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« L'Évolution de l'Humanité»
DU MÊME AUTEUR
L'ÂGE DE L'ÉLOQUENCE
Rhétorique et « res literaria »
de la Renaissance
au seuil de l'époque classique
Albin Michel
Bibliothèque de « L'Évolution de l'H:tmanité »
Première édition:
© 1980 by Librairie Droz S.A., Genève
Préface et édition au format de poche:
© Éditions Albin Michel, S.A., 1994
22, rue Huyghens, 75014 Paris
ISBN 2-22606951-8
ISSN 0755-1770
Je dédie ce /ivre à la mémoir~
du KP. François de Dainville.
Michel DORIGNY, Polymnie, muse de l'Éloquence (1650?), Paris, Louvre.
moyen, dont le choix est déterminé selon plusieurs critères (la matière, les
circonstances, la nature ou le tempérament de l'orateur), tous pondérés
par le jugement, qui se détermine en fonction d'un sentiment harmonique,
le decorum, la convenientia. C'est ce sentiment harmonique qui gouverne
tout l'organisme oratoire. Dans la Cité antique, dans ses institutions, ce
sentiment est constitutif et facteur de l'équilibre politique de toute la
communau té.
On pourrait encore énumérer d'autres triangles ou pentaèdres qui ten-
dent à ajuster en un corps idéal (et facile à fixer dans la mémoire) les
principes du bien dire, simples et à l'épreuve du temps comme de la
diversité humaine. Ce corps idéal structure et coordonne à la fois la
puissance individuelle de génération du discours persuasif, et les condi-
tions de son exercice social en présence, en fonction ou à la place d'autrui.
Rien de moins autiste, rien de plus sociable que l'art romain de persuader.
Bene dicere : bien dire, cela équivaut en latin à bien montrer, à bien se
montrer, selon la racine *deik, *dik, que l'on retrouve dans le grec deik-
»luni. Bien montrer, bien se montrer, cela suppose au moins un partenaire
à qui la démonstration et la mise en scène de la persona sont destinées, et
qui est toujours libre de ne pas être persuadé par cette performance ou de
l'approuver.
Et cependant, même à s'en tenir à ses traits les plus élémentaires, ct'
corps idéal n'est pas figé dans une perfection abstraite, immobile et
néoclassique comme dans le marbre d'une statue de Thorwaldsen. Ce n'est
pas non plus une prothèse mécanique ou un « grand mannequin }) (Dide-
rot) apposés sur l'homo loquens. C'est un corps artiste et vivant, une sorte
de système nerveux sympathique de la parole: il comporte des variahles
qui lui permettent, sous les optiques les plus différentes, de prendre, et
même avec grâce, des formes et des attitudes accordées aux situations les
plus opposées. Ses trièdres et ses pentaèdres se plient à une combinatoire
qui leur donne une marge très souple de jeu. C'est ainsi que l'invention
suppose à la fois de l'ingenium, de la memoria et du judicium. Or l'ingenium
(degigno, engendrer: c'est la puissance générative de l'esprit) varie du tout
en tout, en quantité comme en qualité, d'un être humain à un autre. Il peut
être chez l'un talent, chez l'autre génie, chez d'autres encore belle mécani-
que de surdoué, selon une gamme de lumière et d'obscurité inventives et
cognitives qui varient à l'infini. Il en va de même du judicium, plus ou
moins développé selon les sujets, d'autant qu'il met en jeu à la fois le
rationnel, l'émotionnel et l'appétit.
La memoria, Dame Frances Yates l'a montré dans un livre qui a rait date,
The Art of Memory (L'Art de la mémoire, Paris, Gallimard, 1975) n'est pas
seulement une faculté plus ou moins naturellement développée: c'est aussi
un art dont le poète grec Simonide (l'auteur de la sentence fameuse: « La
peinture est une poésie muette, la poésie est une peinture parlanie ») passe
pour avoir été l'inventeur. Cet art qui vainc l'oubli (en associant notam-
ment la parole et l'imagination) ne permet pas seulement il l'orateur de
prononcer son discours de mémoire comme s'il l'improvisait dans l'instant
(c'est un des secrets de la facilitas, du « naturel ») . il construit une
tradition, un dialogue avec les morts; tradition littéraire et art rhétorique
de la mémoire sont synonymes. La mémoire de l'orateur emmagasine: des
PRÉFACE v
textes classiques, elle les range par « lieux» et elle offre ainsI a son
invention les ressources de savoir et de parole accumulées par l'expérience
de nombreuses générations. Ce sont les « précédents» d'une jurispru-
dence de la parole tout à fait analogue à la jurisprudence du légiste, un
« droit naturel » qu'il est toujours loisible d'opposer à l'opinion artifi-
cieuse du moment. L'art de la mémoire ne se contente donc pas de suppléer
à la mémoire naturelle, il élargit et approfondit aux dimensions de toute
une communauté, coprésente dans ses textes classiques, les capacités de
pensée et de parole du sujet oratoire.
Cette structure trine du bien dire, inséparable d'une sociologie, d'une
théorie de l'entendement et des passions et d'une épistémologie pratique,
suppose aussi bien une anthropologie ou typologie des tempéraments, des
caractères, des humeurs, des goûts, des âges de la vie qui complète sa
typologie des passions, et cet ensemble de prénotions pourvoit l'orateur
d'une science expérimentale de la nature humaine, définie avanltout par
la vaste variété de ses aptitudes à la parole et à l'intelligence de la parole.
La mobilité et l'adaptabilité de cette structure, éminemment propice à
l'éducation des enfants, sont surprenante;" même si on la saisit, comme je
le fais ici, sous l'angle le moins favorable, parce que simple et simplirié.
Sur la trame des ci1lq parties du discours type, pour s'en tenir à cct
exemple, on peut en effet se livrer, en fonction de critères que le jwliciulI1
est maître d'apprécier, à des permutations, des retranchements, des
adjonctions qui laissent intacte la norme, tout en l'assouplissant aux fin,
et aux intentions les plus diverses. Ce pentaèdre rhétoril/uc, bien qu'il
apparaisse assez t~rd dans la théorie antique du discours, est si heureuse-
ment construit qu'il permet même de comprendre rétrospectivcment des
formes antérieures à la rhétorique. Le genre narratif par excellence,
l'épopée homérique, ignore ces cinq parties, et pour cause. Or la narration
homérique contient les quatre autres parties du discours que définira la
rhétorique et ne les ignore pas. Elle les contient en germe et dans un autre
ordre. Commencer in medias res est une forme saisissante d'exorde, qui
rend nécessaire des retours en arrière complétant la narration; celle-ci
s'achève dans le poème par une péroraison qui referme le cycle narratif. La
mémoire est partout dans l'Iliade: répétitions formulaires, qualitatifs
« homériques », métrique: tout y est fait pour facili ter le travail de gravure
de la parole, dans l'esprit du récitant comme dans celui de l'écoutant.
Pour autant, l'argumentation dialogique (la confirmation et la réfuta-
tion) n'est pas absente de ce chef-d'œuvre pré-rhétorique. On a hientôt
aperçu, dès l'Antiquité hellénistique, que la narration homérique est
allégorique, et qu'elle enveloppe, sous son integumel1fWIl, des disputes
particulières autour d'une question générale : la colère d'Achille. La
narration est bien hypertrophiée dans l'lliade, si on la mesure à la place
qu'elle tiendra dans le discours de l'orateur de l'agora. Elle n'est déjà
parfaite et exemplaire que parce qu'elle enveloppe les quatre autres parties
du discours type, comme si elle était son anamorphose prophétique. Loin
d'être étrangère au chef-d'œuvre originel de toute littérature, la rhétorique
est en quelque sorte son héritière. Au XVIIe siècle, on cite souvent les trois
héros de l'Wade, Agamemnon, Nestor et Ulysse, comme les prototypes
d'orateurs et même les emblèmes des trois degrés de style. L'lliade était
VI PRÉFACE
II
que et philosophie chez Cicéron, m'a donné une autre clef: la synthèse
cicéronienne, en dépit du passage de la République à l'Empire, est le
vecteur central de cette tradition romaine; elle a fait la force et la durée du
Caput mundi, elle a contrôlé les oscillations d.! la parole romaine entre
brièveté et abondance, nudité et ornement, obscurité et lumière, elle a
retenu ou ramené les extrêmes vers un équilibre central toujours fuyant,
mais toujours recherché.
La résistance de la rhétorique ou plutôt ses renaissances successives, ses
corsi e ricorsi, dépendent pour l'essentiel de l'école, de la schôlé des Grecs,
de l'otium studiosum de l'enfance et de la jeunesse pour les Romains. Elle
peut disparaître, comme c'est le cas pendant des siècles pour toute une
partie de l'Europe, du vu' au xl' siècle. Elle peut prendre, comme c'est le
cas à Paris au XlII' siècle, et de nouveau après la disparition des jésuites en
1763, un tour vivement anti-rhétorique. L'empire de la logique et l'espèce
d'étau qu'elle forme avec la gr~mmaire étaient aussi sévères dans le
Çollège de Montaigu que maudit Erasme qu'elles le redeviennent dans les
Ecoles centrales de l'Empire dont Stendhal travaillera toute sa vie à
secouer le carcan rationaliste. La pédagogie des humanistes avait restauré
celle de Quintilien, elle avait rétabli la rhétorique cicéronienne comme
discipline littéraire de formation de l'honnête homme européen. C'est
cette pédagogie que les jésuites ont largement et générel!sement répandue
dans toute l'Europe catholique et en Amérique latine. L'Age de l'éloquence
montre dans la Réforme catholique le dernier chapitre, et non le moins
glorieux, de la Renaissance italienne, avant l'hégémonie du rationalisme
français et de l'empirisme aIlglaissur l'Europe du XVlll' siècle.
Mais pour comprendre l'Age de l'éloquence, il faut faire intervenir un
autre principe générateur de sa parole. Le passage du monde païen au
monde chrétien est la révolution la plus profonde, avant la révolution
démocratique, que l'Europe ait connue. Elle avait donné lieu cependant à
une véritable renaissance de la rhétorique, dont l'éloquence des Pères
latins et grecs est l'extraordinaire témoin. L'art d'argumenter dans les
questions de doctrine, l'art de persuader les fidèles et les païens, officia de
l'évêque chrétien, reprennent et approfondissent les formes oratoires
inventées dans la cité antique pour les consuls, les sénateurs et les empe-
reurs. Mais l'art de s'adresser à soi-même en présence de Dieu, ou de
s'adresser à Dieu lui-même, représente un défi extraordinaire pour un art
de bien dire inventé pour le Forum et pour l'Agora, par les citoyens de la
Cité antique. Désormais, il y a deux Cités, deux humanités (le vieil homme
et l'homme en route vers la grâce), deux ordres de réalités, le naturel et le
surnaturel. Le « corps idéal. du discours approprié à la Cité antique est
pourvu maintenant d'un double, « l'homme intérieur., dont le discours
est approprié à la Cité de Dieu. Les deux ordres et les deux corps restent
cependant sinon symétriques, du moins analogues et eml;lOîtés. Entre la
Cité terrestre et la Cité de Dieu, une grande médiatrice, l'Eglise, pourvoit
à cet emboîtement. La prière obéit aux principes d'une « rhétorique
divine ». Les gestes, les actes, la liturgie, les discours publics de la vie
proprement religieuse sont soumis à un decorum d'essence rhétorique.
Loin de somgrer avec le christianisme, la rhétorique romaine a donc
trouvé dans l'Eglise de Rome un second souffle et y a développé de
PRÉFACE xv
nouvelles virtualités, des formes inédites mais toujours capables de ~auve
garder la multiplicité dans l'unité. Transporté et transposé dans l'Eglise,
l'art de Cicéron et de Quintilien s'approfondit mais demeure: son De
Doctrina christiana fait de saint Augustin, le Docteur de la Grâce, un
Cicéron chrétien, dont l'autorité est aussi vive à la fin du XVIIe siècle, même
pour le Grand Arnauld, qu'elle avait pu l'être au V' siècle après Jésus-
Christ. Les historiens aujourd'hui récusent la thèse du Déclin et Chute
imposée par les Lumières et par Gibbon. Ils préfèrent parler, après Henri
Marrou, Arnaldo Momigliano et Peter Brown, d'une Antiquité tardive au
cours de laquelle la civilisation romaine, loin de disparaître, s'est méta-
morphosée et perpétuée dans ceux des royaumes barbares qui l'ont adop-
tée et adaptée. De cette continuité inventive de la Romanité (je dois cette
notion à Alphonse Dupront), la rhétorique est l'un des principes les plus
efficaces. Elle survit à l'Empire, au paganisme, elle survivra même à l'essor
des langues romanes et des langues germaniques, qui n'accèdent à l'écri-
ture et à la littérature que sous son tutorat. Elle tend à une véritable
restauration à l'époque de la Renaissance. Pourquoi cette extraordinaire
persistance, pour ne pas dire cette transcendance, de Rome aux accidents
historiques?
La première réponse est d'ordre politique. La Cité terrestre, dans l'Eu-
rope postérieure à l'Empire romain, a besoin d'une discipline régulatrice
des discours. Comme le droit romain, avec lequel elle a de nombreuses
affinités, la rhétorique est génératrice d'ordre civil. Elle renaît et s'impose
dès que la violence et la guerre retombent. L'ordre romain, la loi et
l'~loquence, retrouve alors ses droits dans la vita activa de la Cité et de
l'Etat. Ces barbares qui, en se convertissant au christianisme s'étaient mis
à l'école de Rome, avaient une fois pour toutes montré la voie et donné
l'exemple. La rhétorique, épaulant le droit, définit l'autorité de la parole,
règle ses convenances et ses conventions, elle crée les conditions d'une
communauté politique partageant des habitudes stables, et avec elle, d'une
économie symbolique qui transforme ces habitudes en coutumes sans les
immobiliser ni les figer. Telle est la nésessité élémentaire de l'art de bien
dire qui, même au cours du Moyen Age chrétien, la fait réapparaître
obstinément de renaissance en renaissance.
Mais si, la rhétorique « à l'antique» est nécessaire en Europe à, toute
fo~me d'Etat, son destin est epcore plus brillant et fécond dans l'Eglise.
L'Eglise est seule au Moyen Age à hériter de la schôlé antique dans ses
monastères, dans ses écoles. Elle élève l'otium studiosum au rang de
vita contemplativa. Si le grand débat antique entre rhéteurs et philoso-
phes a pris fin, un autre débat s'élève dans la schôlé chrétienne, entre
rhétorique et théqlogie. C'est un des aspects les plus féconds et nova-
teurs du Moyen Age, dont nous avons encore aujourd'hui à prendre
toute la mesure. La rhetorica divina des moines donne naissance à la
théologie mystique, qui invente la lutte ascensionnelle ùe la parole et
de l'ineffable. Et la rhétorique argumentative des stoïciens donne
naissance à cette prodigieuse discipline: la théologie dogmatique des
Universités. La spiritualité mystique réconcilie Platon, Plotin et la
rhétorique. La seconde fait la synthèse, pour aiguiser l'énoncé du
dogme révélé, entre la logique stoïcienne et la révélation. Ce sont les
XVI PRÉFACE
Marc FUMAROLI
avril 1994.
INTRODUCTION
tlste. A l'étude des chefs-d'œuvre, selon les principes mêmes qui les ont
rendus possibles, on a substitué «l'abondance intarissable autant que
stérile» des études de milieu, de moment et de tempérament.
On peut penser que cette critique - qui recoupe en bien des passagl's
le Contre Sainte-Beuve de Proust - n'a pas échappé à Gustave Lanson,
qui en 1895, avec son Histoire de la littérature française, apparut comme
le maître et le théoricien des études littéraires dans la nouvelle Université.
Dans un chapitre de l'Université et la vie moderne (1902) il flétrit sans
ambages c la rhétorique et les mauvaises humanités », qu'il abandonne
aux « vaudevillistes, romanciers, poètes, critiques, journalistes et homml's
du monde sans profession» G. Pour la rempla(:er, il fait confiance à
« l'étude historique des œuvres littéraires », capable de communiquer à
la jeunesse moderne « le sens profond et bienfaisant du relatif, c'est-à-
dire de l'effort toujours nécessaire dans un monde qui toujours change ».
De fait, l'auteur de l'Histoire de la littérature française se montrait dès
lors l'infatigable maître d'œuvre d'un édifice à la fois scientifique et
pédagogique qui prenait modèle non plus sur la Ratio discendi et dncendi
de Jouvancy ou le Traité des Etudes de Rollin, mais plutôt sur la Biblio-
thèque françoise de l'Abbé Goujet. A deux siècles de distance, l'érudition
du XVIIIe siècle l'emportait sur la rhétorique jésuite et universitaire,
l'histoire de la littérature devenait le mode d'exposition privilégié de la
culture littéraire et l'instrument d'éducation d'un « goût» relativisé. Aux
pages de Goujet sur l'histoire de la langue se. substituait dès 1905 la
majestueuse Histoire de la langue française de Ferdinand Brunot. Aux
pages sur l'éloquence, se substituaient les premières grandes thèses de
doctorat sur les écrivains-orateurs du XVIIe siècle, celle de Radouant sur
Du Vair en 1908, celle de Guillaumie sur Balzac en 1927. Aux pages sur
la poétique se substituait en 1927 la thèse de René Bray sur La Formation
de la doctrine classique en France. A la bibliographie critique des érudits
du XVIII" siècle, Lanson lui-même avait substitué le ManI/el de biblIO-
graphie (1910-1912), «lieu des lieux» de l'histoire littéraire française,
programme offert à ses futurs historiens. Seul le chapitre « rhétoriqul' »
des anciennes «bibliothèques» érudites restait vide. Deux ouvrages
s'efforcèrent d'y remédier.
Dans L'Art de la prose (1909) 6 Gustave Lanson s'employait à montrer
que l'histoire littéraire, telle qu'il la comprenait, n'était nullement incom-
II
gnant OU redoutant le nom d'« auteur ~, plaçait plus haut que ne le font la
plupart des «auteurs ~ actuels. Entre l'optique de l'histoire littéraire,
concentrée sur les «grands écrivains ~ dont l'éminence doit plus au
XIX" siècle qu'à leur propre temps, et celle que nous proposons ici, la
différence pourra apparaître mineure: elle déplace seulement le regard
d'une « littérature-catalogue de héros nationaux », isolée non sans arbi-
traire dans un ensemble qui distribuait autrement les valeurs, à cet
ensemble qui, se connaissant sous le nom d'Eloquence, n'attribuait à une
bonne part de ce que nous appelons chefs-d'œuvre qu'un rang modeste, y
voyant tantôt une simple dérivation, pour le plaisir des « ignorans» des
chefs-d'œuvre de l'Antiquité classique, tantôt un divertissement, non
dépourvu de nocivité, accordé à des « mondains» incapables d'une con-
tention chrétienne trop soutenue. Il s'agit en somme de voir la culture
rhétorique du XVII" siècle non plus à travers un concept de « Iittératur~ »
élaboré tardivement, mais à l'aide de ses propres critères, et des débats
dont ils étaient l'objet en leur temps. Cet effort pour se déplacer à l'in-
térieur d'une culture disparue exclut tout sentiment de supériorité du
présent sur le passé, que ce sentiment soit naïf et inconscient, comme ce
ful le cas de l'histoire littéraire post-romantique, qui croyait exalter le
passé national en le remodelant à des fins apologétiques, ou qu'il soit
polémique et surchargé d'alibis scientifiques, comme c'est le cas de
l'idéologie critique de la « modernité ». Il n'est pas question ici de contes-
ter la présence au XVII" siècle de «chefs-d'œuvre », ni de «grands écri-
vains », ni d'esquiver la question posée par cette présence, perçue autre-
ment que nous par les contemporains. Il vaut la peine quelquefois d'0U-
blier momentanément les arbres pour voir enfin la forêt.
Héritier de la Renaissance, le XVII" siècle est, en Europe, l'Age de
l'Eloquence. Pourquoi l'est-il, plus qu'ailleurs, en France? Les conditions
y sont réunies pour prendre le relais, à une échelle infiniment plus vaste,
des deux Renaissances romaines, celle de Léon X et celle d'Urbain VIII
Barberini, et pour conférer aux rois Bourbons cette gloire des Lettres que
les Valois n'avaient pas su associer à la réussite politique et à la paix
religieuse. La France est alors le pays d'Europe où le prestige et les
travaux de la Respublica Iiteraria savante sont le plus fortement soutenus
par une magistrature puissante, dans les rangs de laquelle le pouvoir
royal recrute ses meilleurs serviteurs; c'est aussi le pays d'Europe où la
Cour, démantelée par la fin des Valois, passée aux mains d'une dynastie
nouvelle, désorientée une seconde fois par la mort d'Henri IV, trouve
avec Richelieu la volonté et les moyens de rattraper son retard, renouant
avec la tradition d'une monarchie qui avait dés avant la Renaissance
imposé la supériorité du français d'Ile-de-France sur les patois, avec
François 1er, imposé l'usage de cette langue commune dans les actes
publics, de préférence au latin, et au cours du XVI· siécle allié son
prestige à celui d'une Académie de Poésie et d'Eloquence françaises. Sous
la vigoureuse impulsion de Richelieu, la Cour de France devient sous
Louis XIII la tête d'une société civile à qui elle impose, selon un decorum
royal dont l'Académie française est chargée de définir les normes, des
modèles de langage et de comportement, l'organe d'une ambition dynas-
INTRODUCTION: L1TI"ÉRATURE ET «RES L1TERARIA» 21
tique qui veut s'imposer à l'Europe par la réussite des Lettres et des
Arts français autant que par la victoire des armes. C'est en France Que
la résistance docte et dévote à l'essor de Belles-Lettres mondaines et
profanes était la plus vive: c'est là aussi que, grâce au mécénat impé-
rieux de la Cour, dans une polémique stimulante avec l'idéal docte
d'eruditio et avec l'idéal clérical d'éloquence sacrée, fleurit avec le plus
de vitalité un idéal civil d'Eloquence française, accordé à la majesté
lOyale et au «bon usage» de la Cour, éloquence fertile en «chefs-
d'œuvre », mais destinée d'abord à servir de dénominateur commun à
l'élite du savoir et du pouvoir. Elle se cristallise, sans doute, pour le
prestige et la délectation de ce que Corneille appelle « les illustres suffra-
ges », dans des poésies, des romans, des pièces de théâtre: elle trouve
sa véritable certitude et sa vraie gravité comme mode d'expression de
l'homme d'Etat, du chef de guerre, du gentilhomme, du magistrat, dont
eHe manifeste l'autorité, la « grandeur d'âme », 1'« honnêteté », en somme
l'appartenance au «théâtre des illustres» qui exerce le pouvoir, autant
par l'admiration que par la force, sur le parterre du royaume.
Cette éloquence française est-elle une déchirure dans le tissu de la
"cs liferaria humaniste et européenne? Oui, si J'on y voit l'amorce de ce
que deviendra plus tard la littérature française. Non, si l'on considère
qu'elle s'est passionnément voulue l'héritière de l'Eloquence romaine, dont
elle reconnaît l'exemplarité, dont eUe veut réincarner l'universalité. Sa
mémoire est la même que celle de l'Eloquentia néo-latine, la discipline
rhétorique et poétique à laquelle elle se plie est celle-là même que la
philologie humaniste européenne a restaurée dans sa richesse et ses
nuances. Son essor repose sur l'expansion du réseau des Collèges jésui-
tes et oratoriens, expression de la volonté de la Réforme catholique,
commune à toute l'Eglise, d'ordonner pédagogie et homilétique chrétien-
nes à l'apprentissage préalable des lifterae humaniores et de la rhétori-
que latine. Cet enracinement de l'éloquence française dans la culture
humaniste et chrétienne commune à toute l'Europe est au principe de son
succès européen, car elle n'apparut pas comme une rupture avec les
ressources et les idéaux de l'humanisme latin de la Renaissance, mais
comme un corps glorieux émanant de l'antique tombeau, rajeunissant ses
trésors par la grâce de la présence actuelle et vivante. Cette transfigu-
ration - qui fut pour une large part une traduction - n'aurait pas été
possible, contre le poids du tombeau lui-même et de ses austères gardiens,
~ans la volonté politique de la Cour de la France, sans le besoin qu'eut
celle-ci d'affirmer la suprématie de la dynastie nouvelle, héritière de la
plus vieille monarchie chrétienne d'Europe, face aux autres Cours, et
entre autres la Cour latine des Pontifes romains. Transposée en français
d'Ile-de-France, mise au service du Louvre, l'antique alliance de la
sagesse et de l'éloquence conserve sa vocation universelle, dans un mythe
romain qui soutient l'action et la parole des héros de la monarchie, autant
sinon plus que l'invention de ses écrivains. De ses assises savantes et
sacrées, l'éloquence française hérite le culte de la forme d'expression,
indissociable d'une réflexion approfondie, philosophique, morale, politi-
que, religieuse, bref rhétorique, sur l'art de parler. On attache au style un
22 L'ÂGE DE L'ÉLOQUENCE
tel prix, en français comme on l'avait fait en latin, il est jugé chose si
grave, qu'il n'est pas encore abandonné aux seuls auteurs de profession.
Même après avoir cessé d'être un privilège de caste savante ou de
caste cléricale, l'Eloquence, devenue c françoise », est un superflu que
les diverses c professions nobles et publiques :t tiennent à ajouter à leur
nécessaire, sachant que sans elle leur autorité personnelle, celle de leur
c profession» seraient nécessairement endommagées. c L'Eloquence fran-
çoise» qui prend conscience d'elle-même sous l'autorité de Richelieu ne
S~ confond nullement avec ce que nous entendons aujourd'hui par « litté-
rature du règne de Louis XII1 » : l'Académie française qui est chargée
d'en fixer les normes accueille aussi bien des grands seigneurs, des
diplomates, des dignitaires de la Cour, des hommes d'Eglise, des magis-
trats, des médecins, des avocats, que des poètes ou des écrivains profes-
sionnels. Elle se veut la résultante d'un immense effort collectif, patronné
par le pouvoir civil, des diverses composantes de l'élite du royaume, gens
de Cour et gens de Robe, c sçavans et honnestes gens », clercs et laïcs,
pour accorder leur style de caste à une éloquence commune consonante
à la majesté du roi de France. Poètes et écrivains participent de cet
immense effort, mais à leur place, et autant comme bénéficiaires de ses
résultats que comme guides et garants. Leurs œuvres sont l'occasion de
débats dont l'objet ultime est le c meilleur style" de l'éloquence française,
et le goût qui permet de le discerner.
Ces débats ne sont pas l'arcane d'un c monde littéraire» autonome,
comme ce sera le cas au XIX· siècle. Ils engagent tous les secteurs de
l'élite du savoir et de la responsabilité. Ils supposent une vaste diffusion,
dans l'outillage mental de l'élite française, à des degrés divers de préci-
sion, par éducation, imprégnation ou contagion, des techniques et des
questions de la rhétorique gréco-latine, restaurées au cours du XVIe siècle
par les philologues humanistes. Une des catégories essentielles de la rhé-
torique est l'imifafio : c'est par référence à une gamme de styles illustrée
par les modèles exemplaires de l'Antiquité que procède l'invention de
l'écrivain ou de l'orateur du XVll"; une autre de ses catégories est la
convenientia, l'adaptation du discours à toutes les variables du problème
concret auquel il répond: c'est par référence à cette valeur à la fois
esthétique et morale que l'homme de Cour se conduit et converse. Ces
notions sont communes à toute l'Europe humaniste. Mais c'est justement
parce que la bonne société, autant que la prose et la poésie françaises, se
sont pénétrées de ses valeurs, au point de faire apparaître l'éloquence
française comme l'héritière moderne de l'éloquence grecque et latine, que
l'Europe lettrée se mit à imiter la langue, le tour et les manières françai-
ses. L'ars dicendi, dont les humanistes avaient attendu qu'il restaurât
l'Age d'or de la foi et des Lettres au sortir de l'Age de fer scolastique,
avait fait le prestige de l'Italie et de sa langue; il fait au XVII· le prestige
de la France où sembla s'être transportée, plus pleinement encore, la
moderne version de l'alliance entre sagesse et éloquence qui avait fait la
grandeur de Rome. S'il y a une unité de dessein dans la multitude de
formes que revêt alors la culture française, eUe est dans cette volonté
tacite de conquérir dans sa plénitude ce principe d'universalité. Les
INTRODUCTION: LITTÉRATURE ET «RES L1TERARIA» 23
débats sur le «meilleur style» auxquels se livrent érudits, magistrats,
théologiens, prédicateurs, gens de Cour et dont les œuvres d'auteurs
professionnels ne sont que l'occasion, suscitent une langue, un goût, un
art de vivre et de parler qui actualisent, à l'échelle d'une société nom-
breuse, active, puissante, moderne, 100 raffinements de l'antique Elo-
Iluentia que l'Europe humaniste révérait depuis le XVIe siècle sous les
traits allégoriques et associés de Mercure, de Minerve, et de l'Hercule
gaulois.
Le statut de ce que nous nommons « littérature », au XVII" siècle, est
plus royal qu'il sera jamais, puisqu'elle est, sous la notion extensive
d'EIrquepce. l'affaire de teus les «porte-parole» du royaume, gentils-
hommes et gens de loi, ecclésiastiques et magistrats, «sçavans» et
«ignorans », et pas seulement des spécialistes de 1'« écriture ». Mais il
est aussi plus humble et modeste que nous ne voulons l'admettre, dans la
mesure où les «auteurs» écrivant à l'usage d'un public «ignorant» et
« laïc », pour son divertissement, apparaissent encore comme des «so-
phistes» parmi les orateurs, opérant dans une sphère de jeu inutile au
salut, ajoutant peu au savoir, et n'offrant au pouvoir qu'un ornement.
On attribue le plus souvent, lorsqu'on veut bien l'apercevoir, ce statut
éqUivoque de la « littérature du XVII" siècle» au préjugé nobiliaire contre
l'artisanat servile des « auteurs », ou au préjugé clérical contre le plaisir
profane. Il faut aller plus loin, et voir que ce « soupçon» est inhérent à
la nature même de la culture humaniste et chrétienne, à la définition
même de l'Eloquentia, qui n'est tant honorée que comme organe de la
Sapientia, savoir et sagesse, science et vertu, responsabilité et exercice des
responsabilités, « choses» que les « mots» n'honoreront jamais assez, à
condition de ne point s'émanciper de ce service d'honneur. Le « soupçon»
des dévots et la désinvolture nobiliaire vis-à-vis des « auteurs" ne sont
pas plus redoutables que la méfiance des « sçavans », dont le culte pour
l'Eloquentia antique, alliance de la sagesse et de l'art de persuader, a
pour revers l'exécration de la sophistique, et tout est sophistique lorsque
l'on s'éloigne des lumières directes de l'Antiquité. Les chefs-d'œuvre que
nous admirons n'avaient pas leur place marquée au Temple de la Gloire
humaniste, et s'il s'est trouvé un public pour les goûter, pour des raisons
fort étrangères aux nôtres, il s'en est trouvé un autre, le plus nombreux
p~ut-être, pour les ignorer, les redouter, les tenir pour «bagatelles ».
Si l'Eloquence était un luxe de la forme légitimé par le sérieux de son
objet, les « chefs-d'œuvre» qui, selon notre terminologie, apparurent en
son sein étaient un luxe de ce luxe, et donc un excès le plus souvent
ressenti comme tel. Il est vrai, en revanche, que leur hubris même, ou si
l'on préfère. la transgression qu'ils constituent, crée insensiblement un
« espace littéraire» imperceptible à la plupart des contemporains, et que
l'évolution ultérieure des Belles-Lettres surévaluera.
Mais les « Modernes» ? objectera-t-on: ils ont vu, les premiers, comme
nous les voyons, grands écrivains et chefs-d'œuvre « littéraires », hors de
l'ombre où les maintenait la lumière désespérante de l'Antiquité. Repor-
tons-nous donc aux Hommes illustres de Charles Perrault: sur cent
éloges, ceux que nous appelons «écrivains» ne figurent qu'au nombre
24 L'ÂGE DE L'ÉLOQUENCE
•
••
La situation et le statut de la «Littérature », du XVII" siècle à nos
jours, se sont retournés de fond en comble. Au départ, sous le nom d'Elo-
quence et de Poésie préparant à l'Eloquence, elle est le bien commun
INTRODUCTION: L1TIÉRATURE ET «RES L1TERARIA ~ 29
ROME ET LA QUERELLE
DU ClCÉRONIANISME
AETAS CICERONIANA
a pris son départ. C'est par elle que cette société primitive s'est consti-
tuée en corps politique, en foyer d'échanges économiques et commerciaux,
en Eglise. Sous le signe humaniste de l'Eloquentia, la vie religieuse elle-
même n'est plus un ordre à part, mais un réseau d'échanges étroitement
imbriqué dans le tissu de la société civile, et contribuant au même titre
que les liens politiques, juridiques et commerciaux à resserrer celui-ci.
Sans cesse, dans la bouche de Pierre Bertius, reviennent les mots
communicare; transmittere, inséparables des mots Res publica et societas :
origine de la société civile, l'Eloquence fait circuler dans ses rangs l'éner-
gie de la communication et de la transmission qui la vitalise et la recrée
sans cesse. Qu'elle disparaisse, ou qu'elle soit humiliée, comme le veulent
ses adversaires, et aussitôt, nous dit Pierre Bertius,
le COl:lmerce s'évanouirait, les échanges techniques et intellectuels
seraient anéantis, avec les cultes divins, les lois, les traités, les réunions
où l'on débat des affaires publiques et privées, les assemblées où l'on
célèbre Dieu; chacun pour soi, réduit à la méditation solitaire, décou-
vrirait son inassouvissement, triste, séparé, misérable, semblable plutôt à
un être endormi qu'éveillé, à un mort qu'à un vivant [... ] Car le discours
(oralio) est le lien de la société, et s'il est retiré, celle-ci ne peut que se
défaire, au point de rendre inévitable la disparition du genre humain 1.
3 Ibid., p. 10.
4 Ibid., p. 38.
6 Ibid., p. 31-32.
40 ROME ET LA QUERELLE CICÉRONIENNE
6 Ibid., p. 33.
AETAS CICERONIANA 41
que Bertius répète à Paris. en 1621 après qu'il a été célébré en Italie par
les chanceliers humanistes de Florence, par les Lorenzo Valla et les
Ange Politien, vise A offrir un dénominateur commun à toutes les for-
mes d'aristocratie, y compris et entre autres à l'aristocratie sacerdotale,
à permettre leur dialogue et leur collaboration pour le bien commun. 1\
s'agit bien d'une mutation décisive, même si aucune date précise ne peut
lui être assignée, même si ses conséquences à long terme dans l'ordre
spéculatif comme dans l'ordre concret n'ont pas fini, aujourd'hui encore,
d'en être tirées. Quelles qu'aient pu être les 4: racines» de la Renaissance
dans' la culture médiévale, on ne peut plus guère douter aujourd'hui,
après les travaux de P.O. Kristeller, d'Eugenio Garin, de Hans Baron, de
Franco Simone, qu'il y eut en Italie et en Europe, du XIV' au XVII" siècles,
apparition d'un nouveau style de culture, même si celui-ci, à travers
guerres, ruines, souffrances et nostalgies, ne s'imposa que lentement et de
façon discontinue, même si d'énormes fragments de civilisation médiévale
survécurent longtemps au style de culture qui lui correspondait et qui
s'était déjà en grande partie épuisé. Quel est le trait essentiel par lequel
le nouveau style <le nôtre, aujourd'hui encore) se distingue de l'ancien?
Peut-être en trouverons-nous chez Etienne Gilson, avec sa double autorité
d'historien de la culture médiévale et d'humaniste moderne, la définition
la plus tranchée et courageuse. Dans un texte paru en 1974, l'auteur des
Idées et les Lettres voit dans l'humanisme de la Renaissance le triomphe
d'une culture à dominante oratoire, sur une culture A dominante philoso-
phico-théologique, spéculative et contemplative. L'essence de l'humanisme
est l'idéal romain d'eloquentia, restauré dans la culture européenne avec
une fonction analogue - mais polémique cette fois, A celle qu'elle avait
occupée de Cicéron à saint Augustin, dans la culture de la Rome républi-
caine, impériale et chrétienne:
Dans les œuvres de type scolastique, écrit Etienne Gilson, ou comm~
on dit moins exactement, médiéval, le nom propre de l'auteur le plus fré~
quemment cité est celui d'Aristote; c'est encore l'aetas aristoteliana ; dans
celles du type que nous nommerons «humaniste », le nom qui revient
sans cesse est celui de Cicéron; c'est déjà l'aetas ciceroniana. En même
temps que ce changement porte sur des personnes, il signifie ce que, dans
/lotre jargon moderne, nous appelons une mutation dans le type dominant
d'une culture. La scolastique des XIII" et XIV" siècles avait établi la pré-
dominance de la philosophie, la culture intellectuelle des XV' et XVI' siècles
marque la revanche des Belles-Lettres sur la philosophie. Le poète de la
Bataille des Sept Arts avait prédit que le jour viendrait de cette ven-
geance. Elle s'exerce au XV· siècle sous le nom et patronage de Cicéron.
Comme Aristote avait été le philosophe, Cicéron devient alors l'Orateur,
orator noster 7.
8 Ibid.
AETAS CICERONIANA 43
Même pour dire que les c mots,. comptent moins que les c choses ,.,
l'humaniste du XVI" et du XVII" siècles prend un parti oratoire et stylis-
tique qui l'engage au moins autant que ses choix philosophiques et reli-
gieux. Le sens et la portée de son œuvre ne sauraient être évalués pleine-
ment si, pour mieux étudier le dosage de ses «idées,., on néglige sa
situation sur l'échiquier rhétorique de son temps.
Dès lors, la biographie de Cicéron, orateur civique, et son œuvre de
théoricien de l'éloquence, acquirent une valeur exemplaire et servirent de
référence centrale. Parmi les redécouvertes du Trecento, Hans Baron a
mis justement l'accent sur l'importance de la remise en lumière par Pétrar-
que des Lettres à Atticus 9, puis à la génération suivante, des Lettres
familières par le Chancelier de Florence, Colluccio Salutati 10. Le Moyen
Age n'avait certes pas ignoré Cicéron, mais n'avait vu souvent en lui
qu'un stoïcien de plus, précurseur à sa manière, mais comme Sénèque, du
détachement du monde et de l'idéal monastique. La révélation des Lettres
était celle de l'homme et de l'orateur, dans le plein exercice, tourmenté
et dramatique, de sa fonction et de ses responsabilités civiques, parmi les
derniers soubresauts de la République romaine.
Pétrarque, écrit Hans Baron, fut le premier à rencontrer Cicéron face
à face. Il vit un citoyen romain qui démissionne de ses offices publics sur
un coup de tête, en réaction à la victoire de César; qui, de sa retraite
campagnarde, suit les événements politiques avec une attention fiévreuse,
et qui, après l'assassinat de César, se jette dans la confusion de la guerre
civile, et court à sa ruine. Pétrarque, humaniste du Trecento, recula
d'horreur à cette découverte. Il écrivit sa fameuse lettre d'accusation à
l'ombre de Cicéron dans l'Hadès: «Comment as-tu pu déployer tant
d'efforts, reproche-t-i1 à son idole déchue, et renoncer au calme qui conve-
nait à ton âge, à ta position, à ta destinée? Quelle vaine faim de gloire
t'entraîna-t-elle vers une fin indigne d'un sage? 0 combien il eût été
mieux séant si toi, philosophe, tu avais vieilli dans un paysage campa-
gnard, y méditant sur la vie éternelle, sans aspirer aux fasces consulaires
et aux triomphes militaires... ? 11 ,.
9 Hans Baron, The crisis of the early florentine Renaissance, civic huma-
nism and republican liberty in an age of classicism and tyranny, Princeton,
Univ. Press, 1955, 2 vol., t. l, p. 97. (Une deuxième éd. rev. ibid. 1966, 1 vol.)
Voir également du même auteur, Humanistic and politicalliterature in Florence
and Venice at the beginning of the Quatfrocento, Cambridge, Mass. 1965, et
From Petrarch to Leonardo Brllni, sfudies in Humanities and politicalliterature,
Univ. of Chicago Press, 1968; de ses disciples, voir Jerro1d E. Sei gel, Rhetoric
and philosophy in Renaissance humanism, Princeton, 1968,.surtout p. 173-262,
et Renaissance studies in honor of Hans Baron, ed. by A. Molho and J. Tedes-
chi, Florence, Sansoni, 1971.
10 Voir outre Baron, Eugenio Garin, dans Storia della letferatura italiana,
Milano, Garzanti, 1971, t. Ill, p. 13, «Colluccio Salutati e la vita civile:>, et
p. 77, «Poggio Bracciolini e la scoperta degli codici antitichi >. Sur la rhéto-
rique à rlorence au Quattrocento, et la fonction de Quintilien comme auxi-
liaire de Cicéron et de Virgile dans l'éducation oratoire, voir Politien, Oratio
super Fabio Quintiliano et StaW Sylvis, dans Opera, Bâle, Nicolas Episcopius
Junior, 1553, in-fo, p. 492 et suiv. Voir surtout, p. 496, l'éloge de l'éloquence,
tissu conjonctif de la civitas, lien entre l'actualité et l'Origine (heroica tem-
pora), et mode privilégié de manifestation de la grandeur d'âme.
I l Baron, The crisis ... , ouvr. cit., t. l, p. 98-99.
44 ROME ET LA QUERELLE CICERONIENNE
•
••
Ecrit en 55 avant J.-C., sous le triumvirat de César, Pompée et
Crassus, le De Oratore lG est le bilan de l'expérience oratoire de Cicéron.
14 Voir Remigio Sabbadini, Le scoperte dei codici latini e greci ne' secoli
XIVe XV, Florence, Sansoni, 1905, t. Il, p. 100, et Nuove ricerche ... Florence,
Sansoni, 1914, p. 209. Voir également R. Bolgar, The classical heritage and his
beneficiaries, Cambridge Univ. Press, 1954.
lG Sur le De Oratore et la doctrine oratoire de Cicéron, voir Alain Michel,
Rhétorique et philosophie dans l'œuvre de Cicéron, Paris, P.U.F., 1960, A.D.
Leeman, ouvr. cit. p. 112-135 et G. Kennedy, ouvr. cit. p. 205-259. Sur le
renouveau des études cicéroniennes, et la «nouvelle image:o de Cicéron, voir
A. Michel, «Cicéron et les grands courants de la philosophie antique, pro-
blèmes généraux (1960-1970):0, dans Lustrum, 16, 1971-1972, p. 81-103.
48 LE «CIEL DES IDÉES» RHÉTORIQUE
•
••
Le thème essentiel du débat qui oppose Crassus à Antoine 18 porte
à la fois sur l'étendue de la culture que l'on doit attendre de l'orateur,
et sur la nature de son art. Sur le second point Crassus et Antoine tom-
bent d'accord: l'art oratoire n'est pas, comme le croient les rhéteurs, une
technique pédante qui à coup de régIes s'imagine pouvoir se substituer au
génie naturel; celui-ci est l'essentiel; pour autant, il ne faut pas tomber
dans l'excés des philosophes qui rejettent toute idée d'art: l'expérience
codifiée des générations antérieures n'est pas un secours à dédaigner, ni
l'exercice appuyé sur de bons modéles. Mais c'est un art, non une scien-
ce ; les qualités de celui qui l'exerce décideront de son succès ou de son
échec.
Sur le premier point, Crassus et Antoine diffèrent. Antoine pense que
l'orateur doit se contenter d'être assez cultivé pour exercer convenable-
ment son métier d'avocat. Crassus se fait de l'orateur une idée plus
ambitieuse: à ses yeux, le domaine de l'éloquence s'étend à toutes les
activités humaines et la culture de l'orateur doit être encyclopédique pour
être à la hauteur d'un rôle qui excède largement les limites du prétoire.
Dès lors que l'on suppose chez l'orateur une nature d'exception, et donc
l'appel de la grandeur, on ne saurait lui refuser d'aspirer à la magistra-
ture d'une grande éloquence qui soit l'âme ,de la Cité 17 •
•
••
Le second livre semble supposer qu'Antoine s'est rallié aux vues de
Crassus, ou du moins qu'il ne s'y était opposé jusque-là qu'afin de donner
•••
Le livre III est entièrement consacré à l'élocution. Cette place considé-
rable accordée aux «mots» justifie sans doute, de la part de Crassus,
deux digressions sur l'importance de la culture philosophique chez l'ora-
teur 18. C'est que la science de bien penser et la science de bien écrire
(sapienter sentiendi et omate dicendi scientia) sont indivisibles. Elles
l'étaient à l'origine, en Grèce chez les grands législateurs, Lycurgue,
Solon, et à Rome, au moins à l'état d'aspiration, chez les Fabricius et les
Caton. Elles l'étaient encore à Athènes, chez un Thémistocle, chez un
Périclès. Socrate, éloquent s'i) en fut, rompit pourtant cette unité origi-
nelle entre la pensée et la parole active en attachant à l'éloquence le
1'0upçon d'immoralité. Ainsi naquit le divorce entre philosophie et rhéto-
rique et se développèrent côte à côte les diverses écoles philosophiques
et les diverses écoles de rhéteurs.
Il faut donc, sans renier les richesses accumulées de part et d'autre en
cours de route, reconstituer l'unité originelle entre philosophie et élo-
quence, entre contemplation et action:
De même que les fleuves, s'écrie Crassus, tombent de l'Apennin, ainsi,
tous descendus des hauteurs de la sag~sse, les genres dont je parle ont
pris des directions différentes. Les philosophes furent portés comme vers
une mer Supérieure, mer vraiment grecque, aux ports nombreux; les
orateurs au contraire, vers la mer inférieure, toute nôtre, flots dangereux,
hérissés d'écueils, où se serait égaré Ulysse même 19.
•••
L'alliance de l'éloquence et de la philosophie dans le De Oratore
fait de ce dialogue un programme complet de culture intellectuelle 24.
Mais les références constantes de Cicéron à la poésie, à la musique, à la
peinture, à l'architrcture, à la sculpture, à l'art du comédien, donnent à
l'éloquence telle qu'il la conçoit (sapientia moderafrix artium) une fonc-
tion régulatrice de tous les autres arts, et font aussi de ce dialogue un
programme complet de culture artistique. Cependant culture artistique
et culture intellectuelle n'y apparaissent nullement comme le privilège
d'une élite jalouse: les magistrats-orateurs que met en scène Cicéron
2G Ibid., p. 597 et suiv. Sur le lien entre l'art oratoire et les beaux-arts cht!z
Cicéron, voir l'article de E.H. Gombrich, «The debate on primitivism in ancient
rhetoric~, J. W.C.I., vol. XXIX, 1966, p. 24-40, en part. p. 32, analyse d'une
page du De Oratore séminale pour les «schèmes historiographiques" de la
critique d'art de la Renaissance.
26 Ibid., p. 604, «Concordance entre les idéaux de Rome et les philoso-
phes~, et aussi p. 283, «Ironie et sagesse dans les discours de Cicéron ».
27 Sur les sources grecques du De Oratore, et les rapports du platonisme
avec le scepticisme académique dont s'inspire Cicéron, voir A. Michel, ouvr.
cit., p. 80-149. Voir aussi, p. 109 et suiv., la dette de Cicéron envers Aristote,
Qui le premier s'efforça de réconcilier philosophie et rhétorique séparées par
Platon.
28 Voir G. Kennedy, ouvr. cit. p. 240 et suiv. La réduction des qualités du
style à la latinitas est un trait commun aux « atticistes" qui critiquaient Cicé-
ron, et aux «cicéroniens" de la Renaissance, soucieux avant tout de la qualité
latine de leur prose écrite. Si bien que par un paradoxe dont les historiens
du cicéronianisme n'ont pas, à notre sens, perçu toute la saveur, les anti-cicé-
CICÉRON 53
fronde «atticiste:t, opposée à la doctrine cicéronienne de l'ornatus,
célébrait, en contraste du style orné d'Isocrate, le style pur et net de
Lysias, voire de Xénophon et de Thucydide. Dans les deux cas se faisait
jour un rappel du mos majorum romain opposé aux aspects rhétoriques
de la culture hellénistique.
•
••
Dans ses derniers dialogues sur l'art oratoire, Cicéron fut donc amené
à réfuter l'accusation d'asianisme, ou du moins d'isocratisme, portée
contre la doctrine stylistique du De Oratore. Dans le Brulus 29 dont le
héros éponyme, ami politique de Cicéron, était aussi le chef de file des
orateurs ({ atticistes:t, Cicéron polémique contre le mythe primitiviste
d'une antique « simplicité» dont se prévalent ses jeunes adversaires. Il
montre que ceux-ci, tout «vieux romains» qu'ils se veulent, se réclament
pourtant de la Grèce et d'Athènes, où il y eut autant d'éloquences que
d'orateurs « attiques ». L'« atticisme» romain est donc moins une résur-
gence du style des anciens consuls qu'un raffinement d'esthètes archaï-
sants, dont l'esprit de chapelle risque de faire perdre à l'éloquence latine
son emprise sur le public d'aujourd'hui. Dans le Brutus comme dans
l'Oralor, Cicéron insiste sur la thèse centrale du De Oratore : l'éloquence
est à la fois sagesse et parole, sagesse adaptée par l'art oratoire aux
circonstances et aux hommes réels, et non aux hommes d'autrefois. Si
l'orateur est l'ambassadeur de la vertu originelle parmi les hommes d'au-
jourd'hui, il doit la leur faire goûter et admirer, autant que la leur faire
connaitre. Et Cicéron propose dans l'Orator 30 une esthétique oratoire
ouverte et accueillante, capable de réconcilier en une synthèse neuve les
diverses tendances qui divisent le Forum, et qui témoignent, par leur
seule existence, de la rupture avec l'antique «simplicité ».
Le maître-mot de cette esthétique est varietas et Cicéron se réclame
de Démosthène, attique lui aussi, pour lui donner autorité contre les
tenants de Lysias. Cette variété est à la fois fécondité inventive et capacité
de changer de registre selon les circonstances, le sujet, le public.
•
••
En somme, le génie de Cicéron, qui dans le De Oralore s'était montré
si sensible à la diversité des individualités oratoires, créait une esthétique
de la médiation, ouverte et libérale, forum des styles où chacun pouvait
trouver sa place, moyennant, pour les extrêmes, un sacrifice à la juste
mesure.
Apôtre infatigable et de la conciliation et de la réconciliation entre
« gens de bien », Cicéron théoricien révèle les mêmes qualités de diplo-
mate que Cicéron homme d'Etat et orateur. Dans une époque de dissoéia-
tion, il est l'homme des synthèses: synthèse philosophique, au nom du
scepticisme académique, synthèse politique, au nom du consensus bono-
rum, synthèse esthétique, au nom de la variété. Mais cette diplomatie
rhétorique n'aurait pas été complète s'il n'avait proposé aux c trois
styles », à la lripertita varietas, une même clef de voûte idéale. Dans le De
Oratore il affirmait qu'en dépit de la diversité des personnalités oratoires,
l'éloquence est une. Dans l'Orator, où il a réussi à ramener cette diversité
à une trinité, il affirme avec plus de vigueur encore l'unité. Unité de
visée, qui fait de tous les orateurs les contemplateurs et adorateurs de la
même Idée du Beau, antérieure et supérieure à toutes ses actualisations.
je pose en principe, écrit-il, qu'il n'y a rien, dans aucun genre, de
si beau qui ne soit inférieur en beauté à ce dont il n'est que le reflet,
comme le portrait d'un visage, à ce que ni les yeux ni les oreilles ni
aucun sens ne peuvent percevoir, et que nous n'embrassons que par l'ima-
gination et la pensée 84.
:.
La seule vraie faiblesse de Cicéron est d'avoir cru possible que l'élo-
quence orale, maniée par un orateur-médiateur, ferait circuler entre la
philosophie grecque et le peuple romain un courant assez fort pour que
l'esprit de la République de Platon restaurât et transfigurât la République
des consuls sur le déclin. A la Renaissance, des humanistes comme Cola
di Rienzo 8~ ou Pomponius Laetus 86 nourriront le rêve de ranimer, par
la magie d'une éloquence renouvelée de Cicéron, la Rome de Tite-Live sur
le Campo Vaccino de la Rome des Papes. Mais l'échec historique ne nuisit
en rien à la force séminale de la synthèse cicéronienne. Sous l'Empire,
l'extinction de l'éloquence civiqu~ n'empêcha point la pédagogie de Quin-
tilien et la réflexion sur le style des plus grands prosateurs de prendre
appui sur la doctrine cicéronienne. Le débat autour de l'ornatus amorcé
du vivant de Cicéron fut alors un des ferments les plus actifs de la
critique littéraire romaine.
Il est curieux d'observer que la doctrine du De Oratore et de l'Orator
ne trouva à se réaliser pleinement que lorsque l'Eglise latine eut à faire
face aux tâches de la prédication à grande échelle. Cette fois le contact
direct et oral avec le public, la haute inspiration morale et philosophique,
et l'autorité civique dont Cicéron rêvait pour son Orateur, renaquirent au
profit des Evêques chrétiens. L'éloquence sacrée nourrie d'un syncrétisme
stoico-platonisant ressuscita l'éloquence philosophique de Cicéron, que
saint Augustin prend pour référence constante dans la rhétorique chré-
SÊNÈQUE ET TACITE
31 Incipit LI/cii Annaei Senecae Cordubensis ... opera ... , Neapoli, sub titulo
n. Romero, impr. M. Moravum, 1415, 2 part. en 1 vol. in-fo. Selon Sabbadini
(Le Scoperte ...• ouvr. cit. p. 112), les Declamationes de Sénèque le Père furent
découvertes par Nicolas de eues, sous une forme fragmentaire et désordonnée,
et SOllS le nom de Sénèque le Philosophe. L'édition princeps de Venise, comme
l'édition d'Erasme (Bâle, 1529) attribue au Philosophe les Declamationes. Le
titre de l'édition d'Erasme (L.A. Senecae opera et ad bene dicendi tacultatem,
et ad bene vivendum utilissima ... ) place sur le même pied les œuvres oratoires
de ~ Sénèque" et ses œuvres philosophiques. Dans l'introduction aux Decla-
mationes, Erasme fait grand cas de celles-ci, y voit des modèles pour l'élo-
quence judiciaire, et forme même le vœu qu'elles soient étudiées à l'école, de
préférence à la dialectique ...
3B SlIr l'œuvre de Sénèque le Père, voir A.D. Leeman, ouvr. cit. ch. IX,
p. 224-242, et G. Kennedy, ouvr. cit. p. 322-331. Sur son influence stylistique
à l'époque de la Renaissance, voir G. Williamson, The senecan amble, a study
in prose tram Bacon 10 Collier, Londres, Faber and Faber, 1948, et F. Simone,
Umanesimo, Rinascimento et Barocco in Francia, Milan, Mursia, 1968, qui
traite surtout, p. 244 et suiv., de Sénèque moraliste.
58 LE «CIEL DES IOËES:p RHËTORIQUE
43 Sur les aspects rhétoriques des Lettres, voir Leeman, ouvr. cit., p. 260-
283, et G. Kennedy, p. 465-481.
44 Sénèque, Lettres à Lucilius, texte établi par Fr. Préchac et traduit par
H. Noblot, Paris, Belles Lettres, 1956, t. l, p. 161.
4~ Ibid., p. 162-163, 40, 4.
48 Ibid., p. 164, 40, 8.
47 Ibid., p. 166, 40, 14.
60 LE «CIEL DES IDÉES» RHÉTORIQUE
48 Ibid., p. 163, 40, 5 (vires magnas, moderafas tamen, p. 164, 40, 8).
49 Ibid., p. 168, 41, 8.
SENÈQUE 61
•••
•
••
TACITE 63
Il n'en reste pas moins que Sénèque pousse la neglegentia diligens
bien au-delà de ce que Cicéron eOt admis, jusqu'au dédain d'une electio
verborum trop attentive, ou d'une collocatio verborum trop préméditée:
l'invention philosophique ne saurait s'abaisser à ces minuties (pusilfae
res: verba, XVI, 100, 10). Si Sénèque se présente dans les Lettres à
Lucilius comme un réformateur de l'éloquence romaine, c'est avant tout
au nom de critères moraux. Sa diatribe contre Mécène l'homme et le
styliste, dans la lettre 114, est tout entière fondée sur le précepte de
Caton l'Ancien, Vir bonus dicendi peritus, qu'il traduit par TaUs ratio
qualia verba. L'esthétique de la prose est étroitement confondue par
Sénèque avec le degré d'avancement spirituel et moral de l'écrivain.
Une telle antithèse res/verba, surtout perçue à travers l'antithèse plus
radicale encore, chez saint Augustin, res/signa, pourra être interprétée
soit comme une condamnation de tout art littéraire, soit comme une
licence de recourir à n'importe quel ornement, pour peu qu'il soit expres-
sif. La Renaissance de la latinité d'argent, encourageant celle des langues
vulgaires, aurait pu aller plus loin encore qu'elle ne fit dans le médiéva-
lisme archaïsant et le primitivisme, si l'influence de Tacite, et du Dialogue
des Orateurs, n'avait réconcilié le primat sénéquien et augustinien de
l'intériorité, avec le sens cicéronien d'une beauté objective de la forme.
•••
G2 R. Sabbadini, Le scoperte..., ouvr. cit., t. Il, p. 107 et suiv.
64 LE «CIEL DES IDÉES» RHÉTORIQUE
•
••
Marcus Aper tente alors de plaider sur de nouveaux frais la cause
de la déclamation impériale. Ce que celle-ci a perdu en autorité morale,
n~ l'a-t-elle pas gagné en beauté et richesse de langage 55 (llietitia et
pulchritudo orationis) ? Les juges, le public n'exigent-ils pas aujourd'hui
les traits brillants (arguta et brevis sententia), les couleurs de la poésie
(exquisitus et poeticus cultus, poeticus decor) 56 et de la poésie la plus
raffinée, celle d'Horace, de Virgile ou de Lucain? Aux côtés de ces
artistes, qui bénéficient du progrès littéraire, les orateurs d'autrefois font
figure de primitifs. Cicéron lui-même a vieilli, l'architecture grossière de
ses discours manque de politesse et de brillant. L'art suprême, celui
qu'ont atteint les orateurs modernes, mêle II: à la gravité de la pensée
l'éclat et l'élégance raffinée de l'expression» (gravitati sensuum nitorem
ct cultum verborum) 57.
Mais un nouveau venu dans le dialogue, Vipstanus Messala, épousant
le point de vue que Quintilien défend dans l'lnstitutio oratoria, parue
quelques années avant le Dialogue 58, se fait l'avocat d'un retour à la
tradition stylistique des orateurs de la République et critique sévèrement
le style moderne vanté par Marcus Aper, II: cette coquetterie d'expression,
cette frivolité de pensée, ce rythme capricieux des phrases qui font du
discours une musique de théâtre ». Il manque à ces orateurs tardifs la
santé (sanitas) ; reniant l'antique vertu, ils ont « plus de fiel que de sang"
(plus bilis quam sanguinis). La décadence de l'éducation, l'irréalité d'une
éloquence de parade et dénuée de responsabilité, expliquent assez la
corruption de l'éloquence. Seul un retour aux Anciens, une nouvelle
alliance entre la philosophie et l'éloquence peuvent réparer le mal.
•••
55 Dia/ogl/s .... éd. cit., p. 67, 20, 3.
56 Ibid., p. 68, 20, 4.
57 Ibid., p. 77, 23, 6.
58 A. Michel, Le Dialogue des Orateurs... et la philosophie de Cicéron,
ouvr. cit., p. 41, note 42.
66 LE «CIEL DES IDÉES» RHÉTORIQUE
39 V. ibid., p. 177-183.
TACITE 67
les deux points de vue. L'atticisme de Tacite historien 60 réunit en effet
les raffinements littéraires d'un Salluste, et le vaste dessein philosophique
d'un Tite Live, le premier apparenté aux atticistes admirateurs de Thucy-
dide, le second plus proche de la grande éloquence civique illustrée par
Cicéron.
Cette médiation virgilienne permet aussi à Tacite de réconcilier
Cicéron, pour qui 1'« utilité» morale du discours passe nécessairement
par la «délectation» de l'art, et Sénèque, pour lequel 1'« utile» est
l'ennemi du «délectable ». Car Sénèque avait aussi écrit des tragédies.
Et c'est à un dramaturge que Tacite a confié le soin de faire de Virgile
le garant suprême des choses de l'art. L'austère «délectation» de l'art
tragique se guérit pour ainsi dire d'elle-même, et s'abolit pour laisser
place à une leçon non moins âpre, quoique conciliable avec l'art, que la
plus âpre prédication cynique. Virgile, grand «antiquaire» autant que
grand poète, avait pu, remontant vers les origines antérieures au meurtre
de Rémus, célébrer leur coïncidence avec le principat régénérateur d'Au-
guste. Cette coïncidence a disparu aussi bien pour Sénèque que pour
Tacite. Dans les Lettres à Lucilius, Sénèque, non sans s'étendre avec
complaisance sur l'antithèse 61, avait opposé au luxe, à la luxure, à
l'avarice, aux arts de la Rome moderne l'innocence et la simplicité des
premiers hommes, que le Sage doit s'attacher à retrouver, à force d'exer-
cice assidu, sous la forme d'une vertu consciente et volontaire. La même
vision d'un Age d'or, où régnait l'harmonie entre l'ordre du monde et
une humanité innocente, habite les chœurs de Sénèque, donnant tout leur
relief aux crimes et aux remords des héros. L'auteur de la Germanie
est lui aussi fasciné par le mythe du Bon sauvage, voire du Barbare
régénérateur. Dans les Annales, tout se passe comme s'il écrivait à la
lumière nostalgique des origines, telles que Virgile les avait chantées dans
l'Enéide : l'histoire des Empereurs tyranniques devient dès lors le contre-
point, ironique et tragique, des âges héroïques reniés; de cette noire
dérision ne se sauvent, dans la mort, que les grandes âmes échappant
par un miracle de volonté à la corruption générale, celle d'un Thrasea
Paetus, celle d'un Sénèque peut-être. Le deuil de l'Age d'or, le sentiment
d'une corruption irrémédiable, donnent à l'art de Tacite le double carac-
tère d'un chant d'exil, à la Virgile, et d'une diatribe véhémente, à la
Sénèque. Son œuvre historique est un discours, où la probatio se confond
avec la narratio ; la c vraie Rome» s'y adresse à la «fausse Rome »,
comme dans les Verrines et dans les Philippiques; l'indignation est le
revers de la contemplation du Bien, la véhémence du moraliste est insépa-
rable de la fidélité de l'artiste à la Beauté.
La médiation virgilienne apparaît enfin dans le Dialogue liée à la
doctrine du sublime, dont Virgile s'était fait le répondant à Rome. Mater-
nus, empruntant ses termes au Ps. Longin, parle d'un enthousiasme qui,
•
••
Les progrès de l'absolutisme dans l'Europe du XVI' et du XVII' siècles,
la réaffirmation de la monarchie pontificale sur les Eglises nationales
après le Concile de Trente, donnèrent au Dialogue des Orateurs une
actualité renouvelée. Attribué ou non à Tacite, il prend son sens à l'inté-
rieur de ce que l'on pourrait appeler l'Age tacitéen, et qui succède après
le Concile à l'Aetas ciceroniana de la première Renaissance. Le Dialogue
offrait en effet aux humanistes les moyens de méditer tous les problèmes
stylistiques et moraux que pose à l'orateur l'existence d'une monarchie
absolue, dont les Histoires et les Annales analysaient par ailleurs les
risques et les menaces. Alors que Sénèque n'offrait d'autre ressource au
laïc que la philosophie morale et saint Augustin celle de la retraite
pénitentielle, Tacite montrait au contraire, dans un Age de fer, la possibi-
70 LE c CIEL DES IDÉES» RHÉTORIQUE
•••
Du De Docfrina christian a 64 on a le plus souvent retenu l'exposé de la
c doctrine chrétienne", sans y voir, comme l'a fait Henri Marrou 611, le
•••
La première qualité, et de loin, du style chrétien est la clarté (claritas,
perspicuitas). Il importe en effet avant tout de démêler les obscurités de
l'Ecriture, et de rendre celle-ci transparente à tous, savants et ignorants.
Aussï ne faut-il pas hésiter à sacrifier à la clarté cette latinitas aristocra-
tique et savante dont Cicéron et ses contemporains faisaient tant état.
L'interprétation augustinIenne de la neglegentia diligens cicéronienne est
donc beaucoup plus laxiste que l'interprétation sénéquienne. Elle rend
possible toutes les CQncessions au vocabulaire technique chrétien et même
au latin populaire.
La seconde qualité du style est toute négative; il faut parler clairement
mais non désagréablement (insuaviter). Là une sévère mesure doit être
gardée, car il faut éviter à tout prix que la delectatio de l'auditoire
s'arrête aux signes et ne s'élève pas jusqu'aux choses divines que ces
signes ont charge d'annoncer. Il faut donc doser la dictionis suavitas
selon la nature du sujet traité (orationis argumentum). Aux trois offices
du prédicateur, docere, delectare, f1ectere, correspondent trois types de
discours, et trois styles: bas (submisse dicere) si l'on enseigne, médiocre
(temperate dicere) si l'on loue, sublime (granditer dicere) si l'on conjure
ou reprend les cœurs rebelles. Dans le premier cas (par exemple l'expli-
cation du mystère de la sainte Trinité), la majesté du sujet est à elle seule
un ornement qui dispense de tout autre. Dans le second cas, le seul objet
de louange ne pouvant être que Dieu, on peut aller jusqu'à introduire un
peu de musique dans la prose. Dans le troisième, celui de la véhémence
parénétique, il n'est pas nécessaire de recourir aux techniques de l'orna-
tus: l'exemple de saint Paul montre que les ornements, lorsqu'il admo-
neste, lui viennent tout naturellement, et sans souci conscîent d'embellir
le discours, par la seule logique du sujet et du sentiment qu'il en a.
Privé de l'art des rhéte',. 3, l'apôtre atteint à des effets supérieurs aux
leurs, par la grande ardeur (grandis affectus) dont il est animé.
En dépit d'un véritable effet abrasif, les « trois styles» selon Cicéron
sont maintenus par saint Augustin. C'est que l'éloquence de l'Eglise
retrouve, sur un registre religieux et non plus seulement politique, l'expan-
74 LE c CIEL DES IDÉES» RHÉTORIQUE
:.
Au chapitre 24 du L. IV, saint Augustin s'attarde sur les effets
propres au style sublime, et à la véhémence chrétienne. Les subtilités
(acumina) du style de l'éloge, peuvent faire naître la tentation des applau-
dissements. Il n'en va pas de même pour le sublime chrétien. Celui-ci
rappelle aux pécheurs la vérité qu'ils ont oubliée et reniée, il leur donne
I>! désir du repentir. Leur voix alors s'étouffe, leurs larmes coulent. Briser
l'endurcissement des cœurs est le Grand Œuvre de l'éloquence chrétienne.
Né de la charité, le sublime chrétien la fait naître: évitant le détour
calculé par la science des rhéteurs, elle parle du cœur au cœur, et la
c grande ardeur» du prédicateur chrétien réveille les pécheurs de leur
endurcissement. En tout état de cause, il faut savoir garder la juste
mesure afin d'être toujours écouté avec clarté (intelligenter), avec plaisir,
(libenter), avec docilité (obedienter). Le style simple se prête avant tout
à la clarté, mais il doit aussi apporter à sa façon docilité et joie. Le style
moyen se prête avant tout au plaisir, mais il ne doit pas être orné
indécemment. Le style sublime doit ébranler les cœurs, mais il ne doit
pas renoncer à la clarté ni au plaisir. La juste mesure objective observée
par le prédicateur corrige sévèrement toute tentation d'excès subjectif,
contenue d'ailleurs par l'humilité du chrétien.
Cette dernière note achéve de nous montrer que saint Augustin mérite
autant que Jérôme, le titre de Cicéron chrétien. Après l'/nstitutio oratoria
de Quintilien, après la tentative de réforme archaïsante d'un Fronton, le
De Doctrina christiana nous apparaît comme le suprême effort de l'élo-
quence romaine, s'adressant en désespoir de cause au christianisme, pour
échapper à cette « corruption» que dénonçaient déjà Caton l'Ancien, et les
adversaires néo-attiques de Cicéron, et Sénèque. Contre les déclamateurs
païens de la Seconde sophistique, saint Augustin, et avant lui Lactance,
et avec lui saint Ambroise et saint Jérôme, sont les initiateurs d'une
ultime « Renaissance », d'un ultime « classicisme» oratoire romain avant
la chute de l'Empire.
Chez saint Augustin, la résurrection de l'Orator cicéronien sous les
vêtements du Docfor christianus, la sauvegarde des qualités esthétiques
de la prose oratoire c classique », perspicuitas du style simple, suavitas
du style moyen, vehementia du style sublime, l'art de varier et d'opposer
ces qualités, l'art de les doser et de les déployer à bon escient, préservent
l'essentiel de la juste mesure cicéronienne au service d'une foi religieuse
qui, dans le même temps, enveloppe et absorbe l'essentiel des philosophies
païennes.
SAINT AUGUSTIN 75
Mais cette prise en charge par l'Eglise de l'art oratoire cicéronien,
dans une version allégée où la réussite plastique du discours comptait
moins que sa transparence, n'allait pas sans ambiguïté. Les L. 1 A 111
du De Doctrina Christiana préparent sans doute au L. IV: ils révèlent
aussi le malaise de l'intériorité chrétienne, face aux nécessités de la
prédication publique, qui obligent à recourir aux techniques des orateurs.
La pente de la parole chrétienne, née de la prière et de la méditation
silencieuse des Ecritures, allait à l'échange, dialogué ou épistolaire, entre
spirituels et candidats à la spiritualité personnelle. Echange proche de
celui qui caractérisait les cénacles philosophiques païens. Les exigences
d'une prédication de masse créaient un curieux porte-A-faux. Elles
maintenaient dans les rangs chrétiens les germes d'une reviviscence de la
déclamation tout extérieure. Elles ne compensaient pas l'introduction dans
l'édifice oratoire antique d'un corrosif soupçon.
Nul mieux qu'Augustin n'a exploré les conséquences de ce paradoxe.
Théoricien de la prédication dans le Docfrina christiana, il est aussi
l'inventeur de la littérature autobiographique dans les Confessions, long
dialogue lyrique avec Dieu. Sauvant dans un cas l'objectivité «classi-
que» du De Oratore, il faisait dans le second une étonnante démonstra-
tion d'expressionnisme subjectif. Mais il ne sauvait le «classicisme)
cicéronien qu'en le soumettant A des scrupules religieux et moraux plus
qu'esthétiques. Et il ne créait la prose de la subjectivité moderne qu'en
l'offrant en sacrifice au Dieu chrétien, lieu d'une beauté jalouse de toutes
les beautés humaines.
Interprété par l'esprit de lourdeur, l'effort du De Doctrina christiana
pour dépasser la rhétorique et fonder une éloquence du cœur peut parai-
tre encourager une sorte de misérabilisme oratoire. Autre péril, que
certaines formules de Sénèque, prises au pied de la lettre, pourraient
aussi suggérer: saint Augustin met à ce point l'accent sur le docere,
il réduit A ce point le rôle de l'art dans le movere, et ramène le delecfare
à une portion si congrue, il s'accommode si facilement du sacrifice de la
latinitas, qu'il semble patronner toutes les concessions à un public inculte.
/! envisage, au moins à titre d'hypothèse, un tel appauvrissement de la
pédagogie rhétorique, un tel renoncement à tous les genres littéraires
qui ne se réduisent pas au moule de l'éloquence sacrée, que lui, héritier
et bénéficiaire de toute la tradition païenne, semble préparer les esprits
au déclin de la culture antique et à la venue des temps barbares. /! va
jusqu'à suggérer l'hypothèse de prédicateurs si peu doués ou si peu
préparés intellectuellement qu'ils se contenteraient de réciter par cœur
des homélies écrites par d'autres, moins déchus. Avec quelle sombre
satisfaction tel ou tel moine espagnol du XVI' siècle, avant l'ineffable
Goibaud Du Bois à la fin du XVII', dut approuver comme un idéal ce
programme de détresse et s'y tenir pour combattre l'impie Renaissance
des studia humanitatis, à qui il devait pourtant de pouvoir lire, dans des
èditions correctes, le De Doctrina christiana 1
•••
76 LE «CIEL DES IDÉES» RHÉTORIQUE
ESSOR ET DESASTRE
DE LA PREMIERE RENAISSANCE CICERONIENNE
DE PÉTRARQUE A BEMBO
68 Voir Mario Fois, Il pensiere cristiano di Lorenzo Valla net quadro sto-
rico-culturale dei suo ambiente, Analecta Gregoriana (174), 1969, ch. V, «II
problema di coscienza dell'Umanesimo e la soluzione valliana », p. 195-260.
L'A. fait une revue complète des différentes apologétiques mises en œuvre par
les humanistes italiens, de Pétrarque à Valla, contre le soupçon monastique
et rigoriste pesant sur les studia humanitatis. Dans la préface du L. IV des
Elegantiae, Valla fait allusion à ceux qui sanctiores et religiosores videntur,
ennemis des libri saeculares, ainsi que de la restauration de la langue latine:
ils citent le songe de saint Jérôme pour prouver que l'on ne peut à la fois être
tullianus et fidelis. Valla soutient que le reproche fait par le Christ à Jérôme
s'adresse à la philosophie païenne, et non pas à l'ars dicendi, à la recherche
de l'élégance et de l'ornatus. Ceux-ci sont neutres, comme la peinture et la
musiql!e, et compatibles avec la foi. Il s'appuie sur l'exemple des Pères et de
saint Paul, théologiens éloquents, pour condamner les théologiens sans pré-
paration littéraire. L'éloquence, «arche dorée de l'Alliance », «Temple de Salo-
mon :1>, et la splendeur de la langue latine ramenée à sa pureté première, sont
les meilleurs ornements et auxiliaires de la foi. Cette préface contient l'es-
sentiel des arguments que les «cicéroniens dévots:. de la fin du xv,· siècle,
et en particulier les Jésuites, déploieront en faveur de l'Eloquentia.
69 Voir note suivante.
PÉTRARQUE 79
pirer d'une nature créatrice et des Qualités de son style, et ne pas repren-
dre ses propres termes: dans le premier cas, la ressemblance reste cachée,
dans le second elle ressort; dans le premier cas, on a affaire à un poète,
dans le second à un singe 10.
75 « Nous avons perdu Rome, nous avons perdu la puissance, nous avons
perdu la domination. non par notre faute, mais par la faute des temps et,
toutefois, il nous reste, grâce à la langue latine, une domination spirituelle
plus éclatante encore et grâce à elle nous régnons aujourd'hui encore sur la
majeure partie du monde. L'Italie est à nous, et la France, et l'Espagne, et
l'Allemagne, et la Pannonie, et la Dalmatie, et l'Illyrie, et de nombreuses autres
nations. Car l'Empire romain est toujours debout, partout où règne la langue
romaine» (Laurenti. Vallae Latinae linguae elegantiarum libri sex. Anvers,
1526, Praefatio.) La première édition figurant au catalogue de la B.N. date
de 1471. Valla séjourna longtemps à Rome, où il enseigna la rhétorique à la
Sapienza. Mais cet humaniste supérieurement indépendant ne se laissa pas
assoupir par la servilité aulique. Comme à Erasme, et avant lui. les siudia
lzumanitatis lui apparaissent le chemin le plus sûr vers une réforme de l'Eglise,
et un renouveau de la piété par la réhabilitation des «anciens théologiens:>,
les Pères de l'Eglise. Comme à Gassendi. et avant lui. l'épicurisme lui apparaît
plus ajustable à un christianisme réformé que le stoïcisme. Voir E. Garin, in
Sioria ... éd. Garzanti, t. III, ouvr. cit .• p. 198-237, et L·Education ...• ouvr. cit.,
p. 198-199.
76 Voir Mario Fois, Il pensiero cristiano di L. Valla ...• ouvr. cit., p. 323 et
suiv.
82 PREMIÈRE RENAISSANCE CICÉRONIENNE
dérision les orateurs qui se croyaient les cousins de Cicéron, sous prétexte
qu'ils achevaient leurs périodes par Esse videatur. Horace invective les
imitateurs, et encore les imitateurs. Pour ma part, je ne vois dans les
spécialistes de l'imitation que des perroquets ou des pies, puisqu'ils répè-
tent ce qu'ils ne comprennent même pas. Ces écrivailleurs manquent
d'énergie et de vie, ils sont incapables d'agir ni de sentir, ils n'ont aucun
tempérament. Chez eux rien de vrai, rien de solide, rien de fécond 77.
•
••
En dépit du prestige de Politien, sa querelle avec Cortesi restait pour
une large part dans le domaine de la dispute académique: à titre de
querelle portant sur l'aptlmus stylu!> latin, el1e posait la question des
sources de l'éloquence dans le cercle étroit des lettres néo-latines; à titre
de querelle entre humanistes italiens elle se renfermait implicitement à
l'intérieur de l'élite péninsulaire, ayant seule, par droit historique, privi-
lège de légiférer sur la langue et la littérature latines. Ces traits restent
encore ceux de la querelle qui, dans la génération suivante, oppose une
nouvelle fois l'humanisme florentin à l'humanisme d'obédience romaine.
Dans une lettre adressée par Giovanni Francesco Pico del1a Mirandola,
neveu du grand Pico, à Pietro Bembo, humaniste vénitien devenu secré-
taire des brefs de Léon X, et à ce titre coryphée du cicéronianisme romain,
le problème de aptima styla, et ses implications morales, furent de nou-
veau évoqués 81. Chez Pétrarque, comme chez Politien, les concepts de
•
••
S'il avait dû se fier à une image innée de son style personnel, qu'il
n'a d'ailleurs jamais observée, il ne serait pas allé où il voulait, dans la
libre obéissance à la loi de perfection qu'il s'était choisie, dans l'exercice
de son jugement Uudicium) ; il aurait erré au hasard et sans conduite
fixe, aucune étoile intérieure ne l'aurait guidé. Loin d'être un esclavage,
l'imitation est donc l'essence même de la liberté artistique; en l'insérant
dans une tradition, elle préserve l'artiste du déterminisme aveugle de sa
propre subjectivité.
Autre argument contre la rhétorique de l'ingenium personnel: les
hommes naissent inégaux. La théorie d'une idée innée que chacun n'aurait
qu'à retrouver au fond de lui-même, et incarner par l'imitation éclectique
de divers modèles, supprime toute notion de perfection artistique, et donc
de hiérarchie entre les grands artistes et les médiocres. Or l'imitation,
qui est un élan vers la perfection, fait le tri entre les vrais artistes et ceux
qui ne le sont pas. Si par surcroît on dispense ceux-ci de se référer à une
norme de beauté objective, leur médiocrité ne connaîtra plus de bornes.
De toutes façons, 1'« idée innée» que les médiocres portent en eux, si
seulement ils en portent une, n'intéresse guère Bembo:
Si l'on admet une idée du Beau, elle n'est pas en puissance dans telle
ou telle subjectivité, elle existe en acte et en Dieu:
Pour moi, je pense que, de même qu'il y a en Dieu auteur et créateur
du monde et de toutes choses une certaine forme divine de la justice,
de la Tempérance et des autres vertus, il s'y trouve aussi comme une
certaine sorte de bien écrire, à laquelle il ne manque rien, une forme
absolument belle, qu'avaient en vue autant qu'ils pouvaient le faire par
la pensée et Xénophon et Démosthène et Platon lui-même surtout, et
Crassus et Antoine et jules César et plus que tout autre Cicéron, quand
ils composaient et écrivaient quelque chose. Et cette image qu'ils avaient
conçue dans leur esprit, c'est à elle qu'ils rapportaient leur style et leur
intelligence. je pense que nous devons faire de même et qu'il nous faut,
dans nos écrits, employer tous nos efforts à nous rapprocher le mieux et
le plus près possible de cette beauté 88.
81 Ibid., p. 44.
88 Ibid., p. 42-43.
89 Ibid., p. 49.
BEMBO 87
cher d'elle au plus près. C'est pourquoi ils ne prendront pas en exemple
tous les bons prosateurs, mais un seul, le plus parfait, celui qui réunit
en lui toutes les qualités ailleurs dispersées, Cicéron. S'ils sont poètes,
ils se confieront à l'exemple de Virgile. On aura remarqué que pour
Bembo, la Beauté vers laquelle s'élancent, oublieux de leur «moi », les
artistes cicéroniens, est un ars scribendi, non un ars dicendi. Le secrétaire
aux Brefs de Léon X, dévot d'une Beauté dont Cicéron est le médiateur,
interprète en effet à sa manière la doctrine oratoire de son patron. La
notion de varietas, centrale dans l'esthétique cicéronienne, et que repre-
liait à son compte G.F. Pico, est autant que possible exclue par Bembo.
La Beauté, selon lui est Une, comme Dieu est Un. D'autre part, citant les
écrivains antiques autres que Cicéron qui ont visé comme lui à l'Idée
intemporelle de Beauté, c'est Xénophon, c'est Démosthène, c'est Platon
qu'il cite parmi les Grecs, Crassus, Antoine et Jules César parmi les
Latins 90. Si Démosthène est invoqué par Cicéron, si Crassus et Antoine
étaient les interlocuteurs principaux du De Oratore, ni Platon ni Xéno-
phon n'étaient des orateurs, et Jules César était avant tout un écrivain
épris de latinitas. Xénophon était aussi un des écrivains dont se récla-
maient les « atticistes » dans leur critique de la théorie et de la pratique
oratoires de Cicéron. Le Cicéron dont se réclame Bembo n'est pas celui
de la tripertita varietas; c'est celui qui, intégrant dans son esthétique
conciliatrice le style de ses adversaires atticistes, définissait dans rOrator
un genus humile. Ce Cicéron attique n'est pas l'orateur, mais le prosateur
des Lettres. Il a quelques traits communs avec celui dont se réclame
Marcus Aper dans le Dialogue des Orateurs, plus dense, plus «litté-
raire» que le Cicéron aux larges effets oratoires des plaidoyers et des
discours devant le Sénat.
De fait, comme Marcus Aper, un des rares reproches que Bembo
consente à adresser à Cicéron est d'être « trop abondant» : verbosior 91.
Aper expliquait cette abondance par la nature du public auquel devait
s'adapter Cicéron, public moins éclairé et moins raffiné que celui des tri-
bunaux impériaux. Bembo justifie son patron au nom du caractère oral
et public de son éloquence, mais admet implicitement qu'un style cicé-
ronien écrit doit tenir compte de l'optique différente du lecteur (aliquibus
supervacua in legendo visentur, ea (quae) in agendo necessaria !uerunt) 92.
A la même cause, on peut attribuer l'origine de ce manque de judicium
qui a fait dire à Cicéron des choses qu'il aurait dû garder pour lui. Cela
n'ôte rien à la perfection de son « écriture» (scribendi ratio) partout égale
à elle-même, lumineuse et majestueuse. 11 n'en reste pas moins que Bembo,
avec une grande perspicacité, introduit probablement sous l'influence du
Dialogue des Orateurs 93 un point de vue historique sur le style de Cicé-
90 Ibid., p. 43.
91 ibid., p. 55.
92 Ibid.
93 Autre trace de l'influence du Dialogue: Bembo ne sépare pas l'éloquence
de la poésie, Cicéron de Virgile: v. en part. 49 et 57.
PREMIÈRE RENAISSANCE CICÈRONIENNE
ron : celui-ci, conçu pour le Forum d'un Etat républicain, ne peut être
imité sans une transposition judicieuse par un épistolier travaillant à
l'intérieur d'une Cour et se conduisant avec la prudente réserve que Casti-
glione recommande dans Il Cortegiano. Dès lors, le germe d'une évolution
de la rhétorique cicéronianiste est posé. Loin de rompre avec l'esprit de
Bembo, Marc Antoine Muret se contentera de l'expliciter intelligemment
en faisant de Tacite, aux côtés du Cicéron des EpUres familières, le
maître d'un classicisme littéraire moderne.
En somme dans l'Epistola de Imitntione, le c meilleur style» cicéro-
nien, fruit de plusieurs générations de grammairiens humanistes,apparaît
comme un atticisme d'inspiration hellénique (Platon, Xénophon), cicéro-
nienne (le genus humile de l'Orator) et tacitéenne (la prose littéraire
selon Marcus Aper, accordée au goût virgilien par Maternus). Prose
unie et élégante, économe de figures et d'effets, renonçant à la tripertita
varietas du discours oral. Pour Bembo, il n'y a qu'une Idée du Beau, un
seul modèle à imiter,et par conséquent un seul style, conquis par ému-
lation à force de travail et d'exercice, à fmce de purification et de choix.
Les maîtres-mots employés par Bembo sont ceux-là même qui revien-
dront sans cesse scus la plume de la critique classique en France au
XVII" siècle: jugement UUdicium), sens des bienséances (prudentia), pureté
et exactitude du vocabulaire (eligere, deligere), justesse de l'expression
qui dit le plus avec le moins de moyens possibles (de/ere). L'atticisme
cicéronien, qui seul mérite le qualificatif de «classique », allie chez
Bembo, son premier théoricien, l'enthousiasme pour le Beau à l'exercice
du jugement critique.
Bembo estime - et il y insiste - que cette conquête d'une Beauté
objective ne se fait pas aux dépens de l'identité personnelle de l'écrivain.
L'imitation cicéronianiste n'est pas seulement libération des déterminismes
subjectifs, elle est dépassement de soi, élan généreux qui vise non seule-
ment à rejoindre, sur la voie royale du Beau, le point suprême atteint par
Cicéron, mais même à le dépasser. Quête du Graal classique. Paul Ma-
nuce n'aura pas à forcer la leçon de Bembo en la rattachant à celle du
Traité du Sublime.
Le classicisme français, qui voudra faire du siècle de Louis XIV une
" répétition» (à la fois imitatio et aemulatio) du siècle d'Auguste et du
siècle de Léon X, retrouvera pour l'essentiel la doctrine esthétique de
l'Epistola de Imitatione. Nous verrons par quels cheminements l'idea
bembiste parviendra à Paris et y triomphera une seconde fois. Au surplus,
Bembo, arbitre des élégances néo-latines, secrétaire des Brefs de Léon X,
est aussi l'auteur italien des Asolani et des Prose della volgar lingua.
Et de ce point de vue il fravait la voie à un classicisme en langue vul-
gaire 94, fondé sur l'imitatio~-émulation des chefs-d'œuvre antiques.
s:ble, ils écrivaient mieux que nous ne faisons.» La différence entre Bembo
et les théoriciens français du XVII' siècle est évidente: Bembo admet une tra-
dition de la langue toscane, où Pétrarque et Boccace, imitateurs de Cicéron,
jouent le rôle que Cicéron joue dans la rhétorique latine. Les Français, reje-
tant en bloc leur passé littéraire, créent directement sur le modèle latin une
langue d'art et une norme d'éloquence françaises.
95 Voir l'édition critique de li libro deI Corlegiano, par Bruno Maier,
U.T.E.T., Turin. 1964. On ne saurait oublier, pour expliquer l'immense influence
de ce livre en France au XVI' et au XVII" siècles, que Castiglione, ambassadeur
du duc d'Urbin en France en 1507, s'y lia avec le duc d'Angoulême, futur
François 1er , et prit tout au long de sa carrière une attitude favorable à la
France contre l'Espagne. Le Corlegiano contient d'ailleurs un éloge de Fran-
çois 1er et un chapitre analysant les différences entre la «liberté" française et
la «gravité» espagnole, qui est nettement favorable à la première (p. 247-
249, éd. cit.).
96 Voir Bruno Maier, éd. cit., p. 21 et suiv.
97 L'édition critique de Bruno Maier met bien en évidence l'extraordinaire
dépendance de Castiglione par rapport au De Oralore, source majeure du
Corlegiano. Le courtisan est avant tout défini comme vir bonus dicendi peritus
et l'art de la parole tient une place immense dans le dialogue. Voir p. 130-131,
90 PREMIÈRE RENAISSANCE CICÉRONIENNE
•••
L'Epistola de lmitatione de Bembo était le manifeste de la Renaissance
romaine 99, le programme esthétique de la Cour ecclésiastique et huma-
niste de Jules II et de Léon X. Autour de l'humaniste vénitien, favori de
deux pontifes, l'Académie romaine de Pomponius Laetus se reconstitue;
~on mécène, Angelo Colocci, se passionne pour les questions de rhéto-
rique et rassemble une collection de manuscrits de Cicéron. Fra Giocondo
édite Vitruve. Vida écrit une Christiade sur le modèle de l'Enéide.
Sannazaro imite les Bucoliques. Le cardinal Riario patronne dans son
palais, œuvre de Bramante, des représentations de la Phèdre de Sénèque.
La poésie du siècle d'Auguste semble renaître en sa propre langue, et
sur les lieux mêmes où elle avait fleuri un millénaire et demi plus tôt. Mais
les chefs-d'œuvre des arts plastiques nous parlent aujourd'hui encore,
quand toute cette littérature néo-latine est devenue lettre morte. La cou-
pole de Saint-Pierre projetée par Bramante rend toujours visible et sen-
sible l'Idée du Beau célébrée par le De lmitatione et ses nervures donnent
à comprendre ce que Bembo entendait par cet «élan» (conatus) qui
emporte, des divers points de la circonférence terrestre, les belles âmes
dissemblables vers la Beauté centrale et une qui siège en Dieu même. Les
fresques de Raphaël, ami de Bembo, dans la Chambre de la Signature,
réconcilient, mais face à face, dans le respect de leur inspiration respec-
tive, l'Ecole d'Athènes et la Dispute du Saint Sacrement. En 1516, Chris-
tophe de Longueil arrive à Rome 100, chevalier nordique du «Graal» cicé-
ronien : Bembo et Sadolet veulent bien témoigner qu'il a surmonté dans
son style toute trace de barbarie et, pour la pureté latine de celui-ci, il
reçoit non sans résistance de la part des plus ombrageux héritiers des
Quirites, le titre de civis roman us.
L'Europe chrétienne ressemble alors à ce château féodal où Gœthe
nous montre Faust évoquant de l'abîme la beauté d'Hélène, devant un
Empereur et une Cour gothiques. Pour le christianisme néophyte du Nord
de l'Europe, il y avait quelque chose de démoniaque à voir ainsi réappa-
raître, au milieu des ruines de la Rome païenne, la Beauté antique évo-
quée par le Vicaire du Christ, ses Cardinaux et leurs artistes 101. Et le
Saint Empire romain germanique, qui payait en partie le spectacle, était
au surplus, dans son lointain parterre, considéré avec dédain par l'aris-
tocratie latine trônant aux loges, insolente patronne d'un art trop raffiné
et délectable pour être chrétien.
Du Nord de l'Europe ne tardèrent pas à s'abattre sur cette scène trop
brillante les foudres de Luther, les troupes de Charles Quint, et l'ironie
d'Erasme. Les malédictions florentines de Savonarole et la maniera tour-
mentée et rebelle du florentin Michel-Ange en avaient été, en Italie même,
les signes avant-coureurs.
101 Sur la Rome de Jules II et Léon X, voir, outre les ouvrages toujours
excellents d'E. Rodocanachi, Ludwig von Pastor, Storia dei Papi, Roma, Des-
dée, 1942-1951, 15 vol. in_4°, t. IV à VI. La traduction française (Paris, Plon,
8°) est inachevée. La partie concernant la première Renaissance romaine s'y
trouve dans les t. VI et IX, publiés entre 1898 et 1913. L'éd. italienne, plus
récente, est aussi la meilleu re.
102 La première édition du Ciceronianus paraît à Bâle, chez Frobenius, en
mars 1528. La meilleure édition moderne est li Ciceroniano, 0 della stilo
migliore, testo latino critico, traduzione italiana, prefazione, introduzione et
note a cura di Angiolo Gambaro, La Scuola editrice, Brescia, 1965. Dans le
même volume, Erasme publiait son De recta latini graecique sermonis pronun-
tiatione, dialogus, où l'on trouve formulée autrement la même doctrine que dans
le Ciceronianus: «A Cicerone nemo negat optimum loquendi exemplar peti ...
Non ramen ab unD Cicerone petam omnia, nec statim quicquid illi placuit pro
optimo duxerim ... Tum si quid desiderabitur in suppellectile Romani sermonis
quod apud Ciceronem non reperiatur, haud verebor ex Catone, Varrone, Pli-
niis, Quintiliano, Seneca, Suetonis, Quinto Curtio, Columella sumere mutuo ...
(Opera Omnia, édition de Leyde, 1703, dite L.B. col. 965.B.D.)
ÉRASME 93
à l'humanisme italien? E,rasme, ennemi de la violence, n'approuvait pas
plus le coup de force contre la Rome des Pontifes, que ses maîtres en
humanisme chrétien, saint Jérôme et saint Augustin, n'avaient approuvé
le sac de Rome par Alaric, un millénaire plus tôt, en 410. Mais saint
Augustin, dans la Cité de Dieu, n'avait pu s'empêcher de voir dans la
tragédie de la Majestas imperii romaine un juste châtiment de son ambi-
tion toute terrestre. Et il était difficile à l'apôtre humaniste de la Philo-
sophia Christi d'interpréter autrement, par devers lui, les coups portés
fi la puissance temporelle des Pontifes romains et à l'humanisme esthéti-
sant qu'ils avaient patronné. En 1509, au temps de jules Il, Erasme avait
séjourné dans la Rome de Michel Ange, de Raphaël et de Bembo. Indiffé-
rent au prestige des chefs-d'œuvre, il en avait rapporté l'Eloge de la
Folie. Et dans le Ciceronianus, il fait un long retour en arrière sur ce
séjour, pour n'en retenir que la déclamation «Sur la mort du Christ ~
qu'il avait entendu prononcer en présence de jules Il par Tommaso
« Fedra» lnghirammi, un humaniste qui devait son sumom à l'art avec
lequel il avait interprété le rôle de Phèdre dans une représentation de
l'Hippolytus de Sénéque, patronnée par le Cardinal Riario. Déclamation
histrionique : Erasme a vu manifestement en Tommaso Inghirammi et à
travers lui, dans l'humanisme de la Cour pontificale, une réapparition de
la sophistique de la Rome impériale d'autant plus inexcusable qu'elle se
couvrait de prétextes chrétiens. Le Ciceronianus, fruit de vingt années de
réflexions sur la rhétorique antique et moderne, vise à prévenir l'huma-
nisme d'un péril qui le suit comme une ombre: celui de dissocier la
renovatio litterarum et artium d'une rellovatio spiritus, en d'autres termes
celui de réveiller aussi bien la sophistique des déclamateurs que la sagesse
pré-chrétienne des écrivains et poètes païens .
•••
Avant l'Eloge de la Folie (\511) et le Ciceronianus (1528) Erasme
n'avait pas manqué d'esquisser sa propre doctrine en matière d'art ora-
toire: pour lui, comme pour les humanistes italiens, le modus oratorius
devait se substituer au modus scholasticus de la théologie médiévale. Dès
1509, le petit volume d'Adages, publié à Paris 103 nous fait pressentir
dans quel sens s'orientera Erasme pour éviter que le recours à la rhéto-
rique ne dégénère en sophistique. Il ne faudrait pas croire toutefois que
ce souci ait été le privilège d'Erasme, et de l'humanisme du Nord. Un
lM Sur cette question voir, outre L. Mercklin, Die Citiermethode und Quel-
lensbernützunf! der Aulu Gellius in den Noctes Atticae, Fleckeisens ]ahrburch,
Suppl. III, 1860, p. 632-710, l'éd. Marache des Noctes Atticae, Paris, Belles
Lettres, 1967, t. l, introd., et la thèse du même: La critique littéraire de langue
latine et le développement du goat archaisant au /1' siècle de notre ère. Rennes,
1952. Nous n'avons pu consulter T. Cave, The Cornucopian text, problems of
writing in the French Renaissance, Oxford, Clarendon Press, 1979, qui part
d'une analyse profonde du De Copia d'Erasme pour poser une problématique
de «l'écriture:. chez Rabelais, Ronsard et Montai~ne. Voir également B. Beu-
gnot dans l'art. dt. dans Bibliogr. p. 801, n' 1086.
ÉRASME: c ADAGES » 95
ment en honneur chez les philosophes et érudits de la latinité d'argent, et
les Pères de l'Eglise en firent à leur tour un des aspects les plus caracté-
ristiques du style chrétien. En se rattachant à cette tradition philosophi-
que, érudite et patristique, Erasme fait un choix rhétorique fort signifi-
catif de ses intentions et de ses goûts.
La préface de la première édition parisienne des Adages achève d'en
faire un petit traité d'art oratoire érasmien. Erasme y formule une véri-
table théorie de l'ornalus qui se présente comme un commentaire stylis-
tique des adages. Ceux-ci, extraits de bons auteurs ou de la sagesse des
nations, s'ornent en effet de gemmulae lra/lslalionum 105, de lumina senlen-
liarum (scintillement de traits), de flosculi allegoriarum el allusionum
(fleurettes d'allégories et d'allusions) qui font de la prose un miroir de la
Nature, de ses champs fleuris 106. La figure essentielle est la senlenlia
(trait ou pointe), qui plaît par une brièveté piquante (acllla brevitale)
ou par une brève saillie (brevi acumine). Ses allusions spirituelles cha-
touillent (titillai) qui s'efforce de les deviner, ses obscurités même rani-
ment (expergeficial) le lecteur intrigué.
Mais la forme brillante de la senlenlia ne fait qu'un avec sa substance.
Citant Quintilien, Erasme affirme que ces richesses et délices du discours
~ont aussi des éléments de preuve (argumenlum). Tropes, figures de
pensée et de mots sont en somme autant de syllogismes 101 dont la
vigueur philosophique s'enveloppe de brio et séduit en même temps qu'ils
persuadent, épargnant à la sagesse l'ennuyeuse sécheresse du modus
scholaslicus.
Les citations empruntées aux Anciens, destinées à être incrustées dans
le discours, deviennent ainsi les éléments constitutifs d'un style philoso-
phique proprement humaniste, à la fois probalio et ornalus. Elles écartent
du modus oralorius la tentation sophistique, elles font du discours l'en-
châssement de « choses» à la fois solides et plaisantes, alliant le do cere
•••
Ses intentions en tous cas étaient pures. La méthode d'invention impli-
quée par un recueil doxographique tel que les Adages est analogue à
celle que mettent en œuvre les Nuits Attiques. Erasme traite les œuvres
des auteurs antiques, au même titre que la « sagesse des nations» comme
autant de réservoirs de « choses» d'ou il extrait des fragments: ceux-ci,
comme les éclats de marbre de diverses couleurs et provenances dont se
sert le mosaïste, sont livrés au lecteur dans un capricieux désordre; libre
à l'écrivain orateur d'y faire son choix et de redistribuer les fragments
selon son dessein pour composer son tableau. Cette méthode des anti-
quaires et doxographes antiques prend chez Erasme, disciple des Pères,
une valeur chrétienne: les idoles païennes une fois brisées, œuvres et
systèmes, il subsiste d'elles des fragments dont l'orateur chrétien peut
faire usage, irisant son discours selon la variété des situations auxquelles
il doit faire face. Ce syncrétisme souple et vivant -- aux antipodes du
dogmatisme dialectique de l'Ecole - n'est pourtant pas une sophistique:
ces fragments de «pierres vives» renvoient tous à une sorte de philo-
sophia perennis dont la source ultime est la première Révélation, efUs
sont en consonance avec l'enseignement de la seconde, qu'ils aident à
adapter aux situations humaines de l'écrivain et de son public. La « soli-
dité» philosophique du discours, garantie par l'antiquité de ses sources,
n'est plus incompatible avec la fluidité du monde où l'humanité incarnée
se trouve «embarquée».
Les deux bouts de la chaîne - unité du Logos deux fois révélé et
diversité des hommes, des temps, et des lieux - peuvent fort bien être
tenus ensemble. Enraciné dans sa foi, l'écrivain sera d'autant libre et
souple dans son maniement des « sententiae » qui toutes, dans la diversité
même de leurs couleurs, reflètent la lumière unique de la Philosophia
Christi. Il s'agit là d'une manière de philosopher conforme à la tradition
oratoire latine, qui rompt avec la manière d'Aristote et des théologiens
médiévaux. Les philosophies « humaines» sont traitées en « topique» de
la philosophie chrétienne. Elles sont amenées à dialoguer entre elles au
sein du discours chrétien, où elles trouvent leur sens ultime, et auquel elles
confèrent la mobilité irisée que postule la multiplicité métamorphique de
l'holî1!ile il'carné et pécheur.
Il est donc fort compréhensible qu'Erasme ait tenu à éloigner de lui
l'adjectif rhetoriclls. Si, du point de vue d'un sophiste à l'italienne, il peut
se réclamer sans crainte de l'autorité philosophique,. du point de vue du
98 PREMIÈRE RENAISSANCE CICÉRONIENNE
•••
La méthode d'Erasme, telle qu'elle nous apparaît dans la préface des
Adages a toutefois un aspect inquiétant: pour peu qu'ils concourent à
exprimer avec une vigueur brève et brillante une «pensée ", tous les
procédés de style semblent bons à Erasme. C'est là que se manifeste le
plus nettement l'écart entre l'humaniste du Nord et un humaniste italien
tel que Bembo. L'avantage de l'atticisme tel que le préconise celui-ci est
d'offrir au lecteur une surface lisse et sans arêtes, d'une seule et élégante
venue qui voile en quelque sorte la présence des «sources" sous le
tissu serré d'une forme parfaite. Cet avantage, un Balzac, un Descartes,
sauront en tirer le plus habile parti en France, au XVII" siècle, pour
affirmer avec plus d'aplomb la nouveauté l'un de sa littérature, l'autre
de sa philosophie. Mais auparavant il aura fallu longuement livrer
bataille contre la «rhétorique des citations ", d'ascendance érasmienne,
qui fait de tout discours un carrefour visible de discours antérieurs, un
« montage" qui se donne pour tel.
Or cette « rhétorique des citations" a, sur le plan du style, des impli-
cations vivement anti-cicéroniennes. Le choix des sententiae, au dire
d'Erasme lui-même, obéit aussi à des critères expressifs. Et le parti pris
de surprendre, d'intriguer, voire d'éblouir nous renvoie à un choix de
tropes et de figures caractéristiques des goûts de la Seconde Sophistique.
En se référant au L. IX de l'Institution Oratoire, plutôt qu'au L. III du
De Oratore, consacré à l'élocution, Erasme croyait sans doute s'aligner
ÉRASME: «ADAGES '> 99
::,ur la polémique de Quintilien contre les « déclamateurs» : il entre aussi,
et il fait entrer ses lecteurs dans le combat douteux qui caractérise
l'histoire de la rhétorique impériale romaine.
Les auteurs qu'Erasme cite dans sa préface comme ses «sources»
privilégiées, Plaute, Varron, Perse, Martial, Ausone, Pline, Aulu Gelle,
Macrobe, Donat, saint Jérôme, achèvent de nous montrer sa dépendance
vis-à-vis de la latinité tardive. Plaute et Varron sont les auteurs favoris
de Fronton et d'Aulu Gelle l'un pour son style et son vocabulaire anté-
rieurs à l'hellénisation de l'éloquence romaine, l'autre pour sa science
d'antiquaire. Perse et Martial pour leur brièveté, Macrobe et Donat pour
leur érudition de glossateurs, relèvent du même princ~pe de choix. Erasme
s'intéresse de préférence à la littérature antique la moins « classique ", la
plus proche de la littérature chrétienne. Erudition et poésie gnomique,
deux «contre-poisons» païens de la sophistique, font ici bon ménage
avec l'humanisme chrétien d'un Jérôme et d'un Ausone.
Il n'est pas sans intérêt d'observer que, dans son édition de Sénèque,
qui fera foi jusqu'à celle de Muret et Le Fevre à la fin du siècle, Erasme
attribue au philosophe les Sententiae divisiones et colores de son père,
le Rhéteur. Les plus avisés philologues se doutaient pourtant déjà de
la véritable attribution 110. Mais pour Erasme, il n'y avait rien de surpre-
nant à voir le plus chrétien des philosophes païens se faire le patient
secrétaire des déclamateurs: en guise d'introduction 111 il n'hésite pas à
recommander en eux une «école d'éloquence », qu'il souhaite voir rem-
placer dans les collèges les études abusivement prolongées de Dialectique.
C'est que pour lui les acumina, le jeu serré des tropes et des figures,
ne sont de l'ornement que par surcroît: ce sont avant tout des instruments
de pensée, et une méthode d'exposition et de persuasion plus souple, plus
vive, plus «incarnée» que la méthode dérivée de la Logique d'Aristote,
même réformée par Rodolphe Agricola. Pour exprimer avec relief et
vigueur (l'enargeïa et l'energeïa des rhéteurs) les paradoxes de l'existence
humaine - non sans bénéfice pour une sorte d'humour métaphysique -
l'école de rhétorique d'où sont sortis sous l'Empire un Juvénal et un
Martial, un Lucien et un Apulée, semble à Erasme, comme d'ailleurs
c'était déjà le cas pour un Tertullien, un modus oratorius plus proche
du vrai style chrétien que la prose et la poésie classiques. Et, par une
sorte de prestidigitation dont il a reçu l'exemple aussi bien de Sénèque
que des Pères, voilà que pour Erasme la virtuosité rhétorique la plus
brillante, et même la plus voyante, le feu d'artifice des figures les plus
ouvrées, se trouvent échapper à « la rhétorique» !
Tout est lumière aux enfants de lumière. Pour l'Erasme des Adages
la venustas, le cultus, et l'ornatus les plus vivement coloriés sont absous
du seul fait qu'ils sont les instruments d'expression de la pensée préfé-
•••
En 1514, Erasme dédie à John Colet son De duplici copia verborum et
rerum. Ici encore, tout l'accent est placé sur l'invention. Imitant Quintilien,
Erasme expose des techniques destinées à empêcher l'écrivain de tourner
court et de rester sec, faute de savoir mettre en œuvre les semina dicendi.
Mais, luttant contre sécheresse et stérilité, le De Copia n'est pas pour
autant une apologie de l'ubertas cicéronienne 112. Erasme y prône une
brièveté qui soit une conquête sur l'invention copieuse, et n(ln une consé-
quence de ia pauvreté d'invention. Une allusion approbative aux criti-
ques antiques qui reprochèrent à Cicéron son abondance redondante et
luxuriante (redundantem nimia luxuriantemque copia) laisse percer le vif
préjugé anti-cicéronien. On peut même se demander si Cicéron ne figure
pas ici en posture d'accusé, comme le bouc émissaire prestigieux, .et donc
d'autant plus efficace, qui délivre du soupçon de «rhétorique» l'auteur
et ses lecteurs. Le De Copia nous apparaît comme une rhétorique de
l'invention philosophique et chrétienne, où les figures, et même les tigures
de mots n'ont d'autre rôle que d'offrir à la pensée (sentenlia) une for-
mulation brève, dense et forte.
112 Erasme, De Duplici copia verborum et rerum. dans Opera Omnia. L.B .•
l, col. 5, A-B : accusations d'asianisme, redondant et luxuriant, portées par les
Anciens contre Cicéron. L'idéal est de «dire à la fois brièvement et abondam-
ment» (breviter et copiose dicere). Pour cela il faut choisir (deligere) ce qui
est le mieux propre à la brièveté. Le plus de «choses l> avec le moins de
« mots ». Mais il ne s'agit pas de tomber dans l'affectation de brièveté, sous
prétexte d'éviter l'affectation d'abondance. Deux sources d'abondance dans la
densité: les figures (synonymes, métaphores, enallages, etc.) et l'accumulation,
dilatation, amplification des arguments, à l'aide d'exemples, de comparaisons,
d'antithèses ... Voir encore ibid., col. 6, C, un éloge de la varie tas. qui fait du
discours un miroir de la nature en sa riche diversité.
ÉRASME: c CICERONIANUS :t 101
•••
Le Ciceronianus est un dialogue. Choix fort habile, et ironique:
Erasme retourne contre les «cicéroniens» un genre illustré par leur
idole, Cicéron, et que celui-ci avait emprunté à Platon. C'est à la dialec-
tique socratique qu'Erasme confie le soin de débusquer les erreurs de
nouveaux Gorgias et de nouveaux Protagoras. Ceux-ci sont représentés
dans le Ciceronianus par un certain Nosopon (<< affligé d'une maladie»),
où les contemporains ont reconnu Christophe de Longueil 114, cet huma-
niste du Nord qui a «trahi », et s'est converti au cicéronianisme de la
Cour pontificale. Le rôle de Socrate, philosophe et médecin des âmes, est
confié à un certain Buléphore. Entre le sophiste cicéronien et le philo-
sophe, un troisième personnage, Hypologue, qui feint d'hésiter entre les
deux autres interlocuteurs, et dont la comédie est fort utile à la tactique
de Buléphore.
On peut s'étonner de voir Erasme élire pour représenter la sophistique
moderne un disciple et un ami de Bembo et de Sadolet, Christophe de
Longueil. Un Filelfe, un Jérôme Aléandre ont beaucoup plus de traits
communs avec les sophistes antiques que ce jeune Flamand dévoré de zèle
pour l'Antiquité et pour Cicéron. Mais Erasme s'intéresse moins aux
traits extérieurs du type du sophiste - vénalité, opportunisme, vanité, his-
trionisme - qu'à son essence même: Nosopon-Longueil dans le Cicero-
Illanus n'est ni cynique, ni vain, mais il partage avec les sophistes tels
que les décrit Platon et avec leurs héritiers sous l'Empire la même
« maladie », qui consiste à ériger les mots en idoles, et à oublier les
" choses» divines qu'ils ont pour tâche de servir et de signifier. Ces
« mots-idoles », pour Nosopon, ce sont ceux de l'œuvre de Cicéron,
érigée elle-même en idole. Et au lieu d'imiter les «choses », c'est à
l'imitation des «mots » et du style cicéronien que Nosopon se consacre
lia Opera Omnia, Amsterdam, 1969,4', t. IV, col. 459 D-460 B, trad. Larock.
114 Sur Longueil, voir note 93.
102 PREMIÈRE RENAISSANCE CICERONIENNE
Cette réplique quelque peu oraculaire révèle l'axe profond qui confère
son unité au sinueux dialogue du Ciceronianus. Elle est sous-entendue
derrière tous les arguments que Buléphore oppose à la « résistance}) de
son patient. Il s'agit d'amener celui-ci à une véritable conversion qui le
guérisse de l'idolâtrie païenne des «mots », et qui lui rende le sens des
« choses », à la fois philosophiques et religieuses, c'est-à-dire tout
d'abord le sens de sa propre identité et réalité spirituelle. A une imitation
qui est aliénation, ou extroversion, Buléphore oppose une notion de
115 Voir A. Gambaro, ouvr. cit., introd. LXXX. Les problèmes de vocabu-
laire soulevés par le Ciceronianus ont de profondes racines dans l'histoire de
la langue latine. Le purisme cicéronien, dans sa volonté de reconstitution du
latin littéraire pré-chrétien, menaçait implicitement, à travers le vocabulaire
inventé par les chrétiens pour désigner leur propres res, tout l'édifice notionnel
de la chrétienté. Voir à ce sujet les études de Christine Mohrmann, Latin vul-
Raire, lmin des chrétiens, latin médiéval, Paris, Klincksieck, 1955, et en parti-
culier p. 18-35, «L'étude de la latinité chrétienne, état de la question, métho-
des, résultats ». Les chrétiens des premiers siècles, indifférents au latin litté-
raire, avaient, pour désigner leurs res, importé en latin des mots grecs (bap-
tisma, ecclesia, episcopus, etc.), forgé des mots de racine latine, ou déplacé le
sens de mots latins. La génération d'Augustin et de Jérôme, tout en revenant
à un style plus cicéronien, n'avait pas remis en cause l'essentiel de ce vocabu-
laire «technique» chrétien. C'est à la position des Pères du IV' siècle qu'Erasme
se rallie, alors que l'humanisme cicéronien veut retrouver le latin littéraire et
le purifier non seulement du latin scolastique, mais du latin impérial et chrétien.
116 Erasme, La Philosophie Chrétienne: Eloge de la Folie, Essai sur le
libre arbitre, Cicéronien, Réfutation de Clichtove, Introduction, traduction et
notes de P. Mesn,!rd, Paris, Vrin, 1970, p. 322. Les modèles du Ciceronianus
sont les dialogues de Platon (Gorgias, Phèdre, Sophiste), mais aussi les traités
de Lucien satirisant la sophistique grecque du Il' siècle: le Rhetorum prae-
ceptor et le Pseudosophista, ainsi que le De mercede conductis contre l'auli-
cisme. La première édition de Lucien fut publiée à florence en 1496, et rééditée
avec les [mages de Philostrate et de Callistrate et la Vie des Sophistes de
Philostrate en 1517.
ÉRASME; «CICERONIANVS» 103
Ce qui est vrai pour l'art de la lettre ne l'est pas moins pour l'art
du peintre moderne. Il n'y a de peinture chrétienne que dans la fidélité
exacte des « choses» observées dans la lumière exacte de la foi en Jésus-
Christ. Ut pictura poesis : à l'honnêteté scientifique du discours chrétien,
doit correspondre l'honnêteté réaliste de la peinture chrétienne:
Bu/éphore. - Voyons maintenant, si tu le veux bien, le cas des pein-
tres. Prenons par exemple Apelle, qui passe pour avoir reproduit avec le
plus de talent les dieux et les hommes de son temps. Si le sort permettait
qu'il revienne à notre époque et s'il peignait les Allemands tel qu'il pei-
gnit autrefois les Grecs et nos monarques tels qu'il représenta Alexandre,
alors que tout cela a changé de fond en comble, ne dirait-on pas que
sa peinture est mauvaise?
Nosopon. - Mauvaise, parce que mal adaptée.
Hyp%gue. - Moi je ne tiens pas pour honnête un peintre qui, sur
son tableau, nous représente comme beau un homme difforme.
Bu/éphore. - Mais si par ailleurs il manifestait un trés grand talent?
Hypologue. - Je ne dirais pas que son tableau est dépourvu de talent,
mais qu'il est mensonger, car il aurait pu le peindre autrement s'il avait
voulu. Quant à celui qu'il représente, il a préféré le flatter ou se moquer
de lui. Mais quoi? Estimes-tu que ce soit là un peintre honnête?
Nosopon. - Qu'il le soit ou non, il ne l'a pas montré ici.
Buléphore. - Penses-tu donc qu'il soit un homme de bien?
