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L'ÂGE DE L'ÉLOQUENCE

Rhétorique et « res literaria »


de la Renaissance au seuil de l'époque classique

Bibliothèque de
« L'Évolution de l'Humanité»
DU MÊME AUTEUR

L'État culturel: une religion moderne, Paris, Bernard de Fallois, 1991.

Héros et orateurs : rhétorique et dramaturgie cornéliennes, Genève, Droz,


1990.
MARC FUMAROLI

L'ÂGE DE L'ÉLOQUENCE
Rhétorique et « res literaria »
de la Renaissance
au seuil de l'époque classique

Albin Michel
Bibliothèque de « L'Évolution de l'H:tmanité »

Première édition:
© 1980 by Librairie Droz S.A., Genève
Préface et édition au format de poche:
© Éditions Albin Michel, S.A., 1994
22, rue Huyghens, 75014 Paris

ISBN 2-22606951-8
ISSN 0755-1770
Je dédie ce /ivre à la mémoir~
du KP. François de Dainville.
Michel DORIGNY, Polymnie, muse de l'Éloquence (1650?), Paris, Louvre.

Ce table;m, longtemps attribué à Simon Vouet, représente Polymnie,


muse de l'Eloquence. Selon Jacques Thuillier, il faut l'attribuer au gendre
et élève de Vouet, Michel Dorigny, et le dater des années 1650. Polymnie
est représentée assise en majesté sur le seuil d'un temple, dont les colonnes
cannelées, rythmées par couples, anticipent sur la conception très origi-
nale de la façade du Louvre par les frères Perrault. Son bras gauche est
appuyé sur un socle de marbre. De son bras droit, la muse donne un
échantillon de l'Actio rhetoricu : l'index dressé vers le haut, les autres
doigts artistement disposés, font de la main une entité oratoire, une
invitation douce mais ferme pour l'œil à écouter l'enseignement de la
muse. La muse parle en effet, son éloquence est orale, et son discours est
noté par écrit par un putto-secrétaire installé sur sa gauche. Son regard,
les plis délicats de sa tunique blanche, son geste et son attitude tranquilles,
tout annonce que sa parole est Douceur. Mais la vaste et majestueuse cape
de style « toge» dont elle est enveloppée, sa coiffure de reine tressée par un
~éseau de perles, annoncent aussi la Dignité et la Majesté de son discours.
A ses pieds, un lion, plus héraldique que réaliste, symbolise la Force, dont
la parole de la muse est capable, mais dont elle dédaigne de se servir
inutilement. Au second plan, on entrevoit un consul ou un imperator
romain, couronné de lauriers, et haranguant ses troupes, à qui il tend une
couronne en récompense de leur future victoire. La s.::ène lointaine se
déroule devant la façade d'un autre temple (assez semblable à la Maison
carrée de Nîmes) qui est très probablement le temple de la Gloire. Au pied
de la Muse, un putto ailé soutient une plaque de marbre sur laquelle on
peut lire le verbe SUADERE. Toutes les facettes d'idéal oratoire sont ainsi
concentrées par le peintre dans une vigoureuse image de rilémoire. La
Douceur est mise en avant, la Force et la Véhémence à l'arrière-plan et en
repos. Le rythme musical et la douce majesté périodique, symbolisés par
le chant des colonnes, sont placés au-dessus de la brièveté âpre et de la
rapidité véhémente O'ugudezu de l'ennemi héréditaire, l'Espagne) comme
symboles du meilleur style français. L'art de persuader est ici lié à l'exer-
cice d'une haute magistrature responsable et civile, son exercice est
récompensé par la Gloire. On a là un traité de rhétorique proprement
française par l'image, parfaitement accordé au classicisme académique et
royal qui prévaut à la fin de la Fronde, et après la victoire de la France
consacrée par les traités de Westphalie, au seuil du règne personnel de
Louis XIV.
PRÉFACE

Pour Alain Michel, l'ami de toujours.


Ce livre, que la IV' section des Hautes Études, alors présidée par
M. Michel Fleury, m'avait fait l'honneur en 1980 d'accueillir dans sa
collection publiée aux éditions Droz, à Genève, a connu la fortune interna-
tionale d'une sorte de samizdat savant, en dépit de son poids, de son prix
et de son tirage relativement faible. Conçu à une époque (les années 70) où
le structuralisme se posait à la fois en rival et en héritier du marxisme dans
les sciences humaines, ce livre échappe à ces ambiguïtés, mais son inspira-
tion est « structurale D. Cela n'était pas visible au moment où il a été publié
et je suis très heureux d'avoir bénéficié de cette discrétion. Je tenais
beaucoup alors à manifester ma dette et ma solidarité envers l'histoire
littéraire classique, qui m'a formé et que l'on maltraitait fort dans ces
temps-là. Maintenant que, quatprze ans plus tard, les éditions Albin
Michel veulent bien donner de L'Age de réloquence une réédition intégrale
dans la collection « Bibliothèque de L'Evolution de l'Humanité D, le recul
du temps et le calme revenu dans les esprits m'invitent à expliciter
davantage la méthode que j'ai suivie, que je tiens plus que jamais pour
féconde, et qui a valu à ce livre l'intérêt aussi bien des historiens çlassiques
de la littérature. que de structuralistes bienveillants et attentifs. A l'époque
où j'écrivais L'Age de l'éloquence, les maîtres des sciences humaines cher-
chaient des structures d'intelligibilité pour leurs diverses disciplines dans
la linguistique moderne d'ascendance saussurienne. Ce livre d'apparence
toute classique s'était proposé à rebours de comprendre l'histoire des
formes littéraires à la lumière de la plus ancienne structure générative de
discours : la rhétorique, l'ars bene dicendi. On ne l'appelait alors que
« l'ancienne rhétorique» et on la rangeait dans la colonne profits et pertes
de la comptabilité en partie double du progrès des Lumières. Une des
questions d'école les plus ardemment disputées était le rapport entre
« structure », notion platonicienne, et « histoire " notion héraclitéenne,
entre « phénomènes de longue durée» relativement stables, et événements
successifs et accidentels.

Historien de la littérature, je voyais bien dans la rhétorique une struc-


ture d'intelligibilité, mais contrairement à celles qui étaient alors à la
mode au Quartier Latin, c'était une structure vivante, susceptible d'une
II PRÉFACE

tradition évolutive dans le temps. Depuis toujours, elle avait concilié


spontanément et pour ainsi dire en marchant la structure et l'histoire. Elle
s'imposait donc à moi comme un phénomène de très longue durée, mais
capable, du fait de son profond ancrage dans la nature humaine, de
surprenantes métamorphoses de génération en génération, de lieu en lieu,
d'individu à individu. On pourrait qualifier cet oxymore, qui avait toute sa
vie fasciné Jean Paulhan, de « structure mère ", réunissant dans ses traits
constitutifs à la fois la transcendance d'une forme quasi pythagoricienne
et l'immanence quasi biologique d'un organisme vivant capable de s'adap-
ter aux changements de décor, de moment et de partenaires. Cette struc-
ture mère m'apparaissait aussi comme la souche mère de la civilisation
littéraire de l'Europe. Ce n'était pas son moindre attrait.
Vivante dans le temps, cette structure mère présente l'avantage pour
l'historien de rendre compte des phénomènes de tradition, de récurrence,
de réemploi, que l'on a volontiers aujourd'hui tendance à tenir pour des
formes de conservatisme paresseux ou de distinction de caste, alors que la
moindre expérience littéraire atteste aussi le principe de variabilité qui les
rend inventifs et fertiles. La rhétorique n'a pas de ces préjugés d'intellectuel
moderniste: elle prend acte du fait que l'on parle et l'on écrit dans le cadre
de ce qui a été déjà dit et écrit, et elle donne les moyens de dire du neuf dans
le cadre de ce qui a été bien dit et bien écrit. Mais elle a encore bien d'autres
mérites aux yeux de l'historien. Elle lui permet de saisir d'un même
mouvement et d'une même vue synthétique les différents étagements de
l'acte de parole, que la technicité et l'extrême spécialisation des modernes
disciplines du langage tendent à perdre de vue et à émietter, et que l'histoire
positiviste, de son côté, est toujours portée à réduire ou même à sous-
estimer au profit d'une juxtaposition de faits alignés sur le même plan. Or
l'histoire des hommes est faite au moins autant d'actes de parole que de
faits. La rhétorique donne accès à cet ordre symbolique qui a son autonomie
et sa puissance explicative, même s'il fraye son chemin parmi les fait bruts,
si tant est que des faits vraiment humains puissent être bruts.
Enfin, et c'était peut-être pour moi à ce moment-là l'essentiel, la rhéto-
rique était vivante pour les Européens du XVI' et du XVII' siècle dont il
m'importait de comprendre les témoignages littéraires. Elle donnait forme
à leur langage et à leur conduite, et elle leur donnait de surcroît les
instruments qu'il leur fallait pour se rendre compte à eux-mêmes de leurs
représentations. Le recours à la rhétorique comme instrument de compré-
hension de leur univers symbolique avait le mérite d'éviter toute projec-
tion arbitraire de nos propres schèmes modernes sur un passé qui en savait
plus long sur lui-même que nous. Elle ouvrait la voie à une redécouverte de
l'intérieur des institutions symboliques qui donnaient sens à leur parole,
et déterminaient celui que ses destinataires lui prêtaient.
L'homo rhetoricus est tout simplement l'homo symbolicus en action. J'ai
insisté sur la vie, le métamorphisme, la puissance de variation de l'art
traditionnel de bien parler. J'ai suggéré l'importance de ses enjeux pour
l'homme en société et pour la société elle-même auquel il appartient. Je
dois aussi mettre l'accent sur ses constantes, et sur son architectonique
qui donne forme et fécondité intérieure à cet être inachevé et si volontiers
informe: l'homme. On trouve en effet dans la rhétorique, surtout lorsqu'on
PRÉFACE nI
la ressaisit dans sa version classique - cette synthèse romaine qu'en
proposent Cicéron et Quintilien - une simple et forte architecture au
fronton de laquelle on est tenté de lire la devise placée par Platon à l'entrée
de son Académie: « Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre. » Ce temple
invisible de la Parole est régi en effet par le dénombrement. La génération
du discours persuasif type obéit à cinq étapes: invention, disposition,
mémoire, élocution, action. La disposition du discours type s'organise
elle-même en cinq parties ": exorde, narration, confirmation, réfutation,
péroraison. Ces cinq parties renvoient à trois partenaires: l'orateur qui
veut persuader, l'interlocuteur qu'il doit persuader, et son contradicteur
qu'il doit réfuter. Le temple est aussi un théâtre. Cette parole dont il abrite
et régit l'exercice est aussi un dialogue et un acte. Les conventions aux-
quelles elle est soumise sont connues et communes pour les différents
protagonistes, les personae, du drame. On compte trois sources de la
réussite du discours: la nature de l'orateur, l'art qui parachève ses dons
naturels, et l'exercice qui fait de l'art une seconde nature (la facilitas). On
dénombre trois facultés de l'âme qu'il importe de développer par l'art et
l'exercice: le feu du talent (ingenium), le bon sens et le goût (judicium) et
la mémoire (memoria). On classe les discours en trois genres: le judiciaire,
au tribunal, le délibératif, dans les conseils politiques, le démonstratif,
dans les cérémonies et les fêtes. Le temple et le théâtre contiennent donc
la Cité. Ils donnent forme aux différents moments et instances de dialogue
où intervient un discours public. Toute rhétorique implique une sociologie
des rôles sociaux et des institutions où ils prennent sens.
On compte trois finalités du bien dire: convaincre (docere), plaire
(de/ectare), émouvoir (movere), qui répondent à trois saveurs majeures du
discours: la vigueur rationnelle, la douceur émotive, la véhémence pathé-
tique. La rhétorique ne peut être ni un rationalisme, ni un irrationalisme.
Elle suppose une théorie de l'entendement et des passions qui veut leur
synthèse: la raison, le désir et les passions (que la rhétorique s'efforce de
classer et de décrire en passions-modèles) sont inséparablement nécessai-
res à l'orateur, et celui-ci sait qu'il s'adresse au même composé humain que
lui-même.
Cette idée d'une nature humaine composée est elle-même inséparable
d'une épistémologie pratique. L'art de persuader, on l'a assez reproché aux
sophistes, doit tenir compte de l'opinion. Mais s'il se propose toujours de
la convaincre, il ne se ravale pas nécessairement à lui complaire. Il ne peut
se passer d'une critique de l'opinion, des passions et des émotions dont elle
se soutient, ni d'un appel au sens commun que l'opinion, les passions et les
émotions oblitèrent. On trouve à cet étage de l'art une autre triade, qui
gouverne son rapport au vrai: l'opinion (les lieux communs du moment),
,.le senscommun (les lieux communs fondés en nature et en expérience) et
" l'éloque'nêè de l'orateur, qui critique l'une pour la convertir à l'autre. Nous
sommes en effet avec la rhétorique dans l'ordre de ce que La Fontaine
appelle « les choses de la vie », où le vrai, le beau et le bien sont hors de
portée en ce qu'ils ont d'absolu, et où l'idéalisme platonicien doit compo-
ser avec le scepticisme et l'empirisme. Comme la littérature, elle fait son
miel des systèmes philosophiques, elle ne s'enferme dans aucun.
On range les styles de discours en trois degrés: le simple, le grand et le
IV PRÉFACE

moyen, dont le choix est déterminé selon plusieurs critères (la matière, les
circonstances, la nature ou le tempérament de l'orateur), tous pondérés
par le jugement, qui se détermine en fonction d'un sentiment harmonique,
le decorum, la convenientia. C'est ce sentiment harmonique qui gouverne
tout l'organisme oratoire. Dans la Cité antique, dans ses institutions, ce
sentiment est constitutif et facteur de l'équilibre politique de toute la
communau té.
On pourrait encore énumérer d'autres triangles ou pentaèdres qui ten-
dent à ajuster en un corps idéal (et facile à fixer dans la mémoire) les
principes du bien dire, simples et à l'épreuve du temps comme de la
diversité humaine. Ce corps idéal structure et coordonne à la fois la
puissance individuelle de génération du discours persuasif, et les condi-
tions de son exercice social en présence, en fonction ou à la place d'autrui.
Rien de moins autiste, rien de plus sociable que l'art romain de persuader.
Bene dicere : bien dire, cela équivaut en latin à bien montrer, à bien se
montrer, selon la racine *deik, *dik, que l'on retrouve dans le grec deik-
»luni. Bien montrer, bien se montrer, cela suppose au moins un partenaire
à qui la démonstration et la mise en scène de la persona sont destinées, et
qui est toujours libre de ne pas être persuadé par cette performance ou de
l'approuver.
Et cependant, même à s'en tenir à ses traits les plus élémentaires, ct'
corps idéal n'est pas figé dans une perfection abstraite, immobile et
néoclassique comme dans le marbre d'une statue de Thorwaldsen. Ce n'est
pas non plus une prothèse mécanique ou un « grand mannequin }) (Dide-
rot) apposés sur l'homo loquens. C'est un corps artiste et vivant, une sorte
de système nerveux sympathique de la parole: il comporte des variahles
qui lui permettent, sous les optiques les plus différentes, de prendre, et
même avec grâce, des formes et des attitudes accordées aux situations les
plus opposées. Ses trièdres et ses pentaèdres se plient à une combinatoire
qui leur donne une marge très souple de jeu. C'est ainsi que l'invention
suppose à la fois de l'ingenium, de la memoria et du judicium. Or l'ingenium
(degigno, engendrer: c'est la puissance générative de l'esprit) varie du tout
en tout, en quantité comme en qualité, d'un être humain à un autre. Il peut
être chez l'un talent, chez l'autre génie, chez d'autres encore belle mécani-
que de surdoué, selon une gamme de lumière et d'obscurité inventives et
cognitives qui varient à l'infini. Il en va de même du judicium, plus ou
moins développé selon les sujets, d'autant qu'il met en jeu à la fois le
rationnel, l'émotionnel et l'appétit.
La memoria, Dame Frances Yates l'a montré dans un livre qui a rait date,
The Art of Memory (L'Art de la mémoire, Paris, Gallimard, 1975) n'est pas
seulement une faculté plus ou moins naturellement développée: c'est aussi
un art dont le poète grec Simonide (l'auteur de la sentence fameuse: « La
peinture est une poésie muette, la poésie est une peinture parlanie ») passe
pour avoir été l'inventeur. Cet art qui vainc l'oubli (en associant notam-
ment la parole et l'imagination) ne permet pas seulement il l'orateur de
prononcer son discours de mémoire comme s'il l'improvisait dans l'instant
(c'est un des secrets de la facilitas, du « naturel ») . il construit une
tradition, un dialogue avec les morts; tradition littéraire et art rhétorique
de la mémoire sont synonymes. La mémoire de l'orateur emmagasine: des
PRÉFACE v
textes classiques, elle les range par « lieux» et elle offre ainsI a son
invention les ressources de savoir et de parole accumulées par l'expérience
de nombreuses générations. Ce sont les « précédents» d'une jurispru-
dence de la parole tout à fait analogue à la jurisprudence du légiste, un
« droit naturel » qu'il est toujours loisible d'opposer à l'opinion artifi-
cieuse du moment. L'art de la mémoire ne se contente donc pas de suppléer
à la mémoire naturelle, il élargit et approfondit aux dimensions de toute
une communauté, coprésente dans ses textes classiques, les capacités de
pensée et de parole du sujet oratoire.
Cette structure trine du bien dire, inséparable d'une sociologie, d'une
théorie de l'entendement et des passions et d'une épistémologie pratique,
suppose aussi bien une anthropologie ou typologie des tempéraments, des
caractères, des humeurs, des goûts, des âges de la vie qui complète sa
typologie des passions, et cet ensemble de prénotions pourvoit l'orateur
d'une science expérimentale de la nature humaine, définie avanltout par
la vaste variété de ses aptitudes à la parole et à l'intelligence de la parole.
La mobilité et l'adaptabilité de cette structure, éminemment propice à
l'éducation des enfants, sont surprenante;" même si on la saisit, comme je
le fais ici, sous l'angle le moins favorable, parce que simple et simplirié.
Sur la trame des ci1lq parties du discours type, pour s'en tenir à cct
exemple, on peut en effet se livrer, en fonction de critères que le jwliciulI1
est maître d'apprécier, à des permutations, des retranchements, des
adjonctions qui laissent intacte la norme, tout en l'assouplissant aux fin,
et aux intentions les plus diverses. Ce pentaèdre rhétoril/uc, bien qu'il
apparaisse assez t~rd dans la théorie antique du discours, est si heureuse-
ment construit qu'il permet même de comprendre rétrospectivcment des
formes antérieures à la rhétorique. Le genre narratif par excellence,
l'épopée homérique, ignore ces cinq parties, et pour cause. Or la narration
homérique contient les quatre autres parties du discours que définira la
rhétorique et ne les ignore pas. Elle les contient en germe et dans un autre
ordre. Commencer in medias res est une forme saisissante d'exorde, qui
rend nécessaire des retours en arrière complétant la narration; celle-ci
s'achève dans le poème par une péroraison qui referme le cycle narratif. La
mémoire est partout dans l'Iliade: répétitions formulaires, qualitatifs
« homériques », métrique: tout y est fait pour facili ter le travail de gravure
de la parole, dans l'esprit du récitant comme dans celui de l'écoutant.
Pour autant, l'argumentation dialogique (la confirmation et la réfuta-
tion) n'est pas absente de ce chef-d'œuvre pré-rhétorique. On a hientôt
aperçu, dès l'Antiquité hellénistique, que la narration homérique est
allégorique, et qu'elle enveloppe, sous son integumel1fWIl, des disputes
particulières autour d'une question générale : la colère d'Achille. La
narration est bien hypertrophiée dans l'lliade, si on la mesure à la place
qu'elle tiendra dans le discours de l'orateur de l'agora. Elle n'est déjà
parfaite et exemplaire que parce qu'elle enveloppe les quatre autres parties
du discours type, comme si elle était son anamorphose prophétique. Loin
d'être étrangère au chef-d'œuvre originel de toute littérature, la rhétorique
est en quelque sorte son héritière. Au XVIIe siècle, on cite souvent les trois
héros de l'Wade, Agamemnon, Nestor et Ulysse, comme les prototypes
d'orateurs et même les emblèmes des trois degrés de style. L'lliade était
VI PRÉFACE

comprise comme un formidable agôn, à la fois tribunal et théâtre, autour


d'Achille, héros, victime et coupable, dispute où la parole et l'acte échan·
gent leurs pouvoirs et font avancer le procès du héros, qui est aussi S('II
drame. Il est significatif que la crise de la rhétorique, à la fin du XVII' siècle,
ait coïncidé avec une Querelle d'Homère.
La notion clé qui gouverne tout le corps de l'art de bien dire, son plexus
solaire, c'est, je l'ai dit, le prepon grec, le decorum, la decentia, la cOl/ve-
nie/llia des Romains. C'est une notion d'essence harmonique, que Nicolas
POllssin au XVII' siècle, « antique» dans l'âme, faisait comprendre à ses
correspondants en invoquant la théorie des modes musicaux. Le decorum
peut être ritualisé, objectivé, institutionnalisé, ne laissant place à aucune
variation et exigeant même une discipline exacte définie en relation avec
un ordre ab~olu et sacré. Mais il peut faire preuve à l'autre extrême de
l'adaptabilité la plus souple et sensible aux modifications impalpables de
l'heure, du lieu, du moment, de l'humeur, bref de la conjoncture Ulle
harmonie heureuse et improvisée qui se modifie sans cesse, mais san;:
cesser pour autant d'être harmonie. C'est la tendance romaine, qui sv
dérobe par là à la tendance byzantine et orientale. Ni decomm, ni cO/lve-
Ilielltia, ni Jecentia ne sont dans la tradition romaine, même liturgique, des
codifications figées. Ils changent de sens et de style selon les époques, les
régimes, les milieux, les individus, tout en maintenant intacte cette exi-
gence d'acco"c! entre la parole, le geste, et la nature du drame qui les
postule. On peut [aire à bon droit de cet accord fuyant, mais toujours à
retrouver, l'essence forte et vivante de l'art romain de bien parler.
Les trois stvles que distingue Cicéron, et dont chacun convient à un
contexte instItutionnel ou circonstanciel ditlérent, sont si peu figés dans
leur définition que le Père de l'éloquence romaine a pu les associer à trois
écoles oratoires: le style simple, à l'école des Vieux-Romains lesquels,
comme les :1tticistes grecs, se refusaient aux ornements de la Grèce
décadente; le style grand ou magnifique, à l'école asiatique, luxueuse cl
ornée; et le style moyen à sa propre école, où l'on apprenait à n'avoir pas
un style mOilocorde, mais à doser son propre style de façon vivante dans le
fllême discours, simple quand il le faut, grand et véhément quand il le faut,
grand é:( magnifique quand il le faut, moyen enfin quand cela s'impose, à
mi-chemin de la grandeur ct de la simplicité. Ce trièdre atticisme!
asianisme/naturel est certainement celui qui ajoué le rôle le plus détermi·
nant dans la conscience historiqc:e aussi bien que littéraire de l'Europe,
~l1ciel1nc et moderne, Chacune de ses facettes ne suppose pas seulemeni
un parti pris stylistique (donlles d~[inili(Jns peuvent beaucoup varier d'un
auteur à j'autre, d'une génération à l'autre, d'un lieu à un autre), mais un
sentiment du temps. Tragiquc chl'~ les attilistes, ce ,entiment est lié il hl
hantise de la « décadence » et de la corruption; optimiste, chez les asianis
I('s, Il est lié J l'euphorie du " progrès » des arts et des lettres, ct au
bonheur de célébrer des princes mécènes. Le « naturel » (notion essentiel·
lement française au XVII' siècle, quoique d'origine cicéronienne) ne veut ni
renoncer à la sévérité tragique de l'attici,mc ni à la bonne humeur
historique Je l'asianisme, et il y réussit dans l'enjouement supériem d'un
Pascal, dans l'ironie généreuse d'un Molière, dans la terrible lucidité di?
Racine voilée par le chant.
PRÉFACE VII

L'attjcisme du XVI' et du xvn' siècles a ses maîtres chez Sénèque et che;


Tacite. L'asianisme trouve les siens chez Ovide et chez l'héritier le plus
« fleuri )} de Cicéron: Pline le Jeune. Le «naturel », d'essence ciCérD-
nienne, cherche de divers côtés (Virgile, mais surtout Horace) à concilier
simplicité et profondeur, gravité et sourire. Ici encore nous trouvons dan~
cette trinité mobile, liée à une subtile jurisprudence d'auteurs divers. llIl'
structure d'intelligibilité parfaitement présente à l'esprit des contelTl)w
rains lettrés. Mais il est impossible de l'appliquer mécaniquemc'nt Eil,;
suppose, chez le savant qui s'en sert pour comprendre les conîli!s Je gOÎlt
et de style, un tact et un goût exercés, un sens aigu des couleui5 ct dcs
nuances littéraires, et une sorte d'antenne pour discerner les a!fil!l1é:i ,l
les répugnances si délicates et pourtant si décidée, lorsqu'il es[ qllC~tj01i
de style. L'historien moderne ne saurait être moins averti ct moins iniuitii
que ses hôtes d'autrefois à qui il rend visite.
Les théoriciens grecs, avant Cicéron, avaient opéré d'autres découpa!,-c'
et pris d'autres exemples dans leurs propres classiques: Thucydide l vi-
gueur), Isocrate (ornement), Platon (simplicité). La souplesse vivan\(>
recommandée par Cicéron est clle-même à l'origine de la doctrine tardive
d'Hermogène, qui introduit une pensée du style à facettes, admirable
combinatoire de ce qu'il nomme" idées)}: pureté, noblessc, rudesse, éclôt,
vigueur, complication, beauté, vivacité, naïveté, saveur, piquant, modéra-
tion, sincérité, sévérité, habileté. JI a été difficile depuis il la crilique
littéraire d'aIJer plus loin dans !'analy~e des effets d'un disc:ours, même s;
l'on peut - et 0n n'y a pas manqué ajouter de nouvelles nuances et
dissociations à ce\ « idées)) primitives, et découvrir entre elles de llouvel-
ics allianccs, On n'insistera jamais assez sur le sentillH'nl. q;]C ia rhétnri
que aiguise, dc ces « idées " qui sont en réalité des saveur;;, Llnnt Je pouvoir
de décrire et surtout d'affronter les nfrinités cl les inimitiés, non seule·
men! entre un autt'ur et sun Jecteur. mais f'ntr(' locuteurs et nuditeurs dans
la vie de société, échappe à l'nnalysc rationaliste des faits de langage. Ce
sentiment des saveurs, la rhétnrique l'aiguise par unc théorie des styles, de
leurs étages et de leur variabilIté. Les tr()i~ styles :ielon Cicéron deviennent
même, pour un rhéteur alexandrin qui est son contempcirain, le Pseudo-
Longin, l'étage inlérieur de ce qn'il appclle le sublime, « idée " du style
d'une tclle concentration ou'elic transcende toutes les aulr'~s : "bol!<,,",;'
les genres et les degrés, cIl:- ne sr définit plus que par sa soulce (LI gr;q,dc
âme) el par son dfel irrésistible. proche du miracle (!'<ic1mirat:"ii '..:
transport). La rhétoriljllF icL ,1\'âI11 mëme que le chrisliaifi."llt Le l'Cid
adoptée à ses fins propres, rejoint la mystique, et la paroi,- ,,,1::(1'.1\' :e
sentiment biblique du divif! Elle est df>Jà prête au l" siècl, JiKf"; >'.':;-
Christ a s'allier avec la throlog;L' ch,·t:tienne.
vuand on en vient à i\~l()cutIOll, il Id lexis g:r('(lj[i('. au\ :,',i!PI'}[i"S Ju
style, les figures de mot:, ft !C', figures de pensé,' ,Olit énurnrrées '"' ",é ':l'?
notrllnées ~elof1 les aufelP'''j (~C 1.1çon si d~l:crse el {{ nuveri;;: ", ove R:)ln:tr'
Jakobson, dans ~('~ t",i~jine}tfY dl! lir!J{lliqique a pl'~ P~up{)ser dt'
réduire le:; secendc,', a .JeLL\ ,·érlt.'s; rune ~vard ;1 sa h"-'tc fil ;nétapf'!nre et
i'-llItre b mélOnvmie. Ceslu!le délnarche rninim"liqc> très icgitimf', ;n(~Il'
~i on peur lui pr~i&rer, ce qui e~l fJI0[1 ,:;1S, celle de H,'innch 1:2I'b(·; g 1j1.!1,
à la même époo~le, fail le :iuccuknt in ".'ltdtrc. :iJ;,~ 'Oi! HCu:'j>:i'J, ,in
VIII PRÉFACE

Literarischen Rhetorik, de la profusion libérale des figures du discours


chez les théoriciens des diverses époques, et dans les textes eux-mêmes.
l.es anciens rhéteurs ont rangé les figures du discours dans la catégorie
de l'ornement, orna tus. L'appauvrissement sémantique du mot ({ orne-
ment" dans les langues modernes a favorisé un pli que même les plus
grands esprits ont pu prendre, et selon lequel le ({ fond" compte plus que
la ({ forme ", dont le caractère ornemental est à la limite superflu. Mais
l'orna/us antique n'a rien de commun dans son principe avec cette
" forme» prétendue que les esprits forts, aujourd'hui plus que jamais, se
targuent de dédaigner: ce serait un luxe et une perte de temps. L'ama/us
antique, comme le teint, le pouls, Je regard, la voix et la respiration,
symptômes d'après lesquels le médecin du premier coup d'œil jauge la
santé ou la maladie, c'est le discours lui-même, dans l'éclat qui manifeste
à autrui sa vigueur, sa jeunesse, son pouvoir d'attirer une réponse. Les
figures de l'arnatus, que l'on traile volontiers aujourd'hui de littéraires
avec une moue dédaigneuse, ont un lien organique avec la force de l'argu-
mentation, la capacité de plaire et celle d'émouvoir. Bien mieux, c'est par
elles que le discours respire et emprunte ses énergies à la nature, entendue
au sens antique de cosmos.
Bon nombre de ces figures relèvent en effet de la mimésis, de l'imitatia
Naturae. Si le discours est un ({ corps", par lequel l'urateur se montre à
autrui, ce corps est d'autant plus actif, désirable, contagieux qu'il y a,
comme on le dit dans les ateliers de peintre, de l'espace autour de lui, el de
la vie dans cet espace. L'orateur classique, quoique citoyen d'une Cité,
participe d'un univers naturel qu'il partage avec son auditoire, ct il tient
beaucoup à cc que son discours vive avec et de la Nature, car celle-ci parle
à tout être humain, même le plus fruste, un langage qu'il comprend
d'instinct. Les figures du discours peuvent être des miroirs de la Nature.
Les figures de mots imitent les rythmes ct les sonorités des phénomènes
naturels. Cicéron parle à cet égard du style comme J'une pluie bienfai-
sante, de sa véhémence comme d'un orage, et le Pseudo-Longin compare le
trait vif et sublime à un éclair.
La distribution du discours et ses parties relèvent de l'arborescence et de
la biologie beaucoup plus que de la géométrie. La correspondance macro-
cosme-microcosme est déjà implicite d,ms la langue des critiques anti-
ques, llui parlent du sang et des muscles d'un discours, ou de sa force
comme celle d'un athlète. Pour que cet athlète soit à son avantage, il faut
le montrer dans un paysage ou sur une scène animée. Les hypotyposes,
c'est-à-dire tableaux, portraits, descriptions, font voir à l'auditeur des
ciellx, des contrées, des villes, des campagnes, des personnages lointains
ou disparus.
Il y a du vrai dans l'idée que ces figures mimétiques renvoient en
dernière analyse à la métaphore, pour peu que l'on ne durcisse pas cet
aperçu en un « codage ", qui fige et mécanise les ressources du langage.
Une puissance générative prodigieuse est investie, et non pas « codée ",
dans cette figure majeure de l'ornatus capable de transporter l'esprit du
propre au figuré, d'un ordre du réel, à un autre, de l'inconnaissable au
connu, de l'invisible au visible, découvrant des rapports et ouvrant des
perspectives inconnues. C'est bien là, avec la syntaxe, qui articule autour
PRÉFACE IX

du verbe un réseau de relations nerveuses et mobiles, une des énergies


primordiales du langage. On le voit encore dans la métonymie, cette
métaphore oubliée et devenue invisible (la« voile au loin », les « armes qui
cèdent à la toge»), et qu'il revient à l'orateur et au poète de ressusciter
comme d'entre les morts. L'étymologie soutient ces miracles de la parole:
le travail redevienl ce qu'il menace toujours d'être, torture, si l'éclairage du
mot révèle le latin tripalium qui dormait dans ses entrailles; l'humilité
recouvre son pouvoir d'émotion et redevient un geste visuel chargé de sens
si le latin humus se réveille dans son sarcophage français: la terre à même
laquelle on s'agenouille et on se prosterne. L'enfance cesse d'être une
catégorie de consomma leurs si ce mot français s'entrouvre pour laisser
paraître l'infans latin, le petit être encore privé de parole. La fée retrouve
son pouvoir d'enchanter si le conteur réussit à réveiller le verbe latin fari
- parler, prononcer des paroles magiques - qui seul peut lui rendre son être
propre.
Les historiens de la littérature - et les écrivains parfois - se défendent de
la rhétorique, même au sens généreux où je l'entends, en l'opposant au
roman: la fiction narrative serait l'essence pure et indépendante de la
littérature. Cette autre résistance à la rhétorique entraîne pour la littéra-
ture contemporaine un principe de rétrécissement et d'anémie, et pour la
littérature d'Ancien Régime, une méconnaissance de sa véritable fonction.
Coupé de l'arbre rhétorique, le roman se retrouve pur sans doute, mais
bien fragile et bien exposé, surtout aujourd'hui où les torrents du livre et
de la communication l'emportent. Dans ses ressorts et dans sa genèse, le
roman est une branche vigoureuse de l'art de bien dire, et il n'y a rien de
déshonorant pour lui, au contraire, à avouer le tronc commun qu'il partage
avec les autres genres littéraires du discours: on résiste mieux en famille
que seul. Le premier trait commun entre le roman et l'art de bien dire, c'est
la narration, la seconde facette du pentaèdre générateur du discours type.
On sait, ou on devrait savoir, que dès le 1er siècle de notre ère, les « décla-
mations » dont Sénèque le Père s'est fait le sténographe dans ses Contro-
verses et Suasoires sont en réalité des plaidoyers d'école où la narration
hypertrophiée de « cas » imaginaires porte déjà en germe le roman, qui va
apparaître peu après, en latin, avec le Satyricon de Pétrone et les Métamor-
phoses d'Apulée, en grec avec Daphnis et Chloé, Théagène et Chariclée. Ce
qui manque encore, à l'époque de Sénèque, pour que le roman soit au
complet, c'est la conjonction de la narration avec une des figures majeures
de l' ornatus rhétorique, l'allégorie, ou métaphore continuée. Grâce à
l'allégorie, qui feuillette le sens, la narration - d'un « cas» au sens judi-
ciaire (ce qui jusqu'à nos jours est resté, Stendhal en est bon témoin, une
des « sources » favorites de l'invention romanesque) ou de tout autre fait
divers, serait-il autobiographique - peut prendre un sens second qui élève
le particulier au général, l'anecdote au mythe, la prose narrative à la
poésie. C'est la grandeur du roman. Il est vrai que nous sommes loin du
plaidoyer cicéronien. Mais puisque l'Wade elle-même n'a pas dédaigné
dans la Grèce hellénistique d'être célébrée comme la mère de l'art du bien
dire, on ne voit pas pourquoi le roman moderne refuserait d'avouer qu'il
est le fils de cet art généreux et générateur.
L'avantage que je vois, et pas seulement pour l'historien cette fois, à un
x PRÉFACE

retour à la rhétorique, c'est ce que cet art a de synthétique et de central,


dans une époque où l'analyse a disséminé non seulement les savoirs, mais
le sujet même de ces savoirs et sa capacité de se montrer à autrui.
Je viens d'évoquer, dans cette rapide et allusive anatomie du corps de
1'« oraison " la culture générale qui lui est inhérente. Au cours de ces
réflexions, nous avons dû traverser la sociologie, la psychologie, l'épisté-
mologie, l'anthropologie, la médecine, la critique littéraire, la religion, le
droit, la politique, la grammaire étymologique, la poétique.
La rhétorique les recoupe et les éclaire, tout en faisant son miel de leurs
ressources propres, au point où chacun de ces savoirs, quoi qu'il en pense,
est lui-même expérience de la langue naturelle, et ne peut se passer de bien
dire, sous peine de s'exiler sur cette île de Laputa si bien décrite par
Jonathan Swift. Ce caractère à la fois central et transversal de l'art de bien
dire est déconcertant et irritant pour nos habitudes modernes de travail :
le compartimentage entre sciences, sciences humaines, et parmi celles-ci,
entre sciences du langage très spécialisées, ne nous laisse d'espoir de
synthèse que dans une utopie de plus en plus improbable de pluridiscipli-
narité. Dans les faits, celle-ci se réduit le plus souvent à la juxtaposition
hasardeuse de savoirs essentiellement autistes. L'acte de bien parler,
autrement dit de s'adresser à autrui et de lui dire quelque chose qu'il
prenne vraiment pour lui, c'est en réalité l'humanitas même dont faisaient
grand cas les Anciens. Il n'est plus possible aujourd'hui de faire passer l'art
qui y prépare comme un luxe de riches oisifs et d'héritiers. La souffrance
moderne, le mal du siècle, est d'abord dans la perte de cette humanitas,
dans l'aphasie et l'amnésie qui nous gagnent, au beau milieu de la sura-
bondance des informations et des communications.
L'art de bien parler à autrui et pour autrui se soucie peu des spécialisa-
tions qui divisent. Il vise à créer les conditions favorables à ce « parler
ouvert - dont Montaigne dit qu'il« ouvre un autre parler, comme fait le vin
et l'amour ». L'idée maîtresse de la rhétorique, celle de se montrer à autrui
de telle sorte qu'autrui se montre à nous, n'est aujourd'hui si mal vue que
pour être inconsciemment et ardemment souhaitée. Rien n'a plus dispersé
et vaporisé le « je - et sa capacité de se construire en vue du dialogue avec
autrui que l'extrême spécialisation moderne des savoirs, réfléchie dans la
multitude abstraite des canaux d'information assiégeant cet « on » indiffé-
rencié que l'on appelle encore, avec une noire condescendance, 1'« indi-
vidu -.

II

En adoptant la rhétorique ainsi entendue comme méthode de compré-


hension du phénomène litttéraire, retrouvé dans son extension véritable,
je me suis découvert tout naturellement « pluridisciplinaire -, sans avoir
à me livrer à des exercices arbitraires.
Art de persuader, la rhétorique traverse le social, le politique, le reli-
gieux, elle embrasse et comprend d'une seule saisie tout le phénomène
humain, sans rompre ses attaches avec la philosophie, le droit, la morale,
la théologie. Elle gouverne aussi bien les gestes de la conversation civile
PRÉFACE XI
que ceux du comédien le pJus savant, les passions et les émotions les plus
contrôlées de l'homme d'Etat que les plus violemment ostentatoires du
tribun. Elle est à elle seule une expérience complète d'humanités parta-
gées. Art de la mémoire, elle relie les mots aux images, elle emmagasine les
précédents, enregistre les textes classiques et organise l'expérience, bref
elle met en route et fait durer des traditions, et notamment des traditions
littéraires.
Paulhan a parlé de la rhétorique comme d'un « Paradis ». Il veut dire par
là que, du point de vue de la rhétorique, on peut isoler l'ordre symbolique
et l'observer dans son libre jeu, enfoui ou voilé d'ordinaire dans le fouillis
de la vie empirique. Un savant, de la stature d'un Brian Vickers, a pu écrire
un livre entier In Defense of Rhetoric. Dois-je avouer que le détachement
gourmand de Paulhan et l'attitude défensive de mon ami Vickers ne me
satisfont pas? Je préfère déceler dans la modernité un déficit cruel de la
parole et un péril d'inhumanité qui demandent et qui finiront bien par
obtenir, comme dans l'Europe du xv' siècle, la renaissance dans l'école et
dans les études littéraires de l'art de bien dire.
A plus forte raison devons-nous refuser le sentiment confortable de
supériorité envers les hommes d'autrefois qui savaient et qui avaient sans
doute moins que nous, mais qui étaient peut-être plus « avancés» que nous
le sommes dans l'art de consoler, de converser, et de donner sens, forme et
profondeur à tous les actes de parole, depuis les plus conventionnels et les
plus humbles jusqu'aux plus éclatants.
La loyauté envers eux m'imposait d'aller à rebours de la mode: tout le
monde se jetait vers 1970 sur le passé pour en faire le terrain d'expérience
de schèmes et de méthodes modernes qui le labouraient comme le savent
faire aujourd'hui les machines, au désespoir des archéologues et des
écologistes. J'ai donc demandé aux formes du passé elles-mêmes leur
principe vital et générateur, et j'ai tenté de les comprendre, sans leur faire
violence, comme elles souhaitaient elles-mêmes d'être comprises.
C'était une tentative solitaire et risquée, à bien des égards prématurée.
L'étude des traités et des querelles de rhétorique au xv' et au XVII' siècle
était alors dans les limbes. Je ne pouvais m'appuyer ni sur des bibliogra-
phies, ni sur des travaux antérieurs, qui étaient alors rares et épars (CrolI.
Williamson, Mornet, le Mornet de l'Histoire de la clarté française, un
chef-d'œuvre, il est vrai). J'ai dû nager dans l'océan de la Bibliothèque
nationale, et me reconnaître à vue. Si j'avais aujourd'hui à refaire ce livre,
je le referais autrement de bout en bout, le purifiant sans doute de ses
défauts et de ses naïvetés, mais le privant aussi de cette énergie que donne
la découverte d'un continent neuf, et dont on prend possession d'une seule
vue féconde. Jean Molino a bien voulu, dans une recension, comparer
L'Âge de l'éloquence au magnifique ouvrage que l'ethnologue Geneviève
Calame-Griaule a consacré à La Parole chez les Dogons. C'est le plus grand
honneur que l'on pouvait faire à mon livre et à ses intentions.
L'époque que j'avais choisie, il est vrai, se prêtait presque idéalement à
l'aventure. Elle suit la victoire de la Renaissance et les soubresauts consé-
cutifs à la Réforme protestante; elle n'est pas indemne de guerres ni de
révoltes, et elle est parcourue à la fois par une profonde aspiration à l'unité
religieuse et par de fortes tentations de rétraction politique. Elle com-
XII PRÉFACE

mence à la paix de Vervins, qui rétablit la paix entre l'Espagne et la France


de Henri IV, et elle s'achève à la mort de Richelieu, quand les jeux sont déjà
faits: la guerre de Trente Ans,est à demi gagnée contre l'Espagne par la
France. Elle précède donc cet Age classique, au cours duquel l'hégémonie
française, acquise par les traités de Westphalie en 1648, est exercée avec
une autorité hautaine par« le plus Grand Roi du monde " Louis XIV.
Pendant cet « Âge de l'éloquence " Rome, au moins dans l'aire catholi-
que de l'Europe (France, Espagne, Flandres, Italie, Autriche et Allemagne
du Sud), est pour la dernière fois, et avec des difficultés de plus en plus
visibles, le pouvoir spirituel central et arbitral d'une Chrétienté euro-
péenne amputée par le Schisme. Appuyée sur les ordres réguliers par
définition supranationaux, anciens ou récents, notamment les efficaces
jésuites, le Saint-Siège travaille à maintenir l'unité dans ce qui subsiste de
catholicité (Paul V en 1606 interdit toute polémique sur les questions
touchant à la grâce). C'est l'heure ou jamais pour Rome de la diplomatie et
de la rhétorique. Car les Interdits et les Excommunications n'opèrent plus,
comme la résistance de Venise à Paul V l'a prouvé dès le début du siècle.
Les monarchies catholiques, et notamment la française, après l'arrivée de
Richelieu au ministère en 1624, jouent de plus en plus ouvertement leur
propre jeu sans tenir compte des objurgations romaines; la légation du
cardinal Francesco Barberini, neveu du pape Urbain VIII, à Paris puis à
Madrid, en 1627-1628, pour empêcher l'entrée en guerre des deux princi-
paux royaumes catholiques, est un retentissant échec.
Le déclin d.e l'unité romaine en Europe est contemporain de l'enhardis-
sement des Etats nationaux. La France de Richelieu imite Rome contre
Rome, et pour sceller autour d'elle un autre ordre européen, la monarchie
Très-Chrétienne veut maintenant établir une unité et un dessein nationaux
à l'intérieur d'un royaume où les divisions et les forces centrifuges l'ont si
longtemps emporté au XVIe siècle. La Cour de France découvre pour ses
propres fins les vertus de la rhétorique romaine, et l'un des actes les plus
intelligents de Henri IV est de ménager, pour lui-même et pour sa dynastie,
la fidélité inviolable des jésuites, si efficaces partout au service du Saint-
Siège. Des cardinaux, Du Perron, d'Ossat, en attendant Mazarin, jouent un
rôle essentiel dans cette trans/atio studii de la Curie romaine à la Cour des
Bourbons. Diplomatie de l'esprit, dont la Rome de Cicéron et d'Urbain VIII
a l'expérience millénaire, la rhétorique devient aussi au cours des deux
premiers règnes du XVIIe siècle français un auxiliaire de la Cour de France.
Ses cadres de dialogue atténuent les conflits internes de la société fran-
çaise. En leur donnant forme de querelles de style, elle sauvegarde son
unité sans obérer sa multiplicité. Jamais la rhétorique, dans son sens
romain et plénier, n'a été aussi déterminante qu'en ce moment de suspens.
Elle l'est à l'étage européen, où le Saint-Siège s'emploie à préserver une
unité latine de plus en plus improbable. Elle l'est à l'étage national, en
France, où le modèle romain est détourné et réemployé au service d'une
unité française de plus en plus probable.
En 1643, année de la mort de Louis XIII, paraît La Fréquente Communion
d'Antoine Arnauld. La France gallicane est désormais travaillée par la
semi-hérésie janséniste, après l'avoir été au xvI' siècle par l'hérésie calvi-
niste. En 1637, Descartes avait publié en français, avant toute traduction
PRÉFACE XIll

latine, le Discours de la Méthode. Ces deux ouvrages préparent l'hégémonie


intellectuelle de la France, selon une orientation qui se sépare cette fois
radicalement du magistère de Rome. C'est un tournant essentiel dans
l'histoire de la rhétorique et dans celle de l'Europe. Dès le début du règne
de Louis XIV, et cette fois en flèche par rapport à la politique de la Cour,
Arnauld et Nicole, dans la Grammaire générale et raisonnée ou art de parler
(1660), puis dans la Logique ou l'art de penser (1662), relayés par l'orato-
rien Bernard Lamy, dans sa Rhétorique ou art de parler (1670, rééd.
augmentées jusqu'en 1701), dessinent dans une audacieuse et originale
synthèse un cadre nouveau pour l'intelligence française. Ils l'affranchis-
sent de l'humanisme catholique et romain. En réalité, ce cadre nouveau
renoue, par-delà la Renaissance italienne, avec le Trivium de l'Université
de Paris et le modus parisiensis des régents de la Faculté des Arts : la
rhétorique est de nouveau prise en étau entre grammaire et logique, et
comme le souhaitait déjà le calviniste Pierre de la Ramée au XVI' siècle, les
médiations rhétoriques sont sacrifiées au profit d'une division entre
« fond. et « forme " entre invention logique et élocution grammaticale.
L'ornement et la variation, ces deux principes générateurs de l'abondance
rhétorique, sont désormais sur la défensive. La mémoire et les lieux
communs sont dévalués. Les figures sont tenues en lisière dans la gram-
maire et par le raisonnement. Un clinamen est ainsi introduit en France
dans la tradition de cette Renaissance italienne qui était devenue euro-
péenne au cours du XVI' siècle. Il ira s'amplifiant au XVIII' siècle, sous
l'hégémonie successive des Encyclopédistes et des Idéologues. Mon livre
s'arrête là où commence le clinamen français propre aux Lumières.
La période qui s'étend de Du Vair à Balzac en France, de Muret à Strada
à Rome, de Lipse à Quevedo à Madrid, est l'avant-dernière phase, et non la
moins éclatante, de cette Antiquité tardive qui, selon Joubert, s'est pour-
suivie jusqu'en 1715. Choisir la rhétorique comme principe d'intelligibilité
de l'histoire des formes en Europe avant 1715, c'est en effet admettre la
continuité ininterrompue, en dépit des bouleversements religieux, politi-
ques, économiques, d'une tradition qui va du v' siècle avant Jésus-Christ
- où l'art de bien dire émerge dans le débl.lt entre les Sophistes, Platon,
Aristote, Isocrate - à ce que j'ai appelé l'Age de l'éloquence, en gros la
période de la Réforme catholique militante. Les acteurs changent, la pièce
et les dimensions du théâtre aussi, mais les règles du jeu sont transmises
de génération en génération, et s'approprient avec une étonnante vitalité
les situations nouvelles les plus imprévues, leur donnant forme et sens. La
permanence d'un art de persuader, et des questions toujours reprises et
toujours ouvertes qui s'y rattachent depuis ses origines, permet de com-
prendre pourquoi il y a en Occident une institution littéraire, et pourquoi
elle échappe dans une certaine mesure aux effets du temps. Rome en est la
corne d'abondance et le principe central. Curti~s, dans son admirable
somme La Littérature européenne et le Moyen Age latin, m'a donné le
sentiment de cette continuité et de son secret. Panofsky, dans son livre sur
Les Renaissances dans l'Art occidental, m'a fait comprendre le rythme de
cette continuité, ses « cours et recours» pour le dire dans les mots de
Giambattista Vico: « décadences» suivies d'un retour aux sources, diasto-
les et systoles. Après Henri Marrou, Alain Michel, dans son livre Rhétori-
XIV PRÉFACE

que et philosophie chez Cicéron, m'a donné une autre clef: la synthèse
cicéronienne, en dépit du passage de la République à l'Empire, est le
vecteur central de cette tradition romaine; elle a fait la force et la durée du
Caput mundi, elle a contrôlé les oscillations d.! la parole romaine entre
brièveté et abondance, nudité et ornement, obscurité et lumière, elle a
retenu ou ramené les extrêmes vers un équilibre central toujours fuyant,
mais toujours recherché.
La résistance de la rhétorique ou plutôt ses renaissances successives, ses
corsi e ricorsi, dépendent pour l'essentiel de l'école, de la schôlé des Grecs,
de l'otium studiosum de l'enfance et de la jeunesse pour les Romains. Elle
peut disparaître, comme c'est le cas pendant des siècles pour toute une
partie de l'Europe, du vu' au xl' siècle. Elle peut prendre, comme c'est le
cas à Paris au XlII' siècle, et de nouveau après la disparition des jésuites en
1763, un tour vivement anti-rhétorique. L'empire de la logique et l'espèce
d'étau qu'elle forme avec la gr~mmaire étaient aussi sévères dans le
Çollège de Montaigu que maudit Erasme qu'elles le redeviennent dans les
Ecoles centrales de l'Empire dont Stendhal travaillera toute sa vie à
secouer le carcan rationaliste. La pédagogie des humanistes avait restauré
celle de Quintilien, elle avait rétabli la rhétorique cicéronienne comme
discipline littéraire de formation de l'honnête homme européen. C'est
cette pédagogie que les jésuites ont largement et générel!sement répandue
dans toute l'Europe catholique et en Amérique latine. L'Age de l'éloquence
montre dans la Réforme catholique le dernier chapitre, et non le moins
glorieux, de la Renaissance italienne, avant l'hégémonie du rationalisme
français et de l'empirisme aIlglaissur l'Europe du XVlll' siècle.
Mais pour comprendre l'Age de l'éloquence, il faut faire intervenir un
autre principe générateur de sa parole. Le passage du monde païen au
monde chrétien est la révolution la plus profonde, avant la révolution
démocratique, que l'Europe ait connue. Elle avait donné lieu cependant à
une véritable renaissance de la rhétorique, dont l'éloquence des Pères
latins et grecs est l'extraordinaire témoin. L'art d'argumenter dans les
questions de doctrine, l'art de persuader les fidèles et les païens, officia de
l'évêque chrétien, reprennent et approfondissent les formes oratoires
inventées dans la cité antique pour les consuls, les sénateurs et les empe-
reurs. Mais l'art de s'adresser à soi-même en présence de Dieu, ou de
s'adresser à Dieu lui-même, représente un défi extraordinaire pour un art
de bien dire inventé pour le Forum et pour l'Agora, par les citoyens de la
Cité antique. Désormais, il y a deux Cités, deux humanités (le vieil homme
et l'homme en route vers la grâce), deux ordres de réalités, le naturel et le
surnaturel. Le « corps idéal. du discours approprié à la Cité antique est
pourvu maintenant d'un double, « l'homme intérieur., dont le discours
est approprié à la Cité de Dieu. Les deux ordres et les deux corps restent
cependant sinon symétriques, du moins analogues et eml;lOîtés. Entre la
Cité terrestre et la Cité de Dieu, une grande médiatrice, l'Eglise, pourvoit
à cet emboîtement. La prière obéit aux principes d'une « rhétorique
divine ». Les gestes, les actes, la liturgie, les discours publics de la vie
proprement religieuse sont soumis à un decorum d'essence rhétorique.
Loin de somgrer avec le christianisme, la rhétorique romaine a donc
trouvé dans l'Eglise de Rome un second souffle et y a développé de
PRÉFACE xv
nouvelles virtualités, des formes inédites mais toujours capables de ~auve­
garder la multiplicité dans l'unité. Transporté et transposé dans l'Eglise,
l'art de Cicéron et de Quintilien s'approfondit mais demeure: son De
Doctrina christiana fait de saint Augustin, le Docteur de la Grâce, un
Cicéron chrétien, dont l'autorité est aussi vive à la fin du XVIIe siècle, même
pour le Grand Arnauld, qu'elle avait pu l'être au V' siècle après Jésus-
Christ. Les historiens aujourd'hui récusent la thèse du Déclin et Chute
imposée par les Lumières et par Gibbon. Ils préfèrent parler, après Henri
Marrou, Arnaldo Momigliano et Peter Brown, d'une Antiquité tardive au
cours de laquelle la civilisation romaine, loin de disparaître, s'est méta-
morphosée et perpétuée dans ceux des royaumes barbares qui l'ont adop-
tée et adaptée. De cette continuité inventive de la Romanité (je dois cette
notion à Alphonse Dupront), la rhétorique est l'un des principes les plus
efficaces. Elle survit à l'Empire, au paganisme, elle survivra même à l'essor
des langues romanes et des langues germaniques, qui n'accèdent à l'écri-
ture et à la littérature que sous son tutorat. Elle tend à une véritable
restauration à l'époque de la Renaissance. Pourquoi cette extraordinaire
persistance, pour ne pas dire cette transcendance, de Rome aux accidents
historiques?
La première réponse est d'ordre politique. La Cité terrestre, dans l'Eu-
rope postérieure à l'Empire romain, a besoin d'une discipline régulatrice
des discours. Comme le droit romain, avec lequel elle a de nombreuses
affinités, la rhétorique est génératrice d'ordre civil. Elle renaît et s'impose
dès que la violence et la guerre retombent. L'ordre romain, la loi et
l'~loquence, retrouve alors ses droits dans la vita activa de la Cité et de
l'Etat. Ces barbares qui, en se convertissant au christianisme s'étaient mis
à l'école de Rome, avaient une fois pour toutes montré la voie et donné
l'exemple. La rhétorique, épaulant le droit, définit l'autorité de la parole,
règle ses convenances et ses conventions, elle crée les conditions d'une
communauté politique partageant des habitudes stables, et avec elle, d'une
économie symbolique qui transforme ces habitudes en coutumes sans les
immobiliser ni les figer. Telle est la nésessité élémentaire de l'art de bien
dire qui, même au cours du Moyen Age chrétien, la fait réapparaître
obstinément de renaissance en renaissance.
Mais si, la rhétorique « à l'antique» est nécessaire en Europe à, toute
fo~me d'Etat, son destin est epcore plus brillant et fécond dans l'Eglise.
L'Eglise est seule au Moyen Age à hériter de la schôlé antique dans ses
monastères, dans ses écoles. Elle élève l'otium studiosum au rang de
vita contemplativa. Si le grand débat antique entre rhéteurs et philoso-
phes a pris fin, un autre débat s'élève dans la schôlé chrétienne, entre
rhétorique et théqlogie. C'est un des aspects les plus féconds et nova-
teurs du Moyen Age, dont nous avons encore aujourd'hui à prendre
toute la mesure. La rhetorica divina des moines donne naissance à la
théologie mystique, qui invente la lutte ascensionnelle ùe la parole et
de l'ineffable. Et la rhétorique argumentative des stoïciens donne
naissance à cette prodigieuse discipline: la théologie dogmatique des
Universités. La spiritualité mystique réconcilie Platon, Plotin et la
rhétorique. La seconde fait la synthèse, pour aiguiser l'énoncé du
dogme révélé, entre la logique stoïcienne et la révélation. Ce sont les
XVI PRÉFACE

deux grandes sciences sacrées que l'Église médiévale a inventées, avec


le Droit canoniql!e.
Mais le Moyen Age,ne se résume pas à ces hautes spécialités contempla-
tives et savantes. L'Ecole de Chartres au XIIe siècle, la chaire chrétienne
illustlée par l'éloquence de saint Bernard de Clairvaux, attestent le souci
de l'Eglise de ne pas enfermer la foi dans les cénacles de clercs. Rome, le
principe d'unité de l'Europe latine, n'a jamais séparé la théologie, qui
énonce le dogme, de la rhétorique, qui en fait un principe de vie religieuse
et d'humanité. C'est ce souci romain qui l'emporte chez les humanistes
italiens et qui leur a valu la faveur des papes. Ils cherchent dans le
renouveau de l'art romain de bien dire une extension de la civilisation
chr~tienne, et un sentiment plus affiné du dialogue. Nul n'a mieux formulé
qu'Erasme, leur disciple, cette volonté de corriger par la rhétorique l'au-
tisme et le dogmatisme des spécialistes parisiens:
« Jusqu'ici, écrit-il, de la liste des doctes étaient exclus ceux qui par-
laient avec un peu plus de politesse; et les professeurs ne tenaient dignes
de leur tableau que celui qui était capable de jargonner avec eux. Et la
première parole qui venait spontanément à la bouche était la suivante: il
est grammairien donc non pas philosophe; il est rhétoricien, donc non pas
juris,consulte; il est orateur, donc non pas théologien. » (Lettre 862).
L'Age de l'éloquence rassemble donc les énergies de la rhétorique anti-
que retrouvées par la Renaissance italienne, les énergies de la rhétorique
des Pères retrouvées par la Réforme catholique, et le fonds médiéval de
spiritualité monastique maintenant « démocratisé» auprès des laïcs par
les Exercices spirituels de saint Ignace, par les méthodes d'oraison de Louis
de Grenade et de Philippe Neri. C'est le siècle d'or de la pédagogie des
jésuites et de l'éloquence sacrée. Dans une sorte de feu d'artifice ultime de
l'antique ars bene dicendi, la Romanité déploie toutes ses ressources pour
sauver l'unité menacée, de l'intérieur comme de l'extérieur, de la Chré-
tienté européenne. « Il est beau de tenter des choses inouïes », fait dire
Corneille à l'une de ses héroïnes, Ildione, dans Sertorius. Même si ce
combat a été perdu, il a offert pendant près d'un siècle un des plus
superbes spectacles que puisse offrir le théâtre de la Parole. Il y a du roman
de chevalerie, très sensible chez les disciples de l'hidalgo Ignace de Loyola,
au fond de cette foi ardente dans le pouvoir du style et des symboles de
réunir, de recréer une large communauté vivante et humaine englobant
ces innombrables sodalités spirituelles, nationales, municipales qui font
la vie diverse de l'Europe catholique. Même la France, celle que l'Abbé
Bremond et son Histoire littéraire du sentiment religieux nous ont révélée,
est pour queIqu~s décennies, entre 1600 et 1630, tentée de se ranger, en
fille aînée de l'Eglise, dans cette communauté européenne que Rome,
depuis le Concile de Trente, s'efforce par les pouvoirs de la parole de
maintenir vivante et contagieuse en dépit de la déchirure du schisme.
Après les traités de Westphalie, la déchirure est consommée, même dans
l'aire catholique. La France de Louis XIV prend alors la lourde responsabi-
lité d'arbitrer elle-même par les armes cette Europe travaillée par des
divisions irréparables.
Une des vertus du point de vue rhétorique, c'est qu'il fait apparaître,
sous la confusion des accidents historiques, de grandes nervures qui
PRÉFACE XVII
articulent à leur)nsu les phénomènes de discours et donc les phénomènes
de civilisation. Etant à la fois élémentaire et susceptible de raffinements
singuliers, la discipline oratoire relie en effet des ordres de faits que
d'ordinaire on perçoit isolément: elle fait voir ce qui rend inséparables les
institutions (politiques, religieuses, enseignantes), les sodalités diverse-
ment étagées et emboîtées, et le style qui symbolise et caractérise chacune
d'elles. Dans ces styles institutionnels convergent et se résument une
mémoire, un art d'argumenter, un art de figurer dont la composition
moule une forma mentis qui doit rivaliser avec d'autres, s'aiguiser contre
elles ou disparaître. Et cependant le régime rhétorique de la parole crée un
fonds commun qui permet à cette diversité et à cette variété de ne pas
perdre de vue le sens de son appartenance à un ensemble de civilisation
plus vaste1 et de s'y référer pour éviter les ruptures irréparables.
Dans L'Age de l'éloquence, j'ai fait apparaître, sur fond de la souche mère
antique, ravivée par la Renaissance et par la Réforme catholique, une série
contemporaine de ces « forums symboliques» : la France gallicane, celle
des légistes et celle des ecclésiastiques; la Rome pontificale, et l'une de ses
alliées les plus vigoureuses, quoique récente: la Compagnie de Jésus. J'ai
laissé entrevoir un autre forum symbolique: l'Espagne catholique, avec sa
bipolarJté Flandres-Castille, rivale de la France Très-Chrétienne à la fois
dans l'Eglise et dans l'Europe. Attachées à ces lieux de discours, on voit se
lever de grandes configurations dessinées par des modèles rhétoriques
différents. Ces constellations peuvent avoir pour répondant tel « génie du
lieu», elles entrent en rivalité et se modifient souvent réciproquement en
un même lieu. C'est ainsi que Cicéron et le cicéronisme dominent à Rome,
et les jésuites se font leur vecteur de diffusion international dans la langue
latine. Mais Rome et les jésuites ont aussi une forte emprise sur Paris, sur
le Paris de Guillaume du Vair et de Guez de Balzac. En revanche, Sénèque,
Tacite et l'atticisme qui s'en réclame l'emportent en Espagne et en Flan-
dres. Ils exercent leur empire sur l'Italie hispanophile. Mais il s'agit d'un
cicéronisme et d'un sénéquisme tridentins, c'est-à-dire des variantes
rhétoriques de l'augustinisme théologique.
On trouve ainsi un augustinisme cicéronien, franco-romain, lié à une
théologie équilibrant la grâce et la liberté, et un augustinisme sénéquiste,
plus sombre et sévère, hispano-flamand. En Espagne, comme dans l'Italie
hispanophile, le sénéquisme augustinien s'accorde volontiers avec la
théologie mystique franciscaine. En Flandres, il sert d'arrière-fond, dans
les débats de la Faculté de théologie de Louvain, à une théologie de la
prédestination baianiste, puis janséniste. Fort peu mystique, accordé au
génie gallican, le jansénisme de Louvain trouve à Port-Royal un dévelop-
pement français tout à fait singulier, à la fois doctrinal et littéraire, purifié
du sénéquisme de ses origines flamandes, fer de lance de 1'« exception
française ».
Sans rompre l'unité de foi ni l'obédience à Rome, on voit ainsi rivaliser
des sodalités et des forums rhétoriques dont on peut décrire autrement et
plus complètement, sans doute, la géographie et les étagements, mais dont
on ne peut contester ni la présence ni la configuration à la fois une et
multiple. Ni le Zeitgeist baroque, ni cette sociologie qui présuppose der-
rière toutes les représentations un pouvoir ordonnateur et ordinateur, ne
XVIII PRÉFACE

peuvent rendre compte, aussi équitablement que ne le font les catégories


de la rhétorique, de cette conjonction de styles et de goûts opposés. Dans
la rivalité et dans le dialogue, nations et cités, familles spirituelles et
institution~ rivales de l'Europe catholique sont demeurées malgré tout, au
cours de l'Age de l'éloquence, à l'intérieur du Forum universel que Rome
s'attachait à leur proposer.
Si le seul résultat que j'ai obtenu est de montrer que l'histoire littéraire
peut êtr:e harmonisée à l'histoire générale, et qu'elle contribue à com'pren-
dre 1'« Evolution de l'humanité ", je me résigne volontiers à voir L'Age de
l'éloquence révisé et même bouleversé par des recherches ultérieures
auxquelles se livrent et se sont livrés déjà mes élèves et ceux d'Alain
Michel, à qui j'ai voulu, et c'est justice, dédier la réédition de cet ouvrage.

Marc FUMAROLI
avril 1994.
INTRODUCTION

Cet ouvrage s~ veut une contribution au développement d'une disci-


pline qui demeure en France peu assurée de sa légitimité et de sa
possibilité même: l'histoire de la rhétorique dans l'Europe moderne.
Cette discipline ne manque pas cependant de quartiers de noblesse,
puisqu'elle est aussi ancienne que l'histoire littéraire elle-même. Au XVI"
et au XVII' siècles, il n'est pas de bibliographie ni de traité de bibliothèque
- forme nouvelle de la mnémotechnique oratoire - qui ne comporte un
panorama critique et historique des auteurs de rhétorique. En 1593, dans
le chapitre Cicero qui couronne sa Bibliotheca se/ecta, le Jésuite Possevin
dresse un inventaire des ouvrages de rhétorique antique propres à former
une culture d'orateur. Pour lui, toutes les disciplines particulières dont il a
successivement traité, de la théologie à la médecine et à l'histoire
naturelle, n'ont de sens que comme « sources» d'un art oratoire, promu
par l'humanisme au sommet de l'arbor scientiarum. L'encyclopédie huma-
niste, en dépit de sa diversité menacée déjà par la spécialisation, retrouve
son unité dans un art de la parole. Et l'histoire-bibliographie de la
rhétorique est elle-même un chapitre de celui-ci, propre à desserrer ce
que peut avoir de «géométrique» la rhétorique scolaire. Dès 1620, le
Jésuite français Louis de Cressolles, dans son Theatrum Veterum Rheto-
rum, consacre un ouvrage séparé à l'histoire de la sophistique antique:
il s'agit, pour le plus grand bénéfice de la culture oratoire, de faire un
bilan de ce qui, chez les sophistes, doit être condamné, et de ce qui, dans
leur vaste expérience de l'art de persuader, peut être mis à profit.
Si Naudé, en 1627, dans son Advis pour dresser une bibliothèque,
ignore les auteurs de rhétorique et ne fait de place, en pur érudit, qu'aux
c Répertoires» de lieux-communs (p. 64), il n'en va pas ainsi de Charles
Sorel, qui se souvient de Possevin pour composer sa Bibliothèque
Flançoise, en 1664. Toutefois, le chapitre Des livres qui apprennent à
parler avec éloquence intervient cette fois en tête de l'ouvrage, après
celui qui est consacré à la «pureté de la langue ». Mais, exorde ou
péroraison, la bibliographie critique et historique des ouvrages d'art
oratoire occupe toujours la place éminente, comme propédeutique à toute
littérature. Et en 1670, dans De la collnaissance des bons livres, c'pst
en fin de volume, à la manière de Possevin, que Sorel traite de la
« Rhétorique de la conversation », de la « Rhétorique de l'écriture », du
«bon style et de la vraye eloquence », avec un sens plus libre et plus
2 L'ÂGE DE L'ÉLOQUENCE

critique de ce qui sépare la «rhétorique antique:. de la «rhétorique


moderne :..
Mais quels que soient leurs mérites, aucun des ouvrages que nous
avons cités et que nous citerons comme des «primitifs,. d'une histoire
de la rhétorique ne peut entrer en concurrence avec la Nouvelle all~go­
nque (\658) de l'ennemi de Sorel, Antoine Furetière. Là nous avons non
seulement une bibliographie plus complète que pactout ailleurs, mais nous
avons aussi et surtout une histoire, le récit d'une action: observant de
l'intérieur la « vie littéraire:. de son temps, Furetière ne la voit pas s'arti-
culer autour de « chefs-d'œuvre », mais autour de partis pris rhétoriques
rivaux, engagés dans une sorte de querelle oratoire sans cesse ravivée, et
où les chefs-d'œuvre servent d'arguments au «parti" dont ils épousent
les positions. Le caractère à la fois englobant et agonistique de la culture
rhétorique du XVII" siècle ne sera jamais mieux décrit que dans la NlJu-
velle all~gorique ou Histoire des derniers troubles arriv~s au Royaume
cI'Eloquence qui narra l'agôn rhétorique dans le langage même de ce
qu'elle évoque.
En 1688, un savant professeur de Rostock et de Kiel, Georges Morhof.
dans un traité latin intitulé Polyhistor et publié à Lübeck, se livre, à
l'intention du public de l'Europe du Nord, à un travail analogue à celui
que Possevin avait effectué dès 1593 à l'usage de l'Europe catholique.
L'ordre de ses matières est celui d'un traité de rhétorique, dont chaque
case serait remplie par la bibliographie critique correspondante. Il s'agit
donc d'un bilan de la recherche rhétorique antique et humaniste, où la
France du XVII" siècle tient une place de choix. Morhof - auteur par
ailleurs d'essais rhétoriques fort remarquables - a l'intelligence de
l·onsacrer aux institutions chargées de fixer une norme rhétorique - Aca-
démies italiennes, Académie française - des monographies historiques et
critiques.
L'érudition historique et bibliographique se met une fois encore au
service de l'art oratoire, clef de voûte de la culture humaniste, dans les
/ugemerzs des sçavans sur les auteurs qui ont traité de rhétorique, publiés
par Balthazar Gibert en 1713-1719, et réédités en 1725 1 dans l'édition
hollandaise des /ugemens des sçavans de Baillet. Gibert, qui fut recteur
de l'Université de Paris, avait été un des principaux protagonistes de la

1 La même année le P. Gabriel-françois Le Jay publie sa Bibliotheca Rhe-


torum praeeepta et exempla eomplectens, quae tam ad oratoriam facultatem
quam ad poetieam pertinent, discipulis pariter et magistris peratilis, Paris,
G. Dupin, 1725. Cet ouvrage est à usage interne de la «Province pédago-
gique» jésuite, et dans la préface, le P. Le Jay donne le sentiment de défendre
la dernière place forte de Cicéron et du stylus ciceronianus assiégée et même
contaminée par «Gallici idiomatis indoles et formulae et par exile quoddarrr
ae jejllnllm scribendi genus, cujus tota Laus antithetis et aeuminibus continetu,-
(p. XII). Le conflit des rhétoriques se poursuit au XVIII· siècle. L'intérêt de
l'om'rage du P. Le Jay est, du point de vue qui nous occupe ici, dans sa
conception même, exactement antithétique de celle de Gibert. Au lieu de sug-
gérer une rhétorique à travers une bibliographie critique et historique, le
régent jésuite prétend résumer l'histoire de la rhétorique en une doctrine com-
plète et cohérente qui abolit cette histoire autant qu'elle s'en nourrit.
INTRODUCTION: POUR UNE HISTOIRE DE LA RHÉTORIQUE 3

grande Querelle rhétorique de la fin du règne de Louis XIV et où inter-


vinrent Goibaud Du Bois, Antoine Arnauld, le Bénédictin François Lamy
et l'évêque Brûlart de Sillery. Basil Munteano et Peter France ont fait
l'historique de cette Querelle qui résume les débats rhétoriques du XVII"
siècle et prépare ceux des Lumières. Saint Augustin, l'auteur du De
Docfrina Christiana, interprété dans leur sens par les tenants des deux
camps, sert de référence centrale: la rhétorique païenne peut-elle servir
à l'éloquence chrétienne? Celle-ci a-t-elle le droit de prêcher la vérité
en faisant appel à l'imagination. et aux passions de l'auditoire? On saisit
ici sur le vif le rôle de ferment que le préjugé chrétien contre l'élo-
quence «païenne» a joué dans l'histoire de la rhétorique depuis la
Renaissance. Gibert est du côté des Anciens, qui en l'occurence défendent
la cause de l'imagination, des passions, contre un puritanisme à la fois
rationaliste, chrétien et moderne. Ses Jugemens des sçavans sur les
auteurs qui ont traité de la rhétorique sont une pièce maitresse de son
infatigable polémique contre les iconoclastes de la rhétorique. Comme
Possevin, comme Morhof, mais face à d'autres résistances et à d'autres
ignorances, il fait le bilan du trésor accumulé par les siècles et que l'on
voudrait dédaigner. Cet inventaire de bibliographie critique ne se borne
pas en effet à l'Antiquité classique, ni même aux auteurs de traités de
rhétorique humanistes; il tente de dessiner la tradition ininterrompue qui,
de l'Athènes de P(>riclès au Paris de Louis XIV, en passant par les Pères
de l'Eglise et les auteurs médiévaux d'artes dictaminis ou de Rheioricae
divinae, ont identifié le sort de la civilisation à celui de l'art oratoire. La
discontinuité des monographies consacrées à chaque auteur est compen-
sée par un sens très sûr d'une problématique rhétorique permanente
d'âge en âge. Le côté normatif de cette entreprise est sans doute voilé:
il reste très perceptible. Il s'agit de présenter les titres de noblesse de
l'art oratoire pour les opposer à ses détracteurs et il s'agit de plaider
la cause du bon goût en ces matières, fruit du travail de tant de généra-
tions et de leurs recherches.
Moins vaste dans ses perspectives historiques et géographiques,
l'ambition de l'Abbé Goujet, dans sa Bibliothèque françoise ou histoire
de la littérature françoise (1740-1756), se limite à la France, et reprend
le projet de Sorel. Comme celui-ci, Goujet ouvre son édifice de biblio-
graphie chronologique et critique par un péristyle consacré aux ouvrages
français sur la langue et sur la rhétorique. Il va de soi pour lui que, si
ajustée qu'elle soit aux besoins de la langue et de la civilisation du
Royaume, la «rhétorique françoise », fille de la rhétorique antique,
demeure le principe générateur et unifiant de l'éloquence et de la litté-
rature.
On pourrait croire que cette tradition, qui fait de l'histoire de la
littérature une science auxiliaire de la rhétorique, et de la rhétorique la
cause finale de l'histoire de la littérature, a disparu avec l'érudition du
XVIII" siècle. En fait on n'aurait aucune peine à montrer que chez un
Marmontel et un La Harpe, l'histoire de la littérature et de l'éloquence
demeure une des voies privilégiées de l'enseignement rhétorique. Bien
qu'elle s'en défende, c'est à travers un vaste panorama de l'histoire
4 L'AGE DE L'~LOQUI:NCE

Iittèraire européenne que Mme de Staël, dans De la Littérature (1800),


esquisse une nouvelle rhétorique, ajustée aux bouleversements institution-
nels et sociaux qui ont substitué en France la République à la Monarchie
d'Ancien Régime. Et le Génie du Christianisme (1802), à sa manière une
histoire de la littérature, rivale de cene de Mme de Stal!l, est lui aussi
une nouvelle rhétorique, qui pour des raisons exactement inverses de
cenes de Mme de Stal!l, propose de rompre avec la rhétorique néo-
classique. Le mot c: rhétorique:. surprendra, appliqué à ce genre d'ou-
vrages que l'on range d'ordinaire sous l'étiquette d'esthétique littéraire.
On serait plus surpris encore de voir associer la Préface de Cromwell
(1828), que l'on qualifiera volontiers de c: poétique:., ou le Port-Royal
de Sainte-Beuve (1840-1859), où l'on verra un chef-d'œuvre de la c: criti-
que littéraire» 2, au nom infamant de rhétorique. Pourtant, avec plus ou
moins de détours par l'histoire ou par la philosophie, chacun de ces
ouvrages propose des modèles et un programme de discours, une morale
et une norme du style. Mais cette fois il ne s'agissait plus d'une norme
applicable indistinctement à l'éloquence professionnelle et à l'œuvre
littéraire. Une littérature consciente de son autonomie et de son magistère
propre s'est développée et libérée définitivement du cocon de l'éloquence.
Elle se forge elle-même des rhétoriques à son usage et à l'usage des
écrivains professionnels. Le traité de rhétorique profondément métamor-
phosé s'est mué en œuvre littéraire, qui cherch~ dans l'histoire des litté-
ratures - et non plus dans le recueil canonique des poètes et orateurs
antiques - les autorités propres à justifier des normes moins précises,
moins techniques, moins contraignantes, mais encore tout de même des
normes.
Cette nouvelle méthode - dont les Jésuites avaient eu quelque pres-
sentiment au XVII" siècle en composant des traités de rhétorique en forme
de discours orné - était agréable, et apparemment plus convaincante
que les préceptes «scolastiques:. d'autrefois. Elle ne pouvait que jeter
par contraste sur l'enseignement juridique et ouvertement normatif de la
rhétorique à l'ancienne - grevée au surplus d'une technicité pédante qui
heurtait les âmes délicates - le discrédit de l'ennui et de la tyrannie.
Il s'agissait bien pourtant, pour Mme de Stal!1, pour Chateaubriand,
pour Hugo, pour Sainte-Beuve, de substituer aux traités de rhétorique
marqués par l'Ecole, le Barreau, la Chaire, une rhétorique proprement
littéraire, qu'on baptise esthétique ou poétique ou critique pour mieux
faire ressortir sa nouveauté, mais au prix de faire oublier sa filiation.
Il ne pouvait plus s'agir de continuer la tradition du De Oratore ou de
l'lnstitutio oraloria, ni à plus forte raison de la très juridique Rhétorique
d'Aristote, ouvrages destinés avant tout aux avocats professionnels. Mais
pour peu que l'on veuille bien ranger aussi parmi les traités de rhétorique
le Traité du Sublime du Pseudo-Longin, qui «programme:. pour ainsi

2 Les éléments d'une évaluation du Port Royal comme «rhétorique:. se


trouvent dans les derniers chapitres de la thèse de R. Molho, L'Ordre et les
ténèbres ou la naissance d'un mythe du XVII' siècle chez Sainte-Beuve, Paris,
A. Colin, 1972.
Il'n'RODUCTION : POUR UNE HISTOIRE DE LA RHÉTORIQUE 5
dire des chefs-d'œuvre littéraires à venir en tirant des conclusions de
l'éloquence et de la poésie non seulement grecques et latines, mais aussi
hiobralques, on verra que la filiation avec les ouvrages cités plus haut,
ou avec le William Shakespeare de Hugo (1864) est directe. L'apparence
philosophique que Mme de Stat!l donne à De la Littérature, grâce à la
notion de rapports et d'influence entre littérature et société, n'est nouvelle
que dans les mots. Tacite le premier avait analysé les causes de la déca-
dence de l'éloquence, c'est-à-dire le passage d'une rhétorique républi-
caine à une rhétorique impériale, dans le Dialogue des Orateurs. Marc
Antoine Muret, nous le montrerons, avait justifié sa réforme rhétorique
par une analyse historique et politique de l'Europe de son temps, régie
par des Cours et non plus, comme à l'aube de la Renaissance italienne,
par des Cités-Etats républicains. Et l'élaboration progressive d'une rhéto-
rique française ail XVII" siècle avait été fonction de la prise de conscience
par les écrivains et par les auteurs de rhétorique eux-mêmes des diffé-
rences entre le Forum antique et la Cour de France.
La critique romantique de la rhétorique classique - toujours
enseignée dans une Université restaurée par M. de Fontanes .- ne marque
nullement la fin de «la rhétorique:., mais le retard d'une rhétorique
académique et universitaire sur les nouvelles rhétoriques, mieux en accord
avec les nouveaux publics et les nouvelles institutions, dont se réclament
les écrivains les plus gontés. Cette disparité entre la théorie et la pratique
aboutit à la suppression, du moins dans les lycées d'Etat, en 1885. de
l'enseignement de «la rhétorique» et à son remplacement par l'histoire
des littératures classiques, grecque, latine et française.
Préparée par les savants travaux de H.E. Lantoine 8 et de G. Com-
payré 4 sur l'histoire de la pédagogie, la réforme de 1885 n'alla pas sans
protestations à l'intérieur même de l'Université. En 1888, A.E. Chaignet,
qui fut recteur de l'Académie de Poitiers, publie un ouvrage intitulé
La Rhétorique et son histoire, qui dut souverainement irriter les maîtres
de la nouvelle Sorbonne. Il s'agit d'un traité de rhétorique clair et
.:omplet, fondé sur Cicéron, Quintilien et Aristote, précédé d'une brève
histoire de la rhétorique en Grèce et à Rome. L'un et l'autre forment les
deux volets d'une apologie de l'art oratoire, allié de la philosophie, et
fondement de la paideïa européenne à toutes ses grandes époques. La
préface polémique de l'ouvrage pourrait s'intituler Contre Sainte-Beuve:
l'helléniste Chaignet rend l'auteur des Lundis, plus encore que Taine,
qu'il n'épargne pas, responsable de la récente réforme et de la disparition
dans l'enseignement d'une norme du Beau. «M. Guizot, écrit-il, avait
confondu la critique avec l'histoire, M. Sainte-Beuve l'identifie avec la
biographie d'un caractère tout physiologique et plus qu'indiscret.,. A
une esthétique normative, fondée sur une tradition éprouvée, on a pris le
risque de substituer un relativisme du goGt, à la fois historiciste et scien-

3 H. Lantoine,. Histoire de l'enseignement secondaire en France au XVI/'


siècle, Paris, Thorin, 1874.
4 G. Compayré, Histoire critique des doctrines de l'éducation en France
depuis le XVI' siècle, Paris, Hachette, 1879.
6 L'AGE DE L'ÉL0QUENCE

tlste. A l'étude des chefs-d'œuvre, selon les principes mêmes qui les ont
rendus possibles, on a substitué «l'abondance intarissable autant que
stérile» des études de milieu, de moment et de tempérament.
On peut penser que cette critique - qui recoupe en bien des passagl's
le Contre Sainte-Beuve de Proust - n'a pas échappé à Gustave Lanson,
qui en 1895, avec son Histoire de la littérature française, apparut comme
le maître et le théoricien des études littéraires dans la nouvelle Université.
Dans un chapitre de l'Université et la vie moderne (1902) il flétrit sans
ambages c la rhétorique et les mauvaises humanités », qu'il abandonne
aux « vaudevillistes, romanciers, poètes, critiques, journalistes et homml's
du monde sans profession» G. Pour la rempla(:er, il fait confiance à
« l'étude historique des œuvres littéraires », capable de communiquer à
la jeunesse moderne « le sens profond et bienfaisant du relatif, c'est-à-
dire de l'effort toujours nécessaire dans un monde qui toujours change ».
De fait, l'auteur de l'Histoire de la littérature française se montrait dès
lors l'infatigable maître d'œuvre d'un édifice à la fois scientifique et
pédagogique qui prenait modèle non plus sur la Ratio discendi et dncendi
de Jouvancy ou le Traité des Etudes de Rollin, mais plutôt sur la Biblio-
thèque françoise de l'Abbé Goujet. A deux siècles de distance, l'érudition
du XVIIIe siècle l'emportait sur la rhétorique jésuite et universitaire,
l'histoire de la littérature devenait le mode d'exposition privilégié de la
culture littéraire et l'instrument d'éducation d'un « goût» relativisé. Aux
pages de Goujet sur l'histoire de la langue se. substituait dès 1905 la
majestueuse Histoire de la langue française de Ferdinand Brunot. Aux
pages sur l'éloquence, se substituaient les premières grandes thèses de
doctorat sur les écrivains-orateurs du XVIIe siècle, celle de Radouant sur
Du Vair en 1908, celle de Guillaumie sur Balzac en 1927. Aux pages sur
la poétique se substituait en 1927 la thèse de René Bray sur La Formation
de la doctrine classique en France. A la bibliographie critique des érudits
du XVIII" siècle, Lanson lui-même avait substitué le ManI/el de biblIO-
graphie (1910-1912), «lieu des lieux» de l'histoire littéraire française,
programme offert à ses futurs historiens. Seul le chapitre « rhétoriqul' »
des anciennes «bibliothèques» érudites restait vide. Deux ouvrages
s'efforcèrent d'y remédier.
Dans L'Art de la prose (1909) 6 Gustave Lanson s'employait à montrer
que l'histoire littéraire, telle qu'il la comprenait, n'était nullement incom-

G Gustave Lanson, Essais de méthode, de critique et d'histoire, présentés


pat H. Peyre, Paris, Hachette, 1965, p. 57.
6 Cet Art de la prose doit beaucoup à un curieux homme de lettres,
Antoine Albalat. qui avait commencé sa carrière comme romancier (L'Inas-
souvie, 1882, Une Fleur des tombes, 1896) avant de devenir une sorte de
Puget de la Serre fin-de-sièc1e et de se consacrer à l'art d'écrire pour gens
du monde. En 1896, il publie L'Art d'écrire, ouvriers et procédés. Puis vien-
nent en 1899 L'Art d'écrire enseigné en vingt leçons, en 1901 La formation du
style par l'assimilation des auteurs, en 1903 Le travail du style enseigné par
les corrections manuscrites des grands écrivains, en 1905 Les ennemis de 1art
d'écrire, réponse aux objections de Brunetière, Faguet et Brisson, en 1921
Comment il ne faut pas écrire et en 1929, pour couronner le tout, L'Art poé-
tique de Boileau.
INTRODUCTION: POUR UNE HISTOIRE DE LA RHÉTORIQUE 7
patible avec l'étude directe des textes, contrairement à ce que supposait
le recteur Chaignet en 1888. Le titre même, élégamment ambigu, révélait
1.1 double intention de l'auteur: historique et normative, mais normative
par le biais libéral d'une stylistique historique. 11 ne s'agit plus en effet
de former un orateur, avocat, prédicateur, bel esprit, ni même un écri-
vain, mais de donner une culture stylistique à des jeunes gens c moder-
nes:li qui s'orientent vers toutes sortes de professions. Il ne s'agit plus
d'apprendre à parler éloquemment sur tout sujet, grâce à une convention
commode et à la méthode des c lieux communs :Ii, mais d'apprendre à se
former un style propre à bien exprimer ce que l'on connaît bien. A la
philosophie, aux sciences, de former l'intellectuel moderne: à l'explica-
tion de textes, éclairée par l'histoire littéraire, de lui fournir des modèles
de belle prose française. Pour la première fois, depuis la réforme avortée
de Ramus au XVI' siècle, la distinction entre art de penser et art d'écrire
est rendue officielle par un maître de l'Université. Mais Lanson, sensible
bien avant Roland Barthes au c plaisir du texte:li, n'a point recours,
.comme les ramistes, aux instruments techniques de l'elocutio rhétorique,
même scindés de la dispositio et de l'inventio. Il ne pratique pas une
pédagogie de l'imitation, mais de l'admiration et de l'émulation raison-
nées. Le lecteur, placé devant la riche diversité d'âge en âge de la prose
des grands écrivains, est invité à former lui-même son propre style,
d'après son tempérament, sa forme de culture, ses besoins, avec le sens
d'une relativité du Beau. Au fond, dans L'Art de la Prose, Gustave Lanson
rattache lui aussi sa pédagogie du style à celle du Traité du Sublime,
qui n'a pas cessé, depuis le XVII" siècle, d'être le point d'appui, implicite
ou explicite, de tous ceux qui souhaitent desserrer le juridisme de la
rhétorique scolaire et mettre l'accent sur les variables plus que sur les
/lormes invariantes de l'art de parler et de l'art d'écrire.
En 1929, Daniel Mornet publiait une Histoire de la Clarté française,
son origine, son évolution, sa valeur, qui devait tenir lieu, en somme, des
chapitres sur les « auteurs ayant traité de la rhétorique:li qui figuraient
dans les « Histoires de la littérature française :Ii du XVIII" siècle. Comme
Morhof, dans son Polyhistor, Daniel Mornet bâtit son ouvrage selon les
divisions de l'art oratoire antique, invention, disposition, élocution. Cha-
cun de ces chapitres se veut un bilan critique de la rhétorique scolaire du
XVII" et du XVIII· et de ses effets sur les œuvres contemporaines. Bilan
sévère. Lecteur des poètes et écrivains romantiques et symbolistes, dis-
ciple de l'historicisme libéral de Lanson, Daniel Mornet est scandalisé
par le juridisme rigoureux et la tadeur docile qui sont l'avers et le revers
des Belles-lettres classiques. Il critique tout ce que suppose de doxa
conventionnelle la technique des lieux. Il dénonce ce qu'avait de mono-
tone et de mécanique la dispositio oratoire. Il condamne tout ce qui,
dans l'elocutio oratoire, asservit l'élève et l'écrivain à l'élégance pédante
telle que la conçoit un régent, au lieu de le guider vers les grands
modèles. Il n'est pas loin parfois de faire partager une sorte de dégoOt
pour ce qu'il peut y avoir de bourre et de fabrication même chez les plus
grands classiques. Les invectives de Hugo contre c la rhétorique:t, de
Verlaine contre l'éloquence, le guident à travers le c fatras:t rhétorique
8 L'ÂGE DE L'ÉLOQUENCE

de l'Ancien Régime. Il ne veut en sauver qu'une valeur, parce qu'elle


s'accorde au génie de la langue et de la nation française: la clarté. Mais,
s'il est prêt à défendre cette clarté contre les obscurantistes modernes, il
juge qu'elle a été conquise au prix d'une discipline bien cruelle et à trop
d'égards stérile.
En dépit des mérites de l'ouvrage, on ne peut pas dire qu'il augurait
bien de l'avenir d'une histoire de la rhétorique en France. En identifiant
« la rhétorique» à un petit nombre de traités scolaires ou marqués par
l'esprit cartésien, Daniel Mornet se donne la partie belle pour justifier,
a posteriori, la suppression de l'enseignement de la rhétorique dans
l'Université. Il oublie que cette même rhétorique humaniste, durcie par
le rationalisme cartésien, avait été redécouverte à la Renaissance comme
une véritable libération qui secouait le joug de la logique scolastique.
1\ ne veut pas voir que l'enthousiasme, l'imagination et les passions, dont
se réclament les théoriciens du préromantisme et du romantisme, sont
empruntés par eux à des secteurs de la rhétorique antique négligés ou
affadis par les rhétoriciens du classicisme et des Lumières, et qu'elles
fondent de nouvelles rhétoriques avec de nouveaux « lieux », de nouvelles
conventions stylistiques. Trop attaché à mettre en évidence la «néo-
sl:olastique » rhétorique de la France classique, il perd de vue les correc-
tifs que les écrivains eux-mêmes, et les plus intelligents parmi les criti-
ques, avaient su lui apporter. Il passe sous silence la richesse des motifs
qui s'entrecroisent dans les querelles de rhétorique du Grand Siècle et
qui compensent déjà la « géométrie» ou le caractère normatif de certains
traités. Il faudra qu'un professeur de Princeton, E.B.O. Borgerhoff, dans
un ouvrage intitulé Freedom of French classicism (1950) réponde, à vingt
ans de distance, à la vision sévère que ie iivre de Mornet entendait imposer
de la rhétorique classique. Borgerhoff, à juste titre, insistait sur les
variables, « esprit et cœur », «nature », «je ne sais quoi », «sublime »,
qui ont empêché celle-ci de se figer en un code juridique et en un système
étouffant. L'identification hâtive et impatientée faite par Daniel Mornet de
« la rhétorique », une et indivisible, à telle de ses manifestations, la rhé-
torique simplifiée à usage scolaire, ou la rhétorique géométrisée des
cartésiens, a pour cause et conséquence, surprenante chez ce grand tra-
vailleur, un mépris hautain pour la bibliographie de son sujet. Il est vrai
que Gustave Lanson, dans son Manuel de bibliographie, n'accorde lui-
même aux traités de rhétorique ou aux pièces de polémique rhétorique,
néo-latins ou français, qu'une portion congrue. Sorel, Gibert et Goujet,
sur ce point, étaient plus généreux. C'est que, pour Daniel Mornet comme
pour Gustave Lanson, deux ou trois traités de rhétorique devraient
suffire à donner une idée complète d'un art aussi figé et répétitif. Ils
sont aussi injustes pour le «Moyen-Age» rhétorique qui a précédé
l'Université de Jules Ferry que les humanilltes de la Renaissance avaient
pu l'être pour le Moyen-Age scolastique dont ils voulaient libérer leurs
contemporains. Pour eux, qui avaient subi encore un enseignement de
rhétorique et qui aimaient la littérature romantique et symboliste, tirer un
trait sur l'art oratoire était un acte de libération et de progrès.
INTRODUCTION: POUR UNE HISTOIRE DE LA RHÉTORIQUE 9

En dépit de son influence - le cours de Jean Cousin sur RMtorique et


classicisme (1933) et la thèse du P. de Dainville sur la pédagogie des
Jésuites (1939) - , l'Histoire de la clarU française bloquait plus qu'elle ne
favorisait l'essor d'une histoire objective de la rhétorique en France. On
le voit bien dans la thèse de Louis Rivaille Les D~buts de Pierre Corneille
(1936). Plutôt que de reconstituer la culture oratoire du jeune drama-
turge, où les querelles de rhétorique parisiennes jouent autant de rôle que
la rhétorique apprise chez ses maitres jésuites, l'auteur s'attache cruelle-
ment à expliquer l'art de M~lite et de La Suivante par la Logique
d'Aristote et la scolastique thomiste, à quoi il réduit l'enseignement des
RR.PP. Caricaturant encore l'idée scolastique de «la rhétorique:. que
donnait l'ouvrage de Daniel Mornet, Rivaille croit que celle-ci se résume
à la disposition logique du discours et à la claire définition de notions
abstraites. L'apparition en 1935 du chef-d'œuvre de Paul Hazard, La crise
de la conscience europ~erine, en détournant le meilleur de la recherche
universitaire vers l'histoire des idées, mit le ~ceau sur l'histoire de la
rhétorique.
Il fallut plusieurs séries d'événements convergents pour que se modi-
fiât la situation créée par la dévolution à l'histoire de la littérature des
tâches assignées autrefois par l'enseignement normatif d'une rhétorique.
La première série a curieusement pour origine les écrivains et critiques
professionnels qui, au XIX' siècle, avaient tant fait pour porter « la rhéto-
rique» au tombeau. En 1937, un poète est appelé à occuper une chaire au
Collège de France. La leçon inaugurale de Paul Valéry et la préface
qu'il écrivit pour elle, lorsque Gallimard la publia peu après T, méritent
qu'on s'y arrête, car leurs conséquences se font encore sentir aujourd'hui.
Dans sa préface, Intitulée De renseignement de la po~tique au Collège de
France, Paul Valéry écrivait: «L'histoire de la Littérature s'est grande-
ment développée de nos jours et dispose de nombreuses chaires. Il est
remarquable par contraste que la forme d'activité intellectuelle qui engen-
dre les œuvres mêmes soit fort peu étudiée, ou ne le soit qu'accidentelle-
ment et avec une précision insuffisante. Il est non moins remarquable que
la rigueur qui s'applique à la critique des textes et à leur interprétation
philologique se rencontre rarement dans l'analyse des phénomènes posi-
tifs de la production et de la consommation des œuvres.» Et après avoir
repris les arguments d'un Chaignet ou d'un Proust contre l'histoire litté-
raire, Valéry poursuivait: «Une Histoire approfondie de la Littérature
devrait donc être comprise non tant comme une histoire des auteurs et
des accidents de leur carrière ou de celle de leurs ouvrages, que comme
une Histoire de l'esprit en tant qu'il produit et consomme de la «litté-
rature:. et cette histoire pourrait même se faire sans que le nom d'un
écrivain y fût prononcé. »
L'illustre poète, non sans précautions oratoires, se hasarde à prononcer
le nom malsonnant de «l'antique Rhétorique ", qu'il réduit d'ailleurs,

T Paul Valéry, Introduction d la Poétique, Paris, Gallimard, 1938. La leçon


inaugurale du poète au Collège de France avait eu lieu le 10 décembre 1937.
\0 L'ÂGE DE L'ÉLOQUENCE

ramiste sans le savoir comme tous les modernes, au «domaine des


figures », c'est-à-dire à l'Elocutio, voire à l'un des aspects de celle-ci. Il
tourne néanmoins autour d'une définition de ce qui fut pendant tant de
siècles, la réalité de l'Ars rhetorica : « Ceux-là qui ont cru ne devoir leurs
ouvrages qu'à leur désir et à leurs vertus immédiatement exercées,
s'étaient fait sans qu'ils s'en doutassent tout un système d'habitudes et
d'idées qui étaient les fruits de leurs expériences et s'imposaient à Irur
production. Ils avaient beau ne pas soupçonner toutes les définitions,
toutes les conventions, toute la logique et la «combinatoire» que la
composition suppose et croire ne rien devoir qu'à l'instant même, leur
travail mettait en jeu tous ces procédés et ces modes inévitables du
fonctionnement de l'esprit ».
Ces «modes inévitables" Valéry préfère les nommer poétique ou
poïètique, et sous ce nom plus noble, proposer un véritable programme de
recherche qui prenne pour point de départ une « importante distinction» :
« Celle des œuvres qui sont comme créées par leur public [ ... ] et des œuvres
qui tendent à créer leur public. Toutes les questions et querelles nées des
conflits entre le nouveau et la tradition, les débats sur les conventions,
les contrastes entre «petit public, et «grand public », les variations
de la critique, le sort des œuvres dans la durée, [ ... ] peuvent être exposés à
partir de cette distinction. »
Et dans son Cours de Poétique, Valéry se livrait en fait à de
brillantes variations sur le très classique «je ne sais quoi », qui est au
principe de la réception de l'œuvre par le public, saisissant en un instant
le résultat d'une longue et complexe genèse, mais aussi au cœur de cette
genèse même, où « l'action vient au contact de l'indéfinissable ».
Parallèlement à Valéry, Jean Paulhan poursuivait une réflexion sur le
domaine autrefois occupé par la rhétorique, et, en 1941, un recueil d'études
intitulé Les Fleurs de Tarbes étendit à un plus vaste public les fruits
d'une méditation commencée dès 1924. Jean Paulhan le faisait remarquer
avec l'humour qui n'est qu'à lui: «l'antique rhétorique », tel le Diable,
ne s'était jamais si bien portée, n'avait jamais été si souveraine, que
depuis qu'elle était parvenue à se faire oublier. La littérature, à la
lumière de ces analyses, n'apparaissait plus comme une entité victorieuse
d'un art oratoire mensonger et heureusement défunt, mais dans le meilleur
des cas, comme une sorte de conquête difficile et rusée sur l'emprise
retorse d'une rhétorique vulgaire, de ses idées reçues, de ses conventions
inconscientes, de ses formules toutes faites. En observant à l'œuvre cette
rhétorique cachée, Paulhan se prenait à réhabiliter quelque peu le vieil
art des rhéteurs qui avait le mérite d'être explicite, et qui en somme
facilitait le travail de l'écrivain authentique en filtrant une première fois
les évidences paresseuses de la doxa et les habitudes d'expression du
langage commun. La même année, Valéry publiait chez le même éditeur
son Tel Quel, qui sous une forme discontinue et aphoristique, décrivait la
stratégie de l'intellect « poétique» aux prises avec « l'indéfinissable ».
Chacun à sa manière, Valéry et Paulhan ramenaient l'attention du
public lettré sur la «vieille rhétorique ». Mais sous un biais qJli chez ces
deux héritiers de «l'honnêteté» classique était souverainement anti-
INTRODUCTION: POUR UNE HISTOIRE DE LA RH';:TORIQUE Il

historique. Il s'agissait moins de retrouver, par un effort à la fois


d'érudition et de sympathie, ce Gu'avait pu être cette rhétorique et pour-
quoi elle s'était défaite et occultée, que d'inventer, sous le nom de poétique
dans le cas de Valéry, sous celui de c: pensée critique» dans le cas
de Paulhan, une sorte de méta-rhétorique moderne, propre à aider l'écri-
vain dans sa tâche d'hygiène et d'invention. L'identification postériellre
de la rhétorique implicite à c: l'idéologie bourgeoise », et l'apparition
d'une science linguistique, acheva de persuader le «monde littéraire»
que c: poétique », c: pensée critique », c: science du langage» pouvaient se
conjuguer pour faire surgir une sorte d'Hérodiade révolutionnaire, vierge
de toute souillure d'idéologie bourgeoise et capable de formuler un dis-
cours rendant compte de tous les discours possibles, celui de la c: modt'r-
nité ». Sans entrer dans le détail de cette nouvelle quête du Graal,
signalons-en deux ou trois moments importants. En 1964-1965, dans son
séminaire des Hautes Etudes, VIe Section, Roland Barthes fit un inventaire
cursif de l'ancienne rhétorique, pour y faire le tri de ce qui pouvait encore
servir de «lieux» de l'invention au «discours de notre modernité» 8.
En 1966 et 1969, Gérard Genette publiait les deux premiers volumes de
FIgures, où il faisait usage, au profit d'une stylistique de la c: moder-
nité », de quelques définitions empruntées à la vieille elocutio. En 1970,
dans un article publié dans la revue Communications 8, Pierre Kuentz
avertissait ses amis de ne pas vendre la peau de l'ours: la rhétorique
ancienne avait plus d'un tour dans son vieux sac. Pour ne pas demeurer
sans qu'il y partit sous son inVisible emprise, il ne suffisait pas de la
traiter en c: lieux de l'invention» critique, ni de la réduire à quelques
figures de l'elocutio: il fallait percevoir son organicité apparemment
brisée, mais toujours latente et puissante, il fallait surtout faire son
histoire, dont la «modernité» elle-même n'était après tout qu'une des
conséquences.
Pendant ce temps, en Allemagne et dans les pays de langue
anglaise, un intérêt plus serein pour l'histoire de la rhétorique stimulait
des travaux de plus en plus nombreux. On ne peut sous-estimer, en Alle-
magn~, le souci des philologues d'opposer après la guerre, une sorte de
conjuration a posteriori aux démons de la propagande nazie: celle-ci
avait eu des théoriciens et même sa rhétorique. Il s'agissait donc d'oppo-
ser à cette rhétorique au service de la barbarie, une histoire de la rhéto-
rique au service de la sagesse et de l'humanisme. C'est le but avoué du
grand livre d'Ernest-Robert Curtius, La littérature européenne et le
moyen-âge latin, publié en 1947 à Bonn 10, où la rhétorique (envisagée
surtout sous l'angle de la topique) est reconnue comme le principe vital
de la culture humaniste et comme le point de vue unifiant pour l'étude
de ses formes et de son développement. Ami et disciple de Curtius à

8 Un condensé de ce séminaire a été publié par la revue Communications,


n° 16, 1970, pp. 172-225.
8 Ibid., pp. 143-157, «La rhétorique ou la mise à l'écart >.
10 Traduit et publié en français aux P.U.F. en 1956.
12 L'ÂGE DE L'ÉLOQUEN(.~

Bonn, Heinrich Lausberg publia en 1960 son Handbuch der literùrischell


Rhetorik qui pourvoit l'Université allemande du manuel qui manque si
cruellement en France. Il ne s'agit pas en effet, comme le Dictiollllaire
de rhétorique et de poétique de Morier, ou comme la Rhétorique générale
publiée par un groupe de chercheurs belges, d'ignorer l'histoire de la
rhétorique pour en inventer une nouvelle, inutile pour l'historien et le
critique, prématurée pour le linguiste. L'ouvrage de Heinrich Lausberg se
veut une Rhétorique des rhétoriques historiques, englobant dans sa pro-
blématique et dans son riche répertoire d'exemples empruntés à toute la
tradition européenne, de l'Antiquité à l'époque contemporaine, toutes les
variantes connues de Protée. Une version abrégée de cette encyclopédie
rhétorique a été traduite en italien 11. Un autre grand maître de la philolo-
gie allemande, Erich Auerbach, dans plusieurs de ses ouvrages, fait le plus
heureux usage de sa culture rhétorique. Dans Mimesis 11, le seul traduit
en français, il se sert de la théorie rhétorique des niveaux de style pour
établir entre littérature et société un rapport qui ne soit pas d'« influence '>
vague, ou de « reflet» mécanique, mais qui suppose une médiation rhéto-
rique. Ce livre pose les prémisses d'une harmonisation plus méditée entre
histoire, histoire de la rhétorique et histoire de la littérature.
Comment expliquer l'essor des études sur la rhétorique dans les
pays de langue anglaise? Par la vitalité de leurs institutions judiciaires
et parlementaires? Par le développement plus rapide d'une société indus-
trielle où l'art de persuader, sous ses formes commerciales et publicitaires,
journalistes et informationnelles, retrouve une place aussi considérable,
mutatis mutandis, qu'à l'âge dit «baroque », où l'Eglise de la Contre
Réforme avait mis en place un prodigieux appareil de persuasion collec-
tive? Ou encore par la survivance, dans l'enseignement, d'une rhétorique
au sens ramiste, limitée à l'élocution et à 1'« action », mais plus tenace,
sur ce terrain réduit, que la rhétorique aristotélico-cicéronienne bannie
en France par la réforme de 1885? Ou bien faut-il faire jouer une certaine
fascination pour l'humanisme rhétorique des pays latins, dont ceux-ci,
quelque peu rassasiés, sont las? Le fait est que de divers côtés le XX'
siècle a vu naître aux Etats-Unis et en Angleterre de véritables écoles
d'historiens de la rhétorique, dont les points de départ étaient différents,
mais qui ont fini par interférer et par constituer un des courants les plus
vivants de la recherche philologique dans les universités de langue
anglaise. Une des premières initiatives semble avoir été ceIle de Morris
W. Croll, professeur à Harvard. Celui-ci a certainement bénéficié des
travaux de Charles Dejob, vite oubliés en France, sauf d'Emile Mâle qui
a pris appui sur eux pour bâtir son magnifique volume sur l'Art en
Europe après le Concile de Trente. En 1881, Dejob publiait une étude

11 E/ementi di retorica, Bologne, II Mulino, 1969.


121'" éd. Berne, 1945. Traduit et publié par Gallimard, Bibliothèque des
Idées, 1969. II ne nous a pas été possible de consulter un autre ouvrage d'Erich
Auerbach, Liferatursprache und Publikum in der /aleinischen Spéitantike und
im Mitte/alter, Berne, 1958.
INTRODUCTION: POUR UNE HISTOIRE DE LA RHÉTORIQUE 13
sur la biographie et l'œuvre de Marc Antoine Muret 18 en qui il voyait une
des articulations essentielles entre l'humanisme du XVI" et celui du XVII"
siècle, entre l'humanisme italien et le français. En 1884, il publiait une
étude pionnière sur l'influence du Concile de Trente sur la littérature et
les arts- en Europe 14. Une autre source française de Morris W. Croll fut
certainement l'Art de la prose de Lanson, où celui-ci esquis!'ait une sorte
de stylistique historique. Mais tandis que Lanson s'efforçait de faire
l'économie de la rhétorique, Croll, dans une série d'articles qui s'éche-
lonnent entre 1914 et 1929 1G, asseyait la stylistique historique sur la seule
base qui pût l'étayer, l'histoire de la rhétorique. Peut-être passa-t-i1 trop
rapidement des définitions, trouvées dans les traités et les polémiques du
temps, à l'analyse du style singulier de chaque auteur: du moins mon-
trait-il que le style au XVIe et au XVII" siècles est toujours une affiliation
ou une réponse polémique aux characteres clicendi qui font l'objet des
polémiques rhétoriques contemporaines,. Ses élèves, et en particulier
George WiIIiamson, professeur à Oxford (The senecan amble, 1951)
poursuivirent ses recherches et affinèrent ses méthodes. Le très grand
mérite de cette école est d'avoir surmonté le dilemme littérature-rhétori-
que, sans doute fécond pour comprendre les auteurs modernes qui ont
vécu ou vivent de lui, mais qui, reporté sur le passé, stérilise la percep-
tion historique des styles. A lire les études de George WiIliamson sur la
prose anglaise du XVII', on éprouve la même joie intellectuelle et sensible
qu'à lire les travaux des musicologues reconstituant, à la lumière des
traités de théorie musicale du temps, la manière dont était jouée et perçue
la musique d'autrefois. On ne voit pas pourquoi les œuvres littéraires ne
bénéficieraient pas des mêmes soins: il est au fond aussi étrange de lire
- et d'interpréter - des tragédies comme celles de Corneille à la
lumière d'une esthétique non-critique, post-romantique ou brechtienne, que
d'interpréter des pièces de François Couperin sur un piano et selon une
technique apprise pour jouer du Chopin ou du Ravel.
L'école de Morris W. Croll s'était surtout attachée à fonder une
stylistique historique. L'école de Chicago, à partir d'une réévaluation du
corpus aristotélicien, et donc de la Rhétorique du Stagirite, rejoignit très
vite le type de recherches illustré par CroIt. Rosamund Tuve, dans un
grand ouvrage sur la poésie « métaphysique» anglaise, expliqua celle-ci
à partir de la rhétorique ramiste, fort répandue en Angleterre au XVI' et
au XVII" siècles. Elle montrait qu'en réduisant la rhétorique à la logique

13 Marc Antoine Muret, un professeur français en Italie dans la seconde


moitié du XVI' siècle, Paris, Thorin, 1881. La thèse de doctorat de Charles
Dejob était consacrée à un autre régent de rhétorique, René Rapin (De Renato
Rapino, Paris, Thorin, 1881).
14 De l'influence dl! Concile de Trente sur la littérature et les beaux-arts
chez les peuples catholiques. Essai d'introduction à l'histoire littéraire du siècle
de Louis XIV, Paris, Thorin, 1884.
15 L'ensemble de l'œuvre de Morris William CraU a été l'objet d'une
édition en un volume sous le titre: Style, Rhetoric and Rhythm, essays by
Morris W. CroU, edited by J. Max Patrick and Robert O. Evans, Princeton,
New Jersey, 1966.
14 L'ÂGE DE L'ÉLOQUENCE

et à une stylistique de l'ornatus, le ramisme avait rendu possible cette


conjonction, qui fascinait T.S. Eliot chez les poètes métaphysiques, entre
l'intellectualisme des structures logiques et le sensualisme flamboyant des
images.
Dès 1924 et 1928, Charles Baldwin offrait au monde anglo-américain
des manuels de rhétorique médiévale et humaniste. Dès 1949-1950,
H. CapIan et H. King, dans diverses revues savantes, publiaient cinq
bibliographies (latin, espagnol, italien, anglais, français) des traités de
rhétorique ecclésiastique du XVI· et du XVII" siècles 18.
Les conséquences de ces diverses recherches, dont on ne donne ici
qu'un aperçu très cursif, se firent surtout sentir à la fin des années 50.
En 1958, dans la voie ouverte par E.B.O. Borgerhoff, Jules Brody publiait
son Boileau and Longinus. L'étude de A.D. Sellstrom, c Rhetorics and
poetics of french c1assicism:. (French Review, 1960-1961), remettait à
l'ordre du jour de la recherche les problémes traités par Momet et Bray
'dans les années 30. Les travaux de Hugh M. Davidson aux U.S.A.
(Audience, words and art, studies in seventeenth century french rhetoric.
1968), ceux de Peter France en Angleterre (Racine's Rhetoric, 1965 et
Rhetoric and truth in France, 1972) ouvraient une véritable c tête de
pont» dans le XVII" siècle français des études anglo-américaines sur
l'histoire de la rhétorique. Depuis cette c: tête de pont:. n'a fait que
s'élargir. Peter Bayley, dans un ouvrage intitulé Themes and styles in
french pulpit oratory 1580-1640 17 relit à la lumière des traités de rhéto-
rique révélés par la bibliographie de CapIan et King un domaine peu
exploré depuis Jacquinet et Bremond. Margaret Mc Gowan, dans une
étude intitulée Montaigne's deceits, the art of persuasion in Les Essais
(1974) analysait chez le contempteur par excellence de c la rhétorique»
el de Cicéron, les méthodes, dérivées à ses propres fins, de l'art oratoire
que Montaigne a mis en usage pour tenir son lecteur en haleine et le
prendre au piège de sa sagesse. Et c'est en 1972 que paraissait le grand
ouvrage d'Aldo Scaglione, The classical theory of composition from the
origin to the present, a historical survey 18, qui fondait véritablement une
stylistique historique sur l'étude, depuis l'antiquité jusqu'à nos jours, des
théoriciens de l'ordre des mots dans la phrase. Ce livre place dans une
vaste perspective historique les t:avaux de Morris W. Croll et de George
Williamson.

18 H. Capian et H. King, '" Latin tractates on preaching: a book Iist »,


Harvard Theological Review, XLII (1949), pp. 185-206. Pour la bibliographie
établie par ces auteurs pour le domaine italien, espagnol, anglais et français,
voir notre Bibliographie générale en fin de volume.
17 Cet ouvrage est une «Dissertation for the degree of Doctor of Philo-
sophy of the University of Cambridge:., que nous avons lue sous sa forme
dactylographiée. Nous remercions vivement M. Bayley d'avoir eu la gentillesse
de nous la communiquer avant édition.
18 University of North Carolina Studies in Comparative Literature. n° 53,
Chapel Hill N,C. 1972.
INTRODUCTION: POUR UNE HISTOIRE DE LA RHÉTORIQUE 15
En France, il faut rendre hommage à Basil Munteano qui, dans une
série d'articles publiés en 1957-1958, et réunis en volume en 1967 19,
appelait à surmonter le double obstacle dressé sur le chemin d'une histoire
objective de la rhétorique: le préjugé anti-rhétorique que l'histoire litté-
raire avait hérité du XIX· siècle romantique d le mythe d'une méta-
rhétorique dont se nourrissait la c nouvelle critique ~. Il montrait que c la
rhétorique» n'est pas un système scolastique figé, mais une probléma-
tique à la fois durable et évolutive dont les c constantes dialectiques»
ont fécondé aussi bien les diverses écoles morales et esthétiques que la
critique littéraire et la critique d'art. B. Munteano donnait, à l'intérieur
de ses articles-programmes ou dans d'autres, assez d'exemples sur la
fécondité thématique de la rhétorique et sur la survie des rhéteurs anciens,
jusque chez les théoriciens du romantisme, pour faire germer en France
l'idée d'une histoire de la rhétorique.
Les propositions de Basil Munteano, fondées sur une solide culture
de comparatiste et un dévouement sans réserve à la cause de la philologie,
ne laissèrent pas indifférents les historiens de la littérature du XVII' siècle.
L'histoire de l'éloquence sacrée, illustrée en 1960 par la thèse de J. Tru-
ch et sur La Prédication de Bossuet, n'avait d'ailleurs cessé de les tenir en
éveil sur l'importance de la culture rhétorique au XVII' siècle. En 1968,
Jacques Truchet dirigeait un cycle de conférences de la Société d'Etude
du XVII" siècle intitulé c Points de vue sur la rhétorique ~ où deux de ses
disciples, J. Hennequin sur la rhétorique de l'oraison funèbre sous
Henri IV, et J. Descrains sur la rhétorique de J.P. Camus, montraient que
la recherche universitaire française s'orientait à son tour dans cette
direction. Ce que confirmait la publication cette même année 1968 de la
thèse de Roger Zuber, Les Belles Infidèles et la jormation du goût classi-
que. Cette tendance s'est affirmée avec éclat en 1974 par le succès du
Colloque de la Société d'Etude du xvII" siècle (sous les auspices du
C.N.R.S.), où intervinrent plusieurs des auteurs que nous avons cités 20.
Dans cette évolution, on ne saurait négliger le rôle joué par les
historiens de la littérature latine. En 1910, pour définir la méthode de la
jeune histoire littéraire, Lanson s'appuyait sur l'exemple de Gaston Bois-
sier, l'auteur de Cicéron et ses amis. Il est heureux que l'amorce d'une
histoire de la rhétorique en France puisse à son tour s'appuyer sur
l'exemple, l'expérience et la sympathie des héritiers de Gaston Boissier.
L'étude de la rhétorique latine, païenne et chrétienne, dans sa diversité,
son évdutioJ1. ses qU'èrelles, est arrivée aujourd'hui à l'âge des synthèses.
Les travaux d'Henri Marrou sur l'éducation oratoire à Rome et sur la
culture de saint Augustin, nous font percevoir la rhétorique latine comme
le principe vital de la culture romaine, et nous aident à comprendre
pourquoi chacune des Renaissances qui rythment l'histoire de la culture
européenne est d'abord une renaissance de la rhétorique, à la fois paideia

19 Basil Munteano, Con~tantes dialectiques en littérature et en histoire, pro-


blèmes, recherches, perspectives, Paris, Didier, 1967.
20 Les Actes de ce colloque ont été publiés sous le titre Critique et création
littéraires en France au XVII' siècle, Paris, C.N.R.S., 1977.
L'ÂGE DE L'ELOQUENCE

et litterae humaniores. Les travaux de Christine Mohrmann et de Jacques


Fontaine, prolongeant ceux d'Henri Marrou, nous aident à comprendre les
problèmes spécifiques d'une rhétorique chrétienne, posés dès les premiers
siècles de l'Eglise et ravivés au XVI' siècle par le réveil d'une culture pro-
fane. Les grandes synthèses de A.E. Leeman et de G. Kennedy, venant
après le grand article Rhetorik de l'Encyclopédie Pauly-Wissowa (Sup-
plément VII, 1940, par W. Kroll) achèvent, s'il en était besoin, de détruire
le mythe de « la rhétorique », si commode au goût romantique de l'anti-
thèse: la plus grande partie des textes sur lesquels ces ouvrages sont
fondés ont été redécouverts à la Renaissance, publiés au XVI' et au
XVII' siècles, et ils donnaient aux érudits, aux orateurs, aux écrivains du
XVII" siècle une culture rhétorique riche en contradictions, en tendances et
en méthodes diverses. II faut accorder une importance particulière aux
thèses d'Alain Michel sur Rhétorique et philosophie chez Cicéron et sur
le Dialogue des orateurs de Tacite (1960). Dans sa thèse principale
Alain Michel s'attache à réfuter le préjugé philosophique qui pèse sur
la rhétorique en général et sur Cicéron en particulier: en restaurant
l'unité de la pensée cicéronienne et l'image de l'Orator, médiateur entre
la sagesse et la Cité, il nous aide à comprendre une des fondations les
plus solides de ce que Burckhardt avait appelé l'individualisme de la
Renaissance, et ce que les hommes du XVII" siècle entendaient par
« héroïsme ». Dans sa thèse sur Tacite, ce que Basil Munteano appelle
« constantes dialectiques» de la littérature est mis en évidence à propos
de la lutte des rhétoriques à Rome sous l'Empire. La forme du dialogue
donnée par Tacite - après Cicéron - à un traité de rhétorique suffirait
il montrer ce qu'a de libéral et d'adaptable à la diversité des hommes et
des circonstances l'art oratoire antique. Le fait que ce libéralisme, invo-
qué par Borgerhoff pour la critique rhétorique du XVIIe siècle, ait eu
tendance à se durcir à certaines époques ou à se schématiser pour des
besoins pédagogiques ou politiques est une autre question. Même - et
dirons-nous, surtout - si l'on veut tenir l'histoire de la rhétorique pour
l'ombre de la littérature et de son histoire, un inventaire des machines-
outils qui ne saurait aspirer à la dignité de l'étude des chefs-d'œuvre, il
ïaut admettre la nécessité de cette histoire et de cet inventaire sans gloire,
mais combien révélateurs sur la fonction et l'évolution de la chose litté-
raire dans les sociétés européennes.
Au moment où les diverses disciplines de l'histoire de la littérature,
de plus en plus cloisonnées par époque et par méthode, cherchent un
forum du côté de la littérature néo-latine, trésor commun de la culture
européenne, l'histoire de la rhétorique peut offrir un autre forum, très
voisin du premier. L'essor d'une telle discipline en France au moment
où d'autres grandes nations s'y attachent, aurait le mérite de fournir aux
chercheurs des différents pays une problématique commune, un terrain de
comparaison, voire un langage commun 21.

21 C'est à cet idéal que voudrait contribuer la Société internationale pour


l'histoire de la rhétorique, fondée en 1977, qui a déjà organisé trois colloques
internationaux (Zürich, 1977, Bressanone, 1978, Amsterdam, 1979) et qui publie
un précieux bulletin d'information, Rhetoric News/etier.
INTRODUCTION: LIlTÉRATURE ET c RES LITERARIA» 17

II

Ainsi, l'histoire de la rhétorique a été le plus souvent en France,


jusqu'ici, un point aveugle de l'histoire littéraire. Cette discipline, née
A la fin du XIX" siècle, a constitué son objet sur le modèle que lui offrait
la c littérature» romantique, et ses méthodes sur le modèle que lui propo-
sait la Oeistesgeschichle allemande, d'inspiration nationaliste. Double
séparation: la c littérature» est un secteur A part de l'ensemble de la
culture; et son ét.ude se confond avec celle de l'esprit national, par oppo-
sition A celui des autres nations européennes, tel qu'il se manifeste sous
les espèces des chefs-d'œuvre, prose et poésie. Refluant sur les siècles
antérieurs, cette double séparation y fut transportée, quelque violence
qu'elle fît A des réalités de culture qui s'y prêtaient beaucoup moins qu'au
XIX" siècle. Osons poser des questions naïves: quel est le statut de la
c littérature», au sens où l'entend l'histoire littéraire, au XVII" siècle?
Peut-on même parler, en ce sens, de «littérature du XVII" siècle fran-
çais » ? C'est une évidence pour nous, tant les découpages de l'histoire
littéraire ont acquis droit de cité parmi nous. Cette évidence n'est d'ail-
leurs pas sans avantages. Elle soutient une certitude raisonnable, celle de
la perpétuité, de siècle en siècle, d'une tradition des « Lettres », même si
elle la lie exagérèment A l'histoire séparée d'une langue et d'une conscience
nationales. A ce point de vue, et sans qu'il remît en cause le concept
romantique de c littérature :0, l'ouvrage de Curtius, La Littérature euro-
péenne et le Moyen Age latin, a fait naître des inquiétudes salutaires. La
présence, A l'arrière-plan des c littératures» vernaculaires, d'un fonds
commun néo-latin, renvoyait sans doute, dans l'esprit généreux de l'au-
teur, A la conscience occultée d'une patrie commune, l'Europe, sous les
nationalismes qui l'avait trahie et crucifiée. Mais la continuité même de
ce fonds commun de topol de siècle en siècle apparaissait dans ce livre,
et lA était son mérite essentiel, comme inséparable de son extension
universelle dans une aire «romane» indifférente aux frontières tracées
par le Congrès de Vienne et les deux traités de Versailles. Indirectement,
éclatait le paradoxe d'une histoire littéraire qui historicise tout, sauf le
concept d'où elle tire son nom et sa légitimité. Chez Curtius, l'essence
apologétique de ce concept était tiré ad majorem Europae gloriam. Il
n'était pas remis en cause. Ce mérite en revient A Paul Bénichou, dans
son livre Le sacre de l'écrivain. Etudiant l'époque qui précède immédiate-
ment celle qui a vu naître l'histoire littéraire, il y établit en effet que la
~ littérature », dans son acception moderne et contemporaine, n'a fait
son apparition qu'au XVIII·, et n'a été c sacrée» qu'au XIX". Sacrée,
c'est-A-dire séparée et nommée. Cela suppose des « écrivains» hautement
conscients de détenir un pouvoir spirituel autonome, et reconnus dans ce
magistère non seulement par la jeune société civile, mais même par les
détenteurs traditionnels du pouvoir spirituel, le clergé et l'Eglise. Il est
regrettable que Paul Bénichou n'ait pas poursuivi son étude jusqu'à la
période symboliste, lorsque l'écrivain renonçant aux alibis romantiques
- mission nationale, sociale, politique, voire religieuse du pouvoir litté-
raire - justifie sa royauté sur une gnose du langage. Se voulant alors
18 L'AGE DE L'ELOQUENCE

détentrice à elle seule du pouvoir spirituel, face à toutes les autres


instances de la culture, compromises avec ce qui pour elle est le «mon-
de », politique, science, religion, la littérature tend à se retirer sur un
sublime Aventin. Grâce aux conquêtes de l'âge romantique, elle n'en
dispose pas moins d'assises concrètes, revues, éditeurs, «monde litté-
raire », qui lui permettent de se nourrir d'elle-même, et de rayonner sur
un public cultivé et révérent. Littérature de « mages », guides de la nation,
ou littérature de «voyants» en marge de celle-ci, la littérature du XIX'
siècle, au sommet de son prestige, a dû sacrifier pour prendre une
conscience d'elle-même aussi héroïque et tenter de la faire partager par
la société moderne, l'encyclopédisme du savoir et de l'action qu'elle avait
d'abord tenté d'assumer, en prenant sur elle l'héritage du prédicateur du
XVII", du philosophe du XVIII', de l'orateur révolutionnaire, tout en conser-
vant « toute la lyre» des Belles-Lettres d'Ancien Régime, poésie, histoire,
roman, essai. Même au cours de son Age d'or, la littérature a changé de
frontières et de statut: après avoir cherché son « sacre» dans le gigan-
tisme, son orgueil a cru le trouver dans l'angélisme. Pour monter si haut,
elle a dû lâcher du lest: des pans entiers du savoir et du pouvoir lui
échappent, et désormais, en dépit de l'effort des écrivains N.R.F. pour
faire machine arrière, se méfient d'elle, tandis que le journalisme, ency-
clopédique par nature, s'empare de ses dépouilles. Elle a donc gagné sa
suprême indépendance, mais au sommet d'une «tour d'ivoire» d'où elle
ne redescend plus sans courir le risque de se voir confondue avec le
savoir spécialisé ou avec la vulgarisation et 1'« engagement» journa-
listiques.
Etablie par le XIX' siècle dans un statut d'exceptionnel prestige, dant
le XX' nous a démontré l'extrême fragilité, il est tout naturel que la
Littérature ait voulu projeter sur le passé une autonomie tardivement
acquise, et se donner une généalogie proportionnelle à sa taille adulte.
Contemporaine de la génération symboliste, mais lectrice des héros du
Romantisme, l'Université de Jules Ferry, nationaliste et démocratique, fit
de l'histoire littéraire la généalogie de ses héros, et de la « littérature»
que ceux-ci illustraient une constante de l'histoire nationale. Un glis-
sement de sens fit passer «l'histoire littéraire », telle que l'avaient
entendue les auteurs, avec Dom Rivet, de l'Histoire littéraire de la France,
traduction française de la res litera ria et de la literatura humanistes, à une
« histoire de la littérature» faisant de celle-ci le symbole et le dépositaire
de l'esprit de la nation. Pour Dom Rivet et ses ::ollaborateurs, « l'histoire
littéraire» avait un sens encyclopédique: tout ce qui avait été écrit en
France, quels qu'en fussent le sujet, la forme, entrait dans leur inventaire.
Le champ couvert par cette version originelle de «l'histoire littéraire»
était celui-là même que cultivait, depuis le XVI" siècle, la République des
Lettres, très différente, en dépit de l'équivoque possible, et fréquente, de
ce que nous appelons le « mondé littéraire ». République de philologues,
mais aussi de savants, de savants parce que philologues: toute science,
de la médecine à la géographie, des mathématiques à l'histoire, est alors
fondée sur l'étude des textes antiques qui lui servent de point de départ.
La res literaria englobe Strabon et Hippocrate, Euclide et Thucydide, 3U
INTRODUCTION: LITIÉRATURE ET «RES LITERARIA, 19
même titre que Virgile et Horace, Homère et Longus. L'imitation en lan-
que vulgaire, pour le plaisir des « ignorants " de la poésie et du roman
antiques n'est qu'une dérivation seconde, et dans une certaine mesure
secondaire, à partir de ce fonds commun dont le plus noble usage est de
l'ordre du savoir et non du plaisir. Les géants des «Lettres" sous
Henri IV et Louis XIII, sont des érudits tels que Casaubon, Scaliger,
Saumaise, Sirmond, Petau. Le catalogue des héros de l'épos national,
dressé par l'histoire littéraire lansonienne pour le XVII" siècle, élimine les
~ latineurs » et privilégie les « créateurs» au dépens des savants. Pour-
tant y figurent un philosophe tel que Descartes, un mathématicien et
polémiste religieux tel que Pascal, un théologien et prédicateur tel que
Bossuet. Tous trois se sont montrés fort réservés vis-à-vis de la poésie,
du théâtre et du roman de leur temps, aux côtés desquels leur œuvre se
trouvait désormais classée. Cet œcuménisme relatif est moins une survi-
vance appauvrie de celui des Mauristes qu'une réflexion, au miroir
universitaire et critique, de l'ambition de l'écrivain-héros du romantisme,
à la fois prédicateur, philosophe, pOlémiste, voire à l'occasion théologien
et savant: héroïsme encyclopédique qui a trouvé son ultime expression
dans les Cahiers de Paul Valéry. La «littérature» au sens romantique
est le suprême effort des Belles-Lettres d'Ancien Régime pour s'attribuer
un magistère sur l'ensemble des disciplines dont elles n'étaient encore, au
XVII", qu'un appendice. Car si l'histoire littéraire, fidèle à l'ambition
romantique, annexe à la «littérature» tel théologien, tel philosophe,
tel savant éloquents du XVII', l'Encyclopédie humaniste du XVII" ne con-
sentait, en marge de ses «sciences solides », qu'une place et un rang
très modestes aux Belles-Lettres, qui étaient alors, poésie et roman, de
l'ordre du divertissement de Cour. En revanche, si modeste que fût cette
place, elle devait le peu de légitimité dont elle jouissait au fait qu'elle se
donnait pour dérivée de modèles antiques appartenant à la res literaria
el.cyclopédique de l'humanisme, fondement de tout savoir, mais d'un
savoir qui honorait en toutes ses branches l'expression éloquente. Cette
universalité de l'éloquence, en facteur commun de l'ensemble de la culture
humaniste, savante ou mondaine, explique le malentendu, au demeurant
fécond au point de vue pédagogique, qui a permis à la «littérature"
devenue triomphante et autonome, de prendre sa revanche en inscrivant
dans son histoire des œuvres de théologiens, d'apologistes, de philoso-
phes, de savants. Annexion timide d'ailleurs, à y regarder de plus près,
et limitée par les nécessités' de programmes scolaires et universitaires:
n'y figurent point les traités de spiritualité et d'apologétique révélés par
l'abbé Bremond, la Recherche de la vérité de Malebranche, moins heu-
reuse que le Dèscours de la Méthode, les Mémoires autres que ceux du
cardinal de Retz ou du duc de Saint-Simon, les récits des voyageurs et de
missionnaires, les autobiographies spirituelles, comme celles du P. Surin
ou de Mme Guyon, les correspondances autres que celles de Voiture et de
Mme de Sévigné, les traités d'artisans lettrés tels que Les Instructions
pour les jardins fruitiers et potagers de Jean de la Quintinie. Partout
cependant se révèle cette conscience et ce bonheur d'expression que nous
réservons aujourd'hui aux « écrivains " et que toute une élite alors, dédai-
20 L'AGE DE L'ÉLOQUENCE

gnant OU redoutant le nom d'« auteur ~, plaçait plus haut que ne le font la
plupart des «auteurs ~ actuels. Entre l'optique de l'histoire littéraire,
concentrée sur les «grands écrivains ~ dont l'éminence doit plus au
XIX" siècle qu'à leur propre temps, et celle que nous proposons ici, la
différence pourra apparaître mineure: elle déplace seulement le regard
d'une « littérature-catalogue de héros nationaux », isolée non sans arbi-
traire dans un ensemble qui distribuait autrement les valeurs, à cet
ensemble qui, se connaissant sous le nom d'Eloquence, n'attribuait à une
bonne part de ce que nous appelons chefs-d'œuvre qu'un rang modeste, y
voyant tantôt une simple dérivation, pour le plaisir des « ignorans» des
chefs-d'œuvre de l'Antiquité classique, tantôt un divertissement, non
dépourvu de nocivité, accordé à des « mondains» incapables d'une con-
tention chrétienne trop soutenue. Il s'agit en somme de voir la culture
rhétorique du XVII" siècle non plus à travers un concept de « Iittératur~ »
élaboré tardivement, mais à l'aide de ses propres critères, et des débats
dont ils étaient l'objet en leur temps. Cet effort pour se déplacer à l'in-
térieur d'une culture disparue exclut tout sentiment de supériorité du
présent sur le passé, que ce sentiment soit naïf et inconscient, comme ce
ful le cas de l'histoire littéraire post-romantique, qui croyait exalter le
passé national en le remodelant à des fins apologétiques, ou qu'il soit
polémique et surchargé d'alibis scientifiques, comme c'est le cas de
l'idéologie critique de la « modernité ». Il n'est pas question ici de contes-
ter la présence au XVII" siècle de «chefs-d'œuvre », ni de «grands écri-
vains », ni d'esquiver la question posée par cette présence, perçue autre-
ment que nous par les contemporains. Il vaut la peine quelquefois d'0U-
blier momentanément les arbres pour voir enfin la forêt.
Héritier de la Renaissance, le XVII" siècle est, en Europe, l'Age de
l'Eloquence. Pourquoi l'est-il, plus qu'ailleurs, en France? Les conditions
y sont réunies pour prendre le relais, à une échelle infiniment plus vaste,
des deux Renaissances romaines, celle de Léon X et celle d'Urbain VIII
Barberini, et pour conférer aux rois Bourbons cette gloire des Lettres que
les Valois n'avaient pas su associer à la réussite politique et à la paix
religieuse. La France est alors le pays d'Europe où le prestige et les
travaux de la Respublica Iiteraria savante sont le plus fortement soutenus
par une magistrature puissante, dans les rangs de laquelle le pouvoir
royal recrute ses meilleurs serviteurs; c'est aussi le pays d'Europe où la
Cour, démantelée par la fin des Valois, passée aux mains d'une dynastie
nouvelle, désorientée une seconde fois par la mort d'Henri IV, trouve
avec Richelieu la volonté et les moyens de rattraper son retard, renouant
avec la tradition d'une monarchie qui avait dés avant la Renaissance
imposé la supériorité du français d'Ile-de-France sur les patois, avec
François 1er, imposé l'usage de cette langue commune dans les actes
publics, de préférence au latin, et au cours du XVI· siécle allié son
prestige à celui d'une Académie de Poésie et d'Eloquence françaises. Sous
la vigoureuse impulsion de Richelieu, la Cour de France devient sous
Louis XIII la tête d'une société civile à qui elle impose, selon un decorum
royal dont l'Académie française est chargée de définir les normes, des
modèles de langage et de comportement, l'organe d'une ambition dynas-
INTRODUCTION: L1TI"ÉRATURE ET «RES L1TERARIA» 21

tique qui veut s'imposer à l'Europe par la réussite des Lettres et des
Arts français autant que par la victoire des armes. C'est en France Que
la résistance docte et dévote à l'essor de Belles-Lettres mondaines et
profanes était la plus vive: c'est là aussi que, grâce au mécénat impé-
rieux de la Cour, dans une polémique stimulante avec l'idéal docte
d'eruditio et avec l'idéal clérical d'éloquence sacrée, fleurit avec le plus
de vitalité un idéal civil d'Eloquence française, accordé à la majesté
lOyale et au «bon usage» de la Cour, éloquence fertile en «chefs-
d'œuvre », mais destinée d'abord à servir de dénominateur commun à
l'élite du savoir et du pouvoir. Elle se cristallise, sans doute, pour le
prestige et la délectation de ce que Corneille appelle « les illustres suffra-
ges », dans des poésies, des romans, des pièces de théâtre: elle trouve
sa véritable certitude et sa vraie gravité comme mode d'expression de
l'homme d'Etat, du chef de guerre, du gentilhomme, du magistrat, dont
eHe manifeste l'autorité, la « grandeur d'âme », 1'« honnêteté », en somme
l'appartenance au «théâtre des illustres» qui exerce le pouvoir, autant
par l'admiration que par la force, sur le parterre du royaume.
Cette éloquence française est-elle une déchirure dans le tissu de la
"cs liferaria humaniste et européenne? Oui, si J'on y voit l'amorce de ce
que deviendra plus tard la littérature française. Non, si l'on considère
qu'elle s'est passionnément voulue l'héritière de l'Eloquence romaine, dont
elle reconnaît l'exemplarité, dont eUe veut réincarner l'universalité. Sa
mémoire est la même que celle de l'Eloquentia néo-latine, la discipline
rhétorique et poétique à laquelle elle se plie est celle-là même que la
philologie humaniste européenne a restaurée dans sa richesse et ses
nuances. Son essor repose sur l'expansion du réseau des Collèges jésui-
tes et oratoriens, expression de la volonté de la Réforme catholique,
commune à toute l'Eglise, d'ordonner pédagogie et homilétique chrétien-
nes à l'apprentissage préalable des lifterae humaniores et de la rhétori-
que latine. Cet enracinement de l'éloquence française dans la culture
humaniste et chrétienne commune à toute l'Europe est au principe de son
succès européen, car elle n'apparut pas comme une rupture avec les
ressources et les idéaux de l'humanisme latin de la Renaissance, mais
comme un corps glorieux émanant de l'antique tombeau, rajeunissant ses
trésors par la grâce de la présence actuelle et vivante. Cette transfigu-
ration - qui fut pour une large part une traduction - n'aurait pas été
possible, contre le poids du tombeau lui-même et de ses austères gardiens,
~ans la volonté politique de la Cour de la France, sans le besoin qu'eut
celle-ci d'affirmer la suprématie de la dynastie nouvelle, héritière de la
plus vieille monarchie chrétienne d'Europe, face aux autres Cours, et
entre autres la Cour latine des Pontifes romains. Transposée en français
d'Ile-de-France, mise au service du Louvre, l'antique alliance de la
sagesse et de l'éloquence conserve sa vocation universelle, dans un mythe
romain qui soutient l'action et la parole des héros de la monarchie, autant
sinon plus que l'invention de ses écrivains. De ses assises savantes et
sacrées, l'éloquence française hérite le culte de la forme d'expression,
indissociable d'une réflexion approfondie, philosophique, morale, politi-
que, religieuse, bref rhétorique, sur l'art de parler. On attache au style un
22 L'ÂGE DE L'ÉLOQUENCE

tel prix, en français comme on l'avait fait en latin, il est jugé chose si
grave, qu'il n'est pas encore abandonné aux seuls auteurs de profession.
Même après avoir cessé d'être un privilège de caste savante ou de
caste cléricale, l'Eloquence, devenue c françoise », est un superflu que
les diverses c professions nobles et publiques :t tiennent à ajouter à leur
nécessaire, sachant que sans elle leur autorité personnelle, celle de leur
c profession» seraient nécessairement endommagées. c L'Eloquence fran-
çoise» qui prend conscience d'elle-même sous l'autorité de Richelieu ne
S~ confond nullement avec ce que nous entendons aujourd'hui par « litté-
rature du règne de Louis XII1 » : l'Académie française qui est chargée
d'en fixer les normes accueille aussi bien des grands seigneurs, des
diplomates, des dignitaires de la Cour, des hommes d'Eglise, des magis-
trats, des médecins, des avocats, que des poètes ou des écrivains profes-
sionnels. Elle se veut la résultante d'un immense effort collectif, patronné
par le pouvoir civil, des diverses composantes de l'élite du royaume, gens
de Cour et gens de Robe, c sçavans et honnestes gens », clercs et laïcs,
pour accorder leur style de caste à une éloquence commune consonante
à la majesté du roi de France. Poètes et écrivains participent de cet
immense effort, mais à leur place, et autant comme bénéficiaires de ses
résultats que comme guides et garants. Leurs œuvres sont l'occasion de
débats dont l'objet ultime est le c meilleur style" de l'éloquence française,
et le goût qui permet de le discerner.
Ces débats ne sont pas l'arcane d'un c monde littéraire» autonome,
comme ce sera le cas au XIX· siècle. Ils engagent tous les secteurs de
l'élite du savoir et de la responsabilité. Ils supposent une vaste diffusion,
dans l'outillage mental de l'élite française, à des degrés divers de préci-
sion, par éducation, imprégnation ou contagion, des techniques et des
questions de la rhétorique gréco-latine, restaurées au cours du XVIe siècle
par les philologues humanistes. Une des catégories essentielles de la rhé-
torique est l'imifafio : c'est par référence à une gamme de styles illustrée
par les modèles exemplaires de l'Antiquité que procède l'invention de
l'écrivain ou de l'orateur du XVll"; une autre de ses catégories est la
convenientia, l'adaptation du discours à toutes les variables du problème
concret auquel il répond: c'est par référence à cette valeur à la fois
esthétique et morale que l'homme de Cour se conduit et converse. Ces
notions sont communes à toute l'Europe humaniste. Mais c'est justement
parce que la bonne société, autant que la prose et la poésie françaises, se
sont pénétrées de ses valeurs, au point de faire apparaître l'éloquence
française comme l'héritière moderne de l'éloquence grecque et latine, que
l'Europe lettrée se mit à imiter la langue, le tour et les manières françai-
ses. L'ars dicendi, dont les humanistes avaient attendu qu'il restaurât
l'Age d'or de la foi et des Lettres au sortir de l'Age de fer scolastique,
avait fait le prestige de l'Italie et de sa langue; il fait au XVII· le prestige
de la France où sembla s'être transportée, plus pleinement encore, la
moderne version de l'alliance entre sagesse et éloquence qui avait fait la
grandeur de Rome. S'il y a une unité de dessein dans la multitude de
formes que revêt alors la culture française, eUe est dans cette volonté
tacite de conquérir dans sa plénitude ce principe d'universalité. Les
INTRODUCTION: LITTÉRATURE ET «RES L1TERARIA» 23
débats sur le «meilleur style» auxquels se livrent érudits, magistrats,
théologiens, prédicateurs, gens de Cour et dont les œuvres d'auteurs
professionnels ne sont que l'occasion, suscitent une langue, un goût, un
art de vivre et de parler qui actualisent, à l'échelle d'une société nom-
breuse, active, puissante, moderne, 100 raffinements de l'antique Elo-
Iluentia que l'Europe humaniste révérait depuis le XVIe siècle sous les
traits allégoriques et associés de Mercure, de Minerve, et de l'Hercule
gaulois.
Le statut de ce que nous nommons « littérature », au XVII" siècle, est
plus royal qu'il sera jamais, puisqu'elle est, sous la notion extensive
d'EIrquepce. l'affaire de teus les «porte-parole» du royaume, gentils-
hommes et gens de loi, ecclésiastiques et magistrats, «sçavans» et
«ignorans », et pas seulement des spécialistes de 1'« écriture ». Mais il
est aussi plus humble et modeste que nous ne voulons l'admettre, dans la
mesure où les «auteurs» écrivant à l'usage d'un public «ignorant» et
« laïc », pour son divertissement, apparaissent encore comme des «so-
phistes» parmi les orateurs, opérant dans une sphère de jeu inutile au
salut, ajoutant peu au savoir, et n'offrant au pouvoir qu'un ornement.
On attribue le plus souvent, lorsqu'on veut bien l'apercevoir, ce statut
éqUivoque de la « littérature du XVII" siècle» au préjugé nobiliaire contre
l'artisanat servile des « auteurs », ou au préjugé clérical contre le plaisir
profane. Il faut aller plus loin, et voir que ce « soupçon» est inhérent à
la nature même de la culture humaniste et chrétienne, à la définition
même de l'Eloquentia, qui n'est tant honorée que comme organe de la
Sapientia, savoir et sagesse, science et vertu, responsabilité et exercice des
responsabilités, « choses» que les « mots» n'honoreront jamais assez, à
condition de ne point s'émanciper de ce service d'honneur. Le « soupçon»
des dévots et la désinvolture nobiliaire vis-à-vis des « auteurs" ne sont
pas plus redoutables que la méfiance des « sçavans », dont le culte pour
l'Eloquentia antique, alliance de la sagesse et de l'art de persuader, a
pour revers l'exécration de la sophistique, et tout est sophistique lorsque
l'on s'éloigne des lumières directes de l'Antiquité. Les chefs-d'œuvre que
nous admirons n'avaient pas leur place marquée au Temple de la Gloire
humaniste, et s'il s'est trouvé un public pour les goûter, pour des raisons
fort étrangères aux nôtres, il s'en est trouvé un autre, le plus nombreux
p~ut-être, pour les ignorer, les redouter, les tenir pour «bagatelles ».
Si l'Eloquence était un luxe de la forme légitimé par le sérieux de son
objet, les « chefs-d'œuvre» qui, selon notre terminologie, apparurent en
son sein étaient un luxe de ce luxe, et donc un excès le plus souvent
ressenti comme tel. Il est vrai, en revanche, que leur hubris même, ou si
l'on préfère. la transgression qu'ils constituent, crée insensiblement un
« espace littéraire» imperceptible à la plupart des contemporains, et que
l'évolution ultérieure des Belles-Lettres surévaluera.
Mais les « Modernes» ? objectera-t-on: ils ont vu, les premiers, comme
nous les voyons, grands écrivains et chefs-d'œuvre « littéraires », hors de
l'ombre où les maintenait la lumière désespérante de l'Antiquité. Repor-
tons-nous donc aux Hommes illustres de Charles Perrault: sur cent
éloges, ceux que nous appelons «écrivains» ne figurent qu'au nombre
24 L'ÂGE DE L'ÉLOQUENCE

de dix. Le classement par conditions (nouveauté mondaine par rapport au


classement traditionnel par discipline du savoir) indique une hiérarchie
où les c Lettres,. ont une place modeste, après l'état ecclésiastique, la
profession des armes, les ministres d'Etat, les grands magistrats, Où
l'Eloquence française et moderne trouve ses plus solides cautions. Encore
ne faut-il pas se laisser prendre au piège des mots: les c Hommes de
Lettres» qui apparaissent ici avant les' Philosophes, Historiens, Orateurs
et Poètes, n'ont rien de commun avec les nôtres. Perrault prend soin,
dirait-on, de prévenir l'équivoque en indiquant, dans sa préface, qu'il
fera une place, dans son bilan du siècle, aux c admirables découvertes
que nos gens de lettres ont faites dans toutes les sciences ». Il s'agit
donc plutôt de Pascal que de Scudéry, de Ménage que de Gomberville.
Les érudits et les ({ sçavans » figu.rent en meilleure place et en plus grand
nombre dans cette galerie que les c écrivains,. au sens moderne. L'un de
ceux-ci figu're d'ailleurs dans les Hommes Illustres dans le chapitre
consacré aux gens d'épée, au titre de chevalier de Malte: il s'agit
d'Honoré d'Urfé! c Orateurs» et « Poètes », ces derniers seuls entrant à
peu près dans le cadre offert par notre notion d'i: écrivain », sont installés
au bas bout de la table du Festin des Dieux de l'Eloquence française.
Dans les recueils de ce genre parus antérieurement, depuis les Elogia
de Scévole de Sainte-Marthe à l'Académie des Sciences et des Arts
d'Isaac Bullart, la proportion de ce que nous appelons «écrivains» est
encore moindre. Les érudits l'emportent de façon exorbitante chez Sainte-
Marthe, pour qui les «Lettres », plus encore que pour Perrault, s'iden-
tifient à la res literaria humaniste, encyclopédi~ de tout savoir que Per-
rault ne renie pas, mais qu'il crOIt pouvoir désormais tenir pour socle où
se dresse la statue de l'Eloquence française et moderne. Chez Bullart, les
doctes (Théologiens, Philosophes, Mathématiciens, Astrologues, Méde-
cins, Diverses Sciences, Inventeurs des Arts) écrasent par leur nombre et
leur prestige la petite cohorte des poètes.
Les mots «Lettres », «Littérature» au XVII" siècle, que nous tirons
sans scrupule à nous, sont en fait des traductions du latin humaniste
Litterae humaniores, Literatura, res litera ria et sont chargés du même
f'lens : connaissance érudite de ces fondements de la sagesse et du savoir
que sont les textes légués par l'Antiquité, tous les textes, ceux de Varron
au même titre que ceux d'Horace, ceux de Galien et d'Euclide au même
titre que ceux de Sénèque. On n'en veut pour preuve que le Dictionnaire
de Furetière, témoin fidèle de la doxa généralement acceptée au-delà du
règne de Louis XIV. Littérature: «Doctrine, érudition, connaissance
profonde des Lettres: Scaliger, Saumaise, Upse, Bochart, Casaubon,
Grotius, Bayle et autres critiques modernes ont été des gens de grande
littérature, d'une profonde littérature. Un ouvrage plein de littérature. Ces
amas d'écrits qui ne multiplient que les mots et non pas les choses, sont
l'opprobre de la littérature (La Motte). Je veille à deffendre le patrimoine
des Sçavans et la gloire de toute la littérature.» Dans cet article lapi-
daire, point de Théophile, point de Corneille, point de Racine: leurs
œuvres, épiphénomènes du vrai savoir littéraire, ne bénéficient pas de la
même révérence que celles où le fonds antique est directement géré.
INTRODUCTION: LITTÉRATURE ET c RES LITERARIA:. 25
Lettres: « Lettres se dit aussi des Sciences. C'est un homme de Lettres, il
a été élevé dans les Lettres [ ... ] On appelle Lettres humaines ou Belles-
Lettres la connoissance des Poètes et des Orateurs. Les vrayes Belles-
Lettres sont la Physique, la Géométrie, et les sciences solides. La connois-
sance des BeIles-Lettres devient en plusieurs sçavans une érudition fort
ennuyeuse (Saint-Evremond). :. Même dans cet article, où pointe l'attitude
moderne et mondaine, c Lettres », c Lettres humaines» et «BeIles Let-
tres l> désignent non pas l'activité productrice de l'écrivain, mais la
possession d'un savoir critique sur les œuvres léguées par l'Antiquité,
dont l'ensemble fonde l'Encyclopédie des connaissances humaines. Les
Belles-Lettres elles-mêmes, avant d'être «création littéraire ", sont
d'abord un commerce assidu et intime avec les poètes et orateurs de
l'Antiquité. Tirer parti de ce commerce pour mettre au jour des œuvres
nouveIles n'est pas tenu, loin de là, pour le meilleur hommage aux chefs-
d'œuvre fondateurs. Si nous nous reportons ensuite à l'article Escrivain,
nous sommes frappés par sa brièveté et sa sécheresse. Après avoir insisté
sur le sens premier, servile et artisanal, de ce mot (<< Maistre escrivain »,
au sens de scribe, copiste, spécialiste de la calligraphie), Furetière
ajoute: c se dit aussi de ceux qui ont composé des livres, des ouvrages :..
Il cite à titre d'exemple Tite Live, Hérodote ... Ce sont ces garants antiques
qui lui permettent d'ajouter, sans spécifier: «Nous ne manquons pas de
bons escrivains en nostre siecle. :. Il n'est pas sOr qu'il songe plus parti-
culièrement aux poètes, romanciers, dramaturges du c siècle de
Louis XIV», il les englobe dans un sens neutre où sont compris tous ceux
qui ont composé de c bons livres », et l'on sait, d'après l'œuvre de Sorel,
intitulée justement La connoissance des bO/ls livres, à quel point cette
notion est encyclopédique. Le mot Auteur, en revanche, qui est associé
à la gloriole du sophiste, est franchement chargé de dédain: c Auteur,
en fait de littérature, se dit de ceux qui ont composé et mis en lumière
quelque livre. On appelle par excellence les Prophètes et les Apôtres les
Autheurs sacrez. Un homme s'est enfin érigé en Auteur: il a eu la
démangeaison de devenir Auteur [ ... ] Quand on dit tout court c'est un
Auteur, cela se prend quelquefois en mauvaise part et c'est plutôt une
injure qu'une louange.» Il y a quelque outrecuidance, en effet, sinon
quelque sacrilège, à vouloir se parer d'auctoritas avec un livre en langue
moderne, après les Prophètes, les Apôtres, les Auteurs de l'Antiquité, et
leurs meilleurs éditeurs, commentateurs, glosateurs. Ce que nous appelons
c création littéraire », avec son renvoi métonymique à la Genèse, est pour
l'opinion moyenne du XVII' siècle une insupportable tentative d'usurpation.
Aurons-nous plus de satisfaction du côté de l'Eloquence et de la Poésie,
les deux composantes des Belles-Lettres? Eloquence: « Art de bien dire,
science de toucher et de persuader. La véritable éloquence consiste plus
dans les choses que dans les paroles, et à ne dire que ce qu'il faut dire,
et rien au-delà. Platon définissoit l'éloquence l'art de flatter et de
tromper. Cicéron la définit l'art de parler avec abondance et avec orne-
ment. L'éloquence ne doit être ni enflée ni affectée, eIle doit s'élever et se
soutenir par sa beauté naturelle (Pétrone). On reprochait à Cicéron que
son Eloquence étoit Asiatique, c'est-à-dire chargée de paroles et de pen-
sées superflues.» Autant de lieux communs marqués par la défiance
26 L'ÂGE DE L'ÉLOQUENCE

envers ce que nous appellerions c littérature" et qui pour Furetière est


f'ophistique : le bonheur d'expression ne saurait être une fin en soi, il
n'a de sens que comme suite naiurelle du bonheur de savoir et de faire
savoir. Synonyme d'éloquence, la Rhétorique' est entourée des mêmes pré-
cautions. Rhétorique: c Eloquence, art qui enseigne à bien parler, à haran-
guer, à dire les choses propres à persuader. La Rhétorique est l'art de
mentir et d'exagérer avec adresse et avec esprit (De M.). La Rhétorique,
selon l'usage ordinaire, nuit à la perfection du jugement, à la droiture et
à la justesse de l'esprit (Le P.L.). Les figures, les ornements entassez de la
Rhétorique cachent et etouffent souvent la vérité (Le CI.). Ne vous laissez
pas éblouir par l'éclat trompeur d'une fausse Rhétorique. li) Utile donc,
dans la mesure où elle soutient l'exposition et la diffusion du vrai savoir,
la Rhétorique, comme l'Eloquence, est hantée par la tentation de se
substituer à ce qu'elle a pour tâche de servir, et de faire admirer sa
virtuosité au lieu de c toucher li) et de c convaincre ». La même prudence
anime l'article consacré à l'Orateur: « Eloquent, qui sait bien la Rhéto-
rique et la met en pratique. Un Orateur froid, et languissant [ ... ] On peut
devenir orateur quoique l'on ne soit pas né avec du génie pour l'élo-
quence. L'art ne peut suppléer à la nature (Le P.R.) [ ... ] L'orateur doit être
homme de bien pour gagner la bienveillance de ses auditeurs. A Lacédé-
mone, on méprisoit l'art des orateurs comme art de tromper (Mont.) r... ]
L'orateur doit mettre tout son art à bien penser et à bien parler, mais il
doit cacher son artifice, de sorte que les nombres qu'il emploie pour
donner de la majesté et de la douceur au discours, bien loin de paroître
recherchez et contraints, semblent se présenter d'eux-mêmes et tomber
naturellement dans une juste cadence (Bouhours).» Ici apparaît une
autre différence entre notre perception de ce que nous appelons «litté-
rature du XVII" siècle », et celle des contemporains: l'absence d'une fron-
tière bien nette entre l'oral et l'écrit, entre l'orateur qui "compose et
prononce li) des harangues, prédicateur, avocat, ambassadeur, et celui
dont l'éloquence bien tempérée s'adresse seulement à l'oreille d'un lec-
teur. Dans cet article, par une sorte de réverbération réciproque, l'élo-
quence écrite, reflétant l'éloquence orale, est écoutée silencieusement
autant que lue, et l'éloquence orale, tempérée par le reflet d'un style écrit
accordé au naturel de la conversation classique, se refuse les effets
voyants, la roue et les roueries qu'encouragerait la parole publique.
Inféodée à la science, à la morale, à la religion, f! l'utilité civile, la « litté-
rature li) se dégage encore à peine d'une référence orale qui la vitali se sans
doute, à tant d'égards, mais qui la maintient aussi en lisières, si l'on
adopte le point de vue moderne qui fait d'elle avant tout l'exploration des
possibilités expressives du langage dans l'espace, veuf de voix, de la
lecture et de l'écriture. Que trouverons-nous dès lors sur l'autre versant
des Belles-Lettres, la Poésie? Celle-ci, qui avec Ronsard et sa Pléiade
avait réussi à se faire respecter des doctes et aimer des gens de Cour, a
beaucoup perdu de son prestige depuis les Valois. Elle avait alors osé se
réclamer de la « fureur », et justifier une forme de « création littéraire»
où les Romantiques croiront découvrir l'un de leurs « primitifs ». Poésie:
" 55t l'art de versifier, de faire des Poèmes, de faire des compositions ou
des descriptions en vers. La Poésie est une peinture parlante. La Poésie
II'ITRODUCTION: LlTI"ÉRATURE ET «RES LlTI:RARIA» 27
demande un genre particulier qui ne s'accommode pas trop du bon sens:
tantôt c'est le langage des Dieux, tantôt c'est celui d'un fou, rarement
celui d'un honnête homme (St Eve).» C'était par la poésie que l'art
d'écrire en langue vulgaire avait pour la première fois trouvé grâce aux
yeux des humanistes doctes: l'aire de légitimité s'est manifestement élar-
gie, et son centre se situe maintenant du côté dc l'art de la conversation
ou de l'art épistolaire des honnêtes gens, dont le «bon sens» sait
s'exprimer avec goût, selon l'antique définition de l'Orator: vir bonus
dicendi peritus. Le Poète n'est plus, chez Furetière, que «celui qui fait
des ouvrages en vers ». Et l'article ajoute: «Les Théologiens se sont
souvent deschainez contre la lecture des Poètes, parce qu'elle gâte l'esprit
et le remplit d'idées profanes et mondaines ... » Il n'en demeure pas moins
que, dans cet article, la percée première opérée par les poètes de la
Pléiade laisse des traces: c'est là en effet que pour la première fois, les
noms de ce que nous appelons « grands écrivains du XVIIe» apparaissent:
« Homère et Virgile ont été de fameux poètes épiques, Sophocle, Corneille
et Racine de célèbres poètes dramatiques, Térence et Molière de bons
poètes comiques, Horace, Malherbe, Rousseau, La Motte, de grands
poètes lyriques, Régnier et Boileau ont été presque les seuls poètes sati-
riques qui ayent eu du succès et de la réputation.» Mais il n'y a qu'un
pas, dans ce même article, des poètes lauréats aux « poètes crottés, ridi-
cules et inutiles à la société 7>. Quelques pages encore, et nous rencontrons
l'article Prédicateur: «Ecclésiastique qui prêche dans l'Eglise pour
annoncer l'Evangile, pour enseigner la vérité. Le prédicateur chrétien
ne doit pas affecter les manières brillantes et impérieuses de l'éloquence
mondaine (CI.).»
En dépit de la gloire, conquise dans le sillage de Ronsard, par
Corneille, Racine, Malherbe, Boileau, les «Belles-Lettres» françaises et
modernes sont prises en étau entre les «sciences solides» laïques et
sacrées, et les deux éloquences qui les publient. Sur les «mots» dont
elles jouent dangereusement pèsent non seulement le soupçon moral du
savant, du philosophe, du clerc, mais aussi le dédain dicté par leur situa-
tion subordonnée et dérivée dans la hiérarchie des langues et celle du
savoir. L'analyse du contenu des bibliothèques du XVII" siècle à laquelle
s'est livré Henri-Jean Martin confirme cette situation. Et l'étude d'ouvra-
ges comme L'advis pour dresser une bibliothèque de Naudé (1627) ou,
plus tard, le Syntagma bibliothecae Parisiensis Societatis Jesu (1678), en
dépit de la différence de dates et d'orientation intellectuelle, conduit à la
même conclusion. Conseillant de classer les livres suivant la hiérarchie
universitaire du savoir, «Théologie, Médecine, Jurisprudence, Histoire,
Philosophie, Mathématiques, Humanités et autres », Naudé remarque que
« maintenant », la Morale et la Politique « occupent la plupart des meil-
leurs et plus forts esprits, cependant que les plus foibles s'amusent après
les fictions et Romans desquels je ne dirai rien autre chose sinon ce qui
fit dire autrefois par Symmaque: Sine argumento rerum loquacitas
morosa displicet. » Point de place donc pour les Belles-Lettres françaises
et modernes dans une bibliothèque aussi exigeante sur la qualité que
celle du Président de Mesmes. Dans ses Considérations politiques sur les
28 L'AGE DE L'ÉLOQUENCE

coups d'Etat, Naudé restera fidèle à lui-même en n'accordant à l'éloquence


des modernes qu'une utilité qui la légitime, celle de rendre acceptables au
grand nombre, sous les fleurs du bien dire, les arcana imperii qui inspi-
rent les décisions des hommes d'Etat. Un dédain aussi tranchant n'appa-
raît certes pas dans le Syntagma de la bibliothèque de la Maison Pro-
fesse des jésuites rédigé en 1678 par l'un d'entre eux, le P. jean Granger :
on sait tout le soin que sa Société a apporté à cultiver les Belles-Lettres
modernes, et à leur faire reconnaître une légitimité dans la culture triden-
tine. Pourtant, même chez les jésuites, il s'agit de nuances, plutôt que
d'un désaccord de fond avec un érudit laïc et gallican tel que Naudé.
Les Oratores et les Poetae, dans ce Syntagma, bien qu'à l'étroit entre les
Philol.ogi et les Grammatici, occupent sans doute une place respectable,
mais somme toute dans les lointains du vaste paysage occupé au premier
plan par le puissant massif des sciences érudites, sacrées et profanes.
Le P. Granger croit nécessaire de justifier la place réservée aux II: Lettres
humaines », et il le fait en termes prudents: elles parachèvent l'homme,
en tant que celui-ci participe à la vie de société (quatenus in societate
existit), en lui enseignant «comment il faut parler purement, éloquem-
ment et agréablement ». Pédagogie de l'humanitas, politesse et sociabilité,
les Belles-Lettres sont l'apanage de tous les hommes cultivés, et de tous
les chrétiens dans la mesure où ils appartienn'.!nt à une société civilisée.
Elles ne se suffisent pas à elles-mêmes. Leur ordre est en dernière
analyse inférieur à celui des sciences sacrées, qui préparent au salut, et
des sciences profanes, qui préparent à la sagesse, prémisse du salut. Le
classement des Oratores auquel se livre le P. Granger t'xclut toute forme
de littérature qui ne se rattache pas à une institution, à une profession,
à des valeurs directement utiles à la société civile et religieuse: genre
judiciaire, genre délibératif, genre de l'éloge, ce dernier rangé par sujets:
éloges des personnes, des vertus, des II: choses », genre épistolaire enfin,
instrument par excellence de la communication sociale. Le classement
des Poetae (Drammatici, Epici, Elegiaci, Lyrici, Epigrammatisfae, Sylvae)
semble plus proche, ici comme dans l'article Poète de Furetière, des vues
modernes sur la littérature: l'ordre chronologique (Antiquité, Moyen Age,
Age moderne ou Postrema aelas), la diversité géographique et linguisti-
que des auteurs cités dessinent même une ébauche d'histoire littéraire
eomparée. Mais quelle place étroite, malgré tout, au fond de la Biblio-
thèque, et quelle pauvreté d'étiquetage pour des casiers où la plus grande
partie de la II: littérature classique» brille par son absence! Le rayon
« poésie» est ici conçu à l'image de la production néo-latine des Jésuites,
elle-même étroitement liée aux besoins de leur Société: fêtes religieuses,
hommages rendus à de puissants protecteurs, modèles pour les exercices
de la classe d'humanités.


••
La situation et le statut de la «Littérature », du XVII" siècle à nos
jours, se sont retournés de fond en comble. Au départ, sous le nom d'Elo-
quence et de Poésie préparant à l'Eloquence, elle est le bien commun
INTRODUCTION: L1TIÉRATURE ET «RES L1TERARIA ~ 29

d'une culture religieuse, morale et politique qui redoute de la voir autre-


ment que comme l'huile dans ses rouages. A l'arrivée, elle n'est plus que
le Kamtchatka d'une culture technique et scientifique, immense et frag-
mentée, qui l'a spécialisée et isolée, tout en lui rendant des hommages
de principe. Entre ces deux extrêmes, le XIX' siècle a été un moment
d'équilibre, car en dépit du « sacre,» de l'écrivain, qui peut aller jusqu'à
la sécession dans la «voyance ", ce que 'Chaïm Perelman a nommé
t l'Empire rhétorique ~ continuait par l'école, l'Université, la Magistra-
ture, les Chambres, les Académies, à répandre dans les diverses profes-
sions et conditions de l'élite un sens exigeant de la forme d'expression, un
« art de bien dire et de bien écrire» préservant les conditions d'un dialo-
gue, fût-il polémique, et donc celIes de la vitalité et de l'unité de la
culture. Ce dénominateur commun, qui subsiste en dépit des imprécations
de l'écrivain romantique, contre les «bourgeois », et de la scission nais-
sante entre culture « littéraire» et culture « scientifique », s'était établi en
France au cours du XVII' siècle. Il disparaît inexorabiement sous nos yeux.
La France du XVI' siècle était compartimentée en institutions, conditions,
professions, provinces, chacune caractérisée par une forme de culture (on
disait un « Stile ») et un langage particuliers. ElIe subissait en outre la
fascination du «stile» et du langage de l'Italie et de l'Espagne. soute-
nues l'une par le prestige des Lettres, l'autre par celui des Armes. Du
moins était-elIe travaillée par un idéal d'Eloquentia dont l'ambition
d'universalité donnait mauvaise conscience à cet émiettement. La Cour,
Forum du royaume, tendait déjà en tâtonnant à filtrer ces divers « stiles »
ct «langages» pour en extraire une éloquence française et royale, rêve
fracassé d'Henri III, mais rêve d'avenir. Les cercles savants qui essaiment
autour des Parlements évitent la confusion des langues par le recours au
néo-latin international de la République des Lettres. Les magistrats des
Cours souveraines, s'efforçant d'élever leur propre « stile» à la hauteur
d'une grande éloquence civique, rêvent eux aussi de restaurer en France
la parole du Forum antique. Situation instable, complexe, où les principes
agonistiques en présence, n'ayant en commun qu'une aspiration à l'uni-
versalité du langage que chacun tire à soi, sont malgré tout préparés, par
la logique d'une culture rhétorique, à accepter le « compromis classique»
que la Cour de Richelieu imposera sous Louis XIII, et dont celle de
Louis XIV étendra le succès au delà de nos frontières. La première moi-
tié du XVII" siècle voit s'instaurer en France, au sommet de la société, une
nouvelIe distribution du langage, facilitant les échanges, le progrès du
savoir, l'exercice du pouvoir. Les chefs-d'œuvre que nous qualifions de
« littéraires ~ illustrent cet anoblissement de la langue vulgaire enfin
devenue capable, à l'exemple du latin classique, de la « pleine éloquence ».
Mais ils sont le symptôme plus que la cause d'une réussite analogue à
celle que Castiglione avait souhaitée pour l'Italie au début du XVI' siècle,
réussite de toute une société d'élite où les « grand écrivains» tiennent
leur place, mais plus modeste que celle des seigneurs et dames de la
Cour, des hauts dignitaires de l'administration et de la diplomatie roya-
les, des pédagogues et publicistes jésuites, des érudits du Cabinet
Dupuy formés aux studia humanitatis.
30 L'AoE DE L'ELOQUENCE

Dans l'établissement de ce nouvel ordre du langage, la part de


l'échange oral est aussi importante, peut-être plus importante que celle
du texte écrit qui en fixe la trace et pour ainsi dire la résultante. Dans le
Cortegiano, Castiglione avait fortement marqué la filiation entre son
c courtisan:t et l'orateur antique, et le rapport d'interdépendance entre
l'art de parler et l'art d'écrire. Si le mythe de l'Eloquentia a soutenu
l'éclosion de la langue et de la c Iittérature:t classiques en France, le
mythe de l'Orator n'a pas été un catalyseur moins efficace. Toutes les
conditions et professions dont le prestige est traditionnel, Princes, gen-
tilshommes, ecclésiastiques, magistrats, cherchent à le rajeunir en ajustant
leur c stile:t propre sur la forme idéale de l'Orateur. Toutes les condi-
tions et professions qui ont à conquérir leur légitimité et leur prestige,
femmes et poètes, peintres et musiciens, comédiens et architectes, cher-
chent à greffer à leur tour leurs différents «stiles:t sur cette forme
prestigieuse qui résume, à elle seule, la Renovatio bonarum artium née en
Italie avec Pétrarque: l'uomo universale. Et cette forme se manifeste
d'abord, avant de se diffracter en écriture, peinture, sculpture, musique,
architecture, actes héroïques, par la parole. C'est elle qui est la mesure de
l'altitude de la pensée, de la grandeur de l'âme. Notre concept de « litté-
rature :t, trop exclusivement lié à l'imprimé, au texte, laisse hors de son
champ ce que l'idéal compréhensif de l'orateur et de son éloquence
englobait généreusement: l'art de la harangue, l'art de la conversation,
sans compter la ta cita significatiu de l'art du geste, et des arts plastiques.
La perception du texte imprimé lui-même, au XVII" siécle, suppose'cette
précellence d'un art de la parole, ce réseau de correspondances qu'il
suscite autour de lui, où tout parle éloquemment, depuis le corps du
gentilhomme de Cour formé par le Collège à l'actio oratoria, par l'Aca-
démie à la danse, à l'escrime, au jeu de paume, jusqu'aux tableaux d'un
Poussin où silencieusement parlent la Poésie, l'Histoire, les Passions du
discours, tous les modes de l'Eloquentia. Furetière laisse à juste titre
dans l'ambiguïté le terme d'Orateur, vaste nébuleuse où entrent aussi
bien les « escrivains» éloquents par écrit, que les auteurs de harangues
destinées à être prononcées en public. Ce n'est point un hasard si la
période 1630-1640 voit un tel essor du théâtre à la Cour de France:
miroir d'un art de vivre en société où l'art de parler est au cœur d'une
rhétorique générale dont l'art d'écrire et l'art de peindre sont les princi-
paux réflecteurs.
C'est en France que la translatio studii de la culture rhétorique grec-
que et latine, restaurée par l'humanisme, à la langue vulgaire, eut le plus
de difficulté à s'opérer, et s'opéra avec le plus d'ampleur. Ce paradoxe
s'explique par la conjonction, dans le pays le plus peuplé et le plus riche
d'Europe, d'une puissante aristocratie de juristes doctes, jalouse de se
réserver le privilège de l'alliance entre philosophie et éloquence, et d'une
non moins puissante aristocratie d'épée, dont Castiglione disait qu'elle
méprisait les Lettres, et qui en fait ne s'en souciait que dans les limites
de ses besoins propres: la gloire que l'histoire (ou plus sûrement les
Mémoires) assurent à ses hauts faits, l'amour et la courtoisie que, dans
l'intervalle des campagnes, roman et poésie amoureuse en langue vulgaire
INTRODUCTION: L1rrERATURE ET «RES L1TERARIA» 31

célèbrent et raffinent. Entre la culture savante - qui se défie de la


vulgarisation de son propre savoir - et la culture courtoise des gentils-
hommes et des dames de la noblesse d'épée, les ponts qui avaient été
lancés au cours du XVI· siècle étaient encore fragiles: ils s'écroulèrent
avec la Cour d'Henri III. L'expansion du réseau des collèges jésuites à
partir de 1604, et la volonté de Richelieu à partir de 1624 de faire concou-
rir les ressources de la Cour et de la Ville à la majesté sans partage de la
royauté, rapprochèrent les deux cultures, organisèrent leur dialogue. Le
conflit inhérent à la coexistence de deux aristocraties laïques, chacune
dotée de son « stile » propre, ne pouvait être résolu que par la médiation
conjuguée d'une pédagogie conciliatrice et d'un arbitrage politique. Il en
allait de même dans cet autre conflit, qui recoupe le premier sans se
confondre avec lui, entre morale ecclésiastique, particulièrement sévére
dans la France gallicane, et BeBes-Lettres profanes, qu'elles fussent de
tradition courtoise ou d'imitation des chefs-d'œuvre de l'Antiquité païenne.
Là encore, la position conciliatrice de la Société de Jésus, favorable à
des Belles-Lettres françaises et chrétiennes illustrant la majesté de la
Couronne, permirent un compromis et légitimèrent, sous condition, les
Muses françaises. Muses doublement prudentes: vis-à-vis des détenteurs
de l'orthodoxie savante, elles eurent à se prouver filles légitimes de l'Anti-
quité ; vis-à-vis des détenteurs de l'orthodoxie chrétienne, elles eurent à
se prouver filles dociles de la foi et de la morale tridentines, voire dans
l'interprétation augustinienne de celles-ci. La vocation médiatrice de la
rhétorique entre le passé exemplaire qui légitime et le présent qui ose
imiter, entre l'utilité morale et sociale et la délectation d'un luxe du
langage, entre l'invention savante et l'élocution douce aux oreilles mon-
daines, était propice à guider les Belles-Lettres françaises naissantes
dans un labyrinthe de postulations contradictoires. L'expérience de la
« littérature» néo-latine éclose dans les marges de la République des
Lettres érudites fut également précieuse et orienta le tact d'écrivains
s'aventurant sur un territoire abondant en chausse-trapes.
Age de l'Eloquence, âge de la rhétorique, le XVII" siècle voit naître les
Belles-Lettres: il n'est pas encore l'àge de la littérature. Si elle pointe
dans teBe œuvre exceptionnelle, c'est à l'insu des contemporains, et contre
leur gré. Et cette percée ne deviendra perceptible qu'après coup, à la
lumière à la fois déformante et révélatrice d'un état ultérieur de la culture.
Les Belles-Lettres naissantes sont tenues à une prudente stratégie: s'ap-
puyant tour à tour sur la volonté royale de créer une «société civile»
qui ait ses propres assises, indépendantes à certains égards de la société
religieuse; sur la politique des Jésuites qui, justifiant les arts de délec-
tation, leur demandent en échange de servir une morale et une foi
moyennes; plus encore sur la part de luxe, de divertissement et de
plaisir qui est indispensable à la vie de Cour, sommet et résumé de la
société civile, théâtre du decorum monarchique, elles font valoir leurs
atouts sans défier inutilement leurs adversaires. En se donnant pour
iltiles à la société civile, à ses bonnes mœurs, à sa bonne humeur, à sa
politesse, les Belles-Lettres françaises se sont ménagé un espace de
survie, voire de relative légitimité. En leur sein apparaissent, protégées
cu même masquées par ces prudents alibis, des œuvres qui franchissent
32 L'Aœ DE L'eLOQUENCE

insensiblement les limites du gentleman's agreement qui les garantit. Mais


les chefs-d'œuvre d'une c littérature ~ qui ne dit pas encore son nom, et
les «grands écrivains» dont le prestige encore très ambigu prépare
sourdement la royauté littéraire du «philosophe» des Lumières et du
poète romantique, demeureront à l'horizon de notre paysage. Notre objet
est ici de décrire l'âge de l'Eloquence dans son ordre propre, à l'intérieur
des puissantes institutions qui l'articulent, et qui, n'ayant rien de « litté-
raire », occupent néanmoins une grande partie du terrain de ce que nous
appelons «littérature» par les débats sur le «meilleur style» qui les
agitent. L'interprétation des «chefs-d'œuvre », en regard de cet univers
jusqu'ici mal perçu et mal connu, est une tâche ultérieure et pour l'heure
prématurée.
li n'était pas question d'entreprendre une description exhaustive de cet
univers. Au mieux, notre but a été d'en faire percevoir l'ensemble, son
importance, et quelques-uns de ses principaux linéaments. Un dessin,
une esquisse, et non pas un grand tableau d'histoire achevé. Cela ne va
pas sans quelques inégalités de traitement: notre première partie, consa-
crée à l'exemple italien, remonte jusqu'à Pétrarque; notre seconde partie,
consacrée à la Société de jésus en France, ne pouvait guère remonter au-
delà de l'installation des jésuites en France; notre troisième partie,
consacrée au Parlement et à la République des Lettres érudites, remonte
à Erasme et à Budé. Ces «durées» inégales ne manifestent pas seule-
ment une répugnance pour la «périodisation », et un goOt certain pour
les continuités: elles sont inévitables en matière généalogique, et il impor-
tait à notre étude de tenir compte de cette considération généalogique, si
décisive dans l'histoire de la culture humaniste, fondée sur le critère de
l'antiquité: ta tradition de t'humanisme italien, ta plus ancienne, se
réclamant de l'héritage direct de Rome, est la plus orgueilleuse de sa
noblesse, et en tire un immense prestige; la tradition de l'humanisme
français, plus récente, après avoir été tentée au xv,· siècle de se préva-
loir de ses racines médiévales et « gauloises », se réclame de plus en plus
au XVII" siècle de l'héritage gréco-romain, et le dispute à l'Italie; face à
ces traditions nationales sur lesquelles ils s'efforcent de se greffer, les
Jésuites apparaissent, en France, comme les homines novi, voire des
novatores, tant dans l'ordre de la doctrine que dans celui du style. C'est
également, à plus forte raison, le cas des auteurs en langue vulgaire,
pratiquant des genres modernes et mondains dont la filiation antique
est incertaine.
Cela ne va pas non plus sans sacrifices. Nous n'avons abordé que de
biais les problèmes pédagogiques posés par ce que nous appelons
« l'Age de l'éloquence» : ce sont du reste les mieux étudiés et les plus
connus. Et nous avons dO choisir, parmi toutes les institutions dont
l'histoire rhétorique est à faire, celles qui nous ont paru les plus signifi-
catives. Si nous avons choisi la Compagnie de jésus et le Parlement de
Paris, avec à l'arrière-plan de l'une et de l'autre, la Cour de France, c'est
que l'intensité même du débat idéologique entre jésuites et Gallicans,
prolongé en options rhétoriques rivales, est un des traits fondamentaux de
la culture française du XVII· siècle, et révèle mieux que tout autre la
INTRODUCTION: LllTÉRATURE ET cRES LITERARIA .. 33
situation qui y est faite à l'Eloquence. Pédagogues, casuistes, prédica-
teurs, missionnaires, érudits, théologiens, écrivains à l'usage du monde,
les jésuites incarnent mieux que tout autre famille religieuse l'alliance de
la théologie et de l'éloquence humaniste qui a permis à l'Eglise tridentine
de conserver un ascendant sur la société civile. Emanation de celle-ci,
mais non moins soucieuse de la régenter, la Robe parlementaire fran-
çaise, magistrats, conseillers, procureurs, avocats, vivier de la haute
administration royale, constitue le milieu par excellence où s'est déve-
loppé l'humanisme érudit gallican. Là aussi, l'alliance d'un savoir en
dernière analyse moral et religieux avec l'Eloquence est un principe sacré:
mais il est en conflit permanent avec celui des jésuites, c chevaux de
Troie» de la Cour romaine dans le royaume Très-Chrétien. Bénéficiaire
du conflit, la Cour de France l'arbitre: entre l'Eloquence ad majorem
Dei gloriam des jésuites, et l'Eloquence ad majorem Antiquitatis gloriam
des doctes gallicans, la Cour, tirant parti de l'une et de l'autre, développe
le sens d'une Eloquence française et royale accordée au decorum de la
monarchie. A son équilibre et à son prestige, le divertissement, le luxe,
le plaisir, et donc les arts et les Belles-Lettres, sont indispensables. C'est
1::' qu'ils trouvent leur justification ultime, et leur public privilégié. Mais
l'Eloquence jésuite, modelée au service de la morale et de la foi triden-
tines, et l'Eloquence des doctes gallicans, confinée sévèrement au service
d'une quête érudite de l'Antiquité, montent la garde, et ne laissent qu'une
voie étroite à l'éclosion d'une « littérature» et d'un art proprement fran-
çais et modernes, à l'usage de la Cour.
On s'étonnera de voir précédée notre étude des c stiles jésuites» et du
« stile de Parlement» d'une longue première partie consacrée à la Que-
relle du cicéronianisme, dont les développements nous retiennent le plus
souvent hors de France, en Italie, en Espagne, en Flandres. Cet ex cursus
inaugural était indispensable pour faire pénétrer le lecteur dans un uni-
vers rhétorique qui est alors [e patrimoine commun de [a Respublica
litteraria européenne, mais qui est déjà aussi une géographie spirituelle,
où chaque genius loci tend, dès [e XVIe siècle, à se condenser en une
interprétation spécifique de [a rhétorique latine commune. La France
d'Henri IV et de Louis XIII, d'abord en retard, après [es guerres civiles,
sur ses voisins du Nord et du Midi, bénéficie ensuite de ce retard même.
Elle peut en effet se déterminer dans l'ordre rhétorique non seulement en
fonction du c Ciel des idées» antique des divers styles, mais aussi des
diverses interprétations que les «provinces» modernes de la Romania
ont adoptées avant elle, et qui lui servent de référence ou de repoussoir
pour élaborer enfin une Idée proprement française du style, ['atticisme
classique. Ce style, qui commence à prendre conscience de soi sous Riche-
lieu, sera pour une large part un compromis entre la tentation italienne,
orientée vers l'asianisme fleuri, et la tentation hispano-f1amande, orientée
vers l'atticisme épigrammatique de Lipse. L'hésitation initiale des jésuites
français elltre ces deux tentations, ne prend tout son sens que sur fond du
classicisme néo-latin que leurs confrères romains, soucieux de maintenir
une norme centrale du style, cultivent dans la capitale de l'Eglise et de lE:ur
34 L'ÂGE DE L'ÉLOQUENCE

Société, offrant ainsi un modèle néo-Iatin à la norme française que le


règne de Louis XIV imposera à toutes les Cours d'Europe.
Nous avons appuyé nos analyses sur une bibliographie jusqu'ici peu
utilisée, en grande partie néo-latine, celle des traités de rhétorique, des
pièces de polémique autour du meilleur styie, des préfaces, dédicaces, et
autres textes programmatiques où l'Eloquence se prend elie-même pour
objet de débat. L'ampleur des citations latines, que nous donnons en
traduction, nous a retenu de donner le texte original en note, pour ne pas
alourdir encore un gros ouvrage. Les références permettront au lecteur
de se reporter aisément à l'original. De même que nous avons laissé de
côté la pédagogie de l'éloquence, nous n'avons abordé que de biais les
querelles de poétique, elles aussi mieux connues. Le grand débat de
l'époque Henri IV - Louis XIII, n'est plus d'ailleurs la poésie, mais la
prose, plus utile aux tâches pratiques qu'impose la restauration, après
les guerres civiles, de la société française. Ce qui survit du iegs de la
Pléiade est de plus en plus canalisé vers la louange du Prince, des ver-
tus, des héros, des saints, ou vers le théâtre, genre social par excellence,
et dont l'apologétique se réclame de l'honnêteté des plaisirs qu'il dispense,
favorable à la paix publique. Poésie encomiastique et théâtre sont en fait
des facettes de l'universelle Eloquence, ciment de la société civile et de la
société religieuse.
Un des principaux motifs pour regretter l'éloquence, écrit Mme de
Sta!!1 dans De la littérature, c'est qu'une telle perte isoleroit les hommes
entre eux, en les livrant à leurs impressions personnelles. " faut opprimer
lorsqu'on ne sait pas convaincre; dans toutes les. relations politiques
des gouvernants et des gouvernés, une qualité de moins exige une usur-
pation de plus.
Nous n'avons fait Ici qu'une première tentative pour laisser entrevoir
l'ensemble de ce que nous avons nommé l'Age de l'éloquence, contem-
porain de la naissance de l'Etat français moderne et d'une première prise
de conscience nationale française. Nous avons tenté de montrer qu'à une
époque où, pour citer encore Mme de Stael, les _ hommes de lettres
étoient relégués loin des intérêts actifs de la vie :t, la res literaria savante,
méditant sur l'histoire de la culture romaine, et utilisant les concepts de la
rhétorique, a traduit en français et fait partager à toute une société son
mythe central, civilisateur et régénérateur, celui de l'Eloquentia.
1

ROME ET LA QUERELLE
DU ClCÉRONIANISME
AETAS CICERONIANA

Inaugurant dans un Collège parisien son cours annuel sur la Rhétori-


que d'Aristote, en 1621, l'humaniste hollandais Pierre Bertius prononce
une Oratio solennelle, en présence de ses futurs élèves, mais aussi d'hôtes
de marque, où figurent le Recteur Magnifique de l'Université et Henri
de Bourbon, marquis de Verneuil, évêque de Metz, demi-frère du roi
Louis XII1. Pierre Bertius a pris pour thème: c La puissance et la gran-
deur de l'Eloquence :.. Le propos apparemment banal, l'empesage c cicé-
ronien:. du style latin de notre régent, loin de nuire à l'intérêt de cette
Oratio, en font justement tout le prix, et d'abord aux yeux de ses hôtes
illustres, qui ont dû encourager Bertius a publier son texte, paru peu
après en brochure chez Mathurin Henault, avec une dédicace à Henri de
Verneuil. Il y a une majesté, une sorte de poids révérentiel du temps et
de l'évidence dans certains lieux communs, lorsqu'ils sont devenus les
assises implicites d'une culture. En célébrant l'union de l'Eloquence et
de la Sagesse, Pierre Bertius sait qu'il prend texte d'un de ces lieux
communs vénérables, dont il rappelle la généalogie: fonnulée d'abord
par Platon, Aristote et Cicéron, cette union de l'Eloquence et de la
Sagesse a été replacée par l'humanisme de la Renaissance aux fondations
de l'Encyclopédie, et réaffirmée dans cette fonction fondatrice par les
Budé, les Muret, les Lipse. Pourtant, en dépit de ces autorités augustes,
en dépit de cette généalogie qui lui confère une noblesse à la fois impo-
sante et convenue, ce lieu commun central de la culture humaniste n'a pas
encore tout à faIt perdu, au temps de Louis XIII, la portée polémique
qui avait fait de lui, aux xv· et XVI" siècles, le boutoir de la Renaissance.
Pierre Bertius construit son éloge de l'Eloquentia cum Sapientia conjuncta
comme une réponse à des adversaires, qu'il ne nomme point, de la saine
doctrine. On voudrait, nous dit Pierre Bertius, rejeter l'Eloquence au rang
de simple exercice scolaire et préparatoire, réservé à la jeunesse, et la
reléguer tout au bas de la hiérarchie des sciences. Résumant l'apologé-
tique de l'humanisme italien et français, l'enrichissant du fruit des que-
relles du XVI" siècle, le docte batave, fort de la présence du Recteur
Magnifique de l'Université, réaffirme contre ces calomnies tenaces l'uni-
versalité de l'Eloquence, et l'éminence de son rang au-dessus des sciences
particulières, clef de voûte de l'Encyclopédie. Principe de la culture,
l'Eloquence est aussi principe de la civilisation: sur ce point encore,
Pierre Bertius réaffinne une des convictions essentielles de l'humanisme,
une des lignes de partage les plus nettes qui la sépare de l'inspiration
contemplative qui animait la culture scolastique et monastique. C'est de
l'Eloquence, comme l'enseigne le mythe d'Orphée, que la société humaine
38 ROME ET LA QUERELLE CICÉRONIENNE

a pris son départ. C'est par elle que cette société primitive s'est consti-
tuée en corps politique, en foyer d'échanges économiques et commerciaux,
en Eglise. Sous le signe humaniste de l'Eloquentia, la vie religieuse elle-
même n'est plus un ordre à part, mais un réseau d'échanges étroitement
imbriqué dans le tissu de la société civile, et contribuant au même titre
que les liens politiques, juridiques et commerciaux à resserrer celui-ci.
Sans cesse, dans la bouche de Pierre Bertius, reviennent les mots
communicare; transmittere, inséparables des mots Res publica et societas :
origine de la société civile, l'Eloquence fait circuler dans ses rangs l'éner-
gie de la communication et de la transmission qui la vitalise et la recrée
sans cesse. Qu'elle disparaisse, ou qu'elle soit humiliée, comme le veulent
ses adversaires, et aussitôt, nous dit Pierre Bertius,
le COl:lmerce s'évanouirait, les échanges techniques et intellectuels
seraient anéantis, avec les cultes divins, les lois, les traités, les réunions
où l'on débat des affaires publiques et privées, les assemblées où l'on
célèbre Dieu; chacun pour soi, réduit à la méditation solitaire, décou-
vrirait son inassouvissement, triste, séparé, misérable, semblable plutôt à
un être endormi qu'éveillé, à un mort qu'à un vivant [... ] Car le discours
(oralio) est le lien de la société, et s'il est retiré, celle-ci ne peut que se
défaire, au point de rendre inévitable la disparition du genre humain 1.

Société religieuse à l'intérieur de la société civile, l'Eglise, œuvre


humaine, n'échappe pas au principe de la communication: elle vit
d'homélies et de sermons (conciones), de conciles, de synodes, de débats
doctrinaux, de polémiques contre les hérétiques et les païens. Sans l'Elo-
quence, va jusqu'à dire Pierre Bertius,
il n'y aurait plus aujourd'hui sur la terre de Religion chrétienne, nOliS
n'aurions plus d'Eglise. Car il a plu à Dieu de susciter la foi parmi les
hommes par la prédication du Verbe, et d'instituer des assemblées louant
et célébrant dans le monde entier le nom de son Fils Jésus-Christ 2.

Ciment de la cohésion sociale, instrument de la durée et de la vitalité


des sociétés civile et religieuse, l'Eloquence est perçue par Pierre Bertius
comme une énergie utile, circulant dans les canaux d'institutions qui
sont autant d'organes du corps politique. Dans la liste qu'il établit des
illustrations françaises et modernes de l'Eloquence, nul de ces écrivains
canonisés depuis par l'histoire littéraire, et qui nous semblent aujourd'hui
résumer le Zeitgeist de l'époque: mais une série de «sçavans» repré-
sentant la République des Lettres, L'Hospital, Budé, Pibrac, Cujas, Le

l Petri Bertii de Eloquentiae vi atque amplitudine oratio, habita Lutetiae


Parisiorum in Collegio Becodiano, quum l?hetoricae Aristotelis explicationem
agrederetur, Parisiis, apud Mathurinum Henault, 1621, dédié à Henri de Bour-
bon, évêque de Metz, in_8°, 81 p., p. 18-19. Sur la biographie de Bertius,
hollandais arminien réfugié en France, voir Petri Bertii oratio in qua suae
Galliam migrationis consiliorumque rationem exponit, habita Lutetiae Pari-
siorum in Collegio Becodiano, Paris, C. Morel, 1620, 4°, 52 p.
2 Ibid., p. 27.
AETAS CICERONIANA 39
Fèvre, Scaliger j une série de hauts magistrats représentant l'institution
parlementaire: Du Vair, Jeannin, Verdun, Boissise, Nicolaï, Servin, Bi-
gnon j une série de théologiens « humanistes ~, représentant une Univer-
sité accordée à l'esprit de la Renaissance: Garnache, Grangier, Petau j
des orateurs, représentant l'Eglise post-tridentine: Col!ffeteau et le
P. Athanase. Cette Eloquence solidement arrimée aux institutions est le
reflet, dans le concret social, de l'idéal d'union entre Eloquentia et
Sapientia qui est la clef de la culture humaniste, mais qui est aussi un
verrou retenant l'Eloquence à l'intérieur de limites précises, loin des
tentations de la littérature:
De même, proclame Pierre Bertius, que l'Eloquence n'est rien sans la
Sagesse, de même la Sagesse est inutile lorsqu'elle est privée de l'appui
et du secours de notre discipline 3.

Nécessaires l'un à l'autre, réduits à néant l'un sans l'autre, Raison


et Oraison, Cœur et Bouche ne peuvent que s'attacher l'un à l'autre. Mais
dans cette alliance, si l'Eloquence selon Bertius a le beau rôle, c'est au
prix du sacrifice d'une autonomie « littéraire» à laquelle notre régent ne
songe nullement, sauf à écarter en quelques mots le péril de la «vaine
volubilité verbale» loin de l'Eloquence «érudite et prudente ~ '. Inscrite
dans une société, administrée par des institutions, l'Eloquence est de
surcroît mise au service d'un savoir dont elle tire sa « grandeur»
et auquel elle communique sa puissance. Les genres à l'intérieur desquels
elle s'exerce sont les seuls genres graves que l'érudition et la piété
humanistes ont cultivés: disputes philosophiques et philologiques, His-
toire, Lettres, sermons et œuvres édifiantes. La poésie - qui est l'enfance
et l'origine de l'éloquence - ne figure dans le paysage de cette culture
qu'au titre de propédeutique à la gravité du discours professionnel des
doctes, des magistrats, des théologiens, des prédicateurs. Et c'est juste-
ment parce qu'il se fait une si haute idée de l'utilité politique, sociale,
religieuse et scientifique du discours, que Pierre Bertius distingue avec
soin l'Eloquence de la Rhétorique. Non qu'il condamne celle-ci: il s'ap-
prête à commenter une année durant la Rhétorique d'Aristote. Mais il est
trop soucieux de lier l'Eloquence à la Sagesse pour compromettre la
première avec une technique qui se tiendrait elle-même pour sa propre
fin:
On croit que la tâche de l'Orateur parfait consiste à savoir à fond
ce qu'à l'école on enseigne de préceptes du discours [ ... ] On dispute minu-
tieusement de la nature de l'art, de son pouvoir, de sa finalité, on examine
scrupuleusement sa définition, et l'un après l'autre, on enseigne les espè-
ces, les nombres, les noms, les formes, les descriptions, les exemples, des
choses qui relèvent du discours. On inculque les catégories et les marques
des tropes et des figures, avec tout ce qui s'ensuit; et cela fait, on croit
avoir enseigné et transmis tout ce qui est propre à rendre éloquent 6.

3 Ibid., p. 10.
4 Ibid., p. 38.
6 Ibid., p. 31-32.
40 ROME ET LA QUERELLE CICÉRONIENNE

Cette pédagogie est manifestement, aux yeux de Pierre Bertius, une


survivance du formalisme et du technicisme des grammatici médiévaux,
qui ont perdu l'Eloquence 8. C'est de la c cuisine» (culina). L'éloquence
suppose d'abord une vaste culture, philosophique, oratoire, poétique et
historique: elle exige que l'on ait fait des extraits de ces lectures, et s'il
est vrai qu'il faut connaître les préceptes de l'art, ceux-ci n'ont de sens
que dans l'exercice, dans la pratique, à l'imitation des meilleurs auteurs.
Il faut écrire chaque jour, il faut traduire abondamment du Grec en
Latin, du Latin en Grec, il faut s'essayer en vernaculaire à rivaliser avec
les maîtres de l'Antiquité. Il faut enfin se livrer à l'exercice antique de la
déclamation, qui prépare sur le mode fictif à l'éloquence professionnelle,
soit sous la forme orale de la con cio, soit sous la forme écrite du fragment
d'histoire, du dialogue, de la lettre, de la critique, sur des sujets païens
et mieux encore chrétiens. Ainsi la rhétorique, évitant le double péril du
pédantisme myope et de la sophistique, prendra-t-elle place dans un vaste
procès d'acquisition à la fois du savoir et de son expression, dans un
programme d'éducation vraiment libérale. Pierre Bertius tire ainsi les
leçons des débats du XVI" siècle sur la rhétorique et l'éloquence. Il propose
une pédagogie humaniste de l'expression cultivée à l'usage de futurs
professionnels de la parole et de l'écriture, membres de l'élite savante,
politique, juridique et religieuse d'une civitas française dont il célèbre
la vocation à l'éloquence, reconnue dès l'Antiquité à nos ancêtres les
Gaulois. Pour autant, il se tient soigneusement, sans même y prendre
garde, hors du domaine de ce que nous appelons aujourd'hui littérature.
Il n'y a pas à ses yeux de statut légitime pour un mode d'écriture qui
n'aurait d'autre fin que la délectation de ses lecteurs, et qui, puisant lui
aussi dans le réservoir de pensée et de formes légué par l'Antiquité, en
tirerait des œuvres qui n'auraient d'utilité sociale, politique et religieuse
qu'indirecte et médiate. Cette cécité ne lui est évidemment pas particu-
lière. C'est celle de toute la culture officielle Louis XIII.
I! va de soi qu'un Pierre Bertius, justement parce qu'il représente si
bien l'opinion de son milieu et de son temps, ne saurait nous introduire
à autre chose qu'une version déjà quelque peu figée, établie, pharisaïque,
de l'humanisme. Néanmoins, si nous remontons aux origines de la trame
sur laquelle notre régent brode ses figures raides et pompeuses, nous
retrouvons, à un tout autre niveau d'invention, d'audace, et de vigueur
philosophique, le même parti pris de rupture avec le modus scholasticus
de la culture médiévale, et d'appel à un modus oratorius perdu depuis
l'Antiquité païenne et chrétienne, pour féconder ce que l'humanisme flo-
rentin a nommé vita civile, une civilisation de la communication et de
l'échange où la société ecclésiastique n'est plus, en dernière analyse,
qu'un organe parmi d'autres, le plus noble peut-être, d'un corps social,
d'une civitas, d'une Res publica à travers lequel se réalise le destin de
l'uomo universale, dans le langage et par le langage rendu à sa pleine
puissance et à son entière variété. Le mythe de l'Eloquentia et de l'Orator,

6 Ibid., p. 33.
AETAS CICERONIANA 41
que Bertius répète à Paris. en 1621 après qu'il a été célébré en Italie par
les chanceliers humanistes de Florence, par les Lorenzo Valla et les
Ange Politien, vise A offrir un dénominateur commun à toutes les for-
mes d'aristocratie, y compris et entre autres à l'aristocratie sacerdotale,
à permettre leur dialogue et leur collaboration pour le bien commun. 1\
s'agit bien d'une mutation décisive, même si aucune date précise ne peut
lui être assignée, même si ses conséquences à long terme dans l'ordre
spéculatif comme dans l'ordre concret n'ont pas fini, aujourd'hui encore,
d'en être tirées. Quelles qu'aient pu être les 4: racines» de la Renaissance
dans' la culture médiévale, on ne peut plus guère douter aujourd'hui,
après les travaux de P.O. Kristeller, d'Eugenio Garin, de Hans Baron, de
Franco Simone, qu'il y eut en Italie et en Europe, du XIV' au XVII" siècles,
apparition d'un nouveau style de culture, même si celui-ci, à travers
guerres, ruines, souffrances et nostalgies, ne s'imposa que lentement et de
façon discontinue, même si d'énormes fragments de civilisation médiévale
survécurent longtemps au style de culture qui lui correspondait et qui
s'était déjà en grande partie épuisé. Quel est le trait essentiel par lequel
le nouveau style <le nôtre, aujourd'hui encore) se distingue de l'ancien?
Peut-être en trouverons-nous chez Etienne Gilson, avec sa double autorité
d'historien de la culture médiévale et d'humaniste moderne, la définition
la plus tranchée et courageuse. Dans un texte paru en 1974, l'auteur des
Idées et les Lettres voit dans l'humanisme de la Renaissance le triomphe
d'une culture à dominante oratoire, sur une culture A dominante philoso-
phico-théologique, spéculative et contemplative. L'essence de l'humanisme
est l'idéal romain d'eloquentia, restauré dans la culture européenne avec
une fonction analogue - mais polémique cette fois, A celle qu'elle avait
occupée de Cicéron à saint Augustin, dans la culture de la Rome républi-
caine, impériale et chrétienne:
Dans les œuvres de type scolastique, écrit Etienne Gilson, ou comm~
on dit moins exactement, médiéval, le nom propre de l'auteur le plus fré~
quemment cité est celui d'Aristote; c'est encore l'aetas aristoteliana ; dans
celles du type que nous nommerons «humaniste », le nom qui revient
sans cesse est celui de Cicéron; c'est déjà l'aetas ciceroniana. En même
temps que ce changement porte sur des personnes, il signifie ce que, dans
/lotre jargon moderne, nous appelons une mutation dans le type dominant
d'une culture. La scolastique des XIII" et XIV" siècles avait établi la pré-
dominance de la philosophie, la culture intellectuelle des XV' et XVI' siècles
marque la revanche des Belles-Lettres sur la philosophie. Le poète de la
Bataille des Sept Arts avait prédit que le jour viendrait de cette ven-
geance. Elle s'exerce au XV· siècle sous le nom et patronage de Cicéron.
Comme Aristote avait été le philosophe, Cicéron devient alors l'Orateur,
orator noster 7.

De ce constat, Etienne Gilson déduit les traits fondamentaux d'une


culture oratoire qui, née avec Pétrarque, n'a plus cessé jusqu'à nous de

1 Etienne Gilson, Le Message de l'Humanisme, dans Culture et politique


en France à l'époque de l'humanisme et de la Renaissance, études réunies ef
présentées par F. Simone, Accademia delle Scienze, Turin, 1974, p. 4.
42 ~OME ET LA QUERELLE CICÉRONIENNE

soutenir la pensée et l'action de l'Europe. En régime c cicéronien », nous


dit-il, l'accent se déplace de la nature des chpses à celle de l'homme, et
de l'homme sociable, organisé en cités réglées par des lois d'origine
humaine.
Ce qui rend la société possible, poursuit Etienne Gilson, c'est le lan-
gage. Dire que l'homme est un animal sociable et que c'est un animal
parlant, c'est donc dire la même chose [ ... ] Le reste est important, mais rien
ne l'est autant que ce privilège humain du langage, grâce auquel les
sociétés deviennent possibles, et avec elles leurs lois, leurs institutions,
leurs arts, leurs sciences, et leurs philosophies. Mettre ainsi l'animal par-
lànt au centre de tout, c'est se placer au point de vue cicéronien par
excellence, celui de l'homo loquens. C'est aussi professer l'humanisme en
son sens premier et plénier. L'orateur se trouve du même coup promu à
la première place dans la hiérarchie des êtres vivants, et particulièrement
des êtres humains. Si l'homme est essentiellement un animal parlant, un
« locuteur », celui qui parle le mieux est aussi le plus pleinement homme.
L'art de bien parler se nommant éloquence, on dira que l'homme le plus
parfaitement homme est aussi celui qui pousse le plus loin la maîtrise
de cet art. Pour savoir parler, il faut avoir quelque chose à dire: toutes
les sciences et tous les autres arts entreront naturellement dans la for-
mation de l'orateur, vir doctissimus sed et eloquentissimus. Il se produit
alors comme un retournement de la hiérarchie des connaissances, au lieu
de s'ordonner, comme dans les sciences, selon leur plus ou moins grande
aptitude à faire connaître le réel, elles vont se classer selon leur valeur
comme instruments possibles de la parole, elle-même lien et règle des
sociétés 8.

Avec le succès de l'humanisme, la rhétorique au sens cicéronien du


terme, c'est-à-dire l'articulation de tout savoir et de toute vertu à une
parole qui les rendent opérantes dans la société, devient le principe uni-
fiant de la culture. On voit au XVI" siècle l'Eglise accorder au Prédicateur
et aux artes concionandi une autorité et une dignité qu'elle réservait pré-
cédemment au Théologien et au Moine contemplatif. On voit la caste
féodale accorder à l'homme de Cour, virtuose dans l'art de la lettre et de
la conversation, une considération qui vient balancer le prestige tradi-
tionnel de l'homme d'épée. On voit les chefs d'Etat et les magistrats
mettre leur point d'honneur à se faire passer pour éloquents. Les plus
c contemplatifs» parmi les humanistes, les philologues, ne se renferment
pas dans leurs studieux travaux: on voit ceux que Charles Nisard a
nommés les c Gladiateurs de la République des Lettres» nourrir des
fruits de leur c critique» des œuvres « éloquentes », lettres, poèmes, dis-
cours, histoires, préfaces, dont le genre, la forme et le style sont calculés
pour agir le plus efficacement sur le public. L'imprimerie, comme le
remarquera Naudé, a d'ailleurs élargi à d'innombrables lecteurs répartis
dans toute l'Europe le public du Forum, de l'Ecole de déclamation, et de
l'ecclesia antiques.

8 Ibid.
AETAS CICERONIANA 43
Même pour dire que les c mots,. comptent moins que les c choses ,.,
l'humaniste du XVI" et du XVII" siècles prend un parti oratoire et stylis-
tique qui l'engage au moins autant que ses choix philosophiques et reli-
gieux. Le sens et la portée de son œuvre ne sauraient être évalués pleine-
ment si, pour mieux étudier le dosage de ses «idées,., on néglige sa
situation sur l'échiquier rhétorique de son temps.
Dès lors, la biographie de Cicéron, orateur civique, et son œuvre de
théoricien de l'éloquence, acquirent une valeur exemplaire et servirent de
référence centrale. Parmi les redécouvertes du Trecento, Hans Baron a
mis justement l'accent sur l'importance de la remise en lumière par Pétrar-
que des Lettres à Atticus 9, puis à la génération suivante, des Lettres
familières par le Chancelier de Florence, Colluccio Salutati 10. Le Moyen
Age n'avait certes pas ignoré Cicéron, mais n'avait vu souvent en lui
qu'un stoïcien de plus, précurseur à sa manière, mais comme Sénèque, du
détachement du monde et de l'idéal monastique. La révélation des Lettres
était celle de l'homme et de l'orateur, dans le plein exercice, tourmenté
et dramatique, de sa fonction et de ses responsabilités civiques, parmi les
derniers soubresauts de la République romaine.
Pétrarque, écrit Hans Baron, fut le premier à rencontrer Cicéron face
à face. Il vit un citoyen romain qui démissionne de ses offices publics sur
un coup de tête, en réaction à la victoire de César; qui, de sa retraite
campagnarde, suit les événements politiques avec une attention fiévreuse,
et qui, après l'assassinat de César, se jette dans la confusion de la guerre
civile, et court à sa ruine. Pétrarque, humaniste du Trecento, recula
d'horreur à cette découverte. Il écrivit sa fameuse lettre d'accusation à
l'ombre de Cicéron dans l'Hadès: «Comment as-tu pu déployer tant
d'efforts, reproche-t-i1 à son idole déchue, et renoncer au calme qui conve-
nait à ton âge, à ta position, à ta destinée? Quelle vaine faim de gloire
t'entraîna-t-elle vers une fin indigne d'un sage? 0 combien il eût été
mieux séant si toi, philosophe, tu avais vieilli dans un paysage campa-
gnard, y méditant sur la vie éternelle, sans aspirer aux fasces consulaires
et aux triomphes militaires... ? 11 ,.

9 Hans Baron, The crisis of the early florentine Renaissance, civic huma-
nism and republican liberty in an age of classicism and tyranny, Princeton,
Univ. Press, 1955, 2 vol., t. l, p. 97. (Une deuxième éd. rev. ibid. 1966, 1 vol.)
Voir également du même auteur, Humanistic and politicalliterature in Florence
and Venice at the beginning of the Quatfrocento, Cambridge, Mass. 1965, et
From Petrarch to Leonardo Brllni, sfudies in Humanities and politicalliterature,
Univ. of Chicago Press, 1968; de ses disciples, voir Jerro1d E. Sei gel, Rhetoric
and philosophy in Renaissance humanism, Princeton, 1968,.surtout p. 173-262,
et Renaissance studies in honor of Hans Baron, ed. by A. Molho and J. Tedes-
chi, Florence, Sansoni, 1971.
10 Voir outre Baron, Eugenio Garin, dans Storia della letferatura italiana,
Milano, Garzanti, 1971, t. Ill, p. 13, «Colluccio Salutati e la vita civile:>, et
p. 77, «Poggio Bracciolini e la scoperta degli codici antitichi >. Sur la rhéto-
rique à rlorence au Quattrocento, et la fonction de Quintilien comme auxi-
liaire de Cicéron et de Virgile dans l'éducation oratoire, voir Politien, Oratio
super Fabio Quintiliano et StaW Sylvis, dans Opera, Bâle, Nicolas Episcopius
Junior, 1553, in-fo, p. 492 et suiv. Voir surtout, p. 496, l'éloge de l'éloquence,
tissu conjonctif de la civitas, lien entre l'actualité et l'Origine (heroica tem-
pora), et mode privilégié de manifestation de la grandeur d'âme.
I l Baron, The crisis ... , ouvr. cit., t. l, p. 98-99.
44 ROME ET LA QUERELLE CICERONIENNE

Ultime mouvement de recul du clerc médiéval devant un type d'hom-


me à la fois très ancien et très nouveau, celui de l'Orator qui fonde sur
le prestige de sa parole son pouvoir actuel dans la Cité et sa gloire
future dans l'histoire. L'Orator renaît en même temps que l'Urbs ; il se
détache sur un paysage urbain et politique, qui rejette au fond du décor
l'horizon philosophique et théologique. Ce qui indigne Pétrarque exaltera
les générations suivantes d'humanistes florentins: l'empire de la parole
de Cicéron sur la Rome des guerres civiles, sa mort tragique, sa gloire
victorieuse des siècles, feront alors de l'éloquence l'essence même d'un
nouvel idéal de vila civile 12, un pari de la liberté et de la raison humaines
aux prises avec l'incertitude des passions et de la fortune. La Renais-
sance de l'Orateur a partie liée avec la Renaissance du Héros: dans les
Vies parallèles de Plutarque, la biographie de Cicéron et celle de Démos-
thène sont deux exempla héroïques. L'éloquence des deux orateurs est la
manifestation de leur magnanimité. Et si Plutarque semble préférer le
style de Phocion à celui de Démosthène, le style de Caton d'Utique à
celui de Cicéron, il n'en reste pas moins que ces diverses manières de
décliner la grandeur d'âme héroïque empruntent toutes une voix éloquente
pour exercer leur empire sur la foule et pour perpétuer leur mémoire
dans la postérité.
Même lorsque les illusions d'une souveraineté politique immédiate de
l'éloquence se seront dissipées avec l'échec de la République florentine,
les régimes de principat et de monarchie, les sociétés de Cour ne renie-
ront pas l'essence oratoire de la nouvelle culture. A l'exemple des géné-
raux et empereurs de l'Antiquité, princes et rois ne négligeront pas d'ajou-
ter à leur souveraineté de fait le prestige de l'éloquence, soit qu'ils
l'exercent eux-mêmes, soit qu'ils en confient l'exercice aux humanistes
dont ils s'entourent. Pour Castiglione, Cicéron reste le paradigme sur
lequel il dessine son portrait du courtisan-diplomate-conseiller du Prince,
comme il avait été le modéle de l'homme d'Etat républicain pour les
Chanceliers florentins du XV· siècle. Pour avoir parié sur les prestiges
et le pouvoir de la parole, Cicéron inspire aus&i la culture des Cours, où

12 Sur l'éloquence hl1maniste comme médiation entre la philosophie et la


vie politique, voiï H. Baron, « Cicero and the roman civic spirit in the Middle
Ages and the early Renaissance". dans Bulleiin of ihe John Rylands library,
XXII, 1938, p. 32-97. Baron <l tout spécialement étudié un des chanceliers
humanistes de Florence, Leonardo Bruni (1370-1444), dans Leonardo Bmni are-
tino, humanistisch philosophische Schrifien, mit einer Chronologie seiner Werke
und Briefe, Leipzig-Berlin, Teubner, 1928, et Humanistic and political literaiure
in Florence and Venice ... , ouvr. cit. Bruni est l'auteur d'un Cicero novus seu
Ciceronis vita (1415), publié dans Schrifien ... , ouvr. cit., p. 113-121, où l'Ar-
pinate est présenté comme l'exemple de la vita civile héroïque, alliant gran-
deur d'âme et éloquence au service de la Cité. Sur les dernières années de la
République florentine et les derniers efforts pour maintenir l'éloquence comme
axe de la vita civile, voir Delio Cantimori, "Rhetorics and politics in Italian
humanism~, j.C.W./., vol. l, 1937-1938, p. 83-102. Le meilleur traitement de
cette question nous semble celui d'E. Garin, dans La cultura filosofica deI
Rinascimenio iialiano, Florence, Sansoni, 1961, p. 3 et suiv., «1 Canccllieri
umanisti della Reppublica fiorentina da Collucio Salutati a Bartolommeo Scala ».
AETAS CICERONIANA 45
l'art de réussir parmi les passions et les vicissitudes de la fortune est
d'abord un art de bien dire ce qu'il faut au bon moment et au bon
endroit .
De même que Cicéron 18 incarne, par sa biographie, la réussite et les
risques héroïques de toute carrière oratoire, il offre dans son œuvre
rhétorique le modèle de la conscience oratoire: définir un art du discours
est la suprême victoire de la parole humaine, cette fois sur l'incertitude
de la parole humaine elle-même. L'Aetas ciceroniana n'est donc pas seu-
lement l'âge du débat oratoire ininterrompu sur tous les problèmes qui
divisent les hommes vivant en société, il privilégie comme enjeu de ses
disputes l'art oratoire lui-même, dont les sources, les méthodes et les
instruments d'analyse déterminent la nature et le style des échanges so-
ciaux, et de la culture tout entière. Dans ce débat, qui s'exacerbe au
XVI" siècle, le Pater eloquentiae latinae, l'auteur du De Oratore, est encore
une fois la référence centrale. Les c anti-cicéroniens,. du XVI" siècle
combattent leurs adversaires avec des arguments empruntés à Cicéron.
Et les « cicéroniens» ne se privent pas de prendre des libertés avec leur
héros éponyme, pour mieux rester fidèles, dans une situation historique
différente de la sienne, à l'esprit de sa doctrine rhétorique. C'est que,
dans le développement de la rhétorique antique, Cicéron occupe une place
stratégique, au carrefour de la tradition hellénique et de la tradition
romaine. C'est lui aussi qU! a le r:1!CtlX incarné et défini le caractère
oratoire de la culture romaine. Pour citer de nouveau Etienne Gilson:
c Avec le règne de Cicéron, la tradition romaine prend le relais de la
tradition grecque ». Pour la seconde fois, la philosophie grecque se
métamorphose en topique pour hommes d'Etat, avocats, écrivains et mora-
listes qui tous au fond sont des orateurs, ne séparant pas savoir et
sagesse de leur mise en œuvre éloquente dans la «vie civile », dans les
combats et débats toujours recommencés d'une société civilisée.
Pour saisir l'idéal romain d'eloquentia, on ne peut éviter de passer
par Cicéron. Non seulement parce qu'il introduit à Rome, sous le signe
conciliateur du scepticisme académique, une sorte d'encyclopédie de la
philosophie grecque (mère des syncrétismes de la Renaissance), mais
parce qu'il articule à ces sources de l'invention une synthèse de la rhéto-
rique grecque et hellénistique, greffée fort habilement par ses soins sur la
tradition d'éloquence politique et judiciaire du Forum romain. Inventeur
à Rome de l'histoire littéraire, son jugement critique sur la prose latine
antérieure à la sienne est le point de départ de toute « lecture.,. de l'élo-
quence républicaine. Après Cicéron, les écrivains latins, païens et chré-
tiens ne purent éviter de définir leur esthétique par rapport à celle du
« Père de l'éloquence latine » H bIs.

13 Sur la place de Cicéron dans l'histoire de l'humanisme voir W. Ruegg,


Cicero I/nd der Humanismus, Formale Untersuchungen über Petrarch und
Erasmus, Winterthur, 1946.
13 bl. Voir Alain Michel, Le dialogue des Orateurs de Tacite et la philosophie
de Cicéron, Paris, Klincksieck, 1962, surtout au ch. IX, et l'article «Rhéto-
rique, philosophie et esthétique générale.,., dans la R.E.L., 1973, p. 302-326.
46 ROME ET LA QUERELLE CICÉRONIENNE

Devenue pour l'Europe humaniste ce que les Enfers du chant VI de


l'Enéide sont pour Enée, un recueil d'Idées inspiratrices, la littérature
latine offrait le spectacle d'un vaste débat autour de Cicéron, où celui-ci
était à la fois l'Accusé, l'Avocat de la défense, et le Juge en dernier ressort.
La reprise de ce débat pendant l'Aefas ciceroniana n'est pas une affaire
marginale, une querelle sur les c mots:. dont l'importance est négli-
geable par rapport au débat d' c idées:. - donc de c choses:. - : bien
au contraire, ce débat est la c chose:. même, ou en tous cas il se tient
au plus près de celle-ci, à savoir l'esprit d'une nouvelle culture qui, dans
des conditions historiques différentes, a ceci de commun avec la culture
latine que pour elle l'homo sapiens est indissociable de l'homo loquens,
donc de l'homo polificus, et ceci de différent qu'elle en tire peu à peu,
dans la douleur et le déchirement, des conséquences que ni la Rome
palenne ni la Rome chrétienne n'avaient eu le temps, ni les moyens,
d'apercevoir.
Avant de décrire quelques aspects essentiels du débat rhétorique
autour de Cicéron au XVI" et au XVII" siècles, il n'est pas inutile de remet-
tre à la mémoire quelques étapes majeures de ce débat dans l'Antiquité
classique. Outre ia commodité, ce rappel aura peut-être le mérite de
donner à percevoir les couches successives dont la culture d'un huma-
niste du XVII" siècle est constituée et t'effet de répétition qui est au
principe de cette culture. Répétition au sens où on l'entend au théâtre:
reprise d'un même texte pour chaque fois l'interpréter avec des nuances,
voire des déformations expressives différentes, dans un approfondisse-
ment de soi que n'interromnt Das J11ême la représentation, puisque alors la
situation sur le plateau est modifiée par un public dans la salle, chaque
jour différent. L'imitation, comme la traduction, grâce auxquelles une
tradition oratoire humaniste, fille de la tradition oratoire latine, se consti-
tue en Europe, sont autant de trahisons légitimes que de réaffirmations
fidèles.

L'ouvrage de G. Kennedy, The art of rhetoric in the Roman World, Prin-


ceton, 1972, met parfaitement en évidence, après celui de A.D. Leeeman, Ora-
tionis ratio, Amsterdam, Hakkertz, 1963, cette fonction de référence centrale
exercée par l'œuvre et la théorie oratoire de Cicéron.
CHAPITRE PREMIER

LE « CIEL DES IDÉES» RHÉTORIQUE

CICÉRON, LE «DE ORATORE », LE c: BRUTUS », L' « ORATOR ,.

Les dialogues de Cicéron où il est débattu de l'éloquence étaient en par-


tie ignorés du Moyen Age. Au XIV' siècle seuls des fragments du De
Oratore et de l'Orator étaient connus d'un petit nombre de clercs. C'est en
1421 que l'évêque de Lodi découvre un manuscrit complet de ces œuvres,
et le texte inconnu du Brutus 14. Ce dernier traité contient une véritable
histoire critique de l'éloquence républicaine à Rome. L'humaniste Oas-
pare Barzizza fut chargé de leur transcription, et dès le dernier tiers du
XV' siècle, d'innombrables éditions et rééditions, à travers toute l'Europe,
répandirent ces œuvres qui étaient alors de surprenantes et fascinantes
nouveautés. La première différence entre l'homme c gothique :0 et l'homme
de la Renaissance, c'est que le second dispose d'une information incom-
parablement plus riche et plus complète sur l'Ars rhetorica des Anciens.
Nous verrons que la découverte de l'œuvre de Tacite, et celle du Traité
du Sublime, donneront les moyens à l'homme du XVIe siècle d'avoir sur
la rhétorique impériale un point de vue historique qui s'ajustait parfai-
tement avec le caractère évolutif, lié à des situations toujours chan-
geantes, de l'eloquentia antique. L'Aetas ciceroniana est aussi l'âge où
l'Europe naît à la conscience historique.


••
Ecrit en 55 avant J.-C., sous le triumvirat de César, Pompée et
Crassus, le De Oratore lG est le bilan de l'expérience oratoire de Cicéron.

14 Voir Remigio Sabbadini, Le scoperte dei codici latini e greci ne' secoli
XIVe XV, Florence, Sansoni, 1905, t. Il, p. 100, et Nuove ricerche ... Florence,
Sansoni, 1914, p. 209. Voir également R. Bolgar, The classical heritage and his
beneficiaries, Cambridge Univ. Press, 1954.
lG Sur le De Oratore et la doctrine oratoire de Cicéron, voir Alain Michel,
Rhétorique et philosophie dans l'œuvre de Cicéron, Paris, P.U.F., 1960, A.D.
Leeman, ouvr. cit. p. 112-135 et G. Kennedy, ouvr. cit. p. 205-259. Sur le
renouveau des études cicéroniennes, et la «nouvelle image:o de Cicéron, voir
A. Michel, «Cicéron et les grands courants de la philosophie antique, pro-
blèmes généraux (1960-1970):0, dans Lustrum, 16, 1971-1972, p. 81-103.
48 LE «CIEL DES IDÉES» RHÉTORIQUE

Celle-ci a connu son acme pendant le consulat de l'Arpinate, et un bref


regain décevant à son retour d'exil, en 57. Evitant le genre scolaire du
traité de rhétorique, Cicéron emprunte à Platon la forme du dialogue
philosophique pour traiter d'art oratoire. Il s'agit en effet de racheter
celui-ci du «soupçon» que font peser sur lui philosophes et «vieux
Romains », et de lui conférer le statut de principe organique de la culture
romaine. Le dialogue, réparti en trois «livres », aurait eu lieu en 91
avant J.-C. dans les jardins de la villa de Crassus à Tusculum, et ses
principaux interlocuteurs sont à la fois des maîtres du Barreau romain
et des hommes politiques de premier plan. Le recul ennoblissant du
temps, l'autorité des interlocuteurs, l'urbanité et la hauteur de vues qui
président à leurs échanges, tout concourt à faire de ce groupe d'orateurs
un modéle d'aristocratie sage, savante et pénétrée de ses responsabilités
civiques, une réussite de cet idéal oratoire dont le De Oratore trace le
programme.


••
Le thème essentiel du débat qui oppose Crassus à Antoine 18 porte
à la fois sur l'étendue de la culture que l'on doit attendre de l'orateur,
et sur la nature de son art. Sur le second point Crassus et Antoine tom-
bent d'accord: l'art oratoire n'est pas, comme le croient les rhéteurs, une
technique pédante qui à coup de régIes s'imagine pouvoir se substituer au
génie naturel; celui-ci est l'essentiel; pour autant, il ne faut pas tomber
dans l'excés des philosophes qui rejettent toute idée d'art: l'expérience
codifiée des générations antérieures n'est pas un secours à dédaigner, ni
l'exercice appuyé sur de bons modéles. Mais c'est un art, non une scien-
ce ; les qualités de celui qui l'exerce décideront de son succès ou de son
échec.
Sur le premier point, Crassus et Antoine diffèrent. Antoine pense que
l'orateur doit se contenter d'être assez cultivé pour exercer convenable-
ment son métier d'avocat. Crassus se fait de l'orateur une idée plus
ambitieuse: à ses yeux, le domaine de l'éloquence s'étend à toutes les
activités humaines et la culture de l'orateur doit être encyclopédique pour
être à la hauteur d'un rôle qui excède largement les limites du prétoire.
Dès lors que l'on suppose chez l'orateur une nature d'exception, et donc
l'appel de la grandeur, on ne saurait lui refuser d'aspirer à la magistra-
ture d'une grande éloquence qui soit l'âme ,de la Cité 17 •


••
Le second livre semble supposer qu'Antoine s'est rallié aux vues de
Crassus, ou du moins qu'il ne s'y était opposé jusque-là qu'afin de donner

16 Cicéron, De Oratore, texte établi et traduit par E. Courbaud, Paris,


Belles Lettres, 4' éd., t. 1.
17 Ibid., XLVI, 202, trad. cit., p. 72.
CICÉRON 49
au mattre de maison l'occasion de développer ses vues. A son tour de
célébrer l'universalité de l'art oratoire - instrument de la Justice, inter-
prète de l'Histoire, schola vitae, interprète de tous les autres arts, qui sans
lui ne se connaîtraient pas - et la grandeur de l'orateur, artiste suprême
et «organe de la vérité ». Antoine développe alors sa doctrine de l'in-
ventio, et analyse les trois officia de l'orateur: probare (grâce à la tech-
nique des loci argumentorum), conciliare (c'est le domaine de l'ethos),
movere (c'est le domaine du pathos). Ces deux domaines, celui de la
douceur et de la véhémence, sont fort voisins et ne diffèrent au fond que
par l'intensité. Antoine insiste aussi longuement sur les pouvoirs oratoires
de l'humour et de la plaisanterie, qu'il soumet au bon goût. Il a surtout
insisté sur le genre judiciaire, mais il analyse aussi les deux autres
grands genres de l'éloquence, le délibératif et le démonstratif (ou épidic-
tique). Enfin il conclut sur l'importance d'une bonne mémoire et de la
« mémoire locale» - mnémotechnique qui procède par association d'ima-
ges, elles-mêmes associées une fois pour toutes à une topique bien
coordonnée.

•••
Le livre III est entièrement consacré à l'élocution. Cette place considé-
rable accordée aux «mots» justifie sans doute, de la part de Crassus,
deux digressions sur l'importance de la culture philosophique chez l'ora-
teur 18. C'est que la science de bien penser et la science de bien écrire
(sapienter sentiendi et omate dicendi scientia) sont indivisibles. Elles
l'étaient à l'origine, en Grèce chez les grands législateurs, Lycurgue,
Solon, et à Rome, au moins à l'état d'aspiration, chez les Fabricius et les
Caton. Elles l'étaient encore à Athènes, chez un Thémistocle, chez un
Périclès. Socrate, éloquent s'i) en fut, rompit pourtant cette unité origi-
nelle entre la pensée et la parole active en attachant à l'éloquence le
1'0upçon d'immoralité. Ainsi naquit le divorce entre philosophie et rhéto-
rique et se développèrent côte à côte les diverses écoles philosophiques
et les diverses écoles de rhéteurs.
Il faut donc, sans renier les richesses accumulées de part et d'autre en
cours de route, reconstituer l'unité originelle entre philosophie et élo-
quence, entre contemplation et action:
De même que les fleuves, s'écrie Crassus, tombent de l'Apennin, ainsi,
tous descendus des hauteurs de la sag~sse, les genres dont je parle ont
pris des directions différentes. Les philosophes furent portés comme vers
une mer Supérieure, mer vraiment grecque, aux ports nombreux; les
orateurs au contraire, vers la mer inférieure, toute nôtre, flots dangereux,
hérissés d'écueils, où se serait égaré Ulysse même 19.

18 Ibid., t. III, XV-XX, 56-95, p. 23-38 et XXX-XXV, 120-143, p. 47-56.


19 Ibid., XIX, 69, p. 28.
50 LE «CIEL DES IDÉES:.> RHÉTORIQUE
Médiateur entre la « mer supérieure:.> et la « mer inférieure », le nou-
vel orateur que Crassus appelle de ses vœux n'est pas un simple avocat,
mais un magistrat-législateur, qui imite Périclès et Démosthène.
Ayant ainsi payé son dû au soupçon de sophistique qui pèse sur l'art
oratoire, Crassus est plus libre de défendre la cause de la Beauté, dont
la Grèce a donné le sens à Rome. Il constate la diversité des grands
orateurs, les nuances individuelles qui séparent leurs styles: «L'élo-
quence revêt une multitude presque infinie de formes et de figures [ ... ]
différentes d'as')ect ; tant de manières diverses ne peuvent se plier aux
mêmes règles et aux mêmes leçons 20. 1> Pourtant l'éloquence est une.
Elle suppose un art commun à tous, qui rend possible la transmission
pédagogique.
Selon Crassus et Cicéron, les principales qualités du « meilleur style 1>
sont la correction (latinitas), la clarté (ut ea quae dicimus intellegantur),
le decorum (convenance) et l'ornement (ornate dicere). Les deux premières
qualités sont des conditions pour ainsi dire élémentaires: seul l'ornatus
modulé selon le decorum révèle le grand orateur. Et c'est à en étu-
dier avec la plus grande précision les moyens que Crassus consacre
la dernière partie du dialogue: le choix des mots (delectus verborum),
leur arrangement (collocatio verborum), leur rythme (modus) et le tour
harmonieux (forma). Sur ces deux derniers points, Cicéron par la voix
de Crassus juge bon de justifier une fois encore ses analyses aux yeux
de l'esprit de sérieux (severitas) des philosophes et des «Vieux Ro-
mains :.>. Cette introduction du rythme dans la prose oratoire, loin de la
faire glisser vers l'afféterie, lui confère les pouvoirs de la poésie: imiter
la Nature. Or, dans la Nature, tout est utile, et pourtant tout est rythmé
par le nombre, car justement c'est cette exacte adaptation de la forme à
la fonction qui identifie utilité et beauté. La voûte céleste, le corps de
l'homme, suprême œuvre d'art, la structure d'un navire, celle d'un temple
parfait comme celui de Jupiter Capitolin, sont exactement adaptés à leur
fin propre et obéissent pour cela à un rythme parfait qui donne au
spectateur, par son élégance (venustas), une grande volupté (voluptas) 21.
Tout ce passage est la plus belle définition de l'art classique que l'on
puisse formuler: la beauté n'y est pas définie comme un ornement sura-
jouté, mais comme la perception d'une rationalité interne et organique,
donc vivante, de l'œuvre d'art, dont le modèle est le corps humain. Le
luxe n'est pas le superflu, mais le nécessaire, la plénitude du nécessaire.
Naturellement, le rythme de la prose est plus difficile que celui du
vers, régi par des règles strictes (oratio stricta). Rien n'est plus flexible
que l'oratio dite justement soluta (libre de toute entrave), la prm.e. Il faut
donc trouver une cadence à la fois rigoureuse et souple, un peu comme

20 Ibid., IX, 33, p. 15.


21 Ibid., XLV, 178-179, p. 72. Sur l'esthétique de Cicéron, voir Alain Michel,
Rhétorique et philosophie ... , ouvr. cit., ch. V, «De l'efficience à la beauté, les
discours de Cicéron comme œuvres d'art:.>, p. 298 et suiv., et surtout p. 322,
«La contemplation cicéronienne ».
CICÉRON 51
les gouttes de pluie, qui tombent à intervalles 22. Ces intervalles ne doivent
I!tre ni trop courts, pour ne pas couper la période (circuilus), ni trop
longs, pour ne pas risquer la monotonie. L'art d'orner la période n'est
donc pas la moindre partie de l'art oratoire: c'est même par cet aspect
du discours que celui-ci échappe à ses circonstances occasionnelles, pour
s'accorder à l'ordre profond et l1Jusical qui régit le monde. Les méta-
phores du corps humain et des gouttes de pluie nous ont donné à perce-
voir cette harmonie entre l'Art et la Nature, entre la période cicéronienne
et la révolution des astres, l'une et l'autre désignées par le même mot
(circuitus). Cet accord entre l'ordre humain et l'ordre divin du monde
n'est pas seulement sensible aux auditeurs cultivés, dont l'oreille est
formée. Même les ignorants l'ente'ldent et le savourent sans comprendre.
Un « instinct puissant et extraordinaire" (magna quaedam vis incredibi-
lisque naturae) leur fait reconnaître la réussite artistique et regretter
l'échec. «C'est que l'art, ajoute Crassus, a son fondement dans la Nature,
et s'il ne réussit pas à produire un mouvement de plaisir, par des moyens
tout naturels, il semble bien avoir manqué complètement son but 23. " La
consonance de la prose oratoire avec l'ordre profond de la nature, que
même les ignorants pressentent, introduit dans la forme même du dis-
cours un principe de haute contemplation qui, tout en concourant à
renforcer son effet, le relie aux choses éternelles: pour l'heure, la per-
ception de cette note juste par l'auditoire, savants et ignorants, aide
puissamment l'orateur à calmer les passions, rétablir la concorde, et
introduire un peu de l'harmonie cosmique dans les débats de la Cité. Le
plaisir esthétique est donc un « chemin de velours» qui ne détourne pas
de l'ordre du monde perçu par le sage selon Platon, ni de l'ordre de la
Cité réelle dont le politique selon Aristote a la charge: fécondant l'un
par l'autre, il en communique le désir à la foule elle-même.
Crassus traite enfin des figures de pensée et des figures de mots, de
l'appropriation (quid aptum sil) du style aux circonstances et au public, et
enfin de l'actio oratoria, l'art d'interpréter le discours en public .

•••
L'alliance de l'éloquence et de la philosophie dans le De Oratore
fait de ce dialogue un programme complet de culture intellectuelle 24.
Mais les références constantes de Cicéron à la poésie, à la musique, à la
peinture, à l'architrcture, à la sculpture, à l'art du comédien, donnent à
l'éloquence telle qu'il la conçoit (sapientia moderafrix artium) une fonc-
tion régulatrice de tous les autres arts, et font aussi de ce dialogue un
programme complet de culture artistique. Cependant culture artistique
et culture intellectuelle n'y apparaissent nullement comme le privilège
d'une élite jalouse: les magistrats-orateurs que met en scène Cicéron

22 XLVIII, 185, p. 76.


23 LI, 197, p. 81.
24 Voir A. Michel, Rhétorique et philosophie, ouvr. cit., p. 80-149.
52 LE «CIEL DES IDÉES" RHÉTORIQUE

sont les médiateurs entre cette culture et le corps politique; l'éloquence, et


les arts qui lui font écho, communiquent sans cesse à celui-ci les éléments
d'une sagesse propre à créer un consensus librement accepté 211.
Nous l'avons vu dans le cas du jugement esthétique, l'attitude de
Cicéron n'est jamais celle de 1'« intellectuel qui va au peuple". Il est
persuadé que la doxa des ignorants eux-mêmes est l'amorce d'une sagesse
plus haute que l'orateur a pour tâche d'amener au jour 26. L'orateur est
pour lui une sorte de Socrate politique. Mais ce Socrate n'est plus tout à
fait celui de ~Iaton. Pour celui-ci la vérité est d'une autre essence que
les vraisemblances sur lesquelles tablent les rhéteurs pour règner sur les
âmes. Dans le Phèdre, plus nuancé en apparence que dans le Gorgias,
Socrate admettait qu'il pût exister une juste éloquence: mais celle-ci ne
pouvait être qu'une psychagogie de la vérité, une maïeutique, par con-
traste avec la persuasion rhétorique, soucieuse de réussir plus vite, et à
tout prix, fût-ce aux dépens de la vérité. Cicéron présente l'éloquence
comme une maïeutique, mais frayant son chemin dans une histoire et
dans une Cité, sans renoncer pour autant à cette pointe passionnée vers
l'absolu qui caractérise le platonisme. La sagesse que l'orateur cicéronien
veut faire triompher ne sera jamais la perfection ni la vérité en soi, mais
le réalisable et le probable étant donné l'état de l'opinion, les circons-
tances et les lieux 27.
Mais la doctrine du De Oratore avait de quoi irriter aussi bien les
plus intransigeants défenseurs de la tradition républicaine que les
aspirants à la tyrannie. Les premiers étaient choqués de voir la part que
Cicéron faisait à la delecfatio dans sa définition de l'art oratoire. Il y
avait là une concession faite à la foule qui corrompait en quelque sorte le
magistère traditionnel de l'aristocratie sénatoriale. Les seconds sentaient
fort bien que le De Orafore s'efforçait de retourner contre eux tout le
poids de la culture philosophique de la Grèce. César, dans un traité
intitulé De analogia répliqua à la doctrine cicéronienne par une apologie
de la latinitas que Cicéron rangeait parmi les conditions nécessaires, mais
non pas suffisantes, du style 28. Et dans le camp même de Cicéron une

2G Ibid., p. 597 et suiv. Sur le lien entre l'art oratoire et les beaux-arts cht!z
Cicéron, voir l'article de E.H. Gombrich, «The debate on primitivism in ancient
rhetoric~, J. W.C.I., vol. XXIX, 1966, p. 24-40, en part. p. 32, analyse d'une
page du De Oratore séminale pour les «schèmes historiographiques" de la
critique d'art de la Renaissance.
26 Ibid., p. 604, «Concordance entre les idéaux de Rome et les philoso-
phes~, et aussi p. 283, «Ironie et sagesse dans les discours de Cicéron ».
27 Sur les sources grecques du De Oratore, et les rapports du platonisme
avec le scepticisme académique dont s'inspire Cicéron, voir A. Michel, ouvr.
cit., p. 80-149. Voir aussi, p. 109 et suiv., la dette de Cicéron envers Aristote,
Qui le premier s'efforça de réconcilier philosophie et rhétorique séparées par
Platon.
28 Voir G. Kennedy, ouvr. cit. p. 240 et suiv. La réduction des qualités du
style à la latinitas est un trait commun aux « atticistes" qui critiquaient Cicé-
ron, et aux «cicéroniens" de la Renaissance, soucieux avant tout de la qualité
latine de leur prose écrite. Si bien que par un paradoxe dont les historiens
du cicéronianisme n'ont pas, à notre sens, perçu toute la saveur, les anti-cicé-
CICÉRON 53
fronde «atticiste:t, opposée à la doctrine cicéronienne de l'ornatus,
célébrait, en contraste du style orné d'Isocrate, le style pur et net de
Lysias, voire de Xénophon et de Thucydide. Dans les deux cas se faisait
jour un rappel du mos majorum romain opposé aux aspects rhétoriques
de la culture hellénistique.


••
Dans ses derniers dialogues sur l'art oratoire, Cicéron fut donc amené
à réfuter l'accusation d'asianisme, ou du moins d'isocratisme, portée
contre la doctrine stylistique du De Oratore. Dans le Brulus 29 dont le
héros éponyme, ami politique de Cicéron, était aussi le chef de file des
orateurs ({ atticistes:t, Cicéron polémique contre le mythe primitiviste
d'une antique « simplicité» dont se prévalent ses jeunes adversaires. Il
montre que ceux-ci, tout «vieux romains» qu'ils se veulent, se réclament
pourtant de la Grèce et d'Athènes, où il y eut autant d'éloquences que
d'orateurs « attiques ». L'« atticisme» romain est donc moins une résur-
gence du style des anciens consuls qu'un raffinement d'esthètes archaï-
sants, dont l'esprit de chapelle risque de faire perdre à l'éloquence latine
son emprise sur le public d'aujourd'hui. Dans le Brutus comme dans
l'Oralor, Cicéron insiste sur la thèse centrale du De Oratore : l'éloquence
est à la fois sagesse et parole, sagesse adaptée par l'art oratoire aux
circonstances et aux hommes réels, et non aux hommes d'autrefois. Si
l'orateur est l'ambassadeur de la vertu originelle parmi les hommes d'au-
jourd'hui, il doit la leur faire goûter et admirer, autant que la leur faire
connaitre. Et Cicéron propose dans l'Orator 30 une esthétique oratoire
ouverte et accueillante, capable de réconcilier en une synthèse neuve les
diverses tendances qui divisent le Forum, et qui témoignent, par leur
seule existence, de la rupture avec l'antique «simplicité ».
Le maître-mot de cette esthétique est varietas et Cicéron se réclame
de Démosthène, attique lui aussi, pour lui donner autorité contre les
tenants de Lysias. Cette variété est à la fois fécondité inventive et capacité
de changer de registre selon les circonstances, le sujet, le public.

roniens du temps de Cicéron deviennent les cicéroniens de la Renaissance et


les anti-cicéroniens du temps de la Renaissance qui se réclament de la diversité
des styles et de la varietas chère à Cicéron, peuvent passer pour ses plus
fidèles disciples ...
20 Cicéron, Brutus, texte établi et traduit par J. Martha, Paris, Belles Let-
tres, 1931. Sur l'interprétation du Brutus, voir A. Michel, ouvr. cit., passim,
G. Kennedy, ouvr. cit. p. 239-253, et A.D. Leeman, ouvr. cit. p. 136-167, ({ Cicero
and the Atticists ». Sur la notion de « primitivisme », voir E.H. Gombrich, «The
debate on primitivism ... », art. dt. p. 27 et suiv. où l'auteur met en évidence
les conséquences sur la critique d'art à la Renaissance du débat entre ({ atti-
cistes », nostalgiques d'une «Origine» plus pure, et «asianistes », accusés
de faire le jeu de la «corruption », à la fin de la République romaine. Voir
aussi A. Lovejoy, G. China rd, G. Boas, et R.S. Crane, A Documentary history
of primitivism and related ideas, vol. l, Primitivism and related ideas in Ant/-
quity, Baltimore, 1934.
80 Cicéron, Orator, texte établi par A. Yon, Paris, Belles Lettres, 1964.
54 LE c CIEL DES IDÉES:. RHÉTORIQUE

Si la diversité des occasions est Infinie, la fécondité oratoire peut


néanmoins être classifiée en trois genera dicendi, dont la hiérarchie
dessine l'échelle des styles que le grand orateur, tels Démosthène, ou
Cicéron lui-même, a le pouvoir de parcourir. Cette fripertita variefas,
gamme dont l'orateur est le m·oderafor, résume en quelque sorte les pou-
voirs de l'éloquence: Je choix de l'une ou l'autre «clef» de style est
commandé par le decorum, ce que les classiques français appelleront
bienséance, c'est-à-dire l'exacte proportion entre le style adopté et les
circonstances, le sujet, le public, la personne de l'orateur. Le verbe des
temps héroïques est sans doute perdu, comme la vertu originelle, une,
simple et sobre, qui en était la source: mais en échange, la multiplicité
des genera dicendi et les pouvoirs divers d'un verbe artiste nous sont
donnés, irrigués par les sources diverses d'une culture philosophique
éclectique. Le somptueux Midi de l'éloquence vaut bien, en somme, son
austère et naïve Aurore.
Au premier degré de cette gamme, Cicéron place le genus humile,
fort proche de la liberté de la conversation, mais qui n'en obéit pas moins
à des exigences d'art: la sanitas 31, c'est-à-dire la bonne qualité latine,
la neglegentia diligens 82, heureux compromis entre le souci d'élégance et
l'aisance du naturel j enfin la clarté, l'absence d'ornement et le decorum.
Telle est la version cicéronienne de l'atticisme, qui pour l'essentiel triom-
phera en France au XVII" siècle. Mais il importe, pour la clarté du débat,
de distinguer cet atticisme, proprement cicéronien, de l'atticisme d'inspi-
ration stoïcienne, caractérisé par la brevitas, la subtilitas pouvant aller
jusqu'à l'obscuritas, et qui deviendra chez Sénèque le style «coupé »,
épigrammatique, des Lettres à Lucilius. On peut qualifier les héritiers de
cette tendance au XVIIe siècle d'atticisfes sénéquiens 83 : ils ont eu leurs
meilleurs représentants en Espagne, patrie de Sénèque, ce qui explique
pourquoi leur influence en France est restée faible, ou sourde, comme
une variante de l'atticisme cicéronien.
Le second degré de style est le genus medium, qui, dans la synthèse
cicéronienne, recueille l'héritage asianiste. Il est caractérisé par la suavi-
fas, qui met en œuvre tout le registre rhétorique des tropes. Propre au
genre démonstratif (c'est-à-dire aux éloges), il s'appuie sur l'imagination,
et engendre la délectation. Cette version cicéronienne de l'asianisme en

Voir A. Michel, ouvr. cit., p. 435 et suiv.


81
Cette expression cicéronienne est traduite mot pour mot par La Mothe
82
Le Varer dans ses Considt!rations sur l'éloquence françoise ... , Paris, 1638, p. 182,
«néghgence diligente:.. Elle est à l'origine de ce que John Lapp a appelé
The esthetics of negligence, Cambridge Univ. Press, 1971. Elle trouve chez
Castiglione sa traduction italienne dans le mot sprezzatura. Elle s'applique
alors non seulement à la prose de la lettre et du dialogue, mais au style de
conduite à la Cour. Cette notion est très proche du «naturel:. classique, c'est-
à-dire d'un art si accompli qu'il parvient à l'invisibilité, et peut passer pour
spontané.
83 Voir plus loin nos développements sur l'atticisme sénéquien de Virgilio
Malvezzi.
CICERON 55
élimine tous les excès, et se réclame de l'autorité c attique» de Démétrius
de Phalère.
Enfin le troisième degré de style, ou genU!i vehemens, est aussi aux
yeux de Cicéron le Grand Œuvre oratoire. S'il intervient en dernier lieu:
c'est seulement pour marquer sa supériorité sur les deux autres: en fait, il
est au centre du spectre cicéronien, rassemblant en lui toutes les couleurs
du verbe oratoire, et les fondant en une lumière à la fois harmonieuse,
féconde et efficace. AmphIs, copiosus, gravis, ornalus, acer, ardens, il est
doué d'une énergie capable de faire naître l'émotion dans son auditoire et
de modifier son point de vue. Cette efficacité à la fois sur les passions et
les opinions, fait vraiment de lui l'arme de la sagesse, la rédemption civi-
lisée de 1'0raiio des vieux consuls. Mais le grand orateur - aussi bien
l'attique Démosthène que le romain Cicéron - se révélait vraiment tel à
sa capacité de jouer sur ces trois claviers, ou si l'on préfère, sur toute
l'étendue du spectre oratoire, aussi bien de l'atticisme sans excès, de
l'asianisme sans excès, que du genus vehemens ou grande, artiste uni-
versel, et catholique avant la lettre, du Verbe .


••
En somme, le génie de Cicéron, qui dans le De Oralore s'était montré
si sensible à la diversité des individualités oratoires, créait une esthétique
de la médiation, ouverte et libérale, forum des styles où chacun pouvait
trouver sa place, moyennant, pour les extrêmes, un sacrifice à la juste
mesure.
Apôtre infatigable et de la conciliation et de la réconciliation entre
« gens de bien », Cicéron théoricien révèle les mêmes qualités de diplo-
mate que Cicéron homme d'Etat et orateur. Dans une époque de dissoéia-
tion, il est l'homme des synthèses: synthèse philosophique, au nom du
scepticisme académique, synthèse politique, au nom du consensus bono-
rum, synthèse esthétique, au nom de la variété. Mais cette diplomatie
rhétorique n'aurait pas été complète s'il n'avait proposé aux c trois
styles », à la lripertita varietas, une même clef de voûte idéale. Dans le De
Oratore il affirmait qu'en dépit de la diversité des personnalités oratoires,
l'éloquence est une. Dans l'Orator, où il a réussi à ramener cette diversité
à une trinité, il affirme avec plus de vigueur encore l'unité. Unité de
visée, qui fait de tous les orateurs les contemplateurs et adorateurs de la
même Idée du Beau, antérieure et supérieure à toutes ses actualisations.
je pose en principe, écrit-il, qu'il n'y a rien, dans aucun genre, de
si beau qui ne soit inférieur en beauté à ce dont il n'est que le reflet,
comme le portrait d'un visage, à ce que ni les yeux ni les oreilles ni
aucun sens ne peuvent percevoir, et que nous n'embrassons que par l'ima-
gination et la pensée 84.

34 Cicéron, Orator, éd. cit., Il, 7, p. 4.


56 LE «CIEL DES IDÉES:t RHÉTORIQUE

Il Y a donc entre l'actualisation du Beau dans tel discours, et l'Idée


de Beauté, la même distance qu'entre un orateur réel, si parfait soit-il,
et l'Idée de l'Orateur, entre les vraisemblances ou probabilités humaines,
et l'Idée du Vrai. Dans l'ordre esthétique comme dans l'ordre épistémo-
logique, le scepticisme académique de Cicérop laisse toujours quelque
chose à désirer à l'homme supérieur, et ce désir même, cet ardor amoris
dont il parle dans le De Oratore, tendu vers une limite que l'on peut
toujours espérer reculer, réunit la diversité des orateurs, la diversité des
doctrines, la diversité des styles et des discours vers le même point de
fuite Idéal.

:.
La seule vraie faiblesse de Cicéron est d'avoir cru possible que l'élo-
quence orale, maniée par un orateur-médiateur, ferait circuler entre la
philosophie grecque et le peuple romain un courant assez fort pour que
l'esprit de la République de Platon restaurât et transfigurât la République
des consuls sur le déclin. A la Renaissance, des humanistes comme Cola
di Rienzo 8~ ou Pomponius Laetus 86 nourriront le rêve de ranimer, par
la magie d'une éloquence renouvelée de Cicéron, la Rome de Tite-Live sur
le Campo Vaccino de la Rome des Papes. Mais l'échec historique ne nuisit
en rien à la force séminale de la synthèse cicéronienne. Sous l'Empire,
l'extinction de l'éloquence civiqu~ n'empêcha point la pédagogie de Quin-
tilien et la réflexion sur le style des plus grands prosateurs de prendre
appui sur la doctrine cicéronienne. Le débat autour de l'ornatus amorcé
du vivant de Cicéron fut alors un des ferments les plus actifs de la
critique littéraire romaine.
Il est curieux d'observer que la doctrine du De Oratore et de l'Orator
ne trouva à se réaliser pleinement que lorsque l'Eglise latine eut à faire
face aux tâches de la prédication à grande échelle. Cette fois le contact
direct et oral avec le public, la haute inspiration morale et philosophique,
et l'autorité civique dont Cicéron rêvait pour son Orateur, renaquirent au
profit des Evêques chrétiens. L'éloquence sacrée nourrie d'un syncrétisme
stoico-platonisant ressuscita l'éloquence philosophique de Cicéron, que
saint Augustin prend pour référence constante dans la rhétorique chré-

a5 Sur Cola di Rienzo, contemporain de Pétrarque, voir M.E. Cosenza,


F. Pefrarca and the revotution of Cota di Rienzo, Chicago, 1913.
36 Sur Pomponius Laetus, voir Storia delta tetterafura if., ·éd. Garzanti cit.,
t. III, « Il Quattrocento et l'Ariosto :>, ch. IV, <: L'Accademia romana, Pomponio
Leto e la congiura:>. Nostalgiques de l'Antiquité jusqu'à vouloir restaurer la
République romaine, les membres de cette première Académie romaine furent
en outre accusés de vouloir restaurer le paganisme. \1 y avait sans doute comme
l'a perçu Erasme, des traces de ce « libertinage :t dans le cicéronianisme romain
du temps de Jules II. Mais la seconde Académie romaine, celle de Bembo, de
Sadolet, de Naugerius, s'efforce de concilier cicéronianisme et christianisme à
l'intérieur d'un humanisme de Cour.
SÉNÉQUE ET TACITE 57
tienne du De Doctrina christiana. Le débat même autour de l'omatus
compatible avec l'éloquence chrétienne créait dès lors un principe de
continuité entre l'esthétique chrétienne naissante et l'esthétique romaine
finlssante.

SÊNÈQUE ET TACITE

Sénèque, les Lettres d Lucilius.

Si le De Oratore, le Brutus et l'Orator sont les pièces maîtresses de la


Bibliotheca Rhetorum du XVI" et du XVII" siècles, les œuvres de Sénèque
y tiennent une place enviable. Mais de quel Sénèque? La première édition
imprimée de « Sénèque », à Naples, en 1495 37, attribuait au philosophe
les œuvres de son père. La grande recension et édition d'Erasme, publiée
à Bâle, chez Froben, en 1529, contenait indistinctement dans le même
in-folio les œuvres de l'un et de l'autre. La recension de Marc Antoine
Muret, publiée après la mort de celui-ci en 1585. ne contenait que les
œuvres du Philosophe, mais sans lever l'équivoque. Il fallut attendre
1587, et l'édition de Nicolas Le Fèvre, pour que le père et le fils fussent
nettement distingués, et que l'œuvre du « rhéteur d'Espagne» fût dissociée
de celle du philosophe.
Cette longue confusion nous semble avoir joué un rôle capital dans
l'histoire du '" sénéquisme l' littéraire. Sous le nom de Sénèque, le XVI"
siècle et - par la force d'inertie des traditions - le XVII" siècle, lorsqu'il
n'est pas érudit, entendent aussi bien le style philosophique des Lettres à
Lucilius que le style « coupé» et « pointu» des déclamateurs dont Sénè-
que le Père s'était fait, sous Tibère, l'anthologiste. L'autorité du philoso-
phe a couvert les excentricités des rhéteurs, et a joué en faveur de l'anti-
cicéronianisme « ingénieux ".
L'œuvre de Sénèque le Père, intitulée Sententiae, Divisiones, Colores 38,
fait la description critique, accompagnée de longues citations, du style en

31 Incipit LI/cii Annaei Senecae Cordubensis ... opera ... , Neapoli, sub titulo
n. Romero, impr. M. Moravum, 1415, 2 part. en 1 vol. in-fo. Selon Sabbadini
(Le Scoperte ...• ouvr. cit. p. 112), les Declamationes de Sénèque le Père furent
découvertes par Nicolas de eues, sous une forme fragmentaire et désordonnée,
et SOllS le nom de Sénèque le Philosophe. L'édition princeps de Venise, comme
l'édition d'Erasme (Bâle, 1529) attribue au Philosophe les Declamationes. Le
titre de l'édition d'Erasme (L.A. Senecae opera et ad bene dicendi tacultatem,
et ad bene vivendum utilissima ... ) place sur le même pied les œuvres oratoires
de ~ Sénèque" et ses œuvres philosophiques. Dans l'introduction aux Decla-
mationes, Erasme fait grand cas de celles-ci, y voit des modèles pour l'élo-
quence judiciaire, et forme même le vœu qu'elles soient étudiées à l'école, de
préférence à la dialectique ...
3B SlIr l'œuvre de Sénèque le Père, voir A.D. Leeman, ouvr. cit. ch. IX,
p. 224-242, et G. Kennedy, ouvr. cit. p. 322-331. Sur son influence stylistique
à l'époque de la Renaissance, voir G. Williamson, The senecan amble, a study
in prose tram Bacon 10 Collier, Londres, Faber and Faber, 1948, et F. Simone,
Umanesimo, Rinascimento et Barocco in Francia, Milan, Mursia, 1968, qui
traite surtout, p. 244 et suiv., de Sénèque moraliste.
58 LE «CIEL DES IOËES:p RHËTORIQUE

vogue dans les écoles de déclamation sous Auguste. Ce nouveau style,


conçu à l'usage d'un public de « connaisseurs :t, est nettement anti-cicé-
ronien. Non seulement l'alliance entre la philosophie et 'l'éloquence a
disparu, mais la finalité civique de l'éloquence cicéronienne a fait place
à un curieux mélange d'esthétisme mondain et d'utilitarisme scolaire.
Ces «controverses:t et «suasoires:t sont censées en effet préparer les
orateurs à leurs tâches judiciaires, mais elles ont surtout le sens d'une
parade oratoire, qu'un public d'amateurs apprécie pour elle-même. Le
titre de l'ouvrage indique assez bien l'esprit du «nouveau style:t : les
« traits :t ou «pointes :t (sententiae) résument la pente de celui-ci au brio
épigrammatique soutenu de figures de mots telles .que l'anaphore ou la
paronomase; les «divisions:t et les « couleurs:t désignent la virtuosité
avec laquelle les déclamateurs, sur des sujets fictifs, devant un publiC
qu'il fallait éblouir, analysaient et développaient jusqu'à l'absurde les
circonstances et les conséquences des «causes» qu'ils devaient « défen-
dre:p. Ils faisaient largement appel au pathétisme et au pittoresque. Les
deux excès condamnés par Cicéron, l'asianisme flamboyant d'images et
de passions excessives et l'atticisme « archaïsant ", dense jusqu'à l'obscu-
rité, se donnent libre cours devant un public blasé.
A. D. Leeman fait remarquer que les déclamateurs dont Sénèque le
Père nous rapporte les exercices avaient les qualités d'auteurs de romans
ou de nouvelles 89. Leur influence sur le développement de la prose roma-
nesque du XVI" et du XVII" siècles dut être d'autant plus vive que leur
style «pointu :P et «coupé}) s'accorde avec les prescriptions de Quinti-
lien sur l'art du récit, qui doit justement éviter le style périodique 40. Cette
influence a pu se conjuguer avec celle d'Ovide, disciple d'Arellius Fus-
cus 41, un des déclamateurs recensés par Sénèque le Père: l'asianisme
des descriptions et l'atticisme des sententiae se retrouvent chez l'auteur
des Métamorphoses.
On a peine à croire que l'influence du sévère Sénèque ait pu jouer
dans le même sens que celle des déclamateurs décrits par son père. Mais
l'humanisme ne s'est plus intéressé seulement à la pensée de Sénèque;
son style, qui porte la trace de sa formation d'orateur dans les écoles de
déclamation, devient désormais perceptible, par le contraste même qu'il
offre avec le style de Cicéron. Et Quintilien, qui sous Vespasien fait de
Sénèque le Philosophe le responsable de la décadence du goût 42, élidait à
cette perception historique de l'évolution de l'esthétique oratoire romaine.
D'ailleurs le goût oratoire impérial n'a pas que des défauts. L'art
d'étonner, la quête de maniérismes nouveaux à l'usage d'un public blasé,
avaient du moins le mérite d'ouvrir la gamme des styles, et de donner à la

A.D. Leeman, ouvr. cit. p. 234.


39
Quintilien, Institutio oratoria, IX, 4, Membratim plerumque narrabimus.
40
Les membres et les incises, fragments de périodes, conviennent mieux en
général à la narration que le style périodique.
41 A.D. Leeman, ouvr. cit., p. 227.
42 Voir A.D. Leeman, ouvr. cit. p. 276.
SÉNÈQUE 59

singularité individuelle une expressivité que bridait le classicisme cicéro-


nen ü. De son époque, Sénèque conserve le sens de l'individualisation du
style et la désinvolture vis-à-vis des normes et des règles académiques.
Des c fleurs du mal :t jaillies sur le terrain de la servitude politique et de
l'ennui, il tire des ressources d'un style de l'intériorité philosophique. Les
Lettres à Lucilius 44 nous donnent à observer le bon usage qu'une II: grande
âme :t peut faire des vices de son temps.
Dans la lettre 40 du L. IV, Sénèque prend ses distances aussi bien
avec Cicéron qu'avec les déclamateurs. Il condamne toute éloquence
orientée vers la foule, que ses intentions soient civiques, comme chez
Cicéron, ou ostentatoires, comme chez les déclamateurs.
L'éloquence populaire n'a aucun rapport avec le vrai. Que veut-elle?
Remuer la foule, entraîner par un coup de surprise des auditeurs sans
jugement; elle ne se prête pas à l'épluchage, elle tire au large; or com-
ment pourrait-elle gouverner quand elle n'admet pas de gouverneur ? 4~

La disparition d'une éloquence civique n'est un malheur que si l'on en


tire parti pour lui substituer une éloquence sophistique. Du mal peut au
contraire sortir du bien, si, loin de la II: précipitation », de la II: hâte », du
bruit liés à la présence de la foule, l'on apprend à se recueillir, à descen-
dre en soi-même, à méditer. A cette quête de la sagesse ne peut corres-
pondre qu'une élocution régulière, ni trop lente ni trop rapide et impé-
tueuse, mais réglée par le mouvement même de la méditation. Le decortIm
propre au style philosophique demande de grandes forces (vires magnas),
mais contrôlées (moderafas) à l'image d'un cours d'eau toujours égal
(perennis unda) et non du torrent violent, mais intermittent 48.
A l'homme sage, conclut Sénèque, convient ainsi qu'une démarche
modeste, un discours serré, sans rien d'aventureux 47.

Délivrée de sa dépendance vis-à-vis de la foule, l'éloquence selon


Sénèque se dépouille des savants effets d'optique, de la théâtralisation du
discours qu'implique un public. Elle s'enracine non dans la subjectivité
livrée à elle-même, mais dans une intériorité en quête de sagesse. Et elle
s'adresse, dans l'amitié et l'ouverture de cœur, à une autre intériorité
fraternelle. Point n'est besoin d'élever la voix: le genre II: bas », le genus
humile de la conversation suffit. Mais ce genus humile, s'il exclut l'orna-
tus propre au genus medium et à l'éloquence asianiste, n'en renonce pas
pour autant à la mâle vigueur du genus grande ou genus vehemens que
Cicéron articulait à la grandeur d'âme, et où il voyait le suprême effort

43 Sur les aspects rhétoriques des Lettres, voir Leeman, ouvr. cit., p. 260-
283, et G. Kennedy, p. 465-481.
44 Sénèque, Lettres à Lucilius, texte établi par Fr. Préchac et traduit par
H. Noblot, Paris, Belles Lettres, 1956, t. l, p. 161.
4~ Ibid., p. 162-163, 40, 4.
48 Ibid., p. 164, 40, 8.
47 Ibid., p. 166, 40, 14.
60 LE «CIEL DES IDÉES» RHÉTORIQUE

de l'éloquence. Sénèque parle en effet dans la lettre 40 de vires magnas


et il ne réduit pas le dialogue d'amitié philosophique à la confidence
détendue. Il se propose de « calmer les terreurs », « réfréner les passions
irritantes », «dissiper les préjugés », «réprimer le penchant à la mol-
lesse », «secouer l'avarice» 48. Le dialogue philosophique implique une
tension et une attention: tension intérieure de l'orateur, contrôlant sa
propre démarche, attention à l'autre pour le comprendre, le reprendre, et
l'aider dans son cheminement intérieur. La philosophie chez Sénèque ne
cherche plus à s'incarner dans le vécu politique, mais dans le vécu
psychologique de deux âmes progressant ensemble, l'une guidant l'autre,
vers la plénitude de la sagesse.
Cet enracinement de la philosophie dans la psychologie individuelle,
cette tension intérieure et cette attention à autrui chargent le genus humile
sénéquien de «sententiae », «divisiones », et « colores» analogues à
celles que déploient les déclamateurs. Mais les sententiae sont chez lui
non plus des «pointes », mais des « rencontres» ou des « conceptions )/J,
pour employer le langage de Montaigne, où coïncident tout à coup
connaissance philosophique et connaissance de soi et de l'autre. Les
« divisiones» et «colores» ne sont plus des exercices d'analyse ou
d'hypothèse virtuoses, mais des anatomies psychologiques explorant une
situation morale, et en tirant les conséquences. La tension et l'éclat du
genus humile sénéquien n'ont pas pour but d'éblouir dt!s âmes malades,
mais d'agir sur l'une d'entre elles, élue justement parce que soucieuse
de guérir.
La richesse des moyens au service du genus humile, outre qu'elle ne
doit pas troubler la continuité de son flux (simplicitas), ne jaillit donc
pas d'une source impure, pour une fin impure. C'est sur ce point qu'in-
siste la Lettre 41 ; l'individualisme philosophique n'est pas un égoïsme,
il puise force et générosité, au-delà de la zone de l'affectivité troublée,
dans « un auguste esprit qui réside au dedans de nous-mêmes, un dieu ».
Et pour évoquer cet horizon mystique du discours Sénèque, en une page
célèbre, décrit la touffeur sombre d'un bois sacré et le frisson de la
présence divine qui y saisit le visiteur. Il peint un paysage de «rocs
profondéments minés» au-dessus desquels une «montagne suspendue»
creuse un «antre », il l'adjoint aux sources de grands fleuves, à des
étangs profonds, comme dans les «paysages héroïques» de Nicolas
Poussin et de Gaspard Dughet. La Nature, en ces lieux privilégiés, nous
donne à pressentir qu'une Raison mystérieuse et sereine la gouverne,
comme elle gouverne la grande âme du Sage:
Une force divine est descendue là ; cette âme d'élite, qui se gouverne,
qui regarde toutes choses au dessous d'elle, et passe, qui se rit de tout
ce que nous redoutons, ou souhaitons, une puissance céleste la conduit ;
un être d'une telle excellence ne se conserverait pas sans un appui pro-
videntiel 49 .

48 Ibid., p. 163, 40, 5 (vires magnas, moderafas tamen, p. 164, 40, 8).
49 Ibid., p. 168, 41, 8.
SENÈQUE 61

A l'idée de l'Orateur, troublé par l'attraction des foules, a fait place


l'Idée du Sage, qui appelle quelques rares exilés à retrouver son secret
au plus sacré de la Nature et de leur âme. A l'Idée solaire de Beauté, dont
la période cicéronienne imitait dans ses justes méandres l'harmonie
cosmique, fait place un sublime moins immédiatement perceptible, dif-
fracté par les arêtes d'un style coupé, et parsemé de «pointes» (senten-
tiae, acumina). C'est que le sublime, chez Sénèque, n'est pas un genus
dicendi au même titre que le genus grande cicéronien, il est une figure
d'allusion éparse dans tout le discours, et qui renvoie, à travers les
:,entences, divisions et couleurs de celui-ci à ce vers quoi il tend et qu'il
ne donne jamais qu'à entrevoir: non la Beauté d'un ordre objectif, mais la
Sagesse de l'âme personnelle victorieuse d'elle-même, de ses passions, et
du désordre que les passions introduisent en elle et dans le monde. Au
lecteur de percevoir, dans les anfractuosités des brefs membra (soutenus
en revanche par une abondance de «figures de mots»), ce « je ne sais
quoi» que l'écrivain lui désigne sans pouvoir ni vouloir le signifier.
C'est pourtant à la « pauvreté» du genus humile, mais comme vibrant
sous les doigts d'un instrumentiste virtuose et inspiré tout ensemble, que
Sénèque confie la tâche de faire entendre ce sublime de l'allusion. Car
l'état mystique qu'il pressent et veut faire pressentir n'a plus besoin de
discours. Dans le silence, accordé au divin, la grande âme du Sage vit le
sublime.
Le style « coupé» et « pointu» de Sénèque, analogue à tant d'égards
à celui des déclamateurs recensés par son père, devient pour lui l'instru-
ment tendu à souhait de la nostalgie philosophique, et de la méditation
qu'elle conduit. L'art n'est pas absent, mais tout savant qu'il est, devenu
seconde nature, il ne distrait pas l'âme au travail sur elle-même, et sur
celle de l'ami.
Aussi Sénèque peut-il dédaigner les «mots» et se réclamer d'une
« simplicité» en apparence démentie par un style tissé de savantes figu-
res. Pour lui, comme pour Philon d'Alexandrie 50 et le Ps. Longin 51, c'est
le moins que puisse une grande âme que d'avoir une maîtrise parfaite,
apprise ou innée, de la rhétorique scolaire: à une certaine altitude, l'âme
retrouve les conditions de la parole originelle, pour laquelle penser, sentir
et parler n'étaient qu'un seul et même acte. Si le plus grand philosophe est
aussi le meilleur orateur, c'est comme par surcroît.

•••

60 Sur Philon d'Alexandrie, voir outre G. Kennedy, ouvr. dt., p. 452-453,


les Actes du Colloque Philon, Lyon, 11-15 septembre 1966, aux éd. du C.N.R.S.
Paris, 1967.
51 Sur le' Traité du Sublime, dont la date est aujourd'hui fixée généralement
à l'époque augustéenne, voir G. Kennedy, ouvr. dt., p. 369-377, avec biblio-
graphie, et l'édition avec traduction d'Ho Lebègue, Paris, Belles Lettres, 1965.
62 LE c CIEL DES lOtES,. RHtTORIQUE

Ce que le Sage selon Sénèque a perdu en extension, par rapport à


l'Orateur cicéronien, il l'a gagné en compréhension, dans un style trop
c serré ~ pour la foule, inépuisable pour les âmes attentives. Mais il
s'agit d'une métamorphose, non d'un reniement. Les Lettres à Lucilius ne
manquent pas de preuves de la fidélité de Sénèque à Cicéron, alors même
qu'elles proposent un retournement vers l'intérieur de l'idéal du De Ora-
tore. Il importe de le souligner pour marquer par avance les limites et
l'insuffisance des concepts de '" cicéronianisrne;p et d'« anti-cicéronia-
nisme:. dont on fait usage couramment pour décrire les débats rhétori-
ques du XVI' et du XVII" siècles. Le retour à Sénèque et à son style qui
caractérise la fin du XVI' siècle, se déploie sur le fond d'une culture
cicéronienne, dont la pédagogie est unanimement le véhicule. Ce n'est pas
un retour au Sénèque médiéval, mais à un Sénèque plus proche de la
vérité historique, alliant comme Cicéron la philosophie à un idéal d'elo-
quentia, même si c'est pour subordonner davantage celle-ci à la philo-
sophie que ne l'avait fait Cicéron. Juste Lipse lui-même, chef de file de
l'atticisme sénéquien, recommandera à ses fidèles de lire chaque matin
pendant deux heures du Cicéron avant de se mettre à écrire.
Ce conseil n'aurait sans doute pas été renié par Sénèque. Il faut
rappeler tout d'abord que Cicéron lui-même, tout en maintenant jusqu'au
bout la revendication d'une magistrature oratoire publique, s'était trouvé
à plusieurs reprises éloigné du Forum, ou exilé. C'est alors qu'il s'était
tourné vers la philosophie, et qu'il s'était épanché dans le genus humile
de sa correspondance. Sénèque et après lui Tacite pouvaient fort bien
voir dans cette dernière phase de la carrière et de l'œuvre de Cicéron
une préfiguration de leur propre situation d'orateurs cherchant loin du
Forum une voie de salut pour l'eloquentia romaine. Et d'autre part, le
style de Cicéron demeure pour Sénèque une référence essentielle pour
définir son propre idéal du style philosophique. Dans la lettre 100, il
oppose le style c coulé,. de l'Arpinate, ses méandres et sa souplesse
sans mollesse, au style hésitant et inégal d'Asinius Pollion. Dans un cas,
la prose reflète la c constance,. de l'orateur, son adhésion sans défail-
lance à une ratio intimement perçue; dans l'autre, les distractions de
J"âme transparaissent. Dans la lettre 114, c'est enaore A la pudeur du
style cicéronien qu'il oppose le style efféminé de Mécène. Pour Sénèque
la note juste de santé et de grandeur de l'éloquence romaine a d'abord
été donnée par la prose de l'Arpinate. Enfin, la position de Sénèque
vis-A-vis des diverses formes de c corruption de l'éloquence l> de son
temps révèle, mutatis mutandis, la même quête d'une juste mesure média-
trice, que celle du Brutus et de 1'0rator vis-A-vis de l'Atticisme et de
l'Asianisme. La médiation cicéronienne avait pour essence la variefas.
La juste mesure sénéquienne se prononce au contraire, pour le seul genus
humile, dont la neglegentia diligens laisse aux mouvements internes de
la méditation philosophique le soin de lui conférer efficacité et plénitude .


••
TACITE 63
Il n'en reste pas moins que Sénèque pousse la neglegentia diligens
bien au-delà de ce que Cicéron eOt admis, jusqu'au dédain d'une electio
verborum trop attentive, ou d'une collocatio verborum trop préméditée:
l'invention philosophique ne saurait s'abaisser à ces minuties (pusilfae
res: verba, XVI, 100, 10). Si Sénèque se présente dans les Lettres à
Lucilius comme un réformateur de l'éloquence romaine, c'est avant tout
au nom de critères moraux. Sa diatribe contre Mécène l'homme et le
styliste, dans la lettre 114, est tout entière fondée sur le précepte de
Caton l'Ancien, Vir bonus dicendi peritus, qu'il traduit par TaUs ratio
qualia verba. L'esthétique de la prose est étroitement confondue par
Sénèque avec le degré d'avancement spirituel et moral de l'écrivain.
Une telle antithèse res/verba, surtout perçue à travers l'antithèse plus
radicale encore, chez saint Augustin, res/signa, pourra être interprétée
soit comme une condamnation de tout art littéraire, soit comme une
licence de recourir à n'importe quel ornement, pour peu qu'il soit expres-
sif. La Renaissance de la latinité d'argent, encourageant celle des langues
vulgaires, aurait pu aller plus loin encore qu'elle ne fit dans le médiéva-
lisme archaïsant et le primitivisme, si l'influence de Tacite, et du Dialogue
des Orateurs, n'avait réconcilié le primat sénéquien et augustinien de
l'intériorité, avec le sens cicéronien d'une beauté objective de la forme.

Tacite, le Dialoglle des Orateurs.

Sénèque avait été connu et aimé du Moyen Age. Tacite, comme le


Cicéron des dialogues rhétoriques et des épîtres familières, est une des
grandes découvertes de la Renaissance. C'est en 1425 qu'un moine de
Hersfeld trouve le manuscrit contenant l'Agricola, la Oermania et le
Dialogue des Orateurs G2. Il ne parvint à Rome qu'en 1455. La première
édition en fut faite à Venise en 1470. Et c'est en 1515, grâce au manuscrit
Mediceus prior acheté par Léon X, que la majeure partie des Annales put
être jointe aux œuvres de Tacite dans l'édition de Philippe Béroalde.
Mais tout s'est passé comme si l'humanisme, épousant progressivement le
mouvement interne de la culture antique, n'avait pu comprendre et méditer
vraiment Tacite qu'à partir du moment où, les illusions « cicéroniennes"
de la première Renaissance une fois dissipées, et au-delà d'un retour
pénitentiel à Epictète et Sénèque, une nouvelle affirmation humaniste
commence à se faire jour, plus mOre, plus adulte. C'est à partir de 1574
et de la grande édition plantinienne de Tacite, procurée par Juste Lipse,
que l'œuvre du grand historien-orateur de l'Empire, contempteur de Néron
mais contemporain de Trajan, entra vraiment dans le vif de la culture
européenne. Juste Lipse attribuait d'ailleurs à Quintilien le Dialogue des
Orateurs. Mais jusque-là, l'attribution à Tacite n'avait pas fait de doute,
et le plus souvent, en dépit de l'autorité de Lipse, le Dialogue demeura
lié à l'œuvre de l'auteur des Annales.

•••
G2 R. Sabbadini, Le scoperte..., ouvr. cit., t. Il, p. 107 et suiv.
64 LE «CIEL DES IDÉES» RHÉTORIQUE

Le Dialogue des Orateurs 13 est un jugement porté par Tacite sur


l'évolution de l'éloquence romaine sous l'Empire: il est aussi sévère, et
aussi sourdement pathétique que le jugement des Annales et des Histoires
sur l'évolution des mœurs et des institutions romaines. Ecrit sous Hadrien,
mais rapportant un dialogue qui est censé se dérouler sous Vespasien, le
Dialogue met en scène, comme le De Oratore, les maîtres de l'éloquence
sénatoriale de leur temps. Il se déroule chez Curiatus Maternus, qui
vient de lire en public sa tragédie intitulée Caton, où l'entourage de
l'Empereur a vu une critique du régime. Et Maternus rappelle qu'une
autre de ses tragédies, Néron, a eu le pouvoir, sous cet Empereur, de
démasquer et de perdre un sycophante. Paradoxalement, c'est donc la
poésie, et en particulier la poésie tragique, qui hérite de la magistrature
morale et philosophique que Cicéron attendait de l'éloquence « oratoire ».
Selon toute vraisemblance, le courage de Curiatus Maternus lui vaudra
le même sort que celui de Cicéron : la mort sous les coups d'un tyran.
Si tel fut bien le cas, le choix de Maternus comme hôte et interlocuteur
principal du Dialogue devait suffire, pour un lecteur antique, à révéler
les intentions de Tacite. L'auteur de la tragédie intitulée Caton nous est
Mpeint comme une sorte d'émigré de l'intérieur, résigné plus que rallié
au régime impérial. Marcus Aper reproche à son hôte sa nostalgie du
passé, son idéalisation des Anciens, et fait l'éloge de l'éloquence contem-
poraine. En apparence, il reprend à son compte les idées de Cicéron dans
le De Oratore. En fait, il infléchit insidieusement celles-ci vers la sophis-
tique lorsqu'il insiste sur les bénéfices de fortune et de prestige que rap-
porte l'éloquence, et la décrit comme un art de parvenir. Maternus n'a
aucune peine à faire remarquer ce qu'a de dégradant ce professionna-
lisme, déchu de l'idéal d'une magistrature civique et philosophique décrit
par Cicéron et pratiqué par les grands orateurs de la République. Pour
lui, le seul refuge de la vertu ct de l'innocence est aujourd'hui la poésie.
Et tout se passe à ses yeux comme si la décadence de l'éloquence sous
l'Empire avait en quelque sorte remis les choses à leur vraie place. Cicéron
avait fait de l'Orateur une sorte d'Orphée politique 54 diffusant par sa
parole la sagesse et la concorde dans la Cité que son logos soutenait et

53 Sur le Dialogue des OrateurS, voir A.D. Leeman, p. 332-360, G. Kennedy,


515-526, et A. Michel, Le Dialogue des Orateurs de Tacite et la philosophie
de Cicéron, Paris, Klincksieck, 1962. Voir également l'édition du Dialogus de
Oratoribus par A. Michel, Paris, P.U.F., Coll. Erasme, 1962.
54 Cette métaphore de l'orateur-Orphée, dont se sert Maternus dans le
Dialogue des Orateurs de Tacite est également utilisé par Fronton de Cirta,
le maître de rhétorique de Marc Aurèle, dans une lettre à son disciple où
il fait l'apologie de l'éloquence. Voir M. Cornelii Frontonis epistulae, éd.
P.J. Van den Hout, vol. l, Leyde, 1954, LlV, Lettre 1. Il compare l'orateur
à Orphée, egregio ingenio eximiaque eloquentia virum qui plurimos virtu-
tum suarum {acundiaeque admiratione devinxerit; eumque amicos ac sec-
tatores suos ita instiluisse ut quanquam diversis nalionibus convenae variis
moribus imbuti, concordarent tamen et consuescerent et congregarentur, mites
cum {erocibus, placidi cum violentis, cum superbis moderati, cum crudelibus
timidi...:> (p. 53). Voir p. 131 et suiv. l'échange de lettres entre le rhéteur et
l'Empereur qui, converti à la philosophie, doute de l'éloquence.
TACITE 65
recréait sans cesse. La régression de l'Orateur vers le type de l'avocat
ambitieux ou du délateur servile restaure la fonction primitive du Poète.
Dès l'établissement de l'Empire, Virgile est apparu, donnant à Rome un
autre Homère. Sans perdre l'estime ni J'admiration d'Auguste, il a vécu
dans la retraite et l'innocence, et il a joui d'un prestige et d'une influence
qui ne peuvent être comparés à ceux d'aucun orateur. Il a vécu en accord
avec l'ordre cosmique, dont ses vers ont communiqué à l'Empire, mieux
qu'aucun discours, la magie apaisante et fécondante. Son otium n'a donc
pas été stérile. Comment ne pas le préférer à la vanité des déclamateurs,
à leur affairisme qui ne recule pas devant la délation?


••
Marcus Aper tente alors de plaider sur de nouveaux frais la cause
de la déclamation impériale. Ce que celle-ci a perdu en autorité morale,
n~ l'a-t-elle pas gagné en beauté et richesse de langage 55 (llietitia et
pulchritudo orationis) ? Les juges, le public n'exigent-ils pas aujourd'hui
les traits brillants (arguta et brevis sententia), les couleurs de la poésie
(exquisitus et poeticus cultus, poeticus decor) 56 et de la poésie la plus
raffinée, celle d'Horace, de Virgile ou de Lucain? Aux côtés de ces
artistes, qui bénéficient du progrès littéraire, les orateurs d'autrefois font
figure de primitifs. Cicéron lui-même a vieilli, l'architecture grossière de
ses discours manque de politesse et de brillant. L'art suprême, celui
qu'ont atteint les orateurs modernes, mêle II: à la gravité de la pensée
l'éclat et l'élégance raffinée de l'expression» (gravitati sensuum nitorem
ct cultum verborum) 57.
Mais un nouveau venu dans le dialogue, Vipstanus Messala, épousant
le point de vue que Quintilien défend dans l'lnstitutio oratoria, parue
quelques années avant le Dialogue 58, se fait l'avocat d'un retour à la
tradition stylistique des orateurs de la République et critique sévèrement
le style moderne vanté par Marcus Aper, II: cette coquetterie d'expression,
cette frivolité de pensée, ce rythme capricieux des phrases qui font du
discours une musique de théâtre ». Il manque à ces orateurs tardifs la
santé (sanitas) ; reniant l'antique vertu, ils ont « plus de fiel que de sang"
(plus bilis quam sanguinis). La décadence de l'éducation, l'irréalité d'une
éloquence de parade et dénuée de responsabilité, expliquent assez la
corruption de l'éloquence. Seul un retour aux Anciens, une nouvelle
alliance entre la philosophie et l'éloquence peuvent réparer le mal.

•••
55 Dia/ogl/s .... éd. cit., p. 67, 20, 3.
56 Ibid., p. 68, 20, 4.
57 Ibid., p. 77, 23, 6.
58 A. Michel, Le Dialogue des Orateurs... et la philosophie de Cicéron,
ouvr. cit., p. 41, note 42.
66 LE «CIEL DES IDÉES» RHÉTORIQUE

Dans une dernière intervention, Maternus n'hésite pas à analyser des


causes plus irrémédiables, liées au régime impérial lui-même, de la déca-
dence de l'éloquence. La vie politique tourmentée du Forum républicain,
à Athènes comme à Rome, a suscitr de grands orateurs. La concentration
impériale des pouvoirs a rendu ceux-ci vains ou serviles. Faut-il le regret-
ter? Ou s'en féliciter? Maternus ne voit dans cette situation qu'une
« occasion» à la mesure des grandes âmes. Deus nobis haee otia feeit.
Libérée des affaires et de la foule, leur vis oratoria s'intériorise, se puri-
fie ; elle retrouve l'inspiration du poète.
Le Dialogue des Orateurs est ainsi une sorte d'adieu à cette éloquence
« oratoire» qui semblait s'identifier à l'âme même de la Ville, à ses
traditions, à ses mœurs. Mais cet adieu ouvre la possibilité d'une autre
éloquence, et sauve les chances de l'art. Sénèque, apparentant son œuvre
à la diatribe cynique, avait semblé jeter sur celui-ci le discrédit, et sacrifié
les « mots» au salut philosophique. Par la voix de Maternus, Tacite dési-
gne en Virgile le modèle d'un Orator accordé aux conditions nouvelles du
régime impérial: en lui fusionnent philosophie, éloquence et poésie pour
légitimer un grand art de l'otium, qui hérite des responsabilités mais non
des servitudes de la magistrature civique cicéronienne.
Par élégance, ou peut-être par souci de mettre en èvidence, avec ce
chant d'amour à Virgile et à l'enthousiasme poétique, la face cachée de
son œuvre, Tacite ne mentionne pas l'histoire, dans le Dialogue, comme
une des solutions possibles à la crise de l'éloquence. Mais déjà chez
Aristote l'épopée, la tragédie et l'histoire étaient des arts apparentés, se
tenant dans l'entre-deux de la rhétorique et de la philosophie. Cette
parenté entre épopée, tragédie et histoire nous explique pourquoi l'histo-
rien a pris pour porte-parole dans le Dialogue un dramaturge admirateur
de Virgile. D'autre part chez Cicéron, l'histoire était qualifiée d'opus
oratorium maxime, le genre le plus capable d'éloquence. L'art oratoire
chassé du Forum, réduit à l'impuissance au Sénat, à la vanité dans les
écoles de rhéteurs, au professionnalisme dans les prétoires, pouvait donc
trouver le salut dans des genres plus détachés de la vie publique, la
tragédie, illustrée par Sénèque, l'histoire, illustrée par Salluste et Tite
Live, et surtout l'épopée telle que l'avait entendue Virgile poète-orateur
de Rome.
Cette fusion de l'éloquence, de la philosophie et de la poésie se révèle
également dans les idées, plus complémentaires que contradictoires, que
les interlocuteurs du Dialogue formulent sur le style ~9. Marcus Aper,
plaidant pour les «modernes}), soutient que le mérite de leur style est
d'avoir rapproché la prose de la densité et des effets brillants ou surpre-
nants de la poésie. Vipstanus Messala, en garde contre les nouveautés,
se réfère à la sanifa'S cicéronienne, pour rappeler à la juste mesure et à
la gravité philosophique ces recherches aisément tentées par la sophisti-
que. La médiation de Virgile, introduite par Maternus, permet de concilier

39 V. ibid., p. 177-183.
TACITE 67
les deux points de vue. L'atticisme de Tacite historien 60 réunit en effet
les raffinements littéraires d'un Salluste, et le vaste dessein philosophique
d'un Tite Live, le premier apparenté aux atticistes admirateurs de Thucy-
dide, le second plus proche de la grande éloquence civique illustrée par
Cicéron.
Cette médiation virgilienne permet aussi à Tacite de réconcilier
Cicéron, pour qui 1'« utilité» morale du discours passe nécessairement
par la «délectation» de l'art, et Sénèque, pour lequel 1'« utile» est
l'ennemi du «délectable ». Car Sénèque avait aussi écrit des tragédies.
Et c'est à un dramaturge que Tacite a confié le soin de faire de Virgile
le garant suprême des choses de l'art. L'austère «délectation» de l'art
tragique se guérit pour ainsi dire d'elle-même, et s'abolit pour laisser
place à une leçon non moins âpre, quoique conciliable avec l'art, que la
plus âpre prédication cynique. Virgile, grand «antiquaire» autant que
grand poète, avait pu, remontant vers les origines antérieures au meurtre
de Rémus, célébrer leur coïncidence avec le principat régénérateur d'Au-
guste. Cette coïncidence a disparu aussi bien pour Sénèque que pour
Tacite. Dans les Lettres à Lucilius, Sénèque, non sans s'étendre avec
complaisance sur l'antithèse 61, avait opposé au luxe, à la luxure, à
l'avarice, aux arts de la Rome moderne l'innocence et la simplicité des
premiers hommes, que le Sage doit s'attacher à retrouver, à force d'exer-
cice assidu, sous la forme d'une vertu consciente et volontaire. La même
vision d'un Age d'or, où régnait l'harmonie entre l'ordre du monde et
une humanité innocente, habite les chœurs de Sénèque, donnant tout leur
relief aux crimes et aux remords des héros. L'auteur de la Germanie
est lui aussi fasciné par le mythe du Bon sauvage, voire du Barbare
régénérateur. Dans les Annales, tout se passe comme s'il écrivait à la
lumière nostalgique des origines, telles que Virgile les avait chantées dans
l'Enéide : l'histoire des Empereurs tyranniques devient dès lors le contre-
point, ironique et tragique, des âges héroïques reniés; de cette noire
dérision ne se sauvent, dans la mort, que les grandes âmes échappant
par un miracle de volonté à la corruption générale, celle d'un Thrasea
Paetus, celle d'un Sénèque peut-être. Le deuil de l'Age d'or, le sentiment
d'une corruption irrémédiable, donnent à l'art de Tacite le double carac-
tère d'un chant d'exil, à la Virgile, et d'une diatribe véhémente, à la
Sénèque. Son œuvre historique est un discours, où la probatio se confond
avec la narratio ; la c vraie Rome» s'y adresse à la «fausse Rome »,
comme dans les Verrines et dans les Philippiques; l'indignation est le
revers de la contemplation du Bien, la véhémence du moraliste est insépa-
rable de la fidélité de l'artiste à la Beauté.
La médiation virgilienne apparaît enfin dans le Dialogue liée à la
doctrine du sublime, dont Virgile s'était fait le répondant à Rome. Mater-
nus, empruntant ses termes au Ps. Longin, parle d'un enthousiasme qui,

60 Voir A.D. Leeman, « Le genre et le style historiques à Rome, Théorie et


pratique », R.E.L. XXIIII, 1955, p. 183-308.
61 V. Lettres à Lucilius, surtout LXXXVI et XC.
68 LE c CIEL DES IDÉES:t RHÉTORIQUE

c comme une flamme., brQle les grandes âmes. Cicéron dans le De


Oratore avait parlé de l'ardor amoris qui emporte l'orateur vers l'idéal de
la grande éloquence. Dans le Dialogue, Messala fait allusion à l'altitudo
du style de Platon, Maternus nous est décrit comme inspiré. Il cite
Apollon, Orphée, Linus. Et surtout, il cite un texte de Virgile:
Mais moi, que les douces Muses dont je célèbre le culte, frappé d'un
immense amour, me reçoivent 1... ] Qu'elles me montrent les routes du ciel et
les astres 1... ] Qu'elles me fassent aimer les campagnes et les cours des
ruisseaux; puissé-je m'attacher aux fleuves et aux forêts, négligeant la
gloire 1... ] lieureux qui a pu connaître les causes de tous les êtres, qui a
foulé aux pieds toutes les craintes et le destin inexorable, et le gron-
dement de l'avare Achéron [... ] Celui-là, ni les faisceaux du peuple, ni la
pourpre des rois ne l'ont fléchi, ni la discorde qui agite les frères sans
loi 62.

Chez Virgile, l'idéal du poète-philosophe, absorbant celui de l'orateur-


philosophe prôné par Cicéron, se plaçait sous l'invocation du sublime dont
ce texte nous donne à la fois une définition et une illustration. Dès le
règne d'Auguste un Denys d'Halicarnasse posait les principes d'une doc-
trine du sublime, que le traité du Ps. Longin et d'autres d'un même
type cristalliseront sous les règnes suivants. Loin de rompre avec l'idéal
d'alliance entre sagesse et beauté du De Oratore, la doctrine du sublime
détachait l'orateur d'une actualité politique immédiate, où le régime
impérial lui laissait d'ailleurs peu de jour. Elle faisait de l'art oratoire
l'héritier de la poésie et de l'orateur, héritier d'Homère, l'interpréte et le
témoin des valeurs religieuses, philosophiques, morales et esthétiques sur
lesquelles reposait, en dernière analyse, l'équilibre de la Cité. Elle mettait
l'accent sur la grandeur d'âme contemplative et inspirée de l'orateur, que
son enthousiasme purifiait des maniérismes de la mode et des servitudes
de l'école. Elle insistait aussi sur les pouvoirs d'allusion de la beauté
oratoire qui, par le plaisir et l'étonnement de la réminiscence, réussissait
ft subjuguer les âmes et à les ramener, dans l'éclaircie du sublime, vers
l'Origine et l'essence des choses.
De tous les aspects de la culture oratoire antique, c'est à coup sûr la
doctrine du sublime qui est la plus proche de ce que nous entendons par
« littérature :t : une sorte de salut esthétique dans et par le discours.
Car il s'agit moins d'obtenir, comme dans l'éloquence judiciaire ou
civique, un effet immédiat et pratique, que de faire naître une résonance
à long terme, d'une nature tout intérieure, à la fois esthétique et spiri-
tuelle. Voilée par l'ironie chez Horace, déployée dans le vaste champ
élégiaque et épique par Virgile, la doctrine du sublime avait été utilisée
par Sénèque aux fins de la conversion philosophique. Elle retrouve dans
l~ Dialogue des Orateurs son sens de justification de l'art et de la beauté,
médiateurs entre la philosophie et la Cité. Mais eUe ne la retrouve pas
pour constater et célébrer la c plénitude des temps », comme chez Virgile:

62 Cité par A. Michel, ouvr. cil., p. 182.


TACITE 69
l'Origine ne se réactualise plus ailleurs que dans l'âme de l'écrivain et
dans celle de son lecteur, tous deux en exil: l'art de Tacite vise à rendre
plus pénétrant et plus universel le contraste implicite et allusif entre la
déchéance des temps qu'il décrit et la splendeur de l'Age d'or qui s'éloi-
gne, entre la grandeur solitaire des âmes fidèles et le reniement des
autres.
L'histoire concilie ainsi l'héritage en déshérence de Cicéron et celui
de Virgile avec l'ardente prédication d'un Sénèque et d'un Lucain. Elle
est chargée par Tacite d'une magistrature morale et religieuse qui, par
le détour de l'art, supplée sans l'offenser la magistrature politique du
Prince, toujours tenté de trahir le devoir que lui avaient fixé Auguste et
Virgile: celui de résumer en sa personne et son action la vertu romaine
désertée par le peuple romain. Dans un style qui condense les prestiges
de la prose oratoire et ceux de la poésie romaines, l'histoire selon Tacite
tend à la Ville déchue et à ses Princes à la fois un miroir et un piège, leçon
pour eux si possible, témoignage en tout cas pour une élite de grandes
âmes et pour le plus lointain avenir. Seul saint Augustin, dans la Cité de
Dieu, portera sur l'histoire romaine un regard plus détaché encore, et
exercera sur son lecteur un effet aussi «sublime ».
Une génération plus tôt, Quintilien dans son Institutio oratoria, s'était
efforcé de ressusciter l'idéal cicéronien de l'Orator, et de surmonter la
«décadence de l'éloquence" en faisant de Cicéron le «classique ~ par
cxce1\ence. Contemporain de Tacite et élève de Quintilien, Pline le Jé).me
dans son Panégyrique de Trajan s'était efforcé de faire de l'éloge impé-
rial l'héritier de l'éloquence civique de Cicéron. Cette «Renaissance" à
la Cour des Empereurs de l'ancien idéal oratoire ne semble pas avoir
convaincu Tacite. Par la voix de Maternus, dans le Dialogue, il prend
soin de séparer le «pouvoir littéraire" du «pouvoir politique~, même
s'il ne montre pas entre eux un conflit inévitable. JI n'y a pour la prose
oratoire romaine d'avenir digne de son passé que dans son alliance avec
l'enthousiasme du poète et du philosophe, et dans une spiritualité, à la
fois recueillie et incorruptible, de l'otiutn .


••
Les progrès de l'absolutisme dans l'Europe du XVI' et du XVII' siècles,
la réaffirmation de la monarchie pontificale sur les Eglises nationales
après le Concile de Trente, donnèrent au Dialogue des Orateurs une
actualité renouvelée. Attribué ou non à Tacite, il prend son sens à l'inté-
rieur de ce que l'on pourrait appeler l'Age tacitéen, et qui succède après
le Concile à l'Aetas ciceroniana de la première Renaissance. Le Dialogue
offrait en effet aux humanistes les moyens de méditer tous les problèmes
stylistiques et moraux que pose à l'orateur l'existence d'une monarchie
absolue, dont les Histoires et les Annales analysaient par ailleurs les
risques et les menaces. Alors que Sénèque n'offrait d'autre ressource au
laïc que la philosophie morale et saint Augustin celle de la retraite
pénitentielle, Tacite montrait au contraire, dans un Age de fer, la possibi-
70 LE c CIEL DES IDÉES» RHÉTORIQUE

lité d'une haute magistrature philosophique et morale assumée par le biais


et à l'abri de l'art littéraire. On connaît l'influence de l'œuvre historique
de Tacite auprès des penseurs politiques d~ la fin du XVI" et du XVII"
siècles. On ne saurait exagérer la fonction du Dialogue des Orateurs dans
la genèse des œuvres les plus profondes du classicisme monarchique
français. Déjà Montaigne, dans son essai De la vanité des paroles (l, 51)
cite longuement un passage du Discours, qui sonne le glas d'une élo-
quence civique à laquelle veulent croire encore ses anciens collègues du
Parlement, entre autres un Du Vair. Et faute d'historiens, un Corneille et
un Racine sauront donner à l'éloquence française, chassée de son forum
parlementaire, la force sublime que Maternus, dans son Caton et son
Néron, avait voulu donner à la tragédie romaine.

SAINT AUGUSTIN ET LE « DE DOCTRINA CHRISTIANA "

On oublie trop souvent que pour faire piéce au modus scholasticus, la


Renaissance ne fit pas fonds seulement sur le De Oratore, le Dialogue
des Orateurs, et autres œuvres maîtresses de la rhétorique antique quel-
que peu oubliées par le Moyen Age: elle trouva un allié de taille en
saint Augustin, auteur du De Doctrina christiana. C'est en 1423 que
l'Archevêque de Milan, Bartolomeo Capra, découvrit un manuscrit de la
Rhetorica sacra de l'évêque d'Hippone 63. La première édition en fut
imprimée en Italie en 1465. Mais c'est la grande édition procurée par
Erasme en 1528-1529 à Bâle, chez Frobenius, en 10 volumes, qui fit de
l'œuvre de saint Augustin et en particulier du De Docfrina Christiana une
des c sources" majeures de la culture européenne au XVI" et au XVII"
siècles. En 1535, Erasme publiait son Ecclesiastes qui, dans une grande
mesure, était une amplification du L. IV du De Docfrina christiana. Et
trente ans plus tard, après la clôture du Concile de Trente, un autre
archevêque de Milan, Charles Borromée, patronnant la rédaction ou
l'impression d'une série de c rhétoriques ecclésiastiques" s'inspirant de
saint Augustin, mais aussi, en sourdine, d'Erasme, fera du De Doctrina
christiana le fondement d'un modus oratorius catholique et d'une théologie
c éloquente ".

•••
Du De Docfrina christian a 64 on a le plus souvent retenu l'exposé de la
c doctrine chrétienne", sans y voir, comme l'a fait Henri Marrou 611, le

63 R. Sabbadini, Le Scoperte ..., ouvr. cit., t. Il, p. 101-104.


litMigne, Patrologie latine, t. III, 15, et surtout l'édition de Combès et
Farge, Bibliothèque Augustinienne, Œuvres de Saint Augustin, t. Il, Paris, 1949.
611 Henri Marrou, Saint AUf(l!stin et la fin de la littérature antique, Paris,
E. de Boccard, 1958. Voir aussI J. Finaert, L'évolution littéraire de saint Augus-
tin, et Saint Augustin rhéteur, Paris, Belles Lettres, 1939, J. Fontaine, Aspects
et problèmes de la prose d'art latine au 111" siècle, la genèse des styles latins
SAINT AUGUSTIN 71
dernier des grands traités de rhétorique latine avant la chute de l'Empire
d'Occident. Relégué au L. IV de ce traité, l'enseignement proprement
oratoire de saint Augustin a été éclipsé longtemps par ce qui précède.
Au L.I, saint Augustin expose la théorie des «choses ~ (res) et des
« signes» (signa), et définit l'ordre de l'amour (ordo dilectionis); aux
L. Il et III, la méthode d'exégèse des Ecritures saintes.
Mais l'ouvrage forme un tout organique, et il culmine en fait sur le
L. IV, qui est à la fois la dernière rhétorique antique et la première
rhétorique ecclésiastique. Les trois premiers livres préparent au dernier.
C'est clair pour les L. Il et III qui offrent à l'orateur chrétien une nouvelle
méthode d'invention, fort différente de celle des orateurs païens puis-
qu'elle est entièrement fondée sur l'interprétation des Ecritures. C'est
moins évident pour le L. 1. A Y regarder de plus près, la distinction entre
« choses» et « signes », et la définition de l'ordre de l'amour permettent
à saint Augustin de poser en termes chrétiens la question essentielle de la
rhétorique païenne, celle de l'omatus, étroitement liée à celle de la beauté
oratoire et à celle du plaisir (delectatio, voluptas) que celui-ci donne à
l'auditeur.
En ce sens, le chapitre XII du L. 1 est au cœur de la rhétorique augus-
tinienne: Verbum caro factum est. L'incarnation du Verbe, l'utilisation
par Dieu d'un corps de chair pour signifier aux hommes son message,
révèle non seulement qu'il y a communication possible entre Dieu et les
hommes, mais que cette communication est le mystère central de l'histoire
chrétienne du salut. Loin d'affaiblir le culte philosophique pour le Logos,
la Révélation chrétienne lui confère une dimension nouvelle et sacrée.
Réceptacles du Verbe dans le corps du Christ, les « choses» de ce monde
ont été rendues à leur vocation de « signes:. des « choses» divines. Elles
ont du même coup révélé leur mode d'emploi pour le chrétien: l'ordre
de l'amour, tel que saint Augustin le définit, nous enseigne à ne nous
attacher à rien ici bas, sinon comme «signe» des «choses ~ divines.
Solo Deo fruendum est. Ce qui est vrai des « choses» naturelles, ne l'est
pas moins des «mots », images des choses, et comme telles, «signes ~
au second degré des « choses divines}). Notre amour ne doit s'arrêter ni
aux Il choses» terrestres, ni aux « mots », mais à ce que les unes et les
autres nous signifient de la Réalité ultime, celle de la Trinité divine.
Par cet immense et profond détour, saint Augustin procède à une
critique chrétienne de la delectatio païenne, qui jouit des Il choses ~
terrestres et des mots sans les percevoir comme des Il signes» des Il cho-
ses}) divines. Il se livre du même coup à une critique implicite de l'omatus
païen, leurre qui reflète celui du monde sensible. Les vraisemblances du
monde et du langage n'ont d'autre prix, à des yeux chrétiens, que de
renvoyer à la vérité divine. Autant de préparations donc pour la définition

chrétiens, Turin, Bottega d'Erasmo, 1968, p. 32-41, les articles de Christine


Mohrmann dans Etudes sur le latin des chrétiens, Rome, Storia et Letteratura,
1958, 2 voL, sans oublier Ch. Baldwin, Medieval Rhetoric and Poetic, N.Y., 1928,
ch. Il, p. 151 et suiv., Saint Augustine on preaching.
72 LE "CIEL DES IDÉES» RHÉTORIQUE

d'un art oratoire chrétien où les c mots:t et les c choses:t s'interdisent


d'intercepter la c dilection» de l'auditeur, et se contentent du statut de
« signes:. sur le chemin qui ramène l'âme au seul objet de son amour,
Dieu.
Les mots et l'écriture humains sont des conventions désignant les
« choses» terrestres. C'est seulement dans l'Ecriture Sainte que ces
conventions et les «choses» qu'elles désignent sont utilisées par
l'Esprit-Saint pour signifier les «choses» divines. D'où l'obscurité et
l'ambiguIté de l'Ecriture qui cache et révèle tout ensemble, comme la
Création elle-même, la Réalité divine. C'est donc l'Ecriture qui est d'abord
et avant tout la source de l'invention oratoire chrétienne: déchiffrer son
sens second, révéler sous les mots et les chos~s les realia célestes, telle
est la principale tâche de l'orateur chrétien. En ce sens, il est moins un
orateur qu'un Docteur de la foi, Doctor christianus. Mais il ne se contente
pas de dire la vérité, il la célèbre et en fait l'apologie, comme Défenseur
de la foi (Defensor tidei) et il combat l'oubli et l'hérésie, comme Adver-
saire de l'erreur (Debellator erroris). La rhétorique «païenne ,", même
lorsqu'elle faisait alliance avec la philosophie, n'espérait mieux que de
laisser entrevoir la vérité dans le beau miroir des vraisemblances. La
rhétorique augustinienne se veut une exégèse des vraisemblances qui
fasse éclater la vérité et fonde l'évidence de la foi. L'idéal cicéronien de
l'Orator, médiateur entre la contemplation philosophique et les passions
de la foule, se retrouve ici, mais transposé en médiateur entre la vérité
enclose dans l'Ecriture, et l'ignorance ou l'aveuglement des pécheurs.
Les trois officia de l'Orator cicéronien se retrouvent également, quoique
détournés à des fins chrétiennes: do cere (c'est l'office du Doctor);
delecfare (c'est l'office du Defensor, qui fait l'éloge et l'apologie de la
vérité); movere (saint Augustin dit plutôt flectere) et c'est l'office du
Debellator, qui fait honte aux pécheurs. Chez Cicéron, l'accent était mis
sur le médiateur (l'Orator) et sur la médiation (l'eloquentia), l'un et l'autre
maîtres de définir le degré de vraisemblance compatible avec les cir-
constances, le lieu, le public; chez Augustin, l'accent est mis sur la
Vérité et sur le cœur des fidèles: le prédicateur n'est rien par lui-même
(pauperem), et le corps de son discours ne saurait être érigé en idole
tenant lieu de vérité. Mais la pauvreté de l'orateur et de son éloquence
se retourne en richesse supérieure (ditiorem) à toute beauté païenne, puis-
que leur sacrifice les rend transparents à Dieu même, objet d'un amour
(dilectio) plus légitime et plus puissant que le plaisir (delectatio) engendré
par les idoles de la rhétorique païenne.
Procédant de l'idéal cicéronien de l'Orateur pour définir le statut
nouveau du prédicateur chrétien, saint Augustin semble s'inspirer de
l'idéal sénéquien du style philosophique pour définir le statut nouveau
des verba dans le sermon chrétien. Ceux-ci sont chez lui, comme chez
Sénèque, les canaux à la limite négligeables d'un sens qui, venant de Dieu,
s'adresse au cœur des pécheurs.
Sénèque ne faisait pas grand cas des préceptes des rhéteurs. Saint
Augustin va jusqu'à admettre que le prédicateur chrétien, inspiré par une
profonde piété, initié à l'exégèse des Ecritures et s'exerçant sur les
SAINT AUGUSTIN 73
exemples des Docteurs de la Foi, puisse se passer de toute fonnation
rhétorique. Toutefois il n'exclut pas que celle-ci, à titre de pédagogie de la
jeunesse, puisse rendre des services. Si humble que se veuille l'art du
prédicateur, absorbé tout entier par le service de la vérité, ce n'en est
pas moins un art, qui peut trouver chez les rhéteurs des distinctions utiles,
et de précieux préceptes. Mais saint Augustin, comme Sénèque, réduit
le champ des préceptes à la seule elocutio. Encore soumet-il étroitement
celle-ci à une inventio où le zèle pieux du prédicateur et sa méthode
d'interprétation des Ecritures le dispensent de toute culture superflue.
Entre l'art de Cicéron et le c primitivisme» (au moins théorique) de Sénè-
que, saint Augustin penchant tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, cherche
l'amble d'une éloquence chrétienne.

•••
La première qualité, et de loin, du style chrétien est la clarté (claritas,
perspicuitas). Il importe en effet avant tout de démêler les obscurités de
l'Ecriture, et de rendre celle-ci transparente à tous, savants et ignorants.
Aussï ne faut-il pas hésiter à sacrifier à la clarté cette latinitas aristocra-
tique et savante dont Cicéron et ses contemporains faisaient tant état.
L'interprétation augustinIenne de la neglegentia diligens cicéronienne est
donc beaucoup plus laxiste que l'interprétation sénéquienne. Elle rend
possible toutes les CQncessions au vocabulaire technique chrétien et même
au latin populaire.
La seconde qualité du style est toute négative; il faut parler clairement
mais non désagréablement (insuaviter). Là une sévère mesure doit être
gardée, car il faut éviter à tout prix que la delectatio de l'auditoire
s'arrête aux signes et ne s'élève pas jusqu'aux choses divines que ces
signes ont charge d'annoncer. Il faut donc doser la dictionis suavitas
selon la nature du sujet traité (orationis argumentum). Aux trois offices
du prédicateur, docere, delectare, f1ectere, correspondent trois types de
discours, et trois styles: bas (submisse dicere) si l'on enseigne, médiocre
(temperate dicere) si l'on loue, sublime (granditer dicere) si l'on conjure
ou reprend les cœurs rebelles. Dans le premier cas (par exemple l'expli-
cation du mystère de la sainte Trinité), la majesté du sujet est à elle seule
un ornement qui dispense de tout autre. Dans le second cas, le seul objet
de louange ne pouvant être que Dieu, on peut aller jusqu'à introduire un
peu de musique dans la prose. Dans le troisième, celui de la véhémence
parénétique, il n'est pas nécessaire de recourir aux techniques de l'orna-
tus: l'exemple de saint Paul montre que les ornements, lorsqu'il admo-
neste, lui viennent tout naturellement, et sans souci conscîent d'embellir
le discours, par la seule logique du sujet et du sentiment qu'il en a.
Privé de l'art des rhéte',. 3, l'apôtre atteint à des effets supérieurs aux
leurs, par la grande ardeur (grandis affectus) dont il est animé.
En dépit d'un véritable effet abrasif, les « trois styles» selon Cicéron
sont maintenus par saint Augustin. C'est que l'éloquence de l'Eglise
retrouve, sur un registre religieux et non plus seulement politique, l'expan-
74 LE c CIEL DES IDÉES» RHÉTORIQUE

sion publique de l'éloquence du Forum. L'idéal de la tripertita varietas


qui s'était estompé chez un Sénèque et un Tacite, revit chez saint Augus-
tin: il faut varier le style (vurianda dictio) pour éviter la lassitude
(fastidium); il faut entrecroiser dans un même discours les dictionis
f!.enera afin de créer des effets puissants de clair-obscur, comme par le
rapprochement entre le style simple et le pathétisme du style sublime.

:.
Au chapitre 24 du L. IV, saint Augustin s'attarde sur les effets
propres au style sublime, et à la véhémence chrétienne. Les subtilités
(acumina) du style de l'éloge, peuvent faire naître la tentation des applau-
dissements. Il n'en va pas de même pour le sublime chrétien. Celui-ci
rappelle aux pécheurs la vérité qu'ils ont oubliée et reniée, il leur donne
I>! désir du repentir. Leur voix alors s'étouffe, leurs larmes coulent. Briser
l'endurcissement des cœurs est le Grand Œuvre de l'éloquence chrétienne.
Né de la charité, le sublime chrétien la fait naître: évitant le détour
calculé par la science des rhéteurs, elle parle du cœur au cœur, et la
c grande ardeur» du prédicateur chrétien réveille les pécheurs de leur
endurcissement. En tout état de cause, il faut savoir garder la juste
mesure afin d'être toujours écouté avec clarté (intelligenter), avec plaisir,
(libenter), avec docilité (obedienter). Le style simple se prête avant tout
à la clarté, mais il doit aussi apporter à sa façon docilité et joie. Le style
moyen se prête avant tout au plaisir, mais il ne doit pas être orné
indécemment. Le style sublime doit ébranler les cœurs, mais il ne doit
pas renoncer à la clarté ni au plaisir. La juste mesure objective observée
par le prédicateur corrige sévèrement toute tentation d'excès subjectif,
contenue d'ailleurs par l'humilité du chrétien.
Cette dernière note achéve de nous montrer que saint Augustin mérite
autant que Jérôme, le titre de Cicéron chrétien. Après l'/nstitutio oratoria
de Quintilien, après la tentative de réforme archaïsante d'un Fronton, le
De Doctrina christiana nous apparaît comme le suprême effort de l'élo-
quence romaine, s'adressant en désespoir de cause au christianisme, pour
échapper à cette « corruption» que dénonçaient déjà Caton l'Ancien, et les
adversaires néo-attiques de Cicéron, et Sénèque. Contre les déclamateurs
païens de la Seconde sophistique, saint Augustin, et avant lui Lactance,
et avec lui saint Ambroise et saint Jérôme, sont les initiateurs d'une
ultime « Renaissance », d'un ultime « classicisme» oratoire romain avant
la chute de l'Empire.
Chez saint Augustin, la résurrection de l'Orator cicéronien sous les
vêtements du Docfor christianus, la sauvegarde des qualités esthétiques
de la prose oratoire c classique », perspicuitas du style simple, suavitas
du style moyen, vehementia du style sublime, l'art de varier et d'opposer
ces qualités, l'art de les doser et de les déployer à bon escient, préservent
l'essentiel de la juste mesure cicéronienne au service d'une foi religieuse
qui, dans le même temps, enveloppe et absorbe l'essentiel des philosophies
païennes.
SAINT AUGUSTIN 75
Mais cette prise en charge par l'Eglise de l'art oratoire cicéronien,
dans une version allégée où la réussite plastique du discours comptait
moins que sa transparence, n'allait pas sans ambiguïté. Les L. 1 A 111
du De Doctrina Christiana préparent sans doute au L. IV: ils révèlent
aussi le malaise de l'intériorité chrétienne, face aux nécessités de la
prédication publique, qui obligent à recourir aux techniques des orateurs.
La pente de la parole chrétienne, née de la prière et de la méditation
silencieuse des Ecritures, allait à l'échange, dialogué ou épistolaire, entre
spirituels et candidats à la spiritualité personnelle. Echange proche de
celui qui caractérisait les cénacles philosophiques païens. Les exigences
d'une prédication de masse créaient un curieux porte-A-faux. Elles
maintenaient dans les rangs chrétiens les germes d'une reviviscence de la
déclamation tout extérieure. Elles ne compensaient pas l'introduction dans
l'édifice oratoire antique d'un corrosif soupçon.
Nul mieux qu'Augustin n'a exploré les conséquences de ce paradoxe.
Théoricien de la prédication dans le Docfrina christiana, il est aussi
l'inventeur de la littérature autobiographique dans les Confessions, long
dialogue lyrique avec Dieu. Sauvant dans un cas l'objectivité «classi-
que» du De Oratore, il faisait dans le second une étonnante démonstra-
tion d'expressionnisme subjectif. Mais il ne sauvait le «classicisme)
cicéronien qu'en le soumettant A des scrupules religieux et moraux plus
qu'esthétiques. Et il ne créait la prose de la subjectivité moderne qu'en
l'offrant en sacrifice au Dieu chrétien, lieu d'une beauté jalouse de toutes
les beautés humaines.
Interprété par l'esprit de lourdeur, l'effort du De Doctrina christiana
pour dépasser la rhétorique et fonder une éloquence du cœur peut parai-
tre encourager une sorte de misérabilisme oratoire. Autre péril, que
certaines formules de Sénèque, prises au pied de la lettre, pourraient
aussi suggérer: saint Augustin met à ce point l'accent sur le docere,
il réduit A ce point le rôle de l'art dans le movere, et ramène le delecfare
à une portion si congrue, il s'accommode si facilement du sacrifice de la
latinitas, qu'il semble patronner toutes les concessions à un public inculte.
/! envisage, au moins à titre d'hypothèse, un tel appauvrissement de la
pédagogie rhétorique, un tel renoncement à tous les genres littéraires
qui ne se réduisent pas au moule de l'éloquence sacrée, que lui, héritier
et bénéficiaire de toute la tradition païenne, semble préparer les esprits
au déclin de la culture antique et à la venue des temps barbares. /! va
jusqu'à suggérer l'hypothèse de prédicateurs si peu doués ou si peu
préparés intellectuellement qu'ils se contenteraient de réciter par cœur
des homélies écrites par d'autres, moins déchus. Avec quelle sombre
satisfaction tel ou tel moine espagnol du XVI' siècle, avant l'ineffable
Goibaud Du Bois à la fin du XVII', dut approuver comme un idéal ce
programme de détresse et s'y tenir pour combattre l'impie Renaissance
des studia humanitatis, à qui il devait pourtant de pouvoir lire, dans des
èditions correctes, le De Doctrina christiana 1

•••
76 LE «CIEL DES IDÉES» RHÉTORIQUE

Ce fut le bonheur de la France de Louis XIII et de Louis XIV d'être le


théâtre en même temps d'une Renaissance cicéronienne-tacitéenne, et
d'une Renaissance augustinienne.
La traduction par l'académicien Colletet en 1637 du De Doclrina
Christiana est contemporaine de la réédition, chez le même éditeur de
l'Académie française, J. Camusat, d'une traduction du Dialogue des
Orateurs 66 et de l'édition d'une traduction de Huit Oraisons de Cicéron.
Les Jésuites c cicéronienS:t firent contrepoids aux jansénistes augusti-
niens. Les aspects c cicéroniens» de De Doclrina Christiafla purent ainsi
être privilégiés et inversement son idéal du style sévère chrétien contribua
à c châtier:t l'atticisme cicéronien en langue française, et à le c libérer»
de toute allégeance avouée à l'art des déclamateurs.

66 Des causes de la corruption de l'éloquence, dialogue attribué par quel-


ques-uns à Tacite, et par autres à Quintilien, Paris, Claude Chappelain,
1630, 4°. Réédité sous le titre Dialogue des causes de la corruption de l'élo-
quence, Paris, j. Camusat, 1636, toujours sans nom s'auteur. Celui-ci n'était
autre que l'Académicien Louis Giry.
CHAPITRE II

ESSOR ET DESASTRE
DE LA PREMIERE RENAISSANCE CICERONIENNE

DE PÉTRARQUE A BEMBO

Le trait distinctif de l'humanisme italien, c'est la reprise du thème


cher à Quintilien et à Tacite de la c corruption de l'éloquence:.. Mais
cette fois il est étendu à toute l'immense période qui sépare la Rome de
Cicéron, d'Auguste et de Trajan de l'Europe gothique, à tout le processus
historique et linguistique qui avait abouti au développement des langues
romanes, du latin liturgique et scolastique, de la primauté intellectuelle
de l'Université de Paris. La décadence de la langue latine devient le
symbole de l'exil de l'Italie, héritière légitime de Rome, dans une Europe
barbare qu'elle ne contrôle plus. Et le style des moines est jugé avec
le même mépris que Tacite et Quintilien réservaient à celui des décla-
mateurs, ou les Romains c puristes» au parler corrompu des lointaines
provinces. Retrouver l'or pur de la latini/as enfoui dans le plomb de la
décadence et de la barbarie, devient à partir de Pétrarque le Grand
Œuvre autour duquel se déploient tous les aspects d'une Renaissance
stimulée par l'orgueil et la nostalgie de la patrie italienne perdue.
Retrouver le texte original des auteurs latins, du temps où Rome était
la maîtresse du monde, et imiter la prose du plus grand d'entre eux,
Cicéron, telle apparaît à l'humanisme italien la tâche régénératrice par
excellence, la leçon que la c Renaissance» administre à l'Europe barbare.
Tout le travail philologique sur les textes, tout le travail grammatical sur
la langue, trouvent à la fois leur conclusion et leur garantie dans la mise
au point du Tullianus stylus, du style cicéronien, destiné à supplanter le
style, et donc la culture, du monachisme médiéval 67. Cette extraordinaire

6i Sur le travail des humanistes italiens sur l'optimus stylus cicéronien, et


sur la Querelle qu'il fit naître à la fin du XV' siècle, voir Remigio Sabbadini,
Storia dei ciceronianismo e di altre questione litterarie, nell' età della Rinas-
cenza, Torino. Ermanno Loescher, 1886, et ·Izora Scott, Controversies over the
imitation of Cicero, New York, 1910. Voir également les analyses d'E. Garin
dans Educazione in Europa, Bari, Laterza, tr. fr. L'Education de l'Homme
moderne, Paris, Fayard, 1968, p. 105-107. Voir aussi Hermann Gmelin, «Das
Prinzip der Imitatio in der romanischen Literaturen der Renaissance:., dans
Romanische Forschungen, 1932, p. 85-360.
78 PREMIÈRE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

refonte d'une langue ecclésiastique en une langue savante et en une


langue d'art, c ramenée à sa pureté première:., entrait en conflit non
seulement avec le prestigieux c style parisien », dont l'Université de
Paris avait fait le dépositaire de la science théologique, mais aussi avec
les préceptes augustiniens, qui subordonnaient les c signes» aux c choses
divines », et la perfection de la forme à la perfection chrétienne. La
Renaissance italienne ne pouvait manquer d'être hantée par le rêve de
saint Jérôme, qui avait entendu le Christ lui dire sévèrement: Non es
Christianus, sed Ciceronianus 68.

Le fondateur de l'humanisme italien, l'inventeur de Cicéron 89, Pétrar-


que, vécut comme un débat intérieur ce qui déjà avait troublé saint
Jérôme, et ce qui deviendra plus tard l'objet essentiel de la Querelle du
cicéronianisme. Dans une lettre à Boccace, l'auteur du Canzoniere se
montrait fort attentif à préserver une juste mesure dans l'imitation des
Anciens, nécessaire pédagogie de l'humanitas, et à sauver l'identité
personnelle et chrétienne de l'imitateur:

L'imitateur doit éviter que la ressemblance de son texte à celui de


son modèle ne soit une identité, du même ordre que la ressemblance de
l'objet à son image dans le miroir, au point que le mérite de l'artiste
dépende du degré de reproduction dont il est capable; la ressemblance
doit être analogue à celle d'un fils à son père, qui s'accommode souvent
d'une grande différence physique, et qui tient à rien, à un air, comme
disent les peintres d'aujourd'hui: aussitôt qu'on voit le fils, le père revient
en mémoire, la comparaison entre les deux les montre alors tout diffé-
rents, et pourtant un mystérieux je ne sais quoi maintient le rapproche-
ment. Dans tout ce que nous écrivons à la ressemblance d'un modèle il
faut introduire beaucoup de différences, et laisser voilé ce qui subsiste de
ressemblance, si bien qu'on ne puisse le remarquer sinon à tête reposée
et plutôt comme un soupçon que comme une certitude. Il faut donc s'ins-

68 Voir Mario Fois, Il pensiere cristiano di Lorenzo Valla net quadro sto-
rico-culturale dei suo ambiente, Analecta Gregoriana (174), 1969, ch. V, «II
problema di coscienza dell'Umanesimo e la soluzione valliana », p. 195-260.
L'A. fait une revue complète des différentes apologétiques mises en œuvre par
les humanistes italiens, de Pétrarque à Valla, contre le soupçon monastique
et rigoriste pesant sur les studia humanitatis. Dans la préface du L. IV des
Elegantiae, Valla fait allusion à ceux qui sanctiores et religiosores videntur,
ennemis des libri saeculares, ainsi que de la restauration de la langue latine:
ils citent le songe de saint Jérôme pour prouver que l'on ne peut à la fois être
tullianus et fidelis. Valla soutient que le reproche fait par le Christ à Jérôme
s'adresse à la philosophie païenne, et non pas à l'ars dicendi, à la recherche
de l'élégance et de l'ornatus. Ceux-ci sont neutres, comme la peinture et la
musiql!e, et compatibles avec la foi. Il s'appuie sur l'exemple des Pères et de
saint Paul, théologiens éloquents, pour condamner les théologiens sans pré-
paration littéraire. L'éloquence, «arche dorée de l'Alliance », «Temple de Salo-
mon :1>, et la splendeur de la langue latine ramenée à sa pureté première, sont
les meilleurs ornements et auxiliaires de la foi. Cette préface contient l'es-
sentiel des arguments que les «cicéroniens dévots:. de la fin du xv,· siècle,
et en particulier les Jésuites, déploieront en faveur de l'Eloquentia.
69 Voir note suivante.
PÉTRARQUE 79
pirer d'une nature créatrice et des Qualités de son style, et ne pas repren-
dre ses propres termes: dans le premier cas, la ressemblance reste cachée,
dans le second elle ressort; dans le premier cas, on a affaire à un poète,
dans le second à un singe 10.

