Procès d’honneur féminin) 307
PIERREPONT, Mary (épouse d’Edward Wortley, Lord Montagu) 760, 799
PORCELET, Philippa (auteure de Vie de Douceline de Digne) 95-96, 99, 185, N25
PORÉE, Charles N21
RENAUT DE BEAUJEU 64
RENAUT DE LOUHANS 63, 153
ROUSSEAU, Jean-Jacques 720, 728, 730-731, 735, 741-744, 747-748, 750, 753-756,
758, 762, 765, 768, 771, 779, 782, 800-801, 807-809, 812-814, 818, 823,
829, 831-833, 835-836, 838, 841, 843, 846, 848, 850-851, 856, 864-865,
870-871, 874, 876, 880, 884-886, 893, 895-896, N*6, N22, N24, N30,
N46, N56, N81, N100, N115
ROUSSELET, Gilles 508
Sainte, la (in Amoureux repos de Guillaume Des Autelz) : voir aussi Lhoste, Denise
SAINTE DES PREZ 102, N*2
SAINTE-BEUVE, Charles-Augustin 119, N75
SAPHO ou SAPPHO 40, 43-44, 126-128, 146, 384, 416, 418-419, 432, 501-502,
524-525, 528, 537, 642, 791, N56
« Sapho » : voir Scudéry, Madeleine de
Sapho (in De mulieribus claris de Boccace) 43
Sapho (in Les Femmes illustres, ou les Harangues héroïques de Scudéry) 502, 524
Sapho (in Héroïdes d’Ovide) 146, 288, 384, 501, 526
Sapho (in « Histoire de Sapho » de Madeleine de Scudéry) 524, 526, 528, 535, 540,
548, 584
SARASIN, Jean-François 516, 522, 537, N10
SARTINE, Antoine de 778
SCÈVE, Claudine (épouse de Matthieu de Vauzelles) 313, 328, 337, 355, 369, 403,
N36
SCÈVE, Jeanne (épouse de Jean du Choul) 313
SCÈVE, Maurice 293, 313, 337, 369
SCÈVE, Maurice (époux de Marguerite de Bourg ; père de Claudine, Jeanne, Maurice et
Sibille) 313, 429
SCÈVE, Sibille (épouse de Girolamo Tolomei) 313, 337
SCUDÉRY, Madeleine de 176, 488, 494-495, 499-500, 503-504, 507-508, 514, 516,
519-540, 542, 544, 546-559, 567, 578-579, 581-582, 584, 586-588, 599-600,
605, 607, 614, 630, 635, 638, 640-641, 647-648, 701-702, 732, 739, 769,
822, 857, N1, N4, N5, N6, N7, N13, N15, N18, N19, N21, N22, N29,
N32, N32, N39, N40
SCUDÉRY, Georges de 503, 515, 517, 526-527, 531, 533-535, 538-539, 548, 551,
553, 600, 701, N5, N21, N32
Sibylle de Cumes (in Le Livre du Chemin de long estude de Christine de Pizan) 135
Sibylle de Monthault [Sibille de la Tour] (in Le Livre du duc des vrais amans et Le Livre des
Trois Vertus de Christine de Pizan) 146, 164
Sincero (in Dialogue de Charite et Sincero de Catherine des Roches) 352, 404
Siséra 506, 508
SIXTE QUINT (Felice Peretti) 350, 409, 412, 415, N58, N117
SMITH, Adam 789, 805, 873
SMYTHIES, Ann 798-799
SOCRATE 416
SŒUR DE LA CHAPELLE 693-694
SULLY, Maximilien Henri de Béthune, duc de (maréchal de France ; ministre d’Henri IV)
287, 769
SURGÈRES, Hélène de Fonsèque, dame de (fille d’Anne de Cossé et René de Fonsèque, baron
de Surgères) 285
SURVILLE, Joseph-Étienne de 47
SURVILLE, Marguerite-Éléonore Clotilde de Vallon-Chalys de 47, 151, N52
Swann, Charles (in Du côté de chez Swann de Proust) 554
TENCIN, Alexandrine Claudine Guérin, marquise de (mère de Jean Le Rond d’Alembert) 722,
751, 756, 758, 792, 806, 834-835, 851-856, N*2, N14, N43
Térée (in Philomena de Chrétien de Troyes) 124
THAMAR (peintre grecque [Tamaris, Thamyris ou Timarète, fille du peintre Micon]) 126
Théobald (in Trois femmes d’Isabelle de Charrière) 896-897
Titus (in Les Femmes illustres, ou les Harangues héroïques de Scudéry) 502
TIXIER DE RAVISI, Jean (Ravisus Textor) 311
Tomyris (Thomyris, reine des Massagètes ; in La Femme héroïque de Jacques Du Bosc) 508
Tourvel, Présidente de (in Les Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos) 810
TOUSSAINT, Jacques 330
Transeline du Croq (in Les Evangiles des Quenouilles) 168
VIGNY, Denise de (épouse de Barnabé Brisson) 328-329, 349, 377, 380, 413
VILLECOQ, Marie de 331
WACE 55, N5
e
WALPOLE, Horace, 4 comte d’Orford 760
WALTER DE BIBBESWORTH 64
WALTER HILTON (auteur présumé de The Prick of Love) 150
Zilia (princesse inca in Lettres d’une Péruvienne de Françoise de Graffigny) 860-861, 864
Zirphée (in La Belle et la Bête de Félicité de Genlis) 868
PREMIÈRE PARTIE
LE MOYEN ÂGE
TROISIÈME PARTIE
LE DIX-SEPTIÈME SIÈCLE
I
UN GRAND SIÈCLE POUR LES FEMMES AUTEURS
II
DRAMATURGES
QUATRIÈME PARTIE
LE DIX-HUITIÈME SIÈCLE
Éditions Gallimard
5 rue Gaston-Gallimard
75328 Paris
http://www.gallimard.fr
Femmes et littérature
Une histoire culturelle, I
Sous la direction de Martine Reid
J. CERQUIGLINI-TOULE T, É. VIENNOT, J. DE JE AN, E. KELLER-R AHBÉ E T C.
MCDONALD
Tome I :
Moyen Âge par Jacqueline Cerquiglini-Toulet
Fin de la Renaissance par Éliane Viennot
e
XVII siècle par Joan DeJean et Edwige Keller-Rahbé
e
XVIII siècle par Christie McDonald
Cette édition électronique du livre
Femmes et littérature - Une histoire culturelle I
de Collectifs Gallimard
a été réalisée le 24 février 2020 par les Éditions Gallimard.
Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage
(ISBN : 9782070465705 - Numéro d’édition : 286913).
Code Sodis : N74983 - ISBN : 9782072620911.
Numéro d’édition : 286915.