Nosopon. - Ni un artiste, ni un homme de bien, si toutefois l'essence
de l'art est de nous faire voir les choses telles qu'elles sont 122.
•••
Dès 1497, à l'abbaye de Groenendal, près de Bruxelles, Erasme avait
cu la révélation du De Doctrina Christiana de saint Augustin. Charles
Béné a montré, de façon à notre avis très convaincante, que l'œuvre
d'Erasme suppose désormais une méditation incessante de ce traité où
l'Evêque d'Hippone avait tracé le programme d'une culture oratoire pro-
prement chrétienne 123. En 1535, un an avant sa mort, Erasme publie ce
qui nous apparaît avant tout comme une immense glose du De Doctrina
Christiana, son Ecclesiastes sive de Concionandi ratione libri IV.
L'Ecclesiastes est une suite logique du Ciceronianus. Celui-ci définis-
sait une spiritualité de l'éloquence profane, propre à écarter de celle-ci la
tentation sophistique dont les «cicéroniens» étaient aux yeux d'Erasme
la manifestation moderne. L'Ecclesiastes définit une spiritualité de l'élo-
quence sacrée. Si Erasme entre dans un détail technique plus abondant
Qu'il ne lui est ordinaire, ce n'est pas pour encourager la virtuosité rhéto-
rique de l'orateur chrétien; il est évident pour lui que le seul domaine où
l'éloquence, au sens plénier de parole publique, a encore une place dans
l'Europe chrétienne, c'est dans la chaire chrétienne. Il ne la prive donc
pas des ressources qu'elle peut trouver chez les rhéteurs antiques, en
particulier chez Quintilien. Mais il multiplie d'autant plus prudemment
les garde-fous contre l'éventuelle apparition d'une sophistique chrétienne,
pire que la sécheresse stérile du discours scolastique dont l'éloquence
sacrée d'inspiration humaniste doit délivrer l'Eglise. Au seuil de l'Eccle-
siastes, comme une contre-partie de Cicéron et de l'Idée du Beau que
Bembo proposait aux zélateurs du « Tullianus stylus », Erasme dresse
l'Idée sublime du Christ Orateur:
L'Ecclésiaste suprêrne, c'est lui, le fils de Dieu, irnage parfaite du
Père... que dans les saintes Ecritures nul autre norn ne désigne plus
123 Sur Erasrne et saint Augustin, voir l'ouvrage de Charles Béné, Erasme
et Saint Augustin ou influence de saint Augustin sur l'humanisme d'Erasme,
Genève, Droz, 1969, suivi d'une bibliographie.
ÉRASME: «ECCLESIASTES» \07
128 Ibid., 1056 F. Voir aussi 1057 B-C-D : Fuit enim ille tergeminus Gigas
e tribus ut ita loquar constans naturis, corpore hllmano, anima humana, et
divina na/ura.
128bls Ibid., L. III, col. 951 et suiv.
129 Ibid., col. 983 F. Pour justifier l'usage de la demonstratio (ou hypo-
typose), Erasme cite saint Paul, saint Jean Chrysostome, saint Basile. II écrit:
« Les Galates n'avaiel't pas vu le Christ en croix, mais grâce à l'évidence que
leur donnait la prédication {le saint Paul, la représentation était si vive dans
leur âme, qu'il semblait qu'ils eussent vu ce qu'il leur avait décrit." La fabri-
cation des images, ici comme dans les Exercices Spirituels, abolit les effets du
temps et de l'oubli, et reporte le regard intérieur in il/o tempore, dans la
présence du Christ.
130 Voir col. 985 E-F. Affectus acres, brevl's; col. 987 F : énumération des
virtutes orationis : perspicuitas, evidentia, jucunditas, vehementia, splendor sive
sublimitas, et étude des figures en rapport avec les passions oratoires: repe-
titio propre à l'effet de vehementia ; exclamatio, propre aux acriores affectus ;
interrogatio, propre à un effet de vigor, etc. Etude aussi de la structure de
la phrase en vue d'un effet d'acrimonia, de crebra vulnera, grâce à l'asyndète
et au rythme coupé: singulis verbis, brevi respiratiuncula distinctis. L'Eccle-
siasfes d'Erasme nous apparaît comme la plus savante somme d'art oratoire
de la Renaissance, le grand traité d'expressionnisme chrétien.
ÉRASME: «ECCLESIASTES» 109
•••
Le dernier ouvrage d'Erasme semblait ainsi réserver tout l'héritage
de l'art oratoire cicéronien ct quintilianiste au seul service de l'éloquence
ecclésiastique. Dans ce cas, comme dans celui des lettres profanes telles
qu'elles étaient définies par le Ciceronianus, Erasme prenait soin de
prévenir toute tentation sophistique en mettant l'accent sur la spiritualité
de l'orateur, sur l'invention des « choses », et en leur subordonnant étroi-
tement les techniques, ainsi neutralisées, de l'élocution. La place toutefois
beaucoup plus importante des techniques d'élocution dans l'Ecclesiastes
pourrait surprendre: mais la h<:ute idée qu'Erasme se fait du prédicateur
chrétien, vicaire oratoire du Christ, compense en quelque sorte cet abon-
dant recours à l'art des rhéteurs. Sans que cela soit dit, ce n'est pas forcer
la pensée d'Erasme que de supposer que tant d'art, chez le prédicateur
chrétien, est rendu nécessaire par la nature de son public, composite et
populaire. L'humaniste profane, dont les lettres ne s'adressent qu'à des
pairs, peut se concentrer sur l'invention et, comme le Ciceronianus le lui
conseille, se soucier de la vérité plus que de l'effet.
A bien des égards, et dans la mesure ou l'Ecclesiastes est la source
essentielle, bien que cachée, des rhétoriques «borroméennes », ce livre
est le point de départ du long cheminement qui aboutira à l'éloquence
sacrée «classique» en France.
Mais il s'agit bien d'un long cheminement, fécond en péripéties inat~
tendues. Il était difficile en effet de concilier, comme le voulait Erasme
dans l'Ecclesiastes, et comme le voudra Charles Borromée, réformateur
de la prédication catholique, l'imitation de Jésus-Christ, «orateur sans
rhétorique », et la mise en œuvre des techniques de persuasion à l'adresse
des modernes pécheurs, telles que les transmettait la tradition oratoire
antique. Dans l'Ecclesiastes, les pages consacrées à l'élocution s'inspirent
davantage de la luxuriar.ce de Quintilien, au L. IX de l'Institution Ora-
toire que de la réserve gardée sur ce chapitre par saint Augustin dans le
De Doctrina Christiana. Cette « abondance» inattendue nous laisse pré-
sager ce qui ne manquera pas de se passer: au lieu de trouver dans leur
office sacré, comme le leur demande Erasme, comme le leur demandera
l'archevêque de Milan, un garde-fou contre la tentation sophistique et le
vertige des « mots », il arrivera que les orateurs chrétiens, tirant parti de
leur robe comme d'un alibi préservé de tout « soupçon ;>, donneront libre
cours aux «maistresses voiles de l'éloquence ». Les discours académi-
ques, et la littérature tant néo-latine que vernaculaire, n'offraient ni au
XVI" ni au XVII' siècles, aucune occasion aussi propice aux accès de virtuo-
sité ou de démagogie que la prédication, s'adressant à un public peu
" critique» et protégée contre la « critique >.' par la sainteté du « forum»
où elle s'exerçait. Les ouvrages de rhétorique, à commencer par l'Eccle-
110 PREMIÈRE RENAISSANCE CICÈRONIENNf.
137 Telle, ouvr. cit., p. 19, note 308. Sur l'arrière-fo!1ds padouan du cicéro-
nianisme, voir E.V. Telle, p. 41. Le dialogue a pour cadre Padoue. Neufville
y remplaça Longueil en 1522. 11 y fut le professeur de Dolet. Voir aussi ibid.,
p. 297 (pierre Bunel et Emile Perrot, anciens élèves de l'Université de Padoue,
comptent parmi les «cicéroniens,. français). V. aussi ibid., p. 430-431, citations
du Traité des Scandales de Calvin où celui-<i fulmine contre les ~ athées ,.
Villeneuve, Dolet et Bune!.
138 Ibid., p. 65, note p. 335.
139 Ibid., p. 41, note p. 321.
DOLET: «IMITATIQ CICERONIANA» 113
Bien que je loue, fait-il dire à Neufville, par dessus toutes les qualités
de l'orateur la confiance qu'il inspire, bien que j'embrasse de tout mon
zèle l'intégrité morale, je suis néanmoins convaincu que l'innocence et la
probité des mœurs n'ajoutent rien à l'art du discours, non plus d'ailleurs
qu'à toute autre connais~ance. Je refuse cette illusoire définition de l'ora-
teur qui lui prescrit d'être un homme vertueux. Ce n'est pas la bonne
foi qui rend éloquent, ni les bonnes mœurs qui dénouent la langue, ni
l'intégrité morale qui rend disert et docte. Ce qui donne la faculté d'être
éloquent, et l'aptitude aux sciences, c'est un heureux génie naturel, un
travail illimité, un exercice intense Hl.
Diderot n'ira pas aussi loin lorsqu'il laissera sans réponse la question
du neveu de Rameau: comment Racine a-t-il pu être un grand poéte et un
méchant homme? Ni Erasme, ni Calvin, ni l'humanisme catholique après
le Sac de Rome, ni les magistrats français ne pouvaient admettre une
dissociation aussi tranquille entre bonnes mœurs personnelles et Elo-
quence. Pourtant, aux yeux de Dolet, celle-ci demeure indissociable de la
sagesse, mais d'une sagesse qui lui est propre, et ne se confond pas avec
les bonnes mœurs: la perfection du style exige de grands sacrifices, une
longue ascèse, une spiritualité. Elle n'a rien de commun avec la pédante
folie caricaturée par Erasme dans le personnage de Nosopon. Conquête
héroïque sur l'angoisse de la mort, son effort généreux est récompensé
par l'immortalité de la gloire. Le difficile désir de la be".uté est vainqueur
140 Ibid., p. 61, notes p. 321-322. Dolet tient Erasme pour un auteur
" comique», incapable de sublime.
141 Ibid., p. 106, note p. 354.
114 PREMIÈRE RENAISSANCE CICÉRONIENNE
de la mort 142. Pour avoir soutenu une thèse analogue dans ses Eroiei
Furori, Giordano Bruno sera brûlé en l'année sainte 1600, au Campo dei
Fiori. Cette religion de la beauté semblait blasphémer la seule rédemption,
la seule victoire sur la mort, celle du Christ.
Pour Dolet, cette beauté dont Cicéron a fixé le secret d'éternité dans
la prose latine peut être à toute époque entrevue et reconquise par les
c généreux », dans une quête qui, en dépit de leurs différences, les réunit
vers la même fin. Car la beauté est une, qu'elle se laisse entrevoir à
travers le corps parfait de Narcisse, d'Endymion, d'Hélène ou de Léda H3.
La dissemblance des esprits, dont se réclame Erasme pour justifier un
éclectisme stylistique, n'est donc qu'un alibi pour nier et trahir l'unicité
de la beauté 144. La perfection de la prose, pas plus que celle d'un beau
corps, ne s'accommode de la variété ni de la vulgarité, inévitables si l'on
se complaît, comme Erasme, en ses propre faiblesses. L'Idée cicéronianiste
du Beau, selon Dolet, est une sorte de Graal qui se propose aux grands
désirs d'une élite enthousiaste et jeune dont Erasme, vieux et cagot,
s'exclut. Dolet n'en fait pas moins profession de foi ardente dans le
Christ 146. A la façon padouane, son fidéisme est d'autant plus sincère
qu'il lui permet de ménager l'autonomie d'un ordre naturel et profane,
parallèle à l'ordre religieux, et libre de sa tutelle.
On peut trouver paradoxale cette volonté libératrice et le point d'appui
que Dolet lui donne dans l'idéal néo-latin d'imitatio cieeroniana. Ce serait
sous-estimer la fonction expérimentale que les débats internes à l'huma-
nisme néo-latin ont jouée au XVI' siècle. La carrière de Dolet, son combat,
anticipent sur ceux des jeunes gens qui, sous Louis xm, imprudents
comme Théophile, prudents comme Balzac, réussiront à créer les Belles-
Lettres françaises, contre le soupçon des doctes et des dévots. Avant eux,
Dolet a songé à transférer dans la langue «vulgaire» cette religion de
la beauté qui est l'une des faces de l'humanisme. L'éditeur des Orationes
(1536) et des Epistolae ad Familiares de Cicéron (1540) publie en effet
en 1540 un traité de traduction, soutenant ainsi la légitimité d'un exercice
qui, comme l'a montré Roger Zuber, fut le plus efficace médiateur de la
transformation de la langue vulgaire en langue littéraire. La Manière
de bien traduire d'une langue en autre 146 est ainsi, aux côtés du De
Imitatione cieeroniana une étape majeure dans la lente translatio studii,
qui, du latin humaniste au français, rendit possible «L'Eloquence fran-
çoise» du xvII" siècle.
142 Ibid., p. 75, I:ote p. 337, sur la Tulliana phrasis privilège des grandes
âmes; loin de rendre malade, elle est une nourriture féconde, voluptatis plena
lectio, jllcunditatis plena exercitatio; et p. 76, note p. 338, Et nul/us magis
stimulll~ ad nominis immortalitatem comparandam generosos incitat, quam
continua vitae tam brevi spatio finiendae cogitatio, immortalibus grata, morta-
libus horribilis ... Mortis cogitatio ... animosos animosiores reddat ... ».
143 Ibid., p. 113, note p. 358.
144 Ibid., p. 81-82, note p. 341.
145 Ibid., p. 183, notes p. 401-402.
146 Voir R. Zuber, Les Bel/es Infidèles, Paris, Colin, 1968, p. 22.
DOLET : UN PRÉCURSEUR 115
Le 2 août 1546, le r:lartyr de la Littérature, condamné par la Grand'
Chambre du Parlement de Paris, était brûlé vif en place de Grève. Un an
plus tôt, Marc Antoine Muret, âgé de dix-neuf ans, commençait sa carrière
de professeur à Auch. A bien des égards, il y a entre Etienne Dolet et
Marc Antoine Muret le même rapport qu'entre Théophile et Balzac: les
deux premiers sont des hommes du destin, dont la carrière tragique inter-
vient à la fois trop tôt et trop tard, ouvrant la voie aux hommes de
prudence qui réussiront à leur place, non sans concession à l'adversaire.
Le supplice de Dolet, en 1546, met un point final à la Renaissance
cicéronienne, frappée à mort depuis le Sac de Rome. La patrie du cicéro-
nianisme, l'Italie, devient alors avec l'Espagne, la base logistique de la
Reconquête catholique en Europe. Rome revient aux sources de l'ortho-
doxie, la théologie médiévale, les Pères de l'Eglise. Elle trouve chez ces
derniers une version chrétienne de la rhétorique latine mieux propre à
propager la foi, combattre le doute et l'hérésie que le cicéronianisme
serein de Bembo et de Sadolet. L'heure est venue pour Charles Borromée
et la Renaissance catholique du De Doclrina Christiana.
CHAPITRE III
LE CONCILE DE TRENTE
ET LA RÉFORME DE L'ÉLOQUENCE SACRÉE
*
**
Réfugié à Padoue et à Venise, le cicéronianisme revient en somme à
ses sources. C'est en effet à Venise que le premier auteur d'une rhétorique
humaniste, Georges de Trébizonde, avait en 1435 choisi Cicéron comme
unique modèle de la bonne prose néo-latine 147. C'est à l'Université de
Padoue que Bembo avait fait ses études latines. C'est là que la petite
cohorte de cicéroniens français, Pierre Bunel, Simon de Neufville, Etienne
Dolet, Emile Perrot, violemment stigmatisés par Calvin dans son traité
Des Scandales, avaient été initiés au culte d'une beauté littéraire ayant
son ordre et sa valeur propres. C'est là encore que Longueil, puis Muret
enseignèrent l'éloquence. L'aristotélisme padou an, séparant le domaine de
la Nature de celui de la Foi, créait des conditions exceptionnellement
favorables à la justification d'un art oratoire profane, médiateur entre la
philosophie naturelle et la Cité. La proximité de la République de Venise,
chef-d'œuvre d'art politique, capitale des arts et de l'humanisme profanes,
confirmait cette confiance dans les pouvoirs de l'homo loquens.
•••
En 1540, un groupe d'humanistes padouans fonde l'Académie des
Infiammati dont Sperone Speroni, ami et disciple de Bembo, est élu
Prince en 1542.
La même année, Speroni fait paraître ses Dialogues dont Eugenio
Garin, dans un essai intitulé Réflexions sur la rhétorique l50 , a analysé
le contenu et souligné l'importance. Le dialogue sur la rhétorique, parmi
ceux que renferme le volume, est en fait une apologie de l'art oratoire,
appuyée à la fois sur la Rhétorique d'Aristote et le De Oratore de Cicéron.
Le principal interlocuteur, Antonio Brocardo, s'emploie à distinguer la
vérité, réservée aux philosophes, et l'opinion, qui est le domaine des
orateurs. Mais à ses yeux, la seconde n'est pas pour autant dénuée du
vrai: elle est par rapport à celui-ci comme le portrait par rapport à la
personne peinte, un ~ je ne sais quoi li' les unit par la ressemblance. Le
Viaisemblable n'est donc pas à confondre avec le mensonge. Et il est plus
conforme à la situation réelle de l'homme divers, muable, assujetti aux
sens et aux passions, que la vérité stellaire des philosophes et des savants.
Il est le seul à pouvoir faire aimer celle-ci, l'incarner dans l'histoire, et
dans la vie des sociétés humaines. L'homo loquens est la contrepartie de
l'homo politicus. Et dans le domaine de la politique et des lois, dont
Socrate lui-même a admis, à l'heure de sa mort, la suprême importance,
seule la rhétorique, maîtresse de l'opinion, peut maintenir le cap d'une
direction raisonnable, tout en louvoyant assez pour tenir compte de la
mobilité et des erreurs humaines.
Avec le dialogue sur les langues, dans le même recueil, une occasion
est offerte à la philosophie de plaider sa ca,use. Speroni donne la parole
à l'un de ses maîtres, Pomponazzi. Celui-ci soutient que les langues ne
sont que convention: pour philosopher, c'est-à-dire contempler et connaî-
150 E. Garin, Moyen Age et Renaissance, ouvr. cit., trad. cit. p. 108-110.
Sur Sperone Speroni, voir aussi Riccardo Scrivano, «Cultura e letteratura in
Sperone Speroni », dans Rassegna della letteratura italiana, 1959, l, p. 38-51.
La méditation sur la rhétorique est le principe vital de la culture de Speroni,
qui s'épanouit en méditation sur l'histoire (Dialogo della istoria, entre Paul
Manuce et Silvio Antoniano), et en création de poésie tragique (Canace e
Macareo). Voir encore G. Morpurgo-Tagliabue, «Aristotelismo e barocco »,
dans Alti dei III Congresso Internazionale di Studi umanistici, Rome, 1955,
p. 119-195, sur Speroni p. 121 et suiv.
SPERONI ET SES AMIS 119
tre les lois éternelles qui président à l'ordre naturel, peu importe tes
signes par lesquels cette connaissance trouve à s'exprimer. Les langues
vulgaires, sans passer par la culture oratoire latine, permettent au
«paysan comme au gentilhomme », nés pour philosopher, d'aller à la
vérité aussi bien et plus vite que par le biais des langues classiques.
Le dernier mot resterait-il à une philosophie de la Nature faisant
l'économie de la culture oratoire? Un disciple de Speroni, Bernardo
Tomitano, qui rapporte dans ses Ragionamenti della lingua toscana
(1545) tes débats de l'Académie des Infiammati, révèle le sentiment de son
maitre m. Pour Speroni, si l'usage de la langue vulgaire se justifie, ce
n'est pas comme une convention dont le philosophe peut faire usage à la
manière du latin scolastique, dans le plus parfait dédain de l'arnatus.
Cet usage n'a de sens que comme ajustement à la réalité concrète et
actuelle de l'homme dans l'histoire et dans la Cité. Et cet ajustement
lui-même a été rendu possible par l'humanisme oratoire, non par la
philosophie: en réhabilitant les langues classiques, en les soumettant à
une étude rigoureuse, l'humanisme cicéronien a retrouvé le sens histori-
que du langage humain, il a rendu à la culture la conscience de son
enracinement dans la diversité et la mutabilité des individus et des peu-
ples. C'est justement la rhètorique qui a donné à la littérature antique ce
caractère médiateur entre philosophie et politique, entre idéal et réalité:
c'est elle encore, qui haussant à l'art la langue vulgaire, doit lui donner
aujourd'hui la même fonction et en faire l'héritière légitime de la tradition
oratoire. En somme, le point de vue de Pomponazzi rejoint celui des
théologiens, dans le même mépris de la médiation éloquente, que Speroni
perçoit à la lumière de l'Idée du Beau selon Bembo: un principe d'univer-
salité proprement humaine qui rend possible le dialogue entre les hommes
en dépit des différences de temps, de lieu et de langue.
...
......
En 1547, le préfacier de la première édition des Dialogues de Speroni,
Daniele Barbaro 152, publie à Venise un Dia/aga della Eloquenza qui, par
le biais de l'allégorie, est une autre apologie de l'art oratoire, pédagogie
de la sagesse, fils et tuteur d'une humanité qui accepte son incarnation
et travaille à rendre habitable sa demeure terrestre. Les interlocuteurs
du dialogue sont la Nature, l'Art et l'Ame. L'Art et la Nature, selon
Daniele Barbaro, sont amis et alliés; la Nature, fille de Dieu, mais
médiatrice entre l'homme et la Cause première, ne voit nullement un rival
dans l'Art, qui parachève son œuvre, et combat les mêmes adversaires:
les vices, l'ignorance, le mensonge. Art et Nature ne voient de plus haute
mission pour l'Ame que de s'incarner parmi les hommes, d'actualiser ses
puissances, et d'y faire triompher la Raison par la Parole éloquente. Cette
•••
Au cours de la même décennie, en dépit de la réaction dévote qui sévit
à Rome contre les c bonnes Lettres :., les érudits de Florence et de Venise
poursuivent l'étude des sources antiques de l'ars dicendi. A Venise, le
troisième fils d'Alde Manuce, Paul, pUblie une grande édition commentée
des œuvres complètes de Cicéron 154. En 1548, Pietro Vettori, protégé par
Cosme de Médicis et professeur d'éloquence au Studio de Florence, publie
*.*
Quelles qu'aient pu être les capacités de résistance et de renouvelle-
ment de l'humanisme cicéronien en Italie, l'essor de la Réforme catho-
lique, les activités de l'Inquisition, une véritable « réaction" théologienne
contre les studia humanitatis lui lançaient un défi beaucoup plus redou-
table que toutes les ironies d'Erasme. Le combat pour la rhétorique, loin
d'être, comme le croit Toffanin, un signe de « fatigue» de l'hum:J.nisme
italien, nous semble au contraire un signe de sa vitalité et de sa fidélité,
dans des circonstances difficiles: défendre la légitimité du modus ora-
forius, c'était résister au démantèlement de l'humanisme laïc, préserver
le legs de la Renaissance. Mais le seul avenir possible de cette défensive,
qu'aucun autre pouvoir laïc que Venise ne pouvait soutenir en Italie,
devait être un compromis avec une Réforme catholique consciente de ses
véritables intérêts.
***
A partir surtout du pontificat de Pie IV Médicis Rome semble com-
prendre qu'il y a mieux à faire que de persécuter les lettrés. Elle redevient
pour eux un centre d'attraction. En 1561, Paul Manuce dont l'imprimerie
connaît à Venise des difficultés financiéres, accepte de se rendre à l'invi-
tation du Pape pour fonder à Rome une imprimerie vaticane et y publier
une collection officielle des Pères de l'Eglise. Marc Antoine Muret quitte
Venise pour Rome en 1563. En même temps, Sperone Speroni participe
aux joutes oratoires de l'Académie des Nuits Vaticanes où le neveu du
Pape, Charles Borromée, joue le rôle à la fois d'élève et de Prince. En
159 De veris principiis ... libri IV, Francfort, 1670, 4°, précédé d'une Dis-
sertatio praeliminaris de aUenorum operum editione, de scopo operis, de philo-
sophica dictione, de lapsibus Nizolii.
MARC ANTOINE NArrA 123
160 Mard Anloni Nallae aslensis volumina quaedam nuper excussa, numero
et ordine, qui subjicitur, Venetiis, Aldus, 1562, fO' 76 et suiv.
124 LA RÉFORME TRIDENTINE
compter sur de nouveaux miracles 162 : les arts humains, et entre autres
la rhétorique (le mot c tabou:t n'est pourtant pas prononcé) reprennent
le premier rôle. Et la beauté du discours doit être proportionnée IGa à
la sublimité du sujet que Dieu laisse désormais à traiter à ses créatures.
L'Orna/us, avec toute la science judicieuse du decorum que suppose
Cicéron (qui n'est pas non plus nommé par délicatesse), est donc parfai-
tement justifié dans l'histoire de l'Eglise chrétienne postérieure à l'Age
a,postolique.
Néanmoins, l'on se trouve aujourd'hui partagé entre deux modes de
discours: le modus scllolasticus, et le modus oratorius 184. Le premier
est la conséquence de la disparition des bonnes lettres en même temps
que l'Empire romain. Lorsque l'on découvrit le texte perdu d'Aristote, l'on
se mit à écrire comme ce philosophe. Cela donne depuis des théologiens
qui voient la vérité avec pénétration (rem acute vident), qui la disputent
avec finesse (disputant argute), la prouvent avec âpreté (probant acriter),
l'analysent avec subtilité (distinguant subtiliter), et renversent avec habi-
leté la position de leurs adversaires (adversariorum partem callide ever-
tunt). Mais aucun raffinement littéraire (verborum cultus), aucune politesse
(nitor) ; ce qui peut suffire aux savants (efllditis), mais non au peuple,
que cet extérieur raboteux (scaber) et le refus de toute concession à la
sensibilité ne risquent pas d'émouvoir 18G.
Au goût de Marc Antoine Natta, les Pères de l'Eglise latine sont tout
de même préférables aux Docteurs médiévaux, que certains voudraient
ressusciter. On peut du moins s'appuyer sur eux pour plaider la cause
de l'ornatus, indissociable de celle de l'eloquentia. Et notre auteur, s'en-
1G2 /bid., fo 77 : Fundamenta fidei noluit Deus rem esse humanae eloquen-
tiae, sed divina sola virtute stare ; ubi ea jacta luere, si quid amplius est super
aedificandum, vel ad utilitatem, vel ad decus, ad humanas artes confugiendum
est, nec ad omnia miracula expetenda. /taque qui post apostolos ecclesiarum
regimini praepositi fuere, conati sunt composite et il/uminate dicere.
163 /bid.: Nec deberent hi, qui sibi literati videntur, sequi id quod est
maxime il/iteratum, in composite, ruditer, confuse, mala denique ratione cons-
criptum. Nam si materiam inspicimus, quo altior est et sublimior, illustrius
explicari debet et spatiosius. Si utilitatem legentium consideramus, tangunt
animum vehementius quae commode diserteque scribuntur.
164 /bid., fO 79.
165 /bid., fO 80. Voir également fo 82 l'attaque contre qui confuse, sordide
obscure loquitur, pingens acuminibus quibusdam ex intima penitus (ut ille
putat) Dialectica petitis. On notera que des valeurs stylistiques vantées par
Erasme et par Upse comme «philosophiques» : désordre, obscurité, et surtout
les acumina (pointes, pensées profondes exprimées en peu de mots), sont consi-
dérées par Natta comme caractéristiques du style scolastique. On se souvient
d'autre part que pour Dolet, les positions rhétoriques d'Erasme signifient un
retour à la «barbarie» gothique de la moinerie théologienne. Il est signifi-
catif enfin que le mot utilisé par Natta pour qualifier une prose artistement
travaillée (nitor) devient trente ans plus tard, chez un héritier d'Erasme comme
Juste Lipse, une valeur stylistique majeure. Cicéroniens et anti-cÎcéroniens huma-
nistes sont des frères ennemis qui finissent par s'emprunter leurs armes pour
poursuivre le combat.
126 LA RÉFORME TRIDENTINE
•••
L'écho des débats de Trente, la Renaissance de la théologie en
Espagne et en Flandres, avaient de quoi inquiéter Marc Antoine Natta.
Ses craintes de voir renaître la tyrannie scolastique n'étaient pas sans
fondement. En 1565, un Ermite espagnol de saint Augustin, le Frére Lau-
rent de Villavicente, de Xérès, pUblie à la suite d'un traité De recte
formando studio the%gico un appendice rhétorique intitulé De formandis
sacris concionibus 166. Pour ce moine, bien décidé à prendre sa revanche
sur les injures déversées sur ses confrères de toutes robes par les huma-
nistes, et au surplus encouragé par la canon De praedicatione Verbi Dei
du Concile de Trente, «tous les maux de l'Eglise naissent de ce que
l'étude de la théologie ne recueille dans l'Eglise qu'un zèle froid:.. 11
s'agit donc de la réhabiliter, avant de lui adjoindre comme servante une
éloquence chrétienne. Celle-ci est un mal nécessaire. La France et l'Alle-
magne, assiégées par l'hérésie, ne peuvent se passer d'orateurs pour
ramener les brebis égarées et confondre les mauvais bergers. Mais avec
une vigilance soupçonneuse, Frère Laurent prend bien soin de marquer
les distances entre la théologie, science d'une élite, formulée dans un
style concis et serré, accordé à la sévérité d'une retraite contemplative
que seule la paisible et orthodoxe Espagne rend possible, et sa servante
oratoire. Toute nécessaire qu'elle est, celle-ci se voit réserver les basses
œuvres, et pour seul public une c plèbe ignorante et grossière :., plongée
dans l'erreur; son style ne saurait être qu'une abondance grossissante, à
la portée de la foule.
Au moment même où il réclame des « déclamations disertes:. propres
à ramener au bercail orthodoxe les rudes et indociles du Nord de l'Eu-
rope, notre ermite ne peut s'empêcher de faire sentir dans quel mépris
il tient cette tâche servile, qui oblige à se départir de la c brièveté ner-
•
••
En 1575, l'année même où parait à Cologne une nouvelle édition de
l'Ars proclamatoria du Frère Laurent, un médecin espagnol, Juan Huarte,
publie à Baeza un ouvrage intitulé l'Examen des Esprits 168. C'est une
œuvre de vulgarisation médicale, un peu confuse, et sans grand talent.
Mais la diffusion qu'elle connut en Europe, et plus particulièrement en
France où elle fut deux fois traduite, au xv,' par G. Chappuys, au XVII'
par Vion Dalibray, atteste que Huarte a créé des lieux communs durables
où s'est condensée, pour un siècle, toute une réflexion humaniste sur les
rapports entre style et tempérament.
L'Examen des Esprits livre en effet, sous une forme accessible aux
lion-spécialistes, les principaux aspects d'une anthropologie humaniste de
la c variété des esprits », justifiant et expliquant la c variété des styles »,
ct soutenant par là les thèses anti-cicéronianistes. Cette anthropologie,
fondée sur la physiologie aristotélicienne et galénique des humeurs,
167 Ed. dt. p. 233: maleries praedestinationis, et, p. 236, chapitre intitulé
Quo Augustinus inslruit concionalorem quo pacto sit proclamai urus ad popu-
lum maleriam praedestinationis : Esi desumplum ex 2 libro de bono perseve-
rantia, ch. 22, dignissimum observatione.
168 Sur l'Examen des Esprits, voir Gabriel A. Pérouse, L'Examen des
Esprits du Docleur Huarle de San fuan. sa diffusion, el son influence en France
au XVI' siècle et au XVII' siècle, Paris, Belles Lettres, 1970, et C.R. de M. Franz-
bach dans la R.L.C., janvier-mars 1972. Voir J. Molino, L'éducation à travers
l'Examen des esprits du Docteur Huarte, dans Le XVII' siècle et l'éducation,
suppl. de la revue Marseille, 1er trimestre 1972, p. 105-115, en part. p. 108-109.
128 LA RÉFORME TRIDENTINE
169 Marsile Ficin, De Triplici vita libri tres, Bologne, 1501 (trad. fr. par
Guy Lefèvre de la Boderie, Paris, 1581). Sur la fortune du «tempérament
mélancolique» à la Renaissance, voir Kliba'lsky, SaxI, et Panofsky, Saturn
and Melancholy, sil/dies in the history ot natural philosophy, religion and art,
Londres, Nelson, 1964, et j. Starobinski, Acta psychosomatica, n" 3 (B.N. 8"
T13 288 (3». Parmi les sources classiques du thème, il faut compter outre
Anstote et Galien, Cicéron, Tuscu{anes, III, De aegritudine lenienda et Sénè-
que, De Tranql/illitate animi, texte établi et traduit par R. Wattz, Paris, Belles
Lettres, 1927, qui analyse la nausea, le taedium et displicenlia sui el nusquam
residentia animi volutalio (p. 77) et enfin le maeror (mélancolie) de Serenus.
Etat voisin de l'acedia des moines médiévaux. Dans les deux cas il s'agit d'une
désaffection vis-à-vis des tâches et des rôles sociaux. Il est significatif que cet
état neurasthénique, condamné par Sénèque et la spiritualité monastique, soit
réhabilité et retourné en «génie» par tout un courant de pensée de la Renais-
sanCt. Le sens moderne - et romantique - de l'individu est en germe dans
cette réhabilitation. La Compagnie de Jésus, à la fois dans sa pédagogie (exal-
tation de la jocositas) et sa spiritualité (exaltation de la volonté active) a fait
une guerre incessante à la mélancolie. Voir entre autres le mandement du
Général Claudio Acquaviva, lndustriae ad curan dos animi morbos, Florence,
1600 (éd. fr. Paris, 1632).
170 Voir Wittkower (Margot and Rudolf), Born under Saturn : the character
and conducts ot artists, a documented history trom Antiquity to the French
revo{ution, London, Weidenfeld and Nicolson, 1963, 8", XXIV-344 p. [Sorbo
L 21.978, 8°].
HUARTE 129
171 L'Examen des esprits pour les sciences où se monstrent les différences
d'esprits qui se trouvent parmy les hommes et à quel genre de sciences chacun
est propre en particulier, Paris, Jean le Bouc, 1645. Nous citerons d'après
cette traduction de Vion Dalibray. Ici, p. 2 et 3.
172 Ibid., p. 9-11. Par opposition à cette mémoire passive et serve, Huarte
défini! une mémoire active, liée à la grande imagination et au grand enten-
dement, mémoire que dans sa traduction, Vion Dalibray qualifie de reminis-
cence, terme platonicien qui concorde fort bien avec l'hostilité platonico-augus-
tinienne d'Huar!e contre l'art des rhéteurs, et donc contre leur mnémotech-
nique.
130 LA RÉFORME TRIDENTINE
Cicéron confesse qu'il avoit l'esprit pesant, pour ce qu'il n'étoit pas
melancolique, en quoy il dit vray, car s'il eust esté tel, il n'eust esté si
eloquent; pour ce que les melancoliques adustes ont faute de mémoire,
à laquelle appartient de discourir avec grand apparat. Elle a une autre
qualité, qui sert beaucoup à l'entendement, qui est d'estre resplendissante
comme l'agathe, au moyen de laquelle splendeur, elle illumine le cerveau
afin que les figures se fassent 173.
175 Ibid., p. 333. «Ceux qui ont les deux facultez jointes ensemble, l'ima-
gination et la mémoire, entreprennent hardiment d'interpréter l'Ecriture Sainte,
croyant qu'à cause qu'ils savent beaucoup d'hebreu, de grec et de latin, il
leur est facile de tirer le vray ... (l'expression « tirer le vray» est empruntée
par Vion Dalibray à Montaigne), mais après tout, ils se perdent. Premièrement
parce que les mots de la Sainte Ecriture et ses façons de parler ont beaucoup
d'autres significations que celles que Cicéron a peu savoir en sa langue. Secon-
dement, parce que telles gens ont manque d'entendement, qui est la puissance
qui vérifie si un sens est Catholique ou non », p. 334. 11 faut donc laisser
l'interprétation des vérités de foi aux théologiens scolastiques, de préférence
espagnols, et rester, lorsqu'on n'est pas doué pour cela, dans une « docte
ignorance ~.
176 Ibid., ch. XII, p. 324 et suiv, Voir également, sur la fonction servile
de l'éloquence sacrée au regard de la théologie, le ch. XIII : «Où il est prouvé
que la Théorie de la Théologie appartient à l'entendement, et la predication,
Qui en est la pratique, à l'imagination. »
177 La notion a été introduire par Hiram Haydn, The Counler-Renaissance,
New York, Harcourt, Brace and World, s.d. (lre éd. Scribner's, 1950) sur le
modèle de « Contre-Réforme », expression aujourd'hui tombée en désuétude,
en dépit de sa commodité. Commode elle aussi, pour marquer le « tournant»
du XVI' humaniste, la notion de « Contre-Renaissance» est elle-même très
contestable, sauf peut-être pour le cas de l'Espagne.
132 LA REFORME TRIDENTINE
ar.cicns ont laissé dans leurs livres [ ... ] La République ne devrait pas
consentir que les autres qui manquent d'invention escrivissent des livres
et les fissent imprimer car tout ce qu'ils font ne sont que des redites de
ce qui est dans les graves autheurs 178.
1811 Ibid., p. 290. On peut penser que Vion Dalibray a trouvé dans ces
passages une raison de traduire Huarte. Sa poétique est fort indépendante, et
son goût de la diversité stylistique et du caprice est fort manifeste dans son
recueil de 1653, qu'il divise en vers «bachiques, satyriques, héroïques, amou-
reux, Moraux, Chrétiens ». Il n'est pas sans intérêt de rappeler ici qu'il a
traduit deux pièces de Malvezzi, le Romulus et le Tarquin le Superbe, chefs-
d'œuvre de 1'« atticisme sénéquien OP à l'espagnole.
184 Ibid., p. 305.
185 Ibid., p. 312.
186 Ibid., p. 314.
187 Ibid., p. 243.
134 LA RÉFORME TRIDENTINE
Ces deux differences d'esprit sont fort ordinaires entre les hommes de
lettres. Il s'en trouve qui sont relevez par dessus l'opinion commune, qui
jugent et traitent les choses d'une façon particulière, qui sont libres de
ùonner leur advis et ne suivent personne. Il y en a d'autres qui sont
rt:sserez, humbles, paisibles, deffiant d'eux mesmes et se rendant à l'advis
d'lIl1 grave autheur qu'ils suivent 188.
•
••
L'Ars proclamatoria du Frère Laurent, l'Examen des Esprits du
Dr Huarte sont deux symptômes d'une «Contre-Renaissance» qui est
aussi et avant tout une Renaissance des Pères de l'Eglise.
Ce sont les humanistes, c'est Erasme en particulier, a écrit Jean
Dagens lIl1l, qui ont réveillé les Pères de leur sommeil plusieurs fois sécu-
laire [ ... ] De l'officine de Froben à Bâle, sortent par les soins d'Erasme,
et à une cadence déconcertante, un nouveau Cyprien en 1520, Tertullien
en 1521, Arnobe le jeune en 1522, saint Hilaire en 1523, saint Jérôme
en 1524 et 1525, quelques traités de saint Jean Chrysostome en 1525, 1526
et 1529, saint Irénée en 1526, saint Ambroise en 1527, saint Augustin de
1527 à 1528, Origène en 1536.
196 Acta Eeclesiae Mediolanensis .... Milan. 1583. in-fol. et Pastorum concio-
natorumque instructiones ...• Cologne. Cholin. 1587. 16°. Sur Federico Borromeo.
voir Dizionario biografico ...• ouvr. cit.. t. 13, p. 31-42. Disciple de Philippe
Neri. comme son oncle. le second cardinal Borromeo créa à Milan. outre la
Bibliothèque Ambrosienne. lin véritable centre de recherches historiql1es. qui
prit le relais de celui de Baronius et put rivaliser avec celui de la Bibliothèque
Vaticane. L'augustinisme des disciples de saint Charles Borromée et de saint
Philippe Neri les tourna non seulement vers une «éloquence du cœur» mais
aussi vers l'érudition et la polémique historique avec les protestants.
197 Concilium Tridentinum: diariorum. aetorum. epistularum. traetalorum
nova colleetio. éd. Societas Goerresiana. t. V. Aetorum pars altera. ed. Ste-
phar.us Ehses. Fribourg-en-Brisgau. Herder, 1911. p. 73. 5 avril 15· t 6. Débat
De ministris verbi Dei abusus atque remedia; p. 122. 1er mai 1546. Projet
de décret De leetoribus et praedicatoribus; p. 125. 7 mai. Décret adopté De
leetoribus atque praediratoribus saerae scripturae. en part. § 15. p. 127. Ces
dispositions sont reprises à leur compte par les Pères conciliaires en 1563.
Voir ibid., t. IX. Aetorum pars sexta, Fribourg-en-Brisgau. Herder, 1924. p. 981.
Deeretam de reformatione leetorum (Il nov. 1563). Dans la bibliographie consi-
dérable consacrée au Concile. on retiendra tout spécialement A. Dupront. « Du
Concile de Trente: réflexions autour d'un IV' centenaire ». Revue Historique.
t. CCVI. oct.-déc. 1951, p. 262-280. qui met en évidence la part prépondérante
prise par les « méditerranéens ». Italiens et Espagnols. dans cette réaffirmation
du principe romain face au défi de l'Europe du Nord.
138 LA RÉFORME TRIDENTINE
•••
Ces traités ont tous en commun de s'appuyer ouvertement sur le L. IV
du De Doc/rina Christiana et tacitement sur l'Ecclesias/es d'Erasme. Ils
s'efforcent, avec cependant des nuances de l'un à l'autre, de tenir une voie
lIloyenne entre l'extrémisme du Frère Laurent de Villavicente, et le cicérc-
nianisme christianisé d'un Marc Antoine Natta et d'un Fra Baglione.
Patronnés par l'autorité de Charles Borromée, répandus et étudiés dans
toute l'Europe catholique, ils marquent, en dépit d'eux-mêmes peut-être,
une étape capitale dans l'histoire de la rhétorique humaniste.
Jusque-là, l'éloquence sacrée avait connu soit la forme savante et
scolastique soit la forme populaire et diatribique 108. Cette dernière
connaîtra en France sous la Ligue son suprême épanouissement. Les
rhétoriques borroméennes s'efforcent de combattre à la fois l'une et l'autre
tradition pour leur substituer un art oratoire renouant avec l'éloquence
des Pères de l'Eglise. Une norme unique, mais souple et adaptable aux
circonstances et au public, remplace les deux méthodes médiévales, l'une
inefficace, l'autre dangereuse et se prêtant à tous les excès de la vulga-
rité. Il est curieux d'observer que la plupart des rhétoriques borroméen-
nes furent publiées très rapidement, sinon d'abord, à Paris.
Paris dans le dernier quart du XVI' siècle est en effet un champ de
bataille où se livre le combat décisif entre orthodoxie et hérésie protes-
tante. Les traités de rhétorique qu'Italiens ou Espagnols y publient sont
manifestement destinés à pourvoir les prédicateurs de la Ligue d'une
méthode efficace pour haranguer le peuple selon les prescriptions du
Concile. Bonnes intentions, peu suivies d'effet. Ces traités en latin, écrits
par de doctes théologiens initiés à l'humanisme, étaient de qualité trop
haute pour influencer curés et moines démagogues, qui avaient leurs tra-
ditions et couraient au plus pressé. Si toutefois ils les lurent, ceux-ci ne
retinrent de ces paraphrases du De Doc/rina Christiana qu'un encourage-
ment générique à dédaigner la forme et à se fier à leur zèle pour enflam-
mer les foules.
199 Voir dans l'édition E1lses C1t. des Acla les débats sur la réforme de
l'épiscopat, et en partiClllier sur la nécessité impérative de la résidence. Cette
réforme est étroitement liée à celle de l'éloquence sacrée: dans les deux décrets
cités ci-dessus, note 190, la prédication est lin office réservé par privilège à
l'Evêque, dans son diocèse (Décret du 1er mai 1556; Episcopi omnes memi-
nerinl se esse in ecclesia Dei positos pastores et doclores ad praedicandum ;
proptereaqlle quod jllre divino debi!llt, hoc praecipue aganl, quo nihil esl
honoriticelltills alque sUblimius, ul sciliret soIIiciti sunl praedicare populo sibi
commisso, et evangelizare verbllm Dei, ut oves proprii pastoris voci assuescanl
et dum ilIam audiunt et de!eclantllr in ea, viam mandalorum ipsius posl ilIos
di/atalo corde perCllrranl. Dans le même sens, décret du Il nov. 1563 (lll ipsi
per se ... Sacras Scripturas divinamque legem annunlient ... ). Au 1. 1 de l'Eccle-
siastes Erasme plaidait ardemment pour un épiscopat «réformé» et en parti-
culier capable de porter dignement au peuple la parole de Dieu.
EPISCOPUS ORATOR 141
•
••
L'atelier de rhétorique milanais n'eut de rival qu'en Espagne, devenue
citadelle de la catholicité: à partir de 1563, les moines espagnols tirent du
De Docfrina Christiana et de l'Ecclesiasfes un nombre considérable de
rhétoriques ecclésiastiques. Celles-ci sont évidemment fort bien accueil-
lies à Milan. Le siège archiépiscopal de Charles Borromée était d'ailleurs
sous l'autorité politique du Roi d'Espagne. Et même si les conflits ne
manquèrent pas entre gouverneur espagnol et archevêque, jaloux l'un
de l'autre de leurs prérogatives, le « climat" de la Réforme borroméenne
n'est pas sans affinités avec celui du catholicisme espagnol.
Trois traités de rhétorique ecclésiastique ont été composés par des
membres italiens de l'entourage de Charles Borromée: le De Rheforica
ecclesiasfica d'Augustin Valier 200, le De Praedicafore Verbi Dei de Jean
Botero 201 et Il Predicafore de François Panigarola 202.
nandi de Diego de Estella 204. Ces cinq ouvrages sont loin d'épuiser l'im-
pressionnante bibliographie rassemblée pour le seul XVI' siécle par CapIan
et King. Encore faudrait-il ajouter les innombrables instructions pasto-
rales et décisions des Conciles synodaux ou diocésains qui, sur le modèle
des Acta Mediolanensis Ecclesiae réaffirmèrent inlassablement pendant
plus de deux siècles, et au-delà, les prescriptions du Concile, les principes
d'une Rhetorica sacra devenue, ou peu s'en faut, l'axe même de la culture
du clergé. Bel exemple de « rhétorique institutionnelle», dont les effets
sont beaucoup plus durables que ceux de toutes les autres rhétoriques
officielles, et dont celles-ci ne peuvent pas, en terre catholique, ne pas
subir l'influence. Engendrant une masse prodigieuse de discours dans
l'Europe catholique et en Amérique latine, cette « rhétorique d'Eglise »,
dont Charles Borromée avait été le premier patron, et le plus autorisé, a
cu le pouvoir de créer des « mentalités collectives» et de répandre dans
les masses une « doxa » remplaçant ou refaçonnant le folklore; elle a su
aussi, auprès de l'élite des capitales, cultiver le goût du langage célébré
dans une forme noble et belle, accordée à la majesté divine .
•
••
Le plus remarquable de tous les traités de rhétorique ecclésiastique de
cette période est à coup sûr celui de Louis de Grenade. C'est aussi celui
qui, non sans analogie avec l'Ecclesiastes d'Erasme, ne craint pas d'entrer
dans les détails, et d'emprunter largement à Quintilien et à Cicéron. Son
auteur l'avait pourvu d'un supplément fort nécessaire, pour tenir lieu des
Adages et autres Flores publiés par Erasme : une Sylva locorum commu-
nium, recueil doxographique destiné à servir de sources de l'invention
pour l'orateur catholique 206.
208 Ecclesiaslicae Rheloricae sive de ralione concionandi libri sex ... Venise,
1578, éd. dt., p. 8. .
209 Ibid., p. 9-10. A l'objection selon laquelle l'arlls observatio peut faire
obs:acle à l'impelus divini spiritus, L. de Grenade répond par une analyse
du «naturel », de la «spontanéité seconde" qui apparaît lorsque l'on pos-
sède à fond un art: « Ubi longo usu alque exercilalione recle loquendi ralionem
asseculus l'si, jam lum non ul ante praecepla consuluit, sed sola loqllendi
consueludine duclus, ex arle quidem sed sine arle perfecle el inoffense loqlli-
lur: ita haec oraloriae arlis praecepla inilio ardorem alque favorem spirilus
nonnihil refrigerabunl: ubi lamen ars dicendi consueludine in naluram quo-
dam modo versa l'si, egregii arlifices sic ex arle dicunl, quasi sola nalurae vi
inslrucli dicerenl.» (Ibid., p. 9.) C'est là une thèse reprise de l'Ecclesiasles
d'Erasme, où l'on peut lire: «Arlis praecepla non ita multum juvanl, nisi per
frl'quenler uSllm Iransierinl in habitum quasi in naluram." Voir tout le pas-
sage dans L.B., V, 850, D-E. Il Y a tout un travail à faire sur la transmission
de la pensée d'Erasme en milieu catholique dévot par des intermédiaires comme
celui-ci, qui se garde de le citer.
LOUIS DE GRENADE 147
tâche plus difficile et plus exaltante que ceUe de l'orateur chrétien? EUe
vise en effet à combattre « la force et la puissance de la nature déchue »,
à se mesurer avec la quasi toute-puissance du Mal. C'est un plus grand
miracle, a dit saint Grégoire, de tirer des âmes du péché que de ressusciter
les morts 210.
Pour cette œuvre de salut, i'orateur chrétien doit émouvoir. Et pour
émouvoir, selon les préceptes de Quintilien, il doit d'abord lui-même être
é·mu. Sa componction, sa dévotion, sa pénitence, doivent accompagner son
zèle oratoire, comme le demande Bernard de Clairvaux. Sa prière doit
précéder et commander son sermon, comme le demande Augustin 211.
C'est à ce prix qu'il trouvera dans son cœur les flammes et les larmes
qu'il veut faire naître chez ses auditeurs. Car le fruit de son discours ne
doit pas être l'applaudissement, mais les gémissements et les larmes,
préludes à la compunctio cordis.
Lettre morte dans la culture païenne, l'art oratoire vivifié par la spiri-
tualité chrétienne trouve une puissance et une efficacité incomparables,
comme auxiliaire (adjumentum) du Grand Œuvre de salut.
Les L. II et III des Ecclesiasticae rhetoricae fibri sont consacrés au
mode d'argumentation oratoire, qu'ils distinguent soigneusement de la
logique proprement dite, objet des Dialecticae Institution es de Fonseca 212.
Il nomme ce type de probatio : amplilicatio. Celle-ci consiste essentielle-
ment en figures de pensée, mouvements affectifs (aftectiones), peintures
parlantes (descriptiones). Ces dernières sont aussi propres à éveiller, par
le biais de l'imagination, l'affectivité de l'auditoire. Descriptions de mœurs
{bonheur de la vie contemplative, corruption des femmes lascives, etc... ),
descriptions de personnages (vierge forte, vierge folle, etc ... ), de specta-
cles (combats signifiant le combat spirituel, etc ... ). Ces descriptions de
personnages peuvent être animées par les prosopopées (sermocinationes)
qu'on leur prête.
Après un livre consacré à la disposition, le L. V est consacré à l'élo-
cution. Dès sa préface, Louis de Grenade avait donné de celle-ci une
définition volontairement pauvre: expliquer comme il faut (commode
explicare) ou faire passer le sens dans l'âme de l'auditeur (transfundare
sensus in auditoris animos). C'est dire à quel point il est l'ennemi des
« cicéroniens» qu'il qualifie de «rhéteurs» et à qui il reproche comme
210 Ibid., p. 13. Voir jereczek, ouvr. cit., p. 121. Le vrai critère de la diffé-
rence entre «rhétoriques borroméenn(:s» et «rhétoriques jésuites », c'est le
primat que les premières accordent à l'intériorité, et Je primat que les secondes
accordent à l'art, prolongement de la nature. Chez Louis de Grenade, le prédi-
cateur «devra allier lin prophétisme d'inspiration divine avec un art tout
humain» (Jereczek, ouvr. cit., p. cit.). Le conflit interne de l'éloquence sacrée,
résolu de façon diverse par les diverses écoles de spiritualité, tient à l'incom-
patibilité entre l'intimité de l'oraison. au sens chrétien, et l'extériorité de l'oralio
au sens antique, entre l'inspiration divine puisée dans l'oraison, et les moyens
humains, techniques et naturels, déployés dans l'oralio.
211 Ibid., p. 28.
212 Ibid., p. 34 et suiv.
148 LA RÉFORME TRIDENTlN~
Erasme de « vieillir dans le soin inutile des mots» 212. Les trois qualités
du style chrétien seront:
1) la latinitas ;
2) la perspicuitas (clarté), qui rend le discours à la fois acceptable
aux savants, et compréhensible aux ignorants; s'il faut choisir, la
capacité de l'auditoire doit primer sur le souci puriste de la latinité,
comme l'a recommandé Augustin;
3) l'ornatus: celui-ci n'est acceptable qu'à la condition d'être stricte-
ment soumis à l'utilité. Pas de rythme ou de symphonia verborum.
Une beauté, mais digne, insoucieuse du faux éclat.
•••
Ce style sévére trouve quelques années plus tard un autre interprète
en la personne du propre secrétaire et confident de saint Charles, Jean
Botero 214. Jésuite pendant vingt-deux ans, ce prêtre malingre et tourmenté
avait fini par quitter la Compagnie pour se réfugier dans l'ombre du redou-
table archevêque de Milan. Son court traité de rhétorique ecclésiastique, le
De Praedicatore Verbi Dei, reflète autant les vues de Charles Borromée que
celles de son auteur. Il s'organise tout entier autour du thème posé par
Erasme dans l'Ecclesiastes: Christus orator perfectissimus. C'est l'élo-
quence du Christ qui, dans ce traité du sublime chrétien, se propose
directement au prédicateur comme le modèle à la fois inaccessible et
invitant à l'imitation. Le terme qui qualifie le mieux l'éloquence christi-
que, c'est la simplicité (simplicitas). Mais cette simplicité, telle qu'elle
se relève dans les Béatitudes, et dans les moindres paroles du Christ, est
•
"''''
Ce court traité du sublime chrétien n'est pas seulement une interpré-
tation très fidèle de l'esprit du L. IV du De Docfrina Christiana : il traduit
dans la langue des savants, et sur le mode didactique, la pratique oratoire
219 Ibid., p. 90. Botero, sans citer Erasme, montre combien il l'a lu de
près. f. 89 v o , il dit avoir entendu dans la chapelle pontificale, un prédicateur
dire unigentls au lieu de unigenitus, et affirme que ce purisme fut condamné
par les plus autorisés parmi les auditeurs. Dans le Ciceronianus, Erasme
racontait au'i1 avait assisté à une Oralio de Christi morte prononcée par Tom-
maso Inghirammi en présence de Jules Il, et où le prédicateur avait traduit
les termes consacrés par l'usage de l'Eglise en latin cicéronien. (Voir plus haut,
note 119.) Voir aussi Ecclesiastes, L.B., 986 A-O.
220 Ibid., p. 91.
JEAN BOTERO 151
225 Sur Lipse, voir outre Morris W. Croll «Juste Lipse et le mouvement
anticicéromen à la fin du XV)' siècle », dans la Revue du XVI· siècle, juillet
1914, p. 200-242, repris dans le recueil Style, rhetoric and rythm, Princeton,
1966, p. 7-44, J. Ruysschaert, Juste Lipse et les Annales de Tacite, Turnhout,
Brepols Press, 1949.
154 LA RÉfO:~ME TRIDENTINE
•••
C'est en 1586, un an après la mort de Muret, que Lipse lança le
premier manifeste du style « laconique », dans la préface de l'édition de
sa première Centurie de Lettres 221. Préface à la première personne, qui
n'émane pas d'un Magister rhetoricae, mais d'une personne privée, dans
la plénitude de son indépendance spirituelle, qui médite sur son œuvre
d'épistolier. Exagérant la c figure de modestie» propre au genre de la
préface, Lipse prétend ne livrer qu'en tremblant au public une œuvre qui
ne lui vaudra aucune gloire: il ne s'agit pas en effet d'une œuvre ache-
vée, d'un opus perfectum, mais d'une œuvre livrée à l'état naissant,
imperfeclum, rassemblant des notes au jour le jour (diales), une poussière
de petits riens (nugas), des jeux Uocos, lusus), des bavardages en compa-
gnie d'amis (cum amicis garritus). Cette humilité cache un défi compa-
rable, toutes choses égales, à celui de La Fontaine se contentant du genre
dédaigné de la fable ésopique. En mettant l'accent sur le caractère
discontinu, émietté, à facettes, du genre de la lettre familière, Lipse
affirme indirectement son dédain pour le caractère arrondi et léché des
grands genres oratoires. A l'en croire, ni le choix d'un seul et grand
sujet, ni la beauté du style (cura et lima in stylo) ne recommandent son
recueil; toutes ces qualités sont trop au-dessus du genre épistolaire, genre
« spontané» par excellence (sub manu nasci debere et sub acumine ipso
stili), qui ignore la réécriture et la relecture (bis non scribo, bis vix eas
lego). La figure d'humilité commence dès lors à se dévoiler, révélant la
conscience héroïque de Lipse et sa certitude d'avoir trouvé dans le genre
dédaigné de la lettre familière l'expression par excellence de l'individu
d'exception. La «spontanéité» du style épistolaire lui permet en effet
ct'enregistrer fidèlement les moindres variations d'humeur, les hauts et les
bas « mélancoliques» d'une grande âme (fanguent ellim il/ae, excitantur,
dolent, gaudent, calent, frigent mecum). Cela peut entraîner l'éparpille-
ment dans les détails quotidiens (leviorum multitudo) : mais il peut arriver
aussi que, triomphant des nuées humorales, l'esprit de l'épistolier s'élève
aux plus hautes considérations philosophiques et philologiques: le style
alors d'un mouvement spontané, accompagne l'essor de l'ingenium. Le
style « bas» de la lettre devient ainsi, par ses modulations, l'instrument
par excellence de l'autoportrait d'une « grande âme» qui a rencontré un
corps, autoportrait en relief, qui reflète les différents niveaux de l'activité
morale et intellectuelle de l'esprit. Ecce homo: cette exposition de soi
suppose une parfaite correspondance entre la spiritualité d'un homme
et celle de son style, à la fois ingénuité (candor), sincérité (veritas), naturel
(alibi fucus et simu/alio, hic lIativus color) mais aussi courage, celui
d'être soi-même publiquement, en dépit de J'envie et des soupçons.
Erasme, libérant le genre épistolaire de ses chaînes médiévales dans
le De cOllscribendis epislolis, s'était malgré tout placé du point de vue du
pédagogue humaniste soumettant son élève à la discipline et aux exer-
cices scolaires qui seuls rendent possible la liberté de l'apte dicere.
Abandonnant le point de vue scolaire, et tenant pour acquise la prépa-
ration rhétorique, Lipse adopte sur le style épistolaire le point de vue
« adulte» de la grande âme mélancolique et inspirée, qui lève le voile
(nec velum ei ducere succurrit) sur ses mouvements intérieurs. dans l'espace
de confidence ouvert par l'amitié, et élargi ensuite à l'auditoire de la
Respublica literaria. Le genre épistolaire et son style se définissent chez
lui par une série d'oxymores : un genre discontinu et court, dédaigné des
156 LA RÉFORME TRIDENTINE
230 SUl Henri Van de Putte, voir Bayle, Dictionnaire, art. Puteanus, et
Vigneul-Marville, Mélanges ... , t. 2, p. 417. Sur sa doctrine du meilleur style,
voir Suadu Attira. sive orationum selectarum syntagma, t. l, Lovani, typis
Christoph. flavi, 1615, Orationes 1 et Il et le De Laconismo syntagma (Ire éd.
1609) dans Amoenitatum humanarum diatribae XII, typis C. Flavi, Lovani, 1615.
231 Voir note précédente.
160 LA REFORME TRIDENTINE
bien, ajoute Puteanus, que le discours signifie plus qu'il ne dit, et même
ce qu'il ne dit pas. Si la valeur suprême de la rhétorique est l'aptum, la
convenance, seule la brièveté, si attentive à tirer de chaque mot l'effet le
plus juste et le mieux approprié, remplit l'ambition de l'aptum.
Pugnace et beau, âpre et doux, le style laconique, entre les deux
infinis du silence et de la plénitude du verbe divin, est seul à pouvoir faire
Jaillir les fulmina du sublime. Style de la virilité à son comble de vigueur
sobre et mûre, il est aussi le style de l'héroïsme, propre aux Rois et aux
Princes, représentants de Dieu sur la terre: leur diadème correspond aux
liens qui resserrent leur langue, et qui les fait parler par apophtegmes,
voire par foudroyants monosyllabes.
Le De laconismo syntagma ne se bornait donc pas à systématiser la
leçon que Lipse avait énoncée à propos du style épistolaire. Cet essai
dessinait une éthique et une rhétorique de l'éloquence héroïque, englobant
toute l'aile « laïque» de l'élite de la Réforme catholique, humanistes éru-
dits et hauts responsables politiques et militaires. Nous verrons, chez un
Nicolas Caussin, le pendant ecclésiastique de cette éloquence héroïque,
dans la théorie du Theorhetor. Puteanus, comme Lipse, croyait avoir doté
la rhétorique catholique d'une doctrine conciliant Erasme et Sénèque,
l'esprit de la renovatio spiritus et celui des hautes études érudites. Cette
conciliation reposait sur un anti-cicéronianisme qui avait toujours marqué
la Renaissance des pays du Nord de l'Europe. Au contraire, la tradition
centrale de la Renaissance italienne était cicéronianiste, et en Italie, à
Rome surtout, foyer du cicéronianisme, la conciliation entre humanisme
et Réforme catholique ne pouvait se faire que sous le signe de Cicéron.
C'est à quoi s'employa, au cours de sa carrière romaine, Marc Antoine
Muret, dont la doctrine rhétorique, fort analogue à tant d'égards à celle
de Lipse, s'en distingue par le sens des nuances et celui de la continuité.
CHAPITRE IV
Dans une suite d'essais qui ont fait époque 233, Morris W. Croll,
développant les suggestions de la belle biographie de Muret publiée par
Charles Dejob en 1883, a fait de l'humaniste limousin réfugié en Italie la
figure majeure de l'histoire de la rhétorique humaniste post-tridentine.
Son analyse de l'Oratio prononcée par Muret en 1572, à l'aube du ponti-
ficat de Grégoire XIII, fait de celle-ci le point de départ de l'anti-cicéro-
nianisme qui dominera selon lui la fin du XVI' et le xvll" siècle. La
carrière universitaire de Muret à Rome avant cette date n'aurait été
qu'une préparation prudente au coup d'éclat de 1572 qui marquerait la
rupture de Muret avec la tradition de Bembo .
•
••
Lorsque Muret arrive à Rome en 1563, c'est à l'appel du pape Pie IV,
qui avait déjà fait venir Paul Manuce en 1561, pour confier au premier
une chaire de professeur de philosophie morale à la Sapienza, et au
second la charge de fonder une imprimerie pontificale et d'y éditer les
Pères de l'Eglise. C'est également en 1563 que l'Académie des Nuits
Vaticanes, dirigée par le neveu du Pape, Charles Borromée, se détourne
des sujets païens pour se consacrer à la Bible, aux Pères, et à Epictète.
La même année l'humaniste romain Silvio Antoniano 234, ami de Pie IV et
membre de l'Académie borroméenne, inaugure un cours sur le Pro Milnne
à la Sapienza.
235 Dans Silvii Antoniani SR.E. Cardinalis vita a losepho Castalio/ze ...
ejusdem orationes XIII... Romae, apud J. Mascardum, 1610, Oratio prima de
cognitionis et eloquentiae laudibus ... (1563), p. 84-85.
236 Antonii Possevini... Bibliotheca selecta qua agitur de ratione studiorum ...
Romae, typogr. Apostolica vaticana, 1593, 2 t. in-fol. « Il nous reste il est vrai
écrit Possevin, les lettres de Bembo, courtes et dignes de la science latine du
Secrétaire des brefs de Léon X, qui les adressa au nom du Pape à de nom-
breux correspondants et qu'il prit soin lui-même d'éditer. Mais sous l'influence
d'événements arrivés depuis, guerres et hérésies qui troublèrent la chrétienté,
découverte d'un monde nouveau qui l'augmenta, un style nouveau est apparu
pour rédiger les lettres pontificales et royales, plus abondant, et toutefois
ferme, que la pression des faits amena les successeurs de Léon X, Paul III
et Jules III, à adopter.» (Cité d'après l'édition lyonnaise du Cicero, J. Pille-
hotte, 1593, 12·, p. 59.)
237 Antonii Buccapadulli de Summo Pontifiee creando aralia, Rome, 1572.
164 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE
si cet humaniste raffiné, hôte et ami des cardinaux d'Este 238, traitant
d'égal à égal avec ce que Paris et Venise comptent alors d'esprits les
plus cultivés et délicats, n'avait pas lui aussi sa " politique» rhétorique,
qui pouvait d'ailleurs fort bien, quoique avec des intentions différentes,
coïncider avec celle de la Curie: celle-ci souhaitait que le Tullianus stylus
devînt ({ utile », et se pliât aux exigences d'expression des sciences profa-
nes et sacrées mobilisées au service de l'Eglise; Muret devait souhaiter
que le devoir d'apologétique et de civisme catholiques ne grevât point
l'héritage de la ;enovatio litterarum, mais donnât lieu au contraire à un
approfondissement de la réflexion rhétorique, profitant à l'éloquence
humaniste. C'est en humaniste, soucieux de marquer la place des litterae
humaniores au cœur même du grand mouvement de Réforme catholique,
qu'il procède à une réforme prudente de la tradition cicéronianiste. Loin
de la renier, il illustre son pouvoir d'adaptation, sa capacité de se modi-
fier et de s'enrichir selon les temps et les lieux .
•
••
Dès 1543, dans une lettre à Calcagnini 239, Jean-Baptiste Giraldi,
traitant de l'imitation, tout en maintenant Cicéron dans son rôle de péda-
gogue par excellence de l'art de la prose, admettait aussi, pour l'adulte
maître de ses moyens, la liberté d'imiter d'autres modèles antiques et de
parvenir à une meilleure expressivité personnelle, une plus grande adapta-
bilité aux divers sujets, circonstances et destinataires. Mais le pas déclsif
fut franchi par l'un des plus célèbres représentants du cicéronianisme,
Paul Manuce, auteur d'un recueil d'Epistolae dans la tradition de Longueil
et de Bembo. Dans un volume de lettres italiennes, publié en 1555, il pro-
posait une réforme du De Imitatione de Bembo 240. Celui-ci définissait
238 Voir sur Muret et les Este, ouvr. cit., Charles Dejob, ch. VIII, p. 113
et suiv.
239 Joannis Battistae Giraldi Ferrariensis poemata ... , Basileae, per Rober-
t:lIY1 Ninter, 1543, p. 200-208. Cette lettre à Calcagnini maintient Cicéron dans
le rôle de maître du meilleur style. Mais velim unius auctoris angustiis omnia
meUri?, demandait Giraldi. Il faut s'en pénétrer dans l'enfance, mais ensuite
élargir l'imitation à d'autres allt~urs. Toutefois, quaeel/mque ... exeerpta fue-
runt, ad unius Ciceronis imitationem eonvertenda censeo. La dureté excessive
des atticistes, la mollesse trop fleurie des asianistes, doivent être ramenés à
une juste meS'lre, ad examen et reRulam quamdam. Et la pierre de touche de
ce ]udicillm doit être Cicéron (p. 205). C'est cette présence de Cicéron à la
fin du procès de liberté imitative qui sera omise par Lipse, mais maintenue par
Muret. Chez Giraldi, on a affaire à un cicéronianisme élargi, enrichi, mais
fidèle à son principe de classicisme. Chez Lipse, on quitte le classicisme. La
réponse de Calcagnini abonde dans le sens de Giraldi, recommandant l'imi-
tation de César, Live, Salluste aux historiens, de Columelle, Celse, Pline l'An-
cien aux savants.
240 Tre lib ri di letfere volgari di Paolo Manuzio, Aldus, Venetia, 1555,
in- 12°. Sur l'amitié entre Paul Manuce et Marc Antoine Muret, qui se réfugia
d'abord à Venise après avoir fui la France, voir Dejob, ouvr. cit., p. 84-85 et
144-145. Sur la venue de Paul Manuce à Rome, peu avant celle de Muret,
et sur la maison d'éditions pontificale qu'il y fonda, voir Annales de l'impri-
merie des Alde, ou histoire des frois Manllce et de leurs éditions, par A.A.
Renouard, Paris, J. Renouard, 1834, p. 424-450.
MARC ANTOINE MURET 165
une esthétique oratoire qui n'avait besoin de se justifier qu'aux yeux
d'une élite humaniste sûre d'elle-même, et appuyée par l'autorité des
Pontifes. La Réforme catholique a pris un tour plus inquiet, plus véhé-
ment. Paul Manuce s'emploie à définir une esthétique oratoire profane
mieux accordée à cet esprit héroïque et aux questions posées par la
polémique anti-cicéronienne d'Erasme. Il écrit à l'un de ses correspon-
dants, Ottaviano Ferrero :
Ces moiti segreti capables de modifier les idées reçues sur l'imitation,
Paul Manuce ne tarde pas à les rendre publics. L'année même où cette
lettre avait été écrite (1555), il avait imprimé sur les presses vénitiennes
une édition de Traité du Sublime 242 plus soigneuse que l'édition princeps
publiée l'année précédente par Robortello 213. Et à la suite de sa lettre à
Ferrero dans le recueil de 1556, il publie un Discorso intorno all'ufficio
dell'oratore, texte capital car il nous semble qu'il est le premier pro-
gramme rhétorique moderne à paraphraser le Ps. Longin. Celui qu'Henri
Estienne en 1581 classera encore parmi les cicéroniens bembistes tient en
1556 des propos qui, sous l'influence du traité qu'il vient d'éditer, le
rapprochent des thèses, sinon d'Erasme, du moins de Politien. A la ques-
tion de savoir lequel, de l'art ou de la nature, contribue le plus à la
formation du bon orateur, le fils d'Alde Manuce répond:
•
••
Sperone Speroni, Daniele Barbaro, et leurs amis de l'Académie des
lnfiammati avaient cherché du côté de la Rhétorique et de la Politique
:.
Si l'helléniste Paul Manuce avait les ressources nécessaires pour intro-
duire à Rome un « frisson» nouveau, son ami Marc Antoine Muret avait
Sur commission de Pie IV, il fit d'abord, de 1563 à 1565 un cours sur
l'Ethique à Nicomaque, que son ami Denis Lambin venait d'éditer à
Venise 2~3. Avec une éloquence souriante, en latin choisi et cadencé, il
rendait droit de cité dans Rome à l'idéal aristotélicien et thomiste de la
grandeur, dont la Réforme catholique avait bien besoin pour inspirer ses
~oldats et ses orateurs. Les Exercices SpiritueLs de saint Ignace avaient
montré la voie: la magnanimité y était postulée comme le terrain naturel
le plus favorable à la réussite des Exercices, et à l'essor des vertus
héroïques chrétiennes 264.
En 1567, il se livre à l'explication des Pandectes, selon la «méthode
française» dont il retient surtout la clarté et l'élégance d'exposition;
conquête des Litterae humaniores sur un domaine que l'humanisme italien
n'avait pas encore à Rome arraché à la «barbàrie» : l'enseignement du
Droit romain 2~5.
En 1572, au seuil du pontificat de Grégoire XIII, Muret se mue en
professeur de rhétorique, et prononce devant un parterre de cardinaux
une Oratio où Morris W. Croll veut voir un manifeste anti-cicéronien qui fit
scandale 256. li est vrai qu'on y entend Muret faire avec une malice éras-
mienne le procès des maniaques du purisme lexical cicéronien. Mais à
cette date, où commence à paraître la série des rhétoriques borroméen-
nes, l'antithèse augustinienne et érasmienne res/verba est devenue un lieu
commun de la culture catholique. L'orateur se fait l'apôtre d'une grande
éloquence, animée de l'intérieur par un zèle magnanime et puisant dans
l'arsenal des sciences les armes nécessaires à la victoire sur l'hérésie.
Mais pour sa part Muret, proche de la leçon de Nizolio, se garde bien de
se départir d'un atticisme que Bembo eût golIté en connaisseur. Et c'est
bien cette forme d'humour que les auditeurs de sa leçon inaugurale, loin
des champs de bataille allemands et l'rançais, attendrnt d'un hôte aussi
raffiné.
Les rares mots de latinité tardive ou d'Eglise que Charles Dejob relève
dans sa prose font figure d'assaisonnement moderne d'un atticisme
cicéronien n'ayant pas renié la tradition de Bembo. Admettant l'exac-
titude des termes techniques, qu'ils soient scientifiques ou religieux, Muret
tire de ses prudentes audaces lexicales de quoi rendre plus «œcuméni-
que» le Tullianus stylus, sans rompre sa fluidité homogène et harmo-
nieuse, sans renoncer à l'économie des effets. jamais Muret ne prononcera
les noms de Bembo et de Sadolet qu'avec ferveur. Toute son œuvre
révèle une fidéli1é tenace, mais libérale et accueillante, à l'esprit de
l'Epistala de Imitatiane, corrigé par l'éclectisme conciliant de l'Oratar.
L'alliance entre la philosophie et la rhétorique est pour lui le principe
d'une sérénité toute classique, conciliable, comme le «gai sçavoir» de
Montaigne, avec une vue à la fois stoïcienne et chrétienne de l'homme.
Cet équilibre est remarquablement mis en lumière dans une Oralia de
1575, par laquel1e Muret inaugure un cours sur le De Providentia de
Sénèque 258. Il se justifie auprès de son auditoire de prendre pour texte
d'un cours sur l'éloquence une œuvre philosophique, où les problèmes
que se posent les chrétiens sur la justice divine trouvent un commencement
257 Scaligerana sive excerpta ex ore josephi Scaligeri per Fratres Puteanos,
Genevae, per Petrum Columesum, 1666, p. 237. Voir également p. 204-205:
« 0 le meschant latin que la Centurie de ses Epistres ... » Et p. 207: «Lipsius
est caus;'! que l'on ne fait guere estat de Ciceron. Lorsqu'on en faisait estat,
il y avoit de plus grands hommes en éloquence que maintenant.» Voir enfin,
p. 33: «Stylum Lipsianum vituperat. Mureti laudat scribendi genus." L'iden-
tification par Morris W. Croll du style de Upse et du style de Muret dans
la même caractéristique d'atticisme est donc extrêmement contestable.
258 Opera Omnia, éd. cit., t. l, p. 311-320. Il cite l'exemple de saint Jean
Chrysostome (Haee igitur vir sanclissimus non ut nunc arido et inculto dicendi
genere, sed ornato splendido, ettieaci, (usus est) et une sentence de Cicéron
(Eloquentiam esse, ait Cicero, non inanem loquendi protluentiam, sed sapien-
tiam eopiose loquentem) pour soutenir un combat sur deux fronts, contre les
théologiens, hostiles au modus oratorius, et contre les sophistes, qui le perver-
tissent. Belle continuité avec l'Oratio de philosophiae et eloquentiae con june-
lione (Venise, octobre 1557), où Muret s'écriait: «Je le vois, j'ai affaire à
deux races d'hommes, les uns n'ayant qu'un bavardage superficiel et privé de
vrai savoir, les autres cultivant une philosophie privée de beauté et d'élo-
quence» (Opera Omnia, t. l, p. 136-147). En 1575, il invoque Sénèque contre
le premier groupe et contre le second, c'est-à-dire au même titre que Cicéron
en 1557 : Quod si est qui nihil praeter verborum tlosculos et pigmenta tradunt,
minimam partem eloquentiae tradunt; si quis est cognitu dignas res adterat
et eas non vulgari neque sordido orationis genere etterat, is demum bonus
est et utilis dicendi magister habendus est ». C'est le cas de Sénèque, à la
fois grand écrivain et grand philosophe moral.
172 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE
259 Muret, Opera Omnia, éd. cit., t. Il, Oralio X1l1, p. 376 et suiv.
260 Ibid., p. 381. Pour Cosme, Muret insiste en ces termes: «Ce que le
vulgaire tient pour Fortune dans l'élévation des Princes, Cosme a montré
qu'il s'agissait de prudence et sagesse.» La lecture de Tacite est une preuve
de la sagesse du Prince, qui a su donner à Florence au moment voulu, et
quand les temps étaient venus, le régime monarchique dont elle avait besoin.
Né d'un jugement de prudence, le gouvernement de Cosme ne put être que
sage: il était prévenu contre l'erreur par les exemples de Néron et de Tibère.
MARC ANTOINE MURET 173
Un pel! plus loin, Muret affirme que les chefs d'Etat modernes n'ont rien de
commun avec les mauvais Emperenrs des Histoires et des Annales. La double
leçon de Tacite s'est exercée sur Cosme dans le même sens que celle de
l'Eglise. Le rôle de l'historien est en effet de prévenir le Prince (rendu néces-
saire par la faiblesse des hommes) contre les abus que son pouvoir comporte.
Muret rejoint, du point de vue de l'humaniste profane, le point de vue ecclé-
siastique de Botero dans sa Ragione di Siaio.
261 M.A. Muret, Opera Omnia, éd. cit., Oratio XIV, nov. 1580, p. 384.
262 Ibid. Oralio XIV, p. 390. Sur la leçon tirée par Muret du Dialogue des
Orateurs, comparer ces pages avec l'analyse du Dialogue dans Alain Michel,
Le Dialogue des Orateurs et la philosophie de Cicéron, ouvr. cit., spécialement
ch. XIIl, Eloquence et institutions, p. 50-59.
174 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE
263 Ce passage (éd. Leipzig cit., p. 402) est capital. Muret s'appuie sur
l'humanisme français pour défendre contre les dévots les plus étroits l'héritage
aes Litterae humaniores. II invoque l'exemple français pour inciter les Italiens
à ne pas laisser le flambeau du «meilleur style» cicéronien devenir le privilège
des Français. Invoquant l'autorité d'Adrien Turnèbe, il combat ceux qui vou-
draient minimiser l'importance du genre de la lettre, héritage par excellence
de la première Renaissance.
264 Tout ce passage (ibid., p. 404) anticipe sur l'lnstitu/io Epis/o/ica de
Upse, qui enregistrera surtout l'évolution du genre et lui donnera dignité et
indépendance à l'intérieur de la culture de la Réforme catholique. Voici le
résumé de ce passage: variété et universalité des sujets offerts par le genre
de la lettre; effusion d'âme entre amis; échanges familiaux, qui reconstituent
par la lettre l'intimité du foyer; affaires publiques, politiques, diplomatiques.
A la fois dans la sphère privée et publique, la lettre est un lien social, plus
spécialement réservé aux membres de la République des Lettres. Mais comme
Upse, Muret montre, en s'appuyant sur les Anciens, païens et chrétiens, que
les plus grands sujets, moraux et religieux, sont à l'aise dans la lettre. Les
ciceroniani, épigones de Bembo, se font de la lettre une idée étroite, contraire
à la pratique de Cicéron.
MARC ANTOINE MURET 175
des Princes, reçoivent le soin des affaires les plus importantes et s'ac-
croissent d'honneurs en honneurs. C'est par cette voie que, parmi d'au-
tres, Jacques Sadolet et Pierre Bembo sont parvenus à une dignité proche
de la tiare 265.
•
••
Cette position médiatrice, éminemment accordée à celle que la Ville
Eternelle est appelée à tenir dans le domaine disciplinaire et diplomatique,
devint dès la fin du XVI" siècle la doctrine officielle du Collège Romain
des Jésuites. Celui-ci, proche du Quirinal et de la Curie générale de la
Compagnie, avait lui aussi vocation médiatrice entre les différentes
" pentes» rhétoriques des diverses Assistances nationales et un rôle
de rectorat à jouer en Italie même. Le néo-cicéronianisme de Muret,
conciliant dans une juste mesure la Renaissance cicéronienne et la
Renaissance stoïcienne et patristique, était tout désigné pour conférer
aux régents de rhétorique jésuites du Collège Romain un magistère
d'arbitres en Italie, en Europe et à l'intérieur de leur Société. Ce sont
les libraires de la Compagnie qui se chargèrent de diffuser en Europe les
œuvres de Muret et publièrent ses inédits. Mais l'impulsion venait de
266 Sur Francesco Benci (1550-1 594}, voir Ch. Dejob, ouvr. dt., p. 366-367,
:nl, etc. et la Bibliotheca scriptorum S.f. opus inchoatum a RP. Ribadeneira
anno 1602, continuatum a RP. Philippo A/egambe, usquead annum 1642,
recoRnitum ad annum jubilaei MDCLXXV a Nathane/e Sotwello, Romae, 1676,
p. 214-216. La première édition de la seconde série des Orationes de Muret,
qui se trouve à la B.N., est l'œuvre de Francesco Benci: M.A. Mureli ... Ora-
liones, episto/ae, hymnique sa cri, editio nova, Ingolstadii, ex off. Davidis Sar-
torii, 1592. Le premier volume contient 26 oraliones éditées du vivant de
Muret, et avait été dédié par Muret lui-même à Scipion Gonzague. Le second
volume posthume, dédié par F. Benci au même Scipion Gonzague, contient
18 orationes, dont celles que nous commentons, consacrées à Tacite et aux
Epîtres de Cicéron. Le nombre des éditions françaises des œuvres de Mllret
est impressionnant. Mentionnons seulement les deux éditions rouennaises. Des
Préaulx, 1607,907 p. (B.N. X. 18055) et T. Doire, 1613,2 vol., 758 p. (X 18058-
18J59). Elles reproduisent l'édition d'Ingolstadt.
267 Sur P.]. Perpinien (1530-1566), voir Southwell, ouvr. dt., p. 677. Sur
les relations entre Paul Manuce et le Collège romain, voir R. Villoslada, Storia
de/ Collegio romano, Rome, 1954, p. 59-62. Sur les relations de Perpinien et
de Manuce, voir Francisci Vavassoris Societate jesu multiplex et varia poesis,
Parisiis, Vve. CI. Thiboust, 1683, p. 170-180, Petri joannis Perpiniani s.j. ali-
quot episto/ae (à P. Manuce).
268 Le Fondo gesuitico de la Biblioteca Nazionale de Rome contient d'abon-
dantes épaves des Archives du Collegio Romano, expulsé de son siège par le
gOllloernement de Victor Emmanuel 1er en 1871. Parmi ces épaves se trouvent
un grand nombre de cours de rhétorique manuscrits que leur graphie et leur
style datent du XVII' siècle. Une étude de ces cours ou fragments de cours
serait de la plus haute importance pour notre connaissance de la culture
romaine contemporaine du Bernin, de Poussin et de Mascardi. Malheureuse-
ment, le caractère fragmentaire de ces reliques rend leur étude difficile. Voir
notre bibliographie, Sources, Biblioteca nazionale, Rome.
FRANCESCO BENCI 177
les Donati et les Guiniggi 269 nfettront tout leur laient d'orateurs et de
stylistes latins dans leur enseignement. Sur la question du cicéronianisme,
la position du P. Benci dans cette pro/usio apparaît à la fois très claire et
très complexe. Elle est claire dans la mesure où il n'est nulle part question
d'imiter superstitieusement les verba, si dorés soient-ils, de Cicéron. Cha-
que élève doit se forger sa propre voie vers l'Idée du grand style oratoire,
dont la définition reste générique et susceptible d'un grand nombre
d'interprétations personnelles. Toutefois, le P. Benci ne reprend pas à son
compte les audaces de Paul Manuce, qui, interprétant Longin, préférait
un défaut d'art accompagné d'une nature douée, plutôt qu'une nature
~térile avec beaucoup d'art. Dans la triade Natura, Ars, Exercitatio, le
prudent jésuite préfère ne pas insister devant ses élèves sur le premier
terme, et mettre l'accent sur les deux derniers. La nature, à ses yeux,
n'est pas un donné, mais la récompense d'une ascèse. On ne la retrouve
dans sa splendeur originelle, avec l'Idée du meilleur style, qu'au bout
d'une quête libérant la Beauté enfouie de sa gangue terrestre. Pour lui,
comme pour Bembo, la nature est moins au départ qu'à l'arrivée:
Personne ne naît artiste, s'écrie-t-i1, mais il convient de se développer
par l'effort et le travail, l'exercice quotidien consacré à polir jusqu'à la
perfection la forme de son style, si bien qu'en définitive l'art lui-mêmc
devienne nature.
•
••
Liée à la Ratio, toute une gamme d'ouvrages vient contribuer à sa
mise en œUvre et à son exégèse. C'est le cas des beaux «manuels» du
•
••
Jésuite ligueur, longtemps associe aux guerres civiles françaises,
Possevin apporte à Rome ce que l'on pourrait appeler « l'esprit du
front >'. Mais après la conversion d'Henri IV, la situation politique et
religieuse en Europe tend à se stabiliser au profit de l'Eglise romaine,
et la tension de la croisade catholique, en particulier à Rome, semble
diminuer. En 1607, les Jésuites remportent sur le plan doctrinal un succès
•
••
La prétention, sensible chez Possevin, d'accorder au prêtre « réformé »,
détenteur du magistère de la Parole divine, une autorité critique sur
l'éloquence profane, n'est pas le privilège des Jésuites. Elle découlait
logiquement de la hiérarchisation, si bien orchestrée dans la Sylva loco-
rum de Louis de Grenade, entre les « sources» sacrées et les « sources»
profanes de l'éloquence, et de la supériorité de l'Orateur sacré sur ses
COllègues laïcs. A cet égard, l'œuvre de Louis Carbone, professeur de
théologie à Pérouse, annonce l'éclosion des rhétoriques jésuites du
287 Préface au lecteur: Deinde, ... hic meus labor non soil/m ... sed eliam
profanis or%~~ribus el omnibus eloquentiae comparandae studiosis usui fuisse
po/ait. C'est la première fois, il notre connaissance, qu'une rhétorique ecclé-
siastique nivelle à tel point éloquence sacrée et éloquence profane.
288 On retrouve chez Louis Carbone les thèses de Marc Antoine Natta (voir
note 162) sur l'infériorité littéraire des Ecritures saintes. Deus permisit, écrit
notre auteur, ut sui scriptores in/erdum minorem curam haberent verborum,
ut nos de ceret majorem rerllm et veritatis, quam verborum et collcinnitatis
habendam esse ra/ionem ... Et sane, divini spiritll libertatem non decebat ut
penitus humanae eloquentiae legibus inservire/. Mais ce qui était vrai des
auteurs inspirés, ne l'est plus pour les modernes prédicateurs, qui doivent
posséder à fond les règles de leur art. Celui-ci doit toutefois rester dans les
limites d'une éthique chrétienne.
289 Ibid., p. 8: pour incarner la beauté vertueuse dl! discours chrétien,
Carbone déclare: ejusmodi erit, si veluli Es/her ad gloriam Dei ejusque populi
incolumitalem suae ([ormae) ornabit. On se souvient (voir note 281) que
Posscvin faisait de Judith, trompant Holopherne et l'égorgeant, l'allégorie de
l'éloquence militante. Le glissement de la véhémence vers la douceur est très
sen~ible dans ce changement d'héroïne. Des textes comme ceux-ci nous rap-
pellent que pour les hommes du xv Il' siècle, les figures féminines de l'histoire
sainte et profane seront souvent des allégories, et des allégories de l'Eloquence.
L'interprétation des personnages féminins de Corneille, et même de Hacine,
doit en tenir compte. Voir à ce sujet nos études sur les tragédies latines du
Jésuite Stefonio (Bull. Ass. Guillaume Budé, et Les Fêles de la Renaissance,
t. Ill) et sur l'allégorisme dans la critique littéraire (Actes du Colloque Critique
et Créa/ion littéraires au XVII' siècle, Paris, C.N.R.S., 1977, p. 453-472).
LOUIS CARBONE 185
nes. Même doctrine, chez les scolastiques et chez les Pères: mais les uns,
à l'état de vérité nue, chez les autres parée de variété, munie d'armes,
«telle que les Anciens peignirent Minerve, Déesse de la Sagesse» 290.
Sous cette forme, la vérité pénètre mieux dans l'esprit des foules (ad
populum efficacior).
D'un côté la Sophistique coupable, la Grande Prostituée de l'Apoca-
Iypse; de l'autre l'Eloquence innocente et chrétienne, qui réconcilie
voluptas et virtus. Il en va de même pour la poésie: Mantuano, Vida,
Sannazar, après Prudence, ont lavé les Muses impures des Gentils dans
les eaux du Jourdain 291, et rendu possible une Poésie innocente et chré-
tienne. Le discours chrétien peut donc recourir à l'ornement, au même
titre que les Temples du Seigneur aux vases sacrés et statues. Dans les
deux cas, le principe de l'aptum, de la convenance avec la sainteté des
choses divines, doit être respecté.
POllr Louis Carbone, !'éloquence chrétienne est donc une conquête
perpétuelle sur sa rivale, l'éloquence païenne et sophistique. Elle ne doit
pas lui être inférieure en beauté: traitant d'une manière divine, chaste,
saine, pure, claire 292, elle est l'ennemie de la grossièreté, de la rusticité
et de la négligence paresseuse. Mais elle refuse de recourir aux moyens
captieux et sensuels de l'asianisme. Le genre et le style épidictiques qui
font étalage de fleurs, de bijoux, de fards, lui sont étrangers. Elle ne
porte pas de masque et montre avec candeur son visage. Difficile colla-
boration entre l'inspiration divine, et le sens du naturel 293, pour plaire
sans séduire et assaisonner juste assez pour rendre les mets agréables au
goût (apte ad gustandum), sans délectation désordonnée .
•
••
Avec Carbone, la Rhétorique sacrée prend conscience d'avoir fait
lenaitre une esthétique chrétienne, qui peut guider non seulement le pré-
dicateur, mais l'écrivain profane. Les Jésuites, qui formaient dans leurs
Collèges aussi bien de jeunes laïcs que de jeunes lévites, et qui avaient
calculé leur Ratio s1udiorum en fonction de cette double finalité, n'allaient
pas tarder à tirer le plus grand parti de cette découverte. Mais ils vont
interpréter le magistère proprement critique conquis par le prêtre ~ réfor-
mé» dans un sens beaucoup plus conciliateur que celui que nous ren-
controns chez Louis Carbone.
A peu d'années de distance, en 1612 et 1617, deux professeurs de
rhétorique du Collège Romain, le P. Carlo Reggio et le P. Famiano St rada
publient, l'un son Drator Christianus, l'autre ses Prolusiones Academicae.
Beau diptyque, dont un panneau traitait l'éloquence sacrée et l'autre
l'éloquence profane. Mais entre eux, un point commun: la référence privi-
légiée à Cicéron. Comme pour unifier la double vocation de la pédagogie
jésuite et pour manifester le magistère universel de l'Ordre sur l'ensemhle
de la culture catholique, ce cicéronianisme dévot est contraint à un double
et délicat sacrifice: le P. Reggio incline l'éloquence sacrée vers la tradi-
tion du cicéronianisrne italien et assourdit quelque peu les références
augustiniennes, propres aux rhètoriques sacrées; le P. Strada, se posant
en législateur des lettres profanes, est plus discret encore: le De Doctrina
Christiana n'est plus présent qu'à titre de «traces» esthétiques dans sa
doctrine oratoire.
•••
En 1612, le P. Carlo Reggio publie à Rome un fort in-quarto intitulé
Drator Christianus 294 qui est à coup sûr la plus vaste rhétorique ecclé-
siastique publiée jusque là, avant que les Jésuites français, le P. Caussin
et le P. de Cressolles, quelques années plus tard, ne fassent plus long et
plus abondant encore. L'ouvrage était dédié à saint Paul en personne.
295 Orator christianus, 1. V. ch. IV, Quanam sil vera et falsa eloqllenfia.
Le P. Reggio identifie la position des adeptes du style floridus et comptus,
propre au sophista et au coquinarills rhefor, à celle de Marcus Aper dans le
Dialogue des Orateurs. Les développements qui suivent se trouvent au ch. V.
188 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE
bon goût, bien qu'il exclue les extrêmes, rugosité diatribique et faste
déclamatoire, n'est pas étroit: il dépend du jugement de l'orateur, formé
par la culture.
Ainsi apparaît un nouveau decorum de l'art d'Eglise moins tendu,
moins anxieux, moins austère, plus accueillant aux riches ressources de
l'art oratoire antique, et plus acceptable par une société profane tournée
désormais vers le luxe et vers la paix .
•
••
Ce sens d'un équilibre difficile et délicat entre la finalité chrétienne
de l'éloquence et l'ornement nécessaire à sa réception, se retrouve à un
souverain degré chez le P. Famiano Strada dont les Prolusiones Acade-
micae, publiées à Rome cinq ans plus tard, en 1617, s'adressent de
préférence aux écrivains profanes 800.
L'autorité dont jouit aussitôt le livre établit celle de son auteur 801,
que son enseignement au Collège Romain avait déjà fait apprécier d'une
petite élite d'initiés, ses anciens élèves. Le bonheur du P. Strada voulut
Que l'un d'entre eux, Maffeo Barberini, devînt pape sous le nom d'Ur-
bain VIII en 1623. et qu'un autre, Muzio Vitelleschi, devînt Général des
Jésuites en 1615. Ami intime, conseiller écouté en matière de beau style
de ces deux puissances eCclésiastiques, et de tout ce qui compte dans la
Curie, le P. Strada exerce désormais à Rome un véritable pontificat
rhétorique 802, comparable seulement à celui qu'avait exercé brièvement
un Bembo sous Léon X, et qu'exercera quelques années plus tard un
Chapelain sous Richelieu.
•
••
Traité de critique cicéronienne, les Prolusiones Acadenzicae concernent
autant les lettres profanes en langue vernaculaire que les lettres néo-
latines: il s'agit en fait, complétant l'autre avec toutes les séductions de
l'urbanitas, d'une Ratio studiorum pour adultes, à l'usage d'une élite
latine de la culture et de la responsabilité, et visant à conférer au cicéro-
nianisme romain le prestige que Lipse avait cru réserver à son inzitatio
adulta d'érudit du Nord.
De la Ratio, ce livre tient son double aspect: directives négatives, ce
qu'il faut éviter; directives positives, l'idéal à poursuivre. De la Ratio,
elle tient aussi sa visée universelle: tous les ordres des Belles-Lettres
humanistes sont envisagés, genres oratoires, genres poétiques, genres dra-
matiques, genres historiques. Nous laisserons de côté la poésie et le
drame, pour nous contenter d'étudier ici la doctrine du P. Strada dans
l'ordre oratoire. En fait, celui-ci commande les autres; c'est par une
prolusio oratoria que commencent les deux premiers livres, et l'esthétique
qu'elles définissent sert de paradigme sur lequel se déclinent la poésie,
la dramaturgie et l'histoire. Nous sommes ici dans un univers où Cicéron
est roi, et la rhétorique, regina animorum, la clef du système des arts.
Dans la Prolusio prima du L. 1 307 , le P. St rada traite de l'importance
respective des trois facultés oratoires, Mémoire, Invention, Jugement. On'
se souvient du peu d'importance que revêtait l'invention dans le système
rhétorique de Cortesi et de Bembo. On attend donc avec curiosité de
savoir comment le P. Strada, qui désigne Bembo parmi les ancêtres du
cicéronianisme jésuite, va traiter cette question délicate.
Après avoir fait allusion à de modernes asianistes, qui croient pouvoir
attribuer la responsabilité de l'éloquence à la seule imagination, ou à des
cicéroniens scolaires qui veulent privilégier la seule mémoire, le distingué
Jésuite rappelle les uns et les autres au respect de «la fine pointe de
l'intelligence et de la raison, organe majeur de la royauté de l'âme»
(intelligentiae et rationis acumen, hoc est princeps dominantis animi pars)
et de la saine doctrine d'union de la Sagesse et de l'Eloquence, fondée par
Socrate et restaurée par Cicéron.
Sur ce rappel des bons principes, le P. Strada s'engage alors vraiment
dans son sujet. Et il apparaît alors clairement que son véritable propos
est de saper l'influence du Juste Lipse de l'lnstitulio epistolica, et de tous
***
Qu'est-ce donc que cet ingenium, privilège de ces ingeniosi qui se
veulrnt l'élite des hommes? Le P. Strada, de façon caractéristique, le
définit moins dans ses sources et son essence que dans ses effets: la
réussite oratoire en toutes circonstances. Ainsi affilié au Grand Œuvre
cicéronien de persuasion oratoire, l'ingenium peut être accueilli par le
P. Strada comme un des principes de la Parole. Les trois finalités de
l'éloquence exigent en effet de l'ingenium: le doeere exige l'invention
308 Ibid., p. 31
FAMIANO STRADA 195
309 Ibid., p. 33. Cette prudence, cette sagacitas judicii, serait inutile si
l'on pouvait s'en remettre à des règles fixes, en faisant ahstraction de la variété
des talents et de la multiplicité du monde. «Mais comme le nombre et la muta-
bilité des choses n'ont pas de limites, comme la variété des rôles ne peut être
enfermée dans une quelconque classification, comme la houle du temps n'admet
pas toujours la même conduite, comme les mœurs humaines sont variables et
même se contredisent d'une heure à l'autre, il faut que l'industrie de l'Orateur
se tienne en éveil, et observe attentivement même les plus minces détails de
ce qui l'entoure, qu'il ne néglige rien et qu'il ait des yeux de tous côtés. »
310 Ces pages du P. St rada sont une variation sur les thèmes du De Oratore
que nous avons analysés plus haut. Les orateurs sont la Philosophie en action,
ce sont des «Prométhées» qui maintiennent le feu divin parmi les tempêtes
humaines (p. 34).
311 La péroraison du P. St rada s'achève sur l'identification de l'orateur à
Ulysse, p. 37. C'est bien a:.J rusé Ulysse, mais dans un sens cette fois très
péjoratif, que les ennemis de la Compagnie comparent le «sophiste loyoli-
tique ». Voir par exemple ).-A. de Thou, préface à l'Historia sui temports.
196 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE
•••
Dans la Prolusio prima du L. II 812, le P. St rada s'attaque cette fois à
la doctrine stylistique des «ingénieux» atticistes et anticicéroniens. Ici
encore, quoique d'un autre point de vue, celui de l'elocutio. il vise avant
tout sans la nommer l'lnstitutio de Lipse. Il se refuse à admettre la réduc-
tion de l'éloquence à un seul style, et réaffirme avec vigueur, sous le voile
d'une allégorie homérique, la doctrine cicéronienne de la tripertita
varie tas :
Pour ma part, je trouve chez Homère les trois modes de l'Eloquence
signifiés dans les trois héros, Ménélas, Nestor et Ulysse; au premier, le
poète donne une expression brève, prompte et sans rien de superflu; il
dit du second que de sa bouche jaillit un discours plus doux que le
miel: au troisième, il attribue une éloquence capable d'échauffer les âr.1e.'
comme des neiges d'hiver, à la fois abondante et impétueuse. Je reconnais
là non seulement trois personnages de l'Iliade, ce théâtre du bien dire
et du bien écrire (n'est-il pas évident que les trois styles, le bas, le
médiocre et le sublime sont évoqués dans ces trois héros homériques?)
mi!Ïs j'observe des signes particuliers, et comme des traits du visage, qui
disti!'guent Ulysse de Ménélas, et celui-ci de Nestor, comme l'Orateur de
l'Historien, et le Poète de l'un et de l'autre 3\3.
312 P.A. éd. cit p. 185-210; elle est intitulée: De stylo oratorio: et an
aC/lmina dictorum vellicantesque sententiae Oratoribus usurpanda sint.
313 P.A. éd. cit. p. 188-189.
314 Posthumae Bernardini Stephonii epistolae, eum egregio tracfatu de
triplici stylo, Romae, sumpt. Tinassii, 1677, in-32°, 292 p. Le P. Stefonio, long-
temps régent de rhétorique au Collège romain, fut le plus grand dramaturge
de la Société de Jésus. Voir nos études sur son œuvre dramatique dans les
Fêtes de la Renaissance, Paris, C.N.R.S., 1974, p. 505-524, et dans Actes du
Colloque Guillaume Budé, Paris, Belles Lettres, 1974, p. 399-412.
fAMIANO STRADA \97
par Cicéron genus grande ou gentls grave, et que le P. Strada, pénétré
aussi de Longin, appelle genus sublime.
On peut s'étonner que le P. Strada, à tant d'égards l'héritier de Pietro
Bembo, revienne à la friperfifa variefas que l'auteur de l'Episfola de
Imitafione passait sous le silence pour exalter l'Unité du Beau et le seul
Tullianus sfylus, reflet de cette unique beauté. On peut aussi s'étonner
que, se posant en continuateur de Marc Antoine Muret, il rende à l'élo-
quence orale le rôle de norme et résumé de tout discours: Muret, on l'a
vu, faisait du genre écrit de la lettre (comme c'était d'ailleurs déjà le cas
chez Bembo) la norme et le résumé de l'éloquence profane moderne.
Entre Bembo et le P. Strada, il y a eu la floraison des rhétoriques
ecclésiastiques, et la Renaissance de l'éloquence sacrée. Et la différence
entre le P. Strada et Muret, c'est que le second, dans ses Orationes
finales, excluait de sa méditation l'éloquence de la chaire pour étudier le
statut de l'éloquence profane, ayant son ordre à part dans les sociétés
monarchiques modernes; tandis que le premier, pour légiférer sur l'élo-
quence profane, ne peut se passer du prestige que confère au prêtre
« réformé» le sacerdoce de la Parole. Faire de l'éloquence orale (la seule
qui subsiste en régime monarchique est l'éloquence sacrée) le sommet et
la norme de toute la hiérarchie rhétorique, c'est pour notre Jésuite, et
pour son Institut, le seul moyen d'exercer, au nom de cette supériorité
uratoire, un magistère d'arbitrage critique et de tutelle sur les lettres
profanes. Pour le P. Strada, l'Histoire, la Poésie, et la prose profanes ont
pour régente la Rhétorique ecclésiastique. Avec délicatesse, sans crier
gare, il a introduit au cœur de la discussion sur le style le genus sublime
qui, nous en aurons d'autres preuves, est pour lui le privilège du Praedi-
cator Verbi Dei.
Si l'on rapproche ce glissement subtil de celui qu'opérait cinq ans plus
tôt le P. Reggio dans son Orator christianus, on obtient une betle défi-
nition de ce que l'on a appelé le Baroque romain: l'imprégnation de l'art
profane par les catégories de la rhétorique ecclésiastique, en même femps
que l'évolution de celle-ci vers le style « agréable, élégant, fleuri» et le
cicéronianisme dévot du P. Reggio. Le ciel s'incline avec bienveillance vers
la terre, et en échange la terre doit s'efforcer de refléter le Ciel.
*
**
plaît aux aspérités et aux dissonances 815. La seconde famille nous inté-
resse ici davantage, puisqu'il s'agit des écrivains de l'école de Giambat-
tista Marino, la pointe la plus profane des Lettres italiennes d'alors. Sans
jeter l'anathème sur ces poètes de la délectation, disciples modernes de
l'alexandrinisme d'Ovide et de Nonnos, le P. St rada les traite néanmoins
de haut, avec l'indulgence du magister qui sait reprendre avec douceur.
Leurs défauts sont inverses de ceux des érudits: imaginatifs, ils déploient
un feu d'artifice d'esprit, ils parsèment leur prose et leurs vers de pointes
brillantes, ils s'attachent à séduire leur lecteur par la suavité, à l'éblouir
par la virtuosité. Ces asianistes méridionaux font pendant aux atticistes
rugueux du Nord dans une belle symétrie des extrêmes qui révèle, par
un double symptôme, la même décadence de l'Eloquence. Point d'indigna-
tion toutefois chez notre Maestro di retforica: les atticistes nouveaux
ne sont point sans mérite, leur langue est pure et chaste, et ils ajoutent
à cette pureté l'aiguillon du raisonnement; mais à force de contention,
ils tombent dans une sévérité et une tristesse qui, non sans analogie avec
la sécheresse épineuse du modus scllOiasticus, sont plus séantes à la
philosophie qu'à l'éloquence. Quant aux asianistes nouveaux, leur heu-
reuse fécondité, au contraire, rayonne, étincelle, étonne, et emporte l'admi-
ration de leur auditoire. Malheureusement, cette volubilité mélodieuse
sonne creux: elle peut plaire à la foule ignorante, aucune solidité morale
ne soutient en dernière analyse, cette surface chatoyante et captieuse de
mots. Or Cicéron lui-même a prononcé qu'il préférait encore une sagesse
m<:igre, et peu éloquente, à une loquacité abondante et vide.
Et le P. Strada de se lancer, entouré par ses interlocuteurs de la Villa
Matraria, dans une disputatio en règle sur le problème des acumina
asianistes (pointes, ou concetti), frères ennemis des sententiae (traits,
pensées) chères aux « atticistes » du Nord 316. La conclusion, qui ne sau-
rait surprendre de la part de Cicero redivivus condamne le marinisme
italien avec une sévérité qui n'a rien à envier à celle de Boileau contre le
« clinquant» et le «faux-brillant ». Les amateurs de concetti sont com-
parés à des marchands à la criée, qui lassent le chaland à force de vouloir
l'éblouir 817.
Il ne faudrait donc pas croire que le P. Strada disserte dans l'abstrait.
Ses catégories critiques, même si elles dédaignent toute référence précise
à l'actualité des lettres contemporaines, décrivent assez finement les
orientations de l'esthétique oratoire italienne, voire européenne, de cette
période. Le seul auteur moderne qui ait consenti à prendre le P. Strada
au sérieux, Ezio Raimondi, l'a montré de façon convaincante 318. Ces caté-
gories critiques étaient si justes qu'elles conservèrent toute leur valeur
315 Ibid., p. 191. «Ils pensent que leur composition est virile et énergique,
si elle heurte l'oreille par ses ruptures de rythme.»
316 ibid., p. 195. Après le genus severum et triste, le genus liberalius, splen-
dide, hi/arius: celui-ci pèche par un excès d'orna/us, de peracutis sen/entiis.
317 Ibid., p. 204.
318 Raimondi, Ana/omie seicentesche, ouvr. cit. Cv. note 301).
FAMIANO ST RADA 199
319 Sur Virgilio Malvezzi. voir plus loin. Son premier ouvrage, les Discorsi
sopra Cornelio Tacifo furent publiés à Venise en 1622. Ils appartiennent à la
veine « lipsienne» de l'éloquence catholique, que le P. Strada connaît fort
bien, et où il voit un excès atticiste, moins grave toutefois que l'excès inverse,
asianiste et mariniste.
321) Sur Pier Francesco Minozzi et Giov. Battista Manzini, voir plus loin.
Le premier publie son recueil Delle libidini dell'ingegno à Milan en 1636. Le
second publie ses Furori della gioventù, esercitii rhetorici à Rome en 1633.
Tous deux apparti<mnent à la veine « asianiste» et mariniste de la prose ita-
lienne, que le P. Strada avait vu poindre avec Panigarola et Marino. Mais
ces jeunes sophistes admirent aussi Malvezzi. Le théoricien de cette sophistique
profane sera l'ex-jésuite Emmanuele Tesauro.
321 P.A., éd. cit. p. 204.
322 P.A.. éd. cit. p. 208-209.
200 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE
325 Une grande partie du sel de ce passage du P. Strada, une fois reconnus
dans les effets de l'Optimus stylus ceux des Orationes de Christi domini morte,
vient du fait qu'il est une réponse implicite à la longue et sévère critique
qu'Erasme avait faite, dans le Ciceronianus, de l'éloquence sacrée cicéronienne
(Mesnard, p. 300-303).
202 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE
•••
Aussitôt monté sur le trône de Pierre, Maffeo Barberini ne déçut pas
ses amis. Dans son rôle de mécène des lettres et des arts humanistes, le
pape florentin fut secondé par ses neveux Francesco et Antonio, le pre-
mier surtout. Antonio était probablement, comme son oncle, ancien élève
des Jésuites romains 329.
Un des premiers soucis des Barberini fut d'honorer ou d'attirer à
Rome tout ce que l'Italie et l'Europe pouvait compter d'ingegni, dans
l'ordre de l'érudition et du beau style. On nomme secrétaire aux Brefs
le poète Giovanni Ciampoli. On nomme Maître de la Chambre pontificale
le poète Virginio Cesarini, un des principaux membres de l'Académie des
Lincei. Le cardinal Francesco fit venir à Rome, sur la recommandation de
Peiresc, l'érudit Lucas Holstenius, et il nomma un des plus remarquables
écrivains de l'époque, Agostino Mascardi, professeur d'éloquence à la
Sapienza.
Dès son élection, le Pape créa une Congrégation pour la réforme du
Bréviaire romain, où il fit entrer trois des plus brillants professeurs de
rhétorique jésuite à Rome, le P. St rada, le P. Galluzzi, et le P. Pelrucci.
Aidés par le Pape en personne, ils cicéronianisèrent avec goût les
hymnes du Bréviaire, dans un esprit de respect pour ces textes vénérables.
Nous avons du mal à nous représenter aujourd'hui ce que fut une cour
d'Ancien Régime 330. A la fois Olympe social, dont tous les rites tendent
à distinguer les élus du vulgaire, et résumé du «Monde », au sens péjo-
ratif et chrétien, où les passions les plus cruelles sont à la fois contenues
et stimulées par la passion de paraître. Mais de toutes les cours, celle de
Rome fut à coup sûr un des alambics les plus étonnants d'humanité civi-
lisée. Elle connut au XVII' siècle, sous Urbain VIII, une sorte d'acmê.
Toute cour est un prodige d'artifice. Mais la cour sacerdotale romaine,
entièrement masculine, ayant pour langue officielle le latin, langue morte,
langue sacrée, langue savante, est infiniment plus éloignée de la «Na-
ture:& et de l'Arcadie pastorale que n'importe quelle autre cour profane.
Elle conjugue les traits accoutumés d'une cour monarchique, où politi-
329 Maffeo Barberini avait été élève du Collège Romain (Pastor, Storia dei
Papi, éd. cit. t. 13. p. 248). Sur Francesco et Antonio, les cardinaux-neveux,
voir Dizionario biogralico, t. 6, p. 172 (Francesco avait été formé par l'Uni-
versité de Pise) et p. 166 (Antonio né et éle\'é à Rome, organisateur des fêtes
du centenaire de la Compagnie de Jésus, a certainement été un élève du
Collège romain; son goût pour le théâtre en est un autre indice).
330 Voir l'ouvrage de Norbert Elias, La société de Cour, Paris, Ca!mann-
Lévy, 1974, et surtout dans The Courts 01 Europe, ed. by A.G. Dickens, Londres,
Thames and Hudson, 1977, p. 233 et suiv., Jlldith A. Hook, « Urban VIII, the
paradox of a spiritual monarchy».
AEDES BARBERINAE 205
que, diplomatie et vie pnvee sont intimement mêlées, avec ceux d'une
académie humaniste, ses fêtes oratoires, théâtrales et musicales, ses
préoccupations littéraires et érudites, et avec ceux d'un couvent, ouvert
sans doute plus que d'autres aux visites et au brouhaha du monde,
mais dont l'existence est rythmée en définitive par les rites de la journée
ei de l'année chrétiennes. Activités 'politiques et diplomatiques, exercices
de piété, délassements doctes y coexistent en une synthèse d'une saveur
unique, où les contradictions de la vie chrétienne dans le monde sont
érigées en principe de société.
Les aspects humanistes et académiques de la vie de cour à Rome
n'ont pas seulement des finalités de prestige, tournées vers l'extérieur.
Divertissement aux charges de plus en plus lourdes du pouvoir, délasse-
ment aux mélancolies de la prière et de la vie de piété, ils servent d'atté-
nuation esthétique aux tensions cachées de cet étrange rassemblement de
célibataires doctes.
La rhétorique, comme art de plaire, encore plus que comme art de
persuader, est chez elle à la Cour de Rome, où de toutes façons la langue
latine exige de chacun des dignitaires une formation oratoire savante.
Les prédications comme les Orationes de Christi domini morte, y sont
aussi des chefs-d'œuvre d'art oratoire « démonstratif ». Et ,'art de l'éloge
y trouve encore à s'exercer sur la personne du Souverain Pontife et de sa
famille.
Cette encomiastique pontificale, qui renouvelle le cicéronianisme auli-
que condamné par Erasm~ en 1528, trouve son chef-d'œuvre dans un des
plus beaux « livres d'art" du XVIIe siècle, les Aedes Barberinae du Comte
Teti, publié à Rome en 1641 831 • Cet ouvrage nous introduit au cœur de
l'académisme ecclésiastique romain, et des pompes oratoires par lesquelles
il voile aux yeux du monde extérieur, et se rend supportables à lui
même les conflits inhérents à une culture humaniste et chrétienne, à un
pouvoir politique et religieux. Il y a une part de jeu dans ce bel exercice
de flatterie: mais ce jeu même est une pièce essentielle, et en un sens
fort sérieuse, de l'équilibre délicat d'une société de cour.
Dédié aux petits-neveux du Pontife, les fils du Prae/eetus Urbis
Taddeo Barberini, l'ouvrage accompagne ses hypotyposes de superbes
planches gravées, signées des plus grands noms de l'art romain d'alors.
Il est suivi d'un recueil de poésies latines et italiennes intitulé Purpurei
Cycni, guirlande d'éloges offerte au pape par les cardinaux italiens de
la Curie. L'ensemble constitue une modèle de cette éloquence «démons-
•
••
Au moment où paraît l'ouvrage du comte Teti, la politique de la
Curie romaine s'efforce plus que jamais, et non sans oscillations, de tenir
la balance égale entre la France et l'Espagne en guerre 343. Si le cardinal
•••
Les Aedes Barberinae trahissent en fait une influence française, mais
qui n'a rien de commun avec le classicisme académique selon Conrart et
Chapelain. Sous le vernis cicéronien (qui se limite en fait à la delecfio
verborum) ce livre cache mal ses inspirateurs véritables, les Tableaux
de Philostrate 344 et l'imitation q\l'en avait faite Marino dans sa Gale-
ria 345. La molle suavité du style périodique, l'abondance des descriptions
nistes. Sur ce dernier point, voir dans C. Rizza, Peiresc e [,/falia, Torino,
Giappichelli, 1965, l'étude sur la correspondance Peiresc-Francesco Barberini.