Et Pétrarque de citer Horace et Valerius Flaccus à l'appui de la


métaphore qui, dans la lettre 65 de 'Sénèque, définit la bonne imitation:
celle de l'abeille tirant des sucs empruntés à diverses fleurs un miel qui
n'appartient qu'à elle. Mais cette métaphore aimable est moins signi-
fiante que celle de la ressemblance du fils au père. Celle-ci maintient le
procès de formation du meilleur style latin dans la sphère c naturelle :.
de la filiation, qui préserve l'identité du fils chrétien de la fascination du
père païen sans lui ôter les bénéfices de la ressemblance. Le nescio quid
occultum qui révèle la différence, l'appel à l'intuition du lecteur (nec
deprehendi possif nisi tacita mentis indagine, ut intelligi possif) écartent
la tentation de la copie ou du pastiche. L'imitation créatrice, avant de
renvoyer aux Verba du texte imité, renvoie à l'ingenium de l'imitateur.
Elle est conçue par Pétrarque comme une confrontation de deux Ingenia
humains, l'un en acte, l'autre en puissance, et d'où jaillit pour l'imitateur
la révélation de sa propre identité singulière d'artiste et de chrétien.
L'esthétique de Pétrarque, ne choisissant pas entre Cicéron et Sénè-
que, liait étroitement, dans le paradoxe de la création, l'imitation éclec-
tique des modèles à la découverte d'un style personnel, chemin de la
connaissance de soi. L'inquiétude religieuse du poète, lecteur attentif de
saint Augustin autant que des classiques païens 11, ne lui aurait pas per-
mis de sacrifier l'intériorité à une convention formelle. Mais bien vite, le
travail des grammairiens humanistes fit apparaître le style latin de
Pétrarque comme bigarré, incorrect 12 : le souci de se démarquer toujours

10 Pétrarque, Letfere di Francesco Petrarca delle cose familiari libri lIenti-


quaUro, letfere varie libro unico, ora la prima volta raccolte, volgarizzate e
dichiarate con note da Giuseppe Fracassetti, Firenze, F. Le Monnier, 1863-
1865. 5 voL, t. 111, p. 239-241. Sur Pétrarque, voir Pierre de Nolhac, Pétrarque
et l'humanisme, Paris, Champion, 1907, 2 vol. Et, en particulier, t. 1, ch. V,
p. 213-268, Pétrarque et Cicéron; p. 215, Pétrarque initiateur du culte de
Cicéron; p. 219. initiateur de la chasse aux manuscrits de Cicéron; p. 226,
célébré au Quattrocento comme «ritrovatore dell'opera di Tullio >. Sur la
bibliographie récente, voir H. Baron, The evolution of Petrarch's thought,
reflection on the state of Petrarch Studies, dans From Petrarch, ouvr. cit.,
p. 7-10.
11 Sur Pétrarque, lecteur de saint Augustin, voir Pierre de Nolhac, ouvr.
cit., t. Il, ch. IX, «Les Pères de l'Eglise et les auteurs modernes chez Pétrar-
que»; p. 191 : saint Augustin le plus souvent cité par Pétrarque; p. 194:
influence des Confessions sur le Secretum de P. Voir également Jerrold E. Sie-
gel, ouvr. cit., ch .IX, «Ideals of eloquence and silence in Petrarch >, p. 31 à
62, où l'influence de saint Augustin sur l'art oratoire de Pétrarque est remar-
quablement définie.
12 Voir chez Remigio Sabbadini, ouvr. cit., p. 9-10, les critiques d'huma-
nistes florentins de la première moitié du xv· siècle contre le style latin de
Pétrarque, Bruni, Niccoli, Flavio Biondo; même attitude ~hez Lorenzo Valla
à la fin du xv· ; le jugement de Paolo Cortesi est plus nuancé.
flO PREMIÈRE RENAISSANCE CICÈRONIENNF

davantage du style c barbare» des scolastiques rendit les humanistes plus


soucieux de s'en tenir plus étroitement au bon usage de la latinité dorée,
et de son représentant le plus prestigieux, Cicéron. Dans cet effort de
purification, soutenu par une connaissance de plus en plus fine des divers
états de la langue latine, le nescio quid occultum cher à Pétrarque était
plutôt un obstacle, un principe de variation subjective. La quête de la
latinitas faisait du style le fruit d'une conquête critique, et savante, à
partir du texte canonique de Cicéron olt semblaient se résumer le meilleur
vocabulaire, les meilleures tournures, et la plus exacte syntaxe du latin
classique. La rhétorique savante de l'imitation cicéronienne est avant tout
un travail sur l'eloculio, et sur les qualités minimales que Cicéron exige de
celle-ci dans le genus humile. Or on s'en souvient, celui-ci, dans la hiérar-
chie cicéronienne des styles, est très proche du style attique. Les genres
majeurs dans lesquels s'exerce ce travail du style sont la lettre (relevant
par essence du genus humile) et la poésie, dont les modèles augustéens
allaient aussi dans le sens de l'atticisme. Le premier humanisme, d'inspi-
ration fortement érudite, fut peu fécond en traités de rhétorique. Son
chef-d'œuvre est un traité d'élocution grammaticale latine, les Elegmltiae
lingual! latinae de Lorenzo Valla. Les traits subjectifs du style comptent
moins que l'objet littéraire, prose ou poésie, taillé dans une matière
latine parfaitement purifiée de toutes les scories impériales et médiévales,
victorieuse des effets corrupteurs du temps.
Déjà langue sacrée par la volonté de l'Eglise romaine, la langue
latine ramenée à sa pureté originelle par la philologie humaniste devenait
la langue de l'immortalité glorieuse. Ce supplément de sacralité ne pouvait
que convenir au Saint-Siège, et ce n'est pas par hasard si Rome devint le
haut lieu du Tullianus stylus 78. Pétrarque à Avignon, Valla à Rome,
avaient été reçus avec honneur. La secrétairerie aux Brefs pontificaux ne
pouvait qu'accueillir avec faveur tout ce qui lui permettait de conférer
au style latin des mandements du Saint-Siège un éclat et un prestige
supplémentaires 74. Le Saint-Siège ayant la prétention d'hériter à la fois
de la légitimité palenne de la Rome des Empereurs, et de la légitimité
chrétienne de la Rome des apôtres, a mis un point d'honneur à s'exprimer
officiellement dans le latin le plus pur. Celui-ci devenait le symbole de la

73 Sur le Rinascimento romano, voir Storia letteraria d'Italia, t. VI, Il Cino


quecento, a cura di Giuseppe Toffanin, Milano, Vallardi, 1935, p. 1 à 36.
« L'identificazione dei vanto ciceroniano et dell'orgoglio italiano avvenne prin-
cipalmente a Roma J> (p. 9). Le déclin du prestige florentin permet à la Papauté
d'identifier sa cause à celle d'une Renaissance politique italienne, non sans un
chauvinisme hostile aux Barbares du Nord, et non sans un repli sur des
positions exclusivement latines, aux dépens de la Renaissance « grecque ». Tof-
fanin appelle fort justement le cicéronianisme romain «secondo ciceronia-
nismo », par opposition au cicéronianisme civique de Florence. Celui-ci, comme
le cicéronianisme français du XVI' siècle reniait le latin des «goths» pour
régénérer à la fois l'élocution et l'invention. Le cicéronianisme aulique, tel qu'il
triomphe à Rome, est avant tout soucieux de la pureté d'élocution.
Ti Sur l'histoire de la Chancellerie pontificale et la fonction normative de
son style latin, voir R.L. Poole, Lectures on the history of Papal Chancery,
Cambridge, 1915.
:>OLlTIEN 81

prééminence du Siège romain sur le reste de l'Europe chrétienne, plus ou


moins provinciale ou barbare. Valla, dans la préface des Elegantiae,
s'était réjoui de la Renaissance de la Romana lingua, et de son prestige
sur l'Europe TI : mais c'était au nom de l'Italie tout entière. L'humaniste
romain éprouvait une tenace prévention contre la puissance temporelle
des Papes, et c'est lui qui, grâce à la critique stylistique, établit le pre-
mier que la fameuse Donation de Constantin au Pape Damase, titre
essentiel de la franslafio imperii de la Rome politique à la Rome pontifi-
cale, était une c forgerie» médiévale T6. L'affaiblissement de Florence à
la fin du xV" siècle ne permit pas à celle-ci d'assumer plus longtemps
la direction de l'humanisme italien ni de réaliser le rêve d'être la Rome
nouvelle d'une Italie régénérée. C'est Rome qui s'empare du Tullianus
stylus, ce trésor lentement reconstitué par l'humanisme florentin depuis
Pétrarque. Elle en fait le style pontifical officiel, alors qu'un Valla pou-
vait espérer qu'il serait le style docte d'une Italie retrouvant, SOllS
l'égide florentine, l'unité et le prestige de la Rome des Scipions et d'Au-
guste. Ironie de l'histoire qui nourrira la méditation amère de Machiavel.
L'officialisation par Rome du purisme cicéronien provoqua les pre-
mières résistances à ce qui jusqu'alors avait passé pour un progrès des
litterae humaniores. A l'humaniste Paolo Cortesi, au service de la Curie
romaine, et qui lui avait adressé un recueil de Lettres rédigées dans le
style c canonique », le florentin Ange Politien répondit avec une vigueur
dont la pointe polémique est à peine mouchetée d'urbanité; l'importance
historique de cette lettre de Politien apparaîtra dans l'hommage qu'Eras-
me lui rendra, dans son Ciceronianus.
Tu as pour principe, écrit Politien, de ne tenir pour écrivains que les
portraits de Cicéron. Pour moi, la tête d'un taureau, ou d'un lion me
paraît préférable à celle d'un singe, quoique celui-ci ressemble davantage
à l'homme. Ceux qui passent pour avoir été les Princes de l'éloquence ne
se ressemblaient pas, au témoignage de Sénèque. Quintilien tourne en

75 « Nous avons perdu Rome, nous avons perdu la puissance, nous avons
perdu la domination. non par notre faute, mais par la faute des temps et,
toutefois, il nous reste, grâce à la langue latine, une domination spirituelle
plus éclatante encore et grâce à elle nous régnons aujourd'hui encore sur la
majeure partie du monde. L'Italie est à nous, et la France, et l'Espagne, et
l'Allemagne, et la Pannonie, et la Dalmatie, et l'Illyrie, et de nombreuses autres
nations. Car l'Empire romain est toujours debout, partout où règne la langue
romaine» (Laurenti. Vallae Latinae linguae elegantiarum libri sex. Anvers,
1526, Praefatio.) La première édition figurant au catalogue de la B.N. date
de 1471. Valla séjourna longtemps à Rome, où il enseigna la rhétorique à la
Sapienza. Mais cet humaniste supérieurement indépendant ne se laissa pas
assoupir par la servilité aulique. Comme à Erasme, et avant lui. les siudia
lzumanitatis lui apparaissent le chemin le plus sûr vers une réforme de l'Eglise,
et un renouveau de la piété par la réhabilitation des «anciens théologiens:>,
les Pères de l'Eglise. Comme à Gassendi. et avant lui. l'épicurisme lui apparaît
plus ajustable à un christianisme réformé que le stoïcisme. Voir E. Garin, in
Sioria ... éd. Garzanti, t. III, ouvr. cit .• p. 198-237, et L·Education ...• ouvr. cit.,
p. 198-199.
76 Voir Mario Fois, Il pensiero cristiano di L. Valla ...• ouvr. cit., p. 323 et
suiv.
82 PREMIÈRE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

dérision les orateurs qui se croyaient les cousins de Cicéron, sous prétexte
qu'ils achevaient leurs périodes par Esse videatur. Horace invective les
imitateurs, et encore les imitateurs. Pour ma part, je ne vois dans les
spécialistes de l'imitation que des perroquets ou des pies, puisqu'ils répè-
tent ce qu'ils ne comprennent même pas. Ces écrivailleurs manquent
d'énergie et de vie, ils sont incapables d'agir ni de sentir, ils n'ont aucun
tempérament. Chez eux rien de vrai, rien de solide, rien de fécond 77.

Comme l'avait fait Pétrarque, Politien recourt à Sénèque 77 pour


résister à la perfection formelle de l'atticisme cicéronien. Comme Pétrar-
que encore, il fait appel à la métaphore de l'abeille pour laisser à
l'imitateur le choix entre différents modèles 79 et la liberté de se créer un
style qui lui appartienne en propre. Il laisse entendre que le culte pédant
et affecté de Cicéron est au fond l'équivalent stylistique du culte
que l'humaniste courtisan, nouveau sophiste, doit rendre au Souverain
Pontife pour appartenir au cercle de ses élus: la méticuleuse étiquette
de l'imitation cicéronienne reflète dans l'ordre du langage la soumission
à l'ordre de la Cour. L'énergie d'une âme libre, sa iidélité savante à
une «dignitas hominis» originelle, plus qu'à la coutume de Cour, telle
est à ses yeux la source ultime du véritable optimus stylus.
Ainsi, c'est un débat central pour l'humanisme que Molière posera
dans le dialogue Alceste-Philinte, dont nous avons ici, à un siècle et demi
de distance, une première et lointaine esquisse. L'« imitation simiesque»

77 Angeli Politiani et aliorum virorum illustrium, Epistolarum libri XII,


Hanoviae, 1604, in-12·, p. 307-309. La réponse de Paolo Cortesi figure p. 309-
314. La première édition des Opera omnia d'Ange Politien parut chez Alde à
Venise en 1498. Sur Politien, voir Ida Maïer, Anlre Politien, la formation d'un
poète humaniste (1469-1480), Genève, Droz, 1966.
78 On saisit ici, dans son germe, l'alternance Sénèque-Cicéron qui est un
des rythmes profonds de la Renaissance. Pour Politien, comme pour Pétrarque,
Sénèque sert de recours à l'intériorité contre la tentation du cicéronianisme,
du conformisme social. Inversement, Cicéron servira aux humanistes français
de la première moitié du XVII' siècle à retrouver le sens de la sociabilité après
une ère marquée profondément par la retraite et l'intériorité sénéquiennes.
Sénèque avait été un des maîtres, sinon le maître préféré, parmi les païens,
du christianisme médiéval. Voir AM.M. Smit, Contribution à l'étude et à la
connaissance de /' Antiquité au Moyen Age, Leyde, Sythoff, 1934, L.D. Reynolds,
The medieval tradition of Seneca's letters. Oxford, Univ. Press, 1965, K.L.
NothdL1ff~ Studien zum Einfluss Senecas auf die Philosophie und Theologie
des ZW6l,ten Jahrhunderts, Leyde, Brill, 1963, et E. Gilson, Les idées et les
lettres, Paris, Vrin, 2' éd. 1955, p. 171-196.
79 Les idées de Politien sur l'imitation doivent beaucoup à Quintilien. Voir
l'Oratio super Fabio Quintiliano et Statii Sylvis, dans Opera, ouvr. cit. Politien,
tont en admettant la valeur paradigmatique de Cicéron et de Virgile, se jus-
tifie de donner cours cette année-là sur Quintilien et Stace, justement pour des-
serrer l'étau d'une imitation trop exclusive des deux grands classiques. Il se
réclame d'ailleurs de l'exemple de Cicéron, que Quintilien avait réhabilité contre
Sénèque, puisque le Princeps eloquentiae latinae s'était ouvert tour à tom à
des influences atticistes et asianistes (p. 495). Un seul regret dans la péro-
raison: que Quintilien, parfait maître d'éloquence, ait si sévèrement condamné
le style de Sénèque (p. 496).
O.-F. PICO DELLA MIRANDOLA 83
et courtisane que Politien décèle dans l'élégance cicéronienne des Lettres
que lui adresse Paolo Cortesi révèle chez leurs auteurs une abdication
morale: ces épistoliers se cachent derrière la convention cicéronienne
pour ne pas avoir à chercher la vérité ni leur vérité; à travers un style qui
soit « l'homme même ».
Quid tum? proteste Politien. NON ENIM SUM CICERO, ME TAMEN
(UT OPINOR) EXPRIMO 80. La négation voile à peine l'orgueil de cette
première personne affirmant ses droits de sujet philosophique. L'impetus
i1:genii exigé de l'écrivain digne de ce nom par Politien est directement
sen9ible ici, et c'est lui que l'humaniste florentin oppose à la faiblesse,
pour ne pas dire à la maladie morale des cicéroniens romains (aratia
temula, vetillans, infirma). En réaction contre cette déchéance, l'éloquence
est ici, plus encore que chez Pétrarque, arrimée à la vertu de l'homme
intérieur: si celui-ci est pleinement fidèle, l'imitation docile du seul
Cicéron doit lui apparaître comme une entrave intolérable à sa liberté
de connaître et d'exprimer la vérité.


••
En dépit du prestige de Politien, sa querelle avec Cortesi restait pour
une large part dans le domaine de la dispute académique: à titre de
querelle portant sur l'aptlmus stylu!> latin, el1e posait la question des
sources de l'éloquence dans le cercle étroit des lettres néo-latines; à titre
de querelle entre humanistes italiens elle se renfermait implicitement à
l'intérieur de l'élite péninsulaire, ayant seule, par droit historique, privi-
lège de légiférer sur la langue et la littérature latines. Ces traits restent
encore ceux de la querelle qui, dans la génération suivante, oppose une
nouvelle fois l'humanisme florentin à l'humanisme d'obédience romaine.
Dans une lettre adressée par Giovanni Francesco Pico del1a Mirandola,
neveu du grand Pico, à Pietro Bembo, humaniste vénitien devenu secré-
taire des brefs de Léon X, et à ce titre coryphée du cicéronianisme romain,
le problème de aptima styla, et ses implications morales, furent de nou-
veau évoqués 81. Chez Pétrarque, comme chez Politien, les concepts de

80 « Eh ! quoi? Je ne suis pas Cicéron, c'est moi, me semble-t-il, que mon


discours représente », ouvr. dt., p. 308.
81 La lettre de Giovanni Francesco Pico della Mirandola (datée d'octobre
1512) paraît en 1532 à Lyon, chez Gryphius, dans les Petri Bembi opuscu/a
aliquot. Sa première édition avait eu lieu dans J.F. Pici Mirandu/ae domini,
Physici libri duo. 1. De appetitll primae materiae, li. De e/ementis, et Rhetorici
duo, de imitatione ad Petrllm Bembum, Petri Bembi de imitatione liber unus,
BasiIeae, 1518, 4°, 124 p. Cette polémique de G.F. Pico avec Bembo apparaît
comme une suite et conséquence de la polémique du grand Pico, oncle et
maître de G.r., avec un autre humaniste vénitien, Ermolao Barbaro. Pico repro-
chait à celui-ci son humanisme trop exch.. sivement rhétorique et plaidait en
faveur de la philosophie et de la théologie, où les choses comptent plus que
les mots, la vérité plus que la beauté. Voir Storia della /etieratura italiana,
t. 1\1, ch. «La letteratura degli umanisti », de Eugenio Garin, p. 305-307.
84 PREMIÈRE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

natura et d'ingenium, utilisés pour désigner la source ultime du style,


au-delà des c mots », n'étaient pas autrement explicités. La contribution
de a.F. Pico au débat consiste à donner à ces concepts un contenu
philosophique précis, inspiré de cet aristotélisme platonisant dont il avait
reçu la tradition de son oncle. Le médecin florentin prend en effet pour
point de départ Aristote, pour qui tout homme reçoit de la nature une
c pente» qui lui est propre, « proprium et congenitum instinctum et pro-
pensionem animi » 82.
Il complète les indications d'Aristote par la doctrine platonicienne des
idées innées; l'inégalité entre les hommes sur le terrain de la création
s'explique par leur capacité naturelle plus ou moins grande de remonter
vers l'Idée du Beau, pourtant présente en chacun dès la naissance, comme
la cause finale de son activité. Les règles ni les préceptes de la rhétorique
ne sont d'aucun secours dans l'acte créateur, qui ne relève pas d'une
technique apprise et transmissible, mais de la capacité de l'écrivain à
l'éveil spirituel.
L'imitation ne saurait donc prendre pour modèle le texte de Cicéron,
mais l'Idée du Beau vers laquelle ce texte n'est qu'un chemin. Aucune
œuvre, aussi parfaite soit-elle, pas même celle de Cicéron, de son propre
aveu, ne peut prétendre se substituer à l'Idée dont elle n'est qu'une des
actualisations possibles. Il est donc indispensable de se proposer plu-
sieurs modèles, et à partir des fragments de l'Idée que chacun recèle,
tenter de reconstituer selon nos propres capacités l'Idée originelle. Et
Pico d'emprunter à Cicéron 83 - sans le citer - l'exemple de Zeuxis,
composant l'image parfaite d'Hélène avec des grâces empruntées aux
cinq plus belles jeunes filles de Crotone.
Aucun style ne peut donc s'identifier à l'ldea : celle-ci est une norme
à la fois exigeante et généreuse, puisqu'elle laisse à chaque tempérament,
à chaque ingenium, le soin de l'incarner hic et nunc. La création oratoire
devient l'exercice de la réminiscence et non, comme chez les cicéroniens
pontificaux, un acte d'allégeance à une convention formelle. Cette analyse
du statut philosophique de la création littéraire amène a.F. Pico à ren-
verser la hiérarchie des étapes de la méthode rhétorique; alors que les
cicéroniens mettent l'accent sur l'elocutio, et lui subordonnent la dispo-
sitio et l'inventio, l'humaniste florentin place au premier rang l'inl/entio,
qui met en œuvre les trois puissances de l'âme, mémoire, imagination et
jugement, à la conquête de l'Idea, d'où se déduisent dispositio et eLocutio .


••

82 «Un instinct et une pente d'âme propres et innés ».


83 Cicéron, De Inventione, II, l, § l, éd. Teubner, Scripta Omnia, t. l, p. 174.
BEMBO 85
A Giovanni Francesco Pico "' qui avait été l'élève de Politien, Pietro
Bembo 8G fit une réponse qui donnait du cicéronianisme romain une
définition beaucoup plus compréhensive que cel1e de Paolo Cortesi. D'une
correspondance à l'autre, le dialogue s'est approfondi, au point d'appa-
raître dès 1513 comme l'amorce du débat fondamental qui va agiter l'art
italien au XVI' siècle, et dont Erwin Panofsky a étudié les méandres dans
son Idea. Le médecin Pico donnait en effet le pas à l'ingenium individuel,
ct faisait de celui-ci un filtre légitime de l'Idée du Beau. Il préconisait au
fond une esthétique subjectiviste, fondée sur l'éclectisme des modèles et
le pluralisme des styles. Bembo, dans sa réponse, commence par poser en
principe que l'imitation et l'émulation sont inhérentes à toute activité
humaine. Une œuvre doit sa naissance à d'autres œuvres qui lui préexis-
tent, et non à un modèle que son auteur porterait de naissance en lui-
même. Invoquant sa ,propre expérience il écrit:

Je n'ai découvert en moi aucllne forme du style, aucune image de la


diction, avant de l'avoir créée par moi-même à force de réflexion, à force
de lire pendant un long espace d'années les livres des Anciens, à force
de travail, d'expérience, et d'exercice 86.

S'il avait dû se fier à une image innée de son style personnel, qu'il
n'a d'ailleurs jamais observée, il ne serait pas allé où il voulait, dans la
libre obéissance à la loi de perfection qu'il s'était choisie, dans l'exercice
de son jugement Uudicium) ; il aurait erré au hasard et sans conduite
fixe, aucune étoile intérieure ne l'aurait guidé. Loin d'être un esclavage,
l'imitation est donc l'essence même de la liberté artistique; en l'insérant
dans une tradition, elle préserve l'artiste du déterminisme aveugle de sa
propre subjectivité.
Autre argument contre la rhétorique de l'ingenium personnel: les
hommes naissent inégaux. La théorie d'une idée innée que chacun n'aurait
qu'à retrouver au fond de lui-même, et incarner par l'imitation éclectique
de divers modèles, supprime toute notion de perfection artistique, et donc
de hiérarchie entre les grands artistes et les médiocres. Or l'imitation,
qui est un élan vers la perfection, fait le tri entre les vrais artistes et ceux
qui ne le sont pas. Si par surcroît on dispense ceux-ci de se référer à une
norme de beauté objective, leur médiocrité ne connaîtra plus de bornes.
De toutes façons, 1'« idée innée» que les médiocres portent en eux, si
seulement ils en portent une, n'intéresse guère Bembo:

84 Sur l'échange de lettres Pico-Bembo, voir G. Santangelo, Epistole de


Imitalione di G.P. Pico della Mirandola e di Pietro Bembo, Firenze, 1954. Voir
également du même auteur Bembo critico e il principio di imitazione, Firenze,
1950, et un C.R. important de R. Spongiano dans le Giornale Storico della
leUera/ura italiana (CXXXI, 1954, p. 427-437).
85 Sur Pietro Bembo, voir, outre L. von Pastor, t. IV, éd. cit., p. 402 et
suiv., La Storia della letieratura italiana, t. IV, ch. l, II classicismo dal Bembo
al Guarini, d'Ettore Bonora, en particulier p. 151-153 (sur le cicéronianisme).
86 G. Santangelo, Epistole de Imitatione ... , ouvr. cit., p. 42,
R6 PREMIÈRE RENAISSANCE CICÈRONIENNE

Qu'ils écrivent des livres, qu'ils veillent, qu'ils dorment, je ne m'en


soucie nullement 81.

Si l'on admet une idée du Beau, elle n'est pas en puissance dans telle
ou telle subjectivité, elle existe en acte et en Dieu:
Pour moi, je pense que, de même qu'il y a en Dieu auteur et créateur
du monde et de toutes choses une certaine forme divine de la justice,
de la Tempérance et des autres vertus, il s'y trouve aussi comme une
certaine sorte de bien écrire, à laquelle il ne manque rien, une forme
absolument belle, qu'avaient en vue autant qu'ils pouvaient le faire par
la pensée et Xénophon et Démosthène et Platon lui-même surtout, et
Crassus et Antoine et jules César et plus que tout autre Cicéron, quand
ils composaient et écrivaient quelque chose. Et cette image qu'ils avaient
conçue dans leur esprit, c'est à elle qu'ils rapportaient leur style et leur
intelligence. je pense que nous devons faire de même et qu'il nous faut,
dans nos écrits, employer tous nos efforts à nous rapprocher le mieux et
le plus près possible de cette beauté 88.

Pour rejoindre celle-ci, il faut non seulement un artiste d'exception,


mais une médiation qui serve de point d'appui à son élan généreux. Cette
Beauté objective du bien écrire suppose d'abord, pour être rejointe
l'ascèse d'une imitation et d'une émulation qui se soutiennent d'un
modèle en acte. Faut-il comme le veut Pico, se tourner vers plusieurs
modèles? De même que les vrais artistes sont très rares, il est peu pro-
bable'qu'i1 y ait beaucoup de bons modèles. Si tel était le cas, on aurait
le choix entre deux solutions. Ou bien l'on réduirait à l'unité la variété
inhérente à cette multitude, opération impossible, tant les contradictions
dE la multitude sont nombreuses. Ou bien on ferait coexister les traits
caractéristiques de chaque modèle dans un style par définition bigarré.
Il y a là une tentation séduisante. Mais, à force de s'éparpiller de l'un à
l'autre modèle, l'esprit se disperse, et devient incapable de rien achever.
Et l'on devient l'esclave de la mode (novitas). Mais la mode est par
essence changeante et mobile et nous ne lui aurons pas plutôt cMé
qu'elle nous attendra plus loin. Autre source d'épuisement et de déchéance
spirituelle. Enfin comment peut-on imaginer une œuvre faite de pièces et
de morceaux empruntés ici et là? Chaque style a ses traits propres qu'on
ne saurait mêler à d'autres sans un effet monstrueux. Le peintre qui doit
peindre un portrait ne cherche pas en lui-même ses propres idiosyncra-
sies ; il fait appel à ce qUI fait de lui un artiste, les principes de son art,
et il les met au service de son modèle. Se fier à sa propre subjectivité,
emprunter à un grand nombre de modèles pour s'exprimer, c'est faire de
son style un Protée 89.
Les vrais artistes n'ont aucun goût pour Protée. Ils sont en quête de
l'Idée divine du Beau, et de l'art (ratio) qui leur permettra de se rappro-

81 Ibid., p. 44.
88 Ibid., p. 42-43.
89 Ibid., p. 49.
BEMBO 87
cher d'elle au plus près. C'est pourquoi ils ne prendront pas en exemple
tous les bons prosateurs, mais un seul, le plus parfait, celui qui réunit
en lui toutes les qualités ailleurs dispersées, Cicéron. S'ils sont poètes,
ils se confieront à l'exemple de Virgile. On aura remarqué que pour
Bembo, la Beauté vers laquelle s'élancent, oublieux de leur «moi », les
artistes cicéroniens, est un ars scribendi, non un ars dicendi. Le secrétaire
aux Brefs de Léon X, dévot d'une Beauté dont Cicéron est le médiateur,
interprète en effet à sa manière la doctrine oratoire de son patron. La
notion de varietas, centrale dans l'esthétique cicéronienne, et que repre-
liait à son compte G.F. Pico, est autant que possible exclue par Bembo.
La Beauté, selon lui est Une, comme Dieu est Un. D'autre part, citant les
écrivains antiques autres que Cicéron qui ont visé comme lui à l'Idée
intemporelle de Beauté, c'est Xénophon, c'est Démosthène, c'est Platon
qu'il cite parmi les Grecs, Crassus, Antoine et Jules César parmi les
Latins 90. Si Démosthène est invoqué par Cicéron, si Crassus et Antoine
étaient les interlocuteurs principaux du De Oratore, ni Platon ni Xéno-
phon n'étaient des orateurs, et Jules César était avant tout un écrivain
épris de latinitas. Xénophon était aussi un des écrivains dont se récla-
maient les « atticistes » dans leur critique de la théorie et de la pratique
oratoires de Cicéron. Le Cicéron dont se réclame Bembo n'est pas celui
de la tripertita varietas; c'est celui qui, intégrant dans son esthétique
conciliatrice le style de ses adversaires atticistes, définissait dans rOrator
un genus humile. Ce Cicéron attique n'est pas l'orateur, mais le prosateur
des Lettres. Il a quelques traits communs avec celui dont se réclame
Marcus Aper dans le Dialogue des Orateurs, plus dense, plus «litté-
raire» que le Cicéron aux larges effets oratoires des plaidoyers et des
discours devant le Sénat.
De fait, comme Marcus Aper, un des rares reproches que Bembo
consente à adresser à Cicéron est d'être « trop abondant» : verbosior 91.
Aper expliquait cette abondance par la nature du public auquel devait
s'adapter Cicéron, public moins éclairé et moins raffiné que celui des tri-
bunaux impériaux. Bembo justifie son patron au nom du caractère oral
et public de son éloquence, mais admet implicitement qu'un style cicé-
ronien écrit doit tenir compte de l'optique différente du lecteur (aliquibus
supervacua in legendo visentur, ea (quae) in agendo necessaria !uerunt) 92.
A la même cause, on peut attribuer l'origine de ce manque de judicium
qui a fait dire à Cicéron des choses qu'il aurait dû garder pour lui. Cela
n'ôte rien à la perfection de son « écriture» (scribendi ratio) partout égale
à elle-même, lumineuse et majestueuse. 11 n'en reste pas moins que Bembo,
avec une grande perspicacité, introduit probablement sous l'influence du
Dialogue des Orateurs 93 un point de vue historique sur le style de Cicé-

90 Ibid., p. 43.
91 ibid., p. 55.
92 Ibid.
93 Autre trace de l'influence du Dialogue: Bembo ne sépare pas l'éloquence
de la poésie, Cicéron de Virgile: v. en part. 49 et 57.
PREMIÈRE RENAISSANCE CICÈRONIENNE

ron : celui-ci, conçu pour le Forum d'un Etat républicain, ne peut être
imité sans une transposition judicieuse par un épistolier travaillant à
l'intérieur d'une Cour et se conduisant avec la prudente réserve que Casti-
glione recommande dans Il Cortegiano. Dès lors, le germe d'une évolution
de la rhétorique cicéronianiste est posé. Loin de rompre avec l'esprit de
Bembo, Marc Antoine Muret se contentera de l'expliciter intelligemment
en faisant de Tacite, aux côtés du Cicéron des EpUres familières, le
maître d'un classicisme littéraire moderne.
En somme dans l'Epistola de Imitntione, le c meilleur style» cicéro-
nien, fruit de plusieurs générations de grammairiens humanistes,apparaît
comme un atticisme d'inspiration hellénique (Platon, Xénophon), cicéro-
nienne (le genus humile de l'Orator) et tacitéenne (la prose littéraire
selon Marcus Aper, accordée au goût virgilien par Maternus). Prose
unie et élégante, économe de figures et d'effets, renonçant à la tripertita
varietas du discours oral. Pour Bembo, il n'y a qu'une Idée du Beau, un
seul modèle à imiter,et par conséquent un seul style, conquis par ému-
lation à force de travail et d'exercice, à fmce de purification et de choix.
Les maîtres-mots employés par Bembo sont ceux-là même qui revien-
dront sans cesse scus la plume de la critique classique en France au
XVII" siècle: jugement UUdicium), sens des bienséances (prudentia), pureté
et exactitude du vocabulaire (eligere, deligere), justesse de l'expression
qui dit le plus avec le moins de moyens possibles (de/ere). L'atticisme
cicéronien, qui seul mérite le qualificatif de «classique », allie chez
Bembo, son premier théoricien, l'enthousiasme pour le Beau à l'exercice
du jugement critique.
Bembo estime - et il y insiste - que cette conquête d'une Beauté
objective ne se fait pas aux dépens de l'identité personnelle de l'écrivain.
L'imitation cicéronianiste n'est pas seulement libération des déterminismes
subjectifs, elle est dépassement de soi, élan généreux qui vise non seule-
ment à rejoindre, sur la voie royale du Beau, le point suprême atteint par
Cicéron, mais même à le dépasser. Quête du Graal classique. Paul Ma-
nuce n'aura pas à forcer la leçon de Bembo en la rattachant à celle du
Traité du Sublime.
Le classicisme français, qui voudra faire du siècle de Louis XIV une
" répétition» (à la fois imitatio et aemulatio) du siècle d'Auguste et du
siècle de Léon X, retrouvera pour l'essentiel la doctrine esthétique de
l'Epistola de Imitatione. Nous verrons par quels cheminements l'idea
bembiste parviendra à Paris et y triomphera une seconde fois. Au surplus,
Bembo, arbitre des élégances néo-latines, secrétaire des Brefs de Léon X,
est aussi l'auteur italien des Asolani et des Prose della volgar lingua.
Et de ce point de vue il fravait la voie à un classicisme en langue vul-
gaire 94, fondé sur l'imitatio~-émulation des chefs-d'œuvre antiques.

94 Sur Bembo théoricien du style classique en langue vull{aire. voir Sioria


della letleralura italiana, t. IV ch. 2, qui cite les Prose della volgar lingua :
«Et nous ferons beaucoup mieux d'écrire en notre langue dans le style de
Pétrarque et de Boccace, que dans le nôtre, parce Que, sans aucun doute pos-
CASTIGLIONE 89
Sur ce terrain, il trouvait un allié en son ami Balthazar Castiglione.
Le Cortegiano 95 est en effet un des plus beaux exemples, avec les
Asolani, de prose italienne «classique» ; chez Castiglione, l'imitation-
émulation de la prose cicéronienne en langue toscane est, selon les
conseils de Pétrarque, décelable à l'examen attentif seulement 96. La
lleglegentia diligens recommandée par Cicéron pour le genus humile de la
prose du dialogue rencontre, dans le Cortegiano, la sprezzatura du gen-
tilhomme, humaniste sans doute, mais sans pédantisme. L'humour, l'en-
jouement, le sens du decorum, mais aussi la tension à la fois philoso-
phique et morale vers l'Idée de Beauté, toutes ces valeurs profondément
cicéroniennes inspirent la conversation des nobles interlocuteurs du Cor-
tegiano comme elles régnaient sur le dialogue du De Oratore. Une ana-
logie profonde réunit ainsi l'art de la prose épistolaire tel que l'a défini
Bembo, et l'art du dialogue «cicéronien» tel que l'illustre Castiglione.
Bembo lui-même figure d'ailleurs parmi les hôtes réunis autour d'elle, au
Palais ducal d'Urbin, par Elisabeth de Gonzague. C'est à lui que Casti-
glione confie le soin d'élever le petit groupe d'élus jusqu'à la contempla-
tion de la Beauté qui inspire le langage et les matières de leur cénacle
d'élus.
La contribution de Castiglione au cicéronianisme de l'Académie
Romaine ne se borne pas, cependant, à lui donner un chef-d'œuvre en
prose vulgaire. Nous le verrons: à chaque option rhétorique de quelque
envergure, correspond au XVI" et au XVII' siècles une définition différente de
l'Orator capable de l'assumer. A la rhétorique sénéquienne-augustinienne
de Juste Upse, correspondra la définition chez Malvezzi, chez Quevedo
et Gracian, d'un homme de Cour à la fois politique et chrétien, dont le
style de conduite est en consonance avec le style d'éloquence. A la
rhétorique cicéronienne-tacitéenne en langue française que l'entourage
de Richelieu commence à élaborer à partir de 1624, correspondra le
type de « l'honneste homme », dont Faret donnera la premiére ébauche.
Le type du «Courtisan" 97 selon Castiglione - qu'imitera d'ailleurs

s:ble, ils écrivaient mieux que nous ne faisons.» La différence entre Bembo
et les théoriciens français du XVII' siècle est évidente: Bembo admet une tra-
dition de la langue toscane, où Pétrarque et Boccace, imitateurs de Cicéron,
jouent le rôle que Cicéron joue dans la rhétorique latine. Les Français, reje-
tant en bloc leur passé littéraire, créent directement sur le modèle latin une
langue d'art et une norme d'éloquence françaises.
95 Voir l'édition critique de li libro deI Corlegiano, par Bruno Maier,
U.T.E.T., Turin. 1964. On ne saurait oublier, pour expliquer l'immense influence
de ce livre en France au XVI' et au XVII" siècles, que Castiglione, ambassadeur
du duc d'Urbin en France en 1507, s'y lia avec le duc d'Angoulême, futur
François 1er , et prit tout au long de sa carrière une attitude favorable à la
France contre l'Espagne. Le Corlegiano contient d'ailleurs un éloge de Fran-
çois 1er et un chapitre analysant les différences entre la «liberté" française et
la «gravité» espagnole, qui est nettement favorable à la première (p. 247-
249, éd. cit.).
96 Voir Bruno Maier, éd. cit., p. 21 et suiv.
97 L'édition critique de Bruno Maier met bien en évidence l'extraordinaire
dépendance de Castiglione par rapport au De Oralore, source majeure du
Corlegiano. Le courtisan est avant tout défini comme vir bonus dicendi peritus
et l'art de la parole tient une place immense dans le dialogue. Voir p. 130-131,
90 PREMIÈRE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

Faret - né sous le signe du cicéronianisme, est une variante de


l'Orator cicéronien. Au contraire de ce que sera c l'homme de Cour :t ingé-
nieux à l'espagnole, né sous le signe du style c lipsien », il ne vit pas dans
une tension mélancolique entre l'intériorité contemplative et le «monde»
corrompu: il cherche une conciliation harmonieuse entre l'Idée et la
société des hommes, où il s'efforce de l'incarner. Sa noble c huma-
nité »98, «belle nature» cultivée par les litterae humaniores, ne compte
pas sur l'éloquence publique pour se diffuser: élevé ùans les Cours,
Castiglione, comme Bembo, comme le Maternus du Dialogue des Orateurs,
a le sens du decorum propre aux régimes monarchiques, mais de Cicéron
il garde confiance dans la possibilité de répandre la sagesse - quoique
par des moyens plus détournés, moins voyants et oruyanrs, que ceux de
l'orateur romain - dans un monde plus aveuglé que foncièrement mau-
vais. Idéal de diplomate autant que de courtisan, qui servira en France,
mieux encore qu'en Italie, de terrain de rencontre et oe conciliation entre
l'humanisme docte et le service du Pnnce.
Le héros de Malvezzi, de Quevedo et de Gracian, comme Upse lui-
même, et comme en général l'érudit de la République des Lettres, est
franchement misogyne. Le courtisan-diplomate de Castiglione, adepte de
la suavitas cicéronienne, mais aussi héritier de la poésie courtoise et de
Pétrarque, fait à ses côtés une place généreuse à la femme. Les Cours
italiennes comme la Cour de France, seront non seulement le terrain
d'élection du style de la «douceur », allant parfois jusqu'au «douce-
reux », mais le théâtre d'une sorte de royauté féminine, protégeant le
luxe, la musique, la poésie, le romanesque que condamnent la mélancolie
savante et la sévérité ecclésiastique. JI Cortegiano propose le modèle idéal
de ce cicéronianisme des Cours: dans le cercle d'élus réunis par l'ami
de Raphaël et de Bembo au Palais d'Urbin, figure une Diotime, la
Duchesse Elisabeth. Bembo célèbre l'Idée de Beauté; la Duchesse incarne
celle-ci. Donna di palazzo, eHe crée autour d'elle un univers de bienséance
et de grâce, elle fait descendre dans la société des hommes et dans leur

un passage fort intéressant où l'un des interlocuteurs identifie écrire et parler,


la parole vive étant première. Voir p. 140-150 les réflexions sur «le meilleur
style» du courtisan, calquées sur les comparaisons. entre orateurs chères à
Cicéron et Quintilien (surtout p. 148).
98 Sur le sens du mot humanitas, que la Renaissance emprunte à Cicéron,
voir A. Michel, ouvr. cit., p. 250: «Il est bon, il est juste de souffrir devant
le mal. Cette acceptation de l'inquiétude et du souci fait partie du bonheur
du sage ... Il est doux de souffrir pour ses amis ... » Et Cicéron poursuit: «Il
ne faut pas écouter ceux qui veulent la vertu dure comme le fer; elle est
au contraire en bien des choses. et surtout dans l'amitié, tendre et malléable :t
(tenera atque tractabilis). Cet aspect de l'humanitas cicéronienne, s'ajustant
fort bien à la caritas chrétienne, est pour beaucoup, chez des hommes qui
savaient par cœur l'essentiel de Cicéron, dans la polémique contre l'inhumanité
des stoïciens au XVII' siècle. Voir aussi p. 282. douceur, mesure, p. 380 mais
aussi grandeur d'âme, capacité du sublime, p. 399, équité, p. 419, refus de tous
excès. de tout «ubris ». Sur le sens d'humanitas à la Renaissance. v. M.M. de
La Garanderie, Christianisme et lettres profanes (1515-1535), th. dactyl. Sorbo
1975, t. l, p. 37-38: idéal d'épanouisseme:"t de la nature humaine par la
culture, par les bonae litterae.
L'ACADÉMIE ROMAINE 91

conversation quelque chose de la Beauté céleste, point de fuite et de


convergence de toutes les belles âmes. L'esprit de l'Hôtel de Rambouillet,
et le règne de Catherine de Vivonne, de gente Sabella, sont déjà idéale-
ment présents dans cette petite société choisie, élite de l'esprit à l'écart
du gros de la Cour, mais à l'écart pour le mieux civiliser.

•••
L'Epistola de lmitatione de Bembo était le manifeste de la Renaissance
romaine 99, le programme esthétique de la Cour ecclésiastique et huma-
niste de Jules II et de Léon X. Autour de l'humaniste vénitien, favori de
deux pontifes, l'Académie romaine de Pomponius Laetus se reconstitue;
~on mécène, Angelo Colocci, se passionne pour les questions de rhéto-
rique et rassemble une collection de manuscrits de Cicéron. Fra Giocondo
édite Vitruve. Vida écrit une Christiade sur le modèle de l'Enéide.
Sannazaro imite les Bucoliques. Le cardinal Riario patronne dans son
palais, œuvre de Bramante, des représentations de la Phèdre de Sénèque.
La poésie du siècle d'Auguste semble renaître en sa propre langue, et
sur les lieux mêmes où elle avait fleuri un millénaire et demi plus tôt. Mais
les chefs-d'œuvre des arts plastiques nous parlent aujourd'hui encore,
quand toute cette littérature néo-latine est devenue lettre morte. La cou-
pole de Saint-Pierre projetée par Bramante rend toujours visible et sen-
sible l'Idée du Beau célébrée par le De lmitatione et ses nervures donnent
à comprendre ce que Bembo entendait par cet «élan» (conatus) qui
emporte, des divers points de la circonférence terrestre, les belles âmes
dissemblables vers la Beauté centrale et une qui siège en Dieu même. Les
fresques de Raphaël, ami de Bembo, dans la Chambre de la Signature,
réconcilient, mais face à face, dans le respect de leur inspiration respec-
tive, l'Ecole d'Athènes et la Dispute du Saint Sacrement. En 1516, Chris-
tophe de Longueil arrive à Rome 100, chevalier nordique du «Graal» cicé-
ronien : Bembo et Sadolet veulent bien témoigner qu'il a surmonté dans
son style toute trace de barbarie et, pour la pureté latine de celui-ci, il

99 Voir note 73.


100 Christophe de Longueil (1488-1522), né à Malines, bâtard d'Antoine de
Longueil. fit ses études à Paris où il publia en 1502 une Oralio de Laudibus
divi Ludovici atque Francorum. Passé à Rome, où il fut accueilli avec honneur
par Bembo, Sad ole t, et les cicéroniens romains qu'il aspirait à égaler, il se vit
contester le titre de Civis romanus qui lui avait été attribué, et dut le défendre
par deux éloquents discoms. Ses amis romains l'encouragèrent à mettre son
talent au service de la polémique religieuse et il rédigea en style cicéronien
une Oralio ad Llltheranos dont Erasme ridiculisa la vaine éloquence apprêtée.
Son odyssée de «barbare du Nord l> ayant réussi à s'imposer à Rome lui valut
en France un durable prestige. Jusqu'à l'édition de ses Lettres en 1581 par
H. Estienne, les éditions de ses œuvres se ml11tiplièrent à Paris et à Lyon:
1526, 1530, 1533, 1542, 1563 ... V. Th. Simar, Chrisfoohe de Lonf{ueil, L01lvain,
1911 ; Ph.A. Becker, Chr. de Lonuueil, Bonnet Leipzig, 1924; H. Kopf, Chris-
fophorus Longolius, Stuttgart, 1938, et La Garanderie, ouvr. dt., t. l, p. 116.
P2 PREMIÈRE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

reçoit non sans résistance de la part des plus ombrageux héritiers des
Quirites, le titre de civis roman us.
L'Europe chrétienne ressemble alors à ce château féodal où Gœthe
nous montre Faust évoquant de l'abîme la beauté d'Hélène, devant un
Empereur et une Cour gothiques. Pour le christianisme néophyte du Nord
de l'Europe, il y avait quelque chose de démoniaque à voir ainsi réappa-
raître, au milieu des ruines de la Rome païenne, la Beauté antique évo-
quée par le Vicaire du Christ, ses Cardinaux et leurs artistes 101. Et le
Saint Empire romain germanique, qui payait en partie le spectacle, était
au surplus, dans son lointain parterre, considéré avec dédain par l'aris-
tocratie latine trônant aux loges, insolente patronne d'un art trop raffiné
et délectable pour être chrétien.
Du Nord de l'Europe ne tardèrent pas à s'abattre sur cette scène trop
brillante les foudres de Luther, les troupes de Charles Quint, et l'ironie
d'Erasme. Les malédictions florentines de Savonarole et la maniera tour-
mentée et rebelle du florentin Michel-Ange en avaient été, en Italie même,
les signes avant-coureurs.

LA FIN DU «SIÈCLE DE LÉON X» : LE «CICERONIANUS» D'ERASME (1528)

En mai 1527, les lansquenets luthériens de Charles Quint, sous la


conduite du Connétable de Bourbon, donnaient assaut à Rome et mettaient
la ville à sac. L'humiliation de Llément VII concluait piteusement le
« siècle de Léon X » et achevait de révéler à l'Europe ce que dissimulaient
de faiblesse politique et militaire les beaux dehors de la Renaissance
italienne.
En mars 1528, Erasme publiait à Bâle chez Frobenius le Dialogus
ciceronianus sive de optimo genere dicendi 102, une critique acerbe de ce
Tullianus stylus qui avait passé, au moins à Rome, pour le symbole et la
plus haute conquête de la Renaissance. Etait-ce le coup de pied de l'âne

101 Sur la Rome de Jules II et Léon X, voir, outre les ouvrages toujours
excellents d'E. Rodocanachi, Ludwig von Pastor, Storia dei Papi, Roma, Des-
dée, 1942-1951, 15 vol. in_4°, t. IV à VI. La traduction française (Paris, Plon,
8°) est inachevée. La partie concernant la première Renaissance romaine s'y
trouve dans les t. VI et IX, publiés entre 1898 et 1913. L'éd. italienne, plus
récente, est aussi la meilleu re.
102 La première édition du Ciceronianus paraît à Bâle, chez Frobenius, en
mars 1528. La meilleure édition moderne est li Ciceroniano, 0 della stilo
migliore, testo latino critico, traduzione italiana, prefazione, introduzione et
note a cura di Angiolo Gambaro, La Scuola editrice, Brescia, 1965. Dans le
même volume, Erasme publiait son De recta latini graecique sermonis pronun-
tiatione, dialogus, où l'on trouve formulée autrement la même doctrine que dans
le Ciceronianus: «A Cicerone nemo negat optimum loquendi exemplar peti ...
Non ramen ab unD Cicerone petam omnia, nec statim quicquid illi placuit pro
optimo duxerim ... Tum si quid desiderabitur in suppellectile Romani sermonis
quod apud Ciceronem non reperiatur, haud verebor ex Catone, Varrone, Pli-
niis, Quintiliano, Seneca, Suetonis, Quinto Curtio, Columella sumere mutuo ...
(Opera Omnia, édition de Leyde, 1703, dite L.B. col. 965.B.D.)
ÉRASME 93
à l'humanisme italien? E,rasme, ennemi de la violence, n'approuvait pas
plus le coup de force contre la Rome des Pontifes, que ses maîtres en
humanisme chrétien, saint Jérôme et saint Augustin, n'avaient approuvé
le sac de Rome par Alaric, un millénaire plus tôt, en 410. Mais saint
Augustin, dans la Cité de Dieu, n'avait pu s'empêcher de voir dans la
tragédie de la Majestas imperii romaine un juste châtiment de son ambi-
tion toute terrestre. Et il était difficile à l'apôtre humaniste de la Philo-
sophia Christi d'interpréter autrement, par devers lui, les coups portés
fi la puissance temporelle des Pontifes romains et à l'humanisme esthéti-
sant qu'ils avaient patronné. En 1509, au temps de jules Il, Erasme avait
séjourné dans la Rome de Michel Ange, de Raphaël et de Bembo. Indiffé-
rent au prestige des chefs-d'œuvre, il en avait rapporté l'Eloge de la
Folie. Et dans le Ciceronianus, il fait un long retour en arrière sur ce
séjour, pour n'en retenir que la déclamation «Sur la mort du Christ ~
qu'il avait entendu prononcer en présence de jules Il par Tommaso
« Fedra» lnghirammi, un humaniste qui devait son sumom à l'art avec
lequel il avait interprété le rôle de Phèdre dans une représentation de
l'Hippolytus de Sénéque, patronnée par le Cardinal Riario. Déclamation
histrionique : Erasme a vu manifestement en Tommaso Inghirammi et à
travers lui, dans l'humanisme de la Cour pontificale, une réapparition de
la sophistique de la Rome impériale d'autant plus inexcusable qu'elle se
couvrait de prétextes chrétiens. Le Ciceronianus, fruit de vingt années de
réflexions sur la rhétorique antique et moderne, vise à prévenir l'huma-
nisme d'un péril qui le suit comme une ombre: celui de dissocier la
renovatio litterarum et artium d'une rellovatio spiritus, en d'autres termes
celui de réveiller aussi bien la sophistique des déclamateurs que la sagesse
pré-chrétienne des écrivains et poètes païens .

•••
Avant l'Eloge de la Folie (\511) et le Ciceronianus (1528) Erasme
n'avait pas manqué d'esquisser sa propre doctrine en matière d'art ora-
toire: pour lui, comme pour les humanistes italiens, le modus oratorius
devait se substituer au modus scholasticus de la théologie médiévale. Dès
1509, le petit volume d'Adages, publié à Paris 103 nous fait pressentir
dans quel sens s'orientera Erasme pour éviter que le recours à la rhéto-
rique ne dégénère en sophistique. Il ne faudrait pas croire toutefois que
ce souci ait été le privilège d'Erasme, et de l'humanisme du Nord. Un

103 Desyderii Erasmi Roterodami veterum maximeque insignium paroemia-


rum id est adagiorum colleetanea ... opus eum novum tum ad omnem vel serip-
turae veZ sermonis gCnllS venustandllm insigniendumque mimm in modum
conducibile. Id quod ita demum intelligetis, adolescentes optimi, si hujus modi
deliciis et lifteras vestras et orationem quotidianllm assuescetis aspergere. Off.
]ohannis Philippi, Lut. Paris. 1505. Le titre de l'ouvrage, avant même la pré-
face, insiste sur la valeur d'ornement des «adages 7> (venustandum, delieiis).
La citation est traitée par Erasme de figure de style en même temps que d'or-
nement par excelIence. (Sur les Adages, et leurs éditions successives, v. Mar-
garet M. Philips, The Adages of Erasmus, a stlldy with translations, Cam-
bridge Univ. Press, 1964.)
94 PREMIÈRE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

Pétrarque, un Politien, un Pico, s'étaient les premiers, nous l'avons vu,


dressés contre une imitation histrionique des Anciens. Et l'Epistola De
Imitatione de Bembo est elle-même un effort, dans la lignée du De Ora-
tore et du Dialogue des Orateurs, pour conférer à la quête du Beau
oratoire un statut philosophique, et relier le «meilleur style:. humaniste
à une ascèse platonicienne. En Italie comme dans le Nord de l'Europe
l'histoire de la rhétorique humaniste est marquée, comme l'histoire de la
rhétorique grecque et latine, par une perpétuelle tension entre la tentation
sophistique, et les efforts de redressement, fondés sur un retour aux
orateurs attiques, à Cicéron, aux orateurs archaïques, aux poètes et qui
tous cherchent à resserrer l'alliance entre l'éloquence et la sagesse. Ten-
sion qui rarement s'éclaircit jusqu'à l'antithèse: dans le domaine lou-
voyant de la rhétorique, où l'on est toujours le sophiste de quelqu'un, ce
n'est qu'au prix d'une simplification polémique, et risquée, que l'on peut
diviser l'éloquence en deux camps; l'un des justes et l'autre des cou-
pables.
Erasme et Bembo, chacun à sa manière, ont voulu donner une assise
philosophique au modus oratorius des humanistes. Mais leurs points de
vue et leurs références antiques sont fort différents. Soucieux avant tout
d'une renovatio litterarum, Bembo renoue avec le purisme de la sophistique
grecque du Ile et du Ille siècles, substituant aux orateurs attiques Cicéron
comme modèle achevé d'une prose d'art. Moins artiste que moraliste,
soucieux avant tout d'une renol'atio spiritus, Erasme s'appuie sur les
auteurs qui, sous l'Empire, ont combattu l'art des sophistes au nom d'une
morale philosophique, tels Sénèque et Lucien. Pour lui, la renovatio
lifterarum est avant tout une païdeïa préparant à la lecture et à la
méditation des Pères. L'art érasmien de la prose est d'abord un art
chrétien, avec toutes les ambiguïtés que cette formule suppose chez les
Pères eux-mêmes, adversaires, mais élèves des sophistes. Cette ambiguïté
est particulièrement sensible chez le jeune Erasme, auteur de la première
préface des Adages.
S'il est vrai que les Adages sont d'abord un recueil" à méditer:., on
aurait tort de ne pas y voir aussi un recueil de "lieux ", un «aide-
mémoire" relevant de cette tradition qui, des Mémorables de Xénophon
aux Entretiens d'Epictète d'Arrien, du florilège de Stobée aux Flores
d'Apulée, faisait de la citation, ou de la mise en gcène de la citation, une
véritable méthode d'invention oratoire 104. Celle-ci fut tout particulière-

lM Sur cette question voir, outre L. Mercklin, Die Citiermethode und Quel-
lensbernützunf! der Aulu Gellius in den Noctes Atticae, Fleckeisens ]ahrburch,
Suppl. III, 1860, p. 632-710, l'éd. Marache des Noctes Atticae, Paris, Belles
Lettres, 1967, t. l, introd., et la thèse du même: La critique littéraire de langue
latine et le développement du goat archaisant au /1' siècle de notre ère. Rennes,
1952. Nous n'avons pu consulter T. Cave, The Cornucopian text, problems of
writing in the French Renaissance, Oxford, Clarendon Press, 1979, qui part
d'une analyse profonde du De Copia d'Erasme pour poser une problématique
de «l'écriture:. chez Rabelais, Ronsard et Montai~ne. Voir également B. Beu-
gnot dans l'art. dt. dans Bibliogr. p. 801, n' 1086.
ÉRASME: c ADAGES » 95
ment en honneur chez les philosophes et érudits de la latinité d'argent, et
les Pères de l'Eglise en firent à leur tour un des aspects les plus caracté-
ristiques du style chrétien. En se rattachant à cette tradition philosophi-
que, érudite et patristique, Erasme fait un choix rhétorique fort signifi-
catif de ses intentions et de ses goûts.
La préface de la première édition parisienne des Adages achève d'en
faire un petit traité d'art oratoire érasmien. Erasme y formule une véri-
table théorie de l'ornalus qui se présente comme un commentaire stylis-
tique des adages. Ceux-ci, extraits de bons auteurs ou de la sagesse des
nations, s'ornent en effet de gemmulae lra/lslalionum 105, de lumina senlen-
liarum (scintillement de traits), de flosculi allegoriarum el allusionum
(fleurettes d'allégories et d'allusions) qui font de la prose un miroir de la
Nature, de ses champs fleuris 106. La figure essentielle est la senlenlia
(trait ou pointe), qui plaît par une brièveté piquante (acllla brevitale)
ou par une brève saillie (brevi acumine). Ses allusions spirituelles cha-
touillent (titillai) qui s'efforce de les deviner, ses obscurités même rani-
ment (expergeficial) le lecteur intrigué.
Mais la forme brillante de la senlenlia ne fait qu'un avec sa substance.
Citant Quintilien, Erasme affirme que ces richesses et délices du discours
~ont aussi des éléments de preuve (argumenlum). Tropes, figures de
pensée et de mots sont en somme autant de syllogismes 101 dont la
vigueur philosophique s'enveloppe de brio et séduit en même temps qu'ils
persuadent, épargnant à la sagesse l'ennuyeuse sécheresse du modus
scholaslicus.
Les citations empruntées aux Anciens, destinées à être incrustées dans
le discours, deviennent ainsi les éléments constitutifs d'un style philoso-
phique proprement humaniste, à la fois probalio et ornalus. Elles écartent
du modus oralorius la tentation sophistique, elles font du discours l'en-
châssement de « choses» à la fois solides et plaisantes, alliant le do cere

105 Préf. non pag. Translationum gemmulae signifie littéralement «petites


pierres précieuses de métaphores ». Sur le sens de lranslatio, voir Quintilien,
Inst. Or., VIII, 2, 41, et IX, 2. Ce dernier livre de l'Institution est présent à
l'esprit d'Erasme lorsqu'il rédige cette préface. Mais il le lit à la lumière d'un
goût formé par les auteurs de la latinité tardive et par les Pères.
106 Erasme emploie la métaphore du jardin (hortulos) et à plusieurs reprises
celles des fleurs et des fleurettes (/Iosculos). Il emploie aussi la métaphore de
l'assaisonnement culinaire (urbanitatis sale condiendam). La variété (varios,
variegandam) est chez lui le principe même du plaisir de la lecture. Ce langage
sera celui des humanistes dévots en France au début du XVII' siècle.
107 Outre Quintilien, qui au début du L. IX cit. insiste sur le poids de
« pensée» qu'enveloppent même les «figures de mots ». voir un «commen-
taire» d'Aulu Gelle, dans Noctes Atticae, éd. cit., t. l, p. 95 : il justifie Epicure
d'avoir fait usage d'un syllogisme tronqué (id est un enthythème) contre Plu-
tarque qui le lui reprochait comme indigne d'un philosophe. Cette manière
brillante, allusive, s'adressant à des lecteurs intelligents, semble à Aulu Gelle
préférable à la manière de l'Ecole. C'est là au fond l'essentiel du débat entre
« théologiens scolastiques» et «humanistes ». L'humanisme, soucieux de plaire
autant que d'instruire, d'urbanité autant que de sagesse, préfère présenter les
syllogismes sous une forme allusive, et habillés en c figures:t de rhétorique.
96 PREMIÈRE RENAISSANCE CICERONIENNE

au delectare. Les Evangiles, ajoute Erasme, donnent l'exemple de cette


méthode en multipliant les sententiae, les paraboles, allégories, apophteg-
mes, riches de sens mystérieux.
Erasme tient pourtant à affirmer qu'il n'a pas fait dans les Adages
œuvre de rhéteur (sermo rhetoricus). Entre autres preuves, il fait remar-
quer qu'il n'y a pas plus d'ordre dans son livre que dans les Nuits
Attiques d'Aulu Gelle 108.
La référence à Quintilien, « réformateur» de l'éloquence sous Vespa-
sien, et à Aulu Gelle, disciple d'un autre «réformateur", Fronton, qui
fut aussi le maître de rhétorique de Marc Aurèle 109, nous éclairent sur le
goût du jeune Erasme. Comme le cicéronianisme de Quintilien, l'atticisme
archaïsant et érudit d'Aulu Gelle, quoique par des chemins fort différents
de ceux du maître de Pline le Jeune, est, ou se veut, un acte de résistance
à la « rhétorique» des déclamateurs « asiatiques ». Mais même la volonté
de classicisme dont témoigne l'Institution oratoire de Quintilien ne réussit
pas à faire oublier le côté «démonstratif» et outrancièrement «litté-
raire" de l'éloquence qu'elle enseigne: tout en le regrettant, le « cicéro-
nien » Quintilien doit faire minutieusement place aux curiosités formelles
chères aux déclamateurs, aux dépens des sources philosophiques et des
finalités civiques de l'éloquence selon Cicéron. La passion archaïsante
d'un Fronton et d'un Aulu Gelle qui, insatisfaits d'un retour à Cicéron,
remontent vers Plaute, Ennius, et Caton pour retrouver la vigueur perdue,
relève du maniérisme décadent tout autant que le goût « moderne» des
sophistes qu'ils dénoncent. La « maladie» de la Seconde Sophistique, qui
règne sur la littérature impériale, appelle une sorte de médecine homéo-
pathique qui donne aux diverses réactions classicisantes ou archaïsantes
qu'elle suscite une couleur analogue souvent à s'y tromper, à celle de la
« maladie» elle-même. Où commence et où finit chez un Lucien, chez un
Philostrate, chez un Apulée, le goût expressionniste de l'effet, et le dégoût

lOS Erasme ajoute que la brièveté même des «adages» et de l'ouvrage


dans son ensemble est une autre preuve de son éloignement pour la «rhéto-
rique ». Celle-ci, comme le montrera le De Copia a pour signe distinctif l'abon-
dance, l'ubertas. Erasme ne tient pas à abandonner au modus scholasticus des
logiciens d'Ecole le privilège d'un style philosophique bref et dense, lourd de
« choses» et dédaigneux des «mots ».
109 Voir R. Marache, ouvr. cit. Voir aussi H. Piot, Les procédés littéraires
de la Seconde Sophistique chez Lucien, Paris, 1914 (on sait l'importance de
Lucien comme source de l'ironie érasmienne), L. Méridier, L'influence de la
Seconde Sophistique sur l'œuvre de Grégoire de Nysse, Paris, 1906 (Erasme
a édité G. de N.), Jean-Claude Fredouille, Tertullien et la conversion de la
culture antique, Paris, 1972 (Erasme a édité Tertullien). L'ouvrage d'André
Boulanger, Aelius Aristide et la sophistique dans la province d'Asie au 1/' siècle
de notre ère, Paris, Boccard, 1923, trace un tableau suggestif de cette élo-
quence «asiatique» qui triompha sous l'Empire romain. J. Fontaine, dans
Aspects et problèmes de la prose latine ... (ouvr. cit., p. 49-52) montre l'in-
fluence de la Seconde Sophistique (et de la réaction archaïsante d'un Fronton
de Cirta, qui en procède) sur l'éloquence chrétienne naissante. A travers la
Renaissance des Pères de l'Eglise, c'est à une Renaissance de la Seconde
Sophistique qu'on assiste au cours du XVI' siècle et au début du XVII'.
ÉRASME: «ADAGES» 97
de la parade sophistique? La nostalgie de la simplicité, de l'innocence
primitive n'est-elle pas le suprême raffinement de la décadence? Telle.
est l'ambiguïté de la latinité d'argent, et elle pèse sur plus d'un Père de
l'Eglise. Tel était le danger de se tourner vers la culture oratoire de la
Rome tardive. Erasme, lançant l'anathème sur le Cicéron aux bras étroits
de Pietro Bembo, avait oublié qu'il avait lui-même introduit un redoutable
Prptée.

•••
Ses intentions en tous cas étaient pures. La méthode d'invention impli-
quée par un recueil doxographique tel que les Adages est analogue à
celle que mettent en œuvre les Nuits Attiques. Erasme traite les œuvres
des auteurs antiques, au même titre que la « sagesse des nations» comme
autant de réservoirs de « choses» d'ou il extrait des fragments: ceux-ci,
comme les éclats de marbre de diverses couleurs et provenances dont se
sert le mosaïste, sont livrés au lecteur dans un capricieux désordre; libre
à l'écrivain orateur d'y faire son choix et de redistribuer les fragments
selon son dessein pour composer son tableau. Cette méthode des anti-
quaires et doxographes antiques prend chez Erasme, disciple des Pères,
une valeur chrétienne: les idoles païennes une fois brisées, œuvres et
systèmes, il subsiste d'elles des fragments dont l'orateur chrétien peut
faire usage, irisant son discours selon la variété des situations auxquelles
il doit faire face. Ce syncrétisme souple et vivant -- aux antipodes du
dogmatisme dialectique de l'Ecole - n'est pourtant pas une sophistique:
ces fragments de «pierres vives» renvoient tous à une sorte de philo-
sophia perennis dont la source ultime est la première Révélation, efUs
sont en consonance avec l'enseignement de la seconde, qu'ils aident à
adapter aux situations humaines de l'écrivain et de son public. La « soli-
dité» philosophique du discours, garantie par l'antiquité de ses sources,
n'est plus incompatible avec la fluidité du monde où l'humanité incarnée
se trouve «embarquée».
Les deux bouts de la chaîne - unité du Logos deux fois révélé et
diversité des hommes, des temps, et des lieux - peuvent fort bien être
tenus ensemble. Enraciné dans sa foi, l'écrivain sera d'autant libre et
souple dans son maniement des « sententiae » qui toutes, dans la diversité
même de leurs couleurs, reflètent la lumière unique de la Philosophia
Christi. Il s'agit là d'une manière de philosopher conforme à la tradition
oratoire latine, qui rompt avec la manière d'Aristote et des théologiens
médiévaux. Les philosophies « humaines» sont traitées en « topique» de
la philosophie chrétienne. Elles sont amenées à dialoguer entre elles au
sein du discours chrétien, où elles trouvent leur sens ultime, et auquel elles
confèrent la mobilité irisée que postule la multiplicité métamorphique de
l'holî1!ile il'carné et pécheur.
Il est donc fort compréhensible qu'Erasme ait tenu à éloigner de lui
l'adjectif rhetoriclls. Si, du point de vue d'un sophiste à l'italienne, il peut
se réclamer sans crainte de l'autorité philosophique,. du point de vue du
98 PREMIÈRE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

théologien universitaire de style parisien, il peut redouter de passer


pour un «rhéteur:., moins soucieux de vérité que d'adaptation à la
subjectivité humaine. A distance égale de la sophistique et du dogma-
tisme, l'éloquence érasmienne doit se gar~er à la fois sur sa gauche et sur
sa droite, soucieuse de l'unité du Vrai, mais respectueuse de la réalité
diverse et mouvante de l'homme et de son histoire.
Soit dit en passant, la préface des Adages pourrait servir d'introduc-
tion aux Essais de Montaigne. Le goût sénéquiste d'Erasme pour les
sententiae, pour la variété des tropes et des figures illustrant un style
coupé et dense, est fort analogue à celui de Mantaigne. Et la méthode
philosophique de ce dernier est fille de celle d'Erasme. Il est un peu vain
de se demander si Montaigne est sceptique, stoïcien, épicurien, platonicien,
péripatéticien, augustinien: il est l'homme du dosage des sententiae tirées
de ses recueils et de ses lectures. Et ce dosage des «choses ~ - qui
toutes renvoient à une sagesse de Nature originellement compatible avec
la Révélation - lui permet de composer en fonction des temps, des
circonstances, et de ses humeurs la médecine la mieux ajustée à chaque
cas: fidélité à la Sagesse, mais aussi au métamorphisme de l'homme
dans le monde, dont chaque sagesse humaine épouse un des aspects.
Philosophie supérieure à toutes les philosophies, parce qu'elle est le lieu
de leur dialogue, le forum des grandes voix qui ont révélé l'humanité à
elle-même.

•••
La méthode d'Erasme, telle qu'elle nous apparaît dans la préface des
Adages a toutefois un aspect inquiétant: pour peu qu'ils concourent à
exprimer avec une vigueur brève et brillante une «pensée ", tous les
procédés de style semblent bons à Erasme. C'est là que se manifeste le
plus nettement l'écart entre l'humaniste du Nord et un humaniste italien
tel que Bembo. L'avantage de l'atticisme tel que le préconise celui-ci est
d'offrir au lecteur une surface lisse et sans arêtes, d'une seule et élégante
venue qui voile en quelque sorte la présence des «sources" sous le
tissu serré d'une forme parfaite. Cet avantage, un Balzac, un Descartes,
sauront en tirer le plus habile parti en France, au XVII" siècle, pour
affirmer avec plus d'aplomb la nouveauté l'un de sa littérature, l'autre
de sa philosophie. Mais auparavant il aura fallu longuement livrer
bataille contre la «rhétorique des citations ", d'ascendance érasmienne,
qui fait de tout discours un carrefour visible de discours antérieurs, un
« montage" qui se donne pour tel.
Or cette « rhétorique des citations" a, sur le plan du style, des impli-
cations vivement anti-cicéroniennes. Le choix des sententiae, au dire
d'Erasme lui-même, obéit aussi à des critères expressifs. Et le parti pris
de surprendre, d'intriguer, voire d'éblouir nous renvoie à un choix de
tropes et de figures caractéristiques des goûts de la Seconde Sophistique.
En se référant au L. IX de l'Institution Oratoire, plutôt qu'au L. III du
De Oratore, consacré à l'élocution, Erasme croyait sans doute s'aligner
ÉRASME: «ADAGES '> 99
::,ur la polémique de Quintilien contre les « déclamateurs» : il entre aussi,
et il fait entrer ses lecteurs dans le combat douteux qui caractérise
l'histoire de la rhétorique impériale romaine.
Les auteurs qu'Erasme cite dans sa préface comme ses «sources»
privilégiées, Plaute, Varron, Perse, Martial, Ausone, Pline, Aulu Gelle,
Macrobe, Donat, saint Jérôme, achèvent de nous montrer sa dépendance
vis-à-vis de la latinité tardive. Plaute et Varron sont les auteurs favoris
de Fronton et d'Aulu Gelle l'un pour son style et son vocabulaire anté-
rieurs à l'hellénisation de l'éloquence romaine, l'autre pour sa science
d'antiquaire. Perse et Martial pour leur brièveté, Macrobe et Donat pour
leur érudition de glossateurs, relèvent du même princ~pe de choix. Erasme
s'intéresse de préférence à la littérature antique la moins « classique ", la
plus proche de la littérature chrétienne. Erudition et poésie gnomique,
deux «contre-poisons» païens de la sophistique, font ici bon ménage
avec l'humanisme chrétien d'un Jérôme et d'un Ausone.
Il n'est pas sans intérêt d'observer que, dans son édition de Sénèque,
qui fera foi jusqu'à celle de Muret et Le Fevre à la fin du siècle, Erasme
attribue au philosophe les Sententiae divisiones et colores de son père,
le Rhéteur. Les plus avisés philologues se doutaient pourtant déjà de
la véritable attribution 110. Mais pour Erasme, il n'y avait rien de surpre-
nant à voir le plus chrétien des philosophes païens se faire le patient
secrétaire des déclamateurs: en guise d'introduction 111 il n'hésite pas à
recommander en eux une «école d'éloquence », qu'il souhaite voir rem-
placer dans les collèges les études abusivement prolongées de Dialectique.
C'est que pour lui les acumina, le jeu serré des tropes et des figures,
ne sont de l'ornement que par surcroît: ce sont avant tout des instruments
de pensée, et une méthode d'exposition et de persuasion plus souple, plus
vive, plus «incarnée» que la méthode dérivée de la Logique d'Aristote,
même réformée par Rodolphe Agricola. Pour exprimer avec relief et
vigueur (l'enargeïa et l'energeïa des rhéteurs) les paradoxes de l'existence
humaine - non sans bénéfice pour une sorte d'humour métaphysique -
l'école de rhétorique d'où sont sortis sous l'Empire un Juvénal et un
Martial, un Lucien et un Apulée, semble à Erasme, comme d'ailleurs
c'était déjà le cas pour un Tertullien, un modus oratorius plus proche
du vrai style chrétien que la prose et la poésie classiques. Et, par une
sorte de prestidigitation dont il a reçu l'exemple aussi bien de Sénèque
que des Pères, voilà que pour Erasme la virtuosité rhétorique la plus
brillante, et même la plus voyante, le feu d'artifice des figures les plus
ouvrées, se trouvent échapper à « la rhétorique» !
Tout est lumière aux enfants de lumière. Pour l'Erasme des Adages
la venustas, le cultus, et l'ornatus les plus vivement coloriés sont absous
du seul fait qu'ils sont les instruments d'expression de la pensée préfé-

110 Voir par exemple Raphaël Maffei de Volterra, Commentariorum urba-


norum ... Libri, Basileae, off. Froben., 1530, fo 223 vo.
111 Erasme, L.A. Senecae Opera, Bâle, Frobenius, 1529, L. IV, p. 483.
100 PREMIERE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

rables aux procédures rebutantes et abstraites de la logique scolastique.


Ces c lumières :t et ces c f1eurs:t sont de ce fait de l'ordre des c choses :t
et lion plus des c mots :t. Malheureusement toute rhétorique, même étroite-
ment arrimée à une philosophie, est suivie comme d'une ombre par sa
c décadence,. sophistique. Il suffira que les «scintillements de pierre-
ries» et les c parterres de fleurettes », où Erasme en 1500 ne veut voir
que des ornements d'une pensée sensible au cœur, deviennent une mode
littéraire, inspirée de la sophistique impériale, et un nouvel asianisme
apparaîtra sous l'autorité, certes lointaine et involontaire, du grand
érudit. Pour saisir l'étrange retournement de la c rhétorique des cita-
tions» en maniérisme à la fois archaïsant et fleuri, il suffit d'ouvrir
l'Essay des Merveilles de Nature du P. Etienne Binet, publié en 1624.
On y retrouve toutes les formules de la préface des Adages - moins leur
correctif philosophique - versées au compte d'une rhétorique de la
« bigarrure ", par un brillant sophiste de Cour, disciple chrétien de
Philostrate, et d'Apulée, de Juste Lipse et de Vigenère .

•••
En 1514, Erasme dédie à John Colet son De duplici copia verborum et
rerum. Ici encore, tout l'accent est placé sur l'invention. Imitant Quintilien,
Erasme expose des techniques destinées à empêcher l'écrivain de tourner
court et de rester sec, faute de savoir mettre en œuvre les semina dicendi.
Mais, luttant contre sécheresse et stérilité, le De Copia n'est pas pour
autant une apologie de l'ubertas cicéronienne 112. Erasme y prône une
brièveté qui soit une conquête sur l'invention copieuse, et n(ln une consé-
quence de ia pauvreté d'invention. Une allusion approbative aux criti-
ques antiques qui reprochèrent à Cicéron son abondance redondante et
luxuriante (redundantem nimia luxuriantemque copia) laisse percer le vif
préjugé anti-cicéronien. On peut même se demander si Cicéron ne figure
pas ici en posture d'accusé, comme le bouc émissaire prestigieux, .et donc
d'autant plus efficace, qui délivre du soupçon de «rhétorique» l'auteur
et ses lecteurs. Le De Copia nous apparaît comme une rhétorique de
l'invention philosophique et chrétienne, où les figures, et même les tigures
de mots n'ont d'autre rôle que d'offrir à la pensée (sentenlia) une for-
mulation brève, dense et forte.

112 Erasme, De Duplici copia verborum et rerum. dans Opera Omnia. L.B .•
l, col. 5, A-B : accusations d'asianisme, redondant et luxuriant, portées par les
Anciens contre Cicéron. L'idéal est de «dire à la fois brièvement et abondam-
ment» (breviter et copiose dicere). Pour cela il faut choisir (deligere) ce qui
est le mieux propre à la brièveté. Le plus de «choses l> avec le moins de
« mots ». Mais il ne s'agit pas de tomber dans l'affectation de brièveté, sous
prétexte d'éviter l'affectation d'abondance. Deux sources d'abondance dans la
densité: les figures (synonymes, métaphores, enallages, etc.) et l'accumulation,
dilatation, amplification des arguments, à l'aide d'exemples, de comparaisons,
d'antithèses ... Voir encore ibid., col. 6, C, un éloge de la varie tas. qui fait du
discours un miroir de la nature en sa riche diversité.
ÉRASME: c CICERONIANUS :t 101

En 1511, c'est l'Eloge de la folie. Erasme, rentré d'Italie, déploie


toutes les ressources d'une ironie lucianesque pour accabler, entre autres,
les « hommes de lettres, de même farine que les rhéteurs », qui le pillent,
ou qui attendent de leur art d'écrire, fruit d'une pénible ascèse parmi
les vains « mots », de non moins vaines louanges des mondains et de la
postérité 113. C'est à cette folie littéraire que le Ciceronianus sera consa-
cré en 1528. Entre temps, Erasme aura édité plusieurs des Pères de
l'Eglise, et entre autres, saint Augustin; il aura publié son édition de
Sénèque et un recueil de Flores Senecae. Contre la tentation d'une nou-
velle sophistique garantie par Cicéron, Erasme se détourne de plus en
plus des techniques de l'ornatus, auxquelles il accordait une place non
négligeable dans la première préface des Adages, pour mettre l'accent sur
les « choses» (res), les pensées (sentcntiae), et sur les conditions spiri-
tuelles d'une parole de vérité.

•••
Le Ciceronianus est un dialogue. Choix fort habile, et ironique:
Erasme retourne contre les «cicéroniens» un genre illustré par leur
idole, Cicéron, et que celui-ci avait emprunté à Platon. C'est à la dialec-
tique socratique qu'Erasme confie le soin de débusquer les erreurs de
nouveaux Gorgias et de nouveaux Protagoras. Ceux-ci sont représentés
dans le Ciceronianus par un certain Nosopon (<< affligé d'une maladie»),
où les contemporains ont reconnu Christophe de Longueil 114, cet huma-
niste du Nord qui a «trahi », et s'est converti au cicéronianisme de la
Cour pontificale. Le rôle de Socrate, philosophe et médecin des âmes, est
confié à un certain Buléphore. Entre le sophiste cicéronien et le philo-
sophe, un troisième personnage, Hypologue, qui feint d'hésiter entre les
deux autres interlocuteurs, et dont la comédie est fort utile à la tactique
de Buléphore.
On peut s'étonner de voir Erasme élire pour représenter la sophistique
moderne un disciple et un ami de Bembo et de Sadolet, Christophe de
Longueil. Un Filelfe, un Jérôme Aléandre ont beaucoup plus de traits
communs avec les sophistes antiques que ce jeune Flamand dévoré de zèle
pour l'Antiquité et pour Cicéron. Mais Erasme s'intéresse moins aux
traits extérieurs du type du sophiste - vénalité, opportunisme, vanité, his-
trionisme - qu'à son essence même: Nosopon-Longueil dans le Cicero-
Illanus n'est ni cynique, ni vain, mais il partage avec les sophistes tels
que les décrit Platon et avec leurs héritiers sous l'Empire la même
« maladie », qui consiste à ériger les mots en idoles, et à oublier les
" choses» divines qu'ils ont pour tâche de servir et de signifier. Ces
« mots-idoles », pour Nosopon, ce sont ceux de l'œuvre de Cicéron,
érigée elle-même en idole. Et au lieu d'imiter les «choses », c'est à
l'imitation des «mots » et du style cicéronien que Nosopon se consacre

lia Opera Omnia, Amsterdam, 1969,4', t. IV, col. 459 D-460 B, trad. Larock.
114 Sur Longueil, voir note 93.
102 PREMIÈRE RENAISSANCE CICERONIENNE

totalement, à grand renfort de répertoires, de recueils de tournures, et


d'autres travaux de terrassement philologiques propres à lui ménager
l'accès, qui toujours recule, du Temple du «meilleur style ». Cette
idolâtrie des mots est aussi coupable aux yeux du Platon du Cratyle,
qu'à ceux du saint Augustin du De Doclrina Christiana. Enfoui dans une
quête coupable, Nosopon paie le prix de son erreur: il est exilé des
autres hommes comme de lui-même, et il souffre. Cette souffrance, par
laquelle le sage Buléphore a prise sur lui, est l'amorce d'une rédemption
et d'un réveil.
A maladie du langage, guérison par le "Logos », celui de Platon,
mais aussi et surtout celui de saint Jean. Buléphore est d'autant mieux
armé pour cette cure qu'il a lui-même été atteint de cette maladie m et
qu'il s'en est guéri:

Tu apprendras en même temps le nom du médecin et du remède, c'est


le Logos qui m'a guéri par le Logos 116.

Cette réplique quelque peu oraculaire révèle l'axe profond qui confère
son unité au sinueux dialogue du Ciceronianus. Elle est sous-entendue
derrière tous les arguments que Buléphore oppose à la « résistance}) de
son patient. Il s'agit d'amener celui-ci à une véritable conversion qui le
guérisse de l'idolâtrie païenne des «mots », et qui lui rende le sens des
« choses », à la fois philosophiques et religieuses, c'est-à-dire tout
d'abord le sens de sa propre identité et réalité spirituelle. A une imitation
qui est aliénation, ou extroversion, Buléphore oppose une notion de

115 Voir A. Gambaro, ouvr. cit., introd. LXXX. Les problèmes de vocabu-
laire soulevés par le Ciceronianus ont de profondes racines dans l'histoire de
la langue latine. Le purisme cicéronien, dans sa volonté de reconstitution du
latin littéraire pré-chrétien, menaçait implicitement, à travers le vocabulaire
inventé par les chrétiens pour désigner leur propres res, tout l'édifice notionnel
de la chrétienté. Voir à ce sujet les études de Christine Mohrmann, Latin vul-
Raire, lmin des chrétiens, latin médiéval, Paris, Klincksieck, 1955, et en parti-
culier p. 18-35, «L'étude de la latinité chrétienne, état de la question, métho-
des, résultats ». Les chrétiens des premiers siècles, indifférents au latin litté-
raire, avaient, pour désigner leurs res, importé en latin des mots grecs (bap-
tisma, ecclesia, episcopus, etc.), forgé des mots de racine latine, ou déplacé le
sens de mots latins. La génération d'Augustin et de Jérôme, tout en revenant
à un style plus cicéronien, n'avait pas remis en cause l'essentiel de ce vocabu-
laire «technique» chrétien. C'est à la position des Pères du IV' siècle qu'Erasme
se rallie, alors que l'humanisme cicéronien veut retrouver le latin littéraire et
le purifier non seulement du latin scolastique, mais du latin impérial et chrétien.
116 Erasme, La Philosophie Chrétienne: Eloge de la Folie, Essai sur le
libre arbitre, Cicéronien, Réfutation de Clichtove, Introduction, traduction et
notes de P. Mesn,!rd, Paris, Vrin, 1970, p. 322. Les modèles du Ciceronianus
sont les dialogues de Platon (Gorgias, Phèdre, Sophiste), mais aussi les traités
de Lucien satirisant la sophistique grecque du Il' siècle: le Rhetorum prae-
ceptor et le Pseudosophista, ainsi que le De mercede conductis contre l'auli-
cisme. La première édition de Lucien fut publiée à florence en 1496, et rééditée
avec les [mages de Philostrate et de Callistrate et la Vie des Sophistes de
Philostrate en 1517.
ÉRASME; «CICERONIANVS» 103

J'imitation libératrice, qui facilite chez l'imitateur la découverte et l'épa-


nouissement d'un «je» personnel:
j'approuve l'imitation, mais uniquement celle qui seconde la nature, et
ne la violente pas, celle qui corrige les dispositions naturelles, mais ne
ks empêche pas de s'exprimer. j'approuve l'imitation, mais celle qui pro-
cède d'un modèle qui convienne à ton propre génie, et surtout qui ne s'y
oppose pas, ce (jui conduirait à un combat des dieux contre les géants.
CnE:1 j'approuve l'imitation qui ne se limite pas à un seul auteur, dont
o:! n'os~ pas s'écarter d'un pouce, mais qui recherche dans tous les
autturs ou du moins chez les principaux, ce qu'il y a de meilleur en
chacun et ce (jui s'adapte le mieux à ton propre caractère; qui n'utilise
pas sur le champ tout ce qu'elle a pu recueillir d'élégant mais le conserve
longtemps dans l'âme comme la nourriture est conservée dans l'estomac
pour être assimilé dans les veines, au point d'apparaître comme le fruit
spontané de ton esprit dont elle exprime la vigueur et le naturel 117.

Les modèles anciens ont pour rôle de faciliter l'émersion de l'identité


spirituelle de l'imitateur et non de la masquer par identification à la
lettre d'un écrivain païen. Car cette identité est une identité chrétienne.
L'aliénation sociale qu'Erasme dénonce dans la quête du « style cicéro-
nien », se double à ses yeux d'une aliénation religieuse: Nosopon-
Longueil sans le vouloir, travaille à reconstituer la sophistique païenne
et la Rome antérieure au Christ. Buléphore secoue vigoureusement son
patient pour le réveiller de ce rêve coupable qu'il partage avec l'huma-
nisme pontifical, Roma, Roma nOIl est, s'écrie-t-i1, nihil habens praeter
ruinas ruderaque priscae calamitatis cicatrices et vestigia 118 La Renais-
sance n'est pas une résurrection de la culture antique, qui prendrait ainsi
tardivement sa revanche sur la Révélation chrétienne. La Rome des
consuls et des empereurs est aussi vaine à ranimer que le monde de la
vieille chevalerie le sera pour Don Quichotte. Ce ne sont pas ses aveugle-
ments qu'il faut répéter, mais ses accès de lucidité, ceux de ses philoso-
phes et de ses poétes, préfigurant la Philosophia Christi au sein même
de l'idolâtrie et de la sophistique, et conservant pour les hommes pécheurs
le sens d'une préface à la Vérité.
Car tout autour de nous a changé depuis Rome. La condition néces-
saire de tout discours moderne, donc chrétien, est l'éveil à la réalité d'une
civilisation chrétienne, dont les institutions, les mœurs, les idées ne sont
plus celles de Rome, et où la déclamation des cicéroniens sonne plus
creux encore que celle des déclamateurs romains imitant le style de

117 Trad. cit., p. 352.


118 « Rome n'est plus Rome et il n'y reste plus que des ruines, des décom-
bres et la trace des fléaux qui n'ont cessé de s'abattre sur elle» (Mesnard,
trad. rit. p. 343). Voir également p. 300: «Qu'on commence par nous rendre
Rome telle qu'elle était alors dans sa splendeur, qu'on nous rende le Sénat et la
Curie ... » Sur cet aspect du Ciceronianus, interprète de l'hostilité de l'huma-
nisme du Nord vis-à-vis de la Rome moderne, Babylone qui trahit aussi bien
la Rome chrétienne, voir la conférence d'André Chastel, Le Sac de Rome,
publié dans les Actes du Congrès Guillaume Busé, Paris, Belles Lettres, 1975,
t. J, p. 67-81.
104 PREMIÈRE RENAISSANCE CICÈRONIENNE

Caton sous l'Empire 119. Le «connais-toi toi-même:o de l'écrivain mo-


derne est d'abord un « connais le monde moderne dans sa différence ».
Et cette différence entre la réalité moderne et le monde antique
renvoie à son tour au fait central de l'histoire humaine, qui a mis fin au
monde antique et engendré une situation spirituelle entièrement nouvelle:
la Révélation du Christ. L'archaïsme cicéronianiste, qui cachait à Nosopon
Iii réalité de son temps, lui cache aussi sa propre vérité intérieure: car
l'identité chrétienne et moderne, par delà les singularités de Nature, se
distingue de celle des Anciens par la présence, au fond du «Je» per-
sonnel, de la réalité vivante de Jésus-Christ. Le meilleur style sera donc
celui qui, formé aux disciplines d'une imitation critique et créatrice,
manifestera non seulement notre présence au monde chrétien, mais la
présence au fond d<! nous-mêmes de la Réalité qui fonde toutes les
autres: le Deus intus chrétien, le Logos christique.
Une triple conversion doit précéder et soutenir l'usage de la parole
et de l'écriture: morale (se connaître soi-même), scientifique (fidélité au
réel tel qu'il est, rcs ut est), religieuse (fidélité à la Réalité suprême,
Jésus~Christ au fond de l'âme humaine). En définitive, c'est à une spiri-
tualité de la parole qu'aboutit Erasme dans le Ciceronianus, l'adhésion
à la vérité vivante du Christ fondant la connaissance et l'expression de la
vérité morale et de la vérité scientifique.
II y a, dit BuIéphore, deux conditions principales pour bien parler,
d'abord avoir une connaissance approfondie du sujet, ensuite animer son
discours d'un sentiment authentique 120.

119 Ibid., p. 300 et suiv. : le refus de voir et d'accepter la réalité moderne


et chrétienne par le cicéronianisme pontifical est illustré par Erasme dans son
commentaire de l'Dralio de Christi morte prononcé par Thomas «fedra:o
lnghirammi devant Jules Il, avec identification constante de Dieu à Jupiter et
de la Vierge à Diane. Nous aurons à revenir sur cette Dralio.
120 Ibid., p. 303. Citation capitale. Ici s'amorce un débat qui déborde lar-
gement le domaine littéraire, pour intéresser l'histoire du théâtre. La distinction
érasmlenne entre l'hislrio «cicéronien », dont l'art est pure imitation de formes
préexis\antes, et l'Drator chrétien, dont l'art jaillit, en dernière analyse, de
sources personnelles, pose les prémisses d'un débat qui se poursuit avec le
Paradoxe sur le comédien de Diderot, au XVIII' siècle, et avec la Formation
de l'Acteur de Stanislavski au XX'. Pour Erasme" la parole est le fruit du
tout de l'homme incarné, à la fois esprit et chair. Aux imitateurs cicéroniens,
étrangers à leur œuvre, il demande «Où est le cerveau, où est la chair, où
sont les veines, les nerfs et les os [ ... 1. où sont le sang, les esprits, et le phlegme,
où est la vie, où est le mouvement [ ... ], enfin où sont les attributs propres de
l'homme, l'âme, l'intelligence, la mémoire, la réflexion?,. (ibid., p. 293). Nous
retrouverons, chez M.ontaigne, cette même volonté de parler à partir de la
totalité de l'homme incarné. Et il est frappant de retrouver, dans la Formation
de l'Acleur de Stanislavski (Paris, Payot, 1963), après une brillante polémiql1e
contre l'esthétique de Diderot, une définition tout «érasmienne:o de la créa-
tiOil dramatique: « Un rôle qui est construit sur la vérité grandira, tandis que
celui qui repose sur des stéréotypes se desséchera» (p. 36). Vérité est à entendre
ici, comme chez Erasmc, au sens d'évidence intérieure, par opposition aHJ(
fOrI:1es conventionnelles reçues de l'extérieur, et «plaquées:o comme des mas-
ques Sl:r cette «vérité:o qu'ils empêchent de venir au jour.
ÉRASME: «CICERONIANUS:t 105

La quête du «meilleur style» clceronien n'est donc qu'une curiosité


sophistique, profondément étrangère à la vérité morale, scientifique et
religieuse. A quel public cette parade s::>phistique s'adresserait-elle, main-
tenant que les Odéons où les rhéteurs antiques donnaient leurs récitals
ont disparu? La République des Lettres modernes est une élite de la
sagesse et du savoir, peu intéressèe aux tours de force d'une imitation
toute formelle d'un orateur païe~l.
Quel auditoire recherchera donc notre cicéronien? Il écrira des lettres
cicéroniennes. Mais à qui donc? A des érudits. Mais il en existe bien
peu, et ils ne s'intéressent au style cicéronien que si le discours est de
bon goût, manifeste du talent, de l'élégance et du savoir 121.

Ce qui est vrai pour l'art de la lettre ne l'est pas moins pour l'art
du peintre moderne. Il n'y a de peinture chrétienne que dans la fidélité
exacte des « choses» observées dans la lumière exacte de la foi en Jésus-
Christ. Ut pictura poesis : à l'honnêteté scientifique du discours chrétien,
doit correspondre l'honnêteté réaliste de la peinture chrétienne:
Bu/éphore. - Voyons maintenant, si tu le veux bien, le cas des pein-
tres. Prenons par exemple Apelle, qui passe pour avoir reproduit avec le
plus de talent les dieux et les hommes de son temps. Si le sort permettait
qu'il revienne à notre époque et s'il peignait les Allemands tel qu'il pei-
gnit autrefois les Grecs et nos monarques tels qu'il représenta Alexandre,
alors que tout cela a changé de fond en comble, ne dirait-on pas que
sa peinture est mauvaise?
Nosopon. - Mauvaise, parce que mal adaptée.
Hyp%gue. - Moi je ne tiens pas pour honnête un peintre qui, sur
son tableau, nous représente comme beau un homme difforme.
Bu/éphore. - Mais si par ailleurs il manifestait un trés grand talent?
Hypologue. - Je ne dirais pas que son tableau est dépourvu de talent,
mais qu'il est mensonger, car il aurait pu le peindre autrement s'il avait
voulu. Quant à celui qu'il représente, il a préféré le flatter ou se moquer
de lui. Mais quoi? Estimes-tu que ce soit là un peintre honnête?
Nosopon. - Qu'il le soit ou non, il ne l'a pas montré ici.
Buléphore. - Penses-tu donc qu'il soit un homme de bien?
Nosopon. - Ni un artiste, ni un homme de bien, si toutefois l'essence
de l'art est de nous faire voir les choses telles qu'elles sont 122.

Cette fidélité à la vérité objective, même laide, est aux ~ntipodes de


l'idéal esthétique et transfigurateur d'un Bembo. Toutefois, le Cicero-
nianus, à partir d'autres prémisses, n'est pas moins hostile que l'Epistoia
de Imitatione au subjectivisme dont G.F. Pico s'était fait le théoricien.
En apparence, la position d'Erasme n'cst pas sans analogie avec celIe du
médecin florentin: éclectisme des modèles, au service de la découverte
d'une nature singulière et d'un style individuel. Bembo refusait cette
diversité subjective en invoquant l'unité de modèle, chemin vers une Idée
du Beau commune à tous les hommes. Mais Erasme, à sa manière, remédie

121 Mesnard, trad. cit., p. 320.


122 Mesnard, trad. cit., p. 299.
106 PREMIIORE RENAISSANCE CICIORONIENNE

à ce que pourrait comporter de subjectif la diversité des modèles qu'il


préconise en inscrivant le procès de création oratoire entre deux instances
qui l'arriment pour ainsi dire à une vérité objective, transcendant les
variations d'individu à individu: Jésus-Christ au fond de l'âme, source
ultime du discours chrétien, et la réalité des « choses» au sens augustinien
du terme, sujet ultime du discours chrétien.
Réconciliant inspiration religieuse et observation des faits, spiritualité
et science, Erasme ne laisse pas l'écrivain chrétien dériver vers la complai-
sance à soi-même. La leçon dernière du Ciceronianus semble bien augurer
une sorte de sublime de la vérité.
Si Bembo prépare la voie à Chapelain, à Boileau et à l'art classique
français, Erasme prépare celle de Descartes et de la philosophie classique
fïançaise.

•••
Dès 1497, à l'abbaye de Groenendal, près de Bruxelles, Erasme avait
cu la révélation du De Doctrina Christiana de saint Augustin. Charles
Béné a montré, de façon à notre avis très convaincante, que l'œuvre
d'Erasme suppose désormais une méditation incessante de ce traité où
l'Evêque d'Hippone avait tracé le programme d'une culture oratoire pro-
prement chrétienne 123. En 1535, un an avant sa mort, Erasme publie ce
qui nous apparaît avant tout comme une immense glose du De Doctrina
Christiana, son Ecclesiastes sive de Concionandi ratione libri IV.
L'Ecclesiastes est une suite logique du Ciceronianus. Celui-ci définis-
sait une spiritualité de l'éloquence profane, propre à écarter de celle-ci la
tentation sophistique dont les «cicéroniens» étaient aux yeux d'Erasme
la manifestation moderne. L'Ecclesiastes définit une spiritualité de l'élo-
quence sacrée. Si Erasme entre dans un détail technique plus abondant
Qu'il ne lui est ordinaire, ce n'est pas pour encourager la virtuosité rhéto-
rique de l'orateur chrétien; il est évident pour lui que le seul domaine où
l'éloquence, au sens plénier de parole publique, a encore une place dans
l'Europe chrétienne, c'est dans la chaire chrétienne. Il ne la prive donc
pas des ressources qu'elle peut trouver chez les rhéteurs antiques, en
particulier chez Quintilien. Mais il multiplie d'autant plus prudemment
les garde-fous contre l'éventuelle apparition d'une sophistique chrétienne,
pire que la sécheresse stérile du discours scolastique dont l'éloquence
sacrée d'inspiration humaniste doit délivrer l'Eglise. Au seuil de l'Eccle-
siastes, comme une contre-partie de Cicéron et de l'Idée du Beau que
Bembo proposait aux zélateurs du « Tullianus stylus », Erasme dresse
l'Idée sublime du Christ Orateur:
L'Ecclésiaste suprêrne, c'est lui, le fils de Dieu, irnage parfaite du
Père... que dans les saintes Ecritures nul autre norn ne désigne plus

123 Sur Erasrne et saint Augustin, voir l'ouvrage de Charles Béné, Erasme
et Saint Augustin ou influence de saint Augustin sur l'humanisme d'Erasme,
Genève, Droz, 1969, suivi d'une bibliographie.
ÉRASME: «ECCLESIASTES» \07

magnifiquement et plus complètement que lorsqu'il est dit Verbe de Dieu


(Verbum sive Sermo Dé!) ...
La parole humaine est l'image véridique de l'esprit, restituée dans le
discours comme dans un miroir. C'est du cœur en effet que procèdent
les pensées, dit le Seigneur. Quant au Christ, il est la parole du Dieu
Tout Puissant, qui sans commencement, sans fin, éternellement, jaillit du
cœur éternel de son Père. C'est par lui que le Père a fondé tout l'uni-
vers, c'est par lui qu'il gouverne tout le monde créé, c'est par lui qu'il
a rédimé la race humaine déchue, par lui qu'il a voulu, d'une manière
étrange et indescriptible, se révéler au monde ... 124.

Pour Cicéron, pour le Ps. Longin, pour Bembo, l'Idée du Beau,


incarnée dans les chefs-d'œuvre, était l'aiguillon stimulant l'orateur en
quête de la gloire. Pour Erasme, de même que le cœur humain est la
source ultime de la parole, le cœur du Père est la source de la Parole
du Fils, et l'idéal de l'Ecclesiastes doit faire coïncider les deux « circuits»
de la parole: il faut que le cœur humain, dépositaire de la Parole évan-
gélique, s'en fasse le fidèle interprète dans la parole humaine. L'imitation-
émulation de la rhétorique antique, tournée vers les grands modèles du
sublime païen, devient imitation-émulation de Jésus-Christ et ses apôtres,
orateurs sublimes au nom du Père. Toutes les techniques que l'orateur
chrétien empruntera à la tradition rhétorique changent de sens dès lors
qu'elles sont ordonnées à cette source spirituelle, qui est aussi la fin de
l'éloquence chrétienne.
Aussi le L. 1 de l'Ecclesiastes n'est-il qu'une immense variation sur le
thème Vir christian us dicendi peritus. Erasme va jusqu'à écrire: «La
vraie piété engendre l'éloquence» 125, rejetant l'art oratoire au rang de
technique auxiliaire, et à la limite inutile. L'essence de l'éloquence chré-
tienne est dans la piété qui rend le cœur docile à l'imitation de Jésus-
Christ.
Au L. II, Erasme, suivant toujours saint Augustin, analyse les trois
offices de l'orateur chrétien: enseigner (docere), plaire (delectare) et
émouvoir (flectere) 126. C'est évidemment le premier office qui retient
Erasme le plus longuement. Quant au delecfare, l'humaniste qui a fait la
guerre à la « barbarie» scolastique ne saurait se dispenser de lui faire
une place. Mais elle est fort mesurée. La beauté sensible doit se dissi-
muler et se diffuser dans tout le coros du discours, comme le sang, et
donner à ce corps la santé et la rob~stesse d'un homme jeune 127. Cette

124 Erasme, Ecclesiastes sive de ralione concionandi libri quatuor, Anvers,


1535. Nous nous référons à l'édit. cit. L.B., t. V, où le passage cité se trouve
en 771 0 et 772 C.
125 Ibid. 847 F. Voir aussi col. 885 D, Nul/us autem po/est loqui ad cor
populi nisi loquatur ex corde. L'éloquence sacrée est une éloquence du cœur.
126 Ibid., 859 F.
127 Ibid. Erasme cite saint Benoît et saint Hilarion pour illustrer la juste
mesure et la «santé:> du discours chrétien, qui peut être testivus comme
chez Benoît, tetricus comme chez Hilarion, mais ne peut aller jusqu'au rire et
au comique.
lOB PRElIUtRE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

métaphore du discours comme corps humain est empruntée par Erasme


à Cicéron. Tout au long de l'Ecclesiastes, les références à l'Arpinate et
à Quintilien sont nombreuses: Erasme a vu le premier qu'une conciliation
était possible entre le classicisme de Cicéron et de Quintilien et le dé-
pouillement chrétien de saint Augustin. Mais dans cette conciliation,
l'élément augustinien l'emporte. Si le discours doit être «comme un
corps ", cê n'est pas celui de la statuaire antique, mais celui du Christ,
dont la beauté n'est que la transparence du Verbe incarné:
JI parle sous le masque de son corps (Sub corporis persona loquitur) 128.

Au L. III, on aborde les techniques du discours. Faisant largement


fonds sur Cicéron et Quintilien, Erasme étudie tour à tour en détail les
problémes de dispositio ou d'actio 128 bis avant d'en venir aux problémes
d'elocutio, figures, structures de la période et de la phrase, traités avec
beaucoup moins de hâte dédaigneuse que saint Augustin. Erasme fait un
~ort si particulier à l'hypotypose sacrée, au relief (enargeïa en grec,
evidentia en latin) des peintures parlantes (demonsfrationes) 129 mettant
«sous les yeux» de l'auditoire les scènes évangéliques ou bibliques,
qu'on croirait déjà avoir affaire aux compositions de lieu ignatiennes,
sauf l'inquiétante «application des sens ». Saint Augustin s'intéressait
moins à ce réalisme qu'à l'interprétation de l'Ecriture comme recueil de
« signes" voilant et dévoilant les «choses" divines. Même insistance
sur la métaphore et ses dérivés, catachrèse, exemples, allégories, images.
L'herméneutique chrétienne s'accorde fort bien chez Erasme avec la riche
gamme des translaliones oratoires.
Si l'on voulait brièvement résumer l'esthétique qui préside à cette
elocutio érasmienne, on pourrait la caractériser par deux termes: âpreté
véhémente et variété 130. Apreté véhémente qui rèpond bien au style sévère

128 Ibid., 1056 F. Voir aussi 1057 B-C-D : Fuit enim ille tergeminus Gigas
e tribus ut ita loquar constans naturis, corpore hllmano, anima humana, et
divina na/ura.
128bls Ibid., L. III, col. 951 et suiv.
129 Ibid., col. 983 F. Pour justifier l'usage de la demonstratio (ou hypo-
typose), Erasme cite saint Paul, saint Jean Chrysostome, saint Basile. II écrit:
« Les Galates n'avaiel't pas vu le Christ en croix, mais grâce à l'évidence que
leur donnait la prédication {le saint Paul, la représentation était si vive dans
leur âme, qu'il semblait qu'ils eussent vu ce qu'il leur avait décrit." La fabri-
cation des images, ici comme dans les Exercices Spirituels, abolit les effets du
temps et de l'oubli, et reporte le regard intérieur in il/o tempore, dans la
présence du Christ.
130 Voir col. 985 E-F. Affectus acres, brevl's; col. 987 F : énumération des
virtutes orationis : perspicuitas, evidentia, jucunditas, vehementia, splendor sive
sublimitas, et étude des figures en rapport avec les passions oratoires: repe-
titio propre à l'effet de vehementia ; exclamatio, propre aux acriores affectus ;
interrogatio, propre à un effet de vigor, etc. Etude aussi de la structure de
la phrase en vue d'un effet d'acrimonia, de crebra vulnera, grâce à l'asyndète
et au rythme coupé: singulis verbis, brevi respiratiuncula distinctis. L'Eccle-
siasfes d'Erasme nous apparaît comme la plus savante somme d'art oratoire
de la Renaissance, le grand traité d'expressionnisme chrétien.
ÉRASME: «ECCLESIASTES» 109

préconisé par Augustin; variété qui évite la monotonie et prévient la lassi-


tude (jastidium) avec plus de soin encore que ne le préconisait l'évêque
d'Hippone.

•••
Le dernier ouvrage d'Erasme semblait ainsi réserver tout l'héritage
de l'art oratoire cicéronien ct quintilianiste au seul service de l'éloquence
ecclésiastique. Dans ce cas, comme dans celui des lettres profanes telles
qu'elles étaient définies par le Ciceronianus, Erasme prenait soin de
prévenir toute tentation sophistique en mettant l'accent sur la spiritualité
de l'orateur, sur l'invention des « choses », et en leur subordonnant étroi-
tement les techniques, ainsi neutralisées, de l'élocution. La place toutefois
beaucoup plus importante des techniques d'élocution dans l'Ecclesiastes
pourrait surprendre: mais la h<:ute idée qu'Erasme se fait du prédicateur
chrétien, vicaire oratoire du Christ, compense en quelque sorte cet abon-
dant recours à l'art des rhéteurs. Sans que cela soit dit, ce n'est pas forcer
la pensée d'Erasme que de supposer que tant d'art, chez le prédicateur
chrétien, est rendu nécessaire par la nature de son public, composite et
populaire. L'humaniste profane, dont les lettres ne s'adressent qu'à des
pairs, peut se concentrer sur l'invention et, comme le Ciceronianus le lui
conseille, se soucier de la vérité plus que de l'effet.
A bien des égards, et dans la mesure ou l'Ecclesiastes est la source
essentielle, bien que cachée, des rhétoriques «borroméennes », ce livre
est le point de départ du long cheminement qui aboutira à l'éloquence
sacrée «classique» en France.
Mais il s'agit bien d'un long cheminement, fécond en péripéties inat~
tendues. Il était difficile en effet de concilier, comme le voulait Erasme
dans l'Ecclesiastes, et comme le voudra Charles Borromée, réformateur
de la prédication catholique, l'imitation de Jésus-Christ, «orateur sans
rhétorique », et la mise en œuvre des techniques de persuasion à l'adresse
des modernes pécheurs, telles que les transmettait la tradition oratoire
antique. Dans l'Ecclesiastes, les pages consacrées à l'élocution s'inspirent
davantage de la luxuriar.ce de Quintilien, au L. IX de l'Institution Ora-
toire que de la réserve gardée sur ce chapitre par saint Augustin dans le
De Doctrina Christiana. Cette « abondance» inattendue nous laisse pré-
sager ce qui ne manquera pas de se passer: au lieu de trouver dans leur
office sacré, comme le leur demande Erasme, comme le leur demandera
l'archevêque de Milan, un garde-fou contre la tentation sophistique et le
vertige des « mots », il arrivera que les orateurs chrétiens, tirant parti de
leur robe comme d'un alibi préservé de tout « soupçon ;>, donneront libre
cours aux «maistresses voiles de l'éloquence ». Les discours académi-
ques, et la littérature tant néo-latine que vernaculaire, n'offraient ni au
XVI" ni au XVII' siècles, aucune occasion aussi propice aux accès de virtuo-
sité ou de démagogie que la prédication, s'adressant à un public peu
" critique» et protégée contre la « critique >.' par la sainteté du « forum»
où elle s'exerçait. Les ouvrages de rhétorique, à commencer par l'Eccle-
110 PREMIÈRE RENAISSANCE CICÈRONIENNf.

siastes, nous renseigneront plutôt sur la résistance opposée à la tentation


d'une sophistique et d'une démagogie sacrées, que sur celles-ci. Mais il
faut bien voir que là comme ailleurs, le prix payé par la Lux orationis,
profane ou sacrée, est d'offrir aux ombres des anciens sophistes l'occasion
de renaître et de prospérer.
Œuvre-mère, œuvre de longue portée, dont le XVI' et le XVII' siècles
n'épuiseront pas toutes les conséquences, l'œuvre d'Era~me domine l'his-
toire de la rhétorique humaniste, comme elle domine l'histoire moderne
des idées. Par son effort continu pour limiter les effets de la Renaissance
des rhéteurs antiques, et pour combattre le retour de la sophistique, clle
prolonge l'œuvre de saint Augustin, et donne à l'anti-cicéronianisme flo-
rentin une vigueur et une ampleur nouvelles.

LE MARTYR FRANÇAIS DU CICÈRONIANISME :


Etienne Dolet et le De lmitatione ciceroniana (1535)

L'année même où paraît !'Eccle'Siastes, la plus violente réplique au


Ciceronianus 131 est publiée en France, sous le titre de De lmi/alione
ciceroniana.
C'est de France encore, patrie du grand épistolier cicéronien Pierre
Bunel, qu'étaient parties les deux Orationes que Jules-César Scaliger 132
avait dirigées contre l'auteur du Ciceronianus. Les allusions ambiguës
d'Erasme au héros de l'humanisme français, Guillaume Budé, la solidarité
française avec Christophe de Longueil, dont la famille, d'origine belge,
était un des ornements de la Grande Robe française, et surtout le
sentiment chez les plus lucides qu'Erasme apportait des arguments à
une captation cléricale de l'humanisme, expliquent cette levée de bou-
cliers. Tard encore dans le siécle, en 1578, Henri Estienne publiera un
recueil de lettres de Bembo, Sadolet et Manuce, condamnant dans sa
préface l'anti-cicéronianisme de Politien et d'Erasme, revendiquant pour
Pierre Bunel et pour Longueil le mérite d'avoir fait de la France la
seconde patrie du «style tullien» 133. Le sentiment national, l'hostilité

131 Siephani DoieU dialogus de imitatione Ciceroniana, adversus Deside-


rium Erasmum Rolerodamum, pro Chrislophoro Longolio, Lugduni, apud S.
Gryphium, 1535, in-4°.
132 j.C. Scaligeri oralio pro M.T. Cicerone contra Desiderium Erasmum
Rolerodamum, Lutetiae, s.d' in_Sa, Dédicace et privilège de 1531. f.C. ScaliReri
adversus Desid. ErilSmi dia lagum ciceranianum aralia secunda, Lutetiae, ailUd
V. Vidovaeum, 1537, in_Bo.
133 Petri Bunelli galli praeceptoris el Pauli Manutii itali discipuli epistolae
ciceroniano stylo scriplae aliorum gal/arum pariter el italorum epis/olae eodem
stylo scriplae, Genève, 1577. Dans la préface au Lecteur, Henri Estienne reven-
dique pour les Français la paternité et le patrona~e de cet optimus slylus
cicéronien indignement vilipendé par Erasme. Il justifie Longueil, comme l'avait
fait Etienne Dolet et stigmatise les « pitoyables erreurs» de Politien et
d'Erasme. L'honnotr français est donc engagé du côté de Cicéron 1 Apôtre
infatigable, Henri Estienne publie encore deux ouvrages ayant trait à l'opti-
DOLET: «IMITATIO CICERONIANA:I> III

à la rhétorique ecclésiastique dont, avant Charles Borromée, Erasme avait


patronné la renaissance, la volonté de faire de la France gallicane l'héri-
tière de l'Italie comme Quartier Général de l'humanisme, combattaient
chez Estienne le mépris, non moins vif que chez Erasme, pour la supers-
tition des «mots" chez les cicéronianistes italiens. Le Tullianus stylus,
l'atticisme de l'art épistolaire humaniste, conservait en France sa valeur
de symbole et d'instrument des studia humanitatis.
Mais cet attachement de l'humanisme érudit français au Tullianus
stylus de la première Renaissance ne suffit pas à expliquer la réplique
violente adressée par Etienne Dolet à Erasme. La récente édition commen-
tée du De Imitatione ciceroniana qu'a donnée Emile V. Telle 134 ouvre des
perspectives neuves fI la fois sur le cicéronianisme et sur sa fonction
capitale dans l'essor d'une littérature profane en France. Relu à la lumière
du commentaire d'E. Telle, le dialogue de Dolet n'apparaît plus comme
une pédante bizarrerie, s'ajoutant au dossier poussiéreux et négligeable
de la Querelle «cicéronienne» 135. C'est un acte de courage, et même
de témérité, qui fait de Cicéron et de l'imitation cicéronienne les garants
d'un art littéraire profane, ayant sa dignité propre, son ascèse propre, et
qui refuse de céder au « soupçon» moral et religieux. Dolet revendique
contre Erasme une véritable séparation de la Religion et de l'art litté-
raire, même s'il s'efforce de faire passer pour orthodoxe la véritable
« religion littéraire" 136 qu'il décrit sous le nom d'imitation cicéronienne.
Cicéron, au L. III du De Oratore, avait voulu dépasser le dilemme
sophistique/philosophie, où Platon avait paru enfermer la parole antique:
sa doctrine médiatrice, inspirée d'Aristote, justifiait l'ornement et la vrai-
semblance oratoires au nom d'une incarnation nécessaire de la sagesse
dans l'histoire mouvante de la Cité. Avec une fièvre juvénile et bien
moderne, à la mesure d'un « soupçon" platonicien immensément renforcé
par le poids d'une tradition augustinienne millénaire, Dolet veut échapper
au dilemme sophistique païenne / philosophie chrétienne où Erasme pa-

mus styllls cicéronien. Dans l'un, il polémique contre le «mauvais:. cicéro-


nien italien, Mario Nizolio, auteur d'un Thesaurus ciceronianus .. Nizoliodi-
dascalus, sive monitor ciceronianorum Nizolianorum, dialogus Henrici Stephani,
Lutetiae, excudebat H.E. 1578. L'autre est un dictionnaire des citations tra-
duites du grec chez Cicéron: Ciceronianum lexicon graecolatinum, id est lexicon
ex varUs graecorum scriptorum locis a Cicerone interpretatis, a Henrico Stephano
col/ectus. Genevae, ex off. H.E. 1557, 8°, 111-200 p. Le «cicéronianisme:l>
d'Henri Estienne refuse d'aliéner l'invention oratoire à l'élégance appliquée des
cicéroniens italiens.
134 Emile V. Telle, L'Erasmianus sive Ciceronianus d'Etienne Dolet (1535),
Introduction, fac-similé de l'édition originale du De Imifafione ciceroniana-
commentaires et appendices, Genève, Droz, 1974. Sur la vie et l'œuvre de
Dolet, v. R.C. Christie, Etienne Dolet. The Martyr of the Renaissance 1508-
/546, a Biography., Londres, Macmillan, 1899.
135 Emile V. Telle montre le bon usage, pour les historiens de l'humanisme,
des travaux d'historiens de la littérature antique. V. p. 468, son renvoi à la
conclusion de la thèse d'Alain Michel (ouvr. cit., p. 653-654, c Histoire d'une
recherche de la perfection»).
136 L'expression est de E.V. Telle, ouvr. cil., p. 361.
112 PREMIÉRE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

raissait enfermer la parole humaniste. La violence de la réaction est à la


mesure de l'interdit à surmonter. Dolet va beaucoup plus loin que le
maître dont il se réclame, Cicéron. Afin' de dégager l'éloquence de la
tutelle sacerdotale qui subsiste à ses yeux, sous une forme subtile et
insinuante, chez Erasme, Dolet va jusqu'à l'apologie de la sophistique,
dont l'excès même est seul à pouvoir contrebalancer le préjugé platonico-
chrétien contre la délectation des « mots» goûtés !l0ur eux-mêmes, contre
un art profane qui trouverait en sa propre beauté sa seule légitimation.
Dans une certaine mesure, la tactique de Dolet est analogue à celle,
que nous étudierons plus loin, de Blaise de Vigenère dans la préface de
sa traduction de Philo strate. Mais avec Vigenère, le problème se sera
déjà déplacé dans le domaine de la langue vernaculaire. Pour Dolet, qui
demeure à ce stade de sa réflexion à l'intérieur du domaine latin, l'élo-
cution, ce quatrième chapitre de la rhétorique, a son ordre propre, relati-
vement autonome par rapport au sens qu'il véhicule et à la valeur morale
ou religieuse de ce sens. Elle est le lieu d'une ascèse de la forme qui, dans
son ordre, n'a rien à envier à l'ascèse philosophique ou spirituelle, et la
rèussite du style, gagée sur l'exemple classique de Cicèron, est en soi une
épreuve de la grandeur d'âme qui suffit à attester celle-ci et à lui valoir
la gloire. Contre l'augustinisme rhétorique d'Erasme, Dolet, sous couvert
de Cicéron, refuse de subordonner l'élocution à l'invention, et fait de
l'élocution elle-même un des lieux privilégiés de l'invention. Du même
coup, il introduit la distinction entre un ordre profane et laïc du langage
et un ordre philosophique et religieux, là où Erasme et la tradition
platonico-augustinienne ne voyaient qu'unité.
L'ancien étudiant de l'Université de Padoue (qui prend pour porte-
parole Neufville, professeur d'éloquence dans cette Université où il
succéda à Longueil, avant de laisser place à Muret) reproche à Erasme
de mélanger les ordres: sacris prophana miscuit 137. L'éloquence philoso-
phique et religieuse se sert de la beauté; l'éloquence profane la sert, en
l'incarnant dans le style. Ce service exige de l'écrivain-orateur non seule-
ment des dons naturels, mais une longue préparation, et un travail diffi-
cile et précis sur l'élocution: choix des mots, disposition des mots dans
la phrase, I1cmbre, musique. symphonie d'ensemble 138. Cette ascèse de la
beauté ne saurait aboutir sans référence à la beauté en acte du style le
plus parfait, celui de Cicéron. La prose d'Erasme, qui prétend parler au
nom du Christ, qui a sans cesse le nom du Christ à la bouche, se veut
utilitaire, et n'est rien de plus 139. Elle n'est l'objet d'aucun soin, elle se

137 Telle, ouvr. cit., p. 19, note 308. Sur l'arrière-fo!1ds padouan du cicéro-
nianisme, voir E.V. Telle, p. 41. Le dialogue a pour cadre Padoue. Neufville
y remplaça Longueil en 1522. 11 y fut le professeur de Dolet. Voir aussi ibid.,
p. 297 (pierre Bunel et Emile Perrot, anciens élèves de l'Université de Padoue,
comptent parmi les «cicéroniens,. français). V. aussi ibid., p. 430-431, citations
du Traité des Scandales de Calvin où celui-<i fulmine contre les ~ athées ,.
Villeneuve, Dolet et Bune!.
138 Ibid., p. 65, note p. 335.
139 Ibid., p. 41, note p. 321.
DOLET: «IMITATIQ CICERONIANA» 113

laisse aller au comique et à la vulgarité 140 : elle se destine au plus grand


nombre, et non à une élite du goût, pourvue d'une vraie culture littéraire
et douée d'oreille.
Cet utilitarisme langagier - conjugué avec l'attirance d'Erasme pour
Plaute, pour Varron, pour les érudits et prédicateurs de l'Antiquité
tardive - répugne à Dolet comme une trahison de ce qui pour lui est
l'essence de l'humanisme: son dégoût pour le style barbare de l'Ecole; il
veut voir chez Erasme, ce «vieillard», une résurgence de la vieillerie
gothique, ennemie de la beauté. Malentendu exemplaire: pour le jeune
Lyonnais, la Renovatio literarum et artium est d'abord redécouverte du
~ecret perdu de la beauté, idole sophistique et païenne pour Erasme, si
elle n'est pas au service exclusif d'une Renovatio spiritus.
S'appuyant sur la définition de l'orateur par le vieux Caton, vir bonus
tiicendi peritus, Erasme refusait toute légitimité chrétienne à l'idéal cicéro-
nianiste de la Rome poniificale, qui supposait un ordre autonome du
style, et un domaine des Belles-Lettres distinct de celui des Saintes
Lettres. Dole! lui rétorque C:J somme qu'on ne fait pas de bonne littérature
avec de bons sentiments :

Bien que je loue, fait-il dire à Neufville, par dessus toutes les qualités
de l'orateur la confiance qu'il inspire, bien que j'embrasse de tout mon
zèle l'intégrité morale, je suis néanmoins convaincu que l'innocence et la
probité des mœurs n'ajoutent rien à l'art du discours, non plus d'ailleurs
qu'à toute autre connais~ance. Je refuse cette illusoire définition de l'ora-
teur qui lui prescrit d'être un homme vertueux. Ce n'est pas la bonne
foi qui rend éloquent, ni les bonnes mœurs qui dénouent la langue, ni
l'intégrité morale qui rend disert et docte. Ce qui donne la faculté d'être
éloquent, et l'aptitude aux sciences, c'est un heureux génie naturel, un
travail illimité, un exercice intense Hl.

Diderot n'ira pas aussi loin lorsqu'il laissera sans réponse la question
du neveu de Rameau: comment Racine a-t-il pu être un grand poéte et un
méchant homme? Ni Erasme, ni Calvin, ni l'humanisme catholique après
le Sac de Rome, ni les magistrats français ne pouvaient admettre une
dissociation aussi tranquille entre bonnes mœurs personnelles et Elo-
quence. Pourtant, aux yeux de Dolet, celle-ci demeure indissociable de la
sagesse, mais d'une sagesse qui lui est propre, et ne se confond pas avec
les bonnes mœurs: la perfection du style exige de grands sacrifices, une
longue ascèse, une spiritualité. Elle n'a rien de commun avec la pédante
folie caricaturée par Erasme dans le personnage de Nosopon. Conquête
héroïque sur l'angoisse de la mort, son effort généreux est récompensé
par l'immortalité de la gloire. Le difficile désir de la be".uté est vainqueur

140 Ibid., p. 61, notes p. 321-322. Dolet tient Erasme pour un auteur
" comique», incapable de sublime.
141 Ibid., p. 106, note p. 354.
114 PREMIÈRE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

de la mort 142. Pour avoir soutenu une thèse analogue dans ses Eroiei
Furori, Giordano Bruno sera brûlé en l'année sainte 1600, au Campo dei
Fiori. Cette religion de la beauté semblait blasphémer la seule rédemption,
la seule victoire sur la mort, celle du Christ.
Pour Dolet, cette beauté dont Cicéron a fixé le secret d'éternité dans
la prose latine peut être à toute époque entrevue et reconquise par les
c généreux », dans une quête qui, en dépit de leurs différences, les réunit
vers la même fin. Car la beauté est une, qu'elle se laisse entrevoir à
travers le corps parfait de Narcisse, d'Endymion, d'Hélène ou de Léda H3.
La dissemblance des esprits, dont se réclame Erasme pour justifier un
éclectisme stylistique, n'est donc qu'un alibi pour nier et trahir l'unicité
de la beauté 144. La perfection de la prose, pas plus que celle d'un beau
corps, ne s'accommode de la variété ni de la vulgarité, inévitables si l'on
se complaît, comme Erasme, en ses propre faiblesses. L'Idée cicéronianiste
du Beau, selon Dolet, est une sorte de Graal qui se propose aux grands
désirs d'une élite enthousiaste et jeune dont Erasme, vieux et cagot,
s'exclut. Dolet n'en fait pas moins profession de foi ardente dans le
Christ 146. A la façon padouane, son fidéisme est d'autant plus sincère
qu'il lui permet de ménager l'autonomie d'un ordre naturel et profane,
parallèle à l'ordre religieux, et libre de sa tutelle.
On peut trouver paradoxale cette volonté libératrice et le point d'appui
que Dolet lui donne dans l'idéal néo-latin d'imitatio cieeroniana. Ce serait
sous-estimer la fonction expérimentale que les débats internes à l'huma-
nisme néo-latin ont jouée au XVI' siècle. La carrière de Dolet, son combat,
anticipent sur ceux des jeunes gens qui, sous Louis xm, imprudents
comme Théophile, prudents comme Balzac, réussiront à créer les Belles-
Lettres françaises, contre le soupçon des doctes et des dévots. Avant eux,
Dolet a songé à transférer dans la langue «vulgaire» cette religion de
la beauté qui est l'une des faces de l'humanisme. L'éditeur des Orationes
(1536) et des Epistolae ad Familiares de Cicéron (1540) publie en effet
en 1540 un traité de traduction, soutenant ainsi la légitimité d'un exercice
qui, comme l'a montré Roger Zuber, fut le plus efficace médiateur de la
transformation de la langue vulgaire en langue littéraire. La Manière
de bien traduire d'une langue en autre 146 est ainsi, aux côtés du De
Imitatione cieeroniana une étape majeure dans la lente translatio studii,
qui, du latin humaniste au français, rendit possible «L'Eloquence fran-
çoise» du xvII" siècle.

142 Ibid., p. 75, I:ote p. 337, sur la Tulliana phrasis privilège des grandes
âmes; loin de rendre malade, elle est une nourriture féconde, voluptatis plena
lectio, jllcunditatis plena exercitatio; et p. 76, note p. 338, Et nul/us magis
stimulll~ ad nominis immortalitatem comparandam generosos incitat, quam
continua vitae tam brevi spatio finiendae cogitatio, immortalibus grata, morta-
libus horribilis ... Mortis cogitatio ... animosos animosiores reddat ... ».
143 Ibid., p. 113, note p. 358.
144 Ibid., p. 81-82, note p. 341.
145 Ibid., p. 183, notes p. 401-402.
146 Voir R. Zuber, Les Bel/es Infidèles, Paris, Colin, 1968, p. 22.
DOLET : UN PRÉCURSEUR 115
Le 2 août 1546, le r:lartyr de la Littérature, condamné par la Grand'
Chambre du Parlement de Paris, était brûlé vif en place de Grève. Un an
plus tôt, Marc Antoine Muret, âgé de dix-neuf ans, commençait sa carrière
de professeur à Auch. A bien des égards, il y a entre Etienne Dolet et
Marc Antoine Muret le même rapport qu'entre Théophile et Balzac: les
deux premiers sont des hommes du destin, dont la carrière tragique inter-
vient à la fois trop tôt et trop tard, ouvrant la voie aux hommes de
prudence qui réussiront à leur place, non sans concession à l'adversaire.
Le supplice de Dolet, en 1546, met un point final à la Renaissance
cicéronienne, frappée à mort depuis le Sac de Rome. La patrie du cicéro-
nianisme, l'Italie, devient alors avec l'Espagne, la base logistique de la
Reconquête catholique en Europe. Rome revient aux sources de l'ortho-
doxie, la théologie médiévale, les Pères de l'Eglise. Elle trouve chez ces
derniers une version chrétienne de la rhétorique latine mieux propre à
propager la foi, combattre le doute et l'hérésie que le cicéronianisme
serein de Bembo et de Sadolet. L'heure est venue pour Charles Borromée
et la Renaissance catholique du De Doclrina Christiana.
CHAPITRE III

LE CONCILE DE TRENTE
ET LA RÉFORME DE L'ÉLOQUENCE SACRÉE

CICÉRONIANISME ITALIEN ET ANTI-ClCÉRONIANISME ESPAGNOL (1528-1575)

Après le Sac de Rome en 1527, l'humanisme cicéronien trouve un


refuge à Venise et à Padoue. Pietro Bembo avait d'ailleurs quitté Rome
dès 1519 pour s'installer à Padoue, dans sa Villa Ninianum. Il ne revien-
dra dans la Ville éternelle qu'en 1532 pour coiffer le chapeau de Cardinal
que lui avait conféré Paul III. Et il Y mourra en 1547. Mais dans la cité
des Doges et à Padoue, son œuvre continue d'inspirer une tradition rhéto-
rique dont la valeur et l'importance ont été souvent sous-estimées, ou
traitées avec ironie, par les historiens italiens.

*
**
Réfugié à Padoue et à Venise, le cicéronianisme revient en somme à
ses sources. C'est en effet à Venise que le premier auteur d'une rhétorique
humaniste, Georges de Trébizonde, avait en 1435 choisi Cicéron comme
unique modèle de la bonne prose néo-latine 147. C'est à l'Université de
Padoue que Bembo avait fait ses études latines. C'est là que la petite
cohorte de cicéroniens français, Pierre Bunel, Simon de Neufville, Etienne
Dolet, Emile Perrot, violemment stigmatisés par Calvin dans son traité
Des Scandales, avaient été initiés au culte d'une beauté littéraire ayant
son ordre et sa valeur propres. C'est là encore que Longueil, puis Muret
enseignèrent l'éloquence. L'aristotélisme padou an, séparant le domaine de
la Nature de celui de la Foi, créait des conditions exceptionnellement
favorables à la justification d'un art oratoire profane, médiateur entre la
philosophie naturelle et la Cité. La proximité de la République de Venise,
chef-d'œuvre d'art politique, capitale des arts et de l'humanisme profanes,
confirmait cette confiance dans les pouvoirs de l'homo loquens.

147 Voir G. Toffanin, Il Cinquecento, Milan, Vallardi, 1935, ch. : L'ellenismo


dei Cinquecento, p. 10.
LE REFUGE VÉNITIEN 117
Mais après le Ciceronianus d'Erasme, et les premiers accès redouta-
bles d'une Réforme catholique, l'humanisme cicéronien est tenu d'appro-
fondir sa propre apologétique. L'Epistola de [mitattone de Bembo tenait
pour acquis la valeur de la tradition oratoire, et se bornait à traiter le
seul point qui fût matière à controverse: la question de l'imitation. Les
successeurs de Bembo doivent préciser leur conception des rapports entre
rhétorique et philosophie; ils doivent même, au moment où le Concile de
Trente prend enfin un tour décisif, s'employer à définir les rapports entre
la rhétorique et une théologie catholique qui fait retour à Aristote. Le
prestige renaissant de celui-ci permet de mettre en ligne, contre les néo-
scolastiques, la Rhétorique et la Poétique du Stagirite lui-même, précieux
remparts pour le De Oratore de Cicéron us.
Au surplus, loin de se figer sur lui-même, l'humanisme cicéronien se
greffe sur la vitalité de la langue vulgaire. Bembo lui avait le premier
lJuvert ce champ neuf: la transfusion de la discipline oratoire cicéronienne
au toscan, la création d'une littérature classique dans la langue des
modernes, par émulation avec les Anciens. Seul un Lazare Buonamico
rentré de Rome à Padoue, continue à y plaider, pour l'honneur, la cause
jalouse du Tullianus stylus néo-latin, symbole de la grandeur romaine à
son acmê, et à requérir contre la langue vulgaire, trace trop visible de
l'humiliation de l'Italie et de sa longue décadence au sein d'une Europe
barbare 149.
Grâce à la politique avisée de la Sérénissime République, l'Italie du
Nord-Est reste relativement préservée de la tyrannie espagnole ou du
zèle inquisitorial romain : un véritable «été de la Saint-Martin ~ de la
Renaissance italienne s'y prolonge. Les débats académiques à Padoue,

148 1\ Il'y avait pas de difficultés à faire d'Aristote le bouclier de Cicéron.


puisque le De Oratore s'appuie déjà sur Aristote pour défendre l'art oratoire
contre la critique platonicienne (voir A. Michel. Rhétorique et Philosophie ...•
ouv/. cit.. p. 108. qui renvoie à l'éloge d'Aristote par Cicéron. De Oratore. 111.
35. 141). Voir dans B. Weinberg. Traftali di retoriea dei 500. Bari. Laterza.
1970. t. Il. p. 566-581. un tableau chronologique des traités de rhétorique en
Italie au XVI' siècle. En 1548. le Florentin P. Vettori publie son Commentaire
de la Rhétorique d·Aristote. En 1549. Bernardino Segni publie sa traduction
latine de la Rhétorique et de la Poétique. rééd. en 1551. Dans une Oratio eum
Aristotelis libros de Arte rhetorica interpretari inciperet. prononcée à Rome
t'n Ib76. Muret (Opera Omnia, Leipzig. 1841, t. Il, p. 341) résume cet effort
de l'humanisme italien pour étayer Cicéron de l'autorité d' Aristote. contre le
« soupçon» platonicien et dévot. Dans une seconde Oralio sur le même thème
(ibid.. p. 347). il se sert d' Aristote pour combattre l'idée d'une rhétorique
réduite à la sophistique. donc inutile et dangereuse. La définition que donne
Aristote de l'art oratoire détruit les objections adressées à Gorgias. D'autre
part. Aristote articule à l'art oratoire une logique de la probabilité qui a sa
légitimité propre. aux côtés de la dialectique. Dans cette logique du probable
ct du vraisemblable. l'enthymème tient le rôle du syllogisme. et l'exemple celui
de l'induction. L'ordre de l' humanitas. politique. social et moral. relève de la
rhétorique. et 'ne doit pas être confondu avec l'ordre spéculatif du «néces-
saire l> et du ~ vrai» philosophiques et théologiques.
149 Voir Toffanin. ouvr. cit .• p. 463 et suiv. «Sperone Speroni et l'Acea-
demia degli Intiammati l>.
118 LA RÉFORME TRIDENTINE

l'activité éditoriale à Venise - contemporains des chefs-d'œuvre du


Titien - prennent le relais de la Renaissance romaine, et préservent les
conditions de possibilité d'une culture profane autonome. Pour les huma-
nistes de Venise et de Padoue, l'apologie de la rhétorique cicéronienne,
dans la lignée de Bembo, se confond avec la défense d'un ordre propre-
ment humain, distinct de l'ordre théologique, et où l'éloquence, héritière
de l'éloquence latine, est à la fois instrument et symbole d'harmonie
politique.

•••
En 1540, un groupe d'humanistes padouans fonde l'Académie des
Infiammati dont Sperone Speroni, ami et disciple de Bembo, est élu
Prince en 1542.
La même année, Speroni fait paraître ses Dialogues dont Eugenio
Garin, dans un essai intitulé Réflexions sur la rhétorique l50 , a analysé
le contenu et souligné l'importance. Le dialogue sur la rhétorique, parmi
ceux que renferme le volume, est en fait une apologie de l'art oratoire,
appuyée à la fois sur la Rhétorique d'Aristote et le De Oratore de Cicéron.
Le principal interlocuteur, Antonio Brocardo, s'emploie à distinguer la
vérité, réservée aux philosophes, et l'opinion, qui est le domaine des
orateurs. Mais à ses yeux, la seconde n'est pas pour autant dénuée du
vrai: elle est par rapport à celui-ci comme le portrait par rapport à la
personne peinte, un ~ je ne sais quoi li' les unit par la ressemblance. Le
Viaisemblable n'est donc pas à confondre avec le mensonge. Et il est plus
conforme à la situation réelle de l'homme divers, muable, assujetti aux
sens et aux passions, que la vérité stellaire des philosophes et des savants.
Il est le seul à pouvoir faire aimer celle-ci, l'incarner dans l'histoire, et
dans la vie des sociétés humaines. L'homo loquens est la contrepartie de
l'homo politicus. Et dans le domaine de la politique et des lois, dont
Socrate lui-même a admis, à l'heure de sa mort, la suprême importance,
seule la rhétorique, maîtresse de l'opinion, peut maintenir le cap d'une
direction raisonnable, tout en louvoyant assez pour tenir compte de la
mobilité et des erreurs humaines.
Avec le dialogue sur les langues, dans le même recueil, une occasion
est offerte à la philosophie de plaider sa ca,use. Speroni donne la parole
à l'un de ses maîtres, Pomponazzi. Celui-ci soutient que les langues ne
sont que convention: pour philosopher, c'est-à-dire contempler et connaî-

150 E. Garin, Moyen Age et Renaissance, ouvr. cit., trad. cit. p. 108-110.
Sur Sperone Speroni, voir aussi Riccardo Scrivano, «Cultura e letteratura in
Sperone Speroni », dans Rassegna della letteratura italiana, 1959, l, p. 38-51.
La méditation sur la rhétorique est le principe vital de la culture de Speroni,
qui s'épanouit en méditation sur l'histoire (Dialogo della istoria, entre Paul
Manuce et Silvio Antoniano), et en création de poésie tragique (Canace e
Macareo). Voir encore G. Morpurgo-Tagliabue, «Aristotelismo e barocco »,
dans Alti dei III Congresso Internazionale di Studi umanistici, Rome, 1955,
p. 119-195, sur Speroni p. 121 et suiv.
SPERONI ET SES AMIS 119

tre les lois éternelles qui président à l'ordre naturel, peu importe tes
signes par lesquels cette connaissance trouve à s'exprimer. Les langues
vulgaires, sans passer par la culture oratoire latine, permettent au
«paysan comme au gentilhomme », nés pour philosopher, d'aller à la
vérité aussi bien et plus vite que par le biais des langues classiques.
Le dernier mot resterait-il à une philosophie de la Nature faisant
l'économie de la culture oratoire? Un disciple de Speroni, Bernardo
Tomitano, qui rapporte dans ses Ragionamenti della lingua toscana
(1545) tes débats de l'Académie des Infiammati, révèle le sentiment de son
maitre m. Pour Speroni, si l'usage de la langue vulgaire se justifie, ce
n'est pas comme une convention dont le philosophe peut faire usage à la
manière du latin scolastique, dans le plus parfait dédain de l'arnatus.
Cet usage n'a de sens que comme ajustement à la réalité concrète et
actuelle de l'homme dans l'histoire et dans la Cité. Et cet ajustement
lui-même a été rendu possible par l'humanisme oratoire, non par la
philosophie: en réhabilitant les langues classiques, en les soumettant à
une étude rigoureuse, l'humanisme cicéronien a retrouvé le sens histori-
que du langage humain, il a rendu à la culture la conscience de son
enracinement dans la diversité et la mutabilité des individus et des peu-
ples. C'est justement la rhètorique qui a donné à la littérature antique ce
caractère médiateur entre philosophie et politique, entre idéal et réalité:
c'est elle encore, qui haussant à l'art la langue vulgaire, doit lui donner
aujourd'hui la même fonction et en faire l'héritière légitime de la tradition
oratoire. En somme, le point de vue de Pomponazzi rejoint celui des
théologiens, dans le même mépris de la médiation éloquente, que Speroni
perçoit à la lumière de l'Idée du Beau selon Bembo: un principe d'univer-
salité proprement humaine qui rend possible le dialogue entre les hommes
en dépit des différences de temps, de lieu et de langue.

...
......
En 1547, le préfacier de la première édition des Dialogues de Speroni,
Daniele Barbaro 152, publie à Venise un Dia/aga della Eloquenza qui, par
le biais de l'allégorie, est une autre apologie de l'art oratoire, pédagogie
de la sagesse, fils et tuteur d'une humanité qui accepte son incarnation
et travaille à rendre habitable sa demeure terrestre. Les interlocuteurs
du dialogue sont la Nature, l'Art et l'Ame. L'Art et la Nature, selon
Daniele Barbaro, sont amis et alliés; la Nature, fille de Dieu, mais
médiatrice entre l'homme et la Cause première, ne voit nullement un rival
dans l'Art, qui parachève son œuvre, et combat les mêmes adversaires:
les vices, l'ignorance, le mensonge. Art et Nature ne voient de plus haute
mission pour l'Ame que de s'incarner parmi les hommes, d'actualiser ses
puissances, et d'y faire triompher la Raison par la Parole éloquente. Cette

laI Garin, ouvr. cit., p. 110.


15~ Weinberg, ouvr. cit., t. Il, 337-451. D. Barbaro, appartenant à la même
famille qu'Ermolao Barbaro, fut un disciple de Bembo et de Speroni.
120 LA RÉfORME TRIDENTINE

incarnation sera forcément une c politisation :., puisque l'homme est un


animal politique. Et si l'éloquence suppose le triomphe de la Raison sur
l'irascible et le concupiscible dans l'Ame incarnée, elle travaille au même
triomphe dans le gouvernement des Cités. La Raison a sans doute pour
fin ultime de contempler et connaître les lois du réel dans la philosophie
et les sciences; mais l'incarnation lui impose de terrestres responsabilités.
Car la seule forme de vérité que l'homme politique puisse atteindre est la
c bonne opinion :., c'est-à-dire une vérité relative, mais la meilleure pos-
sible hic et nunc: cette approximation, la Raison a pour charge de la
trouver et de la faire approuver grâce à l'Eloquence, afin que la Vérité
ait quelque chance de siéger ailleurs que dans les astres. Sous le signe de
Cicéron, la République de Platon et la Politique d'Aristote, le Phèdre de
l'un et la Rhétorique de l'autre se trouvent ainsi conciliés. Mais l'idéal
oratoire n'en est pas pour autant un chemin de facilité. Pour persuader
du meilleur et détourner du pire, il faut mettre en œuvre des puissances
dangereuses, comme l'imagination et les passions. L'art suprême est de
savoir doser prudemment les concessions qu'on leur fait et user de
détours pour convertir au meilleur, tout en assoupissant la tentation du
pire.
En dépit de la variété et de la mutabilité que Nature a mises en
l'homme, cet Art suprême est '" un:. et '" une la route que chacun suit
sous sa bannière:. 168. Au fond du métamorphisme humain, il y a des
constantes que l'Art oratoire, fruit de l'expérience de l'humanité antique,
a su dégager et formuler. Autant et plus que la Philosophie et les Scien-
ces, l'Art de traquer et de pousser vers le mieux ce qu'il y a d'irrationnel
en l'homme est le chef-d'œuvre de la Raison.
Ce prologue didactique une fois achevé, l'Ame peut aller revêtir le
corps que la Nature lui destine; avant d'entrer sur la scène du monde, elle
se soumettra de grand cœur à la pédagogie de l'Art, qui l'initiera aux
diverses moirures de l'Idée du Beau, dont le reflet dans le discours la
rendra capable d'attirer les hommes, par l'optique du vraisemblable, vers
la Vérité, inaccessible point de fuite .

•••
Au cours de la même décennie, en dépit de la réaction dévote qui sévit
à Rome contre les c bonnes Lettres :., les érudits de Florence et de Venise
poursuivent l'étude des sources antiques de l'ars dicendi. A Venise, le
troisième fils d'Alde Manuce, Paul, pUblie une grande édition commentée
des œuvres complètes de Cicéron 154. En 1548, Pietro Vettori, protégé par
Cosme de Médicis et professeur d'éloquence au Studio de Florence, publie

16S Ibid .. p. 359.


Opera ... Ciceronis, Venetiis, 1540-1554, in-S·. Voir, du même, l'édition
164
en 1546 de la Rhétorique à Herennius, du De Inventione, et du De optimo
genere oratorum ; en 1544, du De daris oratoribus liber, qui inscribitur Brutus.
PIETRO VETTORI - MARIO NIZOLIO 121
la première édition de ses Commentarii in tres libros Aristotelis de Arte
dicendi 155, dont une .autre édition augmentée paraîtra en 1579; c'est
l'assise profonde sur laquelle repose, en dernière analyse, l'essor des
Belles-Lettres en Italie et en France à la fin du XVI" et au début du
XVII' siècles, ce sera le bréviaire de Chapelain et de Balzac. En 1562,
imperturbable, Vettori publie ses Commentarii in librum Demetrii Phalerii
de Elocutione 158, qui fait passer dans la culture européenne l'expérience
attique de l'art de la prose. Le Tasse en Italie, Amyot en France, commen-
cent à faire bénéficier les langues vulgaires de ce texte grec traduit et
commenté en latin. Composé sous l'impulsion de Giovanni della Casa, un
héritier de Bembo, cet ouvrage de Vettcri amplifie les analyses techniques
du rhéteur grec sur la composition de la phrase, son rythme, son eupho-
nie. Il représente une étape décisive dans l'évolution et l'approfondisse-
ment du cicéronianisme italien. En 1559, s'appuyant sur l'Aristote de
Vettcri, Bartolommeo Cavalcanti publie à Venise sa Retorica en langue
toscane 157.
A la même époque, Mario Nizolio, professeur à l'Université de
Parme 158, s'emploie à illustrer et défendre le cicéronianisme avec une
remarquable vigueur. Son Thesaurus ciceronianus, publié à Bâle en 1559,
réédité sous une forme augmentée à Venise en 1576, offre au Nosopon
d'Erasme l'instrument de travail qui lui manquait: un dictionnaire des
mots et tournures du latin classique. Loin d'être, comme l'a cru Toffanin,
une œuvre d'arrière-garde, ce dictionnaire doit être considéré comme le
modèle de celui de la Crusca et de celui de l'Académie française, fixant
un «bon usage », guidant le deleetus verborum qui est un des aspects
essentiels de l'art cicéronien de la prose. Comme l'avait prévu Bembo,
loin de faire obstacle à l'essor d'une prose classique en langue vulgaire,
le cicéronisme s'avérait un principe moteur de la transfiguration des
langues modernes en langues d'art, héritières des langues classiques.
Nizolio, adepte d'une Idée de Beauté commune à l'humanité antique et
moderne, refusait de figer la philosophie et les sciences dans les textes

1S5 Petri Victorii Commentarii in tres libros Aristotelis de Arte dicendi,


positis ante singulas declarationes graecis verbis auctoris, Florentiae, ex off.
B. juntae, 1548, dédié à Cosme de Médicis, in-foL, 637 p.
156 Petri Victorii Commentarii in librum Demetrii Phalerii de elocutione
positis ante singulas declarationes graecis vocibus auctoris, iisdemque ad ver-
bum latine expressis, Florentiae, in off. junctarum, Bernardi F., 1562, in-fo!.,
268 p.
157 La Retorica di M. Bartolommeo Cavalcanti, dédiée au Cardinal de Fer-
rare, Venise, Gabriel Giolito dei Ferrari, 1559, in-fo!. L'empreinte aristotéli-
cienne sur ce traité apparaît d'autant mieux qu'on le compare à celui de Fr.
Sansovino, L'arte oratoria secondo il modo della lingua volgare, dédiée à Gui-
dobaldu duc d'Urbin, Venise, 1546, in-12°, très proche de l'esprit des Prose
de Bembo, procédant par citations de Pétrarque et de Boccace, «Cicérons»
toscans.
158 Sur Nizolio, outre Toffanin, ouvr. cit., p. 81, voir P. Rossi, La eele-
brazione della retoriea e la pole mica antimetafisiea nef De Principiis di M.N.,
dans ra crisi dei uso dogmatieo della ragione, pub\. par A. BanI, Milan, 1950,
et c Il De Principiis di M.N. ~, dans Arehivio di Filosofia, 1953, t. III, p. 57-92.
122 LA RÉFORME TRIDENTINE

de l'Antiquité classique. Avant Chénier il aurait pu écrire: c Sur des


pensers nouveaux, faisons des vers antiques l1>. Dans son ouvrage De veris
principiis et de vera raUone phi/osophandi contra pseudophi/osophos
libri IV (Parme 1553) que Leibniz rééditera en 1670 159, il distingue une
science générale de la forme et de l'expression littéraire, commune aux
Anciens et aux Modernes, et les sciences particulières susceptibles d'évo-
lution et de progrès. Cette distinction de l'art d'écrire et de l'art de penser
l'autorise à concilier le classicisme de la forme, fils de la pédagogie
oratoire, et la profondeur du contenu, lié à l'évolution du savoir philoso-
phique. Le débat qui s'instaura autour de l'œuvre de Nizolio, et auquel
participèrent aussi bien un professeur milanais d'éloquence, Marcantonio
Majoragio, que le grand érudit français Henri Estienne, mériterait à lui
seul une monographie. Ses conséquences ont une portée qui, au-delà de
la Querelle des Anciens et des Modernes, intéresse le « siècle des Lumiè-
les» lui-même. Nizolio avait œuvré pour une alliance de la science et de
l'élégance.

*.*
Quelles qu'aient pu être les capacités de résistance et de renouvelle-
ment de l'humanisme cicéronien en Italie, l'essor de la Réforme catho-
lique, les activités de l'Inquisition, une véritable « réaction" théologienne
contre les studia humanitatis lui lançaient un défi beaucoup plus redou-
table que toutes les ironies d'Erasme. Le combat pour la rhétorique, loin
d'être, comme le croit Toffanin, un signe de « fatigue» de l'hum:J.nisme
italien, nous semble au contraire un signe de sa vitalité et de sa fidélité,
dans des circonstances difficiles: défendre la légitimité du modus ora-
forius, c'était résister au démantèlement de l'humanisme laïc, préserver
le legs de la Renaissance. Mais le seul avenir possible de cette défensive,
qu'aucun autre pouvoir laïc que Venise ne pouvait soutenir en Italie,
devait être un compromis avec une Réforme catholique consciente de ses
véritables intérêts.

***
A partir surtout du pontificat de Pie IV Médicis Rome semble com-
prendre qu'il y a mieux à faire que de persécuter les lettrés. Elle redevient
pour eux un centre d'attraction. En 1561, Paul Manuce dont l'imprimerie
connaît à Venise des difficultés financiéres, accepte de se rendre à l'invi-
tation du Pape pour fonder à Rome une imprimerie vaticane et y publier
une collection officielle des Pères de l'Eglise. Marc Antoine Muret quitte
Venise pour Rome en 1563. En même temps, Sperone Speroni participe
aux joutes oratoires de l'Académie des Nuits Vaticanes où le neveu du
Pape, Charles Borromée, joue le rôle à la fois d'élève et de Prince. En

159 De veris principiis ... libri IV, Francfort, 1670, 4°, précédé d'une Dis-
sertatio praeliminaris de aUenorum operum editione, de scopo operis, de philo-
sophica dictione, de lapsibus Nizolii.
MARC ANTOINE NArrA 123

septembre 1562, les travaux du Concile de Trente reprennent, et menés


cette fois rondement sous l'impulsion pontificale, ils trouveront une
heureuse conclusion en décembre 1563. Les décisions prises par les pre-
mières sessions du Concile pour réformer l'éloquence sacrée sont réaffir-
mées, et le cardinal Borromée leur donnera bientôt des suites pratiques
dans son diocèse de Milan. Rompant avec son passé mondain, se tournant
vers la lecture des Pères et d'Epictète, il imprime aux travaux de l'Acadé-
mie des Nuits Vaticanes un tour dévot.
Pourtant, on peut dire que désormais le plus gros du péril est passé: la
Réforme catholique, ayant admis la nécessité d'une nouvelle éloquence
sacrée, se fera sur la base d'un retour aux Pères de l'Eglise, plutôt que
sur celle d'une réaction médiévaliste et scolastique. Les théologiens de
Trente ont admis la légitimité d'un art oratoire chrétien. Et il Y avait
plus d'accommodation possible, pour l'humanisme cicéronien, avec une
hiérarchie soucieuse de restaurer, entre autres par l'éloquence, le prestige
de l'Evêque, qu'avec les «spirituels» dont l'intériorité exigeante allait
jusqu'à condamner les litterae humaniores.
Quelle sera l'étendue du compromis entre la rhétorique, indispensable
à la prédication et à l'insertion sociale de l'Eglise, et le «soupçon»
dévot contre l'art païen par excellence? L'humanisme cicéronien doit
désormais lutter pied à pied pour limiter les concessions qu'il doit consen-
tir au «soupçon ».
En 1562, Marc Antoine Natta 180 publie à Venise, chez les Alde, son
discours De Christianorum eloquentia, qui appelle à un compromis entre
l'humanisme cicéronien et une éloquence chrétienne «réformée ». II est
significatif qu'il combatte à la fois l'intolérance des théologiens vieux-
style et le «soupçon li> de type augustinien et érasmien contre Cicéron.
Trente ans après le De Imitatione ciceroniana d'Etienne Dolet, Natta
plaide la cause du cicéronianisme avec plus de prudence - mais non
moins d'âpreté secrète - que le jeune humaniste français. Au lieu de
se présenter en défenseur du cicéronianisme contre le soupçon bigot, il
joue le rôle, plus avantageux, d'apologiste de l'éloquence chrétienne
contre d'éventuels et injustes soupçons d'indécrottable « barbarie ». Beau-
coup d'hommes, affirme-t-il, accusent la religion chrétienne d'être l'enne-
mie de l'éloquence, car elle redoute cette «volupté» que l'Orateur doit
éveiller pour gagner le public à ses vues. On reconnait la critique sévère
que le De Doctrina Christiana fait de la delectatio. Natta s'emploie à
réhabiliter partiellement celle-ci: coupable aux yeux des païens eux-
mêmes, si elle se donne pour sa propre fin; innocente, et d'ailleurs
inévitable, si elle aide l'orateur à obtenir, par l'entremise des sens, le
consentement de l'auditeur à ce qui la dépasse:
La Nature, écrit Natta, a ainsi disposé les choses que mieux on parle
clairement, nettement, avec propriété et splendeur, plus on donne de plai-

160 Mard Anloni Nallae aslensis volumina quaedam nuper excussa, numero
et ordine, qui subjicitur, Venetiis, Aldus, 1562, fO' 76 et suiv.
124 LA RÉFORME TRIDENTINE

sir. Parler grossièrement, sans ordre, au hasard, irrite l'oreille et lui


répugne: bien plus, le peuple n'en retire aucun fruit parce qu'il ne s'y
attache ras et n'y trouve ni de quoi admirer, ni de quoi comprendre [ ... ],
dégoûté par l'obscurité des mots et des pensées 161.

Légitimer le « plaisir », même au prix de concessions à la morale et à


l'orthodoxie, c'est faire admettre la légitimité de l'ordre naturel, et ses
droits à être traité avec ménagement. C'est donc justifier l'existence de
l'art oratoire, et des arts en général.
Pourquoi, se demande notre auteur avec une feinte ingénuité, dit-on
que les chrétiens sont étrangers à toute élégance de la forme, alors que les
païens s'y montrèrent merveilleusement doués? Il Y eut pourtant des
Jérôme, des Grégoire, des Ambroise, des Cyprien, des Basile, des Ber-
nard, dont nul ne nie qu'ils excellèrent en éloquence. Et sous le couvert
des Pères, Natta de reprendre l'éloge cicéronien de l'homme, homo
loquens,
Mais les Apôtres? Comment ont-ils pu réussir, par leur prédication, à
arracher les païens aux blandices et voluptés du siècle, pour les convertir
à la dureté et à la pauvreté de la loi chrétienne? Il leur a bien fallu
parler et ne se contenter point de dire «Crois en Jésus-Christ» pour
Nre écoutés et suivis! La Grâce divine agissait, il est vrai. Mais non pas
sans le secours de l'humaine parole.
Il est clair, bien avant que les théologiens jésuites ne tranchent en
faveur du libre arbitre dans la Querelle De Auxi/iis, que pour notre huma-
niste d'Asti la dignité de l'homo loquens ne saurait subsister et avec elle
la légitimité d'un art de bien parler que si, même dans le cas des Apôtres
inspirés, la libre initiative de la parole humaine ne s'était quelque peu
conjuguée avec l'efficacité de la Grâce. L'humanisme oratoire n'hésite pas
à se faire théologien pour aller au fond du sanctuaire éteindre la foudre
qui le menace: l'idée de Prédestination.
Mais il s'agit bien d'un argument a fortiori. Il suffit de lire les
EpUres de saint Paul pour comprendre que les efforts de la Grâce
n'étaient pas de trop pour rendre opérante une prose âpre, véhémente,
sentencieuse, qu'il ne viendrait à l'esprit de personne aujourd'hui d'imiter.
Les secours humains que la Grâce pouvait attendre de Paul n'étaient pas
brillants. Saint Augustin a beau soutenir que le zèle de l'Apôtre suffit à
expliquer les victoires de son apostolat, saint Jérôme aVOue qu'il n'était
pas fort cultivé. Quant aux Evangiles, la profondeur du sens compense
l'absence d'ornatus : ils sont, comme les Epîtres de Paul, un bel exemple
des miracles de la Grâce.
Dieu n'a donc pas voulu que les fondements de la foi fussent établis
par la seule éloquence humaine. Mais une fois l'édifice fondé, tout ce qui
s'y ajoute depuis, " soit pour l'utilité soit pour l'ornement ", ne doit plus

161 Ibid., 10 77 ... delerritlls obscllritale verborum et sententiatllm.


MARC ANTOINE NATIA 125

compter sur de nouveaux miracles 162 : les arts humains, et entre autres
la rhétorique (le mot c tabou:t n'est pourtant pas prononcé) reprennent
le premier rôle. Et la beauté du discours doit être proportionnée IGa à
la sublimité du sujet que Dieu laisse désormais à traiter à ses créatures.
L'Orna/us, avec toute la science judicieuse du decorum que suppose
Cicéron (qui n'est pas non plus nommé par délicatesse), est donc parfai-
tement justifié dans l'histoire de l'Eglise chrétienne postérieure à l'Age
a,postolique.
Néanmoins, l'on se trouve aujourd'hui partagé entre deux modes de
discours: le modus scllolasticus, et le modus oratorius 184. Le premier
est la conséquence de la disparition des bonnes lettres en même temps
que l'Empire romain. Lorsque l'on découvrit le texte perdu d'Aristote, l'on
se mit à écrire comme ce philosophe. Cela donne depuis des théologiens
qui voient la vérité avec pénétration (rem acute vident), qui la disputent
avec finesse (disputant argute), la prouvent avec âpreté (probant acriter),
l'analysent avec subtilité (distinguant subtiliter), et renversent avec habi-
leté la position de leurs adversaires (adversariorum partem callide ever-
tunt). Mais aucun raffinement littéraire (verborum cultus), aucune politesse
(nitor) ; ce qui peut suffire aux savants (efllditis), mais non au peuple,
que cet extérieur raboteux (scaber) et le refus de toute concession à la
sensibilité ne risquent pas d'émouvoir 18G.
Au goût de Marc Antoine Natta, les Pères de l'Eglise latine sont tout
de même préférables aux Docteurs médiévaux, que certains voudraient
ressusciter. On peut du moins s'appuyer sur eux pour plaider la cause
de l'ornatus, indissociable de celle de l'eloquentia. Et notre auteur, s'en-

1G2 /bid., fo 77 : Fundamenta fidei noluit Deus rem esse humanae eloquen-
tiae, sed divina sola virtute stare ; ubi ea jacta luere, si quid amplius est super
aedificandum, vel ad utilitatem, vel ad decus, ad humanas artes confugiendum
est, nec ad omnia miracula expetenda. /taque qui post apostolos ecclesiarum
regimini praepositi fuere, conati sunt composite et il/uminate dicere.
163 /bid.: Nec deberent hi, qui sibi literati videntur, sequi id quod est
maxime il/iteratum, in composite, ruditer, confuse, mala denique ratione cons-
criptum. Nam si materiam inspicimus, quo altior est et sublimior, illustrius
explicari debet et spatiosius. Si utilitatem legentium consideramus, tangunt
animum vehementius quae commode diserteque scribuntur.
164 /bid., fO 79.
165 /bid., fO 80. Voir également fo 82 l'attaque contre qui confuse, sordide
obscure loquitur, pingens acuminibus quibusdam ex intima penitus (ut ille
putat) Dialectica petitis. On notera que des valeurs stylistiques vantées par
Erasme et par Upse comme «philosophiques» : désordre, obscurité, et surtout
les acumina (pointes, pensées profondes exprimées en peu de mots), sont consi-
dérées par Natta comme caractéristiques du style scolastique. On se souvient
d'autre part que pour Dolet, les positions rhétoriques d'Erasme signifient un
retour à la «barbarie» gothique de la moinerie théologienne. Il est signifi-
catif enfin que le mot utilisé par Natta pour qualifier une prose artistement
travaillée (nitor) devient trente ans plus tard, chez un héritier d'Erasme comme
Juste Lipse, une valeur stylistique majeure. Cicéroniens et anti-cÎcéroniens huma-
nistes sont des frères ennemis qui finissent par s'emprunter leurs armes pour
poursuivre le combat.
126 LA RÉFORME TRIDENTINE

hardissant, s'indigne que l'on puisse qualifier le modus oratorius, trésor


ranimé par la Renaissance des bonnes lettres, de c bavardage:. (garru-
litas). Sans toujours prononcer le nom de Cicéron, bien qu'il lui brOIe les
lèvres, si l'on ose dire, il réaffirme avec solennité la noblesse de l'idéal
d'union de la philosophie et de l'éloquence, et 'la parfaite compatibilité
entre la solidité du fonds et la beauté de la forme, entre les res et les
verba. 11 s'indigne enfin ouvertement contre «ceux qui méprisent l'art
oratoire (ars dicendt) et détournent les jeunes gens de l'étude de l'élo-
quence ». Quant à lui, celle-ci est et restera sa joie et son honneur.

•••
L'écho des débats de Trente, la Renaissance de la théologie en
Espagne et en Flandres, avaient de quoi inquiéter Marc Antoine Natta.
Ses craintes de voir renaître la tyrannie scolastique n'étaient pas sans
fondement. En 1565, un Ermite espagnol de saint Augustin, le Frére Lau-
rent de Villavicente, de Xérès, pUblie à la suite d'un traité De recte
formando studio the%gico un appendice rhétorique intitulé De formandis
sacris concionibus 166. Pour ce moine, bien décidé à prendre sa revanche
sur les injures déversées sur ses confrères de toutes robes par les huma-
nistes, et au surplus encouragé par la canon De praedicatione Verbi Dei
du Concile de Trente, «tous les maux de l'Eglise naissent de ce que
l'étude de la théologie ne recueille dans l'Eglise qu'un zèle froid:.. 11
s'agit donc de la réhabiliter, avant de lui adjoindre comme servante une
éloquence chrétienne. Celle-ci est un mal nécessaire. La France et l'Alle-
magne, assiégées par l'hérésie, ne peuvent se passer d'orateurs pour
ramener les brebis égarées et confondre les mauvais bergers. Mais avec
une vigilance soupçonneuse, Frère Laurent prend bien soin de marquer
les distances entre la théologie, science d'une élite, formulée dans un
style concis et serré, accordé à la sévérité d'une retraite contemplative
que seule la paisible et orthodoxe Espagne rend possible, et sa servante
oratoire. Toute nécessaire qu'elle est, celle-ci se voit réserver les basses
œuvres, et pour seul public une c plèbe ignorante et grossière :., plongée
dans l'erreur; son style ne saurait être qu'une abondance grossissante, à
la portée de la foule.
Au moment même où il réclame des « déclamations disertes:. propres
à ramener au bercail orthodoxe les rudes et indociles du Nord de l'Eu-
rope, notre ermite ne peut s'empêcher de faire sentir dans quel mépris
il tient cette tâche servile, qui oblige à se départir de la c brièveté ner-

166 F. Laurentius a Villavicentio, De {ormandis sacris concionibus seu de


interpretatione Scripturarum popu/ari Iibri m, s.1.n.d. (B.N., D. 6482). Le volume
contient aussi une édition de Bède le Vénérable, De Sacrae Scripturae tropis
et schematibus et le 1. IV du De Doctrina Christiana. La B.N. possède en
outre une édition du De recle {ormando studio the%gico suivi du De {or-
mandis sacris concionibus publiée à Cologne, chez Arnold Burckmann en 1575.
La première édition, signalée par le P. Sagüès-Azcona (v.n. 204), fut publiée
à Anvers en 1565. Nous citons d'après l'exemplaire 0.6482 de la B.N.
HUARTE 127
veuse ~ et de la c simplicité ~ du style en vigueur parmi les c savants ~.
L'humiliation qu'il inflige à l'éloquence sacrée nous laisse à penser dans
quels Enfers il rejette l'éloquence profane, fille de la rhétorique païenne.
Le nom même de rhétorique lui répugne, et il ne veut parler que d'un art
proclamatoire chrétien (ars proclamatoréa). Sur les vingt-quatre chapitres
de son premier livre, il en consacre sept à développer la notion d'inspira-
tion divine (spiritus) qui à ses yeux compte plus que toute culture et que
tout art. Pas une seule fois il ne prononce un nom d'orateur, ni même
de philosophe païen. Ce qui ne l'empêche pas, sous le couvert du L. IV du
De Docfréna Christéana, de dérober aux rhéteurs la division du discours
en six parties, la distinction entre les trois genres et les trois finalités de
l'éloquence, qu'il se contente de désigner avec d'autres mots que ceux de
Cicéron et de Quintilien, et avec des modifications mineures propres à
cacher sa dette. Frère taurent pousse plus loin encore que saint Augustin
le souci de démarquer l'éloquence chrétienne de la rhétorique des anciens
païens. Augustinien zélé, il fixe pour fin essentielle à la prédication d'en-
seigner au peuple la doctrine de la Prédestination 161. Le souci de forme
l'embarrasse peu: l'elocutéo ne tient aucune place dans cette rhétorique,
tout entière consacrée à l'invention et à une disposition sommaire des
c choses:l>.


••
En 1575, l'année même où parait à Cologne une nouvelle édition de
l'Ars proclamatoria du Frère Laurent, un médecin espagnol, Juan Huarte,
publie à Baeza un ouvrage intitulé l'Examen des Esprits 168. C'est une
œuvre de vulgarisation médicale, un peu confuse, et sans grand talent.
Mais la diffusion qu'elle connut en Europe, et plus particulièrement en
France où elle fut deux fois traduite, au xv,' par G. Chappuys, au XVII'
par Vion Dalibray, atteste que Huarte a créé des lieux communs durables
où s'est condensée, pour un siècle, toute une réflexion humaniste sur les
rapports entre style et tempérament.
L'Examen des Esprits livre en effet, sous une forme accessible aux
lion-spécialistes, les principaux aspects d'une anthropologie humaniste de
la c variété des esprits », justifiant et expliquant la c variété des styles »,
ct soutenant par là les thèses anti-cicéronianistes. Cette anthropologie,
fondée sur la physiologie aristotélicienne et galénique des humeurs,

167 Ed. dt. p. 233: maleries praedestinationis, et, p. 236, chapitre intitulé
Quo Augustinus inslruit concionalorem quo pacto sit proclamai urus ad popu-
lum maleriam praedestinationis : Esi desumplum ex 2 libro de bono perseve-
rantia, ch. 22, dignissimum observatione.
168 Sur l'Examen des Esprits, voir Gabriel A. Pérouse, L'Examen des
Esprits du Docleur Huarle de San fuan. sa diffusion, el son influence en France
au XVI' siècle et au XVII' siècle, Paris, Belles Lettres, 1970, et C.R. de M. Franz-
bach dans la R.L.C., janvier-mars 1972. Voir J. Molino, L'éducation à travers
l'Examen des esprits du Docteur Huarte, dans Le XVII' siècle et l'éducation,
suppl. de la revue Marseille, 1er trimestre 1972, p. 105-115, en part. p. 108-109.
128 LA RÉFORME TRIDENTINE

accorde à l'humeur noire et au tempérament mélancolique un statut spé-


cial. C'est le terrain pathogène par excellence, sur lequel germent les
maladies mentales, des plus bénignes aux plus tragiques,' et les troubles
du langage, donc de la sociabilité, qu'elles entraînent. La culture monas-
tique, si étrangère qu'elle se voulQt à la société, au c monde :t, ne s'inscri-
vait pas moins dans une société, si restreinte fOt-elle : elle n'avait donc
pas manqué de méditer sur les troubles physio-psyc~ologiques qui s'in-
terposent entre l'âme et Dieu, mais qui corrompent aussi le bon ordre de
la règle communautaire. Revenant aux sources médicales antiques, la
réflexion humaniste substitua à la nosologie spécialisée, pour ainsi dire
professionnelle, de l'QcediQ monastique, une analyse mieux adaptée au
nouveau type de clerc, mêlé au monde, agissant par la parole et l'action
en son sein. C'est Marsile Ficin qui opéra, dans son De Triplici vila 189,
ce transfert: méditant sur le meilleur régime accordé au genre de vie
du c studieux », le médecin et philosophe florentin avait attribué les périls
qui guettent celui-ci à l'excés de mélancolie, naturelle ou acquise à force
de sédentarité et de contention mentale. Cet excès, aggravé par l'âge,
pouvait engendrer, s'il n'était pas corrigé par une diète et un mode de
vie appropriée, des troubles graves du psychisme. Mais en même temps,
ce risque était le prix à payer pour l'élection de l'esprit supérieur: l'ins-
piration du poète, la réminiscence du philosophe et de l'érudit ne vont pas
sans furor, dont la base physiologique est la mélancolie « aduste » ; ce
qui peut faire sombrer l'esprit dans la démence peut également, dans
certaines conditions, l'embraser au point de lui ouvrir les plus hautes
illuminations. Comme l'ont montré Klibansky, Saxi et Panofsky, puis après
eux Wittkower 170, cette anthropologie ficinienne du génie, liant des thè-
mes aristotéliciens et platoniciens, a eu le plus profond retentissement au

169 Marsile Ficin, De Triplici vita libri tres, Bologne, 1501 (trad. fr. par
Guy Lefèvre de la Boderie, Paris, 1581). Sur la fortune du «tempérament
mélancolique» à la Renaissance, voir Kliba'lsky, SaxI, et Panofsky, Saturn
and Melancholy, sil/dies in the history ot natural philosophy, religion and art,
Londres, Nelson, 1964, et j. Starobinski, Acta psychosomatica, n" 3 (B.N. 8"
T13 288 (3». Parmi les sources classiques du thème, il faut compter outre
Anstote et Galien, Cicéron, Tuscu{anes, III, De aegritudine lenienda et Sénè-
que, De Tranql/illitate animi, texte établi et traduit par R. Wattz, Paris, Belles
Lettres, 1927, qui analyse la nausea, le taedium et displicenlia sui el nusquam
residentia animi volutalio (p. 77) et enfin le maeror (mélancolie) de Serenus.
Etat voisin de l'acedia des moines médiévaux. Dans les deux cas il s'agit d'une
désaffection vis-à-vis des tâches et des rôles sociaux. Il est significatif que cet
état neurasthénique, condamné par Sénèque et la spiritualité monastique, soit
réhabilité et retourné en «génie» par tout un courant de pensée de la Renais-
sanCt. Le sens moderne - et romantique - de l'individu est en germe dans
cette réhabilitation. La Compagnie de Jésus, à la fois dans sa pédagogie (exal-
tation de la jocositas) et sa spiritualité (exaltation de la volonté active) a fait
une guerre incessante à la mélancolie. Voir entre autres le mandement du
Général Claudio Acquaviva, lndustriae ad curan dos animi morbos, Florence,
1600 (éd. fr. Paris, 1632).
170 Voir Wittkower (Margot and Rudolf), Born under Saturn : the character
and conducts ot artists, a documented history trom Antiquity to the French
revo{ution, London, Weidenfeld and Nicolson, 1963, 8", XXIV-344 p. [Sorbo
L 21.978, 8°].
HUARTE 129

XVI" siècle, où elle a fondé la conscience héroique de soi chez l'humaniste,


l'artiste, le poète. Ajoutons que les plus grandes créations poétiques du
siècle, le Roland Furieux de l'Arioste, le Don Quichotte de Cervantès,
l'Hamlet de Shakespeare, sont construites autour du thème de l'héroTsme
mélancolique, à la fois signe d'élection et de malédiction. Sur un registre
apparemment plus prosafque, l'œuvre de Montaigne peut être elle aussi,
dans cette lumière, considérée comme le progrès d'une lente conquête sur
la mélancolie, en même temps qu'une ascése destinée à compenser les
effets dangereux de celle-ci, accentués par l'âge et l'approche de la mort.
Dans les Erolci Furori de Bruno, l'héroTsme mélancolique se dépouille de
toute prudence sage ou médicale et se déploie dans une éblouissante
illumination amoureuse et funébre, entre l'appel de l'infinie beauté et les
limites de la prison mortelle, anxieuses de leur propre ruine. C'est du
côté de cette apologétique du génie mélancolique qu'il faut chercher, au
XVIe siècle, les manifestations les plus audacieuses d'une littérature et
d'un art rompant les chaînes de l'utilitarisme moral et religieux.
Il ne faut pas demander au Dr Huarte cette apologétique du génie,
ou du moins, si l'on en trouve les éléments dans l'Examen des Esprits,
ils sont recomposés dans une synthèse d'inspiration augustinienne qui en
modifie profondément le sens. La polémique de l'Examen des Esprits
contre l'Eloquence, contre Cicéron, vise à redistribuer le prestige des
diverses disciplines à l'intérieur d'une civilisation catholique tridentine. A
bien des égards, cet ouvrage, qui restaure la prééminence du théologien
sur l'orateur, rejoint les thèses augustiniennes de Frère Laurent. Le titre
espagnol, Examen de los ingegnos, traduit par Chappuys en 1580 et par
Vion Dalibray en 1645 par Examen des Esprits, est à l'origine de la
fortune européenne d'une notion, celle d'ingenium, que les Italiens tradui-
sirent par ingenio, les Anglais par wit. Huarte insiste sur l'étymologie:
« l'un des trois verbes latins, gigno, ingigno, ingenero, qui veulent dire
engendrer» 171. Cette puissance générative de l'entendement humain est
analogique à la fois de la génération animale, et du pouvoir créateur
divin. Elle est la source ultime de la pensée et de la parole. Elle ne peut
donc s'accommoder de la définition que, selon Huarte, Cicéron donne de
l'ingenium: docilité et mémoire 172. Or la mémoire, faculté passive et
serve, est la dernière des trois puissances de l'âme raisonnable, après
l'entendement et l'imagination. Identifiée à l'ingenium, la mémoire n'est
capable que d'une imitation et d'un enregistrement stériles: c'est ainsi
que Huarte traduit en termes d'anthropologie aristotélicienne la polémique

171 L'Examen des esprits pour les sciences où se monstrent les différences
d'esprits qui se trouvent parmy les hommes et à quel genre de sciences chacun
est propre en particulier, Paris, Jean le Bouc, 1645. Nous citerons d'après
cette traduction de Vion Dalibray. Ici, p. 2 et 3.
172 Ibid., p. 9-11. Par opposition à cette mémoire passive et serve, Huarte
défini! une mémoire active, liée à la grande imagination et au grand enten-
dement, mémoire que dans sa traduction, Vion Dalibray qualifie de reminis-
cence, terme platonicien qui concorde fort bien avec l'hostilité platonico-augus-
tinienne d'Huar!e contre l'art des rhéteurs, et donc contre leur mnémotech-
nique.
130 LA RÉFORME TRIDENTINE

érasmienne contre l'imitatio ciceroniana. Des deux autres puissances,


l'entendement et l'imagination, l'une, combinée avec un tempérament
chaud et sec, peut donner des génies dans les sciences, et l'autre, combinée
avec un tempérament chaud et humide, peut donner des génies dans les
arts. L'une, tournée vers la contemplation et la connaissance, donne des
héros de l'esprit; l'autre, tournée vers l'action et la réussite terrestres,
donne des héros de la politique, de l'éloquence, de la poésie, et des arts
plastiques.
Mais comme l'imagination se combine aisément avec la mémoire, alors
que l'entendement atrophie celle-ci, et lui supplée, l'Examen des Esprits
est avant tout le lieu d'une héroïsation de la mélancolie, principe physio-
logique éminemment favorable à la puissance de l'entendement, à l'in-
vention philosophique et théologique. Les mélancoliques - pour peu que
leur « feu» brûle leur « colère» - sont donc des prédestinés de la Nature,
qui n'ont pas besoin d'art ni même d'exercice oratoires, pour gagner les
sommets de la connaissance. Socrate et Caton appartenaient à cette
élite, mais aussi saint Paul: «Loy de Nature» et «Loy de Grâce»
concourent à privilégier de grands esprits. Mais de ce privilège est exclu
l'idole de l'Italie et des humanistes, Cicéron:

Cicéron confesse qu'il avoit l'esprit pesant, pour ce qu'il n'étoit pas
melancolique, en quoy il dit vray, car s'il eust esté tel, il n'eust esté si
eloquent; pour ce que les melancoliques adustes ont faute de mémoire,
à laquelle appartient de discourir avec grand apparat. Elle a une autre
qualité, qui sert beaucoup à l'entendement, qui est d'estre resplendissante
comme l'agathe, au moyen de laquelle splendeur, elle illumine le cerveau
afin que les figures se fassent 173.

Le soleil noir de la mélancolie, qui n'illumine pas le rhéteur italien,


brille sur l'Espagne et sur ses théologiens. L'« obscure clarté» de Saturne
soutient l'orgueil de l'Espagne, pays chaud et sec, à mi-chemin du septen-
trion et des tropiques, élu pour la mélancolie. Et cet ingenium mélanco-
lique de l'Espagne trouve dans la « sévérité solitaire» de ses théologiens,
dépositaires par excellence de la vérité catholique 174, sa plus haute
manifestation. Cette sévérité, qui exprime la vérité dans un style dédai-
gneux de « bien dire », est l'héritière du génie des cordouans Sénèque et
Lucain, dont l'austérité stoïcienne préférait un langage âpre et heurté.
Après la théologie, les sciences (médecine, jurisprudence, philosophie) non
moins indifférentes aux blandices rhétoriques, répondent à la vocation
de la mélancolie espagnole. Ce sentiment national pousse Huarte à affir-

173 Ibid., p. 248.


174 Cette apologie de la théologie spéculative est-elle une compensation
offerte par Huarte à l'immense domaine qu'il attribue - et donc qu'il s'at-
tribue, en tant que médecin - à la Philosophie naturelle? JI consacre un
chapitre (X) à justifier sa caractérologie de tout soupçon de matérialisme ou
d'athéisme, et à démontrer qu'elle ne permet en rien de conclure au caractère
mortel et corruptible de l'âme raisonnable. Voir une reprise de ce passage dans
Dissertations critiques de Balzac, in Œuvres, Paris, 1665, t. JI, p. 575.
HUARTE 131
mer que l'Espagnol « ingenteux» saura dire « sans comparaison de plus
hautes et subtiles choses en son patois et avec ses termes barbares que
ne fera un estranger ... avec tout son beau latin, parce que si l'on en vient
à tirer ces gens-là de l'élégance et de la politesse avec laquelle ils escri-
vent, ils ne diront rien qui vaille, ny qui tesmoigne la moindre inven-
tion » 17Is.
Dans un langage médical, l'augustinisme sénéquiste du médecin espa-
gnol l'amène à poser en principe que grand entendement et subtilité
intellectuelle sont incompatibles avec « l'elégance et la politesse du lan-
gage ». Saint Paul, d'ailleurs, n'était pas éloquent, et il n'était pas
décent qu'il le fût, car il aurait en ce cas prêché la vérité évangélique
avec ces «mesmes preceptes et subtilitez de la Rhetorique» dont les
sophistes païens faisaient usage pour tromper le peuple 176. L'ars dicendi,
païen et humaniste, compromis de surcroît par la mémoire dont il se
soutient, doit être abandollné à la prédication, servante de la théologie.
Et de même que l'anti-cicéronianisme d'Erasme, réfracté par l'anthro-
pologie de Huarte, devient chez notre auteur le prétexte d'une véritable
Contre-Renaissance espagnole 177, de même la théorie du génie mélan-
colique, durcie par Huarte, devient chez lui le critère d'un élitisme impi-
toyable:
La Nature (ne craint pas d'écrire Huarte) forme des esprits si parfaits
qu'ils n'ont aucun besoin de maîtres qui leur enseignent comment ils doi-
vent philosopher. Car de quelque remarque que le maître aura seulement
touchée, ils tirent mille considerations. A ceux-là, il est permis d'escrire,
non à d'autres [ ... l, car l'ordre qu'on doit tenir afin que les sciences reçoi-
vent tous les jours accroissement et grande perfection, c'est de joindre la
nouvelle invention de nous autres qui vivons maintenant avec ce que les

175 Ibid., p. 333. «Ceux qui ont les deux facultez jointes ensemble, l'ima-
gination et la mémoire, entreprennent hardiment d'interpréter l'Ecriture Sainte,
croyant qu'à cause qu'ils savent beaucoup d'hebreu, de grec et de latin, il
leur est facile de tirer le vray ... (l'expression « tirer le vray» est empruntée
par Vion Dalibray à Montaigne), mais après tout, ils se perdent. Premièrement
parce que les mots de la Sainte Ecriture et ses façons de parler ont beaucoup
d'autres significations que celles que Cicéron a peu savoir en sa langue. Secon-
dement, parce que telles gens ont manque d'entendement, qui est la puissance
qui vérifie si un sens est Catholique ou non », p. 334. 11 faut donc laisser
l'interprétation des vérités de foi aux théologiens scolastiques, de préférence
espagnols, et rester, lorsqu'on n'est pas doué pour cela, dans une « docte
ignorance ~.
176 Ibid., ch. XII, p. 324 et suiv, Voir également, sur la fonction servile
de l'éloquence sacrée au regard de la théologie, le ch. XIII : «Où il est prouvé
que la Théorie de la Théologie appartient à l'entendement, et la predication,
Qui en est la pratique, à l'imagination. »
177 La notion a été introduire par Hiram Haydn, The Counler-Renaissance,
New York, Harcourt, Brace and World, s.d. (lre éd. Scribner's, 1950) sur le
modèle de « Contre-Réforme », expression aujourd'hui tombée en désuétude,
en dépit de sa commodité. Commode elle aussi, pour marquer le « tournant»
du XVI' humaniste, la notion de « Contre-Renaissance» est elle-même très
contestable, sauf peut-être pour le cas de l'Espagne.
132 LA REFORME TRIDENTINE

ar.cicns ont laissé dans leurs livres [ ... ] La République ne devrait pas
consentir que les autres qui manquent d'invention escrivissent des livres
et les fissent imprimer car tout ce qu'ils font ne sont que des redites de
ce qui est dans les graves autheurs 178.

On conçoit qu'un tel texte, en dépit de son allure inquisitoriale ait pu


séduire les «libertins érudits» français du XVII' siècle, fort jaloux de
leur accès aux «arcanes» du savoir, et peu soucieux de les partager
avec le peuple, abandonné aux prédicateurs et autres bavards.
Cette espèce de transcendance du type intellectuel se manifeste non
seulement au plan de la connaissance, mais à celui de la conduite. L'en-
tendement mélancolique est spontanément vertueux:

Il Y a une autre sorte de sagesse, accompagnée de droiture et de


s:mplicité, par laquelle les hommes connaissent ce qui est bon et réprou-
vent ce qui est mauvais. Galien dit que ce genre de sagesse appartient
à l'entendement, pour ce que cette faculté n'est pas capable de malice ni
de ruse, et qu'elle ne sçait pas seulement comme on fait le mal: ce n'est
que droiture, simplicité, justice et franchise 179.

A cet égard, l'imagination, fille de «l'humidité chaude », mère de la


prudence mercurielle du courtisan à l'italienne, nourrice de la méchan-
ceté 180, est d'une valeur moindre, quoique supérieure à la mémoire. Son
invention est elle aussi d'un ordre inférieur à celui de l'entendement, car
il s'arrête dans la sphère sensible, et ne s'élève pas à l'intelligible. Elle
a aussi partie liée avec la rhétorique, dont l'entendement n'a cure. Dispen-
satrice de la prudence, elle correspond à la vocation des rois 181, des
chefs d'armée 182, qui ont moins besoin de « commune vaillance» que de
« politique»; les meilleurs se recruteront donc parmi les imaginatifs
bilieux, non parmi les sanguins. Dispensatrice des images sensibles, elle
correspond alors à la vocation des poètes, pas plus doués pour la mémoire
que les hommes de grand entendement contemplatif. La poésie à laquelle
pense Huarte n'est pas néo-latine et académique, mais nationale et
moderne; elle doit tout à la Nature, rien aux préceptes:

178 Ibid., p. 207-208. On peut se demander s'il s'agit de proposer un ren-


forcement de l'Index, ou l'établissement d'un Contre-Index, pourChassant les
ouvrages conformistes et bénisseurs? Il serait tentant de voir en Huarte un
de ces érasmiens condamnés au déguisement que M. Bataillon a mis en lumiére
dans l'Espagne du xv,' siècle.
179 Ibid., p. 251.

180 Ibid., p. 370. «Les méchants sont ordinairement de grand esprit:..


Source à la fois d'une certaine manière de voir Richelieu, sous Louis xm, et
de ce qu'Octave Nadal a appelé «l'exercice du crime:. chez les héros «noirs:.
de Corneille.
181 Ibid., ch. XVII, p. 564 et suiv.

182 L'Examen des Esprits, trad. cit., p. 488 et suiv.


HUARTE 133
L'art de poesie a ceci de particulier que si Dieu ou la Nature n'ont
pas fait l'homme poète, on ne gagne rien à luy enseigner par regles et
preceptes 183.

Socrate, qui avec toute sa poétique, ne put jamais écrire un vers,


n'en est pas moins l'Oracle d'Apollon 184. La vigueur d'imagination donne
au poète-né la faculté d'apprendre rapidement un rôle de comédie, et,
l'éloignant des sciences, lui fait préférer la lecture des romans de cheva-
lerie et de la Diane de Montemayor.
Sans doute y a-t-il des degrés dans la puissance d'imagination:
lorsqu'elle est à son zénith, elle supplée à l'entendement et à la mémoire.
Lorsqu'elle est plus faible, elle donne des « petits marquis"
qui parlent agréablement, qui disent de bons mots, qui savent donner
le trait 185,

et qui font parade d'élégance vestimentaire 186. Autant de signes de


médiocrité: les grands esprits nés sous le signe de Saturne sont « taci-
turnes, pesans à parler, et tardifs à repondre », ils n'ont pas les manières
du monde ni le «moindre ornement de langage ». Ce sont des Alcestes,
qui :~e S~ snllcient de la mode.
Si les grands entendements sont «grands rieurs », faute d'imagina-
tion, les grandes imaginations, douées pour le comique et l'humour, ne
rient pas. Et Huarte trace le portrait qui servira plus tard à construire le
mythe biographique de Molière:
Nous voyons rarement rire les hommes de grande imagination. Et
ce qui est à remarquer est que ceux qui raillent fort agréablement, et
qui sont tres facetieux, ne rient jamais de ce qu'ils disent ny de ce
qu'ils entendent dire aux autres: pour ce qu'ils ont l'imagination si
délicate et si subtile que mesme leurs propres rencontres et gentillesses
n'y repondent pas encore et n'ont pas encore toute la convenance et
grace qu'ils voudroient. A quoy l'on peut adjouster que la grace outre
la beauté de la chose qui doit se dire et faire à propos, doit estre nouvelle
ct non jama;s ouye ny veue 187.

Dans l'ordre de l'imagination, comme dans celui de l'entendement, le


grand critère de la supériorité est donc l'invention:

1811 Ibid., p. 290. On peut penser que Vion Dalibray a trouvé dans ces
passages une raison de traduire Huarte. Sa poétique est fort indépendante, et
son goût de la diversité stylistique et du caprice est fort manifeste dans son
recueil de 1653, qu'il divise en vers «bachiques, satyriques, héroïques, amou-
reux, Moraux, Chrétiens ». Il n'est pas sans intérêt de rappeler ici qu'il a
traduit deux pièces de Malvezzi, le Romulus et le Tarquin le Superbe, chefs-
d'œuvre de 1'« atticisme sénéquien OP à l'espagnole.
184 Ibid., p. 305.
185 Ibid., p. 312.
186 Ibid., p. 314.
187 Ibid., p. 243.
134 LA RÉFORME TRIDENTINE

Ces deux differences d'esprit sont fort ordinaires entre les hommes de
lettres. Il s'en trouve qui sont relevez par dessus l'opinion commune, qui
jugent et traitent les choses d'une façon particulière, qui sont libres de
ùonner leur advis et ne suivent personne. Il y en a d'autres qui sont
rt:sserez, humbles, paisibles, deffiant d'eux mesmes et se rendant à l'advis
d'lIl1 grave autheur qu'ils suivent 188.

Les imitateurs sont pusillanimes. Les inventeurs sont de grandes âmes,


dans l'ordre de l'intelligence ou de l'imagination, tendues et tourmentées
par leur chasse à la vérité et à l'idéal. Dans un ordre de société régi par
la Réforme catholique, Huarte fait de l'anti-cicéronianisme «mélancoli-
que », pénétré d'augustinisme, un lieu commun propre à rallier dans une
même conscience de soi héroïque les diverses élites: «gentilshommes
ignorants », mais convaincus de leur supériorité naturelle sur l'humanisme
pédant; hommes d'Eglise défiants envers les « lettres païennes» ; érudits
dédaigneux d'un humanisme scolaire; écrivains en langue vulgaire, impa-
tients de la tutelle des Anciens et des latineurs. Ce n'est point par hasard
si un ami de Pascal, le poète «libertin» Vion Dalibray, prit soin de
traduire l'Examen des Esprits en 1645: ce livre favorisait une étrange
alliance, contre l'humanisme cicéronien, entre l'augustinisme ennemi des
lettres profanes, et la modernité profane « déniaisée », aulique ou savante.
Etrange alliance, où les Belles-Lettres et les arts se trouvent en un sin-
gulier porte-à-faux.


••
L'Ars proclamatoria du Frère Laurent, l'Examen des Esprits du
Dr Huarte sont deux symptômes d'une «Contre-Renaissance» qui est
aussi et avant tout une Renaissance des Pères de l'Eglise.
Ce sont les humanistes, c'est Erasme en particulier, a écrit Jean
Dagens lIl1l, qui ont réveillé les Pères de leur sommeil plusieurs fois sécu-
laire [ ... ] De l'officine de Froben à Bâle, sortent par les soins d'Erasme,
et à une cadence déconcertante, un nouveau Cyprien en 1520, Tertullien
en 1521, Arnobe le jeune en 1522, saint Hilaire en 1523, saint Jérôme
en 1524 et 1525, quelques traités de saint Jean Chrysostome en 1525, 1526
et 1529, saint Irénée en 1526, saint Ambroise en 1527, saint Augustin de
1527 à 1528, Origène en 1536.

Aux yeux de l'humaniste hollandais, cette Renaissance des Pères


n'était pas une réaction contre la Renaissance des philosophes, poètes et
orateurs païens: elle en ètait l'achèvement. La Philosophia Christi, en
germe dans la Gentilitè comme dans la Bible, trouvait chez les Pères, de
culture à la fois gréco-latine et biblique, les maîtres les plus sOrs d'une

188 Ibid., p. 209-210.


J. Dagens, Bérulle et les onglnes de la restauration catholique (1575-
189
1611), Paris, Desc1ée, 1952, p. 35.
I.ES RHÉTORIQUES BORROMÉENNES 135

eloquentia conciliant la piété chrétienne et les Lettres humaines. L'Eccle-


siastes, cette rhétorique sacrée selon Erasme, faisait des Pères les
modèles d'un nouveau type de théologien, sorti de sa tour d'ivoire scolas-
tique pour évangéliser l'humanité.
Avant même que le Concile n'a§sociât la réforme de l'Eglise à celle de
l'éloquence sacrée, le cardinal Cisneros avait créé à l'Université d'Alcala
des chaires de rhétorique propres à former des prédicateurs 190. Cette
alliance de la théologie et de la rhétorique, conjuguée avec l'influence
d'Erasme, supposait une refonte, donc une crise, de l'ensemble de la
culture catholique. Objet de soupçon des théologiens traditionnels, elle
naissait d'lm sou~i de renovatio spiritus qui se conciliait mal avec la
conquête des foules. Dans la Compagnie de Jésus elle-même, les scru-
pules furent vifs, et l'on peut déceler, dans les premières générations
de la Société, un débat entre théologiens, « spirituels », et « humanistes :.,
sur la place à accorder à la rhétorique dans la nouvelle culture catho-
lique.
L'ouvrage de Frère Vincent reflète ce débat, plus vif qu'ailleurs en
Espagne. L'Examen des Esprits nous permet de comprendre pourquoi:
au «soupçon» chrétien contre la rhétorique, s'ajoutait le «soupçon"
national contre la Renaissance paganisante d'Italie. Il fallait trouver un
moyen terme. L'éloquence chrétienne de Louis de Grenade, disciple du
({ spirituel» Jean d'Avila, savant théologien, et humaniste accompli, vint
se conjuguer avec l'œuvre disciplinaire du cardinal Borromée pour offrir
au monde catholique un modèle de société « réformée» nù une prédication
à la fois orthodoxe, inspirée et efficace exerce un salutaire empire.
Ce compromis entre Italie et Espagne, entre rhétorique et théologie,
cntre la nécessité de bâtir une société chrétienne et le souci de l'intériorité
individuelle, se fonde sur l'exemple du saint Augustin du De Doctrina
Christiana, et en sourdine, sur celui de l'Ecclesiastes d'Erasme. Les
rhétoriques ecclésiastiques rédigées dans cet esprit au XVI' siècle, et
patronnées par Charles Borromée, ont été justement qualifiées par Peter
Bayley de «borroméennes" 191.

CHRISTUS ORATOR: LES RHÉTORIQUES «BORROMÉENNES»

Charles Dejob, dans son livre De l'infLuence du Concile de Trente sur


la littérature et les' beaux-arts ... (1884), semble bien le premier à avoir
proposé une bibliographie et une étude approfondies des rhétoriques

190 ibid., p. 40.


191 Voir Peter Bayley, «Les sermons de J.P. Camus et l'esthétique borro-
méenne », dans Critique et création littéraires en France au XVII' siècle, Paris,
C.N.R.S., 1977, p. 93-101, et French pu/pit oratory, thèse dactylo gr. cit.
136 LA RÉFORME TRIDENTINE

ecclésiastiques qui, à partir de la seconde et dernière session du Concile


de Trente, se multiplient dans l'Europe catholique 192.
En 1562 encore, un an avant la clôture du Concile, Frère Luca Baglione
publiait à Venise un Arle dei predicare 192 bis, où, s'en prenant vivement à
saint Augustin et au De Doctrina Cil ris tian a il réfute les opinions de
l'évêque d'Hippone contraires à celle de Cicéron et du De Oratore: il
s'indigne entre autres que l'on puisse affirmer que l'apprentissage de la
rhétorique dès l'enfance n'est pas indispensable à l'orateur chrétien. Oer-
niers échos vénitiens de la première Renaissance. A Rome, dans le même
temps, le cardinal Charles Borromée s'apprête à faire du De Doctrina
Christiana la clef de voûte de toute l'éloquence catholique.
Neveu du Pape Pie IV (1559-1565) le jeune cardinal 193 avait joué
un rôle déterminant dans la réouverture du Concile et veillait à la
marche rapide de ses travaux. Avant 1563 - il n'était pas encore
ordonné prêtre - il réunissait autour de lui à Rome une Académie des
Nuits Vaticanes 194 où sous le nom allégorique de Caos, il présidait à des
joutes oratoires latines entre ses amis, Silvio Antoniano (JI Risoluto),
Augustin Valier (l'Obbediente), Sperone Speroni (Nestor) et le futur
Grégoire XIII, Ugo Buoncompagni. Après 1563, son ordination, et la
clôture du Concile, les thèmes de l'Académie changent: les discours n'ont
plus pour sujet Cicéron, Tite-Live, Lucrèce, mais les Béatitudes et les
vertus théologales. Charles Borromée se tourne vers Epictète et vers les
Pères de l'Eglise.
Sur lui s'exerce dès lors l'influence de Philippe Neri m, qui depuis
1543 prêchait les pauvres de Rome, avec un succès qui attira bientôt à lui

192 C. Dejob, De l'influence du Concile de Trente sur la littérature et les


beaux-arts ... , Paris, Thorin, 1884, p. 109 et suiv. Ch. Dejob met bien en
évidence les sources et le sens de cette littérature rhétorique et il montre que
celIe-ci, en faisant de l'éloquence sacrée le modèle et l'exemple de toute «élo-
quence humaine» soumettait celle-ci à une épreuve redoutable (p. 146 et suiv.).
l02bi. Fra Luca Baglione (de l'Ordre des Mineurs Observantins), Arte
dei Predicare contenta in tre libri, Vinegia (Venise), Andrea Trevisano, 1562.
Voir f. 7, Cicéron «principe di tutti li Oratori latini»; f. 13 VO: critiques
adressées au «gran padre Agostino ». Outre celle que nous citons, Fra Luca
se révolte contre l'idée, défendue par Augustin, qu'un prédicateur peut se
contenter de répéter lin sermon écrit par un autre, plus savant. Comment
pourrait-on répéter et imiter un sermon, si l'on ignore l'art oratoire? D'ail-
leurs, honte aux plagiaires.
193 Sur Charles Borromée, voir outre l'art. «Saint Charles Borromée» du
Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastiques, t. XII, col. 486-534,
et la Storia dei Papi, ouvr. cit., t. VII, «Pie IV (1559-1565) », André Deroo,
Saillt Charles Borromée cardinal réformateur, docteur de la pastorale (1538-
1584), Paris, éd. Saint-Paul, 1963, et plus récemment l'art. «Carlo Borromeo:>
de Michel de Certeau, dans le Diz. biogr. degli /1., t. 20, 1978, p. 260-269.
194 Voir Pio Paschini, «II primo soggiorno di S. Carlo Borromeo a Roma
(1560-1565) », dans Lateranum, nova series, Anno XXIV, nO' 1-4, Rome, 19~8,
p. 93-177. Voir aussi L. Berra, L'Accademia delle Notte Vaticane fondata da
S. Carlo Borromeo, Rome, 1915.
19:; Sur Philippe Neri et l'Oratoire, voir L. Ponnelle et L. Bordet, Saint
Philippe Neri et la société romaine dl' son temps, Paris, Bloud et Gay, 1928,
rééd. Paris, La Colombe, 1958.
CHARLES BORROMÉE 137

gentilshommes et dignitaires ecclésiastiques. Interprétant dans le sens le


plus affectif l'éloquence du cœur recommandée par saint Augustin, il
3'appliquait à émouvoir par une parole sans recherche, à la fois simple
et touchante. Des Laudi spirituali ajoutaient les effets de la musique à
ccux de la voix, pour créer dans le public une sorte d'effusion pénitente
et dévote, avec larmes. Rien de plus étranger, du moins à l'origine, à cette
éloquence quasi franciscaine, en langue vulgaire, et destinée à un public
composite et «ignorant », que l'art néo-latin d'une aristocratie huma-
niste dont la Curie pontificale avait bit ses délices vingt ans plus tôt et
dont la tentation persistait dans l'Académie des Nuits Vaticanes. La
congrégation de l'Oratoire, fondée en 1575 par Philippe Neri ne mérite
son titre que si on l'interprète à la lumière du De Doclrina Chris/iana :
dédiée à la prédication cordiale et aux œuvres de charité, elle se tourna
aussi vers l'exégèse biblique, l'histoire ecclésiastique et l'archéologie de
la Rome chrétienne. Mais elle chercha toujours à traduire les résultats
des sciences sacrées en un langage à la portée des cœurs simples, et à
l'écart de toute délectation purement esthétique ou érudite.
En 1566, montrant l'exemple de la résidence, le cardinal Borromée
s'installe dans son archevêché de Milan, préside les synodes diocésains
et les conciles provinciaux, multiplie les visites pastorales. II fait de son
diocèse le modèle d'administration épiscopale « réformée» selon le Concile.
Dans le vaste Corpus d'instructions diocésaines que son neveu et succes-
seur Frédéric publiera en 1587 196, on retrouve un recueil de règles à
l'usage des prédicateurs. Celles-ci ne font que paraphraser le Decrelum de
lectoribus et praedicatoribus Sacrae Scripturae, voté par la Congrégation
générale du Concile le 7 mai 1546 et confirmé le Il novembre 1563 197 •
Le cardinal-archevêque ne se contenta pas de cette activité législative. A

196 Acta Eeclesiae Mediolanensis .... Milan. 1583. in-fol. et Pastorum concio-
natorumque instructiones ...• Cologne. Cholin. 1587. 16°. Sur Federico Borromeo.
voir Dizionario biografico ...• ouvr. cit.. t. 13, p. 31-42. Disciple de Philippe
Neri. comme son oncle. le second cardinal Borromeo créa à Milan. outre la
Bibliothèque Ambrosienne. lin véritable centre de recherches historiql1es. qui
prit le relais de celui de Baronius et put rivaliser avec celui de la Bibliothèque
Vaticane. L'augustinisme des disciples de saint Charles Borromée et de saint
Philippe Neri les tourna non seulement vers une «éloquence du cœur» mais
aussi vers l'érudition et la polémique historique avec les protestants.
197 Concilium Tridentinum: diariorum. aetorum. epistularum. traetalorum
nova colleetio. éd. Societas Goerresiana. t. V. Aetorum pars altera. ed. Ste-
phar.us Ehses. Fribourg-en-Brisgau. Herder, 1911. p. 73. 5 avril 15· t 6. Débat
De ministris verbi Dei abusus atque remedia; p. 122. 1er mai 1546. Projet
de décret De leetoribus et praedicatoribus; p. 125. 7 mai. Décret adopté De
leetoribus atque praediratoribus saerae scripturae. en part. § 15. p. 127. Ces
dispositions sont reprises à leur compte par les Pères conciliaires en 1563.
Voir ibid., t. IX. Aetorum pars sexta, Fribourg-en-Brisgau. Herder, 1924. p. 981.
Deeretam de reformatione leetorum (Il nov. 1563). Dans la bibliographie consi-
dérable consacrée au Concile. on retiendra tout spécialement A. Dupront. « Du
Concile de Trente: réflexions autour d'un IV' centenaire ». Revue Historique.
t. CCVI. oct.-déc. 1951, p. 262-280. qui met en évidence la part prépondérante
prise par les « méditerranéens ». Italiens et Espagnols. dans cette réaffirmation
du principe romain face au défi de l'Europe du Nord.
138 LA RÉFORME TRIDENTINE

l'usage des séminaires, ou du public lettré en général, il passa commande,


ou fit publier des ouvrages de rhétorique ecclésiastique. Directement sous
son influence, ou indirectement sous l'effet de l'heureuse conclusion du
Concile, s'ouvrit en Italie et en Espagne un véritable « atelier» de rhéto-
rique, plus prolifique qu'aucune école de sophistes antiques ou qu'aucune
Académie humaniste.

•••
Ces traités ont tous en commun de s'appuyer ouvertement sur le L. IV
du De Doc/rina Christiana et tacitement sur l'Ecclesias/es d'Erasme. Ils
s'efforcent, avec cependant des nuances de l'un à l'autre, de tenir une voie
lIloyenne entre l'extrémisme du Frère Laurent de Villavicente, et le cicérc-
nianisme christianisé d'un Marc Antoine Natta et d'un Fra Baglione.
Patronnés par l'autorité de Charles Borromée, répandus et étudiés dans
toute l'Europe catholique, ils marquent, en dépit d'eux-mêmes peut-être,
une étape capitale dans l'histoire de la rhétorique humaniste.
Jusque-là, l'éloquence sacrée avait connu soit la forme savante et
scolastique soit la forme populaire et diatribique 108. Cette dernière
connaîtra en France sous la Ligue son suprême épanouissement. Les
rhétoriques borroméennes s'efforcent de combattre à la fois l'une et l'autre
tradition pour leur substituer un art oratoire renouant avec l'éloquence
des Pères de l'Eglise. Une norme unique, mais souple et adaptable aux
circonstances et au public, remplace les deux méthodes médiévales, l'une
inefficace, l'autre dangereuse et se prêtant à tous les excès de la vulga-
rité. Il est curieux d'observer que la plupart des rhétoriques borroméen-
nes furent publiées très rapidement, sinon d'abord, à Paris.
Paris dans le dernier quart du XVI' siècle est en effet un champ de
bataille où se livre le combat décisif entre orthodoxie et hérésie protes-
tante. Les traités de rhétorique qu'Italiens ou Espagnols y publient sont
manifestement destinés à pourvoir les prédicateurs de la Ligue d'une
méthode efficace pour haranguer le peuple selon les prescriptions du
Concile. Bonnes intentions, peu suivies d'effet. Ces traités en latin, écrits
par de doctes théologiens initiés à l'humanisme, étaient de qualité trop
haute pour influencer curés et moines démagogues, qui avaient leurs tra-
ditions et couraient au plus pressé. Si toutefois ils les lurent, ceux-ci ne
retinrent de ces paraphrases du De Doc/rina Christiana qu'un encourage-
ment générique à dédaigner la forme et à se fier à leur zèle pour enflam-
mer les foules.

lOB Voir outre Charles Lahitte, De la démocratie chez les prédicateurs de


la Ligue, Paris, 1886, et Etienne Gilson, «La technique du sermon médiéval )}
dans Les Idées et les Lettres, Paris, Vrin, 1932, la récente mise au point de
Bruno .Iereczek, Louis de Grenade disciple de Jean d'Avila, Lussaud, Fontenay-
le-Comte, 1971, sur la prédication « réformée» en Espagne chez Jean d'Avila
et Louis de Grenade, Il nous manque une histoire de la prédication en rapport
à la fois avec l'histoire de la rhétorique, l'histoire sociale et l'histoire de la
spiritualité. La formule que commente la présente note n'a d'autre valeur que
celle d'une pierre d'attente.
RHÉTORIQUES HORROMÉENNES ET HUMANISME 139

A bien des égards, les rhétoriques « borroméennes» posent un idéal


oratoire qui ne sera pleinement réalisé en France, et même en Italie, que
dans la seconde moitié du XVII' siècle. Un Bossuet et un Bourdaloue en
France, un Paolo Segneri en Italie réussissent alors à concilier Cicéron
et saint Paul, sans faire de tort à l'art de l'un ni à la charité de l'autre .•
Nous avons là un cas typique de théorie précédant et engendrant, après
une longue période de tâtonnements, une pratique oratoire. On peut d'ail-
leurs supposer que lorsque Jean Botero, secrètaire du cardinal Borromée,
vient en personne à Paris en 1585 préfacer et publier la première édition
de. sa rhétorique ecclésiastique, il songe tout autant à corriger et disci-
pliner la chaire parisienne qu'à en stimuler le zèle. L'esprit de son
œuvre, nous le verrons, n'est certes pas celui d'un « laisser aller» oratoire,
où tout serait bon pour peu que le « service de Dieu» s'en trouvât bien.
En dépit de leur anti-cicéronianisme chrétien, et de leur soupçon augusti-
nien envers les II: mots », les rhéteurs II: borroméens» sont trop pénétrés
d'humanisme, et ils ont reçu une formation trop profondément cicéro-
nienne, pour que leur dédain de principe pour l'élocution ne reste pas
dans les bornes de la juste mesure.
Leurs rhétoriques sont en «régression» si on les juge du point de
vue de l'idéal d'élégance littéraire et aristocratique d'un Bembo et d'un
Dolet. Mais il serait excessif de les ranger sans nuance sous l'étiquette
de «Contre-Renaissance ». Sans doute, elles sont une pièce non négli-
geable dans la stratégie d'ensemble mise en œuvre par l'Eglise romaine
p0ur ranger l'humanisme au service de la discipline et du dogme formu-
lés par le Concile de Trente. Elles font peser sur l'ensemble de la vie
intellectuelle et artistique la menace d'un asservissement au do cere dévot,
et d'une hégémonie intolérante du rhetor ecclesiasticus.
Mais on peut voir aussi dans les « rhétoriques borroméennes » le témoi-
gnage éclatant de la victoire de l'humanisme, selon le vieux principe
Graecia capta ferocem victorem cepit, à l'intérieur de l'Eglise catholique.
L'insistance des rhéteurs « borroméens » sur l'inspiration intérieure du dis-
COUfS, sur ses SOl1fces proprement spirituelles, marque-t-elle une rupture
avec le cicéronianisme esthétique de Bembo? C'est vrai. Mais cette insis-
tance même révèle un ralliement du haut clergé italien à l'un des aspects
les plus caractéristiques de la Renaissance dans les pays du Nord de
l'Europe, la renovatio spiritus. La notion d'inspiration est d'ailleurs fort
loin d'être étrangère à la rhétorique antique: elle est au cœur de la
rhétorique d'un Sénèque, d'un Ps. Longin, et saint Augustin s'était borné
fI la chri~tianiser. L'anti-cicéronianisme des rhétoriques borroméennes, de
ce point de vue, n'est qu'un moment de l'histoire de la rhétorique huma-
niste, qui oscille entre intériorité et extériorité, subjectivisme et objecti-
vité, «enthousiasme» et académisme.
Cet anti-cicéronianisme est d'ailleurs tout relatif. Il met l'accent sur
l'inspiration plus que sur l'art, sur l'invention plus que sur l'élocution:
mais, comme le De Doctrina Christiallfl de saint Augustin, il n'en fait pas
moins concourir l'art des rhéteurs, surtout sous la forme philosophique
qu'a voulu lui donner Cicéron, à l'efficacité de la parole chrétienne. Or,
les rhétoriques «borroméennes» rédigées en latin, ont pour principaux
140 LA RÉFORME TRIDENTINE

destinataires des prédicateurs qui s'exprimeront aussi en langue vulgaire,


à l'intention des gens de Cour ou du peuple. Si bien que, sur une vaste
écheIle, à la mesure des ambitions européennes, voire mondiales, de la
Reconquête catholique, la réforme de l'éloquence sacrée - et les rhéto-
riques rédigées pour la rendre opérante - furent l'un des principes
moteurs du transfert de la discipline oratoire" à la prose en langue vul-
gaire ; elles contribuèrent puissamment à la diffusion de la rhétorique
latine dans des secteurs de la société que l'humanisme néo-latin n'aurait
jamais touchés. Le cas est tout particulièrement net en France: il a faIlu
que la Cour fût sous le règne d'Henri IV et sous la Régence de Marie de
Médicis littéralement arrosée d'éloquence sacrée française par des prédi-
cateurs « réformés» pour que l'essor d'une prose oratvire « cicéronienne"
en langue française devînt possible. Le public s'était peu à peu formé
l'oreille, à entendre le P. Coton, ou le P. Binet, ou François de Sales, aux
cadences et aux valeurs stylistiques de l'élocution oratoire transposées
en langue vulgaire. Le succès des Lettres de Balzac, qu'un Goulu trouvera
trop «délectables », au sens augustinien et coupable de ce terme, n'au-
rait pas été possible sans la médiation d'une éloquence sacrée, «réfor-
mée» selon Cicéron autant que selon saint Augustin.
Il est vrai que les rhétoriques jésuites, à la fin du XVI· siècle, rendent
à Cicéron et aux modèles oratoires païens une place plus grande que les
rhétoriques «borroméennes ». Mais sur un point capital, les unes et les
autres, fidèles aux prescriptions du Concile de Trente, s'accordent: eJles
légitiment l'art oratoire chrétien comme mode privilégié d'expression et
de transmission des vérités de la foi; elles célèbrent l'orateur chrétien,
imitateur du Christ et des Apôtres, comme agent par excellence de l'His-
toire du Salut. La conjonction, dans les décrets tridentins, d'une réforme
de sacerdoce et de l'épiscopat d'une part 188, d'une réforme de l'éloquence
sacrée d'autre part, a en effet pour conséquence de doter l'idéal de
l'Orator d'une autorité, d'une substance, et d'un champ d'action sans
commune mesure avec le prestige qu'avait pu lui conférer l'humanisme
cicéronien, dans le cercle étroit de l'académisme curial sous Jules Il et
Léon X. Paradoxalement, le recul du «cicéronianisme », le rejet d'un
culte «païen» et exclusif de la forme, s'accompagnent d'un véritable
triomphe de l'Eloquence, élevée à la dignité d'office sacerdotal et aposto-

199 Voir dans l'édition E1lses C1t. des Acla les débats sur la réforme de
l'épiscopat, et en partiClllier sur la nécessité impérative de la résidence. Cette
réforme est étroitement liée à celle de l'éloquence sacrée: dans les deux décrets
cités ci-dessus, note 190, la prédication est lin office réservé par privilège à
l'Evêque, dans son diocèse (Décret du 1er mai 1556; Episcopi omnes memi-
nerinl se esse in ecclesia Dei positos pastores et doclores ad praedicandum ;
proptereaqlle quod jllre divino debi!llt, hoc praecipue aganl, quo nihil esl
honoriticelltills alque sUblimius, ul sciliret soIIiciti sunl praedicare populo sibi
commisso, et evangelizare verbllm Dei, ut oves proprii pastoris voci assuescanl
et dum ilIam audiunt et de!eclantllr in ea, viam mandalorum ipsius posl ilIos
di/atalo corde perCllrranl. Dans le même sens, décret du Il nov. 1563 (lll ipsi
per se ... Sacras Scripturas divinamque legem annunlient ... ). Au 1. 1 de l'Eccle-
siastes Erasme plaidait ardemment pour un épiscopat «réformé» et en parti-
culier capable de porter dignement au peuple la parole de Dieu.
EPISCOPUS ORATOR 141

lique. Préparée par la pédagogie rhétorique des collèges et des séminai-


res, répandue sur un immense public par une armée de prédicateurs, cette
Eloquence sacrée est par principe la rivale sinon l'ennemie des Belles-
Lettres profanes et modernes. Mais elle doit s'appuyer, pour plaire autant
qu'instruire, sur le modèle des Belles-Lettres profanes de l'Antiquité, elle
associe la théologie et le « bien dire» en langue vulgaire: en dépit
d'elle-même, elle éveille chez ses auditeurs une sensibilité aux ressources
d'art et d'expressivité que recèlent ces mêmes langues dont elle voudrait
interdire l'usage à des fins d'art et de délectation profanes. Elle dépose
en somme des semences, elle accumule des expériences de la prose d'art
où les Belles-Lettres profanes trouveront leur profit.
La réforme du sacerdoce et de l'épiscopat emprunte en effet ses
sources et ses exemples dans l'œuvre éloquente et dans la biographie
des Pères de l'Eglise., Or ceux-ci, nous l'avons vu, de par leur formation
dans les écoles de rhéteurs, et de par la magistrature oratoire que leur
conÏérait l'épiscopat chrétien, réalisaient mieux que les écrivains et décla-
mateurs païens, bridés par le régime impérial ou affectés par cette
« décadence de l'éloquence» déplorée par Sénèque, Quintilien et Tacite,
la plénitude de l'idéal «républicain» de l'Orator selon Cicéron: un
gouvernement des âmes pilr la parole. Les Pères avaient retrouvé, grâce
au christianisme, à la fois l'autorité et le public qui manquaient aux
orateurs païens depuis la fin de la République. Pour s'en tenir aux Pères
latins, les Cyprien, les Ambroise, les Augustin, grâCe au prestige de leurs
fonctions épiscopales, ont restauré les conditions d'une éloquence « séna-
toriale» chrétienne, et recréé une aristocratie oratoire ayant. grâce à son
éloquence, pouvoir sur les passions du peuple et sur celles des Princes.
On peut même dire que jamais aucun orateur païen n'avait eu sur le
peuple du Forum ou sur l'Empereur l'autorité souveraine qu'un Ambroise
sut exercer sur la plèbe de Milan et sur Théodose. Cette majesté oratoire
d'un type nouveau avait été pour Augustin à la fois une révélation et un
exemple. Et il n'est pas excessif de supposer que le prestige oratoire dont
le christianisme faisait bénéficier son clergé lui attira bien des vocations,
nées chez des jeunes gens nourris dans le culte de l'éloquence et pénétrés
des thèmes, familiers aux orateurs stoïciens, d'une décadence de la parl)le
publique depuis que l'Empire, le luxe et les arts importés de Grèce,
s'étaient installés à Rome.
O!l neut aussi être assuré que nul orateur humaniste, pas même les
Chanceliers de la République florentine, n'eut l'autorité, ni l'audience
directe d'un Charles Borromée, héritier et imitateur d'Ambroise sur le
~iège archiépiscopal de Milan. A son exemple, les évêques « réformés »,
dont les mandements et les sermons, relayés par la parole d'innombrables
prédicateurs, réguliers ou séculiers, touchent toutes les classes de la
société, reconstituent peu à peu une société catholique, et enracinent dans
les consciences, dans les habitudes, une doxa inspirée du Canon de
Trente. Œuvre religieuse, mais aussi politique: il suffira au cardinal de
Richelieu de verser au crédit de la royauté française le prestige que lui
valaient sa dignité de prélat réformé et son autorité d'orateur ecclésias-
tique. pour révéler que l'efnquentia borroméenne, créée pour servir les
142 LA RÉFORME TRIDENTINE

législateurs de Trente, pouvait aussi bien, dans l'ordre de la société


civile, servir le Roi Très-Chrétien et travailler à recréer en France un
consensus politique, social et moral. Mais la synthèse exceptionnelle d'au-
torité religieuse et politique rassemblée sur sa parole par le cardinal de
Richelieu n'aura pas d'autre héritier que le roi Louis XIV lui-même:
inexorablement, après le grand roi, l'écrivain profane conquerra une
autorité croissante, indépendante du pouvoir politique et religieux, jus-
qu'à supplanter, au XIX· siècle, l'Episcopus orafor tridentin, même sur le
terrain religieux et la royauté, même sur le terrain politique. On en est
loin encore au XVII" siècle.
Quelle autre chaire pouvait valoir une audience plus vaste, et plus
respectueuse, que celle qui se dresse désormais au milieu de la nef des
Eglises, surtout lorsque l'Evêque «résident », comme l'avaient recom-
mandé les Pères de Trente, y monte en personne, pour enseigner son
peuple? Mais il est difficile de dire qui bénéficie le plus de cette ma.iesté
oratoire. L'idéal humaniste de l'Orafor, sacralisé par son intronisation
dans la maison de Dieu? Ou bien l'office de l'évêque et du prêtre, revita-
lisé et magnifié par le double prestige de l'Orafor cicéronien et du Docfor
augustinien?


••
L'atelier de rhétorique milanais n'eut de rival qu'en Espagne, devenue
citadelle de la catholicité: à partir de 1563, les moines espagnols tirent du
De Docfrina Christiana et de l'Ecclesiasfes un nombre considérable de
rhétoriques ecclésiastiques. Celles-ci sont évidemment fort bien accueil-
lies à Milan. Le siège archiépiscopal de Charles Borromée était d'ailleurs
sous l'autorité politique du Roi d'Espagne. Et même si les conflits ne
manquèrent pas entre gouverneur espagnol et archevêque, jaloux l'un
de l'autre de leurs prérogatives, le « climat" de la Réforme borroméenne
n'est pas sans affinités avec celui du catholicisme espagnol.
Trois traités de rhétorique ecclésiastique ont été composés par des
membres italiens de l'entourage de Charles Borromée: le De Rheforica
ecclesiasfica d'Augustin Valier 200, le De Praedicafore Verbi Dei de Jean
Botero 201 et Il Predicafore de François Panigarola 202.

20C AUf{uslini Valerii Episcopi Veronae De Rhelorica ecc/esiaslica ad c/e-


ricos libri Ires, Vérone, 1574 (Ire éd. fr. Paris, 1575). L'ouvrage est précédé
de deux préfaces, l'une de Pietro Morini, l'autre de P. Galt'sini, toutes deux
adrt'ssées à Charles Borromée, commanditaire de l'œuvre. Morini insiste sur
l'utilité du livre pour les séminaires. Galesini montre la différence entre l'élo-
quence profane et l'éloquence chrétienne. Se référant aux opinions du cardinal
lui-même. il soustrait cette dernière au magistère des rhtlteurs, et lui donne
pour maîtres les prophètes de l'Ancien Testament (tel Isaïe), l'Apôtre Paul,
et saint Augustin. Les sources chrétiennes de l'invention se trolivpnt. toujours
selon Charles Borromée, chez les Pères grecs, Justin, Basile, Grégoire de
Nazianze, Jean Chrysostome, chez les Pères latins, Cyprien, Jérôme, Ambroise,
Augustin et les Papes Grégoire et Léon. C'est cette doctrine que le cardinal
a enseignée aux séminaristes de Milan, afin qu'ils soient instruits à la fois
LOUIS DE GRENADE 143

Parmi les innombrables traités espagnols de rhétorique ecclésiastique,


on en compte au moins deux qui, édités à Venise du vivant de Charles
Borromée, peuvent à juste titre passer pour conformes à son esprit: les
Ecclesiasticae Rhetoricae libri de Louis de Grenade 203, le Modus concio-

dans la divinarum rerum disciplina et dans l'ecclesiastica patrum eloquentia.


Car les thèses de théologie, dans le séminaire de Milan. ne sont plus exposées
seulement more scholastico. mais omate. copiose. apteque ad populorum intel-
ligentiam. Augustin Valier n'a fait que rédiger la doctrine du cardinal: union
de la théologie et de l·éloquence. selon la méthode des Pères, telle que l'a
définie saint Augustin. le plus grand d'entre eux. Le modus scholastieus ne
fut qu'une corruption de la méthode du plus grand théologien catholique.
Augustin.
201 Joannis Boteri Benensis De Praedicatore Verbi Dei libri quinque jussu ...
Caroli Cardinalis Borromaei conscripti. Parisiis. G. Chaudière. 1585. La dédi-
cace au Cardinal Lauro est signée de Paris. 7 septembre 1585. Botero y rap-
porte les exercices auxquels se livrait son maître Borromée pour surmonter
son peu de don pour l'éloquence. C'est au cours de ces exercices que le Car-
dinal lui demanda de composer ce livre.
202 Il Predicatore. overo Demetrio Falereo deU'eloeutione con le paraphrasi
e commenti e discorsi di ... F. Panigarola. Venise. 1609. Sur ses rapports avec
Charles Borromée. voir Sevesi. «San Carlo Borromeo ed il P. Francesco
Panigarola. O.F.M. ». dans Archivum Franciscanum historieum. ann. 40. 1947.
fasc. 1-4. Son Modo di comporre una predica (Milan. 1584). a été traduit en
français par Gabriel Chappuys (L' art de prescher et de bien faire un sermon.
Paris. 1604). Voir une brève analyse de cet ouvrage dans P. Bayley. French
pulpit oratory ...• ouvr. cit.. qui rappelle que Panigarola était connu en France.
où il avait fait ses débuts à la Cour sous Charles IX. et prêché à Notre-Dame
pendant la Ligue.
203 Ecclesiasticae Rhetoricae si'le de concionandi libri sex. nunc primum
in lucem editi. Authore R.P.F. Ludovico Granatense ...• Olyssipone. Exc. Anto-
nius Riberius. expensis j. Hispani bibliopolae. 1576. (Nous citerons d'après
l'édition de Venise. 1578. où les Ecclesiasticae rhetoricae libri sont couplés
avec le De Rhetorica ecclesiastica de Valier. et précédés d'une préface Typo-
graphus lectori qui souligne la «rencontre» providentielle entre l'auteur italien
et l'auteur espagnol. summus theologus et concionator. qui ont œuvré dans le
même sens sans se connaître: édition typiquement « borroméenne ».) Sur Louis
de Grenade et en particulier ce traité de rhétorique. voir Bruno Jereczek. Louis
de Grenade disciple de Jean d·Avila. ouvr. cit.. p. 116-135. L'auteur souligne
les liens de Louis de Grenade. fils de con versos. avec l·érasmisme. confirmant
les vues de Marcel Bataillon. Erasme et l'Espagne. Paris. 1937. ch. 5. «Le
sillage de l'érasmisme dans la littérature spirituelle». Sur les relations entre
L. de Grenade et C. Borromée. voir S. Caroli BorromaeÎ. .. Homiliae. Milan.
J. Marello. 1747. p. XXXVIII, «Inter ceteros insignes sui temporis Caro/us
singulari veneratione atque amore A/oysium Granatensem Sanctus Caro/us
prosequebatur. ejusque libros assidue volve bat. (. .. ) quia Concionator ille (. .. )
pastoralem spiritum et modum sua prorsus similem in sermonibus referebat ... ».
Voir surtout Alvaro Huerga, ., Fray Luis de Granada y San Carlo Borromeo.
una ami stad al servicio de la restauracion catolica ». Hispania sacra. vol. XI.
n" 22. 1958. p. 1-59. En 1580. C. Borromée envoie un ambassadeur en Espagne.
son futur biographe. Carlo Bascapè. chargé de voir Philippe II à Madrid et
Louis de Grenade. à Lisbonne. Les relations épistolaires entre les deux hommes
remontaient au moins il 1576.
144 LA RÉFORME TRIDENTINE

nandi de Diego de Estella 204. Ces cinq ouvrages sont loin d'épuiser l'im-
pressionnante bibliographie rassemblée pour le seul XVI' siécle par CapIan
et King. Encore faudrait-il ajouter les innombrables instructions pasto-
rales et décisions des Conciles synodaux ou diocésains qui, sur le modèle
des Acta Mediolanensis Ecclesiae réaffirmèrent inlassablement pendant
plus de deux siècles, et au-delà, les prescriptions du Concile, les principes
d'une Rhetorica sacra devenue, ou peu s'en faut, l'axe même de la culture
du clergé. Bel exemple de « rhétorique institutionnelle», dont les effets
sont beaucoup plus durables que ceux de toutes les autres rhétoriques
officielles, et dont celles-ci ne peuvent pas, en terre catholique, ne pas
subir l'influence. Engendrant une masse prodigieuse de discours dans
l'Europe catholique et en Amérique latine, cette « rhétorique d'Eglise »,
dont Charles Borromée avait été le premier patron, et le plus autorisé, a
cu le pouvoir de créer des « mentalités collectives» et de répandre dans
les masses une « doxa » remplaçant ou refaçonnant le folklore; elle a su
aussi, auprès de l'élite des capitales, cultiver le goût du langage célébré
dans une forme noble et belle, accordée à la majesté divine .


••
Le plus remarquable de tous les traités de rhétorique ecclésiastique de
cette période est à coup sûr celui de Louis de Grenade. C'est aussi celui
qui, non sans analogie avec l'Ecclesiastes d'Erasme, ne craint pas d'entrer
dans les détails, et d'emprunter largement à Quintilien et à Cicéron. Son
auteur l'avait pourvu d'un supplément fort nécessaire, pour tenir lieu des
Adages et autres Flores publiés par Erasme : une Sylva locorum commu-
nium, recueil doxographique destiné à servir de sources de l'invention
pour l'orateur catholique 206.

204 Diego de Estella, Modo de Predicar, y Modus concionandi, esfudio doc-


trinal y edicion critica por Pio Sagües Azcona D.F.M., 2 vol. lstitut. Miguel
de Cervantes, Madrid, 1951. La première édition du traité du Franciscain D. de
Estella fut publiée à Salamanque en 1576. Une édition parut à Venise en 1584.
avec une dédicace à Charles Borromée. Diego de Estella est plus connu comme
l'allteur du De contemptll mundi, apprécié de François de Sales et d'Augustin
Valier, et traduit en français par Gabriel Chappuys (Lyon, Rigaud, 1609). Il
serait intéressant de le comparer au De contemptu mundi publié par Erasme
el] 1524.
205 Silva locorum qui frequenter in concionibus occurrere soient, omnibus
divini verbi concionatoribus cum primis utilis et necessaria. ln qua multa tum
ex veterum Patrum sententiis collecta, tum opera et studio authoris animadversa
traduntur: quae ad hoc munus exsequendam vehementer conducant. AI/fore
et collectore R.P.F. Ludovico Granatensi, sacrae theologiae professore. mona-
cha Dominicano, Salamanticae, apud haeredes Matthiae Gastii, Anno 1585.
No;:s avons consulté l'édition de Lyon, Sumptibas Petri Landry, 1586 (B.N.
D 36689). Voir jereczek, oavr. cit., p. 138-141, où l'on trouvera une analyse
plus détaillée de cette œuvre. Louis de Grenade est aussi l'auteur des Collec-
tanea moralis philosophiae, Lisbonne, 1571, qui met à la disposition du prédi-
CJteur un répertoire de sentences tirées des auteurs de l'Antiquité païenne, et
propres à s'harmoniser avec la foi catholique. (Voir jereczck, ouvr. cit., p.
135-138.)
LOUIS DE GRENADE 145

Cette Sylva pourrait à elle seule servir de point de départ à un inven-


taire de la culture catholique postérieure au Concile, et à la véritable
Renaissance des Pères de l'Eglise dont elle est le théâtre. Raphat!l, dans
la Chambre de la Signature, avait peint face à face et à égalité L'Ecole
d'Athènes et La Dispute du Saint Sacremellt. Dans la « sylve l> de Louis
de Grenade nous n'avons plus affaire à une culture en partie double, mais
à une hiérarchie ininterrompue qui, dominée par l'Ecriture sainte et les
Pères, descend vers les auteurs païens relégués au dernier rang. Les
« lieux» (non au sens antique, mais au sens érasmien de « citations»),
sont empruntés par quantité décroissante à la Bible, à l'Evangile, aux
Epîtres de Paul, à l'Apocalypse puis aux Pères de l'Eglise latine (parmi
lesquels saint Augustin occupe de loin la première place, suivi de saint
Ambroise, saint Jérôme, Tertullien, Lactance), puis aux Pères de l'Eglise
grecque, aux Pères du Désert, aux écrivains médiévaux, Isidore de Séville,
Hugues de Saint-Victor, Bede le Vénérable, saint Bernard de Clairvaux.
Les autorités païennes Cicéron, Aristote, Ovide, Valère Maxime, Martial
tiennent une place restreinte. Cette Sylva nous semble offrir une des voies
d'accès les plus sûres à la culture des chefs de la Réforme catholique
française au XVIIe siècle.
La lecture des Ecclesiasticae rheloricae lib ri tres nous donnent une
haute idée de l'immense culture oratoire antique de ce dominicain. Elle
n'a pour rivale que sa culture théologique et patristique. Théologien
formé à l'école thomiste, tcut est chez lui clair, enchaîné avec vigueur et
précision. Il insiste d'ailleurs beaucoup sur l'apprentissage logique de
l'orateur chrétien, et renvoie pour cela aux Dialecticae institutiones du
P. de Fonseca 206. Mais c'est aussi un humaniste versé dans les litterae
humaniores : son latin ne laisse rien à désirer à un cicéronien libéral et
sa connaissance de Cicéron et de Quintilien suppose une «mise en
fiches» exhaustive.
Dès la première page, nous sommes mis en présence de l'inspirateur
d'une telle réussite: le De Docfrina Christiana de saint Augustin. En
sourdine, quoiqu'il ne soit jamais cité, l'Ecclesiastes d'Erasme a servi de
médiation entre notre auteur, sa culture médiévale, sa culture humaniste
et saint Augustin. Mais sur ce palimpseste, la doctrine du De Oratore,
l'alliance de la philosophie et de la rhétorique, reste aisément lisible. Elle
est simplement métamorphosée en alliance de la théologie et de la rhéto-
rique 207. Notre dominicain éprouve le besoin de lever les scrupules que

206 Pedro de Fonseca S.l. lnstitutionum Dialeclicarum libri oclo, Conim-


bricae, apud Joannem Barrerium, 1574. La B.N. en possède plusieurs rééditions
(Cologne 1606, La Flèche 1609, Lyon 1606, 1608, 1622, 1625). Voir l'analyse
de l'om'rage dans jereczck, ollvr. cil., p. 118, note 49. Il Y aurait toute une
étude à faire sur l'interprétation par les Jésuites de la Logique d'Aristote, dans
le derqier quart du xv,' siècle et la première moitié du XVII' : le P. de Fonseca
semble faire fusionner argumentation dialectique et argumentation rhéto-
rique, qu'Aristote distinguait avec soin.
207 Sur cette alliance de la théologie et de la rhétorique, voir Franco
Simone, «Guillaume Fichet, retore e umanista », Memorie dell'Accademia delle
Sctenze di Torino, série Il, t. 69, 1939.
146 LA RÉFORME TRIDENTINE

des adeptes plus intransigeants de saint Thomas et du modus scholasticus


pourraient éprouver à voir la théologie condescendre, par le moyen de
l'art oratoire, à se faire entendre de l'imperita multitudo. Son argument
n'est pas sans force; mais il suppose des considérations tactiques dont
on accorde généralement le privilège aux seuls Jésuites. La théologie
scolastique a-t-elle hésité à recourir à Aristote, et autres philosophes
païens, pour étayer la vérité chrétienne en péril? Pourquoi hésiterait-elle
aujourd'hui à recourir à Cicéron et aux orateurs païens pour plaider sa
cause, non plus sur un plan de vérité (inaccessible à la multitude), mais
sur un plan d'efficacité? Les Pères de l'Eglise ont d'ailleurs montré la
voie: saint Jérôme n'appelle-t-i1 pas Lactance un «fleuve d'éloquence
cicéronienne» (Tullianae eloquentiae flumen) 208 ?
Si l'on prétend que la technique oratoire peut faire obstacle, chez le
prêtre chrétien, à l'impetus divini spiritus, rien n'est plus faux: l'appren-
tissage de la rhétorique, pas plus que l'apprentissage de la grammaire,
auquel nul n'objecte, ne nuit en rien à la vie d'oraison. Au contraire, plus
cet apprentissage sera parfait, plus il sera devenu habitus et seconde
nature, plus le souffle divin trouvera chez le prêtre chrétien un interprète
digne de sa puissance. N'a-t-on pas dit des Pères de l'Eglise qu'ils étaient
tout à la fois les plus éloquents apôtres et les plus grands virtuoses de
l'art oratoire 209?
Dans cette alliance de la théologie avec la rhétorique, ni l'une ni
l'autre n'ont rien à perdre. Par la rhétorique, la théologie retrouve le
chemin des cœurs. Par la majesté des sujets que la théologie lui offre, par
la qualité spirituelle et les secours divins 10nt le prêtre chrétien est
capable, la rhétorique périmée accède à une vie nouvelle.
L'orateur païen selon Caton et Quintilien était déjà un vir bonus
dicendi peritus. L'office sublime imparti à l'orateur chrétien exige de lui
une « bonté» plus pleine et plus entière. 11 ne cherche pas, comme l'ora-
teur païen, un bénéfice ou une gloire mondaine: il doit avoir vaincu en
lui la puissance de l'amour-propre. En revanche de ce sacrifice, quelle

208 Ecclesiaslicae Rheloricae sive de ralione concionandi libri sex ... Venise,
1578, éd. dt., p. 8. .
209 Ibid., p. 9-10. A l'objection selon laquelle l'arlls observatio peut faire
obs:acle à l'impelus divini spiritus, L. de Grenade répond par une analyse
du «naturel », de la «spontanéité seconde" qui apparaît lorsque l'on pos-
sède à fond un art: « Ubi longo usu alque exercilalione recle loquendi ralionem
asseculus l'si, jam lum non ul ante praecepla consuluit, sed sola loqllendi
consueludine duclus, ex arle quidem sed sine arle perfecle el inoffense loqlli-
lur: ita haec oraloriae arlis praecepla inilio ardorem alque favorem spirilus
nonnihil refrigerabunl: ubi lamen ars dicendi consueludine in naluram quo-
dam modo versa l'si, egregii arlifices sic ex arle dicunl, quasi sola nalurae vi
inslrucli dicerenl.» (Ibid., p. 9.) C'est là une thèse reprise de l'Ecclesiasles
d'Erasme, où l'on peut lire: «Arlis praecepla non ita multum juvanl, nisi per
frl'quenler uSllm Iransierinl in habitum quasi in naluram." Voir tout le pas-
sage dans L.B., V, 850, D-E. Il Y a tout un travail à faire sur la transmission
de la pensée d'Erasme en milieu catholique dévot par des intermédiaires comme
celui-ci, qui se garde de le citer.
LOUIS DE GRENADE 147

tâche plus difficile et plus exaltante que ceUe de l'orateur chrétien? EUe
vise en effet à combattre « la force et la puissance de la nature déchue »,
à se mesurer avec la quasi toute-puissance du Mal. C'est un plus grand
miracle, a dit saint Grégoire, de tirer des âmes du péché que de ressusciter
les morts 210.
Pour cette œuvre de salut, i'orateur chrétien doit émouvoir. Et pour
émouvoir, selon les préceptes de Quintilien, il doit d'abord lui-même être
é·mu. Sa componction, sa dévotion, sa pénitence, doivent accompagner son
zèle oratoire, comme le demande Bernard de Clairvaux. Sa prière doit
précéder et commander son sermon, comme le demande Augustin 211.
C'est à ce prix qu'il trouvera dans son cœur les flammes et les larmes
qu'il veut faire naître chez ses auditeurs. Car le fruit de son discours ne
doit pas être l'applaudissement, mais les gémissements et les larmes,
préludes à la compunctio cordis.
Lettre morte dans la culture païenne, l'art oratoire vivifié par la spiri-
tualité chrétienne trouve une puissance et une efficacité incomparables,
comme auxiliaire (adjumentum) du Grand Œuvre de salut.
Les L. II et III des Ecclesiasticae rhetoricae fibri sont consacrés au
mode d'argumentation oratoire, qu'ils distinguent soigneusement de la
logique proprement dite, objet des Dialecticae Institution es de Fonseca 212.
Il nomme ce type de probatio : amplilicatio. Celle-ci consiste essentielle-
ment en figures de pensée, mouvements affectifs (aftectiones), peintures
parlantes (descriptiones). Ces dernières sont aussi propres à éveiller, par
le biais de l'imagination, l'affectivité de l'auditoire. Descriptions de mœurs
{bonheur de la vie contemplative, corruption des femmes lascives, etc... ),
descriptions de personnages (vierge forte, vierge folle, etc ... ), de specta-
cles (combats signifiant le combat spirituel, etc ... ). Ces descriptions de
personnages peuvent être animées par les prosopopées (sermocinationes)
qu'on leur prête.
Après un livre consacré à la disposition, le L. V est consacré à l'élo-
cution. Dès sa préface, Louis de Grenade avait donné de celle-ci une
définition volontairement pauvre: expliquer comme il faut (commode
explicare) ou faire passer le sens dans l'âme de l'auditeur (transfundare
sensus in auditoris animos). C'est dire à quel point il est l'ennemi des
« cicéroniens» qu'il qualifie de «rhéteurs» et à qui il reproche comme

210 Ibid., p. 13. Voir jereczek, ouvr. cit., p. 121. Le vrai critère de la diffé-
rence entre «rhétoriques borroméenn(:s» et «rhétoriques jésuites », c'est le
primat que les premières accordent à l'intériorité, et Je primat que les secondes
accordent à l'art, prolongement de la nature. Chez Louis de Grenade, le prédi-
cateur «devra allier lin prophétisme d'inspiration divine avec un art tout
humain» (Jereczek, ouvr. cit., p. cit.). Le conflit interne de l'éloquence sacrée,
résolu de façon diverse par les diverses écoles de spiritualité, tient à l'incom-
patibilité entre l'intimité de l'oraison. au sens chrétien, et l'extériorité de l'oralio
au sens antique, entre l'inspiration divine puisée dans l'oraison, et les moyens
humains, techniques et naturels, déployés dans l'oralio.
211 Ibid., p. 28.
212 Ibid., p. 34 et suiv.
148 LA RÉFORME TRIDENTlN~

Erasme de « vieillir dans le soin inutile des mots» 212. Les trois qualités
du style chrétien seront:
1) la latinitas ;
2) la perspicuitas (clarté), qui rend le discours à la fois acceptable
aux savants, et compréhensible aux ignorants; s'il faut choisir, la
capacité de l'auditoire doit primer sur le souci puriste de la latinité,
comme l'a recommandé Augustin;
3) l'ornatus: celui-ci n'est acceptable qu'à la condition d'être stricte-
ment soumis à l'utilité. Pas de rythme ou de symphonia verborum.
Une beauté, mais digne, insoucieuse du faux éclat.

•••
Ce style sévére trouve quelques années plus tard un autre interprète
en la personne du propre secrétaire et confident de saint Charles, Jean
Botero 214. Jésuite pendant vingt-deux ans, ce prêtre malingre et tourmenté
avait fini par quitter la Compagnie pour se réfugier dans l'ombre du redou-
table archevêque de Milan. Son court traité de rhétorique ecclésiastique, le
De Praedicatore Verbi Dei, reflète autant les vues de Charles Borromée que
celles de son auteur. Il s'organise tout entier autour du thème posé par
Erasme dans l'Ecclesiastes: Christus orator perfectissimus. C'est l'élo-
quence du Christ qui, dans ce traité du sublime chrétien, se propose
directement au prédicateur comme le modèle à la fois inaccessible et
invitant à l'imitation. Le terme qui qualifie le mieux l'éloquence christi-
que, c'est la simplicité (simplicitas). Mais cette simplicité, telle qu'elle
se relève dans les Béatitudes, et dans les moindres paroles du Christ, est

213 Ibid., p. 175-176. Louis de Grenade propose de remplacer Cicéron par


saint Cyprien, Cicero Christianus (sur Cyprien orateur, voir J. Fontaine, ouvr.
cit., p. 149). Il oppose la cura verborum à la sollicitudo rerum. Les «choses- ~
ont leur ordre et leur lumière propre qui engendrent ceux des mots. Il faut
aborder l'éloquence avec plus de grandeur d'âme (majore animo). Trop de dili-
gence accordée aux mots corrompt le discours.
214 Sur la biographie de Botero (1540-1617), voir Dizionario biogratico ...•
ouvr. cit.. t. 13, p. 352-362. Il vint à Paris en 1585 avec l'ambassadeur de
Savoie René de Lucinge. Son traité Della Ragione di Stato (1589) est plus
connu que son Praedicator. En fait les deux œuvres sont liées. La Ragione
di Stato, source des traités de Spontone (1599), Palazzo (1616), Settala (1627)
pose les principes d'une société civile soumise au magistère moral de I·Eglise.
Le Praedicator pose les principes d'une rhétorique sacrée propre à magnifier
le magistère ecclésiastique. On retrouve sans l'œuvre de Botero le même projet
de société et de culture que dans celle de Charles Borromée, législateur ecclé-
siastique et orateur sacré: l'humanisme et la société modernes contenus et
régénérés par l'activité omniprésente de l'Eglise «réformée:>. (Voir R. de
Mattei, «Il problema della Ragione di Stato nel Seicento », 1\1, «La positione
deI Botero », dans Rivista internazionale di tilosotia dei diritto, janv.-mars
1950, p. 25-38.)
JEAN BOTERO 149

la manifestation la plus parfaite du sublime 214 bIs. En lisant ces pages,


on ne peut s'empêcher de songer à la Conversion de saint Matthieu du
Caravage, à Saint-Louis des Français à Rome, où l'effet de la brève parole
du Christ, «Viens, et suis-moi », a tous les caractères du sublime selon
saint Augustin: le bouleversement du pécheur rappelé à lui-même. Il n'est
pas jusqu'aux contrastes entre la c scène de genre» que compose le
publicain Matthieu entouré de ses compagnons de débauche, et la
haute figure à la Raphaël de jésus-Christ, entre l'ombre où sont plongés
les pécheurs, et la lumière que projette sur eux l'entrée du Seigneur, qui
ne renvoient au dramatisme chrétien recommandé par Augustin dans le
De Doctrina Christiana : rapprochement brusque du genus humile et du
genus sublime.
Avec ce style à la fois «humble» dans sa forme et «sublime» dans
son inspiration et ses effets, le Christ a su faire alterner une grande
éloquence, tantôt douce, tantôt véhémente. Mais toujours pure d'orne-
ments superflus: naturelle, simple et sincère 21D.
Pour atteindre à cette grandeur simple et bouleversante par sa simpli-
cité même, jean Botero, comme Louis de Grenade, fait le plus grand cas
des conseils de Cicéron 216, qui à ses yeux concordent pleinement avec
ceux de saint Augustin. Il cite 217 l'Orator, où Cicéron dénonce les sophis-
tes Gorgias et Isocrate, leur quête d'une vaine élégance, leur appel à la
délectation sensible, leur abus des couleurs variées et des figures de
mots. La gravité de l'orateur chrétien lui impose de partager ces vues
sévères. Il trouvera chez saint Augustin la définition positive de la
véritable éloquence, que les critiques de l'Orator dessinaient seulement
en creux 218 : l'éloquence est la servante de la sagesse. Mais n'est-ce pas
aussi, conclut jean Botero, ce que dit Cicéron dans le De Orafore?
Pour notre auteur, comme pour Louis de Grenade, la concordance
entre la doctrine oratoire de Cicéron et celle de saint Augustin est la
pierre angulaire de l'esthétique oratoire chrétienne. Nous avons affaire,
au moins en puissance, à un atticisme chrétien. La chose apparaît avec

214 bis De Praedicatore Verbi Dei libri quinque, Parisiis, G. Chaudière,


1585, f. 39 et suiv.
21D Ibid., p. 49. Une série d'antithèses précise la définition de ce style
sévère: «lfa de gratia formaque dicendi existimandum est, eam fuisse non
ad multitudinis aures blande oblectandas, artificiose compositam atque orna-
ta m, sed plenam gravitatis atque dignitatis; onn mollem, quasi delicatam, sed
firmam ac tanquam virilem; quaeque non inaniter aures pervolaret, sed in
intimo~ senSus penetraret atque persuaderet:> (ibid., p. 50). Une pointe vigou-
reuse d'anti-cicéronianisme est sensible chez Botero comme chez Louis de
Grenade. Antoine, l'interlocuteur de Crassus dans le De Oratore, parce qu'il
est le moins soucieux de l'elegantia dictionis, est préféré à Cicéron lui-même
et à Démosthène (ibid., p. 51).
216 Il n'y a là nulle contradiction avec le reproche adressé à Cicéron de
pécher par excès d' « élégance:>. L'humanisme, chrétien ou non, ne cesse d'en
appeler à Cicéron lui-même contre Cicéron.
217 Ibid., 40 v·.
218 Ibid., 44 v·.
150 LA RÉfORME TRIDE."<TINE

évidence au dernier livre du De Praedicafore verbi Dei, consacré au


decorum oratoire, et au judicium qui doit le gouverner. Pour Botero, le
bon goût se confond à tel point avec la vraie piété qu'il préfère désigner
l~ jl/dicium par le mot prudenfia, où jugement esthétique et vertu chré-
tienne se confondent. Ici encore Cicéron est un guide, du même pas que
saint Augustin. Decorum par rapport à la persona de l'orateur, selon son
âge, selon son rang dans la hiérarchie ecclésiastique, selon la modestie
chrétienne. Decorum par rapport aux auditeurs, selon leur qualité, leur
sexe, leur degré de culture. Decorum par rapport au discours lui-même:
accorder le ton à la nature du sujet traité, et se garder de la monotonie, en
dosant dans le tnême discours les trois styles tels que les définit saint
Augustin. Enfin il est décent qu'un ecclésiastique parle en homme
d'Eglise, non en orateur ou en poète païen: pas de recherche musicale,
et surtout (ici Botero paraphrase les thèses du Ciceronianus d'Erasme)
pas de titulature païenne pour désigner les choses chrétiennes. « Si Cicé-
ron était vivant, affirme Botero, il ne répudierait pas les termes consacrés
par l'Eglise 219. »
Quant aux «choses », éviter les fables, les histoires apocryphes, les
vains miracles, les plaisanteries, les interprétations ridicules de la parole
divine. «1\ faut édifier non sur du sable, (...) mais en terrain solide et
stable ... 220 »
Refusant d'entrer dans les dètails techniques de l'élocution, mettant
l'accent sur la simplicité du cœur et la pureté d'inspiration, notre auteur
n'en admet pas moins une sorte d'harmonie préétablie entre les plus hautes
leçons de l'art oratoire païen, celles de Cicéron, et les institutions ou les
exemples de l'éloquence évangélique. Chez Botero, un Cicéron augustinisé
guide les pas de l'orateur chrétien comme Virgile chez Dante ceux du poète
chrétien; mais en définitive, aux approches des plus hauts mystères, c'est
à saint Paul, c'est au Christ lui-même, de prendre le relais de Cicéron,
comme au Paradis de Dante c'est saint Bernard de Clairvaux qui prend le
relais de Virgile.


"''''
Ce court traité du sublime chrétien n'est pas seulement une interpré-
tation très fidèle de l'esprit du L. IV du De Docfrina Christiana : il traduit
dans la langue des savants, et sur le mode didactique, la pratique oratoire

219 Ibid., p. 90. Botero, sans citer Erasme, montre combien il l'a lu de
près. f. 89 v o , il dit avoir entendu dans la chapelle pontificale, un prédicateur
dire unigentls au lieu de unigenitus, et affirme que ce purisme fut condamné
par les plus autorisés parmi les auditeurs. Dans le Ciceronianus, Erasme
racontait au'i1 avait assisté à une Oralio de Christi morte prononcée par Tom-
maso Inghirammi en présence de Jules Il, et où le prédicateur avait traduit
les termes consacrés par l'usage de l'Eglise en latin cicéronien. (Voir plus haut,
note 119.) Voir aussi Ecclesiastes, L.B., 986 A-O.
220 Ibid., p. 91.
JEAN BOTERO 151

des disciples de Philippe Neri et de Charles Borromée lui-même, fort lié


au « Poverello ~ de l'éloquence sacrée. Botero se réfère explicitement aux
homélies de l'archevêque de Milan, dans un passage qui reflète admira-
blement la «dévotion à la Croix» du futur saint, et la «compunctio
mrdis » qu'il cherchait à communiquer à son auditoire:

Car il n'y a rien, écrit notre auteur, de mieux propre à mettre en


lumière la dignité des vertus, à mettre en évidence la honte des vices,
révéler la nécessité de la grâce ou enseigner l'infini de la justice de la
miséricorde divine, rien de plus riche, de plus impressionnant, de plus
précieux que la mort et la croix de Jésus. Nous avons, dit l'apôtre, à
prêcher le Christ crucifié ... Aussi je ne peux assez louer le principe observé
par le très saint et très sage cardinal Borromée, qui ne fit presque jamais
de discours ni de sermon del'ant le peuple, sur lequel il n'ait répandu
le sang du Christ, qu'il n'ait paré des plaies du Christ, orné de la
couronne du Christ, assaisonné du fiel, de la myrrhe, ni décoré par la
commémoration de la mort et de la Croix du Christ 221.

L'ambition de jean Botero était donc de mettre au service d'une âme


pure et enflammée de zèle, une rhétorique simplifiée à l'extrême alliée à
une théologie simplifiée à l'extrême. Il donne lui-même en peu de pages
un recueil moins de « lieux ~ que de thèmes essentiels dont la sobriété et
la brièveté contrastent avec les habituels in-folios des Sylvae locorum ou
des Sylvae allegoriarum, autant que le format « de poche» de son livre
contraste avec les formats habituels des rhétoriques ecclésiastiques.
C'est que pour Botero, l'alliance de la rhétorique et de la théologie
procède pour ainsi dire par purification réciproque, afin de laisser plus
de liberté aux élans du cœur. Ce souci n'était pas étranger à Louis de
Grenade, disciple de jean d'Avila, et qui pratiqua ce que son récent histo-
rien, B. jereczek, appelle le sermon-oraison, après avoir pratiqué le
sermon-discours. Le conflit entre l'oraison, au sens chrétien, et l'oralio
au sens rhétorique et antique, est en effet au cœur de la rhétorique ecclé-
siastique « borroméenne ». L'intériorité de la prière n'a de sens que dans
la solitude, ou dans l'intimité du cénacle dévot, à l'écart du monde. Or il
faut prêcher le peuple, et recourir aux techniques de l'orafio. Le confli1
n'est pas seulement sensible dans l'ordre de l'eloculio, où la simplicité du
cœur dévot, pour se traduire en public, doit faire usage des « figures»
savantes dont la Rheforica ecclesiastica de L. de Grenade fait l'inventaire.
li apparaît aussi dans l'ordre de l'inventio où la Sylva locorum et les
Collecfanea moralis philosophiae de L. de Grenade déploient le double
registre des « lieux» patristiques et scripturaires d'une part, païens d'au-
tre part. A quoi s'ajoutent les techniques de l'enthymème et de l'exemple,
du syllogisme et de l'induction exposées par les Dialecficae Institufiones
du P. de Fonseca. Le «feu» du cœur ne peut trouver d'expression
oratoire, et publique, sans passer à travers cette complexe machine à
fabriquer du discours. Mais L. de Grenade croyait que cette machine

221 Jbid., p. 25.


152 LA RÉFORME TRIDENTINE

pouvait à ce point passer en nature, que les bienfaits intérieurs de l'orai-


son circuleraient tout de même dans la con cio publique.
Au prix d'une simplification considérable de la machine, Jean Botero
en était lui-même persuadé. Ce pari dépendait entièrement de la profon-
deur religieuse personnelle du prédicateur, et de sa capacité à transfor-
mer sa culture encyclopédique en habitus. De plus, comment concilier
l'intensité intime du message et sa portée sur un vaste public? Le jaillis-
sement d'un cœur plein des grâces de l'oraison et l'harmonie judicieuse
d'une prose «décente»? L'illumination intérieure et sa formulation en
termes orthodoxes? Du sublime à l'enflure, il n'y a qu'un pas 222.

JUSTE LIPSE, L'« INSTITUTIO EPISTOLlCA» (1591)

En 1592, Francesco Paüizzi publiait une Rhétorique en dix dialo-


gues 223, qui était en fait un adieu, non dénué de nostalgie, à l'art
oratoire:
A l'époque où je voulais devenir orateur, après une longue et patiente
étude, [ ... ] je me rendis compte finalement [ ... ] que l'orateur, non seulement
ne discourt pas sur toutes les matières [ ... ] mais que pauvre et dénué de
tout, empruntant çà et là, il n'a pas même moyen de donner créance à
ce dont il parle 224.

Et reprenant les arguments de Maternus dans le Dialogue des Ora-


teurs, l'humaniste ferrarais conclut à la décadence de l'éloquence. Seuls
ont droit de cité les courtisans, flatteurs des Princes, et les docteurs
autorisés. Pour lui, se retournant vers la grande lumière des Idées plato-
niciennes et vers les mythes, il se consacre à rêver d'une « Cité heureuse »,
nouvelle version de la République de Platon.
La Réforme catholique, alliée aux régimes absolutistes, donne à cet
héritier de l'humanisme cicéronien le sentiment qu'une grande aventure,
commencée avec Pétrarque, est terminée. L'éloquence humaniste est tom-
bée au rang de sophistique de Cour, ou, captée par le clergé, n'est plus
qu'un instrument de propagande religieuse. Le désenchantement de
Patrizzi avaH été éprouvé en France dès 1552 par Rabelais, dans le

222 Sur la tentation expressionniste et «concettiste" inhérente à l'esthé-


tique chrétienne (dont la tâche est de rendre sensibles au cœur les paradoxes
de l'Incarnation, de la Crucifixion, de la Résurrection, de la vie du chrétien
dans le monde ct de l'Eglise dans l'histoire), voir j. Fontaine, ouvr. cit., en
part. p. 126 et suiv. et p. 135 « l'expression baroque du scandale de la Croix»
chez un Tertullien. Voir aussi E. Santini] !/Eloquenza italiana dal Concilio
tridentino ai nos/ri giorni, gli ora/ori Saerl, Milano, Sandron, 1923, qui insiste
allssi sur les possibilités «baroques» offertes par la méthode d'interprétation
allégorique des Ecritures, p. 54 et suiv.
~23 Voir Eugenio Garin, Moyen Age et Renaissance, ouvr. cit., p. 117-119.
224 Cité par Garin, ibid., p. 118.
JUSTE L1PSE 153

Quart Livre, et par La Boétie dès 1553 dans le Discours de la servitude


l'olontaire.
Mais ce désenchantement, qui puise quelques-uns de ses arguments
dans le Dialogue des Orateurs, pouvait aussi y trouver les amorces d'un
regain de confiance et de réalisme viril. Aprés La Boétie, Montaigne.
Après Patrizzi, Muret et Juste Lipse. Les trois grands représentants d'un
humanisme profane catholique ont médité plus complètement la leçon du
Dialogue des Orateurs. Maternus, on l'a vu, ne se contentait pas de
montrer dans la disparition de l'antique vertu la cause de la décadence
de l'éloquence et du triomphe d'un régime où l'éloquence cicéronienne
n'avait plus sa place. Dans ces conditions nouvelles et plus difiiciles, il
réservait aux grandes âmes une magistrature morale et civique d'un type
nouveau, s'exerçant par les voies indirectes de la poésie et d'une élo-
quence proche de la poésie. De même, rompant avec les illusions d'une
magistrature de la parole publique et directe (qui persistent en France
chez les officiers de Grande Robe parlementaire), aussi bien Muret que
Lipse et Montaigne inventent, chacun à leur manière, un type nouveau
d'orateur répondant au défi des circonstances, celui du savant éclairé,
à la fois sage, érudit et artiste de la prose, dont la magistrature oratoire
s'exerce par d'autres moyens et dans un autre ordre que la sophistique
des Cours ou l'éloquence publique de l'Eglise.
En 1567, un jeune humaniste néerlandais, Juste Lipse 225, rencontrait
Marc Antoine Muret à Rome. Tout indique que cette rencontre fut déci-
sive pour le jeune homme. Mais l'édition de Tacite publiée en 1574 par
Juste Lipse brouilla pour toujours les deux érudits. Muret accusa Lipse
de plagiat. Et en dépit des efforts de Lipse, par l'intermédiaire du fidèle
disciple de Muret, Francesco Benci, la réconciliation fut impossible.
Cette brouille d'érudits n'est peut-être pas accidentelle. Les deux
hommes étaient à la fois trop proches et trop différents pour demeurer
dans les termes confiants du maitre et du disciple. Trop différents: l'un,
à plus d'un titre, est l'héritier d'Erasme et de l'humanisme des Flandres ;
l'autre, nouveau Longueil, est l'héritier de Bembo et de l'humanisme
romain. Trop proches: tous deux représentent un humanisme rallié à
Rome, et qui accep1e de s'adapter à la nouvelle civilisation tridentine.
1\ n'est pas indifférent que la rupture ait eu lieu à propos de Tacite.
Cet auteur est pour ainsi dire le gond !'ur lequel le XVI· siècle tourne pour
laisser entrer le XVII". Juste Lipse et Muret l'ont compris en même temps,
avec une juste intuition historique. Qu'apprenait Tacite à un humaniste
lucide du dernier quart du XVI· siècle? Tout d'abord, que la «liberté:.
n'est pas le bien suprême, que l'éloquence éveillant les passions populaires
n'est pas un idéal digne du sage, que l'ordre monarchique, à la fois

225 Sur Lipse, voir outre Morris W. Croll «Juste Lipse et le mouvement
anticicéromen à la fin du XV)' siècle », dans la Revue du XVI· siècle, juillet
1914, p. 200-242, repris dans le recueil Style, rhetoric and rythm, Princeton,
1966, p. 7-44, J. Ruysschaert, Juste Lipse et les Annales de Tacite, Turnhout,
Brepols Press, 1949.
154 LA RÉfO:~ME TRIDENTINE

politique et religieux, imposé à l'Europe corrompue comme l'Empire à


Rome, était préférable au désordre et à la guerre civile. Mais aussi que
cet ordre lui-même participe de la faiblesse humaine et que le sage n'est
pas dispensé de la préserver de l'erreur par l'éloquence. Cette éloquence
toutefois ne pouvait plus avoir le caractère public et populaire des temps
~ républicains », temps d'illusions et de passiol)s. S'adressant à une élite
de responsables, elle devait dispenser ses leçons en prenant le détour
d'une forme élégante et subtile. L'orateur humaniste, en acceptant de se
ranger aux Monarchies et à l'Eglise, ne renonçait donc nullement à exer-
cer une magistrature philosophique et morale: mais il était tenu d'y
adjoindre un art d'écrire afin de viser juste dans un monde rempli de
préséances et de préjugés.
Erudit et professeur, Juste Lipse se fait historien, moraliste, épistolier,
voire conseiller politique et militaire: à l'adresse d'une élite de prélats, de
princes, de savants, il exerce en Europe un office d'OratoT 226 au sens de
Cicéron révisé par Tacite. A la différence d'Erasme, il ne compte pas
seulement pour être écouté sur la solidité des «choses» : la nouveauté
et le charme de son style font une grande part de son succès et de son
influence. Avec lui, l'érudition critique du XVI' siècle sort de la bibliothè-
que où elle s'était quelque peu retirée, pour s'allier de nouveau à l'élo-
quence. Marc Antoine Muret, moins inquiet, n'avait pas à se forcer pour
jouer les orateurs: le premier, il a dessiné le rôle de l'humanisme profane
à l'intérieur de la civilisation catholique issue du Concile de Trente. Mais
Muret ct Lipse ont tous deux compris que cette réhabilitation de l'OratoT
humaniste n'allait pas sans la mise au point d'un art de la prose écrite,
en contrepoint de la prose orale de l'éloquence ecclésiastique et en
accord avec le goût nouveau introduit en Europe par la Renaissance des
Pères de l'Eglise. Mais l'un, Muret, plus fidèle à Bembo, procède à un
assouplissement du Tullianus stylus de la première Renaissance, pour
l'accorder aux temps nouveaux. Juste Lipse, plus fidèle à Erasme, va
chercher du côté de Sénèque et de Tacite une nouvelle Idée du Beau, et
ravale le Tullianus stylus à une simple fonction propédeutique.

•••
C'est en 1586, un an après la mort de Muret, que Lipse lança le
premier manifeste du style « laconique », dans la préface de l'édition de
sa première Centurie de Lettres 221. Préface à la première personne, qui

226 Voir J. Jehasse, La Renaissance de la critique, Saint-Etienne, 1976, p.


417-421.
227 Sur cette édition, voir Jehasse, ouvr. cit., p. 269-273, et notre étude:
«Genèse de l'épistolographie classique: rhétorique humaniste de la lettre de
Pétrarque à Juste Lipse », dans R.HL.F., nov.-déc. 1978, p. 886-900. Sur l'as-
cendance érasmienne de la rhétorique de Upse, voir, outre notre étude cit.,
celle de Margaret Mann Philips, « From the Ciceronianus to Montaigne », dans
Classical influences on European culture AD. 1500-1700, ed. by R.R. Bolgar,
Cambridge Univ. Press, 1976, p. 191-197.
JUSTE LIPSE 155

n'émane pas d'un Magister rhetoricae, mais d'une personne privée, dans
la plénitude de son indépendance spirituelle, qui médite sur son œuvre
d'épistolier. Exagérant la c figure de modestie» propre au genre de la
préface, Lipse prétend ne livrer qu'en tremblant au public une œuvre qui
ne lui vaudra aucune gloire: il ne s'agit pas en effet d'une œuvre ache-
vée, d'un opus perfectum, mais d'une œuvre livrée à l'état naissant,
imperfeclum, rassemblant des notes au jour le jour (diales), une poussière
de petits riens (nugas), des jeux Uocos, lusus), des bavardages en compa-
gnie d'amis (cum amicis garritus). Cette humilité cache un défi compa-
rable, toutes choses égales, à celui de La Fontaine se contentant du genre
dédaigné de la fable ésopique. En mettant l'accent sur le caractère
discontinu, émietté, à facettes, du genre de la lettre familière, Lipse
affirme indirectement son dédain pour le caractère arrondi et léché des
grands genres oratoires. A l'en croire, ni le choix d'un seul et grand
sujet, ni la beauté du style (cura et lima in stylo) ne recommandent son
recueil; toutes ces qualités sont trop au-dessus du genre épistolaire, genre
« spontané» par excellence (sub manu nasci debere et sub acumine ipso
stili), qui ignore la réécriture et la relecture (bis non scribo, bis vix eas
lego). La figure d'humilité commence dès lors à se dévoiler, révélant la
conscience héroïque de Lipse et sa certitude d'avoir trouvé dans le genre
dédaigné de la lettre familière l'expression par excellence de l'individu
d'exception. La «spontanéité» du style épistolaire lui permet en effet
ct'enregistrer fidèlement les moindres variations d'humeur, les hauts et les
bas « mélancoliques» d'une grande âme (fanguent ellim il/ae, excitantur,
dolent, gaudent, calent, frigent mecum). Cela peut entraîner l'éparpille-
ment dans les détails quotidiens (leviorum multitudo) : mais il peut arriver
aussi que, triomphant des nuées humorales, l'esprit de l'épistolier s'élève
aux plus hautes considérations philosophiques et philologiques: le style
alors d'un mouvement spontané, accompagne l'essor de l'ingenium. Le
style « bas» de la lettre devient ainsi, par ses modulations, l'instrument
par excellence de l'autoportrait d'une « grande âme» qui a rencontré un
corps, autoportrait en relief, qui reflète les différents niveaux de l'activité
morale et intellectuelle de l'esprit. Ecce homo: cette exposition de soi
suppose une parfaite correspondance entre la spiritualité d'un homme
et celle de son style, à la fois ingénuité (candor), sincérité (veritas), naturel
(alibi fucus et simu/alio, hic lIativus color) mais aussi courage, celui
d'être soi-même publiquement, en dépit de J'envie et des soupçons.
Erasme, libérant le genre épistolaire de ses chaînes médiévales dans
le De cOllscribendis epislolis, s'était malgré tout placé du point de vue du
pédagogue humaniste soumettant son élève à la discipline et aux exer-
cices scolaires qui seuls rendent possible la liberté de l'apte dicere.
Abandonnant le point de vue scolaire, et tenant pour acquise la prépa-
ration rhétorique, Lipse adopte sur le style épistolaire le point de vue
« adulte» de la grande âme mélancolique et inspirée, qui lève le voile
(nec velum ei ducere succurrit) sur ses mouvements intérieurs. dans l'espace
de confidence ouvert par l'amitié, et élargi ensuite à l'auditoire de la
Respublica literaria. Le genre épistolaire et son style se définissent chez
lui par une série d'oxymores : un genre discontinu et court, dédaigné des
156 LA RÉFORME TRIDENTINE

grands traités d'art oratoire antiques, devient le miroir sorcière de l'infini


du moi humain, au degré suprême de sa conscience héroïque et de sa
science encyclopédique; un style exilis, conforme à l'esprit du genre et à
Il condition privée de l'épistolier, devient le réceptacle sensible de toutes
les «idées» du style, éclats de l'antique architecture des trois styles
superposés, ruines de l'éloquence orale recomposées dans un genre écrit.
Juste Lipse tire ainsi les conclusions d'un siècle de réflexion huma-
niste sur l'éloquence: un genre bref et écrit, la lettre, triomphe du discours
de type cicéronien inadapté aux mœurs monarchiques de l'Europe mo-
derne, et devenu le partage, sous l'égide augustinienne du De Doctrina
Christiana, de l'éloquence sacrée. En contrepoids de celle-ci, l'Epis/Dia
ct son style à la fois bref et modulé devient le palladium d'un magistère
laïC. Ce magistère docte manifeste son autorité en prose, et dans une prose
écrite. Mais cette prose hérite des qualités de relief et de densité de la
poésie. Et cette autorité, dévolue à un prosateur laïc, hérite de celle du
seul rival traditionnel du théologien, le poète inspiré. L'anthropologie mé-
dicale du tempérament mélancolique, seul propre aux plus hautes spécula-
tions, vient étayer la théorie platonicienne de la réminiscence pour faire
de l'humaniste érudit, ayant accès aux sources originelles et purifiées du
savoir, moins le rival du théologien orthodoxe, que son égal, son colla-
horateur dans la grande œuvre de Réforme, ou Contre-Réforme, des
mœurs et de la foi 228.
C'est à doter l'humanisme érudit, exalté en mythe héroïque, d'une
rhétorique à sa mesure, que va s'employer Lipse dans son Episfo/ica insti-
tutio, publié en 1591 229. Dans ce traité très bref, qui systématise les
indications de sa préface de 1586, l'humaniste flamand ne se soucie
aucunement d'analyser les progymnasmata propres à former un épistolier,
ni à lui offrir des modèles: il s'adresse à un lecteur adulte et érudit, dès
longtemps libéré des servitudes enfantines. Il s'en remet à une culture
encyclopédique et critique déjà acquise pour alimenter la copia de la
lettre et à un jugement formé par la discipline érudite pour adapter
l'écriture épistolaire aux circonstances et au destinataire de la lettre. Il

~28 La rhétorique de Lipse a de profondes parentés avec l'anthropologie


uu Dr Huarte. Reposent-elles sur des sources philosophiques et médicales com-
Illunes, ou sur une influence de la seconde sur la première? 11 Y a toute une
recherche à faire sur la philosophie du «style coupé» en Europe, à la suite
ue Morris W. Croll (S/yle, rhe/orie and ry/hm, ouvr. cit.) et de G. Williamson
(The Seneean amble, Chicago, 1966).
229 justi LipsU Epis/olica Institu/io excepta ex diclantis ejus ore anno 1587
mense lunio, adjunclum est Deme/rU PhalerU ejusdem argumen/i scriptum,
Lugdu!1i Batavorum, ex off. plantiniana, 1591, in-8". Voir Catherine Dunn,
« Lipsius and the art of letter writing », Studies in the Renaissance, Ill, 1956,
p. 145-156. Lipse publie en appendice un des deux traités sur l'art épistolaire
connus sous le nom du Ps. Démétrius de Phalère (v. éd. Teubner, 1910, et
trad. lat. chez Didot, 1873), celui sur l'élocution, d'inspiration atticiste, où le
style épistolaire, opposée à l'aelio fOi"ensis, a pour valeurs essentielles la
uensité, la brièveté, le refus du style périodique; la couleur dominante est
la bienveillance, d'où l'accent mis sur la simplicité, les ornements familiers tels
que les proverbes, et les qualités dominantes de venustas et de tenuitas. La
lettre sclo!1 le Ps. Démétrius de Phalère est le lieu d'expression par excellence
de la personne privée.
JUSTE LlPSE 157
fait l'économie, ou peu s'en faut, d'un classement du genre épistolaire en
sous-genres: avec plus de netteté que chez Erasme, comme l'annonçait la
préface de 1586, il fait de la lettre familière le genre gigogne propre à
accuei\lir et contenir tous les autres, à englober aussi tous les sujets
possibles de l'uomo universale. Et du primat de la lettre familière, il
déduit le primat du style bas, du sermo humilis ou exilis. Mais c'est sur
la conception de ce sermo humilis que Upse prend le plus nettement i>es
distances avec le De cons cri ben dis epistolis d'Erasme, dont l'anti-cicéro-
nianisme demeurait encore prisonnier d'une perception orale de l'élo-
quence. Le style simple selon Erasme se voulait le reflet de celui de la
conversation ou du dialogue comique. Upse a pris conscience et a pris
son parti du caractère écrit de l'éloquence moderne, exilée de la parole,
et jaillie <le la méditation solitaire et silencieuse de l'érudit dans sa
bibliothèque. Mais il ne renonce pas à cette rapidité d'improvisation qui
chez Erasme était le gage de la liberté et de la simplicité véra ce de l'épis-
tolier et qui, chez Upse, est le signe de la haute inspiration héroïque, liée
à la réminiscence érudite. La rapidité d'improvisation, l'impromptu (subi-
taria dictio) propre à la lettre doivent non seulement être guidés par un
jugement exercé à l'aptum, aux convenances psychologiques et sociales,
mais aussi par un goOt conscient de l'écart entre prose orale et prose
écrite. La lettre Iipsienne devieni ainsi la métaphore écrite non d'une
improvisation orale, mais d'une méditation solitaire et silencieuse, en pré-
sence toute spirituelle d'un ami absent. Elevé au rang de prose d'art,
c'est-à-dire de prose écrite destinée à la lecture attentive, le sermo
h"milis de la lettrc IifJslenne se tient à mi-chemin entre deux périls
d'abondance: les effets voyants, amples, périodiques de la grande élo-
quence orale, et le relâchement, mol, flou, et c comique:. de la conver-
sation courante. Empruntant à Hermogène la notion d'idées du discours,
qui dissocie la hiérarchie des styles, Upse résume à cinq «idées» celles
du sermo humilis de l'écriture érudite: la brevitas, que nous traduirons
par condensation, la perspicuitas, qui est moins clarté que relief, la
simplicitas, qui est moins spontanéité qu'effet de spontanéité, la venustas,
qui contient en elle urbanité, élégance. humour, esprit, toutes les grâces
de l'humanitas, enfin la decentia, version plus morale du decorum.
Ces qualités garantissent à la prose écrite, veuve de la voix, les substi-
tuts de vigueur, de précision, de justesse et de « trait" qui l'imprimeront,
malgré le silence et l'absence, dans l'âme du lecteur. Du deuil de parole
directe, celle du forum comme celle du cénacle érudit dispersé par
le malheur des temps, naît une éloquence nouvelle, plus puissante encore.
Upse découvre que le lecteur, contrairement à l'auditeur, est libre de
revenir en arrière, de s'attarder sur la page écrite ou imprimée, de la
méditer et de la goOter à la façon d'un poème. La prose épistolaire ne
doit pas seulement soutenir cette attention scrutatrice, elle doit la récom-
penser par le bonheur d'expression. Dans le silence de cette communica-
tion nocturne, l'éclat des signes, leur densité quasi cryptique, leur relief,
leur franchise en font autant de «sceaux:. qui gravent sur la page les
traits d'un ingenium destinés à s'imprimer sur un autre ingenium, frater-
nel. Expérience mélancolique: en renforçant à ce point l'expressivité
158 LA RÉFORME TRIDENTINE

d'une éloquence tout intérieure, la prose s'enrichit des vertus propres à la


poésie, à l'oratio stricta. Lipse rejoint ainsi la leçon du Dialogue des
Orateurs, qui faisait de la corruption de l'éloquence publique le principe
d'un nouvel enthousiasme, celui du poète en retrait de la vie politique,
exerçant le magistère de la sagesse et de la beauté sur une élite.
L'instrument privilégié de la nouvelle « Idée du' Beau» oratoire, c'est
l'acumen, pointe, trait, saillie, '" pensée », paradoxe épigrammatique ou
métaphore surprenante qui dédaignent de se développer pour conserver
leur prégnance maximale, leur puissance de fascination al1usive. L'acumen
est pour Lipse un semen dicendi à l'état naissant, et maintenu à ce stade
germinal pour concilier, dans un style écrit, l'effet de jaillissement de
l'invention avec la densité suggestive de l'élocution. Mais ces '" concep-
tions» de l'ingenium seront accordées aux exigences de l'optum, de la
bienséance sociale et morale, par le jugement de goût, le judicium. La
pensée de Lipse procède par paradoxes et oxymores. Rapidité, justesse,
brièveté frappante, tout semble procéder du « beau génie» : et cependant
cet innéisme héroïque et élitaire se concilie avec la pleine maîtrise d'une
culture encyclopédique, rhétorique et philosophique. Le naturel est le fruit
de cette coincidentia oppositorum. Lipse distingue trois étapes dans l'édu-
cation de son orateur-poète-écrivain : la première, fondée sur l'imitation
scolaire de Cicéron et des cicéroniens humanistes, donnera au style écrit
une correction et une netteté élémentaires. La seconde, brodant avec plus
de liberté sur cette trame solide, imitera les auteurs moins académiques,
et entre autres les comiques, Plaute et Térence. La troisième, que Lipse
qualifie d'adulte, ouvre à l'ingenium érudit « toute la lyre» de la littéra-
ture antique, et en particulier ses trois cordes les plus tendues, les trois
attiques latins, Salluste, Sénèque et Tacite. Pour se préparer au « premier
jet» de la lettre, l'épistolier devra en outre se constituer des recueils de
citations (excerpta), d'ornements (ornamentum), de tours de phrase (far-
mulae), de vocabulaire (dictio). Parmi les ornements, Lipse recommande
d'emmagasiner dans la mémoire des images, des al1égories, des traits ou
pointes (ocutiora dicta), des sentences enfin propres à conférer au style
sa venustas. La rapidité de l'écriture érudite repose donc sur l'acquisition
patiente de loci communes et sur la possession parfaitement assimilée des
diverses ressources de la langue latine. La liberté de l'invention est tout le
contraire du spontanéisme.
En dépit de cette haute conscience d'artiste de la prose, qui fit tant
d'impression sur les contemporains, on ne saurait faire de Lipse un
écrivain au sens moderne du terme. C'est un humaniste érudit, qui cher-
che pour sa discipline le supplément d'âme et de prestige que confère
l'austère beauté « attique ». Et cette beauté elle-même, reflet d'une grande
âme initiée au savoir de l'Origine, est une résurrection savante arrachèe
<J.ux tombeaux de la Grèce et de Rome. Rallié à la Réforme catholique, ami
des Jésuites de Louvain, Lipse a créé en sa personne ~t en son œuvre un
type d'humaniste laïc, à la fois supérieurement savant et supérieurement
artiste, qui se voit reconnaître, dans la culture catholique, une place
légi,time et éminente, en son ordre, aux côtés du théologien et du prédi-
cateur.
JUSTE L1PSE 159

C'est ce que ne lui pardonneront pas ses pairs, réformés ou gallicans,


les Joseph-Juste Scaliger, les Henri Estienne, les Isaac Casaubon, les
Jacques-Auguste de Thou, qui se font de la prose érudite une idée moins
artiste. Mais l'influence de Upse écrivain n'en sera pas moins profonde en
Europe. Elle sera prolongée après sa mort par l'œuvre de son meilleur
disciple, Henri Dupuy, Erycius Puteanus 230, qui érigera l'atticisme séné-
quien de Lipse en doctrine du «laconisme ». Après avoir occupé une
chaire d'Eloquence à Milan, Puteanus, ancien étudiant de Upse à Lou-
vain, revint en Flandres espagnoles en 1608 pour succéder à son maître.
Lorsqu'il mourra, chargé d'honneurs, en 1648, il sera enterré dans la
chapelle saint Charles Borromée à Saint-Pierre de Louvain. Par sa
correspondance, par ses travaux d'érudition, et plus encore par sa doc-
trine stylistique, il avait incarné aux yeux de l'Europe savante la version
nordique de l'humanisme érudit catholique, soutenant de son prestige de
prosateur et de savant les efforts de la Réforme romaine.
L'année même où il inaugurait son enseignement à Louvain, Erycius
Puteanus publia un brillant essai en latin, où il mêlait le dialogue, la
citation de lettres échangées avec des adversaires, et de ses propres
orationes académiques: le De laconismo syntagma 231. La leçon de style
que Juste Upse avait semblé réserver à l'art épistolaire, s'y trouvait,
conformément d'ailleurs à l'esprit du maître, élargie à une philosophie
générale de l'atticisme, en vive polémique contre l'héritage du cicéronia-
nisme italien. Pour Puteanus, comme pour Huarte, il y a, parmi l'infinité
des esprits qui engendrent une infinité de styles, deux grandes familles
dont l'incompatibilité domine l'histoire de la res Iiteraria. L'une, liée au
luxe, au désordre des mœurs, à l'effèmination des caractères, à la demi-
culture, favorise un style abondant et périodique, riche de « mots» inuti-
les et vains, et pauvre de «choses ». On retrouve ici tous les traits de
l'éloquence-serve attribuée par Huarte aux purs imaginatifs, par les
théologiens aux orateurs, par Erasme aux cicéroniens, sophistes moder-
nes. L'autre famille, liée à la pureté des mœurs, à la santé, à la frugalité. à
la sobriété, à la chasteté, à la virilité enfin, indissociable de la vigueur
intellectuelle et de la vraie science, s'exprime tout naturellement en un
style bref, à la fois efficace et irrésiS'tible, pauvre de « mots» et riche de
« choses» solides. Ces deux fami\les en conflit expliquent l'histoire de
l'Eloquence: à l'origine était la brièveté, dont l'Athènes classique fit un
art, l'atticisme, qui résumait l'Eloquence; fascinée par celle-ci, les peu-
ples d'Asie, ignorants et corrompus, en inventèrent une version dégénérée,
l'asianisme, qui contamina Athènes; Sparte, asile de la vertu, resta fidèle
à la brièveté et à la densité du langage des origines, et cette résistance
fut symbolisée par le style laconique. A Athènes même, un Thucydide, un

230 SUl Henri Van de Putte, voir Bayle, Dictionnaire, art. Puteanus, et
Vigneul-Marville, Mélanges ... , t. 2, p. 417. Sur sa doctrine du meilleur style,
voir Suadu Attira. sive orationum selectarum syntagma, t. l, Lovani, typis
Christoph. flavi, 1615, Orationes 1 et Il et le De Laconismo syntagma (Ire éd.
1609) dans Amoenitatum humanarum diatribae XII, typis C. Flavi, Lovani, 1615.
231 Voir note précédente.
160 LA REFORME TRIDENTINE

Lysias, maintinrent la pureté de la tradition attique. Et à Rome, dans la


Rome vertueuse anti-cicéronienne, Caton et les Gracques retrouvèrent dans
leur éloquence l'esprit de Sparte. Après Cicéron et l'invasion des dècla-
mateurs, un Salluste, un Tacite surent se préserver d'une corruption de
l'éloquence qui, après eux, ne fit que s'aggraver. L'apologie du style
laconique est donc d'abord fondée sur un mythe primitiviste qui suppose
une alliance originelle entre vertu morale, virilité, et virtus oratoria,
alliance rompue par la dégénérescence intellectuelle et morale, et par
l'éloquence molle et flatulente qui l'exprime. Une série de métaphores
soutiennent l'antithèse. Géométriques, pour caractériser la briéveté héroï-
que: la ligne droite, chemin le plus court d'un point à un autre; le cercle,
dont la circonférence parfaite suit le trajet le plus économique. Physiques,
pour caractériser l'abondance vulgaire: les bulles aussitôt évanouies que
formées ; le verre brisé, symbole de fragilité et de vanité.
Par opposition au gaspiIlage «baroque" de l'asianisme, l'économie
philosophique du laconisme sait dire le plus de choses solides avec le
moins de mots. Pour autant, le « primitivisme» de Puteanus ne le conduit
pas au mépris de l'Eloquence, ni de l'Ornatus; la beauté de la parole
demeure plus que jamais, pour cet humaniste, le privilège qui sépare la
civilisation de la barbarie. Sa thèse est que le laconisme est la quintes-
sence de l'Eloquence, le diamant qui la résume et qui résiste à toutes les
attaques auxquelles l'asianisme prête le flanc. Celui-ci, toujours avide de
multiplier, a distingué trois degrés de style: le simple (exilis), le moyen
(temperatus), le grand (grandis), et a exclu de cette hiérarchie la « stéri-
lité» du laconisme. A quoi Puteanus répond:
Mais, je le demande, si l'on veut la simplicité, mon Laconique ne
l'a-t-il pas? Tu l'admettras. Et si l'on veut la tempérance? Tu l'accor-
deras. Mais comment, demanderas-tu, sera-t-il sublime et élevé? De même
que tu admets que ton Asiatique puisse trouver dans l'abondance la sim-
plicité et même la tempérance du style bas, je reconnaîtrai la somme et
le sommet de l'éloquence dans la brièveté 232.

Le laconisme réunit dans sa vigueur prégnante toutes les qualités des


trois styles et, au premier chef, le sublime. 11 réussit d'aiIleurs, là où
l'éloquence dégénérée échoue, à concilier l'utile et l'agréable, le docere
et le delectare, la force de convaincre et l'art de persuader. Il convainc,
car il a pour lui la force et la vigueur des mots, plus' efficace que leur
creuse abondance. Il persuade, car il a pour lui la vraie beauté, qui est
nombre et ornement. Ce qui crée le rythme, ce n'est pas l'abondance, mais
l'agencement des mots (non copia, sed copulatio vocum), leur structure,
qui multiplie leur prégnance et diminue leur nombre. Quant à l'ornement,
il ne réside pas dans la période seule, mais dans le relief de chaque mot.
La modulation (modus, au sens musical), l'oxymore (acumen), la litote
(emphasis), la réticence (aposiopesis), sont les techniques de variation par
lesquelles la briéveté obtient de peu de mots le maximum de sens, si

232 De laconismo syntagma, ed. 1615 cit., p. 29.


ERYCIUS PUTEANUS 161

bien, ajoute Puteanus, que le discours signifie plus qu'il ne dit, et même
ce qu'il ne dit pas. Si la valeur suprême de la rhétorique est l'aptum, la
convenance, seule la brièveté, si attentive à tirer de chaque mot l'effet le
plus juste et le mieux approprié, remplit l'ambition de l'aptum.
Pugnace et beau, âpre et doux, le style laconique, entre les deux
infinis du silence et de la plénitude du verbe divin, est seul à pouvoir faire
Jaillir les fulmina du sublime. Style de la virilité à son comble de vigueur
sobre et mûre, il est aussi le style de l'héroïsme, propre aux Rois et aux
Princes, représentants de Dieu sur la terre: leur diadème correspond aux
liens qui resserrent leur langue, et qui les fait parler par apophtegmes,
voire par foudroyants monosyllabes.
Le De laconismo syntagma ne se bornait donc pas à systématiser la
leçon que Lipse avait énoncée à propos du style épistolaire. Cet essai
dessinait une éthique et une rhétorique de l'éloquence héroïque, englobant
toute l'aile « laïque» de l'élite de la Réforme catholique, humanistes éru-
dits et hauts responsables politiques et militaires. Nous verrons, chez un
Nicolas Caussin, le pendant ecclésiastique de cette éloquence héroïque,
dans la théorie du Theorhetor. Puteanus, comme Lipse, croyait avoir doté
la rhétorique catholique d'une doctrine conciliant Erasme et Sénèque,
l'esprit de la renovatio spiritus et celui des hautes études érudites. Cette
conciliation reposait sur un anti-cicéronianisme qui avait toujours marqué
la Renaissance des pays du Nord de l'Europe. Au contraire, la tradition
centrale de la Renaissance italienne était cicéronianiste, et en Italie, à
Rome surtout, foyer du cicéronianisme, la conciliation entre humanisme
et Réforme catholique ne pouvait se faire que sous le signe de Cicéron.
C'est à quoi s'employa, au cours de sa carrière romaine, Marc Antoine
Muret, dont la doctrine rhétorique, fort analogue à tant d'égards à celle
de Lipse, s'en distingue par le sens des nuances et celui de la continuité.
CHAPITRE IV

LA SECONDE RENAISSANCE « CICÉRONIENNE»

MARC ANTOINE MURET ET FRANCESCO BENCI

Dans une suite d'essais qui ont fait époque 233, Morris W. Croll,
développant les suggestions de la belle biographie de Muret publiée par
Charles Dejob en 1883, a fait de l'humaniste limousin réfugié en Italie la
figure majeure de l'histoire de la rhétorique humaniste post-tridentine.
Son analyse de l'Oratio prononcée par Muret en 1572, à l'aube du ponti-
ficat de Grégoire XIII, fait de celle-ci le point de départ de l'anti-cicéro-
nianisme qui dominera selon lui la fin du XVI' et le xvll" siècle. La
carrière universitaire de Muret à Rome avant cette date n'aurait été
qu'une préparation prudente au coup d'éclat de 1572 qui marquerait la
rupture de Muret avec la tradition de Bembo .


••
Lorsque Muret arrive à Rome en 1563, c'est à l'appel du pape Pie IV,
qui avait déjà fait venir Paul Manuce en 1561, pour confier au premier
une chaire de professeur de philosophie morale à la Sapienza, et au
second la charge de fonder une imprimerie pontificale et d'y éditer les
Pères de l'Eglise. C'est également en 1563 que l'Académie des Nuits
Vaticanes, dirigée par le neveu du Pape, Charles Borromée, se détourne
des sujets païens pour se consacrer à la Bible, aux Pères, et à Epictète.
La même année l'humaniste romain Silvio Antoniano 234, ami de Pie IV et
membre de l'Académie borroméenne, inaugure un cours sur le Pro Milnne
à la Sapienza.

C'est de la connaissance des choses, s'écrie-t-i1, que jaillit l'abondance


du discours, et à son tour l'obscurité des choses est éclairée par les
lumières de l'éloquence. A mes yeux, il n'y a que puérilité et vanité dans
les efforts de ceux qui, négligeant les choses, se donnent tout entiers et

233 Style, rhetoric and rythm, ouvr. dt.


234 Sur Silvio Antoniano, voir Dizionario biografico degli ltaliani, t. 3,
1961, p. 511-515.
MARC ANTOINE MURET 163

avec trop de raffinement minutieux à l'ornement du discours et au choix


des mots 235.

Et l'orateur, qui fait de l'éloquence le complément inséparable des


sciences, philosophie, politique, dro)t, médecine, invoque Charles Borro-
mée à l'appui de sa conception d'une éloquence « utile au bien commun ».
En d'autres termes, Silvio Antoniano s'apprête à faire son cours dans
un esprit augustinien et au nom de l'utilité catholique. L'elegantia sermo-
nis cicéronienne ne se justifie plus par sa seule référence à l'Idée du
Beau: elle doit servir les intérêts de l'Eglise et de la foi.
Depuis Bembo, l'art de la lettre de chancellerie pontificale a lui aussi
évolué 236. Avant que Silvio Antoniano ne prenne sa succession, c'est
Antonio Buccapaduli qui occupe pendant toute cette période les hautes
fonctions de Secrétaire aux Brefs. En 1572, il prononce dans la Basilique
Saint-Pierre une Oratio devant le conclave qui s'apprête à élire Gré-
goire XIII Buoncompagni 237. Son discours est un bel exemple de prose
cicéronienne, mais il est parsemé de citations de la Bible et de l'Evangile.
Concession caractéristique à une « rhétorique des citations» qui marque
l'influence de la latinité tardive et de l'éloquence des Pères.
Au moment où Marc Antoine Muret inaugure son enseignement
à la Sapienza, la Réforme catholique est depuis longtemps à l'ordre du
jour à Rome. Loin de régner en maître à la Cour pontificale, le cicéronia-
nisme romain fait pénitence, e1 n'hésite pas à se renier, même si c'est en
belle prose latine. La biographie d'Antoniano est à elle seule significative.
Adolescent, il avait enchanté les Cours de Ferrare et de Rome par sa
beauté, son esprit précoce, et ses improvisations oratoires qu'il accompa-
gnait lui-même de la lyre. Mais le jeune Apollon cicéronien, sous l'in-
fluence de Charles Borromée, entre dans les Ordres, devient un prélat
« réformé» et sacrifie son éloquence mondaine au service des « choses»
divines.
Ce qui se fait jour d'anti-cicéronianisme dans l'enseignement de Muret
en 1572 n'avait donc pas de quoi surprendre: il est parfaitement conforme
aux intentions des Pontifes réformateurs qui l'ont patronné. Reste à savoir

235 Dans Silvii Antoniani SR.E. Cardinalis vita a losepho Castalio/ze ...
ejusdem orationes XIII... Romae, apud J. Mascardum, 1610, Oratio prima de
cognitionis et eloquentiae laudibus ... (1563), p. 84-85.
236 Antonii Possevini... Bibliotheca selecta qua agitur de ratione studiorum ...
Romae, typogr. Apostolica vaticana, 1593, 2 t. in-fol. « Il nous reste il est vrai
écrit Possevin, les lettres de Bembo, courtes et dignes de la science latine du
Secrétaire des brefs de Léon X, qui les adressa au nom du Pape à de nom-
breux correspondants et qu'il prit soin lui-même d'éditer. Mais sous l'influence
d'événements arrivés depuis, guerres et hérésies qui troublèrent la chrétienté,
découverte d'un monde nouveau qui l'augmenta, un style nouveau est apparu
pour rédiger les lettres pontificales et royales, plus abondant, et toutefois
ferme, que la pression des faits amena les successeurs de Léon X, Paul III
et Jules III, à adopter.» (Cité d'après l'édition lyonnaise du Cicero, J. Pille-
hotte, 1593, 12·, p. 59.)
237 Antonii Buccapadulli de Summo Pontifiee creando aralia, Rome, 1572.
164 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

si cet humaniste raffiné, hôte et ami des cardinaux d'Este 238, traitant
d'égal à égal avec ce que Paris et Venise comptent alors d'esprits les
plus cultivés et délicats, n'avait pas lui aussi sa " politique» rhétorique,
qui pouvait d'ailleurs fort bien, quoique avec des intentions différentes,
coïncider avec celle de la Curie: celle-ci souhaitait que le Tullianus stylus
devînt ({ utile », et se pliât aux exigences d'expression des sciences profa-
nes et sacrées mobilisées au service de l'Eglise; Muret devait souhaiter
que le devoir d'apologétique et de civisme catholiques ne grevât point
l'héritage de la ;enovatio litterarum, mais donnât lieu au contraire à un
approfondissement de la réflexion rhétorique, profitant à l'éloquence
humaniste. C'est en humaniste, soucieux de marquer la place des litterae
humaniores au cœur même du grand mouvement de Réforme catholique,
qu'il procède à une réforme prudente de la tradition cicéronianiste. Loin
de la renier, il illustre son pouvoir d'adaptation, sa capacité de se modi-
fier et de s'enrichir selon les temps et les lieux .


••
Dès 1543, dans une lettre à Calcagnini 239, Jean-Baptiste Giraldi,
traitant de l'imitation, tout en maintenant Cicéron dans son rôle de péda-
gogue par excellence de l'art de la prose, admettait aussi, pour l'adulte
maître de ses moyens, la liberté d'imiter d'autres modèles antiques et de
parvenir à une meilleure expressivité personnelle, une plus grande adapta-
bilité aux divers sujets, circonstances et destinataires. Mais le pas déclsif
fut franchi par l'un des plus célèbres représentants du cicéronianisme,
Paul Manuce, auteur d'un recueil d'Epistolae dans la tradition de Longueil
et de Bembo. Dans un volume de lettres italiennes, publié en 1555, il pro-
posait une réforme du De Imitatione de Bembo 240. Celui-ci définissait

238 Voir sur Muret et les Este, ouvr. cit., Charles Dejob, ch. VIII, p. 113
et suiv.
239 Joannis Battistae Giraldi Ferrariensis poemata ... , Basileae, per Rober-
t:lIY1 Ninter, 1543, p. 200-208. Cette lettre à Calcagnini maintient Cicéron dans
le rôle de maître du meilleur style. Mais velim unius auctoris angustiis omnia
meUri?, demandait Giraldi. Il faut s'en pénétrer dans l'enfance, mais ensuite
élargir l'imitation à d'autres allt~urs. Toutefois, quaeel/mque ... exeerpta fue-
runt, ad unius Ciceronis imitationem eonvertenda censeo. La dureté excessive
des atticistes, la mollesse trop fleurie des asianistes, doivent être ramenés à
une juste meS'lre, ad examen et reRulam quamdam. Et la pierre de touche de
ce ]udicillm doit être Cicéron (p. 205). C'est cette présence de Cicéron à la
fin du procès de liberté imitative qui sera omise par Lipse, mais maintenue par
Muret. Chez Giraldi, on a affaire à un cicéronianisme élargi, enrichi, mais
fidèle à son principe de classicisme. Chez Lipse, on quitte le classicisme. La
réponse de Calcagnini abonde dans le sens de Giraldi, recommandant l'imi-
tation de César, Live, Salluste aux historiens, de Columelle, Celse, Pline l'An-
cien aux savants.
240 Tre lib ri di letfere volgari di Paolo Manuzio, Aldus, Venetia, 1555,
in- 12°. Sur l'amitié entre Paul Manuce et Marc Antoine Muret, qui se réfugia
d'abord à Venise après avoir fui la France, voir Dejob, ouvr. cit., p. 84-85 et
144-145. Sur la venue de Paul Manuce à Rome, peu avant celle de Muret,
et sur la maison d'éditions pontificale qu'il y fonda, voir Annales de l'impri-
merie des Alde, ou histoire des frois Manllce et de leurs éditions, par A.A.
Renouard, Paris, J. Renouard, 1834, p. 424-450.
MARC ANTOINE MURET 165
une esthétique oratoire qui n'avait besoin de se justifier qu'aux yeux
d'une élite humaniste sûre d'elle-même, et appuyée par l'autorité des
Pontifes. La Réforme catholique a pris un tour plus inquiet, plus véhé-
ment. Paul Manuce s'emploie à définir une esthétique oratoire profane
mieux accordée à cet esprit héroïque et aux questions posées par la
polémique anti-cicéronienne d'Erasme. Il écrit à l'un de ses correspon-
dants, Ottaviano Ferrero :

Il m'est venu en fantaisie, si j'ai la santé et le loisir, d'expliquer l'art


de la rhétorique sous forme de discours, et surtout la question de l'imi-
tation; j'y ai rêvé longtemps (ho ghiribizzato gran tempo) et il me
semble avoir trouvé beaucoup de secrets que jusqu'ici le vulgaire ne
connaît pas 2H.

Ces moiti segreti capables de modifier les idées reçues sur l'imitation,
Paul Manuce ne tarde pas à les rendre publics. L'année même où cette
lettre avait été écrite (1555), il avait imprimé sur les presses vénitiennes
une édition de Traité du Sublime 242 plus soigneuse que l'édition princeps
publiée l'année précédente par Robortello 213. Et à la suite de sa lettre à
Ferrero dans le recueil de 1556, il publie un Discorso intorno all'ufficio
dell'oratore, texte capital car il nous semble qu'il est le premier pro-
gramme rhétorique moderne à paraphraser le Ps. Longin. Celui qu'Henri
Estienne en 1581 classera encore parmi les cicéroniens bembistes tient en
1556 des propos qui, sous l'influence du traité qu'il vient d'éditer, le
rapprochent des thèses, sinon d'Erasme, du moins de Politien. A la ques-
tion de savoir lequel, de l'art ou de la nature, contribue le plus à la
formation du bon orateur, le fils d'Alde Manuce répond:

[L'éloquence] produit un effet d'autant plus grand qu'est plus capable


et plus fertile le génie (ingegno) où elle est éparse, à l'état de germe;
de même que l'art est né de la nature, et veut être nourri et soutenu
par elle, de même plus il est privé d'elle, plus il se fait faible, à la manière
des plantes, qui, manquant de leur humeur native, se dessèchent rapi-
dement. Si l'orateur ne peut participer également de l'art et de la nature,

241 FO 12 l'0. Lettre du 25 mai 1555 à Ottaviano Ferrero. Le Discorso


intorno al/'ullicio de l' oratore commence aussitôt après cette lettre qui l'an-
nonce (fO 13 r").
242 Dionysii Longini de sublimi genere dicendi, in quo cum alia multa
praeclara sunt emendata, tum veterum poetarum verSus, qui confusi commix-
tique cu;n oratione soluta minus intel/egentem lectorem fal/ere poterant notati
a/que distincti, Aldus, apud Paulum Manutium, Venetiis, 1555, in-4°, 24 ft. La
coïncidence entre cette publication et la date de la lettre et du discours à
Ottaviano Ferrero est frappante. L'élargissement et l'approfondissement du
cicéronianisme italien passent par le Trailé du Sublime de Longin.
243 L'édition de Paul Manuce se présente, on vient de le voir, comme un
progrès sur l'édition précédente, procurée par Robortello: DionySii LO,1gini
praestantissimi liber de grandi sive de sublimi orationis genere. Nunc primum
a Francesco Robor/ello in luce editus. Ejusdemque annotationibus latinis in mar-
ginis apposilis, quae instar commentariorum sunt, illustra tus, Basileae, per
Joailnem Oporinum, in-4", s.d., 71 p., dédicace du 5.vl/I.l554.
166 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

il vaut miéux qu'il y ait en lui manque d'art et surabonda!lCe de nature,


que le contraire ... 244.

L'on retrouve dans ce texte, teinté de naturalisme padouan, l'insistance


de Politien et de Pico sur l'ingenium personnel. Mais la lecture de Longin
a donné à Paul Manuce de nouveaux arguments pour faire du « sublime »,
même sans art, le privilège des natures exceptionnellement douées 24~.
A la question de la hiérarchie respective des trois instances psychi-
ques de l'orateur (mémoire, entendement, jugement) et de ses trois activi-
tés (invention, disposition, élocution) Manuce sous l'influence de Longin
fait une réponse différente de celle de Bembo: il met l'accent sur l'enten-
dement et l'invention 246. A la question de la finalité du discours (plaire,
instruire, émouvoir), il fait une réponse qui évite à la fois l'esthétisme et
l'utilitarisme: il réconcilie les catégories du plaire et de l'instruire dans
celle de l'émouvoir. L'éloquence enracinée dans une grande âme a pour
principal effet de toucher l'auditeur, ce qui revient à la fois à le persuader
et à lui donner du plaisir. Cette solution s'inspire évidemment du Ps.
Longin. Mais elle a l'avantage de s'accorder, sur un plan profane, avec
la notion de sublime chrétien que saint Augustin définissait, non sans
s'inspirer lui-même du Ps. Longin, dans les derniers chapitres du De Doc-
trina Christiana. Et pour obtenir un effet émotionnel aussi concentré et
aussi puissant, Paul Manuce admet que la grande éloquence puisse addi-
tionner les effets propres aux genres oratoires traditionnels (judiciaire,
démonstratif, délibératif) réconciliant en un seul style sublime les trois

244 Ouvr. cit., éd. cit., f" 15 v".


245 Voir l'édition du traité Du Sublime texte établi et traduit par H. Lebè-
gue, Paris, Belles Lettres, 1965, p. 4, Il, 2. Le Ps. Longin écrit: «La nature
dans les mouvements pathétiques et sublimes est à elle-même sa loi [ ... ] Ce don
naturel constitue la base et le principe de toutes nos productions; mais pour
ce qui est de la mesure, du moment opportun, pour chaque point particulier
et allssi de la pratique et de l'usage le plus sûr, c'est la méthode qui est
apte à determiner les limites et à les fournir... » Et p. 10, VIII, 1 : « La faculté
de concevoir des pensées élevées ... , la véhémence et l'enthousiasme de la pas-
sion ... , ces deux premières sources du sublime sont en grande partie des dispo-
sitions innées. Les trois autres (figures, noblesse de l'expression, choix des
mots) sont des produits de l'art. » Le traité du Sublime est à la fois un produit
de la seconde sophistique, et une critique de celle-ci. La place qu'il accorde
aux dons naturels est équilibrée par un souci d'art. et SurtO:lt de goût qui
évik aux natures les plus douées de tomber dans l'excès de l'enflure, de l'en-
thousiasme forcé et froid, faute de conscience critique. Voir aussi p. 52, XXXVI,
4, «La perfection [ ... ] pourrait peut-être résulter de cette alliance» entre l'art
et la nature. Toutefois le Ps. Longin admet que le goût ne se confond pas
avec le respect scrupuleux des règles scolaires, et que les «grands génies»
capables de traits sublimes inimitables et inexplicables, ont le droit de tomber
dans quelques défauts.
246 P. Manuce, Discorso, éd. cit., fo 16 rO-16 v": «A me pare che dal
muovere dipende la maggior eccellenza dell'oratore. Alla perfettione dell'ora-
tore non bastano it ditettare e l'insegnare, ma il muovere e necessario ...
Sidunque l'aratore per natura e per arte, le quali con l'esercitazione si fanno
perfetto, sera tale che sappi muovere, e che muova quando parla, nel saper
muovere sodisfera sull'officio suo ... :t
MARC ANTOINE MURET 167

niveaux de style (bas, moyen, véhément). Il prend pour exemple un « cas»


que Corneille, après l'Arétin 247, traitera au V· Acte d'Horace: celui d'un
homicide qui a bien mérité de la patrie. Son défenseur (et c'est bien ce
que feront le Vieil Horace et Tulle) doit user du démonstratif (éloge du
héros national) et du délibératif (n'est-il pas plus expédient de le grâcier
pour bénéficier une autre fois de ses services ?), en évitant le judiciaire,
quoiqu'il s'agisse d'une plaidoirie.
La péroraison du Discorso aborde la question la plus brûlante, celle de
l'imitation. Après avoir accablé de mépris les rhétoriques scolaires et
leurs préceptes (<< lesquels le plus souvent sont des évidences pour un
esprit moyen privé de lumière particulière») 248, Paul Manuce appelle à
mettre au point une rhétorique plus simple, fondée sur l'exemple plus que
sur les règles, et qui s'adresse « aux intelligences d'exception, lesquelles
ne se satisfont pas de la médiocrité et ne daignent pas s'abaisser à des
entreprises basses et ordinaires, mais songent inlassablement à faire
l'ascension de la cime glorieuse de l'immortalité» 249.
Bembo avait déjà ajouté à l'imitation, par trop servile, la généreuse
émulation. Paul Manuce rend cette dernière plus «généreuse» encore.
L'élan de la grande âme vers le sublime 2M, chez lui comme chez Bembo,
est soutenu par la vision d'une Idea : mais celle-ci ne trouve plus dans le
seul Cicéron son médiateur privilégié. Le sublime selon Manuce réunit les
traits de l'éloquence de Cicéron et celle de Démosthène. Ici encore Paul
Manuce s'inspire de « Longin », qui, dans le Traité, trace un beau paral-
léle entre le plus grand orateur grec et le plus grand orateur romain .


••
Sperone Speroni, Daniele Barbaro, et leurs amis de l'Académie des
lnfiammati avaient cherché du côté de la Rhétorique et de la Politique

247 Il n'est pas nécessaire de supposer que Corneille a lu ce texte de Paul


Manuce. L'un et l'autre s'inspirent d'une causa, traitée à la manière des écoles
de rhéteurs, par Cicéron dans le De Inventione, Il, 26, §§ 79-86, éd. Teubner,
1. l, p. 201. V. aussi L'Arétin, La Orazia, Venise, 1549.
248 Ibid., f" 17 rO.
249 Ibid., eodem toco.
250 Ibid., eodem Loco : « Ma chi é che tanto voglia ? Chi saprà tare paragone
delle singolar virtù di quei due divini intelletti ? Chi scoprirà ove sono simili l'uno
all'altro? Dove sono diversi? Ove contrarii? Ne l'unD ne l'altro pecca, ma
l'uno e l'altro è maraviglioso e ecceUente.» Pour entrer dans ce sillage, il
faut une pédagogie différente, qui donne aux «intelligences d'élite» une nour-
riture plus délicate et plus spirituelle. Tout ce passage est inspiré du parallèle
Démosthène-Cicéron dans le Traité du Sublime, éd. cit., ch. IX, p. 48-49:
« Démosthène est grand en ce qu'il est serré et concis; et Cicéron, au contraire,
en ce qu'il est diffus et étendu. On peut comparer le premier, à cause de sa
violence, de la rapidité, de la force, et de la véhémence avec laquelle, pour
ainsi dire, il emporte tout, à une tempête et à une foudre. Pour Cicéron, l'on
peut dire à mon avis, que C(lmme un grand embrasement, il dévore et consume
tout ce qu'il rencontre, avec un feu qui ne s'éteint point, qu'il répand diver-
sement dans ses ouvrages et qui, à mesure qu'il s'avance, prend toujours de
nouvelles forces» (trad. Lebègue, cit. note 245).
168 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

d'Aristote de quoi répondre au soupçon dévot contre l'art oratoire. La


trouvaille de Paul Manuce est aussi heureuse. En faisant du PS, Longin le
bouclier de Cicéron et de l'éloquence profane, l'hJlmaniste vénitien donnait
un pendant laïc à saint Augustin, et faisait du Traité du Sublime un
contrepoids au De Doctrina Christiana. Contrepoids qui n'avait rien de
polémique, au contraire. Outre la fusion aisée entre sublime sénéquien,
sublime augustinien et sublime longinien, celui-ci se plaçait sous l'autorité
de Moïse lui-mfille : dans un esprit de conciliation entre hellénisme et
christianisme comparable à celui de Philon d'Alexandrie, le PS, Longin
faisait en effet du Fiat Lux de la Genèse, au même titre que l'Iliade, un
des sommets du sublime. Et Paul Manuce accentue encore cette parenté
en mettant l'accent sur le movere, l'art de toucher les cœurs, que saint
Augustin présente comme la fin le plus haute de la prédication chrétienne.
Dans l'Italie de la Réforme catholique, la convergence entre le PS,
Longin et saint Augustin offrait une précieuse ressource: l'éloquence
profane - et n'oublions pas que l'éloquence commande alors tous les
tlrts - pouvait trouver dans l'esthétique du PS, Longin les moyens de
rester elle-même, tout en respectant une sorte de consonance avec l'élo-
quence et les arts religieux. A l'Idée du Beau, impersonnelle et objective,
dont Bembo s'était fait l'avocat, tend à se substituer l'Idée du Sublime
que l'orateur inspiré, avec des moyens rhétoriques simples ou cachés,
communique à son auditoire bouleversé. Le Tasse en proposera de beaux
exemples dans les plus célèbres épisodes de la Jérusalem délivrée, tels
celui d'Olinde et Sophronie, ou le Combat de Tancrède et Clorinde.
Lié à l'idéal de la « grandeur d'âme », dont les sources sont à la fois
stoïciennes et aristotéliciennes ~51, l'idéal du subI One vient renouveler les
données de l'esthétique oratoire.
Le PS, Longin discerne il est vrai deux formes de sublime: l'un, fils de
la Nature plus que de l'Art, atteint les effets les plus puissants, mais
inégalement; l'autre, fruit de l'Art plus que de la Nature, monte moins
haut, mais demeure dans une sorte de perfection continue et d'unité
d'effet. L'opposition paradigmatique Horère/Virgile, Démosthène/Cicé-
ron soutenait cette distinction. Paul Manuce, héritier de la tradition des
Alde et de l'Académie des Philhellènes, semble pencher pour la première
version. C'est la seconde que va faire triompher à Rome Marc Antoine
Muret, et à sa suite le Collège Romain des Jésuites. Une des voies de
salut du cicéronianisme de la première Renaissance passait de toutes
façons par le Traité du Sublime.

:.
Si l'helléniste Paul Manuce avait les ressources nécessaires pour intro-
duire à Rome un « frisson» nouveau, son ami Marc Antoine Muret avait

251 Voir notre étude «L'héroïsme cornélien et l'idéal de la magnanimité",


dans le recueil Héroïsme et création littéraire, Paris, Klincksieck, 1974, p. 53-
76, et surtout A. Michel, Rhétorique et philosophie, ouvr. cit., p. 42, 376 et 548.
MARC ANTOINE MURET 169

tous les titres pour y acclimater le meilleur de l'humanisme français.


Traité en égal par Dorat, Lambin, Turnèbe, Douaren et les deux Scali-
ger, il était initié à la fois aux disciplines juridiques et érudites et à la
tradition cicéronienne françaises. L'auteur des Juvenilia et du Commentaire
sur les Amours de Ronsard poussait toutefois beaucoup plus loin que
Dolet le culte d'une beauté réprouvée par la morale et par la foi chré-
tienne. Il n'avait dû qu'à une fuite prudente d'échapper au sort de l'auteur
téméraire du De Imitatione ciceroniana. Installé à Padoue, puis à Rome,
il y fut traité en homme providentiel. A Rome on lui donna même, avec
moins de réticences que pour Longueil, le titre peu galvaudé de civis
romanus. Jouissant de l'appui de la puissante Maison d'Este, et de l'amitié
des membres les plus intelligents et cultivés de la Curie, comme le cardinal
Sirleto, l'habile homme fut pendant trente ans l'arbiter elegantiarum de
l'humanisme ecclésiastique romain.
On peut être surpris que Morris W. Croll ait choisi Marc Antoine
Muret pour incarner l'esprit « rationaliste» qui, masqué, aurait trouvé un
abri dans la capitale de la Réforme catholique. Brillant érudit de race gal-
licane, Muret fut aussi un admirable écrivain néo-latin à l'italienne, capa-
ble de parer d'élégance attique les disciplines les plus rébarbatives. Il
rendit à Rome le plus signalé service, en faisant d'elle non pas la capitale
d'un « rationalisme» dont elle se souciait fort modérément, mais à nou-
veau la capitale du « meilleur style» latin, ce qui lui importait davantage.
L'érudition à la française de Marc Antoine Muret, qui passait à Rome,
ville aussi peu intellectuelle que possible, pour un prodige, servit de
garantie, aux yeux de la sérieuse Europe du Nord, au magistère rhéto-
rique qu'il exerça avec éclat au service du Saint-Siège.
Dans sa remarquable biographie de Muret, Charles Dejob avait par-
faitement caractérisé le personnage, et le rôle qu'il joua dans la cuhure
romaine. Traitant tour à tour de philosophie morale, puis de Droit romain
~elon la « méthode française» de Douaren et de Cujas, allant jusqu'à
rendre élégante la théologie 2~2, il fut d'abord, dans sa chaire de la
Sapienza, une «vedette» oratoire, parée du charme de l'exotisme, et
gachant pratiquer l'art de surprendre et d'éblouir, sans choquer jamais.
Faut-il voir en lui un sophiste? Bien au contraire, en démontrant que
toutes les sciences, y compris la théologie orthodoxe, peuvent trouver une
expression élégante et efficace dans le style latin le plus pur, et paré de
sel attique, Muret remplit à Rome, capitale de l'Europe catholique, un rôle
de haute responsabilité vis-à-vis de l'humanisme autant que de l'Eglise.
Le prestige qu'il s'attire est une victoire des litterae humaniores sur une
théologie tentée de se replier sur son passé médiéval et de stériliser
l'héritage de la Renaissance. Mais aussi, en illustrant avec tant de dis-
tinction le modus oratorius, l'humaniste français fait la preuve que
celui-ci peut servir de creuset unificateur à une nouvelle culture catholi-
que. Avec Muret, la rhétorique se propose comme l'un des plus sûrs prin-
cipes de réconciliation entre érudition profane et sacrée, entre humanisme
et orthodoxie romaine.

252 VOIr Ch. Dejob, ouvr. dt., p. 271-272 (Muret théologien).


170 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

Sur commission de Pie IV, il fit d'abord, de 1563 à 1565 un cours sur
l'Ethique à Nicomaque, que son ami Denis Lambin venait d'éditer à
Venise 2~3. Avec une éloquence souriante, en latin choisi et cadencé, il
rendait droit de cité dans Rome à l'idéal aristotélicien et thomiste de la
grandeur, dont la Réforme catholique avait bien besoin pour inspirer ses
~oldats et ses orateurs. Les Exercices SpiritueLs de saint Ignace avaient
montré la voie: la magnanimité y était postulée comme le terrain naturel
le plus favorable à la réussite des Exercices, et à l'essor des vertus
héroïques chrétiennes 264.
En 1567, il se livre à l'explication des Pandectes, selon la «méthode
française» dont il retient surtout la clarté et l'élégance d'exposition;
conquête des Litterae humaniores sur un domaine que l'humanisme italien
n'avait pas encore à Rome arraché à la «barbàrie» : l'enseignement du
Droit romain 2~5.
En 1572, au seuil du pontificat de Grégoire XIII, Muret se mue en
professeur de rhétorique, et prononce devant un parterre de cardinaux
une Oratio où Morris W. Croll veut voir un manifeste anti-cicéronien qui fit
scandale 256. li est vrai qu'on y entend Muret faire avec une malice éras-
mienne le procès des maniaques du purisme lexical cicéronien. Mais à
cette date, où commence à paraître la série des rhétoriques borroméen-
nes, l'antithèse augustinienne et érasmienne res/verba est devenue un lieu
commun de la culture catholique. L'orateur se fait l'apôtre d'une grande
éloquence, animée de l'intérieur par un zèle magnanime et puisant dans
l'arsenal des sciences les armes nécessaires à la victoire sur l'hérésie.
Mais pour sa part Muret, proche de la leçon de Nizolio, se garde bien de
se départir d'un atticisme que Bembo eût golIté en connaisseur. Et c'est
bien cette forme d'humour que les auditeurs de sa leçon inaugurale, loin
des champs de bataille allemands et l'rançais, attendrnt d'un hôte aussi
raffiné.

253 Aristote De Moribus ad Nicomachum libri, éd. et trad. de Denis Lambin,


Venise, 1558, 8° (rééd. Paris, 1565).
254 Voir Exercices Spirituels, traduit et annotés par François Courel, s.j.
Collection Christus, n° 5, Paris, Desclée de Brouwer, 1960, p. 16, Cinquième
anno/ation: «Pour le retraitant, il y a grand avantage à entreprendre les
Exercices avec un cœur large et une grande générosité envers son Créateur
et Seigneur. )) Le texte latin de l'édition romaine de 1548 (B.N. D. 86.568) dit:
« Quinta est quod merum in modum juvatur, qui suspicit Exercitia, si magno
animo atque liberali accedens, totum studium, et arbitrium suum otterat SilO
creatori.» Le texte français de l'édition parisienne de 1619 (p. 3) dit: «La
troisième (sic) est que celui qui s'adonne à ces exercices se sente merveilleu-
sement aidé et soulagé, lorsque d'un grand courage et d'un cœur magnanime
et libéral, il offre d'une grande franchise à son Créateur et Sauveur toute
l'affection et la liberté de son âme ... »
255 Voir Ch. Dejob, ouvr. cit. (<< Muret explique les Pandectes ~), ch. XI,
p. 167 et suiv.
256 Voir M.W. Croll, art. cit., éd. cit., p. 272 et suiv. «Muret's progress. »
L'Oralio de 1572, De via et ratio ne ad eloquentiae laudem perveniendi figure
dans les Opera Omnia de Muret, éd. Ch. Froescher, Leipzig, 1848, t. l, p. 259-
263. Voir surtout p. 262-263 l'ironie contre ceux qui, s'aidant servilement du
dictionnaire cicéronien de Nizolio, recopient la structura et col/ocatio verborum
de Cicéron.
MARC ANTOINE MURET 171

Plus tard même, lorsqu'il aura réhabilité à Rome Sénèque et Tacite,


Muret ne se départira pas de la latinitas et de l'elegantia cicéroniennes.
Ainsi que le dira joseph-juste Scaliger :
C'estoit un tres grand homme Que Muret, Qui s'est moqué des Cicéro-
niens, et cependant parle fort cicéroniennement, sans s'y astreindre comme
les autres. Après Cicéron, il n'y a personne Qui parle mieux latin Que
Muret... Lipsius nihil prae il/o 257.