Sur l'aspect diplomatique des relations entre la Cour barberinienne et la cour
de France, voir A. Leman, Richelieu et Olivarès, Lille, Facultés catholiques,
1938 (Sorb. L 209 (49), 8') et Urbain V/II et la rivalité de la France et de la
Maison d'Autriche, Lille-Paris, 1919 (Sorb. Hf uf 81 a (892), 8'). Les efforts
de la Cour papale, et surtout du cardinal Francesco, tendent à réconcilier les
deux grandes nations catholiques; le cardinal Antonio est nommé co-pro-
tecteur de la France à Rome en 1634; et en 1641, année où paraît le livre du
comte Teti, deux ans après la victoire de Brisach sur les Impériaux, Rome
ménage plus que jamais Paris, sans pour autant chercher à faire de la peine
à Philippe IV et Olivarès.
344 Le succès de Philostrate (ou plutôt des Philostrate) semble bien avoir
pour origine la traduction par Blaise de Vigenère des Images ou tableaux de
platte peinture dont la première édition parue à Paris, chez N. Chesneau, en
1578, connaît de nombreuses rééditions, et en particulier celle, in-folio et super-
bement illustrée, procurée par Thomas Artus, sieur d'Embry, à Paris, Vve Abel
l'An~ellier, 1614. Nous reviendrons au chapitre suivant sur ce livre, qui méri-
terait à lui seul une étude, au titre de rhétorique «maniériste ~ dont l'influence
européenne fut immense.
345 G.B. Marino, La Galeria, Venise, 1619. V.G. Ferrero, Marino e i mari-
nisti, Riccardo Ricciardi, Milano-Napoli, 1954, p. 9, p. 573 et suiv. De ce
volume sont curieusement exclus les Dicerie sacre et les prosateurs marinistes,
dont l'influence en France ne semble pas avoir retenu l'attention des chercheurs.
L'ASIANISME OVIDIEN : MARINO 213
3~4 La seconde sophistique est avant tout marquée par le triomphe du genre
épidictique, et donc du «style moyen» qui correspond au mode de l'éloge.
V. outre la bibliographie de la note 346, Vincenz Buchheit, Untersuchungen zur
Theorie des Genos epideiktikos, von Gorgias bis Aristote/es, Miinchen, M. Hue-
ber, 1950. On étudiera au chapitre suivant la place du genre épidictique dans
les rhétoriques jésuites sous Louis XIII en France.
3~~ Sur ces &ux œuvres de Juste Lipse, voir Jean Jehasse, ouvr. cit. L'ex-
posé des «bienfaits et miracles" de la Vierge de Halle et de celle de Montaigu
est fait par Lipse à la première personne, et sur ce ton d'enthousiasme convenu,
qu'on dirait presque forcé, qui est caractéristique des Discours sacrés d'Aris-
tide. Nous laissons aux spécialistes de Upse le soin de confirmer cette intui-
tion.
L'ATTICISME SÈNÈQUIEN: MALVEZZI 217
sacrés dédiés à Asclépios 356. C'est encore au rhéteur grec du II' siècle
qu'il faut songer comme modèle pour le De magnitudine romana de Lipse,
qui rappelle étrangement le chef-d'œuvre d'Aristide, le Discours «A la
gloire de Rome» 357.
Cette version « atticiste» du style moderne trouva en Espagne, terre
aristocratique par excellence, patrie de Sénèque et de Lucain, d'illustres
et nombreux adeptes au XVII' siècle. En Italie, il trouve au début du
XVIIe siècle un interprète de premier ordre, le marquis Virgilio Mal-
vezzi 358. Tout destinait celui-ci à servir d'antithèse à Gambattista Marino.
De haute noblesse, il appartenait à une famille traditionnellement liée à
l'Espagne et à une ville, Bologne, où un cercle de « sénéquiens» entre-
tenait une atmosphère intellectuelle insolite en Italie. Tandis que le napo-
litain Marino connut à Paris son acmê de sophiste de cour 359, c'est à
356 Sur les Discours sacrés d'Aelius Aristide, voir A. Boulanger, ouvr. cit.,
p. 162 et suiv. Dans ce «recueil d'évidences divines », le sophiste grec se
prend lni-même pour exemple et témoin des bienfaits, et des miracles du Dieu
sauveur, Asklépios, et des merveilles de son sanctuaire, à Ephèse.
351 Justi Lipsi Admiranda sive de Magnitudine romana, libri quattuor,
Parisiis, Apud Robertum Nivelle, 1598 (v. J. Jehasse, ouvr. cit., t. Il, p. 431 et
suiv.). juste Lipse y cite par deux fois (p. 193 et 196) le Panégyrique de Rome
d'Aelius Aristide. La comparaison entre les deux œuvres serait du plus vif
ir:térêt pour mettre en évidence le style de l'éloge tel que le conçoit juste Lipse,
où les Figurae d'Aristide sont remplacées par des citations d'autorités, telles
que Tacite, Sénèque, Dion Cassius, etc. Aristide célèbre l'Empire romain tcl
qu'il l'a sous les yeux, tandis que juste Upse plaide la cause de la civilisation
impériale, qu'il oppose à noslra Europa misera, quae jaclalur assiduis bellis
lIul dissidiis, du fait de l'absence d'un principe unificateur. Son Œllvre a donc
I.!ne portée polémique (contre la Cité de Dieu de saint Augustin, en particulier)
et apologétique, qui suppose un effort d'érudition, de remontée aux sources.
Mais l'enthousiasme de l'érudit moderne, stimulé par la nostalgie, n'a rien il
envier à celui du rhéteur du II' siècle.
353 Sur Virgilio Malvezzi (1595-1654), voir Benedetto Croce, Nuovi saggi
sulla lefteralura italiana deI Seicenlo, Bari, Laterza, 1931, p. 95-109, Sloria dell'
età barocca in Italia, Bari, Laterza, 1930. Voir Lettres de Chapelain à Spanheim
(1659), dans Tamizey de Larroque, Paris, 1883, t. Il, p. 75 et p. -15. Voir
enfin et surtout Ezio Raimondi, Lelteralura barocca, ouvr. cit., ch. Pole mica
inlorno alla prosa bar oc ca, p. 175-248. Sa première œuvre: les Discorsi sopra
Cornelio Taci/o, Venise, M. 'Ginami, 1622. Dans l'épître aux lecteurs, Mal-
vezzi développe les thèmes posés par Muret dans son Oratio Xln : autre-
fois, dit-il, au temps des Républiques italiennes, on discourait sur Tite Live;
maintenant, au temps des Princes, leur nature, l'astuce de leurs Courtisans,
s'apprennent chez Tacite. Comme Muret, Malvezzi insiste sur le fait que Tacite
a vécu sous Trajan et Nerva, optimi principes, et que ses peintures noires
étaient destinées à empêcher le retour des Nérons et des Tibères. L'effet de
l'histoire selon Tacite est donc, comme la tragédie selon Aristote, la purgation
des pas3ions, mais celles des princes, non celles du peuple. L'ouvrage s'inspire
de Justi Lipsii Liber commenlarius ad Comelli Taciti Annales, Anvers, 1581.
Entre l'ouvrage de juste Upse et celui de Virgilio Malvezzi, il faut citer un
important chaînon intermédiaire, les Discorsi sopra Cornelio Tacilo, Florence,
1594, de Scipion Ammirato.
369 Sur le séjour parisien de Marino, voir outre C.W. Cabeen, L'influence
de O.B. Marino sur la littérature française dans la première moitié du XVll'
siècle, 1904, et les travaux de Cecilia Rizza qui corrigent cette thèse ancienne,
l'ouvrage de M. Guglielminetti, Tecnica e invenzione nell'opera di O.B. Marino,
Messine-Florence, d'Anna, 1964, ch. Marino e la Francia, p. 134-205.
218 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONiENNE
Madrid, à la cour de Philippe IV, que le bol on ais Malvezzi, après avoir
combattu en Flandres, vint occuper de hautes fonctions au Conseil d'Es-
pagne; loin de lui nuire, ses proses atticistes favorisèrent sa carrière
d'homme de responsabilité; l'asianisme de Marino n'avait pu soutenir
qu'une carrière d'amuseur de cour, au reste fort bien payé. De même le
style épigrammatique et la disposition, négligente avec ostentation, des
écrits de Malvezzi ne semblèrent pas désaccordés avec le decorum du
grand seigneur d'épée: la profusion voluptueuse de l'œuvre de Marino,
trop évidemment calculée et virtuose, ne pouvait convenir qu'à un homo
novus.
Pourtant, les œuvres de Malvezzi sont elles aussi, à leur manière, des
Dicerie sacre, qui plus ouvertement que les Lettres de Lipse rivalisent avec
l'éloquence sacrée contemporaine. Un des «discours» de Malvezzi, le
Davide perseguitato 360 prend le même su}et que le Jésuite Mazarini avait
traité en une « Centurie:t de sermons 861 ; et il commence, comme un ser-
mon, par évoquer le malentendu entre Dieu et les hommes pécheurs. Le
Romulo s'achève par une prière qui n'est autre qu'une «belle infidèle»
d'un passage du Traité de l'Amour de Dieu de saint François de Sales.
Les sombres" coule'Jrs », la brièveté sentencieuse de ces sermons laïques
ne prennent tout leur sens que dans leur dédain polémique des
métaphores filées et des périodes surchargées de Marino et des prédi-
cateurs asianistes, à qui l'hidalgo italien donne des leçons de recueille-
ment religieux et de profondeur philosophique. Procédant par « saillies»
•
••
Tous les spécialistes de celle-ci s'accordent à reconnaître qu'entre
l'atticisme et l'asianisme des rhéteurs impériaux, la frontière est loin
d'être imperméable 362. Il en va de même dans l'Italie du XVIIe siècle,
où l'influence de Upse, relayée par l'œuvre de Malvezzi, se conjugue
avec celle de Marino pour faire échec à la "juste mesure» invoquée
par le P. Strada. Toute une jeunesse, formée par les Jésuites à la vir-
tuosité oratoire, loin de suivre les conseils de modération qui viennent
du Collège Romain, s'empresse, sitôt qu'elle est sortie du collège, de
publier des ouvrages qui n'auraient pas déparé une bibliothèque du
Ille siècle. Ces étranges ouvrages, qui sont un peu le « Kamtchatka» de
l'Eloquence italienne, bien qu'ils se rangent eux-mêmes sous sa bannière,
manifestent en plein jour cette c littérature à souffrance» que le magis-
tère rhétorique du P. Strada s'efforçait d'envelopper dans ses rets. En
1633, un noble vénitien, Giovan Maria Loredano, inspirateur de l'Aca-
démie des Incogniti à Venise, entre dans la carrière littéraire avec un
363 G.B. Loredano, Scherzi geniali, Venise, 1634. Mariniste fidèle, Loredano
est l'auteur d'une Vie apologétique de Marino (1633). Ses Scherzi furent traduits
sous le titre Les caprices héroïques, et dédiés à Gaston d'Orléans (paris, An!.
Robinot, 1644), par François Grenaille de Chatounières, qui décrit l'ouvrage
comme «diverses représentations des passions différentes figurées par les per-
sonnes héroïques» (Achille furieux; Agrippine calomniée; Caracalla pas-
sionné; Cicéron mécontent; Enone jalouse; Lucrèce forcée, Marc Antoine
éloquent; Poppea suppliante; Se jan us disgracié; Sénèque prudent; Sysigambe
consolante; Alexandre repentant; Annibal invincible; Cirus magnanime: Cur-
tius repris; Hélène affligée; Germanicus trahi; Friné dissolue). Quatre
" scherzi» (Pyrrhus, Roxane, Théogène et Xénocrate) n'ont pas été traduits.
364 Gim·anr.i Battista Manzini, 1 Furori della gioventù, esercitii relorici,
Roma, F. de Ro~;si, 1633, 12'. Traduit par Georges de Scudéry, Les Harangues
ou Disco1lrs Académiques de Jean Baptiste Manzini, Paris, Corbin, 1642.
365 Les FurorÎ della giovelltù contiennent quatorze discours dans le plus
« orné» des styles épidictiques: deux sont des descriptions de fêtes (Le
Glorie della Notte et Oli Otii dei Carnevale), les douze autres sont des proso-
popées de héros ou d'héroïnes dans des situations dramatiques: Alletti paterni
(Agamemnon et Iphigénie), Catone generoso, Cleopatra humiliata, Paride inna-
morato, Paride combattuto, Horatio supp!icante, Horatio reo (V. Paul Manuce,
note 247, et Corneille, Horace, Acte V), Coriolano intenerito, Se/euco pusilla-
nime, La caduta di Sejano (V. p. 285, n. 125, sur le Se jan us de Pierre Mat-
thieu); deux discours ont un thème pastoral-romanesque, et peuvent passer
pour de courtes «nouvelles» : 1 Magnanimi Rivali, 1 tre concurrenti amorosi.
Tous CcS discours sont traduits par Scudéry en 1642. Celui-ci, dans sa préface,
s'cn excuse auprès des mânes d'Isocrate, de Démosthène, de Cicéron et de
Quintilien. Il affirme qu'il a adapté le style al! goût français. Mais il ajoute six
discours, qui proviennent peut-être d'éditions ultérieures des Furori que nOliS
lJ'avons pu consulter. A moins qu'il ne s'agisse de pastiches.
~r,6 Antonio Brignole Sale, Le instabilità dell'ingeJJno, divisi in otto giornate,
Bologna, G. Monti et Carlo Zenero, 1635. Brignole Sale a continué la tradition
des Dicerie sacre de Marino: il est l'auteur de Panegyrici saeri, recitati nella
Chicsa di Santo Siro di Genova, Venise, 1662.
367 Pier Francesco Minozzi, Delle !ibidini dell'ingegno, Milano, 1636. Ce
reœeil est composé pOlir l'essentiel de discours académiques: La vergogna
trionlatrice, ovvero chi guerreggia è maggiormellte animato alla virtù dalla
vergogna d' haver perduto che dalla gloria d' haver vinto, reeitato ail' Accademia
degl'Addormentati di Genova (dédié à A. Brignole Sale) ; La vendetta spezzata,
L'ASJANJSME MARJNJSTE: M1NOZZI 221
ovvero che un Magnanimo dee perdon are le ingillrie .. L'amicizia non amlC1ZlU,
ovvero che r AmiciZÎa modern a è l'interesse, relorico ragionamenlo (cette pièce
d'éloquence a de fortes chances d'avoir inspiré à La Rochefoucauld la fameuse
« maxime supprimée» sur l'Amour propre) ; L'ingiuria superata, ovvero che lin
Magnanimo vince le Ingiurie se le perdon a, 0 le lolera, 0 le disprezza, acca-
demico passatempo. L'ouvrage contient une Ode panégyrique à la gloire de
Marino.
368 Pier Francesco Minozzi, 1 Sfogamenli deU'ingegno, Venezia, Turrini,
1641. Récit en forme de lettres d'un voyage de Parme à Plaisance, et d'un
séjour à Piacenza, entremêlé de poèmes, d'éloges dithyrambiques de Grands
Seigneurs, de descriptions enthousiastes et redondantes de métaphores et de
« pointes », avec une intrigue amoureuse donnée comme autobiographique.
369 En 1637 et 1638, Minozzi publie deux poèmes à la gloire de Don Felipe
de Guzman, comte de Leganès, Gouverneur de Milan, et héros de la guerre
contre la France. Le second de ccs poèmes s'intitule Poema barberino en hom-
mage au talent poétique d'Urbain VIII, en fait par défi contre la politique
« francophile» de la Cour de Rome, et avec une pointe satirique contre l'Ode
à Saint Louis, ln Divllm LudoviC1lm IX regem Francontm, Ode pindarica bilin-
j?uis, dédiée à Louis XIII et publiée à Paris par Frédéric Morel, puis reprise
dans les éditions successives des Poemala du Pape. Dans le poème «pinda-
rique» de Minozzi, Il Gallo (Le Maréchal de Créqui) est fort mal accommodé.
Dans le poème de 1637, Il Politico Irionfanle, l'hommage au comte de Léganès
est associé à un hommilge an marquis Malvezzi et à son parent, le duc d'Oli-
varès. Il est significatif de voir le marinisme, associé ici au «sénéquisme» de
Malvezzi, servir de ralliement stylistique au '" parti espagnol ».
222 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE
.**
370 Les Progymnasma/a, exercices de gymnastique rhétorique scolaire carac-
téristiques de la seconde sophistique, avaient été édités à Venise, dans le
volume des Rhe/ores graeci d'Alde l'Ancien de 1508-1509 (Aph/onii sophis/ae
progymnasma/a) et dans le volume des Rhe/ores graeci e/ latini (Venise, Alde,
1523). En 1540, le De modo declamandi d'Aelil1s Théon paraît à Rome. Leur
diffusion coïncide donc avec celle de Longin et d'Hermogène (Aphtonius, Her-
mogène et Longin sont édités dans un même volume à Genève en 1569). J.
Camerarius se fit l'inlassable éditeur, après Alde, de ces rhéteurs grecs tardifs.
371 Loredano est l'auteur d'une Dianea (Venise, 1643) traduite sous le titre
de La Dianée chez Sommaville et Courbé en 1642. L'auteur de la traduction,
qui garde l'anonymat, se donne pour un ami de Loredano et affirme: «Je ne
suis pas un faiseur de livres.» Dédicaçant sa traduction au Maréchal de
Schomberg, il fait de celui-ci et de Richelieu un dithyrambique éloge, invitant
à voir dans La Diaéne une sorte de panégyrique romanesque du Maréchal. Dans
sa dédicace à Richelieu de Polexandre, Gomberville a recouru, en 1641, au
même subterfuge. Loredano est également l'auteur de Novelle amorose (Venise,
1643) et d'une traduction de J.P. Camus, l'His/oria ca/alana (Venise, 1653). Quant
à Brignole Sale, il est l'auteur de romans dévots, où les techniques des romans
hellénistiques servent à amplifier et agrémenter des sujets empruntés à la
Légende dorée: La vila di san Alessio, descritta e arrichita con devoti epi-
sodi, Gênes, 1648; Maria Maddalena peccatrice e convertita, Milan, 1670.
372 Giov. Battista Manzini, Il Cre/ideo, Rome, 1642. La préface du Crétidée
marque le plus profond mépris pour l'Histoire (nlldo e freddo racconto d'acci-
denti for/llitO, et lui oppose triomphalement le Roman (la più s/upenda e
gloriosa macchina che fabbrichi l'ingegno). Plus noble que l'Histoire, car il
a tous les mérites de celle-ci, et en outre, la Poe/ica ... la Favola Epopeica.
Et il dépasse l'épopée, car il ne bénéficie pas des artifices de celle-ci, versifi-
cation, rythme, foisonnement de figures. But du roman: combattre l'Amo:.:r
profane. Le héros, tout en étant exemplaire, ne doit pas être chrétien, pour
ne pas compromettre la Religion «sur la scène ». Comparer avec la préface
d'Ibrahim (1641) des Scudéry. D'après la préface des Harangues (1642), G. de
Scudéry semble avoir été en relations avec G.B. Manzini.
LE CLASSICISME ROMAIN: MASCARDI 223
Ainsi, loin d'imposer la juste mesure du judicium classique et chrétien,
le Cicéron libéral et éclectique des Jésuites se voyait contraint de présider
à d'étranges sabbats stylistiques, justifiés par la liberté de l'ingenium.
La leçon des Prolusiones Aeademieae, devant cette résurrection d'une
seconde sophistique toute profane, devait être réaffirmée. Au moment
même où l'ex-Jésuite Emmanuele Tesauro compose à Turin le traité de
rhétorique de la nouvelle sophistique italienne, le Cannoehiale arisloleUeo
(qui sera publié seulement en 1654) 873, un ancien élève du P. Strada,
lui .aussi ex-jésuite, Agostino Mascardi, pUblie en 1636 un traité intitulé
Dell'Arle Hisloriea. Quatre livres en un fort volume in-quarto.
Tour à tour protégé du cardinal d'Este, puis du cardinal de Savoie,
après avoir quitté la compagnie de Jésus, Mascardi était alors le protégé
de la famille Barberini, camérier du Pape, Prince de l'Académie des
Humoristes, professeur d'éloquence à la Sapienza 874. Avec son ami
Strada, il partageait en somme l'héritage de Muret et de Benci, l'un à la
Sapienza, l'autre au Collège Romain, et tous deux oracles également
écoutés de la Cour romaine.
Mascardi n'a pas choisi au hasard de faire un sort au genre historique.
Dès 1632, le P. Strada dans le De Bello Belgieo avait donné un modèle
de narration fondée sur des recherches d'archives, et formulée dans un
style inspiré des modèles classiques, Tite Live, César et Tacite 375. L'his-
toire apparaissait ainsi comme un rempart de la «juste mesure» latine
et classique contre la sophistique asianiste du roman et de la déclamation.
•
••
378 Dell'Arte Historiea, éd. cit., p. 392. Les œuvres d'Hermogène avaient
été d'abord éditées par Alde l'Ancien (Rhetores graeci, ouvr. cit.). Ses Pro-
g)'mnasmata avaient été publiés, dans la traduction latine de Priscien, à Paris
(S. Colinaeus) en 1540. Son De Dieendi generibus sive de formis orationis
libri duo, traduits par Jean Sturm, avaient été publiés à Strasbourg en 1571.
Leur traduction italienne, par Oiulio Camillo Delminio (Le Idee, ovvero forme
della oratione da Hermogene ... ) avait été publiée à Udine en 1599.
379 Ibid., p. 390-407. Voir, Setr le problème du style au XVII' siècle, l'étude
de j. Molino, sous ce titre, dans les Actes du Colloque Critique et création
littéraires au XVII' siècle, ouvr. cit., p. 337-359. La réplique de O.B. Manzini
à la Digressione .mUo stile de Mascardi vint en 1652. dans ses Meteore retto-
riche dédiées au cardinal Mazarin. Ouvrage capital, qui fait le point, avec
l'ne fonle de précieuses références, sur les principaux problèmes de la rhéto-
rique du xv,,' siècle. Essais sm l'érudition. sur l'imitation (à Sforza Pallavi-
cino), sur les lumi, spiriti, vivezze (à G.F. Loredano), sur l'art de concettare,
s::r 1" "lime», ou de la précision, Sl!r l'ornement, sur l'Invention (Sclva ou
Zidaldone), sm la noblesse du sujet, ou du caractère sublime. Entre le Dell'
Arte Historica, et cette apologie appuyée de la nouvelle sophistique, avait paru
en 1647, l'Arte della Stile, ove nel cercarsi della scrivere insegnativo, du P.
Sforza Pallavicino, un Jésuite ami du P. Strada, et parent de Virgilio Malvezzi.
226 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE
DU MULTIPLE A L'UN:
LES « STYLES JÉSUITES»
CHAPITRE 1
leurs que les jést;ites sont en qudque sorte la «cinquième colonne» du Roi
d'Espagne, et tous ses Généraux, espagnols, ont été créés par celui-ci pour
le servir (f. 5 v'). Dans son Franc et véritable Discours, Paris, 1602, il écrit:
«Ils (les jésuites) pratiquent si souvent les estrangers et se sont tellement
formez au patron de leur fondateur, Espagnol de nation, qu'ils retiennent (au
moins la plupart d'entre eux) trop grande sévérité en leur visage, en leur port,
en le~lr maintien. Encore si faut-il accommoder à l'humeur du malade, et luy
choisir des médecins agréables, qui veut le bien guerir (sic)>> (p. 37).
3 Sur le gallicanisme religieux et politique, voir V. MartinI Le Gallicanisme
politique et le clergé de France, Paris, Picard, 1929; Les ongines du gallica-
nisme, Paris, Bloud et Gay, 1939 (2 vol.) ; le Gallicanisme et la réforme catho-
lique, Paris, Picard, 1919, et A.-G. Martimort, Le Gallicanisme de Bossuet,
Paris, Cerf. 1953.
4 Sur l'histoire de l'Université de Paris au XVI' et au XVII' siècles, voir outre
Charles jourdain, Histoire de l'Université de Paris au XVII' et au XVIII' siècle,
Didot-Hachette, Paris, 1888, et le volume Les Universités européennes du XV/'
au XVIII' siècle, Genève, 1967, les pages suggestives de M.M. de la Garan-
clerie dans sa thèse dactylographiée, Christianisme et lettres profanes (1515-
1535), essai sur les mentalités des milieux intellectuels parisiens et sur la
pensée de Guillaume Budé, t. l, ch. V, p. 205 et suiv., «Les théologastres »,
où l'A. fait le portrait intellectuel de deux docteurs de Sorbonne au début du
XVI' siècle, jean d'Hangest et Noël Beda.
JÉSUITES ET GALLICANS 235
le XIV', la citadelle du gallicanisme fi contre l'envahissante monarchie
temporelle et spirituelle des Pontifes. En prétendant ouvrir un collège où
l'humanisme serait à l'honneur autant que la théologie, elle s'immisçait
dans une querelle douloureuse entre réformateurs humanistes et docteurs
scolastiques, dont l'un des épisodes avait été la fondation, imposée à
grand peine à l'Université par François 1er , du COllège Royal. Querelle
féroce, mais querelle de famille. La prétention des Jésuites à se poser en
rivaux, au nom du Pape, à la fois du COllège Royal et de la Sorbonne, à
la fois des humanistes et des théologiens français, était propre à récon-
cilier contre eux tous les camps, y compris naturellement le camp pro-
testant.
On n'exagèrera point en soutenant que, dès leur première tentative
d'installation à Paris, en 1551, jusqu'à leur expulsion définitive du
royaume en 1763, les Jésuites y firent l'objet d'un procès ininterrompu
devant la Grand' Chambre du Parlement, procès attisé par l'Université 6,
et dont l'écho était amplifié par une inlassable guerre de pamphlets 7.
Les pièces de cet interminable procès, les réquisitoires d'Etienne Pasquier
et d'Antoine Arnauld, les libelles qui y trouvaient leur source, fournirent
il l'an ti-jésuitisme européen les arguments dont il avait besoin pour affai-
blir, puis abattre la Compagnie. Ailleurs il arriva aux Jésuites d'être
persécutés et de compter des martyrs. En France, ils furent soumis à une
critique corrosive de la part de juristes, de moralistes, et de théologiens
qui ne leur passèrent aucune erreur, et qui découvrirent toutes les failles
de leur armure. Sur le terrain de la rhétorique elle-même, on le verra, les
Jésuites français ne furent pas épargnés.
Les combats des universitaires et des robins gallicans contre les
Jésuites prit tout naturellement une forme oratoire: avocats et théologiens
contre régents de rhétorique et prédicateurs. L'histoire de l'anti-jésuitisme
français est ponctuée par une série de discours, prononcés ou imprimés,
qui sont autant de dates importantes dans l'histoire de l'éloquence fran-
çaise du XVI' et du XVII' siècles. Rappelons-en rapidement les plus sail-
lantes. Longtemps repoussé par le refus du Parlement d'enregistrer les
lettres patentes accordées aux Jésuites par Henri II et confirmées par
François Il et Charles IX, devenu inévitable par une décision, d'ailleurs
fort défiante, rendue en leur faveur par le Concile de l'Eglise gallicane
réuni à Poissy, le procès des Jésuites s'ouvrit enfin en 1555 devant la
Grand' Chambre du Parlement. Le jeune Etienne Pasquier prononce alors
L'édit de Rouen, qui faisait d'une pierre deux coups, n'en visait pas
moins d'abord les Jésuites. Ceux-ci, pendant la guerre de succession
dynastique, avaient apporté leur contribution à l'éloquence ligueuse 16,
qui au nom de la suprématie pontificale et de l'orthodoxie, avait ameuté
la populace et hurlé à la mort contre le Prince hérétique. Eloquence
ecclésiastique, mais politique dans son essence, et que les tribuns de la
Fronde et de la Révolution française réveilleront sans peine, souvent dans
les mêmes églises où elle s'était exercée d'abord. Le Roi ne pouvait risquer
de voir revenir à Paris les plus savants et habiles de ces prédicateurs
sans obtenir d'eux les plus sévères garanties. Les conditions posées par
l'édit de Rouen avaient été difficilement acceptées par le Saint-Siège et
la Curie générale de la Société. Aucune fondation nouvelle ne pourra
avoir lieu sans autorisation expresse du Roi. Aucun étranger ne pourra
plus compter parmi les jésuites,de France, sauf permission royale excep-
tionnelle. Un Jésuite de poids aura en permanence résidence à la Cour
pour y répondre de la loyauté de la Compagnie envers la Couronne.
Enfin tous les jésuites français prêteront chaque année un serment de
fidélité au Roi, comme pour balancer le vœu spécial d'allégeance au
Pape 17.
De fait, la coutume du serment aura beau tomber en désuétude, la
résidence d'un otage jésuite à la Cour se déguiser en habitude de choisir
dans la Compagnie le confesseur du Roi, l'édit de Rouen faisait des
jésuites français les "clients» et les débiteurs de Sa Majesté Très-
Chrétienne qui les avait rétablis, mais qui à tout instant pouvait les
abandonner à la vindicte tenace de leurs puissants ennemis. Pour se les
attacher personnellement, à lui-même et à sa dynastie, par la reconnais-
sance autant que par la crainte, Henri IV compensa l'interdiction de
rouvrir le Collège de Clermont par la fondation d'un Collège royal à La
flèche, la ville où il avait èté conçu et où il avait passé une partie de son
enfance. Il le pourvut somptueusement, et promit de léguer à la chapelle
du nouveau collège son cœur et celui de la Reine 18.
Par ce geste de style féodal, qui ajoutait une nuance importante à
l'Edit, l'alliance entre l'Assistance de France et la dynastie de Bourbon
était scellée pour un siècle et demi, d'autant plus fertile en services
réciproques qu'elle avait été précédée, entre Henri de Navarre et les collé-
gues du P. Coton, d'une haine entachée de sang. Désormais, et même
sous Richelieu qui ne les aimait guère, à chaque tempête soulevée à la
16 Voir A.L. Martin, Henri 1/1 and the lesuits politicians, Genève, Droz,
1973, qui étudie dans le plus grand détaille conflit entre Edmond Auger, fidèle
à Henri III et les Jésuites ligueurs, et dans Fouqueray, t. Il, p. 27'i et suiv.
le témoignage de Pontus de Tyard, cité d'après le ms. B.N. !.fr. 15.781,
f" 332 et suiv.
17 Sur les dispositions de l'Edit de Rouen, voir Fouqueray, ouvr. cit., t. Il,
p. 655 et suiv.
18 Sur la fondation du collège de La Flèche, voir Camille de Rochemonteix,
Un collège de Jésuites aux XVII' et XVIIl' siècles, Le Collège Henri IV de
La Flèche, Le Mans, Leguicheux, 1889, t. l, ch. III, p. 63-122.
240 LES STYLES JÉSUITES
Coton» (t. IX, p. 135). Cette « douceur» qui contrastait avec la « sévérité»
à I"espagnole qu'Arnauld reproche aux jésuites (v. r.ote 2), le P. Coton la
tirait d'une éducation italienne. Né dans une famille du Forez, apparentée aux
Urfé, il entra chez les jésuites au Noviciat d'Arona, en Lombardie, en 1583.
Il eut le temps d'y voir Charles Borromée, deux ans avant la mort de celui-ci.
Il poursuivit ses études à Milan, au Collège de Brera. Il enseigna à Verceil
en 1588~1589. Il fit sa théologie à Rome au Collège Romain, sous Vasquez et
Bellarmm, en 1588-1589. Pendant l'exil des jésuites français, il rayonna en
Savoie à partir du Collège d'Avignon. Voir aussi E. Griselle, Profils de Jésuites
du XVII' siècle, Lille-Paris, Desclée. 1911.
29 Fouqueray, ouvr. cit., t. III, l. Il, «Sous la protection de Marie de
Médicis », p. 237 et suiv.
30 Voir V. Martin, Le gallicanisme politique ... , ouvr. cit., p. 4 à 12. V. ibid.,
p. 87-137. Sur l'opposition gallicane à l'introduction des décrets de Trente,
voir du même auteur, Le Gallicanisme et la Réforme catholique, ouvr. ci!.,
p. 344-395, et P. Blet, s.j., Le Clergé de France et la monarchie ... (1615-1666),
Rome, 1959, t. l, p. 3-133.
LE COLLÈGE DE CLERMONT 243
positions, le Parlement jugea utile de voter un arrêt qui confirmait solen-
nellement tous ceux qu'il avait pris jusque-là contre les Jésuites, et entre
autres ceux qui déclaraient illégale la réouverture du Collège de Cler-
1Il0nt 31.
Seul le coup d'Etat de 1617, qui chassait Concini et restaurait l'auto-
rité royale, permit aux Jésuites de triompher. Comme son père, qui par
l'édit de Rouen se conciliait les dévôts et rabattait les prétentions des
magistrats, Louis XIII, par l'arrêt qui autorisait la réouverture de Cler-
mont, s'attirait la sympathie des milieux «zélés» et posait des limites
à la puissance du Parlement, enorgueilli par son rôle durant la Ligue et
au moment de la mort d'Henri IV. Le jeune Roi, dont l'éducation religieuse
avait été confiée au P. Coton, connaissait bien la Compagnie 32. En 1612,
alors que les Jésuites menaient ardemment campagne pour la réouverture
de Clermont, il avait pu mesurer, au cours d'une visite à La Flèche, leur
capacité de célébrer la personne de son père et la sienne, et d'élever sa
noblesse dans ces sentiments. Les futurs maréchaux de Ouébriant et de
Schomberg avaient été les principaux acteurs de cette fête où, dans les
pompes d'une sorte de triomphe à l'antique, l'image héroïsée d'Henri IV
avait été proposée pour modèle à son fils 3S. Et les pièces d'éloquence
encomiastique qui remercièrent le Roi de 1617 à 1620 34 lui montrèrent
qu'il n'avait pas eu tort de s'attacher à son tour la Compagnie par la
reconnaissance. Dans une dédicace adorante au Roi, le P. Caussin
s'écriait :
Qui s'étonnera, 0 Roi, que nos volontés et nos œuvres unanimement et
moins timidement affluent vers toi, comme pour se perdre de reconnais-
sance dans leur propre source, puisque par un tel témoignage d'amour
pour nous tu as fait de nous, en toute propriété, tes esclaves.
( ... tuos nexu et mnncipio tereris 35)
des Pères, ils allaient suivre des leçons de l'Université. Il en résultait que
les classes de grammaire et d'humanités, presque vides dans l'Université,
regorgeaient d'auditeurs chez les Pères, où il avait fallu doubler les classes.
Quant aux classes supérieures, elles étaient désertées à Clermont, et sur-
peuplées dans l'Université 42.
( 1,618-1643)
48 Sur le P. Fronton du Duc, voir Southwell, ouvr. cit. s.v., Fronto Dl1caeus,
p. 268. Originaire de Bordeaux, parentem habuit ea in urbe Senatorem. Comme
Sirmond, comme Petau, comme Philippe Labbe, les grands érudits jésuites du
XVI' siècle et de la première moitié du XVII' siècle sont issus de familles de
Robe. Comme Sirmond, Fronton du Duc fut un collaborateur de Baronius, qui
fait son éloge au t. IX des Annales ecc/esiastici.
49 Sur le P. Jacques Sirmond, outre j. de Gouy, Vie du P. Sirmo/ld, Paris,
1671, voir René Kerviler, l.a presse politique sous Richelieu et l'académicien
Jean Sirmond, 1589-1649, Paris, Baur, 1876, p. 17-18.
50 Sur Denis Petau, voir Southwell, Bibliotheca scriptorum ... , ouvr. cit.,
p. 178-17Cl.
51 Orationes quibus Pompam Exequiamm atque Funus Henrici Magni Gal-
liae et Navarrae Chrislianissimi Regis moerens rohonestavit Collegium Rhedo-
nensl' Socielalis Jesu, Rhedonis (Reims), tit. Harenaeum, 1611. V. aussi, note
34, les panégyriques du même auteur publiés en 1620.
52 Pierre Coton, Institution catholique où est déclarée et confirmée la verité
de la foy contre les ileresies et superstitions de ce temps, divisée en quatre
livres qui servent d'antidote aux quatre de l'Institution de Jean Calvin, Paris,
C. Chappelet, 1610. Trad. lat. par L. de Cressolles: Institutio catholica ...
Moguntiae, sumpt. Henningii, 1618.
53 Denis Petau, Opera poetica, 1re éd. Paris, Cramoisy, 1620.
250 LES STYLES JESUITES
•
••
Le contraste entre Jésuites rhéteurs en français et Jésuites érudits,
est mis en évidence, de façon moins anecdotique, par leur spécialisation
linguistique: les « vedettes» mondaines, trop occupées et travaillant vite,
n'ont plus le temps, ni la «main» pour écrire en latin, ni à plus forte
raison pour traduire leurs ouvrages dans la langue savante, la seule qui
leur ouvre, sous Louis XIII, une audience internationale. Aussi sont-ce les
régents, dont le latin est entretenu par les tâches pédagogiques, voire
érudites, qui sont chargés de transposer en bonne prose cicéronienne les
55 V. Menagiana, 1715, t. Il, p. 309, dt. par Henri Chérot, Etude sur la vie
et les œuvres du P. Le Moyne, 1887, p. 21.
252 LES STYLES JÉSUITES
•
• tO
•
••
Ici, le P. Richeome ne cite pas d'autre modèle que la Bible. Mais entre
lui et la Bible les relais sont nombreux. Il se contente du plus récent. En
1593, à Anvers, paraissaient en deux tomes in-folio les Méditations sur
68 Sur les deux Philostrate et leur œuvre, voir Albin Lesky, A History of
greek literature, trad. angl. Londres, Methuen and Co, 1966, p. 836-838, avec
bibliogr. p. 844.
69 Les Images ou Tableaux de Platte Peinture des deux Philostrates sophis-
tes mis en français par Blaise de Vigenere bourbonnois enrichis d'arguments
et d'annotations ... et representez en taille douce en cette nouvelle édition avec
des épigrammes sur chacun d'iceux par Thomas Arius sieur d'Embry, Paris,
Guillemot, 1614, in-fol. Le mot d'annotation est à prendre ici à la fois au sens
érudit (remarque, glose) et au sens mnémotechnique (marque permettant de
retrouver un passage important), les deux sens étant d'ailleurs fort proches.
Sous l'influence probable du livre de Nadal, Thomas Artus a ajouté à cette
4: voie sèche l> de la mémoire une dimension visuelle (les tailles douces repré-
sentant les tableaux fictifs décrits par Philostrate), elle-même «annotée 'b par
une épigramme (forme particulièrement «mémorable,,) qui en résume le sens
moral. Ainsi le pouvoir de persuasion du texte de Philostrate, sa capacité de
s'imprimer dans la mémoire-imagination du lecteur est «amplifiée" par trois
moyens: 1) les gloses de Vigenère, auxquelles des chiffres renvoient dans le
texte; 2) par les tailles douces; 3) par les épigrammes. L'ouvrage, sous sa
forme dernière, a donc la fonction d'une sylva locorllm (matériaux pour l'in-
vention) particulièrement propice à être emmagasinée par l'esprit; le livre de
Philostrate-Vigenère est prêt à engendrer, selon le procès de création rhéto-
rique, d'autres livres, à nourrir d'autres discours.
LES PRÉDICATEURS DE COUR 261
•
••
Avec ses Tableaux sacrez, Richeome n'avait d'ailleurs pas épuisé cette
riche veine. En 1611, il publie La peinture spirituelle, ou l'art d'f/dmirer,
aimer et louer Dieu en toutes ses œuvres 72. Sa méthode s'est encore appro-
ïondie. En un certain sens, elles est plus proche encore que dans le livre
prècèdent des Tableaux de Philostrate. Le P. Richeome décrit en effet
les peintures ornant le Séminaire des Jésuites de Rome, à Sant' Andrea
deI Quirinale. Et il tire de ces descriptions des «gloses» morales et
mystiques. Ces tableaux ne représentent pas des scènes de la vie du
Christ, comme les Méditations du P. Nadal, mais des scènes de la vie des
saints, des confesseurs, des martyrs et des vierges, imitateurs de la Vita
Christi. La rhétorique de l'ekphrasis sophistique s'allie à la procession
platonicienne des images, sans renoncer au relief dévot des « compositions
de lieu» ignatiennes. Le P. Richeome a composé un véritable palais de
miroirs où, de réflexion en réflexion, de variation en variation, l'Exemple
du Christ se répète sous des couleurs différentes, dans des circonstances
et des paysages différents, invitant le lecteur-spectateur à la répéter à son
lour, dans le style et les circonstances qui 1ui sont propres.
Pour toucher un public nourri de romans, Richeome croit utile de coor-
donner ses descriptions avec une sorte d'intrigue assez lâche, mais non
dépourvue d'une sorte de suspens 73. Mais celui-ci, emprunté à la sophis-
tique païenne et profane, se charge d'un sens nouveau: c'est la surprise
•
••
Ces livres de piété sont liés à la pratique orale de la prédication. Ils
s'enracinent le plus souvent dans des séries de sermons effectivement
prononcés et remaniés pour la publication. Leur style redondant et fleuri
garde la trace d'effets proprement oraux. Dans la Préface du P. Coton à
ses Sermons sur les principales matieres de la foy H cette différence
cl'optiqùe entre l'oral et l'écrit fait l'objet de judicieuses réflexions:
Il Y a beaucoup ,!e choses, écrit-il, qui plaisent estant dictes, et des-
plaisent escrites.
sion qu'ils appellent vulgairement peroration. D'où aussi peut revenir une
grande commodité, qui est que par ce moyen, les plus difficiles matières
se rendent intelligibles, estant estalées en sections, et articulées en para-
graphes.
•••
Le P. Richeome et le P. Coton étaient restés dans le domaine de la
« peinture spirituelle ». Avec le P. Binet, la technique de la «peinture»
est tentée d'oublier le spirituel, c'est-à-dire l'art de toucher les cœurs,
pour se faire admirer elle-même, et se poser en principe de fabrication
rhétorique.
En 1621, ce Jésuite considérable 76 publie son Essay des Merveilles de
Nature et des plus nobles artifices qu'à juste titre l'abbé Bremond arracha
à l'oubli, en le rattachant à la tradition de François de Sales et de son
Introduction à la vie dévote. De fait, dans un désordre qu'annonce et
justifie le titre d'essay, qui renvoie à Montaigne, ce recueil contient une
anthologie encyclopédique de «peintures », dont la variété peut égaIe-
ment se justifier de la préface de l'Introduction:
La bouquetière Glycera savait si proprement diversifier le disposition
et le mélange des fleurs, qu'avec les mêmes fleurs elle faisait une grande
de lettres courtisanes 82. Dans les deux cas, celui de Du Bartas et celui de
Des Rues, il s'agit d'une rémanence, à la Cour de France, du maniérisme
propre à la Cour de Nérac, au siècle précédent 83. Le P. Binet avait peut-
être tort de se croire à la mode pour suivre une mode sur le déclin. Son
succès, nous le verrons, sera assuré après 1630 dans les secteurs les plus
provinciaux et retardataires du public français. Dès 1611, l'éditeur de
Du Bartas, Jean de Bordeaux, juge bon, dans sa lettre dédicatoire au
Roi, de défendre le poète contre les accusations de «patavinité" qui
pèsent déjà sur lui à la Cour:
Mais d'ailleurs, écrit-il, les conceptions en sont si belles, l'expression
si claire et si vive, et toutes autres choses si bien ra portées à leur subject,
que considerees en un gentilhomme champestre, et d'une nation qui ne
parle pas tous jours bon françois, elles semblent plus dignes d'admiration
que de louange. Et taut confesser que s'il fust nay aussi bien en France
comme en Gascogne, et qu'il eust esté nourry en la Cour comme en sa
maison, il eust surpassé tout ce que l'art du bien dire a peu jamais ensei-
gner, puisqu'avec tous ces deffauts, estant seul et sans conversation de
personne de laquelle il peust prendre advis, il a neantmoins atteint à la
perfection des plus excellens qui s'en sont meslez 84.
85 Etienne Binet, Essay des Merveilles de nature et des plus nobles arti-
fices, pièce tres-necessaire à tous ceux qui font profession d'eloquence, Rouen,
R. de Beauvais, 1621, p. 145. (Treize éditions, tant rouennaises que parisiennes,
se succédèrent jusqu'en 1657.)
BINET: «ESSAY DES MERVEILLES» 269
Et les figures s'étayent les unes les autres. Telle tirade descriptive,
«peignant au vif» un caractère, commencera par une apostrophe au
public: «Le voulez-vous voir, Messieurs? », ou «Voilà-le là, ce Caïn,
avec un visage farouche ... ! » Et une série d'autres figures, la Suspension
des esprits, la Feinte de silence, l'Indulgence, l'Exclamation vigoureuse,
l'Excuse ou Repentance, le Souhait, la Transition créent autant de replis
et de ressacs d'un dialogue incessamment entretenu par l'orateur avec son
auditoire, ouvrant largement sur la salle la dramaturgie interne au dis-
cours, où s'apostrophent morts et vivants, damnés et élus, anges et
86 Ibid., p. 450.
87 Ibid., p. 451.
270 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)
Ce qui rend le stile precieux, ce sont les Pierreries, mais quand elles
sont bien enchâssées dans le discours et qu'elles sont bien à leur jour:
il semble que toute la Nature soit raccourcie et comme resserrée en petit
volume dans un bouton de pierrerie. Ces petites étoiles de terre font
reluire à merveille l'éloquence comme les Diamans sont enchâssez dans
le firmament 90.
••"
On l'aura observé: si les jésuites français du début du siècle sont des
virtuoses de la prose oratoire, en matière d'imitation, ils n'ont rien de
« cicéronien », au sens d'atticisme pour happy few que ce mot avait pris
à Rome au début du XVI' siècle et qui gardait au début du XVII" siècle sa
valeur de référence aux yeux des jésuites romains. Sont-ils du moins
~ cicéroniens» au sens nouveau conquis en Italie au cours du siècle
précédent, et qui autorisait, outre l'éclectisme de l'imitation, une gamme
d'expressivité plus vaste?
•••
Bon catholique, mais aussi fidèle royaliste au temps de la Ligue,
Antoine de Laval faisait figure de sage Nestor 94, détenteur des traditions
françaises. Son jugement de gentilhomme humaniste, estimé à la Cour et
bien au-delà des frontières françaises, ne manquait pas de poids. Il entre-
97 Sur André Valladier, voir Dom Calm et. Bibliothèque lorraine. col. 961-
972. Né en 1565 (?), entré dans la Compagnie en 1586. professeur de rhéto-
rique à Avignon. «il eut pour disciple M. Peiresc» (col. 962, renseignement
tiré de Gassendi, Peireskii Vit a, Paris, 1641, p. 7). En 1607, Henri IV lui
demande d'écrire les Annales de son règne, séduit sans doute par le style
épidictique du Labyrinthe! Se prétendant victime de jalousies dans son Ordre,
il le quitte en 1608. Soutenu par les milieux parlementaires de Dijon et de
Lyon. aidé par Peiresc, il se rend à Rome où il obtient gain de cause. Henri IV
lui procure l'Abbaye de Saint-Arnould à Metz. où il aura toute sorte de
démêlés avec les autorités locales (Lazare de Selve) et ses moines. Il ne ces-
sera de témoigner sa reconnaissance au Parlement de Paris. et en particulier
à l'Avocat général Louis Servin. ennemi juré des Jésuites. Il est l'auteur d'un
traité de rhétorique dédié au Parlement de Paris, les Partition es oratoriae
(Paris. Chevallier. 1621). et d'un recueil de sermons, Les divines parallèles de
la sainte Eucharistie, Paris, Chevallier, 1613.
98 Voir André Valladier, La Tyrannomanie estrangere ...• Paris, Chevallier.
1626, 1. 1. «Mes exerciccs et professions ... et les subjets et motifs qui me por-
tèrent à ne plus vivre chez les Jésuites ». à la fois autobiographie et pamphlet.
99 Antoine de Laval, Homelies ...• ouvr. cit., p. 175.
100 Ibid., p. 179. L'exemple des Pères n'est donc pas à prendre à la lettre:
ils avaicnt affaire à des païens qu'il fallait convertir, non à des chrétiens
qu'il faut édifier. \1 faut aujourd'hui extraire des Pères. purifiés de sophistique,
une Idée plus simple, plus naturelle. de l'éloquence chrétienne. Laval (p. 197)
fait état de ses relations avec Francesco Panigarola, sur lequel il rapporte un
mot très dur du Pape Paul V, qui lui conseilla d'aller à Paris étudier altro
che ciancie, se coudre la bouche, et ne parler de trois ans.
276 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)
ments de tous les riches auteurs des siècles plus féconds, et resplendis-
sants de l'humanité plus polie. Que, comme le phlegme abonde en nous,
il y a cause de la pesanteur, de la lentitude, et du chagrin: dont s'ensuit
le mespris de ce qui rit et plaist aux jeunes esprits plus vigoureux et plus
capables de savourer des paroles douces, mignardes et bien peignées ...
Pourtant, que j'aime, voire avec passion, l'Eloquence et le beau langage
en prose ou en vers, mon Cicéron, mon Virgile, mon Pline le Jeune (et
peu s'en est fallu que je n'aye dit mon Ovide) m'en sont tesmoins, les-
quels souvent 'me rajeunissent...: mais je sçay faire le choix des styles
différents 101.
101 Ibid .• p. 18\. Laval se réfère ensuite à saint Augustin. qui sut parler
judicieusement, et non par pointes perpétuelles: ., au Peuple ... , d'un parler
simple. et néantmoins pur. clair et facile, bien que propre, mouelleux et signi-
ficatif; mais il parle bien d'un langage plus élabouré en sa Cité de Dieu,
autrement en ses Epistres, autrement en ses Sermons,..
102 Images ou Tableaux .... ouvr. cit., éd. 1579 cit., préface non paginée.
C'est la même méfiance que chez Laval pour la «corruption de l'éloquence»
dans la latinité tardive, même chrétienne. Mais Laval fait coïncider, comme
les rhéteurs «borroméens », l'exemple cicéronien et l'exemple augustinien pour
corriger l'influence de la sophistique païenne et chrétienne.
103 Homélies ... , ouvr. cit.. p. 193.
ANTOINE DE LAVAL 277
Et il ajoutait:
Il n'y a personne au monde, avec tant soit peu de clarté d'entende-
ment, qui n'oye plus volontiers une diction pure, propre, nette et bien
significative, sans afféterie, ni trop élabourée recherche, que toutes ces
mauvaises paroles peintes, figurées, fardées et tirées à force des Antres
les plus profonds de l'obscurité mesme, pour s'esloigner du parler com-
mun ... 104 .
104 Ibid., p. lil5. Comparer avec François de Sales, Lettre à Mgr. Fremyol
(Paris, 1611), p. 5.
105 Ibid., p. 187.
106 Ibid., p. 193.
278 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)
Aux ignorants de rhétorique, on offre dOllc ce qui peut les éblouir, tout
l'arsenal des «figures de pensée 1>. A ceux qui ont pénétré plus avant
dans les secrets de l'Eloquence, cette ostentation moderne fait hausser les
épaules: «C'est se prescher soy-mesme au lieu d'enseigner ceux qui
escoutent 107. »
Antoine de Laval est d'ailleurs tout le contraire d'un « anti-cicéronien »
ou d'un «sénéquiste 1>. Il voit en Cicéron un attique latin, et c'est du
De Oratore qu'il tire les plus forts arguments en faveur de sa thèse. A
ses yeux, il n'y a nulle incompatibilité entre l'enseignement de ce Cicéron
attique et l'exemple de Démosthène qu'il imita: « Il ne faut que se
laisser doucement emporter au coulant d'un beau naturel, qui est ce que
Demosthène disoit en son grec 108. »
Le point de vue d'Antoine de Laval, qui avait été un des plus sûrs
fidèles d'Henri III dans la crise qui suivit l'assassinat des Guises, n'est
pas isolé, même s'il est minoritaire. Un autre hèritier de l'époque des
Valois, le cardinal du Perron, tenait à ses intimes des propos fort analo-
gues. On lit en effet, dans le Perroniana :
Le Cardinal se moquoit fort d'une façon de parler du P. Coton, qui
en un de ses Sermons, parlant du naturel des hommes plus enclins au
vice qu'au bien, et qui, comme les pourceaux se jettent plutôt dans
l'ordure qu'en belle eau: «Vous voyez, dit-il le pourceau, s'il y a un
bcau ruisseau d'eau claire d'un côté, un bourbier de l'autre, il se vautrera
plutôt dans la boue et ira prendre là dedans sa chemise blanche.» Vrai
Dieu, cela est bien ridicule, et dit à ce propos. Le P. Gontier exhortait un
jour Mme de Simicr à quitter les pensées du Monde, et qu'elle ne regardât
qu'au Ciel, «qu'il falloit qu'elle se coiffât du Soleil et se chaussât de
la Lune 109. »
Métaphores. Cicéron dit que ce sont des pucelles, qui ne s'osent Quasi
monstrer, et doivent paroistre sans affectation. Celles Qu'ils font aujour-
d'huy ne sont pas seulement vicieuses, mais sales, et ils ne le reconnois-
se!)t pas. Est-il possible qu'ils ne sachent pas Que le style est pour delec-
ter, et Qu'en escrivant si l'on use de quelque Métaphore vicieuse et sale,
cela offense? Comme celle-ci d'un Prêcheur: Seigneur, nettoie-moi le bec,
de la serviette de ton amour, le fallot d'amour, la chandelle d'amour. Et
il ne faut jamais en usant de Metaphores, Qu'elles descendent du genre
à l'espèce: on peut bien dire les flammes d'amour, mais non pas les
tisons, le fallot, la mêche d'amour; tous nos Escrivains aujourd'hui ne
peuvent escrire autrement. La Métaphore est une petite similitude, il faut
Qu'elle passe vite, il ne faut pas s'y arrêter, quand elle est trop continuée,
elle est viti eu se et degenere en énigme 111.
Le P. Nicolas Caussin
116 Sur les Stromates de Clément d'Alexandrie, voir André Mehat, Etude
sur les Stromates de Clément d'Alexandrie, coll. Patristica Sorbonensia, Paris,
Seuil, 1966, en part. p. 96 et suiv. sur le sens du mot slromala: tapisserie
(<< idée de variété désordonnée») ; décoration de table de banquet, avec fleurs
et fruits; broderie; Aulu Gelle rapproche le genre des stroma ta de celui auquel
se rattachent ses propres Nuits Attiques: musae, silvae, leelio mea, antiquae
lectiones, memoriales, historia naturalis, conjeclanea, epistulae morales, epis-
tulicae quaestiones, confusae question es, pratum. Et Clément lui-même: « Les
fleurs qui émaillent le pré et les arbres plantés dans le verger ne sont pas
séparés par espèce. Il en va de même des Prés, des Hélicons, des Rayons de
miel, des Péplos, ces recueils composés par les érudits en rassemblant les
morceaux choisis variés: nos stromates eux-mêmes ne sont qu'un essai (hypo-
typosc) composé avec la variété d'un pré, de matériaux rassemblés au hasard
des souvenirs, comme ils se présentent à la mémoire, sans souci d'un ordre ni
d'une forme corrects, dispersés dans une confusion volontaire» (p. 101). L'es-
prit de la collection propre à l'antiquaire, du catalogue et de l'anthologie,
propre al! grammairien, et du recueil de «mélanges» propre à certaines écoles
philosophiques. s'étaient conjugués, avant Clément d'Alexandrie, chez Aulu
Gelle et chez Plutarque, dont l'influence fut immense au xv,' siècle auprès des
hum:lnistes érudits.
117 Sur Horapollo, les Hieroglyphica (dont le manuscrit est introduit en
Italie en 1419) et les spéculations sur le langage hiéroglyphique et embléma-
tique à la Renaissance, voir K. Gielow, « Die Hieroglyphenkunde des Huma-
nisml;s in der Allegorie der Renaissance », dans Jahrbuch der kunsthistorischen
Sammlunzen des allerhochsten Kaiserhauses, XXXII, Vienne, 1915; L. Volk-
mann, Bilderschriften der Renaissance, Hieroglyphik und Emblematik in ihren
BeziehunRen und Fortwirkungen, Leipzig, 1923 ; E. Iversen, The My th of Egypt
and its Hieroglyphs in European tradition, Copenhague, 1961, surtout ch. Il,
« The Classical tradition », p. 38-56; M.V. David, Le débat sur les écritures
et l'hiéroglyphe aux XVII' et XVll/' siècles, et l'application de la notion de
déchiffrement aux écritures mortes, Paris, 1965. Cette notion d'une écriture
sacrée où les anciens sages auraient déposé les mysleria de la Première Révé-
lation est intimement liée à celle de la Prisca Theologia, étudiée par D.P.
Walker, The ancient Theology, studies in Christian Platonism from the Fifteenth
282 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)
1"1 Cinq livres des hieroglyplliques où sont contenus les plus rares Secrets
de la nature et proprietez de toutes choses avec plusieurs admirables conside-
rations et belles Devises sur chacune d'icelles, œuvre tres-docte, ingenieux, et
eloquent nécessaire à toutes professions de feu MP. Dinet, Docteur en théo-
logie, Conseiller et maÎstre de la Chapelle du Roy, son Prédicateur ordinaire
et de la Royne Louyse douairière, Paris, J. de Heuqueville, 1614. Ce sourir
posthume de la Cour d'Henri III est dédié à la Princesse de Conty. Phls
« docte », et surtout plus chaste que le précédent, l'ouvrage n'en est pas moin:,
composé de «tableaux» rangés en cinq livres: les quatre éléments (terre:
métaux, pierreries; air: nuées, rosée, vent, arc-en-ciel; feu: flambeau, lam-
pes ... ; eau); les plantes, les animaux, l'homme, les Dieux des Anciens. Ces
tableaux, plus érudits que ceux de l'Anglois, sont eux aussi des « stromates »
accumulant des remarques en désordre, sans chercher à «peindre» comme
le fera le P. Binet.
122 P. Dinet, Cinq livres ... , ouvr. cit., préface non paginée.
284 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)
•
••
En 1620, un an après la publication des Parallela, le P. Caussin
donnait au public ses Tragoediae sacrae 123, inspirées de Sénèque. Cette
œuvre de dramaturge est en consonance profonde avec le traité de rhéto-
rique publié l'année précédente. Celui-ci mettra l'acce!1t sur le pathos
oratoire: le genre tragique est une bonne préparation à faire de l'élo-
quence sacrée, Theatrum mundi, un spectacle dramatique animé. C'est
bien d'ailleurs à cette fonction propédeutique que le P. Caussin réduit ses
essais de dramaturge: dans la dédicace de l'une de ses tragédies 12\ au
•
••
tum prope verehar ad q/wdrigas poeticas pedestri itinere commiftere, sua mihi
st!asione sub tuis auspiciis wi sciebat non ingratum fuisse de manibus expres-
sif ... Sur la prétention des seconds sophistes à faire hériter la prose des pou-
voirs de la poésie, voir, outre les pages du P. de Cressolles dans le Theatmm
Veterum Rhetorum que nous analysons plus loin, L. Méridier, L'influence de
la Seconde Sophistique sur l'œuvre de Grégoire de Nysse, p. 19. Cette ten-
dance était déjà présente chez Cicéron (v. supra, p. 50). Le cicéronianisme s'ef-
forçait de tenir la balance égale entre oratio stricta et oratio solllta, voyant
dans la première une école du jlldicium pour préserver les qualités d'aptum
de la seconde. Jamais le P. Petau n'aurait écrit ce que nous trouvons ici sous
la plume du P. Caussin.
125 Les liens de Pierre Matthieu et des Jésuites sont attestés par ailleurs
dans L'Eloge sur les plus signah'cs et immortelles actions d'Henry de Bourbon,
dressé en François par Pierre Matthieu et traduit en hébreu par les Pères
de la Compagnie de Jésus, s.l.n.d. (B.N. 4', Lb 35 1178). Publié d'abord à
Lyon (sous le titre Panégyriq), puis à Paris (sous le titre Inscription). Ancien
Ligueur, Matthieu avait comme les Jésuites beaucoup à se faire pardonner
d'Henri IV. Son chef-d'œuvre est L'Histoire d'Aelius Se jan us, Paris, R. Estienne,
1617 (rééd. Rouen, 163:1). C'est un effort remarquable pOlir transposer en
prose française le style « laconique» de Lipse et d'Erycius Puteanus, lançant
ainsi une mode européenne dont Malvezzi sera l'un des plus célèbres repré-
sentants. Allégorie du destin de Concini, l'Aelius Se jan us est un panégyrique de
Louis Xill en style coupé. Les figures de mots, telles l'anaphore, la rime inté-
rieure, les effets de symétrie (isocolon, parison), de dissymétrie (antithèse,
chiasme) soutiennent l'émission saccadée de sentences: « Il y avoit de la vertu
à ne point faire de mal, et de la piété à ne rien faire d'impie >) (p. 169);
« Il est plus seur d'estre obligé il son maistre que de l'obliger, et un service
qui ne se peut récompcn"er rend le service important» (1-:15). Le tacitisme
du propos fait écho à cette technique qui étend à la prose le style sentencieux
des «maximes» cie tragédies sénéquiennes, telles celles de Garnier et de
Caussin. Dans son Dell'Arte Historica, ouvr. cit., p. 614, Mascardi rendra
Matthieu responsable dr la mode du style coupé (spezzalo), qu'il oppose,
p. 627, à la briè,'eté cicéronienne, qui obéit ail seul principe de l'aplum : rien
de trop.
2813 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)
thée d'exemples latins et grecs, et enchâssé dans une prose latine cursive
et volubile, animée de prosopopées, de dialogues, de descriptions, de
mouvements d'enthousiasme, et d'indignation, enrichi enfin de citations
érudites. Il faudra attendre Victor Hugo pour retrouver une tentative ana-
logue de résumer et rassembler dans un livre «l'océan» du langage
humain.
.*•
Il est naturel que la question du cicéronianisme tienne une grande
place dans les XIII Livres que le P. Caussin consacre à l'éloquence
« humaine». Informé par la belle mise au point de Possevin dans sa
Bibliotheca selecta et par ses propres lectures, fort vastes, le P. Caussin
n'ignore rien de l'histoire de la Querelle. Est-il « cicéronien» ? Oui, si l'on
en croit son admiration enthousiaste et sans cesse réaffirmée pour le
Pater eloquentiae latinae. Est-il « anti-cicéronien » ? On aurait lieu de lç
croire, à voir l'ardeur avec laquelle il prend la défense de Sénèque 126, et
l'estime qu'il porte à Démosthène 127, alors même qu'il affirme la préémi-
nence de l'orateur romain sur son modèle attique.
En fait, le P. Caussin hérite des efforts déployés au cours du XVI" siè-
cle pour réconcilier Politien et Cortesi, Bembo et Pico, voire Erasme et
Longueil. Son point de vue est analogue à celui de Giraldi, repris avec
autorité par Juste Lipse dans son Institutio epistolica, et plus récemment
encore iIlustré par le Jésuite belge Andreas Schott, dans un ouvrage
intitulé Cicero a calumniis vindicatus, publié à Anvers en 1613 128 • Le
P. Caussin n'hésite pas à piIler Schott pour alimenter ses propres plai-
doyers en faveur de Cicéron.
Plaidoyers plus abondants et chaleureux que convaincants. Si la per-
sonne, la carrière, le caractère de Cicéron sont si ardemment défendus,
c'est moins pour faire du style de Cicéron le modèle accompli d'élocution
oratoire, que pour faire de l'auteur du De Oratore le patron d'un éclec-
tisme « sans rivages », qui ouvre la gamme de l'imitation bien au-delà du
Juste Lipse de l'Institutio. L'impatience du P. Caussin d'étendre le plus
loin possible la liberté de l'imitatio adulta va jusqu'à lui faire regretter
que les auteurs modernes, qu'il verrait volontiers en progrès sur les
anciens, ne puissent être adjoints à la pédagogie de l'éloquence 129.
Enfermé malgré lui dans l'Antiquité, le P. Caussin n'en donne pas
moins à son éclectisme une carrière impressionnante. L'arc-en-ciel des
modèles auquel le «cicéronien» nouveau style est invité à se référer
se déploie au ch. XIV du L. III, qui est en fait une véritable revue critique
•••
131 Ibid., p. 54. Comparer avec l'allégorie dont se servait Blaise de Vige-
nère (Images ou Tableaux ... , éd. 1578 cit., préf.) pour plaider la cause de
l' « asianisme» de Philostrate: «Une Gentil'femme Romaine sage et rassise
modestement revestue de violet ou de noir par dessous son beau couvre-chef
et linsseul marchant d'une contenance posée, combien est-elle plus aimable
qu'une courtisane effrontée, fardée, attiffée, fleurye à l'envie de quelque pré
au mois de May... d'un port follastre, d'une mine es garée, le col enfoncé
dedans les bourlets de ses manches, qui luy noient et surmontent les joues,
le corsage emmuré en de gros cartons, le flanc, la hanche et le reste qui
s'av aile au dessous de la ceinture ensevely dans un tonnelet semblable à ceux
dont l'on combat à la barriere, espaulé au reste et espoitriné, la gorge enduicte,
reblanchie, et crespie de ceruse et de sublimé, et eschauffée finablement sur
des eschasses plus ta st que des pianelles ou choppins? Et ainsi est-il des
langages. Ouy: mais enc.ore qu'il ne soit impossible de rencontrer quelque
bourgeoise ou chambrière, voire un païsanne, belle, agréable et gentille selon
son degré, il ne s'ensuit pas pour cela qu'une Grand'dame, une Princesse, une
Reyne ne le puisse estre plus encore: Quand mesmement on la verra rischement
estoffée et vestue de draps d'or, d'argent, et de soye, parée de chesnes, cra-
quans, doreures, et pierreries, marcher d'une majesté grave, d'un pas mesuré
et pompeux, avec son ventail et mirouer de cristal de roche, accompagnée quant
ct quant d'une longue suitte de gentilshommes et Demoiselles tres-bien en
ordre ... Et ainsi est-il des langages: Car encore que le bas et vulgaire, s'il
est bien filé et tissu ne laisse pas d'estre passable, si mesmement il se conforme
à son suject...» La majesté royale doit donc être accordée au grand style
épidictique, qu'il ne faut pas confondre avec le style lascif des sophistes. Il
est significatif toutefois que le P. Caussin emblématise le style de Cicéron avec
une reine très apparentée à celle de Vigenère, alors que le P. Petau fera
de Cicéron l'emblème de la simplicitas, inséparable de la noblesse.
133 Ibid.
134 Ibid., p. 87.
290 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (160\-1624)
135 Ibid., p.
65. Voir plus loin, p. 335-336.
136 Ibid., p.
66. V. aussi p. 61, critique des allégories.
131 Ibid., p.
321-324.
)38 Ibid., p.
327.
139 Ibid., 67-78. L'atticisme pour le P. Caussin se résume tantôt à la
p.
« sécheresse », tantôt à l'abus des acumina. Sur ce dernier problème, sa doc-
trine est pour le moins vacillante. Tantôt il semble les condamner (p. 67),
tantôt il semble les admettre (p. 77, règles pour les bons acumina), tantôt il
les admire, chez Sénèque et Valère Maxime (p. 119), chez Grégoire de Nazianze
et Synésius (p. 74). Acumen est chez lui synonyme de sen/enlia, qui suppose
de la sllb/ililas ingenii, et doit être ralonda et acu/a à la fois (p. 74). Voir
plus loin note 174. Ce que le P. Caussin entend par «atticisme» est aussi
vague que péjoratif. Sous la couleur de «cicéronianisme », il attaque chez
les «atticistes)} alitant leur hostilité à la Compagnie de Jésus que leur style.
Ces chapitres des Parallela, comme le Cicero a calumniis vindicatus d'Andreas
Schott, doivent être replacés dans le contexte d'une polémique à l'échelle euro-
péenne, dont le chef-d'œuvre est sans doute le Satyricon de Gaspard Scioppius
(1603). Cet érudit allemand rallié à la Réforme catholique n'en demeura pas
moins fidèle à la tradition d'Erasme. Au nom des intérêts supérieurs du catho-
licisme il se livra à une critique impitoyable du formalisme rhétorique et de
la pédagogie de la Ra/io Siudiorum, et combattit pour lui substituer une péda-
gogie favorisant l'éclosion de l'esprit critique et d'une piété éclairée. Sur ce
point, il rencontrait les positions de la République des lettres gallicane et
protestante. Voir Mario d'Addio, Il pensiero politico di Gaspare Scioppio e il
machim'ellismo deI Seicen/o, Milan, Giuffré, 1962, p. 40-48 et p. 220-250.
NICOLAS CAUSSIN 291
•
••
Ce débat entre un atticisme de la {( séparation» et un «clceronia-
nisme» éclectique, à l'ample manteau des Vierges de la Miséricorde,
rejoint un autre débat, plus essentiel, qui donne aux Parallela leur véri-
table «suspens» : l'affrontement, tantôt amical, tantôt irréconciliable,
entre Seconde Sophistique et Patristique, entre l'éloquence païenne tar-
dive, imaginative, poétique, sensuelle, et J'éloquence contemporaine des
Pères de l'Eglise, qui la combattent en lui empruntant certaines de ses
techniques. Affrontement d'autant plus douteux que le P. Caussin, adepte
de l'arnatus oratoire, est fasciné par l'art raffiné des seconds sophistes,
latins et grecs, qu'il a lus et qu'il a appris à connaître dans les biogra-
phies de Suétone, de Philostrate, d'Eunape, dans les polémiques de Lucien
et des Pères eux-mêmes. JI est d'autant plus sensible à leur art que, comme
eux, il souhaite que l'éloquence s'allie à la poésie pour atteindre à la
suprême efficacité de ses pouvoirs.
Nous sommes ici dans tlne région crépusculaire, où toute l'ambiguïté
des rapports entre éloquence et littérature, cntre art de plaire chrétien
et art de plaire païen se manifeste, et où rien encore n'est nettement
démêlé. Cette confusion inquiète, qui rend si difficile la période {( litté-
raire» Henri IV - Louis XIII, reproduit en quelque manière celle des der-
niers siècles de J'Empire romain: les seconds sophistes du Ill' et du
IV' siècles n'hésitaient pas en effet à S'<lppuyer sur le néo-platonisme pour
justifier leur a\liage de rhétorique {( démonstrative» ct de poésie, donnant
J'exemple à l'alliage de « rhétorique» démonstrative et de poésie biblique
chez leurs élèves, les Pères de l'Eglise. Loin de durcir l'antithèse entre
théologiens et sophistes - au moins à J'étage de l'éloquence profane -
le P. Caussin se complaît sans trop se l'avouer dans une oscillation
commode, qui lui permet tour à tour d'encenser les uns et les autres, et de
jeter l'anathème sur les mêmes sophistes qu'il admire ailleurs 140.
140 Ibid., p. 130, éloge d'Hérode Atticus, d'apres Philostrate ; p. 1 JO, éloge
de Proaeresius et de Thémistius; et passim, cit., éloges d'Aelius Aristide;
mais aussi p. 56, diatribe contre la laciniasa aralia, la carrl/pli generis aralia.
Exemples de «passions puériles et excessives» chez Aristide et Libanius,
p. 323. (Mais Aristide est cité avec éloge p. 318.)
292 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)
ment, le P. Caussin est peu attaché à la foi primitiviste qui soutient, chez
les érudits humanistes les plus réformateurs, un idéal de retour à la Rome
de Caton, et à l'Eglise des apôtres. Obscurément, il est rallié à une idée
de progrès des lumières et des arts qui implique, dangereusement aux
yeux des adversaires primitivistes de sa Compagnie, une idée de progrès
et donc de novation religieuse dans l'Eglise elle-même. Au seuil du L. X
consacré au genre épidictique, le plus orné, le plus proche de l'hymne et
de la poésie, le P. Caussin narre en ces termes l'évolution de l'éloquence
antique:
147 Ce mot évoque l'imita/io adulta dont les «modernes» avec Juste Lipse
se réclament contre le vieux cicéronianisme.
148 Ibid., p. 389.
294 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)
•
••
149 V. sur les éditions au XVI' s. de la Vie des Sophistes de Philostrate et
celle d'Eunape, voir notre bibliographie, p. 717 et 724.
150 Ibid., p. 348. V. p. 103 éloge d'Hérode Atticus.
NICOLAS CAUSSIN 295
Auparavant, au L. XII, le P. Caussin n'avait pu faire autrement que
de traiter de l'éloquence judiciaire, réduite à la portion congrue entre les
deux livres consacrés à l'épidictique, et les trois consacrés à l'héroïque.
Et au début du L. XIII, lorsqu'il entame un péan en l'honneur de cette
dernière, le P. Caussin s'interrompt pour un bref chapitre intitulé, pour
que nul n'en ignore: «Qu'il y a dans l'éloquence sacrée le plus auguste
de tous les Forums. "
On songe pellt-être, jusqu'ici, aux rostres et aux trônes des Juges,
où l'on croit vo!ontiers (sous-entendu: à Paris), que cette éloquence grave
ct magnifiqlle ÙOl1t je parle règne sans rivale (dominan). Eh bien 1 que
l'on se représente, si l'on en est capable, le tribunal du Juge suprême,
LI la terrible majesté de ce jour où les colonnes du ciel ébranlées dans
un grand fracas et tremblement, à l'horreur des Anges eux-mêmes, fré-
missent sur leurs bases, où les étoiles consumées d'un trait de flamme
tombent comme les feuilles d'un arbre, où la lune se tache de sang, où
les purs fiambcallx du soleil se couvrent de noires vapeurs 151,
d'offrir une majestueuse apparence de science [ ... ] Cette manière n'en donne
pas moins au public une haute idée de leur érudition, seule à pouvoir
caresser doucement leurs oreilles! N'y a-t-il pas de quoi être ébloui en
effet, lorsque dans un même discours nous voyons accourir toutes les
lumières de tous les siècles, ou peu s'en faut? Tant d'Anciens parlent par
la bouche d'un seul homme, chacun dans sa langue natalè, et de toutes
parts résonnent tant d'idiomes divers, grec, latin, hébreu, parfois chal-
déen et arabe, auxquels se mêlent souvent jusqu'à l'italien et l'espagnol!
Géryon aux trois corps, à qui les mythologues prêtent trois langues, n'est
plus qu'une fable. Nous entendons ici, de la bouche d'un seul homme,
tant de voix étrangères que nous nous émerveillons de voir dépassée la
variété de ce monstre.
En outre, on entend alléguer des autorités si diverses, si inconnues,
ramenées du plus profond des siècles à la lumière, on entend énoncer
des pensées si choisies, des observations naturelles si rares, des remar-
ques si prestigieuses, que l'on croirait voir refleurir dans l'âme d'un seul
mortel le génie, les arts, les inventions de tous les héros. Enfin en voyant
tout cela jaillir du sanctuaire de la mémoire en flux rapide et bouillonnant,
comment ne pas s'identifier à un homme de ce genre, comment ne pas le
regarder avec stupeur, et même le prendre, plutôt que pour un homme,
pour une Bibliothèque vivante et respirante, à qui Dieu aurait confié tous
les trésors des anciennes disciplines? 15<
•
••
Aussi après avoir ramene a leurs justes proportions les prétentions
oratoires du Palais, le P. Caussin déploie, sous l'invocation de saint Jean
c'est Jean Chrysostome 160, que le P. Fronton du Duc était en train d'édi-
ter, et que le Général Acquaviva lui-même, combattant l'aulicisme, citait
avec prédilection 161. Le P. Caus sin vante sa vehementia, il énumère les
autres caractères de son style: gravité, majesté et juste mesure entre
l'austérité et la suavité. Cette juste mesure se trouve non dans les raffine-
ments de l'élocution, mais dans les grands effets et les grands mouve-
ments: grands effets fondés sur une version chrétienne de l'ekphrasis,
les «spectacles sacrés », et grands mouvements fondés sur une version
chrétienne des passions oratoires. auxquelles le P. Caussin avait aupara-
vant consacré un livre entier. Rhétorique imaginative et émotionnelle, mais
de couleur sombre et grave, telle est pour le P. Caussin la Via Regia du
sublime chrétien, le couronnement chrétien de la Seconde Sophistique.
L'abondance des ParaUela, l'allure louvoyante de la pensée du P.
Caussin pourraient faire croire au lecteur pressé à un « rapiéçage:!> sans
idée directrice. Mais pour peu que l'on prenne de ce vaste livre une vue
surplombante, qui en révèle mieux les articulations essentielles, un dessein
d'ensemble se dégage: à l'éloquence « humaine », et à la société civile, les
clelectamenta d'une sophistique chrétienne, maintenus dans la juste mesure
par l'Idée cicéronienne et par la surveillance prudente des rhéteurs ecclé-
siastiques ; mais à l'éloquence « héroïque» et à l'aristocratie sacerdotale
qui en a le privilège, la force virile et l'autorité formidable propres à tenir
en respect les puissances de la terre. Le finale « borroméen » du livre du
P. Caussin s' accorde fort bien avec ses complaisances initiales pour la
Seconde Sophistique. Celle-ci, corrigée et purifiée de ses scories païennes,
crée pour ainsi dire un ordre esthétique du langage qui convient au monde
profane et à ses faiblesses; mais ces Belles-Lettres n'ont de sens que
soumises à l'autorité éthique et théologique des ({ héros» de l'éloquence
sacrée, qui veille à maintenir dans leurs justes limites les satisfactions
sensibles accordées au monde profane.
En filigrane des ParaUeta apparaît l'image d'une hiérarchie du Verbe,
source et fondement d'un ordre théocratique où la société civile, sans être
humiliée, accepterait l'empire de l'éloquence ecclésiastique.
160 Sur saint Jean Chrysostome orateur, voir A. Puech, S. Jean Chrysos-
tome, Paris, 1905; Ameringer T.E., The stylistic influence of the Second
sophistic on the Panegyrical sermons of saint John Chrysostom, Washington,
1921 ; Burns, Saint John Chrysostom's Homilies on the statues; a study of
their r/letorical qualifies; Baur C., O.S.B., Der Heilige Johannes Chrysostomus,
und seine Zeit, 2 vol. Munich, 1929-1930 (trad. angl. par S.M. Gonzaga, RS.M.,
Londres-Glasgow, 1960).
161 En 1604, le P. Acquaviva publie Industriae ad curandos animi morbos,
trad. en fr. en 1625 (Paris, Michel Soly) sous le titre Industries et moyens
pour remédier aux maladies spirituelles de l'âme. Au ch. XlII (p. 267, trad.
fr.) il stigmatise «la secularité ou aulicisme », c'est-à-dire la mondanité et
l'humeur de la Cour, «gaignant les bonnes graces et la familiarité des exter-
nes ». Sur la crise interne à la Société que vise à résoudre cette intervention
du Général, voir]. de Guibert, La spiritualité de la Compagnie de Jésus, Rome,
I.H.S.]., 1953, p. 221-237.
LOUIS DE CRESSOLLES 299
Le P. Louis de Cressolles
162 Sur Louis de Cressolles, voir outre Gibert (note 165), Leone Allacci,
Apes Urbanae, OllVr. ci!., et Southwell, ouvr. cit., p. 562 : suavissimae conver-
sationis exemplum, laudabat raro, vitupera bat numquam ... In eo eluxit singu~
laris quaedam animi praesentia, ac judicium : tum tranquillitas ae sedatissima
actio.
163 South weil, ibid.: corpori natura tantum detraxerat, quantum ingenio
indulserat, lingua erat ad disserendum minus volubilis, exilis ipsa atque hllmilis
Statllra. defectis membris atque strigosis. Sola frons ... Comparer avec les
observations de Cressolles sur le corps idéal, ci!. plus loin, notes 229-230.
164 Theatrum veterum rhetorum, oratorum, declamatorum quos in Graecia
nominabant O'oqnc)"T(xç. P"ris, S. Cramoisy, 1620.
165 furzements des sçavans sur les autheurs qui ont traité de la Retorique,
par M. Gibert (t. 6 des fugemens des sçavans sur les principaux ouvrages ... ),
Amsterdam, 1725, p. 232 (le Père Cresol jésuite).
166 Le P. de Cressolles se justifie par la nécessité d'éclairer les textes .1nti-
ques et humanistes: SlInt enim multa in veterum commentariis ex intima
Sophistarum penu et artificio deprompta in qui bus haerere juventutem est
necesse, nisi quidpiam de consuetudine eOrl/m Rhetorum et institutione libarit.
Ces Commentarii sont sans doute les Nuits Attiques d'Aulu Gelle, et les Satur-
nales de Macrobe, mais aussi (selon la valeur que l'on donne au génitif
veterum) des miscellanées érudites modernes, comme les Adversaria d'Adrien
Turnèbe, dont le P. de Cressolles cite et explique un passage p. 104.
:-\00 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)
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Nous ne pouvons, si riche est la substance du Theatram Veteram
Rhetorum, songer à l'analyser en détail. Nous nous bornerons à résumer
les points principaux de ses L. 1I1 et IV, consacrés à la Seconde Sophis-
tique. Cette analyse rapide suffira toutefois pour apercevoir que, comme
le P. Caussin en plus d'un endroit, le P. de Cressolles éprouve une sorte
de fascination pour ces païens qu'il veut naturaliser chrétiens. Bien qu'il
s'avance en cet Enfer avec les Péres pour Virgile, il est trop bon obser-
vateur pour ne pas remarquer les étranges ressemblances entre ses
« cicerones» et leurs rivaux, qui parfois ont l'air de jumeaux 173.
La Seconde Sophistique, nous explique Cresso lIes, se caractérise par
l'apparition d'un type d'orateurs-pédagogues gyrovagues (vagos et erran-
tes), avides de gloire et d'argent, qu'i! compare à des Matamores (Thra-
sones gloriosi), tant l'art épidictique qu'ils pratiquaient et enseignaient,
si raffiné qu'il se voulût, tendait à l'ostentation, à la pompe, à la jactance
frivole. Virtuoses de la parole, ils étaient spécialistes du panégyrique,
celui des Dieux, des héros, des hommes célébres, et des cités. Ils ne recu-
laient pas devant le mensonge pour louer - ou vitupérer - plus brillam-
ment 114.
Les sujets de leurs panégyriques, comme de leurs invectives (avers et
revers du genre épidictique), étaient aussi bien des personnages ou des
objets réels que des fictions ou des sujets futiles et paradoxaux. Souvent
très riches et grassement payés par la Cour impériale ou les autorités
provinciales, ces esthètes affectaient de célébrer les héros républicains,
morts en martyrs de la patrie à Salamine ou Marathon, ou faisaient
17~ Theafrum, ouvr. cit., ch. VII, p. 185 et suiv., en part. p. 201 (Maferiae
infames). Le P. de Cressolles s'étend aussi sur l'art d'improviser des sophistes
(ex temporales epidixeis, subitaria dictio, p. 210), autre moyen pour eux d'éton-
ner et d'éblouir.
176 Ibid., ch. XII, p. 216.
177 Ibid., ch. XIII, p. 222.
178 Le P. de Cressolles affirme évidemment que les sophistes ont copié
les Princes de l'Eglise: Aemulari Christianorum Pontificum dignitatem et majes-
tatem solebant, quorum thronos fuisse ornamentis illustres et venerandos acce-
pimus. On mesure dans quelle redoutable ambiguïté on se trouve: la contagio'l
entre sophistique profane et sophistique sacrée (au IV' siècle, mais aussi au
temps de la Réforme tridentine) est telle que le P. de Cressolles lui-même
hésite sans cesse entre l'horreur ct la fascination, et que ses critiques portent
le plus souvent aussi bien contre l'art profane que contre l'art sacré qui s'en
inspire pour mieux toucher le public. Il faudra trancher ce nœud gordien.
179 Ibid., p. 235: Cura et eventi expectatione solliciti cruciebantur Sophis-
tac... quod acrius eorum vitia animadvertebantur, qui praestare omnibus et
excellere ClIpiebant. C'était pourtant à cette «gloire» qlle les Jésuites
« piquaient» leurs élèves dans les Académies et sur les scènes de Collège
(voir J. Lacotte, art. cit., R.S.H., trad. d'un dialogue du P. Pontanus sur
l'impatience de jouer la comédie, p. 266-268).
180 Ibi,"., ch. XIV, p. 239.
304 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)
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••
L'humeur des sophistes, nous dit leur historien, était à l'orgueil, à la
« dilatation d'âme» 188. Ils exigeaient, et ils obtenaient souvent des louan-
ges les égalant aux dieux. Leur susceptibilité d'hommes de lettres faisait
de leur vie une compétition permanente avec des rivaux à abattre et à
humilier. Après s'être donnés cn spectacle, ils se faisaient ramener en
triomphe jusqu'à leur demeure. Et telle prouesse oratoire particulièrement
réussie étendait leur gloire bien au-delà de la ville qui en avait été le
théâ tre 189.
Cressolles, tout au long de dix « essais» étourdissants regroupés au
ch. g, étudie alors les mœurs de l'auditoire des sophistes et leur façon de
payer aux orateurs la voluptas que ceux-ci leur apportaient. Il y avait
sans doute les applaudissements, et les techniques propres à les rendre
plus sonores. Mais pour répondre au «thiasme» de l'orateur-acteur-
chanteur, il y avait des manifestations plus démonstratives. A la manière
des bacchantes, on se précipitait en avant (erumpere), on bondissait en
l'air (absultare), on s'agitait follement en tous sens (circumagi furent!'r),
on se déshabillait (vestes movere), manières fort analogues à celles du
public des opéras italiens du XVIIIe siècle, ou à celui des modernes music-
halls. Les sophistes encourageaient du geste ces réponses flatteuses à
leurs flatteries. Ils disposaient même une claque (chorus domesticus) dans
le public 190.
Au cours des homélies chrétiennes contemporaines de la Seconde
Sophistique, le public s'écriait amen amen pour souligner les passages
les plus réussis. Et les applaudissements étaient entrés dans les mœurs
de l'Eglise latine comme de l'Eglise grecque, au témoignage unanime, et
parfois contrit, des Pères. La pression de la culture païenne ambiante
188 Sur l'opinio de se mirifica des sophistes, voir p. 172. Elle les rend
contentiosi. Cressolles voit très bien, à travers les sophistes antiques, se
dessiner la psychologie de l'homme de lettres modernes, que la Querelle du
Cid mettra si cruellement en évidence, après la Querelle Balzac-Goulu.
189 Sur la cupidi/as plausuum des sophistes, voir p. 279, une belle ekphrasis
du sophiste savourant les applaudissements de son public: Suos audi/ores in
lalldem et clamorem effllsos gloriose Illstrare oculis et cirC/lmspicere solebant
nt que nutu et animi gestientis laetitia concitare.
190 Ibid., p. 292.
306 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)
•••
Ce qui est neuf dans le livre du P. de Cressolles, c'est moins l'érudition
que la vivacité des couleurs du tableau de la civilisation sophiste. Là aussi
réside le risque: car on sent trop que pour entrer aussi bien dans les us
et coutumes de ce monde d'orateurs, le P. de Cressolles d'une certaine
manière parle du danger qui le guette, lui et les siens; à tout instant,
pour un esprit malveillant ou peu bienveillant envers la Compagnie et
l'Eglise, le rapprochement s'inlpose entre les mœurs des seconds sophistes
et celles des prédicateurs auliques, voire des prédicateurs tout court d'une
Compagnie et d'une Eglise converties à l'antique eLoquentia. Il est encore
« explication» peut être chez les uns « magnifique, illustre », chez d'au-
tres «basse et obscure ». Chez les sophistes, qui avaient pour règle de
dire magnifiquement les choses magnifiques, l'explication était toujours
parée de couleurs vives et brillantes, de mots 'Choisis pour leur beauté et
sonorité. Selon le mot de Synésius, ils étaient les maîtres d'une thauma-
!1iologie.
Puis notre historien se fait stylisticien, et étudie les techniques de
l'herméneïa sophistique: le choix des mots (delectus verborum), leur
arrangement harmonieux (concinnitas) et les figures qui s'y dessinent.
Leur choix des mots est commandé par un principe de suavité lascive et
d'abondance fleurie. Ils travaillent dans la sonorité, non dans le sens.
Tout tend chez eux à satisfaire par les grâces (veneres) du style un goût
sensuel (voluptas). Leur vocabulaire Est de préférence poétique: ils se
glorifiaient d'avoir pour père Homère, et éventuellement Archiloque, pour
mère la Tragédie 201. Avec de tels répondants ils donnaient volontiers
dans l'enflure (tumida dictio) et I·e dithyrambe. Grégoire de Nysse compare
leur style enflé à de l'écume, à des fioles de verre (ampullas). Leur
goût pour la Ianyue des poètes s'alliait volontiers avec celui de
l'archaïsme: mots étranges, oubliés ou vieillis, qu'ils déterraient avec
délices et exhibaient comme des monstres propres à étonner. A l'inverse,
ils aimaient la nouveauté, les mots difficiles et techniques qu'ils enrou-
laient dans des phrases compliquées et obscures. Cette affectation d'obs-
curité leur était d'ailleurs commune avec certaines écoles philosophiques,
comme les Pythagoriciens et les Stoïciens. Ils triomphaient ainsi auprès
de publics éblouis, mais peu judicieux 202.
Ou encore, ils donnaient dans les plus sévères purismes, et leur
asianisme, tombant d'un exeès dans un autre, se métamorphosait en atti-
cisme. Citant le Maitre de rhétorique de Lucien, une des sources majeures
du Ciceronianus d'Erasme, Cressolles souligne le caractère démesuré de
•
••
Si brillante, si fondée que soit la description de la Seconde Sophis-
tique par le P. Louis de Cressolles, elle n'en est pas moins fort partiale.
Hanté par l'antithèse Sophistique païenne/Patristique, que d'ailleurs plus
d'une de ses analyses démentent malgré lui, il insiste sur les aspects les
plus « corrompus» de la rhétorique impériale tardive, et sous-estime la
valeur de la réaction atticiste qui, d'Aelius Aristide à Libanius, s'efforçait
non seulement d'épurer le goût, mais d'articuler plus solidement l'élo-
quence à la philosophie. Dans le domaine latin, la résistance des écrivains
stoïciens, celle des atticistes archaïsants dont Aulu Gelle s'est fait l'inter-
prète dans les Nuits Attiques, étaient une autre source de lumière que le
P. de Cressolles néglige dans son tableau. Cette perspective quelque peu
faussée a une double conséquence. La première, c'est que les analogies
entre la « sophistique sacrée» des prédicateurs jésuites, et la sophistique
des rhéteurs d'Asie, sautent aux yeux du lecteur, sans que le P. de Cres-
soli es ait évidemment voulu cet effet de satire. La seconde, c'est que le
choix proposé à l'orateur chrétien par le P. de Cressolles lui-même n'est
pas entre les formes les plus « saines» de l'éloquence antique et l'élo-
quence des Pères, mais entre asianisme et patristique. La voie moyenne
.- et nous allons le voir dans les Vacafiones Aufumnales de notre au-
teur - sera donc un compromis entre Seconde Sophistique de tendance
asianiste et ceux des Pères qui en sont le moins éloignés.
La conclusion du Theafrum Veferum Rheforum pose déjà ce dilemme,
et esquisse cette solution. Le P. de Cressolles y rapporte les jugements
sévères portés par les Pères et par les philosophes sur la sophistique.
Les chrétiens ont deux raisons particulières de s'en détourner: il s'agit
d'un style creux, tout à l'opposé d'une piété solide; il s'agit de fards
utilisés par les « hérétiques» pour mettre en difficulté l'Eglise catholique.
Accoutumé à l'amalgame entre passé et présent, Cressolles entend par
"hérétiques» aussi bien les Ariens, Donatistes, et Païens de l'Antiquité,
que les protestants modernes. Il semble ici accuser l'humanisme protestant
203 Ibid., p. 333. C'est sur ce point que le P. de Cressolles rejoint le Cice-
ronianus d'Erasme. Mais depuis, quels progrès de la sophistique païenne, jus-
c;t:e et y compris chez ceux qui la critiquent!
310 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)
•••
Il n'est pas nécessaire d'insister sur l'importance d'un tel ouvrage. En
dessinant avec tant de précision le tableau de la sophistique païenne, le
P. de Cressolles portait à un degré de clarté et de maturité presque insou-
tenable le problème autour duquel tournait la rhétorique humaniste depuis
Erasme, et tout spécialement la rhétorique des Jésuites depuis Possevin.
Cette prise de conscience de la puissance des racines poussées par la
sophistique païenne dans les Lettres contemporaines ne pouvait toutefois
aller au-delà d'un certain seuil, sans remettre en cause tout l'apport de la
Renaissance des litterae humaniores et celle des Pères de l'Eglise. C'était
le prix à payer, le risque à courir: on ne pouvait revenir à la barbarie
scolastique. Il était clair d'ailleurs que les Pères devaient beaucoup aux
sophistes, et leur exemple était somme toute rassurant pour la conscience
chrétienne.
•
••
En 1620, en même temps que le Theatrum, Sébastien Cramoisy publiait
un autre ouvrage du P. de Cressolles : les Vacationes autumnales sive de
perfecta oratoris aetione et pronuntiatione libri Ill, dédiés à Henri de
Bourbon, marquis de Verneuil, évêque de Metz, et frère du comte de
Moret. Ces deux bâtards, enfants d'Henri IV et de Gabrielle d'Estrées,
avaient été confiés par Louis XIII au Collège de Clermont, qui en tirait
grand prestige auprès des parents d'élèves tant de Robe que d'Epée.
207 Musei sive BilJliolhecae lam privalae quam publicae exslructio, inslruc-
lio, cura, vis, lib ri IV, accessit accurala descriplio Regiae Bibliolhecae S. Lau-
renli Escurialis, insuper Paraenesis allegorica ad amorem litlerarum, Lyon,
Jacques Prost, 1635. Sur le P. Claude Clément, v. Southwell, Bibliolheca ... ,
Ol!Vr. cit., p. 150-151. Gallus, Sequanus, Ornaci in Burgundiae Comitalum
0595-1642), il fit ses études à Besançon, Avignon et Lyon, enseigna à Dôle,
puis devint une des lumières du Collège impérial de Madrid.
208 Ibid., p. 357. La citation renvoie au Myslagogus, mais l'ouvrage du
P. Clément, et sa conception de l'architecture et de la décoration des biblio-
thèques, supposent une lecture attentive des Vacaliones, tandis que sa pru-
dence en matière de rhétorique, soutenue par la lecture des Pères, implique
une lecture non moins méditée du Theatrum.
312 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)
l'Antiquité qui est érigée en juge des barbares modernes, tantôt c'est le
point de vue de la modernité chrétienne qui se charge de redresser les
erreurs ou les excès d'une Antiquité superbe, mais privée des lumières de
la Révélation.
Cette étonnante Odyssée oratoire a quelque chose d'un roman initia-
tique 210. Sur le seuil du château où Honoratus en l'absence de son père
reçoit ses amis, ceux-ci tombent en arrêt devant les armes hiéroglyphiques
de la famille: un Dieu et une Déesse soutiennent un croissant de lune,
àe chaque côté d'une colonne. Après que ses amis aient tenté un premier
déchiffrement, Honoratus, nouvel Oedipe, leur explique l'énigme. La lune
symbolise la Noblesse, qui reçoit sa lumière du Monarque, et la lui ren-
voie; elle est soutenue d'un côté par Mars (l'Epée), et de l'autre par la
Justice (la Robe), La colonne n'est autre que la massue d'Hercule, qui
symbolise la Vertu, commune aux deux Noblesses. Le chiffre trois renvoie
aux trois Lys des armes de la dynastie royale 211.
Dès lors les « mystes» savent que leur naissance de Robe ou d'Epée
n'est pas une initiation suffisante à l'aristocratie du royaume: seule la
culture, qui fera d'eux les héritiers de la noblesse de l'esprit, les rendra
exemplaires. Lorsque Honoratus les introduit dans la Bibliothèque 212,
c'est dans un lieu initiatique qu'il pénètre. Ses larges fenêtres captent
les effluves émanées de la riche campagne environnante, qui s'y reflète
dans de grands miroirs. Et ces énergies cosmiques y sont comme fixées
dans les livres innombrables qui garnissent les rayonnages, où leurs
reliures dorées «rivalisent avec les astres de feu du Ciel étoilé» ; une
lampe perpétuelle, pareille à celle dont Cassiodore 213 éclairait les doctes
veilles du Vivarium, brûle sous une coupole, au centre de la salle. Dans
ce Temple de la Mémoire, les arrivants sont saisis d'un frisson religieux.
Ils évoquent les grandes bibliothèques qui ont jalonné le développement
de la culture, celles d'Asinius Pollion, de Ptolémée, de Constantin. La
Bibliotheca selecfa a servi de programme pour le classement des livres.
•••
L'objet du dialogue, dans son ensemble, est l'actio et pronuntiatio
oratoria qui sert au P. de Cressolles, par un jeu savant de digressions, à
développer toute une doctrine rhétorique. En choisissant cette disposition,
le jésuite breton inversait l'ordre accoutumé des traités de rhétorique,
qui respectait les étapes du procès oratoire, et leur hiérarchie: invention,
disposition, mémoire, élocution, action et prononciation du discours. Peut-
être ce privilège accordé à l'aefio lui a-t-il été suggéré par un traité du
jurisconsulte italien Giovanni Bonifacio, paru à Vicence en 1616 et inti-
tulé L'arte de' cenni, con la quale ... si tratta della muta t!loquenza, che non
il aUro che un facondo silenzio 216. Mais cette tentative de sémiologie uni-
verselle, où le silence parle et l'éloquence se tait, est très différente de
celle du P. de Cressolles. Celui-ci n'envisage l'expressivité du silence
que comme un cas extrême, un point d'orgue d'une force d'autant plus
grande qu'elle est très rare 217: pour lui les signes muets qu'émet le
corps humain sont presque toujours l'accompagnement visuel de la
parole, seule rectrice du sens.
Son traité, dans sa singularité même, est bien plutôt l'aboutissement
extrême d'une tradition commencée par l'Ecclesiastes d'Erasme, et qui
est propre à l'éloquence sacrée. Le luxe d'indications données sur l'actio
par Erasme lui-même, puis par Louis de Grenade, Louis Carbone et Carlo
Reggio 218, découlait de la nature essentiellement orale et publique de
l'éloquence sacrée. Omer Talon, dans sa Rhétorique destinée avant tout
aux gens de Robe, faisait lui-même une part importante à l'acfio 219. Mais
l'auditoire d'Eglise, vaste et souvent peu cultivé, exigeait un développe-
ment plus accentué de la visibilité du sermon; il fallait d'ailleurs corriger
les habitudes médiévales en ce domaine: le passage du sermon «gothi-
que» au sermon « oratoire» ne pouvait que s'accompagner d'un change-
ment dans le style de l'interprétation du discours. Ce que Quintilien, dans
l'étude sommaire qu'il consacre à l'actio 220, ne disait pas, ou pas assez,
l'érudition alla le cueillir dans la littérature sophistique et patristique de
l'Age d'Argent. La place considérable que les rhétoriques ecclésiastiques
accordent, de 1570 à 1625, aux techniques d'actio et de pronuntiatio nous
permet de formuler l'hypothèse suivante: c'est l'éloquence sacrée qui a
joué le rôle moteur dans la renaissance d'une actio rhetorica au XVI' siè-
cle, et c'est à partir de cette version ecclésiastique de l'actio que ses
dérivations profanes (étiquette de Cour, art du comédien « réformé») se
sont développées 221.
•
••
Le P. de Cressolles nous facilite lui-même la tâche: de temps à autre
en effet ses jeunes héros délaissent l'examen minutieux des possibilités
expressives de la tête, des yeux, de la bouche, du cou, du torse, des bras,
des mains, des jambes, des pieds, de la voix, pour introduire une digres-
f,ion de caractère plus général. L'esthétique de chaque détail ne saurait
être séparée d'une option esthétique d'ensemble. Au L. " par exemple, la
discussion s'élève aux Communia quaedam actionis 222.
222 Vacationes ... , p. 395-414. Cette dispufafio est suivie d'érudites conver-
sations sur le bon goût philosophique en matière de repas et festins, et sur
l'usage du vin ou de l'eau par l'orateur.
LOUIS DE CRESSOLLES 317
quence au plus « artiste» des Pères grecs, saint Grégoire de Nazianze 224.
Honoratus formule en ces termes la définition de l'aurea mediocritas :
Les sages, dit-il, par leurs préceptes, ont recommandé une règle d'or,
selon laquelle il faut que les mouvements oratoires s'abstiennent de vio-
lence, comme de langueur paresseuse, et que l'ardeur d'une âme prompte
et vigoureuse, évitant la témérité, se contrôle pour rester dans les limites
de ce que Grégoire de Nazianze appelle la voie royale, celle de la pru-
dence ~25.
•••
Au L. III, une digression De stylo et dicendi charactere permet au
P. de Cressolles de marquer davantage encore sa préférence pour le style
de la célébration ornée 229. Cette disputatio offre quelques analogies avec
le Ciceronianus d'Erasme. Mais c'est un Ciceronianus à l'envers: l'accusé
ici, c'est l'atticisme «mélancolique» dont le P. Caussin avait énuméré
l'année précédente la gamme morose et rugueuse. Honoratus, fils de
magistrat, et influencé probablement par son milieu, a été autrefois atteint
de cette «maladie », et veut bien, pour le plaisir de ses amis, jouer les
avocats du diable. Il vante donc l'expressionnisme stylistique, véhément
lorsqu'il s'inspire de Démosthène, ou de Tertullien, «coupé» (frac tus)
lorsqu'il s'inspire de Sénèque, mais toujours archaïsant et obscur. Con-
trairement au P. Caussin, le P. de Cressolles ne fait aucune exception pour
Juste Upse, qu'il ne cite jamais, mais qui selon toute apparence, est inclus
dans cette sombre galerie.
Pour Honoratus, la meilleure justification de l'atticisme archaïsant,
qu'il incarne en la personne d'Achille, héros viril et offensif, c'est le refus
de tout compromis avec le « lâche» asianisme, allégorisé par le volup-
tueux Pâris. De cette asperitas incorruptible, qui affecte de mépriser tout
ornatus, toute delectatio, pour se rèserver le privilège de la "vérité» et
de 1'« utilité» nues, Honoratus prend pour Idée le style de Tertullien:
On ne peut rien citer ni imaginer, s'écrie-t-i1, de plus véhément que
lei, rien de plus magnifique, rien qui ait plus de nerfs et de muscles 230.
rertlm aeslimatores tuerunt, sic opinantur non Senatus eum sapientis, et pra es-
tabili scientia hominum sed potius indoelae l7lulliludinis et populi Oratoris.
Cr\:ssolles résume ici à sa manière ks sentiments des hauts magistrats du
Palais de Justice, hostiles non seulement à la Seconde Sophistique modernisée,
mais raême à l'isocratisme.
231 Ibid., p. 566. A l'appui de Tertullien, Honoratus cite Caton, Zénon,
Sénèque, puis une série de Docteurs chrétiens, Prosper d'Aquitaine, Théo-
doret, et les Pères de l'Eglise Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, Clé-
ment d' Alexandrie, saint Cyrille, et enfin Platon. C'est donc du puritanisme
oratoire platonicien et chrétien, uni au stoïcisme, qu'il se fait l'interprète, stig-
matisant les Sirènes qu'il ne faut pas préférer aux Muses (p. 567), l'oratio ad
gratial7l et lenocinium elabora/am, la libidinosa eloquentia, la con cinn itas, les
luxuriantes gemmulae orantium (568), bref le style des Comoedos et his-
/riones (559). Une fois encore, le sort de la prose d'art est étroitement lié à
celui du théâtre, l'une et l'autre posant le problème de la compatibilité entre
deleelalio et vo/uptas d'une part, la gravitas, aucloritas el sanctimonia chré-
tienne et philosophique de l'autre.
2.32 Ibid., p. 569. Renvoi au 1. III de la République. Comparer avec BI. de
Vigenère, dans la préface à sa traduction de Trois dialogues de l'amitié, le
Lysis de Plalon, le Laelius de Ciceron ei /e Toxaris de Lucien. Paris, Chesneau,
1579; pré!. à J. Andreossi: «Le présent qu'icy je vous fais est composé de
ce nombre à guise de quelque galle rie ou Portique à trois ordres d'architecture,
dont celui d'enbas qui est ordinairement le Dorique, est représenté par Platon,
non pour rapporter l'excellence de ce st autheur si délicat et elegant sur tous
les autres à un ordre plus massif et grossier de tous, mais pour ce qu'il sert
icy comme de base et fondement aux deux qui posent dessus: Ainsi que tant
de repetitions qu'il y a qui tiennent comllle lieu de Triglyphes et les responses
entrecouppées un peu bien cO:.Jrt, voir abruptement quelquefois, semblables
presC]u~ les unes aux autres, dont 1'1111 de nos follastrez gosseurs modernes
s'est voulu rire sous le personnage de Trouiliogan, sonneront paraventure assez
rudement et ne trouverort [las grand goust ne credit envers les oreilles non
encorre Îmbeues ne façonnées à l'induction socratique. L'autre qui vie~t ",prt"
plus esgayé comme un Ionique, est Cicéron. Et finalement Lucian pour Je
tiers, à savoir le Corynthiaque, par raison des belles histoires figurées en
iceluy ainsi que pourroit estre une frize ou zoophore entaillé à petits bastions,
fleurs, fruictages et autres telles fantaisies aussi agréables et recre;:ttives à l'oeil
que les comptes amenez ic}' peuvent estre à nos imaginations et pensées. » Voir
aussi la lettre de Poussin a Chanteloll du 24 novembre 1647 (cil dans N. Pous-
sin, Lettres et propos sur l'art, présentation par A. Blunt, Paris, Hermann,
1964, p. 123-125).
LOUIS DE CRESSOLLES 321
Cette sombre âpreté était bonne peut-être pour des temps d'orage. Le
temps de la paix et des arts, que le P. Richeome félicitait Henri IV d'avoir
ramené, en lui promettant le soutien de son Ordre, doit se ralIier à Cicé-
ron. Le discours doit se faire de nouveau, à l'exemple de l'Arpinate, .le
reflet d'une nature apaisée et d'un ciel serein, où les astres bénéfiques
tournent à leur place autour du soleil.
Avec une précision qui nous indique une des sources de ce «purisme
de Cour» que Marie de Gournay attribuera au seul Malherbe, Théodorus
pose les principes d'un delecfus verborum cicéronien: élimination de la
langue des mots durs et difficiles, élimination des mots archaïques, tous
« monstres » étrangers à la nature et déniant à l'oreille la douceur qu'elIe
233 Ibid., p. 573-574. Voir Caussin, Eloquentiae ... Parallela, éd. cit., p. 67.
Cressolles pense non sans raison qu'aussi bien dans la Robe que dans l'Eglise
gallicane il y. a un courant d'idées favorables à une éloquence «cicéronienne»
au sens où II l'entend, c'est-à-dire à mi-chemin des excès asianistes et du puri-
tanisme « véhément» des philosophes et des théologiens.
234 Ibid., p. 575. Ces métaphores rocailleuses répliquent à celles dont avait
fait usage Honoratus, qui opposait (p. 563) les montagnes à la plaine: Aliud
dicendi genus modo quaeritur sanguine plenum, forte, vehemens, austerum,
aculeatum, et ut dicam quod palmarium est, magis emditum, et interioribus
e literis haustum et depromptum : aliae viae nunc sunt, aliae regiones ineundae
ad eloquentiam, quam ego lubens cum Hesiodea Virtute in asperis saxis atque
pendentibus, via difficili atque ardua, posuerim. ilia quae fertur per loca plana
et laevia oratio, compta et polita, muliebri mundo luxurians pusionum exerci-
tationi relinquatur. Voir pour une prise de position analogue en faveur du
« sublime escarpé », le De erroribus rnagnorum virorum iJz dicendo, de Léon
Allacci, ouvr. cit.
322 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)
240 Ibid., p. 259-262. Cressolles fait usage de mots français, « port majes-
tueux» p. 259, «maintien et contenance» p. 260, pour évoquer le decorum
physique de l'orateur.
241 Ibid., p. 273. Cressollcs mentionne le Polycleti canonem après avoir
montré que la trop haute taille, comme la trop basse, ou la bossue, f'e
conviennent pas à la dignité oratoire, miroir de la dignité de l'homme.
242 Ibid., p. 129. Les cheveux hérissés, à la manière du lion, peuvent
convenir il un oratellT qui traite de causae capitales ou qui hlstige les impies;
mais honte aux mollioribus et deUcalulis, qui veluti lanea in rota ferunl cer-
viccm, quos videmus fluentes cincinnos et drca humeros volitantes levi pulsu
mollillswle quatere, eaque re :J;loriari. Semblables au licencieux Alcibiade, il
Mélénas l'effeminé, et peu à leur place parmi les sages.
243 Ibid., p. 168. Quid de ilIis dicam quorum oculi libidinibus J;estiunt et
perspicua titillatione volvuntur ... 7 Sane fuit comnlllnis omnium sapientium opi-
/lio Oëu!um vagum ilium et liberiorem indicem esse levitatis et flagitiosae cupi-
ditatis.
244 Ibid., p. 199. Monebo eloquentiae candidatos ... ut quorurndam !eviorum
inanitalem devi!en! qui speciosllm esse pulant intimas auriculas auro immisso
lacerare, quod motlioris ego quidem animi esse puto, effoeminatae naturae ...
On saisit ici sur le vif la mutation de mœurs qu'implique le passage d'une
jeunesse de Cour abandonnée à ses instincts, à des jeunes gens « initiés »,
« candidats}) il la dignité d'orateurs.
245 Ibid., p. 227.
246 Ibid., p. 245.
324 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)
moustache 247, par une manière déhanchée de se tenir, par une gesticula-
tion qui sent son dionysisme 248, bref par toute une série de solécismes et
de barbarismes du maintien et du geste qui traduisent un intérieur gâté.
La barbarie et la vulgarité, chez d'autres, percent dans leur manière de
grincer des dents 249, de rire bruyamment 230, de parler en postillonnant,
voire en crachant 251, de taper des pieds, de se servir inconsidérément de
leurs mains, ou de faire des gestes obscènes. L'effoeminatio des muguets
de Cour, la barbarie des pédants du Palais ont en commun d'ignorer toute
règle et toute mesure. Les uns poussent l'asianisme du maintien jusqu'à
l'impudeur, les autres l'asperitas atticiste jusqu'à la vulgarité. Entre ces
deux extrêmes, correspondant dans l'ordre des manières à l'aurea medio-
critas dans l'ordre de l'aelio oratoire, le P. de Cressolles, en avance de
dix ans sur Nicolas Faret, évoque l'idéal de la Nobilitas 252.
Comme le P. Caussin le fera quatre ans plus tard dans La Cour Sainte,
le P. de Cressolles distingue avec soin sa nobili/as, pure essence extraite
de la Bibliothèque, de la noblesse de nom et d'armes, qui s'imagine détenir
ce privilège par nature et par héritage. La noblesse, que Montaigne, Marie
de Gournay, ou Nicolas Pasquier appellent « de coustume » 253, n'est pas
en principe un obstacle à l'autre, la vraie: elle peut être avec elle dans le
•
••
256 Voir Antoine Adam, Théophile de Viau et la libre pensée française en
1620, Lille, Genève, Droz, 1935.
257 Voir Sommervogel, Bibliogr. cit., t. VII, col. 982-83.
328 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)
258 Sur Gaspard Scioppius, v. note 139. Ce curieux personnage ayant com-
battu sur deux fronts, contre les «hérétiques» et contre les Jésuites, il est
difficile de savoir si le P. Garasse lui emprunta son nom pour lui faire pièce
ou pour lui rendre hommage.
259 Ch. Nisard, Les gladiateurs de la République des Lettres, Paris, 1860,
t. Il, « François Garasse», p. 228-253.
260 Ibid., p. 253-268.
261 Ibid., p. 268-294.
FRANÇOIS OGIER 329
•
••
La réplique la plus efficace à la Doctrine curieuse vint non pas des
amis de Théophile, glacés d'effroi, mais du cercle humaniste de Nicolas
Bourbon 262, poète néo-latin et maître du comte d'Avaux et de Balzac.
Le jeune François Ogier 263, dans son Jugement et Censure 264, se garde
bien d'attaquer Garasse sur le fond: il approuve en termes génériques
la croisade contre «1'Athéïsme qui corrompt, à ce qu'on dit, jusque les
plus illustres membres de cet Estat ». En revanche, il veut rendre odieux
son style et sa rhétorique de sycophante.
Avec une ironie consommée, et qui touchait juste, François Ogier
retourne contre Garasse l'argument essentiel que celui-ci dirigeait contre
Théophile. On ne fait de bonne littérature qu'avec de bons sentiments?
S'il se trouve que Garasse fasse de la mauvaise littérature, ses sentiments
sont donc fort mauvais. Et, bon apôtre, Ogier de s'étonner que les « Doc-
teurs de la Foi» (entendons les Docteurs de Sorbonne émus contre
Théophile) admettent pour héraut un personnage dont les mœurs - si
l'on en croit son style! - compromettent la sainte cause qu'il prétend
défendre en leur nom.
Cette belle trouvaille, qui donnait à Ogier l'avantage du défenseur du
« style sévère» chrétien contre l'impure sophistique païenne de l'impos-
262 Sur Nicolas Bourbon et son cercle, voir René Kerviler, Nicolas Bourbon,
1574-1644, étude sur sa vie et ses travaux, Paris, H. Menu, 1878. L'acmê de
son influence se situe entre 1611 et 1619, années pendant lesquelles il occupa
la chaire d'éloquence latine du Collège Royal. 11 fut le maître de rhétorique
de Chapelain, le précepteur du comte d'Avaux, et exerça une influence décisive
sur la formation du jeune Balzac. Richelieu le fit entrer à l'Académie en 1637.
263 Sur François Ogier, v. Goujet, XV 11, p. 224. Né en 1597, fils d'un
procureur au Parlement de Paris il était le frère du secrétaire du comte
d'Aval'x, élève de Nicolas Bourbon: V. son Eloge ou Panégyrique de Monsieur
d'Avaux, Paris, Camusat, 1652, où Bourbon est célébré comme Je «Linus»
du héros: «C'est luy qui donna goust à M. D'Avaux des belles lettres, qui
Il!y mit les bons livres à la main, qui le façonna à cette noble manière de
s'exprimer et cette éloquence masle et majestueuse dont il estoit sans mentir
un grand Maistre.» Nous reviendrons sur l'école de N. Bourbon, un des labo-
ratoires du classicisme. C'est en 1623, selon Marolles (Mémoires, Paris, 50m-
maville, 1656, p. 58) que les deux Ogier, leurs amis Habert et G. Colletet font
leur jonction avec l'" académie» de Marolles, chez Marie de Gournay.