Les rares mots de latinité tardive ou d'Eglise que Charles Dejob relève
dans sa prose font figure d'assaisonnement moderne d'un atticisme
cicéronien n'ayant pas renié la tradition de Bembo. Admettant l'exac-
titude des termes techniques, qu'ils soient scientifiques ou religieux, Muret
tire de ses prudentes audaces lexicales de quoi rendre plus «œcuméni-
que» le Tullianus stylus, sans rompre sa fluidité homogène et harmo-
nieuse, sans renoncer à l'économie des effets. jamais Muret ne prononcera
les noms de Bembo et de Sadolet qu'avec ferveur. Toute son œuvre
révèle une fidéli1é tenace, mais libérale et accueillante, à l'esprit de
l'Epistala de Imitatiane, corrigé par l'éclectisme conciliant de l'Oratar.
L'alliance entre la philosophie et la rhétorique est pour lui le principe
d'une sérénité toute classique, conciliable, comme le «gai sçavoir» de
Montaigne, avec une vue à la fois stoïcienne et chrétienne de l'homme.
Cet équilibre est remarquablement mis en lumière dans une Oralia de
1575, par laquel1e Muret inaugure un cours sur le De Providentia de
Sénèque 258. Il se justifie auprès de son auditoire de prendre pour texte
d'un cours sur l'éloquence une œuvre philosophique, où les problèmes
que se posent les chrétiens sur la justice divine trouvent un commencement

257 Scaligerana sive excerpta ex ore josephi Scaligeri per Fratres Puteanos,
Genevae, per Petrum Columesum, 1666, p. 237. Voir également p. 204-205:
« 0 le meschant latin que la Centurie de ses Epistres ... » Et p. 207: «Lipsius
est caus;'! que l'on ne fait guere estat de Ciceron. Lorsqu'on en faisait estat,
il y avoit de plus grands hommes en éloquence que maintenant.» Voir enfin,
p. 33: «Stylum Lipsianum vituperat. Mureti laudat scribendi genus." L'iden-
tification par Morris W. Croll du style de Upse et du style de Muret dans
la même caractéristique d'atticisme est donc extrêmement contestable.
258 Opera Omnia, éd. cit., t. l, p. 311-320. Il cite l'exemple de saint Jean
Chrysostome (Haee igitur vir sanclissimus non ut nunc arido et inculto dicendi
genere, sed ornato splendido, ettieaci, (usus est) et une sentence de Cicéron
(Eloquentiam esse, ait Cicero, non inanem loquendi protluentiam, sed sapien-
tiam eopiose loquentem) pour soutenir un combat sur deux fronts, contre les
théologiens, hostiles au modus oratorius, et contre les sophistes, qui le perver-
tissent. Belle continuité avec l'Oratio de philosophiae et eloquentiae con june-
lione (Venise, octobre 1557), où Muret s'écriait: «Je le vois, j'ai affaire à
deux races d'hommes, les uns n'ayant qu'un bavardage superficiel et privé de
vrai savoir, les autres cultivant une philosophie privée de beauté et d'élo-
quence» (Opera Omnia, t. l, p. 136-147). En 1575, il invoque Sénèque contre
le premier groupe et contre le second, c'est-à-dire au même titre que Cicéron
en 1557 : Quod si est qui nihil praeter verborum tlosculos et pigmenta tradunt,
minimam partem eloquentiae tradunt; si quis est cognitu dignas res adterat
et eas non vulgari neque sordido orationis genere etterat, is demum bonus
est et utilis dicendi magister habendus est ». C'est le cas de Sénèque, à la
fois grand écrivain et grand philosophe moral.
172 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

dt solution. Il invoque Cicéron et l'alliance de la philosophie et de l'élo-


quence, clef de voûte de la culture. Il remarque que le philosophe Sénèque
fut un écrivain admirable, très éloigné pourtant de donner le pas aux
mots sur les choses. Cette juste mesure entre le mépris de la forme et les
excès de flosculi et de pigmenta des déclamateurs, est une belle leçon de
style accordé à la sagesse. Tout se passe, dans cette Oralio, comme si
Muret distinguait avec soin l'œuvre philosophique de Sénèque de l'œuvre
rhétorique de son père. Il ne cite de Sénèque que le De Providentia, les
Lettres à Lucilius, et des sentences extraites des tragédies. De fait, l'édi-
tion de Sénèque, que publiera après sa mort son disciple Benci, ne contient
que les œuvres du philosophe. C'est d'après cette édition que N. Le Fèvre
établira à Paris son propre texte, distinguant pour la première fois entre
Sénèque le Père et Sénèque le Philosophe. On peut formuler l'hypothèse
que Muret, avec lequel Le Fèvre était fort lié, connaissait ou du moins
pressentait cette distinction. Celle-ci est capitale pour l'avenir du classi-
cisme rcmain e: francais: Ul]·~ foi~: retiré aux déclamations recensées
par Sénèque le Père le' patronage du fils, il était possible de concevoir un
idéal de la prose où se conjugueraient sans se gêner l'influence de Sénè-
que le Philosophe et celle de saint Augustin à l'intérieur d'une tradition
cIcéronienne. Au contraire, la confusion durable en Espagne entre les
deux Sénèque fera des déclamateurs impériaux le principe unifiant d'un
style coruscant et sentencieux, en rupture provocante avec la tradition
cicéronienne de la Renaissance.
En 1576, après avoir publié des Poemata varia célébrant les saints,
Muret est ordonné prêtre. Et de 1580 à 1585, ses derniers cours à la
Sapienza mettent la touche finale à son œuvre de réformateur cicéronien.
Ecclésiastique, il n'en persiste pas moins, comme ses amis jésuites, à
légiférer dans le domaine de l'éloquence profane, affirmant ainsi, avec
plus de vigueur que jamais, l'unité de la culture catholique, à la fois
humaniste et chrétienne. Il annonce alors la fin de l'éloquence profane
orale, et déclare la vocation écrite du genus humile attique. Il consacre
ses derniers cours aux Annales de Tacite et aux EpUres de Cicéron.
Dans la leçon inaugurale de son cours sur les Annales 259 Muret mon-
tre tout le prix qu'il attache à ce chef-d'œuvre, témoin capital de la plus
longue phase de l'histoire romaine, l'Empire. Il insiste sur l'analogie
historique entre cette époque, et celle que l'Europe est en train de vivre.
Paul III, l'initiateur de la Réforme de l'Eglise romaine, Cosme de Médicis,
qui transforma la République florentine en princip:!!. avaient les premiers
perçu cette analogie: ils étaient d'attentifs lecteurs de Tacite 260. La
Rome impériale, c'était la fin des vertus républicaines. Et, ajoute Muret:

259 Muret, Opera Omnia, éd. cit., t. Il, Oralio X1l1, p. 376 et suiv.
260 Ibid., p. 381. Pour Cosme, Muret insiste en ces termes: «Ce que le
vulgaire tient pour Fortune dans l'élévation des Princes, Cosme a montré
qu'il s'agissait de prudence et sagesse.» La lecture de Tacite est une preuve
de la sagesse du Prince, qui a su donner à Florence au moment voulu, et
quand les temps étaient venus, le régime monarchique dont elle avait besoin.
Né d'un jugement de prudence, le gouvernement de Cosme ne put être que
sage: il était prévenu contre l'erreur par les exemples de Néron et de Tibère.
MARC ANTOINE MURET 173

Il fa:.It observer qu'aujourd'hui les républiques ne sont plus très nom-


breuses: il n'y a presque plus de peuple qui ne soit suspendu aux ordres
et aux volontés d'un seul, qui n'obéisse à un seul, qui ne soit gouverné
par un seul 261.

Est-ce une raison de désespérer? Tout d'abord, les Princes d'aujour-


d'hui ne sont ni des Tibère, ni des Néron, ni des Caligula. Et surtout, à
quelque chose malheur est bon: dans la déchéance du peuple, la vertu ne
brille qu'avec plus d'éclat chez les hommes d'exception, et avec d'autant
plus de mérite qu'elle est plus rare, plus difficile dans la corruption géné-
rale. Mais la prudence qu'exige des âmes grandes une telle situation
est-elle incompatible avec le christianisme? Autant alors rejeter toute
la culture et la sagesse de la Rome impériale et avec elle toute la renovatio
litterarum. Cette prudence mondaine, qui guide les grandes âmes dans les
chausse-trapes des Cours monarchiques, justifie le style adopté par
Tacite, sur le modèle de Thucydide:
Quoiqu'un style simple et clair puisse donner du plaisir, dans certains
cas l'obscurité p~ut être approuvée; en écartant le discours des modes
d'éloquence vulgaires et communs, elle lui confère par son étrangeté même
dignité et majesté et lui attache l'attention du lecteur. Elle ressemble à
un voile, tendu devant les regards profanes. Ainsi ceux qui pénètrent dans
la sombre crypte d'un temple éprouvent une sorte de frisson sacré. Et
l'aspérité du style a la même \'aleur que l'âcreté d'un vin, qui fait bien
augmer de son vieillis~.ement 262.

L'élite du pouvoir peut donc coïncider avec l'élite de la vertu et trouver


chez Sénèque et Tacite, lorsque les circonstances l'exigent (Muret est loin
de substituer à Cicéron Sénèque), le style «chiffré» qui préservera les
arcanes de sa «prudence» loin des regards et du contrôle du vulgaire
ignorant.
De ces prémisses, Muret ne tire pas seulement des conséquences pour
l'art du style, mais aussi pour le choix des genres adaptés à la nouvelle
réalité politique. 11 est significatif qu'il choisisse, pour développer sa
pensée sur ce dernier point, les Epitres de Cicéron. Il voit en celles-ci le
véritable point de départ de l'histoire du genus humile latin, l'acte de
naissance d'une prose à l'usage de happy few, négligeant les effets

Un pel! plus loin, Muret affirme que les chefs d'Etat modernes n'ont rien de
commun avec les mauvais Emperenrs des Histoires et des Annales. La double
leçon de Tacite s'est exercée sur Cosme dans le même sens que celle de
l'Eglise. Le rôle de l'historien est en effet de prévenir le Prince (rendu néces-
saire par la faiblesse des hommes) contre les abus que son pouvoir comporte.
Muret rejoint, du point de vue de l'humaniste profane, le point de vue ecclé-
siastique de Botero dans sa Ragione di Siaio.
261 M.A. Muret, Opera Omnia, éd. cit., Oratio XIV, nov. 1580, p. 384.
262 Ibid. Oralio XIV, p. 390. Sur la leçon tirée par Muret du Dialogue des
Orateurs, comparer ces pages avec l'analyse du Dialogue dans Alain Michel,
Le Dialogue des Orateurs et la philosophie de Cicéron, ouvr. cit., spécialement
ch. XIIl, Eloquence et institutions, p. 50-59.
174 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

oratoires à l'usage de la foule, et mieux apte à recueillir la grandeur d'une


âme qui évite prudemment de se galvauder en public. Cicéron ne cesse
donc pas chez Muret de jouer le rôle de référence rhétorique centrale, mais
c'est maintenant le Cicéron épistolier, et non plus le Cicéron orateur. En
quoi le grand écrivain néo-latin poursuivait la tradition de Pétrarque et
de Bembo, pour qui le style était avant tout un style écrit, et le genre
majeur celui de la lettre. C'est autour de celle-ci que se constitue une
littérature humaniste profane, tandis que l'héritage de l'éloquence orale
des Anciens échoit à la Chaire chrétienne.
Dans son Oralio inaugurale de 1582, consacrée aux Lettres à Atticus,
Muret rend hommage à Bembo, à Sadolet, à Sirleto, à Longueil, il célèbre
la grande tradition cicéronienne de la Rome pontificale, qu'i! associe fra-
ternellement à la tradition cicéronienne française 263 : cette tradition d'at-
ticisme est liée au genre de la lettre, genre par excellence de l'échange
entre hommes d'élite. Muret insiste toutefois pour libérer ce genre de la
timidité des épigones de Bembo et de Sadolet : l'exemple de Cicéron, celui
de saint Jérôme, montrent que ce genre prétendu mineur et familier peut
se prêter à tous les sujets, des plus savants aux plus quotidiens et
recueillir dans sa brièveté toutes les richesses des genres en prose
« oraux» 264. Cette ouverture et cet aS50uplissement du genre n'ôtent
d'ailleurs rien de leur mérite aux premiers cicéroniens qui ont su y voir
le genre profane adapté aux temps nouveaux.
L'éloquence, poursuit Muret, comme si le bénéfice de l'âge lui avait
acquis une sorte de retraite, doit se contenter de nos poussiéreuses dis-
putes scolaires, de la prédication sacrée, la seule qui ait une al1dience
populaire, et de temps en temps de remerciements aux Princes et de
leurs oraisons funèbres. Des trois genres définis par Aristote, seul l'épi-
dictique qui, autrefois, était peu estimé, reste en usage. II demeure tou-
tefois, afin que ceux qui sont à même de bien écrire les lettres, c'est-
à-dire éloquemment, avec prudence et en tenant compte des choses, des
personnes et des circonstances, parviennent aisément à l'intime familiarité

263 Ce passage (éd. Leipzig cit., p. 402) est capital. Muret s'appuie sur
l'humanisme français pour défendre contre les dévots les plus étroits l'héritage
aes Litterae humaniores. II invoque l'exemple français pour inciter les Italiens
à ne pas laisser le flambeau du «meilleur style» cicéronien devenir le privilège
des Français. Invoquant l'autorité d'Adrien Turnèbe, il combat ceux qui vou-
draient minimiser l'importance du genre de la lettre, héritage par excellence
de la première Renaissance.
264 Tout ce passage (ibid., p. 404) anticipe sur l'lnstitu/io Epis/o/ica de
Upse, qui enregistrera surtout l'évolution du genre et lui donnera dignité et
indépendance à l'intérieur de la culture de la Réforme catholique. Voici le
résumé de ce passage: variété et universalité des sujets offerts par le genre
de la lettre; effusion d'âme entre amis; échanges familiaux, qui reconstituent
par la lettre l'intimité du foyer; affaires publiques, politiques, diplomatiques.
A la fois dans la sphère privée et publique, la lettre est un lien social, plus
spécialement réservé aux membres de la République des Lettres. Mais comme
Upse, Muret montre, en s'appuyant sur les Anciens, païens et chrétiens, que
les plus grands sujets, moraux et religieux, sont à l'aise dans la lettre. Les
ciceroniani, épigones de Bembo, se font de la lettre une idée étroite, contraire
à la pratique de Cicéron.
MARC ANTOINE MURET 175

des Princes, reçoivent le soin des affaires les plus importantes et s'ac-
croissent d'honneurs en honneurs. C'est par cette voie que, parmi d'au-
tres, Jacques Sadolet et Pierre Bembo sont parvenus à une dignité proche
de la tiare 265.

Loin de rejeter vers l'enfance et les exercices scolaires l'œuvre de


Bembo et de Sadolet, l'héritage de la première Renaissance romaine,
Muret s'affirme leur continuateur. Sa doctrine, en dernière analyse, appa-
raît comme celle d'un médiateur, cherchant et proposant une norme
stylistique conciliatrice, qui jouerait pour l'élite de l'Europe catholique,
ecclésiastique et profane, cicéroniens italiens et anti-cicéroniens d'Es-
pagne, de France et de Belgique, le même rôle que voulait exercer sur
le Forum de la Rome républicaine l'éclectisme de l'Orator .


••
Cette position médiatrice, éminemment accordée à celle que la Ville
Eternelle est appelée à tenir dans le domaine disciplinaire et diplomatique,
devint dès la fin du XVI" siècle la doctrine officielle du Collège Romain
des Jésuites. Celui-ci, proche du Quirinal et de la Curie générale de la
Compagnie, avait lui aussi vocation médiatrice entre les différentes
" pentes» rhétoriques des diverses Assistances nationales et un rôle
de rectorat à jouer en Italie même. Le néo-cicéronianisme de Muret,
conciliant dans une juste mesure la Renaissance cicéronienne et la
Renaissance stoïcienne et patristique, était tout désigné pour conférer
aux régents de rhétorique jésuites du Collège Romain un magistère
d'arbitres en Italie, en Europe et à l'intérieur de leur Société. Ce sont
les libraires de la Compagnie qui se chargèrent de diffuser en Europe les
œuvres de Muret et publièrent ses inédits. Mais l'impulsion venait de

265 Voir aussi, dans l'Oraiio de ufi/itafe, jucunditafe, ac praesfanlia /itfe-


rarum (1573) (éd. cit., t. Il, p. 269-280), la justification des Lettres par les
grandes carrières qu'elles rendent possibles, telles celles de Camerarius, de
Sirleto et d'Alciat. La gloire est leur récompense. Et pour Muret celle-ci a
un contenu social concret. Ne parlons pas trop vite d'arrivisme. La défense
de l'humanisme, dans la société de la Réforme catholique comme dans la
nôtre, passe par la preuve que ce type de culture permet aux meilleurs de
parvenir aux plus hautes responsabilités et au plus grand rayonnement. La
preuve contraire, si elle est administrée, est un arrêt de mort. Dans un domaine
apparenté à celui de l'éloquence, le théâtre, la réhabilitation du métier de
dramaturge n'aura pas lieu en France avant que Corneille ait fait de son
œuvre un instrument d'ascension sociale, de prestige moral, et d'enrichisse-
ment. Ce qui, pour autant, ne fait pas de son théâtre une œuvre sophistique.
Pour lui, comme pour Muret, la poursuite de l'uti/ilas (enseignement philoso-
phique et moral), de la jucunditas (le plaisir esthétique) et de la praesfanlia
(réussite sociale) vont de pair indissolublement. Ici encore, belle continuité
d'une pensée et d'une action: voir l'Oralio de ulilitale ac praeslanlia litterarum
humanarum adversus quosdam earum vituperalores, Venise, 1555, dans Opera
Omnia, t. Il, p. 130). La sagesse rendue opérante dans la vie sociale et poli-
tique ne saurait rester dans l'ombre et l'humiliation, sans contradiction avec
elle-même.
176 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

Rome, et en particulier du P. Francesco Benci 266, l'ami et le disciple


fidèle de l'humaniste français.
La conjonction était en effet inévitable entre l'arbiter elegantiarum
de la prose néo-latine romaine, et les professeurs de rhétorique du
Collège Romain jésuite, qui auraient pu être ses rivaux et qui, au contraire,
fort intelligemment, cherchèrent auprès de lui à se relier aux traditions
littéraires de la première Renaissance. Déjà le P. Perpinien, régent de
ïhétorique à Paris, Lyon et Rome, s'était révélé dans les rangs des
Jésuites un épistolier cicéronien de stature européenne. Jouissant de
l'estime de Muret et de Manuce 267 il fut une première occasion de rap-
prochement entre la Sapienza et le Collège Romain. Il est avéré d'autre
part que Paul Manuce, ami très proche de Muret, avait d'excellentes
relations avec le Collège. Mais surtout Muret s'était attaché au jeune
Francesco Benci, qui resta pendant sept ans son élève et qui, devenu
jésuite, et régent de rhétorique au Collège Romain, introduisit dans l'en-
seignement oratoire du Collège la doctrine néo-cicéronienne de Muret.
Nous pouvons nous faire une idée de son enseignement grâce à une
prolusio intitulée De stylo et scriptione, publiée par ses soins en 1590.
Remarquons d'emblée que l'ampleur oratoire et l'inspiration ardente de
ce « cours» répondent parfaitement aux exigences de Paul Manuce, qui
attendait du « retore » qu'il enseignât d'abord par l'exemple de sa propre
èloquence. Ce principe resta en vigueur au Collège Romain et les cours
dont le manuscrit subsiste 268 montrent qu'au XVII" siècle, les Galluzzi,

266 Sur Francesco Benci (1550-1 594}, voir Ch. Dejob, ouvr. dt., p. 366-367,
:nl, etc. et la Bibliotheca scriptorum S.f. opus inchoatum a RP. Ribadeneira
anno 1602, continuatum a RP. Philippo A/egambe, usquead annum 1642,
recoRnitum ad annum jubilaei MDCLXXV a Nathane/e Sotwello, Romae, 1676,
p. 214-216. La première édition de la seconde série des Orationes de Muret,
qui se trouve à la B.N., est l'œuvre de Francesco Benci: M.A. Mureli ... Ora-
liones, episto/ae, hymnique sa cri, editio nova, Ingolstadii, ex off. Davidis Sar-
torii, 1592. Le premier volume contient 26 oraliones éditées du vivant de
Muret, et avait été dédié par Muret lui-même à Scipion Gonzague. Le second
volume posthume, dédié par F. Benci au même Scipion Gonzague, contient
18 orationes, dont celles que nous commentons, consacrées à Tacite et aux
Epîtres de Cicéron. Le nombre des éditions françaises des œuvres de Mllret
est impressionnant. Mentionnons seulement les deux éditions rouennaises. Des
Préaulx, 1607,907 p. (B.N. X. 18055) et T. Doire, 1613,2 vol., 758 p. (X 18058-
18J59). Elles reproduisent l'édition d'Ingolstadt.
267 Sur P.]. Perpinien (1530-1566), voir Southwell, ouvr. dt., p. 677. Sur
les relations entre Paul Manuce et le Collège romain, voir R. Villoslada, Storia
de/ Collegio romano, Rome, 1954, p. 59-62. Sur les relations de Perpinien et
de Manuce, voir Francisci Vavassoris Societate jesu multiplex et varia poesis,
Parisiis, Vve. CI. Thiboust, 1683, p. 170-180, Petri joannis Perpiniani s.j. ali-
quot episto/ae (à P. Manuce).
268 Le Fondo gesuitico de la Biblioteca Nazionale de Rome contient d'abon-
dantes épaves des Archives du Collegio Romano, expulsé de son siège par le
gOllloernement de Victor Emmanuel 1er en 1871. Parmi ces épaves se trouvent
un grand nombre de cours de rhétorique manuscrits que leur graphie et leur
style datent du XVII' siècle. Une étude de ces cours ou fragments de cours
serait de la plus haute importance pour notre connaissance de la culture
romaine contemporaine du Bernin, de Poussin et de Mascardi. Malheureuse-
ment, le caractère fragmentaire de ces reliques rend leur étude difficile. Voir
notre bibliographie, Sources, Biblioteca nazionale, Rome.
FRANCESCO BENCI 177

les Donati et les Guiniggi 269 nfettront tout leur laient d'orateurs et de
stylistes latins dans leur enseignement. Sur la question du cicéronianisme,
la position du P. Benci dans cette pro/usio apparaît à la fois très claire et
très complexe. Elle est claire dans la mesure où il n'est nulle part question
d'imiter superstitieusement les verba, si dorés soient-ils, de Cicéron. Cha-
que élève doit se forger sa propre voie vers l'Idée du grand style oratoire,
dont la définition reste générique et susceptible d'un grand nombre
d'interprétations personnelles. Toutefois, le P. Benci ne reprend pas à son
compte les audaces de Paul Manuce, qui, interprétant Longin, préférait
un défaut d'art accompagné d'une nature douée, plutôt qu'une nature
~térile avec beaucoup d'art. Dans la triade Natura, Ars, Exercitatio, le
prudent jésuite préfère ne pas insister devant ses élèves sur le premier
terme, et mettre l'accent sur les deux derniers. La nature, à ses yeux,
n'est pas un donné, mais la récompense d'une ascèse. On ne la retrouve
dans sa splendeur originelle, avec l'Idée du meilleur style, qu'au bout
d'une quête libérant la Beauté enfouie de sa gangue terrestre. Pour lui,
comme pour Bembo, la nature est moins au départ qu'à l'arrivée:
Personne ne naît artiste, s'écrie-t-i1, mais il convient de se développer
par l'effort et le travail, l'exercice quotidien consacré à polir jusqu'à la
perfection la forme de son style, si bien qu'en définitive l'art lui-mêmc
devienne nature.

Et pour soutenir et orienter ces exercices spirituels dans l'ordre esthé-


tique, le P. Benci, citant le Traité du Sublime, propose le stimulant psy-
chologique des grands modèles:
Comment Homère aurait-il dit cela? Qu'auraient fait Platon, Démos-
thène, Thucydide même, s'il est question d'histoire, pour écrire ceci en
style sublime? Car ces grands hommes que nous nous proposons d'imiter,
sc présentant de la sorte à notre imagination, nous servent comme de
flambeaux et nous élèvent l'âme presque aussi haut que l'idée que nous
avons conçue de leur génie; surtont si nous nous imprimons bien ceci en
nous-mêmes: que penseraient Homère et Démosthène de ce que je dis,
s'ils m'écoutaient? Quels jugements feraient-ils de moi? En effet, nous r.e
croirons pas avoir un médiocre prix à disputer, si !lOUS pouvons nous
figurer que nous allons, mais sérieusement, rendre compte de nos écrits
devant un si célèbre Tribunal, et sur un théâtre où nous avons de tels
Héros pour j!;!.~cs et t~mo:l1s .. :';0.

269 Sur ces professeurs de rhétoriquc du Collège romain, voir SouthwelL..,


ouvr. eit., éd. cit., Tarquinius Gallutius (Galluzzi), p. 753-754, Vincentius Gui-
nisius (Guiniggi), p. 782, et Alexander Donatus (Donati), p. 20, et notre étude
dans les Mélanges de l'Ecole Française de Rome, 1978, t. 90, p. 797-835, «La
tradition rhétorique du Collège Romain et les principes inspirateurs du mécénat
des Barberini».
270 Francisci Bencii, Orationes et Carmina, Ingolstadt, David Sartorius,
1592, Oralio de stylo et serip/ione, p. 362 et suiv. Les deux passages cités se
trouvent l'un p. 363 et l'autre p. 373. Comme les Exercices Spirituels, la
conquête de l'optimus stylus exige un «cœur large et une grande générosité" :
Parvi animi et obscuri lIlgenii numquilm ad lucem emersuri (p. 372). Car cette
coaquête est une ascension vers les sommets: Quidni Uceat cuivis homini, ad
id quo aliquis aliquando homo pervenit, aspirare ? Quid de illius viae dubites
178 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

La parenté de cet éthos avec celui des Exercices Spirituels, où


Jésus joue ce rôle d'« entraîneur », semble avoir été un trait de lumière
pour Francesco Benci. Elle ne cessera plus désormais de fonder la péda-
gogie et l'esthétique oratoires du Collège Romain, conférant à son
cicéronianisme une vitalité et une éclectisme parfaitement compatibles
avec les fins proprement religieuses de son enseignement.
L'apparition de Longin, dont Muret, maître de Benci, citait déjà en
1572 le genus sublime 271 comme l'Idée de l'optimus stylus, s'est donc
faite au bon moment. Avec le Traité du Sublime, venant corroborer une
interprétation plus juste et généreuse de l'art oratoire cicéronien, avec
les Exercices Spirituels, qui donnent à l'individu la capacité de rester
tidèle à l'orthodoxie romaine sans nuire à l'épanouissement de ses dons
personnels, ni à la diversité de son action, l'art oratoire jésuite disposait
à la fois d'une sagesse et d'une rhétorique bien accordées: l'idéal cicé-
ronien d'union de la philosophie et de l'éloquence trouvait ainsi sa
version catholique.
Spécialistes de la pédagogie et de l'art oratoires, spécialistes de
l'optimus stylus latin, les professeurs de rhétorique du Collège Romain
étaient investis par leur Institut et par la Curie pontificale d'une sorte
de ministère «littéraire». On peut y voir à juste titre un calcul politi-
que: le soin avec lequel les Généraux de la Compagnie de Jésus veilleront
sur la dynastie des maîtres romains de l'art oratoire, les Perpinien, les
Tursellin, les Benci, les Stefonio. les Strada, les Galluzzi, les Donati, les
Guiniggi, les Sforza Pallavicini (nommé, consécration suprême, cardinal
par Clément IX), tient compte du prestige de la langue latine dans toute
l'Europe. Le sacerdoce «littéraire» du Collège Romain, transmis avec
autant de soin que les plus hautes fonctions de l'Ordre, portant à son
point de perfection le cicéronianisme humaniste, dictant les normes mora-
les et stylistiques des genres oratoires et poétiques, acquiert par là même
un ascendant sur les littératures vernaculaires et les incline à devenir à
leur tour un palladium de la civilisation d'obédience romaine. Le prestige
de l'esthétique oratoire romaine s'ajoute au prestige historique du Saint-
Siège, et soutient son rayonnement international.
L'exemple de cette politique littéraire, portée à sa perfection par Gré-
goire XlII 272 et par Urbain V \li 273, assistés par les généraux Acquaviva

exilll, quam tam mul/orum frequenlem itineribus, el quasi conlrita vides?


Certe IlO.~ fllerunl pennis in sllblime elaU. Qllin, qllandoqllidem estis in eodem
spatio suis i/los vestigiis persequimini? Nihil volenti difficile. Ad summa
contendite, p. 375. Rien n'est difficile à qui veut fortement: avec moins de
rudesse que Muret en 1571, Benci appelle ses étudiants à l'héroïsme oratoire.
271 Voir l'oratio de 1572 (cit. note 253), éd. cit., p. 261, où Muret ironisant
sur les cicéroniens, au sens étroit, écrit à propos de leur myopie d'imitateurs
exclusifs, nihil altius, nihil sublimius co~itant. C'est au sublime, dans le sens
mis en circulation par Paul Manuce, qu'il appelle ses auditeurs dans sa péro-
raison.
272 Sur Grégoire XIII, voir L. von Pastor, Storia dei Papi, t. IX et X.
273 Sur Urbain VIII, voir L. von Pastor, ouvr. cit., t. XIII (1943) et Ranke,
Histoire de la Papauté pendant les XVI' et XVII' siècles, trad. p. J.B. Haiber,
2' éd., Paris, Sagnier et Bray, 1848, 3 vol. in_8°. Son règne dura de 1623 à
1644, et coïncide à peu près avec le ministériat de Richelieu.
LE CICÉRONIANISME DÉVOT 179

et Vitelleschi, ne sera perdu, mutatis mutandis, ni par le cardinal de


Richelieu ni par le cardinal Mazarin, ni à plus forte raison par Louis XIV,
qui feront ce qu'il faut pour conférer à la langue et à l'éloquence fran-
çaises, devenues lettres royales, un prestige et une force d'arbitrage sur-
passan t ceux des lettres pon tificales.

LES THÉORICIENS JÉSUITES DU CICÉRONIANISME DÉVOT:


LE P. REGGIO (1612) ET LE P. STRADA (1617)

Les pontificats de Grégoire XlII et de Sixte-Quint 214 voient s'édifier


à Rome, sous l'impulsion personnelle des Papes, un puissant réseau de
collèges 275 dont les Jésuites ont la responsabilité, et qui a pour tâche de
former une élite européenne de prêtres et de laïcs, avec pour dénominateurs
communs la rhétorique cicéronienne, Aristote et les Exerciœs Spirituels.
Collège Germanique, Collège des Grecs, Collège Hongrois, Collège An-
glais s'ajoutent au Collège et au Séminaire Romains de la Compagnie
pour faire de celle-ci le dépositaire privilégié de l'humanisme latin et
chrétien du Saint-Siège. C'est du Collège et du Séminaire romains que
sortiront au XVII' siècle non seulement les Généraux de la Compagnie,
mais un bon nombre de cardinaux, de hauts dignitaires de la Curie, ainsi
que plusieurs Pontifes, à commencer par Urbain VIII Barberini et Inno-
cent X Pamphili.
L'élaboration de la Ratio studiorum, qui a lieu à Rome de décembre
1584 à août 1585 276 n'est donc pas seulement un fait capital dans l'histoire
de la culture et de la pédagogie oratoire européennes, elle ne prend tout
son sens que dans le contexte et dans la tradition de l'humanisme propre-
ment romain. Elle représente un suprême effort de la part de celui-ci pour
effacer les traces du Sac de Rome et pour remplir le programme d'lmpe-
fium littéraire que Valla formulait dans la préface de ses Elegalltiae ... ,
au nom de l'Italie entière, il est vrai: «Partout où l'on parle la langue
de Rome, l'Empire de Rome est debout.» Une armée pédagogique, dont
le quartier général est à Rome, dont les collèges jésuites des diverses
Assistances nationales sont les castra, occupe les territoires reconquis
par les armes des princes, par la diplomatie des nonces, par l'éloquence
des missionnaires, et enracine la culture et la foi romaines à l'intérieur
d'un limes qui rêve d'englober l'Europe entière et le monde .


••
Liée à la Ratio, toute une gamme d'ouvrages vient contribuer à sa
mise en œUvre et à son exégèse. C'est le cas des beaux «manuels» du

274 Sur Sixte-Quint, voir Pastor, ouvr. cit., éd. ci!., t. x.


275 Voir outre Pa star, R. Villoslada, S/oria deI Collegio romano, ouvr. cit.
276 Une commission de six membres, réunie à Rome, élabora un premier
projet, sous le titre Ratio a/que Ins/itutio s/udiorum (Pachtfer, Monumenta Ger-
maniae paedagogica, t. Il) qui fut communiqué à toutes les Assistances pour
examen pendant six mois; la version définitive fut prête en 1591 et publiée
en 1599 à Rome.
180 SECONOE RENAISSANCE CICÉfWNIENNE

P. Jacob Pontanus 277 et de la Bibliotlleca Se/ccta 278 que le P. Antoine


Possevin publie à Rome en 1593, au retour de missions diplomatiques qui
lui ont fait parcourir l'Europe jusqu'en Russie. Le titre indique qu'il s'agit
d'un bibliographie encyclopédique et sélective: le critére de la sélection
est évidemment la liste de l'Index, mais il s'y fait jour un dessein non
moins red~lUtable aux yeux des érudits humanistes du Nord: celui d'allé-
ger la mémoire d'un fardeau d'érudition paralysant, de ne retenir que
l'indispensable aux fins de prédication et de controverse et de le classer
avec commodité et méthode pour rendre plus libres et plus aisés les
mouvements de l'invention oratoire. Cet esprit de commodité utilitaire,
appliqué au legs de l'Antiquité, était aux antipodes de l'utopie des
philologues: retrouver la lumière de l'Age d'or philosophique et chrétien
dans le rassemblement et la restauration patiente des fragments épars
des deux Antiquités, ce qui excluait censure et sélectivité immédiatement
apologétique.
Cette mise en ordre utilitaire des sources de l'invention orthodoxe
s'achève par un traité intitulé Cicero et qui n'est autre qu'une bibliogra-
phie critique de rhétorique. Sous la rubrique lnstitutio epistolica Possevin
se montre fort influencé par le traité de Juste Lipse. Il s'autorise de
l'exemple de la Secrétairerie aux Brefs pontificaux, qui a remplacé le
style de Bembo par un style plus vigoureux, mieux accordé à la Recon-
quista catholique 279. Comme Upse, il s'appuie sur l'atticisme grec: il
propose en modèles les lettres de Libanius et de ses disciples païens et
chrétiens 280. Sa doctrine de l'imitation à trois degrés, comme son idéal

277 Correspondant de M.-A. Muret, et en rapport étroit avec Rome, le P.


Pontanus (Spanmüller) est l'auteur de deux manuels utilisés dans tous les
Collèges au début du xv Il' siècle, les Progymnasmafa latinitatis, Ingolstadt,
1588-1594 (voir notre communication sur cet ouvrage dans les Actes du Congrès
international néo-lafin, 1973, Fink Verlag, Munich, 1979, p. 410-425) et les
Poeticae Institutiones libri III, Ingolstadt, 1594. II est également l'auteur d'une
édition commentée d'Ovide, et d'un commentaire de Virgile.
278 AntonU Possevini, ... Bibliofheca seleeta qua agitur de rafione sfudio-
rum ... , ouvr. cit., éd. cit. (note 236).
279 Voir le passage de la Bibliotheca seleela cité note 236.
280 L'lnstUutio episfolica de Possevin consacre deux chapitres aux lettres
du sophiste Libanius (ch. IV et V), un chapitre aux lettres de saint Grégoire
de Nazi,lI1ze, et un autre à l'Admonitio ad seripfionem Epistolarum pertinens
de Basile le Grand. Il recommande l'utilisation du recueil de lettres grecques
(Basile, Libanius, Isocrate, Phalaris, Apollonius de Tyane, Julien l'Apostat, etc.)
publié par Alde Manuce à Venise en 1499. En outre il fait un éloge chaleureux
des lettres de Lipse, qui égalent le nUor des Anciens, grâce à leurs quatre
qualités: brevitas, perspicuitas, simplieitas, venustas, cette dernière corrigée
par la decentia. Aux chapitres XVIII et XIX, il fait un excellent résumé de
la Querelle du cicéronianisme, et considère la lettre de lB. Giraldi (cit. note
239) comme la solution la plus juste du problème posé: toute la culture épis-
tolaire antique, et Lipse, peuvent offrir des modèles, pour donner libre champ
à la variefas ingeniorllm et à la multitude des sujets traités: mais l'exemple
de Cicéron doit gouverner le jugement, et rester la norme rectrice. A son
sens, Budé était de cet avis. Enfin au ch. XX, il consacre un chapitre au cas
épineux de Sénèque: mais il s'agit de sa doctrine. à certains égards dange-
reuse, non de son style.
ANTOINE POSSEVIN 18]

du style épistolaire, sont repris pas à pas de l'Epistolica institutio. Il met


toutefois en garde contre le risque d'une «aspérité et d'un archaïsme
excessifs>, ainsi que contre les risques de vulgarité liés à l'imitation de
Plaute. L'éducation progressive du judicium doit parer à ces défauts et
mesurer l'usage des ornements (figures, images, ocumina).
Rappelant les étapes essentielles de la Querelle du cicéronianisme
(sans mentionner Erasme), Possevin se rallie à la thése de Pico; le Cicéron
qui donne son titre à ce livre n'est plus le modèle unique, mais le péda-
gogue et le guide du judicium ; il préside à une imitation éclectique d'où
chaque « nature» tir,e ingénieusement sa forme propre et qu'elle dose
judicieusement selon les genres, les sujets, le public.
Abordant ensuite l'art du discours, le P. Possevin se livre à une
comparaison entre Cicéron et Démosthène qui les met à égalité et qui
tend à un idéal oratoire faisant fusionner leurs vertus. Mais celles-ci
s'effacent, sitôt qu'on les compare au sublime de l'Ecriture Sainte. Aussi
faut-il mettre au-dessus de tous les orateurs païens l'éloquence de saint
Jean Chrysostome, dont le modèle était saint Paul, avec toutes ses
foudres.
Le sublime chrétien est donc la véhémence d'orateurs-soldats du Christ,
pourfendant l'hérétique et autres alliés du Démon. Dans son L. 1 De
cuttura ingeniorum, Possevin avait allégorisé cette Idée chrétienne de
l'éloquence en lui prêtant les traits de Judith surprenant Holopherne et
lui tranchant le col 281.


••
Jésuite ligueur, longtemps associe aux guerres civiles françaises,
Possevin apporte à Rome ce que l'on pourrait appeler « l'esprit du
front >'. Mais après la conversion d'Henri IV, la situation politique et
religieuse en Europe tend à se stabiliser au profit de l'Eglise romaine,
et la tension de la croisade catholique, en particulier à Rome, semble
diminuer. En 1607, les Jésuites remportent sur le plan doctrinal un succès

281 Voir Bibliotheca Selecta, L. l, De Culfura ingeniorum, éd. cit., p. 38 :


Nam ut Judith femina honestissima, quod ad Holophernem hostem capiendum
non tantum pre ces aut cilicium vel jejunia qui bus antea utebatur sed etiam
inaures et sandalia et annulos et denique omnem mundum adhibendccm putavil,
Deus quidam insuper ei gratiae et splendoris contu/it, quoniam compositio il/a
non ad libidinem, sed ad virtutem referebatur: sic eloquentia et scientiae a
ReliRiosis tamquam ancillae ad arcem adductae, c/ypei denique sunt ad pro pel-
landos hostes, qui in Dei Ecclesiam vellent irrumpere. Ces images de meurtre
et de guerre, cette allégorie du prêtre~Judith, ascète se pliant à un rôle de
composition de courtisane pour tromper et perdre l'adversaire sont caracté-
ristiques du climat du L. l, tout plein de zèle de la Reconquista. Cette Judith
terrible est aussi une allégorie de l'éloquence de combat. Dans le L. intitulé
Cicero, Possevin compare Cicéron et Démosthène et célèbre la véhémence
vengeresse de celui-ci. Il lui préfère plus encore la pugnacité de saint Jean
Chrysostome (ch. V et XII de sa Rhetorica).
182 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

substantiel, contre l'augustinisme baïanis(e des théologiens de Louvain 282.


Sans être officialisées par Rome, les thèses de Molina et de Suarez sur
la concordance entre liberté humaine et secours de la Grâce sont tenues
pour aussi vraisemblables que celles de leurs adversaires. Une ère de
paix relative et de consolidation commence pour l'Eglise, et les Jésuites,
forts des services rendus au plus dur de la bataille, et de la tolérance
tacite du ma.listère romain aux thèses de leurs tnéologiens, vont pouvoir
désormais s'enhardir et légiférer à leur manière dans l'ordre rhétorique.
Déjà chez Possevin la véhémence démosthénienne apparaissait comme !me
meilleure alliée de la foi militante que la rhétorique augustinienne du
De Doctrina Christiana. Désormais, l'époque des guerres civiles et reli-
gieuses s'achevant, et une nouvelle époque «augustéenne» de l'Eglise
se laissant augurer, l'humanisme jésuite se tourne plus résolument encore
vers Cicéron, donnant le pas au De Oratore sur le De Doctrina Christiana .


••
La prétention, sensible chez Possevin, d'accorder au prêtre « réformé »,
détenteur du magistère de la Parole divine, une autorité critique sur
l'éloquence profane, n'est pas le privilège des Jésuites. Elle découlait
logiquement de la hiérarchisation, si bien orchestrée dans la Sylva loco-
rum de Louis de Grenade, entre les « sources» sacrées et les « sources»
profanes de l'éloquence, et de la supériorité de l'Orateur sacré sur ses
COllègues laïcs. A cet égard, l'œuvre de Louis Carbone, professeur de
théologie à Pérouse, annonce l'éclosion des rhétoriques jésuites du

282 Sur la querelle provoquée par la publication à Lisbonne, en 1588, du


Concordia liberi arbitrii cum gratiae donis ... , du Jésuite Molina, voir Diction-
naire de théologie catholique, t. X, art. Molina. Le pape Clément VIII donna
d'abord ordre aux Jésuites et aux Dominicains de suspendre toute controverse
et de s'en remettre au Saint-Siège. Il réunit une Congrégation dite De Auxiliis
pour examiner la Concordia. Le 28 août 1607 (fête de saint Augustin) le Pape
Paul V fit une déclaration solennelle mettant fin aux travaux de la Congré-
gation, et croyait-il, à la Querelle, en renvoyant dos à dos Dominicains et
Jésuites, ce qui constituait en fait une belle victoire pour ces derniers. Il y a,
à notre sens, un rapport profond entre la Querelle du Cicéronianisme, entendue
au sens large, et la Querelle de la Grâce. L'importance que les Jésuites accor-
dent dans leur enseignement rhétorique, à la nature et à l'art, correspond à
leur théologie de la liberté. Et la valeur qu'ils accordent aux vraisemblances
oratoires correspond à leur théologie de la «science moyenne» et à leur
morale probabiliste. Inversement, une rhétorique de type «borroméen» impli-
que une théologie où la Grâce détermine la nature et compte plus que les
œuvres de la liberté humaine. La Querelle De Auxiliis qui domine tout au long
du XVII' siècle la théologie catholique nous semble donc en étroit rapport
avec l'importance croissante qu'ont prise au cours du XVI' siècle l'éloquence
sacrée, et la problématique rhétorique, dans la culture catholiQlle. Voir aussi,
sur la Querelle De Auxi/iis, l'ouvrage du P. Hyacinthe Serry, Historia Congre-
f!ationis de auxiliis divinae gratiae sub summis Pontificibus Clemente VTTT et
Paulo TV, Louvain, 1700, auquel répond quelques années plus tard celui du
Jésuite Liévin de Meyer.
LOUIS CARBONE 183
XVII' siècle. Elève des Jésuites 283, auteur d'un abrégé de la Somme
théologique de saint Thomas 284, notre auteur a construit son œuvre en
partie double: d'un côté une série de traités de rhétorique « profane :.,
consacrés chacun à l'une des parties de l'art oratoire (Invention, 1589,
Disposition, 1590, Elocution, 1592) 285 et de l'autre, un traité de rhétorique
Divinus Orator vel de Rhetorica divina lib ri septem (1595)286. Les traités
de rhétorique profane sont tous dédiés à François-Marie de Gonzague,
duc d'Urbino Leurs dédicaces soulignent toutes la portée politique de
l'éloquence profane, palladium du Prince chrétien, instrument de la
concorde civile et du consensus social en temps de paix, rassembleur des
énergies en temps de guerre. C'est l'art monarchique par excellence, qui
permet de concilier l'empire nécessaire du Prince et la liberté raisonnable
des sujets. C'est l'art royal par' excellence: le decorum qui garantit
l'autorité du Prince, et la manifeste à tous les yeux, trouve son expression
suprême dans son éloquence personnelle. S'inspirant de Tacite et de
Pline pour définir la fonction de l'éloquence dans les monarchies, Louis
Carbone fait de Cicéron le maître de cette parole royale. Dans son traité
sur l'élocution, il s'en prend aux tenants de la brièveté, ou du style
« coupé» (infracta et amputata), aussi bien qu'aux tenants d'une abon-

283 Louis Carbone était Doclor saecularis: il n'appartenait donc à aucun


ordre régulier (voir Supplementum et castif?atio ad scriplores Irium ordimlm
S. Francisci ... opus Fr. Jo. Hyacinlhi Sharaleae, Rome, 1921, 2' part., p. 184).
On peut déduire qu'il a été formé par les Jésuites, et probablement à Rome,
du fait qu'il dédie en 1586 son De Amore et concordia fralema aux Fralribus
Congregalionis B. Mariae Annuntialae in Collegio Romano SI en des termes
qui supposent son appartenance à la Prima Primaria des Congrégations jésui-
tes de la sainte Vierge. Le titre d'Academicus Parlhenius qui lui est donné
dans l'édition vénitienne du Divinus oralor confirme cette appartenance. Un
des nombreux ouvrages de Louis Carbone sera traduit en français sous le titre
L'Homme jusle, où l'on void en cent chapitres l'heureux eslat des gens de bien,
el la condition déplorable des Pécheurs, par le Dominicain jacques Hallier,
Paris, Cramoisy, 1667 (Ire éd. Venise, 1585).
284 Compendium absolutissimum totius Summae Theologicae D. Thomae
Aquinalis ... au clore Ludovico Carbone a Costaracio, Venetiis, apud j. Variscum
et Paganinum de Paganini, 1587, 4·.
285 De oratoria el dialeclica inverzlione, vel de locis communibus Iibri quin-
que, Venise, 1589; De dispositione oraloria dispulationes XXX, Venise, 1590;
De eloeulione oraloria Iibri IV, Venise, 1592. Comme nous l'indiquons un peu
plus loin, les préfaces de ces traités ont un intérêt capital. Elles révèlent, sous
la plume d'un prêtre fort proche des jésuites, ce que ceux-ci ne disent jamais:
la valeur politique de la rhétorique aristotélico-cicérofJienne, alliée de la Raison
d'Etat. Il serait intéressant de confronter sur ce point la doctrine d'un Botero
avec celle des jésuites et de leurs alliés. Peut-on avancer l'hypothèse que pour
le premier, le magistère ecclésiastique englobe l'ensemble de la société civile
dans sa vigilance, alors que pour les seconds, il y a une sorte de symbiose
entre le domaine civil et le domaine ecclésiastique?
286 Divinus Orator vel de Rhelorica divina Iibri seplem ... au clore Ludovico
Carbore a Coslaracio, Academico Parlhenio, et sacrae Theologiae in alma
Gymnpsio Perllsi non olim MaRistro, Venetiis, apud Societatem Minimam, 1595.
La dédicace au Général des Dominicains fait mention de leur Congrégation
générale qu'ils tiennent cette année-là à Venise.
184 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

dance excessive (nimia longitudine) : la juste mesure cicéronienne est


seule à réfracter dan .. 1.. c;tyle la Justice du Prince, et la santé de son
Etat.
Le pendant de cette série de rhétoriques profanes, le Divinus Orator,
est dédié au Général des Frères Prêcheurs, le P. Beccaria. Mais notre
auteur admet des parties communes aux deux registres oratoires: il
suppose chez son divinus orator qu'il possède à fond ses autres traités, et
il recommande aux orateurs profanes d'étudier celui-ci 287. Il admet que
les Ecritures Saintes, modèles de l'éloquence sacrée, ne brillent ni par le
choix des mots (puritas vcrborum) ni par l'élégance (cultus). Les auteurs
inspirés avaient mieux à faire qu'à s'arrêter sur ces vétilles. Ce n'est pas
une raison, pour le prédicateur d'aujourd'hui, de négliger l'éloquence 288.
Toutefois, il y a éloquence et éloquence, ornement et ornement (ornatus).
1\ ne saurait être question d'imiter une sophistique fardée (fucata), parfu-
mée (calamistrata), impudique (immodice ornata), et toute pour la montre
(penitus forensis). L'éloquence chrétienne - et les écrivains profanes
doivent s'en souvenir - ne saurait être que grave (gravis), sobre (sobria),
pudique (pudica), naturelle (nativo quodam succo plena, ingenuoque
colore affecta) et exactement adaptée à son sujet, à sa fin, à ses circons-
tances et à la personne des prédicateurs. Elle ne doit manquer ni de beauté
ni de charme, pour peu qu'ils soient vertueux, tels ceux qui paraient
Esther lorsqu'elle plaidait pour son peuple et pour la gloire de Dieu 289.
L'ornement d'une telle éloquence doit répondre à ce que les Docteurs
scolastiques ont écrit De ornatu mulierum, à ce que saint Ambroise, dans
son traité De Virginibus, a écrit de la chaste beauté des vierges chrétien-

287 Préface au lecteur: Deinde, ... hic meus labor non soil/m ... sed eliam
profanis or%~~ribus el omnibus eloquentiae comparandae studiosis usui fuisse
po/ait. C'est la première fois, il notre connaissance, qu'une rhétorique ecclé-
siastique nivelle à tel point éloquence sacrée et éloquence profane.
288 On retrouve chez Louis Carbone les thèses de Marc Antoine Natta (voir
note 162) sur l'infériorité littéraire des Ecritures saintes. Deus permisit, écrit
notre auteur, ut sui scriptores in/erdum minorem curam haberent verborum,
ut nos de ceret majorem rerllm et veritatis, quam verborum et collcinnitatis
habendam esse ra/ionem ... Et sane, divini spiritll libertatem non decebat ut
penitus humanae eloquentiae legibus inservire/. Mais ce qui était vrai des
auteurs inspirés, ne l'est plus pour les modernes prédicateurs, qui doivent
posséder à fond les règles de leur art. Celui-ci doit toutefois rester dans les
limites d'une éthique chrétienne.
289 Ibid., p. 8: pour incarner la beauté vertueuse dl! discours chrétien,
Carbone déclare: ejusmodi erit, si veluli Es/her ad gloriam Dei ejusque populi
incolumitalem suae ([ormae) ornabit. On se souvient (voir note 281) que
Posscvin faisait de Judith, trompant Holopherne et l'égorgeant, l'allégorie de
l'éloquence militante. Le glissement de la véhémence vers la douceur est très
sen~ible dans ce changement d'héroïne. Des textes comme ceux-ci nous rap-
pellent que pour les hommes du xv Il' siècle, les figures féminines de l'histoire
sainte et profane seront souvent des allégories, et des allégories de l'Eloquence.
L'interprétation des personnages féminins de Corneille, et même de Hacine,
doit en tenir compte. Voir à ce sujet nos études sur les tragédies latines du
Jésuite Stefonio (Bull. Ass. Guillaume Budé, et Les Fêles de la Renaissance,
t. Ill) et sur l'allégorisme dans la critique littéraire (Actes du Colloque Critique
et Créa/ion littéraires au XVII' siècle, Paris, C.N.R.S., 1977, p. 453-472).
LOUIS CARBONE 185

nes. Même doctrine, chez les scolastiques et chez les Pères: mais les uns,
à l'état de vérité nue, chez les autres parée de variété, munie d'armes,
«telle que les Anciens peignirent Minerve, Déesse de la Sagesse» 290.
Sous cette forme, la vérité pénètre mieux dans l'esprit des foules (ad
populum efficacior).
D'un côté la Sophistique coupable, la Grande Prostituée de l'Apoca-
Iypse; de l'autre l'Eloquence innocente et chrétienne, qui réconcilie
voluptas et virtus. Il en va de même pour la poésie: Mantuano, Vida,
Sannazar, après Prudence, ont lavé les Muses impures des Gentils dans
les eaux du Jourdain 291, et rendu possible une Poésie innocente et chré-
tienne. Le discours chrétien peut donc recourir à l'ornement, au même
titre que les Temples du Seigneur aux vases sacrés et statues. Dans les
deux cas, le principe de l'aptum, de la convenance avec la sainteté des
choses divines, doit être respecté.
POllr Louis Carbone, !'éloquence chrétienne est donc une conquête
perpétuelle sur sa rivale, l'éloquence païenne et sophistique. Elle ne doit
pas lui être inférieure en beauté: traitant d'une manière divine, chaste,
saine, pure, claire 292, elle est l'ennemie de la grossièreté, de la rusticité
et de la négligence paresseuse. Mais elle refuse de recourir aux moyens
captieux et sensuels de l'asianisme. Le genre et le style épidictiques qui
font étalage de fleurs, de bijoux, de fards, lui sont étrangers. Elle ne
porte pas de masque et montre avec candeur son visage. Difficile colla-
boration entre l'inspiration divine, et le sens du naturel 293, pour plaire

290 Ibid., p. 14. On se souviendra que le sujet de Théodore Vierge et Mar-


tyre de Pierre Corneille, qni vonlait être la tragédie chrétienne parfaite, est
tiré du De Virginibus de saint Ambroise. Voir notre étude «].L. Guez de Balzac
et Pierre Corneille» dans Mélanges offerts à René Pintard, Strasbourg, 1975,
p. 73-89.
291 Ibid. L'exemple des Pères est cité à l'appui de cette alliance entre bea!lté
païenne pt vertu chrétienne: Non obscure, non sordide, non rustice, sed dis-
tincte nitide, urbane, et perspiClle laudavit Hieronymus Pauiam, Ambrosius
A '{lIe/em ... Julien l'Apostat fut très avisé, qui pour ruiner l'efficacité de l'élo-
quence des Pères, interdit aux chrétiens l'étude des bonae artes.
292 Ibid., p. 17. Pas d'excuse pour le prédicateur grossier et dénué de goût.
Nam ut eloquia Dei quae tractat sunt pura, et quovis argento septies in irrne
purgato synceriora, sic etiam orationis genere casto, sano, integro, et perspicuo
enunciari et explicari debent .. ne haec una ars, quando omnes aliae hoc tem-
pore pristinam formam recuperasse videntur, in tanta praesertim concionatorum
multitudine remaneat deformata. Prudens itaque coneionator dirai sapienter,
dieal eloquenter, dirat eliam eleganter. On remarquera l'optimisme moderne
de Carbone, son acte de foi dans un « progrès des lumières» auquel l'Eglise
doit participer ct d'autre part, le fait qu'il ne se contente plus d'une pietas
eloquens et sapiens, à la mode d'Erasme et des rhéteurs borroméens: il veut
aussi l'elegantia. Celle-ci est inséparable pour lui de la qualité cicéronienne
par excellence: la perspieuitas, la clarté.
293 Ibid., p. 23. Y a-t-il contradiction entre l'inspiration divine et l'ele-
gantia ? C'est ici que nous rejoignons la Querelle De Auxiliis. Pour Carbone,
il y a une eoncordia entre l'inspiration divine, et l'art qui imite la Nature en
l'assumant et en la portant à la perfection de ses promesses. « Qui, demande
notre auteur, voyant les Turcs attaquer les chrétiens avec des canons, en
refuserait l'usage à ceux-ci », sous prétexte qu'il s'agit d'une invention pro-
fane? La technê rhétorique est donc réhabilitée au même titre que les autres
186 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

sans séduire et assaisonner juste assez pour rendre les mets agréables au
goût (apte ad gustandum), sans délectation désordonnée .


••
Avec Carbone, la Rhétorique sacrée prend conscience d'avoir fait
lenaitre une esthétique chrétienne, qui peut guider non seulement le pré-
dicateur, mais l'écrivain profane. Les Jésuites, qui formaient dans leurs
Collèges aussi bien de jeunes laïcs que de jeunes lévites, et qui avaient
calculé leur Ratio s1udiorum en fonction de cette double finalité, n'allaient
pas tarder à tirer le plus grand parti de cette découverte. Mais ils vont
interpréter le magistère proprement critique conquis par le prêtre ~ réfor-
mé» dans un sens beaucoup plus conciliateur que celui que nous ren-
controns chez Louis Carbone.
A peu d'années de distance, en 1612 et 1617, deux professeurs de
rhétorique du Collège Romain, le P. Carlo Reggio et le P. Famiano St rada
publient, l'un son Drator Christianus, l'autre ses Prolusiones Academicae.
Beau diptyque, dont un panneau traitait l'éloquence sacrée et l'autre
l'éloquence profane. Mais entre eux, un point commun: la référence privi-
légiée à Cicéron. Comme pour unifier la double vocation de la pédagogie
jésuite et pour manifester le magistère universel de l'Ordre sur l'ensemhle
de la culture catholique, ce cicéronianisme dévot est contraint à un double
et délicat sacrifice: le P. Reggio incline l'éloquence sacrée vers la tradi-
tion du cicéronianisrne italien et assourdit quelque peu les références
augustiniennes, propres aux rhètoriques sacrées; le P. Strada, se posant
en législateur des lettres profanes, est plus discret encore: le De Doctrina
Christiana n'est plus présent qu'à titre de «traces» esthétiques dans sa
doctrine oratoire.

•••
En 1612, le P. Carlo Reggio publie à Rome un fort in-quarto intitulé
Drator Christianus 294 qui est à coup sûr la plus vaste rhétorique ecclé-
siastique publiée jusque là, avant que les Jésuites français, le P. Caussin
et le P. de Cressolles, quelques années plus tard, ne fassent plus long et
plus abondant encore. L'ouvrage était dédié à saint Paul en personne.

techniques modernes. Progrès humain et histoire providentielle vont de pair.


D'autre part, il faut remarquer que pour Carbone, idéal classique et idéal chré-
tien se confondent. L'élément chrétien dans son esthétique, ce sont justement
l'aptum, le pudor, la fidélité à la nature, si caractéristiques de l'idéal cicéro-
nien, tel qu'il s'exprime dans le De Oral ore.
294 Caroli ReRii Orator Christianus, Romae, apud B. Zannettum, 1612.
Orné d'un beau frontispice, le libre est précédé de deux inscriptions latines,
l'une annonçant le contenu de l'ouvrage, et l'autre dédiant l'ouvrage Divo Paulo
optima magistro atque omnium eoneionatorum proteetori dignissimo et unieo
exemplari.
CARLO REGGIO 187

Une telle invocation était nécessaire pour autoriser le glissement de la


tradition « borroméenne » vers le cicéronianisme dévot. Le style même du
P. Reggio, ample, élégant, tranchait avec la sécheresse d'un Valier, la
rapidité anxieuse d'un Botero, ou les distinctions scolastiques qui persis-
taient encore parmi les périodes oratoires d'un Carbone.
Mais il ne faudrait pas voir cet Oralor chrislianus comme une version
« paganisante» des rhétoriques borroméennes. Le P. Reggio lutte sur
deux fronts: contre les prédicateurs trop confiants dans l'inspiration
divine, et dédaigneux de la forme; contre les prédicateurs qui accordent
trop à l'ornement, aux dépens d'une « juste mesure» chrétienne.
Après avoir traité (L. 1) de la dignité de l'office du prédicateur, et des
vertus qui lui sont nécessaires (L. II) le P. Reggio insiste sur sa culture
(scientia et exercitamenta L. III). Il n'évoque guère l'inspiration divine.
qui jouait un si grand rôle dans les rhétoriques borroméennes.
Au L. IV, il aborde le fond du problème de l'éloquence chrétienne.
S'appuyant sur l'autorité de saint Augustin, le P. Reggio commence par
établir qu'il y a un art oratoire légitimement utilisable par l'orateur
chrétien. Puis il réfute les arguments de ceux qui nient l'éloquence de
saint Paul et des Ecritures Saintes: la RI/étorique d'Aristote peut servir à
expliquer les EpUres de l'Apôtre; Longin, dans le Traité du Sublime, a
cité Moïse comme un orateur hors pair. Néanmoins, cette légitimité d'un
art oratoire chrétien, cette présence de l'éloquence dans l'Ecriture ne
justifient pas l'usage par les chrétiens de n'importe quel art, de n'importe
quelle éloquence. «Il y a une fausse rhétorique ». Le P. Reggio s'appuie
sur le Gorgias et le Phèdre pour stigmatiser la rhétorique des sophistes.
Dans les Ecritures, on trouverait même des arguments pour condamner
toute rhétorique. Mais Platon distinguait rhétorique sophistique et rhéto-
rique philosophique. Et les Ecritures, directement inspirées, n'avaient pas
besoin d'un art conscient de lui-même. «11 y a donc une vraie et une
fausse éloquence » 29~.
Elles se distinguent avant tout par l'intention: l'une se fait l'instru-
ment de Dieu; l'autre se prostitue à l'argent et la vaine gloire. Faut-il
donc croire que la vraie éloquence doit se priver d'efficacité. c'est-à-dire
d'ornatus? Saint Augustin semble incliner en ce sens, et le P. Reggio,
sur ce point, est moins puritain que lui. Mais pour en avoir le cœur net,
il instaure une disputatio in utramque partem. En faveur de l'ornatus : ne
doit-on pas s'accommoder au temps, et à un public qu'indispose aujour-
d'hui l'austérité? Ne constate-t-on pas que le bien des âmes est obtenu
plus volontiers qu'il s'annonce avec voluptas aux oreilles du pUblic? Le
genre grave et austère (gravis et serius) ne devrait pas empêcher le
recours au genre agréable, fleuri (amoellu~, comptus, floridus). Ne serait-
ce pas appauvrir la chaire chrétienne que d'en écart~r les tempéraments

295 Orator christianus, 1. V. ch. IV, Quanam sil vera et falsa eloqllenfia.
Le P. Reggio identifie la position des adeptes du style floridus et comptus,
propre au sophista et au coquinarills rhefor, à celle de Marcus Aper dans le
Dialogue des Orateurs. Les développements qui suivent se trouvent au ch. V.
188 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

bienveillants, qui peuvent sauver tant d'âmes, rétractiles devant la véhé-


mence austère 296 ?
Contre l'ornatus: comment ne pas suivre saint Augustin lorsqu'il
affirme que seule la sobre gravitas est en accord avec la persona majes-
tueuse que revêt le prédicateur du Verbe divin? Elle seule donne ce poids
d'autorité qui subjugue les âmes. Et un Tertullien, un Sénèque vont dans
le même sens que ce Docteur de l'Eglise. Ils mettent en garde contre la
délectation, qui pervertit la vérité, alors même qu'elle prétendait la servir.
Marc Antoine Muret n'a-t-i1 pas lui-même, dans une de ses Variae lee-
lianes, condamné la ealamistrata oratio, toute en «fausses fenêtres pour
la symétrie », bonne peut-être pour les ignorants, mais donnant la nausée
aux hommes d'intelligence et de cœur? Tous les Pères ne s'accordent-ils
pas avec saint Augustin pour recommander une éloquence pleine de
majesté et de gravité, et pour écarter les theatriea 297 ?
N'y aurait-il donc, en définitive, qu'un choix impossible entre une
éloquence austère, mais inefficace, et une éloquence sophistique, trahissant
le message chrétien? Le P. Reggio se tire d'embarras en conseillant la
juste mesure. Condamnons l'éloquence calamistrée, surchargée, imitée
des rhéteurs d'Asie; mais ne proscrivons pas pour autant l'ornatus. A
condition toutefois de ne pas tomber dans l'excès. Mais refusera-t-on à
l'éloquence ce que l'on accorde aux temples de Dieu, que la peinture, la
musique, les vases sacrés décorent pour les rendre dignes de la majesté
divine? Exige-t-on des peintres, traitant de sujets sacrés, qu'ils se can-
tonnent dans un genre efflanqué et triste (strigosum ae triste) 298 ? Mais
là aussi on observe une juste mesure: toute recherche trop curieuse et
profane en matière de décoration et d'architecture sacrée choquerait. Il
en va de même pour l'ornement oratoire: un goût chrètien doit modérer
et régler son usage. Qu'il s'ajoute à la substance du discours, mais qu'il
ne s'y substitue pas.
Par petites touches, le P. Reggio est ainsi parvenu à rompre avec le
style sévère des rhétoriques «borroméennes », tout en se livrant à une

296 Ibid., p. 208.


297 Ibid., p. 211.
29B Ibid., p. 206. A cet argument, que le P. Reggio attribue aux nouveaux
Marcus Aper, il répond lui-même p. 217 : Dissimilis vero templorum et Sacrae
supelleclilis, magna ex parte, ratio est, et ex parte similis. Si beaux et précieux
que doivent être les ornements du Temple, lamen certus est modus, sacrarum
vestium, cerla figura sacrarum aedium, quas si quis ad prophanam speciem
quamvis forte curiosiorem vellet redigere, nemo pateretur. /ta sua debet esse
dictionis sacrae nota, quae a pro phan a distet, non declamatoria sublililas, non
poeticus nitor, nec sophislica ostentatio, et alia, id genus prophana ornamenta
ingeri in eam debent. Et il ajoute, distinguant entre «structure» et «orne-
ment» : Sed error in eo est quod orationi non adduntur ornamenta sed ex
iis tota componilur. Id solum hab et, quod accessio templum est. (Cette phrase
éclaire le sens du frontispice de l'ouvrage, où l'ornement (emblèmes et guir-
landes) épouse les lignes de force de l'édifice et ne le masque pas). Dernière
objection: une prédication sophistique et asianiste jette le doute sur les mœurs
de l'orateur que l'on soupçonne de vana gloria et ostentatio.
CARLO REGGIO 189

critique pertinente des tentations sophistiques de l'éloquence sacrée. Il


est donc en mesure de proposer un modus ciceronianlls de l'éloquence
sacrée, proche du genre épidictique, et propre à s'insinuer doucement dans
les âmes, sans les ravir de rude et vive force. Pour faire entendre la note
juste de ce dolce stil nuovo., il se réfère aux deux diapasons de l'éloquence
profane, Démosthène et Cicéron. On a beau, dit-il, reprocher à Cicéron
d'être superficiel (levior), il a rendu à sa patrie des services plus grands
que le véhément Athénien parce qu'il a su toucher les cœurs (pectus, cor)
plus profondément. Dans le choix du style oratoire, comme pour tout
autre outil, la première vertu à exiger est l'utilité; s'il s'y ajoute de la
beauté (decor), pour peu qu'elle reste dans les limites de la décence et de
la modestie, on ne doit pas trouver à redire 299.
Chez le P. Reggio, l'éloquence du cœur chère à saint Augustin change
quelque peu de sens. Le Jésuite romain compte moins, pour fléchir les
âmes endurcies, sur l'inspiration d'En-Haut, ou ses pieux élancements,
que sur sa dextérité d'artiste ajoutant aux «choses» un luxe de bon
goût qui les rendent délectables autant que salutaires. Bel exercice de
diplomatie rhétorique: les concessions de pure forme que le P. Reggio
accorde aux tenants du style sévère, admirateurs de Démosthène, de
Sénèque, de Tertullien, ne sont là que pour mieux faire triompher le
principe d'une éloquence « douce», sous l'invocation de Cicéron et aussi
de Longin. Mais le principe du }udicium, de la juste mesure cicéronienne
chrétienne est aussi un principe libéral; s'il empêche la «douceur» de
dégénérer en séduction sophistique, il peut aussi empêcher la sévérité,
conforme au «génie» de certains orateurs, de glisser vers l'âpreté épi-
neuse. Il y a plusieurs demeures dans la maison du Père: Non facile
quispiam contemnendus.
L'Orator christianllS fait la théorie de ce que l'on pourrait appeler
" cicéronianisme dévot ». Cicéronianisme ne doit pas être entendu au sens
étroit qu'il avait au début du XVI" siècle; il désigne le privilège accordé à
Cicéron de régler l'ornement du discours chrétien, en même temps qu'il le
justifie par la mesure qu'il lui impose. Il ne s'agit plus d'une imitation
exclusive du style de l'Arpinate, garantissant en quelque sorte le sûr
chemin du « meilleur style» : Cicéron fournit l'Idée inspiratrice d'un bon
goût compatible avec la «décence» et la «modestie" chrétiennes. Ce

299 Ibid., p. 226. La conclusion de ce chapitre consacré à l'orna fus est un


éloge de la juste mesllre chrétienne. «Est igitur diligenter cavendum lit id fiat
in de/ectu sfyli oraforU, quod fit in ceteris instrumentis ; prima virtus insfru-
menti esf lItiiitas, deinde si aliquid de cor aecedaf, non reprehendilur, modo infra
fines constat modestiae. Gladius non ille melior qui ex pretiosiore maferia
conflatus sil, sed qui acutiorem ae firmiorem aciem habeat. Cette juste mesure
chrétienne s'identifie donc an principe cicéronien de l'opium. Celui-ci doit tenir
compte avant tout de la nature du sujet, mais aussi des circonstances et du
public. Le fléau de la balance, chez le P. Reggio, oscille pour tenir compte
de la nature complexe et changeante des choses, mais il ne s'éloigne guère
du point d'équilibre entre les deux extrêmes: un atticisme strigosum et triste
et un asianisme adulterinus (p. 277).
190 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

bon goût, bien qu'il exclue les extrêmes, rugosité diatribique et faste
déclamatoire, n'est pas étroit: il dépend du jugement de l'orateur, formé
par la culture.
Ainsi apparaît un nouveau decorum de l'art d'Eglise moins tendu,
moins anxieux, moins austère, plus accueillant aux riches ressources de
l'art oratoire antique, et plus acceptable par une société profane tournée
désormais vers le luxe et vers la paix .


••
Ce sens d'un équilibre difficile et délicat entre la finalité chrétienne
de l'éloquence et l'ornement nécessaire à sa réception, se retrouve à un
souverain degré chez le P. Famiano Strada dont les Prolusiones Acade-
micae, publiées à Rome cinq ans plus tard, en 1617, s'adressent de
préférence aux écrivains profanes 800.
L'autorité dont jouit aussitôt le livre établit celle de son auteur 801,
que son enseignement au Collège Romain avait déjà fait apprécier d'une
petite élite d'initiés, ses anciens élèves. Le bonheur du P. Strada voulut
Que l'un d'entre eux, Maffeo Barberini, devînt pape sous le nom d'Ur-
bain VIII en 1623. et qu'un autre, Muzio Vitelleschi, devînt Général des
Jésuites en 1615. Ami intime, conseiller écouté en matière de beau style
de ces deux puissances eCclésiastiques, et de tout ce qui compte dans la
Curie, le P. Strada exerce désormais à Rome un véritable pontificat
rhétorique 802, comparable seulement à celui qu'avait exercé brièvement
un Bembo sous Léon X, et qu'exercera quelques années plus tard un
Chapelain sous Richelieu.

300 Famiani Stradae. Prolusiones Academicae, Romae. apud. Mascardum,


1617,4°, X-496 p. Index (B.N. X 3283). Nous citons d'après l'édition de Cologne,
Prolusiones Academlcae, seu Orationes variae ad facultatem oratoriam, hlsto-
ricam, poeticam spectantes, ed. tertia, Coloniae Agrippinae, apud Joannem
Kinckium, 1625, in-12', 481 p. Index.
301 Sur Famiano Strada (1572-1649) voir Southwell, p. 200-201 ; Leonis
Allatii Apes Urbanae de viris illllstrrhlls qui ab anno MDCXXX per totum
MDCXXX/l Romae adfuerunt, ac typis aliquid evulgarunt, Romae, 1633 (B.N.
K. 9543), p. 85-90; Thomas Pope Blount, Censura celebriorum authorum,
Genevac, 1694 (B.N. Z. 7824), p. 857-859; Ezio Raimondi, «Di alcuni aspetti
dei classicismo nella \ctteratura italiana dei Seicento », dans Il Mito deI clas-
sicismo nef Seicento, d'Anna, Messina-Firenze, 1964, p. 249-263, repris dans
Anatomie secentesche, Nistri-Lischi, Pisa 1966, 27-41.
302 Voir Biblioteca Nazionale Roma, Naz. 2305, Fondo gesuitico 176, fa.
110-111, une lettre du P. Jérôme Pet ru cci au Général Vincenzo Caraffa, dénon-
çant la « tyrannie» du P. Strada et de son ami le P. Sforza Pallavicini sur
le Collège Romain, ct \es accusant de trahir la bonne latinité cicéronienne. Le
P. Pctrucci ne réussit qu'à se faire exiler en Sicile. Voir aussi Arch. Roman.
S.J. Opp. NN. 13, une œuvre inédite du P. Strada, De contexenda oratione
fibri dùo, 383 p. mss, et quatre Orationes inédites, dont un Panégyrique
d'Henri IV.
FAMIANO STRADA 191

Les Prolusiones Academicae, s'adressant à une élite à la fois profane


et ecclésiastique de la culture et du gotît, évitent le piège du traité de
rhétorique systématique. Le P. Str.ada se souvient de Paul Manuce qui,
ébloui par sa découverte du Traité du Sublime, réclamait une rhétorique
pour «génies d'exception », distincte de la rhétorique scolaire. 11 suit
d'ailleurs une tradition inaugurée au Collège Romain par Francesco
Benci, le disciple de Muret: celle de communiquer au public le meilleur
d'un enseignement oratoire sous forme d'un recueil d'Orationes. Par là
les professeurs de rhétorique jésuites renouaient avec la tradition de la
première Renaissance 303.
Les Prolusiones sont un chef-d'œuvre du genre. L'intelligence éclatante
du P. Strada s'y enveloppe d'urbanité et d'onction, dans un style qui sait
mêler avec esprit l'anecdote et la description à l'analyse, le « dialogue des
morts» à de brèves échappées d'enthousiasme. Prolusiones : ce sont des
conférences inaugurant l'année scolaire, en présence du Tout-Rome, car-
dinaux, élite nobiliaire et humaniste de la Cour pontificale, parmi les-
quels beaucoup de parents d'élèves. L'adjectif Academicae achève de
donner leur véritable sens à ces conférences, dont l'ambition va bien au-
delà du public scolaire; Academia est un autre nom du Collège Romain,
qui souligne sa fonction de pôle d'activité intellectuelle dans la capitale
du monde catholique; Academicus est un titre dont se réclame souvent
Cicéron, disciple de la Nouvelle Académie, et de fait l'ouvrage est une
exégèse de la pensée cicéronienne en vue des besoins de la culture catho-
lique ; Academicus est enfin une allusion à l'Académie romaine fondée
par Pomponius Laetus, rénovée sous Léon X par Bembo, Sadolet, Casti-
glione, Pontano, Navagero qui en furent membres. Le titre même place
la doctrine du P. Strada dans la tradition de la oremière Renaissance
cicéronienne, et fait du Collège Romain l'héritier de "l'humanisme littéraire
de la capitale pontificale.
Pour donner à sa doctrine une autorité qui dépasse sa personne, le
P. Strada met en scène, au fil sinueux de ses discours, de grands person-
nages de la Curie et des cours italiennes. 11 imite à sa manière Cicéron qui
avait placé, dans le De Oratore, sa doctrine oratoire sous l'invocation de
vénérables Sénateurs. Les Pralusiones sont dédiées au Cardinal Alexan-
dre des Ursins, ancien élève du P. Strada, et dont celui-ci cite des vers
latins écrits en reconnaissance de ses leçons. La première prolusio du
second livre contient une conversation, dans l'esprit du Brutus et de
1'0rator, où le P. St rada se met en scène lui-même aux côtés de grands
seigneurs toscans, Ercole Strozzi, Lorenzo Cenamio, Niccolo Tucci, et
Virginio Orsini, père du cardinal Alexandre. Il vaut la peine, pour donner
la mesure des raffinements à la fois ecclésiastiques et aristocratiques du
P. Strada, de citer sa description de l't.moenus locus où se déroule cette

3()3 Le recueil d'Orationes et poemata, Epistolae et orationes, ou d'ora-


liones, poemata, epistolae séparés, est typique de l'humanisme du XV' et du
début du XV,' siècles. Muret, et à sa suite les Jésuites du Collège romain, en
restaurent l'usage.
192 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

élégante conversation littéraire, la Villa Matraria, appartenant aux Gui-


niggi, dans la campagne de Lucques:

« Nous étions assis, dans la clarté déclinante du jour, sous la galerie


de cette vaste et magnifique Villa, qui se dresse sur une colline dominant
la région, mais dont le sommet aplani laisse encore de la place pour
l'agrément de jardins; de là, à travers la colonnade de la galerie s'of-
frait à nous le paysage délicieux des collines au loin, de la plaine, et
du fleuve SM.'

Un peu plus tard, dans la cinquième Pralusia du L. Il 805, nous


retrouvons le p, St rada toujours en noble compagnie, dialoguant avec le
cardinal Alexandre Borgia. Au Livre Ill, il rapporte des propos de son
ami Jérôme Aléandre S06 ou de son ami Ottavio Corsini. A ces autorités
vivantes se joint et se mêle l'autorité des grands morts. La seconde
Prolusio du L. 1, intitulée Murefus, met en scène dans la Villa d'Este à
Tivoli les deux fondateurs de la tradition oratoire du Collège Romain,
Marc Antoine Muret et Francesco Benci. Remontant dans le temps, la
seconde Prolusio du L. Il fait apparaître, au cours d'une grande fête
littéraire donnée à Rome en présence de Léon X, tous les membres de
l'Académie Romaine, Enfin, remontant jusqu'à la Rome antique, parmi
tous les auteurs anciens cités, Cicéron règne comme le Maître par excel-
lence, le seul qui soit Juge, et auquel on se réfère pour juger les autres,
Dans cette majestueuse perspective, le p, Strada apparaît comme l'héri-
tier de la grande tradition cicéronienne, médiateur privilégié, au nom de
son Collège, entre ses plus authentiques représentants dans le passé et la
génération présente. Génération où le P. Strada mêle, dans une fami-
liarité empreinte de noble decarum, prélats et grands seigneurs, prêtres et
humanistes. L'art oratoire cicéronien est à Rome, sous l'autorité non

Strada, éd. cité, p. 196.


304
L. 1 Prolusio V, p. 156 et suiv. An ex rebus sacris ideona commenta-
305
tionibus poeticis argumenta proveniant aeque ac ex profanis. Signalons que
la substance de la Dissertation de Balzac sur l'Herodes Infanticida d'Heinsius
est puisée dans cette prolusio, qui condamne l'usage de la mythologie païenne
dans l'éloquence et la poésie religieuses. Sur ce point encore, le P. Strada
intègre à la norme académique la leçon du Ciceronianus d'Erasme, fort sévère
pour Inghirammi, qui avait traité la Vierge de déesse et Dieu de Jupiter.
soo Jérôme Aléandre junior (1574-1629), arrière-petit-neveu du cardinal du
même nom, ami d'Erasme et de Manuce, un des initiateurs de la Contre-
Réforme . .J .A. junior fut de 1609 à sa mort le secrétaire du cardinal Fran-
cesco, qu'il accompagna en France en 1625. Il fut un des fondateurs de J'Aca-
démie des Humoristes. Son crédit à Paris était fort grand: plusieurs de ses
œuvres y ont été éditées. Poète, il publia après ses Psaumes pénitentiaux
(1593) des Lacrymae poeticae (Paris, 1622); érudit, il publia une étude
sur les symboles solaires gravés sur les marbres antiques (Paris, 1617), une
défense des droits pontificaux sur le Latium (Refutatio conjecturae, Paris,
1619). Il prit part, aux côtés de Chapelain, à une polémique sur l'Adone
(Difesa dei l'Adone, Venise, 1629-1630). Voir J.N. Erithraeus (O.Y. Rossi),
ouvr. cit., p. 45-47, A. Mascardi, Romanae dissertationes, Parisiis, 1639, Diss.
VI, p, 71 et suiv. ; et Dizion. Biogr. 1. 2, p. 135-136.
FAMIANO STRADA 193

dépourvue de sel attique du P. Strada, le terrain de rencoptre entre


culture ecclésiastique et culture humaniste, entre aristocratie curiale et
aristocratie laïque.


••
Traité de critique cicéronienne, les Prolusiones Acadenzicae concernent
autant les lettres profanes en langue vernaculaire que les lettres néo-
latines: il s'agit en fait, complétant l'autre avec toutes les séductions de
l'urbanitas, d'une Ratio studiorum pour adultes, à l'usage d'une élite
latine de la culture et de la responsabilité, et visant à conférer au cicéro-
nianisme romain le prestige que Lipse avait cru réserver à son inzitatio
adulta d'érudit du Nord.
De la Ratio, ce livre tient son double aspect: directives négatives, ce
qu'il faut éviter; directives positives, l'idéal à poursuivre. De la Ratio,
elle tient aussi sa visée universelle: tous les ordres des Belles-Lettres
humanistes sont envisagés, genres oratoires, genres poétiques, genres dra-
matiques, genres historiques. Nous laisserons de côté la poésie et le
drame, pour nous contenter d'étudier ici la doctrine du P. Strada dans
l'ordre oratoire. En fait, celui-ci commande les autres; c'est par une
prolusio oratoria que commencent les deux premiers livres, et l'esthétique
qu'elles définissent sert de paradigme sur lequel se déclinent la poésie,
la dramaturgie et l'histoire. Nous sommes ici dans un univers où Cicéron
est roi, et la rhétorique, regina animorum, la clef du système des arts.
Dans la Prolusio prima du L. 1 307 , le P. St rada traite de l'importance
respective des trois facultés oratoires, Mémoire, Invention, Jugement. On'
se souvient du peu d'importance que revêtait l'invention dans le système
rhétorique de Cortesi et de Bembo. On attend donc avec curiosité de
savoir comment le P. Strada, qui désigne Bembo parmi les ancêtres du
cicéronianisme jésuite, va traiter cette question délicate.
Après avoir fait allusion à de modernes asianistes, qui croient pouvoir
attribuer la responsabilité de l'éloquence à la seule imagination, ou à des
cicéroniens scolaires qui veulent privilégier la seule mémoire, le distingué
Jésuite rappelle les uns et les autres au respect de «la fine pointe de
l'intelligence et de la raison, organe majeur de la royauté de l'âme»
(intelligentiae et rationis acumen, hoc est princeps dominantis animi pars)
et de la saine doctrine d'union de la Sagesse et de l'Eloquence, fondée par
Socrate et restaurée par Cicéron.
Sur ce rappel des bons principes, le P. Strada s'engage alors vraiment
dans son sujet. Et il apparaît alors clairement que son véritable propos
est de saper l'influence du Juste Lipse de l'lnstitulio epistolica, et de tous

307 L. 1. Prolusio l, p. Il et suiv. An proprium sit Oratoris praestare solum


memorèae : reliquis au/em ornamen/ès animè, praesertim lntelligentiae ael/mine,
atque judicio carere tuto possif, Quèdque de Oratorèa eum faeultatibus aliis
comparata sentiendum sit.
194 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

ceux qui à sa suite et à la suite du Dr Huarte, ont lancé un défi à l'antique


Ars rhe/oriea pour lui substituer l'initiative du « génie ». Huarte faisait de
l'ingenium, sur fond de mélancolie, le principe d'une parole de vérité.
Juste Lipse faisait de l'ingenium des grandes âmes, et en second lieu de
leur judicium, lui aussi fils de la lumière naturelle, la source d'un sermo
IlUmilis profane, dont [a densité ingénieuse se posait en norme du style
moderne de l'Eloquence.
Le problème du statut de l'ingenium se pose donc désormais au seuil
de toutes entreprise rhétorique. Pour le résoudre dans son sens, [e P.
Strada établit une hiérarchie ascendante entre les trois facultés de l'âme,
Mémoire, Invention, Jugement, que met en œuvre la création oratoire. Il
rappelle que selon Aristote et Galien (suivis par [e Dr Huarte qui, entre
temps, avait été mis à l'Index) les ingeniosi appartiennent au tempérament
mélancolique, lequel les prive d'une bonne mémoire. Mais il proteste
contre ce déterminisme physiologique, et il réhabilite [a mémoire, « trésor
et réserve de sciences, cousine des Lettres, mère des Muses, nourrice de
lit Sagesse et preuve insigne de la grandeur divine» 30S. Une description
des amples magasins de [a mémoire, imitée des Tusculanes (L. V) et des
Confessiol1s (L. X) soutient cet éloge. Si la mémoire n'est pas l'ennemie,
bien au contraire, de l'ingenium, l'est-elle, comme le soutiennent Aristote
et Galien, du jugement? Des exemples comme ceux d'Homère et de César,
de saint Augustin et de saint Jérôme, de Pic de la Mirandole et de
Francisco Suarez, prouvent qu'il n'en est rien. D'ailleurs, de quelle
mémoire s'agit-il? La mémoire purement passive est évidemment peu
enviable. Mais la réminiscence, qui allie le ressouvenir et le jugement,
est une faculté philosophique et active, qui fait du souvenir une méthode
de connaissance sélective et associative.
On saisit ici, sur le vif, l'habileté diplomatique du P. Strada. Il doit
défendre la Mémoire, lieu de rencontre nécessaire entre l'individu et la
Tradition, entre le particulier et l'universel, contre le mépris dont l'acca-
ble la critique de Huarte, de Montaigne, de Juste Lipse et de l'anti-cicéro-
nianisme érudit. Mais il fait en sorte que cette apologie ne lui aliène point
les suffrages des ingeniosi qui, flattés dans leur orgueil, ne se fient qu'à
l'inventio et au ;udicium naturels, et dédaignent la servile memoria : il
allie donc l'exercice de ['intelligence critique à celui de la mémoire.

***
Qu'est-ce donc que cet ingenium, privilège de ces ingeniosi qui se
veulrnt l'élite des hommes? Le P. Strada, de façon caractéristique, le
définit moins dans ses sources et son essence que dans ses effets: la
réussite oratoire en toutes circonstances. Ainsi affilié au Grand Œuvre
cicéronien de persuasion oratoire, l'ingenium peut être accueilli par le
P. Strada comme un des principes de la Parole. Les trois finalités de
l'éloquence exigent en effet de l'ingenium: le doeere exige l'invention

308 Ibid., p. 31
FAMIANO STRADA 195

d'arguments et de preuves exactement ajustés au sujet et à l'auditoire, et


remplissant le programme cicéronien d'apte dicere; le delectare exige
l'invention de métaphores et d'un jeu ornemental du discours: encore
faut-il que cet art de la translatio soit lui aussi aptus, conforme à une
ratio, et ne tombe dans aucun excès froid ou ridicule; le movere, enfin,
qui exige une connaissance à la fois profonde et fine de la nature
huma1ne, et des passions qui la conduisent, n'est pas la moindre épreuve
de l'ingenium. Ulysse ne s'est pas montré moins invincible en maîtrisant
les passions d'Hécube, qu'en forçant les murailles de Troie.
Que reste-t-il alors au jUdicium? L'ingenium est rapide, c'est l'aspect
vivace et créatif de l'intelligence. Le jUdicium est un frein, il prend son
temps et du recul pour peser et choisir. Mais il est artificiel d'en faire une
faculté séparée: chez le grand Orateur, le judicium est à l'œuvre tou-
jours et partout, comme le « sang même de l'éloquence diffusé également
dans tout son corps ». Sommet et résumé des facultés oratoires.
Si ces conditions psychologiques de la création oratoire sont réalisées,
à la faveur d'une belle nature et d'un patient exercice, la Rhétorique n'est
plus incompatible avec la Politique, comme le voulait Platon, puisqu'elle
devient capable de faire communiquer les choses éternelles avec les choses
soumises à délibération, et s'identifie à la Prudence 309. Elle n'est plus
incompatible avec la Philosophie, puisqu'elle la contient: servant en eftet
d'intermédiaire entre le monde supérieur, libre du temps et du mouvement,
elle monde inférieur, soumis au temps et aux tempêtes, elle fait descendre
l'un vers l'autre, par le pouvoir de la persuasion qu'elle exerce sur les
âmes 310. Et le P. SÜ'ada conclut sur un magnifique éloge de l'lngenium
humain, qui se révèle dans sa plénitude chez le grand Orateur. Car la pure
ratio philosophique a beau jeu de contempler l'ordre immuable du monde
supérieur, et les Idées éternelles. C'est une tout autre tâche que d'incarner
cette ratio dans le monde inférieur, labyrinthe rempli de pièges et d'obsta-
cles. Trouver la forme juste accordée à la multiplicité des circonstances,
des sujets et des hommes, sans perdre pourtant de vue l'ordre supérieur,
tel est le chef-d'œuvre de la prudence et de la dignité humaine 3U. Avec
une remarquable virtuosité, le P. Strada a fait glisser le sens du mot

309 Ibid., p. 33. Cette prudence, cette sagacitas judicii, serait inutile si
l'on pouvait s'en remettre à des règles fixes, en faisant ahstraction de la variété
des talents et de la multiplicité du monde. «Mais comme le nombre et la muta-
bilité des choses n'ont pas de limites, comme la variété des rôles ne peut être
enfermée dans une quelconque classification, comme la houle du temps n'admet
pas toujours la même conduite, comme les mœurs humaines sont variables et
même se contredisent d'une heure à l'autre, il faut que l'industrie de l'Orateur
se tienne en éveil, et observe attentivement même les plus minces détails de
ce qui l'entoure, qu'il ne néglige rien et qu'il ait des yeux de tous côtés. »
310 Ces pages du P. St rada sont une variation sur les thèmes du De Oratore
que nous avons analysés plus haut. Les orateurs sont la Philosophie en action,
ce sont des «Prométhées» qui maintiennent le feu divin parmi les tempêtes
humaines (p. 34).
311 La péroraison du P. St rada s'achève sur l'identification de l'orateur à
Ulysse, p. 37. C'est bien a:.J rusé Ulysse, mais dans un sens cette fois très
péjoratif, que les ennemis de la Compagnie comparent le «sophiste loyoli-
tique ». Voir par exemple ).-A. de Thou, préface à l'Historia sui temports.
196 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

ingenium de l'intérieur vers l'extérieur, de l'intériorité « mélancolique» à


l'extériorité solaire. Du même coup, la mesure du «meilleur style» a
changé: ce n'est plus, comme chez Lipse, l'ét:oute intérieure d'une âme
anxieuse de vérité, mais le pouvoir de l'orateur sur l'âme des auditeurs.
Pour autant, le P. St rada ne renonce pas à la vocation contemplative de
l'ingenium : mais il canalise celui-ci vers un magistère de la Parole qui le
rende moins attentif à son origine qu'à son effet sur autrui. Il donne
à l'ingénieux la tâche généreuse de tirer le meilleur parti de ses dons
exceptionnels pour civiliser les hommes, par le détour de l'Art oratoire.
Balzac croyait voir dans le P. Strada "l'esprit de Tacite ». Et de fait,
comme le Dialogue des Orateurs réconciliait éloquence et philosophie,
que Sénèque avait voulu séparer, les Prolusiones Academicae réconcilient
Bembo et Juste Lipse, dans une synt!Jèse qui prend exemple à la fois sur
le De Oratore et sur le Dialogue de Tacite.

•••
Dans la Prolusio prima du L. II 812, le P. St rada s'attaque cette fois à
la doctrine stylistique des «ingénieux» atticistes et anticicéroniens. Ici
encore, quoique d'un autre point de vue, celui de l'elocutio. il vise avant
tout sans la nommer l'lnstitutio de Lipse. Il se refuse à admettre la réduc-
tion de l'éloquence à un seul style, et réaffirme avec vigueur, sous le voile
d'une allégorie homérique, la doctrine cicéronienne de la tripertita
varie tas :
Pour ma part, je trouve chez Homère les trois modes de l'Eloquence
signifiés dans les trois héros, Ménélas, Nestor et Ulysse; au premier, le
poète donne une expression brève, prompte et sans rien de superflu; il
dit du second que de sa bouche jaillit un discours plus doux que le
miel: au troisième, il attribue une éloquence capable d'échauffer les âr.1e.'
comme des neiges d'hiver, à la fois abondante et impétueuse. Je reconnais
là non seulement trois personnages de l'Iliade, ce théâtre du bien dire
et du bien écrire (n'est-il pas évident que les trois styles, le bas, le
médiocre et le sublime sont évoqués dans ces trois héros homériques?)
mi!Ïs j'observe des signes particuliers, et comme des traits du visage, qui
disti!'guent Ulysse de Ménélas, et celui-ci de Nestor, comme l'Orateur de
l'Historien, et le Poète de l'un et de l'autre 3\3.

Au poète donc le style moyen, que Cicéron qualifiait de suavis : à


l'historien, le style bas, celui que Cicéron appelait attique et le P. Stefo-
nio laconique 814 ; mais à l'Orateur est réservé le Grand Œuvre, nommé

312 P.A. éd. cit p. 185-210; elle est intitulée: De stylo oratorio: et an
aC/lmina dictorum vellicantesque sententiae Oratoribus usurpanda sint.
313 P.A. éd. cit. p. 188-189.
314 Posthumae Bernardini Stephonii epistolae, eum egregio tracfatu de
triplici stylo, Romae, sumpt. Tinassii, 1677, in-32°, 292 p. Le P. Stefonio, long-
temps régent de rhétorique au Collège romain, fut le plus grand dramaturge
de la Société de Jésus. Voir nos études sur son œuvre dramatique dans les
Fêtes de la Renaissance, Paris, C.N.R.S., 1974, p. 505-524, et dans Actes du
Colloque Guillaume Budé, Paris, Belles Lettres, 1974, p. 399-412.
fAMIANO STRADA \97
par Cicéron genus grande ou gentls grave, et que le P. Strada, pénétré
aussi de Longin, appelle genus sublime.
On peut s'étonner que le P. Strada, à tant d'égards l'héritier de Pietro
Bembo, revienne à la friperfifa variefas que l'auteur de l'Episfola de
Imitafione passait sous le silence pour exalter l'Unité du Beau et le seul
Tullianus sfylus, reflet de cette unique beauté. On peut aussi s'étonner
que, se posant en continuateur de Marc Antoine Muret, il rende à l'élo-
quence orale le rôle de norme et résumé de tout discours: Muret, on l'a
vu, faisait du genre écrit de la lettre (comme c'était d'ailleurs déjà le cas
chez Bembo) la norme et le résumé de l'éloquence profane moderne.
Entre Bembo et le P. Strada, il y a eu la floraison des rhétoriques
ecclésiastiques, et la Renaissance de l'éloquence sacrée. Et la différence
entre le P. Strada et Muret, c'est que le second, dans ses Orationes
finales, excluait de sa méditation l'éloquence de la chaire pour étudier le
statut de l'éloquence profane, ayant son ordre à part dans les sociétés
monarchiques modernes; tandis que le premier, pour légiférer sur l'élo-
quence profane, ne peut se passer du prestige que confère au prêtre
« réformé» le sacerdoce de la Parole. Faire de l'éloquence orale (la seule
qui subsiste en régime monarchique est l'éloquence sacrée) le sommet et
la norme de toute la hiérarchie rhétorique, c'est pour notre Jésuite, et
pour son Institut, le seul moyen d'exercer, au nom de cette supériorité
uratoire, un magistère d'arbitrage critique et de tutelle sur les lettres
profanes. Pour le P. Strada, l'Histoire, la Poésie, et la prose profanes ont
pour régente la Rhétorique ecclésiastique. Avec délicatesse, sans crier
gare, il a introduit au cœur de la discussion sur le style le genus sublime
qui, nous en aurons d'autres preuves, est pour lui le privilège du Praedi-
cator Verbi Dei.
Si l'on rapproche ce glissement subtil de celui qu'opérait cinq ans plus
tôt le P. Reggio dans son Orator christianus, on obtient une betle défi-
nition de ce que l'on a appelé le Baroque romain: l'imprégnation de l'art
profane par les catégories de la rhétorique ecclésiastique, en même femps
que l'évolution de celle-ci vers le style « agréable, élégant, fleuri» et le
cicéronianisme dévot du P. Reggio. Le ciel s'incline avec bienveillance vers
la terre, et en échange la terre doit s'efforcer de refléter le Ciel.

*
**

De fait, du haut de ce genus sublime, privilège de sa Roue, le P. Strada


peut porter un regard panoramique sur la prose contemporaine, et dis-
cerner trois familles parmi les « orateurs ». L'une de ces familles choisit
le chemin des arguments et du raisonnement, l'autre choisit celui des
passions et de l'imagination. Une troisième voudrait rester neutre, et se
réclame d'Isocrate. Mais elle n'est au fond qu'une variante de la seconde.
Dans la première famille, on reconnaîtra aisément les érudits du Nord
de l'Europe: ces écrivains doctes se soucient peu de suavité, de rythme,
d'urbanité; leur affectation d'austérité virile et d'amertume vertueuse se
198 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

plaît aux aspérités et aux dissonances 815. La seconde famille nous inté-
resse ici davantage, puisqu'il s'agit des écrivains de l'école de Giambat-
tista Marino, la pointe la plus profane des Lettres italiennes d'alors. Sans
jeter l'anathème sur ces poètes de la délectation, disciples modernes de
l'alexandrinisme d'Ovide et de Nonnos, le P. St rada les traite néanmoins
de haut, avec l'indulgence du magister qui sait reprendre avec douceur.
Leurs défauts sont inverses de ceux des érudits: imaginatifs, ils déploient
un feu d'artifice d'esprit, ils parsèment leur prose et leurs vers de pointes
brillantes, ils s'attachent à séduire leur lecteur par la suavité, à l'éblouir
par la virtuosité. Ces asianistes méridionaux font pendant aux atticistes
rugueux du Nord dans une belle symétrie des extrêmes qui révèle, par
un double symptôme, la même décadence de l'Eloquence. Point d'indigna-
tion toutefois chez notre Maestro di retforica: les atticistes nouveaux
ne sont point sans mérite, leur langue est pure et chaste, et ils ajoutent
à cette pureté l'aiguillon du raisonnement; mais à force de contention,
ils tombent dans une sévérité et une tristesse qui, non sans analogie avec
la sécheresse épineuse du modus scllOiasticus, sont plus séantes à la
philosophie qu'à l'éloquence. Quant aux asianistes nouveaux, leur heu-
reuse fécondité, au contraire, rayonne, étincelle, étonne, et emporte l'admi-
ration de leur auditoire. Malheureusement, cette volubilité mélodieuse
sonne creux: elle peut plaire à la foule ignorante, aucune solidité morale
ne soutient en dernière analyse, cette surface chatoyante et captieuse de
mots. Or Cicéron lui-même a prononcé qu'il préférait encore une sagesse
m<:igre, et peu éloquente, à une loquacité abondante et vide.
Et le P. Strada de se lancer, entouré par ses interlocuteurs de la Villa
Matraria, dans une disputatio en règle sur le problème des acumina
asianistes (pointes, ou concetti), frères ennemis des sententiae (traits,
pensées) chères aux « atticistes » du Nord 316. La conclusion, qui ne sau-
rait surprendre de la part de Cicero redivivus condamne le marinisme
italien avec une sévérité qui n'a rien à envier à celle de Boileau contre le
« clinquant» et le «faux-brillant ». Les amateurs de concetti sont com-
parés à des marchands à la criée, qui lassent le chaland à force de vouloir
l'éblouir 817.
Il ne faudrait donc pas croire que le P. Strada disserte dans l'abstrait.
Ses catégories critiques, même si elles dédaignent toute référence précise
à l'actualité des lettres contemporaines, décrivent assez finement les
orientations de l'esthétique oratoire italienne, voire européenne, de cette
période. Le seul auteur moderne qui ait consenti à prendre le P. Strada
au sérieux, Ezio Raimondi, l'a montré de façon convaincante 318. Ces caté-
gories critiques étaient si justes qu'elles conservèrent toute leur valeur

315 Ibid., p. 191. «Ils pensent que leur composition est virile et énergique,
si elle heurte l'oreille par ses ruptures de rythme.»
316 ibid., p. 195. Après le genus severum et triste, le genus liberalius, splen-
dide, hi/arius: celui-ci pèche par un excès d'orna/us, de peracutis sen/entiis.
317 Ibid., p. 204.
318 Raimondi, Ana/omie seicentesche, ouvr. cit. Cv. note 301).
FAMIANO ST RADA 199

après la publication du livre. On peut en effet considérer que le marquis


Virgilio Malvezzi 319, dont les chefs-d'œuvre sont postérieurs aux Prolu-
siones Academicae, est le chef de file italien de l'ingéniosité c atticiste :.
dont le style sévère, d'inspiration sénéquienne et augustinienne, est une
véritable mosaïque de senfentiae. Et les deux plus fougueux représentants
de l'asianisme italien, Pier Francesco Minozzi et Giambattista Manzini 820,
sont eux aussi trop jeunes pour avoir pu inspirer les analyses de Famiano
Strada. Il est vrai que Malvezzi quitta l'Italie pour l'Espagne de Quevedo,
de Gongora et de Velasquez, où il trouva un climat plus accordé à son
ingénieuse mélancolie qu'à Rome, où régnait la critique trop conciliatrice
des Jésuites du Collège Romain. Et un Minozzi, un Manzini s'épuisèrent
en vain à défier le magistère de Strada et de ses confrères: ils étaient
pris au piège de la fripertita variefas, dont ils représentaient à point
nommé l'aile « gauche », confirmant par leur extrêmisme « asianiste » la
nécessité d'une médiation.
Cette médiation, le P. Strada en détient le secret avec le genus sublime,
qui surmonte opportunément le dilemme atticisme mélancolique / asia-
nisme imaginatif et sensuel. De l'atticisme, il aura en effet l'élocution
pure, exacte et élégante S;]I1S affectation 321. De l'asianisme, il aura la
générosité fluviale, dont le cours s'accélère en torrent ou s'épanouit avec
abondance, évitant ainsi la stérilité et la monotonie; elle en aura aussi
la suavité, mais en la dosant avec une austérité empruntée à l'autre style,
et sans laquelle cet excès de douceur entraînerait le dégoût; elle en aura
enfin le rythme musical, mais ce sera celui d'une respiration pleine et
puissante, soutenant la force de l'argumentation; celle-ci ne sera pas,
comme chez les atticistes, émiettée en sentences et maximes ingénieuse-
ment paradoxales, lucioles éteintes sitôt que le soleil de la grande élo-
quence se lève: comme le soleil, elle aura un rayonnement continu, non
sans se ménager des ombres afin de surprendre sans éblouir.
Enfin elle tendra tout entière à toucher les cœurs, tantôt les enflant de
colère et d'indignation, tantôt les ramenant à la douceur et la mansuétude,
leur communiquant un élan d'amour, une flambée de haine, leur inspirant
la confiance, puis la crainte 322, LlYec une sorte de toute puissance sereine,
image de la Toute puissance divine.

319 Sur Virgilio Malvezzi. voir plus loin. Son premier ouvrage, les Discorsi
sopra Cornelio Tacifo furent publiés à Venise en 1622. Ils appartiennent à la
veine « lipsienne» de l'éloquence catholique, que le P. Strada connaît fort
bien, et où il voit un excès atticiste, moins grave toutefois que l'excès inverse,
asianiste et mariniste.
321) Sur Pier Francesco Minozzi et Giov. Battista Manzini, voir plus loin.
Le premier publie son recueil Delle libidini dell'ingegno à Milan en 1636. Le
second publie ses Furori della gioventù, esercitii rhetorici à Rome en 1633.
Tous deux apparti<mnent à la veine « asianiste» et mariniste de la prose ita-
lienne, que le P. Strada avait vu poindre avec Panigarola et Marino. Mais
ces jeunes sophistes admirent aussi Malvezzi. Le théoricien de cette sophistique
profane sera l'ex-jésuite Emmanuele Tesauro.
321 P.A., éd. cit. p. 204.
322 P.A.. éd. cit. p. 208-209.
200 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

Et le critère ultime qui permet de juger si ce Grand Œuvre oratoire a


été atteint est justement l'effet produit sur le public:
Quand je vois un vaste auditoire rester suspendu tout d'abord à la
voix d'un seul homme, et changeant de visage, être amené peu à peu au
gémissement et à la douleur, puis verser des larmes, preuves de l'émo-
tion sincère, je suis sûr que l'orateur a réussi à plaire, et qu'il s'est montré
comme on dit, un Roscius sur la scène. J'en suis sûr, parce que la
compétence de l'Orateur se rendant maître des âmes se mesure aux réac-
tions de son auditoire, exactement comme la science musicale du joueur de
guitare se révèle d'après les sons qu'il obtient de son instrument. Et je
suis sûr enfin que ce genre de diction capable de régir à sa guise les
volontés humaines, parce qu'il est de tous le mieux propre à persuader,
est aussi celui que nous demandions au début de ce discours de préférer
à tous les autres, à l'imitation de la parole d'Ulysse chez Homère 323.
Miracle d'une éloquence qui résume et réconcilie toutes les autres, et
qui confère à ceux qui l'exercent le pouvoir de juger toutes ses « dégéné-
rescences ». Une par la force de l'effet qu'elle exerce, variée par la
diversité des moyens qu'elle met en œuvre. Du L. IV du De Doctrina
Christiana, pierre angulaire des rhétoriques borroméennes, il ne reste
rien, ou peu de chose ici. Un cicéronianisme, plus proche du De Oratore
que ne l'était Bembo, s'affirme à nouveau avec empire, ~vec toutefois une
insistance sur le movere qui n'est pas à ce degré chez Cicéron.
C'est que dans cette enthousiaste description des effets irrésistibles du
Kenus sublime, le P. Strada songe à l'éloquence sacrée, dont il ne renie
pas la finalité émotionelle fixée par saint Augustin. Le passage du
« gémissement» à la « douleur» et aux « larmes », tel que le décrit notre
Jésuite, ressemble toutefois davantage aux effets pathétiques d'une élo-
quence savante, qu'aux effets pénitentiels que saint Augustin attend du
sublime chrétien. Cette gradation émotionnelle nous désigne par ailleurs
le genre oratoire auquel songe le P. Strada: les Orationes de Christi
Domini morte prononcés chaque Samedi Saint dans la Chapelle Sixtine
en présence du Souverain Pontife, et qui étaient depuis Grégoire XIII le
privilège des Jésuites du Collège ou du Séminaire Romains 324. Erasme,

323 P.A., éd. dt. p. 210.


324 Patmm S.f. Orationes quinquaginta de Christi Domini morte, in die
Sen cio Parasceves, Romae. typis V. Mascardi, 1641, 12". Voir dans la dédicace
au lecteur des Purpurei Cycni, recueil des poèmes offerts par les cardinaux
romains à Urbain VIII, et publiés à la suite des Aedes Barberinae, du comte
Teti, Rome, 1641, in-fol., une longue description d'un tableau de Piero da
Cortona, représentant le Christ en croix, et ornant la Chapelle du Palais
Barberini: l'esthétique de cette Crucifixion est identique à celle des Oraliones
prononcées à la même époque par le P. Strada ou le P. Galluzzi: «specio-
sissimum forma, prae filiis hominllm majestale compactum, aethereo perfusum
rore, divina animatum aura, sacro ligno potills innixum, immo inibi quiescen-
tem, tanquam sponsum in the/amo SilO. quam rigidis clavis affixum ... ». Le
Beau idéal transfigure et absorbe l'horreur du supplice. C'est l'antithèse du
Christ de Grünewald. Le recueil contient trois Oraliones du P. Strada (p. 278,
1604; p. 374, 1614; p. 429, 1618). On y trouve une Oralio du P. Bernardino
Stefonio (p. 196, 1599), deux Oraliones du P. F. Benci (p. 67, 1584; p. 113,
1588); et trois du P. Tarquinio Galluzzi (p. 389,1615; p. 443,1619; p. 511,
1625).
FAMIANO STRADA 201

dans le Ciceronianus s'était livré à une critique sévère de ce genre de


l'Oraison funèbre christique, tel qu'il était pratiqué sous Jules Il : il y
avait vu une réapparition des déclamations d'école et des serviles pané-
gyriques impériaux sous le déguisement d'un sermon de la Semaine
Sainte 325. Reprise par les Jésuites, cette tradition échappe en apparence
aux critiques d'Erasme : les rhétoriques augustiniennes ont entre temps
fait leur œuvre, la titulature païenne, les flagorneries à l'égard du pontife
régnant, l'ostentation purement littéraire ont disparu; la « convenance »
avec la gravité du sujet, la mise en œuvre d'une rhétorique dévote s'ac-
,:ordent désormais avec la Réforme d2 l'Eglise. Dans les Orationes de
Christi morte du P. Strada lui-même, la méthode des Exercices spirituels
suivie par l'orateur le conduit à construire une savante contemplatio ad
amorem du Christ en croix, soutenue par des compositions de lieu qui,
à travers l'imagination, s'adressent au cœur.
Au cœur? La métaphore de Roscius, celle du joueur de guitare nous
ramènent à l'essentiel du débat, qui porte en germe la polèmique de
Saint-Cyran et de Pascal contre l'èloquence jèsuite. Comme le P. Reggio,
ct avec moins de scrupule encore, puisqu'il se tient sur le terrain de la
rhètorique profane pour y évoquer l'éloquence sacrée, le P. Strada ne
fait aucune allusion à l'inspiration divine ni au recueillement intérieur de
l'orateur. Il insiste au contraire sur sa compétence d'artiste à obtenir
i'effet qu'il s'est promis, sur un sujet difficile entre tous. A qui s'adressent
les larmes que versent les auditeurs - anciens élèves pour la plupart des
Jésuites - de ces Orationes de Christi morte? Au Christ lui-même, ou à
l'art admirable d'un Strada ou de ses COllègues, capables de tirer un
« frisson nouveau» d'un sujet aussi rebattu? Notre Jésuite eût trouvé la
question malséante, et vaine au surplus. Il est douteux qu'Erasme pour
sa part eût porté sur la prose d'art admirable du P. Strada un autre
.i ugement que sur la prose encore scolaire d'un Tommaso Inghirammi, au
début du siècle précédent.
Nuancé, approfondi, enrichi de sonorités empruntées aux Pères de
rEglise et à la latinité tardive, le cicéronianisme dénoncé en 1528 par
Erasme subsiste dans son essence plus subtil, plus retors, plus virtuose.
Car les Orationes de Christi morte, œuvres de prédicateurs de Cour qui
~ont aussi des professeurs de rhétorique, sont à la fois des sermons et des
pièces d'éloquence épidictique, offertes à la jouissance proprement esthé-
tique, autant qu'à la méditation pieuse et au retour du chrétien sur lui-
même. Le P. St rada est-il un grand écrivain et un grand critique mettant
ies ressources de son art au service du salut des âmes, ou un rhéteur
supérieur mettant à profit sa pénétration chrétienne des âmes pour confé-
rer à son éloquence des pouvoirs inconnus de Cicéron, et obtenir des
effets plus insidieuser:lcnt poig,,:!.r~ts q!le lee, orateurs païens? La Prolusi"

325 Une grande partie du sel de ce passage du P. Strada, une fois reconnus
dans les effets de l'Optimus stylus ceux des Orationes de Christi domini morte,
vient du fait qu'il est une réponse implicite à la longue et sévère critique
qu'Erasme avait faite, dans le Ciceronianus, de l'éloquence sacrée cicéronienne
(Mesnard, p. 300-303).
202 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

prima du L. Il des Prolusiones Academicae fait la synthèse de l'esthétique


et du religieux; elle organise la rencontre entre un Cicéron isocratéen et
longinien, el un saint Augustin revu par saint Ignace. De cette rencontre,
le P. Strada tire une nouvelle Idée du Beau, une nouvelle norme pour l'art
catholique, et un remarquable instrument de domination pour sa Société
dont les Collèges forment à la fois des prêtres et des laïcs, de futurs
prédicateurs et de futurs « orateurs» profanes.
En dernière analyse, le P. Strada nous semble plus proche de Paul
Manuce qui demandait à Longin un « supplément d'âme» pour un cicéro-
nianisme vulgarisé et scolaire, que de Jean Botero qui demandait à saint
Paul une rédemption chrétienne de l'éloquence de Cicéron. Nuance? Mais
d'un incalculable portée. Elle implique en effet une profonde différence
d'appréciation sur la part respective de la Grâce et de la Nature, secourue
par l'Art, dans l'œuvre de persuasion chrétienne. Les rhéteurs borroméens
soulignaient avec vigueur l'infranchissable distance qui sépare l'éloquence
« humaine» et l'éloquence sacrée, l'une ressortissant à la Nature, à l'Art,
et aux sources païennes, l'autre attendant le meilleur d'elle-même de
l'inspiration divine, de la prière, et des Ecritures Saintes. Le P. Strada,
comme le P. Reggio, atténuent la distance entre éloquence humaine et
Cloquence sacrée, pour rendre celle-ci plus efficace, l'autre plus morale, et
pour mieux régenter l'une par l'autre.

CICÉRON PAPE: URBAIN VIII BARBERINI


ET LA SECONDE RENAISSANCE ROMAINE

Le pontife élu en 1623 était un humaniste au sens où l'entendent les


maîtres de rhétorique du Collège Romain. Estimable poète néo-latin et
italien, il s'était fait en France, pendant sa nonciature à Paris 326, une
réputation de mécène des écrivains et des artistes. En 1620, ses œuvres
parurent une première fois dans la capitale française, en attendant
que Sébastien Cramoisy publie, en 1642, ses poésies latines et italiennes
en deux somptueux in-folios 327. Les Jésuites romains, fiers de leur ancien
élève, procurèrent en 1631 une édition de prestige de ces œuvres, illustrée
par le Bernin 328. Il ne faut pas voir là de pures et simples manifestations
de flagornerie. La poésie du Pape renoue ave~ la tradition de Sannazaro

326 lI/ustr. mi et Rev. mi Mattaei S.RE. Cardo Barberini Poemata, Lutetiae,


Paris, Apud A. Stephanum, 1620, 4° (rééd. 1623 avec une dédicace de G.B.
Laura à John Barcla.Y).
327 Maphaei S.RE. Cardo Barberini nunc Urbani Papae Vlll Poemata. -
Poesie toscane deI cardo Matteo Barberini hoggi Papa Urbano Ottavo, Parisiis,
e typogr. Regia, 1642. Les deux volumes distincts, l'un néo-latin, l'autre ita-
lien, étaient destinés à être reliés ensemble.
328 Maphaei S.R.E. Cardo Barberini nunc Urbani Vlll Poemata, Romae, in
aedibus Collegii Romani S.]., 1631, 4°. Ce vélin destiné à être offert au Pape
est une sorte de «hors commerce» de l'édition publiée la même année sur
k:; presses vaticanes et rééditée à plusieurs reprises.
ÉLOQUENCE ET AUTORITÉ PONTIFICALE 203

et de Vida, qui alliaient à des thèmes chrétiens l'imitation des poètes


classiques latins. Elle donne un caractère officiel à la synthèse entre
« éloquence» profane et «éloquence» sacrée dont les Jésuites romains
sont les théoriciens. Elle est un argument de poids contre les adversaires
puritains des litterae humaniores. L'édition royale publiée à Paris en 1642
!l'est pas seulement un hommage diplomatique: elle appuie indirectement
de l'autorité pontificale les efforts de Richelieu et de l'Académie française
pour susciter en France, et en langue française, une Renaissance des
Lettres à la fois classique et chrétienne au service de la Monarchie.
Avec Urbain VIII, Rome pouvait croire en effet qu'elle allait revivre
l'heureuse époque de Jules Il et de Léon X, une Renovatio litterarum et
artium; mais cette fois, cette seconde Renaissance pourrait s'appuyer
sur l'autorité morale et religieuse du Siège romain raffermie par le
Concile, sur le puissant dispositif pédagogique mis en place par
Grégoire XIII et confié à l'humanisme jésuite. En redevenant le haut lieu
de l'esthétique latine, sans cesser d'être la capitale de la Réforme catho-
lique, Rome adoptait la voie de la «douceur» pour ramener à elle. ou
s'attacher plus étroitement, l'humanisme profane. Sans vouloir ni pouvoir
rien céder sur le dogme réaffirmé à Trente, l'Eglise romaine enveloppait
son docere, devenu moins impérieux et combatif, d'un delectare emprunté
aux ressources de la rhétorique et de la poésie païennes, où l'humanisme
européen, par delà toutes ses divisions, reconnaissait une patrie commune.
La fascination d'un Balzac pour l'éloquence latine à Rome, lors d'un
séjour qu'il y fit en 1620. les liens de plus en plus étroits noués par la
République des Lettres gallicane, voire protestante, avec une Rome rede-
venue indulgente pour leurs travaux, et plus que jamais dépositaire des
archives de l'Europe cultivée, la conversion retentissante de Christine de
Suède, semblèrent confirmer la justesse des choix du Saint-Siège.
Plus immédiatement, la splendeur retrouvée des lettres et des arts
avait une fonction politique, celle de rendre visible la majesté de ce
monarque de droit divin qu'était aussi le Souverain Pontife. Cette forme
de rayonnement accroissant son prestige à Rome même, lui permettait
de gouverner sans avoir recours trop ouvertement à la coercition. L'huma-
nisme curial est sans doute d'essence savante, à la fois par ses sources
et par sa langue, le latin. Mais il sut aussi se traduire dans le langage
lisible par tous, des arts plastiques et de la fête publique. Sous Ur-
bain VIII, le théâtre n'est plus seulement comme sous jules II, une fête
académique enfermée dans les limites d'un palais, et d'un public de
happy few : il se répand dans les cérémonies, les fêtes, le décor urbain,
pour faire entendre à la foule un discours persuasif à sa portée. Un des
ressorts secrets du Baroque, c'est justement cette nécessité où se trouve
une aristocratie ecclésiastique savante de compenser l'ésotérisme de sa lan-
gue et de ses sources érudites par le déploiement d'un langage plastique
propre à plaire et toucher le peuple. La rhétorique latine engendre un
théâtre et des arts visuels pour parler une langue accessible aux plus
humbles. Exemple pour les monarchies profanes d'un gouvernement qui
préfère «plaire» plutôt que «foudroyer », se faire admirer plutôt que
204 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

de se faire craindre, et qui a su interpréter la leçon du De Oratore pour


obtenir à ses principes un large coflsensus social en les parant de belles
vraisemblances.

•••
Aussitôt monté sur le trône de Pierre, Maffeo Barberini ne déçut pas
ses amis. Dans son rôle de mécène des lettres et des arts humanistes, le
pape florentin fut secondé par ses neveux Francesco et Antonio, le pre-
mier surtout. Antonio était probablement, comme son oncle, ancien élève
des Jésuites romains 329.
Un des premiers soucis des Barberini fut d'honorer ou d'attirer à
Rome tout ce que l'Italie et l'Europe pouvait compter d'ingegni, dans
l'ordre de l'érudition et du beau style. On nomme secrétaire aux Brefs
le poète Giovanni Ciampoli. On nomme Maître de la Chambre pontificale
le poète Virginio Cesarini, un des principaux membres de l'Académie des
Lincei. Le cardinal Francesco fit venir à Rome, sur la recommandation de
Peiresc, l'érudit Lucas Holstenius, et il nomma un des plus remarquables
écrivains de l'époque, Agostino Mascardi, professeur d'éloquence à la
Sapienza.
Dès son élection, le Pape créa une Congrégation pour la réforme du
Bréviaire romain, où il fit entrer trois des plus brillants professeurs de
rhétorique jésuite à Rome, le P. St rada, le P. Galluzzi, et le P. Pelrucci.
Aidés par le Pape en personne, ils cicéronianisèrent avec goût les
hymnes du Bréviaire, dans un esprit de respect pour ces textes vénérables.
Nous avons du mal à nous représenter aujourd'hui ce que fut une cour
d'Ancien Régime 330. A la fois Olympe social, dont tous les rites tendent
à distinguer les élus du vulgaire, et résumé du «Monde », au sens péjo-
ratif et chrétien, où les passions les plus cruelles sont à la fois contenues
et stimulées par la passion de paraître. Mais de toutes les cours, celle de
Rome fut à coup sûr un des alambics les plus étonnants d'humanité civi-
lisée. Elle connut au XVII' siècle, sous Urbain VIII, une sorte d'acmê.
Toute cour est un prodige d'artifice. Mais la cour sacerdotale romaine,
entièrement masculine, ayant pour langue officielle le latin, langue morte,
langue sacrée, langue savante, est infiniment plus éloignée de la «Na-
ture:& et de l'Arcadie pastorale que n'importe quelle autre cour profane.
Elle conjugue les traits accoutumés d'une cour monarchique, où politi-

329 Maffeo Barberini avait été élève du Collège Romain (Pastor, Storia dei
Papi, éd. cit. t. 13. p. 248). Sur Francesco et Antonio, les cardinaux-neveux,
voir Dizionario biogralico, t. 6, p. 172 (Francesco avait été formé par l'Uni-
versité de Pise) et p. 166 (Antonio né et éle\'é à Rome, organisateur des fêtes
du centenaire de la Compagnie de Jésus, a certainement été un élève du
Collège romain; son goût pour le théâtre en est un autre indice).
330 Voir l'ouvrage de Norbert Elias, La société de Cour, Paris, Ca!mann-
Lévy, 1974, et surtout dans The Courts 01 Europe, ed. by A.G. Dickens, Londres,
Thames and Hudson, 1977, p. 233 et suiv., Jlldith A. Hook, « Urban VIII, the
paradox of a spiritual monarchy».
AEDES BARBERINAE 205

que, diplomatie et vie pnvee sont intimement mêlées, avec ceux d'une
académie humaniste, ses fêtes oratoires, théâtrales et musicales, ses
préoccupations littéraires et érudites, et avec ceux d'un couvent, ouvert
sans doute plus que d'autres aux visites et au brouhaha du monde,
mais dont l'existence est rythmée en définitive par les rites de la journée
ei de l'année chrétiennes. Activités 'politiques et diplomatiques, exercices
de piété, délassements doctes y coexistent en une synthèse d'une saveur
unique, où les contradictions de la vie chrétienne dans le monde sont
érigées en principe de société.
Les aspects humanistes et académiques de la vie de cour à Rome
n'ont pas seulement des finalités de prestige, tournées vers l'extérieur.
Divertissement aux charges de plus en plus lourdes du pouvoir, délasse-
ment aux mélancolies de la prière et de la vie de piété, ils servent d'atté-
nuation esthétique aux tensions cachées de cet étrange rassemblement de
célibataires doctes.
La rhétorique, comme art de plaire, encore plus que comme art de
persuader, est chez elle à la Cour de Rome, où de toutes façons la langue
latine exige de chacun des dignitaires une formation oratoire savante.
Les prédications comme les Orationes de Christi domini morte, y sont
aussi des chefs-d'œuvre d'art oratoire « démonstratif ». Et ,'art de l'éloge
y trouve encore à s'exercer sur la personne du Souverain Pontife et de sa
famille.
Cette encomiastique pontificale, qui renouvelle le cicéronianisme auli-
que condamné par Erasm~ en 1528, trouve son chef-d'œuvre dans un des
plus beaux « livres d'art" du XVIIe siècle, les Aedes Barberinae du Comte
Teti, publié à Rome en 1641 831 • Cet ouvrage nous introduit au cœur de
l'académisme ecclésiastique romain, et des pompes oratoires par lesquelles
il voile aux yeux du monde extérieur, et se rend supportables à lui
même les conflits inhérents à une culture humaniste et chrétienne, à un
pouvoir politique et religieux. Il y a une part de jeu dans ce bel exercice
de flatterie: mais ce jeu même est une pièce essentielle, et en un sens
fort sérieuse, de l'équilibre délicat d'une société de cour.
Dédié aux petits-neveux du Pontife, les fils du Prae/eetus Urbis
Taddeo Barberini, l'ouvrage accompagne ses hypotyposes de superbes
planches gravées, signées des plus grands noms de l'art romain d'alors.
Il est suivi d'un recueil de poésies latines et italiennes intitulé Purpurei
Cycni, guirlande d'éloges offerte au pape par les cardinaux italiens de
la Curie. L'ensemble constitue une modèle de cette éloquence «démons-

331 Girolamo Teti (Cte), Aedes Barberinae ad Quirinalem ... descriptae,


Romae, Mascardus, 15-t2, f", 222-35 p. B.N. Rés. V 388. Nous citons d'après
l'exemplaire coté Fol K 274, même édition, mais privé des Purpurei Cycni. Sur
le Palazzo Barberini, commencé par Maderno, achevé par Bernin, voir M. et
M. Fagiolo dell'Arco, Bernini, una introduzione al ftran teatro deI Barocco,
I~ome. Bulzoni, 1967, scll. 58. Le Palais était termmé depuis 1532. Sur les
Barberini collectionneurs d'art, voir F.H. Taylor. Artisfi, principi, e mercanti,
Turin. Einaudi, 1954, p. 309-319, et F. Haskell, Patrons and painters, Londres,
1953, passim.
206 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

trative» à l'usage des monarques absolus que Muret considérait comme


la seule viable, avec l'éloquence sacrée, dans les régimes autocratiques
modernes: une variante raffinée du Panégyrique de Trajan, mâtinée des
Tableaux de Philostrate. Comme pour suivre exactement les prescriptions
de M.A. Muret, le comte Teti a choisi de donner à son panégyrique la
forme d'un recueil de Lettres cicéroniennes, adressées à des gentilshom-
mes et humanistes familiers de la Cour romaine. Lettres cicéroniennes non
seulement par leur style, mais par leur titre qui rappelle les Apes urbanae
de L. Allacci, parues en 1631. Inlassablement, poèmes auliques, inscrip-
tions, dédicaces jouent sur le nom du pape Urbain, et sur les armes de sa
famille (trois abeilles) pour y reconnaître une sorte d'harmonie providen-
tielle avec la tradition du cicéronianisme romain: le nom d'Urbain, choisi
}Jar le Pape, résume en somme le programme des Stanze de Raphaël, en
réunissant symboliquement la tradition de la ville païenne et celle de la
chrétienté romaine sous le signe de l'urbanifas cicéronienne; et les trois
abeilles, évoquant celles dont Horace fait, dans l'EpUre aux Pisons, le
symbole de l'imitation éclectique et personnelle, ne célèbrent pas, comme
ce sera le cas sous Napoléon, l'activité industrieuse d'un règne, mais son
programme esthétique strz.dien, la friperfifa variefas cicéronienne, une et
trine comme le Dieu dont Urbain est le vicaire.
Monument de la flatterie aulique, l'ouvrage du comte Teti est aussi
un bel exemple d'ingéniosité allégorique. Le comte Teti se fait l'éloquent
interprète auprès de ses correspondants du sens que le Pape et ses neveux
ont voulu donner à leur demeure, à son architecture, à ses peintures,
œuvres de Pietro da Cortona et d'Andrea Sacchi, et à ses collections,
bibliothèques, pinacothèque, renfermant des tableaux de la première
Renaissance, Raphaël, Corrège, Pérugin, Michel Ange, Andrea dei Sarto,
Titien, cabinet des Antiques, cabinet des monnaies et médailles. Il décrit
le Palazzo Barberini comme une sorte de Palais du Soleil, dont il serait
justement le cicerone: tout y parle et tout y résume un univers symboli-
que, celui de la Rome catholique dans la version platonico-cicéronienne
qu'en donnent les maîtres de l'heure. Palais « héroïque », lieu médiateur
entre les Idées éternelles et le monde vulgaire, demeure pour des « héros»
eux-mêmes investis d'une fonction médiatrice entre l'Esprit et le monde.
Dans cette luxueuse caverne platonicienne, toutes les images renvoient
l'esprit aux Idées et à leur harmonie souveraine. Palais du « Songe de
Scipion », la demeure des Barberini est donc aussi le temple du cicéro-
nianisme dévot tel que l'a défini le P. Strada dans ses Prolusiones
Academicae, varié dans ses moyens, accueillant à la diversité des formes
sensibles, pour tout réconcilier dans l'unité d'effet de la Lux orafionis
catholiqué et romaine.
Rien ne nous donne mieux à entendre cette fusion de scepticisme
académique et du platonisme chrétien au service d'une éloquence irriguant
les arts, qu'une anecdote rapportée avec une émotion contenue - et
convenue - par le comte TetL Il vient de décrire et déchiffrer une allé-
gorie peinte par Andrea Sacchi 832 au plafond d'une des salles du Palais,
et représentant la Sagesse divine:
AEDES BARBERINAE 207
Le Pape Urbain s'était rendu au Palais et la table était dressée pour
le repas dans cette salle. Or, il se trouva que la lecture portait ce jour-là
sur la Sagesse divine: les convives de haut rang, et tous les assistants
de s'émerveiller de l'admirable coïncidence, y devinant une mystérieuse
intention céleste, et chacun de murmurer: voici qu'enfin la Divine Sagesse
que je n'ai jamais vue, autrement que couverte de ténèbres, ou du moins
d'un voile, se révèle à moi, et comme si le rideau s'était levé, se laisse
contempler, Archétype dans l'Ecriture Sainte, Protype en la personne d'U r-
bain, Ektype dans la peinture.

Ainsi, dans cette salle à manger devenue chambre optique platonicienne,


se renouvelle le miracle d'Emmaüs! Les rayons jaillis du texte sacré
viennent illuminer Urbain VIII et révèlent sous son apparence humaine
son essence de Vicaire de Dieu, réfléchie et rendue sensible par l'allégorie
d'Andrea Sacchi. Et le comte Teti poursuit en ces termes:
Quelle puissante lumière, quelle intense splendeur se répandit dans le
Palais et sur tous ceux qui se trouvaient autour du Souverain Pontife!
Aussi, comme les murs eux-mêmes semblaient tressaillir d'allégresse et se
réjouir d'un honneur si insigne, nous, joyeux, et comme transportés en
la présence de la Divine Sagesse, nous étions envahis de la certitude que
rien d'obscur, rien d'impénétrable désormais ne pourrait nous advenir. .. 33~.

Verbe incarné, le Pape en cet instant d'extase aulique, apparaît sous


son véritable jour de Miroir du Logos, et de Médiateur, tandis que la
peinture sert de réflecteur à ce trait de lumière. Un emblème, qui est déjà
le parfait modèle de ceux dont le P. Le Moyne honorera le Roi Soleil,
illustre ce récit: un Soleil-Archétype se réfléchit dans les nuages et ses
deux images (le Protype Francesco et l'Ektype Antonio), se mirant l'une
l'autre, diffusent sa lumière sur le paysage terrestre et avec elle, les
bienfaits de la Sagesse divine 8.'14.

332 Aedes Barberinae, éd. cit. p. 67 et suiv.


333 Aedes Barberinae, éd. cit. p. 94-96. Ce passage est cité par E. Gom-
brich, dans «Icones Symbolicae », f.c. W.I., vol. Il, 1948, p.186, n. 1.
334 Ibid., éd. cit. p. 96. Voir des devises analogues dans l'Art des Devises
du P. Le Moyne, Paris, Cramoisy, 1666, dédié justement «A Monseigneur le
Cardinal Antoine Barberin, Grand camérier du S. Siège, Grand Aumônier de
France, et nommé par le Roy Archevesque et Duc de Reims ». Le P. Le Moyne
ne se contente pas, dans sa somptueuse dédicace, de célébrer l'ancien Pro-
tecteur de la France en Cour de Rome (<< Il y a donc une alliance particulière,
Mgr., entre nos Lys et vos Abeilles»). Il marque le lien entre ses devises
« solaires» et celles qui honoraient Urbain VIII: «Vostre grand oncle, si
grand Maistre en toutes les espèces de Poësies, a esté des plus habiles en
celles-cy. La Devise du Soleil, avec le mot ALIUSQUE ET IDEM en est une
illustre preuve. » Le Cabinet des Devises, qui illustre l'Art des devises est dédié
par le P. Le Moyne à la duchesse de Montausier, à qui il écrit: «Vous estes
née d'une Mere que les Muses ont eslevée à Rome, et qui les a relevées en
France: Elles ont esté les premières confidentes, les premières Amies de vostre
jeunesse: et l'on pourroit dire, sans en dire trop, que la Cornélie Romaine
n'a pas esté mieux avec elle que la Julie françoyse.» Les devises sont, pour
la plupart, p. 245-291 et p. 458-478, des devises «solaires ». V. également
Symbola heroïca de Pietrasancta, et l'Imago Primi Saeculi, où la symbolique de
la lumière et du soleil occupe une place centrale.
208 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

On vient de le voir: dans ce palais enchanté, le Livre, lu à haute voix


pendant le repas pontifical, joue le rôle d'un prisme magique. C'est à
travers lui qu'ont jailli les rayons divins qui ont animé les miroirs de la
chambre optique. On ne s'étonnera donc pas que, dans les Aedes Bar-
berinae, la bibliothèque, ou plutôt les bibliothèques, tiennent lieu de
tabernacle. Le comte Teti fait allusion d'abord à la bibliothèque per-
sonnelle du pape, qui, telle une chapelle privée, est réservée à ses seules
méditations et à ses seuls travaux. Pour le Vicaire du Christ, qui est aussi
le poète néo-latin que l'on sait, les « délassements honnêtes» : sa biblio-
thèque privée communique avec un Odéon, où musiciens et chanteurs
donnent au Pontife, après ses lectures et ses exercices littéraires, les
douces délices d'un concert spirituel.
La bibliothèque du cardinal neveu, Francesco Barberini, est ouverte
aux spectateurs profanes: elle est aussi beaucoup plus vaste et plus
complète. Il s'agit bien ici, à l'intérieur de ce Palais-Microcosme, du « lieu
des lieux », où tout le savoir des siècles se trouve recueilli :
Là. tll peux voir une multitude de livres, dont le nombre n'est pas
moimire que l'ordre élégant et admirable par lequel ils sont rangés, par
matières, dans les flancs d'une immense salle voÎltée.

Mémoire et dépôt sacré de l'Eglise, cette bibliothèque cardinalice est


un véritable théâtre du Logos: l'ordre des livres s'organise selon un plan
aussi majestueux que celui de la Sylva de Louis de Grenade, culminant
dans les exemplaires de la Bible, de tous formats, de toutes langues, et
descendant en cascade, de réservoir en réservoir, Pères de l'Eglise, Doc-
teurs de l'Eglise, Théologiens jusqu'aux Orateurs profanes. Un fichier
alphabétique permet la consultation rapide et aisée de cette Mémoire où
l'éloquence divine, l'éloquence héroïque et l'éloquence humaine, les trois
registres de la voix catholique, trouvent leurs sources. Un magnifique
cabinet des Médailles communique, tel une chapelle, avec la nef: là
encore, l'ordre parle, puisque ces monnaies et ces médailles, qui portent
les effigies ou les emblèmes des Empereurs romains, sont rangées de
manière à retracer leur succession jusqu'à Constantin, qui fit don de
Rome au Pape Damase; cette galerie d'Imagines Majorum est complétée
par une suite des empereurs d'Orient et d'Occident sacrés par les papes;
on y voit aussi la suite des grandes familles romaines et le tableau des
provinces et royaumes qui furent soumis par Rome. Pierres gravées,
sceaux, achèvent de présenter à l'imagination le paysage entier du passé
romain, socle terrestre sur lequel est bâtie la puissance temporelle et
spirituelle de l'Evêque de Rome. Mais, pour revenir dans la nef de la
bibliothèque:

Ici, commente le comte Teti, point d'inscriptions, point de maximes de


sagesse, point de peintures, point de tableaux, point d'emblèmes, de sta-
tues, pas même cette Minerve dont Cicéron, Père de l'éloquence latine,
avait orné son Académie: à tous ces ornements se substitue avantageu-
sement la seule effigie de bronze d'Urbain VIII; elle nous montre en
AEDES BARBERINAE 209
effet sous un seul visage, à la fois Mercure et Minerve, l'Eloquence et
la Sagesse 335.

Verbe incarné, le pape-poète est aussi la réincarnation de l'auteur du


De Oralore et de sa doctrine: Urbain VJJJ, héritier de Rome et des
Apôtres, préside à ce tabernacle de la Mémoire catholique, à la fois
comme vicaire du Christ et de Cicéron. Autour de son effigie, la «sylva
locorum» de l'humanisme profane peut coexister avec la sylva locorum
de la tradition chrétienne, l'une et l'autre somptueusement momifiées et
rangées dans un ordre théâtral.
Dans ce palais oratoire, la Bibliothèque joue un rôle central, comme
la Memoria dans le procès de création rhétorique. Mais c'est une Mémoire
figée, décorative, dont la belle ordonnance défie implicitement tous ceux
qui voudraient chercher des « sources de l'invention,. ailleurs que dans
la Tradition telle qu'elle est enregistrée officiellement par l'Eglise. Où est
donc l'Ingenium dont le P. Strada faisait si grand cas? Il ne tarde pas à
apparaître, incarné par des érudits et des philosophes dont nous savons
par ailleurs que le conformisme intellectuel n'est pas leur fort. Mais ici,
sous la livrée de l'humanisme de cour, ils nous apparaissaient parfaitement
accordés aux conventions du lieu, et sacrifiant aux usages qui rendent
possible une société civilisée. Au cours de notre visite, sous la conduite du
comte Teti, peu de familiers du cardinal Francesco nous sont présentés
avec autant d'égards que ces conservateurs de bibliothèque, héritiers de
l'érudition humaniste, et précurseurs d'une critique fort dangereuse pour
l~ conformisme romain. C'est d'abord Gabriel Naudé 336 ayant laissé à
Paris, ou dans le secret de sa correspondance, ses audaces d'érudit du
Nord, et qui semble parfaitement à l'aise dans l'étiquette de la Cour
barberinienne. Chaque jour, en échange de l'hospitalité, il offre à son
patron un poème latin. Le comte Teti nous cite un exemple de cette
production de courtisan humaniste:
Je n'admire pas, écrit en beau latin le rusé compère, ces monuments
d'un faste royal, toute ma passion va à la bibliothèque opulente ct ses
livres innombrables; et m'attachent surtout les portraits des héros de
l'esprit, peints dans les livres que leur zèle engendra pour nous en si
grand nombre. Car c'est de là que découle l'insondable sag~sse des Divins
frères (Francesco et Antonio, devenus en l'occurrence les Dioscures, pro-
tecteurs de Rome) et ce sont là les jardins où butinent les Abeilles bar·
berines 337.

335 Ardes Barberinae, éd. cit., p. 31 : «Cette Hermathena, que le Père de


l'Eloqt:eilC€ romaine avait placée dans son Académie en hommage de recon-
naissance, ne figure pas ici; l'effigie de bronze d'Urbain VIII en tient lieu. »
Le Pape poète est donc lui-même l'inspirateur de l'éloquence humaniste et
catholique.
336 Sur Gabriel Naudé, voir Leone Allacci, Apes urbanae, ouvr. cit., note
295, p. 114-118, et naturellement René Pinta rd, Le libertinage érudit dans la
première moitié du XVII' sil'cle, Paris, Boivin, 1943.
337 Aedes Barberinae, éd. cit., p. 133.
210 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNr

La métaphore, prise par le comte Teti à la lettre, nous conduit aussitôt


dans le magnifique jardin botanique du Palais, qui, dans ce contexte
oratoire, apparaît lui-même, ordre et variété, harmonie et diversité colo-
rée, comme un autre symbole de l'Eloquence romaine 33S.
Naudé qui, à Paris, fréquentait le Cabinet Dupuy, pouvait comparer
sa situation d'humaniste courtisan (dans une Cour, il est vrai, qui tient
beaucoup de l'Académie) avec celle des héritiers du Président de Thou,
chefs respectés d'une académie qui n'avait rien d'une cour, humanistes
érudits à la première personne. Mais le joug barberinien est compensé
par une complicité de lettrés, unis, quoique pour des raisons différentes,
par le même culte du Livre. Un peu plus tard, le comtE: Teti nous présente
Leone Allacci 339, scripior de la Bibliothèque Vaticane, et en charge de
la bibliothèque personnelle du cardinal Francesco. Il apparaît en compa-
gine du cavalier Cassiano dal Pozzo, pourvoyeur des collections d'anti-
ques du Palais. Longuement, avec le respect que l'on porte ailleurs aux
généalogies des grands seigneurs, le comte Teti énumère en latin la
bibliographie du grand érudit, ses ouvrages d'helléniste insigne sur
Homère, son chef-d'œuvre de bibliographe les Apes Urbanae qui, dès
1631, faisait un bilan de la seconde Renaissance romaine, et d'une
décennie de mécénat barbérinien 340. Puis, nous rencontrons une autre
gloire de l'érudition et de l'archivistique romaine, Lucas Holstenius, cus-
tode de la Bibliothèque Vaticane. Entre la grande citerne mémorielle de
l'Eglise romaine et cette autre citerne édifiée sous la patronage du cardi-
nal Francesco, Leone Allacci et Lucas Holstenius font le lien, symboles
vivants de celui qui s'est établi désormais entre l'Eglise et la famille qui
lui a donné un grand pape.
Est-ce un hasard si, aussitôt après ces insignes rencontres, le comte
Teti nous ménage la description de deux toiles d'Andrea Sacchi, repré-
sentant les fêtes religieuses et profanes données par le cardinal Antonio
en l'honneur du premier centenaire de la Compagnie de Jésus? Celle-ci,
invisible et présente, n'est-elle pas ici chez elle? Même si un «esprit
fort» comme Naudé ou comme Bouchard - que le comte Teti, avec un
tact fort snr, ne nemme pas -- cn ces lieux peut nous surprendre, il ne

338 Ibid., p. 38. Voir p. 34 et suiv. la description du théâtre où le cardinal


Antonio Barberini patronna les représentations de Drammi musicali de Giulio
Rospigliosi 0632-1642). V. notre étude «Théâtre, humanisme et Contre-
Réforme à Rome (1597-1642): l'œuvre du P. Bernardino Stefonio et son
influence», dans Bull. de l'Ass. Guillaume Budé, XXXIII, 1974, p. 397-412
(Teti, p. 100, cite deux vers d'un poème de Stephonius il/e, Tragicorum et Lyri-
corum optimus).
339 Sur Leone Allacci, que nous retrouverons comme un des grands inter-
prètes de Longin au XV Il' siècle, voir Dizionario biografico degli /taliani, t. 2,
p. 465-471, et Bruno Neveu, «Biographie et historiographie», Journal des
Savants, 1971, p. 39-49. Voir surtout dans J. Bignami-Odier, ouvr. cit., p. 128-
130, qui renvoie à C. Jacono, «Bibliographia di Leone Allacci, 1588-1669 »,
Quaderni dell'Istituto di filologia greca dell'Università di Palermo, 2, 1962.
Sur Lucas Holstenius, évoqué un peu plus loin, voir J. Bignami-Odier, ouvr. cit.,
p. 138.
340 Leouis Allatii Apes urbanae, ouvr. cit., note 295.
AEDES BARBERINAE 211
lIlodifie en rien l'essence de ce Palais, projection parfaite de la culture
oratoire dispensée par la Compagnie. Le « grand angle» dont fait usage
le savant perspectiviste Sacchi pour mettre sous les yeux du spectateur
de ses tableaux l'ensemble des fêtes et du décor où ces fêtes eurent
lieu, pourrait aisément passer pour la réplique visuelle du « grand angle»
spirituel dont la Compagnie dispose sur l'ensemble de la scène romaine.
Les maîtres de céans ont été ses élèves et leur Palais est une hypostase
du Collège et du Séminaire romains, leur prolongement dans l'ordre de
l'otium eum dignitafe.
Du fait la bibliothèque du cardinal Francesco ne reste pas muette.
Le jeu allégorique du portrait d'Urbain VIII, à la fois Vicaire du Christ
et Vicaire de Cicéron, l'annonçait. Dans le cabinet des antiques, le comte
Teti nous montre avec un enthousiasme qui marque bien ses goûts litté-
raires, un buste du Princeps Eloquentiae lafinae 341 ; et il nous rapporte
une séance récemment consacrée à la gloire de Cicéron à l'Académie des
Humoristes, et qui fut l'occasion d'un festival d'éloquence entre Holste-
ni us, Bracciolini 342 et Guidiccione. Bracciolini s'est montré le plus élo-
quent, multipliant de savantes variations oratoires sur des thèmes em-
pruntés au De Senectute et ft la XIII' Philippique. A ces jeux oratoires, le
comte Teti lie les jeux poétiques, ceux du pape lui-même, ceux des
familiers du Palais Barberini et des cardinaux neveux; il émaille de
poèmes néo-latins ses lettres descriptives, selon un genre fort en vogue
alors à Rome, et qui s'épanouira à son tour en France, quelques années
plus tard.


••
Au moment où paraît l'ouvrage du comte Teti, la politique de la
Curie romaine s'efforce plus que jamais, et non sans oscillations, de tenir
la balance égale entre la France et l'Espagne en guerre 343. Si le cardinal

341 Aedes Barberinae, éd. cit., p. 199.


342 Ce Bracciolini est-il l'auteur du Schemo degli Dei (Dizionario biogra-
{ico, t. 13, p. 634-636) ou son frère Francesco? Il vaut la peine ici de rappeler
la carrière du premier: secrétaire de Maffeo Barberini, il l'accompagne dans
ses deux séjours à Paris. Il y publie en 1605 son épopée La Croce conquistata
dont les héros sont Héraclius et Cosroès. Sa pastorale l'Amoroso sdegno
(Venise, 1623) est traduite en français et publiée à Paris (Guillemot, 1603, ou
plus probablement 1623). Sa faveur auprès d'Urbain VIII est telle qu'il est
autorisé à joindre à ses armes les aheilles qui figurent sur celles des Barberini,
ct se faire nommer Bracciolini dell'Api. Il forme le projet d'Ilne épopée à la
gloire de la France 1 Gigli d'Oro, dont seule la partie centrale, la Rucella
spugnata, a vu le jour (Roma, Mascardi, 1630). Son épopée burlesque Lo
Schemo degli Dei (1617) paraît la même année que les Proll!siones Academicae
du P. St rada et contribue à la naissance du «classicisme Barberini» en ridi-
culisant l'Adone de G.B. Marino. Né en 1566, il meurt à Rome en 1645.
343 Sur les rapports entre Paris et Rome, il faut distinguer entre le conten-
tieux ecclésiastique, qui oppose Richelieu à la Cour de Rome (voir J. Orcibal,
Origines du Jansénisme, t. III, appendice IV : le Patriarcal de Richelieu devant
l'opinion), les problèmes politiques et militaires et enfin les échanges huma-
212 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

Antonio est depuis 1634 le Protecteur de la France à Rome, son frère


Francesco, ancien légat à Paris, passe pour plus favorable à l'Espagne.
Mais si la politique a ses raisons, le cœur et le goût en ont d'autres. Il est
significatif que dans ce livre de flatteries, le comte Teti ne fasse pas
apparaitre un seul Espagnol. Au contraire, les Français et la France y
tiennent une place considérable et pas seulement sous les traits indé-
chiffrables de Gabriel Naudé. Une des lettres du comte Teti est adressée
à un gentilhomme de Pérouse, Alexandre de Oddi, que l'on destine aux
armées pontificales et qui se trouve alors en France pour y faire son
apprentissage militaire. C'est l'occasion, pour l'humaniste courtisan, de
consacrer plusieurs pages, entremêlées de poèmes panégyriques, à la
gloire de Louis XIII, de Richelieu et, bien entendu, de Giulio Mazarini,
ancien serviteur des Barberini, ancien élève du Collège Romain, pur pro-
duit de la seconde Renaissance romaine. De fait, c'est le moment où à
Paris, l'entourage de Richelieu s'efforce de créer autour du trône Très-
Chrétien un art de célébration et de propagande qui vu de Rome, peut
apparaitre comme une simple variante de l'art épidictique dont le Saint-
Siège enveloppe son propre prestige .

•••
Les Aedes Barberinae trahissent en fait une influence française, mais
qui n'a rien de commun avec le classicisme académique selon Conrart et
Chapelain. Sous le vernis cicéronien (qui se limite en fait à la delecfio
verborum) ce livre cache mal ses inspirateurs véritables, les Tableaux
de Philostrate 344 et l'imitation q\l'en avait faite Marino dans sa Gale-
ria 345. La molle suavité du style périodique, l'abondance des descriptions

nistes. Sur ce dernier point, voir dans C. Rizza, Peiresc e [,/falia, Torino,
Giappichelli, 1965, l'étude sur la correspondance Peiresc-Francesco Barberini.
Sur l'aspect diplomatique des relations entre la Cour barberinienne et la cour
de France, voir A. Leman, Richelieu et Olivarès, Lille, Facultés catholiques,
1938 (Sorb. L 209 (49), 8') et Urbain V/II et la rivalité de la France et de la
Maison d'Autriche, Lille-Paris, 1919 (Sorb. Hf uf 81 a (892), 8'). Les efforts
de la Cour papale, et surtout du cardinal Francesco, tendent à réconcilier les
deux grandes nations catholiques; le cardinal Antonio est nommé co-pro-
tecteur de la France à Rome en 1634; et en 1641, année où paraît le livre du
comte Teti, deux ans après la victoire de Brisach sur les Impériaux, Rome
ménage plus que jamais Paris, sans pour autant chercher à faire de la peine
à Philippe IV et Olivarès.
344 Le succès de Philostrate (ou plutôt des Philostrate) semble bien avoir
pour origine la traduction par Blaise de Vigenère des Images ou tableaux de
platte peinture dont la première édition parue à Paris, chez N. Chesneau, en
1578, connaît de nombreuses rééditions, et en particulier celle, in-folio et super-
bement illustrée, procurée par Thomas Artus, sieur d'Embry, à Paris, Vve Abel
l'An~ellier, 1614. Nous reviendrons au chapitre suivant sur ce livre, qui méri-
terait à lui seul une étude, au titre de rhétorique «maniériste ~ dont l'influence
européenne fut immense.
345 G.B. Marino, La Galeria, Venise, 1619. V.G. Ferrero, Marino e i mari-
nisti, Riccardo Ricciardi, Milano-Napoli, 1954, p. 9, p. 573 et suiv. De ce
volume sont curieusement exclus les Dicerie sacre et les prosateurs marinistes,
dont l'influence en France ne semble pas avoir retenu l'attention des chercheurs.
L'ASIANISME OVIDIEN : MARINO 213

et des portraits élogieux, entremêlés de poèmes à la manière du sieur


d'Embry, éditeur d'une célèbre traduction française des Tableaux, tout
dans les Aedes Barberinae rappelle l'art des Cours impériales, et tout
trahit l'influence de la seconde sophistique et de ses techniques épidic-
tiques, La forme de la lettre, et l'atticisme grammatical du style 3'6, ne
servent qu'à masquer un asianisme mal contenu,
Ainsi, enveloppé d'apparences «cicéroniennes », l'asianisme moderne
de Oiambattista Marino s'impose jusque dans l'entourage du Pape: c'est
dire avec quelle ruse était tournée la leçon de juste mesure des Profu-
siones Academicae ou de quelle casuistique celle-ci s'accommodait.
Marino 347, gyrovague, assoiffé d'honneurs et d'argent, comme ses
ancêtres des Il' et III' siécles, n'avait pas manqué de faire un séjour à
Rome, de même d'ailleurs que dans la plupart des Cours italiennes et à la
Cour de France, Il avait été élu prince de l'Académie des Humoristes 348,
Ce n'était pourtant pas à Rome qu'il avait publié son œuvre la plus signi-
ficative en prose: les Dicerie sacre, qu'une édition récente et savante nous

346 L'intérêt de l'humanisme érudit romain pour la Seconde Sophistique


apparaît dans l'ouvrage d'Allacci, Excerpta varia Graecorum Sophistarum et
Rhetorum, Rome, 1641, dédié à Charles, Maffeo et Nicolas Barberini, fils de
Taddeo. Ce recueil de morceaux choisis est probablement destiné à compléter
les Progymnasmata d'Aphtonius et d'Aelius Théon, utilisés par la pédagogie
jésuite. Le marinisme, condamné pour ses « excès », n'en a donc pas moins
ses racines et sa place dans la culture rhétorique romaine. Sur la Seconde
Sophistique antique, voir André Boulanger, Aelius Aristide ... , Paris, 1928 (rééd.
1968), Th.C. Brugess, Epideictic literature, Chicago, 1902, G. Kennedy, The
art of rhetorie in the Roman world, ouvr. cit., « The Age of the Sophists »,
p. 553 et suiv. J. Bompaire, Lucien écrivain. Imitation et création, RE.FLA.
et R., 190, 1958 et A. Lesky, An History of greek Litterature, London, Methuen
1966.
347 Sur la bibliographie de G.R Marino, voir M. Menghini, Vita e opere
di GB. Marino, Rome, 1888; et A. Borzelli, GB. Marino, 1898. L'instabilité
inquiète de Marino apparaît non seulement dans ses emprisonnements suc-
cessits, mais aussi dans leur alternance avec les triomphes auliques les plus
flatteurs, et une véritable manie du changement de résidence et de protecteurs.
Ce type de biographie n'est pas sans analogie avec celle d'un Filelfe, telle que
la décrit Ch. Nisard, Les gladiateurs de la République des lettres, Paris, Michel
Lévy, 1860, t. l, ch, L Le modèle de biographie pour un rhéteur moderne était
dessiné dans la Vie des sophistes de Philostrate (publiée à Strasbourg en
1516) et celle d'Eunape (publiée à Anvers en 1568). Ces deux ouvrages intro-
duisaient en Europe un « type» social qui, en dépit des condamnations ecclé-
siastiques, n'en a pas moins joué un rôle dans la genèse de ce que nous
appelons « écrivain ». Inversement, les condamnations ecclésiastiques, et la
crainte de l'accusation de « sophiste», ont modelé à son tour celui-ci. Il y
avait quelque chose de la « vie d'un sophiste» dans la biographie de M.-A.
Muret, qui mourut prêtre. Po:tr Marino, la vie d'un sophiste laïc n'alla pas
~ans risque ni sans ruse. Il est curieux d'observer qu'un Balzac, qui avait tant
de dons pour jouer les Marino, prit soin de se forger une biographie sur le
modèle de Montaigne, en se parant du prestige de l'otium cum dignitate dans
sa retraite provir.ciale.
048 C'est au retour de France, en avril 1623, dans la suite du cardinal
Maurice de Savoie, que Marino, accueilli triomphalement à Rome, y fut reçu
Prince de l'Académie des Humoristes. Il s'y était fait connaître au cours de
deux séjours précédents, en 1600 et en 1602, alors qu'il était le protégé du
cardinal-neveu Piero Aldobrandini.
214 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

permet de mieux comprendre 349. Rhéteur-poète laïc, Marino dans ces


trois longues rhapsodies n'a pas hésité à empiéter ouvertement sur
l'éloquence sacrée: retournant l'alliance de la théologie et de la rhéto-
rique, il met les sujets religieux au service d'une virtuosité de rhéteur, dont
les modèles sont moins les Pères que les sophistes leurs maîtres et leurs
rivaux. Son commentateur moderne omet à notre sens de citer l'exemple
dont s'est inspiré Marino: le grand rhéteur grec Aelius Aristide, et ses
Hymnes en prose à la louange des dieux 850. Exemple caractéristique de
la pente des «seconds sophistes» à vitaliser les sources de l'invention
oratoire en y déversant les riches substances de l'inspiration poétique, de
l'enthousiasme philosophique et de la ferveur religieuse. Par là ils prépa-
rent le terrain à l'éloquence des Pères.
On peut penser d'ailleurs que, tout en réagissant contre les formes
déclamatoires de l'éloquence de leur temps, le Sénèque de la Lettre 41, le
Tacite du Dialogue des Orateurs, mais aussi, du côté grec, Philon
d'Alexandrie et le Ps. Longin, posaient autant de jalons sur la route qui
conduit à la fusion entre philosophie et sophistique, entre religion et
sophistique.
L'entreprise de Marino dans les Dicerie sacre a le mérite de se situer
au cœur de cette redoutable ambiguïté qui accompagnait nécessairement
la Renaissance des Pères de l'Eglise et l'intérêt croissant pour la culture
oratoire de l'antiquité tardive. Se servant des II sylves» à l'usage des
prédicateurs pour leur emprunter des citations des Péres, Marino s'abrite
derrière l'autorité de ceux-ci pour remettre en vigueur l'art épidictique
de la Seconde Sophistique, dont les Pères se défendaient tout en l'utili-
sant. Est-ce ironie secrète de la part de ce diable d'homme, ou logique
irrépressible de rhéteur ailleurs contenue par le scrupule dévot? Le fait
est qu'il révéle ainsi l'envers de la Renaissance des Pères et de l'élo-
quence sacrée qui se réclame d'eux: les ultimes raffinements de l'art
oratoire païen, contemporains de la naissance du genre romanesque.
Marino ne se bornait pas, comme il le fera dans la Galeria, à restaurer
la musique et les images des rhéteurs impériaux sur des sujets profanes:
dans les Dicerie sacre, il les applique aux thèmes les plus révérés: le

349 G.B. Marino, Dicerie sacre e la Strage degl'innocenti, a cura di Gio-


vanni Pozzi, Turin, Einaudi, 1960 (la première éd. des Dicerie: Turin, 1614).
Dans l'introduction, l'éditeur parle (p. 19) de <<l'involucro letterario dei genere
predica ». L'usage de l'adjectif «littéraire» pour un auteur de cette date, est
peut-être inévitable: il est ambigu. II cache le sourd débat entre seconde sophis-
tique païenne et patristique, au cœur duquel se situent les Dicerie sacre. On
le verra au chapitre suivant, les Jésuites français contemporains de Marino
t:ssaient en vain de trancher ce nœud gordien. Marino l'embrouille à plaisir,
afin de masquer «chrétiennement" un goût immodéré pour l' ornatus et un
art épidictique qui trouve en lui-même sa propre fin et jouissance.
350 Sur les Hymnes en prose d'Aelius Aristide, voir André Boulanger, Aetius
Aristide, ouvr. cit., ch. Vl, p. 300-340. Même si Marino ne se sent pas inspiré
directement d'Aristide, il pouvait trouver la théorie du ~enre dans les Pro-
gymnasmata d'Aelius Théon, d'Alexandre fils de Noumémos, et d'Hermogène,
qui inspiraient les exercices d'école. Les Hymnes de l'Empereur Julien et de
Synésius de Cyrène, relèvent du même «genre» épidictico-religieux.
L'ASIANISME OVIDIEN : MARINO 215

Santo Sindone de Turin, prétexte à de buissonnantes variations sur la


Peinture et le Regard; les Sept paroles du Christ en croix, amplifiées en
un jeu vertigineux de concetti à la louange de la Musique et de la Voix;
enfin le Ciel lui-même, occasion d'un ébouriffant traité De la Sphère
aristotélico-plotinien.
Triple tour de force que Marino dédie au cardinal Maurice et aux
princes de Savoie, et qu'il ne craint pas de proposer en modèle aux
orateurs sacrés. Le scandale eût dû être grand: or ces Dicerie ne semblent
nullement avoir choqué. Marino se bornait en effet à porter à ses ultimes
conséquences l'asianisme flamboyant que toute une école de prédicateurs
italiens couvrait de l'autorité des Pères, et de celle, non moins paradoxale,
de Charles Borromée. C'est en effet dans l'entourage du saint archevêque
de Milan qu'avait prospéré l'initiateur italien de cette sophistique sacrée,
François Panigarola, un Franciscain 351, dont les premiers succès avaient
eu pour théâtre la Cour des Valois 352. Sa biographie, comme celle de
Marino, a la saveur romanesque et voyageuse d'une Vie des Sophistes, de
Philostrate.
Le personnage et l'œuvre de Marino, s'ils ont la netteté d'un «type,.
reconnaissable et conscient de ses propres modèles antiques, ne sont pas
pour autant isolés de leur époque: ils n'auraient pas été possibles sans
une redécouverte et assimilation progressives, au cours du XVI' siècle,
par la culture européenne, de l'art oratoire impérial du II' au V' siècles
après Jésus-Christ 853. Dans sa Bibliotheca Selecta, Possevin accordait

351 Sur Francesco Panigarola (1548-1594), voir L. Amato, «Francesco


Panigarola », dans Frate Francesco VII, 1934, 89-93. Sur ses relations avec
Charles Borromée, v. note 202. Sur ses mœurs, v. le jugement lapidaire de
J.J. Scaliger (Scaligerana, Genève, 1656) : «sodomita» ! Ayant fait ses études
à Paris, il devient un prédicateur itinérant à travers l'Italie, suscitant partout
l'enthousiasme des foules. En 1588, il revint à Paris (v. note suiv.) dans la
suite du légat Cajetan, et prononça plusieurs harangues à Notre-Dame pour
stimuler le zèle des Ligueurs. Dans l'édition citée des Dicerie sacre G. Pozzi
met en évidence les af'alogies entre le style de Marino et celui que Panigarola,
dès 1575, avait mis au point.
352 V. l'art. Panigarola dans la Bio~raphie Universelle Michaud, t. 32, p. 70,
col. 2, qui renvoie aux Variae Lectiones de Muret; celui-ci dans ses notes
sur Sénèque, où il s'indigne contre les prédicateurs-sophistes assoiffés d'ap-
plaudissements, viserait Panigarola.
353 La cliffusion de la seconde sophistique grecque, dans l'Europe du XVI'
siècle, a pour origine, au XV' siècle, les achats de manuscrits byzantins par
Filelfe (Sabbadini, Scoperte ... , ouvr. cit., p. 48) : Aelius Aristide, Hermogène,
Dion Chrysostome, Philostrate, LibanÎlls pénètrent à nouveau en Occident.
Guarino et ses élèves poursuivent cette translatio de Byzance à Venise (ibid.,
p. 63). Manuel Crisolara et Georges de Trébizonde la complètent. Alde l'An-
cien, avec son édition des Rhetores graeci (Venise, 1508), des Epistolae Libanii
rhetoris, etc. (Venise, 1499) de la Vita Apollonii Tyanei (Venise, 1502) com-
mença leur diffusion par le livre. Pour nous en tenir à un exemple, l'œuvre
d'Aelius Aristide fut éditée d'abord à Florence en 1517, à Venise en 1527,
à Lyon en 1557, à Bâle en 1566. POlir la seconde sophistique latine, qui com-
mence avec les Sententiae, divisiones, colores de Sénèque le Père, contentons-
nous ici de l'exemple d'Apulée: première édition Rome 1469; puis Florence
1512; la première traduction française de l'A ne d'or date de 1522, d'autres
apparaissent en 1586 et 1602.
216 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

même aux auteurs grecs du IV' siècle, païens et chrétiens, de Libanius à


Thémistius, de Basile à Synésius, une sorte de privilège, comme si le
rapprochement alors si évident entre l'art des derniers sophistes païens
et l'éloquence nouvelle des Pères chrétiens lui avait semblé un exemple à
proposer à l'Europe moderne. Et ce rapprochement lui-même n'aurait pas
été possible si l'érudition humaniste n'avait, quant à elle, réveillé les
principaux monuments de la Seconde Sophistique, tant grecque que
latine, et si l'éloquence sacrée, dans une surenchère de persuasion, n'avait
été amenée à tirer parti de la technique oratoire des sophistes.
La Seconde Sophistique se caractérise essentiellement par le triomphe
du genre épidictique privé de finalité civique ou judiciaire, mais tendant
à la délectation 3~4. Délectation qui peut être purement musicale et sen-
suelle, et c'est alors la version « asianiste » et moderniste de cet art ora-
toire ; ou qui peut être aussi fondée sur un jeu d'imitation de modèles
classiques, qui s'accorde avec l'érudition et le goût archaïsant de cénacles
raffinés, tel celui que peint Aulu Gelle dans les Nuits Attiques: c'est la
version atticiste et puriste de cet art.
l'asianisme et ses recherches de sonorités et de nouveauté formelle
convenaient à la déclamation publique, qui parfois, dans la Grèce et l'Asie
impériales, rassemblaient de grandes foules. L'atticisme supposait un
auditoire plus restreint. A la fin du XVI' siècle, les deux tendances de la
littérature impériale tardive se répètent: la premiére convenait plus parti-
culièrement aux orateurs sacrés; la seconde aux cercles érudits de la
République des Lettres.
Dans la brièveté de l'érudit Juste Upse, il y avait une réponse exces-
~ive à un excès. La densité ornée de la « lettre» lipsienne, fondée sur des
modèles qui eux-mêmes étaient des «atticistes» impériaux, Salluste,
Sénèque, Tacite, était la contrepartie de l'enflure et de l'abondance des
prédicateurs asianistes, tels Panigarola. Réponse crispée, qui révélait la
même tentation, la même pente à la pose ostentatoire et surprenante que
chez les orateurs sacrés. D'ailleurs Juste Upse a lui aussi composé des
Dicerie sacre, ses deux traités sur la Vierge de Halle et celle de Mon-
taigu 355, dont les récits de miracle sont à rapprocher des récits de
guérison miraculeuse que multiplie Aelius Aristide dans ses Discours

3~4 La seconde sophistique est avant tout marquée par le triomphe du genre
épidictique, et donc du «style moyen» qui correspond au mode de l'éloge.
V. outre la bibliographie de la note 346, Vincenz Buchheit, Untersuchungen zur
Theorie des Genos epideiktikos, von Gorgias bis Aristote/es, Miinchen, M. Hue-
ber, 1950. On étudiera au chapitre suivant la place du genre épidictique dans
les rhétoriques jésuites sous Louis XIII en France.
3~~ Sur ces &ux œuvres de Juste Lipse, voir Jean Jehasse, ouvr. cit. L'ex-
posé des «bienfaits et miracles" de la Vierge de Halle et de celle de Montaigu
est fait par Lipse à la première personne, et sur ce ton d'enthousiasme convenu,
qu'on dirait presque forcé, qui est caractéristique des Discours sacrés d'Aris-
tide. Nous laissons aux spécialistes de Upse le soin de confirmer cette intui-
tion.
L'ATTICISME SÈNÈQUIEN: MALVEZZI 217
sacrés dédiés à Asclépios 356. C'est encore au rhéteur grec du II' siècle
qu'il faut songer comme modèle pour le De magnitudine romana de Lipse,
qui rappelle étrangement le chef-d'œuvre d'Aristide, le Discours «A la
gloire de Rome» 357.
Cette version « atticiste» du style moderne trouva en Espagne, terre
aristocratique par excellence, patrie de Sénèque et de Lucain, d'illustres
et nombreux adeptes au XVII' siècle. En Italie, il trouve au début du
XVIIe siècle un interprète de premier ordre, le marquis Virgilio Mal-
vezzi 358. Tout destinait celui-ci à servir d'antithèse à Gambattista Marino.
De haute noblesse, il appartenait à une famille traditionnellement liée à
l'Espagne et à une ville, Bologne, où un cercle de « sénéquiens» entre-
tenait une atmosphère intellectuelle insolite en Italie. Tandis que le napo-
litain Marino connut à Paris son acmê de sophiste de cour 359, c'est à

356 Sur les Discours sacrés d'Aelius Aristide, voir A. Boulanger, ouvr. cit.,
p. 162 et suiv. Dans ce «recueil d'évidences divines », le sophiste grec se
prend lni-même pour exemple et témoin des bienfaits, et des miracles du Dieu
sauveur, Asklépios, et des merveilles de son sanctuaire, à Ephèse.
351 Justi Lipsi Admiranda sive de Magnitudine romana, libri quattuor,
Parisiis, Apud Robertum Nivelle, 1598 (v. J. Jehasse, ouvr. cit., t. Il, p. 431 et
suiv.). juste Lipse y cite par deux fois (p. 193 et 196) le Panégyrique de Rome
d'Aelius Aristide. La comparaison entre les deux œuvres serait du plus vif
ir:térêt pour mettre en évidence le style de l'éloge tel que le conçoit juste Lipse,
où les Figurae d'Aristide sont remplacées par des citations d'autorités, telles
que Tacite, Sénèque, Dion Cassius, etc. Aristide célèbre l'Empire romain tcl
qu'il l'a sous les yeux, tandis que juste Upse plaide la cause de la civilisation
impériale, qu'il oppose à noslra Europa misera, quae jaclalur assiduis bellis
lIul dissidiis, du fait de l'absence d'un principe unificateur. Son Œllvre a donc
I.!ne portée polémique (contre la Cité de Dieu de saint Augustin, en particulier)
et apologétique, qui suppose un effort d'érudition, de remontée aux sources.
Mais l'enthousiasme de l'érudit moderne, stimulé par la nostalgie, n'a rien il
envier à celui du rhéteur du II' siècle.
353 Sur Virgilio Malvezzi (1595-1654), voir Benedetto Croce, Nuovi saggi
sulla lefteralura italiana deI Seicenlo, Bari, Laterza, 1931, p. 95-109, Sloria dell'
età barocca in Italia, Bari, Laterza, 1930. Voir Lettres de Chapelain à Spanheim
(1659), dans Tamizey de Larroque, Paris, 1883, t. Il, p. 75 et p. -15. Voir
enfin et surtout Ezio Raimondi, Lelteralura barocca, ouvr. cit., ch. Pole mica
inlorno alla prosa bar oc ca, p. 175-248. Sa première œuvre: les Discorsi sopra
Cornelio Taci/o, Venise, M. 'Ginami, 1622. Dans l'épître aux lecteurs, Mal-
vezzi développe les thèmes posés par Muret dans son Oratio Xln : autre-
fois, dit-il, au temps des Républiques italiennes, on discourait sur Tite Live;
maintenant, au temps des Princes, leur nature, l'astuce de leurs Courtisans,
s'apprennent chez Tacite. Comme Muret, Malvezzi insiste sur le fait que Tacite
a vécu sous Trajan et Nerva, optimi principes, et que ses peintures noires
étaient destinées à empêcher le retour des Nérons et des Tibères. L'effet de
l'histoire selon Tacite est donc, comme la tragédie selon Aristote, la purgation
des pas3ions, mais celles des princes, non celles du peuple. L'ouvrage s'inspire
de Justi Lipsii Liber commenlarius ad Comelli Taciti Annales, Anvers, 1581.
Entre l'ouvrage de juste Upse et celui de Virgilio Malvezzi, il faut citer un
important chaînon intermédiaire, les Discorsi sopra Cornelio Tacilo, Florence,
1594, de Scipion Ammirato.
369 Sur le séjour parisien de Marino, voir outre C.W. Cabeen, L'influence
de O.B. Marino sur la littérature française dans la première moitié du XVll'
siècle, 1904, et les travaux de Cecilia Rizza qui corrigent cette thèse ancienne,
l'ouvrage de M. Guglielminetti, Tecnica e invenzione nell'opera di O.B. Marino,
Messine-Florence, d'Anna, 1964, ch. Marino e la Francia, p. 134-205.
218 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONiENNE

Madrid, à la cour de Philippe IV, que le bol on ais Malvezzi, après avoir
combattu en Flandres, vint occuper de hautes fonctions au Conseil d'Es-
pagne; loin de lui nuire, ses proses atticistes favorisèrent sa carrière
d'homme de responsabilité; l'asianisme de Marino n'avait pu soutenir
qu'une carrière d'amuseur de cour, au reste fort bien payé. De même le
style épigrammatique et la disposition, négligente avec ostentation, des
écrits de Malvezzi ne semblèrent pas désaccordés avec le decorum du
grand seigneur d'épée: la profusion voluptueuse de l'œuvre de Marino,
trop évidemment calculée et virtuose, ne pouvait convenir qu'à un homo
novus.
Pourtant, les œuvres de Malvezzi sont elles aussi, à leur manière, des
Dicerie sacre, qui plus ouvertement que les Lettres de Lipse rivalisent avec
l'éloquence sacrée contemporaine. Un des «discours» de Malvezzi, le
Davide perseguitato 360 prend le même su}et que le Jésuite Mazarini avait
traité en une « Centurie:t de sermons 861 ; et il commence, comme un ser-
mon, par évoquer le malentendu entre Dieu et les hommes pécheurs. Le
Romulo s'achève par une prière qui n'est autre qu'une «belle infidèle»
d'un passage du Traité de l'Amour de Dieu de saint François de Sales.
Les sombres" coule'Jrs », la brièveté sentencieuse de ces sermons laïques
ne prennent tout leur sens que dans leur dédain polémique des
métaphores filées et des périodes surchargées de Marino et des prédi-
cateurs asianistes, à qui l'hidalgo italien donne des leçons de recueille-
ment religieux et de profondeur philosophique. Procédant par « saillies»

360 L'exorde du Davide perseguitafo est identique à un exorde de sermon:


"Ceux qui doutent que Dieu ne parle plus aux hommes, ou plutôt que les
hommes n'écoutent plus Dieu, croient fermement que Dieu parle, mais que sont
sourds ceux qui n'entendent pas son langage. Jls croient fermement qu'JI écrit,
mais que sont trop aveugles ceux qui ne voient pas ces caractères. Qui vellt
entendre Sa voix, ou lire Sa lettre, qu'il recoure à J'Histoire Sainte, elle est un
Dictionnair~ que nous a laissé l'Esprit Saint pour éclairer les profondeurs de
son langage. Elle a une clef qui ouvre tous les messages chiffrés que nous
dépêche le Paradis. Tu veux, 0 Prince, vous voulez, 0 Peuples, savoir ce
que Dieu vous dit, quand il envoie la peste, la guerre, la ruine des Etats ... :
ret:ouvez ces mots dans le Dictionnaire du Tout Puissant. Mais les yeux de
votre esprit malade ... fuient la lumière de la vérité ... Ce qui revient à renoncer
aux privilèges qu'apporta la Loi Nouvelle.» Autres œuvres de Malvezzi: Il
Romulo, Bologna, 1629 (traduit par Vion Dalibray, Paris, Le Bouc, 1645) et
Il Tarquinio Superbo, Gênes, 1635 (traduit par Dalibray, Paris, Le Bouc, 1644).
L'ironie noire avec laquelle Mal'lezzi, dans le Romulo, souligne les paradoxes
dont fourmillent les motifs et les situations de J'homme, se résout enfin en une
élévation à Dieu, qui met en jeu le fameux « argument de l'Enfer », et imite
le Traité de l'Amour de Dieu, de François de Sales (IX, 4) : « Il aimerait mieux
l'enfer avec la volonté de Dieu que le paradis sans la volonté de Dieu ».
361 Giulio Mazarini s.j., Cento discorsi sul cinquantesimo salmo intorno al
peccato, al/a penitenza, e al/a santità di Davide. - Davide restaurato, la terza
parte de discorsi sul cinquantesimo salmo, Rome, Zannctti, 1600. Cent discours
sur la chute, la pénitence et la restauration du roy et prophète David, composés
par RP. Mazarini, traduicts en nostre langue par FN. de la Rue, Paris, Huby,
1610 (voir chez le même éditeur, en 1612, une traduction par Fr. Soulier de
La Gloire de la Trinité divine il/ustrée en trente discours de Mazarini). Le
Davide perseguitato de Malvezzi, dédié à Philippe IV, fut d'abord publié à
Bologne, en 1634.
l:ASIANISME MARINISTE: LOREDANO 219

paradoxales et discontinues, pratiquant la digression systématique, culti-


vant volontiers l'obscurité chère à Juste Upse, Malvezzi a comme celui-ci
pour inspirateurs, à la fois dans la pensée et dans le style, Sénèque,
Tacite et saint Augustin. C'est un adepte du sublime d'inspiration, qui
veut donner à croire que son éd·iture tendue vibre au gré d'un «Dieu
intérieur », et en communique les rares oracles. Malvezzi s'est rangé sur
le versant philosophique et atticiste de la Seconde Sophistique .


••
Tous les spécialistes de celle-ci s'accordent à reconnaître qu'entre
l'atticisme et l'asianisme des rhéteurs impériaux, la frontière est loin
d'être imperméable 362. Il en va de même dans l'Italie du XVIIe siècle,
où l'influence de Upse, relayée par l'œuvre de Malvezzi, se conjugue
avec celle de Marino pour faire échec à la "juste mesure» invoquée
par le P. Strada. Toute une jeunesse, formée par les Jésuites à la vir-
tuosité oratoire, loin de suivre les conseils de modération qui viennent
du Collège Romain, s'empresse, sitôt qu'elle est sortie du collège, de
publier des ouvrages qui n'auraient pas déparé une bibliothèque du
Ille siècle. Ces étranges ouvrages, qui sont un peu le « Kamtchatka» de
l'Eloquence italienne, bien qu'ils se rangent eux-mêmes sous sa bannière,
manifestent en plein jour cette c littérature à souffrance» que le magis-
tère rhétorique du P. Strada s'efforçait d'envelopper dans ses rets. En
1633, un noble vénitien, Giovan Maria Loredano, inspirateur de l'Aca-
démie des Incogniti à Venise, entre dans la carrière littéraire avec un

362 Sur le problème de l'atticisme et de l'asianisme dans la période de la


seconde sophistique, voir la mise au point d'André Boulanger, Aetius Aristide ... ,
ouvr. cit., ch. Ill, «Les origines de la seconde sophistique ». Le terme est dît
à Philostrate, dans la préface de sa Vie des sophistes. Erwin Rohde et Kaibel
polémiquèrent (1885-1886) autour de l'affiliation de la seconde sophistique à
I"asianisme ou à l'atticisme. Selon Kaibel, la tradition de Denys d'Halicarnasse
et de l'école de Pergame, réaffirmée au Il' siècle par Hérode Atticus et Aelius
Aristide, est la note majeure de la seconde sophistique: imitation des orateurs
attiques «classiques », combat contre la «décadence de l'éloquence », union de
l'encyclopédie et de la rhétorique. L'origine de l'atticisme impérial est chez
Isocrate. Selon Rohde, l'atticisme n'a été qu'un épisode dans l'histoire de la
seconde sophistique, caractérisée par une confiance exagérée dans la rhéto-
rique, et par les défauts propres aux écoles de déclamation, «l'enflure, l'affé-
terie, le faux enthousiasme, le pathos creux, l'excès des ornements de style.
des rythmes mous ou au contraire heurtés et sautillants ». Norden (Die Ar.tike
Kunstprosa, 1898) distingue l'ancien style, caractérisé par la fidélité «archaï-
sante» aux classiques, plus ou moins «libre» ou «sévère », et le nouveau
style. asianiste, non sans que des compromis interviennent eiltre les deux
courants, par exemple chez Philostrate et Hérode Atticus. Wilamowitz, dans
un article intitulé Asianismus und Atticismus, Hermes, t. XXXX, 1900, p. 1 et
SUIV., a tenté une synthèse du débat. Il montre que l'asianisme s'identifie à
ce que les Romains appelèrent corrupta eloquentia, et qu'il a toujours trouvé
des atticistes pour le combattre, al! nom de la sobriété et du goût classique,
ou au nom d'une imitation archaïsante et étroite des modèles anciens. Tout
ce àébat ressemble au débat récent sur «Baroque et classicisme », qui en
est d'ailleurs une dérivation.
220 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

recueil intitulé Scherzi geniali 363. En 1633, c'est au tour du bolonais


Giovan Battista Manzini de publier à Rome des Furari della giaventù,
esercitii retarici 364. Dans sa préface, il condamne le style « dur, heurté et
effrayant» des atticistes, et rejette la manière «énervée et enflée» des
asianistes; il préconise un style passionné et véhément, non sans se
garantir de l'autorité de Cicéron. Mais il réclame avec trop d'insistance
son droit à l'originalité et le mépris de l'imitation servile, pour ne pas
placer au-dessus de ces souvenirs scolaires le culte de l'ingenium et de
la liberté moderne. Celle-ci n'est rien d'autre pour lui que le libre exercice
du genre épidictique.'Ses furari sont des prosopopées ampoulées de héros
«en situation », tel Horace plaidant sa cause après le meurtre de sa
sœur 36G.
En 1635, un gênois, Antonio Giulio Brignole Sale publie les
Instabilità dell'ingegna 366. Et en 1636, Pier Francesco Minozzi publie
Delle libidini d'ell ingegna, alcuni saggi 867 suivis en 1641 par les Sfaga-

363 G.B. Loredano, Scherzi geniali, Venise, 1634. Mariniste fidèle, Loredano
est l'auteur d'une Vie apologétique de Marino (1633). Ses Scherzi furent traduits
sous le titre Les caprices héroïques, et dédiés à Gaston d'Orléans (paris, An!.
Robinot, 1644), par François Grenaille de Chatounières, qui décrit l'ouvrage
comme «diverses représentations des passions différentes figurées par les per-
sonnes héroïques» (Achille furieux; Agrippine calomniée; Caracalla pas-
sionné; Cicéron mécontent; Enone jalouse; Lucrèce forcée, Marc Antoine
éloquent; Poppea suppliante; Se jan us disgracié; Sénèque prudent; Sysigambe
consolante; Alexandre repentant; Annibal invincible; Cirus magnanime: Cur-
tius repris; Hélène affligée; Germanicus trahi; Friné dissolue). Quatre
" scherzi» (Pyrrhus, Roxane, Théogène et Xénocrate) n'ont pas été traduits.
364 Gim·anr.i Battista Manzini, 1 Furori della gioventù, esercitii relorici,
Roma, F. de Ro~;si, 1633, 12'. Traduit par Georges de Scudéry, Les Harangues
ou Disco1lrs Académiques de Jean Baptiste Manzini, Paris, Corbin, 1642.
365 Les FurorÎ della giovelltù contiennent quatorze discours dans le plus
« orné» des styles épidictiques: deux sont des descriptions de fêtes (Le
Glorie della Notte et Oli Otii dei Carnevale), les douze autres sont des proso-
popées de héros ou d'héroïnes dans des situations dramatiques: Alletti paterni
(Agamemnon et Iphigénie), Catone generoso, Cleopatra humiliata, Paride inna-
morato, Paride combattuto, Horatio supp!icante, Horatio reo (V. Paul Manuce,
note 247, et Corneille, Horace, Acte V), Coriolano intenerito, Se/euco pusilla-
nime, La caduta di Sejano (V. p. 285, n. 125, sur le Se jan us de Pierre Mat-
thieu); deux discours ont un thème pastoral-romanesque, et peuvent passer
pour de courtes «nouvelles» : 1 Magnanimi Rivali, 1 tre concurrenti amorosi.
Tous CcS discours sont traduits par Scudéry en 1642. Celui-ci, dans sa préface,
s'cn excuse auprès des mânes d'Isocrate, de Démosthène, de Cicéron et de
Quintilien. Il affirme qu'il a adapté le style al! goût français. Mais il ajoute six
discours, qui proviennent peut-être d'éditions ultérieures des Furori que nOliS
lJ'avons pu consulter. A moins qu'il ne s'agisse de pastiches.
~r,6 Antonio Brignole Sale, Le instabilità dell'ingeJJno, divisi in otto giornate,
Bologna, G. Monti et Carlo Zenero, 1635. Brignole Sale a continué la tradition
des Dicerie sacre de Marino: il est l'auteur de Panegyrici saeri, recitati nella
Chicsa di Santo Siro di Genova, Venise, 1662.
367 Pier Francesco Minozzi, Delle !ibidini dell'ingegno, Milano, 1636. Ce
reœeil est composé pOlir l'essentiel de discours académiques: La vergogna
trionlatrice, ovvero chi guerreggia è maggiormellte animato alla virtù dalla
vergogna d' haver perduto che dalla gloria d' haver vinto, reeitato ail' Accademia
degl'Addormentati di Genova (dédié à A. Brignole Sale) ; La vendetta spezzata,
L'ASJANJSME MARJNJSTE: M1NOZZI 221

menti deU'ingegno 368. Dans la préface de ce second recueil, Minozzi


justifie non sans cynisme les traits asianistes de son œuvre:

Le luxe de mon style, plaide-t-il, est innocent. Je décris les plaisirs


d'lin voyage, le plaisir a le désir pour compagnon et le désir a pour frère
l'('chaufkmellt. Si donc mon ingéniosité se montre voluptueuse la faute
en incombe aux plaisirs, et si elle s'échauffe, les stimulations du dés;,.
j:lvénile ell sont responsables. Car prurit" et échauffements chez les jeunes
l'ass~nt po::r vertus et 110n pas vices du Rhéteur d'Espagne; et il fera
prcI,ve de 1'1ai;~_~n:té, c'.'lui qlli verra du vice dans cette luxure, qui est
\·ertu.

Comme on le voit, l'argumentation n'est pas moins sophistique que le


style qu'elle défend. Annonçant une œuvre intitulée Amoros'e-poefiche
frenesie, le jeu'lc rhétcur ajoute:
Mais je veux insister sur le fait que lisant dans une œuvre des har-
dit'sses hyberboliqlles, usant de comparaisons avec le Paradis, les Anges,
les Béatitudes, et Diell, on ne doit pas les attribuer à des extravagances
de mon esprit, mais à des excès de mon ingéniosité; chez moi l'esprit
est catholique, l'ingéniosité poétique.

Cette inspiration voluptueuse, fort éloignée en apparence de celle de


Malvezzi n'empêche pas Minozzi de se réclamer de celui-ci, et de célébrer
l'Espagne, dans un poème intitulé Poema barberino brocardant la poli-
tique et le style du Pape 30Y.
Son allusion au Rhéteur d'Espagne, c'est-à-dire à Sénèque le Père et
à ses Colores, senfenfiae, divisiones, indique la sphère d'imitation antique

ovvero che un Magnanimo dee perdon are le ingillrie .. L'amicizia non amlC1ZlU,
ovvero che r AmiciZÎa modern a è l'interesse, relorico ragionamenlo (cette pièce
d'éloquence a de fortes chances d'avoir inspiré à La Rochefoucauld la fameuse
« maxime supprimée» sur l'Amour propre) ; L'ingiuria superata, ovvero che lin
Magnanimo vince le Ingiurie se le perdon a, 0 le lolera, 0 le disprezza, acca-
demico passatempo. L'ouvrage contient une Ode panégyrique à la gloire de
Marino.
368 Pier Francesco Minozzi, 1 Sfogamenli deU'ingegno, Venezia, Turrini,
1641. Récit en forme de lettres d'un voyage de Parme à Plaisance, et d'un
séjour à Piacenza, entremêlé de poèmes, d'éloges dithyrambiques de Grands
Seigneurs, de descriptions enthousiastes et redondantes de métaphores et de
« pointes », avec une intrigue amoureuse donnée comme autobiographique.
369 En 1637 et 1638, Minozzi publie deux poèmes à la gloire de Don Felipe
de Guzman, comte de Leganès, Gouverneur de Milan, et héros de la guerre
contre la France. Le second de ccs poèmes s'intitule Poema barberino en hom-
mage au talent poétique d'Urbain VIII, en fait par défi contre la politique
« francophile» de la Cour de Rome, et avec une pointe satirique contre l'Ode
à Saint Louis, ln Divllm LudoviC1lm IX regem Francontm, Ode pindarica bilin-
j?uis, dédiée à Louis XIII et publiée à Paris par Frédéric Morel, puis reprise
dans les éditions successives des Poemala du Pape. Dans le poème «pinda-
rique» de Minozzi, Il Gallo (Le Maréchal de Créqui) est fort mal accommodé.
Dans le poème de 1637, Il Politico Irionfanle, l'hommage au comte de Léganès
est associé à un hommilge an marquis Malvezzi et à son parent, le duc d'Oli-
varès. Il est significatif de voir le marinisme, associé ici au «sénéquisme» de
Malvezzi, servir de ralliement stylistique au '" parti espagnol ».
222 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

à laquelle se réfère cette production oratoire: les déclamations d'école,


les mélétaï de la seconde sophistique, filles des progymnasmata scolai-
res 370. Sur des «causes» choisies dans la mythologie, l'histoire, ou
l'anecdote pour leur « vraisemblance extraordinaire », les jeunes rhéteurs
inventent des prosopopées, des éloges, des narrations où le virtuosisme
oratoire prend sa revanche sur les contraintes esthétiques et morales qui
l'avaient bridé au Collège. Pour fuir la rhétorique dévote de leurs maîtres,
ils se jettent dans l'hystérie rhétorique.
Une fois leur gourme jetée, beaucoup d'entre eux, selon une logique
qui est celle de la seconde sophistique, s'adonnent au roman 371. Autre
manière de se libérer de leurs maîtres Jésuites, fort ennemis de ce genre
mondain. Et pourtant, en dépit de ses « fureurs» ingénieuses, un Manzini
St: montre prisonnier des catégories rhétoriques apprises: dans la préface
de son Crétidée, il va jusqu'à faire du genre romanesque l'opus oratorium
maxime 372, sommet et résumé de toute éloquence, concentré de tous ses
pouvoirs. Etrange pendant au genre sublime cher au P. St rada, et que
celui-ci réservait à l'éloquence sacrée.

.**
370 Les Progymnasma/a, exercices de gymnastique rhétorique scolaire carac-
téristiques de la seconde sophistique, avaient été édités à Venise, dans le
volume des Rhe/ores graeci d'Alde l'Ancien de 1508-1509 (Aph/onii sophis/ae
progymnasma/a) et dans le volume des Rhe/ores graeci e/ latini (Venise, Alde,
1523). En 1540, le De modo declamandi d'Aelil1s Théon paraît à Rome. Leur
diffusion coïncide donc avec celle de Longin et d'Hermogène (Aphtonius, Her-
mogène et Longin sont édités dans un même volume à Genève en 1569). J.
Camerarius se fit l'inlassable éditeur, après Alde, de ces rhéteurs grecs tardifs.
371 Loredano est l'auteur d'une Dianea (Venise, 1643) traduite sous le titre
de La Dianée chez Sommaville et Courbé en 1642. L'auteur de la traduction,
qui garde l'anonymat, se donne pour un ami de Loredano et affirme: «Je ne
suis pas un faiseur de livres.» Dédicaçant sa traduction au Maréchal de
Schomberg, il fait de celui-ci et de Richelieu un dithyrambique éloge, invitant
à voir dans La Diaéne une sorte de panégyrique romanesque du Maréchal. Dans
sa dédicace à Richelieu de Polexandre, Gomberville a recouru, en 1641, au
même subterfuge. Loredano est également l'auteur de Novelle amorose (Venise,
1643) et d'une traduction de J.P. Camus, l'His/oria ca/alana (Venise, 1653). Quant
à Brignole Sale, il est l'auteur de romans dévots, où les techniques des romans
hellénistiques servent à amplifier et agrémenter des sujets empruntés à la
Légende dorée: La vila di san Alessio, descritta e arrichita con devoti epi-
sodi, Gênes, 1648; Maria Maddalena peccatrice e convertita, Milan, 1670.
372 Giov. Battista Manzini, Il Cre/ideo, Rome, 1642. La préface du Crétidée
marque le plus profond mépris pour l'Histoire (nlldo e freddo racconto d'acci-
denti for/llitO, et lui oppose triomphalement le Roman (la più s/upenda e
gloriosa macchina che fabbrichi l'ingegno). Plus noble que l'Histoire, car il
a tous les mérites de celle-ci, et en outre, la Poe/ica ... la Favola Epopeica.
Et il dépasse l'épopée, car il ne bénéficie pas des artifices de celle-ci, versifi-
cation, rythme, foisonnement de figures. But du roman: combattre l'Amo:.:r
profane. Le héros, tout en étant exemplaire, ne doit pas être chrétien, pour
ne pas compromettre la Religion «sur la scène ». Comparer avec la préface
d'Ibrahim (1641) des Scudéry. D'après la préface des Harangues (1642), G. de
Scudéry semble avoir été en relations avec G.B. Manzini.
LE CLASSICISME ROMAIN: MASCARDI 223
Ainsi, loin d'imposer la juste mesure du judicium classique et chrétien,
le Cicéron libéral et éclectique des Jésuites se voyait contraint de présider
à d'étranges sabbats stylistiques, justifiés par la liberté de l'ingenium.
La leçon des Prolusiones Aeademieae, devant cette résurrection d'une
seconde sophistique toute profane, devait être réaffirmée. Au moment
même où l'ex-Jésuite Emmanuele Tesauro compose à Turin le traité de
rhétorique de la nouvelle sophistique italienne, le Cannoehiale arisloleUeo
(qui sera publié seulement en 1654) 873, un ancien élève du P. Strada,
lui .aussi ex-jésuite, Agostino Mascardi, pUblie en 1636 un traité intitulé
Dell'Arle Hisloriea. Quatre livres en un fort volume in-quarto.
Tour à tour protégé du cardinal d'Este, puis du cardinal de Savoie,
après avoir quitté la compagnie de Jésus, Mascardi était alors le protégé
de la famille Barberini, camérier du Pape, Prince de l'Académie des
Humoristes, professeur d'éloquence à la Sapienza 874. Avec son ami
Strada, il partageait en somme l'héritage de Muret et de Benci, l'un à la
Sapienza, l'autre au Collège Romain, et tous deux oracles également
écoutés de la Cour romaine.
Mascardi n'a pas choisi au hasard de faire un sort au genre historique.
Dès 1632, le P. Strada dans le De Bello Belgieo avait donné un modèle
de narration fondée sur des recherches d'archives, et formulée dans un
style inspiré des modèles classiques, Tite Live, César et Tacite 375. L'his-
toire apparaissait ainsi comme un rempart de la «juste mesure» latine
et classique contre la sophistique asianiste du roman et de la déclamation.

373 Emmanuel Tesauro, Il cannochiale aristotelico ossia Idea delle argu-


tezze heroiche volgarmente chiamate imprese esaminate in fonte co'rettorici
precetti deI divino Aristotele, che comprendono tutta la Rettorica e la Poetica
eloeuzione, Turin Sinibaldo, 1670. La première édition (1654) formulait son
titre autrement: Idea dell'arguta et ingeniosa elocuzione. Ingenioso et herolco
sont ici synonymes (Grenaille traduisait déjà scherzi geniali par caprices héroï-
ques). La nohon d'!dea, chez Tesauro, est l'ultime avatar de l'ldea de G.F.
Pico et porte à son comble la revendication de l'ingenium: grâce aux tech-
niques aristotélico-sophistiques, celui-ci est mis en mesure d'inventer des «mer-
veilles» toujours renouvelées. Chez Tesauro, l'asianisme de Marino se conjugue
avec le sénéquisme des « sententiae », pour aboutir à une nouvelle sophistique
délivrée de tout remords. Jésuite jusqu'en 1634, Tesauro avait publié en 1633
des Panegirici sacri (l'un d'entre eux traitait, comme la pr~mière Diceria sacra
de Marino, du Santo Sindone de Turin) d'un ~oût ouvertement mariniste. Sa
sortie de la Compagnie est certainement liée a cette publication. Selon Ezio
Raimondi, Letieratura baroeca, studi sul Seicento italiano, ouvr. cit., « Una
data da interpretare », p. 51-75, le Cannochiale a été conçu dans les années
20-30, antérieurement au livre de Mario Peregrini, Delle Acutezze (1639). Les
Panegirici sacri (1633) montrent en effet que ses idées rhétoriques sont déjà
mûres, et son marinisme déjà marqué par le goût sénéquien de l'argutezza.
374 Sur Agostino Mascardi, voir F.L. Manucci, «La Vita e le opere di
Agostino Mascardi >, Affi della società lif(ure di storia patria, vol. XLII, Gênes,
1908. V. aussi Bayle, Dict. 3" éd., 1720, t. 3, p. 1953.
375 Famiani Stradae s.j. De Bello Belgico Decas prima, Rome, Corbelletti,
1632. Sur cet ouvrage, voir Sergio Bertelli, Ribelli, libertini e ortodossi nella
storiografia baroeca, Florence, 1973, p. 21-25. L'A. met en évidence les rap-
ports entre la théorie de l'histoire des Prolusiones Âcademicae et sa pratique
dans le De Bello belgico. On peut s'étonner toutefois de lire que «Lo Strada
fu uno dei padri deI concettismo barocco :) 1
224 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

Dans [a ligne de son maître et ami, Mascardi fait de ['histoire [a pierre


angulaire d'un art oratoire destiné à corriger [es «vices du temps» 376.
Au L. [V, dans une digression bien conforme à cette intention, il en vient
à traiter du style en général. Le problème revient à traiter sur de nou-
veaux frais de cet ingenium que [e P. Strada, délJ1s [es Prolusiones de
[617, avait eu tant de peine à contenir dans de justes limites, et qui
depuis, n'avait fait que s'émanciper.
Mascardi propose d'abord une théorie cohérente de ['élocution, tirée
de diverses sources antiques, et au premier chef de Cicéron. [[ distingue
[es principales qualités a priori de [a meilleure élocution : clarté, pureté,
propriété, naturel, ordre. [[ récuse vivement toute tentation d'obsCLIra
brevitas à [a Juste Upse. Puis il distingue [es characteres dicendi qui,
par amplification et ornementation progressives à partir de ces qualités
minimales du style « bas », accroissent celui-ci en style « moyen» et en
« grand style ».
Toutefois, il nie que ces «caractères» soient déterminés mécanique-
ment par la nature du sujet traité 377. Le choix revient librement non à
l'ingenium, mais au judicium qui apprécie en chaque circonstance les
exigences du decorunz. Comme le P. Strada, Mascardi attend du judiciunz,
instance critique intériorisée, le soin de surveiller l'ingenium, empêchant
ses écarts, mais en revanche le libérant du poids le plus humiliant de la
réglementation scolaire.
Sous cette réserve, un auteur peut traiter toutes sortes de sujets sans
changer de « caractère », s'il le juge plus à propos. C'était la thèse de
l'lnstitutio Epistolica de Upse, encore vivement combattue par les Prolu-
siones Academicae, mais qui obtient ici droit de cité cicéronienne. Inver-
sement, Mascardi admet qu'un auteur puisse traiter le même sujet en
recourant à divers «caractères ».
Pour desserrer davantage le carcan de [a tripertita varietas, Mascardi
formule une idée un peu trop ingénieuse: il suggère que chacun des trois
« caractères» canoniques a lui-même trois degrés: cette diversification

376 Agostino Mascardi, Dell'Arte Historiea, Rome, 1636. Mascardi avait eu


avec G.B. Manzini une retentissante querelle (voir F.L. Manucci, ouvr. ci!.,
p. 254 et suiv.). Dans le Delle'Arle His/oriea, Mascardi oppose le style de la
responsabilité à quel/a ven/osa e enorme loquacità de'sofisti (p. 452), et il s'in-
surge contre une formule de Cicéron (De Oratore, 11, 62) qui avoisinerait le
style de l'Histoire au style sophistique. Occasion de se livrer à une attaque
en règle contre la prose des sophistes modernes, et son eecessÏt'o ornamento
dû à la confusion entre prose et poésie (p. 553-554). L'Histoire est aux yeux
de Mascardi comme du P. Strada un bastion de résistance au marinisme.
377 Dell'Arte Historica, éd. cit., p. 374-383. Contre les théories de l'évêque
Aresi, qui concordent avec celles de Vossius (Ars historica, Leyde, 1633), Mas-
cardi s'appuie sur Lucien (Sur la manière d'écrire /' histoire) pour ne pas faire
dépendre le choix du « caractère» du sujet seul. Ce qui compte c'est l'attituqe
de l'auteur, son point de vue sur le sujet traité. lei Mascardi retrouve sans
le dire le point de vue philosophique et chrétien d'Erasme sur le style, tel
qu'il apparaissait dans le Ciceronianus. 11 s'insurge contre une scolastique rhé-
torique qui va dans le sens d'une nouvelle sophistique, boursouflée et insincère.
LE CLASSICISME ROMAIN: MASCARDI 225
de la gamme stylistique en neuf « caractères» lui semble offrir plus de
souplesse et de liberté à l'écrivain. Pour caractériser cette nouvelIe
gamme, Mascardi emprunte à Hermogène la définition des «Idées» de
l'élocution, qu'il est possible de doser: clarté, grandeur, beauté, rapidité,
vérité, force, etc. 378. Ces «Idées» ne concernent pas les mots dans la
phrase, à la manière des qualités cicéroniennes: elles embrassent l'en-
semble du discours, sa texture.
Ayant épuisé toutes les possibilités que lui offrait l'approche a priori
des rhéteurs antiques, le légiste romain du langage en vient à ce qu'il
appelIe le style, et qu'il distingue avec soin de l'élocution tradition-
nelle 379 : il admet que l'on puisse le percevoir intuitivement, mais non
l'enfermer dans des catégories préétablies. Il dépend tout entier de l'inge-
nium singulier. Les qualités, les « caractères», les Idées de l'élocution sont
un bien public, le style est une propriété privée. Il en va de la prose
comme du visage: par ses traits génériques, il renvoie à l'homme en
général, et aux différentes catégories d'hommes; mais par son accent,
son teint, son air propres, il révèle une individualité qui n'est identique
à nulle autre.
Mascardi, comme le P. Strada, propose donc une rhétorique de la
juste mesure. Mais il doit tenir compte d'une revendication plus affirmée,
plus générale, de l'ingenium. C'est à quoi lui sert la distinction entre
« caractère» et « style », qui par une autre voie, retrouve la distinction de
Giraldi et de Lipse, entre imitation scolaire et imitation adulte. La
connaissance et la maîtrise de la gamme des characferes dicendi donne
à l'écrivain-orateur la maîtrise d'un art objectif; à lui d'en jouer pour
faire de cet art le moyen d'expression objective de l'intériorité morale .


••

378 Dell'Arte Historiea, éd. cit., p. 392. Les œuvres d'Hermogène avaient
été d'abord éditées par Alde l'Ancien (Rhetores graeci, ouvr. cit.). Ses Pro-
g)'mnasmata avaient été publiés, dans la traduction latine de Priscien, à Paris
(S. Colinaeus) en 1540. Son De Dieendi generibus sive de formis orationis
libri duo, traduits par Jean Sturm, avaient été publiés à Strasbourg en 1571.
Leur traduction italienne, par Oiulio Camillo Delminio (Le Idee, ovvero forme
della oratione da Hermogene ... ) avait été publiée à Udine en 1599.
379 Ibid., p. 390-407. Voir, Setr le problème du style au XVII' siècle, l'étude
de j. Molino, sous ce titre, dans les Actes du Colloque Critique et création
littéraires au XVII' siècle, ouvr. cit., p. 337-359. La réplique de O.B. Manzini
à la Digressione .mUo stile de Mascardi vint en 1652. dans ses Meteore retto-
riche dédiées au cardinal Mazarin. Ouvrage capital, qui fait le point, avec
l'ne fonle de précieuses références, sur les principaux problèmes de la rhéto-
rique du xv,,' siècle. Essais sm l'érudition. sur l'imitation (à Sforza Pallavi-
cino), sur les lumi, spiriti, vivezze (à G.F. Loredano), sur l'art de concettare,
s::r 1" "lime», ou de la précision, Sl!r l'ornement, sur l'Invention (Sclva ou
Zidaldone), sm la noblesse du sujet, ou du caractère sublime. Entre le Dell'
Arte Historica, et cette apologie appuyée de la nouvelle sophistique, avait paru
en 1647, l'Arte della Stile, ove nel cercarsi della scrivere insegnativo, du P.
Sforza Pallavicino, un Jésuite ami du P. Strada, et parent de Virgilio Malvezzi.
226 SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE

Cette doctrine était à la fois une critique de la rhétorique scolaire


(unanime chez les bons auteurs depuis Paul Manuce) et de l'expression-
nisme sophistique, sacré ou profane. Mascardi a fort bien vu que ce
dernier, tel qu'il se manifeste chez un Panigarola ou un Aresi du côté
des prédicateurs, chez un Manzini ou un Minozzi du côté des «essayis-
tes» profanes, n'était qu'un grossissement des progymnasmata scolaires.
Sa théorie du style suppose une découverte philosophique de l'intériorité,
un c Connais-toi toi-même» transfigurant à son image les techniques rhé-
toriques qui lui servent à se manifester. C'est dans un sens analogue que
se prononce, à la même époque, Léon Allacci, dans un essai sur le
Traité du Sublime intitulé De Erroribus magnorum virorum in dicen-
do 380 : le critère du Beau n'est pas dans la convenance entre le style et
le sujet traité, mais l'écho qu'une grande âme réussit à faire entendre
d'elle-même dans sa parole, même si celle-ci déroute ou heurte, par son
« irrégularité ", l'attente convenue des grammairiens et des rhéteurs.
Mascardi illustrera lui-même ce classicisme de la grandeur - que l'on
confond trop souvent, dans le manteau trop ample du «baroque ", avec
l'asianisme - dans ses Ethicae Prolusiones et ses Romanae disserta-
liones, publiées à Paris chez Cramoisy en 1636 381 . Œuvre de moraliste,
inspirée à la fois par Sénèque et par Montaigne: son éloquence tendue,
méditative, à travers une réflexion sur les passions, la maladie, la mort,
mais ausi sur les vertus qui font du corps un « théâtre de l'âme ", se veut
l'expression suprême de la conscience de soi dans sa quête d'une sagesse,
un exercice spirituel où le moi incarné et singulier s'élève de la mélancolie
à la contemplation sereine. Toute l'expérience de la prose néo-latine, de
Bembo à Lipse, se résume ici en un style à la fois très personnel et moiré
de toutes les irisations d'une culture antique, humaniste et chrétienne.
C'est sans doute le chef-d'œuvre de la littérature «barbérinienne" : sa
contrepartie française n'apparaîtra qu'avec les dernières œuvres de Guez
de Balzac, l'Aristippe et le Socrate chrétien, ou beaucoup plus tard, dans
les Caractères de La Bruyère.

380 Leonis Aliatii De Erroribus magnorum virorum in dieendo, dissertatio


rhetoriea, Rome, Mascardi, 1635. Voir notre communication «Crépuscule de
l'enthousiasme au XVII" siècle », à paraître dans les Actes du Colloque de la
Société Internationale d'études néo-latines, Tours, 1974.
381 Augustini Mascardi Romanae dissertationes de affectibus perturbatio-
nibusque animi earumque eharacteribus. Paris, Cramoisy, 1639 (dédié au
cardinal Francesco Barberini) et Augustini Mascardi Ethicae prolusiones, Paris,
Cramoisy, 1639 (dédié au cardinal Antonio).
CONCLUSION

Au cours de cette traversée de plus de deux siècles d'humanisme, on


aura pu observer le caractère central et durable de la Querelle du cicéro-
nianisme, que l'on a le plus souvent tendance à considérer comme margi-
nale et à restreindre à sa première phase, de Politien à Erasme. La
complexité des enjeux de la Querelle sera également apparue: dès
sa première phase, elle portait en germe toutes les questions qui ont
commandé l'évolution de la rhétorique dans les deux siècles qui suivirent.
Telle que l'attaque Erasme, l'imitatio ciceroniana pose la question morale
qui, au fur et à mesure de l'expansion des Belles-Lettres vernaculaires,
s'approfondira en Querelle de légitimité chrétienne de l'imitation des
formes païennes. Telle que l'attaquait Politien, l'imitatio ciceroniana
posait la question, à la fois morale et esthétique, de l'expressivité per-
sonnelle, et de la légitimité de l'écart entre celle-ci et les modèles cano-
niques transmis par la tradition et garantis par leur antiquité. L'Ego non
sum Cicero de Politien est le point de départ des rhétoriques que l'on peut
qualifier, pour aller vite, de « maniéristes» et de « baroques », et qui vont
méditer sur l'imitatio multiplex, sur l'Idea, et sur le sublime. Enfin, l'assaut
livré par Politien et Erasme, du point de vue de l'identité personnelle de
l'orateur, et de la modernité chrétienne, ouvrait la voie à une légitimation
des «belles infidèles », et par extension, à celle d'œuvres «littéraires»
en langue vulgaire dérivant de plus en plus loin des modèles antiques
dont elles partaient. Pour autant, on ne peut se hâter de conclure que ces
phénomènes ont réduit rapidement à l'obsolescence l'imitatio ciceroniana :
celle-ci demeure, jusqu'au cœur du XVII' siècle, le terme de référence
indispensable du débat rhétorique. C'est par rapport à elle que les écarts
sont ressentis comme tels, goûtés et condamnés. C'est autour de cette
valeur centrale que la Renaissance classique en langue française, sous
Louis XIll et Louis XIV, après la Renaissance romaine du « siècle d'Ur-
bain V1I1 », élaborera ses critères de goût.
Si l'imitatio ciceroniana a été et demeurera si longtemps au cœur de la
culture rhétorique, en latin puis en français, c'est qu'elle symbolisait la
Renaissance des bonnes lettres, le retour à une pédagogie classique de
l'éloquence, la victoire sur le latin « barbare» des siècles de ténèbres. Par
la simplicité de son principe, par sa référence à la norme du «meilleur
style» offerte par le « Prince de l'Eloquence latine », cette technique de
la prose d'art résume l'essence du classicisme: l'adhésion à un âge d'or
de l'éloquence, le refus de consentir à son âge de fer. Même les plus
ardents anti-cicéroniens, tels Lipse, admettent qu'il ne saurait y avoir de
pédagogie possible du meilleur style qui ne commence par l'imitatio
ciceroniana, qui ne s'appuie sur cette conquête fondamentale de la Renais-
sance. Même au plus fort de l'anti-cicéronianisme, à la fin du XVI' et au
début du XVII', l'école demeurait le conservatoire du culte de Cicéron,
c'est-à-dire de l'alliance entre l'éloquence et la sagesse, entre la beauté
228 ROME ET LA QUERELLE CICÉRONIENNE

de l'expression et la vérité, entre la c belle Antiquité» et le christianisme.


La simplicité du principe assurait son pouvoir d'unité, d'universalité:
c'est autour de l'imitalio ciceroniana que la cour de Rome espéra par deux
fois devenir le foyer d'un style catholique international; c'est autour d'une
version française de l'imitatio ciceroniana que la cour de France, au
XVII" siècle, réussit à imposer à l'Europe l'autorité d'un style classique. A
Paris, la singularité française réussit à se donner une forme à vocation
universelle. Ailleurs, en Espagne, aux Pays-Bas espagnols, par exemple,
le sentiment national s'est affirmé non pas comme en France, dans la
volonté de battre Rome sur son propre terrain, mais dans une volonté
d'écart par rapport à la norme cicéronienne, symbole de la romanité à
son apogée. Un des ressorts de la Querelle fut en fait l'éclatement de la
chrétienté en royaumes ombrageusement conscients de leur identité, et en
quête d'un style qui l'affirme avec le plus d'éclat.
En dépit du Sac de Rome qui avait mis fin au « siècle» cicéronianiste
de Jules II et de Léon X, en dépit de l'écho que l'événement donna au
Ciceronianus d'Erasme, la survivance du cicéronianisme au cours du
XVI" siècle se démontre par la capacité dont il fait preuve de tenir compte
des critiques, sans renier son principe essentiel: la référence à un Age
d'or de la beauté. C'est en Italie surtout, comme il était naturel, que cette
évolution du cicéronianisme est perceptible. La redécouverte du Traité du
Sublime permet d'approfondir la notion d'imitalio ciceroniana, de lui ôter
le caflctère étroit et scolaire que Politien et Erasme lui reprochaient.
L'imitation se fait émulation généreuse, avec de grands modèles qui
soutiennent la réminiscence de l'Idée de beauté. Cicéron demeure le
médiateur privilégié, mais au centre d'une constellation d'auteurs classi-
ques qui ouvrent un champ plus vaste à l'invention. L'autre objection
majeure contre l'imitalio ciceroniana se réclamait de la supériorité des
« choses» chrétiennes sur les «mots» païens, si beaux qu'ils fussent.
La Renaissance de l'éloquence sacrée, stimulée par le Concile de Trente,
allait dans ce sens. Mais la médiation du De Doctrina Christian a, le
De Oralore de la chaire chrétienne, pouvait aussi conduire à un classi-
cisme chrétien: la beauté antique, saisie à son heure de plus haute exi-
gence, châtiée encore par le sentiment chrétien du service de Dieu, ne
serait pas trahie mais transfigurée par cette purification. Chez Marc
Antoine Muret, ces deux voies de la réforme du cicéronianisme trouvent
un avocat éloquent, et leur synthèse s'opère chez les jésuites du Collège
romain. Sur elle s'édifiera la dernière Renaissance latine, celle du siècle
d'Urbain VIII.
Mais le XVI" siècle dans son ensemble est plutôt celui de l'anti-cicéro-
nianisme, mieux accordé à l'essor de l'individualisme, des littératures
nationales, de l'encyclopédisme érudit, et à la réforme de la piété, tant
catholique que protestante. Les lettres en langue vulgaire, comme énivrées
de leur neuve liberté, sont sollicitées par la tentation asianiste : le champ
de fouilles érudit, étendu à l'antiquité tardive, met à leur disposition toutes
les ressources de la Seconde Sophistique. Et la prédication en langue
vulgaire, libérée elle aussi de ses contraintes médiévales, recourt volon-
tiers aux moyens les plus voyants et théâtraux.
DE L'ÉCLECTlS!\Œ ITALIEN A L'ATIICISME FRANÇAIS 229

Contre la «décadence de l'éloquence », la réaction s'esquisse dès (a


fin du XVI' siècle, avec juste Upse. Mais le laconisme de Upse est un
maniérisme de la brièveté, qui justifie par son parti-pris l'autre extrême
qu'il veut combattre, ('abondance et les effets tout extérieurs de l'asia-
nisme. Ovide a suscité un Sénèque, Sénèque suscite à son tour des Ovides.
Le temps est revenu pour l'arbitrage de Cicéron. Celui que proposent à
Rome les jésuites du Collège Romain est assez libéral pour autoriser une
gamme stylistique très variée, qu'il s'agit seulement de rappeler à la juste
mesure et à la décence chrétienne.
La foisonnante variété des goûts et des styles, les puissantes influen-
ces italiennes et espagnoles, pouvaient sembler appeler en France un
arbitrage conciliateur analogue. Nous allons le voir, c'est à quoi s'em-
ployèrent, dans un premier temps, les Jésuites français. Ils y eurent moins
de bonheur que leurs confrères italiens. Cet échec est dû pour l'essentiel
à la résistance de la haute érudition gallicane, dépositaire de la tradition
du royaume, et cherchant à la rattacher à ce que l'Antiquité profane et
sacrée avait de plus pur: la «corruption de l'éloquence» dont s'accom-
modent les rhétoriques conciliatrices des jésuites ne saurait convenir à
cette volonté érudite de restaurer en France un Age d'or de la forme et
du savoir. Cette volonté rencontre en 1624 celle que manifeste Richelieu
d'affirmer la suprématie de la Couronne sur les forces centrifuges du
royaume et sur les autres Cours européennes. La conscience nationale
française, et la vigueur de l'expression individuelle, se cherchent dès lors
dans la réactualisation de la Rome classique, de ses formes pures que
l'imitation en langue française, langue chrétienne, purifiera encore de ses
scories païennes. Les Jésuites français avaient cru pouvoir miser sur la
variété des styles et sur un style de variété qu'ils s'imaginaient, avec une
apparence de bon sens, accordé à une société française vaste et bigarrée,
à la mosaïque de ses goûts. Ils seront eux-mêmes contraints de renoncer
il leur éclectisme, et à voler au secours de l'attici~lllc chrétien en langue
française dont le mécénat de Richelieu fait un style national, symbole de
l'ingenium français, de sa vigueur et de son unité, en même temps que
solution élégante aux problèmes posés depuis le début du XVI' siècle par
la Querelle du cicéronianisme. Cicéron, d'Italien qu'il était, devient Fran-
çais: mais en passant la frontière, il s'est dépouillé de sa générosité
baroque, tout en parlant une langue moderne à l'Europe moderne. 1\ allie
en France l'élégance attique à la simplicité et à (a décence chrétiennes,
il fait fusionner sa propre leçon à celle de saint Augustin, dans une
langue «vulgaire» qui, sur le patron du latin cicéronien, devient élo-
quente.
Le choix des mots de cette troisième langue classique prend pour
critère, comme l'avait souhaité Bembo pour l'Italie, l'usage de la sanior
pars de la France, la Cour, vérifié par celui des meilleurs écrivains
postérieurs à la Renaissance. Le «bel usage» de la conversation du
«grand monde» devient, dans cette étrange élaboration d'un autre
« siècle d'Auguste» chrétien, le vivier d'une langue où vont se reproduire
dans un esprit moderne et chrétien, les formes de ('Age d'or de (a latinité.
Tout cela se passe hors des Collèges jésuites, et suppose de la part des
230 ROME ET LA QUERELLE CICÉRONIENNE

érudits gallicans un sens de l'adaptation et des concessions nécessD.ires


qui ne va pas sans déchirements. Avant d'étudier les étapes de la conver-
sion de la res literaria gallicane en Belles-Lettres françaises, il convc:ni'it
de montrer comment la rhétorique éclectique des Jésuites avait dû renon,,'_~
à une première et méritoire synthèse pour se rallier à l'essor d'un idéal
classique français.
DEUXIÈME PARTIE

DU MULTIPLE A L'UN:
LES « STYLES JÉSUITES»
CHAPITRE 1

JÉSUITES ET GALLICANS, UNE RIVALITÉ


D'ORATEURS

\. PREMIERS DÉBATS (1550-1604)

Lorsque les Jésuites se présentent en France 1 où leur fondateur a fait


des études tardives et leur Société ses premiers pas, ils ne jouent pas sur
du velours. En Italie, l'absence d'unité politique, en dépit des rêves
nourris au xv- siècle, fait des ordres religieux et du clergé en général le
réseau unifiant la péninsule et de Rome, centre actif de la catholicité, la
meilleure voie d'accès des Italiens, Vénitiens exceptés, aux grandes affai-
res européennes. La Compagnie de jésus bénéficie de cette situation. En
Espagne et dans les terres d'Empire, la solidarité entre les Princes catho-
liques et Rome favorise également l'implantation d'une Société dévouée
au Saint-Siège. En France, les Jésuites ont affaire à une monarchie qui
avait fait l'admiration et l'envie de Machiavel, et à des institutions dont
la conscience de soi, depuis Philippe le Bel, s'est développée dans une
polémique incessante avec le Saint-Siège.

1 Sur l'histoire de la Compagnie de Jésus en France au XVI' et au XVII'


siècles, voir Henri Fouqueray, Histoire dl' la Compagnie dl' Jésus en France
des origines à la suppression, Paris, Picard, 1910-1913, Caravon, Documents
inédits concernant la Compagnie de Jésus, Paris 1863-1874-1886, et J.M. Prat,
Recherches sur la Compagnie dl' Jésus en France au temps du P. Coton, 1566-
1626, Lyon, Briday, 1876, 5 vol. Pour connaître le point de vue des «Poli-
tiques,. et «Bons Français », voir lA. De Thou, Historia slli temporis, Paris,
Mamert Patisson, 1604, et le {ournal de l'Estoile pour le règne de Henri /1/,
1575-1589, Paris, Gallimard, 1943, Journal dl' L'Estoile pour le règne de H. IV,
t. 1, /589-1600, ibid., 1948, et t. 11, 1601-1609, ibid., 1958.
2 Sur la biographie d'Ignace de Loyola, voir Hugo Rahner, s.j., Ignace de
Loyola, Paris, Desclée, 1956. Sur la « légende noire» créée par Antoine Arnauld
et Etienne Pasquier, voir Le Plaidoyé de M. Antoine Arnauld... , Paris, 1594:
«L'an 1521, les François voulurent rendre l'héritage à celuy qui l'avoit perdtr
à leur occasion; ils assiégèrent Pampelune, et la battirent si furieusement
qu'ils l'emportèrent. Ignace de Loyola commandant à l'une des compagnies
de la garnison castillane opiniastra le plus la défense, et y eut les jamlws
rompues. Cela le tira de son mestier de la guerre, mais ayant voué une haine
irreconciliable contre les François, non moindre que celle d'Annibal contre les
Romains, avec l'aide du malin esprit, il couva cette maudite conjuration de
Jésuites qui a causé tant de maux à la France» (f. 7). Arnauld affirme ail-
234 LES STYLES JÉSUITES

Agents du Pontife romain, liés à lui par un vœu spécial de fidélité,


les Jésuites heurtent les doctrines gallicanes 3 dont le Parlement de Paris
et l'Université se veulent les dépositaires jaloux. Le conflit entre catho-
liques et protestants, le drame de conscience créé par l'héritier d'Henri 1Il,
légitime par le sang, illégitime par la foi, pourront obscurcir temporaire-
ment le débat: l'élite des magistrats et des docteurs parisiens ne perdra
jamais de vue que, dans la crise religieuse dont il est pour une bonne part
responsable, le Saint-Siège tient un prétexte providentiel pour développer
son emprise sur les Eglises nationales, au besoin avec l'aide du Roi
Catholique, rival déclaré du Roi Très-Chrétien. L'intrusion des Jésuites
en France est donc ressentie par la sensibilité gallicane, une des plus
chatouilleuses qui soient, comme une nouvelle étape de « l'impérialisme»
religieux du Saint-Siège, fourrier de l'impérialisme politique de l'Espagne.
Au soupçon né du «vœu spécial au Pape », s'ajoutait celui que faisaient
naître la nationalité espagnole du fondateur de la Compagnie (blessé à
Pampelune dans un combat contre les soldats français), et celle des
Généraux ses successeurs, Lainez, Mercurian, Borgia, Acquaviva, tous
fidèles sujets de Sa Majesté Catholique.
Offrant leurs services de pédagogues humanistes, les Jésuites crurent
adoucir les soupçons politiques pesant sur eux: ils aggravèrent leur cas.
Les racines de l'humanisme qu'ils venaient enseigner en France étaient de
toute évidence italiennes et espagnoles. La Compagnie avait surtout recruté
dans ces deux pays, où elle avait trouvé le meilleur accueil et qui étaient
les deux bastions de la Réforme catholique. Et c'était en Espagne et en
Italie qu'elle avait découvert sa vocation d'enseignement. En prétendant
ouvrir un collège à Paris, elle offensait l'orgueil et les privilèges de la
plus célèbre Université d'Europe 4, dont la Faculté de théologie était
depuis le XIII' siècle la plus haute autorité doctrinale de l'Eglise, et depuis

leurs que les jést;ites sont en qudque sorte la «cinquième colonne» du Roi
d'Espagne, et tous ses Généraux, espagnols, ont été créés par celui-ci pour
le servir (f. 5 v'). Dans son Franc et véritable Discours, Paris, 1602, il écrit:
«Ils (les jésuites) pratiquent si souvent les estrangers et se sont tellement
formez au patron de leur fondateur, Espagnol de nation, qu'ils retiennent (au
moins la plupart d'entre eux) trop grande sévérité en leur visage, en leur port,
en le~lr maintien. Encore si faut-il accommoder à l'humeur du malade, et luy
choisir des médecins agréables, qui veut le bien guerir (sic)>> (p. 37).
3 Sur le gallicanisme religieux et politique, voir V. MartinI Le Gallicanisme
politique et le clergé de France, Paris, Picard, 1929; Les ongines du gallica-
nisme, Paris, Bloud et Gay, 1939 (2 vol.) ; le Gallicanisme et la réforme catho-
lique, Paris, Picard, 1919, et A.-G. Martimort, Le Gallicanisme de Bossuet,
Paris, Cerf. 1953.
4 Sur l'histoire de l'Université de Paris au XVI' et au XVII' siècles, voir outre
Charles jourdain, Histoire de l'Université de Paris au XVII' et au XVIII' siècle,
Didot-Hachette, Paris, 1888, et le volume Les Universités européennes du XV/'
au XVIII' siècle, Genève, 1967, les pages suggestives de M.M. de la Garan-
clerie dans sa thèse dactylographiée, Christianisme et lettres profanes (1515-
1535), essai sur les mentalités des milieux intellectuels parisiens et sur la
pensée de Guillaume Budé, t. l, ch. V, p. 205 et suiv., «Les théologastres »,
où l'A. fait le portrait intellectuel de deux docteurs de Sorbonne au début du
XVI' siècle, jean d'Hangest et Noël Beda.
JÉSUITES ET GALLICANS 235
le XIV', la citadelle du gallicanisme fi contre l'envahissante monarchie
temporelle et spirituelle des Pontifes. En prétendant ouvrir un collège où
l'humanisme serait à l'honneur autant que la théologie, elle s'immisçait
dans une querelle douloureuse entre réformateurs humanistes et docteurs
scolastiques, dont l'un des épisodes avait été la fondation, imposée à
grand peine à l'Université par François 1er , du COllège Royal. Querelle
féroce, mais querelle de famille. La prétention des Jésuites à se poser en
rivaux, au nom du Pape, à la fois du COllège Royal et de la Sorbonne, à
la fois des humanistes et des théologiens français, était propre à récon-
cilier contre eux tous les camps, y compris naturellement le camp pro-
testant.
On n'exagèrera point en soutenant que, dès leur première tentative
d'installation à Paris, en 1551, jusqu'à leur expulsion définitive du
royaume en 1763, les Jésuites y firent l'objet d'un procès ininterrompu
devant la Grand' Chambre du Parlement, procès attisé par l'Université 6,
et dont l'écho était amplifié par une inlassable guerre de pamphlets 7.
Les pièces de cet interminable procès, les réquisitoires d'Etienne Pasquier
et d'Antoine Arnauld, les libelles qui y trouvaient leur source, fournirent
il l'an ti-jésuitisme européen les arguments dont il avait besoin pour affai-
blir, puis abattre la Compagnie. Ailleurs il arriva aux Jésuites d'être
persécutés et de compter des martyrs. En France, ils furent soumis à une
critique corrosive de la part de juristes, de moralistes, et de théologiens
qui ne leur passèrent aucune erreur, et qui découvrirent toutes les failles
de leur armure. Sur le terrain de la rhétorique elle-même, on le verra, les
Jésuites français ne furent pas épargnés.
Les combats des universitaires et des robins gallicans contre les
Jésuites prit tout naturellement une forme oratoire: avocats et théologiens
contre régents de rhétorique et prédicateurs. L'histoire de l'anti-jésuitisme
français est ponctuée par une série de discours, prononcés ou imprimés,
qui sont autant de dates importantes dans l'histoire de l'éloquence fran-
çaise du XVI' et du XVII' siècles. Rappelons-en rapidement les plus sail-
lantes. Longtemps repoussé par le refus du Parlement d'enregistrer les
lettres patentes accordées aux Jésuites par Henri II et confirmées par
François Il et Charles IX, devenu inévitable par une décision, d'ailleurs
fort défiante, rendue en leur faveur par le Concile de l'Eglise gallicane
réuni à Poissy, le procès des Jésuites s'ouvrit enfin en 1555 devant la
Grand' Chambre du Parlement. Le jeune Etienne Pasquier prononce alors

5 Voir V. Martin, Les origines du gallicanisme, ouvr. cit.


6 \'oir H. Fouqueray, Histoire de la Compagnie ... , ouvr. cit., et surtout
A. DOl1arche, L'université de Paris et les jésuites au XVI' et au XVII' siècles,
Paris, Hachette, 1888.
7 L'étude de cette guerre de pamphlets reste à faire. Signalons que la
Bibliothèql!e Mazarine en possède une riche collection répertoriée (fichier
« Matières », S.v. «jésuites»). Voir joseph Brucker, «Les griefs contre les
jésuites anciens et modernes >, Etudes, 88, 1901, 764-783.
236 LES STYLES JÉSUITE~

un plaidoyer au nom de l'Université 8, principale plaignante: ce disC()urs


restera jusqu'au XVIIIe siècle la charte de l'anti-jésuitisme gallican. JI
montre dans la Société de Jésus un rassemblement de «sophistes» qui,
sous prétexte de religion, jouent des artifices du langage pour voiler
leurs desseins véritables : le triomphe de l'hégémonie pontificale sur
l'Eglise de France, le triomphe du Roi Catholique sur le Royaume Très-
Chrétien, et le triomphe du machiavélisme sur la traditionnelle franchise
et naïveté française. En dépit de cette Philippique, qui « lança» Pasquier
et fit sa carrière, la cause fut « appointée », c'est-à-dire renvoyée sine die
pour plus ample examen. La Cour et les cardinaux « guisards» avaient
sauvé la Compagnie.
Le procès ne put se rouvrir qu'après la victoire d'Henri IV et des
« Politiques» sur la Ligue, en 1594. L'attentat de Barrière en fournit
l'occasion, bientôt ravivée par celui de Châtel. C'est le jeune Antoine
Arnauld, inaugurant à la fois une brillante carrière et la tradition an ti-
jésuitique de sa famille, qui est l'avocat de l'Université 9. Cette fois, aux
arguments de Pasquier, s'ajoutait celui du tyrannicide, dont les Jésuites se
faisaient les apologistes, selon la double tradition des théologiens médié-
vaux 10 et des déclamateurs antiques qui tirèrent tant d'effets pathétiques
du destin de Brutus et Cassius 11. Pour les gallicans qui, par souci po lé-

8 Le plaidoyé de M. Pasquier pour l'Université de Paris défenderesse


contre les Jésuites, demandeurs en requeste, Paris, Abel l'Angelier, 1594. Réé-
dité dans les Recherches de la France, Paris, L. Sonnius, 1607 et 1624. En
1602, Pasquier publie à « Villefranche» (lieu fictif) son Catéchisme des Jésuites
ou examen de lel1r doctrine, qui est une vaste amplification des thèmes du
PlaidoJ'é. Il étudie la biographie dïgnace et de François-Xavier comme s'il
s'agissait de la Vie d'Apollonius de Tyane par Philostrate (p. 196 et suiv.).
Ce sont des imposteurs. Quant à leurs biographes, Ribadaneira, Sacchini, ils
ont écrit leur vie et raconté l'histoire de leur Ordre comme s'il s'agissait de
<: chevaliers errants» (p. 215), et de Lancelot du Lac. Mais ces sophistes
étaient aussi des « machiavélistes oo: saint Ignace, comme Numa, comme
Auguste, comme les législateurs avisés, a forgé des visions et des miracles
pour garantir la survie de son œuvre. On croirait lire déjà des pages du
Dictionnaire philosophique de Voltaire! Cet ouvrage sans cesse réédité le fllt
encore en 1677 en Hollande, et au XVIII' siècle (Paris, 1717).
9 Le Plaidoyé de M. Antoine Arnal1ld advocat en Parlement ... pOl1r l'Uni-
versité de Paris demanderesse contre les Jésuites défendeurs, ce 12 et 13 juil-
let 1594, Paris, Mamert Patisson, 1594, réédité jusqu'en 1706. En 1602, Antoine
Arnauld publie Le Franc et véritable discol1rs au Roy sur le rétablissement qui
luy est demandé pOl1r les Jésl1ites, aussitôt traduit en latin, et plusieurs fois
réédité.
10 Voir Roland MOllsnier, L'Assassinat d'Henri IV, Paris, Gallimard, 1964,
p. 47 à 90.
11 Si les exercices d'école de la Seconde Sophistique grecque firent lar-
gement fonds sur les héros de la démocratie athénienne, à Rome, les écoles
de déclamation eurent une prédilection pour la guerre civile, ses erltrecho-
quements de grands caractères, et ses violences sanglantes. L'anti-césarisme
de Lucain, sa célébration de Brutus et Cassius dans la Pharsale, ont leurs
sources dans les exercices d'école, tels que les rapporte son oncle Sénèque le
Rhéteur, dans ses Controverses et suasoires. Il ne faut pas nO!l plus négliger
l'influence de Cicéron, dont l'attitude ambiguë vis-à-vis de César, puis d'Oc-
tave, pouvait autoriser, selon l'accent placé sur tel ou tel de ses textes, l'apo-
JÉSUITES ET GALLICANS 237
mique contre le Saint-Siège, sacralisaient le Roi de France, cette doctrine
trop utile à l'hégémonie pontificale sur les Princes laïcs était blasphé-
matoire. Un même arrêt du Parlement condamna Châtel à l'écartèlement,
ordonna l'expulsion des Jésuites du royaume, et envoya l'un d'entre eux,
le P. Guignard, à un supplice infamant. A la place de la maison de
Châtel, détruite, on éleva une pyramide gravée d'une inscription latine,
œuvre de l'érudit protestant J.j. Scaliger, qui unissait dans la même
vindicte Châtel et ses inspirateurs. La '" légende noire ~ des jésuites,
éloquemment colorée par Pasquier et Arnauld, prend de solides racines
en terre gallicane.
Toutefois malgré les injonctions d'Henri IV, les Parlements de Bor-
deaux et de Toulouse refusèrent d'enregistrer l'arrêt des magistrats pari-
siens, et laissèrent en activité les collèges jésuites de leur ressort. En
dépit de plusieurs arrêts rigoureux du Parlement de Paris, les parents
dévots préférèrent envoyer leurs fils à Douai, à Pont-à-Mousson, à
Tournon, hors de portée du Parlement, plutôt que les confier aux régents
universitaires. Chassée de Paris et de Rouen, la Compagnie maintenait
dans le Royaume, dans ses enclaves, et sur ses frontières, des positions
propres à lui faire espérer un retour de fortune.
On l'aura remarqué, c'est de la Cour, et des rois de France eux-mêmes,
que la Compagnie au cours du XVI' siècle avait obtenu les appuis néces-
saires pour résister à la pression du Parlement et de l'Université gallicans.
Cette règle, dont on aura à mesurer toutes les conséquences, se vérifie au
début du XVII" siècle, lorsque Henri IV, cassant les décisions du Parle-
ment, promulgue à Rouen en 1603 un édit rétablissant les jésuites dans
le royaume 12. Cet édit, fruit des longues négociations par lesquelles
Henri IV se mit en règle avec le Saint-Siège, restituait tous ses biens à
la Compagnie, l'invitait à rouvrir ses Maisons professes, Noviciats et
Collèges, à l'exception du Collège de Clermont, à Paris.
Une vive passe d'armes oratoire avait précédé la décision du roi, et
mis aux prises le jésuite Richeome, cantonné à Bordeaux, et trois grands
avocats parisiens, Antoine Arnauld, son beau-père Simon Marion, et
Etienne Pasquier 18. Réquisitoires et plaidoyers, quittant l'enceinte du

logie d'un principat inspiré par la vertu, ou la vitupération «républicaine de


la « tyrannie », et même l'appel au tyrannicide. La pensée politique oscillante
des divers partis en présence à la fin du XVI' siècle (les protestants comme
les catholiques jugèrent la monarchie tour à tour comme un régime excelIent,
011 comme une tyrannie à abattre) trouvait chez Cicéron un modèle de «sin-
cérités successives », inévitables dans les périodes très troublées.
12 Sur les circonstances de l'Edit de Rouen, voir Fouqueray, ouvr. cit.,
t. Il, p. 503-647.
13 Voir notes 8 et 9, et Plaidoyé de Simon Marion sur lequel il a été donné
contre les Jésuites l'arrêt du 16 octobre 1597, Paris, M. Patisson, 1597 (rééd.
dans Recueil des Plaidoyers de S. Marion, Paris, 1698). Au plaidoyer de Simon
Marion et aux Recherches de Pasquier, Louis Richeome répondit par une
Réponse de René de La Fon pour les religieux de la Compagnie de Jésus au
Plaidoyé de Simon Marion et l'arrest donné contre iceux le 16 octobre 1597,
avec quelques notes et autres subjects des recherches d'Estienne Pasquier, à
238 LES STYLES JÉSUITES

prétoire, prirent à témoin l'opinion publique et firent pression sur le Roi,


Juge suprême. Les arguments de ses anciens amis « politiques» irritèrent
Henri IV, ainsi d'ailleurs que les indiscrètes «Remonstrances» des ma-
gistrats venus au Louvre signifier leur refus d'enregistrer l'édit de Rouen.
Il fallut pourtant que la Robe gallicane cédât devant une autorité qu'elle-
même avait voulue « absolue ».
Dans cette affaire, l'éloquence avait joué un grand rôle, trop grand
peut-être au gré du Roi qui affectait de la mépriser, par contraste avec
son prédécesseur. Il vaut donc la peine de s'arrêter un peu sur l'édit de
Rouen, qui dans une grande mesure crée une situation nouvelle pour
l'éloquence française, tant du côté des orateurs du Parlement que du
côté des prédicateurs et régents jésuites.
Sans mettre en doute la sincérité de leurs convictions gallicanes, on
ne peut observer l'empressement que les plus jeunes et doués avocats du
Parlement mettent à plaider contre les Jésuites sans formuler l'hypothèse
que ceux-ci leur offraient une «cause,. hors de pair, une occasion de
dépasser la routine ordinaire de la chicane et de s'élever pour une fois
dans la sphère de la grande politique, nationale et internationale. A voir
l'affairement des magistrats autour de ces «causes» jésuites, on est
tenté de croire que la Grande Robe, elle aussi, n'était pas fâchée d'y
trouver prétexte pour agiter ces arcana imperii dont le Conseil du Roi
était si jaloux. Nouée aux affaires les plus importantes de l'Europe
d'alors, la question des Jésuites, de leur expulsion, de leur retour, relevait
à tous égards de la raison d'Etat.
Par l'édit de Rouen, qui tient pour négligeables les éloquentes diatri-
bes imprimées par Arnauld ou Pasquier, et qui marque avec une certaine
brutalité les limites de la compétence des magistrats, Henri IV indique
clairement à ses anciens amis que le domaine politique est désormais
réservé au Roi et à son Conseil. Les affaires de l'Etat ne sont plus
prétextes à débats publics. Le Forum qu'Henri Ill, avec ses Etats Géné-
raux, n'avait que trop ouvert, est fermé. Le Royaume ressemblera en
somme à l'Empire tel que le décrit le Dialogue des Orateurs. Chose
curieuse, le Roi, qu'irrite l'éloquence politique, apprécie l'éloquence épidic-
tique, celle des prédicateurs de la Cour tels que le P. Coton, celle d'Ar-
nauld lorsqu'il se borne à faire l'éloge d'un pair de France, devant le
Parlement réuni en séance d'apparat H. Le chef des Politiques, De Thou,
était un humaniste trop averti pour ne pas comprendre de tels symptô-
mes: nouveau Tacite, il choisit le détour de l'Histoire pour réaffirmer le
sens du combat mené contre la Ligue, et dans un style bref qui sentait son
Caton et son Thrasea Paetus 15.

NN. SS. du Parlement de Paris, «Villefranche », 1599. Autre réoonse de


Richeome aux Recherches: La chasse au renard pasquin ... , «Villefranche »,
1602. Garasse répondra de son côté aux Recherches dans sa Recherche des
recherches, Paris, 1622.
14 Voir Arnauld d'Andilly, Mémoires, coll. Michaud et Poujoulat, 2' série,
IX, Paris, 1851, p. 408.
15 Voir la préface de l'Historia sui temporis, ouvr. cit.
JESUITES ET GALLICANS 239

L'édit de Rouen, qui faisait d'une pierre deux coups, n'en visait pas
moins d'abord les Jésuites. Ceux-ci, pendant la guerre de succession
dynastique, avaient apporté leur contribution à l'éloquence ligueuse 16,
qui au nom de la suprématie pontificale et de l'orthodoxie, avait ameuté
la populace et hurlé à la mort contre le Prince hérétique. Eloquence
ecclésiastique, mais politique dans son essence, et que les tribuns de la
Fronde et de la Révolution française réveilleront sans peine, souvent dans
les mêmes églises où elle s'était exercée d'abord. Le Roi ne pouvait risquer
de voir revenir à Paris les plus savants et habiles de ces prédicateurs
sans obtenir d'eux les plus sévères garanties. Les conditions posées par
l'édit de Rouen avaient été difficilement acceptées par le Saint-Siège et
la Curie générale de la Société. Aucune fondation nouvelle ne pourra
avoir lieu sans autorisation expresse du Roi. Aucun étranger ne pourra
plus compter parmi les jésuites,de France, sauf permission royale excep-
tionnelle. Un Jésuite de poids aura en permanence résidence à la Cour
pour y répondre de la loyauté de la Compagnie envers la Couronne.
Enfin tous les jésuites français prêteront chaque année un serment de
fidélité au Roi, comme pour balancer le vœu spécial d'allégeance au
Pape 17.
De fait, la coutume du serment aura beau tomber en désuétude, la
résidence d'un otage jésuite à la Cour se déguiser en habitude de choisir
dans la Compagnie le confesseur du Roi, l'édit de Rouen faisait des
jésuites français les "clients» et les débiteurs de Sa Majesté Très-
Chrétienne qui les avait rétablis, mais qui à tout instant pouvait les
abandonner à la vindicte tenace de leurs puissants ennemis. Pour se les
attacher personnellement, à lui-même et à sa dynastie, par la reconnais-
sance autant que par la crainte, Henri IV compensa l'interdiction de
rouvrir le Collège de Clermont par la fondation d'un Collège royal à La
flèche, la ville où il avait èté conçu et où il avait passé une partie de son
enfance. Il le pourvut somptueusement, et promit de léguer à la chapelle
du nouveau collège son cœur et celui de la Reine 18.
Par ce geste de style féodal, qui ajoutait une nuance importante à
l'Edit, l'alliance entre l'Assistance de France et la dynastie de Bourbon
était scellée pour un siècle et demi, d'autant plus fertile en services
réciproques qu'elle avait été précédée, entre Henri de Navarre et les collé-
gues du P. Coton, d'une haine entachée de sang. Désormais, et même
sous Richelieu qui ne les aimait guère, à chaque tempête soulevée à la

16 Voir A.L. Martin, Henri 1/1 and the lesuits politicians, Genève, Droz,
1973, qui étudie dans le plus grand détaille conflit entre Edmond Auger, fidèle
à Henri III et les Jésuites ligueurs, et dans Fouqueray, t. Il, p. 27'i et suiv.
le témoignage de Pontus de Tyard, cité d'après le ms. B.N. !.fr. 15.781,
f" 332 et suiv.
17 Sur les dispositions de l'Edit de Rouen, voir Fouqueray, ouvr. cit., t. Il,
p. 655 et suiv.
18 Sur la fondation du collège de La Flèche, voir Camille de Rochemonteix,
Un collège de Jésuites aux XVII' et XVIIl' siècles, Le Collège Henri IV de
La Flèche, Le Mans, Leguicheux, 1889, t. l, ch. III, p. 63-122.
240 LES STYLES JÉSUITES

Sorbonne ou au Palais de Justice par quelque ouvrage jésuite d'inspira-


tion ultramontaine, l'autorité royale saura limiter le zèle des magistrats
et docteurs gallicans, tout en· rappelant les Jésuites français à leurs
devoirs - et même à leur dette - envers la Couronne de saint Louis. Et
ceux-ci ne lui marchanderont pas leur reconnaissance. Le culte gallican
de la Royauté était un culte grondeur, hérissé de réserves chicanières,
irrité par l'exercice de cette même puissance souveraine que, par méfiance
envers Rome, il exaltait en théorie. A partir de 1604, les Jésuites français
n'eurent donc nulle peine à vaincre les orateurs gallicans dans un vérita-
ble concours à qui irait le plus loin dans la louange du Roi: odes, élégies,
épopées, panégyriques, généthliaques 19, épithalames, lettres de conso-
lation "et oraisons funèbres, renouvelant la générosité verbale des sophiste5
pour les Empereurs romains 20, paieront à l'envi, en latin comme en fran-
çais, le tribut que la Société doit à la dynastie régnante pour la protection
et les faveurs reçues.
Le culte de louanges rendu à Henri IV au Collège de La Flèche, à
Louis X \II , Richelieu et Louis XIV au Collège de Clermont, transposent
au service de la « religion royale» française les fastes oratoires, poéti-
ques et théâtraux que les Jésuites du Collège romain ava}ent su, depuis
Grégoire XIII, organiser autour du plus vénérable monarque absolu de
l'Europe chrétienne. Encore ce culte de louanges, aiguillonné par le
soupçon qui pèse en France sur les fils de saint Ignace, prend-il en terre
gallicane un accent plus servile, plus démesuré même qu'à Rome, où la
Compagnie a des assises bien plus solides. C'est sur le modèle de la
Pompa Regia en l'honneur de Louis XIII enfant et pUbliée à La Flèche en
1614 21 que Boisrobert composera en 1634 ses Palmae Regiae dédiées
à Louis XIIJ victorieux, et où figurent d'ailleurs plusieurs contributions
jésuites 22. A Rome, les maîtres du Collège Romain, un Reggio, un
Strada, un Galluzzi, auraient plutôt tendance, au nom du bon goût
cicéronien et chrétien, à mettre un frein aux excès de l'éloquence épidic-
tique. A Paris, les Jésuites en font souvent trop.
Dans la situation «impériale» créée sous Henri IV, puis sous Riche-
lieu, par l'absolutisme royal, les Jésuites, qui ont beaucoup à se faire
pardonner, tendent en France à défendre la position du Marcus Aper du
Dialogue des Orateurs, celle d'une sophistique déclamatoire et démons-
trative. Cette tendance est sensible dès le début du XVII' siècle, lorsque

19 Voir Carlos Sommervogel, Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, t. X ;


tables publiées par P. B1iard, S.]., Paris, Picard, 1909, «Panégyriques pro-
fanes", col. 1013-1122.
~o Sur l'art du panégyrique dans la Rome impériale, voir Méridier, ouvr.
cil., p. 9-10.
21 Pompa Regia Ludovici XIII Franciae et Navarrae Regis Christianissimi
a Fixensibus musis in Henriceo Societatis Jesu Gymnasio varis carmine conse-
crata, Flexiae, apud Jacob Rezé, 1614. Les discours et poèmes en trois lan-
gues (latin, grec, français) sont J'œuvre du P. Petau et du P. Caussin.
22 Boisrobert fut le maître d'œuvre des Palmae regiae invictissimo Ludo-
vico XIII (l praecipuis nostri aevi poetis in trophaeum erectae, Paris, 1634.
JÉSUITES ET GALLICANS 241

Louis Richeome, dans sa Plainte apologetique 23 en répon!'e au Franc et


véritable discours d'Arnauld, avait su percevoir le « virage:o qui s'impo-
sait à ses collègues pour avoir droit de cité sous les Bourbons. Il tenait
compte de la déclaration royale publiée en 1595 Contre les prédicateurs
séditieux 24 et d'un article de l'édit de Nantes, enregistré en 1598 2~, qui
excluait avec la dernière sévérité la politique de l'éloquence religieuse. Le
temps des blandices oratoires est donc venu, mettant fin aux tentations
~ démosthéniennes» d'hier.

Aussi Richeome fort habilement, accuse les Philippiques de Pasquier


et d'Arnauld de retarder d'un régime et de troubler, par leur style véhément
de tribuns du peuple, la paix des esprits que le Roi s'emploie à rétablir.
Arnauld comparait Henri IV à César, pour le mettre en garde contre les
Brutus jésuites. Richeome s'indigne: pourquoi figer le roi dans ce rôle
d'usurpateur contesté? N'est-ce pas prolonger indûment un climat de
guerre civile et maintenir le doute sur la légitimité de son sacre? « Votre
Majesté, écrit-il, n'a rien en France qu'elle ne tînt par droit héréditaire
et de sang royal 26.» La clémence envers les Jésuites achèvera de trans-
figurer le héros, conquérant de vive force son trône, en Roi l'occupant
paisiblement. Et critiquant finement le style « démosthénien » d'Arnauld,
désaccordé désormais avec le nouveau decorum absolutiste, le rhéteur
jésuite écrit: «Et semble voir qu'il est en délices quand il trempe sa
plume au sang, et qu'il est marri que vous soyez bénin 27.» Richeome
goûte l'ironie de la Providence: les avocats des Politiques, trahis par
leur éloquence tenacement « républicaine », sont mal à l'aise dans l'ordre
monarchique qu'ils ont eux-mêmes rétabli; et les anciens Ligueurs jésui-
tes, «gens de bréviaire, de livre et de plume» sont prêts à mettre au
~ervice d'un nouvel Auguste les arts de la paix.

Henri IV, qu'irritait de plus en plus le ton de remontrance stoïcienne


des sévères Politiques, fut au contraire séduit au plus haut point, avec
toute sa Cour, par l'éloquence du P. Coton 28, qui devait beaucoup plus à

23 Louis Richeome, Plainte apologctique au Roy Tres-Chrestien de France ...


contre le libelle de l'auteur sans nom intitulé le Franc et véritable discours
avec quelques notes sur un autre libelle dict le Catéchisme des Jésuites, Bor-
deaux, j. Millanges, 1603.
24 Voir Charles Labitte, ouvr. cit., J1. 341.
2~ Ibid., J1. 343.
26 Richeome, Plainte apoloRetique ... , éd. cit., p. 186. Antoine Arnauld avait
pllblié en 1590 un Antiespagnol autrement les Philippiques d'un Demosthene
françois fouchant les menees et ri/ses de Philivpe roy d'Espagne pour envahir
la Couronne de France où il prenait modèle à la fois sur les Philippiques de
Démosthène et celles de Cicéron. Richeome retourne avec habileté l'argument
de la «sévérité» à l'espagnoie des jésuites, utilisé par Arnauld l'année pré-
cédente, en accusant celt:i-ci d'a~:stérité républicaine.
27 Ibid., p. 187.
28 Sur le P. Coton, le rôle décisif que son éloquence joua dans le retour
en grâce des jésuites, et ses rapJ10rts "vec Henri IV, voir, outre P,j. d'Orléans,
La vie du P. Pierre Coton, Paris, 1688, j.M, Prat, Recherches historiques et
critiques sur la Compagnie de Jésus en France, ouvr. cit., t. l, p. 105 et suiv.,
t. Il, p. 225-253. Henri IV déclarait qu'i[ voulait les Jésuites «doux comme
242 LES STYLES JÉSUITES

la sophistique sacrée de Panigarola qu'à la gravité d'un Botero, ou à la


mesure classique d'un Reggio et d'un Strada. Cette douceur captieuse et
fleurie l'incita sans doute à pousser la noblesse de Cour à envoyer ses
fils à La Flèche: en Prince absolu fort conscient des intérêts du nouveau
régime, il vit avec plaisir les jésuites former les fils de l'Epée aux bonnes
manières oratoires, et contribuer ainsi au recrutement d'une Cour plus
docile et plus « douce », élevée dans le culte du Monarque.

2. LA RÉOUVERTURE DU COLLÈGE DE CLERMONT (1618)

Si flatteuse que fût pour l'Assistance de France la fondation du


Collège royal de La Flèche, pendant gaulois du Collège des Nobles de
Madrid et de Vienne, elle ne pouvait faire oublier aux jésuites l'humilia-
tion cruelle et les limites imposées à leur action par l'interdiction de
rouvrir le collège de Clermont. Seul un grand collège, rassemblant à
Paris les meilleures têtes de l'Assistance de France, agissant par la péda-
gogie et par le livre sur la capitale intellectuelle de l'Europe, tant catho-
lique que protestante, pouvait répondre à leur ambition.
Il est significatif que la régence de Marie de Médicis, pourtant très
favorable aux jésuites, n'ait pu leur donner gain de cause en dépit des
efforts qu'ils firent pour rouvri~ le collège sans le dire. C'est que toute
régence est l'occasion d'un renforcement des pouvoirs du Parlement, et
celui-ci coupa court à toutes les manœuvres des jésuites et de la Cour.
L'échec fut plus patent encore devant les Etats-Généraux de 1614-1615,
dont la convocation, rappelant fâcheusement les temps d'Henri III, remet-
tait en cause l'œuvre politique d'Henri IV. Le Clergé et la Noblesse
trouvèrent dans le Tiers-Etat, représenté pour l'essentiel par des robins
gallicans, une opposition irréductible à leurs projets. Le Tiers, loin
d'accepter que fussent reçus en France les décrets du Concile de Trente so,
réclamait une condamnation officielle des doctrines ultramontaines, dont
les jésuites passaient pour les théoriciens extrêmes. Pour soutenir ces

Coton» (t. IX, p. 135). Cette « douceur» qui contrastait avec la « sévérité»
à I"espagnole qu'Arnauld reproche aux jésuites (v. r.ote 2), le P. Coton la
tirait d'une éducation italienne. Né dans une famille du Forez, apparentée aux
Urfé, il entra chez les jésuites au Noviciat d'Arona, en Lombardie, en 1583.
Il eut le temps d'y voir Charles Borromée, deux ans avant la mort de celui-ci.
Il poursuivit ses études à Milan, au Collège de Brera. Il enseigna à Verceil
en 1588~1589. Il fit sa théologie à Rome au Collège Romain, sous Vasquez et
Bellarmm, en 1588-1589. Pendant l'exil des jésuites français, il rayonna en
Savoie à partir du Collège d'Avignon. Voir aussi E. Griselle, Profils de Jésuites
du XVII' siècle, Lille-Paris, Desclée. 1911.
29 Fouqueray, ouvr. cit., t. III, l. Il, «Sous la protection de Marie de
Médicis », p. 237 et suiv.
30 Voir V. Martin, Le gallicanisme politique ... , ouvr. cit., p. 4 à 12. V. ibid.,
p. 87-137. Sur l'opposition gallicane à l'introduction des décrets de Trente,
voir du même auteur, Le Gallicanisme et la Réforme catholique, ouvr. ci!.,
p. 344-395, et P. Blet, s.j., Le Clergé de France et la monarchie ... (1615-1666),
Rome, 1959, t. l, p. 3-133.
LE COLLÈGE DE CLERMONT 243
positions, le Parlement jugea utile de voter un arrêt qui confirmait solen-
nellement tous ceux qu'il avait pris jusque-là contre les Jésuites, et entre
autres ceux qui déclaraient illégale la réouverture du Collège de Cler-
1Il0nt 31.
Seul le coup d'Etat de 1617, qui chassait Concini et restaurait l'auto-
rité royale, permit aux Jésuites de triompher. Comme son père, qui par
l'édit de Rouen se conciliait les dévôts et rabattait les prétentions des
magistrats, Louis XIII, par l'arrêt qui autorisait la réouverture de Cler-
mont, s'attirait la sympathie des milieux «zélés» et posait des limites
à la puissance du Parlement, enorgueilli par son rôle durant la Ligue et
au moment de la mort d'Henri IV. Le jeune Roi, dont l'éducation religieuse
avait été confiée au P. Coton, connaissait bien la Compagnie 32. En 1612,
alors que les Jésuites menaient ardemment campagne pour la réouverture
de Clermont, il avait pu mesurer, au cours d'une visite à La Flèche, leur
capacité de célébrer la personne de son père et la sienne, et d'élever sa
noblesse dans ces sentiments. Les futurs maréchaux de Ouébriant et de
Schomberg avaient été les principaux acteurs de cette fête où, dans les
pompes d'une sorte de triomphe à l'antique, l'image héroïsée d'Henri IV
avait été proposée pour modèle à son fils 3S. Et les pièces d'éloquence
encomiastique qui remercièrent le Roi de 1617 à 1620 34 lui montrèrent
qu'il n'avait pas eu tort de s'attacher à son tour la Compagnie par la
reconnaissance. Dans une dédicace adorante au Roi, le P. Caussin
s'écriait :
Qui s'étonnera, 0 Roi, que nos volontés et nos œuvres unanimement et
moins timidement affluent vers toi, comme pour se perdre de reconnais-
sance dans leur propre source, puisque par un tel témoignage d'amour
pour nous tu as fait de nous, en toute propriété, tes esclaves.
( ... tuos nexu et mnncipio tereris 35)

Cinna parlera moins hyperboliquement, il ne répondra pas autrement à la


générosité d'Auguste. Et un peu plus loin, faisant allusion aux traités
De la Souveraineté royale que les érudits gallicans multiplient alors contre

31 Fouqueray, Ol/vr. cit., t. III, p. 345-346. C'est à la requête de l'Avocat


général Louis Servin que l'arrêt fut rendu, le 2 janvier 1615.
32 Voir Eugène Oriselle, Profils de Jésuites, ouvr. cit., ch. l, «Louis XIII
et les Jésuites» et Fouqueray, t. III, p. 322 et suiv., « Louis XIll enfant sous
la direction du P. Coton ».
33 Voir l'ouvrage cit., note 21, et l'analyse qu'en donne C. de Rochemonteix,
Le Collège de La F/èche, ouvr. cit., t. Il, V ; on trouvera t. 1 ch. IV, le récit
de la cérémonie funèbre organisée au Collège lors de l'assassinat d'Henri IV,
et l'analyse des Lacrymae Collegii Ffexiensls, commémorant la translation du
cœur du Roi à la Chapelle du Collège. Le P. Coton prononça l'oraison funèbre.
34 Voir la dédicace à Louis XII! des E/oquentiae sacrae el humanae para/-
fela, du P. Caussin, que nous citons note 35, et les Panégyriques du P. de Cres-
solles publiés à la suite des Vacation es Autumna/es du même auteur, Paris,
Cramoisy, J 620.
35 Nicolas Caussin, E/oquenliae sacrae et humanae parallela, Paris, Chap-
pelet, 1617, Epitre dédicatoire à Louis XIII, non paginée.
244 LES STYLES JÉSUITES

les prétentions du Saint-Siège, le futur confesseur de Louis XIII lui pro-


met que ses confrères sauront dignement rivaliser avec les juristes royaux
dans le chant amoebée ad Christianissimi Regis gloriam. Du point de vue
du pouvoir royal, la guerre oratoire entre robins et jésuites n'avait dans
l'immédiat que l'heureux effet d'instaurer entre eux une émulation à qui
célèbrerait avec des arguments et des louanges plus forts la Majesté du
Roi de France. Les robins mettront en œuvre leur science juridique et leur
érudition médiévaliste pour exalter au-delà de toute mesure la Couronne
de France, indépendante du Saint-Siège, garante des libertés de l'Eglise
gallicane. Les jésuites français mettront en œuvre toute leur érudition
mythologique et toute leur virtuosité oratoire pour faire du Roi Très-
Chrétien une sorte de double profane du Pape, indissociable de celui-ci
comme le reflet l'est du modèle. L'érudition juridique des uns, l'imagi-
nation métaphorique des autres, tout en se comhattant, travaillent de
concert sous Louis XIII à dessiner le cadre juridique et poético-oratoire
où Louis XIV et la monarchie absolue finiront par s'installer commo-
dément.
Utiles à la religion royale, les jésuites pouvaient aussi se prévaloir
auprès du Roi de leurs succès pédagogiques et du contraste entre le bon
ordre de leurs collèges et les désordres de l'Université. La situation n'était
pas dépourvue d'ironie: c'est en effet sur lë modèle du modus pari-
siensis 36 dont il avait pu apprécier les mérites pendant ses études au
Collège de Montaigu, que saint Ignace avait conçu la norme pédagogique
des collèges de son Institut, dans le chapitre IV des Constitutions. En
dépit de sa décadence 37, l'Université de Paris n'en restait pas moins au
XVI' siècle, la plus prestigieuse d'Europe. Et par une curieuse coïncidence,
la Ratio Studiorum, qui développait le chapitre IV des Constitutions au
point d'apparaître comme une réforme des institutions pédagogiques de
la Compagnie, fut publiée à Rome en 1599, soit un an après qu'une
commission présidée par Achille de Harlay eût publié à Paris de nou-
veaux statuts de l'Université, réformant celle-ci et l'adaptant aux temps
nouveaux 88. Il est vrai que cette commission nommée par Henri IV, et
composée de représentants des quatre Facultés (Théologie, Décret, Méde-
cine, Arts) et du Parlement (y figuraient, outre Harlay, De Thou, Servin,
La Guesle, Faucon de Ris) était entrée en fonctions en 1595, au lendemain
de l'expulsion des jésuites, tandis que la commission de réforme jésuite
s'était mise à l'œuvre à Rome dès 1585. Les jésuites sur ce point pou-
vaient revendiquer l'antériorité. Mais la principale nouveauté de la Ratio
Studiorum, l'attitude plus libérale à l'égard des « Lettres humaines ", et la
réhabilitation des régents de Grammaire et de Rhétorique placés à égalité
d'honneurs avec les régents de Philosophie et de Théologie, était une

36 Voir G. Cadina-Mir, Aux sources de la péda~ogie des Jésuites, le Modus


parisiensis, Institutum Histaricum S.]., Rome, 1968.
37 Vair Ch. Urbain, ouvr. cit., p. 1 à 7.
38 Ibid., p. 7-10.
LE COLLÈGE DE CLEl~MONT 245
chose acquise en principe dès 1535 à Paris 89. Entre la vieille Université
de Paris, autrefois pontificale, et les collèges de la Compagnie de Jésus,
qui avaient les faveurs de la Papauté, s'instaure à la fin du XVI" siècle
une rivalité qui persistera jusqu'à Jules Ferry et au-delà.
Ce n'est donc pas tant sur le principe de l'enseignement oratoire que
sur sa nature, sur le style pédagogique, la réputation des régents, la
qualité du public scolaire et le bon ordre des études, que se joue à partir
de 1604 la rivalité entre Université et Jésuites. Or ces derniers, en vertu
des réformes introduites par la Ratio Studiorum sans doute, mais aussi
et surtout grâce aux travaux de pédagogues intelligents comme Francesco
Sacchini, ou Jacobus Pontanus 40, mettaient à la disposition des parents
non seulement un enseignement bien gradué, des manuels scolaires excel-
lents, tel celui de Soarez, mais aussi une pédagogie de l'aemll/atio et de
la jocositas soigneusement élaborée, qui contrastait avec les alternances
de pétulance étudiante et de sévérité professorale caractéristiques de la
vie universitaire. Sur ce terrain, les jésuites remportèrent des victoires
décisives, réussissant à attirer dans les Collèges de La Flèche, puis de
Clermont, les fils de la noblesse de Cour, encouragés d'ailleurs par
Henri IV et Louis XIII. Il faudra attendre l'essor des Collèges de l'Ora-
toire, et le lent réveil de l'Université au cours du XVII" siècle, pour que
les Jésuites trouvent, dans l'ordre de l'éducation des «honnêtes gens »,
des rivaux sérieux. Mais ils avaient alors poussé de trop profondes raci-
nes, et créé en leur faveur un courant de mode trop puissant et durable,
pour que leur suprématie pédagogique à la Cour et à la ville, ravivée
par les réformes de jouvancy à la fin du XVII" siècle, fût menacée.
Pourtant l'Université, mal armée pour lutter contre les jésuites auprès
d'un public « mondain» destinant ses fils à des carrières laïques, où
l'éducation oratoire et « libérale» était indispensable, avait les moyens de
retenir à elle les candidats aux bénéfices ecclésiastiques. Dès 1566, par
une décision qui fut confirmée en 1577, et maintenue au XVIIe siècle en
dépit d'exceptions arrachées par la Cour, l'Université résolut de ne rece-
voir à la licence, non plus qu'au degré de maître, ceux qui auraient suivi
les cours des professeurs jésuites, aussi bien à la Faculté des Arts qu'en
Théologie 41.
C'était porter un coup sévère au Collège de Clermont et à l'enseigne-
ment jésuite en France en général, car les Universités de province suivi-
rent l'exemple parisien:
Tout élève, écrit Dupont-Ferrier, qui voulait entrer dans l'Eglise ou
briguer quelque bénéfice, hésitait à suivre, rue Saint-jacques, les cours
de Philosophie et de Théologie. Et quitte à rester fidèles aux tendances

39 Voir Crevier, Histoire de l'Université de Paris, Paris, Desault et Sail-


lant, 1761, t. V, p. 286, Assemblée du 10 février 1535.
40 Voir outre l'ouvrage fondamental du P. de Dainville, Les lésuites édu-
cateurs de la Société française, Paris, 1940, l'art de J. Lacotte, «La notion
de jeu dans la pédagogie des jésuites », R.S.H., n° 158, juin 1975, p. 251-268.
41 G. Dupont-Ferrier, Du Collège de Clermont au Lycée Louis-le-Grand,
ouvr. cit., t. l, p. 26.
246 LES STYLES JÉSUITES

des Pères, ils allaient suivre des leçons de l'Université. Il en résultait que
les classes de grammaire et d'humanités, presque vides dans l'Université,
regorgeaient d'auditeurs chez les Pères, où il avait fallu doubler les classes.
Quant aux classes supérieures, elles étaient désertées à Clermont, et sur-
peuplées dans l'Université 42.

Privés de public en philosophie et en théologie, les jésuites français


seront dont amenés à mettre l'accent sur ce qui est leur point fort auprés
du public scolaire, leur pédagogie des litterae humaniores et de l'art
oratoire. Les meilleurs talents de la Société auront tendance à se consa-
crer à l'éloquence, et à la pédagogie de l'éloquence, et leur succès auprés
du public destinant ses fils à des carrières profanes, à la Cour, au Palais,
ou même à l'Armée, les y encouragea encore davantage.
Ces succès sont compensés par une influence d'autant moindre au
sein du clergé. Un nombre important de ses membres instruits et doués
sera formé à des doctrines hostiles aux « nouveaux théologiens» de la
Compagnie, dont les épigones français n'ont d'ailleurs pas la stature de
leurs maîtres espagnols ou italiens. Et par la logique même d'une rivalité
institutionnelle, la théologie universitaire sera tentée, pour faire pièce aux
jésuites, de préférer à leurs thèses celles de leurs adversaires dans la
Querelle laissée en suspens par le Concile de Trente, et qui avait donné
lieu au XVI' siècle aux congrégations De Auxiliis et à un nouvel ajourne-
ment sous Paul V.
Arrimés au sort de la royauté française par l'Edit de 1603, les jésuites
après leur réinstallation sont donc amenés à se faire, en tant que péda-
gogues de l'art oratoire, en tant que prédicateurs, confesseurs et direc-
teurs de conscience, les auxiliaires de la royauté et de la noblesse de
Cour. Il importe peu que la majorité des élèves du Collège de Clermont
!j'ait pas appartenu à la noblesse d'épée, et que la majorité des lecteurs
de la Cour Sainte du P. Caussin et des Peintures Morales du P. Le Moyne
aient été des roturiers. Même dans cette hypothèse, le modéle que diffu-
sent les Jésuites est taillé aux mesures d'une noblesse de Cour promue
à la fonction d'actrice exemplaire de la vie chrétienne dans le monde.
Première version, ostentatoire et théâtrale, de cette «honnêteté» et de
cette «urbanité» qui créeront sous Louis XIV un climat aulique plus
favorable encore à l'absolutisme. Tout s'est passé sous Louis XIII comme
si les jésuites avaient voulu jouer au service de la Royauté Très-
Chrétienne, comme d'ailleurs leurs collègues romains auprès de la Curie
pontificale, et leurs cOllègues espagnols auprès de la Cour de Madrid, le
rôle des Quintilien, des Fronton, des Thémistius auprès des Empereurs
romains, pédagogues d'une élite formée à la fois à la philosophie et à
la rhétorique, orateurs chargés d'illustrer par leur éloquence le decorum
du pouvoir suprême.

42 Ibid. C'était pourtant en rival de la philosophie et de la théologie pari-


siennes que le Collège de Clermont s'était posé à son ouverture, en appelant
les meilleurs théologiens de la Compagnie, un Maldonat, un Mariana, un Bel-
larmin et plus tard un Suarez, à enseigner dans ses murs. Voir JM. Prat,
Maldonat et l'Université de Paris au XVI' siècle, Paris, 1. Lanier, 1856.
L'ADAPTATION AUX MILIEUX PARISIENS 247

3. LA MISE EN PLACE DES INSTITUTIONS JÉSUITES À PARIS

( 1,618-1643)

La chaire de théologie du Collège de Clermont ne put donner aux


jésuites français le prestige que les chaires de Salamanque ou d'Alcala
confiées aux jésuit'es avaient valu à leur Ordre en Espagne. Et la censure
du Parlement de Paris empêchait la diffusion en France des ouvrages
qui représentaient le plus ouvertement la doctrine de la Compagnie 43.
Pour acquérir l'autorité dont ils avaient besoin, les jésuites français
avaient d'abord compté, depuis 1595, sur l'éloquence en langue vulgaire
des Richeome, des Coton, des Gontery. Mais si la gLoria bene dicendi en
français pouvait suffire auprès du Roi et des gens de Cour, il n'en allait
pas de même auprès du public de Robe, c'est-à-dire de l'humanisme galli-
can. Là l'autorité intellectuelle et morale ne s'acquérait pas par l'élo-
quence seule, mais surtout par l'érudition. Pour obtenir des lettres de
créance auprès de ce milieu qui leur était traditionnellement hostile, il
fallut que les jésuites français se fissent érudits.
Les deux élites françaises, l'Epée et la Robe, exigeaient donc deux
tactiques, et deux disciplines fort différentes, pour ne pas dire incompa-
tibles. Quelle que fût la capacité métamorphique de l'encyclopédisme
jésuite, il était difficile d'être à la fois un déclamateur en français, ajusté
à 1'« ignorance» et aux modes de Cour, et un érudit en laEn, en grec, en
hébreu, capable de faire impression sur les «sçavans» du Palais de
Justice et de ses alentours. Par la force des choses, les Jésuites français
duren t se spécialiser.
Cette spécialisation, d'ailleurs relative, nous le verrons, prit tout
Ilaturellement la forme d'une répartition des tâches entre la Maison
Professe de la rue Saint-Antoine, flanquant l'Eglise Saint-Louis 44, dotée
de sa propre bibliothèque, et le Collège de Clermont, avec sa propre

43 Voir Fouqueray, ouvr. cit., t. 111, p. 237-244 (affaire du De Rege et Regis


Institufione de ]. M;triana), p. 256-267 (affaire du De Potestate Summi Ponti-
ficis de R. Bellarmin), p. 305-313 (affaire du Defensio fidei, de F. Suarez) et
t. IV, p. 140-161 (affaire du Tractatus de Haeresi de Santarelli). Voir aussi
V. Martin, Le Gallicanisme politique, ouvr. cit., ch. V et VI, sur ces affaires qui
émurent la Sorbonne et surtout le Parlement de Paris, contraignant les Jésuites
français à la défensive, voire à la rétractation.
44 Sur les institutions jésuites à Paris sous Henri IV et Louis xm, voir
E. de Menorval, Les Jésuites de la rue Saint-Antoine, l'Eglise Saint-Paul-Saint-
Louis, et le Lycée Charlemagne, notice historique, Paris, A. Aubry, 1877, Louis
Bloud, La Maison professe des jésuites de la rue Saint-Antoine à Paris, 1580-
1762, Paris, Ed. franciscaines, 1956, Pierre Moisy, Les églises jésuites de l'an-
cienne Assistance de France, t. l, Rome, Institut. Historie. S.]. 1958, Collège
p. 246-248, Maison professe, p. 248-251, Noviciat, p. 251-253. Voir enfin P.
Delattre, Les établissements des jésuites en France depuis quatre siècles, En-
ghien, Watteren, 1955.
248 LES STYLES JÉSUITF..s

chapelle et sa bibliothèque 45. La Maison Professe était située dans un


quartier qui, par tradition déjà, mais surtout par la volonté urbanistique
d'Henri IV, était la résidence à la mode de l'aristocratie de Cour 48. Et
l'Eglise Saint-Louis, non loin du Louvre, et où Louis XIII et sa Cour se
rendaient volontiers aux offices et au prône, était elle-mème tournée vers
le public mondain. Il est tout naturel que les jésuites aient concentré là
leurs profès spécialisés dans la prédication, la direction de conscience,
l'animation des Congrégations de piété, et la rédaction d'ouvrages en
langue vulgaire à l'usage des gens du monde. La bibliothèque, dont les
livres étaient somptueusement reliés, avait un caractère de prestige autant
que de travail. La décoration de la Maison Professe, la collection d'œu-
vres d'art de la Renaissance et de médailles antiques qui s'y accumula
peu à peu, le majestueux édifice que l'on fit élever, entre 1627 et 1641,
sur la rue Saint-Antoine, tout manifestait le souci d'accorder ce lieu au
decorum de la Cour de France et de la Royauté. C'était là aussi que
résidaient le Provincial et le Confesseur du Roi: la relative magnificence
de la Maison Professe et de l'Eglise Saint-Louis rendait sensibles en ces
lieux à la fois la faveur royale pour la Compagnie et l'emprise de celle-ci
sur la société et sur la Cour de France.
Le COllège de Clermont, installé depuis 1563 dans l'ancien Hôtel de
Langres, rue Saint-jacques, au flanc de la colline Sainte-Geneviève, était
en plein «pays latin» une enclave ultramontaine au beau milieu des
antiques Collèges de l'Université gallicane, Lisieux, Sainte-Barbe, Reims,
Tréguier, Rethel, Calvi, Montaigu, Navarre, Sorbonne. Il n'était pas très
éloigné du quartier Saint-André-des-Arts où se pressaient les austères
demeures des gens de Robe, à portée des imposantes masses gothiques
du Palais de justice et du Châtelet. Si la rive droite était par excellence
ce1le du Louvre et des Hôtels de l'aristocratie de Cour, la rive gauche
de la Seine était de préférence le séjour des clercs et des robins, rassem-
blés autour de leurs institutions propres, collèges, églises, librairies,
cours de justice 41. Nous avons vu avec quelles difficultés le collège de
Clermont avait fini par obtenir droit de cité dans ces quartiers, sous
protection de la Cour et de la Royauté: les tracasseries de l'Université et
du Parlement ne cesseront de lui faire sentir, tout au long du XVII" siècle,
qu'i) n'est là qu'en intrus. Aussi ne peut-il se contenter de faire fonds
sur la mode de Cour, qui joue en sa faveur rive droite, mais à son détri-
ment rive gauche, ni même sur les qualités de sa pédagogie: il lui faut

45 Sur la bibliothèque de la Maison Professe, voir Delattre, ouvr. cit.,


p. 1271. Sur la bibliothèque du Collège de Clermont, voir Systema bibliothecae
Col/errii Parisiensis Societalis Jesu, Paris, Mabre-Cramoisy, 1678. Elle é'omp-
tait en 1678 32.000 ouvrages. La bibliothèque de Guillaume Budé lui avait été
léguée par un héritier du Père de l'humanisme français, Pierre de Saint-André
de Montbrun. On sait que Ménage léguera aussi la sienne au Collège de
Clermont. Huet aura la même générosité envers la Maison professe.
48 Sur le Paris de la première moitié du XVII' siècle, voir Anne Denieul-
Cormier, Paris à l'aube du Grand Siècle, Paris, Arthaud, 1971, pourvu d'une
riche illustration. V. aussi H. Sauvai, Histoire et recherches des antiquités de
la ville de Paris, Paris, 1724.
47 Denieul-Cormier, ouvr. cit., p. 106 et 216.
JÉSUITES ÉRUDITS 24Q
forcer, autant que faire se peut, le respect des habitants de ce pays-là, et
en particulier des magistrats érudits qui, depuis la victoire des « Politi-
ques» en 1593, ont acquis un prestige moral et intellectuel comparable
à celui des docteurs de Sorbonne, et un prestige social comparable à
celui des Grands. Les Jésuites qui, rive droite, avaient compris que la
royauté restaurée exigeait une nouvelle éloquence française, plus délec-
table que véhémente, comprirent rive gauche que l'autorité de la magis-
1rature savante lui imposait de rivaliser d'érudition avec ses vieux adver-
5aires.
Lorsque le Collège rouvre en 1618, ce sont les érudits jésuites, et 110n
les théologiens, comme en 1563, qui sont mis en avant. Dès 1604, le
P. Fronton du Duc 48, nommé bibliothécaire du Collège, s'y était employé
il reconstituer un fonds de livres et de manuscrits propres aux recherches
savantes, et il avait rassemblé autour de lui une équipe de scriptores
érudits. Lui-même entreprenait dès 1609 de publier une édition monu-
mentale de saint Jean Chrysostome. Et lors de la réouverture, c'est à res
scriptores, renforcés par l'élite des régents de La Flèche, que l'on fait
appel pour éblouir aussi bien le public du « pays latin» que celui de la
Cour. Le rectorat est confié à Jacques Sirmond 49, respecté de tous pour
sa science, au point d'être reçu avec son élève Denis Petau 50 et son
collègue Fronton du Duc, dans le sanctuaire de la magistrature érudite, à
l'Hôtel de Thou, rue des Poictevins. En 1619, le préfet spirituel du Collège
est le P. Louis de Cressolles, auteur d'un recueil d'hommages funèbres à
Henri IV 51, d'une traduction latine de l'Institution Catholique du P. Co-
ton 52, et qui prépare deux savants traités publiés en 1620. La chaire de
rhétorique est confiée au P. Denis Petau, un élève du P. Sirmond déjà
célèbre pour ses savantes éditions de Thémistius et Synésius, et qui
publiera en 1620 un beau recueil de poésies latines 53. La Compagnie
mise donc sur la rhétorique latine, mais soutenue d'érudition.

48 Sur le P. Fronton du Duc, voir Southwell, ouvr. cit. s.v., Fronto Dl1caeus,
p. 268. Originaire de Bordeaux, parentem habuit ea in urbe Senatorem. Comme
Sirmond, comme Petau, comme Philippe Labbe, les grands érudits jésuites du
XVI' siècle et de la première moitié du XVII' siècle sont issus de familles de
Robe. Comme Sirmond, Fronton du Duc fut un collaborateur de Baronius, qui
fait son éloge au t. IX des Annales ecc/esiastici.
49 Sur le P. Jacques Sirmond, outre j. de Gouy, Vie du P. Sirmo/ld, Paris,
1671, voir René Kerviler, l.a presse politique sous Richelieu et l'académicien
Jean Sirmond, 1589-1649, Paris, Baur, 1876, p. 17-18.
50 Sur Denis Petau, voir Southwell, Bibliotheca scriptorum ... , ouvr. cit.,
p. 178-17Cl.
51 Orationes quibus Pompam Exequiamm atque Funus Henrici Magni Gal-
liae et Navarrae Chrislianissimi Regis moerens rohonestavit Collegium Rhedo-
nensl' Socielalis Jesu, Rhedonis (Reims), tit. Harenaeum, 1611. V. aussi, note
34, les panégyriques du même auteur publiés en 1620.
52 Pierre Coton, Institution catholique où est déclarée et confirmée la verité
de la foy contre les ileresies et superstitions de ce temps, divisée en quatre
livres qui servent d'antidote aux quatre de l'Institution de Jean Calvin, Paris,
C. Chappelet, 1610. Trad. lat. par L. de Cressolles: Institutio catholica ...
Moguntiae, sumpt. Henningii, 1618.
53 Denis Petau, Opera poetica, 1re éd. Paris, Cramoisy, 1620.
250 LES STYLES JESUITES

Pour appuyer cette rentrée en force sur deux fronts, la Compagnie


met en place son propre réseau de librairie, capable de rivaliser avec
celui de l'Université et celui du Parlement. Sébastien Cramoisy et Claude
Chappelet ~4, deux cousins dont les boutiques donnent sur la rue Saint-
Jacques, non loin du Collège de Clermont, font fortune en s'alliant au
réseau international des Collèges jésuites. Ils n'ont pas en effet, surtout
Il! premier, pour seuls clients les nombreux élèves de Clermont et de ses
ftIiales françaises, ni pour seuls auteurs les Jésuites français: en liaison
avec Rome, et entretenant une correspondance avec le Général des Jésui-
tes, Sébastien Cramoisy met à la disposition des érudits français les
ouvrages imprimés dans la Ville pontificale, ou réimprimés par ses soins
à Paris; et l'on sait l'intérêt que l'érudition gallicane porte à tout ce qui
se passe à Rome. Cramoisy établit même, pour un bref laps de temps, une
filiale à Pont-à-Mousson. La faveur de Louis XIII pour les Jésuites
- soutenus au Conseil du Roi par Sublet de Noyers - rejaillit sur
Cramoisy, qui en 1640 devient le premier Imprimeur du Roi.
Intelligemment articulées à la structure sociologique et géographique
parisienne, les institutions de la Compagnie sont donc, à partir de 1618,
en pleine possession de leurs moyens, prêtes à déployer une riche gamme
d'activités allant de l'organisation des Confréries pieuses à la direction
de conscience individuelle, de la prédication à l'apoiogétique imprimée,
de la pédagogie à l'érudition.
La Maison Professe, où résident avec le Provincial de France et le
Confesseur du Roi les Jésuites détachés de tâches pédagogiques, traite
avec les organes de gouvernement et l'aristocratie de Cour; elle abrite une
véritable académie d'éloquence sacrée en langue française, dont les
vedettes prêchent dans la chaire de l'église Saint-Paul-Saint-Louis, mais
sont aussi appelés par les curés de paroisse ou de province à donner de
l'éclat à telle fête, à telle mission.
La renommée des prédicateurs « en vogue» à la Cour attire à l'Eglise
Saint-Louis et à la Maison Professe grands seigneurs et grandes dames
que séduisent l'éloquence et la réputation de casuistes des Jésuites. La
parole publique prolonge et approfondit ses effets par la parole murmurée
du confesseur et du directeur de conscience. Elle la prolonge aussi par
le livre. Le P. Caussin, après avoir enseigné la rhétorique à La Flèche et
au Collège de Clermont et après avoir publié des ouvrages en latin,
s'installe à partir de 1620 à la Maison Professe et se consacre à la pasto-
rale en milieu mondain. Il s'adonne à la prédication de l'Avent et du

54 Voir Henri-Jean Martin, Livre. pouvoirs et société à Paris au XV/l'


siècle (1598-1701), Genève. Droz, 1970, t. l, Il' part., ch. 3, « Le roi de la
rue Saint-Jacques". Sébastien Cramoisy. p. 339-432. Voir aussi du même auteur.
«Un grand éditeur [Jarisien au XVII' siède, Sébastien Cramoisy», Gutenberg
Jahrbuch, 1957, p. 179-188. Sur Claude Cha[Jpdet, voir livre. l'ouvoirs .... OIlVr.
cit.. t. l, p. 392-460. Sur l'Im[Jrimerie rovale. voir o~ltre A. Bernard, Histoire
de l'lmprimerie royale du Louvre. Paris. '1867. le recueil L'Art du livre à l'Im-
primerie nationale. Paris, Imprimerie nationale, 1973, SllTtout p. 89-101. H.-J.
Martin, «l'Etat et le livre au temps de Richelieu :..
JÉSUITES RHÉTEURS 251

Carême à Saint-Louis. On le réclame dans d'autres paroisses. Il réussit


si bien qu'on le choisira pour Confesseur du Roi. Avant 1620, il n'a publié
qu'en latin et en grec; à partir de 1620, il n'écrira plus qu'en français le
vaste cycle de la Cour Sainte, dont le succès ne se démentira pas, eij
France comme à l'étranger, jusque sous Louis XIV.
A la génération suivante, la carrière du P. Le Moyne marque à quel
point les Supérieurs de la Compagnie sont attentifs à adapter les talents
de chacun aux besoins concrets. De 1639 à 1650, il demeure au Collège de
CJermont, d'abord comme régent d'humanités et de rhétorique, puis comme
,\criptor et concionator. On peut s'étonner qu'un rhéteur aussi mondain
n'ait pas été transporté plus tôt à la Maison Professe, où il ne s'installe
qu'en 1650, comme scriptor. C'est qu'entre temps, l'esprit de la haute
magistrature a évolué: dès la fin du règne de Louis XIII, l'antique austé-
rité de la Sparte savante s'est laissé gagner par des soucis plus mondains,
et plus proches des goûts de Cour. Le Moyne a ses entrées chez les
Séguier, les Mesmes, les Habert de Montmor. Ses prédications en style
Balzac ont grand succès dans les couvents féminins de la rive gauche,
eux aussi gagnés par la mondanité. Et sa direction de conscience touche
les grandes dames de famille parlementaire aussi bien que les dames
de la Cour. C'est à ces deux publics que s'adressent indistinctement les
Peintures morales (1640-1643).
L'esprit de Cour a désormais franchi la Seine, et le Collège de Cler-
mont, que le Roi et sa suite brillante honorent souvent de leur visite, alors
qu'ils ne se commettraient pas dans les antres du pédantisme universitaire,
se doit aussi d'avoir son rhéteur mondain en langue française. La situa-
tion n'est pas sans créer des malentendus comiques, dont Ménage s'est
fait l'écho:
Un jour, rapporte le Menagiana, que le frère portier des Jésuites ,alla
dire au P. Sirmond que des Dames le demandaient, «Mon frère, lui dit
le P. Sirmond, songez-vous bien à ce que vous dites? Des femmes me
demander! Sans doute vous vous méprenez, il faut nécessairement que
ce soit le P. Le Moyne que ces dames demandent» 55,


••
Le contraste entre Jésuites rhéteurs en français et Jésuites érudits,
est mis en évidence, de façon moins anecdotique, par leur spécialisation
linguistique: les « vedettes» mondaines, trop occupées et travaillant vite,
n'ont plus le temps, ni la «main» pour écrire en latin, ni à plus forte
raison pour traduire leurs ouvrages dans la langue savante, la seule qui
leur ouvre, sous Louis XIII, une audience internationale. Aussi sont-ce les
régents, dont le latin est entretenu par les tâches pédagogiques, voire
érudites, qui sont chargés de transposer en bonne prose cicéronienne les

55 V. Menagiana, 1715, t. Il, p. 309, dt. par Henri Chérot, Etude sur la vie
et les œuvres du P. Le Moyne, 1887, p. 21.
252 LES STYLES JÉSUITES

" conceptions» françaises des vedettes de Cour. Coton, Binet, Richeome,


Caussin, voient plusieurs de leurs ouvrages acquérir ainsi la dignité
latine 56. L'institution Catholique du P. Coton, parue en 1610, est traduite
par le meilleur latiniste de l'Assistance de Fra,nce. Louis de Cresso Iles, et
lancée en 1618 sur le marché étranger. Par Cologne, DUsseldorf, Mayence,
Ingoldstadt vers l'Allemagne, par Lyon vers l'Italie, les ouvrages « mon-
dains» des Jésuites français trouvent ainsi un plus vaste et fructueux
destin. Il est significatif toutefois qu'on n'ait pas tenté de diffuser les
traductions latines de ces ouvrages « mondains» auprès du public « sça-
vant» de l'Université et du Palais.
Grâce à la bienveillance de Louis XIII qui avait confié deux princes du
~ang, ses frères bâtards, le marquis de Verneuil et le comte de Moret GT,
au Collége de Clermont, celui-ci,honoré au surplus de visites royales, avait
les meilleurs atouts du côté de la Cour. Restait à assurer l'autorité intel-
lectuelle du COllège auprés des sourcilleux « sçavans » du quartier Saint-
André-des-Arts. Le nom des érudits qui occupaient les principales fonc-
tions et chaires y pourvoyait sans doute. Mais pour étayer plus solidement
le sérieux de la doctrine jésuite, la réouverture du Collège fut préparée
et suivie d'une offensive de librairie propre à rivaliser avec la produc-
tion de l'érudition protestante et gallicane.
Cette offensive est l'œuvre de 1'« Académie de sçavans» qui a pour
domicile le COllège de Clermont, et qui est composée non seulement des
scriptores librorum, peu nombreux, mais aussi des régents des classes
supérieures choisis parmi les plus expérimentés et les plus doctes de la
Compagnie en France. Elle se développe selon deux registres .


• tO

La philologie humaniste avait été introduite dans l'Assistance de


France par le P. Jacques Sirmond G8. Ami de Nicolas Le Fèvre, il avait

56 CAdieu de l'âme dévote de Richeome est traduit et publié à Cologne


en 1610, sous le titre Valediclio animae devotae, puis en 1617 sous le titre
De Rafione miwandi ad meliorern vitam; sa Plainte apologétique fut traduite
par André Valladier et publiée à Lyon en 1606; son Pelerin de Lorette (Bor-
deaux, S. Millanges, 1604) fl!t traduit et publié à Cologne en 1621. !.a COllr
Sainte du P. Caussin, qui fut traduite en plusieurs langues vernaculaires, connut
néanmoins deux traductions p;utielles en latin: Henri Lamormaini, Aulae
sanetae tomi primi liber tertills, Vienne, 1636-1642; Guillaume Lamormaini,
Aula impia Herodis, pia Theodoris junioris, et Caro li Magni castra, Cologne,
1644. La journée ehrestienne (Paris, Chappelet, 1628) connut deux traductions:
Dies christianus, seu Praxis vivendi, Lucerne, 1646, et par le P. Antoine Rubé,
s.j., Diarium ehristianum, Paris, 1660.
G1 Voir Fouqueray, t. Ill, p. 429.
~8 Sur les débuts de la carrière de Jacques Sirmond, voir Kerviler, ouvr.
cit. Jacques Sirmond était originaire d'une famille de Robe. Professeur de
rhétorique au Collège de Clermont, il eut pour élève François de Sales et le
duc d'Angoulême. De 1590 à 1617, il fut à Rome le secrétaire du général
Acquaviva pour la correspondance latine avec la France. Ainsi que son frère
Antoine s.j., son frère Jean joua un rôle important dans l'entourage de Richelieu.
L'ERUDITION JESUITE 253

comme celui-ci collaboré avec César Baronius à l'édification des Annales


Ecclésiastiques. Dans l'affaire de la levée d'excommunication d'Henri IV,
comme dans l'affaire Paolo Sarpi, Baronius avait pris une attitude réso-
lument irénique et amicale au point de vue gallican 59. Les opuscules
publiés par Jacques Sirmond sur les Antiquités de l'Eglise romaine, et
liés à l'atelier des Annales, visent manifestement à rapprocher le point de
vue gallican sur l'histoire de l'Eglise du point de vue romain. II a consacré
d'autres opuscules aux Antiquités de l'Eglise gallo-romaine, préparé l'édi-
tion des œuvres de Sidoine Apollinaire et d'Hincmar de Reims, publié en
1623 les Capitulaires de Charles le Chauve et de quelques rois françois
ses successeurs: la dédiant à Louis XIII, il précisait dans sa préface au
lecteur que cette édition prolongeait le travail commencé par Pierre
Pithou 60.
L'œuvre de Fronton du Duc se développe elle aussi selon des lignes
parallèles à celles de l'érudition gallicane. Son édition et traduction des
œuvres de saint Jean Chrysostome (5 vol. in-fo, 1609-1624) est à la fois
Ull ïCllfort au travail de Frédéric Morel en ce domaine de la patrologie
grecque, et une « pièce à l'appui» des Anf/ales Ecclésiastiques de Baro-
nius. Son édition de l'historien byzantin de l'Eglise, Nicéphore Calliste
(1630), et sa monumentale Bibliotheca Veterum Patrum et auctorum eccle-
siasticorum (1624) vont dans le même sens. L'érudition jésuite du pays
latin se fixe pour tâche de réconcilier Rome et Paris par la mise à jour
d'une histoire, d'une littérature et d'une doctrine sinon communes, du
moins compatibles. " s'agit en somme de filire contrepoids à l'influence
protestante sur l'érudition gallicane.
L'œuvre de Denis Petau, qui comme Jacques Sirmond appartient à une
famille de Robe, reprendra, dans le difficile domaine de la chronologie,
la tradition de son parent P. Petau 61. Mais cet élève de Jacques Sirmond
fut d'abord une sorte de Pic de la Mirandole français: helléniste, latiniste,
hébraïsant hors de pair, thèologien, philosophe, historien, mais aussi
dramaturge, poète et écrivain néo-latin, il était capable à lui seul de faire
du Collège de Clermont l'hèritier légitime du Collège royal alors en pleine
décadence. Ses premières éditions savantes, pour lesquelles il obtint l:t
collaboration de Frédéric Morel, sont en rapport étroit avec l'effort de ce
dernier, et de Fronton du Duc, pour diffuser en France la patristique grec-
que. Thémistius et Synésius, l'un païen, l'autre chrétien, sont des contem-
porains de Grégoire de Nazianze et Grégoire de Nysse. L'un offre une
version philosophique et l'autre chrétienne, de la Seconde Sophistique.
Par ce choix, le jeune Petau, par ailleurs poète et styliste exceptionnel,

59 Voir G. Calenzio, La vila e e:li serilli dei Cardinale Cesare Baronio,


Roma, Typogr. Vaticana, 1907, p. 497 et suiv. Jacques Sirmond et Nicolas
Le Fène (qui fut cert'lincmcnt l'introùucteur de l'érudit jésuite ùans le cercle
De Thou) furent des collaboratems de Baronius.
60 Jacques Sirmord, Karoli Calvi el surcessorum aliqllot Franciae regum
capi/ula ... , Parisiis. Sébastien Cramoisy, 1623. Référence à Pierre Pithou, dans
la dédicace à Louis XIII.
61 Sur Paul Petau, voir plus loin.
254 LES STYLES JÉSUITES

prenait ses distances avec la Sparte de l'érudition gallicane, pour envi-


sager avec faveur une réconciliation de la docfa piefas avec une honesfa
pulchritudo.
Pour le P. Petau cette réconciliation a un sens idéal et exemplaire.
Elle suppose, on le verra, un goût Uudicium) érudit, aiguisé par une pro-
fonde connaissance de la tradition de l'atticisme antique, à Rome et sur-
tout en Grèce. Mais pour les prédicateurs qui s'adressent en langue
vulgaire à un public « ignorant », au sens humaniste de ce terme, l'honesfa
pulchrifudo ne saurait être que celle que leur public peut comprendre et
goûter. Un Richeome imitera Blaise de Vigenère, traducteur de Philostrate,
un Garasse imitera Régnier. La culture profane à laquelle la vérité chré-
tienne doit s'ajuster pour trouver l'oreille du «monde », ce n'est pas la
culture antique, mais celle du public moderne.
Aux yeux de l'humanisme érudit gallican et calviniste, ce sens de
l'adaptation, cet éclectisme oratoire, ne sont rien d'autre qu'une sophis-
tique. La « carriére» même des jésuites, qui non seulement font tous de
solides études rhétoriques, mais approfondissent celles-ci lors de leurs
années de régence, confirme leurs adversaires dans leur soupçon: les
Collèges de Jésuites sont de nouvelles écoles de déclamation, ramenant en
plein âge chrétien les mœurs de la Seconde Sophistique. Ce «soupçon:t
va jusqu'à menacer l'autorité des jésuites érudits les plus reconnus. Dans
une polémique qu'il eut à soutenir contre jacques Sirmond, Claude Sau-
maise n'hésite pas à utiliser l'argument ad hominem:

On regrette, Sirmond, écrit-il, que tu ne te sois pas voué au métier


d'avocat sur le Forum: personne n'aurait mieux braillé que toi. Tu es
assez versatile pour cela, habile à tourner le blanc en noir, savant à
trouver des couleurs. Mais peut-être le métier d'avocat t'a semblé trop
vil: tu as préféré celui de maître d'école. Choix judicieux! Car pour
laisser de côté d'autres facilités et privilèges de ce magistère scolaire,
vous qui avez choisi de dédier vos efforts à l'éducation des enfants, vous
parlez toujours seuls; quoi que vous débitiez, personne ne vous réfute.
Les avocats n'ont pas la facilité d'être si diserts. Telle est la grande
misère de trouver qui vous réfute après que vous avez parlé ... 62.

L'avocat au Parlement de Dijon prend ses distances avec 1'« avocat


sur le Forum» : officiant dans une institution chrétienne, il n'a rien de
commun avec un déclamateur païen. A plus forte raison avec un décla-
mateur moderne dont les seuls publics sont les élèves des Collèges et ces
autres enfants que par délicatesse il ne nomme pas, les courtisans. Sous
les apparences de l'érudit, perce dOllc chez Sirmond le sophiste accoutumé

62 Claude Saumaise, Eucharisticon Jacobo Sirmondo pro adventoria de


regioniblls et ecc/esiis sUburbicariis, Paris, 1622, p. 1. Sur cette querelle à
laquelle prirent part, contre J. Gronovius et Saumaise, Jérôme Aléandre et
). Sirmond, voir Sommervogcl, t. III, col. 805. art. Sirmond, et Tamizey de
Larroque, Les correspondants de Peiresc, V, Claude de Saurnaise, Lettres iné-
dites. 1620-1637, Dijon, Darantière, 1882, p. 7 (lettre de S. à P. sur l'affaire
des régions suburbicaires).
LA RHÉTORIQUE JÉSUITE 255
à des auditoires satisfaits de peu, alors que, dans la discipline de la
justice française, l'avocat soumet ses arguments au débat avec ses collè-
gues et les juges, dans un souci commun d'établir la vérité chrétienne.
Il accepte l'épreuve de la rritique. L'érudition d'un Sirmond, dédaignant
cette épreuve, n'est en définitive qu'une «couleur» de plus dans un
discours d'essence sophistique.
Si un jésuite érudit comme Jacques Sirmond pouvait être exposé à de
tels brocards, on peut imaginer ceux que les robins décochaient aux
jésuites rhéteurs. René Pintard a rappelé le jugement cruel porté par
Naudé, futur habitué de l'Hôtel de Thou, sur l'enseignement du P. Caus-
sin 63. Aussi la rhétorique jésuite, loin d'être en France dans la position
magistrale qu'elle occupe en Italie, se voit-elle condamnée à faire sa
propre apologie. Au pays des doctes, les régents jésuites doivent s'achar-
ner à conférer des lettres de noblesse savantes à l'art qu'ils enseignent.
Entre 1619 et 1641 fleurit au Collège de Clermont un genre littéraire fort
étrange, et qui n'a pas son équivalent ailleurs: le traité de rhétorique qui,
retrouvant l'esprit des Discours platoniciens d'Aelius Aristide, est une
apologie surchargée d'autorités, et un panégyrique surchargé d'ornements,
à la défense et à la gloire de l'éloquence.
Si l'érudition du Collège de Clermont, comme l'en accuse Saumaise,
est pure tactique oratoire, inversement l'art oratoire jésuite, pour se faire
admettre des «sçavans» fra':çais, est contraint au plaidoyer érudit.
En 1619, Nicolas Caussin, appelé en renfort pour partager la chaire
de rhétorique de Denis Petau, publie ses Eloquentiae sacrae et humanae
parallela, qui créent le genre nouveau. L'année suivante, avant de gagner
Rome où il va devenir le secrétaire de Muzio Vitelleschi, le P. de Cres-
salles publie son Theatrum Veterum Rlzetorum, le premier panorama hIs-
torique de la rhétorique antique, dont Gibert, à la fin du xvII' siècle,
célèbrera encore la solidité. Il publie la même année 1620 ses Vacationes
Autumnales, la première encyclopédie savante d'actio oratoria, fondée
sur un prodigieux « fichier» de citations païennes, chrétiennes et huma-
nistes.
En 164 l, c'est au tour de P. Gérard Pelletier de prendre la relève, en
publiant son Reginae Palatium Eloquentiae.
Notre but ici n'étant pas d'étudier l'éloquence sacrée ni l'érudition
autrement que pour mieux situer la pensée des auteurs sur la rhétorique
elle-même, nous élirons parmi la production jésuite sous Louis Xlii deux
genres caractéristiques, l'un du jésuite rhéteur français, le traité d'édifi-
cation à l'usage des « ignorans », l'autre du Jésuite-rhéteur latin, le traité
d'apologétique de l'art oratoire à l'usage des «sçavans». Si l'abbé
Bremond nous a familiarisés avec le premier genre, caractéristique de
~< l'humanisme dévot », le second, ignoré par l'histoire littéraire, n'en a pas
moins puissamment marqué l'époque Louis XIII. Par leur caractère

63 René Pintard, Le libertinage érudit ... , ouvr. cit., t. l, p. 157, et note 1


de la même page.
256 LES S1YLES JÉSUITES

hybride, par leur ambition encyclopédique, ils marquent la place centrale


et unifiante que la rhétorique occupe dans la culture jésuite d'alors, lien
entre les deux Antiquités, pont entre les diverses disciplines profanes et
sacrées au service de la parole. C'est au prix d'une esthétique de la
variété, seule à même de contenir cette gamme trop riche de possibilités
expressives. Nous nous appuierons é~:alement sur les recueils d'Epistolae
et orationes, dont le genre, illustré par l'humanisme cicéronien de la
Renaissance, révèle déjà chez leurs auteurs une orientation classique
et attique. A sa manière, la rhétorique jésuite réfléchit et interprète,
parfois avec un temps de retard, les contradictions et les aspirations
du goût littéraire français.
CHAPITRE II

LES JÉSUITES FRANÇAIS ET LA SOPHISTIQUE


SACRÉE (1601-1624)

1. LES PRÉDICATEURS DE COUR, WCHEOME, COTON, BINET

Avec une large avance sur le mouvement des etudes littéraires en


France, l'abbé Bremond dès 1916 attirait l'attention du public cultive sur
les écrivains-orateurs de la Reforme catholique française sous Henri IV
et Louis XIII. Il ne prononçait pas le mot de « baroque », mais bien avant
l'essai d'Eugenio d'Ors, traduit et publié à Paris en 1936, bien avant le
grand livre d'Emile Mâle sur L'art religieux de la fin du XVIe siècle, du
XVII' et du XVIIJ' siècles, il remettait en lumière les aspects esthétiques
de l'apologétique catholique posterieure au Concile de Trente.
Non sans faire la moue quelquefois devant les «fautes de goût»
des auteurs qu'il arrachait à un profond oubli, l'abbé Bremond ne leur
en attribuait pas moins, dans l'ensemble, «tour à tour la fraîcheur de la
jeunesse, et la sagesse malicieuse du vieillard indulgent» 64, qu'il opposait
volontiers à la « retenue» et « discrétion» trop classiques d'un Bouhours.
Critique sensible et fort ennemi du pédantisme, le subtil abbé n'évo-
quait qu'en passant les « secrets de métier» de ses auteurs. Il se gardait
bien de mettre en évidence la «rhétorique» des humanistes dévots. Or
trois du moins des héros du premier tome de l'Histoire littéraire du
sentiment religieux, les Jésuites Richeome, Coton et Binet n'ont pas
hésité à s'expliquer, dans leurs préfaces, sur leurs « secrets de métier »,
avec une grande lucidité critique. Plutôt que de nous engager dans le
labyrinthe des définitions du «baroque littéraire », et sans remettre en
cause les belles analyses de l'abbé Bremond, il vaut la peine d'écouter
ce que ces écrivains-orateurs ont à nous dire sur leur art de parler et
d'écrire.


••

64 Henri Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France,


Paris, Bloud et Gay, 1923, t. J, p. 63 (le Nihil obsfaf et l'Imprimatur sont de
1916).
258 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

Nous avons vu que le P. Richeome avait promis à Henri IV, dans sa


Plainte apologétique, que ses collègues, renonçant à l'éloquence véhémente
et politique des temps de la Ligue, se convertiraient à la «douceur»
convenable aux temps nouveaux. L'année suivante, en 1601, il publie un
ouvrage intitulé Tableaux sacrez des figures mystiques du très-auguste
sacrement et sacrifice de l'Euclzaristie, qu'il fait précéder d'un A pallt-
Propos. Et là, il définit « Que c'est que figure et de combien de sortes
il y en a ». Pour lui, «figure» a un sens pour ainsi dire réversible.
Envisagée du point de vue rhétorique, ce n'est autre que l'hypotypose
ou demonstratio: «La figure, écrit-il, est une chose faicte pour en
représenter ou signifier une autre, et... s'appelle autrement peinture.»
Dans cette acception «neutre », ni profane ni sacrée, mais technique,
on peut l'entendre au sens visuel: elle donne alors « aux yeux du corps »,
elle est une «peinture muette », comme ces «visions qui se font en
l'imagination, ... corps objectés à la vue des sens intérieurs ». On peut
aussi l'entendre au sens proprement oratoire: c'est alors une «peinture
parlante », qui « donne à l'oreille », telles ces « descriptions ou fictions
verbales ... , narrations qui se font pour expliquer quelque figure artifi-
cielle, soit elle présente, ou feincte comme présente». Le modèle de notre
Jésuite est fort explicitement nommé: les Tableaux de Philostrate. «Car,
écrit-il, en iceux il n'y a ny couleur ny peinture, mais la seule parole qui
fcinct les images et figures, et dechifre les fantaisies de l'autheur comme
ayant la peinture sous les yeux 65. »
Mais il est une autre acception, morale cette fois:

C'est une chose ou une action instituée pour représenter un mystère


et si c'est un mystère ou civil ou profane, comme estoient les hiéroglyphes
des vieux Egytiens... Si c'est un mystère de religion, c'est une figure
sacrée. Ainsi la manne estoit une sacrée peinture, non de couleurs ou de
paroles, mais de signification. Cette figure est autrement nommée allegorie,
peinture ou exposition mystique, contenant en soy un sens spirituel cogneu
aux gens spirituels, et caché aux grossiers 66.

Ici, le P. Richeome ne cite pas d'autre modèle que la Bible. Mais entre
lui et la Bible les relais sont nombreux. Il se contente du plus récent. En
1593, à Anvers, paraissaient en deux tomes in-folio les Méditations sur

65 Louis de Richeome, Tableaux sacrez des fifJures mystiques du tres-


auguste sacrement et sacrifice de l'Eucharistie, Pans, Sonnius, 1601 (dédié à
Marie de Médicis), p. 4. Voir Bremond, ouvr. cil., p. 35 et suiv. Les citations
de Bremond sont de bons exemples de ces descriptions minutieuses que le
P. Vavasseur dénoncera dans son Dratia de 1636 (v. plus loin, p. 412). Nous ne
traiterons pas ici le problème des rapports entre François de Sales et les
Jésuites. Bremond, à notre sens, se hâte trop de les amalgamer, au moins
dans son t. 1. La Lettre à Mgr Fremyof est dans la plus pure tradition borro-
méenne, celle de Louis de Grenade et de Jean Botero. Elle est à ranger dans
cette résistance française à la sophistique sacrée, dont nous verrons un autre
représentant avec Antoine de Laval.
66 Ibid., p. 5.
LES PRÉDICATEURS DE COUR 259

/eS Evangiles du P. Jérôme Nadal 67 ,


un Jésuite espagnol qui avait
compté parmi les compagnons de saint Ignace. Ce livre développait, et
étendait à toute l'année liturgique, la méthode d'oraison définie par le
Fondateur pour les quatre semaines des Exercices Spirituels. Un volume
de planches gravées donnait, pour chaque évangile du jour, une illus-
tration détaillée, et pourvue, pour chaque détail, d'une lettre de renvoi.
Le second volume, à lire en regard du premier, donnait le texte de l'Evan-
gile, les explications des lettres de renvci figurant sur la planche corres-
pondante, le texte des synoptiques, un recueil de textes de l'Ecriture
Sainte se rapportant à l'épisode évangélique, et à son sens « mystique »,
et enfin une brève méditation qui pouvait servir de canevas à la prière du
lecteur.
Des Exercices Spirituels, ce livre tirait donc une rhétorique complète.
Les sources de l'invention oratoire étaient toutes prêtes: le sujet du
discours et ses «lieux» étaient en place; la disposition même était
suggérée avec insistance. L'initiative oratoire laissée aux retraitants des
Exercices par le texte fort bref de saint Ignace a fait place, à l'usage
d'un vaste public peu ou moyennement cultivé, à une intervention abon-
dante de la part de l'auteur-directeur de ces Exercices vulgarisés. Mais
l'essence même de la méthode oratoire - narratio et probafio - restait
inchangée: une « peinture muette », développant la « peinture parlante»
du texte sacré, servait de prémisse à un développement «allégorique »,
qui tire les conséquences morales et «mystiques» de la «peinture ».
Dans les Exercices, la « composition de lieu avec application des sen,> »,
sur un canevas à peine esquissé par saint Ignace, devait se nourrir de la
culture et plus généralement de la « mémoire» bien meublée du retraitant,
et prendre peu à peu «à la veue des sens intérieurs» un relief sensible
qui repoussât dans leur néant les images et les reflets du monde profane.

67 Adnotationes et Meditationes in Evangelia quae in saerosancto missae


saerificio toto anno [eguntur ... , auetore Hieronymo Natali, s.j., Anvers, Mar-
tinus Nutius, 1594. Sur la notion d'adnolatio (remarque, annotation, chez Aulu
Gelle et Pline) voir Frances Yates, L'Art de [a Mémoire, Paris, Gallimard,
1975 (éd. angl. 1966), p. 55, 63, 330 et 407. Les notae étaient des points de
repère mnémotechniques qui prenaient souvent la forme d'un symbole. L'Adno-
tafio, dans le titre du livre de P. Nadal, désigne les remarques qui attirent
l'attention sur les points esseiltiels du texte évangélique, et qui permettent
de le mémoriser, en même temps que de le mieux méditer. Dans l'appareil
visuel ajouté par l'éditeur, adnolatio prend un autre sens: les gravures sont
un autre aide-mémoire, pourvu de notae alphabétiques qui renvoient aux points
essentiels du texte évangélique. Le processus, ici tout préparé, de la meditatio,
épouse donc les différents moments du procès de création oratoire: inventio
(ce sont les synoptiques, et les citations scripturaires), dispositio (esquissée dans
le court modèle de méditation proposé), memoria. Sur le sens du mot medi-
tatio au XVI' siècle, voir Louis Martz, The Poetry of Meditation, Yale Univ.
Press, 2' éd. 1962, Part. 1. «The Art of Meditation », p. 1 à 39, tout spéciale-
ment attentif à la «méditation» ignatienne, à ses sources, à sa structure. La
notion cartésienne de « méditation» est bien évidemment une dérivation philo-
sophique (la première à notre connaissance) de l'oraison méthodique dévote.
L. Martz étudie les dérivations poétiques de celle-ci en Angleterre, de Donne
à Eliot.
260 LA SOPHISTIQUE SACRI::E (1601-1624)

Cette opération complexe de « renversement des apparences'b au profit


des « images sacrées" d'origine biblique ne pouvait être exigée que d'une
élite, et pour un bref laps de temps. Le P. Nadal, et surtout les éditeurs
de ses Méditations, ont facilité les choses, et même ils les ont édulcorées.
La plus dramatique des compositions de lieu ignatiennes, la Méditation
des Deux Etendards (qui d'ailleurs a ses sources dans l'Apocalypse, et
non dans les Evangiles synoptiques) est épargnée au lecteur dévot, ou
plutôt elle est diluée tout au long des antithèses qui rythment cette « An-
née ch rétienne ».
Les Tableaux sacrez du P. Richeome font plusieurs pas de plus vers
lé'. vulgarisation et vers l'accommodation à un public plus vaste. La
référence aux Tableaux de Philostrate nous explique comment le P. Ri-
cheome s'y est pris. Cet ouvrage du sophiste grec du Ile siècle 68, dans la
traduction qu'en 2\iait donnée Blaise de Vigenère en 1578, était un des
grands succès de librairie de l'époque. Il est possible d'ailleurs que l'ins-
piration qu'y trouvèrent les prédicateurs jésuites ait réchauffé l'intérêt du
public, car il connut en 1614 une somptueuse réédition illustrée, format
in-folio 69, qui épousait la formule des Méditations du P. Nadal : d'étour-
dissantes planches gravées, dont les plus belles ont pour auteur Antoine
Caron, le peintre de la Cour d'Henri III, aident le lecteur à se représenter
les « peintures parlantes» ouvrées par le sophiste, et donnaient du même
coup aux gloses allégoriques de Vigenère une fonction analogue aux
citations et méditations qui accompagnaient chez Nadal le texte des
synoptiques. La rhétorique de l'imagination mythologique relayait, en une
belle fugue, la rhétorique de l'imagination sacrée.

68 Sur les deux Philostrate et leur œuvre, voir Albin Lesky, A History of
greek literature, trad. angl. Londres, Methuen and Co, 1966, p. 836-838, avec
bibliogr. p. 844.
69 Les Images ou Tableaux de Platte Peinture des deux Philostrates sophis-
tes mis en français par Blaise de Vigenere bourbonnois enrichis d'arguments
et d'annotations ... et representez en taille douce en cette nouvelle édition avec
des épigrammes sur chacun d'iceux par Thomas Arius sieur d'Embry, Paris,
Guillemot, 1614, in-fol. Le mot d'annotation est à prendre ici à la fois au sens
érudit (remarque, glose) et au sens mnémotechnique (marque permettant de
retrouver un passage important), les deux sens étant d'ailleurs fort proches.
Sous l'influence probable du livre de Nadal, Thomas Artus a ajouté à cette
4: voie sèche l> de la mémoire une dimension visuelle (les tailles douces repré-
sentant les tableaux fictifs décrits par Philostrate), elle-même «annotée 'b par
une épigramme (forme particulièrement «mémorable,,) qui en résume le sens
moral. Ainsi le pouvoir de persuasion du texte de Philostrate, sa capacité de
s'imprimer dans la mémoire-imagination du lecteur est «amplifiée" par trois
moyens: 1) les gloses de Vigenère, auxquelles des chiffres renvoient dans le
texte; 2) par les tailles douces; 3) par les épigrammes. L'ouvrage, sous sa
forme dernière, a donc la fonction d'une sylva locorllm (matériaux pour l'in-
vention) particulièrement propice à être emmagasinée par l'esprit; le livre de
Philostrate-Vigenère est prêt à engendrer, selon le procès de création rhéto-
rique, d'autres livres, à nourrir d'autres discours.
LES PRÉDICATEURS DE COUR 261

La préface donnée par Vigenère à la première édition 70 de sa traduc-


tion (dépourvue de gravures comme les autres éditions antérieures à
1614) était parfaitement explicite sur le registre sophistique et asianiste
de l'ouvrage. Dans les Tableaux, expliquait Vigenère, «tout y est plein
de prosopopées, hypotyposes et ecphrases 71 : fictions de personnes, repré-
sentations au naturel et descriptions très naïves qui nous introduisent les
choses le plus distinctement en l'apprehension ». Quant à l'auteur: « Phi-
lostrate est un autheur grec, sophiste de profession, c'est-à-dire du nombre
de ceux qui s'estudioient à bien dire, mais plus mignardement assez que
ne porte la commune forme de l'oraison solue, jusques à se montrer un
peu affetez.» Avec un sens trés juste de l'esprit de la Seconde Sophisti-
que, le savant traducteur faisait remarquer que 1'« élégance de (ce) style»
était « élabouré à parangon de celuy des Poêtes, si d'aventure il ne l'est
plus ».
Cette «afféterie» embarrassait Vigenère, qui avoue avoir entrepris
cette traduction pour plaire à Henri III et à Barnabé Brisson, un des
rares orateurs du Parlement de Paris au XVI" siècle à avoir pratiqué un
style « asianiste ». Il avoue en effet que, quant à lui, il préfère se « res-
treindre, et si j'ose le dire ainsi, thucydidiser davantage, esmonder,
esbrancher, esseper tout ce vain et oisif drageon ». 11 sait fort bien que
son auteur a pratiqué « une manière de langage ... qui tient beaucoup de
l'Asiatique, l'ayant chargé de tant de synonymes et dictons ne signifians
qu'une mesme chose, qu'il en redonde ». 11 seiustifie pourtant, au nom
de l'exactitude de la traduction, d'avoir été fidèle à la manière de l'ori-
ginal, laissant au lecteur le soin de trier et « retrencher» lui-même dans
cette abondance excessive. « Icy, ajoute-t-i1, plus scrupuleux que ne seront
les auteurs de « belles infidèles", je n'ay peu moins que de me rendre
un peu affecté ou plus tost floride à la manière des Sophistes. :0
Il est vrai qu'à ses yeux cet excès d'ornafus n'est peut-être pas un
contrepoids inutile à la «vieille routine» qui empêche les Français
d'élever leur prose à la dignité de prose d'art, comparable à la prose

70 Blaise de Vigenère, Les Images ou Tableaux de Platte peinture de


Phi/ost rate Lemnien, Sophiste {!.fee ... avec des arF(uments et annotations sur
chacun d'eux. Paris, N. Chesneau, 1578, avec Epitre dédicatoire à Barnabé
Brisson. Voir Denyse MetraI. Blaise de Vigen ère, archéologue, et critique d'art,
1523-1596; Paris, Droz, 1939. Selon l'A., la traduction attrait été commandée
par Henri III (ol/vr. cit., p. 69). Vigenère, attaché à la Maison de Nevers, fit
de nombreux séjours à Rome et en Italie, au service des Clèves-Nevers, puis
à la mort du duc. François (1562) des Gonzague-Nevers et de Charles d'An-
gennes. Signalons une édition des Images ou Tableaux ... en 2 vol. à Tournon
en 1611, chez G. Linocier. avec le sigle JHS flammé des Jésuites. Une tra-
duction latine par Frédéric Morel et une pléiade d'érudits (Andreas Schott,
Palll Petau, Etienne Turnèbe, Casallbon, Florent et Claude Chrestien, Charles
Labbe) fut publiée à Paris, chez Cl. Morel, en 1608 (dédiée à Brûlart de Sillery).
71 Sur la notion d'ekphrasis, et sur la place envahissante que cette figure
descriptive tient dans la Seconde Sophistique, v. L. Méridier, L'influence de
la Seconde Sophistique sur l'œuvre de Grégoire de Nysse. ouvr. cit., ch. IX,
p. 139-152. Sur la polémique de Vigen ère contre la «vieille routine» qui a
maintenu la prose française hors de l'élégance à l'antique, voir plus haut, p. 81,
note 75, la polémique de Valla contre le préjugé médiéval hostile à l'omatus.
262 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

grecque et latine. Il suggère que l'excès même de l'art sophistique de


Philostrate, fidèlement transporté en prose française, balancera heureu-
sement la misère où celle-ci est maintenue.
Cette mèdication semble avoir eu les effets escomptés: l'œuvre de
Vigenère ne cessera plus d'être rééditée jusqu'en 1657. Ces Tableaux de
Platte peinture peuvent être considérés comme une véritable « rhétorique
asianiste» dont l'influence sur le public et les auteurs de la fin du XVI"
et du début du XVII' siècle ne saurait être surestimée, aussi bien à titre
de modèle pour les uns que de repoussoir pour les autres. Le succès de
l'œuvre auprès des mondains a certainement encouragé les prédicateurs
et apologistes jésuites, de Richeome à Le Moyne, à composer des ouvrages
qui tournent ad majorem Dei gloriam la rhétorique de l'imagination
rr.ythologique et profane qui avait fait ses preuves avec les Tableaux .


••
Avec ses Tableaux sacrez, Richeome n'avait d'ailleurs pas épuisé cette
riche veine. En 1611, il publie La peinture spirituelle, ou l'art d'f/dmirer,
aimer et louer Dieu en toutes ses œuvres 72. Sa méthode s'est encore appro-
ïondie. En un certain sens, elles est plus proche encore que dans le livre
prècèdent des Tableaux de Philostrate. Le P. Richeome décrit en effet
les peintures ornant le Séminaire des Jésuites de Rome, à Sant' Andrea
deI Quirinale. Et il tire de ces descriptions des «gloses» morales et
mystiques. Ces tableaux ne représentent pas des scènes de la vie du
Christ, comme les Méditations du P. Nadal, mais des scènes de la vie des
saints, des confesseurs, des martyrs et des vierges, imitateurs de la Vita
Christi. La rhétorique de l'ekphrasis sophistique s'allie à la procession
platonicienne des images, sans renoncer au relief dévot des « compositions
de lieu» ignatiennes. Le P. Richeome a composé un véritable palais de
miroirs où, de réflexion en réflexion, de variation en variation, l'Exemple
du Christ se répète sous des couleurs différentes, dans des circonstances
et des paysages différents, invitant le lecteur-spectateur à la répéter à son
lour, dans le style et les circonstances qui 1ui sont propres.
Pour toucher un public nourri de romans, Richeome croit utile de coor-
donner ses descriptions avec une sorte d'intrigue assez lâche, mais non
dépourvue d'une sorte de suspens 73. Mais celui-ci, emprunté à la sophis-
tique païenne et profane, se charge d'un sens nouveau: c'est la surprise

72 Louis Richeome, La peinture spirituelle, ou l'art d'admirer, aimer, et


louer Dieu en toutes ses œuvres, et tirer de toutes profit salutère, au très-
révérend Père Claude Acquaviva ... , Lyon, Pierre Rigaud, 1611, épître dédica-
toire non pa(;(inée.
73 Voir Bremond, Histoire littéraire ... , t. l, p. 39-4l. A propos du Pélerin
de 'orete (Bordeaux, Millanges, 1604), Bremond parle à juste titre du « roman
de Lazare ». Il y a en effet dans ce livre de méditations pieuses articulées à
un « itinéraire », tous les germes du «roman édifiant» selon J.P. Camus, voire
du Bildungsroman à l'allemande. Le héros de ce pélerinage s'appelle Lazare.
LES PREDICATEURS DE COUR 263

de voir surgir des «apparences" du tableau une figure que celles-ci


voilaient et révélaient tout ensemble, et de l'apparent désordre du par-
cours une révélation progressive de sa logique cachée .


••
Ces livres de piété sont liés à la pratique orale de la prédication. Ils
s'enracinent le plus souvent dans des séries de sermons effectivement
prononcés et remaniés pour la publication. Leur style redondant et fleuri
garde la trace d'effets proprement oraux. Dans la Préface du P. Coton à
ses Sermons sur les principales matieres de la foy H cette différence
cl'optiqùe entre l'oral et l'écrit fait l'objet de judicieuses réflexions:
Il Y a beaucoup ,!e choses, écrit-il, qui plaisent estant dictes, et des-
plaisent escrites.

Il distingue le « bon style» pour la lecture, et le « bien dire» oratoire.