Marolles et ses amis sont fort liés aux Jésuites érudits, Sirmond, Fronton du
Duc, Petau (Marolles, ibid., p. 38 et suiv.) que François Ogier épargne soi-
gneusement dans son Jllgement et censure. 11 n'est pas exclu que ce pamphlet
exprime aussi le point de vue de Marolles et de ses amis, alors tout occupés
de la «pureté de la langue », de la « netteté d'cxpressio;l» (ibid., p. 41).
264 Jugement el Censure dl! livre de la Doctrine curieuse de François
Garasse ... , Paris, 1623 (non pag.).
330 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (160\-1624)
teur Garasse, semait la division dans 'le camp dévot. Ogier prend soin de
dissocier la cause du sycophante de celle de «l'éloquent Coton », du
« docte et profond Seguiran », du «sçavant et judicietlx Fronton », les
invitant à se désolidariser de la brebis galeuse.
Par un tour de virtuosité assez brillant, Ogier se sert de la critique
rhétorique pour apparaître plus dévot que le porte-parole des dévots, et
pour desserrer du même coup la prise de la critique dévote sur l'éloquence
française! De fait son analyse du pamphlet de Garasse est un modèle de
critique rhétorique, qui le prépare à l'Apologie des Lettres de Balzac,
son second chef-d'œuvre en ce genre. Dans les deux cas, ce sont des
critères du decorum chrétien qui perdent ou qui justifient l'auteur étudié.
Garasse avait cru pouvoir tempérer la «véhémence» de ses accusa-
tions par le recours à des ornements qui délassent le lecteur: récits,
descriptions, portraits satiriques. Il obéissait ainsi au principe de la
variété. C'est là que François Ogier l'attend. Posant en principe l'émi-
nente dignité du Prêtre, que toutes les rhétoriques ecclésiastiques depuis
Trente s'employaient à célébrer, il rappelle qu'il doit y avoir convenance
entre la majesté de l'office, et celle du style par lequel son éloquence se
manifeste. Violant le decorum auquel il est tenu par sa condition d'ecclé-
siastique, Garasse ne saurait être qu'un mauvais prêtre, autant qu'un
mauvais orateur.
Garasse est-il pieux? En tout cas il ne se montre pas tel, et le feu de
la charité ne l'anime guère lorsqu'il injurie les pécheurs au lieu de les
reprendre patiemment. Est-il doué de la prudence chrétienne? En tout
cas il se montre privé de «jugement », puisqu'il croit pouvoir défendre
les mystères de la foi avec des ornements bouffons imités de grossiers
paillards tels que Régnier, voire Rabelais.
C'est ce dernier argument que développe Ogier dans un chapitre
intitulé La rhétorique de Garasse. Il faut ici entendre «rhétorique »,
comme souvent au XVII" siècle, et depuis, dans un sens péjoratif, celui
d'art sophistique de persuader. Or l'argumentation de Garasse est essen-
tiellement fondée sur la figure d'ironie (raillerie), qui selon Ogier est non
seulement impropre à la preuve, mais incompatible avec l'apologétique
chrétienne. Du moins sous la forme grossière et brutale qu'elle revêt chez
Garasse 265 : Ogier n'exclut pas l!ne ironie délicate, qui emploie d'honnêtes
détours. Mais l'orgueil suffisant et la violence latente que supposent les
railleries de Garasse sont étrangers à la parole et au cœur chrétiens.
266 Ogier cite aussi saint Paul, les Actes, saint Hippolvte, saint Cyprien,
saint Augustin. Contre Garasse, il prend la défense d'Henri Estienne, d'Etienne
Pasquier, de J.J. Scaliger, et de Charron. /1 cite avec éloges 1uste Lipse, Mon-
taigne et les 1ésuites érudits, tels Andreas Schott. Contre Garasse, il en appelle
à la «Cour de Parlement de Paris» qui aurait plusieurs fois condamné au
feu tles livres offensant la majesté de la religion comme celui de Garasse. Son
goût à la fois chrétien et cicéronien s'appuie sur un humanisme à la fois
gallican et érudit (au ch. VI, il cite la Chronolo~ie de Génébrard qui récusait,
après Casaubon, l'authenticité du Corpus Hermeficum que Garasse, confor-
mément à la tradition du xv,' siècle, citait comme une autorité).
332 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)
•••
Au Jugement et censure, le P. Garasse répondra l'année suivante dans
une Apologie ... pour son livre contre les Athéiste:; 268. JI s'efforce,
bien avant le P. François Vavasseur et son De Ludicra Dictione (1658), de
définir la légitimité du style « plaisant» en matière de polémique, même
269 Voir Apologie ... , ch. IV, «Mes bouffonneries prétendues », p. 39-47.
" Les tr:lÎts et pointes d'esprit ne se doivent pas qualifier du nom de bouf-
fonnerie ... Il y a une vertu nommée Eutrapelie ... par laquelle un homme d'es-
prit faie! de bonnes et agrcables rencontres qui resveillent l'attention des Audi-
tturs ou des Lecteurs appes,lIltis par la longueur d'une esrriture ennuyeuse
ou d'un discours trop sérieux» (p. 41). Cette vertu, définie par les théologiens,
autorise donc le prédicateur à soulager son auditoire, «ennuyé» par la sévé-
rité des sujets chrétiens, par des saillies comiques. Et d'invoquer l'exemple de
saint Vincent Ferrier (p. 43), de Vincent de Beauvais (p. 63), de saint Jérôme,
de saint Bonaventure, de la Vie des Pères (p. 63-65), de la Chronique de
saint François (p. 66), et d'une foule d'autres auteurs ecclésiastiques anciens
ou modernes (p. 70 et suiv.) y compris saint Augustin (p. 72) et Dom Antoine
de Guevarre (p. 73). De même, pour justifier son franc parler en rnatière
d'impudicité, il invoque la Bible (p. 89) et saint Augustin (p. lOI). Mais ces
autorités ne durent guère impressionner Ogier, qui, au ch. IX de son jugement
avait soutenu la thèse que les Pères ne doi\'ent pas être imités, au plan de la
forme, sans discernement.
270 Ibid. Sur l~ vertu d'eutrapélie, \"oir Aristote, Ethique à Nic., IV, 14
et Rhétorique, Il, 12, 16. R. Estienne, dans le Thesaurus linguae latinae (1543)
traduit le mot par Urbanitas, lep or, festivitas, et facetia, Eutrapelus, surnom
d'un familier d'Antoine (Cic. Fam. VII, 32-33) est le héros de deux Colloques
d'Erasme, Puerpera (l'Accouchée) et Convivium f'abulosum (le Repas anec-
dotiqlle). Il y a à la R"naissance une véritable Querelle de l'eutrapélie, dont
se fait écho le P. Vavasseur d,lns son De LI/dicra dictione (1658, p. 282 et
sui,·.). Saint Paul ayant condamné (Eph. V, 4) l'eutrapélie qu'il assimile à un
lallgag~ sot et indécent, le P. Va"asseur réhabilite pour sa part cette notion
qu'il entend au sens de maîtrise des passions, d'humeur équilibrée et sociable,
favorisant une conduite aussi éloignée de la bouffonnerie complaisante que de
la rl1sticité revêche. C'est la vertu du vir humanior. La discussion de cette
notion intervient dans le De Il/dicra dictione juste avant les chapitres consa-
crés à Cicéron et à la Tulliana dictio, modèle de bon goût à mi-chemin de
l'excessive gravité et de l'excessive bouffonnerie: le « rire des honnêtes gens ».
Pour Garasse, l'eutrapélie n'est pas un principe de juste mesure, mais une
compensation comique à la tension qu'exige la gravité sévère des sujets chré-
tiens.
~71 Cit. par Charles Nisard, Les Gladiateurs ... , ouvr. cit., p. 372.
334 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)
•
••
Les deux querelles s'achevèrent par une réconciliation générale. L'an-
cien régent de Balzac à Angoulême fit la paix avec son indocile élève
dans une lettre latine insérée en tête de la Somme théologique que le
malheureux s'était cru obligé d'écrire pour restaurer son autorité reli-
gieuse fort endommagée. Mal lui en prit: Saint-Cyran entra alors en lice,
et dans un pamphlet intitulé Somme des fautes et faussetez capitales ... 272
anéantit à la fois le style et la substance de cet ouvrage de vulgarisation.
Le pamphlet d'Ogier, les Lettres de Balzac, révélaient un goftt nou-
veau, une «rhétorique française» en voie de formation, que le P. de
Cressolles et le P. Caussin pressentaient en célébrant Amyot, Du Vair,
Du Perron; mais le vif de la nouveauté leur échappait: leur référence
vague à des autorités d'une ou plusieurs générations antérieures le révé-
lait clairement.
274 La Cour Sainte ou Institution Chrestienne des Grands avec les exem-
ples de ceux qui dans les Cours ont 'Ieury dans la saine/elé, Paris, S. Chap-
pelet, 1624, dédié au Roi et à la Noblesse. Advis au Lecteur sur le dessein
de ce livre.
336 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)
•
••
Entre temps,i1 n'avait tiré aucun parti de l'autorité critique qu'aurait
pu lui valoir son traité de rhétorique publié en 1619, et plusieurs fois
réédité ensuite, avec un incontestable succès, comparable, il est vrai, à
celui dont jouissait l'Essay du P. Binet 278. Celui-ci était sans remords un
archaïsant, tourné vers Blaise de Vigenère et Du Bartas. Il avait son
public, qui n'était pas celui des cercles éclairés de Paris. Mais le P. Caus-
sin, qui célèbre Du Vair, Du Perron, Coëffeteau comme les modèles de la
prose française 279, était en garde contre l'archaïsme et le maniérisme du
P. Binet. Il était par ailleurs pourvu d'une immense et profonde culture
rhétorique où Démétrius de Phalère, le Pseudo-Longin, Denys d'Halicar-
nasse et Hermogène tiennent une place importante, à la mesure de l'inté-
rêt que leur portent un François Ogier et un Balzac. Pourquoi le P. Caus-
sin n'a-t-i1 pas été le Rapin ou le Bouhours de la génération d'écrivains
Louis XIII? Tout d'abord, parce que sa «réforme» de la rhétorique
.'"•
La Lettre IV du Tableau de l'Eloquence française, intitulée Du Style,
commence par écarter l'impression de pédantisme ergoteur laissée par
Dom Goulu, et réhabilite la «beauté» de l'élocution, inséparable de
l'éloquence.
280 Tableau de l'Eloquence française Oll se voit la maniere de bien escrire ... ,
Paris, 1632. La lettre II (p. 21-46) est consacrée au choix des mots: 1) rejet
des mots hors d'usage commun, latinismes. hellénismes, mots techniques;
2) critère de la clarté et de la propriété, d'où rejet de l'usage systématique
des métaphores; 3) rejet des mots d'origine populaire, sentant son "baragoin
de petit peuple» ; 4) rejet des mots inadaptés au sujet traité, «graves» dans
un sujet «doux », etc. La lettre 3 (p. 47-76) est consacrée à la période. L'A.
insiste sur l'économie de mots (pas de chevilles en prose p. 52), sur l'effet
de rotondité et de douceur harmonieuse «qui flatte l'oreille ". La longueur
de la période doit être limitée par la capacité de l'auditeur à suivre le sens,
et par la capacité d'haleine de l'orateur. (Ceci dans une prose écrite.) Beau
programme d'atticisme cicéronien en langue française, avec toutefois dans la
lettre III sur le style, que nous analysons ci-après, un reste de complaisance
pour le sénéquisme des «traits».
340 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)
La beauté du style, écrit-il, a des charmes tellement puissants qu'elle
force les esprits de se rendre à ses artifices, leur donnant telle impression
et tel mouvement que désire l'orateur 281.
Des trois styles distingués par les maîtres, Dom Charles ne veut traiter
que du « grand style », qui selon Cicéron résume tous les autres. Le lien
entre le genus grande, et la grandeur d'âme - mais aussi avec la gran-
deur de la condition de son correspondant - est fait explicitement par
notre Feuillant:
Or comme les Aigles ne s'amusent point après les mouches, ny après
les cigales, j'estime que votre esprit qui est relevé, ne veut point que je
m'arreste à l'entretenir des deux premières sortes de styles, mais seu-
lement de celui qui est excellent 282.
Mais s'il n'y a qu'un seul « grand style» recommandable, quelles sont
ses vertus? D'abord la «gravité ", «relevée au-dessus de la façon
commune », et ne se ressentant en rien de la « bassesse populaire ». Ces
arguments flatteurs font donc passer un des traits caractéristiques du
style sévère chrétien selon les rhétoriques «borroméennes ». D'ailleurs,
grâce aux exemples de « style grave» qu'il cite, Dom Charles fait sentir
à son correspondant l'origine divine du Verbe, la dignité et la responsa-
bilité dont se chargent ses interprètes, seraient-ils laïcs 284. Toutefois,
cet «écart» entre le parler noble et le parler vulgaire ne doit pas
s'exagérer jusqu'à l'enflure et l'affectation. La noble gravité doit s'alIier
à une « simplicité naturelle ». La leçon de Bembo est donc complétée par
celle de Louis de Grenade 285 et de Botero. Mais le bon Feuillant se garde
d'effrayer son grand seigneur en citant des autorités aussi austères. Il
préfère raconter la fable de la grenouiI1e qui veut se faire aussi grosse que
l.! bœuf pour illustrer l'échec qui attend les Matamores du style « enflé ».
Il s'emploie ensuite à ridiculiser l'affectation qui consiste à multiplier
métaphores et allégories, celle qui consiste à user de mots rares ou hors
d'usage, bref toutes les formes de ce style que les Pères appelèrent
« ampoullé ». Toutefois, ce dépouillement du style ne saurait aller jus-
qu'à la bassesse:
Qu'il soit orné et enrichi tant par la beauté des sentences que par la
gentillesse des figures 286.
Que la liaison des paroles soit faicte avec telle suavité, qu'il n'y ait
point de rudesse ny de mauvais rencontre, [ ... ] dans les lettres, lorsqu'il
y en a plusieurs qui commencent par mesmes lettres et mesmes syllabes.
2M Inid., p. 86.
285 Sur la «seconde simplicité» de l'orateur chrétien, fille d'un habitus qui
libère la sincérité du cœur, v. ch. l, note 202. Cette notion est évidemment
la version chrétienne de la neglegentia diligens chère à Cicéron. Elle s'adapte
fort bien à un public nobiliaire ennemi du «pédantisme ».
286 1nid., p. 93.
287 Ibid., p. 100.
342 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)
pointu: «Avoir diverses pointes qui soient sans obscurité et sans bas-
sesse », édicte-t-il 288 • Et il commente:
N'est-ce point ce qui a rendu recommandable le style de Sénèque, de
Corneille Tacite, et de tous ceux qui ont heureusement rencontré à se
rendre imitateurs de leur éloquence?
1. Les théoriciens
Le P. Gérard Pelletier
On aurait pu croire que la veine des encyclopédies rhétoriques des
années 20 était tarie, quand en 1641, on vit paraître à Paris, chez Buon,
Camusat et Sonnius, associés pour la circonstance, un in-folio intitulé
Palatium Reginae Eloquentiae. Sur le magnifique frontispice gravé, on
pouvait reconnaître le jeune duc d'Enghien et son frère cadet Conti, au
seuil d'un Palais où la Reine Eloquence les invitait à pénétrer, tandis que
Minerve achevait d'écraser ses ennemis. L'auteur de ce monumental traité
d·e rhétorique? Louis de Bourbon, duc d'Enghien, en personne. Le dédi-
cataire? Armand de Bourbon, prince de Conti. l.'un a terminé ses études
au Collège des Jésuites de Bourges depuis cinq ans, l'autre est encore
élève du Collège de Clermont 290. La supercherie était évidente. l.e P. de
Cressolles avait prêté à quatre anciens élèves de la Compagnie, désignés
par des noms fictifs, peut-être à clefs, sa propre érudition oratoire. En
prêtant au duc d'Enghien cette savante prosopopée, les Jésuites crurent à
la fois réussir une fine flatterie et placer une nouvelle « Somme» rhéto-
rique sous l'autorité de la famille de Condé.
Le chef de celle-ci, le prince de Condé, était alors au sommet de la
faveur 291. Dès 1626, il avait confié son fils aîné aux Jésuites. Grand émoi
dans l'Assistance de France: avant la naissance fort imprévue de Louis
Dieudonné, Dauphin, en 1638, le duc d'Enghien, fils aîné du second prince
du sang, était, après Gaston, l'héritier présomptif du trône. Son père fit
édifier au cœur de son fief du Berry, à Bourges, un collège pour que son
•
••
En approuvant la publication du Palatium Reginae Eloquentiae,
songeait-on, dans les hautes sphères de l'Assistance de France, à rem-
placer les Eloquentiae Parallela, dont l'incontestable succès allait alors
s'épuisant et dont l'auteur était en disgrâce, relégué par Richelieu à
Quimper-Corentin? C'est possible, car l'ouvrage du P. Pelletier, mieux
composé, plus technique, délivré des citations et disgressions érudites
du P. Caussin, pouvait apparaître en progrès sur celui-ci.
Mais à d'autres égards, il est en régression. La rhétorique du P. Caus-
sin gardait un œil ouvert sur l'éloquence française contemporaine, el1e
prétendait offrir une assise théorique à la tendance esquissée par Du Vair,
Du Perron et Coëffeteau, et convertir le Palais à une éloquence moins
rugueuse. Enfermé à Bourges avec son élève princier, rhéteur de col1ège
dont tout l'univers et la culture se résument à la rhétorique latine, le
P. Pel1etier est parfaitement étranger à l'évolution des Lettres françaises
à Paris.
D'autre part, si le P. Caussin consacrait X!!I livres à l'éloquence
c: humaine », il la considérait comme une simple propédeutique à l'élo-
quence «héroïque », et plaçait ceBe-ci dans une position dominante et
rectrice, au-dessus de l'autre. Il pensait ainsi surveiller la tentation sophis-
tique que l'éloquence «humaine », sous ses formes les plus raffinées,
contenait inévitablement. Dans un repentir ultérieur, il crut même avoir
trop accordé à l'éloquence «humaine ». Non sans raison: car chez le
P. PeBetier ceBe-ci occupe toute la place, s'étale sans limites ni remords,
et ne résiste plus à la tentation sophistique, ou si peu.
Hel1éniste, le P. Caussin faisait un abondant usage des sources grec-
ques. Longin venait chez lui, au moins en théorie, étayer Cicéron dans le
rôle d'arbitre évitant tout glissement vers les extrêmes et les excès. Les
Pères grecs, modèles de l'éloquence «héroïque », descendaient à l'étage
Ibid., p. 109.
303
Ibid, p. 115-118. Sur le rôle des énigmes dans la pédagogie des Jésuites
304
au XVII' siècle, voir Jennifer Montagu, «The painted enigma in French
scvënteenth century art », j.W.C.I., vol. 31, 1958, p. 207-235.
305 Ibid., p. 198.
300 Ibid., p. 224-225. Sur ce topos. voir outre le P. Josset, et le P. Vavas-
seur. dont nous traitons plus loin. les deux ouvrages de Fr. La Mothe le Vayer.
Discours de la contrariété d'humeurs qui se trouve entre certaines nations et
singulièrement entre la françoise et l'espa?,nole ... , Paris, 1638 et En quoi la
piété des François diffère de celle des Espagnols ...• Paris. 1658. Chez le
P. Pelletier. l'indoles Francomm est de nature aperta et candida, quae nec
vitiis nec virtlltibus personam imponere didicit. Amor natalis soli excelsissi-
mus ... Humanitas in externos propensa ... Libertatis tenax, inimica fastus, quae
si dominatus amet, servitutem embescat. Comi/as suavitasque morum in fami-
liari consuetudine temperiem aeris, et serenitatem imitatllr... Nullum amant
studillm ardentius quam honoris et gloriae. A ce topos du caractère national,
s'ajoutent celui de la jeunesse française, imprudente, effrénée dans le jeu comme
dans le risque. inquiète et se moquant de tout. et celui du duel, qui résume
sa folie (fllndendo sanguine bacchatllr furor). Au Français, ami de la variété,
s'oppose l'Espagnol, mélancolique, subtil, patient, dissimulé. austère, ami de la
pompa verborum, de la magnifica eorum facinomm praedicatio. On ne saurait
surestimer l'importance de ces lieux communs dans l'élaboration, pendant la
guerre de Trente Ans, d'un style national français, qui manifeste les vertus
nationales, corrige les défauts. et en tout s'oppose au style coupé et aux hyper-
boles de l'Espagne. V. aussi, dans notre bibliogr. p. 710, Fonds Philippe de
Béthune, Anc. fr. 2541.
PIERRE jOSSET 349
d'exemples empruntés aux discours de Cicéron et aux poèmes de Virgile,
mais aussi à des poémes néo-latins modernes, œuvres de Jésuites, il
compose une véritable encyclopédie et anthologie des passions et de leurs
plus subtiles nuances, classées comme dans un herbier (128 pages in-
folio).
Puis viennent les traités consacrés aux figures et aux trois grands
genres oratoires, épidictique, délibératif, judiciaire 307.
Le P. Pierre Josset
Il est bien évident que le Palatium Regirzae Eloquentiae ne résume pas
toute la rhétorique jésuite à la fin du règne de Louis XIII, même s'il en est
Uil symptôme hautement significatif. Un Denis Petau, on va le voir, est
aux antipodes de cette rhétorique de la virtuosité ingénieuse et de l'imagi-
llation. D'autres régents devaient distribuer un enseignement d'esprit
différent. La doctrine de la «variété des esprits », celle de l'imitation
éclectique, corrigées tant bien que mal par la référence à Cicéron, ne
pouvaient qu'engendrer des tempéraments, et des choix oratoires diffé-
rents. Et surtout, une palinodie comme celle du P. Caussin reniant l'élo-
quence «humaine» en 1624, nous donne à supposer que le scrupule
chrétien vis-à-vis de la sophistique, même modérée «chrétiennement »,
n'était pas inconnu dans la Compagnie. Un ouvrage comme le Palatium
Reginae Eloquentiae ne pouvait que le rendre plus lancinant dans des
âmes exceptionnellement délicates.
Bien que la date du «poème rhétorique" du P. Pierre Josset, 1650,
excède les limites chronologiques du règne, il appartient de droit à
l'époque Louis xm, et il offre au Palatil/m un pendant trop anti-
thétique pour que nous puissions nous dispenser de l'évoquer. Cette
analyse, venant après celle du livre de P. Pelletier, donnera la mesure des
oscillations qu'avait rendues possibles l'éclectisme du P. Caussin, à l'inté-
rieur même de l'Assistance de France.
En 1650 donc, paraît à Limoges un petit in-12°, imprimé en italiques
minuscules, qui dans la présentation comme dans le contenu, forme un vif
contraste avec l'in-folio officiel et pompeux du P. Pelletier 808. Il s'agit
Toutefois, cette variété n'est plus pour lui un sujet de réjouissance, elle
n'est que la diffraction terrestre, dans la prison du temps et de l'espace
voués au Multiple, de l'Un éternel et transcendant dont l'homme est exilé.
Le parcours complet de ce spectre des formes est le prix que l'orateur
doit payer pour percevoir et faire percevoir les composantes de la lumière
divine, pour rendre à celle-ci le seul hommage qui soit digne d'elle. La
rhétorique est donc bien une épopée, mais une épopée chrétienne, un
chemin de croix qui de station en station imite Jésus ·Christ dans la tra-
versée et la dissolution des apparences.
Dans cette « obscure clarté », si étrangère à l'âme classique du P. Fa-
miano Strada, l'œcuménisme de sa doctrine stylistique subsiste. Mais il
s'articule autour du soleil noir de Sénèque, et non pas du soleil diurne de
Cicéron. Chose curieuse, les extrêmes se touchent; chez le P. Josset,
comme chez le P. Pelletier, le ]udicium ne joue qU'un rôle négligeable.
Mais la place que tenait chez le premier la memoria imaginante et mimé-
tique, est occupée chez le second par l'ingeniHm, appliq1\é à s'imposer des
contraintes pour s'empêcher de gOOtN au)' r",flets de 1'1 ln dont il fait
l'inventaire.
Bien évidemment, la plus grande audace du P. Jos.,et, outre son éloge
de l'Attique comme mère-patrie de l'éloquence, c'est l'inversion des va-
leurs aux dépens de Cicéron et en faveur de Sénèque. Il ne cite qu'en
passant l'idole officielle du P. Pelletier, au détour de son 1.. XV, consacré
au Génie et mœurs des différents peupl~s. Encore ne le mentionne-t-i1
qu'au titre de la seule Italie, et rt'tenant de lui non pas sa souveraineté
sereine mais son martyre sous les COI'PS des sicaires d'Antoine. Au L. X
au contraire, intitulé De la variété du style, il dénonœ toute une série de
styles, in/latus, puerilis, parenthyrsus, il condamne sans rémission le
stylus nudus et le stylus sieCLLs, deux parents pauvres de l'atticisme; en
revanche il célèbre avec ivresse le subtilis stylus de Sénèque, seule forme
acceptable du sermo humilis. C'est un style ~crit, il est vrai, impropre à
la parole, mais c'est un prodigieux hommage rendu à ('Un par le Multiple:
Son esprit fécond conçoit plus de pointe" qUi: l'on ne lit de mots, il
sertit dans le rythme de sa phrase des mots qui sont dutant d~ gcmmes,
des paroles qui sont autant d'étoiles, et il les répand. <.!;1l1S de vastes
ouvrages, tel le p:lOn dont le vêtement scintille, et qui, fier de sa plume,
s'en sert pour déployer sa queue magnifique comme une robe de tra-
gédie, et offre à Phoebus le miroir multicolore de son cou; autant d'as-
tres, et de soleils se révèlent, et autant d'yeux, qu'il y a de plumes; et
ce ne so!"!t plus des plumes, mais des étoiles, et une image du Soleil 312.
312 Ibid., p. 196. Ce style subtilis est aptior aut scriptioni aut scnatui.
313 Ibid. Liber decimus, De Styli varie/ale, p. 197.
314 Le Socrate chrétien, Paris, 1652, Avant-propos: «je plaide la cause de
Sénèque ... », mais au nom d'un style philosophique, et de l'atticisme.
315 Balzac, Œuvres, éd. 1665, t. l. LXII. 15, p. 535, datée du 5 décembre
1638. Il parle des «desbordemens de vertu» du dévot jésuite.
316 Rhetorica ... , ouvr. cit., l. Il, De Adjumentis et praeexercitationibus ora-
toriis, p. 35. Cet encomium Balzacii Principis (Prince de l'Eloquence !) est un
bon exemple de la tendance combattue par le P. Vavasseur (voir plus loin)
chez les régents de rhétorique jésuite: les écrivains français modernes pro-
posés en modèles (praexercitatio) au lieu et place des classiques latins. Sénè-
que et l'imitatio adulta lipsienne servent de garants à cette méthode anticicé-
ronienne.
PIERRE JOSSET 353
*
**
« Moderne» avec trente ans de retard, le Padi'ri e révèl~ dans sa
conception comme dans ses principes une désinvolture confinant au dé
dain pour la tradition antique ft humaniste des traités de rhétoriclue.
Comme le P. Binet, dont il est le disciple attardé et fervent, notre anonyme
t'st en quelque sorte l'Anti-Quintilien. La plupart de ses vingt ·cinq chapi-
tres sont consacrés à la seule élocution, et au jeu des figures de pensée,
confondu avec l'art d'argumenter. L'invention et la disposition sont traités
rapidement en fin d'ouvrage. Chacun des vingt-cinq chapitres reçoit un
nom de fleur: ch. X: Les Pensées, modèles de la prosopopée, ch. XII :
Les Roses de Gueldre, façon de proposer et de desoudre (sic) les objcc··
tians; ch. XIV: les Bassinets, qui représentent l'indulgence d le choix
que l'on donne quelque fois à l'auditeur; ch. XIX. : les Passevelours, hié-
roglyphes des Execrations; ch. XX : les Roses cent feuilles, qui représen·
tent les amplifications; ch. XXI: l'Impériale, modèle de l'épilogue;
ch. XXII: les Peonnes, qui expriment les mouvements doux et vélzémens
qui doivent estre dans la peroraison; ch. XXIV: les Pavots, qui repré··
sentent la feinte du silence ... Il faut avoue. que la table des matières de
ce petit traité ne manque pas de charme: bouquet de fleurs séchées qui
exhale le parfum expirant de l'humanisme dévot du début du siècle, pieu-
sement conservé dans les armoires de sacristies provinciales.
Dès «l'Entrée» du Parterre adressée à «Philanthe ». l'auteur ne
cache pas son dédain pour « ces grands attirails de preceptes qui sont
couchez bien au long dans les rhétoriques d'Aristote, de Cicéron, d'lier··
•
••
A partir de ce principe, la rhétorique du Parterre se déploie avec une
cohérence sans faille. El!e tend tout entière à projeter les mouvements du
langage dans l'espace, à exalter leur relief, leur dynamisme, leur visi-
bilité. Les périodes? Qu'elles soient « carrées », divisées en trois ou en
deux membres, il faut qu'elles soient articulées par des particules très
voyantes (<< combien que toutefois; puisqu'il est véritable» etc ... ), afin
que leur structure acquière une sorte de stéréométrie. Par contraste, dans
les mouvements passionnés, le style coupé et haletant doit détruire les
périodes; le flou dynamique qui en résulte agit plus immédiatement et
plus violemment sur la sensibilité.
Le choix des mots? Il se fait selon le critère de l'éclat (c lustre, rayon,
marbre, porphyre, ." tiare, throne, ... fanfare, '" tempête»), avec une préfé-
rence pour les « termes métaphoriques» (<< offenser la beauté d'une fleur,
dissiper les nuages de tristesse ... »), pour les belles épithètes qui «enri-
chissent» (<< le souffle amoureux de zéphyre, les sombres obscuri-
tés ... »323), les beaux adverbes qui donnent « de la force et de l'énergie »,
la « contrebatterie des Antithéses qui rend le style plus divertissant », et
les synonymes qui « enflamment}) le style. Un exemple donné par l'auteur
résume parfaitement cette recherche du scintillement:
323 Ibid. A travers le relais d'Etienne Binet, c'est la tradition des Epithèles
de M. de la Porte qui persiste dans ce Parterre. Comme la Bibliothèque Bleue
étudiée par Robert Mandrou (v. De la culture populaire aux XVII' et XV/lI'
siècles, Paris, Stock, 1975), la prédication populaire en province relève de ce
qu'il est convenu d'appeler la «longue durée:t.
358 RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS
se à son père: c ... Tigre inhumain! C'est ta connivence qui m'a frayé le
chemin à cette horrible prison, à ces sombres cachots où tu es tombé avec
moi... :t
Mais le c miracle de la Rhétorique:t, c'est la prosopopée qui res-
suscite les morts et leur rend l'usage de la voix. Comme Jésus devant
la tombe de Lazare, le prédicateur peut s'écrier: c Levez-moy cette
tombe, brisez-moy ces pierres, faites-moy sortir ce Mauvais Riche ... :.
Non moins propres à bouleverser l'auditoire, le c Dialogisme:. qui
fait d'une prosopopée un dialogue. La Madeleine, avant d'entrer dans
la maison où se trouve le Sauveur, dialogue ainsi avec elle-même: « Ah 1
pauvre misérable 1 Où vas-tu 7 Où vas-tu 7 On te verra toute desche-
velée par les rues 7 N'importe ... :.
Cette théâtralisation de la parole serait incomplète s'il y manquait
la figure dramatique par excellence, le suspens, que notre auteur nomme
« suspension des esprits» ; il énumère toute une série de formules pro-
pres à redoubler ou réveiller la curiosité de son auditoire 827.
A toutes ces figures qui multiplient le nombre de personnages et de
décors sur la scène imaginaire dressée sur la chaire, il faut ajouter celles
qui mettent en cause directement l'orateur-acteur. Excuses et repentirs
fictifs 328, souhaits, exclamations vigoureuses 329 (<< 0 Sainte Croix de
mon Sauveur... Le cœur me fend, hélas, ah ! quel spectacle ... l», exécra-
tions (<< Hors d'icy, canailles, hors de ce monde ... Ah ! barbare, ah ! pirate,
ah 1 corsaire, que ne respires-tu à grands traits la peste et le venin au lieu
de cet air que tu infectes ... ») Et au jeu de ce personnage à la première per-
sonne, il n'hésite pas à faire «participer» l'auditoire: un des procédés
du suspens est en effet la « communication », où l'on demande l'avis de
l'auditoire: «Messieurs, je vous fais juge ... » ; un autre est 1'« indul-
gence », où on laisse le public faussement libre de choisir. L'orateur
n'hésite pas non plus à recourir aux «feintes », bien appropriées dans
un système où la fiction pieuse et l'imagination volontairement fiévreuse
jouent un si grand rôle. Il y a d'abord les «feintes de silence» 330 :
c feindre que l'on ne peut pas dire ce que toutefois l'on dit pour lors l>
(c Moy! moy ! que j'aye le cœur de bronze et la poitrine de marbre pour
\'OUS dire une chose qui vous arrachera les souspirs, les sanglots, et les
larmes? »). Ou en::ore, «après avoir bien exagéré quelque chose et
presque dit tout cc qu'on en sçavoit » : «Mais que dis-je? Que fais-je?
Ah ! je n'ai ricn dit, je n'ay fait qu'effleurer la matière ... ». Ou encore
« dire tout ce que l'on sait sans faire semblant de le dire» : «Mon Dieu,
que n'ay-jc le temps et 13. langue pour parler librement et à loisir sur
un si beau sujet...»
•
••
En conclusion, reprenant les données esentielles de sa rhétorique à la
fois imaginative et pathétique, notre auteur ajoute le principe (d'ailleurs
implicite dans ses développements antérieurs) du mélange des styles:
que le prédicateur soit c subtil dans les choses ravalées, brave, majes-
tueux, vigoureux dans les relevées, modeste et retenu dans les médio-
cres :t. Et revenant sur sa définition initiale du c caractère:t propre à la
prédication, il affirme avec une désarmante bonne conscience deux pro-
positions difficilement conciliables: d'une part
j'ayme un discours arrondi par les harmonieuses roulades des périodes,
émaillé de pierreries et de belles sentences. enluminé des plus beaux lui-
sants de la Rhétorique. enrichy et relevé par des façons de dire hautes.
hardies. vives. courageuses. toutes pleines d'esprit et d'un certain enthou-
siasme.
et d'autre part:
Quoy que j'aime bien les vertus d'un Cicéron. les foudres d'un Démos-
thene. les tonnerres d'un Peri des. et l'esmail d'un Isocrate. je n'ayme pas
les mignardises d'une rhétorique affectée. les pluyes de paroles dorées.
les gresles emperlées de synonymes. ces doux Zephyrs de belles phrases
à la mode. et tous ces autres appareils qui flattent les oreilles... \1 faut
cstre eloquent par les yeux. par le visage. par le maintien. par le cœur
ct par le ressentiment de ce que l'on veut dire. \1 faut quelquefois verser
de grosses larmes au lieu de Périodes rondes. des plaintes lamentables
au lieu de figures. des regrets au lieu de sentences. des souspirs et des
sanglots au lieu de Phrases. de vifs ressentiments au lieu d'arguments
subtils. et voilà ce qui persuade. et c'est là estre éloquent.
331 Ibid., p. 141. On comprend mieux à lire ces pages à l'usage de prédi-
cateurs populaires l'enjeu de la Querelle faite par Ogier et ses amis à Garasse.
V. Jugement et Censure ...• ch. IX: «\1 écrit en un stile et d'une façon trop
populaire, et des choses capables d'attirer la lie mesme du peuple à la lecture
de son livre ... » Il s'agissait pour Ogier et ses amis. sous cette question de
forme. de combattre la réduction de la culture à la foi du charbonnier et aux
tabarinades propres à l'inculquer en toute «égalité:) à tous. «sçavans» et
« ignorans ».
362 RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS
est vrai que l'art de la prose, déchiré entre cette sophistique sacrée et
ce mépris de l'art d'écrire, est en fort mauvaise posture. Pour mieux
marquer les distances entre l'ordre de la parole profane et celui de la
parole sacrée, notre auteur souligne que l'invention et la disposition du
~ermon n'ont que peu de chose à voir avec celles du discours à l'an-
tique 332.
A Y regarder d'un peu près toutefois, l'on s'aperçoit que la rhétorique
du Parterre n'est qu'une transposition, immensément amplifiée par le
recours aux procédés des avocats antiques, de la rhetorica divilla des
Exercices Spirituels. Nous l'avons déjà constaté à propos de Richeome
et de Binet; entre le prédicateur jésuite et les modèles classiques, s'inter-
pose la méthode de persuasion propre aux Exercices, et qui s'accommode
beaucoup mieux des procédés de déclamation sophistique que d~ la
« juste mesure» classique. C'est ce que nous allons vérifier en étudiant
trois traités de parénétique jésuite publiés sous Louis XIII.
332 Ibid., p. 139. Une proposition générale, puis une distribution des raisons
principales qui peuvent l'étayer: et chaque raison traitée par un syllogisme ou
un enthymème, lesquels sont « amplifiés» à l'aide des figures étudiées jusque-là;
à chaque amplification doit correspondre un épiphonème (résumé vigoureux).
Enfin une péroraison.
833 Sur la méthode du «gueuloir» que Baronius mit en œuvre sur les
conseils de Philippe Neri, voir G. Calenzio, La vita e le scritti dei cardinale
Cesare Baronio, Roma, Typ. Va tic. 1907, p. \05. Il ne procéda pas à moins
de sept «répétitions », à coup de sermons quotidiens à San Girolamo della
Carità, à Rome, du cycle entier de l'histoire ecclésiastique (de 1566 à 1586)
dans le même temps ou il rédigeait les Annales. Celles-ci ne sont au fond qu'un
gigantesque sermon apologétique, en dépit de l'appareil d'érudition qu'avec
l'aide entre autres de N. Le Fèvre et j. Sirmond, Baronius y a apporté. La
« vérité» des Annales est puisée d'abord dans l'inspiration divine, la piété
et la charité, avant d'être étayée par les documents.
334 Bernardino Castori (v. Southwell, ouvr. cit., p. 114) était bien connu en
France. Né en 1543, entré dans la Société en 1559, il fut recteur du Collège
de Bourges, puis de la Maison professe de Paris, puis du Collège de Lyon,
avant l'expulsion de 1594. Ensuite il fut recteur du Collège de Venise, jusqu'à
l'expulsion de 1606, et recteur du Collège Germanique à Rome jusqu'à sa
mort en 1634.
II: lA COUR SAINTE» 363
843 La Cour Sainte, éd. 1624 dt., L. l, 2' Motif, Noblesse (p. 18-30) j 3' Motif,
Grandeur et dignité (p. 31-46); 4' Motif, Richesse (p. 47).
844 La Cour Sainte, Rouen, Ferrand, 1642 (B.N. 0 29.421), p. 17. Comparer
avec p. 21 de l'éd. 1624.
366 RHeTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS
345 Ibid., éd. 1642 (p. 19). Le texte de 1624 (p. 24) commençait ainsi: «Tels
esprits sont venus ... »
346 Ibid., éd. 1642, p. 21. Comparer avec p. 27 de l'éd. 1624 qui donnait:
« Indigne que tu es, si tu vas attacher la noblesse à la chair et au sang, ou
à quelques vieilles mazures, quelques tombeaux ... » On observe un effort de
délicatesse et d'euphonie.
347 Ibid., éd. 1642, p. 21 : «L'esprit de mensonge ... leur renverse la cer-
velle et leur Faict mettre le poinct d'honneur dedans l'infamie. »
348 Ibid., éd. 1642: «Ils se coupent la gorge sur le pré, et vuident leurs
querelles par le canal de leur sang, d'autant qu'ils se persuadent que cela
est honorable.»
348 Ibid.
c LA COUR SAINTE.
de taupes, sont des Argus et des Lynx à voir et à censurer les actions
des hommes de qualité, et on peut bien dire que les vicieux ressemblent
au Roy Ozias, puisqu'ils portent tous leur lepre sur le front 8GO.
350 Ibid., p. 26. Comparer avec p. 32 de l'éd. 1624: «en abbreuvant tout le
monde de leur eclypse ». Les asyndètes de la première version (v. p. ex. haut
de la p. 34) ont été remplacées en 1642 par et et puisque. Le style coupé et
sentencieux du passage a fait place à une période.
351 Ibid., p. 25. Comparer avec la p. 31 de l'éd. 1624: «cime de la per-
fection}) a fait place à «perfection».
352 Ibid., p. 29. Comparer avec la p. 37 de l'éd. 1624: «ne le vouloir pas
faire» a fait place à « ne le vouloir pas» pour éviter la répétition de «faire ».
353 Ibid., p. 34. Comparer avec p. 44 de l'éd. 1624 (texte inchangé).
354 Ibid., IX' Motif: p. 85 Qui fait voir que la Cour est une vie de péni-
tence (comparer avec éd. 1642, p. 110, texte inchangé). Ce passage est dans
un style fort surchargé de citations latines, d'étymologies latines et grecques,
ct de métaphores; «C'est le nid où l'envie couve ses œufs, le throsne où elle
exerce son empire, l'autel où elle a le plus de chandelles, ... Hélas! Combien
de fois les pauvres misérables, après une infinité de travaux, de poursuites,
et d'espérances, qui sont des songes sans sommeil, se voyans emportez d'un
furieux torrent d'envie dans la défaveur, soupirent-ils dans une mer de cala-
mitez ... Un regard d'un prince courroucé leur est plus formidable que l'œil d'un
Basilic, voire plus terrible qu'un coup de canon.»
368 RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS
gens de qualité est plus grande que chez les hommes ordinaires, le P.
Caussin somme ses lecteurs de se servir pour le bien du redoutable pou-
voir d'exemple dont ils sont investis. Puis, offrant un modèle de pérorai-
son, il fait succéder aux foudres la douceur rédemptrice de la rosée:
On dit que l'Arc en ciel venant à courber ses cornes directement sur
les fleurs, leur communique une odeur toute céleste, qui relève extrêmement
leur nature. Dieu vous a mis dans la sphère de la grandeur, comme des
arcs celestes, vous sçavez d'où il vous a tiré, et que non plus que l'arc
en ciel vous n'estiez qu'une menue vapeur, mais ce Soleil vous a dorez,
enrichis, esmaillez de tant de perfections qu'on vous peut appeler jus-
tement les enfans de l'admiration. Soyez donc au genre humain ce que
l'Iris est aux plantes ... vous en moissonnerez icy bas une vraye et solide
gloire, et dans le Ciel vos recompenses seront esgalées aux profits qu'aura
fait cet exemple 355.
•••
Au L. Il, «Des empeschements que les mondains ont au chemin du
salut et de la perfection », le P. Caussin se livre, au nom de ses lecteurs,
à une minutieuse Méditation des péchés sur les tentations propres à la
vie de Cour, qu'il parsème de « tableaux» moraux. S'inspirant de Lucien,
il décrit « l'Isle des songes », ekphrasis allégorique d'un monde où vivre,
c'est vivre par opinion. S'inspirant de Montaigne, il décrit le « Royaume
de l'Inconstance », où les courtisans sont caméléons, bien qu'une élite
d'entre eux ait réussi à y mener une vie « si resglée que tout y va par
règle et par compas ». S'inspirant de l'Eloge de la folie d'Erasme, sans
le citer, il décrit le monde de la dissimulation et de l'hypocrisie, où, « tous-
jours le masque sur le front, chascun veut paroistre ce qu'il n'est pas, et
personne ne veut advouer ce qu'il est». Quelques-unes de ces hypotyposes
ne reculent pas devant le mot concret, le détail réaliste et moderne. Pour
condamner «le mauvais usage du temps» le P. Caussin décrit ces
hommes
qui passent toute leur vie à peigner leurs cheveux, à laver leur barbe,
a avoir leurs chausses bien tirées, à garnir des espées, avoir des bottes
neuves, a chercher des jarretières, à faire provision de ceintures, acheter
des bonnets, à marchander des pennaches, à battre le pavé, à tenir une
raquette, à jetter le dez, à faire les cinq pas, à gourmander une collation,
à se battre à coups d'oranges, à cajoller une femme, à se vanter de ce
qu'on n'a pas fait, envier les heureux, à mespriser les misérables [ ... ), à
ne prononcer jamais une parole sérieuse, comme si on avait renoncé à
toute raison, et à ne dire du bien que lorsqu'on pense dire du mal 356.
3M Ibid., XI' Motif, Exemple (fin). Voir éd. 1624, p. 141-142 (<< directe-
ment l> a remplacé «droictement»).
356 Ibid. VI' obstacle, p. 203 : Mauvais mesnage du temps (texte inchangé
par rapport au texte de 1624, p. 265. V. aussi une autre-« peinture parlante ~
de «caractère ~ p. 204 de l'éd. 1642, et p. 266 de l'éd. 1624: «On voit d'autre
part des femmes qui n'ont d'autre mestier que de penser aux nouvelles modes
des habits, que d'achepter de l'estoffe pour faire des cottes et des robbes, que
de marchander des pierreries, que de hausser leurs patins, que de regarder
c LA COUR SAINTE 1> 369
•••
Par cette accumulation pressante et étourdissante de tableaux de style
et de couleur différents, le P. Caussin pense avoir amené son lecteur au
point où il a fait c élection» d'un nouvel «état de vie:.. Alors, tel un
général qui, ayant affaibli l'adversaire, augmente sa pression sur lui afin
de le réduire définitivement à sa merci, le P. Caussin renonce aux ara-
besques du style moyen et du grand style pour la nudité plus impérative
des règles; il écrase les derniers soubresauts du c vieil homme:. sous un
feu nourri de c maximes ». Lui-même s'en explique:
Ce livre estant fait pour une plus familière instruction, il est moins
estendu en discours et allegations, mais plus serré et plus succinct en
preceptes, comme il est convenable. Je J'ai faict à dessein decisif, et par
manière d'Aphorismes, à la façon dont les Anciens traitoient les choses
morales 358.
cent fois le jour un miroir, que de faire une consultation sur un poil de leur
teste, que d'avoir de l'eau d'Ange, et de la poudre de chipre, que d'apprendre
tous les jours quelque nouvelle invention d'imposture pour porter sur le front
où Dieu mesme de son doigt a consigné la pudeur 1... ] Voilà un beau mesnage
qu'on fait du temps ... " Voir, sur cette offensive contre la mode de Cour avant
la Fréquente Communion d'Arnauld, les ouvrages de Fr. de Grenaille, La Mode
ou Charactere de la Religion et du Sti/e du lems, Paris, Gassé, 1642, et Puget
de la Serre, Le 8revière des courtisans, Bruxelles, {631. Ces deux ouvrages
dérivent de La Cour Sainte.
351 Ibid., p. 239.
358 Ibid., L. III, p. 274.
359 Ibid., L. III, section XIV, p. 340: La Pratique de la Méditation. c La
méditation est une oraison de cœur par laquelle nous recherchons humblement
attentivement et affectueusement les véritez qui concernent nostre Salut, pour
delà nous porter à l'exercice des vertus chrestiennes.:' V. p. 344, une topique
de la méditation; p. 350 : l'esquisse d'un «recueil :. destiné à nourrir la médi-
tation ...
370 RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS
Le sens tantôt propre, tantôt figuré qu'il donne au mot miroir, l'im-
mense sylve qu'il a rassemblée de tous les passages d'auteurs païens ou
chrétiens où apparaît la notion dans l'un ou l'autre sens, permettent au
P. Filère de glisser avec aisance du c tableau» à la Philostrate à l'exem-
plum à la Sénèque, de l'Idée platonicienne au speculum in aenigmate pau-
linien, en un véritable chatoiement de reflets qui vont du «figuratif»
le plus sensible au c non-figuratif» le plus abstrait, mathématique et
métaphysique.
La gamme des miroirs tour à tour évoqués est à elle seule significative
de cette oscillation du concret à l'abstrait. Exemples, tableaux, images,
autant de miroirs. Miroir, l'exemple suprême de la « Vie et mort du Fils
de Dieu ». Miroir encore, l'image des créatures, qui forment « autant de
tableaux raccourcis des perfections de Dieu» ; miroirs aussi, les images
des saints protecteurs dressés sur leurs murailles par les défenseurs de
Tolède, et qui, réfractant la «vertu» des Bienheureux, repoussent les
assauts de l'Infidèle; ou l'image du Sauveur qui, tel un miroir ardent,
embrasa les machines de Chosroès dressées contre la ville d'Edesse.
Mais le plus souvent, par un effet de «miroir dans le miroir », les
exempla rassemblés par l'érudition du P. Filère sont autant d'écrins pour
une superbe collection de miroirs lisses, brillants et glacés, vides aussi,
sauf de leur possibilité ambigu!! et fascinante de réfléchir les vanités du
monde ou les vérités de Dieu. Ils tiennent lieu dans son livre de ces
« pierreries» qui, selon le P. Binet, font « le style précieux ». Miroirs des
chasseurs, miroir de la Duchese de Venise, miroir de la Reine Cléopâtre,
miroir d'Alcibiade, de la Courtisane d'Edesse, de Narcisse, d'Esculape,
du temple d'Achaïe, de l'Empereur Othon, de la Princesse Agnès, du
temple d'Arcadie, de Mercure Trismégiste, de l'Empereur Domitien, de
l'Empereur Anastase, de la Princesse Jeanne d'Aragon, de la Princesse
Romilde, tous ces miroirs de vérité et de vanité ont été pour ceux qui
365 Sur les recherches d'optique sous Louis XIII, voir Jurgis Baltrusaitis,
Anamorphoses ou magie artificielle des effets merveilleux, Paris, Perrin, 1969,
p. 39 et suiv. L'auteur met en évidence le double aspect à la fois dévotionnel
et scientifique de ces recherches. Les ouvrages les plus importants dans l'ordre
scientifique sont la Perspective, de Salomon de Caus (Londres, 1612; Paris,
1624); et la Perspective curieuse du Minime Jean-François Niceron (Paris,
1638), traduite en latin en 1646 sous le titre Thaumaturgus opticus. Le P. Nice-
ron avait peint lui-même de grandes fresques anamorphotiques qui décoraient
le couvent des Minimes de la Place Royale, quartier général du P. Mersenne.
maître et protecteur du jeune moine (v. ouvr. cit., p. 61).
366 Recueil des œuvres chrétiennes et spirituelles, Rouen, 1620, p. 320.
c LE MIROIR SANS TACHE ~ 373
s'y sont mirés autant de pièges ou d'instruments de salut. Comme les
yeux d'Argus qui selon le P. Caussin, guettent les nobles et leur figurent
l'Œil de la présence divine, cette foule de miroirs entoure le lecteur du
P. Filère et le somme de choisir entre l'illusion et la sagesse.
Et comme si ce Musée étinc~lant de tous les miroirs dont parlent
l'histoire et la légende ne suffisait pas à traquer son lecteur, le P. Filère
en appelle à la Nature entière:
Ou encore:
.. , Non seulement l'eau, mais encore l'huile, le vin, voire le sang peu-
vent servir de miroirs [ ... ] Le vin et le sang rendent l'image de celuy qui
s'y regarde plus affreuse et plus effarée, l'huile la rend plus douce et plus
agréable, mais la plus naïve paroit en l'eau, ou au crystal, ou au verre,
qui n'est qu'une eau affermie dans la solidité; pourveu que ce corps
diaphane soit terminé par l'opacité de la terre, qui sert de fonds à l'eau,
et de la feuille de plomb ou d'étain qui sert de fonds au crystal... 368.
les plus beaux prétextes à montrer « les rapports que la Sagesse divine
a mis entre les merveilles qu'elle fait paroître dans les miroirs naturels,
et la connoissance que nous avons de Dieu ». « Miroirs cylindriques », où
les anamorphoses révèlent la vérité de leurs déformations apparemment
absurdes j «miroirs sphériques », «elliptiques », «paraboliques» qui
changent la lumière en feu j horloges catoptriques: un véritable laby-
rinthe spéculai ré capte, déforme, recompose, métamorphose les « espèces»
lumineuses, entraînant l'œil de chair à éprouver la capacité d'illusion et
de desengaiio de l'œil de l'âme.
Ces merveilles de la physique catoptrique ne sont pas seulement le
point de départ d'une prodigieuse spéculation métaphysique sur la
lumière. Elles sont aussi le prétexte à descriptions d'un goût nouveau,
où le culte du mot rare et technique, si sensible dans l'Essay des Mer-
veilles du P. Binet, trouve à se satisfaire dans le vocabulaire scientifique,
et où l'imagination, trouvant moins de prise dans ces objets stéréomé-
triques, reste agréablement en suspens 369. Le P. Filère s'est gardé
d'accompagner ces descriptions scientifiques de schémas ou de figures
propres à soulager l'esprit du lecteur: cet effet d'obscurité et d'abstrac-
tion est voulu et calculé par le «thaumasiologue» jésuite pour faire
glisser subtilement ces objets savants vers le statut d'hiéroglyphes
modernes, recélant comme les hiéroglyphes d'Horapollo et les «stro-
mates» de Clément d'Alexandrie, chers au P. Caussin, un sens mystique.
Des « spéculations de la Mathématique », le P. Filère ne se cache pas en
effet de ne retenir que « ce qui (lui) donnera sujet d'en faire le rapport
utile à quelque point de vérité» 370, rapport «que la Sagesse divine a
mis entre les merveilles qu'elle fait paroître aux miroirs matériels [ ... ] et
la connoissance que nous devons avoir de Dieu l) 871.
La Seconde Sophistique n'avait pas hésité à demander à la magie un
supplément d'efficacité pour son éloquence 872. La sophistique sacrée du
P. Filère demande à la science, traitée en réservoir d'hiéroglyphes à la
fois ornementaux et « mystiques », des ressources neuves de fascination.
Le P. Filère est sur ce point accordé aux préoccupations du P. Athanase
Ki rcher 378.
•
••
Ibid., p. 513.
369
Ibid., p. 764.
370
371 Ibid., p. 172.
372 Voir notes 142 et 143, à propos de la magie chez le P. Caussin. Sur
les rapports entre rhétorique et magie dans l'antiquité voir E.R. Dodds, The
Greeks and the Irrational, Univ. of Calif. Press, 1951, surtout ch. VII, «Plato,
the Irrational soul and the inherited conglomerate », et J. de Romilly, Magic
and rhelorie in Ancient Greece, Harvard Univ. Press, Cambridge Mass., 1975.
873 Kircher, Primitiae gnomonicae caloplrieae hoe est horologiograpfziae
novae speeularis ... Avenione, Piot, 1635, 4°.
c LE MIROIR SANS TACHE» 375
QueUes que soient les accrétions empruntées par le P. Filère à saint
Augustin, saint Jérôme, saint Bonaventure, Denys l'Aréopagite, et aux
modernes mathématiciens catoptriques, le fond de sa méthode n'en est pas
moins le même que dans les Exercices de saint Ignace.
Son L. 1 n'est en effet qu'une vaste amplification du «Principe et
fondement» qui sert d'ouverture aux Exercices: «L'homme est créé
rour louer, respecter et servir Dieu notre Seigneur, et par là sauver son
àme. Les autres choses sur la face de la terre sont créées pour l'homme,
pour l'aider à poursuivre la fin pour laquelle il a été créé ... » 374 Ce qui
devient sous la plume du P. Filère : «Que l'homme n'est au monde que
pour voir par reflexion et connaître Dieu, soy-même et toutes les crea-
tures dans le miroir de la Sagesse divine. » 375 La sécheresse ignatienne
fait place à une abondance dont la notion de miroir est l'inépuisable
source. Le P. Filère emprunte à saint Augustin l'idée que le cœur de
l'homme est le « miroir et sanctuaire de Dieu ». Des citations habilement
traduites et ajustées de Diogène Laërce, Plutarque, Platon, Apulée, mais
aussi de saint Justin, saint Jérôme et Tertullien, lui permettent de faire
foisonner le principe initial, en opposant l'usage du miroir pour la vertu
et la vérité, à son usage pour la vanité. Le cœur ne saurait être un miroir
fidèle de la Sagesse divine que s'il est « net et uny », pur de toute défor-
mation qu'interposent les vanités du monde entre lui-même et Dieu.
Le L. II, qui semble nous éloigner des Exercices, se borne à appro-
fondir leur méthode essentielle: la « considération, contemplation, médi-
tation» antithétique des péchés d'une part, et d'autre part de la vita
Christi, manifestation sensible de la grâce qui efface et remplace celle des
vanités et erreurs mondaines. Pour faire comprendre ce renversement des
apparences de la c vanité» à la « vérité », le P. Filère développe une « his-
toire» énigmatique, dans le goût des Amours de Psyché d'Apulée. Le
P. Filère invoque la formule de saint Paul (Cor. l, 13, 12) sur «l'énigme
dans le miroir» pour justifier ce recours à une figure de dérivation
sophistique. Il invoque d'autre part la légitimité de la « récréation », qui
fait servir ces « petiies subtilités» à la piété, et rend celle-ci moins âpre
et plus civile 376 :
•
••
Mais avant de parvenir à ces noces spirituelles entre le «mirOir pur
et .uny» et l'Objet divin, il a fallu procéder à une « conversion de l'âme
se regardant dans le miroir de la Sagesse », et par l'examen de conscience,
se purifiant de tout ce qui la tache et la trouble (L. 11\). Par toutes sortes
d'ingénieux détours, le P. Filère amène son lecteur à faire l'équivalent de
ce que saint Ignace demande du retraitant au cours de la première semaine
des Exercices, en particulier dans la Méditation des péchés.
Puis il faut que l'âme progresse «par la reflex ion du miroir des
perfections de Dieu:. (L. IV). Le P. Filère articule alors à une exégèse
« mystique» des plus étonnantes merveilles de la catoptrique, miroirs
cylindriques et sphériques, une reprise des thèmes essentiels du De Tri-
nitate de saint Augustin, du De Hierarchia de Denys l'Aréopagite, et des
œuvres de saint Bonaventure 382. Le Pseudo-Denys est particulièrement
cher au P. Filère, comme il l'était au P. de Cressolles :
Ne diriés-vous pas, écrit-il, que le grand saint Denys avec ses yeux
d'aigle a découvert dans le ciel, en ces œuvres de la grâce, ce que le
Maître des Mathématiciens remarquoit en la nature, que l'on peut par
artifice disposer plusieurs miroirs plains, concaves ou convexes, en telle
façon que la même chose paroîtra multipliée dans iceus autant de fois
que la reflexion des espèces se fera par renvoy qu'ils causeront, étant
opposés les uns aux autres à plusieurs angles egaux? Car la reflexion
de la lumière divine se fait par proportion en la même façon d'un Esprit
bienheureux à l'autre, et passe par la subordination que Dieu a établie
parmi ces Hierarchies jusques à ceux qui doivent être béatifiés par ces
connaissances, ou qui sont destinés pour l'exécution de ses commande-
ments 383.
•
••
Dans ce livre, avec une évidence particulière, la doctrine de l'imitation
éclectique, et la rhétorique de l'ekphrasis remontent vers leurs sources
néo-platoniciennes et trouvent leur justification essentielle dans la dia-
lectique de l'Un et du Multiple.
Tout l'Univers, écrit le P. Filère, n'est qu'un miroir qui représente par
l'union de ses parties l'unité de l'essence divine, comme du premier et
unique principe de toutes choses 384.
382 Sur les sources du P. Filère, voir les belles pages du P. Urs von Bal-
thazar, La Gloire et la Croix, Paris, Aubier, 1968, t. Il, D'Irénée à Dante.
383 Ibid., p. 590.
884 Ibid., p. 529.
378 RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS
•••
Chacun des deux volumes est dédié à un personnage éminent de la
Grande Robe parisienne. Le premier au Président de Mesmes, frère du
comte d'Avaux et comme lui héritier d'une des plus prestigieuses dynas-
ties du Parlement de Paris et de la République des Lettres européennes,
illustrée surtout par Henri de Mesmes, seigneur de Roissy (1532-1596),
ami et proche collaborateur de Michel de L'Hospital, et chancelier de la
reine de Navarre Jeanne d'Albret. Le second volume est dédié au Prési-
dent de Bailleul, qui fut nommé avec le comte d'Avaux Surintendant des
Finances par Anne d'Autriche en 1643. Les liens étroits que les deux
frères Mesmes, le parlementaire et le diplomate homme d'Etat, entrete-
naient avec d'autres Jésuites, comme le P. Petau et le P. Vavasseur 392,
expliquent comment le jeune Le Moyne put entrer dans ce milieu de
Grande Robe qui encourageait semble-t-illes efforts des Jésuites français
pour s'agréger à l'humanisme national. En 1645, c'est encore au Président
de Mesmes que Le Moyne dédicacera son volume d'Entretiens et Lettres
poétiques. Il y félicitera le haut magistrat d'appartenir à une famille à
qui les « Muses sont attachées », alors qu'elles n'ont, d'ordinaire, « point
affaire en la Grand'Chambre ». Il y rappellera que le père du Pré-
sident et de son frère d'Avaux s'est vu dédier leurs livres par Tur-
nèbe, Lambin et Muret, et que le nom de Mesmes a été chanté par les
poètes néo-latins Dorat et Passerat. Oubliant qu'Henri de Mesmes, fidèle
à la Maison de Navarre et à la politique de L'Hospital, s'était retiré de
la Cour sous Henri III, le P. Le Moyne ne craint pas d'associer l'huma-
nisme de l'austère magistrat à celui de la Cour des Valois 393 qui selon
391 Voir Chérot, ouvr. cit., S. Vouet et Le Moyne, p. 25-26 et 207, N. Pous-
sin et Le Moyne, p. 19. La description de tableaux contemporains, genre que
Marino dans sa Galeria avait pratiqué avec brio, est également chère à Le
Moyne.
392 Voir plus loin, le sous-chapitre « Les jésuites érudits ... l>.
393 Est-ce chez Le Moyne que naît le mythe de la Cour de Valois, qui
connaîtra une si grande fortune sous Louis XIV, chez les auteurs de «Nou-
velles» et de romans? Il contraste étrangement avec le mythe inverse des
« Mignons» et de la corruption d'Henri III et sa cour, en faveur au début du
siècle. Il est possible d'ailleurs que le second mythe n'ait pas effacé le premier.
Ils se combattent dans La Princesse de Clèves. Idéalisation, par projection
dans le passé, du progrès du luxe, des arts, et des raffinements de la culture
à la Cour de Louis XIV, mais aussi mouvement de recul de la conscience
chrétienne devant les progrès de la délicatesse, inséparables du déclin de la
\'ertu.
« LES PEINTURES MORALES l> 381
lui n'était pas «ignorante », et répandait ses libéralités sur les lettrés,
tels Desportes, Bertaut et Du Perron. Le logis du père du Président de
Mesmes avait été sous Henri IV ce que « l'Académie et le Lycée» avaient
été à Athènes. Et le frère de l'actuel Président de Mesmes, d'Avaux, est
qualifié de «Patron des Muses ». Ces éloges ne vont point sans une
polémique voilée contre le reste de la Grande Robe, qui, sauf exception,
semble aux yeux du P. Le Moyne l'adversaire de la délectation esthé-
tique. Aussi prend-il bien soin de souligner que son Mécène, pour aimer
les «belles choses », n'en est pas moins «un magistrat incorruptible >.
Mais cette vertu, comme celle des «raisonneurs» de Molière 8"', est
« traitable », et compensée par la culture littéraire et l'urbanité, bref
" par cet assemblage de toutes les vertus qui entrent dans le commerce
de la vie civile » ;
j'estime bicn moins en vous, ajoute le P. Le Moyne, le Grand Pré-
sident que l'Honneste Homme qui fait l'honneur du Grand Président: et
je vous considère beaucoup plus par ce que vous estes dans vostre domes-
tique que par cc C;lie vous estes au Palais.
•
••
Suivant de près Cureau de La Chambre, qui en 1640 dédiait au Chan-
celier Séguier le premier volume de son ouvrage Le Caractère des Pas-
sions 895, le P. Le Moyne consacre ses Peintures Morales aux passions
394 Ces raisonneurs, qui sont souvent des dévots «traitables », doivent
peut-être quelque chose à François de Sales et à la «civilité chrétienne» de
l'Introduction (v. R. Murphy, Saint François de Sales et la civilité chrétienne,
Paris, Nizet, 1964); ils ont de grandes chances de devoir plus encore au
P. Le Moyne et à sa «dévotion aisée >. V. aussi un possible rapprochement
entre la théorie du comique «honnête» chez Vavasseur, et le «rire des hon-
nêtes gens» chez Molière, supra, n. 270.
395 Le traité des passions est un genre qui connaît une vogue européenne
dans les années 1610-1650, Les Romanae dissertationes de Mascardi (Paris,
1636) en sont un autre ex~mple. Et le P. Caussin, qui fit de sa Cour Sainte
une véritable «congère l> de genres édifiants et moraux ne manqua d'adjoindre
au noyau initial de son ouvrage-gigogne un traité De l'Empire de la raison
sur les passions (t. III de la Cour Sainte, Paris, 1640). Cette vogue a sans
doute un versant qui intéresse l'histoire des idées (V. A. Levi, French moralists,
the theory of the passions, 1585 to 1649, Oxford, 1964), elle en a un autre
qui intéresse l'histoire de la rhétorique (V. B. Boyce, The Theophrastean
Character, in England to 1642, Harvard Univ. Press, 1947). Le succès des
Caractères de Théophraste (stimulé par l'édition de Casaubon sous le titre
Characteres ethici, Lyon, 1592, et sous celui de Notationes morum, Lyon, 1599)
s'inscrit dans le cadre plus général de la diffusion des techniques de la Seconde
Sophistique, où des figures comme l'éthopée, la prosopographia (descriptio
personae), le characterismus (descriptio morum), amplifiées par les figures de
382 RH~TORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS
402 Le mot «Analysie» est un hellénisme que l'on trouve en latin dans le
traité du P. Jean Voellus, Exercitium ana/yticum discursivi judicii, litterariae
juventuti, Fribourg-en-Brisgau, typis J. Meyeri, 1630. Le même J. Voellus avait
publié à Tournon en 1606 des Exp/anationes artificiosae aliquot epistu/arum
M. Tullii Ciceronis familiarium, et en 1630, à Fribourg-en-Brisgau, un Exer-
citium syntacticum discursivi judicii sive genera/e artificium orationis aut con cio-
nis constifuendae. Ce sont des traités de dispositio oratoria, que veulent rem-
plir la même fonction que la «dialectique» de Ramus. Mais tandis que celle-ci
se veut anti-aristotélicienne et anti-scolastique, l'ana/ysis jésuite s'efforce de faire
coïncider la logique oratoire et la méthode scolastique. Avec le P. Fonseca
(v. ch. l, note 199) le P. Voellus cQmpte parmi les auteurs jésuites qui ont
cherché une parade au ramisme.
388 RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS
•
••
révèle que les attaques de Pascal dans les Provinciales contre ce livre
du P. Le Moyne avaient été affûtées dès 1642 par les Solitaires de Port-
Royal 4os •
•
••
Mais le style severe, d'inspiration augustinienne et borroméenne, que
préconisait Saint-Cyran, ne résume pas le classicisme, qui n'est pas une
doctrine, mais un compromis entre diverses instances qui se font contre-
poids. Celle que représente le P. Le Moyne, affinée et contenue par la
polémique janséniste, a un brillant avenir dans la seconde moitié du siècle.
Dès 1645, avec ses Entretiens et Lettres poétiques, le P. Le Moyne (qui
se rapprochera de la « sévérité» du P. Caussin et de sa Cour sainte, en
1648, dans la Oallerie des femmes fortes), resserre la gamme de son
imitation et atténue la saveur de ses" viandes pour délicats ». Il déclare,
dans sa Préface, prendre Horace pour modèle. Mais il l'interprétera libre-
ment. Il n'imitera point le « peu de modestie» des EpUres, ni leur aspect
.. satyrique» qui n'a pas de répugnance pour l'", ordure >l. JI n'imitera
pas non plus la «raillerie », peu conforme à la charité chrétienne, du
poète latin. JI ne se contentera pas non plus de la '" prose simple et
pédestre », versifiée, dont usa Horace. Sa matière sera toute chrétienne
et morale. Il recourra non à la raillerie, mais à une .. gayeté l) chaste,
comme la «Musique et la symphonie dont la dévotion des fidèles est
egayée l). Enfin, il s'exprimera en poète '" dans les termes, dans les ima-
ges, dans les fictions, dans les figures », « avec l'élévation, le feu» qui
font les Poètes, et qui haussent le style «au-dessus du commun et du
vulgaire ».
Soumis à la critique augustinienne, l'héritage du XVI' siècle «asia-
niste », celui de Blaise de Vigenère dans les Peintures Morales, celui
de Ronsard et de Desportes dans les Entretiens et Lettres poétiques, est
contraint pour ainsi dire à se rétracter, et à chercher des autorités du
403 Voir la IX· Lettre d'un Provincial. V. aussi, chez Fénelon, Dialogues sur
l'éloquence, dans Œuvres, Lyon-Paris. 1843. t. III. p. 372. la critique. d'un
point de vue sévèrement platonicien et augustinien. du principe même des
« Peintures morales », id est des éthopées chrétiennes: «Les peintures morales
n'ont point d'autorité pour convertir. quand elles ne sont soutenues ni de prin-
cipes ni de bons exemples. Qui voulez-vous convertir par là? On s'accoutume
à entendre cette description; ce n'est qu'une belle image qui passe devant les
yeux. on écoute ces discours comme on liroit une satire, on regarde celuy qui
parle comme un homme qui joue bien une espèce de comédie, on croit bien
plus ce qu'il fait que ce qu'il dit. Il est intéressé, ambitieux. vain ...• il ne quitte
aucune des choses qu'il dit qu'il faut quitter ... Ce qu'il y a de pire, c'est qu'on
s'accoutume par là à croire que cette sorte de gens ne parle pas de bonne
foi; cela decrie leur ministère; et quand d'autres parlent après eux avec un
zèle sincère. on ne peut se persuader que cela soit vrai. l)
« LES PEINTURES MORALES » 391
404 Il n'existe pas d'étude sur Le Moyne imitateur de Marino, bien que Je
sujet s'impose à J'esprit de qui a pratiqué les deux auteurs. Pascal (XI' Lettre)
cite un poème des Peintures Morales (t. Il, 1. 7) qui, à travers la technique
métaphoriste de l'auteur jésuite, attaque en fait l'art «asianiste" né avec
Panigarola, porté à ses sommets par Marino.
405 Sur Le Moyne admirateur et imitateur du Tasse, voir Chérot, ouvr. cit.,
passim, et Joyce G. Simpson, Le Tasse et la Littérature et l'Art baroques en
France, Paris, Nizet, 1962.
CHAPITRE IV
•
••
Très jeune, le P. Petau donna des preuves éclatantes que bon sang
ne saurait mentir, même sou!> la robe jésuite. Il pourra sembler surprenant
que nous nous arrêtions sur les éditions savantes qu'il publia entre 1612
et 1635. Mais il se trouve que les auteurs édités par le P. Petau sont
justement des rhéteurs, qui appartiennent tous trois à la période qui fut
peut-être la plus brillante, en même temps que la dernière, de la Seconde
Sophistique: Synésius de Cyrène 407, Thémistius 408, et l'Empereur Ju-
lien 409. Le choix de ces trois auteurs du IV· siècle montre que les réflexions
du P. Petau, dès 1612 (date de son édition de Synésius), tournaient autour
du même problème qui hante le P. de Cressolies dans son Theatrum Vete-
rum rhetorum : la Renaissance des litterae humaniores étant devenue aussi
la Renaissance de la Seconde Sophistique, comment, sans remettre en
cause la première, c purifier:. la rhétorique chrétienne de la seconde?
Le P. de Cressolles, qui ne distinguait guère entre tradition atticiste et
tradition asianiste de la Seconde Sophistique, avait en quelque sorte
traité le problème en bloc, et conclu à une adoption «modérée» et judi-
deuse des techniques des sophistes. En se concentrant sur les philosophes-
rhéteurs du IV· siècle, témoins et acteurs de l'ultime Renaisance de l'hellé-
<06 Synesii Episcopi Cyrenes opera quae extant omnia, Paris, Drouart, 1612,
Ad Candidum Lectorem. Parmi les manuscrits qui ont servi à l'édition des
Lettres de Synésius, Petau fait figurer un Morel/ianus, prêté par Frédéric Morel
et un Petal'ianus, prêté par Paul Petau.
40. Les discours de Synésius avaient déjà fait l'objet d'une éditio:1 par
Adrien Turnèbe en 1553, et ses lettres, éditées par le même, avaient été publiées
à Paris en 1605. Le P. Petau sur ce point comme sur tant d'autres s'efforce
de prendre le relais de l'humanisme érudit français, voire de faire du Collège
de Clermont l'héritier d'un Collège Royal dont l'importance sous Louis XIII
demeure mal connue.
408 Themistii Euphradae Oraliones XVI graece et latine nunc primum
editae ... Ad Christianissimum Regem Ludovicum xm, FIexiae, apud Jacobum
Rezé, 1613. Là encore, le P. Petau mettait ses pas dans ceux de la philo!ogie
gallicane: en 1562, Henri Estienne avait publié XIV Orationes de Themistius.
409 fulialli Imperatoris Oraliones panegyricae ab eo cum adhuc esset chris-
tianus scriptae, Flexiae, apud Jacobum Rezé, 1614. Dédié à Nicolas de Verdun.
394 DENIS PETAU
no fuliani Imperatoris opera quae qI/idem reperiri potl/erunt omnia ... , Paris,
Cramoisy, 1630. Cette édition, par les soins du P. Petau est une récapitulation
des travaux de l'humanisme érudit français consacrés à l'Apostat. Les lettres
de Jlllien furent imprimées pour la première fois à Venise par Alde l'Ancien
en 1499 (voir J. Bidez et F. Cumont, Recherches sur la tradition manuscrite
des lettres de l'Empereur Julien, Comptes rendus de l'Acad. des Inscriptions... ,
t. LVII, 1897, p. 102 et suiv). Ses discours furent imprimés pour la première fois
en France par Pierre Martini, un disciple de Ramus, en 1566 (voir J. Bidez, La
tradition manuscrite et les éditions des discours de l'Empereur Julien, Paris,
Champion, 1929, p. 105 et suiv.). Le débat autour de l'œuvre de Julien avait
commencé dès les origines de la Renaissance de l'hellénisme, avec Gémistius
Pléthon (voir François Masai, G. Pléthon et le platonisme de Mistra, Paris,
Belles Lettres, 1956). Voir Montaigne, Essais, Il, 19, et Possevin, Bibliotheca
selecta, p. 39-41, éd. cit.
411 Sur Gabriel de l'Aubespine, voir Ph. Tamisey de Larroque, Les cor-
respondants de Peiresc, VII, Gabriel de l'Aubespine, Orléans, 1883. Denis Petau
était oïiginaire d'une famille orléanaise. L'évêque d'Orléans avait favorisé
l'installation d'un collège de Jésuites dans sa ville. Plus tard il entrera en vif
conflit avec les Jésuites du Collège qui entendaient en confession sans son auto-
risation.
396 DENIS PETAU
•
*.
Ce n'était pas seulement par son hellénisme érudit que le P. Petau
renouait avec la tradition de la Haute Renaissance. Poète et orateur néo-
latin, il publie en 1620, chez Sébastien Cramoisy, ses Oraliones et seS
Opera poetica. L'année suivante celles-ci étaient rééditées à Cologne,
conjointement avec les Orationes du P. Bernardino Stefonio, une des
gloires du Collège Romain. En 1634, une des tragédies du P. Petau,
Sisaras, était publiée à Anvers dans les Selectae PP. Socielatis Jesu
Tragoediae, qui ne contenaient, outre l'œuvre du Jésuite français, que des
œuvres de Jésuites romains. Lui-même salua avec enthousiasme l'accès
à la tiare de Maffeo Barberini, le pape poète, l'élève doué du Collège et
du Séminaire romains. Dès 1624, il célébra l'élection d'Urbain VIII dans
412 V. Roger Zuber, Les Belles Infidèles, Paris, 1958, p. 64 et suiv. L'A.
rappelle que d'Ablancourt, fort lié au milieu érudit, avait de la traduction une
conception «critique ». Le principe du P. Petau est en opposition complète
avec celui de Blaise de Vigenère qui considérait que le traducteur devait plier
son style à celui de l'auteur traduit, même s'il avait des réserves à faire sur
celui-ci. Il substitue un goût canonique au goût éclectique, séduit par la variété,
qui avait été celui de Vigenère et de ses imitateurs jésuites.
RÉFORME DE LA RHÉTORIQUE JÉSUITE 397
deux Odes latines publiées par Cramoisy 418. Il lui adressa par la suite
d'autres hommages. Le Pape s'efforça de le faire venir à Rome, mais le
P. Petau préféra s'en tenir aux relations épistolaires suivies qu'il entre-
tenait avec les milieux doctes de la capitale pontificale.
En France même, le prestige des Orationes et des Opera poetica du
P. Petau dans les milieux de l'humanisme érudit encouragea Cramoisy
à en publier trois rééditions en 1622, 1624 et 1643.
Le genre des Orationes el poemala dans lequel le grand érudit jésuite
s'illustrait faisait de lui, seul alors parmi ses collègues français, l'héri-
tier des plus anciennes disciplines de l'art d'écrire humaniste. On l'a
vu en effet, le recueil d'Oraliones et de Poemala n'avait d'autre rival,
à l'époque de la Haute Renaissance, que le recueil d'Epislolae. Cette
association du carmen à l'oralio faisait de la poésie une sorte de prélude
à la maîtrise d'une prose latine purifiée des scories du modus scholas-
lieus.
Seul aussi parmi ses collègues français, le P. Petau par ce double
recueil se rangeait aux côtés des humanistes du Collège romain qui, à la
suite de Marc Antoine Muret, s'étaient attachés à relever ce genre carac-
téristique du «cicéronianisme» de la Haute Renaissance, et à allier de
nouveau pureté latine et piété chrétienne, beauté classique et spiritualité.
On s'en souvient, pour le P. Benci la quête de l'optimus slylus était en
elle-même un exercice spirituel. Or les œuvres des héritiers romains de
Bembo et de Naugerius, de Sadalet et de Vida avaient trouvé en France
des éditeurs et une vaste diffusion, qu'explique la doctrine alors unani-
mement partagée par les régents de rhétorique jésuite, à la suite de juste
Lipse et de Possevin: Cicéron et les «cicéroniens» pour les enfants,
l'imitation «adulte» et «éclectique» pour les hommes faits .
•••
Dès 1588, le libraire parisien Carbon publiait une édition préparée par
le jésuite romain Horace Tursellin 4H des Oraliones duodeviginti du P.
Pierre jean Perpinien, le premier « cicéronien» jésuite. Celui-ci était bien
413 De laudibus Urbani VIII Ponl. Max. Odae duae, Parisiis, Seb. Cra-
moisy, 1624 et Opera poetica, Paris, Cramoisy, 1642, p. 639 (à Maffeo Bar-
berini) et p. 680 (à Urbain VIIl). Cette édition est ornée d'un Bref élogieux
du Pape au P. Petau.
414 Pelri Joanni Perpiniani Oraliones duodeviginti juxla exemptar Romae
editum, Paris, 1588; rééd. Lyon 1594; Douai 1598; Lyon 1603; Lyon 1606;
Douai 1608; Rouen 1611 ; Lyon 1622. Toutes ces éditions sont l'œuvre de
libraires attachés aux Collèges de Jésuites. Pour ces Orationes de Perpinien
comme pour les autres recueils « cicéroniens» que nous citons, il faut insister
sur le rôle joué par les Collèges de Jésuites, alors même que les prédicateurs
en langue française de la Compagnie avaient des indulgences pour les modes
profanes, et se fiaient au laxisme de l'imitatio adulta, dans la diffusion en
France sur une large échelle du goût cicéronien de la Renaissance.
398 SOURCES ROMAINES DE LA RÉFORME
connu à Paris, où il avait enseigné trois ans 4l~ avant d'y mourir. L'édi-
tion parisienne, comme celle de Rome, était précédée d'une préface du
P. Benci, le disciple de Marc Antoine Muret. L'une de ces Orationes
avait été prononcée à Rome devant Charles Borromée, une autre pro-
noncée à Lyon avec pour sujet De veteri religione retinenda, et cinq
autres à Paris sur des sujets pieux. Mais toutes, par la pureté du voca-
bulaire et l'élégance du style, refusaient de séparer piété et beauté, ascèse
de l'âme et distinction de la forme. Par sa préface, le P. Benci sacrait
Perpinien comme le précurseur de la Renaissance littéraire chrétienne
dont le Collège Romain se voulait l'Académie. Une nouvelle édition fran-
çaise de ces Orationes paraîtra à Rouen, chez j. Osmont et R. de Beau-
vais, en 1606, deux ans après le rétablissement des jésuites. Plus tard,
le P. Vavasseur, disciple du P. Petau, préparera une édition des lettres
du jésuite espagnol à Marc Antoine Muret et Paul Manuce, édition qui
paraîtra à Paris après sa mort, en 1683.
En 1590, c'est au tour de Francesco Benci de faire paraître ses propres
Carmina et orationes à la fois à Rome et à Lyon, où ils furent plusieurs
fois réédités. Mais c'est surtout à partir de 1604, d'abord à Lyon et à
Rouen, puis à Paris, que le public français se voit offrir de plus en plus
abondamment la production latine des jésuites romains. A tout seigneur
tout honneur: en 1604, le libraire des Jésuites lyonnais, Pillehotte, publie
le second volume des Orationes de Muret, que le P. Benci avait d'abord
éditées à Venise en 1591. Ce programme du nouveau «cicéronianisme »,
ouvert à l'imitation de Sénéque et de Tacite dans la fidélité au Tullianus
stylus de la première Renaissance, paraît à Rouen, chez Darré et Préau lx,
en 1607. Dans cette édition, on trouvait aussi la première partie des
Orationes de Muret (Ire éd., Venise, 1570) et VI Orationes è2 Carlo
Sigonio.
En 1605, le P. Francis Rémond publie à Lyon, toujours chez Pille-
hotte un volume d'Epigrammata, Elegiae et Orationes. Dijonnais d'origine,
mais longtemps régent au Collège Romain, le P. Rémond se prévaut de
51 Ilais,ance francaise pour dédier son œuvre au Dauphin, le futur Louis
XIII. Dans sa dédicace, selon la ligne fixée par Richeome, et qu'adoptera
encore en 1617 le P. Caussin dans sa dédicace au Roi des Parallela, le
P. Rémond n'hésite pas à décrire les rapports de ,son Institut avec la
dynastie de Bourbon en termes de dette à payer. Pour sa part, il y contri-
bue par l'offrande de ces Emaux et Camées néo-latins. La préface de
l'éditeur prend soin de relever avant tout les qualités esthétiques de la
poésie et de la prose de ce jésuite français, nouveau Longueil, nouveau
Muret, qui a su tirer de la langue latine des effets au si raffinés que les
écrivains de l'Antiquité. Il est vrai, écrit-il pour écarter l'objection des
puritains, que le P. Rémond a été un remarquable professeur de théologie.
Est-ce incompatible avec la poésie, avec l'éloquence? Surtout lorsque
cette poésie et cette éloquence latines fleurent l'atticisme le plus exi-
•••
Sauf dans les préfaces comme celles que le P. Rémond attribue déli-
catement à son éditeur, les Jésuites du Collège Romain prêchaient d'exem-
ple. La composition de leurs recueils était en elle-même une leçon: la
prose d'art latine, fille de l'oralio stricta, devait comme elle, mais sans
le soutien du mètre, faire preuve d'un choix de mots judicieux, d'une
densité élégante, d'une clarté polie, et d'un rythme sûr. Le primat du
judicium - allant dans le même sens que la prudentia chrétienne -
supposait un contrôle de l'imagination que le P. Strada, à la même
époque, dans ses Prolusiones, soumettait à l'acumen mentis, à la fine
pointe de l'intelligence. Telle était bien la fonction de pédagogie de la
prose d'art que Muret avait assignée à l'exercice de la poésie dans une
Oralio prononcée à la Sapienza en 1579, et que le P. Benci publia en
1591 416. La poésie, disait l'arbitre des élégances romaines, est du domaine
de l'ingenium ; l'art oratoire du domaine de l'indusfria; la conjonction
de l'ingenium et de l'industria pouvait seule permettre d'atteindre à la
416 M.A. Mureti ... Orationes vo/umen secundum, Venetiis, 159\ ; éd. Rouen,
\607; Lyon, 16\3.
400 SOURCES ROMAINES DE LA RÉFORME
nouvelle synthèse de l'optimus stylus. Lui-même avait ouvert la voie aux
Benci, Rémond et Galluzzi : l'ancien commentateur des Amours de Ron-
sard avait écrit des Hymnes sacrés et autres poèmes à la fois d'inspira-
tion classique et chrétienne, parmi lesquels un dialogue versifié avec
Francesco Benci. Le recueil avait été publié à Rome en 1581 U1.
Cette Renaissance d'un art doublement châtié - de l'impureté esthé-
tique gothique, et de l'impureté morale païenne - avait été importée par
les Jésuites français surtout pour des motifs pédagogiques. Mais le nom
prestigieux de Muret, et la qualité de ces œuvres néo-latines, ne pouvaient
que leur valoir un accueil favorable auprès de l'humanisme de Robe.
Ecrites par une élite savante, elles étaient plus acceptables par l'élite
savante du Palais que l'éloquence à l'usage de la foule dispensée par les
Jésuites rhéteurs français. Jacques-Auguste de Thou et ses amis prati-
quaient eux aussi, à titre d'exercice à la fois intellectuel et spirituel, une
poésie latine dans la tradition de la Renaissance 418. Et un Nicolas Bour-
bon n'avait qu'estime pour les artistes néo-latins du Collège Romain, et
pour leur élève, Maffeo Barberini, le futur pape Urbain VIII. Paradoxa-
lement, les Jésuites français se servaient comme lectures scolaires d'ou-
vrages que les graves humanistes de la Robe française estimaient dignes
d'eux, alors qu'eux-mêmes, dans leurs œuvres françaises, cherchaient des
modèles du côté de Philostrate, du P. de La Cerda, et d'une sophistique
éclectique.
L'édition des Oraliones et des Opera poetica 419 avait de la part du
P. Petau valeur de manifeste. Occupant la chaire de rhétorique la plus
prestigieuse de France, celle du Collège de Clermont, jouissant hors du
Collège de l'autorité que lui valait son appartenance à la République des
Lettres, il signifiait par ce double recueil l'idée qu'il se faisait du pro-
tesseur d'éloquence latine: un maître qui ne cherche pas d'alibi dans la
doctrine laxiste de l'imitation «adulte" pour se dispenser de pratiquer
l'idéal « cicéronien" qu'il enseigne à ses élèves.
Dans sa dédicace à son élève de sang Bourbon, Henri de Verneuil,
évêque de Metz, le grand érudit ne cachait pas en effet le dédain que
lui inspiraient ceux qui, prétendant faire la leçon aux autres, étaient
incapables de s'y tenir eux-mêmes. Visait-il son collègue Caussin, qui
de fait, dans ses Parallela, tout en célébrant pompeusement le modèle
417 M.A. Muret ... Hymnorum sacrorum liber ... ejusdem alia quaedam poe-
mata, Lutetiae, ap. M. Patissonium, 1576; rééd. Rome, 1581. C'est surtout à
Ingoldstadt que les éditions des œuvres oratoires et poétiques de Muret se
multiplièrent, sous l'égide des Jésuites de la ville, et se répandirent dans tous
les collèges d'Europe.
418 Metaphrasis poetica librorum sacrorum aliquot ... , Caesaroduni Turo-
num (Tours), apud J. Messonium, 1588; rééd. 1592.
419 Dionysii Petavii Aurelianensis e Societate Jesu Orationes, Parisiis,
S. Cramoisy, 1620, dédiées à H. de Bourbon, marquis de Verneuil, évêque
de Metz, et Dionys. Petav. s.j. Opera poetica, ibid., 1620, dédiés à A. de
Bourbon, comte de Moret. Chacun des deux volumes fut réédité en 1622, 1624,
1642, ct 1653 chez Cramoisy. Nous citons d'après l'édition de 1624.
RÉFORME DE LA RHÉTORIQUE JÉSUITE 401
•••
Avant d'étudier par quels canaux l'influence du " classicisme Petau »
s'exerça, il vaut la peine de s'arrêter sur le chef-d'œuvre du savant jésuite,
les Theologica dogmata, dont quatre volumes in-folio parurent entre
1644 et 1650, et qu'il laissa inachevés 420. Cette ambitieuse synthèse
doctrinale, destinée à effacer l'effet fâcheux de la Somme théologique du
P. Garasse, et à pourvoir l'Eglise tridentine d'un ouvrage de référence
comparable à la Somme de saint Thomas, ne pouvait guère éviter de se
poser la question du meilleur style. C'est en effet, ainsi que le rappelle
le P. Pet au lui-même au L. 1, ch. 7 de son ouvrage, chapitre intitulé De
cultu et omatu theologiae expo/itis artibus ad jung en do, la Renaissance
des Lettres humaines s'était faite en grande partie par révolte contre
le stylus parisiensis jugé barbare des Docteurs scolastiques, et par souci
de rendre à l'expression des vérités chrétiennes la beauté, la simplictié,
et la clarté qui les feraient mieux croire et mieux aimer. Dès le début de
son traité, le P. Pet au s'était déclaré pour un style théologique tenant
compte de cette exigence proprement humaniste du goût. Mais sur son
chemin, il rencontre le vieux débat sur le meilleur style chrétien, et il ne
biaise pas avec lui. A bien des égards, la disputatio in utramque partem
qu'il développe dans ce chapitre De cultu et omatu the%giae 421 res-
semble à celle que nous avons rencontrée chez le P. Carlo Reggio, dans
son Orator Chrêstianus de 1612. C'est le même mouvement de refus chré-
tien des voluptés païennes du style, suivi du mouvement symétrique de
refus, non moins chrétien, de priver la vérité des grâces de la culture, et
donc de l'élégance du style. Entre deux excès, sophistique et barbarie,
une juste mesure doit pouvoir être trouvée, à l'exemple de Cicéron arbi-
trant entre atticisme et asianisme. Bien que le P. Reggio songeât à l'ora-
teur sacré, et le P. Petau, dans les The%gica dogmata, au théologien, la
•••
Un autre témoignage sur la doctrine rhétorique du P. Petau nous est
apporté dans le volume d'Epistolae publié en 1651 i28.
Cette dédicace, sur un ton d'extraordinaire autorité, était sans doute
insuffisante pour endiguer un courant trop puissant. Le P. Petau, qui eut
le temps de former beaucoup d'élèves, parmi lesquels le marquis de Ver-
neuil et le comte de Moret, dotait du moins ceux-ci, en latin, d'un point
de vue critique, à partir duquel ils pouvaient juger la mode littéraire en
langue française. Cette coexistence à Paris non seulement d'un domaine
néo-latin et d'un domaine vernaculaire, mais d'options esthétiques diffé-
rentes à l'intérieur même du domaine néo-latin, exclut que l'on puisse
ramener à un commun dénominateur - par exemple, le «baroque» -
l'extrême complexité de la situation littéraire sous Louis XIII. Quant à
expliquer les contradictions qui se font jour à l'intérieur du Collège de
Clermont à cette époque, il faut toujours en revenir à la doctrine de
l'imitation à deux, voire à trois étages: la position « cicéronianiste» du
P. Petau est d'autant plus forte qu'elle s'appuie sur la lettre de la Ratio
studiorum, sur les mandements du Général Acquaviva, et sur la doctrine
de l'imitation à plusieurs étages elle-même, qui recommandait Cicéron
comme le maître de l'enfance. C'est de générations formées à cette disci-
pline qu'il maintint contre le P. Caussin, que le P. Petau attendait une
réforme du goût, franchissant les limites de la classe de rhétorique pari-
sienne pour gagner le "monde », et l'ensemble des Collèges de l'Assis-
tance de France.
On en tient la preuve dans le volume d'Epistolae qui, complétant la
trilogie humaniste du docte jésuite, fut publié en 1652 .
•
••
Remarquons tout d'abord tout ce que ce recueil nous révèle de la
place conquise par ce jésuite dans la République des Lettres gallicanes
et européennes. Si le P. Le Moyne pouvait, dans son recueil d'Entretiens
423 Episto/arum libri tres, Paris, Cramoisy, 1652 (p. 282-287). Un des traits
qui caractérisent les Jésuites érudits est leur spécialisation dans la prose latine
écrite. Le P. Petau n'exerça semble-t-i1 jamais la fonction de condonator
(prédicateur), et il est probable que ce fut le cas du P. Fronton du Duc et du
P. Schott.
RÉFORME DE LA RHÉTORIQUE JÉSUITE 405
et Lettres poétiques de 1645, faire la preuve de la faveur accordée à un
Jésuite dans les milieux cultivés de Robe, à plus forte raison, et bien
avant lui, le P. Petau pouvait se féliciter d'avoir acquis droit de cité
chez les doctes robins à son art néo-latin, et à son érudition. En effet, outre
l'estime que supposaient pour lui, dans la Grande Robe parisienne, les
épîtres dédicatoires au Premier Président Nicolas de Verdun, au Premier
Président de la Chambre des Comptes Jean de Nicolaï, au Garde des
Sceaux Guillaume Du Vair, au Président Pierre Séguier, on comptait
parmi ses correspondants non seulement l'élite de l'érudition romaine, un
Jérôme Aléandre, un Lucas Holstenius, l'élite de l'érudition jésuite, les Fla-
mands Andreas SchoH et Jean Bolland, l'Allemand installé à Rome Atha-
nase Kircher, mais aussi et ~urtout, du paint de vue qui nous occupe, un
Nicolas Bourbon, et son cercle, d'où était partie l'attaque de François
Ogier contre Garasse. François Ogier lui-même. et le romte d'Avaux, fins
lettrés de tradition gallicane, comptaient parmi les amis du P. Petau.
Figuraient enfin dans le volume deux élèves du P. Petau, Roland Des-
marets et François Vavasseur.
Directement liées au rôle joué par le P. Petau dans l'histoire de la
rhétorique en France, sont les lettres du savant Jésuite au P. Andreas
Schott et au P. François Vavasseur.
Le P. Schott, aussi singulier dans la Province f1andro-belge que le
P. Petau l'était en France, se trouve épargné, avec le P. Sirmond et le
P. Fronton du Duc, par l'impitoyable verve anti-jésuite de Joseph-Juste
Scaliger 424. En dehors de ses nombreuses éditions et commentaires éru-
dits, il était l'auteur d'un pamphlet intitulé Cicero a calumniis vindica-
filS 425 qui marque un moment essentiel, avec les Prolusiones du P.
4U Voir Scaligerana, éd. cit., passim. L'acribie érudite de Scaliger lui fait
placer au-dessus de toute autre qualité d'esprit le genius (p. 55, 64, 324), à
la fois ingenium naturel et judicium formé par une culture philologique solide.
Les Jésuites, dont le type est le P. Coton, sont des «bavards », des «cour-
tisans », des « fous ». II excepte de ce jugement Andreas Schott (p. 173), Phi-
lippe Labbe (p. 193) et Fronton du Duc (p. 97): «Honestissimus jesuita ...
Omnes Senatores Parisienses amant Ducaeum.:> On peut étendre ces excep-
tions à Sirmond et Petau, tous deux appréciés de la Robe érudite parisienne.
Voir également, p. 89, le jugement sur Del Rio, et p. 169-173 la philippique
contre les Jésuites en général.
425 Cicero a calumniis vindieatus sive Tullianarum quaestionum ... libri V,
suivi de Favoni EltlO?,i Cart ho?,. in Cie. Sommium Scipionis Disputatio, Anvers,
1613. Dédié au Général Acquaviva., et écrit sur sa commande (le horlante).
L'objet du livre, selon cette dédicace est de combattre le antiquatum penit us
ct obsoletum dieendi ?,enus qui sans choix (de/eetus), sans jugement (judicium
depravatum), imite à tous vents. D'où une oratio obscura et tenebricosa. POi'r
combattre cette survivance gothique, il faut revenir à Cicéron et aux aurei
ejusdem sa ecu li su/J Augusto seriptoribus, Caesare, Sailustio, Livio, Fabio, ae
Terentio purgalo. Ce n'est que sur ce fondement solide qu'on peut se hasarder
plus tard à aborder des auteurs plus tardifs, mais avant tout pom la copia
rerum et la scientia. La plana et jueunda oralio cicéronienne doit rester la
norme du style. Cette position de Schott, conforme à l'idéal de la Ratio, avait
donc le plein appui de Rome. Les Jésuites belges en général, et encore plus
les jésuites espagnols, avaient bien besoin de ces obj)lrgations.
406 DENIS PETAU ET FRANÇOIS VAVASSEUR
*
••
Les lettres du P. Petau au P. Vavasseur, son cadet et son disciple,
s'échelonnent de 1628 à 1644 428. Elles montrent que le grand érudit se
donnant à Paris le rôle que Marc Antoine Muret avait joué à Rome un
demi-siècle plus tôt, avait pris soin de l'avenir, et formé à son école un
Francesco 8enci français. Ces lettres révèlent en effet un véritable travail
de direction intellectuelle, qui prend une forme épistolaire lorsque le
P. Vavasseur se trouve exercer les fonctions de régent à Alençon et à
Bourges. Les conseils empruntent volontiers le tour de l'éloge, destiné
à stimuler le zèle du jeune homme. Le P. Petau félicite son disciple de
son « bon goût naturel» (elegans ingenillm), de son jugement (judicium),
de l'extrême justesse de son discernement critique 429. Il travaille à porter
Le bon goût cicéronien tel que l'entend ici le P. Petau est une conquête
du judicium sur la phantasia ; il veut une clarté polie dont la réussite,
l'originalité inimitable, sont justement la défaite de la subjectivité, une
victoire de l'universel. En 1643, le P. Petau précise en d'autres termes ce
0/: bon goût de l'Antiquité », fidèle à l'idéal cicéronien de la Renaissance:
Il convient, écrit-il, que les poètes soient d'abord latins, c'est à dire
qu'ils aient une diction châtiée et pure, retrouvant le poli exact de l'Anti-
quité, tel qu'i! se voit chez Catulle et Lucrèce, que tu sembles imiter sur-
tout, mais aussi chez Horace, et chez ceux, s'il en est d'autres, qui ont
les grâces du latin en sa fleur 431.
•
••
Et telle est la passion des lettres et des sciences chez les Français,
que privés même d'espoir de récompense, ils s'y adonnent avec une fer-
veur digne de l'Antiquité.
Ce beau naturel, ce zèle, ne sauraient se contenter de la médiocrité.
Aussi dans sa troisième Oratio, intitulée Pro vetere genere dicendi contra
novum, le P. Vavasseur propose aux jeunes Français de se libérer de la
«corruption de l'éloquence », et, portant à son terme l'œuvre de la
Renovatio litterarum, de faire de leur pays la citadelle de la belle latinité,
et de garantir sur cet or antique la valeur de leur langue et de leurs
lettres nationales.
Sa longue harangue, à la fois lucide et enthousiaste, offre une critique
radicale des erreurs passées et un programme d'avenir. Elle s'appuie sur
un postulat que le P. Vavasseur emprunte à Jules-César Scaliger, qui avec
435 Ibid., p. 129. ln aetate autem nostra, qui ad supremum tato nescio quo
rei literariae devenimus, una omnia aetatl/m omnium vitia haesisse ... Degene-
ravit optimus orationis habitus in tumores, in hyperbolas ... A quoi s'est ajoutée
la passion des aCl/te dicta, des sententiae, puis la protusa luxuries descrip-
aonum, puis la licence individuelle qui renouvelle la barbarie gothique. Et le
P. Vavasseur de faire appel à l'héroïsme d'une élite pour résister au flux
universel de la mode et rendre tout son prestige au bon goût de la belle
Antiquité.
436 Ibid., p. 102. Il célèbre d'abord la grandeur de la Renaissance, que
l'expansion de la Compagnie de Jésus a parachevée (Quis loCl/S tam remotus...
ubi audita hodie vox romana non sit? Europam ... Asiam ... Atricam ... , Ameri-
cam ... ). Mais: usus Latini sermonis totus penes viros est ... Et nihil esse quid-
quam tam Hispano homini Quam latinum sermonem contrarium ...
RÉFORME DE LA RHÉTORIQUE JÉSUITE 413
•••
Cette Ol'atio, prononcée à La Flèche en novembre 1636, est sans aucun
doute le temps fort du recueil. L'Oratio quarta, intitulée Eloquentiae
sfudium poeticis et araecis egere, soutient une thèse que le P. Petau
avait tenacement illustrée par ses éditions de rhéteurs grecs et par ses
poésies latines: point de Tullianus stylus - et donc point de prose
française digne de l'Antique - sans l'étude et la pratique assidues de la
poésie latine et des lettres grecques. Le laxisme des régents qui,
pour complaire à la paresse des enfants et à l'indulgence coupable des
parents, dispensent leurs élèves de ces disciplines, est sévèrement fus-
tigé 44G.
Lorsque parut en 1683 le recueil posthume intitulé F. Vavassoris multi-
plex et varia poesis, on put mesurer non seulement que le P. Vavasseur
avait joint la théorie à la pratique, et assidûment composé des poésies
en latin et en grec, mais aussi, par le nom des dédicataires, que le savant
jésuite avait l'estime de l'élite de l'humanisme français. C'est dans les
termes d'une amitié souvent étroite, et qui va jusqu'à la tendresse, que
l'on s'adresse à lui, et qu'il s'adresse à ces lettrés étrangers à sa Compa-
gnie. Nicolas Bourbon et son cercle, le comte d'Avaux, et les deux Ogier,
Charles et François, le comptent parmi leurs intimes 446. Pierre et Jacques
Dupuy ont étendu à lui l'estime qu'ils faisaient de Denis Petau. Balzac
l'admire. Pierre Bourdelot, Guillaume Lamoignon sont en excellents termes
avec lui. Et les poèmes qu'il consacre à Molière ne sont pas de ceux
qui lui font le moins honneur 441.
Tout s'est passé comme si, avec le P. Petau, et plus encore avec le
P. Vavasseur, après trois décennies de tâtonnements, la rhétorique jésuite
avait été naturalisée française, épousant les préjugés et les traditions de
ce qui, dans l'humanisme érudit de la Robe gallicane, restait fidèle au
cicéronianisme des Bunel, des Dolet, des Scaliger, à l'hellénisme de Dorat,
et voyait dans la Renaissance des litterae humar.iores le meilleur gage
d'une Renaissance des lettres françaises aussi bien que d'une chrétienté
française plus éclairée. Tournant décisif: le ralliement de personnalités
•
••
Ce malentendu subtil entre les jésuites français, pédagogues, prédica-
teurs, hommes de la persuasion orale et théâtrale, et les deux élites laïques
françaises, les juristes érudits, homme de l'écriture, et les gens de Cour,
hommes de la conversation, n'exclut pas, à l'intérieur même de la Société
de jésus, une profonde divergence entre une tradition propre aux jésuites-
rhéteurs en langue française, et la tradition des jésuites latinistes et
érudits. Nous avons insisté sur les données sociologiques qui expliquent
cette divergence, et sur les influences étrangères qui l'ont accusée: l'Espa-
gne et les Flandres espagnoles sur les jésuites-rhéteurs, Rome sur le
P. Petau et le P. Vavasseur. Mais plus intimement, cette divergence se
révèle, au cœur mère de l'institution jésuite, entre deux textes fonda-
mentaux qui la régissent, les Exercices Spirituels, fleur ultime de la spiri-
tualité médiévale, et la Ratio Studiorum, fleur ultime de la Renovatio
literarum du XVI" siècle. Deux styles de persuasion sont ici en présence :
l'une fondée sur l'imagination fiévreuse et le pathétisme, l'autre sur l'imi,
tation des modèles classiques. 1\ n'était pas facile de les concilier.
Cette conciliation se fit de deux façons. La plus économique, celle
qu'adoptent, après les Romains Benci et Strada, un Petau, un Vavas-
seur, s'appuie sur l'analogie éthique entre le zèle qui actualise, dans
chaque cas individuel, l'fmitatio Christi des « Exercices », et l'élan géné-
reux qui soutient l'émulation de l'imitateur en quête de l'Idée cicéronienne
de Beauté. La plus syncrétique, celle qui l'emporte dans ce que nous
avons appelé «sophistique sacrée », trouve dans les Exercices le prin-
cipe formel d'une rhétorique du pathétisme et de la fièvre imaginative.
Dans The Poetry of Meditation 454, Louis Martz a montré ce que doivent
les Exercices à la rhetorica divina médiévale, c'est-à-dire à l'oraison
méthodique, la scala meditatoria vel meditationis. Le P. Coton emprunte
à cette « disposition» de l'oraison ignatienne les « points, profits et collo-
ques» de ses sermons; et le P. Le Moyne, soucieux de nouveauté, offre
avec l' c Analysie:. qui sert d'architecture logique aux Peintures Morales
une version adoucie de la méthode ignatienne.
Dans The Art of Memory, Miss Frances Yates qui ne s'occupe pas
des Exercices, nous fournit cependant une clef indispensable pour en
comprendre les arcanes. Elle rappelle que pour saint Thomas: Nihil
potest homo intelligere sine phantasmate 455. L'image est donc une voie
de connaissance proprement humaine. Cette justification chrétienne de
l'imagination fonde la légitimité d'un art de mémoire, qui associe les
notions et les mots même d'un savoir transmis par tradition à des
images, permettant ainsi à l'esprit de les retrouver facilement, après les
avoir rangées et associées dans les «mansions,» d'un théâtre intérieur.
Cet art de la mémoire implique une spiritualité; parcourir ces «lieux »,
retrouver les images chargées d'un sens « mystique », c'est remonter vers
les vérités originelles, c'est à la limite, si l'itinéraire est conduit selon
une méthode bien conçue, retrouver Dieu. Les apparences empruntées au
monde des sens, mais appliquées aux realia de la vérité divine, auront
ainsi servi à détourner l'âme du leurre mondain, et à la ramener vers le
centre de sa vraie patrie. Mais cet art de la mémoire, que saint Ignace
a si méthodiquement mis en œuvre avec les « compositions de lieux, avec
application des sens », de ses Exercices spirituels implique aussi une
rhétorique. La fréquence des «livres-galeries », chez les Jésuites de la
première moitié du XVI l' siècle, tient au fait qu'ils offrent à leur lecteur
un «Palais ou Temple» de la mémoire chrétienne tout constitué, avec
ses lieux remplis d'images chargées d'un sens «mystique », et dont le
parcours tout tracé conduit l'âme, méthodiquement, de la perception de
ses erreurs terrestres à la contemplation amoureuse des plus hautes
vérités de la foi. Itinéraire initiatique et dramatique qui fait passer l'âme,
de vision en vision, d'émotion en émotion, par une purification progressive
de ses attachements sensibles, jusqu'à la pureté parfaite de la contem-
plation ad amorem. Les techniques de l'ekphrasis sophistique, la quête
de l'énargéïa, du relief visuel des images, empruntées à la rhétorique
antique tardive, s'ajustaient parfaitement à cette objectivation des
« sceaux» intérieurs de la mémoire chrétienne.
La maîtrise de ces «sceaux », le sentiment d'appartenir à une élite
sacerdotale d'initiés-initiateurs, semble avoir compté beaucoup dans
l'orgueil tant reproché aux Jésuites d'alors. Dans le Mystagogus, écrit à
Rome et publié à Paris en 1629 456 , le P. de Cressolles qualifie le prêtre
Et cette métamorphose est avant tout une alchimie des images, qui
au lieu de renvoyer aux illusions terrestres, ramènent vers les vérités
célestes:
Là, écrit encore Louis de Cressolles, l'âme dévote douée de l'élan du
cerf et de la colombe est emportée par l'intensité de son zèle jusqu'au
Ciel. Là se renouvelle le miracle qui est cité dans le Cantique des Can-
tiques: Ego dormio et cor vigilat. Ce songe, le grand évêque Grégoire
de Nysse l'appelle «étrange et étranger à l'habitude naturelle ». Dans la
nature, ces deux états se succèdent tour à tour, ils ne peuvent se produire
en même temps.
•••
m Ibid., p. 502-503.
LES STYLES JÉSUITES 423
458 Ibid., p. 321. Après avoir rappelé que l'étude du droit civil est interdit
aux prêtres, Cressolles cite Aristote (Politiq. 1. 7), Sénèque et les Pères pour
étayer la thèse que forensem vitam esse virtuti contrariam. Et il ajoute cette
ekphrasis de l'improbitas Pori: Hic igitur atrox spectaculum videre est avi-
culas innocentes plumis nudas, bonis indigne spolia/as, a forensibus illis Har-
pyis cruen/a/as, sanguine e/ anima stil/an/es! Jamais il n'aurait osé, résidant
à Paris, traiter les magistrats du Palais de Justice de «harpies ».
TROISIÈME PARTIE
LE «STILE DE PARLEMENT»
CHAPITRE PREMIER
qui té, et l'incommensurable prestige de siéger dans les murs qui avaient
vu naître le royaume, au cœur de Paris, «nostre Françoise Rome ».
Et Louis d'Orléans de distinguer dans la capitale trois régions. Au
centre, la « Cité se peut nommer la Vieille Ville, Roma Vetus, non comblée
de ruines et destituées d'habitans ... , mais féconde en citoyens, superbe en
édifices, excellente en temples et nobles Eglises », parmi ses «rues
étroites ». Dans la Conciergerie du Palais se dresse toujours «la Salle
de saint Louis », pareille à «la case d'Evandre descrite par Virgile ».
Sur la rive droite du Tibre parisien, « la Ville neufve », riche d'habitants,
de ponts magnifiques, et «où le Louvre est basti ». Sur la rive gauche,
l'Université, «troisième Ville », Civitas litterarum, où «les Muses fugi-
tives de la Greee et absentes de Rome se sont réfugiées pour estre fran-
çoises et prendre le filtre honorable et l'honneste gravité de bourgeoises
de Paris ». Entre la Ville des doctes et celle des courtisans, les «lieux
saints» du royaume, où le Parlement abrite la forme originelle et
éternelle de la royauté, tandis que les Rois se succèdent sur la rive
droite: «Le Roy, rappelle Louis d'Orléans, avait sa Chambre où est
à présent la Grand'Chambre », et le «Lit» qu'il vient occuper en
personne, en des circonstances solennelles, est donc à peine une méta-
phore. Représentant moins la personne transitoire du Prince, que l'essence
de sa justice, les premiers Présidents du Parlement, sauf le sceptre et
la couronne, portent le vêtement même du Roi 2.
Toute une topographie mystique, riche de ce que Louis d'Orléans
appelle lui-même «correspondances », confère donc à la justice. dans
l'Ile de la Cité, une fonction médiatrice entre le temps profane et fuyant
de la rive droite, et l'Eternité que scrutent théologiens et humanistes
de la rive gauche, entre l'administration des choses terrestres, et la
contemplation des choses divines. Adossée à la Sainte Chapelle, reli-
quaire de la couronne d'épines, la Grand'Chambre est elle-même flanquée
d'une Grand'Salle que Louis d'Orléans compare aux Forums païens, avec
ses boutiques comme sur le Forum de Constantin. et son pilier des
libraires comme sur le Forum Romanum. Les divers organes profanes
et sacrés de la Ville ont donc leurs «correspondances» dans les murs
de «l'enclos» du Palais, microcosme de Paris, lui-même microcosme
du royaume.
Pour le ligueur Louis d'Orléans, les sacralités médiévales sont
vivantes, et le mythe de Rome ravivé par l'humanisme fusionne sans
difficulté avec la configuration d'un Paris ville sainte. La « nouveauté»
du Louvre de Pierre Lescot n'a fait que manifester plus clairement la
polarité profane et mondaine de la rive droite. L'espace urbain, perçu
par d'Orléans, continue de reproduire les deux versants idéaux de la
Royauté Très-Chrétienne, l'un tourné vers le monde qui passe, et
l'autre vers la transcendance du Ciel. C'est toujours au Palais de
justice, dans l'Ile, sur le fleuve, que revient les responsabilité de concilier
les deux rives, en tenant égale la balance de la justice royale.
•
••
On ne retrouve pas cette conception sacrale du temps et de l'espace
chez l'historien gallican Etienne Pasquier. A son ami Antoine Loisel,
après avoir évoqué «tous les grans bastimens beaux et riches qui
furent faits depuis la venue de nos Roys, comme vous pourriez dire à
Paris une grande église Nostre Dame, une saincte Chapelle, le Palais »,
il fait observer que « le peuple» les estime «faicts à l'antique », alors
qu'« il n'y a rien d'antique en eux, ains sont bastis à la moderne, pour
n'avoir rien de tous ces rares traicts dont les Anciens grecs et latins
ornoient leur architecture» 3. C'est le Louvre, selon Pasquier, qui est
construit «à l'antique l>. Auteur des «Recherches de la France », Pas-
quier considère avec un sentiment de distance historique les « antiquités
nationales ». Celles-ci, plus récentes que les «antiquités romaines et
grecques », sont inscrites à l'intérieur d'une histoire où les «âges)}
succèdent aux «âges », selon une vicissitude dont Louis Le Roy avait
étudié la procession 4.
Louis d'Orléans voit à Paris deux pôles, le profane et le sacré: la
Rome antique n'est là qu'à titre de métaphore, ou plutôt de modèle idéal
de toute «Vi1\e» digne de ce nom. Etienne Pasquier voit Paris dans
le temps de l'histoire: là «un grand destin s'achève », moderne et donc
privé des lumières de l'Origine; «un grand destin commence », ayant
renoué grâce à l'humanisme avec l'Antiquité de la Rome républicaine
et la Rome chrétienne. Un mythe dynamique fait place au mythe statique
auquel Louis d'Orléans adhère toujours: la Rome française, plongeant
ses racines dans une vigueur antérieure au Moyen Age y trouve de
nouvelles assises, un nouvel élan, une nouvelle conscience de soi.
•
••
L'humanisme a fourni à cette élite parlementaire des armes nouvelles
pour affirmer sa vocation de «conscience» du Royaume Très-Chrétien.