Le «bon style» part du «jugement", le «bien dire" de la mémoire.
L'un vient du "sec », et il engendre une «escriture limitée et serrée" ;
l'autre vient de « l'humide », et donne « carrière libre" à l'élocution.
On peut voir ici une tension caractéristique de la rhétorique des Jésui-
tes du Nord, entre la « brièveté» de l'atticisme selon Upse, et l'abondance
féconde en amplifications et en cascades périodiques de l'asianisme oral.
On peut aussi y voir la trace de deux types de public et de culture aux-
quels les écrivains prédicateurs ont affaire: public de sermon, où domi-
nent les gentilshommes, les femmes et le peuple illettrés, ou lecteurs de
romans dont la longueur est un des charmes; public des libraires, cultivé
au sens humaniste de ce terme, sensible au goût « Iipsien », et plus spécia-
lement public robin, que les disciplines juridiques et érudites inclinent à
l'atticisme.
Le P. Coton préfère insister sur les différences que l'écrit et l'oral
comportent par eux-mêmes. L'oral dispose en effet d'un registre expressif
qui manque à l'écrit: les techniques de l'acfio rhetorica, soutenant la
présence réelle de l'orateur.
Je me suis efforcé, écrit-il, de trouver le moyen qui suppleast au
défaut de l'action et de l'énergie de la voix, et qui rendist aussi nettement
les conceptions et encore plus distinctement la substance du discours. Çà
esté en gardant le mesme ordre que j'av ois tenu ès Meditations sur la
vie et la mort de Nostre Seigneur, savoir est en divisant le Sermon en
Points, Profits et Colloques. Les Points contiennent l'Exorde et la Nar-
ration; les Profits la confirmation et amplification; le Colloque la conclu-

74 Pierre Coton, Sermons sur les principales et plus difficiles matières de


la {oy faictes par le RP. Coton ... et reduicts par luy-mesme en forme de
méditations, Paris, S. Huré, 1617. On remarquera la réversibilité du sermon
(oratio au sens «forensique») et de la «méditation" (oraison au sens inté-
rieur) ; la traduction, de l'oral à l'écrit, de l'audition à la lecture, exige une
« réduction ».
264 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

sion qu'ils appellent vulgairement peroration. D'où aussi peut revenir une
grande commodité, qui est que par ce moyen, les plus difficiles matières
se rendent intelligibles, estant estalées en sections, et articulées en para-
graphes.

Ainsi la traduction de l'oral en l'écrit consiste en un émondage de


l'aspect imaginatif et sensible du discours, pour insister sur ses articu-
lations logiques. Le P. Coton se place ici à l'intérieur de la rhétorique des
Exercices Spirituels qui comportent en effet ce double versant 75. L'oral
insiste sur le premier, l'écrit met en évidence le second. Du même coup, on
passe des effets asianistes les plus expressionnistes à une relative écono-
mie de moyens, que la pesanteur scolastique du procédé cotonien nous
interdit toutefois de nommer « atticisme », et encore moins attique .

•••
Le P. Richeome et le P. Coton étaient restés dans le domaine de la
« peinture spirituelle ». Avec le P. Binet, la technique de la «peinture»
est tentée d'oublier le spirituel, c'est-à-dire l'art de toucher les cœurs,
pour se faire admirer elle-même, et se poser en principe de fabrication
rhétorique.
En 1621, ce Jésuite considérable 76 publie son Essay des Merveilles de
Nature et des plus nobles artifices qu'à juste titre l'abbé Bremond arracha
à l'oubli, en le rattachant à la tradition de François de Sales et de son
Introduction à la vie dévote. De fait, dans un désordre qu'annonce et
justifie le titre d'essay, qui renvoie à Montaigne, ce recueil contient une
anthologie encyclopédique de «peintures », dont la variété peut égaIe-
ment se justifier de la préface de l'Introduction:
La bouquetière Glycera savait si proprement diversifier le disposition
et le mélange des fleurs, qu'avec les mêmes fleurs elle faisait une grande

7" La méditation ignatienne est au confluent de nombreuses traditions de


rhetorica divina médiévales. V. A. Codina, s.j., Los origines de los Ejercicios
espirituales de San Ignacio de Loyola, Barcelona, 1926, et H. Watrigant, s.j.,
« La méditation méthodique et l'école des Frères de la Vie commune », R.A.M.
3 (1922), 135-155, 4 (1923), 13-29. Elle réussit à combiner la méthode logique
(sans image) d'un Jean Mombaer, dans son Roselum (1494), qu'analyse Louis
Martz (The Poelry of Meditation, 1962, p. 5 et suiv.) et la méthode imagi-
native d'un Ludolphe le Chartreux, dans sa Vita Christi, qui fut déterminante
pour la conversion d'Ignace à Manrèse. Il nous semble que la technique de
la « composition de lieu avec application des sens» doit beaucoup à la mnémo-
technique fondée sur l'imagination dont la tradition dominicaine est analysée
par Frances Yates (ouvr. cil., p. 68 et suiv.). Comparer par exemple la «Médi-
tation de l'Enfer» des Exercices (éd. Desclée, coll. Christus, Paris, 1960, p. 53)
et le «lieu» des régions infernales dans la Rizelorica novissima de B:lon-
compagno (Yates, p. 71). L'ouvrage de F. Yates prouve surabondamment que
le XVI' siècle s'est passionné pour toutes les formes d'ars memoriae, chapitre
capital de l'ars rhelorica.
76 Sur le P. Etienne Bin~t, voir, outre Bremond, ol/vr. cit., Southwell,
Bibliolheca Scriptorrzm, ouvr. cit., p. 747-748.
LES PRÉDICATEURS DE COUR 265
variété de bouquets; de sorte que le peintre Pausias demeura court,
voulant contrefaire à l'envi cette diversité d'ouvrage, car il ne sut pas
changer sa peinture en tant de façons comme G1ycera faisait de ses
bouquets: ainsi le Saint-Esprit dispose et arrange avec tant de variété
les enseignements de dévotion qu'il donne par les langues et les plumes
de ses serviteurs, que la doctrine étant toujours une même, les discours
néanmoins Qui s'en font sont bien différents selon les diverses façons
dont ils sont composés 77.

'François de Sales était du côté de G1ycéra, et du Saint Esprit dont la


psychagogie spirituelle obéit avec tact au principe de l'aplum. Le P. Binet
est manifestement du côté de Pausias. Comme l'a noté Gérard Genette 78,
et ainsi que l'atteste d'ailleurs le sous-titre de l'ouvrage: «Pièce tres-
necessaire à tous ceux qui font profession d'eloquence~, l'Essay est un
traité de rhétorique dont le bouquet de «peintures» s'offre au remploi,
pourvoyant chemin faisant l'orateur paresseux d'une ample moisson de
termes rares et techniques 79, de « riches» épithètes dans la tradition du
manuel de La Porte 80, et même d'une doctrine des figures propres à
l'éloquence sacrée énoncée sous le titre d'Enrichissemens de l'eloquence.
Le livre peut être aussi goûté comme une récréation instructive, à mi-
chemin entre les Essais de Montaigne et l'Astrée, sans l'intensité philoso-
phique des premiers, ni l'imagination amoureuse du second. C'est ce qui
fit sans doute, autant que son utilité pour les prédicateurs, une part de
son succès, qui ne se démentit pas, de réédition en réédition, jusqu'au
tègne de Louis XIV. La coquetterie de se vouloir à la mode, et donc de
plaire aux gens du monde, n'est pas étrangère au P. Binet. C'est sa
manière d'obéir au précepte salésien selon lequel la dévotion n'est pas
«purement contemplative, monastique et religieuse », mais doit aussi
« perfectionner ceux qui vivent ès-états séculiers». Cette modernité mon-
daine, le P. Binet s'en flatterait volontiers: il avoue sans peine êfre
incapable de «cette piece d'eloquence qui à vray dire est le cœur et
l'âme de l'eloquence>> et qui réunirait, selon un idéal à l'antique, « la verve
de Ciceron, les foudres de Demosthene, et l'esmail d'Isocrate ». Quels
modèles s'interposent donc pour lui entre les maîtres classiques et son
désir de plaire aux gens du monde? Ceux qu'il cite, et il en cite deux:
Callistrate, un des sophistes traduits par Vigenère dans ses Images ou
Tableaux de platte peinture, dont le succès est attesté par les rééditions,

77 Introduc/iorz à la vie dévote, Préface, in François de Sales, Œuvres,


Paris, Gallimard, 1969, p. 23.
78 G. Genette, Figures, Paris, Seuil, 1966, p. 172: «la principale justifi-
cahon de son livre est d'ordre rhétorique ».
79 H. Bremond, Histoire littéraire dl! sentiment religieux en France, nouv.
éd. préfacée par R. Taveneaux, Paris, Colin, 1967, t. l, analyse admirablement
l'art de la description chez le P. Richeome, et la richesse de vocabulaire que
ces « peintures» exigent. Voir p. 65 une cit. de Richeome tirée de l'Académie
d'honneur et Qui recommande à l'orateur de connaître « les mots propres»
des arts, des sciences, ceux du « labourem », du « vigneron », du «marinier »,
du «veneur », etc.
80 Maurice de La Porte, Les Epithètes ... , Paris, G. Buon, 1571, in-S", S24 fI.
266 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

entre autres celle, in-folio et illustrée, de 1614 ; et Du Bartas, dont les


œuvres, commentées par Simon Goulart, sont un grand succès de librairie
jusqu'en 1616. Le long passage de la Semaine du poète calviniste, cité
avec admiration la fin de l'essay « Du chéval », étonne dans cet ouvrage
jésuite. Mais manifestement, pour le P. Binet, il n'est pas plus scandaleux
d'imiter un poète hérétique que des poètes païens, et il est plus opportun,
pour suivre le goût du monde, d'imiter un poète connu et apprécié que
des poètes ou orateurs ignorés. La préface Au Lecteur de Simon Goulart,
telle qu'elle figure dans l'édition de 1611 des Œuvres de Du Bartas,
révèle d'ailleurs une parenté profonde entre la rhétorique apologétique
telle que la conçoit l'humaniste protestant, et telle que la voit le P. Binet:

Entrant, écrit Goulart, dans ce riche et grand cabine! des sainc!es


Muses, certainement l'abondance des biens qui s'y rencontrent fait que
je ne sçay à quoy me prendre, et je me trouve convoitteux lorsque je tire
le pied arriere. Y sejournant, je m'estonne de tant de merveilles que j'y
contemple estallées ... Voulez-vous voir les louanges des vertus, les vitu-
peres et descrits des vices, les vives descriptions de toutes choses, les
tableaux de Nature, vous les avez icy. La vie contemplative et active, les
devoirs des Princes et Magistrats, des serviteurs de l'Eglise, des peres et
des meres de famille, des grands et petits, riches et pauvres, jeunes et
vieux, hommes et femmes, y sont richement representez en termes pro-
pres, signifians, enrichis de tout ce qu'un poëme semblable requiert.
Infinis beaux traits de toutes les parties de la Philosophie rationnelle,
naturelle, surnaturelle, de la medecine, Jurisprudence, de la science poli-
tique, militaire et oeconomique, tant ès-villes qu'ès-champs, s'y rencontrent
avec un million d'épithetes hardis, de mots heureusement treuvez et apro-
priez au sujet de ses vers, d'inventions agreables et exquises, et d'une
suite de discours agreable au possible 81.

Et Simon Goulart d'affirmer la supériorité de Du Bartas sur Homère


et Virgile, puisqu'il « précelle » les Anciens « en ce qui touche la science
du salut et la vraye Philosophie naturelle». Cette profession de foi
« moderne» n'est pas aussi polémique ni franche chez le P. Binet, mais au
fond celui-ci la partage. Pour tout le reste, sa rhétorique, et même les
termes techniques dont elle se sert (<< merveilles », «tableaux », «des-
criptions », « enrichissemens », « inventions », «épithètes hardis », «ter-
mes propres, appropriez») est analogue à celle que Goulart tire de Du
Bartas. Il n'est pas jusqu'à l'expression « suite de discours », avec l'idéal
de variété et de discontinuité qu'elle suppose, qui ne coïncide avec le style
de disposition adopté par FEssay de Binet. Cette mosaïque de descrip-
tions bariolées obéit au même goût - mais dans l'ordre du grand style -
que la mosaïque de métaphores hyberboliques dont François des Rues,
dans ses nombreux recueils de Marguerites, composait ses modèles

81 Les Œuvres de G. de Saluste du Bartas, reveueS, corrigées, augmentées


de Nouveaux Commentaires, annotations en Marge et embellies de figures sur
tous les jours de la Sepmaine ... , dernière édition, Au Roy, Paris, Jean de Bor-
deaux, 1611, in-fol., préface au lecteur non pag. de Simon Goulart.
LES PRÉDICATEURS DE COUR 267

de lettres courtisanes 82. Dans les deux cas, celui de Du Bartas et celui de
Des Rues, il s'agit d'une rémanence, à la Cour de France, du maniérisme
propre à la Cour de Nérac, au siècle précédent 83. Le P. Binet avait peut-
être tort de se croire à la mode pour suivre une mode sur le déclin. Son
succès, nous le verrons, sera assuré après 1630 dans les secteurs les plus
provinciaux et retardataires du public français. Dès 1611, l'éditeur de
Du Bartas, Jean de Bordeaux, juge bon, dans sa lettre dédicatoire au
Roi, de défendre le poète contre les accusations de «patavinité" qui
pèsent déjà sur lui à la Cour:
Mais d'ailleurs, écrit-il, les conceptions en sont si belles, l'expression
si claire et si vive, et toutes autres choses si bien ra portées à leur subject,
que considerees en un gentilhomme champestre, et d'une nation qui ne
parle pas tous jours bon françois, elles semblent plus dignes d'admiration
que de louange. Et taut confesser que s'il fust nay aussi bien en France
comme en Gascogne, et qu'il eust esté nourry en la Cour comme en sa
maison, il eust surpassé tout ce que l'art du bien dire a peu jamais ensei-
gner, puisqu'avec tous ces deffauts, estant seul et sans conversation de
personne de laquelle il peust prendre advis, il a neantmoins atteint à la
perfection des plus excellens qui s'en sont meslez 84.

Le choix des mots selon le critère non seulement de la propriété, mais


de l'air de la Cour de France, la référence à l'art de la conversation de
Cour comme critère suprême du goût, autant de principes qui menacent
la '" fortune» de Du Bartas, mais aussi celle du P. Binet.
Pour lors, ce Jésuite, dont la prose poétique et sophistique est légi-
timée amplement par la finalité des genres dévots, s'abandonne dans
l'Essay à la joie de la virtuosité pure, du morceau descriptif ciselé pour
lui-même. Il y a du Marino en prose chez Binet, ce qui ne saurait étonner
puisque Marino a pratiqué et imité Du Bartas, et que son succès de poète

8~ Sur François des Rues (1575-1633), voir M. Laisné, «Notice biogra-


phique sur François des Rues~, dans Mémoires de la Société archéologique
d'Avranches, 1859, et René Herval, «L'œuvre étrange de Fr. des Rues >,
Journal de Rouen, 14 déc. 1937. /1 est l'auteur des Fleurs de bien dire (Ire éd.
1598) et des Marguerites françoises (1605), plusieurs fois rééditées, qui fixèrent
la rhétorique de Cour sous Henri IV. Voir dans la même tradition Les Com-
pliments de la langue françoise, œuvre tres uti/ et necessaire à ceux qui sont
à la Cour des Grands et qui font profession de hanter les Compagnies. Paris.
Jean Bessin, 1630. ouvr. anonyme. La doctrine de Malherbe est une réaction
contre cette mode des «marguerites" qui vulgarise la poétique de la Pléiade,
de Desportes et de Du Bartas.
83 Voir Eugénie Droz. «La reine Marguerite de Navarre et la vie littéraire
à la cour de Nérac. 1579-1582 ". dans Bulletin de la Société des bibliophiles
de Guyenne, n' 80 et brochure tirée à part. Bordeaux. Taffard. 1964. L'in-
vasion de la cour de France par la mode littéraire gasconne apportée par
l'entourage d'Henri IV et de sa première femme rompit la tradition des
Valois. et suscita une réaction qui ne triompha que dans les années 30 du
xv 1l' siècle. Cette réaction contre les «marguerites» frappa non seulement
leurs modèles directs, tels Du Bartas. mais aussi. par extension. Ronsard.
B< Les Œuvres de G. de Sa/usfe du Bartas .... éd. cit., dédicace au Roi par
Jean de Bordeaux. non paginée.
268 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

lauréat à la Cour de France est dû pour une bonne part à ce qu'il y


apparut pour le nouveau Du Bartas, mais italien et catholique, plus « ré-
gulier» d'ai\1eurs que son prédécesseur hérétique, comme le montrera
Chapelain dans sa préface de l'Adane. Faute de pouvoir se réclamer de
l'autorité des poètes païens classiques, de Cicéron, de Démosthène ou
d'Isocrate, le P. Binet légitime la modernité de sa prose par l'exemple de
François de Sales, dont il cite la «bouquetière Glycera », et celui des
Pères de l'Eglise, qui empruntèrent aux techniques «modernes» des
sophistes de quoi «narrer la gloire de Dieu» :
Les 55. Peres, écrit-il, ont fait avec la Nature comme le peintre avec
la bouquetière, dont il admiroit les beautez. Elle enfiloit des chapelets de
fleurs en cent mille façons, et luy avec son pinceau en cou choit tout autant
sur ses tableaux et ne sçavoit qui avoit gagné, elle en faisant, ou bien
luy en peignant ses ouvrages l'un et l'autre du tout mignardement. La
nature esmaillant les campagnes, les Peres f1eurdelysant leurs escrits,
contretirant toutes ses mignardises, ont fait un si noble parallèle de beauté,
que de vray ce sont des miracles, et tous deux sont plus beaux l'un que
l'autre; Mais quelle vergongne qu'on ne sçait pas parler de ces belles
beautez, et quelle fantasie de sçavoir leurs noms en Grec et en Latin,
et en Françoys ne sçavoir ny les noms ny les parties des fleurs, ny parler
de choses si delicates et si ordinaires... 85.

L'artifice des Pères a rivalisé avec les « merveilles» de la Nature créée


par Dieu: le P. Binet veut que l'éloquence française soit en état de les
imiter, et lui en fournit des exemples. Son anthologie, héritière des
« Miroirs» médiévaux, vise donc par un double mouvement à rassembler
pièce à pièce les éléments d'une description encyclopédique de la Nature
et de l'Art humain, et à réunir dans les diverses fleurs du bouquet les
différents langages, techniques, artisanaux, qui font de la langue fran-
çaise elle-même le miroir à facettes de la diversité du monde et de
l'homme. Emaux cloisonnés, marquetteries, mosaïques, pierres taillées,
retables et théâtres à compartiments, autant d'analogies, dans l'art déco-
ratif du temps, de ce livre d'« essays» discontinus, parsemés au surplus
d'énumérations, de paragraphes soigneusement séparés par des chiffres:
comme les cabinets de curiosités, ou les «chambres de merveilles », ce
recueil de descriptions se veut résumé du monde et de l'esprit inventif de
l'homme, saisis dans leurs emblèmes. La sophistique maniériste du P. Bi-
net est au service d'un grand geste d'inventaire et de célébration du monde
d de la langue française, reCO'1nue apte à cette vaste et minutieuse saisie.
A l'intérieur de ce « chef-d'œuvre» d'artisan, d'ornemaniste encyclo-
pédique, un compartiment est réservé aux Enrichissemens de l'elaquence,
miroir sorcière au fond de ce cabinet Louis XIII de ce qui, pour Binet
comme pour le P. Strada, est le genre suprême du discours, le sermon.
Ce répertoire de quinze figures de pensées pourrait sembler incongru

85 Etienne Binet, Essay des Merveilles de nature et des plus nobles arti-
fices, pièce tres-necessaire à tous ceux qui font profession d'eloquence, Rouen,
R. de Beauvais, 1621, p. 145. (Treize éditions, tant rouennaises que parisiennes,
se succédèrent jusqu'en 1657.)
BINET: «ESSAY DES MERVEILLES» 269

parmi les descriptions de chasse, fleurs, fruits, jardins, oiseaux: elles


sont en fait organiquement liées à celles-ci dans la même exposition d'une
rhétorique sacrée. Les descriptions, que nous pourrions prendre pour des
., morceaux» de «littérature» sont en fait des ornements hiéroglyphi-
ques, destinés à prendre place, au titre de métaphores, dans l'exégèse des
vérités de la foi. Et les figures de pensée décrites dans les Enrichissements
sont les éléments moteurs destinés à animer le spectacle visuel évoqué
par la parole du prédicateur. La Prosopopée? Par une merveille qui tou-
che au miracle, cette figure donne voix à « ce qui ne peut parler », person-
nifications allégoriques, êtres inanimés (rochers ou plantes), êtres invisi-
bles du monde spirituel (a:1ges, démons, élus, damnés, martyrs chrétiens,
sages païens), voire, plus admirable encore, les morts eux-mêmes qu'elle
a pouvoir de ressusciter, telle Mauvais Riche à qui l'on peut faire prêcher,
« tout paré de flammes ", du fond de l'Enfer, la repentance à l'auditoire
des pécheurs vivants 86. Autour de cette figure centrale, toute une cons-
tellation s'organise: l'Interrogation, qui permet à l'orateur sacré de dialo-
guer avec la prosopopée qu'il a lui-même suscitée; l'Apostrophe, qui lui
permet de faire dialoguer en s'interpellant, deux prosopopées, par exemple
celle des damnés et celle des élus. Par ces trois figures, la parole de
l'orateur se dédouble, se multiplie, engendre une foule de voix qui parlent
au sein de sa parole, y franchissant les frontières de l'absence et de la
présence, de la mort et de la vie, de l'inanimé et de l'animé, des Enfers et
du Ciel. Par d'autres figures, ce dialogue choral se voit doté d'un décor,
Jeu de miroirs entre les différents registres du visible et de l'invisible.
L'Hypotypose « propose le fait devant les yeux ", représentant à sa guise
« un naufrage, un caractère vicieux, un martyre, une bataille, un banquet,
un Paradis, un Temple, un Printemps, un homme qui meurt: Voyez ce
pauvre cadavre, ces yeux ensevelis, avant que d'être morts, le visage de
cire, les joues cousues de peau, le tempes creuses ... »87. L'Ethopée étend
le pouvoir de représenter à l'homme, à son corps, à son âme, à leurs
" façons de faire» :

Il faut narrer, écrit Binet, l'état de l'affaire, ou l'humeur, ou le naturel


de la personne, et comme avec un pinceau le naïfver et tracer pour gaigner
et mouvoir l'Auditeur.

Et les figures s'étayent les unes les autres. Telle tirade descriptive,
«peignant au vif» un caractère, commencera par une apostrophe au
public: «Le voulez-vous voir, Messieurs? », ou «Voilà-le là, ce Caïn,
avec un visage farouche ... ! » Et une série d'autres figures, la Suspension
des esprits, la Feinte de silence, l'Indulgence, l'Exclamation vigoureuse,
l'Excuse ou Repentance, le Souhait, la Transition créent autant de replis
et de ressacs d'un dialogue incessamment entretenu par l'orateur avec son
auditoire, ouvrant largement sur la salle la dramaturgie interne au dis-
cours, où s'apostrophent morts et vivants, damnés et élus, anges et

86 Ibid., p. 450.
87 Ibid., p. 451.
270 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

démons. En dernière analyse, toutes les figures de cette sophistique sacrée


St: ramènent à trois: Prosopopée, Hypotypose, et Dialogisme, constitu-
tives de l'art dramatique, d'un art tout proche encore, ici, du Mystère
médiéval. Par l'énumération et la description de ces figures de la théâtra-
Iisation du discours, le P. Binet réussit à évoquer puissamment en peu
de pages, mieux que ne le ferait la lecture des sermons imprimés, ce que
pouvait être l'expérience d'une prédication sous Louis XIJJ. Il nous en
offre, en tout cas, la meilleure des clefs de lecture: reportons-nous, par
exemple, au chef-d'œuvre oratoire du Jésuite lui-même, son Oraison funè-
bre de Henry le Grand 88. A la fois chorège, chœur, et acteur ventriloque
de plusieurs rôles tragiques, l'orateur célèbre et déplore par un extraor-
dinaire concert de voix alternées la mort du héros:
Voicy le vray Hercules, qui habillé non de peau de Lyon, mais plus-
tost d'Aigneau, ou plustost de jesus-Christ, Lionceau de juda ... 89 .

Autour de cet Hercule-Christ, tandis que les Pleurs et les Regrets


allégorisés, le Ciel et la Terre, les quatre parties du Monde chantent un
motet à quatre voix, le cortège du Clergé, de la Noblesse, des Magistrats,
du Peuple, des Provinces, de France, d'Italie, Il voire de tout l'Univers
peuplé de ses trophées », sont convoqués à la méditation et à la lamen-
tation. Le décor de cette dramaturgie funèbre est « enrichi» de descrip-
tions, en fonction de métaphores, qui relèvent exactement de l'anthologie
rassemblée dans l'Essay des Merveilles: la pierre Ceraunia, l'amande,
l'alcyon, le phénix, le langage des larmes, autant d'Il incrustations» pré-
cieuses qui reflètent la diversité du monde, les correspondances entre le
plan spirituel et le plan du sensible, conférant à l'architecture de la
scène et au drame lui-même sa signification cosmique. Ce sont bien là les
« pierreries» dont il est question au ch. III de l'Essay:

Ce qui rend le stile precieux, ce sont les Pierreries, mais quand elles
sont bien enchâssées dans le discours et qu'elles sont bien à leur jour:
il semble que toute la Nature soit raccourcie et comme resserrée en petit
volume dans un bouton de pierrerie. Ces petites étoiles de terre font
reluire à merveille l'éloquence comme les Diamans sont enchâssez dans
le firmament 90.

Vénerie, fauconnerie, orfèvrerie, fleurs, oiseaux, poissons, métaux,


armoiries, musique, mathématiques, broderie, autant de répertoires de
métaphores emblématiques, renvoyant l'esprit ébloui de l'auditoire, sous
la diversité infinie du visible, au sens invisible et divin du monde.

88 Recueil des œuvres spirituelles du P. Etienne Binet ... , Paris, Richard


Lallemant, 1620, p. la et suiv. (d'àbord publiée dans le recueil de G. du Peyrat,
Paris, Estienne, 1611 : voir les travaux de j. Hennequin, Henri IV dans ses
oraisons funèbres, Paris, Klincksieck, 1977 et Les oraisons funèbres d'Henri IV,
les thèmes et la rhétorique, Lille, Service de reproduction des thèses, 1978,
2 vol.).
89 Recueil ..., éd. cit., p. 12.
90 Essay ..., éd. cit., p. 144.
BINET: c ESSAY DES MERVEILLES:t 271

Autant de langages techniques - celui des sciences et des métiers


comme celui du blason - qui « enrichissent» la langue naturelle, comme
autant de facettes biseautant le miroir offert au Verbe divin. Il n'est pas
jusqu'au «stile du Palais », dans sa rocailleuse abstraction gothique,
qui ne puisse servir de carrière à ce grand style foisonnant. L'Essay est
d'ailleurs dédié au Premier Président Nicolas de Verdun, un ancien élève
des Jésuites, choisi par la Cour de préférence à jacques-Auguste de Thou,
à la grande satisfaction de la Compagnie. En dépit des espoirs de récon-
ciliation avec le Parlement de Paris qu'avait permis l'élévation de Verdun,
«Bouche d'Or et Oracle du Parlement », «Hercule Gaulois », notre
jésuite ne peut s'empêcher d'ironiser gentiment, sous de feints éloges, sur
la justice du Palais:
C'est un labyrinthe, où Minos vous attend à gueule béante, que la
chicane d'aujourd'huy; on feroit douze grands tomes des termes, des
fuites, des finesses, des remises, des souplesses, des surprinses, des tours
et des retours des procez. C'est la vraye pierre philosophale, et la sublime
Alquemie pù, à force de souffler et causer, de l'ord on fait de l'or, et
tout se metamorphose en argent... Mais si faut-il advouer tout rondement
que l'Eloquence aujourd'huy ne paroit que dans les Parlemens, et dans
les chaires où les Prédicateurs l'employent ; d'abondant, il faut confesser
franchement que des termes de Palais comme d'une riche carriere nostre
Eloquence françoyse puise mille et mille diamants, et traicts riches de
bien dire qui sont autant d'estoilles enchassées dans le firmament d'un
noble discours. Je ne dis pas qu'il faille follement faire parade de mille
petites particularitez qui sont bonnes pour de petits clercs de Notaires .. .
Il faut mespriser tout cela et choisir de plus nobles façons de bien dire .. .
Cet Essay que je vous présente aidera à desrouiller vostre esprit... 91.

Il est difficile de mêler plus ouvertement satire et flatterie.


On imagine le haussement d'épaules des Catons gallicans à cette
tentative de réduire leur langue professionnelle, leurs forensia, taxés de
</: finesse» sophistique, au rôle d'ornement, au même titre que la vénerie

et la passementerie, d'une éloquence plus « elabourée ». Ces agaceries du


P. Binet n'ont fait que renforcer leur détermination de résister à la
séduction des Jardins d'Armide jésuitiques.

••"
On l'aura observé: si les jésuites français du début du siècle sont des
virtuoses de la prose oratoire, en matière d'imitation, ils n'ont rien de
« cicéronien », au sens d'atticisme pour happy few que ce mot avait pris
à Rome au début du XVI' siècle et qui gardait au début du XVII" siècle sa
valeur de référence aux yeux des jésuites romains. Sont-ils du moins
~ cicéroniens» au sens nouveau conquis en Italie au cours du siècle
précédent, et qui autorisait, outre l'éclectisme de l'imitation, une gamme
d'expressivité plus vaste?

91 Essay ... , éd. dt., p. 324.


272 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

Pour répondre à cette question, il faut tenir compte du fait qu'ils


parlent et écrivent en langue vulgaire, à l'intention d'un public avide
d'éloquence et de spectacle, mais peu initié aux recherches érudites et
aux débats en latin sur la rhétorique. Le concept d'imitatio adulta et
multiplex, transposé en français, autorise les orateurs sacrés à amal-
gamer à leurs modèles antiques l'expérience récente des auteurs français
à succès, plus familiers à leur public: poètes comme Ronsard et Du
Bartas, prosateurs comme Vigenère. Bien que servant avec gravité la
langue vulgaire, ces orateurs sacrés ne la croient pas capable de « cette
piece d'eloquence qui est à vray dire le cœur et l'âme de l'eloquence », et
qui est réservée à la langue latine: cela autorise une casuistique de l'imi-
tation plus laxiste que ne l'envisageait Upse. Par ailleurs, ils œuvrent
loin de Rome, cœur de la tradition cicéronianiste. Dans leur Assistance
provinciale, ils ne croient pas possible d'ignorer les traditions locales, ni
les influences de traditions voisines, Espagne et Pays-Bas espagnols. Un
des modèles dont s'est servi le P. Binet dans son Essay n'est autre que le
De Usu Demonstrationis (<< Technique de la description ~) du Jésuite
sévillan Melchior de la Cerda, réédité à Cologne en 1619 sous le titre de
Campus Eloquentiae (<< Prairie de l'Eloquence») 92. Comme pour Binet,
la rhétorique s'est restreinte chez La Cerda à l'art de la «peinture par-
lante ». Plus systématique, plus pédant que l'Essay, le traité du Jésuite
espagnol offrait aux prédicateurs une masse énorme de descriptions tou-
tes prêtes, qu'il ne restait plus qu'à «enchâsser », avec les variantes,
amplifications et exégèses convenables, dans le discours.
Sortis de la bibliothèque et de la salle de cours pour haranguer un
public « ignorant », les prédicateurs jésuites ont donc eu recours à une
rhétorique de l'imagination et du pathétisme théâtral plus propre à l'effet
immédiat et oral qu'à la lecture méditative. Leur style écrit se ressent
fortement des habitudes contractées devant des élèves, puis devant un
public de grands enfants. Le P. Coton, dans la préface que nous avons
citée, a bien senti que le passage de l'oral à l'écrit n'allait point de soi.
La solution qu'il proposait, outre qu'elle suppose la priorité du premier,
réduit le second à une version desséchée, deshydratée, de l'abondance
généreuse de l'oral. Les techniques de la prose écrite que méditent, d'après
l'antique, les plus sensibles et érudits spécialistes de la rhétorique, de
Vettori à Upse, lem échappent: c'est pourtant dans le De Elocutione
de Démétrius de Phalère, où la prose est traitée non à gros traits, pour
un effet d'optique grossissant et théâtral, mais <lvec le raffinement subtil
et simple qui délectera le lecteur attentif, que la prose du XVII", celle de
la conversation élégante comme celle de l'art épistolaire, va trouver le

92 Usus et exercitatio Demonstrationis al/dore Melchiore de la Cerfia.


(pl. 26), s.j., Hispali Eloquenfiae pro/essore, Hispali, R. Cabrera, 1598. Rééd.
et augmenté sous le titre Orationllm sive Eloqllentiae Campi. Cologne, J. Kin-
chi us, 1619. Signalons qu'un traité de rhétorique portugais fut publié à Lyon,
en 1635. sous le titre Viridiarillm sacrae et pro/anae eruditionis (Priv. Coïmbre,
pl. 26, 1629). Son auteur, le Jésuite F. de Mendoça, était mort à Lyon cette
année-là alors qu'il se rendait à une Congrégation générale à Rome.
LA RÉSISTANCE GALLICANE: ANTOINE DE LAVAL 273
secret de l'atticisme. Nos prédicateurs jésuites l'ignorent, ou du moins se
refusent à le voir. Le tournant pris par la poésie française avec Malherbe,
par la prose française avec Du Vair, Coëffeteau et Balzac, n'attire pas
assez leur attention. Leur rhétorique est trop fixée sur les figures de
pensée, sur les effets voyants qui frappent l'imagination et les passions,
pour passer du mouvement extérieur de la période et de la tirade à
l'ordre intérieur de la phrase, à l'ordre des mots triés avec goût, à
l'euphonie, à la douceur du rythme.
Ils s'exposent ainsi à une double réaction polémique d'orgueil fran-
çais. Leur sophistique sacrée ne redoute pas de donner dans la c pata-
vinité " : or la France a horreur d'être traitée en province, et de n'être, en
matière de style, qu'une version locale d'un style international dont Rome
détiendrait, en latin, la norme. Ne renonçant pas à assumer l'héritage
de la Grèce et de Rome, elle vise de plus en plus consciemment au xvII"
siècle à faire de sa langue un autre latin classique, de son style un autre
atticisme cicéronien. Trop à la mode du jour, nos Jésuites n'ont pas perçu
cette aspiration de longue durée. Par ailleurs, en s'inspirant d'une sophis-
tique déclamatoire que Vigenère lui-même, dans la traduction des
Tableaux de Philostrate, considérait comme un excès, ils s'exposent à
confirmer le préjugé du christianisme gallican et austère qui voit en eux
des sophistes, et dans la sophistique une corruption des mœurs et de
l'éloquence chrétiennes. Montaigne accusait Cicéron lui-même d'asianisme
et d'histrionisme. En 1621, l'année même où le P. Binet publie son Essay,
un «vieux François », Antoine de Laval, reprenait ce réquisitoire contre
le jésuitisme oratoire, dans une Epistre intitulée Des Predicateurs qui
affectent le bien dire, publiée à la suite de sa traduction des Homélies de
saint Jean Chrysostome 93.

•••
Bon catholique, mais aussi fidèle royaliste au temps de la Ligue,
Antoine de Laval faisait figure de sage Nestor 94, détenteur des traditions
françaises. Son jugement de gentilhomme humaniste, estimé à la Cour et
bien au-delà des frontières françaises, ne manquait pas de poids. Il entre-

93 Antoine de Laval, Homelies de Saint Jean Chrysostome, Paris, Cramoisy,


1621, p. 175 et suiv. «Des prédicateurs qui affectent le bien dire."
94 Sur Antoine de Laval, voir H. Faure; Antoine de Laval et les écrivains
bourbon nais de son temps, Moulins, Martial Place, 1870. Il avait eu pour
précepteur Papire Masson. Passionnément attaché à Henri III, rallié à Henri IV,
il était visité et consulté dans son séjour de Moulins par les plus grands per-
sonnages de l'Etat (p. 291). Son chef-d'œuvre est sans doute son Dessein des
professions nobles et publiques, dédié à Henri IV, Paris, l'Angelier, 1605
(rééd. 1612) qui, dans la lignée de Montaigne, travaille au "recyclage» de la
noblesse d'épée, pour la rendre utile au Prince et à l'Etat. Contemporain de Du
Vair, il lutte comme celui-ci contre le « mauvais goût:., en prêchant d'exemple
par des traductions. Il a traduit le dialogue Toxaris de Lucien (que son compa-
triote Blaise de Vigen ère avait traduit en 1579) et la deuxième Philippique
de Cicéron (d'après H. Faure, Ol/vr. cit., p. 440).
2ï4 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

tenait de bonnes relations avec les Jésuites de Moulins, où il résidait. Le


P. Richeome lui avait adressé des lettres élogieuses, qu'il joignit en 16\0
à l'édition de sa Paraphrase des pseaumes de David tant litleral/e que
mystique 95. Sa traduction des Homélies de Saint Jean Chrysostome va
dans le sens de la diffusion des œuvres de ce Pére à laquelle s'emploient
alors un Fronton du Duc, qui l'a édité et traduit en latin, et un Nicolas
Caussin, qui l'a proposé en modéle aux prédicateurs dans ses Eloquen-
tiae '" Paral/ela. Son Epitre n'est donc pas dirigée contre la Compagnie:
tout au plus prend-elle parti pour la tendance « sévére » de la prédication
jésuite, représentée par un Caussin, contre la tendance « fleurie» qu'in-
carne trés bien un Binet.
Mais le prétexte de l'Epître n'avait rien de blessant pour quiconque
dans la Compagnie: Laval vient d'entendre le sermon d'un jeune décla-
mateur, et celui-ci lui remet en mémoire un livre « flamboyant» d'André
Valladier, désigné sans être nommé 96. Or celui-ci, qui avait été Jésuite,

95 Antoine de Laval, Paraphrase des pseaumes de David lanl lil/erale que


mystique, avec annolations necessaires, le tout nouvellement extraict des
saincts Docteurs receuz et approuvez en la saincte Eglise catholique Aposto-
lique et Romaine, au tres-Chrestien, tres-Grand et tres-Invincible Henri IV,
Paris, Langellier, 1610. Après l'approbation des Docteurs de Sorbonne, Laval
prend soin de produire deux lettres de Richeome (Lyon, 15 oct. 1607 et Rome,
28 avril 1609) l'exhortant à publier sa Paraphrase et se félicitant des bonnes
relatious qu'il entretient avec le Collège des jésuites de Moulins (fondé par
Diane de Chateaumorand, femme d'Honoré d'Urfé). Dans sa dédicace au Hoi,
Antoine de Laval attaque ceux qui ont trad.lit les Psaumes de David «à la
lettre», et qui produisent «ce grand Roy tout nud, tout seul, sans train, sans
suitte et sans autre marque de royauté que sa réputation seule ». Et il ajoute:
«je ne l'amène pas ainsi chez vous, Sire, vous le verrez vestu à la royalle,
avec tous les ornements et enseignes convenables à sa dignité, accompagné
de tous les grands Princes chrestiens que l'Eglise ... reçoive pour Saincts, pour
Peres, et pour Docteurs.» La Majesté du Roi de France est donc le diapason
sur lequel le style en prose doit s'orienter, mais l'ornatus «royal» est moins
dans la richesse des figures, que dans l'abondance des «choses », tirées des
bonnes sources, et incrustées dans la matière des psaumes. Il y a là l'ébauche
d'une théorie de la « paraphrase », genre illustré par Vigenère avant de l'être
par Godeau et Frénicle.
96 Homélies ... , ouvr. cit., p. 195. «Il y a quelques années qu'un de ces
Messieurs (qui passe aujourd'huy pour excellent en ce mestier, et s'estre rendu
de pauvre Heligieux qu'il s'estoit voué, tres-gras et tres-riche Abbé) me vint
visiter en ma Bibliothèque, et m'apporta un sien œuvre sur l'entrée de la Royne
mère du Roy venant en France l'an 1600, œuvre à dire la vérité pleine de
tres-belles recherches d'Antiquité, embellie de toutes sOrtes d'érudition et de
doctrine, de Poesie, de Devises, d'Emblem es, d'Enigmes, de Gryphes, d'ins-
criptions, mais d'un langage si rem ply de Métaphores, de figures, si parsemé
de mots transposez, qu'estant pressé par luy mesme de luy en dire mon avis,
je fus enfin forcé de luy respondre que si nous parlions comme il escrivoit, il
nous faudroit dire que Messieurs Du Perron, Amyot, Du Vair, Coeffeteau et
les autres grandes lumières de nostre France n'avoient pas sceu nostre langue,
puisque la sienne estoit du tout différente, voir contraire à la leur, ou que sa
manière d'escrire estoit nouvelle et vicieuse, tant elle m'estoit nouvelle et pres-
que estrangère.» Sur l'ouvrage si sévèrement critiqué (Le Labyrinthe royal de
l'HerCllle Gaulois triomphant, Avignon, s.d.), voir M. Mac Gowan, «Les
jésuites à Avignon, les fêtes au service de la propagande politique et reli-
gieuse », dans Les Fêtes de la Renaissance, t. Ill, Paris, C.N.R.S., 1975, p.
153-171.
ANTOINE DE LAVAL 275
s'était détaché de la Société en 1608 et, avec l'appui des milieux parle-
mentaires de Dijon et de Lyon, probablement alertés par Peiresc, ancien
élève de Valladier 97, avait réussi à ~happer à la vindicte de ses anciens
collègues, qu'il s'était de son côté pris à haïr 98. Tout était excessif chez
Valladier, l'imagination, comme la logique acrimonieuse et retorse:
Jésuite caricatural, il offrait les traits grossis d'un «type» d'orateur
ailleurs adoucis par la discipline et la maîtrise de soi. En l'attaquant, et
avec lui un jeune prédicateur sans importance, Laval faisait plaisir aux
Jésuites, tout en donnant à certains d'entre e:Jx, par ce biais prudent, une
salutaire leçon:

Le Vice de la saison, écrit-il, le porte si avant à la recherche de


mots nouveaux, de Métaphores, de Paroles non communes, de Périodes
mesurées en cadence nombreuse d'infinis Epiphonèmes, Erotemes, et autres
figures de Rhétorique, tellement sensibles à l'oreille, que ce "ermon m'a
esté une pure Déclamation de Collège 90.

Ce déclamateur se réclame de l'exemple des Pères de l'Eglise. Mais


ceux-ci, réplique le vieil humaniste, avaient affaire à un public païen
accoutumé à la sophistique et ils devaient prouver que les chrétiens
n'étaient pas des barbares. Avec quelle vigueur, néanmoins, ils ont servi
la vérité 1 Aujourd'hui, on devrait s'en tenir à un «style didactique »,
propre aux «Sermons d'édification et d'enseignement}) 100.
n se réclame aussi du progrès des Lettres:
Quelqu'autre, écrit Laval, me pouffoit dire que les vieillards difficiles
n'aiment pas le langage fleury, riant, embelly, et paré des beaux ornc-

97 Sur André Valladier, voir Dom Calm et. Bibliothèque lorraine. col. 961-
972. Né en 1565 (?), entré dans la Compagnie en 1586. professeur de rhéto-
rique à Avignon. «il eut pour disciple M. Peiresc» (col. 962, renseignement
tiré de Gassendi, Peireskii Vit a, Paris, 1641, p. 7). En 1607, Henri IV lui
demande d'écrire les Annales de son règne, séduit sans doute par le style
épidictique du Labyrinthe! Se prétendant victime de jalousies dans son Ordre,
il le quitte en 1608. Soutenu par les milieux parlementaires de Dijon et de
Lyon. aidé par Peiresc, il se rend à Rome où il obtient gain de cause. Henri IV
lui procure l'Abbaye de Saint-Arnould à Metz. où il aura toute sorte de
démêlés avec les autorités locales (Lazare de Selve) et ses moines. Il ne ces-
sera de témoigner sa reconnaissance au Parlement de Paris. et en particulier
à l'Avocat général Louis Servin. ennemi juré des Jésuites. Il est l'auteur d'un
traité de rhétorique dédié au Parlement de Paris, les Partition es oratoriae
(Paris. Chevallier. 1621). et d'un recueil de sermons, Les divines parallèles de
la sainte Eucharistie, Paris, Chevallier, 1613.
98 Voir André Valladier, La Tyrannomanie estrangere ...• Paris, Chevallier.
1626, 1. 1. «Mes exerciccs et professions ... et les subjets et motifs qui me por-
tèrent à ne plus vivre chez les Jésuites ». à la fois autobiographie et pamphlet.
99 Antoine de Laval, Homelies ...• ouvr. cit., p. 175.
100 Ibid., p. 179. L'exemple des Pères n'est donc pas à prendre à la lettre:
ils avaicnt affaire à des païens qu'il fallait convertir, non à des chrétiens
qu'il faut édifier. \1 faut aujourd'hui extraire des Pères. purifiés de sophistique,
une Idée plus simple, plus naturelle. de l'éloquence chrétienne. Laval (p. 197)
fait état de ses relations avec Francesco Panigarola, sur lequel il rapporte un
mot très dur du Pape Paul V, qui lui conseilla d'aller à Paris étudier altro
che ciancie, se coudre la bouche, et ne parler de trois ans.
276 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

ments de tous les riches auteurs des siècles plus féconds, et resplendis-
sants de l'humanité plus polie. Que, comme le phlegme abonde en nous,
il y a cause de la pesanteur, de la lentitude, et du chagrin: dont s'ensuit
le mespris de ce qui rit et plaist aux jeunes esprits plus vigoureux et plus
capables de savourer des paroles douces, mignardes et bien peignées ...
Pourtant, que j'aime, voire avec passion, l'Eloquence et le beau langage
en prose ou en vers, mon Cicéron, mon Virgile, mon Pline le Jeune (et
peu s'en est fallu que je n'aye dit mon Ovide) m'en sont tesmoins, les-
quels souvent 'me rajeunissent...: mais je sçay faire le choix des styles
différents 101.

Antoine de Laval se réfère ici, sans le dire, à la préface des Tableaux


de son contemporain Vigenère, On s'en souvient, celui-ci se défendait de
prendre à son compte le style de Philostrate, au nom de la fidélité du
traducteur. Au nom aussi du progrès de la prose française, tenue de
s'enrichir de tous les modes de la prose d'art latine et grecque. Mais,
ajoutait-il :
La prose libre, et desreiglée affectation de langage. fut et sera tous-
jours tres vitieuse, si pour l'enrichir et haulser l'on s'emancipe plus qu'on
ne doit sans discretion. jugement ne mesme quelconque. apres des mots
insolents et enflez.

Et après le rappel à l'ordre du judicium, le grand traducteur et alchimiste


invoquait la mesure classique:
Cicéron. Hortense et Salluste. écrivait-il. pour ne s'estre du tout arrestez
a la maniere de parler des Gracques. de Crassus et d'Antonius, ne Virgile
et Horace à celle d'Ennius, et Lucilius. il ne s'ensuit pas de cela que le
stille de Sénèque, de Pline. Tacitus ou Quintilien leur doivent estre pre-
ferez. Et encore moins d'Ammian ou de Cassiodore. Ne de Lucain d'autre
part. Stace, Clau di an. ou Ausone. Car le langage tout aussi que les autres
choses humaines quand il est peu à peu arrive à sa cime. fault que de
là en avant il devalle et s'abbatardise 102.

La prose française est en route vers sa maturité: elle ne l'atteindra


qu'en correspondance avec celle de la prose latine à son apogée,
Reprenant la leçon de Vigenère, Laval pose avec vigueur le primat du
jugement 103 en matière d'éloquence. Il associe l'exercice de cette faculté
à un ingenium fondé en Il: belle nature », et ici reprend la leçon de Mon-

101 Ibid .• p. 18\. Laval se réfère ensuite à saint Augustin. qui sut parler
judicieusement, et non par pointes perpétuelles: ., au Peuple ... , d'un parler
simple. et néantmoins pur. clair et facile, bien que propre, mouelleux et signi-
ficatif; mais il parle bien d'un langage plus élabouré en sa Cité de Dieu,
autrement en ses Epistres, autrement en ses Sermons,..
102 Images ou Tableaux .... ouvr. cit., éd. 1579 cit., préface non paginée.
C'est la même méfiance que chez Laval pour la «corruption de l'éloquence»
dans la latinité tardive, même chrétienne. Mais Laval fait coïncider, comme
les rhéteurs «borroméens », l'exemple cicéronien et l'exemple augustinien pour
corriger l'influence de la sophistique païenne et chrétienne.
103 Homélies ... , ouvr. cit.. p. 193.
ANTOINE DE LAVAL 277

taigne et de Longin : «Les Maistres, écrit-il, mettent la Nature devant


l'Art et l'Exercice ». Aussi, toute cette sophistique de l'ornement, qui
s'adresse à l'imagination seule, provient du «défaut de Nature et de
jugement ». La réaction morale d'Antoine de Laval, interprète du goût de
l'élite humani~te française, allticipe sur l'esthétique de la prose qui va
triompher sous Richelieu, et prépare ce triomphe. Non que l'atticisme
classique, purifié de l'influence espagnole et italienne, et se voulant fidèle
à la Nature et au droit jugement, soit extérieur à l'art des rhéteurs: il
n'en voudra retenir que les plus nobles leçons, celles d'une Antiquité
idéalisée où les qualités du style étaient des vertus, où la leçon des
orateurs attiques et de Cicéron se conjugue avec celle du Ps. Longin, de
Démétrius de Phalère, et de saint Augustin. Cette science de la justesse
au service de la beauté répondra aux vœux que formulait dès 1621 An-
toine de Laval, qui appelait à
un style tempéré, et tellement assaisonné de franche et naïfve simpli-
cité qu'on ne lairroit pas de voir à travers un certain ornement sans
affectation, comme l'ont voulu nos plus polis Anciens.

Et il ajoutait:
Il n'y a personne au monde, avec tant soit peu de clarté d'entende-
ment, qui n'oye plus volontiers une diction pure, propre, nette et bien
significative, sans afféterie, ni trop élabourée recherche, que toutes ces
mauvaises paroles peintes, figurées, fardées et tirées à force des Antres
les plus profonds de l'obscurité mesme, pour s'esloigner du parler com-
mun ... 104 .

Qu'appelle-t-i1 fard? il j'appelle fard tout ce qui n'est pas naturel,


tout ce qui heurte le parler ordinaire, et la coustume mesme du sens
commun 105.» Il est intéressant d'observer que la simplicité dont se
réclame Antoine de Laval a bien des rapports avec le sublime d'après
Longin. Le style de l'Ecriture Sainte lui sert de référence comme le Fiat
Lux de Moïse servait de référence à Longin :
Pour expliquer ces mots de l'Evangile de Saint Marc au jour de
Pasques, orto jam Sole, il ne se feint poinet de faire le Poête et dire
ainsi: le blond Phebus des-jà commençoit à redorer les cimes sourcil-
leuses de nostre hémisphère; au lieu de dire, le Soleil estoit desjà levé;
ce dernier estoit plus court, plus propre, et plus entendu, c'est faute de
jugement 106.

Son explication psychologique du style figuré n'est pas moins perti-


nente :
Ainsi pour paroistre sçavans aux ignorans, ils paroissent ignorans et
contemptibles aux sçavans.

104 Ibid., p. lil5. Comparer avec François de Sales, Lettre à Mgr. Fremyol
(Paris, 1611), p. 5.
105 Ibid., p. 187.
106 Ibid., p. 193.
278 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

Aux ignorants de rhétorique, on offre dOllc ce qui peut les éblouir, tout
l'arsenal des «figures de pensée 1>. A ceux qui ont pénétré plus avant
dans les secrets de l'Eloquence, cette ostentation moderne fait hausser les
épaules: «C'est se prescher soy-mesme au lieu d'enseigner ceux qui
escoutent 107. »
Antoine de Laval est d'ailleurs tout le contraire d'un « anti-cicéronien »
ou d'un «sénéquiste 1>. Il voit en Cicéron un attique latin, et c'est du
De Oratore qu'il tire les plus forts arguments en faveur de sa thèse. A
ses yeux, il n'y a nulle incompatibilité entre l'enseignement de ce Cicéron
attique et l'exemple de Démosthène qu'il imita: « Il ne faut que se
laisser doucement emporter au coulant d'un beau naturel, qui est ce que
Demosthène disoit en son grec 108. »
Le point de vue d'Antoine de Laval, qui avait été un des plus sûrs
fidèles d'Henri III dans la crise qui suivit l'assassinat des Guises, n'est
pas isolé, même s'il est minoritaire. Un autre hèritier de l'époque des
Valois, le cardinal du Perron, tenait à ses intimes des propos fort analo-
gues. On lit en effet, dans le Perroniana :
Le Cardinal se moquoit fort d'une façon de parler du P. Coton, qui
en un de ses Sermons, parlant du naturel des hommes plus enclins au
vice qu'au bien, et qui, comme les pourceaux se jettent plutôt dans
l'ordure qu'en belle eau: «Vous voyez, dit-il le pourceau, s'il y a un
bcau ruisseau d'eau claire d'un côté, un bourbier de l'autre, il se vautrera
plutôt dans la boue et ira prendre là dedans sa chemise blanche.» Vrai
Dieu, cela est bien ridicule, et dit à ce propos. Le P. Gontier exhortait un
jour Mme de Simicr à quitter les pensées du Monde, et qu'elle ne regardât
qu'au Ciel, «qu'il falloit qu'elle se coiffât du Soleil et se chaussât de
la Lune 109. »

La « rhétorique des peintures» - et les «peintures» ne sont que des


métaphores amplifiées - trouve en Du Perron un critique qui va au fond
des choses. Il dénonce en Du Bartas un des modèles les plus pernicieux
de ces descriptions, à la fois ampoulées et basses afin d'accrocher l'at-
tention :
Pour l'élocution [de Du Bartas], elle est très mauvaise, impropre en
ses façons de parler, impertinente en ses metaphores, qui pour la plupart
ne se doivent prendre que des choses universelles, ou si communes qu'el-
les ayent passé comme de l'espèce au genre, comme le Soleil; mais luy,
au lieu de dire le Roy des Lumières, il dira le Duc des Chandelles, au
lieu de dire les Coursiers d'Eole, il dira ses postillons, et se servira de
la plus sale et plus vilaine metaphore que l'on se puisse imaginer, et
descend toujours du genre à l'espèce, ce qui est une chose fort vicieuse.
\1 y a beaucoup de choses qui sont si communes qu'elles sont passées
en genre. Néanmoins Cicéron dit qu'il aimeroit mieux dire voraginem
ma/arum que Charibdim ma/arum 110.

107 Ibid., p. 189.


108 Ibid., p. 192.
109 Perroniana, éd. cit., p. 174.
110 Ibid., p. 107.
LA RÉSISTANCE GALLICANE: DU PERRON 279
Et revenant au mauvais goût des prédicateurs du régne d'Henri IV et
de la Régence, Du Perron précise encore sa pensée:

Métaphores. Cicéron dit que ce sont des pucelles, qui ne s'osent Quasi
monstrer, et doivent paroistre sans affectation. Celles Qu'ils font aujour-
d'huy ne sont pas seulement vicieuses, mais sales, et ils ne le reconnois-
se!)t pas. Est-il possible qu'ils ne sachent pas Que le style est pour delec-
ter, et Qu'en escrivant si l'on use de quelque Métaphore vicieuse et sale,
cela offense? Comme celle-ci d'un Prêcheur: Seigneur, nettoie-moi le bec,
de la serviette de ton amour, le fallot d'amour, la chandelle d'amour. Et
il ne faut jamais en usant de Metaphores, Qu'elles descendent du genre
à l'espèce: on peut bien dire les flammes d'amour, mais non pas les
tisons, le fallot, la mêche d'amour; tous nos Escrivains aujourd'hui ne
peuvent escrire autrement. La Métaphore est une petite similitude, il faut
Qu'elle passe vite, il ne faut pas s'y arrêter, quand elle est trop continuée,
elle est viti eu se et degenere en énigme 111.

Les propos du Perroniana témoignent d'une tradition orale de la criti-


que rhétorique qui doit nous inciter à la prudence lorsque nous définis-
sons le Zeifgeisf d'une époque. Antoine de Laval comme le cardinal-poéte,
réagissant contre la sophistique de leur temps en héritiers du "bon
usage» de la Cour des Valois, tiennent des propos qui seront ceux de la
« génération de 1660». L'un et l'autre se réclament de Cicéron, et de son
urbanifas, tous deux infléchissent ses leçons, appliquées à la prose fran-
çaise, dans le sens d'un style simple, qui délecte moins par l'appel à
l'imagination et à l'émotion, que par la délicatesse et la juste mesure du
naturel. C'est à leurs yeux fidélité à la belle Antiquité, c'est, plus particu-
lièrement aux yeux de Du Perron, fidélité à un humanisme poli par le
« grand monde» de la Cour. C'est ce «goût" qui s'identifie à l'amour
de la langue et de la patrie françaises, que les Jésuites ne perçoivent pas,
et ce manque d'oreille, en dépit de toutes leurs savantes «machines» de
rhéteurs, leur fait aussi manquer leur but: toucher les cœurs des « bons
Français ».

2. LES THÉORICIENS DE LA SOPHISTIQUE SACRÉE

Le P. Nicolas Caussin

Tandis que les prédicateurs de la Maison Professe enchantaient la


Cour et le peuple, les régents de rhétorique du Collége de Clermont se
livraient à un travail théorique et érudit pour justifier et systématiser
l'art oratoire de l'Assistance de France.

111 Ibid., p. 107. Voir également p. 248, le fragment intitulé «Figures de


langage ».
280 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

La réouverture du Collège de Clermont, on l'a vu, fut l'occasion de


livrer au public ces ambitieuses synthèses. Dès 1619, le P. Caussin publie
ses Eloque/ltiae sacrae et humanae parallela lolO.
Avant d'étudier cet in-folio, il faut examiner la production antérieure
de son auteur. Elle nous aidera à connaître ses sources, ses tendances, ses
goûts.
En 1618, encore régent à La Flèche, le P. Caussin publie à Paris un
ouvrage en deux parties intitulé Eleclorum symbolorum ... syntagmata et
Polyhistor symbolicus 113 qu'il rééditera en 1634 sous le nouveau titre de
Symbolica Aegyptorum sapientia 114. Le beau frontispice du livre, gravé
pour la première édition par Léonard Gaultier, est en lui-même un pro-
gramme. Sur une montagne, à la fois Sinaï, Mont Thabor, et lieu mysti-
que des sources du Nil, l'Agneau de Dieu se dresse, porteur de la bannière
frappée d'une croix où se lit Fons Sapielltiae Verbum Dei in Excelsis.
De ce sommet divin jaillit une source dont les flots, regorgeant d'un
bassin dans deux cornes d'abondance, se rejoignent dans un second
bassin plus vaste, d'où elles s'épandent à travers une con'lue, que tient
sur sa hanche un dieu fluvial de race noire, le Nil, allongé sur le dos
d'un crocodile. Encadrant cette machine hydraulique, deux obélisques,
l'un coiffé d'une Lune, et l'autre d'un Soleil, et tous deux gravés d'hiéro-
glyphes 115. Les deux vases signifient les deux Révélations, l'une accom-

112 Eloquentiae sacrae et humanae paral/eta libri XVI..., Flexiae, sumpt.


S. Chappelet, 1619 (Approbation de 1617), 2' éd. 1623. De 1623 à 1686, on
ne compte pas moins de quatre rééditions à Paris, trois à Cologne, et quatrc
à Lyon. Sur le P. Caussin, voir C. de Rochemonteix, Nicolas Caussin, confes-
seur de Louis XIII et le cardinal de Richelieu, DOCllments inédits, Paris, 1910.
Sur le traité, voir Paul Kehrli, « Rhétorique et poésie, Ic De Eloquentia sacra
et humana (1618) du P. Caussin », dans Travaux de Linguistique et de litté-
rature, Strasbourg, t. XIV, 1976, p. 21-50.
113 Electort/m symbolorum et parabolarum historicarum s)'ntagmata ex
Horo, Clemente, Epiphanio et aliis, Cllm notis et observationibus, suivi de poly-
histor symbolicus, eleetort/m symbolorum et parabolarum stromata, Paris,
Romain dc Beauvais, 1618.
111 L'ouvrage paraît sous le nOU\'cau titre d'abord à Colognc: De Sym-
bolica Aegyptiorum Sapientia in qua Symbola, parabolae, historiae, selectae
quae ad omnem emblentum, aenigmatum, hieroglyphicorum, cognitionem viam
praestant, Cologne, Joann, Kinckius, 1622, rééd, 1631 ct 1654 chez le même
éd, Une réédition parisienne paraît en 1634, chez Jean Jost, SOllS le titre Sym-
bolicae Aegyptiorum sapienlia, et une autre en 1647. On a ici affaire à des
formc~ de culture et à des circuits de diffusion internationaux.
115 Sur les symboles qui figurent sur ce frontispicc, on pourra consulter
A, Henkel et A. Schiine, Emblemata handbuch zur Sinnbildkunst des XVI. llnd
XVII. Jahrunderts, Stuttgart, J.B, Mertzlersche, 1967, in-fol. La gravure de
G. Huré peut avoir servi de première idée pour la Fontaine des Quatre
Fleu\'es que le Bernin érigea Place Navone à Rome (v. Faggio dell'Arco, Ber-
nini, ouvr. cit., sch. n" 132) et dont l'obélisque fut doctement étudiée par le
p, Athanase Kircher, dans son ObclisC/ls Pamphilius, hoc est interpretatio nova
et II1ICllsque intentata Obelisci hierogl.l'phi quem non ita pridem ex Veteri Hip-
podrorilo Antonini Caracal/ac Caesaris in Agonale Forum transtulit, integritati
restill/it, et in Urbis Aetemae omamentllm erexil Innocentius X Pont. Max,
Rome, Grignani, 1650,
NICOLAS CAUSSIN 281

plissant les promesses de l'autre; les deux cornes d'abondance symboli-


sent les deux canaux de la Prisca theologia, la sagesse d'Israël et celle des
Gentils. Le Soleil et la Lune sont ceux qui ont présidé à la crucifixion du
Christ, préfigurée par le mythe égyptien d'Osiris et d'Isis. Verbe divin et
~ang christique alimentent l'Eloquence des prophètes et des sages, des
apôtres et des Pères: liquide, cette éloquence d'origine divine allie la
fécondité au pouvoir fluide de s'adapter à une histoire du salut, à ses
circonstances, à son évolution, à ses différents publics. Mais cet éloge de
l'Eloquence alliée à la Foi et à la Sagesse est formulée dans un langage
à la fois somptueux et cryptique, celui des « symboles ». Les hiéroglyphes
égyptiens apparaissent comme le modèle ou la plus fidèle image du
langage divin parlé dans la Nature: les astres, les éléments, les animaux,
autant de signes d'un alphabet sacré offerts à la description peinte ou
poétique et aussi à l'exégèse de ceux qui savent.
Le livre du P. Caussin, SÇlUS l'angle de la langue hiéroglyphique, s'ins-
crit donc dans la ligne de la « rhétorique des peintures » chère aux Jésui-
tes français, de Richeome à Binet. Notre auteur, dans les Syntagmata,
s'appuie sur l'autorité des Stromates de Clément d'Alexandrie pour en
justifier l'usage chrétien 116. Dans le Polyhistor, il esquisse un vocabu-

116 Sur les Stromates de Clément d'Alexandrie, voir André Mehat, Etude
sur les Stromates de Clément d'Alexandrie, coll. Patristica Sorbonensia, Paris,
Seuil, 1966, en part. p. 96 et suiv. sur le sens du mot slromala: tapisserie
(<< idée de variété désordonnée») ; décoration de table de banquet, avec fleurs
et fruits; broderie; Aulu Gelle rapproche le genre des stroma ta de celui auquel
se rattachent ses propres Nuits Attiques: musae, silvae, leelio mea, antiquae
lectiones, memoriales, historia naturalis, conjeclanea, epistulae morales, epis-
tulicae quaestiones, confusae question es, pratum. Et Clément lui-même: « Les
fleurs qui émaillent le pré et les arbres plantés dans le verger ne sont pas
séparés par espèce. Il en va de même des Prés, des Hélicons, des Rayons de
miel, des Péplos, ces recueils composés par les érudits en rassemblant les
morceaux choisis variés: nos stromates eux-mêmes ne sont qu'un essai (hypo-
typosc) composé avec la variété d'un pré, de matériaux rassemblés au hasard
des souvenirs, comme ils se présentent à la mémoire, sans souci d'un ordre ni
d'une forme corrects, dispersés dans une confusion volontaire» (p. 101). L'es-
prit de la collection propre à l'antiquaire, du catalogue et de l'anthologie,
propre al! grammairien, et du recueil de «mélanges» propre à certaines écoles
philosophiques. s'étaient conjugués, avant Clément d'Alexandrie, chez Aulu
Gelle et chez Plutarque, dont l'influence fut immense au xv,' siècle auprès des
hum:lnistes érudits.
117 Sur Horapollo, les Hieroglyphica (dont le manuscrit est introduit en
Italie en 1419) et les spéculations sur le langage hiéroglyphique et embléma-
tique à la Renaissance, voir K. Gielow, « Die Hieroglyphenkunde des Huma-
nisml;s in der Allegorie der Renaissance », dans Jahrbuch der kunsthistorischen
Sammlunzen des allerhochsten Kaiserhauses, XXXII, Vienne, 1915; L. Volk-
mann, Bilderschriften der Renaissance, Hieroglyphik und Emblematik in ihren
BeziehunRen und Fortwirkungen, Leipzig, 1923 ; E. Iversen, The My th of Egypt
and its Hieroglyphs in European tradition, Copenhague, 1961, surtout ch. Il,
« The Classical tradition », p. 38-56; M.V. David, Le débat sur les écritures
et l'hiéroglyphe aux XVII' et XVll/' siècles, et l'application de la notion de
déchiffrement aux écritures mortes, Paris, 1965. Cette notion d'une écriture
sacrée où les anciens sages auraient déposé les mysleria de la Première Révé-
lation est intimement liée à celle de la Prisca Theologia, étudiée par D.P.
Walker, The ancient Theology, studies in Christian Platonism from the Fifteenth
282 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

laire et une syntaxe de cette langue sacrée: et sous couleur de suivre


l'enseignement de l'Egypte, nous avons affaire ici à une" sylve» de lieux
rares et « non vulgaires» (a plebeïo usu remotae) qui en son principe ne
diffère pas de celle rassemblée par le P. Binet dans l'Essay des Merveilles.
Mais la référence aux Stromates, la traduction juxtaHnéaire du texte
grec des Hieroglyphica d'Horapollo 117, rattachent chez le P. Caussin la
« rhétorique des peintures» à une tradition d'é80térisme et de gnosticisme
érudits dont le P. Binet, se référant avec bonhomie à l'expérience et à la
langue du grand nombre, tenait à se dégager pour rassurer ses lecteurs
mondains.
Cette tradition hiéroglyphique avait trouvé son manuel dans l'ou-
vrage de Giovanni Pierio Valeriano, dit Pierius, les Hieroglyphica seu
de sacris aegyptorum ... literis commentarii qui connut un vaste succès
européen 118. Cette encyclopédie s'efforçait de systématiser, à l'exemple
de la langue sacrée égyptienne, les correspondances symboliques qu'em-
blèmes et devises mettaient en œuvre, à la même époque, pour formuler
une philosophia perennis commune aux sagesses antiques, à la Bible, et à
l'Evangile. C'est à la fois un effort de reconstitution de la «langue
première et divine », antérieure à la chute d'Adam, et de synthése des
enseignements où la vérité divine s'était perpétuée ou répétée. L'influence
de ces recherches sur la langue et la philosophie premiéres avait été fort
vive en France, au XVI' siècle, dans l'entourage d'Henri III et de son
Académie du Palais 1111. Traces tardives de cet intérêt, le Discours des
hiéroglyphes egyptiens de Pierre L'Anglois (1583) 120 et les Cinq livres des

to the Eighteenth Century, Londres, Duckworth, 1972. Le langage hiérogly-


phique ne prend tout son sens qu'à travers une théorie néo-platonicienne de
la connaissance, qui fait de l'image le chemin vers l'Idée: cet aspect de la
question est étudié par E.H. Gombrich, « Icones symbolicae, The Visu al image
in Néo-Platonic thought », art. cit. Enfin la conception d'un langage sacerdotal,
dont les signes SOilt plus prégnants que le langage vulgaire, et que celui-ci
ne peut qu'expliquer sans l'épuiser, est étroitement liée à la stylistique des
« pierreries» enchâssées dans un matériau linguistique de moindre prix. La
sophistique sacrée jésuite suppose un ésotérisme.
118 La première édition des Hieroglyphica sive de sacris Aegyptofllm literis
commentarii de Valeriano, dit Pierius, qui figure à la B.N., a été publiée il
Bâle, cI,ez lsengrin, en 1556.
119 Sur l'influence en France des conceptions néo-platoniciennes de l'image,
voir Frances Yates, The French Academies of the XV/th century, Warburg
lnst. Vniv. of London, 1947, en part. p. 105 et 131.
120 Discours des hiéroglyphes aegyptians, emblemes, devises et armoiries,
ensemble L/ll! Tableaux hiéroglyphiques pour exprimer toutes conceptions à
la façon des egyptiens par figures, el images des choses au lieu de lettreS
avec plusieurs interprétations de songes et prodiges, le tout par Pierre l'An-
glois, eSCllyer, sieur de Bel-Estat, Paris, Abel l'Angelier, 1583. Le « Discours»
est dédié à Hurault de Cheverny, les «Tableaux» au père du cardinal de
Richelieu, François du Plessis, Prévôt de l'Hôtel. Les «Tableaux» (du Lion,
de l'Eléphant, du Cheval, de la Chèvre, mais aussi de l'Oignon, de l'Ail et du
Chou) n'ont aucune valeur de "peintHe !11~lette»: cette accumulation de
remarques, souvent « populaires », au serlS des proverbes ct de la sagesse de
bonne femme, voit en toutes choses des «signifiances» moralps ou médic:tles.
NICOLAS CAUSSIN 283
Ilieroglyphes egyptiens de Pierre Dinet (1614) 121. Ce dernier ouvrage est
orné d'une vignette gravée par le même Léonard Gaultier à qui le P. Caus-
sin demandera le frontispice des Elec:forum symbolorum. La thèse de
Pierre Dinet, qui avait été prédicateur à la Cour d'Henri III, reflète la
grande pensée de l'Académie du Palais telle que l'a étudiée Miss Frances
Yates: une sorte de « gnose » philosophique et religieuse propre à faire de
la monarchie française un foyer mystique de réconciliation, par-delà les
théologies rivales qui se disputent les âmes du royaume. L'auteur rattache
le langage hiéroglyphique à celui du blason, que Binet en 1621 rangera
encore parmi les « merveilles ». Mais chez Pierre Dinet, cette filiation est
le point de départ d'une objurgation passionnée adressée à la noblesse
française d'ajouter à la vertu guerrière, symbolisée dans ses blasons, la
sagesse dispensée par les Lettres et que résume le langage hiéroglyphique,
sagesse qui la rangera dans l'ordre monarchique. La gnose hiérogly-
phique, réservée à une élite, est toute désignée pour être embrassée par
l'élite nobiliaire:

Le plus beau et exquis don de grace qu'il a plu à Dieu d'impartir à


l'homme [ ... ] est l'usage de la raison et de la parole. Or ceste parole assistée
de la raison est en nous ce qu'en la Divinité la première émanation éter-
nelle, à sçavoir le Verbe ou Sapience. Double au reste: l'une animée de
vive voix, procédant de l'estomac par la langue; l'autre, à sçavoir l'es-
criture qui faict office de la parole muette et taisible, séparée à part
hors de nous, dont la main est l'instrument. Ceste escriture pareillement
se considere en deux façons: en la commune, dont on use ordinairement,
et l'occulte et secrette, qu'on deguise en d'infinies sortes, chacun selon
sa fantaisie, pour ne la rendre intelligible qu'entre soy, et ses consçachans,
inventée au surplus jà des les premiers et plus heureux siècles, souz
l'ombre et nuage des plantes, animaux, et autres telles choses, par les
Prestres et Sages des Hebrieux, Chaldéens, Egyptiens, Ethiopiens, Indiens,
pour voiler les sacrez secrets de leur Theologie et Philosophie, afin de
les garantir et soustraire du prophanement de la multitude et en laisser
la cognoissance aux gens dignes: pour autant que les yeux de l'âme du
commun peuple ne sçauroient bonnement supporter les lumineux estin-
cellemens de la Divinité 122.

1"1 Cinq livres des hieroglyplliques où sont contenus les plus rares Secrets
de la nature et proprietez de toutes choses avec plusieurs admirables conside-
rations et belles Devises sur chacune d'icelles, œuvre tres-docte, ingenieux, et
eloquent nécessaire à toutes professions de feu MP. Dinet, Docteur en théo-
logie, Conseiller et maÎstre de la Chapelle du Roy, son Prédicateur ordinaire
et de la Royne Louyse douairière, Paris, J. de Heuqueville, 1614. Ce sourir
posthume de la Cour d'Henri III est dédié à la Princesse de Conty. Phls
« docte », et surtout plus chaste que le précédent, l'ouvrage n'en est pas moin:,
composé de «tableaux» rangés en cinq livres: les quatre éléments (terre:
métaux, pierreries; air: nuées, rosée, vent, arc-en-ciel; feu: flambeau, lam-
pes ... ; eau); les plantes, les animaux, l'homme, les Dieux des Anciens. Ces
tableaux, plus érudits que ceux de l'Anglois, sont eux aussi des « stromates »
accumulant des remarques en désordre, sans chercher à «peindre» comme
le fera le P. Binet.
122 P. Dinet, Cinq livres ... , ouvr. cit., préface non paginée.
284 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

l'écriture hiéroglyphique des emblèmes et devises transposée par l'art


de l'ekphrasis en demonstrationes chez le P. La Cerda, en «peintures»
chez le P. Richeome, en « merveilles» chez le P. Binet, est encore sentie,
par Pierre Dinet, comme la survivance de la langue pré-babélienne, dépo-
8itaire de la Révélation primitive. Seule une aristocratie sacerdotale y a
aujourd'hui accès. Mais Dinet s'efforce de faire partager ce privilège
qui engage à l'aristocratie d'épée, que sa «vertu» rattache aux héros
homériques, et dont le langage de caste, le blason, renferme une tradi-
tion secrète remontant à la Prisca theologia, et aux symboles qui l'enve-
!opparent sur le bouclier d'Achille. Les deux aristocraties, les deux ésoté-
rismes sont donc faits pour se comprendre et se rallier à l'ésotérisme de
la Monarchie Très Chrétienne. Nous sommes ici très proches des vues du
P. Caussin, qui dans La Cour Sainte, tiendra à la noblesse française un
langage analogue. Mais nous ne nous sommes pas éloignés non plus du
P. Binet, car les deux ouvrages, celui de L'Anglois et celui de Dinet, se
présentent aussi comme un recueil encyclopédique des métaux, pierreries,
plantes, animaux, hommes et Dieux païens, vocables hiéroglyphiques de
la langue sacrée. Rendons toutefois justice aux Jésuites: Dinet et L'An-
glois, armés d'une érudition confuse, aux confins déjà de la croyance
populaire et du folklore, compromettent cette haute vision l'un par son
style, l'autre par sa grossièreté. Les «merveilles» du P. Binet, malgré
leur « mignardise », sont des chefs-d'œuvre de prose d'art virtuose. Quant
au P. Caussin, sa science grecque et latine apporte sa caution à une
théologie du verbe soutenant le Theatrum mundi de l'éloquence sacrée,
constelIé des hiéroglyphes du visible .


••
En 1620, un an après la publication des Parallela, le P. Caussin
donnait au public ses Tragoediae sacrae 123, inspirées de Sénèque. Cette
œuvre de dramaturge est en consonance profonde avec le traité de rhéto-
rique publié l'année précédente. Celui-ci mettra l'acce!1t sur le pathos
oratoire: le genre tragique est une bonne préparation à faire de l'élo-
quence sacrée, Theatrum mundi, un spectacle dramatique animé. C'est
bien d'ailleurs à cette fonction propédeutique que le P. Caussin réduit ses
essais de dramaturge: dans la dédicace de l'une de ses tragédies 12\ au

123 Tragoediae sacrae, Paris, Chappelet, 1620 (dédiées au cardinal de


Gondi, évêque de Paris), réédit. 1634.
1~4 Préface à Hermenegildus, tragédie en prose: Dubitavi saepe ... quo telo
potentius feriret animos Eloquentia num vincta num soluta oratione. Magna
certe est in versiblls illecebra, qllOS hamos et quasdam veluli mentis r.OpO~G(ç
veteres non inconcinne dixemnt : sed suum quoque grandis et aeeurata regnum
habet in mentibus oratio: est en in! eloquentiae flumen mentis quod profecto
sine istis numeromm vinCl/lis fluit liberius, et quo minus habet affectalae
industriae, movet cfficacius. De lzac re Cl/m me nuper dissererel Petrus Matha-
eus, is qui tucem veritalis historian! vieit ingenii tuce, et in oratorllln partes
l'clzementius propenderet, Hermenegildum nostmm quem actione oratoria scrip-
NICOLAS CAUSSIN 285
cardinal de Gondi, il cite avec éloge son ami Pierre Matthieu qui aurait
encouragé son expérience d'une tragédie en prose 12~. Il affirme, pour
son compte, qu'il considère la prose comme supérieure à la poésie, pri-
sonnière du mètre, et donc incapable de déployer librement tous les effets
pathétiques souhaitables. A premiére vue, ce préjugé en faveur de la
prose est bien dans la ligne générale de l'évolution du siècle, telle que
l'avait inaugurée Malherbe en soumettant la poésie à des exigences
conçues pour la prose attique. A y regarder de plus près, la doctrine du
P. Caussin va dans un sens exactement contraire: s'il subordonne la
poésie à la prose, c'est qu'il veut emprunter à la première tout son pathos,
et libérer la seconde de la précision, du rythme et de l'euphonie qui appa-
renteraient justement, aux yeux d'un classique, prose attique et mètre
poétique. La culture rhétorique du P. Caussin est immense, nous allons le
voir en analysant ses PG1'allela : elle apporte en fait, en latin, et à grand
renfort d'érudition, un docte correctif à la conception trop «à la mode»
et trop « moderne» que le P. Binet se fait de l'éloquence sacrée dans son
Oraison pour le trépas d'Henri le Grand et dans ses Enrichissemens de
l'Eloquence. Pour l'essentiel, elle va dans le même sens .


••
tum prope verehar ad q/wdrigas poeticas pedestri itinere commiftere, sua mihi
st!asione sub tuis auspiciis wi sciebat non ingratum fuisse de manibus expres-
sif ... Sur la prétention des seconds sophistes à faire hériter la prose des pou-
voirs de la poésie, voir, outre les pages du P. de Cressolles dans le Theatmm
Veterum Rhetorum que nous analysons plus loin, L. Méridier, L'influence de
la Seconde Sophistique sur l'œuvre de Grégoire de Nysse, p. 19. Cette ten-
dance était déjà présente chez Cicéron (v. supra, p. 50). Le cicéronianisme s'ef-
forçait de tenir la balance égale entre oratio stricta et oratio solllta, voyant
dans la première une école du jlldicium pour préserver les qualités d'aptum
de la seconde. Jamais le P. Petau n'aurait écrit ce que nous trouvons ici sous
la plume du P. Caussin.
125 Les liens de Pierre Matthieu et des Jésuites sont attestés par ailleurs
dans L'Eloge sur les plus signah'cs et immortelles actions d'Henry de Bourbon,
dressé en François par Pierre Matthieu et traduit en hébreu par les Pères
de la Compagnie de Jésus, s.l.n.d. (B.N. 4', Lb 35 1178). Publié d'abord à
Lyon (sous le titre Panégyriq), puis à Paris (sous le titre Inscription). Ancien
Ligueur, Matthieu avait comme les Jésuites beaucoup à se faire pardonner
d'Henri IV. Son chef-d'œuvre est L'Histoire d'Aelius Se jan us, Paris, R. Estienne,
1617 (rééd. Rouen, 163:1). C'est un effort remarquable pOlir transposer en
prose française le style « laconique» de Lipse et d'Erycius Puteanus, lançant
ainsi une mode européenne dont Malvezzi sera l'un des plus célèbres repré-
sentants. Allégorie du destin de Concini, l'Aelius Se jan us est un panégyrique de
Louis Xill en style coupé. Les figures de mots, telles l'anaphore, la rime inté-
rieure, les effets de symétrie (isocolon, parison), de dissymétrie (antithèse,
chiasme) soutiennent l'émission saccadée de sentences: « Il y avoit de la vertu
à ne point faire de mal, et de la piété à ne rien faire d'impie >) (p. 169);
« Il est plus seur d'estre obligé il son maistre que de l'obliger, et un service
qui ne se peut récompcn"er rend le service important» (1-:15). Le tacitisme
du propos fait écho à cette technique qui étend à la prose le style sentencieux
des «maximes» cie tragédies sénéquiennes, telles celles de Garnier et de
Caussin. Dans son Dell'Arte Historica, ouvr. cit., p. 614, Mascardi rendra
Matthieu responsable dr la mode du style coupé (spezzalo), qu'il oppose,
p. 627, à la briè,'eté cicéronienne, qui obéit ail seul principe de l'aplum : rien
de trop.
2813 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

Le majestueux in-folio des Eloquentiae sacrae et humanae para/[ela,


dédié à Louis Xlii, en remerciement de la réouverture du Collège de
Clermont, visait à conférer à la pédagogie rhétorique de celui-ci les
lettres de noblesse savantes qui l'accréditent dans les milieux doctes pari-
siens. Rédigé en latin, gorgé de références et de citations latines et
grecques, païennes et chrétiennes, il veut être pour la France le pendant
de ce qu'avaient été à Rome l'Orator ehristianus du P. Reggio et les
Prolusiones du P. Strada. A la seule lecture du titre, avec le mot si peu
« cicéronien» de parallela, à plus forte raison en feuilletant l'ouvrage,
s'il leur est parvenu, les rhéteurs romains ont dû pousser un soupir de
dédain pour tant de «patavinité ». Se partageant la tâche, ils s'étaient
adressés séparément l'un aux prédicateurs, l'autre aux orateurs, poètes et
historiens profanes, avec élégance et urbanité. L'ambition du P. Caussin,
conforme à la conception fluviale du Logos allégorisée au frontispice de
ses Eleetorum symbolorum syntagmata, a quelque chose de pantagruéli-
que: en un seul programme organique, il embrasse l'éloquence « héroï-
que », celle de l'Eglise, et l'éloquence humaine, celle de la société civile.
La répartition des matières (Xlii livres pour l'éloquence humaine, III livres
pour l'héroïque) pourrait laisser croire à une prédilection pour l'art pro-
fane. Il s'agit en fait d'une hiérarchie ascendante: l'héroïsme oratoire,
héritier direct à travers les Ecritures Saintes et les Pères, du Verbe divin,
règne sur les sommets de la pyramide au-dessus des domaines vastes et
variés de l'éloquence humaine, qui détient de lui la vérité. Le P. Caussin
n'exclut pas toutefois que, dans l'ordre de la forme, des verba, l'éloquence
héroïque puisse prendre son bien dans les «dépouilles d'Egypte» de
l'éloquence humaine, afin de mieux «incarner» dans la diversité des
cultures le message divin: l'expérience oratoire de la Grèce et de Rome,
d'Homère aux derniers sophistes païens, a soutenu l'éclosion de l'élo-
quence patristique, qui a diffusé l'Evangile dans des formes accessibles
à la société civile et païenne de l'Antiquité.
Non content de réunir en une ambitieuse synthèse ce que les PP. Stra-
da et Reggio avaient traité en spécialistes, le P. Caussin confond en un
même mouvement la culture «adulte », tant sacrée que profane, et la
pédagogie qui y prépare. Ce livre érudit est aussi un cours, qui amplifie
et qui reflète, dans ses digressions, répétitions, ses effets parfois faciles,
mais aussi ses «explications de textes» soignées, l'enseignement du
régent de rhétorique que l'auteur fut à Rouen ~t à La Flèche. N'y voyons
pas une facilité, un remploi. C'est une façon délibérée, quoique plus naïve
que chez les auteurs romains, de relier comme ceux-ci l'avaient fait l'en-
~eignement et les plus hautes formes de la culture, de faire percevoir d'un
seul regard tous les étages du Logos, tous ses compartiments, en même
temps que son unité profonde. Livre-Protée, donc, où les genres s'entre-
croisent et s'accumulent, comme les fruits composant le visage du
Vertumne d'Arcimboldo, pour dessiner l'effigie de la Parole catholique:
genres pédagogiques, telles la praeleetio, la disputatio et la deelamatio,
genres oratoires profanes, comme le plaidoyer, l'éloge, la satire, la vitu-
pération, genres oratoires sacrés comme l'homélie, le sermon, le pané-
gyrique des saints, la controverse, le tout illustré d'une immense polyan-
NICOLAS CAUSSIN 287

thée d'exemples latins et grecs, et enchâssé dans une prose latine cursive
et volubile, animée de prosopopées, de dialogues, de descriptions, de
mouvements d'enthousiasme, et d'indignation, enrichi enfin de citations
érudites. Il faudra attendre Victor Hugo pour retrouver une tentative ana-
logue de résumer et rassembler dans un livre «l'océan» du langage
humain.

.*•
Il est naturel que la question du cicéronianisme tienne une grande
place dans les XIII Livres que le P. Caussin consacre à l'éloquence
« humaine». Informé par la belle mise au point de Possevin dans sa
Bibliotheca selecta et par ses propres lectures, fort vastes, le P. Caussin
n'ignore rien de l'histoire de la Querelle. Est-il « cicéronien» ? Oui, si l'on
en croit son admiration enthousiaste et sans cesse réaffirmée pour le
Pater eloquentiae latinae. Est-il « anti-cicéronien » ? On aurait lieu de lç
croire, à voir l'ardeur avec laquelle il prend la défense de Sénèque 126, et
l'estime qu'il porte à Démosthène 127, alors même qu'il affirme la préémi-
nence de l'orateur romain sur son modèle attique.
En fait, le P. Caussin hérite des efforts déployés au cours du XVI" siè-
cle pour réconcilier Politien et Cortesi, Bembo et Pico, voire Erasme et
Longueil. Son point de vue est analogue à celui de Giraldi, repris avec
autorité par Juste Lipse dans son Institutio epistolica, et plus récemment
encore iIlustré par le Jésuite belge Andreas Schott, dans un ouvrage
intitulé Cicero a calumniis vindicatus, publié à Anvers en 1613 128 • Le
P. Caussin n'hésite pas à piIler Schott pour alimenter ses propres plai-
doyers en faveur de Cicéron.
Plaidoyers plus abondants et chaleureux que convaincants. Si la per-
sonne, la carrière, le caractère de Cicéron sont si ardemment défendus,
c'est moins pour faire du style de Cicéron le modèle accompli d'élocution
oratoire, que pour faire de l'auteur du De Oratore le patron d'un éclec-
tisme « sans rivages », qui ouvre la gamme de l'imitation bien au-delà du
Juste Lipse de l'Institutio. L'impatience du P. Caussin d'étendre le plus
loin possible la liberté de l'imitatio adulta va jusqu'à lui faire regretter
que les auteurs modernes, qu'il verrait volontiers en progrès sur les
anciens, ne puissent être adjoints à la pédagogie de l'éloquence 129.
Enfermé malgré lui dans l'Antiquité, le P. Caussin n'en donne pas
moins à son éclectisme une carrière impressionnante. L'arc-en-ciel des
modèles auquel le «cicéronien» nouveau style est invité à se référer
se déploie au ch. XIV du L. III, qui est en fait une véritable revue critique

126 Eloquentiae ... Parallela, éd. cil., p. 119.


127 Ibid., p. 31-47.
128 Voir plus loin le chapitre «Les Jésuites érudits ... ;,. Le P. Caussin est
très éloigné, même lorsqu'il le pille, d'un Jésuite érudit comme A. Scholl.
129 Ibid., p. 116.
2R8 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

de toute la littérature latine et grecque jusqu'au v· siècle et au-delà.


Chaque auteur étant défini par sa « vertu :t stylistique dominante, ce n'est
pas cinq jeunes filles que Zeuxis, étudiant auprès du P. Caussin, aurait
eu à « fondre» pour composer son Hélène, mais cent, mais mille.
Dans cette foule bariolée, le P. Caussin fait un sort particulièrement
enviable à Dion Chrysostome, à Arrien, à Hérodien, à Lucien, à Héliodore
(l'auteur de Thèagène ef Chariclée lui est particulièrement cher), à Philos-
trate, à Aphtonius l'auteur des Progymnasmafa, à Aelius Aristide, à
Thémistius, à Libanius, à Julien l'Apostat. La place de la Seconde Sophis-
tique n'est donc pas mince, et pour lui faire contrepoids, le P. Caus sin fait
défiler une théorie d'auteurs moins sulfureux conduite par Cicéron. On y
remarque dans l'ordre, Salluste, cher à Lipse, César, Tite Live, aussitôt
suivis - chose apparemment étrange puisque nous sommes dans la partie
de l'ouvrage consacrée à l'éloquence humaine - par une grosse troupe
de Pères de l'Eglise: Nysse, Ephrem le Syrien, Clément d'Alexandrie,
Grégoire le Thaumaturge, Synésius, Justin, Cyprien, Ambroise, Augustin,
Jérôme, Grégoire le Grand, Bernard de Clairvaux, Boèce, Origène, Ter-
tullien, Arnobe et Lactance. Nous reviendrons sur le sens de ce diptyque:
retenons pour l'instant qu'il a pour charnière Cicéron.
C'est bien là, dans cette place centrale, fléau de la balance, qu'il faut
chercher la véritable fonction du Princeps eloquenfiae Iafinae chez le
P. Caussin. Cette fonction est d'autant plus nécessaire que les deux
plateaux sont surchargés à se rompre. Maître des jeunes années, Cicéron
doit demeurer l'inspirateur de la prudenfia, vertu cardinale du rhéteur et
de son judicium, faculté qu'il doit tenir de nature et développer par exer-
cice 130. L'ingenium ou plutôt les ingenia, car le P. Caussin a au souverain
degré le sens de la diversité des esprits (variefas ingeniorum) peuvent
trouver à « colorer », à l'image de leur singularité propre, leurs discours
d'orateur «adulte" : c'est chez Cicéron, maître de la prudence et du
jugement, qu'ils apprendront à ne pas dépasser, en matière d'omafus,
la médiocrité dorée (aurea mediocrilas) et la beauté honnête (honesfa
pulchrifudo).
En somme, pour le P. Caussin, Cicéron donne le ton d'une casuistique
esthétique, qui entre le bien et le mal oratoires, aide à trouver le moyen
terme ajusté aux réalités: l'ingenium singulier de l'orateur, la nature de
son sujet, les circonstances et l'auditoire spécifiques de son discours.
Que cette casuistique soit d'esprit fort laxiste, on n'en veut pour preuve
que les deux allégories par lesquelles le P. Caussin oppose, sans choisir,
l'ornafus cicéronien et l'ornafus sénéquien.
De l'un, il nous dit qu'il est pareil à « une noble matrone superbement
parée pour une cérémonie, étincelante de bijoux, éblouissante dans sa

130 Ibid., p. 109. La définition du jlldicium par le P. Caussin est assez


confL!se pour mêler le jugement esthétique et le jugement intellectuel. celui
qui distingue entre les idées orthodoxes et les autres. Il termine sa rhapsodie
par une diatribe contre les judicia suspicia omnium, obslinala, ma/evo/a, et
ad omnem incredlllitalem rigore quodam mentis obfirmala!
NICOLAS CAUSSIN 289
somptueuse robe à traîne, et qui s'avance en public: elle rayonne dans
ses magnifiques ornements, elle brille de toutes les belles gemmes resplen-
dissantes de ses figures, et comme portée par le flot du vertugadin dont
l'enveloppent ses mots et ses périodes, (circumductis insuper verborum et
periodorum veluti lacinUs etfluens), elle conduit son admirable cortège
sur le sublime théâtre de l'éloquence» 131.
Et voici l'allégorie réservée au style de Sénèque: «On croirait voir
un homme raffiné, au linge de batiste, étincelant de pourpre et de belles
perles, qui dédaigne tout discours de parade et qui, pesant ses mots,
forme les pensées (sententiae) les plus belles sur les sujets les plus pro-
fonds 133. » Après une Marie de Médicis rubénienne, un Grand d'Espagne
peint par Zurbaran.
Ni Cicéron, ni Sénéque ne sont perçus par le P. Caussin comme des
écrivains, mais comme des orateurs. Il s'en fait d'ailleurs gloire: dans sa
polémique contre le style écrit, et l'atticisme qui s'en réclame, il laisse
échapper l'aveu du professeur et du prédicateur voués à la parole:
«L'éloquence, écrit-il, est une affaire toute populaire, il faut être au
service du public, et de la scène, ou bien se taire 134. »

•••

131 Ibid., p. 54. Comparer avec l'allégorie dont se servait Blaise de Vige-
nère (Images ou Tableaux ... , éd. 1578 cit., préf.) pour plaider la cause de
l' « asianisme» de Philostrate: «Une Gentil'femme Romaine sage et rassise
modestement revestue de violet ou de noir par dessous son beau couvre-chef
et linsseul marchant d'une contenance posée, combien est-elle plus aimable
qu'une courtisane effrontée, fardée, attiffée, fleurye à l'envie de quelque pré
au mois de May... d'un port follastre, d'une mine es garée, le col enfoncé
dedans les bourlets de ses manches, qui luy noient et surmontent les joues,
le corsage emmuré en de gros cartons, le flanc, la hanche et le reste qui
s'av aile au dessous de la ceinture ensevely dans un tonnelet semblable à ceux
dont l'on combat à la barriere, espaulé au reste et espoitriné, la gorge enduicte,
reblanchie, et crespie de ceruse et de sublimé, et eschauffée finablement sur
des eschasses plus ta st que des pianelles ou choppins? Et ainsi est-il des
langages. Ouy: mais enc.ore qu'il ne soit impossible de rencontrer quelque
bourgeoise ou chambrière, voire un païsanne, belle, agréable et gentille selon
son degré, il ne s'ensuit pas pour cela qu'une Grand'dame, une Princesse, une
Reyne ne le puisse estre plus encore: Quand mesmement on la verra rischement
estoffée et vestue de draps d'or, d'argent, et de soye, parée de chesnes, cra-
quans, doreures, et pierreries, marcher d'une majesté grave, d'un pas mesuré
et pompeux, avec son ventail et mirouer de cristal de roche, accompagnée quant
ct quant d'une longue suitte de gentilshommes et Demoiselles tres-bien en
ordre ... Et ainsi est-il des langages: Car encore que le bas et vulgaire, s'il
est bien filé et tissu ne laisse pas d'estre passable, si mesmement il se conforme
à son suject...» La majesté royale doit donc être accordée au grand style
épidictique, qu'il ne faut pas confondre avec le style lascif des sophistes. Il
est significatif toutefois que le P. Caussin emblématise le style de Cicéron avec
une reine très apparentée à celle de Vigenère, alors que le P. Petau fera
de Cicéron l'emblème de la simplicitas, inséparable de la noblesse.
133 Ibid.
134 Ibid., p. 87.
290 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (160\-1624)

Avec un tel principe, le P. Caussin s'éloigne de Upse, dont nous avons


vu que le style «serré» était avant tout un style écrit. Faut-il donc en
conclure que le P. Caussin a quelque penchant pour l'asianisme, comme
le laisseraient croire les fastes ostentatoires de sa Marie de Médicis
cicéronienne, ou la somptuosité en blanc et noir de son homme de Cour
sénéquien? L'asianisme raméne tous les genres oratoires à l'épidictique,
qui permet à la rhétorique de faire la roue. Et il enrichit la rhétorique
des dépoui1les de la poésie, figures d'imagination et figures de rythme.
Pourtant, la critique de l'asianisme chez le P. Caussin est sévére et
constante. Il s'en prend à l'excès de raffinement métrique et musical en
prose 136. Il lance plusieurs attaques contre l'abondance excessive des
métaphores et leur enflure 136. Il condamne le «forcènement» des pas-
~ions oratoires, froides à force d'être poussées à l'extrême, qu'affection-
lient les asianistes 137. Il rappelle à ce propos que l'âme de l'orateur,
comme son discours, doit être tendue à l'image des cordes de la cithare,
ni trop ni trop peu, la juste mesure cicéronienne 13R.
Mais tous comptes faits, son agressivité se concentre bien davantage
contre les atticistes 139. Tous, à son sens, usurpent le qualificatif d'attique.
Qu'il s'agisse des adeptes du style sec ou de la race ennemie par excel-
lence de l'ornatus oratoire, ce qui revient au même, grammairiens, criti-
ques, antiquaires, qu'il s'agisse enfin des adeptes du style serré et pointu,
surchargé d'acumina, le P. Caussin les condamne tous. Et bien qu'il fasse
grand crédit à Sénèque, à la fois penseur et styliste, il rattache le purita-
nisme ou le maniérisme atticiste à la philosophie stoïcienne: celle-ci
.. porte la f2ux )} dans les passions humallles, et par conséquent ne peut
engendrer qu'un style privé d'action et d'énergie, qu'obère au surplus
l'excessive répulsion stoïcienne pour l'ornement. Bien que le P. Caussin ne

135 Ibid., p.
65. Voir plus loin, p. 335-336.
136 Ibid., p.
66. V. aussi p. 61, critique des allégories.
131 Ibid., p.
321-324.
)38 Ibid., p.
327.
139 Ibid., 67-78. L'atticisme pour le P. Caussin se résume tantôt à la
p.
« sécheresse », tantôt à l'abus des acumina. Sur ce dernier problème, sa doc-
trine est pour le moins vacillante. Tantôt il semble les condamner (p. 67),
tantôt il semble les admettre (p. 77, règles pour les bons acumina), tantôt il
les admire, chez Sénèque et Valère Maxime (p. 119), chez Grégoire de Nazianze
et Synésius (p. 74). Acumen est chez lui synonyme de sen/enlia, qui suppose
de la sllb/ililas ingenii, et doit être ralonda et acu/a à la fois (p. 74). Voir
plus loin note 174. Ce que le P. Caussin entend par «atticisme» est aussi
vague que péjoratif. Sous la couleur de «cicéronianisme », il attaque chez
les «atticistes)} alitant leur hostilité à la Compagnie de Jésus que leur style.
Ces chapitres des Parallela, comme le Cicero a calumniis vindicatus d'Andreas
Schott, doivent être replacés dans le contexte d'une polémique à l'échelle euro-
péenne, dont le chef-d'œuvre est sans doute le Satyricon de Gaspard Scioppius
(1603). Cet érudit allemand rallié à la Réforme catholique n'en demeura pas
moins fidèle à la tradition d'Erasme. Au nom des intérêts supérieurs du catho-
licisme il se livra à une critique impitoyable du formalisme rhétorique et de
la pédagogie de la Ra/io Siudiorum, et combattit pour lui substituer une péda-
gogie favorisant l'éclosion de l'esprit critique et d'une piété éclairée. Sur ce
point, il rencontrait les positions de la République des lettres gallicane et
protestante. Voir Mario d'Addio, Il pensiero politico di Gaspare Scioppio e il
machim'ellismo deI Seicen/o, Milan, Giuffré, 1962, p. 40-48 et p. 220-250.
NICOLAS CAUSSIN 291

nomme personne, il a moins en vue les Anciens que ses contemporains,


les érudits critiques ga\licans et calvinistes, et à un moindre degré, l'école
de Lipse.
A un moindre degré, car cette école a le sens de l'ornement, même si
celui-ci est à l'étroit dans un style serré et écrit. En ce sens, le laconisme
lipsien reste à l'intérieur du cicéronianisme tel que l'entendent un Andreas
Schott et un Caussin: il représente une des variantes possibles de
l'honesta pulchritudo, dont la vérité catholique s'enveloppe pour s'imposer
à la sensibilité autant qu'à l'esprit de l'homme incarné. JI montre ainsi la
voie, sinon aux orateurs, du moins aux {( sçavans» égarés dans une
quête épineuse et séparée de la {( voie royale» de l'orthodoxie romaine .


••
Ce débat entre un atticisme de la {( séparation» et un «clceronia-
nisme» éclectique, à l'ample manteau des Vierges de la Miséricorde,
rejoint un autre débat, plus essentiel, qui donne aux Parallela leur véri-
table «suspens» : l'affrontement, tantôt amical, tantôt irréconciliable,
entre Seconde Sophistique et Patristique, entre l'éloquence païenne tar-
dive, imaginative, poétique, sensuelle, et J'éloquence contemporaine des
Pères de l'Eglise, qui la combattent en lui empruntant certaines de ses
techniques. Affrontement d'autant plus douteux que le P. Caussin, adepte
de l'arnatus oratoire, est fasciné par l'art raffiné des seconds sophistes,
latins et grecs, qu'il a lus et qu'il a appris à connaître dans les biogra-
phies de Suétone, de Philostrate, d'Eunape, dans les polémiques de Lucien
et des Pères eux-mêmes. JI est d'autant plus sensible à leur art que, comme
eux, il souhaite que l'éloquence s'allie à la poésie pour atteindre à la
suprême efficacité de ses pouvoirs.
Nous sommes ici dans tlne région crépusculaire, où toute l'ambiguïté
des rapports entre éloquence et littérature, cntre art de plaire chrétien
et art de plaire païen se manifeste, et où rien encore n'est nettement
démêlé. Cette confusion inquiète, qui rend si difficile la période {( litté-
raire» Henri IV - Louis XIII, reproduit en quelque manière celle des der-
niers siècles de J'Empire romain: les seconds sophistes du Ill' et du
IV' siècles n'hésitaient pas en effet à S'<lppuyer sur le néo-platonisme pour
justifier leur a\liage de rhétorique {( démonstrative» ct de poésie, donnant
J'exemple à l'alliage de « rhétorique» démonstrative et de poésie biblique
chez leurs élèves, les Pères de l'Eglise. Loin de durcir l'antithèse entre
théologiens et sophistes - au moins à J'étage de l'éloquence profane -
le P. Caussin se complaît sans trop se l'avouer dans une oscillation
commode, qui lui permet tour à tour d'encenser les uns et les autres, et de
jeter l'anathème sur les mêmes sophistes qu'il admire ailleurs 140.

140 Ibid., p. 130, éloge d'Hérode Atticus, d'apres Philostrate ; p. 1 JO, éloge
de Proaeresius et de Thémistius; et passim, cit., éloges d'Aelius Aristide;
mais aussi p. 56, diatribe contre la laciniasa aralia, la carrl/pli generis aralia.
Exemples de «passions puériles et excessives» chez Aristide et Libanius,
p. 323. (Mais Aristide est cité avec éloge p. 318.)
292 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

Le principe de cette contaminatio entre sophistique païenne et élo-


quence chrétienne, c'est l'extraordinaire animisme oratoire du P. Caussin,
qui se garde de distinguer entre inspiration au sens biblique et inspira-
tion au sens platonicien et poétique. Pour lui, le Logos est de façon indis-
tincte souffle vital et énergie spirituelle, émanation de l'Ame du monde
et de l'Esprit Saint 141. Cette tendance à un vitalisme spiritualiste, qui
exalte la volonté de puissance oratoire, va jusqu'à une vision quasi magi-
que du monde. Chez le P. Caussin, l'imitation 142, mais aussi l'admiration
et la persuasion, reposent sur la doctrine de la «sympathie» qui doit
beaucoup à Hermès Trismégiste 143. S'appuyant sur le Pseudo-Denys
pour préférer le mot «Eros}} à celui d'« Agapê» pour désigner cette
puissance unifiante qui tout ensemble cimente l'ordre cosmique, provoque
à la génération, soutient l'efficacité de l'éloquence, il consacre à la poésie
amoureuse de Sapho et d'Héliodore, ainsi qu'aux visions unitives des
grands mystiques néo-platoniciens, des pages qui font du langage le
conducteur des énergies divines, relayées et diffusées par l'âme humaine.
Soutenant sa conception unitaire d'un réseau de communications, d'in-
formations, et de persuasion catholique, extension dans le temps et
l'espace terrestres du Verbe éternel, il y a chez le P. Caussin une vue à la
fois très archaïque, magico-religieuse, et très moderne d'un système bio-
énergétique et informatique animant le monde, et sur lequel le langage
est pour ainsi dire branché. Celui-ci est le modèle et la source de tous les
arts inventés par l'homme pour célébrer sa dignité de «Iogophore" et
pour la manifester dans la civilisation. L'Eloquence, Regina terra ru m, est
le moteur de l'ordre social, de la victoire des armées, des progrès techni-
Ques et mécaniques 144. Le P. Caussin est une sorte de Mc Luhan du
XVII" siècle, doublé d'un Teilhard de Chardin.
A plusieurs reprises, bien que le thème de la «décadence de l'élo-
quence» lui inspire des pages pessimistes 145, son optimisme historique
et religieux l'emporte, et il évoque une idée de progrès continu des arts,
l'expérience et le temps affinant et perfectionnant le réseau civilisateur
Que fait fonctionner le Logos 146. Cette idée joue évidemment en faveur
d'une appréciation historique positive de la Seconde Sophistique, con-
fluent et sommet de toute l'expérience de l'Antiquité. Sans l'avouer nette-

141 Ibid.,p. 2, où le P. Caussin vogue dans l'immanentisme; p. 103 (Vitae


spiraCllI1/m)où il s'abandonne à un vitalisme sans remords.
142 Ibid.,p. 112.
143 Ibid.,p. 332. Sur cette doctrine à connotations magiques de la «sym-
pathie », voir E.H. Gombrich, « /cones symbolicae », art. cit. p. 169 et suiv.
Les images ne se contentent pas d'imiter (par exemple les passions), la res-
semblance a le même pouvoir que l'objet imité. Cette magie blanche repose
sur une cosmologie qu'un Jésuite aussi autorisé que le P. Nieremberg énoncera
dans son Oeulla fi/osofia. De la sympafia y anfipafia de las eosas, artificio de
la naluraleza, y noticia nalural dei mundo, y seCl/nda parte de la C/lriosa fi/o-
sofia, Madrid, Impr. dei Rey, 1633.
1H Ibid., p. 104.
145 Ibid., p. 243.
146 Ibid., p. 6.
NICOLAS CAUSSIN 293

ment, le P. Caussin est peu attaché à la foi primitiviste qui soutient, chez
les érudits humanistes les plus réformateurs, un idéal de retour à la Rome
de Caton, et à l'Eglise des apôtres. Obscurément, il est rallié à une idée
de progrès des lumières et des arts qui implique, dangereusement aux
yeux des adversaires primitivistes de sa Compagnie, une idée de progrès
et donc de novation religieuse dans l'Eglise elle-même. Au seuil du L. X
consacré au genre épidictique, le plus orné, le plus proche de l'hymne et
de la poésie, le P. Caussin narre en ces termes l'évolution de l'éloquence
antique:

Ce genre d'éloquence (l'épidictique) naît lorsque la raison n'en est plus


à ses balbutiements grossiers, mais riche d'expérience, est parvenue à la
maturité (adulta) 147 et à la pleine maîtrise (corrobora/a) de ses forces [ ... ]
Ainsi, c'est la nécessité qui d'abord a répandu l'éloquence judiciaire, indis-
pensable à la bonne marche de la vie civile; l'habitude ensuite l'a main-
tenue, sans toutefois la faire mûrir jusqu'à la grandeur et à la beauté
de celle dont nous parlons ... Apparut un art de parler qui, quoique regardé
avec méfiance par les gens de chicane et d'affaires, avait pour des oreilles
exercées et vacantes le charme majestueux et irrésistible d'une sorte de
fauconnerie (quoddam aUC/lpium). Telle est l'éloquence de Platon et d'Iso-
crate, qui enveloppe les plus profonds préceptes de sagesse de vertu de
fleurs charmantes, merveille qui n'a pas à mon sens son égale pour
enchanter les belles âmes. Inventée pour délecter (de/ec/a/ionis causa),
plus apte à la pompe qu'au combat, l'éloquence épidictique, méprisée par
le Forum, trouva refuge au gymnase et à la palestre. Et de là, après
s'être fortifiée à l'ombre des écoles, puis dans les Athénées publics et
dans les théâtres, où elle était accueillie avec des applaudissements enthou-
siastes, elle finit par se déployer sans contrainte, stimulée par la géné-
rosité des Empereurs, qui piquaient d'honneur par les prix et des récom-
penses fréquentes le génie des plus virtuoses 148.

En filigrane, le P. Caussin fait ici la satire des «primitivistes'"


érudits, le plus souvent liés par profession au monde judiciaire, et à son
éloquence qui n'a jamais fleuri. L'art de l'éloge, qui allie la transmission
du savoir philosophique ou religieux à une forme luxueuse et délectable,
est au contraire le signe d'une civilisation parvenue à son dernier degré
de développement. Et, se livrant à l'inventaire des « lieux» de l'éloge, le
P. Caussin ranime en quelque manière l'univers de culture qui s'était créé
autour de la Cour impériale romaine, puis byzantine, et que les Jésuites
ont reconstitué autour des Cours chrétiennes modernes. Dans l'éloge, le
langage devient bonheur d'expression, pouvoir rayonnant de sympathie,
sachant faire aimer et admirer, et non plus craindre, un ordre de société
reflétant l'ordre divin des choses, et sa beauté. Eloge de Dieu, éloge des
images de Dieu, les hommes, dans les rôles et les rangs qui leur font
représenter l'autorité du Verbe, Princes, Magistrats, Capitaines, Ecclé-
siastiques; célébration des grandes articulations de leur biographie

147 Ce mot évoque l'imita/io adulta dont les «modernes» avec Juste Lipse
se réclament contre le vieux cicéronianisme.
148 Ibid., p. 389.
294 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

publique: naissance, mariage, mort, acte de reconnaissance, acte d'allé-


geance, tous ces genres démonstratifs solennisent et héroïsent, par la
beauté oratoire, les atlantes de l'ordre terrestre.
Puis vient la louange des valeurs qui scellent cet ordre, Etat, pays,
ville, vertus, sCiences: toutes ces formes de l'éloge ont pour ornement
essentiel l'ekphrasis, la description, description de dieux antiques allégo-
risés, de héros, de vertus et de vices personnifiés; characteres, description
de caractères au sens de Théophraste, l'Adulateur, l'Ambitieux, l'Avare,
le Simulateur, l'Imposteur, le Mignon (mollis et delicatus), de passions
personnifiées, Amour, Jalousie, Colère; hypotyposes ou demonstrationes :
description de chasse, de bataille, de ville, de banquet, de triomphe. Le
P. Caussin ne manque pas d'évoquer le maître en ce genre, Philostrate.
Toutes ces figures d'imagination mises au service de l'étoge sont commu-
nes à l'éloquence et aux arts plastiques, voire au théâtre et au roman. Cela
ne semble pas effrayer le P. Caussin, dans la mesure où tout cet univers
de la célébration luxueuse et flatteuse est dédié ad majorem Dei gloriam,
et contribue à incarner l'ordre divin sur la terre.
Aurions-nous affaire à une troisième sophistique, chrétienne ceBe-là?
Est-ce le nom qu'il faut donner à l'humanisme dévot? On pourrait le
croire à lire dans les Parallela l'éloge des sophistes dont Philostrate
s'était fait l'historien 149. Il est bien vrai que le P. Caussin, délivré du
préjugé primitiviste, encouragé d'ailleurs par l'exemple des Pères, ne
croit pas faire déchoir l'éloquence chrétienne en lui rapportant les
« dépouilles d'Egypte» soustraites aux orateurs les plus raffinés de l'An-
tiquité tardive. Mais une sophistique chrétienne ne saurait se définir qu'en
polémique avec la sophistique païenne. Le P. Caussin ménage les contre-
poisons de deux manières: par la critique acerbe des excès de la sophis-
tique païenne, par l'exaltation de l'exemple des Pères de l'Eglise et de
leur éloquence « héroïque ».
Nous sommes déjà éclairés sur le premier point par les critiques
adressées à l'asianisme, le style préfèré des sophistes, et par ceBes que
le P. Caussin adresse à la poésie, que les sophistes confondaient trop
avec l'éloquence. Ajoutons à ces réserves esthétiques le reproche moral
adressé à Hérode Atticus, et à travers lui aux littérateurs modernes: la
cupiditas gloriae, le désir de gloire 150.
Sur le second point, nous avons eu un aperçu des prudences du
P. Caussin lorsque nous avons évoqué le diptyque de la multiplex imitatio.
Son apologie de l'Eloquence des Pères, modèle de l'éloquence ecclésias-
tique, et garde fou de l'éloquence profane, ne prend toutefois toute son
ampleur que dans les trois derniers livres, consacrés à l'héroïsme oratoire,
médiateur entre le Verbe divin et l'humanité .


••
149 V. sur les éditions au XVI' s. de la Vie des Sophistes de Philostrate et
celle d'Eunape, voir notre bibliographie, p. 717 et 724.
150 Ibid., p. 348. V. p. 103 éloge d'Hérode Atticus.
NICOLAS CAUSSIN 295
Auparavant, au L. XII, le P. Caussin n'avait pu faire autrement que
de traiter de l'éloquence judiciaire, réduite à la portion congrue entre les
deux livres consacrés à l'épidictique, et les trois consacrés à l'héroïque.
Et au début du L. XIII, lorsqu'il entame un péan en l'honneur de cette
dernière, le P. Caussin s'interrompt pour un bref chapitre intitulé, pour
que nul n'en ignore: «Qu'il y a dans l'éloquence sacrée le plus auguste
de tous les Forums. "
On songe pellt-être, jusqu'ici, aux rostres et aux trônes des Juges,
où l'on croit vo!ontiers (sous-entendu: à Paris), que cette éloquence grave
ct magnifiqlle ÙOl1t je parle règne sans rivale (dominan). Eh bien 1 que
l'on se représente, si l'on en est capable, le tribunal du Juge suprême,
LI la terrible majesté de ce jour où les colonnes du ciel ébranlées dans
un grand fracas et tremblement, à l'horreur des Anges eux-mêmes, fré-
missent sur leurs bases, où les étoiles consumées d'un trait de flamme
tombent comme les feuilles d'un arbre, où la lune se tache de sang, où
les purs fiambcallx du soleil se couvrent de noires vapeurs 151,

Comment peut-on comparer, insinue le P. Caussin, une chaire vicaire


de celle de Dieu au jour de l'Apocalypse, et par-là même tonnant sur les
Rois, et sur tout ce qui vit sur terre - une chaire qu'il faut voir entourée
des théories de Martyrs, de Prophètes, de Saints Prêtres, de Vierges,
applaudissant aux miracles du sublime divin, tels qu'ils seront ce jour-
là - avec la chaire de chicane, où se traitent les « minuties des affaires
humaines» (minutulis negotiorum humanorum causis).
Au Livre précédent, le P. Caussin avait réglé son compte à cette
« éloquence civile, jusqu'ici grossière et rugueuse », dont la seule recom-
mandation est dans son antiquité. Belle occasion de marquer la hiérarchie
entre l'aristocratie sacerdotale et celle des « chats fourrés» du Parlement
dE' Paris, qui se pose en héritière non seulement des traditions juridico-
politiques du royaume, mais de ses traditions religieuses 1 Oscillant entre
la flatterie et l'ironie mordante, le P. Caussin fait sans doute appel aux
Perses, aux Egyptiens, à Athènes et à Rome, à Philon d'Alexandrie en-
fin 152 pour célébrer la grandeur des Juges, qui souvent aussi furent des
Prêtres; mais dans une ekphrasis qui ne manque ni de trait ni de verve,
il fait aussi un portrait-charge du discours parlementaire type, la c Re-
monstrance» des Avocats Généraux:
Ils écrivent leurs discours comme s'il s'agissait de commentaires éru-
dits H3 surchargés d'une énorme sylve de langues et de citations, afin

151 Ibid., p. 252.


H2 Ibid., p. 523.
153 Allusion aux Nuits Attiques d'Aulu Gelle, un des auteurs avec Plu-
tarque le plus souvent édité en France au XVI' siècle. La B.N. en pos-
sède six éditions différentes, chacune plusieurs fois réimprimée. Le titre
des premières éditions laisse percevoir la manière dont était goûtée l'esthé-
tique des miscellanées gelliennes: «fulgenfissimis svderis noclium afficarum
(paris, 1508), «noctesmicantissimas» (Venise, 15(9). Cette métaphore des
«étoiles sur un ciel nocturne» (qui est peut-être à l'arrière-plan du vers
fameux du Cid, «cette obscure clarté ... ») servira en 1650 au P. Josset (voir
plus loin) à célébrer le style «sénéquien» de Balzac et de Sénèque lui-même.
296 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

d'offrir une majestueuse apparence de science [ ... ] Cette manière n'en donne
pas moins au public une haute idée de leur érudition, seule à pouvoir
caresser doucement leurs oreilles! N'y a-t-il pas de quoi être ébloui en
effet, lorsque dans un même discours nous voyons accourir toutes les
lumières de tous les siècles, ou peu s'en faut? Tant d'Anciens parlent par
la bouche d'un seul homme, chacun dans sa langue natalè, et de toutes
parts résonnent tant d'idiomes divers, grec, latin, hébreu, parfois chal-
déen et arabe, auxquels se mêlent souvent jusqu'à l'italien et l'espagnol!
Géryon aux trois corps, à qui les mythologues prêtent trois langues, n'est
plus qu'une fable. Nous entendons ici, de la bouche d'un seul homme,
tant de voix étrangères que nous nous émerveillons de voir dépassée la
variété de ce monstre.
En outre, on entend alléguer des autorités si diverses, si inconnues,
ramenées du plus profond des siècles à la lumière, on entend énoncer
des pensées si choisies, des observations naturelles si rares, des remar-
ques si prestigieuses, que l'on croirait voir refleurir dans l'âme d'un seul
mortel le génie, les arts, les inventions de tous les héros. Enfin en voyant
tout cela jaillir du sanctuaire de la mémoire en flux rapide et bouillonnant,
comment ne pas s'identifier à un homme de ce genre, comment ne pas le
regarder avec stupeur, et même le prendre, plutôt que pour un homme,
pour une Bibliothèque vivante et respirante, à qui Dieu aurait confié tous
les trésors des anciennes disciplines? 15<

Le P. Caussin a beau, pour adoucir une satire digne de Lucien, cher-


cher des arguments qui justifient cet «atticisme» barbare (effacement
total de l'orateur derrière ses autorités, qui lui communiquent la leur 1)
il n'en a pas moins posé adroitement une banderille. C'est à tout l'effort
de l'humanisme érudit de la Robe gallicane pour forger à sa parole une
autorité théologique rivale de celle de Rome, qu'il s'est attaqué en connais-
seur. De quoi l'accuse-t-il, sous le masque d'éloges à ne tromper per-
sonne? Tout simplement d'être l'adepte d'un autre courant de la sophis-
tique antique, représenté admirablement par Aulu Gelle 155. Archaïsme,
goût du mot et de la citation rare, goût de l'étrange et utilisation de la
citation en fonction d'ornement, d'acumell : tout y est. Le P. Caussin, non
l'ans perfidie, retourne donc contre les vieux adversaires l'accusation par
laquelle ceux-ci, depuis 1565, tentent de perdre les Jésuites de réputation:
celle de « rhétorique », c'est-à-dire de sophistique. La rhétorique de l'éru-
dition n'a rien en somme à envier à la rhétorique de l'imagination: avec
cette différence que celle-ci est plus belle, touchante, et qu'en tout état de
cause elle se développe sous la tutelle de l'éloquence sacrée, c'est-à-dire
sous celle de la Divinité.


••
Aussi après avoir ramene a leurs justes proportions les prétentions
oratoires du Palais, le P. Caussin déploie, sous l'invocation de saint Jean

154 Ibid., p. 520.


155 V. note 153.
NICOLAS CAUSSIN 297
Chrysostome, les splendeurs de la chaire ecclésiastique, ce qu'il appelle
la c Théorhétorique:t. Là disparaissent les concessions qu'autorisait
l'éloquence c humaine:t aux delectamenta, aux recherches de périodes et
de rythme. Par un curieux effet de contrepoids, le P. Caussin s'aligne
dans ses trois derniers livres sur les positions d'un Botero, et sur son
idéal de style sévère. Non seulement il accorde aux secours de la Grâce
dans l'éloquence d'Eglise un rôle infiniment supérieur à celui que leur
reconnaissait le P. Reggio, mais sa méfiance de l'ornatus en ces matières
va jusqu'à la critique implicite des prédicateurs jésuites de la Maison
Professe. S'appuyant sur de récentes circulaires du Préposé Général
Acquaviva 166 à qui il emprunte le terme aulicismus, il s'élève contre la
complaisance c calamistrée» de certains pour les mondanités de Cour. La
majestas et la gravitas de la persona de l'orateur sacré et des sujets qu'il
traite interdisent cet impur mélange entre l'humain et l'héroïque, le profane
et le sacré. Si l'on songe que dès l'année suivante, en 1620, le P. Caussin
est appelé à la Maison Professe pour prêcher devant la Cour, on com-
prendra qu'il y avait dans ces attaques un acte de candidature qui venait
à point. Le P. Caussin fera en effet un heureux contrepoids à la tendance
encore représentée par un Etienne Binet vieillissant, dont l'Essay des
Merveilles apparaît dès lors comme un adieu au c manièrisme Henri IV»
en matière de prédication.
Le P. Caussin ne va point toutefois jusqu'à approuver le style austère
de Tertullien, .que Nicolas Rigault se fera un malin plaisir de rééditer
quelques années plus tard!G7: il y a chez le premier en date des Pères
un excès d'âpreté, nimis atrox et horridus ; prêcher ainsi n'est pas « ensei-
gner» (docere), mais « ordonner et menacer» (jubere et minari) 158. De
même trop de suavité ornée, ou trop de facéties sont à bannir par
respect du decorum de la chaire chrétienne. Quant à la sancta simplicitas
d'orateurs pieux et simples comme le Poverello d'Assise 159, elle est plus
à admirer qu'à suivre, en un siècle aussi corrompu que le nôtre.
Entre les divers excès qui sollicitent l'orateur sacré, et la tentation de
désordre que postule la trop humaine varietas ingeniorum, il faut une
Idée, au sens du Ps. Longin que le P. Caussin a sans cesse cité, tout au
long des Paralle/a, comme un maître du judicium au même titre que
Cicéron. Cette Idée qui doit créer chez l'orateur sacré une saine émulation,

loG En 1583, le P. Acquaviva publie Episfolae dl/ae ... ad I/niversGm socic-


lalem, altera de renovatione spiritus, aUera de sludiis perfecfionis el c/zaritale
fra/ema. (La B.N. possède une édition toulousaine de 1599.) Il cite abondam-
ment Chrysostome, et en particulier le De Sacerdolio.
157 Nicolai Rigaltii Observaliones ad Terlulliani libros IX, Paris, 1628;
rééd. augm. Observa/iones el nolae ad libros a. Sept. FIor. Terlulliani. Paris,
164/ ; Ter/ulliani Libri IX, Paris, 1628: Terlulliani Opera ... , Paris, 1634, rééd.
164/, 1644, 1675.
158 Ibid., p. 650.
159 Ibid., p. 71.
298 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

c'est Jean Chrysostome 160, que le P. Fronton du Duc était en train d'édi-
ter, et que le Général Acquaviva lui-même, combattant l'aulicisme, citait
avec prédilection 161. Le P. Caus sin vante sa vehementia, il énumère les
autres caractères de son style: gravité, majesté et juste mesure entre
l'austérité et la suavité. Cette juste mesure se trouve non dans les raffine-
ments de l'élocution, mais dans les grands effets et les grands mouve-
ments: grands effets fondés sur une version chrétienne de l'ekphrasis,
les «spectacles sacrés », et grands mouvements fondés sur une version
chrétienne des passions oratoires. auxquelles le P. Caussin avait aupara-
vant consacré un livre entier. Rhétorique imaginative et émotionnelle, mais
de couleur sombre et grave, telle est pour le P. Caussin la Via Regia du
sublime chrétien, le couronnement chrétien de la Seconde Sophistique.
L'abondance des ParaUela, l'allure louvoyante de la pensée du P.
Caussin pourraient faire croire au lecteur pressé à un « rapiéçage:!> sans
idée directrice. Mais pour peu que l'on prenne de ce vaste livre une vue
surplombante, qui en révèle mieux les articulations essentielles, un dessein
d'ensemble se dégage: à l'éloquence « humaine », et à la société civile, les
clelectamenta d'une sophistique chrétienne, maintenus dans la juste mesure
par l'Idée cicéronienne et par la surveillance prudente des rhéteurs ecclé-
siastiques ; mais à l'éloquence « héroïque» et à l'aristocratie sacerdotale
qui en a le privilège, la force virile et l'autorité formidable propres à tenir
en respect les puissances de la terre. Le finale « borroméen » du livre du
P. Caussin s' accorde fort bien avec ses complaisances initiales pour la
Seconde Sophistique. Celle-ci, corrigée et purifiée de ses scories païennes,
crée pour ainsi dire un ordre esthétique du langage qui convient au monde
profane et à ses faiblesses; mais ces Belles-Lettres n'ont de sens que
soumises à l'autorité éthique et théologique des ({ héros» de l'éloquence
sacrée, qui veille à maintenir dans leurs justes limites les satisfactions
sensibles accordées au monde profane.
En filigrane des ParaUeta apparaît l'image d'une hiérarchie du Verbe,
source et fondement d'un ordre théocratique où la société civile, sans être
humiliée, accepterait l'empire de l'éloquence ecclésiastique.

160 Sur saint Jean Chrysostome orateur, voir A. Puech, S. Jean Chrysos-
tome, Paris, 1905; Ameringer T.E., The stylistic influence of the Second
sophistic on the Panegyrical sermons of saint John Chrysostom, Washington,
1921 ; Burns, Saint John Chrysostom's Homilies on the statues; a study of
their r/letorical qualifies; Baur C., O.S.B., Der Heilige Johannes Chrysostomus,
und seine Zeit, 2 vol. Munich, 1929-1930 (trad. angl. par S.M. Gonzaga, RS.M.,
Londres-Glasgow, 1960).
161 En 1604, le P. Acquaviva publie Industriae ad curandos animi morbos,
trad. en fr. en 1625 (Paris, Michel Soly) sous le titre Industries et moyens
pour remédier aux maladies spirituelles de l'âme. Au ch. XlII (p. 267, trad.
fr.) il stigmatise «la secularité ou aulicisme », c'est-à-dire la mondanité et
l'humeur de la Cour, «gaignant les bonnes graces et la familiarité des exter-
nes ». Sur la crise interne à la Société que vise à résoudre cette intervention
du Général, voir]. de Guibert, La spiritualité de la Compagnie de Jésus, Rome,
I.H.S.]., 1953, p. 221-237.
LOUIS DE CRESSOLLES 299

Le P. Louis de Cressolles

Avec le P. Louis de Cressolles, l'on change de registre et de « climat ».


D'origine noble, de sensibilité douce et délicate 162, le P. de Cressolles n'a
rien de la verve plébéienne ni du zèle dominateur qui poignent le P. Caus~
sin. Celui-ci avait renoncé sans regret, semble-t-i1, au latin et au grec, pour
prêcher et écrire La Cour sainte. Le P. de Cressolles, peu doué pour la
parole 163, était un érudit latiniste et helléniste, et son style latin était si
apprécié que le Général Vitelleschi l'appela à Rome en 1619 pour succéder
à Jacques Sirmond dans les fonctions de secrétaire pour la correspon-
dance avec l'Assistance de France. C'est à Rome qu'il mourra en 1634,
non sans avoir été célébré par Leone Allacci dans une notice de ses Apes
urbanae.
Avant son départ, le P. de Cressolles avait laissé à ses collègues deux
manuscrits d'œuvres latines qu'ils publièrent l'année suivante, en 1620.
...
......
Le premier des deux ouvrages s'intitule Theafrum Veterum Rheto-
mm 164. Gibert, à la fin du XVII' siècle, reconnaîtra qu'il s'agit de la
meilleure étude sur la sophistique antique 1~~. En érudit de l'art oratoire,
Cressolles avait en effet perçu ce que Marino, en poète libertin, avait
compris à sa manière: le secret de l'éloquence profane et sacrée, lorsque
celle-ci n'était pas hantée par le mythe d'un Age d'or classique du style
païen et chrétien, reposait chez les sophistes impériaux, maîtres des Pères
de l'Eglise en même temps qu'objet de leur vindicte. A ceux qui s'indigne-
raient du choix d'un tel sujet, le docte jésuite fait observer que la philo-
logie humaniste la plus curieuse, depuis ses origines 166 jusqu'à sa des-

162 Sur Louis de Cressolles, voir outre Gibert (note 165), Leone Allacci,
Apes Urbanae, OllVr. ci!., et Southwell, ouvr. cit., p. 562 : suavissimae conver-
sationis exemplum, laudabat raro, vitupera bat numquam ... In eo eluxit singu~
laris quaedam animi praesentia, ac judicium : tum tranquillitas ae sedatissima
actio.
163 South weil, ibid.: corpori natura tantum detraxerat, quantum ingenio
indulserat, lingua erat ad disserendum minus volubilis, exilis ipsa atque hllmilis
Statllra. defectis membris atque strigosis. Sola frons ... Comparer avec les
observations de Cressolles sur le corps idéal, ci!. plus loin, notes 229-230.
164 Theatrum veterum rhetorum, oratorum, declamatorum quos in Graecia
nominabant O'oqnc)"T(xç. P"ris, S. Cramoisy, 1620.
165 furzements des sçavans sur les autheurs qui ont traité de la Retorique,
par M. Gibert (t. 6 des fugemens des sçavans sur les principaux ouvrages ... ),
Amsterdam, 1725, p. 232 (le Père Cresol jésuite).
166 Le P. de Cressolles se justifie par la nécessité d'éclairer les textes .1nti-
ques et humanistes: SlInt enim multa in veterum commentariis ex intima
Sophistarum penu et artificio deprompta in qui bus haerere juventutem est
necesse, nisi quidpiam de consuetudine eOrl/m Rhetorum et institutione libarit.
Ces Commentarii sont sans doute les Nuits Attiques d'Aulu Gelle, et les Satur-
nales de Macrobe, mais aussi (selon la valeur que l'on donne au génitif
veterum) des miscellanées érudites modernes, comme les Adversaria d'Adrien
Turnèbe, dont le P. de Cressolles cite et explique un passage p. 104.
:-\00 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

cendance gallicane, n'a pas manqué de faire un sort aux sophistes. 11


ajoute qu'avant les Pères, les différentes écoles philosophiques antiques
leI> ont jugés dignes de leur intérêt attentif. Bref,
puisque leurs écrits sont entre les mains des hommes les plus érudits
et sont consultés par eux chaque jour avec zèle et attention, il est sur-
prenant qu'il ne se soit trouvé personne qui ne se soit acquis la reconnais-
sance de la jeunesse studieuse en rassemblant la méthode oratoire des
Déclamateurs en une synthèse cohérente et méthodique 169.

L'ouvrage est divisé en cinq livres. Dans le L. 1 Cressolles étudie la


première sophistique (ars sophistica velus) qui voulut se faire passer pour
philosophique. Au L. II, il fait l'inventaire des critiques adressées à cette
première sophistique par les philosophes païens et par les Pères. Son
véritable sujet n'apparaît qu'au L. III, avec la Seconde Sophistique, dont
il marque à la fois la continuité et la différence avec la première. Les
conditions historiques ont changé, les cités grecques font partie de l'Em-
pire romain: à la prétention philosophique des premiers sophistes a fait
place une vocation oratoire plus déclarée; à l'art d'argumenter des
« logodédales}) a fait place l'art épidictique des déclamateurs. Avec un
sens des réalités sociales et concrètes qui n'aurait rien à envier à un
historien moderne des « mentalités », Cressolles étudie les lieux, les cir-
constances, le public et les mœurs oratoires des seconds sophistes. Puis,
se fondant non seulement sur leurs historiens antiques, Philostrate et
Eunape, mais sur une vaste érudition où le témoignage des Pères de
l'Eglise tient une bonne place, il analyse leur style. Au L. IV, il étudie les
institutions pédagogiques, rivalités d'écoles, concours publics, et les
mœurs et manières que cette culture engendrait. Au L. V, il se livre à une
analyse critique, du point de vue de la morale chrétienne, de cette culture
qu'il est loin de condamner en bloc.
La thèse de l'ouvrage qui se dégage peu à peu, par touches successi-
ves, est que l'éloquence chrétienne moderne, pas plus que l'éloquence des
Pères, n'a rien à redouter d'une confrontation avec la sophistique antique
et sa renaissance moderne. Celle-ci n'est pas plus menaçante pour le
christianisme que les philosophies païennes, peut-être même l'est-elle
moins. Par un choix judicieux, guidé par la prudence, il y a en effet
beaucoup à retenir sur le plan technique des premiers sophistes dans l'art
d'argumenter, et des seconds dans l'art d'orner. Le point de vue du
Jésuite français n'est donc pas essentiellement différent de l'attitude
générale de sa Compagnie envers les manifestations apparemment les
moins chrétiennes de la culture profane, comme le théâtre 170, la peinture,
et les autres arts; au lieu de se braquer contre un renouveau des vieilles
souches antiques, ils y voient un signe de vitalité, qu'il vaut mieux encou-

169 Thealrum ... , ouvr. cit., p. 2.


Voir notre article «La Querelle de la moralité au théâtre avant Nicole
170
et Bos~;uet », R.H.L.F .. sept. déc. 1970, où la position des Jésuites du XV]]'
siècle est plus particulièrement étudiée.
LOUIS DE CRESSOLLES 301

rager, quitte à soumettre ces pousses désordonnées et naturelles au bel


ordre de l'espalier chrétien.
Cette stratégie pouvait trouver chez Cicéron un répondant commode:
Cicéron condamne les histrions, mais admire et défend Roscius, qui, rom-
pant avec la vulgarité des comédiens de carrefour, a élevé son art à une
dignité comparable à celle de l'art oratoire; Cicéron condamne l'asia-
nisme extrême et l'atticisme extrême, mais il fait place à une version
judicieuse de ces deux modes stylistiques dans sa tripertita varietas. Le
P. de Cressolles, qui porte à l'Arpinate une admiration un peu vague,
mais plus éclairée et sincère que celle du P. Caussin, pratique avec
aisance une politique de l'adoption, bien conforme au génie romain et à
celui de la Société de Jésus.
Si Cressolles s'intéresse d'aussi près à la sophistique païenne, si les
prédicateurs de la Compagnie étudient et utilisent ses techniques, ce n'est
certainement pas de gaîté de cœur. Ils la trouvent dans la culture am-
biante, ils constatent qu'elle a poussé de profondes racines et développé
de flamboyantes ramures en Europe, et en France tout spécialement. La
redécouverte de la Seconde Sophistique vient de loin: elle se confond
avec les origines mêmes de l'humanisme florentin et vénitien 171, et les
éditions des textes essentiels pour sa connaissance datent du début du
XVI' siècle. Erasme, on l'a vu, était fort conscient de la présence redou-
table de cette insaisissable intruse dans le mouvement de la renovatio
litterarum, et il avait lutté, entre autres, contre la sophistique des « cicé-
roniens» avec les armes au fond très sophistiques de l'ironie de Lucien.
En France, où l'hellénisme florentin et vénitien avait trouvé de puissants
prolongements, l'atticisme des «cicéroniens» italiens, mais aussi, sous
Henri III, l'asianisme des rhéteurs et des prédicateurs de la Ligue, avaient
puisé dans le lïavai! des éditeurs érudits une inspiration que les néo-
stoïciens de la fin du siècle combattent sans la tarir 172. Et l'éloquence
sacrée elle-même, tant du côté borroméen, avec un Panigarola, que du
côté jésuite, avec un Mazzarini, n'avait pas résisté à la tentation de se
greffer sur la tradition sophistique. Comme celle-ci avait donné naissance
au roman, éditeurs, traducteurs et imitateurs du roman hellénistique, au
cours du XVI' siècle, ont largement contribué à imprégner la culture euro-
péenne de l'esprit et des techniques des Apulée, Héliodore et autres
Achille Tatius.
Le serpent à mille replis contre lequel saint Augustin avait lutté pour
s'en libérer et en purifier l'éloquence chrétienne est donc plus vivant que
jamais. Et il n'est pas sorti des officines de Loyola. Mais la politique du

171 Voir Partie l, note 345, et notre Bibliographie, p. 712 et 713.


172 Voir Partie III. La logique de l'édition érudite, qui pousse un Frédéric
Morel à éditer Philostrate aussi bien que les Pères, un Pierre Pithou à éditer
les Antiqui Rhetores latini (tous rhéteurs tardifs) tout en recommandant la
gravité et la simplicité, exigeait de l'érudition gallicane une «victoire sur
soi-même» et sur les tentations oratoires qui n'allait pas sans malaise.
302 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

P. de Cressolles n'est pas celle de l'autruche: il veut faire l'anatomie du


bizarre animal afin de le connaître, et éventuellement d'en extraire les sucs
les moins venimeux,


••
Nous ne pouvons, si riche est la substance du Theatram Veteram
Rhetorum, songer à l'analyser en détail. Nous nous bornerons à résumer
les points principaux de ses L. 1I1 et IV, consacrés à la Seconde Sophis-
tique. Cette analyse rapide suffira toutefois pour apercevoir que, comme
le P. Caussin en plus d'un endroit, le P. de Cressolles éprouve une sorte
de fascination pour ces païens qu'il veut naturaliser chrétiens. Bien qu'il
s'avance en cet Enfer avec les Péres pour Virgile, il est trop bon obser-
vateur pour ne pas remarquer les étranges ressemblances entre ses
« cicerones» et leurs rivaux, qui parfois ont l'air de jumeaux 173.
La Seconde Sophistique, nous explique Cresso lIes, se caractérise par
l'apparition d'un type d'orateurs-pédagogues gyrovagues (vagos et erran-
tes), avides de gloire et d'argent, qu'i! compare à des Matamores (Thra-
sones gloriosi), tant l'art épidictique qu'ils pratiquaient et enseignaient,
si raffiné qu'il se voulût, tendait à l'ostentation, à la pompe, à la jactance
frivole. Virtuoses de la parole, ils étaient spécialistes du panégyrique,
celui des Dieux, des héros, des hommes célébres, et des cités. Ils ne recu-
laient pas devant le mensonge pour louer - ou vitupérer - plus brillam-
ment 114.
Les sujets de leurs panégyriques, comme de leurs invectives (avers et
revers du genre épidictique), étaient aussi bien des personnages ou des
objets réels que des fictions ou des sujets futiles et paradoxaux. Souvent
très riches et grassement payés par la Cour impériale ou les autorités
provinciales, ces esthètes affectaient de célébrer les héros républicains,
morts en martyrs de la patrie à Salamine ou Marathon, ou faisaient

173 Le P. de Cressolles rappelle à plusieurs reprises que Grégoire de


Nazianze avait été d'abord Ull sophiste gyrovague et à succès, mérités dans
son cas (v. p. ex. p. 16~).
174 Ce portrait du « second sophiste» a tant de traits communs avec
G.B. Marino que l'on se demande si le P. de Cressolles n'y a pas songé.
Rappelons que Marino, grand panégyriste des Bourbon, mais aussi des Concini
et de Luynes, séjourna à la Cour de Louis XIII de 1615 à 1624. La caracté-
risation du second sophiste par le P. de Cressolles épouse fidèlement la
métaphorique chère aux thuriféraires du « Baroque» : Iris (varia et mllltiplex),
p. 50, Thrasones gloriosi in theatro, p. 91 (qui annonce les attaques de Goulu
contre Balzac), praestigiatores, p. 90, deceptores, p. 91, et enfin Pavi, p. 268.
Ce qualificatif de « paons» est emprunté à Grégoire de Nazianze et Synésius.
Cressolles commente ainsi un passage de cc dernier auteur: CllIn pavo il/os
comparat superbissimo animante, qui oculos injiciells in pictae spectacula
caudae et plumarum varietatem insigni specie collucentem efferi solet. Voir
plus loin, le jésuite Josset usant de cette métaphore en un sens très élogieux.
LOUIS DE CRESSOLLES JU3
l'éloge de la fièvre, du vomissement, de la calvitie, de la surdité, de Ther-
site 175.
Pour déclamer commodément leurs discours d'apparat, ils disposaient
de véritables théâtres d'éloquef\ce, que le P. de Cressolles énumère et
décrit: Odéons, Athénaeums, Musaeums 176, où le déclamateur du jour,
assis en vedette sur un trône surélevé, et parfois sous un dais (canopeus),
haranguait la foule rassemblée dans l'orchestra 177. Notre Jésuite ne craint
pas de rapprocher ces trônes et ces dais de ceux des Pontifes romains 178.
Et il n'est pas difficile de pousser plus loin, en rappelant l'évolution de
l'architecture sacrée au cours du XVI' siècle, qui applique les décrets de
Trente sur la prédication en faisant de l'Eglise un auditorium sonore et
commode, où la chaire du sermonnaire, parfois plus ornée qu'un trône,
tient la place centrale, aperçue dès l'entrée du saint lieu.
Ces séances oratoires étaient précédées d'invitations au public, selon
des formes publicitaires que Cressolles énumère. Les sophistes s'y prépa-
raient avec soin, et n'étaient pas sans éprouver le «trac:. (solliciti) 179.
Ils s'avançaient en vêtements somptueux, et portaient au doigt un anneau
orné d'4ne pierre de grand prix, «tant ils considéraient cet ornement
nécessaire à la lumière et à la dignité de l'éloquence» 180. Il est difficile
de ne pas rapprocher ce sens de la dignité extérieure de la parole, de celui
que recommandent un Carbone et un Reggio pour 1'« ornement» des
églises et des prélats. Toutefois, à l'école de la splendeur «triompha-
liste », s'opposait une école If misérabiliste », qui préférait se présenter en
haillons, les pieds nus, affectant de mépriser l'élégance. Cressolles, s'ap-
puyant sur saint Jean Chrysostome, adresse à ces disciples tardifs de
Pythagore et de Diogéne un reproche qui pourrait aussi bien porter contre
les Ordres mendiants: « Tout cela n'était que tactique (id omne machina-

17~ Theafrum, ouvr. cit., ch. VII, p. 185 et suiv., en part. p. 201 (Maferiae
infames). Le P. de Cressolles s'étend aussi sur l'art d'improviser des sophistes
(ex temporales epidixeis, subitaria dictio, p. 210), autre moyen pour eux d'éton-
ner et d'éblouir.
176 Ibid., ch. XII, p. 216.
177 Ibid., ch. XIII, p. 222.
178 Le P. de Cressolles affirme évidemment que les sophistes ont copié
les Princes de l'Eglise: Aemulari Christianorum Pontificum dignitatem et majes-
tatem solebant, quorum thronos fuisse ornamentis illustres et venerandos acce-
pimus. On mesure dans quelle redoutable ambiguïté on se trouve: la contagio'l
entre sophistique profane et sophistique sacrée (au IV' siècle, mais aussi au
temps de la Réforme tridentine) est telle que le P. de Cressolles lui-même
hésite sans cesse entre l'horreur ct la fascination, et que ses critiques portent
le plus souvent aussi bien contre l'art profane que contre l'art sacré qui s'en
inspire pour mieux toucher le public. Il faudra trancher ce nœud gordien.
179 Ibid., p. 235: Cura et eventi expectatione solliciti cruciebantur Sophis-
tac... quod acrius eorum vitia animadvertebantur, qui praestare omnibus et
excellere ClIpiebant. C'était pourtant à cette «gloire» qlle les Jésuites
« piquaient» leurs élèves dans les Académies et sur les scènes de Collège
(voir J. Lacotte, art. cit., R.S.H., trad. d'un dialogue du P. Pontanus sur
l'impatience de jouer la comédie, p. 266-268).
180 Ibi,"., ch. XIV, p. 239.
304 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

bantur) pour se prévaloir de la gloire de la patience, et du mépris de toutes


les choses humaines 181.» Entre la splendeur asiatique des sophistes et la
négligence des déclamateurs cyniques, Cressolles préconise une juste
mesure.
Leurs discours se targuaient d'une inspiration divine ou poétique.
Divinitus afflati, explique Cressolles, et tanquam enthousiasmo loqui
viderentur IB2. Ils attribuaient ces «thiasmes» à des sources religieuses
(Proaeresius IB3 .,. velut conceptus numine incitatur), philosophiques (Thé-
llIistius IBI évoque à ce propos le démon de Socrate, auquel Apulée a
consacré un discours) et poétiques (Quare non secus ac poetae sibi
compleri Musarum numine pectus aiebant et visis mirabilibus excitari) 185.
Ils les prononçaient avec des modulations douces et liquides 186 qui por-
taient la voix oratoire aux confins du chant.
Au L. I, citant l'Euthydème de Platon, Maxime de Tyr et Sapho,
Cressolles avait fait remarquer l'analogie entre la parole amoureuse et la
parole sophistique 187. Il fondait cette analogie sur la ruse propre aux

181 Ibid., p. 241.


182 Ibid., p. 278. Voir aussi ~ur 1'« enthousiasme », p. 258, et sur la
« thiase », le «thiasme », p. 259. V. encore p. 316 et suiv. sur le sophisticus
impetlls. Là aussi, sm le fond de culture néo-platonicienne commun à la
Seconde sophistique et à la Réforme catholique, l'analogie et l'ambiguïté étaient
redo~ltables entre cet appel des sophistes à l'inspiration et l'appel à l'inspiration
du Saint Esprit demandé aux prédicateurs.
183 Le P. de Cressolles s'en indigne: Nec ferenda videtllr eorum hominum
vanissima et superba jactatio qui hune sensum divinitatis sibi attribuunt
(p. 259).
184 Ibid., p. 259. Sur Thémistius, dont le P. Petau avait édité les Orationes
en 1617, voir L. Méridier, Le Philosophe Thémistios devant /' opinion de ses
contemporains, Rennes, 1906.
IB5 Ibid., p. 259. Cressolles cite Aelius Aristide revendiquant pour la prose
l'héritage de la poésie.
186 Ibid., p. 264-265. Cressolles cite les critiques d'Osée, de Cicéron et de
Quintilie, contre ce mode de prononciation que l'on dirait volontiers «opéra-
tique ». \'oir sur ce point le P. Carlo Reggio, Orator Christimzus, éd. de Venise,
1613, p. 440, qui critique la prononciation de prédicateurs contemporains qui
habef quemdam sorlllm voce ad cantum inflexa. Voir également le 1. III des
Ifacafiones Autu17lnales du P. de Cressolles sur la voix oratoire.
187 Ibid., p. 76 (1. !, ch. X). Cressolles cite Le Banquet pour qualifier
l'amour de sophista. Il n'empêche qu'il étudiera (p. 594-603) les moyens de
faire naHre l'amour dans l'auditoire. Il est vrai qu'il s'agit d'amour du bien.
Voir dans les Peintures morales du P. Le Moyne (t. II, 1641, p. 353): «Il
n'est pas besoin que je fasse mention de son Eloquence, tout le monde sçait
assez qu'il n'en est point de plus persuasive que la sienne; on ne sçaurait
a\'oir d'opinion particulière ny de propre volonté quand il parle. Ce n'est point
seulement sa bouche, qui est éloquente, ses mains parlent aussi fortement que
sa langue, il s'explique avec un simple clin d'œil, ses larmes les moins étudiées
valent des harangues entières, et il n'est pas jusqu'à son silence qui ne
persuade mieux que ne font toutes les paroles des autres.» Les romanciers
du XVII' et du XVIII' siècles, de Gomberville à Marivaux, ne se feront pas faute
d'explorer toutes les possibilités et toutes les nuances de cette rhétorique « natu-
relie» de l'amour, et de l'actio qui la soutient.
LOUIS DE CRESSOLLES 305
deux registres. Il ne reprendra pas ce développement, sauf de façon
allusive, à propos des seconds sophistes. Pourtant leur inspiration irra-
tionnelle, autant que leur goût de la flatterie et leur appel à la sensualité
du public, s'y prêtaient mieux encore que l'intellectualisme des premiers
sophistes. Ovide, cn l'a vu, avait été l'élève du sophiste Arelluis Fuscus,
et les origines du roman hellénistique plongent dans la culture sophistique
impériale. Cressolles est le contemporain de d'Urfé. Mais, s'adressant à la
« jeunesse studieuse », il reste dans les limites de la «modestie » •


••
L'humeur des sophistes, nous dit leur historien, était à l'orgueil, à la
« dilatation d'âme» 188. Ils exigeaient, et ils obtenaient souvent des louan-
ges les égalant aux dieux. Leur susceptibilité d'hommes de lettres faisait
de leur vie une compétition permanente avec des rivaux à abattre et à
humilier. Après s'être donnés cn spectacle, ils se faisaient ramener en
triomphe jusqu'à leur demeure. Et telle prouesse oratoire particulièrement
réussie étendait leur gloire bien au-delà de la ville qui en avait été le
théâ tre 189.
Cressolles, tout au long de dix « essais» étourdissants regroupés au
ch. g, étudie alors les mœurs de l'auditoire des sophistes et leur façon de
payer aux orateurs la voluptas que ceux-ci leur apportaient. Il y avait
sans doute les applaudissements, et les techniques propres à les rendre
plus sonores. Mais pour répondre au «thiasme» de l'orateur-acteur-
chanteur, il y avait des manifestations plus démonstratives. A la manière
des bacchantes, on se précipitait en avant (erumpere), on bondissait en
l'air (absultare), on s'agitait follement en tous sens (circumagi furent!'r),
on se déshabillait (vestes movere), manières fort analogues à celles du
public des opéras italiens du XVIIIe siècle, ou à celui des modernes music-
halls. Les sophistes encourageaient du geste ces réponses flatteuses à
leurs flatteries. Ils disposaient même une claque (chorus domesticus) dans
le public 190.
Au cours des homélies chrétiennes contemporaines de la Seconde
Sophistique, le public s'écriait amen amen pour souligner les passages
les plus réussis. Et les applaudissements étaient entrés dans les mœurs
de l'Eglise latine comme de l'Eglise grecque, au témoignage unanime, et
parfois contrit, des Pères. La pression de la culture païenne ambiante

188 Sur l'opinio de se mirifica des sophistes, voir p. 172. Elle les rend
contentiosi. Cressolles voit très bien, à travers les sophistes antiques, se
dessiner la psychologie de l'homme de lettres modernes, que la Querelle du
Cid mettra si cruellement en évidence, après la Querelle Balzac-Goulu.
189 Sur la cupidi/as plausuum des sophistes, voir p. 279, une belle ekphrasis
du sophiste savourant les applaudissements de son public: Suos audi/ores in
lalldem et clamorem effllsos gloriose Illstrare oculis et cirC/lmspicere solebant
nt que nutu et animi gestientis laetitia concitare.
190 Ibid., p. 292.
306 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

était si forte que les manifestations de joie les plus «dionysiaques»


n'étaient pas rares 191. Les plaintes à cet égard de païens comme Phocion
ou Thémistius, rejoignent celles de Jean Chrysostome. Mais que faire
contre les habitudes du vulgaire? Le mieux est de l'autoriser à une
honesfa Laus, à une juste mesure dans l'applaudissement.
On préfèrerait le silence. Mais Cresso Iles, impitoyable, nous déniaise
même sur ce point 192: le silence, qui peut pour le sophiste signifier
l'échec, sait aussi être la réponse la plus flatteuse et la plus louangeuse à
son discours.
Au L. IV, étudiant l'aspect pédagogique de la culture sophistique,
Cressolles fait remarquer à quel prix les rhéteurs mettaient leurs services,
tant de pédagogues que d'orateurs, et de quels hauts salaires les hono-
raient non seulement les Empereurs, mais aussi leurs disciples, et leurs
auditeurs. Au L. V il ajoutera à leurs traits d'avarice une peinture peu
édifiante de leurs mœurs 193. Il souligne aussi le caractère agonistique à
la fois de l'enseignement des sophistes, et de leur éloquence 194. Ils se
lançaient des défis, et les concours publics d'éloquence, où toute une
carrière était mise en jeu, s'achevaient par des triomphes et des défaites
dont le public était l'arbitre. Celui qui recevait le défi ne pouvait se
dérober sans ruiner sa réputation 195. Et dans leurs écoles, ces concours
d'éloquence étaient organisés sur le mode fictif, et avaient pour sujet,
sous des masques historiques, des disputes célèbres entre rois et héros:
si bien, ajoute Cressolles, que l'on entendait à peu près les mêmes dis-
cours sur la scène des théâtres et dans l'~cole des sophistes 196 .

•••
Ce qui est neuf dans le livre du P. de Cressolles, c'est moins l'érudition
que la vivacité des couleurs du tableau de la civilisation sophiste. Là aussi
réside le risque: car on sent trop que pour entrer aussi bien dans les us
et coutumes de ce monde d'orateurs, le P. de Cressolles d'une certaine
manière parle du danger qui le guette, lui et les siens; à tout instant,
pour un esprit malveillant ou peu bienveillant envers la Compagnie et
l'Eglise, le rapprochement s'inlpose entre les mœurs des seconds sophistes
et celles des prédicateurs auliques, voire des prédicateurs tout court d'une
Compagnie et d'une Eglise converties à l'antique eLoquentia. Il est encore

191 Ibid., p. 295.


192 Ibid., p. 290.
193 Ibid., p. 203. Le Theafrum -involontairement si dangereux pour les
Jésuites - est cependant une apologie pro domo, qui oppose implicitement le
désintéressement des pédagogues chrétiens à l'avidité des païens, leurs mœurs
pures aux écarts des païens.
194 Ibid., p. 179-180.
195 Ibid., p. 171.
196 Ibid., p. 422.
LOUIS DE CRESSOLLES 307
Leaucoup trop tôt, mais on ne peut s'empêcher de songer à l'usage qu'un
Voltaire du XVII" siècle aurait pu faire de ce livre, en le retournant ironi-
quement contre son auteur. Heureusement pour le P. de Cressolles, Erasme.
avait disparu depuis près d'un siècle et Pascal n'était pas encore né.
N'envisageant même pas de tels sacrilèges, le P. de Cressolles pour-
suit imperturbablement son travail de restitution de l'univers sophistique.
/1 en vient à décrire l'art oratoire des rhéteurs impériaux, dont bien des
traits étaient, et pour cause, parfaitement familiers à des lecteurs de
1620.
Suivant une méthode à la ).P. Richard, il commence par faire un
inventaire des figures avec lesquelles les Anciens ont perçu et décrit ce
style figuré 197. Métaphores tirées de l'histoire naturelle: or, argent, per-
Ies, gemmes, prés fleuris, printemps, roses, liquides et liqueurs; de la
mythologie: Junon 198 et les Sirènes; de la mode féminine: fards, par-
fums, pourpre, diadème; des spectacles: pompe, scène; des arts: musi-
que, harmonie, et surtout peinture, art « démonstratif» par excellence.
C'est l'univers même du P. Binet.
Puis il analyse les deux fOlltes oratoriae des rhéteurs impériaux, la
Tloèsis et l'herménéïa. L'une est de l'ordre de l'invention, l'autre de l'ordre
de l'ornement. L'une se donne volontiers un statut d'invention philosophi-
que, l'autre relève plus exclusivement de la rhétorique. Qu'est-ce en effet
que la noèsis des sophistes? Des notions intellectuelles promptes, des
mouvements rapides de l'esprit (promptae animi notiones, celeres ingenii
motus) qui aboutissent à des pensées (sententiae, inventa) que, nous dit
Cresso Iles, les Français appellent «de jolies, belles et hardies concep-
tions » 199. Ces noyaux notionnels doivent être nova, mirabilia, jucunda,
ingeniosa. C'est pourquoi sans doute les derniers sophistes se réclamaient
d'un enthousiasme, d'une inspiration irrationnelle qui leur faisaient trou-
ver de « rares rencontres ». On se souvient que l'idée de rapidité est
essentielle dans la rhétorique épistolaire de Upse. Et le mot de « concep-
tion » est un des termes clefs de la rhétorique de Montaigne.
Quant à l'herméneïa, le P. Cressolles fait appel de nouveau au français
pour lui trouver un équivalent vulgaire: « s'expliquer », c'est-à-dire trou-
ver une forme digne de la pensée que l'on a d'abord inventée 200. Cette

197 Ibid., p. 305.


198 V. l'éd. cit. des Orafiones de Thémistius par le P. Petau, p. 143 : Junon
obtient par ses prières le pardon de Sarpédon.
199 Cité en français p. 315: Quemadmodum Oalli vulgo excellentia ora-
forum ingenia ad excogitandum acufa praedicanfes vocanf «de jolies, belles
et hardies conceptions ». Tout en parlant d'Antiquité, le P. de Cressolles ne
perd jamais de vue la scène contemporaine. Il traduit «conceptions» par
cr0'l't,nt)(cxt ~WOtCXt quae nimirum splendidae et admirabilitate plenissimae erant.
200 Ibid., p. 316. L'expositio invenforum pouvait se faire selon deux modes,
que Cressolles étudiera longuement, en vue des orateurs contemporains de
Louis XIII; dans ses Vacafiones Aufumnales: 1) la véhémence, sophisticus
impefus; 2) la douceur, dulcior spiritus ef placidior. Le second mode a évi-
demment ses préférences, pour peu qu'il soit garanti de l'exemple, non des
308 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

« explication» peut être chez les uns « magnifique, illustre », chez d'au-
tres «basse et obscure ». Chez les sophistes, qui avaient pour règle de
dire magnifiquement les choses magnifiques, l'explication était toujours
parée de couleurs vives et brillantes, de mots 'Choisis pour leur beauté et
sonorité. Selon le mot de Synésius, ils étaient les maîtres d'une thauma-
!1iologie.
Puis notre historien se fait stylisticien, et étudie les techniques de
l'herméneïa sophistique: le choix des mots (delectus verborum), leur
arrangement harmonieux (concinnitas) et les figures qui s'y dessinent.
Leur choix des mots est commandé par un principe de suavité lascive et
d'abondance fleurie. Ils travaillent dans la sonorité, non dans le sens.
Tout tend chez eux à satisfaire par les grâces (veneres) du style un goût
sensuel (voluptas). Leur vocabulaire Est de préférence poétique: ils se
glorifiaient d'avoir pour père Homère, et éventuellement Archiloque, pour
mère la Tragédie 201. Avec de tels répondants ils donnaient volontiers
dans l'enflure (tumida dictio) et I·e dithyrambe. Grégoire de Nysse compare
leur style enflé à de l'écume, à des fioles de verre (ampullas). Leur
goût pour la Ianyue des poètes s'alliait volontiers avec celui de
l'archaïsme: mots étranges, oubliés ou vieillis, qu'ils déterraient avec
délices et exhibaient comme des monstres propres à étonner. A l'inverse,
ils aimaient la nouveauté, les mots difficiles et techniques qu'ils enrou-
laient dans des phrases compliquées et obscures. Cette affectation d'obs-
curité leur était d'ailleurs commune avec certaines écoles philosophiques,
comme les Pythagoriciens et les Stoïciens. Ils triomphaient ainsi auprès
de publics éblouis, mais peu judicieux 202.
Ou encore, ils donnaient dans les plus sévères purismes, et leur
asianisme, tombant d'un exeès dans un autre, se métamorphosait en atti-
cisme. Citant le Maitre de rhétorique de Lucien, une des sources majeures
du Ciceronianus d'Erasme, Cressolles souligne le caractère démesuré de

Seconds sophistes, mais d'Isocrate, de sa dictio leniter fluens et copiosa, ut ait


de Isocrate Dionysius Halicarnasseus, atque in modum placidi fluminis la te
stagnans et effusa, argenteus veluti undis nitida ct elucens, in ambitus fere-
batur humanissima qlladnm voluptate. In ea lit in laeto et divi!e prato, omni-
gena varietate flosCllli, lit in littore Erythraeo gemmae IIniones lllcebant.· in
eadem omnillm venerum illigatlls lep os, vel potills ipsa Venlls C1/m delinimenéis
C1/m caestll myrothecioque SilO ridebat. Cette vision enthousiaste de Vénus
souriante et odoriférante sortant des flots, provoquée par la seule modulation
du style isocratéen, donne la mesure de la sensibilité esthétique du P. de Cres-
solIes (v. plus loin des accents comparables chez le P. Josset). La Vénus
isocratéenne, à rapprocher de la Phryné qu'évoque, à propos du style de
Balzac, l'Apologie d'Ogier, est préférable à l'Eros des seconds sophistes.
201 Ibid., p. 322. V.L. Méridier, l'infillence de la Seconde Sophistiqlle ... ,
p. 19-20.
202 Ibid., p. 333. Sur les prisca verba et obsoleta, voire les monstra et por-
tenta verborum des atticistes archaïsants. v. p. 327. Sur les novata verba et
l'affectation pythagoricienne, v. p. 329. Sur la tllmida dictio, le parenthyrslls
v. p. 334. Ce dernier thème annonce la Querelle du sublime faite par Goulu
à Balzac.
LOUIS DE CRESSOLLES 309

cette réaction atticiste 203. Les uns ne se servaient que du vocabulaire du


seul Platon. D'autres, du seul Démosthène.
L'étude de la concinnitas asianiste - mais dont les atticistes avaient
conservé à leur manière le meilleur - permet à Cressolles d'évoquer
l'usage abusif des quatre figures gorgianiques (antithèse, isocolon, pari-
son, homéotéleute), le savant entrelacs d'oxymorons qui était brodé sur
cette trame de poème en prose. Il analyse l'art asianiste de polir et arron-
dir la période, de construire celle-ci en carré, en chiasme, en écho, et sur-
tout le culte de la variété, qui incitait les orateurs à un feu d'artifice
d'effets différents.


••
Si brillante, si fondée que soit la description de la Seconde Sophis-
tique par le P. Louis de Cressolles, elle n'en est pas moins fort partiale.
Hanté par l'antithèse Sophistique païenne/Patristique, que d'ailleurs plus
d'une de ses analyses démentent malgré lui, il insiste sur les aspects les
plus « corrompus» de la rhétorique impériale tardive, et sous-estime la
valeur de la réaction atticiste qui, d'Aelius Aristide à Libanius, s'efforçait
non seulement d'épurer le goût, mais d'articuler plus solidement l'élo-
quence à la philosophie. Dans le domaine latin, la résistance des écrivains
stoïciens, celle des atticistes archaïsants dont Aulu Gelle s'est fait l'inter-
prète dans les Nuits Attiques, étaient une autre source de lumière que le
P. de Cressolles néglige dans son tableau. Cette perspective quelque peu
faussée a une double conséquence. La première, c'est que les analogies
entre la « sophistique sacrée» des prédicateurs jésuites, et la sophistique
des rhéteurs d'Asie, sautent aux yeux du lecteur, sans que le P. de Cres-
soli es ait évidemment voulu cet effet de satire. La seconde, c'est que le
choix proposé à l'orateur chrétien par le P. de Cressolles lui-même n'est
pas entre les formes les plus « saines» de l'éloquence antique et l'élo-
quence des Pères, mais entre asianisme et patristique. La voie moyenne
.- et nous allons le voir dans les Vacafiones Aufumnales de notre au-
teur - sera donc un compromis entre Seconde Sophistique de tendance
asianiste et ceux des Pères qui en sont le moins éloignés.
La conclusion du Theafrum Veferum Rheforum pose déjà ce dilemme,
et esquisse cette solution. Le P. de Cressolles y rapporte les jugements
sévères portés par les Pères et par les philosophes sur la sophistique.
Les chrétiens ont deux raisons particulières de s'en détourner: il s'agit
d'un style creux, tout à l'opposé d'une piété solide; il s'agit de fards
utilisés par les « hérétiques» pour mettre en difficulté l'Eglise catholique.
Accoutumé à l'amalgame entre passé et présent, Cressolles entend par
"hérétiques» aussi bien les Ariens, Donatistes, et Païens de l'Antiquité,
que les protestants modernes. Il semble ici accuser l'humanisme protestant

203 Ibid., p. 333. C'est sur ce point que le P. de Cressolles rejoint le Cice-
ronianus d'Erasme. Mais depuis, quels progrès de la sophistique païenne, jus-
c;t:e et y compris chez ceux qui la critiquent!
310 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

d'avoir remis en circulation la Seconde Sophistique, et d'avoir contraint


les apologistes catholiques à y recourir. Il songe évidemment aux éditions
de Camerarius, de Pierre Martini 204, à l'œuvre de Du Bartas, dont l'asia-
nisme gascon faisait les délices de la Cour, jusqu'à ce que se lève la gloire
de l'asianiste italien, son imitateur: Marino 20~.
Faut-il donc, pour se dégager de cette perversion tentatrice du Logos,
« tordre le cou» à l'éloquence? Les Pères eux-mêmes n'ont pas recom-
mandé de renoncer à l'ornatus. Dans la forêt vierge qu'engendra la Nature
antique, généreuse mais privée des lumières de la Révélation, il faut
émonder, redresser, contraindre, et partout modérer par le jugement
(iudicio), «écarter les trompettes », "fermer les armoires à parfums »,
tempérer la prolifération des « fleurettes» et des" étoiles », bref « réduire
aux limites de la modestie cette courtisane débordante d'artifices féminins,
enveloppés d'une robe versicolore, peinte avec l'art des Phrygiens, étin-
celante de gemmes et de festons floraux» 206.
Il ne s'agit pas pour autant de priver cette Madeleine repentie, à qui
l'on aura su rendre le sens de la modestie et le jugement, de tout attrait
" honnête)) sur les âmes. Le P. de Cressolles ne s'est pas si longtemps
attardé sur « les jardins d'Adonis» des rhéteurs païens pour se contenter
de les détruire: il tient à en rapporter ad majorem Dei gloriam assez de
bouquets et de parfums pour en orner dignement les autels du vrai Dieu .

•••
Il n'est pas nécessaire d'insister sur l'importance d'un tel ouvrage. En
dessinant avec tant de précision le tableau de la sophistique païenne, le
P. de Cressolles portait à un degré de clarté et de maturité presque insou-
tenable le problème autour duquel tournait la rhétorique humaniste depuis
Erasme, et tout spécialement la rhétorique des Jésuites depuis Possevin.
Cette prise de conscience de la puissance des racines poussées par la
sophistique païenne dans les Lettres contemporaines ne pouvait toutefois
aller au-delà d'un certain seuil, sans remettre en cause tout l'apport de la
Renaissance des litterae humaniores et celle des Pères de l'Eglise. C'était
le prix à payer, le risque à courir: on ne pouvait revenir à la barbarie
scolastique. Il était clair d'ailleurs que les Pères devaient beaucoup aux
sophistes, et leur exemple était somme toute rassurant pour la conscience
chrétienne.

204 Joachim Camerarius édita en effet les Progymnasma/a d'Aphtonius et


d'Aetius Théon, ainsi que les œuvres de Dion de Pruse. Pierre Martini, un
disciple français de Ramus, édita en 1566 les œuvres de l'Empereur Julien.
Il est probable que la rhétorique protestante, comme la rhétorique catholique,
fut partagée entre une tendance atticiste et une tendance asianiste.
205 Voir sur ce point G. Pozzi, éd. cit. des Dicerie sacre de Marino, p. 37-
38, etc.
206 Thea/rum, p. 371. Comparer avec les textes du P. Caussin et surtout
de Blaise de Vigenère cités p. 289 et ibid. n. 131.
lOUIS DE CRESSOLLES 311

Pour juger de l'effet produit par le surprenant ouvrage du P. de


Cressolles, il suffit d'ouvrir l'ouvrage du P. Claude Clément, Musei sive
Bibliothecae ... Instructio publié à Lyon en 1635 207 • A bien des égards, il
s'agit d'une refonte, à la fois allégée et clarifiée, de la Bibliotheca Selecta
du P. Possevin. Le chapitre consacré aux Oratores et rhetores, de façon
significative, n'y jouit plus d'une place de choix. Et le discours que tient
le P. Clément, qui cite comme une autorité le P. de Cressolles 208, révèle
un curieux malaise. D'un côté, le docte jésuite se réjouit de n'être plus le
régent de rhétorique qu'il fut à Dôle et à Lyon. Il cite largement les
accusations lancées par les Pères, et entre autres saint Augustin, contre
la «Chaire de mensonge» des orateurs païens, praestigiatores, pseudo-
rhetores, blaterones. Il attaque avec violence leurs modernes héritiers,
avec leurs « étincelles» d'esprit aussitôt éteintes, leurs fleurettes aussitôt
fanées. D'autre part, il redoute de jeter pour ainsi dire l'enfant avec l'eau
sale: ceux qui pensent que la Nature sans Art, dédaigneuse des préceptes
des rhéteurs, peut être éloquente, se trompent gravement. Saint Jérôme
lui-même célébra Gorgias et son héritage. Que faire? Il faut «limer»
tout ce qui est de trop, et se confier aux seuls Anciens qui ont fait preuve
d'un jugement sans défaut (acerrimi judicii) : Aristote, Cicéron, Quinti-
lien. La forêt des rhéteurs où Possevin entraînait le lecteur de la Biblio-
theca Selecta a disparu: seuls subsistent les trois chênes de l'Eloquence
judicieuse, dont la sève s'alimente aux racines profondes de la philoso-
phie. Le P. de Cressollcs apparaît ici comme le premier responsable a
contrario d'une conversion à un classicisme chrétien .


••
En 1620, en même temps que le Theatrum, Sébastien Cramoisy publiait
un autre ouvrage du P. de Cressolles : les Vacationes autumnales sive de
perfecta oratoris aetione et pronuntiatione libri Ill, dédiés à Henri de
Bourbon, marquis de Verneuil, évêque de Metz, et frère du comte de
Moret. Ces deux bâtards, enfants d'Henri IV et de Gabrielle d'Estrées,
avaient été confiés par Louis XIII au Collège de Clermont, qui en tirait
grand prestige auprès des parents d'élèves tant de Robe que d'Epée.

207 Musei sive BilJliolhecae lam privalae quam publicae exslructio, inslruc-
lio, cura, vis, lib ri IV, accessit accurala descriplio Regiae Bibliolhecae S. Lau-
renli Escurialis, insuper Paraenesis allegorica ad amorem litlerarum, Lyon,
Jacques Prost, 1635. Sur le P. Claude Clément, v. Southwell, Bibliolheca ... ,
Ol!Vr. cit., p. 150-151. Gallus, Sequanus, Ornaci in Burgundiae Comitalum
0595-1642), il fit ses études à Besançon, Avignon et Lyon, enseigna à Dôle,
puis devint une des lumières du Collège impérial de Madrid.
208 Ibid., p. 357. La citation renvoie au Myslagogus, mais l'ouvrage du
P. Clément, et sa conception de l'architecture et de la décoration des biblio-
thèques, supposent une lecture attentive des Vacaliones, tandis que sa pru-
dence en matière de rhétorique, soutenue par la lecture des Pères, implique
une lecture non moins méditée du Theatrum.
312 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

Mais c'est surtout à la Robe que pense le P. de Cressolles en compo-


sant cet immense dialogue in-quarto de 610 pages. Le Père Caussin
affectait quelque pitié devant l'état arriéré et gothique de l'éloquence du
Palais. Le P. Binet, plus rondement, invitait les orateurs du Parlement à
se convertir à un art épidictique. Le P. de Cressolles s'engage dans la
même offensive charitable. Il présente le principal interlocuteur des
Vacationes, Honoratus, comme le fils d'un Sénateur (entendons d'un Pré-
sident ou Conseiller au Parlement) qui se prépare à faire son stage
d'avocat avant que son père ne lui achète un office. Honoratus est un
<lncien élève des jésuites, et il va sans dire qu'il fait grand honneur à ses
régents. Plus délicat que ses confrères, le P. de Cressolles prend grand
soin d'attirer sur son livre la sympathie de la Robe érudite et gallicane.
Sa science, aussi brillante ici que dans le Theatrum, est à elle seule une
captatio benevo/entiae. Il fait mieux encore: dans l'introduction du dia-
logue, amplifiant les arguments que Pierre Pithou avait développés en
1580 dans la préface de son Quintilien 209, il fait l'éloge de la vocation
des Gaulois à l'éloquence, et de leur rôle dans la culture rhétorique latine,
dont ils maintinrent l'éclat au-delà de la chute de l'Empire romain. Aux
côtés d'un jacques Sirmond, grand éditeur des « antiquités» françaises,
et avant François Vavasseur, théoricien d'un style national, le P. de
Cressolles compte parmi les jésuites de la première moitié du XVII' siècle
qui se sont efforcés de laver l'Assistance de France de son péChé originel:
ses attaches avec l'étranger.
C'était aussi une invite, adressée aux Français, à se tourner de nouveau
vers la sœur latine (dont le P. de Cressolles connaît bien la tradition
humaniste, citant Ermolao Barbaro et Pic de la Mirandole, s'inspirant des
Aso/ani de Bembo, du Cortegiano de Castiglione, des Pro/usiones Acade-
micae du P. Strada) pour organiser un dialogue où science et sagesse
s'unissent aux charmes de la société polie, et aux beautés d'architecture
et de nature.
La contaminatio entre l'érudition à la française, où le P. de Cressolles
n'a nulle peine à se montrer éblouissant, et l'art épidictique, déployé avec
une générosité sans pareille, engendre un «beau monstre de Nature ».
Les quatre interlocuteurs du dialogue, Honoratus, au seuil de la vie
adulte, Théodorus, novice de la Société de Jésus, étudiant en théologie,
Victor, élève de Philosophie, et juventus, élève de Rhétorique, sont pour
parler Caussin des «Bibliothèques vivantes et respirantes", d'où les
citations jaillissent à flots bouillonnants. Et le P. de Cressolles, pour
recréer ses lecteurs, entremêle ce savoir richissime de véritables feux
d'artifices d'ekphrasis: descriptions riantes ou enthousiastes, portraits
de héros de l'esprit, vignettes critiques et ironiques satirisant les défauts
d'orateurs contemporains, peintures de mœurs. Antiquité et actualité sont
étroitement mêlées dans une même culture de la parole: mais tantôt c'est

209 Quintiliani Declamationes, Paris, 1580. Dédié à Christophe de Thou.


V. Praefalio, non pag., où P. Pithou justifie par l'histoire de la rhétorique en
Gaule romaine le mythe de l'Hercule Gaulois.
LOUIS DE CRESSOLLES 313

l'Antiquité qui est érigée en juge des barbares modernes, tantôt c'est le
point de vue de la modernité chrétienne qui se charge de redresser les
erreurs ou les excès d'une Antiquité superbe, mais privée des lumières de
la Révélation.
Cette étonnante Odyssée oratoire a quelque chose d'un roman initia-
tique 210. Sur le seuil du château où Honoratus en l'absence de son père
reçoit ses amis, ceux-ci tombent en arrêt devant les armes hiéroglyphiques
de la famille: un Dieu et une Déesse soutiennent un croissant de lune,
àe chaque côté d'une colonne. Après que ses amis aient tenté un premier
déchiffrement, Honoratus, nouvel Oedipe, leur explique l'énigme. La lune
symbolise la Noblesse, qui reçoit sa lumière du Monarque, et la lui ren-
voie; elle est soutenue d'un côté par Mars (l'Epée), et de l'autre par la
Justice (la Robe), La colonne n'est autre que la massue d'Hercule, qui
symbolise la Vertu, commune aux deux Noblesses. Le chiffre trois renvoie
aux trois Lys des armes de la dynastie royale 211.
Dès lors les « mystes» savent que leur naissance de Robe ou d'Epée
n'est pas une initiation suffisante à l'aristocratie du royaume: seule la
culture, qui fera d'eux les héritiers de la noblesse de l'esprit, les rendra
exemplaires. Lorsque Honoratus les introduit dans la Bibliothèque 212,
c'est dans un lieu initiatique qu'il pénètre. Ses larges fenêtres captent
les effluves émanées de la riche campagne environnante, qui s'y reflète
dans de grands miroirs. Et ces énergies cosmiques y sont comme fixées
dans les livres innombrables qui garnissent les rayonnages, où leurs
reliures dorées «rivalisent avec les astres de feu du Ciel étoilé» ; une
lampe perpétuelle, pareille à celle dont Cassiodore 213 éclairait les doctes
veilles du Vivarium, brûle sous une coupole, au centre de la salle. Dans
ce Temple de la Mémoire, les arrivants sont saisis d'un frisson religieux.
Ils évoquent les grandes bibliothèques qui ont jalonné le développement
de la culture, celles d'Asinius Pollion, de Ptolémée, de Constantin. La
Bibliotheca selecfa a servi de programme pour le classement des livres.

210 Le côté initiatique du roman hellénistique, qui hérite à la fois du mythe


platonicien et des techniques de l'ekphrasis sophistique, est bien connu. II est
présent au XVII' siècle non seulement par la traduction de ces romans (v. p. ex.
Les Metamorphoses de l'Asne d'or de l'Apulée philosophe platonique, œuvre
d'excellente invelltion et de singulière doctrine, Paris, Thiboust, 1622), mais
par leurs imitations modernes, comme le Voyage des Princes Fortunez de B.
de Ven'ille et l'Astrée.
211 Vacationes ... , ouvr. cit., p. 40 et suiv.
212 Ibid., p. 46-50. V. «Aspects de l'humanisme jésuite », dans RH.S.,
n° 158, juin 1975, p. 272-273, où un bref fragment est traduit par A. Michel.
213 Les allusions à Cassiodore sont un autre hommage à l'humanisme gal-
lican. P. Pithou avait publié ses œuvres de rhétorique dans un volume d'An-
tiqui rhetores latini, Paris, 1599 (rééd. Strasbourg, 1756). Guillaume Fournier
avait publié les œuvres de Cassiodore, en collaboration avec P. Pithou (paris,
Nivelle, 1579), puis seul, les œuvres complètes (Paris, 1588), avant deux
autres éditions au début du XVII' siècle (Paris, 1600 et 1609). Pour comprendre
cet intérêt de l'humanisme gallican (qui veut renouer avec le siècle de saint
Bernard) pour Cassiodore, fondateur de la culture monastique en Occident,
voir P. Courcelle, Les lettres grecques en Occident de Macrobe à Cassiodore,
Paris, Boccard, 1943, p. 313 et suiv.
314 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

Honoratus guide ses amis tout à tour devant l'armoire de la Théologie,


ornée d'un portrait de saint Thomas d'Aquin; du Droit (Droit civil, Droit
canon, jurisprudence), ornée d'une statue d'ivoire de justinien; de la
Philosophie et de la Médecine, ornée d'un tableau allégorique représentant
Aristote en héros du Logos vainqueur des Ténèbres; de l'Eloquence et
de la Poésie enfin, ornée d'une statue et d'un tableau allégorique, en
l'honneur de Démosthène et de Cicéron. L'allégorie démosthénienne repré-
sente une place forte assiégée où le héros, environné du tonnerre et des
éclairs de sa vehementia, pénètre en vainqueur; l'effigie cicéronienne 214
représente le Prince de l'Eloquence latine en majesté, coiffé d'une cou-
ronne de palmes dorées, entrelacées de rubans et de feuilles de chêne: la
souveraineté de l'éloquence aux côtés de son héroïsme conquérant.
C'est en cette Bibliothèque-Temple que se déroule toute la discussion
du L. II. Le voyage initiatique reprend au début du L. \Il, quand les devi-
sants, rejoints par un nouveau venu, le jeune lévite Théodorus, gagnent le
plein air et les jardins, au déclin du jour. Ce jardin est en fait un véritable
Campus Eloquentiae, pour reprendre le titre du P. de La Cerda. A ses
fleurs, à ses figures, à ses machines descriptives, les jeunes mystes répon-
dent par des éloges non moins ouvragés. Et dans le Nymphée 215, Hono-
ratus met en marche une machine hydraulique qui actionne des tableaux
mythologiques, avec mouvements et musique. Introduits aux merveilles
de la Mémoire dans la Bibliothèque, les jeunes gens sont initiés mainte-
r.ant aux merveilles de l'ornatus oratoire. Le dialogue sur la culture de la
voix peut donc s'engager.

•••
L'objet du dialogue, dans son ensemble, est l'actio et pronuntiatio
oratoria qui sert au P. de Cressolles, par un jeu savant de digressions, à
développer toute une doctrine rhétorique. En choisissant cette disposition,
le jésuite breton inversait l'ordre accoutumé des traités de rhétorique,
qui respectait les étapes du procès oratoire, et leur hiérarchie: invention,
disposition, mémoire, élocution, action et prononciation du discours. Peut-
être ce privilège accordé à l'aefio lui a-t-il été suggéré par un traité du
jurisconsulte italien Giovanni Bonifacio, paru à Vicence en 1616 et inti-
tulé L'arte de' cenni, con la quale ... si tratta della muta t!loquenza, che non
il aUro che un facondo silenzio 216. Mais cette tentative de sémiologie uni-
verselle, où le silence parle et l'éloquence se tait, est très différente de
celle du P. de Cressolles. Celui-ci n'envisage l'expressivité du silence

214 Vacotiones ... , p. 78, V.R.S H., n° cit., p. 272-273.


215 Ibid., p. 457-459. VR.SH., n° cit., p. 273-275.
216 L'arte de'cenni con laquale formandosi si favella visihi/e : si tratta della
muta eloquenza che non è altro che un facondo si/Enzio divisa in due parti ,.
nella prima si tratta dei cenni che da noi con le membra de! nostro cori70 sono
fatti scoprendo la loro significotione e quella con l'autorità di famosi autori
confirmando ,. nella seconda si demostra come di quesla coRnitione tutte l'arti
liberali e meconiche si prevagliano, materia nuova a tutti g!i uomini pertinente
e massimamente a Prencipi che per loro diRnità più con cenni che con parole
si fanno intendere, Vicenza, F. Grossi, 1616.
LOUIS DE CRESSOLLES 315

que comme un cas extrême, un point d'orgue d'une force d'autant plus
grande qu'elle est très rare 217: pour lui les signes muets qu'émet le
corps humain sont presque toujours l'accompagnement visuel de la
parole, seule rectrice du sens.
Son traité, dans sa singularité même, est bien plutôt l'aboutissement
extrême d'une tradition commencée par l'Ecclesiastes d'Erasme, et qui
est propre à l'éloquence sacrée. Le luxe d'indications données sur l'actio
par Erasme lui-même, puis par Louis de Grenade, Louis Carbone et Carlo
Reggio 218, découlait de la nature essentiellement orale et publique de
l'éloquence sacrée. Omer Talon, dans sa Rhétorique destinée avant tout
aux gens de Robe, faisait lui-même une part importante à l'acfio 219. Mais
l'auditoire d'Eglise, vaste et souvent peu cultivé, exigeait un développe-
ment plus accentué de la visibilité du sermon; il fallait d'ailleurs corriger
les habitudes médiévales en ce domaine: le passage du sermon «gothi-
que» au sermon « oratoire» ne pouvait que s'accompagner d'un change-
ment dans le style de l'interprétation du discours. Ce que Quintilien, dans
l'étude sommaire qu'il consacre à l'actio 220, ne disait pas, ou pas assez,
l'érudition alla le cueillir dans la littérature sophistique et patristique de
l'Age d'Argent. La place considérable que les rhétoriques ecclésiastiques
accordent, de 1570 à 1625, aux techniques d'actio et de pronuntiatio nous
permet de formuler l'hypothèse suivante: c'est l'éloquence sacrée qui a
joué le rôle moteur dans la renaissance d'une actio rhetorica au XVI' siè-
cle, et c'est à partir de cette version ecclésiastique de l'actio que ses
dérivations profanes (étiquette de Cour, art du comédien « réformé») se
sont développées 221.

217 V. notes 192 et 254. Le problème du silence hante la rhétorique jésuite


comme le problème du vide la physique contemporaine.
218 Voir Erasme, Eeclesiastes, L.B.V., 956 c - 967 A. L'aetio est rangée par
Erasme en tête des sehemata (une série consacrée aux affeclus : repetitio. l'xc/a-
malio, interrogatio, correelio, oeeupatio, conduplicalio, dubitatio, eommuni-
eatio, hyperbole, sermocinatio, epiphonemata; une série consacrée à l'e/(-
phrasis: metaphora, exempla, eataehresis, allegoria, imago, efficlio. hypoty-
rosis, Sensus mysticus). L'ensemble offre au prédicateur les moyens c!e parler
à l'imagination de l'auditeur, avant de lui révéler le sens mystique cie cette
mise en scène émotionnelle et visuelle. Même classement chez L. de Grenade,
Eeclesiastica rhetoriea, éd. Venise, 1578, 1. IV, p. 271-295. Traitement plus
rapide chez Valier (même éd.), p. 106-107). Même classement encore parmi
les schemala chez Carbone (Orator divin us, éd. cit.), 1. VI, p. 359-380, et chez
Reggio (Orator ehristianus, Cologne, 1613), p. 437-445, avec chez ce dernier
une problématique esthétique plus raffinée, et anronçant celle du P. de Cres-
solles.
219 Audomari Talad Rhetorica P. Rami Regii professoris praefeelionibus
obs<!rvata, Lutetiac, ap. Andreas Weehelium, 1572, p. 82-106.
220 Quintilien, [nstitl/lio oratoria, 1. XI, 3.
221 Sur les traités d'aetio publiés par les comédiens dell'arte italiens, qu'une
mythologie moderne veut croire jaillis de la prétendue «spontanéité» popu-
laire, voir notre étude cit., note 170, à la bibliographie de laquelle il but
ajouter le Trallalo sopra l'arte co mica, de Pier Maria Cecchinni, Venise, 1604,
ch. Modo di ben recitare, soutenu de l'autorité des Saeri Dotlori (Quai sorta
di persona; dei gesto ; della parola ; distinzione della parola seeondo le parti;
della voce ; delle parti ridicoli).
316 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

Le livre du Jésuite Cressolles apporte un argument de poids à notre


hypothèse. Cet ouvrage, bénéficiant d'une tradition déjà fort riche, veut
être une pédagogie complète de l'actio, fondée sur l'enseignement des rhé-
teurs antiques, « modéré chrétiennement» par la double règle de la « juste
mesure}) cicéronienne, et de la « modestie» chrétienne. Mais cette péda-
gogie s'adresse aussi à l'aristocratie profane, de Robe et d'Epée. Il s'agit
d'étendre à celle-ci la responsabilité d'incarner, dans son comportement
public, et jusque dans l'inflexion cultivée de la voix, les principes d'un
humanisme dévot, dont elle assurera, sous l'autorité de l'Eglise, le prestige
auprès de la foule.
Mais cette haute tâche pédagogique soulève un problème: il n'y a pas
U/le esthétique de l'actio, il y en a autant que d'esthétiques oratoires.
Laquelle proposer et enseigner aux deux Noblesses? Les Vacatio/les
Autumnales, où le P. de CressoIles organise une disputafio ininterrompue
entre deux options stylistiques, apportent une réponse. Ce Ile-ci est à la
fois cicéronienne et chrétienne: entre l'atticisme puritain, dont la rugosité
ombrageuse et archaïsante s'al\ie avec les survivances «gothiques », et
l'asianisme sophistique, dont le raffinement voluptueux s'allie volontiers
avec le libertinage, il existe un moyen terme, une via regia. Les deux
extrêmes, privés d'une norme régulatrice, enferment chacune des deux
Noblesses dans sa singularité, la Robe se drapant dans un atticisme
âpre et rude, l'Epée, ou du moins la jeunesse d'Epée, cultivant son
insolence dans un asianisme tapageur. L'idéal cicéronien et chrétien que
préconise Cressolles, libéral et adaptable à la « variété des esprits », n'en
postule pas moins une norme centrale, inspirant le jugement et la pru-
dence. CeIle-ci insiste sur ce qui réunit, et non sur ce qui divise.
L'historien de la société française trouvera autant de satisfaction dans
les Vacafiones autum/lales que l'historien de la rhétorique et de l'élo-
quence : on y voit à l'œuvre un des principes qui ont permis le passage
d'une élite cloisonnée à une élite homogène, des deux Noblesses à une
aristocratie royale participant de la même culture, et de la même esthé-
tique. Ne pouvant ici déplier la quantité prodigieuse d'informations enve-
loppées dans ce copieux volume, nous nous bornerons à mettre en
évidence ses thèmes essentiels.


••
Le P. de Cressolles nous facilite lui-même la tâche: de temps à autre
en effet ses jeunes héros délaissent l'examen minutieux des possibilités
expressives de la tête, des yeux, de la bouche, du cou, du torse, des bras,
des mains, des jambes, des pieds, de la voix, pour introduire une digres-
f,ion de caractère plus général. L'esthétique de chaque détail ne saurait
être séparée d'une option esthétique d'ensemble. Au L. " par exemple, la
discussion s'élève aux Communia quaedam actionis 222.

222 Vacationes ... , p. 395-414. Cette dispufafio est suivie d'érudites conver-
sations sur le bon goût philosophique en matière de repas et festins, et sur
l'usage du vin ou de l'eau par l'orateur.
LOUIS DE CRESSOLLES 317

Les deux portraits antithétiques de Cicéron et de Démosthéne, dans la


Bibliothèque, préparaient le lecteur à la dispulatio in ulramque parlem
à laquelle Honoratus et ses hôtes se livrent. Celle-ci est une variation plus
raffinée, plus subtile, de celle que le P. Reggio avait organisée au L. IV
de l'Oralor Christianus et qui portait sur la meilleure «couleur» de
l'omalus : véhément et iiprc à la manière de Démosthène, Sénèque et
Tertullien; ou trop [leu ri ct peigné, à la manière des sophistes. Chez
le P. de Cressolles on se demande si l'actio OI'aloria doit être paisible ou
énergique, calme ou véhémente, douce ou abrupte.
La question est envisagée tour à tour du point de vue de l'orateur et
de l'auditoire. Du premier point de vue, faut-il préférer l'acliochaude ou
lroide, "vécue » ou calculée? Les analyses du P. de Cressolles sont ici
trés proches du Paradoxe sur le comédien de Diderot 223. Du second
point de vue, faut-il préférer la violence belliqueuse et impérieuse, qui
force l'adhésion, à la douceur séduisante qui captive les âmes? Dans le
premier cas, les «véhéments» sont aisément entraînés dans un «forcè-
nement» désordonné et vulgaire. Dans le second cas, les « doux» tom-
bent volontiers dans une «mignardise» affectée et efféminée.
Pour dépasser ce conflit, le P. de Cressolles s'adresse au même
médiateur que le P. Reggio, Cicéron. Et comme pour bien marquer la
nuance qui le sépare du P. Caussin qui faisait de saint Jean Chrysostome
le pendant chrétien de Cicéron, il confie le magistère chrétien de l'élo-

223 La source commune est le De Ira de Sénèque (cit. et commenté par


Cressolles p. 407) où Sénèque soutient que le comédien en colère émeut moins
que celui qui imite la colère et la feint avec art. En général, ce ne sont pas
les passions de l'orateur, mais l'imitation des passions, qui font sa réussite.
Cressolles récuse cette théorie qui repose sur l'apathie stoïcienne, jampridem ...
exclusam el eliminalam e scholis, et qui jure avec la veritas el candor sapien-
tis, fondement de l'éloquence. Il cite Cicéron (De Oral ore, Il, 46) qui soutient
ql!e le grand orateur est al/ctor et non actor de la perSona qu'il interprète,
souffrant avec elle, comme le grand acteur, lorsqu'elle a à souffrir. Nihil opus
est simulalione el lallaciis (p. 408). Le vrai problème est ailleurs: faut-il pré-
férer une véhémence soutenue de luror (éventuellement porté par le yin jusqu'à
l'ivresse dionysiaque, bacchan) ou une égalité douce et sobre? La réponse
est dans un idéal de varie tas, contrôlé par le decortIm (ajustement du style
à la persona interprétée) et par le judicium (qui dose les passions, et fait
coïncider l'impelus naturel avec une forme artistique). La comparaison entre
l'orateur et l'acteur, fréquente dans les Vacationes comme dans le De Oratore,
est d'autant plus justifiée au XVII' siècle que les prédicateurs et avocats avaient
recours à d'abondantes prosopopées, soutenant des portraits de saints, de
héros, de rois... C'est ce que remarque Cressolles lui-même lorsqu'il écrit:
"Sic cum nos/ri Causidici el Ecclesiaslae de campis Elvsiis evocanl Heroes,
Reges, Principes, relh,ionis Antistitcs, Magistra/us, medÎocres, intimos, aliam
vocem danl Regi, bellalori maxime el singulari animi conslantia excellellliaque
praedito, quam idiolae civilium adminislralionum ignaro, qlli vitam omnem in
solitudine el contemplalione posllisset...» L'orateur est à lui seul une troupe de
comédiens: selon le rôle (perSona) il change de style et d'« emploi ». (Sur
les problèmes liés au movere oratoire, v. A. Michel, Rhélorique el Philosophie,
ouvr. cit., p. 245 et suiv.).
318 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

quence au plus « artiste» des Pères grecs, saint Grégoire de Nazianze 224.
Honoratus formule en ces termes la définition de l'aurea mediocritas :
Les sages, dit-il, par leurs préceptes, ont recommandé une règle d'or,
selon laquelle il faut que les mouvements oratoires s'abstiennent de vio-
lence, comme de langueur paresseuse, et que l'ardeur d'une âme prompte
et vigoureuse, évitant la témérité, se contrôle pour rester dans les limites
de ce que Grégoire de Nazianze appelle la voie royale, celle de la pru-
dence ~25.

L'excès de virilité sombre (et ici, sans le dire, le P. de Cressolles se


tourne du côté du Palais de Justice) est aussi pathologique que l'excès
de féminité séductrice (et là le P. de Cressolles se tourne du côté de la
jeunesse et des dames de la Cour, sirènes des prédicateurs auliques). La
via regia n'est pas pour autant une voie étroite et étouffante. Honoratus
esquisse la typologie de deux grandes races oratoires, l'une par nature
calme et modérée, penchant vers la douceur, l'élégance, l'abondance
fleurie; l'autre frémissante, impétueuse, tourmentée, mouvementée et
sombre. On a voulu cantonner Cicéron dans la première. En fait, orateur
microcosme 226, Orphée de l'éloquence 227, il est maître des deux registres
du Logos, qu'il fait coïncider en une synthèse réconciliatrice; ailleurs
ces deux versants entraînent à deux chutes, à deux séparations.
L'idéal est donc de le prendre pour diapason, réglant la véhémence
quand elle est nécessaire, réglant la douceur quand elle s'impose, pour
que les modes les plus contradictoires en apparence soient du moins
réconciliés par la juste mesure. Pèse-t-i1 sur cette norme unifiante une
menace de monotonie? Bien au contraire, c'est l'asperitas trop ombra-
geuse de la race violente, la mollities ou le stupor excessif de la race
douce qui, prisonniers de leur registre,sont incapables de varietas et donc
de la voluptas audientium. L'accord entre la variété du discours et la
variété de la Nature créée par Dieu, est la source profonde du plaisir.
Mais cette mimesis cosmique doit tenir compte de la nature particulière
de l'orateur, du sujet du discours, des circonstances et du public. La
varie tas est inséparable du decorum. C'est ainsi que l'oratio peut se
montrer ratio, équilibre et proportion exacte dont la découverte suppose
la solution d'un problème à plusieurs variables. L'ordre du monde, dis-
cours divin, se reflète dans le discours humain, mais celui-ci le réfracte
à l'intérieur d'une situation complexe, prise dans le flux du temps, et dont
il revient à l'orateur de saisir les données relatives.
Pour être capable de ce Grand Œuvre, qui est à la fois acte d'amour
envers les hommes et de zèle pour Dieu, la culture est indispensable. Et

2~4 Sur cette préférence du P. de Cressolles pour Grégoire de Nazianze,


le Thea/filin était déjà explicite. Voir M. Guignet, Saint Grégoire de Nazianze
et la Rhétorique, Paris, 1911.
225 Ibid., p. 103.
226 Ibid., p. 81.
2~7 Ibid., p. 82.
LOUIS DE CRESSOLLES 319

d'abord au sens de pédagogie, d'apprentissage de l'art. Pour mieux


manifester sa bonne volonté, le P. de Cressolles prête à Théodorus un
discours en faveur du « génie sans art », où il résume les préjugés primi-
tivistes d'une partie de son public. Mais il ne s'agissait que d'un jeu
paradoxal, aisément démenti 228.

•••
Au L. III, une digression De stylo et dicendi charactere permet au
P. de Cressolles de marquer davantage encore sa préférence pour le style
de la célébration ornée 229. Cette disputatio offre quelques analogies avec
le Ciceronianus d'Erasme. Mais c'est un Ciceronianus à l'envers: l'accusé
ici, c'est l'atticisme «mélancolique» dont le P. Caussin avait énuméré
l'année précédente la gamme morose et rugueuse. Honoratus, fils de
magistrat, et influencé probablement par son milieu, a été autrefois atteint
de cette «maladie », et veut bien, pour le plaisir de ses amis, jouer les
avocats du diable. Il vante donc l'expressionnisme stylistique, véhément
lorsqu'il s'inspire de Démosthène, ou de Tertullien, «coupé» (frac tus)
lorsqu'il s'inspire de Sénèque, mais toujours archaïsant et obscur. Con-
trairement au P. Caussin, le P. de Cressolles ne fait aucune exception pour
Juste Upse, qu'il ne cite jamais, mais qui selon toute apparence, est inclus
dans cette sombre galerie.
Pour Honoratus, la meilleure justification de l'atticisme archaïsant,
qu'il incarne en la personne d'Achille, héros viril et offensif, c'est le refus
de tout compromis avec le « lâche» asianisme, allégorisé par le volup-
tueux Pâris. De cette asperitas incorruptible, qui affecte de mépriser tout
ornatus, toute delectatio, pour se rèserver le privilège de la "vérité» et
de 1'« utilité» nues, Honoratus prend pour Idée le style de Tertullien:
On ne peut rien citer ni imaginer, s'écrie-t-i1, de plus véhément que
lei, rien de plus magnifique, rien qui ait plus de nerfs et de muscles 230.

228 Ibid., p. ')60-464.


229 Ibid., p. 562-583. VR.S.H., n° cit., p. 278-280.
230 Ibid., p. 565. L'anti-cicéronianisme d'Honoratus est une réaction contre
J'isocratisme, voire l'asianisme contemporains, qu'il considère comme une conse-
quence du «style cicéronien» du siècle précédent: Est enim pervulgatum jam
nimium et commune totum i1/ud orationis genus, molle, tenerum, et pellucens
atque umbratile, quod in scholis paene omnibus dominari jam video, quodque
superiori aevo Manutius, Ml/relus, Perpinianus et alii quidam in dicendo
suaves non tantum divorum linguam esse voluerunt : sed haec quaeso non tam
corum qui Ciceroniani et dici et esse voluerunt, reprehensionis causa, quam
ipsius veritatis dicta esse putatote. /lia inquam juvenilis fluens et soluta et
cye/ade veluti foeminae variegata, communi jam intelligentium hominum judicio
plurimum abest ab ea gravitate et amplitudine quae in magnis et publicis
negotiis locum habet (p. 563). Ce style «doux» et «féminin» est un style
d'irresponsables, né à l'ombre des écoles. C'était le sentiment de Lipse dans
l'Epistolica institutio. Honoratus n'exclut pas la culpabilité de Cicéron lui-
même: Nam quidquid esse potuit ver bis elegans et politum, sententiart/m lumi-
nibus insigne, condnnitudine floridum, veneribus leporibusque suave, copia
dives, numeris dulce et jucundum et figuris illuminatum, id omne velut quidam
institor eloquentiae intuendum admirandumque proposuit. Sed qui tamen aequi
320 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

Dans la même galerie de héros, il range Caton et Sénèque, si chers à


la tradition de la Robe française. Et il décrit ainsi le principe de leur style
anti-cicéronien: «Le refus de l'harmonie de la composition (dysphonia)
associé à la gravité des mots et des pensées. » Plus délicat que le P. Caus-
sin, le P. de Cressolles prête à un fils de la Robe cette autocritique de
l'éloquence du Palais. Voici comment Honoratus décrit l'effet poursuivi
par ces orateurs rugueux:
Ces hommes supériel!rs, pourvus de génie et de sagesse, s'en tinrent
à une éloquence montée sur cothurne, étrangère à la méthode oratoire
commune, héroïque à force de sublimité, austère et sonore grâce à l'en-
trechoquement des mots 2.31.

Mode « dorique» de l'éloquence, auquel Honoratus oppose les «mo-


des « lydien» et « ionien» 232, où il est aisé de reconnaître la manière de
Richeome, Coton et Binet, prédicateurs de Cour.

rertlm aeslimatores tuerunt, sic opinantur non Senatus eum sapientis, et pra es-
tabili scientia hominum sed potius indoelae l7lulliludinis et populi Oratoris.
Cr\:ssolles résume ici à sa manière ks sentiments des hauts magistrats du
Palais de Justice, hostiles non seulement à la Seconde Sophistique modernisée,
mais raême à l'isocratisme.
231 Ibid., p. 566. A l'appui de Tertullien, Honoratus cite Caton, Zénon,
Sénèque, puis une série de Docteurs chrétiens, Prosper d'Aquitaine, Théo-
doret, et les Pères de l'Eglise Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, Clé-
ment d' Alexandrie, saint Cyrille, et enfin Platon. C'est donc du puritanisme
oratoire platonicien et chrétien, uni au stoïcisme, qu'il se fait l'interprète, stig-
matisant les Sirènes qu'il ne faut pas préférer aux Muses (p. 567), l'oratio ad
gratial7l et lenocinium elabora/am, la libidinosa eloquentia, la con cinn itas, les
luxuriantes gemmulae orantium (568), bref le style des Comoedos et his-
/riones (559). Une fois encore, le sort de la prose d'art est étroitement lié à
celui du théâtre, l'une et l'autre posant le problème de la compatibilité entre
deleelalio et vo/uptas d'une part, la gravitas, aucloritas el sanctimonia chré-
tienne et philosophique de l'autre.
2.32 Ibid., p. 569. Renvoi au 1. III de la République. Comparer avec BI. de
Vigenère, dans la préface à sa traduction de Trois dialogues de l'amitié, le
Lysis de Plalon, le Laelius de Ciceron ei /e Toxaris de Lucien. Paris, Chesneau,
1579; pré!. à J. Andreossi: «Le présent qu'icy je vous fais est composé de
ce nombre à guise de quelque galle rie ou Portique à trois ordres d'architecture,
dont celui d'enbas qui est ordinairement le Dorique, est représenté par Platon,
non pour rapporter l'excellence de ce st autheur si délicat et elegant sur tous
les autres à un ordre plus massif et grossier de tous, mais pour ce qu'il sert
icy comme de base et fondement aux deux qui posent dessus: Ainsi que tant
de repetitions qu'il y a qui tiennent comllle lieu de Triglyphes et les responses
entrecouppées un peu bien cO:.Jrt, voir abruptement quelquefois, semblables
presC]u~ les unes aux autres, dont 1'1111 de nos follastrez gosseurs modernes
s'est voulu rire sous le personnage de Trouiliogan, sonneront paraventure assez
rudement et ne trouverort [las grand goust ne credit envers les oreilles non
encorre Îmbeues ne façonnées à l'induction socratique. L'autre qui vie~t ",prt"
plus esgayé comme un Ionique, est Cicéron. Et finalement Lucian pour Je
tiers, à savoir le Corynthiaque, par raison des belles histoires figurées en
iceluy ainsi que pourroit estre une frize ou zoophore entaillé à petits bastions,
fleurs, fruictages et autres telles fantaisies aussi agréables et recre;:ttives à l'oeil
que les comptes amenez ic}' peuvent estre à nos imaginations et pensées. » Voir
aussi la lettre de Poussin a Chanteloll du 24 novembre 1647 (cil dans N. Pous-
sin, Lettres et propos sur l'art, présentation par A. Blunt, Paris, Hermann,
1964, p. 123-125).
LOUIS DE CRESSOLLES 321

C'est à Théodorus lui-même, jeune novice jésuite, mais qui jouit de la


plus grande autorité dans le groupe des quatre amis, que le P. de Cressol-
les confie la tâche de repousser la tentation d'une «éloquence ennemie
de l'éloquence », dont Honoratus s'était fait par jeu l'avocat fort dis~rt.
Non qu'il prenne parti en faveur du «mode lydien » : il se contente de
préconiser un retour au vrai Cicéron, dont tour à tour les épigones de
Bembo et d'Erasme ont perverti la haute leçon. Ce Cicéron artiste et
libéral, arbitre d'une honesfa pulchritudo, est d'ailleurs appelé par le
mouvement profond de la Renaissance de l'éloquence française, tel que
Théodorus le voit s'esquisser depuis le dernier quart du XVI' siècle:
Nous voyons, s'écrie-t-il, des écrivains français dont le style oratoire,
suave et orné, a reçu du public un accueil favorable et unanime, les Amyot,
les Du Vair, les Florimoncl de Raemond, les Richeome, et de nombreux
autres, chacun avec ses traits propres, mais tous approuvés des doctes,
les uns graves, élevés, et s'avançant avec majesté, les autres doux et
agréables, captivant l'auditoire par les rythmes les plus moëlleux, les autres
admirables par la variété et l'abondance de leurs oeuvres» 233. [Ce]
« fleuve oratoire coulant et pur» [qui irrigue déjà la France, Theodorus
le préfère à ce] «grincement sauvage et harbare de mots qui brise et
détruit la phrase, et fait se heurter des vocables durs et ingrats pour
obtenir l'aspérité, donnant l'impression d'un torrent se précipitant à tra-
vers les rochers pour s'effondrer en cataracte» 234.

Cette sombre âpreté était bonne peut-être pour des temps d'orage. Le
temps de la paix et des arts, que le P. Richeome félicitait Henri IV d'avoir
ramené, en lui promettant le soutien de son Ordre, doit se ralIier à Cicé-
ron. Le discours doit se faire de nouveau, à l'exemple de l'Arpinate, .le
reflet d'une nature apaisée et d'un ciel serein, où les astres bénéfiques
tournent à leur place autour du soleil.
Avec une précision qui nous indique une des sources de ce «purisme
de Cour» que Marie de Gournay attribuera au seul Malherbe, Théodorus
pose les principes d'un delecfus verborum cicéronien: élimination de la
langue des mots durs et difficiles, élimination des mots archaïques, tous
« monstres » étrangers à la nature et déniant à l'oreille la douceur qu'elIe

233 Ibid., p. 573-574. Voir Caussin, Eloquentiae ... Parallela, éd. cit., p. 67.
Cressolles pense non sans raison qu'aussi bien dans la Robe que dans l'Eglise
gallicane il y. a un courant d'idées favorables à une éloquence «cicéronienne»
au sens où II l'entend, c'est-à-dire à mi-chemin des excès asianistes et du puri-
tanisme « véhément» des philosophes et des théologiens.
234 Ibid., p. 575. Ces métaphores rocailleuses répliquent à celles dont avait
fait usage Honoratus, qui opposait (p. 563) les montagnes à la plaine: Aliud
dicendi genus modo quaeritur sanguine plenum, forte, vehemens, austerum,
aculeatum, et ut dicam quod palmarium est, magis emditum, et interioribus
e literis haustum et depromptum : aliae viae nunc sunt, aliae regiones ineundae
ad eloquentiam, quam ego lubens cum Hesiodea Virtute in asperis saxis atque
pendentibus, via difficili atque ardua, posuerim. ilia quae fertur per loca plana
et laevia oratio, compta et polita, muliebri mundo luxurians pusionum exerci-
tationi relinquatur. Voir pour une prise de position analogue en faveur du
« sublime escarpé », le De erroribus rnagnorum virorum iJz dicendo, de Léon
Allacci, ouvr. cit.
322 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

attend m. Théodorus cite à l'appui de ces exigences l'autorité d'Auguste,


condamnant les reeonditorum verborum foetores et les eaeoulos et même
celle de Tacite qui, par la voix de Marcus Aper, dans le Dialogue des
Orateurs, flétrissait l'atticisme archaïsant d'un .Caelius 236. Il termine ce
programme de réforme par un appel à la clarté, à la fois dans l'ordre
des mots et dans leur choix, sous peine de parler et d'écrire «en haine
de la raison" 237. Il est aisé de suivre le parcours de ce message cicéro-
nien, du Collège de Clermont d'où il émane, à la Cour de Louis XIII, où
Marie de Gournay dénoncera en 1626, la «terreur dans les Lettres »,
exercée par de jeunes critiques de haut rang. On se souvient que les
Vaeationes étaient dédiées à Henri de Verneuil: en 1626, son frère le
comte de Moret, frais émoulu de Clermont, et devenu un des jeunes
« lions» de la Cour, fait publier « sous son commandement» chez Tous-
saint du Bray, l'important manifeste malherbien 238 qui fut réédité en
1630, 1638 et 1642.
Luttant de toutes ses forces, comme son confrère Caussin, contre le
puritanisme oratoire, le P. de Cressolles se montre soucieux de convertir
aux litterae humaniores et au goût « cicéronien» la jeune noblesse d'Epée,
longtemps détournée de la culture par l'asperitas et la gravitas rébar-
hatives des doctes du Palais. Il est curieux d'ailleurs d'observer que le
château d'Honoratus, et ses jardins, bien qu'appartenant à un Président
ou Conseiller au Parlement (Senator), ont déjà le faste et le luxe des
grandes demeures de la noblesse de Cour. Le P. de Cressolles anticipe
sur l'évolution de la noblesse de Robe, de plus en plus saisie, à partir de
1640 environ, par une émulation de somptuosité avec la noblesse
d'Epée 239.

235 Ibid. Cressolles invoque le Ps. Longin reprochant à Hérodote d'avoir


diminué le prix de sa prose quos in magna compositionis asperitate difticillima
esset atque insuavis pronuntiatio.
236 Ibid., p. 579.
237 Ibid., p. 580: a communi ratione abhorrenti. La péroraison est adressée
à Honoratus personnellement, qui s'apprête à faire ses débuts d'avocat au
Parlement. Elle oppose la tradition cicéronienne en langue française, celle de
Du Vair, à la tradition érudite ùes orateurs parlementaires (celle que moquait
le P. Caussin dans ses Paralle/a), autores illi tua judicio eruditi, qui cultivent
l'obscurité, l'archaïsme, la dureté de composition, la lâcheté de liaison, et qui
parlent à la fois nove et audacter sous prétexte de tradition (novantiquos,
p. 578).
238 Voir F. Lachèvre, Bibliographie des recueils collectifs de poésie ... , t. l,
Paris, 1901 (réimpr. Slatkine, 1967), p. 63-69.
239 Voir les Entretiens et Lettres poétiques du P. Le Moyne où celui-ci fait
la description de demeures et maisons de campagnes de hauts parlementaires.
Voir A. Blunt, Art and architecture in France 1500-1700, Londres, Pelican
History of Art, 1963, p. 113: « If we list those who employed François Man-
sart, or Le Vau, Poussin or Vouet we shall hardly find one name belonging
to the noblesse d'épée. The period ends characteristically and spectacularly
with the career of one of the greatest of ail bourgeois patrons, the Sur-
intendant Nicolas Fouquet.» L'A. amalgame trop vite noblesse de Robe et
bourgeoisie (v. F. Bluche, « L'origine sociale des secrétaires d'Etat...:., dans
XV Il' siècle, n0 8 42-43, 1959, p. 8-22), mais le jugement reste fondé.
LOUIS DE CRESSOLLES 323
En fait le type idéal que dessine l'auteur des Vacationes Autumnales
est destiné à séduire la jeunesse de l'une et l'autre noblesse, faisant
perdre à l'une son ignorance, à l'autre son pédantisme. Il est destiné aussi
à dégager de ces deux matériaux bruts fournis par la Nature et formés
au hasard par l'Histoire, une élite propre à devenir, grâce à la pédagogie
oratoire, une aristocratie cultivée et artiste, docile au Roi et à l'Eglise.
L'idéal de l'Orateur doit servir d'instrument dans cette opération
d'alchimie sociale. Son physique, tout d'abord, doit être le chef-d'œuvre
de la be1le Nature, et non pas une erreur ou un accident de celle-ci. Point
de corps imparfait, pour l'Orateur-Héros: il serait incapable de repré-
~enter la majesté dE: la Parole ~40. Point de bouche ou de voix contre-
faites, jurant avec la dignité du Logos. Point de bossu, vanté, pansu, qui
témoignerait moins de la dignitas homi/lis que de la faute originelle. Le
canon de la beauté antiqu~, donné par la Nature, et perfectionné par
l'Art, tel qu'il se révèle dans la statuaire grecque 241, est le seul qui puisse
servir de critère à l'élection de l'Orateur et à la sélection des élèves-
orateurs de la Compagnie.
D'autre part il y a des tempéraments peu propres ou impropres à la
splendeur de la Parole, les apathiques ou les furieux. Il y a des âmes mal
ou incomplètement formées, don! les failles cachées se trahissent par des
signes extérieurs. L'effoeminatio des unes est rendue manifeste chez les
jeunes gens de Cour par les cheveux bouclés 242, par des mouvements
lascifs de la pupille, « porte de l'âme» 243, par le port de boucles d'oreil-
les 244, par une maniére de rire excessive 245, par une bouche trop
humide 246, par une façon coquette de se flatter de la main la barbe et la

240 Ibid., p. 259-262. Cressolles fait usage de mots français, « port majes-
tueux» p. 259, «maintien et contenance» p. 260, pour évoquer le decorum
physique de l'orateur.
241 Ibid., p. 273. Cressollcs mentionne le Polycleti canonem après avoir
montré que la trop haute taille, comme la trop basse, ou la bossue, f'e
conviennent pas à la dignité oratoire, miroir de la dignité de l'homme.
242 Ibid., p. 129. Les cheveux hérissés, à la manière du lion, peuvent
convenir il un oratellT qui traite de causae capitales ou qui hlstige les impies;
mais honte aux mollioribus et deUcalulis, qui veluti lanea in rota ferunl cer-
viccm, quos videmus fluentes cincinnos et drca humeros volitantes levi pulsu
mollillswle quatere, eaque re :J;loriari. Semblables au licencieux Alcibiade, il
Mélénas l'effeminé, et peu à leur place parmi les sages.
243 Ibid., p. 168. Quid de ilIis dicam quorum oculi libidinibus J;estiunt et
perspicua titillatione volvuntur ... 7 Sane fuit comnlllnis omnium sapientium opi-
/lio Oëu!um vagum ilium et liberiorem indicem esse levitatis et flagitiosae cupi-
ditatis.
244 Ibid., p. 199. Monebo eloquentiae candidatos ... ut quorurndam !eviorum
inanitalem devi!en! qui speciosllm esse pulant intimas auriculas auro immisso
lacerare, quod motlioris ego quidem animi esse puto, effoeminatae naturae ...
On saisit ici sur le vif la mutation de mœurs qu'implique le passage d'une
jeunesse de Cour abandonnée à ses instincts, à des jeunes gens « initiés »,
« candidats}) il la dignité d'orateurs.
245 Ibid., p. 227.
246 Ibid., p. 245.
324 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

moustache 247, par une manière déhanchée de se tenir, par une gesticula-
tion qui sent son dionysisme 248, bref par toute une série de solécismes et
de barbarismes du maintien et du geste qui traduisent un intérieur gâté.
La barbarie et la vulgarité, chez d'autres, percent dans leur manière de
grincer des dents 249, de rire bruyamment 230, de parler en postillonnant,
voire en crachant 251, de taper des pieds, de se servir inconsidérément de
leurs mains, ou de faire des gestes obscènes. L'effoeminatio des muguets
de Cour, la barbarie des pédants du Palais ont en commun d'ignorer toute
règle et toute mesure. Les uns poussent l'asianisme du maintien jusqu'à
l'impudeur, les autres l'asperitas atticiste jusqu'à la vulgarité. Entre ces
deux extrêmes, correspondant dans l'ordre des manières à l'aurea medio-
critas dans l'ordre de l'aelio oratoire, le P. de Cressolles, en avance de
dix ans sur Nicolas Faret, évoque l'idéal de la Nobilitas 252.
Comme le P. Caussin le fera quatre ans plus tard dans La Cour Sainte,
le P. de Cressolles distingue avec soin sa nobili/as, pure essence extraite
de la Bibliothèque, de la noblesse de nom et d'armes, qui s'imagine détenir
ce privilège par nature et par héritage. La noblesse, que Montaigne, Marie
de Gournay, ou Nicolas Pasquier appellent « de coustume » 253, n'est pas
en principe un obstacle à l'autre, la vraie: elle peut être avec elle dans le

247 Ibid., p. 256.


248 Ibid., p. 276. Sunl enim merelrieii quidam geslus el mollissimi corporis
molliS effoeminalum animum redolenles, qui lamelsi nolari faeifius queanl in
incessu, lamen eliam evenire dicenli possunl, non sine dedecore el flagitio, el
haud lacila sapienlum reprehensione ... Voir aussi p. 277, l'influe;,ce désas-
treuse des hislriones sur la jeunesse du temps de Cicéron, et leur impunita
lascivia.
249 Ibid., p. 219. V. p. 220, Cressolles s'indigne contre ceux qui tirent la
langue.
250 Ibid., p. 216. Voir aussi p. 227 et suiv. me dispulatio sur le rire ora-
toire. Contre les stoïciens, ennemi du rire (p. 230). Contre le rire lascif:
Cupido ipse nequitiae dux el indomilae libidinis auclor ridens pingitur (p. 234-
237). Mais Cicéron n'en est pas moins l'ami du rire, et en cela il est disciple
du doux Platon: AI hoc risu abesl sonilus el nimia oris dislorsio, adesl decor,
VentIs el gratia quae capit inluenlium oculos el suavissime obleclal. A remar-
quer la distinction entre Cupido, lascif, sophistique, et Venus, honesla pul-
chrill/do.
251 Ibid., p. 239.
252 Ibid., p. 590.
253 Ibid., p. 59\. Neque vero hic eam lanlum nobililalem inlelligo ql/ae ab
illuslri prosapia ducilur generisque splendore, quae polesl esse vacua erudi-
lioni~ el prudentiae el sic prodire ad dicendum ul nihil polesl rusticius. V. sur
ce thème, obsédant depuis la Renaissance des humaniores arles (et qui joue en
faveur de la noblesse de Robe), Montaigne, Essais, Il, 8, «Des récompenses
d'honneur» ; Nicolas Pasquier, Le Gentilhomme, Paris, Petitpas, 1611, p. 2-5 ;
Marie de Gournay, Advis ... , Paris, 1641, p. 243-255; Jacques Du Bosc, L'Hon-
nesle Femme, 2' part., Paris, 1634, p. 255 (<< De la Noblesse du sang et celle
de Vertu»). Voir, pour l'arrière-plan social de ce combat dont l'enjeu est
l' « ignorante» noblesse d'épée, la violente attaque du Prévôt des Marchands
Miron, lors des Etats de 1614, contre l'anarchisme oppressif et destructeur que
fait régner le second Ordre, dont le sens des responsabilités n'est plus à la
mesure de ses privilèges (dans G. Picot, Hisloire des Elals Généraux, Paris,
Hachette, 1872, t. lll, p. 4(0).
LOUIS DE CRESSOLLES 325
même rapport que la belle Nature entretient avec l'Art. Mais la nobilitas
est avant tout le fruit du mérite personnel poli par une éducation libé-
rale. Ebloui dirait-on par cette merveille, le P. de Cressolles la laisse
entrevoir plus qu'il ne la définit. Chef-d'œuvre improbable de la Nature et
de la civilisation, c'est déjà ce que La Fontaine appellera « la grâce, plus
belle encore que la beauté », et ce que Marivaux nous laisse pressentir
chez sa Marianne. Sauf que, et la nuance est capitale, la nobilitas est
d'accent viril, et non pas féminin. Cette grâce virile donne à un simple
particulier un rayonnement princier, qui à lui seul est éloquent. Il a donc
particulièrement sa place dans un traité d'Actio oratoria, puisqu'il désigne
le point ultime où l'actio n'est plus au service du sermo, mais devient
elle-même et à elle seule discours.
Se référant, comme souvent, au traité Du Sublime, le P. de Cressolles,
révèle le secret oratoire des héros: pour les initiés de la nObilitas, leur
présence seule, leur maintien à lui seul, sont persuasifs et irrésistibles.
Epiphanies silencieuses du Logos, l'effet de leur actio est sublime. Le
silence d'Ajax pendant le nékuya de l'Odyssée, le silence de Didon aux
Enfers de l'Enéide, le silence de Drusus devant la révolte de l'armée, au
L. 1 des Annales: autant de points d'orgue qui révèlent, mieux que tout
discours, la puissance du Verbe incarné dans une grande âme. A plus
lorte raison chez les saints Martyrs: leur silence face aux tortures de
leurs bourreaux a pu être une Parole plus admirable et plus redoutable
que toute éloquence 254. Mais ce silence n'est pas une défaite de l'art
oratoire, il n'est pas un argument en faveur des «primitivistes » : il est
au contraire le sommet de l'art, son incarnation suprême.
La tacita significatio des héros, des saints, révèle en effet que leur
présence à elle seule est éloquente, que leur corps habité par le Logos
le transsude, même sans parole humaine. Mais même en dehors de
ces silences d'exception, les orateurs, porte-parole du Logos qu'ils
incarnent à leur mesure, ont à leur disposition tout un orchestre, leur
propre corps, pour accompagner et amplifier leur éloquence. Chaque
partie de ce corps, chaque membre, chaque trait du visage, chaque doigt
même, est un instrument dont il faut savoir jouer avec art, symphonique-
ment, pour soutenir la modulation savante de la voix. De même que
l'oralio doit être composée comme un corps harmonieux, de même le
corps de l'orateur, soumis tout entier à la discipline de l'actio, doit se
faire aralia visuelle, consonante à celle qu'interprète la voix. Le traité du
P. de Cressolles est le plus imposant monument qui nous reste de l'art du
geste et de l'art vocal tel qu'il était enseigné dans les Collèges jésuites
sous Louis XIII, préparant les élèves à tenir leur rôle dans des tragédies
latines, mais aussi à tenir leur rang dans le monde. Cette assomption du
corps naturel en corps oratoire, dans les Vacation es, a quelque chose de
surnaturel. Elle suppose une discipline dont le P. de Cresso Iles nous
montre qu'elle vient du fond des temps, que chacun de ses gestes et de
ses inflexions a une histoire millénaire. Elle est le fruit d'un prodigieux

254 Ibid., p. 592.


326 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

travail d'archéologie humaniste, renouant, par delà les «dégénérescen-


ces» médiévales, avec la beauté de l'homme antique. Rien de plus émou-
vant que de voir le P. de Cressolles, dans sa bibliothèque, comparant les
fragments de poètes, orateurs, philosophes, théologiens de l'Antiquité, en
tirer comme des profondeurs d'une cité ensevelie un geste de la main,
un port de tête, un mouvement des bras, une expression du visage, une
attitude, autant de morceaux d'une statue brisée qui, recomposée, ressus-
cite la noblesse oubliée de l'aristocratie du monde. Cette Hélène ramenée
des Enfers par l'érudition sert à l'orateur moderne de pierre de touche
du goût pour rejeter tout geste corrompu, et sentir la vraie beauté des
attitudes. Ce goût est d'ordre esthétique sans doute: mais il rencontre
aussi le sens de la responsabilité et de la dignité morale. La symphonie du
corps éloquent n'atteint à l'efficacité qu'à travers la grâce, la noblesse, et
la décence. Rarement comme dans ce livre la poésie de l'érudition et de
l'archéologie s'est jointe avec autant de patience à la pédagogie de l'art,
reliant la leçon d'aristocraties défuntes à celle que reçoit une nouvelle
élite, monarchique et catholique.

3. LES MALADHESSES DU P. GARASSE ET DU P. CAUSSIN

La belle tenue du Collège de Clermont, la qualité de ses maîtres,


l'impressionnante offensive de librairie qui accompagnait sa réouverture,
tout laissait à penser que les jésuites tiendraient désormais un rôle de
premier plan dans la vie intellectuelle parisienne. Les ouvrages du P.
Caussin et du P. de Cressolles, qui faisaient la théorie d'un art épidicti-
que accordé aux besoins d'une monarchie en route vers l'absolutisme,
semblaient correspondre aux besoins nouveaux. Or dix ans plus tard,
e'est à Godeau, avec son Discours sur les œuvres de M. de Malherbe,
c'est aux Conrart, aux Chapelain, aux Patru, aux La Mothe le Vayer, tous
fils de la Robe, que revient toute l'initiative et tout l'honneur d'une
Renaissance française de l'éloquence. Si un Sirmond, un Petau sont
admis pour leur érudition dans le cercle des Dupuy, dans le cercle de
Mersenne, nul écrivain ni orateur jésuite ne sera appelé à siéger parmi
les Quarante académiciens à qui Richelieu confiera la responsabilité de
la nouvelle Eloquence gallicane et royale.

Le P. Garasse et la Querelle de la « raillerie» chrétienne

Dans cet échec, l'affaire de la Doctrine curieuse a joué le rôle de


révélateur et fait perdre aux jésuites le bénéfice que pouvait leur valoir
leur effort des années 1618-1620.
Sur le frontispice de la Doctrine curieuse des beaux esprits de ce
temps que le P. Garasse publie en 1622, on pouvait voir, emblème de
l'Eloquence, une vignette représentant judith tranchant la tête d'Holo-
pherne. Citation du P. Possevin et de sa Bibliotheca selecta 255, dont

255 Voir 1re Partie, note 281.


FIV\NÇOIS GARASSE 327

nous avons vu quel esprit «véhément» de Reconquête catholique et


romaine l'animait. Sans doute, la véhémence inquisitoriale de Garasse
5' adressait-elle à la jeune noblesse, et à son chef de file, Théophile de
Viau 256. Sans doute aussi, cette offensive était-elle une excellente occa-
sion pour les jésuites de faire cause commune avec leurs vieux ennemis
du Palais, qui ne pouvaient demeurer en reste avec les jésuites dans la
répression de l'athéisme et des mauvaises mœurs. Mais justement cette
conjonction possible entre jésuites et magistrats était un danger que
les plus avisés parmi les humanistes gallicans ne tardèrent pas à redouter.
On se souvenait à Paris de l'affaire de l'Amphitheatrum honoris, ce
pamphlet en latin lancé par le jésuite belge Charles Scribani 257 contre
l'élite de la République des Lettres française et hollandaise. Le cas
particulier de Théophile mis à part, le succès que ses « fautes» pouvaient
valoir aux jésuites français n'annonçait-il pas une sorte de magistère des
« loyolites» sur les lettres gallicanes, comparable à celui qu'ils avaient
conquis en Italie, en Flandre et en Espagne? L'art de la louange avec
lequel les Richeome et Coton avaient séduit Henri IV et Louis XIII
allait-il se doubler, chez un Garasse, d'un art de l'invective propre à
réduire au silence et à la peur leurs ennemis? Louange et invective sont
l'avers et le revers du genre épidictique. Toutefois ni le P. Caussin, dans
ses Parallela, ni le P. de Cressolles, dans ses Vacationes, n'avaient traité
de ce revers. Hors de toute règle, l'art de l'invective jésuite pouvait-il
donc se permettre tous les mauvais coups? Il Y avait là une faille dans
la rhétorique de la Compagnie que ses adversaires surent relever avec à
propos. La Doctrine curieuse fut donc l'occasion d'une Querelle de la
« raillerie », où la question fut posée de la légitimité et des limites chré-
tiennes de l'invective. Et Garasse eut incontestablement le dessous, sur le
terrain même où les jésuites pouvaient se croire les plus forts, celui de
l'art oratoire.
Cette Querelle de la «raillerie» chrétienne ne cessera plus de se
ranimer au XVII" siècle, et les Provinciales de Pascal en sont l'étape
majeure. Mais pour avoir perdu la première « manche », les jésuites ne
réussiront plus à regagner le terrain perdu. Le P. Vavasseur aura beau
en 1658, dans son De Ludicra dictione, tenter de suppléer le naturel par
l'érudition: l'art d'attaquer sans se rendre odieux échappera le plus sou-
vent aux disciples de Loyola. Experts de l'art de l'éloge, et de la célébra-
tion, ils se montrèrent régulièrement maladroits dans l'art du pamphlet.
Ils surent se faire admirer, et parfois craindre: ils ne surent jamais
mettre de leur côté le rire des «honnêtes gens », ce qui à Paris, à la
longue, ne pardonne pas. Dans la guerre de pamphlets au milieu de
laquelle ils vécurent jusqu'à leur expulsion au XVIII' siècle, ils ne surent
pas trouver le ton juste. Le spectre de Garasse ne les quitta plus .


••
256 Voir Antoine Adam, Théophile de Viau et la libre pensée française en
1620, Lille, Genève, Droz, 1935.
257 Voir Sommervogel, Bibliogr. cit., t. VII, col. 982-83.
328 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

Les premiers pamphlets de Garasse furent publiés sous des pseudo-


nymes : Andreas Schoppius (qui pouvait passer pour un parent du fameux
Gaspard Schoppius 258), Charles de Lespinoeil. Au jugement de Charles
Nisard 269, son Banquet des Sages, qui osait brocarder l'Avocat Général
Louis Servin, ennemi déclaré des jésuites, n'était pas indigne, par son
« mordant» et sa «brièveté », de la Satyre Ménippée. Habile retourne-
ment contre l'humanisme gallican de ses propres armes. Son Rabelais
réformé 260, dirigé contre le pasteur Du Moulin, lui-même pamphlétaire
peu délicat, et sa Recherche des recherches 201 contre Estienne Pasquier
font une grande part à la critique rhétorique, attaquant l'adversaire sur
les maladresses, les vulgarités, et le désordre de sa forme oratoire.
Dans la Doctrine curieuse, publiée sous son propre nom, et avec son
titre de jésuite, Garasse visait manifestement à passer dans un registre
supérieur. Sans renoncer aux avantages de la satire, et de l'ironie, qu'ap-
préciait manifestement le public parisien, il y mêle la prétention du
Docteur parlant ex cathedra, avec gravité, et même véhémence menaçante,
pour prononcer la plus grave des accusations, celle d'athéïsme. A la fois
réquisitoire, concluant implicitement à la mort de l'impie, et satire bur-
lesque des mœurs dissolues de la jeunesse de Cour, la Doctrine curieuse
faisait fusionner deux genres qui, pris à part, n'avaient pas de quoi
surprendre. Les Avocats Généraux du Parlement de Paris n'hésitaient
guère et même encore au XvII" siècle, à requérir le bûcher; et le pamphlet
d'Henri Estienne contre les « Français italianizés », parmi tant d'autres
satires de la Cour d'Henri JIJ, pouvait servir de précédent aux attaques
de Garasse contre l'entourage libertin de Théophile. Mais une des règles
de l'éloquence parlementaire était d'interdire le rire dans l'enceinte, grave
par excellence, du Palais, et ni Estienne, dans ses « Français italianizés »,
III Rabelais, ni Régnier, ni les auteurs de la Satyre Menippée n'avaient
songé à jouer les procureurs. Garasse violait en somme une des lois non
écrites de la tradition française, en mélangeant deux genres et deux tons
peu faits pour se rencontrer, et en se livrant à une activité de dénonciateur
qui rappelait fâcheusement un des aspects les plus odieux des mœurs
impériales romaines. Soupçonnés de sophistique, les jésuites apparais-
saient avec Garasse sous les traits du sycophante.
Ce sycophante en soutane soutenait ses accusations d'un argument
de type résolument rhétorique: l'orateur doit' être vir bonus dicendi
peritus, et même vir christianus dicendi peritus ; les poèmes de Théophile
contiennent les preuves de ses mauvaises mœurs et de son irréligion; et
inversement, cette perversion morale et intellectuelle condamne sa

258 Sur Gaspard Scioppius, v. note 139. Ce curieux personnage ayant com-
battu sur deux fronts, contre les «hérétiques» et contre les Jésuites, il est
difficile de savoir si le P. Garasse lui emprunta son nom pour lui faire pièce
ou pour lui rendre hommage.
259 Ch. Nisard, Les gladiateurs de la République des Lettres, Paris, 1860,
t. Il, « François Garasse», p. 228-253.
260 Ibid., p. 253-268.
261 Ibid., p. 268-294.
FRANÇOIS OGIER 329

poésie à la «méchanceté:t. Un tel argument, contre lequel s'était élevé


avec une héroïque maladresse le malheureux Etienne Dolet, avait conduit
l'auteur du De Imitatione ciceroniana à une mort infâmante .


••
La réplique la plus efficace à la Doctrine curieuse vint non pas des
amis de Théophile, glacés d'effroi, mais du cercle humaniste de Nicolas
Bourbon 262, poète néo-latin et maître du comte d'Avaux et de Balzac.
Le jeune François Ogier 263, dans son Jugement et Censure 264, se garde
bien d'attaquer Garasse sur le fond: il approuve en termes génériques
la croisade contre «1'Athéïsme qui corrompt, à ce qu'on dit, jusque les
plus illustres membres de cet Estat ». En revanche, il veut rendre odieux
son style et sa rhétorique de sycophante.
Avec une ironie consommée, et qui touchait juste, François Ogier
retourne contre Garasse l'argument essentiel que celui-ci dirigeait contre
Théophile. On ne fait de bonne littérature qu'avec de bons sentiments?
S'il se trouve que Garasse fasse de la mauvaise littérature, ses sentiments
sont donc fort mauvais. Et, bon apôtre, Ogier de s'étonner que les « Doc-
teurs de la Foi» (entendons les Docteurs de Sorbonne émus contre
Théophile) admettent pour héraut un personnage dont les mœurs - si
l'on en croit son style! - compromettent la sainte cause qu'il prétend
défendre en leur nom.
Cette belle trouvaille, qui donnait à Ogier l'avantage du défenseur du
« style sévère» chrétien contre l'impure sophistique païenne de l'impos-

262 Sur Nicolas Bourbon et son cercle, voir René Kerviler, Nicolas Bourbon,
1574-1644, étude sur sa vie et ses travaux, Paris, H. Menu, 1878. L'acmê de
son influence se situe entre 1611 et 1619, années pendant lesquelles il occupa
la chaire d'éloquence latine du Collège Royal. 11 fut le maître de rhétorique
de Chapelain, le précepteur du comte d'Avaux, et exerça une influence décisive
sur la formation du jeune Balzac. Richelieu le fit entrer à l'Académie en 1637.
263 Sur François Ogier, v. Goujet, XV 11, p. 224. Né en 1597, fils d'un
procureur au Parlement de Paris il était le frère du secrétaire du comte
d'Aval'x, élève de Nicolas Bourbon: V. son Eloge ou Panégyrique de Monsieur
d'Avaux, Paris, Camusat, 1652, où Bourbon est célébré comme Je «Linus»
du héros: «C'est luy qui donna goust à M. D'Avaux des belles lettres, qui
Il!y mit les bons livres à la main, qui le façonna à cette noble manière de
s'exprimer et cette éloquence masle et majestueuse dont il estoit sans mentir
un grand Maistre.» Nous reviendrons sur l'école de N. Bourbon, un des labo-
ratoires du classicisme. C'est en 1623, selon Marolles (Mémoires, Paris, 50m-
maville, 1656, p. 58) que les deux Ogier, leurs amis Habert et G. Colletet font
leur jonction avec l'" académie» de Marolles, chez Marie de Gournay.
Marolles et ses amis sont fort liés aux Jésuites érudits, Sirmond, Fronton du
Duc, Petau (Marolles, ibid., p. 38 et suiv.) que François Ogier épargne soi-
gneusement dans son Jllgement et censure. 11 n'est pas exclu que ce pamphlet
exprime aussi le point de vue de Marolles et de ses amis, alors tout occupés
de la «pureté de la langue », de la « netteté d'cxpressio;l» (ibid., p. 41).
264 Jugement el Censure dl! livre de la Doctrine curieuse de François
Garasse ... , Paris, 1623 (non pag.).
330 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (160\-1624)

teur Garasse, semait la division dans 'le camp dévot. Ogier prend soin de
dissocier la cause du sycophante de celle de «l'éloquent Coton », du
« docte et profond Seguiran », du «sçavant et judicietlx Fronton », les
invitant à se désolidariser de la brebis galeuse.
Par un tour de virtuosité assez brillant, Ogier se sert de la critique
rhétorique pour apparaître plus dévot que le porte-parole des dévots, et
pour desserrer du même coup la prise de la critique dévote sur l'éloquence
française! De fait son analyse du pamphlet de Garasse est un modèle de
critique rhétorique, qui le prépare à l'Apologie des Lettres de Balzac,
son second chef-d'œuvre en ce genre. Dans les deux cas, ce sont des
critères du decorum chrétien qui perdent ou qui justifient l'auteur étudié.
Garasse avait cru pouvoir tempérer la «véhémence» de ses accusa-
tions par le recours à des ornements qui délassent le lecteur: récits,
descriptions, portraits satiriques. Il obéissait ainsi au principe de la
variété. C'est là que François Ogier l'attend. Posant en principe l'émi-
nente dignité du Prêtre, que toutes les rhétoriques ecclésiastiques depuis
Trente s'employaient à célébrer, il rappelle qu'il doit y avoir convenance
entre la majesté de l'office, et celle du style par lequel son éloquence se
manifeste. Violant le decorum auquel il est tenu par sa condition d'ecclé-
siastique, Garasse ne saurait être qu'un mauvais prêtre, autant qu'un
mauvais orateur.
Garasse est-il pieux? En tout cas il ne se montre pas tel, et le feu de
la charité ne l'anime guère lorsqu'il injurie les pécheurs au lieu de les
reprendre patiemment. Est-il doué de la prudence chrétienne? En tout
cas il se montre privé de «jugement », puisqu'il croit pouvoir défendre
les mystères de la foi avec des ornements bouffons imités de grossiers
paillards tels que Régnier, voire Rabelais.
C'est ce dernier argument que développe Ogier dans un chapitre
intitulé La rhétorique de Garasse. Il faut ici entendre «rhétorique »,
comme souvent au XVII" siècle, et depuis, dans un sens péjoratif, celui
d'art sophistique de persuader. Or l'argumentation de Garasse est essen-
tiellement fondée sur la figure d'ironie (raillerie), qui selon Ogier est non
seulement impropre à la preuve, mais incompatible avec l'apologétique
chrétienne. Du moins sous la forme grossière et brutale qu'elle revêt chez
Garasse 265 : Ogier n'exclut pas l!ne ironie délicate, qui emploie d'honnêtes
détours. Mais l'orgueil suffisant et la violence latente que supposent les
railleries de Garasse sont étrangers à la parole et au cœur chrétiens.

265 Ironie grossière et brutale de Garasse: v. «Epistre» liminaire: «iro-


nies enfiellées qu'il vomit à tout propos... et contre toutes sortes de personnes
indifferemment... ». Ch. 1: «emprunter leurs mots de gueule et de bordel,
ne faire parade que de leurs rencontres mordantes et satyriques... », «fiel de
la bouffonnerie et de la mesdisance ... ». Or «la raillerie» (est) plus propre
à délecter qu'à persuader, à irriter vostre adversaire qu'à l'instruire ». Cette
sorte de raillerie «de bouffons qui font semblant de se quereller en plein mar-
ché à coups de marotte pour faire rire davantage le spectateur », offense donc
à la fois le decorum chrétien et l'urbanitas aristocratique. Pour amuser le
vulgaire, elle offense Dieu et la dignité sacerdotale.
FRANÇOIS GARASSE 331

Dans le chapitre intitulé Contes facétieux, Ogier se livre à l'examen


d'une figure cette fois ornementale, et dont Garasse faisait comme ses
collègues grand usage: la narratio, un des aspects de l'ekphrasis des
rhéteurs. Il n'a aucune peine à montrer que les narrations de Garasse,
lourdes et vulgaires, donc peu bienséantes à un prêtre « réformé », sont
au surplus des hors-d'œuvre, qui rompent inutilement le fil du discours.
Ce dernier argument remet en cause le principe de variété et de digression
qui, depuis Erasme en passant par Montaigne, avait présidé à la rhéto-
rique du XVI' siècle.
Dans le chapitre intitulé la Bibliothèque de Garasse, le nouvel Aris-
tarque se livre à l'inventaire des «sources de l'invention» du jésuite, de
la sylva locorum dont il s'est servi pour nourrir son discours d'allégations
et de citations. Or, constate triomphalement Ogier, ces «sources» ne
jaillissent pas des œuvres des philosophes païens ou des Pères (comme
dans la Sylva de L. de Grenade), mais de Rabelais, Mellin de Saint-
Gelais, Régnier, l'Arétin, voire Pétrone, et des modernes Pétrones eux-
mêmes que Garasse feint de pourfendre, tout en les citant complai-
samment.
De l'invention, Ogier passe ensuite à l'élocution. C'est là qu'il tenaille
le plus cruellement son jésuite coupable à ses yeux d'une prose aussi
ridicule que maladroite, «indigne de la chaire ou d'un livre qui traite
des mystères sacrez de nostre religion». S'appuyant toujours sur les
Rhétoriques ecclésiastiques, il cite les Péres, entre autres saint Basile 266,
qui définit un decorum de l'orateur chrétien. Or Garasse, offensant la
délicatesse des chastes oreilles par l'usage des termes indécents, nommant
sans crainte de leur faire de la publicité les cabarets de débauche pari-
siens, La Pomme de Pin et le Cormier, usant de mots injurieux et piquants
à tout propos, ravale le style chrétien au-dessous du médiocre, au niveau
des « comédiens et basteleurs ».
L'elecfio verborum de Garasse ne vaut pas plus cher que son choix
d'un character dicendi aussi indécent. Ogier la qualifie de pédantesque,
mêlant « les mots de halle et de Pont Neuf» à des «trippes de latin».
Après cette analyse fouillée de l'art oratoire du P. Garasse, Ogier
revient et conclut sur ce qui fait le fond de son argumentation: l'indignité
méprisable et dangereuse de l'homme Garasse, révélée par son style. Il
avait montré que le jésuite manquait de «jugement» (judicium); il
ajoute maintenant qu'il est privé de subtilité d'esprit (inge/lÏum). Et sur-

266 Ogier cite aussi saint Paul, les Actes, saint Hippolvte, saint Cyprien,
saint Augustin. Contre Garasse, il prend la défense d'Henri Estienne, d'Etienne
Pasquier, de J.J. Scaliger, et de Charron. /1 cite avec éloges 1uste Lipse, Mon-
taigne et les 1ésuites érudits, tels Andreas Schott. Contre Garasse, il en appelle
à la «Cour de Parlement de Paris» qui aurait plusieurs fois condamné au
feu tles livres offensant la majesté de la religion comme celui de Garasse. Son
goût à la fois chrétien et cicéronien s'appuie sur un humanisme à la fois
gallican et érudit (au ch. VI, il cite la Chronolo~ie de Génébrard qui récusait,
après Casaubon, l'authenticité du Corpus Hermeficum que Garasse, confor-
mément à la tradition du xv,' siècle, citait comme une autorité).
332 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

tout ses mœurs sont désastreuses: il est coupable de mauvaise foi, de


mensonge, de malignité, de médisance, et de profanation des mystères
de la foi. Le public est prié de récuser un tel témoin et un tel procureur.
La lecture du Jugement et Censure nous en persuade: le prieur Ogier
est un des grands méconnus de l'histoire littéraire du xvII" siècle. Ce
pamphlet de 1623 est un des premiers chefs-d'œuvre de la critique litté-
raire classique. Et pour en mesurer tout le prix, ainsi que la cohérence de
la pensée critique d'Ogier, il faut le lire en le confrontant à la préface
qu'Ogier donnera en 1651 à ses Actions publiques 267. Là, approfondissant
sa pensée, il repr.endra son analyse du genre épidictique, sous son double
registre de louange et d'invective. Rien n'est plus facile, dira-t-il, que
l'invective, et rien n'est moins chrétien, puisqu'elle flatte nos plus ina-
vouables instincts: elle «nous est agréable, d'autant qu'elle est suivie
ordinairement de la moquerie et de la raillerie, qui sont les plus familiers
divertissements de la misérable nature humaine. Tout ce qui excite cette
faculté risible et enjouée qui est en nous nous plaist et nous attire ». Au
contraire, la louange ne plaît que lorsqu'elle s'adresse à nous: rien n'est
plus difficile que de louer sans exciter la jalousie, et sans tomber dans la
flatterie des « Sophistes grecs ». Dans le Panégyrique chrétien à l'adresse
des Saints, et à l'exemple des Pères, «la facétie n'y a aucune part, qui
est un des topiques plus familiers à l'accusation et à l'invective, et qui lui
concilie une audience plus favorable ».
Bel exemple d'une réflexion rhétorique qui s'accomplit en analyse
morale. Pionnier du classicisme, François Ogier en fut aussi un des plus
fins théoriciens.

•••
Au Jugement et censure, le P. Garasse répondra l'année suivante dans
une Apologie ... pour son livre contre les Athéiste:; 268. JI s'efforce,
bien avant le P. François Vavasseur et son De Ludicra Dictione (1658), de
définir la légitimité du style « plaisant» en matière de polémique, même

267 Actions publiques de 111. François Ogier Prestre et prédicateur, Paris,


Camusat, 1652, pré!. non pag.
268 Apologie du Pèrl! François Garassus pour son livre contre les Athéistes
et libertins de noslre siècle et response al/X censures et calomnies de l'autheur
anonyme ... , Paris, Chappelet, 1624: voir aussi Let/re du P. F. Garassus à
M. Ogier touchant leur réconciliation, Paris, et Response du Sieur Ogier sur
le mesme sujet, ibid., 1624. Il est intéressant d'observer que dans sa lettre de
réco~ci1iation à Ogier, le P. Garasse explique qu'ils ont des adversaires com-
muns: « les faineans et mocqueurs qui n'ont d'autre affaire qu'à juger des
coups », « cette infinité de jeunes hommes (qui) semblables à ceux qui se repais-
soient les yeux dans les Amphitheatres du carnage des gladiateurs ... , eussent
esté bien aises de nous voir attachez mutuellement pour juger des coups » ...
Qui sont ces jeunes hommes, sinon la jeune noblesse rebelle qui avait fêté
Théophile, et contre lesquels il faut faire front? Ogier renchérit: «la crainte
d'exciter du scandale au milieu des Catholiques ... ».
FRANÇOIS GARASSE 333
religieuse 269. Et il voudrait montrer que, conformément aux limites du
genre et du style qu'il avait adoptés pour sa Doctrine curieuse, il s'est
bien gardé de tomber dans les «bouffonneries» et le burlesque dont
l'accuse Ogier. Il justifie ce style et ce genre en invoquant la vertu
d'« eutrapélie » 270, qu'il estime compatible avec la gravité de la persona
ecclésiastique.
La querelle avec Ogier fut suivie d'une querelle avec Balzac, qui donna
l'occasion au Jésuite de faire une description haute en couleurs, et non
denuée de justesse, du style épistolaire de Balzac. C'est lui, on l'oublie
trop souvent, qui avant Dom Goulu, a lancé le sobriquet de « Narcisse»
dont Balzac eut tant à souffrir: «Ne vous perdez pas si profondément
dans vos tulipes et vos fleurs, que vous ne vous souveniez de Narcisse;
ne vous abysmez pas si avant dans les ondes de vos eaux alambiquées,
que vostre esprit ne s'alambique avec elles ... 271» 11 est curieux d'ailleurs
d'observer que Garasse, lorsqu'il s'en prend au style de Pasquier, ou à
celui de Balzac, sait dénoncer avec un goût déjà « classique» l'archaïsme
de l'un et l'asianisme de l'autre. Mais la rhétorique des Jésuites français

269 Voir Apologie ... , ch. IV, «Mes bouffonneries prétendues », p. 39-47.
" Les tr:lÎts et pointes d'esprit ne se doivent pas qualifier du nom de bouf-
fonnerie ... Il y a une vertu nommée Eutrapelie ... par laquelle un homme d'es-
prit faie! de bonnes et agrcables rencontres qui resveillent l'attention des Audi-
tturs ou des Lecteurs appes,lIltis par la longueur d'une esrriture ennuyeuse
ou d'un discours trop sérieux» (p. 41). Cette vertu, définie par les théologiens,
autorise donc le prédicateur à soulager son auditoire, «ennuyé» par la sévé-
rité des sujets chrétiens, par des saillies comiques. Et d'invoquer l'exemple de
saint Vincent Ferrier (p. 43), de Vincent de Beauvais (p. 63), de saint Jérôme,
de saint Bonaventure, de la Vie des Pères (p. 63-65), de la Chronique de
saint François (p. 66), et d'une foule d'autres auteurs ecclésiastiques anciens
ou modernes (p. 70 et suiv.) y compris saint Augustin (p. 72) et Dom Antoine
de Guevarre (p. 73). De même, pour justifier son franc parler en rnatière
d'impudicité, il invoque la Bible (p. 89) et saint Augustin (p. lOI). Mais ces
autorités ne durent guère impressionner Ogier, qui, au ch. IX de son jugement
avait soutenu la thèse que les Pères ne doi\'ent pas être imités, au plan de la
forme, sans discernement.
270 Ibid. Sur l~ vertu d'eutrapélie, \"oir Aristote, Ethique à Nic., IV, 14
et Rhétorique, Il, 12, 16. R. Estienne, dans le Thesaurus linguae latinae (1543)
traduit le mot par Urbanitas, lep or, festivitas, et facetia, Eutrapelus, surnom
d'un familier d'Antoine (Cic. Fam. VII, 32-33) est le héros de deux Colloques
d'Erasme, Puerpera (l'Accouchée) et Convivium f'abulosum (le Repas anec-
dotiqlle). Il y a à la R"naissance une véritable Querelle de l'eutrapélie, dont
se fait écho le P. Vavasseur d,lns son De LI/dicra dictione (1658, p. 282 et
sui,·.). Saint Paul ayant condamné (Eph. V, 4) l'eutrapélie qu'il assimile à un
lallgag~ sot et indécent, le P. Va"asseur réhabilite pour sa part cette notion
qu'il entend au sens de maîtrise des passions, d'humeur équilibrée et sociable,
favorisant une conduite aussi éloignée de la bouffonnerie complaisante que de
la rl1sticité revêche. C'est la vertu du vir humanior. La discussion de cette
notion intervient dans le De Il/dicra dictione juste avant les chapitres consa-
crés à Cicéron et à la Tulliana dictio, modèle de bon goût à mi-chemin de
l'excessive gravité et de l'excessive bouffonnerie: le « rire des honnêtes gens ».
Pour Garasse, l'eutrapélie n'est pas un principe de juste mesure, mais une
compensation comique à la tension qu'exige la gravité sévère des sujets chré-
tiens.
~71 Cit. par Charles Nisard, Les Gladiateurs ... , ouvr. cit., p. 372.
334 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

d'alors, qui consiste à condamner « chrétiennement» la sophistique sous


tous ses aspects, tout en y recourant abondamment au nom de la « droite
intention» chrétienne, explique cette étrange mauvaise foi qui dénie à
autrui les facilités que l'on s'accorde à soi-même .


••
Les deux querelles s'achevèrent par une réconciliation générale. L'an-
cien régent de Balzac à Angoulême fit la paix avec son indocile élève
dans une lettre latine insérée en tête de la Somme théologique que le
malheureux s'était cru obligé d'écrire pour restaurer son autorité reli-
gieuse fort endommagée. Mal lui en prit: Saint-Cyran entra alors en lice,
et dans un pamphlet intitulé Somme des fautes et faussetez capitales ... 272
anéantit à la fois le style et la substance de cet ouvrage de vulgarisation.
Le pamphlet d'Ogier, les Lettres de Balzac, révélaient un goftt nou-
veau, une «rhétorique française» en voie de formation, que le P. de
Cressolles et le P. Caussin pressentaient en célébrant Amyot, Du Vair,
Du Perron; mais le vif de la nouveauté leur échappait: leur référence
vague à des autorités d'une ou plusieurs générations antérieures le révé-
lait clairement.

Le P. Caussin et la Querelle du « sublime» chrétien

La Querelle Garasse-Ogier-Balzac était à peine terminée que se


déclenchait contre Balzac une offensive 273 lancée non par des Jésuites,
mais par des Feuillants, autre ordre issu de la Réforme catholique.
L'enjeu du débat, de Garasse à Balzac, s'est déplacé. Non seulement
l'arrière-plan judiciaire et politique a disparu - heureux effet de l'offen-
sive d'Ogier aussi bien que de la prudence de Balzac --, mais J'on est
passé du revers à l'avers du genre épidictique. Ogier, qui intervint dans
cette nouvelle Querelle, est mieux placé que quiconque pour en révéler la
substance. Dans la Préface déjà citée, après avoir expliqué que l'Orateur,
dans le panégyrique, «doit employer tous les secrets de l'art, doit dé-
ployer les grandes figures, et particulièrement doit étaler la pompe de
son beau langage, et du style sublime », il met en garde contre les dan-
gers qui le menacent alors, «extravagance, enflure, hyperbole », fruits
d'un «enthousiasme» que le jugement ne contrôle plus. Et il ajoute:
« Cette difficulté fut examinée assez exactement il y a quelques années
au sujet de la dispute de deux hommes illustres, dont l'un accusait l'autre
de ce défaut, ou plutôt de cet excès. J'eus une part notable en ce

272 I.a Somme théolorrique des vérités capitales de la reli,!ion chrétienne


par le P.F.G ... , Paris, S. Chappelet, 1625, in-fol., La Somme des fautes et faus-
setez capitales contenues en la « Somme théologique» du P. François Garasse ... ,
Paris, Bouillerot. 1626. Sur la polémique Saint-Cyran-Garasse, v. J. Orcibal,
Les origines du jansénisme. Paris, 1947, t. Il, p. 249.
273 Sur la Querelle Balzac-Goulu, voir Z. Youssef, Polémique et littérature
chez Guez de Balzac, Paris, Nizet, 1972, p. 40 et suiv.
NICOLAS CAUSSIN 335

conflit...» Et Ogier de citer Longin et le Traité du Sublime comme la


référence majeure de la QuerelIe des Lettres.
QuelIe occasion rêvée pour les Jésuites de prendre leur revanche des
déboires de Garasse 1 Le P. Caus sin, dans ses Parallela, le P. de Cres-
solIes, dans ses Vacationes, avaient de façon fort savante et convaincante
exposé la théorie du style sublime selon Longin, et montré à quels risques
s'expose l'orateur qui, se doublant d'un poéte, s'élance vers la forme la
plus haute du genre épidictique. Faute du P. de CressolIes, alors à Rome,
il tevenait tout naturelIement au P. Caussin d'arbitrer la QuerelIe
entre le Général des FeuilIants et Balzac. Le P. Strada eût été royal en
pareille occasion. Mais le P. Cilussin, avec un manque d'à-propos sen-
tant son pédant de colIège, avait trouvé moyen, en 1624, l'année même
où paraissent les premières Lettres de Balzac, d'oublier déjà les XIII livres
consacrés à 1'« éloquence humaine» dans les Parallela, et de se rallier
aux positions les plus puritaines de la « sévérité» chrétienne. Positions
d'autant plus intenables dans son cas qu'il ne se privait pas, comme on
le verra, de recourir à la sophistique sacrée de ses confrères pour mieux
persuader son public de Cour. Voici ce qu'il écrivait dans la préface de
La Cour Sainte:
Ce n'est pas que j'affecte tant la politesse qu'il me faille un an pour
attifer mon labeur, comme aux Demoiselles des Sybarites qui allant à
une nopce, meditoient une année entiere la façon de se bien coiffer. Mon
oeuvre ne peut ny ne veut tirer sa recommandation de petites mignar-
dises dont les Escrivains qui n'ont autre visée que la delectation font
trophée. Toutefois je luy ferois tort de m'excuser sur le langage, car je
l'ay assez elabouré pour le faire servir d'un fidelle interprete à ma pensée.
La conception et la parole vont bien quand elles vont de mesme et de
proportion, comme l'esquille ct le filet du cadran qui sont affermis sous
un mesme alignement. fay ceste consolation devant Dieu en ma conscienœ
d'avoir traitté des points en mon livre fort salutaires pour les moeurs,
que j'ay tascllé (\'açcompagner d'un parler non mignard et affecté, qui
s'en allast jouant dans les petites observations de voyelles et de consonnes,
et dans quelques menues antithèses: mais d'un style masle et ferme qui
n'a point appris à faire la guerre avec des armes dorées. Il n'y a rien
de plus éloquent que celuy qui a bien conceu une vérité, et un livre ne
sçauroit avoir meilleur genre que de rencontrer les yeux et les mains
d'un homme de bien ... 274.

Il Y avait quelque chose de ridicule, pour un homme qui avait consacré


un in-folio aux techniques des rhéteurs, à prétendre ramener celles-ci au
seul adage: Vir christian us dicendi peritus. Son livre démentait assez
une telle prétention. Cette palinodie n'en révélait pas moins aux prosa-
teurs «humains» en langue française que les Jésuites français n'étaient
pas fixés, et qu'ils ne disposaient pas d'une rhétorique cohérente, ni d'une
autorité critique comparable à celle du P. Strada. D'autre part, leurs

274 La Cour Sainte ou Institution Chrestienne des Grands avec les exem-
ples de ceux qui dans les Cours ont 'Ieury dans la saine/elé, Paris, S. Chap-
pelet, 1624, dédié au Roi et à la Noblesse. Advis au Lecteur sur le dessein
de ce livre.
336 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

oscillations entre un relatif libéralisme et un rigorisme intolérant les


condamnaient eux-mêmes à se contredire entre eux. La « rhétorique» du
P. Garasse n'était pas celle de l'érudit et «judicieux» Fronton du Duc,
Ogier l'avait souligné avec perfidie, mais justesse. Et celle du P. Caussin,
qui avait changé entre 1619 et 1624, n'était pas celle du P. Binet, qui trois
ans plus tôt, en 1621, avait publié son Essay des Merveilles où les tt. peti-
tes mignardises» s'étalaient sans scrupule. Le même Binet, loin de se
sentir visé par les mercuriales de son confrère, publiera régulièrement
jusqu'à sa mort, en 1639, des éditions augmentées de son Essay 275.
Dans la Préface du second tome de la Cour Sainte publié en 1627,
le P. Caussin, allant plus loin encore qu'en 1624, n'hésite pas à renier
expressément les XIlI premiers livres des PaI'allela, e1 à jeter le discrédit
sur l'ars bene dicendi lui-même:
Pour tout ce qui touche la façon d'escrire que j'ay gardée en ce
second volume, je confesserai à mon lecteur avoir procédé plus par Genie
que par Artifice. Et quoy que j'ay esté autrefois assez curieux de lire et
remarquer tout ce que l'Eloquence Grecque et Romaine a jamais enfanté
de beau, neantmoins je reconnais qu'il y a un certain rayon de Dieu qui
venant à rencontrer nostre esprit et se mesler avec le naturel, est plus
sçavant que tous les préceptes, et je puis dire cee y pour l'instruction de
la jeunesse qui m'a demandé mon advis sur les qualités et les conditions
du style. /1 est vray que j'ay manié quantité de livres, écrits en toutes
sortes de siècles et que j'ay recongneu que les plus sensez sont bien elevez
de pensées et de paroles, sur le commun; mais toujours sans affectation.
Les autres sont passionnement amoureux de certaines petites mignotteries
qui sont les ennemies capitales de la persuasion et qu'il faut surtout éviter
dans les discours qu'on fait sur la piété, dont ils affaiblissent les nerfs
ct ternissent le lustre 276.

Songerait-il au P. Binet? Il n'a garde. C'est cette fois Balzac qu'il


vise, et c'est à Dom Goulu qu'il apporte à retardement sa pierre pour
accabler le sophiste des Lettres, reprenant contre celui-ci les principaux
arguments de son adversaire. L'orgueil sophistique:
Je me suis estudié plus au fonds des sentences qu'à l'ornement des
paroles, ne prétendant rien à la gloire des plumes mondaines, qu'on
voit naistre tous les jours en tant d'Autheurs du siècle qui seroient plus
parfaits s'ils s'appliquaient à de plus graves sujets, et s'ils imitaient en
quelque façon le Soleil, qui ayant de l'admiration pour tout le monde,
n'en a point pour say mesme.

Sa mondanité, toute voisine de celle de Théophile:


/1 arrive souvent... à certains esprits grandement profanes d'idolâtrer
leurs inventions, et de blasmer tous les traittez de mérite, et d'estimer
qu'on ne peut estre eloquent de nostre langue, si l'on n'escrit des vannitez
ct des ordures.

Voir note 85.


275
La COllr Sainte, t. Il, Le prélat, l'homme d'Estat, le Cavalier, la Dame,
276
Paris, 1627, Avis au lecteur.
NICOLAS CAUSSIN 337

Rendu prudent par la volée de bois vert reçue par Garasse, le


P. Caussin se défend de nommer personne. Il lui est difficile de cacher
que son mépris s'adresse d'abord à celui que les gens de Cour les mieux
avertis, et la jeunesse la moins gourmée, tiennent déjà pour le maître de
la prose d'art française.
Naïvement, le P. Caussin brûle ce qu'il a adoré, et aveuglé par ses
succès de chaire et de librairie, se croit obligé de jouer les Pères de
l'Eglise et de lancer l'anathème sur la rhétorique, c'est-à-dire, en français,
la sophistique. Cette identification à saint Jean Chrysostome lui jouera
d'ailleurs un mauvais tour: en 1637, se croyant tenu de se dresser contre
Richelieu-Theodora, il tirera parti de ses fonctions de Confesseur du Roi
pour inviter véhémentement celui-ci à chasser son ministre. Richelieu, qui
avait eu affaire à des adversaires autrement retors, n'eut nulle peine à
déjouer cette cabale et ~nvoyer le P. Caussin méditer à Quimper-Corentin
sur les inconvénients de confondre l'Histoire de France et les Annales
ecclésiastiques de Baronius 277.


••
Entre temps,i1 n'avait tiré aucun parti de l'autorité critique qu'aurait
pu lui valoir son traité de rhétorique publié en 1619, et plusieurs fois
réédité ensuite, avec un incontestable succès, comparable, il est vrai, à
celui dont jouissait l'Essay du P. Binet 278. Celui-ci était sans remords un
archaïsant, tourné vers Blaise de Vigenère et Du Bartas. Il avait son
public, qui n'était pas celui des cercles éclairés de Paris. Mais le P. Caus-
sin, qui célèbre Du Vair, Du Perron, Coëffeteau comme les modèles de la
prose française 279, était en garde contre l'archaïsme et le maniérisme du
P. Binet. Il était par ailleurs pourvu d'une immense et profonde culture
rhétorique où Démétrius de Phalère, le Pseudo-Longin, Denys d'Halicar-
nasse et Hermogène tiennent une place importante, à la mesure de l'inté-
rêt que leur portent un François Ogier et un Balzac. Pourquoi le P. Caus-
sin n'a-t-i1 pas été le Rapin ou le Bouhours de la génération d'écrivains
Louis XIII? Tout d'abord, parce que sa «réforme» de la rhétorique

277 Sur cet épisode voir C. Rochemonteix, Nicolas Caussin, confesseur de


Louis XIII et le Cardinal de Richelieu, Paris, Picard, 1911, p. 23-299.
2,8 Voir r.ote 112.
2,9 N. Caussin, Eloquentiae ... Parallela, éd. cit., 1. l, ch. IX, De stylo alle-
gorico et periphrastico. Attaquant un style moderne (eo tempore), celui des
« Marguerites» de Des Rues et de Du Bartas, le P. Caussin leur oppose
deux « auteurs» exemplaires: Utinam qui hanc insanam dicendi licentiam
sequuntur, lIlustriss. Cardinalis Perronii, atque integerrimi Procancellarii Verrii
scripta legerent, et imitarentur potius quam suo ingenio indulgerent. Hos enim
viros veteris eloquentiae normam, et paria Gallicanae gloriae ingenia, felix
egregiarum mentium par/u hoc saeculum dedit, quos mirari facilius est, quam
laudare (p. 68). Cet éloge de Du Perron et de Du Vair range le P. Caussin
parmi les adversaires du style «Nervèze », il ne suffit pas à en faire un pré-
curseur du classicisme.
338 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

jésuite est inspirée avant tout par des préoccupations morales: le P.


Caussin réagit contre la sophistique fleurie du P. Binet, contre son style
moyen, par un recours au grand style véhément dont le modèle est à ses
yeux saint jean Chrysostome; il croit ainsi rendre son dû à la sévérité
du style chrétien. Mais si cette réaction est nette en matière d'éloquence
sacrée, elle J'est beaucoup moins en matière d'éloquence profane, où sa
doctrine éclectique se montre indulgente à la pompe et aux fleurs du
style moyen. De Binet à Caussin, on assiste à un glissement d'accent,
non à une modification profonde du système. C'est d'autant plus évident
lorsque J'on constate, sur un point essentiel, la convergence de vues des
deux jésuites: le style écrit, destiné au jugement, mûri en silence, du
lecteur, est entièrement soumis par eux au style oral, calculé pour J'eftet
à produire sur un vaste public. Le «sévère» Caussin comme Binet le
« fleuri» accordent donc la prééminence aux figures de pensée, relevant
de l'invention et de la disposition du discours, et tendant à conférer à
celui-ci mouvement et relief théâtral et pictural, sur les figures de mots,
plus insaisissables, mieux perceptibles en tout cas à la lecture, et favo-
risant les vertus d'élégance, de netteté, de clarté, de distinction qui seront
si appréciées par la génération suivante. C'est que celle-ci soumettra le
style oral aux qualités propres au style écrit, ou du moins cherchera, dans
la méditation atticisante sur la justesse des mots, leur ordre, J'économie
des figures propres à préciser leur sens, un équilibre entre J'écrit et J'oral,
dans le respect du « génie» de la langue française. Cette victoire du style
écrit ira de pair avec le déclin de l'éloquence sacrée, du moins dans le
rôle qu'avait voulu lui assigner les jésuites, celui de norme rectrice de
J'éloquence française. Sous le ministériat de Richelieu, c'est l'art épisto-
laire, c'est l'art de la conversation mondaine, c'est J'art de la traduction,
qui de plus en plus nettement imposent à la prose française ses modèles.
Ce sont des arts d'écrire, ou dans le cas de la conversation mondaine, un
art de parler tout en finesse, et aux antipodes des effets théâtraux et
pathétiques. Attaché à préserver le magistère de l'éloquence sacrée, et à
dédaigner l'esprit de finesse qu'exige un art de la prose écrite ou parlée en
demi-teintes, le P. Caussin se condamne à résister au malherbisme, au
halzacisme, à l'urbanité de l'Hôtel de Rambouillet, et donc à manquer le
tournant des années 30. Les querelles faites à Malherbe et à Balzac contri-
buèrent à élever le niveau de culture rhétorique du public mondain, et à lui
donner une conscience plus vive de l'éloquence qui lui convient en propre.
Les bénéfices de cette éducation et de cette prise de conscience de soi
allèrent non aux jésuites, mais à Port-Royal, et dans un premier temps,
aux Feuillants. C'était sans doute un Feuillant, et non des moindres, Dom
Goulu qui avait attaqué la prose trop «peignée» de Balzac: mais il
l'avait fait au nom du naturel et de la simplicité chrétienne, et non pas au
nom d'une sophistique sacrée. C'est le successeur de Dom Goulu, Dom
Charles de Saint-Paul Vialart, qui, allant plus loin, chercha à réconcilier
cet idéal augustinien avec les recherches de la jeune littérature mondaine
en direction d'un atticisme français. Il est le premier à avoir entrevu que
les soins apportés à J'élocution par les gens de Cour et des gens de Lettres
laïcs visaient en fait à purifier la prose française du « battelage » théâtral
DOM CHARLES DE SAINT-PAUL 339

et sophistique dénoncé par Antoine de Laval au nom d'un idéal à la fois


classique et augustinien. C'est ce que nous révèle la lecture du Tableau
de l'Eloquence française qu'il publie en 1630.

Charles de Saint Paul, rhéteur attique du langage de Cour

Des Parallela du P. Caussin, des Vacation es du P. de Cressolles, au


Tableau de Dom Charles, on passe de l'Ile des Géants à Lilliput, de l'in-
folio ou fort in-quarto à l'in-douze 280. On passe aussi des grands genres,
discours, dispute académique, dialogue surchargé d'érudition, à la lettre
familière, qui rend toutes choses si faciles et si simples, et qui vient d'ail-
leurs, au cours de la Querelle Balzac-Goulu, de prouver son efficacité sur
l~ public de Cour.
Le destinataire des lettres de Dom Charles justiÏiait pleinement ce
recours à la facilité du genre familier: sous le nom de Polyarque se
dissimule un grand seigneur d'épée qui veut bien s'informer de cette
rhétorique dont on parle, pour peu qu'on ne l'ennuie pas et que l'on ne
lui fasse pas sentir son ignorance. Dom Charles se hasarde à citer les
noms de Cicéron, de Démosthène, Longin, Sénèque et Tacite: il peut
compter sur la curiosité que la Querelle a jetée sur ces autorités pour
que son correspondant ne renâcle point. Il profite de la mode, il se garde
d'en abuser.
Sur le fond de la doctrine, Dom Charles, ayant affaire à un néophyte,
opère un retour au maître incontesté de l'enfance scolaire: Cicéron. S'il
se hasarde à évoquer les délices de l'imitation «adulte », c'est avec la
discrétion que requiert un public qui, en matière de rhétorique humaniste,
n'en demande pas davantage.

.'"•
La Lettre IV du Tableau de l'Eloquence française, intitulée Du Style,
commence par écarter l'impression de pédantisme ergoteur laissée par
Dom Goulu, et réhabilite la «beauté» de l'élocution, inséparable de
l'éloquence.

280 Tableau de l'Eloquence française Oll se voit la maniere de bien escrire ... ,
Paris, 1632. La lettre II (p. 21-46) est consacrée au choix des mots: 1) rejet
des mots hors d'usage commun, latinismes. hellénismes, mots techniques;
2) critère de la clarté et de la propriété, d'où rejet de l'usage systématique
des métaphores; 3) rejet des mots d'origine populaire, sentant son "baragoin
de petit peuple» ; 4) rejet des mots inadaptés au sujet traité, «graves» dans
un sujet «doux », etc. La lettre 3 (p. 47-76) est consacrée à la période. L'A.
insiste sur l'économie de mots (pas de chevilles en prose p. 52), sur l'effet
de rotondité et de douceur harmonieuse «qui flatte l'oreille ". La longueur
de la période doit être limitée par la capacité de l'auditeur à suivre le sens,
et par la capacité d'haleine de l'orateur. (Ceci dans une prose écrite.) Beau
programme d'atticisme cicéronien en langue française, avec toutefois dans la
lettre III sur le style, que nous analysons ci-après, un reste de complaisance
pour le sénéquisme des «traits».
340 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)
La beauté du style, écrit-il, a des charmes tellement puissants qu'elle
force les esprits de se rendre à ses artifices, leur donnant telle impression
et tel mouvement que désire l'orateur 281.

Des trois styles distingués par les maîtres, Dom Charles ne veut traiter
que du « grand style », qui selon Cicéron résume tous les autres. Le lien
entre le genus grande, et la grandeur d'âme - mais aussi avec la gran-
deur de la condition de son correspondant - est fait explicitement par
notre Feuillant:
Or comme les Aigles ne s'amusent point après les mouches, ny après
les cigales, j'estime que votre esprit qui est relevé, ne veut point que je
m'arreste à l'entretenir des deux premières sortes de styles, mais seu-
lement de celui qui est excellent 282.

Cette unicité du «meilleur style» rompt avec la notion traditionnelle


de la tripertita varietas que maintenait le P. Strada, et à plus forte raison
avec la gamme éclectique des « caractères» que présentaient les rhéteurs
jésuites français. Est-ce un retour à Bembo, en langue française cette
fois? On le croirait, puisque Dom Charles ne justifie pas la perfection
du « meilleur style» par la « nature" de l'écrivain comme le faisait Lipse,
mais par l'objectivité de l'Idée platonicienne du Beau:
Le style a sa beauté essentielle, aussi bien que le reste des estres,
ct si nous voyons que l'or a des qualités qui lui donnent le premier
rang entre les autres métaux, il se trouve certaines grâces excellentes
dans le style qui lui donnent cette beauté excellente 283.

Comment expliquer ce retour à l'Epistola De Imitatione, plus résolu


chez Dom Charles que chez le P. Strada? Peut-être par souci pédagogi-
que: il était difficile d'enseigner à l'ignorante et impaiiente noblesse la
doctrine des trois styles et des divers « caractères» qui les modulent. Il
fallait s'en tenir au plus simple, mais aussi au plus flatteur: comment
persuader l'orgueilleuse noblesse française d'accepter une discipline rhé-
torique, sinon en lui promettant le meilleur et le plus grand? La caté-
chèse esthétique de Dom Charles ne procède pas autrement que la caté-
chèse dévote du P. Caus sin, dans la Cour Sainte. Mais il faut tenir
compte aussi de l'habit de Dom Charles; il est aussi soucieux que son
prédécesseur Goulu de combattre les séductions de la sophistique païenne
sur les mondains; une seule norme du « meilleur style» réduit en somme
I~ danger. Souci pédagogique et scrupule chrétien vont donc de pair.

Mais s'il n'y a qu'un seul « grand style» recommandable, quelles sont
ses vertus? D'abord la «gravité ", «relevée au-dessus de la façon
commune », et ne se ressentant en rien de la « bassesse populaire ». Ces
arguments flatteurs font donc passer un des traits caractéristiques du
style sévère chrétien selon les rhétoriques «borroméennes ». D'ailleurs,

281 Ibid., p. 80.


282 Ibid., p. 82-83.
283 Ibid., p. 84.
DOM CHARLES DE SAINT-PAUL 341

grâce aux exemples de « style grave» qu'il cite, Dom Charles fait sentir
à son correspondant l'origine divine du Verbe, la dignité et la responsa-
bilité dont se chargent ses interprètes, seraient-ils laïcs 284. Toutefois,
cet «écart» entre le parler noble et le parler vulgaire ne doit pas
s'exagérer jusqu'à l'enflure et l'affectation. La noble gravité doit s'alIier
à une « simplicité naturelle ». La leçon de Bembo est donc complétée par
celle de Louis de Grenade 285 et de Botero. Mais le bon Feuillant se garde
d'effrayer son grand seigneur en citant des autorités aussi austères. Il
préfère raconter la fable de la grenouiI1e qui veut se faire aussi grosse que
l.! bœuf pour illustrer l'échec qui attend les Matamores du style « enflé ».
Il s'emploie ensuite à ridiculiser l'affectation qui consiste à multiplier
métaphores et allégories, celle qui consiste à user de mots rares ou hors
d'usage, bref toutes les formes de ce style que les Pères appelèrent
« ampoullé ». Toutefois, ce dépouillement du style ne saurait aller jus-
qu'à la bassesse:

Qu'il soit orné et enrichi tant par la beauté des sentences que par la
gentillesse des figures 286.

Car pour éviter l'enflure, il ne s'agit pas de tomber dans la sécheresse ou


la stérilité. L'embellissement est donc nécessaire pour donner au style
cette beauté qui le séparera du vulgaire. Mais que cette beauté soit judi-
cieuse, et qu'elle compte avant tout sur les figures de mots, moins voyan-
tes, plus élégantes.

Que la liaison des paroles soit faicte avec telle suavité, qu'il n'y ait
point de rudesse ny de mauvais rencontre, [ ... ] dans les lettres, lorsqu'il
y en a plusieurs qui commencent par mesmes lettres et mesmes syllabes.

Ici encore il faut prendre garde à ne point tomber dans l'excès, la


« polissure » de la phrase ne doit pas aller jusqu'à faire de celle-ci un pur
(lalus vocis doux à l'oreiI1e : la solidité des pensées « mouclle et substance
du discours» ne peut être sacrifiée à l'éloquence de la surface exté-
rieure 287.
Quatrième qualité: les pointes. Jusqu'ici en effet, nous étions dans
une tradition cicéronianiste. Sans aller jusqu'à recommander un style
« lipsien » en français, Dom Charles admet toutefois la synthèse entre la
noblesse ornée et coulante du style périodique, et la vivacité du style

2M Inid., p. 86.
285 Sur la «seconde simplicité» de l'orateur chrétien, fille d'un habitus qui
libère la sincérité du cœur, v. ch. l, note 202. Cette notion est évidemment
la version chrétienne de la neglegentia diligens chère à Cicéron. Elle s'adapte
fort bien à un public nobiliaire ennemi du «pédantisme ».
286 1nid., p. 93.
287 Ibid., p. 100.
342 LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)

pointu: «Avoir diverses pointes qui soient sans obscurité et sans bas-
sesse », édicte-t-il 288 • Et il commente:
N'est-ce point ce qui a rendu recommandable le style de Sénèque, de
Corneille Tacite, et de tous ceux qui ont heureusement rencontré à se
rendre imitateurs de leur éloquence?

SI la fluidité harmonieuse et noble d'ascendance cicéronienne fait du style


un Ciel, celui-ci ri::.querait d'être monotone sans « cette agréable diversité
d'Etoilles que nous y voyons briller» 289. Version fort atténuée de la
variété et bigarrure que recommandait récemment encore le P. Binet:
entre les prairies printanières couvertes de fleurs multicolores, et ce ciel
piqueté d'étoiles, il y a toute la distance qui sépare une sophistique tardive
d'un classicisme naissant.
Ni trop court, ni trop bref, ni trop diffus, ni trop dense, ni trop véhé-
ment, ni trop languissant, périodique, mais non flottant, ce bon ton du
style doit être avant tout gouverné par la prudence.
Cette rhétorique sans larmes, qui se dépouille des richesses encyclo-
pédiques des rhétoriques jésuites, dote les gens du monde à la fois du
vocabulaire critique et des notions propres à former leur jugement, mais
aussi d'une doctrine stylistique simple adaptée à leur « ignorance» et à
leurs véritables besoins. Le «grand style» qui convient à la grandeur
du rang réconcilie en effet le genus humile de la conversation et de la
lettre familière, avec le genus sublime selon Longin. Il réconcilie le style
coupé et pointu des atticistes sénéquiens, et le style périodique des cicéro-
niens. Ses deux écueils sont les extrêmes: la manière «espagnole »,
« enflée », la manière « italienne », fleurie; le style philosophique, âpre,
obscur, épigrammatique; le style sophistique, allégorique et figuré.

288 Ibid., p. 100.


2811 Ibid., p. 101.
CHAPITRE III

APOGÉE ET CRÉPUSCULE DE LA SOPHISTIQUE


SACRÉE

1. Les théoriciens

Le P. Gérard Pelletier
On aurait pu croire que la veine des encyclopédies rhétoriques des
années 20 était tarie, quand en 1641, on vit paraître à Paris, chez Buon,
Camusat et Sonnius, associés pour la circonstance, un in-folio intitulé
Palatium Reginae Eloquentiae. Sur le magnifique frontispice gravé, on
pouvait reconnaître le jeune duc d'Enghien et son frère cadet Conti, au
seuil d'un Palais où la Reine Eloquence les invitait à pénétrer, tandis que
Minerve achevait d'écraser ses ennemis. L'auteur de ce monumental traité
d·e rhétorique? Louis de Bourbon, duc d'Enghien, en personne. Le dédi-
cataire? Armand de Bourbon, prince de Conti. l.'un a terminé ses études
au Collège des Jésuites de Bourges depuis cinq ans, l'autre est encore
élève du Collège de Clermont 290. La supercherie était évidente. l.e P. de
Cressolles avait prêté à quatre anciens élèves de la Compagnie, désignés
par des noms fictifs, peut-être à clefs, sa propre érudition oratoire. En
prêtant au duc d'Enghien cette savante prosopopée, les Jésuites crurent à
la fois réussir une fine flatterie et placer une nouvelle « Somme» rhéto-
rique sous l'autorité de la famille de Condé.
Le chef de celle-ci, le prince de Condé, était alors au sommet de la
faveur 291. Dès 1626, il avait confié son fils aîné aux Jésuites. Grand émoi
dans l'Assistance de France: avant la naissance fort imprévue de Louis
Dieudonné, Dauphin, en 1638, le duc d'Enghien, fils aîné du second prince
du sang, était, après Gaston, l'héritier présomptif du trône. Son père fit
édifier au cœur de son fief du Berry, à Bourges, un collège pour que son

2110 V. Henri Chérot, L'Education du Grand Condé d'après des documents


inédits. Paris, Du Moulin, 1894, IV, p. 25. V. aussi duc d'Aumale, Histoire
des Princes de Condé au XVI' et au XVII' siècles, Paris, 1886, t. \I!, p. 314-330.
Sur le prince Armand de Conti, élève du Collège de Clermont, v. l'art. du
P. Olphe-Gaillard dans D.S., t. JI, col. 2200-2203.
2»1 Sur le père du Grand Condé et sa carrière politico-militaire, v. Aumale,
ouvr. cit. Il lia entièrement celle-ci à celle de Richelieu, ce qui lui réussit par-
faitement.
344 CRÉPUSCULE DE LA SOPHISTIQUE SACRÉE

fils y reçoive, à l'exemple de tant d'autres fils des familles régnantes


d'Europe, une éducation de roi, entre les mains des meilleurs pédagogues
du temps, les jésuites.
Fière d'avoir été chargée d'éduquer deux des fils bâtards d'Henri IV,
l'Assistance de France se forgea une félicité d'avoir à gouverner un pos-
sible roi de France. Les Lifferae Annuae - revue d'informations sur la
vie interne et à usage interne de la Société de jésus - narrèrent par le
menu aux autres Assistances les progrès incroyables du duc d'Enghien
et le bonheur des jésuites Français 292. Le Général Vitelleschi, plus rassis,
mais tenu de s'intéresser de près à l'affaire, entretenait avec le prince de
Condé et avec le recteur du Collège de Bourges, voire avec les précep-
teurs du duc, une correspondance qui ne laissait rien au hasard 293. Le
P. Denis Petau qui avait dédié en 1620 ses Opera poefica au comte de
Moret, et ses Orafiones au marquis de Verneuil, dédia en 1633 au duc
d'Enghien le RafionarÎum femporum, son chef-d'œuvre de chronologiste,
et l'enfant de douze ans lui répondit par une belle lettre en français 294.
Le subterfuge, qui attribuait au jeune duc la paternité du cours de
rhétorique qu'il avait reçu, sentait sa naïveté de sacristie. Il se retourna
contre ses auteurs. Le traité de Westphalie à peine conclu, les Jésuites
allemands publièrent à Mayence une édition pirate du Palafium Elo-
quenfiae où tous les éloges adressés au Roi et aux Princes français étaient
détournés à l'honneur de l'Empereur et des Princes allemands 295. Un
éditeur de Lyon reprit même cette édition, en l'attribuant aux Jésuites
français. Il fallut, en 1663, publier une nouvelle édition sous le nom du
véritable auteur, le P. Pelletier 296.

Chérot, ouvr, dt., p. 47.


292
293 Ibid.
294 Ibid., p. 38-39.
295 Voir Sommervogel, Bibliographie cit., art. Pelletier. La première édition
s'intitulait: Palatium Reginae Eloquentiae, Lutetiae, Paris, sumpt. Vid. Nicolai
Buon, Joannis Camusat et Claudii Sonnii, 1641.
296 L'édition pirate s'intitulait ainsi: Reginae Palatium Eloquentiae primo
quidem a RRPP. Societ. /esu in Gallia exquisito stl/dio et arte maf<nifica
exstructum, nl/nc vero revisl/m et sensl/i moribl/s Germanorum aliarl/mque
nationum accommodatum et in bonum non modo Eloquentiae studiosorum sed
etiam Verbi divini Praeconl/m ac Concionatorum edill/m a RRPP. Societ. /esu
Mo,!untinenses ... , Moguntiae, impr. Joann. Godefridi Schônwetteri, typo Nicolai
Heilii. 1652. Rééd. à Lyon (1657), à Venise (1659), à Munich (1669). Venise
(1674). Padoue (1701) et Cologne (1709). La riposte des Jésuites français vint
avec douze ans de retard: Ref<inae Eloquentiae Palatil/m sive ExercÎtationes ora-
toriae. nunc al/ctori Sl/O restill/tae RP. Gerardo Pelletier Vosa~ensi, SI, ad
principem anni mil/esimi sexcentesimi quadragesimi primi edilionem diligenter
exactae, atque innumerabilibl/S mendis expurgatae quibus Moguntinenses et
Francfortnenses in Germania Harpyiae et Lugdinensis Tvpogr. vindicanda
legibus teneritas, eximium il/ud opus at ad Gal/orum laudes mira arte conflatum
foedaverunt ut ex sequenti praefatione disces, Parisiis, ap. Simonem Bernard,
1663. Les rhéteurs jésuites allemands sont traités de harpies par leurs col-
lègues français, qui pour ne pas demeurer en reste avec la politique natio-
naliste de Louis XIV, font chanter bien haut le coq gaulois!
GÉRARD PELLETIER 345
Celui-ci avait été, doublant ses régents ordinaires, le précepteur du
duc d'Enghien jusqu'en 1636. Il surveillait les lettres latines que son
pupille adressait à son père, belle occasion pour le polissage du style.
Et en sus de ses devoirs ordinaires, il lui fit édifier un Palatium gloriae
celsissimi Principis Borbonii Condaei, monument de virtuosité poétique
et oratoire dont les divers genres avaient tous pour objet le panégyrique
du Père 297. Quant au Palatium Eloquenfiae, il nous révèle que le P. Pelle-
tier, harcelé par ses supérieurs et par le désir de bien faire, alla jusqu'à
rédiger un cours complet de rhétorique et à se sacrifier pour en laisser le
mérite à son pupille. François La Mothe Le Vayer, observateur plus fin
des réalités françaises, visera plus juste lorsqu'il dédiera sa Rhétorique
du Prince, un des premiers traités de rhétorique française du XVII' siècle,
lion à un Grand, toujours susceptible de faction, mais au Roi.


••
En approuvant la publication du Palatium Reginae Eloquentiae,
songeait-on, dans les hautes sphères de l'Assistance de France, à rem-
placer les Eloquentiae Parallela, dont l'incontestable succès allait alors
s'épuisant et dont l'auteur était en disgrâce, relégué par Richelieu à
Quimper-Corentin? C'est possible, car l'ouvrage du P. Pelletier, mieux
composé, plus technique, délivré des citations et disgressions érudites
du P. Caussin, pouvait apparaître en progrès sur celui-ci.
Mais à d'autres égards, il est en régression. La rhétorique du P. Caus-
sin gardait un œil ouvert sur l'éloquence française contemporaine, el1e
prétendait offrir une assise théorique à la tendance esquissée par Du Vair,
Du Perron et Coëffeteau, et convertir le Palais à une éloquence moins
rugueuse. Enfermé à Bourges avec son élève princier, rhéteur de col1ège
dont tout l'univers et la culture se résument à la rhétorique latine, le
P. Pel1etier est parfaitement étranger à l'évolution des Lettres françaises
à Paris.
D'autre part, si le P. Caussin consacrait X!!I livres à l'éloquence
c: humaine », il la considérait comme une simple propédeutique à l'élo-
quence «héroïque », et plaçait ceBe-ci dans une position dominante et
rectrice, au-dessus de l'autre. Il pensait ainsi surveiller la tentation sophis-
tique que l'éloquence «humaine », sous ses formes les plus raffinées,
contenait inévitablement. Dans un repentir ultérieur, il crut même avoir
trop accordé à l'éloquence «humaine ». Non sans raison: car chez le
P. PeBetier ceBe-ci occupe toute la place, s'étale sans limites ni remords,
et ne résiste plus à la tentation sophistique, ou si peu.
Hel1éniste, le P. Caussin faisait un abondant usage des sources grec-
ques. Longin venait chez lui, au moins en théorie, étayer Cicéron dans le
rôle d'arbitre évitant tout glissement vers les extrêmes et les excès. Les
Pères grecs, modèles de l'éloquence «héroïque », descendaient à l'étage

297 Voir Chérot, ouvr. cit., l, p. 32.


346 CRÉPUSCULE DE LA SOPHISTIQUE SACRÉE

inférieur pour soutenir Cicéron et Longin dans leur travail « modérateur ~.


Enfermé dans la langue latine, et dans la culture rhétorique des Collèges
qui semble chez lui atteindre sa phase flamboyante, le P. Pelletier est un
bon témoin du déclin des études grecques chez les Jésuites: dès 1629, le
P. de Cressolles, lui aussi helléniste de qualité, jetait dans le Mystago-
gus 298 un cri d'alarme contre cette déviation de la Ratio. Mais la pression
des circonstances était forte: la clientèle laïque incitait les régents à ne
pas exiger de leurs pupilles l'apprentissage d'une seconde langue savan-
te: trop heure4x d'avoir réussi à les initier au latin! Le déclin de
l'hellénisme affaiblissait les contrepoids qu'un Caussin et un Cressolles
avaient prévus à la sophistique: Platon, Longin et les Pères grecs.
Aussi l'apologie de la rhétorique à laquelle se livre le P. Pelletier, peu
averti semble-t-i1 du terrain plus dangereux que jamais sur lequel il se
trouve en France, devient une apologie naïve et démesurée de la sophis-
tique sacrée. Dès la première page, la « Reine Eloquence)} est comparée
à Iris, « dont les couleurs ne sauraient être dénombrées», et à Protée 299
«qui se métamorphose en formes multiples, en images innombrables ».
La critique des rhéteurs impériaux prend un tour tout conventionnel: les
leçons qu'il importe de tirer d'eux sont célébrées avec enthousiasme,
« pour que la vèrité brille plus splendidement, et enchante les auditeurs
par une variété élègante et enjouée» (eleganti et faceta varietate) 800.

298 Mystagogus, de sacrorum hominum disciplina ... , Paris, Cramoisy, 1629,


p. 365-380. V. plus loin, conclusion de ce chapitre.
290 Palatium Reginae ... , éd. 1641, p. 1 (Proemium). Le fait que Platon,
dans l'Euthydème ait utilisé le nom de Protée pour flétrir les sophistes ne
gêne pas outre mesure le P. Pelletier. D'ailleurs, p. 383, à propos de la figure
de dislributio (exploration systématique de tous les éléments d'un thème), il
saisit l'occasion de forger lui-même un éloge de la Musique et de la Poésie,
fort significatif: Ubi e corde in aures des/lit [l'union de la Poésie et de la
Musique} adlabilurCfue animis, et pu quosdam gradus imis se penetralibus insi-
nuat, qI/os ibi molus cie t, q//Os molitl/r affeetus, quomodo intimas medullas
suavissimus praedalor permeal alque pervadit ? Tanlum valel in omnem parlem
numerorum et modorum arlificiosa eoncinnitas, quorum cele ritale rapiuntur
animi, tarditale lorpescunl, gravilale eomponunlur, le vitale vanesCl/nl, aul laeti,
aul hilares, aut ql/ieti, pro carminis habilu formaque dieendi? Quid enim
PhrYRii impelu religiosius? Lydii ql/eslll langllidills? Doriei gravitale seve-
rius? lonii iUCl/nditale suavius? Hypodorii faslu imperiosius? Aeolii tranqui/-
litate paealius? Difficile d'exprimer avec plus d'intensité quasi extatique l'ex-
périence esthétique. Et le P. Pt'lletier ajoute, ne concevant l'expérience du
Beau qu'à travers la variété inépuisable des formes sensibles: Et isla de
Prolheo in diversas species abeunle. ln aquam atlolilur, in ignem aecendilur,
in lwnem excandeseit, grunnit i1l suem, serpit in draconem, assilit in pan-
theram, as surgit in arborem, La dislrilmlio (le P. Pelletier en propose une
autre avec pour sujet l'Eau) apparaît ici comme un mode d'expression privi-
légié de la perception de l'Un sous les espèces sensibles du Beau, et du Beau
dans toutes les facettes du Tout. Rien de plus étran~er à la tradition sévère
du gallicanisme.
300 Ibid., p. 2. Rheloriea /loslra veritalis amans, affirme le P. Pelletier.
Cela Ile la prive pas pour autant des allxeses et des hyperboles qui donnent
à la vérité tout l'éclat de beauté irisée et protéique qu'elle mérite.
GÉRARD PELLETIER 347

Oubliant les garde-fous ménagés, maladroitement peut-être, par le


P. Caussin, le P. Pelletier, dont l'innocence et la naïveté personnelles ne
sont pas, hélas, en cause, se livre sans réserve à l'ivresse de la virtuosité
pour elle-même; il fait bourgeonner imprudemment l'héritage des Para/-
ieia et du Theatrum Veterum rfletorum. L'ars dicendi est en lui-même sa
joie et son tout.
Aussi, sans s'attarder à une apologie de l'éloquence qu'il croit inutile,
passe-t-i1 rapidement aux modalités de l'ars dicendi. Aucune mention de
la vertu, ni de l'esprit religieux de gravité, ni de la science nécessaires à
l'orateur: on arrive sans tarder aux dons naturels, et en particulier à
l'ingenium. Avec toute la pompe périodique du style panégyrique « en-
flé », le P. Pelletier insiste sur la merveilleuse variété des esprits, parmi
lesquels toutefois certains se distinguent avec éclat. Et de vanter les dons
exceptionnels de mémoire et ceux de l'imagination, qu'il ne distingue guère
d'ailleurs: la mémoire, telle une cire, enregistre les images et les repré-
sente avec fidélité; et que dire de l'imagination? « Quelle admirable
fécondité et force créatrice, que celle qui fabrique l'image des choses 301 1 »
Le P. Pelletier mentionne sans doute lu. « prudence» : mais il ne se lasse
pas de célébrer « le bonheur de mémoire, et la vivacité d'imagination,
acérée et féconde», alliée à « une vigueur d'intelligence (merzs) robuste,
impétueuse (incitata) et presque divine».
Le principe essentiel de l'art est évidemment l'imitation. Mais chez le
précepteur du duc d'Enghien, la doctrine de l'imitation « à deux étages »,
scolaire et adulte, jaillit en efflorescences illimitées. Car il s'agit avant
tout de ne pas « se rendre esclave» (servire) et de parler selon sa nature
propre. S'il faut d'abord choisir Cicéron comme principal modèle, et
comme maître sûr, ni « le style de lait de Tite Live (lacfeus), ni l'exquise
suavité de Quinte Curee, ni l'extrême pureté de César », ne sauraient être
négligés; et les vocabulaires techniques (militaire chez Végéce, agricole
chez Varron, architectural chez Vitruve, médical chez Celse) peuvent être
empruntés chez les bons auteurs 302.
Par surcroît, chaque genre traité demande un modèle qui ait excellé
en ce genre: Salluste et non Cicéron, pour l'histoire par exemple.
D'autre part, il y a des lois d'imitation particulières pour l'invention,
la disposition et l'élocution. Et il Y a un grand nombre de méthodes pour
produire à partir du fonds ancien des textes différents et neufs. Le mot
qui revient sans cesse sous la plume du P. Pelletier est industria.
Par exemple: garder les mots du texte, mais changer leur sens;
changer les mots, et conserver le sens; garder les mots et le sens, en les
détournant à un autre usage; changer une figure contre une autre: par
exemple, adresser à Cicéron lui-même l'adjuration qu'il adresse au Sénat
contre Catilina, comme s'il n'avait pas encore prononcé les Catilinaires.

301 Ibid., p. 4. Sur l'identification mémoire-imagination, voir supra. p. 127-


134. la théorie du Dr Huarte. Sur l'évolution des idées sur l'imagination. voir
Murray W. Bundy. The theory of ima[?ination in classical and mediaeval
thought. Univ. of lllinois studies in language and Iitterature. vol. XII, May-
Aug,'st. 1917. p. 170-280.
302 Ibid.,. p. 7.
348 CRÉPUSCULE DE LA SOPHISTIQUE SACRÉE

Evidemment, le P. Pelletier, oubliant le principe de Paul Manuce, que


même le P. Caussin avait encore à l'esprit, confond traité de rhétorique et
progymnasmata scolaires. C'est que rien n'est plus étranger à l'esprit de
ce régent appliqué et virtuose que la doctrine de Longin. En revanche
il entre dans un détail pédagogique vertigineux, qui donne une idée
impressionnante de la gymnastique mentale à laquelle l'esprit du vain-
queur de Rocroy a été entraîné jusqu'à l'âge de quatorze ans! Deux
traités consacrés à l'invention, l'un des lieux intrinsèques, l'autre des lieux
extrinsèques, développant surabondamment la topique d'Aristote, déploient
sous nos yeux une véritable scolastique oratoire, en d'autres termes, une
sophistique. La lectio /1/ du traité des lieux extrinsèques (De testimonUs
ftumanis) contient, à partir du point VI 303, une étude exhaustive des sym-
boles, hiéroglyphes, énigmes, allégories et proverbes. Le chapitre consacré
aux énigmes, aux subtils jeux sur les mots et les lettres qu'ils permettent,
et aux énigmes peintes 304 est particulièrement développé.
Le traité d'argumentation n'est pas moins redoutable, ni moins buis-
sonnant. Le traité de disposition ne laisse dans l'ombre aucune étape, si
fugitive ou rare soit-elle, du discours. Sa lectio X 305, consacrée aux
« techniques narratives », devrait être le paradis des modernes analystes
des structures du récit. Quant aux passions, le P. Caussin leur avait bien
consacré un livre entier de ses Parallela : ce n'était qu'une esquisse rapide
et floue en regard du traitement à la fois minutieux, méthodique et co-
pieux du P. Pelletier. Son portrait antithétique de la «nature» des
Français et des Espagnols 306, des « mœurs» diverses de la jeunesse, de
l'âge adulte et de la vieillesse, n'est encore qu'un hors-d'œuvre. Se servant

Ibid., p. 109.
303
Ibid, p. 115-118. Sur le rôle des énigmes dans la pédagogie des Jésuites
304
au XVII' siècle, voir Jennifer Montagu, «The painted enigma in French
scvënteenth century art », j.W.C.I., vol. 31, 1958, p. 207-235.
305 Ibid., p. 198.
300 Ibid., p. 224-225. Sur ce topos. voir outre le P. Josset, et le P. Vavas-
seur. dont nous traitons plus loin. les deux ouvrages de Fr. La Mothe le Vayer.
Discours de la contrariété d'humeurs qui se trouve entre certaines nations et
singulièrement entre la françoise et l'espa?,nole ... , Paris, 1638 et En quoi la
piété des François diffère de celle des Espagnols ...• Paris. 1658. Chez le
P. Pelletier. l'indoles Francomm est de nature aperta et candida, quae nec
vitiis nec virtlltibus personam imponere didicit. Amor natalis soli excelsissi-
mus ... Humanitas in externos propensa ... Libertatis tenax, inimica fastus, quae
si dominatus amet, servitutem embescat. Comi/as suavitasque morum in fami-
liari consuetudine temperiem aeris, et serenitatem imitatllr... Nullum amant
studillm ardentius quam honoris et gloriae. A ce topos du caractère national,
s'ajoutent celui de la jeunesse française, imprudente, effrénée dans le jeu comme
dans le risque. inquiète et se moquant de tout. et celui du duel, qui résume
sa folie (fllndendo sanguine bacchatllr furor). Au Français, ami de la variété,
s'oppose l'Espagnol, mélancolique, subtil, patient, dissimulé. austère, ami de la
pompa verborum, de la magnifica eorum facinomm praedicatio. On ne saurait
surestimer l'importance de ces lieux communs dans l'élaboration, pendant la
guerre de Trente Ans, d'un style national français, qui manifeste les vertus
nationales, corrige les défauts. et en tout s'oppose au style coupé et aux hyper-
boles de l'Espagne. V. aussi, dans notre bibliogr. p. 710, Fonds Philippe de
Béthune, Anc. fr. 2541.
PIERRE jOSSET 349
d'exemples empruntés aux discours de Cicéron et aux poèmes de Virgile,
mais aussi à des poémes néo-latins modernes, œuvres de Jésuites, il
compose une véritable encyclopédie et anthologie des passions et de leurs
plus subtiles nuances, classées comme dans un herbier (128 pages in-
folio).
Puis viennent les traités consacrés aux figures et aux trois grands
genres oratoires, épidictique, délibératif, judiciaire 307.

Le P. Pierre Josset
Il est bien évident que le Palatium Regirzae Eloquentiae ne résume pas
toute la rhétorique jésuite à la fin du règne de Louis XIII, même s'il en est
Uil symptôme hautement significatif. Un Denis Petau, on va le voir, est
aux antipodes de cette rhétorique de la virtuosité ingénieuse et de l'imagi-
llation. D'autres régents devaient distribuer un enseignement d'esprit
différent. La doctrine de la «variété des esprits », celle de l'imitation
éclectique, corrigées tant bien que mal par la référence à Cicéron, ne
pouvaient qu'engendrer des tempéraments, et des choix oratoires diffé-
rents. Et surtout, une palinodie comme celle du P. Caussin reniant l'élo-
quence «humaine» en 1624, nous donne à supposer que le scrupule
chrétien vis-à-vis de la sophistique, même modérée «chrétiennement »,
n'était pas inconnu dans la Compagnie. Un ouvrage comme le Palatium
Reginae Eloquentiae ne pouvait que le rendre plus lancinant dans des
âmes exceptionnellement délicates.
Bien que la date du «poème rhétorique" du P. Pierre Josset, 1650,
excède les limites chronologiques du règne, il appartient de droit à
l'époque Louis xm, et il offre au Palatil/m un pendant trop anti-
thétique pour que nous puissions nous dispenser de l'évoquer. Cette
analyse, venant après celle du livre de P. Pelletier, donnera la mesure des
oscillations qu'avait rendues possibles l'éclectisme du P. Caussin, à l'inté-
rieur même de l'Assistance de France.
En 1650 donc, paraît à Limoges un petit in-12°, imprimé en italiques
minuscules, qui dans la présentation comme dans le contenu, forme un vif
contraste avec l'in-folio officiel et pompeux du P. Pelletier 808. Il s'agit

307 Sur le problème du style périodique et du style coupé, la position du


P. Pelletier mérite d'être citée. 1\ distingue entre dieere membrafim, dieere
incisim et dieere periodiee, assignant à chacun une fonction différente, selon
le genre traité et l'effet recherché. Dieere incisim (ineisio = pars membrt) ne
peut être qu'un éclat, et non un trait permanent du style (par ex. une série
d'apostrophes brèves qui marquent l'indignation). Dieere membrafim (membrum
= pars periodi) c'est le style coupé. 1\ est recommandé dans les narrations,
où la rapidité est une vertu, et où l'asyndète est à sa place, mais aussi dans
les descriptions, les dialogues, les lettres. Dieere periodice, c'est le style pério-
dique, qui recherche l'harmonie rythmée d'une phrase à plusieurs «membres ».
1\ est recommandé dans les grands genres oratoires, et surtout dans les
exordes.
308 RHETOR1CEjPlacida quam Pieris irrigat unda, jGRAND1A;Faeundae
referans Praecepta LoquelaejHAEC ET1AMjLogicae praeludia docla saf[acisj
STR1CTAQUEjGrammaticae compendia digerit Arfisj Authore P. PETRO
350 CREPUSCULE DE LA SOPHISTIQUE SACREE

d'un traité complet de rhétorique, qui présente une particularité curieuse:


ii est rédigé en hexamètres dactyliques et revêt la forme d'une épopée en
vingt-deux livres. Le recours à l'aralia slricta est significatif: en réac-
tion exaspérée contre l'abondance périodique du P. Pelletier, le P. Josset
réplique par la brièveté de l'atticisme sénéquien et Iipsien. A l'asianisme
déclaré et enthousiaste de l'un répond un autre asianisme, châtié et
tourmenté celui-là. •
Le P. Pelletier semblait ignorer l'éloquence «héroïque» chère au
P. Caussin, et ne faisait nulle place à la prière, et à la piété, comme
sources de l'éloquence. Avec le P. Josset nous revenons, plus radicalement
encore que chez le P. Caussin, aux rhétoriques «borroméennes », et au
primat du spirituel. Il inaugure son ouvrage par une prière au Verbe
Eternel, et il termine son vingt-deuxième livre par une autre prière. Le
contraste avec les dédicaces et poèmes panégyriques tout profanes qui
ouvraient le Palolium est tel qu'il prend un caractère polémique: cette
fois, la Rhétorique vient en suppliante rendre hommage à Dieu:

suivie du Parnasse, du Pinde, de l'Hélicon, et du Permesse, ... non pas


ces visions de vains poètes, ni ces gargotes de jeux obscènes, mais ces
collines et ces sources que la Religion a consacrées, que la Piété a lavées
et menées à [ton] culte ... Vers toi, pour te prouver qu'elle ne t'échappera
jamais, elle s'avance chargée et entravée de chaînes (calenis vincla el
aslricla) qui ne doivent rien à la dureté du fer, ni au tranchant de l'acier ... ,
mais que les gardes du cœur 309, les veilles fréquentes, et les travaux de
l'esprit ont forgées dans la souffrance 310.

JOSSET e Societate Jesu, Lemovicis, apud Antonium Barbou, Regis Collegiique


Typographum, 1650. Sur le P. Josset, voir Southwell, p. 678. Sur cet ouvrage,
voir notre communication au Colloque « Le Limousin au XVII' siècle », Univ. de
Limoges, 1979, p. 14-32.
309 Sur cette notion de «garde du cœur », voir J. de Guibert, La Spiri-
lualité ... , ouvr. cit., p. 345, et Bremond, Hisloire ... , ouvr. cit., t. V, L'Ecole du
P. Lallemant. Celui-ci, par son enseignement à Rouen (1622 à 1628) fit naître
un courant « mystique" chez les Jésuites français. Dans les notes publiées
par Rigoleuc en 1694 (La Doclrine spirituelle ... , Paris, Desclée, 1959) cette
notion figme au ch. Il, 2 (p. 254 de l'éd. citée). Lallemant, dans la ligne de
Baltazar Alvarez, visait à une renovalio spiritus de la Compagnie de Jésus,
par une interprétation plus « intérieure» des Exercices. V. p. 133, éd. cit.
ses recommandations au prédicateur: « Il faut qu'il évite une politesse trop
étudiée, de peur que l'oreille de son auditeur ne s'attache aux paroles et à
l'éloquence, ce qui empêcherait le fruit du sermon. Il se prêcherait soi-même
et non pas Jésus-Christ. Quand il s'est fait un bon style, il ne doit plus penser
qu'à faire en sorte que la grâce anime en lui l'art et la nature, et que l'esprit
de Dieu règne dans son discours comme l'âme fait dans le corps.» Position
« borroméenne », à la fois fidèle à saint Augustin (primat de la grâce sur l'art
et la nature) et à Cicéron (notion de l' oralio comme un «corps»). Ce primat
de l'intériorité et de l'inspiration divine hante le P. Josset, qui tente de le
concilier avcc l'immense appareil de la rhétorique profane. Il y a de fortes
chances pom qu'il ait subi, directement ou indirectement, l'influence du P.
Lallemant.
310 Rhelorica ... , ouvr. cit., dédicace Verbo ae/uno, Sapientiae immorlali,
Eloquentiae increalae, non paginée. Le 1. 1 commence aussi en forme dc
prière: Sed, lu, Magisler omnis Eloqui..., [mmorlale Palris Verbum ... (p. 1).
PIERRE jOSSET 351

On ne saurait opposer plus âprement à une rhétorique de l'extériorité


paganisante une rhétorique de l'intériorité et de l'exercice spirituel, où la
forme châtiée (ici l'oratio strieta) est fille de la pénitence et de l'expiation.
Mais pour le P. Josset, comme pour son frère e;;nemi le P. Prll€'tier,
ia parole humaine ne se caractérise pas moins par sa variété:
L'art oratoire est quelque cho:;e d'immense et d'ondoyant, et s'élan-
çant d'un essor généreux avec ur!~ droite ir,tention de cercle en cercle d
au delà, il parcourt la quasi infinité des Sl1jl:t5 p05:-iIJks ~11.

Toutefois, cette variété n'est plus pour lui un sujet de réjouissance, elle
n'est que la diffraction terrestre, dans la prison du temps et de l'espace
voués au Multiple, de l'Un éternel et transcendant dont l'homme est exilé.
Le parcours complet de ce spectre des formes est le prix que l'orateur
doit payer pour percevoir et faire percevoir les composantes de la lumière
divine, pour rendre à celle-ci le seul hommage qui soit digne d'elle. La
rhétorique est donc bien une épopée, mais une épopée chrétienne, un
chemin de croix qui de station en station imite Jésus ·Christ dans la tra-
versée et la dissolution des apparences.
Dans cette « obscure clarté », si étrangère à l'âme classique du P. Fa-
miano Strada, l'œcuménisme de sa doctrine stylistique subsiste. Mais il
s'articule autour du soleil noir de Sénèque, et non pas du soleil diurne de
Cicéron. Chose curieuse, les extrêmes se touchent; chez le P. Josset,
comme chez le P. Pelletier, le ]udicium ne joue qU'un rôle négligeable.
Mais la place que tenait chez le premier la memoria imaginante et mimé-
tique, est occupée chez le second par l'ingeniHm, appliq1\é à s'imposer des
contraintes pour s'empêcher de gOOtN au)' r",flets de 1'1 ln dont il fait
l'inventaire.
Bien évidemment, la plus grande audace du P. Jos.,et, outre son éloge
de l'Attique comme mère-patrie de l'éloquence, c'est l'inversion des va-
leurs aux dépens de Cicéron et en faveur de Sénèque. Il ne cite qu'en
passant l'idole officielle du P. Pelletier, au détour de son 1.. XV, consacré
au Génie et mœurs des différents peupl~s. Encore ne le mentionne-t-i1
qu'au titre de la seule Italie, et rt'tenant de lui non pas sa souveraineté
sereine mais son martyre sous les COI'PS des sicaires d'Antoine. Au L. X
au contraire, intitulé De la variété du style, il dénonœ toute une série de
styles, in/latus, puerilis, parenthyrsus, il condamne sans rémission le
stylus nudus et le stylus sieCLLs, deux parents pauvres de l'atticisme; en
revanche il célèbre avec ivresse le subtilis stylus de Sénèque, seule forme
acceptable du sermo humilis. C'est un style ~crit, il est vrai, impropre à
la parole, mais c'est un prodigieux hommage rendu à ('Un par le Multiple:
Son esprit fécond conçoit plus de pointe" qUi: l'on ne lit de mots, il
sertit dans le rythme de sa phrase des mots qui sont dutant d~ gcmmes,
des paroles qui sont autant d'étoiles, et il les répand. <.!;1l1S de vastes
ouvrages, tel le p:lOn dont le vêtement scintille, et qui, fier de sa plume,

311 Ibid., p. 23. lntrod. en prose au L. IL


352 CRÉPUSCULE DE LA SOPHISTIQUE SACRÉE

s'en sert pour déployer sa queue magnifique comme une robe de tra-
gédie, et offre à Phoebus le miroir multicolore de son cou; autant d'as-
tres, et de soleils se révèlent, et autant d'yeux, qu'il y a de plumes; et
ce ne so!"!t plus des plumes, mais des étoiles, et une image du Soleil 312.

Le P. Josset ne manque pas de célébrer le style pointu de Sénèque en


pointes « sénéquistes » : la plume du paon est aussi celle de l'écrivain,
qui de l'encre noire sait faire jaillir sur sa page un feu d'artifice multi-
colore.
A cette version scintillante du sermo humilis, le P. Josset fait corres-
pondre un intermedius stylus, qui tend à la douceur et à la liquidité, et
qui lui semble surtout privé des vertus des deux autres styles; et enfin, le
stylus sublimis, qui est par excellence celui de la prédication, réunissant
la pompe de l'ornement et la solidité de l'argumentation, dans un mouve-
ment vaste et impérieux qu'on peut comparer à celui d'un cheval géné-
reux ou à celui du tonnerre 313. Mais à aucun des trois étages du style,
il ne fait un sort à Cicéron.
Fort attentif à la littérature contemporaine, le P. Josset est un ami et
un correspondant de Balzac. Son épopée oratoire, si anxieuse d'allier
rhétorique et dévotion, précède de deux ans le Socrate chrétien 314, où se
manifeste un souci et même un remords analogues aux siens. Dans une
Jettre de Balzac au régent de Limoges, l'Unico Eloquente s'inquiète des
mortifications à l'espagnole que s'inflige son correspondant, et les admi-
re 815. Quant au P. Josset, au L. II de son épopée, il ne consacre pas moins
de quarante vers (dix-huit de plus qu'il n'en réserve à Cicéron !) à célébrer
le style de son ami:
Recevant leur splendeur du soleil, ce sont des fleurs, ce sont des
gemmes, ce sont des étoiles dont ta page scintille, et l'éclat des astres
cède à celui des caractères dont elle est imprimée. jamais le Roi d'Es-
pagne n'a resplendi de tant de perles d'Orient... que ton Prince des
gemmes dont tu l'as orné ... 316.

Balzac a donc retrouvé en français le secret du stylus subtilis de


Sénèque. Notre critique savoure cette prose d'art comme un enchantement
des yeux spirituels: elle embaume comme une caravane de marchand

312 Ibid., p. 196. Ce style subtilis est aptior aut scriptioni aut scnatui.
313 Ibid. Liber decimus, De Styli varie/ale, p. 197.
314 Le Socrate chrétien, Paris, 1652, Avant-propos: «je plaide la cause de
Sénèque ... », mais au nom d'un style philosophique, et de l'atticisme.
315 Balzac, Œuvres, éd. 1665, t. l. LXII. 15, p. 535, datée du 5 décembre
1638. Il parle des «desbordemens de vertu» du dévot jésuite.
316 Rhetorica ... , ouvr. cit., l. Il, De Adjumentis et praeexercitationibus ora-
toriis, p. 35. Cet encomium Balzacii Principis (Prince de l'Eloquence !) est un
bon exemple de la tendance combattue par le P. Vavasseur (voir plus loin)
chez les régents de rhétorique jésuite: les écrivains français modernes pro-
posés en modèles (praexercitatio) au lieu et place des classiques latins. Sénè-
que et l'imitatio adulta lipsienne servent de garants à cette méthode anticicé-
ronienne.
PIERRE JOSSET 353

d'épices 317. Observons ici encore comment les extrêmes se touchent:


l'atticisme sénéquien du P. Josset rejoint le plus sensuel et le plus imagi-
natif asianisme. La sensibilité littéraire du P. Josset, formée par une
pratique assidue des Exercices spirituels imagine le style de Balzac, le
goûte, s'en repaît, et cette perception par les « sens intérieurs» éveille
dans son imagination une foule de id( correspondances» métaphoriques.
S'il y a ici quelque idée de Beauté, elle est par anticipation plus baude-
lairienne que cicéronienne.
Pourtant, dans son édition des Œuvres de Balzac publiée en 1665,
l'abbé Cassagne purifiera la prose de l'Unico Eloquente de toute charge
sénéquiste, et y montrera un modèle de cicéronianisme 318. Ces percep-
tions contradictoires nous prouvent en tout cas la richesse de résonances
esthétiques du style de Balzac pour les contemporains.
Balzac à part, l'épopée oratoire du P. Josset contient un vaste pano-
rama critique de la littérature contemporaine, non seulement en France,
mais en Espagne, en Italie, en Allemagne. Et la tripertita varietas stylis-
tique devient pour lui méthode d'histoire littéraire. Chaque peuple a ses
traits distinctifs: l'Espagne est née pour le stylus subtilis de l'atticisme
sénéquien; l'Italie pour l'intermedius stylus cicéronien. A la France
revient le rôle d'exercer une médiation pour concilier l'esprit des deux
autres héritières de Rome. Pour illustrer cette thèse qui prédestine la
France à la fois à un stylus humilis qui réconcilie Sénèque et Cicéron, et
au stylus sublimis, il fait trois «catalogues des héros», c'est-à-dire des
écrivains et orateurs de chaque peuple, montrant dans le troisième toutes
les richesses des deux premiers. Au L. Il, (Des méthodes d'apprentissage
oratoire) le P. Josset érige Balzac, nous l'avons vu, en modèle des prosa-
teurs, et autour de lui, il célèbre Amyot, Du Vair, Du Perron, Malherbe
(le traducteur de Sénèque), François de Sales, Caussin (La Cour Sainte),
Silhon, Du Bosc (L'Honneste femme) et Faret (L'Honneste homme). La
prose des contemporains de Richelieu est ainsi remarquablement résumée,
dans ses sources, dans sa note cicéronienne dominante, dans sa note
sénéquienne en sourdine. Au L. XIV (Comparaison du génie et des mœurs
des Français et des Espagnols), c'est le tour des poètes: le P. Josset rend
hommage à Godeau, à Corneille, célébré comme le nouveau Sophocle et
vengé de Scudéry, à Malherbe et Le Moyne 318. Mais la capacité française
de s'élever au sublime trouve sa preuve suprême dans l'œuvre de Ronsard,
chanté en trente-trois vers enthousiastes, comme le Poète-Orateur uni-

317 Ibid., p. 36.


318 Balzac, Œuvres, éd. 1665, Préface. L'auteur s'attache à souligner le
classicisme «augustéen» du style de Balzac qu'apprécièrent Conrart (<< qui
avait la politesse d'Atticus») et Chapelain. La discussion qui suit, sur « l'imi-
tation de M. Balzac» fait de lui un Cicéron français, à imiter en tenant compte
des leçons d'Erasme. Il doit tout de même avouer la pente à la « pompe »,
à la «déclamation» de ce nouveau Cicéron, qu'il ne faut suivre, comme l'autre,
qu'avec prudence et jugement.
319 Rhelorica, L. XVI, De moribus Francorum el Hispanorum, p. 283. V.
note 293.
354 RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS

versel, aussi doué qu'Homère SIII. Sainte-Marthe et De Thou sont cités


avec éloge, à titre de poètes néo-latins.
Le minuscule in-douze du P. Josset, plein comme un œuf, est un monde
que nous n'avons fait qu'effleurer. Un de ses moindres mérites n'est pas,
avant la Nouvelle allégorique de Furetière, avant Sorel, Morhof, Gibert,
Le Jay, Goujet, d'écrire entre autres choses une histoire littéraire à la
lumière des catégories rhétoriques. Et cette histoire Iitiéraire a pour lui
une dimension européenne, et pas seulement française.
Son œuvre oubliée est le plus remarquable témoignage que nous
ayons de la crise de conscience que traverse la rhétorique jésuite en
France après la publication du Palatium Reginae Eloquentiae. A la
sophistique naïvement enthousiaste du P. Pelletier répond une autre
sophistique, mais tourmentée de remords, et faisant son salut dans les
macérations de la brièveté sentencieuse. L'oscillation du P. Pelletier au
P. Josset donne la mesure des incertitudes d'une rhétorique privée d'une
référence centrale, et qui ne rend plus à Cicéron qu'un culte de dulie. La
source du judicium cher au P. Strada semble tarie, et le « goût» classi-
que, qui suppose la métamorphose du judicium cicéronien en intuition et
en instinct, ne s'est pas encore imposé à la Compagnie.

2. Rhéturique jésuite et spiritualité ignatienne (1624-1643)

Un traité de rhétorique pratique:


l-e Parterre de la rhétorique françoise

Les traités de rhétorique en langue latine, tels ceux du P. Caussin, du


P. de Cressolles, du P. Pelletier et du P. Josset étaient un genre en soi;
c'étaient aussi des ouvrages de prestige, d'un maniement peu commode
dans la pratique quotidienne. L'Essay des Merveilles du P. Binet se
voulait au contraire un manuel utilitaire, en langue française, et immédia-
tement exploitable par les orateurs, en particulier par les prédicateurs.
C'est à cette seconde finalité au'i1 faut rattacher Le Parterre de la rhéto-
rique frallçoise, emaillé des plus belles fleurs de l'éloquence 320, publié
sans nom d'auteur à Lyon en 1659. En dépit de sa date tardive, il s'agit
d'un ouvrilge qui aurait pu être publié sous Louis XIII, et même au début
du règne, car il fait la théorie d'un type d'éloquence sacrée passée de
mode, au moins à la Cour, depuis le P. Binet. Il est vrai que les éditions
de l'Essay des Merveilles n'avaient cessé entre temps de se succéder,
attestant le succt'>s versistant et de l'ouvrage, et du style fleuri dont il se

320 Parterre de la rhetorique françoise emaillé des plus belles fleurs de


/' éloquence qui se rencontrent dans les œuvres des orateurs tant anciens que
modernes, ensemble le verger de poésie, ouvrage très-utile à ceux qui veulent
exceller en l'un et l'autre art, Lyon, C. de la Rivière, 1659. (B.N. X. 18.758.)
« LE PARTERRE DE LA RHÉTORIQUE FRANÇOISE» 355

voulait le manuel. Le Parterre de 1659 est en fait une amplification et une


systématisation de la rhétorique esquissée par le P. Binet dall~ l'essai
intitulé Enrichissemens de l'éloquence que notre auteur anonyme suit de
près 321. Cet anonymat, et le lieu provincial de publication, à une date
où les rhéteurs du Collège de Clermont, qu'il s'agisse du mondain Le
Moyne ou du docte Vavasseur, se sont mis au goüt « cla~sique », font du
livre un acte de résistance aux tendances nouvelles, et de fidélité aux
ateliers provinciaux d'éloquençe sacrée, en retard de trente ans sur la
capitale. Il est probable que l'auteur est un Jésuite, en désaccord sur le
meilleur style avec ses puissants confrères parisiens. Outre la dette
contractée envers le P. Binet, qui est capitale, un trait de moindi·e impor-
tance, mais aussi significatif, rattache l'ouvrage aux idées reçues à Paris
vers 1610-1620, c'est sa manière de trancher le débat, sur les traces du
P. Coton, entre éloquence orale et éloquence imprimée en faveur de la
première. Notre auteur ignore superbement les progrès d'une prose fran-
çaise conciliant l'héritage d'un «art de dire» avec l'expansIOn d'un art
de lire, même dans le domaine de l'éloquence sacrée.