Dès le début du XVIe siècle, grâce en particulier à Guillaume Budé, la
Renaissance des «bonnes lettres» a été prise en charge par les grandes
•••
En 1619, dans ses Eloquentiae ... Parallela, le P. Caussin faisait une
description haute en couleurs de ce qu'il appelait stylus Par/amenti, gall-
LE «STILE DE PARLEMENT" 433
*
**
On croit volontiers aujourd'hui encore, sur la foi de Ferdinand Brunot,
que la pratique institutionnelle du français dans la procédure et les actes
du Parlement de Paris ne date que de l'Edit de Villers-Cotterêts, qui en
1539 officialisait plus qu'il n'imposait son usage. Dès 1918, dans un bel
article vite oublié 15, Alexis François rectifiait cette VUe sommaire, en
s'appuyant sur les recherches du chartiste Roland Delachenal dans le
fonds d'archives du Palais, et sur le livre qui en avait résulté, l'Histoire
des avocats au Parlement de Paris, 1300-1600, publié en 1885 16 . Alexis
François, après Roland Delachenal, montrait que dès le xv· siècle,
l'usage de plaider et rendre les arrêts en français était établi au Palais,
sauf au cours de séances d'apparat où les ambassadeurs étrangers se
voyaient gratifier de harangues en latin, langue internationale. En no-
vembre 1487, l'avocat Lemaistre saisit l'occasion d'une de ces cérémonies
pour célébrer la langue française, qui doit être aussi chère aux Français
que le latin le fut à Caton. De même que celui-ci était soucieux d'affirmer
l'identité romaine face aux Grecs, l'identité française face aux étrangers
ne s'exprime pas seulement par une institution comme la Cour de Justice,
Sénat royal, mais par la langue qui seule y est parlée, et qui en reflète
l'autorité et la majesté. Loin d'être une nouveauté, la profession de foi
de Geoffroy Tory en 1524 s'enracine donc dans la tradition du Palais,
•••
Toutefois le Stilus de Guillaume du Breuil, manuel officieux à l'usage
des avocats, traduit le point de vue de ceux-ci sur le «style» oratoire
et sur les normes de procédure du Parlement. La morale imposée par
l'institution y est au service de l'efficacité d'une de ses composantes,
le Barreau. La maîtrise de soi y est recommandée au titre de la réussite
professionnelle. Et Guillaume du Breuil n'hésite pas à prescrire la ruse,
au bénéfice de clients de préférence riches et puissants. Les annotateurs
du XVIe siècle, un magistrat comme Jean de Longueil, un jurisconsulte
comme Charles du Moulin, s'indigneront des penchants sophistiques du
vieil auteur. ·L'éthique de la parole professée par celui-ci n'est que
l'empreinte d'un moule officiel, imposé par les magistrats et que la
pratique quotidienne du métier permet de gauchir. On songe irrésisti-
blement à l'attitude de l'avocat-dramaturge Corneille face aux magistrats
académiques de la Poétique d'Aristote.
21 Ed. cit. p. 2-4. Voir dans Le Grand Coustumier de France, éd. Laboulaye-
Dareste, Paris, Durand-Lauriel, 1868, p. 399-400, une traduction du ch. De
modo et gestll à partir d'une version du Stilus un peu différente de celle établie
par F. Aubert.
43S ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETTRES
Il est vrai. Encore faut-il bien voir que cette «contrainte chrétienne
et française» rejetait hors du Palais les possibilités les plus séduisantes
du langage. Des avocats nourris de Cicéron, de Démosthène et des
Senlentiae, divisiones et colores de Sénèque le Père, et plus encore ceux
qui, formés au xv,,· siècle par les Jésuites à la diversité des styles et
au jeu théâtral des rôles, avaient des énergies en réserve. Plus d'un
ressentit cruellement le séculaire soupçon qui, des bancs f1eurdelysés
du Parquet, pesait sur leur parole, et les sommait de faire éclater la
vérité, au lieu des facettes de leur bonheur d'expression. Le Théâtre
sera souvent la revanche de ce qui est comprimé au Palais .
•
••
Le style de Parlement est donc un style severe, ennemi du luxe et
de l'inutile, obsédé par des notions, en dernière analyse religieuses, de
responsabilité et de vérité. Le souci vétilleux de la précision des termes,
et de l'exacte adéquation de la forme au sujet traité avait commencé
de fixer dans ses murs les linéaments d'une langue nationale, ou plus
26 Etienne Pasquier, Œuvres, éd. cit., t. Il, 1. Xl, lettre 6, à Monsieur Tour-
nebu (Turnèbe), p. 294. Cette distinction entre avocat et Orateur, plonge ses
racines dans la langue latine elle-même: l'advocatus n'est qu'un consultant
juridique, un simple «conseil" ou «assistant", \ avant de se spécialiser sous
l'Empire en «avocat» au sens purement judicIaire du terme; l'Orator ou
porte-parcle, exerce une véritable magistrature civique, surtout dans l'accep-
tion que lui donne Cicéron. Voir A. Michel, Rhétorique et philosophie, ouvr.
cit., p. 233: l'éducation oratoire ne s'embarrasse pas de former de simples
advocati ou pragmatici chargés de plaider les petites causes du droit. Elle
ne prépare pas seulement aux procès privés, pour lesquels Cicéron, dès le De
Inventione, nous dit sa méfiance. Elle vise au plus haut d'une carrière romaine.
Elle veut être l'éloquence du sénateur qui parle avec une autorité universelle.
« Qu'y a-t-il enfin d'aussi royal, d'aussi libre, d'aussi généreux que de porter
secours aux suppliants, de relever ceux qui sont accablés, de donner le salut,
de libérer des périls, de retenir tous les citoyens dans l'Etat?» Et un peu
plus haut: «Qu'y a-t-il de plus magnifique que de voir les mouvements du
peuple, les scrupules des Juges, la gravité du Sénat, retournés par les paroles
d'un seul homme?» 0, 8, 32, De Oratore, trad. Courbaud). Il est évident que
dans le contexte institutionnel des Parlements français, seuls les magistrats
pouvaient s'appliquer de telles formules. Les avocats n'y étaient, sauf rares
CONTRAINTES SUR LES AVOCATS 441
Même mélancolie dans une lettre à Odet de Turnèbe, jeune aVOC:lt
et auteur de la comédie des Contents 27, qui demandait à Pasquier
c d'habiller Cicéron à la françoise ». Celui-ci réplique à l'avocat drama-
turge, que le Stilus Curie Parlamenti n'a pas encore délivré de ses
illusions de jeunesse, que la langue française, langue «naïve », a du
mal à trouver des équivalents au vocabulaire et au style artiste de
Cicéron; d'ailleurs, affirme-t-i1, le Pro Milone, ce sommet de la prose
latine, prononcé devant un Parlement français, «ne seroit pas receu
mais bafoué» :
Quant à nous, admet-il, pour avoir à mesnager nostre industrie avec
des Juges graves, il nous faut estre plus retenus; on nous demande en
nos plaidoyers plus de nerfs et moins de chair 28.
•
••
En effet, la majesté de la magistrature, ses prétentions à ne point
se cantonner dans la chicane, mais à «vérifier» tous les actes de la
Couronne, à veiller sur les «Lois fondamentales », sur l'orthodoxie
gallicane, sur les mœurs, semble correspondre à l'idéal antique de
l'Orateur, que Cicéron dans le De Dratore incarne justement dans la
personne de riches et influents «Pères conscrits ». Le Parquet du
Parlement de Paris, aspirant à regagner les antiques prérogatives de
la Curia regis, voire de se poser en Etats-Généraux permanents, aimait
à se qualifier et à s'entendre qualifier de Senatus 82. Les magistrats de
c Grande Robe» ne pouvaient hésiter à s'attribuer le privilége d'unir,
selon le mot d'ordre humaniste, la «philosophie et l'éloquence ». C'est
bien à cette prétention que La Roche-Flavin fait écho dans un passage
fort suggestif de ses Treize Livres de Parlement:
Or bien que l'éloquence ne soit autre chose qu'un déguisement de la
vérité, et un artifice de faire trouver bon ce qui est mauvais, et droit ce
qui est tort et bossu, et faire chose grande de rien et d'une fourmy faire
un Elephant, c'est-à-dire pratiquer le bien mentir, toutesfois elle est fort
requise aux Magistrats chefs de Compagnies, comme aux Presidens, mes-
mes aux Premiers des Parlements. Car l'éloquence en la bouche d'un
homme de bien et de créance donne de fort grands effets: un seul mot
d'un homme digne de foy, dit Polybe, peut destourner les hommes des
mauvaises entreprises et les porter aux bonnes. Et il n'y a rien qui plus
aye 'de force sur les âmes que la grâce de bien dire, comme nos pères
anciens figuroient Hercules Celtique en un vieillard qui traÎnoit après soy
les peuples enchaisnés et pendus par les oreilles avec chaisnes qui sor-
toient de sa bouche pour montrer que les armes et puissances des Roys
et Monarques ne sont pas si forts que la véhémence et ardeur d'un homme
éloquent... A cause de quoy. à tous les chefs de Justice et Gouverneurs
des Villes et Républiques, l'éloquence est fort requise par l'advis encore
de ce grand Orateur Conseiller d'Estat et Sénateur romain, Cicéron ... 11
est vray que le bien dire est requis au Magistrat, mais sans affeterie, son
éloquence doit plus paroistre en la facilité du naturel propre à cela qu'une
trop curieuse recherche d'art... 83.
•
••
Bon observateur, et d'ailleurs un des initiateurs de la réforme oratoire
des années 1590-1610, Etienne Pasquier nomme le Père de la rhétorique
des magistrats humanistes: Guy du Faur de Pibrac. Il affirme que pour
celui-ci, le véritable modèle antique à imiter n'était pas Cicéron, mais
Plutarque 34. L'auteur des MoraUa avait tout pour plaire à un magistrat
érudit gallican: antiquaire, il apparaît sur le tard de la culture païenne,
et son érudition encyclopédique justifie celle de l'humanisme à la fran-
çaise; théologien, en même temps que philosophe et moraliste, il peut
passer pour un dépositaire de la prisca theologia dont la philologie
gallicane s'efforce de retrouver la lumière première; historien des Vies
exemplaires, il a dressé dans le personnage de Caton, ou celui de Phocion,
('image du magistrat « éloquent sans rhétorique », fort de sa seule
autorité morale.
La prose des Moralia, tissu de citations se glosant les unes les
autres, obéissait au même type d'« invention» que les écrits et les
discours des humanistes de Robe gallicans, mosaïques de citations pui-
sées dans l'encyclopédique mémoire des Polyanthées et Cornucopiae où
se résumait la sagesse antique et chrétienne. Dans la version qu'en
donna Amyot, elle fournit aux doctes du Palais un modèle de style faisant
la transition entre la prose juridique médiévale, chargée de citations
des Ecritures et du Digeste, et un style humaniste qui tînt compte de
l'enrichissement des «librairies» des gens de Justice., Si bien que le
même Amyot, dont les traductions de Longus et d'Héliodore, et le Projet
d'une Eloquence royale fixeront l'orientation du «langage de Cour »,
fut aussi, par ses traductions de Plutarque, le principal maître du « style
de Parlement» tel qu'il fut pratiqué en 1570 environ à 1630 au moins.
Pasquier, qui veut pour la France une «éloquence à l'antique »,
proteste:
Mais il y a une bien grande différence entre celuy qui enseigne par
les livres, et qui harangue en public, entre celuy qui traicte de Philo-
sophie et en baille les préceptes, et celuy qui parle devant le Sénat:
entre celuy, dy-je, qui veut paroistre lettré devant le monde, et l'autre
qui veut estre Orateur 35.
•
••
Nous avons vu sur quelles assises institutionnelles reposait la rhéto-
rique des magistrats humanistes; il nous reste à faire un détour par
la République des Lettres pour comprendre sur quel fond de querelles de
rhétorique a pu s'établir le compromis que Pibrac et ses COllègues
introduisent au Parlement de Paris, dans les années 1560-1570, avec
le genre nouveau des «Remonstrances d'ouverture ».
42 Ibid., p. 25.
LA «VITA BUDAEI» DE LOUIS LEROY 449
en les contrôlant: s'abandonnant aux vents, il était entraîné là où l'en-
thousiasme devait le conduire 43.
43 Ibid., p. 27. Le Roy s'étend par ailleurs sur les symptômes d'un cas
exceptionnel de mélancolie chez Budé. N'ayant épargné ni son temps ni ses
forces physiques, pendant ses études tardives et prodigieuses, il tombe malade,
il subit une trépanation «pour laisser évaporer les humeurs» (p. 20). Voir
aussi, p. 17, remarques sur la grandeur d'âme savante de Budé, dissimulator
doctrinae suae: Nemo illo parcius loquebatur, nemo minus aliis sese vendi-
ta bat, nihil unquam tere nisi peteres, nisi etiam rogares, explicabat. Ce sens
quasi sacerdotal de la gravité de la parole, ce sentiment sombre et austère
d'en être l'économe et le dépositaire, mettront pour longtemps leur marque
sur l'humanisme gallican.
44 Ibid., p. 27.
45 Ibid., p. 28. Voir la Correspondance Erasme-Budé, éd. et trad. p. M.M.
de la Garanderie, Paris, Vrin, 1967. Sur les rapports entre les deux huma-
nistes, v. David O. McNeil, ouvr. cil., ch. VI, p. 61 et suiv.
46 Le Roy, ouvr. cit., p. 29. Voir aussi, p. 12, sur les relations entre Lon-
gueil et Budé.
47 Ibid., p. 30. S'ils devaient écrire l'histoire, Budé serait plus proche de
Thucydide que de Salluste, Erasme plus proche de Tite Live que d'Hérodote.
450 ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETTRES
•
••
A ce débat, qui a lieu en latin, et qui médite sur des modèles grecs,
s'ajoute le débat sur la langue vul:;aire. Louis Le Royen est un bon
témoin, qui en 1551, dans la préface à sa traduction des Olynthiaques
d~ Démosthène, complétera le programme de la Deffence et illustration
de la langue française par un plaidoyer en faveur de la prose vulgaire,
et des traductions qui peuvent la hausser au rang de prose philosophique
et de prose d'art 49.
La réhabilitation de la prose vulgaire portait naturellement du côté
d'Erasme. Rabelais est un èrasmien, par son goût du comique et de
l'ironie porté jusqu'au «lascif» et au «vulgaire », excès que Longueil
reprochait déjà à Erasme. Peut-être cependant garde-t-i1 de Budé le
sens de l'inspiration enthousiaste, puisant directement aux sources de
•
••
Les chances d'un «atticisme clceronien» en français étaient faibles
au XVIe siècle. L'argument le plus fort en sa faveur était d'orgueil natio-
nal : le Tullianus stylus dont Lazare Buonamico s'efforçait à Venise de
préserver la pureté, l'imitation cicéronienne en volgare que Sperone
Speroni, après Bembo, recommandait pour asseoir l'humanisme sur
une plus vaste base, ne pouvaient demeurer le privilège de l'Italie rivale,
admirée et méprisée. Le Tullianus stylus néo-latin trouvera une version
utilitaire chez les érudits. L'imitation de la prose antique en français
prendra plus volontiers la forme d'une imitation et traduction du grec,
chez Le Roy, traducteur de Démosthène et de Platon, chez Amyot tra-
ducteur de Plutarque. La garantie philosophique était indispensable pour
protéger l'art humaniste de la prose du soupçon de délectation sophis-
tique et aulique.
Le cicéronianisme de Padoue et de Venise n'en trouva pas moins
en France un théoricien de génie, Jules-César Scaliger, qui le greffa,
réservant l'avenir, sur l'humanisme français, mais au prix d'une substi-
tution de Virgile à Cicéron, de la Poétique à la Rhétorique. Tant l'huma-
nisme du XVIe siècle, aristocratique et philosophique, se méfie de Cicéron
et de l'art oratoire du Forum.
Formé par l'Italie, mais installé en France où il fit son œuvre 63,
Scaliger était mieux à même que personne de confronter «l'âge
héroïque» du jeune humanisme français, et «l'âge académique» où
était entrée déjà la Renaissance italienne. Longueil et Dolet avaient
entrevu une conciliation rhétorique possible entre 1'« héroïsme» d'un
Budé et l'académisme de Bembo. Scaliger élève cette conciliation à la
dignité d'une histoire et d'une philosophie de l'art, mais sous le signe
de la poésie. Homère et Virgile deviennent, dans les Poetices libri
septem 64, les acteurs allégoriques d'un débat entre le «sublime sans
art» des âges héroïques, et le « sublime régulier» des âges classiques.
•
••
63 Ibid., p. 18.
LE c CICERONIANUS" DE RAMUS 457
64 V. W.j. Ong, Ramus method and the decay of dialogue, from the art
of discourse to the art of reason, Cambridge, Mass. 1958.
65 Ciceronianus, éd. cit., p. 47.
66 Ibid., p. 61.
67 Ibid.
458 ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETTRES
•
••
Le débat entre atticisme et asianisme est le troisième thème essentiel
du Ciceronianus de Pierre de la Ramée. Il est introduit très tôt, et de
façon indirecte, à propos de la culture philosophique de Cicéron. Celui-ci
a rencontré sur sa route, et il a étudié, toutes les écoles philosophiques
de son temps, même le Portique, qui accorde tout à la dialectique, et
peu à l'art du discours. Il en retint beaucoup. Mais il se rallia à l'Aca-
démie, où il trouvait un juste ~quilibre entre philosophie et éloquence.
C'est l'occasion pour le professeur au Collège Royal de souligner un
paradoxe: l'Université de Paris pratique un style «stoïcien », et non
pas péripatéticien ou académicien 69. Le stylus parisiensis, dans la tra-
dition stoïcienne, méprise l'ornement: il fait de la philosophie, comme
les stoïciens, quelque chose de trop subtil, trop ingénieux, trop aride
et triste. A la Sorbonne ce ne sont qu'arguties, disputes, subtilités, épines.
Tout autre est le chemin de Cicéron (iter Ciceronis) qui allie philosophie
et éloquence. Avant même d'aborder le débat interne à la rhétorique
68 Ibid., p. 69.
611 Ibid.
LE c CICERONIANUS:t DE RAMUS 459
Ramus examine point par point ces critiques. Il admire l'art avec
lequel Cicéron s'est servi des figures de mots, rythmant ses discours
par un jeu varié de symétries et de dissymétries, de proportions et de
gradations, mais toujours en rapport avec les exigences du sujet (apte).
Il admire également les effets de tension et d'ardeur qu'il a su tirer des
figures de pensée. A l'imitation de Démosthène il a su se montrer délicat,
doux et poli dans les figures de mots, conférant à sa prose une fluidité
plus exquise que le miel; mais il a su en même temps se montrer
véhément, coléreux, sublime, convaincant dans les figures de pensée.
Douce à l'oreille, délectable à la lecture, sa prose n'en fut pas moins
puissante et efficace sur les cœurs et à l'audition 71.
Pourtant, il semble indéniable qu'il y ait eu dans sa nature une
pente asianiste. Elle fut aggravée par le séjour qu'il fit en Asie et en
70 Ibid., p. 185-187.
71 Ibid.
460 ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETIRES
•
••
72 Ibid.
HENRI ESTIENNE 461
•
••
Scaliger, riche d'une expenence italienne, Ramus, héritier de la
reflexion de Rodolphe Agricola sur la Dialectique, échappent chacun à
sa manière à l'empire d'Erasme. C'est la fidélité la plus évidente et
profuse à l'auteur du premier Ciceronianus qui se manifeste dans l'œuvre
d'Henri Estienne, éditeur infatigable et polémiste anticicéronien 74.
Dans ce dernier genre, les œuvres latines du grand éditeur, le Pseudo-
Cicero, le De latinitate falso suspecta, le De Plauti latinitate sont par-
faitement cohérentes avec les thèses de ses pamphlets en français, les
Dialogues du français italianizé, et la Précellence du langage français.
L'hostilité d'Estienne va toujours à l'aristocratisme, que celui-ci se donne
l'alibi d'un grand art «enthousiaste », comme chez les poètes de la
Pléiade 75, ou d'une urbanité affectée à force de se vouloir élégante,
comme chez les « cicéroniens» et les courtisans « italianizés ». Il y a chez
Estienne une robustesse plébéïenne qui le dresse d'instinct contre
l'enflure et l'afféterie, et qui, par réaction, lui rendent fraternels la
richesse populaire de Plaute (à qui Scaliger, comme tous les cicéroniens,
préfère Térence), et la «naïveté» de la langue vulgaire, telle qu'on la
parle à Paris, mais non à la Cour. Le meilleur style latin n'est pas
pour lui celui qui se distingue le plus de celui des auteurs archaïque5
ou tardifs; les premiers sont antérieurs à l'influence sophistique, et les
derniers sont les plus proches des langues modernes et chrétiennes. Loin
•
••
C'est à Adrien Turnèbe. ami de tout ce qui comptait au Palais 77,
que revint le mérite de préparer les voies à une solution. dans ses com-
mentaires sur l'Institution Oratoire de Quintilien. publiés en 1554. deux
ans avant le Ciceronianus de Ramus 78. Œuvre d'érudit. qui garde vis-à-
vis de l'art oratoire la distance un peu hautaine du magistrat vis-à-vis
des avocats. Pourtant, il a ses vues sur la question. Mais au lieu de les
exposer sous forme de discours, ou de traité. il les parsème de façon
discontinue dans ses gloses au texte de Quintilien. Celui-ci n'est d'ailleurs
pas reproduit dans l'ouvrage. Rhétorique pour doctes. et dont l'accès
n'est à la portée que d'une élite pourvue d'une bibliothèque.
Pourquoi choisir. pour énoncer une doctrine rhétorique. l'Institutio/l
Oratoire plutôt que le De Dra tore ? C'est d'abord parce que Quintilien
était particulièrement cher à Erasme, et Turnèbe. qui recourt souvent au
•
••
Quintilien, tel que le commentait Turnèbe, fournissait aux magistrats
érudits les ressources nécessaires pour rajeunir, sans en modifier l'esprit,
les règles traditionnelles des avocats. Mais par sa forme même, gloses
d'érudit en marge des citations de l'antique rhéteur, l'ouvrage de Turnèbe
sépare les simples causidici des Avocats du Roi, que les jurés consultés
appellent
Os, linguam et mentem cognitorem Regis, comme les autres Avocats
le sont des procureurs des parties et donc élevés en un étage au dessus
de ceux-ci, d'où leur voix peut être mieux résonnante, plus avidement
écoutée, plus clairement antandue (sic), et plus reveramment receue. L'élo-
quence semble être inséparable de leurs charges, d'autant que toutes les
actions publiques les regardent, ils ne manient jamais autres sujets que
specieux, grans, eminans, Royaux, publics, qui rendent leurs plaidoyés
plus relevés, ce sont autant d'oraisons accomplies, où tout l'artifice de
l'oratoire peut être étalé: on y peut garder toutes les parties de
l'oraison 90.
93 Ibid.
LE PARLEMENT, ACADÉMIE D'ÉLOQUENCE 469
•••
La confirmation nous en est apportée par Etienne Pasquier, qui est
à peu près de la même génération que Laval. Nous avons déjà vu quelle
distinction - typiquement érasmienne - il opère entre l'Orator à
l'antique et l'avocat « né chrétien et français ». Ailleurs, il s'attarde lui
aussi sur ces « Resmonstrances}) des Avocats du Roi, auxquelles Laval
accorde tant de prix. Il parle des «harangues que les Avocats du Roy
font deux fois l'an aux ouvertures générales des plaidoyers, en la Cour
de Parlement ». Il s'agit d'un genre nouveau, dont il a vu «de son
temps », c'est-à-dire dans les années 60-70 du XVIe siècle, la « naissance
et l'accroissement" 94. Ces «harangues", que Pasquier qualifie comme
Laval de « Remonstrances », nom qui se rattache à celui du «droit de
remontrance », privilège des magistrats du Palais vis-à-vis de la Cou-
ronne, ne s'adressent pas au Roi, qui préside quelquefois les cérémonies
d'ouverture, mais aux avocats du Parlement. Elles n'ont pas pour but,
comme la vieille institution des Mercuriales 96, de rappeler, dans la
bouche des Premiers Présidents, les termes des Ordonnances réglant
la discipline du Palais. Genre épidictique, elles sont l'occasion pour
les Gens du Roi de revêtir le nouveau rôle d'Orateur dont l'humanisme
les pare et de fixer aux causidici une norme rhétorique fidèle à la
tradition du Stilus Curie Parlamenti, mais adaptée aux tentations nou-
velles que recèle la rhétorique humaniste.
Au nom du Parquet, l'Avocat Général, parfois le Procureur Général,
donnant de leur personne, font deux fois l'an l'apologie de la Parole
de Justice, et stigmatisent ses déviations. Institution nouvelle, qui donna
lieu à de véritables tournois d'éloquence entre les divers Avocats Géné-
raux. Selon Pasquier, après de modestes débuts, l'art des «Remons-
•
••
Tous les noms cités par Antoine de Laval, et par Pasquier, comme
liés à la naissance de l'art parlementaire des «Remonstrances d'ouver-
ture» : le Premier Président Christophe de Thou 100, les Avocats Géné-
raux Du Mesnil, Pibrac 101, Faye d'Espeisses 102, sont ceux d'amis de
103 Voir Dupré-Lasale et Buisson, ouvr. cit. Il y aurait une étude '" proso-
pographique» à faire sur l'Hospital, ses compagnons d'études, leur carrière,
leurs alliances familiales; ils constituent dans la seconde moitié du XVI' siècle,
une série de dynasties étroitement liées entre elles et qui forment l'armature
de ce que l'on a appelé tantôt «les Politiques », tantôt «le parti des Parle-
mentaires ». On ne saurait surestimer l'importance de cette «élite de l'élite»
de Robe dans l'Etat et dans la culture française entre 1550 et 1650. La fille
de l'Hospital épouse le frère du Chancelier Hurault de Cheverny, qui avait lui-
même épousé Anne de Thou, fille de Christophe. Une autre fille de Christophe
épousa Achille de Harlay, Premier Président.
104 Sur Pierre Bunel, ami d'Emile Perrot, comme lui élève de Lazare Buo-
namico à Padoue et hôte de Lazare de Baïf à Venise, voir A. Samouillan, DI'
Petro Bunello t%sano l'jusque amicis 1499-1546, Paris, Thorin, 1891. Il fut
le protégé de la famille Du Faur, et le précepteur de Guy du Faur de Pibrac.
105 Sur Jean de Morel, son érasmisme, et le «salon» docte qui était à Paris
le rendez-vous de l'élite de la Robe savante, v. E. Dupré-Lasale, ouvr. cit., t. l,
p. 97-103, et t. Il, p. 27.
106 Epis/olarum seu sermonum libri sex, Paris, Mamert Patisson, 1585.
Trad. N. Rapin, Discours à ses amis, Poitiers, 1601.
LES c INCRUSTATIONS EMPRUNT~ES» 473
fesseurs du Collège Royal, tel Turnèbe, par le rôle que joue parmi eux
Jean de Morel, ils héritent de la c philosophie chrétienne» d'Erasme, de
son souci de tenir la balance égale entre ultramontains et protestants.
Leur gallicanisme leur fournit sur ce point des bases historiques et insti-
tutionnelles solides.
Leur double appartenance à la République des lettres savantes, et
aux institutions politico-judiciaires du royaume Très-Chrétien, explique
leur attitude sur le problème de la langue. Tenant de leur érudition huma-
niste leur prestige auprès de l'Epée et du peuple, ils identifient à leur
magistère le privilège des langues classiques qui, au surplus, sont plus
proches de la Parole originelle et divine. Soucieux par ailleurs d'exercer
pleinement une magistrature civique, ils sont prêts à utiliser la langue
vulgaire et à favoriser son illustration. L'enthousiasme et l'érudition
d'un Ronsard, celui des Hymnes et des Odes, avaient tout pour leur plaire.
Le poète était pour l'humanisme érudit un ambassadeur précieux auprès
des «ignorans» de la Cour. Et dans une grande mesure, l'invention
par les magistrats érudits du genre des « Remonstrances d'ouverture»
créait l'équivalent en prose des Hymnes de Ronsard.
Mais si la poésie philosophique de Ronsard pouvait se permettre
d'imiter, sans les citer, les Anciens, l'éloquence philosophique du Palais,
expression directe d'une élite savante, à l'intérieur d'une institution qui,
par opposition à la Cour, est avec l'Université le haut lieu du savoir,
devait mettre en évidence ses sources. Titres de noblesse d'une élite
docte, ces c incrustations empruntées» ont cet autre mérite d'écarter tout
soupçon de sophistique. La citation est à la fois preuve et ornement, elle
atteste sur la majesté d'une fonction, l'autorité des Sages, des Prophètes,
des Apôtres et de Dieu même.
La valeur normative de la c rhétorique des citations» est attestée
jusque chez un Charron, qui pourtant, après Montaigne, distingue entre
sagesse naturelle et perfection religieuse, et situe son discours dans un
ordre purement séculier. Dans la préface de la Sagesse, le disciple de
Montaigne écrit:
La Sagesse, écrit-il, n'a que faire de toutes ces façons pour sa recom-
mandation; elle est trop noble et glorieuse: les veritez et propositions
y sont espesses mais souvent toutes seches et crues, comme aphorismes,
ouvertures et semences de discours. J'y ai parsemé de sentences latines,
mais courtes, fortes et poétiques tirées de tres bonne part et qui n'inter-
rompent ny troublent le fil du texte François. Car je n'ay peu encores
estre induitt à trouver meilleur de tourner toutes telles allegations en
François comme aucuns veulent, avec tel dechet et perte de la grace et
energie qu'elles ont en leur naturel et original, qui ne se peut bien repré-
senter en un autre langage 107.
108 Ibid., 1. III, ch. XLIII. Voici les points principaux: «Que le parler
soit sobre et rare [ ... ] Veritablement l'usage de la parole est d'aider à la vérité
et luy porter le flambeau pour faire voir; et au contraire descouvrir et rejetter
le mensonge [ ... ] Naïf, modeste et chaste, non accompagné de vehemence et
contention ... non artificiel ny affecté, non desbauché et desrei~lé ny licencieux [ ... ]
Serieux et utile, non vain et inutile, il ne faut s'amuser a compter ce qui se
fait en la place ou au theatre, ny à dire sornettes et risées, cela tient trop
du bouffon et monstre un trop grand et inutile loisir [ ... ] Facile et doux, non
espineux, difficile ennuyeux [... ] Ferme, nerveux et genereux, non mol, lasche ct
languissant ~ (618-619). Considérations sur l'aclio (620). Enfin: «On peut dire
contre l'eloquence que la verité s<:! soustient et deffend bien de soy-mesme, qu'il
n'y a rien plus eloquent qu'elle. Ce qui est vray où les esprits sont purs, vuides
et nets de passions [... ] Il est requis de traîner les hommes comme le fer qu'il
faut amollir avec le feu [... ] C'est quoy doit tendre l'eloquence, et son vray fruiet
est armer la vertu contre le vice et la verité contre le mensonge et la calom-
nie ... " Effort remarquable pour concilier Montaigne et Du Vair.
CHAPITRE Il
109 Harangues et actions publiques des plus rares esprits de nostre temps,
faictes tant aux ouvertures des Cours souveraines de ce royaume qu'en plu-
sieurs autres signalées occasions, Paris, A. Beys, 1609 (B.N. X 18783).
110 Sur la bibliographie de Du Vair, voir Radouant, De l'Eloquence fran-
çoise de G. Du Vair, éd. critique, Paris, 1906, p. 126-129, et Guillaume Du Vair,
l'homme et l'orateur, ouvr. cit., p. 116. «Tout le monde s'occupe de cette
édition... Duchesne, Valavez, Alleaume, Peiresc, Bignon, Malherbe, Dupuy."
Tout le monde de l'humanisme érudit gallican.
476 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS
Cet aperçu incomplet donne \lne idée cie l'effort accompli par la
Grande Robe pour faire apparaître le Parlement comme la véritable
Académie d'Eloquence du Royaume, fixant dans le grand style une norme
à la langue et à la parole françaises. Norme idéale s'il en fut. Norme
royale aussi: le frontispice qui ouvre le recueil de Jacques de La Guesle
place ses « Remonstrances .. sous le signr. de la Couronne, elle identifie
leur éloquence à celle de la Monarchie, transcendante à la personne tran-
sitoire des monarques .. On ne pouvait affirmer plus tranquillement et
silencieusement l'écrasante autorité du «langage de Parlement» sur le
(, langage de Cour», voire sur l'éloquence sacrée.
•
••
La lecture du recueil de 1609 nous montre que toute « Remonstrance
d'ouverture» avait deux versants: un versant «démonstratif» accordé
à la solennité des circonstances. qui oblige à célébrer le Logos de la
Justice royale en termes religieux et philosophiques; un versant paréné-
*.•
L'intérêt de l'humanisme érudit français pour Philon remonte à Guil-
laume Budé, dont le sublime d'enthousiasme, en même temps que le
platonisme, s'accordaient admirablement avec la pensée du philosophe
•••
Et c'est bien déjà un sacerdoce de la Parole, plutôt qu'un art
oratoire au sens cicéronien, qui se voit célébré dans les Remonstrances
d'ouverture du XVIe siècle. Les hymnes au Logos sont aussi des hymnes
aux magistrats du Parquet Chargés de l'administrer. A l'écoute de la
dictée divine, dédaigneux de la «cuisine li) rhétorique 123, savant, mais
d'une science qui refuse de s'estimer elle-même, le Prêtre du Logos de
vérité et de justice a fait le sacrifice de tout ce qui, dans l'homme
pécheur, troublerait l'afflux des sources du vrai.
Prenant texte d'Homère, Jacques Faye d'Espeisses, dans une Remons-
trance de la Saint-Martin 1587, voit l'origine de l'éloquence de Ménélas
dans sa piété envers les Dieux, et de celle d'Ulysse dans sa résistance
héroïque aux tentations de Calypso et des Sirènes, «maintenant sa
règle droite, et mettant ordre qu'elle ne se faussât ».
•
••
Les Avocats du Roi, lorsqu'ils évoquent les arrêts des juges, s'élèvent
au sublime: l'acte de prononcer un jugement est le reflet de l'Acte
qu'est par excellence la Parole divine, et exige de celui qui le prononce
une vertu héroïque et une inspiration sacerdotale. Le ton change lorsqu'il
s'agit d'évoquer le genre judiciaire du plaidoyer, et de dicter leur devoir
oratoire aux avocats.
Dans la même Remonstrance de la Saint-Martin 1569 que nous avons
citée, Pibrac rappelle au Barreau la gravité des devoirs que lui impose
la païticipation, si dérivée soit-elle, à la Parole de justice. Le serment
que les avocats ont prononcé ce jour-là, comme à l'ouverture de chaque
session, doit être la pierre angulaire de leur éloquence, «serment grave
et espouvantable », qui fait d'eux aussi, à leur place, les dépositaires
du sacrement de la Parole. Si les magistrats sont les Prêtres de la
justice, ils en sont les diacres 1211bls. Par ce serment, les portes du
Temple gallican ~ont fermées à toute intrusion sophistique; le poids
d'engagement chrétien à la sainteté et à la vérité de la Parole était
inconnu des orateurs païens: c'est lui qui fait toute la différence entre
le Barreau chrétien et les rostres antiques. Comme pour limiter toutefois
Ne vous trompez pas, s'écrie Pibrac, sur l'exemple des Oraisons grec-
ques et latines esquelles il semble que l'on dise tout d'un coup, et quasi
d'une halenée, ce qui servoit à la cause 127.
Le regard du Dieu qui sonde les reins et les cœurs interdit le recours
aux vraisemblances oratoires. Et l'oreille des Juges du Parlement n'a
pas besoin des accommodements auxquels étaient contraints les orateurs
païens:
Ils (les avocats antiques) parloient devant le peuple, dit Faye d'Es-
peisses. icy nous plaidons devant des personnes doctes, qui habent aures
acri tatas aceto, ils traitoient de choses d'opinion, nous traitons des
sciences solides 131.
129 Voir Biblio. p. 711. Anc. Fr. 2585, f.8 101-155 v·.
130 Ouvr. cit. p. 30. Les magistrats tels que Pibrac et d'Espeisses, moins
altiers qu'un La Guesle. cité plus loin, s'efforcent d'élever jusqu'à eux les avo-
cats. Voir aussi d'Espeisses. p. 122.
131 Harangues ... , éd. 1609. cit., p. 144.
132 Le Thresor des Harangues .... Paris. 1660 (Priv. accordé au sieur Gibault,
avocat, le 19 juin 1654), p. 3. Ces harangues. qui datent manifestement du
XVI' siècle, sont anonymes; l'effort de les rééditer marque. en plein essor de
la prose et de l'éloquence classiques. la persistante fidélité de certains robins
à la langue et aux habitudes anciennes du Palais.
L'EXEMPLE DANGEREUX DE CICÉRON 485
•
••
La rhétorique officielle à l'usage des avocats s'emploie à réduire
ce décalage entre l'idéal et la pratique. Elle est avant tout une éthique
de la parole, ajustée à des fins professionnelles plus modestes, allégée
de l'épistémologie à la fois érudite et mystique réservée aux Juges.
La topique de l'éloge du bon avocat va tout entière en ce sens. L'un
des lieux communs les plus fréquents est l'antithèse entre l'orateur-
philosophe et le sophiste, prévaricateur des mots 134. Celui-ci veut per-
suader et vaincre à tout prix: le bon avocat fait, comme le philosophe,
son devoir d'éclaircissement, et s'estime assez récompensé, que sa cause
l'ait emporté ou non m. Le sophiste travaille pour satisfaire son ambition
et sa cupidité: l'orateur philosophe, parlant par devoir, est au-dessus
de ces satisfactions mondaines. La question des honoraires revient
133 Ibid., p. 7.
134 Voir dans le recueil de 1609, p. 150, 183, 423, 533, 534.
135 Voir ibid., p. 26, 133, 149, 549, 550.
486 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS
dans toutes les Remonstrances 188; cel1e des épices, non plus que cel1e
de la vénalité des charges, n'y affleurent jamais. Il est vrai que les
épices pouvaient passer pour des dons gracieux, et la vénalité des
charges pour une cruelle nécessité imposée par le Roi. La notion
infâmante de ccmmerce ne lui était pas liée. Du fait même que la charge
d'avocat n'était pas vénale, le paiement des honoraires, prévu par les
Ordonnances, mais dans des limites peu respectées, risquait de la faire
glisser vers la condition de sophiste intéressé. Cette corruption subtile
et durable est une des menaces qui hantent des Avocats Généraux. Ils
exhortent les avocats à se forger une âme inaccessible aux séductions
de l'argent, de peur que celui-ci, devenu monnaie d'échange du langage,
ne souille le Temple de la Justice:
Gardez vous, s'écrie Philippe Canaye, de rendre sordide ou vénale, ou
mechanique ou mercenaire vostre profession, qui est des plus nobles et
libérales qui soient en la République, que vostre principal but ne soit
jamais de gagner, d'amasser, de serrer.
Si l'avocat ne doit pas être avare, il lui faut du moins être économe
de ses mots. Les Ordonnances royales, périodiquement, venaient rappeler
aux bavards du Barreau le devoir de faire court. Les Avocats généraux,
sans faire allusion aux nécessités pratiques qui rendaient souhaitable
la brièveté (grand nombre de procès, surmenage des juges), préfèrent
insister sur la philosophie du laconisme:
Il ne se trouveroit pas, dit Pibrac, un seul homme raisonnable qui
ne préfère le ~çavoir peu disert au babil vain et dénué de science 142.
lU Ibid., p. 36.
143 Contre la «battologie et verve », les «allegations superflues », p. 131,
ibid.
144 Contre le «fard >l, le «vent >l, 1'« ostentation », ibid., p. 192, la «for-
ccnerie », p. 476.
145 Contre le «miel» et la « douceur », p. 482, contre l' « affeterie », p. 492.
146 Contre l'improvisation, le brio, la «négligence diligente» chère à Cicé-
ron, p. 241. On peut d'ailleurs remarquer que l'idéal d'atticisme ascétique
professé officiellement par le Parlement n'a rien de «sénéquiste ». Il y a en
effet dans l'atticisme sénéquien un élément profondément «singulier» et indi-
vidualiste qui répugne à l'impersonnalité majestueuse du magistrat. Moins
paradoxalement qu'il peut paraître au premier abord, l'atticisme ascétique dont
rêvent les Avocats généraux est un compromis, un moyen terme entre deux
excès, une «médiocrité ». Entre l'aridité excessive, jusqu'à l'obscurité, des
« lacédémoniens », et l'abondance flatteuse des asianistes, il faut savoir trou-
ver la juste mesure: être «serré », sans doute, mais aussi «plein de nerfs et
de veines », ni trop long ni trop court. La balance de la Justice peut servir
d'emblème à un tel idéal. Voir d'Espeisses, dans le recueil de 1609, contre
l'excès d'aridité, p. 153. A rapprocher de Pasquier, Recherches ... , éd. cit., 1. IX,
p. 849, qui félicite De Thou de sa diction «nette et cicéronienne », «rien de
Lipsian ». Mais à la date où De Thou parle (1595) la définition d'un atticisme
cicéronien a été précisée par Du Vair. Voir aussi dans le recueil de 1609,
dans une Remonslrance de G. Ranchin, en 1595, la définition du style de J'avo-
488 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS
cat français, fort proche des formules de Du Vair: «Aujourd'huy, ... vous
avez affaire à des Juges qui n'aiment point ces vains discours (ceux des rhéteurs
antiques) ny tous ces beaux artifices qui ne leur sont que trop cogneus. Qni
prennent plaisir d'ouyr un parler serré, moëllenx, plein de nerfs, plein de
veines.» Plus de «force », moins de «longueur» (ibid., p. 426).
147 D'Espeisses déclare que dans l'enceinte du Parlement, «il ne faut pas
moins porter de respect qu'aux lieux où se faisoient les anciens vœux publics:
il n'estoit pas permis d'y rire» (Recueil de 1609, p. 186). A plus forte raison
tonte offense à la pudeur serait un véritable sacrilège: «Je n'ay point encore
on y, dit un antre auteur, en cette Audience, aucune chose qui offense la pudeur
et je ne pense pas qu'il se trouve personne qui se voulût tant oublier que venir
à cette insolence: mais j'ay apperçeu un autre mal assez frequent et tres
malseant, sçavoir est qu'en plaidant vous ne pouvez vous empescher quelque
parole qui excite la risée, ce qui serait supportable au theatre, quand on joue
une Comedie, mais qui ne l'est nullement au temple de la Justice souveraine.
Tacite appelle cette façon de plaider histrionales modos exercere» (Thresor
de 1660, p. 109). Voir dans La Roche-Flavin (ouvr. cit., 1. III, p. 263) le cha-
pitre contre les rieurs.
ANTI-CICÉRONIANISME DES MAGISTRATS 489
•••
Cellule-mère de l'éloquence philosophique des magistrats érudits, la
citation est une ({ sentence» extraite d'une autorité poétique ou philoso-
phique antique, ou des Ecritures Saintes. Dans l'un et l'autre cas, en vertu
de la doctrine de la prisca the%gia, il s'agit d'autorités religieuses. dépo-
sitaires de la vérité divine, soit pressentie, soit révélée. Citée en latin, en
grec, voire en hébreu, langues à divers titres sacrées, le prix de la sentence
s'augmente du contraste avec son sertissage en langue vulgaire, langue
profane, langue utilitaire. Pierres précieuses, diamants, pépites du Logos
enchâssés dans le plomb du français, après avoir été ({ trouvés» dans
les savants recès de la mémoire-réminiscence, les citations SOl1t à la fois
ornement et preuve, beauté et vérité confondues. La c Remonstrance
d'ouverture ~ - et Pasquier en la qualifiant de « moderne », c'est-à-dire
de gothique, ne s'y trompait pas - est l'équivalent dans la liturgie
parlementaire de la «Monstrance~, ou du «Reliquaire» dans l'art
d'église: exposition du sacrement du Verbe.
La «monture» en français de ces pépites d'un Verbe plus proche
de l'origine, a le statut de glose, qui célèbre et commente la c sentence» :
mais c'est de celle-d et d'elle seule, de son rayonnement d'immémoriale
sagesse, qu'elle attend une action sur le public. Des sceaux de la
Vérité naît moins la persuasion, que l'admiration révérente. Art à la
fois raffiné et barbare. Il n'est pas exclu que sa fascination ait survécu
au genre des «Remonstrances» qui l'avait d'abord illustré et imposé.
Même lorsque les citations auront été traduites, et fondues dans le
« fil du discours », même lorsque des ({ sentences» françaises se donnant
pour inventées s'y aioutent. leur sc:ntillement caché, leur aura sacrale
de condensés du Logos révélé seront toujours perçus au moins sur un
registre esthétique. Le sentiment qu'un Josset avait de la prose de Balzac,
le sentiment qu'un Balzac avait de l'éloquence cornélienne, prolongent
le sens du sublime que cherchait à faire naître l'éloquence érudite et
490 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS
mandation de l'éloquence. Il me dit après que cette seule luy avoit plus
cOllsté à faire que trois autres précédentes qu'il avoit repiécées de plu-
sieurs passages Ift3.
2. Guillaume Du Vair
et le mythe d'une grande éloquence civique.
La tentative de Jacques Faye d'Espeisses, en 1586, de haranguer la
Grand'Chambre du Palais sans recourir aux traditionnelles citations,
révélait à la fois une inflexion de l'éloquence parlementaire, et un glisse-
ment de l'institution eHe-même vers un rôle politique plus accusé, en
concurrence avec les Etats-généraux réunis à plusieurs reprises par
Henri III. L'éloquence délibérative, c'est-à~dire politique, s'insinuait par-
tout dans le Royaume, et non plus sous la forme discrète, convenable à
l'esprit de Cour, du «conseil au Prince », mais de harangues publiques,
154 Voir l'Oraison funèbre de Ronsard par Davy du Perron. qui insiste sur
Ronsard orateur du catholicisme. Sur la faveur dont il jouit dans le monde
de la Robe au début du XVII' siècle. voir La Roche-Flavin. ouvr. cit .• p. 370.
Cet éloge de Ronsard n'empêche pas La Roche-Flavin de «chasser les poètes»
de la République, à la manière de Platon. Il écrit p. 364 : « Les livres et poesies
des (poètes) sont propres pour les jeunes gentilshommes et Damoiselles, ou
gens de loisir non occupés ny destinez pour la Magistrature, sauf à quelques
heures perdues [ ... ] Car de se servir. ny alleguer ces Poêtes françois, ny aux
examens. ny aux jugemens des procez, on se rendroit ridicule aussi comme
d'alléguer des poètes latins ... »
155 Sur les harangues prononcées à Paris par Panigarola pendant la Ligue.
voir Tre prediche di mons. Panigarola Fatte da lui in Parigi. Asti. 1592. Sa
réputation était très grande en France. Voir Cent sermons sur la Passion de
N.S. prononcez à Milan par R.P.F. Panigarola. et traduicts en François par
Gabriel Chappuys. Paris. Carellat. 1586. Il avait prêché à la Cour d'Henri III.
156 Sur l'activité de L. d'Orléans comme orateur et polémiste de la Ligue,
voir Cantique de victoire par lequel on peut remarquer la vengeance que Dieu
a prise dessus ceux qui voulaient ruyner son Ef!/ise et la France. Paris. Man-
gnier. 1569. et Plaidoyé des Gens du Roy (22 déc. 1592), Paris, Musson, 1593.
157 Sur P. Matthieu orateur de la Ligue. voir Discours veritable et sans
passion sur la prise des armes et change mens advenus en la ville de Lyon ...
sous l'obeissance de la S. Union. Lyon. 1593. et la Pompe funebre des penitens de
Lyon ...• Lyon. Roussin. 1589 (B.N. Lb 34584). avec une oraison funèbre de
Louis et Henry de Lorraine assassinés à Blois. Si l'exorde et la péroraison font
place à d'amples périodes. si les figures du pathétique (apostrophes. interro-
gations. sermocinationes ... ) abondent. les «roulades» du dicere incisim. pres-
santes et passionnées. sont là pour les soutenir. L'œuvre de cet avocat encore
jeune, qui a trouvé une «cause» exceptionnelle (<< accuser capitalement un
Roi») doit être confrontée avec les discours contemporains de Du Vair: à
l'imagination fiévreuse du rhéteur. s'oppose la force majestueuse du «sçavant"
et du haut magistrat. Sur l'ensemble du problème, entièrement à reprendre, de
l'éloquence ligueuse, voir Labitte. Ollvr. cit.. bibliogr. p. 824. n° 1502.
494 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS
•
••
Formé par Pontus de Tyard et Amyot, le roi avait les dons et la
préparation d'un orateur. Sa harangue au Sénat de Venise, lors du
voyage qui le ramenait de Pologne et France, était restée célèbre. Et
l'Académie du Palais qu'il rassembla autour de lui au Louvre, sous la
direction de Pibrac puis de Du Perron, était une académie d'éloquence,
succédant à l'académie d'e poésie et musique de Baïf, patronnée par
Charles IX. C'est probablement en liaison avec les travaux de l'Académie
qu'Henri Estienne publia son recueil d'Epistolae cicéroniennes de 1581,
158 Montaigne, Essais, l, 41, éd. cit., p. 343. On ne saurait marquer plus
nettement son hostilité à la fois à l' «éloquence royale» d'Henri III, à l'Aca-
démie du Palais ou devant les Etats-Généraux, et à 1'« éloquence civique »,
tant celle des Ligueurs que celle des «Politiques ». Suivant la leçon du Dia-
logue des Orateurs, qu'il paraphrase dans le passage cité, Montaigne ne voit
d'autre éloquence possible en régime monarchique que dans la conjonction de
la prose et de la poésie diffusant la sagesse d'une élite auprès du plus grand
nombre, pour le plus grand bénéfice de l'ordre civil.
159 V.R. Radouant, Guillaume Du Vair, Paris, 1906, p. 87-93.
HENRI III ORATEUR 495
et que Jacques Amyot rédigea le Projet de l'Eloquence royale resté
manuscrit jusqu'à l'édition de 1805. Le traducteur de Plutarque, mais
aussi de Longus et d'Héliodore, fut à bien des égards le Père fondateur
de l'humanisme de Cour français, et on ne s'étonne pas, en lisant le
Projet adressé à Henri III, qu'il n'y encourage pas le Roi à donner son
éloquence en spectacle. Dans la tradition du Cortegiano et du Oalateo,
il se garde d'accabler de préceptes pédants le premier Gentilhomme de
France; celui-Ci est assez naturellement doué d'ingenium (<< la vivacité
et agilité de vostre esprit») et de mémoire pour que les pesantes procé-
dures de l'invention rhétorique lui soient épargnées, et soient remplacées
chez lui par des « conceptions» rapides et aisées. Amyot distingue deux
sortes d'éloquence royale: hors des «affaires », et dans les» affaires :..
Hors des « affaires », dans les moments de « loisir» où le Prince « reçoit
plaisir à parler et deviser », l'éloquence royale se place sous le même
signe que l'art du roman tel qu'Amyot l'avait défini dans sa préface à
L'Histoire Efhiopique : l'honnête divertissement.
L'on doit user des choses de plaisir, pour estre puis apres plus apte
à faire des choses d'importance IGO bl••
159 bi. Jacques Amyot, L'Histoire Ethiopique ... , Paris, 1547, Proeme du
translateur, non paginé.
496 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS
....'"
C'est encore dans la mouvance des recherches suscitées par l'Aca-
démie du Palais qu'il faut situer la publication, en 1578, de la traduction
par Blaise de Vigenère des Images ou Tableaux de Philostrate, dont nous
avons vu l'influence, jusqu'au P. Le Moyne, sur le style français des
Jésuites au XVIIe siècle. L'ouvrage est dédié à un magistrat lié d'amitié
avec Henri III, Barnabé Brisson, successeur de Pibrac dans la charge
d'Avocat Général du Roi, et membre actif des doctes conférences du
Louvre. Dans son épître dédicatoire, Vigenère évoque les critiques que
sa traduction a suscitées, préludant à celles que l'asianisme jésuite pro-
voquera au XVIIe siècle:
detractions, criailleries, mesdisances, abbayemens d'un tas de vains et
oisifs preste-charitez, regratteurs, contrerolleurs, censeurs, priseurs, esti-
meurs et re\"Îsiteur~> ùes ouvrages d'autruy ... ».
•••
Du Vair avait en effet tous les atouts qui manquaient à Pasquier
pour faire admettre au Palais, peu acquis aux changements, une réforme
de sa rhétorique institutionnelle.
Pasquier était un avccat, un homo novus. Du Vair était un porphy-
rogénète de la Grande Robe parisienne, appelé par sa naissance aux
plus grandes charges, à son choix, dans l'Eglise, le Parlement, ou l'Etat.
Apparenté aux Dupuy 163, il commença sa carrière parlementaire dans
la mouvance d~ Christophe de Thou, auquel il rendra un magnifique
hommage en 1595, à la fin de son traité De la Constance 164. Ami de
j.-A. de Thou, de Pierre Pithou, de Nicolas Le Fèvre, il se meut à l'aise
dans les plus hautes sphères de la magistrature et de la République des
•
••
C'est dans cette direction qu'il faut chercher l'explication d'un para-
doxe qui, à notre sens, n'a pas assez retenu l'attention des commenta-
teurs: tandis que le stoïcisme chrétien en Flandres, avec Juste Lipse,
a pour corollaire logique un style «anticicéronien », en France, avec
Du Vair, il conclut à une réhabilitation de Cicéron, fort maltraité jusque-
là aussi bien par un Pibrac que par un Montaigne.,
Remarquons tout d'abord que la génération de L'Hospital et de Pibrac
avait encore rencontré en Italie la tradition vivante du premier cicéronia-
nisme, à Venise et Padoue. Du Vair arrive à Rome en 1572 167, l'année
où Muret prononce à la Sapienza un discours-programme qui substitue
au cicéronianisme trop attaché à l'élégance écrite une émulation plus
généreuse avec Cicéron, une nouvelle alliance entre la grandeur d'âme,
éclairée par la philosophie, et une éloquence militante. Dans les années
qui suivirent, Muret se fera l'éditeur ou le commentateur de Sénèque
et de Tacite, sans pour autant renier l'autorité suprême de Cicéron en
matière de langue et de style.
Le programme énoncé par Muret en 1572 levait une partie des obstacles
qui s'opposaient à l'intronisation de Cicéron comme le maître de la
rhétorique française. Muret rendait à Cicéron sa pleine stature d'homme
d'Etat-philosophe-orateur, à sa doctrine son sens plénier d'alliance entre
savoir érudit et éloquence, il le lavait du «soupçon» que le cicéronia-
nisme de Bembo et de Castiglione avait fait lever contre lui chez les
doctes de Robe, en garde contre la sophistique des Cours.
Par ailleurs, le style «coupé» cher à Juste ,upse, tout style érudit
qu'il fût, et en langue latine, était aussi peu propice à servir de modèle
à une éloquence civique en français que celui de Montaigne. L'un et
l'autre n'étaient au fond que la transfiguration, sous l'influence de
Sénèque, philosophe ennemi de l'éloquence, de la «rhétorique des cita-
tions ». Tous deux conjuguent la «sentence» érudite, extraite de la
mémoire savante, avec le jaillissement d'apophtegmes, de maximes, de
sentences que leur « grande âme », en émulation avec les grands Anciens,
produit en abondance, dans la solitude tendue et mélancolique de l'écri-
ture. Partie de la sentence citée et commentée, la liberté du dernier Mon-
taigne, R. Fromilhague l'a montré, se livre de plus en plus à l'art de la
•••
Homme d'Eglise autant qu'homme de loi, Guillaume Du Vair ne
renonce nullement à l'idée sacerdotale du magistrat que se faisaient ses
prédécesseurs. Mais il souhaite concilier cel1e-ci avec une fonction vrai-
ment «sénatoriale» dans l'Etat. En un sens, et toutes choses égales,
il veut faire pour le magistrat-prêtre d'autrefois ce que saint Ignace avait
fait pour le régulier médiéval: lui donner les moyens d'agir sur le
monde et de dominer la société civile. sans s'y compromettre. Conci-
liation difficile, qui suppose à la fois une spiritualité et une éloquence
nouvelles. Chez saint Ignace, les Exercices et l'éducation oratoire pour-
vurent les Jésuites de ces «ponts» indispensables au passage du sacré
au profane, de la mystique à la politique. Chez Du Vair, la spiritualité
stoïcienne permet au magistrat de concilier sa foi d'humaniste érudit
gallican, tournée vers l'Origine, et son souci de régenter le Royaume par
l'éloquence. Le Portique sert de passage entre l'érudition chrétienne,
contemplative, et le civisme modelé sur l'exemple de Cicéron. L'œuvre
de Cicéron se prêtait à cette conciliation. Elle était assez éclectique pour
GUILLAUME DU VAIR 503
contenir des éléments platoniciens, mais aussi des éléments stoïciens.
Cicéron avait senti l'espèce d'harmonie préétablie entre le mos majorwn
d~ l'aristocratie sénatoriale romaine, et la morale sévère jointe au sens
des responsabilités civiques qui caractérisait à Rome le Portique. Mais
il s'était refusé à prendre à la lettre les «paradoxes» qui faisaient du
Sage le seul orateur, et de la vraie éloquence la seule transparence de
la vertu et de la raison du sage. La vertu et la vérité, pour demeurer
opérantes dans un monde qui leur résiste, devaient se moduler, tenir
compte des circonstances. Elles pouvaient même se recommander de la
beauté.
Du Vair est loin de suivre Cicéron sur ce terrain, où les Jésuites
n'hésitaient pas à le dépasser. La beauté oratoire n'est pour lui que
la «santé» du vrai qui consent à s'incarner pour se faire connaître.
Il n'envisage aucune casuistique du vraisemblable ni de l'ornafus. Son
stoïcisme chrétien se veut civique, mais non politique. C'est le civisme
de la raison, au service de la vérité morale et religieuse dont il est
médiateur dans la Cité.
•
••
Le titre complet du traité de 1595, De l'Eloquence françoise ef des
raisons pourquoy elle est demeurée si basse semble rompre avec osten-
tation avec la tradition des « Remonstrances » du temps d'Henri III alors
que Du Vair cherche à la vivifier. II reflète l'assurance orgueilleuse
acquise par l'orateur de la Suasion sur l'arrêt pour la loi Salique.
II laisse présager une véritable « Remonstrance» aux auteurs des « Re-
monstrances ». Mais le débat demeure entre magistrats. Si Du Vair
fait allusion au Barreau, c'est du point de vue de sa caste, qui n'y voit
qu'une préparation à de plus hautes responsabilités. Du Vair ne juge
d'ailleurs dignes de ses critiques que les Avocats du Roi, Pibrac, d'Espeis-
ses, Brisson, Mangot. Au moment où le traité est publié, le « Parlement
de Tours» est rentré à Paris, et la République des Lettres se reconstitue
dans la capitale. Du Vair retrouve ses amis De Thou, Le Fèvre, Pithou,
dont les réunions rue des Poictevins fondent ce qui deviendra au XVIIe
siècle l'Académie putéane 169. Son traité n'exprime pas son seul point
de vue, mais celui de l'élite gallicane du Palais. Il est dédié à Nicolas
Le Fèvre, et répond aux «exhortations» de celui-ci 170.
Que reproche Du Vair aux auteurs de « Remonstrances d'ouverture» ?
Avant tout, l'attitud~ contemplative et le manque d'autorité civique:
•••
Cette utopie d'une grande éloquence cIvique en régime monarchique
était parfaitement étrangère à Montaigne, qui restreignait sans regrets
l'usage de la parole au dialogue entre honnêtes gens et au genre écrit
et privé de l'essai. Du Vair, tout gallican qu'il fût, a sympathisé avec
ceux des magistrats ligueurs qui reprochaient à Henri III son absolu-
tisme - entendons le peu de cas qu'il faisait des avis du Palais. Il ne
cache pas, dans le traité De l'Eloquence son idéal de monarchie tempérée
d'aristocratie:
Nostre Etat françois, écrit-il, a des sa naissance esté gouverné par
les Roys, la puissance souveraine desquels ayant tiré à soy l'authorité du
gouvernement nous a à la vérité delivré des miseres [... ] qui sont ordinaire-
ment aux Etats populaires, mais aussi privé de l'exercice que pouvoient
avoir les braves esprits au maniement des affaires 173.
•
••
Tel est l'orgueil de caste de Du Vair qu'il n'hésite pas à humilier les
siens pour rendre leur magistrature oratoire digne du second Ordre
au Royaume:
En France, l'éloquence a esté tous jours quasi mesprisée de nos Princes
et de nostre vieille noblesse: ils s'estoient persuadez qu'i1 valloit mieux
bien faire que bien dire [... ] De sorte que ce qui restoit d'usage de l'élo-
quence soit ès barreaux des Parlements, soit ès chaires publiques a quasi
toujours esté entre les mains de personnes abjectes, qui nées d'une vile et
basse semence. nourries en moeurs peu ingenues [... ] n'ont rien apporté au
maniement d'une si chère et digne Science ... 179 •
Vair à la noblesse est d'une tout autre nature, et il n'est pas sans analogie
avec celui que lancera le P. Caussin, dans la Cour sainte, à l'aristocratie
de Cour: il s'agit dans les deux cas de renforcer une élite sacerdotale,
vouée à régenter, du haut de son savoir d'origine religieuse, la société
civile, en lui agrégeant le prestige de «nom et d'armes» de la vieille
noblesse d'épée.
Est-ce pour écarter le soupçon de pédantisme qui pèse, du côté
des nobles, sur le Palais de Justice? Du Vair se garde de tout précepte
précis et technique. Il demeure dans l'éloge gènérique de la «véritable
éloquence ». En cela son traité, tout aggiornato qu'il soit, reste dans la
tradition des Renzonstrances d'ouverture, dont c'était, nous l'avons vu,
le thème inlassablement repris. Du Vair le renouvelle par une «innu-
trition» invisible du De Oratore, du Dialogue des Orateurs, mais aussi
du Traité du Sublime, c'est-à-dire de toute une culture rhétorique dont
les Avocats généraux du règne d'Henri III se méfiaient.
La forme même du traité, dédaigneux des préceptes scolaires l~O,
recourant plus volontiers aux exemples, à l'évocation d'un idéal, renou-
velait en quelque sorte la tradition platonicienne des « Remonstrances»
et la portait à maturité. Comme le Ps. Longin, comme Paul Manuce
dans son Dialogo de 1556, comme Muret dans son Oratio de 1572,
Du Vair initie son lecteur par de simples et fortes antithèses entre les
fausses éloquences et l'idée de la grande éloquence. Comme le Ps.
Longin, Du Vair incarne cette Idée dans ses deux représentants les plus
glorieux, Cicéron et Démosthène, qu'il propose moins à une imitation
servile qu'à une généreuse émulation 181.
C'est au Ps. ,Longin qu'il emprunte l'évocation du degré suprème de
l'Eloquence, sublime moins par ses techniques que par l'irrésistible puis-
sance de ses effets.
I8n Du Vair écrit en effet: «Aussi voyons-nous que ces grands orateurs,
que l'antiquité a tant estimés et la postérité tant admirés, n'ont pas tant appris
léloquence à l'escolle des Rhetoriciens et exercices des declamateurs, comme
en la lice des concions publiques ... » Ce mépris des préceptes des rhéteurs est
conforme à la tradition des Remonstrances, mais il y ajoute une notion d'ému-
lation qui renvoie au Ps. Longin, et à son influence sur Muret, Manuce, Benci
et les réformateurs du cicéronianisme romain: l'éloquence des grandes âmes
ne peut prendre son essor que par l'émulation avec d'autres grandes âmes
éloquentes. Le sublime oratoire échappe au magistère des grammairiens et des
rhéteurs vulgaires.
181 Radouant, rééd. cit., p. 158. Avec moins de « magisme » que le P. Caus-
sin dans ses E/oquentiae ... paralle/a, Du Vair explique la vertu de l'imitation
par une loi de sympathie: «L'accoustumance et familiarité a une merveilleuse
force pour conduire la disposition à ce qui lui est familier. Les semences tirent
à la fin la qualité de la terre où elles sont transportées. et deviennent sem-
blables à celles q!li y croissent naturellement [... ] II passe par contagion ès cho-
ses des une:; aux autres une grande part de leur nature et de là vient ce que
ron dit, que la vigne qui croist auprès de la mandragore tire par infusion sa
force et sa vert!!, de sorte que le vin qui en vient endort doucement et gratiet.:-
sement ceux qui en boivent...» Cette infusion, cette contagion de l'exemple cst
plus respectueuse de la liberté que les méthodes des régents et des rhéteurs.
508 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS
A mon advis, écrit-il, Qui verroit ces paroles là l ... ] croiroit aisément ce
que les autheurs ont escrit de la puissance Qu'avoit l'éloquence de tels
orateurs, et confesseroit Que leurs commandemens ne sont pas moins vio-
lens Que ceux des tyrans, environnez de leurs gardes et satellites 182.
•
••
Mais, entre les deux versions longiniennes du sublime, Du Vair choisit
la régularité parfaite.l Il ne l'envisage pas du point de vue du choix
des mots, de l'arrangement de la période, du rythme et de l'euphonie,
quoique ces préoccupations soient visibles dans son style: il préfére
ne pas mettre en évidence cette « cuisine» de l'élocution. II ne les évoque
qu'en passant. La régularité est pour lui d'ordre moral: c'est le reflet
d'une grande âme philosophique qui n'abandonne jamais le sens de la
mesure et la maîtrise composée de soi-même, jusque dans l'enthousiasme.
Par cette spiritualité du style, Du Vair est proche de Malherbe. 11 s'en
écarte par la pudeur qu'il éprouve à traiter ouvertement et techniquement
des questions «grammairiennes» que posent l'élégance et la netteté
de la diction. En ce sens, comme les rhéteurs jésuites de l'époque
Henri IV et Louis XIII, il est encore prisonnier du préjugé « oral », sans
toutefois partager leur goût pour l'imagination et le pathétisme.
Le propre du sublime d'enthousiasme, chez Longin, c'est de faire
fusionner en un seul acte locutoire l'invention et l'expression, l'intuition
d'une haute vérité et le bonheur de sa formulation. L'autre version,
« réguliére », du sublime, suppose une science rhétorique accomplie, qui
ne laisse rien au hasard tout en donnant à l'extérieur un sentiment de
naturel ct d'aisance. Du Vair ne descend pas, comme Malherbe, «gram-
mairien de la Cour », jusqu'à peser chaque mot, chaque place des mots
dans la phrase, chaque liaison entre les phrases. Du moins fait .. i1 un
sort, de façon générique, à l'art, au travail, à l'exercice. Entre les
sources divines du Logos et l'éloquence humaine, il admet, comme
Muret et les jésuites romains, qu'il faut, selon l'expression de Montaigne,
« artialiser la nature» avant de II: naturaliser l'art ». Entre l'intuition de
la vérité, et sa transmission au monde par l'éloquence, s'interpose une
«longueur de temps », un «continuel travail », une ascèse. Du Vair,
qui fait place aux «naturelles inclinations» de l'orateur, veut que ces
dons naturels soient «cultivés par l'art », «la grande expérience »,
1'« ordinaire exercice».
des inventions qui ne sont pas recuites en une longue et profonde medi-
tation.
184 Ibid.
m Ibid., p. 152.
188 Ibid., p. 145.
187 Ibid., p. 142. «Si cet univers, comme disoit Platon, et devant lui les
Pithagoriciens, n'est rien d'autre qu'une armonie, et si toute ceste armonie
est une chose divine, combien le sera l'Eloquence qui cause ces accords ... »
Dans sa dédicace à Le Fèvre, Du Vair évoquant les guerres civiles, parlait des
« convulsions de nos playes fatales ». L' « armonie », dont l'âme du philosophe-
orateur rayonne sur la cité (<< medecin des esprits », «armonie de la raison »,
p. 155, qui se communique à l'auditoire « comme la naphte qui s'allume à la
seule veue du feu », p. 156) reconstitue «les assemblées des peuples bien
polissées et communautez unies soubs le nœud de sainctes et justes loix ».
L'éloquence est donc pour Du Vair une médiation entre l'ordre divin, et les
fluctuations du monde terrestre et politique. Elle incarne l'ordre sur la terre d
dans la cité. C'est l'essence même du De Oratore.
GUILLAUME DU VAIR 511
ne tiennent aucune place dans sa rhétorique. Son style qui, comme celui
des prédicateurs jésuites, est un style oral, n'en n'est pas moins, à la
différence du leur, un style sévère, bien français.
Il définit lui-même, en une belle période cet idéal de Vierge Forte
et sage:
Bref, cette façon d'oraison est comme un corps beau et bien sain,
lequel n'est point enflé et bouffi, et auquel d'autre costé les nerfs ne
paroiss~nt point, ny les os ne perçent la peau, mais est plein de sens
et d'esprits, en bon point, ayans les muscles relevez, le cuir poly et la
couleur vermeille 191.
•
••
Le traité De l'Eloquence faisait la théorie des réussites oratoires de
Du Vair jusque là. 1\ n'eut guère l'occasion par la suite de la mettre
en pratique: envoyé par Henri IV en Provence, il y devint premier
Président du Parlement d'Aix. Cet honneur ressemblait fort à une mise
à l'écart pompeuse. Le Roi se lassa vite en effet du loyalisme grondeur
des magistrats gallicans, et Du Vair, qui était leur porte-parole le plus
doué, était moins gênant à Aix qu'à Paris. Il lui fallut attendre la
régence de Marie de Médicis pour accéder enfin à la charge à laquelle
il s'était manifestement préparé depuis l'adolescence, celle de Chancelier
191 Ibid., p. 166. Cette belle période est en fait une traduction, insérée dans
le fil du discours, sans marque qui signale sa vraie nature de citation, d'un
passage du Dialogue des Oratellrs (XXII, c'est Marcus Aper qui parle: Oratio
al/tem, sicut corpus hominis ... et qui critique ce qu'avait de durus et siccus les
« primitifs» de l'éloquence latine). Voir également une reprise de cette méta-
phore du corps p. 164 : « L'elegance du stil est... d'autant plus admirable qu'elle
contient une douceur et grace dont on ne cognoist point la cause ni l'artifice,
comme le teint (v. Dialogue, ibid. rubor) en un corps naturel.» Entre Tacite
et Du Vair, le médiateur est L. Le Roy (v. notre bibliogr., n° 46, p. 717).
191 bis La notion de «naturel» est essentielle à la doctrine de Du Vair:
« L'on ne sçauroit quasi donner plus utile precepte en l'eloquence que celuy qui
est le plus facile: c'est sçavoir ne rien forcer, ains suivre le cours de la nature
et laisser couler les choses par le plus aisé chemin» (ibid., p. 165). Elle permet
de concilier 1'« ingénuité» du philosophe, du chrétien, et du Français (<< Je
suis fort ingénu, et en cela vray François », p. 134) et «l'artifice de l'Elo-
quence» (p. 156), la «grande promptitude et vivacité, la pointe et gentillesse»
du génie français (p. 152) et le «travail », 1'« exercice» de l'art (ibid.). Elle
permet enfin d'incarner - et donc de rendre aimables et influentes - les
«choses divines» dans un «corps» qui a les proportions, le «teint », et la
santé de la belle Nature.
GUILLAUME DU VAIR 513
•••
Le traité De l'Eloquence, et la prose oratoire de Du Vair, eurent en
effet plus d'influence hors du Parlement que dans le Parlement même.
La réhabilitation de Cicéron par Du Vair balançait le mépris affiché
par Montaigne contre le Pater Eloquentiae Latinae. Elle appuyait les
efforts d'une élite ecclésiastique, le cardinal Du Perron, le cardinal
d'Ossat, l'évêque Coëffeteau, pour opposer une juste mesure de la prose
aux excès de l'éloquence sacrée. Un chanoine d'Evreux, François Joulet,
publie en 1601 une traduction du Premier Livre de l'Orateur, et en 1609
une traduction de Six Oraisons de Cicéron. Dans le même temps, les
"""
Déjà en 1595, Philippe Canaye, devant la Chambre de l'Edit de
Castres, avait emprunté à Philon sa distinction entre Logos prophorikos
et Logos endialhelos et avait fait dépendre la parole des juges de la
perception, au fond de l'âme, du Logos divin. Mais le magistrat toulou-
sain noyait quelque peu cette citation dans une foule d'autres autorités,
et ne parvenait pas à fondre ses matériaux dans un élan oratoire digne
de ses autorités. Du Vair parvient à une fusion plus parfaite, et con-
jugue dans le rythme continu de f,a prose française des «choses"
traduites, ou plutôt adaptées, sans plus citer, à Philon 1~", à Plutarque 196,
195 Philon d'Alexandrie, Quod deterius, t. 5 des ŒUI'res, Paris, Cerf, 1965,
trad. Irène Feuer, para gr. 126-128, p. 97: «Par ces mots le Créateur affirme
qu'il sait que le langage proféré, frère de la pensée, possède la parole; car
il a fait de lui comme un instrument qui serve l'expression articulée à tO:lt le
composé que nous sommes, Et pour moi et pour toi et pour tous les hommes,
le langage est voix et parole, et il exprime nos idées, et qui plus est, il va au
devant des raisonnements de notre pensée. Car lorsque l'esprit s'éveille et
s'élance vers un objet de son domaine, que ce soit de son propre mouvement
ou parce qu'il a reçu du monde extérieur des impressions diverses, il est gros
de pensées, et en travail à cause d'elles. Il veut les mettre au monde, mais il en
est incapable avant que le son produit par la langue et les autres organes de
la parole ait reçu ces pensées comme le ferait une sage-femme, et les ait
amenées à la lumière.
« Or la voix qui verse une lumière resplendissante sur les pensées, c'est bien
cela: en effet tout comme les objets qui sont dans l'obscurité restent cachés
tant qu'une lumière ne les a pas touchés, et ne les rend pas visibles, les idées
sont conservées dans l'esprit, qui est un lieu invisible, jusques à ce que la
voix les illumine comme une lumière et les découvre toutes ». Ce passage
(source directe de Montaigne dans Essais, éd. cit., p. 204) pouvait être emprunté
par Du Vair, non à la traduction du P. Bellier, rééd. en 1612 avec augmen-
tations de Frédéric Morel, mais à l'édition du texte de Philon à Bâle, en 1558.
Dans le même traité Quod deterills, nous trouvons la formulation la plus par-
faite de cette expérience résumée par Boileau dans le vers fameux «Ce qui
se conçoit bien s'énonce clairement»: «Quand nous savons parfaitement ce
que nous disons, notre parole, remplie de joie et d'allégresse, abonde en mots
propres et expressifs qui sans jamais lui manquer, lui permettent de présenter
ce qui lui est montré avec aisance, et sans broncher, et puis avec clarté et
efficacité. Mais quand nous ne sommes pas sûrs de notre pensée, notre parole
sous l'effet d'une grande disette de mots propres et pertinents, porte à faux
et est pleine d'impropriétés» (Œuvres, t. 5, éd. cit., p. 99).
196 Les MoraUa de Plutarque sont, à la fois dans leur forme doxographique,
et dans leur doctrine sur l'éloquence, inspirés de Platon, la source majeure des
Remonstrances des magistrats de Pibrac à Bignon. Voir par exemple dans
l'édition de Lyon, 1607, de la traduction d'Amyot, le traité II, Comment il fallt
ouïr, qui compare l'éloquence au « banquet de quelque saint sacrifice» (p. 77),
et distingue le «babil» de la «solide éloquence» (p. 79), distinction reprise
et développée dans le traité XIII, Du trop parler, véritable mine pour les magis-
trats du XVI' et du XVII' siècles. Le traité XXXI, Instruction pour ceux qlli
manient les affaires d'Estal recommande au magistrat de se fier plutôt à
son autorité morale qu'à son éloquence, à son « entendement dedans soy-
mesme» qu'à « la parole qui fait entendre sa volonté». Mais c'est dans le
traité XXIV, Qu'il faut qu'un Philosophe converse avec les Princes qu'appa-
raît en propres termes la notion philonienne du logos endialhelos et du logos
prophorikos, qui est au cœur de la rhétorique des Remonslrances: «Et
de dire maintenant qu'il y a double raison et parole, l'une intérieure ou men-
tale, [ ... ] l'autre proférée, qui est messagère et instrumentale pour donner à
entendre ses conceptions [ ... ] cela est tout rance et moisy de vieillesse ... De l'une
et de l'autre parole, tant de celle qui demeure en la pensée que de celle qui
se prononce et se profère dehors, la fin est amitié de l'une envers soy mesme,
et de l'autre envers autruy: car celle-là tendant au but de la vertu par les
enseignemens de la philosophie, rend l'homme accordant toujours avec soy-
516 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS
190 Voir plus loin, notre étude sur les harangues académiques.
200 ŒlIvres, éd. cit., ibid.
201 La rhétorique augustinienne du silence a des lettres de noblesse huma-
niste: elle avait déjà inspiré Pétrarque. Voir Jerrold E. Siegel, Rhetoric and
Phi/osophy in Renaissance hllmanism, ouvr. cit., ch. Ideals of eloquence and
silence in Petrarch, p. 31 et suiv. Rappelons que pour Augustin, le progrès
spirituel peut être représenté comme un mouvement de la parole profane vers
le silence, et la découverte de la veritas in si/entio. La parole qui rejaillit à
partir de ce silence et de cette écoute n'est pas de même nature que la parole
antérieure que ce silence a abolie, même si parole profane et parole chrétienne
recourent à des techniques analogues. Approfondissement chrétien, nous sem-
ble-t-il, de la méditation de Philon et de Plutarque sur le logos endiathetos.
Voir, outre H. Marrou, Saint AlIgllstin et la fin de la Cl/lIl1re antiqlle, ouvr. cit.
Christine Mohrmann, Etlldes sllr le latin des chrétiens, Ollvr. cit., p. 351-370
(Saint-Augustine and the Eloquentia) et A. Michel, QlIelqlles aspects de la
rhétoriqlle chez Phi/on, Colloque Philon d'Alexandrie, Paris, C.N.R.S., 1967,
p. 81-103. Cougny dans son livre sur Du Vair (p. 95) cite deux passages de
Du Vair qui montrent bien le lien entre le refus de l' « abondance ~ des paroles,
et l'idée du silence comme origine de la parole: «Sçavoir se taire est un grand
advantage à bien parler; bien dire et beaucoup n'est pas le fait d'un mesme
ouvrier. Le silence est le père du discours, et la fontaine de la raison ... »
518 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS
une lumière, il faut selon la regle de Physique, que le milieu par lequel
elle doit passer soit dilucide et transparent. JI faut donc que nous facions
cesser en nostre entendement et volonté toute sorte d'autres operations,
toute sorte d'autres discours, toute sorte d'autres pensées, et principale-
ment celles qui sont meslées de nos passions et affections, qui nous sug-
gerent les images des choses non vrayes, pures et nues, mais revestues
des opinions que nostre phantasie et celle de ceux avec qui nous vivons
forgent continuellement [ ... ] Cela est à mon sens le silence duquel parle le
Prophète, la paix profonde de nostre entendement, laquelle rassembloit
et reunissoit toutes les puissances de nostre ame, et recueillant en la
profondeur et solidité de la meditation ceste lumiere de la Justice eter-
nelle, ny plus ne moins qu'on recevoit un rayon du Soleil dans le creux
d'un miroir ardent, elle la multiplie en façon que de lumière de vérité,
elle devienne feu de charité. A ce feu de charité mettant par le rninistere
des Juges les actions et les affections des hommes à la fonte, consumant
ce qui est de vicieux et de gasté, et rendant doux et coulant ce qui est
pur et sain, donnera à la fin de ce corps politic la forme de paix et de
concorde 202.
•••
Du Vair est aux antipodes de Montaigne, apparemment plus retiré
du monde, en fait plus naturellement accordé aux agréments de la société
civile. Le scepticisme a libéré l'auteur des Essais de toute tentation
héroïque, et le stoïcisme l'avait préservé de toute tentation éloquente:
son «art de conférer» est un «primitif» de l'art de la conversation
classique. Du Vair est également fort éloigné de Du Perron, Prince de
l'Eglise arrivé par la Cour, et dont le goût assura, dans une période
confuse, la transmission du legs des Valois aux successeurs d'Henri IV.
En 1615, au moment où Du Vair prend les sceaux, un disciple de Du
Perron, Nicolas Renouard, publie Les Fleurs de l'Eloquence françoise 203,
où l'esprit du Projet d'Amyot se perpétue: il recommande un «style
bas», qui est avant tout un art de parler dans la conversation civile,
« commun, toutesfois pur, facile et beau, n'ayant autre ornement que
son naturel ». Il a beau résumer les principaux chapitres de la rhéto-
rique, les trois genres, les trois styles, les cinq parties, il en revient
toujours à 1'2ssentiel :
Du Vair ne s'est jamais départi d'un grand style oral que cet art de
parler « civil» offusque par sa timidité: Il n'est est pas moins étranger
à l'univers de Richelieu, lui aussi grand orateur, mais pour qui tout,
éloquence impérieuse, morale, religion, et Dieu même sont instruments
qui donnent forme à une œuvre d'art, l'Etat français, mieux propre à
assurer sa gloire que tous les discours.
L'auteur de La Constance appartient à cette grande race de robins
parisiens qui feront la force de Port-Royal. On reconnaît en lui, à son
insu, les germes du drame qui atteindra son plus haut degré d'intensité
dans la famille Arnauld. Race grave, dédaignant la vulgarité du rire et
l'humour, et dont le terrible orgueil de caste est à la fois tourmenté et
soutenu par la hantise de ses responsabilités devant Dieu. Chez ces
hommes coexistent un idéal tout romain d'aristocratie sénatoriale, et un
idéal biblique, quasi prophétique, d'aristocratie sacerdotale. Leur drame
est de parvenir à la pleine conscience d'eux-mêmes, de leur tradition, de
leurs certitudes, à l'époque où la royauté restaurée, qui fut à tant d'égards
leur œuvre, cherche et trouve peu à peu son assiette non point autour
de la foi des «premiers siècles» et de saint Bernard, dont Parlement
et Eglise gallicane auraient diffusé les sévères charismes, mais autour
de la Raison d'Etat de Richelieu, des agréments de la société de Cour,
et de la religion accommodante des Pères jésuites.
Peiresc exerce auprès de lui des fonctions 20ti qui ne sont pas sans
analogie avec celles que Boisrobert et Chapelain occuperont dans
l'entourage de Richelieu devenu «principal Ministre ». Mais Boisrobert
et Chapelain exerceront le mécénat cardinalice en faveur des c gens de
lettres:& qui ont l'oreiIle des gens de Cour. Peiresc, au nom de Du Vair,
met le crédit et les ressources officielles du Garde des Sceaux au service
des érudits, savants et voyageurs qui travaiIlent à l'accroissement des
c bonnes lettres », au sens de l'encyclopédie humaniste.
Avec la mort de Du Vair et le retour de Peiresc à Aix, c'est le XVI"
siècle des doctes chrétiens qui s'achève. Trois ans après la mort de
Du Vair en 1624, Richelieu entre au Conseil. Avec quel dédain il juge
dans ses Mémoires l'incapacité politique du stoïcisme chrétien des magis-
trats érudits:
[De Thou:] Sçavoir est tout autre chose qu'agir, et la science spécu-
lative du gouvernement a besoin de qualités d'esprit qui ne l'accompa-
gnent pas toujours. M. de Villeroy sans science (s'y trouva) aussi propre
que [De Thou] inhabile, avec toute son étude 206.
[Du Vair:] Son austérité qui, accompagnée de la science du droit, le
faisait estimer en sa première charge (du Parlement d'Aix), accompagnée
d'ignorance et d'inexpérience ès-affaires de l'Etat, le fit mépriser et le
rendit insupportable en celle de [Garde des Sceaux] 207.
L'axe du monde a basculè. En 1627, dans son Advis pour former une
Bibliothèque, Naudé remarque que l'intérêt des « sçavans:& s'est déplacé
désormais vers « la Morale et la Politique », c'est-à-dire les deux sciences
du bon gouvernement d'une société civile. Et comme la société civile
française ne peut trouver sa forme que dans la monarchie qui a permis
son développement, c'est celle-ci désormais, faute d'accord sur la meil-
leure société religieuse, qui s'impose comme le point de ralliement autour
duquel un ordre vivable reste possible. Le temps des prophètes, des moines
ligueurs, des Juges-prêtres et des Juges-sénateurs cède la place au temps
des politiques et des moralistes, qui est aussi celui des Belles-Lettres. La
Cour, creuset et organe moteur de la société civile monarchique, donne
désormais le ton avec ses artistes, ses musiciens, ses gens de lettres.
Richelieu, disciple sur ce point de Du Perron, a bien compris que le
temps des «dialectes », provinciaux et sociaux, gasconnades et «stile
de Parlement », a pris fin.
Dialectes, disait en effet Du Perron, sont en usage ès-Etats Populaires
et Aristocratiques, et l'on s'y doit accommoder; mais aux Etats monar-
chiques, il faut s'étudier à parler le seul langage de Cour, en laquelle se
...
De la fin des guerres civiles au seuil de l'engagement français dans
la guerre de Trente Ans, jamais peut-être le malentendu n'a été si grand
entre le monde de la Robe, foyer d'un extraordinaire renouveau de piété,
et héritier d'une solide tradition d'humanisme érudit, et le monde de la
noblesse de Cour, revenu aux tentations féodales à la faveur de la crise
dynastique. A la distance morale entre les deux élites laïques du
royaume, élargie encore par un «Siècle des Saints» où la noblesse
d'épée entrera tardivement et souvent sans conviction, s'ajoute une diffé-
rence de culture: les genres de Cour, poésie galante, roman, lettres
doucereuses, conversation élégante et piquante, sont étrangers aux genres
humanistes de la Robe, qu'il s'agisse de leur éloquence professionnelle,
de leurs Belles~Lettres néo-latines, ou de leurs traités érudits. Cette
différence, qui est une constante de la culture française d'Ancien Régime,
n'a jamais été aussi profonde que sous Henri IV et Louis XIII. Avec la
« crise de la noblesse d'épée» qui succède aux guerres civiles, se con-
jugue une crise de la culture de Cour, qui se cherche après un changement
de dynastie.
Sous les derniers Valois, et avant les grands désordres de la fin du
siècle, un humanisme de Cour avait tenté, souvent avec succès, de lancer
des ponts entre la haute noblesse évoluant autour du Roi et l'élite de la
Robe savante. De grands seigneurs et de grandes dames avaient pu
faire fête à Ronsard, et suivre les travaux de l'Académie de Baïf et de
celle de Pibrac. Ces ponts sont rompus par la longue crise dynastique
et par l'entourage d'un Roi soldat et provincial tel qu'Henri IV. De la
cour de Nérac, les Gascons avaient rapporté à Paris le goût à la fois
précieux et courtois de rhétoriqueurs tardifs, dont les ouvrages de
François des Rues, nombreux et souvent réédités, attestent la présence
et l'influence 209. A ces recueils de « Marguerites» provinciales, viennent
se surimposer les modes venues d'Italie, et appelées par Marie de Médicis
210 Voir l'édition de Du Bartas citée note 81, Il' partie, et l'éd. de Vige-
nère citée, ibid., note 69.
211 Sur la Cour de France au début du règne de Louis XIII, voir Les Satyres
d'Euphormion de Lusine, contenans la censure des actions de la plus grande
partie des hommes de John Barclay, trad. I.I.P.A.E.P., Paris, 1625 (autre trad.
par M' Naud, Advocat au Parlement, P. 1626) et une éblouissante lettre de
Marino, dans Epistolario, Bari, Laterza, 1911, lettre CXXV, p. 196-201.
212 Scaligerana, éd. cit., 1666, p. 153-154. Voir aussi, ibid., p. 155. Voir
aussi dans les Remarques ... , éd. cit., 1740, Perroniana, p. 279: «Le Roi defunt
n'entendait rien ni en Musique, ni en la Poésie et par cela de son temps, il n'y
eut personne qui y excellât. Ceux qui y sont, sont des restes du regne de
Charles IX et Henri III », et Pithoeana, p. 522: «Le Roi n'étudiera jamais. »
213 Voir Flurance-Rivault (David de), Le dessein d'une Académie et l'in-
troduction d'icelle en la Cour, Paris, Le Court, 1612, in-8°. Plan d'une sorte
de Collège pour adultes, formant la noblesse de Cour à l'éloquence: premier
effort, après la mort d'Henri IV, pour renouer avec la tradition interrompue
des Académies des Valois.
LA COUR EN PROIE AUX c DIALECTES lJ 523
Jacques I~r. Un Flurance-Rivault rêve en vain de créer à la Cour une
Académie propre à dégrossir les gentilshommes 218. Pourtant, dans ce
divorce entre « sçavans » et « ignorans », dans cette confusion des « dia-
lectes» et des styles qui fait apparaître rétrospectivement la Cour
d'Henri III, «italianizée" pourtant selon Henri Estienne, comme u;]
Age d'or, des signes qu'une tradition survit, qu'une évolution reste
possible, se laissent détecter. Estienne Pasquier, avant de mourir, avait
su reconnaître dans l'Aslrée une admirable fusion de philosophie huma-
niste et de «douceur" cicéronienne, au sens de Castiglione, propre à
lancer un pont entre «sçavans" et «ignorans », et à répandre à la
Cour le goût de l'Eloquenlia. Minoritaires sans doute, mais respectés,
le Cardinal du Perron et ses amis lettrés avaient maintenu la tradition
de l'Académie du Palais jusqu'à la mort de l'ami d'Henri III, en 1618.
Le mépris que le Cardinal nourrit pour Du Bartas, pour les prédicateurs
et les écrivains à la mode, sa doctrine très cicéronienne du «meilleur
style» en français, forment le goût d'un Coëffeteau, d'un Renouard,
s'allient avec l'influence d'un Bertaut et d'un Malherbe. Du côté des
« sçavans », un Nicolas Bourbon, que Du Perron fait nommer professeur
au Collège Royal, incarne la tradition du cicéronianisme des professeurs
royaux, et va former le goût du jeune Balzac. Et surtout, dans la
République des Lettres gallicanes, le prestige du philologue Joseph-Juste
Scaliger est alors à son zénith. Or l'horreur que le fils de l'auteur des
Poetices libri seplem et des admirables Epislolae cicéroniennes rééditées
en 1600, éprouve pour les Jésuites, leur style corrompu, leur «folie ",
n'a d'égale que son admiration intransigeante pour Cicéron, «le plu:>
bel autheur latin que nous ayons» 214, et pour Virgile, qu'il tient comme
son père pour incomparable. On ne saurait exagérer le poids de l'autorité
des deux Scaliger pour rallier les «sçavans" gallicans à Cicéron, en
dépit des préjugés contre l'Arpinate qui subsistent du XVIe siècle.
Selon des voies parallèles, et qui pour l'instant ne songent à rien
moins qu'à se recouper, une forme française du cicéronianisme de Cour,
et une forme française du cicéronianisme docte survivent à Paris en plein
triomphe des variétés jésuites et gasconnes. Elles ont en commun, l'une
en français, l'autre en latin, une exigence de « romanité» française, vic-
torieuse de la Babel des dialectes et des styles. Elles se distinguent encore
par des traits apparemment inconciliables: la tradition que maintient
Du Perron, liée à «l'air de Cour» des Académies des Valois, a pour
référence l'Italie la plus raffinée, celle de Bembo, de Castiglione, de Della
Casa, de Caro; la tradition qu'incarne Scaliger, liée à la plus érudite
philologie humaniste, a pour référence l'Antiquité, et plus précisément
son Age d'or, celui de Cicéron et de Virgile. Mais la diplomatie inhérente
au génie cicéronien peut aider à leur jonction, ne serait-ce que contre des
ennemis communs. Du Perron disait en effet:
Je puis juger des Stiles, parce que j'ai employé 25 ans entiers à
feuilleter tous les bons Autheurs latins, grecs et italiens, j'ai été quinze
214 Scaligerana, éd. cit., p. 72. Voir également ibid., p. 362, un vibrant éloge
de Virgile.
524 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS
•••
En 1620, les frères Dupuy, héritiers de la "papauté» gallicane du
Président ].-A. de Thou, recevaient de Toulouse un appel alarmé qui
rejoignait sans doute leurs inquiétudes. Le conseiller jacques de Maussac
adressait aux Adelphes une réédition des Lettres et des Discours contre
Erasme de jules-César Scaliger 216.
La dédicace aux frères Dupuy affirme que l'heure est venue de
redoubler d'hommages à "notre héros jules-César Scaliger », et de
mettre en circulation le trésor d'éloquence et de pureté latine (pretiosam
eloquentiae et purae latinitatis suppelectilem) qu'il laissa en héritage à
la République des Lettres. C'est d'après des manuscrits fournis par les
Dupuy, à qui l'éditeur est étroitement lié (sanctam quae inter nos intei-
cedit amicitiam) que cette nouvelle édition a pu être établie. Elle ne vise
nullement à rallumer le vieux conflit, interne à la République des Lettres,
entre Scaliger et Erasme, ni à blesser les érasmiens. Avant même la
mort d'Erasme, Scaliger avait reconnu ses torts envers le grand érudit
flamand 217. Remettre en lumière le trésor scaligérien, c'est défendre une
cause qui est celle de tous les savants (causa nostra), avec les intentions
les plus innocentes et les plus pures (animi nostri candorem et sincerita-
tem). Il ne s'agit pas de renier le Ciceronianus, mais de défendre la cause
de la pureté latine et d'en proposer l'exemple aux 'jeunes gens; "pour
qu'ils ne s'écartent pas d'un pouce des écrits de Cicéron », il faut aussi
•••
jacques de Maussac 219 n'appartient pas seulement, par sa charge
de Conseiller et sa tradition familiale, au Parlement de Toulouse dont
j.J. Scaliger célébrait la «liberté» et l'intransigeance vis à vis des
jésuites, en le comparant à celui de Paris, qu'il qualifiait de «putain
prostituée» 22Q. C'est un savant d'envergure, dont le Colomiesana nous
apprend qu'il frayait d'égal à égal, quand il venait à Paris, avec les
:.
Cette foi gallicane dans la convergence entre philologie classique
d'une part et réforme de la piété et des mœurs chrétiennes de l'autre se
retrouve chez les professeurs calvinistes de Leyde. Entre l'humanisme
•
••
Sans être aussi pénétrante, la dédicace de J. de Maussac à Du Vair
en 1621 pose les prémisses d'une véritable stratégie philosophique de
la République des Lettres gallicanes vis-à-vis du défi que lui lancent la
Cour, ses sophistes et ses Machiavels. Dans cette stratégie, l'esprit
d'Erasme est invoqué, au même titre que les leçons de Jules-César
Scaliger, le théoricien d'une esthétique classique, à la fois aristotélicienne,
cicéronienne et vi rgilienne.
Maussac pose d'abord quelques grands principes. L'éloquence est
tout ensemble ratio et oratio, mens et sermo. L'un et l'autre ont leur
éminente dignité, qui résume celle de l'homme, image de Dieu. L'art
232 D. Heinsius, ouvr. cit., non paginé: Atque ita miro instituto simul odium
ejusdem rei et .icientiam professus est.
233 Ibid. Le passage où se trouve le beau portrait du magnanime Alexandre
commence par: Quippe Alexander, manu promptus... simillimus AchUli...
530 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS
234 Sur le duel pendant le règne de Louis XIII, les Mémoires de Riche-
lieu fournissent une foule de matériaux. On attend sur la sociologie de ce fléau
(d'origine semble-t-il italienne) une thèse de M. Billacois. Voir plus loin,
Edmond Richer faisant du fléau du duel un argument pour convertir ses
lecteurs gallicans à l'éloquence cicéronienne, propre à calmer les esprits des
« ignorans ~ et des «demi-sçavans ~ de l'Epée.
235 Ce contraste dépeint assez bien la situation à l'époque: la République
des Lettres œuvre dans son empyrée savant, et la Cour de France fait fête
à Marino, dans le meilleur des cas, et dans le pire à des divertissements de
type «variétés:t. Entre l'aristocratie savante et la noblesse de Cour, les
« ponts» sont coupés, ou peu s'en faut. L'éloquence, qui pour Maussac doit
être médiatrice entre la science et le monde ignorant, ne remplit pas son rôle,
O~I est la proie des sophistes. Elle est «corrompue ».
JACQUES DE MAUSSAC 531
236 La praefatio n'est pas pagmee. Voici le passage qui concerne les
Jésuites: Nequiores adhuc isti, qui cum postremi bipedum sint, barbarorum
emissarii, et &v't.À~.~cx sive medul/a peda[{ogiae, arrogant tamen sibi prin-
cipatum in omni scientiarum genere, et praeCipue se mortalium e/oquentissimos
praedicant, nul/umque patiuntur qui multa eos i!:norare doceat: magni certe
ardeliones, operum suorum admiratores summi, a/œnorum vero frigidissimi /au-
datores, homines injuriarum vindicfaeque amantissimi et qui nihi/ inausum sce-
/erisve dolive relinquunt, ut quos eos maligna rabies fert, qua jure qua injuria
perveniant: qui denique /audato pavone superbiores, Turcarum more, copia
simiarum et multitudine sperant se tyrannidem non litterarum modo, sed totius
orbis invasuros. En peu de mots, tous les griefs de la République des Lettres
gallicane contre les Jésuites sont là.
237 Ibid. Docere etiam alios aggrediuntur, et nunquam didicerunt.
238 Maussac trace une véritable histoire de l'imitatio adulta: Erasme en
est involontairement responsable, pour avoir attaqué, quoique dans de bonnes
intentions, la norma cicéronienne; puis est venu un mauvais maître (Estienne ?),
le premier qui n'a plus fixé nulle borne à la licence d'imiter; puis est venu
Lipse (tam parcus verborum, adeoque fame/icas induxit periodos ut diction es
omnes si potuisset, decurtasset).
239 Des deux sources de l'imitatio adulta sont descendus les deux courants
du maniérisme (asianisme italien, atticisme flandro-espagnol) qui ont inondé
les Cours (inter tot illustres aulicos) et trouvé chez les Jésuites un accueil
empressé. Maussac signale les vices propres aux deux courants, qui ont en
commun une doctrine perverse de l'imitatio (liberas habenas, appetentia novi-
tatis, refus de la norma, de la regu/a) : pour l'asianisme, l'inspiration hédoniste
(epicun) voire obscène (scurrilitas), l'ostentation (sui ipsius amor, pavonis
superbia), le goût des «peintures» et de la «variété» (varietas narrationum),
de l'inflation des figures (ampul/atis et sesquipedalibus verbis); pour l'atti-
cisme maniéré, le laconisme à la Lipse, et sa transposition chez les disciples
de Malherbe (aucupes syl/abarum et va ca bu/arum). Les deux tendances se
réunissent puisque le choix des mots «hypercritique» n'a pour but que la
« douceur» et le «plaisir» (ut malliares et hi/ariares sint), et habille des
romans d'amour (fabel/ae), des poèmes mélancoliques (naeniae). Mais c'est
le propre des «bouffons» de Cour (morion es au/icas). Les prédicateurs qui
donnent dans les vices du temps n'ont aucune douceur d'élocution (pu/pita
vocis asperitate frangunt).
532 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS
••*
A travers ses allusions vengeresses, qui vise l'ami des Dupuy?
Il est probable que cet érudit, méfiant envers tout «ornement» et toute
« délectation» en prose et poésie vulgaires, confond le bon grain et
l'ivraie, les premiers signes, après la mort de Du Perron et à l'exemple
de Malherbe d'un cicéronianisme de Cour, et les derniers éclats de la
sophistique des « marguerites» et des « peintures ». Sa haine des Jésuites
ne lui permet peut-être pas non plus de distinguer entre l'influence des
rhéteurs de la Société, et celle d'un savant comme le P. Denis Petau.
Il semble bien associer dans sa vindicte les Jésuites et Malherbe, l'atti-
240 Quisque pro libidine hac et il/ac incedit, et normam sibi praecipit elo-
quendi ; et nullibi altiores radices egerunt vitia mortalium quam in hoc agro,
/. .. / ... Semper propria cupimus nos vensere laude ; imo et Narcissi facti sumus,
opera nostra tanguam specula et fontes consulentes, atque ita sensim imma-
nibus vanae glo"ae vorticibus submergimur ... Opinione denique vivimur, 1... /
religio ipsa opinione formatur 1.. ./, etiam in sapientia.
241 Ariadnem vero solam, id est Ciceronem, tum demum explicaturam laby-
rinthum, aut daturam fila quibus ad optatum finem perducantur.
JACQUES DE MAUSSAC 533
cisme éplucheur de syllabes de celui-ci 242, la théâtralité oratoire des
autres. Tous les aspects des Belles-Lettres ayant la faveur de la Cour
lui sont odieux. Les auteurs de romans (/abellas) sont assimilés, par
leur style, aux prédicateurs de Cour. Il n'est pas sOr que Maussac ne
confonde pas dans sa vindicte le cas de Malherbe et celui de Théophile,
que désignent peut-être les allusions aux fornicateurs qui offensent
l'Eloquentia, cette" Vierge », cette mère « très chaste» des arts. Magis-
trat au Parlement de Toulouse, Maussac ètait bien placé pour connaître
le milieu littéraire entourant le duc de Montmorency., Il avait da siéger
au procès de Vanini en 1619 243 • Autre signe de la « corruption» générale
de l'éloquence à la Cour: depuis 1615, Marino y faisait figure de poète
lauréat.
Or par Molière d'Essertines, par M. de Vaux, gentilhomme de la
maison de Cramail 2H , l'entourage du duc est en relations avec l'Académie
de l'abbé de Marolles, qui nous entretient de cette assemblée lettrée
dans ses Mémoires, 'à la date de 1619 2415 • Et c'est là que le malentendu
s'épaissit, car si les jeunes gens groupés autour de Marolles sont visés,
•••
L'année suivante, en 1621, un conseiller au Parlement de Normandie,
J. Dupré, vient à la rescousse de Maussac et publie un ouvrage intitulé
Pour Du Vair:
Le miel est en sa bouche, et le Droit en sa main.
Ne nous fions pas trop à cette belle symétrie: il s'agit d'une « Remons-
trance» de magistrat à la gloire du Verbe du Palais, et à la honte de la
sophistique de Cour. Reprenant un lieu commun illustré par Montaigne,
Du Perron et Du Vair, le conseiller Dupré se plaint de l'ignorance de
la noblesse d'épée et de son éloignement pour la véritable éloquence
nourrie de sagesse et de science.. Il n'en est que plus à l'aise pour
exalter le privilège de ses collègues, héritiers légitimes de l'éloquence
philosophique des Anciens et des Pères. Le Longueville du frontispice
n'est qu'une « fausse fenêtre », un faire valoir de la magistrature, incar-
née par Du Vair.
Dès les premières lignes du Pourtraict une franchise peu amène
ne s'embarrasse d'aucune capiatio benevolentiae :
La difference que la parolle simple met entre l'homme et la. brute,
la diction eloquente l'establit entre celuy que s'en ayde et celuy qui ne
s'en peut servir [... ] Encore y auroit-i1 plus à dire de l'ignorant à l'éloquent,
que de la brute à l'idiot... Car de Dieu à l'homme tout s'y trouve telle-
ment inesgal [... ] que qui peut se conformer à luy par un langage disert
(qui est le premier attribut que luy donne Homere), il fait un plus grand
saut que ne feroit la brute prenant la parolle de l'homme 253.
256 Ibid., p. 17. Le thème est déjà chez Du Vair. Contrairement à Du Vair,
Dupré observe que «l'Eloquence» en France était plus cultivée autrefois
(p. 20).
257 Ibid., p. 11. Ce thème est nouveau, du moins par rapport au traité De
l'Eloquence française.
258 Ibid., p. 12. Dupré se plaint que les jeunes, «usez dans les bordeaux »,
n'apportent que des «reliques au Palais ». Il y a d'étonnantes rencontres avec
J. de Maussac: même expression pour désigner l'Eloquence: «jeune Vierge»
(p. 12), même admiration pour l'ingenium (<< beaux esprits») si fréquent en
france, mais perverti et stérilisé par les mauvais maîtres (p. 10).
259 Ibid., p. 26.
J. DUPRÉ DE LA PORTE 539
le mal, le vray de l'apparent, l'estre du néant, et le public du privé, qui
est le seul but où vise la sagesse 260.
Eloquence de vérité 262, guidée par la prudence 263, la probité 264, qui
est en mesure de vaincre la «peur» 265 et d'éviter l'effronterie 266. Ce
thème de la « peur» donne la mesure de la « terreur sacrée» qu'inspirait
aux avocats, inexpérimentés ou émotifs, le spectacle formidable de la
Cour en robe rouge. Le conseiller Dupré analyse avec précision les
troubles, l'égarement même qu'une telle peur (semblable au «trac» du
comédien) suscite chez l'avocat 267. II s'efforce de rassurer celui-ci, pas
assez cependant pour l'encourager à l'autre extrême, l'effronterie du
sophiste.
l'apparence, avec sa grande barbe blanche, son visage pâle, sa façon grave. »
(Cité à l'art. L'Hospital du Dict. des Lettres fr., XVIe siècle.) Et voici le beau
portrait de Achille de Harlay par Richelieu: «II était si grave, que par son
seul regard il maintenait chacun en son devoir [ ... ] ; et dès qu'en une visite de
civilité on lui parlait d'une affaire, il reprenait son visage austere et ne retour-
nait plus à parler familierement.» Pendant la Ligue «il s'en alla dans la
prison avec la même gravité avec laquelle il avait accoutumé d'aller au par-
lement, portant les menaces sur le front, et une courageuse fierté en la tris-
tesse de son visage, qui le rendait immobile contre le mépris et les injures
de ces mutins» (Mémoires, éd. cit., l, p. 136). L'admiration de Richelieu est
sans réserve. C'est en Harlay et non dans les féodaux, qu'il trouve le suprême
modèle de l'héroïsme. Il ne pensait pas, comme tant de commentateurs mo-
dernes, que «l'idéologie» du héros fût d'essence «féodale ».
288 Pourtraict, p. 48.
269 Ibid., p. 54.
270 Ibid., p. 58.
271 Ibid., p. 61.
272 Ibid., p. 69. Sur le problème des «lieux communs» au XVIe et au
XVIIe siècles, voir outre R. Radouant, éd. cit. de L'Eloquence françoise, p. 169-
181, le numéro spécial d'Etudes Françaises, avril 1977, en particulier l'étude
de Bernard Beugnot, «Florilèges et Polyantheae: diffusion et statut du lieu
commun à l'époque classique », p. 119-141.
273 Ibid., p. 71.
274 Ibid., p. 78.
J. DUPRÉ DE LA PORTE 541
Il admet en effet que l'on ne peut « des raciner le vice des âmes [ ... ]
pour y planter la vertu », sinon «à coups de co ignée », c'est-à-dire
« en criant et tempestant ». Il leur voit même pour modèle Jésus-Christ,
qui ne ressuscite le Lazare, figure du pecheur end urcy, qu'en l'appe-
lant tout haut.
275Ibid., p. 79.
278Ibid., p. 95.
277Ibid., p. 97-99.
278Ibid., p. 104.
279 Ibid., p. 105.
280 Ibid., p. 106.
281 Allusion à la mode de s'exprimer selon le style de François Des Rues,
auteur des «Marguerites françoises lI. Voir note 209. Rapprocher les formules
de Dupré de celles de Mlle de Gournay (L'Ombre ... , Paris, Libert, 1626, p. 582-
583) : «Les Courtisans de l'aygrette et de la moustache relevée» ; «Les jolis
et les poupées de Cour,..
542 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS
aux Maistres et à ceux qui dès leur jeune âge se sont nourris de la moelle
des lyons, j'entends qui ont tiré la substance de toutes bonnes sciences 282.
•
••
Privé des solides points d'appui érudits d'un Jacques de Maussac,
le conseiller Dupré erre à l'aveuglette entre un «style de Parlement»
soumis aux railleries des gens de Cour, et un « langage de Cour l'> soumis
aux soupçons des dévots et des doctes. Le même désarroi se trahit
dans l'étonnant recueil que publie en 1624 Puget de la Serre sous le
284 Le Bouquet des plus belles fleurs de l'Eloquence cueilly dans les Jardins
des Sieurs Du Perron, Du Vair, D'Urphé, Daudiguier, de Rousset, Coëffeteau,
Bertaud, Malherbe, La Brosse, La Serre, Paris, Billaine, 1624. Frontispice de
Crispin de Pas. La Serre avait alors vingt-quatre ans.
544 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS
286 Sur le cercle Dupuy, voir R. Pintard, Libertinage érudit ... , ouvr. cit.,
p. 92-95 et 272-295. Indications dans 1. Uri, Un cercle savant au XVII' siècle,
François Guyet, 1575-1665, Paris, Hachette, 1886 et Harcourt Brown, Scientific
organization in seventeenth century France (1620-1680), Baltimore, Williams
and Wilkins, 1934, ch. l, «Peiresc and the Cabinet of the brothers Dupuy».
La piété de Peiresc et Dupuy envers la mémoire et la politique du chancelier
de L'Hospital n'a d'égale que leur hostilité à la publication en France du
concile de Trente. Pour s'opposer à cette publication, Peiresc demande aux
Dupuy de lui envoyer des «mémoires» manuscrits de L'Hospital, Pibrac,
Bourdin, La Guesle (t. 1 des Letires de Peiresc aux Dupuy, p. 166 et 175).
Il approuve entièrement la doctrine des magistrats ~alIicans du xv,' siècle vis-
à-vis du Concile (ibid., p. 206). Il regrette que la memoire du grand chancelier
ne soit pas mieux honorée (ibid., p. 245 et t. II, p. 445, 451, 684). Jacques Dupuy
ne cache pas son hostilité à Michel de Marillac, et à la «cabale des zélés et
des moines» (t. l, p. 797-798).
546 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS
287 Les goûts littéraires de Peiresc et des Dupuy vont avant tout à J'His-
toire (Guerre des Flandres et Mémoires de Bentivoglio) mais surtout sur le
mode du document d'archives; à la lettre de caractère politique, diplomatique
(Lettres du cardinal d'Ossat, qualifiées de «tres belles », t. l, p. 628), ou litté-
raire, mais de tradition gallicane (lettres de Charron, t. II, p. 632, lettres de
Malherbe ...); les véritables événements de l'histoire littéraire française, à
leurs yeux, sont les Remonstrances des hauts magistrats (Cardin Le Bret, t. l,
p. 198, Jérôme Bignon, t. l, p. 845, Ranchin, Faye d'Espeisses), les plaidoyers
d'Antoine Arnauld (t. l, p. 270). Peu ou pas de traces, pas plus que dans les
lettres d'information politique envoyées par Malherbe à Peiresc, de la littéra-
ture pour «ignorans '». Sur le soin avec lequel Peiresc et les Dupuy veillent
sur l'édition Cramoisy 1625 des Œuvres de Du Vair, voir Lettres, t. l, p. 24-25.
288 Lettres aux frères Dupuy, t. l, p. 845.
289 Ibid., p. 669, 708 (Peiresc félicite 1. Dupuy de fournir à ]. Goulu des
« instructions» dans son combat contre Balzac) et 867 (J. Dupuy se réjouit
d'avoir reçu les Lettres de Phyl/arque qui rivent leur clou à Balzac et à son
style « isocratique :».
290 Lettres de Phyl/arque à Ariste où il est traité de la vraye et de la
bonne Eloquence contre la fausse et la mauvaise du sieur de Balsac, Paris,
1627 (nous citons d'après la 3' éd. 1628). L'influence de J. Dupuy, et la fidélité
de Goulu à ses origines sont sensibles dès ce volume: voir p. 274, l'offense
faite par la vanité du sophiste Balzac à « tous les grands hommes de nostre
siecle, les Pybracs, les Mangots, les Despaisses, les Marions, les Du Perrons,
les Des Portes et tout autant qu'il y a eu d'illustres personnages qui ont
employé leurs faveurs et leurs travaux à l'ornement et à l'enrichissement de
nostre langue. Il a injurié M. Du Vair, qui par son eloquence et par l'integrité
de ses mœurs, « aussi severes que ceus de ces Senateurs de l'ancienne Repu-
blique romaine:> est devenu Garde des Sceaux. (Sur la Querelle Balzac-Goulu,
JACQUES DUPUY ET DOM GOULU CONTRE BALZAC 547
Lui-même d'ailleurs, fier d'écrire « clair, rond et naïf :., fait étalage
de sa négligence peu diligente en matière de prose française:
Les prétentions de Dom Goulu, dans ses deux recueils, sur ce point
fort persévérants, sont exactement du même ordre. L'avis au lecteur du
premier recueil affirme:
301 Lettres de Phyl/arque, éd. cit., p. JO. Voir dans la Seconde partie un
passage de critique d'art non moins curieux: «Le Cavalier Gioseppin tient de
la maniere de Michel-Ange, le Guide Bolonais de celle de Raphaël d'Urbino
Et celuy qui est le plus excellent peintre est celuy qui peut tenir de la maniere
de tous les bons maistres qui ont esté devant luy ... , comme si nous disons que
Freminet tient la force des muscles et des nerfs de Michel-Ange, la souplesse
et la mollesse des charneures de Raphaël, la vigueur et la beauté du coloris
d'un tel,. (p. 254). Ce n'est plus l'idéal de l'imitatio adulta éclectique et
maniériste. Car l'éclectisme se concentre sur deux modèles, l'un de vigueur,
l'autre de douceur, comme Du Vair se donnait pour seules idées à imiter la
Force de Démosthène (Michel-Ange ?) et la « charneure l> de Cicéron (Raphaël ?).
En somme les deux modes du sublime selon le PS. Longin, que Goulu cite
souvent (voir Seconde Partie, p. 244, 251, et Première Partie, p. 233).
550 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS
•
••
Le 12 avril 1627, Jacques Dupuy termine en ces termes l'une de ses
lettres à Peiresc :
M. Bignon a fait ce jourdhuy la harangue d'ouverture du Parlement,
où il a fait merveilles, et a esté ouy avec un applaudissement universel.
Le sujet de M. Bignon étoit sur la parole 308.
•••
Avant de lire cette «Remonstrance l>, il n'est pas inutile que nous
nous arrêtions sur la personne de l'orateur 300 en qui se réincarnait
aux yeux de tous, et tout particulièrement de Peiresc et des Dupuy, le
type du grand magistrat érudit et gallican, illustré avant lui par Michel
de L'Hospital et Guy Du Faur, Guillaume Du Vair et J.-A. de Thou.
L'élite de l'élite de la Robe parisienne, dans sa double appartenance à
la République des Lettres et au Parlement, pouvait espérer voir poindre
en Jérôme Bignon le Chancelier de France qui réaliserait l'idéal de
L'Hospital et de Du Vair, l'utopie d'un Royaume Très-Chrétien régénéré
par la vertu des «premiers siècles l>, éclairé par l'érudition gallicane.