*
**
« Moderne» avec trente ans de retard, le Padi'ri e révèl~ dans sa
conception comme dans ses principes une désinvolture confinant au dé
dain pour la tradition antique ft humaniste des traités de rhétoriclue.
Comme le P. Binet, dont il est le disciple attardé et fervent, notre anonyme
t'st en quelque sorte l'Anti-Quintilien. La plupart de ses vingt ·cinq chapi-
tres sont consacrés à la seule élocution, et au jeu des figures de pensée,
confondu avec l'art d'argumenter. L'invention et la disposition sont traités
rapidement en fin d'ouvrage. Chacun des vingt-cinq chapitres reçoit un
nom de fleur: ch. X: Les Pensées, modèles de la prosopopée, ch. XII :
Les Roses de Gueldre, façon de proposer et de desoudre (sic) les objcc··
tians; ch. XIV: les Bassinets, qui représentent l'indulgence d le choix
que l'on donne quelque fois à l'auditeur; ch. XIX. : les Passevelours, hié-
roglyphes des Execrations; ch. XX : les Roses cent feuilles, qui représen·
tent les amplifications; ch. XXI: l'Impériale, modèle de l'épilogue;
ch. XXII: les Peonnes, qui expriment les mouvements doux et vélzémens
qui doivent estre dans la peroraison; ch. XXIV: les Pavots, qui repré··
sentent la feinte du silence ... Il faut avoue. que la table des matières de
ce petit traité ne manque pas de charme: bouquet de fleurs séchées qui
exhale le parfum expirant de l'humanisme dévot du début du siècle, pieu-
sement conservé dans les armoires de sacristies provinciales.
Dès «l'Entrée» du Parterre adressée à «Philanthe ». l'auteur ne
cache pas son dédain pour « ces grands attirails de preceptes qui sont
couchez bien au long dans les rhétoriques d'Aristote, de Cicéron, d'lier··

321 Voir plus haut (p. 268).


356 RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS

mogene et de Quintilien ». Dédain qui rejoint celui qu'exprimait plus


discrètement le P. Binet dans son Essay. Mais aussi fidélité tardive au
goût du tour de force cher aux contemporains de Juste Upse: «Je
renferme dans la petitesse de ce livre toutes les richesses, les pompes et
les magnificences d'un Art qui semble estre sans limites [... ] Quant à
mon style, tu le trouveras plus fort et plus hardy que doux et affété, aussi
n'est-il pas pour enseigner à flatter les oreilles, mais à gaigner les
cœurs. »
Etrange affirmation, pour qui vient de lire la table des matières
florale. Elle rejoint en tous cas celles que nous avons trouvées en tête des
éditions de 1624 et de 1627 de la Cour Sainte. Et ce rapprochement nous
éclaire. Pour l'auteur, comme pour le « Chrysostome français », le style
« doux et affété» est celui de Balzac et des écrivains profanes qui accor-
dent une importance extrême au choix des mots, à la « suavité de liaison »,
à l'harmonie des périodes, bref à la perfection musicale du style écrit. A
en croire notre auteur, le style écrit « flatte les oreilles », alors que le style
oral qu'il préconise, moins attentif aux minuties d'élocution, « gaigne les
cœurs », et il les gagne par les yeux intérieurs de l'imagination. Ce qui
~uppose une hiérarchie morale: la vue est moins sensuelle que l'ouïe,
surtout lorsqu'elle s'applique aux «peintures» parlantes ou muettes de
l'éloquence sacrée.
Reprenant donc la distinction faite par le P. Coton entre l'éloquence
orale et imprimée, notre auteur justifie son style: «trop vaste dans la
lecture, assez juste dans la déclamation ».
II est fait, ajoute-t-iI, pour dire et non pas pour lire seulement: pour
la Chaire et non pour la Cour; pour estre prononcé avec les gestes dans
la chaleur de la prédication, et non pas pour estre leu à voix basse dans
un cercle. II a force redites, repetitions, qui sembleront ineptes au lecteur,
mais celuy qui declame les trouvera pleines d'emphase et d'énergie. II
est tout plein d'interjections, comme sont ah! hé! ô! hélas! etc. qui
d'ordinaire ne se rencontrent pas dans les livres du temps. Mais ... quand
elles sont elancées par un certain ton de voix qui est accompagné du
mouvement des yeux, elles foM plus d'impression sur un cœur qu'une
grande fusée de paroles bien peignées 322.

322 Parterre ... , «L'entrée », non pagmee. A rapprocher de Binet, «essay»


intitulé «Des enrichissements de l'Eloquence» (Ire éd., cit p. 448) : «La verve
de Cicéron, les foudres de Demosthène et l'esmaii d'Isocrate» sont sans doute
«de fort belles choses », mais «je vous diray avec rondeur que je ne suis
pas assez fort pour vous façonner ceste pièce d'éloquence qui a vray dire est
le cœur et l'âme de l'éloquence, aussi n'est-ce qu'un essay pour les apprentifs ».
Et de dérouler la liste des figures propres à cette éloquence pratique, liste toute
semblable à celle du Parterre: Prosopopée, hypotypose, suspension des esprits,
interrogation «pleine d'énergie », apostrophes «bien embrassées" qui sont
«tout puissantes », éthopées «qui parent le corps et l'âme de ses parures et
façons de faire », feinte de silence, indulgence et choix que l'on feint de
laisser à l'auditeur, «authoritez », ironie, exclamation, exécration, excuse,
souhait...
c LE PARTERRE DE LA RHÉTORIQUE FRANÇOISE :. 357
Les mouvements passionnés, que la prose c bien peignée:. des écri-
vains évite, sont donc d'abord des mouvements visuels, interprétés par
l'orateur-acteur dans le feu de l'actio et parlant au cœur à travers l'ima-
gination. Le Parterre nous offre ainsi l'occasion d'insister sur ce débat
entre « la plume» et la c chaire », entre le style c plus ardent et estendu »
de la seconde, c plus ajusté, plus froid, plus resserré. de la première,
qui est au cœur de l'évolution de la prose au XVII" siècle. Débat feutré, on
dirait même quasi clandestin, et qui n'a jamais fait l'objet d'une Querelle
particulière, bien qu'il soit à l'arrière-plan de toutes les Querelles rhéto-
riques du siècle de Louis XIII. Son enjeu n'allait à rien de moins qu'à
déterminer le prestige respectif du prédicateur et de l'écrivain profane, de
l'aristocratie ecclésiastique et d'une nouvelle c aristocratie de plume ».
Comme nous allons le voir en étudiant divers ouvrages d'apologétique
jésuite SOUs Louis XIII, même les écrivains en langue française de la
Compagnie pratiquent, sur la page imprimée, un équivalent de l'éloquence
orale. Leurs livres même, reflets de leur prédication, déclament, s'adres-
sant au «cœur 1) par les « peintures» qu'ils offrent à l'œil de chair et à
l'œil intérieur.


••
A partir de ce principe, la rhétorique du Parterre se déploie avec une
cohérence sans faille. El!e tend tout entière à projeter les mouvements du
langage dans l'espace, à exalter leur relief, leur dynamisme, leur visi-
bilité. Les périodes? Qu'elles soient « carrées », divisées en trois ou en
deux membres, il faut qu'elles soient articulées par des particules très
voyantes (<< combien que toutefois; puisqu'il est véritable» etc ... ), afin
que leur structure acquière une sorte de stéréométrie. Par contraste, dans
les mouvements passionnés, le style coupé et haletant doit détruire les
périodes; le flou dynamique qui en résulte agit plus immédiatement et
plus violemment sur la sensibilité.
Le choix des mots? Il se fait selon le critère de l'éclat (c lustre, rayon,
marbre, porphyre, ." tiare, throne, ... fanfare, '" tempête»), avec une préfé-
rence pour les « termes métaphoriques» (<< offenser la beauté d'une fleur,
dissiper les nuages de tristesse ... »), pour les belles épithètes qui «enri-
chissent» (<< le souffle amoureux de zéphyre, les sombres obscuri-
tés ... »323), les beaux adverbes qui donnent « de la force et de l'énergie »,
la « contrebatterie des Antithéses qui rend le style plus divertissant », et
les synonymes qui « enflamment}) le style. Un exemple donné par l'auteur
résume parfaitement cette recherche du scintillement:

323 Ibid. A travers le relais d'Etienne Binet, c'est la tradition des Epithèles
de M. de la Porte qui persiste dans ce Parterre. Comme la Bibliothèque Bleue
étudiée par Robert Mandrou (v. De la culture populaire aux XVII' et XV/lI'
siècles, Paris, Stock, 1975), la prédication populaire en province relève de ce
qu'il est convenu d'appeler la «longue durée:t.
358 RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS

Le paon marche gravement dans ce jardin, il desploye majestueusement


les miroirs de sa queue parsemée d'estoiles d'or et pannade desdaigneu-
sement sa poictrine diaprée d'un admirable carquan de pierreries escla-
tantes 824.

Les figures s'articulent selon deux critères: l'intensité visuelle et


l'mtensité émotionnelle, autant que possible conjointes.
Dans l'ordre visuel, notre rhéteur ecclésiastique fait un sort privilègié
il l'hypotypose: «Les voyez-vous, Messieurs, ces impitoyables bour-
reaux ... Ah ! je me pasme seulement en y pensant ... », et il les classe par
« affects ». Représenter quelque chose, en beau ou en laid, porte en effet
à l'admiration, à la douleur, à la colère. Il les classe aussi par sujets:
représentations de types humains: le jeune saint, le Vieux capitaine, ou
de lieux (<< topographie»): Temple, Printemps, jardin, Naufrage. La
c similitude» ou «comparaison» n'est autre qu'une «petite hypoty-
pose» : « Quand je considère de très bons esprits occupés à des choses
indignes de leur noblesse, il me semble voir un Milan qui resploye majes-
tueusement ses aisles dedans l'air... }) Elles peuvent être «estendues»
pour devenir un « parallèle », ou «entassées}) comme pour une « défini-
tion }) : « Il n'est rien de si puissant pour picquer une âme généreuse que
l'exemple, c'est un doux tyran, c'est... ». Elles peuvent être aussi «dou-
blées» : «Le cœur de l'homme est comme une mer, et les passions sont
comme les vents... »
Dans la même sorcellerie évocatoire il faut ranger « la façon de bien
raconter une histoire ». Lorsqu'elle est connue, ou que l'auditoire est
docte, on peut se contenter d'une allusion, ou d'allusions entassées:
« C'est ce qu'ont fait Constantin dans l'Empire, Clovis en France, Recca-
rede en Espagne ... » Mais il faut avouer qu'« une belle Histoire bien en-
tendue à la faveur des prosopopées, des apostrophes, des interrogations,
des sustentations, a beaucoup d'empire sur les cœurs et emporte l'admi-
ration des doctes et de la populace ». Aussi lorsque les exemples vérita-
bies font défaut, la fiction doit y suppléer: «Mesdames, qui perdez tous
les jours tant de temps pour vous desgraisser, pour vous laver, pour vous
farder, pour repartir le blanc, pour bien desmeler le rouge, pour poudrer
vos cheveux, pour rafraichir vostre teint..., sçavez-vous bien qu'il n'y a
pas longtemps qu'une jeune Damoiselle apparut après sa mort à une de
ses compagnes qui f1attoit sa beauté dans un miroir, et luy dit... »
1\ y a plusieurs manières d'« entrer dans une Histoire}) : «Tesmoin
Balthasar ... Je n'en veux d'autre tesmoin ... En voulez-vous un exemple
très illustre ... ?» Et le récit terminé, « il faut se réfléchir, et le dire encore
une fois par un style coupé» : après avoir décrit les souffrances de jésus,
reprendre ainsi: «Un Jésus vendu, un jésus souffleté, ... etc ... »; ou
encore reprendre avec reproche à l'auditeur: « Hé , bien, que dites-vous,
âmes délicates ... c'est une petite fille qui ... Et vous ... »

324 Parterre ... , p. 13.


<1: LE PARTERRE DE LA RHÉTORIQUE FRANÇOISE :. 359
Toutes ces c peintures» visent donc à un effet pathétique. Mais la
e peinture» par excelle'nce, c'est la personne de l'orateur qui en est le
~upport. Les mouvements passionnés qui s'y projettent, les différents
personnages qu'il interprète en un monologue animé créent un véritable
théâtre qui agit puissamment sur le cœur.
La premiére de ces figures, c'est l'interrogation: c Adresser la parole
aux Pierres, aux Rochers, aux Astres, à Dieu, aux Saints, aux Damnez,
aux Epitaphes, aux Reliques des saints, aux Anges, aux Trespassez 82G. »
Ces interrogations fictives, telles les compositions de lieu des Exer-
cices, ont le pouvoir de faire surgir la vision de choses ou de personnes
absentes. Et comme dans les Exercices spirituels, l'interrogation peut se
transformer en un véritable c colloque », chargé d'e affections» et de
c transports» : « jésus dans une créche? Quel throsne 1 Sur une pierre?
Quel chevet 1 Sur la pai1le? Quels draps 1 Entre le bœuf et l'âne... » Ou
encore: c Mais quoy, judas, qui t'a induit à [ ... ] trahir ton bon maistre?
Est-ce qu'il t'a maltraité?» Et Judas de répondre: «C'est la douceur
mesme ... »
Même jeu avec les apostrophes, animées par le «transport:., l'e ex-
tase », si elles s'adressent à Dieu: «Ah 1 mon Dieu, que tout ce qui me
vient de vostre part m'est doux et agréable, que vostre nom m'est savou-
reux ... » Mais en tous les cas elles doivent faire naître une émotion:
indignation (<< Que si ces libertins ferment les orei1les à mes advertisse-
ments, vous, vous, Epitaphes, vous, Tombeaux, vous Cercueils, ouvrez
vos seins pour entendre mes paroles ... ») ; larmes (e Quoy, oseriez-vous
bien, cruelles espées, tenailles impitoyables, roues, gibets, rasoirs, flam-
mes inhumaines, oseriez-vous bien toucher ce corps innocent... ? ») ; éton-
nement (<< 0 grand Apostre saint Paul, si vous estiez icy dans cette
chaire, Ah 1 que ne diriez-vous uas contre ces impies ... Où estes-vous
maintenant, pauvre Cicéron, hé! de quoy vous a servy ce fleuve de
paroles dorées? Venez, venez, Sénèque, prenez la parole, peut-estre que
ces impies auront plus de creance en vous qu'aux Saintes Ecritures... »).
On peut encore, pour toucher les cœurs, parler «aux forests et aux
Hermitages»: c Parlez, parlez, morne silence des forests 1 Racontez-
nous les soupirs, les prières, les larmes de ces Anges incarnez dans de
saints Ermites 826... »
On peut descendre aux Enfers et y faire entendre les damnés s'adresser
aux saints, comme dans la Méditation de l'Enfer de la Première journée
des Exercices: «Vivez, vivez heureux dedans ces beaux séjours '" pen-
dant que nous gemirons dedans ces cachots ... »
Aux interrogations et apostrophes, qui suscitent les choses et les êtres
auxquels elles s'adressent, il faut ajouter la prosopopée, qui donne la
parole à ces personnages absents. Dans les Enfers, un fils damné s'adres-

826 Ibid., p. 43.


326 Ibid., p. 52.
360 RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS

se à son père: c ... Tigre inhumain! C'est ta connivence qui m'a frayé le
chemin à cette horrible prison, à ces sombres cachots où tu es tombé avec
moi... :t
Mais le c miracle de la Rhétorique:t, c'est la prosopopée qui res-
suscite les morts et leur rend l'usage de la voix. Comme Jésus devant
la tombe de Lazare, le prédicateur peut s'écrier: c Levez-moy cette
tombe, brisez-moy ces pierres, faites-moy sortir ce Mauvais Riche ... :.
Non moins propres à bouleverser l'auditoire, le c Dialogisme:. qui
fait d'une prosopopée un dialogue. La Madeleine, avant d'entrer dans
la maison où se trouve le Sauveur, dialogue ainsi avec elle-même: « Ah 1
pauvre misérable 1 Où vas-tu 7 Où vas-tu 7 On te verra toute desche-
velée par les rues 7 N'importe ... :.
Cette théâtralisation de la parole serait incomplète s'il y manquait
la figure dramatique par excellence, le suspens, que notre auteur nomme
« suspension des esprits» ; il énumère toute une série de formules pro-
pres à redoubler ou réveiller la curiosité de son auditoire 827.
A toutes ces figures qui multiplient le nombre de personnages et de
décors sur la scène imaginaire dressée sur la chaire, il faut ajouter celles
qui mettent en cause directement l'orateur-acteur. Excuses et repentirs
fictifs 328, souhaits, exclamations vigoureuses 329 (<< 0 Sainte Croix de
mon Sauveur... Le cœur me fend, hélas, ah ! quel spectacle ... l», exécra-
tions (<< Hors d'icy, canailles, hors de ce monde ... Ah ! barbare, ah ! pirate,
ah 1 corsaire, que ne respires-tu à grands traits la peste et le venin au lieu
de cet air que tu infectes ... ») Et au jeu de ce personnage à la première per-
sonne, il n'hésite pas à faire «participer» l'auditoire: un des procédés
du suspens est en effet la « communication », où l'on demande l'avis de
l'auditoire: «Messieurs, je vous fais juge ... » ; un autre est 1'« indul-
gence », où on laisse le public faussement libre de choisir. L'orateur
n'hésite pas non plus à recourir aux «feintes », bien appropriées dans
un système où la fiction pieuse et l'imagination volontairement fiévreuse
jouent un si grand rôle. Il y a d'abord les «feintes de silence» 330 :
c feindre que l'on ne peut pas dire ce que toutefois l'on dit pour lors l>
(c Moy! moy ! que j'aye le cœur de bronze et la poitrine de marbre pour
\'OUS dire une chose qui vous arrachera les souspirs, les sanglots, et les
larmes? »). Ou en::ore, «après avoir bien exagéré quelque chose et
presque dit tout cc qu'on en sçavoit » : «Mais que dis-je? Que fais-je?
Ah ! je n'ai ricn dit, je n'ay fait qu'effleurer la matière ... ». Ou encore
« dire tout ce que l'on sait sans faire semblant de le dire» : «Mon Dieu,
que n'ay-jc le temps et 13. langue pour parler librement et à loisir sur
un si beau sujet...»

327 Ibid., p. 57.


328 Ibid., p. 78.
329 Ibid., p. 88.
330 Ibid., p. 128.
c LE PARTERRE DE LA RHJ::TORIQUE FRANÇOISE. :t 361

C'est dans l'épilogue (autre nom de la péroraison) que l'enthousiaste


orateur devra rassembler toutes ses forces. Car là, il lui faudra faire
succéder à un c mouvement violent~, qui peut emprunter la forme de
l'amère c raillerie :t 881, un c mouvement doux:t, version oratoire de la
contemplatio ad amorem des Exercices Spirituels .


••
En conclusion, reprenant les données esentielles de sa rhétorique à la
fois imaginative et pathétique, notre auteur ajoute le principe (d'ailleurs
implicite dans ses développements antérieurs) du mélange des styles:
que le prédicateur soit c subtil dans les choses ravalées, brave, majes-
tueux, vigoureux dans les relevées, modeste et retenu dans les médio-
cres :t. Et revenant sur sa définition initiale du c caractère:t propre à la
prédication, il affirme avec une désarmante bonne conscience deux pro-
positions difficilement conciliables: d'une part
j'ayme un discours arrondi par les harmonieuses roulades des périodes,
émaillé de pierreries et de belles sentences. enluminé des plus beaux lui-
sants de la Rhétorique. enrichy et relevé par des façons de dire hautes.
hardies. vives. courageuses. toutes pleines d'esprit et d'un certain enthou-
siasme.

et d'autre part:
Quoy que j'aime bien les vertus d'un Cicéron. les foudres d'un Démos-
thene. les tonnerres d'un Peri des. et l'esmail d'un Isocrate. je n'ayme pas
les mignardises d'une rhétorique affectée. les pluyes de paroles dorées.
les gresles emperlées de synonymes. ces doux Zephyrs de belles phrases
à la mode. et tous ces autres appareils qui flattent les oreilles... \1 faut
cstre eloquent par les yeux. par le visage. par le maintien. par le cœur
ct par le ressentiment de ce que l'on veut dire. \1 faut quelquefois verser
de grosses larmes au lieu de Périodes rondes. des plaintes lamentables
au lieu de figures. des regrets au lieu de sentences. des souspirs et des
sanglots au lieu de Phrases. de vifs ressentiments au lieu d'arguments
subtils. et voilà ce qui persuade. et c'est là estre éloquent.

On ne saurait mieux dire que la rhétorique est le domaine réservé de


l'orateur d'Eglise: dangereuse lorsqu'elle est mise au service des sussu-
rements profanes, dont la source ultime est Eros. elle n'est acceptable
que purifiée et justifiée par les saints élancements de l'amour divin. Il

331 Ibid., p. 141. On comprend mieux à lire ces pages à l'usage de prédi-
cateurs populaires l'enjeu de la Querelle faite par Ogier et ses amis à Garasse.
V. Jugement et Censure ...• ch. IX: «\1 écrit en un stile et d'une façon trop
populaire, et des choses capables d'attirer la lie mesme du peuple à la lecture
de son livre ... » Il s'agissait pour Ogier et ses amis. sous cette question de
forme. de combattre la réduction de la culture à la foi du charbonnier et aux
tabarinades propres à l'inculquer en toute «égalité:) à tous. «sçavans» et
« ignorans ».
362 RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS

est vrai que l'art de la prose, déchiré entre cette sophistique sacrée et
ce mépris de l'art d'écrire, est en fort mauvaise posture. Pour mieux
marquer les distances entre l'ordre de la parole profane et celui de la
parole sacrée, notre auteur souligne que l'invention et la disposition du
~ermon n'ont que peu de chose à voir avec celles du discours à l'an-
tique 332.
A Y regarder d'un peu près toutefois, l'on s'aperçoit que la rhétorique
du Parterre n'est qu'une transposition, immensément amplifiée par le
recours aux procédés des avocats antiques, de la rhetorica divilla des
Exercices Spirituels. Nous l'avons déjà constaté à propos de Richeome
et de Binet; entre le prédicateur jésuite et les modèles classiques, s'inter-
pose la méthode de persuasion propre aux Exercices, et qui s'accommode
beaucoup mieux des procédés de déclamation sophistique que d~ la
« juste mesure» classique. C'est ce que nous allons vérifier en étudiant
trois traités de parénétique jésuite publiés sous Louis XIII.

La Cour Sainte du P. Nicolas Caussin (1624)

Devenu à partir de 1620 un des prédicateurs de la Maison Professe,


le P. Caussin a fait dans ces fonctions nouwlles la connaissance d'un
nouvel auditoire: la noblesse de Cour. Baronius avait mis ses Annales
ecclésiastiques à l'épreuve du «gueuloir» de la prédication: il est peu
douteux que la Cour sainte ou Institution chrétienne des Grands soit le
fruit des sermons prêchés par le P. Caussin devant la Cour 333. Sermon-
gigogne, qui pouvait à son tour servir de « sylve» pour les prédicateurs
appelés à prêcher devant un auditoire aristocratique, et qui devait lui-
même beaucoup à l'ouvrage publié à Rome en 1622 par le Jésuite Ber-
nardino Castori 334, l'lnstituzione civile e christiana per uno che desideri
vlvere tanto in Corte che aUrove tanta hanestamente che christianamente.

332 Ibid., p. 139. Une proposition générale, puis une distribution des raisons
principales qui peuvent l'étayer: et chaque raison traitée par un syllogisme ou
un enthymème, lesquels sont « amplifiés» à l'aide des figures étudiées jusque-là;
à chaque amplification doit correspondre un épiphonème (résumé vigoureux).
Enfin une péroraison.
833 Sur la méthode du «gueuloir» que Baronius mit en œuvre sur les
conseils de Philippe Neri, voir G. Calenzio, La vita e le scritti dei cardinale
Cesare Baronio, Roma, Typ. Va tic. 1907, p. \05. Il ne procéda pas à moins
de sept «répétitions », à coup de sermons quotidiens à San Girolamo della
Carità, à Rome, du cycle entier de l'histoire ecclésiastique (de 1566 à 1586)
dans le même temps ou il rédigeait les Annales. Celles-ci ne sont au fond qu'un
gigantesque sermon apologétique, en dépit de l'appareil d'érudition qu'avec
l'aide entre autres de N. Le Fèvre et j. Sirmond, Baronius y a apporté. La
« vérité» des Annales est puisée d'abord dans l'inspiration divine, la piété
et la charité, avant d'être étayée par les documents.
334 Bernardino Castori (v. Southwell, ouvr. cit., p. 114) était bien connu en
France. Né en 1543, entré dans la Société en 1559, il fut recteur du Collège
de Bourges, puis de la Maison professe de Paris, puis du Collège de Lyon,
avant l'expulsion de 1594. Ensuite il fut recteur du Collège de Venise, jusqu'à
l'expulsion de 1606, et recteur du Collège Germanique à Rome jusqu'à sa
mort en 1634.
II: lA COUR SAINTE» 363

Cet ouvrage prend place dans le vaste effort de la Réforme catholique


pour convertir la noblesse d'Epée. Nous avons déjà rencontré, avec les
ouvrages de Pierre l'Anglois et de Pierre Dinet sur les hiéroglyphes, une
des formes mineures de cette offensive en direction d'une caste particu-
lièrement rebelle à la discipline morale, intellectuelle et politique. L'Elec-
forum symbolorum ... synfagma du P. Caussin, qui prenait le relais de
L'Anglois et Dinet, le préparait déjà à ce role d'apôtre de la noblesse
d'épée. Mais dans la Cour Sainte, tous les genres nés au XVI' siècle pour
convertir à un humanisme chrétien le second Ordre du royaume, viennent
se rassembler à l'intérieur d'une véritable «Somme» édifiante: «traité
de Noblesse» au ch. 2 du L. 1 325 II: traité de l'Honneur », au ch. 3 et 7 du
même livre 826 ; II: traité du Duel », au ch. 8 327 • L'essentiel des arguments
déployés par Montaigne dans les Essais pour convertir à l'humanisme la
noblesse d'Epée est également mis en œuvre par le P. Caussin, à sa
manière 328.

33~ Le genre du «traité de Noblesse» a déjà une longue tradition et une


riche topique humaniste avant La Cour Sainte. Il mériterait à lui seul. tant
le sujet est central. une monographie. Citons quelques titres essentiels. S.
Champier. Le fondement et origine des titres de Noblesse. Lyon. 1535; E. de
Froideville, Dialogues de l'origine de noblesse. Lyon, 1574; F. de Lalouette.
Traité des nobles et des vertus dont ils sont formés. Paris. 1577 ; J. Le Masle.
Le Breviaire des Nobles. Paris, 1578 ; P. d'Origny, Le Herault de la Noblesse
de France. Reims. 1578; Ant. Le Fevre de la Boderie... Dialogue de la Noblesse,
trad. de T. Tasso, Paris, 1584; J. de Caumont, ve la vertu de Noblesse,
Paris. F. Morel. 1585; Ant. Le Fevre de la Boderie. Traité de la Noblesse,
trad. de G.B. Nenna, Paris. 1593; J. Baudoin, Dialogue de la Noblesse, trad.
de T. Tasso. Paris, 1633. Proche du traité de Noblesse. le traité du Genti)-
homme, dont le modèle semble avoir été G. Muzio. Il Cavaliere. Rome. 1569 et
Il Gentiluomo. Venise, 1579; Du Souhait, Le Parfait Gentilhomme. Paris. 1600 ;
N. Pasquier. Le Gentilhomme. Paris. 1611 ; autre famille. dans la tradition de
Castiglione et de Della Casa. le traité «De la Cour» : Du Refuge, Traicté de
la Court. Paris, 1616; N. Faret, L'Honneste Homme. Paris. 1630; Colletet,
Les devoirs mutuels des grands seigneurs et de ceux qui les servent.... trad.
de G. della Casa. Paris, 1648.
336 Le traité «de l'Honneur» est une autre famille de la littérature consa-
crée à la noblesse: honneur doit être entendu tantôt au sens de point d'hon-
neur, et alors le traité de l'honneur touche de près au traité du duel; tantôt
au sens de récompense d'honneur, de marque extérieure de la noblesse. Dans
cette dernière rubrique on peut ranger André Favyn, Théâtre d'honneur et de
chevalerie. Paris. 1620; Vulson de la Colombière. La Science héroïque. trai-
tant de la noblesse, de l'origine des limes ... , Paris, 1644, et le Vray théâtre
d'honneur et de chevalerie, Paris, 1648; La Roque de la Tontière, Traité de
la noblesse, de ses différentes espèces, Paris, 1678.
837 Autre famille: les traités du point d'honneur et du duel. Citons pour
une première orientation de recherche, G. Muzio, Il DueUo, Venise, 1551;
C. de Cheffontaines. Chrestienne confutafion du point d'honneur. Paris, 1588;
Vital d' Audiguier, Le vrai et ancien usage des duels, Paris. 1617.
338 Il y a dans les Essais un «traité de Noblesse» et un «traité de la
Cour» épars. La critique de l'incommodité de la grandeur (III, 7) par Mon-
taigne est un bon point de départ pour celle du P. Caussin, qui fait de cette
incommodité même une épreuve de l'âme chrétienne, un II: test» de la vraie
noblesse.
364 RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS

Carrefour des genres mis au point par l'humanisme profane et ecclé-


siastique pour faire le siège de la noblesl;e, la Cour Sainte est aussi un
vaste recueil de tout ce que la littérature antique, païenne et chrétienne,
pouvait fournir d'arguments moraux et religieux à cet usage. La Bible,
les Pères, de saint Augustin à saint Bernard de' Clairvaux, les philo-
sophes, et en particulier Sénèque 339 sont mis en œuvre. Et une riche col-
lection d'exempta, dont beaucoup sont empruntées aux Anna/es ecclé-
siastiques de Baronius, vient orner et soutenir l'arsenal des arguments.
Bel exemple d'évangélisation par la culture: en même temps qu'il cherche
à c convertir» la noblesse, le P. Caussin cherche à l'instruire 340. Son
livre est une véritable «bibliothèque» en raccourci et en traduction, où
gentilshommes et nobles dames, «ignorants» des langues anciennes et
nourris tout au plus de poésie, de roman, et de facéties en langue vul-
gaire,recevront une teinture d'humanisme.
A l'éclectisme des « sources» correspond l'éclectisme du style et des
procédés oratoires. Nous l'avons vu : dans ses préfaces, le P. Caussin
affecte le mépris pour les minuties de l'éloquence «humaine» et se
réclame de 1'« héroïsme» oratoire qu'il avait placé, dans les derniers
livres de ses Paralle/a, sous l'invocation de saint Jean Chrysostome. De
fait, la couleur générale de l'ouvrage relève du style «grave» et «sé-
vère », s'élevant souvent jusqu'à la véhémence bibliqur.. Mais le P. Caus-
sin, qui dans les Paralle/a a condamné le style comminatoire de Tertul-
lien, ne veut pas dominer les âmes par la crainte. Il atténue l'amertume
par la recherche de la variété, qui se manifeste non seulement dans l'argu-
mentation, mais dans l'ornementation Ml. Toutefois cette variété se main-
tient à l'intérieur des limites de la gravité. Condamnant avec une égale
vigueur l'excès de «tristesse» et la «bouffonnerie» M2, le P. Caussin,

889 Sur ce dernier auteur, v. l'étude du P. Julien-Eymard d'Angers, «Sénè-


que et le stoïcisme dans «La Cour Sainte» du P. Caussin », dans Revue des
Sciences religieuses, n° 3, 1954, p. 258-285.
340 A bien des égards, la Cour Sainte est une «polyanthée », un recueil
de semina dicendi présentés non plus sous forme de citations (adages, sen-
tences, maximes, exemples) mais articulés à un discours apologétique continu.
Ce «recueil de lieux », rendu agréable au palais délicat des gens de Cour, leur
donnait un fonds de culture, sur lequel à leur tour pouvaient compter prédi-
cateurs, dramaturges pour y trouver des sujets bien connus de leur public.
341 L'ornement pour le P. Caussin, c'est avant tout l'ekphrasis, la descrip-
tion sous toutes ses formes, de la métaphore à l'exemple. Pour IlIi, ce foison-
nement d'images est le modus oratorius de la théologie. C'est surtout dans
les enrichissements successifs apportés à l'édition 1624 de la Cour Sainte que
ces images vont se multiplier, au point de constituer un véritable répertoire
encyclopédique, répertoire de «caractères» dans le t. JII, De l'empire de la
raison sur les passions (1640), répertoire, d'exempla destinés à remplacer les
Vies de Plutarque, dans le t. Il, Le Prelat, l'homme d'Etat, le Cavalier, la
Dame (I627).
342 Comparer Cour Sainte, éd. Rouen 1642, p. 378 (Indignité de la tristesse),
p. 213 (attaque contre la «liberté de la langue », «cajolleries, flatteries, bouf-
fonneries, paroles impudiques et maudites », «fourrier de l'athéisme»), avec
les Parallela, éd. cit., L. Il (liste des styles excessifs) et L. VIII, De affectibus
(sur la juste mesure à garder entre les extrêmes).
« LA COUR SAINTE » 365
l'année même où Garasse s'expose aux brocarts de François Ogier, donne
l'exemple d'une éloquence à la fois sévère et ornée, oscillant entre le
« grand» et le c moyen» style.
Conçue sous le régime de l'imitation c adulte» donc éclectique, la
Cour Sainte révèle le génie jésuite de l'amalgame et de la fusion. Mais
en dernière analyse, l'élément catalyseur de cette énorme c roulade»
n'est autre que le petit livre des Exercices. Le but de saint Ignace est
d'amener le retraitant à l'élection d'un c état de vie» qui lui permt'tte
de servir Dieu au mieux de ses possibilités nature1\es. Le but de la Cour
:Sainte n'est pas de convertir la noblesse de Cour à la retraite: bien au
contraire, il s'agit de transfigurer une situation donnée par la nature
et la coutume en un c état de vie» chrétien, non plus subi et machinale-
ment accepté, mais choisi et vécu à la lumière de la foi. Sous les énormes
accrétions de la memoria humaniste, sous les tactiques particulières diri-
gées vers un public bien défini, il faut voir dans la Cour Sainte une
version des Exercices modulée à l'usage du second Ordre du royaume,
une « retraite» éloquente qui fasse partager à la turbulente noblesse un
peu de la spiritualité ignatienne.
Saint Ignace postule du retraitant c magnanimité» et «grands dé-
sirs », terrain naturel sur lequel seul peut se lever l'aristocratie des
milites Christi. Dans son L. l, le P. Caussin étudie en une suite pressante
de XIII « raisons» les motifs que tout homme né chrétien, mais plus spé-
cialement tout homme né c noble », au sens profane et « naturel» de ce
terme, doit avoir de désirer la c perfection chrétienne ». Ces arguments
sont fondus avec aisance dans le style orné de l'éloge: il s'agit de flatter
les préjugés nobiliaires afin de les faire servir aux « grands désirs» de la
dévotion zélée. Le P. Caussin félicite la noblesse de ce que la c belle nais-
sance» s'accompagne de c générosité », c grandeur et dignité », riches':'
ses », biens du corps », c esprit» 34\ c courage », sens sourcilleux de
,'honneur. 11 admire que la Nature ratifie le choix de la Fortune, et taille
les nobles dans une étoffe plus fine que ce1\e des autres hommes:
Les corps des Nobles et gentilshommes, écrit-il, sont ordinairement
mieux faits et paistris plus délicatement des mains artistes de la Nature,
ils ont les sens plus subtils, les esprits plus vifs, les membres mieux pro-
portionnés, la façon pius gentille et la grace mieux accomplie 844.

A ces images flatteuses succèdent bientôt des visions moins riantes;


comme dans la première semaine des Exercices, qui s'achève sur une
méditation des « trois humilités» et le colloque des « trois groupes d'hom-
mes », le P. Caussin, qui avait d'abord feint de prendre au sérieux les
préjugés nobiliaires, s'attache à faire concevoir à son auditoire titré la

843 La Cour Sainte, éd. 1624 dt., L. l, 2' Motif, Noblesse (p. 18-30) j 3' Motif,
Grandeur et dignité (p. 31-46); 4' Motif, Richesse (p. 47).
844 La Cour Sainte, Rouen, Ferrand, 1642 (B.N. 0 29.421), p. 17. Comparer
avec p. 21 de l'éd. 1624.
366 RHeTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS

relativité de sa grandeur terrestre, et la réalité de sa condition pécheresse.


Tout aussi peu confiant que le P. Nadal dans les capacités d'invention
oratoire de la conscience chrétienne, le P. Caussin lui prête sa voix:
Il y a des esprits, écrit-il, qui sont venus au monde parmy les arai-
gnées d'une chétive cabane, et qui ont remply les siècles d'admiration
de leur grandeur, d'autres ont esté receus dans le clinquant et dans la
pourpre, qui n'ont pas laissez d'estre stupides et benets 345.

Cette prosopopée, animée d'hypotyposes, accroît peu à peu son inten-


sité pour se transformer en une véhémente apostrophe ad hominem:
Indignes que vous estes, si vous attachez la noblesse à la chair et au
sang ou à quelques vieilles mazures, et à quelques tombeaux qui couvrent
un rien sous les dorures d'une Epitaphe. Ridicules que vous estes, JI
vous vous vantez d'une noblesse de papier encore qui n'est point vostre,
comme si un aveugle se vantoit que son grand'père auroit eu de bons
yeux et un bègue que son bisaïeul auroit esté grand orateur 346.

Du moins dans cette illusion de grandeur tout apparente et relative,


la noblesse peut-elle trouver un « aiguillon d'honneur ", qui est à sa gloire
ce que la pudeur est à la vertu des femmes. Il est vrai que cette inquié-
tude peut conduire aux égarements de la chair 347 ou aux crimes du
duel 848. Mais
s'ils [les Nobles) laissoient aller cest aiguillon du bon biais dont Dieu
l'a planté dans leur âme, se persuadans, ce qui est très veritable, que
l'action la plus roturière que sauroit faire un gentilhomme, c'est de servir
au péché, ne seroient-i1s pas invincibles de tous les vices et toujours en
possession de la vertu ? 349

Ainsi les vraisemblances peuvent devenir une voie d'accès à la vérité,


et la doxa nobiliaire une propédeutique à la foi chrétienne.
Il en va de même de l'éminence mondaine de la noblesse, de sa « visi-
bilité» qui n'est au fond qu'un fait de coutume, dont l'ambiguïté est telle
qu'il peut aussi bien signifier gloire que torture:
Quant aux grands, les yeux de tous les hommes sont fichez sur eux,
et ne peuvent s'eclypser que comme des Soleils, en estonnant tout le
monde de leur eclypse. Ceux qui en leurs propres deFauts ont des yeux

345 Ibid., éd. 1642 (p. 19). Le texte de 1624 (p. 24) commençait ainsi: «Tels
esprits sont venus ... »
346 Ibid., éd. 1642, p. 21. Comparer avec p. 27 de l'éd. 1624 qui donnait:
« Indigne que tu es, si tu vas attacher la noblesse à la chair et au sang, ou
à quelques vieilles mazures, quelques tombeaux ... » On observe un effort de
délicatesse et d'euphonie.
347 Ibid., éd. 1642, p. 21 : «L'esprit de mensonge ... leur renverse la cer-
velle et leur Faict mettre le poinct d'honneur dedans l'infamie. »
348 Ibid., éd. 1642: «Ils se coupent la gorge sur le pré, et vuident leurs
querelles par le canal de leur sang, d'autant qu'ils se persuadent que cela
est honorable.»
348 Ibid.
c LA COUR SAINTE.

de taupes, sont des Argus et des Lynx à voir et à censurer les actions
des hommes de qualité, et on peut bien dire que les vicieux ressemblent
au Roy Ozias, puisqu'ils portent tous leur lepre sur le front 8GO.

Les yeux du public qui l'assiègent placent la Noblesse entre la soif


d'honneur et la crainte du mépris, entre c le marteau et l'enclume:l>. Il
faut donc, écrit le P. Caussin, que c tous tes les créatures nous servent
d'eschelons pour monter jusques au Créateur », et que le «cerne» des
regards du public serve d'exercice de la présence de Dieu. l'œil du monde
doit devenir un miroir où l'œil du Juge se reflète, et nous oblige à « laver
toutes les impuretez de nos intentions et de nos affections, et [ ... ] arriver
bientost à la perfection» 811,
Aussi, loin d'appeler les Nobles à fuir la Cour, le p, Caussin les
invite à y trouver le théâtre de leur sanctification: plus haute la scène,
plus vaste et attentif le public, plus «visibles» les acteurs, plus puis-
sante sera la sommation du regard divin sur la créature. Il est vrai que
l'éminence mondaine est une source de tentations. Mais
le triomphe des vertus, comme a dit très sagement Platon, c'est d'avoir
le péché en puissance, et la vertu en volonté. Pouvoir pécher et y estre
sollicité par des attrayantes douceurs, et néantmoins ne le vouloir pas,
c'est tout ce que peut faire un homme de bien ... 8G2 •

La grandeur est aussi une source de traverses et d'épreuves:


Les croix des religieux ne sont que de papier en comparaison de celles
qui arrivent aux grands de la terre 353.

Quant à la Cour, lieu où foisonnent l'envie, les disgrâces, les humi-


liations, il faut y voir un lieu de pénitence plus sévère que les plus austères
couvents 354. Après avoir montré, dans la péroraison du L. l, avec une
sorte de violence impérieuse, que la dette contractée envers Dieu par les

350 Ibid., p. 26. Comparer avec p. 32 de l'éd. 1624: «en abbreuvant tout le
monde de leur eclypse ». Les asyndètes de la première version (v. p. ex. haut
de la p. 34) ont été remplacées en 1642 par et et puisque. Le style coupé et
sentencieux du passage a fait place à une période.
351 Ibid., p. 25. Comparer avec la p. 31 de l'éd. 1624: «cime de la per-
fection}) a fait place à «perfection».
352 Ibid., p. 29. Comparer avec la p. 37 de l'éd. 1624: «ne le vouloir pas
faire» a fait place à « ne le vouloir pas» pour éviter la répétition de «faire ».
353 Ibid., p. 34. Comparer avec p. 44 de l'éd. 1624 (texte inchangé).
354 Ibid., IX' Motif: p. 85 Qui fait voir que la Cour est une vie de péni-
tence (comparer avec éd. 1642, p. 110, texte inchangé). Ce passage est dans
un style fort surchargé de citations latines, d'étymologies latines et grecques,
ct de métaphores; «C'est le nid où l'envie couve ses œufs, le throsne où elle
exerce son empire, l'autel où elle a le plus de chandelles, ... Hélas! Combien
de fois les pauvres misérables, après une infinité de travaux, de poursuites,
et d'espérances, qui sont des songes sans sommeil, se voyans emportez d'un
furieux torrent d'envie dans la défaveur, soupirent-ils dans une mer de cala-
mitez ... Un regard d'un prince courroucé leur est plus formidable que l'œil d'un
Basilic, voire plus terrible qu'un coup de canon.»
368 RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS

gens de qualité est plus grande que chez les hommes ordinaires, le P.
Caussin somme ses lecteurs de se servir pour le bien du redoutable pou-
voir d'exemple dont ils sont investis. Puis, offrant un modèle de pérorai-
son, il fait succéder aux foudres la douceur rédemptrice de la rosée:
On dit que l'Arc en ciel venant à courber ses cornes directement sur
les fleurs, leur communique une odeur toute céleste, qui relève extrêmement
leur nature. Dieu vous a mis dans la sphère de la grandeur, comme des
arcs celestes, vous sçavez d'où il vous a tiré, et que non plus que l'arc
en ciel vous n'estiez qu'une menue vapeur, mais ce Soleil vous a dorez,
enrichis, esmaillez de tant de perfections qu'on vous peut appeler jus-
tement les enfans de l'admiration. Soyez donc au genre humain ce que
l'Iris est aux plantes ... vous en moissonnerez icy bas une vraye et solide
gloire, et dans le Ciel vos recompenses seront esgalées aux profits qu'aura
fait cet exemple 355.

•••
Au L. Il, «Des empeschements que les mondains ont au chemin du
salut et de la perfection », le P. Caussin se livre, au nom de ses lecteurs,
à une minutieuse Méditation des péchés sur les tentations propres à la
vie de Cour, qu'il parsème de « tableaux» moraux. S'inspirant de Lucien,
il décrit « l'Isle des songes », ekphrasis allégorique d'un monde où vivre,
c'est vivre par opinion. S'inspirant de Montaigne, il décrit le « Royaume
de l'Inconstance », où les courtisans sont caméléons, bien qu'une élite
d'entre eux ait réussi à y mener une vie « si resglée que tout y va par
règle et par compas ». S'inspirant de l'Eloge de la folie d'Erasme, sans
le citer, il décrit le monde de la dissimulation et de l'hypocrisie, où, « tous-
jours le masque sur le front, chascun veut paroistre ce qu'il n'est pas, et
personne ne veut advouer ce qu'il est». Quelques-unes de ces hypotyposes
ne reculent pas devant le mot concret, le détail réaliste et moderne. Pour
condamner «le mauvais usage du temps» le P. Caussin décrit ces
hommes
qui passent toute leur vie à peigner leurs cheveux, à laver leur barbe,
a avoir leurs chausses bien tirées, à garnir des espées, avoir des bottes
neuves, a chercher des jarretières, à faire provision de ceintures, acheter
des bonnets, à marchander des pennaches, à battre le pavé, à tenir une
raquette, à jetter le dez, à faire les cinq pas, à gourmander une collation,
à se battre à coups d'oranges, à cajoller une femme, à se vanter de ce
qu'on n'a pas fait, envier les heureux, à mespriser les misérables [ ... ), à
ne prononcer jamais une parole sérieuse, comme si on avait renoncé à
toute raison, et à ne dire du bien que lorsqu'on pense dire du mal 356.

3M Ibid., XI' Motif, Exemple (fin). Voir éd. 1624, p. 141-142 (<< directe-
ment l> a remplacé «droictement»).
356 Ibid. VI' obstacle, p. 203 : Mauvais mesnage du temps (texte inchangé
par rapport au texte de 1624, p. 265. V. aussi une autre-« peinture parlante ~
de «caractère ~ p. 204 de l'éd. 1642, et p. 266 de l'éd. 1624: «On voit d'autre
part des femmes qui n'ont d'autre mestier que de penser aux nouvelles modes
des habits, que d'achepter de l'estoffe pour faire des cottes et des robbes, que
de marchander des pierreries, que de hausser leurs patins, que de regarder
c LA COUR SAINTE 1> 369

Cette remarquable c roulade» qui, à petits traits accumulés, peint la


«vie à la mode» sous Louis XIII, est suivie quelques pages plus loin
d'une description allégorique, et précieuse avant la lettre, du c Palais du
faux amour» :
Ce palais est tout fabriqué d'espérances, ses degrez sont de glace,
faicts de telle sorte que plus on y monte, plus on y descend, ses salles,
chambres et garde robes sont toutes parées d'oisiveté, de songes, de
désirs, d'inconstance. Ses sièges sont faicts de faux contentemens 1... ] Toute
sa cour est composée d'hommes sans cœur, mols, effeminez, qui sont et
ne sont pas 3G7.

•••
Par cette accumulation pressante et étourdissante de tableaux de style
et de couleur différents, le P. Caussin pense avoir amené son lecteur au
point où il a fait c élection» d'un nouvel «état de vie:.. Alors, tel un
général qui, ayant affaibli l'adversaire, augmente sa pression sur lui afin
de le réduire définitivement à sa merci, le P. Caussin renonce aux ara-
besques du style moyen et du grand style pour la nudité plus impérative
des règles; il écrase les derniers soubresauts du c vieil homme:. sous un
feu nourri de c maximes ». Lui-même s'en explique:
Ce livre estant fait pour une plus familière instruction, il est moins
estendu en discours et allegations, mais plus serré et plus succinct en
preceptes, comme il est convenable. Je J'ai faict à dessein decisif, et par
manière d'Aphorismes, à la façon dont les Anciens traitoient les choses
morales 358.

Parmi les c règles:. de la dévotion de Cour, figure une véritable petite


rhétorique de la c méditation» ignatienne avec ses différents genres, avec
ses techniques d'invention et de disposition. Et comme pour récompenser
ses « retraitants» après cette cure d'austérité, le P. Caussin termine son
ouvrage par deux c récits historiques », Le politique malheureux dont les
héros sont Hérode et Mariamne, l'autre La piété fortunée dont les héros
sont Théodose, Pulchérie, Martian et Athénaïs 359.

cent fois le jour un miroir, que de faire une consultation sur un poil de leur
teste, que d'avoir de l'eau d'Ange, et de la poudre de chipre, que d'apprendre
tous les jours quelque nouvelle invention d'imposture pour porter sur le front
où Dieu mesme de son doigt a consigné la pudeur 1... ] Voilà un beau mesnage
qu'on fait du temps ... " Voir, sur cette offensive contre la mode de Cour avant
la Fréquente Communion d'Arnauld, les ouvrages de Fr. de Grenaille, La Mode
ou Charactere de la Religion et du Sti/e du lems, Paris, Gassé, 1642, et Puget
de la Serre, Le 8revière des courtisans, Bruxelles, {631. Ces deux ouvrages
dérivent de La Cour Sainte.
351 Ibid., p. 239.
358 Ibid., L. III, p. 274.
359 Ibid., L. III, section XIV, p. 340: La Pratique de la Méditation. c La
méditation est une oraison de cœur par laquelle nous recherchons humblement
attentivement et affectueusement les véritez qui concernent nostre Salut, pour
delà nous porter à l'exercice des vertus chrestiennes.:' V. p. 344, une topique
de la méditation; p. 350 : l'esquisse d'un «recueil :. destiné à nourrir la médi-
tation ...
370 RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS

Même dans le L. III, consacré aux c maximes », le P. Caussin a intro-


duit deux « tableaux », l'un de c l'homme spirituel », l'autre de « l'homme
charnel ». Tout au long de sa stratégie apologétique, il n'a cessé de faire
fonds sur l'imagination et les passions de ses lecteurs, maniant avec
virtuosité toutes les possibilités de l'ekphrasis pour faire jouer la honte,
la crainte, l'admiration, l'enthousiasme, contre l'ambition, la jalousie, la
cupidité, le faux honneur, l'amour charnel. Il n'a cessé d'unir à la force
des arguments, soutenus d'allégations philosophiques ou théologiques,
un ornement varié et éclectique. C'est que pour lui, il n'y a point de
rupture entre le monde des sens, des illusions, de l'inconstance et le monde
spirituel. Vu «d'un bon biais» le premier se révèle l'image du second,
et permet à l'âme détrompée de découvrir toute proche la ,'présence de
Dieu» et donc le désir de lui plaire, là où jusqu'alors elle n'avait vu que
fausses apparences, mensonges, erreurs.

Le Miroir sans tache du P. Joseph Filère (1636)

On ne saurait exagérer l'immense influence de la Cour Sainte, non


seulement sur les gens de Cour 360, mais sur les dramaturges 301 et sur
les apologistes étrangers à la Compagnie qui l'imitèrent 862. Le P. Caussin

360 Cette influence est attestée par le nombre incroyable de rééditions


augmentées qui se multiplièrent du vivant du P. Caussin, de 1624 à 1651,
et par la persistance des éditeurs à réimprimer la Cour Sainte jusqu'en 1691,
date à laquelle Madame de Maintenon prononça un arrêt de mort en traitant
le livre d' « émétique ». V. Sommervogel, t. Il, col. 906-911. Le succès auprès
des cours étrangères ne fut pas moindre: v. la liste des trad. en allemand,
anglais, italien, espagnol, hollandais, latin même, ibid., col. 911-917. Une étude
de la Cour d'Anne d'Autriche régente (la «Vieille Cour» sous Louis XIV),
telle qu'elle apparaît à trave.s les Mémoires de Madame de Motteville, ne
pourrait éviter de prendre en considération les exempta et la spiritualité du
P. Caussin. La Galerie des Femmes fortes du P. Le Moyne (1648) dédiée à
Anne d'Autriche, visait à satisfaire la Reine et son entourage de grandes dames
dévotes, pénétrées de la Cour Sainte. Mais le P. Le Moyne ne fut pas seul à
exploiter cette veine, dont le point de départ était le t. IV de la Cour Sainte,
Les Reynes et les Dames, dédié opportunément à Anne d'Autriche. Hilarion
de la Coste refondit ses Eloges et vies des Reynes, Princesse, Dames, et Damoi-
selles illustres en piété, courage et doctrine ... (Paris, Cramoisy, 1630) pour
les dédier en deux vol. à la Régente en 1647. En 1645, le P. Lescalopier avait
dédié La Femme Forte Judith à la Reine Anne (Paris, Rocolet). Et Fr. de
Grenaille avait préparé le terrain pour tous ces apologistes-panégyristes avec
sa Bibliothèque des Dames (Paris, T. Quinet, 1640) où il donnait de "belles
infidèles» de Tertullien et de saint Jérôme, consacrées à la femme chrétienne.
361 V.H. Carrington Lancaster, An history of French dramatic literature ...
et R. Jasinski, «Trois sujets raciniens avant Racine », R.H.L.F., 1947, p. 2-56,
sur les emprunts des dramaturges, jusqu'à Racine et son Esther, au fonds
d'exempla de la Cour Sainte, devenu fonds commun de la société mondaine.
362 La Cour Sainte, dans son projet essentiel, celui d'offrir à la noblesse
de Cour une véritable encyclopédie apologétique, suscita plusieurs émules. Dès
1630, le P. Marois, Frère prêcheur, fait paraître Le Triomphe de la vraie
noblesse, dédiée à Charles de Schomberg, duc d'Hallwyn, et en 1631, Le Gen-
tilhomme parfait ou tableau des excellences de la vraie noblesse, dédiée au
maréchal de Schomberg. En 1642, le P. François Dinet, Récollet, publie Le
« LE MIROIR SANS TACHE:. 371

lui-même, étonné du succès de l'ouvrage, en procura d'innombrables réédi-


tions, augmentées jusqu'à l'édition posthume et définitive, in-folio, de
1664. Mais l'importance du livre tient aussi à sa fonction de «modèle})
pour les apologistes jésuites. Le P. Caussin posait les principes d'une
méthode d'amplification des Exercices spirituels, où l'ekphrasis des
sophistes, et l'exemplarisme des moralistes antiques s'alliaient à une
métaphysique de la procession .- et donc de la correspondance - des
images: « cette façon de saint Bernard de depeindre une chose spirituelle
par des images corporelles» 363.
Il restait à développer cette dimension théologique et métaphysique
de la sophistique sacrée des jésuites français. Ce sera l'œuvre du P. joseph
Filère 364 dans un ouvrage publié en 1636 à Lyon sous le titre: Le Miroir
-'ans tache, des merveilles de la nature dans les miroirs, rapportés aux
effets de la Grace pour voir Dieu en toutes choses et toutes choses en
Dieu, et s'avancer par les degrés de la vertu jusqu'à la perfection.
Le maître-mot pour un rhéteur comme le P. Pelletier était phantasia,
l'art de fabriquer des images. Pour le P. Filère le maître-mot est subtilité:
principe à la fois d'une rhétorique et d'une spiritualité. D'une rhétorique
de l'ingenium expert à proposer et à résoudre des «Enigmes », dont les
« secrets» révélés ~ont à la fois de ravissement (dulce) et de piété (utile) ;
d'une spiritualité de la « présence de Dieu », à la fois cachée et reconnue
dans toutes les figures, naturelles ou artificielles, que la Création pro-
pose à l'œil de chair comme à l'œil de l'âme. Le maître de ce scintillement
du sens, c'est Sénèque, « philosophe moral en sa subtilité, subtil en sa
moralité », car il a l'art de faire percevoir les arcanes spirituels à travers
les images qui les figurent aux yeux mortels. Pour sa part, le P. Filère
applique sa propre subtilité à interpréter les effets et merveilles de l'opti-
que, naturelle ou savante, comme autant de "figures» d'une optique
mystique. jamais le privilège accordé par la rhétorique jésuite au sens
de la vue n'a trouvé d'interprète plus virtuose, alliant la connaissance de
la tradition néo-platonicienne à cel1e des recherches les plus récentes de

Théâtre françois des Seigneurs et Dames illustres, où l'emporte un accent


nationaliste absent de la Cour Sainte; et en 1648, une nouvelle version inti-
tulée Le Théâtre de la Noblesse françoise; en 1659, le P. Jacques d'Autun,
Capucin, publie sa Conduite des Illustres, dédiée au duc de Candale. Et en
1664, le P. Yves de Paris, Capucin lui aussi, publie son Gentilhomme Chrétien.
Les prédicateurs de la Réforme catholique avaient pris la relève des humanistes
du siècle précédent pour persuader la noblesse de se soumettre à un ordre
chrétien et monarchique.
363 Cour Sainte, éd. 1642, p. 239. Le P. Caussin justifie la «peinture» du
« Palais du faux amour» (une allégorie dans le plus pur style du Dictionnaire
des Précieuses) par cette remarque: «Quelques beaux-esprits du siècle, sui-
vans quasi cette façon d'escrire de saint Bernard de dépeindre les choses spiri-
tuelles par des images corporelles, ont basty ce Palais du faux amour. :.
364 Sur le P. Filère (1586-1608-1658), voir Southwell, p. 522.
372 RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS

Mersenne et de son cercle 8eG pour construire une étrange machinerie


dévote, actionnant une innombrable batterie de miroirs, et dont l'idée
première, immensément amplifiée, avait été formulée en ces termes par
le P. Binet, dans son Miroir pour consoler les affligez publié en 1617:
A vray dire, toute la nature humaine n'est qu'un vray miroir, où sc
mirant avec attention on admire la bonté de Dieu ... 866.

Le sens tantôt propre, tantôt figuré qu'il donne au mot miroir, l'im-
mense sylve qu'il a rassemblée de tous les passages d'auteurs païens ou
chrétiens où apparaît la notion dans l'un ou l'autre sens, permettent au
P. Filère de glisser avec aisance du c tableau» à la Philostrate à l'exem-
plum à la Sénèque, de l'Idée platonicienne au speculum in aenigmate pau-
linien, en un véritable chatoiement de reflets qui vont du «figuratif»
le plus sensible au c non-figuratif» le plus abstrait, mathématique et
métaphysique.
La gamme des miroirs tour à tour évoqués est à elle seule significative
de cette oscillation du concret à l'abstrait. Exemples, tableaux, images,
autant de miroirs. Miroir, l'exemple suprême de la « Vie et mort du Fils
de Dieu ». Miroir encore, l'image des créatures, qui forment « autant de
tableaux raccourcis des perfections de Dieu» ; miroirs aussi, les images
des saints protecteurs dressés sur leurs murailles par les défenseurs de
Tolède, et qui, réfractant la «vertu» des Bienheureux, repoussent les
assauts de l'Infidèle; ou l'image du Sauveur qui, tel un miroir ardent,
embrasa les machines de Chosroès dressées contre la ville d'Edesse.
Mais le plus souvent, par un effet de «miroir dans le miroir », les
exempla rassemblés par l'érudition du P. Filère sont autant d'écrins pour
une superbe collection de miroirs lisses, brillants et glacés, vides aussi,
sauf de leur possibilité ambigu!! et fascinante de réfléchir les vanités du
monde ou les vérités de Dieu. Ils tiennent lieu dans son livre de ces
« pierreries» qui, selon le P. Binet, font « le style précieux ». Miroirs des
chasseurs, miroir de la Duchese de Venise, miroir de la Reine Cléopâtre,
miroir d'Alcibiade, de la Courtisane d'Edesse, de Narcisse, d'Esculape,
du temple d'Achaïe, de l'Empereur Othon, de la Princesse Agnès, du
temple d'Arcadie, de Mercure Trismégiste, de l'Empereur Domitien, de
l'Empereur Anastase, de la Princesse Jeanne d'Aragon, de la Princesse
Romilde, tous ces miroirs de vérité et de vanité ont été pour ceux qui

365 Sur les recherches d'optique sous Louis XIII, voir Jurgis Baltrusaitis,
Anamorphoses ou magie artificielle des effets merveilleux, Paris, Perrin, 1969,
p. 39 et suiv. L'auteur met en évidence le double aspect à la fois dévotionnel
et scientifique de ces recherches. Les ouvrages les plus importants dans l'ordre
scientifique sont la Perspective, de Salomon de Caus (Londres, 1612; Paris,
1624); et la Perspective curieuse du Minime Jean-François Niceron (Paris,
1638), traduite en latin en 1646 sous le titre Thaumaturgus opticus. Le P. Nice-
ron avait peint lui-même de grandes fresques anamorphotiques qui décoraient
le couvent des Minimes de la Place Royale, quartier général du P. Mersenne.
maître et protecteur du jeune moine (v. ouvr. cit., p. 61).
366 Recueil des œuvres chrétiennes et spirituelles, Rouen, 1620, p. 320.
c LE MIROIR SANS TACHE ~ 373
s'y sont mirés autant de pièges ou d'instruments de salut. Comme les
yeux d'Argus qui selon le P. Caussin, guettent les nobles et leur figurent
l'Œil de la présence divine, cette foule de miroirs entoure le lecteur du
P. Filère et le somme de choisir entre l'illusion et la sagesse.
Et comme si ce Musée étinc~lant de tous les miroirs dont parlent
l'histoire et la légende ne suffisait pas à traquer son lecteur, le P. Filère
en appelle à la Nature entière:

La sagesse de Dieu nous a donné quasi autant de miroirs qu'il y a


de corps capables d'être polis en la nature. Il n'y a rien de plus commun
que l'eau, c'est un miroir qui se trouve partout, pour nous faire voir dans
le crystal de ses ondes ce qui est messéant en nous. Le verre qui n'est
quasi qu'une eau glacée, n'est pas moins ordinaire à nos usages; et il
ne faut qu'un peu de plomb, ou un corps opaque, quel qu'il soit, pour
en faire un miroir. Tous les métaux, étant polis, font encore le même
office, pour nous représenter à nous-mêmes. Tous les marbres, les bois,
qui servent à la structure et à l'embellissement de nos maisons, ont aussi
la propriété, s'ils sont bien unis, de nous renvoyer notre image. Enfin
les yeux de ceux avec lesquels nous conversons peuvent encor servir de
miroir aux nôtres, pour nous voir en ce qui est l'organe de la vue des
autres 367.

Ou encore:
.. , Non seulement l'eau, mais encore l'huile, le vin, voire le sang peu-
vent servir de miroirs [ ... ] Le vin et le sang rendent l'image de celuy qui
s'y regarde plus affreuse et plus effarée, l'huile la rend plus douce et plus
agréable, mais la plus naïve paroit en l'eau, ou au crystal, ou au verre,
qui n'est qu'une eau affermie dans la solidité; pourveu que ce corps
diaphane soit terminé par l'opacité de la terre, qui sert de fonds à l'eau,
et de la feuille de plomb ou d'étain qui sert de fonds au crystal... 368.

Ces miroirs en myriades accumulés par l'Histoire et par la Nature


sont de simples «miroirs de reflex ion ». Sans doute se prêtent-ils déjà
à toutes sortes de jeux optiques, comme ces glaces de Venise « qui trom-
pent et flattent et sont si artificieusement polies qu'elles donnent le teint
et l'apparence de beauté aux visages les plus laids qui soient ». Mais
la suprême merveille que le P. Filère monte en épingle avec beaucoup
d'art, parmi tant d'objets peu communs, c'est la collection de miroirs
« savants» que la subtilité des mathématiciens « catoptriques» a inventés,
et qui, composant peu ci peu un véritable cabinet d'optique, lui offrent

367 Miroir sans tache ... , p. 181-182.


368 Ibid., p. 210. Confronter avec Les Epistres Morales de Messire H. D'Urfé,
Paris, 1608, Il, 3, p. 174. «Dieu ... est sur le haut d'une montagne toute faicte
de miroirs ... Au bas de ceste montagne passe une rivière dans laquelle la figure
qui est dans les miroirs voisins se represente, mais tant troublée par le cours
de ]'onde... A l'autre bord, il y a une colline faicte aussi de miroirs, mais
moins clairs ... les uns qui sont les plus pres- du bord ne representent que la
figure troublée... Cette montagne, c'est le monde intelligible... Ceste riviere
c'est le monde materiel ou la Nature ... »
374 RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS

les plus beaux prétextes à montrer « les rapports que la Sagesse divine
a mis entre les merveilles qu'elle fait paroître dans les miroirs naturels,
et la connoissance que nous avons de Dieu ». « Miroirs cylindriques », où
les anamorphoses révèlent la vérité de leurs déformations apparemment
absurdes j «miroirs sphériques », «elliptiques », «paraboliques» qui
changent la lumière en feu j horloges catoptriques: un véritable laby-
rinthe spéculai ré capte, déforme, recompose, métamorphose les « espèces»
lumineuses, entraînant l'œil de chair à éprouver la capacité d'illusion et
de desengaiio de l'œil de l'âme.
Ces merveilles de la physique catoptrique ne sont pas seulement le
point de départ d'une prodigieuse spéculation métaphysique sur la
lumière. Elles sont aussi le prétexte à descriptions d'un goût nouveau,
où le culte du mot rare et technique, si sensible dans l'Essay des Mer-
veilles du P. Binet, trouve à se satisfaire dans le vocabulaire scientifique,
et où l'imagination, trouvant moins de prise dans ces objets stéréomé-
triques, reste agréablement en suspens 369. Le P. Filère s'est gardé
d'accompagner ces descriptions scientifiques de schémas ou de figures
propres à soulager l'esprit du lecteur: cet effet d'obscurité et d'abstrac-
tion est voulu et calculé par le «thaumasiologue» jésuite pour faire
glisser subtilement ces objets savants vers le statut d'hiéroglyphes
modernes, recélant comme les hiéroglyphes d'Horapollo et les «stro-
mates» de Clément d'Alexandrie, chers au P. Caussin, un sens mystique.
Des « spéculations de la Mathématique », le P. Filère ne se cache pas en
effet de ne retenir que « ce qui (lui) donnera sujet d'en faire le rapport
utile à quelque point de vérité» 370, rapport «que la Sagesse divine a
mis entre les merveilles qu'elle fait paroître aux miroirs matériels [ ... ] et
la connoissance que nous devons avoir de Dieu l) 871.
La Seconde Sophistique n'avait pas hésité à demander à la magie un
supplément d'efficacité pour son éloquence 872. La sophistique sacrée du
P. Filère demande à la science, traitée en réservoir d'hiéroglyphes à la
fois ornementaux et « mystiques », des ressources neuves de fascination.
Le P. Filère est sur ce point accordé aux préoccupations du P. Athanase
Ki rcher 378.


••

Ibid., p. 513.
369
Ibid., p. 764.
370
371 Ibid., p. 172.
372 Voir notes 142 et 143, à propos de la magie chez le P. Caussin. Sur
les rapports entre rhétorique et magie dans l'antiquité voir E.R. Dodds, The
Greeks and the Irrational, Univ. of Calif. Press, 1951, surtout ch. VII, «Plato,
the Irrational soul and the inherited conglomerate », et J. de Romilly, Magic
and rhelorie in Ancient Greece, Harvard Univ. Press, Cambridge Mass., 1975.
873 Kircher, Primitiae gnomonicae caloplrieae hoe est horologiograpfziae
novae speeularis ... Avenione, Piot, 1635, 4°.
c LE MIROIR SANS TACHE» 375
QueUes que soient les accrétions empruntées par le P. Filère à saint
Augustin, saint Jérôme, saint Bonaventure, Denys l'Aréopagite, et aux
modernes mathématiciens catoptriques, le fond de sa méthode n'en est pas
moins le même que dans les Exercices de saint Ignace.
Son L. 1 n'est en effet qu'une vaste amplification du «Principe et
fondement» qui sert d'ouverture aux Exercices: «L'homme est créé
rour louer, respecter et servir Dieu notre Seigneur, et par là sauver son
àme. Les autres choses sur la face de la terre sont créées pour l'homme,
pour l'aider à poursuivre la fin pour laquelle il a été créé ... » 374 Ce qui
devient sous la plume du P. Filère : «Que l'homme n'est au monde que
pour voir par reflexion et connaître Dieu, soy-même et toutes les crea-
tures dans le miroir de la Sagesse divine. » 375 La sécheresse ignatienne
fait place à une abondance dont la notion de miroir est l'inépuisable
source. Le P. Filère emprunte à saint Augustin l'idée que le cœur de
l'homme est le « miroir et sanctuaire de Dieu ». Des citations habilement
traduites et ajustées de Diogène Laërce, Plutarque, Platon, Apulée, mais
aussi de saint Justin, saint Jérôme et Tertullien, lui permettent de faire
foisonner le principe initial, en opposant l'usage du miroir pour la vertu
et la vérité, à son usage pour la vanité. Le cœur ne saurait être un miroir
fidèle de la Sagesse divine que s'il est « net et uny », pur de toute défor-
mation qu'interposent les vanités du monde entre lui-même et Dieu.
Le L. II, qui semble nous éloigner des Exercices, se borne à appro-
fondir leur méthode essentielle: la « considération, contemplation, médi-
tation» antithétique des péchés d'une part, et d'autre part de la vita
Christi, manifestation sensible de la grâce qui efface et remplace celle des
vanités et erreurs mondaines. Pour faire comprendre ce renversement des
apparences de la c vanité» à la « vérité », le P. Filère développe une « his-
toire» énigmatique, dans le goût des Amours de Psyché d'Apulée. Le
P. Filère invoque la formule de saint Paul (Cor. l, 13, 12) sur «l'énigme
dans le miroir» pour justifier ce recours à une figure de dérivation
sophistique. Il invoque d'autre part la légitimité de la « récréation », qui
fait servir ces « petiies subtilités» à la piété, et rend celle-ci moins âpre
et plus civile 376 :

374 Miroir sans fache ... , p. 28.


375 Sur ce thème théologique de la Sagesse divine, voir Dictionnaire de
Spiritualité, t. 7 (II), col. 1041-1053, art. Image et ressemblance. «L'homme
est créé selon l'image qui est la Sagesse de Dieu, image prototype ... » Mais
cette ressemblance imparfaite et pécheresse a besoin du Christ, image par-
faite, pour retrouver et accomplir sa destinée originelle. L'Adam terrestre,
miroir troublé, doit à l'imitation du Christ, devenir miroir sans tache de la
Sagesse divine. Voir aussi art. Grecque (Eglise), t. 6, col. 812-822, l'élaboration
de cette doctrine chez les Pères grecs. Rien chez Filère, pour le fond de la
pensée, qui ne renvoie à la tradition la plus orthodoxe. C'est l'exploitation
rhétorique foisonnante de ces thèmes théologiques, leur métamorphose en une
sorte de féerie dévote qui nous autorise à parler de «sophistique sacrée)}, et
à placer le Miroir sans tache SOIIS l'invocation des Dicerie sacre de Marino.
376 Miroir sans fache ... , p. 154.
376 RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS

Un père qui étant vivant ou ne l'étant pas, ne laisse pas de produire


un fils; ce fils a deux mères, l'une par opinion, l'autre par effet; la
mère par opinion est quelquefois vivante, mais bien rarement: la mère
par effet est toujours vivante: le même fils, quoy que produit par un
père non vivant, est toujours vivant; non pas dans le sein de sa mère
par opinion, mais dans celuy de sa mère par effet... En ce mariage, il
y a une'si admirable fécondité que ces deux mères n'ont pas besoin comme
les femmes ordinaires, de la longueur du temps pour concevoir ... De plus
... elles conçoivent sans ordure, et enfantent sans douleur ... Néanmoins il
ne faut qu'éteindre, ou cacher un flambeau, qui luit au lieu où elles sont,
et elles demeureront stériles, car elles ne conçoivent et n'enfantent jamais
en ténèbres, leurs en fans sont enfans du jour non de la nuit 377 [ •.• ) Le
père, quoiqu'il ne soit pas vivant, ne laisse pas d'être un peintre si excel-
lent qu'il tire parfaitement au vif... 378.

Et l'histoire énigmatique se poursuit, se ramifiant avec une ingéniosité


qui exaspère la curiosité et crée un véritable «suspens~, comme dans
les complexes descriptions de tableau qui servent d'entrée en matière à
Héliodore ou à Achille Tatius. La clef de l'énigme, longuement ouvragée,
n'est pas moins délectable:
Le père dont nous parlons icy n'est autre que l'objet, qui produit son
image comme son fils... Quant aux deux mères, ... l'une est la glace du
miroir; je l'appelle mère par opinion parce qu'il semble à ceux qui n'ont
pas la science ... que l'image est dans le miroir comme l'enfant dans les
entrailles 'de sa mère... La vraye mère par effet est la faculté de la
veue ... 379• Ainsi comme la lumière atteint les ordures d'une cloaque sans
se souiller de même l'œil, avec l'aide de cette lumière modifiée, voit toutes
choses, voire 'les plus grandes ordures, sans s'infecter. .. 38O • Le père ...
est un peintre... et c'est la seule mauvaise disposition du miroir et de
la veue qui fait que son ouvrage n'est pas si parfait, et que l'image ne
représente pas naïvement l'objet 381.

Un élément de romanesque, voire de séduction de conte de fées, est


ainsi introduit dans la vie spirituelle, en même temps qu'une couleur
scientifique empruntée aux recherches « catoptriques ~ des savants Mini-
mes. Toutes les séductions concourent pour amener le lecteur à vivre « en
présence de Dieu~, miroir de vertu, et se mirant lui-même dans le
cœur de l'homme. Les métaphores nuptiales, si abondamment mises en
œuvre dans l'histoire énigmatique, sont reprises dans la prière finale du
livre (<< 0 charitable et libéral époux de nos âmes, puisque vous vous
plaisez tant en cette pureté, produisez-la dans son âme, pour être le lieu
de vos délices et le théâtre de votre gloire ~). Ainsi se profile le but de
cette «subtile» psychagogie: l'union avec Dieu «non seulement de

377 Ibid., p. 156.


378 Ibid., p. 157.
379 Ibid., p. 161.
380 Ibid., p. 162.
3S1 Ibid., p. 163.
« LE MIROIR SANS TACHE" 377
mémoire et de pensée, mais d'affection et d'imitation :., que le P. Filère
célébrera dans son septième livre, comme saint Ignace avait réservé pour
la quatrième semaine des Exercices la contemplatio ad amorem .


••
Mais avant de parvenir à ces noces spirituelles entre le «mirOir pur
et .uny» et l'Objet divin, il a fallu procéder à une « conversion de l'âme
se regardant dans le miroir de la Sagesse », et par l'examen de conscience,
se purifiant de tout ce qui la tache et la trouble (L. 11\). Par toutes sortes
d'ingénieux détours, le P. Filère amène son lecteur à faire l'équivalent de
ce que saint Ignace demande du retraitant au cours de la première semaine
des Exercices, en particulier dans la Méditation des péchés.
Puis il faut que l'âme progresse «par la reflex ion du miroir des
perfections de Dieu:. (L. IV). Le P. Filère articule alors à une exégèse
« mystique» des plus étonnantes merveilles de la catoptrique, miroirs
cylindriques et sphériques, une reprise des thèmes essentiels du De Tri-
nitate de saint Augustin, du De Hierarchia de Denys l'Aréopagite, et des
œuvres de saint Bonaventure 382. Le Pseudo-Denys est particulièrement
cher au P. Filère, comme il l'était au P. de Cressolles :
Ne diriés-vous pas, écrit-il, que le grand saint Denys avec ses yeux
d'aigle a découvert dans le ciel, en ces œuvres de la grâce, ce que le
Maître des Mathématiciens remarquoit en la nature, que l'on peut par
artifice disposer plusieurs miroirs plains, concaves ou convexes, en telle
façon que la même chose paroîtra multipliée dans iceus autant de fois
que la reflexion des espèces se fera par renvoy qu'ils causeront, étant
opposés les uns aux autres à plusieurs angles egaux? Car la reflexion
de la lumière divine se fait par proportion en la même façon d'un Esprit
bienheureux à l'autre, et passe par la subordination que Dieu a établie
parmi ces Hierarchies jusques à ceux qui doivent être béatifiés par ces
connaissances, ou qui sont destinés pour l'exécution de ses commande-
ments 383.


••
Dans ce livre, avec une évidence particulière, la doctrine de l'imitation
éclectique, et la rhétorique de l'ekphrasis remontent vers leurs sources
néo-platoniciennes et trouvent leur justification essentielle dans la dia-
lectique de l'Un et du Multiple.
Tout l'Univers, écrit le P. Filère, n'est qu'un miroir qui représente par
l'union de ses parties l'unité de l'essence divine, comme du premier et
unique principe de toutes choses 384.

382 Sur les sources du P. Filère, voir les belles pages du P. Urs von Bal-
thazar, La Gloire et la Croix, Paris, Aubier, 1968, t. Il, D'Irénée à Dante.
383 Ibid., p. 590.
884 Ibid., p. 529.
378 RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS

La rhétorique de l'imitation éclectique gouvernée par l'intuition cen-


trale de l'Idée du Beau entre ainsi en correspondance parfaite avec la
manifestation de l'Un divin à travers le Multiple:
Toutes les créatures prises à part, ont chacune leur beauté sur la
surface de l'Univers, comme les couleurs ont chacune leur lustre sur ce
plan: mais c'est peu de chose et celuy qui les regarde sans sçavoir le
dessein de Dieu n'y voit quasi qu'une confusion dans le mélange de leur
diversité. Mais l'homme sage les regarde d'un autre biais et d'un aspect
tout différent. C'est dans Dieu, comme dans un miroir rond et cylindrique
pour recevoir la reflexion de toutes les lignes du plan de l'Univers, qui
aboutissent à luy comme à leur centre, et c'est aussy dans luy, qu'il en
voit résulter une image d'une parfaite beauté, toutes les perfections des
choses créées n'étant que les couleurs et les lignes pour représenter en
cette reflexion les excellences de la Divinité 38G.

Aussi, pour ceux qui ont réussi à se faire le miroir de la Sagesse


divine et à épouser le point de vue de Dieu,
ils se trouvent au milieu du globe du monde et de ce grand rond de
l'Univers comme dans un cerne, où il y a autant de miroirs qu'il y a de
créatures, et l'image de Dieu paroissant en toutes par le renvoy des unes
aux autres, ils l'y reconnoissent et respectent comme le vray Dieu des
armées, sa bonté et sa justice se montrant autant de fois multipliées qu'il
y a de créatures qui peuvent servir, et au bien des vertueux et au châ-
timent des pécheurs, Dieu étant aimable et redoutable en toutes et toutes
en Dieu 386.

Et le L. IV s'achève sur une magnifique évocation et exégèse de l'Arc-


en-Ciel, c figure» du Sauveur, manifestation de la Lumière dans la
multiplicité colorée du monde sensible, «miroir» qui rend visible sur
les nuées, sans éblouir les yeux, la splendeur du Soleil de Justice 387.
Puis au L. V, le P. Filère rapporte cette c connaissance spéculative»
de Dieu et ses manifestations à c la pratique, pour déraciner les vices
et acquérir les vertus ». Les fruits de l'examen de conscience du L. II
deviennent habitude, et rendent possible l'éclosion de l'amour. Au L. VI,
la métaphore des miroirs sphériques, eltiptiques et paraboliques suggère
la transformation de la lumière en feu, et au L. VII l'Epouse du Cantique
des Cantiques devient miroir et figure de la beauté spirituetle, et des
affections persévérantes par lesquetles l'âme s'attache à la Sagesse divine.

3aG Ibid., p. 518.


886 Ibid., p. 534.
887 Ibid., p. 595. Du phénomène naturel décrit «scientifiquement» (ici la
source scientifique est Sénèque, Quaest. Natur. l, 3) Filère passe à son ana-
logue mystique: «peinture» du Soleil, l'arc-en-ciel renvoie au Dieu «peintre :.
des créatures. La démarche remonte à saint Bonaventure, et avait été reprise
par le cardinal jésuite Bellarmin dans son De ascensione mentis in Deum per
scalam creaturarum, Rome, 1615.
c LES PEINfURES MORALES » 379

Le Pseudo-Denys parle des saints comme de c peintres divins» 888


qui imitent en leur cœur la Beauté divine. Si dans ce livre aujourd'hui
encore fascinant, et parfois admirable, le P. Filère peut aussi bien conju-
guer rhétorique et théologie, rhétorique et spiritualité, c'est que pour lui
la tâche du théologien et du directeur chrétiens est avant tout de faire
percevoir le vrai et le bien à travers le Beau, cette honesta pulchritudo
que s'attachent depuis le début du siècle à définir et à célébrer les prédi-
cateurs jésuites. Mais cette Beauté n'est pure, transparente et une qu'au
sommet d'une ascèse et d'une ascension spirituelles: pour parvenir et
pour conduire jusqu'à cette Idée les beautés particulières, la variété des
couleurs, la multiplicité des formes et des points de vue doivent être par-
courus comme autant d'étapes et de relais. Cette attention portée aux
médiations interdit que le style les perde de vue, et renonce à cette
c subtile» diversité de moyens qui est accordée seulement à la situation
de l'âme incarnée, dest'inée à la lumière parfaite, mais encore en route
vers elle.

Les Peintures morales du P. Le Moyne

Des Méditations du P. Nadal au Miroir sans tache du P. Filère, la


rhétorique de l'imagination tirée des Exercices s'était singulièrement
diversifiée et subtilisée. Le P. Filère lui avait donné une couleur scienti-
fique, en demandant à la catoptrique de modernes hiéroglyphes, propres
à baliser l'ascension vers Dieu de l'âme chrétienne. Ancêtre lointain du
P. Teilhard, et brillant précurseur de ses compositions de lieu sur
l'accélérateur de particules de Berkeley.
Avec les Peintures Morales, publiées en deux volumes (1641 et 1643)
chez Cramoisy, le P. Pierre Le Moyne 389 guide ses lecteurs sur le même
itinéraire, mais en tapissant leur parcours de tableaux plus riants, qui
empruntent leurs couleurs aux arts plutôt qu'à la science moderne. Livre-
galerie, dans la tradition de Blaise de Vigenère et de Richeome, les
Peintures Morales s'ouvrent sur un frontispice dont la perspective de
biais marque une évolution par rapport à la perspective plongeante du
frontispice des Tableaux de Vigenère, dans l'édition de 1614. La gravure
de 1614 plaçait le spectateur à un point de vue pour ainsi dire symétrique
de celui de Dieu: son œil surplombait une architecture qui semble une
gauche esquisse de celle que Bernin imaginera pour compléter Saint-
Pierre de Rome; sous les arcades, de petits personnages (des prêtres
païens?) contemplaient et commentaient les «peintures muettes ». La
gravure de GrégOire Huret 390, en 1641, place l'œil du spectateur au ras
du sol, comme s'il découvrait l'édifice après avoir gravi un escalier monu-
mental, et par l'aile gauche de la galerie. Les pilastres cannelés, les

388 V. U. Von Balthazar, ouvr. cit., t. Il, p. 152.


389 Sur le P. Le Moyne et les Peintures Morales, v. Henri Chérot, ouvr.
cit., p. 80-123.
390 Sur ce graveur de grand talent, qui est aussi l'auteur du frontispice du
Palatium Eloquentiae du P. Pelletier, voir j. Duportal, Etude sur les livres à
figures éditées en France de 1601 à 1660, Paris, Champion, 1914, p. 176.
380 RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS

chapiteaux corinthiens, les corniches, tout, dans ce temple majestueux


ct vide, révèle le goGt c romain:. du P. Le Moyne, admirateur de Vouet
et de Poussin 891: une interprétation c moderne» du langage de la
« belle Antiquité ».
La préface de chacun des deux volumes annonce le programme rhé-
torique de l'ouvrage, et le défend. Elles peuvent être l'une et l'autre
considérées comme le point d'arrivée de la tradition oratoire jésuite en
langue française, et le point de départ d'une nouvelle étape .

•••
Chacun des deux volumes est dédié à un personnage éminent de la
Grande Robe parisienne. Le premier au Président de Mesmes, frère du
comte d'Avaux et comme lui héritier d'une des plus prestigieuses dynas-
ties du Parlement de Paris et de la République des Lettres européennes,
illustrée surtout par Henri de Mesmes, seigneur de Roissy (1532-1596),
ami et proche collaborateur de Michel de L'Hospital, et chancelier de la
reine de Navarre Jeanne d'Albret. Le second volume est dédié au Prési-
dent de Bailleul, qui fut nommé avec le comte d'Avaux Surintendant des
Finances par Anne d'Autriche en 1643. Les liens étroits que les deux
frères Mesmes, le parlementaire et le diplomate homme d'Etat, entrete-
naient avec d'autres Jésuites, comme le P. Petau et le P. Vavasseur 392,
expliquent comment le jeune Le Moyne put entrer dans ce milieu de
Grande Robe qui encourageait semble-t-illes efforts des Jésuites français
pour s'agréger à l'humanisme national. En 1645, c'est encore au Président
de Mesmes que Le Moyne dédicacera son volume d'Entretiens et Lettres
poétiques. Il y félicitera le haut magistrat d'appartenir à une famille à
qui les « Muses sont attachées », alors qu'elles n'ont, d'ordinaire, « point
affaire en la Grand'Chambre ». Il y rappellera que le père du Pré-
sident et de son frère d'Avaux s'est vu dédier leurs livres par Tur-
nèbe, Lambin et Muret, et que le nom de Mesmes a été chanté par les
poètes néo-latins Dorat et Passerat. Oubliant qu'Henri de Mesmes, fidèle
à la Maison de Navarre et à la politique de L'Hospital, s'était retiré de
la Cour sous Henri III, le P. Le Moyne ne craint pas d'associer l'huma-
nisme de l'austère magistrat à celui de la Cour des Valois 393 qui selon

391 Voir Chérot, ouvr. cit., S. Vouet et Le Moyne, p. 25-26 et 207, N. Pous-
sin et Le Moyne, p. 19. La description de tableaux contemporains, genre que
Marino dans sa Galeria avait pratiqué avec brio, est également chère à Le
Moyne.
392 Voir plus loin, le sous-chapitre « Les jésuites érudits ... l>.
393 Est-ce chez Le Moyne que naît le mythe de la Cour de Valois, qui
connaîtra une si grande fortune sous Louis XIV, chez les auteurs de «Nou-
velles» et de romans? Il contraste étrangement avec le mythe inverse des
« Mignons» et de la corruption d'Henri III et sa cour, en faveur au début du
siècle. Il est possible d'ailleurs que le second mythe n'ait pas effacé le premier.
Ils se combattent dans La Princesse de Clèves. Idéalisation, par projection
dans le passé, du progrès du luxe, des arts, et des raffinements de la culture
à la Cour de Louis XIV, mais aussi mouvement de recul de la conscience
chrétienne devant les progrès de la délicatesse, inséparables du déclin de la
\'ertu.
« LES PEINTURES MORALES l> 381

lui n'était pas «ignorante », et répandait ses libéralités sur les lettrés,
tels Desportes, Bertaut et Du Perron. Le logis du père du Président de
Mesmes avait été sous Henri IV ce que « l'Académie et le Lycée» avaient
été à Athènes. Et le frère de l'actuel Président de Mesmes, d'Avaux, est
qualifié de «Patron des Muses ». Ces éloges ne vont point sans une
polémique voilée contre le reste de la Grande Robe, qui, sauf exception,
semble aux yeux du P. Le Moyne l'adversaire de la délectation esthé-
tique. Aussi prend-il bien soin de souligner que son Mécène, pour aimer
les «belles choses », n'en est pas moins «un magistrat incorruptible >.
Mais cette vertu, comme celle des «raisonneurs» de Molière 8"', est
« traitable », et compensée par la culture littéraire et l'urbanité, bref
" par cet assemblage de toutes les vertus qui entrent dans le commerce
de la vie civile » ;
j'estime bicn moins en vous, ajoute le P. Le Moyne, le Grand Pré-
sident que l'Honneste Homme qui fait l'honneur du Grand Président: et
je vous considère beaucoup plus par ce que vous estes dans vostre domes-
tique que par cc C;lie vous estes au Palais.

Cette peinture d'un «magistrat-honnête homme >, qui conjugue les


devoirs officiels de sa persona sénatoriale avec les « agremens > sociables
de l'homme privé, n'est pas étrangère à l'esthétique des Peintures Morales,
telle que le P. Le Moyne l'analyse dans ses deux avertisements au lecteur.


••
Suivant de près Cureau de La Chambre, qui en 1640 dédiait au Chan-
celier Séguier le premier volume de son ouvrage Le Caractère des Pas-
sions 895, le P. Le Moyne consacre ses Peintures Morales aux passions

394 Ces raisonneurs, qui sont souvent des dévots «traitables », doivent
peut-être quelque chose à François de Sales et à la «civilité chrétienne» de
l'Introduction (v. R. Murphy, Saint François de Sales et la civilité chrétienne,
Paris, Nizet, 1964); ils ont de grandes chances de devoir plus encore au
P. Le Moyne et à sa «dévotion aisée >. V. aussi un possible rapprochement
entre la théorie du comique «honnête» chez Vavasseur, et le «rire des hon-
nêtes gens» chez Molière, supra, n. 270.
395 Le traité des passions est un genre qui connaît une vogue européenne
dans les années 1610-1650, Les Romanae dissertationes de Mascardi (Paris,
1636) en sont un autre ex~mple. Et le P. Caussin, qui fit de sa Cour Sainte
une véritable «congère l> de genres édifiants et moraux ne manqua d'adjoindre
au noyau initial de son ouvrage-gigogne un traité De l'Empire de la raison
sur les passions (t. III de la Cour Sainte, Paris, 1640). Cette vogue a sans
doute un versant qui intéresse l'histoire des idées (V. A. Levi, French moralists,
the theory of the passions, 1585 to 1649, Oxford, 1964), elle en a un autre
qui intéresse l'histoire de la rhétorique (V. B. Boyce, The Theophrastean
Character, in England to 1642, Harvard Univ. Press, 1947). Le succès des
Caractères de Théophraste (stimulé par l'édition de Casaubon sous le titre
Characteres ethici, Lyon, 1592, et sous celui de Notationes morum, Lyon, 1599)
s'inscrit dans le cadre plus général de la diffusion des techniques de la Seconde
Sophistique, où des figures comme l'éthopée, la prosopographia (descriptio
personae), le characterismus (descriptio morum), amplifiées par les figures de
382 RH~TORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS

humaines, point de jonction entre le charnel et le spirituel, comme l'ima-


gination est le point de jonction entre le sens de la vue et l'œil de l'âme.
Comme l'annonçait son frontispice, il prend pour point de vue, et point
de départ de sa psychagogie chrétienne la réalité de l'homme incarné,
sujet à l'erreur et à l'illusion, mais capable aussi d'entrevoir la vérité par
réflexion, de la désirer, et de s'accorder avec elle. Par un retournement
des apparences conforme à l'esprit des Exercices, c'est donc par la
représentation des passions, conduite avec méthode, qu'il va entraîner son
lecteur-spectateur-auditeur de l'esclavage à la maîtrise, de la confusion
à la clarté, de l'excès à la juste mesure:
Les passions de l'Homme, écrit-il, sont représentées par les diverses
Peintures de cette Galerie, comme celles de l'Année sont exprimées par
les divers signes du Zodiac, qui est une Galerie mobile que la Nature
a préparée au cours du Soleil.

Sachant fort bien tout ce qu'iI doit à la riche tradition à l'intérieur de


laquelle il s'inscrit, le P. Le Moyne n'en affirme pas moins son originalité:
Outre les desseins qui sont tout nouveaux et de mon invention, ils y
verront quantité de matériaux qui n'avaient point encore veu le jour, et
qui sont nouvellement tirés de la carrière.

Cette fière revendication de l'ingellium, plus discrète que celle d'un


Balzac ou d'un Corneille, range néanmoins Le Moyne du côté de la jeune
littérature mondaine. Ce Jésuite écrivain et poète, renonçant aux privi-
lèges dont ses collègues romains sont si jaloux, celui de dicter le droit
à l'éloquence des laïcs, soumise au magistère ecclésiastique, n'hésite pas
à suivre les traces des écrivains-orateurs profanes. Ce qui ne signifie
nullement qu'il se vante en vain. Sa préface au T. 1 des Peintures Morales,
qui traite tour à tour de la Matière, de la Forme, des Parties, et de la
Fin de l'ouvrage, nous convainc aisément qu'avec le P. Le Moyne le
collège de Clermont dispose d'un écrivain d'un génie nouveau, qui a su
prendre le tournant du siècle.
La 4: Matière", ce sont les « lieux» empruntés aux diverses autorités
païennes et chrétiennes et qui sont enchâssés dans le discours. Le P.
Le Moyne les affirme «nouveaux» de deux façons: ils ne proviennent
pas de «sylves» à la portée du premier prédicateur ou écrivain venu,
mais d'une érudition capable de surprendre, et d'enrichir la mémoire
du public; ils ne sont pas livrés tels quels, mais paraphrasés et fondus
à l'intérieur d'une prose homogène. Ce dernier point marque le ralliement
de Le Moyne aux adversaires de la « rhétorique des citations", qui de
1610 à 1640, on le verra, ont eu tant de mal à surmonter les habitudes

prosopopée et de dialogisme, tiennent le premier rang parmi les progymllUs-


mata scolaires. et dans la pratique oratoire de l'ekphrasis. De façon signifi-
cative, le P. Caussin consacrait un livre entier (1. XI) de son traitement du
genre épidictique dans les ParaUela aux Characteres epidictici. Et c'est sous
la rubrique descriptio (ekphrasis) que le P. Pelletier dans le Palatium Eloquen-
tiae classait la prosopographie et l'éthopée (éd. 1641, p. 387-388).
« LES PEINTIJRES MORALES » 383

du Palais. Le P. Caussin avait ironisé sur cette tradition d'orateurs


érudits. Il n'avait pas osé y renoncer, pas plus que le P. de Cressolles
ni les autres écrivains-orateurs jésuites, fascinés par leurs adversaires
du Parlement. Le P. Le Moyne ne supprime pas seulement toute citation
latine ou grecque, mais même les guillemets encadrant un « lieu» traduit
en français, selon la pratique du P. Caussin dans la Cour Sainte, ou
du P. Filère dans Le Miroir sans tache. Toutefois, entre l'érudition pédante
et voyante qui, « comme les en fans font de leurs Poupées, qu'ils couvrent
depuis les pieds jusques à la teste des ch ai snes et des colliers de leurs
Mères », pratique le rapiéçage, et la prétention de certains modernes à
n'avoir de dette envers quiconque, le P. Le Moyne a choisi une solution
moyenne: il désignera en marge les sources qui irriguent, de façon
autrement invisible, son discours. Car, écrit-il :
il estoit de la civilité que je reconnusse ces magnifiques Morts, qui sont
les Bienfaicteurs communs de tous les Vivans.

Heureuse manière de faire comprendre à des mondains, et dans leur


langage, le prix de la Tradition.
La « Forme », c'est à la fois pour le P. Le Moyne la disposition et
l'élocution. Et la disposition, c'est la part de 1'« instruction », c'est-à-dire
du docere. Le P. Le Moyne affirme que, dans ce domaine, il a suivi « la
Méthode qu'Aristote a laissée aux scolastiques, qui sont ... les plus
Justes et les plus reglez des escrivains ». Ce ralliement d'un rhéteur à
la logique scolastique aurait de quoi surprendre, si l'on ne se souvenait
que le P. Coton, dans la préface des Sermons sur les principales matières
de la foy, recommandait pour la prose écrite une structure logique, claire
et serrée 397. Il construisait chacun de ses sermons sur le modèle des
« méditations» ignatiennes. Le P. Le Moyne, qui redoute le pédantisme
ecclésiastique autant que le pédantisme humaniste, et qui a une solide
formation philosophique et théologique, remonte aux sources: Aristote
et saint Thomas. Et il s'efforce de donner un air galant à la logique des
deux sévères docteurs:
j'avoue, écrit-il, que je suis amoureux de ceste belle Méthode, et
qu'elle me ravit partout où je la trouve. Elle est le principe de l'Ordre
et la Mère de la Grâce, elle est l'Intendante de tous les ouvrages de l'Art
et de la Nature 397.

Descartes, depuis 1637, avait mis en circulation une méthode de son


invention, et qui était destinée à plaire aux gens du monde mieux que
cette scolastique ressuscitée et fardée. Mais la Compagnie avait réservé

396 V. note 74.


397 Il est probable que par «méthode» le P. Le Moyne entend non pas
l'ascèse qui permet d'accéder au vrai, mais un procédé d'exposition qui, sou-
tenant l'effet visuel des «peintures », facilite leur mémorisation, et surtout
l'ordre de leur mémorisation. Sur les racines scolastiques de l'art de la mémoire,
voir F. Yates, L'art de la mémoire, 1975, p. 82-118.
384 RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS

un froid accueil au Discours de la Méthode 398, et le P. Le Moyne se


devait de parer aux critiques d'un P. Petau ou d'un P. Vavasseur contre le
" sable sans chaux ~ des sénéquistes de la Compagnie. Le temps n'est plus
où un Binet pouvait juxtaposer ses descriptions sans lien organique, et
un Richeome ses exemples et ses tableaux en se contentant d'un fil
conducteur assez lâche. Dans la «Méthode ~ scolastique, non sans une
pointe d'affectation archaisante, le jeune rhéteur jésuite croit avoir trouvé
un sertissage logique qui confère une unité au livre tout entier.
Il écrit en effet :
Elle fait la beauté du Corps, et celle des Edifices, et si dans les œuvres
de Sénèque tant de beaux membres et tant de précieux matériaux qu'elle
n'a point rangez, ne sont que des Monstres agréables, et une magnificence
confuse et désordonnée, je ne vois pas ce qu'il faut croire de ceux qui,
n'ayant pas les richesses de ce grand Homme, et ne travaillant au prix
de luy qu'en pIastre et en boue, l'entassent indifferemment et sans ordre,
comme s'ils n'avoient d'autre dessein que de lasser les mains et d'of-
fer.ser les yeux et l'esprit de ceux qui verront leur besogne.

Un peu plus tard, le P. Le Moyne citera, à l'appui de celle de Théo-


phraste 390, la définition que donne Sénèque de la description. Jamais
il ne cite Cicéron. 11 est clair que pour lui, comme pour le P. Josset,
Sénèque est le maître suprême de l'ornatus. Et comme le P. Josset, quoi-
qu'il n'en dise rien, il nourrit pour Balzac, que condamnait si sévèrement
le P. Caussin en 1627, l'admiration que mérite un Sénèque français. Il
est à craindre que la lecture des Peintures Morales n'ait fait hocher la
tête, dans son exil de Quimper-Corentin, à l'auteur de la Cour Sainte.
Sans renoncer à l'art de la période, à la or rondeur ~ orale du style, le
P. Le Moyne choisit ses mots non seulement pour leur éclat, mais en
tenant compte du goût de Cour, et ses recherches de musicalité s'adres-
sent autant à l'oreille que celles de Balzac, dont il s'inspire. La douceur
et le fondu du style périodique enchâssent les « diamants ", les « étoiles ",
les « matériaux rares et précieux ~ chers aux rhéteurs jésuites en langue
française. Mais cet effet de lumière égale et continue à la surface du
style doit être soutenu, dans le «corps" du ~iscours, par la cohérence
organique d'une structure logique. Heureusement, celle-ci (pas plus que
la soudure des citations) ne sera visible. L'« embonpoint" de l'élocution,
son «teint» lisse et luisant, envelopperont l'or ossature» du raisonne-
ment, et préserveront les lectrices délicates de toute sensation pénible.

398 Sur la réaction des Jésuites au Discours de la Méthode de Descartes,


voir G. Sortais, «Descartes et la Compagnie de Jésus, menaces et avances~,
Estudios, 1937, p. 441-468.
399 Voir Sénèque, Letires à Lucilius, 81, 9, où il célèbre le mot de notatio,
«expression latine qui cache dans les replis de la langue (lat.) des secrets
moraux" (trad. Préchac.). Voir aussi ibid., 24-25, un portrait du sage, et un
autre, Lettre 45. L'un et l'autre sont des portraits de .. grandes âmes ~ exem-
plaires.
« LES PEINTURES MORALES" 385
Je n'explique pas (les matériaux tirés de l'Ecole) avec la rudesse de leur
raissance et, tant qu'il m'a esté possible, je leur ay osté tout ce qui pouvoit
offenser les Délicats, à qui les richesses grossieres et malpropres ne sont
pas agreables [ ... ] Il faut avouer [ ... ] que ces riches matières ne viennent
pas avec toutes les justesses et tous les ornemens dont elles sont capables.

Pour enrober les articulations logiques du livre (perçu tout entier


comme un « beau corps») le P. Le Moyne a recours non seulement à un
style imité de Balzac, mais à plusieurs figures de rhétorique propres à
masquer la rigueur de 1'« Analysie ". La première, c'est celle qu'il appelle
« Dialogisme », et qui est «le genre d'escrire le plus ancien, le plus
authorisé, et le plus agréable :t. Genre qui a ses lettres de noblesse phi-
losophiques (Platon, Cicéron, Boèce) et que le P. Le Moyne tire vers le
théâtre en le décrivant comme une combinaison du « charactère » et de la
« prosopopée »,

comme les Prestres du Paganisme qui s'enfermaient dans les Idoies


ùe leurs Dieux, et parloient au Peuple par leur bouche, afin d'avoir plus
d'authorité et se faire cscouter religieusement et avec une sorte de culte.

Le «dialogisme» relève donc du «Dramatique» - par la mise en


scène de personae fictives derrière lesquelles l'auteur s'efface, habile
ventriloque - et de 1'« Oratoire ", par le discours «en situation" qu'il
prête à ses personnages.
La seconde figure, ce sont les «Tableaux ",

Poèmes où je décris les Peintures de quelques Histoires memorables,


par lesquelles les Passions sont représentées. [De ces Histoires], les unes
sont anciennes et véritables, comme l'Annibal, la Laïs, l'Aggée, et la
Semiramis, les autres sont feintes et anciennes comme le Feu de Pro-
méthée et l'Actéon; l'Isle et le Cimetière des Amants sont de ma pure
invention et quant à l'Andromède, le sujet est véritablement ancien et
connu,

mais Le Moyne l'a «embelli ", c'est-à-dire modifié à sa façon.


Comme on le voit, aussi bien dans le cas du «dialogisme" que de
1'« ekphrasis», Le Moyne recourt à des techniques et à une liberté d'ima-
gination familières aux prédicateurs jésuites: mais il leur donne une
saveur plus « antique" qu'aucun de ses prédécesseurs, en renonçant aux
couleurs sombres des Exercices spirituels pour se rapprocher davan-
tage des sophistes et des romanciers hellénistiques.

Je ne suis pas le premier Autheur de ceste sorte de Peintures. Phila-


strate luy a donné de la vogue. Tatius et Lucien l'ont mis en usage [ ... ]
et ils ont fait avec de l'encre des Tableaux illustres et durables qui sont
encore aussi entiers et aussi frais que le premier jour qu'ils sortirent de
dessus le mestier : Cati strate, qui a transporté ceste manière d'escrire de
la Peinture à la Sculpture, nous a laissé des statues en papier qui ont
plus duré que les Originaux...
386 RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS

La troisième technique, c'est la variété. Aux peintures de paysages


et de jardins qui aèrent et rafraîchissent le dialogue des Peintures
Morales, le P. Le Moyne a entremêlé des «Tableaux:l> qui sont en même
temps des « Characteres :1>, où
la Nature de chaque Passion est exprimée par les marques qui luy
sont propres. L'Autheur de la Rhétorique à Herennius, poursuit le P. Le
Moyne, appelle Notation ce que j'appelle Charactere avec Theophraste et
la définit une description qui se fait de quelque Nature, par de certaines
figures qui sont comme les proprietez et attributs.

Avec un détail tout à fait analogue à celui qu'affectionne le P. Pelle-


tier, le P. Le Moyne énumère les différentes catégories de c charac-
teres :1> 400 :
1) par la disposition extérieure, par la mine et l'humeur;
2) par les actions et par les mœurs qui leur sont propres;
4) par la description de « régions nouvellement découvertes », telle l'al-
légorie du «Pays des passions chaudes et malfaisantes» ;
5) par la description de personnages allégoriques «avec un appareil
extérieur et des visages conformes à la complexion et aux effets des
passions », telles la Vertu et la Volupté, l'Amitié et la Flatterie, la
Crainte et la Tristesse;
6) par des «Histoires », où l'on représente la Vertu modératrice des
passions. Ces «Histoires:l>, qui font réagir les uns sur les autres
plusieurs «caractères », n'en sont pas moins un genre contenu dans
cette «espèce» rhétorique: le «Charactere est une Image détachée
et un Exemple abstrait », tandis que l' « Histoire est un Exemple per-
sonnel, et une Image appliquée à une Matière ».
Ce goût de la définition et de la classification est évidemment le fruit
d'un habitus intellectuel contracté en classe de philosophie, où le P. Le
Moyne a d'ailleurs enseigné 401. Mais cet esprit logique se réfracte dans
une culture rhétorique dont le P. Le Moyne est pénétré, et dont il fait
état, avec une bonne conscience inhabituelle chez les rhéteurs jésuites
en langue française. Les c secrets» confiés au latin, et que les prédicateurs
auraient aimé se réserver, se sont répandus dans le beau monde, et notre
Jésuite en prend allègrement son parti.

400 Sur ce problème de terminologie, voir B. Boyce, ouvr. cit., p. 31. Il


est significatif que le P. Le Moyne rejette la terminologie de la Rhétorique à
Hérennius, notatio et effictio (le premier terme étant encore employé par
Casaubon en 1599) pour se rallier au mot «Caractère », lié à une mode que
vient d'illustrer le livre de Cureau de la Chambre, que le P. Caussin avait
adopté dans les Parallela, et dont l'initiateur semble avoir été l'évêque Joseph
Hall, dans son livre Cfraracters of Vertues and Vices, traduit en français dès
1610, sous le titre Caracteres des Vertus et des vices.
401 V. Chérot, ouvr. cit., p. 12. V. ses plaintes dans Le Poète philosophe à
M. le Prince, 1632, repris dans Poésies, 1650, p. 272.
« LES PEINTURES MORALES» 387
La variété n'apparaît pas seulement dans les divers types de «pein-
tures» distingués par le P. LeMoyne. Celles-ci se dédoublent pour
ainsi dire;
J'ay ajo:lsté, écrit-il fièrement, la Poésie à la Peinture, ce que personne
n'avoit entrepris avant moy.

Affirmation à première vue excessive, puisque le sieur d'Embry avait


entremêlé de poésies la traduction des" Tableaux» de Philostrate. Mais
il s'agissait de poésie gnomique, tirant une moralité des fables dépeintes.
La nouveauté introduite par le P. Le Moyne est d'avoir juxtaposé «en
miroir» une «peinture» en prose à une «peinture» en vers, toutes
deux renvoyant souvent à une gravure représentant le même sujet "en
peinture muette ». «Elles s'embellissent par contagion », commente joli-
ment l'écrivain.
Nouveautés aussI, plusieurs des «genres» de «Characteres» mis
en scène par le P. Le Moyne;
La lecture, affirme-t-il, en sera divertissante et instructive, I"Antiquité
s'y verra renouvelée et habillée à nostre mode: il s'y verra des veritez
utiles et solides parées de tous les agremens des Fables. Et sans perdre
de temps dont les moindres minutes nous devraient estre precieuses, on
y trouvera tout ce qu'on cherche dans les Romans.

Ce « dialogisme », ces « Histoires », ces « Peintures" mettent en effet


toutes les techniques du roman hellénistique au service de la théologie
morale. Le P. Filère avait emprunté à la physique moderne le décor d'un
roman spirituel. Le P. Le Moyne, plus consciemment, et avec infiniment
plus de culture littéraire et d'imagination poétique, a écrit le roman de
la théologie morale. Le genre avait d'ailleurs un grand avenir devant
lui, et il est loin d'être resté le privilège des Jésuites ses inventeurs. Son
chef-d'œuvre sera sans nul doute le Télémaque de Fénelon.
Un peu inquiet peut-être d'introduire une si profane nouveauté, le
P. Le Moyne achève son étude en insistant sur les «parties» et sur la
« fin» de son œuvre. Les "parties» obéissent à «toutes les règles de
l'Escole, tous les points de l'Analysie » 402 : les passions seront étudiées
1) par leur nature,

402 Le mot «Analysie» est un hellénisme que l'on trouve en latin dans le
traité du P. Jean Voellus, Exercitium ana/yticum discursivi judicii, litterariae
juventuti, Fribourg-en-Brisgau, typis J. Meyeri, 1630. Le même J. Voellus avait
publié à Tournon en 1606 des Exp/anationes artificiosae aliquot epistu/arum
M. Tullii Ciceronis familiarium, et en 1630, à Fribourg-en-Brisgau, un Exer-
citium syntacticum discursivi judicii sive genera/e artificium orationis aut con cio-
nis constifuendae. Ce sont des traités de dispositio oratoria, que veulent rem-
plir la même fonction que la «dialectique» de Ramus. Mais tandis que celle-ci
se veut anti-aristotélicienne et anti-scolastique, l'ana/ysis jésuite s'efforce de faire
coïncider la logique oratoire et la méthode scolastique. Avec le P. Fonseca
(v. ch. l, note 199) le P. Voellus cQmpte parmi les auteurs jésuites qui ont
cherché une parade au ramisme.
388 RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS

2) par leur sujet,


3) par leur principe,
4) par les formes qui lui sont adjointes.

La « Dureté stoïque:.> sera dénoncée en un livre spécial. Enfin la « Modé-


ration des passions:.> couronnera le travail. Quant à la fin de l'ouvrage,
elle est d'instruire en divertissant, et d'accommoder les dogmes si « crus
et indigestes:.> de la théologie morale habituelle «à l'usage de toutes
sortes d'esprits ": et en particulier pour « le Grand Monde". Là aussi, le
P. Le Moyne s'en est tenu à une « modération" qui fait pendant, dans
l'ordre esthétique, à la modération éthique qu'il préconise. Il ne s'agit
pas de faire de la Religion « un personnage de comédie:.> ou une « Cour-
tisane :.>. Mais il y a «un estat moyen entre la dissolution et l'extrême
sévérité, un Milieu où l'agréable se rencontre avec l'utile:.>. Là le P.
Le Moyne se retrouve cicéronien, à la manière dévote du P. Reggio et des
Jésuites italiens: le dosage judicieux de l'omatus est compatible avec
I:J. vérité et avec la vertu chrétiennes. Le chemin uniformément «doux:.>
est plus profitable que celui qui fait place aux passages «véhéments
et sévères :1>.
En France du moins, et même dans la Compagnie de Jésus, il s'agis-
sait à coup sûr d'une «nouveauté:.>. On l'a vu, aussi tard qu'en 1659,
l'auteur anonyme, et probablement jésuite, du Parterre de l'Eloquence,
maintiendra la leçon du P. Caussin qui fait une part considérable aux
c mouvements véhéments:l>. Même un Etienne Binet, si «fleuri» dans
son Essay des Merveilles, n'avait pas érigé en norme la «douceur ». Le
précepte de saint Augustin dans le De Doctrina christiana, et selon lequel
il faut faire alterner la véhémence sublime avec le style moyen de l'éloge
des grandeurs divines, et le style simple de l'explication des Ecritures,
n'avait jamais été violé à ce point. Ce renoncement à toute trace de style
sévère, cet alignement sur la « douceur» à la mode chez les jeunes écri-
\"ains profanes, dut valoir au P. Le Moyne d'acerbes reproches .


••

Dans la préface du tome Il des Peintures Morales (1643), consacré


entièrement à la passion amoureuse et à la manière de la «modérer"
chrétiennement, notre Jésuite apparaît nettement sur la défensive. Il
reprend l'analogie de sa rhétorique avec la « Poésie dramatique:.> et le
roman" Mais il prend soin de souligner que cette dramaturgie pédagogique
est composée cette fois d'c exemples authentiques et tirés de l'Histoire. :
la part de la fiction est éliminée. D'autre part, cette «représentation
muette» est une c Pièce sans masque» et sans « Théâtre ». On sent qu'il
« LES PEINJ1JRES MORALES » 389
a essuyé des critiques s'appuyant sur le De Spectaculis de Tertullien et
en général sur la critique du masque histrionique chez les Pères.
Par ailleurs, il insiste sur la nécessité de respecter «les yeux
accoutumez à la Délicatesse»; il se défend d'avoir trahi la «bien-
séance» de son sujet, « l'Amour divin », et d'avoir sacrifié la «généro-
sité» à la « douceur », son pouvoir de «vaincre» à celui de «plaire ».
D'ailleurs au L. IV, il a repris le « stile dogmatique» (sans adopter toute-
fois ses « duretez et secheresses») pour traiter de la Beauté après avoir
traité de l'Amour. Il a plaidé la cause de celle-ci, mais non sans lui
représenter «les obligations qu'elle a à la Chasteté, à l'Humilité, à la
Modestie », et l'arracher à l'Amour charnel pour la donner à l'Amour
spirituel. La cohérence de sa pensée est donc entière, sa théorie de la
Pulchritudo chrétienne rejoint sa théorie de l'Ornatus rhétorique chré-
tien. Et il cite saint Augustin pour achever de réfuter des adversaires
anonymes contre lesquels, manifestement, il ne cesse de polémiquer ici.
Appuyé sur cette autorité, il repiend en terminant son argument essentiel:
Si j'eusse à traiter des Gens du désert, si j'eusse cherché le goust
des Personnes Religieuses, j'eusse pu leur faire grande chère à petit
frais et une collation de Cassian toute seche et crue [ ... ) leur eust esté un
festin magnifique. Ces gens-là qui ont l'âme saine et la raison forte et
vidie ne doivent estre traitez en Desgoustez ny en Enfans [... ) [Mais) mon
dessein est d'écrire pour ceux du Monde, qui ont mesme goust pour les
livres de pure dévotion que pour les Medecines mal préparées. [En consé-
quence 1 les Austeres indiscrets et mal instruits qui se scandalisent de
tout ce qui n'est pas sauvage, pourront chercher ailleurs des viandes plus
sèches et une amertume plus pure. Ils se souviendront seulement des
paroles de l'Apostre qui avertit les Abstinens de ne condamner point ceux
qui mangent et nous permettront de condescendre chrestiennement aux
infirmitez de leurs Frères malades ».

Le P. Caussin, le P. de Cressolles, le P. Binet polémiquaient contre


les gens de Robe et leur puritanisme stylistique. Avec le P. Le Moyne
et les Peintures Morales, l'adversaire semble s'être déplacé. Ce livre
fleuri peut être dédié à deux Présidents au Parlement, qui l'accueillirent
selon toute vraisemblance avec faveur. Les milieux de Grande Robe se
sont ouverts aux «Muses Françoises» et goûtent les blandices d'une
prose d'art ornée avec «juste mesure ».
Mais la cause du style sévère, qui perd du terrain dans l'humanisme de
Robe, a été reprise en charge entre-temps par Saint-Cyran, Arnauld
et les Solitaires de Port-Royal, soutenus par des prélats gallicans comme
Oodeau. 1643 marque donc un tournant décisif: ce n'est pas seulement
la date de la mort de Louis XIII, mais avec la publication de La Fré-
quente communion d'Antoine Arnauld, d'un véritable reclassement des
forces en présence. Les cloisonnements hérités du XVI' siècle sont rompus;
le front de la Réforme catholique française l'est aussi. Les Jésuites ont
conquis de nouveaux alliés, mais ils ont acquis de nouveaux ennemis.
La préface du second volume des Peintures Morales, paru en 1643, nous
390 RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS

révèle que les attaques de Pascal dans les Provinciales contre ce livre
du P. Le Moyne avaient été affûtées dès 1642 par les Solitaires de Port-
Royal 4os •


••
Mais le style severe, d'inspiration augustinienne et borroméenne, que
préconisait Saint-Cyran, ne résume pas le classicisme, qui n'est pas une
doctrine, mais un compromis entre diverses instances qui se font contre-
poids. Celle que représente le P. Le Moyne, affinée et contenue par la
polémique janséniste, a un brillant avenir dans la seconde moitié du siècle.
Dès 1645, avec ses Entretiens et Lettres poétiques, le P. Le Moyne (qui
se rapprochera de la « sévérité» du P. Caussin et de sa Cour sainte, en
1648, dans la Oallerie des femmes fortes), resserre la gamme de son
imitation et atténue la saveur de ses" viandes pour délicats ». Il déclare,
dans sa Préface, prendre Horace pour modèle. Mais il l'interprétera libre-
ment. Il n'imitera point le « peu de modestie» des EpUres, ni leur aspect
.. satyrique» qui n'a pas de répugnance pour l'", ordure >l. JI n'imitera
pas non plus la «raillerie », peu conforme à la charité chrétienne, du
poète latin. JI ne se contentera pas non plus de la '" prose simple et
pédestre », versifiée, dont usa Horace. Sa matière sera toute chrétienne
et morale. Il recourra non à la raillerie, mais à une .. gayeté l) chaste,
comme la «Musique et la symphonie dont la dévotion des fidèles est
egayée l). Enfin, il s'exprimera en poète '" dans les termes, dans les ima-
ges, dans les fictions, dans les figures », « avec l'élévation, le feu» qui
font les Poètes, et qui haussent le style «au-dessus du commun et du
vulgaire ».
Soumis à la critique augustinienne, l'héritage du XVI' siècle «asia-
niste », celui de Blaise de Vigenère dans les Peintures Morales, celui
de Ronsard et de Desportes dans les Entretiens et Lettres poétiques, est
contraint pour ainsi dire à se rétracter, et à chercher des autorités du

403 Voir la IX· Lettre d'un Provincial. V. aussi, chez Fénelon, Dialogues sur
l'éloquence, dans Œuvres, Lyon-Paris. 1843. t. III. p. 372. la critique. d'un
point de vue sévèrement platonicien et augustinien. du principe même des
« Peintures morales », id est des éthopées chrétiennes: «Les peintures morales
n'ont point d'autorité pour convertir. quand elles ne sont soutenues ni de prin-
cipes ni de bons exemples. Qui voulez-vous convertir par là? On s'accoutume
à entendre cette description; ce n'est qu'une belle image qui passe devant les
yeux. on écoute ces discours comme on liroit une satire, on regarde celuy qui
parle comme un homme qui joue bien une espèce de comédie, on croit bien
plus ce qu'il fait que ce qu'il dit. Il est intéressé, ambitieux. vain ...• il ne quitte
aucune des choses qu'il dit qu'il faut quitter ... Ce qu'il y a de pire, c'est qu'on
s'accoutume par là à croire que cette sorte de gens ne parle pas de bonne
foi; cela decrie leur ministère; et quand d'autres parlent après eux avec un
zèle sincère. on ne peut se persuader que cela soit vrai. l)
« LES PEINTURES MORALES » 391

côté des classiques augustéens. Admirateur de Marino 404, du Tasse 40&,


attentif à la peinture de la Rome barbérinienne, le P. Le Moyne est tenu
de se maintenir sur les positions du cicéronianisme dévot italien, dont il
offre une version française. Cet idéal de «juste mesure» et de .. modé-
ration» chrétienne, en dépit de ses efforts pour raJlier le goût du
« monde », n'échappera pas à l'incisive polémique d'un puritanisme augus-
tinien, d'autant plus efficace qu'il trouvera en Pascal un écrivain capable
de concilier élégance, véhémence et ironie.

404 Il n'existe pas d'étude sur Le Moyne imitateur de Marino, bien que Je
sujet s'impose à J'esprit de qui a pratiqué les deux auteurs. Pascal (XI' Lettre)
cite un poème des Peintures Morales (t. Il, 1. 7) qui, à travers la technique
métaphoriste de l'auteur jésuite, attaque en fait l'art «asianiste" né avec
Panigarola, porté à ses sommets par Marino.
405 Sur Le Moyne admirateur et imitateur du Tasse, voir Chérot, ouvr. cit.,
passim, et Joyce G. Simpson, Le Tasse et la Littérature et l'Art baroques en
France, Paris, Nizet, 1962.
CHAPITRE IV

LES ADVERSAIRES JÉSUITES DE LA


«CORRUPTION DE L'ÉLOQUENCE»

Si le P. Le Moyne, en 1645, se donne pour modèle Horace, ce n'est


certes pas pour plaire aux Solitaires de Port-Royal. Ceux-ci, par leur
âpreté dévote, ont bien pu amener le poète jésuite à accentuer la portée
morale et chrétienne de ses Entretiens, ils n'ont pas pu l'inciter à s'inspi-
rer d'un modèle augustèen, lui qui en 1641 se tournait d'une naturel
mouvement vers Sénèque et vers Philostrate. Sur la sophistique sacrée,
dont Les Peintures Morales sont la version modernisée, s'est exercée une
influence correctrice d'une autre nature et d'une autre origine. Au Collège
de Clermont, au moment où le P. Le Moyne publie ses Peintures, puis
ses Entretiens, il pouvait rencontrer deux redoutables collègues, dont l'un,
l'aîné, Denis Petau, est un érudit de stature et de renommée européennes,
et l'autre, son disciple, François Vavasseur, s'ètait signalé par des dis-
cours, en un latin superbe, où ètait fustigée la «corruption de l'élo-
quence» des Jésuites eux-mêmes.
Les idées du P. Vavasseur avaient leur source dans l'enseignement du
P. Petau. La petite troupe des érudits jésuites, longtemps en retrait
derrière les trop voyants prédicateurs et déclamateurs de la Compagnie,
?vait trouvé en lui un orateur. C'est donc au P. Petau son maître qu'il
faut remonter pour comprendre la genèse de la réforme oratoire latine
dont le P. Vavasseur se voulut l'initiateur.

l. L'ATIICISME CICÉRONIEN DU P. DENIS PETAU

Le P. Petau avait l'immense avantage sur la plupart de ses collègues


d'appartenir par sa famille à l'aristocratie de Robe française, 011 depuis
le dèbut du XVI' siècle se recrutait l'élite de la République des Lettres
gal\icane.
Son parent, Paul Petau, était Conseiller au Parlement de Paris, et
comme beaucoup d'hommes de son rang et de sa caste, con~acrait ses
loisirs aux seules Muses dignes d'un magistrat, celles de l'érudition. Entre
autres ouvrages, il avait publié en 1604 un De Epocha annorum incarna-
tionis Christi, de Indiciionibus, consacré à cette discipline difficile entre
toutes, et hérissée de chausse-trapes pour l'apologétique chrétienne, la
R~FORME DE LA RH~TORIQUE JÉSUITE 393
chronologie. Le P. Petau, avec son fameux Rationum temporum, pour-
suivra en somme une tradition familiale. C'est à Paul Petau que le
jeune savant jésuite devra la communication du manuscrit Petavianus
des œuvres de Synésius de Cyrène, à partir duquel il établira une édition
plus correcte de l'évêque-rhéteur du Ive siècle 408. Il disposait ainsi de
lettres d'introduction exceptionnelles dans un milieu d'ordinaire on ne
peut plus mal disposé envers les homilles novi de l'humanisme qu'étaient
aux yeux des magistrats érudits, les Jésuites. Et il fut à même, mieux que
personne dans sa Société, de préparer une symbiose entre les traditions
déjà séculaires de l'humanisme gallican, et la tradition qui se cherchait
encore du Collège de Clermont.


••
Très jeune, le P. Petau donna des preuves éclatantes que bon sang
ne saurait mentir, même sou!> la robe jésuite. Il pourra sembler surprenant
que nous nous arrêtions sur les éditions savantes qu'il publia entre 1612
et 1635. Mais il se trouve que les auteurs édités par le P. Petau sont
justement des rhéteurs, qui appartiennent tous trois à la période qui fut
peut-être la plus brillante, en même temps que la dernière, de la Seconde
Sophistique: Synésius de Cyrène 407, Thémistius 408, et l'Empereur Ju-
lien 409. Le choix de ces trois auteurs du IV· siècle montre que les réflexions
du P. Petau, dès 1612 (date de son édition de Synésius), tournaient autour
du même problème qui hante le P. de Cressolies dans son Theatrum Vete-
rum rhetorum : la Renaissance des litterae humaniores étant devenue aussi
la Renaissance de la Seconde Sophistique, comment, sans remettre en
cause la première, c purifier:. la rhétorique chrétienne de la seconde?
Le P. de Cressolles, qui ne distinguait guère entre tradition atticiste et
tradition asianiste de la Seconde Sophistique, avait en quelque sorte
traité le problème en bloc, et conclu à une adoption «modérée» et judi-
deuse des techniques des sophistes. En se concentrant sur les philosophes-
rhéteurs du IV· siècle, témoins et acteurs de l'ultime Renaisance de l'hellé-

<06 Synesii Episcopi Cyrenes opera quae extant omnia, Paris, Drouart, 1612,
Ad Candidum Lectorem. Parmi les manuscrits qui ont servi à l'édition des
Lettres de Synésius, Petau fait figurer un Morel/ianus, prêté par Frédéric Morel
et un Petal'ianus, prêté par Paul Petau.
40. Les discours de Synésius avaient déjà fait l'objet d'une éditio:1 par
Adrien Turnèbe en 1553, et ses lettres, éditées par le même, avaient été publiées
à Paris en 1605. Le P. Petau sur ce point comme sur tant d'autres s'efforce
de prendre le relais de l'humanisme érudit français, voire de faire du Collège
de Clermont l'héritier d'un Collège Royal dont l'importance sous Louis XIII
demeure mal connue.
408 Themistii Euphradae Oraliones XVI graece et latine nunc primum
editae ... Ad Christianissimum Regem Ludovicum xm, FIexiae, apud Jacobum
Rezé, 1613. Là encore, le P. Petau mettait ses pas dans ceux de la philo!ogie
gallicane: en 1562, Henri Estienne avait publié XIV Orationes de Themistius.
409 fulialli Imperatoris Oraliones panegyricae ab eo cum adhuc esset chris-
tianus scriptae, Flexiae, apud Jacobum Rezé, 1614. Dédié à Nicolas de Verdun.
394 DENIS PETAU

nisme, la réflexion du P. Petau arrache la Seconde Sophistique à cette


vue globale et indistincte: il isole et fait sienne la tradition atticiste de
l'hellénisme impérial. Ce faisant, il revient aux sources du cicéronianisme
de la première Renaissance, dont l'inventeur, Georges de Trébizonde,
avait fait de Cicéron ce que Lysias et les orateurs attiques avaieni été
pour Aelius Aristide et les atticistes hellènes sous l'Empire: le modèle
« classique» sur lequel la latinité, remontant la pente de sa décadence,
reconstituerait son état le plus pur et le plus mûr. Et c'est bien à la tradi-
tion de Trébizonde qu'avaient sans cesse puisé à Venise l'Académie des
Philhellènes et Alde l'Ancien, éditeurs du premier recueil des Epistolae
graecae.
Il peut sembler étrange, au moment même où les Jésuites-rhéteurs de
la Maison Professe de Paris articulent leur prédication à la fois aux
Exercices de saint Ignace et aux Tableaux de Philostrate, de voir un
Jésuite érudit, travaillant en étroite collaboration avec un Lecteur du
Collège Royal, Frédéric Morel, renouer avec la tradition vénitienne, et
avec la tradition française du cicéronianisme. C'est que, et l'on y revien-
dra, l'édition critique des textes antiques, et l'érudition qu'elle suppose,
furent à la fois la noblesse et la force de l'humanisme: l'élite de l'élite,
détentrice des traditions dans la République des Lettres européenne, est
plus que jamais au début du XVII" siècle chez les érudits. Le P. Pet au,
à la fois par ses origines familiales et par sa compétence philologique,
appartient aussi bien à cette « élite de l'élite» savante, qu'à la Compa-
gnie de jésus.
Ainsi s'explique, à notre sens, l'étonnant «écart» qui le sépare de
ses collègues. Son travail d'éditeur qui renoue avec les traditions de la
Haute Renaissance, lui permettait d'apercevoir les assises grecques de
l'atticisme cicéronien, et de redécouvrir les vertus de celui-ci. L'hellénisme
du P. Caussin était trop superficiel, celui d'un Cressolles était trop compi-
lateur pour leur permettre de remonter aussi profondément aux sources du
Tullianus stylus humaniste. Encore que le culte porté par le P. de Cres-
solles à Isocrate et à Grégoire de Nazianze ait fait de lui, dans la pre-
mière moitié du XVII' siècle, le jésuite français le plus proche des positions
du P. Petau.
Il y avait quelque courage de la part de celui-ci à publier dès 1614
quatre discours inédits de l'Empereur Julien, dédiés au Premier Président
Nicolas de Verdun. Le jeune érudit prend soin de préciser qu'il s'agit
de discours prononcés alors que julien, encore César, n'avait pas encore
abjuré le christianisme. Et il ajoute, soulignant la majesté du style, vrai-
ment royale, de l'élève de Libanius :
On lit ses œuvres chaque jour non seulement sans dommage, mais
avec la plus grande approbation et le plus grand plaisir ... Car si elles
abondent de traces ineffaçables d'impiété et de crimes, elles abondent
aussi (et c'est pourquoi elles jouissent d'une telle faveur) des fruits de
l'élégance et du profond savoir.

Bien que Possevin, dans sa Bibliotheca Selecla ait recommandé l'édi-


tion aldine des Epistolae graecae où figuraient des lettres de l'Empereur
RÉFORME DE LA RHÉTORIQUE JÉSUITE 395
c apostat », il traitait celui-ci, au L. l, de dementatus et corruptus, le
vouant à l'Enfer. Même acharnement dans les Annales Ecclésiastiques de
Baronius. En France au contraire, l'érudition humaniste s'était attachée
à reconstituer et à publier les œuvres oratoires de l'Empereur, avec une
admiration fervente pour son talent et la qualité de sa prose. Le P. Petau,
sur ce terrain comme sur beaucoup d'autres, noue son œuvre aux traditions
de l'humanisme français. Dans son édition, aussi complète que possible
pour l'époque, des œuvres de julien, en 1630 410 , il n'hésitera pas à
reproduire la biographie de l'Empereur par son premier éditeur humaniste,
le protestant Pierre Martini, qui reconnaissait à julien, outre les vertus
d'un grand Prince, l'éclat et l'élégance attiques. Le P. Petau admettait
ainsi implicitement qu'il y a un ordre de vertu naturelle, et un ordre de
style qui ont leur perfection en soi, et que le chrétien cultivé est à même
d'apprécier librement. Les qualités de l'orateur julien étaient en somme
une valeur que le christianisme n'avait pas à rejeter, mais à distinguer
des erreurs commises sur d'autres plans par l'Empereur. Etait-ce si
éloigné des positions soutenues par Etienne Dolet dans le De imitatione
ciceroniana? Un ordre esthétique autonome tend ici :i s'esquisser, juxta-
posé et non plus subordonné à l'ordre religieux.
L'importance des éditions de Synésius et de Thémistius par le P. Pet au
n'est pas moindre. Celle de Synésius de Cyrène était dédiée à l'évêque
d'Orléans, Gabriel de L'Aubespine 411.
Dans sa dédicace, le P. Petau parle moins du texte grec que de la
traduction latine qu'il en a faite. Il affirme que dans ce domaine, comme
dans les autres, l'époque moderne est celle des lumières: les traductions
du grec datant du siècle précédent, et qui elles-mêmes étaient une victoire
de l'esprit, peuvent être reprises sur nouveaux frais et perfectionnées.
Pour sa version latine de Synésius, il ne s'est pas contenté d'une fidélité
plus grande au sens de son auteur: il a voulu qu'elle ait en elle-même,

no fuliani Imperatoris opera quae qI/idem reperiri potl/erunt omnia ... , Paris,
Cramoisy, 1630. Cette édition, par les soins du P. Petau est une récapitulation
des travaux de l'humanisme érudit français consacrés à l'Apostat. Les lettres
de Jlllien furent imprimées pour la première fois à Venise par Alde l'Ancien
en 1499 (voir J. Bidez et F. Cumont, Recherches sur la tradition manuscrite
des lettres de l'Empereur Julien, Comptes rendus de l'Acad. des Inscriptions... ,
t. LVII, 1897, p. 102 et suiv). Ses discours furent imprimés pour la première fois
en France par Pierre Martini, un disciple de Ramus, en 1566 (voir J. Bidez, La
tradition manuscrite et les éditions des discours de l'Empereur Julien, Paris,
Champion, 1929, p. 105 et suiv.). Le débat autour de l'œuvre de Julien avait
commencé dès les origines de la Renaissance de l'hellénisme, avec Gémistius
Pléthon (voir François Masai, G. Pléthon et le platonisme de Mistra, Paris,
Belles Lettres, 1956). Voir Montaigne, Essais, Il, 19, et Possevin, Bibliotheca
selecta, p. 39-41, éd. cit.
411 Sur Gabriel de l'Aubespine, voir Ph. Tamisey de Larroque, Les cor-
respondants de Peiresc, VII, Gabriel de l'Aubespine, Orléans, 1883. Denis Petau
était oïiginaire d'une famille orléanaise. L'évêque d'Orléans avait favorisé
l'installation d'un collège de Jésuites dans sa ville. Plus tard il entrera en vif
conflit avec les Jésuites du Collège qui entendaient en confession sans son auto-
risation.
396 DENIS PETAU

indépendamment du texte grec, son rythme, sa beauté propres, libérés


du mot-à-mot. Longtemps avant que Perrot d'Ablancourt 412 ne formulât,
à l'usage des gens du monde, et pour des traductions du latin en français,
sa théorie des «belles infidèles », le P. Petau en exposait le principe en
tête d'une traduction du grec en latin. Le goût des honnêtes gens (litera-
torum hominum palatum) était dès 1612 le critère auquel le docte jésuite
se référait pour polir une prose d'art latine, identique pour le sens à son
modèle grec, mais transposant son élégance attique dans un delectus
l'efborum proprement latin. Et celui-ci ne pouvait avoir d'autre critère
que la prose cicéronienne.
La dédicace de l'édition de Thémistius, adressée à Louis XIII, confirme
l'indépendance et la cohérence de la réflexion du P. Petau sur le style.
Le principal mérite du philosophe-rhéteur, aux yeux de son éditeur, est
d'avoir su se montrer un admirable précepteur de Princes. Dans ces
fonctions nobles entre toutes, il a su parler aux porphyrogénètes un lan-
gage vraiment royal et dont le style à lui seul communique aux jeunes
Princes le sens de la grandeur et de la gravité attaché à leur rang. L'atti-
cisme de Thémistius n'est donc pas un pur et simple sermo humilis : sans
céder à l'asianisme du style moyen, il se pare de la grâce du style
sublime. Dès 1614, le P. Petau posait donc un autre des principes fon-
damentaux de l'éloge classique: la simplicité alliée à la noblesse.
Malherbe l'avait déjà pressenti pour la poésie française: la majesté
royale, et celle de raristocratie de Cour qui la reflète, donnent le ton
auquel doit s'accorder le grand style, et la gravité royale interdit à celui-
ci toute concession aux ampuliae de l'art épidictique asianiste .


*.
Ce n'était pas seulement par son hellénisme érudit que le P. Petau
renouait avec la tradition de la Haute Renaissance. Poète et orateur néo-
latin, il publie en 1620, chez Sébastien Cramoisy, ses Oraliones et seS
Opera poetica. L'année suivante celles-ci étaient rééditées à Cologne,
conjointement avec les Orationes du P. Bernardino Stefonio, une des
gloires du Collège Romain. En 1634, une des tragédies du P. Petau,
Sisaras, était publiée à Anvers dans les Selectae PP. Socielatis Jesu
Tragoediae, qui ne contenaient, outre l'œuvre du Jésuite français, que des
œuvres de Jésuites romains. Lui-même salua avec enthousiasme l'accès
à la tiare de Maffeo Barberini, le pape poète, l'élève doué du Collège et
du Séminaire romains. Dès 1624, il célébra l'élection d'Urbain VIII dans

412 V. Roger Zuber, Les Belles Infidèles, Paris, 1958, p. 64 et suiv. L'A.
rappelle que d'Ablancourt, fort lié au milieu érudit, avait de la traduction une
conception «critique ». Le principe du P. Petau est en opposition complète
avec celui de Blaise de Vigenère qui considérait que le traducteur devait plier
son style à celui de l'auteur traduit, même s'il avait des réserves à faire sur
celui-ci. Il substitue un goût canonique au goût éclectique, séduit par la variété,
qui avait été celui de Vigenère et de ses imitateurs jésuites.
RÉFORME DE LA RHÉTORIQUE JÉSUITE 397
deux Odes latines publiées par Cramoisy 418. Il lui adressa par la suite
d'autres hommages. Le Pape s'efforça de le faire venir à Rome, mais le
P. Petau préféra s'en tenir aux relations épistolaires suivies qu'il entre-
tenait avec les milieux doctes de la capitale pontificale.
En France même, le prestige des Orationes et des Opera poetica du
P. Petau dans les milieux de l'humanisme érudit encouragea Cramoisy
à en publier trois rééditions en 1622, 1624 et 1643.
Le genre des Orationes el poemala dans lequel le grand érudit jésuite
s'illustrait faisait de lui, seul alors parmi ses collègues français, l'héri-
tier des plus anciennes disciplines de l'art d'écrire humaniste. On l'a
vu en effet, le recueil d'Oraliones et de Poemala n'avait d'autre rival,
à l'époque de la Haute Renaissance, que le recueil d'Epislolae. Cette
association du carmen à l'oralio faisait de la poésie une sorte de prélude
à la maîtrise d'une prose latine purifiée des scories du modus scholas-
lieus.
Seul aussi parmi ses collègues français, le P. Petau par ce double
recueil se rangeait aux côtés des humanistes du Collège romain qui, à la
suite de Marc Antoine Muret, s'étaient attachés à relever ce genre carac-
téristique du «cicéronianisme» de la Haute Renaissance, et à allier de
nouveau pureté latine et piété chrétienne, beauté classique et spiritualité.
On s'en souvient, pour le P. Benci la quête de l'optimus slylus était en
elle-même un exercice spirituel. Or les œuvres des héritiers romains de
Bembo et de Naugerius, de Sadalet et de Vida avaient trouvé en France
des éditeurs et une vaste diffusion, qu'explique la doctrine alors unani-
mement partagée par les régents de rhétorique jésuite, à la suite de juste
Lipse et de Possevin: Cicéron et les «cicéroniens» pour les enfants,
l'imitation «adulte» et «éclectique» pour les hommes faits .

•••
Dès 1588, le libraire parisien Carbon publiait une édition préparée par
le jésuite romain Horace Tursellin 4H des Oraliones duodeviginti du P.
Pierre jean Perpinien, le premier « cicéronien» jésuite. Celui-ci était bien

413 De laudibus Urbani VIII Ponl. Max. Odae duae, Parisiis, Seb. Cra-
moisy, 1624 et Opera poetica, Paris, Cramoisy, 1642, p. 639 (à Maffeo Bar-
berini) et p. 680 (à Urbain VIIl). Cette édition est ornée d'un Bref élogieux
du Pape au P. Petau.
414 Pelri Joanni Perpiniani Oraliones duodeviginti juxla exemptar Romae
editum, Paris, 1588; rééd. Lyon 1594; Douai 1598; Lyon 1603; Lyon 1606;
Douai 1608; Rouen 1611 ; Lyon 1622. Toutes ces éditions sont l'œuvre de
libraires attachés aux Collèges de Jésuites. Pour ces Orationes de Perpinien
comme pour les autres recueils « cicéroniens» que nous citons, il faut insister
sur le rôle joué par les Collèges de Jésuites, alors même que les prédicateurs
en langue française de la Compagnie avaient des indulgences pour les modes
profanes, et se fiaient au laxisme de l'imitatio adulta, dans la diffusion en
France sur une large échelle du goût cicéronien de la Renaissance.
398 SOURCES ROMAINES DE LA RÉFORME

connu à Paris, où il avait enseigné trois ans 4l~ avant d'y mourir. L'édi-
tion parisienne, comme celle de Rome, était précédée d'une préface du
P. Benci, le disciple de Marc Antoine Muret. L'une de ces Orationes
avait été prononcée à Rome devant Charles Borromée, une autre pro-
noncée à Lyon avec pour sujet De veteri religione retinenda, et cinq
autres à Paris sur des sujets pieux. Mais toutes, par la pureté du voca-
bulaire et l'élégance du style, refusaient de séparer piété et beauté, ascèse
de l'âme et distinction de la forme. Par sa préface, le P. Benci sacrait
Perpinien comme le précurseur de la Renaissance littéraire chrétienne
dont le Collège Romain se voulait l'Académie. Une nouvelle édition fran-
çaise de ces Orationes paraîtra à Rouen, chez j. Osmont et R. de Beau-
vais, en 1606, deux ans après le rétablissement des jésuites. Plus tard,
le P. Vavasseur, disciple du P. Petau, préparera une édition des lettres
du jésuite espagnol à Marc Antoine Muret et Paul Manuce, édition qui
paraîtra à Paris après sa mort, en 1683.
En 1590, c'est au tour de Francesco Benci de faire paraître ses propres
Carmina et orationes à la fois à Rome et à Lyon, où ils furent plusieurs
fois réédités. Mais c'est surtout à partir de 1604, d'abord à Lyon et à
Rouen, puis à Paris, que le public français se voit offrir de plus en plus
abondamment la production latine des jésuites romains. A tout seigneur
tout honneur: en 1604, le libraire des Jésuites lyonnais, Pillehotte, publie
le second volume des Orationes de Muret, que le P. Benci avait d'abord
éditées à Venise en 1591. Ce programme du nouveau «cicéronianisme »,
ouvert à l'imitation de Sénéque et de Tacite dans la fidélité au Tullianus
stylus de la première Renaissance, paraît à Rouen, chez Darré et Préau lx,
en 1607. Dans cette édition, on trouvait aussi la première partie des
Orationes de Muret (Ire éd., Venise, 1570) et VI Orationes è2 Carlo
Sigonio.
En 1605, le P. Francis Rémond publie à Lyon, toujours chez Pille-
hotte un volume d'Epigrammata, Elegiae et Orationes. Dijonnais d'origine,
mais longtemps régent au Collège Romain, le P. Rémond se prévaut de
51 Ilais,ance francaise pour dédier son œuvre au Dauphin, le futur Louis
XIII. Dans sa dédicace, selon la ligne fixée par Richeome, et qu'adoptera
encore en 1617 le P. Caussin dans sa dédicace au Roi des Parallela, le
P. Rémond n'hésite pas à décrire les rapports de ,son Institut avec la
dynastie de Bourbon en termes de dette à payer. Pour sa part, il y contri-
bue par l'offrande de ces Emaux et Camées néo-latins. La préface de
l'éditeur prend soin de relever avant tout les qualités esthétiques de la
poésie et de la prose de ce jésuite français, nouveau Longueil, nouveau
Muret, qui a su tirer de la langue latine des effets au si raffinés que les
écrivains de l'Antiquité. Il est vrai, écrit-il pour écarter l'objection des
puritains, que le P. Rémond a été un remarquable professeur de théologie.
Est-ce incompatible avec la poésie, avec l'éloquence? Surtout lorsque
cette poésie et cette éloquence latines fleurent l'atticisme le plus exi-

415 Sur le P. Perpinien (en espagnol Perpiiian) v. Sommervogel, t. Il, col.


547, et SouthwelI, Otlvr. cit., p. 677, s.v. Petrus Joannes Perpinianus.
RÉFOHME DE LA RHÉTORIQUE JÉSUITE 399

geant? Dans la tradition de Muret, le P. Rémond cultive en effet un


style du judicium, dont les qualités esthétiques sont étroitement liées à
son pouvoir d'expression des qualités de l'intelligence et des formes les
plus difficiles du savoir.
Elégance, poli (nitor), harmonie (concinnitas), grâce enjouée (lepos) ,
esprit de finesse (acumen), profond savoir (eruditio), variété des sujets,
gravité et densité des sentences, brièveté et clarté de la diction, disposition
raffinée des mots, rythme travaillé, rien ici n'est de trop, commentait
l'éditeur, et rien ne manque, au point que chaque période et chaque vers,
s'il était possible de les saisir à part, te frappent d'étonnement, et te
tiennent en suspens, faisant reconnaître en eux l'art littéraire le plus
achevé (cuitus exactissimus) mais aussi chassant loin d'eux toute obscé-
nité, peste des mœurs, corruption de la jeunesse.

Ainsi l'œuvre du P. Rémond, et le cultus exaclissimus dont elle témoi-


gne, s'inscrivent dans la tradition de la prose et de la poésie néo-latines
de la Renaissance profane, celle des Poemata et Orationes de Politien,
de Pontano, de Muret. Leur élaboration littéraire s'exerce toutefois sur
des sujets tout pieux, excluant les Amores païens. Cette élaboration même,
châtiant le style, est exercice spirituel, travail de l'esprit sur lui-même
pour se purifier des attachements impurs et atteindre à une beauté « lavée
dans l'eau du Jourdain ».
En 1617, l'année où le Syntagma du P. Caussin paraît à Paris, Claude
Chappelet publie les Carmina et Oratiolles du P. Tarquino Galluzzi, une
des lumières, avec le P. St rada, du Collège romain .

•••
Sauf dans les préfaces comme celles que le P. Rémond attribue déli-
catement à son éditeur, les Jésuites du Collège Romain prêchaient d'exem-
ple. La composition de leurs recueils était en elle-même une leçon: la
prose d'art latine, fille de l'oralio stricta, devait comme elle, mais sans
le soutien du mètre, faire preuve d'un choix de mots judicieux, d'une
densité élégante, d'une clarté polie, et d'un rythme sûr. Le primat du
judicium - allant dans le même sens que la prudentia chrétienne -
supposait un contrôle de l'imagination que le P. Strada, à la même
époque, dans ses Prolusiones, soumettait à l'acumen mentis, à la fine
pointe de l'intelligence. Telle était bien la fonction de pédagogie de la
prose d'art que Muret avait assignée à l'exercice de la poésie dans une
Oralio prononcée à la Sapienza en 1579, et que le P. Benci publia en
1591 416. La poésie, disait l'arbitre des élégances romaines, est du domaine
de l'ingenium ; l'art oratoire du domaine de l'indusfria; la conjonction
de l'ingenium et de l'industria pouvait seule permettre d'atteindre à la

416 M.A. Mureti ... Orationes vo/umen secundum, Venetiis, 159\ ; éd. Rouen,
\607; Lyon, 16\3.
400 SOURCES ROMAINES DE LA RÉFORME
nouvelle synthèse de l'optimus stylus. Lui-même avait ouvert la voie aux
Benci, Rémond et Galluzzi : l'ancien commentateur des Amours de Ron-
sard avait écrit des Hymnes sacrés et autres poèmes à la fois d'inspira-
tion classique et chrétienne, parmi lesquels un dialogue versifié avec
Francesco Benci. Le recueil avait été publié à Rome en 1581 U1.
Cette Renaissance d'un art doublement châtié - de l'impureté esthé-
tique gothique, et de l'impureté morale païenne - avait été importée par
les Jésuites français surtout pour des motifs pédagogiques. Mais le nom
prestigieux de Muret, et la qualité de ces œuvres néo-latines, ne pouvaient
que leur valoir un accueil favorable auprès de l'humanisme de Robe.
Ecrites par une élite savante, elles étaient plus acceptables par l'élite
savante du Palais que l'éloquence à l'usage de la foule dispensée par les
Jésuites rhéteurs français. Jacques-Auguste de Thou et ses amis prati-
quaient eux aussi, à titre d'exercice à la fois intellectuel et spirituel, une
poésie latine dans la tradition de la Renaissance 418. Et un Nicolas Bour-
bon n'avait qu'estime pour les artistes néo-latins du Collège Romain, et
pour leur élève, Maffeo Barberini, le futur pape Urbain VIII. Paradoxa-
lement, les Jésuites français se servaient comme lectures scolaires d'ou-
vrages que les graves humanistes de la Robe française estimaient dignes
d'eux, alors qu'eux-mêmes, dans leurs œuvres françaises, cherchaient des
modèles du côté de Philostrate, du P. de La Cerda, et d'une sophistique
éclectique.
L'édition des Oraliones et des Opera poetica 419 avait de la part du
P. Petau valeur de manifeste. Occupant la chaire de rhétorique la plus
prestigieuse de France, celle du Collège de Clermont, jouissant hors du
Collège de l'autorité que lui valait son appartenance à la République des
Lettres, il signifiait par ce double recueil l'idée qu'il se faisait du pro-
tesseur d'éloquence latine: un maître qui ne cherche pas d'alibi dans la
doctrine laxiste de l'imitation «adulte" pour se dispenser de pratiquer
l'idéal « cicéronien" qu'il enseigne à ses élèves.
Dans sa dédicace à son élève de sang Bourbon, Henri de Verneuil,
évêque de Metz, le grand érudit ne cachait pas en effet le dédain que
lui inspiraient ceux qui, prétendant faire la leçon aux autres, étaient
incapables de s'y tenir eux-mêmes. Visait-il son collègue Caussin, qui
de fait, dans ses Parallela, tout en célébrant pompeusement le modèle

417 M.A. Muret ... Hymnorum sacrorum liber ... ejusdem alia quaedam poe-
mata, Lutetiae, ap. M. Patissonium, 1576; rééd. Rome, 1581. C'est surtout à
Ingoldstadt que les éditions des œuvres oratoires et poétiques de Muret se
multiplièrent, sous l'égide des Jésuites de la ville, et se répandirent dans tous
les collèges d'Europe.
418 Metaphrasis poetica librorum sacrorum aliquot ... , Caesaroduni Turo-
num (Tours), apud J. Messonium, 1588; rééd. 1592.
419 Dionysii Petavii Aurelianensis e Societate Jesu Orationes, Parisiis,
S. Cramoisy, 1620, dédiées à H. de Bourbon, marquis de Verneuil, évêque
de Metz, et Dionys. Petav. s.j. Opera poetica, ibid., 1620, dédiés à A. de
Bourbon, comte de Moret. Chacun des deux volumes fut réédité en 1622, 1624,
1642, ct 1653 chez Cramoisy. Nous citons d'après l'édition de 1624.
RÉFORME DE LA RHÉTORIQUE JÉSUITE 401

cicéronien, recommandait, on l'a vu, un éclectisme sans rivage, et prati-


quait en latin une prose peu surveillée? Est-ce un hasard si, dès 1620,
le P. Caussin abandonnait la chaire du Collège de Clermont qu'il parta-
geait depuis l'année précédehte avec le P. Petau, pour se consacrer à
l'éloquence vernaculaire?
Comme ses COllègues de Rome, le P. Petau ne cache pas sa préférence
pour les maUres qui enseignent la dicendi ratio latine moins par de vagues
préceptes que par l'exemple. On risque davantage par cette méthode,
ironise-t-i1, mais l'on est plus persuasif et plus honnête avec soi-même.
Il se lance ensuite dans une attaque sévère contre les apologistes de la
« variété:., ce qui ne pouvait manquer de toucher au vif bon nombre
d'entre ses collègues. Ils offensent « cette noble simplicité cicéronienne»
(Ciceroniana illa simplicitas) qu'ils s'imaginent privée d'énergie et de
science profonde. Que manque-t-i1 donc à ces délicats, à ces blasés pour
admettre que l'exemple de Cicéron, et la pureté du Tullianus stylus, sont
un idéal assez haut pour être poursuivi pour lui-même? Le jugement, le
gont Uudicium), et la force d'âme nécessaires pour voir la vérité et la
servir. Dans les Drationes de son maUre, le jeune Prince, acquis aux
saines doctrines, trouvera sinon des modèles, du moins des exemples de
Tullianus stylus.
Est-ce un retour à Bembo, et à l'Epistola De imitatione ? C'est en tous
cas une rupture on ne peut plus nette avec l'!nstitutio epistolica de Juste
Lipse, et avec une doctrine de l'imitation qui, réservant Cicéron à l'en-
fance et à l'exercice utilitaire, ouvrait toutes grandes aux « adultes:. les
libertés de l'éclectisme.
Les traits de ce Tullianus stylus? Le P. Petau a déjà mentionné la
"noble simplicité », rejoignant les analyses qu'il avait faites dans la
dédicace de son Thémistius. 11 invoque maintenant le naturel (facilitas),
la franchise (candor), la pureté et le poli (elegantiae nitor): cette der-
nière formule suggère un éclat continu qui naisse avant tout du choix
des mots et de la syntaxe, plus que des figures. Il s'agit donc d'un style
qui concilie le dépouillement, la netteté et l'exactitude du sermo hunzilis
avec une noblesse moins rapportée qu'infusée dans la texture même du
discours. Un style propre à l'expression de la «vérité~, et qui lui rende
hommage.
Le P. Petau admet la légitimité du grand style épidictique, grandiora
il/a et magnifica. 11 est clair toutefois qu'à ses yeux le Tullianus stylus,
élégant, noble et économe d'effets, est la pierre de touche du gont oratoire.
Des traces d'influence Iipsienne subsistent dans le vocabulaire: le
candor, le nitor étaient des valeurs recommandées par l'auteur de l'!nsti-
tutia espistolica. Mais le P. Petau élimine les traits les plus caractéristi-
ques du style Iipsien : l'indulgence pour l'obscuritas, et l'obsession de la
brevitas. 11 prend soin d'effacer toute trace de contention et d'affectation
maniéristes en introduisant la notion de facilitas, qui n'est évidemment
pas facilité, mais aisance du naturel.
402 DENIS PETAU

Tout se passe comme si, purifiant l'Idée Iipsienne du meilleur style


de ses accrétions sénéquiennes et tacitéennes, le P. Petau retrouvait
l'Idée du Beau, chère à Bembo. Mais chez lui, il s'agirait plutôt de l'Idée
du Vrai. Comme Lipse, mais aussi comme Muret et Famiano Strada, le
P. Petau fait du judicium la première des trois facultés oratoires. Et en
ce sens il s'oppose aux rhétoriques de la mémoire-imagination, qui de
Richeome à Le Moyne, en passant par Pelletier, semble avoir été la note
dominante de l'esthétique oratoire jésuite sous Louis XIII. Cet accent
mis sur l'imaginati()n et sur les techniques sophistiques de l'ekphrasis,
allait de pair avec le dédain du sermo humilis et avec l'exaltation d'un
grand style où le sublime était confondu avec la surabondance d'orne-
ments.

•••
Avant d'étudier par quels canaux l'influence du " classicisme Petau »
s'exerça, il vaut la peine de s'arrêter sur le chef-d'œuvre du savant jésuite,
les Theologica dogmata, dont quatre volumes in-folio parurent entre
1644 et 1650, et qu'il laissa inachevés 420. Cette ambitieuse synthèse
doctrinale, destinée à effacer l'effet fâcheux de la Somme théologique du
P. Garasse, et à pourvoir l'Eglise tridentine d'un ouvrage de référence
comparable à la Somme de saint Thomas, ne pouvait guère éviter de se
poser la question du meilleur style. C'est en effet, ainsi que le rappelle
le P. Pet au lui-même au L. 1, ch. 7 de son ouvrage, chapitre intitulé De
cultu et omatu theologiae expo/itis artibus ad jung en do, la Renaissance
des Lettres humaines s'était faite en grande partie par révolte contre
le stylus parisiensis jugé barbare des Docteurs scolastiques, et par souci
de rendre à l'expression des vérités chrétiennes la beauté, la simplictié,
et la clarté qui les feraient mieux croire et mieux aimer. Dès le début de
son traité, le P. Pet au s'était déclaré pour un style théologique tenant
compte de cette exigence proprement humaniste du goût. Mais sur son
chemin, il rencontre le vieux débat sur le meilleur style chrétien, et il ne
biaise pas avec lui. A bien des égards, la disputatio in utramque partem
qu'il développe dans ce chapitre De cultu et omatu the%giae 421 res-
semble à celle que nous avons rencontrée chez le P. Carlo Reggio, dans
son Orator Chrêstianus de 1612. C'est le même mouvement de refus chré-
tien des voluptés païennes du style, suivi du mouvement symétrique de
refus, non moins chrétien, de priver la vérité des grâces de la culture, et
donc de l'élégance du style. Entre deux excès, sophistique et barbarie,
une juste mesure doit pouvoir être trouvée, à l'exemple de Cicéron arbi-
trant entre atticisme et asianisme. Bien que le P. Reggio songeât à l'ora-
teur sacré, et le P. Petau, dans les The%gica dogmata, au théologien, la

420 Dionysii Pefavii Aurelianensis eS.}. Theologicarum Dogmutum, Tomus


primus, Lutetiae Parisiorum, Sumpt. Seb. Cramoisy, 1644 (les t. Il, III parurent
également en 1644; le t. IV en 1650).
421 Ibid., t. l, ch. VII: De cuItu ornatuque theologico expolitis urtibus
ad jung en do. Nous citons d'après l'édition Guérin (Bar-le-Duc, 1864-1870).
RÉFORME DE LA RHÉTORIQUE JÉSUITE 403
l'encontre entre les deux auteurs, l'un à Rome, proche du Général de la
Compagnie, l'autre à Paris, au centre d'une Assistance nationale guettée
par la tentation centrifuge des traditions locales, prouve bien que le P.
Petau représente en France le point de vue du centre romain de sa
Compagnie, qui se trouve plus proche, à certains égards, de celui de
l'humanisme érudit gallican, que de celui de beaucoup de jésuites français
influencés par le legs maniériste du XVIe siècle ou par les modes étran-
gères. Cette convergence de point de vue, dans l'ordre du goût rhétorique,
entre une élite gallicane et une élite romaine explique pour une part
l'attraction qu'exerce, sous Louis XIII, la Ville Eternelle sur les érudits
rt les lettrés parisiens qui, par ailleurs, sont souvent hostiles aux doc-
trines ultramontaines et aux Jésuites.
Analysant avec un calme érudit la position des Pères latins et grecs
sur le meilleur style théologique, le P. Petau rappelle tout d'abord le
débat autour de la valeur littéraire des Ecritures Saintes, accusées par
les rhéteurs païens, et entre autres par Celse, de barbarie, et défendues
par l'unanimité des Pères qui distinguent la perle pure des res et la
coquille des verba 422, l'esprit de la lettre, l'intelligence de la langue.
Mieux vaut une vérité grossièrement enveloppée, qu'un mensonge élé-
gamment orné. De là à tirer la conclusion que la théologie doit se conten-
ter d'une forme pauvre et rugueuse, il n'y avait qu'un pas, sur lequel
saint Augustin a retenu la pensée chrétienne, en expliquant, au L. V, ch. 4
des Confessions, qu'une vérité restait une vérité, même si elle empruntait
une forme d'expression brillante. JI y avait d'ailleurs, souligne le P.
Petau, une grande injustice de la part des païens envers les Ecritures
et les premiers Pères: car leurs propres philosophes, d'Epicure à Sénèque,
de Platon à Plotin ont soit professé le mépris de l'éloquence, soit encouru
l'accusation de n'être pas éloquents. En fait un grand nombre de Pères,
entre lesquels saint Cyrille, saint Jérôme, saint Grégoire de Nazianze,
invoquent eux-mêmes l'exemple de saint Paul; quant à Synésius et sur-
tout saint Augustin, dans son De doclrina christian a, ils ont plaidé pour
l'alliance de la théologie chrétienne et de l'éloquence, ou plutôt pour le
recours de la théologie chrétienne à la venus tas eloquii et à la membro-
rum pulchritudo de l'éloquence païenne, réduite à l'état de servante et
captive d'lsraëI 409 • La conclusion du P. Petau est dans le refus des
extrêmes: le théologien ne doit pas recourir aux ornements de l'éloquence
au point de déverser dans son discours l'armoire à parfums (myrothecia)
et la boîte à couleurs (arcula) du rhéteur, et de lui donner l'allure fleurie
de la pompe et de l'ostentation; mais il ne doit pas non plus déshonorer
la vérité, ni en détourner des oreilles devenues délicates, en s'exprimant
grossièrement et absurdement. Le langage technique, à l'exemple de
Cicéron dans le domaine de la philosophie, ne doit pas être interdit au
théologien sous prétexte de purisme cicéronien. En définitive, bien que la
gravité de son sujet lui interdise de s'étendre davantage, le P. Pet au
affirme dans les Theologia dogmata la même doctrine rhétorique qu'il
n'a cessé de défendre dans ses préfaces et ses œuvres proprement élo-

422 Ibid., éd. cit., p. 45.


404 DENIS PETAU

quentes, un atticisme chrétien qui dose avec goût la culture littéraire


nourrie d'Antiquité païenne et la réserve qu'imposent la morale et la
foi, à l'exemple des Pères. Ceux-ci sont la référence ultime du docte
jésuite, mais en quelque sorte une référence globale: l'atticisme chrétien
moderne doit être la fleur du style des deux Antiquités, et non le fruit
de l'imitation servile de tel ou tel Ancien .

•••
Un autre témoignage sur la doctrine rhétorique du P. Petau nous est
apporté dans le volume d'Epistolae publié en 1651 i28.
Cette dédicace, sur un ton d'extraordinaire autorité, était sans doute
insuffisante pour endiguer un courant trop puissant. Le P. Petau, qui eut
le temps de former beaucoup d'élèves, parmi lesquels le marquis de Ver-
neuil et le comte de Moret, dotait du moins ceux-ci, en latin, d'un point
de vue critique, à partir duquel ils pouvaient juger la mode littéraire en
langue française. Cette coexistence à Paris non seulement d'un domaine
néo-latin et d'un domaine vernaculaire, mais d'options esthétiques diffé-
rentes à l'intérieur même du domaine néo-latin, exclut que l'on puisse
ramener à un commun dénominateur - par exemple, le «baroque» -
l'extrême complexité de la situation littéraire sous Louis XIII. Quant à
expliquer les contradictions qui se font jour à l'intérieur du Collège de
Clermont à cette époque, il faut toujours en revenir à la doctrine de
l'imitation à deux, voire à trois étages: la position « cicéronianiste» du
P. Petau est d'autant plus forte qu'elle s'appuie sur la lettre de la Ratio
studiorum, sur les mandements du Général Acquaviva, et sur la doctrine
de l'imitation à plusieurs étages elle-même, qui recommandait Cicéron
comme le maître de l'enfance. C'est de générations formées à cette disci-
pline qu'il maintint contre le P. Caussin, que le P. Petau attendait une
réforme du goût, franchissant les limites de la classe de rhétorique pari-
sienne pour gagner le "monde », et l'ensemble des Collèges de l'Assis-
tance de France.
On en tient la preuve dans le volume d'Epistolae qui, complétant la
trilogie humaniste du docte jésuite, fut publié en 1652 .


••
Remarquons tout d'abord tout ce que ce recueil nous révèle de la
place conquise par ce jésuite dans la République des Lettres gallicanes
et européennes. Si le P. Le Moyne pouvait, dans son recueil d'Entretiens

423 Episto/arum libri tres, Paris, Cramoisy, 1652 (p. 282-287). Un des traits
qui caractérisent les Jésuites érudits est leur spécialisation dans la prose latine
écrite. Le P. Petau n'exerça semble-t-i1 jamais la fonction de condonator
(prédicateur), et il est probable que ce fut le cas du P. Fronton du Duc et du
P. Schott.
RÉFORME DE LA RHÉTORIQUE JÉSUITE 405
et Lettres poétiques de 1645, faire la preuve de la faveur accordée à un
Jésuite dans les milieux cultivés de Robe, à plus forte raison, et bien
avant lui, le P. Petau pouvait se féliciter d'avoir acquis droit de cité
chez les doctes robins à son art néo-latin, et à son érudition. En effet, outre
l'estime que supposaient pour lui, dans la Grande Robe parisienne, les
épîtres dédicatoires au Premier Président Nicolas de Verdun, au Premier
Président de la Chambre des Comptes Jean de Nicolaï, au Garde des
Sceaux Guillaume Du Vair, au Président Pierre Séguier, on comptait
parmi ses correspondants non seulement l'élite de l'érudition romaine, un
Jérôme Aléandre, un Lucas Holstenius, l'élite de l'érudition jésuite, les Fla-
mands Andreas SchoH et Jean Bolland, l'Allemand installé à Rome Atha-
nase Kircher, mais aussi et ~urtout, du paint de vue qui nous occupe, un
Nicolas Bourbon, et son cercle, d'où était partie l'attaque de François
Ogier contre Garasse. François Ogier lui-même. et le romte d'Avaux, fins
lettrés de tradition gallicane, comptaient parmi les amis du P. Petau.
Figuraient enfin dans le volume deux élèves du P. Petau, Roland Des-
marets et François Vavasseur.
Directement liées au rôle joué par le P. Petau dans l'histoire de la
rhétorique en France, sont les lettres du savant Jésuite au P. Andreas
Schott et au P. François Vavasseur.
Le P. Schott, aussi singulier dans la Province f1andro-belge que le
P. Petau l'était en France, se trouve épargné, avec le P. Sirmond et le
P. Fronton du Duc, par l'impitoyable verve anti-jésuite de Joseph-Juste
Scaliger 424. En dehors de ses nombreuses éditions et commentaires éru-
dits, il était l'auteur d'un pamphlet intitulé Cicero a calumniis vindica-
filS 425 qui marque un moment essentiel, avec les Prolusiones du P.

4U Voir Scaligerana, éd. cit., passim. L'acribie érudite de Scaliger lui fait
placer au-dessus de toute autre qualité d'esprit le genius (p. 55, 64, 324), à
la fois ingenium naturel et judicium formé par une culture philologique solide.
Les Jésuites, dont le type est le P. Coton, sont des «bavards », des «cour-
tisans », des « fous ». II excepte de ce jugement Andreas Schott (p. 173), Phi-
lippe Labbe (p. 193) et Fronton du Duc (p. 97): «Honestissimus jesuita ...
Omnes Senatores Parisienses amant Ducaeum.:> On peut étendre ces excep-
tions à Sirmond et Petau, tous deux appréciés de la Robe érudite parisienne.
Voir également, p. 89, le jugement sur Del Rio, et p. 169-173 la philippique
contre les Jésuites en général.
425 Cicero a calumniis vindieatus sive Tullianarum quaestionum ... libri V,
suivi de Favoni EltlO?,i Cart ho?,. in Cie. Sommium Scipionis Disputatio, Anvers,
1613. Dédié au Général Acquaviva., et écrit sur sa commande (le horlante).
L'objet du livre, selon cette dédicace est de combattre le antiquatum penit us
ct obsoletum dieendi ?,enus qui sans choix (de/eetus), sans jugement (judicium
depravatum), imite à tous vents. D'où une oratio obscura et tenebricosa. POi'r
combattre cette survivance gothique, il faut revenir à Cicéron et aux aurei
ejusdem sa ecu li su/J Augusto seriptoribus, Caesare, Sailustio, Livio, Fabio, ae
Terentio purgalo. Ce n'est que sur ce fondement solide qu'on peut se hasarder
plus tard à aborder des auteurs plus tardifs, mais avant tout pom la copia
rerum et la scientia. La plana et jueunda oralio cicéronienne doit rester la
norme du style. Cette position de Schott, conforme à l'idéal de la Ratio, avait
donc le plein appui de Rome. Les Jésuites belges en général, et encore plus
les jésuites espagnols, avaient bien besoin de ces obj)lrgations.
406 DENIS PETAU ET FRANÇOIS VAVASSEUR

Strada et les Orationes du P. Petau, dans la réaction cicéronianiste jésuite


contre les excès de l'il1litatio odlllfa dans la Compagnie, spécialement
dans des Assistances du Nord de l'Europe, soumises à l'influence espa-
gnole. Sans rompre avec la notion d'imitation «adulte », le P. Schott
prenait soin d'insister sur le fait qu'elle n'avait de sens qu'à partir de
l'imitation assidue de Cicéron, et gouvernée par un jUdicium que Cicéron
avait seul aiguisé. C'était en somme rappeler les positions de Upse dans
l'Episfolica institufio, mais avec un accent polémique qui en modifiait
quelque peu les valeurs; Upse, sûr de ses assises cicéroniennes, insistait
sur la phase libre et adulte de l'imitation des Anciens; Schott, effrayé
par le libertinage stylistique qui s'autorise de l'autorité de Upse, insiste
sur la nècessité de bases cicéroniennes solides. Et comme les anti-cicéro-
niens se justifient aussi en attaquant les mœurs et la doctrine de Cicéron
(on en a un bon exemple chez Montaigne) 426, l'érudit jésuite s'applique
à défendre l'honneur de l'Arpinate.
L'amitié entre le jeune Pet au et le P. Schott, qui se donnent mutuelle-
ment des nouvelles de Hugo Grotius et de Lucas Holstenius 427, témoigne
de la résistance d'une élite érudite jésuite, dès le début du siècle, et
même dans le Nord de l'Europe, aux tendances des jésuites rhéteurs, en
Espagne, en Flandres et en France, à interpréter la leçon de Upse dans
le sens d'une sophistique chrétienne, prenant modèle sans scrupules
l'xcessifs sur l'art épidictique de l'Antiquité tardive, voire sur l'art des
écrivains modernes en langue vernaculaire.

*
••
Les lettres du P. Petau au P. Vavasseur, son cadet et son disciple,
s'échelonnent de 1628 à 1644 428. Elles montrent que le grand érudit se
donnant à Paris le rôle que Marc Antoine Muret avait joué à Rome un
demi-siècle plus tôt, avait pris soin de l'avenir, et formé à son école un
Francesco 8enci français. Ces lettres révèlent en effet un véritable travail
de direction intellectuelle, qui prend une forme épistolaire lorsque le
P. Vavasseur se trouve exercer les fonctions de régent à Alençon et à
Bourges. Les conseils empruntent volontiers le tour de l'éloge, destiné
à stimuler le zèle du jeune homme. Le P. Petau félicite son disciple de
son « bon goût naturel» (elegans ingenillm), de son jugement (judicium),
de l'extrême justesse de son discernement critique 429. Il travaille à porter

426 Sur Montaigne et son hostilité à Cicéron, voir R. Fromilhague, «Mon-


taigne et la nouvelle rhétorique», dans Critique et création littéraires au XVI/'
siècle, ouvr. dt., p. 55-67.
427 Epistolarum libri, éd. cit., p. 282-287.
428 Ibid., p. 307-328.
429 Ibid., p. 320-321. On saisit ici la consonance entre le jugement critique
de l'érudit, aiguisé par la méthode philologique telle qu'elle est alors pra-
tiquée (emendatio et restilufio des textes antiques) et le jugement critique
de l'écrivain, attentif au choix des mots, à leur économie et à la plus grande
propriété expressive. Pom le P. Petau, l'érudition e~t la propédeutique du goût
littéraire. (V. Scaligerana, ouvr. dt., p. 34-42-235 sur l'atticisme de Muret).
RÉFORME DE LA RHÉTORIQUE JÉSUITE 407
ces qualités à leur perfection. Les conseils de style qu'il prodigue à son
disciple sont aussi des conseils d'ascèse intellectuelle. En avril 1629, il
lui demande de corriger un défaut qui persiste encore dans sa prose:
Tu auras obtenu un grand résultat, lui écrit-il, si tu baisses d'un ton
ce qui subsiste ici et là de grandiloquence, et si tu travailles à conquérir
le poli et l'inimitable simplicité cicéroniens 430.

Le bon goût cicéronien tel que l'entend ici le P. Petau est une conquête
du judicium sur la phantasia ; il veut une clarté polie dont la réussite,
l'originalité inimitable, sont justement la défaite de la subjectivité, une
victoire de l'universel. En 1643, le P. Petau précise en d'autres termes ce
0/: bon goût de l'Antiquité », fidèle à l'idéal cicéronien de la Renaissance:

Il convient, écrit-il, que les poètes soient d'abord latins, c'est à dire
qu'ils aient une diction châtiée et pure, retrouvant le poli exact de l'Anti-
quité, tel qu'i! se voit chez Catulle et Lucrèce, que tu sembles imiter sur-
tout, mais aussi chez Horace, et chez ceux, s'il en est d'autres, qui ont
les grâces du latin en sa fleur 431.

Chez le P. Petau, helléniste acompli, la fleur de la latinité est fille


du génie romain et du génie attique, et elle est contemporaine de Cicéron
et d'Auguste. Le terme qu'il emploie pour désigner la vertu suprême, en
prose et en poésie, de cet atticisme, c'est nitor. Ce n'est pas seulement
clarté, au sens de transparence, c'est aussi la surface lisse et polie de
l'onde, où rien ne scintille ni éblouit, mais où tout reflète calmement
l'ordre divin de la vérité et de l'esprit purifié qui le contemple.
Nous sommes ici dans un des laboratoires du plus pur classicisme.

2. LE PROGRAMME DE RÉFORME DU P. FRANÇOIS VAVASSEUR

Le P. Vavasseur ne trahit point son maître. En 1646, il publiait à son


tour, chez Cramoisy, ses propres Orationes, où se fait entendre le même
accent réformateur dont le P. St rada avait donné l'exemple à Rome, et le
P. Petau à Paris. Ces Orafiones, prononcés lors de la séance inaugurale
de l'année scolaire, s'échelonnent entre 1629 et 1636 ; elles sont contem-
poraines des « Lettres de direction» du P. Petau à leur auteur. Dès l'en-
trée du livre, le P. Vavasseur manifestait sa répugnance pour les excès
du genre épidictique : point de dédicace pompeuse à quelque Grand, mais
un simple et sobre avis erudito leclori.

430 Ibid., p. 310. Le primat du judicium entraîne la dépréciation de l'ima-


gination, du style de l'imagination.
431 Ibid., p. 326. Nilor chez le P. Petau s'oppose, à notre sens, au «scin-
tillement d'étoiles », à l'étincellement de «gemmes» chantés par le P. Josset.
C'est la notion clef d'un atticisme cicéronien, par opposition à l'atticisme séné-
quien du rhéteur de Limoges, d'un style simple, mais élégant et pur, par
opposition à un style moyen et orné en toutes circonstances.
408 FRANÇOIS VAVASSEUR

Dès cette introduction, le P. Vavasseur s'exprime avec une vigueur


qui ne craint nullement de choquer. Il parle à la première personne, garan-
tissant ses vues de sa propre autorité (ex mea sensu), mais cette première
personne n'a rien de subjectif j elle ne s'affirme avec tant de relief que
pour porter plus fermement témoignage de la vérité (tanquam si a teste
veritas exigeretur). Adossée à celle-ci, el1e échappe au sort de ceux qui
flottent incertains d'opinion en opinion, qui en toutes choses soutiennent
à la fois le pour le contre, et qui affirment avec d'autant plus d'opiniâtreté
ce dont ils sont le moins sûrs.

Cruel portrait des rhéteurs jésuites français qui depuis le P. Caussin et


sa doctrine confuse, n'ont cessé d'osci\ler entre l'asianisme sophistique et
la sévérité c borroméenne :..
L'enseignement du P. Vavasseur, soucieux d'en revenir à une doctrine
à la fois simple et acceptable par tous, est fondé sur deux principes.
Le premier veut que
la forme et figure du discours soit une, et appartenant à un seul,
comme un tissu et une contexture d'après laquelle l'écrivain ou l'orateur
soit reconnu père et auteur légitime de son œuvre. De même que l'on
reconnaît facilement quelqu'un à sa démarche, et même au son de sa
voix, même si l'on ne l'aperçoit que de dos, ou que l'on n'entend pas
distinctement ses paroles, de même la prose, s'écoulant librement, et à un
niveau toujours égal, si elle ne varie pas au hasard, et n'est pas troublée
de propos délibéré, ni mêlée de plusieurs sources, révèle son auteur, et
ne le laisse pas inconnu, de ceux du moins qui s'approchent de l'œuvre
avec quelque capacité de jugement.

Et le p, Vavasseur, au nom de ce principe d'unité et de simplicité,


condamne le rapiéçage ostensible des fragments empruntés de divers
auteurs, et la juxtaposition visible de divers styles dans un même discours.
Il faut arriver, par une transfusion dans sa propre substance, à se forger
un style « propre, natif et domestique~, qui reste fidèle à lui-même, dans
le même registre distinctif de son auteur (uno tenore).
Le second principe découle du premier: pour atteindre à l'unité et à
la continuité d'un style personnel, il faut se donner un seul modèle, une
seule référence idéale: l'œuvre de Cicéron. Ce retour à Cicéron suppose
que soit levée l'hypothèque qui depuis Montaigne et surtout Lipse pèse sur
le Pater eloquentiae latinae. Déjà, à l'occasion du premier principe, le
P. Vavasseur avait lancé quelques pointes en direction de l'auteur de
l'Institutio epistoUca. La marquetterie de citations dont plusieurs de ses
œuvres sont composées, l'imitation « adulte» et éclectique qu'il conseille,
avaient été vigoureusement stigmatisées au nom du principe d'unité
organique. Maintenant, le P. Vavasseur s'attache à réfuter l'idée Iipsienne
que l'atticiste Brutus, si la plupart de ses œuvres n'avait pas disparu,
serait un modèle mei\leur que Cicéron, trop abondant, trop luxuriant,
trop influencé par le style rhodien. Or Cicéron, loin d'être ennemi de
l'atticisme bien compris (c'est-à-dire étranger à la pauvreté laconique)
RÉFORME DE LA RHÉTORIQUE JÉSUITE 409
en est le maître véritable. Il est ridicule de le réserver aux seuls enfants,
pour que, s'en dégoûtant mieux, ceux-ci se hâtent dès qu'ils le peuvent
de s'en détourner pour errer en liberté. Cicéron est le guide de l'âge
adulte, et non de l'enfance. Seule la maturité du goût peut comprendre
et imiter la justesse judicieuse avec laquelle, tout en restant lui-même,
il sait doser son style selon le sujet, les circonstances, et le public. Le
culte de la brièveté, répandu par Upse, est une monotone facilité, si on
le compare à la justesse sensible et à la souplesse de la prose cicéronienne.
Seul Virgile peut lui être égalé, dans cet art d'être à la fois toujours fidèle
à soi-même et toujours à la hauteur de ce qui se présente. Encore que
l'imitation de Cicéron soit plus difficile que celle de Virgile: car Cicéron
est la nature même, que les préceptes ne sauraient enseigner; alors que
l'art de Virgile dépend en quelque mesure des préceptes. Il est donc faux
d'enseigner que l'imitation de Cicéron doit être réservée aux seuls enfants.
Au contraire, le P. Vavasseur va jusqu'à soutenir, dans sa péroraison,
qu'il faut retourner la notion d'imitation à deux étages; le grand style
oral de Cicéron, celui de ses discours publics, devrait être l'objet de
l'imitation adulte; dans les écoles au contraire, il faut enseigner essen-
tiellement le style attique, c'est-à-dire un sermo humilis élégant et écrit.
Ce «minimum vital» de l'éloquence ne sera donc ni un compromis,
ni un éclectisme: ce sera un point de départ commun à tous, qui laissera
à chacun la liberté de découvrir les richesses de Cicéron et de s'élever
à son exemple au grand style. Le P. Vavasseur, comme son maître Petau,
ne fait guère de place au style moyen, et établit la nouvelle gamme
d'éloquence cicéronienne entre le style attique, la simplicité noble et pure
de la prose écrite et le style sublime de l'éloquence orale .


••

Le caractère proprement « révolutionnaire» de cette préface, l'excep-


tionnelle vigueur et netteté de ses formules, laissent présumer que les
Orationes elles-mêmes ne décevront pas. De fait, à les lire en se souve-
nant qu'elles sont contemporaines, à peu d'années près dans un sens ou
dans l'autre, des Parallela du P. Caussin, du Palatium Eloquentiae du P.
Pelletier, et des Peintures morales du P. Le Moyne, on est bien obligé de
renoncer aux confortables chronologies répandues par les simplificateurs.
Il faut constater que des hommes apparus à la même époque, dans le
même pays, et au surplus dans la même Société réputée homogène, sinon
totalitaire, ne vivent pas à la même heure historique, et ne subissent pas
au même degré la pression du milieu et du moment. Les Orationes du
P. Vavasseur représentent un acte de rupture consciente et volontaire
avec le courant majeur de sa Société en France. Les Exercices spirituels
cessent pour ce Jésuite d'être la rhétorique profonde et cachée au sens
où ils l'étaient jusque-là pour ses collègues. Si l'esprit de purification
et de choix volontaire en subsiste, c'est seulement, et au prix d'une méta-
410 FRANÇOIS VAVASSEUR

phore, sous la forme d'une ascèse du style. L'éloquence sacrée cesse


d'être pour cet ecclésiastique la norme ---ou l'alibi - d'une rhétorique
enthousiaste et imaginative mais peu judicieuse: il n'y a plus qu'un
«meilleur style~, carrefour et point de départ de toutes les formes et
de tous les degrés d'éloquence.
Pour parler aussi haut, il fallait que le P. Vavasseur se sentît soutenu
non seulement par le P. Pet au, mais par les autorités romaines, et qu'il
crOt défendre les intérêts supérieurs de sa Société. En tout état de cause,
son acte, replacé à sa date, suppose une personnalité peu commune, capa-
ble de surmonter la pesanteur des conformismes. Le trait qui frappe dès
l'abord, dans l'ensemble de ces Orationes, c'est le prodigieux amor
pafriae que proclame ce Jésuite, la sincérité ardente de sa foi en la
France comme destinée à devenir, après la Grèce et Rome, la troisième
nation «classique ». Son ardeur réformatrice prend des accents d'indi-
gnation au spectacle des clercs français qui trahissent cette vocation, et
elle s'élève au sublime dans les appels lancés à la jeunesse qui l'accom-
plira. On s'en souvient, au seuil du pontificat de Grégoire XIII, Marc
Antoine Muret, au nom du patriotisme d'Eglise, avait lancé à la jeunesse
romaine un appel analogue. Chez le P. Vavasseur, l'Eglise semble s'être
incarnée dans une nation particulière, mais à vocat!on universelle, et à
l'invocation au Pontife fait place l'invocation au Roi de France. Le pre-
mier discours du recueil est un panégyrique de Louis XIII 432, dont les
victoires dans l'ordre des armes créent l'élan dynamique qui suscitera
d'autres victoires dans l'ordre des Lettres. Le cinquième discours, Delphini
horoscopus, annonce avec ferveur la grandeur du règne du futur
Louis XIV, qui portera à son terme ce que les victoires de son père ont
préparé pour lui.
La majesté du royaume de France, s'écrie le P. Vavasseur, qui par
son immensité, sa durée et la gloire de son nom a le pas sur les autres
puissances de la terre, élève l'enfant Louis très au-dessus des rois étran-
gers, sans contestation possible 433.

432 F. VavassorÎs s.j. Orationes, Lut. Paris. S. et G. Cramoisy, 1646, OratÎo


prima, nov. 1629, p. 1. Voir, dans le même genre, les Pa/legyrici Flexienses
Ludovico XIII du P. Cellot, publiés à La Flèche en 1629; prononcé au moment
où Séguier sévit en Normandie contre les Nuds Pieds, le Ludovico XIII... ob
Galliam Virgini consecratam Justo Magno Pio du P. Louis Maimbourg, l'a été
au Collège de Rouen en nov. 1639 et fut publié l'année suivante; du même,
dédié à Tanneguy Séguier, De Galliae Regum excellentia ad il/ud D. Gregorii
Magni quanto caeteros homines Regia dignitas antecedit tanto caeterorum
gentium Regna Regni Franciae culmen excedit, panegyricus, prononcé au Col-
lège de Rouen en déc. 1640, publié l'année suivante. L'originalité du P. Vavas-
seur n'est pas dans l'intensité du culte rendu à la Couronne, mais dans le lien
qu'il établit entre la grandeur de celle-ci et un idéal classique d'éloquence, imité
de l'âge augustéen.
433 Ibid. Oratio quinta, octobre 1638, p. 171. Sur les divers collèges où
fllrent prononcés ces discours solennels, et sur la carrière du P. Vavasseur,
voir Southwell, p. 263-264.
RÉFORME DE LA RHÉTORIQUE JÉSUITE 411

Ce recueil forme donc un tout, où la majesté royale française et la


grandeur de la France servent à la fois d'horizon et de justification ultime
fi une « réforme intellectuelle et morale» dignes d'elles. Dans la seconde
Oratio, intitulée Qua re potissimum et quoniam viri litterati ab illitferatis
differunt, le P. Vavasseur associe l'avenir de l'humanisme à celui du
grand royaume à qui Louis XIII a commencé de rendre la première place
en Europe. Muret n'hésitait pas, dans ses apologies des litferae huma-
niores, à faire briller aux yeux de la jeunesse studieuse les belles carrières
qu'elles lui ouvraient. Le P. Vavasseur est beaucoup plus à l'aise encore
pour vanter les traditions du Royaume de France, où les Lettres ont depuis
toujours, et aujourd'hui plus que jamais, bénéficié d'honneurs et de
récompenses qui ne le cèdent qu'à ceux dont Rome et Athènes, en leur
Age d'or, ont couvert leurs propres lettrés. Après les savants Druides,
maîtres de la Gaule pré-romaine, après les Massiliens, chez qui se réfugia
la culture grecque, après la grandeur de Lyon sous l'Empire romain, de
quelles faveurs les Rois de France, depuis Charles Martel et Pépin-Ie-
Bref, ne récompensèrent-ils pas les lettrés? Et aujourd'hui, quel zèle,
jusque dans les classes inférieures de la société française, pour les
Lettres? Car, s'écrie l'orateur,
en quel pays accorde-t-on de plus grandes récompenses aux savants
qu'en France? Où leur décerne-t-on autant d'honneurs? Autant de privi-
lèges ct d'exemptions de toutes sortes? Chez nous, les Rois, les François,
les Charles, les Henri, les Louis ont accordé de belles pensions annuelles
aux philosophes, aux poètes, aux historiens, aux épistoliers même. Che?
nous l'on a établi des revenus fixes et à vie (certam mercedem et per-
petuam) pour les Docteurs en sciences tant profanes que sacrées. Chez
nQ!IS des femmes même (mulierculis) parce qu'elles avaient lin peu plus
de savoir que les autres, ne se sont pas vu refuser le prix de leurs veilles.
Et lorsqu'il arrive que les ambassadeurs à l'étranger ne sont pas des
savants (eruditionis expertes), ... ils compensent cette faiblesse par leur
heau naturel (ingenium), leur prudence, leur grandeur d'âme, ... lem expé-
rience des choses 434.

Et telle est la passion des lettres et des sciences chez les Français,
que privés même d'espoir de récompense, ils s'y adonnent avec une fer-
veur digne de l'Antiquité.
Ce beau naturel, ce zèle, ne sauraient se contenter de la médiocrité.
Aussi dans sa troisième Oratio, intitulée Pro vetere genere dicendi contra
novum, le P. Vavasseur propose aux jeunes Français de se libérer de la
«corruption de l'éloquence », et, portant à son terme l'œuvre de la
Renovatio litterarum, de faire de leur pays la citadelle de la belle latinité,
et de garantir sur cet or antique la valeur de leur langue et de leurs
lettres nationales.
Sa longue harangue, à la fois lucide et enthousiaste, offre une critique
radicale des erreurs passées et un programme d'avenir. Elle s'appuie sur
un postulat que le P. Vavasseur emprunte à Jules-César Scaliger, qui avec

43t Ibid .. p. 65-66.


412 FRANÇOIS VAVASSEUR

son fils joseph-juste était l'oracle de l'élite érudite gallicane: il y a


dans chaque langue un commencement grossier, une acmê, et une dégéné-
rescence. En Grêce, l'acmê se situe à l'époque des quatre grands orateurs
attiques: Eschine, Démosthène, Lysias, Isocrate. A Rome, elle se situe
au temps de Cicéron, de Virgile et d'Horace. C'est seulement dans la
mesure où l'imitation des Français se portera sur ces deux périodes de
plénitude et sur elles seules qu'un « miracle français» 433 pourra s'ajouter
au «miracle grec» et au «miracle romain ».
Un second postulat, non moins familier aux humanistes de tradition
française, vient étayer le premier: si la langue et les lettres latines sont
exemplaires, c'est qu'elles ont prouvé une première fois que l'imitation des
grands modèles, grecs en l'occurrence, pouvait susciter un second «mi-
racle ». Et le P. Vavasseur de faire le bilan de la Renaissance: le suc.:ès
de celle-ci se révèle au fait qu'aujourd'hui la langue latine est de nou-
veau parlée dans le monde entier. Mais cette réussite en extension a été
payée d'une baisse de qualité. Laissons à part les zones que cette Renais-
sance latine n'a pas ou peu touchées: les femmes, le monde hispanique 436.
Même là où l'on parle latin, c'est de façon utilitaire, comme une sorte
de « bas latin» d'usage. Ou encore, on l'écrit de façon servile, en alignant
des formules extraites toutes crues des auteurs anciens. Est-ce là un
exemple, une source vitale pour les langues vernaculaires?
Il Y a pire: ceux qui enseignent le latin, ceux qui sont donc les
gardiens du trésor humaniste, donnent l'exemple de la «corruption de
l'éloquence ». Ici, sans forcer le terme, on peut parler d'une véritable
« autocritique» des jésuites français par la bouche de l'un d'entre eux.
Ceux qui auraient dû se montrer des maîtres se comportent en novatores :
N'est-il pas vrai que nous nous laissons entraîner à des viccs tout
opposés (au bon goût de l'Antiquité)? Que nous les répandons à notre
tour? Que nous les imposons sous le nom de vertus? Quoi de plus vicieux
en effet qu'un orateur enflé de mots démesurés, et de pensées ampoulées?
C'est pourtant ce que nous sommes. Ou qu'un orateur cherchant inlassa-
blement à piquer avec de vains traits pointus (Ievibl/s stiml/lis aCl/minl/m),
comme avec de petits poignards, et avec des pensées mignardes et creuses
(inanibus sententiolis)? C'est pourtant ce que nous sommes. Ou qui va
à l'aventure, se donnant licence de multiplier' les descriptions, de tous
côtés (ql/aquaversus), sans fin, avec ou sans prétexte? C'est ce que nous

435 Ibid., p. 129. ln aetate autem nostra, qui ad supremum tato nescio quo
rei literariae devenimus, una omnia aetatl/m omnium vitia haesisse ... Degene-
ravit optimus orationis habitus in tumores, in hyperbolas ... A quoi s'est ajoutée
la passion des aCl/te dicta, des sententiae, puis la protusa luxuries descrip-
aonum, puis la licence individuelle qui renouvelle la barbarie gothique. Et le
P. Vavasseur de faire appel à l'héroïsme d'une élite pour résister au flux
universel de la mode et rendre tout son prestige au bon goût de la belle
Antiquité.
436 Ibid., p. 102. Il célèbre d'abord la grandeur de la Renaissance, que
l'expansion de la Compagnie de Jésus a parachevée (Quis loCl/S tam remotus...
ubi audita hodie vox romana non sit? Europam ... Asiam ... Atricam ... , Ameri-
cam ... ). Mais: usus Latini sermonis totus penes viros est ... Et nihil esse quid-
quam tam Hispano homini Quam latinum sermonem contrarium ...
RÉFORME DE LA RHÉTORIQUE JÉSUITE 413

sommes. Qui n'a aucune boussole en matière de style, aucune régularité?


C"e3t ce q:.;e nous fOnlt11,'S -137.

Et point par point, le P. Vavasseur revient sur ces trois symptômes


de la « corruption de l'éloquence» : l'enflure, le désordre de la composi-
tion, et l'éclectisme stylistique.
L'enflure, l'inflatio verborum? C'est une trahison de la nature au
nom de l'art mal entendu. Or la nature est «droite» (recta), simple
(simplex), bien proportionnée (temperata), elle a horreur de ces discours
gonflés comme des abcès ou des bosses, et qui ont l'air de monstres
engendrés par des géants. Quelle peut être la nature intime de celui dont
la méthode oratoire est de ne parler de rien sans colère, indignation,
menace, orgueil, vanterie? N'y aurait-il dans la nature que des lions et
des éléphants? Il Y a place aussi pour des fourmis et pour des puces!
Quel ridicule de voir des nains, imitant la haute taille des plus grands,
emboîter leurs vastes traces? Ou de voir des enfants se mettre aux
pieds des chaussures d'adultes? Il n'est pas moins grotesque d'habiller
des choses de peu de poids et de prix avec des mots ambitieux, et de les
exagérer à grand bruit. Qu'en résulte-t-i1, sinon une arrogante inanité
sonore (inanem vocum elationem), redoublée par le faste insolent des
traits (sententiarum) et des hyperboles? Pour comble, ces Matamores 438
s'échinent à « soutenir avec tant d'aplomb et de persévérance les invrai-
semblables mensonges qu'ils multiplient, qu'ils semblent toujours porter
témoignage, et toujours vouloir prêter serment à coup de pointes (concep-
lis verbis dejurare) » 439.
Il y a donc là un triple déséquilibre: moral (incapacité à la compositio
animi), esthétique (désaccord entre les choses et les mots), intellectuel
(incapacité, par excès d'imagination, de voir et faire voir le vrai). D'où
peut-il bien provenir, puisqu'il n'est point dans la Nature, ni à plus forte
raison dans le naturel des Français? C'est une maladie espagnole. C'est
d'Espagne que le matamorisme oratoire s'est communiqué à l'Italie et à
la France. C'est d'Espagne qu'il s'était déjà communiqué à la Rome
impériale, sitôt disparus les Cicéron, les Virgile et les Horace, par le
canal des deux Sénèque, de Lucain et de Martial. Et en France, c'est
du Sud-Ouest, perméable à l'influence espagnole par la longue fron-
tière pyrénéenne que le matamorismes'est répandu dans le reste du
royaume 440.

437 Ibid., p. 106-107.


438 L'ekphrasis de la p. 108 renvoie au style «enflé» qui est généralement
alors allégorisé sous le nom de Thrason (Ogier, dans le Jugement de Garasse)
ou de Matamore: v. notre étude citée sur l'allégorisme dans la critique litté-
raire au XVII' siècle.
439 Ibid., p. 109. Fine critique du style de Malvezzi. où chaque «pointe:.
sentencieuse compte sur son propre aplomb, et sur sa force d'affirmation pour
se faire passer pour «vraie ».
44Q Ibid., p. 110: Nostrae Galliae pars, quae C/lm Hispania confinens est...
Le combat contre gasconnismes et gasconnades a été, rappelons-le, mené par
d'Aubigné, dans son Baron de Faeneste (1617), mais surtout par Malherbe.
414 FRANÇOIS VAVASSEUR

Encore n'est-ce là qu'une maladie grossière du langage (vitiati sermo-


nis genus rusticanum). Il y a plus pervers. Une autre race d'orateurs,
convaincue d'une fausse sagesse, s'imagine qu'il n'y a rien de mei\leur que
les traits (acute dicta) et les pointes (sententiae) qu'ils accumulent dans
leurs écrits. Maladie qui a poussé en France des racines d'autant plus
profondes qu'el1e se donne pour la manifestation par excel1ence de 1'« es-
prit» (ingenium). Ses conséquences sont désastreuses. D'abord, pour
réussir ces argutiae dont on fait ses délices (deliciolas suas), on est prêt
à se servir des mots et des tours les plus corrompus (ver bis ... et dictio-
nibus pravatissimis) 441. Ensuite, cette manie conduit à sacrifier la
période (ambitus) et la liaison des mots (comprehensio) qui fait le mérite
essentiel du discours: pour mieux sertir les pointes, il faut briser la
période et faire de ses parties autant de phrases coupées dont aucune
n'accepte, pour composer un ordre naturel (orbem, ordinem), de céder la
première place (signifer, dux) aux autres! Le résultat de cette accumu-
lation de jeux d'esprit (acumina) ? Le sens est brisé, affaibli, et la dignité,
le nom même d'orateur s'effacent et disparaissent. Pour compenser cette
perte d'autorité, il faut donc multiplier les arguments «pointus », et
faute de raisons solides et logiques, tomber dans le spécieux, le futile et
le vain. Et comme la contention nécessaire pour concevoir ces .. pointes»
épuise l'esprit, il est condamné à les chercher toujours plus loin du solide,
du vrai et du naturel: ce ne sont plus des pointes, mais des traits froids
(perfrigida), obscurs, qui n'excitent plus que le rire. Sur dix pointes,
une seule est tant soit peu réussie: le reste échappe à l'attention de
l'auditeur, ou donne la nausée au lecteur. A supposer même que toutes
soient réussies, que la clarté résiste à l'obscurité (tenebricosa lucem obti-
nere), que la solidité du sens ne le cède pas à la légèreté, la monotonie
du procédé engendre un insupportable ennui. Pas un instant de répit,
ni de détente. Un corps est-il composé seulement d'yeux? Ou seulement
de nerfs? Ou seulement de muscles?
Entre ces modernes adeptes du style pointu et coupé, et les Anciens,
que1le différence! Pour les modernes, toute l'éloquence s'est résumée
dans ces soleils (soles), lumières (lumina), pointes (acumina). Pour les
Anciens, trois styles, traités chacun selon leur dignité, la pointe étant
réservée au plus humble d'entre eux. Les Grecs et les Latins de haute
époque s'abstinrent de cel1e-ci, même dans l'épigramme. Il fal1ut un
Martial pour consacrer une vie entière à ces vaines subtilités. Nous,
fidèles à la leçon des meilleurs Anciens,
nous qui savons que la nature produit sans ce grand effort, et que
l'art doit l'aider, et non lui imposer un surcroît de difficulté, renonçons
plutôt à la nature, si nécessaire, et à l'art, plutôt que d'aboutir à un si
piteux résultat de nos efforts 442.

441 Ibid., p. 112.


442 Ibid., p. 116.
RÉFORME DE LA RHÉTORIQUE JÉSUITE 415

Et le P. Vavasseur en vient aux derniers symptômes de la corruption:


J'abondance des descriptions et leur minutie qui descend au plus infime
détail; l'incapacité à s'en tenir à une règle constante d'écriture: «d'un
discours à l'autre, voire dans un même discours », les nouveaux déclama-
teurs «se battent contre les Anciens, contre leurs contemporains, et
contre eux-mêmes:.> 443.
Cet éclectisme, ce culte de la variété virtuose passent pour des mérites
glorieux. C'est que les nouveaux sophistes, qui connaissent la vérité,
croient lui rendre hommage alors même qu'ils la trahissent. Ils savent le
prix de la santé du discours: ils la confondent avec une enflure qui
l'imite, et qui pourtant la nie. La force? Ils la confondent avec les
pointes, qui l'imitent et qui pourtant la ruinent. La beauté? Ils s'imaginent
la servir avec de belles descriptions. La convenance? Avec l'inégalité du
style, et la variété.
On pourrait pardonner à des enfants cette perversion inconsciente de
la vérité. Elle est révoltante autant que grotesque chez des maîtres, et
qui plus est des maîtres d'éloquence latine, il qui revient le devoir de
montrer l'exemple, de dicter le droit. Loin de remplir cette haute tâche,
ils se sont mis à la remorque des jeunes écrivains en langue vernaculaire,
elegantorum et politorum secta ae natio 444. Et au lieu de ramener vers
l'origine latine ces écrivains modernes, en leur montrant l'exemple d'une
imitation féconde des Anciens de haute époque, ils ont mis leur éloquence
latine à l'école de ces novatores ! Ceux-ci sont excusables. Les régents
d'éloquence latine ne le sont pas. Si les clercs trahissent, d'où couleront
vers les modernes les « sources grecques et latines» ? Les jeunes écrivains
français ont cru bien faire en nourrissant leur langue de mots trop riches,
de traits trop brillants, de descriptions trop fleuries. Mais comment cette
langue atteindra-t-elle son aemê (fastigium) - ce que de l'avis général,
elle n'a pas fait encore - si ces erreurs de jeunesse sont partagées par
cCI:x-Ià mêlile qui d~vraient avoir pour tâche de les corriger? Et
comment les corriger, comment conduire à son terme l'élan généreux des
jeunes Français, et le progrès de la langue nationale, sans l'imitation des
vertus latines chez les auteurs qui, à la fin de la République et sous
Auguste, les ont pleinement illustrées?
C'est dans le retour à l'Age d'Or de la latinité que les lettres françaises
connaîtront leur Age d'Or et non dans l'imitation des essais et erreurs
de la génération présente et des générations antérieures.

443 Ibid., p. 117.


444 Ibid., p. 121. Par son maître Denis Petau, le P. Vavasseur était informé
de première main sur les origines du mouvement en faveur d'un atticisme cicé-
ronien en langue française (v. infra, p. 534-535). L'Elegantorum et politorum
secla ac natio désigne les écrivains laïcs en langue française qui, n'ayant pas
reçu de leurs maîtres une solide norme latine, errent dans leur langue mater-
nelle.
416 FRANÇOIS VAVASSEU~

La réforme de l'éloquence latine, le retour à sa pureté de haute


époque (et ici le P. Vavasseur fait coïncider l'Age augustéen et la Haute
Renaissance) est donc le meilleur gage de l'apparition d'un c meilleur
style:. français et d'un état enfin pur et mûr de la langue française .

•••
Cette Ol'atio, prononcée à La Flèche en novembre 1636, est sans aucun
doute le temps fort du recueil. L'Oratio quarta, intitulée Eloquentiae
sfudium poeticis et araecis egere, soutient une thèse que le P. Petau
avait tenacement illustrée par ses éditions de rhéteurs grecs et par ses
poésies latines: point de Tullianus stylus - et donc point de prose
française digne de l'Antique - sans l'étude et la pratique assidues de la
poésie latine et des lettres grecques. Le laxisme des régents qui,
pour complaire à la paresse des enfants et à l'indulgence coupable des
parents, dispensent leurs élèves de ces disciplines, est sévèrement fus-
tigé 44G.
Lorsque parut en 1683 le recueil posthume intitulé F. Vavassoris multi-
plex et varia poesis, on put mesurer non seulement que le P. Vavasseur
avait joint la théorie à la pratique, et assidûment composé des poésies
en latin et en grec, mais aussi, par le nom des dédicataires, que le savant
jésuite avait l'estime de l'élite de l'humanisme français. C'est dans les
termes d'une amitié souvent étroite, et qui va jusqu'à la tendresse, que
l'on s'adresse à lui, et qu'il s'adresse à ces lettrés étrangers à sa Compa-
gnie. Nicolas Bourbon et son cercle, le comte d'Avaux, et les deux Ogier,
Charles et François, le comptent parmi leurs intimes 446. Pierre et Jacques
Dupuy ont étendu à lui l'estime qu'ils faisaient de Denis Petau. Balzac
l'admire. Pierre Bourdelot, Guillaume Lamoignon sont en excellents termes
avec lui. Et les poèmes qu'il consacre à Molière ne sont pas de ceux
qui lui font le moins honneur 441.
Tout s'est passé comme si, avec le P. Petau, et plus encore avec le
P. Vavasseur, après trois décennies de tâtonnements, la rhétorique jésuite
avait été naturalisée française, épousant les préjugés et les traditions de
ce qui, dans l'humanisme érudit de la Robe gallicane, restait fidèle au
cicéronianisme des Bunel, des Dolet, des Scaliger, à l'hellénisme de Dorat,
et voyait dans la Renaissance des litterae humar.iores le meilleur gage
d'une Renaissance des lettres françaises aussi bien que d'une chrétienté
française plus éclairée. Tournant décisif: le ralliement de personnalités

"1 Ibid., p. 144-145.


446 L'élégie V dédiée à N. Bourbon, optima et poetae et arnica; la VI' et
VII' à Claude d'Avaux; la IX' à J. Sirmond; la X' à Jacques Dupuy; la
XI' à Denys Petau; la XII' à François et Charles Ogier.
447 V. Multiplex et varia poesis, p. 120-121. L'un de ces poèmes a été
adapté en français par le P. Bouhours. V. notes 270 et 394, sur la vertu d'eu-
trapélie et le "rire des honnestes gens:) chez les Jésuites.
RÉFORME DE LA RHÉTORIQUE JÉSUITE 417

aussi fortes de la puissante Compagnie de jésus, dès l'époque Louis XIII,


à la cause d'un classicisme français, promettait à celui-ci des assises
pédagogiques que les disciples des PP. Petau et Vavasseur, les Cos-
~art 448, les Commire 469, les Lucas 4~O, les Charles de la Rue 45 s'emploient
il fortifier sous Louis XIV; la critique «mondaine» des jésuites, ce1\e
d'un Rapin et d'un Bouhours, soutint, hors du Collège, une doctrine
parente de celle de Boileau. Cette conjonction entre le goût d'une élite
de Robe et celle des jésuites parisiens, réunis par un même zèle pour
le Roi, par un même amour pour « la belle Antiquité », une même discipline
rhétorique et poétIque, par delà les quere1\es théologico-morales, créait
une puissante clef de voûte à l'édifice du classicisme français, fondé pour
une large part sur l'éducation dispensée dans le vaste réseau des Co1\èges
de la Société de jésus en France. On constate ainsi, dans l'ordre du
goût littéraire, un phénomène analogue à celui que le P. Blet a étudié
dans l'ordre des loyautés politiques 4~2 : le sens de leur identité française
a balancé chez les jésuites parisiens celui de leur appartenance à une
Société internationale dont le siège central est à Rome. Dans l'ordre des
Belles-Lettres, une certaine convergence entre le classicisme du Collège
romain sous Urbain VIII, et celui du P. Petau à Paris sous Louis XIII,
a favorisé la conciliation de ces deux loyalismes. Mais en dernière analyse
la force d'attraction d'un gallicanisme politique trouvant, dès le premier
tiers du XVIIe siècle, son expression esthétique dans un idéal «augus-
téen >, a été plus puissante que l'exemple romain, plus éclectique, plus
disponible aux diverses tentations du «baroque» international.

448 Jean Cossart (1615-1674): l'édition de ses Orationes et Carmina fut


publiée (Paris, Mabre-Cramoisy, 1675) par le P. Charles de la Rue.
449 Jean Commire (1625-1702) publia en 1678 ses Carminum libri tres.
450 Jean Lucas (1638-1696) publia en 1683 la Multiplex et varia poesis de
Vavasseur; il est lui-même l'auteur d'un poème pédagogique intitulé Actio
oratoria seu de Gestu et voce libri duo, Paris, S. Benard, 1675, qui condense
les leçons du P. de Cressolles dans les Vacation es alltllmnales (1620).
451 Charles de la Rue (1643-1725) est l'auteur de Carminum libri quaituor
(paris, S. Benard, 1670), d'une édition de Virgile ad usum Delphini (1675)
qui connut d'innombrables rééditions, d'une tragédie Sylla et d'une œuvre
importante d'orateur sacré: Oraisons funèbres, Sermons, Panégyriques de
saints.
452 Pierre Blet, «Jésuites gallicans au XVII' siècle, à propos de l'ouvrage
du P. Guitton sur le P. de La Chaize », Archivum historicum S.j., t. XXIX,
p. 55-8\
CONCLUSION

Les positions rhétoriques des jésuites français sous Henri IV et


Louis XIII étaient donc loin d'obéir à une doctrine commune. La ligne de
partage la plus nette est celle qui sépare les Jésuites érudits, représentés
par le plus illustre d'entre eux, Denis Petau, et les jésuites rhéteurs. Les
deux groupes sont d'importance numérique fort inégale. Pourtant le
prestige du premier compense son petit nombre, et son audience auprès
de l'humanisme érudit de la Robe française lui vaut à l'intérieur de la
Compagnie elle-même une autorité qui finira par triompher. Si l'Assis-
tance de France n'éprouva pas le besoin de réduire les contradicitons,
voire les polémiques feutrées qui se font jour entre ses membres, c'est
que cette diversité même pouvait la servir: elle reflétait la diversité des
publics et des tâches que les Jésuites français avaient à accomplir. Les
jésuites érudits ont affaire à un public d'élite humaniste, de haute culture,
mal disposé envers la Société de jésus: plus que d'autres ils sont à
même de jauger la puissance grandissante, surtout sous le ministériat de
Richelieu, des robins cultivés, prenant leurs distances avec la vieille
institution parlementaire, se vouant au service de l'Etat royal. Ceux-ci,
plus accueillants à la délectation esthétique, moins ancrés dans les pré-
jugés traditionnels du Palais, étaient aussi mieux disposés envers ceux
des jésuites qui pouvaient les aider à faire naître une éloquence et un
art royaux. La doctrine stylistique d'un Petau, d'un Vavasseur va au
devant des vœux et du goût de ces « bons français », hommes de savoir,
d'intelligence et de jugement, plus que d'imagination et de passion, mais
conscients, au nom de la Majesté royale, et de son rayonnement, de la
nécessité d'une norme esthétique française. Leur doctrine cicéronianiste
vise d'autre part à maintenir intact le prestige pédagogique de l'ensei-
gnement jésuite, que seul le nom de Cicéron, identifié dès l'origine à la
Renaissance des bonnes lettres, pouvait garantir contre le soupçon de
sophistique nourri dès longtemps par les robins, et maintenant ravivé
par le jansénisme.
Les jésuites rhéteurs, jeunes régents ou prédicateurs chevronnés, ont
affaire à un public moins soupçonneux. Les seconds- et souvent les
premiers - ont à rivaliser avec la mode littéraire profane, et en parti-
culier avec la littérature romanesque. Ils sont «modernes» soit par
goût de jeunesse, soit par la nécessité de plaire. Les prédicateurs en
langue française ne résistent pas à la tentation du style oral, moins
attentif aux «minuties» du style, qu'à l'efficacité des effets sur l'ima-
gination et les passions, moins soucieux de l'oreille que de la vue. Pour
le P. Caussin, la préférence pour l'oral va dans le même sens que le
préjugé chrétien contre la «vanité» des mots: sa rhétorique ignore le
travail délicat et judicieux qu'exige une prose d'art écrite. Sa préoccu-
pation principale est de mettre en œuvre des schemata, enthymèmes et
exemples soutenus de figures visuelles, descriptions, portraits, prosopo-
LES STYLES JÉSUITES 419

pées, mouvements passionnés, propres à s'imprimer dans l'imagination


et à déclencher des réactions émotionnelles.
La nouveauté que représentent les Peilltures Morales du P. Le Moyne,
c'est que celui-ci concilie le souci d'une prose d'art en français, qu'il
reprend à Balzac, avec les techniques imaginatives et pathétiques de ses
prédécesseurs. Toutefois, il adapte celles-ci pour la lecture, en les arti-
culant à un développement logique qui fait de l'ouvrage un tout orga-
nique, en les harmonisant à une unité de ton uniformément « doux ». La
part que le P. Le Moyne fait à l'imagination mythologique, et aux exem-
ples empruntés à l'histoire et à la culture païennes, marque également
une évolution de l'écriture jésuite hors de la sphère orale de la prédication.
Evolution, mais non rupture avec une tentation invétérée. En dépit
de leurs divergences de caractère et de doctrine, on peut rapprocher le
P. Le Moyne du P. Vavasseur, et les considérer, chacun dans sa langue
et dans son ordre, comme les deux visages d'un premier classicisme
jésuite. Tous deux ont un point commun: ils admettcnt implicitement que
l'éloquence sacrée n'est pas le genre propre à donner l'exemple en matière
de c meilleur style ». L'un se rallie à la prose d'art française de Balzac,
qu'ont fini par admirer même les humanistes érudits gallicans; l'autre
se rallie à l'exemple de jules-César Scaliger, et à la tradition du style
« tullien », admirée par l'érudition gallicane, pour fixer une norme à la
prose latine des jésuites. Leur réccmpense, c'est d'être accueillis avec
faveur dans les milieux de Robe les plus favorables aux Belles-Lettres
françaises et latines; le prix à payer, c'est le renoncement au magistère
rhétorique sans partage dont jouissent leurs confrères italiens, l'accepta-
tion de l'autorité de laïcs, mondains ou savants, en matière d'eloquentia.
Cette évolution importante n'en était pas moins perçue autrement par
les plus fines oreilles françaises. Dans les Huetiarlll, on trouve sous le
titre «Stile du P. Petau ct des autres jésuites» un jugement d'une
remarquable profondeur sur la persistance des habitudes orales jusque
dans la prose, pourtant châtiée, du maître de François Vavasseur:
Les Jésuite~, aurait dit Pierre-Daniel Huet, communément écrivent et
parlent bien latin, mais leur latinité pèche presque toujours en ce qu'elle
est trop oratoire. Cela vient de ce que dès leur première jeunesse, on
les fait régenter. Ces régences les engagent à parler incessamment en
public; ils s'accoutument insensiblement à le faire d'un stile soutenu et
arrangé, et à s'élever au dessus du genre médiocre. Cela se voit claire-
ment dans les Lettres du P. Petau ; il va toujours par courbettes et jamais
au pas; ses périodes nombreuses, par figures étudiées, et jamais par
cette admirable simplicité des Epistres de Ciceron, qui tout grand orateur
qu'il étoit, savoit bien cesser de l'être quand il le falloit. Quand les Lettres
du P. Petau parurent, on en fit comparaison avec celles de Scaliger. Cette
question donna lieu à une grande dispute chez Messieurs Dupuy, où étoit
le réduit ordinaire des Savans de Paris. Les gens de Collège se décla-
rèrent pour le P. Petau, mais M. Guyet, homme d'un goût raffiné, mais
avec des manières dures, leur dit pour toute réponse qu'ils meriteroient
qu'on leur presentât du foin. M. Guyet avoit raison. Les Epistres de Sc a-
liger sont d'un stile naturel, libre, aisé, et pour parler à la mode, d'un
stile léger, qui a ql!c1que chose de vif et d'aigu. Celles du P. Petau sont
420 LES EXERCICES, «RHETORICA DlVINA ~

d'un stile arrondi, compassé, mesuré. C'est un tissu de phrases, un cnchaÎ-


r.emcnt de périodes, ce sont des lambeaux de declamation ... Le P. Sirmond,
tout jésuite qu'il étoit, a bien sçû eviter ce defaut, peut-être pour avoir
quitté de bonne heure les emplois de la scolarité, et avoir passé la plus
grande partie de sa longue vie dans les Cours de Rome et de France, et
y avoir poli son langage pour l'usage au monde ... 453.

Il est difficile de trouver un texte qui définisse avec plus de précision


et de justesse les deux sources de l'atticisme classique français, le style
épistolaire cicéronien, et la conversation du grand monde, et qui nous
éclaire mieux sur les difficultés qu'éprouvèrent les jésuites, même les
mieux intentionnés, à trouver en France le ton juste, et qui porte .


••
Ce malentendu subtil entre les jésuites français, pédagogues, prédica-
teurs, hommes de la persuasion orale et théâtrale, et les deux élites laïques
françaises, les juristes érudits, homme de l'écriture, et les gens de Cour,
hommes de la conversation, n'exclut pas, à l'intérieur même de la Société
de jésus, une profonde divergence entre une tradition propre aux jésuites-
rhéteurs en langue française, et la tradition des jésuites latinistes et
érudits. Nous avons insisté sur les données sociologiques qui expliquent
cette divergence, et sur les influences étrangères qui l'ont accusée: l'Espa-
gne et les Flandres espagnoles sur les jésuites-rhéteurs, Rome sur le
P. Petau et le P. Vavasseur. Mais plus intimement, cette divergence se
révèle, au cœur mère de l'institution jésuite, entre deux textes fonda-
mentaux qui la régissent, les Exercices Spirituels, fleur ultime de la spiri-
tualité médiévale, et la Ratio Studiorum, fleur ultime de la Renovatio
literarum du XVI" siècle. Deux styles de persuasion sont ici en présence :
l'une fondée sur l'imagination fiévreuse et le pathétisme, l'autre sur l'imi,
tation des modèles classiques. 1\ n'était pas facile de les concilier.
Cette conciliation se fit de deux façons. La plus économique, celle
qu'adoptent, après les Romains Benci et Strada, un Petau, un Vavas-
seur, s'appuie sur l'analogie éthique entre le zèle qui actualise, dans
chaque cas individuel, l'fmitatio Christi des « Exercices », et l'élan géné-
reux qui soutient l'émulation de l'imitateur en quête de l'Idée cicéronienne
de Beauté. La plus syncrétique, celle qui l'emporte dans ce que nous
avons appelé «sophistique sacrée », trouve dans les Exercices le prin-
cipe formel d'une rhétorique du pathétisme et de la fièvre imaginative.
Dans The Poetry of Meditation 454, Louis Martz a montré ce que doivent
les Exercices à la rhetorica divina médiévale, c'est-à-dire à l'oraison
méthodique, la scala meditatoria vel meditationis. Le P. Coton emprunte
à cette « disposition» de l'oraison ignatienne les « points, profits et collo-
ques» de ses sermons; et le P. Le Moyne, soucieux de nouveauté, offre

453Huetiana (1713 et 1722), ch. XXVII, p. 70-71.


454Louis Martz, The Poetry of Meditation, ouvr. cit., Part. l, ch. [: The
Method of Meditation, p. 25-39.
LES STYLES J~SUlTES 421

avec l' c Analysie:. qui sert d'architecture logique aux Peintures Morales
une version adoucie de la méthode ignatienne.
Dans The Art of Memory, Miss Frances Yates qui ne s'occupe pas
des Exercices, nous fournit cependant une clef indispensable pour en
comprendre les arcanes. Elle rappelle que pour saint Thomas: Nihil
potest homo intelligere sine phantasmate 455. L'image est donc une voie
de connaissance proprement humaine. Cette justification chrétienne de
l'imagination fonde la légitimité d'un art de mémoire, qui associe les
notions et les mots même d'un savoir transmis par tradition à des
images, permettant ainsi à l'esprit de les retrouver facilement, après les
avoir rangées et associées dans les «mansions,» d'un théâtre intérieur.
Cet art de la mémoire implique une spiritualité; parcourir ces «lieux »,
retrouver les images chargées d'un sens « mystique », c'est remonter vers
les vérités originelles, c'est à la limite, si l'itinéraire est conduit selon
une méthode bien conçue, retrouver Dieu. Les apparences empruntées au
monde des sens, mais appliquées aux realia de la vérité divine, auront
ainsi servi à détourner l'âme du leurre mondain, et à la ramener vers le
centre de sa vraie patrie. Mais cet art de la mémoire, que saint Ignace
a si méthodiquement mis en œuvre avec les « compositions de lieux, avec
application des sens », de ses Exercices spirituels implique aussi une
rhétorique. La fréquence des «livres-galeries », chez les Jésuites de la
première moitié du XVI l' siècle, tient au fait qu'ils offrent à leur lecteur
un «Palais ou Temple» de la mémoire chrétienne tout constitué, avec
ses lieux remplis d'images chargées d'un sens «mystique », et dont le
parcours tout tracé conduit l'âme, méthodiquement, de la perception de
ses erreurs terrestres à la contemplation amoureuse des plus hautes
vérités de la foi. Itinéraire initiatique et dramatique qui fait passer l'âme,
de vision en vision, d'émotion en émotion, par une purification progressive
de ses attachements sensibles, jusqu'à la pureté parfaite de la contem-
plation ad amorem. Les techniques de l'ekphrasis sophistique, la quête
de l'énargéïa, du relief visuel des images, empruntées à la rhétorique
antique tardive, s'ajustaient parfaitement à cette objectivation des
« sceaux» intérieurs de la mémoire chrétienne.
La maîtrise de ces «sceaux », le sentiment d'appartenir à une élite
sacerdotale d'initiés-initiateurs, semble avoir compté beaucoup dans
l'orgueil tant reproché aux Jésuites d'alors. Dans le Mystagogus, écrit à
Rome et publié à Paris en 1629 456 , le P. de Cressolles qualifie le prêtre

·\55 Fr~nl'cs Yate", L'Art de la Mémoire, ouvr. ci!., p. 83.


456 Mystagogus de sacrorum hominum disciplina opus varium e stromatis
55. Patrum et aliomm eruditione contextum quo 5criptura explicatur, Patres
il/lls/rantur, Scriptores emendantur, Antiquitas lucem capU, mores instruuntur,
l'ietas commendatur, Lut. Paris., Seb. Cramoisy, 1629. L'ouvrage est dédié à
Bérulle à l'occasion de son accession au cardinalat. La dédicace (Rome, 15 mai
1628) rappelle à B. que Cressolles l'a connu trente-quatre ans plus tôt à
Paris, quand lui-même était au Collège de Clermont, et Bérulle in Theologiae
Schola. L'étude du Mystagogus (qui doit beaucoup au 1. 1 de l'Ecc/esiastes
d'Erasme) serait du plus haut intérêt pour comprendre non seulement la
« Stimmung» jésuite au XVII' siècle, mais celle de l'aristocratie sacerdotale de
la Réforme catholique.
422 LES EXERCICES, «RHETORlCA DIVINA»

d'initiatus, de gnosticus, il lui réserve l'accès aux arcana, aux occulta


nzysteria, il fait de lui, au-dessus de toutes les puissances terrestres, le
Prince d'un Regnum SlQcerdotale. Mais <1 l'élite de l'élite» parmi les
prêtres, ce sont évidemment les Jésuites, maîtres de la rhetorica divina,
de l'ars meditationis des Exercices. Initiateurs des Princes de l'Eglise,
d'un Bérulle, d'un Bellarmin, ils sont d'abord eux-mêmes initiés, déten-
teurs des Exercices. Avec l'imagination poétique que nous lui connaissons.
le P. de Cressolles dédie un véritable hymne aux Exercices.
Il décrit la descente dans la <1 chambre obscure» (camera obscura)
où vont avoir lieu le renversement des apparences et la naissance de
l'homme nouveau:
Là, écrit-il, l'on brûle les scories de la vie antérieure, et du feu surgit
ror liquide de l'âme. Je m'extasie devant cette métamorphose plus que
dev"nt l'héroïque transfiguration d'Ulysse, telle que la montre la poésie
d'Homère, lorsque Minerve le fit passer de l'état de vieillard ridé et en
loques, à celui de jeune homme vigoureux et resplendissant dans ses beaux
vêtements 457.

Et cette métamorphose est avant tout une alchimie des images, qui
au lieu de renvoyer aux illusions terrestres, ramènent vers les vérités
célestes:
Là, écrit encore Louis de Cressolles, l'âme dévote douée de l'élan du
cerf et de la colombe est emportée par l'intensité de son zèle jusqu'au
Ciel. Là se renouvelle le miracle qui est cité dans le Cantique des Can-
tiques: Ego dormio et cor vigilat. Ce songe, le grand évêque Grégoire
de Nysse l'appelle «étrange et étranger à l'habitude naturelle ». Dans la
nature, ces deux états se succèdent tour à tour, ils ne peuvent se produire
en même temps.

Un songe où l'on s'éveille, tel est le mystère des Exercices:


Le songe est l'image de la mort: tant qu'il dure, l'opération des facultés
s~nsibles est suspendue, et nul sens n'exerce plus son office. Alors l'âme
ot:blie ses soucis, dépose ses craintes, émousse la pointe de son angoisse
et apaise la tempête de ses passions [ ... ] chez celui qui se tourne tout
entier vers Dien, et jouit de la familiarité de son regard sans être troublé
par l'attrait des choses irréelles, les yeux ni les sens ne sont plus utilisés
par les mouvements d'une flatteuse volupté; éveillé et attentif au fond
de l'âme, il goûte un repos profond dans l'amour de Dieu, et il le médite
dans la paix.

Initié à cette conversatio interior, à ce divinum commercium, le prêtre


doit projeter vers l'extérieur cette expérience intérieure de la métamor-
phose, et y faire participer par l'éloquence, selon leur degré de culture,
la foule des profanes.

•••
m Ibid., p. 502-503.
LES STYLES JÉSUITES 423

A Rome, auprès des institutions centrales de la puissante Société de


Jésus, le P. de Cressolles pouvait rêver d'un Regnum sacerdotale, où les
« mystagogues» jésuites, après avoir régénéré l'Eglise, parachèveront
son empire sur toutes les puissances de la terre.
Mais à Paris - et malgré qu'il en ait, le P. de Cressolles même à
Rome ne l'oublie pas tout à fait 458 - les héritiers des juristes royaux de
Philippe le Bel et de François 1er , détenteurs des traditions gallicanes,
n'étaient pas disposés à se soumettre à une quelconque autorité, même
spirituelle, même parée des blandices de l'éloquence humaniste. Renforcée
par sa victoire sur la Ligue, et par son rôle lors de la succession
d'Henri IV, l'aristocratie laïque des «sénateurs» parisiens, reliée par
son élite érudite à la puissante République des Lettres européenne, se
fait de la foi et des institutions chrétiennes une idée toute différente.
Elle aussi a ses traditions et ses arcanes. Les Jésuites français, s'ils
veulent s'enraciner en France, doivent composer avec ceux-ci. Il est
significatif de voir la plus grande intelligence du Collège de Clermont se
rattacher soigneusement, dans ses recherches érudites comme dans sa
doctrine rhétorique, aux tïaditions de l'humanisme gallican. Non moins
significatif de voir le P. Petau et le P. Vavasseur faire de la majesté du
roi de France - œuvre séculaire des juristes royaux - la clef esthé-
tique du grand style. Encore quelques années, et le P. Le Moyne se
haussera lui-même jusqu'à cette nouvelle Idée du Beau, et il saluera le
règne de Louis XIV par un Art de régner et un Art des devises qui tous
deux proposent une «rhétorique» royale: il transposera en langue fran-
çaise, et au service de la monarchie gallicane, la « rhétorique pontificale»
dont on a vu un bel exemple, sous Urbain VIII, avec les Aedes barberinae
du Comte TetL
L'évolution de la rhétorique jésuite en France est donc loin d'obéir
à une logique purement interne à la Compagnie. Elle se définit, elle se
modifie, non seulement par rapport aux divers publics français, mais par
rapport à une rhétorique rivale, celle de l'aristocratie humaniste du Palais
et de la haute administration royale.
C'est cette rhétorique institutionnelle, que nous n'avons fait qu'entre-
voir jusqu'ici à travers les polémiques de sa rivale, qu'il nous faut main-
tenant étudier de l'intérieur en déplaçant nos instruments d'analyse
jusque dans la Grand'Salle du Palais, dans les hôtels des magistrats et
les boutiques de libraires du quartier Saint-André-des-Arts.

458 Ibid., p. 321. Après avoir rappelé que l'étude du droit civil est interdit
aux prêtres, Cressolles cite Aristote (Politiq. 1. 7), Sénèque et les Pères pour
étayer la thèse que forensem vitam esse virtuti contrariam. Et il ajoute cette
ekphrasis de l'improbitas Pori: Hic igitur atrox spectaculum videre est avi-
culas innocentes plumis nudas, bonis indigne spolia/as, a forensibus illis Har-
pyis cruen/a/as, sanguine e/ anima stil/an/es! Jamais il n'aurait osé, résidant
à Paris, traiter les magistrats du Palais de Justice de «harpies ».
TROISIÈME PARTIE

LE «STILE DE PARLEMENT»
CHAPITRE PREMIER

ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE


DES LETTRES AU XVIe SIÈCLE

1. Le Stylus Curie Parlamenti : les assises institutionnelles de la rhéto-


rique parlementaire.
Dans une série de discours publiés en 1607 sous le titre Les Ouver-
tures de Parlemens, l'ancien Avocat Général de la Ligue, Louis d'Orléans,
dressait un monument à la gloire du Palais de Justice de Paris 1.
Conjuguant l'histoire et le panégyrique, il rappelait qu'à l'origine la
Curw Regis était une. Après que le Conseil du Roi, itinérant, s'en
füt détaché, tandis que le Parlement devenait sédentaire, celui-ci, à qui
les Rois avaient « quitté leur hostel », garda du moins l'avantage de \'anti-

1 Les Ouvertures de Parlemens par Loys d'Orleans, ausquel/es sont adjous-


teees cinq Remonstrances autrefois laides en iceluy, Paris, G. des Rues, 1607.
La dédicace à Henri IV témoigne du ralliement de l'ancien Avocat Général
ligueur. Les passages que nous citons figurent p. 241-266. L'érudition de Louis
d'Orléans est celle d'un «médiévaliste» consommé. Il cite Froissart, Mons-
trelet, et sa familiarité avec l'histoire de l'institution parlementaire est remar-
quable. Il dispute le nom prestigieux de «Cour» au Louvre, pour le réserver
au Palais de Justice. «Quant au nom de Cour, écrit-il, c'est chose vulgaire en
France que la suitte du Roi s'appelle Cour, et la part où est le Prince, on
dit tous jours que là est la Cour. En ceste sorte se peut appeler le Parlement
Cour pour le conseil qui s'y tient. Et devant que le Parlement fut sedentaire,
c'estoit le Conseil privé du Roy. On le peut encore appeler Cour pour estre
estably au Palais du Prince qu'on appelle Curia» (p. 67). Une des source"
de D'Orléans est, outre Pasquier, l'œuvre de Pierre de Miraulmont, Conseiller
du Royen la Chambre de Trésor, puis Lieutenant général en la Prévôté de
l'Hôtel: Mémoires sur l'origine et institution des Cours souveraines et autres
juridictions subalternes encloses dans l'Ancien Palais Royal de Paris, Paris,
l'Angellier, 1584, et De l'origine et establissement du parlement de Paris et
autres jurisdictions royal/es estons dans l'enclos du Palais Royal de Paris,
Paris, Chevallier, 1612. Dans la dédicace de cette seconde édition, Miraulmont
écrit: «je n'entre fois en la Cité (L'Ile de la Cité) de Paris que je n'admire
ces deux grands et superbes bastimens dediez l'un à la Piété, et l'autre à la
Justice ... ces deux fortes colonnes lesquelles (nos Rois) ont recogneu necessaires
pour maintenir et conserver leur Estat... :. Comparant lui aussi la Rome des
origines aux origines de la monarchie française, il rappelle que «Romulus ...
crea cent Senateurs », première idée du Sénat, comme la Curia Regis des
Capétiens est l'ancêtre direct des Parlements. Et il ajoute: "Nos Roys ont
delaissé et abandonné leurs propres palais et maisons royalles aux Juges ... »
428 ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LErmES

qui té, et l'incommensurable prestige de siéger dans les murs qui avaient
vu naître le royaume, au cœur de Paris, «nostre Françoise Rome ».
Et Louis d'Orléans de distinguer dans la capitale trois régions. Au
centre, la « Cité se peut nommer la Vieille Ville, Roma Vetus, non comblée
de ruines et destituées d'habitans ... , mais féconde en citoyens, superbe en
édifices, excellente en temples et nobles Eglises », parmi ses «rues
étroites ». Dans la Conciergerie du Palais se dresse toujours «la Salle
de saint Louis », pareille à «la case d'Evandre descrite par Virgile ».
Sur la rive droite du Tibre parisien, « la Ville neufve », riche d'habitants,
de ponts magnifiques, et «où le Louvre est basti ». Sur la rive gauche,
l'Université, «troisième Ville », Civitas litterarum, où «les Muses fugi-
tives de la Greee et absentes de Rome se sont réfugiées pour estre fran-
çoises et prendre le filtre honorable et l'honneste gravité de bourgeoises
de Paris ». Entre la Ville des doctes et celle des courtisans, les «lieux
saints» du royaume, où le Parlement abrite la forme originelle et
éternelle de la royauté, tandis que les Rois se succèdent sur la rive
droite: «Le Roy, rappelle Louis d'Orléans, avait sa Chambre où est
à présent la Grand'Chambre », et le «Lit» qu'il vient occuper en
personne, en des circonstances solennelles, est donc à peine une méta-
phore. Représentant moins la personne transitoire du Prince, que l'essence
de sa justice, les premiers Présidents du Parlement, sauf le sceptre et
la couronne, portent le vêtement même du Roi 2.
Toute une topographie mystique, riche de ce que Louis d'Orléans
appelle lui-même «correspondances », confère donc à la justice. dans
l'Ile de la Cité, une fonction médiatrice entre le temps profane et fuyant
de la rive droite, et l'Eternité que scrutent théologiens et humanistes
de la rive gauche, entre l'administration des choses terrestres, et la
contemplation des choses divines. Adossée à la Sainte Chapelle, reli-
quaire de la couronne d'épines, la Grand'Chambre est elle-même flanquée
d'une Grand'Salle que Louis d'Orléans compare aux Forums païens, avec
ses boutiques comme sur le Forum de Constantin. et son pilier des
libraires comme sur le Forum Romanum. Les divers organes profanes
et sacrés de la Ville ont donc leurs «correspondances» dans les murs
de «l'enclos» du Palais, microcosme de Paris, lui-même microcosme
du royaume.
Pour le ligueur Louis d'Orléans, les sacralités médiévales sont
vivantes, et le mythe de Rome ravivé par l'humanisme fusionne sans
difficulté avec la configuration d'un Paris ville sainte. La « nouveauté»
du Louvre de Pierre Lescot n'a fait que manifester plus clairement la
polarité profane et mondaine de la rive droite. L'espace urbain, perçu
par d'Orléans, continue de reproduire les deux versants idéaux de la
Royauté Très-Chrétienne, l'un tourné vers le monde qui passe, et
l'autre vers la transcendance du Ciel. C'est toujours au Palais de
justice, dans l'Ile, sur le fleuve, que revient les responsabilité de concilier
les deux rives, en tenant égale la balance de la justice royale.

2 Ouvertures ...• ouvr. cit., p. 253.


LE PALAIS DANS LA GÉOGRAPHIE MYSTIQUE DE PARIS 429

Coruscante de citations érudites, de mythes et de métaphores, la


prose de Louis d'Orléans fait fusionner, dans la solennité enthousiaste
d'un grand style épidictique, érudition et rhétorique, culture humaniste
et symbolique médiévale. Mais ce style de célébration humaniste orne-
mente une image «gothique» du monde .


••
On ne retrouve pas cette conception sacrale du temps et de l'espace
chez l'historien gallican Etienne Pasquier. A son ami Antoine Loisel,
après avoir évoqué «tous les grans bastimens beaux et riches qui
furent faits depuis la venue de nos Roys, comme vous pourriez dire à
Paris une grande église Nostre Dame, une saincte Chapelle, le Palais »,
il fait observer que « le peuple» les estime «faicts à l'antique », alors
qu'« il n'y a rien d'antique en eux, ains sont bastis à la moderne, pour
n'avoir rien de tous ces rares traicts dont les Anciens grecs et latins
ornoient leur architecture» 3. C'est le Louvre, selon Pasquier, qui est
construit «à l'antique l>. Auteur des «Recherches de la France », Pas-
quier considère avec un sentiment de distance historique les « antiquités
nationales ». Celles-ci, plus récentes que les «antiquités romaines et
grecques », sont inscrites à l'intérieur d'une histoire où les «âges)}
succèdent aux «âges », selon une vicissitude dont Louis Le Roy avait
étudié la procession 4.
Louis d'Orléans voit à Paris deux pôles, le profane et le sacré: la
Rome antique n'est là qu'à titre de métaphore, ou plutôt de modèle idéal
de toute «Vi1\e» digne de ce nom. Etienne Pasquier voit Paris dans
le temps de l'histoire: là «un grand destin s'achève », moderne et donc
privé des lumières de l'Origine; «un grand destin commence », ayant
renoué grâce à l'humanisme avec l'Antiquité de la Rome républicaine
et la Rome chrétienne. Un mythe dynamique fait place au mythe statique
auquel Louis d'Orléans adhère toujours: la Rome française, plongeant
ses racines dans une vigueur antérieure au Moyen Age y trouve de
nouvelles assises, un nouvel élan, une nouvelle conscience de soi.

3 Etienne Pasquier, Œuvres, Amsterdam, 1723, t. Il, lettre à Antoine Loisel.


col. 191-194. Sur l'architecture du Palais de Justice au XVI' siècle, voir Viollet-
le-Duc, Dictionnaire raisonné d'architecture, Paris, 1864, s.v. Palais, p. 3 et
suiv. Viollet-le-Duc rappelle que le Palais avait d'abord été la résidence des
Rois de France, et que le gros œuvre de ce vaste ensemble architectural avait
été édifié sous Philippe-le-Bel. En 1618, la Grand'Salle du Palais avait été
incendiée, et reconstruite par Salomon de Brosse dans un style extrêmement
dépouillé, et respectant l'implantation originale, sur la base fournie par les
salles gothiques encore visibles à la Conciergerie (voir J. Pannier, Un archi-
tecte français au commencement du XVII' siècle, S. de Brosse, Paris, 1911,
p. 73-?5, et E.J. Ci prut, ~ Nouyeaux do~uments sur les De Brosse, architectes
du ROI,., B.S.H.p.F., CX annee, oct.-dec. 1964, p. 258-271).
4 Loys Le Roy, La Vicissitude des choses, Paris, 1584. Voir D. R. Kelley,
Foundalions of modern historical scholarship, Columbia, 1975, p. 80-83.
430 IÔ:LOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RIÔ:PUBLIQUE DES LETTRES

Pour autant, Pasquier ne renie pas la fonction centrale et médiatrice


que d'Orléans réservait au Palais de Justice dans l'économie du royaume.
Mais alors que pour l'Avocat Général ligueur celui-ci est un «corps
mystique », une essence trans-historique, pour l'adversaire des Jésuites
il s'agit d'une économie politico-judirique, soumise aux «vicissitudes »,
et dont l'équilibre traditionnel est menacé par la tyrannie, contraire aux
« Lois fondamertales », du Conseil du Roi:

II est certain, écrit-il, que le fondement de toute République c'est la


loy, je ne diray point fondement, je dy que c'est l'âme sans laquelle la
République ne peut avoir vie. Or en ceste France, que les loi x prennent
leur source et origine du Roy, comme les eaux du grand Ocean, si n'ont-
elles vogue entre nous qu'elles n'aient passé premièrement l'alambic de
la Cour de Parlement, de la Chambre des Comptes et de la Cour des
Aides, selon la diversité de leurs fonctions. Pour ceste correspondance
et entre las de la puissance du Roy avecques les très-humbles remons-
trances des trois Compagnies, chacun demeuroit content, nos Roys en
bien commandant, les peuples en leur obéissant. Maintenant qu'on les
contrainct tantost par la presence du Roy, ou des Princes de sang, sans
recueillir les voix et opinions des Juges, et aussitost sont les affaires de
nostre France desliées et la désobéissance logée au cœur des sujets 5.

La métaphore de l'alambic n'est pas seulement un ornement: elle


implique une théorie du rôle proprement législatif du Parlement. Celui-ci
ne se borne pas à enregistrer les Edits ou les Ordonnances du roi ; il
doit les vérifier, en les soumettant à la «pierre de touche» des «lois
fondamentales », des «libertés de l'Eglise gallicane », et plus généra-
lement de la jurisprudence du royaume. L'influence italienne sur la
Cour, sous Henri III, a donné à l'élite érudite et gallicane du Palais de
Justice un sens plus vif que jamais de son rôle de «Mentor» du
royaume, menacé dans SOI1 intégrité et ses traditions propres par les
antichambres du Louvre.


••
L'humanisme a fourni à cette élite parlementaire des armes nouvelles
pour affirmer sa vocation de «conscience» du Royaume Très-Chrétien.
Dès le début du XVIe siècle, grâce en particulier à Guillaume Budé, la
Renaissance des «bonnes lettres» a été prise en charge par les grandes

5 Etienne Pasquier, Œuvres, Amsterdam, 1723, t. II, 1. XII, lettre l, col.


314. La métaphore de l'alambic revêt une valeur quasi doctrinale chez Pas-
quier. D'autre part, le terme «commandement absolu» employé ici justifie
l'usage du terme «absolutisme» pour qualifier la pratique «constitutionnelle»
qui sera celle de Richelieu et de Louis XIV: le mal n'était pas nouveau, puis-
que Pasquier le perçoit avec netteté, mais il a trouvé sous Louis XIII, à la
faveur de la guerre de Trente Ans, des circonstances exceptionnellement favo-
rables pour se développer et se poser en règle.
LA HÉPUBLIQUE DES LETIRES GALLICANE 431

familles de la Robe 6. En marge des Parlements, mais en symbiose avec


leur activité, s'est développée une République des Lettres gallicane, que
les voyages de ses «citoyens» rattachent à l'Italie, mais que sa corres-
pondance et ses penchants inclinent vers le Nord, dès lors surtout que
la Guerre des Gueux fit des Pays-Bas le symbole de la résistance à
l'Espagne et à l'ordre européen qui se réclament de Trente. A l'intérieur
de cette «République» humaniste, les conflits sont très vifs; mais
recherches et polémiques sont orientées par les deux grands thèmes du
gallicanisme: le thème juridico-politique de la «grandeur et excellence
du Royaume de France », qui implique une réflexion sur ses « antiquités :t,
ses institutions propres, sa langue et ses droits faces aux empiètements
et aux ruses du Saint-Siège italien 7; le thème philosophico-religieux
des «libertés de l'Eglise gallicane », qui implique une réflexion sur le
statut «conciliaire» de l'Eglise universelle avant les abus de pouvoir
des Pontifes romains, et par voie de conséquence, sur la vérité et pureté
primitives de la foi oblitérées par Rome 8. Prodigieuse nostalgie de
l'Origine, à reconquérir sur les falsifications que le temps et la ruse
italiennes ont accumulées. De cette origine, la France est doublement
héritière: par sa monarchie Très-Chrétienne, modèle d'un Etat propre-
ment chrétien, par opposition à l'Empire païen; par son Eglise gallicane,
dépositaire des traditions de l'Eglise « des premiers siècles », où l'auto-
rité suprême était exercée par les Conciles. L'humanisme érudit gallican,
reprenant à son compte la philologie italienne de Florence et de Venise,
en fera une arme dans ses propres combats.
Une partie de la République des Lettres gallicane ira au calvinisme.
Mais le courant majeur, au cours des luites de la seconde moitié du

6 Voir Eugen F. Rice, «The Patrons of french humanism », dans Renais-


sance stl/dies in honor of Hans Baron, Biblioteca storica Sansoni, XLIX, Flo-
rence, 1971, p. 689-702.
7 Sur le gallicanisme inspirateur de l'humanisme érudit français, voir
D.R. Kelley, Foundations of Modern historical scholarship, Columbia, 1970,
S. Bertelli, Ribe/li, libertini e ortodossi, Florence, 1973, p. 221 et R. Pintard,
Le libertinage érudit ... , p. 9-17.
8 Sur l'ecclésiologie gallicane, voir W.j. Bouwsma, «Gallicanism and the
nature of Christendom », dans Studies in honor of H. Baron, ouvr. cit., p. 811-
818. L'A. marque bien l'importance historique du gallicanisme dans les années
1580-1630, «the major obstacle in France and perhaps in ail Europe to a
reactionary offensive stemming from Rome» (p. 815), ses assises institution-
nelles dans la Grande Robe, «Gallicanism found his major champions among
the relatively independent magistracy, a group peculiarly fitted by its cosmo-
politan culture as weil its specialised training to respond to the general needs
of the age» (p. 814), et les traits essentiels de son ecclésiologie: la centrali-
sation pontificale est une dégénérescence «politique:t de l'Eglise des premiers
siècles, pluraliste, conciliaire, vouée à des fins spirituelles. L'A. établit un heu-
reux parallèle entre la doctrine des «Libertés de l'Eglise gallicane », qui se
fonde sur le statut originel de l'Eglise universelle, et celle des «Lois fonda-
mentales du Royaume », qui se fonde sur le statut originel des institutions
royales. Dans les deux cas, il s'agit d'une doctrine libérale, hostile à la fois
à l'absolutisme pontifical, et à une quelconque tyrannie sur les «franchises»
françaises. Elle suppose un perpétuel renvoi à «l'Antiquité », chrétienne et
nationale.
432 ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETTRES

XVI" siècie, fera confiance à l'ascèse érudite pour retrouver et imposer


peu à peu la vérité et la vertu chrétiennes oubliées, sans rompre la trame
historique du royaume. La critique érudite appliquée au Droit romain,
la rech~rche des «Antiquités ~ et des «Coustumes ~ du royaume, visent
à re20nquérir l'esprit de la «République royale« des origines,
la Couronne au service d'une justice proprement française et chrétienne;
la philologie appliquée aux textes de l'Antiquité hébraïque, orientale,
grecque et latine tend à retrouver l'essence des deux Révélations, corro-
dée par le temps et la politique romaine. Toute l'encyclopédie du Logos
divin et humain est fiévreusement iJwentoriée et scrutée pour reconstituer
le sens du message oblitéré.
Les progrès de l'absolutisme et des jésuites dans le Royaume Trés-
Chrétien poseront à l'humanisme érudit gallican un problème tragique j
celui-ci était peut-être en germe dans le double héritage qu'il assume,
celui des juristes de Philippe le Bel, et celui de la théologie gallicane
des jean Gerson et des Pierre d'Ailly.
Le travail de la Répùblique des Lettres gallicane, prolongeant selon
ses lignes propres celui de l'humanisme florentin et vénitien, est la
contre-partie théorique de l'action des Parlements, et plus spécialement
du plus prestigieux d'entre eux, celui de Paris. La vieille institution
parlementaire, en dépit de son «esprit de corps », est loin d'être à
l'unisson. On le verra pendant la Ligue et pendant la Fronde. Les conflits
de la République des Lettres, la corruption et la servilité, la routine aussi,
la travaillent. Mais c'est une institution fortement hiérarchisée. La
première grande génération de magistrats humanistes, celle de Michel
de L'Hospital et de Guy du Faur de Pibrac, et après la Ligue, la
génération des «Politiques» vainqueurs tenteront souvent avec succès
de réserver les charges-clefs du Palais à des dynasties appartenant à
la fois à la Robe et à la République des Lettres gallicane.
C'est cette élite de magistrats, intellectuelle par son appartenance
à la République des Lettres, sociale et politique par les hautes charges
qu'elle occupe au Palais et éventuellement à la Cour, qui est pour ainsi
dire la colonne vertébrale de l'humanisme français. Plus que jamais dans
la première moitié du XVlle siècle, face aux progrès de l'ultramontanisme
et du machiavélisme, elle demeure l'élément déterminant de la République
des Lettres comme de la vie parlementaire. A ses travaux et à son
mécénat érudit, dans l'otium de ses bibliothèques, elle ne pouvait manquer
d'articuler, dans l'enceinte du Palais de justice, une éloquence qui mani-
festât et garantît son autorité religieuse, morale et politique. Aux respon-
sabilités qu'elle s'attribue dans le royaume et dans l'Eglise, elle ne pouvait
manquer d'adjoindre le prestige d'une magistrature oratoire, qui ferait
de son "style» la norme humaniste et chrétienne de la Parole royale .

•••
En 1619, dans ses Eloquentiae ... Parallela, le P. Caussin faisait une
description haute en couleurs de ce qu'il appelait stylus Par/amenti, gall-
LE «STILE DE PARLEMENT" 433

chissant en un sens rhétoriqu:! l'expression qui, depuis G. du Breuil,


désignait les formes judiciaires parisiennes. Et il était obligé de constater
le prestige durable sur le public de cette éloquence ésotérique, hérissée
de termes techniques et de citations savantes. En 1621, dans son Essay,
le P. Binet manifestait un émerveillement non dépourvu d'ironie pour ce
qu'il appelait «stile du Palais", la seule forme d'éloquence orale qui
pût rivaliser avec celle de la chaire: «Mais si faut-il advouer rondement,
écrivait-il, que l'Eloquence d'aujourd'huy ne paroit que dans les Parle-
mens ou dans les chaires où les Predicateurs l'employent". En Italie,
un Patrizzi, un Muret, avaient observé dès le XVIe siècle que, dans les
sociétés monarchiques modernes, l'éloquence politique n'avait plus sa
place, et le Forum n'avait d'héritier que dans les églises. En France,
l'éloquence orale n'est pas le privilège du seul clergé: le Sénat et le
Forum antiques ont leur répondant, au moins selon les vues des robins,
dans l'institution judiciaire, mais aussi à tant d'égards politique, des
Parlements.
Pour comprendre la fascination que cette éloquence rivale exerce sur
les PP. Binet, Caussin et Cressolles, il nous faut faire un retour en arrière,
vers le XVIe siècle humaniste. En 1524, Geoffroy Tory, un des pionniers
de la réhabilitation humaniste de la langue française, observait qu'avant
de devenir langues classiques, dont la philologie italienne avait restauré
la splendeur première, le grec et le latin avaient connu d'humbles com-
mencements. Tory en concluait à l'avenir de la langue et de la prose
françaises, qui selon lui n'en étaient plus déjà à leurs premiers balbu-
tiements :
JI est certain, précisait-il, que le stile de Parlement et le langage de
Court sont tres-bons, mais encore pourroit-on enrichir nostre diet langage
par certaines belles Figures et Fleurs de rhetorique, tant en prose que
autrement 9.

Contrairement à ce que fera Henri Estienne un demi-siècle plus tard,


Tory n'oppose pas «stile de Parlement" et « langage de Court ». Dans
les deux cas la norme langagière est dictée par le même milieu de
juristes royaux, les uns au service direct du Roi et de son Conseil, les
autres attachés aux Cours souveraines. La «noblesse de Cour", qui va
jouer un rôle si important sous Henri III, puis de nouveau sous Richelieu,
dans l'évolution de la rhétorique fïançaise, ne constitue pas encore un
milieu assez stable et conscient de soi pour balancer le magistére de la
Robe parisienne. Même référence indistincte, mais plus exactement for-
mulée, à une norme d'origine parlementaire chez Robert Estienne, dans
la préface de sa Grammaire françoise :
Je m'en rapporte à ceux, écrit-il, qui ont tout le te ms de leur vie hanté
es Cours de France, tant du Roy que de son Parlement à Paris, et aussi

9 G. Tory, Champfleury ou l'Art et la science de la proportion des Letlres,


éd. G. Cohen, Paris, Ch. Bosse, 1931, fO 1 vO. Tory cite souvent Erasme, qui
fut l'inspirateur de beaucoup de partisans de la langue vulgaire.
434 ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETTRES

sa Chancellerie et Chambre des Comptes. ausquels lieux le langage s'es-


crit et se prononce en plus grande pureté qu'en tous autres 10.

A la fin du siècle. après les polémiques d'Henri Estienne contre le


« françois italianizé» des courtisans d'Henri III. Estienne Pasquier est
déjà contraint de distinguer entre la norme du palais et la norme du
Louvre. pour mieux rompre des lances en faveur de la prééminence de
la première:

Quiconque voudra acquérir jugement et intelligence en ceste langue


(le français) et y prandre aucun degré. je luy conseille de hanter les
gens de loy qui pratiquent. car avecques ce qu'i1s ont le parler exquis.
propre et familier. se faisant accessibles au commun populaire (ce qui est
principal en eulx) le courtisan ou le plus friand parler du Roy et de la
Court leur est notoire. renvoyé par lettres ou par edicts des uns aux
autres Il.

Le langage à la mode de Cour contamine déjà les robins qui y


hantent. et y exercent des offices. Mais la «navette» des édits et
ordonnances royales à vérifier permet aussi une vérification langagière,
et préserve le magistère du Palais. La supériorité de celui-ci. aux yeux de
Pasquier. c'est sa p06ition médiatrice entre le peuple (entendons aussi
bien la bourgeoisie marchande que les «crocheteurs du Port-au-Foin»
chers à Malherbe) et l'entourage direct du Roi; entre la germination des
profondeurs et les caprices «venteux» des sommets. le «chêne» du
Palais de saint Louis filtre et protège la langue du royaume.
Cette analogie entre la fonction législative du Parlement et sa
fonction langagière. l'une et l'autre consistant à «vérifier» tout ce qui
vient du Louvre, avait déjà été défendue par Henri Estienne qui affirmait :

Le mauvais langage est aussi rare au Parlement qu'i1 est fréquent au


Louvre 12.

Et il appuyait cet axiome de la considération suivante:


J'ay toujours eu ceste opinion que la Cour estoit la forge des mots
nouveaux. et puis que le Palais de Paris leur donnoit la trempe 13.

Ni Henri Estienne, ni Estienne Pasquier ne résument l'usage du Palais


au vocabulaire technique de la «chicane ». Ils apprécient, après Budé

10 R. Estienne. préface à la Grammaire françoise. cit. par L. Clément. Henri


Estienne et son œuvre française, Paris. Picard. 1898. p. 450.
11 Voir D. Thickett. Choix de lettres. 1956. lettre 12. p. 88. Voir aussi
Ferdinand Brunot. Histoire ...• t. III. 1re partie. rééd. 1966. p. 21-23.
12 H. Estienne. dédicace à Henri de Mesmes de la Conformité ... , cit. par
L. Clément. ouvr. cit., p. 450-451.
13 H. Estienne. préface aux Hypomneses ...• cit.. ibid .• p. 452.
LE PARLEMENT, TEMPLE DE LA LANGUE FRANÇAISE 43.'5

et ses Forensia 14, la richesse et la précision de celui-ci, et le «stile»


de greffe qu'i! rend possible. J'."-ais ils savent fort bien que la langue
parlée au Palais, qui est celle de la bonne bourgeoisie parisienne cultivée,
n'est pas seulement celle des Forensia. Filtre judicieux du bon usage
d'Ile-de-France, cette langue de greffiers est aussi une langue d'orateurs.
Elle se célèbre elle-même, elle se veut éloquente, bien avant la Renais-
sance, dans les ll.lercuriales de ses magistrats et les plaidoyers de ses
avocats.
La Renaissance elle-même ne pourra modifier la tradition oratoire
du Palais qu'en tenant compte de ses formes accoutumées et d'un esprit
incarné par les siècles dans l'institution. Du moins trouvait-elle chez les
robins un attachement déjà ancien à la langue nationale. Dans le milieu
où vont se recruter les sénateurs de la République des Lettres, qui mettent
à si haut prix les langues « originelles », hébreu, grec et latin, il y avait
là un atout précieux pour l'avenir d'une prose oratoire en langue vulgaire,
bénéficiant du prestige de l'usage du Palais.

*
**
On croit volontiers aujourd'hui encore, sur la foi de Ferdinand Brunot,
que la pratique institutionnelle du français dans la procédure et les actes
du Parlement de Paris ne date que de l'Edit de Villers-Cotterêts, qui en
1539 officialisait plus qu'il n'imposait son usage. Dès 1918, dans un bel
article vite oublié 15, Alexis François rectifiait cette VUe sommaire, en
s'appuyant sur les recherches du chartiste Roland Delachenal dans le
fonds d'archives du Palais, et sur le livre qui en avait résulté, l'Histoire
des avocats au Parlement de Paris, 1300-1600, publié en 1885 16 . Alexis
François, après Roland Delachenal, montrait que dès le xv· siècle,
l'usage de plaider et rendre les arrêts en français était établi au Palais,
sauf au cours de séances d'apparat où les ambassadeurs étrangers se
voyaient gratifier de harangues en latin, langue internationale. En no-
vembre 1487, l'avocat Lemaistre saisit l'occasion d'une de ces cérémonies
pour célébrer la langue française, qui doit être aussi chère aux Français
que le latin le fut à Caton. De même que celui-ci était soucieux d'affirmer
l'identité romaine face aux Grecs, l'identité française face aux étrangers
ne s'exprime pas seulement par une institution comme la Cour de Justice,
Sénat royal, mais par la langue qui seule y est parlée, et qui en reflète
l'autorité et la majesté. Loin d'être une nouveauté, la profession de foi
de Geoffroy Tory en 1524 s'enracine donc dans la tradition du Palais,

14 G. Budé, Forensia, Lutetiae, ex off. R. Stephani, 1544. II s'agit d'un


inventaire critique du vocabulaire de la «chicane ».
15 Alexis François, «Origine et déclin du «bel usage» parlementaire,
RR.L.F., 1918, p. 201-210.
16 Roland Delachenal, Histoire des avocats au Parlement de Paris (1300-
1600), Paris, 1885.
436 ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETTRES

dans le point d'honneur que met celui-ci à incarner l'essence de la


Royauté française, à commencer par sa langue 17.
Loin de rencontrer un terrain «vierge », l'essor de l'humanisme SOllS
François 1er peut prendre appui sur une institution où l'éloquence est
honorée, et Où le point d'honneur gallican joue en faveur d'une éloquence
française. Bien avant la Rheforica à usage clérical de Guillaume Fichet
(1471), l'avocat Guillaume du Breuil, au XIV· siècle, avait rédigé lin
Stilus Curie Parlamenfi, qui comportait un chapitre contenant des pré-
ceptes proprement oratoires 18.
Objet d'une édition critique du XVIe siécle par le jurisconsulte parisien
Charles Du Moulin 19, citée comme une autorité par Loisel en 1604 20,
cette œuvre a déterminé pendant plus de trois siècles la forma mentis
de l'avocat au Parlement, et à travers ce type social qui s'adonna si
souvent à la «littérature », la rhétorique française postérieure à la
Renaissance. Le chapitre De modo et gesfu quem debef habere advocatus
fixe les bienséances morales et l'on n'ose dire esthétiques de l'éloquence
j udiciai re,

Que J'avocat ait le maintien et le geste graves, le visage souriant,


mais avec modération; qu'il soit respectueux de la Cour (humilis et curia-
lis) selon son état, tout en gardant l'autorité de son état, et qu'il garde
les mouvements de son âme de céder à la colère (refrenans motum animi
sui ab ira) ... Veille à te tenir aux points de ton argumentation (puncta
arramentorum) de peur de faillir soit en parlant trop (loquendo nimis)
soit autrement. Divise la matière de ta cause en paragraphes (membra),
pour la mieux fixer dans la mémoire, et expose-la méthodiquement (arti-
ticiose) ; prévois les réponses que tu devras faire à ton adversaire selon
la vraisemblance (verisimiliter), afin de n'être pas surpris [ ... ] Si ton adver-
saire recourt ouvertement et clairement à J'injure, et parle avec hauteur,
dèfends-toi de façon raisonnable (racionabiliter), ne te laisse pas empor-

17 Voir A. François, art. cit.


Guillaume du Breuil, Stilus Curie Parlamenti, éd. critique p. Félix Aubert.
1S
Paris, A. Picard, 1909. Voir outre Oelachenal et François, P. Ourliac, «Un
nouveau style du Parlement de Paris », dans Mélanges d'archéologie et d'his-
toire, 1937, p. 301-343. «Stilus» est évidemment à entendre au sens de «style
de procédure ». Mais ce «style de procédure» commande la rhétorique judi-
ciaire, comme il appert du texte même de G. du Breuil, qui contient un cha-
pitre fixant le decorum du plaidoyer. Au XVII' siècle, le P. Caussin, parlant
du «stylus Parlamenti » joue, peut-être sans le vouloir, sur les mots, en appli-
quant cette expression à la rhétorique du Palais, et à elle seule. Nous nous
autorisons de cet exemple pour parler de «stylus Parlamenti» en ce sens.
19 Charles du Moulin, Stilus Supremae Curiae Parla menti Parisiensis nuper
e suo prototypo et antiquis Regestis ejusdem Curiae de verbo ad verbum
transsumptus, Paris, Galliot-Dupré, 1551.
20 Antoine Loisel, Dialogue des Advocats, éd. Cl. Joly, Paris, 1669 p. 471,
478, 479, 642, 651. E. Pasquier cite le «vieux style de Parlement» dans son
Plaidoyer pour le Duc de Lorraine (Œuvres, Amsterdam, 1723, t. l, 1. IV, p. 366
et 1088). La Roche Flavin (1. XIII, ch. LXV, p. 830) le cite également. Selon
F. Aubert (ouvr. cit.) au XVI' siècle «l'autorité de Du Breuil se maintient,
(Introd.).
LE «STlLUS CURIE PARLAMENTI :. 437
ter par la colère, ne perds pas de vue ton propos, et garde la juste
mesure 21.

Dans cet abrégé de rhétorique pratique, l'influence de Sénèque est


sensible: par deux fois l'aequalitas animi est recommandée, avec la
victoire sur les mouvements de colère. A la juste mesure dans le rire,
comme dans la passion, correspond l'économie des paroles (ne fallaris
loquendo nimis). Cette économie est obtenue par une disposition métho-
dique des arguments, et par l'usage à point nommé, et par surprise,
des plus forts.
Le temps pourra passer, et avec lui les modes. La langue se sera
« épurée », d'après l'usage de la Cour. Les traductions du grec et du
latin auront créé un moule nouveau de la phrase. La culture des anciens
rhéteurs se sera répandue auprès d'un vaste public. Mais l'alliance de
la philosophie morale et de la rhétorique, voire la prédominance de la
première sur la seconde, demeurera. Le Stilus Curie Parlamenti de
Guillaume du Breuil, tel le mos majorum des Romains, aura pendant
des siècles si profondément marqué des procureurs, avocats et autres
robins, écrivains ou ancêtres d'écrivains, que son esprit résistera aux
nouveautés de la Renaissance. Pour l'Académie fondée par Richelieu,
les notions à la fois morales et esthétiques de vraisemblance, de décence
et de raison qui étayent l'antique Stilus du Palais resteront en vigueur.
Il est assez émouvant que l'humanisme de l'époque classique n'ait fait que
porter à la maturité et à la pleine conscience de soi une éthique de la
forme née au Parlement de Paris dès la Renaissance du XIIIe siècle .

•••
Toutefois le Stilus de Guillaume du Breuil, manuel officieux à l'usage
des avocats, traduit le point de vue de ceux-ci sur le «style» oratoire
et sur les normes de procédure du Parlement. La morale imposée par
l'institution y est au service de l'efficacité d'une de ses composantes,
le Barreau. La maîtrise de soi y est recommandée au titre de la réussite
professionnelle. Et Guillaume du Breuil n'hésite pas à prescrire la ruse,
au bénéfice de clients de préférence riches et puissants. Les annotateurs
du XVIe siècle, un magistrat comme Jean de Longueil, un jurisconsulte
comme Charles du Moulin, s'indigneront des penchants sophistiques du
vieil auteur. ·L'éthique de la parole professée par celui-ci n'est que
l'empreinte d'un moule officiel, imposé par les magistrats et que la
pratique quotidienne du métier permet de gauchir. On songe irrésisti-
blement à l'attitude de l'avocat-dramaturge Corneille face aux magistrats
académiques de la Poétique d'Aristote.

21 Ed. cit. p. 2-4. Voir dans Le Grand Coustumier de France, éd. Laboulaye-
Dareste, Paris, Durand-Lauriel, 1868, p. 399-400, une traduction du ch. De
modo et gestll à partir d'une version du Stilus un peu différente de celle établie
par F. Aubert.
43S ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETTRES

De fait, pour trouver le sceau dont le Stilus de Du Breuil n'est que


la trace un peu altérée, il faut se tourner vers les textes disciplinaires
qui, émanés du Roi et confirmés par le Parquet, ont réglé, depuis le
XIIIe jusqu'au XVIIIe siècle inclus, l'éloquence judiciaire du Palais. Ce
sont ces textes que tous les avocats du Barreau de Paris feront jusqu'il
la fin de l'Ancien Régime serment de respecter sur les Evangiles et sur
le Crucifix, à chaque « Ouverture des plaidoyers », à la Saint Martin et
après Pâques de chaque année 22.
Que nous apprend l'Ordonnance de Philippe le Hardi du 23 octobre
1274, confirmée par celle de Philippe le Bel de novembre 1291, et par
le règlement de 1340 édicté par le Parquet du Parlement?
L'avocat - récemment apparu, nous allons le voir, dans la Curia
regis - est tenu de ne plaider que des causes justes, de n'avancer aucun
ïait qui ne soit parfaitement conforme à la vérité, de ne jamais réclamer
d'honoraires supérieurs à une somme fixée par les ordonnances royales,
de ne jamais tenir aucun propos qui jure avec la majesté et l'autorité
de la Cour, de ne pas manœuvrer pour obtenir l'ajournement de son
procès (manœuvre que recommande au contraire vivement Guillaume
du Breuil). Dans ces conditions, l'avocat était plutôt le collaborateur
du Juge que l'auxiliaire de son client 28. Encore cette sévérité, comme
l'a montré Roland Delachenal, était-elle un adoucissement considérable
par rapport au temps où, conformément aux mœurs franques, la Curia
regis appliquait la règle « un mot, un homme », que commente l'adage:
q Parole une fois volée ne peut plus être rappelée », et cet autre: « Puis
que la parole est issue du corps, elle ne peut jamais rentrier ». Con-
ception germanique de l'engagement total du sujet parlant dans ce
qu'il dit et qui confère à chaque mot la valeur d'un serment. Lorsque
le droit romain, réintroduit au XIIe siècle sous l'influence des tribunaux
ecclésiastiques, permit la réapparition des avocats, ce fut selon les
définitions d'Ulpien, fort différentes de celles qui avaient cours dans

22 Sur le serment des avocats au Parlement, voir D'Orléans, Des Ouver-


tures, ouvr. cit., p. 273-281, et R. Delachenal, ouvr. cit., p. xv. Voir Pibrac,
dans Harangues ... , Paris, 1604: «Le jour du serment, la Cour, post solemne
carmen precationis, estant assemblée en corps parée de ses plus beaux et
précieux habits, séant en sa haute grandeur et majesté, apres la lecture publi-
que des Ordonnances, vous fait appeler de vos noms et surnoms, par la voix
des greffiers; incontinent accez vous est donné au lieu le plus eminent pour
illec en la veue de tous, ayant les deux genou ils en terre, faire le serment
accoutusmé es mains de celuy qui tient lieu et place de vostre Prince sou-
verain, car quand le Roy est present à cest acte, luy mesme prend le tableau,
et reçoit les sermens et non autre» (p. 83). Voir La Roche-Flavin, Les Treize
Livres de Parlement, Bordeaux, Millanges, 1617, 1. V, Des ouvertures des Par-
lemens, ch. IX (Du Serment de la Saint-Martin, p. 326) et Xl (De l'observation
du serment ..., p. 327) qui copie ce passage de Pibrac. La Roche-Flavin insiste
d"ailleurs beaucoup sur l'aspect religieux du decorum parlementaire. Voir ibid.,
ch. VIII, Messe solennelle du Saint-Esprit, et ch. xm, Du serment sur le cru-
cifix et les Evangiles.
23 Voir R. Delachenal, ouvr. cit., p. 189-193.
UN STYLE SÉVÈRE 439
l'Athènes de Lysias ou dans la Rome de Cicéron 24. L'influence de ce
droit romain d'époque byzantine, conjuguée avec la tradition franque,
limitait singulièrement la liberté de manœuvre de l'avocat médiéval.
Ne pouvant revenir sur un mot imprudent ou déplacé, censé ne défendre
que des causes justes, il était traité aussi rigoureusement que s'il avait
témoigné en son nom. Egger, dans un chapitre de son Hellénisme en
France (1869), a marqué avec bonheur la différence entre l'avocat
athénien, qui revêt tour à tour, à la façon d'un dramaturge, les personae
de ses clients successifs, et l'avocat français du XVIe siècle, tenu de
parler en son nom propre:
Combien se ressemblent peu Démosthène, écrivant ses plaidoyers civils
pour être prononcés devant le juge par autant de personnages différents
et Pasquier, Du Vair ou Le Maistre, dans leur rôle d'avocat au Parle-
ment, libres de choisir leur client, mais après ce choix [ ... ] personnellement
responsables de l'honnêteté de la cause qu'ils défendent; non plus forcés
d'accommoder leur style au caractère de vingt personnages divers, comme
faisait le logographe athénien, mais conservant dans la diversité des
affaires l'unité de leur personne morale 2G.

Il est vrai. Encore faut-il bien voir que cette «contrainte chrétienne
et française» rejetait hors du Palais les possibilités les plus séduisantes
du langage. Des avocats nourris de Cicéron, de Démosthène et des
Senlentiae, divisiones et colores de Sénèque le Père, et plus encore ceux
qui, formés au xv,,· siècle par les Jésuites à la diversité des styles et
au jeu théâtral des rôles, avaient des énergies en réserve. Plus d'un
ressentit cruellement le séculaire soupçon qui, des bancs f1eurdelysés
du Parquet, pesait sur leur parole, et les sommait de faire éclater la
vérité, au lieu des facettes de leur bonheur d'expression. Le Théâtre
sera souvent la revanche de ce qui est comprimé au Palais .


••
Le style de Parlement est donc un style severe, ennemi du luxe et
de l'inutile, obsédé par des notions, en dernière analyse religieuses, de
responsabilité et de vérité. Le souci vétilleux de la précision des termes,
et de l'exacte adéquation de la forme au sujet traité avait commencé
de fixer dans ses murs les linéaments d'une langue nationale, ou plus

24 V. Alain Michel, Rhétorique et Philosophie ... , ouvr. cit., p. 37-38, E. G1as-


son, Les sources de la procédure française, Paris, 1882, et A. Tardif, La pro-
cédure civile et criminelle aux X111' et XIV' siècles, Paris, 1885.
2G Egger, L'hellénisme en France, Paris, Didier, 1869, t. l, p. 33-34. Cet
interdit pesant sur le vicariat de la parole, naturelle à la profession d'avocat,
explique à notre sens la libération que tant d'avocats du XVII' siècle trouveront
dans l'écriture dramatique. V. sur les rapports entre éloquence judiciaire à
l'antique et dramaturgie notre étude «Rhétorique et dramaturgie, le statut du
personnage dans la tragédie classique », Revue d'Histoire du Théâtre, 1972,
III, p. 223-250.
440 ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET R~PUBLIQUE DES LETTRES

exactement royale. Le réveil des bonoe litterae allait-il permettre aux


gens de Robe de renouveler les miracles de l'Agora et du Forum, et
de trouver chez Démosthène ou Cicéron les suggestions propres à faire
naître une «éloquence françoise» dans l'antique Palais? En un sens,
tout y poussait. Les avocats ne pouvaient manquer de demander au
mythe humaniste de l'Orotor la réhabilitation qui les laverait du sobriquet
infâmant de «chicaneurs ». Quant aux magistrats, la tentation était
trop forte de s'identifier à l'idéal du De Oratore pour acquérir un
supplément d'autorité dans l'enceinte du Palais, et surtout hors de
celle-ci.
Il était plus facile de s'emparer du mot que d'entrer dans le rôle
qu'il supposait. Pour les avocats, qui ont leur place marquée derrière
le «barreau" de la Grand'Salle, à distance respectueuse des magistrats
siègeant sur les lys, la disproportion était grande entre leur rang modeste
dans la hiérarchie parlementaire et la souveraineté républicaine
qu'avaient exercée un Cicéron et un Démosthène. Etienne Pasquier, dans
un esprit tout érasmien, a fort bien mis en évidence l'écart insurmontable
entre le "mot" antique et la réalité moderne et chrétienne:
Comment usons-nous en français du mot Orateur? Ce sont les Eves-
ques et les Prelats, lesquels ès lettres qu'ils envoient aux Roy et aux
Princes prennent cette qualité de leurs humbles orateurs, rapportant ce
mot à leurs dévotions et prières: comme en cas semblable parler du
mot d'oraison à un simple peuple, jamais il n'estimera avoir lieu pour les
causes qu'il plaide, ains seulement pour les prières que nous faisons à
Dieu et aux Saints. Que j'appelle Cicéron Advocat, comme nous appelons
aujourd'huy ceux qui plaident, il n'y a homme si peu nourry en ancienneté
qui ne sçache tout aussitost que je ravale grandement la dignité de cest
ancien estat; et de fait Tacite ou celuy qui sous le nom de luy, a fait
un dialogue de l'eloquence de son temps, monstre bien que ceste grande
splendeur de parler au public estoit lors grandement decheue, parce que
ceux qui l'exerçoient estoient plustost nommez Advocats qu'Orateurs 26.

26 Etienne Pasquier, Œuvres, éd. cit., t. Il, 1. Xl, lettre 6, à Monsieur Tour-
nebu (Turnèbe), p. 294. Cette distinction entre avocat et Orateur, plonge ses
racines dans la langue latine elle-même: l'advocatus n'est qu'un consultant
juridique, un simple «conseil" ou «assistant", \ avant de se spécialiser sous
l'Empire en «avocat» au sens purement judicIaire du terme; l'Orator ou
porte-parcle, exerce une véritable magistrature civique, surtout dans l'accep-
tion que lui donne Cicéron. Voir A. Michel, Rhétorique et philosophie, ouvr.
cit., p. 233: l'éducation oratoire ne s'embarrasse pas de former de simples
advocati ou pragmatici chargés de plaider les petites causes du droit. Elle
ne prépare pas seulement aux procès privés, pour lesquels Cicéron, dès le De
Inventione, nous dit sa méfiance. Elle vise au plus haut d'une carrière romaine.
Elle veut être l'éloquence du sénateur qui parle avec une autorité universelle.
« Qu'y a-t-il enfin d'aussi royal, d'aussi libre, d'aussi généreux que de porter
secours aux suppliants, de relever ceux qui sont accablés, de donner le salut,
de libérer des périls, de retenir tous les citoyens dans l'Etat?» Et un peu
plus haut: «Qu'y a-t-il de plus magnifique que de voir les mouvements du
peuple, les scrupules des Juges, la gravité du Sénat, retournés par les paroles
d'un seul homme?» 0, 8, 32, De Oratore, trad. Courbaud). Il est évident que
dans le contexte institutionnel des Parlements français, seuls les magistrats
pouvaient s'appliquer de telles formules. Les avocats n'y étaient, sauf rares
CONTRAINTES SUR LES AVOCATS 441
Même mélancolie dans une lettre à Odet de Turnèbe, jeune aVOC:lt
et auteur de la comédie des Contents 27, qui demandait à Pasquier
c d'habiller Cicéron à la françoise ». Celui-ci réplique à l'avocat drama-
turge, que le Stilus Curie Parlamenti n'a pas encore délivré de ses
illusions de jeunesse, que la langue française, langue «naïve », a du
mal à trouver des équivalents au vocabulaire et au style artiste de
Cicéron; d'ailleurs, affirme-t-i1, le Pro Milone, ce sommet de la prose
latine, prononcé devant un Parlement français, «ne seroit pas receu
mais bafoué» :
Quant à nous, admet-il, pour avoir à mesnager nostre industrie avec
des Juges graves, il nous faut estre plus retenus; on nous demande en
nos plaidoyers plus de nerfs et moins de chair 28.

L'ornatus oratoire, qu'il s'agisse des figures de mots, mères de la


musicalité, ou des figures de pensée, mères du pathétique, est banni
du Palais. men loin d'y apparaître comme un rempart contre la sophis-
tique et l'asianisme, Cicéron lui-même y est suspect, et seul un jeune
avocat peut l'imaginer à sa place dans le temple austère de la Justice
Très-Chrétienne.
Fénelon, un siècle plus tard, reprendra la même analyse:
Nos avocats n'ont pas autant d'ardeur pour gagner les procès de la
rente d'un particulier que les rhéteurs de la Grèce antique avaient d'am-
bition pour s'emparer de l'autorité suprême dans une république. Un
avocat ne perd rien, il gagne même de l'argent en perdant la cause qu'il
plaide. Est-il jeune? Il se hâte de plaider avec un peu d'élégance pour
acquérir quelque réputation et sans avoir étudié à fond les lois ni les
grands modèles de l'Antiquité. A-t-il quelque réputation établie? 11 cesse
de plaider et se borne aux consultations où il s'enrichit. Les avocats les
plus honorables sont ceux qui exposent le plus nettement les faits, qui
remontent avec précision à un principe de droit, et qui répondent aux
oojedions suivant ce principe. Mais où sont ceux qui possèdent le grand
art d'enlever la persuasion, et de remuer les cœurs de tout un peuple? 29

Ce passage de Fénelon prouve qu'au début du XVIIIe siècle, l'esprit


du Stilus Curie Parlamenti de Guillaume du Breuil a traversé le classi-
cisme sans dommage, et continue, en dépit d'un peu plus d'élégance dans
la forme chez les jeunes, à régler l'éloquence judiciaire. Mais celle-ci
ne résume pas à elle seule les genres pratiqués au «Sénat ». Comme

exceptions à titre personnel, que des pragmatici. De Rabelais (Pantagruel,


Il, Il) à H. Estienne (Apolo~ie pour Hérodote, ch. XXIX et suiv.) le dédain
de l'humanisme érudit françaIs rencontre celui des magistrats érudits pour ces
bavards mercenaires. Il y aurait toute une histoire sociale et littéraire des
avocats à faire, jusqu'à leur réhabilitation complète sous la III' République.
27 Cet Odet de Turnèbe (Tournebu) est le fils d'Adrien. Voir sur lui
Radouant, Guillaume Du Vair, Paris, 1908, p. 49 et suiv.
28 Pasquier, lettre à Turnèbe cit.
29 Fénelon, Lettre sur les occupations de l'Académie, IV, Projet de rhé-
torique.
442 ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETTRES

nous l'a montré l'exemple de l'avocat Lemaistre en 1487, l'éloquence


épidictique a sa place au Palais; et elle est confiée aux avocats les
plus en vue, qui y trouvent une occasion privilégiée de se faire valoir.
Arnauld d'Andilly, dans ses Mémoires, évoque avec orgueil ces occasions
qui transforment le «Sénat» en Académie:
Chacun sait, écrit-il, que les présentations des officiers de la Couronne,
telles que sont celles des connétables, des amiraux, des ducs et pairs et
des maréchaux de France, sont les plus grands efforts de l'éloquence,
parce qu'elles sont de ce genre démonstratif et sublime qui ne doit rien
avoir que d'élevé, d'i11ustre, et de noble et qu'ainsi pour réussir elles
doivent être des chefs d'œuvre, comme le Panégyrique de Trajan par
Pline en est un, qui passe avec raison pour une merveiIle de l'Antiquité.
Or feu mon père a fait seul quatorze de ces actions extraordinaires, dont
tout le reste du Palais ensemble n'en a fait qu'onze ou douze 30.

François 1er n'avait pas cru mieux honorer Charles-Quint en visite


à Paris qu'en l'emmenant écouter une de ces fêtes du langage français.
Et Henri IV suivait la tradition de ses prédécesseurs lorsque, voulant
faire «une faveur extraordinaire l> au Duc de Savoie, il le mena «en
son parlement », «comme dans le plus auguste sénat de l'Europe »,
et y fit plaider devant lui «un bel cause », après avoir demandé à M.
Robert et à M. Arnauld «de s'y préparer» 31.
Enfin, même s'il est de règle que l'éloquence politique soit hors de
portée du causidicus d'Ancien Régime, les circonstances exceptionnelles
ne lui manquèrent pas pour enfreindre cette obligation de réserve. Le
Parlement réfugié à Tours sous Henri III et Henri IV fut trop heureux
de trouver en Antoine Arnauld un pamphlétaire de talent. Et aussi
bien le fondateur de la «famille éloquente» de Port-Royal que son
beau-père l'avocat Simon Marion, ou son vieux collègue Estienne Pas-
quier, durent leur titre de «Cicérons» français aux philippiques à
caractère autant politique que judiciaire déchaînées par eux contre les
jésuites. En attendant la Fronde, la Révolution, et l'apothéose de l'avocat
sous la lII e République, les guerres civiles et religieuses de la fin du
XVIe siècle furent une étape importante dans la lente ascension du
causidicus médiéval vers la plénitude de l'Orator à l'antique.
Mais l'éclaircie offerte aux avocats du Palais par les luttes religieuses
et civiles, si elle fut l'occasion pour plusieurs d'entre eux de se donner
carrière dans l'éloquence délihérative, ne dura point. Tenu en lisière
par le Conseil du Roi, le Parlement sous Henri IV est réduit au judiciaire,
ou au démonstratif. Et les avocats, tenus en lisière par les magistrats,
doivent plus que jamais attendre de ceux-ci les normes d'une éloquence
propre à un Parlement «chrétien et français ».

80 Arnauld d'Andilly, Mémoires, éd. Michaud et Poujoulat, t. IX, deuxième


série, p. 408.
31 Ibid.
APORIES DE LA RHÉTORIQUE DES MAGISTRATS 443

C'est aux magistrats que nous devons demander de préférence la


définition humaniste de la rhétorique institutionnelle du Palais .


••
En effet, la majesté de la magistrature, ses prétentions à ne point
se cantonner dans la chicane, mais à «vérifier» tous les actes de la
Couronne, à veiller sur les «Lois fondamentales », sur l'orthodoxie
gallicane, sur les mœurs, semble correspondre à l'idéal antique de
l'Orateur, que Cicéron dans le De Dratore incarne justement dans la
personne de riches et influents «Pères conscrits ». Le Parquet du
Parlement de Paris, aspirant à regagner les antiques prérogatives de
la Curia regis, voire de se poser en Etats-Généraux permanents, aimait
à se qualifier et à s'entendre qualifier de Senatus 82. Les magistrats de
c Grande Robe» ne pouvaient hésiter à s'attribuer le privilége d'unir,
selon le mot d'ordre humaniste, la «philosophie et l'éloquence ». C'est
bien à cette prétention que La Roche-Flavin fait écho dans un passage
fort suggestif de ses Treize Livres de Parlement:
Or bien que l'éloquence ne soit autre chose qu'un déguisement de la
vérité, et un artifice de faire trouver bon ce qui est mauvais, et droit ce
qui est tort et bossu, et faire chose grande de rien et d'une fourmy faire
un Elephant, c'est-à-dire pratiquer le bien mentir, toutesfois elle est fort
requise aux Magistrats chefs de Compagnies, comme aux Presidens, mes-
mes aux Premiers des Parlements. Car l'éloquence en la bouche d'un
homme de bien et de créance donne de fort grands effets: un seul mot
d'un homme digne de foy, dit Polybe, peut destourner les hommes des
mauvaises entreprises et les porter aux bonnes. Et il n'y a rien qui plus
aye 'de force sur les âmes que la grâce de bien dire, comme nos pères
anciens figuroient Hercules Celtique en un vieillard qui traÎnoit après soy
les peuples enchaisnés et pendus par les oreilles avec chaisnes qui sor-
toient de sa bouche pour montrer que les armes et puissances des Roys
et Monarques ne sont pas si forts que la véhémence et ardeur d'un homme
éloquent... A cause de quoy. à tous les chefs de Justice et Gouverneurs
des Villes et Républiques, l'éloquence est fort requise par l'advis encore
de ce grand Orateur Conseiller d'Estat et Sénateur romain, Cicéron ... 11
est vray que le bien dire est requis au Magistrat, mais sans affeterie, son
éloquence doit plus paroistre en la facilité du naturel propre à cela qu'une
trop curieuse recherche d'art... 83.

Dans sa maladresse même, ce texte met bien en évidence le dilemme


des magistrats humanistes. Leur autorité morale et religieuse, voire

32 Voir, outre la note l, Philibert Boyer, Le sti/e de la Cour de Parlement


et forme de procéder en toutes les Cours souveraines ... , Paris, P. Pautonnirr.
1606; dans sa dédicace à L. Servin l'auteur attribue à <<l'authorité et gran-
deur de la Cour de Parlement» « les lois des meilleures du Senat TOmain»
(sic). Voir aussi P. d'Aulberoche, Rhetor Grasstnorum, Panegyricus de au gus-
tissimo Franciae Senatu, Paris, 1626: éloge de l'éloquence sénatoriale des
Bellièvre, Potier, Séguier, Molé, Talon, Bignon.
33 La Roche-Flavin, Les Treize Livres de Parlement, éd. cit., p. 375.
444 ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET REPUBLIQUE DES LETTRES

politique et législatrice, postule, depuis la Renaissance des «bonnes


lettres», une autorité oratoire. Mais inversement, celle-ci doit être au-
dessus de tout soupçon de « rhétorique », et donner l'exemple aux avocats,
mais aussi à la France gallicane, d'une parole chrétienne fondée en
vertu et en vérité.
De ce dilemme - mais aussi du souci de ne pas rompre avec les
traditions de l'institution vénérable - est née au XVIe siècle la rhétorique
humaniste des magistrats.


••
Bon observateur, et d'ailleurs un des initiateurs de la réforme oratoire
des années 1590-1610, Etienne Pasquier nomme le Père de la rhétorique
des magistrats humanistes: Guy du Faur de Pibrac. Il affirme que pour
celui-ci, le véritable modèle antique à imiter n'était pas Cicéron, mais
Plutarque 34. L'auteur des MoraUa avait tout pour plaire à un magistrat
érudit gallican: antiquaire, il apparaît sur le tard de la culture païenne,
et son érudition encyclopédique justifie celle de l'humanisme à la fran-
çaise; théologien, en même temps que philosophe et moraliste, il peut
passer pour un dépositaire de la prisca theologia dont la philologie
gallicane s'efforce de retrouver la lumière première; historien des Vies
exemplaires, il a dressé dans le personnage de Caton, ou celui de Phocion,
('image du magistrat « éloquent sans rhétorique », fort de sa seule
autorité morale.
La prose des Moralia, tissu de citations se glosant les unes les
autres, obéissait au même type d'« invention» que les écrits et les
discours des humanistes de Robe gallicans, mosaïques de citations pui-
sées dans l'encyclopédique mémoire des Polyanthées et Cornucopiae où
se résumait la sagesse antique et chrétienne. Dans la version qu'en
donna Amyot, elle fournit aux doctes du Palais un modèle de style faisant
la transition entre la prose juridique médiévale, chargée de citations
des Ecritures et du Digeste, et un style humaniste qui tînt compte de
l'enrichissement des «librairies» des gens de Justice., Si bien que le
même Amyot, dont les traductions de Longus et d'Héliodore, et le Projet
d'une Eloquence royale fixeront l'orientation du «langage de Cour »,
fut aussi, par ses traductions de Plutarque, le principal maître du « style
de Parlement» tel qu'il fut pratiqué en 1570 environ à 1630 au moins.
Pasquier, qui veut pour la France une «éloquence à l'antique »,
proteste:
Mais il y a une bien grande différence entre celuy qui enseigne par
les livres, et qui harangue en public, entre celuy qui traicte de Philo-
sophie et en baille les préceptes, et celuy qui parle devant le Sénat:
entre celuy, dy-je, qui veut paroistre lettré devant le monde, et l'autre
qui veut estre Orateur 35.

34 Etienne Pasquier, lettre à Loisel, cit. supra, n. 3.


35 Ibid.
LES «REMONSTRANCES D'OUVERTURE» 445
Dans l'idée humaniste de l'Orateur que veulent illustrer les magistrats
du Parlement, la philosophie l'emporte sur l'éloquence, les « sentences»
tirées des sages païêns ct des Pères de l'Eglise ont pris la place des
citations des Ecritures Saintes. Et cette « rhétorique des citations :t, écart
prudent et limité p:lr rappCirt au style « gothique », a été imitée par les
avocats pour plaire au P:trql!~t:
Ceste nouvelle manière de plaider, si je ne m'abuse, est venue d'une
opinion que nous eusmes de contenter Monsieur le Président de Thou
devant lequel, ayant à parler et voyant son sçavoir estre disposé à telles
allegations, nous voulusmes nous accomoder à l'aureille de celuy qui
avoit à nous contenter 36.

Une «aureille» érudite appelle un style du discours moins attentif


à la «douceur» ct à la «véhémence» des «mots» qu'à la substance
des «choses », c'est-à-dire de ces allégations grecques, latines, voire hé-
braïques et chaldéennes que le P. Caussin feignait d'admirer dans sa
description du stylus Parlamenti publiée en 1619.
Sur la foi de Pasquier, de Du Vair et des ricanements ultérieurs des
gens du monde, on est tenté de sous-estimer le prix et la signification
historique de la première rhétorique officielle française dont le déclin,
au demeurant fort lent, commence à la fin du XVI" siècle. Sainte-Beuve
a réussi, au XIX" siècle, à racheter Ronsard et la poétique de la Pléiade
du terrible soupçon de « pédantisme» qui les avait à peu près ensevelis
depuis 1660. Or ce sont les doctes, amis et protecteurs de Ronsard, qui
ont mis au point, vers 1560-1570, une rhétorique et un grand style de
célébration en prose qui nous semblent aujourd'hui négligeables. Si la
poétique et l'œuvre de Ronsard peuvent passer pour des créations per-
sonnelles, la rhétorique et le genre des «Remonstrances d'ouverture:.
sont l'émanation quasi impersonnelle d'une puissante institution. Elles
n'avaient tout leur sens que dans le rituel solennel et quasi religieux
du Palais. Elles n'ont engendré aucun chef-d'œuvre, capable de conserver
son pouvoir de signifier au-delà du temps où il est né. Ou plutôt, le
seul chef-d'œuvre qui ieur soit apparenté, les Essais de Montaigne,
n'a pu naître qu'à l'écart des rites officiels de l'institution parlementaire,
dans un effort solitaire pour faire servir l'impersonnelle «rhétorique
des citations» à une quête individuelle, et à un style personnel.
Mais ce qui ne mérite pas l'attention du critique littéraire et de
l'homme de goût attire celle de l'historien, y compris de l'historien de

36 Ibid. Pasquier ajoute, traitant ce style de «gothique », ou «à la mo-


derne» (par opposition au style à l'antique de Cicéron et de Démosthène) :
« Nous seuls entre toutes les nations nous faisons profession de rapiécer ou
pour mieux dire rapetasser nostre eloquence de divers passages.» Destinée à
plaire au «sçavant» Président de Thou, qui selon Masson (voir n. 1(0) était
memoria joecundus et judicio reclus, cette éloquence met en évidence les res-
sources de l'invention de l'orateur, les trésors de sa mémoire, qu'un style uni,
cicéronien, masquerait. Etre « sçavant » et être judicieux ne font qu'un. Le judi-
cium ici est dans l'ordre du vrai et du bien, et non dans celui du beau. Il ne
s'arrête pas à la forme.
446 ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETTRES

la littérature. Ne serait-ce que pour percevoir la distance qui sépare


les chefs-d'œuvre de la norme officielle avec laquelle ils biaisent. L'étude
de celle-ci, de ses difficultés, de son évolution nous paraît un préalable
indispensable. D'autre part, on peut estimer que cette rhétorique insti-
tutionnelle des magistrats humanistes est, en elle-même, sinon une
réussite de l'art du XVIe siècle, du moins un monument hautement signi-
ficatif de sa culture. Elle est le fruit d'un compromis difficile entre le
passé et le présent, entre une idée platonico-chrétienne de la Parole,
ct l'éloquence à l'antique, entre l'aspect sacerdotal et l'aspect politico-
juridique de l'élite humaniste du Palais.
Cette magistrature oratoire s'efforce de faire du Parlement, vivifié
par la République des Lettres, le haut lieu d'une réforme religieuse,
intellectuelle et morale, ramenant à leur définition originelle l'Eglise
et le Royaume gallicans.


••
Nous avons vu sur quelles assises institutionnelles reposait la rhéto-
rique des magistrats humanistes; il nous reste à faire un détour par
la République des Lettres pour comprendre sur quel fond de querelles de
rhétorique a pu s'établir le compromis que Pibrac et ses COllègues
introduisent au Parlement de Paris, dans les années 1560-1570, avec
le genre nouveau des «Remonstrances d'ouverture ».

2. La quête d'une éloquence philosophique,' débats autour de l'atticisme


au XVI" siècle en France.

Même si l'humanisme avait, bien avant le règne de François 1er , de


fortes racines nationales en France, indépendantes de l'humanisme
italien 37, ce que Franco Simone appelle « conscience de la Renaissance»
coïncide de ce côté des Alpes avec la carrière, l'œuvre et la haute
figure fondatrice de Guillaume Budé 38. Celui-ci, appartenant à une
dynastie de serviteurs du Roi, ne fut du Parlement qu'à titre de Maître
des requêtes. Mais par sa formation juridique, ses alliances, ses amitiés,
il appartenait à la Grande Robe parisienne. Sa première œuvre, les
Adnotationes ad Pandectas, posait les principes d'une nouvelle méthode
d'étude et d'enseignement du droit romain. L'école française de droit
civil, qui en sortit, donna aux magistrats gallicans des armes redoutables
dans leur lutte séculaire contre les juristes pontificaux 39.

37 Voir Franco Simone, II Rinascimento francese, ouvr. dt.


38 Voir Louis Delaruelle, Etude sur l'humanisme français. Guillaume Budé ....
Paris, H. Champion. 1907; D.R. Kelley, « G. Budé and the first historical school
of law». American Historical RevieIV. LXXII, 1967, p. 807-834; E.F. Riee,
The Patrons .... art. cit.. p. 732-738, M.M. de la Garanderie. Christianisme et
lettres profanes .... th. dactyl. cit., et David O. McNeil. G. Budé and humanism
in the reign of Francis l, Genève, Droz, 1975.
39 Voir notes 7 et 8.
LA «VITA BUDAEI" DE LOUIS LEROY 447
Plus taid, sous François [er, ce n'est pas en révolté ou en persécuté
qu'il se fera l'avocat infatigable des sludia humanitatis et d'un Collège
trilingue, mais avec l'autorité que lui conférait, autant que son talent
et son savoir, sa stature de haut magistrat. Réformateur, il travailla à
l'intérieur des institutions monarchiques, et dans le sens des traditions
royalistes et gallicanes de sa caste. Par son œuvre, qui fixa pour
longtemps des lignes de force de l'humanisme érudit français; par sa
carrière, qui montrait que les sludia humanitalis pouvaient conduire
aux plus hautes responsabilités; par son style de vie, partagé entre les
negolia de l'homme d'Etat et l'olium studieux de ses deux maisons de
campagne, l'une à Saint-Maur, l'autre à Marly, il créait le patron sur
lequel les hauts magistrats du XVIe et du XVIIe siècles dessineront leur
propre biographie.
Le choix rhétorique d'un tel homme ne pouvait pas rester sans consé-
quences sur l'avenir de la rhétorique humaniste française. L'année même
de sa mort, Louis Le Roy, dans sa Vila Ouglielmi Budaei, narre une
véritable «Querelle» autour du style de Budé 40.
Il s'agit pourtant d'une biographie, où les éléments hagiographiques
ne sont pas absents. La conversion brusque de Budé aux sludia humani-
fatis, après une « période mondaine », l'ascèse presque féroce qu'il s'im-
posa ensuite, la grave maladie «mélancolique» qui en fut le prix,
l'hostilité de son père à une aussi radicale rupture avec les intérêts
mondains, tout évoque d'abord une biographie de saint médiéval. Mais
celle-ci prend Uil tour inattendu: Budé se marie, fonde une nombreuse
famille, comble au-delà de ses espérances l'attente ambitieuse de lion
père, soigne sa fortune 41, bâtit abondamment, et dans les travaux cam-
pagnards des dernières années, trouve un admirable équilibre entre la
vie du chrétien et du savant d'une part, la vie du père de famille et du
grand serviteur du Roi d'autre part. Mais Louis Le Roy, tout en célébrant
son héros et en le donnant en exemple, diffère de l'hagiographe tradi-
tionnel par les critiques qu'il hasarde contre lui.
Cette Vila Budaei, pour près du tiers, est consacrée à une dispulatio
entre les deux géants de la Renaissance du Nord, Erasme et Budé.
Dispulalio qui nous intéresse ici au premier chef, puisqu'elle porte sur
le style respectif des deux grands hommes, et qu'elle domine à notre
avis, en la gauchissant par rapport au «modèle» italien, l'histoire de
la Querelle cicéronienne en France.
Le Roy l'admet, non sans une sorte de réserve: Budé a été le Cicéron
français, auteur d'une lranslatio sludié de la Grèce et de la Rome
antique en France, aussi décisive que celle dont Cicéron fut l'auteur de

40 Guglielmi Budaei viri clarissimi vila per Ludovicum Regium; Paris,


J.Roigny, 1540.
41 Ibid., p. 35 (faussement numérotée 25) et 36. Voir aussi p. 22 un thème
du De Asse: l'opulence du monde antique.
ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETTRES

la Grèce à Rome. Mais il n'a pas imité le style de Cicéron: puisant


directement aux sources antiques, sans passer par la médiation cicéro-
nienne et italienne, il fut un miracle de la Nature française. Dès lors,
son style est aussi déroutant, inclassable, et original que s'il avait été
Grec et Romain, pliant ces langues, comme, si elles lui avaient été
natives, à son génie propre. Il est plutôt un auteur antique de plus qu'un
écrivain ayant suivi la filière académique de Cicéron et de Quintilien.
Une sorte de Michel-Ange de l'écriture néo-latine.
Son style, écrit Le Roy, est ample, abondant, grave, orné, véhément,
grand par le choix des mots, et travaillé en toutes ses parties. On trouve
chez lui des sentences rares et profondes, des mots choisis et illustres,
des figures nombreuses, des métaphores et des allégories en foule (fralla-
tiones crebrae), des périodes (trop?) étendues (ambitus productiores), un
rythme grave et plein de dignité, des passions ardentes, une étonnante
amertume, surtout lorsqu'il stigmatise les mœurs corrompues de son siè-
cle. Tout ce qu'il entreprend, il l'orne des plus éclatantes lumières de
l'éloquence; avec élégance, il rend les choses modernes plus imposantes;
avec science il donne aux choses antiques un air moderne 42.

Au spectacle de ce plafond de la Sixtine, Le Roy étonné risque


quelques réserves. Il y a là un goût choquant de l'extraordinaire (dum ill
media posita refugat, longinqua prosequitur), une trop audacieuse créa-
tion de néologismes à partir du grec, afin de fuir le banal, le vulgaire,
le commun (tritum, vulgare, commune), afin de se maintenir toujours
dans un registre de gravité; il Y a là aussi une abondance qui ne se
tempère pas, pour éviter que le style ne s'abaisse jusqu'au vulgaire
(ad humilitatem vulgi), et ne se montre toujours sublime et grandiloquent
(sublimis et grandiloquens); le plus souvent ce Michel-Ange néo-latin
semble jouer on ne sait quel rôle tragique et raboteux (nescio quid
tragicum et confragosum personare). Cette terribilità cultivée par Budé
rend son œuvre inaccessible au grand public.
Littéralement obsédé comme par un «monstre de Nature », Le Roy
revient encore à la charge. Ces métaphores et allégories magnifiques
n'ont-elles pas l'obscurité des énigmes? Ces pensées rares et profondes
(raras et insigniter argutas) ne sont-elles pas le plus souvent indéchif-
frables ? Ce sublime éblouissant et continu, qui ne ménage aucun refuge
ombreux au lecteur, n'est-il pas aux antipodes de la simplicité natureIte
(a naturali simplicitate longius recedere), ne se vide-t-il pas de sang
pur (verum sanguinem perdere)? Budé écrivait d'ailleurs dans un état
second:
Une sorte de feu du génie (aestus ingeniz) l'arrachait à la terre, et
l'emportait vers les hauteurs loin du regard de la plupart des hommes,
sans lui laisser la possibilité ni de carguer ses voiles ni de les déployer

42 Ibid., p. 25.
LA «VITA BUDAEI» DE LOUIS LEROY 449
en les contrôlant: s'abandonnant aux vents, il était entraîné là où l'en-
thousiasme devait le conduire 43.

On s'explique mieux dès lors que chez ce mélancolique inspiré et


génial «à peu près rien de ce qu'il a dit ne l'a été méthodiquement
(partite), avec précision (definite), distinctement (distincte)>> 44.
Autre explication: il fut un autodidacte (initio parum liberaliter edll-
calione doctrinaque puerili institutus), personne ne lui montra le vrai
chemin de l'éloquence (veram eloquendi viam), et ne réprima les fougu(!s
de sa jeunesse en l'obligeant à imiter les écrivains et les orateurs les
plus achevés.
Pour balancer l'influence dangereuse de ce géant, vers qui se tourner,
sinon vers un autre géant, Erasme? Le Roy cite les reproches que le
sage de Rotterdam avait adressés à Budé, et rapporte les réponses apolo-
gétiques de celui-ci 46. Et surtout, il cite longuement une lettre de Chris-
tophe de Longueil qui avait tenté d'arbitrer la querelle en traçant I1n
parallèle entre Erasme ct Budé. Il a~sociait le premier à l'urbanité de
la comédie, à la suavité du lyrisme, à la liquidité de l'élégie, et le second
à la rauque sonorité du tragique et de l'héroïque 46. Mais, tout en
reconnaissant les mérites des deux grands écrivains, il semblait pencher
en faveur de Budé. Longueil écrit en effet:
Budé semble en faute de ce qu'il n'en commet aucune; Erasme de
ce qu'il cède à ses défauts 47.

L'un en somme est trop sublime, trop dédaigneux de l'auditoire;


l'autre trop attentif à celui-ci, et ne résiste pas, pour plaire, à la
vulgarité. L'un s'élève trop haut, l'autre descend trop bas.
Chacun de ces trois styles se veut philosophique. Celui de Budé,
à la manière du théologien-poète célébré par Socrate dans le Phèdre,
met au service de la vérité les mythes, les métaphores, l'ornement de la

43 Ibid., p. 27. Le Roy s'étend par ailleurs sur les symptômes d'un cas
exceptionnel de mélancolie chez Budé. N'ayant épargné ni son temps ni ses
forces physiques, pendant ses études tardives et prodigieuses, il tombe malade,
il subit une trépanation «pour laisser évaporer les humeurs» (p. 20). Voir
aussi, p. 17, remarques sur la grandeur d'âme savante de Budé, dissimulator
doctrinae suae: Nemo illo parcius loquebatur, nemo minus aliis sese vendi-
ta bat, nihil unquam tere nisi peteres, nisi etiam rogares, explicabat. Ce sens
quasi sacerdotal de la gravité de la parole, ce sentiment sombre et austère
d'en être l'économe et le dépositaire, mettront pour longtemps leur marque
sur l'humanisme gallican.
44 Ibid., p. 27.
45 Ibid., p. 28. Voir la Correspondance Erasme-Budé, éd. et trad. p. M.M.
de la Garanderie, Paris, Vrin, 1967. Sur les rapports entre les deux huma-
nistes, v. David O. McNeil, ouvr. cil., ch. VI, p. 61 et suiv.
46 Le Roy, ouvr. cit., p. 29. Voir aussi, p. 12, sur les relations entre Lon-
gueil et Budé.
47 Ibid., p. 30. S'ils devaient écrire l'histoire, Budé serait plus proche de
Thucydide que de Salluste, Erasme plus proche de Tite Live que d'Hérodote.
450 ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETTRES

poésie. Celui d'Erasme plus négligé, se veut l'héritier de l'ironie socra-


tique .. Celui de Longueil fait de l'ascèse de l'élocution parfaite, à la
Lysias, une ascension spirituelle.
Budé et Erasme mettent l'accent sur l'invention, danS un esprit et
avec des résultats tout différents. Longueil met l'accent sur l'élocution.
Mais par leur sens aristocratique de la forme, Budé et Longueil s'écartent
d'Erasme soucieux de s'accommoder à un vaste public.
Ce débat est moins dans la sphère de De Oratore que, très directement,
dans celle des dialogues de Platon sur la rhétorique. Budé et Erasme
semblent hériter chacun d'un aspect de Socrate, le démonique pour le
premier, l'ironique pédagogie pour le second. Quant à Budé et Longueil,
tout se passe comme si chacun d'eux s'était placé sur l'un des deux
versants du sublime selon le Ps. Longin: le sublime d'enthousiasme
d'Homère, de Thucydide et des Tragiques pour le premier; le sublime
régulier de Cicéron et de Virgile, pour le second. Le climat de l'humanisme
français, dans les deux premiers tiers du XVIe siècle, est platonicien et
néo-platonicien 48, cela n'est pas sans conséquences sur la manière de
poser les problèmes rhétoriques et poétiques .


••
A ce débat, qui a lieu en latin, et qui médite sur des modèles grecs,
s'ajoute le débat sur la langue vul:;aire. Louis Le Royen est un bon
témoin, qui en 1551, dans la préface à sa traduction des Olynthiaques
d~ Démosthène, complétera le programme de la Deffence et illustration
de la langue française par un plaidoyer en faveur de la prose vulgaire,
et des traductions qui peuvent la hausser au rang de prose philosophique
et de prose d'art 49.
La réhabilitation de la prose vulgaire portait naturellement du côté
d'Erasme. Rabelais est un èrasmien, par son goût du comique et de
l'ironie porté jusqu'au «lascif» et au «vulgaire », excès que Longueil
reprochait déjà à Erasme. Peut-être cependant garde-t-i1 de Budé le
sens de l'inspiration enthousiaste, puisant directement aux sources de

48 Voir Dagens, Bérulle, ouvr. cit., et en part. biblio., p. 401-402.


49 Le Timée de Platon. Trois oraisons de Demosthène, prince des Orateurs,
Paris, M. de Vascosan, 1551. Voir en tête de sa traduction du Banquet, en 1558,
un poème de Du Bellay:
jusqu'icy nous avons pour le fruict pris la fleur
L'escorce pour le bois, pour le vif la couleur,
N'employant nostre esprit qu'au labeur poëtique.
Mais apris et en pris nous serons ceste fois
Puisque Loys Le Roy nostre Platon françois
Nous apprend l'eloquence et la doctrine attique.
Sur Le Roy, voir W.L. Gundersheimer, The life and works of L. Le Roy,
Genève, Droz, 1966, surtout p. 29: «The translations of the 155O's. »
ENTRE BUDÉ ET ÉRASME 451

l'origine, féconde en métaphores et en allégories qui enveloppent la


richesse, cachée au vulgaire, des «choses» ultimes de la sagesse.
Mais une autre voie s'ouvrait: celle qui obtiendrait du français ce
que Budé avait arraché au latin médiéval, lorsqu'il le contraignit à se
hausser au niveau du grec d'Homère, des Tragiques, et de Thucydide.
Montaigne en ce sens est budéen : autodidacte du vulgaire, lui dont le
latin fut la langue maternelle, il demande à l'enthousiasme, au démon
de Socrate 5Q l'énergie qui forcera le français à prêter sa voix à Socrate,
à Caton, à Sénèque. Effort de Titan, comparable à celui de l'helléniste
Budé sur les sordes et faeces du latin des moines et de Bartole. Budéen,
il l'est encore par SOIl art étrange de la digression, qui semble obéir
docilement aux caprices impérieux et imprévisibles d'un «dieu inté-
rieur» 51. Aussi est-il sensible au « sublime d'enthousiasme », qu'il décrit
dans les termes même du Pseudo-Longin 32.
Pas plus que le plébéïen Rabelais n'avait oublié la leçon aristo-
cratique de Budé, l'héroïsme langagier de Montaigne n'oublie la leçon
d'ironie érasmienne. Son style qui sait s'élever au sublime, sait aussi

30 Montaigne, Essais, 1. l, 12, éd. Pléiade, p. 65: «Le démon de Socrate


était à l'advanture certaine impulsion de la volonté... Chascun sent en soy
quelque image de telles agitations d'une opinion prompte, vehemente et for-
tuite.» Rapprocher de III, 3, ibid., p. 915: «Aux premieres pensées qui luy
viennent, (mon esprit) s'agite et faiet preuve de sa vigueur à tout sens... Il a
de quoy esveiller ses facultez par luy mesme. Nature luy a donné, comme
à tous, assez de matiere sienne pour son utilité, et de subjects siens assez où
inventer et juger.»
C'est sur de tels passages que s'appuiera Mlle de Gournay pour attribuer
à Montaigne, «le plus haut présent que les Muses ayent fait aux hommes
depuis les siecles triomphants des Grecs et des Romains» (Dédicace à Riche-
lieu de l'éd. 1636 des Essais), le génie de « fixer la volubilité de nostre langue,
continue jusqu'icy» (Préface à l'éd. 1596).
51 Voir ESSais, III, 9, ibid., p. 1116 : «Je vais au change ... tumultuairement.
Mon stile et mon esprit vont vagabondant de même. Il faut avoir un peu de
folie qui ne veut avoir plus de sottise... » Et il n'hésite pas à rapprocher son
inspiration de prosateur de l'inspiration du poète: «Le poëte, diet Platon,
assis sur le trepied des Muses, verse de furie tout ce qui luy vient en la bouche,
comme la gargouille d'une fontaine, sans le ruminer et poiser, et luy eschappe
des choses de diverse couleur, de contraire substance, et d'un cours rompu. Luy
mesme est tout poëtique, et la vieille theologie poésie, disent les sçavants, et
la premiere philosophie. C'est l'originel langage des Dieux.» Parler (en style
« coupé» !) à partir de cette Origine antérieure aux écoles philosophiques,
c'est retrouver la vérité qui s'est diffractée en elles. Aussi Montaigne peut-il
se targuer d'une «capacité de tirer le vray» antérieure à ses lectures, jaillie
du fond de lui-même, et qui, dans «ses productions hardies et fortes », se
rencontre «conforme au jugement» des «sains discours des Anciens ». La
rhétorique de Montaigne est une rhétorique d'enthousiasme et d'inspiration à
la vérité. Voir encore l, 26, p. 204, un texte d'inspiration philonienne, sur le
logos intérieur et la parole proférée.
52 Voir Essais, l, 37, éd. cit., p. 269: «A certaine mesure basse, on la
peut juger par les preceptes et par art. Mais la bonne, l'excessive, la divine
est au dessus des regles et de la raison. Quiconque en discerne la beauté ... ,
il ne la void pas, non plus que la splendeur d'un esclair. Elle ne pratique
point nostre jugement, elle le ravit et ravage ... })
452 ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETTRES

plus souvent demeurer «pedestre, comique et privé », dans la sphère


du sens commun. Mais un sens instinctif du decorum, accordé à l'honneur
du gentilhomme, le retient au bord du trivial et du grossier. Il sait même
être scabreux avec humour et esprit.


••
Les chances d'un «atticisme clceronien» en français étaient faibles
au XVIe siècle. L'argument le plus fort en sa faveur était d'orgueil natio-
nal : le Tullianus stylus dont Lazare Buonamico s'efforçait à Venise de
préserver la pureté, l'imitation cicéronienne en volgare que Sperone
Speroni, après Bembo, recommandait pour asseoir l'humanisme sur
une plus vaste base, ne pouvaient demeurer le privilège de l'Italie rivale,
admirée et méprisée. Le Tullianus stylus néo-latin trouvera une version
utilitaire chez les érudits. L'imitation de la prose antique en français
prendra plus volontiers la forme d'une imitation et traduction du grec,
chez Le Roy, traducteur de Démosthène et de Platon, chez Amyot tra-
ducteur de Plutarque. La garantie philosophique était indispensable pour
protéger l'art humaniste de la prose du soupçon de délectation sophis-
tique et aulique.
Le cicéronianisme de Padoue et de Venise n'en trouva pas moins
en France un théoricien de génie, Jules-César Scaliger, qui le greffa,
réservant l'avenir, sur l'humanisme français, mais au prix d'une substi-
tution de Virgile à Cicéron, de la Poétique à la Rhétorique. Tant l'huma-
nisme du XVIe siècle, aristocratique et philosophique, se méfie de Cicéron
et de l'art oratoire du Forum.
Formé par l'Italie, mais installé en France où il fit son œuvre 63,
Scaliger était mieux à même que personne de confronter «l'âge
héroïque» du jeune humanisme français, et «l'âge académique» où
était entrée déjà la Renaissance italienne. Longueil et Dolet avaient
entrevu une conciliation rhétorique possible entre 1'« héroïsme» d'un
Budé et l'académisme de Bembo. Scaliger élève cette conciliation à la
dignité d'une histoire et d'une philosophie de l'art, mais sous le signe
de la poésie. Homère et Virgile deviennent, dans les Poetices libri
septem 64, les acteurs allégoriques d'un débat entre le «sublime sans
art» des âges héroïques, et le « sublime régulier» des âges classiques.

63 Sur la biographie de Scaliger, voir Vernon Hall, «J.C. Scaliger's Life


(1484-1558) », dans Transactions of the American Philosophical society, 40,
1950.
54 Poetices libri septem, Lyon, 1561, fac-similé avec introd. par August Buck,
F. Fremann Verlag, Stuttgart, 1964. Voir Rose Mary Ferraro, Giudizi critici e
criteri estetici nei Poetices libri septem, Chapel Hill, Univ. of North Carolina
Press, 1971. Sur le thème central, Homère vs. Virgile, voir Poetices ..., éd. cit.,
1. V, ch. 2, p. 214: Homère avait plus d'ingenium que d'ars, et ce qu'il avait
d'art procédait de trouvailles et non d'un jugement éclairé. Virgile porta cet
art balbutiant à la plénitude de ses puissances.
JULES-CÉSAR SCALIGER 453
Homère fut un génie fondateur, apparu dans un stade primitif de la société
grec(;uc. Virg;le, dcué d'un même génie, bénéficia d'une double tradition
littéraire, grecque et latine, qui dotait son «démon:. d'un goût critique
et des ressources éprouvées de l'art poétique., Au surplus, il apparut au
sein de la société romaine quand tous les organes de celle-ci étaient
pleinement développés, et la langue latine parvenue à la maturité. Son
œuvre reflète cette plénitude, qu'elle porte à la conscience heureuse de
soi.
En préférant le sublime régulier de Virgile au sublime sans art
d'Homère, Scaliger attribue à Rome seule le privilège d'avoir résolu
le dilemme que Platon, dans la République, avait su poser sans pouvoir
le résoudre. La poésie de Virgile n'est pas, comme celle d'Homère,
dangereuse pour l'Etat, les mœurs et la piété; étant le mythe même
des institutions religieuses et politiques, et des mœurs romaines M, elle
ne les menace pas, elle les célèbre et les perpétue par la païdeïa que l'on
peut fonder sur elle. Trop primitive pour la Cité athénienne 66, la poésie
d'Homère ne pouvait lui offrir ni l'image philosophique de sa réussite,
ni les principes d'une pédagogie morale et civique. Elle méritait les
critiques de Platon, qui n'atteignaient pas Virgile.
En somme Homère était venu trop tôt pour la Grèce, tandis que le
génie de Virgile s'était développé à l'heure voulue, pour son bonheur
et celui de la romanité. Homère et la Grèce n'avaient été qu'un premier
essai de la Nature, réussi la seconde fois avec Virgile et Rome. Scaliger
détruisait ainsi deux mythes sur lesquels s'est édifié l'humanisme français
du XVIe siècle: la supériorité de la Grèce sur Rome, la supériorité des
âges primitifs et théologiques sur les époques de haute civilisation pro-
fane dont la réussite suprême est l'Age d'Or augustéen .. II n'est pas
nécessaire de forcer sa pensée pour extraire des Poetices libri septem
un jugement sur le destin des deux « sœurs latines» : il était alors trop
tôt pour la France, trop tard pour l'Italie. L'une avait le génie naturel,
la puissance primitive d'invention religieuse, philosophique et poétique;
l'autre, le secret des arts, y compris de l'art politique, mais sans
l'énergie de l'actualiser. Cette haute et profonde leçon, inspirée par la
sagesse d'Aristote, ne pourra être entendue dans sa plénitude que dans
un stade ultérieur d'évolution de la société française. II faudra que
la notion d'une société civile ayant en soi sa propre justification, ses

55 Pour Scaliger, le langage, vis orationis, sermo noster, est l'instrument de


l'humanisation de l'homme et de la Nature à l'intérieur de la Cité. Son chef-
d'œuvre, c'est la vie civile, dont Rome est la réussite parfaite. Et le chef-
d'œllvre de la vie civile, c'est la poésie, dont l'œuvre de Virgile est la réussite
parfaite. Mais ce progrès d'« artialisation» de la Nature n'est pas une tra-
hison de celle-ci: il «imite» la Nature pour actualiser l'Idée qu'elle porte en
elle, et l'amener dans la société humaine et dans l'homme à la pleine cons-
cience et expression d'elle-même. Comme le dit R.M. Ferraro (ouvr. cit., p. 83)
«Pare che il divino non sia l'origine della poesia, ma il resultato:..
56 Parce qu'Homère est venu trop tôt, et qu'il correspond à un état de
civilisation antérieur à la Cité pleinement développée.
454 ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET REPUBLIQUE DES LETTRES

propres fins, indépendamment de la société religieuse, s'impose aux


esprits; il faudra aussi que la notion d'un art et d'une langue d'art
profanes, adaptés aux fins de la société civile, se développe dans la
France chrétienne, brisant le «mythe du Verbe» que l'humanisme gal-
lican avait d'abord poursuivi. La théorie scaligérienne du classicisme
romain pourra alors s'appliquer aux Belles-Lettres françaises, et les
justifier à leurs propres yeux.
L'impression d'anticiper de plus d'un demi-siècle sur l'évolution des
esprits est aussi forte à la lecture du Ciceronianus de Pierre de La
Ramée 57. Celui-ci fut, comme Louis Le Roy, professeur royal, et en
dépit dcs débats ultérieurs que son programme de réforme des études
à l'Université de Paris suscita entre Ramus et ses COllègues, le Cicero-
nianus est un bon témoin, comme les œuvres de Le Roy, de la tradition
cicéronienne à la française du Collège royal, qui se poursuivra jusqu'au
XVlle siècle avec Jean Passe rat et Nicolas Bourbon le Jeune. Ce cicé-
ronianisme docte n'avait guère de chances au XVIe siècle ailleurs que
dans la prose et la poésie latines. Les traditions du milieu de Robe, le
dédain savant pour la langue vulgaire, s'y opposent. Pourtant il existe,
aussi exigeant qu'à Rome, et son heure viendra lorsqu'il fera sa jonction
avec le cicéronianisme de Cour pour donner naissance à un atticisme
en langue française, sous Louis XIII et Louis XIV. Prophétique à Sil
façon, le Ramus du Ciceronianlls exalte la langue vulgaire, mais dans
un esprit qui doit plus à Erasme qu'à Castiglione. Et en matière de style,
moins pragmatique et éclectique qu'Erasme, il est proche des thèses
du «cicéronien» Scaliger. A ses yeux, seule une frans/aUo méthodique
et judicieuse de l'art de la prose latine à son acmê actualisera les
puissances encore latentes dans la langue moderne du Royaume chrétien.
Comme Le Roy, Ramus adopte le biais de la biographie pour dispenser
un enseignement rhétorique. La métonymie (<< Le style, c'est l'homme
même») est prise assez au sérieux au XVIe siècle pour engendrer un
véritable genre critique. Cette «Vie exemplaire» n'est plus celle de
Budé, dont l'héroïsme et le génie mélancoliques se sont gravés et
éternisés dans un style digne d'eux, mais de Cicéron, saisi à la fois dans
sa carrière politique, ses vertus publiques et privées, et son développe-
ment d'orateur. A chaque étape de son récit biographique, Ramus fait
une digression, et glose, faisant la part de l'ombre et des lumières chez
l'homme Cicéron et dans son art.

~7 Pelri Rami... Ciceronianus, Bâle, P. Cerna, 1573 (Dédicace à Charles


cardo de Lorraine du 8 décembre 1558). Sur la biographie de Ramus, voir
P. de Nancel, Pelri Rami ... Vita, Paris, 1599, Antoine Loisel, Opuscules, Paris,
éd. cit., et Ch. Desmazes, P. Ramus, professeur au Collège de France, sa vie,
ses écrits, sa morl (1515-1572), Paris, 1864. Sur la doctrine rhétorique de
Ramus voir R. Hooykaas, Humanisme, science et réforme, Pierre de la Ramée
(1515-1572), Leyde, E.j. Brill, 1958, et Cesare Vasoli, La dialettica e la reto-
rica dell'Umanesimo, Invenzione, e Metodo nella cultura dei XV e XVI secolo,
Milano, FeltrinelIi, 1968.
LE «CICERONIANUS:. DE RAMUS 455
Trois thèmes essentiels: les progrès de la langue vulgaire, le rÔle
de l'écrit et de l'oral d:ms la pédagogie oratoire, le débat sur l'atticisme
et l'asianisme.
Pour Ramus, les progrès de la langue vulgaire sont le but d'une
ratio studiorunz vraiment cicéronienne. Homo novus du point de vue de
la culture grecque, le latin Cicéron n'en a pas dédaigné pour autant sa
langue maternelle. De même, si le latin est indispensable aux échanges
internationaux, au juriste et au savant, si le grec est nécessaire au
chrétien soucieux de revenir aux sources, la maîtrise du français est
inévitable: c'est en français que plaident les avocats au Parlement,
que les prédicateurs prêchent, que les affaires publiques et privées sont
traitées 68. Il faut donc introduire le français à l'école et en faire l'objet
d'une pédagogie méthodique, comme c'était le cas du latin à Rome.
Les exercices de traduction du grec et du latin en français communique-
ront à celui-ci la pureté des langues classiques. Et de même que Quintilien
conseillait aux 'Latins de se former un style à la fois en latin et en
grec, mais pas seulement en grec, ni sur les seuls auteurs grecs, il faut
que les Français imitent non seulement les meilleurs auteurs en grec
et en latin, Démosthène et Cicéron, mais les auteurs français «qui se
sont employés à enrichir et illustrer leur patrie par la gloire du bien
dire» nD.
Ramus va au devant des objections. Notre langue figure parmi les
plus négligées et méprisées (neglegentiorem sed etiam fastidiosorem).
Elle ne dispose pas même d'une grammaire qui en règle l'usage 60. Y a-t-il
là de quoi désespérer? Jusqu'au De Analogia de César, la langue latine
elle aussi n'a-t-elle pas dépendu du seul bon usage (bona consuetudo)?
Ses poètes et ses orateurs étaient les dépositaires de celui-ci. La France
n'a de poètes que depuis peu, mais de quelle qualité, et en quel nombre 1
Quant aux orateurs, ils sont apparus en même temps que les Parlements,
qui siègent dans chaque province de cet immense royaume. Dans chaque
paroisse, des chaires sont dressées pour curés et théologiens prêchant
les fidèles. En Franœ existe donc le même germe de grande éloquence
qu'en Grèce et à Rome, le besoin de bien parler en présence des juges
et du peuple 61. Point de traces écrites de cette éloquence, donc point
de modèles à offrir aux apprentis orateurs en français? Cela aussi
est faux. Il existe déjà en notre langue des traductions nombreuses du
grec, du latin, de l'italien, de l'espagnol, qui révèlent l'élégance et la
beauté dont est capable notre prose (prosae orationis elegantiam et
venustatem) ; il existe aussi des traités (commentationes) et des ouvrages
de piété (meditationes) en français qui font la preuve d'une non moindre
précision et propriété des termes (accuratam locutionis proprietatem) 82.

58 Cicernnianus, éd. cit., p. 14.


nD Ibid., p. 15.
60 Ibid., p. 16.
61 Ibdi., p. 17.
62 Ibid.
456 ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETTRES

Autant de modèles en acte pour former le style. Qu'a fait Cicéron


pour porter la prose latine à un état supérieur à celui où il l'avait
trouvé? Il a fait son miel de ce qui existait déjà de bon chez les
poètes, historiens, et orateurs des générations précédentes. Imiter Cicéron,
c'est moins reproduire sa prose que répéter le mouvement créateur dont
celle-ci est le résultat, et qui fit d'elle la référence classique de la prose
latine.
En un mot Cicéron a fait passer un bon usage au rang d'art trans-
missible. Mais un tel «miracle» ne pouvait intervenir ni trop tôt, ni
trop tard. Cicéron a rencontré au bon moment l'histoire de la prose et
de la langue latines. Aujourd'hui l'apogée de la latinité est fixé dans
les livres. Mais il est le produit d'une histoire. La langue et la prose
latines eurent leur enfance, leur vieillesse, leur déclin. Nous ne devons
pas imiter l'archaïsme de Caton ct de Plaute, ni la forme tardive
(recentiorem locutionis formam) de Tite Live, Sénèque, Pline, Quintilien
ou Tacite, mais un état de maturité que nous trouvons chez Térence,
Varron, Salluste, César ct surtout Cicéron 63. Chez ces auteurs toutes
les vertus dont est capable la langue latine parvenue à sa perfection
sont pleinement épanouies. Ce sont les vertus de l'atticisme grec accli-
matées en latin. La prose française est donc a work in progress, soutenu
à la fois par l'exemple des succès déjà obtenus, et stimulé par celui
des réussites enregistrées par les langues mortes.
Dans le débat ouvert par Erasme dans le De Copia entre l'amplifi-
cation génératrice d'abondance, ct l'abréviation qui adapte cette abon-
dance au principe de l'aptum, Estienne optera pour l'abondance; Ramus
penche pour une juste mesure réglée par le judicium. Il refuse l'étroitesse
du cicéronianisme italien, et s'il accorde un préjugé favorable au voca-
bulaire tiré de Cicéron, ce n'est pas sans liberté critique: sur certains
mots, l'usage de Cicéron lui-même a varié. D'ailleurs on peut enrichir
le fonds cicéronien en y agrégeant le vocabulaire de Térence, et en
accordant droit de cité à certains mots archaïques, ou nouveaux, employés
dans un sens figuré. Cicéron lui-même a donné l'exemple de l'enrichis-
sement de la langue. Mais jamais au hasard, jamais sans tact ni
jugement. Heureux équilibre entre l'excès de générosité et l'excès de
purisme.
Il en va de même pour la collocatio verborum. Les frontières du
cicéronianisme n'épousent pas chez Ramus les frontières de l'œuvre
de Cicéron. Cicéron est parfois au dessous de lui-même; d'autres auteurs
de l'Age d'or latin sont dignes de lui. Il ne faut accorder à aucun auteur
une autorité absolue et perpétuelle .


••

63 Ibid., p. 18.
LE c CICERONIANUS" DE RAMUS 457

Contrairement à ce que prétend un de ses commentateurs récents,


le P. Ong 6t, Ramus veut former un orateur. Il ne sacrifie nullement la
parole agissant directem:mt sur un public, dans le vif social, au profit
de l'écriture et de la lecture silencieuses. Il se pose avec réalisme le
problème du rôle respectif à attribuer, dans la pédagogie oratoire, à
l'écrit et à l'oral. Il admet qtte le travail écrit sur le style, qui permet de
«cent fois sur le métier remettre son ouvrage ... », est indispensable à
une prose d'art, même si celle-ci est destinée à être prononcée en public.
Mais il tient compte de l'exemple de Cicéron: celui-ci s'est livré avec
des résultats excellents à l'improvisation orale. C'est que dans le premier
cas, ce sont les qualités grammaticales de la prose, sa latinitas, ou son
équivalent en langue vulgaire, qui sont cultivées; dans le second cas,
ce sont les qualités proprement rhétoriques, l'ornatus oratoire. On ne
~aurait sacrifier les secondes aux premières 65.

Même position nuancée sur le problème de l'audition et de la lecture.


Cicéron a écouté, mais aussi il a lu, la plume à la main, si l'on peut dire,
tout ce que son époque lui proposait d'orateurs. ·L'oreille informe l'ima-
gination. La lecture forme le jugement, et permet de peser à loisir les
vertus et les défauts d'un texte. Mais il ne s'agit pas, même pour
suivre Quintilien, de donner à la seconde le pas sur la première. Car
l'assentiment du peuple des auditeurs compte autant que le jugement
d'une élite de savants. A l'exemple de Cicéron, il faut par l'expérience
directe apprendre comment persuader un auditoire réel, et par la médi-
tation silencieuse des textes écrits apprendre comment ne pas décevoir
les doctes.
Mais, dira-t-on, où trouver aujourd'hui l'équivalent des orateurs
auprès desquels Cicéron s'est formé, tant en Grèce qu'à Rome?
Il n'y a point parmi nous de Forum romain où l'éloquence des orateurs
débat de lèse-majesté, de corruption, de concussions, de la tête, de la
réputation, de la fortune des citoyens 66.

Point non plus de Sénat où l'éloquence traite de grandes questions


politiques. Ce genre d'éloquence pleine et régulière (justa) n'a pas d'exis-
tence ni de tradition en France. Tout cela n'est pas faux, admet Ramus.
Et pourtant, la sévérité des magistrats français 67 n'est pas différente
de celle de l'Aréopage athénien: et Athènes a vu l'essor d'une grande
éloquence. D'autre part cette sévérité n'est pas telle qu'elle ne laisse
quelquefois les avocats recréer, émouvoir, indigner l'auditoire. Lors
d'un récent procès, n'a-t-on pas vu toute la ville de Paris se presser
à l'audience du Palais pour écouter les débats? Et le Barreau parisien
n'a-t-i1 pas eu déjà, en Gabriel Marillac et Jacques Aubert, deux orateurs

64 V. W.j. Ong, Ramus method and the decay of dialogue, from the art
of discourse to the art of reason, Cambridge, Mass. 1958.
65 Ciceronianus, éd. cit., p. 47.
66 Ibid., p. 61.
67 Ibid.
458 ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETTRES

qui ne le cédent pas en gravité et magnificence de style aux grands


Anciens? L'éloquence sacrée, telle que l'a déjà illustrée un Jacque"
Guyencourt, n'offre-t-elle pas matière à de nouveaux Cicérons, de nou-
veaux Démosthènes, mais chrétiens cette feis, et supérieurs aux Anciens,
du moins en princip~?
La France est un royaume, certes. Mais ce n'est pas un tyrannie où
la vérité est réduite au silence. La religion et la judicature y sont des
puissances que loin 'd'humilier, les Rois font tout pour honorer 68. Tout
cst en place pour une renaissance chrétienne et française de l'éloquence
antique: comme Cicéron a imité en latin les Attiques, imitons en français
les Grecs et les Latins, non sans transposer, comme il le fit, selon
l'esprit de nos institutions et de notre langue.
Aux antipodes de la pédanterie, la souveraine intelligence de Ramus
ne perd pas de vue la réalité institutionnelle et sociale de la France
qu'il a sous les yeux, et qu'il veut faire «mûrir» comme sa langue,
au contact et à l'exemple de la ({ maturité» antique. Il se déplace avec
aisance de l'Antiquité, qui lui donne un point de vue critique sur les
réalités contemporaines, à celles-ci qu'il ne veut pas habiller d'un décor
antique, mais développer, porter de la puissance à l'acte, et amener à
leur état «classique ». Il n'appelle pas les Parlements Senatus, mais
Parlamenta, selon le terme consacré par l'usage et approprié à cette
institution différente des juridictions romaines: il souhaite que les progrès
de l'eloquentia, qui est à la fois raison et action, philosophie et maîtrise
des hommes et des choses, portent les Parlements, comme les autres
institutions du Royaume, à la plénitude de leur vocation .


••
Le débat entre atticisme et asianisme est le troisième thème essentiel
du Ciceronianus de Pierre de la Ramée. Il est introduit très tôt, et de
façon indirecte, à propos de la culture philosophique de Cicéron. Celui-ci
a rencontré sur sa route, et il a étudié, toutes les écoles philosophiques
de son temps, même le Portique, qui accorde tout à la dialectique, et
peu à l'art du discours. Il en retint beaucoup. Mais il se rallia à l'Aca-
démie, où il trouvait un juste ~quilibre entre philosophie et éloquence.
C'est l'occasion pour le professeur au Collège Royal de souligner un
paradoxe: l'Université de Paris pratique un style «stoïcien », et non
pas péripatéticien ou académicien 69. Le stylus parisiensis, dans la tra-
dition stoïcienne, méprise l'ornement: il fait de la philosophie, comme
les stoïciens, quelque chose de trop subtil, trop ingénieux, trop aride
et triste. A la Sorbonne ce ne sont qu'arguties, disputes, subtilités, épines.
Tout autre est le chemin de Cicéron (iter Ciceronis) qui allie philosophie
et éloquence. Avant même d'aborder le débat interne à la rhétorique

68 Ibid., p. 69.
611 Ibid.
LE c CICERONIANUS:t DE RAMUS 459

cicéronienne, entre atticisme et asianisme, Ramus a donc pris soin de


situer, sur sa droite, le débat entre humanisme et scolastique, entre
philosophie cornée », fécondant les réalités humaines, et une philosophie
sans ornement, repliée sur elle-même. Il a signalé que la severitas des
magistrats du Palais s'est déjà quelque peu détendue, et a laissé s'épa-
nouir les premières lumières de l'éloquence judiciaire. Reste celle, intran-
sigeante, des « théologastres ».
Il est significatif toutefois que Ramus ne s'emporte pas contre cette
sévérité chrétienne, héritière de la sévérité stoïcienne. Il en perçoit la
grandeur, et il ne souhaite pas en détruire l'essence, au moment même
où il lui demande de se convertir à l'éloquence . Et pour que celle-ci,
toute cicéronienne qu'elle se veuille, ne reste pas moins chrétienne que
la théologie scolastique, Ramus va s'appuyer sur la critique des c atti-
cistes» contemporains de Cicéron pour maintenir le «meilleur style:lr
moderne dans les limites acceptables à la conscience platonico-chrétienne.
Son atticisme cicéronien anticipe de quarante ans sur la réforme oratoire
que Du Vair proposera, plus confusément et timidement, dans son traité
De l'Eloquence Française.
Aux extrémistes de «gauche », si l'on peut dire, qui pour prendre
le contre-pied du «style gothique» sont prêts à couvrir de l'autorité de
Cicéron l'abondance la plus déréglée de l'ornatus, Ramus oppose les
accusations d'asianisme que, de son vivant même, les Atticistes ont
portées contre Cicéron:
Qu'il était redondant en plusieurs manières, que sa composition était
relâchée, que l'ensemble de son style, à la fois écrit et oral, était trop
tendu et ardent, autant de vices du point de vue rhétorique; qu'il abusait
des répétitions et se laissait trop facilement aller à des digressions inu-
tiles, ce qui relève de la logique; qu'il manquait de modération dans
les plaisanteries, et de pudeur dans son ostentation, vices contraires à la
modestie et à l'urbanité, et qui relèvent de l'éthique 70.

Ramus examine point par point ces critiques. Il admire l'art avec
lequel Cicéron s'est servi des figures de mots, rythmant ses discours
par un jeu varié de symétries et de dissymétries, de proportions et de
gradations, mais toujours en rapport avec les exigences du sujet (apte).
Il admire également les effets de tension et d'ardeur qu'il a su tirer des
figures de pensée. A l'imitation de Démosthène il a su se montrer délicat,
doux et poli dans les figures de mots, conférant à sa prose une fluidité
plus exquise que le miel; mais il a su en même temps se montrer
véhément, coléreux, sublime, convaincant dans les figures de pensée.
Douce à l'oreille, délectable à la lecture, sa prose n'en fut pas moins
puissante et efficace sur les cœurs et à l'audition 71.
Pourtant, il semble indéniable qu'il y ait eu dans sa nature une
pente asianiste. Elle fut aggravée par le séjour qu'il fit en Asie et en

70 Ibid., p. 185-187.
71 Ibid.
460 ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETIRES

Grèce; aux yeux des Atticistes, et de la plupart des critiques antiques,


la puissance et l'ardeur de ses discours apparurent excessives: furere
et bacc/wri. Peut-être y avait-il un certain désaccord entre la pente per-
sonnelle de Cicéron, qui l'entraînait à un excès d'ornatus, et le public
romain? Le «cicéronien» moderne devra s'en souvenir, et accorder
son style à la capacité de réception du public.
Les faiblesses de Cicéron dans le domaine logique, ses répétitions et
ses digressions inutiles (et l'on songe au style de Budé), dans le domaine
éthique, son goût excessif de la plaisanterie et de la jactance (et l'on
songe, au moins sur le premier point, à Erasme) sont des symptômes
d'une même tendance à l'asianisme. Le cicéronien français resserrera son
style pour lui donner une meilleure tenue dialectique, il ne maniera la
plaisanterie que dans les limites de la pudeur et de la modestie. Il
évitera toute manifestation de vanité. L'asianisme est d'ailleurs un défaut
inhérent à la jeunesse: vieilli, mûri par l'expérience, Cicéron (qui est
probablement ici une figure de la renovatio literarum française) pratiqua
un style plus serré et plus sobre, qui tenait compte de la critique
atticiste 72.


••

Ramus avait posé le problème de la prose française sans dissocier


l'art et l'élégance de l'utilité sociale, politique, philosophique. Son pro-
gramme de réforme de l'Universlté, pour laquelle il composa une Gram-
maire, une Rhétorique et une Dialectique, ne put aboutir. Il fut assassiné
en 1572. Son œuvre, comme celle de Scaliger, était prophétique. Toutefois,
de Ramus à Descartes, l'idéal d'une prose cicéronienne sobre et propre
au maniement des idées survécut dans la République des Lettres
française. Un ami de Ramus, Denis Lambin - qui fut l'un des maîtres
de lA. de Thou au Collège Royal, restait fidèle aux leçons du Ciceronia-
nus de Ramus dans son Oratio de philosophia cum arte dicendi CO/l-
jungenda prononcée en 1568:

Une chose, disait-il, est l'éloquence propre à l'orateur, élevée, vaste,


véhémente, ornée, peignée; autre chose est la diction du philosophe, élé-
gante, pure, choisie, précise, sans fioriture, sans bizarrerie ni barbarie;
car le style philosophique, s'il ne doit pas être trop peigné, ni travaillé
avec art, ni industrieusement poli, ni brillant, ne doit pas être non plus
souillé, pollué, corrompu, ignoble et barbare. De même que dans les confé-
rences entre érudits, la manière philosophique de discuter et d'expliquer
ne doit pas être ornée, attifée, parée, pompeuse, inspirée, amplifiée, pas-
sionnée, vibrante, rythmée, parsemée de toutes les fleurs de mots, étin-
celante de toutes les figures de pensée, de même il convient qu'elle ne
soit pas non plus désordonnée, facile, relâchée, basse, traînante, vulgaire,

72 Ibid.
HENRI ESTIENNE 461

sale, inepte, privée de charme et de correction, barbare, mais mesurée,


calme, nette, pure, précise, limée, subtile, dense, élégante, filtrée 73.

Admirable dosage, aussi éloigné des deux extrêmes, le style barbare


des scolastiques, que de son contraire, le style «monté sur cothurne»
de Guillaume Budé, et prenant le meilleur du style d'Erasme, et du
Tullianus siylus, après avoir rejeté leurs défauts, le «relâchement» et
la « vulgarité» du premier, l'art trop « industrieusement poli» du second.
Cc moule latin semble déjà préparé pour la forme de Descartes .


••
Scaliger, riche d'une expenence italienne, Ramus, héritier de la
reflexion de Rodolphe Agricola sur la Dialectique, échappent chacun à
sa manière à l'empire d'Erasme. C'est la fidélité la plus évidente et
profuse à l'auteur du premier Ciceronianus qui se manifeste dans l'œuvre
d'Henri Estienne, éditeur infatigable et polémiste anticicéronien 74.
Dans ce dernier genre, les œuvres latines du grand éditeur, le Pseudo-
Cicero, le De latinitate falso suspecta, le De Plauti latinitate sont par-
faitement cohérentes avec les thèses de ses pamphlets en français, les
Dialogues du français italianizé, et la Précellence du langage français.
L'hostilité d'Estienne va toujours à l'aristocratisme, que celui-ci se donne
l'alibi d'un grand art «enthousiaste », comme chez les poètes de la
Pléiade 75, ou d'une urbanité affectée à force de se vouloir élégante,
comme chez les « cicéroniens» et les courtisans « italianizés ». Il y a chez
Estienne une robustesse plébéïenne qui le dresse d'instinct contre
l'enflure et l'afféterie, et qui, par réaction, lui rendent fraternels la
richesse populaire de Plaute (à qui Scaliger, comme tous les cicéroniens,
préfère Térence), et la «naïveté» de la langue vulgaire, telle qu'on la
parle à Paris, mais non à la Cour. Le meilleur style latin n'est pas
pour lui celui qui se distingue le plus de celui des auteurs archaïque5
ou tardifs; les premiers sont antérieurs à l'influence sophistique, et les
derniers sont les plus proches des langues modernes et chrétiennes. Loin

73 Dionysii Lambini litterarum graecarum doctoris regii De Phitosophia


cum arte dicendi con;ungenda oralio, Lutetiae, 1568, p. 12. Il n'y a d'éloquence
que philosophique, avait commencé par déclarer Lambin, en l'opposant à la
~ophistique «Dialecticae simula tri x », ou surchargée d'ornements.
74 Sur Henri Estienne, voir outre L. Clément, ouvr. cil., J. Jehasse, ouvr.
cil., passim.
75 Sur les critiques d'Estienne contre la Pléiade, voir Clément, ouvr. cil.,
p. 153. Il épargne Du Bellay. Mais il reproche à Ronsard et à ses amis leur
paganisme, leur pindarisme. Il reprend contre eux les reproches qu'adressait
Erasme à la prose de Budé: trop de métaphores, «façons de parler trop
tragiques pour une prose », enthousiasme incessant et froid. Mais il n'aime
pas non plus leur pétrarquisme qui fait trop de concessions à ['italianisme de
Cour. Ce jugement d'érudit prépare la désaffection des classiques pour la
Pléiade.
462 ~LOQUENCE PARLEMENTAIRE ET R~UBLIQUE DES LETIRES

de vouloir hausser la langue française au niveau des langues classiques,


il la prend telle qu'il la trouve, dans le c bon usage l> du Palais, et
souhaite seulement l'enrichir d'apports antiques, de toutes provenances,
pour la rendre capable de tout exprimer. La prose latine n'est plus dès
lors qu'un doublet. à l'usage des échanges internationaux, de la prose
vulgaire. Entre l'une et l'autre il n'y a plus un rapport de l'acte à la
puissance, ou du modèle à I·imitateur. mais une sorte de symbiose où
le latin n'est pas seul à c nourrir ~ le vulgaire: Estienne ne reculait
pas devant les gallicismes 76.
L'atticisme bonhomme de l'érudit protestant ne pouvait guère triom-
pher. ni à la Cour, ni auprès des magistrats du Palais. A la Cour. parce
que le snobisme y joue et y jouera toujours en faveur de l' c écart :.
stylistique par rapport au parler bourgeois. Au Palais. parce que les
magistrats avaient besoin, pour illustrer leur autorité, d'un grand style
philosophique. Ils ne pouvaient toutefois songer à faire du style de
Guillaume Budé un modèle institutionnel. La terribilità latine du théolo-
gien-érudit était trop sublime pour être soutenu par la langue vulgaire.
Il était encore moins question d'imiter en français l'élégance du style
« cicéronien". marqué par Erasme du stigmate de l'aulicisme et de la
sophistique. coupable en outre d'être trop transparent. Quant au style
d'Erasme, ironique et cursif. il ne pouvait non plus convenir à la gravité
du Palais.


••
C'est à Adrien Turnèbe. ami de tout ce qui comptait au Palais 77,
que revint le mérite de préparer les voies à une solution. dans ses com-
mentaires sur l'Institution Oratoire de Quintilien. publiés en 1554. deux
ans avant le Ciceronianus de Ramus 78. Œuvre d'érudit. qui garde vis-à-
vis de l'art oratoire la distance un peu hautaine du magistrat vis-à-vis
des avocats. Pourtant, il a ses vues sur la question. Mais au lieu de les
exposer sous forme de discours, ou de traité. il les parsème de façon
discontinue dans ses gloses au texte de Quintilien. Celui-ci n'est d'ailleurs
pas reproduit dans l'ouvrage. Rhétorique pour doctes. et dont l'accès
n'est à la portée que d'une élite pourvue d'une bibliothèque.
Pourquoi choisir. pour énoncer une doctrine rhétorique. l'Institutio/l
Oratoire plutôt que le De Dra tore ? C'est d'abord parce que Quintilien
était particulièrement cher à Erasme, et Turnèbe. qui recourt souvent au

76 Voir L. Clément. Henri Estienne .... ouvr. cit.. p. 210.


77 Sur Adrien Turnèbe. dont Montaigne fait un vibrant éloge (Essais, 1.
25. p. 171. éd. cit.). voir L. Clément, De Adriani Turnebi prefationibus et poe-
matis, Paris. Picard. 1899. V. p. 23. culte de Turnèbe pour Platon. Il edita
Philon. Ses dédicaces vont au Président Ranconet. à M. de L·Hospital. à Henri
de Mesmes.
78 Adriani Turnebi in M. Fabii Quintiliani De Institutione Oratoria libros
XII Commentarii valde succincti et elegantes, Paris. Th. Richard. 1554.
ADRIEN TURNÈBE 463
De Copia, à l'Ecclesiastes pour commenter l'Institution Oratoire, est un
érasmien. Ensuite, et c'est encore là une manière d'être fidèle à Erasme,
dans la France des Parlements, où l'humanisme est patronné par des
magistrats, il y a une correspondance évidente entre l'Institution Oratoire,
œuvre destinée au monde judiciaire, et les préoccupations du Palais.
Quelques années plus tard, Pierre Ayrault dédiera à Christophe de Thou
les Declamationes de Quintilien, d'après un manuscrit que Jean Dorat
lui avait prêté 78. Une édition plus parfaite de ces Declamationes sera
publiée par Pierre Pithou en 1580 79•
La manière dont Turnèbe commente Quintilien fait de son ouvrage
une sorte de Stilus Curie Parlamenti revu et corrigé par l'érudition
humaniste, mais fidèle à l'esprit des antiques Ordonnances. C'est d'ail-
leurs à cette époque que Charles Du Moulin donne aux presses son
édition critique de l'œuvre de Guillaume du Breuil. Turnèbe insiste sur
l'importance des bonhes mœurs pour l'orateur, et il fait un mérite à
Quintilien de leur accorder, contrairement aux autres rhéteurs, de longs
développements dans son L., XII BO. Il met en relief ce qu'avait de dam-
nable la vénalité des sophistes 81. Evoquant le problème de la légitimité
du mensonge oratoire, il prend soin de rappeler que saint Augustin
l'exclut sans réserve, quoique saint Ambroise et saint Jean Chrysostome
l'admettent à de bonnes fins 82. C'est encore sous l'angle moral qu'il
envisage, citant Plutarque, le principe de l'aptum, qui veut que le discours
soit exactement ajusté au sujet traité 88. Il insiste sur la culture, non
seulement juridique, mais philosophique, de l'orateur: les sententiae qui
révèlent celle-ci doivent être le maître-ornement de son style.
Traitant du rire, il prévient son lecteur de la difficulté d'en faire
usage à bon escient. Il cite, pour condamner les excès de Cicéron dans
cet ordre, le mot de Caton cité par Plutarque, et que reprendra Montaigne
dans l'essai Contre Cicéron: «Nous avons un plaisant consul:l> 84,
Cicéron a confondu le facetum comique de l'urbanitas, la dicacitas
populaire et l'elegantia. Si Turnèbe approuve l'humour de Sénèque dans
l'Apocolokyntose, d'Erasme dans l'Eloge de la folie, ou de Lucien dans
son Eloge de la mouche, c'est à leur place, dans des genres satiriques
et moraux qui n'ont rien à voir avec le judiciaire.

79 M. Fab. Quintiliani Declamationes, Dia/ogus de Oratoribl/s, Paris, Ma-


mert Patisson, 1580, dédié à Christophe de Thou. Pithou se plaint que l'élo-
quence des Gaulois, tant vantée des Romains, ait été négligée par les Français
leurs héritiers, et approuve l'usage des déclamations à titre d'exercice. Mais
il précise que quant à lui: natura bene sentiendi judieandiql/e potil/S qI/am
dicendi teneor. La déclamation doit être «autant que possible, accordée à la
\'érité, et non composée en vue du seul plaisir ».
80 Commentarii ... , éd. cit., p. 141. Voir Montaigne, III, 5, éd. cit., p. 977,
citant Quintilien: «Peetus est ql/od disertum [aeit.»
81 Ibid., f. 145.
82 Ibid., f. 142 v·. Voir Montaigne, I, 9, «Des Menteurs », surtout p. 56,
éd. cit.
83 Ibid., f. 57 v·. Voir sur le respect de la condido temporum, f. 148.
84 Ibid., f. 87. Voir Montaigne, Essais, I, 26, éd. cit., p. 205.
464 ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETTRES

Adrien Turnèbe admire chez Quintilien son sens judicieux du decorum


et de la condido temporum. La prudence que Caton attend du vir bonus
ciicendi peritus implique qu'il parle à sa place, et selon les temps où il
vit: aujourd'hui, en chrétien.
Ce double souci à la fois de philosophie et d'insertion sociale amène
Turnèbe à revenir à plusieurs reprises sur le problème de l'atticisme.
Il repousse l'interprétation qu'en donnent les cicéroniens pour deux
motifs majeurs: l'atticisme du plus grand des orateurs, Démosthène,
embrasse les trois genera dicendi, le sublime, le moyen et le bas; les
cicéroniens, eux, ne tiennent pour atticisme qu'un seul style, grêle et limé
(tenuis et limatus). D'autre part seul le grec est capable de cette
élocution élégante et gracile: les Latins ne peuvent l'imiter 81. Dans
un pamphlet publié en 1559, et applaudi par l'ensemble de la République
des Lettres 88, Turnèbe s'appuiera sur cette idèe pour condamner le
« cicéronianiste" Pierre Paschal, «padouan» comme Dolet, auteur de
belles Lettres à la Longueil et à la Bembo. Turnèbe accusait son style
élégant et stérile de n'être que l'instrument mondain d'une ambition toute
courtisane.
A quoi bon vaincre les Grecs sur ce terrain peu glorieux? Il vaut
mieux rivaliser avec eux dans l'ordre de l'invention, et accorder la
priorité à la science et l'érudition. La hiérarchie des styles dépend de la
profondeur du savoir que chacun met en œuvre. Elle dépend aussi de
la hiérarchie des rangs: Turnèbe met en relief la distinction entre causi-
dicus (l'avocat) et l'Orator (le magistrat aux vastes responsabilités
morales et politiques) 87. Le grand style, dans ces conditions, sera le
plus philosophique, donc le plus érudit. Et il sera le privilège de ceux
dont les responsabilités sont les plus grandes .


••
Quintilien, tel que le commentait Turnèbe, fournissait aux magistrats
érudits les ressources nécessaires pour rajeunir, sans en modifier l'esprit,
les règles traditionnelles des avocats. Mais par sa forme même, gloses
d'érudit en marge des citations de l'antique rhéteur, l'ouvrage de Turnèbe

8G Ibid., f. 147. Le modèle de l'éloquence attique est Démosthène, qui se


servit des trois dicendi genera: itaque faUuntur qui Atticos oratores tenues
semper et limatos putant. Voir aussi f. 147 V·.
86 De nova captandae utilitatis e literis ratione, epistola ad Leoquercum,
Paris, Attaignant, 1559. V. Clément, ouvr. cit .• p. 60. Sur Pierre Paschal, voir
P. Bonnefon. Pierre de Paschal, historiographe du Roy (1522-1565), Paris,
1883. La satire de Turnèbe contre le «sophiste de Cour» fut traduite par
Du Bellay. qui écrivit en outre «Le poète courtisan". contre les poètes de
Cour. VOIr Pauline M. Smith, The anticourtier trend in sixteenth century french
literature, Genève, Droz, 1966, p. 113-116. Turnèbe et Du Bellay s'inspiraient
tous deux du «Maître de Rhétorique" de Lucien, une des sources du Cicero-
nianus d'Erasme.
87 Ibid., p. 142.
UNE RHÉTORIQUE DES CITATIONS 465
offrait le modèle d'une éloquence savante supérieure à celle des avocats.
Même leçon dans les ouvrages, qui paraissent à la même époque, entre
1550 et 1570, de Pietro Vettori, commentarii, citation après citation, des
monuments de la rhétorique grecque et latine, d'Aristote et Démétrius
de Phalère à Cicéron. Et le mot commentarii, on le sait, est celui qui
servira souvent pour traduire en latin le sens du titre des Essais de
Montaigne, dont le point de départ rhétorique est du même ordre:
gloses en marge de citations dans le texte. Il s'agissait là en effet d'un
mode du discours éminemment conforme à l'idéal de l'humanisme érudit, à
la fois philologique et philosophique. S'il devait advenir une grande
éloquence française des magistrats, elle ne pourrait être qu'une dérivation
des commentarii savants, remontant vers les sources mêmes de l'Antiquité
païenne et chrétienne pour en signifier la substance à un monde corrompu
qu'il faut réformer, en lui rappelant les richesses de l'Origine.
Ni Budé, ni Turnèbe n'étaient favorables à la traduction qui affaiblit
la vigueur des sentences antiques, et trouble la pureté des sources que
la philologie a justement pour tâche de retrouver. La magistrature éru-
dite, fière de sa philologie, ne pouvait que partager ces vues. Encore
fallait-il, ne fût-ce que pour illustrer l'Edit de Villers-Cotterêts, «illus-
trer» la langue vulgaire, celle du Roi. Celle-ci, dans l'éloquence huma-
niste du Palais, sera donc affectée aux gloses dont s'accompagnent
les sentences grecques et latines, parfois même hébraïques, citées dans
leur langue auguste.
Le contrepoint entre les voix parlant les langues héritières directes
de l'Origine, et la voix de l'orateur qui les commente en langue vulgaire
fait du discours des magistrats un dialogue 88, écho oral du dialogue
silencieux et écrit entre le philologue et les textes qu'il restaure et dont
il explicite le sens dans l'intimité de sa «librairie ». Ce dialogue entre
l'Antiquité et ses témoins dans un âge de fer restera au principe de
l'essai montaignien ; mais Montaigne, assumant à la première personne,
de plus en plus assurée, la voix française, rétablit l'équilibre, et se faisant
« Ancien» parmi les modernes, s'aventure à leur exemple, à parler en
son nom. Le magistrat du Palais, haranguant en robe rouge, parle au
nom de l'institution. Dans sa bouche, le contrepoint entre voix antiques,
oracles de l'Origine, et voix vulgaire les glosant pour le public moderne,
est une rencontre entre la sacralité du Verbe originel et celle du Parle-
ment, l'un demandant inspiration à l'autre pour l'incarner dans le présent
déchu. Le spectacle de ces «oraisons» devait avoir quelque chose de
biblique: c'est Moïse interprétant par la voix d'Aaron la Parole divine
pour le peuple infidèle.
Prise par son grand côté, cette éloquence des magistrats n'était pas
sans «sublime », au sens même de Philon d'Alexandrie et de Longin.
Le P. Caussin, nous l'avons vu, n'y était pas insensible, et le peuple de

88 Sur le prIncipe de dialogue que comporte la citation, avec toutes les


possibilités du dialogue entre l'orateur et ses autorités, voir «Dialogue, entre-
tien et citation à l'époque classique », de B. Beugnot, Revue canadienne de
litt. comparée, Hiver 1976, pp. 39-50.
466 ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETTRES

Paris, admis aux audiences du Palais, en demeura longtemps ébloui.


C'était le mythe même de l'humanisme érudit gallican qui se donnait là
en spectacle; par la philologie éloquente, retrouver et diffuser le sens
plus pur du Logos originel, et sur cette pierre, rebâtir le Royaume-Eglise
de France, corrompu trop longtemps par la barbarie des moines et les
ruses de Rome.
Mais cette célébration d'un Logos sans image, scintillant de mysté-
rieuses sentences, n'était qu'un idéal. Chez les magistrats eux-mêmes,
obligés de parler deux fois l'an sur le même thème, le recours à des
recueils tout préparés de citations antiques était inévitable. Pour se faire
éloquente, la philologie devait s'abaisser à la vulgarisation d'innombrables
volumes de Polyantheae, Cornucopiae, Florilegii, où le legs de l'Antiquité
profane et sacrée est «exploité» comme une «minière ~ productive de
discours. Les prédicateurs, qui avaient pourtant d'impérieuses raisons de
respecter leurs «sources », l'Evangile, la Bible, et les Pères, n'en recou-
raient pas moins à ces recueils de loci communes, et à d'autres qui leur
étaient spécialement destinés, tels la Sylva locorum de Louis de Grenade
ou le Thesaurus concionatorum de Thomas a Trujillo. A plus forte raison,
les avocats, qui se croyaient tenus pour plaire aux Juges d'entremêler
chicane et érudition puisée à haute dose dans les Polyanthées.
Les magistrats-prêtres du Temple gallican de la Justice réussirent
pourtant, forts du prestige de leur institution, et de leur foi dans l'huma-
nisme érudit, à maintenir près d'un siècle une grande éloquence qui, née
du style érudit, garantissait à son tour une véritable «rhétorique des
citations ».

3. Naissance d'une grande éloquence des magistrats


Au chapitre Jurisprudence de son traité Desseins des professions
nobles et publiques 88, Antoine de Laval, que nous avons vu pester contre
les sophistes de la Chaire, décrit à son fils, en termes admiratifs, la
rhétorique institutionnelle du Palais telle qu'elle est établie, en ce début
du XVIIe siècle:
Chez les Anciens, n'étoit point Orateur qui n'étoit preud'homme: vir
bonus dicendi peritus. Il n'en va pas ainsi aux autres arts, on n'y requiert
que la suffisance, un méchant homme peut être bon Pilote, bon Peintre,
mais de cet art cy ôtez en la probité, vous n'y laissés que le brigand;
et au lieu de persuader par son vain babil, tout le monde se tient en
garde, aussi tost qu'il ouvre la bouche, on croit toujours le contraire de
ce qu'il dit, tant les méchantes actions désautorisent (sic) les belles
paroles 89.

Et après avoir rappelé qu'un Avocat au Parlement fut dégradé parce


qu'il «avait plaidé faux », Antoine de Laval marque la distance qui

89 Ouvr. cit., éd. cit., p. 97.


MAGISTRATS ET AVOCATS 467

sépare les simples causidici des Avocats du Roi, que les jurés consultés
appellent
Os, linguam et mentem cognitorem Regis, comme les autres Avocats
le sont des procureurs des parties et donc élevés en un étage au dessus
de ceux-ci, d'où leur voix peut être mieux résonnante, plus avidement
écoutée, plus clairement antandue (sic), et plus reveramment receue. L'élo-
quence semble être inséparable de leurs charges, d'autant que toutes les
actions publiques les regardent, ils ne manient jamais autres sujets que
specieux, grans, eminans, Royaux, publics, qui rendent leurs plaidoyés
plus relevés, ce sont autant d'oraisons accomplies, où tout l'artifice de
l'oratoire peut être étalé: on y peut garder toutes les parties de
l'oraison 90.

A l'avocat, dont la vocation sophistique est liée à la cause particu-


lière qu'il défend, l'éloquence est mesurée. Elle peut se déployer plus
librement dans la bouche de l'Avocat du Roi dont l'autorité est celle
de la Loi, du Roi, et donc de Dieu et de la Vérité.
Nous avons ouy de nôtre âge, poursuit-il, de grands hommes en cette
charge au Parlement de Paris, et aux autres Parlemens de France en
bon nombre. II y en a encor es de vivants qui jouyssent de la gloire
acquise par l'éloquence. Les feux sieurs de Pybrac, Brisson, Mangot,
d'Epesses (pour ne parler des vivans), ont élevé bien hautement l'élo-
quence Françoise, et se sont rendus si recommandables à la Postérité qu'il
sera bien difficile de les suivre 91.

Quel est donc le secret de cette éloquence française? « Il faut estre


sçavant ». Et Laval de commenter ainsi cette sentence:
Il sera malaisé qu'après avoir beaucoup acquis de quoy dire, un
homme de jugement n'explique bien nettement et par ordre ses concep-
tions, ne s'éclaircisse purement et facilement de ce qu'il aura une fois
bien sceu. Eadem enim est ratio et percipiendi quae proferas et profe-
rendi quae perceperis, disent les Maîtres. Si ce n'est avec tous ces fards
et ornements oratoires que l'éloquence parfaite pourroit peut-être désirer,
à l'aventure ne l'en estimera-t-on guere moins. Quant à moy, je ne puis
croire qu'il y ait aujourd'huy Juge entendu en France qui n'ecoutast plus
patiemment une des Remonstrances de ces grandes lumières de leurs
sieges, Du Mesnil, Pybrac, Marion, et autres, qu'il ne feroit l'Oraison
pro Dejotaro ou pro Mi/one, en notre langue ... Je demande l'éloquence
à notre mode qui est bien poser un fait, l'eclaircir purement, le soutenir
de bonnes, fortes et solides raisons; sans perdre le tans à des digressions
vaines, à des images, à des peintures, à des parergons, qui vous emportent
au delà du sujet principal. C'est aujourd'hui ce que les sçavans prisent
le moins. Le tans est trop court et trop cher pour l'employer à ouir du
vent 92.

110 Ibid., p. 97 v·.


91 Ibid.
82 Ibid., p. 98.
468 ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETTRES

Citant Quintilien, qui conseille de s'adapter à la condido temporum,


Laval conclut ainsi sa " Remonstrance » :
Le parler ampoullé était bon en Athenes, à Rome, où le peuple sou-
verain se laissait mener par le nés, et se mouvait au moindre vent du
premier causeur qui venait pleurer en chaire comme une garse ... On le
sifflerait maintenant au Palais. Je vous laisse à penser comme il y ferait
ses affaires de contrefaire le pleureux pour faire pleurer ses Juges, comme
fit ce mocqueur Pro en. Plan cio, tout à la fin de son plaicloyer 93.

La bonhomie d'Antoine de Laval ne doit nous masquer ni la sûreté


de son information, ni sa qualité représentative. Ses Desseins marquent
sans doute une influence du ramisme, dont nous aurons l'occasion d'ob-
server un certain réveil en milieu de Robe au début du XVII" siècle.
Le rôle que Laval attribue à la Logique et aux Mathématiques dans son
programme pédagogique en porte la trace, de même que l'insistance,
dans le texte qui précède sur les «bonnes, fortes et solides raisons »,
le refus des « digressions et parergons », toutes remarques qui vont dans
le sens d'un atticisme au sens ramiste, où la probatio l'emporte sur
l'ornatus.
L'ascendance II: budéenne» du "style de Parlement », tel qu'il le
décrit, n'est sensible que sur un point, mais il est capital: le privilège
accordé au «sçavoir» comme source et garantie du discours, et aux
« sçavans» comme à ses destinataires et juges en dernier ressort. L'élo-
quence est au service de l'érudition chrétienne, dont elle manifeste et
célèbre l'autorité. Les maîtres de l'éloquence du Palais ne sont pas des
rhéteurs, mais des philologues, dont la parole communique un savoir
puisé aux sources même de l'antique vérité. Dans la mesure où l'avocat
est plus rhéteur qu'érudit, et où l'Avocat du Roi, un magistrat, est plus
érudit que rhéteur, la hiérarchie des rangs se reflète aussi dans la
la hiérarchie des discours, l'un puisé à des sources plus nombreuses,
plus authentiques, et mieux comprises, l'autre orné, peut-être, de « belles
sentences », mais au service d'une fin suspecte et particulière. A cette
gravité des «choses» philosophiques, tirées de textes inconnus du
vulgaire, le rire, le jeu comique, l'histrionisme ne sauraient se mêler sans
crime . L'éloquence « sans rhétorique» des savants à l'usage des savants
relève du registre sublime.
L'ascendance érasmienne vient se conjuguer chez Laval avec l'héritage
budéen: il condamne comme Erasme toute rhétorique d'amplification
épidictique, surtout lorsque celle-ci fait appel aux figures d'imagination.
En 1621, il étendra ce goût sévère à l'éloquence sacrée elle-même, qui
chez l'auteur de l'Ecclesiastes était plus accueillante à l'ekphrasis. Même
accent érasmien dans le respect de la condicio temporum moderne, chré-
tienne et française, qui n'est pas propice à une réviviscence de l'éloquence
cicéronienne.

93 Ibid.
LE PARLEMENT, ACADÉMIE D'ÉLOQUENCE 469

Le ramisme un peu dilué d'Antoine de Laval est un motif récent: les


autres aspects de sa doctrine oratoire, où fusionnent des éléments venus
de Budé et d'Erasme, sont le fidèle reflet de la rhétorique institutionnellE
définie par les magistrats humanistes du Palais au XVIe siècle .

•••
La confirmation nous en est apportée par Etienne Pasquier, qui est
à peu près de la même génération que Laval. Nous avons déjà vu quelle
distinction - typiquement érasmienne - il opère entre l'Orator à
l'antique et l'avocat « né chrétien et français ». Ailleurs, il s'attarde lui
aussi sur ces « Resmonstrances}) des Avocats du Roi, auxquelles Laval
accorde tant de prix. Il parle des «harangues que les Avocats du Roy
font deux fois l'an aux ouvertures générales des plaidoyers, en la Cour
de Parlement ». Il s'agit d'un genre nouveau, dont il a vu «de son
temps », c'est-à-dire dans les années 60-70 du XVIe siècle, la « naissance
et l'accroissement" 94. Ces «harangues", que Pasquier qualifie comme
Laval de « Remonstrances », nom qui se rattache à celui du «droit de
remontrance », privilège des magistrats du Palais vis-à-vis de la Cou-
ronne, ne s'adressent pas au Roi, qui préside quelquefois les cérémonies
d'ouverture, mais aux avocats du Parlement. Elles n'ont pas pour but,
comme la vieille institution des Mercuriales 96, de rappeler, dans la
bouche des Premiers Présidents, les termes des Ordonnances réglant
la discipline du Palais. Genre épidictique, elles sont l'occasion pour
les Gens du Roi de revêtir le nouveau rôle d'Orateur dont l'humanisme
les pare et de fixer aux causidici une norme rhétorique fidèle à la
tradition du Stilus Curie Parlamenti, mais adaptée aux tentations nou-
velles que recèle la rhétorique humaniste.
Au nom du Parquet, l'Avocat Général, parfois le Procureur Général,
donnant de leur personne, font deux fois l'an l'apologie de la Parole
de Justice, et stigmatisent ses déviations. Institution nouvelle, qui donna
lieu à de véritables tournois d'éloquence entre les divers Avocats Géné-
raux. Selon Pasquier, après de modestes débuts, l'art des «Remons-

94 Etienne Pasquier, Les Recherches ... , éd. cit., p. 408.


95 Sur le sens des termes Remonstrances et Mercuriale, Furetière est tout
il fait clair. Remonstrance : «humble supplication que l'on fait au Roy» ; mais
aussi «advis, conseil, légère et honnête correction» : Les presidens font des
remonstrances aux gens du Barreau. Mercuriale: «assemblée qui se fait dans
les Cours souveraines les premiers Mercredis après l'ouverture de la Saint-
Martin et de Pâques, dans laquelle le Premier Président ou le Procureur
Général ou l'un des Avocats généraux exhorte les conseillers à rendre exac-
tement la justice, à observer les règlements, et fait quelquefois des remons-
trances ou corrections à ceux qui ont manqué à leur devoir: le Président fit
une belle mercuriale. » Remonstrance d'ouverture et mercuriale sont donc deux
genres bien distincts, qui ont leurs jours séparés, l'une ayant pour principal
objet les avocats et leur éloquence, l'autre ayant pour objet la discipline des
conseillers, avocats et procureurs.
470 ELOQUENCE PARLEMENTAIRE ET REPUBLIQUE DES LETTRES

trances d'ouverture» prit un grand essor grâce à l'émulation qui s'établit


entre Baptiste Du Mesnil, qui se réservait la rentrée de la Saint Martin,
et Guy Du Faur de Pibrac, qui se réservait celle de Pâques; Brisson
succéda à Pibrac, Faye d'Espeisses à Brisson, Mangot à d'Espeisses.
Tous ces braves esprits, écrit Pasquier, furent diversement conviés à
cette nouvelle éloquence par Messire Christophe de Thou, Premier Pré-
sident, qui prenoit infiniment plaisir à les escouter et à leur répondre 9& bla.

Pasquier est beaucoup moins favorable qu'Antoine de Laval à cette


pratique nouvelle des «beaux discours» G6. A travers ses lettres à
Loisel et à d'Espeisses, on le sent irrité par la contradiction dont font
preuve les Gens du Roi de la Grand'Chambre, qui tout en combattant
les tentations d'éloquence « à l'antique» chez les avocats, donnent eux-
mêmes l'exemple de l'ostentation oratoire. Cette contradiction n'est pas
sans l'effleurer lui-même. Auprès de l'avocat Thomas Sébilet 97, qui
lui vantait les fastes du Forum, il proteste contre cette fascination et nie
la supériorité de Rome sur la France. II exalte, après Budé, après Ramus,
les dons des anciens Gaulois, et par-dessus tout leur c faconde» qui
étonnait les Romains. II n'est donc pas question d'abandonner à Rome
et à l'Italie le prestige et le privilège de l'éloquence. Mais Pasquier
remarque, à la louange des Gaulois, que ceux-ci n'ont pas exploité leur
don naturel, pour le monnayer et en tirer gloire, dans des écrits travaillés
avec trop de soin.
Le Stilus Curie Par/amenti, tel que le définissent les vieilles Ordon-
nances, induit Pasquier à une défiance très vive envers toute tentation

9& bl. Pasquier, ibid., p. 409.


96 Voir Œuvres, éd. cit., 1. XI, lettre 1 à jacques de la Guesle: «Vous
autres, messieurs, qui estes destinez à donner la loy à autruy, apprenez à la
vous donner à vous mesme.» Et de faire l'éloge de Caton le Censeur. Voir
aussi 1. VII, lettre 12 à Antoine Loisel: «Pendant que vous faites de si beaux
discours il faut que je me taise ... :. Voir enfin Recherches, éd. cit., p. 407, où
Pasquier rappelle que les «longues harangues» ont été «de tout tems defen-
dues ès Cours souveraines, comme jadis en la ville d'Athènes:.. Une pratique
médiévale trouve donc à se justifier et à se conforter dans l'atticisme huma-
niste. Il est probable que la tentation de l'ubertas cicéronienne, de la copia
verborum excessive condamnée par Erasme aussi bien que par les atticistes
romains, accompagna chez les avocats la diffusion de l'humanisme et du culte
de Cicéron. La brièveté que réclament des avocats les longues Remonstrances
des Avocats généraux, au nom du Parquet, répondait à une exigence pratique,
celle des «Parlemens de France », différents du Forum antique.
Dans le Brutus, Cicéron opposait déjà son éloquence, propre à émouvoir le
public du Forum, et celle de ses rivaux atticistes, brève et sèche, inefficace
sur le Forum, tout juste bonne pour les seuls délicats, ou pour les audiences
restreintes du «comitium:. (Brutus, 289-291). Si les avocats ont la tentation
du Forum, les magistrats les ramènent à la notion du Parlement comme «comi-
tium », où l'éloquence ne concerne qu'un petit nombre, celui des officiers de
justice.
97 Œuvres, éd. cit., 1. " lettre 12 à M. Sébilet, avocat au Parlement. Sur
Pasquier historien des Antiquités nationales, et ardent apôtre d'un humanisme
spécifiquement français, fidèle aux traditions du Royaume, voir D.R. Kelley,
Foundations ..., ouvr. cit.
DYNASTIES DE GRANDE ROBE 471
sophistique, y compris ceBe qui prend la forme détournée de la « gloire ~
et qui ferait des discours du Palais l'objet d'un travail «cicéronien:)
sur l'élocution. Pourtant, il ne se satisfait pas de la solution trouvée
par les Avocats du Roi, surchargée de citations érudites, et qui garde
une allure «gothique» :
Nous seuls, se plaint-il, entre toutes les nations, faisons profession de
rapiecer, ou pour mieux dire, rapetasser nostre éloquence de divers pas-
sages 98.

Recourant à une métaphore médicale, il parle d'une véritable indi-


gestion d'érudition gréco-latine, «l'estomac» français s'étant chargé
de « morceaux» trop crus de grec et de latin et les rendant tels quels l1li.
C'est que Pasquier est avant tout avocat. 11 ressent l'éloquence érudite
comme une manifestation de l'orgueil des magistrats de la Grand'
Chambre, et une humiliation infligée à ses collègues du Barreau. Ce
sentiment, allié à un sentiment plus vif de la technique oratoire chez
les avocats que chez les impérieux auteurs de «Remonstrances» et
d'« Arrêts en robe rouge », sera, nous le verrons, un des plus puissants
agents du déclin de la «rhétorique des citations:) .


••
Tous les noms cités par Antoine de Laval, et par Pasquier, comme
liés à la naissance de l'art parlementaire des «Remonstrances d'ouver-
ture» : le Premier Président Christophe de Thou 100, les Avocats Géné-
raux Du Mesnil, Pibrac 101, Faye d'Espeisses 102, sont ceux d'amis de

98 Etienne Pasquier, Lettre à Loisel, cit.


119 Ibid.
100 Sur Christophe de Thou, voir Papire Masson, Christophori et Augustini
Thuanorum Elogia, Paris, 1595 (rédigés en 1582). Masson insiste sur l'elo-
quentia des deux frères. Christophe (auteur de centons de Virgile, Lucain,
Ausone) était memoria {oecundus et judicio rectus et integer. Quant à Augustin,
sa brevitas rappelait ceBe de Caton et de Phocion. Lui aussi était insignis
memoria rerum. Cette richesse dans l'ordre de l'invention l'autorisait à une
pauvreté judicieuse et voulue dans l'ordre de l'élocution: solebat ... paucissimis
verbis multa complecti, id praestantius judicans quam /liadem canere. Voir
René Filhol, Le Premier Président Christofle de Thou et la Réformation des
coutumes, Paris, Sirey, 1937.
101 Voir E. Dupré-Lasale, Michel de fHospital, Paris, Thorin, 1875, t. l,
ch. IX (sur Arnaud, père de Guy, ami de l'Hospital), et surtout A. Cabos,
Guy du Faur de Pibrac, un magIstrat-poète (1529-1584), Auch, 1922.
102 Sur Jacques Faye d'Espeisses, voir notice par Eugène Halphen, Lettres
inédites de J. Faye et de Charles Faye, Paris, Champion, 1880. Fils de Barthé-
lémy Faye et de Marie Viole, il eut pour parrain Jacques d'Angennes, Sgr. de
Rambouillet. Elève de Turnèbe et de Ramus, il succéda à B. Brisson comme
Avocat général en 1580. II fut le Président du Parlement de Tours, fidèle à
Henri III et partisan d'Henri IV. Sur son père, Barthélémy, ami de Michel de
L'Hospital, voir E. Dupré-Lasale, M. de L'Hospital, ouvr. cit., et A. Buisson,
Michel de L'Hospital, Paris, Hachette, 1950.
472 ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETTRES

Michel de L'Hospital 103, et désignent ft la fois des magistrats et des


dynasties de Grande Robe qui furent les «patrons» de l'humanisme
français de la seconde moitié du XVIe siècle. Cette génération a fait le
voya~e de Padoue, elle a protégé Pierre Bunel, le premier « cicéronien»
français, qui fut le précepteur de Guy Du Faur de Pibrac 104. Elle a aussi
suivi l'enseignement de Cujas à Toulouse, Cahors et Bourges. Elle co1la-
bore étroitement avec les professeurs du Co1lège Royal. Un Turnébe dédie
ses œuvres à Henri de Mesmes, ami de L'Hospital. Elle se retrouve dans
le premier «salon littéraire» parisien, qui est tout de «Robe », celui
de Jean de MÇlrel et de ses trois filles 105 .. Par Jean de Morel, disciple
d'Erasme, ce milieu de Grande Robe humaniste hérite de l'esprit du
sage de Rotterdam. C'est encore cette génération qui soutient les débuts
de Ronsard et de la Pléiade, et impose ces poètes humanistes à la Cour.
La richesse des motifs et des traditions qui s'entrecroisent dans cette
élite de la responsabilité et du savoir fait d'e1le, avant son héritiére du
Cabinet Dupuy au XVIIe siècle, le carrefour des débats de la République
des Lettres. Par leurs études à Padoue, par Pierre Bunel, le maître de
Paul Manuce, par Emile Perrot, leur collègue du Parlement de Paris,
les magistrats érudits de cette génération sont initiés au cicéronianisme
de Venise. Mais ils se sont rangés aux côtés de Turnèbe lorsque celui-ci
a lancé son pamphlet contre le cicéronien Pierre Paschal en 1559. Dans
les Epistolae de Michel de L'Hospital, qu'éditera en 1585 une véritable
« Pléiade» érudite, j.A. de Thou, Guy Du Faur, Pierre Pithou, Nicolas
Le Fèvre et Scévole de Sainte Marthe 106, le Chancelier de France donne
la note juste du «meilleur style» latin à la française: la correction et
l'élégance sans doute, mais au service des « choses », morales, religieuses
et civiques.
Par leurs études de droit auprès de Cujas, ils héritent de la méthode
historique et critique de Guillaume Budé. Par leurs liens avec les pro-

103 Voir Dupré-Lasale et Buisson, ouvr. cit. Il y aurait une étude '" proso-
pographique» à faire sur l'Hospital, ses compagnons d'études, leur carrière,
leurs alliances familiales; ils constituent dans la seconde moitié du XVI' siècle,
une série de dynasties étroitement liées entre elles et qui forment l'armature
de ce que l'on a appelé tantôt «les Politiques », tantôt «le parti des Parle-
mentaires ». On ne saurait surestimer l'importance de cette «élite de l'élite»
de Robe dans l'Etat et dans la culture française entre 1550 et 1650. La fille
de l'Hospital épouse le frère du Chancelier Hurault de Cheverny, qui avait lui-
même épousé Anne de Thou, fille de Christophe. Une autre fille de Christophe
épousa Achille de Harlay, Premier Président.
104 Sur Pierre Bunel, ami d'Emile Perrot, comme lui élève de Lazare Buo-
namico à Padoue et hôte de Lazare de Baïf à Venise, voir A. Samouillan, DI'
Petro Bunello t%sano l'jusque amicis 1499-1546, Paris, Thorin, 1891. Il fut
le protégé de la famille Du Faur, et le précepteur de Guy du Faur de Pibrac.
105 Sur Jean de Morel, son érasmisme, et le «salon» docte qui était à Paris
le rendez-vous de l'élite de la Robe savante, v. E. Dupré-Lasale, ouvr. cit., t. l,
p. 97-103, et t. Il, p. 27.
106 Epis/olarum seu sermonum libri sex, Paris, Mamert Patisson, 1585.
Trad. N. Rapin, Discours à ses amis, Poitiers, 1601.
LES c INCRUSTATIONS EMPRUNT~ES» 473
fesseurs du Collège Royal, tel Turnèbe, par le rôle que joue parmi eux
Jean de Morel, ils héritent de la c philosophie chrétienne» d'Erasme, de
son souci de tenir la balance égale entre ultramontains et protestants.
Leur gallicanisme leur fournit sur ce point des bases historiques et insti-
tutionnelles solides.
Leur double appartenance à la République des lettres savantes, et
aux institutions politico-judiciaires du royaume Très-Chrétien, explique
leur attitude sur le problème de la langue. Tenant de leur érudition huma-
niste leur prestige auprès de l'Epée et du peuple, ils identifient à leur
magistère le privilège des langues classiques qui, au surplus, sont plus
proches de la Parole originelle et divine. Soucieux par ailleurs d'exercer
pleinement une magistrature civique, ils sont prêts à utiliser la langue
vulgaire et à favoriser son illustration. L'enthousiasme et l'érudition
d'un Ronsard, celui des Hymnes et des Odes, avaient tout pour leur plaire.
Le poète était pour l'humanisme érudit un ambassadeur précieux auprès
des «ignorans» de la Cour. Et dans une grande mesure, l'invention
par les magistrats érudits du genre des « Remonstrances d'ouverture»
créait l'équivalent en prose des Hymnes de Ronsard.
Mais si la poésie philosophique de Ronsard pouvait se permettre
d'imiter, sans les citer, les Anciens, l'éloquence philosophique du Palais,
expression directe d'une élite savante, à l'intérieur d'une institution qui,
par opposition à la Cour, est avec l'Université le haut lieu du savoir,
devait mettre en évidence ses sources. Titres de noblesse d'une élite
docte, ces c incrustations empruntées» ont cet autre mérite d'écarter tout
soupçon de sophistique. La citation est à la fois preuve et ornement, elle
atteste sur la majesté d'une fonction, l'autorité des Sages, des Prophètes,
des Apôtres et de Dieu même.
La valeur normative de la c rhétorique des citations» est attestée
jusque chez un Charron, qui pourtant, après Montaigne, distingue entre
sagesse naturelle et perfection religieuse, et situe son discours dans un
ordre purement séculier. Dans la préface de la Sagesse, le disciple de
Montaigne écrit:
La Sagesse, écrit-il, n'a que faire de toutes ces façons pour sa recom-
mandation; elle est trop noble et glorieuse: les veritez et propositions
y sont espesses mais souvent toutes seches et crues, comme aphorismes,
ouvertures et semences de discours. J'y ai parsemé de sentences latines,
mais courtes, fortes et poétiques tirées de tres bonne part et qui n'inter-
rompent ny troublent le fil du texte François. Car je n'ay peu encores
estre induitt à trouver meilleur de tourner toutes telles allegations en
François comme aucuns veulent, avec tel dechet et perte de la grace et
energie qu'elles ont en leur naturel et original, qui ne se peut bien repré-
senter en un autre langage 107.

La densité du discours philosophique repose donc sur la juxtaposition


de sentences françaises (c Sçavoir se taire est un grand advantage à

107 P. Charron, La Sagesse, Leyde, Elzevier, s.d., préface.


474 ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETIRES

bien parler,,) et de « semences de discours" (semina dicendl) extraites


des sources pures de la sagesse antique. Cette mosaïque é1iminl~ toute
« bourre" et tout ornement oratoire, el1e est tout entière «choses" et
non point mots.
Toutefois, l'art des citations chez Charron ne suppose pas la même
hiérarchie, reflet d'un privilège érudit, que chez les magistrats du
Parlement. Il bénéficie en effet de l'exemple de Montaigne, pour qui le
recours aux Anciens philosophes est de l'ordre du dialogue d'égal à égal
et non plus, comme chez les col1ègues du Parlement, de l'ordre de l'écoute
prophétique. Il bénéficie aussi des leçons de Guillaume Du Vair, qui a
combattu la discontinuité du discours «incrusté" de citations: il s'y
montre attentif dans le dernier chapitre de la Sagesse, intitulé De la
tempérance au parler et de l'éloquence 108.
L'effort déployé, chacun à sa manière, par un Montaigne et un Du
Vair pour modifier la « rhétorique des citations" révèle le prestige que
les magistrats du XVIe siècle lui avaient conféré, comme le seul mode
légitime du discours philosophique en français. C'est encore en son nom
que le Frère André de Saint Denis attaquera la prose «sophistique»
de Balzac en 1626. El1e mérite mieux qu'une mention dédaigneuse.

108 Ibid., 1. III, ch. XLIII. Voici les points principaux: «Que le parler
soit sobre et rare [ ... ] Veritablement l'usage de la parole est d'aider à la vérité
et luy porter le flambeau pour faire voir; et au contraire descouvrir et rejetter
le mensonge [ ... ] Naïf, modeste et chaste, non accompagné de vehemence et
contention ... non artificiel ny affecté, non desbauché et desrei~lé ny licencieux [ ... ]
Serieux et utile, non vain et inutile, il ne faut s'amuser a compter ce qui se
fait en la place ou au theatre, ny à dire sornettes et risées, cela tient trop
du bouffon et monstre un trop grand et inutile loisir [ ... ] Facile et doux, non
espineux, difficile ennuyeux [... ] Ferme, nerveux et genereux, non mol, lasche ct
languissant ~ (618-619). Considérations sur l'aclio (620). Enfin: «On peut dire
contre l'eloquence que la verité s<:! soustient et deffend bien de soy-mesme, qu'il
n'y a rien plus eloquent qu'elle. Ce qui est vray où les esprits sont purs, vuides
et nets de passions [... ] Il est requis de traîner les hommes comme le fer qu'il
faut amollir avec le feu [... ] C'est quoy doit tendre l'eloquence, et son vray fruiet
est armer la vertu contre le vice et la verité contre le mensonge et la calom-
nie ... " Effort remarquable pour concilier Montaigne et Du Vair.
CHAPITRE Il

LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS


(1560-1627)

1. Les «Remonstrances d'ouverture" du XVI- siècle.


La grande époque des «Remonstrances d'ouverture" n'est pas celle
de leur diffusion par le livre. C'est seulement au XVIIe siècle que le
Palais de Justice et ses libraires ont jugé le moment venu de publier
les chefs-d'œuvre de ce grand genre oral. En 1609, parait à Paris le
recueil des Harangues et Actions publiques qui rassemble le meilleur des
« Remonstrances" de Pibrac, Mangot, d'Espeisses, le trésor accumulé
sous le règne d'Henri III 109.
Dès 1573, il est vrai, le libraire du Palais Gervais Mallot avait
imprimé un Recueil des points principaux de la premiere et seconde
Remonstrance 'aicte en la Cour de Parlement de Paris par Guy Du Faur
de Pibrac. Mais il s'agissait d'un modèle offert à ses collègues et suc-
cesseurs par le fondateur du genre. C'est à la fin du siècle que
commencent à sortir des presses les monuments de l'éloquence parlemen-
taire. En 1598, est publiée à Montpellier une Remonstrance de Maistre
Guillaume Ranchin, Conseiller du Roy et Advocat général à la Cour des
Aydes de Montpellier avec le recueil de deux autres remonstrances par
le même autheur. En 1600, le libraire du Palais Lescuyer met en vente
Les Remonstrances et /zarangues laictes en la Cour de Parlement aux
ouvertures des plaidoieries par Jacques Faye, sieur d'Espeisses.
En 1606, c'est au tour de Guillaume Du Vair, qui publie à Paris le
recueil de ses Harangues et traitez, bientôt suivi de rééditions augmen-
tées jusqu'à la grande édition posthume in-folio qui paraitra, sous la
surveillance de Peiresc et des frères Dupuy, en 1625 110 • Autour de ce

109 Harangues et actions publiques des plus rares esprits de nostre temps,
faictes tant aux ouvertures des Cours souveraines de ce royaume qu'en plu-
sieurs autres signalées occasions, Paris, A. Beys, 1609 (B.N. X 18783).
110 Sur la bibliographie de Du Vair, voir Radouant, De l'Eloquence fran-
çoise de G. Du Vair, éd. critique, Paris, 1906, p. 126-129, et Guillaume Du Vair,
l'homme et l'orateur, ouvr. cit., p. 116. «Tout le monde s'occupe de cette
édition... Duchesne, Valavez, Alleaume, Peiresc, Bignon, Malherbe, Dupuy."
Tout le monde de l'humanisme érudit gallican.
476 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

massif, surgissent encore en 1611 les Remonstrances de Jacques de La


Guesle, Procureur Général du Roy, en un majestueux in-folio orné d'un
frontispice où siègent, sceptre en main, Henri III et Henri IV ; en 1617
à Poitiers les Remonstrances, oLlvertures de Palais et arretz prononcés
en robes rouges d'André de Nesmond Ill, grand'père matern2l de Balzac,
en 1619 l~s Actions ef plaidoyers avec les arretz sur iceux. En 1635
encore, C:udin Le Bret pub!iera ses Remonstrances dans l'in-folio de
ses Œuvres, à la suite du traité De la Souveraineté du Roy 112.

Cet aperçu incomplet donne \lne idée cie l'effort accompli par la
Grande Robe pour faire apparaître le Parlement comme la véritable
Académie d'Eloquence du Royaume, fixant dans le grand style une norme
à la langue et à la parole françaises. Norme idéale s'il en fut. Norme
royale aussi: le frontispice qui ouvre le recueil de Jacques de La Guesle
place ses « Remonstrances .. sous le signr. de la Couronne, elle identifie
leur éloquence à celle de la Monarchie, transcendante à la personne tran-
sitoire des monarques .. On ne pouvait affirmer plus tranquillement et
silencieusement l'écrasante autorité du «langage de Parlement» sur le
(, langage de Cour», voire sur l'éloquence sacrée.

Cet effort de librairie, contemporain de l'essor des publications des


écrivains-prédicateurs jésuites, marque 1:1 même volonté rivale d'affIrmer
une primauté, et de le faire dans l'ordre de l'éloquence orale et publique,
héritière de celle des orateurs antiques et des Pères. Mais dans les deux
cas, il s'agit d'un crépuscule: en retard de plus d'un demi-siècle sur la
lucidité d'un Patrizzi ou d'un Muret, l'humanisme français, de Robe
comme d'Eglise, en est encore à croire que l'avenir de la prose se joue
sur la plénitude, d'origine sacrale, de la grande éloquence publique.
Le recueil des Harangues de 1609 est déjà un bilan, destiné à servIr
et perpétuer une tradition oratoire fixée avant le traité De l'Eloquence
françoise de Du Vair, et rejetée par lui, au nom pourtant de l'impossible
résurrection de la parole antique .


••
La lecture du recueil de 1609 nous montre que toute « Remonstrance
d'ouverture» avait deux versants: un versant «démonstratif» accordé
à la solennité des circonstances. qui oblige à célébrer le Logos de la
Justice royale en termes religieux et philosophiques; un versant paréné-

111 Remonstrances et ouvertures de Palais et arretz prononcés en robes


rouges par Messire André Nesmond, Poitiers, Mesner, 1617, éditées par Fr.-
Théodore de Nesmond, avec une oraison funèbre d'André de Nesmond, par
le P. François Garasse (7 janvier 1616).
112 Les Œuvres de Messire Cardin Le Bret, Conseiller ordo du Royen ses
conseils d'Estat et prive, Paris, Du Bray, 1635. Les Remonstrances, qui s'éche-
lonnent de Pâques 1605 à 1625, figurent p. 649-811.
ÉDITIONS DES «REMONSTRANCES D'OUVERTURE» 477
tique, tourné vers la pratique quotidienne du Palais, et qui rappelle ses
devoirs à l'éloquence judiciaire.
La célébration du Logos de Justice a pour fin de créer dans l'assem-
blée, tous rangs mêlés, en ce début de session, une sorte de Sursum
corda collectif vers la clef de voûte de l'activité du Parlement, sa raison
d'être: le service de la Loi, reflet royal de la Loi divine, Loi qui est
tout ensemble Ratio et Oratio, raison et parole, plénitude du Logos.
Dans une Remonstrance prononcée à la rentrée de Pâques 1569,
l'Avocat Général Pibrac, après avoir célébré le Palais de l'Ile de la Cité
comme un lieu sacré, et appelé les Juges «lieutenants et vicaires de
Dieu», pose la vérité, sous le regard du Dieu-Juge, comme la règle de
toute parole prononcée dans ce Temple:
Puisque les Juges y exercent le jugement du Dieu éternel, il est plus
que raisonnable de bannir de ce lieu toutes ténèbres, toute cavillation,
tout fard, toute fraude, tous mensonges comme choses prophanes et
aliènes de la sainteté d'iceluy 113.

Quatorze ans plus tard, Jacques Faye d'Espeisses, dans sa Remons-


trance de la Saint-Martin 1582, développe un véritable mythe de l'origine
du Logos, communiqué à Adam par le souffle de Dieu, pour faire de
lui le maître de la Terre, puis corrompu par le péché, « avarice et convoi-
tise », jusqu'à ce que Dieu, manifesté au Sinaï, restaure la possibilité
d'un Logos de vérité. On s'en souvient, pour rabattre les prétentions des
magistrats, le P. Caussin faisait du Jugement dernier le modèle et la
garantie ultime de l'éloquence sacrée, infiniment supérieure à sa rivale
du Palais. Faye d'Espeisses, après Pibrac, veut conférer aux Juges,
vicaires du Roi Trés-Chrétien, une véritable autorité et majesté religieuse.
Leurs arrêts se détachent sur le fond grandiose de l'Exode et de la
révélation du Sinaï: Dieu, alors,
colonne ardente qui, posant sa base contre terre, touchait le sommet
jusqu'au ciel [oo.) avec cette majesté effroyable [oo.), se détacha et fit sortir
de sa bouche en guise de tonnerres espouvantables les saincts et inviolables
décrets de sa Loy, afin que faisant trembler un chascun et les remplissant
de frayeur, ces paroles entrassent non seulement en l'intellect comme une
histoire ou une proposition de mathématique, ou de quelque autre science
humaine, mais qu'elles esmeussent et s'il faut dire, renversassent sens
dessus dessous le qui est le plus pesant et le plus grossier de nos sens 114.

Cette épiphanie divine du Logos rendit possible l'essor de l'éloquence


des Prophètes et des Rois hébreux, et permit que renaquît en Israël
la «vie civile et politique ». Nés de la prévarication du langage,
« l'Hyver» et le malheur firent place alors au «Printemps », à la paix

113 Harangues et Actions publiques, éd. cit., 1609, Premiere Remonstrance


de M. Guy du Faur de Pibrac après la fête de Pâques 1569, p. 15.
114 Ibid. Seconde Remonstrance de M. Faye d'Espeisses, Saint-Martin 1582,
p. 158.
478 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

publique, à la prospérité, fruits d'une Parole plus fidèle à la Justice


de Dieu,
La pointe polémique contre la sophistique italianisante, n'est
pas absente ici : face à c l'Egypte» du Louvre, les magistrats de l'Ile
de la Cité, médiateurs du Logos divin, héritiers de Moïse, des Prophètes,
de Salomon, mais aussi, souligne Faye, des Censeurs romains avant
que le Verbe latin ne fOt corrompu par la sophistique grecque, sont la
« colonne» du Royaume.
Douze ans plus tard, devant la Chambre de l'Edit réunie à Castres,
Philippe Canaye, citant Eschyle et Tertullien, rappelle à l'assemblée
toulousaine la majesté sacrée du Logos dont l'âme humaine, émanée du
« souffle de la Parole éternelle », est la dépositaire. Mais il rajeunit le
topos désormais classique, en le soutenant d'une théorie mystique du
langage: c'est en remontant vers la pureté de ses sources que l'âme
se retrempe, se retrouve et se réconforte, plongée intérieure dans le
Logos endiathetos, et de ce bain spirituel elle ramène au jour, et profère
à la face du « monde» l'énergie salvatrice du Logos prophorikos. L'élo-
quence du Parlement ne saurait être une parole fuyante, suspendue aux
fluctuations du monde comme celle des païens: enracinée dans les
profondeurs du Logos divin, et des textes chargés de ses deux révélations,
elle jaillit d'elles pour irriguer la terre et y faire régner la Justice,
Pibrac citait de préférence Platon, Plutarque et saint Paul, à l'appui
de ses «élévations» sur le mystère du Logos; Philippe Canaye, sans
citer sa source, emprunte son analyse et le vocabulaire autour duquel
clle s'articule à Philon d'Alexandrie, Adrien Turnèbe, dont nous savons
les liens étroits avec L'Hospital, Mesmes, et l'élite des magistrats érudits
de son temps, avait publié en 1552 une édition des Commentairt?s sur
la Genèse de Philon 115 et en 1554, son propre commentaire et une tra-
duction latine du De Vita Mosis de ce philosophe m, En 1575, Pierre
Bellier, «docteur en droit », traduisait en français une anthologie de
l'œuvre philonienne, sous le titre Les Œuvres de Philon le Juif, autheur
tres éloquent et philosophe tres grave. En 1588, 1612 et 1619 Frédéric
Morel, le grand helléniste éditeur des Pères de l'Eglise grecque, procura
de nouvelles éditions « revues, corrigées et augmentées» de la traduction
de Bellier.

*.•
L'intérêt de l'humanisme érudit français pour Philon remonte à Guil-
laume Budé, dont le sublime d'enthousiasme, en même temps que le
platonisme, s'accordaient admirablement avec la pensée du philosophe

115 ln libros Mosis de Mundi opificio historicos de Legibus, Paris, 1552,


in-fol.
H6 De Vila Mosis libri Ill, Paris, 1554, 8°,
PHILON D'ALEXANDRIE ET LES DEUX LOGOS 479
juif hellénisé 117. Médiateur entre la tradition biblique et le néo-plato-
nisme alexandrin, Philon justifiait tout l'effort de l'érudition gallicane,
attachée à restituer dans leur pureté originelle, et dans leur concordance,
les deux révélations, celle de Moïse, père de la philosophie grecque
comme de la théologie biblique 118, et celle du Christ. La méthode du
De Studio litterarum recte et commode instituendo de Guillaume Budé,
qui voit dans les lettres grecques une propédeutique à la foi chrétienne,
dans les mythes grecs une première révélation voilée dont l'exégèse
est fertile pour le chrétien, est analogue à celle de Philon, qui éclairait
la Bible par Platon, et Platon par la Bible 119. ~tte coïncidence de la
philosophie hellénique et du prophétisme biblique supposait qu'une même
inspiration les avait guidés l'une et l'autre. La conception philonienne
du Logos, que nous retrouverons chez un Du Vair et un Bignon, semble
avoir marqué de façon durable l'éloquence philosophique des Avocats
généraux humanistes. Par l'identification entre la substance du discours,
retrouvée par l'écoute intérieure, et sa surface projetée vers l'extérieur,
elle écartait la tentation d'un art oratoire sophistique, et donnait à
la parole des magistrats un statut philosophique et religieux.
Dans un traité intitulé, tel que le traduit Bellier, Du Plantement,
Philon stigmatise avec vigueur, reprenant les thèmes du Phèdre, les
«cuisiniers, rôtisseurs, teinturiers et parfumeurs» du langage, dont
l'asianisme sophistique s'attache à la seule surface du discours afin de
flatter les sens: ils ignorent la seule beauté véritable, l'intérieure, qui
s'adresse à l'entendement et à la vertu 120. Cette esthétique toute philo-
sophique, liée à l'idée platonicienne de la réminiscence enthousiaste,
exclut l'imitation de modèles canoniques. Elle rejoint la seconde version
du sublime selon le Pseudo-Longin, inimitable pour n'avoir pas imité
mais trouvé. Le Pseudo-Longin citait d'ailleurs le Fiat Lux de Moïse
comme un exemple de ce type de « lumière» oratoire, inexplicable sinon
par l'illumination.
La figure prophétique de Moïse, telle que la célébrait Philon dans
un texte commenté et traduit en latin par Turnèbe, pouvait d'ai\leurs
servir de modèle idéal au magistrat-homme d'Etat-théologien gallican
tel que s'efforçait de l'incarner un Michel de L'Hospital, et dont
les Présidents de Parlement, Maîtres des Requêtes, et Gens du Roi
souhaitaient revêtir le prestige. Dans un autre traité, traduit par Bellier
en français sous le titre De l'Estat et devoir du Juge, les hauts magistrats
du Parlement, les Chanceliers et les grands officiers de Robe, pouvaient
aussi trouver de quoi soutenir, mieux encore que dans le De Oratore

117 Sur G. Budé et Philon, voir M.M. de la Garanderie, ou~·r. cit., t. l, p. 53


et 141.
118 Sur la pensée de Philon d'Alexandrie, voir Colloque Philon, Paris,
C.N .R.S., 1967, et ci-après note 195.
119 Sur le De Studio ... , voir M.M. de la Garanderie, ouvr. cit., t. Il, p. 161
et suiv.
120 P. Bellier, ouvr. cit., p. 178-182.
480 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

de Cicéron, la grande idée qu'ils se faisaient de leurs charges. Da.ns cc


texte, Philon 120 réaffirme sa conception de la Parole de vérité, fruit
d'une quête mystique, préparée par une ascèse morale, et projetée dans
le monde qu'elle étonne, purifie et maintient par ce qu'elle ne s'appuie
pas sur lui:
Le jugement qu'il donne, c'est le jugement de Dieu ... et le jugt! n'est
autre que le lieutenant et procureur de Dieu, en ce qui concerne l'effet
du jugement. Or il n'est pas permis au procureur et facteur de Dieu
d'eslargir et de donner à son plaisir ce qui appartient à Dieu: par ce
qu'il l'a seulement receu en depost et garde, comme le plus grand bien
du monde, du bon Dieu 121.

Théoricien du sacrifice, dans deux superbes traités qui sont à la


source de la doctrine du sacrifice et du sacerdoce de l'Ecole française,
celle de Bérulle et de Condren 122, Philon faisait de l'office du Juge
un sacerdoce, et du Juge lui-même un sacrificateur qui a commencé par
sacrifier en lui-même tout intérêt humain, afin de proférer dans toute
sa pureté efficace la Parole de vérité .

•••
Et c'est bien déjà un sacerdoce de la Parole, plutôt qu'un art
oratoire au sens cicéronien, qui se voit célébré dans les Remonstrances
d'ouverture du XVIe siècle. Les hymnes au Logos sont aussi des hymnes
aux magistrats du Parquet Chargés de l'administrer. A l'écoute de la
dictée divine, dédaigneux de la «cuisine li) rhétorique 123, savant, mais
d'une science qui refuse de s'estimer elle-même, le Prêtre du Logos de
vérité et de justice a fait le sacrifice de tout ce qui, dans l'homme
pécheur, troublerait l'afflux des sources du vrai.
Prenant texte d'Homère, Jacques Faye d'Espeisses, dans une Remons-
trance de la Saint-Martin 1587, voit l'origine de l'éloquence de Ménélas
dans sa piété envers les Dieux, et de celle d'Ulysse dans sa résistance
héroïque aux tentations de Calypso et des Sirènes, «maintenant sa
règle droite, et mettant ordre qu'elle ne se faussât ».

121 Ibid., p. IBO.


122 Voir Jean Galy, Le sacrifice dans l'Ecole française de spiritualité,
Nouvelles éditions latines, Paris, 1951.
123 La reprise incessante des attaques platoniciennes et de celles des « Vieux
romains li) de Plutarque contre la sophistique et ses techniques est le véritable
leit-motiv des Remonsfrances du XVI' siècle. Voir, dans le recueil cité, Pibrac,
p. 27 et 79, d'Espeisses, p. 149 (<< La fin de l'estat d'Advocat n'est pas de
persuader, comme l'orateur, si cela estoit, la fin seroit differente, car on pour-
roit aussitost persuader l'injuste»). Voir aussi, du même, un beau passage
p. 183, où il oppose les «viandes pour le plaisir li) des sophistes, aux viandes
pour la santé» des philosophes-orateurs.
LE MAGISTRAT, PR~TRE DU LOGOS 481

Et cette enthousiaste description de la naissance de la Parole dans


l'âme du Juge culmine sur une «sentence» stoïcienne:
o la grande et parfaite victoire vaincre tout le monde, puis soy-
mesme ! 124

Une telle Parole ne persuade pas pour s'être «accommodée aux


opinions» iIlusoires et fuyantes du peuple, ou de l'homme pécheur, elle
s'impose par la force de la vérité dont elle est chargée, tirée par le
Juge du «centre de la probité et vertu », après qu'aient été écartées
les «humeurs difficiles l'.
L'éloquence que célèbrent les Avocats du Roi est avant tout une
spiritualité et une éthique de la parole. Elle prépare et elle définit
le "genre» qui est au centre des activités du Parlement, et qUI est
le privilège des Juges: «l'arrest prononcé en Robe rouge », dont un
recueil figure souvent en bonne place aux côtés des «harangues
et actions publiques », dans les œuvres oratoires des hauts magistrats.
Dans" l'arrest l', la Parole à son plus haut degré d'intensité se fait Loi.
Son énoncé seul, sans passion, sans ornement, sans beauté sensible,
oblige les âmes à s'y rallier. L'" arrest» judiciaire n'est d'aiIleurs qu'un
cas particulier de l'éloquence des Juges. Les arrêts de police rendus par
le Parlement, ceux qui affirment son rôle de gardien de l'orthodoxie
gaIlicane, font des magistrats jusqu'à la Fronde autant d'inquisiteurs
et de théologiens du Royaume Très Chrétien. Les « remonstrances » qu'ils
adressent au roi pour rejeter l'enregistrement d'un Edit, font d'eux des
Conseillers d'Etat. Et si, comme c'est souvent le cas, ils passent des
bancs fleurdelysés du Palais aux Conseils du Louvre, où s'élaborent
les Edits et Ordonnances du roi, ils ne font que poursuivre leur œuvre
de législateurs, et s'identifier plus pleinement aux Solon, Lycurgue et
Romulus admirés chez Plutarque, mais aussi à Moïse, théologien-légis-
lateur du peuple élu. C'est du mOins ce que tentèrent, avec plus ou
moins de bonheur, un L'Hospital, un Du Vair. Mais le point de vue
pratique et pragmatique du Louvre ne pouvait coïncider avec le
point de vue éthico-religieux du Palais. La politique que supposait le
gallicanisme n'était pas elle-même sans exiger le sacrifice de sa «mys-
tique»: retour du Royaume à sa «constitution» première, et de
l'Eglise à la pureté de ses "premiers siècles 1>. En osant réaliser les
ambitions politiques du gallicanisme, Richelieu fera éclater les contra-
dictions sur lesquelles il repose.

La sentence proférée par le magistrat du Parlement, fruit d'une


érudition et d'une ascèse spirituelle qui le rattachent aux sources théolo-
giques de la vérité, est le modèle de ce que devraient être les Edits et
Ordonnances royales. CorneiIle épouse l'idéal de la magistrature galli-
cane lorsqu'il prête à Auguste, en 1642, dans Cinna, la même sentence
que proférait Jacques Faye d'Espeisses en 1587, pour glorifier l'acte

124 Ibid.. p. 308-309.


482 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

mystique de juger: «Parfaite victoire [h.], vaincre le monde et soy-


mesme ». Le discours d'Auguste, dans la grande tradition des « Remons-
trances », est à la fois un arrêt de législateur inspiré, et l'éloge de ses
sources divines. La preuve est faite qu'il est un Roi-juge, inspiré d'En-
Haut. Et l'on peut rapprocher après Anthony Blunt et jacques Thuil-
lier 1211 cette scène finale de Cinna des toiles que peignait alors à Rome
Nicolas Poussin: Le Jugement de Salomoll, et Camille et le maître d'école
de Faléries. L'art de Corneille face à Richelieu, l'art de Poussin dans la
Rome des Papes, donnaient abri à la spiritualité du juge, et à l'idée
du sublime qu'elle suppose, l'une et l'autre exilées des institutions du
Royaume par la Raison d'Etat.


••
Les Avocats du Roi, lorsqu'ils évoquent les arrêts des juges, s'élèvent
au sublime: l'acte de prononcer un jugement est le reflet de l'Acte
qu'est par excellence la Parole divine, et exige de celui qui le prononce
une vertu héroïque et une inspiration sacerdotale. Le ton change lorsqu'il
s'agit d'évoquer le genre judiciaire du plaidoyer, et de dicter leur devoir
oratoire aux avocats.
Dans la même Remonstrance de la Saint-Martin 1569 que nous avons
citée, Pibrac rappelle au Barreau la gravité des devoirs que lui impose
la païticipation, si dérivée soit-elle, à la Parole de justice. Le serment
que les avocats ont prononcé ce jour-là, comme à l'ouverture de chaque
session, doit être la pierre angulaire de leur éloquence, «serment grave
et espouvantable », qui fait d'eux aussi, à leur place, les dépositaires
du sacrement de la Parole. Si les magistrats sont les Prêtres de la
justice, ils en sont les diacres 1211bls. Par ce serment, les portes du
Temple gallican ~ont fermées à toute intrusion sophistique; le poids
d'engagement chrétien à la sainteté et à la vérité de la Parole était
inconnu des orateurs païens: c'est lui qui fait toute la différence entre
le Barreau chrétien et les rostres antiques. Comme pour limiter toutefois

125 Voir A. Blunt, Nicolas Poussin, Londres, Phaidon, 1958, t. Il et J.


Thuillier, Poussin, Paris, Flammarion, 1974. Il Y aurait une étude à faire sur
les types de l'orateur, et la représentation de l'éloquence dans l'œuvre de
Poussin. Par ses liens à Rome avec l'élite érudite, elle-même en symbiose intel-
lectuelle avec la puissante République des Lettres française, Poussin échappait
à l'emprise morale et spirituelle de l'humanisme jésuite. Mais par. son expé-
rience exceptionnelle de l'art des Vénitiens, des Bolonais, du Dominiquin, par
l'épanouissement que lui permet l'indulgence des Jésuites et de la Cour romaine
pour les «peintures» et l'art de la représentation, il échappe aü puritanisme
chrétien, qui dans l'ordre esthétique, caractérise entre 1610 et 1640, l'huma-
nisme de Robe français. Si bien que celui-ci, dans la période suivante, trol1vera
dans l'œuvre peint de Poussin «le linceul de pourpre où dorment ses Dieux
morts », et deviendra son principal mécène.
1211 bl. Ibid., p. 83.
CONTRAINTES DU BARREAU CHRÉTIEN 483
ce que cette difference pourrait avoir d'inquiétant à des yeux d'huma-
niste, Pibrac ajoute que les Anciens avaient pressenti cette sainteté de
la Parole en faisant d'Homère un poète-théologien. Le docte Avocat
du Roi ne veut retenir de l'héritage antique que la philosophie et la
poésie, dont la prisca thealagia préparait la Parole chrétienne.
Après Pibrac, les Avocats du Roi ne se lassent pas dans leurs
Remonstrances de revenir sur cette distinction entre l'éloquence du Forum
et « la façon ordinaire des Palais de France» 128. Cette « façon" écarte
du Palais le soupçon platonicien et patristique contre la rhétorique.
Les plaidoyers du Parlement, purs par leurs sources religieuses, philo-
sophiques, morales et juridiques, doivent l'être aussi par leur intention:
« ne pas jeter de la poudre aux yeux des Juges 1>, ne pas «charmer et
ensorceler les hommes" comme les rhéteurs païens, mais « servir chari-
tablement et avec bonne intention en droiture et équité, pour le bien
des hommes 1>. Si l'inspiration budéenne l'emportait à l'étage supérieur
des magistrats, la leçon érasmienne de dacta pietas elaquens et sapiens
l'emporte à l'étage inférieur, celui des avocats. Sur les fleurs de lys,
les éclairs d'enthousiasme dévoilent la vérité; derrière le barreau, la
simplicité du cœur y prépare.
Celle-ci serait menacée par une imitation curieuse et ambitieuse d~
la rhétorique judiciaire antique:

Ne vous trompez pas, s'écrie Pibrac, sur l'exemple des Oraisons grec-
ques et latines esquelles il semble que l'on dise tout d'un coup, et quasi
d'une halenée, ce qui servoit à la cause 127.

Ailleurs, il s'en prend à ces «antiquaires qui ne veulent rien


aujourd'huy recevoir pour bon et loyal s'il n'est frappé au coin Attique
ou Romain» 128. On recol1l~aît dans cette insistance sur la candicia tem-
parum propre aux institutions modernes et chrétiennes un des thèmes
majeurs du Ciceranianus d'Erasme, mis au service du Stilus Curie Par-
lamenti.
Celui-ci, on s'en souvient, contenait des thèmes stoïciens, et se
référait indirectement au De Ira de Sénèque. La transition entre l'héritage

126 Sur ce renvoi à la tradition propre aux Parlements français, voir le


recueil cité p. 26, 28, 37, 88, 91, 144.
127 Ibid., p. 37. D'Espeisses développe le même thème, en y ajoutant que
le public de l'éloquence judiciaire moderne n'est pas le même que celui des
Anciens: «Ils parloient devant le peuple, icy nous plaidons devant des per-
sonnes doctes, qui habent aures acri totas aceto, ils traitoient des choses
d'opinion, nous traitons des sciences solides" (ibid., p. 144). La différence
entre l'ordre judiciaire français et l'ordre judiciaire des Anciens est l'objet
de l'ouvrage de Pierre Ayrault, De l'ordre et instruction judiciaire dont les
anciens grecs et romains ont usé ès accusations publiques conféré avec l'usage
de nostre France, Paris, J. du Puys, 1576.
128 Ibid., p. 85.
484 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

médiéval du Palais et les premiers signes de la Renaissance stoïcienne


est déjà sensible chez Pibrac., Celui-ci prononça d'ailleurs à l'Académie
du Palais un Discours de l'Ire, et comment il faut la modérer 129.
Encore s'agit-il, chez Pibrac, d'un stoïcisme ennemi de la rhétorique,
celui de Sénèque, de Marc Aurèle et d'Epictète, et non celui de Panaetius,
le maître de Cicéron :

La différence, dit Pibrac à l'assemblée du Parlement de Paris, que


Cicéron a voulu mettre entre le Juge et l'Advocat. encores qu'il se for-
tifie de l'opinion de Panétius stoïcien, en ce qu'il dit que le Juge cst
obligé par le dû de son office, de rechercher et embrasser ce qui est vray,
et ~e qui est de droit, et à l'Advocat il donne licence de s'arrester au
vraysemblable, et à la seule apparence de vérité et de droicture, m'a
toujours semblé indigne d'un philosophe. mais encore plus d'un Chrestien.
qui a cognoissance de Dieu, et qui ne peut ignorer qu'il seroit coupable
devant son jugement s'il en usoit de ceste sorte 130.

Le regard du Dieu qui sonde les reins et les cœurs interdit le recours
aux vraisemblances oratoires. Et l'oreille des Juges du Parlement n'a
pas besoin des accommodements auxquels étaient contraints les orateurs
païens:

Ils (les avocats antiques) parloient devant le peuple, dit Faye d'Es-
peisses. icy nous plaidons devant des personnes doctes, qui habent aures
acri tatas aceto, ils traitoient de choses d'opinion, nous traitons des
sciences solides 131.

Cette éloquence chrétienne, à l'usage des seuls eruditi, est parfaite-


ment conforme à l'esprit du Ciceronianus. Et c'est encore à Erasme que
renvoie de façon implicite le contraste constamment évoqué entre la
brièveté chrétienne, et l'abondance vaine de Cicéron. Dans une Remons-
trance anonyme, un orateur déclare que pour parler

en avocat loyal. prudent et généreux... il n'est besoin de vous ensei-


gner les preceptes qui furent baillez par les Grecs et les Romains et
qui n'apprennent qu'à beaucoup parler 132.

129 Voir Biblio. p. 711. Anc. Fr. 2585, f.8 101-155 v·.
130 Ouvr. cit. p. 30. Les magistrats tels que Pibrac et d'Espeisses, moins
altiers qu'un La Guesle. cité plus loin, s'efforcent d'élever jusqu'à eux les avo-
cats. Voir aussi d'Espeisses. p. 122.
131 Harangues ... , éd. 1609. cit., p. 144.

132 Le Thresor des Harangues .... Paris. 1660 (Priv. accordé au sieur Gibault,
avocat, le 19 juin 1654), p. 3. Ces harangues. qui datent manifestement du
XVI' siècle, sont anonymes; l'effort de les rééditer marque. en plein essor de
la prose et de l'éloquence classiques. la persistante fidélité de certains robins
à la langue et aux habitudes anciennes du Palais.
L'EXEMPLE DANGEREUX DE CICÉRON 485

S'il faut chercher des modèles antiques pour l'éloquence chrétienne


du Palais, ce n'est pas chez Démosthène ni Cicéron, mais chez d'autres
héros de Plutarque, moins rhéteurs: Caton le Censeur, et surtout Phocion.
Sans cesse invoqué par les Avoc'!ts du Roi, le général athénien auquel
Nicolas Poussin consacrera en 1648 deux magnifiques élégies funèbres
était dès 1564 érigé par Pibrac en patron de la Parole du Palais:
Son siècle, déclare (Plutarque) à propos de Démosthène, produisit
plusieurs autres excellents et grands orateurs [ ... ] de lesquels il faisoit fort
peu de compte, mais il redoutoit Phocion, duquel dès lors qu'il se levoit
pour parler en public, il avoit accoutumé de dire tout bas à l'oreille de
ses amis: voicy la hache qui retranche mes parolles. Et toutefois la verité
est que Phocion n'estoit point en estime de grand Orateur, mais seule-
ment d'un prud'homme, lequel par sa prudhomie persuadoit plus forte-
ment que par un autre moyen, comme aussi le mesme autheur en un autre
lieu dit que les parolles de Demosthène se rapportoient aux mœurs de
Phocion, parce que non seulement une parolle mais un seul signe de
teste d'un homme de bien a bien plus de poids et plus de force de per-
suader, que n'auroient une infinité d'Arguments et d'artifices de Rheto-
rique 133.

Parler ici d'une « influence» de Plutarque serait insuffisant. Ce qui


est demandé à Plutarque, c'est d'offrir en Phocion un modèle d'éloquence
«sans rhétorique» sage, dense et brève, qui illustre et amplifie les
thèmes traditionnels du Stilus et des Ordonnances appliqués aux avocats.
La philosophie morale des magistrats humanistes, leur intérêt privilégié
pour Platon, Plutarque, Sénèque et le Portique sont commandés par
le souci de maintenir vivante la tradition religieuse de la Parole que
le Palais humaniste a dérobée à la Faculté de Théologie et dont il
se veut désormais, devant la société civile, comptable et dépositaire .


••
La rhétorique officielle à l'usage des avocats s'emploie à réduire
ce décalage entre l'idéal et la pratique. Elle est avant tout une éthique
de la parole, ajustée à des fins professionnelles plus modestes, allégée
de l'épistémologie à la fois érudite et mystique réservée aux Juges.
La topique de l'éloge du bon avocat va tout entière en ce sens. L'un
des lieux communs les plus fréquents est l'antithèse entre l'orateur-
philosophe et le sophiste, prévaricateur des mots 134. Celui-ci veut per-
suader et vaincre à tout prix: le bon avocat fait, comme le philosophe,
son devoir d'éclaircissement, et s'estime assez récompensé, que sa cause
l'ait emporté ou non m. Le sophiste travaille pour satisfaire son ambition
et sa cupidité: l'orateur philosophe, parlant par devoir, est au-dessus
de ces satisfactions mondaines. La question des honoraires revient

133 Ibid., p. 7.
134 Voir dans le recueil de 1609, p. 150, 183, 423, 533, 534.
135 Voir ibid., p. 26, 133, 149, 549, 550.
486 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

dans toutes les Remonstrances 188; cel1e des épices, non plus que cel1e
de la vénalité des charges, n'y affleurent jamais. Il est vrai que les
épices pouvaient passer pour des dons gracieux, et la vénalité des
charges pour une cruelle nécessité imposée par le Roi. La notion
infâmante de ccmmerce ne lui était pas liée. Du fait même que la charge
d'avocat n'était pas vénale, le paiement des honoraires, prévu par les
Ordonnances, mais dans des limites peu respectées, risquait de la faire
glisser vers la condition de sophiste intéressé. Cette corruption subtile
et durable est une des menaces qui hantent des Avocats Généraux. Ils
exhortent les avocats à se forger une âme inaccessible aux séductions
de l'argent, de peur que celui-ci, devenu monnaie d'échange du langage,
ne souille le Temple de la Justice:
Gardez vous, s'écrie Philippe Canaye, de rendre sordide ou vénale, ou
mechanique ou mercenaire vostre profession, qui est des plus nobles et
libérales qui soient en la République, que vostre principal but ne soit
jamais de gagner, d'amasser, de serrer.

Et Jacques Mangot de résumer cette lancinante objurgation en une


brève maxime:
Estre plus fort que l'argent.

Vrai philosophe, l'avocat au Parlement est cousin du médecin 137


puisqu'il aide à guérir les plaies et maladies du corps social; il ne peut
être comme le cuisinier 138 ou le comédien 189 un serviteur vénal des
plaisirs. Toutefois, comme si ces thèmes platoniciens pouvaient susciter
des vocations contemplatives 140, les Avocats du Roi invitent à repousser
cette noble tentation, pour servir et agir par la parole:
C'est à vous, déclare Jacques Mangot, qu'appartient l'honneur du tiltre
(de pédagogues du genre humain) et non point aux sages imaginaires et
contemplatifs des Stoïciens. Vous estes les vrais sages ... De vostre conduite
et discipline dépend toute la santé de ce barreau, et non seulement de
ce barreau, mais j'ose dire de tout le peuple 141.

138Voir ibid., p. 8, 21, 241,340,419,483-484,543,554.


187 Sur l'équivalence platonicienne philosophie-médecine, voir Recueil de
1609. p 68, 69 et surtout p. 270.
138 Sur le sophiste-cuisinier des mots à l'usage des sens grossiers, voir
ibid., p. 270. Sur le sophiste-comédien, voir ibid., p. 192, et Thrésor de 1660,
p. 4 et 109.
139 Voir recueil de 1609, p. 76-77.
140 Ibid., p. 556.
141 La «briefveté" revient de façon lancinante, dans le recueil de 1609.
Voir p. 33-34, 133, 151, 191,240,338. On ne saurait oublier que cette brièveté,
recommandée par Erasme, « rencontre l> les prescriptions inlassablement réi-
térées par les Ordonnances royales qui fixent la discipline intérieure des Par-
lements. Voir Gal1dry, Histoire du Barreau de Paris. Paris, Durand, 1864,
t. l, p. 215 : les ordonnances de 1363 à 1528, que cite Gaudry, reviennent sans
cesse sur la brièveté.
L'AVOCAT : NI SOPHISTE VÉNAL, NI CONTEMPLATIF 487

Si l'avocat ne doit pas être avare, il lui faut du moins être économe
de ses mots. Les Ordonnances royales, périodiquement, venaient rappeler
aux bavards du Barreau le devoir de faire court. Les Avocats généraux,
sans faire allusion aux nécessités pratiques qui rendaient souhaitable
la brièveté (grand nombre de procès, surmenage des juges), préfèrent
insister sur la philosophie du laconisme:
Il ne se trouveroit pas, dit Pibrac, un seul homme raisonnable qui
ne préfère le ~çavoir peu disert au babil vain et dénué de science 142.

Donc, point d'exorde ni de captatio benevolentiae, à la manière cicé-


ronienne, qui viseraient à flatter les Juges, et qui leur feraient perdre
un temps précieux. Point de recherche de style ni d'ornement 148: un
plaidoyer doit être plus proche de l'information que de l'éloquence;
point d'effets d'audience où les passions de l'orateur feraient appel à
ceIles des juges 144; point de «miel et douceur li> d'élocution 146, cher-
chant à amollir les sens du juge et à assoupir son entendement; point
d'étalage superflu d'érudition, ni d'aIlégations hors du sujet. Un idéal
en somme fonctionnel, dont la sobriété austère, nourrie seulement de
science juridique, se soutienne auprès du tribunal de l'autorité morale
et professionnelle de l'avocat. L'exemple de Caton et de Phocion donne
un air antique au Stilus Curie Parla171cnti. Il en maintient intactes les
exigences essentielles.
Tout se passe comme si les magistrats attendaient des avocats un
« mèmoire », plutôt qu'un discours: l'essentiel est en effet la décision
prise en dernier ressort et en connaissance de cause par le juge. Aussi
les Avocats Gènéïaux redoutent-ils l'improvisation, dont les orateurs
antiques faisaient si grand cas 146: celle-ci ferait trop de part à la

lU Ibid., p. 36.
143 Contre la «battologie et verve », les «allegations superflues », p. 131,
ibid.
144 Contre le «fard >l, le «vent >l, 1'« ostentation », ibid., p. 192, la «for-
ccnerie », p. 476.
145 Contre le «miel» et la « douceur », p. 482, contre l' « affeterie », p. 492.
146 Contre l'improvisation, le brio, la «négligence diligente» chère à Cicé-
ron, p. 241. On peut d'ailleurs remarquer que l'idéal d'atticisme ascétique
professé officiellement par le Parlement n'a rien de «sénéquiste ». Il y a en
effet dans l'atticisme sénéquien un élément profondément «singulier» et indi-
vidualiste qui répugne à l'impersonnalité majestueuse du magistrat. Moins
paradoxalement qu'il peut paraître au premier abord, l'atticisme ascétique dont
rêvent les Avocats généraux est un compromis, un moyen terme entre deux
excès, une «médiocrité ». Entre l'aridité excessive, jusqu'à l'obscurité, des
« lacédémoniens », et l'abondance flatteuse des asianistes, il faut savoir trou-
ver la juste mesure: être «serré », sans doute, mais aussi «plein de nerfs et
de veines », ni trop long ni trop court. La balance de la Justice peut servir
d'emblème à un tel idéal. Voir d'Espeisses, dans le recueil de 1609, contre
l'excès d'aridité, p. 153. A rapprocher de Pasquier, Recherches ... , éd. cit., 1. IX,
p. 849, qui félicite De Thou de sa diction «nette et cicéronienne », «rien de
Lipsian ». Mais à la date où De Thou parle (1595) la définition d'un atticisme
cicéronien a été précisée par Du Vair. Voir aussi dans le recueil de 1609,
dans une Remonslrance de G. Ranchin, en 1595, la définition du style de J'avo-
488 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

c bourre» du discours, et à l'échauffement de l'orateur. Le plaidoyer


- ou plutôt le « mémoire» soumis au juge - doit être un texte à lire,
aprés avoir été médité et émondé à loisir. Rien d'imprévisible ou d'inutile,
rien qui puisse offenser, choquer ou éblouir, ne doit devenir prétexte à
créer un incident d'audience ou à offusquer l'attention du Juge.
Nous sommes évidemment aux antipodes de l'éloquence sacrée telle
qu'elle est déjà pratiquée par les prédicateurs, multipliant les tableaux,
les caractères, les dialogismes, les prosopopées, les apostrophes, et autres
figures d'imagination. Mais l'atticisme ascétique recommandé aux avocats
bannit aussi impitoyablement que les plus «borroméens» parmi les
rhéteurs ecclésiastiques, le recours au rire, au sourire. En compensation
de la sévérité quotidienne, les avocats médiévaux avaient inventé, pour
le temps de Carnaval, les « causes grasses ». Pour les Avocats Généraux
du XVIe siècle et du XVIIe siècle, le «sel» dont Cicéron savait si bien
assaisonner ses oraisons est à bannir de l'enceinte du Palais. Le comique,
voire la simple ironie sont à leurs yeux des indécences qui offensent
la gravité des Juges, et corrompent les mœurs du Palais en y introduisant
un style de théâtre, de «comédiens mercenaires », d'« histrions» 147.
Les magistrats du Parlement ont plus d'affinités avec le législateur
tridentin de Milan, ennemi du rire et de la comédie, qu'avec les Binet et
les Garasse, moins soucieux d'inspirer le respect que de s'insinuer à
tout prix dans les âmes.
On ne saurait donc imaginer offensive anti-cicéronienne plus résolue,
plus persévérante que celle des magistrats du Parlement. Offensive
d'autant plus efficace qu'elle n'est pas le fait d'adversaires de l'huma-
nisme, et d'ignorants de la rhétorique antique. C'est au contraire à la
lumière de celle-ci qu'ils peuvent en connaissance de cause rajeunir et
maintenir les traditions du Palais .. Le sublime d'enthousiasme, réservé
aux Juges, l'atticisme de pure information, réservé aux avocats, sont
l'un et l'autre, désormais, un choix conscient parmi la riche gamme des
styles que les studia humanitatis ont révélée chez les Anciens. Dans
l'un et l'autre cas, sur un registre élevé ou sur un registre bas, l'invention

cat français, fort proche des formules de Du Vair: «Aujourd'huy, ... vous
avez affaire à des Juges qui n'aiment point ces vains discours (ceux des rhéteurs
antiques) ny tous ces beaux artifices qui ne leur sont que trop cogneus. Qni
prennent plaisir d'ouyr un parler serré, moëllenx, plein de nerfs, plein de
veines.» Plus de «force », moins de «longueur» (ibid., p. 426).
147 D'Espeisses déclare que dans l'enceinte du Parlement, «il ne faut pas
moins porter de respect qu'aux lieux où se faisoient les anciens vœux publics:
il n'estoit pas permis d'y rire» (Recueil de 1609, p. 186). A plus forte raison
tonte offense à la pudeur serait un véritable sacrilège: «Je n'ay point encore
on y, dit un antre auteur, en cette Audience, aucune chose qui offense la pudeur
et je ne pense pas qu'il se trouve personne qui se voulût tant oublier que venir
à cette insolence: mais j'ay apperçeu un autre mal assez frequent et tres
malseant, sçavoir est qu'en plaidant vous ne pouvez vous empescher quelque
parole qui excite la risée, ce qui serait supportable au theatre, quand on joue
une Comedie, mais qui ne l'est nullement au temple de la Justice souveraine.
Tacite appelle cette façon de plaider histrionales modos exercere» (Thresor
de 1660, p. 109). Voir dans La Roche-Flavin (ouvr. cit., 1. III, p. 263) le cha-
pitre contre les rieurs.
ANTI-CICÉRONIANISME DES MAGISTRATS 489

est privilégiée par rapport à l'élocution, le docere par rapport au movere


et au delectare, le jugement par rapport à l'imagination, les c choses»
par rapport aux c mots ». Et dans le capital d'autorité que peut conqué-
rir l'orateur, la science et la morale comptent plus que la forme élégante
ou brillante.
Cet «atticisme» sévère, garanti par la Bible, Platon, Plutarque et
le Portique, fait moins de part à l'imagination et à l'affectivité que le
plu~ sévère atticisme augustinien, celui d'un Louis de Grenade ou d'un
Botero. La médiation vers la Vérité n'est pas pour lui l'image, mais
le texte, et l'illumination dont il est le lieu. La « rhétorique des citations :>,
aux antipodes de la « rhétorique des peintures» s'articule à une spiri-
tualité de philologues et de juristes, non de visionnaires et de romanciers
dévots. La Révélation n'est pas pour elle un récit historié auquel le
monde visible est une incessante allusion, mais un immense Digeste de
sentences dont les lumières s'allument les unes les autres, renvoient
toutes à la même Lumière abstraite, Loi, Raison, et Oraison divines .

•••
Cellule-mère de l'éloquence philosophique des magistrats érudits, la
citation est une ({ sentence» extraite d'une autorité poétique ou philoso-
phique antique, ou des Ecritures Saintes. Dans l'un et l'autre cas, en vertu
de la doctrine de la prisca the%gia, il s'agit d'autorités religieuses. dépo-
sitaires de la vérité divine, soit pressentie, soit révélée. Citée en latin, en
grec, voire en hébreu, langues à divers titres sacrées, le prix de la sentence
s'augmente du contraste avec son sertissage en langue vulgaire, langue
profane, langue utilitaire. Pierres précieuses, diamants, pépites du Logos
enchâssés dans le plomb du français, après avoir été ({ trouvés» dans
les savants recès de la mémoire-réminiscence, les citations SOl1t à la fois
ornement et preuve, beauté et vérité confondues. La c Remonstrance
d'ouverture ~ - et Pasquier en la qualifiant de « moderne », c'est-à-dire
de gothique, ne s'y trompait pas - est l'équivalent dans la liturgie
parlementaire de la «Monstrance~, ou du «Reliquaire» dans l'art
d'église: exposition du sacrement du Verbe.
La «monture» en français de ces pépites d'un Verbe plus proche
de l'origine, a le statut de glose, qui célèbre et commente la c sentence» :
mais c'est de celle-d et d'elle seule, de son rayonnement d'immémoriale
sagesse, qu'elle attend une action sur le public. Des sceaux de la
Vérité naît moins la persuasion, que l'admiration révérente. Art à la
fois raffiné et barbare. Il n'est pas exclu que sa fascination ait survécu
au genre des «Remonstrances» qui l'avait d'abord illustré et imposé.
Même lorsque les citations auront été traduites, et fondues dans le
« fil du discours », même lorsque des ({ sentences» françaises se donnant
pour inventées s'y aioutent. leur sc:ntillement caché, leur aura sacrale
de condensés du Logos révélé seront toujours perçus au moins sur un
registre esthétique. Le sentiment qu'un Josset avait de la prose de Balzac,
le sentiment qu'un Balzac avait de l'éloquence cornélienne, prolongent
le sens du sublime que cherchait à faire naître l'éloquence érudite et
490 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

chrétienne des Avocats Généraux du Palais. Dans la lumière égale et


régulière des classiques, des fragments de l'or antique, témoins des
Ages philosophiques et théologiques, continueront encore d'étinceler
quelque temps.
Montaigne est parti de la «rhétorique des citations» telle qu'elle
est pratiquée au Palais. Mais la différence de plus en plus sensible, au
fur et à mesure que progressent les Essais, entre la rhétorique de
l'ancien conseiller au Parlement de Bordeaux et celle de ses collègues
restés en charge, tient au statut de la première personne. Les magistrats
dans l'exercice de leur fonction sont des porte-parole; ils font
de leur perS(J1la de Juge-Prophète, ou d'Avocat-Reptésentant du Roi,
le porte-voix de l'Origine, de l'Antiquité, c'est-à-dire de la Vérité.
Le personnage et la personne privée se confondent au seul profit du
personnage. Chez Montaigne, la persona se constitue peu à peu à partir
de la personne privée, qu'elle accomplit et à laquelle elle donne forme.
C'est du fond de la personne privée que jaillissent les sentences fran-
çaises, venant de la «rencontre» des sentences antiques. Un Ancien
nommé Montaigne, et qui se constitue lui-même en autorité, naît peu à
peu des Essais, et s'impose aux modernes. La réminiscence savante qui
a permis aux magistrats humanistes d'élever la stature de leur person-
nage à une hauteur quasi prophétique, et de lui donner une voix
prestigieuse, permet à Montaigne de donner à son moi privé la force
de faire parler l'Origine, en son nom propre et non sous le masque
emprunté d'un personnage quasi sacerdotal. Montaigne se glose avec
autant de sérieux passionné qu'il glose les citations des Anciens, et
celles-ci de plus en plus sont dans son œuvre autant de gloses à ce
Je mystérieux et central, devenu pour lui, par un retournement qui
fascinera Pascal, la citation divine par excellence, mère de toutes les
autres.

••
Ce n'est évidemment pas dans cette direction que pouvait évoluer la
rhétoriCjue institutionnelle des Parlements. Le drame politique de la fin
du XVIe siècle la forcera seulement à descendre de son empyrée philo-
sophico-religieux pour se donner les moyens de l'éloquence civique. Avant
Guillaume Du Vair, Etienne Pasquier avait tenté une première réforme
en ce sens du «stile de Parlement ».
Avocat de l'Université contre les Jésuites, Pasquier avait goûté par
ce biais du genre délibératif, c'est-à-dire politique. Par là il s'était
rapproché plus que quiconque au Palais de l'éloquence «sénatoriale»
de Cicéron, dont Michel de L'Hospital avait, devant les Etats Généraux,
donné une première version mesurée et chrétienne 148. Le genre délibé-

148 Sur Michel de L'Hospital orateur, il n'existe pas d'étude particulière.


Voir sa Harangue faicte ... le treizieme de janvier 1560 devant les Etats-Géné-
raux; son Discours de la pacification des troubles de l'an 1567 dans Œuvres
complètes, éd. Dufay, Paris, 1824-1826, 5 vol.
ETIENNE PASQUIER JUGE DE L'ELOQUENCE DU PALAIS 491

ratif, plus que le genre judiciaire purement informatif, ou plus que le


genre démonstratif de célébration quasi religieuse, tels qu'on les entend
au Palais, exigeait que l'on fît effort pour persuader. Seule la continuité
logique du discours, soutenue par la vigueur de l'orateur s'engageant
personnellement, pouvait permettre d'atteindre cette fin. La rhétorique
des citations, lente, discontinue, solennelle, l'excluait.
Avocat gallican, Etienne Pasquier regardait de loin, mais avec intérêt,
les travaux de l'Académie du Palais. Là, pour tenir compte de l'ignorance
des gens de Cour, les citations explicites tendaient à disparaître des
discours 1 Pour atteindre les oreilles de Cour, fût-ce pour les réprimander,
il était bOIl que l'éloquence du Parlement se fît moins ésotérique et moins
ouvertement savante.
Enfin, médiévaliste de grand savoir, historien des «Antiquités»
nationales 149, Etienne Pasquier partageait avec son ami Claude Fau-
chet I~O l'ambition de réhabiliter la langue vulgaire en prose comme en
vers 1~1,
Il relate, dans ses Recherches de la France, l'irritation qu'il éprouvait
contre la « routine» des auteurs de «Remollstrances d'ouverture »,
symbolisans tous en un point, qui estoit de remplir leurs harangues
d'eschantillons de divers autheurs, chose du tout incongneue des anciens
orateurs, tant Grecs que Romains, et dont me plaignant un jour à
M. d'Espeisses (auquel j'estois voisin et amy) il en fit une à l'antique en
l'an 1586, qui est la neuvième des siennes ID2 sur la louange et recom-

149 Voir D.R. Kelley, ouvr. cit.


160 Sur la biographie de Fauchet, voir J. Espiner-Scott, Claude Fauchet,
sa vie, son œuvre, Paris, 1938 et du même auteur, Claude Fauchet et Estienne
Pasquier, Humanisme et Renaissance, t. l, 1939. Son chef-d'œuvre (une des
sources du Dialogue sur la lecture des vieux romans de Chapelain) : Recueil
de l'origine de la lanlJue et poésie françoise, ryme et romans, Paris, Mamert
Patisson, 1581, dédié a Henri III. Fauchet cite ses autorités latines en français,
ou les fait suivre de la traduction.
151 Voir dans le Choix de Letlres publié par D. Thickett (1956) la lettre
sur les Essais. Pasquier a été vivement impressionné par le service que Mon-
taigne rend à la langue française: «C'est un vrai Sénèque en notre langue. »
Mais Pasquier reproche à Montaigne son égotisme et son absence d'art. Le le
de Montaigne est incompatible avec l'ascèse de l'orateur du Parlement, qui
parle non en son nom mais au nom de la Justice. La variété du style de
Montaigne, sa pente vers l'atticisme sénéquien sont incompatibles avec la norme
rhétorique officielle qui doit prévaloir au Parlement. Montaigne, maître de la
prose en langue vulgaire, incite donc à honorer celle-ci. Mais il est impossible
d'officialiser son style.
152 Publiée dans le recueil cit. de 1609, p. 269-290. La première édition, à
laquelle fait allusion Pasquier (Recueil des Remonstrances faites en la Cour
de Parlement de Paris aux ouvertures des plaidoieries par feu M. Jacques Faye,
Seigneur d'Espeisses. La Rochelle, Hierosme Haultin, 1591) la reproduisait p.
93-105. Le souci de fondre le discours en un tout harmonieux et en français
hantait d'Espeisses dès la 8" Remonstrance (Pâques 1585) où il condamnait les
«allégations apparentes ». A la fin de sa 9", le premier discours vraiment «à
l'antique» prononcé au Parlement, il exprime une humilité touchante, s'excusant
de n'avoir su rejoindre l'idéal qu'il s'était proposé. Après la Ligue, une telle
humilité ne sera plus de saison parmi les magistrats.
492 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

mandation de l'éloquence. Il me dit après que cette seule luy avoit plus
cOllsté à faire que trois autres précédentes qu'il avoit repiécées de plu-
sieurs passages Ift3.

On se souvient que Pasquier dénonçait la confusion, chez les magis-


trats, entre « celuy qui enseigne par les livres, et celuy qui hatangue en
public ». Dans le passage que nous citons ici, il a la même distinction
dans l'esprit: d'Espeisses, accoutumé à «rapiécer» des sentences ex-
traites de ses recueils ou de Polyanthées, a du mal à concevoir une
« harangue» dans un esprit d'efficacité orale, à la manière des anciens
orateurs. Du même coup, Pasquier dénonce la contradiction intime qui
travaille l'éloquence de grand style des magistrats humanistes:: c'est
une éloquence qui se veut orale, et qui se déploie en effet dans l'espace
et devant le public nombreux du Palais; mais elle est l'œuvre de gens
du livre, de la lecture, de l'érudition silencieuse dans la bibliothèque,
qui même dans leurs «actions publiques» ne veulent pas renoncer à
leur habitus de savants compilateurs. Avocat, Pasquier a un sens plus
juste de ce qu'exigerait la parole en public, telle que les Anciens l'ont
pratiquée: un discours continu, organique, à l'image du corps humain.
Le rapiéçage des citations, qui sent encore sa «barbarie,. gothique,
offense le sens de l'humanitas que la Renaissance des Lettres a restauré.
Avec finesse, Pasquier a senti la parenté de cette survivance médiévale
avec le style coupé, constellé de sentences, pratiqué par Montaigne; sous
l'éloge des Essais, perce une réserve d'avocat qui admire Cicéron:
C'est un vray Sénèque en nostre langue ... , un vray seminaire de belles
et bonnes sentences.

Un recueil de semina dicendi, pas plus qu'une .. Remonstrance » tissée


de « belles et bonnes sentences », ne fait un discours digne de l'Antiquité
éloquente. Le mythe de la grande éloquence orale, à la Cicéron et à la
Démosthène, est donc la mauvaise conscience de l'art oratoire des magis-
trats du XVIe siècle. C'est lui qui pousse d'Espeisses à changer son style.
C'est lui qui va inspirer la réforme oratoire du Palais de Justice tentée
par Guillaume Du Vair.

2. Guillaume Du Vair
et le mythe d'une grande éloquence civique.
La tentative de Jacques Faye d'Espeisses, en 1586, de haranguer la
Grand'Chambre du Palais sans recourir aux traditionnelles citations,
révélait à la fois une inflexion de l'éloquence parlementaire, et un glisse-
ment de l'institution eHe-même vers un rôle politique plus accusé, en
concurrence avec les Etats-généraux réunis à plusieurs reprises par
Henri III. L'éloquence délibérative, c'est-à~dire politique, s'insinuait par-
tout dans le Royaume, et non plus sous la forme discrète, convenable à
l'esprit de Cour, du «conseil au Prince », mais de harangues publiques,

153 Pasquier, Recherches ..., éd. dt., 1. JI, p. 409.


LE FORUM DES GUERRES CIVILES 493
dans un style "républicain» qui pouvait se réclamer directement de
Cicéron et de Démosthène. Le mal venait de loin. Ronsard lui-même,
le poète lauréat, avait donné le ton de 1562 à 1578, dans ses Discours
des miseres de ce temps où il posait à l'avocat du catholicisme contre les
prédicants hérétiques 154. Tour à tour, le clergé et la Robe s'orientèrent.
dans une situation de guerre civile rappelant la Rome de Cicéron et de
César, d'Octave et d'Antoine, vers une éloquence délibérative étrangère
aux mœurs et aux traditions de la monarchie française. En 1586, Gabriel
Chappuys traduit les Cent sermons sur la Passion de Nostre Seigneur
du Franciscain italien Panigarola, qu'avait fort apprécié Catherine de
Médicis, et qui reviendra à Paris en 1592 exhorter les foules du haut de
la chaire de Notre-Dame à refuser Henri de Navarre pour roi, caution-
nant ainsi l'éloquence politique des moines ligueurs 16G. Louis d'Orléans,
avocat au Parlement de Paris IG6, Pierre Matthieu, avocat au Présidial de
Lyon 157, multiplient les harangues et les pamphlets au nom de la Ligue,
tandis que l'avocat Antoine Arnauld après la mort d'Henri III, publie
des philippiques au nom des partisans du roi de Navarre. Montaigne,
empruntant au Dialogue des orateurs un diagnostic sévère, pouvait écrire:
(L'éloquence délibérative) est un outil inventé pour manier et agiter
une tourbe et commune desreiglée, et est outil qui ne s'employe qu'aux

154 Voir l'Oraison funèbre de Ronsard par Davy du Perron. qui insiste sur
Ronsard orateur du catholicisme. Sur la faveur dont il jouit dans le monde
de la Robe au début du XVII' siècle. voir La Roche-Flavin. ouvr. cit .• p. 370.
Cet éloge de Ronsard n'empêche pas La Roche-Flavin de «chasser les poètes»
de la République, à la manière de Platon. Il écrit p. 364 : « Les livres et poesies
des (poètes) sont propres pour les jeunes gentilshommes et Damoiselles, ou
gens de loisir non occupés ny destinez pour la Magistrature, sauf à quelques
heures perdues [ ... ] Car de se servir. ny alleguer ces Poêtes françois, ny aux
examens. ny aux jugemens des procez, on se rendroit ridicule aussi comme
d'alléguer des poètes latins ... »
155 Sur les harangues prononcées à Paris par Panigarola pendant la Ligue.
voir Tre prediche di mons. Panigarola Fatte da lui in Parigi. Asti. 1592. Sa
réputation était très grande en France. Voir Cent sermons sur la Passion de
N.S. prononcez à Milan par R.P.F. Panigarola. et traduicts en François par
Gabriel Chappuys. Paris. Carellat. 1586. Il avait prêché à la Cour d'Henri III.
156 Sur l'activité de L. d'Orléans comme orateur et polémiste de la Ligue,
voir Cantique de victoire par lequel on peut remarquer la vengeance que Dieu
a prise dessus ceux qui voulaient ruyner son Ef!/ise et la France. Paris. Man-
gnier. 1569. et Plaidoyé des Gens du Roy (22 déc. 1592), Paris, Musson, 1593.
157 Sur P. Matthieu orateur de la Ligue. voir Discours veritable et sans
passion sur la prise des armes et change mens advenus en la ville de Lyon ...
sous l'obeissance de la S. Union. Lyon. 1593. et la Pompe funebre des penitens de
Lyon ...• Lyon. Roussin. 1589 (B.N. Lb 34584). avec une oraison funèbre de
Louis et Henry de Lorraine assassinés à Blois. Si l'exorde et la péroraison font
place à d'amples périodes. si les figures du pathétique (apostrophes. interro-
gations. sermocinationes ... ) abondent. les «roulades» du dicere incisim. pres-
santes et passionnées. sont là pour les soutenir. L'œuvre de cet avocat encore
jeune, qui a trouvé une «cause» exceptionnelle (<< accuser capitalement un
Roi») doit être confrontée avec les discours contemporains de Du Vair: à
l'imagination fiévreuse du rhéteur. s'oppose la force majestueuse du «sçavant"
et du haut magistrat. Sur l'ensemble du problème, entièrement à reprendre, de
l'éloquence ligueuse, voir Labitte. Ollvr. cit.. bibliogr. p. 824. n° 1502.
494 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

estats malades, comme la medecine, en ceux où le vulgaire, où les igno-


rans, où tous ont tout peu, comme celuy d'Athenes, de Rhodes, de Rome;
où les choses ont esté en perpetuelle tempeste, là où ont afflué les ora-
teurs [... ] L'eloquence a le plus f1eury à Rome lorsque les affaires ont esté
en plus mauvais estat, et que l'orage des guerres civiles les agitoit, comme
un champ libre et indompté porte les herbes plus gaillardes. Il semble
par là que les polices qui dependent d'un monarque en ont moins besoin
que les autres, car la bestise et facilité qui se trouve en la commune et
qui la rend subjecte à estre maniée et contournée par les oreilles au doux
son de ceste harmonie [ ... ] ceste facilité dis-je ne se trouve pas aisément
en un seul, et est plus aisé de la garantir par bonne institution et non
conseil de l'impression de ceste poison 158.

Le pire scandale avait été peut-être, pour Montaigne comme pour


Pasquier, de voir Henri III donner l'exemple, et entrer dans la lice
délibérative. Lors du Lit de Justice de 1586, le Roi lui-même, le
Chancelier Hurault de Cheverny et l'avocat général d'Espeisses, firent
assaut de «bien dire» devant le Parlement. Henri IV et plus encore
Louis XIII, qui faisait savoir que les harangues l'ennuyaient, se gardèrent
bien de se départir d'une imperatoria brevitas conforme à l'autorité
monarchique, Henri III céda à la tentation d'une royauté éloquente.
Guillaume Du Vair, conseiller-clerc depuis deux ans, assistait au Lit de
Justice de 1586 comme il eût assisté à une séance du Sénat romain, ou
à un concours dans une école antique de déclamation. A titre d'exercice,
il rédigea de mémoire une version de ces trois harangues, où celle du
Roi figure parmi les autres 159. Aux Etats de Blois en 1588, Henri III
chercha de même à régner sur les passions du royaume par l'éloquence,
et finit par s'en remettre à la violence, Cicéron et Antoine en un même
homme.


••
Formé par Pontus de Tyard et Amyot, le roi avait les dons et la
préparation d'un orateur. Sa harangue au Sénat de Venise, lors du
voyage qui le ramenait de Pologne et France, était restée célèbre. Et
l'Académie du Palais qu'il rassembla autour de lui au Louvre, sous la
direction de Pibrac puis de Du Perron, était une académie d'éloquence,
succédant à l'académie d'e poésie et musique de Baïf, patronnée par
Charles IX. C'est probablement en liaison avec les travaux de l'Académie
qu'Henri Estienne publia son recueil d'Epistolae cicéroniennes de 1581,

158 Montaigne, Essais, l, 41, éd. cit., p. 343. On ne saurait marquer plus
nettement son hostilité à la fois à l' «éloquence royale» d'Henri III, à l'Aca-
démie du Palais ou devant les Etats-Généraux, et à 1'« éloquence civique »,
tant celle des Ligueurs que celle des «Politiques ». Suivant la leçon du Dia-
logue des Orateurs, qu'il paraphrase dans le passage cité, Montaigne ne voit
d'autre éloquence possible en régime monarchique que dans la conjonction de
la prose et de la poésie diffusant la sagesse d'une élite auprès du plus grand
nombre, pour le plus grand bénéfice de l'ordre civil.
159 V.R. Radouant, Guillaume Du Vair, Paris, 1906, p. 87-93.
HENRI III ORATEUR 495
et que Jacques Amyot rédigea le Projet de l'Eloquence royale resté
manuscrit jusqu'à l'édition de 1805. Le traducteur de Plutarque, mais
aussi de Longus et d'Héliodore, fut à bien des égards le Père fondateur
de l'humanisme de Cour français, et on ne s'étonne pas, en lisant le
Projet adressé à Henri III, qu'il n'y encourage pas le Roi à donner son
éloquence en spectacle. Dans la tradition du Cortegiano et du Oalateo,
il se garde d'accabler de préceptes pédants le premier Gentilhomme de
France; celui-Ci est assez naturellement doué d'ingenium (<< la vivacité
et agilité de vostre esprit») et de mémoire pour que les pesantes procé-
dures de l'invention rhétorique lui soient épargnées, et soient remplacées
chez lui par des « conceptions» rapides et aisées. Amyot distingue deux
sortes d'éloquence royale: hors des «affaires », et dans les» affaires :..
Hors des « affaires », dans les moments de « loisir» où le Prince « reçoit
plaisir à parler et deviser », l'éloquence royale se place sous le même
signe que l'art du roman tel qu'Amyot l'avait défini dans sa préface à
L'Histoire Efhiopique : l'honnête divertissement.

L'on doit user des choses de plaisir, pour estre puis apres plus apte
à faire des choses d'importance IGO bl••

C'est laiustification des Belles-Lettres mondaines aux yeux de la


morale chrétienne, pour peu que cette délectation ne dépasse pas les
bornes de la raison, et s'allie au naturel, au vraisemblable, et à quelque
« instruction ». C'est aussi la justification de l'art de la conversation de
Cour, dont il vaut la peine de relever la parenté avec celui du roman,
« réformé» par Amyot sur le modèle de l'Antiquité. Dans la conversation
des honnêtes gens, telle que la voit notre auteur, la rhétorique du naturel
et du vraisemblable se résume à «parler court », et « en tems et lieux »,
à parsemer les propos du sel des «mots aigus », des «gentilles ren-
contres », des « pointes» qui doivent cependant se garder de blesser.
La tentation sophistique, ici, c'est la raillerie piquante, l'insulte déguisée.
Le Roi, en dépit ou plutôt à cause de sa supériorité, doit donner l'exemple
et se refuser cette facilité, contraire à sa gravité et compromettante pour
son autorité. Les «lieux» de l'invention en cette forme «naturelle»
de l'éloquence, c'est d'abord la guerre, art des gentilshommes, c'est aussi
la généalogie des nobles du royaume, les services rendus par eux-mêmes
et leurs ancêtres à la Couronne, qui doit savoir rendre à chacun son dû
et le traiter selon son rang; c'est enfin l'histoire, leçon de morale pour
tous et plus oarticulièrement pour les Princes. En temps d'affaires, la
seule forme d'éloquence envisagée par Amyot est la réponse, qui peut
être impromptue, aux ambassadeurs et aux Princes étrangers. Outre ces
conseils enveloppés de louanges, mais fort nets, adressés au Roi, l'origi-
naEté du Proief d'Amyot, à sa date (entre 1570 et 1580) tient dans la
place importante accordée à l'élocution. Les règles qu'il fixe au « meilleur
style» français dessinent fermement la ligne d'évolution du «langage

159 bi. Jacques Amyot, L'Histoire Ethiopique ... , Paris, 1547, Proeme du
translateur, non paginé.
496 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

de Cour» au XVIIe siècle, ce qui prouve à quel point l'atticisme classique


des Bourbons renoue avec l'idéal de politesse des Valois. Ces règles
s'opposent à la fois à la rugosité pédante de la «rhétorique des cita-
tions », à la force véhémente de l'éloquence civique des «politiques »,
et en général à tout « battelage » d'orateur s'adressant à un vaste public
indifférencié. Les reflexions sur le rythme de la phrase française, au
Ch. XIII du Projet, lui fixant pour durée maximale celle de quatre
alexandrins, coïncident par avance avec les exigences raffinées de
1'« oreille» classique. Au Ch. XIII, le précepteur d'Henri III précise son
idéal d'harmonieuse douceur, inséparable de la justesse et de la clarté:
En [... ] choisissant (les mots), nous prendrons ceus qui sont les plus
propres pour signifier la chose dont nous voulons parler, ceus qui nous
sembleront plus dous, qui sonneront le mieux à l'aureille, qui seront plus
coutumierement en la bouche des bien parIans: qui seront bons françois
et 110n estrangers... Les mots estans choisis, il les convient joindre et
lier ensemble, de façon qu'il n'y ait aucune dure rencontre de lettres ny
de syllabes. Et quand l'aureille, a qui on s'en doit rapporter, nous jugera
que la clause est trop plate ou trop aspre, en changeant l'ordre des mots,
et les arrangeant d'autre sorte, nous trouverons a la fin qu'elle en devien-
dra plus ferme et plus douce ... Entre autres choses, il se fault estuùier,
non seulement à joindre, mais aussi à lier les clauses ensemble: et tant
que faire se pourra, diversifier et changer les conjunctions qui les entre-
tiennent, afin que rien n'y soit descousu ni entrerompu, ains que tout
coule d'une suite, et que toutes les parties soient assemblées comme les
membres en un mesme corps 160.

Transposant au service de la prose française l'essentiel du De


Elocutione de Démétrius de Phalère, si intelligemment commenté par
Pietro Vettori en 1562, et s'appuyant sur la tradition courtoise et pétrar-
quiste de la noblesse de Cour, Amyot ouvre la voie à un atticisme français
tenant du style moyen (style orné de la délectation), mais par la seule
qualité du choix des mots et de l'organisation euphonique de la phrase,
et du style simple, mais relevé d'heureuses « rencontres». Cet atticisme
fait de la prose écrite le miroir, mais aussi le modèle de la seule forme
d'éloquence orale compatible avec une Cour monarchique: l'art de la
conversation.

....'"
C'est encore dans la mouvance des recherches suscitées par l'Aca-
démie du Palais qu'il faut situer la publication, en 1578, de la traduction
par Blaise de Vigenère des Images ou Tableaux de Philostrate, dont nous
avons vu l'influence, jusqu'au P. Le Moyne, sur le style français des
Jésuites au XVIIe siècle. L'ouvrage est dédié à un magistrat lié d'amitié
avec Henri III, Barnabé Brisson, successeur de Pibrac dans la charge
d'Avocat Général du Roi, et membre actif des doctes conférences du

160 Jacques Amyot, Projet d'Eloquence royale, Versailles, 1805, p. 44-46.


L'ACADÉMIE DU PALAIS 497

Louvre. Dans son épître dédicatoire, Vigenère évoque les critiques que
sa traduction a suscitées, préludant à celles que l'asianisme jésuite pro-
voquera au XVIIe siècle:
detractions, criailleries, mesdisances, abbayemens d'un tas de vains et
oisifs preste-charitez, regratteurs, contrerolleurs, censeurs, priseurs, esti-
meurs et re\"Îsiteur~> ùes ouvrages d'autruy ... ».

Un an plus tard, poursuivant sans s'émouvoir son but, rendre la


prose française capable des ornements de la prose antique, il dédiait
à un Italien, Jean Andreossi, comme lui gentilhomme du duc de Nevers,
une traduction des Trois Dialogues de l'Amitié, le Lysis de Platon, le
Laelius de Cicéron, et le Toxaris de Lucien, illustrant ainsi les trois
degrés de style qu'il avait si brillamment allégorisés dans sa dédicace-
préface à Brisson. Mais son choix est à l'opposé de celui que manifeste
Amyot dans son Projet. Il n'hésite pas à reléguer l'atticisme de Platon,
qualifié par lui de «dorique », dans l'ordre « le plus grossier et massif
de tous », au-dessous du style « ionique» de Cicéron, lui-même inférieur
au style « corinthien» de Lucien. Il célèbre le plus tardif des trois auteurs
pour les grâces épidictiques de son ekphrasis :
belles histoires figurées [... ] ainsi que pourroit estre une frise ou zoo-
phore entaillé à petits bastions, fleurs, fruictages, et autres telles fantaisies
aussi agreables et recreatives à l'oeil qui les comptes amenez icy peuvent
estre à vos imaginations et pensées.

Cette rhétorique de l'imagination profuse et de la délectation sensible


se préoccupe moins de l'ordre et du choix des mots que des figures ani-
mant et vivifiant l'élocution. Elle a en commun avec la rhétorique d'Amyot
un même soud d'art, rompant avec le dédain humaniste pour la prose
vulgaire, mais elle place l'accent ailleurs. Comme celle d'Amyot, e1\e
travaille pour l'avenir, quoique à plus court terme. Elle portera ses fruits
sous Henri IV et Louis XIII, avec les Richeome et les Binet. En 1579,
elle fait encore scandale. L'indignation suscitée dans le monde robin par
cette propagande en faveur des « faux brillants» de l'Antiquité païenne
et de l'Italie se refléte dans les vers qu'adressera Vauquelin de la Fresnaye
au Premier Président Claude Groulart :
Groulart, ces vers ne sont de la Muse Eraton,
Ils ne sont empruntez du Lisis de Platon,
Du Romain Orateur, des Amitiez des Scithes,
Qui sont en Toxaris de Lucien descrites,
Mais je les ay tirez du Puis de Verité,
D'un Stoïque qui cherche en tout la verité 161.

On voit combien le débat autour de la prose française dans le dernier


quart du XVIe siècle est complexe et confus. Il est dominé par des

161 Ci!. dans R. Fromilhague, Malherbe, technique et création poétique,


ou\'r. ci!., p. 36 (Œuvres de Vauquelin, éd. J. Travers, t. l, p. 202-203).
498 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

considérations politiques et morales. La dégradation de l'autorité royale,


les luttes de partis, encouragent le développement d'une éloquence déli-
bérative fr~r.çaise, qui ne va pas sans remords vis-à-vis du principe
monarchique traditionnel. L'évolution d'une Cour à l'italienne encourage
le développement d'un art de la conversation et d'un art du discours
épidictique, qui ne va pas sans remords vis-à-vis d'une tradition nationale.
et plus spécifiquement robine, de sévérité rugueuse. La forme de l'Etat,
la légitimité morale d'un art de Cour, outre la méfiance vis-à-vis de
l'étranger, de la sophistique païenne, et le peu de confiance accordée
à la langue vulgaire, autant de présupposés du débat. La position d'Amyot
est évidemment la plus équilibrée, celle qui tient le mieux compte de
toutes les données du problème: elle n'a pas eu d'écho immédiat. La
position de Blaise de Vigenère, plus polémique, plus italianisante" avait
tout pour choquer le goût sévère de la Robe française, et le cherchait
peut-être: elle fut publiée et suivie. Cette «corruption de l'éloquence:t
s'ajoutait à d'autres, dans le camp ligueur, liées toutes à la corruption de
ce que Montesquieu appellera le « principe» de la monarchie. Dans ce
désordre, la Justice gallicane, à moins de renoncer au magistère qu'elle
s'attribuait sur le royaume 162, se devait de se forger une éloquence
civique propre à défendre les «Loix fondamentales:t et imposer une
règle, d'abord dans l'ordre du style, là où le Roi lui-même y manquait.
Pasquier en avait entrevu la nécessité. Il revint à Guillaume Du Vair
d'en formuler la doctrine.

•••
Du Vair avait en effet tous les atouts qui manquaient à Pasquier
pour faire admettre au Palais, peu acquis aux changements, une réforme
de sa rhétorique institutionnelle.
Pasquier était un avccat, un homo novus. Du Vair était un porphy-
rogénète de la Grande Robe parisienne, appelé par sa naissance aux
plus grandes charges, à son choix, dans l'Eglise, le Parlement, ou l'Etat.
Apparenté aux Dupuy 163, il commença sa carrière parlementaire dans
la mouvance d~ Christophe de Thou, auquel il rendra un magnifique
hommage en 1595, à la fin de son traité De la Constance 164. Ami de
j.-A. de Thou, de Pierre Pithou, de Nicolas Le Fèvre, il se meut à l'aise
dans les plus hautes sphères de la magistrature et de la République des

162 Du Vair, De l'Eloquence, éd. Radouant, cit., p. 136-138.


163 Voir Radouant, Guillaume Du Vair, ouvr. cit., p. 3 à 6. 11 est plus
important encore de souligner que par son étroite amitié avec Claude Dupuy,
J.-A. de Thou, Nicolas Le Fèvre, Pierre Pithou, Du Vair figure parmi les
fondateurs de cette Académie putéane dont R. Pintard s'est fait l'historien.
164 Radouant, ouvr. cit., p. 64. Christophe de Thou, à la tradition duquel
Du Vair se rattache ainsi expressément, est dési~né par Pasquier comme
le «patron» de l'éloquence des magistrats. C'est a lui en 1580 que Pierre
Pithou dédie son édition des Declamationes de Quintilien.
GUILLAUME DU VAIR 499

Lettres. Après une brève « période mondaine» au service du Duc d'Alen-


çon, il se retrouva tout naturellement avec l'élite gallicane sur les bancs
fleudelysés du Palais. Il n'a donc pas à souffler à un Avocat Général,
comme le fit Pasquier en 1586, urie réforme du style des c Remons-
trances ». Il est en position d'adresser aux auteurs de « Remonstrances »
les siennes propres.
Pasquier avait fait l'expérience de l'éloquence politique en 1565.
Encore était-ce par le ·biais d'un procès, qu'il avait d'ailleurs perdu,
cantre les Jésuites. Du Vair, enfant prodige, licencié de Décret à 14 ans 1611,
arrive à 1'« âge oratoire l} à un moment où l'affaiblissement du régime
monarchique permet l'essor d'une éloquence proprement délibérative.
Conseiller-clerc en 1584, il a l'occasion de prononcer en 1588, âgé de
32 ans, son Discours des barricades: en 1592, à 36 ans, son Exhortatioll
d la paix adressé d ceux de la Ligue, et surtout en 1593, à l'apogée de
sa carrière d'orateur. sa Suasion de l'arrêt pour la Loi Salique qui décida
pour une bonne part du triomphe d'Henri de Navarre et de l'échec
de la Ligue.
Les conditions politiques d'une Renaissance oratoire française étaient
réunies. Au moment où la génération de Du Vair prend la relève de
celle de Christophe de Thou et de Michel de L'Hospital, il existe déjà
au Parlement et au Louvre une Académie d'éloquence. On peut faire
des comparaisons entre les orateurs du Louvre et ceux du Parlement,
entre les différents styles d'éloquence sacrée, entre les tendances qui
prévalent en France et celles qui prévalent en Italie où Du Vair se
rend en 1572.
L'avocat Etienne Pasquier était impatienté par le sublime érudit dont
se parait un Brisson pour éblouir ses collègues. Il se réclamait de
l'Antiquité et de 1'« illustration de la langue française l} pour justifier
un style plus uni, une disposition plus logique et plus serrée. Du Vair
ne se contente pas de ces modifications formelles. Il ne publie le traité
De l'Eloquence qu'après avoir publié des Méditations sur Job et Jéré-
mie 166 et ses deux traités de stoïcisme chrétien, la Philosophie morale
des Stoïques et De la Constance. Il ne définit une éloquence civique
qu'après avoir proposé une éthique du civisme compatible avec la théolo-
gie chrétienne 167. La nouvelle éloquence ne sera pas un reniement de
l'idée des théologiens-législateurs, mais son incarnation dans une parole
mieux armée pour la faire triompher.
La magistrature civique selon Du Vair ne renie pas le Logos érudit
que célébraient ses prédécesseurs. On le verra dans les «Remonstrances
d'ouverture» ct' Aix, qui porteront à son sommet l'art des Avocats Géné-
raux du XVIe siècle, et réaffirmeront leur doctrine. Pour s'être retirés

1611Radouant, ouvr. cit., p. 22.


166 V. Radouant, ibid.
167 Voir P. Mesnard, «Du Vair et le néostoïcisme », R.H. Philo, 1928,
p. 142-166.
500 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

dans le lointain d'un paysage héroïque, le massif érudit et l'inspiration


divine dont il est le lieu n'ont pas disparu. Mais au premier plan, le
monde, le désordre des passions, appellent une lumière plus terrestre et
plus efficace, qui tient néanmoins ses ressources des lointains méditatifs.
Au commencement était le Verbe. Mais il dut se faire Action .


••
C'est dans cette direction qu'il faut chercher l'explication d'un para-
doxe qui, à notre sens, n'a pas assez retenu l'attention des commenta-
teurs: tandis que le stoïcisme chrétien en Flandres, avec Juste Lipse,
a pour corollaire logique un style «anticicéronien », en France, avec
Du Vair, il conclut à une réhabilitation de Cicéron, fort maltraité jusque-
là aussi bien par un Pibrac que par un Montaigne.,
Remarquons tout d'abord que la génération de L'Hospital et de Pibrac
avait encore rencontré en Italie la tradition vivante du premier cicéronia-
nisme, à Venise et Padoue. Du Vair arrive à Rome en 1572 167, l'année
où Muret prononce à la Sapienza un discours-programme qui substitue
au cicéronianisme trop attaché à l'élégance écrite une émulation plus
généreuse avec Cicéron, une nouvelle alliance entre la grandeur d'âme,
éclairée par la philosophie, et une éloquence militante. Dans les années
qui suivirent, Muret se fera l'éditeur ou le commentateur de Sénèque
et de Tacite, sans pour autant renier l'autorité suprême de Cicéron en
matière de langue et de style.
Le programme énoncé par Muret en 1572 levait une partie des obstacles
qui s'opposaient à l'intronisation de Cicéron comme le maître de la
rhétorique française. Muret rendait à Cicéron sa pleine stature d'homme
d'Etat-philosophe-orateur, à sa doctrine son sens plénier d'alliance entre
savoir érudit et éloquence, il le lavait du «soupçon» que le cicéronia-
nisme de Bembo et de Castiglione avait fait lever contre lui chez les
doctes de Robe, en garde contre la sophistique des Cours.
Par ailleurs, le style «coupé» cher à Juste ,upse, tout style érudit
qu'il fût, et en langue latine, était aussi peu propice à servir de modèle
à une éloquence civique en français que celui de Montaigne. L'un et
l'autre n'étaient au fond que la transfiguration, sous l'influence de
Sénèque, philosophe ennemi de l'éloquence, de la «rhétorique des cita-
tions ». Tous deux conjuguent la «sentence» érudite, extraite de la
mémoire savante, avec le jaillissement d'apophtegmes, de maximes, de
sentences que leur « grande âme », en émulation avec les grands Anciens,
produit en abondance, dans la solitude tendue et mélancolique de l'écri-
ture. Partie de la sentence citée et commentée, la liberté du dernier Mon-
taigne, R. Fromilhague l'a montré, se livre de plus en plus à l'art de la

167 Radouant, ouvr. cit., p. 28.


GUILLAUME DU VAIR 501

pointe 168, c'est-à-dire à l'invention de sentences épigrammatiques jaillies


de son propre fonds. Le traité De la Constance de Lipse, ses Politiques,
sont un véritable montage de citations choisies pour leur brièveté senten-
cieuse autant que pour leur densité morale. Le style laconique, étincelant
de sentences dans une obscurité pour happy few, que recommande l'Insti-
tutio Epistolica et que pratiquent les Centuries de Lettres, reprend à la
première personne ce « sable sans chaux» de la « grande âme» philoso-
phique, retrouvant le secret oraculaire des Sages de l'Antiquité., Montaigne
comme Lipse sont justiciables de la définition que Du Vair donne des
« Remonstrances l' : des «monstres couverts d'yeux l'.
En somme le style de Lipse et de Montaigne ramenait au problème
posé par le style des « Remonstrances ». Pour Du Vair, la question est
moins désormais de révéler, même à la première personne, les arcanes du
savoir érudit, que d'en diffuser les lumières dans la Cité. Lipse et Mon-
taigne sont des écrivains à l'écart des grandes responsabilités. Ils peuvent
former leur style sur Sénèque. Du Vair, tenté comme eux par la retraite
philosophique et religieuse, surmonte cette tentation, et se veut un homme
d'Etat agissant par l'éloquence. Chez lui, c'est donc vers la lux orationis
que doit évoluer la « rhétorique des citations ». Celle-ci mettait a nu le
travail de l'invention érudite, et dédaignait les médiations de la disposi-
tion et de l'élocution. Pour agir sur un public divisé, et qu'il faut récon-
cilier avec la vérité, Du Vair fait du «discours à l'antique» le masque
sous lequel la vérité s'avance, force l'attention et s'impose.
Une grande éloquence délibérative en langue française ne pouvait
prendre pour modèle que Cicéron et Démosthène, les magistrats-orateurs,
et non Sénèque, l'écrivain philosophe. Dès 1551, dans la préface à sa
traduction des Olynthiaques, Louis Le Roy avait défendu la vocation
du français à l'éloquence en invoquant l'exemple de Démosthène, et en
insistant sur l'alliance de la philosophie à la rhétorique qui soutint les
combats de l'orateur attique. Habile pédagogie, qui flattait le préjugé
philhellène de l'humanisme èrudit. Du Vair aura soin d'associer Démos-
thène à Cicéron pour éviter toute confusion entre la «nouvelle rhéto-
riquel' et le cicéronianisme. Il n'en reprend pas moins à son compte
l'idée de réhabiliter la langue et l'éloquence vulgaires par imitation et
traduction des orateurs classiques. Cette idée, soutenue par Dolet, Le
Roy et Ramus dès 1540-1550, n'avait pas eu alors beaucoup d'écho.
L'humanisme érudit avait tenu à maintenir dans ce domaine l'écla-
tante suprématie des langues classiques et sacrées, par le biais des
« citations ». En 1580-1590, l'èEte gallicane, peu nombreuse, doit faire
face à une véritable démission nationale, fomentée en sous-main d'Italie
et d'Espagne. L'« illustration» en prose de la langue du royaume devient
un thème politique d'une brûlante actualité. Et sa mise en œuvre une néces-
sité non moins politique. On peut trouver naturel qu'un avocat comme
Arnauld s'inspire de Démosthène pour lancer des philippiques contre

168 R. Fromilhague, «Montaigne et la nouvelle rhétorique », art. cit.


502 LA MAGiSTRAnJRE ORATOIRE DU PALAIS

les Ligueurs. \1 est plus significatif encore de voir un grand érudit


comme Pierre Pithou se départir de la langue latine et de la gravité
de la République des Lettres pour collaborer à la Satyre Ménippée.
La crise dynastique donna à une élite savante de magistrats une
position d'arbitre qui, plus que la témérité des gentilshommes combattant
sous Henri de Navarre, fit pencher la balance en sa faveur. C'est en
définitive le Parlement « ligueur", transformé en assemblée délibérante,
mais sut place, dans l'enclos sacré de l'Ile de la Cité, qui avait décidé
de la dévolution de la Couronne au prétendant Bourbon. Du Vair avait
tenu à rester à Paris, et à tenir tête aux extrémistes du Palais, plutôt
que de se retirer avec ses amis «Politiques» à Tours. En 1594, au
moment où Henri IV rentre à Paris, légitimé par l'arrêt du Parlement
« Ii[~ueur» sur la loi salique, Du Vair avait de bonnes raisons d'espérer
que les mérites acquis par lui-même et ses amis, tant à Paris qu'à Tours,
liaient le nouveau roi. C'est effectivement ce qui sembla se passer
d'abord: expulsion des Jésuites, réforme de l'Université, influence domi-
nante des gallicans à la Cour. Mais un roi, Corneille le répètera inlassa-
blement, redoute pour lui-même les chaînes de la reconnaissance. Il
préfère attacher autrui par la générosité. Jésuites et anciens ligueurs,
Italiens même, ne tarderont pas à réapparaître autour de Marie de
Médicis et à faire contrepoids aux magistrats encombrants. Mais en
1595, lorsqu'il publie le traité De l'Eloquence, tout pouvait laisser croire
à Du Vair que le rôle civique joué par ses collègues et lui-même avait
réhabilité et remanié la «vraie» fonction du Parlement, et que les
orateurs du Palais, trempés par les épreuves de la guerre civile, avaient
retrouvé leur mission « naturelle» de tuteurs de l'Etat. A bien des égards
c'est là le sens ultime du traité De l'Eloquence française .

•••
Homme d'Eglise autant qu'homme de loi, Guillaume Du Vair ne
renonce nullement à l'idée sacerdotale du magistrat que se faisaient ses
prédécesseurs. Mais il souhaite concilier cel1e-ci avec une fonction vrai-
ment «sénatoriale» dans l'Etat. En un sens, et toutes choses égales,
il veut faire pour le magistrat-prêtre d'autrefois ce que saint Ignace avait
fait pour le régulier médiéval: lui donner les moyens d'agir sur le
monde et de dominer la société civile. sans s'y compromettre. Conci-
liation difficile, qui suppose à la fois une spiritualité et une éloquence
nouvelles. Chez saint Ignace, les Exercices et l'éducation oratoire pour-
vurent les Jésuites de ces «ponts» indispensables au passage du sacré
au profane, de la mystique à la politique. Chez Du Vair, la spiritualité
stoïcienne permet au magistrat de concilier sa foi d'humaniste érudit
gallican, tournée vers l'Origine, et son souci de régenter le Royaume par
l'éloquence. Le Portique sert de passage entre l'érudition chrétienne,
contemplative, et le civisme modelé sur l'exemple de Cicéron. L'œuvre
de Cicéron se prêtait à cette conciliation. Elle était assez éclectique pour
GUILLAUME DU VAIR 503
contenir des éléments platoniciens, mais aussi des éléments stoïciens.
Cicéron avait senti l'espèce d'harmonie préétablie entre le mos majorwn
d~ l'aristocratie sénatoriale romaine, et la morale sévère jointe au sens
des responsabilités civiques qui caractérisait à Rome le Portique. Mais
il s'était refusé à prendre à la lettre les «paradoxes» qui faisaient du
Sage le seul orateur, et de la vraie éloquence la seule transparence de
la vertu et de la raison du sage. La vertu et la vérité, pour demeurer
opérantes dans un monde qui leur résiste, devaient se moduler, tenir
compte des circonstances. Elles pouvaient même se recommander de la
beauté.
Du Vair est loin de suivre Cicéron sur ce terrain, où les Jésuites
n'hésitaient pas à le dépasser. La beauté oratoire n'est pour lui que
la «santé» du vrai qui consent à s'incarner pour se faire connaître.
Il n'envisage aucune casuistique du vraisemblable ni de l'ornafus. Son
stoïcisme chrétien se veut civique, mais non politique. C'est le civisme
de la raison, au service de la vérité morale et religieuse dont il est
médiateur dans la Cité.


••
Le titre complet du traité de 1595, De l'Eloquence françoise ef des
raisons pourquoy elle est demeurée si basse semble rompre avec osten-
tation avec la tradition des « Remonstrances » du temps d'Henri III alors
que Du Vair cherche à la vivifier. II reflète l'assurance orgueilleuse
acquise par l'orateur de la Suasion sur l'arrêt pour la loi Salique.
II laisse présager une véritable « Remonstrance» aux auteurs des « Re-
monstrances ». Mais le débat demeure entre magistrats. Si Du Vair
fait allusion au Barreau, c'est du point de vue de sa caste, qui n'y voit
qu'une préparation à de plus hautes responsabilités. Du Vair ne juge
d'ailleurs dignes de ses critiques que les Avocats du Roi, Pibrac, d'Espeis-
ses, Brisson, Mangot. Au moment où le traité est publié, le « Parlement
de Tours» est rentré à Paris, et la République des Lettres se reconstitue
dans la capitale. Du Vair retrouve ses amis De Thou, Le Fèvre, Pithou,
dont les réunions rue des Poictevins fondent ce qui deviendra au XVIIe
siècle l'Académie putéane 169. Son traité n'exprime pas son seul point
de vue, mais celui de l'élite gallicane du Palais. Il est dédié à Nicolas
Le Fèvre, et répond aux «exhortations» de celui-ci 170.
Que reproche Du Vair aux auteurs de « Remonstrances d'ouverture» ?
Avant tout, l'attitud~ contemplative et le manque d'autorité civique:

169 Radouant, ollvr. cit., ch. IV, p. 48 et suiv., surtout p. 71-72.


170 Voir éd. Radouant, cit., p. 130-131. Du Vair parle de «la grace de
beaucoup d'érudition et de tant de candeur et ingénuité» propres à Le Fèvre.
Sur celui-ci, voir plus loin, p. 553.
504 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

[Pibrac?] Il n'estoit pas capable d'une haute et pleine éloquence. Sa


douce et gratieuse humeur ne pouvoit concevoir de passions fortes et
courageuses qu'il faut pour animer une parfaicte oraison.
[Brisson?] Il aimoit mieux paroistre savant qu'éloquent. Ses discours
etoient pleins de passages, allegations, authoritez, qu'à peine pou\'oit-on
prendre le fil de son discours ... Outre cela il étoit d'une fort douce nature
et quasi non susceptible de passions. De sorte que s'il eust entrepris une
grande et vehemente action où il eust fallu deployer les maistresses voiles
de l'éloquence, j'ay opinion qu'il ne luy eust pas reussy 111.

La réforme oratoire du Palais sera donc d'abord une réforme morale


de ses orateurs. Le Logos que les Avocats Généraux du temps de HellTi III
se bornaient à célébrer et contempler doit s'incarner, devenir «vertu»
et « raison» dans une nature d'orateur doué et magnanime. Cette grande
« nature» disciplinée en vertu et raison n'est pas moins capable
de «passions fortes et courageuses », qui confèrent à son éloquence
véhémence et vigueur au service de la vérité. Au do cere philosophique de
ses prédecesseurs, Du Vair veut ajouter un movere qui intensifie son
pouvoir sur l'auditoire. Mais à aucun moment il n'est question de faire
de concession au delecfare, qui ferait glisser la rhétorique parlementaire
sur le terrain de l'hédonisme ou de la sophistique.
Cette parole véhémente et généreuse doit rayonner au loin. Si la
« vertu» de l'orateur nourrit ses «passions fortes », sa «raison» doit
articuler clairement ses preuves, et savoir convaincre. Cicéron, maître
de la Lux orationis, est un modèle de cette clarté. Du Vair reproche à
l'ésotérisme érudit de ses prédécesseurs non seulement leur confiance
limitée dans les pouvoirs de la langue nationale, mais leur rhétorique
d'Argus. Au scintillement fascinant et quasi sacré des «sentences»
incompréhensibles pour le public, doit faire place la lumière égale et
continue d'une clarté toute française.
Mais Du Vair, toujours anxieux de se dissocier des «cicéroniens Y.-
qui y attachaient un grand prix, prend soin de ne pas faire de la clarté
une idole. L'atticisme de Cour, tel que l'avaient illustré un Bembo et
un Castiglione, tel qu'Amyot en avait donné une version française dans
son Projet d'une Eloquence royale, n'est pas son fait:

Si l'eloquence, écrit-il, consistoit seulement en une clarté, pureté et


dilucidité, et qu'elle ne contînt autre chose que ce que Iseus et Lysias ont
cherché, je nous comparerois librement aux Anciens et je pense que
nostre langue pourroit aller de pair avec la leur 112.

Le style simple, trop « gracile» et « ténu» des traducteurs du grec,


tels Le Roy et Amyot, ou de l'élégante conversation de Cour à l'italienne,

171 Ibid., p. 135-138.


172 Ibid., p. 139.
GUILLAUME DU VAIR 505
a aux yeux de Du Vair trop de captieuse et faible douceur pour convenir
à une grande magistrature civique. Au service de la justice et de la
raison, la force doit s'unir à la lumière .

•••
Cette utopie d'une grande éloquence cIvique en régime monarchique
était parfaitement étrangère à Montaigne, qui restreignait sans regrets
l'usage de la parole au dialogue entre honnêtes gens et au genre écrit
et privé de l'essai. Du Vair, tout gallican qu'il fût, a sympathisé avec
ceux des magistrats ligueurs qui reprochaient à Henri III son absolu-
tisme - entendons le peu de cas qu'il faisait des avis du Palais. Il ne
cache pas, dans le traité De l'Eloquence son idéal de monarchie tempérée
d'aristocratie:
Nostre Etat françois, écrit-il, a des sa naissance esté gouverné par
les Roys, la puissance souveraine desquels ayant tiré à soy l'authorité du
gouvernement nous a à la vérité delivré des miseres [... ] qui sont ordinaire-
ment aux Etats populaires, mais aussi privé de l'exercice que pouvoient
avoir les braves esprits au maniement des affaires 173.

L'écho - soigneusement étouffé par Montaigne - du Contr'un de


La Boétie est encore plus audible dans cette formule ardemment nostal-
gique: «La liberté nourrissoit les esprits en une grandeur de courage
et leur donnoit moyen de s'estendre» 174 .• Du Vair vit la contradiction
politique de l'humanisme gallican, monarchique jusqu'à l'ivresse par
patriotisme et méfiance envers le Saint-Siège, sourdement républicain,
au sens tout vénitien 175, par sa certitude d'être seul à même d'assumer
la vraie Justice royale, pervertie par les mauvais conseillers de Cou!".
Aussi, tandis que Montaigne, s'accommodant fort bien du régime
monarchique, trouve son site, comme le Maternus du Dialogue des
Orateurs, dans la retraite et les Lettres, Du Vair, prenant le parti de
Messala, persiste à croire en la possibilité d'une magistrature oratoire
et civique:
Je ne sçay si quelqu'un, frappé d'une fièvreuse austérité, ne la voudroit
point rejetter comme dangereuse au gouvernement des Etats et au juge-
ment des affaires, et de laquelle les meschans ont accoutumé d'abuser
pour renverser les loix, troubler le repos du pays, et effectuer leurs
mauvais desseins [ ... ] La vérité, dictes-vous, se deffend assez de soy mes-
mes. Bien vray seroit cela à l'endroit d'esprits purs et nets de toutes pas-
sions 1... ] mais le commun des hommes estant partie par nature, partie

173 Ibid., p. 148.


174 Ibid. «Celuy qui avoit acquis reputation d'eloquence estoit comme un
perpetuel magistrat entre ses citoyens. »
175 On sait la sympathie de Du Vair et ses amis pour la République de
Venise, et l'appui qu'ils apportèrent à Paolo Sarpi. Sur l'anti-jésuitisme de
Du Vair, voir Radouant, p. 14.
506 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

par mauvaises moeurs, partie par artifice, prévenu et préoccupé, il l'aut de


nécessité faire comme ceux qui amollissent le fer au feu avant qUE: de le
tremper dans l'eau, et passer les esprits des auditeurs par les chaleurs et
mouvements de l'Eloquence avant qu'ils puissent prendre la trempe de la
vérité 176.

S'appuyant toujours sur le Dialogue des Orateurs mais aussi sur


le De Oratore, Du Vair célèbre avec enthousiasme la c royauté» bien-
faisante du magistrat éloquent:
Quel plus grand honneur se peut imaginer au monde que dE: com-
mander sans armes et sans forces à ceux avec qui vous vivez, estre rnaistre
non seulement de leurs personnes, et de leurs biens, mais de leurs propres
volontez? [... ] Qu'y a-t-il de plus auguste que de voir, quand vous vous
le\'ez pour parler, tout le monde se taire, dresser avec attention les oreilles,
et ficher les yeux sur vous, veoir les mouvemens et inclinations des peu-
ples se tourner vers vostre parolle, les opinions des Juges et les advis
du Senat fleschir sous vostre voix? 177

Du Vair retrouve les accents des grands Chanceliers de Florence


célébrant au xv' siècle les pouvoirs de l'éloquence, rectrice de la vila
civile 178. Cette royauté républicaine pouvait-elle coexister avec celle du
Louvre?


••
Tel est l'orgueil de caste de Du Vair qu'il n'hésite pas à humilier les
siens pour rendre leur magistrature oratoire digne du second Ordre
au Royaume:
En France, l'éloquence a esté tous jours quasi mesprisée de nos Princes
et de nostre vieille noblesse: ils s'estoient persuadez qu'i1 valloit mieux
bien faire que bien dire [... ] De sorte que ce qui restoit d'usage de l'élo-
quence soit ès barreaux des Parlements, soit ès chaires publiques a quasi
toujours esté entre les mains de personnes abjectes, qui nées d'une vile et
basse semence. nourries en moeurs peu ingenues [... ] n'ont rien apporté au
maniement d'une si chère et digne Science ... 179 •

Montaigne aussi regrettait \'« ignorance» de la noblesse. Mais il


s'efforçait patiemment d'y remédier. dans les Essais, en l'initiant à une
sagesse qui la rendît propre à la «vie civile ». L'appel lancé par Du

176 Ibid., p. 146. trad. du De Oraf., 1. 8. Rapprocher de Charron, De la


Sagesse, dernier chapitre: «De l'Eloquence ... » (v. note 108).
177 Ibid., p. 143.
Sur l'éloquence et l'esprit civique en Italie. au xv· siècle, voir H. Baron.
178
«Cicero and the roman civic spirit.... art. cit.. Delio Cantimori. «Rhetorics
and politics in Italian humanism ». f.W.C1.. 1. 1937-38. p. 83-102. et E. Garin.
« 1 Cancellieri umanisti della Reppublica fiorentina da Colluccio Salutati a Bar-
tolommeo Scala». dans La cl/Ul/ra filosofica. ouvr. cit.
179 Radouant, éd. cit., p. 150.
GUILLAUME DU VAIR 507

Vair à la noblesse est d'une tout autre nature, et il n'est pas sans analogie
avec celui que lancera le P. Caussin, dans la Cour sainte, à l'aristocratie
de Cour: il s'agit dans les deux cas de renforcer une élite sacerdotale,
vouée à régenter, du haut de son savoir d'origine religieuse, la société
civile, en lui agrégeant le prestige de «nom et d'armes» de la vieille
noblesse d'épée.
Est-ce pour écarter le soupçon de pédantisme qui pèse, du côté
des nobles, sur le Palais de Justice? Du Vair se garde de tout précepte
précis et technique. Il demeure dans l'éloge gènérique de la «véritable
éloquence ». En cela son traité, tout aggiornato qu'il soit, reste dans la
tradition des Renzonstrances d'ouverture, dont c'était, nous l'avons vu,
le thème inlassablement repris. Du Vair le renouvelle par une «innu-
trition» invisible du De Oratore, du Dialogue des Orateurs, mais aussi
du Traité du Sublime, c'est-à-dire de toute une culture rhétorique dont
les Avocats généraux du règne d'Henri III se méfiaient.
La forme même du traité, dédaigneux des préceptes scolaires l~O,
recourant plus volontiers aux exemples, à l'évocation d'un idéal, renou-
velait en quelque sorte la tradition platonicienne des « Remonstrances»
et la portait à maturité. Comme le Ps. Longin, comme Paul Manuce
dans son Dialogo de 1556, comme Muret dans son Oratio de 1572,
Du Vair initie son lecteur par de simples et fortes antithèses entre les
fausses éloquences et l'idée de la grande éloquence. Comme le Ps.
Longin, Du Vair incarne cette Idée dans ses deux représentants les plus
glorieux, Cicéron et Démosthène, qu'il propose moins à une imitation
servile qu'à une généreuse émulation 181.
C'est au Ps. ,Longin qu'il emprunte l'évocation du degré suprème de
l'Eloquence, sublime moins par ses techniques que par l'irrésistible puis-
sance de ses effets.

I8n Du Vair écrit en effet: «Aussi voyons-nous que ces grands orateurs,
que l'antiquité a tant estimés et la postérité tant admirés, n'ont pas tant appris
léloquence à l'escolle des Rhetoriciens et exercices des declamateurs, comme
en la lice des concions publiques ... » Ce mépris des préceptes des rhéteurs est
conforme à la tradition des Remonstrances, mais il y ajoute une notion d'ému-
lation qui renvoie au Ps. Longin, et à son influence sur Muret, Manuce, Benci
et les réformateurs du cicéronianisme romain: l'éloquence des grandes âmes
ne peut prendre son essor que par l'émulation avec d'autres grandes âmes
éloquentes. Le sublime oratoire échappe au magistère des grammairiens et des
rhéteurs vulgaires.
181 Radouant, rééd. cit., p. 158. Avec moins de « magisme » que le P. Caus-
sin dans ses E/oquentiae ... paralle/a, Du Vair explique la vertu de l'imitation
par une loi de sympathie: «L'accoustumance et familiarité a une merveilleuse
force pour conduire la disposition à ce qui lui est familier. Les semences tirent
à la fin la qualité de la terre où elles sont transportées. et deviennent sem-
blables à celles q!li y croissent naturellement [... ] II passe par contagion ès cho-
ses des une:; aux autres une grande part de leur nature et de là vient ce que
ron dit, que la vigne qui croist auprès de la mandragore tire par infusion sa
force et sa vert!!, de sorte que le vin qui en vient endort doucement et gratiet.:-
sement ceux qui en boivent...» Cette infusion, cette contagion de l'exemple cst
plus respectueuse de la liberté que les méthodes des régents et des rhéteurs.
508 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

A mon advis, écrit-il, Qui verroit ces paroles là l ... ] croiroit aisément ce
que les autheurs ont escrit de la puissance Qu'avoit l'éloquence de tels
orateurs, et confesseroit Que leurs commandemens ne sont pas moins vio-
lens Que ceux des tyrans, environnez de leurs gardes et satellites 182.

A ce sommet d'intensité, la splendeur oratoire rayonne avec la toute-


puissance du Fiat Lux biblique. Du Vair n'hésite pas à attendre de la
langue française, illustrée par sa caste, de tels miracles. Par là, il
retrouve à peine dépouillé du mysterium tremendum proprement religieux,
l'idée philonienne du Logos des Juges-Législateurs, médiateurs comme
Moïse entre le Verbe divin et la pécheresse humanité .


••
Mais, entre les deux versions longiniennes du sublime, Du Vair choisit
la régularité parfaite.l Il ne l'envisage pas du point de vue du choix
des mots, de l'arrangement de la période, du rythme et de l'euphonie,
quoique ces préoccupations soient visibles dans son style: il préfére
ne pas mettre en évidence cette « cuisine» de l'élocution. II ne les évoque
qu'en passant. La régularité est pour lui d'ordre moral: c'est le reflet
d'une grande âme philosophique qui n'abandonne jamais le sens de la
mesure et la maîtrise composée de soi-même, jusque dans l'enthousiasme.
Par cette spiritualité du style, Du Vair est proche de Malherbe. 11 s'en
écarte par la pudeur qu'il éprouve à traiter ouvertement et techniquement
des questions «grammairiennes» que posent l'élégance et la netteté
de la diction. En ce sens, comme les rhéteurs jésuites de l'époque
Henri IV et Louis XIII, il est encore prisonnier du préjugé « oral », sans
toutefois partager leur goût pour l'imagination et le pathétisme.
Le propre du sublime d'enthousiasme, chez Longin, c'est de faire
fusionner en un seul acte locutoire l'invention et l'expression, l'intuition
d'une haute vérité et le bonheur de sa formulation. L'autre version,
« réguliére », du sublime, suppose une science rhétorique accomplie, qui
ne laisse rien au hasard tout en donnant à l'extérieur un sentiment de
naturel ct d'aisance. Du Vair ne descend pas, comme Malherbe, «gram-
mairien de la Cour », jusqu'à peser chaque mot, chaque place des mots
dans la phrase, chaque liaison entre les phrases. Du moins fait .. i1 un
sort, de façon générique, à l'art, au travail, à l'exercice. Entre les
sources divines du Logos et l'éloquence humaine, il admet, comme
Muret et les jésuites romains, qu'il faut, selon l'expression de Montaigne,
« artialiser la nature» avant de II: naturaliser l'art ». Entre l'intuition de
la vérité, et sa transmission au monde par l'éloquence, s'interpose une
«longueur de temps », un «continuel travail », une ascèse. Du Vair,
qui fait place aux «naturelles inclinations» de l'orateur, veut que ces
dons naturels soient «cultivés par l'art », «la grande expérience »,
1'« ordinaire exercice».

182 Radouant, rééd. cit., p. 166.


GUILLAUME DU VAIR 509

René Fromilhague a parfaitement mis en évidence cette nouveauté


du traité De l'Eloquence françoise 183, plus évidente encore si on le
compare aux Remonstrances d'ouverture dont il procède. Mais à vouloir
trop rapprocher Malherbe et Du Vair, le savant critique nous semble
avoir accordé au second ce qui est le privilège du premier: la réhabili-
tation franche, pour ne pas dire brutale, des figures de mots, et en
général des problèmes de lexique et de syntaxe comme terrain par
excellence de la raison rhétorique en exercice. Malherbe est un poète
qui veut soumettre la phrase poétique à la même discipline que la prose
attique, à l'école de Démétrius de Phalère et de Cicéron. Du Vair est un
orateur, pour lequel la prose est de nature orale, et dont les effets à
grands traits visent un auditoire. La meilleure preuve est la place qu'il
accorde à l'actio, ce répertoire de figures muettes interprétées par le
corps et que l'écriture ne peut reproduire. Dans les critiques adressées
à Brisson figure celle-ci:
Il avoit toujours la mesme posture, le col un peu tourné, et les yeux
levez vers le haut, ce que quelques uns disoient qu'il faisoit de peur d'estre
diverty par la veue et troublé en mémoire.

On croirait lire, en français, un passage du traité d'actio oratoria


que le jésuite Cressollcs publiera en 1620 sous le titre de Vacationes
autumnales, et où les maladresses et ignorances des prédicateurs, avocats
et magistrats en cet ordre sont critiquées, souvent avec humour.
Qu'entend donc Du Vair par «art», «expérience» et «exercice »,
s'il ne les situe pas dans le domaine de l'elocutio? Il s'agit en fait
pour lui de régler autrement la région noble de l'art oratoire, l'invention.
Plus exactement, il s'agit de réorganiser les rapports entre inventio et
memoria. Pour un Brisson, crispé sur la mémoire des innombrables
citations dont il parsème son discours, réminiscence platonicienne et
cornucopia de sentences rares tirées des anciens auteurs ne font qu'un.
Etre savant, et donc éloquent, c'est faire la preuve que l'on a mémorisé
l'encyclopédie des Lettres antiques, païennes et sacrées, et donc la
Sagesse divine qui s'y est déposée. Comme le dit Du Vair: «1\ n'avoit
pas les inventions de luy-mesme.» Lorsque Du Vair parle de la « diffi-
culté de la science en soy », de la « science penible et laborieuse», c'est
que, comme Montaigne, il pense que savoir par cœur n'est pas savoir.
Pourtant, comme Brisson, comme les érudits gallicans, il pense aussi, à
la différence de Montaigne, qu'il faut beaucoup savoir: il parle de
« magasin», de «provision» et l'on entend bien que ces réservoirs de
mémoire doivent être remplis de science encyclopédique tirée de l'Anti-
quité. Mais ce savoir doit être à la disposition rapide et facile de
l'orateur, qui ne se trouve pas toujours dans les circonstances solennelles
des Ouvertures de session du Palais, et qui doit pouvoir répondre sur
le champ au défi de circonstances imprévues. 1\ faut donc que ce savoir
cesse d'être « emprunté », mais devienne «propre ».

183 R. Fromilhague, Malherbe ... , ouvr. cit., p. 116 et suiv.


510 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

D'autant qu'il faut le rendre, et c'est là un point essentiel qui sépare


Du Vair de ses collègues, non pas sous forme de sentences citées dans
le texte original, mais en français, et dans un discours continu «à
l'antique », que les citations ne hachent pas. Le savoir doit donc être
intériorisé, homogénéisé, avant de donner naissance à du discours vivant
et homogène. Cela suppose un énorme travail et du temps. Pour le faire
entendre, Du Vair recourt à deux séries de métaphores: l'architecturale
(les matériaux «préparés de longue date» donnent «une plus ferme
consistance» au bâtiment, tandis que les matériaux «fraischement mis
en œuvre» se « gercent») et la digestive (les provisions « mal digérées»
s'opposent à la science «tournée en suc et sang »). Et Du Vair de
condamner

des inventions qui ne sont pas recuites en une longue et profonde medi-
tation.

Ce dernier terme est capital. Refusant le recours direct aux recuc!ils de


lieux communs, sentences, apophtegmes, citations, même élaborés privé-
ment par la plus rare érudition, Du Vair veut que le savoir - comme
les Jésuites les «principaux points de la foi» - soit médité, qu'il de-
vienne chair et sang avant de se faire parole. Incarné dans une Il: nature ~
qui a ses traits individuels, repensé par une raison qui l'harmonise, il
n'est plus l'objet de mémorisation servile, mais sujet d'une mémoire
maîtresse de sa pensée et libre de son discours.
Dès lors, la Raison incarnée peut engendrer d'elle-même, comme par
une Il: croissance de nature », un discours d'une «naïve beauté» HU.
Du Vair a des mots très durs pour la «curiosité de parolles» 18& ;
il condamne le « nus de vaines parolles bien agencées pour chatouiller
les oreilles ». Toute délectation engendrée par la seule surface du discours
est à ses yeux coupable. S'il parle de musique de l'éloquence, de son
« harmonie qui touche [ ... ] doucement nostre âme avec volupté» 188, il ne
s'agit nullement d'un raffinement artistique de la prose tel que Goulu le
reprochera à Balzac, mais de la Beauté «pythagoricienne» 187 dont

184 Ibid.
m Ibid., p. 152.
188 Ibid., p. 145.
187 Ibid., p. 142. «Si cet univers, comme disoit Platon, et devant lui les
Pithagoriciens, n'est rien d'autre qu'une armonie, et si toute ceste armonie
est une chose divine, combien le sera l'Eloquence qui cause ces accords ... »
Dans sa dédicace à Le Fèvre, Du Vair évoquant les guerres civiles, parlait des
« convulsions de nos playes fatales ». L' « armonie », dont l'âme du philosophe-
orateur rayonne sur la cité (<< medecin des esprits », «armonie de la raison »,
p. 155, qui se communique à l'auditoire « comme la naphte qui s'allume à la
seule veue du feu », p. 156) reconstitue «les assemblées des peuples bien
polissées et communautez unies soubs le nœud de sainctes et justes loix ».
L'éloquence est donc pour Du Vair une médiation entre l'ordre divin, et les
fluctuations du monde terrestre et politique. Elle incarne l'ordre sur la terre d
dans la cité. C'est l'essence même du De Oratore.
GUILLAUME DU VAIR 511

l'éloquence rayonne d'elle-même, lorsque la raison qui la profère est


accordée à la sagesse antique et chrétienne, dans ses plus intimes
profondeurs.
L'érudition, mais entendue autrement, reste le principe même de
l'éloquence selon Du Vair. C'est elle qui, comme le soleil, fait chanter
« la statue de Memnon» 187bis. Et la définition que Du Vair donne de la
« parfaite oraison» confirme cette hiérarchie traditionnelle:

Une oraison parfaictement élabourée ornée de graves et sages sen-


tences, embellie de belles paroles où la raison et la vérité illustrées par
leur propre et plus riche ornement reluisent en une splendeur admi-
rable 188.

La raison et la vérité engendrent d'elles-mêmes leur beauté, leur


ornement. L'éloquence selon Du Vair reste aussi savante et philosophique
de celle de Pibrac. Mais elle peut l'être d'une façon plus rayonnante et
plus sublime parce qu'elle sourd d'une invention qui a Il fondu» ses
sources, et qui peut engendrer un discours continu. «La perfection de
la forme» pour Du Vair, dépend entièrement de la «puissance de 1.1
matière» 189.
Cette intériorisation de la vérité rend l'orateur maître de sa matière.
Il peut la disposer plus judicieusement, et l'animer plus vivement. La
Morale (étude des passions) et la Dialectique (étude des preuves) donne-
ront l'une au movere la force qui s'impose, et l'autre au docere !:J. rigueur
qui persuade 190.
Le degré d'ornement licite, le degré de délectation permise ne sont
pas objet de casuistique pour Du Vair. L'ordre de la vérité engendre
de lui-même, et comme par surcroît, le plus beau des ornements, et le
plus vif des plaisirs.
/\. ce trait, et en dépit des parentés nombreuses, on mesure la distance
qui sépare Du Vair des théoriciens jésuites de la génération suivante.
Le magistrat gallican reste fondamentalement fidèle à l'idéal d'un huma-
nisme philologique, en quête de la Lumière des origines. Il veut bien
soutenir la vérité ainsi conquise par les passions d'une haute vertu, mais
il ne peut condescendre à s'adresser à l'imagination et aux sens. L'ekphrc:-
sis animée et coloriée, les figures de pensée soutenant un pathos théâtral

187bi. Ibid., p. 1~5.


188 Ibid. Voir aussi p. 156: «Si l'ordre est le pere de l'ornement et de
la beauté, et la beauté naist de l'ordre ... » et p. 157 «Ceste specieuse face
d'oraison composée de mots bien choisis, proprement agencez, tombant à une
juste cadence, en laquelle reluit comme le teint et la couleur de l'éloquence ... »
189 Ibid., p. 154. C'est la pure doctrine cicéronienne d'alliance entre philo-
sophie et éloquence, qui se garde aussi bien sur sa droite (<< Platon ... soustenoit
qu'il n'y avoit rien au monde si eloquent que la vérité », p. 146), que sur sa
gauche (<< ceux qui ont pensé que l'Eloquence ne consistoit qu'en un tlus de
vaines paroli es bien agencées pour chatouiller les oreilles », p. 152).
190 Ibid., p. 155.
512 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

ne tiennent aucune place dans sa rhétorique. Son style qui, comme celui
des prédicateurs jésuites, est un style oral, n'en n'est pas moins, à la
différence du leur, un style sévère, bien français.
Il définit lui-même, en une belle période cet idéal de Vierge Forte
et sage:
Bref, cette façon d'oraison est comme un corps beau et bien sain,
lequel n'est point enflé et bouffi, et auquel d'autre costé les nerfs ne
paroiss~nt point, ny les os ne perçent la peau, mais est plein de sens
et d'esprits, en bon point, ayans les muscles relevez, le cuir poly et la
couleur vermeille 191.

Cette matrone romaine échappe à l'abondance excessive, trait asianiste


(<< enflé et bouffi»), ainsi qu'à la maigreur stérile, trait atticiste (<< les
0$ qui percent la peau»). L'« embonpoint», la «couleur vermeil!l!» lui
viennent non des «vêtements» et du «fard» des «mots », mais de la
santé des « choses» et de la belle architecture qui les met en ordn: 191blo•


••
Le traité De l'Eloquence faisait la théorie des réussites oratoires de
Du Vair jusque là. 1\ n'eut guère l'occasion par la suite de la mettre
en pratique: envoyé par Henri IV en Provence, il y devint premier
Président du Parlement d'Aix. Cet honneur ressemblait fort à une mise
à l'écart pompeuse. Le Roi se lassa vite en effet du loyalisme grondeur
des magistrats gallicans, et Du Vair, qui était leur porte-parole le plus
doué, était moins gênant à Aix qu'à Paris. Il lui fallut attendre la
régence de Marie de Médicis pour accéder enfin à la charge à laquelle
il s'était manifestement préparé depuis l'adolescence, celle de Chancelier

191 Ibid., p. 166. Cette belle période est en fait une traduction, insérée dans
le fil du discours, sans marque qui signale sa vraie nature de citation, d'un
passage du Dialogue des Oratellrs (XXII, c'est Marcus Aper qui parle: Oratio
al/tem, sicut corpus hominis ... et qui critique ce qu'avait de durus et siccus les
« primitifs» de l'éloquence latine). Voir également une reprise de cette méta-
phore du corps p. 164 : « L'elegance du stil est... d'autant plus admirable qu'elle
contient une douceur et grace dont on ne cognoist point la cause ni l'artifice,
comme le teint (v. Dialogue, ibid. rubor) en un corps naturel.» Entre Tacite
et Du Vair, le médiateur est L. Le Roy (v. notre bibliogr., n° 46, p. 717).
191 bis La notion de «naturel» est essentielle à la doctrine de Du Vair:
« L'on ne sçauroit quasi donner plus utile precepte en l'eloquence que celuy qui
est le plus facile: c'est sçavoir ne rien forcer, ains suivre le cours de la nature
et laisser couler les choses par le plus aisé chemin» (ibid., p. 165). Elle permet
de concilier 1'« ingénuité» du philosophe, du chrétien, et du Français (<< Je
suis fort ingénu, et en cela vray François », p. 134) et «l'artifice de l'Elo-
quence» (p. 156), la «grande promptitude et vivacité, la pointe et gentillesse»
du génie français (p. 152) et le «travail », 1'« exercice» de l'art (ibid.). Elle
permet enfin d'incarner - et donc de rendre aimables et influentes - les
«choses divines» dans un «corps» qui a les proportions, le «teint », et la
santé de la belle Nature.
GUILLAUME DU VAIR 513

de France. Il y parvenait après un long séjour en province, loin des


intrigues, mais aussi de l'esprit de Cour. Sa piété, sa pente à la retraite
s'étaient accentuées. Après les flambées de la fin du XVIe siècle, le réta-
blissement de l'ordre monarchique avait tari les occasions d'éloquence
civique. A Aix, Du Vair avait dû rentrer dans les formes de la génération
précédente, qu'il avait cru pouvoir' faire évoluer.
La mélancolie des espérances déçues transparaît dans l'avertissement
qui figure en tête de ses « Remonstrances d'ouverture» publiées à Paris
en 1606:
Ceux qui se souviendront du jugement que l'auteur a faict en un autre
endroict de ceste façon d'escrire marquetée et entremeslée de diverses
allegations et divers langages, auront occasion de le blasmer d'estre volon-
tairement tombé en la faute dont il a repris les autres. Mais il la confes-
sera ingénuement et n'en alléguera aucune excuse, sinon que la coustume
a tellement estably cet abus qu'il n'est plus loisible de s'en départir sans
un grand degoust et mespris des escoutans, lequel il faut éviter plus
soigneusement en ces actions cy qu'aux autres, pour ce qu'elles sont
principallement dirigées à la conservation de la dignité de la justice,
laquelle on croit mieux se soustenir par une vaine ostentation d'érudition,
qui paroist en tel ramas de passages, qu'elle ne feroit en un moëlleux
discours, tiré avec plus de gloire du suc des sciences, et paré avec pll1s
d'industrie d'un langage rond et uay 192.

Henri IV avait fait aux Parlements moins de concessions encore


qu'Henri III. Ni la nature monarchique, ni celle de l'institution parle-
mentaire, en période normale, ne s'accommodaient de l'éloquence civique
rêvée par Du Vair. C'est la «rhétorique des citations» portée par la
« routine» qui continue de fixer la norme oratoire du Palais. Le traité
De l'Eloquence n'avait servi qu'à la rendre insupportable aux jeunes
générations, et à fournir contre elle des arguments aux gens de Cour.

•••
Le traité De l'Eloquence, et la prose oratoire de Du Vair, eurent en
effet plus d'influence hors du Parlement que dans le Parlement même.
La réhabilitation de Cicéron par Du Vair balançait le mépris affiché
par Montaigne contre le Pater Eloquentiae Latinae. Elle appuyait les
efforts d'une élite ecclésiastique, le cardinal Du Perron, le cardinal
d'Ossat, l'évêque Coëffeteau, pour opposer une juste mesure de la prose
aux excès de l'éloquence sacrée. Un chanoine d'Evreux, François Joulet,
publie en 1601 une traduction du Premier Livre de l'Orateur, et en 1609
une traduction de Six Oraisons de Cicéron. Dans le même temps, les

192 Recueil des harangues et traictez du Sr Du Vair, Premier President au


Parlement de Provence ..., Paris, L'Angellier, 1606, in-8·, 383 p. (réimpr. ibid.,
1610), p. 382. Les Remonstrances postérieures à 1606 seront publiées dans la
grande édition posthume des Œuvres, Paris, Cramoisy, 1625 (v. ci-après
note 287).
514 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

professeurs du Collège Royal 193 et les jésuites consolident la position de


Cicèron comme maître de l'enfance studieuse. Le magistère oratoire de
Du Perron et le travail en profondeur des pédagogues préparent la Re-
naissance cicéronienne des années 30-40.
Mais le rôle de Du Vair ne s'arrête pas là. En dépit de la mauvaise
humeur que manifestait l'avis placé en tête de l'édition des Remonstrances
de 1606, celles-ci faisaient honneur au genre. Sans doute l'idéal de
l'Eloquence-Femme Forte, et de sa vigueur triomphante, y cède-t-il à une
sort:! de majesté enseignante, ralentie par quelques «citations ». Du
Vair réussit pour.tant à vivifier le thème traditionnel de l'éloge du Logos
de justice.
Comme son ami Nicolas Le Fèvre 194, il a étendu ses lectun~s aux
« Pères des premiers siècles» et leur a demandé une spiritualité de la
parole chrétienne, plus proche de l'éloquence sacrée que de l'éloquence
civique. Dans le traité de 1595, il donnait pour soutien du discours efficace
le «feu» vertueux d'une grande âme; en 1613, dans l'une des plus
significatives de ses Remonstrances d'Aix, il ne fait plus allusion à cette
médiation trop naturelle et séculière. S'inspirant des Péres grecs, mais
aussi de saint Augustin et de Philon d'Alexandrie, il donne à contempler
le Logos à sa source, illuminant l'âme de l'orateur.

"""
Déjà en 1595, Philippe Canaye, devant la Chambre de l'Edit de
Castres, avait emprunté à Philon sa distinction entre Logos prophorikos
et Logos endialhelos et avait fait dépendre la parole des juges de la
perception, au fond de l'âme, du Logos divin. Mais le magistrat toulou-

193 Voir dans Goujet (Abbé Claude-Pierre), Mémoire historique et littéraire


sur le Collège de France, Paris, Lottin, 1758, les monographies consacrées aux
professeurs royaux d'éloquence latine et de Belles Lettres: de Barthélémy
Latomus, auteur d'un Discours à la louange de l'Eloquence et de Cicéron (1535)
à Jean Grangier, sous Louis Xlii, c'est une vraie tradition de cicéronisme qui
s'étend sur plus d'un siècle, en passant par Pierre Galland, commentateur des
Partitiones oratoriae, Léger Duchesne, commentateur du De Oratore et du De
Officiis, Passerat, éditeur du Dictionnaire de Calepin et précepteur du Pré-
sident de Mesmes, Théodore Marcile, qui fait prononcer à ses élèves en 1585
Cinq discourS sur la langue des Romains, dont un consacré au style de Cicéron.
194 Sur Nicolas Le Fèvre, dédicataire du traité De l'Eloquence françoise,
voir Radouant, Du Vair, ouvr. cit., p. 247-248, 251-256, 387-389. Dans ses
Opuscula ad Christianissimum Regem, cum ejusdem Fabri vita, scriptore Fr.
Balbo in curia Monetarum Galliae Generali Regis Advocato, Parisiis, Sumpt.
Petri Chevallier, 1614, on apprend que né en 1544, il avait fait ses études à
Toulouse, puis à Padoue et Bologne; il séjourne à Rome en 1571,. où il
retrouve Marc Antoine Muret (summa illi erat consuetudo). Membre du Par-
lement, ami de Pierre Pithou, il collabore aux Annales de Baronius, repré-
sentant d'une Contre-Réforme catholique favorable à la France. Il appartient
à Ull cercle qui réunit, chez De Thou, Du Vair, Pithou et Loisel. Son pre-
ceptorat auprès de Louis XlII dura 16 mois. Il eut pour l'assister Jean de
Saint-François Goulu, l'ennemi de Balzac. Il meurt en 1612.
GUILLAUME DU VAIR 515

sain noyait quelque peu cette citation dans une foule d'autres autorités,
et ne parvenait pas à fondre ses matériaux dans un élan oratoire digne
de ses autorités. Du Vair parvient à une fusion plus parfaite, et con-
jugue dans le rythme continu de f,a prose française des «choses"
traduites, ou plutôt adaptées, sans plus citer, à Philon 1~", à Plutarque 196,

195 Philon d'Alexandrie, Quod deterius, t. 5 des ŒUI'res, Paris, Cerf, 1965,
trad. Irène Feuer, para gr. 126-128, p. 97: «Par ces mots le Créateur affirme
qu'il sait que le langage proféré, frère de la pensée, possède la parole; car
il a fait de lui comme un instrument qui serve l'expression articulée à tO:lt le
composé que nous sommes, Et pour moi et pour toi et pour tous les hommes,
le langage est voix et parole, et il exprime nos idées, et qui plus est, il va au
devant des raisonnements de notre pensée. Car lorsque l'esprit s'éveille et
s'élance vers un objet de son domaine, que ce soit de son propre mouvement
ou parce qu'il a reçu du monde extérieur des impressions diverses, il est gros
de pensées, et en travail à cause d'elles. Il veut les mettre au monde, mais il en
est incapable avant que le son produit par la langue et les autres organes de
la parole ait reçu ces pensées comme le ferait une sage-femme, et les ait
amenées à la lumière.
« Or la voix qui verse une lumière resplendissante sur les pensées, c'est bien
cela: en effet tout comme les objets qui sont dans l'obscurité restent cachés
tant qu'une lumière ne les a pas touchés, et ne les rend pas visibles, les idées
sont conservées dans l'esprit, qui est un lieu invisible, jusques à ce que la
voix les illumine comme une lumière et les découvre toutes ». Ce passage
(source directe de Montaigne dans Essais, éd. cit., p. 204) pouvait être emprunté
par Du Vair, non à la traduction du P. Bellier, rééd. en 1612 avec augmen-
tations de Frédéric Morel, mais à l'édition du texte de Philon à Bâle, en 1558.
Dans le même traité Quod deterills, nous trouvons la formulation la plus par-
faite de cette expérience résumée par Boileau dans le vers fameux «Ce qui
se conçoit bien s'énonce clairement»: «Quand nous savons parfaitement ce
que nous disons, notre parole, remplie de joie et d'allégresse, abonde en mots
propres et expressifs qui sans jamais lui manquer, lui permettent de présenter
ce qui lui est montré avec aisance, et sans broncher, et puis avec clarté et
efficacité. Mais quand nous ne sommes pas sûrs de notre pensée, notre parole
sous l'effet d'une grande disette de mots propres et pertinents, porte à faux
et est pleine d'impropriétés» (Œuvres, t. 5, éd. cit., p. 99).
196 Les MoraUa de Plutarque sont, à la fois dans leur forme doxographique,
et dans leur doctrine sur l'éloquence, inspirés de Platon, la source majeure des
Remonstrances des magistrats de Pibrac à Bignon. Voir par exemple dans
l'édition de Lyon, 1607, de la traduction d'Amyot, le traité II, Comment il fallt
ouïr, qui compare l'éloquence au « banquet de quelque saint sacrifice» (p. 77),
et distingue le «babil» de la «solide éloquence» (p. 79), distinction reprise
et développée dans le traité XIII, Du trop parler, véritable mine pour les magis-
trats du XVI' et du XVII' siècles. Le traité XXXI, Instruction pour ceux qlli
manient les affaires d'Estal recommande au magistrat de se fier plutôt à
son autorité morale qu'à son éloquence, à son « entendement dedans soy-
mesme» qu'à « la parole qui fait entendre sa volonté». Mais c'est dans le
traité XXIV, Qu'il faut qu'un Philosophe converse avec les Princes qu'appa-
raît en propres termes la notion philonienne du logos endialhelos et du logos
prophorikos, qui est au cœur de la rhétorique des Remonslrances: «Et
de dire maintenant qu'il y a double raison et parole, l'une intérieure ou men-
tale, [ ... ] l'autre proférée, qui est messagère et instrumentale pour donner à
entendre ses conceptions [ ... ] cela est tout rance et moisy de vieillesse ... De l'une
et de l'autre parole, tant de celle qui demeure en la pensée que de celle qui
se prononce et se profère dehors, la fin est amitié de l'une envers soy mesme,
et de l'autre envers autruy: car celle-là tendant au but de la vertu par les
enseignemens de la philosophie, rend l'homme accordant toujours avec soy-
516 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

à saint Augustin UT atteignant en langue vulgaire une ampleur lyrique


qui ouvre la voie aux élévations bérulliennes des Grandeurs de Jésus:
La parole extérieure qui se forme par la voix, dit-il, n'est que la marque
et l'image de l'intérieure qui se forme en la pensée, et n'est jamais sans
l'intérieure de laquelle elle n'est que l'instrument. L'intérieure au contraire
est bien souvent sans l'extérieure, nous concevons beaucoup de propos
et discours que nous ne demeurons en liberté de proférer en un langage
ou en un autre. Et il Y a différence, entre ces deux paroles, comme la
maistresse à la chambrière, du messager à celuy qui l'envoie, l'intérieure
qui se conçoit dans l'entendement, comme dans sa matrice, et l'extérieure
dans les lèvres, laquelle les Platoniciens appelèrent obstetricem, comme
la sage femme qui ne servoit que pour faire enfanter et venir au jour
ceste parole intérieure. De ces deux sortes de paroles doncques, il faut
inférer deux sortes de silence, et conclure qu'est en ce silence intérieur
que le Prophète veut entièrement constituer l'honneur et l'ornement de
la Justice 198.

Et Du Vair de se demander comment le Juge pourra oser rompre ce


silence sacré, et se prononcer en sa langue tout humaine, alors qu'une
angoissante diversité de coutumes, de mœurs et de lois se propose seule
à guider, dans le temps terrestre, son jugement faillible. Cette expérience
du recueillement silencieux dans le doute anticipe sur celle que Hay du

mesme, ne se plaignant jamais [ ... ] plein de paix, d'amour, et de contentement


de soy-mesme [ ... ] Mais quant à l'autre sorte de raison et parole proférée, Pin-
darus dit que la Muse n'etoit point anciennement avaricieuse [... ] Mercure, qui
paravant, estoit gratuit et commun, est devenu trafiqueur ... ~ Le logos en dia-
thetos est donc d'essence philosophique, préservé des tentations du monde i
le logos prophorikos est tombé dans la sophistique mercenaire. La <t joie :.
célébrée par Philon, et qui accompagne noces et fécondité des deux logos
fait place chez Plutarque à une séparation.
U7 Le traité De l'Eloqu.ence fondait l'éloquence française classique, sur le
modèle de Cicéron et de Démosthène. Avec ses Remonstrances Du Vair réintro-
duit bientôt saint Augustin, et à travers lui, Philon, Plutarque, la tradition
platonicienne comme le ferment philosophique de cette forme classique. Le
traité De l'Eloquence définissait de l'extérieur une juste mesure du logos pro-
phorikos français. Les méditations aixoises de Du Vair se retournent vers le
logos endiathetos, et définissent une éthique et une spiritualité de l'éloquence
française. Proche de Muret dans De l'Eloquence, Du Vair sans se renier se
rapproche des «rhétoriques borroméennes" dans ses Remonstrances. L'élo-
quence française classique, telle que la fonde le magistrat-évêque, est celle de
la Réforme catholique gallicane.
198 Les Œuvres de Messire Guillaume Du Vair, Evesque et Comte de
Lizieux, et Garde des Sceaux de France, Paris, Claude Cramoisy, 1625, p. 920
(1613). Du Vair donne pour source de la distinction entre logos endiathetos
et prophorikos «Mercure Trismegiste en son Pymandre ". Voir en effet Hermès
Trismégiste, t. l, texte établi par A.D. Nock, et trad. par A.J. Festugière, Paris,
Belles Lettres, 1972, traité XII, p. 179, paragr. 12. Hermès oppose le logos
humain au son inintelligent des animaux, et donne au premier une dimension
mystique, transcendant la diversité des langues, dont Du Vair fait son profit:
« Le verbe est donc l'image et l'intelligence de Dieu" (ibid., paragr. 13). Parler,
au sens plein, ne peut être qu'un acte religieux d'anamnèse, au-delà de la
diversité des langages proférés, vers la source divine du Logos.
GUILLAUME DU VAIR 517
Chastelet en 1635 décrira devant l'Académie 199 : mais le doute de l'ora-
tC:lr académ:qu2, fidèle se,viteur de Richelieu, porte non pas sur les
« choses », mais sur les « mots », non pas sur la difficulté de faire entrer
la \'érité dans le monde des apparences, mais sur la diversité des styles
et des langues. La «chute» dont se plaint Hay du Chastelet est une
chute rhétorique, qui a fait perdre aux hommes la perception immédiate
du « meilleur style ». Pour le magistrat d'Aix, le doute n'est pas esthé-
tique, mais philosophique et religieux; et ce qui le tranche, ce qui permet
au Juge d'oser rompre le silence, n'est pas un modèle idéal de la Beauté
oratoire, mais la vision intérieure de la justice et de la vérité divines:
C'est donc d'en haut, s'écrie-t-i1, c'est donc du ciel, c'est donc de
l'inspiration de Dieu qu'il nous faut attendre la vraye, pure et sincère
justice; c'est par l'invocation de l'Esprit que la rectitude est introduite
dans l'homme, c'est de l'étalon de la Justice intérieure qu'il peut prendre
quelque mesure pour rectifier ses jugemens 200.

Comme l'âme d'Auguste à la fin de Cinna, comme l'âme de Descartes


à la fin de la première Méditation, le doute du Juge selon Du Vair ne
prend fin que lorsqu'une source d'éloquence antérieure aux discours
humains se met à jaillir au fond de l'âme, dictant la «rectitude ~ au
sein du monde fuyant des apparences et des mots. Mais cette illumination
intérieure ne saurait intervenir sans qu'un silence d'une qualité religieuse
se soit d'abord établi dans l'âme; et ce silence, ce suspens du jugement,
ne saurait s'établir sans une purification, une ascèse préalable. Et Du
Vair, élevant alors l'idéal du Juge jusqu'à celui du sacerdoce, se livre
à une sublime méditation d'inspiration augustinienne 201 sur le silence
comme prémisse et racine de la parole de Justice:
Il faut, dit-il, que nous nous souvenions qu'un lieu ne saurait être
rempli si premierement il n'est vuide. Et puisqu'il est question de recevoir.

190 Voir plus loin, notre étude sur les harangues académiques.
200 ŒlIvres, éd. cit., ibid.
201 La rhétorique augustinienne du silence a des lettres de noblesse huma-
niste: elle avait déjà inspiré Pétrarque. Voir Jerrold E. Siegel, Rhetoric and
Phi/osophy in Renaissance hllmanism, ouvr. cit., ch. Ideals of eloquence and
silence in Petrarch, p. 31 et suiv. Rappelons que pour Augustin, le progrès
spirituel peut être représenté comme un mouvement de la parole profane vers
le silence, et la découverte de la veritas in si/entio. La parole qui rejaillit à
partir de ce silence et de cette écoute n'est pas de même nature que la parole
antérieure que ce silence a abolie, même si parole profane et parole chrétienne
recourent à des techniques analogues. Approfondissement chrétien, nous sem-
ble-t-il, de la méditation de Philon et de Plutarque sur le logos endiathetos.
Voir, outre H. Marrou, Saint AlIgllstin et la fin de la Cl/lIl1re antiqlle, ouvr. cit.
Christine Mohrmann, Etlldes sllr le latin des chrétiens, Ollvr. cit., p. 351-370
(Saint-Augustine and the Eloquentia) et A. Michel, QlIelqlles aspects de la
rhétoriqlle chez Phi/on, Colloque Philon d'Alexandrie, Paris, C.N.R.S., 1967,
p. 81-103. Cougny dans son livre sur Du Vair (p. 95) cite deux passages de
Du Vair qui montrent bien le lien entre le refus de l' « abondance ~ des paroles,
et l'idée du silence comme origine de la parole: «Sçavoir se taire est un grand
advantage à bien parler; bien dire et beaucoup n'est pas le fait d'un mesme
ouvrier. Le silence est le père du discours, et la fontaine de la raison ... »
518 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

une lumière, il faut selon la regle de Physique, que le milieu par lequel
elle doit passer soit dilucide et transparent. JI faut donc que nous facions
cesser en nostre entendement et volonté toute sorte d'autres operations,
toute sorte d'autres discours, toute sorte d'autres pensées, et principale-
ment celles qui sont meslées de nos passions et affections, qui nous sug-
gerent les images des choses non vrayes, pures et nues, mais revestues
des opinions que nostre phantasie et celle de ceux avec qui nous vivons
forgent continuellement [ ... ] Cela est à mon sens le silence duquel parle le
Prophète, la paix profonde de nostre entendement, laquelle rassembloit
et reunissoit toutes les puissances de nostre ame, et recueillant en la
profondeur et solidité de la meditation ceste lumiere de la Justice eter-
nelle, ny plus ne moins qu'on recevoit un rayon du Soleil dans le creux
d'un miroir ardent, elle la multiplie en façon que de lumière de vérité,
elle devienne feu de charité. A ce feu de charité mettant par le rninistere
des Juges les actions et les affections des hommes à la fonte, consumant
ce qui est de vicieux et de gasté, et rendant doux et coulant ce qui est
pur et sain, donnera à la fin de ce corps politic la forme de paix et de
concorde 202.

La temperantia clceronienne apparaît un peu plus loin, pour donner


à la formulation de cette lumière intérieure la mesure et la modération
convenable de la gravitas du Juge. Mais il est clair que du traité De
l'Eloquence à cette Remonstrance de 1613, Du Vair a cheminé de l'idée
cicéronienne et longinienne de l'orateur, à une idée augustinienne de
l'éloquence comme canal de la grâce .

•••
Du Vair est aux antipodes de Montaigne, apparemment plus retiré
du monde, en fait plus naturellement accordé aux agréments de la société
civile. Le scepticisme a libéré l'auteur des Essais de toute tentation
héroïque, et le stoïcisme l'avait préservé de toute tentation éloquente:
son «art de conférer» est un «primitif» de l'art de la conversation
classique. Du Vair est également fort éloigné de Du Perron, Prince de
l'Eglise arrivé par la Cour, et dont le goût assura, dans une période
confuse, la transmission du legs des Valois aux successeurs d'Henri IV.
En 1615, au moment où Du Vair prend les sceaux, un disciple de Du
Perron, Nicolas Renouard, publie Les Fleurs de l'Eloquence françoise 203,
où l'esprit du Projet d'Amyot se perpétue: il recommande un «style
bas», qui est avant tout un art de parler dans la conversation civile,
« commun, toutesfois pur, facile et beau, n'ayant autre ornement que
son naturel ». Il a beau résumer les principaux chapitres de la rhéto-
rique, les trois genres, les trois styles, les cinq parties, il en revient
toujours à 1'2ssentiel :

202 Du Vair, Œuvres, éd. cit., p. 922.


203 Nicolas Renouard, Les FLeurs de l'ELoquence françoise, extraictes des
Epistres heroïques d'Ovide, tant par Les sieurs du Perron et de Renouard,
qu'autres des pLus reLevez Esprits de ce temps, Paris, Estoc, 1615, in-12°.
GUILLAUME DU VAIR 519

Je ne laisseray point de redire ce qu'il faut avoir de maximes prin-


cipales, de parler simplement, purement et clairement, d'user de termes
propres et signifians, qui ne defaillent ni superfluent, bien arrangez, sans
transposition, et d'ordre directement continu, dont les clauses et les
paroles ne soient point trop longues, ny tranchées trop court, et pour
dire en un mot, qui recreent et contentent les doctes, et ayant de quoy
delecter les ignorans 204.

Du Vair ne s'est jamais départi d'un grand style oral que cet art de
parler « civil» offusque par sa timidité: Il n'est est pas moins étranger
à l'univers de Richelieu, lui aussi grand orateur, mais pour qui tout,
éloquence impérieuse, morale, religion, et Dieu même sont instruments
qui donnent forme à une œuvre d'art, l'Etat français, mieux propre à
assurer sa gloire que tous les discours.
L'auteur de La Constance appartient à cette grande race de robins
parisiens qui feront la force de Port-Royal. On reconnaît en lui, à son
insu, les germes du drame qui atteindra son plus haut degré d'intensité
dans la famille Arnauld. Race grave, dédaignant la vulgarité du rire et
l'humour, et dont le terrible orgueil de caste est à la fois tourmenté et
soutenu par la hantise de ses responsabilités devant Dieu. Chez ces
hommes coexistent un idéal tout romain d'aristocratie sénatoriale, et un
idéal biblique, quasi prophétique, d'aristocratie sacerdotale. Leur drame
est de parvenir à la pleine conscience d'eux-mêmes, de leur tradition, de
leurs certitudes, à l'époque où la royauté restaurée, qui fut à tant d'égards
leur œuvre, cherche et trouve peu à peu son assiette non point autour
de la foi des «premiers siècles» et de saint Bernard, dont Parlement
et Eglise gallicane auraient diffusé les sévères charismes, mais autour
de la Raison d'Etat de Richelieu, des agréments de la société de Cour,
et de la religion accommodante des Pères jésuites.

3. Crépuscule de la magistrature oratoire du Palais

La mort de Guillaume du Vair (1621)


La vacance d'autorité rhétorique
En 1615, Marie de Médicis appelle Guillaume Du Vair aux Sceaux.
Le Premier Président au Parlement de Provence gagne Paris en compa-
gnie de Peiresc. Celui-ci, qui lui sert de secrétaire, ne le quittera plus
désormais, même pendant sa courte disgrâce, Dès 1617, Du Vair est
rétabli dans sa haute charge par Louis XIII et Luynes, vainqueurs de
Concini, tandis que Richelieu, « créature» de la Reine-Mère, doit s'exiler
en Avignon. De 1615 à 1621, jusqu'à la mort du Garde des Sceaux,

204 Ibid., p. 151. La seconde partie de l'ouvrage, intitulée Les Fleurs de la


Rhetorique françoise par le sieur du P. est un traité de rhétorique qui reflète
fort bien les vues de Du Perron telles que le Perroniana nous les fait connaître,
et qui a toutes chances d'être effectivement de la main du cardinal, dont
Renouard était le disciple.
520 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

Peiresc exerce auprès de lui des fonctions 20ti qui ne sont pas sans
analogie avec celles que Boisrobert et Chapelain occuperont dans
l'entourage de Richelieu devenu «principal Ministre ». Mais Boisrobert
et Chapelain exerceront le mécénat cardinalice en faveur des c gens de
lettres:& qui ont l'oreiIle des gens de Cour. Peiresc, au nom de Du Vair,
met le crédit et les ressources officielles du Garde des Sceaux au service
des érudits, savants et voyageurs qui travaiIlent à l'accroissement des
c bonnes lettres », au sens de l'encyclopédie humaniste.
Avec la mort de Du Vair et le retour de Peiresc à Aix, c'est le XVI"
siècle des doctes chrétiens qui s'achève. Trois ans après la mort de
Du Vair en 1624, Richelieu entre au Conseil. Avec quel dédain il juge
dans ses Mémoires l'incapacité politique du stoïcisme chrétien des magis-
trats érudits:
[De Thou:] Sçavoir est tout autre chose qu'agir, et la science spécu-
lative du gouvernement a besoin de qualités d'esprit qui ne l'accompa-
gnent pas toujours. M. de Villeroy sans science (s'y trouva) aussi propre
que [De Thou] inhabile, avec toute son étude 206.
[Du Vair:] Son austérité qui, accompagnée de la science du droit, le
faisait estimer en sa première charge (du Parlement d'Aix), accompagnée
d'ignorance et d'inexpérience ès-affaires de l'Etat, le fit mépriser et le
rendit insupportable en celle de [Garde des Sceaux] 207.

L'axe du monde a basculè. En 1627, dans son Advis pour former une
Bibliothèque, Naudé remarque que l'intérêt des « sçavans:& s'est déplacé
désormais vers « la Morale et la Politique », c'est-à-dire les deux sciences
du bon gouvernement d'une société civile. Et comme la société civile
française ne peut trouver sa forme que dans la monarchie qui a permis
son développement, c'est celle-ci désormais, faute d'accord sur la meil-
leure société religieuse, qui s'impose comme le point de ralliement autour
duquel un ordre vivable reste possible. Le temps des prophètes, des moines
ligueurs, des Juges-prêtres et des Juges-sénateurs cède la place au temps
des politiques et des moralistes, qui est aussi celui des Belles-Lettres. La
Cour, creuset et organe moteur de la société civile monarchique, donne
désormais le ton avec ses artistes, ses musiciens, ses gens de lettres.
Richelieu, disciple sur ce point de Du Perron, a bien compris que le
temps des «dialectes », provinciaux et sociaux, gasconnades et «stile
de Parlement », a pris fin.
Dialectes, disait en effet Du Perron, sont en usage ès-Etats Populaires
et Aristocratiques, et l'on s'y doit accommoder; mais aux Etats monar-
chiques, il faut s'étudier à parler le seul langage de Cour, en laquelle se

205 Voir G. Cahen-Salvador, Un grand humaniste, Peiresc, 1580-1637, Paris,


A. Michel, 1951, p. 77.
206 Richelieu, Mémoires, éd. Michaud et Poujoulat, VII, 2' série, p. 179
(année 1617).
207 Ibid., p. 243 (année 1621).
L'AUTORIre POLITIQUE DE LA COUR 521

trouve tout ce qu'il y a de politesse dans le Royaume, ce qui n'est pas


aux Republiques et aux Democraties 208.

Richelieu, l'année même où il entrait au Conseil du Roi, prit soin de


patronner les premières Lettres de Balzac parues cette année-là. Il se
posait ainsi, aux yeux de la Cour, comme le mécéne d'une littérature
accordée à sa politesse et à son c air », en dépit des anathèmes des
dévots et des doctes. Il découvrira bientôt que Balzac n'est pas seule-
ment un écrivain de Cour, et il démontrera vite que le «langage de
Cour» n'a de prix à ses yeux de politique qu'embouchant les trompettes
de la Renommée, et joignant l'urbanité et l'agrément à la justification des
arcana imperii.

...
De la fin des guerres civiles au seuil de l'engagement français dans
la guerre de Trente Ans, jamais peut-être le malentendu n'a été si grand
entre le monde de la Robe, foyer d'un extraordinaire renouveau de piété,
et héritier d'une solide tradition d'humanisme érudit, et le monde de la
noblesse de Cour, revenu aux tentations féodales à la faveur de la crise
dynastique. A la distance morale entre les deux élites laïques du
royaume, élargie encore par un «Siècle des Saints» où la noblesse
d'épée entrera tardivement et souvent sans conviction, s'ajoute une diffé-
rence de culture: les genres de Cour, poésie galante, roman, lettres
doucereuses, conversation élégante et piquante, sont étrangers aux genres
humanistes de la Robe, qu'il s'agisse de leur éloquence professionnelle,
de leurs Belles~Lettres néo-latines, ou de leurs traités érudits. Cette
différence, qui est une constante de la culture française d'Ancien Régime,
n'a jamais été aussi profonde que sous Henri IV et Louis XIII. Avec la
« crise de la noblesse d'épée» qui succède aux guerres civiles, se con-
jugue une crise de la culture de Cour, qui se cherche après un changement
de dynastie.
Sous les derniers Valois, et avant les grands désordres de la fin du
siècle, un humanisme de Cour avait tenté, souvent avec succès, de lancer
des ponts entre la haute noblesse évoluant autour du Roi et l'élite de la
Robe savante. De grands seigneurs et de grandes dames avaient pu
faire fête à Ronsard, et suivre les travaux de l'Académie de Baïf et de
celle de Pibrac. Ces ponts sont rompus par la longue crise dynastique
et par l'entourage d'un Roi soldat et provincial tel qu'Henri IV. De la
cour de Nérac, les Gascons avaient rapporté à Paris le goût à la fois
précieux et courtois de rhétoriqueurs tardifs, dont les ouvrages de
François des Rues, nombreux et souvent réédités, attestent la présence
et l'influence 209. A ces recueils de « Marguerites» provinciales, viennent
se surimposer les modes venues d'Italie, et appelées par Marie de Médicis

208 Perroniana, dans t. 1 des Remarques historiques, critiques, morales et


littéraires, Amsterdam, 1740, p. 189.
209 Voir notes 82 et 83 de la Il' partie.
522 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

et son entourage, ou d:Espagne, dont l'influence et le prestige sont alors


dominants en Europe. On édite ou réédite somptueusement Vigenère et
Du Bartas 210. Pendant ce temps, et comme dans un autre monde, la
République des Lettres savantes multiplie ses éditions critiques, ses
rechercheS encyclopédiques, ses poésies néo-latines. L'art du ballet de
Cour, qui avait sous les Valois reflété les ambitions philosophiques de
l'humanisme autant que le goût du spectacle des gentilshommes, devient
sous les premiers Bourbons la miscellanée de modes composites; mêlant
l'Arioste et Ovide, Rabelais et Amadis, la mythologie et l'exotisme, il
est la fête du mélange et de la variété, tout pour la vue et pour l'oreille,
accordé aux plaisirs faciles d'une noblesse qui, entre deux campagnes,
prend ses quartiers d'hiver autour du Louvre 211. Ces ballets sont pour
la plupart offerts et dansés par de très grands seigneurs, pour la satis-
faction de leurs propres petites cours.
Pour reprendre le langage de Du Perron, la Cour sous Henri IV
et sous la Régence n'est plus qu'un carrefour de «dialectes », elle n'a
trouvé ni sa langue ni son style propres, bien qu'on y cultive jusqu'à
l'outrance le goût de 1'« ornement» en français que Vigenère considérait
comme une promesse, même dans l'outrance, parce qu'il fait contrepoids
à la sévérité des gens de Robe et de Bibliothèque, ennemis de l'art en
langue vulgaire. Le Roi soldat n'avait aucun goût autre que très éclectique
à imposer à son entourage, et même un Joseph-Juste Scaliger, qui sym-
pathise avec sa politique étrangère, doit avouer à son sujet:
Il hait les doctes. Il haïssait son précepteur Monsieur Chrestien... Le
Roy Henry III avait une majesté royale. Henry IV ne sçauroit faire deux
choses, tenir sa gravité et lire ... 212.

Or la majesté royale, le decorum qu'elle impose à la Cour est la


clef, au sens musical du terme, d'un «langage de Cour» harmonieux.
Ni Henri IV, ni à plus forte raison Marie de Médicis, n'étaient en mesure
de faire naître autour d'eux un concert royal comparable à celui des
Académies des Valois. Les « doctes» précepteurs de Princes, un Le Fèvre,
un Bignon, vivent en exil au Louvre. Casaubon quitte Henri IV pour

210 Voir l'édition de Du Bartas citée note 81, Il' partie, et l'éd. de Vige-
nère citée, ibid., note 69.
211 Sur la Cour de France au début du règne de Louis XIII, voir Les Satyres
d'Euphormion de Lusine, contenans la censure des actions de la plus grande
partie des hommes de John Barclay, trad. I.I.P.A.E.P., Paris, 1625 (autre trad.
par M' Naud, Advocat au Parlement, P. 1626) et une éblouissante lettre de
Marino, dans Epistolario, Bari, Laterza, 1911, lettre CXXV, p. 196-201.
212 Scaligerana, éd. cit., 1666, p. 153-154. Voir aussi, ibid., p. 155. Voir
aussi dans les Remarques ... , éd. cit., 1740, Perroniana, p. 279: «Le Roi defunt
n'entendait rien ni en Musique, ni en la Poésie et par cela de son temps, il n'y
eut personne qui y excellât. Ceux qui y sont, sont des restes du regne de
Charles IX et Henri III », et Pithoeana, p. 522: «Le Roi n'étudiera jamais. »
213 Voir Flurance-Rivault (David de), Le dessein d'une Académie et l'in-
troduction d'icelle en la Cour, Paris, Le Court, 1612, in-8°. Plan d'une sorte
de Collège pour adultes, formant la noblesse de Cour à l'éloquence: premier
effort, après la mort d'Henri IV, pour renouer avec la tradition interrompue
des Académies des Valois.
LA COUR EN PROIE AUX c DIALECTES lJ 523
Jacques I~r. Un Flurance-Rivault rêve en vain de créer à la Cour une
Académie propre à dégrossir les gentilshommes 218. Pourtant, dans ce
divorce entre « sçavans » et « ignorans », dans cette confusion des « dia-
lectes» et des styles qui fait apparaître rétrospectivement la Cour
d'Henri III, «italianizée" pourtant selon Henri Estienne, comme u;]
Age d'or, des signes qu'une tradition survit, qu'une évolution reste
possible, se laissent détecter. Estienne Pasquier, avant de mourir, avait
su reconnaître dans l'Aslrée une admirable fusion de philosophie huma-
niste et de «douceur" cicéronienne, au sens de Castiglione, propre à
lancer un pont entre «sçavans" et «ignorans », et à répandre à la
Cour le goût de l'Eloquenlia. Minoritaires sans doute, mais respectés,
le Cardinal du Perron et ses amis lettrés avaient maintenu la tradition
de l'Académie du Palais jusqu'à la mort de l'ami d'Henri III, en 1618.
Le mépris que le Cardinal nourrit pour Du Bartas, pour les prédicateurs
et les écrivains à la mode, sa doctrine très cicéronienne du «meilleur
style» en français, forment le goût d'un Coëffeteau, d'un Renouard,
s'allient avec l'influence d'un Bertaut et d'un Malherbe. Du côté des
« sçavans », un Nicolas Bourbon, que Du Perron fait nommer professeur
au Collège Royal, incarne la tradition du cicéronianisme des professeurs
royaux, et va former le goût du jeune Balzac. Et surtout, dans la
République des Lettres gallicanes, le prestige du philologue Joseph-Juste
Scaliger est alors à son zénith. Or l'horreur que le fils de l'auteur des
Poetices libri seplem et des admirables Epislolae cicéroniennes rééditées
en 1600, éprouve pour les Jésuites, leur style corrompu, leur «folie ",
n'a d'égale que son admiration intransigeante pour Cicéron, «le plu:>
bel autheur latin que nous ayons» 214, et pour Virgile, qu'il tient comme
son père pour incomparable. On ne saurait exagérer le poids de l'autorité
des deux Scaliger pour rallier les «sçavans" gallicans à Cicéron, en
dépit des préjugés contre l'Arpinate qui subsistent du XVIe siècle.
Selon des voies parallèles, et qui pour l'instant ne songent à rien
moins qu'à se recouper, une forme française du cicéronianisme de Cour,
et une forme française du cicéronianisme docte survivent à Paris en plein
triomphe des variétés jésuites et gasconnes. Elles ont en commun, l'une
en français, l'autre en latin, une exigence de « romanité» française, vic-
torieuse de la Babel des dialectes et des styles. Elles se distinguent encore
par des traits apparemment inconciliables: la tradition que maintient
Du Perron, liée à «l'air de Cour» des Académies des Valois, a pour
référence l'Italie la plus raffinée, celle de Bembo, de Castiglione, de Della
Casa, de Caro; la tradition qu'incarne Scaliger, liée à la plus érudite
philologie humaniste, a pour référence l'Antiquité, et plus précisément
son Age d'or, celui de Cicéron et de Virgile. Mais la diplomatie inhérente
au génie cicéronien peut aider à leur jonction, ne serait-ce que contre des
ennemis communs. Du Perron disait en effet:
Je puis juger des Stiles, parce que j'ai employé 25 ans entiers à
feuilleter tous les bons Autheurs latins, grecs et italiens, j'ai été quinze

214 Scaligerana, éd. cit., p. 72. Voir également ibid., p. 362, un vibrant éloge
de Virgile.
524 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

ans entiers que j'avois toujours dans ma poche un Orator de Cicéron.


C'est le plus méchant stile du monde que celui de Tacite ... Je n'ai jamais
vu un homme de jugement qui louât Tacite; les Italiens qui, entre toutes
les Nations, sont les plus judicieux, n'en font point d'état... 215.

Un Chapelain ne pensera ni n'écrira autrement. Et nul doute qu'en


ces années troubles, le génie médiateur de Cicéron n'ait été en grande
partie réactualisé par François de Sales, dont l'Académie f1orimontane a
préparé les voies à la synthèse que l'Académie française sera chargèe
de préciser. Mais en 1618, Du Perron meurt, François de Sales prêche
pour la dernière fois à Paris, Du Vair, qui a repris les sceaux, approche
de sa fin. En dépit de Malherbe, la mode de Cour continue d'être dictée
par les Grands et surtout par le jeune duc de Montmorency, son poète
lauréat Théophile, son prosateur «gascon », le comte de Cramai!.

•••
En 1620, les frères Dupuy, héritiers de la "papauté» gallicane du
Président ].-A. de Thou, recevaient de Toulouse un appel alarmé qui
rejoignait sans doute leurs inquiétudes. Le conseiller jacques de Maussac
adressait aux Adelphes une réédition des Lettres et des Discours contre
Erasme de jules-César Scaliger 216.
La dédicace aux frères Dupuy affirme que l'heure est venue de
redoubler d'hommages à "notre héros jules-César Scaliger », et de
mettre en circulation le trésor d'éloquence et de pureté latine (pretiosam
eloquentiae et purae latinitatis suppelectilem) qu'il laissa en héritage à
la République des Lettres. C'est d'après des manuscrits fournis par les
Dupuy, à qui l'éditeur est étroitement lié (sanctam quae inter nos intei-
cedit amicitiam) que cette nouvelle édition a pu être établie. Elle ne vise
nullement à rallumer le vieux conflit, interne à la République des Lettres,
entre Scaliger et Erasme, ni à blesser les érasmiens. Avant même la
mort d'Erasme, Scaliger avait reconnu ses torts envers le grand érudit
flamand 217. Remettre en lumière le trésor scaligérien, c'est défendre une
cause qui est celle de tous les savants (causa nostra), avec les intentions
les plus innocentes et les plus pures (animi nostri candorem et sincerita-
tem). Il ne s'agit pas de renier le Ciceronianus, mais de défendre la cause
de la pureté latine et d'en proposer l'exemple aux 'jeunes gens; "pour
qu'ils ne s'écartent pas d'un pouce des écrits de Cicéron », il faut aussi

215 Perroniana, éd. cit., 1740, p. 446.


216 J. de Maussac: f.C. Scaligeri pro Marco Tullio Cicerone contra Desider.
Erasmum, Oratio J, Tolosae, Typ. Raimondi Colomerii, 1620; j.C. Scaligeri
episto/ae aIiquot nunc primum vu/gatae, accedunt aIia quaedam opuscu/a, Tolo-
sae, R.C., 1620. Sous un autre frontispice, Tolosae, apud D. Bosc, 1621.
217 Scaligerana, éd. cit., p. 104: «Mon père depuis vit la folie qu'il avoit
faite d'écrire contre Erasme.» Ce qui n'empêche pas J.]' Scaliger de rester
fidèle aux positions cicéronianistes et classicisantes de l'auteur des Poetices
libri septem. Chez lui, comme chez Maussac ,on constate la conciliation entre
érasmisme et classicisme cicéronien.
DANGERS SUR L'ÉLOQUENCE DES c SÇAVANS,. 525
que leurs précepteurs cessent de dérailler (ineptire) et de corrompre les
dons de l'élite de la jeunesse en lui imposant pour modèles les centons
et les fatras des modernes (quorumdam recentiorum centonibus et farra-
ginibus), en lui enseignant le mépris des sources et des originaux antiques
(veterum fontibus et originibus).
Dès 1620, Maussac tient le langage qu'un François Vavasseur tiendra
seize ans plus tard. Pour le magistrat gallican comme pour le régent
jésuite, l'un et l'autre interprètes de l'élite savante, il ne peut y avoir
d'autre cause de la «corruption de l'éloquence française:. que celle de
l'éloquence néo-latine. L'attaque de Maussac, comme celle de Vavasseur,
est dirigée contre une pèdagogie du latin trop indulgente à l'imitatio
adulta de Giraldi et de Upse, et au style «moderne:., dédaigneux des
modèles classiques, que cette pédagogie encourage. La réforme de l'élo-
quence française a pour préalable une réforme de l'éloquence néo-latine,
sa tutrice devenue corruptrice. Et rèformer, en l'occurrence, c'est revenir
à jules-César Scaliger, et au Tullianus stylus de la Haute Renaissance.
A la différence du jésuite, le magistrat gallican prend le plus grand
soin de ne pas donner au retour à l'imitation des classiques le sens d'un
retour au «cicéronianisme,. condamné par Erasme. Sa position est cla-
rifièe dans la dédicace de sa réédition du Ciceronianus à Guillaume Du
Vair, publiée la même année et rééditée l'année suivante, en 1621 2ls.
Avant d'étudier ce texte capital, il n'est pas inutile de montrer qu'il
n'est en rien une rêverie d'érudit irresponsable, mais un véritable mani-
feste qui exprime la doctrine de la République des Lettres gallicane,
et qui invite à l'action.

•••
jacques de Maussac 219 n'appartient pas seulement, par sa charge
de Conseiller et sa tradition familiale, au Parlement de Toulouse dont
j.J. Scaliger célébrait la «liberté» et l'intransigeance vis à vis des
jésuites, en le comparant à celui de Paris, qu'il qualifiait de «putain
prostituée» 22Q. C'est un savant d'envergure, dont le Colomiesana nous
apprend qu'il frayait d'égal à égal, quand il venait à Paris, avec les

218 Le cahier de l'édition du Ciceronianus, et celui de la dédicace à Du


Vair sont reliés avec les ouvrages de Scaliger, sans bénéficier d'une page de
titre particulière, ni dans l'édition Colomier de 1620, ni dans l'édition Bosc de
1621.
219 Sur Jacques de Maussac, Conseiller au Parlement de Toulouse, voir
Lettres de Peiresc aux frères Dupuy, éd. Tamizey, t. I, p. 10 et passim. Voir
La Mothe-Langon, Bibliographie toulousaine ou dictionnaire historique des
personnages de Toulouse, Paris, Michaud, 1828, t. II, p. 34-38. Sur son père
Jean de Maussac, traducteur du De Ofticiis de Cicéron, voir Lettres, cit.,
passim. Dans les Carmina de Balzac (Paris, 1651, p. 77) figure une épître au
père, semble-t-il, où Balzac gémit contre l'épitaphe à j. Goulu dont il ignore
l'auteur (Corneille, Œuvres, éd. Marty-Laveaux, t. X, p. 396). Signalons que
l'ouvrage de Jacques de Maussac commenté ici ne figure pas au catalogue
B.N. sous son nom, mais au nom d'Erasme (B.N. X 3434).
220 Scaligerana, éd. cit., p. 253.
526 LA MAGISTRATIJRE ORATOIRE DU PALAIS

Gaulmin et les Saumaise 221, Ses recherches érudites l'avaient conduit


en AIIemagne, ses sympathies gallicanes le rapprochaient des doctes
hollandais 222. Ce méridional - compatriote en son Languedoc des Sca-
Iiger - est tourné vers l'humanisme du Nord plus que vers l'Italie, que
Peiresc voyait «abandonnée par les Muses» 228. Sa fidélité à l'idéal
érasmien de réforme chrétienne, et à l'idéal scaligérien de classicisme,
épouse la double tendance de l'érudition gallicane, qui trouve en lui
un point d'équilibre et de synthèse. Voisin de ce Béarn et de cette Gas-
cogne dont l'influence à la Cour de France avait « corrompu» l'éloquence
française, témoin à Toulouse du «libertinage» de la petite cour du
duc de Montmorency, arbitre des élégances de la Cour de Louis XIII,
il était mieux à même que quiconque de mesurer dans queIle confusion
babélienne ceIle-ci se trouvait.
Il est l'auteur d'un recueil d'épigrammes à la gloire des saints de
la primitive Eglise, intitulé Militia christiana 224 ; si le genre et la forme
sont imités de l'antique, le titre et le contenu de l'ouvrage s'inspirent de
l'Enchiridion militis christiani d'Erasme. D'autre part, parmi les éditions
publiées par Maussac, figure celle de l'Harpocrationis Dictionarium in
decem rhefores 22~ dont la postface mérite d'être résumée. Maussac y
proclame la préséance de l'art critique, auxiliaire de la philosophie
chrétienne, sur les «lettres humaines », poésie, éloquence et histoire.
Sans la philologie chrétienne, celles-ci auraient été corrompues ou
auraient disparu. Retrouvées, restaurées, elles ne doivent pas échapper
au contrôle des philologues chrétiens, ni servir à d'autres fins qu'à pré-
parer une docfa piefas eloquens et sapiens.

:.
Cette foi gallicane dans la convergence entre philologie classique
d'une part et réforme de la piété et des mœurs chrétiennes de l'autre se
retrouve chez les professeurs calvinistes de Leyde. Entre l'humanisme

221 Remarques Historiques ..., éd. cit., t. l, Colomiesana, p. 532.


222 Voir la dédicace de son édition de l'Harpocrationis dictionarium in
decem Rhetores, Claude Morel, Paris, 1614, au Parlement de Toulouse (il y a
une étude à faire sur les Parlements comme C.N.R.S. du temps, rival du
C.N.R.S. jésuite: Maussac, par son édition, se justifie en somme auprès de
ses collègues d'un congé pour voyage d'études). Entre le texte ~rec, collationné
entre autres à Hanau, et les notes en latin, s'insère une dlssertatio critica
qui fait le plus vif éloge de la critique philologique, reine des litterae huma-
niores (p. 384-385). A rapprocher de la Diatriba ae crUica de J.J. Scaliger,
Leyde, J. Marcus, 1619.
223 Lettre de Peiresc à Du May, B.N., Mss. n. acq. Fr. 5172, fO 162 VO :
« Et puis les Muses semblent avoir abandonné les païs chauds longtemps y a
pour chercher le frais en vos quartiers. »
224 Militia christian a quae per centurias varias Epigrammata continet in
laudem S. Martyrum, Ex voto, Paris, Gildas Robinet, 1614. Le genre de l'épi-
gramme latine est un de ceux que l'humanisme gallican a le plus volontiers
pratiqué. Voir entre autres Pasquier, Scévole de Sainte-Marthe, etc. C'est évi-
demment un exercice d'atticisme.
2$ Voir ci-dessus, note 222.
PARIS ET LEYDE 527

gallican et l'humanisme batave, en dépit de la différence de confession,


les relations sont étroites, la sympathie ardente: tous ces doctes tra-
vaillent dans l'espoir de faire apparaître une vérité plus originelll"
qui dissipe les erreurs accumulées par la faute de Forne, et réconcilie
tous les chrétiens de cœur. En 1607, Paul Mérula, successeur de Jusie
Lipse, publie à Leyde un volume /l'hommage à Er:tsme 228, qui contient
une Vita Erasmi, des inédits du grand humaniste, et des poèmes à sa
louange, entre autres de Gérard Vossius. Mérula réfute les accusations
portées par les Jésuites contre le Père de l'humanisme du Nord, modèle
de science, de jugement, et de cette «candeur» qui fait honte aux
sophistes modernes. On le taxe d'., arianisme », alors que nul n'a plus
œuvré que lui pour ramener la foi et la piété à leurs sources (pristina
puritas, Veterum fontes) en les délivrant de la sophistique scolastique
(scholasticas argutias), des superstitions (abominandis superstitionum
sordibus), et du pharisaïsme Uudaïcis ceremoniis). On ose le traiter de
Père des libertins (Libertinorum Pafrem et omnis religionis irrisorem),
parce qu'il a imité Lucien pour abattre les idoles: son ironie n'était que
le revers de son amour des choses divines et de sa pitié pour l'état
corrompu de l'Eglise du Christ.
Peu d'années auparavant, François Dousa avait réédité les Epistolae
et orationes de Jules-César Scaliger 227, montrant la voie, vingt ans plus
tôt, à Maussac. Le respect pour l'esprit religieux et réformateur de
l'humanisme est inséparable à Leyde de la fidélité aux disciplines de
l'art oratoire classique. En 1622, s'appuyant sur la Rhétorique d'Aristote,
Gérard Vossius publie à Leyde deux traités, le De Rhetorices natura et
constitutione, et les Rhetorices contractae 228. Prenant le contrepied des
rhétoriques jésuites, Vossius privilégiait le genre délibératif et ses tech-
niques d'analyse, aux dépens du genre démonstratif et de ses ornements
flatteurs. Choix de savant et de citoyen d'une libre République: les
lettrés gallicans devront se livrer à une tactique plus complexe, et tenter
de réconcilier l'un et l'autre. Leur République des Lettres est l'otage
d'un régime monarchique, et doit tenir compte de l'existence d'une Cour.

226 Vita Desiderii Erasmi Roterodami ex ipsius manu fideliter repraesen-


tata ... Additi sunt epistolarum libri duo, éd. P. Merula, Leyde, Thomas Basson,
1607. II est probable que les accusations portées contre Erasme et que réfute
Merula sont celles de l'Amphitheatrum honoris du jésuite Scribanius (1605).
227 Julii Caesaris Scaligerii Episto/ae et orationes, Leyde, Plantin, 1600.
Une autre hypothèse serait que la Vita Erasmi de Merula réfute les accusa-
tions lancées par Scaliger, dans ses Orationes de jeunesse, contre Erasme, et
reprises par les jésuites. L'édition du Ciceronianus par Maussac, et surtout
sa dédicace à Du Vair prendrait ainsi le sens d'un arbitrage rendu dans une
querelle ancienne, mais récemment ranimée par deux publications de la Répu-
blique des Lettres, celle de Dousa et celle de Mérula. Pour Maussac, les vieux
malentendus doivent être oubliés, car Scaliger et Erasme sont dans le même
camp, celui de la République des Lettres, et doivent être réunis, réédités
ensemble pour faire obstacle aux «ignorants» de Cour et aux jésuites.
228 Gérard Vossius, De Rhetorices natura ac constitutione et antiquis rhe-
toribus, sophistis, et oratoribus liber, Lugduni Batav. 1622 ; Rhetorices contrac-
tae sive partitionum oratoriarum libri V, ibid., 1622.
528 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

De son côté, poursuivant cette mise en ordre des résultats acquis


par la philologie classique au XVIe siècle, Daniel Heinsius illustre par ses
travaux à la fois la Poétique du Stagirite, et celle de Jules-César Sca-
Iiger 229. On ne peut manquer de remarquer qu'à Rome, au Collège
Romain, à la même époque, un effort parallèle est poursuivi par les pro-
fesseurs jésuites 230, tendant à réconcilier le classicisme cicéronien et
virgilien du siècle de Léon X avec l'expression de la foi réformée par
Trente. Les deux pôles extrêmes de l'Europe chrétienne s'observent, et
construisent l'un contre l'autre deux versions antithétiques du classicisme
romain. L'un républicain et philosophique, l'autre impérial et esthétique.
Paris resterait-il à f'écart?
A Paris comme à Rome, le régime est celui des Cours monarchiques.
Mais à Paris comme à Leyde, une élite savante, fidèle à la fois à l'Eglise
primitive et à la Rome républicaine, résiste à la modernité corruptrice
des Cours. En 1614, dans un admirable discours latin prononcé devant
l'Université de Leyde, Daniel Heinsius médite sur cette situation d'une
élite de sages face au défi des Cours et de leur mondanité. Intitulé De
politica sapientia, ce discours n'envisage la Cour que sous l'angle de
son machiavélisme 231. Mais nous aurons plus d'une occasion de recon-
naître le lien entre machiavélisme et «corruption de l'éloquence". La
méditation d'Heinsius, qui se réfère à la pensée platonicienne, ne sépare
d'ailleurs pas la tyrannie de son corollaire rhétorique.

229 Sur Heinsius et Vossius et leur rôle dans la genèse du classicisme


français, voir R. Bray, La Formation de la doctrine classique en France, Paris,
Nizet, rééd. 1957, p. 39. La méthode de R. Bray n'est pas très génétique. La
question de la poétique d'Aristote (qu'on ne saurait séparer de la question de
la rhétorique d'Aristote) serait à reprendre: 1 par l'étude du sens que revêtit
0

en Italie au XVI' siècle le combat des Académies savantes contre la littérature


de Cour, ou du moins pour la discipliner (v. les querelles faites au Tasse et
à Ouarino) ; 2 en replaçant la diffusion de l'aristotélisme esthétique des doctes
0

italiens et de Scali~er, en France, au XVII' siècle, dans le contexte du grand


débat entre Répubhque des Lettres gallicane et hollandaise, et Jésuites s'ap-
puyant sur le public des Cours profanes, en Espagne, en France, en Autriche.
230 L'intérêt des Jésuites du Collège Romain pour la Poétique d'Aristote
au début du XVII' siècle, n'est pas seulement une réponse à l'aristotélisme
esthétique de Leyde; leur collège se ~reffait sur la tradition des Académies
savantes italiennes du XVI' siècle. MalS une confrontation est à faire entre
les travaux d'Heinsius et Vossius et les ouvrages du P. Tarquinia Oalluzzi,
Virgilianae vindicationes et eommentarii tres de tragoedia, comoedia, elegia,
Romae, 1621, et du P. Alessandro Donati, De Arte poetiea libri tres, s.l.n.d.
(probablement 1625). Rappelons que les Seleetae tragoediae, chefs-d'œuvre
« classiques» de la Compagnie, furent publiées à Anvers en 1634.
231 D. Heinsii De Politiea Sapientia Dralio, Leyde, Elzevier, 1614. Il y a
toute étude à faire sur les rapports entre machiavélisme et rhétorique, d'abord
dans l'œuvre même de Machiavel, et ensuite dans le vif historique: le combat
de l'humanisme érudit contre la «sophistique" des Cours est à la fois un
combat contre l'italianisme du langage (V. H. Estienne), des mœurs et ma-
nières, mais aussi contre le machiavélisme «importé d'Italie >, Oorgias allié
à Thrasymaque. Dans les tragédies de Corneille, qui à partir de La Mort de
Pompée sont des tragédies de Cour, on voit se dérouler une admirable médi-
tation sur sophistique et tyrannie. Sophistique tantôt pédante chez les conseil-
lers des tyrans, tantôt parée de toutes les séductions de la première et de la
seconde sophistiques, chez une Cléopâtre, un Attila.
LE SAGE A LA COUR 529
Heinsius fait reposer toute sa réflexion sur l'analogie et le contraste
entre Aristote et Machiavel, entre le sage qui réussit à faire triompher
la philosophie au cœur même d'une Cour et l'âme faible qui se laisse
fasciner par ses voies mondaines. Car le plus grand des philosophes
vécut à la Cour de Philippe, le plus «machiavélique », avant la lettre,
des Princes antiques, le destructeur rusé de la liberté grecque, contre
lequel toute l'éloquence de Démosthène fut impuissante. Fut-il pour autant
un pédant naïf et dupé? Dans ses Politiques, d'une façon voilée, il se
montre aussi bien initié que Machiavel aux arcanes de la politique des
tyrans. De même Platon dans le personnage de Thrasymaque, par un
artifice quasi théâtral 282, révèle tout à la fois et dénonce la ruse, le
mensonge, la violence des Cours tyranniques. Mais ni l'un ni l'autre n'ont
renié la Justice, que l'un a célébrée dans son Ethique, l'autre dans la
République, les Lois et les dialogues. Aussi Aristote put-il former en
Alexandre un véritable magnanime, à la fois prévenu contre la ruse,
capable de la déjouer, et dédaigneux de s'en servir 238. Telle est la
prudence politique du philosophe, supérieure aux artifices des tyrans et
sophistes de Cour, parce qu'elle les connaît et les dépasse, déroutant les
demi-habiles, tel Machiavel. Il en va de même en matière rhétorique:
il faut connaître les artifices des sophistes, afin de les déjouer, sans
dévier pour soi-même des voies droites et logiques de la raison.
Il était plus aisé au docte Heinsius, au sein de la libre République
batave, de dénoncer le machiavélisme et les artifices des Cours, qu'a
ses amis gallicans, au sein d'une monarchie, gouvernée par une Cour
où l'ignorante noblesse d'Epée joue un rôle à la fois servile et tyrannique.
Les magistrats érudits du Sénat français sont dans la situation d'Aristote
telle que la voit Daniel Heinsius. Ils ont à déployer toute leur prudence
philosophique pour que les fils des « Philippes" féodaux, pour que les
fils des Thrasymaques de Cour reçoivent une éducation d'Alexandre .


••
Sans être aussi pénétrante, la dédicace de J. de Maussac à Du Vair
en 1621 pose les prémisses d'une véritable stratégie philosophique de
la République des Lettres gallicanes vis-à-vis du défi que lui lancent la
Cour, ses sophistes et ses Machiavels. Dans cette stratégie, l'esprit
d'Erasme est invoqué, au même titre que les leçons de Jules-César
Scaliger, le théoricien d'une esthétique classique, à la fois aristotélicienne,
cicéronienne et vi rgilienne.
Maussac pose d'abord quelques grands principes. L'éloquence est
tout ensemble ratio et oratio, mens et sermo. L'un et l'autre ont leur
éminente dignité, qui résume celle de l'homme, image de Dieu. L'art

232 D. Heinsius, ouvr. cit., non paginé: Atque ita miro instituto simul odium
ejusdem rei et .icientiam professus est.
233 Ibid. Le passage où se trouve le beau portrait du magnanime Alexandre
commence par: Quippe Alexander, manu promptus... simillimus AchUli...
530 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

oratoire, qui porte à sa perfection le discours naturel, et fait de l'homo


loquens un homos eloquens, a donc sa légitimité. Mais il ne l'a qu'à titre
d'instrument de la raison:
Qu'est-ce d'autre que l'éloquence, sinon la parole de la sagesse (loquens
sapientia) ?

Il n'y a pas seulement équilibre, mais fusion nécessaire entre l'avers


et le revers de l'humaine parole, reflet du Verbe divin. Du Vair, déclare
Maussac, s'est borné à réaffirmer ce principe moteur de l'humanisme
dans son traité De l'Eloquence française. Le débat entre Erasme et
Scaliger n'a fait que mettre tour à tour en évidence les deux postulations
indissociables de l'Eloquence.
Erasme avait sainement réagi contre la sophistique des courtisans
romains, dont l'imitation «cicéronienne ~ s'arrêtait aux mots. Mais Sca-
liger avait pressenti que la réaction d'Erasme servirait d'alibi à une
corruption de l'éloquence, qui se voudrait moderne et délivrée de toute
norme classique. ,Le génie retors des Cours, passant d'un extrême à
l'autre, avait su, s'appuyant sur la présomption de la jeunesse (promptos
juvenum animos), sur l'amour de la nouveauté (novitatis appetentia) et
sur l'amour propre (ipsius amor), inventer une sophistique anticicéro-
nienne.
Les conséquenc~s de ce malentendu sont actuelles. Non sans intention,
Maussac rapproche les troubles soulevés par les duellistes et les
Grands 23\ de ceux qui obscurcissent le royaume de l'Eloquence. L'anar-
chie féodale, que combattent le Roi et son Garde des Sceaux, est de
même essence que l'anarchie stylistique dont le magistrat érudit va
maintenant tracer le tableau. Dans les deux cas, l'intérêt de l'Etat est
en jeu (maximo Reipublicae detrimento), et l'exemple le plus fâcheux
est donné à la jeunesse (ne [ .. ,] adolescentium ingenuorum ingenia des-
ciscant et devia ducantur).
Nombreux sont ceux que la maladie atteint, et de peur que celle-ci
ne devienne une épidémie, et gagne de proche en proche, il faut la soigner
au plus tôt.

Maussac se scandalise du contraste entre le progrès des sciences 23~,


œuvre des doctes depuis la Renaissance (doctorum quorumcumque viro-

234 Sur le duel pendant le règne de Louis XIII, les Mémoires de Riche-
lieu fournissent une foule de matériaux. On attend sur la sociologie de ce fléau
(d'origine semble-t-il italienne) une thèse de M. Billacois. Voir plus loin,
Edmond Richer faisant du fléau du duel un argument pour convertir ses
lecteurs gallicans à l'éloquence cicéronienne, propre à calmer les esprits des
« ignorans ~ et des «demi-sçavans ~ de l'Epée.
235 Ce contraste dépeint assez bien la situation à l'époque: la République
des Lettres œuvre dans son empyrée savant, et la Cour de France fait fête
à Marino, dans le meilleur des cas, et dans le pire à des divertissements de
type «variétés:t. Entre l'aristocratie savante et la noblesse de Cour, les
« ponts» sont coupés, ou peu s'en faut. L'éloquence, qui pour Maussac doit
être médiatrice entre la science et le monde ignorant, ne remplit pas son rôle,
O~I est la proie des sophistes. Elle est «corrompue ».
JACQUES DE MAUSSAC 531

rum laboribus), et la mlsere de l'éloquence, proie d'amants indignes,


stériles au wrplus, véritables traîtres et déserteurs des bonnes lettres
(profugos et desertores litterarum). Leur refuge, c'est la Cour des Princes,
où sévissent des bouffons (fatuos, moriones) qui croient garantir à leur
nom, par leurs paroles et leurs écrits ridicules, une éternité qui n'est pas
celle de leur gloire, mais de leur fatuité. Parmi ces bouffons, des prédica-
teurs de Cour, qu'il n'est pas difficile d'identifier aux Jésuites 286; et
des écrivains qui, comme les précédents, s'attribuent la royauté de l'élo-
quence. Ils prétendent donner des leçons, et ils n'ont rien appris 231,
Quelles leçons? D'abord, celle de l'imitation, illimitée et désordonnée 288,
Ensuite celle de la brièveté affectée, qui rend les périodes « faméliques Ob
et raccourcit tant qu'elle peut la diction .. Véritables épicuriens du langage,
ces mauvais maîtres l'asservissent aux plaisirs de la nouveauté, qui chez
les uns s'attache à la variété des récits (narrationum) et des incantations
mélancoliques (naeniarum), chez les autres à l'art d'abréger 239. L'effet
est irrésistible sur les ignorants!

236 La praefatio n'est pas pagmee. Voici le passage qui concerne les
Jésuites: Nequiores adhuc isti, qui cum postremi bipedum sint, barbarorum
emissarii, et &v't.À~.~cx sive medul/a peda[{ogiae, arrogant tamen sibi prin-
cipatum in omni scientiarum genere, et praeCipue se mortalium e/oquentissimos
praedicant, nul/umque patiuntur qui multa eos i!:norare doceat: magni certe
ardeliones, operum suorum admiratores summi, a/œnorum vero frigidissimi /au-
datores, homines injuriarum vindicfaeque amantissimi et qui nihi/ inausum sce-
/erisve dolive relinquunt, ut quos eos maligna rabies fert, qua jure qua injuria
perveniant: qui denique /audato pavone superbiores, Turcarum more, copia
simiarum et multitudine sperant se tyrannidem non litterarum modo, sed totius
orbis invasuros. En peu de mots, tous les griefs de la République des Lettres
gallicane contre les Jésuites sont là.
237 Ibid. Docere etiam alios aggrediuntur, et nunquam didicerunt.
238 Maussac trace une véritable histoire de l'imitatio adulta: Erasme en
est involontairement responsable, pour avoir attaqué, quoique dans de bonnes
intentions, la norma cicéronienne; puis est venu un mauvais maître (Estienne ?),
le premier qui n'a plus fixé nulle borne à la licence d'imiter; puis est venu
Lipse (tam parcus verborum, adeoque fame/icas induxit periodos ut diction es
omnes si potuisset, decurtasset).
239 Des deux sources de l'imitatio adulta sont descendus les deux courants
du maniérisme (asianisme italien, atticisme flandro-espagnol) qui ont inondé
les Cours (inter tot illustres aulicos) et trouvé chez les Jésuites un accueil
empressé. Maussac signale les vices propres aux deux courants, qui ont en
commun une doctrine perverse de l'imitatio (liberas habenas, appetentia novi-
tatis, refus de la norma, de la regu/a) : pour l'asianisme, l'inspiration hédoniste
(epicun) voire obscène (scurrilitas), l'ostentation (sui ipsius amor, pavonis
superbia), le goût des «peintures» et de la «variété» (varietas narrationum),
de l'inflation des figures (ampul/atis et sesquipedalibus verbis); pour l'atti-
cisme maniéré, le laconisme à la Lipse, et sa transposition chez les disciples
de Malherbe (aucupes syl/abarum et va ca bu/arum). Les deux tendances se
réunissent puisque le choix des mots «hypercritique» n'a pour but que la
« douceur» et le «plaisir» (ut malliares et hi/ariares sint), et habille des
romans d'amour (fabel/ae), des poèmes mélancoliques (naeniae). Mais c'est
le propre des «bouffons» de Cour (morion es au/icas). Les prédicateurs qui
donnent dans les vices du temps n'ont aucune douceur d'élocution (pu/pita
vocis asperitate frangunt).
532 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

Prédicateurs ou romanciers ampoulés, poètes laconiques, tous refusent


de placer dans la vigueur de la pensée et la solidité des choses le
principe de la bonne diction. Les premiers ont pour alliés les pédagogues
jésuites contre lesquels Maussac lance une violente diatribe. Leurs décla-
mations ont ôté toute différence entre l'école et le théâtre. Quant aux
seconds, flatteurs des Grands, ils confondent la poésie et la technique
du rythme (non poetae sed rythmici) :
Chacun erre selon son bon plaisir, et se fixe à soi-même sa propre
norme; et nulle part les vices des mortels n'ont poussé plus profondes
racines que dans le champ de l'éloquence [... ] Nous souhaitons nous vendre
nous-mêmes par nos propres louanges, nous sommes devenus des Nar-
ciSSl'S, consultant nos propres oeuvres comme des miroirs et des sources,
et le gouffre de la vaine gloire nous engloutit [ ... ] Nous vivons par opi-
nion [ ... J. la religion elle-même relève de l'opinion, et la philosophie [ ... ] 240.

Pour redresser cette situation, Maussac préconise un retour à Scaliger


et surtout à Cicéron:
Seule Ariane, je veux dire Cicéron, les guidera à travers le labyrinthe
et leur donnera le fil qui les conduira jusqu'à la fin souhaitée [... ] Tout ce
que l'éloquence romaine a opposé victorieusement à l'insolente Grèce, a
fleuri autour de Cicéron, et tous les génies qui ont introduit la lumière
dans l'éloquence sont nés à cette époque 241.

Et Maussac de conclure sur l'éloge de Guillaume Du Vair, héritier


français des «vertus cicéroniennes », à la fois grand orateur et premier
magistrat de la République gallicane, qu'il appelle à être l'Hercule vain-
queur des monstres de l'Eloquence française.

••*
A travers ses allusions vengeresses, qui vise l'ami des Dupuy?
Il est probable que cet érudit, méfiant envers tout «ornement» et toute
« délectation» en prose et poésie vulgaires, confond le bon grain et
l'ivraie, les premiers signes, après la mort de Du Perron et à l'exemple
de Malherbe d'un cicéronianisme de Cour, et les derniers éclats de la
sophistique des « marguerites» et des « peintures ». Sa haine des Jésuites
ne lui permet peut-être pas non plus de distinguer entre l'influence des
rhéteurs de la Société, et celle d'un savant comme le P. Denis Petau.
Il semble bien associer dans sa vindicte les Jésuites et Malherbe, l'atti-

240 Quisque pro libidine hac et il/ac incedit, et normam sibi praecipit elo-
quendi ; et nullibi altiores radices egerunt vitia mortalium quam in hoc agro,
/. .. / ... Semper propria cupimus nos vensere laude ; imo et Narcissi facti sumus,
opera nostra tanguam specula et fontes consulentes, atque ita sensim imma-
nibus vanae glo"ae vorticibus submergimur ... Opinione denique vivimur, 1... /
religio ipsa opinione formatur 1.. ./, etiam in sapientia.
241 Ariadnem vero solam, id est Ciceronem, tum demum explicaturam laby-
rinthum, aut daturam fila quibus ad optatum finem perducantur.
JACQUES DE MAUSSAC 533
cisme éplucheur de syllabes de celui-ci 242, la théâtralité oratoire des
autres. Tous les aspects des Belles-Lettres ayant la faveur de la Cour
lui sont odieux. Les auteurs de romans (/abellas) sont assimilés, par
leur style, aux prédicateurs de Cour. Il n'est pas sOr que Maussac ne
confonde pas dans sa vindicte le cas de Malherbe et celui de Théophile,
que désignent peut-être les allusions aux fornicateurs qui offensent
l'Eloquentia, cette" Vierge », cette mère « très chaste» des arts. Magis-
trat au Parlement de Toulouse, Maussac ètait bien placé pour connaître
le milieu littéraire entourant le duc de Montmorency., Il avait da siéger
au procès de Vanini en 1619 243 • Autre signe de la « corruption» générale
de l'éloquence à la Cour: depuis 1615, Marino y faisait figure de poète
lauréat.
Or par Molière d'Essertines, par M. de Vaux, gentilhomme de la
maison de Cramail 2H , l'entourage du duc est en relations avec l'Académie
de l'abbé de Marolles, qui nous entretient de cette assemblée lettrée
dans ses Mémoires, 'à la date de 1619 2415 • Et c'est là que le malentendu
s'épaissit, car si les jeunes gens groupés autour de Marolles sont visés,

242 Voir n. 239.


243 Sur l'affaire Théophile, ses tenants et aboutissants, voir A. Adam, Théo-
phile de Viau ... , passim, et R. Pinta rd, Libertinage érudit ... , p. 20. Aux yeux des
humanistes gallicans, ce poète fi gages est une émanation du maniérisme de
Cour, que favorisent et flattent les Jésuites; aux yeux des Jésuites, Théophile
et son groupe libertin sont des rivaux auprès de la jeunesse de Cour, plus
attrayants et plus doués. Une histoire de la petite cour du jeune duc de
Montmorency nous éclairerait sur la situation de la haute noblesse, du point
de vue politique et littéraire, entre 1610 et 1630: prise au piège entre les
prêtres et les magistrats, elle tente de développer ce que les Anglais ont appelé
la «poésie des cavaliers », qui fit le charme chimérique de la Cour de Char-
les 1er et de Buckingham. Mais Montmorency, comme Charles 1er, périra déca-
pité.
244 Marolles, Mémoires, éd. cit., p. 41.
245 Ibid., p. 40. On y. trouve la description de l'Académie de Marolles, dont
font partie j.B. de Crosilles, Jean de Lingendes, Isaac Habert, et des travaux de
l'Académie: examen de la Semaine amoureuse de Molière d'Essertines, d'une
Ode de Pierre de Marbeuf, avocat au Grand Conseil. Voir p. 42-44 les relations
de Crosilles avec la fleur des pois de la jeunesse de Cour, le Comte de Moret
(qui mourra fi Castelnaudary en rebelle, auprès du Duc de Montmorency), le
Grand Prieur de Vendôme (qui mourra en prison) et le Comte de Soissons
(qui mourra en rebelle fi La Marfée). A travers le coupable" primat de l'elo-
cutio », c'est fi cette jeunesse orgueilleuse et indocile que Maussac en a. Les
« écrivains» qui plaisent fi celle-ci, tel Crosilles, puis Théophile, sont nom-
més deserlores et profugos, des traîtres fi l'humanisme parlementaire et
gallican, et fi la tradition intellectuelle du Tiers-Etat. Sur Crosilles, voir René
Pintard, ouvr. cil., p. 90. Il est possible que les autres cercles mentionnés dans
cette page par R. Pintard tombent aussi sous le coup de la condamnation cie
Maussac. Bien que Marolles ne le mentionne pas, et pour cause, Théophile,
selon R. Pintard, aurait siégé dans son Académie. Mais il se pourrait aussi
que Maussac ait songé fi des «débauchés» et «fornicateurs» plus proches
de lui. Antoine Adam dans son Théophile de Viau (p. t18-119) fait un tableau
du Languedoc «libertin» autour de 1620, avec le poète Mainard, ami de Théo-
phile, mais aussi de grands seigneurs, Cramail, Montmorency, qui semblent
fort bien se prêter à la colère d'un héritier spirituel de Scaliger, comme
Maussac.
534 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

comme il est probable, par Maussac, c'est au printemps d'un classicisme


français que le magistrat épris de classicisme antique s'attaque. Mais
Marolles a beau se flatter d'être apparenté aux Dupuy 246, il tire surtout
gloire de ses liens familiaux avec la haute noblesse de Cour, les Liancourt,
les Retz, voire les Rambouillet. Il fréquente les hôtels aristocratiques les
plus huppés, chez les Nevers, auxquels il est, comme le fut Vigenère,
plus part1culièrement attaché, les Longueville, les Soissons.
Maussac parlait de deserlores, de « traîtres» à la cause de la res
litferaria; il parlait aussi des prétentions de certains «orateurs '1> à
monopoliser l'éloquence et la pédagogie de l'humanisme, usurpant les
droits historiques de la République des Lettres savantes. Or Marolles
et ses amis, qui sont loin d'être des muguets de Cour ignorants, doivent
leur littérature à des maîtres jésuites! Marolles a fait ses études au
Collège de la Marche, succursale mal déguisée du Collège de Clermont
jusqu'à la réouverture de celui-ci en 1618 247 • L'un des habitués de
son Académie, le poète Pierre de Marbeuf, est un ancien élève de La
Flèche, fort reconnaissant à ses bons maîtres 248. Un autre ami de
Marolles, l'Abbé de Crosilles est devenu en 1619 précepteur du Comte de
Moret, ancien élève de Clermont., Lingendes lui succédera 249. Marolles
ne cache pas, dans ses Mémoires, les liens étroits de son groupe littéraire
avec le jésuite Denis Petau, professeur de rhétorique du Comte de Moret.
Bref, toutes les conditions sont réunies chez Piat Maucors, l'hôte
de l'Académie Marolles, pour irriter au souverain degré un magistrat

246 Marolles, Mémoires, éd. cit., p. 41.


247 Marolles écrit (ouvr. cit., p. 40) que son Académie est liée à Fronton
du Duc, à Petau et à Sirmond « grâce aux habitudes fréquentes qu'avoit auprès
d'eux M. de Crosilles, mon bon ami '1>. Marolles lui-même avait fait ses études
au Collège de la Marche, contrôlé par les Jésuites.
248 Voir dans le Recueil des vers de M. de Marbeuf, Rouen, D. du Petit Val,
1628, le poème Recherche des neuf Muses au Collège de La Flèche (p. 62 et
suiv.). En 1620, Marbeuf avait publié un Epigrammafum liber (Paris, Huby,
1620) dédié au Comte de Moret, et qui porte des traces nombreuses de la
pédagogie des Jésuites.
249 Marolles, Mémoires, éd. cit., p. 41. Les Mémoires de Marolles sont un
document capital sur ce que Balzac appelle le «grand Monde ». Très lié à
la famille des Gonzague l'Abbé nous restitue la culture de la petite «cour»
de l'Hôtel de Nevers. Il faut se souvenir que Blaise de Vigenère était aussi
au service des Gonzague. Il y avait une tradition littéraire propre à cette grande
« maison» franco-italienne, comme il y avait une tradition littéraire propre à
la famille de Guise. Sous la régence de Marie de Médicis, ce sont ces grandes
familles qui dictent la «grande Mode ». Voir pour cette expression, et le
mécanisme social qu'elle suppose, fort important à comprendre pour l'histoire
littéraire, Michel Ange Mariani, Il più curioso e memorabile della Francia,
Venise, 1673 (B.N. Lb 27 52.000) : «On distingue la Mode et la grande Mode.
La grande Mode n'est rien d'autre que l'invention la plus récente mise en
circulation par le Roi, dont l'exemple commande tous les courtisans. Cette
grande Mode dure jusqu'à ce que le génie du Roi trouve une nouvelle inven-
tion et alors de grande Mode qu'elle était jusque-là elle devient Mode et passe
de Paris aux provinces» (p. 112-114). Ce texte reflète la situation en 1660
quand Louis XIV ne laisse plus à personne d'autre le soin d'être le Cocteau
de sa Cour.
QUI VISE MAUSSAC? 535
érudit et gallican tel que Maussac: le snobisme des jeunes gens reçus
dans le grand monde, et travaillant à lui plaire; l'influence des rhéteurs
jésuites, dont les leçons de cicéronianisme ont préparé en latin celles du
poète grammairien Malherbe. Sur ce «monstrueux» privilège accordé
aux «mots », et aux agréments d'une belle élocution, Marolles nous
éclaire par une anecdote, fort révélatrice des préoccupations de ses amis.
En 1619, un jeune homme, Loys Masson, «fraischement venu du pais
de Languedoc », est reçu chez Piat Maucors :
Il ne put, écrit Marolles, s'empescher de nous marquer son etonne-
ment, nous ayans trouvez comme nous examinions certaines façons de
parler la langue, ce qu'il estimoit de peu d'importance en comparaison
d'autres choses, où selon sa pensée, il auroit esté bien plus juste que
nous eussions employé du temps. Peut-estre qu'il avoit raison, mais il n'y
en avoit pas un d'entre nous qui ne fust persuadé que pour la perfection
des sciences il ne faut rien negliger, et particulièrement en l'éloquence et
en la pureté du langage ... 2~0.

Le duc de Rethelois, jeune fils du duc de Nevers, le comte de Moret,


fils d'Henri IV, pouvaient fêter Marolles et ses amis. Malherbe et Racan,
furieux de ce qui leur semblait une caricature de la «réforme» mal-
herbienne, traitaient ironiquement Crosilles de «Secrétaire des Dieux ».
A plus forte raison, dans les hôtels austères des magistrats parisiens,
toulousains et autres, devait-on regarder avec horreur et crainte l'appa-
rition d'un magistère langagier d'écrivains courtisans. D'autant plus
dangereux qu'i! ne s'exposait plus aux sarcasmes patriotiques d'un Es-
tienne; grâce aux leçons de Malherbe, il se posait en défenseur de la
langue vulgaire; grâce aux leçons d'un Jésuite tel que le P. Petau,
il s'appuyait sur les techniques rhétoriques, donc humanistes, de
delectus et collocatio verborum pour porter la prose française à la
dignité cicéronienne.
Depuis Toulouse, Maussac ne prend pas la peine de distinguer entre
les cercles d'inspiration fort différentes qui forgent la nouvelle littérature.
Pour lui, l'adjectif aulicus, déjà employé en ce sens par Guillaume Budé,
recouvre toutes les corruptions, plus ou moins cyniques ou hypocrites,
de l'aristocratie de Cour. Il est probable que sa diatribe s'adresse indis-
tinctement à l'Académie Piat Maucors, à la cour du duc de Montmorency,
et au Louvre même, où paradent Marino et les troupes de comédiens
italiens invités par Marie de Médicis. Le temps n'est pas encore venu
de faire un tri, et la part du feu, dans cette éclosion désordonnée .

•••
L'année suivante, en 1621, un conseiller au Parlement de Normandie,
J. Dupré, vient à la rescousse de Maussac et publie un ouvrage intitulé

250 Marolles, ibid., p. 115.


536 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

Pourtraict de l'Eloquence françoise 261. Maussac sonnait le ralliement


de la République des Lettres. Dupré, moins docte, se contente d"alerter
ses collègues du Palais., Son titre évoque trop celui de l'Eloquence fran-
çoise de Du Vair pour ne pas révéler les ambitions du magistrat nor-
mand: reprendre contre de nouveaux rhéteurs l'offensive que le jeune
Du Vair, alors conseiller-clerc, avait lancée en 1595 contre ceux du
temps de la Ligue.
Le patronage de Du Vair est d'ailleurs invoqué dès le frontispice,
gravé par Michel Lasne 262. Cette belle gravure de titre vise évidemment
à faire pièce à celles dont les Jésuites avaient coutume de parer leurs
traités de rhétorique. L'Eloquence, allégorisée sous la forme d'une jeune
Vierge pudique, y apparaît sur un trône, que surmontent deux Renom-
mées soufflant dans leur trompette. Elle tient dans ses mains deux
couronnes, destinées l'une au Duc de Longueville, qui se dresse à sa
gauche, l'épée au côté, et l'autre au Garde des Sceaux Du Vair, en robe
longue, et tenant un livre. Chacun de ces deux portraits en pied est
accompagné d'une devise. Pour Longueville:
Le miel est dans sa bouche, et le fer en sa main.

Pour Du Vair:
Le miel est en sa bouche, et le Droit en sa main.

Ne nous fions pas trop à cette belle symétrie: il s'agit d'une « Remons-
trance» de magistrat à la gloire du Verbe du Palais, et à la honte de la
sophistique de Cour. Reprenant un lieu commun illustré par Montaigne,
Du Perron et Du Vair, le conseiller Dupré se plaint de l'ignorance de
la noblesse d'épée et de son éloignement pour la véritable éloquence
nourrie de sagesse et de science.. Il n'en est que plus à l'aise pour
exalter le privilège de ses collègues, héritiers légitimes de l'éloquence
philosophique des Anciens et des Pères. Le Longueville du frontispice
n'est qu'une « fausse fenêtre », un faire valoir de la magistrature, incar-
née par Du Vair.
Dès les premières lignes du Pourtraict une franchise peu amène
ne s'embarrasse d'aucune capiatio benevolentiae :
La difference que la parolle simple met entre l'homme et la. brute,
la diction eloquente l'establit entre celuy que s'en ayde et celuy qui ne

251 Le pourtrakt de l'Eloquence française avec X actions oratoires par


J. Dupré, sieur de La Porte, Paris, chez J. l'Evesque, 1621, priv. du 6 octo-
bre 1620.
252 Voir J. Duportal, Contribution au catalogue général des livres à figures
du XVII' siècle, Paris, Champion, 1914, p. 129, qui identifie les deux person-
nages comme deux portraits, l'un, le Magistrat, de Guillaume Du Vair, l'autre,
le Gentilhomme, du Duc de Longueville. Sur Michel Lasne, voir du même auteur,
Etudes sur les livres à figures édités en France de 1601 à 1660, Paris, Cham-
pion, 1914, p. 160 et L'Amateur d'Estampes, 2' année, 1923, p. 43-56.
J. DUPRÉ DE LA PORTE 537

s'en peut servir [... ] Encore y auroit-i1 plus à dire de l'ignorant à l'éloquent,
que de la brute à l'idiot... Car de Dieu à l'homme tout s'y trouve telle-
ment inesgal [... ] que qui peut se conformer à luy par un langage disert
(qui est le premier attribut que luy donne Homere), il fait un plus grand
saut que ne feroit la brute prenant la parolle de l'homme 253.

Puisque «l'homme éloquent imite Dieu », la hiérarchie est claire.


Il y a plus de distance entre un « sçavant» disert et un ignorant privé
d'éloquence, qu'entre l'homme et la bête 1 Cette distance, aussi incom-
mensurable que cel1e séparant Dieu de l'homme, éloigne les «Magis-
trats » (<< l'âme») du peuple (<< le COrpS»), les « Orateurs» (qui « règlent
le mouvement» de la «société civile») de la matière inerte du corps
social. Ils sont « l'esprit », mais ils sont aussi « le bras », puisque « nous
les voyons sans cesse employez comme genereux Alcides à deffaire les
procez qui sourdent entre les hommes» 254. Au «centre» du Royaume,
ils en sont « le cœur », et comme « le soleil» dans le « quatrième ciel ».
L'éloge de l'Eloquence des magistrats, qui suit, ne nous dépayse pas:
c'est la glorieuse antienne des «Remonstrances d'ouverture» depuis
Pibrac. Mais jamais aucun Avocat du Roi n'avait avoué avec tant de
naïf orgueil un tel sentiment de caste, qui rejette dans «le peuple»
tout ce qui n'est pas de robe longue et qui fait du Parlement l'organe
central et vital du Royaume.
Les métaphores physiologiques affluent sous la plume du conseiller
Dupré. Le Parlement est une sorte de système nutritif où les avocats
« destrampent» la «masse des procez » ; ensuite la Parole des juges,
leurs arrêts, font de ce «chyle» un sang qui se répand dans tout le
« corps politique », et le nourrit. La partie « la plus penetrante» de ce
sang, c'est «la terreur et l'exemple », el1e «agist sur toutes sortes de
personnes qui par ce moyen sont animées à la pudeur et destournées
du vice» 2~~.
Ayant mis hors de pair l'éloquence de «la terreur », privilège des
juges dispensés de rhétorique, le conseil1er Dupré consacre le meilleur
de sa « Remonstrance» à l'éloquence qui la prépare, celle des avocats.
Etant données ses prémisses physiologiques, il est clair que pour lui la
qualité des «arrêts» est fonction de celle des plaidoiries. Tout se tient
dans un système nutritif. Aussi s'attache-t-il à rendre plus musclé et
efficace « l'estomac» du Palais, laissant « la veine cave» et le « cœur »,
organes nobles, métaphores des juges, hors de son examen.

253 Pour/raict, p. 1. Dans le même sens que la polémique de Laval (1621),


Dupré (1621) et Maussac (1620-1621), v. N. Pasquier, Lettre à M. Tournebu,
Cons. au ParI., non datée (dans Et. Pasquier, Œuvres, éd. dt., t. Il, p. 1203-
1206) qui analyse les deux périls menaçant la «pureté et naïfveté de nostre
langue»: 1° «pompe et enfleure de parolles; 2° «langage mignard et
affeté », et les deux corruptions des mœurs publiques: 10 «superbe» ; 2° effé-
mination (v. son Gentilhomme, 1611). Son idéal du style: «net, rond, uny ... ,
masle, sentencieux, plein de pointes qui piquent... et poignent au vif à bon
escient ».
254 Ibid., p. 4.
2~~ Ibid., p. 6-7.
538 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

Pourquoi l'éloquence (entendons celles des avocats) est-elle demeurée


si basse? Faute d'avoir attiré à elle des nobles de sang, elle est aban-
donnée aux
hommes obscurs, ignorans, pedans, et mercenaires, qui l'appesantissent
et la deshonorent 2116.

Faute de jeunes gens qui consacrent le meilleur de leurs énergies à


leur métier, ou s'y mettent trop tard, car
s'il est vray que le corps fait mieux ses fonctions en jeunesse qu'au
dernier âge, pourquoy non l'esprit, qui suyt les temperamens et qui a ses
saisons et revolutions comme eux ? ... L'esprit est en sa vieillesse quand la
moindre difficulté l'estonne, le fache, et le faict tourner en arriere, en luy
laissant qu'un remords d'avoir perdu le temps où se pouvoit fournir de tout
ce qui luy manque et le fuit 257.

Faute enfin de récompenses dignes, comme autrefois, d'attirer le sang


le plus noble et le plus jeune au Barreau.
Cette "hémorragie» de jeunes ambitieux désertant les rangs du
Barreau n'est pas seulement une métaphore. Le conseiller Dupré dia-
gnostique un mal très réel, un des symptômes du déclin de l'éloquence
parlementaire: la désaffection des jeunes talents pour le Palais 258.
Pour faire revenir les brebis égarées, il n'est pourtant pas question
d'ouvrir le Palais à une nouvelle éloquence, plus mondaine. Sur ce point,
le magistrat normand est aussi catégorique que son COllègue de Toulouse,
Maussac. Il y a, affirme-t-i1 avec force, éloquence et éloquence:
L'une bonne, droite et simple, redresse les âmes mal faites, et les
range à leur devoir. Et l'autre perverse, toujours remuante et maligne
ne tend qu'à désunir les volontez des hommes, et les faire s'entrechoquer,
leur fournissant matière de débats et de contentions civiles qui les jettent
dans un labyrinthe d'affaires dont ils ne peuvent sortir ... 259.

Celle-ci, fille de Mercure Hermaphrodite, a plus de peine « à se faire


recognoistre que fait l'Hermaphrodite à juger du sexe qui prevaut ».
Les Orateurs de cette race, vrais «caméléons », devraient être sommés
de choisir entre le sexe des «Sophistes» et
celuy des vrais Orateurs, qu'on ne peut mieux nommer que Philoso-
phes, puisque nous les voyons occuper comme eux à séparer le bien d'avec

256 Ibid., p. 17. Le thème est déjà chez Du Vair. Contrairement à Du Vair,
Dupré observe que «l'Eloquence» en France était plus cultivée autrefois
(p. 20).
257 Ibid., p. 11. Ce thème est nouveau, du moins par rapport au traité De
l'Eloquence française.
258 Ibid., p. 12. Dupré se plaint que les jeunes, «usez dans les bordeaux »,
n'apportent que des «reliques au Palais ». Il y a d'étonnantes rencontres avec
J. de Maussac: même expression pour désigner l'Eloquence: «jeune Vierge»
(p. 12), même admiration pour l'ingenium (<< beaux esprits») si fréquent en
france, mais perverti et stérilisé par les mauvais maîtres (p. 10).
259 Ibid., p. 26.
J. DUPRÉ DE LA PORTE 539
le mal, le vray de l'apparent, l'estre du néant, et le public du privé, qui
est le seul but où vise la sagesse 260.

Le conseiller Dupré amplifie ici la diatribe latine contre les Jésuites


de son collègue Maussac. Pasquier avait déjà qualifié les «Ioyolites ~
d'hermaphrodites, car ils n'étaient ni tout à fait séculiers, ni tout à
fait réguliers. C'est lui aussi qui avait fixé le thème du Jésuite-sophiste.
Comme On le voit, si les Caussin, les Cressolles, les Binet faisaient des
avances aux orateurs du Parlement, ceux-ci s'en défendaient vigou-
reusement.
Mais comm~nt distinguer «la vraye ou la fausse parolle»? Dans
Un langage un peu plus orné que celui de Faye d'Espeisses ou de Du
Vair, le conseiller normand reprend, sans recourir aux c citationS »,
leur théorie philonienne du logos:
La vraye Eloquence, n'est point une Philosophie de néant, qui consiste
en questions curieuses, vaines, inutiles et sans forme. Au contraire [oo.], elle
est toute solide, réelle, active, comme fondée sur le carré permanent de la
vertu, d'où elle prend sa lueur, sa trempe, son tranchant. Vérité que les
vieux Druides portoyent escrite sur le front, pour dire que comme le
front est un indice du cœur, dont il marque les passions, ainsi ils ren-
doyent tesmoignage du devoir de leur charge, qu'estans ministres de la
Justice, ils enseignoyent qu'elle n'avoit point d'autres arguments que la
vérité, que ce qui paroissoit escrit au dehors, estoit gravé et enfoncé dans
l'Ame [.oo] Ce qui ne revient pas mal à cette peinture des Aegyptiens, d'un
cœur attaché à une langue d'où sortoient des flammes vers le Ciel, pour
signifier que comme la langue prend son bransle du cœur, elle doit suivre
celuy de ses desirs, et tous deux se conforment à la vérité, que nous
avons dit tendre vers le séjour des bienheureux 261.

Eloquence de vérité 262, guidée par la prudence 263, la probité 264, qui
est en mesure de vaincre la «peur» 265 et d'éviter l'effronterie 266. Ce
thème de la « peur» donne la mesure de la « terreur sacrée» qu'inspirait
aux avocats, inexpérimentés ou émotifs, le spectacle formidable de la
Cour en robe rouge. Le conseiller Dupré analyse avec précision les
troubles, l'égarement même qu'une telle peur (semblable au «trac» du
comédien) suscite chez l'avocat 267. II s'efforce de rassurer celui-ci, pas
assez cependant pour l'encourager à l'autre extrême, l'effronterie du
sophiste.

260 Ibid., p. 27.


261 Ibid., p. 30-31.
262 Ibid., p. 33.
263 Ibid.
264 Ibid., p. 35.
265 Ibid., p. 38.
266 Ibid., p. 42.
267 p. 40. Ce «trac» s'explique aisément si l'on se reporte aux por-
Ibid.,
traits que les contemporains font des Catons du Palais. Déjà Brantôme écri-
vait de Michel de L'Hospital: «C'étoit un autre Censeur Caton, celui-là, et qui
savoit tres-bien censurer et corriger le monde corrompu. Il en avait du tout
540 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

Eloquence préservée de l'avarice 288 et de la complaisance intéressée


du sophiste 269, préservée aussi de toutes les affections mondaines 270.
Mais la pure vertu ne suffit pas. Il faut y ajouter la science 211. Non
point l'érudition, privilège des esprits sublimes. L'avocat pourra se
contenter, dans chaque science, des c maximes et sentences avérées".
Celles-ci lui seront commodément fournies par des recueils tout préparés:
Si l'on ne peut puiser entierement à la source, on aille aux ruisseaux,
pourveu qu'ils ne soient pas chargez de bourbe. Ce sont les bons livres,
bastis sur le plan de ceux des Anciens, et de leurs ma.tieres, mais :Igencez
à la mode de celuy qui s'en est voulu servir 272.

Un « haut et magnifique style» ne s'obtient que par le «transport»


de ce qu'il y a d'exquis dans les c bons Autheurs ». Encore ne faut-il
pas confondre les «fleurs» et les «fruicts», les mots et les choses.
Or il y a trop de «causeurs»
qui font du barreau une banque où pour toute drogue ils n'estallent
que du babil 278.

Dans ses conseils d'actio aratoria, le conseiller Dupré se livre à


une curieuse distinction entre le style du Barreau et celui de la Chaire.
Dupré abandonne volontiers celle-ci à l'enflure:

Ces estorses de corps, ces battemens de bras si drus, et ces gestes


à tous et sans propos 27f.

l'apparence, avec sa grande barbe blanche, son visage pâle, sa façon grave. »
(Cité à l'art. L'Hospital du Dict. des Lettres fr., XVIe siècle.) Et voici le beau
portrait de Achille de Harlay par Richelieu: «II était si grave, que par son
seul regard il maintenait chacun en son devoir [ ... ] ; et dès qu'en une visite de
civilité on lui parlait d'une affaire, il reprenait son visage austere et ne retour-
nait plus à parler familierement.» Pendant la Ligue «il s'en alla dans la
prison avec la même gravité avec laquelle il avait accoutumé d'aller au par-
lement, portant les menaces sur le front, et une courageuse fierté en la tris-
tesse de son visage, qui le rendait immobile contre le mépris et les injures
de ces mutins» (Mémoires, éd. cit., l, p. 136). L'admiration de Richelieu est
sans réserve. C'est en Harlay et non dans les féodaux, qu'il trouve le suprême
modèle de l'héroïsme. Il ne pensait pas, comme tant de commentateurs mo-
dernes, que «l'idéologie» du héros fût d'essence «féodale ».
288 Pourtraict, p. 48.
269 Ibid., p. 54.
270 Ibid., p. 58.
271 Ibid., p. 61.
272 Ibid., p. 69. Sur le problème des «lieux communs» au XVIe et au
XVIIe siècles, voir outre R. Radouant, éd. cit. de L'Eloquence françoise, p. 169-
181, le numéro spécial d'Etudes Françaises, avril 1977, en particulier l'étude
de Bernard Beugnot, «Florilèges et Polyantheae: diffusion et statut du lieu
commun à l'époque classique », p. 119-141.
273 Ibid., p. 71.
274 Ibid., p. 78.
J. DUPRÉ DE LA PORTE 541

Il admet en effet que l'on ne peut « des raciner le vice des âmes [ ... ]
pour y planter la vertu », sinon «à coups de co ignée », c'est-à-dire
« en criant et tempestant ». Il leur voit même pour modèle Jésus-Christ,
qui ne ressuscite le Lazare, figure du pecheur end urcy, qu'en l'appe-
lant tout haut.

La «bienseance» du Barreau est toute différente. Car l'orateur n'y


vient pas
pour exterminer le meschant ou luy faire quitter son vice, ains pour
le dec1arer simplement à ceux qui ont le pouvoir de le chastier 275.

Et ceux-là, nous l'avons vu, disposent d'une éloquence qui inspire


la «terreur» sans recourir à tant de contorsions.
Jusque-là, le conseiller Dupré a fait consister, dans la meilleure
tradition du Stilus Curie Parla menti, toute sa rhétorique pour avocats
en une morale, soutenant une mnémotechnique savante. Ses préceptes
sur la disposition et l'élocution sont des plus succincts. Point d'exorde.
De la clarté 276. De la brièveté: «le temps est cher,. 277. Pas de
digressions. Peu d'ornements: des exemples; des citations de poètes
français 278; une recherche modérée de cadence, qui sonne bien à
l'oreille 279; un soin modéré de bien choisir ses mots 280.
Ce dernier point est particulièrement névralgique. C'est là dessus
que va se jouer le destin de l'éloquence du Palais. Le conseiller Dupré
le sent, et il s'emporte contre le prestige grandissant de 1'« usage de
Cour », et des «critiques» de haut rang qui l'autorisent.
C'est aussy se rendre trop complaisant et, s'il faut dire, lacquais, de
faire sacrilège de parler autrement que tel et tel que la fortune met en
montre [ ... ] Cela s'appelle se laisser tirer par le nez comme un buffle, par
où ceux-cy se laissent pareillement conduire, qui se conforment entiere-
ment au langage de ces mignons paistris en eau de rose et en sucre, qui
ont le crédit de savoir leurs marguerites sur l'ongle 281 et de tenir le
haut du pavé en matiere de l'entretien des Dames. Je consentirai qu'on
se frise comme eux, qu'on se chausse à leur mode, qu'on marche à leur
cadence, et qu'en autres gentillesses qui passent par le jugement des
femmes, on les imite.
Mais pour ce qui regarde la beauté du langage, et la façon de le
bien agencer (qui est une plus haute Philosophie), l'on doit s'en rapporter

275Ibid., p. 79.
278Ibid., p. 95.
277Ibid., p. 97-99.
278Ibid., p. 104.
279 Ibid., p. 105.
280 Ibid., p. 106.
281 Allusion à la mode de s'exprimer selon le style de François Des Rues,
auteur des «Marguerites françoises lI. Voir note 209. Rapprocher les formules
de Dupré de celles de Mlle de Gournay (L'Ombre ... , Paris, Libert, 1626, p. 582-
583) : «Les Courtisans de l'aygrette et de la moustache relevée» ; «Les jolis
et les poupées de Cour,..
542 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

aux Maistres et à ceux qui dès leur jeune âge se sont nourris de la moelle
des lyons, j'entends qui ont tiré la substance de toutes bonnes sciences 282.

Comment comparer, en matière de logos, l'autorité des magistrats


érudits à celle de jeunes seigneurs amoureux et ignorants? C'est pour-
tant ce que font, au détriment des premiers, les godelureaux du Palais.
Le désarroi du conseiller Dupré est sensible. Dans ses efforts
maladroits contre la fascination exercée au Palais par la « sophistique_
des gens de Cour, soutenue par la « sophistique» jésuite, il fait à celle-ci
des concessions men dangereuses. Il a recours à d'abondantes méta-
phores, allégories, emblèmes, voire, comme dans le dernier passage que
nous avons cité, à des esquisses de «tableaux ». Le style «corinthien»
de Vigenère et de Binet a déteint sur lui! Il admet timidement, mais
admet, pour rendre le style du Palais moins sévère, et plus attirant,
une certaine légitimité de l'ornement: citations de poètes, périodes
cadencées. Il cherche à dissiper la peur qui détourne du Barreau des
jeunes tentés par les plaisirs et les agréments que leur offrent les
grands seigneurs. Mais ces concessions, faites de mauvaise grâce, sont
insuffisantes. Le seul point qui pourrait compenser un peu l'étroitesse
des lisières morales et sociales entre lesquelles l'avocat du Parlement
est comprimé, l'élégance d'une elocutio conforme au goGt de la Cour,
est obstinément, violemment refusée. Dupré sait bien que cette conces-
sion-là signifierait la fin du magistère oratoire du Palais de Justice,
sa reddition à l'autorité toute mondaine des «ignorans" de la Cour.
L'habile Malherbe, qui ne tient pas à s'aliéner la sympathie des
gens de robe, surtout normands, a cru bon de donner à son compatriote
Dupré un quatrain que celui-ci fait figurer en tête du livre 283. Vagues
éloges qui ne le compromettent pas auprès de ses jeunes admirateurs .


••
Privé des solides points d'appui érudits d'un Jacques de Maussac,
le conseiller Dupré erre à l'aveuglette entre un «style de Parlement»
soumis aux railleries des gens de Cour, et un « langage de Cour l'> soumis
aux soupçons des dévots et des doctes. Le même désarroi se trahit
dans l'étonnant recueil que publie en 1624 Puget de la Serre sous le

282 Ibid., p. 107.


283 Voir Œuvres de Malherbe, éd. Adam, Paris, Gallimard, 1971, p. 149.
Si vague soit-il, ce quatrain marque bien de quel côté en dernière analyse se
tient Malherbe, l'ami de Du Vair et de Peiresc: il a servi la langue en se
faisant le grammairien du «grand Monde l'>, et la «république:. en se faisant
le poète de la majesté royale; mais il n'accepte pas qu'on se réclame de lui
pour justifier une mode que d'autres que lui et les siens inspirent: jeunes
seigneurs écervelés, jésuites. Par le salon de Mme des Loges, celui de Mme de
Rambouillet, celui de la Vicomtesse d'Auchy, il tentera de préserver l'esprit
de la «grande Mode:t royale qu'il avait lancée et illustrée.
J. DUPRÉ DE LA PORTE 543
titre: Le bouquet des plus belles fleurs de l'Eloquence 284. Tentative
presque comique de concilier les inconciliables, témoignage presque
touchant du besoin qui se fait jour de trouver un dénominateur
commun au goût des deux élites rivales, celle du Palais de Justice, et
celle de la Cour. La Serre fait alterner, dans cette anthologie, des textes
de Du Vair (une lettre à Sully, sa harangue de 1600 à Marie de Médicis,
trois de ses Remonstrances d'Aix), des textes de Du Perron, avec des
œuvres caractéristiques du «langage de Cour» (une lettre de la Reine
Marguerite, des lettres amoureuses de d'Audiguier, et des lettres com-
plimenteuses dans le style « N ervèze ») : entre ces deux extrêmes, il fait
figurer des lettres de Malherbe et de Coëffeteau. Publiée l'année même
où paraissent les premières Lettres de Balzac, cette anthologie est le
meilleur éClairage possible pour celles-ci: La Serre pose le problème que
Balzac tente brillamment de résoudre. Le Bouquet montre que le centre
de gravité des lettres françaises est désormais à la Cour: les citations
de Du Vair ne font pas contrepoids aux œuvres qui émanent directement
de celle-ci. Mais le même recueil prouve aussi que la Cour est le lieu
d'une rivalité entre « doctes» et « ignorants ", entre une élite de respon-
sabilité et un public frivole. Des ecclésiastiques - Du Perron et Coëffe-
teau - un poète, Malherbe, des hommes d'Etat, comme Sully, y intro-
duisent une note grave qui fait écho au style de Du Vair; mais une
sophistique de galanterie et de flatterie y tient une grande place. Même
rivalité entre les genres cités: genres nobles, harangues parlementaires,
lettres d'hommes d'Etat, lettres de consolation; genres frivoles, lettres
amoureuses, lettres de compliments, lettres de présentation de service.
Mais le genre épistolaire l'emporte largement sur la harangue, le style
épidictique l'emporte largement sur le style délibératif; l'éloquence judi-
ciaire brille par son absence. Tout s'est passé comme si les premières
lettres de Balzac avaient réussi un juste dosage, à partir de la situation
évasive que reflète, sans pouvoir la dépasser, le recueil de La Serre.
Synthèse entre la gravité des uns, et la frivolité des autres, entre l'épi-
dictique et le délibératif, entre les intérêts d'Etat, les compliments et
les flatteries. Amalgame entre la leçon de grammaire de Malherbe,
l'art de la période à la Du Vair et les figures de l'éloge de Cour traitées
sur le mode de la raillerie.

Le «Discours sur la Parole» de Jérôme Bignon


L'immense succès obtenu sur-le-champ par les Lettres de Balzac n'est
comparable qu'à celui, obtenu douze ans plus tard, par le Cid de
Corneille. Deux étapes décisives de la légitimation des Belles-Lettres en
langue française. Deux occasions d'un débat où le goût de la Cour
« ignorante" impose victorieusement son choix contre les objections
des doctes et des dévots.

284 Le Bouquet des plus belles fleurs de l'Eloquence cueilly dans les Jardins
des Sieurs Du Perron, Du Vair, D'Urphé, Daudiguier, de Rousset, Coëffeteau,
Bertaud, Malherbe, La Brosse, La Serre, Paris, Billaine, 1624. Frontispice de
Crispin de Pas. La Serre avait alors vingt-quatre ans.
544 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

Avec un coup d'œil de stratège littéraire évaluant exactement les


forces en présence, Balzac avait touché juste. Descendant par sa mère
d'une dynastie de robe, élève de Nicolas Bourbon, initié à la fois à l'huma-
nisme de Leyde et à celui de Rome, il avait connu, dans l'entourage de
la Reine mère et de D'Epernon les diverses nuances du goût de la
Cour. Sa prose dosait savamment les recherches d'horizons fort diffé-
rents. Elle pouvait plaire, et elle plut, à des humanistes comme son
maître Bourbon, et avec celui-ci, à l'entourage des frères de Mesmes.
Mais elle visait avant tout à séduire les diverses fractions de la Cour,
hommes d'Etat, hommes d'Eglise, grands seigneurs se piquant d'élé-
gance. Tenant compte des leçons de Malherbe, Balzac osait conférer
à sa prose les qualités de douceur et de musicalité qui flattaient les
oreilles des délicats. Il osait recourir, en les colorant d'ironique urbanité,
à des figures d'hyperbole qui reflétaient la civilité complimenteuse de
règle à la Cour. « Sophiste» en langue française, il l'était donc au sens
où l'entendent un Maussac ou un Du Vair, qui réprouvaient avec horreur
le culte des Il parolles bien peignées ». Mais il l'était en le sachant,
avec une désinvolture sourdement satirique d'elle-même qui faisait tout
le prix de son audace calculée. Encore fallait-il pour saisir cet art de
l'allusion, être initié à «l'air de la Cour» : en prenant son parti de
1'« amour propre» que les dévots dénonçaient à l'envi 285, il s'en parait
et il le flattait autant comme une plaie secrètement douloureuse que
comme un vêtement de cérémonie; et la «vanité des paroles» était
cultivée par lui avec la mélancolie ironique de qui n'ignore rien du fond
du jeu. Il fallait pour sentir ce double fond être fait à la rencontre,
dans les mêmes salles des Palais royaux, d'hommes d'Etat et d'hommes
d'Eglise «qui savent» et de la foule des badauds titrés. Ceux-ci firent
fête à Balzac, mais il obtint aussi et surtout le patronage de hauts
prélats tels Richelieu et La Valette, de « saints» tels Cospeau et Bérulle,
de grands seigneurs tel D'Epernon. Des amitiés si haut placées et si
diverses le mettaient à l'abri des mésaventures de l'imprudent Théophile,
protégé du seul clan Montmorency. Les Lettres de Balzac offraient à
la Cour de Louis XIII et de Marie de Médicis un miroir à la fois flatteur
et souriant en apparence, lucide et mélancolique en secret.
Mais pour les non-initiés, pour les doctes du Palais et des Biblio-
thèques de la rive gauche de la Seine, le succès même des Lettres, les

285 Le thème augustinien de l'amour-propre n'a pas attendu Port.. Royal


pour être traité par les prédicateurs et moralistes. Voir A. Levi, French mora-
lists, the theory of the passions 1585 to 1649, Oxford Clarendon Press, 1964,
p. 80-81, 134-135, 225-233. Voir l'ouvrage de J.P. Camus, Industries spirituelles
contre les stratagèmes de l'amour propre, Caen, 1638. 11 est certain que le
thème ne passe vraiment au premier plan, comme le montre Anthony Levi,
qu'avec l'essor de la polémique jésuites-jansénistes à la fin du règne de
Louis XIII. Mais toute la lutte de la «philosophie chrétienne» gallicane contre
les «sophistes de Cour" (leur «narcissisme" et celui qu'ils encouragent, leur
pavonis superbia, leur ambition, leur avarice, tout cela enveloppé de «paroles
dorées») créait un terrain favorable pour la critique des moralistes de Port-
Royal.
LE SUCCÈS DES «LETIRES» DE BAUAC 545
protections qui les enveloppaient, faisaient de Balzac un second Théophile,
en prose cette fois, et plus pervers. Elles conjuguaient, pour la futile
délectation des ignorants, tous les faux prestiges du « langage de Cour»
et de l'éloquence jésuite, l'héritage d'élégance courtisane d'origine ita-
lienne et l'héritage de démagogie histrionique de descendance sophis-
tique.
A l'Hôtel de Mesmes, où fréquentent les deux frères Ogier, où le
Président et son frère d'Avaux ont reçu de leurs maîtres Passe rat et
Bourbon une discipline néo-latine en poésie et en prose comparable à
celle qu!à Rome dispensent les maîtres du Collège Romain, ou à Leyde
les Vossius ct les Heinsius, on reconnut en Balzac ce qu'il était: un
authentique fils de l'humanisme, s'efforçant de transporter dans la langue
française les raffinements de l'élocution qui avaient rendu classique la
langue de Cicéron, de Salluste et de Pline. L'Apologie du Prieur Ogier,
appuyée sur une érudition rhétorique d'un niveau européen, apportera à
Balzac le réconfort d'avoir été compris par ses pairs, et non pas seule-
ment applaudi par les gens de Cour.
En somme, par rapport à l'évolution des idées en la matière hors de
France, l'humanisme érudit gallican reste sinon provincial, du moins
sur ses gardes plus qu'aucun autre. A la différence de l'Hôtel de Mesmes,
l'Hôtel de Thou, au moins jusqu'en 1630, regarde avec suspicion, voire
hostilité, l'accueil enthousiaste réservé à la prose épistolaire de Balzac.
Héritiers de la stricte observance gallicane, les frères Dupuy et leur ami
Peiresc, fidèles à la mémoire de Michel de L'Hospital et de Guillaume
Du Vair 286, ne pouvaient juger du succès de Balzac que comme un
nouveau signe des progrès de l'italianisme et de l'influence ultramon-
taine en France, un nouveau coup porté à l'autorité philosophique et
oratoire des magistrats du Palais de Justice et de la République des
Lettres gallicans. La correspondance entre Peiresc et les Adelphes pour
ces années les montre fort sévères pour les « belles lettres» de l'Unico
eloquente ; en revanche, ils sont fort attentifs aux éditions de Remons-
trances de hauts magistrats. C'est manifestement la seule forme d'élo-

286 Sur le cercle Dupuy, voir R. Pintard, Libertinage érudit ... , ouvr. cit.,
p. 92-95 et 272-295. Indications dans 1. Uri, Un cercle savant au XVII' siècle,
François Guyet, 1575-1665, Paris, Hachette, 1886 et Harcourt Brown, Scientific
organization in seventeenth century France (1620-1680), Baltimore, Williams
and Wilkins, 1934, ch. l, «Peiresc and the Cabinet of the brothers Dupuy».
La piété de Peiresc et Dupuy envers la mémoire et la politique du chancelier
de L'Hospital n'a d'égale que leur hostilité à la publication en France du
concile de Trente. Pour s'opposer à cette publication, Peiresc demande aux
Dupuy de lui envoyer des «mémoires» manuscrits de L'Hospital, Pibrac,
Bourdin, La Guesle (t. 1 des Letires de Peiresc aux Dupuy, p. 166 et 175).
Il approuve entièrement la doctrine des magistrats ~alIicans du xv,' siècle vis-
à-vis du Concile (ibid., p. 206). Il regrette que la memoire du grand chancelier
ne soit pas mieux honorée (ibid., p. 245 et t. II, p. 445, 451, 684). Jacques Dupuy
ne cache pas son hostilité à Michel de Marillac, et à la «cabale des zélés et
des moines» (t. l, p. 797-798).
546 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

quence française qui leur semble correspondre à leur gravité de


« sçavans » 287.
Aussi, dès qu'une contre-offensive se dessine contre le succès de
Balzac, ils suivent avec un vif intérêt les péripéties de la Querelle. Ils
prennent évidemment parti pour Phyllarque, héritier d'une dynastie de
professeurs au Collège Royal, contre Narcisse, sophiste de Cour. Avec
quel dédain pour la futilité des prélats de Cour romaine Peiresc apprend-
t-il à J. Dupuy que le cardinal Francesco étudie le français dans les
Letires de Balzac! La mondanité du Quirinal va d'instinct vers celle
du Louvre 288. En 1627, Jacques Dupuy mande à son ami d'Aix qu'il a
fourni à Dom Goulu des « instructions» pour nourrir sa polémique
contre Balzac 289.
Il est difficile de savoir ce que pouvaient suggérer à Goulu les mé-
moires de Jacques Dupuy. Fils et petit-fils de professeurs au COllège
royal, le général des Feuillants appartenait à l'aristocratie de l'huma-
nisme français, il en avait les ressources et en connaissait les annales.
On constate toutefois une profonde différence entre le premier recueil
de ses Lettres, publié en 1627, et le second, publié l'année suivante
et soutenu selon toute apparence par les « instructions» du docte Dupuy.
Le premier recueil fait flèche de tout bois, le second pose les principes
d'une critique docte, appuyée sur l'autorité d'Aristote et de Cicéron, et
appliquée aux ouvrages en prose française 290. Elle étudie de façon plu,>
systématique, à la manière qu'avait esquissée François Ogier dans son

287 Les goûts littéraires de Peiresc et des Dupuy vont avant tout à J'His-
toire (Guerre des Flandres et Mémoires de Bentivoglio) mais surtout sur le
mode du document d'archives; à la lettre de caractère politique, diplomatique
(Lettres du cardinal d'Ossat, qualifiées de «tres belles », t. l, p. 628), ou litté-
raire, mais de tradition gallicane (lettres de Charron, t. II, p. 632, lettres de
Malherbe ...); les véritables événements de l'histoire littéraire française, à
leurs yeux, sont les Remonstrances des hauts magistrats (Cardin Le Bret, t. l,
p. 198, Jérôme Bignon, t. l, p. 845, Ranchin, Faye d'Espeisses), les plaidoyers
d'Antoine Arnauld (t. l, p. 270). Peu ou pas de traces, pas plus que dans les
lettres d'information politique envoyées par Malherbe à Peiresc, de la littéra-
ture pour «ignorans '». Sur le soin avec lequel Peiresc et les Dupuy veillent
sur l'édition Cramoisy 1625 des Œuvres de Du Vair, voir Lettres, t. l, p. 24-25.
288 Lettres aux frères Dupuy, t. l, p. 845.
289 Ibid., p. 669, 708 (Peiresc félicite 1. Dupuy de fournir à ]. Goulu des
« instructions» dans son combat contre Balzac) et 867 (J. Dupuy se réjouit
d'avoir reçu les Lettres de Phyl/arque qui rivent leur clou à Balzac et à son
style « isocratique :».
290 Lettres de Phyl/arque à Ariste où il est traité de la vraye et de la
bonne Eloquence contre la fausse et la mauvaise du sieur de Balsac, Paris,
1627 (nous citons d'après la 3' éd. 1628). L'influence de J. Dupuy, et la fidélité
de Goulu à ses origines sont sensibles dès ce volume: voir p. 274, l'offense
faite par la vanité du sophiste Balzac à « tous les grands hommes de nostre
siecle, les Pybracs, les Mangots, les Despaisses, les Marions, les Du Perrons,
les Des Portes et tout autant qu'il y a eu d'illustres personnages qui ont
employé leurs faveurs et leurs travaux à l'ornement et à l'enrichissement de
nostre langue. Il a injurié M. Du Vair, qui par son eloquence et par l'integrité
de ses mœurs, « aussi severes que ceus de ces Senateurs de l'ancienne Repu-
blique romaine:> est devenu Garde des Sceaux. (Sur la Querelle Balzac-Goulu,
JACQUES DUPUY ET DOM GOULU CONTRE BALZAC 547

Jugement et Censure du P. Garasse, la «rhétorique» de Balzac. Elle


élève aussi le débat, en le replaçal·t dans une tradition historique. La
Lettre XIX 291 fait un parallèle entre la polémique de Turnèbe contre
Pierre Paschal, le «cicéronien» néo-latin nommé historiographe par
Henri II, et la polémique de Goulu contre Balzac, le «cicéronien» en
langue française. Le danger est passé de la prose latine à la prose
française. Mais le combat est en substance le même. Comme Paschal,
Balzac compte sur quelques tours de force tout verbaux, propres à
éblouir les ignorants de Cour, pour se faire un nom et une position.
Pas plus que Paschal, il n'a ce qui fait l'orateur: l'autorité morale et
l'érudition. C'est un comédien du langage, dont la prose en trompe-l'œil
masque à la fois le libertinage et l'ignorance. Turnèbe, on s'en souvient,
était un érasmien, comme l'ensemble des érudits gallicans. La référence
à sa polémique contre Paschal, en 1559, renvoie implicitement à la
polémique d'Erasme, en 1527, contre les « cicéroniens» italiens, maîtres
de PaschaL
Dès le premier recueil, Goulu avait emprunté à Jacques de Maussac
l'antonomase de Narcisse, appliquée à Balzac .. Dans un exemplaire de
l'édition Maussac du Ciceron!anus, qui appartint à la bibliothèque pari-
sienne des Feuillants, on constate que la dédicace-manifeste à Du Vair,
qui forme un cahier, a été anciennement distraite du volume 292. On peut
formuler l'hypothèse que Goulu l'emporta dans ses voyages pour s'en
inspirer 298. Dans le second recueil, peut-être sur la suggestion de j.
Dupuy, le thème de la «corruption de l'éloquence », si nettement posé
par Maussac, se trouve longuement développé. Goulu paraphrase deux
sources de Maussac, la dédicace de Sénèque le Père des Controverses
et suasoires et le Dialogue des Orateurs de Tacite 294. Goulu reprend à

voir Z. Youssef, Polémique et littérature, ouvr. cit. jean Goulu, petit-fils de


j. Dorat, avait pour père un professeur d'éloquence grecque au Collège Royal,
successeur de Dorat dans cette chaire. Et le grand-père maternel de jean
Goulu, Henri de Monantheuil, lui aussi professeur au Collège de France, figure
sous le nom de Musée parmi les interlocuteurs du traité De la Constance de
Guillaume Du Vair. Voir Radouant, G. Du Vair, ouvr. cit., p. 236, A. Lefranc,
Histoire du Collège de France, p. 382, et le Dictionnaire de Bayle, s.v., Goulu.)
291 Seconde partie des Lettres de Phyl/arque à Ariste où il est traicté de
l'Eloquence françoise, 2' éd., Paris, Buon, 1628, p. 297-318, «Paraphrase de
la lettre latine de M. Adrian Tournebu intitulée Ego tibi ».
292 Voir le volume B.N. coté Z 3413-3414.
293 Les Lettres de Goulu furent en effet écrites en voyage, et datées des
diverses haltes du Général des Feuillants en tournée dans les monastères de
son Ordre. Elles se donnent pour avoir été écrites vite, et sans recherche, par
opposition aux lettres qui sentent l'huile et la lampe de Balzac. Voir la même
affectation chez Saint-Cyran, dans ses rapports épistolaires avec Balzac, dans
Sainte-Beuve, Port-Royal, t. l, éd. Gallimard, p. 539.
294 Seconde partie, Lettre XX: «De la decadence du bien dire et de la
corruption de l'éloquence », paraphrase de Sénèque le Père et de Tacite. Voir
p. 324-325, un «tableau» de la jeunesse dorée de Louis XIII, à joindre à
l'anthologie que nous avons rassemblée, chez le P. Caussin (Cour Sainte), II;
P. de Cressolles (Vacationes autumnales), j. de Maussac, j. Dupré. Le thème
récurrent est la féminisation, «contrefaire les femmes », et l'offense faite à la
vertu virile de force par l'excès de luxe et de «douceur» molle.
548 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

Sénèque le Père le thème cher à Scaliger d'une apogée de l'éloquence


latine au temps de Cicéron, suivi d'une irrémédiable décadence. A ses
yeux, il en va de même en France: après Du Vair, Du Perron et Coj!ffe-
teau, Balzac annonce une nouvelle sophistique, Les jugements du « Rhé-
teur d'Espagne:. sur la jeunesse contemporaine d'Auguste s'appliquent
aussi à la jeunesse Louis XIII : efféminée, elle ne sait que chanter et
danser sur des airs lascifs; cheveux frisés, moustache retroussée, fardée,
parfumée et ml'squée, elle rivalise de «galanterie:. avec les femmes.
Soumise aux goOts affétés de ces jeunes débauchés, l'Eloquence est
perdue.
Paraphrasant Tacite. Goulu s'en prend aux «vicE's propres à notre
Cour », où dès l'enfance, à l'exemple de parents indignes, les jeunes
gens «ne bougent de la comédie, des théâtres, des duels, et du bal:..
Leurs maîtres, qui ne sont que des valets. les flattent, encouragent leurs
vices et surtout leur paresse. Au lieu de les soumettre à la leçon des
Anciens, et de leur donner une discipline de travail, ils inventel,i des
«chemins abregez pour parvenir aux sciences:. 296. Aristote et Cicéron
sont traités par le mépris:
La rhétorique mesme. affirme Jean Goulu. ne se puise plus aux sources
de ces grands orateurs ou rhéteurs qui l'ont pratiquée ou enseignée 296.

Cette insolente ignorance de la Noblesse 297 a ravalé la Reine Elo-


quence parmi les garçons de cuisine des Grands.
Et Goulu de résumer la situation d'une phrase:
La corruption des mœurs est une des causes principales de la corrup-
tion de l'éloquence 298.

On peut toutefois observer chez Dom Goulu, comme d'ailleurs nOLIs


l'avons fait à propos du P. Caussin. préfacier de sa Cour Sainte, une
contradiction qui affaiblit beaucoup sa polémique.
Goulu écrit en français. Mais il pense de la prose française exacte-
ment comme Camus qui en 1630. dans son Voyageur lnc\mnu. écrira:
Ceux qui escrivent peu et avec tant de soin en des langues vulgaires.
dont la face change presque de cinquante en cinquante al s se donnent

295 L'allusion désigne probablement Scipion de Gramont (voir R. Pin-


tard. Libertinage érudit ...• p. 225-231 et passim) spécialiste des ouvrages de
type <r moyen court:. pour apprendre les sciences sans larmes. Voir L'abrégé
des artifices traictant ... d'un secret et moyen exquis pour entendre et com-
prendre quelle langue que ce soit dans un an. Aix. 1606. et La rationnelle
ou l'art des conséquences. pour bien inferer et conclure ...• Paris. 1614. F''ltteur
des <r ignorans :.. Gramont est aussi l'auteur de relations de ballets de Cour, et
de panégyriques à Richelieu.
296 Seconde partie. p. 344.
297 Ibid .• p. 345.
208 Ibid .• p. 338.
LES «LETIRES. DE PHYLLARQUE 54U
à mon avis beaucoup de peine pour peu de chose. Au lieu qu'un ouvrage
dont le fonds est bon, dure en sa matière solide, encore qu'il manque
d'ornements. Ce ne sont pas les plus beaux qui vivent le plus longtemps,
ce sont les plus robustes 299.

Lui-même d'ailleurs, fier d'écrire « clair, rond et naïf :., fait étalage
de sa négligence peu diligente en matière de prose française:

Moy qui n'eus jamais dessein de passer ny pour Escrivain, ny pour


Autheur, et qui ne m'occupe à tracer mes pensées sur du papier que
tout à la bonne foy, sans estude et sans soin, n'ayant aucune attention
aux termes ny aux periodes, ny aux figures de rhetorique, ny à l'elegance
des mots, ny à leur mignardise, ne visant qu'à exprimer avecque simplicité
et clairté, sans art et sans fard, ennemy de toute curiosité et affeterie,
indifferend au choix des paroles, pourveu qu'elles representent ma concep-
tion ... 3oo .

Les prétentions de Dom Goulu, dans ses deux recueils, sur ce point
fort persévérants, sont exactement du même ordre. L'avis au lecteur du
premier recueil affirme:

Si tu examines (ces lettres) sous les lois des Grammairiens de la Cour,


tu y trouveras à redire quelque chose. Tu les dois prendre comme les
desseins de Michel Ange, qui n'estans que croquez encore passent et
excellent tous les adoucissemens et les finissemens des tableaux et pein-
tures des Flamans 301.

299 Le Voyageur inconnu, histoire curieuse et apologétique pour les religieux


par M. l'Evesque de Bel/ey, Paris, D. Thierry, 1630, p. 95. Il 'j aurait toute
une étude à faire sur l'éloquence de l'Eglise gallicane, à la tradition de laquelle
se réfère explicitement Camus, qui ne cite d'autre Jésuite que Caussin, parmi
ses autorités, mais insiste sur Du Perron, Bérulle (p. 82), Coëffeteau, Du Vair
(<< Evesque de Lizieux l», et le Dr Fournier d'Orléans (p. 88). Il admire aussi
l'éloquence de Pibrac, de D'Espeisses, de Marion (p. 88). Définissant sa propre
manière, Camus déclare qu'il n'en a pas: son «stile .. est celui du naturel et
de la simplicité, fidèle à «l'usage ... Il récuse l'exemple d'ornatus donné par
les Pères de l'Eglise (c'est ce que conseillait Antoine de Laval en 1621).
300 Ibid., p. 89.

301 Lettres de Phyl/arque, éd. cit., p. JO. Voir dans la Seconde partie un
passage de critique d'art non moins curieux: «Le Cavalier Gioseppin tient de
la maniere de Michel-Ange, le Guide Bolonais de celle de Raphaël d'Urbino
Et celuy qui est le plus excellent peintre est celuy qui peut tenir de la maniere
de tous les bons maistres qui ont esté devant luy ... , comme si nous disons que
Freminet tient la force des muscles et des nerfs de Michel-Ange, la souplesse
et la mollesse des charneures de Raphaël, la vigueur et la beauté du coloris
d'un tel,. (p. 254). Ce n'est plus l'idéal de l'imitatio adulta éclectique et
maniériste. Car l'éclectisme se concentre sur deux modèles, l'un de vigueur,
l'autre de douceur, comme Du Vair se donnait pour seules idées à imiter la
Force de Démosthène (Michel-Ange ?) et la « charneure l> de Cicéron (Raphaël ?).
En somme les deux modes du sublime selon le PS. Longin, que Goulu cite
souvent (voir Seconde Partie, p. 244, 251, et Première Partie, p. 233).
550 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

Et la Lettre 1 du second recueil est plus explicite encore:


Je quitte donc très-volontiers à Démosthène, à Cicéron, à Narcisse
et à tout autre la gloire de l'éloquence et la reputation de bien dire [ ... ] Je
ne parle point d'autre langage que celuy que j'ay entendu de ma mere,
ou que j'ay appris dans la conversation des honnestes gens. Je ne sçay
que c'est de la Cour [ ... ] Où donc aurais-je appris à raffiner mon langage,
à dire les beaux mots, et à composer les belles lettres? 302

La langue maternelle est une langue naturelle, elle exclut toute


recherche d'art. Elle est particulièrement propice à l'expression de la
sincérité chrétienne, pure de tout « masque» et de tout «artifice» em-
pruntés à la rhétorique antique. Cette idée, commune à Camus et à Goulu,
coexiste chez eux avec une idée apparemment incompatible avec la
première.
Il est vray que j'ay leu les livres des anciens et que dans leur école
j'ai essayé de former mon jugement et de limer aucunement mon style 303.

L'autorité stylistique des exemples antiques, celle de la rhétorique des


anciens, leur valeur de païdeïa, sont donc reconnues. Mais quelques
lignes plus loin, Goulu change de point de vue:
La simplicité de la nature est toujours plus agreable qu'un déguise-
ment fait par art. Je pense comme je parle et je parle comme je pense,
je ne recherche en l'un et en l'autre que la pureté et la vérité 304.

Goulu tourne ici autour de la notion de «naturel chrétien », que


Louis de Grenade avait formulée dans sa Rhetorica ecclesiastica: les
techniques d'imitation et de fabrication rhétoriques doivent être chez
l'orateur chrétien à ce point passées en habitude, qu'elles n'intervien-
nent plus consciemment dans l'émission du discours; elles ne font plus
dès lors obstacle au passage de la vérité inspirée. Cette théorie était
parfaitement cohérente dans son application à une langue savante comme
le latin. Appliquée au français, langue « naturelle », sans grammaire, ni
rhétorique, ni modèles classiques, elle se gauchit en un véritable primiti-
visme, hostile au travail sur les «mots» et à la critique de la forme:
La chaleur de produire des pensées est incompatible avec cette froi-
deur de jugement qui trouve à redire de tout 30G.

Reste toutefois que les « règles» de la rhétorique latine, et l'autorité


des exemples antiques, dont l'improvisateur chrétien s'estime délié, peu-

30~ Première Partie, p. 6. « De Romans d'Avantures, des Lettres du Temps,


d'histoires de Bergeres, c'est tout si je puis en avoir veu la couverture.» Voir
Camus, Voyageur, p. 76 : «Des Romans et Bergeries qui ont une grande vogue
à la Cour que l'on appelle le grand Monde. »
303 Première Partie, au Lecteur.
304 Seconde partie, p. 8.
30~ Voyageur Inconnu, p. 93.
LES « LETTRES» DE PHYLLARQUE 551

vent servir à «redire de tout:& sur la prose d'art de Balzac et des


écrivains français. L'Ars rhetorica, que l'orateur inspiré doit oublier pour
dire la vérité avec natuïe!, ne retrouve vigueur que pour dénier toute
légitimité à la littérature profane et mondaine. Utile comme païdeïa
chrétienne, la beauté de l'art antique, à la fois dans son paganisme et sa
perfection, rend chimérique la renaissance d'une beauté profane moderne,
rivale de la vérité.
Celle-ci ne saurait soutenir qu'un sublime d'inspiration, que Camus
symbolisait par « le Chariot d'Ezéchiel" 306, et Goulu par les «dessins
de Michel-Ange ». La régularité rhétorique, celle que les Anciens seuls
ont connue, doit être opposée à la littérature moderne en français, irré-
gulière par définition, moins comme une mise en garde que comme une
fin de non-recevoir.
Ce rigorisme ecclésiastique, qui s'appuie sur les rhétoriques «borro-
méennes », rejoint celui des érudits du Palais. Pour Maussac, l'idée
d'une élégance de la prose française, nécessairement liée aux vices de la
Cour, est une profanation de l'Eloquence philosophique, chrétienne par
son inspiration, érudite par sa forme latine moulée sur celle de Scaliger
et de Cicéron. 11 distinguait avec soin l'éloquence française de Du Vair,
garantie par la sagesse, l'érudition chrétienne, et les hautes responsabi-
lités du magistrat, de la prose mondaine. Celle-ci n'était à ses yeux,
toutes tendances confondues, qu'une dérivation sophistique des c traîtres»
de l'éloquence latine, les «cicéroniens» à la Bembo, et les c anticicé-
roniens» à la Juste Upse.
Contre l'essor d'un art de la prose française, nous avons vu se
dresser tour à tour des érudits comme Jacques de Maussac et Jacques
Dupuy, un Conseiller au Parlement comme]. Dupré, des ecclésiastiques
c réformés» comme Camus et Goulu, toute la gamme du c parti dévot»
réuni par le même idéal d'une réforme humaniste et chrétienne du
royaume. Il manquait à cette offensive la voix d'un Avocat Général au
Parlement de Paris, parlant ex cathedra. Dans le Voyageur Inconnu,
Camus invoquait d'ailleurs la vénérable cohorte des auteurs de c Re-
monstrances d'ouvertures », Pibrac, D'Espeisses, Mangot, Du Vair, pour
faire honte aux écrivains de Cour 301 .


••
Le 12 avril 1627, Jacques Dupuy termine en ces termes l'une de ses
lettres à Peiresc :
M. Bignon a fait ce jourdhuy la harangue d'ouverture du Parlement,
où il a fait merveilles, et a esté ouy avec un applaudissement universel.
Le sujet de M. Bignon étoit sur la parole 308.

306 Ibid., p. 85-86.


301 Voir note 299.
308 Letlres aux frères Dupuy, t. l, p. 845.
552 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

Jérôme Bignon était un ami de Marie de Gournay qui, l'année pré-


cédente, dans un recueil intitulé l'Ombre, avait lancé de violentes
remontrances aux « jolis,. et aux «poupées,. de Cour, et aux écrivains
à leur dévotion. En dénonçant la «terreur dans les Lettres,. que ces
« ignorans l> font régner, la fille d'alliance de Montaigne défendait,
contre la dictature naissante de 1'« usage de Cour,., la tradition rhéto-
rique de la Robe savante. Avec plus de solennité, le «Grand Bignon,.,
devant la Grand'Chambre, allait plaider la même cause .