Fils et petit-fils d'avocats au Parlement de Paris, Bignon tient de
son père la plus haute idée du Barreau: comme Arnauld le Père, comme
les frères Dupuy, comme Pierre Pithou, Roland Bignon avait mis son
point d'honneur à rester avocat. Non pas au sens de Cicéron, mais au
sens de Pibrac: celui d'auxiliaire de la Justice, grand par sa modestie
même, et par une profession qui ne s'achète pas, contrairement aux
offices de Grande Robe soumis à la vénalité des charges. Arnauld
d'Andilly nous affirme que cette dernière raison avait été le motif de
son père pour refuser des fonctions qu'il méritait mieux que tant d'autres
par ses capacités. Et dans le Dialogue des Advocafs de Loisel, la visite
à laquelle celui-ci nous convie d'un intérieur d'avocat parisien, celui
d'Etienne Pasquier, nous révèle en effet des mœurs simples et frugales,
qui évoquent aussi bien la Rome de Caton le Censeur, que celle des
premiers chrétiens, mais qui surtout perpétuent une tradition de «pru-
dhomie l> médiévale. Elite d'une profession, qui échappe, avec une élite
de magistrats, aux faiblesses des robins vulgaires ..
Dédaignant l'enseignement universitaire, et à plus forte raison celui
des Jésuites, Roland Bignon, comme plus tard Etienne Pascal, prit soin
309 Sur Jérôme Bignon, voir la Vie de Jérôme Bignon, Avocat Général et
Conseiller d'Etat par l'Abbé Pérau, Paris, Hérissant, 1757, R. Kerviler, «Les
Bignon, Grands maîtres de la Bibliothèque du Roi,., dans Bibliophile fran-
çais, 1872, p. 275-283, mais aussi, par Claude Le Pelletier, Mémoire sur la vie
de J. Bignon, B.N. Ms. Fr. 1361, fa. 168-194 et 203-218. La collection Dupuy
contient de nombreuses pièces de Bignon ou relatives à Bignon.
J~ROME BIGNON 553
810 Voir Jugemens des Sçavans, Amsterdam, 1725, t. V, Des enfans devenus
celebres par leurs études et par leurs ecrits, à M. Lamoignon.
311 Discours funèbre ... , Paris, Heuqueville, 1612, dédicace non paginée à
j.A. de Thou.
312 Ibid., p. 34.
313 Rappelons que le traité De l'Eloquence française était dédié à Nicolas
Le Fèvre, et que cet intérêt pour saint Augustin a dû croître entre 1595 et
1612 en même temps chez les deux amis, Du Vair et Le Fèvre.
554 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS
3H Sur saint Bernard. ultimus Patrum. que nous retrouverons vénéré par
Saint-Cyran, rappelons ce qu'en dit Fénelon dans sa Lettre à l'Académie. IV :
«Saint Bernard a été un prodige dans un siècle barbare.» A tous égards.
la Lettre à l'Académie résume les conclusions de deux siècles de querelles fran-
çaises· autour de la rhétorique. On sait le sort qu'y fait Fénelon au De doc-
trina christiana de saint Augustin. Sur la «rhétorique» chrétienne de saint
Bernard, voir Christine Mohrmann. Etudes sur le latin des chrétiens, t. Il. Latin
chrétien et médiéval. Rome. 1961. p. 347-367. «Le style de saint Bernard:t.
Cet intérêt de l'humanisme français pour saint Bernard et la Renaissance du
XII' siècle mériterait une étude en soi. dans le prolongement des travaux de
Franco Simone. Egger. dans son Hellénisme en France, ouvr. cit.. p. 25, note 2.
met en rapport, avec une profonde justesse. la Renaissance du XII' siècle, pré-
scolastique, et la Renaissance du XVI' et du XVII' siècles, post-scolastique. Il
note l'analogie entre l'idéal d'éloquence chrétienne de saint Bernard et celIe
de nos humanistes, et renvoie aux travaux de son temps sur le cistercien (E.
Geruzez, 1836. et E. Blampignon. De l'esprit des sermons de saint Bernard.
Paris. 1858).
31fi Discours funèbre ...• ouvr. cit., p. 110.
316 De Thou. Préface ... sur la première partie de son histoire (trad. Hotman
de Villiers), Paris. Pierre Le Bret. 1604, p. 2-4.
317 Sur Frédéric Morel le Jeune. voir J. Dumoulin, Vie et œuvre de Frédéric 1
Morel, Paris, Dumoulin, 1901, p. 60 et 74-94, Philippe Renouard. Documents
sur les imprimeurs, libraires, ayant exercé à Paris de 1450 à 1600, p. 197-199.
JÉROME BIGNON, GALLICAN 555
gallicanisme parlementaire, pour ranimer « l'Eglise des premiers siècles ».
Comme son père, et comme son fils, Frédéric Il Morel fut un infatigable
éditeur, sur ses propres presses, des Pères de l'Eglise grecque, qui sont
aussi les Pères de l'éloquence chrétienne, Clément et Cyrille d'Alexandrie,
Grégoire de Nysse et Grégoire de Nazianze. Et c'est sans doute au
titre d'éditeur de Jean Chrysostome que le jésuite Fronton du Duc put
pénétrer dans un milieu à première vue fort hostile à son Institut. Dès
les premières années du XVIIe siècle, prolongeant un mouvement amorcé
au XVIe siècle, le catholicisme gallican, fidèle à la tradition philhellène
de l'humanisme français, se tourne vers les Pères grecs. La Renaissance
du stoïcisme dont Léontine Zanta s'est faite l'historienne, est contempo-
raine de la Renaissance du néo-platonisme chrétien 31S. L'itinéraire
oratoire de Du Vair, du traité De l'Eloquence dont l'assise philosophique
est le stoïcisme du traité De la Constance, aux grandes Remonstrances
d'inspiration néo-platonicienne, évolue de la première à la seconde,
ouvrant la voie aux Grandeurs de Jésus et aux Elévations de Béru Ile.
Jérôme Bignon, par sa culture érudite, par ses amitiés, est au cœur
de cette oscillation gaIlicane. CeIle-ci n'a pas seulement des conséquences
oratoires, car stoïcisme et néo-platonisme soutiennent le goût sévère
de l'humanisme érudit français, son aversion pour une rhétorique de
la flatterie et de la délectation courtisanes. Elle a aussi des conséquences
politiques: mue par des exigences morales et spirituelles analogues, une
frange de l'humanisme «politique» et gallican fait sa jonction avec
ceux des héritiers de la Ligue que leur défaite a convertis à une foi
plus intérieure, pénétrée de mystique néo-platonicienne. Contre la Raison
d'Etat de Richelieu, contre l'essor, pour l'ornement de l'Etat royal, d'une
société de Cour hédoniste et frivole, héritiers de la Ligue et héritiers
des «Politiques », unis par la même foi «réformée », se retrouveront
dans une même protestation chrétienne.
Remonter vers l'origine, à travers une ascèse érudite, n'est aux yeux
de Bignon qu'une préparation au retour vers la Cité, irriguée et fécondée
par un Logos puisé aux sources les plus pures. Un tel idéal visait en
fait au-delà du Barreau. Après un stage décent d'avocat, de 1609 à 1620
(occupé surtout par ses charges à la Cour, ses travaux érudits, son
voyage en Italie), il achète une charge d'Avocat Général au Grand
Conseil, puis en 1626, une charge d'Avocat Général au Parlement. A
trente-six ans, Louis XHI le nomma Conseiller d'Etat. Entre temps il
avait épousé une riche héritiére, Catherine Bachasson, avec laquelle il
fonda une des grandes dynasties de Robe du XVIIe et du XVIIIe siècles.
Rien ne donne une meilleure idée du persistant prestige de l'humanisme
érudit sous Henri IV et Louis XIII que cette belle carrière de Jérôme
Bignon. En dépit de leur génie oratoire, ni Antoine Arnauld le Pére,
le c Cicéron français ~, ni son fils Arnauld d'Andilly, n'obtinrent jamais
l'assiette sociale et la qualité de c gloire» conquises par Bignon grâce
à sa précoce réputation d'érudit, qui le lave à jamais de tout soupçon
de spéculer sur les c mots ~.
•••
Enfin, aprés avoir de si longue main construit son autorité sur la
solidité des «choses », l'enfant prodige devenu Avocat Général allait
comparaître dans la chaire la plus vénérable de France, et dans le genre
noble entre tous, la «Remonstrance d'ouverture» illustrée par Pibrac,
d'Espeisses, Mangot, Du Vair. Avait-il déjà rencontré Saint-Cyran? NOliS
avons une lettre de consolation que l'abbé lui adressa le 18 novembre
826 Pérau, ouvr. cit., p. 150. Cette description convient beaucoup mieux à
la magistrature d'un avocat général qu'au métier d'avocat. La rapprocher de
Du Vair, cit. ci-dessus, p. 506. Voir aussi Le Pelletier, fo 218.
(. LE DISCOURS DE LA PAROLE,. 559
1628 327 à l'occasion de la mort de son père. Quelle que fût la date de
cette relll;ontre, l'Avocat Général y était prêt, car l'esprit de la Remons-
trancc prononcée le 12 avril 1627 328 est tout à fait proche des conceptions
que Saint-Cyran exposera à Fontaine et à Le Maistre dix ans plus tard.
Menant à bonne fin la méditation que plusieurs générations d'Avocats
Généraux chrétiens et érudits avaient poursuivie avant lui, Bignon définit
le Logos du magistrat français dans des termes qui ressemblent étran-
gement à l'éloquence du sacerdoce selon Bérulle et Saint-Cyran.
N.ous avons vu, dernier en date, Guillaume Du Vair, à Aix, recourir
à la psychologie mystique du néo-platonisme et de saint Augustin pour
décrire l'acte de naissance de la Parole de Justice dans l'âme du magis-
trat. Jérôme Bignon, grâce à une érudition patristique plus profonde
que celle de l'auteur de la Constance, arrache d'une manière plus décisive
encore l'éloquence française à la sphère de la rhétorique païenne pour
la porter tout entière dans le domaine de la spiritualité chrétienne.
Dans son exorde, le grand magistrat commence par donner l'exemple
du bon usage de l'érudition. Celle-ci n'est pas un savoir pour le savoir,
ni un réservoir de citations: remontée vers les sources de vérité, elle est
un eXl'rcice spirituel de l'âme chrétienne. Il cite un poète grec, il évoque
la statue de Jupiter Olympien de Phidias et les temples de la Déesse
Persuasion en Attique, en Elide, à Corinthe, à Delphes: mais ce recours
à l'origine grecque et à la sagesse païenne n'est qu'une préparation. Les
idoles païennes expriment une première idée, confuse et tout extérieure,
de la véritable Parole. La splendeur visible de ces temples et de ces
œuvres d'art avait toutefois sa justification:
Ils vouloient signifier par là que puisque c'étoit par la bonté du sens,
et par l'excellence de la raison qu'ils surpassoient les barbares, c'estoit
aussi par là infailliblement qu'ils les avoient surmontés; de sorte que
cognoissant en cela consister leur prerogative par dessus les autres nations
de la terre, il estoit bien raisonnable d'en tesmoigner un tel ressentiment
en public, et de parer ce Temple de riches ornements que l'esprit de la
valeur et de l'adresse leur avoient acquis sur la multitude infinie et sur
la force brutale de leurs ennemis, qui eussent autrement opprimé la
liberté de la Grèce, et par là eussent estouffé les semence. des Lettres et
pour jamais abattu l'Eloquence.
Ce n'est donc pas de la raison humaine réduite à ses seules forces que
jaillit le Logos: venant de Dieu et retournant à Dieu par une circulation
et un échange ininterrompus, il doit trouver dans le cœur et la bouche
de l'homme des « sacrificateurs» qui ne fassent pas obstacle à sa rec-
titude.
Et s'étant élevé jusqu'à ce point, Bignon organise sa célébration de
la Parole autour de deux métaphores majeures: le Temple et la Lumière.
La lumière, principe de vie spirituelle dont la source est dans le soleil
divin, ne peut être diffusée dans le monde et irriguer la société des
hommes qu'à partir des temples, où sa pureté originelle est préservée
contre les faiblesses et les passions humaines.
Temple visible, le Parlement de Paris est à l'intérieur du corps
mystique du Royaume ce que le cœur purifié, temple invisible, est à
l'intérieur de l'orateur chrétien: la source de « la juste éloquence et de
la justice éloquente:.. Affirmation, ou plutôt réaffirmation solennelle de
la fonction centrale de la Justice et de l'aristocratie judiciaire dans
l'économie spirituelle du Royaume: mais moins imbu d'orgueil stoïcien
qu'un Jacques de la Guesle ou plus soucieux de resserrer les rangs de
tous les robins face à de nouveaux dangers, le grand magistrat refuse
LE PARLEMENT, CORPS MYSTIQUE 561
Nous n'avons rien de séparé d'avec vous, dit-il aux avocats et pro-
cureurs, et n'entendons nullement estre exempts de nostre règle et de
nostre censure 1... ] C'est un mesme but, un mesme modelle, une mesme visee
et 1... ] ce sont ordres qui derivent d'un principe et partent de la main d'un
maistre commun à celui qui parle et à celuy qui escoute 1... ] C'est pour
toucher vos cœurs en penetrant d'abord les nostres, soubz une condition
fort rude à nostre egard 1... ] s'il nous fallait estre si malheureux de rougir
les premiers de nos propres paroUes et nous trouver convaincus par nos
propres bouches.
Vous possedez en vous mesme ceste verité 1... ], ne pensez pas donner
une figure humaine à celle que l'on cognoist assez pour estre le premier
caractere de l'homme interieur, et son veritable tableau, pour qui toute
l'humanité subsiste, par qui elle se rend seulement cognoissable, puisque
c'est elle qui rallie et ramene les hommes, les adoucit et les associe, pour
s'entrevoir, s'instruire, se consoler, et se resjouir les uns les autres.
ques 830, mais aussi de saint Augustin 831 et de Denys l'Aréopagite 882,
une litanie de louanges à la lumière:
Lumière, image visible de Dieu, ou à mieux dire, seulement l'ombre de
ceste Majesté incompréhensible qui s'explique ainsi à nostre entendement,
se donne par là à cognoistre en tant qu'il est cognoissable, et par là
mesme veut estre honoré. C'est toute la joie de l'Univers, la mere de la
cognoissance, le principe, l'âme et l'esprit qui manie et qui ordonne les
choses créées ...
Profonde justification des Il: bonnes lettres:. telles que les conçoit Bignon,
reconquête savante de la Lumière du Verbe enclose dans les textes.
330 L'Hymne à Apollon d'Homère avait bénéficié, outre une édition attribuée
à Turnèbe en 1554, à Paris, de deux éditions parisiennes au début du XVII'
siècle, l'une chez j. Lebat, en 1611, in-4°, l'autre procurée par Frédéric Morel
sur les presses familiales, en 1613, in-4°. Comme le rappelle D.P. Walker dans
Le chant orphique de Marsile Ficin (in Musique et Poésie au XVI' siècle, éd.
C.N.R.S., Paris, 1954, p. 25), Lefèvre de la Boderie avait publié en 1582, dans
ses Hymnes ecclésiastiques dédiés à Henri 111, sa traduction de l'Hymne au
Soleil d'Orphée. Dagens (Bérulle et les origines de la restauration catholique,
ouvr. cit.) ne cite pas cet ouvrage parmi les sources profanes de Bérulle (v. ch. Il,
p. 16 et suiv.).
331 Sur le thème de la lumière chez saint Augustin, voir R. Jolivet, Dieu,
Soleil des esprits, Paris, Bibliothèque augustinienne, 1934.
332 Denys l'Aréopagite, qu'une légende tenace identifiait à saint Denis,
avait déjà été au Xlii' siècle une des grandes sources de la pensée française.
Dom Jean de Saint-François Goulu a donné de ses œuvres une traduction
française en 1608. Sur le thème de la lumière chez ce mystique néo-plato-
nicien, voir R. Roques, L'Univers dionysien, la structure hiérarchique du monde
selon le Pseudo-Denys, Paris, Aubier, 1954, et l'art. du Dictionnaire de Spirit.
Asc. et mystique, t. 111, col. 244-430, qui étudie son influence en France, d'Albert
le Grand à Bérulle, en passant par saint Thomas et Gerson.
333 Omer Talon cite (Mémoires, p. 36) une Mercuriale de Bignon où celui-ci
semble faire allusion, pour symboliser le corps mystique du Parlement, à
l'architecture gothique du Palais: «Ainsi qu'une voûte bien hardie, de laquelle
les pierres bien cimentées par la liaison qu'elles prennent ensemble, se for-
tifient et se consolident de telle sorte qu'elles ne tendent plus à leur centre
naturel, mais sont plus fortes et plus solides que le sol et le fond le plus
ferme qui se puisse imaginer ... ~
564 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS
« Prudence ", mais qu'il faut entendre ici au sens que la Bible donne
à ce terme, force et discernement inspirés par la Sagesse divine. Car
si la fin de l'éloquence est bien la persuasion, celle-ci n'a de sens qu'au
service de la Vérité et non l'inverse. Fille de la Sagesse divine" cette
prudence ne saurait engendrer l'orgueil du rhéteur ou du littérateur, car
elle ne va pas sans humilité: citant les Septante 334, Bignon fait de
l'orateur en train de concevoir son œuvre non un créateur, mais un
auditeur de la Sagesse divine, dont il s'efforce de répéter, pour les
rendre visibles et perceptibles à l'extérieur, les saintes opérations 835.
On pourra ensuite ajouter tous les enrichissements qui s'imposent:
le travail de l'élocution n'est qu'un artisanat de second ordre, qui dépend
tout entier de l'invention du «dessein" architectonique conçu dans la
lumière intérieure et dont le modèle est un reflet des Idées divines.
Parler, composer un discours, ce sont donc des actes d'essence reli-
gieuse. Et dans un ultime Sursum corda, l'Avocat du Roi invite toutes
les «pierres vives» du Temple du Logos à se montrer dignes de c la
religion de ce lieu ». Pour faire bonne mesure, et afin d'écarter de
l'enceinte sacrée toute menace de sophistique mondaine, Bignon cite
Cicéron: mais c'est celui du De Legibus, et non celui du De Dratore.
Cette harangue, qui tient à la fois de l'essai montaignien et de
l'élévation bérullienne, est un témoignage d'une portée exceptionnelle,
qui dépasse singulièrement les limites d'un «discours de rentrée» à
usage interne. Il faut y voir d'abord et avant tout un acte civique et
politique d'hostilité au machiavélisme et à l'absolutisme. Bignon ne se
contente pas de réaffirmer la fonction centrale du Parlement dans l'éco-
nomie politico-religieuse du Royaume Très-Chrétien, il donne de celui-ci
une définition de «corps mystique» où les deux aristocraties sacerdo-
tales, celle des Juges et celles des Prêtres, jouent le rôle de guides et
d'inspirateurs spirituels.
En associant aussi étroitement les deux « Temples de la Parole », le
Parlement et l'Eglise gallicane, Bignon vise d'une manière indirecte à
limiter et régenter aussi bien le pouvoir royal auquel Richelieu donnait
dès lors une allure absolutiste, que la noblesse féodale. A l'arrière-plan
339 Voir le dialogue entre Louis XIII et Bignon au moment de cette nomi-
nation: dans le Ms. Fr. 9549, fO' 210 vO-211 (Communication de R. Pintard).
340 Voir les critiques de Balzac contre le style des Remonsfrances de
Bignon dans Œuvres, éd. 1665, t. Il, p. 505-506: "Et néanmoins un grand
Advocat Général de la plus célèbre Compagnie de Justice qui soit dans l'Eu-
rope commença ~ar cette vilaine représentation sa Remonstrance faite à
l'ouverture des Plaidoyeries d'après Pasques 1583 • (il s'agit du mot « cracher.
employé dans le sens d'émission du « logos.). Pour une autre attribution, voir
B. Beugnot (éd.) Les Entretiens de Balzac, Paris, 1972, p. 524.
DILEMME DE LA ROBE GALLICANE 569
l'Etat monarchique, s'exerce non seulement sur les magistrats appelés à
de hautes responsabilités, mais sur les avocats séduits par une carrière
d'c auteur» que le Cardinal s'emploie à patronner et à légitimer.
•
••
Les conditions politiques de la «corruption de l'éloquence,. telles
que les décrivait Tacite dans le Dialogue des Orateurs se sont recons-
tituées en France: la «vertu:. républicaine doit céder le pas aux vices
de Cour, la « liberté» des vieux âges à la servitude sous le gouvernement
d'un seul. L'idéal d'éloquence civique cher à Du Vair, la tradition philo-
sophique des Remonstrances chère aux Avocats Généraux du Palais sont
frappés d'impuissance et de ridicule. Muret et Lipse avaient vu juste
dès le dernier tiers du XVIe siècle: le régime politique moderne n'est pas
la République, ni même la monarchie tempérée d'aristocratie, mais le
Principat. En la personne de Richelieu, la France connait à la fois son
Cosme 1er et son Paul III, que Muret prenait pour exemples des monarques
absolus de l'Europe moderne, lecteurs des Annales plutôt que des Verrines
et des Philippiques 343. Mais Muret faisait aussi remarquer que ni Cosme
de Médicis ni Paul III Farnèse n'étaient des Néron ni des Tibère. Et
pour beaucoup de magistrats français, Richelieu apparaissait plutôt
comme un nouveau Trajan, restaurant la grandeur du royaume, que
comme un nouveau Néron . Il y avait place à la Cour pour d'heureuses
influences, contrebalançant les vices de ce pays-là. N'y avait-il pas aussi,
pour l'éloquence française, la possibilité d'échapper, sous l'égide du
Prince, à la corruption dont elle était menacée?
•
**
,.
••
L'apparition d'un magistère critique des doctes, faisant contrepoids
aux modes de Cour, est bien antérieur à son officialisation par Richelieu,
572 LE MAGISTÈRE CRITIQUE DE LA RtpUBLIQUE DES LETIRES
•
••
Le terme d'« élégance" dont usent les hôtes de Critobule pour carac-
tériser le mérite des Lettres, réduit sans doute celui-ci à la beauté et
à la douceur de l'élocution. Il suppose un primat de la forme sur le
fond. Il n'en a pas moins ses lettres de noblesse humaniste 848. Il est
•
••
Chez le conseiller Critobule, en 1630, le terme d'élégance n'a pas
encore perdu toute valeur péjorative. De fait, le magistère critique des
doctes hésite encore sur sa doctrine. On s'en souvient, pour J. de Maus-
sac, Erasme devait être opposé, au même titre que Scaliger, aux erreurs
des écrivains de Cour. Et dans les Lettres de Phyllarque, qui expriment
un point de vue fort voisin, l'oscillation était sensible entre deux doctrines
critiques difficilement conciliables. Goulu reprochait à Balzac son igno-
rance des règles de l'art oratoire, et sa présomption de dépasser en
éloquence les maîtres de l'Antiquité. Il allait même jusqu'à comparer les
règles de la rhétorique aux lois des sciences exactes 849. Et par ailleurs,
invoquant le Traité du Sublime, il opposait aux artifices de Balzac la
doctrine de l'inspiration, qui atteint à la simplicité, au naturel et à la
vérité en dédaignant les formalités techniques des rhéteurs.
La Conférence Académique de Camus, comme son Voyageur inconnu,
marquent le même va-et-vient entre une critique pointilleuse au nom
des règles de l'art et une critique de l'art au nom de la doctrine platonicu-
chrétienne de l'inspiration.
Chez Jean Chapelain, le plus grand critique de la période Louis XIII,
ce mouvement de pendule d'un extrême à l'autre est remplacé par une
doctrine à deux étages: dans sa correspondance privée, à l'usage des
initiés, il invoque pour lui-même et ses amis la simplicité sans art
d'une prose érudite et chrétienne 350, mais dans son œuvre critique offi-
349 Seconde Partie, éd. cit., Lettre 2 : De la Methode qu'on doit tenir pour
examiner seure ment les ouvrages d'un autheur. Il y a dans cette lettre tous
les éléments d'une «terreur critique» : le désaccord est la marque infaillible
de l'ignorance; la rhétorique est aussi infaillible que les règles du calcul; ses
règles nous ont esté enseignées «pour connoistre si un livre est bien fait ou
non ».
350 Toute la critique de Chapelain repose sur «l'idée» de l'Art, qui est
plus parfaite chez Aristote et Scaliger qu'aucune de ses actualisations, seraient-ce
celles d'Homère et de Virgile (Lettres, t. l, p. 18). Mais ce côté scaligérien
576 LE MAOISTÈRE CRITIQUE DE LA RepUBLIQUE DES LE'ITRES
•
••
Dans l'évolution vers un magistère critique des doctes, correctif des
choix et des goûts de la Cour, quelle fut l'attitude du Cabinet Dupuy?
En marge du Parlement, celui-ci était l'institution centrale de l'humanisme
érudit gallican. Avant 1630, nous avons vu ses chefs pencher vers le
parti dévot, et soutenir son combat contre Balzac et les écrivains auliques.
Or, dans la Vita Petri Puteani, hommage funèbre adressé à son ami,
le «Pape de Paris », en 1651, par Nicolas Rigault, c'est une note
beaucoup plus irénique à l'égard des Belles Lettres qui se fait entendre:
\1 se servait, écrit-il, d'un genre de parler et d'écrire transparent, et
sans recherche, s'appliquant surtout à exprimer avec précision et clarté
ce qu'il avait dans l'esprit; les avis et les consultations des hommes
sages ne souhaitent pas d'autre style; ils enseignent, ils expliquent, ils
montrent par raison, exemples, facteurs déterminant les choses mêmes,
pièces concernant les affaires: ils ne souffrent pas les tropes ni les figures
des rhéteurs. Du reste, il ne dédaignait nullement la beauté de la langue
française, et il pensait que ce n'était pas la moindre gloire de notre siècle
que ce genre d'hommes capables d'élégance, d'esprit et d'éloquence 361.
coexiste chez lui avec un côté érasmien, qui apparaît dans les lettres familières:
ouverture de cœur, cordialité, naïveté, candeur (v. Lellres, t. l, p. 42, p. 383).
Ce dédoublement, sévère pour le «monde », amical et candide pour les
intimes, s'explique par un sens très vif d'appartenir à une aristocratie intel-
lectuelle et morale, responsable de la «vie civile». «Le raisonnement, écrit-il
à Boisrobert, n'est pas un bien public» (Lettres, l, p. 36).
351 Viri eximii Petri Puteani Reg. Christ. a consiliis et bibliolhecis Vita,
cura Nicolai Rigalti, Lutetiae, Cramoisy, 1652 (achevé du 15 fév. 1653), p. 46.
LES RALLIEMENTS A RICHELIEU 577
La hiérarchie des valeurs est nettement marquée. Elle reste exacte-
ment identique à celle que Denis Lambin, le maître de ].A. de Thou,
avait définie dans son Oralia de 1568 352•
L'atticisme « sans art:. du vrai savant est le pur miroir de sa raison
érudite opérant à la lumière de la vérité. La seule excuse que Pierre Dupuy
accorde à l'art de la prose mondaine est d'ordre national: il illustre la
langue française. On peut formuler l'hypothèse que seul le mécénat de
Richelieu, en donnant un sens royal et national à l'éclosion des «belles
lettres" françaises, a permis cet hommage, d'ailleurs fort mesuré.
De fait, après 1630, les frères Dupuy et leurs amis, s'ils sont loin
d'être ralliés du fond du cœur au Cardinal, soutiennent sa politique
extérieure de résistance aux « empiètements:. de Rome, et de lutte contre
les Habsbourg. En 1639, Pierre Dupuy, selon la plus pure tradition de
Charles du Moulin, Pierre Pithou et Jérôme Bignon, publie ses Traitiez
des droiets et des libertez de l'Eglise gallicane, sous le patronage et
avec la collaboration de Richelieu en personne 858. Nicolas Rigault
n'hésite pas à quitter sa retraite studieuse de Garde de la Bibliothèque
du Roi, héritage de Guillaume Budé et de ].A. de Thou, pour se mettre
au service du Cardinal, dans des conditions pourtant fort ambiguës. A
quel titre un simple fils de notaire comme Jean Chapelain acquiert-il le
droit d'entrer à cette époque dans le sanctuaire de la rue des Poictevins?
Il n'appartient certes pas à l'élite érudite. Mais la protection de Richelieu
fait de lui le médiateur entre le mécénat officiel du Cardinal sur les
«Belles Lettres:., et la critique savante de la vieille République des
Lettres latines.
Dans la bibliothèque des frères Dupuy, on ne trouve guère d'ouvrages
des « beaux esprits:. modernes. En revanche toutes les grandes éditions
savantes des rhéteurs antiques procurées au XVIe siècle y figurent. Les
rhétoriques jésuites n'y apparaissent pas, mais les ouvrages de rhétorique
d'Edmond Richer y ont leur place, aux côtés des travaux des professeurs
de rhétorique hollandais, Heinsius et Vossius 8~4. Les chefs du parti
gallican trouvaient en effet chez leur ami Richer, comme chez leurs cor-
respondants de Leyde, la même réhabilitation de la Rhétorique d'Aristote,
en riposte aux novateurs jésuites et auliques.
•
••
On connaît la vie de luttes du syndic gallican de la Sorbonne 855.
On connaît moins son œuvre rhétorique. Celle-ci était liée au grand rêve
de sa vie, la réforme de l'Université de Paris, qui ferait de celle·-ci une
rivale à armes égales des Collèges de jésuites. Celui que ses adversaires
accusaient d'appartenir à la «secte des Parlementaires:t avait été
en effet un des membres, avec j.A. de Thou, Achille de Harlay, Louis
Servin, Molé et La Guesle, de la commission chargée par Henri IV de
réformer l'Université, en 1595. Depuis, en liaison étroite avec l'élite
gallicane du Palais, il n'avait cessé de combattre les ultramontains de
la Sorbonne, et de partager les efforts de ses amis en faveur de Paolo
Sarpi, ou contre les menées et doctrines jésuites. En 1629, vieilli, en
butte aux cruelles persécutions du P. joseph et de Richelieu, il publie
ce qui peut apparaître comme son testament, le De Arte et causis rheto-
ricae ac methodo ad usum vitae civilis revocandi 1118. Il mourra l'année
suivante, trop tôt pour voir Richelieu jeter le masque et se révéler,
à sa manière, le héros du gallicanisme politique.
D'emblée, l'ami de Nicolas Le Fèvre, de De Thou et de Peiresc pose
en principe l'axiome d'Aristote: «l'homme est un animal politique:t 1117.
Il constate, non sans un pessimisme d'accent augustinien, la faiblesse de
l'esprit humain, sa capacité d'erreur. Dès lors, il est impossible de
compter sur la seule force philosophique de la vérité pour s'imposer.
Un art oratoire est indispensable. Ramus, pense Richer, a eu tort de faire
235), viennent les Oratores Graeci et les Rhetores graeci (praticiens et théori-
ciens) ; parmi ces derniers figurent quatre éditions de Longin, y compris l'ori-
ginale par Robortello ; puis les Oratores et rhetores latini (Cicéron, p. 251-253),
res Epistolae (p. 255-256), les Autores varii latini (p. 257-260) et les poètes latins
anciens et modernes, les poètes grecs anciens et modernes (psellos, Tzétzès),
les poètes italiens, les poètes français néo-latins (p. 286) et en vernaculaire
(p. 306). Les uns et les autres sont tous des auteurs du XVI' siècle, sauf Nicolas
Bourbon, le recueil Palmae Relliae rassemblé par Boisrobert (latin) et Ber-
taut, Malherbe, Regnier (françaIs). Après lA. de Thou, cette section semble
avoir été complètement négligée. En revanche, la section Recentiores lie Rhe-
torica est très riche (p. 357 et suiv.). Les plus grands commentaires de la
Rhétorique d'Aristote, Ermolao Barbaro (1551), Alex. Piccolomini (1565), etc.
y figurent, ainsi que Vossius et Richer. Pas l'ombre d'une rhétorique d'origine
jésuite. Le Commentaire d'Aristote par P. Vettori, qu'étudia Guez de Balzac,
(Lettres de Chapelain, éd. Tamizey, Index s.v. Victorius) figure ici dans deux
éditions.
355 Adrien Baillet, La Vie d'Edmond Richer, Liège, 1714. V. p. 401, la
scène effroyable que Richelieu et le P. Joseph firent à Richer pour obtenir
de lui une rétractation écrite.
356 V. ibid., p. 25.
357 De Arte et causis, p. 4.
RHÉTORIQUE D'EDMOND RICHER 579
Aussi Richer, qui semble déceler trop d'influence de Ramus dans l'Uni-
versité et chez les doctes, préconise-t-i1 une Renaissance du De Oratore
de Cicéron. II le cite longuement, il appelle les jeunes gens à se pénétrer
des œuvres de celui qui fut un grand homme et un grand citoyen en
même temps qu'un grand artiste de la parole SGO. Il les invite à préférer
sa leçon à celle de Sénèque, et de Juste Lipse, dont le style obscur est
incapable de rayonnement politique. L'heure est grave, insiste Richer,
qui retrouve les accents de j.. de Maussac en 1620: les passions sont
déchainées dans le royaume, la «République chrétienne:t est en recul,
la jeune noblesse se livre à de barbares duels. Avec une sincérité ardente,
Richer martèle sa conviction: autant que la vérité en soi, l'ordre de la
société civile importent; la première est menacée par la ruine de la se-
conde. Il faut que les « bons français» mettent en œuvre tous les prestiges
del'art oratoire pour apaiser les passions, combattre les plus grossières
erreurs, et recréer les conditions d'une société en ordre.
•
••
Le testament d'Edmond Richer allait dans le même sens que la dédicace
de Maussac à Du Vair en 1620, et que l'Oratio de Daniel Heinsius en
1624: la philosophie chrétienne, sous peine d'abandonner ignorants et
demi-habiles aux erreurs captieuses de ses adversaires, ne pouvait se
passer d'une rhétorique. Dès lors la République des Lettres gallicane
ne devait plus se contenter de refuser en bloc toute légitimité à la
littérature mondaine. II lui fallait faire un tri, entre les écrivains qui
acceptaient de placer l'art littéraire français sous l'égide de Scaliger,
d'Aristote, de Cicéron, de la belle Antiquité, et les autres; entre les
écrivains capables de servir la philosophie chrétienne auprès du public
de Cour, et les autres. A sa gamme déjà fort riche, l'Académie Dupuy
après 1630 ajoute un registre de «critique littéraire» appliquée aux
œuvres françaises, et s'agrège ceux des nouveaux écrivains qui consentent
à reconnaitre son magistère. Ce magistère critique de la République des
Lettres n'est pas sans analogie avec celui, très officiel, que Richelieu
confie à l'Académie française. Il ne se confond pas avec lui, même si
Chapelain sert d'agent de liaison entre l'un et l'autre. La critique telle
que la conçoit l'entourage de Richelieu, Chapelain mis à part, est une
critique de demi-habiles, assez bien représentée par un ancien avocat
comme d'Aubignac, ou un médecin comme La Ménardière. Des deux
voies entre lesquelles hésitait un Goulu, elle a choisi, pour fortifier plus
commodément son magistère d'homines novi, un juridisme étroit, qui
s'attache à la lettre plus qu'à l'esprit. _Au contraire, une fois admise
la légitimité d'une littérature à l'usa'ge du monde, la haute érudition
gallicane est plus à même de distinguer ce qui relève du sublime d'ins-
•••
Le 3 septembre 1632, l'Unico Eloquente écrit à un correspondant
inconnu, manifestement à l'intention des Adelphes :
Pourveu, Monsieur, que vous vous souveniez de moi et qu'il vous
plaise me conserver les bonnes grâces de Messieurs Du Puy, je ne man-
queray point de consolation. Ce sont des personnages qui, sans pourpre
et sans magistrature, sont illustres et authorisés, pour le moins dans le
monde raisonnable et parmy les gens qui jugent sainement. Il n'y a point
d'employ si honneste que leur loisir, ou d'ambition qui s'occupe si noble-
ment que leur vertu se repose. Vous me feriez une singulière faveur de
leur dire que je les considère tous deux avec reverence, et que jamais
homme n'entra dans la Galerie de M. de Thou mieux persuadé de leur
incomparable mérite 363.
La date de cette lettre est peu sûre. C'est surtout à partir de 1636
que les lettres de Chapelain à Balzac font mention de relations suivies
et amicales entre l'Unico Eloquente et les frères Dupuy., Plutôt que
Chapelain, lui-même nouveau venu, c'est François Luillier et François
La Mothe Le Vayer, deux «libertins érudits », qui semblent servir de
« parrains» à Balzac. Dans une lettre à Luillier Balzac parle le 23 no-
vembre 1636 des «bienheureux moments passez dans le cabinet de
Messieurs Dupuys », et des «bonnes choses» qu'il y a ouïes. Converti
à l'érudition humaniste, Balzac emprunte, toujours sous la garantie de
Luillier et de La Mothe, les Episto/ae et Orationes de Pietro Vettori à
la bibliothèque des Adelphes 364. Belle occasion que saisit Chapelain
pour instaurer avec Balzac une sorte de Querelle Balzac-Goulu dont les
Lettres latines de Vettori sont le prétexte, et qui amène l'Unico Eloquente
à faire un examen de conscience littéraire assez complet 3611.
Le 24 novembre 1644, Balzac écrira à Nicolas Rigault, autre Prince
de l'Académie putéane:
•••
L'entrée de Chapelain et de Balzac dans le sanctuaire gallican
- même s'ils n'y jouent qu'un rôle secondaire - donne la mesure de
l'intérêt que l'on y porte au bon ordre dans les Belles~Lettres, garant du
bon ordre à la Cour. Cet intérêt tout politique ne révèle-t-i1 pas une
lézarde dans le vieH édifice chrétien de l'humanisme gallican, et plus
qu'une lézarde? En admettant que la réforme religieuse et savante ne
pouvait atteindre qu'une petite élite, et qu'il fallait pour le plus grand
nombre se contenter d'obtenir une discipline extérieure et po~itique,
Edmond Richer lui-même témoignait du reflux des ambitions univer~elles
qui avaient soutenu jusqu'alors la foi des érudits et des magistrats
gallicans.
N'était-il pas inévitable qu'on allât plus loin encore, jusqu'à penser
que cet ordre extérieur et politique, imperméable à l'ésotérisme du vrai,
n'avait pas seulement besoin de Belles-Lettres, mais aussi de formes de
sagesse plus modestes, mieux ajustées à ses besoins et à la capacité
même des Belles-Lettres, que la foi et la morale des « premiers siècles»
chrétiens? L'essor d'une société civile, dont la Cour est le modèle et le
canisme de Nicolas Rigault, qui l'a poussé, comme Edmond Richer, à orienter
ses recherches érudites vers les « Pères des premiers siècles », et les origines
chrétiennes. En 1620, Rigault avait publié des Exhortations chrestiennes imitées
des anciens Pères grecs et latins. En 1628, il publiait une édition de Ter-
tullien, rééditée en 1634 et en 1641. Il accompagnait cette édition d'un com-
mentaire critique: Observationes ad Tertul/iani libros IX (Paris, 1628) et d'une
brochure polémique qui annonce la Fréquente Communion d'Arnauld: Sen-
tentiae super Tertulliani dicto eJ:vlicatio, avec L'ancienne police de l'Eglise sur
l'administration de l'Eucharistie, de G. de l'Aubespine (Paris, 1629).
367 Il est probable que les réserves des Dupuy vis-à-vis de Balzac sont
toujours restées aussi fortes que celles de Chapelain. L'« élégance» de Balzac
avait sans doute un intérêt politique, mais non une valeur de vérité. Les Dupuy
étaient certainement plus sensibles à la poésie néo-latine de Balzac (voir Cha-
pelain, Lettres, t. l, p. 708). La Vita Petri Puteani contient une foule de poèmes
à la gloire de Pierre, de son père, de son grand-père, qui attestent la vitalité
de cette production dans ce milieu de haute érudition. Balzac n'y figure pas,
mais Chapelain y a sa place avec de médiocres sonnets en français.
368 Balzac, Œuvres, t. l, I. X, 3, p. 468-469.
584 LE MAGISTÈRE CRITIQUE DE LA RÉPUBLIQUE DES LETTRES
creuset, étend ses conséquences jusque dans les plus profonds recès de
la philosophie gallicane.
Autour de 1630, se constitue au sein même de l'Académie Dupuy cette
fameuse Tétrade dont René Pintard s'est fait l'historien 889. Deux de ses
membres, La Mothe Le Vayer et Naudé, se sont prononcés dans le débat
sur les Belles-Lettres. Pour le sceptique Le Vayer, la vérité échappe à
la raison érudite elle-même; comment celle-ci pourrait-elle refuser de
recourir aux beaux semblants de la littérature et des arts, qui du moins
font aimer une doxa utile au bon ordre de la société civile 870? Pour
l'érudit Naudé, les faux-semblants de l'éloquence sont nécessaires
pour faire accepter aux ignorants les arcana imperii des Princes 371.
Dans les deux cas, le critère du meilleur et du pire n'est plus la vérité,
mais l'utilité sociale et politique. Le gallicanisme a fini par engendrer
ses propres Jésuites, ancêtres des philosophes du XVIIIe siècle. Leur
libertinage érudit, comme le molinisme, est trop fasciné par le monde
qu'il prétend tromper pour ne pas tromper aussi la vérité qu'il prétend
servir auprès du monde. 11 ne chante plus naïvement, comme le pauvre
Théophile, les élans de la belle Nature innocente: il célèbre ironiquement
la plus ingénieuse ruse de la raison pour faire respecter la sagesse
déniaisée du vulgaire ignorant: les Belles-Lettres.
•
••
Cette relative dévaluation de la profession se reflète dans les traits
nostalgiques et apologétiques qui abondent dans les biographies d'avocats
du XVIe siècle rédigées au XVII". Les biographes sont contraints de
justifier leurs ancêtres d'avoir exercé un métier, et d'expliquer comment
il put leur valoir un prestige et une fortune d'un ordre devenu désormais
peu vraisemblable.
Dans ses Mémoires 379, Arnauld d'Andilly éprouve le besoin de jus-
tifier SOI1 père d'être resté toute sa vie avocat: d'une part il honorait la
profession, sa famille étant d'une noblesse remontant au XII" siècle, et
il méprisait trop la vénalité des charges pour se procurer un office par
ce moyen; d'autre part, il ne s'enfermait pas, avocat c plaidant ~, dans
les limites étroites de l'éloquence judiciaire: polémiste au service du
Roi, il pratiqua brillamment l'éloquence civique dans ses pamphlets
contre la Ligue; porte-parole des pairs du royaume, il pratiqua l'élo-
quence épidictique lors de leur réception au Parlement. Devenu avocat
« consultant ", il frayait d'égal à égal avec sa clientèle de Grands du
royaume, et il amassa une immense fortune qui le faisait aller de pair
avec les plus hauts magistrats. Pour Arnauld d'Andilly, l'humilité même
de la profession qu'a tenu à exercer son père est la preuve de la
magnanimité de celui-cL
Pas de plus grand éloge pour cet avocat tourangeau que d'être reconnu
de l'étoffe dont on fait les érudits et les érudits de race gallicane.
Le snobisme robin de Ménage se manifeste autrement dans la bio-
graphie qu'il consacre à Mathieu Ménage, son frère, et père du desti-
nataire des Vitae. Mort trop jeune pour avoir donné sa mesure, il a
laissé une veuve. Madeleine Louet. qui s'est unie en secondes noces
à Guy-Louis de Longueil,
L'aIliance avec une dynastie de Grande Robe, dont un ancêtre fut traité
en égal par Bembo et Sadolet, met hors de pair cette famille d'avocats.
Troisième portrait, encore plus glorieux pour la famille Ménage, celui
de Pierre Ayrauld, bisaïeul maternel de Pierre-Guillaume. Car cet avocat
fut avant tout un grand érudit, cité par Loisel et par Sainte-Marthe.
Confirmant l'enthousiasme de Gilles Ménage, D.R. Kelley a récemment
remis en lumière le mérite de Pierre Ayrauld, élève de Cujas, historien
et philosophe du Droit, l'égal et l'ami sur le terrain de l'érudition critique
de Pasquier et de Pithou 883. Simple avocat à Tours, il avait acquis par
son œuvre savante une autoritè nationale. Un drame cependant boule-
versa sa vie: confié au Collège de Clermont, son fils René voulut devenir
Jèsuite contre la volonté paternelle; enlevè par ses maîtres, il poursuivit
ses études en Allemagne, puis en Italie en dépit des procès intentés par
un père dèsespérè, que soutinrent Bodin et Pasquier; René devint un
règent de rhètorique dans les Collèges de la Compagnie, et mourut à
La Flèche en 1644. Bel exemple de ce que redoutait l'humanisme parle-
mentaire en combattant l'installation en France des «sophistes loyo-
lites» : à un père fidèle à la tradition nationale d'humanisme érudit,
succède un fils « déformé» par les Jésuites et entièrement adonné à leur
rhétorique.
Les Vitae de Ménage nous le confirment indirectement: c'est moins
l'éloquence que l'érudition qui justifie l'avocat du XVII" siècle. L'atticisme
ascétique dont se prévalait Guillaume Ménage, l'érudition dont était imbu
Pierre Ayrauld, sont la preuve que ces avocats ont été supérieurs à leur
profession ..
Le cas des frères Dupuy, fils d'une grande famille parlementaire,
pourvus d'alliances les plus honorables, est à cet égard exemplaire.
Ils conservèrent eux aussi le titre d'avocat toute leur vie, mais ils n'exer-
cèrent jamais, comme s'ils pouvaient s'offrir le luxe de jouir d'une raison
sociale illustrée par Cicéron, tout en dédaignant de la souiller au contact
des réalités du Barreau 38'. Les activités libérales et désintéressées de
la République des Lettres s'accordaient mieux avec l'ancienne noblesse
de Robe de leur famille. Elles conféraient au titre d'avocat le sens d'une
magistrature érudite, au plus près des sources de l'invention, à l'écart de
l'artisanat du discours. Roland Desmarets, qui fréquente l'Académie
Dupuy, n'est lui aussi qu'un avocat en titre: il s'adonne entièrement au
*
**
385 Ibid .• cit. par Th. Froment. ouvr. cit., p. 303-304.
386 Ed. Dupin cit.. Argument: «Ils disoient hautement qu'i1 etoit tout à fait
indigne de leur profession de soumettre à un gain limité et mercenaire, l'hono-
raire qu'on leur offroit volontairement en recoignoissance de tant de vertus.
et d'éminentes qualitez nécessaires à un bon advocat. et principalement de
l'éloquence. »
387 Voir plus haut (p. 567).
388 Sur cette réaffirmation des grands principes de l'école française du
droit. voir D.R. Kelley. Foundations ...• ouvr. cit. La Guesle. comme la plupart
des grands magistrats gallicans sous Henri III et Henri IV. était un élève de
Jacques Cujas.
389 Remonstrances. ouvr. cit.. p. 864. (V. p. 792-793 l'éloge de Caton le
Censeur.) La Guesle cite Philippe de Commynes.
UNE GRÈVE D'AVOCATS EN 1601 591
Où est l'honneur que j'ai entendu de vous, mon père, avoir esté autre-
fois au Palais et la faveur que Messieurs les présidents portaient aux
jeunes avocats de votre temps, les ecoutant doucement, supportant et
excusant leurs fautes, et leur donnant courage de mieux faire? Au lieu
que maintenant il semble à quelques uns que nous soyons d'autres bois
et d'autre étoffe qu'eux 392.
890 Sur cette grève des avocats, voir outre l'introduction de Dupin au
Dialof{ue de Loisel, et j. Gaudry, ouvr. cit., t. l, ch. XIX, p. 315, j. Chavanon,
« A travers le Palais de justice, grève des avocats sous Henri IV:., La Cité,
t. V, 1910, p. 169-180.
391 Arnauld d'Andilly, Mémoires, éd. cit., p. 407, et p. 409-410.
392 Voir note 384.
393 Ibid., cit. par Th. Froment, ouvr. cit., p. 303-304.
394 Cit. par Froment, p. 302-303.
592 DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LETTRES
Cet ordre des choses était supportable dans le Paris du XVIe siècle.
Il ne l'est plus ou il l'est beaucoup moins au XVII" siècle. Aux quelques
raisons que nous avons énumérées, il faut en ajouter une autre, qui est
peut-être la plus décisive .. A la sévérité du stoïcisme chrétien des magis-
trats s'ajoute en milieu de Robe la piété réformée du c Siècle des
Saints ». A celle-ci, à son ordre sévère, seuls peuvent se permettre d'échap-
per les gens de Cour. Leur liberté de mœurs, leur goût du luxe et des
plaisirs, leur appétit de fête, créent un pôle de résistance à l'esprit de
Carême qui règne dans la bourgeoisie. La scène de la Cour, un peu
comme l'Olympe des Dieux païens tel que le décrit Rotrou dans Les
Sosies, dessine au-dessus d'un monde soumis aux contraintes morales et
de leur sens, la santé qui semble leur promettre une bien longue vie, ils
deviennent amoureux d'eux-mêmes, comme un autre Narcisse 397.
•
••
Ce libéralisme, d'ailleurs tout relatif, n'est pas dans les mœurs des
Pères conscrits du Palais, qui se rallieront d'abord à la campagne de
Garasse contre Théophile, plutôt qu'aux accommodements souhaités
par un Cressolles.
Les «traîtres », que dénonçait Maussac, et qui désertent les mœurs
traditionnelles de la Robe, sont vertement repris par leurs aînés et leurs
supérieurs, et ne trouvent guère de différence entre le Collège, où sévis-
sait le Pédant, et le Parlement où sévissent les Censeurs.
Sans épiloguer sur le Francion de Sorel qui fait du c jeune Avocat
allloureux» un allié naturel du jeune gentilhomme libertin 402, retenons
une autre description de ce «mal du siècle» des jeunes robins: c'est
l'Apologie des jeunes Advocats avec la recommandation de la poésie et
Las 1 La robe noire est un remède qui gâche les provocations amou-
reuses, même les plus gaillardes. Faudra-t-il se plier, tant bien que mal,
à la règle du Palais?
Il nous faut nos Luths delaisser
Et tous instrumens de Musique,
Et n'apprendre rien qu'à priser
L'harmonieuse harpe dorique 403.
L'une des plus belles vertus
Est d'amasser des escus.
403 Voir Vacationes Autumna/es, cit. dans notre II' Partie, p. 320, n. 332.
596 DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LETTRES
404 Voir La Mothe Le Vayer, Œuvres, Paris, Billaine, 1669, 12·, t. IX,
p. 496-499, cit. par R. de Kerviler, François La Mothe Le Voyer, sa vie et ses
écrits, Paris, 1879, p. 25.
L'ÉDUCATION D'UN PAGE 597
rivalisait dans l'esprit des élèves la culture romanesque de tradition
courtoise, dont les grandes familles nobles et la Cour était la clientèle
privilégiée. Entre les deux cultures, les Jésuites avaient beau jeu d'offrir
un moyen terme séduisant, avec une pédagogie et un humanisme faisant
plus de part aux agréments et à l'ornement qu'à la mémoire.
On peut se faire une idée de l'extraordinaire décalage entre la culture
d'un jeune « chevalier» et celle d'un jeune «clerc» formé par l'Univer-
sité, sous Henri IV et Louis XIII, en comparant le récit que Tristan
L'Hermite fait de son enfance dans Le Page disgrâcié et celui qu'André
d'Ormesson fait de ses études dans ses Mémoires.
Je vous dirai, écrit Tristan, que je n'avais guère plus de quatre ans
que je savais lire et que je commençai à prendre plaisir à la lecture des
romans que je debitais agreablement à mon aïeule et à mon grand'pere,
lorsque, pour me detourner de cette lecture inutile, ils m'envoyèrent aux
écoles pour apprendre les éléments de la langue latine ... On m'avait laissé
goûter avec trop de licence les choses agréables ... 405.
Le latin engendre en lui une mélancolie aussi profonde que celle dont
Malherbe se réjouit de voir délivré Louis XIII, sitôt qu'il est c hors
latin}) 406. Aussi s'adonne-t-i1 à la peinture et à la poésie, et fréquente-
t-i1 des comédiens 407. Il se nourrit, pour faire bonne mesure, de romans
héroïques, et fait la cour à une jolie fille en lui récitant des «contes
frivoles» du Tasse et de l'Arioste 408. Page chez le jeune marquis de
Verneuil, il entre en guerre contre le pédant Claude Dupont, précepteur
du jeune Prince, et il raconte à celui-ci la fable du Loup et de l'Agneau 400.
405 Voir Tristan, Le Page disgrdcié, éd. Marcel Arland, Paris, Stock, 1946
(1 re éd. 1643), p. 54.
406 Malherbe, Œuvres, éd. Adam cit., p. 007. Malherbe dit exactement:
«S.M. est hors latin et se porte fort bien.:.
407 Tristan, ibid., p. 71.
408 Ibid., p. 122.
409 Ibid., p. 61.
410 Ibid., p. 59.
598 DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LE1TRES
•
••
Avec les Mémoires d'André d'Ormesson, on a l'impression d'entrer
dans un autre monde, où régnent encore Alcuin et Nicolas de Clamanges,
et où n'ont jamais 'pénétré ni Chrétien de Troyes, ni l'Arioste:
Je veux en cette feuille escrire les autheurs qui m'ont esté lus en
classe, en ma jeunesse 1... ) sous les regens M. Jard et M. Seguin ... :
Les Eglogues de Virgile
La comédie de Térence l'Eunuque
La comédie de Phormio, aussy de Terence.
L'espitre d'Ovide Oenona Paridi
L'espitre d'Ovide Medea Jasoni
La satyre d'Horace Qui fit Moecenas
La satyre du Juvénal Stemmata qui faciunt
Quelques epistres de Cicéron entre autres
celle qui commence Coram me tecum etc.
Je n'ay presque rien oublié de tout
ce que j'ay appris de ma jeunesse,
j'ay pris aussi plaisir de relire
de fois à autre mes anciennes leçons pour m'en souvenir 412.
Ibid., p. 189.
411
Journal d'Olivier Le Fèvre d'Ormesson, éd. Chéruel, Paris, 1860, t. l,
412
lntrod. p. xxx.
413 Ibid., p. XXXII.
LE DÉGOÛT POUR LES PÉDANTS 599
•••
Mais aux yeux des moins dociles parmi les jeunes robins, et cela
dès le début du règne de Louis XIII, un homme comme André d'Ormes-
son, trop fidèle à ses maîtres de l'Université, a " l'air pédant ».
Dans les Conférences académiques publiées en 1618, et que nous
avons déjà citées, nous trouvons, attribué à M. Fournier, Docteur
en Droit, un portrait du « Pédant» qui anticipe de quatre ans sur l'Hor-
tensius de Sorel. Nous avons eu un aperçu de la modération des débats
dans cette académie orléanaise. La violence de ce portrait est d'autant
plus significative:
Je rencontra y chez un libraire à Paris, écrit notre Docteur (encore
étudiant sans doute lorsqu'il parlait ainsi) ce personnage qui avait un
visage maigre, les cheveux gras, les sourcils hérissés, les yeux battus,
le teint bronzé, la barbe bourrue, la moustache emperlée d'une petite rosée,
les mains crasseuses, le bout des ongles ardoizés. On jugeoit à l'air de
son visage qu'il avoit la mine d'aller un peu dur à ses affaires; par sa
chemise salle et ses habits crottez on recognoissoit qu'il n'estoit nulle-
ment curieux; par ses discours naïfs et ses actions peu ceremonieuses on
ne voyait que trop apparemment qu'il n'etoit pas mondain 414.
414 Conferences ... , éd. ci!., p. 301. Sur le «Dr» fournier, v. n. 299 (Camus
le tient pour un grand orateur). Est-il le fils de l'érudit Guillaume fournier,
ami de Pithou ?
415 Sur l'institution d'« Académies» à l'intérieur des Collèges jésuites, voir
Dainville, Les Jésuites et l'éducation de la société française, Paris, 1940, p. 307.
416 Voir notre communication à paraître dans les Actes du Colloque néo-
latin d'Amsterdam, 1973, sur Pédagogie de la parole et de l'écrit: les Pro-
gymnasmata du P. Pontanus, W. finck, Munich, 1979, p. 410-425.
600 DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LETTRES
417 Nous avons là une bibliographie assez complète des «sources d'élo-
quence:l> de la «rhétorique des citationS:l>, quand celle-ci n'est pas pratiquée
par d'authentiques érudits. Calepin: Calepinus (Ambrosius). Dictionarium ex
optimis quibusdam au/horibus s/udiose collec/um e/ recentius auc/um, Paris,
Josse Bade, 1514 (rééd. et augmenté jusqu'en 1605; à partir de 1609 jusqu'en
1681, c'est la version revue par Jean Passe rat qui est sans cesse rééditée).
418 Alessandro Alessandri (jurisconsulte napolitain) : Genialium dierum libri
sex, Paris, 1532 (rééd. jusqu'en 1616).
419 Thea/rum Vitae humanae omnium fere quae in hominum cadere possun/
bonorum e/ malorum exempla his/orica ... comprehendens a Conrado Lycos/hene
jampridem inchoa/um, nunc vero Theodori Svingeri... opera ... deduc/um ... Basi-
leae, per J. Oporinum, A. et A. Frobenios Fratres, 1565, in-fol.
420 Lycosthenes (Conrad). Apophlegma/um ex oplimis ulriusque linguae
scriploribus per Conradum Lycos/henem ... , collectorum loci communes ad ordi-
nem alphabeticum redacli, Lugduni, A. Vincentium, 1556 (rééd. jusqu'en 1633).
Ce Lycosthène est aussi l'auteur d'un abrégé du Florilège de Stobée : Epitome
Joannis Siobaei sen/en/iarum, sive locorum communium... nunc primum edita
per C.L., Basileae, 8ryling, 1557.
421 Textor (Jean Tixier de Ravisi, dit Ravisius). Cornucopiae quo conti-
nen/ur loca diversis rebus abundantia secundum ordinem litterarum ... , Paris,
1519 (rééd. jusqu'en 1612). L'ouvrage consulté par le Pédant est ici: Epi/he/a,
s/udiosis omnibus poeticae artis maxime utilia, Paris, Chaudière, 1523 (rééd.
jusqu'en 1664). Cet ouvrage est le modèle dont s'est inspiré M. de la Porte,
Les Epi/hèles, ouvr. cit., dont le «réservoir» est la poésie de la Pléiade. Il
est frappant d'observer que cette production a son centre à Paris et que
les érudits germaniques y contribuent plus encore que les érudits français. On
est tenté de penser qu'il s'agit d'un mode rhétorique spécifique de l'humanisme
du Nord. Il serait curieux de comparer ces dictionnaires et cornu copies pari-
siens à un dictionnaire comme celui de Nizolius, si typique de l'humanisme
« cicéronien» italien. Au fond, Paris n'est devenu une capitale «Iatine:o et n'a
échappé à l'Europe du Nord qu'au cours du XVII' siècle.
422 Conférences, éd. cit., p. 317. Voir aussi 322. C'est là évidemment la
source directe de l'Hortensius de Sorel: voir, éd. cit. de Francion, p. 192 et
203, les «lieux communs:l> et «sentences> «bagoulées:o par le Pédant.
423 Voir étude cit., note 416.
424 Voir Frances Yates, L'Art de la mémoire, éd. cit., p. 188 et suiv.
COMPLICITÉS ENTRE L'ÉLÉGANCE DE COUR ET LA PÉDAGOOIE JÉSUITE 601
Quand je voy ces discours effeminez, ces longues periodes qui ter-
minent leur cadence à la cicéronienne, ces manieres de parler populaire,
je les parangonne à un banquet dont l'appareil à force de douceur est
trop fade. Au contraire, ces propos masles, s'il faut ainsi parler, ces
pointes serrées, et ces mots estranges qui font peur aux petits enfants
me semblent estre comme les saulces de haut goust qui resveillent l'ap-
petit de ceux qui sont desgoustez 426.
•
••
Avec le Collège de Clermont, le « Pays latin» avait son «cheval de
Troie ». De là sortaient de jeunes clercs initiés à un humanisme plus
esthétique qu'érudit, plus rhétorique que philosophique. Et de l'autre côté
de la Seine, autour de Marie de Médicis, avant même l'arrivée de Marino
et la renaissance de l'italianisme, on voit se renouer la tradition. de
« douceur» italianisante et de grammaire mondaine qu'Henri Estienne
avait dénoncée sous Henri III. Le secrétaire de la Reine est un avocat
au Parlement, Jean-Baptiste Du Val 426, trop heureux d'échapper au
Palais et de se délivrer des chaînes qui y pèsent sur le langage. En
1604, il publie un petit traité intitulé L'Eschole françoise pour apprendre
à bien parler et à escrire selon l'usage du temps, et pratique des bons
autheurs. Œuvre audacieuse à bien des égards: Du Val prend l'usage
de Cour comme référence du meilleur style et il envisage l'éloquence
sous l'angle des «mots », donc de la grammaire, que les orateurs et
érudits de la rive gauche réservent aux seules langues savantes 427.
Cette concession faite à son milieu d'origine, il adopte sans remords les
préjugés des gens de Cour .. Il exècre c la mine renfrognée de nos Péda-
gogues" et leurs c remonstrances ». Il cite avec révérence, et en toute
occasion, les «courtisans» comme des autorités en matière de langage.
Et dans un étrange chapitre, intitulé Des parties muettes de l'oraison,
il montre qu'il a observé, avec une curiosité d'ethnologue en voyage
d'études, un «style,. de Cour dont les traités de rhétorique classique ne
font pas mention. Pour le désigner, il est obligé de faire appel à la
distinction que fait Cicéron entre c disert» et c éloquent,.. Il va même
jusqu'à proposer de qualifier «Ioquence» et non c éloquence », cet art
de parler qui semble devoir autant à la musique qu'à la grammaire,
et qui est évidemment fort différent de la «science de bien dire,. telle
que l'entendent les magistrats du Palais. En dépit de son effort pour
ramener l'inconnu au connu, il lui échappe une analyse que seule l'obser-
vation de la conversation de Cour a rendue possible:
Quelquefois un ris, un silence ou une retenue ont mieux exprimé nos
intentions que n'eust peu faire nostre parole, jusque là que si nous n'y
prenons garde, elles viennent insensiblement à nous trahir 429.
•
••
Lorsque Du Vair, en 1595, s'était élevé contre les citations, et avait
préconisé l'imitation en français de Cicéron et de Démosthène, il avait
pris soin d'écarter le péril du culte des «paroIles bien peignées:t. La
c force:t qu'il recommandait devait soutenir une éloquence civique, ani-
mée par une philosophie vécue. L'échec de l'éloquence civique est aussi
celui de ce mâle movere. La prose «sans couture:t que préconise Du
Val est plus «douce:> que « forte" ; elle tient plus de la robe de Cour
que la chaste nudité de (,Eloquence-Femme-Forte selon Du Vair. C'est
une tendance analogue qui se manifeste en 16\0 chez le jeune Alexandre
de Filère, toulousain, qui publie un Discours contre les citations du
grec et du latin.
Alexandre de Filère est aussi révolté que Louis Godet par le rang
subalterne où l'on relègue les avocats:
Vous. écrit-il, qui estes non les membres superflus. mais les parties
nobles et vitales du corps de la justice ... 434.
celuy qui est embrouillé d'un divers langage. L'harmonie nombreuse qui
naist de ceste agreable façon de parler sans citations grecques et latines
flatte sans doute et chatouille avec plus de plaisir l'esprit et l'oreille d'une
attentive assemblée 438.
441 On est mieux renseigné sur Rambaud que sur Filère. Voir Adolphe
Rochas, Biographie du Dauphiné, Paris, Charavay, 1860, t. II, p. 324-328.
442 Discours ... , p. 67.
443 Ibid., p. 14: nous devons «marqueter nos oraisons, et les orner comme
d'une belle tapisserie de diverses couleurs, en quoy nous sommes guidez par
celle qui ne peut errer, nostre mere commune qui se plaist à la diversité: et
rart, qui n'est autre chose que le singe de la nature, nous monstre que les
incrustations de marbre, de jaspe, de porphyre, et autres pierres de noble
valeur portent un embellissement majestueux en la maison des Rois, qui sans
cela ne seroient point differentes de celles des particuliers: et certes, il y a
RAMBAUD PLAIDE POUR LA RHÉTORIQUE DES CITATIONS 007
pareille différence, entre les discours d'un homme docte. et les parolles d'un
ignorant, que d'un Palais royal à la cabane d'un Berger:.. Au fond, Rambaud
est un asianiste naïf: sa rhétorique un peu courte se limite pour toute «figure
de mots» aux citations, mais il a dans l'esprit un idéal de variété et de pompe
« démonstrative» qui a plus d'une analogie, sauf la «figure» centrale, avec
l'idéal du P. Binet.
444 G. Guéret, Entretiens sur l'éloquence de la chaire et du Barreau. Paris,
jean Guignard, 1666, dédié à Colbert, voir p. 129 Si les citations sont néces-
saires dans les plaidoyers. Cet entretien, qui conclut à un usage modéré des
citations. est-il une réplique au Dialogue des citations, de Claude Fleury, resté
manuscrit? (Ms. Fr. 9521 à la B.N.). Sur ce Dialogue, en attendant l'édition
critique que prépare Mlle Hepp, voir son article dans les Mélanges Pintard,
Strasbourg. 1975. En 1705 encore. dans une lettre à un correspondant jésuite,
Maucroix (in Lettres ...• éd. R. Kohn, Paris, P.U.F., 1962, p. 181) traite, en
citant élogieusement Du Vair, de la question des citations.
445 V. René Pintard. ouvr. cit., p. 132-133.
446 Considérations sur l'éloquence françoise de ce temps, ouvr. cit.. p. 144.
608 DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LETTRES
de sauver l'art des citations; afin d'empêcher toute rupture entre litté-
rature et érudition. entre la tradition parlementaire finissante et la tradi-
tion académique naissante.
•
"''''
Entre 16\0 et 1630. les jeunes «lions» de la noblesse de Cour. les
Gaston d·Orléans. les comte de Moret. les comte de Soissons. les duc
de Montmorency. les Bassompierre voient affluer à leur service des
transfuges du Palais. poètes. romanciers. auteurs de ballets de Cour.
qui font bon ménage avec les jeunes gentilshommes pauvres cherchant
fortune par les Belles-Lettres. Ils trouvèrent un premier modèle en Théo-
phile. dont on oublie trop souvent qu'i1 était fils d'avocat 447. En 1622.
ce sont deux jeunes avocats. Guillaume Colletet et Nicolas Frenicle qui
publient le Parnasse satyrique 448. où figurent des vers gaillards de leur
idole Théophile. Ce recueil attira sur l'ami du duc de Montmorency et
sur les imprudents jeunes gens les foudres du Palais et des Jésuites. Et
c'est encore sous le signe de Théophile que l'avocat Charles Sorel publie
en 1623 la première version du Francion.
Dans la mouvance des Nevers. autour de Marolles, de jeunes avocats,
animés des mêmes espoirs ~u'un Alexandre de Filère, viennent contribuer
à fixer « l'usage de Cour. 4 9.
C'est dans l'entourage du duc D'Epernon que naissent les Lettres
de Balzac, dont le succès est l'aube de la littérature classique. Succès
qui, au contraire de celui de Ronsard. fut imposé par la Cour aux
humanistes de Robe.
C'est au service de Gaston d'Orléans que fera ses débuts à Paris
André Mareschal. un des écrivains les plus doués de sa génération. avec
Corneille. et comme lui avocat au Parlement 450. Sa Chrysolite est indemne
de la fascination pour la jeune noblesse d'épée que révélait. dix ans plus
tôt. Francion : le héros n'est plus un gentilhomme qui a ses entrées à la
Cour, mais la jeunesse du quartier Saint-André-des-Arts ; ses amours. son
libertinage de mœurs et d·idées. sa désinvolture et s.a « civilité» n'ont plus
rien à envier à la jeunesse du Louvre. Les noms de pastorale donnés aux
447 Sur la jeunesse de Théophile. voir A. Adam. ouvr. cit.. p. 9-21. Sur
l'origine sociale et la condition de l'homme de lettres au XVII" siècle, voir
G. Mongrédien. La vie littéraire au XVU" si~cle, Paris. Taillandier. 1947. et
Michèle Nicolet, «La condition de l'homme de lettres au XV,," siècle à travers
l'œuvre de deux contemporains, C. Sorel et A. Furetière:.. R.H.L.F. juillet-sep-
tembre 1963, n° 3. p. 369-393.
448 Voir Adam. ouvr. cit., ibid.
H9 Outre l'entourage de Marolles. il faudrait étudier le recrutement social
du cercle de l'avocat Antoine Brun (Adam. Histoire ..., t. l, p. 341).
450 Sur André Mareschal. voir L.-Ch. Durel. L'Œuvre d'A. Mareschal....
Baltimore. 1932 (John Hopkins Studies, XXIII). et l'édition du Railleur par Gio-
vanni Dotoli. Bologne. Patron. 1971.
RUEE DES AVOCATS VERS LE THEÂTRE 609
...
••
Si la Cour s'est imposée comme le public avec lequel il faut compter,
la nouvelle littérature n'est pas son œuvre, mais le plus souvent celle
de robins ayant reçu de l'Université et des Jésuites une formation huma-
niste et du Parlement une empreinte morale et juridique. La Cour
impose les genres qui relèvent de sa tradition propre, le roman, le théâtre,
la poésie amoureuse; l'humanisme y ajoute ses propres genres, l'Ode
panégyrique, et tous les modes du discours. L'homme de lettres qui est
en train de naître se tient à la frontière entre les deux mondes, il est
un médiateur et un passeur. En 1610 et 1630, il a cherché son équilibre,
allant trop loin parfois dans le sens de la Cour pour mieux se détacher
de sa propre famille intellectuelle et spirituelle. Les repentirs furent inévi-
tables. L'exemple le plus frappant est celui de Charles Sorel, vite dégrisé
des f1amboyances de Francion, pour revenir au point de vue critique de
sa caste, et devenir le premier historien de la nouvelle littérature. Même
itinéraire chez un Guillaume Colletet, qui après l'affaire du Parnasse
satyrique, se souvint qu'il avait coloyé un Nicolas Richelet, un Frédéric
Morel et devint un agent dévoué de l'humanisme docte, voire dévot, dans
la vie littéraire parisienne 457, Il prononcera devant l'Académie un éloge
du Ciceronianus d'Erasme 458 et traduira pour elle le De Doctrina Chris-
liana de saint Augustin 459. Un Nicolas Frenicle, complice de Colletet au
temps du Parnasse satyrique, devint avec Godeau un des coryphées de
la poésie chrétienne de forme classique dans le groupe des Illustres
bergers 400.
457 Comme chez Sorel, une vocation d'érudit en français se déclara vite chez
Colletet. Voir outre ses Vies, des traductions comme ceIle de La Doctrine Chres-
tienne de saint Augustin, Paris, Camusat, 1636, entreprise sur les exhortations
de Godeau.
458 Voir G. CoIletet. Discours de l'Eloquence et de l'imitation des anciens,
Paris, SommaviIle, 1658, dédiée au Comte de Servien, avec priv. de Conrart
du 30 déc. 1657. C'est le texte d'une harangue prononcée devant l'Académie
le 7 janvier 1636.
459 Voir N. Frenicle, L'Entretien des JIlustres Bergers, Paris, Dugast, 1634,
p. 165:
Vous, Reine des mortels, 0 divine Eloquence ...
Vous gravez en nos coeurs l'amour de la vertu.
Tout le passage est à lire. Il aura réjoui j. de Maussac: les desertores sont
rentrés au bercail.
460 Sur les JIlustres Bergers, voir M. Cauchie, «Les églogues de N. Fre-
nide et le groupe littéraire des lIIustres Bergers:., dans RH. Philo., 1942,
p. 115-133 ; A. Adam, ouvr. cit., t. l, p. 343, et R. Zuber, Belles infidèles, ouvr.
cit., p. 46-47. Sur le destin littéraire de Frenicle, voir A. Adam, Théophile ... ,
ouvr. cit., p. 242-244, et F. Lachèvre, Le libertinage au XVII' s., Paris, Cham-
612 DE L'AVOCAT À L'HOMME DE LETTRES
Dans cette quête 'd'un équilibre et d'un juste échange entre la culture
courtoise et l'humanisme chrétien des doctes, les avocats ont joué sous
Louis XIII un rôle décisif; ils ont pris souvent l'initiative dangereuse
de rompre la glace entre deux mondes et deux langages qui s'étaient
quelque peu refermés sur eux-mêmes aprés les guerres civiles du
XVIe siècle.
•
••
L'enthousiasme patriotique confère une légitimité officielle à l'e élo-
quence françoise », délivrée des bandelettes du Palais et de l'Université.
Aussi, fort de l'appui de Richelieu, le recueil peut s'ouvrir sur une
harangue vengeresse, dirigée contre les adversaires de Balzac ridiculisés
et humiliés: De l'Eloquence françoise qui va toujours en augm~ntallt
contre l'opinion du Vulgaire, et sçavoir si elle peut se trouver dans les
Lettres.
L'idée d'un progrès ininterrompu, et riche d'un long avenir, soutient
cette prose: mais il s'agit d'un progrès français, reflété par l'éloquence
française. Les Pères conscrits du Palais, qui avec Goulu ont résisté à
l'èvidente supériorité de l'éloquence de Balzac et lui ont opposé celle
de Du Vair, se voient sévèrement étrillés:
II se peut faire que ç'a esté leur père ou leur ayeul qui leur ont appris
que c'esloit le seul escrivain qui meritoit ceste dignité. Voilà pourquoy,
s'ils l'attribuoient à un autre, ils croiroient commettre un sacrilège et ils
ne penseroient pas que l'offense fust moins grande que s'ils avoient contre-
venu aux dernieres volontez de ceux dont ils ont pris origine 463.
•••
Le nouveau style mis à la mode par Balzac, et soutenu par la Cour,
pénètre jusque dans l'enceinte de la Grand'Chambre. En 1629, deux ans
463 Ibid., p. 2.
614 DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LETTRES
Mes enfans, il est meshuy temps que nous sonnions retraite, nous
sommes d'un autre monde, ce je ne sçay quoy qui donne la vie aux
livres est terny dans ma vieillesse, et à peu dire, le temps qui court
maintenant est revestu de tout autre parure que la nostre 487.
alors dans l'amour un aiguillon d'éloquence que le temps seul leur a fait
renier. On n'a pas assez mis en évidence la portée de cette lettre de
Pasquier, un des «primitifs» de la critique littéraire française: elle
prépare le terrain à une réconciliation entre culture parlementaire et
culture de Cour, au nom du progrès de la langOe nationale.
Le «dolce stil nuovo» des Bergers selon d'Urfé, œuvre d'un gentil-
homme humaniste à l'usage des «ignorans» de Cour, était donc perçu
par Etienne Pasquier comme le bien commun de la littérature nationale
renaissante, et recevait grâce à lui des « lettres de créance» auprès du
monde de la Robe .. Lucidité libérale et généreuse, qui contraste avec la
crispation et la révolte du conseiller Jacques de Maussac, du conseiller
Dupré, de Dom Goulu et de Jacques Dupuy, qui se dresseront quelques
années plus tard contre les jeunes gens à qui d'Urfé et ses bergers
avaient donné le goût de la «douceur» en prose .
•
••
Lorsque Olivier Patru alla, à l'imitation des fils de la Grande Robe,
faire son voyage en Italie, il ne visita point, que l'on sache, les doctes
ni leurs bibliothèques: il vit d'Urfé à Turin, et s'attarda trois semaines
auprès de lui. Double initiation: à l'esthétique de la prose française,
et aux charmes de la vie de Cour: « Il me mena aux promenades et me
fict voir tout ce que je voulus voir du grand monde et de la Cour de
Savoie» 469.
Quelques années plus tard, ce sera chez Christine à la Cour de
Suède, ou à Rome, à la Cour humaniste des Barberini, que les doctes de
Robe iront chercher ce qu'ils ne pouvaient obtenir à Paris: des satis-
factions de snobisme. Mais la Cour de Savoie n'est pas une Cour savante,
un Collège pour adultes. Christine de Suède et les neveux d'Urbain VIII
offraient aux humanistes français les plaisirs de l'amour-propre sans
qu'ils eussent à trahir leur vocation érudite. Olivier Patru à Turin
rompait plus audacieusement les barrières: barrière des âges, si difficile
à franchir dans la société traditionnaliste de Paris; barrière des rangs,
si difficile à surmonter dans une société française très compartimentée;
barrière des cultures, la plus subtile mais non la moins grave, dans une
société où le vêtement, la langue, l'éducation, les préjugés séparent le
monde robin du monde nobiliaire. ,La joie de Patru au souvenir de
l'espèce de rédemption qu'il reçut du marquis d'Urfé lui fait écrire:
469 Les Œuvres diverses de M. Patru, 4' éd., t. Il, Paris, N. Gosselin, 1732,
Eclaircissements sur l'histoire de l'Astrée, p. 497. Sur Patru, voir, outre Ch.
Révillout, Les maîtres de la langue française au XVII' siècle, Olivier Patru (1604-
1681) ... , les pages de j. Munier-jolain, dans Les époques de l'éloquence judi-
ciaire, ouvr. cit., p. 27-76, et de Gaudry, Histoire du Barreau, OliVr. cit., t. Il,
p. 1 et suiv.
OLIVIER PATRU, CICÉRONIEN 617
c Je le cherchais comme on cherche une maitresse:. 4TO, De fait pour ce
jeune robin tout rempli de l'Astrée, d'Urfé symbolisait aussi cette source
d'éloquence capable de faire c fondre:t la c dureté:t de style du Palais,
et de faire fusionner en une même prose française culture humaniste et
culture courtoise: l'amour que Céladon et Silvandre puisent aux beaux
yeux de leurs maîtresses, et qui leur fait parler une langue digne du
« doux» Platon et de l'harmonieux Cicéron. Ce n'est pas autrement
qu'un autre jeune avocat, Pierre Cornei1le, explique dans l'Excuse d
Ariste sa rédemption du monde robin, son initiation à la beauté littéraire
et aux raffinements du grand monde:
Charmé de deux beaux yeux, mon vers charma la cour.
470 Ibid. Ces pages charmantes de Pat ru sur sa propre jeunesse (si voi-
sines par leur style "naïf:t des pages de Tristan dans Le Page disgrâcié)
sont à rapprocher de ce passage de l'Eloge de Messire Pomponne de 8ellièvre
(ibid., p. 397) où le même Patru, prenant le ton des Remonstrances, s'écrie:
« Licentieuse jeunesse, qui vous égarez de la voie sainte de vos Pères, jettez les
yeux sur ce rejetton de tant de Héros [ ... j. Ce n'est pas aux Cours, aux Tuileries,
ce n'est ni dans une lâche oisiveté, ni dans des occupations frivoles, c'est dans
la retraite, c'est dans le travail, et loin des plaisirs, même permis, qu'il paSSe
le commencement de sa vie ... »
4T1 D'Olivet, Histoire de l'Académie, cité par Révillout, ouvr. cit., p. 15.
Voir également, ibid., note 1, la citation de Vigneul-Marville: «Le premier
qui intrOduit sur le Barreau ... une manière d'éloquence copiée sur celle des
Anciens ... », et p. 23: Il Il fit aimer Cicéron à Perrot d'Ablancourt.» Révillout
fait remarquer que Patru s'opposa au dessein des Fables de La Fontaine,
genre jugé «frivole », comme le prouve le passage de Tristan, cité supra note
410. Le Cicéron de Patru se tient soigneusement à mi-chemin des traditions du
Palais et du goût des gens de Cour.
618 DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LETIRES
tamen médiéval; avec Du Vair, était apparu une première tendance
cicéronienne, ajoutant au docere la « force et la véhémence 'b du movere ;
avec Patru, si le principe du docere n'est pas abandonné, il s'allie au
deleclare, à la « douceur» du beau style, plutôt qu'au movere du grand
style civique. Avec une grande précision critique Vigneul-Marville trouve
Patru plus disert qu'éloquent, selon une distinction faite par Cicéron
lui-même 412. Quant à Ménage, au fond très fidèle à la tradition du
Palais, et aussi peu indulgent pour Patru que pour Balzac, il ne reproche
pas seulement au premier de préférer les «mots)) aux li choses 'b mais
de ne pas avoir «la prononciation 'b belle 473. Chez Patru, l'écrivain
académique et l'homme du monde percent sous l'avocat.
Introducteur de la «belle élocution» dans la citadelle de l'éthique
oratoire, Patru a cn effet les yeux tournés vers le «monde» autant
que vers son auditoire professionnel de juges. Tallemant 414 nous rap-
porte ses amours avec de belles bourgeoises fascinées par sa bonne
mine, mais aussi par ses bonnes manières et son beau langage. Et ses
plaidoyers peu nombreux, mais artistement écrits, devenaient l'objet
d'entretiens littéraires dans les ruelles de la rive gauche, où sa conver-
472 Cie., De Draiore, l, 21, 94. L'orateur disertus est l'orateur ordinaire,
4ui se contente de convaincre un auditeur moyen, avec des pensées moyennes.
L'orateur qui vise à l'idéal de la grande éloquence, et qui en a les ressources,
mérite seul le titre d'eloquens. Voir aussi Topica, III, 2, et Drator, 5, 19.
Voir les analyses d'A. Michel dans Rhétorique et philosophie .•. , ouvr. cit., p. 135,
196, 218. On peut rapprocher le jugement de Vigneul-Marville de celui de
Maucroix, dans sa lettre au P. de la C. de J. (dans Lettres, éd. cit., p. 181-182)
qui, à propos de Patru, écrit: «II faut se contenter de la pureté et de l'élé-
gance du langage, sans y apporter un soin excessif, qui coûte beaucoup à
l'orateur et ne plaît pas à l'auditeur [ ... ] J'aime un discours plein d'ornements,
mais sans affèterie; une belle expression m'enlève, pourvu qu'elle soit juste;
je conseille l'agrément du style, mais je veux que la force et l'énergie n'en
souffrent pas.» Cette doctrine est très voisine de celle que La Mothe Le Vayer
avait formulée dès 1638 dans son traité De l'Eloquence française, qui s'oppose
aux excès de la « belle élocution» selon Patru et surtout selon Vaugelas. Mau-
croix justifie cette doctrine de la «négligence diligente 'b par le génie des
Français, «ennemis de toute contrainte» et donc des «périodes si concertées
des Grecs et des Romains », mais aussi par l'exemple du «divin Platon », dont
l'éloquence «infinie» ignorait l'art périodique inventé plus tard par Isocrate.
Les éloges dont Maucroix couvre ensuite Du Vair montrent bien que c'était
là, encore en 1705, le goût de la Robe polie (Maucroix avait été avocat, et
avait même plaidé).
4T3 Voir les bonnes pages de Révillout, ouvr. cit., p. 21 et suiv., ainsi que
la lettre (cit. ci-dessus) de Maucroix qui ironise sur «ses plaid oie ries qu'il a
limez cent et cent fois; car il s'en faut bien qu'il les ait donnez au public tels
qu'ils les avoit dits au Barreau; et ceux que j'ai veus ou entendus, avant
qu'il y eût rien changé, me paroissent d'un style plus ferme, plus aisé, plus
oratoire» (Lettres, éd. cit., p. 182). Ici encore, Maucroix suit La Mothe Le Vayer
qui dans De l'Eloquence française, p. 126 et 132, critique les éplucheurs de syl-
labes qui gâchent leurs «premières expressions» par excès de purisme éloclI-
toire. II faut opposer les «corrections 'b de Patru, à celle de Le Maistre qui
éditant ses plaidoyers, y remplacera les citations profanes par des citations
des Pères.
474 Tallemant, éd. Adam, t. 1 et II, passim. Patru, qui n'a pas son « histo-
riette », n'en est pas moins un des personnages les plus souvent cités par
Tallemant.
PATRU bŒDIATEUR ENTRE LE PALAIS ET LA COUR 619
475 Œuvres, éd. cit., t. Il, p. 912, cit. par Revillout, p. 18.
476 Ces vues coïncident exactement avec celles de Scaliger, dans sa Poé-
tique. Il est probable que l'idée de la «perfection ~ de la langue française qui
sous-tend l'activité de Patru grammairien est une transposition au français des
vues de Scaliger sur la perfection de la langue latine, Idée qui ne s'est réalisée
pleinement à Rome que dans la prose augustéenne, en gestation auparavant,
en décadence ensuite. Sur les conceptions de Scaliger sur la langue latine, et
sa perfection, voir, outre son De causis linguae latinae (1540), les pages que
lui consacre J.-Cl. Chevallier, La notion de complément chez les grammai-
riens (ouvr. dt.), p. 176 et suiv. Le rapport entre usus et ratio défini par Sca-
liger est au principe du travail de Patru (voir Révillout, ouvr. cit., p. 18 et
620 DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LETTRES
chez les Romains a été rejoint à la fin de l'ère républicaine. Avant, tout
était en germe. Après, tout est entré en décadence. Tout semblait concor-
der: la fin de l'ère « républicaine» en France, l'avènement d'un régime
de Cour absolutiste; l'intérêt grandissant pour la pureté du vocabulaire,
la douceur de l'ordre des mots et l'élégance du style. La mise au point
d'une langue littéraire, pure de tout accident provincial ou populaire,
conforme à la « raison» du français, faisait de celui-ci une langue à la
fois classique et royale.
Le Palais lui était-il reconnaissant de cette fidélité en esprit? On
peut en douter. Le petit nombre de ses plaidoyers, même si les causes
qu'il défend sont distinguées 477, semble indiquer que la clientèle préfé-
rait des orateurs moins diserts, mais plus à l'aise à l'audience, et surtout
mieux en cour auprès des Juges. Comment un Molé, un Bignon, un
Talon, comment leurs collègues du Parquet auraient-ils pu regarder cet
avocat bel esprit, apprécié par l'entourage du cardinal, autrement qu'avec
méfiance et dédain? On peut supposer sans risque de se tromper que
bien des allusions sévères contenues dans les Remonsfrances de Bignon
et de Talon visaient Pat ru et l'esthétisme paganisant dont sa vie et sa
prose semblaient témoigner.
Pourtant il ne fut pas un isolé comme Alexandre de Filère. Il « ren-
contre» le goût d'un public mondain pour une prose capable de l'ins-
truire sans le rebuter: les Huit oraisons de Cicéron, véritable manifeste
que Pat ru et ses amis publient en 1638, sont lues ailleurs que dans les
cabinets savants; Tallemant rapporte que «M. de Pisani les aimoit et
les Iisoit à toute heure» 478, plus pour leur langue, sans doute, que pour
leur substance. Mais Patru rencontre aussi d'autres robins, à commencer
par Perrot d'Ablancourt, qui partagent son ambition de créer en français
une langue littéraire nationale, commune à la Robe et à l'Epée, et
conciliant le « bel usage» de Cour avec la tradition humaniste. Le Palais
ne voulut pas comprendre la sage prudence de ses fils. La République
des Lettres, et l'Académie, furent reconnaissantes à Patru et à d'Ablan-
court: leurs traductions élégantes de grands textes humanistes plaçaient
l'évolution littéraire sous l'autorité «classique» des Anciens et impo-
saient à l'hédonisme mondain les limites d'un goût attique .
•
••
•
••
Les Mémoires d'Arnauld d'Andilly, comme les Vitae de Ménage, sont
un monument de généalogie humaniste, où la noblesse d'une famille
est attestée non par de hauts faits politiques et militaires, mais par les
talents et les triomphes oratoires. Leur style est celui, orné et ampoulé,
du panégyrique: il se veut digne des imagines majorum dont il dessine
le portrait exemplaire à l'usage de Pomponne, héritier de la lignée et
chargé de ses espoirs terrestres. Cette pompe est d'autant plus voyante
chez d'Andilly qu'elle voudrait se faire oublier par de longues tirades sur
la «vanité des choses de ce monde », et la «fragilité des grandeurs
terrestres ». Tant de désenchantement chrétien n'est que le revers d'un
orgueil personnel et gentilice déçu, reporté sur le fils, mais qui persiste
à n'apercevoir rien au-dessous de lui sur cette terre. «Nulle autre
fortune, écrit-il, ne peut rendre un homme véritablement heureux selon
le monde que celle des souverains» 484. Et lucide sur les ressorts magna-
nimes de son humilité, d'Andilly ajoute:
je n'ai jamais eu aucune ambition, parce que j'en avois trop, ne
pouvant souffrir cette dépendance qui resserre dans des bornes si étroites
les effets de l'inclination que Dieu m'a donnée pour les choses grandes,
glorieuses à l'Etat, et qui peuvent procurer la félicité des peuples 485.
qu'il vit en lui seul un dauphin. Celui-ci, par son prestige oratoire propre,
aussi bien que par celui qu'il héritait, pouvait espérer, selon d'Andilly,
« les plus hautes charges» du Royaume. Il mit, nous dit-on, son point
d'honneur à n'en vouloir d'autre que celle d'avocat au Parlement de
Paris, Mais d'Andilly prend soin de nous démontrer qu'il a porté la
profession à la dignité de véritable magistrature civique à l'antique.
C'était un magnanime: «Jamais homme, déclare-t-il sans ambages,
n'eut tout ensemble et au plus haut degré toutes les parties pour faire
un grand Chancelier de France» 487. C'était un magnifique; «II vivoit
si splendidement et il étoit si libéral» 488. Et sur cette nature d'exception,
une vis oraloria proprement héroïque prenait son essor, accablant de
ses pamphlets les ennemis du Roi 489, galvanisant les énergies en temps
de guerre 490, illustrant le Parlement en temps de paix:
Nul autre de son temps n'a fait des actions publiques si éclatantes,
ni fait paroistre tant de force dans ce qu'on appelle déployer les mais-
tresses voiles de l'éloquence.
491 Sur Le Maistre, voir, outre les pages toujours justes de Sainte-Beuve,
Gaudry, Histoirç du Barreau, ouvr. cit., t. Il, p. 10 et suiv.; Ch. A. Sapey,
Etudes biographiques pour servir à l'histoire de l'ancienne magistrature, G. Du
Vair, Antoine Le Maistre, Paris, 1858 ; L. Monty, G. Du Vair et A. Le Maistre,
da!1s Essais de critique historique, Dijon, 1877, p. 21-35 ; Th. Froment, Essai
sur l'histoire de l'éloquence judiciaire en France avant 1789, ouvr. cit. ; J. Orci-
bal, Les Origines, ouvr. cit., t. Il, p. 535 et suiv.
ANTOINE LE MAISTRE 627
492 Voir les lettres de Balzac à Le Maistre, dans Œuvres, t. I, éd. 1665,
en particulier lettre 52, du 1. VI, p. 251 (II nov. 1633): «Les acclamations
Que vous excitez dans le Palais résonnent partout... Mais Monsieur, je ne
me contente pas de battre des mains et de louer votre bien dire comme les
autres ... » Voir aussi les lettres de Chapelain à Balzac sur la retraite de Le
Maistre.
493 Voir, outre Sainte-Beuve, Port-Royal, éd. Pléiade, t. l, p. 482 et suiv.,
J. Orcibal, Origines du jansénisme, t. Il, p. 535 et suiv. Sur le rôle de Bignon
dans l'échec du mariage de Le Maistre avec Mlle de Cornouaille, voir ibid.,
p. 537, notes 2 et 4.
628 L'AVENTIN DE LA PAROLE GALLICANE
•
••
Le regroupement des derniers fidèles sur une sorte d'Aventin chrétien,
face au Cardinal-Imperator et à sa Cour, ne fut pas l'œuvre d'un magis-
trat, mais d'un ecclésiastique, digne de saint Jérôme par l'érudition
humaniste, digne de saint Augustin par la profondeur doctrinale et l'élo-
quence : l'abbé de Saint-Cyran. Mieux que l'éloquence savante de Jérôme
Bignon, l'abbé était capable de rendre une voix aux « Pères des premiers
siècles» pour tenir tête aux «satellites» des Empereurs païens. Par le
.ieu de l'Histoire, magistra vitae, le drame de l'humanisme gallican prenait
à Paris les couleurs épiques et héroïques que Baronius avait su donner
aux Annales ecclésiastiques de la Rome chrétienne Ml. Devant Saint-
Cyran, l'humilité d'un Bignon est de la même qualité que celle d'un
Le Maistre; elle rejoint la fascination qu'éprouve Balzac devant l'abbé:
tous trois croient entendre un « nouveau Saint Paul ».
Balzac par sa parenté Nesmond, Bignon, par sa profonde érudition
gallicane, Le Maistre par les traditions de sa dynastie d'avocats, tous
600 Sainte-Beuve a fort bien senti que, chez les dévots, les exempla de
l'Antiquité chrétienne jouaient le même rôle que chez les humanistes profanes
les exempla de l'Antiquité païenne (voir Port-Royal, éd. cit., t. l, p. 394-395).
Le P. Caussin s'était employé, dans sa Cour Sainte (1624-1631) à vulgariser en
français un grand nombre des exempla qui parsemaient les Annales Ecclesias-
tici de Baronius. Et ces modèles de vertu héroïque et d'éloquence chrétienne
face aux persécuteurs trouvèrent des échos jusque sur le théâtre, quelques
années plus tard. La mort de Cinq-Mars et De Thou sur l'échafaud est
rapportée par leur ami Fontrailles dans le style des Acta Martyrum. Le Pré-
sident Barillon, exilé par Richelieu, est qualifié par ses amis de «Martyr
d'Etat ».
601 J. Orcibal a montré qu'après la mort de Bérulle, Saint-Cyran fait figure
de « chef du parti dévot» (Origines ... , t. Il, p. 517), antithèse du «chef des
machiavélistes », Richelieu. Cette opposition politique ne pouvait que se tra-
duire aussi par un conflit dans l'ordre oratoire; c'est justement ces années-Ià
que Richelieu apporte son appui le plus vigoureux à l'équipe de gens de lettres
« cicéroniens» qui plaident en beau langage pour sa politique, tandis que
Saint-Cyran accentue son radicalisme anti-rlrétorique, reprenant à son compte
le combat de Goulu et de Camus.
LE MAISTRE ET SAINT-CYRAN 631
•••
La rencontre avec l'abbé tient dans la vie de Le Maistre le même
rôle initiatique, toutes choses égales, que la rencontre avec d'Urfé joue
dans la carrière de Patru. Dans ces deux entrevues antithétiques, diver-
gent les chemins de l'éloquence gallicane. Appelé par les sirènes cour-
toises de l'Astrée, Patru introduit au Palais ce que les Avocats Généraux
avaient depuis toujours redouté d'y voir apparaître: l'élégance du lan-
gage de Cour. Avocat-homme de lettres, il représente le type même du
robin acceptant un compromis entre les traditions de son milieu et
l'influence prédominante de la Cour. Appelé par la sublime sévérité de
Saint-Cyran, Le Maistre découvre à Port-Royal, comme extrait de la
gangue du Palais, une nouvelle «Eglise des premiers siècles:o, déposi-
taire de la Parole originelle que les Avocats Généraux, de Pibrac à
Bignon, convoquaient en vain le Parlement à retrouver et à servir. Il
rend manifeste la sécession d'une élite de robins gallicans fidèles au
plus pur de leur projet historique: l'idéal érudit de réforme chrétienne.
Avec pénétration, Sainte-Beuve a senti la gravité de l'enjeu. Toute-
fois, il a cru bon, pour mettre ses héros à leur vraie hauteur,
d'accabler son confrère en littérature, Balzac, lui reprochant de
n'avoir pas, comme Le Maistre, cédé à la fascination de Saint-Cyran ~02.
A chacun ses devoirs. Grand Supérieur des Lettres françaises naissantes,
il est heureux que Balzac ait pu se prêter sans y céder à l'influence du
grand abbé. Mieux que personne, il a su comprendre et analyser en
artiste du langage la nuance de sublime chrétien que Saint-Cyran était
capable de communiquer à la langue française 503. De même, et avec
1104 Rapprocher les jugements de Balzac sur Richelieu orateur: «II est
certain que l'Authorité des Rois n'est point si souveraine que celle que vous
exercez sur l'âme de ceux qui vous escoutent» (sept. 1622). Voir aussi lettres
du même mois et d'avril 1621, et ses jugements sur Saint-Cyran orateur (lettre
du 12 janvier 1626 cit.): «Vous estes aujourd'huy le plus grand Tyran qui
soit au monde, vostre authorité s'en va estre redoutable à toutes les âmes [ ... ].
quand vous parlez. il n'y a point moyen de conserver son opinion, si elle
n'est conforme à la vostre. l) Dans les deux cas l'auctoritas de l'orateur crée
à elle seule un effet de «sublime» qui défie l'analyse rhétorique.
1105 Voir dans J. Orcibal, Origines ...• 1. Il, le ch. Un chanoine bel esprit,
p. 179 et suiv. Les deux œuvres mineures qui précèdent l'Apologie, la Question
Royale, et le poème latin sur la mort d'Henri IV (ibid., p. 159 et 167) mon-
trent la dette contractée par Saint-Cyran envers la logique des Jésuites (voir
par ex. le Generale artificillr.1 oratiollls cujuscumque componendae. longe facil-
L'ITINÉRAI~E O~ATOIRE DE SAINT-CV~AN 633
l'exemple de Du Perron. que ses triomphes d'orateur à la Cour avaient
conduit à la pourpre, faisait école.
Comme Du Perron et comme Richelieu, Saint-Cyran semble avoir été
alors pénêtré de cet idéal d'Orator catholique, dont Muret s'était fait
l'initiateur à Rome, et dont en France Du Perron s'était appliqué à
forger une version d'Eglise, tandis que Du Vair s'employait à l'introduire
au Palais. L'éloquence «véhémente» de l'Apologie pour La Rochepozay
révèle à la fois des dons et une technique oratoires exceptionnels, appli-
qués avec aisance à la langue vernaculaire. Point de citations coupant le
rythme des périodes, point de redondances marquant les hésitations du
c latineur» traduisant à grand ahan des «lieux» empruntés aux An-
ciens ; la force sobre du raisonnement et la vigueur bien rythmée 608 du
phrasé dêpassaient même en qualité ce qu'un Du Vair ou un Du Perron
avaient tenté dans le même genre en français ..
Cette version ecclésiastique de l'éloquence civique se soutenait chez
Saint-Cyran, comme le voulait Muret, d'une éthique de la magnanimité.
Tout en se servant de celle-ci comme « lieu» de l'éloge de l'évêque de
Poitiers, l'Abbé se l'applique indirectement à lui-même et justifie par
elle son autorité d'orateur sacré, tranchant du temporel comme du
spirituel, très au-dessus des orateurs profanes. Pour l'auteur de l'Apo-
logie, l'Eglise est un «corps politique ». les évêques sont ses magistrats,
qui ont juridiction sur les corps comme sur les âmes. Cette toute-puis-
sance épiscopale, reflet de celle de Dieu. échappe aux jugements moraux
des «hommes communs» 1107: les préceptes évangéliques ne sauraient
servir à déchiffrer cc les secrets mystérieux» de la prudence politique
au service de l'Eglise. Et les «petites âmes» sont incapables de com-
prendre la «grandeur du courage» des «âmes généreuses" avides de
gloire au service de Dieu, de l'église et du Roi. Cette éthique d'aristo-
cratie sacerdotale était articulée à une casuistique, nécessaire pour justi-
fier par l'intention des actes condamnables par la morale ordinaire, C'est
exactement celle dont Richelieu soutient alors son ascension vers le
pouvoir suprême, et qui ne cessera de l'exalter jusqu'à son dernier souffle.
•
••
Il n'est pas nécessaire de revenir, après Jean Orcibal, sur les conver-
sions qui feront passer Saint-Cyran de ce christianisme politique et extra-
verti à l'intériorité augustinienne d'un confesseur de la vraie foi. Tel qu'il
apparut aux mémorialistes Lancelot et Fontaine, tel qu'il fut connu
d'Antoine Le Maistre, Saint-Cyran orateur n'est plus le brillant élève
de la rhétorique romaine, mais le champion d'une parole chrétienne et
française contre l'art oratoire païen, le rédempteur du Verbe, ailleurs
captif des illusions et des calculs des rhéteurs dévots .
•
••
Que reproche en effet Lancelot, jeune prêtre de la communauté de
Saint-Nicolas du Chardonnet, à son premier maître, M. Bourdoise? La
foi naïve dans une rhétorique dévote, faisant fonds sur les techniques
tout extérieures de la persuasion (peritia dicendi) et non sur la contagion
d'une intériorité vraiment chrétienne:
je vois bien, dit-il à son ami, que l'esprit de ce prêtre est un peu
extérieur, et qu'il renferme tout dans sa parole. Il s'imagine qu'il n'y a
qu'à bien presser un homme pour le convertir. Il fait pour ce qui regarde
les mœurs comme le P. Véron pour les erreurs des hérétiques: ils croient
tous qu'il n'y a qu'à beaucoup crier li08.
•
••
11 ne faut pourtant pas s'y tromper: le « naturel» et le «sublime»
chrétiens atteints par le dernier Saint-Cyran ne démentent nullement
la formidable préparation oratoire de celui-ci; ils la rendent invisible
et s'en servent comme d'un conducteur docile et ductile aux effets de
la Grâce.
Lancelot ne voit d'ailleurs aucune contradiction entre l'art oratoire
dont Saint-Cyran avait donné tant de preuves, et «l'abondance de
cœur» qui l'abolit au cours de ses sublimes effusions; même il s'enor-
gueillit des succès de son maître auprès du public lettré:
des plus éloquentes qui eOt paru en notre langue; elle peut servir d'ex-
cellent modèle de louange que l'on veut donner à un grand sans le
flatter 11111.
•
••
Maître d'un immense réservoir de «lieux" qui faisait de lui une
vivante Bibliotheca Patrum, maître des techniques de disposition et d'élo-
cution françaises mises au point par la génération de Du Perron et de
Du Vair, Saint-Cyran était à même de dépasser à la fois la « rhétorique
•
••
Dans une de ses Lettres chrétiennes et spirituelles, Saint-Cyran nous
livre le dernier état de sa pensée sur le style chrétien:
n suffirait, à mon avis, écrit-il, que la vérité fût revêtue de paroles
communes, et de celles qui coulaient de la même source de l'esprit qui
•
••
Les deux genres auxquels Saint-Cyran se confie dans les dernières
années, la «conférence» entre intimes et la «lettre spirituelle », sont
parfaitement accordés à cette rhétorique de la simplicité chrétienne et
française. La conférence dans le recueillement du cénacle dévot conjure
les tentations de la parole publique, et des grands genres de l'éloquence
sacrée. La prédication de M. Singlin dans la chapelle de Port-Royal
tentera de préserver ce « style bas» qui élude toute science et toute tech-
nique voyantes pour aller du cœur au cœur. La lettre spirituelle, destinée
à la méditation silencieuse, est la version écrite de la c conférence:. :
aux antipodes de la lettre selon Balzac, el1e cache les mots sous les
choses, et sa correction même ne tient compte des goûts et dégoûts mon-
dains que pour ne pas leur fournir prétexte à se distraire de la vérité:
642 L'AVENTIN DE LA PAROLE GALLICANE
527 Entre l'Oraison funèbre de Le Fèvre par Goulu, qui cite saint Bernard
avec tant d'éloges, et Saint-Cyran qui en tire inspiration, un effort considérable
de traduction des œuvres de l'abbé de Clairvaux avait eu lieu. En 1620, Jean
Tournet traduit les Sermons (Paris, Billaine, 2 vol. in-4°); en 1621-1622,
sœur Françoise Ou de au traduit les Sermons méditatifs du dévot P. Saint
Bernard sur le Cantique des Cantiques, Paris, Le Boullanger, 2 vol. in-Bo, et
en 1622, Maître Philippe Le Bel publie Les Œuvres de St Bernard mises la
plus grande partie en français, Paris, Soly, 2 part. en 1 vol. in-fol. En 1649-
1654, paraîtront Les Lettres de Saint Bernard traduites par le R.P. Dom Gabriel
de St Malachie, Paris, Meturas, 2 vol. in-Bo, précédées par un beau sonnet de
P. Corneille. Pour une traduction moderne, voir Etienne Gilson, Saint Bernard,
textes choisis et présentés, Paris, Plon, 1949. On ne saurait d'ailleurs oublier
que l'abbaye de Port-Royal, réformée par Angélique Arnauld, appartenait à
l'Ordre des Bénédictines de Cîteaux, et que la réforme ne pouvait que ramener
ses moniales vers saint Bernard. Les Feuillants - ordre auquel appartenaient
Dom Goulu, et Dom Gabriel de St Malachie - étaient aussi des cisterciens
réformés.
644 L'AVENTIN DE LA PAROLE GALLICANE
•••
Le rapprochement avec Montaigne s'impose ici: même privilège
accordé aux sources intérieures du discours, même dédain pour l'effet à
produire sur l'auditeur selon un decorum fixé par la coutume sociale;
même dédain d'un travail de la forme selon un canon de beauté fixé
par convention et obtenu par art; et surtout même façonnement de
l'auteur par l'invention de son propre discours, comme si celui-ci avait
pour première fin non de convaincre autrui, mais de faire jaillir une
530 Rapprocher par exemple le passage des Essais, éd. cit., p. 204, et Philon,
Quod deterius ... , 126-128, dans Œuvres, éd. du Cerf, Paris, 1961, t. l, p. 97.
531 Voir Orcibal, La spiritualité ... , ouvr. cit., p. 269 et 483.
532 Sur l'influence de Philon sur les Pères de l'Eglise, voir le volume Philon
d'Alexandrie, Paris, C.N.R.S., 1967; l'introd. à l'éd. cit. des Œuvres par
R. Arnaldez ; et G. Verbeke, L'évolution de la doctrine du pneuma du stoïcisme
à St Augustin, Paris-Louvain, 1945. Voir également d'intéressants rapproche-
ments entre la doctrine du Logos prophorikos et endiathetos (modus inveniendi
et proferendi) de Philon et son interprétation chrétienne chez saint Augustin
et saint Ignace d'Antioche (souvent cité par Saint-Cyran), dans Joseph-Anthony
Mazzeo. «Saint Augustine's rhetoric of silence », Journal of the history of
ideas, XXIII, 1962.
533 Philon, Quod deterius ... , analysé par A. Michel, Quelques aspects de
la rhétorique chez Philon, art. cit., p. 84-85.
646 L'AVENTIN DE LA PAROLE GALLICANE
Les ouvrages, dit-il, qui sont faits avec l'esprit de Dieu, et avec une
entière pureté de cœur, se font ressentir en les lisant, et ils produisent
des effets ,de grâce dans les âmes de ceux qui les lisent dans tous les
siècles de l'Eglise G34.
Que nostre langue, plus parfaite desjà que pas une des autres vivantes,
pourroit bien enfin succéder à la latine, comme la latine à la grecque,
si on prenoit plus de soin qu'on n'avoit fait jusques ici de son élocution,
qui n'estoit pas en vérité toute l'éloquence, mais qui en faisoit une fort
bonne et fort considérable partie G85.
Tout est donc dans la manière et non dans la matière. Mais cette
manière devra transcender l'usage des diverses castes du royaume,
« peuple », «chicane », «courtisans ignorans », «chaires» pour devenir
un «usage certain ». La doctrine qui inspire le rédacteur du projet est
nettement scaligérienne : il s'agit de trouver une Idée de la langue sous
les « ordures» que les idiomes spécialisés ont accumulées.· Aussi, lorsque
Vaugelas, respectueux avant tout de l'usage de « la plus saine partie»
de la Cour, aura publié ses Remarques, un La Mothe Le Vayer et un
C'est pourquoy nous dirons que ces derniers (les vrais créateurs) res-
semblent à ceux qui plantent des vergers ou qui ont dessein de faire
venir du bois de haute fûtaie, à quo y ils travaillent avec le plus d'ordre
et de grâce qu'on y peut apporter, sans s'amuser pourtant à sasser la
terre, ni à éplucher jusqu'à la plus petite pierre 542.
conscient de cette rupture entre les c choses :t et les c mots:t qui trouble
aussi bien les philosophes que les chrétiens augustiniens. Mais il a
tenté de faire du seul c langage :t l'héritier de la pleine éloquence d'autre-
fois.
Deux des harangues prononcées dans les années 1635-1636 s'atta-
chent à restaurer la bonne conscience chrétienne de l'Académie. Le 22
février 1635, Godeau prononce une harangue Contre l'Eloquence. Est-ce
seulement, dans une c Académie d'éloquence », un paradoxe de rhéteur?
En fait le futur évêque de Grasse s'emploie à dénoncer devant l'Académie
tout ce que d'un commun accord, depuis 1620, les Maussac, les Laval,
les Goulu, reprochaient à l'éloquence sacrée c sophistique », et à la litté-
rature de Cour enflée d'hyperboles et parée d'excessive douceur. Il fait
entendre aux «académistes» que l'atticisme de la forme est la garantie
élémentaire d'une piété chrétienne sobre et solide.
Respectueux de l'esprit de l'institution, il aborde le problème religieux
sous l'angle de l'élocution. Et par une coquetterie bien dans sa manière,
il fait le portrait de 1'« éloquence coupable» dans le langage même de
celle-ci, la description colorée et pathétique.
Par une savante progression d'épithètes - «criminelle, débauchée,
mercenaire» - Godeau prépare ses confrères à la « peinture parlante»
d'une Eloquence damnée, morceau de bravoure dont il soigne, avec un
talent dramatique mal contenu par les scrupules, le relief plastique.
Le monstre odieux, qui résume en lui tout l'art des jésuites et des bouf-
fons de Cour, surgit enfin, sous les apparences
543 Voir, pour ces harangues académiques, le Ms. Fr. 645 à la B.N. On
y trouve le discours de Godeau aux fOI 66-86. Ce passage figure fo 75.
544 La préface de cette traduction fait clairement allusion à une «com-
mande» amicale de Godeau.
652 LE PARNASSE DE L'ELOQUENCE ROYALE
extrêmitez du Monde [ ... ] Elle est sage et bien disante, elle a une excellente
connoissance de soy-mesme, et connoist exactement tous les autres. Elle doit
l'honneur de sa naissance au travail, comme elle doit son éclat à la Mémoire [... ]
C'est cette merveilleuse éloquence qui a présidé dans le Conseil d'Athènes et
qui a triomphé dans le Sénat de Rome. Mais lorsqu'elle a veu que par le
changement des Estats et des Empires, les Places publiques et les fréquentes
Assemblées n'estoient plus le théatre de sa Gloire, qu'a-t-elle fait en cette
occasion? Elle n'a point refroidy l'esprit de ses Orateurs; de leur langue elle
s'est escoulée dans leur plume, et nous la voyons encore aussi pompeuse dans
leurs Escrits, qu'elle parut autresfois superbe dans leur bouche» (p. 10-11).
C'est un siècle d'humanisme que Colletet résume devant l'Académie: le passage
du mythe de l'éloquence civique à la littérature, de la liberté de l'Orateur poli-
tique à l'art de l'écrivain, se trouve emblématisé en une "Image,. (p. 10, au
sens technique d'Imago) qui symbolise aussi le consentement à l'ordre monar-
chique.
549 Ibid., p. 50. Il faut souligner que, pour Colletet, la «vraie éloquence>
ne s'oppose pas à la fausse comme la «solidité» architectonique s'oppose à
la fluidité de l'écoulement mondain, mais comme «ces petits vents qui s'amo-
lissent dans leur course» à "ces grands fleuves qui deviennent plus profonds
et plus vastes, plus ils s'éloignent de leur source ». Les deux métaphores
reviennent d'ailleurs au même: le courant puissant qui inspire la «vraie élo-
quence », et qui a pour «source» l'anamnèse érudite, n'envahit le monde des
apparences fuyantes que parce qu'il ne dépend pas de lui.
5~0 Cette harangue se trouve dans le ms. déjà cité B.N. Fr. 645, fG' 52-64 VO,
Le passage cité se trouve f o 54 r O et VO.
551 Sur la notion de «diversité », liée à la variefas ingeniorum, voir Tal-
lemant, éd. Adam, t. l, p. 484, «Mme de Rambouillet dit qu'elle a trouvé dans
l'Examen des Esprits... >. Outre l'édition Chappuys, il existe de l'Examen des
Esprits une traduction de Vion d'Alibrax, Paris, 1645. C'est celle-ci que Mme de
Rambouillet a dû consulter. Vion d'Ahbray a également traduit deux œuvres
654 LE PARNASSE DE L'ÉLOQUENCE ROYALE
554 Fo 59 vo. Cette opposition entre le Peuple (de goût sain, mais grossier)
et la Cour (de goût étroit, mais raffiné) se poursuit dans l'analyse des deux
publics de théâtre: «De mesme le vulgaire et les honnestes gens considèrent
différemment l'appareil des spectacles, l'un estant ravy de la grandeur et du
nombre, de l'artifice et de la disposition des choses, ainsi la foule admire le
bruit et l'abondance là où la Cour ayme l'élégance des termes et la gentillesse
des pensées. »
11115 Ibid., fo, 60 r O et vO.
ô56 LE PARNASSE DE L'ÉLOQUENCE ROYALE
558 Ibid., fO 58: l'éloquence est longtemps demeurée «cachée chez des
particuliers », «la fureur de la guerre la contraignait de quitter les villes et
chercher de la seuretté plutost que du loisir dans la solitude [... ] mais à ceste
heure elle est déclarée nostre Princesse naturelle et vous estes, Messieurs,
assez choisis pour faire la Cour à ceste grande Reyne, pour estre les inter-
prètes de ses volontez et les dépositaires de ses loix ». Hay repousse la ten-
tation de Colomby, qui est, avec la tentation de «céder au temps », l'un des
deux termes du dilemme académique.
ô58 LE PARNASSE DE L'ÉLOQUENCE ROYALE
559 Voir pour la première harangue, Pellisson, Histoire ... , p. 103, et pour
la seconde Ms. Fr. 645 cit., fG' 45 et suiv., sans nom d'auteur mais que nous
attribuons à Chapelain, d'accord en cela avec R. Zuber (comm. verb.).
ÉLOQUENCE ET URBANITÉ 659
Toutefois, sitôt que la « triste Austérité ~ des origines eut fait place
à la « joye », et à « l'humanité », 1'« Urbanité» romaine a dépassé « l'Atti-
cisme» des Grecs. Mais n'est-ce pas ce qui est en train de se passer,
et ne voit-on pas les fils des Catons, sans renier leur bonne race, devenir
d'honnêtes gens à la française?
Et poursuivant ce jeu de va-et-vient entre Rome et Paris, Balzac
n'hésite pas à définir le sens qu'est en train de prendre à Paris, et tout
particulièrement chez la noble marquise, le mot nouveau d'urbanité:
Ce mot exprime un certain air du grand Monde et une couleur, et
teinture de la Cour, qui ne marque pas seulement les paroles, et les
opinions, mais aussi le ton de la voix et les mouvements du corps. Soit
qu'il signifie une impression encore moins perceptible, qui n'est reconnois-
sable que par hazard ; qui n'a rien que de noble et de relevé, et rien qui
ne paroisse ou estudié ou appris, qui se sent et ne se voit pas et inspire
un genie secret, et que l'on perd en le cherchant 560.
Par analogie avec une société qui, mieux que la Cour, est la dépo-
sitaire du «meilleur style» français, Balzac évoque «Cicéron et ses
amis », les sénateurs-honnêtes gens de la Rome républicaine finissante :
Je ne doute point qu'après les avoir veu tonner et mesler le Ciel dans
la tribune aux harangues, ce ne fut un changement de plaisir tres-agreable
de les considerer sous une apparence plus humaine, estans désarmés de
leurs Enthymemes et de leurs Figures, ayant quitté leurs Exclamations
feintes et leurs Choleres artificielles, paroissant en un estat où l'on pouvoit
vraiment dire qu'ils estoient veritablement eux-mêmes [ ... ) Ces sentimens
qui partoient du cœur, estoient cachés dans les grandes assemblées, et ne
se descouvroient qu'à deux ou trois amis 561.
Dans une société traditionnelle, la valeur des noms, des êtres et des
choses est mesurée au poids du temps dont ils ont supporté l'épreuve.
A cette aune, les jésuites apparaissent comme des homines novi, nou-
veaux venus, dans un paysage coutumier, nouveaux riches de l'humanisme
et de la religion .. Le Parlement de Paris et ses filiales peuvent se réclamer
d'une triple et vénérable antiquité: nationale, remontant aux origines
de la monarchie; religieuse, puisque ses conseillers-clercs et les prélats
qui siègent sur ses bancs l'associent étroitement à l'Eglise gallicane et
à ses « Iibertez », dernier témoin du statut «primitif» de l'Eglise avant
les nouveautés pontificales; savante enfin, puisque ses érudits, magistrats
et avocats, font de la justice le foyer d'une enquête encyclopédique
remontant aux sources du Droit, de l'Histoire, des Sciences, et de la
philosophie chrétienne.
Les jèsuites sont et resteront longtemps, peut-être toujours, une
pièce rapportée sur l'antique tissu social français. Le Parlement de
Paris, tel le chêne de saint Louis, plonge dans le terroir d'I1e-de-France
des racines si profondes que, serait-il humilié, ou même abattu, celles-ci
peuvent d'elles-mêmes faire jaillir des pousses neuves, fidèles à l'essence
du vieil arbre fOUdroyé. Même après la Révolution, on perçoit au Conseil
d'Etat créé par l'Empire, et chez les Barante, les Pasquier, les Molé, les
Rémusat, le grand fantôme continuant d'inspirer une élite taillée dans
une tout autre étoffe que les débris de la noblesse de Cour. A plus
forte raison au XVIIe siècle, au sortir du grand siècle de l'humanisme
érudit qui a manifesté avec tant d'èclat les capacités de la Robe, au
lendemain d'une victoire sur la Ligue qui a fait apparaître le sens
politique et le sens national de l'élite de ses magistrats. Pendant long-
temps Paris n'avait pratiquement pas connu d'autre Cour que celle de
son Parlement. Sous les derniers Valois, la Cour de France avait com-
mencé de conquérir sa propre splendeur, reflet pour une bonne part de la
qualité de l'humanisme robin .. Mais après le mépris universel où était
tombé l'entourage de Henri m, et en dépit de l'influence gagnée sur le
peuple de Paris par le clergé ligueur, c'est en définitive le Parlement
qui était apparu comme la haute autorité morale parisienne, c'était lui
qui était sorti plus prestigieux que jamais de la crise qui avait emporté
Henri III et sa Cour.
662 LES ÉTAPES DE L'A1TICISME ROBIN
687 Voir F. Yates, L'Art de la mémoire, ouvr. dt., p. 144-147. Camillo cons-
truisit son Teatro della memoria cicéronien à la Cour de France où Gilbert
Cousin le vit en 1558.
666 LES ÉTAPES DE L'ATTICISME ROBIN
qu'en 1630, la cause gallicane est sur la défensive: repliés sur leurs
traditions, les magistrats du Parlement de Paris, les Procureurs et Avo-
cats généraux La Guesle. Servin, Molé fulminent contre la «corruption
des mœurs» dont la noblesse de Cour donne l'exemple, et contre la
« corruption de l'éloquence» dont' les poètes au service des Grands, un
Etienne Durand 1i68, un Théophile de Viau se rendent coupables; leur
éloquence dia tri bique, amère, brusque, cherche plutôt à répandre la « ter-
reur» dont parle le consei\ler Dupré en 1621, qu'à retrouver 1'« harmo-
nie» dont parlait Du Vair en 1595. Dans ce contexte de résistance crispée
au déferlement du mal, l'atticisme érudit, desséché en «rhétorique des
citations », reste la règle de l'éloquence judiciaire dans la citadelle assié-
gée des Parlements de France.
La génération de Du Vair avait compris que la seule force érudite
de la vérité ne suffisait pas à calmer les passions et rétablir la paix
civile. La génération de Jérôme Bignon et des frères Dupuy devra
admettre que les seules armes de la vertu ne suffisent pas aux Catons
du Palais à corriger les vices et ramener la noblesse à la raison.
En 1620, dans sa dédicace à Guillaume Du Vair du Ciceronianus,
Jacques de Maussac commence à rompre l'isolement où était retournée
la magistrature érudite. En apparence, il ne fait que réaffirmer les idées
que Du Vair avait formulées en 1594 dans son traité De l'Eloquence.
Celui-ci avait considéré comme une (, corruption de l'éloquence» l'élo-
quence érudite de ses prédécesseurs. Il avait invité les orateurs du Palais
à entrer en émulation avec Cicéron et Démosthène. Il les avait appelés
à une éloquence à la première personne, nourrie d'un savoir traduit en
français, médité et non plus simplement cité., Il avait attiré leur attention
sur l'art de la composition et de l'élocution. Mais Du Vair restait à
l'intérieur des limites du Palais, qui d'ailleurs pour lui était la seule
Académie d'éloquence française. Maussac a un point de vue déjà national.
Pour lui la «corruption de l'éloquence» a pour foyer la Ccur. ses
humanistes (les Jésuites), ses poètes et romanciers. Mais elle ne trouve
pas dans les rangs des érudits les exemples qui pourraient lui faire
honte. L'analyse de Maussac implique donc que deux extrémismes se
renforcent l'un l'autre, avec pour principe commun le refus d'une norme
idéale et d'une référence universelle sur laquelle le jugement critique
puisse s'appuyer. Dès lors, c'est toute la situation héritée du xv. e siècle,
l'antithèse entre culture savante et culture courtoise, qui se trouve
modifiée. Le style de Cicéron est posé en idéal médiateur, propre à
s'imposer à tous comme référence commune du jugement critique et de
la création oratoire et littéraire.
568 Plus net peut-être que le cas de Théophile, compliqué par l'intervention
de Garasse, celui d'Etienne Durand illustre le conflit entre la vigueur du Par-
lement, et l'hédonisme de la Cour, dont Durand était un fournisseur attitré
en livrets de ballets. Voir, outre la Vie d'Etienne Durand de Colletet, et Lachè-
vre, intr. aux Méditations, Paris, 1906, les remarques éclairantes de M. Mc
Gowan, L'Art du ballet de Cour ..., ouvr. cit., passim. Durand fut brûlé en place
de Grève en 1618.
668 LES ÉTAPES DE L'ATTICISME ROBIN
574 Voir F. Yates, French Academies of the XV/th century, Warburg Ins-
titute, Univ. of London, 1947. V. en particulier p. 35, le caractère «encyclo-
pédique» de ces académies.
RHÉTORIQUE ET VÉRITÉ CHRÉTIENNE 671
« choses» politiques et morales qui seront désormais les «lieux com-
muns» du royaume.
C'était là franchir une sorte de limite sacrée: la tradition platù-
nicienne de l'humanisme français, et plus profonde encore, la tradition
augustinienne du christianisme médiéval faisaient des « mots» les média-
teurs des « choses divines ». Faire des «mots» la garantie et la média-
tion d'un ordre tout humain, social, politique, moral, dont la fin n'était
pas le salut, philosophique ou religieux, mais un bien tout terrestre, la
tranquillité publique, n'était-ce pas revenir à l'idolâtrie païenne de la
Cité terrestre, et introduire en France la superstition cicéronianiste
qu'Erasme avait si vivement combattue dans le Ciceronianus? La
«Renaissance cicéronienne» des années 30-40 fait éclater le conflit
entre «sçavans », voilé dans l'équivoque au cours de la décennie 20-30.
Tallemant rapporte que d'Ablancourt, après «avoir bien lû les
Pères », déclarait que «pour trouver du sens commun, il faut aller au
dessus de Jesus-Christ». Et à l'Académie qui examinait le sens du mot
« apostoliquement », il proposait cet exemple: «On dit encore prescher
apostoliquement pour dire prescher mal» ~76.
Avant lui, un Laval, un Ogier, un Camus avaient mis en garde contre
le style trop orné des Pères. Mais c'était au nom d'un idéal de naturel
et simplicité chrétienne et d'une vérité qui n'avait plus à tenir compte
des païens prisonniers des «mots ». Leur position était celle du De
Doctrina Christiana, du Ciceronianus d'Erasme, et des rhétoriques ecclé-
siastiques comme celles de Louis de Grenade. Chez d'Ablancourt, retrou-
vant l'esprit de ces « cicéroniens» condamnés par Erasme, le « bon goût
de l'Antiquité» est le privilège des païens, dont il reflète le «sens
commun ». Sa pensée sur le style se déploie dans une sphère politico-
morale dont la valeur centrale est un «jugement» qui s'identifie à celui
de la romanité classique.
Il était inévitable qu'en réponse à ce «cicéronianisme» moins idéa-
liste que celui de Bembo, les tenants de la vérité chrétienne prissent
leurs distances vis-à-vis des nouveaux «académiciens ». En 1637, après
avoir lu les Pères, non sous l'angle des «mots») mais des «choses:l>,
Antoine Le Maistre abandonnait le Barreau, sa gloire naissante de « Cicé-
ron français », pour se confier à la direction de Saint-Cyran. Celui-ci
incarne désormais, dans toute son exigeante pureté, dégagée des demi-
mesures où restaient encore empêtrés les Dom Goulu et les J.P. Camus,
la doctrine de saint Augustin sur les signa et sur le meilleur style
chrétien.
Par une sorte de purification complémentaire, tandis que le galli-
canisme politique fait de Cicéron le seul garant antique d'un atticisme
national, accordé à la majesté du Roi de France, le gallicanisme religieux,
regroupé autour de Saint-Cyran, fait de saint Augustin la référence cen-
Il n'était donc que temps, en 1644, de se rallier à une mode dont les
puissantes assises pouvaient laisser croire qu'elle serait, celle-ci, durable.
Le P. VavasseUl y est d'autant plus à l'aise qu'il peut se réclamer des
autorités romaines de sa Société. Au Collège Romain en effet, depuis
la fin du XVIe siècle, les professeurs de rhétorique maintenaient, au-
dessus des tendances «baroques» inévitables des diverses Assistances
nationales, une norme cicéronienne latine plus exigeante et plus fidèle
aux traditions de la Haute Renaissance. Ils combattaient en Italie - et
dans leurs propres rangs - les tendances asianistes et sénéquisantes.
Proches du Saint-Siège, ils se donnaient ainsi le mérite d'héritiers de
Bembo et de Sadolet. Cet art néo-latin, dont les modèles se voulaient
classiques, avait pour initiateur un humaniste français: Marc Antoine
M.uret. Et il n'avait jamais cessé d'avoir son homologue en France, chez
les poètes néo-latins, chez les professeurs du Collège Royal. La réforme
oratoire de Guillaume Du Vair, d'inspiration cicéronienne, lui avait con-
féré un pre~tige nouveau dans la République des Lettres gallicanes.
Entre le cicéronianisme des Jésuites romains et le cicéronianisme que
l'humanisme gallican oppose sous Richelieu aux désordres de la Cour,
comment les Jésuites français n'avaient-ils pas plus tôt été les média-
teurs?
Le P. Vavasseur prend donc soin de renverser l'idole de l'imitatio
adulta et de rendre à Cicéron le rôle central de maître du judicium et
surtout du judicium adulte .• Il critique avec une ironie sans réplique
l'envahissement de toute l'éloquence jésuite par le genus demonsfrativum
et le style surchargé, flottant entre le moyen et le grand, qui la carac-
térise; il donne une belle définition de l'atticisme cicéronien, un style
simple, clair, élégant dont l'unité de ton révèle - à elle seule - la
personnalité vigoureuse de celui qui écrit; c'est ce style simple et naturel
qui doit servir de point de départ au genus sublime, qui se reconnaîtra
moins à la surcharge de l'ornement qu'à son accord naturel avec la
majesté du sujet traité.
L'effet sur les régents des nombreux collèges de l'Assistance de
France est difficile à mesurer. On peut toutefois, d'après l'exemple de
la Rhetorica versifiée du P. Josset, en 1650, induire que l'imitatio adulta
et l'exemple de Upse furent longs à s'effacer de la pratique pédagogique
jèsuite.
14 Ibid., t. l, p. 118.
698 LES DEUX RHÉTORIQUES
Dans cet art souverain du panégyrique funèbre, dans une langue latine
que « les Sadolets, les Bembes et les Manuces », le « Party de Ciceron »
ont restituée et préservée, Balzac découvre comment une c vertu:. absente
peut du moins conserver son rayonnement dans l'éclat d'une forme digne
d'elle. L'évocation de la grandeur d'âme d'un saint de la Contre-Réforme,
Robert Bellarmin, dans la splendeur du latin de Cicéron et d'une rhéto-
rique pure de l'asianisme coutumier aux prédicateurs français, révèle à
Balzac le grand secret. Tel « le linceul de poupre où dorment les dieux
morts» dont parlera Renan, la «gloire du langage », reflet dans le
temps du Verbe de l'Origine, est l'ultime manière de faire respecter par
la foule sensuelle et déchue le zèle qui brOie les héros et les saints.
Le Maître et le théoricien de cet art, le P. Famiano Strada, était
aussi l'auteur-orateur d'admirables Orationes De Christi Domini morte,
dans un genre qui est sans aucun doute le plus significatif du second
Cette musique des «mots », que ses adversaires ont tant reprochée
à Balzac comme une reddition à l'hédonisme des « ignorans}) de Cour,
prend en fait, dans sa rhétorique, une dignité philosophique: à l'usage
d'un public dénué de vertu, prisonnier des sens et des passions, cette
c vertu secrète}) qui refuse les facilités de la sophistique dèmagogique
fait entendre l'harmonie et percevoir la lumière de la sagesse oubliée.
De la page imprimée, cet ordre musical des «mots}) fait surgir un
paysage spirituel rivalisant victorieusement avec les attraits sensibles de
la «peinture» des sophistes:
Ces divines pensées, et ces rayons qui sortent de chaque ligne [ ... ] nous
rendent un papier où il n'y a que du blanc et du noir, mille fois plus
agréables que ne sont les paysages de Flandres et d'Italie HI.
Raison dans leur temps. Il pouvait sans vanité se ranger parmi eux:
nul autre après Montaigne, et avant Corneille, n'avait autant contribué
que lui à donner un langage commun, et donc conscience de soi, au
dialogue qui s'est engagé enfin entre la sanior pars de la Cour et de la
Ville, de la Robe, de l'Epée et de l'Eglise. Et ce langage commun, c'était,
en définitive, celui de l'humanisme national s'agrégeant le meilleur de
l'humanisme des Cours italiennes et le meilleur de l'humanisme ecclé-
siastique.
Balzac voyait l'Orateur des Républiques antiques comme un « Monar-
que spirituel ». Inversement - comme le Corneille d'Horace - il souhai-
tait que les héros-orateurs de la monarchie, polis dans leur langage,
fussent intérieurement «républicains », unissant en somme la douceur
« d'Albe" et la force de « Rome» en une synthèse supérieure. L'aristo-
cratie des grandes âmes n'eût point marqué une «victoire l> d'une caste
sur une autre, mais eût été le fruit d'un échange entre les mérites propres
au « grand Monde" de Cour et les mérites propres à la Grande Robe
humaniste, échange facilité par leur commune allégeance à un catholi-
cisme réformé. Dans une grande mesure, l'atticisme de Balzac s'est voulu
le symbole et l'instrument de cette réconciliation par le haut.
Une telle réconciliation, semblable à celle qui conclut l'Acte V de
Cinna, est de l'ordre du vœu, de l'Idée. Elle est moins immédiatement
utilitaire que celle pour laquelle a œuvré Richelieu, peu hésitant à opérer
des « retranchemens» pour que la machine de la Cour, avec des organes
de styles divers mais harmonisés d'une main de fer, tournât vite et bien
selon ses vues. Il y a une part d'utopie généreuse chez Balzac comme
chez Corneille qui les maintient en marge de la politique officielle, ou du
moins en retrait. Chez eux pointe déjà la magistrature morale de l'écri-
vain, au sens moderne. Par là, ils créent l'espace spirituel à l'intérieur
duquel s'épanouira l'atticisme classique, dans un moment « miraculeux"
qui fit succéder à une guerre de Trente Ans, et à une quasi-révolution
la jeunesse d'un règne, la paix intérieure et la sécurité des frontières.
C'eût pu être l'ivresse du pouvoir, ce fut d'abord la splendeur des Belles-
Lettres. Car sous l'apparente uniformité de la référence au « bon goût »,
une richesse de motifs, une vitalité de dialogue où se résument tous
les débats de la Renaissance et de la Réforme catholique, se recouvrent
d'une patine égale et lisse, d'emblée « classique ». La sévérité « républi-
caine» et chrétienne, qui demeure très vive, fait contrepoids à la légèreté
courtisane et mondaine, brillante et railleuse. L'ironie d'Erasme, que pré-
serve la comédie de Molière, fait équilibre à la gravité borroméenne et
aux périodes cicéroniennes de Bossuet. Et le « naturel» même de l'atti-
cisme classique, juste mesure enfin trouvée entre Erasme et Bembo,
Scaliger et Lipse, Louis de Grenade et Famien Strada, Du Vair et Mon-
taigne, est riche de tous ses possibles surmontés. A une topique morale
héritière de l'expérience désormais séculaire de l'humanisme chrétien, le
classicisme réunit un art du style qui hérite d'une expérience elle aussi
séculaire, néo-latine, espagnole, italienne et française. Si modeste que
soit encore la place des Belles-Lettres, elles témoignent, jusque dans le
706 LES DEUX RHÉTORIQUES
1. SOURCES MANUSCRITES
ROME
Biblioteca nazionale - Fondo gesuitico
(Ce fonds est constitué des épaves d'archives du Collegio Romano saisies par
l'Etat italien lors de son installation à Rome en 1870. Il contient, reliées par
liasses constituées un peu au hasard, des reliques du fonds manuscrit du Collegio
Romano antérieur à la dissolution de la Compagnie de Jésus en 1773, et en
particulier des cours de rhétorique, des pièces d'éloquence latine, et des pièces
de théâtre datant du XVII' siècle. En dépit du désordre et de la difficulté d'attri-
hution, la consultation de ces liasses est précieuse pour se pénétrer de l'esprit
de l'humanisme jésuite à Rome sous le c: pontificat, littéraire du P. Strada et
du P. Sforza Pallavicino.)
Voir en part. Ges. 176. la liasse !a plus riche pour le XVJI". Entre autres,
fa' 216-301, série de praelectiones dans l'esprit des Prolusiones Academicae
du P. Famiano Strada.
Voir aussi:
Ges. 125. Bernardino Stefonio. Prose e versi latini.
Ges. 140. Trajano Boccalini. Osservatione sopra la vita di Agricola da Caio
Tacito.
Ges. 142. Orazio Torsellini. Prose e ~ersi latini.
Ges. 161. Varie carte e documenti relativi a la Corona di Francia.
Ges. 202. Orazio Torsellini. Ars Rhetorica.
Ges. 314. Versi latini di diversi autori (dont le P. Strada).
Ges. 332. Orationi diversi in varii sOf!getti, sacri et profani, sec. XVII.
G~s. 340. Baronii hortorum flores ab Annalibus desumpta.
PARIS
Bibliothèl]ue nationale
Nouv. Acq. fr. 2432, fo, 22 et suiv. : Remonstrance d'ouverture (dite le discours
Sur la parole).
Coll. Dupuy 869, fo, 105-106.
Anc. Fr. 2763, fo, 177-178: diverses r.opies de la Harangue prononcée lors du
Lit de Justice de 1636 et p1'Qtestant contre l'arbitraire de Richelieu.
Coll. Dupuy, 663, fo, 13 et 61 : Lettres latines de Bignon à Peiresc.
Coll. Dupuy, 869, fO' 172-182: Relation sur le procès Cinq Mars-De Thou.
Anc. Fr. 9549, fo, 210 V O- 211. Dialogue entre M. Bignon et Louis XIII relatif
à la transmission à Bignon des fonctions de Maître de la Librairie assu-
mées par Fr.-Auguste de Thou.
Anc Fr. 1361 ; fO' 168-194 et 203-218. Mémoire sur la vie de Jérôme Bignon, de
Claude Pelletier.
Anc. Fr. 2520. P' 1-80: Traité des Passions. p' 83-141 : Essais politiques et
moraux (Réflexions remarquables sur les rebellions, leurs causes, et leurs
signes avant-coureurs).
Anc. Fr. 2521. Recueil de sentences tirées de l'ensemble de l'œuvre de Philon
d'Alexandrie.
Anc. Fr. 2523. p' 53-57: Maximes relatives à la guerre. P 57: relatives à
l'anarchie. p' 14 et suiv. : Réfl.!xions sur les Possedez de Loudun et sur
le machiavélisme.
Anc. Fr. 2525. Fo, 200-202. Réflexions sur le tempérament mélancolique.
Anc. Fr. 2526. Traité de la Cour (fO' 53-59)
Anc. Fr. 2527. Recueil de lieux communs.
Anc. Fr. 2533. De l'Art d'embellir (Notes sur l'ouvrage de Flurance-Rivault),
fo' 3-20. Usage. raison et parol/e (fo, 117-130).
Anc. Fr. 2538. P' 33 et suiv. : Preceptes sur le discours escrits pour M. de
Montmor. P 41 : Forme de discourir pertinemment, asseurement, et aise-
ment sur toute sorte de subjet. P' 47-52 : Discours par argument oratoire.
Anc. Fr. 2541. P' 40-46 VO : Du Jugement des Cinq Nations. FO' 88-93 : Remar-
ques et deffauts au traicté des Lumieres de l'Eloquence. F" 94-116 VO :
Rhetorique (sic). P' 118-45 Vo: Rhetorique: attribution des epi/hetes.
p' 119-121. Harangue de Seneque. Response de Neron (disposition).
F" 203-219. Oraison du genre délibératif. P' 239-240. Définitions. Orai-
son: «Voix signifiant quelque chose dont les parties separees ont aussy
quelque signification ... Enonciation ... Affirmation ... Negation ...
Anc. Fr. 2550. Fo, 68-86: De la Predication. P' 88 : De la Rhetorique: «Ne
rien forcer. Laisser couler tout le court et plus aysé chemin. Nulle molle
ny effeminee Iyaison et repetition de motz. Plus curieux de choses que
de parolles... Grande varieté ... Qu'il n'y ait rien d'obscur, rien qui ne
suyve bien. La longueur mesurée en sorte qu'elle n'excede point ce que
l'haleine peut porter. .. P 89: Eloquence: «Toute sa force et excellence
consiste dans les passions. Avoir une grande connaissance de la Moralle et
du naturel de l'homme. La logique qui fournit la force des arguments, tres
necessaire ... L'ordre, père de l'ornement et de la beauté ... (La formule est
de Du Vair, dans De l'Eloquence). «L'ordre... est principalle maistresse
d'eloquence ... P 90-92 : L'Oraison. Fo' 96-103 : Du Secretaire. P' 104-
107: Du Chancellier; Fo, 120-122: Des Adl'ocats. P' 123-143: Petit
recueil de pointes, suivi de Forme de diversifier 011 adapter à divers sujets
une fleur oratoire ou pointe d'lin seul sujet.
Anc. Fr. 2551. Fo 14: (Plaidoyer) Sur un sujet de crime. P 16: Bouquet gesto-
rial (Recueil de lieux communs). F" 24-39: Science Universel/e. Fo 37:
Stil. P 38 : Figures. p' 39-53 : Traité de Rhétorique. f" 54 : Sentences
relatives à la rhétorique. Fo, 58-63: D'Eschines et Demosthenes pour et
contre Ctésiphon. Fo 64 : De l'Eloquence. P 76 : Ciceron pour la defense
de Milon. Ordre tenu par Eschine dans son oraison contre Demosthenes.
Fo 88: Lettres de Consolation. P 1 Hi: Lettre dédicatoire au Roi par
M. de Montarsy.
Anc. Fr. 2552. Langage et stilz. P 20: De la langue françoise. Fo 28: De la
lecture des poetes. Fo 32: De l'ouïr. P 36 : De Seneque. P 38 : Langage.
P 39 VO : De langues. Fo 47: Les Passions (de Coëffeteau, extraits).
P' 88-92 : Des Lumieres de l'Eloquence de M. Himbert (extraits). Fo 93 :
Pour discourir et examiner un sujet (M. Mareschal). Fo 94 : Preceptes de
l'eloquence de M. Chevallier. p' 97-101-102: Sur le discours (Analyses
de harangues). P 117: Discours (jugement critique: «Motz subtilz, doux,
BIBLIOGRAPHIE 711
sententieux... quelquefois relevez. Exorde fort à propos. Narration
claire... ~). Fo 121 : De la harangue de Volumnia à Coriolan us son filz.
Fo 123: D'une plaidoirie de M. Reboul... P 125: lY Antenor aux Troyens.
P 133 : Ordre de deux discours de M. Chevallier P 165 : Olivier de Serres:
Harangue au Daulphin sur le sujet du Duc de Bourgogne. P 166: Haran-
gues au Parlement (résumées) ... P 181: Ordre et Méthode (d'après le
P. Caussin); analyse de harangues antiques: De Symmachus aux deux
Empereurs etc ... FO 197: Du Panegyrique de Pline Second ... FO 206 : De
la Harangue du gendre de M. Deageant (Dédicataire des Lumieres de
l'Eloquence d'Himbert-Durant) faicte au Pape par M. de Créquy au nom
du Roy pour sa promotion au Pontificat. P 209: Discours et pieces de
M. Duplessis-Mornay ... P 249: Des Narrations. P 257: De Matthieu
(extraits). Fo 261 : Harangue sur la Conjuration de Catilina. P 269:
Harangue de Tibere, de Germanicus, d'Agrippine. p' 285-286 : Aux plai-
doiries (préceptes: brièveté etc ... ). Fo 287 : De l'Oraison de Cicéron contre
Catilina. P 297 : Plaidoiries de Reboul. Maximes de la methode du C. de
Garon. P 309: Forme et maximes: sur Charron. P 313: Discours et
refutation (M. du Chastelet). P 330: M. Bailly (Harangue).
Anc. Fr. 2555. Les Lumieres de l'Eloquence de M. Himbert (extraits).
Anc. Fr. 2559. Fo, 183-22: Rhetorique de M. de la Martelaye (1619). P 26:
De Lucian (préceptes d'éloquence). p' 28-72 : Forme pour induire de tous
les passages et beaux lieux que l'on trouve dans les livres. P 73: Methode
d'un discours de M. Alary. FO' 81-88 : Sur l'art de discourir impromptu de
M. Alary.
Anc. Fr. 2560. Rhetorique et eloquence.
Anc. Fr. 2565. Extraits de Ciceron, Du Vair, Seneque.
Anc. Fr. 2568. Preceptes et exercices de rhetorique.
Anc. Fr. 2572 à 2578. Diverses pièces sur l'art mnémotechnique de R. Lulle.
Anc. Fr. 2581. De la Science de l'Eloquence, sentences diverses.
Anc. Fr. 2585. Plusieurs discours tenus devant le feu Roy (Henri 1II) sur les
passions de l'ame par plusieurs grands personnages. (Recueil capital pour
l'étude des travaux de l'Académie du Palais. FO' 101-155: Discours de
l'Ire de Pibrac.)
Anc. Fr. 2586. Fo' f-22 VO : Reproches d'Ariadne à Thesee, par M. de La Brosse.
Anc. Fr. 2587. P' 8-59: Rhetorique de M. le Garde des Sceaux Du Vair (?).
Anc. Fr. 2597. Fo 59 VO : Stilz de Demosthene et Ciceron: «De Demosthene :
n'a rien de gaieté, rien de joie ny d'embellissement. Est partout serré.
Rien qui ne presse et qui ne poigne à bon escient. Ressent un grant
travail. Une aigreur et austerité de nature. Sobre à se louer. Ne repete.
De Ciceron. Mocqueur jusques aux approches du plaisant. Grand vaniteux.
Repetoit. ~ Fo, 60-64: Rhetorique (divisions). Fo 68: De l'Art de la
Memoire. P 80 : Observations sur un discours de M. Reboul. P' 100-108:
Sur le second et troisieme plaidoyer de Reboul... P' 155-170: Lettre à
Monsieur H., Advocat au Parlement. (Sur le pouvoir d'aveuglement des
passions et de l'amour propre.)
quencl! et rhetorique ... aux fins de rendre les hommes d'esprit curieux
capables d'escrire, discourir et parler en public.
Lat. 11294. Ars Rhetorica ad Rhetoricas institutiones (v. fo 319, un Traité de
la Poesie françoise).
Lat. 11292. Compendium Rhetoricae, a Domino Becha in Collegio Lexoveo Anno
Domini 1631.
Lat. 11293. Institutiones oratoriae veterum recentiorumque exemplis illustralae.
Nouv. Acq. Lat. 6282. Recueil de poesies latines composées dans les maisons de
Jésuites à Caen, Nevers, La Fleche, et Paris dans la deuxième moitié du
XVIII' siècle.
AELIUS ARISTIDE
·4. Orationes Aristidis. Venetiis, in aed. Aldi, in-fol. [Res. X 2S7.]
5. Aelii Aristidis... orationum tomi tres nunc primum latine versi a Oulielmo
Cantero ... Huc accessit orationum tomus quartus ex veteribus graecis
oratoribus concinnatus, eodem interprete. Item de ratione emendandi scrip-
tores graecos ejusdem syntagma. Basileae, exc. P. Perna, 1566, in-fol.
IX 729.]
10. Theonis sophistae primae apud rhetorem exercitationes, innumeris qui bus
scatebant antea mendis Joachimi Camerarii pabergensis opera purgatae,
additis a Joachimo Camerario Pa/;er. Lipsiae, s.d. in-12. IX 16752.]
ARISTOTE
II. Aristotelis de Arte dicendi libri III Hermolao Barbaro inferprete. Venetiis,
apud Vasco sa nu m, 1549, in-Bo, 137 ff. IX 16672.]
12. Aristotelis Rhetoricorom libri III, in latinum sermonem conversi et scholiis
brevioribus explicati a Joanne Sturmio... Argentinae, exc. T. Richelius,
1570, in-Bo, 429 p. IX 16682.]
13. Aristotelis Ars rhetorica ab Antonio Riccobono ... latine conversa Ejusdem
Riccoboni explicationum liber, quo Aristotelis loca obscuriora declarantur ...
Aristotelis Ars poetica ab eodem in latinam linguam versa cum ejusdem
de re comica disputatione. Venetiis, apud P. Meiettum, 1579, 2 t. en un vol.,
in-Boo (Rééd. à Lyon en 1618, à Paris en 1625 et 1645). IX 16685.]
714 BIBLIOGRAPHIE
ARISTOTE
14. Commentarius in primum et secundum librum Rhetoricorum Aristotelis.
Ingolstadii, 1602, in-Boo IX 16706.]
(Par Marc Antoine Muret. Voir aussi P. Vett9ri, infra, n° 799.)
14blo • Les trois livres de la rhétorique d'Aristote traduits de grec en françois
(par Jean Du Sin). Paris, D. Douceur, HiOB, in-Bo, 377 p. (Rééd. 1613).
IX 16691.]
15. La Rhétorique d'Aristote traduicte en françois par le sieur Robert Estienne ...
Paris, Impr. R. Estienne, 1624, in-8°. (Rééd. 1630.) IX 16692.]
16. Aristotelis Artis rhetoricae libri tres latina versione e regione graeci sermo-
nis posita. Editio postrema a mendis quibus scatebat expurgata, Antonio
Riccoboni interprete. Parisiis, 'lpud S. Cramoisy, 164B, in-Bo, 259 p.
[R 94B3.]
17. La Rhétorique d'Aristote en françois (par François Cassandre). Paris,
L. Champ hou dry, 1654, in-4°, 556 p. et table. (Rééd. 1675.) [X 11694.]
(Destiné à remplacer les traductions de Du Sin et de R. Estienne.)
ATHÉNÉE
lB. Athenaei Dipnosophistarum sive Coenae sapientum Natale de Comitibus ...
nunc primum e graeca in latinam linguam vertente... Venetiis, apud Arriva-
benum, 1556, in-fol. [Z 403.]
(Trad. Noël Conti.)
19. Athenaei... Deipnosophistarum libri quindecim... in latinum sermonem
versi a Jacopo Delechampio ... Lugduni, apud A.de Harsy, 1583, in-fol.
[Z 400.]
(V. éd. critique du texte grec par Casaubon, Heidelberg, 1593 et Lyon,
1612.)
20. Les quinze livres des Deipnosophistes d'Athénée ... ouvrage traduit pour
la première fois en françois (par M. de Marol/es). Paris, Langlois, 1680,
in-4°. [Z 2902.]
25. Les sermons de sainet Basile le Grand... traduicts du grec en françois par
Christophle Hebrard de Saint Sulpice ... Paris, T. de Hinqueville, 1580,
in-8·, 158 p. [C 445.]
26. Traieté ... du benoist Saint Esprit, et des dons de grlice qu'il nous départ ...
Prieres des (Pères grecs) et Stances (de Bertaut) au mIme Saint Esprit.
Paris, F. Morel, 1583, in-12, 23 p. [C 4548.]
(Autre éd. 1608. Le traité, traduit par F. Morel, était faussement attribué
à saint Basile.)
Zl. Discours de l'origine et causes des maladies, pestilences, guerres ... qui
adviennent ordinairement et que Dieu n'en esl point autheur, traduict ...
sur l'original grec de saint Basile ... Paris, F. Morel, 1584, in-S·, 28 p.
[C 4565.]
28. Description du paradis terrestre traduicte nouvellement du grec de saint
Basile le Grand... (pjlr F. Morel). Paris, F. Morel, 1586, in-8·, 12 ff.
[C 3686 (2).]
29. Discours de la penitence ... Paris, F. Morel, 1587, in-8·, 24 p. [C 4596.)
(Attribué faussement à saint Basile, trad. par F. Morel.)
~. Du Vair (Guillaume). La Samcte Philosophie. Rouen, T. Daré, in-12, 1610,
300 ff. W· éd. 1580). [D 19949.)
(Voir pp. 46-53, Epistre de sainct Basile le Grand à S. Gregoire le Theo-
logien: traduction par Du Vair en français d'une lettre de saint Basile
sur la vie solitaire qui avait été traduite en latin par Guillaume Budé en
1526.)
DatOSTHÈNE
46. Sept oraisons de Demosthène prince des orateurs à sçavoir les Olyn-
thiaques et quatre Philippiques traduittes du grec en françois par Loys
Le Roy dict Regius... Paris, impr. Fr. Morel, 1575, in-4", 76 ff. [Rés. X
1027 (1).]
(Outre la dédicace au duc d'Alençon, ce recueil contient une préface
«contenant la perfection de l'Eloquence, et conjonction d'icelle avec la
Philosophie, ensemble l'entière comparaison de Demosthene et Cicero n,
les deux plus eloquens hommes qui furent jamais,.. Cette préface très
importante peut être considérée comme le modèle suivi de très près par
Du Vair dans son traité De l'Eloquence, qui n'est après tout qu'une préface
à la traduction de discours de Cicéron et de Démosthène. Voir en parti-
culier p. 6: «Le corps de l'orai:ion, ainsi que l'humain, est beau, où les
veines ne se monstrent trop, où les os n'apparoissent pas; mais y est le
sang bien tempéré, qui remplit les membres, et s'esleve es muscles: quand
y a fermeté es nerfs et que le tout est revestu de chair saine, et couvert
d'une peau bien colorée. Ce que l'orateur ne peut faire sans l'aide de
Philosophie.,. C'est déjà toute l'esthétique de Du Vair. Le thème de la
« bassesse de l'éloquence françoise .. est également fort bien posé fol. 12 v·.
Relié dans le même exemplaire, figure le Recueil des points principaux de
deux Remonstrances de Pibrac, publié chez R. Estienne en 1570.)
47. Du Vair (Guillaume). De l'Eloquence Françoise ... Paris, 1595 (Priv. du
22 janvier 1594), in-12, 42-283 ff. [X 18559.]
(Voir ff. 3-93, trad. du Contre Ctesiphon d'Eschine, et ff. 93-198, trad.
du Pour Ctesiphon de Démosthène, suivis de la trad. du Contre Milon
d'Appius Clodius et du Pour Milon de Cicéron). L'ouvrage de Du Vair
couronne les efforts de Le Roy, mais aussi de 1. Papon (Rapport des deux
princes de l'éloquence grecque et latine, 1554), et de Denis Lambin (Ora-
tiones Demosthenis et Aeschinis il/ter se contrariae ... 1565).
EUNAPE
52. Eunapius Sardianus de Vitis philosophorum et sophistarum, nunc primum
graece et latine editus... Antverpiae, ex off. C. Plantini, 1568. 2 part. en
un vol. in-8·. [Rés. R 2410.]
718 BIBLlOORAPHIE
ISOCRATE
64. Isocratis orationes; Alcidamantis contra dicendi magistras; Gorgiae de
Lalldibus Helenae; Aristidis de :au:iiblls Athenarum; ejusdem de Laudi-
bus urbis Romae. Venetiis, in aed. Aldi et Andreae soceri, 1513, in-fol.,
1671, p. 1-197. [Rés. X 558.]
BIBLIOGRAPHIE 719
65. Isocrates nuper accurate recognitus et auctus ... Isocrates, Alcidamas, Gor-
gias, Aristides, Harpocration. Venetiis, in aed. Aldi, 1534, in-fol. [Rés. X
276.]
66. Isocratis Orationes et Epistolae cum solita interpretatione I.T.A. quo
accessit grammatica singularum vocum in duabus quidem prioribus oratio-
nibus explanatio cura A.P. (Ambroise Pezier) ... Parisiis, apud S. Chappelet,
1631, in-S·, 902 p. [X 26564.]
(Une trad. latine des Opera omnia avait été publiée par Jérôme Wolf à
Bâle en 1570, X 721.)
67. Trois livres d'Isocrates ... le tout translaté du grec en françois par Loys
Le Roy, dit Regius ... Paris, M. Vasco san, 1551, in-4·, 106 ff. [R 1712.)
68. Enseignemens d'Isocrate et XenopllOn ... pour bien regner en paix et en
guerre, traduitz par Loys Le Roy ... , avec la préface sur toute la politique ...
Paris, Vasco san, 1568, in-4·, 95 p. [E 889 (1).]
69. Isocrate. De la louange d'Hélène et de Busire (trad. par P. Du Ryer et
L. Giry). Paris, Vve J. Camusat, 1640, in-12, 126 p. [X I683S bis.]
(A replacer dans la série des traductions patronnées par l'Académie.)
70. Le Prince d'Isocrate ou l'art de bien régner ... par M. Dubreton ... Paris,
Sommaville et Courbé, 1642, in-S·, 284 p. [R 24247.]
(Le titre de cette traduction montre que les contemporains étaient conscients
des sources isocratéennes de l'idéal politique comme du style démonstratif
de Balzac, auteur du Prince.)
JULIEN l'EMPEREUR
LIBANIUS
LONGIN (Ps.)
l{ll. Dionysii Longini... liber de grandi sive sublimi orationis genere nunc pri-
mum a Francisco Robortello ...in illCl!m editus ejusdemque annotationibus ...
illustratus ... Basileae, per J. Opurinum, s.d., in-4°, 71 p. [X 3074.) (Dédi-
cace du 5.8.1554.)
102. Dionysii Longini de sublimi genere dicendi ... Venetiis, apud Paulum Manu-
tium, Aldi filium, 1555, tn-4°, 24 ff. [Rés. X 1458.)
103. Aphtonius, Hermogenes et Dionpius Longinus ... Francisci Porti... opera
illustrati. Genevae, apud j. Crispinus, 1569, in-8°, 163-60 p. et index.
[X 16780.]
104. tUOV017!o Aovylyoo p~TOpOÇ 1tepl il<)looç ÀO'{oo i3L~Àloy. Dionysii Longini...
Liber de grandi sive sublimi gencre orationis, latine redditus, tm06é17e17L
I7OY01tTLx",ï:Ç et ad oram nationibus aliquot illustratus a Gab. de Patra.
Genevae, apud j. jornaesium, 1012, in-8°, 172 p. [X 16735.), in-4° [X
3075.]
105. Dionysii Longini. 1tEipç 1<)100 libellus cum notis emendationibus et praefa-
lione Tanaquilli Fabri. Salmuri, apud L. Lenerum, 1663, inl2, 375 p.
[X 16737.)
LUCIEN DE SAMOSATE
109. Luciani Samosatensis opera, quae quidem extant, omnia graece et latine
in quattuor tomos divisa ... una cum Gilberti Cognati... et foannis Sambuci
annotationibus utilissimis... Basileae, ex off. H. Petri, 1563, 4 vol. in-S·.
[Z 18455-1845S.]
110. Trois dialogues de l'Amitié: lê Lysis de Platon, et le Laelius de Cicero n,
contenans plusieurs beaux preceptes et discours philosophiques sur ce
sujet: Et le Toxaris de Lucian où sont amenez quelques rares exemples
de ce que les Amis ont fait autresjois l'/ln pour l'autre. Paris, N. Chesneau,
1579, in-4·, 184 p. [R S25S.]
Ill. Les œuvres françoises de Lucien de Samosate philosophe excellent, non
moins utiles que plaisantes, traduites du grec par Filber Bretin ... , repurgées
de parolles impudiques et profanes ... Paris, Abel L'Angellier, 15S2, in-fol.
(Rééd. 1583 et 1606.) [Z 554.J
112. Les œuvres de Lucien de Samosate autheur grec de nouveau traduites en
françois et illustrees d'annotations et de maximes politiques en marge par
fean Baudouin. Paris, J. Richer, 1613, in-4·, pièces Iimin. 576 ff. [Z 3731.]
113. Luciani Samosatensis philosophi opera omnia quae extant cum latina
doctissimorum virorum interpretatione. L. Bourde/olius cum regiis codd.
aliisque mss. contulit, emendavit, supplevit. Adjectae sunt ejusdem Bourde-
lotii, Theodori Marcilii, Gilberti Cottnati notae. Cum indice locupletissimo ...
fo. Bourdelotii ad Luciani opera notae. Lutetiae Parisiorum, apud J. Ber-
tault, 1615, in-fol., 1159 p. [Z 54g.]
114. Lucien de la traduction de N. Perrot, Sieur d'Ablancourt. Paris, Courbé,
1654, 2 vol. in-4·. [Z 3732-3733.]
(Destiné à remplacer la traduction vieillie de J. Baudoin.)
115. De genere demonstrativo libri duo ... Venetiis, 1558, in-S·. [X 16715 (3).]
(Traduction Noël Conti.)
PHILON D'ALEXANDRIE
121. Les Œuvres de Philon le Juif ... translatées de grec en françois par Pierre
Bellier ... revues corrigees et augmente es de trois livres, traduites de l'ori-
ginal par Fed. Morel ... Paris, C. Chappelain 1612, 2 vol. in-8°. (Nouvelle
éd. augmentée, Paris, 1629.) [C 2514.]
122. Philonis Judaei omnia quae extant opera ex accuratissima Sigismondi
Gelenii et aliorum interpretatione partim ab Adriano Turnebo ... partim a
Davide Hoeschelio ... edita et iIluslrata. Huic novissimae editioni accessere
variae lectiones el ... ejusdem Philonis de Septenario libellus et de Pro vi-
dentia Dei fragmenta ... Lutetiae Parisiorum, 1640, in-fol., 1200 p. [C 6.]
PH 1LOSTRATE
123. Luciani opera. Icones Philostrati, ej:lsdem Heroica ejusdem Vita Sophist-
rum. Icones junioris Philostrati, Descriptiones Callistrati ... Venetiis, in aed.
Aldi, 1503, in-fol., 572 p. (Rééd. ibid. 1522, 1535, 1550.) [Rés. Z 248.]
124. La vita dei gran filosofo Apollonio Tianeo composta da Philostrato e
tradoffa nella lingua volgare da M. Ludovico Dolce. Vinegia, G. Giolitto
de Ferrari, 1549, in-8°, 247 ff. (v. la même année trad. par Francesco
Baldelli, Florence, 1549.) [J 20275.]
125. Les Images ou Tableaux de Piaffe peinture de Philostrate... mis en français
avec des arguments et annotations de chacun d'iceux. Paris, N. Chesneau,
1578,2 vol. in-4°. (Rééd. 1597, 1611, 1614, 1615, 1629, 1630, 1637.) [Rés.
Z 990-1000.]
(Avec une importante préface à la défense de la prose d'art française par
B. de Vigenère.)
126. De la vie d'Apollonius Thianee, /;ar Blaise de Vigenere ... Paris, A. L'An-
gelier, 1599, in-4°, 299 ff. [4° J 49.]
(A rapprocher des traductions italiennes par L. Dolce et F. Baldelli.)
127. La Suite de Philostrate par Blaise de Vigenere. Paris, A. L'Angellier, 1602,
in-4°, 347 ff. [Z 3743.]
128. Philostrati Lemnii opera quae exstant. Philostrati junioris Imagines et
Callistrati Ecphrases. Item Eusebii Caesariensis... liber contra Hieroclem
qui ex Philostrati historia aeauipararat Apollonium Tyaneum Salvatori
nostro Jesu Christo, gaeca latinis e regione posita : F. Morellus ... cum mss.
contulit, recensuit, et hactenus nondum latinitate donata vertit... Parisiis,
ex off. typogr. C. Morelli, 1608, in-fol., 914 p. [Z 557.]
129. De la vie d'Apollonius Thyanéen en VJII livres. De la traduction de Vige-
nere, ... reveue et exaclement corrigée sur l'original grec par Federic
Morel ... et enrichie d'amples commentaires par Artus Thomas sieur d'Em-
bry. Paris, Vve A. L'Angelier, 1611, 2 vol. in-4°. [J 6094-0095.]
(Ed. originale du texte qui sera repris dans la grande édition illustrée de
1614.)
SYNÉSIUS DE CYRÈNE
130. Synesii De Regno ... ; Dion, sive de suae vitae ratione ; Calvitii laudatio ;
De Providentia... ; Concio quaedam panegyrica ; De insomniis... ; ejusdem
Synesii epistolae (ab Adriano Turnebo editum). Parisiis, ex off. A. Turnebi,
1553, 2 part. en un vol. in-fol. [C 220.]
BIBU OGRAPH lE 725
131. Synesii... opera quae extant omnia, nunc purimum graece et latine conjunc-
tim edita ... interprete Dionysio Petavio ... cujus opera eadem illa ex vete-
rum ... codicum tide recensita ac notis illustrata prodeunt ... Lutetiae, apud
CI.Morellum, 1612, in-fol., pièces Iimin. 427-66 p. et index .(Rééd. CI.
Morel 1631 et Cramoisy 1633.) [C 1020.]
(Petau prend le relais de Turnèbe.)
THÉMISTIUS
132. Themistii... Orationes XlIII, har!lm sex posteriores, novae caeterae emen-
datiores prodeunt [cura Henrici Stephani] cum latina interpretatione.
Genevae, H. Stephanus, 1562, in-S·, 184 p. [Rés. X 2209.]
133. Themistii orationes XVI, graece et latine nunc primum editae quarum
XV talso hactenus sub Synesii nomine publicata, postrema nondum excussa
tuerat, interprete Dionysio Petavio, cum ejusdem notis et conjectaneis.
Accessit et XVII, quae latine solum exstant, graece et latine ab eodem
redditae. Flexiae, J. Rézé, 1613, 2 part. en un vol. in-8°. (Rééd. en 1617.)
[X 1697S.]
(Petau prend le relais d'Ho Estienne.)
134. Orationes XIX graece et latine cOlljunctim editae. Dionysius Petavius mog-
nam illarum partem latine reddidit, reliquarum interpretationem recensuit,
notis universis atque emendatiombus illllstravit ... Parisiis, sumpt. S. Cra-
moisy, 161S, in-4°, pièces Iimin. 729 p. et index. [X 3105.]
THÉOPHRASTE
135. Theophrasti de Notis morum liber singlliaris ... cum Angeli Politiani latina
interpretatione a Federico Morello ... cum eruditis viris recognita, et orto
posterioribus notis, quae antea desiderabantur hac editione adaucta. Lu+e-
tiae, apud F. Morellum, 1582,2 part. en 1 vol. in-4°. [X 3099 (~).]
136. Theophrasti characteres ethici, sive Descriptiones morum graece. Isaacus
Casaubon recensuit, in latinum vertit, et libro commentario illustravi' ..
Lugduni, apud F. Le Preux, 1592,2 part. en un vol. in-So. [R 17SI4.]
137. Characters of virtues and vices... by Joseph Hall, recueilli dans: A
collection of such treatises, London, H. Fetherstone, 1620, in-fol. (1 n éd.
1610.) [D2 133.]
(Ce premier ouvrage imitant les Characteres ethici de Théophraste est le
point de départ d'un véritable genre, où se sont illustrés Cureau de la
Chambre, Agostino Mascardi (Ethicae prolusiones et Romanae disserta-
tiones), le P. Le Moyne (Peintures morales) et La Bruyère. Mais il s'agissait
d'abord, pour l'évêque Hall, d'un recueil utile aux prédicateurs).
13S. Caracteres des vertus et des vices tirez de l'anglois de M. Joseph Hall
(par le sieur de Tourval). Paris, 1610, in-12, pièces Iimin. 110 p. [R 38132.]
139. Les Characteres des mœurs, tradllits du grec de Theophraste par H. de
Benevent, parisien, thresorier gelleral de France en Berry. Paris, N. de la
Caille, 1613, in-12, pref. 95 p. [R 24324.]
726 BIBLIOGRAPHIE
AMBROISE (Saint).
140. Divi Ambrosii... Omnia opera per eruditos viros ex accurata diversorum
codicum collatione emendata ... studio Erasmi... Parisiis, ex off. G. Cheval-
lonii, 1529, in-fol. (Rééd. 1539.) [C 391.]
141. Trois harangues, une de Symmache, et deux de S. Ambroise, sur le sujet
de la demolition de l'autel de la victoire (trad. par L. Giry). Paris, j. Carnu-
sat, 1639, in-12. [C 2915.]
(Chez l'éditeur de l'Académie.)
AUGUSTIN (Saint)
142. Divi Aurelii Augustini De Disciplina christiana. Coloniae, U. Zeel, circa
1470, in-4°. [Rés. C 1753.]
(Plusieurs autres éditions en Allemagne en 1465, 1470, 1478 ... )
143. Divi Aurelii Augustini De Doctrma christiana libri 1111. Venetiis, per
J. Patavinum et V. de Ruffinellis, 1534, in-8°. [C 2981.]
144. D. Aurelii Augustini... Omnium operum primus (-decimus) tomus, summa
vigilantia repurgatorum a mendis innumeris per D. Erasmum... Basileae,
Froben, 1528-1529, 10 vol. in-fol. [Rés. C 462.)] Ed. parisienne 1531-1532 ;
rééd. avec commentaire de L. \'ivès sur La Cité de Dieu en 1541, 1555,
1584; éd. vénitienne 1584.)
145. S. Aurelii Augustini ... opera, tomis Vndecim comprehensa per theologos
lovanienses Th. Gozaeum et Johan. Molanum ... ab innumeris mendis vin-
dicata. Parisiis, cum signo Magnae Navis, 1635-1637, Il tomes in-fol. (Rééd.
Paris, 1636-1651). [C 466.] (1'" éd. Paris, 1613-1614.)
(Cette édition savante destinée à remplacer celle d'Erasme précède et
prépare l'exégèse de Jansénius (1640) selon la méthode de la théologie
positive.)
146. La Doctrine chrestienne de saint Augustin divisée en quatre livres avec
le manuel adressé à Laurentius, le tout mis en français par Guillaume
Colletet. Paris, 1636, J. Camusat, in-12, 443 et 232 p. table. [C 3079.]
(Dans sa préface, Colletet déclare avoir entrepris cette traduction à la
demande de Conrart (Philandre) et de Godeau.)
AULU GELLE
147. Aulu Gellii noctes atticae, edidit Jo. Andreas, episcopus Aleriensis, opitu-
lante Theodoro Gaza. Romae, in domo P. de Maximis, 1469, in-fol. (Rééd.
Venise 1472, 1489, 1493.) [Rés. Z 39 et 40.]
148. Aulu Gellius (recognocit philippus Beroaldus). Bononiae, per B. Hectorum,
1503, in-fol. [Rés. Z 51.]
149. Aulu Gellii linguae et graecae et latinae fulgentissimis syderis noctium atti-
carum commentarii... Parisiis, J. Petit, 1508, in-4·, 167 ff. [Rés. Z 627.]
BIBLIOGRAPHIE 727
150. Aecipite, studiosi omues, Aulu Gellii noetes mieantissimas (quas ex reeogni-
lione P. Beroaldi edidil Nicolaus Ferretus) ... Venetiis, 1509, J. Tacuinus,
in-fol. 135 ff. [Rés. g Z 17.] •
(Entre 1511 et 1536, sept éditions des Nuits Attiques conservées à la B.N.
paraissent à Paris, dont six chez Josse Bade. Entre 1537 et 1559, quatre
éditions à Lyon chez Gryphius.)
CASSIODORE
CICÉRON
154. M.T. Cieeronis de Oratore libri tres, Brutus et Orator. Romae, in domo
Tetri de Maximis, impr. per C. Sweynheym et A. Pannartz, 1469, in-4°.
[Rés. X 321.]
155. M. Tullii Cieeronis opera omnia ab Alexandro Minutiano in lueem edita.
Cum Cieeronis vita a Plutareho seripta et in latinum versa a Leonardo
Aretino. Mediolani, Fr. Le Signerre pro A. Minutiano, 1498-1499, 4 t. en
3 vol. [Rés. X 342-344.]
156. In hoc volumine haee eontinenillr: Rhetoricorum ad C. Herennium
lib. JII, M.T. Ciceronis de Inventione lib. 1/ ... de Oratore ad Quintum
fratrem lib. JII, de Claris oratoribus qui dieitur Brutus ... , Orator ad Brutum
... Topiea ad Trebatium ... Oratoriae partitiones ... , De optimo genere ora-
torum ... (eum Aldi Manutii praefatione), Venetiis, in aed. Aldi et Andreae
soceri, 1514, in_4°, VI-247 ff. (Rééd. 1521, 1533, et avec corrections de
P. Manuce 1546, rééd. 1550, 1554, 1559, 1564.) [Rés. X 2241.]
157. Opera Ciceronis rhetoriea, oratoria et forensia, praemisso indice et vita ex
Livio atque ad C. Herennium rhetoricorum libri II/l, de Inventione, quae
et vetus rhetoriea lib. 1/ Topicorum, ad Brutum lib. l, de Partitione oratoria
dialogus l, de Oratore lib. JII, de Claris oratoribus lib. l, De Perfecto Ora-
tore lib. l, De optimo genere oratorum fragmentum, addita per Leonar-
dum Arretinum Aesehinis aeeusatio et Demosthenis defensio (edidit lodo-
eus Badius). Parisiis, renundantur J. Parvo et J. Badio, 1527, 2 t. en 1 vol.
in-fol., VIIl-138 ff., XIV-265 ff. [Rés. X 480.]
728 BIBLIOGRAPHIE
158. M.T. Ciceronis Orator. Ejusdem de Optimo genere oratoris ... Parisiis,
apud L. Cyanium, 15~, in-8°, 46 p. [X 17082.]
159. M. Tullii opera omnium quae hactenus excussa sunt castigatissima, nunc
primum in lucem edita (a Petro Victorio). Venetiis, in off. L.A. Juntae,
1534-1537,5 vol. in-fol. (T. 1. Opera rhetorica). (Rééd. à Paris, R. Estienne,
1538-1539, et à Bâle en 1540.) [Rés. X 355-359.]
160. L'oraison que fait Ciceron à César pour le rap,pel de M. Marcellus sénateur
romain, translatée de latin en fran!:uys par l'esleu Macault ... Paris, A. Auge-
reau, 1534. [Vélins 2O~.1
161. M. Tullii Ciceronis Brutus, seu de daris oratoribus liber. Parisiis,apud
S. Colinaeum, 1535, in-8°, 109 p. [Rés. X 2296.]
162. M.T. Ciceronis ad M. Brutum Orator, iIIustratus lacobi Lodoïci Rhemi
commentariis. Parisiis, apud M. Vascosanum, 1536, in-4°, VI-I27 ff. (Rééd.
1540-1552.) lX 3117.]
163. Latomus (Barthélémy). M. T. Ciceronis Actionum in Verrem Iibri quattuor
priores ... B.L. partitionibus explicali. Parisiis, apud M. Vascosanum, 1539,
in-4°. [X 3202 (1).]
(L'œuvre de Latomus, professeur d'éloquence latine au Collège royal, grand
éditeur et commentateur de Cicéron, éditeur de Rodolphe Agricola, prépare
celle de Ramus.)
164. M. Tullii Ciceronis opera in lucem edidit Paulus Manutius. Venetiis, apud
Aldi filios, 1540-1546, \0 vol. in-8°. (Ré éd. Venise 1583, à Paris R. Estienne,
1543-1544, à Lyon Gryphius 1548-1555.)
(Edition de Paul Manuce qui, après celle de Pietro Vettori, et avant celle
de Denis Lambin, est une étape importante dans l'établissement du texte
et la diffusion de l'œuvre de Cicéron en Europe.)
165. Les oraisons de M. Tul. Ciceron pere d'eloquence latine, translatees de latin
en françoys par Estienne Le Blanc, Conseiller du roy nostre sire et contro-
leur general de son espargne, aussi par l'esleu Macault, notaire, secretaire
et valet de chambre du roy, et par Claude de Cuzzy. L'oraison que feit
Crispe Salluste contre M.T. Ciceron, avec deux autres oraisons dudit
Crispe Salluste à Jules Cesar, ... translates en françoys par Pierre SaUal...
Paris, A. et C. L'Angelier frères, 1541, in-8°, \05 ff. [Rés. p. X BO.]
166. Les Epistres familières de Marc Tulle Ciceroll pere d'eloquence latine,
nouvellement traduites du latin en françois par Estienne Dolet, natif d'Or-
leans ... Lyon, 1542, E. Dolet, in-8°, 208 ff. (Rééd. 1545, 1549.) [Rés. Z
2145.]
167. Rhetorica. Rhetoricorum ad Herennium lib. /II, M.T. Ciceronis De ln ven-
tione lib. Il, de Oraiore ad Quintum fratrem lib. III, de claris oratoribus
qui dicitur Brutus lib. 1 ; Orator ad Brutum lib. 1 ; Topica ad Trebatium
lib. 1; Oratoriae partition es lib. l, ejusdem de Optimo genere oratorum
praefatio quaedam. Variae lectiones ad calcem rejectae. Parisiis, ex off.
R. Stephani, 1544, in-8°, 783 p. [X 17177.]
168. M. Tullii Ciceronis de Oratore ad Quintum fratrem Iibri III, De claris
oratoribus qui dicitur Brutus, liber IV, Orator ad Brutum ... ejusdem de
Optimo genere oratorum ... Lutetiae, ex off. R. Stephani, 1546, in-16, 284 ff.
[X 17063.]
169. Orator Ciceronis ad M. Brutum corrigente Paulo Manutio ... cum Ciceronis
libello de Optimo genere oratorum. Venetiis, apud Aldi filios, 1546, in-8°,
45 ff. [Rés. X 2244.]
BIBLIOGRAPHIE 729
170. De Oratore Ciceronis ad Q. fratrem libri 111, corrigente Paulo Manulio ...
Venetiis, apud Aldi filios, 1546, in-S·, 136 ff. [Rés. X 2242.)
171. De Claris oratoribus Ciceronis liber qui inscribitur Brutus ... corrigente
Paulo Manutio, Aldi filio. Venetiis, apud Aldi filios, 1546, in-8·, 45 ff.
[Rés. X 2243.)
172. M.T. Ciceronis ad M. Brutum Orator, ex castigatione Antoni Goveani.
Parisiis, apud Michaelem de la Guerche, s.d., in-4·, 39 ff. [X 3120 (1).]
173. 11 Dialogo dell'Oratore di Cicerone tradofto per Lud. Dolce ... Vinegia,
Giolitto de Ferrari, 1547, in-12, XVI-176 ff.
(La première traduction française est celle de F. joulet en 1601 (pour
le L. 1) et la première traduction complète est celle de l'Abbé Cassagne
en 1673.) [X 17071.)
174. M. Tullii Ciceronis de Oratore ad Quintum fratrem dialogi tres Audomari
Talaei explicationibus illustrati... Parisiis, apud C. Stephanum, 1553,3 part.
en 1 vol., in-4·. [X 4ï67.)
(par le fidèle disciple de Ramus, Omer Talon.)
175. M. T. Ciceronis de Oratore ad Quintum fratrem dialogi tres, Jacobi Stre-
baei, Leodegarii de Quercu et cujusdam incerti authoris commentarii item-
que scholiis P. Melanchtonis ... illustrati. Parisiis, apud T. Richardum,
1553, in-4°, 304 ff. (Rééd. 1561, 1562.) [X 3114.)
(Léger Duchesne, professeur royal d'éloquence latine, infatigable éditeur
et commentateur de Cicéron, fut avec j. Galland et A. Turnèbe, un ennemi
acharné de Ramus. Son Exhortation au Roy ... Paris, G. Buon, 1572, s'ouvre
par un poème: «Autant que fut Ramus en sa vie odieux / Tout autant
à sa mort un chascun est joyeux ... ~)
176. Locus in ql/o tractantur joci lib. 11 de Oratore, ab Adr. Turnebo explica-
tus. Parisiis, apud G. Morellum, 1555, in-4·, 6S ff. [X 3205 (5).)
177. Les Philippiques de M.T. Ciceron translatées de latin en françoys par
l'esleu Macault, secretaire et valet de chambre du Roy. Poitiers, j. et E.
de Marnef, 1549, in-fol. 102 ff. [Rés. X 4S2.)
(Voir n° 43, le Rapport des deux princes de l'éloquence grecque et latine
Demosthène et Cicéron, par j. Papon.)
17S. M. T. Ciceronis de optimo genere oratorum, praefatio in commentarios
Aeschinis et Demosthenis orationes, P. Rami praelectionibus illl/strata ...
Parisiis, apud A. Wechelium, 1557, in-4°, 20 ff. [X 3116 (2).)
179. M. Tullii Ciceronis Rhetorica ex castigatione Joannis Boullieri... Lugduni,
apud j. Frellonium, exc. S. Barberius, 1562, in-16, 742 p. [X 17043.)
180. M. Tullii Ciceronis de daris oratoribus liber qui dicitur Brutus, et in eum
Caelii Secundi Curionis commentarii P. Cornelii Taciti ejusdem argumenti
dialogus ... Basileae, apud M. Iphigenum, 1564, in-So, XXIV-507 p.
[X 17706.)
ISI. M. Tullii Ciceronis opera omnia quae exstant a Dionysio Lambino ... emen-
data. Ejusdem D. Lambini annotationes, seu emendationum rationes, singu-
lis tomis distincfae. Parisiis, in aed. Rovillii, 1565-1566, 4 t. en 2 vol. in-fol.
(T. 1. Opera rhetorica.) [X 911-912.)
(Dédié à Henri de Mesmes, qui a patronné cette édition par amour de
Cicéron, selon l'enthousiaste préface. Des poèmes latins de Ronsard et
de Baïf célèbrent cette contribution française à la restitufio Ciceronis.)
730 BIBLIOGRAPHIE
CYPRIEN (saint)
204. Opera divi Caecilii Cypriani ... ab innumeris mendis repurgata, adjectis
nonnullis libellis ex vetustissimis exemplaribus quae hactenus non habe-
bantur ac e remotis Us quae fa/so videban/ur inscripta, una cum annota-
tiunculis atque haec omnia nobis praestitit ingenti labore suo Erasmus
Roterodamus ... Apud inclytam Basileam, ex off. Frobeniana, 1521, in-fol.,
pièces Iimin. 515 p. et index. (Rééd. 1525, 1530, 1558 et à Paris 1541, à
Lyon en 1544, à Venise en 1547 et à Rome, chez Paul Manuce en 1563.)
[C 213 (2).]
732 BIBLIOGRAPHIE
PLINE LE JEUNE
211. Lettres de Pline Second où l'on voit la parfaite méthode d'escrire à toutes
sortes de personnes, et le vray styi que doivent suivre ceux qui s'en
meslent. Paris, T. Quinet, 1632, in-8°, 569 p. [Z 13745.]
(Trad. par j. Bouchard.)
212. Harangue panegyrique de Pline Second, pièce d'éloquence la plus accom-
plie que nous ayons jamais eue, récitée en plein Sénat devant l'Empereur
Trajan ... Paris, T. Quinet, 1632, in-8°, 136 p. IZ 17788.]
(Trad. Bouchard ?)
213. Panegyrique de Trajan par Pline Cecile Second. Paris, Somma ville, 1638,
in-4°, 359 p. [X 3229.]
- Les lettres de Pline Consul, Paris, Sommaville, 1643, in-4°, 73-323 p.
[Z 13746.]
(Ces deux traduction sont l'œuvre de l'académicien Jules Pilet de la Mes-
nardière.)
QUINTILIEN
SÉNÉQUE
224. L. Annaei Senecae Opera ... per Desid. Erasmum Ooterodamum ... Basileae,
ex off. Frobeniana, 1529, in-fol. ëpître dédicatoire, Vie de Sénèque, 690 p.
et index. [R 474.]
225. L. Annaeus Seneca a M. Antonio Mureto correctus, et notis illustratus...
Romae, apud B. Grassum, 1585, in-fol. épître dédicatoire, 531 p. et index.
[R 476.]
(posthume, publiée par Francest'o Benci.)
226. L. Annaei Senecae philosophi stoïci ... opera quae ex/ant omnia, M. Antonii
Mureti, F. Pinciani, aliorumque virorum eruditissimorum ... innumeris locis
emendata notisque illustrata ... opera Nicolai Fabri (Nicolas Le Fèvre).
Parisiis, apud N. Novellum, 1587, 3 part. en 1 vol. in-fol. [Rés. R 233.]
2n. Les œuvres morales et meslees de Senecque traduites du latin en français
et nouvellement mis en lumière par Simon Goulart ... Ce thresor de philo-
sophie morale et naturelle est reduit en trois volumes... Paris, J. Houzé,
1595,3 t. en 2 vol. in-4°. [5863-5865.] (Rééd. Genève, 1606.)
228. Anneae Senecae tum Rhetoris, tum Philosophi opera omnia ac Andrea
Schotto ad veterum exemplarium fidem castigata ... Coloniae Allobrogorum,
T. Vignon, 1613, in-8°. [R 51149.]
(1 ro édition 1604.)
229. L. Annaei Senecae Philosophi opera quae extant omnia a Justo Lipsio
emendata et scholiis illustrata. Antverpiae, ex off. Plantiniana, apud J.
Moretum, 1605, in-fol., épître dédic. XXXVI-796 p. et index. (Rééd. 1614,
1615, 1632.) [R 1192.]
230. Les œuvres de L. Annaeus Seneca mises en françois par Mathieu de
Chalvet... Paris, A. L'Angelier, 1604, in-fol., pièces Iimin. 522 ff. et tables.
[Rés. R 236.]
(Rééd. Paris, 1616, 1624, et avec adjonctions de J. Baudoin en 1638;
Rouen, 1618, 1634.)
231. Les œUvres de Seneque de la traduction de M' François de Malherbe
continuées par Pierre Du Ryer. La mort et les dernières paroles de Seneque
par P.A. Mascaron ... Paris, A. de Sommaville, 1659, 2 t. en 4 vol. in-fol.
[R 1195-1198.]
SÉNÈQUE LE RHÉTEUR
235. Taciti opera ... Venetiis, par Vindehnum de Spira, circa 1470 in-fol. (avec
le Dialogus de oratoribus.) [Rés. J 621.]
236. P. Cornelii Taciti libri quinque noviter inventi atque cum reliquis ejus
operibus editi (dédié à Léon X par Philippe Béroalde). Rome, 1515, in-fol.
[Rés. J 619.]
(Avec le Dialogue des orateurs. De même dans l'édition Beatus Rhenanus,
Bâle, 1533 et l'éd. Alde, Venise, 1534.)
237. P. Cornelii Taciti equitis ab excessu Augusti annalium libri sedecim, ex
castigatione Aemylii Ferretti, Beati Rhenani, Alciati et Beroaldi. Lugduni,
apud Seb. Gryphium, 1542, un vol. in-8°, 710 p. et index [j 13568-13569.]
(Dialogus de oratoribus, p. 644-ûg2, t. 1 et ln dialogus de oratoribus
castigationes B. Rhenani, p. 175-l7g ; Andreae Alciati, p. 217, t .1I.)
238. P. Cornelii Taciti ab excessu Augusti Annalium libri sedecim, Lugduni,
apud haered. S. Gryphii, 1559, in-8°, 875-251 p. U 13571.]
(Nouvelle édition, enrichie par rapport à celle de 1542.)
239. P. Cornelii Taciti Historiarum et Annalium libri qui exstant, jusfi Lipsi
studio emendati. Ejusdem Taciti liber de moribus Germanorum, Julii Agri-
colae vita. Incerti scriptoris Dialogus de oratoribus sui temporis. Antver-
piae, ex off. C. Plantini, 1574, in-S', 765 p. index (2' éd. 1581 ; 3" 1585;
5' 1589, réimpr. en 1595; 6' 1607; éd. parisienne N. Buon-M. Orry 1606,
1608 ; éd. elzévirienne 1621 et 1634 ; en 1640 avec notes et corrections de
Hugo Grotius). [j 13572-13573.]
240. Les Œuvres de C. Cornelius Tacitus à sçavoir les Annales et Histoires des
choses advenues en l'Empire de Rome depuis le trespas d'Auguste .. l'As-
siete de la Germanie .. les mœurs et noms des anciens peuples de ce pays ..
la Vie d'Agricola où est traitée /-1 fonqueste et description du pays appelé
jadis Bretaigne et maintenant Angleterre et Escoce. Le tout nouvellement
mis en françois avec quelques anilotations necessaires pour l'intelligence des
mols les plus remarquables (par E. de la Planche et Claude Fauchet). Paris,
L'Angelier, 1582, in-fol. pièces limil1., 602 p. et Il ft. [j 1015.]
(L'imprimeur au lecteur: '" Mais ce tiers de Tacite (trad. par Fauchet) ne
fut pas si tost publié qu'un tres-sçavant homme dit qu'il n'est pas possible
de bien faire parler français à un si pompeux chevalier latin ... li n'avait
pas envie que tu employasses ton argent en ceste marchandise, si elle
n'estait latine. Voilà le payement de ceux qui essayent de representer un
personnage etrangement difficile ... ;»
241. Dialogue des orateurs cy devant publié sous les noms de C. Cornelius
Tacitus et de Fabius Quintilianus, nouvellement mis en françois (par Claude
Fauchet). Paris, A. L'Angelier, 1585, in-8°, 26 ff. U 13633 (2).]
(Publié à part, selon les doutes émis par Juste Lipse sur la paternité de
Tacite.)
242. Le Tibère françois, ou les six premiers livres des Annales de C. Tacitus.
De la traduction de Rodolphe Le Maistre ... 2" éd. Paris, R. Estienne,
1616, in-12, 751 p. [J 21755.]
(A rapprocher de l'Aelius Se jan us de Pierre Matthieu, «centon :. de Tacite
publié à Paris en 1617.)
243. Les œuvres de C. Corn. Tacitus ." de nouveau traduites en françois et
illustrees d'annotations où il est traité generalement de la religion, des
736 BIBLIOGRAPHIE
1650). [J 3632.)
(Le Dialogue, qui poursuit sa carrti'!te française dans la traduction de Giry,
ne figure pas dans les Œuvres.)
TERnJLUEN
251. Opera Q. Septimi Florentis Tertulliani ... per Bealum Rhenanum ... Basileae.
per Joan Frobenium, 1521, in-fol., 615 p. et index. (Rééd. 1528, 1562 et à
Paris, avec compléments de Martin Mesnard, chez J. Roigny, 1545.)
[Rés. C 1374.)
252. Deux traictez de Florent Tertullien '" l'un des Parures et ornemens, l'autre
des Habits et accoutremens des femmes chresliennes. Plus un Traicté de
saint Cyprian ... touchant la discipline et les habits des filles, mis en
françois par L. Daneau. Genève, J .de Laon, 1580, in-8 69 p. [C 4776.)
D
,
259. Apologetique ou Defense des chrestiens contre les accusations des Gentils,
Traduit en françois du latin de Tertullien (par Louis Giry). Paris, J. Camu-
sat, 1636, in-8°, préf., 362 p. (Rééd. huit fois de 1637 à 1738.) [Rés. C 2825.)
(A replacer comme le n° suivant, dans la série des traductions patronnées
par l'Académie.)
260. Tertullian. De la patience et de l'oraison. Paris, Vve J. Camusat, 1640,
in-12, pièces Iimin., 116 p. (Trad. Ithier Hobier.) IC 2833.)
261. Nicolai Rigaltii Observationes et notae ad libros Q. Septimo Fior. Tertul-
liani. Lutetia, sumpt. M. De Puis, 1641, in-fol., 130 p. [C 308.)
262. De la chair de Jesus-Christ et de la Resurrection de la chair, ouvrage de
Tertullien. De la traduction de L. Giry. Paris, L. Le Petit, 1661, in-12,
475 p. et table. IC 4362.)
(Ce petit répertoire chronologique n'a d'autre valeur que d'indiquer les
principaux points de repère et de marquer l'importance de la production de
librairie destinée à alimenter la .. rhétorique des citations:p. II devrait inciter
à une bibliographie systématique et raisonnée qui distinguerait les diverses
régions de cette production, ce que nous fi'avons pu faire ici. V. Beugnot, art. cit.
n° 1086, et Cave, ouvr. cit. n° 1105.)
263. Le Cathon en françois : en ce present livret est tenue une brieve et utille
doctrine pour les simples gens, laquelle est prinse et composee sur le
Cathon avec aulcunes additions, auctoritez des sains docteurs, des pro-
phetes, et aussi plusieurs histoires et exemples autentiques des sains peres
et cronicqs anciennes braves et approuvees... s'ensuyst la table de ce
present livre: des causes pourquoy idolatrie fut trouvee ... Exemple com-
ment les usuriers et leurs hoirs sont damnez jusqu'à la dixieme lignee ...
Exemple de la cautele et deception que une femme fist jadis à son mary ...
Exemple de la poudre de mandegloire et comment elle fait dormir ... Exem-
ple d'un senateur de Romme lequel ordonna que tout homme qui seroit pris
en adultere perdroit les deux yeux ..., etc. Lyon, 1492, in-4°. [Rés. 04887.1
BIBLIOGRAPHIE 739
299. Divi Ambrosii Milleloquium summam totius doctrinae illius Ambrosii sub
mille titulis seu generalibus capitibus, ordine alplzabetico digestis complec-
tens, authore fratre Bartholomaeo urbinate episcopo. Lugduni, apud Sue-
tenios fratres, 1556, in-fol. [Rés. C 413.}
300. Apophtegmatum ex optimis utriasque linguat scriptoribus par Conradum
Lycostherzem ... collectarum, loci communes ad ordinem alphabeticum redacti.
Lugduni, apud A. Vincentium, 1556, in-8°, 1130 p. index. (Rééd. 1563, 1571,
et sous une forme augmentée 15ô4, 1567.) [Z 17607.}
301. Theatrum Vitae humanae omnium ;ere eorum quae in hominem cadere
possunt bonorum et malorum exempla historica ... comprehendens a Conrado
Lycostllerze jampridem inchoatum, nunc vero Theodflri Zvingeri ... opera
in eo usque deductum ut ... majorem in modum utile et jucundum sit futu-
rum ... Basileae, per J. Oporinum, A. et A. Frobenios Fratres, 1565, in-fol.,
1428 p. et index. (Rééd. 5 vol., J5~.) [Z 1512.]
302. Flores et sententiae scribendique formulae ex Marci Tullii Ciceronis episto-
lis familiaribus selectae et in communes locos ad cujuscumque generis
concinnandas epistolas quam aCLOmmoditissimos coagmentatae et certo
ordine digestae (Gabriele Prateolo Marcossio collectore). Ejus Ciceronis
et aliorum auctorum sententiae quas doctorum IlOminum opera illustratas
emittimus, ad has ipsas fulciendas epistolas amplam tibi ma/eriam suppe-
ditare potuerunt. Antverpiae, ex off. Plantini, in-16, 1566, 174 p. (éd.
parisienne 1577). [X 17698 (1).]
303. Ciceronis ac Demosthenis sententiae selectae, item apophtegmata quaedam
pia ex ducentis veteribus oratoribus philosophis et poetis, tam graecis
quam latinis collecta. His accessit Desiderii Vandoperani (Jacotil) de phi-
losophorum doctrina libellus ex Cicerone. Parisiis, H. de Marnef et G.
Cavellat, 1567, in-16, 546 p. et index. [X 20059.]
304. Narrationum sylva, qua magna rerum partim a casu fortunaque, partim a
divina humanaque mente evenentium, scitu jucundarum et utilium varietas
continetur libri VIII ... authore Gilberto Cognato ... Basileae, ex off. Henric-
petrina, 1567, in-8°, pièces Iimin. 652 p. et index. [Z 39170.]
(Topique de récits exemplaires, à finalité morale, par le secrétaire
d'Erasme, Gilbert Cousin.)
305. Sententiae et regulae vitae ex Gregorii Nazianzeni scriptis collectae
graece. Ejusdem lambi aliquot, graece, nunc primum editi per Joannem
Sambucum ... Antverpiae, ex off. Plantini, 1568, in-8°, 112 p. [C 2630 (2).]
306. Dissimilium et adagiorum ex D. Joannis Chrysostomi operibus collectorum
centuriae per Claudium Espencaeum ... Parisiis, apud S. Nivellum, 1569,
in-8°, XVI-HiO p. [Z 17619.]
307. LA PORTE (Maurice de). Les Epithetes de M. de La Porte... Paris, G. Buon,
1571, in_8°, I11-284 ff. [Rés. X 1964.]
(II s'agit moins d'un recueil d'élocution que d'un recueil de « fleurs» ran-
gées par ordre alphabétique, et destinées à être utilisées, par un jeu combi-
natoire, pour la composition de poèmes ou de proses ornées. Les citations
sont tirées des poètes de la Pléiade.) (Rééd. jusqu'en 1612.)
308. BILL y (Jacques de). Sonnets spirituels recueillis pour la plupart des anciens
théologiens tant grecs que latins, avec quelques autres petits traictez
poëtiqlles de semblable matiere, par M. Jacques de Billy ... Paris, N. Ches-
neau, 1573, in-So, XVI-171 p. (Rééd. 1577 et 1578.) [Rés. Ye 1826.}
BIBL/OGRAPHIE 743
309. Les deux premiers livres des apophtegmes d'Erasme, colligez et tirez de
plusieurs autheurs tant grecz que latins, traduits par quatrains en rime
françoise par Gabriel Prost ... Lyon, B. Rigaud, 1574, in-8·, 64 p. [Rés.
Ye 4597.]
310. BILLY (Jacques de). Anthologia sacra, exprobatissimis utriusque linguae
Patribus collecta atque oelastichis versibus comprehensa, auelore D. lacobo
Billio ... Parisiis, apud N. Chesneau, 1575, in-16, 181 ft. (Rééd. 1578.)
[Yc 8060.]
311. loannis Stobaei Ec/ogarum libri duo, quorum prior physicas, posterior
ethicas compleelitur ; nunc primum graece editi, interprete Gulielmo Can-
tero una et Gemisti Plethonis «De Rebus Peloponnes, orationes duae,.
eodem Gulielmo Cantero interprete ... Antverpiae, ex off. Plantini, 1575,
in-fol. 236 p. [R 498.]
312. Conradi Lycosthenis... Similium loci communes ... cum Theod. Zvingeri ...
similitudinum methodo ... Basileae, ex off. Episcoporum, 1575, in-8·, 1002 p.
et index. [Z 12904.]
313. Les Quatrains du seigneur de Pybrac ... contenans préceptes et enseigne-
mens utiles pour la vie de l'homme, de nouveau mis en leur ordre et aug-
mentéz par ledit seigneur. Paris, F. Morel, 1576, in-4·, 14 ff. [Rés. H
1031 (4).]
(In éd. 1574. Le genre des «quatrains,. est une dérivation parénétique
des recueils mnémotechniques de lieux communs.)
314. BELLEFOREST (François de). Les sentences illustres de Ciceron ... de Te-
rence ... de plusieurs autres autheurs ... S.1. 1582, in-16 [X 17699.]
315. Le Trésor des Morales de Plutarque de Chaeronae contenant les preceptes
et enseignemens qu'un chascun doit garder pour vivre honnestement avec
son estat et vacation ... Avec les beaux dicts et faicts, sentences notables,
responses... des empereurs, rois, ambassadeurs et vaillans capitaines tant
grecs que romains. Premierenzent recueillis et extraits en langue latine des
commentaires et morales de Plutarque, et depuis redigez en bon ordre
et disposition en langl/e françoise par François Le Tort... Paris, J. Poupy,
1577, in-S·, 888 p. [so R 10802.]
316. ROSSELLIO (Cosma), a.p. Thesaurus artificiosae memoriae ... Venetiis, 1579,
in-4°. [l 9956.]
317. Adagiorum Des. Erasmi... chitiades quattuor ... quibus adjeelae sunt Henrici
Stephani animadversiones... item adagia collecta ex Caetio Rhodigino,
polydoro Virgilio, Preto Gotofredo, Carolo Bovello, M. Antonio Mureto,
loann. Harungo, Adria. Turnebo, Gutielmo Gentio Noviomago. Parisiis,
apud N. Chesneau, 1579, in-fol., 1376 col. (Rééd. 1579, 1606.) [Z 542.]
318. Tabula compendiosa de origine, successione, aetate et doelrina veterum
philosophorum ex Pll/tarcho, Laertio, Cicerone et aUis ejus generis scripto-
ribus a G. More((o collecta, cam Hier. Wolfii annotationibus. Basileae,
ex off. Herragiana, 1580, in-12, 496 p. index. [R 44531.]
319. CONTI (Natale). Mythologia sive Explicationum Fabularum tibri X, in qui-
bus omnia prope na.turatis et moralis philosophiae dogmata contenta fuisse
monstratur ... Venetiis, 1581, in-4°, 730 p. (J 7805.]
(Trad. fr. J. de Mont/yard 1604 - J. 7807-7808) et J. Baudoin (1 627-J. 1943
(1). Editeur de rhéteurs et sophistes anciens, comme Vigenère, Conti a
fait de sa Mythologie - comme Vigenère de ses Tableaux - un recueil
de sources de l'invention et une mnémotechnique fondée sur l'imagination.)
744 BIBLIOGRAPHIE
320. Les sentences illustres de M.T. Ciceron et les apophtegmes, avec quelques
sentences de piété recueillies des œuvres du mesme Ciceron ; aussi les plus
remarquables sentences tant de Terence que de plusieurs autres autheurs
et les sentences de DenlOstlzenes ... Le tout traduict nouvellement de latin
en françois par François de Belleforest. S.I., par J. Lertout, 1582, in-16,
VIII-751 p. et index. (Rééd. Rouen T. Daré, 1610 et 1619.) [X 17699.]
(Voir les Sententiae selectae ... , Paris, 1567.)
321. Divini Platonis Gnomologia graecolatina, per locos communes perquam
apposite digesta. Lugduni, apud J. Turnaesium, 1582, in-16, 400 p.
[R 46868.1 (Voir aussi Divi Platonis Gemmae, 1552 [R 41958.1
322. Les sentences illustres de M.T. Ciceron et les apophtegmes arec quelques
senlences de suite recueillies des œuvres du mesme Ciceron (par J. de
Belleforest). Paris, J. Lertout, in-12, 1582,751 p., index. [X 17699.]
323. L'ANGLOIS (Pierre, sieur de Bel Estat). Discours des hiéroglyphes pour
exprimer toutes conceptions à la façon des eg)'ptiens par figures, et images
des choses au lieu de leltres avecque plusieurs interpretations de songes
et prodiges, le tout par Pierre L'Anglois, escuyer, sieur deI Bel-Estal. Paris,
Abel L'Angelier, 1583, in-4", IV, 112 fi. [Z 3574.]
:i24. TRUJILLO (Thoma a), O.P. Thesauri condonatorum tomus primus in quo
septem libris non solum accurate traduntur omnia documenta quae ad
concionandi munus cum dignitate subeundum servare opporteat, sed etiam
Sanctomm graviumque aLiorum Docforum ac Philosophorum fontes indi-
cantur copiosissimi, ad omnes totius anni... Ferias ... Lugduni, apud Caro-
lum Pesnot, 1584, 2 vol. in-fol. [D 647.]
(Autre éd. Venise, 1586, 0 5317. Alliance d'une Rhetorica ecclesiastica et
d'une Summa locorum communium.)
:.'25. Recueil de sentences plus insignes de l'œuvre imparfaict de saint Jean
Chrysostome sur l'Evangile saint Matthieu, reduictes en quatrains fran-
çois par Thomas Jardin ... Lyon, Pillehotte, 1584, in-8°, 104 p. [A 12718.]
326. GRENADE (Louis de). Sylva locorum communium omnibus divini Verbi
concionatoribus neenon variarum lectionum studiosis non minus utilis quam
necessaria, in qua tum veterum Ecclesiae Patrum, tum Philosophorum,
Dratorum, et Poetarum egregia dicta, aureaeque sententiae cuilibel, sermo-
nis instituto aptissime, copiose leguntur. Lugduni, sumpt. Petri Landry, 1586.
[0 36688.]
(Précédé d'un bref de Grégoire XIII à Louis de Grenade approuvant son
œuvre, daté du 21 juillet 1582.)
327. Thesaurus christiani hominis complectens libros sex... omnia fere ex
scriptis D. Aurelii Augustini... collecta et cOllcalenata per Joannem Fede-
ricum Lumnium ... Antverpiae, ex off. C. Plantini, 1588, in-8°. [0 42473.1
328. Le Bouquet des fleurs de Seneque. Caen, impr. J. Le Bas, 1590, in-8".
[Ye 25604.]
329. LANG lUS (Joseph). Adagia, sive Senlentiae proverbiales graecae, latinae,
germanicae ex praecipiis authoribus collectae ac brevibus Nolis illustratae,
iisque Locos commune redactae. Argentorati, Josia Rihelius, 1596, in-8°,
546 p. et Index. [Z 29107.]
330. ROA (Martinus de). Singularium locorum et rerum libri V ... Martini de
Roa ... Cordubae, ex officina F. de Coa, 1600, 3 part. en 1 vol. in-4".
- Singularium locorum et rerum Sacrae Scripturae libri VI. Lugduni,
sumpt. L. Anisson, 1602, in-8", 667 p. [A 72292.]
(Rééd. Lyon, 1604.)
BIBLIOGRAPHIE 745
331. Apophtegmata ex probatis graece latinaeque scriptoribus a Conrado
Lycosthene collecta et per locos communes juxta alphabeti seriem digesta ...
Accesserunt Parabolae sive similitudines ex Plufarcho et atiis olim excerp-
tae, deinde per Lycosthenem dispositae, ac nunc primum aliquot centuriis
auctiores editae. Genevae, exc. J. Stoer, 1602, 2 part. [Z 17614.J
(Réé<!. Caen et Rouen, 1610, Lyon 1614, en un vol. in-8·.)
332. NANI MIRABELLI (Domenico). Polyanthea, hoc est opus suavissimis floribus
celebriorum tam graecarum quam latinarum exornatum, quos collegere ...
Domenicus Nanus Mirabeltius, Barlholomaeus Amantius, et Franciscus
Tortius ... S. Gervasii, ex typis Vignonanis, 1604, in-fol., 851 p. [Z 319.]
(Rééd. Francfort, 1612, 1628; Lyon, 1620, 1625, 164S.)
333. CAMERARIUS (Joachim Kammermeister le jeune, dit). Symbolarum et emble-
matum centuriae tres ... Lipsiae, typis Voegelinianis, 1605, in-4·. [Z 3515.]
334. BEYERLINCK (Laurens). Apophtegmata christianorum ... Antverpiae, ex off.
P1antiniana, 1608, in-S·, 584 p. [Z 17729.J
335. Joannis Stobaei sententiae ex thesauris Graecorum delectae... Item loci
communes sententiarum collecti par Antonium et Maximum monachos
atque ad Stobaei locos relati... Aureliae Allobrogorum, pro F. Fabro ... , 1609,
3 part. en 1 vol. in-fol. [R 644-646.]
336. Ethicae ciceronianae libri duo, seu doctrina de honeste vivendi ratione ex
Ciceronis libris collecta ejusque verbis et sententiis expressa et Ramea
methodo digesta a M. Antonio Buschero... Hamburgi, impensis Carstens,
1610, in-8·, X1V-176 p. [E 1540.]
337. GRUTER (Janus). Florilegium ethico-politicum, nunquam antehac editum,
necnon P. Syri ac L. Senecae sententiae aureae, recognoscente J. Grutero ...
Accedunt gnomae paroemiaeque Graecorum, item proverbia germanica,
belgica, italica, gallica, hispanica. Francofurti, in Biblio. J. Rhodii, 1610-
1612, 2 part. et 6 fasc .en 3 vol. in-8·. [R 37849-37S5I.]
338. MATTHIEU (pierre). Tablettes ou quatrains de la vie et de la mort (Seconde
partie). Paris, Ruelle, 1612, 2 part. en 1 vol. in-So. [Ye 27469.]
(Nombreuses rééd. des deux parties au XVII' siècle.)
339. Elogia ciceroniana Romanorum domi militaeque illustrium... selecta a
Joanne Brantio ... Antverpiae, ex typo Verdussen, 1612, in-4·, V1I1-263 p.
(J 3715 et R 7314.]
340. Polyanthea Nova, hoc est suavissimis floribus celebriorum sententiarum tam
graecarum quam latinarum refertum, quod ex innumeris fere cum sacris
tum profanis authoribus, iisque vetustioribus et recentioribus summa fide
olim collegere ad communem studiosae juventutis utilitatem, eruditissimi
viri, Domenicus Nanus Mirabellius, Bartholomaeus Amantius, et Fran-
ciscus Torlius nunc vero sublata omni titulorum et materiarum confusione,
ordine bono digestum, et innumeris prope cum sacris tum profanis sen-
tentiis apophtegmatis ,similitudinibus, adagiis, exemplis, emblematis, hiero-
glyphicis, et fabulis auctum, locupletatum, exornatum, studio et opere
Josephi Langi Caesaromontani, P.L. et in Archiducali Academia Fribur-
gensi Brisgoiae Rhetorices et Graecae linguae Professoris, ed. altera...
Francofurti, Lazarus letzner, 1612, in-fol., 1257 p. [l 320.J
341. LANGIVS (Joseph). Loci communes sive florilegium rerum et materiarum
selectarum, praecipue sententiarum, apophtegmatum, similitudinum, exem-
plorum, hieroglyphicorum, ex sacris literis, Patribus item, aliisque Linguae
graecae et Latinae scriptoribus probatis collectum studio et opera J. Langii
ï46 BIBLIOGRAPHIE
398. ABLANCOURT (N. Perrot d'). Letlres et Préfaces critiques (publiées avec
une introduction, des notices, des notes et un lexique par R. Zuber). Paris,
Didier (S.T.F.M.), 1972, in-12, 290 p.
399. AMYOT (J.). Projet d'eloquence royale composé pour Henri JII, Roi de
France ... d'après le manuscrit autographe de l'auteur. Versailles, Ph.
O. Pierre, 1805. [Rés. X 1255 - X 20402.]
400. ARNAULT (Antoine). Antiespagnol autrement les Philippiques d'un Demos-
thene françois touchant les menees et ruses de Philippe roy d'Espagne
pour envahir la Couronne de France. S.I., 1590, in-8°. [Lb 35312 A.]
401. - Le Franc et veritable discours au Roy sur le retablissement qui
luy est demandé pour les Jesuites. S.I., 1602, in-8°. [Ld 3933 A.]
402. - Le Plaidoyé de M. Antoine Arnauld advocat au Parlement ... pour
l'Université de Paris demanderesse, contre les Jesuites defendeurs, ces 12
et 13 juillet 1594. Paris, Mamert Patisson, 1594, in-8°. [Ld 3915.]
403. ARNAULD (Antoine, dit le Grand). De la Fréquente Communion. Paris,
A. Vitré, 1643, in-4°. [Rés. D 6291.]
404. - Réflexions sur l'éloquence des prédicateurs. Paris, Delaulne, 1695,
in-12. [D 15266.]
405. ARNAULD (Antoine) et NICOLE (pierre). La Logique ou l'art de penser.
Paris, C. Savreux, 1662, in-12. [R 10983.]
(Voir Ant. Arnauld et Pierre Nicole, La Logique ou l'art de penser, éd.
critique par P. Clair et Fr. Girbal. Paris, P.U.F., 1965, in_8°, 432 p.
[8° R 65606 (3)].
406. ARNAULD D'ANDILLY (Robert). Mémoires ... Coll. Michaud et Poujoulat, 2-
série, IX, Paris, 1815-1838, Paris, chez l'Editeur du Commentaire analy-
tique du Code civil. Gr. in-8°. [L 4522.]
407. AUDIGUIER (Vital d'). Epistres françoises et libres discours ... seconde par-
tie, Paris, Berjon, 1611, in-12. [Z 14321.]
(Rééditées en 1625 dans les Diverses affections de Minerve ... )
408. - La Philosophie soldade, avec un manifeste de l'autheur Il Mgr. le
Prince. Paris, T. du Bray, 1604, in-12. [R 24915.]
(Contient les éléments d'une autobiographie analogues à ceux du Page
disgrâcié de Tristan. On y observe le passage de la sententia morale
à la «pointe :..)
409. AUBEROCHE (Pierre d'), régent de collège. lIIustriss. cardo Richelio Elo-
quentiae Pantarba, cum necessaria ad oratoria disserendllm dialectica ...
Accedit methodlls dicendi et scribendi tam facilis ut ... ad disserendum vel
mediocri ingenio viam planam ... aperiat. Parisiis, apud J. Libert, 1626,
in-8°. [X 17830 - Rés. p. Yc 1024 (2).]
(Œuvre d'un ex-jésuite, et d'intention polémique contre la rhétorique de
la Compagnie.)
410. - Panegyricus de augustissimo Franciae Senatu ... Parisiis, J. Trom-
pere, 1626, in-4°. [Ln 27 20196.]
(Dédié au Premier Président N. de Verdun. Contient des éloges de l'élo-
quence des principaux «ténors,. du Parlement, et, en particulier, un
vibrant panégyrique de J. Bignon, summus Heros.)
411. AUBESPINE (Gabriel de l'). L'ancienne police de l'Eglise sur l'adminis-
tration de l'Eucharistie. Paris, A. Estienne, 1629, 2 vol. in-8°. [D 13166.]
412. AUBIGNAC (François Hedelin, Abbé d'). Discours académique sur l'élo-
quence prononcé en l'hostel du Marquis d'Hervautt, le 12 juillet 1668,
Paris, P. Colin, 1668, in-12. [X 26230.]
752 BIBLIOGRAPHIE
413. AYRAULT (P.). De l'ordre et instruction judiciaire dont les Grecs et les
Romains ont usé ès-accusations ... Paris, Sonnius, 1588, in-4°. [F 11647.]
(Comparaison entre le stylus Curiae Parlamenti et le «style» des
Anciens.)
414. - Les plaidoyers de feu Monsieur P. Ayrau/t ... seconde édition. Paris,
P. Rigaud, 1613, in-8°. [F 28627.]
415. BACILLY (Bénigne de). Remarques curieuses sur l'art de bien chanter ...
Paris, Ballard, 1668, in_8°, IX-430 p. [V 25359.]
416. - L'Àrt de bien chanter de M. de Bacilly, augmenté d'un discours qui
sert de réponse à la critique de ce traité ... Paris, l'autheur, 1679, in-8°, XII-
32-430 p. [V 25208.]
417. BAILLET (Adrien). La Vie d'Edmond Richer. Liège, 1714, in-8°, IV-412 p.
[Ln 27 17453.]
(Ouvrage capital pour l'étude du gallicanisme sous H. IV et L. XIII. Voir
p. 8, précieuses remarques sur le style de Richer prédicateur, et p. 25,
commentaires sur l'œuvre de Richer érudit (De Analogia) et grammairien
(Grammatica obstetrica) dans la lignée de j.-C. Scaliger. Rien sur Richer
rhéteur.)
418. BALZAC (J.-L. Guez de). Les Œuvres de M. de B. divisées en deux tomes.
Paris, L. Billaine, 1665, 30 if., 1059 p., et 4 ff., 717 p., 2 vol. in-fol.
[Z 772-773.]
(pour la bibliographie de B., on se reportera à B. Beugnot. Guez de
Balzac, bibliographie générale. Presses de l'Univ. de Montréal, 1969, petit
in-8°, 164 p., Guez de Balzac, bibliographie générale, supplément l,
Presses de l'Université de Montréal, 1969, in-8·, 72 p. et supplément JI,
Saint-Etienne, 1979.)
419. - Les Entretiens: 1657, édition critique avec introduction, notes et
documents inédits ... par B. Beugnot. Paris, Didier (S.T.F.M.), 1972, 2 vol.
XLV-659 p., in-12. [16" Z 15965 (1-2).]
420. BARDIN (Pierre). Le Lycée du Sr. Bardin où en plusieurs promenades il est
traité des connoissances, des actions, et des plaisirs d'un honneste homme.
Paris, j. Camusat, 1632-34, 2 vol. in_8°.
(Auteur d'une harangue à l'Académie, le 21 Mai 1635, Du style philoso-
phique, Bardin fut le premier Académicien à laisser une place vacante
par sa mort, qui suivit de cinq jours sa harangue. Son Lycée est un bon
témoignage sur les idées qui animaient le premier groupe d'Académiciens.
On lit dans la préface Au Lecteur: «Deux genres d'Escrivains occupent
maintenant toutes les Imprimeries ... ; les uns s'efforcent de faire voir tout
ce que peut inventer l'Imagination, et les autres à estaler toutes les
richesses de la Memoire. Les premiers sont les Poetes et les faiseurs de
romans ... qui ont trouvé une place dans le Cabinet des Dames; les autres
sont ceux qui, pour se mettre en estime parmi les gens de sçavoir, tra-
vaillent sur les langues, sur les opinions des premiers doctes ... , sur l'es-
c1aircissement des passages obscurs des livres anciens ... et nous donnent
des lieux communs sur toutes sortes de matieres. Je n'accuseray pas ces
personnes là d'avoir manqué de ceste faculté de l'âme qu'on appelle
jugement, mais bien de ne l'avoir pas employé comme ils eussent peu ...
je prefereray tousjours des sujets où il y aura de l'exercice pour le
jugement, à ceux où il faudroit des efforts d'Imagination et de Memoire.
(Cet ouvrage) n'a rien de la mode, mais il tient quelque chose de ceux
des anciens qui ne se proposoient que de la realité et de ('utilité ... Mon
stile ne doit sentir ny de ('austerité des doctes ny de la mignardise des
Escrivains fabuleux; je n'ay peu souffrir ny de la crasse, ny du fard, et
B1BU OGRAPH lE 753
n'ay point voulu que le discours de mon Honnestc Homme eust d'autre
beauté que celles que l'on voit sur le visage des honnestes femmes, quand
elles sont belles, qui provient de leur santé.:' L'atticisme en prose est ici
défini comme une médiation entre la rhétorio.'1e savante des citations et
la rhétorique mondaine de l'imagination.)
421. BAR y (René). La rhétorique françoise. Paris, 1653, in-12, 423 p. (Rééd.
en 1659, seule éd. fig. à la B.N. sous la cote X 18456.)
(publié avec un Discours sur la rhétorique françoise, de J.F. Le Grand.)
422. Actions publiques sur la Rhetorique françoise... Paris, Le Petit,
1658, in-4°, 368 p. (X 3446.]
423. - La fine philosophie accommodée à l'intelligence des dames. Paris,
S. Piget, 1660, in-12, 406 p. IR 13750.]
(Rééd. en 1669 sous le titre Logique où il est donné l'usage de la logique
mesme.) Dans la tradition des traités de logique à l'usage des « ignorans :..
424. - Methode pour bien prononcer un discours et pour le bien animer ...
Paris, D. Thierry, 1679, in-12, 131 p.
425. BERTRAND (Séverin). Rhetorique royalle françoise et tres-chrestienne utile
à tous estats. Paris, 1617, in-12, XXIV-IOO p.
(Par le curé de La Ferté-Bernard. Mentionné par Cior. sous le n° 11822.)
426. BÉTHUNE (philippe de). Le Conseiller d'Esta t, ou recueil des plus gene-
raies considerations servant au maniement des affaires pllbliques ... Paris,
E. Richer, 1632, in-4°, 503 p. I-E 611.]
(Voir en particulier ch. XXXI, p. 163 et suiv., considérations sur le droit
de Remonstrance des Officiers à leur Roi, compensation à l'influence des
courtisans sur celui-ci.)
427. BOISROBERT (François Le Metel de). Palmae regiae invictissimo Ludi-
vico XIII regi christianissimo a praecipuis nostri aevi poetis in trophaeum
erectae. Paris, S. Cramoisy, 1634, in-4°. IYe 1312.]
428. - Le Parnasse royal, où les immortelles actions du très-chrétien et
très-victorieux monarque Louis XIII sont publiées par les plus célèbres
esprits de ce temps. Paris, S. Cramoisy, 1635, in-4°. IYe 1311.]
429. BOURBON (Nicolas). Oratio habita in Aula Grassinorum Calendis Octobris
1602 pro foelici studiorum instauratione. Parisiis, e typo S. Prevosteau,
1604, in_8°, 41 p. (Rz 2830.]
(Dédié à Etienne Pasquier.)
430. - Poematia exposita, alienam operam et manum qua sparsim jacentia
tollerentur atque servarentur nacta. Quibus accesserunt aliquot praefa-
liones et Divi Cyrilli Archiepiscopi Alexandrini liber primus contra lulia-
num ... Paris, Robert Sara, 1630, in-8°, XXIV-408 p. IYc 8104-8105.]
(Dédié à Mathieu Molé. Voir p. 157, un hommage funèbre rendu à
Paul Petau, cousin du jésuite Denis Petau.)
431. BOURBON (Nicolas) (en hommage à). Nicolai Borbonii in Academia Pari-
siensi Eloquentiae graecae professoris Regii Tumulus ... ab amicis exstruc-
tus. Parisiis, R. Sara, 1649, in-12, 83 p. IYc 8111.]
(Dédié par R. Sara à Claude de Mesmes, Comte d'Avaux. Contributions
des PP. Vavasseur et Petau, des deux Ogier, des deux Colletet, de
F. Guyet, de Ch. Féramus, de Chapelain, du P. Nico1aï et de nombreux
lettrés de Robe.)
432. BOURBON (Nicolas). Opera omnia, poemata, orationes, epistolae, versiones
e Graeco quibus accessit ejusdem tumulus ... Paris, apud vid. R. Sara,
1651, 3 part. en 1 vol. in-12. IYe 8109-8111.]
754 BIBLIOGRAPHIE
433. BOURZEIS (Amable de). Discours sur les desseins de l'Académie et sur
le différent génie des langues, publié dans Zeitschrift für franz6sische
Sprache und Literatur, 81 (1971), p. 210-240, d'après ms. fr. 31797, avec
variantes du ms. fr. 19195.
(D'après Pellisson, prononcé devant l'Académie le 12 février 1635.)
434. BOYER (Philibert), procureur au Parlement de Paris. Le stile de la cour
de Parlement et forme de procéder en toutes les cours souveraines du
royaume ... Paris, P. Pautonnier, 1606, in-12, 599 p. [F 25352.]
435. BREMOND D'ARS-MIGRÉ (H. de) attr. à. De l'Eloquence, manuscrit publié
par Pierre de Bremond d'Ars-Migré. Mâcon, Protat, 1938, in-8°, 260 p.
(II faut restituer cet ouvrage au précepteur du jeune H. de Bremond d'Ars,
le P. Pierre Pelleprat, s.j. Voir sur celui-ci et sur son frère homonyme,
l'art. de Jules Pellisson, «Les Deux Pelleprat », Bull. Soc. Archiv. hist.
Saintonge, t. 4, 1883, p. 21-26.)
436. BRÛI..ART DE SILLERY (Fabio, évêque de Soissons). Réflexions sur l'Elo-
quence (par Antoine Arnaud, F. Brulart de Sillery et le P. Fr. Lamy).
Paris, Josse, 1700, in-12, X-359 p. [X 18633.]
(Contenant une rééd. des Reflexions ... d'Arnauld, la réponse de Fr. Lamy
à l'évêque de Soissons et la réplique du dernier.)
437. BUDÉ (Guillaume). Annotationes ad Pandecias ... Paris, 1508, in-fol.
[Rés. F 114.]
438. - De Asse... Paris, 1514, in-fol., 172 ff. [Rés. J 672.]
439. - De Philologia libri II ... Parisiis, J. Badius, 1532, in-fol., 75 H.
[l305.]
440. - Forensia. Lutetiae, ex off. R. Stephani, 1544, in-fol., 270 p.
[F 1092.]
441. - Le livre de l'institution du Prince ... Paris, J. Faucher, 1547, in-8°,
192 H. [* E 3136.]
442. BUNEL (pierre). Petri Bunelli familiares aliquot epistolae, in adolescen-
tulorum Ciceronis studiosorum gratiam (cum epistola Pauli Manutil).
Lutetiae, cura C. Stephani, 1551, in-8°, 120 p. [l 13889.]
(Edition d'Henri Estienne sur commande du roi Henri III.)
443. - PB. galli praeceptoris et Paulii Manutii itali discipuli epistolae
ciceroniano stylo scriptae. Aliorum gallorum pariter et italorum epistolae
eodem stylo scriptae. S.I., 1581, in-8°, XIV-319 p. [Z 13892.]
444. CAMUS (Jean-Pierre). Homélies des Etats Généraux (/614-1615), texte
établi et commenté par Jean Descrains... Genève, Droz, Paris, Minard,
1970, in-16, 646 p.
445. - Le Voyageur Inconnu, histoire curieuse et apologétique pour les
religieux par M. l'Evesque de Belley. Paris, Denys Thierry, 1630, in-8°,
VI-420 p. [0 21216.]
(Cette «apologie pour les religieux », dont Goulu prenait entre autres la
défense contre les pointes de Balzac, est aussi (p. 89-119) une apologie du
style « clair, rond et naïf» de Camus, et une attaque contre <<l'elegance »,
et la « delectation» libertine des écrivains profanes.)
446. - Conference academique sur le different des belles lettres de Nar-
cisse et de Phyllarque, par le sieur de Musac. Paris, Joseph Cottereau,
1630, in-8', IV-334 p. [l 19919.]
447. Industries spirituelles contre les stratagèmes de l'amour propre.
Caen, P. Poisson, 1638, in-32, 107 p. [0 27678.]
BIBLIOGRAPHIE 755
44S. CAUS (Salomon de). La Perspective, avec la raison des ombres et miroirs ...
Londres, 1. Norton, 1612, in-fol., 65 ft. [Rés. V 442.)
449. CHABANEL (J. de). Les sources de l'elegance françoise ou du droit et naïf
usage des principales parties du parler françois. Toulouse, 1612, in-12,
226 p. [X 13297.]
(Grammaire dont les exemples sont tirés de l'œuvre de Ronsard et des
poètes de la Pléiade.)
450. CHAPELAIN (Jean). De la lecture des vieux romans, publié par Alphonse
Feuillet. Paris, A. Aubry, 1870, in_So, 52 p. [Y 22245.]
451. - Opuscules critiques ..., éd. par Alfred C. Hunter. Paris, Droz, 1936,
in-I6, 535 p. [8° Z 27614.]
452. - Lettres inédites de Jean Chapelain à P.D. Huet (1658-1673), publiées
par Léon G. Pélissier ... Nogent-le-Rotrou, Daupeley-Gouverneur, 1894,
in_8°, 40 p. [8° Z Pièce 840.]
453. - Lettres de Jean Chapelain de l'Académie française, publiées par
Ph. Tamizey de Larroque ... Paris, Impr. nationale, 1880-1883,2 vol. in-4°.
[L 45 31 E.]
454. - Soixante-dix-sept lettres inédites à Nicolas Heinsius, 1649-1658,
publiées par B. Bray. La Haye, M. Nijhoff, 1966, in-8°, VIll-407 p.
(Voir C.R. Ciureanu, S.F., 1965.) [8° Z Pièce 4712.]
455. - Lettere inediti di Jean Chapelain a correspondanti italiani (1639-
1673); intr. e note di Petre Ciureanu, Genova, Di Stefano, 1964, in_So,
XCVI-343 p. [8° Ln27 88239.]
456. CHARRON (Pierre). La Sagesse. Bordeaux, S. Millanges, 1601, in-8°,
772 p. [Rés. R 2030.]
457. - De la Sagesse, livres trois ... Leyde, J. Elsevier, s.d., in-12, 621 p.
[Rés. R 2037.]
458. COEFFETEAU (Guillaume). Compendiosa formandae orationis concionisque
Ratio seriatim delineata, ex optimis bene dicendi Magistris, fideliter col-
lecta ad sapienter, erudite, et eloquenter dicendllm, la bore et indllstria
G.C. Cenomanensis, presbyteri theologi. Parisiis, Robert Sara, 1643,
in-8°, 44 p. [X 17877.]
459. COLLETET (G.). L'art poétique du sieur Colletet où il est traité de l'épi-
gramme, du sonnet, du poème bucolique, de l'églogue, de la pastorale et
de l'idylle, avec un discours contre la traduction et la nouvelle morale du
même auteur. Paris, Sommaville, 1658, 6 parties en 2 vol. in-12.
[Y 583-584.]
(Voir l'édition par P.A. Jannini du Traitté de l'épigramme et du Traitté
du sonnet, Paris, Droz et Minard, 1965, in-12, XXVI-264 p.)
460. - Discours de l'eloquence et de l'imitation des Anciens, Paris, Som-
maville, 1658, in-12, 53 p. [Yc 3733 (5) et Y 588.]
(D'après Pellisson, prononcé devant l'Académie le 7 janvier 1636.)
461. - Vie de Guy du Faur de Pibrac, publiée par Philippe Tamizey de
Larroque. Paris, A. Aubry, 1871, in-8°, 75 p. [Ln 27 25959.]
462. COLOMBY (François de Cauvigny, sieur de). Discours prononcé en la
chambre de l'Académie françoise. S.l.n.d., in-4°, 56 p. [Rés. X 2567.]
(V. p. 6, 18 et 20, éloge insistant des «gloires de l'éloquence Fran-
çoise~, toutes du Parlement, et p. 30 éloge de l'Université: l'institution
de l'Académie est inutile, ou néfaste.)
463. COSTE (Hilarion de). Eloges et vies des reynes, princesses, dames et
demoiselles illustres en piété, courage et doctrine ... Paris, Cramoisy, 1630,
in-4°, 696 p. [Rés. G 1161.]
756 BIBLIOGRAPHIE
D'où «dissiper par notre methode les brouillards des tropes et figures
qui ont jusqu'ici caché les lumieres de l'oraison ... :.. Cet ouvrage, tout
imprégné de la doctrine de Ramus, est un important témoignage de la
diffusion de celle-ci en France dans les années qui précèdent le Discours
de la Méthode de Descartes.) (I.H.D. est, selon nous,· J. Himbert-Durant.
V. ci-dessus, B.N., Anc. fr. 2551-2555.)
490. Du ROURE (Jacques). La Rhétorique françoise nécessaire à tous ceux
qui veulent parler, ou écrire comme il faut, et faire ou juger des discours
familiers, des lettres, des harangues, des plaidoyers et des prédications.
Paris, chez l'Auteur, 1662, in-4°, 90 p.
[Ars. 4° BL 931. Sainte-Geneviève: X 4° 46S (7).]
(V. p. 1, éloge de Ramus; p. 22, attaque contre les Fleurs de la rhét. fr.
de Salabert.)
491. Du VAIR (Guillaume). Les Œuvres de Messire Guillaume Du Vair, Eves-
que et Comte de Lizieux, et Garde des Sceaux de France. Paris, Claude
Cramoisy, 1625, in-fo!., 11S9-76 p. [Z 769.]
492. - De l'éloquence françoise, Edition critique précédée d'une étude sur
le traité de Du Vair ... par R. Radouant. Genève, Slatkine, 1970, in-8·,
XIV-194 p. (Ire édition: Paris, 1907). [SO X 27461.]
(Sur la bibliographie de Du Vair, voir l'essai contenu dans ce volume.)
493. Du VAL (J.-B.). L'Eschole françoise pour apprendre à bien parler et
escrire selon l'usage de ce temps et pratique des bons autheurs ... Divisé
en deux livres, dont l'un contient les premiers elements l'autre les parties
de l'oraison, ensemble les conjectures hieroglyphiques pour l'alliance et
service mutuel des consonantes. Paris, Eustache de Foucault, 1604, in-12.