•••
Avant de lire cette «Remonstrance l>, il n'est pas inutile que nous
nous arrêtions sur la personne de l'orateur 300 en qui se réincarnait
aux yeux de tous, et tout particulièrement de Peiresc et des Dupuy, le
type du grand magistrat érudit et gallican, illustré avant lui par Michel
de L'Hospital et Guy Du Faur, Guillaume Du Vair et J.-A. de Thou.
L'élite de l'élite de la Robe parisienne, dans sa double appartenance à
la République des Lettres et au Parlement, pouvait espérer voir poindre
en Jérôme Bignon le Chancelier de France qui réaliserait l'idéal de
L'Hospital et de Du Vair, l'utopie d'un Royaume Très-Chrétien régénéré
par la vertu des «premiers siècles l>, éclairé par l'érudition gallicane.
Fils et petit-fils d'avocats au Parlement de Paris, Bignon tient de
son père la plus haute idée du Barreau: comme Arnauld le Père, comme
les frères Dupuy, comme Pierre Pithou, Roland Bignon avait mis son
point d'honneur à rester avocat. Non pas au sens de Cicéron, mais au
sens de Pibrac: celui d'auxiliaire de la Justice, grand par sa modestie
même, et par une profession qui ne s'achète pas, contrairement aux
offices de Grande Robe soumis à la vénalité des charges. Arnauld
d'Andilly nous affirme que cette dernière raison avait été le motif de
son père pour refuser des fonctions qu'il méritait mieux que tant d'autres
par ses capacités. Et dans le Dialogue des Advocafs de Loisel, la visite
à laquelle celui-ci nous convie d'un intérieur d'avocat parisien, celui
d'Etienne Pasquier, nous révèle en effet des mœurs simples et frugales,
qui évoquent aussi bien la Rome de Caton le Censeur, que celle des
premiers chrétiens, mais qui surtout perpétuent une tradition de «pru-
dhomie l> médiévale. Elite d'une profession, qui échappe, avec une élite
de magistrats, aux faiblesses des robins vulgaires ..
Dédaignant l'enseignement universitaire, et à plus forte raison celui
des Jésuites, Roland Bignon, comme plus tard Etienne Pascal, prit soin

309 Sur Jérôme Bignon, voir la Vie de Jérôme Bignon, Avocat Général et
Conseiller d'Etat par l'Abbé Pérau, Paris, Hérissant, 1757, R. Kerviler, «Les
Bignon, Grands maîtres de la Bibliothèque du Roi,., dans Bibliophile fran-
çais, 1872, p. 275-283, mais aussi, par Claude Le Pelletier, Mémoire sur la vie
de J. Bignon, B.N. Ms. Fr. 1361, fa. 168-194 et 203-218. La collection Dupuy
contient de nombreuses pièces de Bignon ou relatives à Bignon.
J~ROME BIGNON 553

lui-même de l'éducation de son fils. Comme Guillaume Du Vair, comme


Hugo Grotius, celui-ci révéla par ses dons d'enfant prodige 810 à la
fois sa vocation d'érudit et une prédestination aux plus hautes charges.
Roland Bignon frayait d'ailleurs, grâce à son propre savoir, d'égal à
égal avec les magistrats dans la République des Lettres. Le cursus hono-
rum du jeune Bignon prit appui sur le prestige de son érudition précoce,
et non pas, comme ce fut le cas pour des hommes d'Eglise comme Du
Perron ou Richelieu, sur celui de sa virtuosité oratoire. C'est l'érudit
Nicolas Le Fèvre, éditeur de Sénèque, qui introduisit le jeune prodige à
la Cour, d'abord auprès du Prince de Condé, dont Le Fèvre était le
précepteur. L'ami de Du Vair et de de Thou espérait c inspirer un
peu de goût pour le travail» à son élève titré grâce à l'exemple d'un
fils aussi brillant de la Robe gallicane.
jusqu'à sa mort, en 1612, Le Fèvre veillera sur jérôme Bignon. On ne
peut douter que son influence ait marqué celui-cL Pour le mieux connaître,
lisons le Discours funèbre sur le trespas de M" Nicolas Le Febvre, que
Dom Goulu, le futur adversaire de Balzac, dédie en 1612 à j.A. de Thou.
Invoquant le témoignage de l'auteur de l'Historia sui tempo ris pour laver
Le Fèvre des accusations d'impiété (peut-être d'origine jésuite) qui avaient
assombri sa fin, Goulu écrit :
je me suis enhardi à l'exposer à la veue de tous (le pieux testament
de Le Fèvre qu'il publie) afin que par ce discours, procédé non de l'es-
choie des Orateurs, où il est aizé de juger que je n'y ai point fait d'ap-
prentissage, mais tiré du pur sentiment de mon cœur en ma simplicité
naïfve, je fasse veoir quels ont esté les mérites de ce personnage ... 311.

La docfa pietas érasmienne, préférée aux recherches de séduction ou


d'élégance des rhéteurs: cet accent anti-cicéronien ne nous étonne pas
sous la plume de l'auteur des Lettres à Ariste. Et Dom jean de
Saint-François de montrer en Le Fèvre plus qu'un humaniste initié
à la philosophie païenne: un chrétien dont les vertus et la culture
patristique firent un témoin des «premiers siècles» de la foi. Sa con-
naissance de la «sainte Théologie" et des saintes Ecritures n'avait
d'égale que sa pénétration de la c Doctrine des Pères»: «II les
estimoit tous, il les respectoit tous, et leur rendoit à chacun l'honneur
qui lui appartient: mais entre tous, saint Augustin estoit son meilleur
maître, et plus familier amy » 812.
Ainsi comme juste Lipse, Le Fèvre avait èté conduit du stoïcisme
de Sénèque et d'Epictète à saint Augustin 318 : nous avons vu, dans une

810 Voir Jugemens des Sçavans, Amsterdam, 1725, t. V, Des enfans devenus
celebres par leurs études et par leurs ecrits, à M. Lamoignon.
311 Discours funèbre ... , Paris, Heuqueville, 1612, dédicace non paginée à
j.A. de Thou.
312 Ibid., p. 34.
313 Rappelons que le traité De l'Eloquence française était dédié à Nicolas
Le Fèvre, et que cet intérêt pour saint Augustin a dû croître entre 1595 et
1612 en même temps chez les deux amis, Du Vair et Le Fèvre.
554 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

Remonstrance d'un proche ami de Le Fèvre, Guillaume Du Vair, l'in-


fluence du Maître d'Hippone se substituer à celle de Cicéron. L'on peut
penser que la fréquentation d'un tel homme, et d'un tel milieu n'a pas
mal préparé le jeune Bignon à la rencontre décisive qui marquera sa
vie d'homme: celle de l'abbé de Saint-Cyran.
Celui-ci, qui était alors encore fort éloigné de la «Doctrine des
Peres» sera aussi, plus tard, un grand admirateur de saint Bernard:
Goulu nous apprend que Le Fèvre avait une grande dévotion pour celui
qu'il appelait ordinairement ultimus Patrum 314. Mais Le Fèvre, par ce
retour aux Pères des premiers siècles, ne croyait pas trahir l'œuvre philo-
sophique des humanistes; au contraire, il y voyait comme Erasme le
couronnement et le but: le retour aux sources de la foi chrétienne,
purifiée de «l'esprit de controverse et de subtilité» introduit par la
scolastique:
o mon Dieu. disait-il parfois (nous rapporte son ami Goulu)" est-il
possible qu'un homme soit hérétique. qu'i1 soit versé en la doctrine des
Pères? Ne voyons nous pas que la doctrine qui nous est aujourd'huy
controversée est la mesme que celle des Apostres. et qui, par leurs mains.
a esté transmise jusqu'à nous? 3111

De Thou ne pensait pas autrement lorsque, dans la préface de son


Historia sui temporis, il déclarait que c ce qu'il y a de plus vrai dans
la religion, c'est ce qu'il y a de plus ancien» 318. En éditant Tertullien,
quelques années plus tard, Nicolas Rigault réaffirmera la vocation réfor-
matrice de l'humanisme des magistrats gallicans. Ami de de Thou, de Le
Fèvre et de Pierre Pithou, le professeur d'éloquence grecque au Collège
royal, Frédéric Morel 317, joua un rôle de premier plan, aux côtés du

3H Sur saint Bernard. ultimus Patrum. que nous retrouverons vénéré par
Saint-Cyran, rappelons ce qu'en dit Fénelon dans sa Lettre à l'Académie. IV :
«Saint Bernard a été un prodige dans un siècle barbare.» A tous égards.
la Lettre à l'Académie résume les conclusions de deux siècles de querelles fran-
çaises· autour de la rhétorique. On sait le sort qu'y fait Fénelon au De doc-
trina christiana de saint Augustin. Sur la «rhétorique» chrétienne de saint
Bernard, voir Christine Mohrmann. Etudes sur le latin des chrétiens, t. Il. Latin
chrétien et médiéval. Rome. 1961. p. 347-367. «Le style de saint Bernard:t.
Cet intérêt de l'humanisme français pour saint Bernard et la Renaissance du
XII' siècle mériterait une étude en soi. dans le prolongement des travaux de
Franco Simone. Egger. dans son Hellénisme en France, ouvr. cit.. p. 25, note 2.
met en rapport, avec une profonde justesse. la Renaissance du XII' siècle, pré-
scolastique, et la Renaissance du XVI' et du XVII' siècles, post-scolastique. Il
note l'analogie entre l'idéal d'éloquence chrétienne de saint Bernard et celIe
de nos humanistes, et renvoie aux travaux de son temps sur le cistercien (E.
Geruzez, 1836. et E. Blampignon. De l'esprit des sermons de saint Bernard.
Paris. 1858).
31fi Discours funèbre ...• ouvr. cit., p. 110.
316 De Thou. Préface ... sur la première partie de son histoire (trad. Hotman
de Villiers), Paris. Pierre Le Bret. 1604, p. 2-4.
317 Sur Frédéric Morel le Jeune. voir J. Dumoulin, Vie et œuvre de Frédéric 1
Morel, Paris, Dumoulin, 1901, p. 60 et 74-94, Philippe Renouard. Documents
sur les imprimeurs, libraires, ayant exercé à Paris de 1450 à 1600, p. 197-199.
JÉROME BIGNON, GALLICAN 555
gallicanisme parlementaire, pour ranimer « l'Eglise des premiers siècles ».
Comme son père, et comme son fils, Frédéric Il Morel fut un infatigable
éditeur, sur ses propres presses, des Pères de l'Eglise grecque, qui sont
aussi les Pères de l'éloquence chrétienne, Clément et Cyrille d'Alexandrie,
Grégoire de Nysse et Grégoire de Nazianze. Et c'est sans doute au
titre d'éditeur de Jean Chrysostome que le jésuite Fronton du Duc put
pénétrer dans un milieu à première vue fort hostile à son Institut. Dès
les premières années du XVIIe siècle, prolongeant un mouvement amorcé
au XVIe siècle, le catholicisme gallican, fidèle à la tradition philhellène
de l'humanisme français, se tourne vers les Pères grecs. La Renaissance
du stoïcisme dont Léontine Zanta s'est faite l'historienne, est contempo-
raine de la Renaissance du néo-platonisme chrétien 31S. L'itinéraire
oratoire de Du Vair, du traité De l'Eloquence dont l'assise philosophique
est le stoïcisme du traité De la Constance, aux grandes Remonstrances
d'inspiration néo-platonicienne, évolue de la première à la seconde,
ouvrant la voie aux Grandeurs de Jésus et aux Elévations de Béru Ile.
Jérôme Bignon, par sa culture érudite, par ses amitiés, est au cœur
de cette oscillation gaIlicane. CeIle-ci n'a pas seulement des conséquences
oratoires, car stoïcisme et néo-platonisme soutiennent le goût sévère
de l'humanisme érudit français, son aversion pour une rhétorique de
la flatterie et de la délectation courtisanes. Elle a aussi des conséquences
politiques: mue par des exigences morales et spirituelles analogues, une
frange de l'humanisme «politique» et gallican fait sa jonction avec
ceux des héritiers de la Ligue que leur défaite a convertis à une foi
plus intérieure, pénétrée de mystique néo-platonicienne. Contre la Raison
d'Etat de Richelieu, contre l'essor, pour l'ornement de l'Etat royal, d'une
société de Cour hédoniste et frivole, héritiers de la Ligue et héritiers
des «Politiques », unis par la même foi «réformée », se retrouveront
dans une même protestation chrétienne.

Dumoulin cite Maittaire (Vitae typographorum parisiensium, t. 1), qui déclare


que la spécialité de la famille Morel fut d'édIter les œuvres des Pères de
l'Eglise. Retiré en \602 pour se consacrer à l'érudition, Frédéric Il Morel laissa
l'imprimerie familiale à son frère Claude, qui publia saint Cyrille et saint
Grégoire de Nazianze.
318 Sur les rapports entre Renaissance stoïcienne et Renaissance néo-plato-
nicienne en France, voir J. Dagens, Bérulle et les origines de la restauration
catholique, Paris, Desclée, \952. Il ne faudrait pas étendre au-delà du cas de
Bérulle la formule de la p. 55: «B., pour qui le platonisme est un allié, voit
aans le stoïcisme un adversaire. ~ La pensée des hommes de cette époque est
trop ondoyante dans ses sources, pour qu'on puisse tracer des frontières aussi
tranchées entre stoïcisme et platonisme. Les Pères de l'Eglise, que l'on relit
et réédite avec tant d'ardeur alors, empruntaient aussi bien aux stoïciens qu'aux
néo-platoniciens. Du Vair, dans ses Remonstrances d'Aix, est-il stoïcien ou néo-
platonicien? Le Fèvre, éditeur de Sénèque, et lecteur des Pères, n'est-il que
stoïcien? Le néo-stoïcisme de Juste Lipse est lui-même un syncrétisme, et il
ne serait pas difficile de montrer que les pourfendeurs du stoïcisme païen au
nom du christianisme sont au XVII' siècle pénétrés de thèmes stoïciens. La
méthode de composition rhétorique, à partir de recueils d'« adages ~ et de
citations, permettait des dosages qui déconcertent les esprits géométriques pos-
térieurs à Descartes. Il reste exact toutefois que le platonisme est la note
dominante du XVII' siècle français.
556 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

Protégé de Nicolas Le fèvre, et introduit par lui à la Cour, Jérôme


Bignon attira l'attention de Henri IV, qui voulut que Vauquelin des
Yveteaux le prît pour compagnon d'études de César de Vendôme, bâtard
légitimé du Roi. Le jeune Prince épousa la fille du duc de Mercœur, un
des anciens chefs de la Ligue. Bignon, fils de l'humanisme « politique»
et érudit, se trouve ainsi lié d'amitié avec une Maison où se produit, de
façon exemplaire, la jonction entre les anciens ennemis des guerres
civiles, réconciliés. sous le signe de la Réforme catholique française.
François de Sales était un client des Mercœur par sa famille et il avait
prononcé l'Oraison funèbre du Duc en 1602 3l9 • Goulu était autant l'ami
de François de Sales que de Nicolas Le Fèvre et il demeura un protégé
de la famille de Vendôme 320. C'est sans doute au mariage du duc et
de la fille de Mercœur que Bignon rencontra François de Sales. Et
lorsqu'il vint s'installer rue des Bernardins, en 1622, ce fut pour se
rapprocher d'un disciple de l'évêque de Genève, Adrien Bourdoise. On
peut voir aujourd'hui encore, dans la chapelle Bignon de Saint-Nicolas
du Chardonnet, un portrait de saint François de Sales par Philippe
de Champaigne Et c'est probablement dans cette église que Bignon
rencontra, autour de 1628, l'abbé de Saint-Cyran.
La précoce carrière de Bignon à la Cour l'initiait à des milieux et à
des arcanes politiques où peu de robins avaient si vite accès. Elle le
conduisit jusqu'aux marches du trône: les gouverneurs de Louis XIII,
Vauquelin, puis Le Fèvre, prirent le jeune Jérôme qui, en 1608, âgé de
18 ans, avait été reçu avocat au Parlement, pour les assister auprès de
leur royal disciple. L'enfant de la Bibliothèque, côtoyant le libertinage

319 François de Sales, Oraison funèbre sur le trépas du Duc de Mercœur,


faite et prononcée en l'église se N.D. de Paris, le 27 avril 1602, Paris, Thierry
et Foucault, 1602, 8°, rééd. avec les Epistres en 1626. Voir l'étude de j. Henne-
quin, Le Duc de Mercœur d'après son oraison funèbre par Fr. de Sales, dans
Héroïsme et création littéraire, Paris, Klincksieck, 1974, p. 183-194. Sur les
relations entre la famille de Sales et les Mercœur, voir François Trochu,
François de Sales (1567-1622), Lyon, Vitte, 1942, p. 104. Sur les fêtes du
mariage de Françoise de Mercœur et du duc César de Vendôme, voir L'Es-
toile, Journal pour le règne de Henri IV, Paris, Gallimard, 1958, t. III, p. 339
et 603.
320 Sur Goulu et François de Sales, voir La vie du bien-heureus M' François
de Sales, Paris, Heuquevilly, 1625. Cette œuvre, à bien des égards est une
première escarmouche avant l'ouverture de la Querelle Goulu-Balzac. «Je me
suis mis à ceste besoigne, dit Goulu à son lecteur, bien muni de tout ce qui
faisoit besoin pour la conduire à perfection [ ... ] j'entends de la perfection histo-
rique, qui consiste en la vérité de la chose, et non pas de la rhétorique qui
gist en la pureté du langage à quoi je n'ai pas apporté beaucoup d'attention,
l'aiant toute transférée à ne rien dire qui ne soit vrai [ ... ] Jésus-Christ n'a pas
eu besoin d'un Tite Live [ ... ] ~ L'ouvrage contient par ailleurs de longs et pré-
cieux commentaires sur François de Sales orateur, où l'on voit que Goulu
n'ignore rien de la neglegentia diligens cicéronienne dont il fait grand mérite
à l'évêque de Genève. Pour Goulu, tout l'art est de dissimuler l'art, et de donner
à tout un air clair, naïf et facile, seul convenable à l'orateur chrétien. Ce
furent les Vendôme, amis de François de Sales, qui commandèrent à Corneille
l'épitaphe de Dom Jean de Saint-François Goulu (voir Marty-Laveaux, t. X,
p. 396), nouvelle blessure pour Balzac dont il se plaint dans ses Carmina,
édités par Ménage er. 1651.
ITINÉRAIRE DE JÉRÔME BIGNON 557
des Grands et de Vauquelin, ne se laisse pas distraire; il vit au milieu
de l'agitation mondaine avec la réserve qui convient au philosophe
chrétien, avec l'ardeur au travail qui convient au savant 821. Sa biblio-
graphie est étonnante: à dix ans il publiait une Chorologie de la Terre
Sainte qui corrigeait des erreurs topographiques: à quatorze ans, il
publiait un Discours de la ville de Rome, principales antiquitez et singu-
laritez d'icelle, qui répond à une curiosité de son camarade d'études,
César de Vendôme, à qui il est dédié. A quinze ans, nouvelle dédicace au
jeune duc d'un Traicté sommaire touchant l'élection du Pape. A dix-
neuf ans, déclarant son appartenance gallicane, il publie un savant
traité De l'excellence des roys et du royaume de France, qui fit autorité et
connut plusieurs rééditions. Enfin, à vingt-sept ans, il atteint une gloire
européenne en publiant une édition critique et commentée du Formulaire
de Marculphe, monument des origines du droit français: il se posait ainsi
en continuateur de la grande tradition des médiévalistes français, ceUe
de Jean du Tillet, de Pierre Pithou, d'Etienne Pasquier 822,
Pas de grand destin d'érudit sans un voyage au pays natal de
l'humanisme. Peu après avoir publié son Marculphe, Bignon rencontre
à Venise Paolo Sarpi, dont ses amis soutiennent la lutte contre l'absolu-
tisme pontifical. A Rome, reçu avec faveur par Paul V, il se lie avec
ce que la Curie peut compter de vrais savants: Scipion Cobeluzzi,
Secrétaire des Brefs, protecteur de la Vaticane 328, Jérôme Aléandre,
futur secrétaire de Francesco Barberini que Bignon recevra chez lui,
rue des Bernardins, lors de la légation du Cardinal-neveu à Paris en
1625 324 . Ce voyage en Italie achève de faire entrer Jérôme Bignon dans
la plus haute aristocratie érudite de la République des Lettres. Désormais,
lui qui très jeune a été honoré par Joseph Scaliger, lui qui dès 1598,
âgé de huit ans, avait noué amitié avec Hugo Grotius venu à Paris dans
la suite de l'Ambassadeur de Hollande, lui qui fit dès l'enfance partie
du cercle de l'Hôtel de Thou, et entretient une correspondance avec tout
ce que la France et l'Europe comptent de « sçavans» distingués, mérite
le titre héroïque qu'avant Ménage lui décerna le sévère Claude Saumaise :
il est le «Grand Bignon» 326.

321 Voir Pérau, ouvr. cit., p. 51-52.


322 Claude Le Pelletier, dans sa Vie manuscrite de Bignon, nous apprend
qu'il nourrissait le projet se publier une édition savante de Grégoire de Tours
(f" 206).
323 Sur Scipione Cobeluzzi, voir Dizionario bio~rafico degli ilaliani, et
j. Bignami Odier, La Bibliothèque Vaticane de Sixte IV à Pie XI, Città deI
Vaticano, 1973, p. 100. Sous Paul V, le 17 février 1618, le Cardinal Cobeluzzi
est nommé Cardinal protecteur de la Bibliothèque Vaticane.
324 Voir Pérau, ouvr. cit., p. 180. Le Cardinal Barberini avait fait halte
à Aix chez Peiresc. Il entreprenait, comme futur protecteur de la Bibliothèque
Vaticane (Bignami Odier, ouvr. cit., p. 108, «nommé le 15 juillet 1626:., à
la mort de Cobeluzzi) des liens étroits avec la République des Lettres fran-
çaises. Voir sur sa correspondance avec Peiresc, Cecilia Rizza, Peiresc e l'lIa-
lia, ollvr. cit.
32b Pérau, ouvr. cit., p. 146. Ménage qualifie de même Bignon dans son
Epicedium à Corneille (Misce/lanea, Paris, 1652).
558 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

Entré dans la familiarité de la haute aristocratie d'Epée, et dans


l'estime de la haute aristocratie de Robe par le prestige de sa seule
érudition, quelle sera la carrière d'avocat du jeune Jérôme? II ne
répugnait pas à la profession de son pére: l'abbé Pérau qui, en bon
janséniste du XVIIIe siècle, travaille avec le sérieux d'un chartiste sur
d'excellents «mémoires », nous déclare que «le Barreau avoit pour lui
un attrait singulier ». Comment ce « sçavant » pouvait-il avoir de l'attrait
pour un métier d'orateur? C'est qu'à ses yeux il ne s'agit nullement
d'un métier, et que, partageant les vues de Du Vair, il distingue soigneu-
sement entre Orateur et rhéteur, entre Eloquence et rhétorique:
Aucun état ne lui paroissoit plus estimable, écrit encore l'abbé Pérau,
que celui d'un homme qui, s'étant fait une fois une grande réputation
fondée sur le mérite de ses connaissances et de sa droiture, est devenu
J'oracle de sa patrie et qui, démêlant chaque jour les intérêts des autres,
ne doit estre occupé qu'à éclairer les esprits et à rétablir la tranquilité
des cœurs 823.

Remonter vers l'origine, à travers une ascèse érudite, n'est aux yeux
de Bignon qu'une préparation au retour vers la Cité, irriguée et fécondée
par un Logos puisé aux sources les plus pures. Un tel idéal visait en
fait au-delà du Barreau. Après un stage décent d'avocat, de 1609 à 1620
(occupé surtout par ses charges à la Cour, ses travaux érudits, son
voyage en Italie), il achète une charge d'Avocat Général au Grand
Conseil, puis en 1626, une charge d'Avocat Général au Parlement. A
trente-six ans, Louis XHI le nomma Conseiller d'Etat. Entre temps il
avait épousé une riche héritiére, Catherine Bachasson, avec laquelle il
fonda une des grandes dynasties de Robe du XVIIe et du XVIIIe siècles.
Rien ne donne une meilleure idée du persistant prestige de l'humanisme
érudit sous Henri IV et Louis XIII que cette belle carrière de Jérôme
Bignon. En dépit de leur génie oratoire, ni Antoine Arnauld le Pére,
le c Cicéron français ~, ni son fils Arnauld d'Andilly, n'obtinrent jamais
l'assiette sociale et la qualité de c gloire» conquises par Bignon grâce
à sa précoce réputation d'érudit, qui le lave à jamais de tout soupçon
de spéculer sur les c mots ~.

•••
Enfin, aprés avoir de si longue main construit son autorité sur la
solidité des «choses », l'enfant prodige devenu Avocat Général allait
comparaître dans la chaire la plus vénérable de France, et dans le genre
noble entre tous, la «Remonstrance d'ouverture» illustrée par Pibrac,
d'Espeisses, Mangot, Du Vair. Avait-il déjà rencontré Saint-Cyran? NOliS
avons une lettre de consolation que l'abbé lui adressa le 18 novembre

826 Pérau, ouvr. cit., p. 150. Cette description convient beaucoup mieux à
la magistrature d'un avocat général qu'au métier d'avocat. La rapprocher de
Du Vair, cit. ci-dessus, p. 506. Voir aussi Le Pelletier, fo 218.
(. LE DISCOURS DE LA PAROLE,. 559

1628 327 à l'occasion de la mort de son père. Quelle que fût la date de
cette relll;ontre, l'Avocat Général y était prêt, car l'esprit de la Remons-
trancc prononcée le 12 avril 1627 328 est tout à fait proche des conceptions
que Saint-Cyran exposera à Fontaine et à Le Maistre dix ans plus tard.
Menant à bonne fin la méditation que plusieurs générations d'Avocats
Généraux chrétiens et érudits avaient poursuivie avant lui, Bignon définit
le Logos du magistrat français dans des termes qui ressemblent étran-
gement à l'éloquence du sacerdoce selon Bérulle et Saint-Cyran.
N.ous avons vu, dernier en date, Guillaume Du Vair, à Aix, recourir
à la psychologie mystique du néo-platonisme et de saint Augustin pour
décrire l'acte de naissance de la Parole de Justice dans l'âme du magis-
trat. Jérôme Bignon, grâce à une érudition patristique plus profonde
que celle de l'auteur de la Constance, arrache d'une manière plus décisive
encore l'éloquence française à la sphère de la rhétorique païenne pour
la porter tout entière dans le domaine de la spiritualité chrétienne.
Dans son exorde, le grand magistrat commence par donner l'exemple
du bon usage de l'érudition. Celle-ci n'est pas un savoir pour le savoir,
ni un réservoir de citations: remontée vers les sources de vérité, elle est
un eXl'rcice spirituel de l'âme chrétienne. Il cite un poète grec, il évoque
la statue de Jupiter Olympien de Phidias et les temples de la Déesse
Persuasion en Attique, en Elide, à Corinthe, à Delphes: mais ce recours
à l'origine grecque et à la sagesse païenne n'est qu'une préparation. Les
idoles païennes expriment une première idée, confuse et tout extérieure,
de la véritable Parole. La splendeur visible de ces temples et de ces
œuvres d'art avait toutefois sa justification:
Ils vouloient signifier par là que puisque c'étoit par la bonté du sens,
et par l'excellence de la raison qu'ils surpassoient les barbares, c'estoit
aussi par là infailliblement qu'ils les avoient surmontés; de sorte que
cognoissant en cela consister leur prerogative par dessus les autres nations
de la terre, il estoit bien raisonnable d'en tesmoigner un tel ressentiment
en public, et de parer ce Temple de riches ornements que l'esprit de la
valeur et de l'adresse leur avoient acquis sur la multitude infinie et sur
la force brutale de leurs ennemis, qui eussent autrement opprimé la
liberté de la Grèce, et par là eussent estouffé les semence. des Lettres et
pour jamais abattu l'Eloquence.

327 Voir Saint-Cyran, Lettres chrétiennes et spirituelles, Paris, 1679, t. I,


lettre L, p. 386: «A un grand magistrat son ami intime sur la mort de son
père." Voir aussi lettre VII, p. 38, «A un grand magistrat son ami intime,
sur la mort de sa fille », datée de Vincennes, 12 mai 1641. Dans la lettre de
consolation de 1628, Saint-Cyran écrivait: «Comme je désire ne vous rien
dire d'affecté, et dont je n'aye le sentiment dans le cœur il me semble aussi
que je ne sçaurois user de cette sorte de parole qui suppose de la foiblesse,
ou en celuy à qui l'on parle ... :> Et il oppose la sagesse des sages selon le
monde, et la force qu'exige la «Loy nouvelle », celle de connaître son néant.
Même si Saint-Cyran emprunte à la rhétorique ses précautions oratoires, il
l'utilise pour la mettre en cause, comme vaine et inutile entre chrétiens, capa-
bles de la vérité nue. Entre Bignon et Saint-Cyran, l'accord n'est pas seule-
ment de doctrine chrétienne, mais de refus envers les « masques:l> oratoires,
alibis païens pour se divertir de la vérité.
328 B.N. Ms. Nouv. acq. 2432, fO' 22 et suiv.
560 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

Première apparition, première religion du Logos en terre grecque,


ferment de vertu civique et militaire, ferment de la civilisation, Et déjà,
comme le montre la citation liminaire du poète, les Grecs entrevoyaient
que les idoles rendaient à l'Eloquence un homm1l'ge insuffisant et même
pervers: les plus spirituels d'entre eux savaient
qu'il falloit honorer l'Eloquence par la parole et dans la parole, reco-
gnoistre et publier la puissance du discours par le discours mesme. Et si
quelqu'un avoit besoin de la suivre, et d'implorer ce secours, il ne debvoit
pas chercher ailleurs que dedans soy, en cultivant soigneusement les
qualitez de l'esprit et de la langue que Dieu et la Nature luy avoient
baillées.

Cette intériorisation du Logos ne va pas pourtant sans équivoque.


Bignon songe sans doute à Montaigne lorsqu'il subodore chez le poète
grec « un esprit d'orgueil et de vanité, qui portant le masque de la vertu,
faict que l'homme s'abandonne à luy mesme, veult tout s'attribuer, et
croire qu'il peut rencontrer dans soy tout ce que l'on sçaurait estimer
de meilleur ». L'intuition païenne ne peut s'épanouir qu'à la lumière de
la seconde Révélation. Et l'ascèse érudite qui nous a fait remonter jus-
qu'au sens de la Parole chez les Grecs, doit nous conduire plus profond
encore, jusqu'au sens de la Parole dans l'antiquité chrétienne, et en
particulier chez les Pères grecs. Au seuil de cette seconde étape, la plus
longue et la plus importante de son discours, Bignon cite Clément
d'Alexandrie:
Il est juste de reverer Dieu de ses bienfaits et de toutes ses grâces,
et pour les obtenir recourir à la parole, et aussi juste encore de servir
sa justice par une juste parole.

Ce n'est donc pas de la raison humaine réduite à ses seules forces que
jaillit le Logos: venant de Dieu et retournant à Dieu par une circulation
et un échange ininterrompus, il doit trouver dans le cœur et la bouche
de l'homme des « sacrificateurs» qui ne fassent pas obstacle à sa rec-
titude.
Et s'étant élevé jusqu'à ce point, Bignon organise sa célébration de
la Parole autour de deux métaphores majeures: le Temple et la Lumière.
La lumière, principe de vie spirituelle dont la source est dans le soleil
divin, ne peut être diffusée dans le monde et irriguer la société des
hommes qu'à partir des temples, où sa pureté originelle est préservée
contre les faiblesses et les passions humaines.
Temple visible, le Parlement de Paris est à l'intérieur du corps
mystique du Royaume ce que le cœur purifié, temple invisible, est à
l'intérieur de l'orateur chrétien: la source de « la juste éloquence et de
la justice éloquente:.. Affirmation, ou plutôt réaffirmation solennelle de
la fonction centrale de la Justice et de l'aristocratie judiciaire dans
l'économie spirituelle du Royaume: mais moins imbu d'orgueil stoïcien
qu'un Jacques de la Guesle ou plus soucieux de resserrer les rangs de
tous les robins face à de nouveaux dangers, le grand magistrat refuse
LE PARLEMENT, CORPS MYSTIQUE 561

de faire, comme ses prédécesseurs, de « la juste éloquence:t le privilège


sacerdotal des seuls Juges. Eglise de la justice et de la Parole de
Justice, le Parlement est un véritable corps mystique, qui vit de la vie
de tous ses membres:

Nous n'avons rien de séparé d'avec vous, dit-il aux avocats et pro-
cureurs, et n'entendons nullement estre exempts de nostre règle et de
nostre censure 1... ] C'est un mesme but, un mesme modelle, une mesme visee
et 1... ] ce sont ordres qui derivent d'un principe et partent de la main d'un
maistre commun à celui qui parle et à celuy qui escoute 1... ] C'est pour
toucher vos cœurs en penetrant d'abord les nostres, soubz une condition
fort rude à nostre egard 1... ] s'il nous fallait estre si malheureux de rougir
les premiers de nos propres paroUes et nous trouver convaincus par nos
propres bouches.

Pour un instant de grâce, le Parlement devient un temple de « pierres


vives liI, une église des premiers siècles que le magistrat chrétien convoque
à la communion dans le sacrement du Verbe. Car le Verbe est c sub-
stance» et l'Eloquence qui l'annonce et qui le diffuse est l'âme véritable
de toute société humaine, dont la solidité est liée à celle du Logos qui
la fonde et qui la réunit:

Vous possedez en vous mesme ceste verité 1... ], ne pensez pas donner
une figure humaine à celle que l'on cognoist assez pour estre le premier
caractere de l'homme interieur, et son veritable tableau, pour qui toute
l'humanité subsiste, par qui elle se rend seulement cognoissable, puisque
c'est elle qui rallie et ramene les hommes, les adoucit et les associe, pour
s'entrevoir, s'instruire, se consoler, et se resjouir les uns les autres.

La source ultime de la Parole est dans l'Etre et c'est de lui qu'elle


tient le pouvoir de donner l'être à la société des hommes. Cette source
jaillit du fond du cœur, 'et de là elle se répand dans le monde des appa-
rences sensibles par la bouche, formée pour «donner moyen à la voix
de s'articuler et de se former [ ... ] et pouvoir mieux conserver la douceur
de ceste harmonie qui fait vivre les hommes et les assemble et apaise
leurs passions ». Puisque cette Parole d'origine divine n'est pas une idole
forgée par art à l'usage des sens, mais une réalité spirituelle, comment
en parler sans trahir son essence? Elle ne saurait être décrite avec le
vocabulaire des rhéteurs païens, « ny par le flux des choses liquides,
ny par les ailes des oiseaux [ ... ] ny par l'action des vents:.>, bien qu'elle
tienne de tous ces phénomènes matériels. Mais nulle métaphore empruntée
à la nature ne rend compte tout à fait de son étrangeté, «puisqu'elle
est non seulement fort viste et passagere, mais qu'elle consiste en des
parties dont l'estre n'est qu'un instant, dont la mort est la vie, qui
périssent aussitôt qu'elles naissent, et se laissent pousser dans le néant
pour mieux rouler et donner place à ce qui leur succède, sans qu'elle
puisse estre dans say ny dans autruy, que par ceste succession et ces
intervalles et s'allant finalement perdre dans le silence pour de là se
joindre et ~'insinuer dans les esprits qui les reçoivent et qui leur prestent
l'attention et l'oreille ».
562 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

La Parole ne saurait donc être réduite à un phénomène matériel;


paradoxale, elle participe d'une double nature, spirituelle par son origine,
humaine et charnelle par son canal. Logos prophorikos, elle est à l'image
de l'hemme mortel qui l'émet; Logos endiathetos, elle s'enracine en Dieu.
Et ainsi la Parole humaine, l'Eloquence, est-elle médiatrice

entre les choses corporelles et les intelligibles [ ... ] et n'estant ni corps


ny esprit, mais tenant quelque chose de l'un et de l'autre, sert de moyen
et de milieu entre les opérations de l'esprit et les actions du corps, pour
les lier et les incorporer ensemble à la conservation du sujet, en tant
qu'il est raisonnable, mais aussi en tant qu'il est sociable, et qu'il ne
peut estre ny durer qu'en compagnie et assistance d'autruy.

Tout insaisissable qu'elle soit, la circulation de l'Eloquence introduit


dans le monde des hommes un principe architectonique 329 et construit
par son entrecroisement une société là où il n'y avait que solitudes
errantes et évanescentes. La s~ule image digne de la célébrer est donc
celle de la Lumière: elle est dans l'histoire humaine ce que la lumière
est dans la création, une émanation de l'Etre divin et une apparence
sensible, faisant du chaos un ordre, et de l'informe une forme.
Et dans un élan de lyrisme rugueux mais profondément senti, le
«grand Bignen» prononce alors, se souvenant des hymnes homéri-

329 Tout au long du discours de Bignon se fait sentir l'influence du Corpus


Hermeticum, où se trouve fort bien développée la conception paradoxale selon
laquelle quoique prisonnier du Devenir, l'homme peut par le Logos, avoir
accès à l'être immuable, le contempler et le donner à contempler. Voir par
exemple, dans trad. Festugière citée, le traité XI, p. 147-148: «Le devenir
et le temps se trouvent dans le ciel et sur la terre, mais ils y ont deux natures
différentes: dans le Ciel ils ne changent pas, et sont impérissables; sur la
terre, ils sont changeants et périssables. Et de l'Eternité, Dieu est l'âme, du
monoe c'est l'Eternité, de la terre c'est le ciel. Dieu est dans l'intellect, l'in-
tellect est dans l'âme, l'âme est dans la matière: et toutes ces choses sub-
sistent par le moyen de l'Eternité. Et tout ce grand corps dans lequel se
trouvent contenus tous les corps, une âme pleine de l'intellect et de Dieu le
remplit à l'intérieur et l'enveloppe à l'extérieur, vivifiant le Tout, à l'extérieur
ce vaste et parfait vivant qu'est le monde, à l'intérieur tous les vivants. Et
en haut dans le ciel, elle dure sans changer, identique à elle-même, tandis que,
en bas, sur la terre, elle produit les variations du devenir. l> Cette mystique
de l'Etre, dans la mesure où elle soutient une littérature et un art, fait d'eux
des témoins de l'Architecture invisible du monde. Elle tend à compenser ce
qu'a d'implicitement historiciste et positionnel la rhétorique, qui fait dépendre
la parole de la nature du public, des circonstances, des temps, et qui l'engage
dans les méandres du devenir sensible. Sur la tradition néo-platonicienne de
l'humanisme fraii.çais, voir D.P. Walker, Prisca The%gia in France, Journal
of W. and C. lnst., XVIII, nO' 3-4, 1954, p. 204-259, et surtout du même, The
Ancient The%gy, studies in christian p/atonism Irom the Filteenth to the
Eighteenth century, Londres, Duckworth, 1973. Sur les assises néo-platoni-
ciennes du classicisme français, voir ]. Brody, «Platonisme et classicisme:>,
Saggi e ricerche di /etleratura Francese, t. Il, 1961, repris dans French c/assi-
cism, 1966, p. 186-207.
ÉLOGE DE LA LUMIÈRE 563

ques 830, mais aussi de saint Augustin 831 et de Denys l'Aréopagite 882,
une litanie de louanges à la lumière:
Lumière, image visible de Dieu, ou à mieux dire, seulement l'ombre de
ceste Majesté incompréhensible qui s'explique ainsi à nostre entendement,
se donne par là à cognoistre en tant qu'il est cognoissable, et par là
mesme veut estre honoré. C'est toute la joie de l'Univers, la mere de la
cognoissance, le principe, l'âme et l'esprit qui manie et qui ordonne les
choses créées ...

L'austère salle 333 de la Grand'Chambre du Palais s'emplit ainsi


d'une sublime vision du «cercle immense de lumière qui embrasse le
finy et l'infiny, tout ensemble", et dont Il: les rayons descendent vers
le centre pour rejaillir et remonter autour de ce grand rond qui compose
le monde:..
Ainsi de la Parole:

Avec ceste difference que la lumière se conserve et maintient en


agissant tous jours hormis dans les tenebres où elle se trouve absente, et
la parolle a rencontré le moyen de se continuer par signes hors de la
presence et de l'action pour passer aux ab sens et à la postérité.

Profonde justification des Il: bonnes lettres:. telles que les conçoit Bignon,
reconquête savante de la Lumière du Verbe enclose dans les textes.

330 L'Hymne à Apollon d'Homère avait bénéficié, outre une édition attribuée
à Turnèbe en 1554, à Paris, de deux éditions parisiennes au début du XVII'
siècle, l'une chez j. Lebat, en 1611, in-4°, l'autre procurée par Frédéric Morel
sur les presses familiales, en 1613, in-4°. Comme le rappelle D.P. Walker dans
Le chant orphique de Marsile Ficin (in Musique et Poésie au XVI' siècle, éd.
C.N.R.S., Paris, 1954, p. 25), Lefèvre de la Boderie avait publié en 1582, dans
ses Hymnes ecclésiastiques dédiés à Henri 111, sa traduction de l'Hymne au
Soleil d'Orphée. Dagens (Bérulle et les origines de la restauration catholique,
ouvr. cit.) ne cite pas cet ouvrage parmi les sources profanes de Bérulle (v. ch. Il,
p. 16 et suiv.).
331 Sur le thème de la lumière chez saint Augustin, voir R. Jolivet, Dieu,
Soleil des esprits, Paris, Bibliothèque augustinienne, 1934.
332 Denys l'Aréopagite, qu'une légende tenace identifiait à saint Denis,
avait déjà été au Xlii' siècle une des grandes sources de la pensée française.
Dom Jean de Saint-François Goulu a donné de ses œuvres une traduction
française en 1608. Sur le thème de la lumière chez ce mystique néo-plato-
nicien, voir R. Roques, L'Univers dionysien, la structure hiérarchique du monde
selon le Pseudo-Denys, Paris, Aubier, 1954, et l'art. du Dictionnaire de Spirit.
Asc. et mystique, t. 111, col. 244-430, qui étudie son influence en France, d'Albert
le Grand à Bérulle, en passant par saint Thomas et Gerson.
333 Omer Talon cite (Mémoires, p. 36) une Mercuriale de Bignon où celui-ci
semble faire allusion, pour symboliser le corps mystique du Parlement, à
l'architecture gothique du Palais: «Ainsi qu'une voûte bien hardie, de laquelle
les pierres bien cimentées par la liaison qu'elles prennent ensemble, se for-
tifient et se consolident de telle sorte qu'elles ne tendent plus à leur centre
naturel, mais sont plus fortes et plus solides que le sol et le fond le plus
ferme qui se puisse imaginer ... ~
564 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

Et fidèle à la tradition de Pibrac, de d'Espeisses et de Du Vair,


Bignon poursuit sa métaphore de la Parole comme lumière en citant
une '" excellente comparaison de Philon d'Alexandrie", selon laquelle
la Parole '" fond incessamment le riche métal des pensées pour en
produire toutes sortes d'ouvrages à l'usage commun et public, et par
son feu et mouvement en rend l'idée mesme plus feconde, plus ample,
plus distincte ». C'est toujours en paraphrasant Philon que Bignon
poursuit :
Et comme Dieu qui habite une lumière inaccessible se faict sentir par
ses œuvres, et cognoistre la cause par ses effets, de mesme la pensée
demeure secrette et cachée et autrement impénetrable tant qu'elle est
intérieure. Mais sortant à l'extérieur se rend sensible et comme materielle
d'une manière presqu'aussi difficile à descrire et definir que la nature de
la lumière dont les naturalistes sont encore en debat.
L'effet principal de la lumière c'est outre la noblesse de son origine,
la vérité de son estre et l'ordre de sa disposition pour soy et pour ce
qu'elle touche; d'où vient à naistre la beauté des choses et la bonté à
se communiquer et à se répandre.
L'admiration en sort; le desir y succede, l'attraction s'en faict par
les sujets bien disposez qui de là, par necessité d'aliment et d'action
continue combattent incessamment pour se conserver le bien qu'ils ont
receu.
Il en est de mesme et debvroit toujours estre de la parolle hormis
que dans la moralle, la volonté estant plus libre et absolue en ses actions,
produist souvent des monstres contre sa nature, qui est la vérité, en ne
suivant pas tous jours le veritable instinct de la cognoissance ou s'esloi-
gnant à dessein de sa fin légitime.

Ce Logos, qui comme la lumière, a une réalité intérieure cachée et


une apparence extérieure, fonde un ordre humain différent de celui des
païens et des Juifs vivant sous l'Ancienne Loi. Dans le monde posferieur
à l'Evangile, la Religion ni l'Etat, ni l'Eloquence ne sauraient plus être
des œuvres de la seule raison humaine, du seul Logos humain, condamné
à l'idolâtrie des formes extérieures. « Dans la loy nouvelle", on ne peut
plus se contenter, comme dans l'Ancienne, d'élever au Verbe de Dieu
des Temples visibles, comme celui de Jérusalem; il faut que ceux-ci
soient habités d'une élite sacerdotale d'initiés, d'un temple intérieur
bâti de
personnes dévouées à son service pour appeler et recueillir ceulx
qui sont à luy pour le servir seulement en esprit et en vérité, et par le
ministere de la Parole continuer et maintenir la fabrique de ce grand
ouvrage qu'il est venu bastir et construire luy mesme.

L'Eglise ne peut donc être l'Eglise de Dieu que si, à l'intérieur de sa


grande fabrique, elle est vivifiée par ses prêtres, héritiers de Jésus Christ,
et initiés à l'Evangile.
De même dans l'Etat: celui-ci ne serait que la Cité terrestre, tout
extérieure et païenne, s'il n'avait une âme qui le rattache à Dieu, et
c'est le Parlement, que l'on peut «aussi justement appeler temple de
LE DISCOURS, ARCHITECTIJRE SPIRITUELLE 565
Dieu, puisqu'il est temple de la Justice, de l'Autorité et de la Parole ».
C'est le Parlement qui enracine l'Etat royal dans l'Etre, et qui fait
de lui un corps mystique.
Grâce à sa médiation, et à celle de l'Eglise gallicane, «deux grands
fleuves [ ... ] descendent du Ciel pour arrouser la terre et la rendre fé-
conde [ ... ] et partent tous deux de la mesme unité d'une source infinie •.
L'Eloquence du sacerdoce et celle de la magistrature, lumière dans
les ténèbres du monde profane, eaux fécondes dans la stérilité du monde
pécheur, exigent de l'aristocratie qui les dispense les dispositions inté-
rieures particulières, des «vertus taillées et façonnées par le Verbe
incarné à son exemple et à son modèle ». Comme le prêtre selon Bérulle,
le magistrat selon Bignon doit être un imitateur de Jésus-Christ, un
sacrificateur dont la pureté intérieure se juge à ses fruits: «de saintes
pensées, de belles paroles et de bonnes actions ».
De « belles paroles» ? Sans doute, mais d'une beauté toute spirituelle,
qui n'accorde rien aux blandices d'une élocution appliquée à séduire
les sens et les passions. Aussi Bignon fixe-t-il à la Parole jaillie d'un
cœur purifié la règle d'un sévère atticisme:

Le jour et la lumière de ce temple de la Parole, c'est sa clarté et


netteté à s'expliquer, qui garde bien son ordre, et n'employe rien qui ne
serve.

Et cet atticisme est moins une esthétique qu'une éthique chrétienne


de la parole: s'il y a une «beauté» du discours:

La prudence en est toute la symetrie et la juste proportion, qui choi-


sissant bien sa fin et cognoissant son employ et sa portée, sçayt faire
avec adresse repondre toutes les parties entr'elles, puis à leur tout.

L'organicité du discours, sa solidité et son équilibre architectonique


ne sont pas le résultat d'une volonté décorative, ni d'un souci de plaire:
la lumière intérieure qui engendre le discours, fille de cette Lumière qui
édifie et maintient l'ordre du monde, crée d'elle-même le Temple de mots
le mieux approprié à son épiphanie. Tout est dans le «dessein» archi-
tectonique, qui « subsiste» en « estre parfait» dans la lumière de l'esprit,
avant d'être produit.
Le métaphores architecturales se multiplient alors dans la bouche
de Bignon, le « cercle », la «couronne », la «colonne », la «structure »,
le «bastiment », pour écarter la tentation de faire reposer l'ordre du
discours sur la fragilité fuyante des sens et des passions du public.
Bignon ajoute encore une définition de la vraie «clef de voûte» de
1'« oraison» : c'est la «prudence» de l'orateur qui est le «tout» du
discours,

la maistresse clef de l'œuvre [ ... ] le vray point d'optique qui donne la


force et la grâce à toute l'œuvre, et à quoy toute la disposition du dis-
cours se rapporte.
566 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

« Prudence ", mais qu'il faut entendre ici au sens que la Bible donne
à ce terme, force et discernement inspirés par la Sagesse divine. Car
si la fin de l'éloquence est bien la persuasion, celle-ci n'a de sens qu'au
service de la Vérité et non l'inverse. Fille de la Sagesse divine" cette
prudence ne saurait engendrer l'orgueil du rhéteur ou du littérateur, car
elle ne va pas sans humilité: citant les Septante 334, Bignon fait de
l'orateur en train de concevoir son œuvre non un créateur, mais un
auditeur de la Sagesse divine, dont il s'efforce de répéter, pour les
rendre visibles et perceptibles à l'extérieur, les saintes opérations 835.
On pourra ensuite ajouter tous les enrichissements qui s'imposent:
le travail de l'élocution n'est qu'un artisanat de second ordre, qui dépend
tout entier de l'invention du «dessein" architectonique conçu dans la
lumière intérieure et dont le modèle est un reflet des Idées divines.
Parler, composer un discours, ce sont donc des actes d'essence reli-
gieuse. Et dans un ultime Sursum corda, l'Avocat du Roi invite toutes
les «pierres vives» du Temple du Logos à se montrer dignes de c la
religion de ce lieu ». Pour faire bonne mesure, et afin d'écarter de
l'enceinte sacrée toute menace de sophistique mondaine, Bignon cite
Cicéron: mais c'est celui du De Legibus, et non celui du De Dratore.
Cette harangue, qui tient à la fois de l'essai montaignien et de
l'élévation bérullienne, est un témoignage d'une portée exceptionnelle,
qui dépasse singulièrement les limites d'un «discours de rentrée» à
usage interne. Il faut y voir d'abord et avant tout un acte civique et
politique d'hostilité au machiavélisme et à l'absolutisme. Bignon ne se
contente pas de réaffirmer la fonction centrale du Parlement dans l'éco-
nomie politico-religieuse du Royaume Très-Chrétien, il donne de celui-ci
une définition de «corps mystique» où les deux aristocraties sacerdo-
tales, celle des Juges et celles des Prêtres, jouent le rôle de guides et
d'inspirateurs spirituels.
En associant aussi étroitement les deux « Temples de la Parole », le
Parlement et l'Eglise gallicane, Bignon vise d'une manière indirecte à
limiter et régenter aussi bien le pouvoir royal auquel Richelieu donnait
dès lors une allure absolutiste, que la noblesse féodale. A l'arrière-plan

334 En cet endroit W 24 VO) Bignon fait un usa~e fort développé de la


métaphore de l'architecture. «Dieu a inspiré et donne l'esprit de prudence et
l'aaresse de l'art aux ouvriers qui servirent à la construction de son taber-
nacle 1... ] Prudent de la parolle mystique, c'est à dire un homme fort éloquent
parce qu'il est parfaitement prudent.» Et il ajoute, à propos du passage
d'Isaïe qu'il commente: «Les Septante ont traduit «prudent auditeur », c'est
à dire «une parolle sage qui s'ecoute elle-même 1... ] bastit en effet son
Temple ».
335 L'inspiration de ce passage est tout à fait analogue à celle de Bossuet,
dans ses «Elévations à la très Sainte-Trinité» (Elévations sur les mystères,
éd. Dreano, Paris, Vrin, 1962, p. 112) «Avec cette règle primitive et ce prin-
cipe fécond qui fait mon art, j'enfante au-dedans de moi un tableau, une
statue, un édifice qui dans sa simplicité est la forme, l'original, le modèle
immatériel de ce que j'exécuterai sur la pierre, sur le marbre, sur le bois ...
Et tout cela dans le fond, c'est mon esprit même et n'a pas d'autre substance ... »
CIVISME CHRÉTIEN DE BIGNON 567
du discours de Bignon c'est tout le programme de Réforme catholique
française, celle du « parti dévot» qui se laisse entrevoir. L'Avocat
général, héritier par sa culture et par son rang dans la République des
Lettres des magistrats «politiques» qui avaient soutenu Henri IV, est
aussi, par ses liens avec François de Sales et Bourdoise, parfaitement
bien placé pour se faire l'interprète d'une alliance entre un Parlement
« réformé» et une Eglise «réformée", l'une et l'autre retrouvant la
pureté de ses origines.
A ce programme politique et religieux, Bignon donne pour assise
philosophique un néo-platonisme chrétien, nourri des Pères de l'Eglise,
de Denys l'Aréopagite, et de Philon d'Alexandrie. Les conséquences qu'il
en tire sur le plan oratoire font de ce discours un acte de résistance
contre l'essor d'une littérature mondaine, d'inspiration secrètement scep-
tique et épicurienne, et apportent un solennel appui au combat de Dom
Jean de Saint-François contre Balzac. Le Général des Feuillants repro-
chait à celui-ci non seulement de préférer la «volupté des mots» à la
« solidité des choses », mais de faire preuve d'une servilité toute sophis-
tique à l'égard des puissants.
La conduite de Bignon restera scrupuleusement fidèle au programme
qu'il s'était fixé: dans ses Remonstrances, il stigmatise ceux des avocats
au Parlement qui introduisent au Palais les raffinements littéraires à
la Balzac 336, et en 1636, avec courage, il prononcera en présence de
Louis XIII siégeant en Lit de Justice, une harangue protestant contre
les conséquences de la politique de guerre du Cardinal, prétexte d'un
régime d'exception qui favorise l'établissement de l'absolutisme 337.
Trop respecté 338, «le grand Bignon» ne put être exilé comme
l'avaient été le Président Barillon et le Président de Mesmes. Mais il
dut se démettre de sa charge entre les mains de son gendre Briquet
en 1641. Pour l'honorer sans risque, et pour tenter d'apaiser l'opinion
publique, Louis XIII le nomma Maître de la Bibliothèque royale, en

336 Voir les allusions de Mlle de Gournay aux Remonsfrances de Bignon


dans les Advis (1641), p. 396. Plusieurs de ces Remonstrances figurent à la
B.N. Ms. Fr. 4337, fo, 56 vO-67 vo, et Nouv. Acq. 2431-2432.
337 Outre les Mémoires de Talon, qui citent ou résument les harangues de
Bignon, voir plusieurs manuscrits de la courageuse harangue prononcée par
Bignon lors du Lit de Justice de janvier 1636: B.N. Coll. Dupuy, 869, fO' 105-
106; Ms. Fr. 23596, fO' 177,178. Voir également Nouv. Acq. 2431, fO 411,
«Harangue sur le fait du Cardinal de Retz~, et fO' 416-418, «Pensées et
réflexions sur l'affaire du Cardinal de Retz,., utiles pour la connaissance du
rôle de Bignon pendant la Fronde. Autres documents sur Bignon dans la
Coll. Dupuy : 660, fO 349, «Relation de M. Bignon revenant de Rome» ; 663,
fn 13, et 668, fO 61 bis, lettres latines à Peiresc; 869, fO' 172-182, «Relations
sur le procès Cinq-Mars et de Thou,. (sur ce dernier point voir aussi Cl. Le Pel-
1etier, ms. cit., fo 209 VO).
338 Dans une lettre de Claude Sarrau à Saumaise (citée par Pérau, ouvr.
cit., p. 263), il est dit. à l'éloq;e du Cardinal de Richelieu, que celui-ci n'es-
timait vraiment savants que Saumaise lui-même, Grotius et Bignon, «tout le
reste (étant) dans le commun:>.
568 LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS

remplacement de son ami F.A. de Thou exécuté avec Cinq-Mars en


1642 889 •
Vers cette époque, Bignon osa confier ses deux enfants aux Petites-
Ecoles de Port-Royal, et avec Mathieu Molé il fut des rares à prendre
publiquement la défense de Saint-Cyran, que Richelieu avait jeté à Vin-
cennes en 1638.
En 1627, la résistance de Bignon au c langage de Cour» et aux
ferments d'absolutisme qu'il enveloppe de sa sophistique, est peut-être
exemplaire: elle est doublement impuissante. Elle l'est par le ridicule
qu'elle s'attire, pour des raisons de pure forme 8tO, auprès des mondains:
ceux-ci ne veulent voir dans l'éloquence de l'Avocat Général ami de
Mlle de Gournay, que sa langue archaïque, ses périodes titubantes, sa
sonorité raboteuse, et le galimatias d'un grand érudit lisant à livre
ouvert les textes les plus difficiles de l'Antiquité grecque et latine, et
qui voudrait, sortant de sa bibliothèque, jouer à l'orateur. La chouette
de Minerve, dans la pleine lumière, volète à l'aventure et s'abat.
Cette résistance est d'autant plus faible que, dans l'enceinte même
du Parlement que Bignon voudrait galvaniser, la haute et difficile
doctrine qui l'inspire est loin de faire l'unanimité. A partir de 1630,
l'autorité sans partage conquise par Richelieu divise le parti dévot, et
dans le parti dévot, les héritiers de la tradition gallicane. Une grande par-
tie de la Robe se fera l'auxiliaire de Richelieu, en qui elle verra l'instru-
ment providentiel du gallicanisme politique et d'une seconde Renaissance
française. Une minorité se tournera vers Saint-Cyran, héritier de Bérulle
à la tête des dévots qui dès lors ont perdu la partie dans l'ordn~ poli-
tique. Tout se joue en dernière analyse sur le statut à reconnaîtn~ ou à
refuser à la société civile, et à l'autonomie relative dont elle peut jouir
vis-à-vis de la société religieuse. Jaloux de l'indépendance du Royaume
vis-à-vis du Saint-Siége, de l'Inquisition, et de tout empiétem{~nt de
l'Eglise ultramontaine, les gallicans ne se résignérent pas tous avec
facilité à voir, dans le royaume même, l'autorité absolue de la Cour,
architecte d'une société civile, usant d'instruments politiques indifférents
à la morale, triompher sans partage de la majesté du Sacerdoce et de
la Magistrature, ou même réduisant l'une et l'autre à son service. La
facilité des Jésuites à se plier à cette hiérarchie nouvelle des valeurs
attisa encore la haine dès longtemps nourrie contre eux. En revanche,
dans les rangs du Parlement gallican, l'attraction exercée par la Cour,
transformée par Richelieu en machine administrative et en théâtre de

339 Voir le dialogue entre Louis XIII et Bignon au moment de cette nomi-
nation: dans le Ms. Fr. 9549, fO' 210 vO-211 (Communication de R. Pintard).
340 Voir les critiques de Balzac contre le style des Remonsfrances de
Bignon dans Œuvres, éd. 1665, t. Il, p. 505-506: "Et néanmoins un grand
Advocat Général de la plus célèbre Compagnie de Justice qui soit dans l'Eu-
rope commença ~ar cette vilaine représentation sa Remonstrance faite à
l'ouverture des Plaidoyeries d'après Pasques 1583 • (il s'agit du mot « cracher.
employé dans le sens d'émission du « logos.). Pour une autre attribution, voir
B. Beugnot (éd.) Les Entretiens de Balzac, Paris, 1972, p. 524.
DILEMME DE LA ROBE GALLICANE 569
l'Etat monarchique, s'exerce non seulement sur les magistrats appelés à
de hautes responsabilités, mais sur les avocats séduits par une carrière
d'c auteur» que le Cardinal s'emploie à patronner et à légitimer.

Le magistère critique de la République des Lettres

jusqu'en 1630, l'avenir politique du royaume était resté en suspens.


Après la journée des Dupes, Richelieu devenu maître sans partage de
l'Etat peut appliquer une politique intérieure et extérieure qui sème le
désarroi aussi bien chez ses alliés que chez ses adversaires.
L'alliance au sein du c parti dévot» entre anciens ligueurs et anciens
c politiques» reposait sur un beau rêve: la réforme du catholicisme
recréerait les conditions spirituelles d'une Europe chrétienne; elle régé-
nérerait le royaume dans le respect de ses structures traditionnelles,
voire dans le retour à sa forme c originelle» de monarchie tempérée
d'aristocratie.
La politique de guerre contre la Maison d'Autriche rend caduque
cette utopie et ramène l'attention sur les réalités de l'Europe telle qu'elle
est; elle réveille aussi la vieille haine des «gibelins» français contre
le Pape et ses alliés Habsbourg 341, leur passion civique pour la grandeur
du Roi de France c empereur en son royaume» ; elle révolte enfin les
c guelfes» français, dont l'ultramontanisme se scandalise de voir la
division s'installer dans l'Europe catholique, à l'initiative du Roi Très-
Chrétien.
La guerre contre la puissante Maison d'Autriche implique, à l'intérieur,
le renforcement du pouvoir central, l'écrasement des oppositions, l'humi-
liation des «corps intermédiaires », grande noblesse féodale et haute
magistrature. Là encore, l'instinct gallican joue en faveur de la « souve-
raineté du Roy», de la grandeur de la France, tandis que les héritiers
du catholicisme ligueur voient dans l'omnipotence d'un Prince laïc
un attentat contre la souveraineté spirituelle du Pape. L'humiliation des
Grands ne pouvait que plaire à la Robe gallicane 842. Et l'humiliation
du Parlement était en grande partie compensée, aux yeux de la plupart
des magistrats, par le rôle accru que Richelieu les convoque à jouer
personnellement dans l'appareil d'Etat.
Dans les deux cas, Richelieu agissait selon les maximes d'une Raison
d'Etat indifférente aux arguments moraux et religieux, comme aux droits

341 Nous entendons guelfe et gibelin dans un sens évidemment métapho-


rique, mutatis mutandis.
842 Cette affirmation doit être nuancée: s'il est vrai que les robins se
réjouirent de voir mettre fin à l'anarchie féodale, ils étaient trop attachés
aux '" loix fondamentales» du royaume pour ne pas s'émouvoir aussi des
humiliations infligées par Richelieu au second Ordre du royaume. La déca-
pitation du duc de Montmorency, le traitement infligé à Marie de Médicis,
furent ressentis comme des conduites excessives, tyranniques. La Robe du
XVII' siècle reste profondément attachée à l'Epée, meme si elle souhaite l'hu-
maniser.
570 LE MAGISTÈRE CRITIQUE DE LA RÉPUBLIQUE DES LETTRES

et privilèges qui semblaient inhérents à l'essence même du royaume Très-


Chrétien. S'il réforme le royaume, c'est à des fins politiques et par des
moyens politiques: la puissance nouvelle de l'Etat, et sa logique: indé-
pendante, fondent une autonomie nouvelle de la société civile, et légi-
timent ses fins propres, différentes de celles de la société religi~use.
Cette nouveauté était beaucoup plus acceptable par des juristes, h~cteurs
d'Aristote et de Bodin, que par tout autre secteur de l'élite française.
Les aspects politiques du gallicanisme «rencontraient:. donc les
orientations ess.entielles de la politique de Richelieu. Ses aspects philo-
sophiques et religieux y trouvaient beaucoup moins leur compte. L'« ency-
c1opédie» gaIlicane supposait une harmonie préétablie entre la renovatio
litterarum, la réforme de la foi et des mœurs, et la réforme du royaume,
par le retour à une antique vérité retrouvée par l'érudition. Il n'était
pas facile d'accepter que l'idéal politique du gallicanisme se réalisât
au prix du sacrifice de son idéal philosophique et religieux. Pourtant
l'urgence de l'action contraignit les scrupules à se renfermer dans le
for intérieur. L'édification d'une société civile de forme purement monar-
chique, articulée autour de l'absolutisme royal et de la Cour, instruments
et témoins de la grandeur française, fit remettre à plus tard, ou à
l'initiative privée, l'utopie d'une rèforme religieuse globale .


••
Les conditions politiques de la «corruption de l'éloquence,. telles
que les décrivait Tacite dans le Dialogue des Orateurs se sont recons-
tituées en France: la «vertu:. républicaine doit céder le pas aux vices
de Cour, la « liberté» des vieux âges à la servitude sous le gouvernement
d'un seul. L'idéal d'éloquence civique cher à Du Vair, la tradition philo-
sophique des Remonstrances chère aux Avocats Généraux du Palais sont
frappés d'impuissance et de ridicule. Muret et Lipse avaient vu juste
dès le dernier tiers du XVIe siècle: le régime politique moderne n'est pas
la République, ni même la monarchie tempérée d'aristocratie, mais le
Principat. En la personne de Richelieu, la France connait à la fois son
Cosme 1er et son Paul III, que Muret prenait pour exemples des monarques
absolus de l'Europe moderne, lecteurs des Annales plutôt que des Verrines
et des Philippiques 343. Mais Muret faisait aussi remarquer que ni Cosme
de Médicis ni Paul III Farnèse n'étaient des Néron ni des Tibère. Et
pour beaucoup de magistrats français, Richelieu apparaissait plutôt
comme un nouveau Trajan, restaurant la grandeur du royaume, que
comme un nouveau Néron . Il y avait place à la Cour pour d'heureuses
influences, contrebalançant les vices de ce pays-là. N'y avait-il pas aussi,
pour l'éloquence française, la possibilité d'échapper, sous l'égide du
Prince, à la corruption dont elle était menacée?


**

343 Voir Part. l, p. 175.


LE MÉCÉNAT OFFICIEL DE RICHELIEU 571
Le problème posé au cours de la décennie précédente par l'éclosion
d'une littérature mondaine se trouve dès lors profondément modifié.
Sans doute, l'existence d'écrivains qui doivent leur succès aux
« ignorans)} de Cour, et qui échappent au contrôle du Palais comme
de la République des Lettres, demeure un scandale aux yeux des doctes
robins. 11 est toutefois fortement atténué dès lors que ces écrivains,
privés du mécénat des Grands, cherchent refuge auprès de Richelieu.
Leurs œuvres cessent d'être marginales, par rapport à la norme natio-
nale que définissait jusqu'alors une élite parlementaire et ecclésiastique.
Dédiées à Richelieu, appuyant la politique royale, elles revêtent un sens
civique et national.
De ce point de vue, l'exécution du duc de Montmorency à Toulouse
en 1632 parachève l'œuvre d'assainissement commencée par le bûcher
de Vanini en 1619 et l'emprisonnement de Théophile en 1622. Le mécénat
féodal est frappé après la littérature libertine qu'il avait encouragée.
Bassompierre jeté à la Bastille, Gaston d'Orléans en fuite, Vendôme
réfugié en Angleterre, Guise en Italie: autant de petites cours dispersées,
autant d'influences centrifuges écartées de la Cour royale, autant d'écri-
vains transfuges trop heureux de se rallier au Roi et à Richelieu.
Car le mécénat royal exercé par Richelieu conjure, plus efficacement
encore que le mécénat des Grands, les menaces qui pesaient sur la litté-
rature mondaine: le «soupçon)} inquisitorial du Palais, des Jésuites.
des dévots. Le Palais obéit au Cardinal tout-puissant. Les Jésuites, à
l'exception du P. Caussin, exilé en 1637, encensent le maître de l'Etat.
Les dévots sont contraints à la semi-clandestinité de la Compagnie du
Saint-Sacrement, ou de Port-Royal.
Le prix à payer pour cette légitimation officielle n'est pas seulement
le culte de louanges rendu au Ministre dans une langue devenue « royale )}
par les soins du Cardinal: la littérature mondaine doit obéir au decorum
digne d'un grand roi. Une rhétorique et une poétique officielles doivent
au besoin l'y contraindre .. De même que Richelieu a recours aux magis-
trats érudits pour peupler de compétences l'Etat qu'il est en train de
renforcer, il a recours aux doctes de la République des Lettres pour
exercer sur les Belles-Lettres royales un magistère qui les rende dignes
du nouvel Auguste, et du nouveau Mécène.
Les «Remonstrances d'ouverture» des Avocats généraux, la magis-
trature oratoire du Palais sont définitivement démodées et hors d'état
d'imposer une norme quelconque à un public de Cour, asservi peut-être,
mais indispensable à l'éclat du pouvoir absolu. En revanche, sous l'égide
de Richelieu, la magistrature érudite retrouve, par des canaux différents,
et au prix d'une évolution qui souvent lui coûte, le pouvoir de contrôle
sur les Lettres mondaines qui avaient semblé quelque temps lui échapper.

,.
••
L'apparition d'un magistère critique des doctes, faisant contrepoids
aux modes de Cour, est bien antérieur à son officialisation par Richelieu,
572 LE MAGISTÈRE CRITIQUE DE LA RtpUBLIQUE DES LETIRES

et à la création de l'Académie française. En dissociant le cas de Balzac


de celui de Théophile, François Ogier s'était montré plus avisé que Dom
Goulu et ses amis de l'Hôtel de Thou. Il fut le premier à montrer que
parmi les productions fêtées par les gens de Cour, toutes n'étaient pas
à condamner. Sévère pour Garasse, il n'avait pas pris pour autant la
défense de Théophile; et son Apologie pour M. de Balzac insistait sur
les références humanistes des Lettres, dont la modernité s'avérait en
définitive, en régime monarchique, la forme la plus vivante de fidélité
aux grands modèles de l'éloquence antique, Des Belles-Lettres fran-
çaises, doctes par leurs sources et leurs modèles antiques, modernes et
mondaines par leur ajustement au goût et à la culture de la «plus
saine partie de la Cour », et surtout dignes par la qualité de leur style
de la majesté du roi de France, s'avéraient possibles et souhaitables,
pour la plus grande gloire du royaume.
Le choix par Dom Goulu du genre de la lettre pour accabler les
Lettres de Balzac était en soi une concession majeure: c'était avouer
que l'arbitre de la querelle était le public de Cour et que pour plaider
devant ce public, les «foudres» de l'éloquence sacrée ou les «éléva-
tions» érudites de l'éloquence du Palais n'avaient aucun sens: le genre
profane, éminemment lié à la sociabilité civile et laïque, de la lettre,
un genre écrit, devenait l'instrument apologétique et polémique auquel
devait recourir le chef d'un ordre religieux puissant. Et sur quel sujet?
Non pas tel ou tel point de doctrine ou d'érudition, mais sur le meilleur
style en langue française, traité de si haut jusqu'alors par les doctes
et les dévots.
En revanche, comme le comprit très vite le successeur de Goulu,
Dom Charles de Saint-Paul, pour peu que les doctes surmontassent leur
préjugé contre la langue vernaculaire et les soins à apporter à son
élégance en prose, ils avaient les ressources nécessaires pour exercer
dans ce nouveau domaine, un magistère critique et une autorité qui
balancent ceux des mondains. En 1630, date à tant d'égards décisive,
Jean-Pierre Camus publie une Conférence académique sur le différend des
bel/es Lettres de Narcisse et de Phyl/arque 344. La scène du dialogue est
dans la riche bibliothèque d'un Conseiller au Parlement de Paris, Crito-
bule, dont les hôtes, magistrats et dignitaires d'Eglises, forment pour les

844 Conference academique sur le differend des belles lettres de Narcisse et


de Phyllarque, par le sieur de Musac, Paris, Cottereau, 1630. Parmi les hôtes de
Critobule, un certain Nectare, «secretaire du Roy», membre d'une «académie
des Puristes» qui a toutes chances d'être Conrart. Il tient (p. 83-93) un violent
discours contre la littérature de Cour, et son «jargon damoyseau ». Sur la
Cour et son rôle dans la vie littéraire, voir précieuses indications p. 102 (<< Là
est le grand monde qui se donne authorité de juger »), p. 114 (<< A la Cour, un
homme qui a de bons mots et qui est railleur, c'est le cocq de la compagnie »),
p. 120 (<< Les jongleurs - Camus veut dire les poètes et romanciers de Cour -
ne pouvant imiter la decence de la noblesse en la dance, ny cette grace, ny
ce port, ny ce maintien majestueux des honnestes gens, se mettent à faire des
sauts perilleux et des postures bigearres »).
UN TÉMOIGNAGE DE J.-P. CAMUS 573
« belIes lettres» en langue française un public vigilant, mais déjà inté-
ressé. Aucune commune mesure, toutefois, entre ces personnages « autho-
risés », dont chaque intervention est un discours en forme, et les « mignons
paistris de rose et de sucre », suspendus au jugement des dames, qu'un
Dupré, une Gournay ou Camus lui-même nous dépeignent, sautillant
d'une idée à l'autre, mêlant mode littéraire et mode vestimentaire, «du
côté de la Cour ». «Du côté du Palais », nos doctes, accoutumés aux
formes juridiques, organisent autour des Lettres de Balzac et de Goulu
une dispufafio ou une confrollersia bien réglée: Critobule est investi de
la présidence, et ne rend un jugement motivé qu'après avoir écouté les
voix de la dèfense et de l'accusation. On n'aime guère Balzac, et on
admire Goulu, chez Critobule. Mais enfin on n'y est pas mécontent de
trouver un honnête délassement à juger en appel ces «belles lettres»
que la juridiction du Louvre avait acquittées avec trop d'acclamations.
Retenons en passant cette expression de «belles lettres» : Camus
l'emploie pour désigner celles de Balzac surtout, parfois celles de
Goulu 345. Est-ce l'origine de l'expression «Belles-Lettres », appelée à
remplacer, avec une nuance fort différente, les doctes bonae litterae de
l'humanisme du XVIe siècle?
Cette «beauté» qui valut à Balzac les suffrages de la Cour ne
trouve dans ce cercle peu frivole qu'un seul avocat: il l'accablerait
plutôt, sous couleur de plaider sa cause 848. Il montre en effet dans les
Lettres le reflet complaisant des mœurs et du langage de Cour. Mais
il accorde les circonstances atténuantes à ces tactiques de flatterie:
un jeune homme pauvre a bien le droit de faire son chemin comme il
peut chez les Grands! Les autres juges voient en Goulu un homme de
leur monde. Ils s'accordent pour marquer l'infinie distance qui sépare
la véritable «Eloquence» dont Phyllarque est le champion, de 1'« Elé-
gance» où l'on admet que Balzac excelle. Entre 1'« Escrivain », à
l'usage des belles darnes et beaux messieurs, et le «Harangueur» qui
traite de choses sérieuses, il y a toute la distance qui sépare un amuseur
de Cour, à ranger à peine au-dessus des comédiens, cuisiniers, bijoutiers
et coiffeurs « de ce pays-là », et la haute responsabilité civique et chré-
tienne. Pour autant, chargé de conclure le débat, Critobule ne prononce
pas une condamnation capitale. A chaque chose son ordre propre:
le Parlement est le haut lieu de l'Eloquence, la Cour celui de l'Elé-
gance 347. Et une Académie comme la sienne a justement pour tâche

345 Ibid., p. 49, 82, 93, 149, 279, 288.


346 Ibid., p. 149 et suiv.
347 Ibid., p. 299-305. Il n'est pas sans intérêt d'observer que pour Crito-
bule, l'éloquence du Palais est désormais celle du Barreau. 1/ oppose le
«harangueur éloquent », et 1'« élégant secrétaire ». L'un pratique une élo-
quence orale, l'autre écrite, liée à l'usage de la conversation de Cour. Son
analyse de la prose de Balzac montre qu'il y est sensible: «pureté de ce stile
majestueux », «art de charmer doucement les esprits », «musique », «har-
monie» (p. 285) «surprenant les esprits de la Cour par la gentillesse de
ses inventions, la subtilité de ses rencontres, la pointe de ses joyeusetez, la
574 LE MAGIsrtRE CRITIQUE DE LA RÉPUBLIQUE DES LETTRES

d'éviter que l'Elégance, abandonnée aux jugement des c ignorants ~,


échappe au magistère de l'Eloquence. L'élégance d'un Balzac, comme
l'ont montré ses propres apologistes, suppose une rhétorique: or les
maîtres de celle-ci sont de la compétence des savants. Dès lors, le
partage du pouvoir, en matière de c Belles Lettres l>, reste celui que
définissait en matière de langue un Henri Estienne ou un Pasquier:
aux c escrivains l> de produire, pour la plus grande illustration de la
langue nationale, des œuvres d'agrément à l'usage de la Cour;: mais
aux «sçavans l>, tels Dom Goulu, Critobule, et leurs amis de la Répu-
blique des Lettres, de juger du résultat au nom des Anciens, au nom
des règles morales et esthètiques éprouvées. Tout naturellement, le
conseiller Critobule transpose, à l'usage des «escrivains ~ mondains,
la hiérarchie du Palais entre Avocats du Roi, chargés de fixer une
norme oratoire, et les avocats sujets à l'erreur, qui ont mission de
l'appliquer. La magistrature critique s'exerçant sur les « Belles Lettres ~
épouse les formes et le juridisme de l'antique magistrature oratoire du
Palais. Mais cette fois, ce n'est plus dans l'exercice de leurs fonctions,
dans la Grand'Salle du Palais, qu'ils ont à se prononcer: c'est à
titre de citoyens de la République des Lettres savantes, qui n'est plus
qu'une instance à l'intérieur d'un monde littéraire en formation à Paris.
Reste à savoir, entre les juges de la République des Lettres et les juges
du public de Cour, quelle sera l'instance en dernier ressort. Ce sera
désormais l'enjeu de tous les grands débats littéraires, qui sont appelés
à remplacer, dans la faveur du grand public, les grands débats judiciaires
ou politieo-judiciaires qui attiraient les foules au XVIe siècle et qui les
attireront encore une fois pendant la Fronde.


••
Le terme d'« élégance" dont usent les hôtes de Critobule pour carac-
tériser le mérite des Lettres, réduit sans doute celui-ci à la beauté et
à la douceur de l'élocution. Il suppose un primat de la forme sur le
fond. Il n'en a pas moins ses lettres de noblesse humaniste 848. Il est

rareté de ses descriptions, la nouveauté de ses pensées, le judicieux arrange-


ment de ses paroles, la nombreuse cadence de ses periodes, et la pureté des
termes ~ (p. 286). A ce «stile poli et lissé l> (nitor) il oppose celui, «rude
et mordant" de Goulu. II est divisé entre la perfection de l'un, que, comme
Ogler dans l'ApolQgie, il compare à cette Phryné acquittée par les juges de
l'Aréopage, et la rudesse vertueuse de l'autre.
348 Sur le concept d'elegantia à Rome, voir A. Michel, Rhétorique et philo-
sophie ... , ouvr. cit., p. 138, note 310. L'elegantia d'un Lélius est liée à son
urbanitas et à sa lenitas. Voir également, p. 239, l'opposition elegantialvis. Un
aspect essentiel du débat entre le Palais, la Chaire gallicane, et la Cour porte
sur les valeurs de douceur (inséparables d'un art de l'elocutio) et de force
(qui se voudraient toutes d'inventio). Sur les notions de dolcezza, morbidezza,
grazia, voir Il Cortegiano de Castiglione, éd. cit. Il Y aurait à faire une histoire
de cette «douceur l> de Cour: voir R. Bezzola, Origines et formation de la
littérature de Cour, Paris, 1944, t. l, p. 54, la dulcedo chez Fortunat, germe
de la douceur courtoise.
TÂTONNEMENTS DE LA CRITIQUE DOCTE 575
lié à l'histoire de la Renaissance dans les sociétés de Cour. Dans la
mesure où entre deux maux, il faut choisir le moindre, l'élégance
humaniste, contrôlable par les doctes, est préférable pour la Cour de
France au libertinage des petites cours féodales de la période antérieure.
La tradition cicéronianiste de l'humanisme des Cours, que l'érudition
gallicane et parlementaire avait jusque-là âprement combattue, apparaît
dès lors comme une alliée, capable d'offrir une généalogie antique et
humaniste à l'inévitable littérature de Cour., Le génie de Chapelain sera
de prendre pleinement conscience de la nécessité de cette translatio
en faisant de Scaliger, le théoricien de l'art augustéen, une sorte de
Cujas des Belles-Lettres de la Cour de France .


••
Chez le conseiller Critobule, en 1630, le terme d'élégance n'a pas
encore perdu toute valeur péjorative. De fait, le magistère critique des
doctes hésite encore sur sa doctrine. On s'en souvient, pour J. de Maus-
sac, Erasme devait être opposé, au même titre que Scaliger, aux erreurs
des écrivains de Cour. Et dans les Lettres de Phyllarque, qui expriment
un point de vue fort voisin, l'oscillation était sensible entre deux doctrines
critiques difficilement conciliables. Goulu reprochait à Balzac son igno-
rance des règles de l'art oratoire, et sa présomption de dépasser en
éloquence les maîtres de l'Antiquité. Il allait même jusqu'à comparer les
règles de la rhétorique aux lois des sciences exactes 849. Et par ailleurs,
invoquant le Traité du Sublime, il opposait aux artifices de Balzac la
doctrine de l'inspiration, qui atteint à la simplicité, au naturel et à la
vérité en dédaignant les formalités techniques des rhéteurs.
La Conférence Académique de Camus, comme son Voyageur inconnu,
marquent le même va-et-vient entre une critique pointilleuse au nom
des règles de l'art et une critique de l'art au nom de la doctrine platonicu-
chrétienne de l'inspiration.
Chez Jean Chapelain, le plus grand critique de la période Louis XIII,
ce mouvement de pendule d'un extrême à l'autre est remplacé par une
doctrine à deux étages: dans sa correspondance privée, à l'usage des
initiés, il invoque pour lui-même et ses amis la simplicité sans art
d'une prose érudite et chrétienne 350, mais dans son œuvre critique offi-

349 Seconde Partie, éd. cit., Lettre 2 : De la Methode qu'on doit tenir pour
examiner seure ment les ouvrages d'un autheur. Il y a dans cette lettre tous
les éléments d'une «terreur critique» : le désaccord est la marque infaillible
de l'ignorance; la rhétorique est aussi infaillible que les règles du calcul; ses
règles nous ont esté enseignées «pour connoistre si un livre est bien fait ou
non ».
350 Toute la critique de Chapelain repose sur «l'idée» de l'Art, qui est
plus parfaite chez Aristote et Scaliger qu'aucune de ses actualisations, seraient-ce
celles d'Homère et de Virgile (Lettres, t. l, p. 18). Mais ce côté scaligérien
576 LE MAOISTÈRE CRITIQUE DE LA RepUBLIQUE DES LE'ITRES

cielle, il applique aux écrivains mondains un légalisme esthétique qui


les maintienne en lisière.
Le magistère critique des doctes est à l'image de la hiérarchie du
Palais. Il se fait légaliste, il invoque les règles de la Rhétorique et de la
Poétique d'Aristote, lorsqu'il est exercé par des pédants de second ordre,
ou qu'il s'adresse à des écrivains peu sûrs, trop esclaves de leur public
mondain. Mais en dernière analyse, la grande tradition érudite de galli-
canisme, celle des magistrats, portait en elle l'idée que la source ultime
de la parole, et son plus haut degré d'intensité, était de l'ordre de
l'inspiration, et non de la technique oratoire ou poétique. Philon d'Alexan-
drie la préparait à comprendre la leçon de Longin. Ce que E.a.O.
Borgerhoff a appelé «freedom of french c1assicism» trouve là ses
racines profondes. Le passage de l'avocat Pierre Corneille du statut
d'écrivain de comédies de Cour à celui de magistrat des Lettres fran-
çaises est dû sans doute à ses concessions à la «régularité» : il est dû
aussi et surtout à son inspiration de grand poète érudit, admise et
reconnue par Balzac et par l'élite de la République des Lettres latines .


••
Dans l'évolution vers un magistère critique des doctes, correctif des
choix et des goûts de la Cour, quelle fut l'attitude du Cabinet Dupuy?
En marge du Parlement, celui-ci était l'institution centrale de l'humanisme
érudit gallican. Avant 1630, nous avons vu ses chefs pencher vers le
parti dévot, et soutenir son combat contre Balzac et les écrivains auliques.
Or, dans la Vita Petri Puteani, hommage funèbre adressé à son ami,
le «Pape de Paris », en 1651, par Nicolas Rigault, c'est une note
beaucoup plus irénique à l'égard des Belles Lettres qui se fait entendre:
\1 se servait, écrit-il, d'un genre de parler et d'écrire transparent, et
sans recherche, s'appliquant surtout à exprimer avec précision et clarté
ce qu'il avait dans l'esprit; les avis et les consultations des hommes
sages ne souhaitent pas d'autre style; ils enseignent, ils expliquent, ils
montrent par raison, exemples, facteurs déterminant les choses mêmes,
pièces concernant les affaires: ils ne souffrent pas les tropes ni les figures
des rhéteurs. Du reste, il ne dédaignait nullement la beauté de la langue
française, et il pensait que ce n'était pas la moindre gloire de notre siècle
que ce genre d'hommes capables d'élégance, d'esprit et d'éloquence 361.

coexiste chez lui avec un côté érasmien, qui apparaît dans les lettres familières:
ouverture de cœur, cordialité, naïveté, candeur (v. Lellres, t. l, p. 42, p. 383).
Ce dédoublement, sévère pour le «monde », amical et candide pour les
intimes, s'explique par un sens très vif d'appartenir à une aristocratie intel-
lectuelle et morale, responsable de la «vie civile». «Le raisonnement, écrit-il
à Boisrobert, n'est pas un bien public» (Lettres, l, p. 36).
351 Viri eximii Petri Puteani Reg. Christ. a consiliis et bibliolhecis Vita,
cura Nicolai Rigalti, Lutetiae, Cramoisy, 1652 (achevé du 15 fév. 1653), p. 46.
LES RALLIEMENTS A RICHELIEU 577
La hiérarchie des valeurs est nettement marquée. Elle reste exacte-
ment identique à celle que Denis Lambin, le maître de ].A. de Thou,
avait définie dans son Oralia de 1568 352•
L'atticisme « sans art:. du vrai savant est le pur miroir de sa raison
érudite opérant à la lumière de la vérité. La seule excuse que Pierre Dupuy
accorde à l'art de la prose mondaine est d'ordre national: il illustre la
langue française. On peut formuler l'hypothèse que seul le mécénat de
Richelieu, en donnant un sens royal et national à l'éclosion des «belles
lettres" françaises, a permis cet hommage, d'ailleurs fort mesuré.
De fait, après 1630, les frères Dupuy et leurs amis, s'ils sont loin
d'être ralliés du fond du cœur au Cardinal, soutiennent sa politique
extérieure de résistance aux « empiètements:. de Rome, et de lutte contre
les Habsbourg. En 1639, Pierre Dupuy, selon la plus pure tradition de
Charles du Moulin, Pierre Pithou et Jérôme Bignon, publie ses Traitiez
des droiets et des libertez de l'Eglise gallicane, sous le patronage et
avec la collaboration de Richelieu en personne 858. Nicolas Rigault
n'hésite pas à quitter sa retraite studieuse de Garde de la Bibliothèque
du Roi, héritage de Guillaume Budé et de ].A. de Thou, pour se mettre
au service du Cardinal, dans des conditions pourtant fort ambiguës. A
quel titre un simple fils de notaire comme Jean Chapelain acquiert-il le
droit d'entrer à cette époque dans le sanctuaire de la rue des Poictevins?
Il n'appartient certes pas à l'élite érudite. Mais la protection de Richelieu
fait de lui le médiateur entre le mécénat officiel du Cardinal sur les
«Belles Lettres:., et la critique savante de la vieille République des
Lettres latines.
Dans la bibliothèque des frères Dupuy, on ne trouve guère d'ouvrages
des « beaux esprits:. modernes. En revanche toutes les grandes éditions
savantes des rhéteurs antiques procurées au XVIe siècle y figurent. Les
rhétoriques jésuites n'y apparaissent pas, mais les ouvrages de rhétorique
d'Edmond Richer y ont leur place, aux côtés des travaux des professeurs
de rhétorique hollandais, Heinsius et Vossius 8~4. Les chefs du parti

352 Voir plus haut, p. 460.


3~3 V.R. Pinta rd, Libertinage érudit ... , p. 93. Les travaux de Pierre Dupuy
portent pour la plupart sur la tradition gallicane de la monarchie: Instruc-
tions et missives des Roys de France et de leurs ambassadeurs au Concile de
Trente, HiOB; Traittez des droits et des libertez de l'Eglise ~allicane, avec
les preuves, 1639; Commentaire sur le traité des libertez de l'Eglise gallicane
de Maistre Pierre Pithou, 1652; Histoire du différend d'entre le Pape Boni-
face VIII et Philippe le Bel, 1653. Ses autres travaux portent sur d'autres
aspects de la tradition monarchique. Il vaudrait la peine de comparer, du point
de vue de l'histoire des idées monarchiques, les choix de Pierre Dupuy et
ceux de l'érudit jésuite Jacques Sirmond, qui lui aussi a publié des textes
médiévaux intéressant la Monarchie Très-Chrétienne. Sur l'œuvre de Pierre
Dupuy, voir D.R. Kelley, ouvr. cit., p. 218-20 et 162-264.
3~4 Voir le Catalogus Bibliothecae Thuanae a Clariss. VV. Petro et Jacobo
Puteanis ordine alphabetico distributus, item secundum scientias et artes a
Clariss. Viro Ismaele Bullialdo digestus ... Parisiis, Dom Levesque, 1679, t. Il,
p. 209 et suiv. sub tit. Litterae humaniores. Après le De Re Grammatica (p. 219-
578 LE MAGISTÈRE CRITIQUE DE LA RÉPUBLIQUE DES LETTRES

gallican trouvaient en effet chez leur ami Richer, comme chez leurs cor-
respondants de Leyde, la même réhabilitation de la Rhétorique d'Aristote,
en riposte aux novateurs jésuites et auliques.


••
On connaît la vie de luttes du syndic gallican de la Sorbonne 855.
On connaît moins son œuvre rhétorique. Celle-ci était liée au grand rêve
de sa vie, la réforme de l'Université de Paris, qui ferait de celle·-ci une
rivale à armes égales des Collèges de jésuites. Celui que ses adversaires
accusaient d'appartenir à la «secte des Parlementaires:t avait été
en effet un des membres, avec j.A. de Thou, Achille de Harlay, Louis
Servin, Molé et La Guesle, de la commission chargée par Henri IV de
réformer l'Université, en 1595. Depuis, en liaison étroite avec l'élite
gallicane du Palais, il n'avait cessé de combattre les ultramontains de
la Sorbonne, et de partager les efforts de ses amis en faveur de Paolo
Sarpi, ou contre les menées et doctrines jésuites. En 1629, vieilli, en
butte aux cruelles persécutions du P. joseph et de Richelieu, il publie
ce qui peut apparaître comme son testament, le De Arte et causis rheto-
ricae ac methodo ad usum vitae civilis revocandi 1118. Il mourra l'année
suivante, trop tôt pour voir Richelieu jeter le masque et se révéler,
à sa manière, le héros du gallicanisme politique.
D'emblée, l'ami de Nicolas Le Fèvre, de De Thou et de Peiresc pose
en principe l'axiome d'Aristote: «l'homme est un animal politique:t 1117.
Il constate, non sans un pessimisme d'accent augustinien, la faiblesse de
l'esprit humain, sa capacité d'erreur. Dès lors, il est impossible de
compter sur la seule force philosophique de la vérité pour s'imposer.
Un art oratoire est indispensable. Ramus, pense Richer, a eu tort de faire

235), viennent les Oratores Graeci et les Rhetores graeci (praticiens et théori-
ciens) ; parmi ces derniers figurent quatre éditions de Longin, y compris l'ori-
ginale par Robortello ; puis les Oratores et rhetores latini (Cicéron, p. 251-253),
res Epistolae (p. 255-256), les Autores varii latini (p. 257-260) et les poètes latins
anciens et modernes, les poètes grecs anciens et modernes (psellos, Tzétzès),
les poètes italiens, les poètes français néo-latins (p. 286) et en vernaculaire
(p. 306). Les uns et les autres sont tous des auteurs du XVI' siècle, sauf Nicolas
Bourbon, le recueil Palmae Relliae rassemblé par Boisrobert (latin) et Ber-
taut, Malherbe, Regnier (françaIs). Après lA. de Thou, cette section semble
avoir été complètement négligée. En revanche, la section Recentiores lie Rhe-
torica est très riche (p. 357 et suiv.). Les plus grands commentaires de la
Rhétorique d'Aristote, Ermolao Barbaro (1551), Alex. Piccolomini (1565), etc.
y figurent, ainsi que Vossius et Richer. Pas l'ombre d'une rhétorique d'origine
jésuite. Le Commentaire d'Aristote par P. Vettori, qu'étudia Guez de Balzac,
(Lettres de Chapelain, éd. Tamizey, Index s.v. Victorius) figure ici dans deux
éditions.
355 Adrien Baillet, La Vie d'Edmond Richer, Liège, 1714. V. p. 401, la
scène effroyable que Richelieu et le P. Joseph firent à Richer pour obtenir
de lui une rétractation écrite.
356 V. ibid., p. 25.
357 De Arte et causis, p. 4.
RHÉTORIQUE D'EDMOND RICHER 579

fusionner dans son œuvre rhétorique dialectique et art oratoire. La


Dialectique est l'art de conduire à la vérité les « opérations de l'esprit ».
Mais la Grammaire et surtout la Rhétorique doivent déployer tous leurs
pouvoirs au service de la vérité. A l'ésotérisme du vrai, réservé à un
petit nombre, doit correspondre un exotérisme oratoire capable d'en
assurer la diffusion, à la portée du plus grand nombre. Si le plus grand
nombre est trompé, la vérité est menacée dans ses retraites. Elle ne
peut donc se désintéresser de ses propres assises politiques. Là gît aux
yeux de Richer l'erreur platonique de Ramus: en rompant avec Aristote,
en se faisant l'adversaire de Cicéron et de Quintilien, qui suivent Aristote,
Ramus a privé la vérité des moyens de se faire aimer et respecter, même
de loin ou de biais, par le plus grand nombre.
Ramus apparaît ainsi comme l'adversaire par excellence, dans la
tradition savante française, du cicéronianisme bien entendu, qui unit la
philosophie chrétienne à l'éloquence pour mieux la diffuser. Selon Richer,
qui s'efforce de résumer honnêtement ses thèses, tout se passe pour
Ramus comme si l'humanité était composée d'êtres de raison, et comme
si les doctes pouvaient se borner à l'exposé apodictique de la vérité qu'ils
détiennent. Joseph Juste Scaliger, dont l'admiration pour Cicéron écrivain
était sans réserve, partageait l'hostilité de Richer contre Ramus, qui a
dévié de la tradition majeure de l'humanisme érudit:
Ramus etoit un homme docte, mais on en fait trop grand état: Ramus
male scribe bat 358.

En fait, explique Richer, il y a au moins trois genres d'auditoires:


les savants, pour qui l'exposé apodictique peut suffire, les demi-sa'vants,
et les ignorants. Pour ceux-ci, d'autres modes de discours sont néces-
saires. D'autre part, si la vérité philosophique a son prix, les opinions
et les agréments ont également le leur, car ce sont eux qui ont cours dans
la société civile, et qui gouvernent les mœurs et les passions de la
plupart des hommes 859. Il faut partir de ces opinions et de ces agréments
pour rallier à la vérité les hommes, animaux politiques. L'éloquence ne
saurait donc se contenter du didactisme ou de la négligence du savant:
elle doit savoir user d'une gamme riche et puissante, elle doit pouvoir
être «tropologique, eurythmique, éthique, pathétique », selon les cas.

358 Scaligerana, éd. cit., p. 288-289.


359 De Arte et causis, ouvr. cit., p. 25: Cum enim Logica ab hominum
opinione non pendeat neque plausum, vel approbationem externam ambiat, de
thesi nllde et analytice, et ex rei veritate tractat, nu/la habita ratione audi-
torum: unde omnia argumenta exactissimo methodo investigat, ei in aciem
dirigit. Contra autem Rhetorica velut Dialeciicae et Politicae subalterna, ac
propago, cum partim rationalis, partim sermocinalis et moralis existat, hypo-
thesim jllxta omnes locomm, temporum, personarum circumstantias considerat,
neque argumenta, et enthymemeta nude et analytice, ut Dialectica, sed ora-
torie, et per modum tigurae cujusdam, ac tormae persuadendi considerat ... »
Richer laisse à l'orateur la plénitude d'exercice de la méthode dialectique, mais
il lui demande d'articuler à la vérité qu'il veut défendre un discours ajusté
aux capaéités de l'auditoire. C'était donc loin d'être une évidence pour ses
lecteurs ...
580 LE MAGISTÈRE CRITIQUE DE LA RÉPUBLIQUE DES LETTRES

Aussi Richer, qui semble déceler trop d'influence de Ramus dans l'Uni-
versité et chez les doctes, préconise-t-i1 une Renaissance du De Oratore
de Cicéron. II le cite longuement, il appelle les jeunes gens à se pénétrer
des œuvres de celui qui fut un grand homme et un grand citoyen en
même temps qu'un grand artiste de la parole SGO. Il les invite à préférer
sa leçon à celle de Sénèque, et de Juste Lipse, dont le style obscur est
incapable de rayonnement politique. L'heure est grave, insiste Richer,
qui retrouve les accents de j.. de Maussac en 1620: les passions sont
déchainées dans le royaume, la «République chrétienne:t est en recul,
la jeune noblesse se livre à de barbares duels. Avec une sincérité ardente,
Richer martèle sa conviction: autant que la vérité en soi, l'ordre de la
société civile importent; la première est menacée par la ruine de la se-
conde. Il faut que les « bons français» mettent en œuvre tous les prestiges
del'art oratoire pour apaiser les passions, combattre les plus grossières
erreurs, et recréer les conditions d'une société en ordre.


••
Le testament d'Edmond Richer allait dans le même sens que la dédicace
de Maussac à Du Vair en 1620, et que l'Oratio de Daniel Heinsius en
1624: la philosophie chrétienne, sous peine d'abandonner ignorants et
demi-habiles aux erreurs captieuses de ses adversaires, ne pouvait se
passer d'une rhétorique. Dès lors la République des Lettres gallicane
ne devait plus se contenter de refuser en bloc toute légitimité à la
littérature mondaine. II lui fallait faire un tri, entre les écrivains qui
acceptaient de placer l'art littéraire français sous l'égide de Scaliger,
d'Aristote, de Cicéron, de la belle Antiquité, et les autres; entre les
écrivains capables de servir la philosophie chrétienne auprès du public
de Cour, et les autres. A sa gamme déjà fort riche, l'Académie Dupuy
après 1630 ajoute un registre de «critique littéraire» appliquée aux
œuvres françaises, et s'agrège ceux des nouveaux écrivains qui consentent
à reconnaitre son magistère. Ce magistère critique de la République des
Lettres n'est pas sans analogie avec celui, très officiel, que Richelieu
confie à l'Académie française. Il ne se confond pas avec lui, même si
Chapelain sert d'agent de liaison entre l'un et l'autre. La critique telle
que la conçoit l'entourage de Richelieu, Chapelain mis à part, est une
critique de demi-habiles, assez bien représentée par un ancien avocat
comme d'Aubignac, ou un médecin comme La Ménardière. Des deux
voies entre lesquelles hésitait un Goulu, elle a choisi, pour fortifier plus
commodément son magistère d'homines novi, un juridisme étroit, qui
s'attache à la lettre plus qu'à l'esprit. _Au contraire, une fois admise
la légitimité d'une littérature à l'usa'ge du monde, la haute érudition
gallicane est plus à même de distinguer ce qui relève du sublime d'ins-

360 Sur ce point, Richer est fidèle à la traduction de Guillaume Du Vair.


\' oir p. 10-11. L'hostilité à l'atticisme sénéquien, que Du Vair avait patronnée
en dépit de son stoïcisme et du prestige de Juste Lipse, est réaffirmée p. 12
et 13. Cicéron doit venir au secours de la 4: Christiana respublica veterascens :t_
BALZAC ET L'HÔTEL DE mou 581

piration, et ce qui relève de la simple régularité. Le cOté Ronsard des


tragédies de Corneille trouvera plus de sympathie auprès du c Grand
Bignon », lecteur de Philon et de Longin 881, que chez les doctes de
second rang et d'érudition courte qui entourent Richelieu. C'est en 1635
que le grand érudit Léon Allatius, relié de tant de manières à l'Académie
Dupuy, publie son De erroribus magnorum virorum in dicendo 882 qui
transpose dans un registre esthétique, par une belle paraphrase de
Longin, la vieille doctrine des érudits de la Renaissance: l'inspiration
du philologue est de même nature que celle du poète-théologien, elle est
réminiscence enthousiaste de la Vérité. Et c'est à partir des positions
de la haute érudition que Balzac, dans sa Lettre à Scudéry sur Le Cid,
justifiera le poète au nom du sublime d'inspiration. Anobli par le Roi
au nom de la Cour, Corneille était dès lors délié des règles étroites qui
s'appliquent aux avocats ordinaires, et porté au rang de magistrat des
Lettres françaises, reconnu par ses pairs.
Entre temps il est vrai, Balzac, rebuté par Richelieu après Le Prince,
s'était tourné vers l'aristocratie lettrée de l'Hôtel de Thou. Comme les
avocats du XVIe siècle, l'érudition qu'il acquiert dans sa retraite de la
Charente, où il vit « noblement", le lave du soupçon de sophistique qui
l'avait fait jusqu'alors regarder de haut. Au surplus, il amorce une lente
évolution de «philosophe chrétien» qui le conduira à son Aristippe
et à son Socrate chrétien. Au cours de la décennie 1630-1640, il est
en état d'être « reçu» parmi la noblesse de l'esprit.

•••
Le 3 septembre 1632, l'Unico Eloquente écrit à un correspondant
inconnu, manifestement à l'intention des Adelphes :
Pourveu, Monsieur, que vous vous souveniez de moi et qu'il vous
plaise me conserver les bonnes grâces de Messieurs Du Puy, je ne man-
queray point de consolation. Ce sont des personnages qui, sans pourpre
et sans magistrature, sont illustres et authorisés, pour le moins dans le
monde raisonnable et parmy les gens qui jugent sainement. Il n'y a point
d'employ si honneste que leur loisir, ou d'ambition qui s'occupe si noble-
ment que leur vertu se repose. Vous me feriez une singulière faveur de
leur dire que je les considère tous deux avec reverence, et que jamais
homme n'entra dans la Galerie de M. de Thou mieux persuadé de leur
incomparable mérite 363.

361 Voir R. Pintard, «Autour de Cinna et de Polyeucte ... », RH.L.F., 1964,


377-413.
382 Voir sur cette œuvre notre communication à paraître dans les Actes
du Colloque international de la Société d'études néo-latines, Tours, 1976.
363 Balzac, Œuvres, éd. cit., 1665, t. I, 1. VIII, 9, p. 351, 3 sept. 1632. Voir
dans l'exemplaire des Lettres de Balzac de la B.N. (T. du Bray, 1627, in-4°,
Rés. Z 1129) la dédicace « à M. Du Puy» de la main de Balzac. Les efforts
de Balzac en direction des Dupuy datent au plus tôt de l'année de cette
édition.
582 LE MAGISTÈRE CRITIQUE DE LA RÉPUBLIQUE DES LETTRES

La date de cette lettre est peu sûre. C'est surtout à partir de 1636
que les lettres de Chapelain à Balzac font mention de relations suivies
et amicales entre l'Unico Eloquente et les frères Dupuy., Plutôt que
Chapelain, lui-même nouveau venu, c'est François Luillier et François
La Mothe Le Vayer, deux «libertins érudits », qui semblent servir de
« parrains» à Balzac. Dans une lettre à Luillier Balzac parle le 23 no-
vembre 1636 des «bienheureux moments passez dans le cabinet de
Messieurs Dupuys », et des «bonnes choses» qu'il y a ouïes. Converti
à l'érudition humaniste, Balzac emprunte, toujours sous la garantie de
Luillier et de La Mothe, les Episto/ae et Orationes de Pietro Vettori à
la bibliothèque des Adelphes 364. Belle occasion que saisit Chapelain
pour instaurer avec Balzac une sorte de Querelle Balzac-Goulu dont les
Lettres latines de Vettori sont le prétexte, et qui amène l'Unico Eloquente
à faire un examen de conscience littéraire assez complet 3611.
Le 24 novembre 1644, Balzac écrira à Nicolas Rigault, autre Prince
de l'Académie putéane:

Et quand je m'imagine que c'est le cher et dernier confident du grand


Président de Thou qui est aussi mon cher et parfait ami, vous ne sauriez
croire quel avantage je tire de la seule imagination d'une si illustre société.
Toutes les fois que je pense que c'est un Romain de la vieille Rome, et
un Chrestien de l'ancienne Eglise, avec qui j'ay communication, je pense
estre transporté tout d'un coup dans les premiers siecIes, et devenir com-
pagnon tantost de Sulpices et des Scevoles, tantost des Tertulliens et des
Cypriens 300.

364 Les premiers échanges épistolaires entre Balzac et Chapelain ne sem-


blent pas remonter au-delà de 1632. L'introducteur de Balzac chez les Dupuy
ne semble pas avoir été Chapelain, mais Luillier: voir Balzac, Œuvres, t. l,
l. ,IX, 3, p. 401, lettre à Luillier datée du 23 nov. 1636: «Les bienheureux
moments ... :» (texte cité). Voir aussi Chapelain, Lettres, t. l, p. 125 (<< La bonne
odeur que vous avez laissée de vostre vertu chez MMrs Dupuy ») ; p. 161 (Les
Dupuy «obligés:» des louanges de Balzac); p. 175 (Luillier et La Mothe Le
Vayer s'entremettent auprès des Dupuy pour obtenir des livres pour Balzac) ;
p. 334 (Balzac demande à Chapelain les Epislolae el orationes de Vettori) ;
p. 344 (Les Dupuy, sur demande de Luillier, acceptent de prêter le volume à
Balzac); p. 365-398 (discussion Chapelain-Balzac sur l'ouvrage, et retour du
volume à Paris).
365Jugement de Chapelain sur Vettori : « Les graces n'y sont pas, et ce je
ne sai.s quel tour d'honneste homme qui rend Cicéron et les vostres si agreables.
Le Bembe, le Sadolet, le Casa à mon goust l'emportent autant sur luy en la
venusté ou pour mieux dire en l'agrement, que nos delicats courtisans l'em-
portent sur les sçavans de l'V niversité» (p. 365). Balzac défend Vettori:
" ... une certaine simplicité romaine qui me pl ai st infiniment:» (p. 381) ; Cha-
pelain, ravi, renchérit: « ... voyant combien vous jugez sainement de la vraye
eloquence, et combien vous estes esloigné de preferer le fard et l'affeterie à
la naturelle et majestueuse beauté ... » (p. 381) ; c'en est trop pour Balzac, qui
reconnaît chez Chapelain les thèses de Phyllarque: «C'est (Vettori) un citoyen
romain, mais de la lie du peuple» (p. 390). Chapelain se rétracte prudemment:
« Vostre lettre m'a rendu mon opinion première» ! (p. 390).
366 Balzac, Œuvres, éd. 1665, t. l, I. XVI, lettre 4, du 27 novembre 1644,
p. 669. L'expression «Chrestien de l'ancienne Eglise », s'explique par le galli-
BELLES-LErmES ET c LIBERTINAGE ÉRUDIT» 583

L'ironie indulgente avec laquelle les Dupuy et Rigault lisaient ces


très beaux compliments échappe peut-être à Balzac 867. Mais l'autorité
d'un maître de la prose française, qui reconnaît leur magistère de média-
teurs de l'Antiquité, n'était pas plus à dédaigner que celle de Malherbe
ne l'avait été pour Du Vair et Peires~, ni celle de Ronsard pour Dorat
et Turnèbe. En 1643, Balzac n'écrira-t-i1 pas à «M. Dupuy» :
C'est chez M. De Thou que s'assemble le vray et légitime Senat qui
a droit de juger de nos affaires de livres 368.

Un tel acte d'allégeance valait bien l'intronisation de son auteur .

•••
L'entrée de Chapelain et de Balzac dans le sanctuaire gallican
- même s'ils n'y jouent qu'un rôle secondaire - donne la mesure de
l'intérêt que l'on y porte au bon ordre dans les Belles~Lettres, garant du
bon ordre à la Cour. Cet intérêt tout politique ne révèle-t-i1 pas une
lézarde dans le vieH édifice chrétien de l'humanisme gallican, et plus
qu'une lézarde? En admettant que la réforme religieuse et savante ne
pouvait atteindre qu'une petite élite, et qu'il fallait pour le plus grand
nombre se contenter d'obtenir une discipline extérieure et po~itique,
Edmond Richer lui-même témoignait du reflux des ambitions univer~elles
qui avaient soutenu jusqu'alors la foi des érudits et des magistrats
gallicans.
N'était-il pas inévitable qu'on allât plus loin encore, jusqu'à penser
que cet ordre extérieur et politique, imperméable à l'ésotérisme du vrai,
n'avait pas seulement besoin de Belles-Lettres, mais aussi de formes de
sagesse plus modestes, mieux ajustées à ses besoins et à la capacité
même des Belles-Lettres, que la foi et la morale des « premiers siècles»
chrétiens? L'essor d'une société civile, dont la Cour est le modèle et le

canisme de Nicolas Rigault, qui l'a poussé, comme Edmond Richer, à orienter
ses recherches érudites vers les « Pères des premiers siècles », et les origines
chrétiennes. En 1620, Rigault avait publié des Exhortations chrestiennes imitées
des anciens Pères grecs et latins. En 1628, il publiait une édition de Ter-
tullien, rééditée en 1634 et en 1641. Il accompagnait cette édition d'un com-
mentaire critique: Observationes ad Tertul/iani libros IX (Paris, 1628) et d'une
brochure polémique qui annonce la Fréquente Communion d'Arnauld: Sen-
tentiae super Tertulliani dicto eJ:vlicatio, avec L'ancienne police de l'Eglise sur
l'administration de l'Eucharistie, de G. de l'Aubespine (Paris, 1629).
367 Il est probable que les réserves des Dupuy vis-à-vis de Balzac sont
toujours restées aussi fortes que celles de Chapelain. L'« élégance» de Balzac
avait sans doute un intérêt politique, mais non une valeur de vérité. Les Dupuy
étaient certainement plus sensibles à la poésie néo-latine de Balzac (voir Cha-
pelain, Lettres, t. l, p. 708). La Vita Petri Puteani contient une foule de poèmes
à la gloire de Pierre, de son père, de son grand-père, qui attestent la vitalité
de cette production dans ce milieu de haute érudition. Balzac n'y figure pas,
mais Chapelain y a sa place avec de médiocres sonnets en français.
368 Balzac, Œuvres, t. l, I. X, 3, p. 468-469.
584 LE MAGISTÈRE CRITIQUE DE LA RÉPUBLIQUE DES LETTRES

creuset, étend ses conséquences jusque dans les plus profonds recès de
la philosophie gallicane.
Autour de 1630, se constitue au sein même de l'Académie Dupuy cette
fameuse Tétrade dont René Pintard s'est fait l'historien 889. Deux de ses
membres, La Mothe Le Vayer et Naudé, se sont prononcés dans le débat
sur les Belles-Lettres. Pour le sceptique Le Vayer, la vérité échappe à
la raison érudite elle-même; comment celle-ci pourrait-elle refuser de
recourir aux beaux semblants de la littérature et des arts, qui du moins
font aimer une doxa utile au bon ordre de la société civile 870? Pour
l'érudit Naudé, les faux-semblants de l'éloquence sont nécessaires
pour faire accepter aux ignorants les arcana imperii des Princes 371.
Dans les deux cas, le critère du meilleur et du pire n'est plus la vérité,
mais l'utilité sociale et politique. Le gallicanisme a fini par engendrer
ses propres Jésuites, ancêtres des philosophes du XVIIIe siècle. Leur
libertinage érudit, comme le molinisme, est trop fasciné par le monde
qu'il prétend tromper pour ne pas tromper aussi la vérité qu'il prétend
servir auprès du monde. 11 ne chante plus naïvement, comme le pauvre
Théophile, les élans de la belle Nature innocente: il célèbre ironiquement
la plus ingénieuse ruse de la raison pour faire respecter la sagesse
déniaisée du vulgaire ignorant: les Belles-Lettres.

389 R. Pintard, Libertinage érudit, ouvr. cit., p. 128.


370 Nous nous proposons de revenir ailleurs sur «Rhétorique et philo-
sophie dans l'œuvre de La Mothe Le Vayer '>. La cohérence est en effet entière
entre les Opuscules (Paris, Villery, 1647) et les Considerations sur l'eloquence
françoise de ce temps, Paris, 1638. Voir dans l'opuscule Des Mensonges (p. 253
et suiv.) la réhabilitation du vraisemblable, à mi-chemin entre le mensonge et
la vérité, «qui est presque toujours sévère, qui ne se soucie jamais de com-
plaisance ». La conclusion s'impose: «Il n'est pas souvent à propos dans la
vk civile d'insister pour la vérité des choses avec tant de sévérité qu'au lieu
de nous rendre utiles et d'instruire, nous commettions du scandale sans profiter
à personne,> (p. 338). On ne peut qu'être frappé par la convergence du point
de vue de La Mothe et de celui de Richer. La vérité doit être protégée contre
la folie des ignorants et des demi-savants par des «vraisemblances '>, et un
art d'agréer propres à assurer l'ordre de la «vie civile '>. L'existence d'une
noblesse de Cour civilisée est la garantie pour le philosophe de pouvoir philo-
sopher en paix.
371 O. Naudé, Considérations politiques sur les coups d'Etat, Rome, 1639.
Pour Naudé, le «coup d'Etat,> est une «saillie» inspirée de la raison d'Etat.
Cet effort du génie politique est incompréhensible au vulgaire. C'est alors qu'in-
tervient l'éloquence. Celle-ci se confond avec la propagande politique écrite
(p. 266-267). La Mothe Le Vayer se fait le théologien des «beaux-arts» et des
« belles-lettres », Naudé celui de la propagande politique: dans les deux cas
l'éloquence est un instrument de l'ordre public.
CHAPITRE 111

LA PREMIÈRE MÉDIATION CLASSIQUE


(1627-1642)

1. - DE L'AVOCAT À L'HOMME DE LETTRES

Le malaise d'une profession


Au fur et à mesure que sous Louis XIII, s'esquissait, au Louvre et
dans ses parages, une renaissance de la littérature de Cour, le prestige
de l'éloquence du Palais, de ses c Remonstrances », de ses plaidoyers,
déclinait. En dépit de l'indignation des robes longues, la mode de la
Cour frappait de caducité les formes savantes du Palais, et même ce qui,
au XVIe siècle, avait jailli de cette souche. De ce fait, la cohésion interne
de l'institution parlementaire était elle-même ébranlée, le pouvoir d'attrac-
tion de la Cour, et des arts d'agrément qu'elle ressuscite, s'exerce jusque
dans les rangs des robins, où le groupe nombreux et fluide 872 des
avocats était le plus vulnérable à l'appel des Sirènes.
Cette c fuite des talents» du Palais vers le Louvre et ses entours
n'était pas un phénomène nouveau. A l'apogèe de la Cour des Valois,
sous Henri Il et Henri III, plus d'un avocat avait succombé aux séductions
de l'art de Cour. L'exemple le plus caractéristique est celui d'Etienne
Pasquier, qui avant de devenir le héros de l'éloquence gallicane, contre
les Jésuites, l'érudit compilateur des Recherches de la France, et de faire
une carrière exemplaire au Palais, avait sans se déshonorer écrit le

872 Sur la sociologie parlementaire au XVII' siècle, voir R. Mousnier, Les


hiérarchies sociales de 1450 d nos jours, Paris, P.U.F., 1969, et La vénalité
des offices sous Henri IV et Louis XIII, Rouen, Mallgard, 1950, voir aussi
Fr. Bluche, Les Magistrats du Parlement de Paris au XVIII' siècle, 1715-1771,
Besançon, 1960, fort éclairant aussi pour le XVII'. Pour les avocats, voir
j.F. Fournel, Histoire des avocats au Parlement et au barreau de Paris, Mara-
don, 1813, 2 vol., j. Gaudry, Histoire du Barreau de Paris, Paris, 1864, Ch.
Aubertin, L'Eloquence politique et parlementaire en France avant 1789, Paris,
Belin, 1882, et C. Holmés, L'Eloquence judiciaire de 1620 d 1660, Paris, Nizet,
1967. Voir enfin R. Mousnier, «Recherches sur les structures sociales pari-
siennes en 1634, 1635, 1636 », dans Revue Historique, 507, juil.-sept. 1973,
p. 35-58: c De deux avocats, l'un fils de procureur va le rester toute sa vie;
l'autre, fils de Conseiller d'Etat, est destiné à devenir Conseiller au Parlement,
Maître des Requêtes, Conseiller d'Etat... Le statut social des avocats n'est pas
le même:. (p. 39).
586 DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LETTRES
Monophile et les Lettres amoureuses 873. Les avocats fournirent à la
Pléiade une véritable queue de comète poétique. Mais au XVIe siècle et
grâce justement à la Pléiade, la coupure entre l'humanisme érudit et
l'humanisme de Cour fut évitée. Ronsard, gentilhomme de bonne race, et
pourtant élève de Dorat, poète de Cour, et pourtant fidèle ambassadeur
des érudits auprès de la noblesse, symbolise admirablement ces échanges
entre le Quartier Latin, l'Ile de la Cité et le Louvre. Sous cette haute
médiation, les jeunes talents du Palais purent faire alterner poésie
courtoise et travaux du Palais, sans avoir à renier ceux-ci. Ces échanges,
ces alternances, supposaient d'ailleurs que les deux mondes restassent
nettement distincts, en dépit des ponts qui permettaient d'aller de l'un
à l'autre. Les «Remonstrances d'ouverture» des Avocats Généraux
avaient justement pour fonction d'empêcher que l'ornement poétique et
les délectations de l'art aulique ne vinssent refluer sur la prose du Palais.
D'autre part, la hiérarchie parlementaire au XVIe siècle semble avoir
été marquée par une relative fluidité.: beaucoup d'avocats d'origine
modeste y réussissent à faire de brillantes carrières les menant d'emblée
aux offices an ob lissants 874. Pendant le dernier tiers du siècle, à la faveur
des luttes civiles et religieuses, plus d'un avocat, à l'instar des Pasquier,
des. Marion, des. Arnauld, put se faire un renom à la fois glorieux et
fructueux, de « Cicéron» ou de c Démosthène» français. D'autres, pre-
nant le détour de la République des Lettres tels un Pierre Ayrauld, se
firent une gloire d'érudit, et réussirent à frayer d'égal à égal avec les
hauts magistrats. L'humanisme, en définitive, semble au XVIe siècle avoir
pon seulement contribué à accroître le prestige de la Grande Robe, mais
offert aux avocats de nouveaux c moyens de parvenir» qui ne les obli-
geaient pas à rompre avec le Palais.
Dès le règne d'Henri IV, on assiste à un repliement jaloux des
familles de Grande Robe sur les charges conquises au cours du XVI"
siècle, et devenues héréditaires par le mécanisme de la vénalité des
charges et de la solidarité de caste 375, La fin des guerres civiles, la
disparition de l'éloquence politique, tarissent les occasions de c déployer
les maistresses voiles de l'éloquence» dont parlait Du Vair, et de
rédimer la profession d'avocat. Les Remonstrances d'ouverture du
Parlement de Paris, confiées sous Henri IV au Procureur Général Jacques
de La Guesle rendent un son d'une dureté jusqu'alors inconnue à l'égard
du Barreau 376. Les avocats, et surtout les jeunes avocats, sont soumis

873 Voir la dédicace à Christophe de Thou de ses Epigrammata (Paris,


Sonnius, 1618): /ta enim usu comparatum est ut simul atque nomen huic
militiae to~atae dedimus, nobis, quasi in pistrinum detrusis, omnibus suavio-
ribus musls renunciandum putent.
874 Voir Fournel, Gaudry, ouvr. cit.
375 Voir R. Mousnier, art. cit.
3.6 Voir Les Remonstrances de Messire Jacques de la Guesle ... , ouvr. cit.,
p. 780, 785. L'âpreté stoïcienne de ces Remonstrances donne, mieux que toute
autre référence, la mesure de la distance qui sépare alors la «sévérité» du
Palais, de la «liberté» de la Cour, la «rudesse» des Catons de la douceur
des «mignons ».
LE XVI" SIÈCLE: ÂGE D'OR DE L'AVOCAT 587

à un soupçon redoublé. Soupçon si sévère qu'il c noue:t parfois la


langue de l'avocat débutant, et le prive de la parole. L'aventure arriva à
Jean Goulu en 1606, et le poussa à quitter le Palais pour entrer dans
l'ordre des Feuillants 377. Le conseiller Dupré, en 1621, se croit tenu
de rassurer les jeunes avocats, mais il admet que leur c trac:t doit
affronter une véritable c terreur:t émanant des Robes rouges du Par-
quet 178. Même l'érudition ne suffit plus à racheter une profession humi-
liée. Elle doit s'adjoindre à une fortune et à un loisir qui, dispensant
l'avocat . d'exercer, attestent qu'il est en mesure de c vivre noblement:t.
Par contraste, surtout sous la Régence de Marie de Médicis et sous
Luynes, les séductions, plus insolentes et ostentatoires qu'elles ne furent
jamais, de la vie de Cour, rendent par comparaison plus grise la chicane,
plus terne une profession que les illusions d'éloquence civique ne bercent
plus. Les avocats se trouvent en somme pris au piège entre l'austérité
crispée des Catons du Parquet, qui se veulent un vivant reproche à la
Cour, et la liberté provocante des Grands et de leur entourage, qui
tournent en dérision les vieux c Pédants:t de la rive gauche .


••
Cette relative dévaluation de la profession se reflète dans les traits
nostalgiques et apologétiques qui abondent dans les biographies d'avocats
du XVIe siècle rédigées au XVII". Les biographes sont contraints de
justifier leurs ancêtres d'avoir exercé un métier, et d'expliquer comment
il put leur valoir un prestige et une fortune d'un ordre devenu désormais
peu vraisemblable.
Dans ses Mémoires 379, Arnauld d'Andilly éprouve le besoin de jus-
tifier SOI1 père d'être resté toute sa vie avocat: d'une part il honorait la
profession, sa famille étant d'une noblesse remontant au XII" siècle, et
il méprisait trop la vénalité des charges pour se procurer un office par
ce moyen; d'autre part, il ne s'enfermait pas, avocat c plaidant ~, dans
les limites étroites de l'éloquence judiciaire: polémiste au service du
Roi, il pratiqua brillamment l'éloquence civique dans ses pamphlets
contre la Ligue; porte-parole des pairs du royaume, il pratiqua l'élo-
quence épidictique lors de leur réception au Parlement. Devenu avocat
« consultant ", il frayait d'égal à égal avec sa clientèle de Grands du
royaume, et il amassa une immense fortune qui le faisait aller de pair
avec les plus hauts magistrats. Pour Arnauld d'Andilly, l'humilité même
de la profession qu'a tenu à exercer son père est la preuve de la
magnanimité de celui-cL

377 Voir Bayle, S.V., Goulu.


378 Voir note 262.
379 Arnauld d'Andilly, Mémoires, Coll. Michaud et Poujoulat, Paris, 1838,
IX, p. 409-4\0.
588 DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LETTRES

Même effort apologétique dans les trois biographies latines composées


par Ménage en 1674-1675 380 , à l'usage de son neveu Pierre-Guillaume.
Imagines majorum destinées à éveiller une vocation pour le Barreau, ces
trois Vitae s'efforcent de constituer au jeune homme une généalogie et
une noblesse qui l'obligent. Dans celle qu'il consacre à son père, Guil-
laume, Gilles Ménage rappelle orgueilleusement la parenté de leur famille
avec les Bignon. C'est Roland Bignon qui a f.ait venir Guillaume à Paris,
pour le confier à Jean Galland, préfet du Collège de Boncour 381. Ses
études terminées, Guillaume rentre en Anjou, en dépit de Roland Bignon
qui voudrait le lancer au Parlement de Paris:
JI voyait en lui de rares dispositions pour l'art oratoire, l'I~sprit, le
jugement. la mémoire,' l'habitude des affaires, la connaissance des lois.
et ce .qui est le principal. un don de la parole tel que je n'en ai vu de
semblable à personne. A ces qualités, joignez une belle taille. une agréa-
ble figure. de fermes poumons. et une de ces voix qui selon Cicéron.
recommandent et soutiennent puissamment l'éloquence, une voix pleine et
sonore 382.

Le jeune homme. plutôt que de se fondre dans la piétaille chicanière


de Paris, préfère devenir « l'Oracle de l'Anjou », et exercer au Présidial
de Tours. Ménage. rapportant ses propos, prend soin de nous le
peindre comme un adepte du «style attique» : se comparant lui-même
à Lysias. «qui disait tant de choses en si peu de mots ». Guillaume
Ménage ne cachait pas sa prédilection pour Montaigne. et tenait de
celui-ci un véritable mépris pour les recueils de sentences.,
11 n'avoit point, nous dit fièrement son fils. de ces répertoires que nous
appelons lieux communs; son excellente mémoire lui rappel oit m~me dans
sa vieillesse tout ce qu'il avoit lu. Jérôme Bignon, Claude Saumaise.
Antoine Arnauld, et quels hommes! dédaignoient ce moyen de rafraîchir
le souvenir. ce qui démontre la fausseté de ce qu'a écrit Denis Petau
que personne ne peut devenir savant qu'il ne fasse un extrait de ses
lectures.

Pas de plus grand éloge pour cet avocat tourangeau que d'être reconnu
de l'étoffe dont on fait les érudits et les érudits de race gallicane.
Le snobisme robin de Ménage se manifeste autrement dans la bio-
graphie qu'il consacre à Mathieu Ménage, son frère, et père du desti-
nataire des Vitae. Mort trop jeune pour avoir donné sa mesure, il a
laissé une veuve. Madeleine Louet. qui s'est unie en secondes noces
à Guy-Louis de Longueil,

380 Gilles Ménage. Vies de Pierre Ayrault, G. Ménage. et M. Ménage,


traduites du latin ... par Blordier-Langlois. Angers. Pavie, 1845. Le texte ori-
ginal avait été publié en 1614 (Vita Maithaei Menagii.... Paris. Mastin) et 1615
(Vita Petri Aerodi... et Guille/mi Menagii ... , Paris. Journal).
381 C'est le Collège où Du Perron prononça en 1585 l'oraison funèbre de
Ronsard en présence de tout ce que Paris comptait d·humanistes.
382 Vie de Guillaume Ménage, trad. cit.. p. 84.
'.ES MÉNAGE: UNE FAMILLE D'AVOCATS 589

d'une illustre famille, de laquelle sont sortis tant de conseillers au


Parlement, de Présidents, de Maîtres de requêtes, de Conseillers d'Etat,
d'Evêques, et dont surtout fut Christophe de Longueil, le Prince des ora-
teurs de son temps, de sorte que par la naissance de Charles-Joseph de
Longueil, ton frère utérin, tu sembles moins avoir perdu de fortune qu'ac-
quis de gloire pour ton nom.

L'aIliance avec une dynastie de Grande Robe, dont un ancêtre fut traité
en égal par Bembo et Sadolet, met hors de pair cette famille d'avocats.
Troisième portrait, encore plus glorieux pour la famille Ménage, celui
de Pierre Ayrauld, bisaïeul maternel de Pierre-Guillaume. Car cet avocat
fut avant tout un grand érudit, cité par Loisel et par Sainte-Marthe.
Confirmant l'enthousiasme de Gilles Ménage, D.R. Kelley a récemment
remis en lumière le mérite de Pierre Ayrauld, élève de Cujas, historien
et philosophe du Droit, l'égal et l'ami sur le terrain de l'érudition critique
de Pasquier et de Pithou 883. Simple avocat à Tours, il avait acquis par
son œuvre savante une autoritè nationale. Un drame cependant boule-
versa sa vie: confié au Collège de Clermont, son fils René voulut devenir
Jèsuite contre la volonté paternelle; enlevè par ses maîtres, il poursuivit
ses études en Allemagne, puis en Italie en dépit des procès intentés par
un père dèsespérè, que soutinrent Bodin et Pasquier; René devint un
règent de rhètorique dans les Collèges de la Compagnie, et mourut à
La Flèche en 1644. Bel exemple de ce que redoutait l'humanisme parle-
mentaire en combattant l'installation en France des «sophistes loyo-
lites» : à un père fidèle à la tradition nationale d'humanisme érudit,
succède un fils « déformé» par les Jésuites et entièrement adonné à leur
rhétorique.
Les Vitae de Ménage nous le confirment indirectement: c'est moins
l'éloquence que l'érudition qui justifie l'avocat du XVII" siècle. L'atticisme
ascétique dont se prévalait Guillaume Ménage, l'érudition dont était imbu
Pierre Ayrauld, sont la preuve que ces avocats ont été supérieurs à leur
profession ..
Le cas des frères Dupuy, fils d'une grande famille parlementaire,
pourvus d'alliances les plus honorables, est à cet égard exemplaire.
Ils conservèrent eux aussi le titre d'avocat toute leur vie, mais ils n'exer-
cèrent jamais, comme s'ils pouvaient s'offrir le luxe de jouir d'une raison
sociale illustrée par Cicéron, tout en dédaignant de la souiller au contact
des réalités du Barreau 38'. Les activités libérales et désintéressées de
la République des Lettres s'accordaient mieux avec l'ancienne noblesse
de Robe de leur famille. Elles conféraient au titre d'avocat le sens d'une
magistrature érudite, au plus près des sources de l'invention, à l'écart de
l'artisanat du discours. Roland Desmarets, qui fréquente l'Académie
Dupuy, n'est lui aussi qu'un avocat en titre: il s'adonne entièrement au

383 Voir D.R. Kelley, ouvr. cit., p. 290.


384 Antoine Loisel, Pasquier ou le Dialogue des Advocats du Parlement de
Paris, éd. par André Dupin, Paris, Videcoq, 1844 (1 re éd. par Claude Joly,
Opuscules de Loisel, Paris, 1652).
590 DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LETrRES

commerce et à l'art épistolaire érudits, qui chez lui, sous l'influence


jésuite, prennent un tour d'élégance académique 8811. Et nous avons vu,
plus proche de la tradition du XVIe siècle, par quels prodiges d'érudition
précoce jérôme Bignon, fils d'avocat érudit, avait sauté l'étape d'avocat
c plaidant,> pour pénétrer très tôt dans la haute magistrature, et devenir
Conseiller du Roi.
Les guerres civiles et religieuses avaient permis à une élite d'avocats,
gallicans comme Arnauld, ligueurs comme D'Orléans, de prétendre à
une sorte de magistrature de la parole. Le retour sous Henri IV à des
mœurs plus monarchiques fit rentrer les avocats dans le rang. Leur
métier fut d'autant plus humilié qu'il avait eu l'occasion d'être exalté.
Le durcissement de la hiérarchie interne du Palais alla de pair avec
le sec rappel du rôle purement auxiliaire de l'éloquence judiciaire. Dans
le L. III des Treize livres des Parlemells de France de La Roche-Flavin,
consacré aux avocats, l'a:.tteur oppose le caractère contemplatif des
offices de judicature au côté « méchanique '> et lucratif du métier d'avo-
cat 886 • Du Vair, dans ses Remonstrances d'Aix, fait une véritable
palinodie: renonçant à l'apologie de l'éloquence civique, qui définissait
implicitement un cursus honorum continu du barreau à la magistrature,
il revient aux vues des Remonstrances à la Pibrac, qui faisaient des
avocats les humbles «diacres» des juges-prêtres 387. La Roche-Flavin
s'inspire plus directement des Remonstrances du Procureur Général
jacques de La Guesle, dont le thème principal est l'incompatibilité entre
la gravité des Parlements français et les mœurs oratoires du Forum,
qu'avaient ressuscitées les guerres civiles. Dans une Remonstrance de
1606. il opposait non sans brutalité la «cautelle '> et «pillerie,. des
avocats. leur «subtilité» qui complique à dessein la procédure. au sens
de la vérité qui anime les juges érudits. L'éloquence mercenaire du
Barreau est. selon lui. travaillée par deux vices venus d'ltalie : la corrup-
tion du droit par les Bartole et autres Accurse 388 auxquels les avocats
se raccrochent en ignorant l'effort de purification et de retour aux
sources des magistrats érudits; la confusion. qui selon lui remonte à
Alciat. entre «humanités» et droit. qui introduit la frivolité du «bien
dire» dans les choses du Palais 389. L'avocat apparaît comme un cheval
de Troie dans l'enclos sacré du Palais.

*
**
385 Ibid .• cit. par Th. Froment. ouvr. cit., p. 303-304.
386 Ed. Dupin cit.. Argument: «Ils disoient hautement qu'i1 etoit tout à fait
indigne de leur profession de soumettre à un gain limité et mercenaire, l'hono-
raire qu'on leur offroit volontairement en recoignoissance de tant de vertus.
et d'éminentes qualitez nécessaires à un bon advocat. et principalement de
l'éloquence. »
387 Voir plus haut (p. 567).
388 Sur cette réaffirmation des grands principes de l'école française du
droit. voir D.R. Kelley. Foundations ...• ouvr. cit. La Guesle. comme la plupart
des grands magistrats gallicans sous Henri III et Henri IV. était un élève de
Jacques Cujas.
389 Remonstrances. ouvr. cit.. p. 864. (V. p. 792-793 l'éloge de Caton le
Censeur.) La Guesle cite Philippe de Commynes.
UNE GRÈVE D'AVOCATS EN 1601 591

Sophistes tortueux, bavards impénitents, les avocats sont cupides,


comme les Gorgias de l'Athènes républicaine, ou les déclamateurs de
la Rome impériale. En 1601, le Parquet se résolut à mettre fin au
scandale de leur enrichissement, et à faire respecter un article oublié de
l'Ordonnance de Blois, exigeant des avocats qu'ils déclarassent le mon-
tant de leurs honoraires. Cette mesure vexatoire aussi bien que les
diatribes du Procureur La Guesle, révolta le Barreau de Paris.
Lésés, humiliés, las d'être traités en c marchands du Temple~, les
avocats se mirent en grève 890. L'écho de leurs doléances résonne dans
l'apologie quelque peu nostalgique composée alors par Antoine Loisel,
et intitulée Pasquier ou le Dialogue des Avocats 891. Un des fils de
Pasquier y déclare:

Où est l'honneur que j'ai entendu de vous, mon père, avoir esté autre-
fois au Palais et la faveur que Messieurs les présidents portaient aux
jeunes avocats de votre temps, les ecoutant doucement, supportant et
excusant leurs fautes, et leur donnant courage de mieux faire? Au lieu
que maintenant il semble à quelques uns que nous soyons d'autres bois
et d'autre étoffe qu'eux 392.

Pasquier et Loisel, devenus Avocats Généraux, se montrent solidaires


des revendications matérielles de leurs anciens collègues 898. Mais ils ne
mettent nullement en cause les exigences morales que font peser sur les
avocats et leur éloquence les représentants du Parquet. Pasquier rappelle
avec orgueil qu'il a mis son point d'honneur à plaider gratuitement
pour l'Université contre les Jésuites. Le grand historien des Antiquités
nationales retrace l'histoire du Barreau depuis Philippe le Bel et fait
l'apologie des grands avocats de sa génération. Mais il ne peut s'empê-
cher de prononcer lui aussi une sorte de Remonstrance improvisée, où
il reprend à son compte la doctrine constante des magistrats: l'élo-
quence judiciaire doit être purement professionnelle, ajustée au Parle-
ment français et chrétien; elle ne doit pas imiter Cicéron ni suivre
les préceptes de Quintilien. Eloquence probe, digne d'un serviteur de la
Justice du Royaume, et d'une sobriété tout «attique ». Conformément à
ce qu'il avait recommandé à Faye d'Espeisses dès 1586, Pasquier n'est
pas favorable aux citations. C'est toutefois le seul ornement qu'il tolère
dans la bouche d'un avocat, à condition qu'il en soit fait sobrement
usage 39••

890 Sur cette grève des avocats, voir outre l'introduction de Dupin au
Dialof{ue de Loisel, et j. Gaudry, ouvr. cit., t. l, ch. XIX, p. 315, j. Chavanon,
« A travers le Palais de justice, grève des avocats sous Henri IV:., La Cité,
t. V, 1910, p. 169-180.
391 Arnauld d'Andilly, Mémoires, éd. cit., p. 407, et p. 409-410.
392 Voir note 384.
393 Ibid., cit. par Th. Froment, ouvr. cit., p. 303-304.
394 Cit. par Froment, p. 302-303.
592 DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LETTRES

Cette modération était fort convenable au vieux Pasquier. Avait-elle


de l'attrait pour de jeunes avocats qui, doués de talent, et de médiocre
naissance, devaient écouter en silence, sur le troisième banc où on les
parquait, Messieurs les Avocats Généraux leur faire la morale? La
Roche-Flavin parle à leur propos de «noviciat ».
Le parallèle auquel il se livre pour justifier ce terme donne la mesure
du dédain des magistrats gallicans pour leurs «diacres,., et de la
persistance du modèle ecclésiastique dans les mœurs et l'organisation
du Palais:

Comme les Jésuites se divisent en Novices, en Regens, en Profès, aussi


ès barreaux des Palais nous avons trois espèces d'Advocats, les escou-
tans, les plaidans, et les consultans 395.

Cette répartition hiérarchisée définit un cursus honorum et se


traduit par une place plus ou moins avancée sur les trois bancs réservés
au Barreau. Les stagiaires «escoutans» sont soumis à une discipline
sévère: être assidus, être attentifs et silencieux. Les «plaidans,. selon
La Roche-Flavin, fidèle à la doctrine de Pibrac, d'Espeisses. et La Guesle,
«doivent estre plus curieux de science et doctrine que des parolles
et de la beauté du langage ». Leurs plaidoyers doivent s'inspirer de la
seule vertu, alliée à la vérité, et exprimée avec brièveté. Les «consul-
tans », en fin de carrière, ont une fonction qui tient beaucoup de celle
du magistrat, ils sont «les premiers juges ». Mais avant d'atteindre à
cette sérénité et à cette indépendance lucrative il a fallu passer par deux
étapes d'une «chicane» étroitement soumise aux Remonstrances et aux
Mercuriales des magistrats.

Le malaise d'une génération

Cet ordre des choses était supportable dans le Paris du XVIe siècle.
Il ne l'est plus ou il l'est beaucoup moins au XVII" siècle. Aux quelques
raisons que nous avons énumérées, il faut en ajouter une autre, qui est
peut-être la plus décisive .. A la sévérité du stoïcisme chrétien des magis-
trats s'ajoute en milieu de Robe la piété réformée du c Siècle des
Saints ». A celle-ci, à son ordre sévère, seuls peuvent se permettre d'échap-
per les gens de Cour. Leur liberté de mœurs, leur goût du luxe et des
plaisirs, leur appétit de fête, créent un pôle de résistance à l'esprit de
Carême qui règne dans la bourgeoisie. La scène de la Cour, un peu
comme l'Olympe des Dieux païens tel que le décrit Rotrou dans Les
Sosies, dessine au-dessus d'un monde soumis aux contraintes morales et

395 La Roche-Flavin, ouvr. cit., p. 239.


JEUNESSE SAVANTE ET JEUNESSE DE COUR 593
religieuses l'espace idéalisé d'une société civile réconciliée avec le plaisir.
Celle-ci exerce une fascination très vive sur la frange la plus impatiente
du milieu robin, la jeunesse. Le c mal du siècle:. des jeunes talents du
Barreau éprouve une connivence certaine avec la manière d'être libertine,
c selon la Nature:., des jeunes gens de la Cour. L'exemple de celle-ci,
sur le théâtre brillamment éclairé du Louvre et des Hôtels de la grande
noblesse, pousse les jeunes robins à secouer les vieilles inhibitions
religieuses et morales de la bourgeoisie lettrée. En imagination au moins,
sur le chemin frayé au-dessus d'elle par les gentilshommes de Cour, une
élite de jeunes bourgeois destinés à des carrières de Robe osent prendre
quelque goGt des plaisirs, et entre autres, du bonheur d'expression.
Nous reviendrons sur le problème posé par la jeunesse de Cour.
Contentons-nous ici d'un témoignage attestant l'effroi ou l'admiration
qu'elle suscite.
Dans un recueil de Conférences académiques émanant d'un cercle
orléanais, mais publié à Paris en 1618, le doyen de Heere, du chapitre
de Saint-Aignan, ouvre les débats par une harangue Des deux dges,
Adolescence et Vieillesse. Hommage indirect aux bons jeunes gens qui
acceptent de dialoguer avec leurs anciens et s'exercer en leur présence
à l'éloquence. Mais qu'ils prennent garde au mauvais exemple:
Ces jeunes chevaliers sont plustôt comme des chevaux eschappés, et
des bestes farouches qui desgagez une fois de leurs liens et de leurs
chai snes ne recoignoissent plus leur maistre, et comme les femmes au dire
d'Herodote en despouillant leur chemise despouillent quand et quand toute
honte, aussi la jeunesse en devestant la robe puerile, souvent quitte la
pudeur et l'honnesteté, s'abandonne à toutes sortes de dissolutions, de
vanitez, de presomptions, qui la portent à une telle opinion de soy-mesme
que souventes fois oubliant le respect qu'on doit aux choses superieures,
elle rapporte tout à ses propres forces, ou au moins sans se soucier de
religion, à la fortune et à la destinée 896.

Vigoureuse et vacante, la jeunesse que le doyen de Heere a sous


les yeux est d'instinct libertine. Elle adore en sa propre image le
miroir d'une Nature antérieure à la Chute:
Ce qui rend l'humeur de ces gens encor plus présomptueuse, est que
considerans la beauté de leur visage, la force de leur corps, la vigueur

896 Conferences academiques recueillies et mises en lumiere par le Sr de


Heere, doyen de Saint-Aignan, d'Orléans, Paris, Langlois, 1618 (Ars. 8° BL
28.49), p. 17. L'origine du topos jeunesse/Vieillesse est antique: voir Cicéron,
Caton l'Ancien ou de la Vieillesse et surtout Quintilien, Inst. Or., XII, 6, sur
le meilleur âge de l'orateur (voir plus haut ce thème traité par Dupré dans
le Pourtraiet de l'Eloquence). Sur le problème de la lutte de générations comme
moteur d'évolution de la culture, voir Anthony Esler, The aspiring mind of
the Elizabethan younger generation, Durham, Duke Univ. Press, 1966 (Sorb.
L 29.070 8°). Un travail analogue reste à faire sur la génération de 1620 en
France.
594 DE L'AVOCAT À L'HOMME DE LETTRES

de leur sens, la santé qui semble leur promettre une bien longue vie, ils
deviennent amoureux d'eux-mêmes, comme un autre Narcisse 397.

Ce sera exactement le diagnostic de Jacques de Maussac, deux ans


plus tard. Pour lui aussi, le mythe de Narcisse servira d'emblème au
paganisme hédoniste des jeunes qui se développe dangereusement à
l'intérieur de la France chrétienne.
Le tableau de cette génération nouvelle est donné en creux, mais
avec plus de détails, dans les Vacation es Autumnales. Nous en avons
donné un aperçu au chapitre précédent 398: la gestuelle dionysiaque
(gestuaria dionysiaca) 899 de ces jeunes révèle leur fatuité, leur effémi-
nation, leur coquetterie, qui n'est pas incompatible avec la brutalité et
la grossièreté. Le P. de Cressolles accusait les «histrions ~ et gens de
théâtre de débaucher et de corrompre ces âmes en péril 400. Tout en
condamnant ces excès, le rhéteur jésuite se gardait de heurter de front la
jeunesse dorée. Il admettait qu'au moins en matière de style, elle a
droit à une certaine indulgence et à une marge de jeu. « Il faut concéder
quelque chose au sang et à la vigueur,. 401 •


••
Ce libéralisme, d'ailleurs tout relatif, n'est pas dans les mœurs des
Pères conscrits du Palais, qui se rallieront d'abord à la campagne de
Garasse contre Théophile, plutôt qu'aux accommodements souhaités
par un Cressolles.
Les «traîtres », que dénonçait Maussac, et qui désertent les mœurs
traditionnelles de la Robe, sont vertement repris par leurs aînés et leurs
supérieurs, et ne trouvent guère de différence entre le Collège, où sévis-
sait le Pédant, et le Parlement où sévissent les Censeurs.
Sans épiloguer sur le Francion de Sorel qui fait du c jeune Avocat
allloureux» un allié naturel du jeune gentilhomme libertin 402, retenons
une autre description de ce «mal du siècle» des jeunes robins: c'est
l'Apologie des jeunes Advocats avec la recommandation de la poésie et

397 Ibid., p. 20. On peut ainsi reconstituer le cheminement de l'antonomase


de Narcisse appliquée aux jeunes gens 1620: 1. De Heere (1618) ; 2. Maussac
(1620) ; 3. Garasse (1624) ; 4. Goulu (1627).
398 Voir Il' partie p. 323-324.
399 Vacation es Aulumnales, éd. cit., p. 340.
400 Ibid.
401 Ibid., p. 411.
402 Voir Francion, éd. A. Adam, dans Romanciers du XVII" siècle, Paris,
Gallimard, p. 191-192. Il est curieux d'observer que la polémique de Sorel contre
Balzac-Hortensius, attaqué par les doctes de Robe comme étant «de Cour~,
adopte le point de vue exactement inverse: c'est un pédant, qui communique
sa maladie au Louvre (p. 426 et 432-433). Ces deux «tirs" antithétiques défi-
nissent fort bien la position médiatrice de Balzac.
« L'APOLOGIE DES JEUNES AVOCATS:. DE L. GODET 595
de la nouvelle jurisprudence, que son auteur, Louis Oodet, publie à
Châlons en 1613. Toutes proportions gardées, on a affaire ici, contre
l'orthodoxie fixée par les Remonstrances, à une révolte analogue à celle
de O.B. Manzini, publiant à Rome ses Furori della gioventù pour fronder
les leçons très officielles des Prolusiones academicae du P. Strada.
Ce jeune homme a une vocation de poète, il rêve de c gloire:., il
déteste le «trafic », la «marchandise », c l'avarice ». Mais son père
veut qu'il devienne avocat. Il s'y résigne. Encore faudrait-il que les
vieux renards lui fissent un peu de place. Mais les c anciens:. ont le
monopole de la clientèle, qui se méfie d'un jeune avocat-poète, et préfère
s'adresser à des experts éprouvés, jouissant d'autorité au Palais, et tout
bardés de citations de Bartole. Ce sont les rois de la Chicane. Ils sont
possédés d'une véritable boulimie d'argent, en dépit du serment qu'ils
prêtent chaque année. Au contraire, les jeunes sont désintéressés, ils
rêvent de poésie et de beau langage. Ils rêvent d'amour, que les rois de
la Chicane, et pour cause, haïssent. Notre poète essaie de faire vibrer
cette corde aux oreilles des belles plaideuses:

Prenant quelqu'avocat âgé


Qui n'a qu'une froide caillette,
Vostre procès sera jugé
Tant seulement sur l'étiquette.
Mais choisissez quelque fringant
Qui ne manque de belle pointe...

Las 1 La robe noire est un remède qui gâche les provocations amou-
reuses, même les plus gaillardes. Faudra-t-il se plier, tant bien que mal,
à la règle du Palais?
Il nous faut nos Luths delaisser
Et tous instrumens de Musique,
Et n'apprendre rien qu'à priser
L'harmonieuse harpe dorique 403.
L'une des plus belles vertus
Est d'amasser des escus.

Après avoir essayé de se convaincre et de convaincre autrui qu'il aurait


pu faire un bien meilleur avocat que tous ses vieux rivaux, si on lui
avait laissé sa chance, notre poète renonce à toute mélancolie, et fait
profession de foi à la fois sceptique et épicurienne:
Il vaut mieux estre en santé
Que de sçavoir tout le Digeste.
Celuy qui ne sçait du tout rien
Ne révoque aussi rien en doute,
Où le sçavant ne veoit goutte,
L'ignorant croit qu'il y veoit bien.

403 Voir Vacationes Autumna/es, cit. dans notre II' Partie, p. 320, n. 332.
596 DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LETTRES

On gagneroit donc a brusler


Ces vieux bouquins pleins de poussière,
Ceux-là qui sont les plus sçavans
Ne sont pas pourtant les plus sages ...

Et il conclut: c Il faut que les vieux avocats cèdent aux jeunes, et


qu'ils confessent ingénuement que rien n'est tel que Bene esse, vivere,
bibere et laetari:..
Le témoignage de La Mothe Le Vayer, beaucoup plus tardif, mais se
rapportant à l'âge et à l'époque de Louis Godet, confirme l'existence
chez les plus doués des jeunes robins d'un redoutable malaise. René
Pintard a retracé, avant d'analyser le c libertinage érudit:. d'Qrasius
Tubero, les débauches et les voyages du jeune Le Vayer .• Celui-ci s'en
justifie par une véritable phobie des mœurs du Palais:
En vérité, je respecte autant que je dois les hommes de la robe, mais
je vous confesse que les abus qui s'y commettent ont beaucoup fortiffié
l'aversion naturelle que j'ay toujours eue de m'y attacher. L'objet des
occupations d'un palais de chicane m'a toujours fait cabrer l'esprit, quel-
qu'honneur qui m'y paru st joint ou quelqu'utilité que j'y visse annexée [ ... ]
Et je ne pense pas que celuy de personne ait jamais plus souffert que
le mien, autant de fois que j'ay esté contraint d'en prendre quelque notion
confuse [ ... ] L'ignorance mesme de ce que ce mestier a de plus fin m'a
toujours pIeu, et l'inclination que j'avais estant jeune pour la Philosophie
me faisait quelque vanité de n'entendre rien aux affaires de Thémis ...

Mais, fils d'un substitut au Procureur Général, et assuré de la survi-


vance, La Mothe, s'il méprise le Palais en général, partage toutefois,
sans peut-être qu'il s'en rende tout à fait compte, les préjugés de la
Grande Robe contre les avocats:
Et vous n'ignorez pas, continue-t-i1, qu'on a voulu rendre un advocat
d'autant plus meschant homme qu'il estoit excellent dans sa profession,
toute portée à gagner l'esprit des Juges et à obtenir d'eux par son élo-
quence et par son artifice ce qui est advantageux à ceux dont il plaide
la cause [... ] Tant y a que la plus fine chicane est toujours accompagnée
de tant de tromperie qu'elle a donné lieu à ce Pentamètre d'une des
vieilles épigrammes recueillies soigneusement par Pierre Pithou : Non sine
fraude forum, non sine mure penus 404.

La tentation littéraire des jeunes robins

Cette phobie du Palais ne pouvait pas ne pas s'étendre jusqu'à la


montagne Sainte-Geneviève, dont les Collèges formaient les futurs avo-
cats. Avec l'humanisme solide mais sans grâce des régents latineurs,

404 Voir La Mothe Le Vayer, Œuvres, Paris, Billaine, 1669, 12·, t. IX,
p. 496-499, cit. par R. de Kerviler, François La Mothe Le Voyer, sa vie et ses
écrits, Paris, 1879, p. 25.
L'ÉDUCATION D'UN PAGE 597
rivalisait dans l'esprit des élèves la culture romanesque de tradition
courtoise, dont les grandes familles nobles et la Cour était la clientèle
privilégiée. Entre les deux cultures, les Jésuites avaient beau jeu d'offrir
un moyen terme séduisant, avec une pédagogie et un humanisme faisant
plus de part aux agréments et à l'ornement qu'à la mémoire.
On peut se faire une idée de l'extraordinaire décalage entre la culture
d'un jeune « chevalier» et celle d'un jeune «clerc» formé par l'Univer-
sité, sous Henri IV et Louis XIII, en comparant le récit que Tristan
L'Hermite fait de son enfance dans Le Page disgrâcié et celui qu'André
d'Ormesson fait de ses études dans ses Mémoires.

Je vous dirai, écrit Tristan, que je n'avais guère plus de quatre ans
que je savais lire et que je commençai à prendre plaisir à la lecture des
romans que je debitais agreablement à mon aïeule et à mon grand'pere,
lorsque, pour me detourner de cette lecture inutile, ils m'envoyèrent aux
écoles pour apprendre les éléments de la langue latine ... On m'avait laissé
goûter avec trop de licence les choses agréables ... 405.

Le latin engendre en lui une mélancolie aussi profonde que celle dont
Malherbe se réjouit de voir délivré Louis XIII, sitôt qu'il est c hors
latin}) 406. Aussi s'adonne-t-i1 à la peinture et à la poésie, et fréquente-
t-i1 des comédiens 407. Il se nourrit, pour faire bonne mesure, de romans
héroïques, et fait la cour à une jolie fille en lui récitant des «contes
frivoles» du Tasse et de l'Arioste 408. Page chez le jeune marquis de
Verneuil, il entre en guerre contre le pédant Claude Dupont, précepteur
du jeune Prince, et il raconte à celui-ci la fable du Loup et de l'Agneau 400.

j'étais, poursuit-il, le vivant répertoire des romans et des contes fabu-


leux ... Je pouvais agréablement et facilement débiter toutes les fables qui
nous sont connues, depuis celles d'Homère et d'Ovide jusqu'à celles
d'Esope et de Peau d'Ane 410.

Romans, fables, contes, musique, théâtre, cette culture toute courtoise


n'obéit qu'aux critères de 1'« agréable» et du « frivole" ; elle est entiè-
rement tournée vers les délectations de l'imaginaire et de la fiction
qui les stimulent. Ce récit autobiographique corrobore les peintures que
Sorel, robin fasciné par les jeunes d'Epée, a multipliées dans Francion.
Le héros auquel Sorel, avant de se ranger aux goûts de sa caste, rend
une sorte de culte ébloui, ne vit que pour les plaisirs de l'imagination et

405 Voir Tristan, Le Page disgrdcié, éd. Marcel Arland, Paris, Stock, 1946
(1 re éd. 1643), p. 54.
406 Malherbe, Œuvres, éd. Adam cit., p. 007. Malherbe dit exactement:
«S.M. est hors latin et se porte fort bien.:.
407 Tristan, ibid., p. 71.
408 Ibid., p. 122.
409 Ibid., p. 61.
410 Ibid., p. 59.
598 DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LE1TRES

des sens; il a d'instinct le goût des beaux-arts, de la poésie, et pendant


son séjour au Collège, son horreur du latin n'a d'égal que son goût
des romans, et des tours à jouer à son pédant de pédagogue 411 •


••
Avec les Mémoires d'André d'Ormesson, on a l'impression d'entrer
dans un autre monde, où régnent encore Alcuin et Nicolas de Clamanges,
et où n'ont jamais 'pénétré ni Chrétien de Troyes, ni l'Arioste:
Je veux en cette feuille escrire les autheurs qui m'ont esté lus en
classe, en ma jeunesse 1... ) sous les regens M. Jard et M. Seguin ... :
Les Eglogues de Virgile
La comédie de Térence l'Eunuque
La comédie de Phormio, aussy de Terence.
L'espitre d'Ovide Oenona Paridi
L'espitre d'Ovide Medea Jasoni
La satyre d'Horace Qui fit Moecenas
La satyre du Juvénal Stemmata qui faciunt
Quelques epistres de Cicéron entre autres
celle qui commence Coram me tecum etc.
Je n'ay presque rien oublié de tout
ce que j'ay appris de ma jeunesse,
j'ay pris aussi plaisir de relire
de fois à autre mes anciennes leçons pour m'en souvenir 412.

Et après avoir rappelé le programme du cours de M. Raquis, au


Collège de Navarre, ses études de Logique faites aux Jésuites, ses
études de Droit romain à Orléans et de Droit canon à Paris,
l'honorable barbon commente ainsi en 1657, ces pages écrites en 1645 :
Je puis dire que j'ay retenu par cœur, toute ma vie, tout ce que
j'ay appris en ma jeunesse, m'en estant de temps en temps rafraîchi la
memoire de peur de l'oublier: memoria minuitur in senibus nisi cum
exerceas. Nous ne somme sçavans que de ce que nous sçavons par cœur,
il faut en matiere de science, pouvoir dire avec le philosophe Bias, Omnia
mea mecum porto. Autrement celui qui auroit plus grande quantité de
livres se pourroit dire le plus sçavant homme du monde; ce qui n'est pas:
animlls divitem facit, non arca 413.

La « rhétorique des citations» est naturelle à André d'Ormesson. Elle


est parfaitement accordée à une «prudhomie» de bon magistrat et de
bon père de famille estimé de tous. Le « bonhomme» n'a pas même de
prétention à l'érudition: il vit sur un fonds solide qui suffit à l'exercice

Ibid., p. 189.
411
Journal d'Olivier Le Fèvre d'Ormesson, éd. Chéruel, Paris, 1860, t. l,
412
lntrod. p. xxx.
413 Ibid., p. XXXII.
LE DÉGOÛT POUR LES PÉDANTS 599

de ses charges. Il a encore moins de prétention à l'élégance. L'ouverture


du cœur et de belles vertus lui suffisaient pour être unanimement respecté
dans son milieu.

•••
Mais aux yeux des moins dociles parmi les jeunes robins, et cela
dès le début du règne de Louis XIII, un homme comme André d'Ormes-
son, trop fidèle à ses maîtres de l'Université, a " l'air pédant ».
Dans les Conférences académiques publiées en 1618, et que nous
avons déjà citées, nous trouvons, attribué à M. Fournier, Docteur
en Droit, un portrait du « Pédant» qui anticipe de quatre ans sur l'Hor-
tensius de Sorel. Nous avons eu un aperçu de la modération des débats
dans cette académie orléanaise. La violence de ce portrait est d'autant
plus significative:
Je rencontra y chez un libraire à Paris, écrit notre Docteur (encore
étudiant sans doute lorsqu'il parlait ainsi) ce personnage qui avait un
visage maigre, les cheveux gras, les sourcils hérissés, les yeux battus,
le teint bronzé, la barbe bourrue, la moustache emperlée d'une petite rosée,
les mains crasseuses, le bout des ongles ardoizés. On jugeoit à l'air de
son visage qu'il avoit la mine d'aller un peu dur à ses affaires; par sa
chemise salle et ses habits crottez on recognoissoit qu'il n'estoit nulle-
ment curieux; par ses discours naïfs et ses actions peu ceremonieuses on
ne voyait que trop apparemment qu'il n'etoit pas mondain 414.

Cette ekphrasis, que le P. Caussin rangerait dans le genre du "ca-


ractère épidictique », sent son élève des Jésuites. Ceux-ci, fort propres
de leur personne, fondaient leur propagande pédagogique sur le contraste
entre le bon ordre, la jocositas, et l'urbanitas de leurs collèges, et le
désordre, la morosité, et les mauvaises mœurs des écoles de l'Université.
Une académie comme celle du doyen De Heere, le style orné des discours
qu'on y tient, prolongent dans la vie «civile» une des institutions
caractéristique des Collèges de la Compagnie 415. Les offensives offi-
cielles conduites par les Caussin, Cressolles et Binet contre le pédantisme
du Palais et de l'Université s'accompagnent d'un travail de sape qui va
dans le même sens que celui des « Sirènes de Cour ». Dans ses Progym-
nasmata lafinilatis parus en 1594, et destinés à l'usage scolaire, le
P. Pontanus adressait aux pédants universitaires les mêmes reproches
que Fournier 416, et il condamnait les mêmes auteurs que lui, Que trouve-

414 Conferences ... , éd. ci!., p. 301. Sur le «Dr» fournier, v. n. 299 (Camus
le tient pour un grand orateur). Est-il le fils de l'érudit Guillaume fournier,
ami de Pithou ?
415 Sur l'institution d'« Académies» à l'intérieur des Collèges jésuites, voir
Dainville, Les Jésuites et l'éducation de la société française, Paris, 1940, p. 307.
416 Voir notre communication à paraître dans les Actes du Colloque néo-
latin d'Amsterdam, 1973, sur Pédagogie de la parole et de l'écrit: les Pro-
gymnasmata du P. Pontanus, W. finck, Munich, 1979, p. 410-425.
600 DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LETTRES

t-on en effet dans' la bibltothèque du Pédant «au teint bronzé,.?


« Calepin 411, Alexander ab Alexandro 418, Theatrum Vitae humanae 419,
Apophtegmes de Lycosthène et d'Erasme 420, Epithètes de Textor 421,
Dictionarium Poeticum, Phrases de Manuce, Lorent Valla, Dialogues de
Vivès, Oraisons de Muret, Flores poetarum, et un gros volume '" intitulé
sur le dos Loci communes,. 422.
La plupart de ces « sources d'éloquence» sont condamnées nommé-
ment par le P. Ponta nus 428. L'adjonction, indirectement satirique des
Oraisons de Muret, chères aux Jésuites, prouve seulement que leurs
élèves, renchérissant sur leurs maîtres, abandonnaient vite le culte du
latin pour se rallier à la langue vulgaire. Les assises livresques de la
«rhétorique des citations» sont là dénuées du prestige de la haute
érudition, ravalées à une technique psittaciste des «lieux >. Le «gros
volume », que le pédant couve d'un soin jaloux, n'est autre que l'Art
de la mémoire de Raymond Lulle 424, encyclopédie méthodique pleine,
selon son propriétaire, de « secrets mystiques ».

417 Nous avons là une bibliographie assez complète des «sources d'élo-
quence:l> de la «rhétorique des citationS:l>, quand celle-ci n'est pas pratiquée
par d'authentiques érudits. Calepin: Calepinus (Ambrosius). Dictionarium ex
optimis quibusdam au/horibus s/udiose collec/um e/ recentius auc/um, Paris,
Josse Bade, 1514 (rééd. et augmenté jusqu'en 1605; à partir de 1609 jusqu'en
1681, c'est la version revue par Jean Passe rat qui est sans cesse rééditée).
418 Alessandro Alessandri (jurisconsulte napolitain) : Genialium dierum libri
sex, Paris, 1532 (rééd. jusqu'en 1616).
419 Thea/rum Vitae humanae omnium fere quae in hominum cadere possun/
bonorum e/ malorum exempla his/orica ... comprehendens a Conrado Lycos/hene
jampridem inchoa/um, nunc vero Theodori Svingeri... opera ... deduc/um ... Basi-
leae, per J. Oporinum, A. et A. Frobenios Fratres, 1565, in-fol.
420 Lycosthenes (Conrad). Apophlegma/um ex oplimis ulriusque linguae
scriploribus per Conradum Lycos/henem ... , collectorum loci communes ad ordi-
nem alphabeticum redacli, Lugduni, A. Vincentium, 1556 (rééd. jusqu'en 1633).
Ce Lycosthène est aussi l'auteur d'un abrégé du Florilège de Stobée : Epitome
Joannis Siobaei sen/en/iarum, sive locorum communium... nunc primum edita
per C.L., Basileae, 8ryling, 1557.
421 Textor (Jean Tixier de Ravisi, dit Ravisius). Cornucopiae quo conti-
nen/ur loca diversis rebus abundantia secundum ordinem litterarum ... , Paris,
1519 (rééd. jusqu'en 1612). L'ouvrage consulté par le Pédant est ici: Epi/he/a,
s/udiosis omnibus poeticae artis maxime utilia, Paris, Chaudière, 1523 (rééd.
jusqu'en 1664). Cet ouvrage est le modèle dont s'est inspiré M. de la Porte,
Les Epi/hèles, ouvr. cit., dont le «réservoir» est la poésie de la Pléiade. Il
est frappant d'observer que cette production a son centre à Paris et que
les érudits germaniques y contribuent plus encore que les érudits français. On
est tenté de penser qu'il s'agit d'un mode rhétorique spécifique de l'humanisme
du Nord. Il serait curieux de comparer ces dictionnaires et cornu copies pari-
siens à un dictionnaire comme celui de Nizolius, si typique de l'humanisme
« cicéronien» italien. Au fond, Paris n'est devenu une capitale «Iatine:o et n'a
échappé à l'Europe du Nord qu'au cours du XVII' siècle.
422 Conférences, éd. cit., p. 317. Voir aussi 322. C'est là évidemment la
source directe de l'Hortensius de Sorel: voir, éd. cit. de Francion, p. 192 et
203, les «lieux communs:l> et «sentences> «bagoulées:o par le Pédant.
423 Voir étude cit., note 416.
424 Voir Frances Yates, L'Art de la mémoire, éd. cit., p. 188 et suiv.
COMPLICITÉS ENTRE L'ÉLÉGANCE DE COUR ET LA PÉDAGOOIE JÉSUITE 601

Fournier prend soin de distinguer son «pédant» des doctes véri-


tables, dont la coutume est de «parler un langage que tout le monde
entend, comme l'ont pratiqué de leur temps en prose Cicéron, et en vers
Virgile ». Mais ces doctes ne sont pas de ceux qui haïssent la Cour
et le langage élégant qu'on y apprécie. Voici comment, en termes dignes
de Goulu, de Maussac ou de Mlle de Gournay, le pédant stigmatise le beau
langage:

Quand je voy ces discours effeminez, ces longues periodes qui ter-
minent leur cadence à la cicéronienne, ces manieres de parler populaire,
je les parangonne à un banquet dont l'appareil à force de douceur est
trop fade. Au contraire, ces propos masles, s'il faut ainsi parler, ces
pointes serrées, et ces mots estranges qui font peur aux petits enfants
me semblent estre comme les saulces de haut goust qui resveillent l'ap-
petit de ceux qui sont desgoustez 426.

Fournier, qui fait de son pédant un admirateur de Tertullien et de


Politien, semble avoir été l'élève du P. de Cressolles, tant il partage le
goût des interlocuteurs des Vacationes Autumnales pour la «douceur»
cicéronienne.


••
Avec le Collège de Clermont, le « Pays latin» avait son «cheval de
Troie ». De là sortaient de jeunes clercs initiés à un humanisme plus
esthétique qu'érudit, plus rhétorique que philosophique. Et de l'autre côté
de la Seine, autour de Marie de Médicis, avant même l'arrivée de Marino
et la renaissance de l'italianisme, on voit se renouer la tradition. de
« douceur» italianisante et de grammaire mondaine qu'Henri Estienne
avait dénoncée sous Henri III. Le secrétaire de la Reine est un avocat
au Parlement, Jean-Baptiste Du Val 426, trop heureux d'échapper au
Palais et de se délivrer des chaînes qui y pèsent sur le langage. En
1604, il publie un petit traité intitulé L'Eschole françoise pour apprendre
à bien parler et à escrire selon l'usage du temps, et pratique des bons
autheurs. Œuvre audacieuse à bien des égards: Du Val prend l'usage
de Cour comme référence du meilleur style et il envisage l'éloquence
sous l'angle des «mots », donc de la grammaire, que les orateurs et
érudits de la rive gauche réservent aux seules langues savantes 427.

425 Conferences, éd. dt., p. 349.


426 Il Y aurait une étude à faire sur le rôle à la Cour des secrétaires chargés
d'apprendre le français aux princesses étrangères, et l'~spagnol ou l'italien aux
princes français. Le cas le plus connu est celui d'Ambroise de Salazar, pro-
fesseur d'espagnol de Louis Xlii, qui passe pour avoir été aussi un ami de
Corneille.
427 Sur l'œuvre de Du Val dans l'histoire de la grammaire, voir Jean-Claude
Chevallier, La notion de complément..., ouvr. dt., p. 442.
602 DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LElTRES

Il a parfaitement conscience de transgresser les limites imparties aux


gens de son milieu. Pourta.nt, il n'ose rompre tout à fait: adversaire des
pédantes citations, il a malgré lui cédé à l'usage du Palais:
Si ce n'eu st esté pour complaire à quelques-uns, je n'y eusse pas mis
un seul mot [de latin), tant je trouve que nostre langue peut aller de pair
avec celuy-Ià ou tout autre 428.

Cette concession faite à son milieu d'origine, il adopte sans remords les
préjugés des gens de Cour .. Il exècre c la mine renfrognée de nos Péda-
gogues" et leurs c remonstrances ». Il cite avec révérence, et en toute
occasion, les «courtisans» comme des autorités en matière de langage.
Et dans un étrange chapitre, intitulé Des parties muettes de l'oraison,
il montre qu'il a observé, avec une curiosité d'ethnologue en voyage
d'études, un «style,. de Cour dont les traités de rhétorique classique ne
font pas mention. Pour le désigner, il est obligé de faire appel à la
distinction que fait Cicéron entre c disert» et c éloquent,.. Il va même
jusqu'à proposer de qualifier «Ioquence» et non c éloquence », cet art
de parler qui semble devoir autant à la musique qu'à la grammaire,
et qui est évidemment fort différent de la «science de bien dire,. telle
que l'entendent les magistrats du Palais. En dépit de son effort pour
ramener l'inconnu au connu, il lui échappe une analyse que seule l'obser-
vation de la conversation de Cour a rendue possible:
Quelquefois un ris, un silence ou une retenue ont mieux exprimé nos
intentions que n'eust peu faire nostre parole, jusque là que si nous n'y
prenons garde, elles viennent insensiblement à nous trahir 429.

De façon fort significative, il intitule cette longue digression c pré-


ceptes de civilité,.. Il use d'ailleurs avec son lecteur de compliments
peu en usage chez les" sçavans » du Palais. Craignant d'en faire trop et
d'ennuyer, il multiplie les excuses, et même feint de croire que son
lecteur en sait plus que lui: «Je seray tres aise, écrit-il, d'apprendre de
vous quelque chose de plus rare et ne devrès me refuser ce bien,. 480.
Mais sa trahison va plus loin que ces bonnes manières un peu trop
doucereuses. Sur trois points, il rompt avec les dogmes du Palais. Il
accorde à l'élocution, à la «cadence des périodes », à la «douceur qui
pénètre l'oreille », une importance et un soin scandaleux. Il rend aux
Italiens et à leur langue un hommage propre à faire rougir de honte les
héritiers de Budé et d'Estienne. Il propose d'imiter leurs auteurs au
même titre que les Grecs et les Latins. Pour éviter le pédantisme des
citations, odieux à la Cour, il propose une méthode bien suspecte à
des yeux «sçavans» :

L'Eschale française ... Avant-propos non paginé.


428
Ibid., p. 119. C'est le fruit de l'observation des conversations de Cour.
429
Mais c'est aussi une rhétorique de l'amour pastoral et romanesque, de son
éloquence propre (v. Il' Partie, note 187).
430 Voir p. 124, 134, 135.
JEUNES AVOCATS ATI1RÉS PAR L'ÉLÉGANCE: DU VAL, FILÉRE 603
L'industrie qu'i1 y faut apporter est de se glisser peu à peu dans les
belles pointes des Anciens et en saillir au petit pas, l'honneur sauve: je
veux dire qu'i1 ne faut pas coudre après l'esclat de leur escarlate quelque
pièce de nostre brun. mais qu'i1 faut que les parolles que nous mettons
devant ou après les leurs si bien choisies soient relevées par dessus le
commun, autrement ce seroit un diamant dans du plomb 431.

Pour Du Val, la sacro-sainte sentence de Caton, vir bonus dicendi


peritus, semble demeurer lettre morte. Le beau langage est à lui-même
sa suffisante justification. Le même Du Val, redoutable transfuge, avait
par ailleurs réédité en 1603 les Paradoxes. ce sont propos contre la
commune opinion debatfuz en forme de declamations forenses, que
Charles Estienne, fils prodigue de la grande famille docte, auteur de
la comédie des Abusez 432, avait traduits de l'italien en 1554 431. Beaux
exercices d'école de déèlamation, contenant l'éloge de la laideur, de la
sottise, de la stérilité: ancêtres lointains de la sophistique précieuse.


••
Lorsque Du Vair, en 1595, s'était élevé contre les citations, et avait
préconisé l'imitation en français de Cicéron et de Démosthène, il avait
pris soin d'écarter le péril du culte des «paroIles bien peignées:t. La
c force:t qu'il recommandait devait soutenir une éloquence civique, ani-
mée par une philosophie vécue. L'échec de l'éloquence civique est aussi
celui de ce mâle movere. La prose «sans couture:t que préconise Du
Val est plus «douce:> que « forte" ; elle tient plus de la robe de Cour
que la chaste nudité de (,Eloquence-Femme-Forte selon Du Vair. C'est
une tendance analogue qui se manifeste en 16\0 chez le jeune Alexandre
de Filère, toulousain, qui publie un Discours contre les citations du
grec et du latin.
Alexandre de Filère est aussi révolté que Louis Godet par le rang
subalterne où l'on relègue les avocats:
Vous. écrit-il, qui estes non les membres superflus. mais les parties
nobles et vitales du corps de la justice ... 434.

Il renvoie à J. de La Guesle ses accusations: ce sont les juges et


non les avocats qui maintiennent la routine du Palais, jetant ainsi sur

431 Ibid., II, Du Choix des dictions ...


432 Sur Estienne (Ch.) voir Dict. des Lettres fr .• XVI·. Il publia en 1551
un recueil de Familiares epistolae du cicéronien Bune!.
433 Paradoxes. ce sont propos contre la commune opinion debat/us en
forme de dec/amations forenses pour exciter les jeunes esprits en causes dif-
ficiles ...• Paris. Ch. Estienne, 1554. Trad. paraphr. de l'italien O. Landi Para-
dossi cioè Sen/enlie fuori dei commune parere ...• Lyon. 1543. Dans sa réédition
de 1603. Du Val omet le «paradoxe» Pour les biberons. que l'ebriélé est
meilleure que la sobriété.
434 Discours ...• p. 59.
604 DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LETTRES

le Barreau une odieuse réputation de pédantisme 43~. Car ce jeune homme


ne veut pas s'enfermer dans le milieu chicanier, il y a en lui une vocation
d'honnête homme, soucieux de plaire aux gens d'Epée, aux dames, et
de ne pas porter trop visiblement l'empreinte professionnelle. 11 ne
songe pas un instant à se vouer à l'érudition, tombant ainsi, par antici-
pation, sous le coup de l'anathème que lancera dix ans plus tard le
conseiller Jacques de Maussac contre les «traîtres» qui se laissent
séduire par les Sirènes du grand monde 486. Est-ce un élève des Jésuites?
C'est probable. Son discours ressemble à une praelectio, transposée en
français, d'un régent formé à l'école du P. Benci.
Déplorant l'i1otisme oratoire où sont maintenus ses confrères, il leur
oppose la splendeur éloquente de Cicéron, dans le Pro Milone, chef-
d'œuvre pourtant d'éloquence judiciaire:
Voyez, dit-il, son ingénieux exorde, contemplez la narration si propre-
ment liée, que les joints ne paraissent point, elle n'entrebaille en aucun
endroit; considerez le milieu où son discours est raisonné, et où ses
arguments frappent et pressent l'adversaire. lisez apres sa peroraison,
remplie de mille pointes, et le regardant voler d'une aile si haute, nous
confessons que sa façon de discourir polie et lissée est quelque chose de
plus relevé que la nostre ... 437 •

Vigueur de l'inspiration, qui lie toutes les parties en un tout orga-


nique, beauté et variété de l'élocution qui donne à l'ensemble une surface
lisse et brillante, teUe est cette « ronde, pleine et divine éloquence» bannie
du Palais français. La polémique de Filère contre les «incrustations
empruntées» (expression qu'il tire de Montaigne) n'est donc qu'un biais
pour plaider la cause d'une éloquence faisant sa juste place aux raffine-
ments de l'élocution. Les citations du Latin et du Grec, rompant la
continuité rythmique et logique du discours, étaient inconnues des orateurs
classiques. Elles sont la pièce maîtresse d'une éloquence empruntant
aux Anciens, mais incapable de les imiter d'une façon créatrice. Et c'est
là le second point de la polémique d'Alexandre de Filère ; la perfection
de l'élocution française, loin d'être une démission de l'invention, exigerait
au contraire un effort créateur dont les orateurs du Palais se sont
montrés incapables. Plus proche encore de Montaigne que de Du Vair,
Filère montre fort habilement que le goût des citations trahit une sorte
de servilité envers les Anciens, un manque de confiance dans la langue
nationale, dont le tissu est pourtant capable de soutenir sans le rompre
les plus hautes «conceptions ». A la rigueur, si l'on tient à emprunter
aux Anciens leurs pensées, pourquoi ne pas les traduire, et les disposer
invisiblement dans le flux du discours continu en français?
Car, ajoute-t-il, un parler pur, simple, uny, esgal partout et coulant
tout à l'aise, est mille fois plus doux plus délicat et plus ravissant que

43~ Ibid., p. 12.


436 Sur Maussac, voir ci-dessus p. 531.
437 Discours...• p. 53.
FILÈRE COMBAT LA RHÉTORIQUE DES CITATIONS 605

celuy qui est embrouillé d'un divers langage. L'harmonie nombreuse qui
naist de ceste agreable façon de parler sans citations grecques et latines
flatte sans doute et chatouille avec plus de plaisir l'esprit et l'oreille d'une
attentive assemblée 438.

Ce jeune avocat, ennemi du «desordre confus », d'un «son divers


et mal agreable », s0ucieux d'« harmonie" et de «liaison", formule
mieux que personne avant lui l'idéal d'un atticisme cicéronien transposé
en français. Ennemi de l'atticisme sénéquien (il cite la formule célèbre
du « sable sans chaux») 439, il reste fidèle à la tradition française, mais
il la convertit au plaisir littéraire. Il est possible que, comme le jeune
Patru, l'initiation musicale lui soit venue de la lecture de l'Astrée. Si
scandaleux que ses propos aient pu sembler aux austères mainteneurs
des traditions parlementaires, ils n'en sont pas moins redevables à
celles-ci: ce jeune homme a le culte de l'éloquence, et de l'éloquence
française, et c'est par fidélité qu'il veut le progrès; d'autre part, il rêve
d'une perfection absolue, architectonique, qui conserve, sous une surface
plus polie, le culte d'une Vérité intangible dont les Parlements se sont
fait les champions. Peu de textes résument aussi bien l'idéal classique
que celui-ci :
Comme un grand architecte qui a fait le plan et le dessein d'un édifice
royal, et l'a conduit après à son comble, doit estre plus estimé que celuy
de ses manœuvres qui a su enchasser à propos quelques pieces de jaspe
sur Je haut de la frise, et corniche d'une croisée, ainsi croy-je que celuy
qui bastit un grand et beau discours de son invention, et qui suivant les
orateurs grecs et latins ne s'amuse point à ramasser de costé et d'autre
des citations diverses, doit acquérir plus de gloire que celuy qui ne sçait
qu'inférer et enchasser des allégations en un discours, qui soit comme
certaines pièces de marbre pour donner lustre à la structure d'une oraison
dénuée d'invention et d'éloquence 440.

A bien des égards, Alexandre de Filère anticipe sur l'idéal d'atticisme


cicéronien que défendra Patru deux décennies plus tard. Entre Du Vair
et Patru, il marque l'irrésistible glissement qui entraîne la prose oratoire
française de l'éloquence philosophique à la prose littéraire, en passant
par la phase de l'éloquence civique. Dans cette évolution, le besoin des
avocats de donner plus de dignité à leur profession joua un rôle non
négligeable.
La « Remonstrance» imprimée de Filère ouvre une querelle des cita-
tions, qui fraye la voie à un débat critique sur le "meilleur style» en
prose française. La première phase de la Querelle Balzac-Goulu, celle
qui fut ouverte par le pamphlet du Frère André de Saint-Denis, La

438 Ibid., p. 25.


439 Ibid., p. 26.
440 Ibid., p. 17. Cette violente «remonstrance:b est dirigée contre la tra-
dition du Palais, non plus par un magistrat comme Du Vair, mais par un
avocat s'adressant à des avocats, et exhortant ses confrères à «fuir la Bar-
barie:. et à conquérir «l'immortalité» à l'égal des grands orateurs antiques.
606 DE L'AVOCAT À L'HOMME DE LETTRES

conformité de l'éloquence de M. de Balzac avec celle des Anciens, est


un aspect de cette querelle, que Du Vair avait cru éviter par la doctrine
de son traité De l'Eloquence.
En 1611, en réponse à Filère, paraissait à Paris un Discours paré-
nétique aux Advocats pour l'usage des citations du Grec et du Latin en
leurs plaidoyez, contre le Discours du Sieur Alexandre, Maistre Paul de
Filère Thoulouzain, par Antoine de Rambaud, Conseiller du Roy et Refe-
rendaire en la Chancellerie de Daufiné 441. Pièce bien médiocre mais qui a
le mérite de nous faire mieux connaître les adversaires contre lesquels
luttaient chacun à sa manière, le Montaigne des Essais, le Du Vair du
traité De l'Eloquence et le Filère du Discours contre les citations. Un des
plus forts arguments de Rambaud en faveur des c: incrustations emprun-
tées li) est d'ordre utilitaire: «On nous coupe le chemin des vivres, on
veut fermer le magasin des provisions :o. Pour Rambaud, il n'est d'autre
invention que puisant à pleines mains dans les recueils mnémotechniques,
Trésors et Polyanthées. Autre argument sans réplique: nos parents ont
dépensé trop d'argent pour nous arracher à la tourbe des ignorants,
nous ne pouvons pas laisser en friche tout ce grec et ce latin acquis
si chèrement. L'esprit « roturier :0 dont Montaigne et Du Vair se plaignent
et qu'ils accusent d'avilir les «études» en France, se manifeste ici avec
candeur. C'est dire que notre Rambaud ne se pique pas d'une « magna-
nimité li) capable de disputer la couronne aux grands Anciens: ceux-ci
pouvaient se permettre de ne pas faire de citations, ils inventaient tout,
par un génie tout divin; comment les modernes, qui leur doivent tout,
pourraient-ils se montrer ingrats envers ces admirables morts en ne
leur prêtant pas la parole, dans leur propre langue. C'est bien la seule
forme de «générosité li) dont Rambaud s'estime capable. Ses autres
arguments sont d'ordre professionnel: comment citer les lois, rédigées
en latin et en grec, autrement que dans le texte original? Comment
rompre avec la tradition de ces « grands Capitaines de l'éloquence fran-
çaise les seigneurs de Pibrac, d'Espeisses, et de Cannaie qui parmy l'effort
de leur puissante batterie chargent à tous coups les canons français
de basles Grecques et Latines?» 442.
Cette métaphore balistique (qui reconnaît implicitement l'infériorité
de la langue française, creuse, sur la plénitude des langues antiques) joue
dans le même sens que la métaphore de la tapisserie ou de la
mosaïque 443: les citations, qui se chargent d'elles-mêmes de nourrir,

441 On est mieux renseigné sur Rambaud que sur Filère. Voir Adolphe
Rochas, Biographie du Dauphiné, Paris, Charavay, 1860, t. II, p. 324-328.
442 Discours ... , p. 67.
443 Ibid., p. 14: nous devons «marqueter nos oraisons, et les orner comme
d'une belle tapisserie de diverses couleurs, en quoy nous sommes guidez par
celle qui ne peut errer, nostre mere commune qui se plaist à la diversité: et
rart, qui n'est autre chose que le singe de la nature, nous monstre que les
incrustations de marbre, de jaspe, de porphyre, et autres pierres de noble
valeur portent un embellissement majestueux en la maison des Rois, qui sans
cela ne seroient point differentes de celles des particuliers: et certes, il y a
RAMBAUD PLAIDE POUR LA RHÉTORIQUE DES CITATIONS 007

d'orner, et de rendre véhément le discours, tiennent lieu de toute autre


« rhétorique ». et ont le mérite d'éviter à l'avocat le soupçon de sophis-
tique. Antoine de Rambaud est une âme à la fois avisée et docile.
Alors même que Pat ru, Godeau, et toute une pléiade de traducteurs
auront mis au point une prose française « cicéronienne» telle que l'appe-
lait de ses vœux Filère, si forte est la tradition du Parlement que la
Querelle des citations se poursuit imperturbablement fort avant dans
le siècle. Dans ses Considérations sur l'Eloquence française, en 1638,
La Mothe Le Vayer ne craint pas de soutenir prudemment la cause
plaidée en 1611 par Rambaud; Gabriel Guéret, sous Louis XIV, défend
encore l'usage des citations 444. Pourtant La Mothe Le Vayer, qui fut
avocat en 1606, avant de se distraire en voyageant et de succéder à son
père dans l'office de substitut au Procureur Général, s'était rangé parmi
les jeunes rebelles 445. Comme eux, il a lu avec avidité le traité De
l'Eloquence de Du Vair, le seul texte de critique française qu'il cite.
Il a sans doute lu aussi, en son temps, les pièces de la Querelle Filère-
Rambaud, bien qu'il ne les mentionne pas. Mais l'empreinte de la tradi-
tion des Remonstrances est trop forte, et il ne peut s'empêcher d'en
retrouver le ton prêcheur et de prendre parti pour les citations grecques
et latines:
Et certes, écrit-il, on peut dire, suivant [la] comparaison [d'Horace],
que comme il y a des vins qui ne sçauroient estre passez d'un vaisseau
dans un autre sans que s'évapore la meilleure partie de ce qu'ils ont de
spirituel et de généreux. il en est de même de certains passages des meil-
leurs autheurs, qui sont si aspres et si significatifs en leur langue, que
quand on les pense traduire, on est tout étonné qu'ils ont perdu toute
la grace et la force qu'ils possedoient auparavant. D'ailleurs c'est une
chose certaine que ceste Academie des morts dont parle Lucien est mer-
veilleusement puissante à nous persuader en nous instruisant 446.

Résumant élégamment les arguments de Rambaud, élaguant ceux qui


sentent par trop la roture, La Mothe, en réformateur prudent, s'efforce

pareille différence, entre les discours d'un homme docte. et les parolles d'un
ignorant, que d'un Palais royal à la cabane d'un Berger:.. Au fond, Rambaud
est un asianiste naïf: sa rhétorique un peu courte se limite pour toute «figure
de mots» aux citations, mais il a dans l'esprit un idéal de variété et de pompe
« démonstrative» qui a plus d'une analogie, sauf la «figure» centrale, avec
l'idéal du P. Binet.
444 G. Guéret, Entretiens sur l'éloquence de la chaire et du Barreau. Paris,
jean Guignard, 1666, dédié à Colbert, voir p. 129 Si les citations sont néces-
saires dans les plaidoyers. Cet entretien, qui conclut à un usage modéré des
citations. est-il une réplique au Dialogue des citations, de Claude Fleury, resté
manuscrit? (Ms. Fr. 9521 à la B.N.). Sur ce Dialogue, en attendant l'édition
critique que prépare Mlle Hepp, voir son article dans les Mélanges Pintard,
Strasbourg. 1975. En 1705 encore. dans une lettre à un correspondant jésuite,
Maucroix (in Lettres ...• éd. R. Kohn, Paris, P.U.F., 1962, p. 181) traite, en
citant élogieusement Du Vair, de la question des citations.
445 V. René Pintard. ouvr. cit., p. 132-133.
446 Considérations sur l'éloquence françoise de ce temps, ouvr. cit.. p. 144.
608 DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LETTRES
de sauver l'art des citations; afin d'empêcher toute rupture entre litté-
rature et érudition. entre la tradition parlementaire finissante et la tradi-
tion académique naissante.


"''''
Entre 16\0 et 1630. les jeunes «lions» de la noblesse de Cour. les
Gaston d·Orléans. les comte de Moret. les comte de Soissons. les duc
de Montmorency. les Bassompierre voient affluer à leur service des
transfuges du Palais. poètes. romanciers. auteurs de ballets de Cour.
qui font bon ménage avec les jeunes gentilshommes pauvres cherchant
fortune par les Belles-Lettres. Ils trouvèrent un premier modèle en Théo-
phile. dont on oublie trop souvent qu'i1 était fils d'avocat 447. En 1622.
ce sont deux jeunes avocats. Guillaume Colletet et Nicolas Frenicle qui
publient le Parnasse satyrique 448. où figurent des vers gaillards de leur
idole Théophile. Ce recueil attira sur l'ami du duc de Montmorency et
sur les imprudents jeunes gens les foudres du Palais et des Jésuites. Et
c'est encore sous le signe de Théophile que l'avocat Charles Sorel publie
en 1623 la première version du Francion.
Dans la mouvance des Nevers. autour de Marolles, de jeunes avocats,
animés des mêmes espoirs ~u'un Alexandre de Filère, viennent contribuer
à fixer « l'usage de Cour. 4 9.
C'est dans l'entourage du duc D'Epernon que naissent les Lettres
de Balzac, dont le succès est l'aube de la littérature classique. Succès
qui, au contraire de celui de Ronsard. fut imposé par la Cour aux
humanistes de Robe.
C'est au service de Gaston d'Orléans que fera ses débuts à Paris
André Mareschal. un des écrivains les plus doués de sa génération. avec
Corneille. et comme lui avocat au Parlement 450. Sa Chrysolite est indemne
de la fascination pour la jeune noblesse d'épée que révélait. dix ans plus
tôt. Francion : le héros n'est plus un gentilhomme qui a ses entrées à la
Cour, mais la jeunesse du quartier Saint-André-des-Arts ; ses amours. son
libertinage de mœurs et d·idées. sa désinvolture et s.a « civilité» n'ont plus
rien à envier à la jeunesse du Louvre. Les noms de pastorale donnés aux

447 Sur la jeunesse de Théophile. voir A. Adam. ouvr. cit.. p. 9-21. Sur
l'origine sociale et la condition de l'homme de lettres au XVII" siècle, voir
G. Mongrédien. La vie littéraire au XVU" si~cle, Paris. Taillandier. 1947. et
Michèle Nicolet, «La condition de l'homme de lettres au XV,," siècle à travers
l'œuvre de deux contemporains, C. Sorel et A. Furetière:.. R.H.L.F. juillet-sep-
tembre 1963, n° 3. p. 369-393.
448 Voir Adam. ouvr. cit., ibid.
H9 Outre l'entourage de Marolles. il faudrait étudier le recrutement social
du cercle de l'avocat Antoine Brun (Adam. Histoire ..., t. l, p. 341).
450 Sur André Mareschal. voir L.-Ch. Durel. L'Œuvre d'A. Mareschal....
Baltimore. 1932 (John Hopkins Studies, XXIII). et l'édition du Railleur par Gio-
vanni Dotoli. Bologne. Patron. 1971.
RUEE DES AVOCATS VERS LE THEÂTRE 609

personnages favorisent l'équivoque, comme dans les comédies du jeune


Corneille: le jeune public de Cour et le jeune public d'origine parle-
mentaire pourront s'y reconnaître à la fois. La Chrysolite est à l'Astrée
ce que La Veuve, La Suivante et La Galerie du Palais sont à la Sylvanire
et à la Sylvie: une transposition «bourgeoise », c'est-à-dire urbaine,
de genres courtois et aristocratiques. Dans cette mesure, et au même titre
que les Lettres de Balzac, ce roman, ces comédies révèlent une fusion
nouvelle entre culture de Cour et culture de robins, fusion qui fait de
Paris le creuset d'une littérature où les deux castes dirigeantes du
Royaume, la Robe et l'Epée, recommencent à collaborer, plus étroitement
qu'au XVIe siècle, à l'élaboration d'un style et de normes communes.
A partir de 1630, c'est une véritable ruée de jeunes avocats vers le
théâtre, que l'entourage du duc de Montmorency, à l'exemple des Cours
italiennes, avait mis à la mode auprès du gros de la Cour 4Gl.
En 1635, dans son Parnasse ou la critique des Poètes, La Pinelière
nous fait assister au printemps de ce monde littéraire éclos à l'écart du
Palais, contre sa volonté et fort différent de la vieille République des
Lettres latines par son recrutement social, ses mœurs, les genres qu'elle
cultive. Là, les jeunes avocats s'ébrouent, s'épanouissent, ils peuvent
déployer en liberté toutes les ressources d'une rhétorique comprimée par
les Remonstrances du Palais, et rendue agréable par la conversation des
dames et des jeunes seigneurs, Le point de mire de ce monde littéraire,
c'est la scène de théâtre, heureux substitut des rostres judiciaires. Son
pôle d'attraction, ce sont les loges des comédiennes, heureuse réaction
après les mornes séances de la Grand'Chambre. Ses héros, ce sont les
dramaturges.

M. Corneille, qui n'arriva qu'hier de Rouen, m'a promis que demain


nous irons voir ensemble M. Mairet 4G2.

La Pinelière semble acquis à l'idée que la prose, même celle des


« belles Lettres ~ et du roman, est déjà sous contrôle de la critique docte.
Il met ses espoirs dans le théâtre, où s'est réfugiée la libre inspiration
chère à Théophile, Mais même là, au cœur du plus beau rêve, plane
l'ombre d'une menace, celle de Scaliger et de l'autorité critique fondée
sur Virgile:
Je vis, écrit La Pinelière, cet ancien Romain que l'Eloquence fit l'ar-
bitre de toute la terre et aupres de luy cinq ou six Pedans qui avoient
depuis peu quitté ses enseignes pour celles de Virgile 4G3.

4Gl Voir H. Carrington-Lancaster, An History of french dramatic literature,


t. 1 (2) et t. Il (1). Voir aussi le numéro spécial de XVII' siècle, 1958, n° 39,
«La Vie théâtrale au XVII' siècle~, et tout spécialement J. Dubu, «La condi-
tion sociale de l'homme de théâtre », p. 149-183.
4G2 Le Parnasse ou la critique des poètes, Paris, 1635, p. 61.
4G3 Ibid., p. 44.
610 DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LETTRES

Par un curieux retournement des choses, contre l'autorité critique


appuyée désormais sur les règles et les modèles classiques, La Pinelière
marque son goût pour Sénèque, non le moraliste cher à Du Vair, mais
le styliste cher à Montaigne, à Juste Lipse, à Quevedo qu'il cite et
imite 464. C'est à Sénèque, contre le principe de régularité, qu'il demande
le principe d'enthousiasme et d'inspiration poétique. Le Deus infus
de la Lettre 41, si proche de l'idée longinienne du sublime, lui sert à
combattre les autorités classiques invoquées dès lors par la critique
docte, Cicéron, Virgile, Aristote, Scaliger.
Il retrouve face à ces censeurs sévères le même genre d'angoisse que
les jeunes avocats du Palais éprouvent au moment de s'adresser aux
Robes rouges de la Grand'Chambre. Dans son rêve qui tourne au
cauchemar, les Pédants lui adressent de menaçantes « Remonstrances :. :
Les nostres ont desjà appris aux Anciens à parler françois, et ceux
qui ne le sçavent pas encore tiennent au pres d'eux nos traducteurs qui
leur servent de truchement 466.

Cicéron et Virgile ont remplacé Plutarque et Philon. Leur voix s'est


faite française pour mieux rejoindre les fuyards du Palais. Poursuivi
comme Oreste par ces nouvelles furies, La Pinelière lance une dernière
malédiction aux Juges de l'Arèopage:

Allez, Cicéron, allez à la Grand'Chambre plaider une cause ou disputer


de l'Eloquence avec Jobert et Gautier, vous aurez beau presenter vos
requestes à Apollon, il ne vous recevra jamais [ ... J. Le langage ordinaire
de la chicane est bien esloigné de celuy qu'on parle dans les Cabinets des
Grands ou dans l'Académie des Polis; le style de l'Hostel de Bourgogne
n'a guere de rapport avec celuy du Barreau 468.

De fait, toute l'ekphrasis interdite au Palais, dialogismes, prosopopées,


peintures de caractères, toute la musique des figures de mots, tout le
pathétisme des figures de pensée, toute la sophistique délicieuse de
l'amour et les délectations de l'imagination, peuvent se donner libre
cours dans la poésie de théâtre. Celle-ci est le revers somptueux et
longtemps caché de la rhétorique du Palais, dont le spectre sévère
continue de menacer le naissant bonheur d'expression littéraire,
Mais sur ce point encore, en dépit de l'offensive des c Pédants :.
soutenus par Richelieu, les deux tendances esthétiques qui divisent depuis

464 Le genre même du Parnasse (c songe:. en prose, inspiré par la mélan-


colie et découvrant la vérité sous les masques) est imité de Quevedo, cité avec
admiration p. 3. Les Suenos y diseurs os ... de celui-ci, publiés à Barcelone en
1628, avaient été traduits en français: Les Visions de Don F. de Quevedo
Villegas, traduites ... par le sieur de la Geneste, Paris, Billaine, 1632 (6 rééd.
entre 1635 et 1649). La Pinelière a lui-même traduit (1636) La suite des Visions
de Quevedo.
466 Ibid., p. 45.
468 Ibid., p. 46.
LIMITES CHRÉTIENNES DES BELLES-LETTRES 611

l'origine l'humanisme érudit gallican, le sublime d'inspiration dont Budé


avait donné l'exemple, et l'idéal de régularité dont Scaliger s'était fait
le champion, finiront par fusionner et par s'imposer au respect, dans
l'œuvre de Corneille postérieure à la Querelle du Cid .

...
••
Si la Cour s'est imposée comme le public avec lequel il faut compter,
la nouvelle littérature n'est pas son œuvre, mais le plus souvent celle
de robins ayant reçu de l'Université et des Jésuites une formation huma-
niste et du Parlement une empreinte morale et juridique. La Cour
impose les genres qui relèvent de sa tradition propre, le roman, le théâtre,
la poésie amoureuse; l'humanisme y ajoute ses propres genres, l'Ode
panégyrique, et tous les modes du discours. L'homme de lettres qui est
en train de naître se tient à la frontière entre les deux mondes, il est
un médiateur et un passeur. En 1610 et 1630, il a cherché son équilibre,
allant trop loin parfois dans le sens de la Cour pour mieux se détacher
de sa propre famille intellectuelle et spirituelle. Les repentirs furent inévi-
tables. L'exemple le plus frappant est celui de Charles Sorel, vite dégrisé
des f1amboyances de Francion, pour revenir au point de vue critique de
sa caste, et devenir le premier historien de la nouvelle littérature. Même
itinéraire chez un Guillaume Colletet, qui après l'affaire du Parnasse
satyrique, se souvint qu'il avait coloyé un Nicolas Richelet, un Frédéric
Morel et devint un agent dévoué de l'humanisme docte, voire dévot, dans
la vie littéraire parisienne 457, Il prononcera devant l'Académie un éloge
du Ciceronianus d'Erasme 458 et traduira pour elle le De Doctrina Chris-
liana de saint Augustin 459. Un Nicolas Frenicle, complice de Colletet au
temps du Parnasse satyrique, devint avec Godeau un des coryphées de
la poésie chrétienne de forme classique dans le groupe des Illustres
bergers 400.

457 Comme chez Sorel, une vocation d'érudit en français se déclara vite chez
Colletet. Voir outre ses Vies, des traductions comme ceIle de La Doctrine Chres-
tienne de saint Augustin, Paris, Camusat, 1636, entreprise sur les exhortations
de Godeau.
458 Voir G. CoIletet. Discours de l'Eloquence et de l'imitation des anciens,
Paris, SommaviIle, 1658, dédiée au Comte de Servien, avec priv. de Conrart
du 30 déc. 1657. C'est le texte d'une harangue prononcée devant l'Académie
le 7 janvier 1636.
459 Voir N. Frenicle, L'Entretien des JIlustres Bergers, Paris, Dugast, 1634,
p. 165:
Vous, Reine des mortels, 0 divine Eloquence ...
Vous gravez en nos coeurs l'amour de la vertu.
Tout le passage est à lire. Il aura réjoui j. de Maussac: les desertores sont
rentrés au bercail.
460 Sur les JIlustres Bergers, voir M. Cauchie, «Les églogues de N. Fre-
nide et le groupe littéraire des lIIustres Bergers:., dans RH. Philo., 1942,
p. 115-133 ; A. Adam, ouvr. cit., t. l, p. 343, et R. Zuber, Belles infidèles, ouvr.
cit., p. 46-47. Sur le destin littéraire de Frenicle, voir A. Adam, Théophile ... ,
ouvr. cit., p. 242-244, et F. Lachèvre, Le libertinage au XVII' s., Paris, Cham-
612 DE L'AVOCAT À L'HOMME DE LETTRES

Dans cette quête 'd'un équilibre et d'un juste échange entre la culture
courtoise et l'humanisme chrétien des doctes, les avocats ont joué sous
Louis XIII un rôle décisif; ils ont pris souvent l'initiative dangereuse
de rompre la glace entre deux mondes et deux langages qui s'étaient
quelque peu refermés sur eux-mêmes aprés les guerres civiles du
XVIe siècle.

Un nouve,l équilibre,' l'atticisme cicéronien d'Olivier Patru

Les Grands, dont l'hédonisme avait encouragé la naissance des


«belles lettres:., se virent ravir cette moderne Hélène par le double
assaut de la République des Lettres et de Richelieu. L'une et l'autre se
conjuguèrent dans la fondation de l'Académie Française. La République
des Lettres avait pour elle le pouvoir de légitimer, moyennant la soumis-
sion aux Anciens, une jeune littérature en proie au soupçon et au remords,
d'autant plus « narcissique:. qu'elle doutait d'elle-même. Richelieu avait
pour lui le pouvoir de la légitimer au nom de l'orgueil monarchique qu'il
s'emploie dès avant 1630 à stimuler afin de préparer les esprits au
grand affrontement avec l'Espagne et la Maison d'Autriche.,
En 1627, Nicolas Faret publie un Recueil de Lettres où la gloire du
Cardinal et de sa politique est célébrée dans le dolce stil nuovo qui a
désormais les faveurs du jeune public 461. L'année suivante, paraît un
Nouveau recueil de Lettres, harangues et discours differens, où il est
traité de l'Eloquence françoise, et de plusieurs matieres politiques et
morales. Dans sa dédicace à Nicolas Le Jay, président au Parlement de
Paris, l'éditeur du recueil 462 félicite celui-ci d'un abord qui ne fait
pas naître «la crainte », mais le «respect et la modestie:.. On songe
à la dédicace des Lettres poétiques du P. Le Moyne au président de
Mesmes. La jeune littérature, comme les Jésuites, s'efforce de faire

pion, 1914, p. 224-227, et Bibliographie des recueils collectifs, t. 1 (1597-1635),


Paris, Leclerc, 1901, p. 193-194. Les libertins repentis des années 20 sont des
« bergers:. des années 30. L'évolution de Frenicle, marié, devenu conseiller
au Parlement prendra un tour de plus en plus dévot. Voir L'Hymne de la
Vierge, Paris, Sommaville, 1641, La Paraphrase des Psaumes de David, Paris,
1661. Son Jésus crucifié (1636), publié chez J. Camusat (éditeur dont R. Zuber
a montré les liens étroits avec l'Académie), est très proche des préoccupations
de Godeau à cette époque.
461 Recl/eil de Lettres nouvelles, dédié à Mgr le cardinal de Richelieu, Paris,
T. du Bray, 1627. Voir néanmoins la «Lettre de M. le Marquis de Breval à
Monsieur de Balzac:., p. 35-50, qui admoneste Balzac de laisser croire aux
courtisans que ses lettres confirment leur point de vue erroné sur l'éloquence,
et l'invite à prendre plus nettement parti. Sur les vues rhétoriques de Faret,
voir dans L'Honneste Homme, Paris, 1630, une critique fort adoucie des
«vices» des jeunes gens de Cour (p. 81-82), éd. Magendie, p. 65 (<< les faiseurs
de compliments:.), et des conseils pour une juste éloquence de la conversation
de cour (ibid., p. 43-48).
462 Nouveau recueil de Lettres, haranftues et discours ditferens où il est
traité de l'Eloquence françoise et de plUSIeurs matieres politiques et morales,
Paris, Pomeray, 1630 (Ars. 8° BL 2821).
LA NOTION DE e PROGRÈS» DE L'ÉLOQUENCE FRANÇOISE 613

tomber le masque à la Caton l'Ancien des hauts magistrats, de les


incliner vers la «civilité» et les beaux-arts. Richelieu ne peut que
souscrire à ces intentions: les Catons du Parlement sont, autant que
les Thrasymaques féodaux, une gêne à l'ordre monarchique.
Le recueil, plus encore peut-être que celui de Faret, est tout à la
louange du cardinal, de la France, et de la nouvelle c Eloquence ». L'un
et l'autre inaugurent un nouveau type de littérature aulique, dont le
Prince de Balzac est un bel avorton, et qui met les agréments de la
prose d'art au service de la politique officielle. Les harangues du recueil
de 1630 traitent de morale (Contre la fausse vertu), de religion (Contre
les esprits forts), de politique officielle (Louanges à Mgr le Cardinal sur
le siège de La Rochelle, sur la félicité du royaume de France), des héros
antiques (Harangue d'Alexandre traduite de Quinte Curee). Les deux
patronages littéraires dont se réclament les auteurs du recueil sont
Balzac et Malherbe: Balzac par un extrait du Prince, Malherbe par un
éloge funèbre qui lui est décerné .


••
L'enthousiasme patriotique confère une légitimité officielle à l'e élo-
quence françoise », délivrée des bandelettes du Palais et de l'Université.
Aussi, fort de l'appui de Richelieu, le recueil peut s'ouvrir sur une
harangue vengeresse, dirigée contre les adversaires de Balzac ridiculisés
et humiliés: De l'Eloquence françoise qui va toujours en augm~ntallt
contre l'opinion du Vulgaire, et sçavoir si elle peut se trouver dans les
Lettres.
L'idée d'un progrès ininterrompu, et riche d'un long avenir, soutient
cette prose: mais il s'agit d'un progrès français, reflété par l'éloquence
française. Les Pères conscrits du Palais, qui avec Goulu ont résisté à
l'èvidente supériorité de l'éloquence de Balzac et lui ont opposé celle
de Du Vair, se voient sévèrement étrillés:
II se peut faire que ç'a esté leur père ou leur ayeul qui leur ont appris
que c'esloit le seul escrivain qui meritoit ceste dignité. Voilà pourquoy,
s'ils l'attribuoient à un autre, ils croiroient commettre un sacrilège et ils
ne penseroient pas que l'offense fust moins grande que s'ils avoient contre-
venu aux dernieres volontez de ceux dont ils ont pris origine 463.

Les « Remonstrances» ont changé de camp .

•••
Le nouveau style mis à la mode par Balzac, et soutenu par la Cour,
pénètre jusque dans l'enceinte de la Grand'Chambre. En 1629, deux ans

463 Ibid., p. 2.
614 DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LETTRES

après le « Discours sur la parole» de M. Bignon, Antoine Le Maistre fait


ses débuts au Barreau, fêté par Balzac. Deux ans encore, et c'est le
tour d'Olivier Patru. Le "cicéronianisme» mondain ne fait toutefois
qu'une difficile percée. Le Maistre quittera le Palais dés 1637. Et c'est
dans son activité d'académicien et d'homme de ruelles qu'Olivier Patru
pourra déployer son génie de grammairien du « bel usage », plutôt qu'au
Palais où il trouve peu de pratique.
Il y a quelque chose de paradigmatique dans ces deux destins d'avo-
cat. Le Maistre, par sa retraite, prendra sur lui tout le remords de sa
génération, coupable d'avoir enfreint les limites religieuses fixées par la
tradition gallicane à l'éloquence judiciaire. Olivier Patru, en toute bonne
conscience, se fera le continuateur de lB. Du Val, le médiateur entre
« l'usage de Cour» et « l'usage du palais ». Plus que personne il contri-
buera à effacer des limites dont Le Maistre, par sa retraite du Barreau,
aurait voulu marquer, plus que jamais, le caractère sacré.

Fils d'un simple procureur au Châtelet, Olivier Patru, né le 13 août


1604, a tout juste vingt ans lorsque Richelieu, après sa "traversée du
désert» avignonnaise, entre au Conseil, en 1624, et vingt-six ans en
1630 lorsque le Ministre, délivré de ses adversaires, devient le maître
absolu des affaires. L'aisance de sa famille ne suffit pas pour assurer
au jeune roturier une belle carrière au Parlement ou dans la
haute administration royale. Elle lui permet toutefois, jointe à une belle
taille et un séduisant visage, d'étendre ses vues au-delà de la grisaille
chicanière. Il n'est pas sans intérêt d'observer qu'il a reçu une éducation
plus maternelle que paternelle et que ses premières lectures ont été des
romans 464. Selon ses propres aveux, c'est la rencontre avec l'Astrée
qui fut son chemin de Damas littéraire.
En quoi son atavisme de robin, même un peu dévoyé, ne le trompe
pas. Il aurait pu se tourner vers des formes plus frivoles de la culture
" mondaine ». En cherchant sur les chemins du Forez à fuir le carcan
du Palais, c'est encore le platonisme qu'il rencontre. Non pas le plato-
nisme philosophique et chrétien que célèbrent Du Vair et Bignon dans
leur éloquence civique, mais celui des Cours italiennes, un platonisme
esthétique qui préfère goûter le Bien sous les espèces du Beau et dans
la douce harmonie du beau langage, plutôt que sous les attraits revêches
d'une Vérité savante. La leçon de d'Urfé, humaniste à sa manière et
formé par le cicéronianisme jésuite, n'était pas incompatible avec celle
de Cicéron selon Bembo et Castiglione, dont l'esthétique oratoire n'était
au fond qu'une variante aulique du platonisme. L'éloquence française
des bergers de l'Astrée, qui bien souvent, dans la bouche d'un Silvandre,
s'élevait comme celle des interlocuteurs du Songe de Scipion ou du

464 Voir Revillout, ouvr. cit. note 469, ci-dessous.


UN PRÉCURSEUR: LE VIEUX PASQUIER 615

Cortegiano, à la plus haute contemplation philosophique, résolvait d'ail-


leurs à sa manière le problème qui hantait alors la rhétorique des robins:
la fusion des «choses », que l'invention humaniste extrait des minières
antiques, et d~s «mots» français intimidés de se charger d'un si haïlt
savoir. Les bergers de d'Urfé, comme les courtisans de Castiglione,
semblaient «desnouer leur langue» sous la magique influence de la
beauté féminine et se jouaient de la difficulté où s'empêtraient les
austères robins, dans une prose française «douce» et «coulante» irri-
guée aux sources de la plus délectable philosophie.
L'avocat Pasqu:er, moins sourd que ses collègues magistrats, avait
bien avant Patru senti tout le service que d'Urfé rendait à l'humanisme
national en insinuant les leçons de Platon, sous une forme aussi agréable
et familière, dans l'oreille délicate des courtisans et des femmes. Dans
une admirable lettre à l'auteur de l'Astrée 461i, il avait apporté à celui-ci
sa " caution bourgeoise », qui s'ajoutait à la « caution royale» apportée
au roman par la faveur d'Henri IV. L'auteur des Recherches de la France
se souvenait sans déplaisir d'avoir, dans sa jeunesse, écrit des Lettres
amoureuses. Plus ouvert que ne sera en 1638 La Mothe Le Vayer aux
formes les plus accomplies de la culture aulique et féminine 486, il
reconnaît dans l'Astrée une étape décisive dans l'histoire de la langue
et de l'éloquence françaises de la Renaissance. Avec humour, le grand
érudit n'hésite pas à s'adresser à ses livres et à reconnaître leur style
vieilli:

Mes enfans, il est meshuy temps que nous sonnions retraite, nous
sommes d'un autre monde, ce je ne sçay quoy qui donne la vie aux
livres est terny dans ma vieillesse, et à peu dire, le temps qui court
maintenant est revestu de tout autre parure que la nostre 487.

Et, après avoir admis la légitimité de cette nouvelle «parure» et


du souci d'élocution qu'elle suppose, Pasquier fait une brillante exégèse
allégorique de l'invention de l'Astrée, tirant ainsi résolument le roman
dans la sphère de l'épopée et des grands genres 488; quant à l'utilité
du roman, il la voit très proche de celle de la comédie de Térence, qui
traite aussi de jeunes amours. L'un et l'autre genre rappellent aux
vieillards sévères qu'ils furent en leur temps sensibles et qu'ils trouvaient

485 Etienne Pasquier, Choix de Lettres, éd. cit., p. 50 et suiv.


468 Voir Considérations sur l'Eloquence françoise, ouvr. cit., p. 150, où La
Mothe range les romans, avec les «discours populaires» et les «ouvrages de
piété ~, parmi les œuvres incapables de véritable éloquence. La Mothe est d'ail-
leurs un ennemi de la «subtilité» et de la «délicatesse» (p. 33 et 67) des
gens de Cour, qui énervent le «sublime », et il porte sur les poètes et écrivains
à l'usage des gens de Cour un jugement qui anticipe celui que Voltaire rendra
sur Marivaux: «Ce sont des toiles d'araignée pleines de subtilité et d'artifice,
mais qui ne sont bonnes qu'à prendre des moucherons» (ibid., p. 124).
487 «Parure l> est ici une traduction d'ornatus.
468 Ibid., p. 54.
616 DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LETTRES

alors dans l'amour un aiguillon d'éloquence que le temps seul leur a fait
renier. On n'a pas assez mis en évidence la portée de cette lettre de
Pasquier, un des «primitifs» de la critique littéraire française: elle
prépare le terrain à une réconciliation entre culture parlementaire et
culture de Cour, au nom du progrès de la langOe nationale.
Le «dolce stil nuovo» des Bergers selon d'Urfé, œuvre d'un gentil-
homme humaniste à l'usage des «ignorans» de Cour, était donc perçu
par Etienne Pasquier comme le bien commun de la littérature nationale
renaissante, et recevait grâce à lui des « lettres de créance» auprès du
monde de la Robe .. Lucidité libérale et généreuse, qui contraste avec la
crispation et la révolte du conseiller Jacques de Maussac, du conseiller
Dupré, de Dom Goulu et de Jacques Dupuy, qui se dresseront quelques
années plus tard contre les jeunes gens à qui d'Urfé et ses bergers
avaient donné le goût de la «douceur» en prose .


••
Lorsque Olivier Patru alla, à l'imitation des fils de la Grande Robe,
faire son voyage en Italie, il ne visita point, que l'on sache, les doctes
ni leurs bibliothèques: il vit d'Urfé à Turin, et s'attarda trois semaines
auprès de lui. Double initiation: à l'esthétique de la prose française,
et aux charmes de la vie de Cour: « Il me mena aux promenades et me
fict voir tout ce que je voulus voir du grand monde et de la Cour de
Savoie» 469.
Quelques années plus tard, ce sera chez Christine à la Cour de
Suède, ou à Rome, à la Cour humaniste des Barberini, que les doctes de
Robe iront chercher ce qu'ils ne pouvaient obtenir à Paris: des satis-
factions de snobisme. Mais la Cour de Savoie n'est pas une Cour savante,
un Collège pour adultes. Christine de Suède et les neveux d'Urbain VIII
offraient aux humanistes français les plaisirs de l'amour-propre sans
qu'ils eussent à trahir leur vocation érudite. Olivier Patru à Turin
rompait plus audacieusement les barrières: barrière des âges, si difficile
à franchir dans la société traditionnaliste de Paris; barrière des rangs,
si difficile à surmonter dans une société française très compartimentée;
barrière des cultures, la plus subtile mais non la moins grave, dans une
société où le vêtement, la langue, l'éducation, les préjugés séparent le
monde robin du monde nobiliaire. ,La joie de Patru au souvenir de
l'espèce de rédemption qu'il reçut du marquis d'Urfé lui fait écrire:

469 Les Œuvres diverses de M. Patru, 4' éd., t. Il, Paris, N. Gosselin, 1732,
Eclaircissements sur l'histoire de l'Astrée, p. 497. Sur Patru, voir, outre Ch.
Révillout, Les maîtres de la langue française au XVII' siècle, Olivier Patru (1604-
1681) ... , les pages de j. Munier-jolain, dans Les époques de l'éloquence judi-
ciaire, ouvr. cit., p. 27-76, et de Gaudry, Histoire du Barreau, OliVr. cit., t. Il,
p. 1 et suiv.
OLIVIER PATRU, CICÉRONIEN 617
c Je le cherchais comme on cherche une maitresse:. 4TO, De fait pour ce
jeune robin tout rempli de l'Astrée, d'Urfé symbolisait aussi cette source
d'éloquence capable de faire c fondre:t la c dureté:t de style du Palais,
et de faire fusionner en une même prose française culture humaniste et
culture courtoise: l'amour que Céladon et Silvandre puisent aux beaux
yeux de leurs maîtresses, et qui leur fait parler une langue digne du
« doux» Platon et de l'harmonieux Cicéron. Ce n'est pas autrement
qu'un autre jeune avocat, Pierre Cornei1le, explique dans l'Excuse d
Ariste sa rédemption du monde robin, son initiation à la beauté littéraire
et aux raffinements du grand monde:
Charmé de deux beaux yeux, mon vers charma la cour.

La découverte du «bel usage» par la génération de 1630 s'appuie


sur le platonisme esthétisant de la culture des Cours. D'autres, tel
Corneille, à partir de 1640, se feront les médiateurs entre l'humanisme
des « sçavans » et le public du Louvre: Patru se fera le médiateur entre
le goût de la Cour et les traditions oratoires du Palais. Il osera donner,
lui, simple avocat, droit de cité à une esthétique cicéronianiste dans
l'enceinte du Palais de justice. L'abbé d'Olivet écrit :
Cicéron, que M. Patru se rendit de bonne heure familier et dont il
traduisit une des plus belles oraisons, lui fit comprendre qu'il faut tou-
jours avoir un but, et ne jamais le perdre de vue; qu'il faut y aller par
le droit chemin ou, si l'on fait quelque détour, que ce soit pour y arriver
plus sûrement, et qu'enfin si les pensées ne sont vraies, les raisonnements
solides, l'élocution pure, les parties du discours bien disposées, on n'est
pas orateur. Il se forma donc sur Cicéron, et le suivit d'assez près en
tout, hors ce qui regarde la force et la véhémence 471.

Ce dernier trait nous aide à situer exactement Patru dans l'évolution


de l'éloquence parlementaire: sous le signe de Caton et de Phocion, les
premiers orateurs humanistes du Parlement s'étaient efforcés de contenir
l'éloquence du Palais à l'intérieur du docere, version humaniste du dic-

470 Ibid. Ces pages charmantes de Pat ru sur sa propre jeunesse (si voi-
sines par leur style "naïf:t des pages de Tristan dans Le Page disgrâcié)
sont à rapprocher de ce passage de l'Eloge de Messire Pomponne de 8ellièvre
(ibid., p. 397) où le même Patru, prenant le ton des Remonstrances, s'écrie:
« Licentieuse jeunesse, qui vous égarez de la voie sainte de vos Pères, jettez les
yeux sur ce rejetton de tant de Héros [ ... j. Ce n'est pas aux Cours, aux Tuileries,
ce n'est ni dans une lâche oisiveté, ni dans des occupations frivoles, c'est dans
la retraite, c'est dans le travail, et loin des plaisirs, même permis, qu'il paSSe
le commencement de sa vie ... »
4T1 D'Olivet, Histoire de l'Académie, cité par Révillout, ouvr. cit., p. 15.
Voir également, ibid., note 1, la citation de Vigneul-Marville: «Le premier
qui intrOduit sur le Barreau ... une manière d'éloquence copiée sur celle des
Anciens ... », et p. 23: Il Il fit aimer Cicéron à Perrot d'Ablancourt.» Révillout
fait remarquer que Patru s'opposa au dessein des Fables de La Fontaine,
genre jugé «frivole », comme le prouve le passage de Tristan, cité supra note
410. Le Cicéron de Patru se tient soigneusement à mi-chemin des traditions du
Palais et du goût des gens de Cour.
618 DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LETIRES
tamen médiéval; avec Du Vair, était apparu une première tendance
cicéronienne, ajoutant au docere la « force et la véhémence 'b du movere ;
avec Patru, si le principe du docere n'est pas abandonné, il s'allie au
deleclare, à la « douceur» du beau style, plutôt qu'au movere du grand
style civique. Avec une grande précision critique Vigneul-Marville trouve
Patru plus disert qu'éloquent, selon une distinction faite par Cicéron
lui-même 412. Quant à Ménage, au fond très fidèle à la tradition du
Palais, et aussi peu indulgent pour Patru que pour Balzac, il ne reproche
pas seulement au premier de préférer les «mots)) aux li choses 'b mais
de ne pas avoir «la prononciation 'b belle 473. Chez Patru, l'écrivain
académique et l'homme du monde percent sous l'avocat.
Introducteur de la «belle élocution» dans la citadelle de l'éthique
oratoire, Patru a cn effet les yeux tournés vers le «monde» autant
que vers son auditoire professionnel de juges. Tallemant 414 nous rap-
porte ses amours avec de belles bourgeoises fascinées par sa bonne
mine, mais aussi par ses bonnes manières et son beau langage. Et ses
plaidoyers peu nombreux, mais artistement écrits, devenaient l'objet
d'entretiens littéraires dans les ruelles de la rive gauche, où sa conver-

472 Cie., De Draiore, l, 21, 94. L'orateur disertus est l'orateur ordinaire,
4ui se contente de convaincre un auditeur moyen, avec des pensées moyennes.
L'orateur qui vise à l'idéal de la grande éloquence, et qui en a les ressources,
mérite seul le titre d'eloquens. Voir aussi Topica, III, 2, et Drator, 5, 19.
Voir les analyses d'A. Michel dans Rhétorique et philosophie .•. , ouvr. cit., p. 135,
196, 218. On peut rapprocher le jugement de Vigneul-Marville de celui de
Maucroix, dans sa lettre au P. de la C. de J. (dans Lettres, éd. cit., p. 181-182)
qui, à propos de Patru, écrit: «II faut se contenter de la pureté et de l'élé-
gance du langage, sans y apporter un soin excessif, qui coûte beaucoup à
l'orateur et ne plaît pas à l'auditeur [ ... ] J'aime un discours plein d'ornements,
mais sans affèterie; une belle expression m'enlève, pourvu qu'elle soit juste;
je conseille l'agrément du style, mais je veux que la force et l'énergie n'en
souffrent pas.» Cette doctrine est très voisine de celle que La Mothe Le Vayer
avait formulée dès 1638 dans son traité De l'Eloquence française, qui s'oppose
aux excès de la « belle élocution» selon Patru et surtout selon Vaugelas. Mau-
croix justifie cette doctrine de la «négligence diligente 'b par le génie des
Français, «ennemis de toute contrainte» et donc des «périodes si concertées
des Grecs et des Romains », mais aussi par l'exemple du «divin Platon », dont
l'éloquence «infinie» ignorait l'art périodique inventé plus tard par Isocrate.
Les éloges dont Maucroix couvre ensuite Du Vair montrent bien que c'était
là, encore en 1705, le goût de la Robe polie (Maucroix avait été avocat, et
avait même plaidé).
4T3 Voir les bonnes pages de Révillout, ouvr. cit., p. 21 et suiv., ainsi que
la lettre (cit. ci-dessus) de Maucroix qui ironise sur «ses plaid oie ries qu'il a
limez cent et cent fois; car il s'en faut bien qu'il les ait donnez au public tels
qu'ils les avoit dits au Barreau; et ceux que j'ai veus ou entendus, avant
qu'il y eût rien changé, me paroissent d'un style plus ferme, plus aisé, plus
oratoire» (Lettres, éd. cit., p. 182). Ici encore, Maucroix suit La Mothe Le Vayer
qui dans De l'Eloquence française, p. 126 et 132, critique les éplucheurs de syl-
labes qui gâchent leurs «premières expressions» par excès de purisme éloclI-
toire. II faut opposer les «corrections 'b de Patru, à celle de Le Maistre qui
éditant ses plaidoyers, y remplacera les citations profanes par des citations
des Pères.
474 Tallemant, éd. Adam, t. 1 et II, passim. Patru, qui n'a pas son « histo-
riette », n'en est pas moins un des personnages les plus souvent cités par
Tallemant.
PATRU bŒDIATEUR ENTRE LE PALAIS ET LA COUR 619

sation diserte faisait merveille. Mais cette «mondanité ~ de Patru, si


elle témoigne d'un alignement de plus en plus poussé du milieu robin de
Paris sur le style et les modèles de Cour, reste limitée aux demeures
des belles procureuses. On ne le voit pas plus à l'Hôtel de Rambouillet
qu'à l'Hôtel de Thou. S'il garde les yeux fixés sur le «grand monde ~
entrevu à Turin grâce à d'Urfé, il n'y est pas introduit. 1\ écrit à
Pellisson :
Le pays et la salle du Palais ne sont pas sur la carte de la Cour, et
j'y serois, Monsieur, inconnu sans vostre secours 415.

A bien des égards en effet, il reste un avocat de profession. Ce lecteur


de l'Astrée s'est bien gardé, comme tant d'autres avocats de son temps,
de se compromettre dans les genres littéraires à l'usage du «monde~.
Il respecte le Logos du Palais en n'écrivant rien d'autre que les plaidoyers
et les éloges liés au rituel oratoire du Parlement, ou des traductions de
grands textes humanistes. Quant à sa fonction de critique et d'arbitre
des élégances langagières, elle n'est rien d'autre, transposée sur un
nouveau registre académique, et pour le plus grand prestige du Barreau,
que l'héritage du traditionnel magistère des Remonstrances étendu au
public littéraire, mais rétréci à un deLectus verborum de grammairien.
Jusque dans celui-ci, fort étranger aux soucis des anciens magistrats,
Patru s'efforce de ne pas trahir ses origines. Gentilhomme « ignorant »,
au regard des humanistes de Robe, Vaugelas se borne volontiers à ob-
server, dans ses Remarques, l'usage de la «partie la plus saine de la
Cour ». Humaniste érudit, héritier de Claude Fauchet autant que de
Scaliger, Pat ru donne à la purification de la langue non le sens d'une
reddition au goût changeant de la Cour, mais celui de l'étape classique
de son évolution. Cette langue purifiée, comme le latin de Cicéron, met-
tait en évidence une «Idée:J> du français jusque là enfouie sous les
scorie,; et le superflu accidentel. Comme Fauchet, Patru est un bon
connaisseur de la littérature française antérieure au XVIe siècle. Mais il
considère ces « enfances :J> comme Scaliger considérait Homère ou Ennius.
Pour faire de la langue littéraire française le substitut du latin classique,
pour faire du « meilleur style» français le substitut du Tullianus styLus,
Patru transpose au français les vues de j,C. Scaliger, si cher à la
magistrature érudite gallicane, dans son De causis linguae Lalinae et
dans ses Poetices lib ri 476 : il y a un état idéal de la langue, et cet état

475 Œuvres, éd. cit., t. Il, p. 912, cit. par Revillout, p. 18.
476 Ces vues coïncident exactement avec celles de Scaliger, dans sa Poé-
tique. Il est probable que l'idée de la «perfection ~ de la langue française qui
sous-tend l'activité de Patru grammairien est une transposition au français des
vues de Scaliger sur la perfection de la langue latine, Idée qui ne s'est réalisée
pleinement à Rome que dans la prose augustéenne, en gestation auparavant,
en décadence ensuite. Sur les conceptions de Scaliger sur la langue latine, et
sa perfection, voir, outre son De causis linguae latinae (1540), les pages que
lui consacre J.-Cl. Chevallier, La notion de complément chez les grammai-
riens (ouvr. dt.), p. 176 et suiv. Le rapport entre usus et ratio défini par Sca-
liger est au principe du travail de Patru (voir Révillout, ouvr. cit., p. 18 et
620 DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LETTRES

chez les Romains a été rejoint à la fin de l'ère républicaine. Avant, tout
était en germe. Après, tout est entré en décadence. Tout semblait concor-
der: la fin de l'ère « républicaine» en France, l'avènement d'un régime
de Cour absolutiste; l'intérêt grandissant pour la pureté du vocabulaire,
la douceur de l'ordre des mots et l'élégance du style. La mise au point
d'une langue littéraire, pure de tout accident provincial ou populaire,
conforme à la « raison» du français, faisait de celui-ci une langue à la
fois classique et royale.
Le Palais lui était-il reconnaissant de cette fidélité en esprit? On
peut en douter. Le petit nombre de ses plaidoyers, même si les causes
qu'il défend sont distinguées 477, semble indiquer que la clientèle préfé-
rait des orateurs moins diserts, mais plus à l'aise à l'audience, et surtout
mieux en cour auprès des Juges. Comment un Molé, un Bignon, un
Talon, comment leurs collègues du Parquet auraient-ils pu regarder cet
avocat bel esprit, apprécié par l'entourage du cardinal, autrement qu'avec
méfiance et dédain? On peut supposer sans risque de se tromper que
bien des allusions sévères contenues dans les Remonsfrances de Bignon
et de Talon visaient Pat ru et l'esthétisme paganisant dont sa vie et sa
prose semblaient témoigner.
Pourtant il ne fut pas un isolé comme Alexandre de Filère. Il « ren-
contre» le goût d'un public mondain pour une prose capable de l'ins-
truire sans le rebuter: les Huit oraisons de Cicéron, véritable manifeste
que Pat ru et ses amis publient en 1638, sont lues ailleurs que dans les
cabinets savants; Tallemant rapporte que «M. de Pisani les aimoit et
les Iisoit à toute heure» 478, plus pour leur langue, sans doute, que pour
leur substance. Mais Patru rencontre aussi d'autres robins, à commencer
par Perrot d'Ablancourt, qui partagent son ambition de créer en français
une langue littéraire nationale, commune à la Robe et à l'Epée, et
conciliant le « bel usage» de Cour avec la tradition humaniste. Le Palais
ne voulut pas comprendre la sage prudence de ses fils. La République
des Lettres, et l'Académie, furent reconnaissantes à Patru et à d'Ablan-
court: leurs traductions élégantes de grands textes humanistes plaçaient
l'évolution littéraire sous l'autorité «classique» des Anciens et impo-
saient à l'hédonisme mondain les limites d'un goût attique .


••

suiv.), de Chapelain et de l'Académie sur la langue française. Il s'agit d'ex-


traire de l'usage de la Cour une langue comparable par sa clarté et simplicité
au latin classique, et propre comme celui-ci à la perfection d'un Tullianus
stylus en français. Au latin, langue savante et langue d'art, est substitué un
français purifié, dégagé des scories du français vulgaire. Voir Brunot, III, l,
p. 28, qui fixe vers 1650 (soit après la crise burlesque) l'achèvement de cette
iranslatio.
477 On peut remarquer que ces causes sont toutes d'ordre strictement privé.
Patru respecte les bienséances monarchiques, ne se hasarde point au Palais
sur le terrain politique, et n'en souffre nullement.
478 Tallemant, éd. Adam, t. l, p. 448.
RHETORIQUE DE PATRU 621

Par un heureux retournement de la situation, dont un François Vavas-


seur sut aperc~voir à temps les conséquences pour son Institut, l'initiative
d'un Patru, d'un d'Ablancourt, dans la mouvance des succès de Balzac,
donnait à l'humanisme robin, converti aux Belles-Lettres, sa revanche
sur les Jésuites. Mais un Petau, un Vavasseur 47& ont beau orienter la
pédagogie des Collèges dans le sens d'un atticisme cicéronien plus
dépouillé et plus correct, l'enseignement jésuite reste fidèle au latin. En
matière de prose française, la nouveauté et l'élégance ont pour maîtres
des robins. Aussi voit-on les régents jésuites s'adresser à Balzac 480,
voire à Patru, comme aux Famiano Strada français, maîtres de la belle
diction et pédagogues du meilleur style.
Dans une Lettre au Révérend Père··· de la Compagnie de Jésus 481,
Patru pose à l'arbitre des élégances «cicéroniennes» en français. Mais
il médite aussi, dans la tradition «tacitiste », sur le sens du grand
tournant rhétorique dont il a été un des principaux témoins.
Dans cette lettre, Patru évoque d'emblée le thème tacitéen, cher à
Muret 482 : les restrictions que le régime monarchique propre à l'Europe
moderne apporte à l'éloquence .. Comme le Messala de Tacite, il n'en
déduit pas que l'éloquence est impossible, mais qu'elle doit s'adapter
aux circonstances. Patru applique à la monarchie absolue française les
mêmes conclusions que Muret et ses disciples jésuites, les Benci, les
Strada (ce Strada que Balzac appelait « l'esprit de Tacite») appliquaient
à la monarchie pontificale: loin de souffrir de la disparition de l'élo-
quence civique, l'esthétique oratoire, contrôlée par la juste mesure cicé-
ronienne, ne peut que prospérer sous un régime à la fois absolu et
bienveillant 482.
A son correspondant qui lui demandait conseil sur «le meilleur
style» français, Patru recommande la lecture de ce Traité du Sublime
dont les rhéteurs jésuites italiens faisaient si grand cas, et qui, nous
ravons vu, est au cœur de la seconde Renaissance cicéronienne à Rome,
sous les Barberini. Repoussant les nostalgies républicaines qui se font
jour dans le Dialogue des Orateurs de Tacite, Patru affirme alors que

479 Voir Il' Partie, p. 392-417.


480 Voir Balzac, Œuvres, éd. 1665, t. l, p. 527 (au R.P. Dalmé); p. 528
(au KP. Du Creux; p. 531 (au KP. jesseron); p. 532 (au KP. Adam);
p. 535 (au KP. josset) ; p. 544 (au KP. Destrades); p. 606 (au KP. Maru).
481 Œuvres, éd. cit., t. Il, p. 520. Mme Dubois, dans son René Rapin,
l'homme et l'œuvre (Serv. reprod. thèses, Lille, 1972), p. 233-234, désigne le
P. Rapin comme le destinataire de cette lettre. La mention au cours de la
lettre d'une Harangue à Christine (1656) fixe un terminus ante quem. Le ton
protecteur de la lettre indique qu'elle s'adresse à un régent encore jeune, et
peu connu. C'est justement en 1657 que Rapin vient à Paris diriger les études
d'Alphonse Mancini et commence à nouer des relations dans le monde acadé-
lIliql:e, par exemple avec Chapelain (v. Dubois, ouvr. cit., p. 7-10). Le spirituel
jésuite s'apprête dès lors à un rôle qui jusque-là avait échappé à ses confrères,
celui de docteur en matière de rhétorique française et mondaine.
482 Voir 1re Partie, p. 190-202.
622 DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LETTRES

les causes de la corruption de l'éloquence sont moins morales (comme


l'affirmait toute la tradition des Remonstrances) qu'esthétiques; c'est
« la perfection », la «délicatesse» des esprits, et non la grossière vertu,
qui «porte la langue à sa souveraine beauté ». Caton le Censeur, ce
héros de Plutarque qui si longtemps avait été proposé en modèle aux
orateurs du Parlement, avait bien toute la vertu du monde: il n'avait
pas la délicatesse des grandes époques de l'art. Celles-ci pour Patru
comme pour Scaliger et pour les cicéroniens italiens, du cardinal Bembo
au P. Strada, trouvent leur exemple suprême dans le siècle d'Auguste,
qui vit fleurir à la Cour impériale les Virgile, les Horace, les Tibulle.
Siècle préparé par Cicéron, fidèle à Cicéron, mais que corrompirent
après la mort d'Auguste les déclamateurs 483.
Moins pessimiste que Muret, qui, nous l'avons vu, renfermait l'élo-
quence moderne dans l'art de la lettre et le genre démonstratif, Patru
conclut en faisant un long éloge du genre judiciaire, qui à lui seul
contient tous les autres et qui a trouvé récemment en Antoine Le Maistre
une illustration française égale, sinon supérieure à Cicéron et Démos-
thène. Mais cet éloge de l'éloquence judiciaire, s'il avait pu être lu par
un Du Vair, un Bignon, un Talon, leur serait apparu bien équivoque
et même hérétique. Patru en fait un genre que nous dirions littéraire,
dans un Parlement qu'il voit en somme comme une palestre annexe
de l'Académie, un théâtre du «bien dire» où la nonne oratoire fixée
par les bons esprits doit trouver des avocats et des auditeurs dignes
d·elle. La Renaissance «cicéronienne », le retour du siècle d'Auguste en
France - et cela Le Maistre l'a compris, aussi bien que Bignon et
Saint-Cyran - supposaient non seulement la fin du magistère parle-
mentaire sur le Logos du Royaume, mais le tarissement des sources philo-
sophiques et chrétiennes d'une éloquence civique: le decorum de la
monarchie absolutiste - dont le Parlement, réduit à un rôle judiciaire,
n'était plus qu'un des rouages - exigeait une norme uniforme et une
norme esthétique fixée par les serviteurs du Roi.
Il n'était que justice que l'Académie française, fondée par Richelieu
justement pour se substituer au magistère traditionnel des Avocats géné-
raux et fixer une norme d'éloquence royale, accueillît en son sein Olivier
Patru. Ce fut chose faite en 1640. En la personne de l'arbi/er elegantia-
rum de la langue royale et nationale, le Barreau pr'enait ainsi sa revanche
sur la séculaire litanie des Remons/rances. Il la prenait pour le plus
grand bénéfice de la politique absolutiste de Richelieu, mais aussi pour
le dépit des magistrats qui, combattant l'Académie, avaient résisté, une
fois de plus en vain, contre l'effritement de leur prestige et de leurs
traditions.

483 Voir note 476.


2. L'AvENTIN DE LA PAROLE GALLICANE :
ANTOINE LE MAISTRE ET SAINT-CYRAN.

Une famille éloquente.

Tandis que PatTU, à mi-chemin entre le Palais et la Cour, poursuivra


une carrière de «cicéronien» en langue française, Le Maistre, dont les
racines gentilices plongent plus profondément dans la tradition du Palais,
rompt avec le cursus honorum qu'annonçait sa gloire d'orateur français,
pour se retirer sur un nouvel Aventin chrétien, où l'attendent les nouvelles
Eustochium, les nouvelles Paula de la Rome gallicane, sa mère, ses
sœurs, ses tantes, toutes les femmes de la gens Arnauld •


••
Les Mémoires d'Arnauld d'Andilly, comme les Vitae de Ménage, sont
un monument de généalogie humaniste, où la noblesse d'une famille
est attestée non par de hauts faits politiques et militaires, mais par les
talents et les triomphes oratoires. Leur style est celui, orné et ampoulé,
du panégyrique: il se veut digne des imagines majorum dont il dessine
le portrait exemplaire à l'usage de Pomponne, héritier de la lignée et
chargé de ses espoirs terrestres. Cette pompe est d'autant plus voyante
chez d'Andilly qu'elle voudrait se faire oublier par de longues tirades sur
la «vanité des choses de ce monde », et la «fragilité des grandeurs
terrestres ». Tant de désenchantement chrétien n'est que le revers d'un
orgueil personnel et gentilice déçu, reporté sur le fils, mais qui persiste
à n'apercevoir rien au-dessous de lui sur cette terre. «Nulle autre
fortune, écrit-il, ne peut rendre un homme véritablement heureux selon
le monde que celle des souverains» 484. Et lucide sur les ressorts magna-
nimes de son humilité, d'Andilly ajoute:
je n'ai jamais eu aucune ambition, parce que j'en avois trop, ne
pouvant souffrir cette dépendance qui resserre dans des bornes si étroites
les effets de l'inclination que Dieu m'a donnée pour les choses grandes,
glorieuses à l'Etat, et qui peuvent procurer la félicité des peuples 485.

Vocation d'Grator, au sens premier que Cicéron et Du Vair donnent à


ce terme: elle appelait d'Andilly à la royauté sur les âmes, et à la plus
haute magistrature civique. A l'étroit dans une monarchie, et dans une
monarchie où Richelieu a usurpé avec empire cette fonction que d'Andilly
juge seule digne de lui et des siens, c'est à une autre grandeur qu'il
s'est en définitive rallié, celle de Solitaire à Port-Royal.

484 Mémoires, éd. cit., p. 466.


485 Ibid., p. 471.
624 L'AVENTIN DE LA PAROLE GALLICANE

Non content d'avoir ouvert ses Mémoires par la longue énumération


des titres de noblesse de sa famille, remontant au XIIe siècle, d'Andilly
les achève par l'ènumération plus glorieuse encore de ses innombrables
parents et parentes,
marchant dans la voie étroite, combattant le bon combat, et se mettant
par l'assistance de Dieu en état d'être couronnés un jour de sa main 486.

Cette transfiguration d'un destin royal impossible sur la terre en vocation


à la royauté céleste, est digne d'un Polyeucte. Et la pieuse mère du
mémorialiste, citée par lui, définit admirablement ce principe de «con-
version» d'une magnanimité profane en héroïsme chrétien:
Que Dieu renverse la fortune temporelle de [mes] enfans pour établir
sur ses ruines une fortune éternelle.

Admirable témoignage sur la tradition propre à la gens Arnauld,


race d'avocats chrétiens de pure roche, les Mémoires d'Andilly témoignent
aussi, au sens le plus fort, pour l'ensemble de l'aristocratie gallicane
mise au défi par la politique absolutiste de Richelieu. On y lit clairement
l'altier passage de l'humanisme civique et chrétien à l'intériorité augus-
tinienne, le reflux de la « République des grandes âmes », monitrices de
la Royauté, en « République chrétienne des derniers temps ». Mais sous
ce ralliement à l'oraison chrétienne dans la solitude, la vieille ambition
de l'Orator assumant publiquement ses responsabilités civiques survit:
elle se concentre tout entière à la fois dans la personne de Pomponne,
qui sera en effet Secrétaire d'Etat de Louis XIV, et dans le discours
d'exhortation, qui lui est adressé sous forme de Mémoires, à remplir
enfin l'attente, déçue pour eux-mêmes, de son père et de son grand-père.
De fait, quelle autre famille française peut se targuer d'une tradition
oratoire aussi brillante, aussi proche de celle des dynasties d'orateurs
romains, que celle des Arnauld? Les titres alignés par Gilles Ménage
font pâle figure en comparaison. Noblesse d'avocats. Pendant trois géné-
rations, le titre de «Cicéron français» s'est transmis du beau-père au
gendre, du grand-père au petit-fils. Titre ambigu s'il en fut en France
et au Parlement de Paris. JI révèle chez les Arnauld une sorte de porte-
à-faux. Quel que puisse être au Parlement le prestige d'un avocat - et
celui des trois «Cicérons français» fut exceptionnel -, il ne saurait
rivaliser avec celui des dynasties de magistrats érudits. Très au-dessus
de la piétaille chicanière, les Arnauld tels que nous les montre sans le
vouloir d'Andilly, n'appartiennent pas tout à fait à la haute aristocratie
de Robe. JI leur reste quelque chose à désirer, et cet aiguillon maintient
les hommes de cette famille dans une inquiétude qui les pousse à multi-
plier les exploits.
Le premier à porter le titre de «Cicéron français» avait été le
« grand» Simon Marion: il choisit Antoine Arnauld pour gendre parce

486 Ibid., p. 472.


UNE FAMILLE ÉLOQUENTE: LES ARNAULD 625

qu'il vit en lui seul un dauphin. Celui-ci, par son prestige oratoire propre,
aussi bien que par celui qu'il héritait, pouvait espérer, selon d'Andilly,
« les plus hautes charges» du Royaume. Il mit, nous dit-on, son point
d'honneur à n'en vouloir d'autre que celle d'avocat au Parlement de
Paris, Mais d'Andilly prend soin de nous démontrer qu'il a porté la
profession à la dignité de véritable magistrature civique à l'antique.
C'était un magnanime: «Jamais homme, déclare-t-il sans ambages,
n'eut tout ensemble et au plus haut degré toutes les parties pour faire
un grand Chancelier de France» 487. C'était un magnifique; «II vivoit
si splendidement et il étoit si libéral» 488. Et sur cette nature d'exception,
une vis oraloria proprement héroïque prenait son essor, accablant de
ses pamphlets les ennemis du Roi 489, galvanisant les énergies en temps
de guerre 490, illustrant le Parlement en temps de paix:
Nul autre de son temps n'a fait des actions publiques si éclatantes,
ni fait paroistre tant de force dans ce qu'on appelle déployer les mais-
tresses voiles de l'éloquence.

Grande figure de héros «républicain », égaré dans un siècle trop


petit pour lui. Et c'est sur ce patron que les héritiers du fondateur de
la dynastie, avec plus ou moins de variantes, vont se mouler: le destin
d'Andilly lui-même manifeste la même grandeur d'âme, quoique sous
des formes plus auliques. Mais le petit-fils Pomponne, à qui les Mémoires
sont dédiés, va peut-être enfin, après ces deux héroïques esquisses,
porter la famille aux sommets qu'elle méritait d'atteindre dès le départ:
le ministère. Etienne Pasquier s'accommodait assez bien que l'avocat
en France n'eût ni le statut, ni l'autorité politique des orateurs de
l'antique Forum. Mieux encore que Du Vair, un peu contraint dans le
decorum du haut magistrat, Arnauld d'Andilly porte infiniment plus
haut la foi dans les droits que confère l'éloquence à une vertu d'exception.
Mais si Arnauld d'Andilly n'insiste pas (peut-être pour ne pas détour-
ner Pomponne de son destin politique) sur les femmes de la tribu,
celles-ci, dans leur ordre, n'ont pas démérité de leurs chefs. A l'éloquence
civique d'Antoine Arnauld, à l'ambition d'Arnauld d'Andilly d'occuper
une grande magistrature politique, répond l'éloquence toute chrétienne,
parlée ou écrite, que les moniales, puis à leur suite, les solitaires de
Port Royal vont déverser sur le siècle. Si bien que la famille éloquente,
chaire collective et complète, plus prestigieuse à elle seule que le Parle-
ment et l'Académie, voit se reproduire en son sein le dilemme auquel est
soumise l'éloquence parlementaire, dont la tradition civique est frappée

487 Ibid., p. 410.


488 Ibid.
489 Ibid., p. 407.
490 Ibid., p. 408. Lors du siège d'Amiens, en 1597, Arnauld, Conseiller à
l'Hôtel de Ville, fait lever un corps de 1 200 hommes qui contribue au succès
militaire du Roi. C'est bien un acte d'aralar, au sens de magistrature civique.
D'autre part, d'Andilly souligne le caractère politique des causes plaidées pa:
son père, p. 409.
626 L'AVENTIN DE LA PAROLE GALLICANE

d'impuissance par l'absolutisme royal: ou bien rallier le « monde}) sous


les espèces de Richelieu ou sous celles du public littéraire en formation,
et c'est alors le reniement; ou bien transfigurer l'éloquence des « grandes
âmes» en éloquence de l'exil et de la fidélité chrétienne, et c'est alors
la retraite, retraite éloquente toutefois.
A la frontière entre deux générations, au seuil du déclin de l'huma-
nisme parlementaire, Antoine Le Maistre 491 va vivre comme un drame
personnel le choix qui se pose en fait à l'ensemble de la Robe gallicane
mise au défi: le compromis ou la fidélité. Il ne s'agit pas seulement de
doctrine: il n'y a pas encore en France d' « intellectuels », et l'enjeu du
débat n'est pas celui d'une dispute théologique ou scientifique, à plus
forte raison idéologique, au sens néfaste que ce mot a pris aujourd'hui.
Il s'agit sans doute de principes: mais ceux-ci sont étroitement liés aux
vivantes traditions d'un milieu, à des titres de noblesse historiques qui
sont ceux de la bourgeoisie de Robe parisienne, et de son élite lettrée.
Ce ne sont pas les principes d'un système rapporté, mais les fondations
de tout un mode d'être, de sentir, de parler aussi, d'autant plus attaché
à sa forme que celle-ci croit répéter celle des chevaliers romains ou
gallo-romains convertis à la foi des premiers siècles. La France qu'est
en train de construire Richelieu a pour centre de décision unique la
Cour, pour laquelle cette élite bourgeoise a une méfiance atavique. La
monarchie absolue, qui humilie le Parlement, fait de sa Cour le théâtre
exemplaire pour les mœurs, les manières, le style d'une société civile
dont l'Eglise n'est plus qu'un rouage. Faute d'espérer dans le Parlement
intimidé ou acheté, ou dans l'Eglise contrôlée par les Jésuites, c'est
à Port-Royal qu'une élite de bourgeoisie parisienne lettrée, allant jusqu'au
bout de ses traditions de christianisme austère, non seulement résiste
aux séductions de la Cour répétant les vices des Aulae impériales de
l'Antiquité païenne, mais devient capable d'attirer à sa propre supériorité
spirituelle, morale et intellectuelle, de très grands seigneurs et de très
grandes dames, convertis par l'exemple d'une société religieuse répétant
les vertus et la foi de l'Eglise des premiers siècles.
En se retirant du Barreau, où après son arrière-grand-père Simon
Marion, après son grand-père Antoine Arnauld, il s'était acquis la gloire
d'un « Cicéron français », Antoine Le Maistre rompt avec tout ce qui,
au Parlement et en lui-même, est tenté de pactiser avec la Cour du
Cardinal-lmperator. Jusqu'alors, le Parlement avait été l'institution par
excellence où se reconnaissait la bourgeoisie parisienne: gardien de la
foi gallicane, gardien des «,Lois fondamentales}) du royaume, elle l'avait
fait, et il l'avait faite. C'est autour du «Sénat» de la Rome gallicane

491 Sur Le Maistre, voir, outre les pages toujours justes de Sainte-Beuve,
Gaudry, Histoirç du Barreau, ouvr. cit., t. Il, p. 10 et suiv.; Ch. A. Sapey,
Etudes biographiques pour servir à l'histoire de l'ancienne magistrature, G. Du
Vair, Antoine Le Maistre, Paris, 1858 ; L. Monty, G. Du Vair et A. Le Maistre,
da!1s Essais de critique historique, Dijon, 1877, p. 21-35 ; Th. Froment, Essai
sur l'histoire de l'éloquence judiciaire en France avant 1789, ouvr. cit. ; J. Orci-
bal, Les Origines, ouvr. cit., t. Il, p. 535 et suiv.
ANTOINE LE MAISTRE 627

qu'avaient germé au cours du XVIe siècle le Collège Royal, la République


des Lettres, et le gigantesque effort d'érudition humaniste et chrétienne
destiné à ramener la foi et le royaume à la pureté de leur origine. L'humi-
liation du « Sénat» par Richelieu, la trahison d'une partie des sénateurs,
poussaient à la création d'un foyer de résistance et de témoignage privé,
inaccessible aux tentations de la Cour, et où la flamme de la foi et de
l'érudition gallicanes, enfin pure de tout compromis, au milieu de la
corruption du siècle, soit entretenue par des vestales et des solitaires.
3alzac avait fait fête au jeune avocat à succès 492 qui était apparu
comme le représentant au Parlement de cette nouvelle éloquence « polie»
que combattaient au même moment un Goulu et un Dupuy. A ce fils d'une
bonne famille de Robe, le Chancelier Séguier préparait un bel avenir
dans l'Etat: il ne lui restait plus qu'à se marier et à accepter une charge
de maître des requêtes, puis sans doute de secrétaire d'Etat, pour figurer
au premier rang des robins participant de la toute-puissance du Cardinal.
Il est curieux que l'échec du mariage projeté 493 ait été dû à Jérôme
Bignon. tuteur de la jeune fille, et qui ne vit point en Le Maistre un
prétendant assez riche pour sa filleule. Il n'est pas exclu que l'auteur
du Discours sur la Parole ait trouvé suspects les succès de Le Maistre
auprès du « monde », et son amitié pour l'Unico Eloquente.
Cet échec révélait en tout cas au jeune homme les limites du prestige
que pouvaient lui valoir, auprès des représentants les plus autorisés de
la tradition gallicane, ses triomphes de « Cicéron françois ». L'admiration
de Balzac ne pouvait compenser ces réserves tacites. A un double titre,
les succès oratoires de Le Maistre étaient suspects; ils faisaient de lui
l'ambassadeur au Palais d'un art de la prose inutile et mondain, d'un
« cicéronianisme» qui n'avait plus la même justification morale que la
véhémence civique prônée par Du Vair. Ils lui ouvraient un cursus hono-
rum qui n'avait plus rien de commun avec celui auquel songeaient, sur
le modèle de Michel de L'Hospital, le même Du Vair et un Arnauld
d'Andi\ly. Sous Richelieu, il ne s'agissait plus que d'une carrière de
haut fonctionnaire asservi à la raison d'Etat. Le protecteur du jeune
homme, Séguier, n'est plus, comme ses prédécesseurs à la Chancellerie,
le représentant auprès du Roi de l'autorité morale et intellectuelle de la
Robe, balançant l'ambition et les intrigues des Grands et incarnant la
Justice royale: «créature du cardinal », ami et allié des Jésuites, il
n'est plus que le premier des grands commis de l'Etat, l'exécuteur des
hautes et basses œuvres de la Cour.

492 Voir les lettres de Balzac à Le Maistre, dans Œuvres, t. I, éd. 1665,
en particulier lettre 52, du 1. VI, p. 251 (II nov. 1633): «Les acclamations
Que vous excitez dans le Palais résonnent partout... Mais Monsieur, je ne
me contente pas de battre des mains et de louer votre bien dire comme les
autres ... » Voir aussi les lettres de Chapelain à Balzac sur la retraite de Le
Maistre.
493 Voir, outre Sainte-Beuve, Port-Royal, éd. Pléiade, t. l, p. 482 et suiv.,
J. Orcibal, Origines du jansénisme, t. Il, p. 535 et suiv. Sur le rôle de Bignon
dans l'échec du mariage de Le Maistre avec Mlle de Cornouaille, voir ibid.,
p. 537, notes 2 et 4.
628 L'AVENTIN DE LA PAROLE GALLICANE

Au même moment, les plus hauts magistrats passaient sur leurs


scrupules: même Mathieu Molé, pour occuper la charge de Premier
Président qui lui revient, devra accepter de signer un engagement humi-
liant pour lui-même, pour le Parlement 494. En 1633, Nicolas Rigault,
l'ami et le confident de J.A. de Thou, le savant éditeur et commentateur
de Tertullien, avait choisi entre la politique et la mystique du gallica-
nisme : contre une charge flatteuse, il avait accepté de servir le cardinal
dans des circonstances qui faisaient de lui moins un magistrat qu'un
fonctionnaire aux ordres 495. Antoine Le Maistre redoutait de servir contre
sa conscience: en 1636, il avait refusé la charge, proposée par Séguier,
de maître des requêtes au Parlement de Metz.

494 Voir E. Fayard, Aperçu historique sur le Parlement de Paris. Paris,


Picard, 1877, t. Il. p. 127. Peu de temps avant que Molé fût nommé Premier
Président, le Roi et Richelieu avaient, au cours du Lit de Justice du 21 février
1641, fait enregistrer des lettres patentes en forme d'édit, «portant défense
à la cour de Parlement de Paris et autres de se mêler d'aucune affaire d'Etat,
que de rendre seulement la justice ». L'édit prévenait les magistrats de «n'en-
treprendre sur le gouvernement de l'Etat, qui n'appartient qu'au Prince », et
leur interdisait de «délibérer» sur des édits et ordonnances qui étaient sou-
mises à leur enregistrement. L'édit se terminait par des sanctions contre le
Président Barillon et d'autres magistrats. privés de leur charge. L'éloquence
délibérative. et avec elle la plénitude civique du titre d'orateur si orgueilleu-
sement revendiqué par les magistrats du Parlement de Paris, était supprimée.
Même ses traces furent effacées sur les registres par ordre du Roi.
496 Voir R. Pintard, Libertinage érudit.. .• p. 274-275, et Emm. Michel. His-
toire du Parlement de Metz. Paris. Techener, 1845. La création du Parlement
de Metz, le 15 janvier 1633. était manifestement un aspect des mesures stra-
tégiques prises par Richelieu se préparant à occuper la Lorraine, puis à
l'administrer. II était « semestre », donc incapable de « faire corps» : la plupart
de ses magistrats, étrangers à la province. n'y résidaient tour à tour qu'une
partie de l'année. Le Parlement de Bretagne, puis le Parlement de Normandie,
après la révolte des N us-Pieds, ont été eux aussi rendus «semestres» pour
que leur docilité fût assurée. La création du Parlement de Metz fut l'occasion
d'une «ruée vers la servitude ». Sublet de Noyers écrivait: «Vous ne sçauriez
sçavoir queUe guerre font aux offices (créés à cette occasion) tous les enfants
de bonne maison de Paris» (Michel, ouvr. cit., p. 24). Sa création lésait gra-
vement les intérêts et les privilèges tant civils qu'ecclésiastiques des Trois Evê-
chés. Pourtant. même ce Parlement sans assises locales résistera. vainement
d·ailleurs. 10rsqu'i1 lui sera, le 10 mai 1636, intimé l'ordre d'aller siéger à Toul
pour avoir juridiction sur toute la Lorraine, occupée depuis 1634. La carrière
de N. Rigault est typique: Conseiller à Metz de 1633 à 1634. il devient alors
Procureur général du Conseil souverain créé à Nancy pour administrer la
Lorraine occupée, et le 21 mai 1637. il est nommé Intendant de justice et police
de Metz, avec de larges pouvoirs de justice et police qui amputent largement
ceux du Parlement de Toul. Celui-ci, avant le Parlement de Rouen, peut donc
passer pour exemplaire de l'état «d'abaissement» de la magistrature manœu-
vrée à sa guise par le Conseil du Roi. On comprend mieux pourquoi Antoine
Le Maistre, qui appartenait avec son oncle d'Andilly à l'opposition «dévote»
contre la politique de guerre de Richelieu, avait refusé en 1636 d'accepter
une charge au Parlement de Metz que lui proposait Séguier. Voir. dans les
Epistolae de Claude Sarrau, les scrupules de celui-ci lorsqu'il est envoyé à
Rouen siéger à la place de ses collègues normands, «interdits» en 1639-1640.
LES «EXEMPLA:. DE LA PRIMITIVE ÉGLISE 629
Il était tentant, pour un avocat tel que Le Maistre, de porter plus
haut que les magistrats du Parlement 496 - dont beaucoup faisaient
assaut de servilité auprès du Cardinal - le Non possumus que la foi
gallicane. trop souvent in petto, opposait au « machiavélisme:. de Riche-
lieu. Donner une voix, incarner dans une action cette protestation ailleurs
prudemment tue: c'était la dernière et la seule cause digne d'un avocat
chrétien. C'était aussi prendre au mot les Remonsirances des Avocats
Généraux, qui de Pibrac à Bignon, demandaient à l'avocat français,
dif~érent de l'avocat antique, de se faire l'humble serviteur du Logos.
La lecture des Pères de l'Eglise 497 lui révélait de celui-ci une version
« héroïque:. auprès de laquelle le genre judiciaire et le genre démons-
tratif «à l'antique », qui lui avaient valu le renom de «Cicéron fran-
çois », faisaient pâle figure. La Raison d'Etat trop païenne de Richelieu
semblait justement recréer les conditions qui avait dressé un saint
Ambroise face à Théodose. un saint Jean Chrysostome face à Eudoxie,
et exiger une réponse qui fût autre que l'éloquence païenne du Forum.
La même année, en 1637, le P. Caussin s'identifiant à ce Chrysostome
qu'i1 avait si fort exalté dans ses Parallela 498, avait mis en jeu sa carrière
de Jésuite de Cour pour exhorter le Roi, dont il était confesseur, à se
séparer du nouvel hérésiarque Richelieu 499. La dureté des temps, qui
avait offert à l'ancêtre Arnauld de si belles occasions d'éloquence civique.
offrait à son héritier une occasion plus belle encore d'éloquence chré-
tienne.

496 Voir la lettre de Balzac à Arnauld d'Andilly (Œuvres, éd. 1665. t. 1.


1. VI. p. 252) du 12 juin 1633: il y est fait allusion à une vérité persécutée,
dont «les ennemis sont partout. et les partisans faibles et «secrets », et que
les « Peres Conscripts» (alias les magistrats du Parlement de Paris) ne défen-
dent qu'avec «flegme et froideur ». Arnauld d'Andilly et Le Maistre sont jlU
contraire rangés parmi ses «partisans fervens ». De quelle vérité peut-il bien
s·agir. sinon de la cause du «parti dévot ». chassé du Conseil depuis la Journée
des Dupes. et pour laquelle Balzac éprouve une vive sympathie. en même temps
qu'une aversion grandissante pour le «tyran» Richelieu. depuis l'échec auprès
de celui-ci de son Prince. en 1632? Arnauld d'Andilly avait vu toute sa carrière
politique ruinée par la victoire de Richelieu sur les Marillac.
497 Tallemant (éd. cit., t. 1. p. 514) écrit: «II avoit fait son eloquence
dans les Peres.» Vigneul-Marville est moins catégorique (Mélanges .... t. III.
p. 110): «J'ai ouï dire à feu M. Langlois et à quelques autres avocats qui
avoient écouté l'iIIustre M. Le Maistre. qu'i1 n'avoit pas prononcé ses plaidoyers
aussi chargez des citations des Peres que nous avons aujourd'huy dans le
recueil imprimé. Ces messieurs disoient que ce grand homme. depuis sa retraite
à Port-Royal. etant sollicité par des personnes considerables... de mettre au
jour ses Actions publiques, avoit travaillé à les soutenir de l'autorité des
S.S. Pères et leur donner cet air de piété qui en relève infiniment Je prix ... »
Mais]. Orcibal se rallie à la version de Lancelot qui confirme celle de Talle-
mant, et qui n'est pas contradictoire avec la pia fraus rapportée par Vigneul-
Marville. Le Maistre ayant fort bien pu «nourrir» après coup ses discours de
textes patristiques qu'il lisait « dans le monde », sans les citer trop abon-
damment (voir Origines.... t. Il. p. 536, note 5).
498 V. Il' Partie (p. 324 et suiv.).
499 Sur cet épisode. voir les Mémoires de Richelieu. à la date, et l'ouvrage
du P. C. de Rochemonteix. N. Caussin confesseur de Louis X/fi et le cardinal
Richelieu. Paris, Picard. 1910.
630 L'AVENTIN DE LA PAROLE GALLICANE

Et de fait, dans sa lettre d'adieu à Séguier, en 1637, dans sa lettre


apologétique en faveur de Saint-Cyran emprisonné en 1638, Le Maistre
n'est plus le «Cicéron françois ». Soutenu par l'exemple des Pères, il
retrouve, contenus par la bienséance, leurs accents face aux Empereurs
hérétiques et à leurs serviteurs. Même un Balzac, 'dont l'âme ondoyante
avait célébré sans mesure le Cardinal, traite en secret ces années-là
Richelieu de nouveau Tibère, de nouveau Néron. A la lumière des «pre-
miers siècles de l'Eglise », la guerre « impie» menée par Richelieu contre
les puissances catholiques, le style machiavélique de sa politique, le style
impérial qu'il imprime à la Cour de France, semblaient ramener la Rome
gallicane au temps des Confesseurs et des Martyrs, victimes des Dèces
et des Dioclétiens 600.


••
Le regroupement des derniers fidèles sur une sorte d'Aventin chrétien,
face au Cardinal-Imperator et à sa Cour, ne fut pas l'œuvre d'un magis-
trat, mais d'un ecclésiastique, digne de saint Jérôme par l'érudition
humaniste, digne de saint Augustin par la profondeur doctrinale et l'élo-
quence : l'abbé de Saint-Cyran. Mieux que l'éloquence savante de Jérôme
Bignon, l'abbé était capable de rendre une voix aux « Pères des premiers
siècles» pour tenir tête aux «satellites» des Empereurs païens. Par le
.ieu de l'Histoire, magistra vitae, le drame de l'humanisme gallican prenait
à Paris les couleurs épiques et héroïques que Baronius avait su donner
aux Annales ecclésiastiques de la Rome chrétienne Ml. Devant Saint-
Cyran, l'humilité d'un Bignon est de la même qualité que celle d'un
Le Maistre; elle rejoint la fascination qu'éprouve Balzac devant l'abbé:
tous trois croient entendre un « nouveau Saint Paul ».
Balzac par sa parenté Nesmond, Bignon, par sa profonde érudition
gallicane, Le Maistre par les traditions de sa dynastie d'avocats, tous

600 Sainte-Beuve a fort bien senti que, chez les dévots, les exempla de
l'Antiquité chrétienne jouaient le même rôle que chez les humanistes profanes
les exempla de l'Antiquité païenne (voir Port-Royal, éd. cit., t. l, p. 394-395).
Le P. Caussin s'était employé, dans sa Cour Sainte (1624-1631) à vulgariser en
français un grand nombre des exempla qui parsemaient les Annales Ecclesias-
tici de Baronius. Et ces modèles de vertu héroïque et d'éloquence chrétienne
face aux persécuteurs trouvèrent des échos jusque sur le théâtre, quelques
années plus tard. La mort de Cinq-Mars et De Thou sur l'échafaud est
rapportée par leur ami Fontrailles dans le style des Acta Martyrum. Le Pré-
sident Barillon, exilé par Richelieu, est qualifié par ses amis de «Martyr
d'Etat ».
601 J. Orcibal a montré qu'après la mort de Bérulle, Saint-Cyran fait figure
de « chef du parti dévot» (Origines ... , t. Il, p. 517), antithèse du «chef des
machiavélistes », Richelieu. Cette opposition politique ne pouvait que se tra-
duire aussi par un conflit dans l'ordre oratoire; c'est justement ces années-Ià
que Richelieu apporte son appui le plus vigoureux à l'équipe de gens de lettres
« cicéroniens» qui plaident en beau langage pour sa politique, tandis que
Saint-Cyran accentue son radicalisme anti-rlrétorique, reprenant à son compte
le combat de Goulu et de Camus.
LE MAISTRE ET SAINT-CYRAN 631

trois touchent de près aux arcanes de l'humanisme chrétien gallican. Il


vivent chacun à leur manière son incessant débat autour du statut de la
Parole chrétienne. Tout s'est passé comme si Bignon avait reconnu
en Saint-Cyran le Verbe inspiré qu'il invoquait dans son Discours de
1627, sans être à même de le recevoir. Et tout s'est passé comme si
l'avocat Le Maistre, auquel un Bignon opposait dans ses Remonstrances
l'idée du Verbe inspiré, pur de toute idolâtrie païenne, l'avait rencontré
chez Saint-Cyran. Sortant de l'ordre du Palais, dont le défi lancé par
Richelieu révèle les insuffisances, il se rallie à un ordre supérieur où les
valeurs célébrées au Palais se trouvent pleinement incarnées. Le Logos
annoncé par des générations d'Avocats Généraux devient chez Saint-
Cyran Verbe vivant, reconstituant autour de lui la vraie communauté des
fidèles.

•••
La rencontre avec l'abbé tient dans la vie de Le Maistre le même
rôle initiatique, toutes choses égales, que la rencontre avec d'Urfé joue
dans la carrière de Patru. Dans ces deux entrevues antithétiques, diver-
gent les chemins de l'éloquence gallicane. Appelé par les sirènes cour-
toises de l'Astrée, Patru introduit au Palais ce que les Avocats Généraux
avaient depuis toujours redouté d'y voir apparaître: l'élégance du lan-
gage de Cour. Avocat-homme de lettres, il représente le type même du
robin acceptant un compromis entre les traditions de son milieu et
l'influence prédominante de la Cour. Appelé par la sublime sévérité de
Saint-Cyran, Le Maistre découvre à Port-Royal, comme extrait de la
gangue du Palais, une nouvelle «Eglise des premiers siècles:o, déposi-
taire de la Parole originelle que les Avocats Généraux, de Pibrac à
Bignon, convoquaient en vain le Parlement à retrouver et à servir. Il
rend manifeste la sécession d'une élite de robins gallicans fidèles au
plus pur de leur projet historique: l'idéal érudit de réforme chrétienne.
Avec pénétration, Sainte-Beuve a senti la gravité de l'enjeu. Toute-
fois, il a cru bon, pour mettre ses héros à leur vraie hauteur,
d'accabler son confrère en littérature, Balzac, lui reprochant de
n'avoir pas, comme Le Maistre, cédé à la fascination de Saint-Cyran ~02.
A chacun ses devoirs. Grand Supérieur des Lettres françaises naissantes,
il est heureux que Balzac ait pu se prêter sans y céder à l'influence du
grand abbé. Mieux que personne, il a su comprendre et analyser en
artiste du langage la nuance de sublime chrétien que Saint-Cyran était
capable de communiquer à la langue française 503. De même, et avec

502 Voir Port-Royal, éd. ci!., t. l, p. 535 et suiv.


503 Sur la fascination éprouvée par Balzac, les témoignages abondent dans
ses lettres à Saint-Cyran (voir entre autres Œuvres, 1665, t. l, 1. IV, lettre 6
du 12 janvier 1626, p. 109). Il est peu douteux que sa rencontre avec Saint-
Cyran, comme le montre cette longue lettre, ait été le point de départ de
ses scrupules d'écrivain « mondain :0, qui ne feront que croître avec le temps.
Voir ibid., 1. XII, 25, 12 avr. 1639, p. 548, à Godeau). Sur l'opinion de Saint-
Cyran sur Balzac, voir Orcibal, Origines ..., t. Il, p. 679.
632 L'AVENTIN DE LA PAROLE GALLICANE

une sorte d'impartialité que Sainte-Beuve ne veut pas voir, il a su


comprendre et célébrer les accents véritablement impériaux que pour la
première fois dans l'histoire de la langue, un Richelieu a su faire résonner
en français 1104. Son rôle de témoin et d'artisan privilégié de la méta-
morphose d'une langue vulgaire en langue classique, capable de toute
la lyre humaine, n'exigeait pas de lui davantage. Autant reprocher à
Corneille d'avoir su faire de son théâtre, avec la même impartialité du
véritable artiste, le carrefour de toutes les voix de son siècle, et le
témoin de sa riche moisson. Les prosopopées dramatiques de Corneille
ont la même fonction de célébration que les hyperboles de Balzac. Sainte-
Beuve a joué un tour dont les écrivains sont coutumiers entre eux. Il n'en
a pas moins lui-même célébré Port-Royal non seulement comme un des
hauts lieux de la France chrètienne, mais aussi, et peut-être surtout,
comme l'instance la plus exigeante de la conscience littéraire française.
Son point de vue d'historien des lettres lutte, souvent victorieusement,
avec son point de vue d'historien du sentiment religieux. Il a fort bien
senti que la rencontre entre l'avocat chrétien Le Maistre, et l'apôtre
Saint-Cyran mettait à feu les questions fondamentales de la rhétorique
gallicane. Avec la rencontre Le Maistre - Saint-Cyran, c'est en effet
la rhétorique d'ascendance augustinienne et de tradition « borroméenne",
qui vient au devant de la rhétorique du Palais en crise, ècarte d'elle la
tentation de renoncer, et l'accomplit en rhétorique chrétienne.

Christus Orator: l'itinéraire oratoire de Saint-Cyran

Le « sublime» de Saint-Cyran n'était pas né avec lui. Il est le fruit


tardif des tâtonnements de l'abbé aux prises avec les rhétoriques de
son temps.
Pour lui, comme pour Richelieu, l'art oratoire avait été d'abord un
moyen de se faire connaître et de se porter candidat aux honneurs
ecclésiastiques, puis politiques. Un brillant discours aux Etats de 1614-
1615 avait «lancé l) Richelieu. Une non moins brillante Apologie de
l'évêque de Poitiers, La Rochepozay (1615), avait « lancé» Saint-Cyran,
ancien élève des Jésuites à Bayonne et à Louvain 11011. Dans les deux cas,

1104 Rapprocher les jugements de Balzac sur Richelieu orateur: «II est
certain que l'Authorité des Rois n'est point si souveraine que celle que vous
exercez sur l'âme de ceux qui vous escoutent» (sept. 1622). Voir aussi lettres
du même mois et d'avril 1621, et ses jugements sur Saint-Cyran orateur (lettre
du 12 janvier 1626 cit.): «Vous estes aujourd'huy le plus grand Tyran qui
soit au monde, vostre authorité s'en va estre redoutable à toutes les âmes [ ... ].
quand vous parlez. il n'y a point moyen de conserver son opinion, si elle
n'est conforme à la vostre. l) Dans les deux cas l'auctoritas de l'orateur crée
à elle seule un effet de «sublime» qui défie l'analyse rhétorique.
1105 Voir dans J. Orcibal, Origines ...• 1. Il, le ch. Un chanoine bel esprit,
p. 179 et suiv. Les deux œuvres mineures qui précèdent l'Apologie, la Question
Royale, et le poème latin sur la mort d'Henri IV (ibid., p. 159 et 167) mon-
trent la dette contractée par Saint-Cyran envers la logique des Jésuites (voir
par ex. le Generale artificillr.1 oratiollls cujuscumque componendae. longe facil-
L'ITINÉRAI~E O~ATOIRE DE SAINT-CV~AN 633
l'exemple de Du Perron. que ses triomphes d'orateur à la Cour avaient
conduit à la pourpre, faisait école.
Comme Du Perron et comme Richelieu, Saint-Cyran semble avoir été
alors pénêtré de cet idéal d'Orator catholique, dont Muret s'était fait
l'initiateur à Rome, et dont en France Du Perron s'était appliqué à
forger une version d'Eglise, tandis que Du Vair s'employait à l'introduire
au Palais. L'éloquence «véhémente» de l'Apologie pour La Rochepozay
révèle à la fois des dons et une technique oratoires exceptionnels, appli-
qués avec aisance à la langue vernaculaire. Point de citations coupant le
rythme des périodes, point de redondances marquant les hésitations du
c latineur» traduisant à grand ahan des «lieux» empruntés aux An-
ciens ; la force sobre du raisonnement et la vigueur bien rythmée 608 du
phrasé dêpassaient même en qualité ce qu'un Du Vair ou un Du Perron
avaient tenté dans le même genre en français ..
Cette version ecclésiastique de l'éloquence civique se soutenait chez
Saint-Cyran, comme le voulait Muret, d'une éthique de la magnanimité.
Tout en se servant de celle-ci comme « lieu» de l'éloge de l'évêque de
Poitiers, l'Abbé se l'applique indirectement à lui-même et justifie par
elle son autorité d'orateur sacré, tranchant du temporel comme du
spirituel, très au-dessus des orateurs profanes. Pour l'auteur de l'Apo-
logie, l'Eglise est un «corps politique ». les évêques sont ses magistrats,
qui ont juridiction sur les corps comme sur les âmes. Cette toute-puis-
sance épiscopale, reflet de celle de Dieu. échappe aux jugements moraux
des «hommes communs» 1107: les préceptes évangéliques ne sauraient
servir à déchiffrer cc les secrets mystérieux» de la prudence politique
au service de l'Eglise. Et les «petites âmes» sont incapables de com-
prendre la «grandeur du courage» des «âmes généreuses" avides de
gloire au service de Dieu, de l'église et du Roi. Cette éthique d'aristo-
cratie sacerdotale était articulée à une casuistique, nécessaire pour justi-

limum du P. Voellus, Valenciennes. J. Vervliet, 1604) et envers leur rhétorique


latine. Elles sentent le travail du bon élève qui veut briller avec les beaux tours
de prestidigitation oratoire et d'érudition humaniste appris chez les RR.PP.
J. Orcibal fait ressortir les liens entre le Saint-Cyran d'alors et la cour de
Montmorency à Toulouse, où pérorent des gentilshommes rhéteurs tels que
Cramail (ibid.• p. 156 et 165. note 1). L'Apologie marque déjà de plus hautes
ambitions.
506 Ce problème du rythme de la prose française - en germe dans le
problème du rythme du vers français tel qu'iI était posé à l'Académie de
musique et poésie de Baïf - est traité par un ami de Baïf. Claude Fauchet,
dans des pages qui pourraient servir de point de départ à une stylistique de
la prose sous Henri IV et Louis XIII. Voir le Recueil de l'origine de la poésie ...•
ouvr. cit.. ch. 6. p. 49 et suiv. où Fauchet distingue rythme et harmonie. rythme
et mètre. Ces pages, qui s'efforcent de définir une spécificité rythmique du
français, ont dû être méditées par Malherbe et par Du Vair, Du Perron.
Coëffeteau. les maîtres de la prose française dont Saint-Cyran. dans l'Apo-
logie. se montre un disciple fort doué.
507 Apologie pour Messire Henry Louys Chaslaignier de la Rochepozay.
Paris, 1615, p. 232.
634 L'AVENTIN DE LA PAROLE GALLICANE

fier par l'intention des actes condamnables par la morale ordinaire, C'est
exactement celle dont Richelieu soutient alors son ascension vers le
pouvoir suprême, et qui ne cessera de l'exalter jusqu'à son dernier souffle.


••
Il n'est pas nécessaire de revenir, après Jean Orcibal, sur les conver-
sions qui feront passer Saint-Cyran de ce christianisme politique et extra-
verti à l'intériorité augustinienne d'un confesseur de la vraie foi. Tel qu'il
apparut aux mémorialistes Lancelot et Fontaine, tel qu'il fut connu
d'Antoine Le Maistre, Saint-Cyran orateur n'est plus le brillant élève
de la rhétorique romaine, mais le champion d'une parole chrétienne et
française contre l'art oratoire païen, le rédempteur du Verbe, ailleurs
captif des illusions et des calculs des rhéteurs dévots .


••
Que reproche en effet Lancelot, jeune prêtre de la communauté de
Saint-Nicolas du Chardonnet, à son premier maître, M. Bourdoise? La
foi naïve dans une rhétorique dévote, faisant fonds sur les techniques
tout extérieures de la persuasion (peritia dicendi) et non sur la contagion
d'une intériorité vraiment chrétienne:
je vois bien, dit-il à son ami, que l'esprit de ce prêtre est un peu
extérieur, et qu'il renferme tout dans sa parole. Il s'imagine qu'il n'y a
qu'à bien presser un homme pour le convertir. Il fait pour ce qui regarde
les mœurs comme le P. Véron pour les erreurs des hérétiques: ils croient
tous qu'il n'y a qu'à beaucoup crier li08.

Cette fascination pour la magie, au fond toute païenne, des «mots:.,


rapproche donc le pauvre Bourdoise des Jésuites abhorrés. Qui saura
faire de la parole, non cet alibi ou cette idole que dénonçait Bignon en
1627, mais le rayonnement irrésistible de la vérité du Christ, telle qu'elle
fut à sa source? Le nom de «M. de Saint-Cyran:. est prononcé devant
Lancelot:
Cette parole fut un dard qui à l'instant même me perça le cœur 1109.

Fiat Lux: et lorsque l'Oracle paraît, l'effet de sa parole répond à la


promesse mystérieuse dont son nom était chargé:
11 nous fit une conférence. 11 s'éleva si haut qu'il semblait transporté
jusqu'au Ciel comme l'avait esté cet Apostre depuis sa conversion, et
nous y fusmes enlevez avec luy [... ] Ses discours étoient si edifiants, si

508 Lancelot, Mémoires touchant la vie de M. de Saint-Cyran, Cologne,


1738, t. I, p. 7.
1109 Ibid., p. 8.
LE VERBE PERDU SE FAIT CHAIR 635

pleins d'une onction toute divine, surtout quand il expliquoit quelques


endroits des Evangiles, qu'il ne s'est jamais rien vu de pareil. M. Singlin
et M. Le Maistre, qui n'estoient pas de petits esprits, étoient dans une
admiration continuelle, et ils disoient quelquefois par une espèce de ravis-
sement: Numquam sic loculus est homo 510.

Pour un orateur du Palais, comme Le Maistre, pour un prêtre formé


à la prédication, comme Lancelot, pour un prédicateur, comme Singlin,
les effets de la parole de Saint-Cyran, incommensurables avec ceux de
l'éloquence humaine, tiennent du miracle. Ils n'hésitent pas, reportés à
l'Origine, à répéter à son propos la formule d'admiration que s'attirait
le Christ même. Cette lumière du Logos que Bignon célébrait en son
discours de 1627, qu'il appelait à féconder et purifier l'éloquence du
Parlement, s'est enfin incarnée. Les hyperboles des disciples pourraient
évoquer celles dont use Balzac, dans ses premiéres Lettres, pour célébrer
le sublime de Richelieu orateur lill. Mais dans le cas de Richelieu il s'agit
d'un miracle de Nature: si magnétique s'avère la grandeur d'âme du
prélat, qu'elle abolit, pour ainsi dire, la médiation matérielle du discours
dont elle se sert, elle frappe directement l'âme confondue de son audi-
toire 512. Dans le cas de Saint-Cyran, le discours n'est pas soutenu par la
manifestation, à travers lui, d'une magnanimité héroïque: il révèle le
feu rayonnant et irrésistible d'une Présence surnaturelle au fond de l'âme
de l'orateur. Ce n'est plus la Nature, dans une de ses productions les
plus réussies, qui fait oublier l'Art: c'est le Christ même, supérieur aux
vains recours de la rhétorique païenne. Le discours de Saint-Cyran, tel
que le perçoivent ses auditeurs recueillis, ne connaît qu'un seul degré:
le sublime inspiré de l'Evangile et de la Bible.
Le Christus Oralor que célébraient Erasme, et après lui Louis de
Grenade et Jean Botero, toute la tradition des rhétoriques ecclésiastiques
fidèles au De Doclrina chrisliana de saint Augustin, trouve en Saint-

510 Ibid., p. 44 et 46.


511 Voir note 504.
512 Cette conception héroïque de l'éloquence reste tenace même en milieu
janséniste. Dans son édition «autorisée ~ des Plaidoyers de Le Maistre, l'avo-
cat Issali, ami intime de Bignon et de Le Maistre, s'adresse en ces termes à
Pomponne de Bellièvre, dédicataire de l'ouvrage: «Nous reconnaissol's tous
que vous sçavez excelle ment disposer les richesses du discours et vous rendre
maistre des affections des hommes. Mais c'est par une éloquence propre aux
personnes de vostre naissance et de vostre qualité, qui n'emprunte pas tanl
ses ornemens des livres des Anciens Orateurs, qu'elle coule de la grandeur de
vostre esprit comme de la source, et que c'est une effusion de ses lumières,
un enfantement des nobles et magnifiques pensées qu'il conçoit par sa naturelle
fécondité, qu'il forme par ses hautes réflexions sur la conduite du monde et
l'ordre de la Justice, et qu'il achève et consomme par l'experience des grandes
affaires. C'est cette éloquence qu'Homère attribue à ses héros. C'est celle que
les Législateurs qui ont fondé les Republiques et les Monarchies ont si utile-
ment pratiquée· pour le bien des Peuples, qui a autrefois desployé tous ses
trésors dans le Senat de la Republique Romaine [... ], et qui a fait voir dans les
Catons, les Antoines, les Pompées et les Césars, des paroles dignes des
Maistres du Monde [ ... ] ~
636 L'AVENTIN DE LA PAROLE GALLICANE

Cyran un apôtre digne du Modèle. Et la même fulgurance de la Parole


du Christ, que décrivaient avec nostalgie et dévotion l'Erasme de l'Eccle-
siastes, le Grenade de l'Ecclesiastica rhetorica, le Botero de la Rhetorica
est naturelle chez l'Abbé. Sa parole «transporte », «ravit », on oublie
comment, et on admire pourquoi. Toutes les références à Cicéron et à
Quintilien que les rhéteurs ecclésiastiques de tradition érasmienne
croyaient bon de multiplier pour soutenir de moyens humains la faiblesse
des prédicateurs semblent futiles dans son cas. Réveillé par la voix
même de la Révélation, c'est le silence de Dieu au fond de l'âme péche-
resse qui se fait tout à coup percevoir, Expérience tout augustinienne, le
miracle du noverim Te, noverim me, se renouvelle à l'écoute de Saint-
Cyran. Rien de comparable avec l'éloquence ordinaire, qui n'est qu'un
calcul sur les sens et les passions. Celle de Saint-Cyran libère une voix
plus secrète qui attendait au fond du cœur.
Lancelot ne se lasse pas de revenir sur cette expérience, qui déroute
tous les préceptes de la rhétorique scolaire:
Ses discours n'étoient point étudiés, et ne venoient que de sa grande
plénitude. Aussi avoit-i1 accoutumé de dire qu'il n'y avoit rien de plus
dangereux que de parler de Dieu par mémoire, plutôt que par le mou-
vement du cœur 613.

Si indécent que puisse paraître le rapprochement, on ne peut s'empê-


cher de voir une analogie entre le sentiment de libération qu'éprouve
Lancelot à l'écoute de cette « parole du cœur », et celui qu'éprouvèrent,
avec Patru, tant d'hommes du XVII" siècle à la lecture de l'Astrée. Les
deux ordres sont évidemment séparés par une distance infinie. Mais qu'on
nous comprenne bien: ce qui nous occupe ici est moins la qualité reli-
gieuse ou profane de l'expérience, que la part qui y entre de libération
proprement langagière .. L'éloquence amoureuse des héros de l'Astrée déli-
vrait des âmes moins religieuses du poids que le latin scolaire, les
sentences apprises, leur avaient imposé: ils étaient rendus à un usage
plus libre, plus heureux, de la langue maternelle, qui se révélait l'idiome
même de l'amour. L'éloquence chrétienne de Saint-Cyran, sur des âmes
plus religieuses, mais non moins impatientes d'e la charge que faisaient
peser sur elles la mnémotechnique et la technique oratoire scolaires,
ouvrait la porte à une expression plus heureuse de la foi. Aux deux pôles
extrêmes de la culture française du temps, on observe le même besoin de
surmonter la division des deux langages et de simplifier la rhétorique

513 Mémoires ... de Lancelot, t. l, éd. cit., p. 44. Le rapprochement auquel


nous nous livrons ci-après est loin d'être forcé, si l'on ne perd pas de vue
la notion très répandue à la fin du XVI' et dans la première moitié du XVII'
siècle, de la langue maternelle comme « langue de la franchise et de la naïveté >.
C'est le langage naturel du cœur, qu'on entende celui-ci au sens profane, ou
au sens chrétien, par opposition aux langues savantes. Par l'amour pastoral,
la parole est ramenée à son âge d'or, en Arcadie, comme par l'anamnèse
héroïque de l'âme chrétienne, elle est ramenée à l'Origine, au temps des
Apôtres et des Martyrs.
LE VERBE SE FAIT CHAIR EN FRANÇAIS 637

tortueuse qu'elle engendre. On aspire à retrouver la seconde simplicité


de la langue française. dont Du Vair disait en 1595 qu'elle « ne s'estoit
pas encore desnouée :> GU.
Par un paradoxe qui explique comment les disciples de Saint-Cyran,
en dépit de la «morale étroite », pourront rencontrer si vite et si bien
« l'oreille» du monde, l'éloquence du cœur de Saint-Cyran, vivifiant et
rédimant la langue vernaculaire, poursuivait un travail paralléle à celui
des maîtres de la littérature mondaine, un d'Urfé et un Montaigne. Dans
les deux cas, chrétiens intérieurs et mondains cherchent et trouvent une
rédemption du savoir emmagasiné en latin et péniblement rendu en
français, les uns dans l'adhésion aux mouvements de Dieu, les autres
aux mouvements de la nature et de l'amour. Ce que les gens du monde,
étrangers à la bibliothèque humaniste et à ses rites, avaient le plaisir
de découvrir chez Montaigne et chez d'Urfé, loin des dédales de l'éru-
dition et des procédures trop calculées de l'art oratoire, un langage qui
anoblit le leur. Lancelot le trouve avec joie, sur un autre registre, chez
Saint-Cyran. «Dieu, écrit-il, vouloit faire voir en luy que sa parole
n'estoit point captive.» Ce mot magnifique a certainement un sens moral
et politique. Il a aussi un sens proprement rhétorique: la «captivité"
d'une langue «nouée» par les scribes et les pharisiens cesse dès lors
qu'elle devient, pour son anoblissement suprême, le véhicule d'une Révé-
lation qui réaffirme. à partir de Dieu même, celle qui avait été faite à
l'origine dans les langues savantes. Purifié de toutes les scories accu-
mulées par le temps. le péché. la libido sciendi et dominandi, l'Evangile
parle la langue vulgaire française, et l'éloquence de Dieu en Saint-
Cyran fonde la possibilité d'une éloquence française vraiment chrétienne .


••
11 ne faut pourtant pas s'y tromper: le « naturel» et le «sublime»
chrétiens atteints par le dernier Saint-Cyran ne démentent nullement
la formidable préparation oratoire de celui-ci; ils la rendent invisible
et s'en servent comme d'un conducteur docile et ductile aux effets de
la Grâce.
Lancelot ne voit d'ailleurs aucune contradiction entre l'art oratoire
dont Saint-Cyran avait donné tant de preuves, et «l'abondance de
cœur» qui l'abolit au cours de ses sublimes effusions; même il s'enor-
gueillit des succès de son maître auprès du public lettré:

Cette pièce, écrit-il à propos de la dédicace à Richelieu de la Somme


des fautes fulminée contre Garasse. avoit été alors regardée comme une

1114 Du Vair. De l'Eloquence françoise .... Radouant, cit., p. 133. Formule


à rapprocher de celle de Lancelot, t. l, p. 46, et que nous citons au para-
graphe suivant.
638 L'AVENTIN DE LA PAROLE GALLICANE

des plus éloquentes qui eOt paru en notre langue; elle peut servir d'ex-
cellent modèle de louange que l'on veut donner à un grand sans le
flatter 11111.

Ailleurs, il montre Saint-Cyran capable de déconcerter et vaincre en


éloquence l'Unico Eloquente lui-même, Guez de Balzac 116.
De même, Saint-Cyran pouvait condamner avec d'autant plus d'aisance
la memoria des rhéteurs comme source de l'invention chrétienne, qu'il
l'avait cultivée au point de pouvoir oublier qu'il y avait recours. Dans
sa retraite bayonnaise, avec Jansénius, il avait rédigé «la doctrine des
Pères, par titres, et matières, tant pour ce qui regarde les sacrements,
et la doctrine de l'Eglise, que pour [ ... ] les lieux les plus difficiles de
l'Ecriture» 517 .• La préparation mnémotechnique et encyclopédique de
l'apôtre moderne n'est donc pas différente de celle d'un érudit comme
Nicolas Le Fèvre ou Jérôme Bignon. Lancelot nous le confirme en
révélant que, lors de l'arrestation de l'Oracle, le chancelier Séguier,
chargé de saisir sa bibliothèque et ses papiers, fut stupéfait de la masse
de « recueils» écrits de la main de l'Abbé: aux travaux de la mémoire
érudite, Saint-Cyran n'avait donc pas négligé d'adjoindre les longues
« méditations» que Du Vair recommandait pour intérioriser le savoir, et
faire de l'orateur la voix vivante d'une Tradition retrouvée à sa source
et réincarnée.
Sainte-Beuve dans Port-Royal indique que pour Jansénius, théologien
humaniste s'il en fut, il y avait à la méthode scolastique et philosophique
en théologie deux substituts: la méthode d'autorité, fort analogue à la
« rhétorique des citations» des magistrats gallicans, et la méthode de
charité, fort analogue au « sublime d'inspiration» que les Avocats Géné-
raux érudits évoquaient si souvent 318. L'une et l'autre, tendant par deux
voies différentes vers la même Vérité, doivent en définitive se confondre:
l'érudition critique est une discipline d'invocation à la descente de
l'Esprit-Saint. Ayant intériorisé ses autorités au point de faire corps
avec elles, Saint-Cyran orateur pouvait leur prêter sa voix: la vérité
retrouvée par les disciplines savantes dans les Ecritures et dans les
Pères y était vivifiée et confirmée par l'inspiration immédiate de l'Esprit.


••
Maître d'un immense réservoir de «lieux" qui faisait de lui une
vivante Bibliotheca Patrum, maître des techniques de disposition et d'élo-
cution françaises mises au point par la génération de Du Perron et de
Du Vair, Saint-Cyran était à même de dépasser à la fois la « rhétorique

GIll Lancelot, ouvr. dt., p. 63-64.


1116 Orcibal, Origines ..., t. Il, p. 386-390, et Lancelot, ouvr. cit., p. 102
et suiv.
617 Orcibal, Origines ... , t. Il, p. 147.
618 Sainte-Beuve, Port-Royal, t. l, p. 597.
LE c NATUREL» CHRÉTIEN 639
des citations» de la génération de Pibrac et l'éloquence civique de la
génération de Du Vair, la libido sciendi qui était l'écueil de la première
et la libido dominandi qui était l'écueil de la seconde. Entre ce riche
héritage de recherches rhétoriques gallicanes et 1'« éloquence du cœur»
qui semble à la fois les abolir' et les accomplir, comme un Nouveau
Testament oratoire, est intervenue la méditation de Saint-Cyran sur le
De Doctrina Christiana de saint Augustin. Favorable au latin populaire,
l'évêque d'Hippone faisait du «naturel» chrétien la version ecclésias-
tique du sublime, effaçant les traces de l'érudition et des techniques
rhétoriques sous le souffle de l'inspiration 519. Après l'Ecclesiastes
d'Erasme, les rhétoriques ecclésiastiques «borroméennes », contraire-
ment aux rhétoriques jésuites, avaient vu dans l'inspiration divine le
contrepoids indispensable aux techniques humaines d'acquisition du
savoir et de fabrication du discours 520. Chez Louis de Grenade, la
doctrine du « naturel chrétien », version pieuse de la neglegentia diligens
cicéronienne, avait trouvé sa définition la plus vigoureuse: la culture
rhétorique doit devenir habitus, seconde nature, pour devenir le support
ductile de la libre inspiration d'En-Haut. Un Goulu, un Camus, interpré-
taient cette doctrine avec un accent primitiviste qui en faussait le profond
équilibre: Saint-Cyran, érudit autant qu'orateur, était à même de lui
donner son expression la plus souveraine.
Le problème du naturel chrétien n'était pas étranger aux Remons-
trances des hauts magistrats: on y méditait aussi sur la coïncidence
entre érudition, inspiration et éloquence, et sur la possibilité d'éviter
tout recours à la rhètorique païenne. Mais les Avocats Généraux suppo-
saient le problème résolu: la notion même de «naturel chrétien» leur
restait étrangère. Saint-Cyran eut le mérite d'introduire dans la tradition
savante du gallicanisme une des valeurs les plus subtiles de la rhétorique
ecclésiastique de tradition augustinienne,
Sa réussite devait être d'autant plus impressionnante pour des gens
de Robe qu'elle résolvait la quadrature du cercle de l'c éloquence qui se
moque de la rhétorique », dont leur milieu poursuivait la chimère depuis
le XVIe siècle.


••
Dans une de ses Lettres chrétiennes et spirituelles, Saint-Cyran nous
livre le dernier état de sa pensée sur le style chrétien:
n suffirait, à mon avis, écrit-il, que la vérité fût revêtue de paroles
communes, et de celles qui coulaient de la même source de l'esprit qui

519 Voir 1re partie p. 70-76.


520 Voir 1re partie, p. 138-152. Il ne faut pas confondre naturel et sponta-
néité. Le naturel implique un sens «cultivé », mais devenu «seconde nature »,
du decorum, social pour les «mondains », religieux (la «majesté divine »)
chez Saint-Cyran. Dans les deux cas, le naturel n'est autre que le suprême
état de la civilisation.
640 L'AVENTIN DE LA PAROLE GALLICANE

l'avait conçue, n'ayant besoin pour agréer d'autres embellissements que


ceux qui naissent avec elle... Car Dieu veut que chacun éclaircisse la
vérité comme il peut, et consacre ses propres dons, qui ont quelquefois
plus de bénédictions étant seuls que lorsqu'ils sont joints à ceux des
autres, bien que plus beaux et plus agréables ~21.

Toutes ces formules pourraient laisser penser à un «primitivisme >,


voire à un «spontanéisme> chrétien de Saint-Cyran. C'est ce que crut
à la fin du siècle un Goibaud Du Bois 522. En fait, Saint-Cyran s'adresse
à l'un des milieux I~s plus cultivés d'Europe, à la fois dans l'ordre
profane et dans l'ordre religieux. Il évolue dans cette haute bourgeoisie
de Robe française, dont l'usage quotidien de la langue est celui
de l'I1e-de-France, filtré par la culture humaniste et par un com-
merce, à distance respectueuse, avec la Cour. Tel que Saint-Cyran entend
le naturel chrétien, il résulte d'un sacrifice de tout le superflu, mais il
suppose la possession préalable de celui-ci. le sacrifice chrétien de la
rhétorique païenne implique la maîtrise de celle-ci. La véritable humilité
est conquête sur un prodigieux orgueil. La véritable pauvreté est renon-
cement aux richesses. Pour faire le sacrifice de la rhétorique « païenne :t,
il fallait un milieu qui en fût imbu de façon quasi professionnelle, au
point que même les femmes de ce milieu, par imprégnation, et comme
inconsciemment en fussent pénétrées: et au-delà de ce sacrifice, on ne
trouve nullement l'inculture et le balbutiement, mais « ce qui reste quand

521 Lettres chrétiennes et spirituelles, non encore imprimées, s.I., 1744, t. l,


p.447.
~22 Voir l'Avertissement en tête des Sermons de Saint-Augustin sur le
Nouveau Testament, Paris, Coignard, 1694: (Saint Augustin) «apportoit donc
à la chaire pour toute préparation un grand fonds de prière, de lecture, et de
méditation des Saintes Ecritures. Il ne puisoit que dans ces divines sources... >.
Quant aux prédicateurs modernes, «n'y' voit-on pas toute la Rhetorique, d'un
bout à l'autre, avec tout son appareIl? Y paroit-i1 quelque trace de cette
simplicité adorable des discours de J.C.? Car que veulent dire ces Méta-
phores... ? » Et Goibaud Du Bois d'opposer l'éloquence de l'imagination (qui n'a
pas sa place dans les affaires d'Etat, de science, à plus forte raison de reli-
gion) à l'éloquence de «l'intelligence éclairée» et du «cœur touché ". Il faut
donc avoir confiance dans «la force de la vérité:. (perçue par «l'intelligence
éclairée»), et laisser la «disposition du dedans» (le «cœur touché») animer
tout sans céder au «prétexte de s'accommoder à toutes sortes d'esprits ». Voir
la réplique d'Arnauld à Goibaud Du Bois dans Reflexions sur l'éloquence des
predicateurs, Paris, Delaulne, 1695, où Arnauld résume le De Docfrina Chris-
tiana en insistant sur le fait que, pour Saint Augustin, c'est «chose certaine
qu'il convient à un Prédicateur de se servir de la Rhetorique », bien que cette
rhétorique doive consister plutôt à «imiter les personnes éloquentes» qu'à
«faire l'étude des préceptes ". La querelle rebondit bientôt avec la publication
du traité de François Lamy, bénédictin, De la connaissance de soy-mesme et
Eclaircissemens, Paris, Prélard, 1694-1698, 5 vol. in-12°, auquel réplique Brû-
lart de Sillery, évêque de Soissons, dans ses Reflexions sur l'Eloquence, Paris,
Josse, 1700, qui contiennent aussi une réédition des Reflexions... d'Arnauld
(p. 116-357), une Réponse ... de Fr. Lamy à l'évêque de Soissons, et une Répli-
que ... de celui-ci (p. 19-115). C'est sur ce fond de longue polémique qu'il faut
lire les Reflexions sur la wammaire, la rhétorique ... (1716) et les Dialogues
sur l'éloquence (1718) de Fénelon.
« NATUREL CHRÉTIEN» ET ATTICISME 641

on a tout oublié », la disposition d'une langue « commune:. certes, mais


assouplie par la pratique d'intelligences lettrées, et purifiée encore par
le goût de la simplicité chrétienne.
La même équivoque est possible à propos du mot «cœur» : rien
n'est plus étranger, dans la bouche de Saint-Cyran, à toute notion d'affec-
tivité geignarde ou de spontanéité instinctive. Parler à partir de la fine
pointe de l'âme, s'adresser à autrui à ce point mystérieux où guette la
présence divine, dans une attention qui suppose la plus parfaite maîtrise
du langage, un tel échange exige des deux partenaires la plus exquise
culture spirituelle, plusieurs siècles de christianisme c gothique », affinés
encore par la quête de l'humanisme chrétien et par la c Conquête mys-
tique». On peut se permettre d'être naturel à ce prix. En fait, 1'« éloquence
du cœur» n'était possible qu'au sein d'une élite plus choisie encore et
plus rare que ne le supposaient la sophistique sacrée des prédicateurs de
Cour, l'élégance des écrivains mondains, voire l'éloquence érudite ou
civique de la Grand'Chambre., Elle jouait sur les trésors spirituels et
intellectuels accumulés dans un certain nombre de familles de Robe, pour
lesquelles Arnauld d'Andilly n'avait pas tort de réclamer une noblesse
« remontant au XIIe siècle ».
Le dépouillement auquel Saint-Cyran conviait les moniales et les
solitaires de Port-Royal était en fait, pour une élite de robins, la suprême
éclosion après une germination séculaire. Ce dépouillement passait entre
autres par le recours à l'usage «naturel» de la langue commune à ce
milieu, filtrant en quelque sorte tout le contenu de la mémoire latine, de
l'humanisme chrétien, et se chargeant au passage de leur plus pure
essence. Par là, Saint-Beuve l'a bien senti, la conscience littéraire classi-
que est en consonance profonde avec l'esprit de Port-Royal, quoique sur
un autre registre: celui-ci, en laissant le foisonnement de l'érudition et
de la rhétorique gallicanes, n'en garde en langue française que l'essence
et l'atticisme classique, filtrant l'expérience rhétorique et poétique du
XVIe siècle, helléniste et latiniste, n'en conservera en français que la fleur .


••
Les deux genres auxquels Saint-Cyran se confie dans les dernières
années, la «conférence» entre intimes et la «lettre spirituelle », sont
parfaitement accordés à cette rhétorique de la simplicité chrétienne et
française. La conférence dans le recueillement du cénacle dévot conjure
les tentations de la parole publique, et des grands genres de l'éloquence
sacrée. La prédication de M. Singlin dans la chapelle de Port-Royal
tentera de préserver ce « style bas» qui élude toute science et toute tech-
nique voyantes pour aller du cœur au cœur. La lettre spirituelle, destinée
à la méditation silencieuse, est la version écrite de la c conférence:. :
aux antipodes de la lettre selon Balzac, el1e cache les mots sous les
choses, et sa correction même ne tient compte des goûts et dégoûts mon-
dains que pour ne pas leur fournir prétexte à se distraire de la vérité:
642 L'AVENTIN DE LA PAROLE GALLICANE

[1 ne voulait pas, écrit Lancelot, qu'on s'amusât tant à épiloguer sur


les paroles et être plus lontemps à peser les mots qu'un avaricieux ne
seroit à peser l'or à son trebuchet, parce que rien ne ralentit plus le
mouvement de l'Esprit Saint que nous devons suivre. [1 disoit que cette
grande justesse des paroles étoit plus propre aux Académiciens qu'aux
défenseurs de la vérité; qu'il suffisoit presque qu'il n'y eût rien de cho-
quant dans le style ~23.

Le chant du cygne des «Remonstrances,.

Avec la plénitude rayonnante et un bonheur d'expression qu'elle


n'avait jamais connus au Palais, la rhétorique gallicane, dans sa version
la plus sévère, la plus proche des rhétoriques « borroméennes ,., trouvait
donc en Saint-Cyran et à Port-Royal à la fois son accomplissement et son
refuge. On se souvient que Pibrac, dans ses Remonstrances, allait jusqu'à
détourner les avocats d'imiter les orateurs antiques, jugeant que l'élo-
quence chrétienne ne devait rien devoir aux blandices d'un art païen.
A la lumière de cette Remonstrance du XVIe siècle fi"
antérieure à la
« réforme» civique de Du Vair, il vaut la peine de relire les pages que
Fontaine a consacrées à l'entrevue entre Le Maistre et Saint-Cyran après
que celui-ci eût été libéré de Vincennes.
Tout se passe comme si, devant l'ancien « Cicéron français,., l'abbé
prononçait à sa manière une Remonstrance sur le thème même cher à
Pibrac, avec évidemment une tout autre envolée.
Le converti de Saint-Cyran lui remet la traduction du De Officiis
qu'il avait entreprise sur la demande de l'abbé, et sur ses conseils. Le
Directeur regrette de l'avoir égaré sur cette tâche ~2~, et pour justifier
son revirement, esquisse devant Le Maistre un véritable réquisitoire
contre les Lettres « humaines» 626.
Avant le Christ la raison humaine, sans autre secours que sa propre
vigueur naturelle, a enfanté des chefs-d'œuvre. Mais la réussite même
de ceux-ci était le prix de l'ignorance où se trouvaient les Anciens de
la vérité révélée. ,La beauté dont ils se montrèrent capables, la fécondité
même de la nature qui l'avait engendrée, révélaient une tension inassouvie
vers la vérité. Dès lors que la Révélation a donné à l'homme la possibilité
de connaître Dieu et la vérité, la beauté des chefs-d'œuvre antiques n'est
plus qu'une survivance: «il n'y aura plus de Cicérons ni de Virgiles ».
Entre les Offiçes de Cicéron et ceux de saint Ambroise, il y a eu la Révé-
lation. Le beau langage du moraliste païen a fait place chez l'évêque

~23 Cité par Sainte-Beuve, Port-Royat, t. l, p. 567.


524 Voir plus haut, p. 555 et 562.
525 Fontaine, Mémoires sur M.M. de Port-Royat, Utrecht, 1736, t. l, p. 168-
172. Saint-Cyran eût souhaité que Le Maistre ne suivît pas sa suggestion à
la lettre, et qu'il ne consacrât à cet auteur païen qu'une "demie-heure perdue,
et encore de tems en tems».
~ Ibid.
RHÉTORIQUE ET SIMPLICITÉ DE CŒUR 643
chrétien au simple langage du vrai. Sous la belle enveloppe païenne,
désormais inutile, la nudité du christianisme a conquis son évidence.
Car Dieu
avait tracé la figure des vérités chrétiennes dans les livres des païens.

Comme Erasme dans le Ciceronianus, Saint-Cyran pense qu'il n'y a


de modernité que chrétienne. Et celle-ci, attachée à la seule vérité révélée,
n'a que faire de la beauté et des figures qui la dissimulaient aux yeux
des Anciens. Mais comme Pibrac, plus radical encore qu'Erasme, Saint-
Cyran va jusqu'à penser que la modernité chrétienne doit se passer de
toute imitation des formes antiques, et se construire à partir de la vérité
nue, et d'elle seule. Emprunter les détours de la beauté antique, c'est
chercher vainement à ranimer les ténèbres du paganisme dans le chris-
tianisme, c'est vouloir remonter vers l'état d'aveuglement de l'humanité
avant la Révélation.
Aussi il ne convient plus à l'écrivain chrétien, éclairé sur la véritable
source du Logos, de se fier à un art du discours, à des techniques d'imi-
tation, il lui faut se préparer spirituellement à cet avènement de la
vérité sous sa plume, se retrancher, «se recueillir tout en soi-même,
s'humilier, gémir, prier ». Ayant fait le vide en soi de tout ce qui est
trop humain,

il faut se considérer comme l'instrument et la plume de Dieu, ne s'éle-


vant point si on avance, ne se décourageant pas si on ne réussit pas;
car il ne faut pas moins de grâce pour éviter l'abattement que l'élèvement,
puisque l'un et l'autre est l'effet de notre orgueil [ ... ] Vous avez vu dans
saint Bernard 527 qu'il compare Dieu, au regard des hommes, à un écri-
vain ou à un peintre qui conduit la main d'un petit enfant et ne demande
pas au petit enfant autre chose, sinon qu'il ne remue point la main, mais
qu'il la laisse conduire: ce que fait souvent l'homme qui résiste au mou-
vement de Dieu. C'est donc, dit ce saint homme, l'écrivain et non l'enfant
qui écrit; et il serait ridicule que l'enfant eût vanité de ce qu'il auroit
fait puisque, pour écrire toujours de même, il auroit besoin d'avoir tou-

527 Entre l'Oraison funèbre de Le Fèvre par Goulu, qui cite saint Bernard
avec tant d'éloges, et Saint-Cyran qui en tire inspiration, un effort considérable
de traduction des œuvres de l'abbé de Clairvaux avait eu lieu. En 1620, Jean
Tournet traduit les Sermons (Paris, Billaine, 2 vol. in-4°); en 1621-1622,
sœur Françoise Ou de au traduit les Sermons méditatifs du dévot P. Saint
Bernard sur le Cantique des Cantiques, Paris, Le Boullanger, 2 vol. in-Bo, et
en 1622, Maître Philippe Le Bel publie Les Œuvres de St Bernard mises la
plus grande partie en français, Paris, Soly, 2 part. en 1 vol. in-fol. En 1649-
1654, paraîtront Les Lettres de Saint Bernard traduites par le R.P. Dom Gabriel
de St Malachie, Paris, Meturas, 2 vol. in-Bo, précédées par un beau sonnet de
P. Corneille. Pour une traduction moderne, voir Etienne Gilson, Saint Bernard,
textes choisis et présentés, Paris, Plon, 1949. On ne saurait d'ailleurs oublier
que l'abbaye de Port-Royal, réformée par Angélique Arnauld, appartenait à
l'Ordre des Bénédictines de Cîteaux, et que la réforme ne pouvait que ramener
ses moniales vers saint Bernard. Les Feuillants - ordre auquel appartenaient
Dom Goulu, et Dom Gabriel de St Malachie - étaient aussi des cisterciens
réformés.
644 L'AVENTIN DE LA PAROLE GALLICANE

jours le même maître, et que sans lui il ecriroit ridiculement. Il en est


ainsi de Dieu et des hommes. C'est pourquoi il n'y a rien de si raison-
nable que l'humilité dans les travaux pour Dieu, de même que dans les
dons naturels. Et se tenant dans ces sentiments, on croit tout ensemble
en vertu et en lumière, on acquiert une force merveilleuse, et il se répand
une odeur de piété dans l'ouvrage, qui frappe premièrement l'auteur, et
ensuite tous ceux qui le lisent 128.

Un Goulu, dans ses Lettres à Phyl/arque, se réclamait de la même


doctrine de l'inspiration pieuse, mais dans le même temps il invoquait
l'exemple des Anciens païens, et leur perfection formelle, pour accabler
le sophiste Balzac., Un Edmond Richer, dans sa dernière œuvre, légitimait
la Rhétorique d'Aristote et l'imitation de Cicéron, afin de donner des
armes politiques à la vérité. Saint-Cyran ne fait aucune concession:
chez lui l'idéal d'une éloquence purement chrétienne, comptant sur la
vérité seule pour triompher, pure de toute imitation des auteurs paiens,
trouve son plus intransigeant défE'Pseur.
Dans une analyse qui précise la spiritualité de la parole du dernier
Saint-Cyran, Jean Orcibal écrit du grand abbé qu'à ses yeux
nos facultés sont peu de chose pour former d'elles-mêmes ce langage
avec lequel on parle à Dieu. Aussi faut-il que le Saint Esprit « prie en nous
par des gémissements ineffables >, «opération tout intérieure,. et par
conséquent, «souvent inconnue à l'âme même >. L'aphorisme paulinien,
cité par Saint Cyran près de vingt fois, ne laisse aucun doute sur ce
que M. L. Cognet a appelé son pneumatisme. Celui-ci se manifeste égaIe-
ment dans le souci qu'avait l'Abbé de ne parler ou de n'écrire (selon le
précepte de saint Bernard) que de son «abondance », et de tout «tirer
de sa plénitude >, de sorte que ses 0[ paroles étaient des paroles de Dieu »,
«qui nous fait dire ce que nous n'avons jamais pensé >. Il n'hésitait pas
à rattacher le charisme de la prédication à celui de la prophétie, et était
confirmé dans cette croyance par la constatation que l'oubli succédait
aussitôt à l'inspiration, phénomène psychologique qu'il expliquait par le
principe: «ce qu'on écrit du cœur, n'est pas toujours empreint dans
l'esprit et dans la mémoire:) 129 .

•••
Le rapprochement avec Montaigne s'impose ici: même privilège
accordé aux sources intérieures du discours, même dédain pour l'effet à
produire sur l'auditeur selon un decorum fixé par la coutume sociale;
même dédain d'un travail de la forme selon un canon de beauté fixé
par convention et obtenu par art; et surtout même façonnement de
l'auteur par l'invention de son propre discours, comme si celui-ci avait
pour première fin non de convaincre autrui, mais de faire jaillir une

628 Fontaine, Mémoires, éd. cit., loc. cit.


129 Orcibal, Les Origines du jansénisme, V, La spiritualité de Saint-Cyran,
Paris, Vrin, 1962, p. 69.
SAINT-CYRAN ET MONTAIGNE 645
vérité cachée au fond de l'âme, et capable de se faire reconnaître par
elle-même, pour elle-même. Pour expliquer cette curieuse analogie, on
peut formuler l'hypothèse d'une source commune, ce Philon d'Alexandrie
qui, avant même sa traduction par Bellier en 1570, n'a cessé d'alimenter
la tradition des Avocats Généraux gallicans. Chez Montaigne, qui l'a
certainement lu en traduction G30, son influence a pu se combiner avec
celle de Sénèque et de Plutarque; quant à Saint-Cyran, qui l'a probable-
ment lu G31, comme son ami Bignon, l'influence de Philon s'est tout
naturellement combinée avec celle de saint Augustin, dont le De Docfrina
chrisfiana est redevable aux idées de Philon sur le Logos GS2. Le propre
de la « rhétorique» de Philon, c'est qu'elle met au-dessus de l'éloquence
le silence de l'âme recueillie dans la contemplation du vrai; si l'élo-
quence «extérieure» a du prix, c'est dans la mesure où elle rend
visible et perceptible la lumière de la contemplation, L'invention oratoire
se confond ici avec la vision intérieure de la vérité, que Philon illustrait
par le silence du prophète Moïse, auquel Aaron prête une voix Gas.
Mais Montaigne identifiait la vérité philosophique à celle du moi, à la
fois objet et sujet d'une sorte de "révélation» naturelle. Comme les
Avocats Généraux du XVIe siècle, Saint-Cyran a fait de l'anéantissement
du moi le préalable de la révélation intérieure, dont l'auteur est le
Verbe et l'organe le Sacerdos.
Dans les deux cas cependant, l'acte de parler et d'écrire ne se résume
pas dans un art oratoire, orienté vers l'auditeur: l'essentiel, ce qui
vivifie et donne sens à la parole et à l'écriture, se passe au fond de
l'âme, nature pour Montaigne, « cœur» pour Saint-Cyran. La hiérarchie
des genres, des langues, des styles, tout l'appareil de la persuation ora-
toire par les tactiques du movere, du docere, et du delecfare ne tiennent
pas face à cette vérité intimement découverte, et qui trouve d'elle-même
son acheminement.
Non sans humour, Montaigne choisissait l'humilité de la langue vul-
gaire et du style « comique» pour se dire, et traiter le plus grand sujet,
l'homme. Chez Saint-Cyran, l'ironie divine n'est pas moindre: la majesté
du Verbe consentant à s'incarner dans la pauvreté humaine engendre
la sublime monotonie d'une sorte de grégorien de la prose française:

530 Rapprocher par exemple le passage des Essais, éd. cit., p. 204, et Philon,
Quod deterius ... , 126-128, dans Œuvres, éd. du Cerf, Paris, 1961, t. l, p. 97.
531 Voir Orcibal, La spiritualité ... , ouvr. cit., p. 269 et 483.
532 Sur l'influence de Philon sur les Pères de l'Eglise, voir le volume Philon
d'Alexandrie, Paris, C.N.R.S., 1967; l'introd. à l'éd. cit. des Œuvres par
R. Arnaldez ; et G. Verbeke, L'évolution de la doctrine du pneuma du stoïcisme
à St Augustin, Paris-Louvain, 1945. Voir également d'intéressants rapproche-
ments entre la doctrine du Logos prophorikos et endiathetos (modus inveniendi
et proferendi) de Philon et son interprétation chrétienne chez saint Augustin
et saint Ignace d'Antioche (souvent cité par Saint-Cyran), dans Joseph-Anthony
Mazzeo. «Saint Augustine's rhetoric of silence », Journal of the history of
ideas, XXIII, 1962.
533 Philon, Quod deterius ... , analysé par A. Michel, Quelques aspects de
la rhétorique chez Philon, art. cit., p. 84-85.
646 L'AVENTIN DE LA PAROLE GALLICANE

Les ouvrages, dit-il, qui sont faits avec l'esprit de Dieu, et avec une
entière pureté de cœur, se font ressentir en les lisant, et ils produisent
des effets ,de grâce dans les âmes de ceux qui les lisent dans tous les
siècles de l'Eglise G34.

De tels «effets de grâce:. supposent l'absence de tout effet voulu


par l'écrivain pour plaire, émouvoir, instruire à son propre compte: ils
surgissent dans un champ spirituel dont le texte écrit ne peut être que
le prétexte, et non la cause, A travers la parole et l'écriture, dénudées,
" logos prophorikos », c'est un cœur illuminé qui communique à l'autre
son illumination.
3. LE PARNASSE DE L'ELOQUENCE ROYALE:
L'ACADÉMIE FRANÇAISE SOUS RICHELIEU

La retraite d'Antoine ·Le Maistre en 1637, l'entrée d'Olivier Patru à


l'Académie française en 1640, ces deux faits nous ont paru résumer à la
fois le dilemme de la rhétorique gallicane et celui des avocats lettrés
sous Richelieu. Face au déclin du prestige politique et oratoire du Parle-
ment de Paris, Saint-Cyran convoque les derniers fidèles à faire de la
langue française le dépositaire de la foi authentique des premiers siècles
de l'Eglise, et Richelieu invite tous les «bons Français,. à servir un
Etat et à orner une Cour qui fassent de la France l'héritière en Europe
de la grandeur romaine. Le Maistre reconnaît dans la convocation de
Saint-Cyran le vieil appel, devenu pleinement conscient de ses implica-
tions ultimes, des Catons du Palais de Justice. Patru reconnaît dans
l'invitation de Richelieu le vieil espoir des avocats du Parlement enfin
comblé: l'accès à une pleine dignité de l'éloquence, légitimée par le ser-
vice de la majesté royale. Le vieil espoir, comme il arrive, est comblé
ailleurs qu'il ne l'attendait. Les avocats du XVIe et du début du XVIIe siècle
rêvaient de la gloire de Cicéron, du Cicéron «gouvernant les âmes:>
d'une République. Lorsque Richelieu donne enfin sa chance à l'éloquence
française, c'est dans le cadre ou dans la mouvance d'une Cour monar-
chique, ornement de l'Etat royal restaurr contre toute tentation féodale
ou « républicaine ». La fondation de l'Académie française est le triomphe
de l'Amyot du Projet d'une Eloquence royale et la défaite du Guillaume
Du Vair du traité De l'Eloquence françoise. L'humanisme aulique, dont
la dette envers Cicéron passait par Bembo, Castiglione, et l'idéal de la
« douceur », l'emporte sur l'humanisme civique se réclamant de Cicéron
et de Démosthène magistrats du bon gouvernement, et garants d'un
idéal de « force ». Contrairement à l'Académie de Baïf, à celle de Pibrac,
et plus encore à celle que Christophe de Thou voulait instaurer au sein
même du Parlement de Paris, l'Académie Française n'a aucune finalité
savante ou religieuse, elle ne vise pas à doter la monarchie d'une
doctrine propre à rassembler les esprits autour de la Justice royale.
Elle présuppose la majesté de l'Etat monarchique, elle laisse à ses hom-
mes d'Etat le soin de la définir dans l'action. Son domaine propre, c'est
la langue de la monarchie, qu'il s'agit d'amener à une perfection digne
de la grandeur reconquise par la Couronne de France. Si elle vise à
constituer un point de ralliement, c'est autour d'un optimus stylus en
langue française, symbole de l'adhésion des «bons Français », quelle
que soit leur appartenance religieuse ou la nuance philosophique de leur
christianisme, à l'unité de la Couronne Très-Chrétienne. Comme Amyot
dans son Projet, l'Académie fait porter dans le sien, rédigé par Faret,
la perfection de l'éloquence sur la qualité de l'élocution, et non comme
Du Vair, sur celle des sources de l'invention:
648 LE PARNASSE DE L'ÉLOQUENCE ROYALE

Que nostre langue, plus parfaite desjà que pas une des autres vivantes,
pourroit bien enfin succéder à la latine, comme la latine à la grecque,
si on prenoit plus de soin qu'on n'avoit fait jusques ici de son élocution,
qui n'estoit pas en vérité toute l'éloquence, mais qui en faisoit une fort
bonne et fort considérable partie G85.

Le travail des Malherbe, des Marolles, qui tendait à définir et purifier


un «bel usage» de la langue, se voit donc justifié. Le mépris des
« mots» affiché par les Goulu, les Camus, les Dupré, et tous les pour-
fendeurs de la «corruption de l'éloquence» des années 1620-1630, est
refuté. Le Projet juge que la «corruption» est d'abord dans le choix
des mots, et qu'il faut commencer par là à la combattre.
S'agirait-il pour autant de tomber dans le pédantisme grammairien?
Le Projet ajoute:

Il falloit un génie particulier et une lumière naturelle capable de juger


ce qu'il y a de plus fin et de plus caché dans l'éloquence Gai.

La rhétorique académique n'aura donc rien de scolaire. Elle a pour


tâche de fixer une Idée de l'Elocution française trancendant les modes et
les caprices: elle compte pour cela sur l'ingenium de ses membres, autant
que sur leur érudition. Elle ne se préoccupe en rien des semina dicendi,
qui sont laissés à l'appréciation de chacun. Le problème de la vérité
n'est pas de son ressort. Plus exactement, la seule vérité dont elle ait
la charge est celle d'une beauté langagière proprement française, à déga-
ger des erreurs et des fautes qui l'en fouissaient jusqu'alors.

Qu'il falloit comme un meslange de toutes ces autres qualitez, en un


tempérament égal, assujetties sous la loy de l'entendement et sous un
jugement solide. Quant à leurs fonctions [ ... ] elles seroient de nettoyer la
Langue des ordures qu'elle avoit contractées ou dans la bouche du
peuple, ou dans la foule du Palais, et dans les impuretez de la chicane,
ou par les mauvais usages des Courtisans ignorans, ou par l'abus de
ceux qui la corrompent en l'écrivant, ou de ceux qui disent bien dans les
chaires, ce qu'il faut dire, mais autrement qu'il ne faut 537.