292 p. [X 9794. Microfiche m. 77S.]
494. DUVERGIER DE HAURANNE (Jean, abbé de Saint-Cyran). Apologie pour
Messire Henry Louys Cllastaignier de la Rochepozay, evesque de Poi-
tiers ... S.I., 1615, in_So, X-280 p. [SO Ln 27 4060.]
495. - La Somme des fautes et faussetez capitales contenues en la
«Somme théologique» du P. François Garasse ... Paris, Bouillerot, 1626,
2 vol. in-4°. [D 5734.]
496. - Lettres chrétiennes et spirituelles ... Paris, M. Durand et J. Le Mire,
1645-1647, 2 vol. in-4°. [D 3717.]
497. - Lettres chrétiennes et spirituelles non encore imprimées. S.I., 1744,
2 vol. in-12. [D 11989.]
49S. - La spiritualité de Saint-Cyran, avec ses écrits de piété inédits (édité
par J. Orcibal). Paris, Vrin, 1962, in-4°, 543 p. [4° H 713 (5).]
499. ESTIENNE (Henri). De latinitate falso suspecta, expostulatio H.S. Ejusdem
de Plauti latinitate et ad lectionem iUius Progymnasmata. S.I., 1576, exc.
Henric. Stephanis, in-12, 400 p. [E.N.S. Rés. LP 1 9 A 12°.]
(Le premier traité conseille un moyen terme entre le purisme des « hyper-
cicéroniens », qui suivent Nizolius, et les erreurs des barbares scolas-
tiques. Une liberté qui ne soit pas licence, et qui n'en secoue pas moins
la terreur paralysante, dangereuse pour la diffusion du latin, que répan-
dent les «Nizoliens:l>. Comparer avec les thèmes d'un Dupré, d'une
Gournay, d'un La Mothe Le Vayer polémiquant contre le purisme de
Cour. Le second traité plaide la cause de Plaute contre Térence, favori
des cicéroniens. La comice jocandi norma n'est pas le privilège du second.
Plaute a une affinité particulière avec les Français, et sa langue avec
la leur.)
BIBLI OGRAPHIE 759
500. - Pseudo-Cicero, dialogus Henrici Stephani, in hoc volumine non
solum de multi:t ad Ciceronis sermonem pertinentibus, sed etiam quem
delectum editionem ejus habere et quam cautionem in eo legendo debeat
adhibere, lector monebitur. Genevae, excud. Henricus Stephanus, 1577,
in_So, IV-22S p. [X 17721 (1).]
501. - Nizolio - Didascalus, sive Monitor ciceronianorum-nizolianorum,
dialogus ... (Genevae), Henri Estienne, 157S, in_So, VIII-200 p.
[X 17721 (2).]
502. - Deux dialogues du nouveau langage françois italianizé. Intr. et
notes par P. Ristelhuber, Paris, Lemerre, IS85, 2 vol. in_SO.
[Rés. p. X 2S4. so X 3303.)
(Ire éd. 157S.)
503. - La Precellence du langage françois (réimpr. avec notes, grammaire
et glossaire par Ed. Huguet). Paris, Colin, 1896, in-12, 434 p.
(Ire éd. Mamert Patisson, 1579.)
504. FARET (Nicolas). Recueil de Lettres nouvelles ... Paris, T. du Bray, 1627,
2 part. en 1 vol. in_So. [Z 14254.]
(Voir en particulier la lettre du Marquis de Bréval (frère de l'Abbé, puis
Archevêque Harlay de Chanvallon) à Balzac, p. 35-50, invitant son cor-
respondant à prendre plus nettement ses distances avec ses thuriféraires
de Cour.)
505. - L'Honneste Homme ou l'art de plaire à la Cour ..., éd. critique
par M. Magendie. Paris, P.U.F., 1925, in_So, 120 p. [SO R 34ISS.]
506. FAUCHET (Claude). Recueil de l'origine de la langue et poésie françoise,
ryme et romans, plus les noms et sommaire des œuvres de CXMCCC poetes
françois vivans avant l'an MCCC ... Paris, M. Patisson, 15SI, in-4°, 209 p.
[Rés. X S94 et S95.]
507. FAYE D'EsPEISSES (Jacques). Les Remonstrances ou harangues faictes en
la Cour de Parlement à Paris aux ouvertures des plaidoyries. Paris, Les-
cuyer, 1600, 2 part. en 1 vol. in-So. [SO Lf25 23. A.]
(Importante dédicace de l'éditeur, Jean de Sponde, à MM. de Gillot et
de S. Fussian, conseillers du Roy, qui définit le style de D'Espeisses,
«viril et nerveux », « retranchant» comme Phocion le «fard» et le
« superflu» de paroles pour atteindre «la simple beauté de la nature».)
(premières éditions: Lyon, 1581-1598.)
508. - Lettres inédites de Jacques Faye et de Charles Faye, publiées par
Eugène Halphen. Paris, Champion, IS80, in-16, XI-143 p. [8° La 24 IS.]
509. FÉNELON (François de Salignac de la Mothe). Réflexions sur la gram-
maire, la rhétorique, la poétique et l'histoire, ou Mémoire sur les travaux
de l'Académie françoise ... Paris, J.B. Coignard, 1716, in-12, 177 p.
[Z 11307.]
510. - Dialogues sur l'éloquence en général et sur celle de la chaire en
particulier; avec une Lettre écrite à l'Académie françoise ... Paris, F.
Delaulne, 171S, in-12, VIII-412 p. [X IS635.]
511. FICHET (Guillaume). Rhetorica. Parisiis, in aedibus Sorbonae, 1471, in-4°.
[Rés. X 1114.]
(Dédiée au cardinal Bessarion.) Voir F. Simone, « Guillaume Fichet, retore
e umanista~, MI'.71oril! dl'l/'Accademia delle scienze di Torino, série Il,
t. 69, 1939. [R 5667.]
760 BIBLIOGRAPHIE
523. - Jésus crucifié ... Paris, j. Camusat, 1636, in-12, préface et 166 p.
[Ye 770\.]
524. - Paraphrase des psaumes ... Paris, J. Camusat, 1638, in-4°, 52 p.
[Rés. m. Yc 957 (5).]
525. FURETIÈRE (A.). Nouvelle allegorique ou Histoire des derniers troubles
arrivez au royaume d'eloquence. Paris, P. Lamy, 1658, in-8°, 7 ft., 171 p.
[Y2 29079 - l 12754.]
526. GASSENDI (Pierre Gassend, dit). Viri illustris Nicolai Claudii Fabricii de
Peiresc ... vita ... Parisiis, S. Cramoisy, 1641, in-4°, 405 p. [Rés. Ln 27 15952.]
527. GODEAU (Antoine). Discours sur les œuvres de M. de Malherbe, dans
Malherbe. Œuvres. Paris, Chapelain, 1630, in-4°. [Rés. Ye 615-616.]
528. - Œuvres chrestiennes et morales en prose. Paris, Le Petit, 1658,
2 t. en 1 vol. in-8°. [l 49772 - l 49773.]
(Contient, imprimé pour la première fois, le discours Contre l'Eloquence,
prononcé par Godeau devant l'Académie, selon Pellisson, le 22 février
1635.)
529. GODET (Louis). La Fleur de Marguerite, dédiée à la Reyne Marguerite
de France. Paris, 1. Moreau, 1612, in-8°, 16 p. [Ye 23406.]
530. - Le Sacré Hélicon, ou le devot logis de la Muse devote, par Louis
Godet (anagramme de devot logis). Châlons, Claude Guyot, 1608, in-8°,
84 ft. [Ye 7498.]
53\. - Apologie des jeunes advocats avec la recommandation de la poésie
et de la nouvelle jurisprudence ... Châlons, J. Griffard, 1613, in_So.
[Ye 7499.]
532. GODY (Le P. Simplicien). Ad Eloquentiam via ... Paris, P. de La Brèche,
164S, in-12, 312 p. [X 18012 (1).]
533. GOULU (Dom Jean de Saint-François). Discours funebre sur le trespas
de M' Nicolas Le Febvre, conseiller et précepteur du tres-chrestien
Louis X1l1 ... Paris, J. de Heuqueville, 1612, in_So, XVI-12S p.
[SO Ln27 12034.]
534. La Vie du bien-heureux Mre François de Sales ..., 2· éd. Paris,
J. de Heuqueville, 1625, in_So, 592 p. [8° Ln 27 18380 A.]
535. - Letires de Phyllarque à Ariste où il est traité de la vraye et de
la bonne Eloquence contre la fausse et la mauvaise au Sieur de Balsac,
2· éd. Paris, N. Buon, 1627, in_So, 555 p. [l 15123.]
536. - Première (Seconde) partie des Leltres de Phyl/arque à Ariste,
3· éd. Paris, N. Buon, 162S, 2 vol. in-So. [l 15124-15125.]
537. GouLU (Nicolas). Oratoriae facultatis breve compendium ex Cicerone et
Quintiliano per Nicolaum Gulonum colledum. Coloniae, M. Chotum, 1559,
in-So.
(Professeur au Collège Royal, N. Goulu, époux de Madeleine Dorat, est
le père de l'adversaire de Balzac.)
538. GRAMMONT (Scipion de). La Rationnelle ou l'art des consequences pour
bielZ inférer et conclure. Paris, Fleury Bourriquant, 1614, in_So, VIlI-
205 p. [R 37592.]
(Dédié à M. de Noroy, Conseiller au Parlement, fils de M. de Champigny,
ancien ambassadeur à Venise. Grammont déclare s'inspirer de Titelmans
(Fr.), O.F.M. De Consideratione dialedica. Parisiis, apud J.L. Tiletanum,
1544, in_So [R 10777] et Compendium dialedicae, Parisiis, Calvarin, 1539,
in_So [R 54552], le second ouvrage réédité jusqu'en 162\.)
762 BIBLIOGRAPHIE
539. - L'Abbrégé des artifices, traietant ... d'un secret et moyen exquis
pour entendre et comprendre quelque langue que ce soit dans un an.
Aix, j. Tholosan, 1606, in-8°, VIII-195 p. [Z 51069.]
540. GOMBERVILLE (Marin Le Roy, seigneur de). La Première (Cinquième)
partie de Polexandre, revue ... Paris, A. Courbé, 1641, 5 vol. in-8°.
[Ve 7313-7317.]
541. GOSSELIN (Jean). La Phisionomie ... Paris, G. Auvrey, 1599, in-4°, 19 p.
[Rés. V 2252.]
542. GOURNAY (Marie de). L'Ombre de la demoiselle de Gournay œuvre com-
posée de Mélanges. Paris, J. Libert, 1626, in-8°, 1202 p. [Z 19853 -
Rés. Z 2821.]
543. - Les advis ou presents de la demoiselle de Gournay. Paris, J. de
Bray, 1634, in-4°, 860 p. [J 4003 - Rés. Z Payen 539 et 540.]
544. GRANGIER (Jean). Oratio funebris in laudem Ludovici Servini Comitis
Consist. Regii in Senalu Patroni ... Parisiis, ex typo Joann. Libert, 1626,
in-4°, 47 p. [4° Ln 27 18890.]
(Dédié à Nicolas de Verdun, hommage du Collège Royal à l'Avocat
général gallican. Contient un éloge de Jérôme Bignon, successeur de
L. Servin.)
545. - Oralio funebris in laudem illuslrissimi viri Nicolai Verduni Equitis
Torquati et in Curia Parisiensi Primarii Praesidis, habita in aede Col-
legii Praeleo-Bellovaci... Parisiis, J. Libert, 1627, in-4°, IV-36 p.
[4° Ln 27 20200.]
(Hommage du Collège Royal au Premier Président du Parlement, précédé
d'une épigramme de l'avocat j. Isnard à J. Grangier.)
546. GRENAILLE (François de, sieur de Chatou ni ères). La Bibliothèque des
Dames ... Paris, T. Quinet et Sommaville, 1640, in-4°, 224 p. [R 6237.]
(Dédié à la Duchesse d'Aiguillon. Contient la traduction de deux traités
de Tertullien, et de Lettres de saint Paulin de Nole et de saint Jérôme
à la louange des grandes dames chrétiennes.)
547. - Les Plaisirs des Dames, dediez à la Reyne de Grande-Bretagne.
Paris, G. Clousier, 1641, in-4°, 387 p. et table. [R 6221.]
(V. p. 118-160, de longs développements sur les miroirs qui sont une
paraphrase - sans référence de sources - du Miroir sans tache du
jésuite Filère (1636).)
548. - NOl/veau recueil de Lettres des Dames tant anciennes que modernes
en 2 tomes. Paris, T. Quinet, 1642, in-12, 439 et 436 p. [Z 14310 - 14311.]
(Le t. Il contient une traduction des Lettres d'Isabelle Andreini, et des
c Lettres de complimens"» de «Dames de ce temps », dont une adressée
à Balzac. V. Jacques Chupeau, «Remarques sur la genèse des Lettres
Portugaises », R.H.L.F., LXIX, 1969, p. 516 et suiv.)
549. - La Mode ou Charactere de la Religion ... et du style du tems. Paris,
Gassé, 1642, in_4°, 388 p. [Z 4022.]
(V. surtout ch. V, p. 99-136: «De la Mode, ... de ses causes et de ses
effets l> ; p. 107 «La Mode est une maladie des femmes l> ; p. 108, Mode
Moderne; p. 117, «le Principe le plus general de la Mode, c'est l'esprit
humain qui, n'estant presque jamais en une mesme posture, se plaist à
changer toutes les choses qui relevent de son Empire l>; p. 119, la
France «changeante"» plus que toute autre nation; p. 131, Mode et
imagination; voir aussi, p. 258 et suiv. discussion sur la conversation;
p. 262, les compliments à la mode; p. 267, l'idéal, c'est «parler naïve-
ment» ; p. 227, les habits à la mode avec une trad. du De Pallio de
BIBLIOGRAPHIE 763
Tertullien. Enfin, p. 359-385, «Le style à la mode, où il est traité de
l'Eloquence et de la Poësie du temps :..)
550. GUÉRET (Gabriel). Entretiens sur l'éloquence de la chaire et du Barreau.
Paris, Jean Guignard, 1666, in-12, X-213 p. [X 18613.]
551. HEERE (De). Conferences academiques recueillies et mises en lumiere
par le Sr De Heere, doyen de Saint-Aignan d'Orléans. Paris, Denys
Langlois, 1618, in-8°, VIII-492 p. [Z 19834.]
552. Huetiana ou pensées diverses de M. Huet, evesque d'Avranches. Paris,
Jacques Estienne, 1722, 8°, 436 p. [Z 18216.]
553. JACOB (p.), Avocat au Parlement. La Clavicule ou la Science de Raymond
Lulle, avec toutes les figures de rhétorique ... et la vie du mesme Ral'-
mond Lulle par M. (François) Colletet, Paris, j. Rémy, 1647, in-8·, 256 p.
[R 39096.]
554. - Le Parfait secrétaire, ou la Manière d'escrire et de respondre à
toutes sortes de lettres par préceptes et exemples... Paris, Sonunaville,
1646, in-8·, 420 p. [Z 13372.]
(V. ch. V, «Quel est le vray style de l'Eloquence », qui se réfère entiè-
rement à Cicéron, et ch. VI, «Des styles que l'on doit eviter », où
Sénèque est curieusement condamné: «S. met un style dont la compo-
sition n'est que Musique, tant elle est douce, coulante et flatteuse: c'est
le vray style de la Cour, aussi bien que du Siècle, et que les hommes
ne doivent point recevoir, puisqu'elle renverse toutes les marques de
l'amitié et de la société civile par ses charmes trompeurs qui en empê-
chent le discernement.:.)
555. JAUNIN (Claude) et NYCOLE (Anger). Les complimens de la langue fran-
çoise, œuvre tres util et necessaire à ceux qui sont à la Cour des Grands
et qui font profession de hanter les Compagnies. Paris, J. Bessin, 1630.
[X 15122.]
(Attribué par Barbier à Claude Jaunin et Anger Nycole. Réimpr. en 1641
avec Le Secrétaire à la Mode de La Serre, et en 1738, à usage de la
«culture populaire », par «la Bibliothèque Bleue» de Troyes.)
556. LA BOETIE (Etienne de). Discours de la servitude volontaire, intr. et notes
par Paul Bonnefon. Paris, Bossard, 1922. Gr. in-16, 215 p. [8° R 31411.]
557. LA GUESLE (Jacques de). Les Remonstrances de Messire Jacques de la
Guesle, Procureur General du Roy. Paris, Chevalier, 1611, in-4°, VI-1009 p.
[F 13814.]
558. LAMBIN (Denis). Dionysii Lambini Monstroliensis, litterarum graecarum
doctoris regii. De Philosophia cum arte dicendi con jung enda... Lutetiae,
apud Joannem Benenatum, 1568, in_4°, 16 p. [Rz 1577. X 3431 (1).]
559. LA MOTHE LE VAYER (François de). Considérations sur l'éloquence fran-
çoise de ce temps. Paris, Cramoisy, 1638, in-8°, 211 p.
[X 18566. X 18567. Rés. G 2682 (2).]
560. - La Rhétorique du Prince. Paris, 1641, in-8°, 120 p. [X 18455.)
561. - Opuscules ou petits traités. Paris, Sommaville, 1643, in-8°, 288 p.
[R 40543. Z 20068.]
(Voir en particulier l'essai intitulé De la lecture de Platon et de son élo-
quence, p. 1-41.)
562. - L'Hexameron rustique. Paris, Th. Jolly, 1670, in-12, 253 p.
[Y2 41973. Z 16624.]
(Voir en particulier la Cinquième journée, où un sévère jugement sur le
style de Balzac est attribué à Ménage.)
764 BIBLIOGRAPHIE
590. - Epigrammatum liber ... Paris, Huby, 1620, in-4°, 36 p. [Yc 1513.]
591. MARCIlE (Théodore). Drationes IV de laudibus Academiae parisiensis,
item aliae V de lingua latina. Paris, Prat, 1586, in-8°, 57 p. [X 18389.]
592. MARESCHAl (André). La Chrysolite ou le Secret des romans. Paris, N.J.
La Coste, 1634, in-8°, XVII-623 p. [Y2 7107.]
(Avec une clé manuscrite.)
593. - Le Railleur ou la satire du temps, éd. G. Dotoli, Patron, Bologne,
1971, in-8°, 279 p. [Yf 3154.]
(A rapprocher de L'Esprit fort de Claveret et de la Place Royale de Cor-
neille dans satire's des «beaux esprits:. de Cour.)
594. MARION (Simon, baron de Druy). Plaidoyé de Simon Marion sur lequel
a esté donné contre les Jésuites l'arrest du 16 octobre 1597 inséré à la fin
d'iceluy. Paris, M. Patisson, 1597, in-8°, 12 ff. [8° Ld 39 24.]
595. - Playdoyez et advis sur plusieurs grandes et importantes affaires ...
Paris, Bouillerot, 1625, in-4°, 978 p. [F 13815.]
596. MAROllES (Michel de). Mémoires ... Paris, Sommaville, 1656-1657, 2 vol.
in-fol. [Fol. Ln 27 13551.]
597. MASSON (Jean-Papire). Christophori et Augustini Thuanorum Elogia.
Paris, Morel, 1595, in-4°, 12 p. [4° Ln21 19598.]
598. MATIHIEU (Pierre). Discours veritable et sans passion sur la prinse des
armes et change mens advenus en la ville de Lyon ... sous l'obeissance de
la S. Union et de la coronne de France ... Lyon, 1593, in-8°, 12 p.
[8° Lb 3D 490 A.]
599. - Eloge sur les actions les plus signalées et immortelles d'Henry le
Grand, dressé en François par Pierre Matthieu et traduit en hebreu, grec
et latin par les Pères de la Compagnie de Jesus. S.I.n.d., in-4°, 14 p.
[4° Lb 3D 78.]
600. - Histoire de France... durant les années de paix du règne de
Henri IV. Paris, Métayer, in-4°. [4° Lb 8D 4.]
601. - Histoire des derniers troubles de France sous le règne des rois
Henri II/ et Henri IV. S.I., 1600, in-8°. [8° La 2' 5 B.]
602. - Aelius Sejamus, histoire romaine ... Paris, R. Estienne, 1617, in-12,
162 p. [J 16489.J
- Rééd. Rouen, Berthelin, 1635, in-12, 548 p. [J 14211.)
603. MAUCROIX (Abbé François de). Lettres, éd. R. Kohn. Paris, P.U.F., 1962,
in-8°, 331 p. [4° Ln 27 87751.]
604. MAUSSAC (Ph.-Jacques de). Ed. Harpocrationis Dictionarium in decem
Rhetores ... , Philippus Jacobus Maussacus supplevit et emendavit. Paris,
Claude Morel, 1614, in-4°. [X 1972.]
605. - Militia Christiana, quae per centurias varia Epigrammata continet
in la/ldem S. Martyrum, Ex voto ... Paris, Gilles Robinot, 1614, in-12, 77 p.
[Yc 8360.]
606. MÉNAGE (Gilles). Vies de Pierre Ayrault, G. Ménage et M. Ménage, tra-
d/lites du [alÎn ... par Blordier-Langlois. Angers, Pavie, 1844, in-8°, 184 p.
[8< Ln 27 856.]
607. - Vita Matthaei Menagii ... Paris, Martin, 1674, in-4°, XX-126 p.
[4° Ln 27 13958.]
608. Vita Petri Aerodi... et Gulielmi Menagii... Paris, Journel, 1675,
in-4°, XLlI-540 p. [4° Ln 27 855.]
BIBLIOGRAPHIE 767
609. MÉRÉ (Antoine Gombaud, chevalier de). Œuvres, texte établi et présente
par Charles-H. Boudhors. Paris, Les Belles-Lettres, 1930, 3 vol. in_8°.
(V. t. Il, Les Discours. Des Agremens, de l'Esprit, de la Conversation;
réflexions de Méré sur l'ornatus, sur l'ingenium et sur «l'art de confé-
rer» ; et, t. III, Œuvres posthumes, le discours III «De l'Eloql/ence et
de l'Entretien:>. [8° Z 24786 (4) [-/II.]
610. MESMES (Henry de, seigneur de Roissy). Mémoires inédits de Henry de
Mesmes, suivis de ses Pensées inédites écrites pour Henri III... précédés
de la Vie publiql/e et privée de Henry de Mesmes, avec notes et variantes
par Edouard Frémy ... Paris, E. Leroux, s.d., in-16, 111-243 p.
[8° Ln 21" 32667 A.]
(Genève, Slatkine, 1970.)
611. MÉZIRIAC (Gaspard Bachet de). Commentaires sur les Epistres d'Ovide
avec plusieurs autres ouvrages du même auteur, dont quelques-uns parois-
sent pour la premiere fois. La Haye, H. de Lauzet, 1716, 2 vol. in-8°,
XXXII-76-460 et 470 p. et table. [Yc 6569-6570.]
(Contient le discours envoyé par M. à l'Académie et prononcé par Vau-
gelas le 10 décembre 1635, selon Pellisson, sous le titre De la Tra-
duction. Indication communiquée par R. Zuber.)
612. MIRAULMONT (Pierre). Mémoires sur l'origine et l'institution des Cours
souveraines et autres juridictions subalternes, encloses dans l'ancien
Palais royal de Paris. Paris, l'Angellier, 1584, in-8°, 174 ff.
[8° Lf23 1.]
613. - De l'Origine et establissement du Parlement et al/tres jurisdictions
royal/es estans dans l'enclos du Palais royal de Paris. Paris, Chevallier,
1612, in-8°, 675 p. [8° Lf23 2.]
614. MOLE (Mathieu). Mémoires (1615), publiés par A. de Champollion-Figeac.
Paris, Renouard, 1855-1857, 4 vol. in-8°. [8° Lb s7 4552.]
615. NAUDÉ (Gabriel). Considérations politiques sur les coups d'Etat. Rome,
1639, in_4°, 222 p. [Rés. E 826.]
616. - Gabrielis Naudaei Epigrammata in virorum literatorum imagines
quas illustrissimus Eques Cassianus a Puteo sua in Bibliotheca dedicavit ...
Romae, Lud. Grignanus, 1641, in-8°, 17 ff. [Yc 11465.]
617. NERVÈZE (Antoine de). Les œuvres morales du sieur de Nerveze, secre-
taire de la Chambre du Roy. Paris, A. du Breuil et Toussaint du Bray,
1610, in-12, 229 ff. [R 24466.]
(Dédié au Roi. V. p. 26 et suiv. un règlement pour vivre chrétiennement
à la Cour qui anticipe sur La Cour Sainte du P. Caussin. En part. f. 34
et suiv., apologie de l'éloquence, alliance de la vertu et du discours,
contre la «douceur de langage» qui enveloppe «le venin des desseins
amoureux ». Son utilité pour des gens de guerre.)
618. NESMOND (André de). Remonstrances et ouvertures de Palais et arretz
prononcés en robes rouges ... Poitiers, Mesnier, 1617, in-4°, pièces limi'l.
881 p. [4° Lf25 100.]
(Editées par son fils François-Théodore, avec une oraison funèbre du
Père François Garasse.)
619. NICÉRON (le P. Jean-François, O.M.). La Perspective curieuse ... Paris,
Billaine, 1638, in-fol., 122 p. [V 1661.]
- Thal/matllrglls optiCllS ... Paris, Langlois, 1646, in-fol., 218 p.
[V 1660.]
(Trad. en latin de la «Perspective curieuse :t.)
768 BIBLIOGRAPHIE
6-l9. RAPINE (f1orimond). Recueil tres exad et curieux de tout ce qui s'est
faid et passé de singulier et mémorable en l'Assemblée generale des
Estats tenue d Paris en l'année 1614 ... Paris, au Palais, 1651, 2 parties
en 1 vol. in-4°. [4° Lel7 43.]
650. REFUGE (Eustache du). Traidé de la Cour. 5.1., 1661, in-So, 20S p.
[·E 3443.]
651. RENAUDOT (Théophraste). Recueil general des questions traictées és
Conferences du Bureau d'Adresse. Paris, L. Chamhoudry, 1655-1656,
4 vol. in-So. [Z 20076-20079.]
(Ouvrage capital pour l'étude de la topique du public des «demy-sça-
vans:. parisiens sous Louis XIII et la Régence. L'inventaire des «ques-
tions:) traitant d'éloquence a été fait et publié par P. Jannini, Les
Conférences publiques de Th. Renaudot (Questioni di lingua et lette-
ratura), Milan, 1972, in-4°, 121 p. Celui des questions traitant de critique
d'art, par J. ThuiIlier, «Doctrines et querelles artistiques au début du
XVII' siècle, quelques textes oubliés ou inédits:), Archives de l'art fran-
çais, t. XXIll, 1968, p. 125-217.)
652. RENOUARD (Nicolas). Les fleurs de l'eloquence françoise, extraides des
epistres herolques d'Ovide, tant par les sieurs Du Perron et Renouard
qu'autres esprits des plus relevez de ce tems. Paris, Estoc, 1615, in-12,
175 p. [V c 11634.]
(Anthologie suivie d'un petit traité de rhétorique (p. 123-173) conforme aux
idées de Du Perrin. Intéressantes considérations sur le genre démons-
tratif (p. 131 et suiv.), qui range la mythologie et la philosophie morale
parmi les «lieux:) privilégiés de l'éloge. Peu ou pas de considérations
sur le meilleur style dans cet ouvrage qui est plutôt une topique.)
653. RICHELIEU (Armand-Jean du Plessis, cardinal de). Harangue prononcée
en la sale du petit Bourbon, le 23 février 1615, à la closture des Estats
tenus à Paris, par le RP. en Dieu Messire Armand du Plessis de Riche-
lieu, evesque de Luçon. Paris, Sebastien Cramoisy, 1615, in-So, 66 p.
[SO Le l1 31.]
654. - Harangue de Monsieur le Cardinal Duc de Richelieu, faite en
Parlement, sa Majesté y estant présente. S.I., 1634, in-So, 16 p.
[SO Lb 3 6 29SI.]
655. - Mémoires ... (1610-1638). Paris, 1S37, 3 vol. in-So (éd. Michaud et
Poujoulat). [4° Ln 45 22 (11, 7, 9).]
656. - Mémoires ... publiés d'après les manuscrits originaux par la Société
d'Histoire de France. Paris, H. Laurens, 1908-1931, 10 vol. in-So.
[SO Lb36 62 A.]
657. RICHER (Edmond). De arte figurarum et causis eloquentiae, opus non
pueris modo compendiosius et facilius erudiendis, sed Poetis atque Ora-
toribus imitandis et Sacris Scripturis interpretandis necessarium. Parisiis,
apud Potonnier, 1605, in-So, 3S4 p. [X 179SS (3).]
(Dédié à Louis Séguier, avec un vibrant éloge de sa famille. Richer
accorde une place capitale à la Poétique de Scaliger, et, entre autres,
à ses remarques sur Denys d'Halicarnasse (v. p. 2 et 1S); il condamne
violemment Ramus.)
658. - De arte et causis rhetoricae ac methodo eam ad usum vitae civilis
revocandae. Parisiis, Mathurin Dupuis, 1629, in-So, 477 p.
[X 17S13 - R 49145.]
BIBLIOGRAPHIE 771
692. - Historiarum sui temporis pars prima libri CXXV ... (Dernière édi-
tion complète parue du vivant de l'auteur.) Lutetiae, apud A. et H.
Drouart, 1609-1614, II vol. in-12. [Rés. 8° La 20 7 D.]
693. - Histoire de M. de Thou, des choses arrivées de son temps, mise
en françois par P. du Ryer ... Paris, A. Courbé, 1659, 3 vol. in-fol.
[Fol. La 20 14.]
69-l. TRISTAN L'HERMITE (François). Le Page disgrâcié, éd. par Marcel
Arland. Paris, Delamain et Boutelleau, 1946, in-16, 325 p. [16° Z 212 (7).]
695. TORY (Geoffroy). Champfleury ou l'Art et la science de la proportion
des lettres ... , éd. G. Cohen. Paris, Ch. Bosse, 1931, in-4°, IV-XX-SO ff.,
67 p. [4° Q 2129.]
(Ed. princeps 1529, Rés. V. 515.)
696. TURNÈBE (Adrien). De nova captandae utilitatis e litteris ratione epistola
ad Leoquercum. Paris, Attaignant, 1559, in-8°, 3 ff. [Vc S716.]
697. URFÉ (Honoré d'). L'Astrée ... Paris, A. de Sommaville, 1633-1652, 5 vol.
in-So. [V2 72257-72261.]
- L'Astrée ... , éd. par Hugues Vaganay. Lyon, P. Masson, 1925-1 92S,
5 vol. in_So. [SO V 70995.] (Réimpr. Genève, Slatkine, 1966.)
698. VALLADIER (André). Partitiones oratoriae seu De Oratore perfecto, opus
ad sacrtlm etiam instituendum concionatorem pernecessarium... Paris,
Pierre Chevalier, 1621, in_So, S5S p. [X 19999.]
(Dédié à « la Cour Suprême du Parlement de Paris ». Ouvrage rédigé
sous forme scolastique. Voir en part. L. l, quaestio VI, p. 71-S5: Qua
ratione Rhetorica et Sophistica inter se dissentiunt.)
699. - Les Divines Paralleles de la saincte Eucharistie, sermons pour
l'octave du Sainct Sacrement presches à Saint-Meric l'an 1612 ... Paris,
P. Chevallier, 1613, in_So, 473 p. [SO Z Le Senne 116S6.]
700. - La Tyrannomanie estrangere ou Plaincte libellée au Roy ... Paris,
P. Chevallier, 1626, in-4°, 750 p. [4° Ld10 3.]
701. VAUGELAS (Cl. Favre de). Remarques sur la langue françoise utiles à ceux
qui veulent bien parler et bien escrire. Paris, Vve]. Camusat et P. Le
Petit, 1647, in-4°, pièces limin., 594 p. [Rés. X 917.]
(Voir l'éd. critique par J. Streicher, Paris, Droz, 1934.)
702. VAUX (M. de). Tombeau de l'Orateur françois ou Discours de Tyrsis pour
servir de response à la lettre de Periandre, tOl/chant à l'Apologie de
M. de Balzac. Paris, A. Taupinart, 162S, in-4°, 441 p. [Z 3S932.]
(Dédié à Mgr. de Sourdis, archevêque de Bordeaux. Fine critique, au
demeurant mesurée, de l'éloquence de Balzac, d'un point de vue gentil-
homme d'épée, ami de Cramai! et de Montmorency. Voir, dans la pré-
face: « Une de mes intentions estant de faire voir que le naturel prevaut
par dessus l'etude et les lettres, je ne me suis servy pour prouver mes
propositions, que de ma raison naturelle », et p. 6: « Aussy n'ay-je pas
beaucoup leu, et ne sçay de la grammaire que ce qu'il en faut pour
lire et escrire, ni de la Rhetorique que ce que la nature m'en a appris ...
Tous les hommes estans nez raisonnables, je puis sans le secours des
arts, parler raisonnablement, et traiter, estant esclairé de la lumière
naturelle, des choses que la raison a devancées, ou qu'elle a mesme pro-
duites.» L'ingenil/m naturellement éclairé du noble rejoint la foi éclairée
d'En-Haut du chrétien, tel Goulu, ou Camus, dans le même dédain de
« l'art» oratoire.)
BIBLIOGRAPHIE 775
705. ALLACCI (Léon). Apes Urbanae, sive de viris illustribus qui ab anno 1630
per totum 1632 Romae adfuerunt ac typis aliquid evulgarunt. Romae,
excudebat Grignanus, 1633, in-8°. [K 9543.)
706. - De erroribus magnarum virorum in dicendo, dissertatio rhetorica
Romae, apud haeredes Mascardi, 1635, in-8°. [X 17980 (1).)
707. ARESI (Paolo), évêque de Tortona. Arte di predicar bene ... con un trattato
della memoria e un altro dell'imitatione ... Venetia, B. Giunta, 1611, in-4°.
[0 6271.]
(C'est contre ce traité de l'imitation que polémique, entre autres, Agos-
tino Mascardi dans son Dell'Arte Historica.)
708. BAGLIONE (Fra Luca). L'arte di predicare contenuto in tre libri. Venezia,
Andrea Torresano, 1562, in-8°, 119 ff. [0 24849 et Rés. 0 14850.)
709. BARBERINI (Matteo, Cardinal, puis Pape sous le nom d'Urbain VIII). In
Divum Ludovicum IX regem Francorum Ode pindarica bilinguis. S.l.n.d.,
in_4°, 24 p. [Yc 4292.]
(La dédicace à Louis XIII est signée du traducteur Frédéric Morel.)
710. Poemata ... Paris, A. Stephanus, 1620, in-4', 7-103 p. [Yc 4207.)
711. - Poe mata. Poesie toscane. Parisiis, e Typographia regia, 1642, 2
part. en 1 vol. in-fol., 318 p. (Rés. g Yc 559.]
(On ne saurait surestimer l'autorité que Maffeo Barberini, Nonce à Paris,
puis Pape, élève des jésuites romains, et Prince de l'Eglise, poète,
conféra au cicéronianisme dévot du Collegio Romano, juste mesure entre
une délectation de source «classique:. et un ethos chrétien «réformé:.
selon le Concile de Trente.)
712. BARONIO (Cesare, dit Baronius). Annales ecclesiastici ... Romae, ex typo
Congregationis Oratorii, 1593-1607, 12 vol. in-fol. [H 101-112.)
713. - Les Annales de l'Eglise ... trad. par André Tod, 1er vol. Paris,
P. Chevalier, 1614, in-fol., 913 p. [H 245.)
714. - L'Abrégé des Annales ecclésiastiques ... fait par Henri de Sponde,
trad. par P. Coppin. Paris, j. Petitpas, 1636-1655, 3 vol. in-fol.
[H 246-248.)
715. BEMBO (pietro). Christophori Longolii oraliones duae pro defensione
sua ... Ejusdem episfolarum libri quattuor. Episfolarum Bembi et Sadoleti
liber llnus. Florentiae, per haeredes Ph. juntae, 1524, in-4°, 163 ff.
[Rés. X 2529.]
776 BIBLIOGRAPHIE
716. - Petri Bembi Epistolarum Leonis Decimi Pont. Max. nomine scrip-
tarum; libri sexdecim ad Paulum Tertium Pont. Max. missi. Venetiis,
P. et V. de Ruffinellis, 1535, in-fol. [Rés. Z 154.]
(Le monument du cicéronianisme romain, publié sous l'invocation de deux
grands Pontifes, et appuyé de tout le prestige attaché depuis le Moyen
Age au style latin de la Secrétairerie aux Brefs. Rééd. augmentée de
lettres à Longueil, Erasme et Budé à Lyon, 1538. [Z 15897].)
717. - Leitere di messer Pietro Bembo a sommi Pontifici e a cardinali
e a altri signori e personne ecc/esiastiche, scritti, divise in dodici libri.
Roma, Fratelli V. e L. Dorico, 1548, in-4°, 397 p. [4° Z 78.]
718. - Epistole di Imitatione di G.F. Pico della Mirandola e di Pietro
Bembo (edit. Giovanni Santangelo). Firenze, L.S. Olschki, in-8°, 1954,
IV-89 p. [8 Z 31673 (II).]
0
755. MALVEzzI (Virgilio). Discorsi sopra Cornelio Tacito dei Conte M.V. al
Serenissimo Ferdinando 1/ Gran Duca di Toscana. Venetia, M. Ginami,
1622, in-4°, 402 p. [·E 814.)·
756. Il Romolo ... Bologna, Ferroni, 1629, in-4°, 103 p. [·E 921.]
757. DQllide Perseguidato ... Bologna, Ferroni, in-4°, 154 p. [yI 410.]
758. Il Tarquinio Superbo ... di nuovo ristampato. Genova, P. Alberto,
1635, in-12, 151 p. [J 15012 (2).)
759. - Tarquin le Superbe, avec des considerations politiques et morales
sur les principaux événements de sa vie (traduit par Vion Dalibray). Paris,
J. Le Bouc, 1644. [R 24383.]
760. - Le Romulus du Marquis Malvez:zi, avec des considerations poli-
tiques et morales sur sa vie. Paris, J. Le Bouc, 1645. [·E 1187.]
(II est significatif que les traductions de Malvezzi ne paraissent qu'après
la mort de Richelieu, au moment où un renouveau du sénéquisme se
manifeste au théâtre. Le style sénéquien italo-espagnol de Malvezzi était
la cible préférée de l'Académie.)
761. MANZINI (Giambattista). 1 Furori della gioventù, esercitii retorici. Roma,
F. de Rossi, 1633, in-12, 276 p. [X 28520.)
762. - Les Harangues ou Discours Académiques de lB. Manzini (traduits
par G. de Scudéry). Paris, Corbin, 1642, in-12. [l 19346.)
763. - Il Cretideo ... Roma, Mascardi, 1642, in-12, 454 p. [y2 10532.)
764. - Delle Meteore retforiche ... Bologna, G. Minti, 1652, in-8°, VI-309 p.
[X 19264.)
765. MANuCE (Paul). Tre libri di Letfere volgari... Venetia, 1556, in-8°, 135 ff.
et table. [Rés. Z 2406.)
(Rééd. Venise, 1560, Rés. l 2409.)
766. - ... Epistolae et Praefationes quae dicuntur ... Venetia, in Academia
veneta, 1558, in-8°, 148 ff. [Rés. Z 2212.)
(Rééd. Venise, 1560, Rés. Z 2214; ibid. 1561, Rés. Z 2215: dans cet ex.
les lettres à Marc Antoine Muret figurent f. 65-82; ibid. 1569.)
767. MARIANI (Michelangelo). II più curioso e memorabile della Francia ...
Venezia, Hertz, 1673, in-4°, 215 p. [4° Lb 37 5200.)
(Véritable «reportage> journalistique sur la France et en particulier sur
la Cour dans les premières années du règne de Louis XIV. Ce Gaudissart
italien, en dépit de sa réclame, est bien informé et ses clichés ont le
mérite de ne pas être les nôtres.)
768. MARINO (Giovanbattista). Epistolario ..., édité par Angelo Borzelli et Fausto
Nicolini. Bari, Laterza, 1911-1912, 2 vol. in-8°. [8° Z 19447 (20) et (29).]
(Voir en particulier les éblouissantes lettres-reportages sur le Paris de:;
années 1615-1620.)
769. - Dicerie saere e la strage degl'lnnoeenti, a cura di Giovanni Pozzi.
Turin, Einaudi, 1960, in-8°, 628 p.
770. MASCARDI (Agostino). Dell'Arte historiea d'Agostino Maseardi trattati
cinque. Roma, G. Facciotti, 1636, in-4°, pièces limin., 676 p. [Z 3167.]
771. - ... Ethicae prolusiones ... Parisiis, apud S. Cramoisy, 1639, in-4°,
pièces limin., 240 p. [R 6025.)
772. - ... Romanae dissertation es de atfectibus sive perturbationibus animi
earumque charaeleribus. Parisiis, apud S. Cramoisy, 1639, in-4°, 243 p.
[R 6024.)
780 BIBLIOGRAPHIE
773. MINOZZI (Pier Francesco). Delle Libidini dell'ingegno ... Milano, Ghilolfi,
1636, in-12, 383 p. [l 31038.]
774. - Sfogamenti d'ingegno ... Venetia, per li Turrini, 1641, in-12, 333 p.
[l 31040.]
775. MURET (Marc Antoine). Oraliones volumen secundum. Venitiis, apud F.
Semensem, 1591, in-12, 288 p. [X 18050.]
(Rééd. Rouen 1607, Lyon 1613.)
(Le meilleur de sa carrière s'étant déroulé à Rome et son art s'inscrivant
dans la tradition du cicéronianisme romain, Muret peut être rangé parmi
les humanistes italiens plutôt que français.)
776. - M.A. Mureti... Hymnorum sacrorum liber ... ejusdem alia quaedam
poematia. Lutetiae, ap. M. Patissonium, 1576, in-16, 24 ft.
[Rés. A 6764 (2).]
777. - Opera omnia ex mss. aucla et emendata cum brevi adnotatione
Davidis Ruhnkenii, silldiose ab se recognita, emendata, aucta, selectisque
aliorum et suis adnotalionibus instrucla accurate edidit Carolus Henricus
Frotscher ... Lipsiae, sumpt. Serigianae librariae, 1834-1841, 3 vol. in-8°.
[l 55988-55990.]
778. NATTA (Marc Antoine) .... Volumina quaedam nuper excussa, nllmero et
ordine qui subjicitur ... Venetiis, Aldus, 1562.
(V. fO' 76 et suiv. : De Christianorum eloquentia liber.)
779. PANIGAROLA (François). Tre prediche di mons. Panigarola fatte da lui in
Parigi... Asti, Grandi, 1592, in-16, 101 p. [8° Lb3~ 256.]
780. - Cent sermons sur la Passion de N.S. prononcez à Milan par
RP.F. Panigarola, et traduiets en François par Gabriel Chappuys. Paris,
Cavellat, 1586, in-4°, 642 p. [0 9107.]
781. - L'art de prescher et bien faire un sermon, avec la mémoire locale
et artificielle faiet par RP.FP ... et traduit par Gabriel ChappII)'s, secre-
taire et interprete dll Roy, ensemble l'Art de Memoire de Hierosme Mora-
fiote, Calabrois, Théologien. Paris, Chaudière, 1604. [0 46381.]
(L'Art de la Mémoire (v. F. Yates, ouvr. cit.) renvoie à Simonide et s'at-
tarde sur Giulio Camillo, p. 83. La technique consiste ici à répartir les
« lieux» dans une ville intérieure, avec son amphithéâtre, son palais, son
monastère ...}
(Sur \cs traités de rhét. ecclésiastiques en italien de Panigarola, v. CapIan
et King, art. cit.)
782. PELLEGRINI (Matteo). / Fonti dell'/ngegno ridolti ad arte. Bologna, 1650,
in-8°, 310 p. [R 45930.]
783. PICO DELLA MIRANDOLA (Giovanni-Francesco). j.FP.M. domini, Physici
libri dllO, / : De appetitu primae materiae ; Il : De elementis et Rheforici
duo; de imitatione ad Petrum Bembum, Petri Bembi de imitatione liber
unlls. Basileae, apud Frobenium, 1518, in-4°, 124 p.
[Rés. X 1218 (2). Rés. l 640 (4).]
(Première édition de l'échange de lettres de imitatione ciceroniana entre
G.F. Pico et Bembo. Voir l'éd. critique de G. Santangclo, sllpra, n° 695.)
784. PÉTRARQUE (Francesco Petrarca dit). Let/ere di Francesco Petrarca delle
cose familiari libri ventiqualtro ; leltere varie libro unico ... Dra la prima
volta raccolte, volgarizzate e dichiarate COll note da Giuseppe Fraca~setti
Firenze, F. Le Monnier, 1864-1865, 5 vol. in-8°. [l 57608-57612.]
BIBLIOGRAPHIE 781
785. POLITIEN (Angelo Poliziano, dit le). Omnia opera Angeli Politiani et alia
quaedam lectu digna. Venetiis, in aed. Aldi, 1498, in-fol. [Rés. Z 294.)
(Réimpr. Florence, 1499. Autre éd. Bâle, 1553, [Z 569).)
786. - Dissertissimi viri A.P., linguae lalinae vindicatoris, epistolae lepi-
dissimae ... Anvers, 1514, in-4°. [Rés. Z 756.)
787. - Omnium Angeli Politiani operum quae quidem exsare novimus
tomus prior, in quo sunt Epistolarum libri duodecim ... Paris, Josse Bade,
1519, 2 t. en 1 vol. in-fol. [Rés. Z 298.)
788. - Angeli Politiani et aliorum virorum illustrium Epistolarum libri XII.
Hanoviae, apud C. Antonium, in-12, 1604, 610 p. [Z 14164.)
(Lettres de Politien à Cortesi de imitatione ciceroniana, p. 307-309, et
réponse de Cortesi, p. 309-314.)
789. POSSEVINO (Giovan Battista). Discorsi sulla vila e allioni di Carlo 80r-
romeo ... Home, appresso j. Tornerii, 1581, in-8°, 283 p. [H 9230.)
(Trad. fr. Bordeaux, 1611, in-8°, 368 p., [H 9231])
790. RICCOBONI (Antoine) .... Commentarius in universam doctrinam oratoriam
Ciceronis... Simulque libri rhetoricae Aristotelis perstringuntur. Addito
compendio totius Rhetoricae ex Aristotele et Cicerone junioribus ediscendo.
Francofurti, apud A. Wecheli haeredes, 1596, in-8°, 308 p. [X 16711 (2).)
791. SANSOVINO (Francesco). L'arte oratoria secondo i modi della lingua vol-
gare. Venezia, G. dal Griffo, 1546, in-8°, 80 p. [X 19723.)
792. - L'Avocato, dialogo divise in cinque libri ne quali brevemente 8i
contiene materia della cose dei Palazzo Veneto ... Venetia, 1554, in-8°,
48 ft. [F 24219.]
(Voir également F 27080, éd. de 1559.)
793. TET! (Girolamo, Comte). Aedes Barberinae ad Quirina/em... descriptae.
Romae, Mascardus, 1642, in-fol., 221-36 p. [Rés. V 388. Fol. K 274.]
794. TESAURO (Emmanuele). 11 cannochiale aristotelico osia l'ldea delle argu-
tezze heroiche, vulgarmente chiamete imprese, et di tutta l'arte simbolica
e lapidaria ... esaminata in fonte co rettorici precetti deI divino Aristotele,
che comprendono tutta la Retlorica et Poetica elocutione ... Torino, Sim-
baldo, 1654, in-fol., 784 p. [Z 519.)
(2' éd. 1663, Venise.)
795. VALIERO (Agostino). De Rhetorica ecclesiastica ad clericos, libri tres,
aucli et locupletati. Veronae, S. et J. A. Donis, 1574, in-8°. [D 15241.)
(Ed. parisienne, 1575, D 15242 (1). Cologne, 1575, avec L. de Grenade;
Venise, 1578, X 4932; Cologne, 1582, trad. fr. Dinouart, 1750, rééd.
1851.)
796. VALLA (Lorenzo). Elegantiarum liber ... Parisiis, 1471, in-fol. [Rés. X 641.)
797. - Opus Elegantiarum linguae latinae ... Romae, 1471, in-fol.
[Rés. X 134.)
798. VETTORI (Piero). Epistolarum libri X, orationes Xllll et liber de [audibus
!oannae Austriae. Florentiae, apud Junctas, 1586, in-fol., 227 p.
[Rés. X 156 (I).J
799. - Commentarii longe doctissimi in tres libros Aristotelis, de Arte
dicendi, nunc primum in Germania editi. Basileae, ex off. J. Oporini,
1549, in-fol., 871 col. [Rés. R 156.J
(Rééd. Florence, 1579. Voir également les Commentarii du même auteur
sur l'Art poétique (Florence, 1560), l'Ethique à Nicomaque (ibid., 1584)
et la Politique (ibid., 1576) d'Aristote.)
782 BIBLIOGRAPHIE
a) France
874. LE MOYNE (Pierre) S.J. Les Peintures morales ... Paris, Cramoisy, 2 vol.
in-4°, 1640-1643. [Rés. R 1136-1137.)
875. - Entretiens et lettres poétiques ... Paris, E. Loyson, 1665, in-12,
327 p. [Ve 7968.]
876. - La Gallerie des Femmes fortes ... Paris, Sommaville, 1647, in-fol.,
378 p. [Rés. G 447.1
877. - Devises héroïques et morales ... Paris, Courbé, 1649, in-4°, 111 p.
[Ve 1356.)
878. - De l'Art de régner. Paris, Cramoisy, 1665, in-fol., LVI-730-XVlIl po
[·E 142.]
879. LUCAS (Jean) S.J. Actio oratoris, seu de gestu et voce.,. Paris, S. Bénard.
167!!, in-12, 58 p. [X 18001.]
(Rapprocher des numéros 720 - 822 - 823 - 864.)
880. MACHAULT (Jean-Baptiste de) S.j. Eloges et Discours sur la triomphante
réception du Royen sa ville de Paris après la prise de La Rochelle.
Paris, P. Rocolet, 1629, in-fol., 179-11 p.
(Attribué par M. Praz, Studies ..., t. 1 (1939), p. 162. Un chef-d'œuvre du
grand style démonstratif jésuite en français, en prose et en vers, déjà
influencé par Balzac et Malherbe, et ouvrant la voie au P. Le Moyne.)
881. MAIMBOURG (Louis) S.j. De Galliae Regum excellentia ad illud dictuTTt
D. Gregori Magni quanto caeteros homines Regia dignitas antecedit tanto
caeterarum gentium Regna Regni Franciae culmen excedit, panegyricus.
Rouen, L. Le Boullenger, 1641, in-8°, IV-56 p. [8° Le4 40.]
882. - Ludovico XIII ... ob Galliam Virgini conSecratam Justo Magno Pio.
Rouen, L. Le Boullenger, 1640, in-8°, V-146 p. [8° Lb36 3178.)
883. PAjOT (Charles). Tyrocinium eloquentiae, sive Rhetorica nova et faciIior.
Blesis, Fr. de la Saugère, 1647, in-8°, 402 p. [Rés. X 2463.]
884. PELLETIER (Gérard) S.j. Palatium Reginae Eloquentiae. Lutetiae Paris.,
sumpt. Vid. Nicolai Buon, Joannis Camusat et Claudii Sonnii, 1641, in-fol.,
593 p. [Rés. X 439.]
885. - Reginae Palatium Eloquentiae primo quidem a RR.PP. Societ.
Jesll in Gallia exquisite studio et arte magnifica exstructum, nunc vero
revisum et sensui moribus Germanorum aliarumque nationum accommo-
datum et in bonum non modo Eloquentiae studiosorum sed etiam Verbi
divini Praeconum ac Concionatorum editum a RR.PP. Societ. Jesu Mo-
gunt ... Moguntiae, impr. Joann. Godefridi Schônwetteri, typo Nicolai Heilii,
1652, in-fol.
(Ed. qui n'est pas à la B.N.)
Reginae palatium eloquentiae ... revisum. Lyon, J.A. Candy, 1653,.
in-4·, 11-892 p. [X 3239.]
886. - Reginae Eloquentiae Palatium sive Exercitationes oratoriae, nunc'
autori suo restitutae R.P. Gerardo Pelletier Vosagensi, S.J., ad prin-
cipem anni millesimi sexcentesimi quadragesimi primi editionem diligenter
exactae, atque innumerabilibus mendis expurgatae quibus Moguntinenses
et Francfortienses in Germania Harpyiae et Lugdinensis Typogr. vindi-
canda legibus teneritas, eximium illud opus et ad Gal/orum laudes mira
arte conflatum foedaverant ut ex sequenti praefationes disces. Parisiis.
ap. Eimonem Belnard, 1663, in-4°, 894 p. [Rés. X 1113.]
BIBLIOGRAPHIE 789
887. PELLEPRAT (Pierre). Prolusiones oratoriae. Paris, apud Joan. Libert, 1644,
2 part. en 1 vol. in-8°. [X 20103.]
(Dédié à Josias de Bremond d'Ars-Migré. Voir p. 263-304, Taius, sive
MaJ!ni Judicis idea ... , portrait idéal du haut magistrat. Une autre œuvre
de P. Pelleprat, attribuée par l'éditeur à son élève, figure sous le n° 437.)
888. PETAU (Denis) et CAUSSIN (Nicolas) S.j. Pompa Regia Ludovici X/Il
Franciae et Navarrae Regis Christianissimi, a Fixensibus Musis in Hen-
riceo Societatis Jesu Gymnasio vario carmine consecrata. Flexiae, apud
Jacob Rezé, 1614, in-4°, 111 p. [Yc 1616.]
889. PETAU (Denis) S.} .... Opera poetica. Paris, Cramoisy, 1624, in-8°, 506 p.
[X 18137 (2).]
(1 re éd. 1620; rééd. 1622, 1624, J 642, 1653.)
890. - Drationes editio ultima auctior et castigatior. Lutetiae Parisiorum,
apud S. Cramoisy, 1653, in-8°, 395 p. [X 18139 (1).]
(Ire éd. 1620; rééd. 1621, 1624, 1642.)
891. POMEY (François). Candidatus Rhetoricae, seu Aphtonii Progymnasmata
in meliorem formam usumque redacta, auet. Fr. Pomey, Lugduni, A.
Molin, 1659, in-12, 408 p. [X 17929.]
892. RICHEOME (Louis) S.}. Response de Rene de La Fon pour les religieux de
la Compagnie de Jesus au Playdoyé de Simon Marion en l'arrest donné
contre iceux le 16 octobre 1597, avec quelques notes et autres subjects
des recherches d'Estienne Pasquier, «NN.SS. du Parlement. à Ville-
franche", G. Grenier, 1599, in-8°, 238 p. [8° Ld39 26.]
893. - Tableaux sacrez des figures mystiques du tres-auguste sacrement
et sacrifice de l'Eucharistie ... Paris, Sonnius, 1601, in-8°, 517 p.
[0 50573.]
894. La chasse du renard Pasquin ... «Villefranche:p, Le Pelletier, 1602,
in-8°, 111-188 p. [8° Ld 3 9 32.]
895. - Plainte apologétique au Roy Tres-Chrestien de France... contre
le libelle de l'aucteur sans nom intitulé le Franc et veritable discours
avec quelques notes sur un autre libelle dict le Catechisme des Jesuites.
Bordeaux, }. Millanges, 1603, in-8°, 503 p. [8° Ld39 35 (1).]
896. - Le Pelerin de Lorète ... Bordeaux, S. Millanges, 1604, in-8·, 984 p.
[H 10271.]
(Trad. lat., Cologne, 1621.)
897. - La peinture spirituelle, ou l'art d'admirer, aimer et louer Dieu
en toutes ses œuvres, et tirer de toutes profit salutere, au très-révérend
Pere Claude Acquaviva... Lyon, Pierre Rigaud, 1611, in-8°, XVI-790-
XXIV p. [Sorbo TTa 15, in-8°.]
(Rééd. 1613, 1628.)
898. SIRMOND (Antoine) S.}. L'auditeur de la parole de Dieu ... Paris, Camusat,
163S, in-So, 231 p. [0 52403.]
899. - Le Predicateur ... Paris, Camusat, 163S, in-So, 269 p.
(Par le neveu de ). Sirmond, et, comme son oncle, dévoué à Richelieu
- pour qui il écrivit en 1641 La déffense de la vertu - deux rhétoriques
ecclésiastiques publiées par le libraire de l'Académie française. A rap-
procher du n° 871 et du n· suivant.)
900. VAVASSEUR (François) S.}. F. Vavassoris s.j. Drationes. Lut. Paris., S. et
G. Cramoisy, 1646, in-So, 352 p. [X 18381.]
790 BIBLIOGRAPHIE
901. - De Ludicra dictione liber... Paris, 1658, in-4·, 463 p. [Y2 523 (1).]
902. - Multiplex et varia poesis, autea passim edita, nunc in unum col-
lecta ... Parisiis, apud vid. C. Thiboust, 1683, 2 part. en 1 vol. in-8·.
[Yc 8744.]
b) Italie
928. - Del Bene libri quattro. Napoli, 1681, in-4°, 602 p. [0 5013.]
(1 re éd. Rome, 1644.)
(Le grand traité d'esthétique qui couronne l'expérience d'un siècle du
Collegio Romano.)
929. PERPINA (Pedro Juan) S.j. Oraliones duodevinginli... Parisiis, apud J.
Corbonium, 1588, in-8°, 255 ff. [X 18066.]
(D'origine espagnole, mais fondateur de la tradition cicéronienne du
Collège Romain, le P. Perpiiià peut être rangé parmi les humanistes
jésuites italiens. Ses Oraliones ont été souvent rééditées en France où
il enseigna: Lyon 1594, Douai 1598, Lyon 1603, Rouen 1606, Lyon 1607,
Douai 1608, Rouen 1611, Lyon 1622. Cette édition des Oraliones est
l'œuvre de Francesco Benci.)
930. - Petri foanni Perpiniani... aliquot epistolae ubi, praeter caetera, de
artis rhetoricae locis communibus ac de juventllie graecis lalinisque
literis erudienda agit ur. Pro/erre in lucem coeperat ... F. Vavassor, edidit
P.J. Lucas. Parisiis, apud Vid. Thiboust, 1683, in-8°, 192 p. [Yc 8745.]
931. POSSEVINO (Antonio) S.j. Cicero, collatus cum ethnicis et sacris scripto-
ribus ... quo agitur de arte conscribendi epistolas, de arte dicendi ecciesias-
lica. Lugduni, J. Pillehotte, 1593, in-16, 128 p. [X 17698.]
932. - Antonii Possevini Bibliotheca Selecla qua agitur de ralione stu-
diorum. Romae, e typis Apostolica Vaticana, 1593, 2 t. en 1 vol. in-fol.
[Rés. Q 6-7.]
(Rééd. augm. Venise, 1603, Q 213-214.)
933. REMOND (Francis) S.J .... Epigrammata, elogiae et orationes ... Burdigalae,
apud S. Millangium, 1605, in-12, 238 p. [Rés. p Yc 1116.]
(Autres éd. Milan 1605, Lyon 1605, Rouen 1606, Ingoldstadt 1607, Paris,
Cramoisy, 1613, Rouen 1616; rééd. augmentée et corrigée par l'auteur.
La Flèche, 1616 ... ) D'origine française, le P. Rémond peut être rangé
parmi les jésuites romains, dont il illustre l'esthétique chrétienne, et parmi
lesquels il vécut comme professeur au Collège Romain.
934. REGGIO (Carolo) S.J. Orator chrislianlls. Romae, apud B. Zannetum, 1612,
in-4°, pièces limin., 830 p. et index. [0 9547.]
(Rééd. à Munich et Cologne en 1613.)
935. SACCHINI (Francesco) S.j. Paraenesis ad magistros seholarum in/eriorum
Societatis fesu ... Lugduni, J. Perra, 1632, in-12, 16 p. [0 87457 (2).]
(1 re éd. Rome, 1625.) (Voir aussi, du même, ibid., le Protrepticon. __ )
936. STEFONIO (Bernardino). Posthumae Bernardini Stephonii ... epistolae, cum
egregio tracta/II: De /riplici slylo, ad amiellm per epis/olas misso. Romae,
sumptibus Tinassii, 1677, 292 p. [Z 14104.]
937. STRADA (Famiano). Prolusiones Academicae. Romae, apud 1. Mascardum,
1617, in-4°, X-496 p. et index. [X 3283.]
(Rééd. Cologne 1625, [X 18105] ; Lyon 1627, [X 18107] ; et Oxford 1661,
[X 18103].)
938. - De Bello Belgico, Decas Prima. Romae, F. Corbelletti, 1632, in-fol.,
347 p. [M 1469.]
- ... Deeas seellnda. Romae, ex typo Haered. Corbelletti, 1647, in-fol.,
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(Sur les mandements du Général Fr. de Borgia concernant l'éloquence
sacrée. voir Capian et King, bibliogr. cit. et le recueil de Theologia pasto-
ralis de Peter Binsfiels, Rouen, 1620, [0 26082].)
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todos los modos y diferencias de eoneetos ... Huesca. J. Nogues. 1649.
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(A rapprocher de Vavasseur (François). De Epigrammate liber et Epi-
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diligenter colleeti.. .• Lipsiae. Schürer et Goltzius, 1637, 8°. 781 p.
[X 18033.]
951. - Mellificium oratorium in quo eloquentiae flores e variis oratorum
viridariis defracti... Lipsiae, ]. Schürer et M. Goltzius. 1662, in-8°.
[X 18031.]
(La préface est datée de 1627. A rapprocher de Binet et de Mendoça.)
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INDEX
ABLANCOURT (Perrot d'): 396, 617, ARISTOTE: 13, 41, Ill, 116, 117, 145,
620, 621, 651, 669, 670, 671, 694. 146, 168, 187, 311, 314, 333, 383, 465,
Abondance (voir Ubertas). 527, 528, 529, 546, 570, 575, 576, 578,
Académie Française: 20, 22, 203, 622, 580, 644, 670.
674-ééO, 693. ARNAULD (Antoine): 3, 233, 235, 236,
Académie des humoristes: 192. 237, 241, 369, 389, 442, 493, SOI, 552,
Académie Romaine: 191-192. 558, 583, 586, 587, 588, 590, 624, 625.
Acedia: 128. 626, 650, 666.
ACQUAVIVA (Claudio): 178, 252, 297, ARNAULD (Antoine, dit le Grand) : 640,
298, 404. 684.
Actio oratoria: 12, 30-51, 315, 317, 325, ARNAULD D'ANDILLY (Robert): 442,
509, 540. 552, 558, 587, 623, 625, 627, 629.
Acumina (voir sententiae): 61, 74, 99, ARRIEN: 94.
125, 158, 181, 198, 290, 413. Art 1 nature: 51, 119·120, 132, 168, 177,
ADAM (Antoine): 327, 594, 597, 608, 611. 202.
AELIUS ARISTIDE: 214, 215, 216, 217, Asianisme: 54, 58, 160, 164, 185, 188, 189.
255, 288, 304, 309. 193, 198, 199, 458, 459, 460, 676, 689,
AELIUS THEON : 213, 214, 222, 291, 310. 691.
Aemulatio (voir imitatio): 88, 245. Aspérité (asperitas): 189, 198, 318, 319,
AGRICOLA (Rodolphe): 99, 461. 322, 324.
AILLY (Pierre d'): 432. ATHANASE (Le P.); 39.
ALBALAT (Antoine): 6. Atticisme (atticistes): 33, 53, 54, 58, 67,
ALCIAT (André): 175, 590. 87, 88, 159, 171, 174, 189, 198, 199, 458,
ALDOBRANDINI (Cardinal Piero): 213. 459, 460, 464, 489, 496, 565, 577, 580,
AL~ANDRE (Jérôme): 192, 254, 405, 557. 588, 591, 60S, 651, 652, 659, 665, 666,
ALESSANDRI (Alessandro): 600. 669, 672, 676, 678, 683, 685, 688, 690, 694.
ALLACCI ou ALLATIUS (Léon): 190, Atticisme chrétien: 149, 489, 652, 653,
206, 209, 210, 213, 226, 299, 321, 581, 650. 657, 672.
ALVAREZ (Baltazar): 350. AUBESPINE (Gabriel de l'): 395.
AMBROISE (Saint): 124, 134, 141, 142, AUBIGNAC (Abbé d'): 580, 694.
145, 184, 288, 463, 642 . AUBIGNÉ (Agrippa d'): 413.
AMMIRATO Scipione: 217. AUCHY (Vicomtesse d'): 542.
AMYOT (Jacques): 121, 334, 353, 444, Auctoritas (autorité): 25, 320, 487, 489.
452, 494, 495, 496, 497, 504, SIS, 647, 652, AUDIGUIER (Vital d'): 543.
665, 676, 700, 701.
AUERBACH (Erich): 12.
ANDRÉ DE SAINT DENIS (le Frère) :
474, 60S, 669. AUGUSTE: 65, 88, 91, 471, 622, 666, 684.
ANNE D'AUTRICHE: 693. AUGUSTIN (Saint): 3, 57, 69, 70·76, 79,
93, lOI, 102, 106, 107, 108, 109, 110, 124,
ANTONIANO (Silvo): 118, 136, 162, 127, 129, 134, 135, 136, 138, 141, 142, 145,
164. 147, 149, ISO, 166, 168, 182, 186, 187, 188,
APHTONIUS: 214, 222, 288, 310. 189, 194, 200, 202, 219, 229, 276, 277, 288
APOLLONIUS DE TYANE: 180. 311, 331, 333, 364, 375, 377, 388, 403,
Aptum (Convenientia): 51, 157, 158, 161, 463, 514, 516, 517, 553, 554, 563, 611,
185, 189, 195, 265, 456, 459, 463, 689 635, 639, 640, 645, 671.
APUL~E: 94, 96, 100, 301, 304, 375. AULBEROCHE (Pierre d'): 443.
ARETINO (Pietro): 331. AULU·GELLE: 95, 96, 99, 216, 281, 295,
ARIOSTO (Ludovico): 129, 597. 296, 299, 309, 665.
838 INDEX
AUSONE: 99, 471. 175, 180, 190, 191, 193, 197, 200, 229, 287,
AVAUX (Claude de Mesmes, Comte d'): 312, 340, 341, 397, 401, 402, 452, 500,
329, 380, 381, 405, 416, 545. 504, 523, 589, 614, 622, 671, 684, 685, 705.
AVILA (Jean d'): 135, 143. BENCI (Francesco): 153, 175, 176-179,
Avocats: 65, 436, 437, 438, 439, 440, 442, 191, 192, 397, 398, 400, 420, 507.
464, 466, 467, 469, 471, 482, 485-488, 539, BENICHOU (Paul): 17.
540, 542, 552, 585-622, 631. BENTIVOGLIO (le cardinal Guido):
AYRAULD (Pierre): 463, 483, 586, 589. 546.
AYRAUD (Le P. René): 589. BERNARD DE CLAIRVAUX (Saint):
124, 145, 147, ISO, 288, 364, 371, 554, 643.
BACHASSON (Catherine): 558. BERNIN (Lorenzo Bernini dit le):
BAGLIONE (frère Lucas): 136, 138. 176, 202, 205, 280, 379.
BAïF (Jean·Antoine de): 521, 633, 647, BÉROALDE (Philippe): 63.
670. BERTAUT (Jean): 381, 523, 578.
BAILLET (Adrien): 2, 578. BERTIUS (Pierre): 37.
BAILLEUL (Président Nicolas de): BÉRULLE (le cardinal Pierre de): 421,
380. 422, 480, 516, 544, 549, 555, 563, 565, 690.
BALDWIN (Charles): 14, 71. BEUGNOT (Bernard): 540, 695.
BALZAC (Jean·Louis Guez de): 6, 98, BIGNAMI-ODIER (Jeanne) : 210, 557.
114, 115, 121, 140, 192, 196, 203, 213, 226, BIGNON (Jérôme): 39, 443, 479, 515,
273, 308, 329, 330, 333, 334, 336, 337, 522, 546, 551-568, 581, 588, 590, 614, 620,
338, 352, 353, 356, 384, 416, 419, 474, 630, 631, 634, 635, 667.
510, 521, 525, 543, 544, 545, 546, 547, 556. BIGNON (Roland): 552, 553, 588, 690.
567,568,571,573,575,581,582,583,594, BINET (le P. Etienne): 100, 140, 252,
605, 609, 613, 621, 627, 629, 630, 631. 257, 264, 265, 266, 267, 268, 270, 272,
632, 635, 638, 644, 650, 658, 659, 671, 273, 274, 282, 283, 284, 285, 297, 307,
678, 684, 690, 693, 694, 695-706. 312, 336, 337, 338, 354, 355, 356, 372, 374.
BARBARO (Daniele): 119, 167. 384, 388, 389, 433, 497, 539, 542, 599, 676,
BARBARO (Ermolao) : 83, 119, 312, 578. 6ï7.
BARBERINI (cardinal Antonio): 204, BLET (le P. Pierre): 417.
207, 210, 212. BLONDO (Flavio): 79.
BARBERINI (cardinal Francesco): 204, BLOUNT (Thomas Pope): 190.
207, 208, 209, 210, 211 ,212, 546, 557. BLUCHE (François): 322, 585.
BARBERINI (Taddeo): 205. BLUNT (Anthony): 320, 322, 482.
BARCLAY (John): 522. BOCCACE (Giovanni): 78, 89, 121.
BARILLON (Le Président): p. 567, 628, BODIN (Jean): 570.
630. BOÈCE: 288, 385.
BARON (Hans): 43, 44, 79. BOILEAU (Nicolas): 106, 198, 417, 515.
BARON lUS (le cardinal Cesare): 249, BOISROBERT (François Le Métel de) :
253, 362, 364, 395, 514, 630. 240, 520, 578.
BARTHES (Roland): 7, 11. BOISSIER (Gaston): 15.
BARTOLE (Bartolo di Sassoferrato, BOLGAR (Ralph): 47 ,
dit): 451, 590, 595. BOLLAND (Jean) : 405.
BARZIZZA (Gaspare): 47. BOMPAIRE (Jacques): 213.
Bas (style, voir humile genus): 167, BONAVENTURE (Saint): 375.
196, 641. BONIFACIO (Giovanni): p. 314.
BASCAPE (Carlo): 143. BONORA (Ettore): 85.
BASILE LE GRAND (Saint): 124, 142, BORDEAUX (Jean de): 267.
180, 216, 331.
BASSOMPIERRE (François de): 571, BORGE RH OFF (E.B.O.): 8, 14, 16.
608, 649, 693. BORGIA (le cardinal Alexandre): 192.
BATAILLON (Marcel): 132, 143. BORROMÉE (le cardinal Frédéric):
BAYLEY (Peter): 14, 135. 137.
Beauté (voir ornatus). BOSSUET (Jacques Bénigne): 19, 139,
BEDE le Vénérable: 145. 566, 705.
BELLI ER (Pierre): 478, 479. BOTERO (Jean): 139, 142, 143, 148-152,
BELLIÈVRE (Pomponne de): 443. 173, 183, 202, 341, 635, 636, 680.
BEMBO (Pietro): 56, 83-91, 94, 97, 98, BOUHOURS (le P. Dominique): 416,
lOS, 106, 107, 110, 115, 116, 118, 139, 417.
153, 162, 163, 164, 166, 167, 170, l7l, 174, BOULANGER (André): 96.
INDEX 839
E/ocutio (élocution): 7, 10, li, 12, 49, FARET (Nicolas): 89, 90, 353, 612, 693
59, 73, 50, 84, 108, 112, 127, 139, 147, 151, FAUCHET (Claude): 491, 619, 633.
166, 224, 495, 508, 509, 542, 566, 574, 602, FAUCON DE RIS (le Président): 244.
604, 618, 638, 650, 657, 666. FAYE D'ESPEISSES (Jacques): 470,
Eloge (voir démonstratif, genre). 471, 475, 477, 481, 483,·484, 487, 491,
Eloquence sacrée: 73, 137-152, 410, 634- 492, 494, 503, 539, 546, 549, 551, 558,
642. 564, 591, 592, 606.
E/oquentia cum sapentia con;ungenda: FÉNEWN: 387, 391, 441, 554, 640.
37, 39-42, 51, 65, 68, 126, 149, 172, 178, FERRERO (Ottaviano): 165.
193, 443, 511, 538-539, 650, 689. FESTUGIÈRE (le P. A.J.): 516, 562.
Emouvoir (voir movere, f/ectere): 166. FICHET (Guillaume): 436.
Enargeia (evidentia): 99, 108, 421. FICIN (Marsile): 128.
Enf/ure (inf/atio verborum): 341, 413. Figures de mots: 285, 309, 441, 459.
ENGHIEN (Louis, duc d'): 343, 344, Figures de pensée: 269, 278, 358-361, 441,
345. 511, 678, 681.
Enjouement (voir plaisanterie): 89. FILÈRE (Alexandre de): 6034J6, 607.
ENNIUS: 96. 620.
Entendement: 129, 130, 132, 134, 166. FILÈRE (Joseph): 370-379, 383.
Enthousiasme: 66, 68, 304, 307. Flectere (voir movere): 72, 73.
ÉPICTÈTE: 63, 136, 484. FLEURY (Claude): 607.
ÉPICURE: 95, 403. FLURANCE-RIVAULT (David de): 522,
Epigramme: 526. 523.
Episcopus orator: 140-142. FOIS (Mario): 78, 81.
FONSECA (le P. Pedro de): 145, 387.
Epistolaire (art): lOS, 155, 156, 174, FONTAINE (Jacques): 16, 70, 96, 148,
181, 572, 699. 152.
ERASME (Désiré): 56, 57, 70, 81, 92- FONTAINE (Nicolas): 559, 634, 642, 695.
115, 125, m, 134, 135, 138, 140, 144, Force (voir véhémence): 59, 60, 511,
145, 146, 148, 150, 153, 154, 157, 159, 618, 647, 669, 702, 705.
161, 165, 185, 192,200,201,205,224,227, FOURNIER (le docteur, d'Orléans):
287, 301, 308, 309, 314, 315, 333, 353, 549, 599, 601.
368, 433, 447, 449, 450, 456, 461, 462, FRANCE (Peter): 3, 14.
463, 465, 468, 472, 484, 486, 524, 526, FRANÇOIS le,: 89, 423, 442.
527, 530, 531, 547, 554, 575, 600, 611, FRANÇOIS (Alexis): 435.
635, 636, 643, 652, 666, 668, 671, 675, FRANÇOIS DE SALES (Saint): 144,
678, 705. 218, 258, 265, 277, 353, 381, 524, 556,
ESCHINE: 412. 567 .
.ESTELLA (Diego de): 144. FREDOUILLE (Jean-Claude): 96.
ESTHER (allégorie de l'éloquence); FRENICLE (Nicolas): 274, 608, 611.
184. FROISSART (Jean) : 427.
ESTIENNE (Charles): 603. FROMILHAGUE (René): 497, 500, 509.
ESTIENNE (Henri): 110, 122, 159, 165, FRONTON DE CIRTA: 64,96.
328, 331, 393, 433, 434, 441, 456, 461. FRONTON DU DUC (le P.): 249, 253,
462, 494, 528, 535, 574, 601, 676, 691. 274, 298, 329, 330, 336, 404, 405, 534,
ESTIENNE (Robert): 333, 433. 555.
EUNAPE: 291. FURETIÈRE (Antoine): 2, 24, 469.
Euphonie (euphonia, symphonia verbo-
rum, voir douceur): 148, 60S, 701. GALLAND (Jean): 588.
Eutrapéle (voir rire, raillerie): 333, GALLAND (Pierre): 514.
416.
E"ercices spirituels (de Saint Ignace): Gallicanisme: 32, 33, 233-246, 254, 430-
170, 177, 178, 201, 259, 260, 350, 353, 432, 566-570, 623~, 686.
362, 365, 371, 375, 377, 382, 394, 409, GALLUZZI (le P. Tarquinio): 177, 178,
420, 421, 422, 502, 678. 200, 204, 399, 400, 528, 698.
E"ercitatio: 40, 67, 177. GAMACHE (Philippe de): 39.
E"i/is (stylus): 157, 160. GARAND ERIE (M.M. de la): 90, 446,
449, 479.
Facilitas (voir naturel): 512. GARASSE (le P. François): 254, 326·
FAGGIOW DELL'ARCO (Maurizio): 335, 402, 413 ,547, 594, 669, 676, 677,
205. 681, 692.
INDEX M3
GARIN (Eugenio) : 43,44, 71, 81, 83, 118, GReGOIRE XIII BUONCOMPAGNI:
152, 506. 136, 162, 163, 170, 178, 179, 200, 203.
GASSENDI (Pierre): 81. 410.
GAULMIN (Gilbert): 526. GRENAILLE (François de): 220, 223,
GAULTIER (Léonard): 280, 283. 369, 370.
GeNeBRARD (Gilbert): 331. GRONOVIUS (Johannes-Fredericus) :
GENETTE (Gérard): 11, 265. 254, 699.
Genius (daimdn): 405. GROTIUS (Hugo) : 406, 553, 557, 567.
GERSON (Jean): 43Z, 563. GROULARD (Claude): 4'11.
GIBERT (Balthazar): 2, 3, 8, 255, 299, GRÜNEWALD (Mathias): 200.
354. GUeRET (Gabriel): fiJ7.
GILSON (Etienne): 41, 82, 138, 643. GUEVARRE (Antoine de): 333.
GIRALDI (Jean-Baptiste): 164, 180, 525, GUIBERT (le P. Joseph de): 298, 350.
675. GUINIGGI (le P. Vincenzo): 171, 178.
GODEAU (Antoine): 274, 326, 353, fiJ7, GUISE (Charles de Lorraine, duc de):
611, 651. 571, 593.
GODEFROY (Théodore): 686. GUIZOT (François): 5.
GODET (Louis): 595, 596, fiJ3. GUSTAVE ADOLPHE VASA, Roi de
GOIBAUD-DUBOIS (l'abbé Philippe): Suède: 704.
3, 75, 640. GUYON (Jeanne): 19.
GOMBERVILLE (Marin Le Roy de):
222, 649. HALL (Joseph): 386.
GOMBRICH (E.H.): 282, 292. HARLAY (Achille de): 244, 540, 57S.
GONGORA (Luis de): 199. 650.
GONTERY (le P. Jean): 247. HASKELL (Francis): 205.
GONZAGUE (Elisabeth de) : 89, 90. HAY DU CHASTELET (Paul): 516,
GONZAGUE (François Marie de, duc 517, 653-657, 693.
d'Urbin): 183. HAYDN (Hiram): 131.
GORGIAS: 149, 311. HAZARD (Paul): 9.
GOUJET (Abbé CIaude-Pierre): 3, 0, HEERE (doyen Nicolas de): 593, 594.
8, 354. 599, 658.
GOULART (Simon): 266, 695. HEINSIUS (Daniel): 528, 529, 571, 580.
GOULU (Dom Jean de Saint-François): 695.
140,336, 510, 514, 525, 546-551, 553, 563, Hélène de Troie (allégorie de 1'1dea) :
567,573, 575, 587, fiJl, fiJ5, 613, 616, 84, 92.
627, 630, 639, 643, 644, 648, 650, 651, HeLIODORE: 288, 292, 301, 376, 444,
671,671. 495, 676.
GOURNAY (Marie de): 321, 322, 324, HENNEQUIN (Jacques): 15, 556.
451. 542, 552, 567, 568, 573, fiJl, 650. HENRI III: 261, 282, 283, 492, 494, 495,
697. 496, 505, 513, 522.
GRACIAN (Balthazar): 89, 90. HENRI IV: 236-238, 239, 240, 241, 275,
GRAMONT (Scipion de): 548. 442, 493, 494, 502, 512, 513, 521, 522, 556,
Grand (style, grandis stylus, sublime 578. 615, 704.
genus): 73, 74, 149, lfiJ, 166, 178, 197, HERMÈS TRISMeGISTE: 292, 516,
199, 200, 340, 342, 352, 353, 402, 453. 562.
672. 682, 685. HERMOGÈNE: 161, 214, 215, 222, 225,
Grandeur d'âme (magnanimité): 21,44, 337.
61, 68, 69, 157, 161, 168, 170. HeRODE ATTICUS: 291, 294.
GRAN GER (Jean): 28. HeRODOTE: 449.
GRANGIER (Jean): 39, 514. Héroïsme, héros (voir grandeur d'âme) ..
Gravité (gravitas): 55, 65, 66, 184, 187, Hiéroglyphique (philosophie): 28/-284
188, 320, 322, 340, 364, 518, 663. 348.
GREGOIRE DE NAZIANCE (Saint): HILAIRE DE POITIERS (Saint): 134.
124, 142, 180, 253, 290, 302, 318, 320, HOLSTENIUS (Lucas): 204, 210, 405"
394. 403, 555. 406.
GReGOIRE DE NYSSE (Saint): 253, HOMÈRE: 168, 194, 354, 422, 451, 452,
288, 308, 320, 555. 453, 480, 483, 563, 619, 656, 666.
GReGOIRE LE GRAND (Saint): 142, «Honnesteté. (voir urbanitas).
147, 288. HORACE: 79, 82, 390, 392, 412, 598.
844 INDEX
HORAPOLLO: 281, 282, 374. J~SUS-CHRIST: 104, lOS, 106, 107, 108.
HUARTE (Juan): 17:7-134, 159, 194, 653, m, 114, 124, 148, 149, 178, 541, 565,
654, 655, 687. 635, 678.
HUET (Pierre-Daniel): 248, 419. Jeunesse (voir corruption de l'éloquen·
HUGHES DE SAINT-VICTOR: 145. ce) : 547 (n. 294), 548, 593, 594, 597, 608,
HUGO (Victor): 4, 5. 612, 615, 616.
Humanitas: 28, 90, 492. Jocositas : 245, 599.
Humile (genus, voir simple, style). JOSEPH (François du Tremblay, dit le
HURAULT (Philippe, comte de Chever- P.): 578.
ny): 494. JOSS ET (le P. Pierre): 295, 308, 348,
HURET (Grégoire): 379. 349-354, 384, 407, 676, 683, 685.
HUYGHENS (Constantin): 696. JOULET (François): 513.
Hyperbole: 701, 702 . JOUVANCY (le P. Joseph de): 6, 245.
Judiciaire (genre, voir aussi avocats):
Idea (voir optimus stylus): 167, 168, 49, 68, 166, 167.
177, 202, 340. Judicium: 85, 87, 88, ISO, 158, 181, 189,
IGNACE DE LOYOLA (Saint) : 233, 698. 194, 223, 224, 254, 276, 297, 310, 311,
« Ignorans. (rudes): 20, 23, 126, 606, 331, 351, 399, 401, 406, 685, 687, 700.
616, 674. Judith (allégorie de l'éloquence): 181,
Imagination: 129, 130, 132, 134, 347, 351, 184.
361, 371, 407, 421, 597, 677, 678, 679, Jugement (voir ;udicium): 166, 194,
687. 657, 703.
Imitatio: 22, 40, 78-115, 134, 158, 272, Juges: 476-485, 517, 566, 662, 688.
287, 347, 365, 408, 409, 507, 525, 531, JULES II DELLA ROVE RE : 203.
668, 675, 677, 682, 685, 690, 692. JULIEN L'APOSTAT: 180, 185, 214, 288,
Improvisation (subitaria dictio): 157, 310, 393, 394, 395.
487, 5SO. JUSTIN (Saint): 142, 375.
Ingenium (esprit, ingenio, ingegno, JUSTINIEN: 314.
wit) : 79, 84, 85, 129, 130, 155, 157, 158, JUVÉNAL: 99. 598.
166, 194, 195, 196, 223, 224, 225, 288, 331,
351, 382, 399, 406, 414, 654, 676, 677, KELLEY (Donald R.); 429, 431, 446,
680, 688, 691, 694, 699. 470, 577, 589, 590.
INGHIRAMMI (Tommaso): 93, 104, KENNEDY (George): 16,46,52, 53, 57,
ISO, 192, 201. 59, 61, 64.
INNOCENT X PAMPHILI: 179. KIRCHER (le P. Athanase): 280, 374,
Inspiration divine (impetus divini spi- 405.
ritus): 127, 139, 146, 151, 152, 185, 187. KLIBANSKY (Raymond): 128.
201, 639. KUENTZ (Pierre): 11.
Inventio (invention): 49, 73, 84, 134,
139, 151, 166, 194, 509, 638, 645, 650, 689. LABBÉ (Philippe): 249, 405.
IR~N~E (Saint): 134. LABITTE (Charles): 138.
Iris (aIIégorie de l'éloquence): 346. LA BOÉTIE (Etienne de): 152, 505, 695.
Ironie (voir aussi raillerie, rire): 68, LA BRUYÈRE: 226.
330. LA CERDA (le P. Melchior de): 272,
284, 314, 400.
ISIDORE DE S~VILLE: 145 .
LACHÈVRE (Frédéric):' 611, 612.
ISOCRATE: 53, 149, 180, 197, 394, 412, Laconismus (voir brièveté): 196, 487,
618. SOI.
ISSALI (Jean): 635. LACTANCE: 145, 146, 288.
JANNINI (Paolo): 533, 571. LA GUESLE (Jacques de) : 244,470, 476,
JEAN CHRYSOSTOME (Saint): 134, 484, 545, 578, 586, 590, 592, 603, 667.
142, 171, 181, 249, 253, 298, 303, 306. LALLEMANT (le P. Louis): 350.
317, 337, 364, 463, SS5, 629. LAMBIN (Denis): 169, 170, 380, 460, 577.
JEHASSE (Jean): 154, 216, 217. LA MESNARDIÈRE (Jules de) : 580.
JERECZEK (Bruno): 138, 143, 144, 147, LAMOIGNON (Guillaume): 416.
151. 'LA MOTHE LE VAYER (François):
J~ROME (Saint): 78, 99, 124, 134, 142, 326, 345, 348, 582, 584, 596, 607, 615, 618,
145, 146, 174, 194, 288, 311, 333, 370, 375, 648, 650, 656, 669, 670, 693.
403. LAMY (FrançOis): 3, 640.
INDEX 845
LANCELOT (Claude): 63M36, 637, 642. Litterae humaniores: 21, 24, 28, 90,
L'ANGLOIS (Pierre): 282, 284, 363 . 123, 164, 169, 170, 203, 642.
.LANSON (Gustave): 6, 7, 8, 13. LOGES (Mme des): 542, 700.
LANTOINE (Henri-Eugène): 5. Logos endiathetos et logos prophori-
LA PINELI~RE (Guérin de): 609. kas: 478, SIS, 516, 562, 646, 690, 697.
LA PORTE (Maurice de): 265, 600. LOISEL (Antoine): 429, 436, 470, 514,
LA QUINTINIE (Jean de): 19. 552, 589, 591.
LA ROCHE FLAVIN (Bernard de): LONGIN (pseudo-): 4,47,61,67,68, 107,
436, 438, 488, 493, 590, 592. 139, 165, 166 ,167, 168, m, 178, 187,
LA ROCHEFOUCAULD: 221. 189, 197, 202, 214, 222, 277, 297, 322, 325,
LA RUE (le P. Charles de): 417. 335, 337, 339, 345, 346, 348, 450, 451,
LASNE (Michel): 536. 465, 479, 507, 508, 549, 578, 581, 650,
Latinitas (correction): 50, 73, 75, 80, 682, 690.
87, 148, 158, 457. LONGUEIL (Christophe de): 91, lOI,
LATOMUS (Barthélémy): 514. 110, m, 116, 169, 174, 287, 449, 450,
LAUS8ERG (Hcinrich): 12. 452.
LAVAL (Antoine de): 258, 273-279, 339, LONGUEIL (Guy, Louis de): 588.
~9. 470, 537, 549, 651, 668, 671. LONGUEIL (Jean de): 437.
LA VALETTE (Louis de Nogaret, car- LONGUEVILLE (duc de): 536_
dinal de): 544. LONGUS: 444, 495.
LE BRET (Cardin) : 476, 546. LOREDANO (Giovan-Maria): 219, 222.
LEEMAN (A.E.): 16, 46, 53, 57, 59, M. LOUET (Madeleine): 588.
LE F~VRE (Nicolas): 39, 57, 99, 172, LOUIS DE GRENADE: 143, 144-148, 182,
252, 253, 362, 472, 498, 503, 514, 522, 208, 315, 341, 466, 635, 636, 639, 671.
533, 554, 556, 578. 678, 680, 705.
LErtVRE DE LA BODERIE (Guy): LOUIS XIII: 243, 244, 252, 396, 410, 411,
563. 494, 519, 567, 597, 649.
LEIBNIZ: 122. LUCAIN: 69, 413, 471.
LE JAY (le p_ Gabriel François): 2,354. LUCAS (le P.Jcan): 417.
LE JAY (Nicolas): 612. LUCIEN: 94, 96, 102, 224, 273, 288, 291,
LE MAISTRE (Antoine): 559, 614, 622, 301, 308, 368, 463, 464, 497, 676.
623-632, 634, 635, 642, 647, 671. LUCINGE (René de): 148.
LE MOYNE (le P. Pierre): 207,246,251, LUCR~CE: 136.
304, 322, 353, 355, 370, 379-391, 392, 402, LUILLIER (François): 582.
404. 409, 419, 423, 496, 612, 677, 678. LULLE (Raymond): 600.
682, 683, 702. LYCOSTH~NE (Conrad): 600.
L~ON X M~DICIS: 83, 87, 88, 91, 92, LYSIAS: 54, 412, 450, 588 .
191, 192, 203, 684.
LE PELLETIER (Claude): 552, 557, MAC GOWAN (Margaret): 14_
558, 567. MACHIAVEL (Nicolas): 81, 528, 529.
LE ROY (Louis): 429, 447450, 452, 454, MACROBE: 99, 299.
501, 504, 512, 665, 686. MODERNO (Carlo): 205.
LESCOT (Pierre): 428.
MAIER (Bruno): 89.
LEVI (Anthony): 544.
MAïER (Ida): 82.
L'HERMITE (Tristan): 597, 598, 617_
MAIMBOURG (le P. Louis): 410.
L'HOPITAL (Michel de): 38, 380, 432,
462, 472, 478, 479, 490, 499, 500, 539, MAINARD (François): 533.
540, 545, 552, 627, 666. MAIRET (Jean): 609.
LIBAN lUS: 180, 215, 216, 288, 291, 309, MAJORAGGIO (Marcantonio): 122.
394. MALE (Emile): 12, 257.
Lieux communs (loci communes): 7, MALEBRANCHE (le P. Nicolas): 19.
10, 17, 151, 158, 510, 588, 600, 638, 681. MALHERBE (François de): 267, 273,
LINGENDES (Jean de): 533, 534. 285, 321, 338, 353, 413, 434, 508, 509,
LIPSE (Juste): 63, 89, 90, 100, 125, 152- 523, 524, 531, 532, 533, 535, 542, 543,
159, 161, 164, 174, 180, 193, 194, 196, 216, 544, 546, 578, 583, 597, 613, 648, 652,
217, 219, 227, 229, 263, 272, 285, 287, 678, 699, 701.
290, 291, 307, 331, 397, 401, 402, 406, MALLEVILLE (Claude de): 649.
408, 500, 501, 525, 527, 531, 553, 555, MALVEZZI (Virgilio): 89, 90, 133, 199,
570, 580, 688, 705_ 217-219, 225, 285, 413, 654, 676, 691.
846 INDEX
MANGOT (Jacques): 470, 475, 486, 503, Mercure (dieu de l'éloquence): 23, 516,
551, 558. 538.
MANUCE (Paul): 110, 118, 120, 122, 162, M~RIDIER (Louis): 96, 261, 285, 3O-J.
164-168, 175, 177 ,191, 202, 225, 348, 308.
398, 472, SUl, 600. MERULA (Paul): 527.
MANZINI (Giambattista): 199, 220, MESMES (Henri de): 380,462,472,478.
222, 225, 595. MESMES (le Président de, frère du
MARACHE (René): 94, 96. comte Claude d'Avaux): 380, 381, 545,
MARBEUF (iPerre de): 533, 534. 567.
MARC·AURÈLE: 64, 484. Métaphore: 279, 680, 702.
MARCILE (Théodore): 514. MÉTRAL (Denise): 260.
MARESCHAL (André): 608. MICHEL (Alain): 45, 51, 52, 64, 90, 111.
MARGUERITE DE VALOIS (reine de 117, 168, 173, 317, 439, 440, 618, 645,
Navarre): 543. 659.
MARIANI (Michel Ange): 534. MICHEL-ANGE: 92, 206, 549.
MARIE DE M~DICIS: 242, 493, 502, Minerve (déesse de la sagesse, insépa-
512, 519, 521, 522, 569, 587. rable de l'éloquence): 23, 185.
MARILLAC (Michel de): 545. MINOZZI (Pierre Francesco): 199, 220,
MARINO (Giambattista): 198, 211, 212, 221.
213-216, 267, 302, 310, 375, 391, 533, 535, MlRAULMONT (Pierre de): 427.
601, 676, 702.
MARION (Simon): 237, 442, 549, 586, MIRON (François): 324.
624, 626, 650. Mode (novitas) : 68, 86, 369, 530, 691.
MARMONTEL: 3. MOHRMANN (Christine): 15, 71, 102_
MAROLLES (Michel de): 329, 533, 648, Moïse (modèle du sublime inspiré):
691. 465, 478, 479, 481, 508, 645.
MARROU (Henri-Irénée): 15, 70, 517. MOLE (Mathieu) : 443, 568, 578, 620, 628,
MARTIAL: 99, 145. 667, 686.
MARTIN (Henri-Jean): 27, 250. MOLHO (Raphaël): 4.
MARTINI (Pierre): 310, 395. MOLIÈRE: 82, 133, 417, 70S.
MARTZ (Louis): 259, 264, 420. MOLIERE (François-Hugues, sieur de,
MASCARDI (Agostino): 176, 192, 204, et d'Essertine): 533.
223-226. MOLINA (molinisme): 182.
MASSON (Papire): 445, 471.
MATTHIEU (Pierre): 285, 493, 691. MOLINO (Jean): 127.
MoUities (voir effoeminatio, asia·
MAU CORS (Piat): 534, 535.
nisme): 318.
MAUCROIX (Abbé François de): 607,
MONANTHEUIL (Henri de) : 547.
618.
MAUSSAC (Jacques de): 524-535, 537, MONSTRE LET : 427.
538, 542, 544, 547, 551, 575, 580, 594, MONTAIGNE: 70, 98, 104, 128, 131, 153,
601, 604, 616, 651, 667, 668. 171,194,213,226,264,265,273,277,307,
324, 331, 363, 368, 406, 408, 445, 451,
MAXIME DE TYR: 304.
463, 465, 47t, 490, 491, 492, 493, 494,
MAZARIN (le cardinal Jules): 179, 212. 500,SOI, SOS, 506, 508, 513, SIS, 536, 560,
MAZARINI (le P. Giulio): 218, 301. 588,604, 637, 644-645, 655, 677, 681, 686,
Méditation (voir (invention): 510, 703. 688,689, 695, 699, 700, 70S.
Medium (genus, voir moyen, style). MONTESQUIEU: 498.
« Meilleur style» (voir optimus stylus). MONTMORENCY (Henri de): 524, 526,
Mélancolie: 90, 127-134, 155, 156, 196, 533, 535, 569, 571, 608, 609, 633, 693.
319, 449, 664. MOREL (Frédéric): 253, 261, 301, 393,
Mémoires: 30, 129, 130, 166, 194, 347, 394, 478, 515, 554, 555, 563, 611.
351, 421, 689. MOREL (Jean de): 472, 473.
Menzoria: 49, 509, 598, 638, 681. MORET (le comte de): 252, 322, 344,
MÉNAGE (Gilles): 248, 556, 557, 588. 404, 533, 534, 535, 608, 691.
MÉNAGE (Guillaume): 588, 624. MORHOFF (Georg): 2, 3, 7, 354.
M~NAGE (Pierre Guillaume): 588, 589. MORIER (Henri): 12.
MÉNAGE (Mathieu): 588. MORNET (Daniel): 7, 8, 9.
Ménélas (modèle d'éloquence): 196,480. MORPURGO-TAGLIABUE (G.): 118.
MERCŒUR (François, duc de): 556. MOUSNIER (Roland): 236, 585, 586.
INDEX 847
Movere (voir fleetere, force, véhé- Orator (orateur): 16, 26, 27, 28, 30, 40,
mence): 49, 72, 75, 195, 488, 504, Sll, 44, 65, 74, 141, 154, 440, 443, 445, 464,
603, 618. 469, 623, 625, 633, 689.
Moyen (style, medium genus, tempera- Oratorius (modus): 40, 70, 95, 99, 122,
tus stylus): 74, 167, 196, 669, 672, 682, 125, 126, 169.
697, 754, 759. ORCIBAL (Jean) : 211, 334, 626, 627, 629,
MUNTEANO (Basil): 3, 15, 16. 630, 631, 632, 633, 638, 645.
MURET (Marc-Antoine): 5, 13, 57, 88, Ordre des mots (voir collocatio verbo-
99, 112, 115, 116, 122, 153, 154, 161, 162, rum): 50, 63, 456.
164, 168, 175, 178, 192, 197, 206, 215, ORIGÈNE: 134, 288.
217, 223-228, 380, 397, 398, 399, 400, 402, ORLÉANS (Gaston, duc d'): 571, 608,
406, 411, 433, 476, 500, 5fJl, 514, 516 693.
570, 600, 622, 633, 676, 685. ORLÉANS (Louis d'): 427-429, 493, 590.
ORMESSON (André d'): 597, 598.
NADAL (le P. Jérôme): 259, 260, 262, Orna tus, subst. (ornement, ornate di-
366, 379, 678, 680. cere, beauté oratoire): SO, 53, 55, 56,
Narcisse (modèle du sophiste): 114, 57, 59, 71, 73, 95, 101, 125, 148, 183, 187,
547, 594. 188, 288, 290, 291, 297, 310, 319, 388,
Narratio (voir demonstratio): 331. 389, 441, 457, S03, 649, 668, 692.
NATTA (Marc-Antoine): 123-126, 138, Orphée (modèle d'orateur): 37, 64, 68,
184. 318.
Naturel (voir facilitas): 149, 158, 184, ORS (Eugenio d'): 257.
185, 224, 401, 512, 550, 556, 575, 639, ORSINI (cardinal Alexandre): 191.
669, 688. ORSINI (Virginio): 191.
NAUDÉ (Gabriel): 1 ;n, 28, 42, 209, OSSAT (le cardinal Arnaut d'): 513,
255, 520, 584, 669, 670, 680. 546.
NAVAGERO (NAUGERIUS): 191, 397. Ostentation (ostentatio): 188.
Neglegentia diligens (naturel dans l'élé- Otium «< vivre noblement»): 65, 66.
gance) : 54, 62, 63, 73, 89, 146, 341, 487, 69, 485486, 589 .
556, 639, 670. OVIDE: 58, 145, 198, 229, 305, 598.
NESMOND (André de): 476. Oxymore (voir acumen): 160.
Nestor (modèle d'orateur): 196.
NEUFVILLE (Simon de): 112, 113, 116. PALLAVICINI (le P. Sforza): 178, 225.
NICÉPHORE CALLISTE: 253. PANAETIUS: 484.
NICOLAI (Jean de): 39, 405. PANIGAROLA (Francesco): 142, 143,
NIEREMBERG (le P. Juan Eusebio): 215, 216, 275, 301, 493, 665, 676.
292. PANOFSKY (Erwin): 85, 128.
Parisiensis (stylus): 78, 458.
NISARD (Charles) : 42, 213, 328, 333. PASCAL (Blaise): 19, 201, 327, 390, 391,
Nitor (poli du style): 65, 125, 399, 401, 490.
407, 574. PASCAL (Etienne): 552.
NIZOLIO (Mario): 111, 121, 122, 170, PASCHAL (Pierre): 464, 472, 547, 665.
600. PASCHINI (Pio): 136.
Nobilitas: 324, 325. PASQUIER (Etienne): 233, 235, 236,
NORDEN (Eduard): 219. 237, 241, 328, 331, 427, 429, 430, 440,
Nota (notatio, adnotatio, voir mé- 444, 445, 469471, 487, 490, 491, 492,
moire): 259. 494, 498, 499, 523, 526, 537, 539, 552,
Novitas (voir mode). 556, 574, 585, 586, 589, 591, 592, 615,
616, 625, 666.
Obscurité (obscuritas): 54, 401. PASQUIER (Nicolas): 324, 434, 537.
OGIER (Charles): 416, 545. PASSERAT (Jean): 380, 454, 514.
OGIER (François): 308, 329-334, 337, PASTOR (Ludwig von): 85, 92, 179.
405, 413, 416, 545, 546, 571, 652, 669, PATRIZZI (Francesco): 152,433,476.
671, 6n, 681, 699, 700, 701. PATRU (Olivier): 326, 605, 607, 612-622,
OLIVET (Abbé d'): 617. 631, 636, 647, 651, 670, 683, 692.
ONG (le P. W.J.): 457. PAUL DE TARSE (Saint): 124, 131, 142,
Optimus stylus (meilleur style, voir 145, ISO, 181, 186, 187, 331, 375, 403,
Idea): 23, 82, 83, 105, lB, 114, 178, 478.
196, 340, 400, 410, 621, 647, 657, 659, 688. PAUL III FARNESE: 172, 570.
848 INDEX
Sanitas (voir latinitas); 54, 65, 66. Severitas (sévérité, sérieux): 50, 90.
SANNAZARO (Jacopo); 202, 682. 198, 390..1. 459, 468, 687.
SANSOVINO (Francesco); 121. SE.VIGNt (Marie de Rabutin, Chantal,
SAPHO; 292, 304. marquise de): 19.
Sapientia; 23. SHAKESPEARE (William); 128.
SARPI (Paolo); 557, 578. SIGONIO (Carlo); 398.
SARRAU (Claude); 567, 628. Silence; 325, 517, 690.
SARTO (Andrea dei) ; 206. SILHON (Jean); 353, 693.
SAUMAISE (Claude); 19, 254, 255, 526, SIMONE (Franco) : 57, 145, 446, 554.
557, 567, 588. Simple (style, genus humile, sermo
SAVOIE (cardinal Maurice de); 213, humilis, simplicitas); 54, 59, 60. 61,
215. 62,73, 74, 80, 89, 148, 149, 156, 157, 173,
SAXL (Fritz); 128. 341, 342, 352, 353, 401, 402, 575, 669.
SCAGLIONE (Aldo); 14. 682, 683.
SCALIGER (Joseph Jules); 19, 39, 159, SINGLIN; 635, 641.
169, 171, 215, 237, 331, 405, 412, SIRLETO (le cardinal); 169, 174, 175.
416,522,523,524,557,579. SIRMOND (le P. Antoine); 693.
SCALIGER (Jules-César): 110,169,411, SIRMOND (le P. Jacques): 19, 249, 251,
411, 416, 419, 452-454, 461, 524, 525, 527, 252, 253, 254, 255, 299, 312, 326, 329,
529, 530, 531, 548, 551, 575, 580, 611, 362, 405, 416, 534, 577.
619-620, 622, 655, 656, 666, 668, 670, 705. SIRMOND (Jean) ; 693.
« Sçavans» (eruditi); 22, 23, 24, 125, SIXTE-QUINT; 179.
127, 468, 582, 6SO, 674, 687. SMIT (Anne-Marie); 82.
Scholasticus (modus); 40, 70, 95, 125, SOAREZ (Cyprien); 245.
143, 146, 198. Sobriété (sobrietas); 184.
SCHOMBERG (maréchal de); 700. SOCRATE; 49, 52, lOi, 130, 133, 449,
SCHOTT (Andreas); 287, 290, 291, 331, 450, 451.
404, 405, 406. SOISSONS (Louis de Bourbon, comte
SCIOPPIUS (Gaspard); 290, 328. de): 608, 693.
SCRIBANIUS (le P. Charles): 527. Sophiste (par opposition à orateur);
SCUDE.RY (Georges de); 220, 222, 353, lOi, 159, 299-310, 485488, 529, 538, 591.
581. Sophistique (par opposition à élo-
SEBILLET (Thomas); 470. quence); 23, 26, 66, 184, 185, 187, 188,
SEGNERI (Paolo); 139. 679, 701, 703.
SEGNI (Bernardino); 117. SORBIÈRE (Samuel); 693.
SE.GUIER (Pierre, chancelier); 381,
SOREL (Charles): l, 2, 4, 8, 354, 594,
410. 597, 600, 608, 611.
SE.GUIER (Pierre, président au Parle· SPERONI (Sperone); 118-120, 122, 136,
ment): 405, 443, 627, 628, 630. 167, 452.
sE.GUIER (Tanneguy); 410. Sprezzatura (voir neglegentia dili-
SEGUIRAN (le P. Gaspard de); 330. gens); 54.
SELLSTROM (Donald): 14. STAËL (Germaine de); 4, 5.
SE.NÈQUE le philosophe: 57-63, 73, 79, STANISLAVSKI (Constantin); 104.
82, 94, lOI, 139, 141, 158, 161, 171, 172, STAROBINSKI (Jean); 128.
m, 180, 188, 189, 196, 214, 215, 216, STEFONIO (le P. Bernardino); 178,
217, 219, 226, 229, 287, 289, 290, 317,
320,339, 351, 353, 364, 371, 372, 378, 384, 196, 200, 396.
403,413,437,451,456,463,483,484,485. STOBE.E: 94.
500, SOI, 553, 580, 610, 645, 676, 688, STRADA (le P. Famiano): 178, 190-202,
689. 204, 206, 219, 223, 224, 268, 286, 312,
SE.NÈQUE le rhéteur: 57, 99, 172, 215, 335, 340, 351, 354, 399, 402, 406, 407,
221, 236, 413, 439, 547, 676, 689. 420, 595, 622, 680, 684, 698, 702, 705.
Sententiae (sentences, traits, pointes): STURM (Jean): 225.
57, 61, 95, 96, 97, 98, 100, lOI, 198, 199, SUAREZ (le P. Francesco); 182, 194.
445, 463, 468, SOI, 509, 510, 668, 676, Suavitas (voir style moyen); 73, 74, 90.
681, 699. 196, 198, 681.
Serré (style ,voir brevitas); 59, 62. SUBLET (François, seigneur de
SERVIN (Louis); 39, 244, 328, 443, 578, Noyers); 250.
667. Sublime (genus, voir grand style).
'INDEX 851
PLANCHES
PLANCHE 1. - Portrait gravé de Marc Antoine Muret ornant les pages de titre de l'édition post-
hume, publiée par le p, Francesco Benci, S.J., des Opera Omnia de Sénèque le Philosophe,
Rome, 1585.
(Voir texte p. 170 et suiv. et biblio. n" 225.)
PLANCHE 2. - Frontispice du traité du P. Carlo Reggio, SJ., Ora/or Christian us, Rome, 1612.
(Voir texte p. 186-190 et biblio. nO 934.)
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PLANCHE l5. - Frontispice du traité du P. Nicolas Caus . . in. Eloquentiue S(lcrae et hunumae
parulie/a, La Flèche, 1619.
(Voir texle p. 286·298 et biblio. n" 852.)
PLANCHE 16 - Frontispice du traité du P. Nicolas Caussin, S.1., La Cour minte ou l'institution
chrétienne de" Grands, Paris, 1624.
(Voir texte p. 362-370 et bibl iD. n" 854.)
PLANCHE 17 - Frontispice du traité du P. Francisco de Mendoça, SJ., Viridarium sacrae el
profanae auditionis, Lyon, 1635
(Voir biblio. n" 949.)
PLAr-..:CHE 18. Frontispice du traité du P. Gérard Pelletier, SJ., Palatium regil1ae e/oquef1tiae,
Paris, 1641.
(Voir texte p. 343-349 ct hiblio. n" H84.)
PLANCHE 19. - Frontispice de l'ouvrage du P. Pierre Le Moyne, S.J., Les Peintures Morales, t. l,
Paris, 1640.
(Voir texte p. 379-391 et biblio. n' 874.)
LE PARADIS DES FIDELES MORTS.
PLANCHE 20. - Planche intérieure du t. Il de, Peintures Morales, Paris, 1643.
PLANCHE 21. - Frontispice du recueil Les Remonstrances de Messire Jacques de La Guesle.
Procureur General du Roy, Paris. 1611.
(Voir texte p. 476 et biblio. n" 557.)
PLANCHE 22 ~ Frontispice du recueil des Remorlstrances ouvertures de Palais et arretez prononcez
en Robes rouges par Messire André de Mesmond, ... Premier Président au Parlement de Bourdeaux,
Poitiers, 1617.
(Voir texte p. 476 et biblio. n" 618.)
PLANCHE 23. - Frontispice de l'ouvrage de Puget de La Serre, Le Bouquet des plus bel/es fleurs de
l'Eloquence, Paris, 1624.
(Voir texte p. 543 et biblio. n" 572.)
PLANCHE 24. - Frontispice de l'ouvrage de J. Dupré de La Porte, Le Pourtraict de l'Eloquence
françoise, Paris, 1621.
(Voir texte p. 536-543 et biblio. n" 483.)
PLANCHE 25. - Frontispice d'après un dessin de Nicolas Poussin. des Puhlii Virgilii Maronis Opera,
Paris, Imprimerie royale. 1641.
L'ILLUSTRATION DES TRAITÉS DE RHÉTORIQUE
ET D'ÉLOQUENCE
PLANCHE 1.
L'effigie gravée de Muret est ici héroïsée par l'ovale d'un camée à
l'antique et par les inscriptions latines: l'ouvrage posthume est traité
en tombeau fixant les traits définitifs de la gloire de l'humaniste fran-
çais, liée à celle de l'Eglise romaine et à celle de Rome.
PLANCHE 2.
PLANCHE 3.
PLANCHE 4.
PLANCHE 5.
PLANCHE 6.
PLANCHE 7.
PLANCHE 8.
PLANCHE 9.
PLANCHE 10
Dessinée par Antoine Caron, cette planche laisse supposer que l'édi-
tion Artus des Images ou Tableaux de Vigenère a été conçue dès la fin
du règne d'Henri III, comme la Civitas Veri d'Alphonse d'Elbène. Inter-
prétée dans son sens moral par deux quatrains d'Artus, sieur d'Embry,
l'image d'Ajax le Locrien saisi dans les replis de la foudre, de Jupiter
devient l'emblème de l'ubris humaine et de son inévitable châtiment.
PLANCHE Il
PLANCHE 12
PLANCHE 13
PLANCHE 14
PLANCHE 15
PLANCHE 16
PLANCHE 17
PLANCHE 18
PLANCHE 19
PLANCHE 20
Une des gravures de Grégoire Huret redoublant par l'image les des-
criptions morales du P. Le Moyne, au L. II de son traité. Ici, c'est l'inven-
tion poétique et allégorique du « Paradis des fidèles morts », où le P. Le
Moyne s'accorde la licence théologique, au nom de la vraisemblance
862 NOTICE DES PLANCHES
PLANCHE 21
PLANCHE 22
PLANCHE 23
PLANCHE 24
PLANCHE 25
INTRODUCTION .
Sénèque et Tacite. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. 57
Sénèque, les Letlres à Lucilius, 57-63 ; Sénèque le Rhéteur et Sénè-
que le Philosophe, 57-59 ; Sénèque à la fois tributaire et adversaire
de la «corruption de l'éloquence» décrite par son père. Son éthi-
du style philosophique, sévère dans ses intentions, 59-61 ; Sénèque
et Cicéron, 62-63.
De Pétrarque à Bembo 77
L'orgueil national italien s'identifie à la res/itlliio de la pureté latine
et au combat contre la barbarie du s/ylus schulaslicus. L'imitalio des
classiques, instrument de cette restitulio, 77-78 ; Doctrine de l'imita-
tion chez Pétrarque, 78 ; Progrès du cicéronianisme, et son apogée
dans la Rome des Papes, où il rencontre la tradition de la Secré-
tairerie aux Brefs, 79-81 ; Résistance de l'humanisme florentin: que-
relle Politien-Cortesi, 81-83; Querelle Pico-Bembo, origine de
l'Epis/ola De Imi/alione de celui-ci, 83-84; L'Epis/ola De Imilatione
et la quête de la perfection idéale, 85-9\ ; Europe du Nord et Italie:
un conflit plus vaste et de plus longue portée reprend et englobe
ce conflit Florence-Rome, 9\-92.
1. Us théoriciens 343
Le P. Grmrd Pelletier, 343-349; La supercherie du Palatium
Rerzinae Eloqllen/iae. Flatterie à l'égard de la Maison de Condé,
proche du trône, 3-\:1<114 ; Le P. Pelletier, précepte:1f du Dlic d'En-
ghien pendant ses t,tudes au Collège de Bourges, 345 ; Le Palafillm
de Pelletier et les Paralle!a dn P. Caussin, 3·15 ; Uile rhétorique de
l'imagination et dl' la variété que Ile traverse nulle inquiétude, 346-
347 ; L'imifalio adlllla de\'cnIJe principe pédagogique, 347 ; Une péda-
gogie de la virtuosité, 348-3·19.
Le P. Pierre Josset, 39-354; Les uscillations de la rhétorique
jésuite sous Louis XIII, 349 ; Une épopée de la rhétorique chrétienne
il Limoges, 350; I<héturique ct spiritualité, :J.~l ; Une rhétorique de
l'inRenium et de la variété. L'admiration du P. Josse! pour le stylus
sllbtilis de Sénèque, 351-52 ; Et pOllf son héritier fronçais, le style
de Balzac, 353; Le P. Jos,et énllmère des pcrivain, de son temps,
slir le mode de la c(>Jébr:Jlinn, 353; Son admiration pour I<onsard,
354 ; On retrouve il l'intérieur de la Compag:nie en France le même
écartèlement qu'en Italie entre atticisme sénéquicn et asianisme,
et les mêmes «scellements ignorés» entre Irs deux tefld:lr1ces, 354.
BIBLIOGRAPHIE . .. .. 707
INDEX. . .. .. .. .. .. .• .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. 837
À paraître:
Paul Alphandéry et Alphonse Dupront, La Chrétienté et l'idée de croisade;
postface de Michel Balard.
Annie Becq, Genèse de l'esthétique française moderne. De la raison classique
à l'imagination créatrice, 1680-1814.
Maurice Halbwachs, Les Cadres sociaux de la mémoire; postface de Gérard
Namer.
La reproduction photomécanique de ce /ivre
et l'impression ont été effectuées
par Normandie Roto Impression s.a. à Lonrai (61250)
pour les Éditions Albin Michel