Tout est donc dans la manière et non dans la matière. Mais cette
manière devra transcender l'usage des diverses castes du royaume,
« peuple », «chicane », «courtisans ignorans », «chaires» pour devenir
un «usage certain ». La doctrine qui inspire le rédacteur du projet est
nettement scaligérienne : il s'agit de trouver une Idée de la langue sous
les « ordures» que les idiomes spécialisés ont accumulées.· Aussi, lorsque
Vaugelas, respectueux avant tout de l'usage de « la plus saine partie»
de la Cour, aura publié ses Remarques, un La Mothe Le Vayer et un

G3S Pellisson, Histoire de l'Académie française, Paris, 1693, in-12°, p. 19.


536 Ibid., p. 25.
537 Ibid.
COLOMBY REBELLE AU COMPROMIS ACADÉMIQUE 649

Chapelain - plus proches au fond de l'usage du Palais - y verront-ils


une concession excessive à la «mode» fuyante des c ignorans ».
Mais l'Eloquence, même réduite à l'élocution, suppose une doctrine
du decorum et de l'omatus. Pour le decorum l'Académie ne prendra pas
pour référence le c grand monde », mais «le plus sage de tous les
hommes », son protecteur, Richelieu. Cette Idée du «grand », incarnée
dans le restaurateur de la monarchie, lui fera mépriser le caprice des
c foux », qui, avec Saint-Evremond, Candale, Guiche et autres gentils-
hommes trop «railleurs» brocardent les c académistes ». Et dans les
Lettres patentes rédigées dans un style d'inscription latine, le Roi
Louis XIII réclamera pour sa propre gloire politique et militaire, acquise
sur les conseils de son c tres-cher et tres-amé cousin» Richelieu, cette
fonction référentielle pour le decorum du « bien dire li français Ga8. Trans-
cendant les catégories particulières, les castes, les caprices individuels,
un ordre du style français doit correspondre à la transcendance de la
Raison d'Etat monarchique.
Restent à définir le degré et la nature de l'omatus dont est susceptible
ce genus dicendi royal. C'est à quoi s'employèrent, pendant les «Con-
ferences academiques" des années 1635-1637, les protégés de Richelieu,
au cours d'une série de «harangues ". Le Cardinal, soucieux d'un com-
promis entre «sçavans» et « ignorans », entre robins et gens de Cour,
avait veillé à doser les «académistes» : les membres de l'Académie
des « puristes» qui se réunissait chez Conrart, se sont fondus avec ceux
de l'Académie personnelle dont s'était entouré le Cardinal pour les
besoins de sa propagande; et il y avait adjoint des écrivains susceptibles
d'avoir l'oreille de la Cour, un Malleville, ancien serviteur de Bassom-
pierre, un Gomberville, romancier à succès, un Voiture, poète à succès.
Ce dosage, cet esprit de compromis, eurent le don d'irriter le parent
et disciple de Malherbe, François de Cauvigny, sieur de Colomby, que
le Cardinal avait cru décent d'adjoindre à la petite troupe. Dans un
Discours dont R. Zuber a identifié l'auteur 539, celui-ci fit scandale en
proclamant «l'inutilité de l'Académie ». Colomby résume dans sa
Remonstrance le point de vue traditionnel de l'humanisme gallican. Il
s'émeut de voir le privilège de censurer 539bl. les « autheurs », jusque là
réservé au Parlement, tomber aux mains d'une nouvelle « Cour d'Aréopa-
gites et d'Ephores». 11 rappelle que toutes les «gloires» de l'éloquence
française ont été formées par l'Université, dans un esprit de science,
et non de rhétorique. Il proteste contre tout ce que l'Académie
suppose de concessions au goût de la Cour, et d'officialisation
de cette terreur dans les Lettres instaurée par les «mignons»

688 Ibid., p. 38-,41.


G3D R. Zuber, Belles Infidèles, ouvr. dt., p. 92-95.
539 bl. Voir, sur ce problème de la censure, C. Delhez-Sarlet, «L'Académie
française au temps de Richelieu », Marche romane, XXIX, 1979, p. 41-60.
ô50 LE PARNASSE DE L'ÉLOQUENCE ROYALE

et dénoncée par Dupré, Gournay, Goulu. Colomby célèbre les mérites


autrement solides de Christophe de Thou et Achille de Harly, de Simon
Marion et d'Antoine Arnauld, chez qui le cœur et la langue, la morale
et l'éloquence n'avaient pas encore divorcé, et qui étaient vraiment
viri bOlli dicelldi periti. Chez ces orateurs, l'invention et l'élocution
n'étaient pas séparées; ils ont su «deffricher la langue françoise »,
tout en l'enrichissant des «dépouilles de la Grecque et de la Latine ».
L'Académie, qui ne se soucie pas de la vertu de ses membres, qui ne
s'intéresse ni à la réforme de l'éducation et des mœurs, ni à la
religion, rompt avec la tradition philosophique chrétienne et française:
en prenant l'éloquence du côté de la seule élocution, en fixant à celle-ci
des règles minutieuses, elle renverse l'ordre des choses, elle attente à
la liberté de l'écrivain et aux droits de la vérité MO. Le point de vue
de Colomby était d'ailleurs beaucoup moins éloigné qu'on pourrait le
croire de celui de La Mothe Le Vayer qui, trois ans plus tard, dans ses
COllsideratiolls, fera pourtant quelques concessions à la «partie la plus
saine de la Cour ». Mais à condition que la tyrannie sur les «mots»
ne devienne pas telle qu'elle en vienne à enchaîner l'invention philoso-
phique des «sçavans» et des grandes âmes. Selon Orasius Tubero, la
beauté de l'éloquence est avant tout dans ses sources, et accessoirement
dans sa forme. Et comme Colomby, La Mothe Le Vayer défend la liberté
d'inspiration:

Et certes, écrit-il, ce n'est pas le propre de ceux qui conçoivent les


belles choses de se soucier si fort en quels termes ils les enfanteront. Ils
les produisent au jour avec générosité, et sans souffrir tant de tranchées.
Ils s'expliquent avec une facilité négligente, qui tesmoigne que leur soin
s'estend bien plus sur les pensées que sur les dictons 541.

Un peu plus loin, il décrit en ces termes l'acte créateur:

C'est pourquoy nous dirons que ces derniers (les vrais créateurs) res-
semblent à ceux qui plantent des vergers ou qui ont dessein de faire
venir du bois de haute fûtaie, à quo y ils travaillent avec le plus d'ordre
et de grâce qu'on y peut apporter, sans s'amuser pourtant à sasser la
terre, ni à éplucher jusqu'à la plus petite pierre 542.

Balzac aura beau railler Colomby, et protester contre l'entrée de


La Mothe Le Vayer à l'Académie: au fond de lui-même, il est fort

540 Voir le Discours prononcé en la chambre de l'Académie françoise.


B.N. X rés. 2567, attribué par R. Zuber. et daté par lui de 1635-1636.
541 La Mothe Le Vayer. Considérations ...• ouvr. cit., p. 206. La Mothe se
réfère souvent à Longin, et il a certainement lu de très près le De erroribus
magnorum virorum d'Allacci (1636), qui insistait sur la liberté créatrice des
grandes âmes, en une longue et belle paraphrase savante du Traité du Sublime.
542 Ibid .• p. 63.
GODEAU PLAIDE POUR LA SÉVÉRITÉ BORROMÉENNE. 651

conscient de cette rupture entre les c choses :t et les c mots:t qui trouble
aussi bien les philosophes que les chrétiens augustiniens. Mais il a
tenté de faire du seul c langage :t l'héritier de la pleine éloquence d'autre-
fois.
Deux des harangues prononcées dans les années 1635-1636 s'atta-
chent à restaurer la bonne conscience chrétienne de l'Académie. Le 22
février 1635, Godeau prononce une harangue Contre l'Eloquence. Est-ce
seulement, dans une c Académie d'éloquence », un paradoxe de rhéteur?
En fait le futur évêque de Grasse s'emploie à dénoncer devant l'Académie
tout ce que d'un commun accord, depuis 1620, les Maussac, les Laval,
les Goulu, reprochaient à l'éloquence sacrée c sophistique », et à la litté-
rature de Cour enflée d'hyperboles et parée d'excessive douceur. Il fait
entendre aux «académistes» que l'atticisme de la forme est la garantie
élémentaire d'une piété chrétienne sobre et solide.
Respectueux de l'esprit de l'institution, il aborde le problème religieux
sous l'angle de l'élocution. Et par une coquetterie bien dans sa manière,
il fait le portrait de 1'« éloquence coupable» dans le langage même de
celle-ci, la description colorée et pathétique.
Par une savante progression d'épithètes - «criminelle, débauchée,
mercenaire» - Godeau prépare ses confrères à la « peinture parlante»
d'une Eloquence damnée, morceau de bravoure dont il soigne, avec un
talent dramatique mal contenu par les scrupules, le relief plastique.
Le monstre odieux, qui résume en lui tout l'art des jésuites et des bouf-
fons de Cour, surgit enfin, sous les apparences

d'une vieille qui tascheroit de cacher sous le blanc et le rouge les


rides de son visage; je lui ferois un front petit, des yeux inconstans, et
qui lanceroient des regards impudiques, des chaînes sanglantes sortiroient
de sa bouche, dans une main, elle tiendroit un bandeau, dans l'autre un
vase d'or et deux aspics mesleroient leur venin avec le breuvage qu'elle
présenteroit à une troupe d'aveugles, sa robe seroit de plusieurs couleurs,
qui laisseroit voir ses pieds de terre, une Furie lui parleroit à l'oreille et
une autre tiendroit un flambeau contre son estomac 643.

En 1636, sur la demande de Godeau, Guillaume Colletet menait il


bonne fin une traduction du De Doctrina christiana de saint Augustin
et la confiait à l'éditeur de l'Académie, Jean Camusat 644. Deux ans
plus tard, en 1638, les «cicéroniens» Patru et d'Ablancourt publieront
chez le même éditeur la traduction des Huit oraisons de Cicéron. Un
équilibre ou une conciliation se cherche entre l'atticisme cicéronien et
l'atticisme augustinien.

543 Voir, pour ces harangues académiques, le Ms. Fr. 645 à la B.N. On
y trouve le discours de Godeau aux fOI 66-86. Ce passage figure fo 75.
544 La préface de cette traduction fait clairement allusion à une «com-
mande» amicale de Godeau.
652 LE PARNASSE DE L'ELOQUENCE ROYALE

L'année même où il publie sa Doctrine chrétienne, G. ColIetet prononce


devant l'Académie, le 7 janvier, une harangue intitulée De l'Imitatio1l
des Anciens M6.
Il Y fait l'éloge du Ciceronianus d'Erasme. Il condamne avec ce der-
nier la «sévère et ridicule» imitation des «Martyrs de Cicéron ». Il
fait appel aux lieux communs de l'anti-cicéronianisme du XVIe siècle,
l'anecdote de Zeuxis et des cinq jeunes filles, la métaphore de l'abeiIIe
qui butine, pour opposer, après Politien et G.F. Pico, l'imitation servile
à la liberté éclectique. Ce ne sont pas les «mots », mais l'invention du
modèle qu'il faut avoir en vue dans l'imitation. Par ce biais, ColIetet
rappelIe donc à l'Académie que l'atticisme français n'est pas une simple
reproduction de l'atticisme latin ou grec, mais une création originale.
La même année, il écrivait dans son poème Contre la traduction:
C'est trop m'assujettir, je suis las d'imiter M6.

Et, reprenant un thème de l'Apologie pour M. de Balzac, d'Ogier, il


insiste sur le progrès que marque la Renaissance chrétienne et française
sur ses modèles antiques:
Quelle perfection qu'ayent eu les antiques peintures, Freminet et Rubens
en ont peut-être conceu de plus parfaites. L'imagination de l'homme est
infinie, les siècles produisent tous les jours de nouveaux miracles. On a
trouvé l'Art de l'Imprimerie et l'usage du Canon, on a veu luire de nou-
velles étoiles, on a découvert de nouvelles Mers et de nouveaux Peuples,
depuis que le Sage a dit qu'il n'y avoit plus rien de nouveau sous le
soleil M7.

La langue et les lettres françaises, éclairées par l'exemple des Anciens,


sont sur la voie de nouveaux miracles, rendus possibles par le travail
des poètes et des écrivains humanistes, Amyot et Du Perron, Ronsard
et Malherbe.

Elle doit véritablement à ces rares hommes l'avantage d'estre saine,


mais c'est de vous qu'elle espère son embonpoint, son lustre, sa beauté [ ... ]
Travaillez donc sérieusement à un si bel ouvrage 648.

645 Guillaume Colletet, Discours de l'Eloquence et de l'Imitation des Anciens,


éd. cit., 1658.
M6 Cité par R. Zuber, Belles Infidèles, ouvr. cit., p. 58.
647 Colletet, ibid., p. 48-49.
M8 Ibid., p. 52. Ces mots d'embonpoint, de lustre, de beauté, renvoient chez
Colletet, comme chez Du Vair, ou dans l'Apologie pour M. de Balzac, à l'allégorie
de l'Eloquence personnifiée: «C'est le portrait d'une Nymphe que tous les
hommes désirent, et que si peu d'hommes possèdent. Elle porte sur le front
une Couronne d'estoilles éclatantes, son visage est serein, mais sévère; elle
n'a pas tant d'yeux ni tant d'oreilles que la Renommée; et si, elle ne laisse
pas de voir tout, et d'entendre tout aussi bien. Ses lèvres sont de roses, sa
langue est de miel, et son haleine est de baume. Sa bouche ne verse que des
fleurs, et que de petits chaisnons d'or [... ] De l'un de ses pieds, elle foule le
Globe du Monde, et la roue de la Fortune, et de l'autre le Temps et l'Envie.
Sa voix est plus puissante que le Tonnerre, puisqu'elle se fait entendre aux
POUR UNE UNITÉ TRANSCENDANT LES D1VERSI"Œ:S 653

Il Y a fort à parier que les «Barbares,. dont Col\etet invite l'Aca-


démie à refuser qu'ils « ne profanent ses mystéres» ~49 sont les courti-
sans et leurs" beaux esprits ».
C'est donc moins au nom de l'ingenium singulier que de l'ingenium
national que Colletet invoque la liberté de création. C'est aussi au nom
d'un christianisme qui, déjà aux yeux d'Erasme, était le gage et la
preuve de la véritable modernité par rapport aux chefs-d'œuvre antiques.
Le probléme de l'ingenium, qui avait été un des moteurs du mouve-
ment anti-cicéronien, est au cœur de la harangue prononcée le 5 février
1635 par Hay du Chastel et, sous le titre: De l'Eloquence françoise 560.
L'Académie est là pour forger une norme: mais comment ne pas tenir
compte de cette variefas ingeniorum dor.t les maniérismes, et entre
autres le jésuite, avaient eu un sens si vif?
L'orateur académique bâtit tout son discours autour de la notion de
diversité, et s'en sert pour montrer les difficultés de définir un canon
idéal d'éloquence. Cette diversité est d'abord sensible chez les individus,
que leurs humeurs et leurs passions font pencher vers des styles très
différents et empêchent de goûter celui que d'autres préfèrent.. Dans tout
ce passage, comme dans ce qui va suivre, Hay se souvient autant de
Montaigne que du médecin Huarte, lecture appréciée de Mme de Ram-
bouillet 551. Pour redresser ces optiques individuelles, déformées par les

extrêmitez du Monde [ ... ] Elle est sage et bien disante, elle a une excellente
connoissance de soy-mesme, et connoist exactement tous les autres. Elle doit
l'honneur de sa naissance au travail, comme elle doit son éclat à la Mémoire [... ]
C'est cette merveilleuse éloquence qui a présidé dans le Conseil d'Athènes et
qui a triomphé dans le Sénat de Rome. Mais lorsqu'elle a veu que par le
changement des Estats et des Empires, les Places publiques et les fréquentes
Assemblées n'estoient plus le théatre de sa Gloire, qu'a-t-elle fait en cette
occasion? Elle n'a point refroidy l'esprit de ses Orateurs; de leur langue elle
s'est escoulée dans leur plume, et nous la voyons encore aussi pompeuse dans
leurs Escrits, qu'elle parut autresfois superbe dans leur bouche» (p. 10-11).
C'est un siècle d'humanisme que Colletet résume devant l'Académie: le passage
du mythe de l'éloquence civique à la littérature, de la liberté de l'Orateur poli-
tique à l'art de l'écrivain, se trouve emblématisé en une "Image,. (p. 10, au
sens technique d'Imago) qui symbolise aussi le consentement à l'ordre monar-
chique.
549 Ibid., p. 50. Il faut souligner que, pour Colletet, la «vraie éloquence>
ne s'oppose pas à la fausse comme la «solidité» architectonique s'oppose à
la fluidité de l'écoulement mondain, mais comme «ces petits vents qui s'amo-
lissent dans leur course» à "ces grands fleuves qui deviennent plus profonds
et plus vastes, plus ils s'éloignent de leur source ». Les deux métaphores
reviennent d'ailleurs au même: le courant puissant qui inspire la «vraie élo-
quence », et qui a pour «source» l'anamnèse érudite, n'envahit le monde des
apparences fuyantes que parce qu'il ne dépend pas de lui.
5~0 Cette harangue se trouve dans le ms. déjà cité B.N. Fr. 645, fG' 52-64 VO,
Le passage cité se trouve f o 54 r O et VO.
551 Sur la notion de «diversité », liée à la variefas ingeniorum, voir Tal-
lemant, éd. Adam, t. l, p. 484, «Mme de Rambouillet dit qu'elle a trouvé dans
l'Examen des Esprits... >. Outre l'édition Chappuys, il existe de l'Examen des
Esprits une traduction de Vion d'Alibrax, Paris, 1645. C'est celle-ci que Mme de
Rambouillet a dû consulter. Vion d'Ahbray a également traduit deux œuvres
654 LE PARNASSE DE L'ÉLOQUENCE ROYALE

vapeurs du corps, il n'est qu'un remède qui justifie l'existence de l'Aca-


démie : la « Conférence» à la fois dialogue et confrontation des esprits
et des styles ~52 :
Comme l'habitude du Corps pèche diversement en plusieurs, les Impres-
sions différentes que l'esprit en reçoit s'effacent dans la Conférence, on
y cognoit une erreur par une autre, et les deffauts contraires se détruisent
en se descouvrant, et les maux se convertissent en remède ...

Conférence montaignienne, ou conférence docte? Les deux à la fois sans


doute, afin que la vé,ité sur l'éloquence puisse surgir de la comparaison
des différents ingenia.
Mais cette diversité d'humeurs, chère aux mondains, n'est pas la
seule. La diversité des langues, leur « génie particulier », rendent la ques-
tion beaucoup plus épineuse:
Toutes ces beautez qui ont eu sens dans les autres langues, ont
mauvaise grâce dans la nostre, ce qui ne nous empesche pas de les
estimer [ ... 1 Toutes les fleurs ne sont pas semblables aux lys 552.

Ainsi les beautés hébraïques de la Bible, les beautés helléniques


d'Homère, peuvent être appréciées dans leur langue natale: elles passent
mal en français.
Un escrivain peut estre barbare et divin tout ensemble ~~3.

de Virgilio Malvezzi. Sa stylistique est délibérément éclectique (voir ses Œuvres


poétiques, Paris, 1653, divisées en vers bachiques, satyriques, héroïques, amou-
reux, etc. et sa traduction de Bonarelli, L'amour divisé ... où il est prouvé que l'on
peut aimer plusieurs personnes en même temps). Il est certain que la conception
médicale de Huarte allait dans le sens d'un libéralisme éclectique et sceptique,
donc de l'ingenium dans le sens de la diversité mondaine, et pouvait servir de
justification à l'ingenium individuel, contre le légalisme des doctes. Hay du
Chastelet est évidemment du côté de ceux-ci: s'il rend les humeurs et les
passions du corps responsables des éloquences particulières, il ne renonce pas
à imposer au corps la force de l'entendement, et à faire apparaître une élo-
quence universelle: «Les passions et les humeurs ont une si forte liaison avec
la partie la plus pure de l'âme, qu'elles corrompent toutes ses actions et des-
guisent, sous les nuages qui lui représentent les choses, les affections qui don-
nent en nous l'apparence du bien à ce qui les flatte, forçant la raison par
leurs charmes de complaire à leurs extravagances. De là viennent ces bizarre-
ries du style qui ont plu sans doute à leurs autheurs, et qui tesmoignent qu'il
y a de douces erreurs aussi bien que des passions agréables.» Ces «bizar-
reries» sont l'abondance excessive de l'asianisme, et la stérilité de l'atticisme
sénéquien, l'un confondant majesté et magnificence, l'autre solidité et gravité
farouche.
552 Ibid., fO' 55 et 56. «II faut donc qu'il y ait une eloquence particulière
aux françois, inconnue aux anciens.»
~53 f" 58 r O. L'extrême pointe du scepticisme est atteinte lorsque Hay écrit
de l'éloquence qu'elle est un art «que l'on n'a jamais entièrement conneu, et
dont la pratique a toujours esté moins parfaitte que la connoissance ». C'est
donc dans le domaine de l'Idée que l'Académie peut travailler, en partant d'une
certitude absolue: «Les loix du bien raisonner estant les mesmes partout, et
toujours, et celles du plaire estant différentes selon les tems et les lieux. »
ENTRE LA COUR ET LE c PEUPLE ~ 655
Hay paraphrase ici Scaliger, peu ami des c gemes sans art~, après
avoir paraphrasé Montaigne et Huarte. Son scepticisme critique trouve
de tous côtés des aliments. Et il se porte justement sur la possibilité
même de concevoir un idéal d'élocution. Car en définitive, il est plus
difficile encore de créer un consensus dans cet ordre que dans celui de
la vérité 1 L'orateur cite Cicéron:
L'art de raisonner, dit-il, est immuable: la sagesse est commune à
tous les esprits bien faits de tous les peuples.

Le principe de mobilité n'est pas de ce côté. Il se trouve du côté de


« l'art de plaire» qu'il a faltu ajuster à la Raison pour la faire aimer.
Et de quoi faut-il la faire aimer, sinon de ce qui en nous est c chan-
geant », soumis au caprice des tempéraments, des climats, des c formes
de gouvernement », des mœurs, des accidents historiques? Diversité,
mutabilité: on ne peut donc faire parler la Raison partout de la même
manière, il faut « proportionner» son éloquence à la nature des circons-
tances et du public. Qu'en est-il donc en régime monarchique, à Paris?
La cour se contente bien ordinairement d'une médiocre vigueur, mais
elle demande aussi beaucoup de justesse et de lustre, au lieu que le
Peuple est bien satisfait d'une commune beauté, mais il veut aussi qu'un
excellent embonpoint accompagne la force 11114.

La Cour ne s'attache qu'aux belles apparences, qui la flattent; le


Peuple - et ici Hay parle en fait des gens de Robe - s'attache à la
solidité, à la fois morale et philosophique, du discours. « Embonpoint»
est un mot qu'utilisait Du Vair. Comment choisir entre l'élégance des
uns, et l'éloquence des autres, entre la douceur louangeuse et la force
enseignante?
L'exemple de Rome aidera-t-il l'orateur à imaginer une issue?
1\ ajouterait plutôt à l'embarras. Car l'éloquence varie selon la forme
des gouvernements, s'il faut en croire le Dialogue des Orateurs, que
Hay du Chastel et paraphrase sans plus le citer que ses autres
« sources» :

Lorsque l'éloquence gouvernait les assemblées, et qu'elle estoit comme


la maistresse de leurs mouvemens, elle eust perdu de sa majesté, si elle
eust pris soin de se parer, mais estant devenue sujette du Prince, elle
n'estudia depuis que la façon de le supplier de bonne grâce et creut que
l'art de persuader estoit celuy de plaire 11115.

554 Fo 59 vo. Cette opposition entre le Peuple (de goût sain, mais grossier)
et la Cour (de goût étroit, mais raffiné) se poursuit dans l'analyse des deux
publics de théâtre: «De mesme le vulgaire et les honnestes gens considèrent
différemment l'appareil des spectacles, l'un estant ravy de la grandeur et du
nombre, de l'artifice et de la disposition des choses, ainsi la foule admire le
bruit et l'abondance là où la Cour ayme l'élégance des termes et la gentillesse
des pensées. »
11115 Ibid., fo, 60 r O et vO.
ô56 LE PARNASSE DE L'ÉLOQUENCE ROYALE

Enfin, dans cette Monarchie française aussi éloignée de la liberté des


Républiques que pouvait l'être l'Empire romain, les raffinements de la
civilisation créent des conditions particuliéres :
La délicatesse de nos entretiens, la curiosité, le luxe, veulent un lan-
gage et des sentiments qui leur ressemblent, et ce n'est pas assez que
l'éloquence flatte nos degousts, il faut qu'elle s'accommode à nos vices;
elle demeure sans approbation, si elle n'imagine et ne parle comme nous
vivons, si elle n'esgale sa magnificence à celle du Siècle, et si elle ne
garde cette bienséance des coutumes qui le plus souvent n'est qu'un
prétexte spécieux de la vanité ou de la foiblesse publique ... 1156.

A la diversité des humeurs, des climats, des langues, vient donc


s'ajouter la diversité des publics, moulés pour ainsi dire par les divers
gouvernements. Cette dernière diversité n'est pas seulement géographique,
mais historique: un même peuple peut changer et pas toujours pour le
meilleur. C'est ainsi que le public français - entendez le public de
Cour - n'est pas ce que l'on pourrait souhaiter de mieux. Son esthé-
tisme d'enfant gâté s'ajoute à la barrière des langues pour le rendre
incapable de sentir la vraie grandeur, celle de l'Invention poétique
d'Homère:
D'où vient qu'aux ouvrages des Anciens nous avons accoutumé d'ac-
cuser la bassesse, la mesme simplicité, qui nous accusent d'orgueil, et
qu'Homère nous semble déroger à la qualité d'éloquent, lorsqu'Agamemnon
a soin du mesnage et qu'il pense en mesme temps à des quenouilles et
à des machines de guerre.
[ ... ] Bien souvent la dissolution et l'affeterie nous font paroistre rustique
ce qui estoit assez noble dans sa modestie, et dans la nayveté des
Anciens 5a7.

On peut croire que, sous le masque d'Homère, Hay songe au destin


de Ronsard, que Chapelain dans une lettre à Balzac à peu près contem-
poraine, comparait et égalait à Homère. Est-ce l'oraison funèbre de la

886 Ibid., fO 61 VO.


557 Ibid., fo 61 rD. Voir aussi 60 Vo. La nostalgie de l'invention, dédaigneuse
de l'esthétique, est très forte chez Hay, mais comme La Mothe Le Vayer et
comme Chapelain, il admet que la perte de la vertu est sinon rédimée, du moins
adoucie par l'essor de la beauté. La supériorité de la Cour sur le '" peuple ",
c'est que celui-ci a perdu la vertu et ignore le goût, alors que la Cour, ayant
perdu la vertu, a du moins vocation au goût et au patronage du progrès des
arts. 11 cherche des analogies dans le passé: «Plus d'ornement et de grâce
dans Philon que dans Platon, dans St Basile et St Grégoire de Nazianze que
dans Isocrate et Démosthène.:. «Et certes si les critiques considéroient qu'Ho-
mère chantoit ses vers dans les marchés, et que Virgile récitoit les siens dans
le Cabinet d'Auguste, ils ne trouveroient pas si estrange que l'un ayt gardé
moins sOigneusement la bienséance que l'autre [... ] Que si l'éloquence parmy les
Hébreux se sent mieux de la licence populaire que de la modération de la Cour,
c'est qu'elle régnoit chez eux aussi bien que dans les Républiques, et que s'ex-
pliquant d'ordinaire par la bouche des prophètes, elle prenoit la liberté conve-
nable à ceux qui commandoient aux Roys et aux Peuples:.. Le primitivisme
fait place au «progrès des arts et des mœurs:., comme dans la Poétique
de Scaliger.
LE c JUSTE MILIEU» ACADÉMIQUE 657
«grande éloquence»? Est-ce que l'Académie, comme l'en prévenait
Colomby, doit se résigner à sanctionner le goût d'une Cour tyrannique,
et renoncer à faire triompher le goût philosophique des c grandes
âmes» ? C'est bien la conclusion vers laquelle s'oriente cette mélancolique
Harangue, sauf à mettre l'éloquence «en suretté dans la solitude» 658,
comme Hay l'avait dit lui-même avec une sorte d'humour noir, dans son
exorde, songeant sans doute à Colomby. Entre l'exil d'Alceste et la
« bonne grâce» trop coquette de Célimène, l'orateur refuse pourtant de
choisir. Il veut croire, en dépit de tout, qu'il existe une Idée éternelle
de la juste éloquence, que les «gens de mérite» peuvent contempler
par devers soi, tout en s'efforçant de l'adapter avec le moins de conces-
sions possible à l'hédonisme esthétique du « grand monde» monarchique.
Et quo y, s'écrie-t-il, comme sortant d'un mauvais rêve, faudroit-il que
le langage des Anges fut privé d'enrichissemens, et d'attraits, et que les
Idées les plus pures du Ciel ne fussent point éloquentes, à cause qu'elles
sont Immortelles? Il Y a donc une façon de s'expliquer agréable partout
et toujours, et qui se formant en la pensée des Intelligences les plus
hautes, espand un rayon de lumière sur la plus eslevée partie de 60n
âme; c'est une notion universelle qui fait la comparaison des ornemens
de toutes les langues, qui juge du degoust de tous les âges et de tous
les peuples, et qui fait paroistre les desreglemens de leurs différentes habi-
tudes. Mais les impressions de la naissance ou de la coutume ne se pou-
vant effacer entièrement, il luy doit suffire de les modérer, et de les rap-
peler autant qu'il se peut à la pureté de ces maximes esternelles. C'est
à vous, Messieurs, de trouver le juste Milieu entre la raison, s'il faut
ainsi dire, et les passions de nostre langue, de satisfaire au jugement et
à l'usage tout ensemble.

Il reste donc à l'Académie le soin de concilier le «jugement », fruit


de l'expérience des siècles et de la raison, avec «l'usage» dont le
monde a l'initiative. La belle élocution française et l'art d'agréer ell
français, quoique nés d'un peuple, d'une situation, d'un monde parti-
culiers et accidentels, pourront gagner un statut d'universalité grâce
au «filtre» (Pasquier aurait dit «l'alambic») de la vérification acadé-
mique. A travers la harangue de Hay, l'ambition nationale commence à
devenir vocation universelle: le «meilleur style» français moderne, et
chrétien, mais héritant de l'expérience des «grands siècles» de l'Anti-
quité païenne, se pose en successeur du Tullianus stylus de la Renais-
sance, mieux adapté que lui à l'ignorance de cours raffinées, au génie
d'une époque qui a inventé le canon et l'imprimerie, au subtil dosage
entre le «bon goût de l'Antiquité» et la «simplicité chrétienne ».

558 Ibid., fO 58: l'éloquence est longtemps demeurée «cachée chez des
particuliers », «la fureur de la guerre la contraignait de quitter les villes et
chercher de la seuretté plutost que du loisir dans la solitude [... ] mais à ceste
heure elle est déclarée nostre Princesse naturelle et vous estes, Messieurs,
assez choisis pour faire la Cour à ceste grande Reyne, pour estre les inter-
prètes de ses volontez et les dépositaires de ses loix ». Hay repousse la ten-
tation de Colomby, qui est, avec la tentation de «céder au temps », l'un des
deux termes du dilemme académique.
ô58 LE PARNASSE DE L'ÉLOQUENCE ROYALE

Les harangues académiques des années 1635-1636 n'ont pas un carac-


tère très différent de celles que l'on pouvait entendre autour du Doyen
de Heere à Orléans, vers 1618, ou chez le Conseiller Critobule à Paris
vers 1630. Les pédagogues de la Cour ont l'air très robin, et les harangues
d'un Chapelain Contre l'Amour, ou S'il faut se marier ou non 659, avec
leur côté Tiraqueau, portent jusqu'à la caricature f'antiféminisme tradi-
tionnel de la Robe savante.
Il y règne toutefois un esprit de responsabilité qui est neuf. Ces
hommes se savent investis d'une tâche de diplomatie rhétorique d'intérêt
national, et ils cherchent une formule capable de concilier la tradition
du Palais, celle de l'Eglise gallicane, et celle de la Cour. Ils la cherchent,
mais ils ne la trouveront pas: la «rhétorique» que devait rédiger
l'Académie n'a jamais vu le jour. Mais leur existence même, et leurs
conférences régulières, témoignent d'un idéal qui, même irréalisé, et
demeuré à l'état de vœu pieux, est désormais une force vivante animant
les Belles-Lettres françaises.
Pour trouver une formulation plus convaincante de l'idéal d'atticisme
français sous Louis XIII, il faut plutôt s'adresser à Balzac, qui participa
fort peu aux travaux de l'Académie, et dont les réserves envers la « tyran-
nie» de Richelieu sont bien connues.
Nous avons insisté sur le caractère de «cénacle », réunissant une
élite de clercs et de robins gallicans d'une exceptionnelle qualité, du
premier groupe de « solitaires» attirés par Saint-Cyran. Ce cénacle dévot
a sa contre-partie mondaine: l'Hôtel de Rambouillet. L'un et l'autre en
marge de la « foule» de la Cour, et à l'écart de la politique officielle,
peuvent élaborer, chacun dans son ordre, un style d'être, un mode de
sensibilité et d'expression d'une pureté et d'une cohérence impossibles
à une autre échelle. Balzac a fort bien senti tout le prix d'un « alambic »
comme l'Hôtel de Rambouillet, où l'échange entre la meilleure part de
la Cour, et la meilleure part de l'humanisme de Robe peut s'opérer avec
naturel, à l'abri du regard impérieux du Cardinal et de ses calculs
politico-rhétoriques.
Dans la seconde de ses dissertations dédiées à Mme de Rambouillet,
et intitulée De la Conversation des Romains, l'ermite de la Charente
donne un brillant aperçu de son art de louer avec délicatesse: il fait
le panégyrique de Rome, mais il est aisé à la Marquise de reconnaître
dans ce «paysage héroïque» à la fois le miroir idéalisé et le reflet
de sa propre œuvre civilisatrice.
Les débuts de Rome furent frustes; les Catons n'étaient encore que
des « Pédants du Portique ». Mais n'était-ce pas aussi le cas du Paris
parlementaire, et de ses rudes sénateurs?

559 Voir pour la première harangue, Pellisson, Histoire ... , p. 103, et pour
la seconde Ms. Fr. 645 cit., fG' 45 et suiv., sans nom d'auteur mais que nous
attribuons à Chapelain, d'accord en cela avec R. Zuber (comm. verb.).
ÉLOQUENCE ET URBANITÉ 659
Toutefois, sitôt que la « triste Austérité ~ des origines eut fait place
à la « joye », et à « l'humanité », 1'« Urbanité» romaine a dépassé « l'Atti-
cisme» des Grecs. Mais n'est-ce pas ce qui est en train de se passer,
et ne voit-on pas les fils des Catons, sans renier leur bonne race, devenir
d'honnêtes gens à la française?
Et poursuivant ce jeu de va-et-vient entre Rome et Paris, Balzac
n'hésite pas à définir le sens qu'est en train de prendre à Paris, et tout
particulièrement chez la noble marquise, le mot nouveau d'urbanité:
Ce mot exprime un certain air du grand Monde et une couleur, et
teinture de la Cour, qui ne marque pas seulement les paroles, et les
opinions, mais aussi le ton de la voix et les mouvements du corps. Soit
qu'il signifie une impression encore moins perceptible, qui n'est reconnois-
sable que par hazard ; qui n'a rien que de noble et de relevé, et rien qui
ne paroisse ou estudié ou appris, qui se sent et ne se voit pas et inspire
un genie secret, et que l'on perd en le cherchant 560.

Par analogie avec une société qui, mieux que la Cour, est la dépo-
sitaire du «meilleur style» français, Balzac évoque «Cicéron et ses
amis », les sénateurs-honnêtes gens de la Rome républicaine finissante :
Je ne doute point qu'après les avoir veu tonner et mesler le Ciel dans
la tribune aux harangues, ce ne fut un changement de plaisir tres-agreable
de les considerer sous une apparence plus humaine, estans désarmés de
leurs Enthymemes et de leurs Figures, ayant quitté leurs Exclamations
feintes et leurs Choleres artificielles, paroissant en un estat où l'on pouvoit
vraiment dire qu'ils estoient veritablement eux-mêmes [ ... ) Ces sentimens
qui partoient du cœur, estoient cachés dans les grandes assemblées, et ne
se descouvroient qu'à deux ou trois amis 561.

Ainsi sous le voile de l'éloge historique, Balzac évoque un idéal


d'atticisme en marge de l'académisme officiel, qui sauve «la Liberté»

560 Balzac, Œuvres diverses, Amsterdam, Elzevier, 1664, p. 26. Sur la


notion d'atticisme au XVII' siècle, voir R. Zuber, Actes du Colloque Critique
et création littéraires, p. 375-393. Sur la notion d'urbanité, que Balzac affirme
être le premier à introduire en français, voir A. Michel, Rhétorique et Philo-
sophie ..., ouvr. cit., p. 31 : liée à la comitas et à l'amitié; p. 68: pendant
romain de l'atticisme, ce que dit exactement Balzac en mettant la première
au-dessus du second; en rapport avec l'elegantia, la grâce, la convenance,
v. p. 138 et n. 310; sur l'urbanitas et le rire, v. p. 272 (on sait l'amour de
Balzac pour Térence et, dans le texte commenté ici, il écrit, célébrant l'humour
de Cicéron: «II se moquoit souvent en particulier de ce qu'il avoit adoré en
public»); p. 333 : urbanitas, qualité du langage de l'urbs, mais aussi aisance
de l'âme; alliance de l'art de plaisanter à l'art de l'expression. Tout le texte
de Balzac implique une profonde familiarité avec la civilisation romaine clas-
sique : il est aussi une brillante paraphrase de la pensée de Cicéron, transposée
(comme l'avait déjà fait Castiglione) à l'usage d'une aristocratie moderne.
561 Ibid., p. 27. Quelle vue profonde (et pourtant esquissée sans appuyer)
sur l'évolution des magistrats français, passés de l'atticisme archaïque de Caton
le Censeur, au dédoublement civilisé entre vie publique, professionnelle, et vie
privée accordée aux arts, à la vie de société, à l'otium cum dignitate et urba-
nitaie.
ô60 LE PARNASSE DE L'ÉLOQUENCE ROYALE

chère à Colomby, l'amitié et l'ouverture de cœur, chères aux héritiers


d'Erasme, et qui porte la vie privée d'une élite au sommet du raffine-
ment, devenu seconde nature, de l'art de parler, d'écrire et de vivre cn
société. L'Hôtel de Rambouillet apparaît ainsi en pleine monarchie abso-
lue, comme une République des honnêtes gens qui, ayant accompli leur
devoir d'état, donne par surcroît au reste du royaume une leçon d'élé-
gance et de haute culture libérale.
CONCLUSION

DE L'ACADÉMIE DE CHRISTOPHE DE THOU À L'ACADÉMIE FRANÇAISE:

Les étapes de l'atticisme robin

Dans une société traditionnelle, la valeur des noms, des êtres et des
choses est mesurée au poids du temps dont ils ont supporté l'épreuve.
A cette aune, les jésuites apparaissent comme des homines novi, nou-
veaux venus, dans un paysage coutumier, nouveaux riches de l'humanisme
et de la religion .. Le Parlement de Paris et ses filiales peuvent se réclamer
d'une triple et vénérable antiquité: nationale, remontant aux origines
de la monarchie; religieuse, puisque ses conseillers-clercs et les prélats
qui siègent sur ses bancs l'associent étroitement à l'Eglise gallicane et
à ses « Iibertez », dernier témoin du statut «primitif» de l'Eglise avant
les nouveautés pontificales; savante enfin, puisque ses érudits, magistrats
et avocats, font de la justice le foyer d'une enquête encyclopédique
remontant aux sources du Droit, de l'Histoire, des Sciences, et de la
philosophie chrétienne.
Les jèsuites sont et resteront longtemps, peut-être toujours, une
pièce rapportée sur l'antique tissu social français. Le Parlement de
Paris, tel le chêne de saint Louis, plonge dans le terroir d'I1e-de-France
des racines si profondes que, serait-il humilié, ou même abattu, celles-ci
peuvent d'elles-mêmes faire jaillir des pousses neuves, fidèles à l'essence
du vieil arbre fOUdroyé. Même après la Révolution, on perçoit au Conseil
d'Etat créé par l'Empire, et chez les Barante, les Pasquier, les Molé, les
Rémusat, le grand fantôme continuant d'inspirer une élite taillée dans
une tout autre étoffe que les débris de la noblesse de Cour. A plus
forte raison au XVIIe siècle, au sortir du grand siècle de l'humanisme
érudit qui a manifesté avec tant d'èclat les capacités de la Robe, au
lendemain d'une victoire sur la Ligue qui a fait apparaître le sens
politique et le sens national de l'élite de ses magistrats. Pendant long-
temps Paris n'avait pratiquement pas connu d'autre Cour que celle de
son Parlement. Sous les derniers Valois, la Cour de France avait com-
mencé de conquérir sa propre splendeur, reflet pour une bonne part de la
qualité de l'humanisme robin .. Mais après le mépris universel où était
tombé l'entourage de Henri m, et en dépit de l'influence gagnée sur le
peuple de Paris par le clergé ligueur, c'est en définitive le Parlement
qui était apparu comme la haute autorité morale parisienne, c'était lui
qui était sorti plus prestigieux que jamais de la crise qui avait emporté
Henri III et sa Cour.
662 LES ÉTAPES DE L'A1TICISME ROBIN

Pendant des générations et des générations, il avait soumis à sa


forma mentis une bourgeoisie qui attendait de lui l'accès à une noblesse
de la culture et de la responsabilité. Il avait attiré en son sein la fleur
des cours souveraines de province. 11 avait imbu de son esprit des
dynasties dont les alliances ont formé de puissants réseaux, et dont les
charges, étendant leur pouvoir bien au-delà du Palais, se répandaient
dans la haute administration royale et dans la haute Eglise gallicane.
Sous sa discipline s'est constituée au sommet du Tiers-Etat une aris-
tocratie du savoir et de la responsabilité tandis qu'au sommet de la
noblesse d'Epée se formait, mais de façon plus récente, une élite des
belles manières et du beau langage, la noblesse de Cour. De ces deux
élites, la plus ancienne, tous comptes faits, est incontestablement celle
de Robe, attachée à d'antiques traditions et dépositaire des grands prin-
cipes du gallicanisme qui, sous l'Ancien Régime, s'identifient au patrio-
tisme et à la conscience nationale. L'autre, aux yeux de Cours comme
celle d'Espagne ou de celles d'Italie du Nord, a un côté nouveau riche,
dont elle commençait à se délivrer sous Henri II et Henri III quand
elle dut se disperser, avant de se reconstituer autour d'Henri IV et
de ses Gascons,
Avide de modes et de lieux communs importés de l'étranger, prête
à tout pour se distinguer du vulgaire, son sens national est des plus
douteux. Elle trouvera dans les Jésuites au XVIIe siècle des pédagogues
qui amélioreront ses manières et son langage, mais qui ignoreront long-
temps eux-mêmes le sens d'une tradition nationale que les robins galli-
cans ont au plus haut degré.
L'imitation des Cours humanistes italiennes donna naissance en
France à une noblesse de Cour. L'humanisme érudit qui porta l'aristo-
cratie française de Robe à la pleine maturité et conscience de soi non
seulement prit d'emblée un accent spécifiquement national: il avait de
profondes racines dans les traditions de l'Université de Paris et des
juristes royaux.
Il n'y avait pas eu en France au XV' siècle de société de Cour compa-
rable à celle des Ducs de Bourgogne ou des Princes italiens. Avec les
guerres d'Italie, et la formation d'une noblesse de Cour, l'imitation des
Cours humanistes de la péninsule crée autour des Valois une tradition
nouvelle qui, après une lente et difficile évolution, finira par s'épanouir
à la Cour de Louis XIV. Une Cour humaniste a besoin de doctes. En
Italie, secrétaires des Princes, pédagogues de la noblesse aulique, diplo-
mates, écrivains et artistes faisaient partie intégrante de la société de
Cour. Ils étaient à son service et à sa merci. Seule la République de
Florence au XV' siècle, et la République de Venise au XVIe offrent l'exem-
ple d'un humanisme patronné par une aristocratie pleinement respon-
sable et qui peut se permettre d'être savante sans compromis.
Si la noblesse de Cour française a tendance à imiter l'aulicisme italien,
à recruter en Italie artistes, comédiens, secrétaires faits aux mœurs de
la Cour, la haute magistrature française a inversement tendance à recueil-
lir l'héritage des chanceliers humanistes de la République florentine, des
ANTI-CICÉRONIANISME ET ANTI-AULICISME 663
Académies de Ficin et de Manuce. En polémique sourde ou ouverte contre
les goûts cosmopolites et hédonistes de la Cour, les savants du Collège
Royal et de la naissante République des Lettres gallicane ne sont pas
condamnés à des détours serviles ou à la vulgarisation mondaine: ils
disposent pour les soutenir de la puissante institution du Parlement de
Paris et du public de robins qui gravite autour d'elle. Ils disposent
également de thèmes de recherche juridiques, historiques, religieux, que
leur offre la tradition savante du gallicanisme français, ecclésiastique
ou laïc. Aussi l'humanisme érudit français est-il moins disposé au com-
promis que l'humanisme italien, tombé depuis la chute de la République
florentine, et sauf à Venise, dans l'orbite des Cours princières et de la
Cour pontificale.
Il a même tendance, devenu le privilège de l'aristocratie de Robe,
à durcir ses traits de gravité docte, à ne rien épointer de ses épines, pour
mieux marquer sa différence avec l'humanisme aulique et intimider celui-
ci par son autorité morale, philosophique et religieuse.
L'humanisme érudit français n'a pas d'autre programme que l'huma-
nisme italien: union de la philosophie et de l'éloquence. Mais, patronné
par une aristocratie sénatoriale, il trouve dans Cicéron même des argu-
ments pour ne pas épouser son art oratoire, et dans le mythe pédago-
gique aulique du cicéronianisme italien des arguments supplémentaires
pour ne pas adopter l'imitatio ciceroniana. Dans le De Oratore, Scaevola
insistait sur la gravitas propre au sénateur et à la brevitas qu'elle impose
à son éloquence. La tradition romaine insistait sur la notion de majestas,
propre à l'aristocratie de responsabilité civique, et la gravitas et dignitas
qui sont ses attributs indispensables 562. C'est au nom de ces notions
transmises par le mos majorum que les atticistes, tel Brutus, s'étaient
opposés à la rhétorique de Cicéron, qui sentait par trop son homo novus.
Ces atticistes croyaient trouver dans l'Attique républicaine, celle de Péri-
clés et de Démosthéne, de Lysias et de Thucydide, des modéles grecs plus
en consonance avec le mos majorum romain que dans les écoles de rhé-
teurs modernes, infectées par l'asianisme des cours hellénistiques.
On peut également observer, dans le De Oratore, le soin que prennent
les interlocuteurs du dialogue, appartenant tous à la classe sénatoriale,
de souligner la différence entre l'art d'une élite de gouvernement, savante,
sage, expérimentée, et l'art des rhéteurs. Rien n'est plus étranger à
l'enfance, à la pédagogie de l'enfance, telle qu'elle apparaît dans les
traités des Jésuites, héritiers des pédagogues de Cour 563, à plus forte

562 Voir A. Michel, Rhétorique et philosophie, ouvr. cit., p. 24-25.


563 Les pédagogies de la Renaissance sont nées en milieu aulique. La tra-
dition de la Cour de Ferrare, illustrée par Guarino da Verona et Vittorino da
Feltre, est la plus célèbre. On peut considérer que la pédagogie des jésuites
telle qu'elle se formule à la fin du XVI' siècle, dans les ouvrages du jésuite
espagnol juan Bonifacio (Christiani pueri institutio, Salamanque, 1575), et au
début du XVII', dans ceux du jésuite italien Francesco Sacchini (Protrepticon ... ,
Rome, 1625; et Paraenesis ... , Rome, 1625), s'inscrit dans la tradition «douce:.
de la pédagogie de Cour, tenue à respecter les enfants qu'elle doit former. La
664 LES ~TAPES DE L'ATTICISME ROBIN

raison telle qu'on l'imagine aujourd'hui d'après Rousseau, que ce dialogue


entre hommes mûrs, au caractère fortement marqué, à la conscience
civique hautement affirmée. Dans les deux cas, celui de la pudeur envers
le trop «bien dire» et du dédain envers l'enfance et les pédagogues, la
magistrature gallicane a pu trouver chez Cicéron des arguments contre
le cicéronianisme 584.
La note initiale et décisive de l'humanisme érudit français avait été
donnée par Guillaume Budé. «Grands esprits mélancoliques », écrira
encore le jeune Racine après avoir lu la Vie de Lysandre dans la tra-
duction d'Amyot 586. Budé, comme toute la tradition sévère et forte de
sa caste, a œuvré sous le signe de la mélancolie. Ce n'est pas un orateur.
Il ne compte pas sur les discours pour diffuser le savoir et la sagesse,
mais sur les livres, les institutions et les récompenses d'honneur. 1\ ne
s'intéresse pas non plus à la pédagogie, sinon sous la forme d'un ensei-
gnement supérieur lié à la recherche savante, comme au Collège Royal, ou
sous la forme d'une «institution du Prince ». Encore que dans le De
Philologia, il ne consente à aucune autre flatterie envers François Jer
que de le traiter intellectuellement d'égal à égal, en latin. Dans ses traités
d'érudition et de philosophie chrétienne, son style latin est si dense, si
altier que Longueil peut le comparer à celui de Thucydide. Tourné vers
l'origine grecque, peu attirè par les « médiateurs» romains comme Cicé-
ron, et fort méfiant envers les «médiateurs» italiens, qu'il tient pour
des histrions 685, Budé est à double titre un atticiste: par l'âpreté de
ses diatribes morales contre la «corruption» de l'Eglise et du siècle,
par son effort, comparable à celui des atticistes impériaux, pour racheter
la «corruption de l'éloquence» en remontant vers la densité première,
quasi prophétique, du verbe archaïque.
C'est dans la mouvance de l'atticisme de Budé, ajusté aux besoins de
l'institution parlementaire, que les Avocats Généraux inventeront leur
grand style épidictique. La première Académie d'éloquence française a
pour décor la Grand'Salle du Palais de Justice, sous la présidence de
Christophe de Thou.

tradition universitaire parisienne est au contraire du style sévère, héritant des


conceptions augustiniennes sur l'enfance, et participant de cette «âpreté ~ sco-
lastique tant dénoncée par l'humanisme italien. Il est logique que l'humanisme
érudit français, caractérisé par un atticisme archaïque et sévère, à sa manière
fidèle à la tradition «gothique », ait eu tant de mal à développer une péda-
gogie capable de rivaliser avec celle des Jésuites.
664 C'est là un trait de tout l'humanisme: cicéroniens et anti-cicéroniens
puisent dans Cicéron, qui a formé leur enfance, et qu'ils ont tous lu. Même
Montaigne est pénétré de Cicéron, qu'il attaque en paraphrasant la Vie de
Cicéron, par Plutarque.
6611 Voir Racine, Œuvres, éd. R. Picard, Paris, Gallimard, t. Il, p. 934.
566 Voir G. Budé, De Asse, cit. dans l'éd. 1527 (B.N. Fol. J 217 (1)). Fol.
VII, v· : l'Italie n'a été que l'actrice d'un rôle écrit par la Grèce; fol. XVI v· :
les Italiens ont fait de leur humanisme un commerce mercenaire; ibid., ce sont
des hypocrites, ils ont tort de regarder de haut les Gallica ingenia, ils ont
aujourd'hui perdu la praeteriti temporis continentia et gravitas.
TRADITION SAVANrE D'ATTICISME CICÉRONIEN 665
Se glissant dans les formes traditionnelIes du Palais, elIe vise à les
magnifier, et à conférer le plus impressionnant prestige à la justice, à
ses magistrats, et à leur humanisme chrétien et érudit.
La traduction par Amyot des Vies parallèles avait obtenu un aussi
vif succès à la Cour que chez les doctes. Or Plutarque n'y est guère favo-
rable à Cicéron ni aux orateurs; en revanche, il présente d'admirables
portraits de héros et de législateurs. Le type du haut magistrat forgé
par le Parlement gothique revêt tout naturelIement le masque sévère de
Caton l'Ancien, de Lycurgue, ou de Phocion. S'il est éloquent, ce n'est
pas en son nom, mais au nom de cette persona qui magnifie sa fonction.
Et son discours n'a pas sa source dans sa personne accidentelIe et tran-
sitoire: ramené par l'érudition aux sources originales du Logos, il est
une prosopopée des sages, des prophètes, des philosophes, dont les
sentences brèves et denses célèbrent eIles-mêmes la Parole divine, source
de toute Justice et de toute Vérité. Les œuvres de Philon d'Alexandrie,
les MoraUa de Plutarque, les Nuits Attiques d'Aulu GelIe servent de
justification à cet atticisme rugueux qui retrouve la tradition des philo-
sophes et antiquaires réagissant sous l'Empire aux excès de la Seconde
Sophistique.
Il y avait dans cette éloquence une sorte de défi implicite de la
sévérité galIicane aux tentations de la Cour. L'art de Cour du XVIe
siècle est dominé par les formes éclectiques et ingènieuses, souvent sen-
sueIles, du maniérisme italien. C'est à la Cour de France que l'initiateur
italien de la prédication «asianiste », le Franciscain Panigarola, avait
fait ses débuts. C'est dans l'entourage des Valois qu'un «cicéronien,.
à l'italienne comme Pierre Paschal, ou un italien cicéronien, comme Giulio
Camillo Delminio 1167, trouvent des oreiIles complaisantes. L'Académie
du Palais a beau avoir pour modérateur un magistrat tel que Pibrac,
eIle a le souci de l'élégance de la prose qui est anathème au Palais de
Justice. Les traductions de romans heIlénistiques par Amyot, de sophistes
grecs de l'époque impériale par Vigenère, les préceptes d'harmonie et
d'euphonie énoncés par Amyot dans son Projet d'Eloquence royale, le
recueil d'Epistolae cicéroniennes publié par Estienne sur la demande
d'Henri III, autant de signes d'intérêt, à la cour des Valois, pour un
«bien dire l> en langue française sur lequel Jacques Davy Du Perron
fondera sa brillante carrière de courtisan et d'homme d'Eglise.
Ces préoccupations avaient été précédées par les recherches et les
objurgations de quelques doctes, et parmi eux des professeurs au Collège
royaL Dès 1551, dans sa traduction des Olynthiaques de Démosthène,
Louis Le Roy rappeIle l'idéal cicéronien d'union de la philosophie et de
l'éloquence. Au même moment, Pierre de La Ramée, s'opposant à l'atti-
cisme érudit tel que le conçoit un Adrien Turnèbe autant qu'à l'aristoté-
lisme de l'Université, propose une pédagogie nouvelle de l'atticisme phi-

687 Voir F. Yates, L'Art de la mémoire, ouvr. dt., p. 144-147. Camillo cons-
truisit son Teatro della memoria cicéronien à la Cour de France où Gilbert
Cousin le vit en 1558.
666 LES ÉTAPES DE L'ATTICISME ROBIN

losophique en langue française. Pour lui, c'est moins dans l'imitation


des «mots» des Anciens que dans la reprise trop servile de leurs
« choses» que git le danger. Aussi divise-t-il la rhétorique en deux
tronçons. Il place l'invention et la disposition sous l'égide de la Dialec-
tique, instrument d'une raison adulte libre de tout psittacisme envers les
Anciens. Il ne laisse à la Rhétorique que l'élocution. Mais dans ce domaine,
il admet que la prose cicéronienne puisse être une bonne école et un
modéle d'élocution claire, pure, dénuée d'affectation. Il mettait en cause
le culte révérentieux de la sententia, autant que l'attachement supersti-
tieux aux formes de la logique d'Aristote.
Même recherche de l'atticisme dans la Poétique de Scaliger. Par un
autre biais, l'humaniste d'Agen n'est pas moins sévère pour les tendances
dominantes de son temps que l'infortuné professeur au Collège Royal.
Il réhabilite la grammaire, parente pauvre des litterae humaniores j il
place la littérature latine au dessus de la littérature grecque, inversant
la hiérarchie des valeurs posée par Budé; et dans la littérature latine,
il privilégie les écrivains de l'Age d'or, celui d'Auguste, par rapport aux
écrivains plus tardifs ou aux primitifs; l'Age d'or n'est plus à l'origine,
mais à la maturité. Il prend pour critère du jugement critique la perfection
de la forme, et la conformité à un état idéal de la langue: l'une et
l'autre supposent une régularité lentement conquise par l'expérience, et
parvenue à la pleine conscience critique de soi. Préférant Virgile à
Homère, la réussite de midi aux trouvailles de l'aurore, il met moins
l'accent sur l'inspiration du poète-théologien que sur l'admirable decorum
de l'Enéide avec l'ordre politique, moral, intellectuel et spirituel de la
Rome d'Auguste.
A tous égards, Ramus et Scaliger sont des isolés et des pionniers.
Il faudra une crise nationale majeure pour que la magistrature érudite
se départe de quelques-uns de ses préjugés de caste savante. Etienne
Pasquier, dans ses Lettres et ses Recherches manifeste à cet égard une
remarquable clairvoyance. Il mesure le danger qu'il y a pour une aris-
tocratie savante, qui a vocation à orienter les esprits, à laisser l'élo-
quence efficace aux seules mains des non-philosophes, rhéteurs de Cour,
ou agitateurs démagogues. La génération de Guillaume Du Vair et de
j.-A. De Thou, témoins de la ruine du royaume, héritiers de la politique
de Michel de L'Hospital, est en mesure de comprendre cette inquiétude.
Du Vair réhabilite Cicéron comme maître et modéle du magistrat-
orateur. Pierre Pithou et ses amis, s'inspirant d'Erasme, et de son ironie,
écrivent la Satyre Ménippée. Antoine Arnauld et Etienne Pasquier invo-
quent l'exemple de Cicéron et de Démosthène pour lancer leurs philip-
piques contre la Ligue et les Jésuites.
Mais sitôt l'orage passé et l'ordre rétabli, la tentation de la rétraction
sur soi l'emporte. C'est aussi sans doute une réaction de défense contre
le retour des Jésuites et des Italiens à la Cour, et contre l'offensive
générale de Rome et de la Maison d'Autriche en Europe. Du Vair avait
cru que la vertu stoïcienne pouvait avoir le rayonnement généreux et
régénérateur d'une grande éloquence civique. En fait, dés 1600, et jus-
CICÉRON, RECOURS CONTRE LA «CORRUPTION DE L'ÉLOQUENCE» 667

qu'en 1630, la cause gallicane est sur la défensive: repliés sur leurs
traditions, les magistrats du Parlement de Paris, les Procureurs et Avo-
cats généraux La Guesle. Servin, Molé fulminent contre la «corruption
des mœurs» dont la noblesse de Cour donne l'exemple, et contre la
« corruption de l'éloquence» dont' les poètes au service des Grands, un
Etienne Durand 1i68, un Théophile de Viau se rendent coupables; leur
éloquence dia tri bique, amère, brusque, cherche plutôt à répandre la « ter-
reur» dont parle le consei\ler Dupré en 1621, qu'à retrouver 1'« harmo-
nie» dont parlait Du Vair en 1595. Dans ce contexte de résistance crispée
au déferlement du mal, l'atticisme érudit, desséché en «rhétorique des
citations », reste la règle de l'éloquence judiciaire dans la citadelle assié-
gée des Parlements de France.
La génération de Du Vair avait compris que la seule force érudite
de la vérité ne suffisait pas à calmer les passions et rétablir la paix
civile. La génération de Jérôme Bignon et des frères Dupuy devra
admettre que les seules armes de la vertu ne suffisent pas aux Catons
du Palais à corriger les vices et ramener la noblesse à la raison.
En 1620, dans sa dédicace à Guillaume Du Vair du Ciceronianus,
Jacques de Maussac commence à rompre l'isolement où était retournée
la magistrature érudite. En apparence, il ne fait que réaffirmer les idées
que Du Vair avait formulées en 1594 dans son traité De l'Eloquence.
Celui-ci avait considéré comme une (, corruption de l'éloquence» l'élo-
quence érudite de ses prédécesseurs. Il avait invité les orateurs du Palais
à entrer en émulation avec Cicéron et Démosthène. Il les avait appelés
à une éloquence à la première personne, nourrie d'un savoir traduit en
français, médité et non plus simplement cité., Il avait attiré leur attention
sur l'art de la composition et de l'élocution. Mais Du Vair restait à
l'intérieur des limites du Palais, qui d'ailleurs pour lui était la seule
Académie d'éloquence française. Maussac a un point de vue déjà national.
Pour lui la «corruption de l'éloquence» a pour foyer la Ccur. ses
humanistes (les Jésuites), ses poètes et romanciers. Mais elle ne trouve
pas dans les rangs des érudits les exemples qui pourraient lui faire
honte. L'analyse de Maussac implique donc que deux extrémismes se
renforcent l'un l'autre, avec pour principe commun le refus d'une norme
idéale et d'une référence universelle sur laquelle le jugement critique
puisse s'appuyer. Dès lors, c'est toute la situation héritée du xv. e siècle,
l'antithèse entre culture savante et culture courtoise, qui se trouve
modifiée. Le style de Cicéron est posé en idéal médiateur, propre à
s'imposer à tous comme référence commune du jugement critique et de
la création oratoire et littéraire.

568 Plus net peut-être que le cas de Théophile, compliqué par l'intervention
de Garasse, celui d'Etienne Durand illustre le conflit entre la vigueur du Par-
lement, et l'hédonisme de la Cour, dont Durand était un fournisseur attitré
en livrets de ballets. Voir, outre la Vie d'Etienne Durand de Colletet, et Lachè-
vre, intr. aux Méditations, Paris, 1906, les remarques éclairantes de M. Mc
Gowan, L'Art du ballet de Cour ..., ouvr. cit., passim. Durand fut brûlé en place
de Grève en 1618.
668 LES ÉTAPES DE L'ATTICISME ROBIN

Pour Maussac en effet, le Ciceronianus d'Erasme, en dépit de ses


excellentes intentions, est à l'origine de l'imitatio adulta, et de l'éclec-
tisme maniériste. Ce n'est pas forcer sa pensée que de discerner deux
courants engendrés par la rhétorique de l'imitatio adulta; l'un érudit,
qui conduit à la mosaïque de sententiae, à la « rhétorique des citations »,
et à la version « ingénieuse» qu'en avait proposée Lipse ; l'autre mondain
et aulique, qui conduit à la variété des figures, à la «rhétorique des
peintures» et à ses diverses versions ingénieuses. Variété des modèles
ou des sources, mais aussi variété des ingenia qui chacun dose son style
à sa guise. C'est Babel. Et les conséquences de Babel, c'est l'a:1archie.
Pour que l'ordre du langage ne nuise pas plus longtemps au rétablisse-
ment de l'ordrc politique, il faut qu'un decorum reconnu de tous, garanti
par les doctes, accorde le meilleur style français à la Majesté du roi
de France.
Scaliger avait donc raison contre Erasme; il Y a une vérité en
matière de goût, et cette vérité, qui mettra fin à la confusion des langues
et des styles, c'cst à Cicéron et à l'Age d'or tomain qu'il faut la demander.
En 1629, dans son De arte et causis rhetoricae, Edmond Richer
invoque la vila civilis, la santé du corps politique, comme une valeur
en soi, qui en définitive commande toutes les autres. La société n'étant
pas composée des seuls savants, il faut persuader les ignorants et
demi-savants de collaborer au bon ordre des mœurs et des lois. Seul
l'art de Cicéron peut y parvenir, de préférence à la vérité rude et nue,
insupportable aux ignorants et demi-savants.
Dans l'ordre de la probatio, comme dans l'ordre de l'ornatus, une
élite gallicane, s'élevant au point de vue national, demande donc à
Cicéron d'inspirer une norme de style commune à tous les ordres du
royaume, et un art de persuader capable de rayonner sur tous.
En un sens, face à la diversité des castes et des goûts qui font du
Royaume, et tout spécialement de la Cour, une sorte de Babel, l'élite
gallicane en vient alors aux conclusions qui avaient été celles des ins-
tances romaines de la Compagnie de Jésus, face à la diversité des
Assistances nationales, et aux couleurs dangereusement variées que pre-
nait dans son expansion la Societas jesu. La norme cicéronienne cultivée
avec tant de soin au Collège Romain, en latin, était en quelque sorte
1'« étalon» du langage, à la fois de la Société et de l'Eglise universelle.
Aussi le rapprochement pourra-t-il bientôt s'opérer entre les jésuites
français les plus attentifs au classicisme latin du Collège Romain, et
les artisans d'un classicisme en langue française. Celui-ci aura pour
« dessous» une pédagogie jésuite purifiée du « modernisme» de l'imitatio
adulfa.
Dans les années 20-30, on observe une sorte de consensus bonorum
entre une élite laïque et une élite ecclésiastique pour combattre la c cor-
ruption de l'éloquence :b. En 1620, on voit un Jacques de Maussac sonner
l'alarme générale. En 1621, dans son EpUre aux prédicateurs qui affec-
tent le bien dire, Antoine de Laval dénonce une éloquence sacrée qui,
RHETORIQUE ET POLITIQUE 669
imitant sans discernement les Pères, rejoint la pire déclamation 169.
La même année, dans son Pourtraict, le conseiller Dupré s'en prend à
la superstition des «mots» chez les courtisans 170. En 1623, dans son
Jugement et Censure, le Prieur Ogier accable l'imitatio adulta du P.
Garasse, son absence de discernement dans le choix de ses modèles,
son peu de sens du decorum chrétien 171. En 1627, après l'escarmouche
de F. André de Saint-Denis, c'est la grande attaque de Goulu soutenu
par un Dupuy et un Peiresc contre le style « enflé» de Balzac: celui-ci
manque à la fois au naturel chrétien et à la régularité des grands
modèles classiques. En 1630, le Voyageur Inconnu et la Conférence aca-
démique de Camus défendent un idéal de naturel chrétien contre l'art
païen des rhéteurs 172 et le Tableau de l'Eloquence de Dom Charles
Vialart propose à la noblesse de Cour un idéal d'atticisme français
accordé au decorum du «grand monde» 173.
Le consensus bonorum existe à coup sûr contre l'adversaire: l'asia-
nisme pathétique et imaginatif des prédicateurs à l'italienne, les « vices»
du langage de Cour. Mais les principes au nom desquels le combat est
mené sont quelque peu contradictoires. Tantôt on fait appel aux modèles
classiques «païens », et surtout à Cicéron, pour faire honte au goût
pervers des modernes. Tantôt on invoque l'idéal du «naturel chrétien"
dont les sources sont érasmiennes et en dernière analyse augustiniennes.
Déjà Edmond Richer fait pencher la balance en faveur de Cicéron, en
mettant au premier rang de la hiérarchie des urgences, en 1629, un art
de plaire et de persuader qui se fixe l'ambition modeste de faire entrer
les «ignorants» et les «demi-savants» dans les limites d'une doxa
acceptable par tous, et qui garantira l'ordre des moeurs et l'ordre poli-
tique. Cicéron est le maître de cette pédagogie politique. Richelieu préci-
pitera les choses en faisant de l'ordre politique, moral et esthétique
accordé à la Majesté royale la tâche nationale à laquelle il convie tous
les «bons Français », sans distinction. Cette tâche suppose un art de
persuader. En 1633, d'Ablancourt dans sa préface à L'Honneste Femme
de Du Bosc, fait la théorie, inspirée par Balzac, mais surtout par
Cicéron, de «l'enseignement par la louange ». Cet «art de desguiser
le précepte sous l'habit d'une louange» donne au gemls demonstrativum
une fin morale, et en dernière analyse, civique: il suppose que le style
moyen (propre à la louange) reste au plus près du style simple (propre
aux préceptes), à l'intérieur d'un atticisme aussi «fort» que « doux» :
la juste mesure cicéronienne ..
En 1638-39, paraissent tour à tour les Considérations politiques sur les
coups d'Etat de Naudé, et les Considérations sur l'éloquence françoise de
La Mothe Le Vayer. Deux variations brillantes Sur le thème posé par

1Im! Voir II· partie, p. 300.


170 Voir III· partie, p. 632.
171 Voir II· partie, p. 366, 368 et notes 256, 257.
172 Voir II' partie, p. 640-641.
1173 Voir Il' partie, p. 337.
670 LES ÉTAPES DE L'ATTICISME ROBIN

Edmond Richer dans son De Arte et causis rhetoricae. La vie civile, et le


consensus non seulement des « bons» mais de tous, qu'elle suppose, exi-
gent un art de persuader. Naudé fait la théorie de la propagande politique,
chargée de colorer aux yeux du vulgaire les «coups de génie» de la
Raison d'Etat, qui révoltent les âmes naïves. La Mothe Le Vayer propose
aux « sçavans» une véritable casuistique qui leur permette de faire des
concessions à la « beauté du langage », captatio benevolentiae à l'inten-
tion des ignorants, sans pour autant renier les « choses» de leur érudite
sagesse. Le patron de cette casuistique est Cicéron, et sa notion essen-
tielle la «négligence diligente».
En 1638 encore, apogée de cette véritable Renaissance cicéronienne
en langue française, l'éditeur de l'Académie, J. Camusat, publie la tra-
duction des Huit oraisons de Cicéron dont Patru et d'Ablancourt sont
les maîtres d'œuvre. Un cicéronianisme à la française devient la norme
de l'éloquence nationale, accordée au decorum de la royauté; et l'on
compte sur la sanior pars de la Cour, soumise à une véritable pédagogie
cicéronienne, pour l'imposer en une mode durable. Cicéron sert donc
d'étalon de l'ornatus en prose française; mais la Rhétorique d'Aristote,
commentée par les Italiens du XVIe siècle, en donne le mode d'emploi
et la Poétique de Scaliger sert de règle à son usage dans les genres
poétiques.
La grande ambition de l'humanisme gallican au XVIe siècle avait
été de réconcilier les esprits et de refaire l'unité du royaume autour d'une
Vérité et d'un Verbe originels, longtemps occultés, et enfin remis ell
pleine lumière par l'héroïque effort de l'érudition. Vérité et Verbe anté-
rieurs à la confusion des langues, contemporains de la Première révé-
lation. Vérité et Verbe «de la primitive Eglise », antérieurs aux falsi-
fications des Papes, et témoins de la Seconde Révélation. Première et
Seconde Révélations étaient d'essence identique, leur message mystique
sourdait chez les philosophes comme chez les prophètes, chez les poètes
comme chez les apôtres. Sous la diversité des « mots », l'unité originelle
des «choses» divines, redécouverte, réconcilierait la nature et la grâce,
catholiques et chrétiens réformés. Comme l'a montré Frances Yates,
un des grands rêves des Académies sous les Valois, celle de Baïf
comme celle de Pibrac, avait été de faire du Roi de France le grand
prêtre de cette «philosophie occulte », qui reconstituerait l'Age d'Or
autour d'une Vérité intimement perçues par tous 574.
Vers 1630, tandis que le pouvoir politique «absolu» du monarque
s'affirme comme la seule clef de voûte possible d'une société française
fragmentée et instable, il apparaît néc~ssaire d'imposer aux divers lan-
gages et styles qui fragmentent et divisent le royaume une clef de voûte
unitaire. Clef de voûte et symbole: un ordre des « mots », garanti par
l'exemple du classicisme romain, garantira à son tour la solidité des

574 Voir F. Yates, French Academies of the XV/th century, Warburg Ins-
titute, Univ. of London, 1947. V. en particulier p. 35, le caractère «encyclo-
pédique» de ces académies.
RHÉTORIQUE ET VÉRITÉ CHRÉTIENNE 671
« choses» politiques et morales qui seront désormais les «lieux com-
muns» du royaume.
C'était là franchir une sorte de limite sacrée: la tradition platù-
nicienne de l'humanisme français, et plus profonde encore, la tradition
augustinienne du christianisme médiéval faisaient des « mots» les média-
teurs des « choses divines ». Faire des «mots» la garantie et la média-
tion d'un ordre tout humain, social, politique, moral, dont la fin n'était
pas le salut, philosophique ou religieux, mais un bien tout terrestre, la
tranquillité publique, n'était-ce pas revenir à l'idolâtrie païenne de la
Cité terrestre, et introduire en France la superstition cicéronianiste
qu'Erasme avait si vivement combattue dans le Ciceronianus? La
«Renaissance cicéronienne» des années 30-40 fait éclater le conflit
entre «sçavans », voilé dans l'équivoque au cours de la décennie 20-30.
Tallemant rapporte que d'Ablancourt, après «avoir bien lû les
Pères », déclarait que «pour trouver du sens commun, il faut aller au
dessus de Jesus-Christ». Et à l'Académie qui examinait le sens du mot
« apostoliquement », il proposait cet exemple: «On dit encore prescher
apostoliquement pour dire prescher mal» ~76.
Avant lui, un Laval, un Ogier, un Camus avaient mis en garde contre
le style trop orné des Pères. Mais c'était au nom d'un idéal de naturel
et simplicité chrétienne et d'une vérité qui n'avait plus à tenir compte
des païens prisonniers des «mots ». Leur position était celle du De
Doctrina Christiana, du Ciceronianus d'Erasme, et des rhétoriques ecclé-
siastiques comme celles de Louis de Grenade. Chez d'Ablancourt, retrou-
vant l'esprit de ces « cicéroniens» condamnés par Erasme, le « bon goût
de l'Antiquité» est le privilège des païens, dont il reflète le «sens
commun ». Sa pensée sur le style se déploie dans une sphère politico-
morale dont la valeur centrale est un «jugement» qui s'identifie à celui
de la romanité classique.
Il était inévitable qu'en réponse à ce «cicéronianisme» moins idéa-
liste que celui de Bembo, les tenants de la vérité chrétienne prissent
leurs distances vis-à-vis des nouveaux «académiciens ». En 1637, après
avoir lu les Pères, non sous l'angle des «mots») mais des «choses:l>,
Antoine Le Maistre abandonnait le Barreau, sa gloire naissante de « Cicé-
ron français », pour se confier à la direction de Saint-Cyran. Celui-ci
incarne désormais, dans toute son exigeante pureté, dégagée des demi-
mesures où restaient encore empêtrés les Dom Goulu et les J.P. Camus,
la doctrine de saint Augustin sur les signa et sur le meilleur style
chrétien.
Par une sorte de purification complémentaire, tandis que le galli-
canisme politique fait de Cicéron le seul garant antique d'un atticisme
national, accordé à la majesté du Roi de France, le gallicanisme religieux,
regroupé autour de Saint-Cyran, fait de saint Augustin la référence cen-

675 Voir Tallemant, éd. Adam cit., t. Il, p. 244.


672 LES ÉTAPES DE L'ATTICISME ROBIN

traie et déterminante à la fois de la c doctrine des Pères» et de la


véritable éloquence chrétienne.,
Cette scission à l'intérieur de la tradition gallicane crée deux options
rhétoriques trop symétriques pour ne pas avoir, ,dans leur contraste
même, de secrètes affinités.
L'atticisme cicéronien semble tout accorder à l'élocution, alors que
c l'éloquence du cœur» de Saint-Cyran accorde tout à l'inspiration reli-
gieuse, à la fidélité à une il: dictée» divine.
Mais l'une et l'autre tendance ont en commun d'être nées de la même
révolte contre le style figuré, les techniques voyantes et vulgaires du
pathétisme et de l'imagination oratoires. Elles supposent l'une et l'autre,
pour des raisons conscientes différentes, la même réaction instinctive
contre le mauvais goût.
L'un traque ce mauvais goût au nom des « bons modèles» classiques,
du c bon usage », d'un jugement formé par la lecture des Anciens, et
en définitive, au nom d'une juste mesure proprement française.
L'autre n'aborde les problèmes de style que par le biais de la rttorale
ètroite: mais sa sévérité pour les ruses de l'amour-propre, pour les
blandices des passions mondaines, est une impitoyable école pour la
conscience proprement littéraire.
Rompus, les deux tronçons de la tradition gallicane n'en sont pas
moins secrètement complices pour détruire le prestige du style moyen
confondu avec le style sublime, du genre démonstratif confondu avec
le maniérisme du style fleuri ou du style coupé, et pour rechercher une
juste mesure.
La juste mesure cicéronienne s'accorde à la majesté et gravité du
Roi de France, et d'une Cour digne de lui.
La juste mesure augustinienne, accordée à la Majesté divine, l'est
aussi à la faiblesse de l'homme, indigne canal des vérités sublimes
de la foi.
Entre l'une et l'autre école, les complicités tacites, les tentatives de
conciliation étaient inévitables. Un Chapelain, un Godeau, si attachés à
l'œuvre de Richelieu et au triomphe d'un atticisme national, n'en eurent
pas moins de vives sympathies pour Port-Royal. Une corrimune hostilité
aux Jésuites, et en particulier à l'art trop mondain d'un Le Moyne,
révèle chez ces «académistes» comme chez les « solitaires» une sensi-
bilité gallicane plus forte que tous les partages de circonstance. Dans
l'œuvre de Godeau, l'effort est sensible de faire coïncider le De Oratore
et le De Doctrina christiana, atticisme classique et morale étroite; l'ascèse
de la forme est devenue pour lui le signe de l'ascèse morale et religieuse
de l'âme chrétienne.
CONCLUSION GÉNÉRALE

LES DEUX RHeTORIQUES

1 - LA RHÉTORIQUE JÉSUITE DES c PEINTURES:> (1604-1644)

1. A leur retour en France, en 1604, les jésuites français bénéficient


du soutien d'une Société à l'apogée de sa puissance internationale et
de sa réussite intellectuelle. Elle est désormais en possession de sa
propre théologie, tolérée sinon approuvée par Rome, de sa propre
païdeïa, de son propre style missionnaire et apologétique, et elle dispose
dans tous les ordres du savoir de maîtres remarquables: le réseau de
ses Collèges, qui sont aussi des c Académies de Sçavans », se double
d'un réseau de librairies à l'échelle de l'Europe catholique. Elle peut
espérer, non seulement devenir l'inspiratrice et le guide d'une Eglise
réformée par le Concile de Trente et les Exercices Spirituels, agrandie
aux dimensions de l'univers par ses missionnaires, mais faire de sa
propre organisation scientifique l'héritière de la vieille République des
Lettres et de sa propre Encyclopédie le substitut victorieux de l'Ency-
clopédie des savants gallicans et hérétiques.
La France est une ombre dans ce tableau plein de promesses. Ce
pays, catholique en son immense majorité, n'en a pas moins expulsé les
jésuites de 1594 à 1604. La victoire des « Politiques» sur la Sainte Ligue
a conféré aux magistrats érudits un incomparable prestige auprès des
« libres Républiques» de Venise et de Hollande. Maîtres des Parlements,
et surtout du plus puissant et respecté d'entre eux, le Parlement de
Paris, exerçant au sein de la République des Lettres, de concert avec
leurs amis de Leyde et de Venise, un rôle directeur et médiateur, ils
ont par tradition de solides positions dans les plus haut organes du
gouvernement royal; enfin, ils sont la tête de la caste nombreuse, riche
et cultivée des robins français, qui depuis le début du XVIe siècle n'a
cessé de révéler ses ressources exceptionnelles d'intelligence et de talents.
L'autorité conquise par les magistrats érudits gallicans fait de ceux-ci
un des obstacles majeurs aux desseins de la Société de jésus et en
général de la Reconquête romaine et espagnole en Europe.
Les jésuites français ne vont pas épargner leurs efforts pour con-
quérir les enfants des robins gallicans. Le déclin de l'Université de
Paris favorise leur tâche. Pour se faire respecter de la République des
Lettres, ils disposent d'une petite troupe d'érudits qui ne se sont pas
674 LES DEUX RHlTIORIQUES

compromis dans l'aventure de la -Ligue et dont la qualité est reconnue par


leurs pairs. Mais l'estime que ceux-ci obtiennent ne s'étend pas à leur
société. Ils font figure d'exception.
A l'échelle de l'Europe, entre l'Encyclopédie de la République des
Lettres et l'Encyclopédie jésuite qui prétend se substituer à elle se livre
désormais sur tous les fronts du savoir une lutte intellectuelle qui
contraste trop crOment avec l'irénisme relatif des jésuites érudits fran-
çais, formés d'ailleurs aux disciplines de l'humanisme national. Cette
bataille intellectuelle sera certainement un des plus puissants moteurs
de la «révolution intellectuelle et philosophique" des années 20-40 du
XVIIe siècle. Au fur et à mesure que les jésuites, à Rome, à Madrid, à
Vienne, à Louvain, à Prague absorbent et finalisent au profit de la foi
tridentine les résultats de l'Encyclopédie du XVIe siècle, celle-ci se
trouve soumise de la part de leurs adversaires à une critique qui déporte
rapidement la vieille République des Lettres vers des horizons qui la
déconcertent elle-même.

2. Faute de pouvoir atteindre en son noyau la résistance de l'huma-


nisme gallican, les jésuites français peuvent du moins espérer obtenir
des résultats plus rapides et faciles auprès d'une autre caste de l'élite
française, la noblesse de Cour. Si les magistrats érudits gallicans
«disent le droit» au monde cultivé, au sens humaniste de la Robe,
la noblesse de Cour dicte la mode à la foule nombreuse des « ignorans ~.
Ceux-ci ne le sont d'ailleurs qu'aux yeux des «sçavans,. du Palais,
de l'Université et de la République des Lettres. Mais leur culture est
toute moderne, dans les trois langues vulgaires qui dominent alors:
l'italien, l'espagnol et le français ..
Qui sont ces «ignorans,.? Les nobles? Les femmes? Sans doute.
Mais parmi celles-ci, les femmes des «sçavans» eux-mêmes, leurs fils
aussi, tant qu'ils sont en âge de plaire et de chercher à plaire à des
jeunes filles dont les lectures sont bornées aux romans, aux poésies, aux
traductions, dans les trois langues modernes. Là se trouve, pour ainsi
dire, le talon d'Achille de la caste de Robe. Les femmes et les jeunes
gens de la bourgeoisie cultivée ont les yeux tournés vers la noblesse de
Cour, dont «l'ignorance» est du même ordre que la leur et que son
prestige social, son luxe, son oisiveté autorisent à dicter la mode, en
matière de livres, de spectacles, de vêtements et autres agréments.
« Monde", «Mode », «Moderne»: ces trois mots caractérisent
« l'air de Cour» tel que le perçoivent les « sçavans » : profane, volubile,
soumis aux caprices de l'imagination et du désir, esclave de l'instant,
privé de jugement politique, moral et religieux, ce «monde" qui roule
de «mode» en «mode» et qui n'a aucune chance d'être autre chose
que « moderne» a tous les traits redoutés et un peu démoniaques de la
féminité. N'est-ce pas pourtant le Quartier-Général de la caste, virile
par excellence, des guerriers? Sans doute, mais ces guerriers, lorsqu'ils
le sont encore, viennent à la Cour prendre leurs quartiers d'hiver; et
là, selon la vieille tradition de leu r caste, ils se plient, au moins en
MONDANITÉ ET MODERNITÉ 675

paroles, aux rites de l'amour courtois, qui accorde à la femme d'autant


plus de soumission qu'on en espère d'une autre sorte, de sa part. Ces
cavaliers, ces duellistes savent sous Henri IV et Louis XIll toucher du
luth et chanter; pour plaire aux dames ils doivent s'efforcer de parler
le «langage de Cour ", influencé depuis le début du XVIe siècle par
l'italien. Marie de Médicis et son entourage n'ont fait que ranimer l'héri-
tage de « douceur» liquide et musicale jusqu'à la fadeur, qui est la vraie
tradition, féminine et amoureuse, de la Cour de France.
Dans les Hôtels autour du Louvre, pendant la morte saison des
combats, cette société des amours est aussi une société du spectacle. La
Cour des Bourbons, héritant de celle des Valois, fait du ballet son
divertissement favori, et le féérique pot-pourri de tout ce qu'elle sait et
qu'elle aime: de l'Arioste à Rabelais, du conte de fées à la Fable, du
merveilleux des Amadis à la satire selon Régnier.
Sur la Cour de France et à travers elle sur le public romanesque des
?' ignorans », les Jésuites avaient des moyens d'agir dont ne disposaient
pas les Catons de Robe gallicane. Ils avaient la confession, et l'on sait
quel usage les casuistes leur permettaient d'en faire. Mais ils avaient
aussi la prédication. Leur supériorité, depuis les succès remportés par
le p, Coton, était bien établie. Ils avaient enfin le livre.
En mettant au point un style de prédication et une parénétique
calculés pour les goûts et la mode de la Cour, les jésuites se donnaient
un puissant levier pour conquérir l'opinion publique française, sinon sa
sanior pars, du moins la plus malléable et la plus nombreuse.
Tandis qu'un petit nombre d'érudits jésuites tentent d'effacer, dans
l'esprit de leurs collègues gallicans, les effets des pamphlets et traités
dirigés contre eux de la Province f1andro-belge, ou d'ailleurs, à la Maison
Professe de la rue Saint-Antoine, une véritable Académie d'éloquence est
chargée de suivre l'exemple du P. Coton, et de recueillir les faveurs du
public de Cour, garantie de succès auprès du public « ignorant ~.
Les jésuites rhéteurs se font mondains et modernes. Ils ne créent pas
la mode de Cour. Ils la suivent, croyant pouvoir être portés par elle.
L'affaire Théophile prouvera qu'à suivre avec application la mode, on
est bientôt dépassé.

3. La rhétorique des jésuites de Cour trouve sa justification dans


la théorie de l'imitatio adulta élaborée en Italie par j.B. Giraldi, reprise
à son compte par juste Lipse. Sous la plume des jésuites, l'imitatio adulta
devient imitatio multiplex. La théorie avait été inventée pour surmonter
la querelle entre cicéroniens et anticicéroniens de la Haute Renaissance.
Elle répondait aussi aux besoins d'une Réforme catholique qui faisait
fonds sur les Pères de l'Eglise et sur Sénèque. Cicéron, toujours encensé,
est relégué dans le rôle «classique» de maître de l'enfance. Le style
If adulte») libéré de ses bandelettes, peut aller butiner ses couleurs chez
les auteurs de l'Age d'argent, chez les Pères, et chez les auteurs païens
tardifs. Par un curieux retournement, l'anti-cicéronianisme de Politien et
d'Erasme, qui combattait le formalisme littéraire des If cicéroniens ro-
676 LES DEUX RHÉTORIQUES

mains» a servi de prétexte à l'éclosion d'un asianisme ingénieux et


coloré dont le formalisme et l'aulicisme trouvent dans l'art de bien prêcher
un alibi inattaquable. Le recueil de Sententiae divisiones et colores de
Sénèque le Père, les œuvres d'écrivains, orateurs, romanciers de la
Seconde Sophistique dont les Pères sont souvent les disciples dans l'ordre
technique, offrent leurs ressources d'ornement et d'amplification à des
prédicateurs de Cour tels que Panigarola, ancêtre direct de Marino et
du marinisme. L'imitatio adulta dans sa version Iipsienne veut être une
réaction savante contre ce style asianiste: elle veut limiter la liberté
de l'ingenium à des modèles tels que Salluste et Sénèque. Mais cet atti-
cisme sénéquien, qui trouvera chez un Quevedo et chez un Malvezzi des
disciples en langue vulgaire, n'en est pas moins un maniérisme. A la fin
du XVIe siècle, seules la tradition romaine, intelligemment adaptée par
Muret à l'air du temps et la tradition gallicane dont Du Vair se fait
l'interprète autorisé dressent contre la modernité stylistique l'imitatio
ciceroniana.
L'asianisme italien d'un Panigarola, l'atticisme sénéquien du flamand
juste Lipse se réclament l'un et l'autre de la liberté de l'ingenium qui est
alors le signe de ralliement de tous les novatores du style contre le
classicisme démodé des «cicéroniens l>. Mais alors que l'un met l'accent
sur les colores (descriptions et pathétisme), le second met l'accent sur
les sententiae (<< conceptions l> rapides et formulées à l'emporte pièce).
L'un est un style oral, l'autre un style écrit.

4. Il y a eu certainement un courant d'atticisme sénéquien chez les


jésuites français. Le représentant le plus décisif de cette tendance ne
publie pourtant sa Rhetorica versifiée qu'en 1650: c'est le P. josset, de
Limoges. Le courant majeur, celui des jésuites de Cour, se rattache plus
volontiers à l'asianisme italien, mieux accordé aux besoins de la prédi-
cation et qui a trouvé en Espagne et en Flandre des disciples et des
théoriciens.
Transposée en France, la commode doctrine de l'imitatio adulta ou
multiplex permet aux jésuites de Cour d'étendre leur mimétisme aux
auteurs «vulgaires l> du XVIe siècle, dont ils peuvent supposer que leur
public « ignorant» est nourri. Tout naturellement, ils élisent parmi ces
auteurs ceux qui déjà ont introduit à la Cour les techniques de la
Seconde Sophistique. De même qu'un Garasse se cherchera chez Rabelais
et Régnier l'équivalent, familier à son public « ignorant l>, des techniques
d'ironie lucianesque, les imitant ad majorem Dei gloriam, un Richeome
et un Binet cherchent chez Philostrate, traduit par Vigenère, chez Hélio-
dore, traduit par Amyot, chez Du Bartas enfin, l'équivalent des techniques
d'ekphrasis familières aux Seconds Sophistes et aux Pères. On imagine
l'irritation des «bons Français» de race gallicane devant ce travail de
« perversion» jésuitique de l'héritage national. Les Italiens de Cour, dont
un Henri Estienne avait dénoncé sous Henri III l'influence corruptrice
sur la langue et les mœurs, sont soutenus par le renfort de « sophistes"
plus insinuants encore. Le maniérisme asianiste de Marino qui arrive à
la cour en 1615 y trouve un terrain tout préparé.
IMITATION ET IMAGINATION

La doctrine de l'imitatio multiplex est complétée par celle de la


varietas ingeniorum qui érige en système la revendication individuelle
des « anti-cicéroniens» lalcs, de Politien à Montaigne et à Lipse. Chaque
orateur dispose d'une grande latitude pour déterminer son propre style
en fonction de sa propre nature. A lui de doser, concilier, moduler, parmi
la foule des modèles, anciens ou modernes, ceux qui correspondent à la
nuance particulière de son ingenium. Cette apparente liberté, dans le
cas des milites Christi jésuites, n'est évidemment qu'un principe d'effi-
cacité et d'adaptabilité. La c variété des tempéraments» permet à chaque
jésuite de révéler sa vocation propre, et à ses supérieurs de spécialiser
chacun dans la tâche et pour le public qui lui convient le mieux. La
rhétorique institutionnelle de la Société s'articule à des variables qui lui
permettent de faire face à la diversité des offices et des milieux. Elle
est par essence éclectique,
Elle l'est d'autant mieux, dans le cas des prédicateurs, que la tech-
nique de l'ekphrasis ou demonstratio est le principe générateur de leur
rhétorique d'imagination et d'amplification dévotes. Leur éloquence se
fait le «miroir» de la Nature dans son infinie et inépuisable variété.
Celle-ci n'est pas une architecture rationnelle, mais une surface aux
myriades de reflets. Selon l'ingenium de l'orateur, selon les habitudes,
les goûts, l'humeur du public, il sera possible de lui faire miroiter des
c merveilles» différentes, dont le «sens mystique", captive comme une
énigme résolue. De Richeome à Binet, de Binet à Le Moyne, les plus
doués parmi les Jésuites de Cour font de leur éloquence une sorte de
cinématique en couleurs, en relief, et grâce à la prosopopée et au dia-
logisme, parlante: elle est admirablement accordée à la société du
spectacle qu'est la Cour, à l'hypertrophie de l'imagination qui la carac-
térise.

5. Il y a une curieuse contiguIté, qui n'est pas fortuite, entre le Protée


jésuite et le Protée montaignien. C'est dans cette contiguIté qu'il faut
situer le drame de Théophile. La poétique de Théophile est le revers de
la rhétorique jésuite, un effort pour ramener la jeunesse de Cour, hors de
ces rets captieux, vers le sens montaignien de la Nature, qui est adhésion
vitale et non fascination kaléïdoscopique. La «Nature» théophilienne
refuse le «sens mystique» qui finalise et déréalise les c tableaux»
jésuites; son poète se réclame de la « liberté », de la « singularité» d'un
tempérament, de la modernité, toutes notions que les Jésuites se réser-
vent pour donner à leur apologétique les couleurs de la vie et de la
mode. Garasse, Ogier l'a bien compris, combat en Théophile sa propre
ombre, ou plus exactement, sa propre vérité.
L'affaire Théophile fut l'occasion d'une inflexion de la c rhétorique
des peintures» jésuite vers la sévérité et le pathétisme. Devenu prédica-
teur de Cour, le P. Caussin publie en 1624 sa Cour sainte, dont les
techniques, plus théâtrales, reposent toujours sur l'effet visuel, sur le
tableau vivant et parlant. Mais le P. Caussin renonçait à la «douceur»
italianisante qui avait fait le succès des Coton et des Richeome. Il se
range aux côtés de Dom Goulu contre le style c peigné» de Balzac.
678 LES DEUX RHÉTORIQUES

Or, le succès de celui-ci était dû en partie à l'influence de Malherbe


sur le «langage de Cour », partie aux résultats de la pédagogie cicé-
ronienne du P. Petau sur les élèves titrés du Collège de Clermont. Une
seconde fois, les jésuites de Cour se laissent dépasser par la mode. Avec
le P. Le Moyne, qui publie le premier tome de ses Peintures Morales
en 1640, alors que le Poo Caussin est en disgrâce et en exil, la «rhéto-
rique des peintures» s'inspirant de la «belle antiquité» et adoptant
l'élocution «douce» dont Balzac est désormais le modèle, tente une
habile synthèse entre sa propre tradition et la mode officielIe, soutenue
par Richelieu et par les doctes de l'atticisme cicéronien.

6. La figure par excelIence de la rhétorique des jésuites de Cour,


de Richeome àLe Moyne, c'est la description, ou ekphrasis, riche en
puissance, comme le miroir, de toutes les possibilités de l'imitatio Natu-
rae: hypotypose, éthopée, topographie, narration, "charactere»; elIe
peut s'accompagner d'une sorte de bande sonore qui donne une voix
aux choses ou aux personnages décrits: interrogation, dialogisme, pro-
sopopée. Pour l'Erasme de l'Ecclesiastes, pour le Louis de Grenade de
!'Ecclesiastica rhetorica, l'art de rendre présentes les choses absentes,
cette puissance prestigiatrix des rhéteurs se justifiait par le souci de
maintenir vivant et présent le souvenir de l'Histoire Sainte. C'est encore
le cas pour saint Ignace dans les Exercices et pour le P. Nadal dans ses
Méditations sur l'Evangile. Avec le P. Richeome, appliqué à la variété
des spectacles de la Nature et de l'Art, cet art d'imiter, de rivaliser de
présence et de relief avec les choses et les êtres sensibles tend à devenir
une fin en soi, parfaitement accordée à la curiosité insatiable des « spec-
tateurs» de Cour. Le passage au sens mystique des «merveilles» de
Nature et d'Art devient un rite, voire un alibi. Restent la fascination
pour le monde sensible, pour ses aspects étranges, surprenants et l'orgueil
de fabriquer des simulacres qui rivalisent avec lui victorieusement. Imiter
la Nature, pour les jésuites, c'est prouver que leur éloquence est cap:lble
de se Sllb~litu(:r à elIe.
La technique du «miroir », du « tableau », de la "peinture parlante»
est empruntée aux orateurs, romanciers et apologistes de la Seconde
Sophistique. La stratégie psychagogique qu'e\le est chargée d'illustrer
et qui gouverne le «montage» de ces images animées, épouse en la
retournant de l'intérieur vers l'extérieur, celIe des Exercices Spirituels.
L'autopersuasion des Exercices s'adresse à la volonté par la médiation
de l'imagination, maîtresse des passions, e\les-mêmes déterminant le
vouloir. Fabriquer pour les « sens intérieurs », animer de couleur, saveur,
odeur et doter de parole des spectacles sacrés dont la prégnance rivalise
victorieusement avec le souvenir des spectacles naturels et mondains,
attacher les passions et la volonté à ces spectacles plus vrais que nature,
bien qu'ils IJi rmpruntent ses blandices: te\le est la «rhétorique des
peintures)' de saint Ignace. Projetée sur l'écran intérieur. la geste du
Christ-Chevalier dérobe aux vaines apparences leur pouvair de fasci-
nation et leur vraisemblance: la phantasia-memoria qui, chez l'homme
naturel, attache la volonté à l'image des faux biens et aux illusions
RHÉTORIQUE ET SPIRlnJALlTÉ 679
mondaines, devient le lieu d'une conversion des images au profit de
l'invisible et attire à la fois les sens, les passions, la volonté à l'Imitatio
Christi.
Retournée en apologétique pour la foule, cette stratégie autopersua-
sive est ~usceptible de variations et d'amplifications qui en atténuent le
goût âpre d'arrachement. La vie des saints, la vie des héros, par méta-
phore et raisonnement a fortiori peuvent tenir lieu de la Vita Christi.
Un degré encore dans l'adoucissement, et l'exemplaire fait place à l'hym-
nique du Coeli enarrant gloriam Dei: l'exercice de l'ekphrasis peut alors,
d'amplification en amplification, s'appliquer à la Nature entière, reflet
dans ce miroir de « Vérité ou de vanité », révélant tour à tour le mensonge
des merveilles et les vérités merveilleuses qu'elles dissimulent. La des-
cription en relief, en couleur, en mouvement, dialoguée, théâtralisée,
n'exalte en principe le monde sensible que pour mieux le dissoudre et
revêtir de ses dépouilles son Rédempteur. Elle ne fait appel à l'imagina-
tion que pour mieux rendre imaginable l'inimaginable et vraisemblable
l'invraisemblable. A force pourtant de faire douter du témoignage des
sens, tout en faisant appel à lui pour faire croire à ce qui lui échappe,
l'ingénieuse" rhétorique des peintures» s'expose à corrompre le sens du
réel aussi bien que le sens du spirituel dans une même flottante féérie.
Saint Ignace, gentilhomme {( ignorant », était passé brusquement du
roman de chevalerie à la Vita Christi de Ludolphe le Chartreux. La
tentation de ses disciples, en milieu de Cour, fut de ramener la Vita
Christi vers le roman, le conte de fées, et la magie de l'imaginaire.
Le chef-d'œuvre de cette rhétorique dévote n'est pas français. Il faut
le demander au grand poète jésuite anglais Richard Crashaw. Dans un
poème intitulé Bulla, celui-ci évoque sur la surface irisée et changeante
d'une bulle toutes les séductions luxueuses et sensuelles du Palais
d'A\cine ou des Jardins d'Armide, tous les émerveillements dont l'ima-
gination des Cours du Moyen Age et de la Renaissance a paré le
monde: la pointe finale crève la bulle et révèle le nihil des choses
terrestres. Réussit-elle à effacer le prodigieux éloge du monde des sens
qui l'a précédée, tout lyrique de nostalgie? Courtisée pour lui faire
avouer le néant de ses faux trésors et l'inviter à en vêtir le Rédempteur,
l'imagination mondaine n'est-elle pas tentée de s'enivrer du pouvoir qui
lui est confié d'annuler ou de vivifier à son gré le visible et l'invisible?

7. A propos de cette alliance entre la technique antique de l'ekphrasis


et la psychagogie des Exercices, nous avons parlé de sophistique sacrée.
De fait, la question de la vérité est étrangère à la « rhétorique des pein-
tures ». Il ne s'agit pas de trouver Dieu, mais d'y croire, ni de connaître
la vérité de la religion, par la raison ou par le cœur, mais d'y ajouter
foi. Le sens du réel et de l'irréel, de la présence ou de l'absence, du
visible ou de l'invisible, du vraisemblable ou de l'invraisemblable, et
non le sens du vrai ou du faux, tel est l'ordre à l'intérieur duquel
œuvrent les Jésuites rhéteurs. Ils font passer aux choses de la foi l'indice
de réalité que les habitudes coupables ont attachées aux apparences
mondaines. La «rhétorique des peintures ~ est aussi une rhétorique
680 LES DEUX RHÉTORIQUES

de la métaphore, de la translatio: dérobée au <1: monde », l'évidence


sensible est transférée à la Présence réelle.
Le «sens mystique» découvert dans les «peintures », «tableaux H,
« emblèmes », c hiéroglyphes », «exemples », «portraits» n'est qu'un
gigantesque virement métaphorique qui enrichit le spirituel et le rend
sensible, palpable, admirable aux yeux et aux sens intérieurs. L'effi-
cacité de la méthode est patente. Ses risques ne le sont pas moins:
le pivot de l'opération est en effet le monde phénoménal et il ne saurait
manquer à la longue de demander le prix de sa médiation.
La question de la vérité n'est pas du ressort des Jésuites rhéteurs.
La division du travail dans l'Ordre réserve le soin de prouver le vrai
et réfuter le faux aux spécialistes, controversistes, érudits, théologiens.
Dans la prédication comme dans les Exercices, on n'a point affaire à une
critique de la doxa mondaine, mais à sa reprise au service de la foi.
Les libertins érudits, tels Naudé, croiront qu'il n'est pas possible d'établir
une vérité ni en politique, ni en morale: le mieux est de dissimuler ce
secret en fortifiant, par tous les artifices de l'éloquence démonstrative,
les vraisemblances acquises que la coutume a consolidées. On a souvent
l'impression que les Jésuites sont à la frontière d'un tel « déniaisement »
ou d'une telle angoisse: les moindres parcelles de croyance, de vrai-
semblance, d'adhésion à un «réel », même fictif, ne doivent pas être
sacrifiées, mais sauvées précieusement pour grossir le <1: peu de foi»
dont les hommes sont encore capables.

8. Technicien des images, le Jésuite rhéteur ne fait fonds ni sur


l'inspiration, ni sur l'érudition, au sens que ce mot revêt dans la Répu-
blique des Lettres.
Pour minimiser l'inspiration, les rhétoriques jésuites sont à peu près
unanimes, du P. Reggio au P. Pelletier, du P. Strada au P. Caussin.
Par ce trait, elles se distinguent nettement des rhétoriques directement
dérivées du De Doctrina Christiana comme celles de Louis de Grenade
et de Jean Botero. Non que les Jésuites ignorent l'enthousiasme, le feu,
la passion héroïque: mais ils font appel pour ce dynamisme à la magna-
nimité naturelle, convoquées à l'émulation par de grands exemples. Ils
ne mettent pas au principe de l'éloquence sacrée un élan du cœur ins-
piré par la Grâce. La thèse du P. Nadal semble chez eux devenue très
vite topique: l'inspiration divine directe fuI le privilège des apôtres,
architectes de l'Eglise: celle-ci une fois édifiée et établie dépositaire de
la foi, c'est à l'éloquence humaine, soutenue par les techniques rhéto-
riques et la grandeur d'âme, de transmettre, diffuser, et faire triompher
aux limites du monde la foi dans ce dépôt sacré.
Lorsqu'un Caussin parle de «Génie », qui l'emporterait sur «l'Arti-
fice", il ne veut nullement laisser entendre que l'enthousiasme du vrai
a fait disparaître de son style les artifices de rhéteurs, thèse courante
à l'époque dans la mouvance de l'humanisme érudit gallican, par exemple
chez un Goulu. Le « Génie" du P. Caussin n'est autre que son tempé-
rament, la nuance propre qui le caractérise dans la variété des ingenia
LA RHÉTORIQUE DES e PEINl'URES » 681

humains, et qui le rend naturellement éloquent. Ce n'est pas cette e capa-


cité de tirer le vray)) dont parle Montaigne, mais le don de se faire
croire. Sa belle nature d'orateur, sa «magnanimité» lui confèrent,
au service de l'Eglise et de la foi, un empire dédaigneux des artifices
subalternes (le e choix des mots 'f, la «suavité»), mais non des plus
puissantes figures de pensée.
La place que tient la e peinture parlante:. dans l'e audiovisuel» jé-
suite du XVIIe siècle est tenue dans le grand style démonstratif des magis-
trats du XVI· siècle et encore du XVII" siècle par la citation d'autorité: la
sententia. Ce grand style érudit est un style écrit qui ne se prête à
aucune déclamation, qui ne s'adresse ni à l'imagination, ni aux passions,
ni aux sens. Il procède de e sentence» en e sentence », autrement dit de
jugement de vérité, rendu par une autorité antique, philosophique, théo-
logique ou poétique, à un autre qui le confirme ou le complète. De ces
sentences rapprochées et glosées jaillit l'éloge du Juge et du jugement
de vérité e en soi:.. Cette éloquence philosophique célèbre son propre
principe: elle convoque les autorités les plus diverses pour témoigner de
leur convergence et de l'unité du Vrai, pour rendre hommage à l'acte
par lequel l'homme - image de Dieu - est rendu capable du Vrai.
La «rhétorique des peintures» se contente de faire allusion à l'Un
par ses réfractions dans le multiple, au Vrai par ses reflets dans le
monde des vraisemblances. La e rhétorique des citations» cèlèbre, dans
la concordance des sentences rendues par les sages, les poètes, les pro-
phètes et les apôtres, l'Unité du Vrai, et la possibilité de réconcilier les
esprits autour de lui..
Les rhéteurs jésuites du XVIIe siècle, jusqu'à Denis Petau et François
Vavasseur, ignorent le style simple. Celui-ci, sous la forme du Tullianus
stylus de la Renaissance, adapté aux besoins de la communication
savante, n'avait cessé d'être pratiqué sous la République des Lettres
gallicanes. Denis Lambin en donne la définition sous son Oralio de
1568. La discipline de la poésie néo-latine pratiquée par les doctes,
l'enseignement au Collège Royal maintiennent - parallèlement à l'atti-
cisme rugueux de la «rhétorique des citations» - les germes d'une
renaissance cicéronienne en France.
Il est significatif qu'un aussi grand érudit que le P. de Cressolles,
en matière de rhétorique antique, n'ait jamais été ni orateur ni prédi-
cateur, pas plus que le P. Petau. Les jésuites rhéteurs entendent l'érudi-
tion non au sens des « sçavans» (remontée vers l'Antiquité, le séjour du
Logos), mais au sens des orateurs: memoria, topique génératrice de
discours. Ils connaissent les «lieux» de la mémoire de leur auditoire
(François Ogier reprochera à Garasse de connaître trop bien Rabelais,
Régnier, et Théophile) et ils meublent la leur par surcroît de "lieux"
susceptibles d'ajouter des effets de surprise aux effets de reconnaissance.
Instrumentalisées, la littérature comme l'Encyclopédie du XVI. siècle,
l'une pour flatter les habitudes, l'autre pour étonner le public mondain,
deviennent l'une un recueil de mots et de formules, l'autre un cabinet de
curiosités qui rendent le style «précieux» et «subtil".
682 LES DEUX RHÉTORIQUES

La logique de la «rhétorique des peintures,. va vers le dédain du


style simple, et à la fusion du style moyen et du grand style dans un
genus demonstrativum protéen. Pas un instant de repos: tout est envi-
sagé dans l'optique grossissante de l'éloge et de la vitupération, avec
appel fréquent aux figures d'hyperbole et de raillerie. C'est une rhéto-
rique de l'amplification universelIe, que son propre développement ne
cesse d'enrichir, du P. Richeome au P. Le Moyne, du P. Caussin au
P. PelIetier. L'hésitation du P. Caussin à faire la théorie de la prédication
moderne est abolie dans le Palatium Reginae Eloquentiae du P. PelIetier.
L'asianisme de la chaire reflue jusque dans la rhétorique scolaire et
dans la pédagogie, affaiblissant le principe de judicium que devait garan-
tir en principe l'exemple cicéronien.
Contemporaine du Palatium et témoin de la même évolution, l'Imago
Primi saeculi Societatis Jesu publiée à Anvers en 1640, pour fêter le
centenaire de l'Ordre, résume en latin l'expérience oratoire et poétique
des Jésuites du Nord. Cet in-folio illustré visait sans nul doute à se
poser lui-même en traité de rhétorique par l'exemple, prêt à l'imitatio
adulta. ,Les Tableaux de Platte Peinture de la Compagnie en quelque
sorte.
Œuvre cOIlective, l'Imago illustre par la diversité des talents que sa
mise en œuvre suppose la doctrine de la varie tas ingeniorum. Anthologie
de tous les genres de la poésie et de l'éloquence latines, mais traités à
la moderne, en tenant compte de la littérature lyrique, épique, roma-
nesque, éclose en Europe depuis la Renaissance, elIe n'illustre pas moins
la doctrine de la multiplex imitatio. On mesure, en étudiant ce livre
étrange, quel crédit les Jésuites d'alors ont fait aux arts et entre autres
aux arts littéraires, pour prêter à la foi leur capacité de se faire croire.
C'est l'apothéose, dans la langue noble entre toutes - le latin -, de
la « rhétorique catholique des peintures» : ce livre-théâtre (qui est aussi
un livre-galerie superbement illustré) réunit en une sorte de tragédie-
mystère en cinq actes une suite de «tableaux» historiques, d'« exem-
pIes» héroïques, de gestes épiques, entremêlés d'entrées alIégoriques et
emblématiques où l'art de l'éloge prend appui sur les «objets de curio-
sité» et, entre autres, sur les miroirs. L'histoire de la Société régénéra-
trice de l'Eglise, stylisée et éternisée en cette dramaturgie, devient à la
fois une réactualisation coIlective de la Vita Christi, une épopée cheva-
leresque à la manière de la Jérusalem Délivrée, une histoire ecclésiastique,
pathétique et édifiante, à la manière des Annales de Baronius, et un
roman pastoral dévot à la façon de l'Arcadie de Sannazar. Si tous les
genres littéraires sont convoqués en l'honneur de la Société qui détient
l'art de faire croire, tous les pouvoirs du style moyen et du grand style
sont déployés pour faire monter vers cette Reine Eloquence à l'œuvre
dans l'histoire un hymne de louanges et faire tomber sur ses adversaires
les tonnerres de l'exécration et du mépris.
En dépit des fréquentes références au Ps. Longin dans les traités du
P. Caussin et du P. de CressolIes, les rhéteurs jésuites identifient le
sublime à ce qu'ils entendent eux-mêmes par grand style. Or, le sublime
L'ATIICISME JÉSUITE 683
exclut l'amplification, il est le plus court chemin de la vérité perçue
par l'orateur à la vérité reconnue par l'auditeur. La rhétorique de l'ima-
gination et de la variété ignore le style simple: elle n'est pas moins
étrangère au sublime, le grand style de l'atticisme.
Celui-ci préfère se tourner vers la lumière de l'Age d'or que de
s'attarder dans les couleurs d'automne et de crépuscule inquiet de l'Age
d'argent, à plus forte raison dans le clignotement des lumières artifi-
cielles qui tentent de masquer aux temps modernes leur nuit. Le style
jésuite de l'éloge se risque bravement parmi les couleurs et les lumières
artificielles qu'il espère convertir: son emblème est l'Arc-en-Ciel, le Paon
ou Argus aux cent yeux réfléchis dans un miroir à facettes. Tentative
héroïque de retourner contre lui-même ce qu'on est bien tenté d'appeler,
en dépit de l'anachronisme, le music-hall des Cours d'alors. Ce qu'il
y a d'angoisse, de remords, voire de secret scepticisme derrière cette
tentative, nul ne nous le fait mieux entendre que le pauvre P. Josset :
pour lui, l'hommage rendu à l'Un à travers l'éparpillement scintillant
du multiple n'est pas enthousiasme, mais épreuve douloureuse de l'âme
fervente, contrainte, dans un monde envahi par la nuit, de n'atteindre
à la Lumière qu'à travers la souffrance des couleurs.

9. L'étonnante « autocritique» publiée en 1644 par le P. Vavasseur,


dans son Oralio de vetere genere dicendi relinenda suit à un an de
distance le t. II des Peintures Morales du P. Le Moyne, qui à bien des
égards, sont le chef-d'œuvre français de la «rhétorique des peintures ».
Pour avoir reçu le nihil obstat de ses supérieurs, le P. Vavasseur a dû
faire valoir autre chose que sa conviction intime: l'intérêt supérieur de
l'Ordre en France. Déjà, dans la préface de son t. II, le P. Le Moyne
apparaît sur la défensive. Son livre a dû faire l'objet, dans plus d'un
cercle de la capitale, de critiques acerbes de la part des amis de Port-
Royal.
De 1604 à 1642, la face de la Cour de France a changé. Ce n'est plus
un agrégat de petites COUrs féodales, nids de comploteurs et de bretteurs
qui n'ont pour toute culture que romans d'aventure et d'amour. Sous la
férule de Richelieu, la Cour de France est devenue celle du Roi et son
Ministre, tous deux fort jaloux de la Majesté de la Couronne. Sur le
« langage de Cour» veille - pédagogue officiel - l'Académie. Sur les
spectacles, les lectures et les plaisirs de Cour veille le Cardinal en
personne, aidé d'hommes de lettres humanistes. De tous les Hôtels aris-
tocratiques qui brillaient au temps de Concini et de Luynes, et dont les
maîtres sont aux ordres du Cardinal ou en exil, seul triomphe l'Hôtel
de Rambouillet où Chapelain apporte la caution académique et officielle.
Tous les éléments d'une pédagogie de la noblesse de Cour sont en
place. L'exil de l'auteur de la Cour Sainte en 1637 prend valeur de
symbole. La pédagogie de la noblesse n'est plus désormais abandonnée
aux Jésuites, elle est inspirée par Richelieu et par ses collaborateurs
issus de la Robe gallicane. C'est cette volonté pédagogique qui donne
tout son sens à la réhabilitation officielle du c classique» par excellence,
Cicéron .. A travers la traduction des Huit oraisons par Olivier Patru
684 LES DEUX RHÉTORIQUES

et ses amis, il devient le modèle de la prose française écrite. A travers


l'influence de l'Hôtel de Rambouillet, c'est une version «cicéronienne»
de l'urbanité des mœurs et du style dans la tradition des Cours
humanistes de la Renaissance italienne, qui s'impose à la sanior pars
de la noblesse de Cour.
Par ailleurs, la République des Lettres gallicane, qui avait semblé
sur la défensive de 1604 à 1630, a retrouvé une vigueur et un pouvoi r
de rayonnement remarquables. Sans doute - et les Jésuites y sont malgré
eux pour beaucoup - la vieille Encyclopédie du XVIe siècle est ébranlée.
Mais dans ses failles et ses brèches, des germinations puissantes fusent
en tous sens. Les conférences du Bureau d'adresse, les cercles nombreux
à vocation littéraire ou scientifique, les débats publics autour des ques-
tions 'jusque là réservées aux « sçavans» ont élevé le niveau de culture
à la Cour comme à la Ville.
Descartes prend soin en 1637 de faire appel aux «ignorans », dont
la mémoire est moins chargée et prévenue, pour faire triompher sa
méthode de la résistance des érudits. Arnauld lui aussi, en 1643, avec la
Fréquente Communion, fait les « ignorans» juges du différend qui s'est
élevé entre Jésuites et augustiniens sur la contrition. Traitée en enfant
par les prédicateurs et apologistes jésuites, la sanior pars de la Cour
et de la bourgeoisie cultivée est flattée qu'on la juge digne de trancher
les grands débats intellectuels de l'époque. Elle a évidemment tendance
à se rallier à ceux qui lui font l'honneur de la traiter en adulte. Sans
faire de concessions à la vulgarisation, sinon par l'adoption d'un style
simple, clair, pur de vocabulaire technique, la science gallicane, vivace,
rajeunie, regagne le terrain que les Jésuites avaient cru lui dérober auprès
du public français.
Parmi ces débats soumis au grand public la longue - et à tant
d'égards, exemplaire - querelle autour des Lettres de Balzac, parache-
vant ce qu'avait commencé la querelle autour de la poétique de Malherbe,
a tourné au profit des « bons François ». Si longtemps dominée par l'ita-
lianisme, la mode de Cour s'attache désormais à la «pureté» de la
langue française, allant au devant des vœux de Richelieu qui a besoin,
pour le service et le prestige de l'Etat, d'une langue royale. Balzac
lui-même sort transformé de la Querelle qui lui est faite, comme Corneille
sortira transformé de la Querelle du Cid: parti de positions éclectiques
et d'un goût complaisant pour les deux « manières» modernes, asianiste
et atticiste, fleurie et pointue, il se rallie dans les années 30 à un idéal
attique qui s'identifie désormais à l'orgueil d'une nation héritière de
la Rome d'Auguste et de celle de Léon X, Il acquiert l'autorité, à la
Bembo ou à la Strada, d'un véritable magistrat de l'optimus stylus en
langue française. Reconnu le «Cicéron» de Chapelain-Atticus, reçu à
l'Hôtel de Thou, il devient une sorte d'ambassadeur de la République
des Lettres auprès du «monde:&.
Dans toute cette affaire, qui s'est déroulée entre «François», les
Jésuit~~,représentant en France un style international, n'ont joué qu'un
rôle maladroit et embarrassé.
CICÉRON ROMAIN ET PARISIEN 685

Il n'était donc que temps, en 1644, de se rallier à une mode dont les
puissantes assises pouvaient laisser croire qu'elle serait, celle-ci, durable.
Le P. VavasseUl y est d'autant plus à l'aise qu'il peut se réclamer des
autorités romaines de sa Société. Au Collège Romain en effet, depuis
la fin du XVIe siècle, les professeurs de rhétorique maintenaient, au-
dessus des tendances «baroques» inévitables des diverses Assistances
nationales, une norme cicéronienne latine plus exigeante et plus fidèle
aux traditions de la Haute Renaissance. Ils combattaient en Italie - et
dans leurs propres rangs - les tendances asianistes et sénéquisantes.
Proches du Saint-Siège, ils se donnaient ainsi le mérite d'héritiers de
Bembo et de Sadolet. Cet art néo-latin, dont les modèles se voulaient
classiques, avait pour initiateur un humaniste français: Marc Antoine
M.uret. Et il n'avait jamais cessé d'avoir son homologue en France, chez
les poètes néo-latins, chez les professeurs du Collège Royal. La réforme
oratoire de Guillaume Du Vair, d'inspiration cicéronienne, lui avait con-
féré un pre~tige nouveau dans la République des Lettres gallicanes.
Entre le cicéronianisme des Jésuites romains et le cicéronianisme que
l'humanisme gallican oppose sous Richelieu aux désordres de la Cour,
comment les Jésuites français n'avaient-ils pas plus tôt été les média-
teurs?
Le P. Vavasseur prend donc soin de renverser l'idole de l'imitatio
adulta et de rendre à Cicéron le rôle central de maître du judicium et
surtout du judicium adulte .• Il critique avec une ironie sans réplique
l'envahissement de toute l'éloquence jésuite par le genus demonsfrativum
et le style surchargé, flottant entre le moyen et le grand, qui la carac-
térise; il donne une belle définition de l'atticisme cicéronien, un style
simple, clair, élégant dont l'unité de ton révèle - à elle seule - la
personnalité vigoureuse de celui qui écrit; c'est ce style simple et naturel
qui doit servir de point de départ au genus sublime, qui se reconnaîtra
moins à la surcharge de l'ornement qu'à son accord naturel avec la
majesté du sujet traité.
L'effet sur les régents des nombreux collèges de l'Assistance de
France est difficile à mesurer. On peut toutefois, d'après l'exemple de
la Rhetorica versifiée du P. Josset, en 1650, induire que l'imitatio adulta
et l'exemple de Upse furent longs à s'effacer de la pratique pédagogique
jèsuite.

2. ESSOR, DÉCLIN ET TRANSFIGURATION


DE LA «RHÉTORIQUE DES CITATIONS»

1. La rhétorique jésuite des peintures, en cela exemplaire de la


rhétorique ecclésiastique, est par essence orale. C'est une rhétorique de
prédicateurs qui, par surcroît, ont été ou sont des professeurs de rhé-
torique, fort versés dans les techniques des écoles de rhéteurs antiques.
686 LES DEUX RHÉTORIQUES

L'institution-mère de l'humanisme gallican, les Parlements, n'a que


méfiance envers l'éloquence orale. Les magistrats qui y rendent la justice
accordent plus de crédit au texte de loi, à la pièce justificative, au
témoignage écrit, qu'à la «bourre» orale que l'avocat est tenté d'ajouter
à ces éléments de preuve. L'apprentissage du Palais prépare les juristes
royaux à l'administration de la chose publique: entre l'office des « Gens
du Roi» et les affaires de l'Etat, comme on peut le voir dans les
Mémoires du Procureur Général Mathieu Molé 1, les ponts étaient nom-
breux ; et l'ort peut y voir aussi à quelle discipline du «mémoire », de
la « relation », de la recherche du précédent dans les archives, est natu-
rellement plié un magistrat érudit. Le meilleur ami de Mathieu Molé est
Pierre Dupuy, lui aussi de Grande Robe: il l'a fait nommer Garde du
Trésor des Chartes et charger avec Th. Godefroy de la réorganisation
de la ({ mémoire» de l'Etat. Du Palais de Justice ou du Palais Royal,
à sa « librairie» privée, le magistrat transporte cet habitus professionnel
qui, en retour, est fécondé par la recherche philologique. L'établissement
du texte, le jugement critique qui fait le partage entre les différentes
leçons, la confrontation éventuelle entre la leçon des manuscrits et la
leçon des faits, transposent dans l'ordre de l'érudition le «stile» de
procédure du Juge et de l'homme d'Etat. Archivistique, jurisprudence et
philologie: le Père de l'humanisme français fut un grand juriste, mais
il fut aussi le Maître de la Librairie de François 1er ; et son frère Dreux
fut le Garde du Trésor des Chartes. Ecrivain de génie, Guillaume Budé
n'était pas un orateur : Louis Le Roy nous le décrit même avare de ses
paroles. Ses modèles étaient attiques: Thucydide, les Tragiques.
Etendant à l'Encyclopédie ses habitudes professionnelles fécondées
par les leçons de la philologie italienne, l'humanisme érudit gallican s'est
avant tout voulu li: retour aux sources» écrites du Droit romain, des
Antiquités nationales, des Antiquités ecclésiastiques, de la prisca theologia
gréco-romaine, de la foi chrétienne. Son encyclopédie n'est pas, comme
l'Encyclopédie jésuite, un bilan du savoir moderne finalisé selon les
intérêts de l'Eglise tridentine, mais une recherche critique de la vérité
à travers les textes oubliés, falsifiés, mal interprétés, qui en portent
témoignage. La question de la vérité est au cœur de la philologie galli-
cane du XVIe siècle., Sa vigueur critique suppose moins le goût de détruire
que la passion de retrouver: elle est le revers de l'enthousiasme pour la
grande lumière de l'Antiquité, naturelle et chrétienne, à la fois déposi-
taire et pierre' de touche de la vérité. L'érudition est aussi poésie, au sens
de Pindare et d'Homère, poètes-théologiens: elle restitue au Verbe sa
pureté originelle, sa vigueur fécondante et rédemptrice. Elle ne peut
qu'être impitoyable et tranchante envers les faussaires et les prévarica-
teurs de la Parole.

2. Dans une page d'apparence sévère pour ses anciens collègues


du Palais, Montaigne écrit :

1 Voir Mathieu Molé, Mémoires, éd. cit.


RH~TORIQUE ET c SÇAVOIR ~ CRITIQUE 687

Il Y a aucuns de nos Parlements, Quand ils ont à recevoir des officiers,


qui les examinent seulement sur la science, les autres y adjoutent encores
l'essay du sens, en leur présentant le jugement de quelque cause. Ceux-ci
me semblent avoir un beaucoup meilleur stile; et encores que ces deux
pieces soient nécessaires, et qu'il faille qu'elles s'y trouvent toutes deux
si est-ce qu'à la vérité celle du sçavoir est moins prisable que celle du
jugement. Cette-cy se peut passer de l'autre, et non l'autre cette-cy 2.

En fait, ce primat du « jugement », mais étroitement lié à la « science»


est consubstantiel à l'humanisme des magistrats érudits. Ici encore,
l'habitus professionnel s'épanouit en conscience philosophique. Rendre
un jugement suppose sans doute que l'on connaisse la législation et la
jurisprudence qui s'applique au cas, Mais cela implique aussi, devant la
particularité du cas et l'information une fois faite, un acte libre et sou-
verain. Les Remonstrances du XVIe siècle développent une véritable spiri-
tualité de cet acte à Ja fois inspiré et libre, libre parce qu'inspiré. A
l'origine du Verbe de justice (verbe écrit), elles célèbrent un jugement
intérieur de vérité. La science juridique diminue les chances d'erreur j
seul, le jugement décide de la vérité. L'Oraison profère une sentence que
la raison, qui est aussi enthousiasme, illumination divine, a formée dans
le silence des passions et de l'imagination.
La rhétorique gallicane s'appuie sur une ascèse savante et sur une
mystique de la connaissance. Elle est, dans ses racines profondes, une
rhétorique philosophique, d'accent fortement platonicien, Rhétorique d'une
élite de « sçavans" qui sont aussi des juges et des magistrats respon-
sables, vicaires du Roi et de Dieu.
Le Dr Huarte faisait de l'imagination la faculté maîtresse des rhé-
teurs. Et de la sévère «bile noire» le tempérament des philosophes et
des théologiens. La rhétorique des jésuites, qui s'efforcera d'absorber
et de remplacer la rhétorique gallicane fait de la mémoire-imagination
sa faculté maîtresse. Les magistrats érudits, dans leur sanior pars, font
du jugement leur faculté maîtresse, soutenue par la mémoire-réminis-
cence. Leur style ne saurait être que sévère.

3 .. Le grand style démonstratif des magistrats du XVIe siècle pourra


se défraîchir, vieillir, disparaître: l'esprit qui avait présidé à sa nais-
sance saura trouver d'autres formes pour se manifester.
Vers 1580-1590, dans la décennie tragique qui précéda le traité De
l'Eloquence de Du Vair, la «rhétorique des citations» entre en déca-
dence. Chez un Barnabé Brisson, elle tente d'accroître ses pouvoirs par
une sorte d'amplification ostentatoire qui est la contrepartie savante de
la «rhétorique des peintures» dont l'ami de Brisson, Vigenère, se fait
l'introducteur en France avec sa traduction de Philostrate.
Ce qui n'est qu'en germe chez Brisson trouve son développement
ultime chez juste Lipse : la rhétorique des citations se transfigure chez

2 Montaigne, éd. cit., l, 25, p. 171.


688 LES DEUX RHÉTORIQUES

lui, à travers l'imitation de Sénèque, en une manière à la fois ingénieuse


et savante, oraculaire, obscure, saccadée. La formule latine de l'atticisme
sénéquien est trouvée.
A première vue, c'est à la même tendance qu'appartient Montaigne.
Lui aussi relève de la rhétorique savante des citations et cherche à la
faire évoluer. Lui aussi ne veut plus se contenter d'être comme ses
collègues du Palais, un médiateur impersonnel entre l'Antiquité, dépo-
sitaire du Logos originel, et un public savant. Il a, au plus haut degré,
conscience de son ingenium personnel. Mais il joue sur deux langues,
alors que Lipse ne peut jouer qu'entre deux états - classique et tardif -
de la langue latine. Si les citations latines balisent, dans les Essais, une
quête de la vérité, c'est seulement en contrepoint d'une invention en
langue vulgaire qui prétend puiser ses « conceptions» directement à
travers un ingenium moderne, aux sources de « nostre mere Nature ».
La vérité que recherche Montaigne n'est plus celle, métaphysique et
juridique, du Juge-Législateur, mais celle de l'homme-Protée, telle que
la protéique Nature le lui révèle à travers son propre moi-Protée. A la
découverte de cette vérité fuyante concourent, comme chez les savants
de la République des Lettres, inspiration et érudition. Mais l'une se veut
toute naturelle et l'autre n'intervient que comme confirmation de la pre-
mière: à la différence de ce qui se passait dans les Remonstrances
ou chez Lipse, le témoignage des Anciens chez Montaigne n'a pas valeur
de preuve supérieure à celle des voyageurs niodernes ou à celle de
l'auteur, observateur de soi-même et du monde. Aussi le style de Mon-
taigne n'obéit-il pas, comme celui de Lipse, à une manière uniforme, toute
tendue à faire croire que les « sail!ies» de l'ingenium coïncident toujours
avec les « oracles» de l'Antiquité. « Libre », se laissant conduire par un
ingenium démonique, le style de Montaigne est fidèle au protéisme qu'il
veut manifester: tantôt comique, tantôt sublime, tantôt sententieux, tantôt
périodique, tantôt éloquent, tantôt dialoguant, il réussit pourtant à faire
triompher une unité de ton, et à imposer la présence constante d'une
identité personnelle vigoureuse. C'est la leçon la plus précieuse que
l'anti-cicéronien Montaigne lègue à l'atticisme classique, au point que
même le P. Vavasseur se croira tenu de la faire figurer dans la définition
qu'il donne de l'optimus stylus: le primat de l'inspiration personnelle,
de l'identité individuelle pleinement développée par l'expérience et l'édu-
cation libérale. Mais l'atticisme classique ne croira pas nuire à cette
fraîcheur d'inspiration en renonçant à la « liberté solitaire» de Mon-
taigne : il la fera passer au filtre de la sociabilité civilisée, du decorum.
Pour concilier l'une et l'autre exigences il fera appel au naturel et à
l'élégance.
Dans une première étape, ce sens social de l'incarnation de la parole
et les valeurs d'ordre et de clarté qu'elle suppose, auront été réhabilitées
en langue française, sur le mode civique, par Guillaume Du Vair.

4. L'immense mérite de Du Vair, qu'il partage avec Marc-Antoine


Muret, l'un pour la prose française, l'autre pour la prose néo-latine, fut
de participer au grand mouvement du sénéquisme chrétien, sans se croire
« DOCE RE » ET «MOVERE» 689
tenu de prendre Sénèque pour le modèle du meilleur style. Plus exacte-
ment, l'un et l'autre ont su distinguer chez Sénèque la définition du style
philosophique, la polémique contre la corruption morale de l'éloquence,
et ce que sa pratique stylistique doit aux sententiae, divisiones, colores
des déclamateurs de son temps, répertoriés par son père, le «Rhéteur
d'Espagne ». Muret a rendu possible une transition sans rupture entre
le Tullianus stylus de la Haute Renaissance et le cicéronianisme romain
du XVIIe siècle. Du Vair a rendu possible la greffe de l'éloquence en
langue française sur la tradition du style cicéronien savant pratiqué en
la tin par les lettrés gallicans.
Soucieux de donner «corps» au Logos célébré doctement par ses
prédécesseurs, et de lui conférer une efficacité civique, Du Vair se tourne
vers le De Dratore, et la manière orale de Cicéron plutôt que vers le
style tendu et trop écrit de Sénèque. Pour la première fois depuis le
Cicerol/ianus de Ramus, l'exemple de Cicéron, tenu par les avocats géné-
raux érudits à l'écart de l'éloquence des avocats, comme de la leur propre.
est donné en modèle, avec celle de Démosthène, aux magistrats français.
Pour la première fois, un haut magistrat recommande à ses collègues une
éloquence orale, capable d'imposer leur autorité d'homme responsable
aux passions d'une foule. Cela exige, plus encore que l'essai solitaire
de Montaigne, une incarnation et une intériorisation du savoir érudit,
une modification des rapports entre invention et mémoire qui retentit sur
l'élocution: les citations « méditées» sont traduites et paraphrasées dans
le fil continu d'un discours entièrement en langue vulgaire. Du Vair pense
à l'effet à produire sur la «foule ignorante" que le pathétisme des
capucinades ligueuses excitait à la rébellion. Ses successeurs, les écri-
vains du XVIIe siècle, auront affaire à une « foule» différente, mais non
moins « ignorante" : celle des nobles de Cour.
Cette nécessité où se trouvait Du Vair de recourir à l'oral, voire à
l'improvisation orale, rend d'autant plus significative la résistance oppo-
sèe par ce magistrat français à toutes les facilités de la parole publique.
De l'auteur du De Dratore, qu'il associe d'ailleurs toujours à l'attique
Démosthène, Du Vair veut ignorer l'abondance, le pathos, l'ornatus de
tendance asianiste. \1 fait fonds avant tout sur sa doctrine d'alliance
entre la philosophie et l'éloquence, si souvent rappelée par Marc Antoine
Muret. \1 s'en tient à l'idéal de l'Orateur-Magistrat, « acteur de la vérité ».
\1 n'envisage pas de plaire ni de bouleverser, mais de convaincre et
d'émouvoir au nom de ce qu'il tient pour vrai. Une conviction formée par
une raison éclairèe, soutenue par des passions généreuses, et la force
des arguments présentés avec art, mais sobrement, tels sont les orne-
ments de son éloquence. Pour lui, l'éloquence civique s'articule autour
d'un jugement de vérité, elle tire de lui son ardeur, sa vigueur et son
équilibre harmonieux. De la part de l'orateur, cela suppose une véritable
ascèse, à la fois morale, intellectuelle et esthétique, de la vérité.
Artiste et philosophe, Du Vair retient de Cicéron son côté attique,
et le principe de l'apium si bien mis en lumière dans le De Draiore :
la beauté est fonction de la vérité qu'elle a charge de rendre évidente.
690 LES DEUX RHÉTORIQUES

A aucun moment, Du Vair ne fait mention de la tripertita varietas, qui


avec l'imitatio adulta sera l'une des justifications de l'éclectisme jésuite.
Luttant contre la «corruption de l'éloquence,., Du Vair lit le De
Oratore à la lumière du Dialogue des Orateurs et du Traité du Sublime.
Il identifie son combat avec sa passion de « bon François li> pour la régé-
nérescence du royaume, et sa nostalgie d'humaniste pour l'Antiquité,
Age d'or de la Parole. La langue et l'éloquence françaises, clefs de voûte
de la « république », doivent prendre énergie et inspiration du côté des
« sources », et non céder au torrent du temps corrupteur et de ses aIliés :
les nOl/atores.
C'est là une des forces séminales de l'atticisme classique. Mais il
serait léger d'y voir un simple «progrès» sur la «rhétorique des cita-
tions» telle qu'elle était pratiquée par Pibrac. A bien des égards, la
pudeur de Du Vair, sa passion enthousiaste de l'Origine, sont une forme
de fidélité rigoureuse à l'inspiration philosophique et religieuse des
Remonstrances d'ouverture. Celles-ci célébraient d'un même mouvement
l'Origine nature\1e et l'Origine chrétienne, la Parole antique et le Logos
révélé. Du Vair, tourné vers la «république », rattache son éloquence
civique à celle des Républiques antiques, à la plénitude de la Parole
naturelle" Mais l'horizon de celle-ci n'en reste pas moins le Logos révélé.
On le verra mieux lorsque, en 1613, dans une de ses Remonstrances
d'Aix, le Premier Président du Parlement de Provence énoncera une
spiritualité de la parole qui s'appuie à la fois sur la doctrine philonienne
du Logos endiathetos et du Logos prophorikos et sur la doctrine augusti-
nienne du silence intérieur comme condition d'apparition de la parole
inspirée.
La «rhétorique des peintures» jésuite demande au monde sensible
les couleurs de la vraisemblance dont elle croit devoir parer le mystère
de la Rédemption. La rhétorique de Du Vair, elle, appuyée sur Cicéron
ou sur Philon, ignore ce genre de tour de force: c'est une rhétorique du
sublime. L'enthousiasme, récompense d'une ascèse érudite, signe vécu
de la rédemption des puissances du mensonge, rédime le langage de son
superflu et persuade par l'émouvante contagion de sa plénitude.
Il y a en germe chez Guillaume Du Vair, confondus encore, le Bérulle
des Grandeurs de Jésus, le Descartes des Méditations et le Balzac de la
dissertation à Costar De la grande Eloquence. Il a représenté mieux que
personne ce trait distinctif de l'aristocratie savante gallicane: le senti-
ment calme et assuré d'une élection à la vérité.
En 1627, dans son Discours sur la Parole devant le Parlement de
Paris, l'Avocat Général Jérôme Bignon réaffirmait une fois de plus, dans
le grand style des magistrats du XVIe siècle, la doctrine philonienne du
Logos, avec l'approbation entière des chefs de l'humanisme érudit gal-
lican ..
En apparence, c'est là un combat d'arrière-garde: le goût de la
Cour, l'autorité de Richelieu pèsent déjà victorieusement en faveur d'un
art d'agréer qui rend ridicule et « démodé» la rhétorique philosophique
des derniers héritiers de Pibrac et de Du Vair.
INVENTION ET ÉLOCUTION 691

5. Dans le goat de la Cour de France, sous Henri IV et Louis XIII,


il faut distinguer deux aspects que l'on a trop souvent confondus. Tous
deux irritent au souverain degré les «sçavans ". Le premier concerne
l'ornement de la conversation et de la lettre de Cour. Et là, l'orgueil et
1'« ignorance" des gens de Cour jouent nécessairement en faveur de
l'ingéniosité moderne. Celle-ci, à la Cour comme ailleurs, a un versant
asianiste: c'est la mode des «compliments" surchargés à l'italienne,
des «belles paroles dorées" qui sont le genus demonstrativum du
langage de Cour. Des recueils comme les Compliments de la langue
françoise en 1630, et Le Secrétaire à la mode, en 1644, sont un écho
de cet art de l'hyperbole de Cour. Mais l'ingenium nobiliaire a aussi sa
pente que l'on peut dire «atticiste ", au sens sententieux et sénéquisant
que ce mot prend à propos de Matthieu et de Malvezzi : c'est l'art de
« dire le mot ", de «pousser la pointe", de formuler «une belle con-
ception ». Là, le fournisseur de la Cour fut, de 1598 (Les Fleurs du
bien dire) à 1624 (dernière édition des Marguerites françoises),
François Des Rues, la source du «style Nervèze ». Les romans de ce
dernier, relayés par ceux de Puget de la Serre, ont pu d'ailleurs servir
de sylva locorum à cet art de briller en société. La «pointe» se fait
volontiers, chez les plus désinvoltes, «raillerie », dirigée de préférence
contre les «pédants» et les «bourgeois" du Palais, de l'Université et
de la République des Lettres.
La seconde tendance est plus récente: c'est la mode lancée par
Malherbe d'un delectus verbarum français. Le succès de cette mode
est certainement da au fait que l'afflux de provinciaux à la Cour, et
surtout des Barons de Faeneste gascons, poussait le "grand monde» 3,
détenteur de 1'" usage ", à cultiver sa différence et soigner sa « diction ».
Le poète-grammairien sut faire coïncider son "hypercritique" (le mot
et la chose avaient été introduits par j.C. Scaliger) avec la réaction de
défense d'une élite. L'impulsion une fois donnée, le mouvement fut ren-
forcé par les élèves des Jésuites, tels le Comte de Moret et Marolles,
accoutumés par la discipline cicéronianiste à trier leur vocabulaire, à
soigner l'euphonie et le rythme des phrases. Cette mode, lancée pourtant
par l'ami de Du Vair, a pu paraître aux «sçavans» le comble de la
frivolité, d'autant qu'elle autorisait les « ignorans» à s'improviser «hy-
percritiques» des œuvres écrites selon l'usage du Palais. Source de
cuisantes « railleries », dont Mlle de Gournay s'est faite l'écho indigné.
Pourtant, cette mode, toute limitée aux «mots ", était appelée à des
développements dont l'humanisme national sera le premier bénéficiaire.
Elle avait en effet l'avantage de rompre avec le snobisme italianisant qui
n'avait cessé de faire des progrès sous les Valois et dont Henri Estienne
fit le bilan dans son pamphlet intitulé Deux dialogues du nouveau langage
français italianizé, et autrement desguizé, principalement entre les caur-

8 Voir sur cette expression et sur le rOle de Malherbe à la Cour, deux


commentaires fort éclairants de Balzac, l'un dans la Response à deux ques-
tions, l'autre dans les Passages défendus (Œuvres diverses, Elzevier, Amster-
dam, 1665, p. 55 et 264).
692 LES DEUX RHÉTORIQUES

fizans de ce femps. Née d'une réaction contre les gasconnismes, la mode


de la «douceur» toute française ne cessera plus de jouer en faveur
de la langue royale et de l'Académie; Patru, Vaugelas ne feront sur ce
point qu'enregistrer et donner un sens officiel au travail spontané, depuis
le règne d'Henri IV, de la sanior pars de la Cour.
Mais ce souci de douceur et de pureté dans l'ordre du delecfus
verborunz n'excluait nullement, dans l'ordre de l'ornafus, les « pointes»
et les «compliments ». Ce langage privé de sources philosophiques, tout
en recherche d'élocution et en figures ornementales est au service du
« narcissisme» nobiliaire, dont les désordres moraux, la turbulence poli-
lique, et l'insolence sociale désespèrent les gens de Robe, qui feront
entendre violemment leurs griefs lors des Etats de 1614-1615 et qui ne
désarmeront pas jusqu'en 1630. Asianiste ou atticiste, la rhétorique de
l'ingenium, héritière de l'anti-cicéronianisme du XVIe siècle, justifie l'indi-
vidualisme noble et sa modernité agressive d'« ignorans ». Cette liberté
ingénieuse apparaît dès lors comme l'équivalent rhétorique du libertinage
moral et de l'incivisme politique. La préface de J de Maussac adressée
à Du Vair en 1621 nous est apparue hautement significative: l'heure est
à la règle, à la norme, à la pédagogie classique de l'éloquence, et non
à l'inspiration, à l'ingéniosité, au laxisme de l'imifafio adulfa. La seule
réplique à l'hypocrite et luxueuse, voire luxurieuse « douceur» de Cour,
c'est la véritable éloquence, celle de Cicéron, « classique ».
JI y allait de la paix civile, de nouveau menacée par les duels et les
révoltes des « ignorans» titrés. JI y allait de la survie de l'humanisme
national, menacé par l'influence délétère exercée sur le public, et jusque
sur les fils de la Robe, par une Cour irresponsable, et indigne de la
Majesté royale.

6. Le remède était connu. Mais comment l'appliquer? L'Université


est en déclin, et de toutes manières, elle n'a jamais attiré, sauf pour le
bref miracle de Dorat au Collège de Coqueret, les enfants de l'Epée. Les
Collèges des Jésuites? Sauf dans le cas du P. Petau, on est fondé à
croire que la plupart des jeunes régents, enivrés des possibilités de
l'imitafio adulfa, biaisaient avec la Ratio pour initier leurs élèves les
plus doués à la « modernité ». Le P. Delidel, le régent de P. Corneille,
en classe de poétique, fait représenter, en 1631, au Collège de Clermont,
une tragi-comédie romanesque 4 qui en dit long sur l'esprit « moderne»
de leçons qu'il dut donner au futur auteur de Clitandre. JI fallut à Balzac
rencontrer à Paris Nicolas Bourbon pour refaire avec lui ses humanités
et sa rhétorique: dans la classe du P. Garasse à Poitiers, il n'avait pas
été initié au culte de la latinité classique et de l'atticisme. Au mieux, les

4 Voir B.N. Est. série N 3 (55) le programme de cette œuvre, intitulée


Arsaces et dédiée au comte de Soissons, «agonothète» de la distribution des
prix de cette année-Ià. Rappelons qu'en 1632, Corneille écrivit pour le Comte
de Soissons le livret du ballet du Chasteau de Bisseslre. Sur les rapports entre
le P. Delidel et Corneille, nous préparons une étude à paraître dans les
Mélanges G. Coulon.
LA RHÉTORIQUE DU POUVOIR SÉCULIER 693
élèves des Collèges apprenaient la politesse des manières qui les dégon-
taient de leur milieu d'origine et les attiraient du côté du grand monde.
Quant à la pédagogie des adultes, la Cour Sainte du P. Caussin
relevait du don-quichottisme le plus chimérique. La Cour de veuves et
de duègnes dont s'entourera Anne d'Autriche régente pourra y trouver
une inspiration. Mais qu'attendre d'un tel livre sur les cavaliers et les
dames que fascine l'exemple d'une Duchesse de Chevreuse, d'un Comte
de Soissons? Il était évidemment impossible de rendre la Cour sainte.
Celle de Rome ne l'était pas. A plus forte raison la Cour profane de
Paris: on se serait contenté de savoir celle-ci plus civile, moins chimé-
rique, plus digne de réunir l'aristocratie d'un grand royaume.
La solution ne pouvait venir que de la convergence d'une politique
de fermeté et d'une pédagogie modérée dans ses ambitions, mais sachant
se faire insinuante. L'autorité de Richelieu rencontra l'initiative des plus
avisés parmi les Lettrés de Robe.
A partir de 1630, libre de ses mouvements, le Cardinal met de l'ordre
à la cour. Il contraint à l'exil ou il fait emprisonner, voire décapiter les
orgueilleux chefs de file de l'individualisme féodal, qui étaient aussi les
mécènes de la poésie et de la prose maniéristes: Guise, Bassompierre,
Vendôme, Montmorency, Gaston d'Orléans disparaissent. Comme Colbert
fera plus tard de l'admirable pléiade rassemblée autour de lui par
Fouquet, Richelieu recueille et patronne poètes et écrivilins abandonnés
derrière eux par les fuyards, les prisonniers et les morts. Dès 1624, en
recommandant hautainement au public les premières Lettres de Balzac,
il avait posé à la fois au mécène des Lettres françaises, et critique
officiel, dictant son goût à la Cour. Affermi dans son pouvoir, le Recteur
de Sorbonne, imitant à sa manière les Princes de la Renaissance italienne,
aura de plus en plus tendance à faire de la Cour un Collège pour adultes,
avec ses leçons de civisme et de propagande politique, dispensées par un
Silhon, un Hay du Chastelet, un Sirmond, les leçons de morale, dispensées
par un La Mothe Le Vayer et un Jésuite comme Antoine Sirmond, les
leçons de bonnes manières dispensées par Nicolas F<"ret, et de beau
style par l'Académie. Il ne manquera pas même les représentations théâ-
trales, tragédies, comédies et pièces allégoriques, compléments obligés
d'une pédagogie de l'éloquence: la salle du Palais Cardinal, inaugurée
en 1641, couronna cette politique pédagogique.
Formé au Collège de Navarre, passionné de logique 5, Richelieu n'avait
qu'un sens théorique des agréments et des ménagements. Son style
oratoire 6, le programme pédagogique qu'il encouragea au Collège de

5 Voir, sur l'escrime logique à laquelle se livrait régulièrement Richelieu


avec des docteurs de Sorbonne, la préface de Samuel Sorbière en tête du
Syntagma philosophiae Epicuri de Gassendi, La Haye, 1659.
6 Sur l'imperatoria brevitas de Richelieu, voir Balzac, lettre à N. Rigault,
Œuvres, Paris, 1665, t. l, p. 147, et Carmina, éd. Ménage, 1651, p. 224. Le style de la
Harangue à la Reine-Mère (3 juillet 1620) et des Lettres justifie cette admi-
ration. Voir M. Deloche, Autour de la plume du cardinal (Je Richelieu, Paris,
1920.
694 LES DEUX RHJtroRIQUES

Richelieu en Poitou T, le soutien qu'il accorda à Théophraste Renaudot 1


révèlent chez lui un ramiste. Le style de son mécénat, impérieux et géo-
métrique, manque d'esprit de finesse. Il traça du moins le cadre politique
à l'intérieur duquel une méthode plus respectueuse de l'amour-propre
nobiliaire put procéder avec plus de délicatesse et de succès.

7. Les initiatives privées furent en effet plus efficaces, à long terme,


que le mécénat d'Etat, pour convertir la noblesse de Cour à un atticisme
moins tiré au cordeau. L'Hôtel de Rambouillet et son Rey Chiquito,
Vincent Voiture, eurent sur la sanior pars de la Cour une influence
d'autant plus durable qu'ils l'exerçaient sans y songer.
Mais aussi, du sein de la vieille République des Lettres, une nouvelle
génération, sans prendre sur elle l'odieux d'une pédagogie officielle, tire
parti des circonstances qui favorisent enfin la rencontre entre le meilleur
de la Robe formée aux mœurs polies, et le meilleur de l'Epée attirée par
les Belles-Lettres et les ft belles choses ». Dès 1631, Guez de Balzac
avait pris ses distances avec la « tyrannie» de Richelieu. En 1633, Perrot
d'Ablancourt, dans sa préface de l' Honneste Femme, définit ce qu'il
appelle «l'Enseignement par la louange» 9. Chapelain lui-même, plus
réservé qu'on ne croit d'ordinaire envers le Cardinal, et fort attentif aux
traditions propres à la noblesse de Cour, favorise plutôt cet art d'initier
sans y toucher, en respectant l'orgueil légitime du second Ordre du
royaume. Ce que l'on a appelé «la doctrine classique» est pour une
bonne part le reflet des projets de Richelieu, qui n'allaient à rien de
moins qu'à enrégimenter la littérature et les arts, selon une rhétorique
et une poétique officielles. D'Aubignac l'avouera avec nostalgie, dans la
préface de sa Pratique du Théâtre.
L'art de persuader d'écrivains tels que Perrot d'Ablancourt ou Balzac,
qui ont les moyens de garder leur indépendance, respecte l'ingenium
propre aux nobles d'épée. De même, leur critique littéraire respecte l'inge-
nium de l'écrivain de talent, sans le soumettre au carcan d'un juridisme
étroit. L'atticisme des grands lettrés, sous Richelieu, sait déjà faire la
part de l'inspiration personnelle, de la liberté montaignienne et de la
forme pure et châtiée acquise dans le commerce des Anciens et des hon-
nêtes gens. La Querelle du Cid permettra de faire le partage entre l'esprit
de géométrie et l'esprit de finesse en matière de rhétorique et de poétique.
Sous le ralliement à un classicisme français, inspiré par Aristote, Cicéron
et Scaliger, subsiste - chez les représentants les plus qualifiés de l'huma-
nisme français - la fidélité à ce qui avait fait la gloire de Ronsard

7 Voir Marcel Bataillon, «L'Académie de Richelieu :., dans le recueil Péda-


gogues et Juristes, Paris, Nizet, 1960.
8 V. Howard, M. Salomon. Public Welfare, Science and Propaganda ... The
innovations of Theophraste Renaudot. Princeton Univ. Press, 1972, in-Sb.
e Voir Perrot d'Ablancourt, Lettres et Préfaces critiques, éd. R. Zuber,
Paris, Didier, 1972, p. 41.
UNE. MAGISTRATURE D'ÉCRIVAIN 695
auprès de leurs ancêtres: l'enthousiasme, l'innocente et invincible liberté
que donnent le commerce des Muses, de l'Antiquité, de la Nature.
L'ordre politique a ses droits: et Dieu sait si ces fils et petits-fils
de robins savent tout le prix qu'il faut lui attacher. Le souvenir des
horreurs de la guerre civile les hante, comme il hante tout homme cultivé
et responsable au XVIIe siècle. Mais l'ordre de la vérité intérieure et de
la beauté, dernier reflet du Logos auquel leurs ancêtres rendaient un
culte grave, a aussi les siens. S'il est vrai qu'à Port-Royal, d'autres
héritiers de la grande tradition gallicane se font, face à Richelieu, les
témoins du Dieu d'Abraham, de Jacob et de saint Augustin, il n'est pas
moins juste de dire qu'avec Balzac, sur un registre moins altier, une
élite de lettrés reste fidèle à la leçon di! Maternus de Tacite, qu'avaient
avant eux médité Montaigne et Du Vair: dans la Cité que l'absence de
vertu a rendue populaire ou tyrannique, la meilleure manière de la servir
est encore de lui faire entendre, dans l'œuvre de beauté, l'appel du Bien
et du Vrai que la beauté commémore.

8. Sainte-Beuve, jugeant Balzac son confrère du point de vue de


Port-Royal, a eu beau jeu, après Fontaine, de l'humilier devant Saint-
Cyran. Pour avoir montré nous-même avec quelle fidélité Saint-Cyran
porte à son altitude suprême la plus sévère tradition de l'humanisme
érudit gallican, nous nous croyons tenu pour conclure de contribuer à
mieux faire connaître, après beaucoup d'autres récemment 10, la vraie
stature d'un grand magistrat des Lettres françaises. Comme Montaigne,
Balzac quoique indirectement (par son ascendance maternelle: les Nes-
mond) a des attaches avec le Parlement de Bordeaux. Comme La Boétie
dont l'hymne à la liberté républicaine résonne faiblement, mais distincte-
ment encore, dans le traité De l'Eloquence de Du Vair, Balzac a écrit
son Contr'Un : étudiant à Leyde, il s'est enflammé pour la « République
belgique », dont le combat contre le César espagnol réveillait le souvenir
des Plzilippiques de Cicéron. L'indignation à la Tacite de La Boétie, le
souffle civique de Du Vair revivent dans le Discours sur l'Estat des
Provinces Unies. Celui-ci restera manuscrit et Daniel Heinsius le publiera,
contre le gré de son auteur, en 1637, comme Simon Goulart avait publié
le Contr'Un, en dépit de Montaigne.
Revenu en Franc~', ùam: lin régime de Cour monarchique, Balzac ne
tardera pas à adopter le style de vie « noble" de Montaigne, dans une
retraite provinciale. Mais aussi bien pendant sa courte et infructueuse
« période mondaine» que dans sa retra!te, il saura se plier à la candicio
temport/m et écrire pour la Cour, dont l'autorité littéraire a grandi à
la mesure du rrc~.tige dont jouissent Henri IV et Louis XIII. Il ren01l(~e
donc au genre délibératif et adopte le genre démonstratif, celui de l'éloge
et du style moyen orné. Mais il faut toujours se souvenir, pour le com-

10 Voir outre l'article de B. Beugnot dans le Dizionario della letleratura


francesa, son article «Les études sur j.L. Guez de Balzac, renouveau récent
et perspectives de recherche» dans le Bull. et Mém. de la Soc. arch. de la
Charente, 1970, p. 1-11, et les travaux de F. Sutcliffe, R. Zuber, H.F. Brooks et
Z. Youssef.
696 LES DEUX RHJttORIQUES

prendre, de ce premier enthousiasme pour l'éloquence civique, pour son


Age d'or, la Rome républicaine et l'Attique de Périclès et de Démosthène.
Elle explique son allégeance aux sympathies politiques de sa caste
d'origine, à sa tradition philosophique et religieuse, et le tour qu'il
donnera à son art de l'éloge. Il écrit pour la Cour, mais sa c grande
âme» ne sera jamais de la Cour. Rien n'apparaissait plus grand à
Pibrac, ami pourtant et serviteur du roi Henri lU, que l'héroïsme des
deux Catons et la grandeur sobre, intacte de l'influence des graeculi et
des novatores, du Sénat de la République: époque héroïque de la vertu
naturelle qui trouvait son répondant chrétien dans l'époque héroïque
de la foi, -le temps de l<i « primitive Eglise ». Balzac rencontrera aussi, en
Saint-Cyran, un rappel de cette Origine chrétienne, qui ne le troublera
pas moins que ne l'avait fait, dans sa jeunesse, la c République bel-
gique », réapparition de la Rome des consuls. 1\ a été tout aussi
hanté, lui, le maître de l'art tardif de l'éloge, par l'une et l'autre
évocation d'un Verbe plus originel. Il a célébré chez l'Oracle de Port-
Royal le sublime rappelé «de ce siècle héroïque où une mesme vertu
animoit les discours et les actions, se couloit dans l'esprit et dans le
courage, faisoit des Docteurs et des Martyrs» 11.
Mais sa vocation était ailleurs. Un de ses mérites fut de le savoir.
En 1632, il écrira à Constantin Huyghens:
/1 ne vous suffit pas, au lieu où vous estes, de faire mieux que nous
et de posséder à nostre exclusion l'ancienne et la solide vertu: vous nous
allez encore oster ce qui reste de passable dans les Estats corrompus,
je veux dire la gloire du langage, et ne permettez pas que nous nous
consolions avec ce petit jouet de la perte des véritables biens... C'est
estre en effet, comme on vous nommoit autrefois, les freres du peuple
romain, et les heritiers de ces vieux Catons, qui faisoient profession de
la severite, et n'estoient pas ennemis des Grâces 12.

L'expression «Estat corrompu,. revient souvent, sous cette forme


ou sous une autre, dans la prose de Balzac. Dans une de ses Disser-
tations critiques, il l'identifie au c Monde» :
Mais le Monde est trop vieux, et trop endurci en ses habitudes, pour
estre corrigé par les belles paroles d'un Declamateur. On ne gagne rien
de disputer contre luy, car il parle toujours le dernier [... ] 11 a le nombre,
la durée et l'authorité de son costé. Il faut donc ne pas suivre le Monde,
ou se resoudre à sa complaisance: Il faut en sortir ou s'accommoder aux
maximes qui y sont receues 13.

Dans l'Avant-Propos du Socrate chrestien, lorsqu'il tentera de devenir


le moraliste de la Cour, il écrira plus sévèrement encore:

11 Balzac, Œuvres, Paris, 1665, 1. l, p. 214.


12 Ibid., t. l, p. 157.
13 Ibid., 1. Il, p. 575.
LA NOSTALGIE DES ORIGINES 697
Je connois le Monde present; je sçay ses dégousts et ses aversions
pour nos Escritures. L'Eloquence n'a point tant de force que les hommes
n'ont de dureté: tous les Syllogismes, tous les Enthymemes, toutes les
Figures rebouchent aujourd'huy contre leur esprit. Ils ne sont presque plus
capables de persuasion [... j. Les Discours philosophiques estoient des Ora-
cles sous le Règne de François Premier. Maintenant ce sont des Visions.
Art, Science, Prose et Vers sont différentes especes d'un mesme genre et
ce genre est BagQtelles en la langue de la Cour.

Cet « Estat corrompu », ce « monde trop vieux », ce « Monde present .,.


qui ne s'attache qu'à des bagatelles, c'est dans la France de Richelieu
et de Mazarin, c'est dans la Rome des Pontifes, le « peuple» qui emplit
les Cours ou qui les suit. JI oppose une invincible résistance aux témoins
du Verbe Chrétien, tel Saint-Cyran, ou de la vertu naturelle, tels les
Hollandais ou les héros que Balzac cherche à distinguer partout de la
foule frivole: la Rome des Empereurs, dans le Dialogue des Orateurs,
restait sourde, elle aussi, aux derniers Sénateurs fidèles, et n'avait que
complaisance pour les blandices des déclamateurs" L'unité du Logos est
brisée: le logos endiathetos s'est retiré dans les lointains de l'Age d'or,
ou dans les âmes d'exception; le logos prophorikos ne mérite plus son
nOIl1 : il n'est plus que langage, vain bruit sur les lèvres caressant les
oreilles sans atteindre le cœur. Et pourtant les «grandes âmes» ne
peuvent renoncer: elles doivent, pour se faire entendre, composer avec
la vanité des mots. La fonction particulière de l'écrivain naît justement
de cet hiatus entre le « discours intérieur» de l'aristocratie des grandes
âmes, et le « langage» d'enfants gâtés des petites âmes de Cour. JI est
là pour trouver les médiations qui empêchent l'un de se replier dans la
mélancolie solitaire et impuissante, et l'autre de se perdre sans remords
dans l'inanité sonore. A Mlle de Gournay, Balzac écrit:
Il est vrai que je donne beaucoup à l'élocution et je sçay que les
grandes choses ont besoin de l'aide des paroles, et qu'après avoir este
bien conceues, elles doivent estre heureusement exprimees. Il me fasche
seulement que de la moindre partie de la Rhetorique des anciens on veuille
faire toute la nostre et que pour contenter les petits esprits, il faille que
nos ouvrages ressemblent à ces victimes à qui l'on ostoit le cœur, et on
laissoit seulement la langue de reste 14.

Exilé dans un «Estat corrompu », dans un « Monde trop vieux »,


exclu de « l'ancienne et solide vertu », des « grandes choses» du « siècle
héroïque », la grande âme pour se faire entendre doit passer par ce
« petit jouet », les « paroles », un logos prophorikos qui, à l'inverse des
abeilles de Platon, s'égaille loin de ses sources vitales et spirituelles.
Mais il ne sera pas dit que pour s'ajuster à ce vêtement trop petit pour
elle, la grande âme ne lui communique pas quelque chose de sa vertu
et de sa vérité. Balzac veut bien accepter de prendre le détour du genre
démonstratif, et de l'art de l'éloge, mais ce sera, avec une sévérité

14 Ibid., t. l, p. 118.
698 LES DEUX RHÉTORIQUES

grandissante, pour faire de ses c heureuses expressions:. le reflet glo-


rieux d'états plus lumineux du Logos et imposer au style moyen les exi-
gences qui le rapprochent, autant que faire se peut, de la simplicité
républicaine de l'éloquence antique. Faute de pouvoir enseigner la vertu,
proclamer la vérité, il fera de sa prose, ultime témoignage rendu à l'Age
d'or, le modèle et le refuge d'un c grand goOt ».

9. Dans cet essai d'autobiographie littéraire qu'est le c Discours


seizième» des Passages defendus, Balzac a lui-même narré son initiation
à la magistrature des Lettres françaises. Cette initiation fut d'abord
latine.
Il y eut, en 1621, la «révélation romaine:.. Balzac ne trouve plus
la Rome des Ignace de Loyola, des Philippe Neri: l'âge héroïque de la
Contre-Réforme est achevé. Triomphante, mais désertée de la vertu des
saints à qui elle doit son triomphe et même de la foi au Dieu à qui elle
doit son autorité, la Cour romaine est, elle aussi, un « Estat corrompu ».
Mais en contraste avec la « corruption:. des mœurs et des esprits, Balzac
fut ébloui par la perfection de l'hommage que l'académisme ecclésias-
tique sait rendre à ses saints, à son Dieu, dans un « langage glorieux.
qui lui, du moins, échappe à la facilité et au libertinage:
Je m'étois trouvé à la harangue funebre du Cardinal Bellarmin, et
j'avois considéré ce grand et admirable jésuite, qui avec la dignité de
ses gestes, les gr aces de sa prononciation, et l'eloquence de tout son
corps, qui accompagnoit celle de sa bouche, me transporta en esprit dans
l'ancienne Republique 16.

Dans cet art souverain du panégyrique funèbre, dans une langue latine
que « les Sadolets, les Bembes et les Manuces », le « Party de Ciceron »
ont restituée et préservée, Balzac découvre comment une c vertu:. absente
peut du moins conserver son rayonnement dans l'éclat d'une forme digne
d'elle. L'évocation de la grandeur d'âme d'un saint de la Contre-Réforme,
Robert Bellarmin, dans la splendeur du latin de Cicéron et d'une rhéto-
rique pure de l'asianisme coutumier aux prédicateurs français, révèle à
Balzac le grand secret. Tel « le linceul de poupre où dorment les dieux
morts» dont parlera Renan, la «gloire du langage », reflet dans le
temps du Verbe de l'Origine, est l'ultime manière de faire respecter par
la foule sensuelle et déchue le zèle qui brOie les héros et les saints.
Le Maître et le théoricien de cet art, le P. Famiano Strada, était
aussi l'auteur-orateur d'admirables Orationes De Christi Domini morte,
dans un genre qui est sans aucun doute le plus significatif du second

16 Ibid., t. Il, p. 368. Une fausse interprétation de ce passage par Guil-


laumie, reprise récemment par J. Jehasse dans son ouvrage sur Balzac et
le Génie romain, attribue la harangue à... R. Bellarmin. Celui-ci meurt en
octobre 1621, pendant le séjour de Balzac à Rome, et c'est le P. Tarquinio
Galluzzi, un des plus fins lettrés du Collège Romain, qui prononça son Oraison
funèbre, laquelle figure au catalogue de la B.N. Bayle ne s'y était pas trompé
(voir Dictionnaire, sv. Galluce). Nous nous proposons de consacrer une étude
à l'art de l'oraison funèbre latine à Rome de 1585 à 1645.
LE DOUBLE HERITAGE DE MONrAIONE ET DE DU VAIR 699

classicisme romain. L'auteur des Prolusiones Academicae restera tou-


jours cher à Balzac. A l'érudit protestant Gronovius, il vantera, en 1640,
" le legitime heritier, ou plutôt le veritable esprit de Tacite ».
A son retour en France, il trouvera en Nicolas Bourbon le maître en
cicéronianisme qui lui «reforma l'esprit », lui «annonça le premier la
grandeur et la majesté de Rome» et lui en «remplit l'imagination ».
Cette « grandeur et majesté» n'était pas tout à fait celle qu'avait célébrée
Lipse. C'était celle de «la République saine et fleurissante,. opposée
aux «infirmités de l'Empire caduc et mourant ». C'était la Rome de
Cicéron et de Maternus. Elle fit de lui l'ennemi de ces
Docteurs modernes, qui aiment mieux braire avec l'Asne d'Apulée et
grimacer avec les Singes de Lipse, que de parler raisonnablement et tenir
leur gravité avec Ciceron.

Mais comment, à l'usage d'une Cour moderne et française, se faire le


réflecteur de la Lumière de l'Age d'or? Dès avant son départ pour Rome,
Balzac avait rencontré Malherbe et reçu de lui les «Dogmes et Maxi-
mes» du «premier Grammairien» de France. Avec Malherbe, une sorte
de Tullianus stylus français s'extrayait des toeces et sordes du français
c gothique ». Ce grand goOt, privilège du «grand monde» pouvait du
moins imposer le respect à la foule de la Cour et servir de tremplin à
un grand art de la célébration, à la mesure des grandes âmes.
Mais si Balzac a une dette envers le «pédagogue et grammairien"
de la Cour de France, il n'en est pas moins redevable à Montaigne et à
Du Vair. Du premier, il tient un sens aigu de sa singularité individuelle,
et de sa situation de «moderne» fidèle aux Anciens, mais tenu d'c in-
venter des beautés qui n'ont esté connues de personne,. pour actualiser
leur leçon. La magnanimité de Balzac est aussi conscience d'un ingenium
d'exception, dont l'émulation avec les Anciens se veut «création ». De
Du Vair, il tient le culte de la « grande éloquence» et l'ambition civique
de « régner sur les âmes ». Mais cette royauté ne peut plus être directe:
elle s'exercera par « l'escriture>> et par l'art d'agréer.
Avec une lucidité critique à laquelle l'histoire littéraire n'a pas assez
rendu justice, Balzac a suggéré, sinon dicté, à François Ogier, la théorie
de cette «étoile nouvelle au Ciel de l'Eloquence» dans l'Apologie de
M. de Balzac. La «belle» lettre selon Balzac, héritière de l'epistola
cicéronianiste, a une généalogie proprement française: pour l'invention,
elle doit beaucoup à l'essai montaignien ; pour l'élocution, elle doit beau-
coup à Malherbe; mais pour l'idée que se fait de lui-même l'épistolier
à l'étroit dans un genre de Cour, elle doit beaucoup à l'idéal de l'Orateur-
Magistrat reprise par Du Vair à Cicéron.
De l'essai, elle hérite les mille facettes qui la rendent capable de
capter et recomposer en sa brièveté tous les rayons épars qui, de l'Origine
ou des grandes âmes qui l'actualisent, émanent du Logos occulté dans
c un Monde trop vieux» : «sentences» antiques, invisibles mais secrè-
tement actives, « conceptions» jaillies de l'ingenium, digne de l'antique,
de l'écrivain lui-même; mais aussi écho, sous forme d'éloge, de tout ce
700 LES DEUX RHÉTORIQUES

qui à la Cour, est virtus et semen dicendi préservé de la corruption de


la foule: prélats, hommes d'Etat, hauts magistrats, héros de l'Epée,
Princes et grandes dames, acteurs de grands événements, soutiens de
grandes affaires et de grands intérêts, éloquents de la véritable éloquence.
Célébration indirecte de l'Age d'or antique, 'la lettre balzacienne trie
l'or de son temps et de la société de Cour, avec un goût sévère que n'avait
pas Montaigne, condamné d'ailleurs dans sa librairie à ne fréquenter que
l'élite des Anciens. Il y aura peu de grandes figures du c siècle de
Louis XIII » qui ne trouvent en Balzac un écho digne d'elles: Du Perron
et Richelieu, Saint-Cyran et Corneille, Descartes et Schomberg, Mme des
Loges et Mme de Rambouillet.
Les «lieux de l'invention» de Balzac sont en parfaite bienséance
avec la c gloire du langage» qu'il en extrait., Il canonise le meilleur de
l'aristocratie contemporaine. Mais il le fait comme l'un des siens. Il n'a
rien du sophiste servile et vénal. La lettre n'est pas un panégyrique
mais un moyen d'échange intime, du moins témoignant de l'appartenance
de son auteur à l'élite que composent ses correspondants, et de sa parti-
cipation étroite aux préoccupations communes. Et l'art de l'hyperbole
balzacienne se teinte de « raillerie '1>, signe d'une connivence supérieure,
d'un desengaiïo commun à deux grandes âmes. Ce qui suppose un choix
sévère parmi les correspondants admis dans ce «club» qu'est le c re-
cueil» de lettres et un choix non moins sévère des sujets et des noms
propres à y être évoqués . Ce judicium cite ses élus, il fait silence sur la
foule des exclus. Mais il n'est pas dicté par le calcul de l'ambitieux
vulgaire: la pierre de touche de l'élection, c'est en définitive l'élection de
l'~pistolier lui-même, qui lui permet de reconnaître d'instinct ses pairs.
Balzac écrira superbement:
Il est necessaire d'avoir en soy le principe de sa propre grandeur 18.
C'est cette c grandeur », ce sentiment intime d'indépendance morale
et matérielle, cette noblesse non de naissance mais de vertu et de culture
remontant par généalogie spirituelle jusqu'aux grands Anciens, qui auto-
rise Balzac à se tenir pour l'égal de tout ce qui est grand selon la
coutume, et à décider de ce qui est grand selon l'esprit. Dans la plus
pure tradition gallicane, mais cette fois libérée de son esprit de caste
savante, le jugement chez Balzac se transfigure en « grand goût », éclairé
en dernière analyse par la certitude enthousiaste de sa propre élection
au vrai, au beau.
De la poésie de Malherbe, la prose de Balzac hérite de ce que François
Ogier appelle un « mystère de l'art» :
De ceste excellente oeconomie et parfaite distribution des mots, il se
forme un son qui m'a mille fois ravi, et qui chatouille les sens, autant que
le reste contente l'esprit.
Il est peu probable que Balzac ait reçu directement la leçon d'élocution
française consignée par Amyot dans le manuscrit du Projet de l'Elo-

18 Balzac, éd. cit., t. Il, p. 407.


L'ÉLOCUTION MALHERBIENNE 701
quenee royale. C'est à travers l'exemple de Malherbe qu'il a pu surmonter
le préjugé robin contre la « douceur », l'euphonie, et les techniques qu'elle
suppose de deleetus et eolloeatio verborum. Après la poésie, c'est la
prose française qui bénéficie ainsi des leçons retrouvées de l'élocution
attique telles que les avaient commentées Pietro Vettori d'après Démétrius
de Phalère. Mais du même mouvement, prose et poésie françaises ouvrées
par d'experts humanistes allaient au devant du goût traditionnel des
gens de Cour pour la «douceur », celle du pétrarquisme et celle de la
conversation «civile» à la Castiglione. Ogier a fort bien senti, dans
son Apologie, cette subtile alchimie qui conjugue chez Balzac l'héritage
de l'érudition rhétorique en quête de l'atticisme antique, et la tradition
de la conversation de Cour. Chez Balzac, explique-t-il, la prose se pare
du nombre de la poésie, «la grace de la vive voix se conserve sur le
papier» et communiqpe au lecteur
ceste vertu secrète ... qui agit sur le corps des auditeurs [ ... ] une harmonie
qui touche les passions, qui va jusques à l'esprit, qui esmeut tout l'homme
intérieur, et est capable de faire les mêmes effets que l'on raconte de
l'ancienne lyre, lorsque selon la difference de ses tons, elle mettoit en
cholere ou appaisoit Alexandre 17.

Cette musique des «mots », que ses adversaires ont tant reprochée
à Balzac comme une reddition à l'hédonisme des « ignorans}) de Cour,
prend en fait, dans sa rhétorique, une dignité philosophique: à l'usage
d'un public dénué de vertu, prisonnier des sens et des passions, cette
c vertu secrète}) qui refuse les facilités de la sophistique dèmagogique
fait entendre l'harmonie et percevoir la lumière de la sagesse oubliée.
De la page imprimée, cet ordre musical des «mots}) fait surgir un
paysage spirituel rivalisant victorieusement avec les attraits sensibles de
la «peinture» des sophistes:
Ces divines pensées, et ces rayons qui sortent de chaque ligne [ ... ] nous
rendent un papier où il n'y a que du blanc et du noir, mille fois plus
agréables que ne sont les paysages de Flandres et d'Italie HI.

On ne saurait avec plus de précision et de justesse mieux distinguer


l'atticisme de Balzac de la « rhétorique des peintures» jésuite et manié-
riste. Comme Malherbe, Balzac n'a jamais recours à l'ekphrasis autre-
ment que sous la forme allusive de l'hyperbole et de la métaphore. Pas
plus que lui, il n'a eu de goût pour le pathétique déclamatoire. C'est que,
comme Malherbe, et comme déjà Amyot, s'il s'adresse à la Cour, c'est
d'abord à sa sanior pars, celle qui hérite de Castiglione et de son idéal
cicéronien de courtoisie civilisée. Pour plaire à des gentilshommes et à
des dames épris de poésie, de musique, de belles conversations et de
l'Astrée, il peut se permettre de ne recourir qu'à ce que François Ogier
appelle des «machines délicates ", évitant les gros effets de l'éloquence
publique, et reposant sur une profonde connaissance du cœur humain.

17 Ogier, Apologie pour M. de Balzac, Paris, 1627, p. 206 et 208.


18 Ibid., p. 44.
702 LES DEUX RtŒToRIQUES

Il faut lire dans l'Apologie les analyses remarquables qui définissent


l'art de la métaphore et de l'hyperbole: «amener à la vérité par l'exces
de la verité, c'est à dire par le mensonge ». Le détour par le « mensonge »,
par la Il: vraisemblance », Ogier le qualifie de « subtil» : car s'adressant
à des gens de Cour à qui Balzac fait l'honneur de croire qu'ils ne sont
pas les jouets de leur imagination ni de leur orgueil bien qu'ils souhaitent
que l'une ct l'autre soient flattés, Balzac leur ménage des détours de
pure connivence: entre eux et lui, à l'état d'allusion, la vérité n'est
jamais perdue de vue. Si bien que sous la douceur des mots, et la « ma-
chine délicate» des figures, la force d'une grande âme, sa capacité de
connaître le vrai, ne se renonce pas. Et elle laisse aux plus dignes parmi
les lecteurs le soin de l'apercevoir, par devers soi.
Par la suite, Balzac méditera sur la coupure que veulent introduire
les rigoristes chrétiens entre la Lumière naturelle et la Lumiére de la
Révélation. Mais dans la Relation à Menandre, il réaffirmera la doctrine
qui avait tout au long du XVIe siècle soutenu l'élan de l'érudition gallicane,
l'identité essentielle entre le Logos de la prisca theologia et de la philo-
sophie gréco-latine, et le Logos de la Révélation chrétienne. Comme Cor-
neille, il sentait bien que c'était là défendre la possibilité même d'une
littérature, à la fois laïque et chrétienne, qui ne retombât point sous la
coupe de l'intolérance et de l'ascètisme monastique. Dans son souci de
se purifier de toute trace d'asianisme, il renoncera à l'hyperbole, il étein-
dra ses métaphores, il tendra à desc~ndre du style moyen au style simple.
Mais cette évolution était dans la logique d'un art qui fait de l'ascèse
de la forme la rédemptrice des effets corrupteurs du temps et du monde,
le témoignage rendu à la dignité de l'homme-Iogophore.
Inspiration et érudition, création personnelle mais dans la fidélité à
la tradition: dès le départ, l'art de Balzac était du côté du P. Strada
contre le P. Le Moyne, du côté d'Annibal Caro contre le Cavalier Marin:
L'un estait tout imagination, l'autre tout jugement. Dans les vers
d'Annibal Caro, il me semble que je voie la grandeur modeste et le bon
mesnage de la République, dans ceux du Cavalier Marin, je me représente
les desbauches, le luxe et la profusion de Néron 19.

10. Montaigne, Malherbe. Mais aussi, mais surtout Du Vair. Bien


qu'elle prenne la forme d'une «lettre» à Costar, la dissertation de
Balzac De la grande eloquence ne prend tout son sens que si on la lit
à la lumière de la tradition des Remonstrances de magistrats, et en repre-
nant le fil là où l'avait laissé le traité De l'Eloquence de Du Vair. La
magistrature de l'écrivain prend la relève de la magistrature oratoire
de la Grande Robe, elle célèbre à la fois la transfiguration et le triomphe
de ce que l'on pourrait nommer " l'Ecole gallicane ».
La dissertation s'articule autour de l'antithèse simple et forte qui
faisait des Remonstral1ces, comme du traité De l'Eloquence françois!!

19 Balzac, Œuvres, éd. cit., t. l, p. 772.


RHÉTORIQUE ET SOPHISTIQUE 703
autant de Traités du sublime gallicans: la «vraie,. et la «fausse,.
éloquence, l'éloquence philosophique opposée aux artifices des rhéteurs.
La fausse éloquence: chaque génération a eu la sienne. Celle qu'a
connue Balzac ne faisait que poindre au temps de Du Vair, c'est la
« rhétorique des peintures », dérivée, sous le couvert des Pères, de la
Seconde Sophistique:
[ ... ] Faiseuse de bouquets [ ... ] tourneuse de périodes [... ] je ne l'ose
nommer Eloquence [ ... ] toute peinte et toute dorée [ ... ]. La plupart des
Sophistes, dont Philostrate et Eunapius ont escrit les Vies, estaloient cette
sorte d'Eloquence au milieu des places publiques [ ... ]. Pour eviter la Pau-
vreté, (l'Orateur) se jetoit dans le Luxe. Toutes ses locutions estoient
pompeuses et magnifiques. Mais cette magnificence estoit si esloignée de
la sobriété et de la modestie du style Oratoire, que la plus temeraire
Poësie et la plus prodigue des biens qu'il faut mesnager, ne sçauroit rien
concevoir de plus desreglé 20.

Pour autant, on ne saurait revenir à la «rhétorique des citations,.


qui, depuis Du Vair, s'est dégradée un peu plus en «pedanterie de
Compilateurs» et qui a perdu tout crédit, non seulement au Louvre, mais
au Parlement et à l'Université.
Qu'est-ce donc aujourd'hui que la véritable éloquence? Elle exige à
la fois inspiration et culture. Inspiration: une « grace de Nature J>, mais
aussi «les Estoilles» :
Il faut que ce soit quelque chose de celeste et d'inspiré qui intervienne
dans l'Eloquence pOlir exciter les transports et les admirations qu'elle
cherche 21.

Culture: mais non sans la «méditation» chère à Du Vair sur les


« Vérités universelles» et celle, chère à Balzac et Chapelain, sur Aristote,
le maître de la Rhétorique. Ce savoir doit être incarné, c'est à ce prix
seulement qu'il «fleurira ».
Inspirée, mais soutenue par un «grand jugement », cette Eloquence
ne sera point « paroles fugitives et passageres J>, mais elle se fera c voye
dans la plus secrette partie de l'homme », «jusques au fond du cœur J>.
L'idée qui appellera au sublime, ce sera l'Eloquence de «la Grece
lorsqu'elle vivoit en liberté », celle de Périclès et de Démosthène, régnant
sur les rois ou les tenant en échec. Un orateur de l'Attique républicaine
était un «Magistrat naturel », qui n'était pas le «Parasite et Flatteur
du Peuple », mais son « Censeur et Pedagogue», qui « ne souffroit rien
de servile dans l'esprit mesme des Artisans », bref un «Monarque spi-
rituel» .

20 Ibid., t. Il, p. 520.


21 Ibid., p. 523.
704 LES DEUX RHÉTORIQUES
Cette Idée qui animait Du Vair et qui n'a pu résister au rétablissement
de la monarchie, n'est-elle plus désormais autre chose qu'un lieu commun,
un prétexte pour Balzac à déclamation?
Ce n'est pas son avis. Regardant autour de lui, il constate que cette
Idée anime plus que jamais une aristocratie d'hommes d'Etat, d'hommes
d'Eglise et même de héros d'Epée, qui confèrent à la haute culture,
soutenue de la parole, autorité sur la foule et résistance à la « corruption
du temps:t.
l'éloquence laconique de Henri IV 22, l'éloquence militaire de Gustave-
Adolphe, ont agi sur le cours des choses, ruiné « la Tyrannie., c renou-
vellé le Monde ». l'éloquence du cardinal Du Perron a réconcilié le roi
de France avec l'Eglise.
Car «la Royauté de l'Eloquence» qui, «tombant en partage à une
personne privée, se doit soustenir de sa propre force, et luire de ses
propres rayons », a elle-même c toujours esté visible en quelques hommes
choisis du Ciel:t.
Ainsi se dessine, même en régime de Cour, la vision d'une République
des grandes âmes, rassemblant l'élite de l'élite des trois Ordres d'autre-
fois, insensible aux attraits de la sophistique fleurie, c spectacles des
Oysifs et passe temps du menu peuple ». Aristocratie monarchique, par
la forme extérieure du régime, mais républicaine et héroïque par son
sens des responsabilités et la magnanimité intérieure; œuvrant dans un
c Estat corrompu », dans un «Monde trop vieux », elle est rattachée ;\
l'Origine par élection et par la généalogie de la culture, par l'enthou-
siasme et le savoir: elle est en mesure de communiquer à son époque,
par l'énergie de son verbe actif, quelque chose de la Raison et de la
Vertu de l'Antiquité. A elle seule, par son petit nombre, elle fait contre-
poids au temps et au monde corrupteurs.
Cette vision, que suggérait déjà la lecture des Lettres, donne tout son
sens à l'idée que Balzac se fait de lui-même et de son art. A Rome,
il avait senti la splendeur spectrale du Panégyrique funèbre latin, noces
à la fois sublimes et fantômales entre la Rome de la Contre-Réforme et
la Rome de Cicéron. En France, dans la langue française, et en dépit des
tentations de sa propre mélancolie, il a senti à la tête de la société
française un frémissement créateur. Magistrat des lettres, «à titre
privé », par droit des « Estoilles », il a fait de la gloire de son langage
le foyer de ralliement de tous les « Porteurs de parole» de son temps,
le point de rencontre aussi, à mi-chemin entre l'Antiquité et le siècle de
Louis XIII, entre les héros et les sages de Rome et de l'Attique, et tous
ceux qui - Princes, maréchaux, magistrats, hommes d'Etat, prélats,
hommes d'Eglise, savants, écrivains - ont réincarné l'antique et jeune

22 Augustin Thierry a dit d'Henri IV : «Michel de L'Hospital armé ». C'est


exactement ainsi que le voit Balzac.
NAISSANCES DES BELLES-LETl'RES CLASSIQUES 705

Raison dans leur temps. Il pouvait sans vanité se ranger parmi eux:
nul autre après Montaigne, et avant Corneille, n'avait autant contribué
que lui à donner un langage commun, et donc conscience de soi, au
dialogue qui s'est engagé enfin entre la sanior pars de la Cour et de la
Ville, de la Robe, de l'Epée et de l'Eglise. Et ce langage commun, c'était,
en définitive, celui de l'humanisme national s'agrégeant le meilleur de
l'humanisme des Cours italiennes et le meilleur de l'humanisme ecclé-
siastique.
Balzac voyait l'Orateur des Républiques antiques comme un « Monar-
que spirituel ». Inversement - comme le Corneille d'Horace - il souhai-
tait que les héros-orateurs de la monarchie, polis dans leur langage,
fussent intérieurement «républicains », unissant en somme la douceur
« d'Albe" et la force de « Rome» en une synthèse supérieure. L'aristo-
cratie des grandes âmes n'eût point marqué une «victoire l> d'une caste
sur une autre, mais eût été le fruit d'un échange entre les mérites propres
au « grand Monde" de Cour et les mérites propres à la Grande Robe
humaniste, échange facilité par leur commune allégeance à un catholi-
cisme réformé. Dans une grande mesure, l'atticisme de Balzac s'est voulu
le symbole et l'instrument de cette réconciliation par le haut.
Une telle réconciliation, semblable à celle qui conclut l'Acte V de
Cinna, est de l'ordre du vœu, de l'Idée. Elle est moins immédiatement
utilitaire que celle pour laquelle a œuvré Richelieu, peu hésitant à opérer
des « retranchemens» pour que la machine de la Cour, avec des organes
de styles divers mais harmonisés d'une main de fer, tournât vite et bien
selon ses vues. Il y a une part d'utopie généreuse chez Balzac comme
chez Corneille qui les maintient en marge de la politique officielle, ou du
moins en retrait. Chez eux pointe déjà la magistrature morale de l'écri-
vain, au sens moderne. Par là, ils créent l'espace spirituel à l'intérieur
duquel s'épanouira l'atticisme classique, dans un moment « miraculeux"
qui fit succéder à une guerre de Trente Ans, et à une quasi-révolution
la jeunesse d'un règne, la paix intérieure et la sécurité des frontières.
C'eût pu être l'ivresse du pouvoir, ce fut d'abord la splendeur des Belles-
Lettres. Car sous l'apparente uniformité de la référence au « bon goût »,
une richesse de motifs, une vitalité de dialogue où se résument tous
les débats de la Renaissance et de la Réforme catholique, se recouvrent
d'une patine égale et lisse, d'emblée « classique ». La sévérité « républi-
caine» et chrétienne, qui demeure très vive, fait contrepoids à la légèreté
courtisane et mondaine, brillante et railleuse. L'ironie d'Erasme, que pré-
serve la comédie de Molière, fait équilibre à la gravité borroméenne et
aux périodes cicéroniennes de Bossuet. Et le « naturel» même de l'atti-
cisme classique, juste mesure enfin trouvée entre Erasme et Bembo,
Scaliger et Lipse, Louis de Grenade et Famien Strada, Du Vair et Mon-
taigne, est riche de tous ses possibles surmontés. A une topique morale
héritière de l'expérience désormais séculaire de l'humanisme chrétien, le
classicisme réunit un art du style qui hérite d'une expérience elle aussi
séculaire, néo-latine, espagnole, italienne et française. Si modeste que
soit encore la place des Belles-Lettres, elles témoignent, jusque dans le
706 LES DEUX RHÉTORIQUES

détour de l'éloge, que la monarchie, même absolue, est le principe unifi-


cateur d'une diversité, non une tyrannie écrasante. Ce pouvoir absolu
s'accordait le luxe de 1'« honnêteté :., il voulait plaire et séduire, trouvant
là une de ses plus sûres limites, dont les Belles-Lettres ont profité, mais
qu'elles ont, sans y toucher, soigneusement veillé à maintenir.
BIBLIOGRAPHIE

Cette bibliographie ne se veut pas seulement un répertoire des ouvrages


consultés. Elle n'a pas non plus la prétention d'être une bibliographie de l'his-
toire de la rhétorique au XVIe et au XVIIe siècle. Elle dessine un champ de
recherches, elle en désigne les lieux, elle fournit quelques points de repères
pour les explorer. Elle est plus encore qu'un bilan de nos recherches et lectures:
une invitation à les dépasser, sur les chemins nombreux qu'elle dessine déjà.
Elle est fondée pour l'essentiel sur les collections et les catalogues de la Biblio-
thèque nationale. Les cotes données ~ans autre précision renvoient à celle-ci.
Voici la liste des quelques abréviations utilisées:
B.N.: Bibliothèque nationale, Paris.
Ars.: Bibliothèque de l'Arsenal, Paris.
Sorbo : Bibliothèque de la Sorbonne.
Ste Genev.: Bibliothèque Sainte-Geneviève, Paris.
C.N.R.S. : Bibliothèque de la Maison des Sciences humaines.
E.N.S. : Bibliothèque de l'Ecole Normale Supérieure, Paris.
B.M. : British Museum Ubrary, Londres.

Voici la liste des abréviations de titres de revues et de collections utilisées,


avec s'il y a lieu, leur cote à la B.N. :
A.H.S.j. : Archivum Historicum Societatis jesu ; 4° H 3439.
B.H.R. : Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance; SO Z 26830.
B.S.A.M.: Bulletin de la Société des Amis de Montaigne; SO Z 25692.
I.H.S.j.: Editions de l'lnstitutum Historicum Societatis jesu.
j.W.C.I. : Journal of the Warburg and Courtauld Institute ; 4° Z 3489.
P.M.L.A.: Publications of the Modern Languages Association; SO X
11057.
R.E.L.: Revue d'études latines; SO Z 2240.
R.Hist. : Revue historique; SO G 123.
R.H.LF. : Revue d'Histoire littéraire de la France; SO Z 1399S.
R.H.Philo. : Revue d'Histoire de la Philosophie; SO R 35149.
R.S.H. : Revue des Sciences Humaines; SO R 35149.
S.F.: Studi Francesi ; SO Z 25692.
Mel. Arch. Hist. Ec. Fr. Rome: Mélanges d'Archéologie et d'Histoire (de
l'Ecole Française de Rome) ; 4° G 184.
C.A.I.E.F. : Cahiers de l'Association internationale des Etudes françaises.
La mention Cior. renvoie à la Bibliographie de la littérature française du
Dix-septième siècle, d'Alexandre Cioranescu, Paris, C.N.R.S., 1965-67,
3 vol. in-4°.
708 BIBLIOGRAPHIE

1. SOURCES MANUSCRITES

ROME
Biblioteca nazionale - Fondo gesuitico
(Ce fonds est constitué des épaves d'archives du Collegio Romano saisies par
l'Etat italien lors de son installation à Rome en 1870. Il contient, reliées par
liasses constituées un peu au hasard, des reliques du fonds manuscrit du Collegio
Romano antérieur à la dissolution de la Compagnie de Jésus en 1773, et en
particulier des cours de rhétorique, des pièces d'éloquence latine, et des pièces
de théâtre datant du XVII' siècle. En dépit du désordre et de la difficulté d'attri-
hution, la consultation de ces liasses est précieuse pour se pénétrer de l'esprit
de l'humanisme jésuite à Rome sous le c: pontificat, littéraire du P. Strada et
du P. Sforza Pallavicino.)
Voir en part. Ges. 176. la liasse !a plus riche pour le XVJI". Entre autres,
fa' 216-301, série de praelectiones dans l'esprit des Prolusiones Academicae
du P. Famiano Strada.

Voir aussi:
Ges. 125. Bernardino Stefonio. Prose e versi latini.
Ges. 140. Trajano Boccalini. Osservatione sopra la vita di Agricola da Caio
Tacito.
Ges. 142. Orazio Torsellini. Prose e ~ersi latini.
Ges. 161. Varie carte e documenti relativi a la Corona di Francia.
Ges. 202. Orazio Torsellini. Ars Rhetorica.
Ges. 314. Versi latini di diversi autori (dont le P. Strada).
Ges. 332. Orationi diversi in varii sOf!getti, sacri et profani, sec. XVII.
G~s. 340. Baronii hortorum flores ab Annalibus desumpta.

Instilutum Historicum Societatis fesu.


- Rom. 150. Ensemble de documents provenant du Collegio Romano au temps
du P. Strada. En part. fa' 65-68, Lettre du P. Marcantonio Dejotaro au P.
Famiano Strada, à caractère panégyrique. p. 101-111, Lettre du P. Petrucci au
Général Ca ra fa dénonçant al tyrannie du P. Strada et du P. Sforza Pallavicino
sur le Collège Romain, et la menace que celle-ci fait peser sur les bonnes
lettres. p. 185-205, Declamatio de Gloria; adversus Gloriam. Declamatiuncula
de Largitionibus.
- Opp. NN. 13. RP. Famiani De Contexanda oratione (inédit).
Orationes (inédites, dont un panégyrique d'Henri IV).

PARIS
Bibliothèl]ue nationale

1. Manuscrits consultés relatifs à Jérôme Bignon:


Coll. Dupuy 660, fa' 349 et suiv. Relation de M. Bignon revenant de Rome.
Anc. Fr. 4337, fa' 56 Vo - 67 Vo : Remonstrance d'ouverture de M. Bignon.
Nouv. Acq. fr. 2431, fa' 411 et suiv.: Harangue sur le fait du cardinal de Retz;
fa' 416-418: Pensées et réflexions sur l'affaire du cardinal de Retz.
BIBLIOGRAPHIE 709

Nouv. Acq. fr. 2432, fo, 22 et suiv. : Remonstrance d'ouverture (dite le discours
Sur la parole).
Coll. Dupuy 869, fo, 105-106.
Anc. Fr. 2763, fo, 177-178: diverses r.opies de la Harangue prononcée lors du
Lit de Justice de 1636 et p1'Qtestant contre l'arbitraire de Richelieu.
Coll. Dupuy, 663, fo, 13 et 61 : Lettres latines de Bignon à Peiresc.
Coll. Dupuy, 869, fO' 172-182: Relation sur le procès Cinq Mars-De Thou.
Anc. Fr. 9549, fo, 210 V O- 211. Dialogue entre M. Bignon et Louis XIII relatif
à la transmission à Bignon des fonctions de Maître de la Librairie assu-
mées par Fr.-Auguste de Thou.
Anc Fr. 1361 ; fO' 168-194 et 203-218. Mémoire sur la vie de Jérôme Bignon, de
Claude Pelletier.

II. Harangues Académiques:


Anc. Fr. 645. - « Discours académiques de M. le Marechal de Bassompierre en
forme d'epistres à M. de Balzac:. (sic). En fait:
p' 1-16. - Discours sur les esprits (Desmarets de Saint-Sorlin, De
l'amour des esprits, selon PeIlisson prononcé le 13 août 1635).
Fo, 17-45. - Discours contre la pluralité des langues. (Bourzeis, daté
par PelIisson du 12 février 1635, sous le titre: Sur le dessein de
l'Academie et sur le d:fferent genie des langues.)
P 45. - Discours s'il faut se marier ou non. (Chapelain? Est-ce le
discours Contre l'Amour mentionné par Pellisson à la date du 6 août
1635, ou un autre de la même veine?)
po. 52-64. - Discours sur l'Eloquence (Hay du Chastelet, 5.2.1635);
p' 66-87. - Discours contre l'Eloquence (Godeau, 22.2.1635).
Fo' 88-113 vO. - Discours contre les sciences (Racan, 9.7.1635).
p' 114-135. - De l'amour des corps (Boissat, 2.9.1635).

III. Fonds Philippe de Béthune:


Ce fonds de manuscrits reliés aux armes de Ph. de Béthune, frère de Sully,
a été donné à la Bibliothèque du Roi par son fils Hippolyte. 11 passe pour avoir
été enrichi par Michel de Marolles. Voir L. Delisle, Le Cabinet des Manuscrits
de la Bibliothèque nationale, Paris, Impr. nat. 1881, t. l, p. 206-269, et J. Gui-
gnard, Nouvel Armoria Idu Bibliophile, Paris, E. Rondeau, 1890, s.v. Béthune.
Cet ensemble reflète pour une large part non seulement l'étendue des curio-
sités intellectuelles de l'auteur du Conseiller d'Etat, qui fut ambassadeur à
Rome, mais le mode d'acquisition et de mémorisation de cette culture: notes
de lecture rédigées sous forme de sentences, recueils de maximes personnelles
inspirées de l'expérience, de la conversation d'autrui, et de vastes lectures; disser-
tations copiées à partir de manuscrits qui circulent et qui ne sont pas publiés;
réfutations et remarques. Outre la section PolitIque, d'un intérêt capital pour
l'histoire de l'élite dirigeante française sous Henri IV et Louis XIII, les sections
Logique et Rhétorique sont d'une extrême richesse. Nous donnons, surtout de
cette dernière, un inventaire qui va à l'essentiel.
Anc. Fr. 2516. De la Dialectique de Pierre de La Ramée (f O' 96-133).
Anc. Fr. 2517. De l'Organon d'Aristote.
Anc. Fr. 2518. Logique de M. Mareschal.
Anc. Fr. 2519. P' 68-123: Responses et reparties tant pour correspondre aux
reparties de courtoisie, que pour respondre aux brocardz et aux mespriz.
710 BIBU OGRAPH 1E

Anc. Fr. 2520. P' 1-80: Traité des Passions. p' 83-141 : Essais politiques et
moraux (Réflexions remarquables sur les rebellions, leurs causes, et leurs
signes avant-coureurs).
Anc. Fr. 2521. Recueil de sentences tirées de l'ensemble de l'œuvre de Philon
d'Alexandrie.
Anc. Fr. 2523. p' 53-57: Maximes relatives à la guerre. P 57: relatives à
l'anarchie. p' 14 et suiv. : Réfl.!xions sur les Possedez de Loudun et sur
le machiavélisme.
Anc. Fr. 2525. Fo, 200-202. Réflexions sur le tempérament mélancolique.
Anc. Fr. 2526. Traité de la Cour (fO' 53-59)
Anc. Fr. 2527. Recueil de lieux communs.
Anc. Fr. 2533. De l'Art d'embellir (Notes sur l'ouvrage de Flurance-Rivault),
fo' 3-20. Usage. raison et parol/e (fo, 117-130).
Anc. Fr. 2538. P' 33 et suiv. : Preceptes sur le discours escrits pour M. de
Montmor. P 41 : Forme de discourir pertinemment, asseurement, et aise-
ment sur toute sorte de subjet. P' 47-52 : Discours par argument oratoire.
Anc. Fr. 2541. P' 40-46 VO : Du Jugement des Cinq Nations. FO' 88-93 : Remar-
ques et deffauts au traicté des Lumieres de l'Eloquence. F" 94-116 VO :
Rhetorique (sic). P' 118-45 Vo: Rhetorique: attribution des epi/hetes.
p' 119-121. Harangue de Seneque. Response de Neron (disposition).
F" 203-219. Oraison du genre délibératif. P' 239-240. Définitions. Orai-
son: «Voix signifiant quelque chose dont les parties separees ont aussy
quelque signification ... Enonciation ... Affirmation ... Negation ...
Anc. Fr. 2550. Fo, 68-86: De la Predication. P' 88 : De la Rhetorique: «Ne
rien forcer. Laisser couler tout le court et plus aysé chemin. Nulle molle
ny effeminee Iyaison et repetition de motz. Plus curieux de choses que
de parolles... Grande varieté ... Qu'il n'y ait rien d'obscur, rien qui ne
suyve bien. La longueur mesurée en sorte qu'elle n'excede point ce que
l'haleine peut porter. .. P 89: Eloquence: «Toute sa force et excellence
consiste dans les passions. Avoir une grande connaissance de la Moralle et
du naturel de l'homme. La logique qui fournit la force des arguments, tres
necessaire ... L'ordre, père de l'ornement et de la beauté ... (La formule est
de Du Vair, dans De l'Eloquence). «L'ordre... est principalle maistresse
d'eloquence ... P 90-92 : L'Oraison. Fo' 96-103 : Du Secretaire. P' 104-
107: Du Chancellier; Fo, 120-122: Des Adl'ocats. P' 123-143: Petit
recueil de pointes, suivi de Forme de diversifier 011 adapter à divers sujets
une fleur oratoire ou pointe d'lin seul sujet.
Anc. Fr. 2551. Fo 14: (Plaidoyer) Sur un sujet de crime. P 16: Bouquet gesto-
rial (Recueil de lieux communs). F" 24-39: Science Universel/e. Fo 37:
Stil. P 38 : Figures. p' 39-53 : Traité de Rhétorique. f" 54 : Sentences
relatives à la rhétorique. Fo, 58-63: D'Eschines et Demosthenes pour et
contre Ctésiphon. Fo 64 : De l'Eloquence. P 76 : Ciceron pour la defense
de Milon. Ordre tenu par Eschine dans son oraison contre Demosthenes.
Fo 88: Lettres de Consolation. P 1 Hi: Lettre dédicatoire au Roi par
M. de Montarsy.
Anc. Fr. 2552. Langage et stilz. P 20: De la langue françoise. Fo 28: De la
lecture des poetes. Fo 32: De l'ouïr. P 36 : De Seneque. P 38 : Langage.
P 39 VO : De langues. Fo 47: Les Passions (de Coëffeteau, extraits).
P' 88-92 : Des Lumieres de l'Eloquence de M. Himbert (extraits). Fo 93 :
Pour discourir et examiner un sujet (M. Mareschal). Fo 94 : Preceptes de
l'eloquence de M. Chevallier. p' 97-101-102: Sur le discours (Analyses
de harangues). P 117: Discours (jugement critique: «Motz subtilz, doux,
BIBLIOGRAPHIE 711
sententieux... quelquefois relevez. Exorde fort à propos. Narration
claire... ~). Fo 121 : De la harangue de Volumnia à Coriolan us son filz.
Fo 123: D'une plaidoirie de M. Reboul... P 125: lY Antenor aux Troyens.
P 133 : Ordre de deux discours de M. Chevallier P 165 : Olivier de Serres:
Harangue au Daulphin sur le sujet du Duc de Bourgogne. P 166: Haran-
gues au Parlement (résumées) ... P 181: Ordre et Méthode (d'après le
P. Caussin); analyse de harangues antiques: De Symmachus aux deux
Empereurs etc ... FO 197: Du Panegyrique de Pline Second ... FO 206 : De
la Harangue du gendre de M. Deageant (Dédicataire des Lumieres de
l'Eloquence d'Himbert-Durant) faicte au Pape par M. de Créquy au nom
du Roy pour sa promotion au Pontificat. P 209: Discours et pieces de
M. Duplessis-Mornay ... P 249: Des Narrations. P 257: De Matthieu
(extraits). Fo 261 : Harangue sur la Conjuration de Catilina. P 269:
Harangue de Tibere, de Germanicus, d'Agrippine. p' 285-286 : Aux plai-
doiries (préceptes: brièveté etc ... ). Fo 287 : De l'Oraison de Cicéron contre
Catilina. P 297 : Plaidoiries de Reboul. Maximes de la methode du C. de
Garon. P 309: Forme et maximes: sur Charron. P 313: Discours et
refutation (M. du Chastelet). P 330: M. Bailly (Harangue).
Anc. Fr. 2555. Les Lumieres de l'Eloquence de M. Himbert (extraits).
Anc. Fr. 2559. Fo, 183-22: Rhetorique de M. de la Martelaye (1619). P 26:
De Lucian (préceptes d'éloquence). p' 28-72 : Forme pour induire de tous
les passages et beaux lieux que l'on trouve dans les livres. P 73: Methode
d'un discours de M. Alary. FO' 81-88 : Sur l'art de discourir impromptu de
M. Alary.
Anc. Fr. 2560. Rhetorique et eloquence.
Anc. Fr. 2565. Extraits de Ciceron, Du Vair, Seneque.
Anc. Fr. 2568. Preceptes et exercices de rhetorique.
Anc. Fr. 2572 à 2578. Diverses pièces sur l'art mnémotechnique de R. Lulle.
Anc. Fr. 2581. De la Science de l'Eloquence, sentences diverses.
Anc. Fr. 2585. Plusieurs discours tenus devant le feu Roy (Henri 1II) sur les
passions de l'ame par plusieurs grands personnages. (Recueil capital pour
l'étude des travaux de l'Académie du Palais. FO' 101-155: Discours de
l'Ire de Pibrac.)
Anc. Fr. 2586. Fo' f-22 VO : Reproches d'Ariadne à Thesee, par M. de La Brosse.
Anc. Fr. 2587. P' 8-59: Rhetorique de M. le Garde des Sceaux Du Vair (?).
Anc. Fr. 2597. Fo 59 VO : Stilz de Demosthene et Ciceron: «De Demosthene :
n'a rien de gaieté, rien de joie ny d'embellissement. Est partout serré.
Rien qui ne presse et qui ne poigne à bon escient. Ressent un grant
travail. Une aigreur et austerité de nature. Sobre à se louer. Ne repete.
De Ciceron. Mocqueur jusques aux approches du plaisant. Grand vaniteux.
Repetoit. ~ Fo, 60-64: Rhetorique (divisions). Fo 68: De l'Art de la
Memoire. P 80 : Observations sur un discours de M. Reboul. P' 100-108:
Sur le second et troisieme plaidoyer de Reboul... P' 155-170: Lettre à
Monsieur H., Advocat au Parlement. (Sur le pouvoir d'aveuglement des
passions et de l'amour propre.)

IV. Autres ma1U1scrits consultés:


Anc. Fr. 531. P' 47-70: De la rhetorique.
Anc. Fr. 1673: La rhetorique expliquée par discours et par tables.
Anc. Fr. 4044 (1). Traicté de la méthode et observations necessaires dans l'elo-
712 BIBLIOGRAPHIE

quencl! et rhetorique ... aux fins de rendre les hommes d'esprit curieux
capables d'escrire, discourir et parler en public.
Lat. 11294. Ars Rhetorica ad Rhetoricas institutiones (v. fo 319, un Traité de
la Poesie françoise).
Lat. 11292. Compendium Rhetoricae, a Domino Becha in Collegio Lexoveo Anno
Domini 1631.
Lat. 11293. Institutiones oratoriae veterum recentiorumque exemplis illustralae.
Nouv. Acq. Lat. 6282. Recueil de poesies latines composées dans les maisons de
Jésuites à Caen, Nevers, La Fleche, et Paris dans la deuxième moitié du
XVIII' siècle.

Il. SOURCES IMPRIMeES

1. RHÉTEURS, ORATEURS, SOPHISTES, PÉRES DE L'EGLISE GRECS, ÉDITIONS


TRADUCTIONS DU XVI' ET DU XVII" SIÉCl.E (1500-1650)

1. Epistolae Basilii Magni, Libanii rhetoris, Chionis platonici, Aeschinis et


Isocratis oratorum, Phalaridis tyranni, Bruti romani, Apollonii Tyanensis,
Juliani apostatae... - Epistolae diversorum philosophorum, oratorum, rhe-
torum sex et viginti... - Venetiis, ln aed. Aldi, 1499, 2 t. en 1 vol. in-4°.
[Rés. Z 650.]
(Ce recueil et les deux suivants sont à l'origine de la redécouverte de la
seconde sophistique grecque, et d'une sensibilité nouvelle à l'art de la
prose dans l'Europe moderne.)
2. Rhetores graeci, Venise, Alde, 1508-1509, 2 vol. in-fol. [Rés. X 273-274.]
Aphtonii sophistae Progymnasmata.
Hermogenis ars Rhetorica.
Aristotelis Rhetoricorum ad Theodecten Iibri tres.
Ejusdem Rhetorica ad Alexandrum.
Ejusdem Ars Poetica.
Sopatri Rhetoris quaestiones de componendis dec1amationibus in causis
praecipue judicialibus.
Cyri sophistae differentiae statuum.
Dionysii Alicarnassei ars Rhetorica .
Demetrii Phalerei De interpretatione.
Alexandri sophistae De figuris sensus et dictionis.
Adnotationes innominati De figuris Rhetoricis.
Menandri Rhetoris Divisio causarum in genere demonstrativo.
Aristeidis De civili oratione.
Ejusdem De simplici oratione.
Apsini De arte Rhetorica praecepta.
3. Rhetores graeci et latini, Venise, Alde, 1523, in-fol. [Rés. X 272.]
Georgii Trapezuntii Rhetoricorllm lib ri V.
Conslllti Chirii Fortllnatiani Iibri 111.
Aqllilae Romani De figuris sententiarum et elocutionis liber.
P. Rutillii Lupi earumdem figurarum e Gorgia liber.
Aristotelis Rhetoricarum ad Theodecten. Georgio Trapezuntio interprete
Iibri III.
Ejusdem Rhetorices ad Alexandrum a Francesco Philelpho in latinum versae
liber.
BIBLIOGRAPHIE 713

Paraphrasis Rhetoricae Hermogenis ex Hilarionis monachi Veronensls


traductione.
Priscianus de Rhetoricae praeexercitamentis ex Hermogene.
Aphtonii declamatoris rhetorica progymnasmata 10. Maria Cataneo
tralatore.

AELIUS ARISTIDE
·4. Orationes Aristidis. Venetiis, in aed. Aldi, in-fol. [Res. X 2S7.]
5. Aelii Aristidis... orationum tomi tres nunc primum latine versi a Oulielmo
Cantero ... Huc accessit orationum tomus quartus ex veteribus graecis
oratoribus concinnatus, eodem interprete. Item de ratione emendandi scrip-
tores graecos ejusdem syntagma. Basileae, exc. P. Perna, 1566, in-fol.
IX 729.]

ALEXANDRE NUMÉNIOS (v. Rhetores graeci, éd. Alde cit.)


6. Alexandri sophistae de figuris sententiarum ac elocutionum Natale de
Comitibus interprete. Venetiis, apud Sanctum Guerrinum, 1557, in-8° (trad.
de Noël Conti). IX 16719 (2).]

APHTONIUS (v. Rhetores graeci, éd. Alde cit.)

7. Aphtonii sophistae praeludia. Parisiis, ex off. C. Wecheli, 1536, in-8°.


IX 20465.)
S. Aphtonii sophistae praeclarissimi rheforica progymnasmata Uoanne Maria
Cataneo interprete, curante Benigno Martino). Parisiis, apud S. Colinaeum,
1539, in-S o • IX 17836 (3).]
9. Aphtonii libellus progymnasmatllm id est proeparantium exercitationum in
sermonem latinum conversus, Oraeco scripto et exemplis compluribus
additis a Joachimo Camerario Palier. Lipsiae, s.d. in-12. IX 16752.]

AalUs THÉON (v. Rhetores graeci, éd. Alde, cit.)

10. Theonis sophistae primae apud rhetorem exercitationes, innumeris qui bus
scatebant antea mendis Joachimi Camerarii pabergensis opera purgatae,
additis a Joachimo Camerario Pa/;er. Lipsiae, s.d. in-12. IX 16752.]

ARISTOTE
II. Aristotelis de Arte dicendi libri III Hermolao Barbaro inferprete. Venetiis,
apud Vasco sa nu m, 1549, in-Bo, 137 ff. IX 16672.]
12. Aristotelis Rhetoricorom libri III, in latinum sermonem conversi et scholiis
brevioribus explicati a Joanne Sturmio... Argentinae, exc. T. Richelius,
1570, in-Bo, 429 p. IX 16682.]
13. Aristotelis Ars rhetorica ab Antonio Riccobono ... latine conversa Ejusdem
Riccoboni explicationum liber, quo Aristotelis loca obscuriora declarantur ...
Aristotelis Ars poetica ab eodem in latinam linguam versa cum ejusdem
de re comica disputatione. Venetiis, apud P. Meiettum, 1579, 2 t. en un vol.,
in-Boo (Rééd. à Lyon en 1618, à Paris en 1625 et 1645). IX 16685.]
714 BIBLIOGRAPHIE

ARISTOTE
14. Commentarius in primum et secundum librum Rhetoricorum Aristotelis.
Ingolstadii, 1602, in-Boo IX 16706.]
(Par Marc Antoine Muret. Voir aussi P. Vett9ri, infra, n° 799.)
14blo • Les trois livres de la rhétorique d'Aristote traduits de grec en françois
(par Jean Du Sin). Paris, D. Douceur, HiOB, in-Bo, 377 p. (Rééd. 1613).
IX 16691.]
15. La Rhétorique d'Aristote traduicte en françois par le sieur Robert Estienne ...
Paris, Impr. R. Estienne, 1624, in-8°. (Rééd. 1630.) IX 16692.]
16. Aristotelis Artis rhetoricae libri tres latina versione e regione graeci sermo-
nis posita. Editio postrema a mendis quibus scatebat expurgata, Antonio
Riccoboni interprete. Parisiis, 'lpud S. Cramoisy, 164B, in-Bo, 259 p.
[R 94B3.]
17. La Rhétorique d'Aristote en françois (par François Cassandre). Paris,
L. Champ hou dry, 1654, in-4°, 556 p. et table. (Rééd. 1675.) [X 11694.]
(Destiné à remplacer les traductions de Du Sin et de R. Estienne.)

ATHÉNÉE
lB. Athenaei Dipnosophistarum sive Coenae sapientum Natale de Comitibus ...
nunc primum e graeca in latinam linguam vertente... Venetiis, apud Arriva-
benum, 1556, in-fol. [Z 403.]
(Trad. Noël Conti.)
19. Athenaei... Deipnosophistarum libri quindecim... in latinum sermonem
versi a Jacopo Delechampio ... Lugduni, apud A.de Harsy, 1583, in-fol.
[Z 400.]
(V. éd. critique du texte grec par Casaubon, Heidelberg, 1593 et Lyon,
1612.)
20. Les quinze livres des Deipnosophistes d'Athénée ... ouvrage traduit pour
la première fois en françois (par M. de Marol/es). Paris, Langlois, 1680,
in-4°. [Z 2902.]

BASILE LE GRAND (Saint)


21. Epistola ad Gregorium Nazianzenum de vita in solitudine agenda per
Budaeum latina facta. - Voir Budé Guillaume. Epistolarum latinarum
libri V ... Parisiis, 1526, in-fol. [Z 464.]
22. Divi Basilii Magni de insituenda siudiorum ratione, et quae utilitas capi
queat ex gentilium librorum lectione, oratio paraenetica ad nepotes suos...
Parisiis, apud J.-L. Tiletanum, 1544, in-8°, 30 p. [C 4865.]
(Autre éd. Paris, 1558.)
23. Harangue de Saint Basile le Grand à ses jeunes neveux quel prof/it ils
porront recueillir de la lecture des livres grecs des autheurs profanes,
ethniques, et payens, traduite de grec en nostre langue par Claude de
Pontoux. Paris, J. Le Roxer et P. Hamon, 1561, in-8°. [Rés. C 4860.]
24. Basilii Magni epistola ad Gregorium sodalem suum de vita per Solitudinem
transigenda, e graeco in latinum per Gulielmum Budaeum ... versa, in ea
pueros ad literarum studia informandi ratio paucis expedifur. Parisiis,
apud G. Morellum, 1562, in-Bo, 14 p. [C 2608 (2).]
BIBLIOGRAPHIE 715

25. Les sermons de sainet Basile le Grand... traduicts du grec en françois par
Christophle Hebrard de Saint Sulpice ... Paris, T. de Hinqueville, 1580,
in-8·, 158 p. [C 445.]
26. Traieté ... du benoist Saint Esprit, et des dons de grlice qu'il nous départ ...
Prieres des (Pères grecs) et Stances (de Bertaut) au mIme Saint Esprit.
Paris, F. Morel, 1583, in-12, 23 p. [C 4548.]
(Autre éd. 1608. Le traité, traduit par F. Morel, était faussement attribué
à saint Basile.)
Zl. Discours de l'origine et causes des maladies, pestilences, guerres ... qui
adviennent ordinairement et que Dieu n'en esl point autheur, traduict ...
sur l'original grec de saint Basile ... Paris, F. Morel, 1584, in-S·, 28 p.
[C 4565.]
28. Description du paradis terrestre traduicte nouvellement du grec de saint
Basile le Grand... (pjlr F. Morel). Paris, F. Morel, 1586, in-8·, 12 ff.
[C 3686 (2).]
29. Discours de la penitence ... Paris, F. Morel, 1587, in-8·, 24 p. [C 4596.)
(Attribué faussement à saint Basile, trad. par F. Morel.)
~. Du Vair (Guillaume). La Samcte Philosophie. Rouen, T. Daré, in-12, 1610,
300 ff. W· éd. 1580). [D 19949.)
(Voir pp. 46-53, Epistre de sainct Basile le Grand à S. Gregoire le Theo-
logien: traduction par Du Vair en français d'une lettre de saint Basile
sur la vie solitaire qui avait été traduite en latin par Guillaume Budé en
1526.)

CLÉMENT D'ALEXANDRIE (Saint)


31. Clementis Alexandrini omnia quae quidem extant opera nunc primum e
tenebris eruta latinitate donata, Gentiano Herveto ... interprete. Florentiae,
L. Torrentinus, 1551, 3 part. en 1 vol. in-fol. (éd. parisienne 1566, chez
G. Guillard). [C S77.)
32. Clementis Alexandrini hymni in Chrislum Servalorem graece et latine,
F. Morellum, 159S, in-S·, S p. [C 4570.)
33. Me/aplzrastae iambici senarii de salI/fis nostrae mysteriis et Clementis
Alexandrini ad Christum tremetri. F. Morellus inlerpres... iisdem numeris
latine expressif. Parisiis, apud F. Morellum, 1606, in-S·, S p. [C 4625.]
34. Clementis Alexandrini opera graece et latine quae extant. Daniel Heinsius
tex/um graecum recensuit ... accedun.l diversae lectiones et emendationes...
a Frederico Sylburgio collectae. Lugduni Batavorum, exc. Portius, 1616,
in-fol. 580 p. [C 64.)
(Autre éd. à Paris, CI. Morel ,1629.)

CYRILLE D'ALEXANDRIE (Saint)


35. Du soleil de justice et de la couronne de l'an ... Paris, 1605, in-8·, F. Morel.
[C 3929.)

DÉMÉTRIUS DE PHALÈRE (v. Rhetores graeci éd. Alde cit.)


36. Demetri Phalerii de elocutione, Petrus Victorius in lucem edidit. Florentiae,
apud ]untas, 1552, in-S·, XI-96 p. [X 16715 (1).]
(Voir du même auteur les Commentarii sur Démétrius de Phalère et
Aristote.)
716 BIBLIOGRAPHIE

37. Demetrius Phaleril de Oratione sive de modo dicendi, Natale de Comitibus


Veneto interprete, cum privilegio. Venetiis, apud Sanctum Guerrinum, 1557,
in-12, 52 p. [X 16719.]
(Trad. Noël Conti.)
38. Petri Victorii commentarii in librum DemetrU Phalerei de elocutione, positis
ante singulas declarationes graecis vocibus auctoris ;;s denique ad verbum
latine expressis. Florentiae, in off. Juntarum Bernardi fr., 1562, in-fol.,
268 p. [Rés. X 272 et X 719.]

DatOSTHÈNE

39. Demosthenis orationes duae et sexginta. Liban;; sophistae in eas ipsas


orationes argumenta. Vita Demos!henis pel Libanillm. Ejusdem vita per
Plutarchum. Ediderunt Aldus Manutius et Scipio Fortiguerra. Venetiis, in
aed. Aldi, 1504, 2 part. en un vol. in-fol. [Rés. X 492.]
40. Demosthenis orationes quatuor contra Philippum a Paulo Manutio latinitate
donatae. Venetiis, apud Aldi filios, 1549, in-4°. [Rés. X 1017 (1).]
(Source de la traduction en français de J. Lallemant en 1549 et de L. Le
Royen 1555.)
41. Les quatre Philippiques de Demosthène ... nouvellement translatées de grec
en françois par Jehan Lallemant ... Paris, M. Fezandat, 1549, in-8°, 100 ff.
[X 16877.]
(La préface défend l'auteur contre deux sortes de critiques: ceux qui lui
reprochent de n'avoir pas été '" tant curieux de langage", et de n'avoir
pas cherché à rivaliser avec l'élégance et la force de l'original, mais sim-
plement à «estre entendu". Et ceux qui lui auraient reproché, s'il avait
«plus scrupuleusement translaté, et quasi mot à mot", de se montrer
incompréhensible et «trop religieux translateur :1>.)
42. Trois oraisons de Demosthène ... , ûit/es Ol)mthiaques ... translatées de grec
en françois par Lays Le Roy ... Paris, impr. M. de Vascosan, 1551, in-4°,
25 ff. [R 8257.]
(Sur l'importante préface de cette traduction, voir notre 111° partie.)
43. Rapport des deux princes de l'éloquence grecque et latine, Demos/henes
et Cicero a la traduction d'aucunes de leurs Philippiques par M. Jean
Papon ... Lyon, Roy et Desnot, 1554, in-8°, XVI-266 p. [Rés. X 2179.]
44. Le Premier, second et dixieme livre de Justice 011 de la République de
Platon. Quatre Philippiques de Demosthene. Sermon de Theodorite,
evesque de Cyropoli... de la providence et justice divine, le tout traduit de
grec en françois par Loys Le Roy, à Messire Bertrand de Comminges ...
Garde des Sceaux de France. Paris, S. Nivelle, 1555, in-4°, Iv-250 p.
[·E 227.]
(Deux préfaces: l'une, p. 120-126, «contenant la comparaison de Demos-
thene et de Ciceron, de leurs styles, et fortunes ... », l'autre, p. 211, en
tête du sermon de Théodorite, fait un bilan de son œuvre de traducteur
d'Isocrate, de Xénophon, de Platon, et de Démosthène: «De ma part,
quand j'au rois seulement proposé à la nation françoise les precepteurs du
genre humain, qui ont demeuré jusques icy es-escholes mal entendus, et
traittez grammaticalement, je ne penserois pas avoir peu fait, mesmement
en une langue non encores dressee, ny accoutumee et disciplinee. »)
45. Orationes Aechinis et Demosthenis inter se contrariae, a Dionysio Lam-
bino ... in latinum sermonem conversae. Lutetiae, apud Vid. G. Morelli,
1565, in-4°, 183 p. [X 3128.]
BIBLIOGRAPHIE 717

46. Sept oraisons de Demosthène prince des orateurs à sçavoir les Olyn-
thiaques et quatre Philippiques traduittes du grec en françois par Loys
Le Roy dict Regius... Paris, impr. Fr. Morel, 1575, in-4", 76 ff. [Rés. X
1027 (1).]
(Outre la dédicace au duc d'Alençon, ce recueil contient une préface
«contenant la perfection de l'Eloquence, et conjonction d'icelle avec la
Philosophie, ensemble l'entière comparaison de Demosthene et Cicero n,
les deux plus eloquens hommes qui furent jamais,.. Cette préface très
importante peut être considérée comme le modèle suivi de très près par
Du Vair dans son traité De l'Eloquence, qui n'est après tout qu'une préface
à la traduction de discours de Cicéron et de Démosthène. Voir en parti-
culier p. 6: «Le corps de l'orai:ion, ainsi que l'humain, est beau, où les
veines ne se monstrent trop, où les os n'apparoissent pas; mais y est le
sang bien tempéré, qui remplit les membres, et s'esleve es muscles: quand
y a fermeté es nerfs et que le tout est revestu de chair saine, et couvert
d'une peau bien colorée. Ce que l'orateur ne peut faire sans l'aide de
Philosophie.,. C'est déjà toute l'esthétique de Du Vair. Le thème de la
« bassesse de l'éloquence françoise .. est également fort bien posé fol. 12 v·.
Relié dans le même exemplaire, figure le Recueil des points principaux de
deux Remonstrances de Pibrac, publié chez R. Estienne en 1570.)
47. Du Vair (Guillaume). De l'Eloquence Françoise ... Paris, 1595 (Priv. du
22 janvier 1594), in-12, 42-283 ff. [X 18559.]
(Voir ff. 3-93, trad. du Contre Ctesiphon d'Eschine, et ff. 93-198, trad.
du Pour Ctesiphon de Démosthène, suivis de la trad. du Contre Milon
d'Appius Clodius et du Pour Milon de Cicéron). L'ouvrage de Du Vair
couronne les efforts de Le Roy, mais aussi de 1. Papon (Rapport des deux
princes de l'éloquence grecque et latine, 1554), et de Denis Lambin (Ora-
tiones Demosthenis et Aeschinis il/ter se contrariae ... 1565).

DENYS D'HALICARNASSE (v. Rhethores graeci, éd. Alde dt.)


48. Dionysii Halicarnassi de Compositione seu orationis partium apta inter se
cOllocatione, ad Rufum ejusdem arlis rhetoricae capita quaedam, ad Eche-
cratem, item quo genere dicendi usus sit Thucydides, ad Ammiaeum.
Lutetia, ex off. R. Stephani, 1547, in-fol. 128 p. [Rés. 1177 (2).]

DION DE PRUSE, dit CHRYSOSTOME.


49. Discours de la royauté et de la tyrannie traduit nouvellement du grec de
Dion prusien surnommé Chrysostome ou Bouche d'Or par F. Morel. Paris,
E. Prevosteau, 1589, in-8·, 8 p. [R 33833.]
50. Louange de la loy fraduicte sur l'original grec de Dion Bouche d'Or, par
F. Morel... Paris, impr. F. Morel, 1598, in-8·, 14 p. [C 4710.]
51. Dionis Chrysostomi orationes LXXX ... Phofii excerptis Synesiique censura
illustratae, ex interpretafione Naegeorgi accurate recognita Fed. Morelli...
opera, cum Is. Casaubonis diatribn et ejusdem Morelli scholiis... Lutetiae,
ex off. typo Morelli, 1604, 6 parties en un vol. in-fol. [Rés. X 504.]

EUNAPE
52. Eunapius Sardianus de Vitis philosophorum et sophistarum, nunc primum
graece et latine editus... Antverpiae, ex off. C. Plantini, 1568. 2 part. en
un vol. in-8·. [Rés. R 2410.]
718 BIBLlOORAPHIE

GRÉGOIRE DE NAZIANZE (Saint)


53. Gregorii Nazianzeni... orationes lectissimae XVI opera M. Musuri peditae.
Venetiis, in aed. Aldi et Andreae soceri, 1516, in-So, 311 ff. [C 2623.]
54. Drationes XXXVIII, tractatus, sermones, et libri aliquot, latine (éd.
Erasme). Paris, 1532, in-fol. [Rés. C 172.]
55. Sancti Gregorii Nazianzeni... opera nunc primum graece et latine conjunc-
tim edita ... J. Billius Brunaeus... cmendavit, interpretatus est, una cum Nice-
tae Serronii... commentariis. Aucta est haec editio... Gregorii epistolis
nunquam antea editis ex interpretatione F. Morelli ... Lutetiae Parisiorum,
apud C. Morellum, 1609-1611, 2 vol. in-fol. [C 165.]
(Rééd. 1630.)

GRÉGOIRE DE NYSSE (Saint).


56. Discours spirituel touchant le sacrement du baptesme, traduit de l'original
grec de saint Grégoire de Nysse par F. Morel... Paris, F. Morel, 1606,
in-12, 52 p. [C 4584.]
57. Discours sur la Passion et Resurrection de N.S.f.C. translaté de l'original
grec de saint Gregoire, evesque de Nysse, par F. Morel ... Paris, F. Morel,
1608, in-I2, 22 p. [C 4706.]
58. Sancti Patris nostri Gregorii episcopi Nyssenii... opera omnia quae reperiri
potuerunt, graece et latine... edita... Additae sunt variae doctis virorum
notae (Edidit F. Morel/us). Parisiis, apud M. Sonnium, 1615, 2 vol. in-fol.
(Rééd. 1638.) [C 932.1

HERMOGÈNE (v. Rhetores graeci, éd. Alde cit.)


59. Hermogenis Tarsensis ... de Arte rhl'forica praecepta, Aphtonii item saphis-
tae praeexercitamenta, nuper in latinum sermanem versa a Natale de Comi-
tibus, Veneto. Basileae, apud P. Pernam, s.d., in-So, 414 p. (Trad. Noël
Conti.) IX 16729·1
60. Hermagenis Tarsensis ... De Ratione inveniendi orataria libri III, latinitate
danati et schaliis explicati... a Jaanne Sturmio. Argentorati, exc. J. Riche-
Iius, 1570.2 parties en un vol., in-8°. [X 16730.]
61. Hermogenis Tarsensis ... Partitionum rhetoricarum liber unus, qui vulgo de
statibus inscribitur. Argentorati, exc. J. Richelius, 1570, in-8°, 119 p.
[X 16731 (1).]
62. Hermagenis Tarsensis ... de dicendi generibus sive formis arationum libri Il,
latinitate donati ... a Jaanne Sturmio. Argentorati, exc. J. Richelius, 1571,
in-So, 399 p. [X 16732 (1).]
63. Hermogenis Tarsensis ... de ratione tractandae gravitatis accultae liber,
latinilate donatus ... a Joanne Sturmia. Argentorati, exc. J. Richelius, 1574,
in-So, 79 p. [X 16732 (2).]

ISOCRATE
64. Isocratis orationes; Alcidamantis contra dicendi magistras; Gorgiae de
Lalldibus Helenae; Aristidis de :au:iiblls Athenarum; ejusdem de Laudi-
bus urbis Romae. Venetiis, in aed. Aldi et Andreae soceri, 1513, in-fol.,
1671, p. 1-197. [Rés. X 558.]
BIBLIOGRAPHIE 719

65. Isocrates nuper accurate recognitus et auctus ... Isocrates, Alcidamas, Gor-
gias, Aristides, Harpocration. Venetiis, in aed. Aldi, 1534, in-fol. [Rés. X
276.]
66. Isocratis Orationes et Epistolae cum solita interpretatione I.T.A. quo
accessit grammatica singularum vocum in duabus quidem prioribus oratio-
nibus explanatio cura A.P. (Ambroise Pezier) ... Parisiis, apud S. Chappelet,
1631, in-S·, 902 p. [X 26564.]
(Une trad. latine des Opera omnia avait été publiée par Jérôme Wolf à
Bâle en 1570, X 721.)
67. Trois livres d'Isocrates ... le tout translaté du grec en françois par Loys
Le Roy, dit Regius ... Paris, M. Vasco san, 1551, in-4·, 106 ff. [R 1712.)
68. Enseignemens d'Isocrate et XenopllOn ... pour bien regner en paix et en
guerre, traduitz par Loys Le Roy ... , avec la préface sur toute la politique ...
Paris, Vasco san, 1568, in-4·, 95 p. [E 889 (1).]
69. Isocrate. De la louange d'Hélène et de Busire (trad. par P. Du Ryer et
L. Giry). Paris, Vve J. Camusat, 1640, in-12, 126 p. [X I683S bis.]
(A replacer dans la série des traductions patronnées par l'Académie.)
70. Le Prince d'Isocrate ou l'art de bien régner ... par M. Dubreton ... Paris,
Sommaville et Courbé, 1642, in-S·, 284 p. [R 24247.]
(Le titre de cette traduction montre que les contemporains étaient conscients
des sources isocratéennes de l'idéal politique comme du style démonstratif
de Balzac, auteur du Prince.)

JEAN CHRYSOSTOME (Saint)

71. Le Dialogue de saint Jean Chrysostome sur la dignité sacerdotale, traduict


en nostre langue françoise par Richard Le Blanc. Paris, R. Masselin, 1553,
in-4·,2 fi. 156 p. [Rés. C 5970.)
72. Discours panégyrique de saint Jean Chrysostome sllr saint Jean l'Evan-
géliste translaté nouvellement sur l'original grec par F. Morel ... avec stance
sur l'aigle dudit saint Jean ... Paris, F. Morel, 1591, S·, 16 p. [C 2S12.)
73. Sermons de la Providence de Dieu contre la fatale destinée et autres dis-
cours spirituels de saint Jean Chryslistome traduicts sur l'original grec par
F. Morel. Paris, F. Morel, 1593, S·, 52 p. [C 2710 (1).]
74. Discours de 8aint Jean Bouche d'Or sur la creation des animaux et de la
dignité de l'homme, traduit ... par F. Morel. Paris, F. Morel, 1594, in-S·,
16 p. [C 2677 (5).)
75. Discours de la verité du Saint Sacrement de l'autel traduict ... du Sermon
de saint Jean Chrysostome ... sur le XXVI chapitre de saint Matthieu par
F. Morel. Paris, F. Morel, 1596, in-S·, 31 p. [e 2677 (1).)
76. Discours de l'arbre de la science savoir si Adam a eu la cognoissance du
bien et du mal avant que d'en goûter le fruict, et s'il l'a eue depuis. Tra-
duict nouvellement par F. Morel sur l'original grec de saint Jean Bouche
d'Or ... Paris, F. Morel, 1596, in-8·, 16 p. [e 266S (6).)
77. Discours du devoir des roys, gouverneurs, prelats, et magistrats, traduit
en françois 8ur l'original grec de saint Jean Chrysostome ... Paris, imp.
F. Morel, 1599, in-S·, 24 p. [e 3798.)
720 BIBLlOûRAPHIE

7S. Homelies de saint Jean Chrysostome traduites en françois par François


Joulet sieur de Chastillon. Paris, 1601, in-12 (Cior. n° 36773).
(A rapprocher des traductions de Cicéron dont f. joulet est l'auteur.)
79. Sancti Patris nostri Joannis Chrvsostomi... opera omnia... Edidit Fronto
Ducaeus. - T. \, Lutetiae Parisiorum, apud CI. Morellum, 1009, in-fol.,
940 p. et 132 p. notes et index. - T. Il, ibid., apud A. Stephanum, 1614,
in-fol., 1068-56 p. et index. - T. Ill, ibid. apud CI. Morellum, 1614, in-foI.,
IV-I055 p. et index. - T. IV, ibid., apud C. Morellum, 1614, VIII-976 p.
et 7S p. notes et index. - T. V, ibid., apud A. Stephanum, 1616, in-fol. IV-
1011 p. et index. - T. V, ibid., apud S. Cramoisy, et A. Stephanum, 1624,
in-fol., IV-H161 p. et index. [C 188.]
80. Homelies de sainct Jean Chrysostome avec les catecheses mystagogiques
de S. Cyrille evesque de Jerusalem contenant plusieurs poincts et mysteres
de la Foy catholique, apostolique et romaine, de tous tems creus et obser-
vez et à present indeuement controversez par les Separez, et encores un
Traicté de l'Ame de saint Gregoire le Thaumaturge OU faiseur de mira-
eles ; le tout nouvellement traduict de grec en françois allec un discours
des predicateurs qui affectent le bien dire par Antoine de Laval, sieur de
Belair, geographe du Roy, capitaine de son Parc et Château de Moulins
en Bourbonnois. Paris, CI. Cramoisy, 1621, in-8°, 199 p. [C 3832.]
SI. Six livres de sacerdoce par sainct Jean Chrysostome (traduits par François
joulet, sire de Chastillon). Paris, 1621, in-So (Cior. n° 36776).
(A rapprocher de la traduction du L.1. du De Dratore par f. joulet.)

JULIEN l'EMPEREUR

S2. Juliani imperatoris Misopogon et epistolae graece latineque nunc primum


edita et illustrata a Petro Martinio ... addita est praefatio de vita Juliani
eodem authore. Parisiis, apud A. Wechelum, 1566, in-So, 317 p. [Rés.
X 2207.]
83. Juliani imperatoris de Caesaribus sermo, C. Cantoelari... opera on lucem
nunc primum editus et ab eodem latinus faclus. Parisiis, apud D. Vallensem,
1577, in-8°, pièces limin. 53 ff. [X 16965.]
84. Discours de l'Empereur Julian sur les faicts et deporlemens des Caesars,
traduict de grec en françois avec un abrégé de la vie dudit Julian, et anno-
tations ... par B. Grangier. Paris, j. de Bordeaux, 1580, in-S·, 57 p. [X
16971.]
85. Juliani Caesaris Hymnus in Solem regem nunc primum in lucem editus a
Theodoro Marcilio ... Parisiis, apud D. Duvallium, 1583, in_So, pièces Iimin.
56 p. [X 10062 (4).]
86. Juliani imperatoris quae extant omnia, a Petro Martinio ... et Carolo Canto-
claro ... latine facta emendata et aucta. Ejusdem Martinii praefatio de vita
Juliani. Additus praeterea est Carolo Cantoclaro liber ejusdem Juliani nepl
~Cl"W:!Cl" et a Theodoro Marcilio 'TILvo, el, ~1X"tHIX '·HÂtOv. Parisiis, apud
D. Duvalum, 1583, 4 part. en 1 vol., in_So. IX 16962.]
87. Epistre de l'Empereur Julien envoyée au elarissime Serapion avec un pre-
sent de figues de Damas, contenant la louange des figues et du nombre
centenaire. Traduit en françois sur l'original grec par F. Morel. Paris,
f. Morel, 1610, in-S·, 16 p. [Yc 1322S.]
BIBLIOGRAPHIE 721

88. Juliani imperatoris Caesares sive SatJ'ra in romanos imperatores, interprete


Petro Cunaeo. In timine est ejusdem praefatio in Julianum. Antverpiae,
ex off. Plantiniana Raphelengi, 1612, in-12, 155 p. [Z 17122.]
89. Juliani imperatoris Orationes III panegyricae ab eo cum adhuc christianus
esset scriptae, quarum priores duae nondum editae, postrema fere tertia
parte auctior prodit. Dionysius Pe.'avius latina interpretat;one donavit, notsi
atque emendationibus illustravit. Flexiae, apud J. Rézé, 1614, in-8°, VI-
553 p. index. [X 16963.]
90. Juliani imperatoris opera quae quidem reperiri potuerunt omnia ... graece
et latine prodeunt cum notis. Cum praefatione P. Martini et notis D. Petavii.
Parisiis, sumpt. S. Cramoisy, 1630, 2 part. en 1 vol., in-4°. [Rés. X 1040.]

LIBANIUS

91. Libanii sophistae graed declamatiunculae aliquot eaedemque graece, per


Desider. Erasmum Roterod. cum duabus orationibus Lysiae itidem versis,
incerto interprete, et alii nonllullis... Basileae, j. Froben, 1522, in-4°.
[Rés. X 103S.]
(Cette traduction d'Erasme ouvraIt la voie à celles de Fédéric Morel à
la fin du siècle et au début du suivant. Ces pièces de prose épidictique
sont une des sources des proses marinistes du XVII' siècle: Libanii disser-
tatio sub persona Menelai; Quae dixerit Medea suos mactatura filios;
Quae dixerit Andromache interfecto Hectore ...• etc.)
92. Libanii sophistae de conscribendis epistolls. Auctoris cujusdam incerti ad
Heraclidem epistolarum formulae ... ?3risiis. apud G. Morellum, 1558, 2 part.
en 1 vol. in-8°. [X 16716 (2).]
93. Blason d·Ulysse. translaté de l'original grec de Libanius par Fed. Morel ...
Paris. F. Morel, 1602, in_So, 24 p. (J 23249.]
94. Libanii sophistae efhopoeiae seu mO"ales fictaeque orationes nunc primum
graece prodeunt e Bibliotheca regia, cum interpretatione F. Morelli ... Pari-
siis. apud F. Morellum, 1603, in-So, IS p. [X 19610.)
(Une des sources. aux côtés des Characteres ethici de Théophraste. de la
vogue des «peintures morales;, au XVII' siècle.)
95. Libanii sophistae laudatio Justitiae ... interprete Fed. Morello... Lutetiae,
apud F. Morellum, 1605, 2 part. en 1 vol. in_So. [X 16957 (4).]
96. Libanii sophistae praeludia oratoria LXXII. declamationes XLV et disserta-
tiones morales. Federicus Morel/lis ... nunc primum edidit, idem que latine
vertit. Adjectae sunt notae et variae lectiones ... Praemissa est Libanii vita,
Eunapio auctore ... Parisiis, apud CI. Morellum, 1606-1627, 2 vol. in-fol.
[X 731-732.]
97. Libani sophistae dissertationes tres 1 de opibus, Il de amicis. III de inexple-
bili cupiditate. Fed. Morellus ... latine convertit... Lutetiae, apud F. Morellum,
1606, 2 part. en 1 vol. in-4°. [X 3807.]
98. Libanii sophistae laus palmae et pomi. ejusdem horti. porti. naumachiae.
et leonis certantis description es ... LLltetiae, apud F. Morellum. 1612, 2 part.
en 1 vol. in_So. [X 16955 (1).] (Voir également du même éditeur, X 19611
et X 16957.)
722 BIBLIOGRAPHIE

99. Libanii j3"'17LÀLX6ç seu Panegyriclls Constanti et Constantio Imp. dictus ..


Graeca nunc primum e Vaticana bibliotheca prodeunt Fed. Morellus recen-
suit, cum alëis mss. contulit, latine vertit, notis illustravit ... Lutetiae, apud
F. Morellum, 1614, 2 part. en 1 vol. in-8°. [Rés. X 2198.)
100. !uj3",yloo I7O'PL<TrOÜ h9pti17eLç Libanii sophistae expositiones oratoriae Her-
culis certaminum, junonis et Polyxenis mactatae. Parisiis, apud F. Morel-
lum, 1613, 2 part. en 1 vol. in-8°. [Rés. X 2744 (1).)
- Libanii sophistae junonis descriptio amoenissima ... F. Morellus ...
latine vertit ... Lutetiae, apud F. Morellum, 1613, 2 part. en l vol. in-8°.
[Rés. X 2202 et Rés. X 2744 (2).)
(II faut faire figurer ces éditions et traductions de F. Morel aux côtés de
la traduction de Philostrate par Vigenère : l'art de la description en prose
au XVII' siècle y trouve une de ses sources majeures.)

LONGIN (Ps.)
l{ll. Dionysii Longini... liber de grandi sive sublimi orationis genere nunc pri-
mum a Francisco Robortello ...in illCl!m editus ejusdemque annotationibus ...
illustratus ... Basileae, per J. Opurinum, s.d., in-4°, 71 p. [X 3074.) (Dédi-
cace du 5.8.1554.)
102. Dionysii Longini de sublimi genere dicendi ... Venetiis, apud Paulum Manu-
tium, Aldi filium, 1555, tn-4°, 24 ff. [Rés. X 1458.)
103. Aphtonius, Hermogenes et Dionpius Longinus ... Francisci Porti... opera
illustrati. Genevae, apud j. Crispinus, 1569, in-8°, 163-60 p. et index.
[X 16780.]
104. tUOV017!o Aovylyoo p~TOpOÇ 1tepl il<)looç ÀO'{oo i3L~Àloy. Dionysii Longini...
Liber de grandi sive sublimi gencre orationis, latine redditus, tm06é17e17L
I7OY01tTLx",ï:Ç et ad oram nationibus aliquot illustratus a Gab. de Patra.
Genevae, apud j. jornaesium, 1012, in-8°, 172 p. [X 16735.), in-4° [X
3075.]
105. Dionysii Longini. 1tEipç 1<)100 libellus cum notis emendationibus et praefa-
lione Tanaquilli Fabri. Salmuri, apud L. Lenerum, 1663, inl2, 375 p.
[X 16737.)

LUCIEN DE SAMOSATE

106. Luciani... complura opuscula lonf(e festivissima ab Erasmo Roterodamo et


Thoma Moro ... in latinorum linguam traducta... Ex Erasmi interpretatione
Toxaris, sive de Amicitia, Luciani di.l/ogus. Alexander, qui est Pseudoman-
tis ejusdem.- Gallus sive somnium ejusdem prope Luciani; Timon seu
Misanthropus ; Tyrannicida, seu pro tyrannicida ejusdem dec1amatio, cum
dec1amatione erasmica eidem respondente. De iis qui mercede conducti
degunt dialogus ejusdem ... s.l., ex off. Ascensiana, 1506, in-fol. [Rés. X
256.)
107. Luciani Dialogi et alia multa opera... Imagines Philostrati, ejusdem Heroica,
ejusdem Vitae sophistarum, Imagines junioris Philostrati. Descriptiones
CalUstrati... Venetiis, apud aed. Aldi et Andreae Asulani soceri, 1522,
in-fol. X-572 p. [Rés. Z 252.)
108. Lucian des Vrayes narrations traduict du grec en latin et nouvellement du
latin en françoys par Symon Bourgouyn ... Paris, j. Du Pré, 1529, in-8°.
[Rés. p. Z 558.)
BIBLIOGRAPH lE 723

109. Luciani Samosatensis opera, quae quidem extant, omnia graece et latine
in quattuor tomos divisa ... una cum Gilberti Cognati... et foannis Sambuci
annotationibus utilissimis... Basileae, ex off. H. Petri, 1563, 4 vol. in-S·.
[Z 18455-1845S.]
110. Trois dialogues de l'Amitié: lê Lysis de Platon, et le Laelius de Cicero n,
contenans plusieurs beaux preceptes et discours philosophiques sur ce
sujet: Et le Toxaris de Lucian où sont amenez quelques rares exemples
de ce que les Amis ont fait autresjois l'/ln pour l'autre. Paris, N. Chesneau,
1579, in-4·, 184 p. [R S25S.]
Ill. Les œuvres françoises de Lucien de Samosate philosophe excellent, non
moins utiles que plaisantes, traduites du grec par Filber Bretin ... , repurgées
de parolles impudiques et profanes ... Paris, Abel L'Angellier, 15S2, in-fol.
(Rééd. 1583 et 1606.) [Z 554.J
112. Les œuvres de Lucien de Samosate autheur grec de nouveau traduites en
françois et illustrees d'annotations et de maximes politiques en marge par
fean Baudouin. Paris, J. Richer, 1613, in-4·, pièces Iimin. 576 ff. [Z 3731.]
113. Luciani Samosatensis philosophi opera omnia quae extant cum latina
doctissimorum virorum interpretatione. L. Bourde/olius cum regiis codd.
aliisque mss. contulit, emendavit, supplevit. Adjectae sunt ejusdem Bourde-
lotii, Theodori Marcilii, Gilberti Cottnati notae. Cum indice locupletissimo ...
fo. Bourdelotii ad Luciani opera notae. Lutetiae Parisiorum, apud J. Ber-
tault, 1615, in-fol., 1159 p. [Z 54g.]
114. Lucien de la traduction de N. Perrot, Sieur d'Ablancourt. Paris, Courbé,
1654, 2 vol. in-4·. [Z 3732-3733.]
(Destiné à remplacer la traduction vieillie de J. Baudoin.)

MÉNANDRE DE LAODICÉE (v. Rhetores graeci, éd. Alde, cit.)

115. De genere demonstrativo libri duo ... Venetiis, 1558, in-S·. [X 16715 (3).]
(Traduction Noël Conti.)

PHILON D'ALEXANDRIE

116. Philonis fudaei in libros Mosis de Mundi opificio historicos, de legibus.


Ejusdem libri singulares ... Parisiis, t'X off. A. Turnebi, 1552, in-fol., 736 p.
[C 1 et 4.]
117. Philonis fudaei de Vita Mosis libri III Adriano Turnebo interprete... Pari-
siis, apud A. Turnebum, 1554, in-8·, 158 p. [C 2510 (1).]
IlS. Philonis fudaei de Divinis decem oraculis quae summa sunt legum capita
liber, fohanne Vaeuraeo interprete. Lutetiae, apud C. Stephanum, 1554,
in-So, 70 p. [C 2511.]
119. Philonis fudaei... luc/lbrationes omnes quotquot haberi potuerunt, nunc
primum latinae e graecis factae pi'r Sigismundum Gelenium... Basileae,
apud N. Episcopium juniorem, 1554, in-fol. 651 p. (Rééd. Lyon 1555, Bâle
1558 et 1561.) [C 99S.]
120. Les Œuvres de Philon le fuif r.lltheur tres eloquent et philosophe tres
grave ... mises de grec en françois par Pierre Bellier ... Paris, N. Chesneau,
1575, in-fol., 46S p. (Rééd. Paris 1588.) [C 9.]
724 BIBLIOGRAPHIE

121. Les Œuvres de Philon le Juif ... translatées de grec en françois par Pierre
Bellier ... revues corrigees et augmente es de trois livres, traduites de l'ori-
ginal par Fed. Morel ... Paris, C. Chappelain 1612, 2 vol. in-8°. (Nouvelle
éd. augmentée, Paris, 1629.) [C 2514.]
122. Philonis Judaei omnia quae extant opera ex accuratissima Sigismondi
Gelenii et aliorum interpretatione partim ab Adriano Turnebo ... partim a
Davide Hoeschelio ... edita et iIluslrata. Huic novissimae editioni accessere
variae lectiones el ... ejusdem Philonis de Septenario libellus et de Pro vi-
dentia Dei fragmenta ... Lutetiae Parisiorum, 1640, in-fol., 1200 p. [C 6.]

PH 1LOSTRATE

123. Luciani opera. Icones Philostrati, ej:lsdem Heroica ejusdem Vita Sophist-
rum. Icones junioris Philostrati, Descriptiones Callistrati ... Venetiis, in aed.
Aldi, 1503, in-fol., 572 p. (Rééd. ibid. 1522, 1535, 1550.) [Rés. Z 248.]
124. La vita dei gran filosofo Apollonio Tianeo composta da Philostrato e
tradoffa nella lingua volgare da M. Ludovico Dolce. Vinegia, G. Giolitto
de Ferrari, 1549, in-8°, 247 ff. (v. la même année trad. par Francesco
Baldelli, Florence, 1549.) [J 20275.]
125. Les Images ou Tableaux de Piaffe peinture de Philostrate... mis en français
avec des arguments et annotations de chacun d'iceux. Paris, N. Chesneau,
1578,2 vol. in-4°. (Rééd. 1597, 1611, 1614, 1615, 1629, 1630, 1637.) [Rés.
Z 990-1000.]
(Avec une importante préface à la défense de la prose d'art française par
B. de Vigenère.)
126. De la vie d'Apollonius Thianee, /;ar Blaise de Vigenere ... Paris, A. L'An-
gelier, 1599, in-4°, 299 ff. [4° J 49.]
(A rapprocher des traductions italiennes par L. Dolce et F. Baldelli.)
127. La Suite de Philostrate par Blaise de Vigenere. Paris, A. L'Angellier, 1602,
in-4°, 347 ff. [Z 3743.]
128. Philostrati Lemnii opera quae exstant. Philostrati junioris Imagines et
Callistrati Ecphrases. Item Eusebii Caesariensis... liber contra Hieroclem
qui ex Philostrati historia aeauipararat Apollonium Tyaneum Salvatori
nostro Jesu Christo, gaeca latinis e regione posita : F. Morellus ... cum mss.
contulit, recensuit, et hactenus nondum latinitate donata vertit... Parisiis,
ex off. typogr. C. Morelli, 1608, in-fol., 914 p. [Z 557.]
129. De la vie d'Apollonius Thyanéen en VJII livres. De la traduction de Vige-
nere, ... reveue et exaclement corrigée sur l'original grec par Federic
Morel ... et enrichie d'amples commentaires par Artus Thomas sieur d'Em-
bry. Paris, Vve A. L'Angelier, 1611, 2 vol. in-4°. [J 6094-0095.]
(Ed. originale du texte qui sera repris dans la grande édition illustrée de
1614.)

SYNÉSIUS DE CYRÈNE

130. Synesii De Regno ... ; Dion, sive de suae vitae ratione ; Calvitii laudatio ;
De Providentia... ; Concio quaedam panegyrica ; De insomniis... ; ejusdem
Synesii epistolae (ab Adriano Turnebo editum). Parisiis, ex off. A. Turnebi,
1553, 2 part. en un vol. in-fol. [C 220.]
BIBU OGRAPH lE 725
131. Synesii... opera quae extant omnia, nunc purimum graece et latine conjunc-
tim edita ... interprete Dionysio Petavio ... cujus opera eadem illa ex vete-
rum ... codicum tide recensita ac notis illustrata prodeunt ... Lutetiae, apud
CI.Morellum, 1612, in-fol., pièces Iimin. 427-66 p. et index .(Rééd. CI.
Morel 1631 et Cramoisy 1633.) [C 1020.]
(Petau prend le relais de Turnèbe.)

THÉMISTIUS

132. Themistii... Orationes XlIII, har!lm sex posteriores, novae caeterae emen-
datiores prodeunt [cura Henrici Stephani] cum latina interpretatione.
Genevae, H. Stephanus, 1562, in-S·, 184 p. [Rés. X 2209.]
133. Themistii orationes XVI, graece et latine nunc primum editae quarum
XV talso hactenus sub Synesii nomine publicata, postrema nondum excussa
tuerat, interprete Dionysio Petavio, cum ejusdem notis et conjectaneis.
Accessit et XVII, quae latine solum exstant, graece et latine ab eodem
redditae. Flexiae, J. Rézé, 1613, 2 part. en un vol. in-8°. (Rééd. en 1617.)
[X 1697S.]
(Petau prend le relais d'Ho Estienne.)
134. Orationes XIX graece et latine cOlljunctim editae. Dionysius Petavius mog-
nam illarum partem latine reddidit, reliquarum interpretationem recensuit,
notis universis atque emendatiombus illllstravit ... Parisiis, sumpt. S. Cra-
moisy, 161S, in-4°, pièces Iimin. 729 p. et index. [X 3105.]

THÉOPHRASTE

135. Theophrasti de Notis morum liber singlliaris ... cum Angeli Politiani latina
interpretatione a Federico Morello ... cum eruditis viris recognita, et orto
posterioribus notis, quae antea desiderabantur hac editione adaucta. Lu+e-
tiae, apud F. Morellum, 1582,2 part. en 1 vol. in-4°. [X 3099 (~).]
136. Theophrasti characteres ethici, sive Descriptiones morum graece. Isaacus
Casaubon recensuit, in latinum vertit, et libro commentario illustravi' ..
Lugduni, apud F. Le Preux, 1592,2 part. en un vol. in-So. [R 17SI4.]
137. Characters of virtues and vices... by Joseph Hall, recueilli dans: A
collection of such treatises, London, H. Fetherstone, 1620, in-fol. (1 n éd.
1610.) [D2 133.]
(Ce premier ouvrage imitant les Characteres ethici de Théophraste est le
point de départ d'un véritable genre, où se sont illustrés Cureau de la
Chambre, Agostino Mascardi (Ethicae prolusiones et Romanae disserta-
tiones), le P. Le Moyne (Peintures morales) et La Bruyère. Mais il s'agissait
d'abord, pour l'évêque Hall, d'un recueil utile aux prédicateurs).
13S. Caracteres des vertus et des vices tirez de l'anglois de M. Joseph Hall
(par le sieur de Tourval). Paris, 1610, in-12, pièces Iimin. 110 p. [R 38132.]
139. Les Characteres des mœurs, tradllits du grec de Theophraste par H. de
Benevent, parisien, thresorier gelleral de France en Berry. Paris, N. de la
Caille, 1613, in-12, pref. 95 p. [R 24324.]
726 BIBLIOGRAPHIE

2. RHÉTEURS, ORATl:.lJRS, SOPHISTES, PÉRES DE L'EGLISE LATINS,


ÉDITIONS ET TRADUCTIONS DU XVI' ET DU XVII' SIÉCLE
(1500-1650)

AMBROISE (Saint).
140. Divi Ambrosii... Omnia opera per eruditos viros ex accurata diversorum
codicum collatione emendata ... studio Erasmi... Parisiis, ex off. G. Cheval-
lonii, 1529, in-fol. (Rééd. 1539.) [C 391.]
141. Trois harangues, une de Symmache, et deux de S. Ambroise, sur le sujet
de la demolition de l'autel de la victoire (trad. par L. Giry). Paris, j. Carnu-
sat, 1639, in-12. [C 2915.]
(Chez l'éditeur de l'Académie.)

AUGUSTIN (Saint)
142. Divi Aurelii Augustini De Disciplina christiana. Coloniae, U. Zeel, circa
1470, in-4°. [Rés. C 1753.]
(Plusieurs autres éditions en Allemagne en 1465, 1470, 1478 ... )
143. Divi Aurelii Augustini De Doctrma christiana libri 1111. Venetiis, per
J. Patavinum et V. de Ruffinellis, 1534, in-8°. [C 2981.]
144. D. Aurelii Augustini... Omnium operum primus (-decimus) tomus, summa
vigilantia repurgatorum a mendis innumeris per D. Erasmum... Basileae,
Froben, 1528-1529, 10 vol. in-fol. [Rés. C 462.)] Ed. parisienne 1531-1532 ;
rééd. avec commentaire de L. \'ivès sur La Cité de Dieu en 1541, 1555,
1584; éd. vénitienne 1584.)
145. S. Aurelii Augustini ... opera, tomis Vndecim comprehensa per theologos
lovanienses Th. Gozaeum et Johan. Molanum ... ab innumeris mendis vin-
dicata. Parisiis, cum signo Magnae Navis, 1635-1637, Il tomes in-fol. (Rééd.
Paris, 1636-1651). [C 466.] (1'" éd. Paris, 1613-1614.)
(Cette édition savante destinée à remplacer celle d'Erasme précède et
prépare l'exégèse de Jansénius (1640) selon la méthode de la théologie
positive.)
146. La Doctrine chrestienne de saint Augustin divisée en quatre livres avec
le manuel adressé à Laurentius, le tout mis en français par Guillaume
Colletet. Paris, 1636, J. Camusat, in-12, 443 et 232 p. table. [C 3079.]
(Dans sa préface, Colletet déclare avoir entrepris cette traduction à la
demande de Conrart (Philandre) et de Godeau.)

AULU GELLE
147. Aulu Gellii noctes atticae, edidit Jo. Andreas, episcopus Aleriensis, opitu-
lante Theodoro Gaza. Romae, in domo P. de Maximis, 1469, in-fol. (Rééd.
Venise 1472, 1489, 1493.) [Rés. Z 39 et 40.]
148. Aulu Gellius (recognocit philippus Beroaldus). Bononiae, per B. Hectorum,
1503, in-fol. [Rés. Z 51.]
149. Aulu Gellii linguae et graecae et latinae fulgentissimis syderis noctium atti-
carum commentarii... Parisiis, J. Petit, 1508, in-4·, 167 ff. [Rés. Z 627.]
BIBLIOGRAPHIE 727
150. Aecipite, studiosi omues, Aulu Gellii noetes mieantissimas (quas ex reeogni-
lione P. Beroaldi edidil Nicolaus Ferretus) ... Venetiis, 1509, J. Tacuinus,
in-fol. 135 ff. [Rés. g Z 17.] •
(Entre 1511 et 1536, sept éditions des Nuits Attiques conservées à la B.N.
paraissent à Paris, dont six chez Josse Bade. Entre 1537 et 1559, quatre
éditions à Lyon chez Gryphius.)

CASSIODORE

151. Rhetorieae ae dialectieae compendium. Parisiis, ex off. M. Vascosani, 1540,


in-4°, 19 ff. [Rés. V 890.]
152. Magni Aurelii Cassiodori Senatoris ... Variarum libri XI/ de anima liber l,
... de sehematibus et tropis Saerae Seripturae libri 1/... edidit P. Pithoeus ...
Parisiis, apud S. Nivellium, 1579, 2 part. en 1 vol. in-fol. [C 867.]
(Rééd. 1583, 1589 et à Lyon en 1595, avec une Gnomologia eassiodorana.)
(Dédiée au Chancelier Hurault de Cheverny par Pierre Pithou.)
153. Anliqui Rhetores latini: ... ex bibliotheca F. Pithoei. Parisiis, 1599, in-4°.
[X 3144.]
(Ce recueil de F. Pithou contient des œuvres rhétoriques de Rutilius Rupus,
Aquila Romanus, Curius Fortunatianus, Marius Victorinus, Sulpicius Victor,
Aurelius Augustinus, Julius Severianus, Rufin, Cassiodore, Bède, Isidore
de Séville, Alcuin, Martianus Capella. La préface les présente comme des
contre-poisons aux Graeeuli: ils ont sauvé la Romana reetae orationis
simplicitas, qui ne s'élève guère au-dessus du genus humile, qui conserve
son équanimité (aequo animo consistere solet), et qui éprouve un scrupule
religieux, contrairement à la magniloquentia des Attiei astuti et à leur
superbia, à s'élever au delà de œ Ciue requiert la vérité.)

CICÉRON
154. M.T. Cieeronis de Oratore libri tres, Brutus et Orator. Romae, in domo
Tetri de Maximis, impr. per C. Sweynheym et A. Pannartz, 1469, in-4°.
[Rés. X 321.]
155. M. Tullii Cieeronis opera omnia ab Alexandro Minutiano in lueem edita.
Cum Cieeronis vita a Plutareho seripta et in latinum versa a Leonardo
Aretino. Mediolani, Fr. Le Signerre pro A. Minutiano, 1498-1499, 4 t. en
3 vol. [Rés. X 342-344.]
156. In hoc volumine haee eontinenillr: Rhetoricorum ad C. Herennium
lib. JII, M.T. Ciceronis de Inventione lib. 1/ ... de Oratore ad Quintum
fratrem lib. JII, de Claris oratoribus qui dieitur Brutus ... , Orator ad Brutum
... Topiea ad Trebatium ... Oratoriae partitiones ... , De optimo genere ora-
torum ... (eum Aldi Manutii praefatione), Venetiis, in aed. Aldi et Andreae
soceri, 1514, in_4°, VI-247 ff. (Rééd. 1521, 1533, et avec corrections de
P. Manuce 1546, rééd. 1550, 1554, 1559, 1564.) [Rés. X 2241.]
157. Opera Ciceronis rhetoriea, oratoria et forensia, praemisso indice et vita ex
Livio atque ad C. Herennium rhetoricorum libri II/l, de Inventione, quae
et vetus rhetoriea lib. 1/ Topicorum, ad Brutum lib. l, de Partitione oratoria
dialogus l, de Oratore lib. JII, de Claris oratoribus lib. l, De Perfecto Ora-
tore lib. l, De optimo genere oratorum fragmentum, addita per Leonar-
dum Arretinum Aesehinis aeeusatio et Demosthenis defensio (edidit lodo-
eus Badius). Parisiis, renundantur J. Parvo et J. Badio, 1527, 2 t. en 1 vol.
in-fol., VIIl-138 ff., XIV-265 ff. [Rés. X 480.]
728 BIBLIOGRAPHIE

158. M.T. Ciceronis Orator. Ejusdem de Optimo genere oratoris ... Parisiis,
apud L. Cyanium, 15~, in-8°, 46 p. [X 17082.]
159. M. Tullii opera omnium quae hactenus excussa sunt castigatissima, nunc
primum in lucem edita (a Petro Victorio). Venetiis, in off. L.A. Juntae,
1534-1537,5 vol. in-fol. (T. 1. Opera rhetorica). (Rééd. à Paris, R. Estienne,
1538-1539, et à Bâle en 1540.) [Rés. X 355-359.]
160. L'oraison que fait Ciceron à César pour le rap,pel de M. Marcellus sénateur
romain, translatée de latin en fran!:uys par l'esleu Macault ... Paris, A. Auge-
reau, 1534. [Vélins 2O~.1
161. M. Tullii Ciceronis Brutus, seu de daris oratoribus liber. Parisiis,apud
S. Colinaeum, 1535, in-8°, 109 p. [Rés. X 2296.]
162. M.T. Ciceronis ad M. Brutum Orator, iIIustratus lacobi Lodoïci Rhemi
commentariis. Parisiis, apud M. Vascosanum, 1536, in-4°, VI-I27 ff. (Rééd.
1540-1552.) lX 3117.]
163. Latomus (Barthélémy). M. T. Ciceronis Actionum in Verrem Iibri quattuor
priores ... B.L. partitionibus explicali. Parisiis, apud M. Vascosanum, 1539,
in-4°. [X 3202 (1).]
(L'œuvre de Latomus, professeur d'éloquence latine au Collège royal, grand
éditeur et commentateur de Cicéron, éditeur de Rodolphe Agricola, prépare
celle de Ramus.)
164. M. Tullii Ciceronis opera in lucem edidit Paulus Manutius. Venetiis, apud
Aldi filios, 1540-1546, \0 vol. in-8°. (Ré éd. Venise 1583, à Paris R. Estienne,
1543-1544, à Lyon Gryphius 1548-1555.)
(Edition de Paul Manuce qui, après celle de Pietro Vettori, et avant celle
de Denis Lambin, est une étape importante dans l'établissement du texte
et la diffusion de l'œuvre de Cicéron en Europe.)
165. Les oraisons de M. Tul. Ciceron pere d'eloquence latine, translatees de latin
en françoys par Estienne Le Blanc, Conseiller du roy nostre sire et contro-
leur general de son espargne, aussi par l'esleu Macault, notaire, secretaire
et valet de chambre du roy, et par Claude de Cuzzy. L'oraison que feit
Crispe Salluste contre M.T. Ciceron, avec deux autres oraisons dudit
Crispe Salluste à Jules Cesar, ... translates en françoys par Pierre SaUal...
Paris, A. et C. L'Angelier frères, 1541, in-8°, \05 ff. [Rés. p. X BO.]
166. Les Epistres familières de Marc Tulle Ciceroll pere d'eloquence latine,
nouvellement traduites du latin en françois par Estienne Dolet, natif d'Or-
leans ... Lyon, 1542, E. Dolet, in-8°, 208 ff. (Rééd. 1545, 1549.) [Rés. Z
2145.]
167. Rhetorica. Rhetoricorum ad Herennium lib. /II, M.T. Ciceronis De ln ven-
tione lib. Il, de Oraiore ad Quintum fratrem lib. III, de claris oratoribus
qui dicitur Brutus lib. 1 ; Orator ad Brutum lib. 1 ; Topica ad Trebatium
lib. 1; Oratoriae partition es lib. l, ejusdem de Optimo genere oratorum
praefatio quaedam. Variae lectiones ad calcem rejectae. Parisiis, ex off.
R. Stephani, 1544, in-8°, 783 p. [X 17177.]
168. M. Tullii Ciceronis de Oratore ad Quintum fratrem Iibri III, De claris
oratoribus qui dicitur Brutus, liber IV, Orator ad Brutum ... ejusdem de
Optimo genere oratorum ... Lutetiae, ex off. R. Stephani, 1546, in-16, 284 ff.
[X 17063.]
169. Orator Ciceronis ad M. Brutum corrigente Paulo Manutio ... cum Ciceronis
libello de Optimo genere oratorum. Venetiis, apud Aldi filios, 1546, in-8°,
45 ff. [Rés. X 2244.]
BIBLIOGRAPHIE 729

170. De Oratore Ciceronis ad Q. fratrem libri 111, corrigente Paulo Manulio ...
Venetiis, apud Aldi filios, 1546, in-S·, 136 ff. [Rés. X 2242.)
171. De Claris oratoribus Ciceronis liber qui inscribitur Brutus ... corrigente
Paulo Manutio, Aldi filio. Venetiis, apud Aldi filios, 1546, in-8·, 45 ff.
[Rés. X 2243.)
172. M.T. Ciceronis ad M. Brutum Orator, ex castigatione Antoni Goveani.
Parisiis, apud Michaelem de la Guerche, s.d., in-4·, 39 ff. [X 3120 (1).]
173. 11 Dialogo dell'Oratore di Cicerone tradofto per Lud. Dolce ... Vinegia,
Giolitto de Ferrari, 1547, in-12, XVI-176 ff.
(La première traduction française est celle de F. joulet en 1601 (pour
le L. 1) et la première traduction complète est celle de l'Abbé Cassagne
en 1673.) [X 17071.)
174. M. Tullii Ciceronis de Oratore ad Quintum fratrem dialogi tres Audomari
Talaei explicationibus illustrati... Parisiis, apud C. Stephanum, 1553,3 part.
en 1 vol., in-4·. [X 4ï67.)
(par le fidèle disciple de Ramus, Omer Talon.)
175. M. T. Ciceronis de Oratore ad Quintum fratrem dialogi tres, Jacobi Stre-
baei, Leodegarii de Quercu et cujusdam incerti authoris commentarii item-
que scholiis P. Melanchtonis ... illustrati. Parisiis, apud T. Richardum,
1553, in-4°, 304 ff. (Rééd. 1561, 1562.) [X 3114.)
(Léger Duchesne, professeur royal d'éloquence latine, infatigable éditeur
et commentateur de Cicéron, fut avec j. Galland et A. Turnèbe, un ennemi
acharné de Ramus. Son Exhortation au Roy ... Paris, G. Buon, 1572, s'ouvre
par un poème: «Autant que fut Ramus en sa vie odieux / Tout autant
à sa mort un chascun est joyeux ... ~)
176. Locus in ql/o tractantur joci lib. 11 de Oratore, ab Adr. Turnebo explica-
tus. Parisiis, apud G. Morellum, 1555, in-4·, 6S ff. [X 3205 (5).)
177. Les Philippiques de M.T. Ciceron translatées de latin en françoys par
l'esleu Macault, secretaire et valet de chambre du Roy. Poitiers, j. et E.
de Marnef, 1549, in-fol. 102 ff. [Rés. X 4S2.)
(Voir n° 43, le Rapport des deux princes de l'éloquence grecque et latine
Demosthène et Cicéron, par j. Papon.)
17S. M. T. Ciceronis de optimo genere oratorum, praefatio in commentarios
Aeschinis et Demosthenis orationes, P. Rami praelectionibus illl/strata ...
Parisiis, apud A. Wechelium, 1557, in-4°, 20 ff. [X 3116 (2).)
179. M. Tullii Ciceronis Rhetorica ex castigatione Joannis Boullieri... Lugduni,
apud j. Frellonium, exc. S. Barberius, 1562, in-16, 742 p. [X 17043.)
180. M. Tullii Ciceronis de daris oratoribus liber qui dicitur Brutus, et in eum
Caelii Secundi Curionis commentarii P. Cornelii Taciti ejusdem argumenti
dialogus ... Basileae, apud M. Iphigenum, 1564, in-So, XXIV-507 p.
[X 17706.)
ISI. M. Tullii Ciceronis opera omnia quae exstant a Dionysio Lambino ... emen-
data. Ejusdem D. Lambini annotationes, seu emendationum rationes, singu-
lis tomis distincfae. Parisiis, in aed. Rovillii, 1565-1566, 4 t. en 2 vol. in-fol.
(T. 1. Opera rhetorica.) [X 911-912.)
(Dédié à Henri de Mesmes, qui a patronné cette édition par amour de
Cicéron, selon l'enthousiaste préface. Des poèmes latins de Ronsard et
de Baïf célèbrent cette contribution française à la restitufio Ciceronis.)
730 BIBLIOGRAPHIE

182. Le Traicté de Ciceron de la meilleure forme d'orateurs, le sixieme livre


des Commentaires de Cesar où est faicte mention des mœurs et façons de
faire des anciens gaulois et allemands, et la Germanie de Tacite: le tout
mis en françois par le sieur de Vigenere, comme pour un essay de repre-
senter en nostre langue la diversité des styles latins. Paris, Michel Vasco-
san, 1575, in-4·, 55 ff. (Rééd. Paris, F. Morel, 1576.) [Rés. R 1313 (2).]
(Avec sa traduction des trois traités De l'Amitié, et de Philostrate, un autre
effort de Vigenère pour combattre le préjugé français contre l'art de la
prose antique transposé à la langue vulgaire.)
183. 10. Antonii Viperani in M.T. Ciceronis de optimo genere oratorum com-
mentarius (cum Ciceronis textu). Antverpiae, ex off. C. Plantini, 1581,
in-8·, 63 p. [X 20130.]
184. Du Vair (Gui1laume). De l'éloquence françoise ... Paris, 1594, in-12, 42-
283 p. [X 18559.]
(Voir p. 201-229, le discours Contre Milon d'Appius Clodius et p. 229 v·-
283 v· le discours Pour Milon de Cicéron.)
185. M.T. Ciceronis de optimo genere oratorum liber, cum insigni emendatione
loci hactenus deplorati. Lutetiae, apud F. Morel\um, 1596, in-4·, 8 p
[X 3631.]
186. Trois harangues de Ciceron traduictes du latin en français par François
loulet, sieur de Chastillon. Paris, A. L'Angelier, 1597, in-12, IV-74 ff.
(Pro Marcel\o, Prmeière Catilinaire, Première Philippique). [Rés. X 2426.]
(Après l'Elu Macault, et avant Du Ryer, François Joulet est un des trois
grands traducteurs des œuvres de Cicéron en français. Sa préoccupation est
celle d'un prêtre ennemi, comme Antoine de Laval, de toute sophistique
sacrée.)
187. Le premier livre de l'Orateur de Ciceron traduit par Fr. Joulet sieur de
Chastillon, Chantre et Chanoine d'Evreux. Paris, A. L'Angelier, 1601, in-12,
89 ff. [X 17067.]
(Dédié à Maximilien de Béthune, Baron de Rosny.)
188. Epistres familieres de M.T. Ciceron traduictes de latin en français par
E. Dolet et François de Belleforest, avec les argumens sur chacune epistre,
indice, et maniere d'entendre la date des latins, revues et recorrigées outre
les précédentes impressions ... Paris, impr. Colin, 1604, in-16, VJIl-583 ff.
(Rééd. Rouen, R. Lalemant, 1624.) [So Z 15580.]
(Première éd. de la trad. de Dolet: 1542.)
189. Six oraisons de Ciceron avec une sommaire exposition du sujet pour chas-
cune d'icelles, par François Jould, sieur de Chastillon. Paris, R. Estienne,
1608, in-S·, VlIl-206 p. (Pro Caelio, Pro Milone, Pro Marcello, Première
et Seconde Philippique.) [X 22722.]
190. M. Tullii Ciceronis opera omnia nunc post Dionysii Lambini, Michaelis
Bruti, Dionysii Gothofredi, Alexandri Scotl, aliorumque editiones nova
forma ad usum scholarum concinnata, prout sequens praefatio cujusdam
Societatis lesu edocebit ... Lugduni, sumpt. J. Pillehotte, 16OS-1 610, 8 t.
en 7 vol. in-16. [X 17201-17207.]
(La grande édition jésuite de Cicéron, en France, et la dernière des grandes
éditions «humanistes:) : elle résume le travail des érudits du siècle pré-
cédent.)
191. Huit oraisons de Ciceron. Paris, J. Camusat, 1638, in-4°, 22S p. (Priv.
Conrart 5 janvier 1638, achevé 23 févr. 1638). (Rééd. 1639, 164 , 1644, 1648,
1653.) [X 3201.] '
BIBLIOGRAPHIE 731

(Destiné à remplacer la traduction de François joulet. Pour Quinctius


(d'Ablancourt); Pour la loy Mauilia (d'Ablancourt); Quatriesme Catili-
naire (Du Ryer) ; Pour le poete Archias (Patru) ; Pour Marcellus (d'Ablan-
court) ; Pour Ligarius (d'Ablancourt); Pour la paix (Giry); Pour le roi
Dejotarus (Du Ryer).)
192. Les Philippiques de Ciceron traduites en françois par Pierre Du Ryer.
Paris, Sommaville, 1639, in-4°, XIV-235 p. (Rééd. 1640, 1646, 1647.)
[X 3214.]
193. Recueil des plus belles lettres de Ciceron traduites par Antoine Du Breton.
Paris, J. Camusat, 1641, in-8°, XLVI-412 p. [X 13641.]
(Destiné à remplacer la traduction de Dolet et Belleforest.)
194. Les oraisons de Ciceron pour Rabirius, L. Flaccus, P. Cornelius Sylla, de
la version de P. Du Ryer. Paris, Sommaville, 1650, in-12, 330 p. [X 17367.]
195. Les oraisons de Ciceron pour S. Roscius d'Ameree, Q. Roscius comedien,
M. Fonteius, A. Cecinna, de la version de P. Du Ryer. Paris, Somma-
ville, 1650, in-12, 452 p [X 173ô6.]
196. Les Oraisons de Ciceron après SO/l retour, pour sa maison, touchant les
devins et les haruspices, pour Plancius, de la version de P. Du Ryer. Paris,
Sommaville, 1650, in-12, 541 p. IX 17365.]
197. Les oraisons de Cicéron ... pour P. Sextius, contre Vatinius, pour M. Celius
Rufus touchant les provinces consulaires, de la version de P. Du Ryer.
Paris, Sommaville, 1651, in-12, 472 p. IX 17369.]
198. Les oraisons de Ciceron contre L. Catilina, de la version de P. Du Ryer.
Paris, J. Bessin, 1652, in-12, 1652, X-200 p. [X 1612 (2).]
199. Les œuvres de Ciceron de la traduction de Pierre Du Ryer. Paris,
Sommaville, 1640-1657, Il vol., in-12. (Réé<!. 1670.) IX 17364-17374.]
(Synthèse du travail commencé en 1638 sous l'égide de l'Académie.)
200. La Rhetorique de Ciceron, traduite par P. Jacob. Paris, Sommaville, 1652,
in-12, 393 p. IX 17059.]
(Traduction de la Rhétorique à Herennius.)
201. Des Orateurs illustres, dialogue de Ciceron intitulé Brutus, traduit de latin
en françois (par L. Giry). Paris, Courbé, 1652, in-12, 320 p. [X 17078.]
202. Cicero n, du meilleur genre d'orateurs et l'oraison pour Murena de la tra-
duction de P. Du Ryer. Paris, Sommaville, 1664, in-12, 158 p. IX 17364.]
203. La Rhetorique de Ciceron ... ou les trois livres du dialogue de l'Orateur, tra-
duits en françois par l'abbé Cassagne. Paris, C. Barbin, 1673, in-8", xx-
559 p. [X 17060.]
(par l'éditeur des Œuvres de Balzac, Paris, 1665.)

CYPRIEN (saint)
204. Opera divi Caecilii Cypriani ... ab innumeris mendis repurgata, adjectis
nonnullis libellis ex vetustissimis exemplaribus quae hactenus non habe-
bantur ac e remotis Us quae fa/so videban/ur inscripta, una cum annota-
tiunculis atque haec omnia nobis praestitit ingenti labore suo Erasmus
Roterodamus ... Apud inclytam Basileam, ex off. Frobeniana, 1521, in-fol.,
pièces Iimin. 515 p. et index. (Rééd. 1525, 1530, 1558 et à Paris 1541, à
Lyon en 1544, à Venise en 1547 et à Rome, chez Paul Manuce en 1563.)
[C 213 (2).]
732 BIBLIOGRAPHIE

205. Traiclé de S. Cyprian ... du mal qu'apporte renvie et la jalousie du bien


d'autrui ... Item '" un autre traictl du mesme Cyprian touchant la discipline
et les habits des filles .. , le tout traduit en françois par L. Daneau ... Orléans,
S. Gibier, 1566, in-8·, 79 p. IC 2988 (2).]
206. Deux traictez de S. Cyprian ,l'un contre les jeux et joueurs de cartes et
de dez, l'autre par lequel il monstre que l'homme chrestien ne doit voir
ni assister à aucuns jeux de battelage ni aux spectacles publics ... le tout
mis en françois par L. Daneau ... S.I., 1566, in-8°, 48 p. IC 3905.]
'}fJ7. Les œuvres de sain ct Cecile Cyprien, avec quelques annotations sur aucuns
lieux obscurs et difficiles, faictes françoises par M. Jacques Tigeon '" avec
trois tables ... Paris, N. Chesneau, 1574, in-fol., LIX-468 p. IC 340.]
208. De Douze manieres d'abus qui sont en ce monde, en diverses sortes de
gens, et du moyen de corriger iceux et les eviter, traicté fort utile et beau,
extraict des œuvres de S. Cyprian et nouvellement mis en françois ... Paris,
F. Morel, 1588, in-Se, 24 fi. IC 3906.]
'}fJ9. Saint Cyprian à Donat, à Demetrian, des spectacles et de la vanité des
idoles, de la version du R.P. Caliste... Paris, Somma ville, 1640, in-12,
pièces Iimin. 246 p. IC 3916.]
(A rapprocher des éditions du De Spectaculis de Tertullien dans les Opera
publiés par N. Rigault en 1634, rééd. en 1641. Préface à l'offensive contre
les spectacles dont la pièce maîtresse est la Fréquente Communion d'An-
toine Arnauld (1643).)
210. Sancti Caecilii Cypriani opera, 'vicolai Rigalti observationibus ad veterum
exemplarium fidem recognita et iIIustrata. Lutetiae Parisiorum apud Vid.
M. Du Puis, 1648, 2 part. en 1 vol. in-fol. (Rééd. 1666.) IC 325.]
(Second monument à la gloire de la «primitive Eglise» édifié par N.
Rigault, après ses travaux consacrés à Tertullien.)

PLINE LE JEUNE

211. Lettres de Pline Second où l'on voit la parfaite méthode d'escrire à toutes
sortes de personnes, et le vray styi que doivent suivre ceux qui s'en
meslent. Paris, T. Quinet, 1632, in-8°, 569 p. [Z 13745.]
(Trad. par j. Bouchard.)
212. Harangue panegyrique de Pline Second, pièce d'éloquence la plus accom-
plie que nous ayons jamais eue, récitée en plein Sénat devant l'Empereur
Trajan ... Paris, T. Quinet, 1632, in-8°, 136 p. IZ 17788.]
(Trad. Bouchard ?)
213. Panegyrique de Trajan par Pline Cecile Second. Paris, Somma ville, 1638,
in-4°, 359 p. [X 3229.]
- Les lettres de Pline Consul, Paris, Sommaville, 1643, in-4°, 73-323 p.
[Z 13746.]
(Ces deux traduction sont l'œuvre de l'académicien Jules Pilet de la Mes-
nardière.)

QUINTILIEN

214. M.F. Quintiliani Institutiones oratoriae, ex recognitione Johan. Andreae.


Romae, 1470, in-fol. [Rés. X 597.J (Voir éd. Alde et Andrea, Venise, 1514.)
BIBLIOGRAPHIE 733
215. M.T. Quintiliani Oratoriarum institutionum libri XII, una cum novemdecim
sive ejusdem sive alterius Declamationibus argutissimis, ad horrendae
vestustatis exemplar repositis, et nunc primum in Gallia impressis ... Paris,
Josse Bade, 1519, in-fol., pièces iimin. 159 ft. [Rés. g X 31.]
(Autres éditions des Inst. Orat. : J. Bade 1530, 1533, 1536 ; Lyon, Gryphius,
1531, 1538, 1540, 1549; Paris, Vascosan, 1538, 1542; J. Roigny, 1541 ;
R. Estienne, 1542.)
216. Petri Rami ... Rhetoricae distinctiolles in Quintilianum ad Carolum Lotha-
ringum, cardinalem Guisianum. Oratio ejusdem de studiis philosophiae et
eloquentiae conjugendis (Luteliae habita anno 1546). Parisiis, ex typo
M. Davidis, 1549, 2 part. en 1 vol., in-fol., 1119 p. [R 47957.]
217. M .Fabii Quintiliani InstitutionUin oratoriarum libri XII in commentarios
redacti, Pedro Paulo Vergerio Juaores. Parisiis, G. Morelius, 1554, in-8°,
pièces li min. 178 p. [X 20074.]
218. M. Fabii Quintiliani ... De Oratoria institutione libri XII singulari cum
studio tu judicio doctissimorum virorum ad fidem vetustissimorum codi-
cum recogniti ac restituti argumentisque doctissimi viri Petri Gallandi
elucidati. Parisiis, apud T. Richard!lm, 1554, in-4°. IX 5249.]
219. In M. Fabii Quintiliani de Institutione oratoria libros XII ... commentarii,
in gratiam studiosorum nunc primum editi (par Adrien Turnèbe). Paris,
Apud T. Richardum, 1554, 10-4°, 149 ft. [X 3132.]
(On observera l'exceptionnel intérêt marqué par l'humanisme français à
l'lnst. Orat. dans les années 50 du XVI' siècle: les commentaires de Tur-
nèbe et l'édition de Galland sont l'apex de cet effort érudit et probable-
ment un aspect de leur polémique contre Ramus.)
220. M.F. Quintiliani Declamationes CXXXVIJ quae ex CCCLXXXVIII super-
sunt, diu latuere, nunc demum P. Aerodii Andegavi ... castigatae, scholiis
illustratae, ac in lucem post liminio revocatae ... Parisiis, apud F. Morellum,
1563, in-4°, pièces Iimin. 220 ff. et index [X 3221 et Rés. X 1096.]
(Œuvre de Pierre Ayrault.)
221. M. Fab. Quintiliani declamationes quae ex CCCLXXXVIII supersunt CXLX
ex vetere exemplari restitutae Calpumii Flacci excerptae X rhetorllm mino-
rum LI, nunc primum edifae Dialagus de oratoribus sive de Caussis cor-
ruptae eloquentiae, ex bibliotheca P. Pithoei... Lutetiae, apud M. Patisso-
nium, 1580, in-12, pièces limin. 477 p. [X 17742.]
(Dédié à Christophe de Thou, avec deux importantes préfaces de P. Pithou,
l'une justifiant la pratique de la déclamation, pour peu qu'elle soit désinté-
ressée et pratiquée ex animi contemplatione et scientia, l'autre analysant en
grand détail l'art de Quintilien dans les déclamations. Ce point de vue
annonce le traité De l'Eloquence de Du Vair.)
222. Les Declamations de Quintilien traduites en françois par L. Nicole ... Paris,
O. de Varennes, 1642, in-8°, pièces limin. 359 p. [X 17137.]
(V. la traduction par L. Giry du Dialogue des Orateurs, attribué depuis
Lipse, tantôt à Quintilien, tantôt à Tacite.)

SÉNÉQUE

223. Incipit LucU Annaei Senecae Cordubensis liber de Moribus... Neapoli,


B. Romero, par M. Moravium, 1475, 2 part. en 1 vol. in-fol. [Rés. R 231.]
734 BIBLIOGRAPHIE

224. L. Annaei Senecae Opera ... per Desid. Erasmum Ooterodamum ... Basileae,
ex off. Frobeniana, 1529, in-fol. ëpître dédicatoire, Vie de Sénèque, 690 p.
et index. [R 474.]
225. L. Annaeus Seneca a M. Antonio Mureto correctus, et notis illustratus...
Romae, apud B. Grassum, 1585, in-fol. épître dédicatoire, 531 p. et index.
[R 476.]
(posthume, publiée par Francest'o Benci.)
226. L. Annaei Senecae philosophi stoïci ... opera quae ex/ant omnia, M. Antonii
Mureti, F. Pinciani, aliorumque virorum eruditissimorum ... innumeris locis
emendata notisque illustrata ... opera Nicolai Fabri (Nicolas Le Fèvre).
Parisiis, apud N. Novellum, 1587, 3 part. en 1 vol. in-fol. [Rés. R 233.]
2n. Les œuvres morales et meslees de Senecque traduites du latin en français
et nouvellement mis en lumière par Simon Goulart ... Ce thresor de philo-
sophie morale et naturelle est reduit en trois volumes... Paris, J. Houzé,
1595,3 t. en 2 vol. in-4°. [5863-5865.] (Rééd. Genève, 1606.)
228. Anneae Senecae tum Rhetoris, tum Philosophi opera omnia ac Andrea
Schotto ad veterum exemplarium fidem castigata ... Coloniae Allobrogorum,
T. Vignon, 1613, in-8°. [R 51149.]
(1 ro édition 1604.)
229. L. Annaei Senecae Philosophi opera quae extant omnia a Justo Lipsio
emendata et scholiis illustrata. Antverpiae, ex off. Plantiniana, apud J.
Moretum, 1605, in-fol., épître dédic. XXXVI-796 p. et index. (Rééd. 1614,
1615, 1632.) [R 1192.]
230. Les œuvres de L. Annaeus Seneca mises en françois par Mathieu de
Chalvet... Paris, A. L'Angelier, 1604, in-fol., pièces Iimin. 522 ff. et tables.
[Rés. R 236.]
(Rééd. Paris, 1616, 1624, et avec adjonctions de J. Baudoin en 1638;
Rouen, 1618, 1634.)
231. Les œUvres de Seneque de la traduction de M' François de Malherbe
continuées par Pierre Du Ryer. La mort et les dernières paroles de Seneque
par P.A. Mascaron ... Paris, A. de Sommaville, 1659, 2 t. en 4 vol. in-fol.
[R 1195-1198.]

SÉNÈQUE LE RHÉTEUR

232. M. Annaei Senecae Rhetoris Suasoriae, Controversiae, Declamationumque


excerpta, ad veterum mss. codicum fidem emendata et graeca, quae priores
editiones desiderabant, suis locis restituta. Cum uberioribus notis et con-
jecturis N. Fabri, Andr. Schotti, J. Oruter;, Fr. Jureti, J. Lipsii, Jo. Petreii,
Fer. Pinciani... Parisiis, H. Perrier, 1607,2 part. en un vol. in-fol. [R 1185.]
(Synthèse du travail de l'érudition du XVI' siècle sur le texte de Sénèque
le Père, dissocié par N. Le Fèvre de l'œuvre de son fils.)
233. Les controverses et suasoires... [dans] Œuvres de Sénèque mises en fran-
çois par Matthieu de Chalvef... Paris, 1624, in-fol. [R 487.]
234. Les Controverses de Sénèque (trad. B. Lesfargues). Paris, J. Camusat,
1639, in-4°, 555 p. et table. [R 5SôO.]
(Rééd. 1656, 1663, 1669. A replacer dans la série de traductions patronnées
par l'Académie.)
BIBLIOGRAPHIE 735
TACITE

235. Taciti opera ... Venetiis, par Vindehnum de Spira, circa 1470 in-fol. (avec
le Dialogus de oratoribus.) [Rés. J 621.]
236. P. Cornelii Taciti libri quinque noviter inventi atque cum reliquis ejus
operibus editi (dédié à Léon X par Philippe Béroalde). Rome, 1515, in-fol.
[Rés. J 619.]
(Avec le Dialogue des orateurs. De même dans l'édition Beatus Rhenanus,
Bâle, 1533 et l'éd. Alde, Venise, 1534.)
237. P. Cornelii Taciti equitis ab excessu Augusti annalium libri sedecim, ex
castigatione Aemylii Ferretti, Beati Rhenani, Alciati et Beroaldi. Lugduni,
apud Seb. Gryphium, 1542, un vol. in-8°, 710 p. et index [j 13568-13569.]
(Dialogus de oratoribus, p. 644-ûg2, t. 1 et ln dialogus de oratoribus
castigationes B. Rhenani, p. 175-l7g ; Andreae Alciati, p. 217, t .1I.)
238. P. Cornelii Taciti ab excessu Augusti Annalium libri sedecim, Lugduni,
apud haered. S. Gryphii, 1559, in-8°, 875-251 p. U 13571.]
(Nouvelle édition, enrichie par rapport à celle de 1542.)
239. P. Cornelii Taciti Historiarum et Annalium libri qui exstant, jusfi Lipsi
studio emendati. Ejusdem Taciti liber de moribus Germanorum, Julii Agri-
colae vita. Incerti scriptoris Dialogus de oratoribus sui temporis. Antver-
piae, ex off. C. Plantini, 1574, in-S', 765 p. index (2' éd. 1581 ; 3" 1585;
5' 1589, réimpr. en 1595; 6' 1607; éd. parisienne N. Buon-M. Orry 1606,
1608 ; éd. elzévirienne 1621 et 1634 ; en 1640 avec notes et corrections de
Hugo Grotius). [j 13572-13573.]
240. Les Œuvres de C. Cornelius Tacitus à sçavoir les Annales et Histoires des
choses advenues en l'Empire de Rome depuis le trespas d'Auguste .. l'As-
siete de la Germanie .. les mœurs et noms des anciens peuples de ce pays ..
la Vie d'Agricola où est traitée /-1 fonqueste et description du pays appelé
jadis Bretaigne et maintenant Angleterre et Escoce. Le tout nouvellement
mis en françois avec quelques anilotations necessaires pour l'intelligence des
mols les plus remarquables (par E. de la Planche et Claude Fauchet). Paris,
L'Angelier, 1582, in-fol. pièces limil1., 602 p. et Il ft. [j 1015.]
(L'imprimeur au lecteur: '" Mais ce tiers de Tacite (trad. par Fauchet) ne
fut pas si tost publié qu'un tres-sçavant homme dit qu'il n'est pas possible
de bien faire parler français à un si pompeux chevalier latin ... li n'avait
pas envie que tu employasses ton argent en ceste marchandise, si elle
n'estait latine. Voilà le payement de ceux qui essayent de representer un
personnage etrangement difficile ... ;»
241. Dialogue des orateurs cy devant publié sous les noms de C. Cornelius
Tacitus et de Fabius Quintilianus, nouvellement mis en françois (par Claude
Fauchet). Paris, A. L'Angelier, 1585, in-8°, 26 ff. U 13633 (2).]
(Publié à part, selon les doutes émis par Juste Lipse sur la paternité de
Tacite.)
242. Le Tibère françois, ou les six premiers livres des Annales de C. Tacitus.
De la traduction de Rodolphe Le Maistre ... 2" éd. Paris, R. Estienne,
1616, in-12, 751 p. [J 21755.]
(A rapprocher de l'Aelius Se jan us de Pierre Matthieu, «centon :. de Tacite
publié à Paris en 1617.)
243. Les œuvres de C. Corn. Tacitus ." de nouveau traduites en françois et
illustrees d'annotations où il est traité generalement de la religion, des
736 BIBLIOGRAPHIE

magistrats, de la milice, des monnoyes et des bastimens des anciens romains.


Avec des Discours politiques tirez des principales maximes de l'autheur,
par J. Baudoin. Paris, J. Richer, 1619,3 part. en 1 vol. in-8°, 952 + 151 p.
et tables. [J 3628.]
(Le Dialogue ne figure plus parmi les œuvres de Tacite. Les Discours
sont une traduction de ceux de Scipion Ammirato.)
244. Novae cogitationes in libros Annalium C. Cornelii Taciti qui exstant ...
auctore Ludovico Dorleans parisiensis. Quibus addita sunt reliqua ejusdem
Taciti opera. Parisiis, sumpt. T. Blasii, 1622, in-foL, pièces limin., 1022 p. et
index. [Rés. J 5.]
(Dédié à Louis X11l, à qui Louis d'Orléans rappelle, après Muret, le goClt
de Cosme de Médicis et de Paul III pour Tacite. Accompagné d'un bref
échange de correspondance d'Orléans et Lipse, le reste de leurs lettres
touchant aux troubles de la Ligue ayant été supprimé d'un commun accord.)
245. Les œUvres de C. Tacitus, traduction nouvelle par Rodolphe Le Maistre ...
Avec plusieurs supplemens, repris !J la suitte de l'Histoire et annotations.
Paris, C. Cramoisy, 1627, in-4°, pièces limin., 828 p. et table. (Rééd. 1636,
et Rouen 1650.) Réédité en 1636 (Paris), 1650 (Rouen). [Rés. J 1580.]
(Dédicace à Gaston d'Orléans lui rappelant le goClt pour Tacite de son
père Henri IV.)
246. Des causes de la corruption de l'eloquence, dialogue attribué par quel-
ques-uns à Tacite et par d'autres à Quintilien (trad. par L. Giry). Paris,
C. Chappelain, 1630, in-4 114 (l. lX 3141.]
0
,

(Destiné à remplacer la traduction de CI. Fauchet, et à illustrer l'atticisme


au goût du Louvre vanté par Godeau dans son Discours sur les œuvres
de M. de Malherbe paru la même année. Godeau préface cette traduction.)
247. Dialogue des causes de la corruption de l'éloquence. Paris, Camusat, 1636,
in-4°, pièces limin. 115 p. [X 3142.]
(Même texte qu'en 1630, mais publié cette fois sous l'égide de l'Académie.
Giry y maintient sa lettre à Philandre (Conrart) '" qui m'a donné le cou-
rage d'entreprendre cette traduction:t et la préface de Godeau : '" Tout y
est chaste, le dessein, le stile, les pensées sont plustost dignes de l'ancienne
Rome où mesme les delices legitimes etoient inconnues que d'un siecle où
(comme parle nostre autheur) les hommes avoient plus degeneré de la
vertu de leurs ancestres que de leur eloquence. Les plus difficiles y admi-
reront les graces de l'élocution, qui ne sent point ou fort peu des vices
que l'on affectoit de son temps, la raison y paroist avec toute la force et la
majesté que l'on peut souhaiter; l'ordre y est si fidellement gardé, la
bienséance si religieusement observée, les matieres si curieusement debat-
tues et les jugements sur la difference de l'esprit et des ouvrages des an-
ciens orateurs prononcez avec tant [ ... ] de fidelité qu'il faut estre bar-
bare pour ne pas lire cette excellente piece avec plaisir, et jaloux de la
gloire de son traducteur ... :t (Un reu plus haut le préfacier avait flétri la
traduction en français de «livres "bominables :t - probablement ceux de
John Barclay - qui contaminent la France de « Crimes étrangers:t. Faute
de ceux qui en France même ont fait «passer le luxe pour galanterie, le
mespris de l'honnesteté pour sagesse [ ... ] et l'athéisme pour force
d'esprit ».)
248. Les Annales de Tacite, de la traduction de N. Perrot, sieur d'Ablancourt.
Paris, J. Camusat, A. de Sommaville et A. Courbé, 1640-1644, 2 voL, in-8°.
(Rééd. 1643, 1650, 1651.) [Rés. J 2355-2.:'156.]
(Dédicace au cardinal de Richelieu.)
BIBLlOORAPH lE 737
249. Les œuvres de C. Corneille Tacite traduites du latin en françois par mes-
sire Achille de Harlay ... Paris, Vve J. Camusat et P. Le Petit, 1644, in-fol.,
pièces limin., 634 p. [Rés. J 315.)
(Rééd. 1645.)
250. Les œuvres de Tacite de la tradudion de N. Perrot, sieur d'Ablancourt, 4"
éd., Paris, A. Courbé, 1658, in-4 pièces limin. 850 p. et table (In éd.
D
,

1650). [J 3632.)
(Le Dialogue, qui poursuit sa carrti'!te française dans la traduction de Giry,
ne figure pas dans les Œuvres.)

TERnJLUEN

251. Opera Q. Septimi Florentis Tertulliani ... per Bealum Rhenanum ... Basileae.
per Joan Frobenium, 1521, in-fol., 615 p. et index. (Rééd. 1528, 1562 et à
Paris, avec compléments de Martin Mesnard, chez J. Roigny, 1545.)
[Rés. C 1374.)
252. Deux traictez de Florent Tertullien '" l'un des Parures et ornemens, l'autre
des Habits et accoutremens des femmes chresliennes. Plus un Traicté de
saint Cyprian ... touchant la discipline et les habits des filles, mis en
françois par L. Daneau. Genève, J .de Laon, 1580, in-8 69 p. [C 4776.)
D
,

253. Q. Septimi Florentis Tertulliani opera quae hactenus reperiri potuerint


omnia, jam postremum ad exemplaria manuscripta ... recognito (par J. de
Pamele). Parisiis, apud S. Sonnium, 1584, in-fol., 212-1287 p. (Réédité en
1616 avec commentaires d'Edmond Richer.) [C 296.)
(L'intérêt des érudits gallicans, un Richer, un Rigault, pour Tertullien est
à la mesure du peu d'attrait des rhéteurs jésuites, un Caussin, un Cressolles
pour le premier et rugueux orateur de la «primitive Eglise :..)
254. Quint. Septimi Florentis Tertulliani liber de Pallio, notis latinis et inter-
pretatione gallica iIIustratus ; icon Senatoris romani, cum facili togae expli-
catione, auctore Emundo Richerio ... Parisiis, apud A. Drouart, 1600, 84 p.
(Dédié à J. de Thou.) [C 2815.)
(Edmond Richer fait une analogie implicite entre le «manteau:. grec qui
distinguait les chrétiens parmi les païens et les exposait à leurs railleries,
et la robe qui distingue prêtres et magistrats modernes des gens de Cour.)
255. Tertullien. Les prescriptions contre les hérétiques, traduites du latin ... par
le sieur de La Brosse. Paris, Vve M. Guillemot et Thiboust, 1612, in-8 D ,
122 p. [C 3127 (2).)
256. Q. Septimi Florentis Tertulliani .. , opera argumentis, notis illustrata, authore
Joanne Lud. de La Cerda ... Lut. Parisiorum, sumptibus M. Sonnii, 1624-
1630, 2 vol. in-fol. (Rééd. 1630 et 1641.) [C 302.)
257. Nicolai Rigaltii Observationes ad Tertulliani Iibros IX. Lutetiae Parisiorum
apud Vid. O. Varrennaei, 1628, in-S", pièces limin., 138 p. [Rés. C 2821 (2).)
258. Q. Septimi Florentis Tertulliani ... opera, ad vetustissimorum exemplarium
fidem locis quam plurimis emendata, Nicolai Rigaltii ... observationibus et
notis iIIustrata, cum indice glossaria stili africani... Lutetiae Parisiorum,
sumptibus M. Du Puis, 1634, 2 part. en 1 vol. in-fol. (Dédié au Cardinal
de Richelieu.) (Rééd. 1641, 1664, 1675.) [C 304 et 305.)
Rigault (Nicolas). - Sententia super Tertulliani dicto explicatior. Voir
Aubespine (Gabriel de l'). L'ancienne police de l'Eglise sur l'administration
de l'Eucharistie. Paris, 1629, 2 vol. in-8 D • [0 13166.)
738 BIBLIOGRAPHIE

259. Apologetique ou Defense des chrestiens contre les accusations des Gentils,
Traduit en françois du latin de Tertullien (par Louis Giry). Paris, J. Camu-
sat, 1636, in-8°, préf., 362 p. (Rééd. huit fois de 1637 à 1738.) [Rés. C 2825.)
(A replacer comme le n° suivant, dans la série des traductions patronnées
par l'Académie.)
260. Tertullian. De la patience et de l'oraison. Paris, Vve J. Camusat, 1640,
in-12, pièces Iimin., 116 p. (Trad. Ithier Hobier.) IC 2833.)
261. Nicolai Rigaltii Observationes et notae ad libros Q. Septimo Fior. Tertul-
liani. Lutetia, sumpt. M. De Puis, 1641, in-fol., 130 p. [C 308.)
262. De la chair de Jesus-Christ et de la Resurrection de la chair, ouvrage de
Tertullien. De la traduction de L. Giry. Paris, L. Le Petit, 1661, in-12,
475 p. et table. IC 4362.)

3. BRÈVE RÉCAPITIJLATION DES TRADüCTIONS PATRONNÉES PAR L'ACADÉMIE


fRANÇAISE SOUS RICHELIEU ET PUBLIÉES PAR CAMUSAT.

1. 1636. La Doctrine chrestienne de saint Augustin, par G. Colletet.


2. :P Dialogue des causes de la c(lrruption de l'eloquence, par L. Giry.
3. :P Apologétique ou defense des chrestiens contre les accusations des Gen-
tils, de Tertullien, trad. par L. Giry.
4. 1638. Huit oraisons de Cicéron, trad. par d'Ablancourt, Du Ryer, Patru,
Giry. (A rapprocher de la trad. des Philippiques de Démosthène par
Du Ryer en 1639, publiée chez Somma ville.)
5. 1639. Harangues de Symmaque et de saint Ambroise, trad. par L. Giry.
6. ~ Les Controverses de Sénèque le Rhéteur, trad. par B. Lesfargues.
7. 1640. De la patience et de l'oraison de Tertullien, trad. par Ithier Hobier.
8. ~ Les Annales de Tacite trad. par d'Ablancourt.
9. :P De la louange d'Helene et de Busire, d'Isocrate, trad. par L. Giry.
10. 1641. Recueil des plus belles lettres de Cicéron traduites par A. du Breton.
(Pout tout ce qui concerne les attaches de Camusat avec Conrart et l'Aca-
démie, et pour les théories de la traduction, voir Roger Zuber, Les Belles Infi-
dèles, ouvr. cit.)

4. RECUEILS DE SOURCES DE L'INVENTION

(Ce petit répertoire chronologique n'a d'autre valeur que d'indiquer les
principaux points de repère et de marquer l'importance de la production de
librairie destinée à alimenter la .. rhétorique des citations:p. II devrait inciter
à une bibliographie systématique et raisonnée qui distinguerait les diverses
régions de cette production, ce que nous fi'avons pu faire ici. V. Beugnot, art. cit.
n° 1086, et Cave, ouvr. cit. n° 1105.)
263. Le Cathon en françois : en ce present livret est tenue une brieve et utille
doctrine pour les simples gens, laquelle est prinse et composee sur le
Cathon avec aulcunes additions, auctoritez des sains docteurs, des pro-
phetes, et aussi plusieurs histoires et exemples autentiques des sains peres
et cronicqs anciennes braves et approuvees... s'ensuyst la table de ce
present livre: des causes pourquoy idolatrie fut trouvee ... Exemple com-
ment les usuriers et leurs hoirs sont damnez jusqu'à la dixieme lignee ...
Exemple de la cautele et deception que une femme fist jadis à son mary ...
Exemple de la poudre de mandegloire et comment elle fait dormir ... Exem-
ple d'un senateur de Romme lequel ordonna que tout homme qui seroit pris
en adultere perdroit les deux yeux ..., etc. Lyon, 1492, in-4°. [Rés. 04887.1
BIBLIOGRAPHIE 739

(Livret à destination populaire, et composé de deux parties: préceptes


courts, en latin, Parentes ama, Meretrices fuge, suivis de gloses, et d'exem-
pies; distiques latins, tels que: Ne dubites cum magna petas impendere
parva / His etenim rebus conjungit gratia caros, eux aussi suivis de gloses
en français et d'exemples qui ont le caractère de « nouvelles exemplaires :o.)
264. Desyderii Herasmi: ... Veterum maximeque insignium proemiarum id est
Adagiorum collectanea ... Parrhisiis, 1500, in-4°. [Rés. p Z 447.]
265. VERGILIO (Polidoro). Proverbiorum libellus. - Polydorii Vergilii ad librum
suum Epigramma. Venetiis, 1503, in--l°, 65 fi. [Rés. Z 542.] (Réuni aux
Adages d'Erasme à Anvers (1566) el Lyon (1571).)
266. NANI MIRABELLI (Domenico). Polyanthea, opus suavissimis floribus oma-
tum, compositum per Domenicum Nannium Mirabellium ... Venetiis, 1507,
in-fol., CCXIX fi. [Rés. g Z 13.]
267. NANI MIRABELLI (Domenico). PoI.l'anthea, opus suavissimis floribus oma-
tum ... Lugduni, 1513, in-4°, 2SS fi. [Rés. m Z 15.]
26S. Erasmi ... Adagiorum chiliades tres ac centuriae fere totidem. Basileae, in
aedibus Frobenii, 1513, in-fol., 2·19 p. (Rééd. Venise 151S, 1520, 152S, Lyon
1529-1550.) [Rés. Z 242.]
269. TIXIER DE RAVISI (Jean, dit Rav!.,ius Textor) .... Comucopiae, quo conti-
nentur loca diversis rebus abundantia secundum ordinem literarum ... Pari-
siis, 1519, in-4°. [So Z Don 594 (355).]
(Réédité sous div. formes à Lyon en 1551, 1559, 1560, 1572, 15S6, 1593 et
1602.)
270. VERGILIO (Polidoro). Ada!!iorum 'Ïber. Ejusdem de lnventoribus rerum libri
octo, ex accurata autoris castigatione, locupletatione non vulgari, adeo ut
maxima fere pars primae ante hanc utriusque voluminis aeditioni accesserit.
Basileae, 1521, 2 part. en 1 vol. in-fol. [Rés. Z 542.]
(Rééd. nombreuses.) (Rééd. avec les Adagia d'Erasme à Anvers en 1566, à
Paris en 1571.)
271. Contenta in hoc opere sunt haec: Catonis praecepta moralia recognita
atque interpretata ab Erasmo Roterodamo ; Mimi Publiani septem sapien-
tiae, institutio hominis christiani vl'rsibus hexametris per Erasmum Rotero-
damum ; lsocratis parenesis ad demonicum, Rudolpho Agricola interprete,
recognita per Martinum Dorpium ... Argentorati, apud M. Schurerium, 1516,
in-4°. (Rééd. Louvain, 1517, Bâle 1520.) [Rés. Z 1072.]
272. TIXIER DE RAVISI (Jean). Epithela, studiosis omnibus poeticae artis maxime
utilia ... Paris, Chaudière, 1524, in··fcl., 488 fi. rééd. 1564). [Rés. X 627.]
273. Les motz dorez de Cathon en françoys et en latin avecques bons et utiles
enseignemens, proverbes, adages, auctoritez et dicfs moraux des saiges
prouftitables a ung chascun, ensemble plusieurs questions enigmatiques ...
Paris, J. Longis, 1531, in_So. [Rés. p. Yc 906.]
(Les formules latines sont traduites en quatrains français.)
274. Apophtegmata sive scite dictorum libri sex, ex optimis quibusque utriusque
linguae autoribus, Plutarcho praesertim excerptorum cum brevi commo-
daque explicatione ... per Des. Erasmum. Nunc primum excussum. Basileae,
in off. Frobeniana, 1531, in-4°, 671 p. et index. (Rééd. Bâle, Anvers, Lyon,
Paris, Venise.) [4° Z 1167.]
275. Sententiae aliquot velut aphorismi ex omnibus Augustini ac aliorum libris
per Prosperum episcopum Rheginensem (ut venerandae vetustatis exem-
plaris testatur) selecfae. Coloniae, J. Praël exc. 1531, in-S·. [C 1369 (2).]
740 BIBLIOGRAPHIE

276. ALESSANDRI (Alessandro dit Alexander ab Alexandro), jurisconsulte ita-


lien. Genialium dierum libri sex... Parisiis, apud J. Petrum, 1532, in-fo!.
[Z 406.)
(Très nombreuses rééditions augmentées jusqu'en plein XVII' siècle, à la
B.N. et à l'Ars. Il s'agit d'une topique aisément consultable à l'aide d'un
index, sur tous les aspects de la civilisation et de la culture romaines.
La matière est répartie sous forme d'essais. Ceux de Montaigne ont dû
être utilisés, sur le même modèle, comme semina oralionis. André Tira-
queau a écrit des Semestria in Genialium dierum Alex. ab. Alex. libros
publiés à Paris en 1586, entre au~res éditions.)
277. Le second volume des mots dorez du grand saige Cathon lesquels sont
en latin et en françois ... Paris, J. Longis, 1533, in_So, 144 ff. [Vélins 2092.)
27S. ALCIAT (André). Emblematum libellus ... Parisiis, exc. C. Wechelius, 1534,
in-So. [Rés. 251 J.)
279. - Livret des emblemes de Maistre André Alciat mis en rime françoise
(par Jehan Lefebvre) ... Paris, C. Wechel, 1536, in-S·. [Rés. Z 2521.)
280. - Emblemes d'Alciat de nouveau translatez ... ordonnez en lieux com-
muns... par B. Aneau. Lyon, G. Roville, 1549, in-S·. [Rés. Z 2527.)
281. - Les emblemes d'André Alciat de nouveau traduicts par M. Claude
Mignaut... Paris, T. Richer, 1583. [Z 17422.)
2S2. Flores Lucii Annaei Senecae ... sel<!di ex omnibus illius operibus par Desid.
Erasmum ... vero judicio emendalis atque correclis, ad ulilitatem non solum
adolescenlium sed et omnium veral! vritulis ac scienliae amatorum. Additi
sunt his quidam flores pulcherrimi ex quibusdam opusculis Marci Tullii
Ciceronis. Parisiis, apud F. Gryphium, 1534, in-S·, 112 ff. (Rééd. Anvers
1539, et Paris 1547 (avec sentenliae tirées des tragédies).)
283. Dicta sapienlium Graeciae aliis sententiis explicata et vulgaribus versibus
reddita ut a pueris facilius condisw.ntur, auctore Carolo Stephano. Parisiis,
apud F. Stephanum, 1542, in-S·, 20 ff. (Réé<!. 1571.) [Rés. X IS27 bis.)
(Une étape dans l'histoire du genre illustré par les quatrains de Pibrac
et de Matthieu.)
284. Joannis Stobaei sentenliae ex thesauris Graecorum delectae quarum autores
circiter ducentos et quinquaginta citat, et in sermones sive locos communes
digestae hunc primum a Conrado Gesnero ... in lalinum sernzonem tra-
ductae ... Tiguri, exc. Froschoverus, 1543, in-fo!., 537 ff. (éd. parisienne chez
C. Périer, 1557). [R 496.)
BEAUCAIRE-PEQUILLON (François de). Anthologiae graecorum epigrammatum
liber primus universus. Parisiis, 1543, in-4·. [Vélins 2066.)
285. Les Apophtegmes, c'est-à-dire promptz, subtils, et sentenlieux dicts de
plusieurs roys, chefs d'armée, philosophes et autres grans personnaiges
tant grecz que lalins translatez du lalin de D. Erasme en françois par
l'esleu Macault ... Paris, Soleil d'Or, 1543, in-16, 376 ff. (Rééd. 1545, 1549.)
[Z 17697.)
286. Marci Tullii Ciceronis sentenliae illustriores apophtegmata item et para-
bolae sive similia aliq/lot praeterea ejusdem prae sentenliae authore Petro
Lagnerio ... Lutetiae, ex off. Roberti Stephani, 1546, in-S·, 240 p. et index.
(Rééd. I54S.) [X 17696 (1).)
287. Gnomologiae, id est sentenliae ~oi!l!rtaneae et similia ex Demosthenis ora-
lionibus et epistolis in certa virtutum et viliorum capita collectae, authore
Joanne Loino ... Parisiis, ex off. vid. M. a Porta, 1551, in-8°, 127 p.
[X 16876.)
BIBLIOGRAPHIE 741

28S. Divini Platonis Gemmae sive lIlusiriores sententiae ad excolendos morta-


Iium mores et vitas rerte instituendas a Nicolao Liburnio .,. collectae quibus
recens accesserunt aliae sententiae ex eodem Plat one depromptae. Parisiis,
apud B. Prevost, 1552, in-16, 228 p. [R 41958.]
289. Les troys derniers livres des Apophtegmes c'est-à-dire brieves et subtiles
rencontres recueillies par Erasme, mises de nouveau en françois et non
encore par cy devant imprimées. Paris, J. Longis, 1553, in_So, 191 ff.
[SO Z 15886.]
290. Philosophorum quae sunt apud Ciceronem dicta et facta. Parisiis, apud
C. Perier, 1555, in-16, 320 p. [X 17697.]
291. La topica di Cicerone, col commento di Pompeo La Barba nel quale si
mostrano gli esempi di tutti i luoghi cavati da Dante, dal Petrarca, et
dal Bocaccio, tradotla da M. Simon La Barba da Brescia, et le differenze
locali di Boezio, cavate da Temistio e da Cicerone, ridotle in arte, tra-
dotle, et abbreviate. Vinegia, Gioletto de Ferrari, 1556, in-So, XXXII-
246 p. [X 17091.]
292. Ciceronianum lexicon graeco-Iatinum, id est lexicon ex veriis graecorum
scriptorum locis a Cicerone interpretatis collectum ab Henri Stephano. Loci
graecorum authorum cum Ciceronis interpretationibus. Lutetiae Parisio-
rum, ex off. H. Stephani, 1557, in_S", XVI-III-22O p. [G 9004 (2).]
(Cicéron, dans ses écrits philosophiques, est un des patrons, avec Plutarque,
de la rhétorique des citations.)
293. PORTA (G.B.). Magia Naluralis sive de Miraculis rerum naturalium Libri
IIII... Antverpiae, ex off. C. Plantini, 1561, in-8°. [R 12613.]
(Le livre essentiel, avec celui de F. di Giorgio, pour saisir l'arrière-plan
magique des rhétoriques de l'imagination et des mnémotechniques qui leur
sont liées.)
294. - La Magie Naturelle qui est les secrets et miracles de Nature, mis
en quatre livres ... Rouen, T. Daré, 1612, in-16, 545 p. [R 12615.]
(Autres trad. Lyon 1650 et Rouen 1680.)
295. Sentences selectes de Periander, Publian, Seneque et Isocrate, tournées
en poésies françoises. Paris, par V. Sectenas, 1561, in_So, 26 ff. [Rés. X
1979.]
296. MOREL (Guillaume). Sentenliae SS. Patrum de venerandarum imaginum
usu, comprobatae in sancta et generali VII synodo, imperantibus Constan-
tino et Irene matre, anno a Christi nativitate septingesimo quinquagesimo
sexto, et eorum imperii octavo incipiente, G.M. typographo interprete.
Parisiis apud G. Morellium, 1562, in_So, 31 p. IC 4586.]
297. VALERIANO BOLZANI (Giovanni Pie rio, dit Pierius). Hieroglyphica sive de
Sacris Aegyptorum litens commentarii... Basileae, Isengrinus, 1556, in-fol.,
424 p. [Rés. Z 159.]
(Rééd. Lyon 1602 et 1621.)
29S. - Commentaires hieroglyphiques ou Images des choses de Jean Pie-
rius Valerian ... mis en françois par G. Chappuys. Lyon, B. Honorat, 1576,
2 t. en 1 vol., in-fol. [Z 479-490.]
(Nouvelle trad. par J. de Montlyard, à Lyon, 1615, Rés. Z 160.)
(Le «Pierius» fut une des plus célèbres sources de la <t rhétorique des
peintures» : il se prêtait, par un jeu combinatoire, à l'invention de proses
ornées ou de poésies sur tous sujets.)
742 BIBLIOGRAPHIE

299. Divi Ambrosii Milleloquium summam totius doctrinae illius Ambrosii sub
mille titulis seu generalibus capitibus, ordine alplzabetico digestis complec-
tens, authore fratre Bartholomaeo urbinate episcopo. Lugduni, apud Sue-
tenios fratres, 1556, in-fol. [Rés. C 413.}
300. Apophtegmatum ex optimis utriasque linguat scriptoribus par Conradum
Lycostherzem ... collectarum, loci communes ad ordinem alphabeticum redacti.
Lugduni, apud A. Vincentium, 1556, in-8°, 1130 p. index. (Rééd. 1563, 1571,
et sous une forme augmentée 15ô4, 1567.) [Z 17607.}
301. Theatrum Vitae humanae omnium ;ere eorum quae in hominem cadere
possunt bonorum et malorum exempla historica ... comprehendens a Conrado
Lycostllerze jampridem inchoatum, nunc vero Theodflri Zvingeri ... opera
in eo usque deductum ut ... majorem in modum utile et jucundum sit futu-
rum ... Basileae, per J. Oporinum, A. et A. Frobenios Fratres, 1565, in-fol.,
1428 p. et index. (Rééd. 5 vol., J5~.) [Z 1512.]
302. Flores et sententiae scribendique formulae ex Marci Tullii Ciceronis episto-
lis familiaribus selectae et in communes locos ad cujuscumque generis
concinnandas epistolas quam aCLOmmoditissimos coagmentatae et certo
ordine digestae (Gabriele Prateolo Marcossio collectore). Ejus Ciceronis
et aliorum auctorum sententiae quas doctorum IlOminum opera illustratas
emittimus, ad has ipsas fulciendas epistolas amplam tibi ma/eriam suppe-
ditare potuerunt. Antverpiae, ex off. Plantini, in-16, 1566, 174 p. (éd.
parisienne 1577). [X 17698 (1).]
303. Ciceronis ac Demosthenis sententiae selectae, item apophtegmata quaedam
pia ex ducentis veteribus oratoribus philosophis et poetis, tam graecis
quam latinis collecta. His accessit Desiderii Vandoperani (Jacotil) de phi-
losophorum doctrina libellus ex Cicerone. Parisiis, H. de Marnef et G.
Cavellat, 1567, in-16, 546 p. et index. [X 20059.]
304. Narrationum sylva, qua magna rerum partim a casu fortunaque, partim a
divina humanaque mente evenentium, scitu jucundarum et utilium varietas
continetur libri VIII ... authore Gilberto Cognato ... Basileae, ex off. Henric-
petrina, 1567, in-8°, pièces Iimin. 652 p. et index. [Z 39170.]
(Topique de récits exemplaires, à finalité morale, par le secrétaire
d'Erasme, Gilbert Cousin.)
305. Sententiae et regulae vitae ex Gregorii Nazianzeni scriptis collectae
graece. Ejusdem lambi aliquot, graece, nunc primum editi per Joannem
Sambucum ... Antverpiae, ex off. Plantini, 1568, in-8°, 112 p. [C 2630 (2).]
306. Dissimilium et adagiorum ex D. Joannis Chrysostomi operibus collectorum
centuriae per Claudium Espencaeum ... Parisiis, apud S. Nivellum, 1569,
in-8°, XVI-HiO p. [Z 17619.]
307. LA PORTE (Maurice de). Les Epithetes de M. de La Porte... Paris, G. Buon,
1571, in_8°, I11-284 ff. [Rés. X 1964.]
(II s'agit moins d'un recueil d'élocution que d'un recueil de « fleurs» ran-
gées par ordre alphabétique, et destinées à être utilisées, par un jeu combi-
natoire, pour la composition de poèmes ou de proses ornées. Les citations
sont tirées des poètes de la Pléiade.) (Rééd. jusqu'en 1612.)
308. BILL y (Jacques de). Sonnets spirituels recueillis pour la plupart des anciens
théologiens tant grecs que latins, avec quelques autres petits traictez
poëtiqlles de semblable matiere, par M. Jacques de Billy ... Paris, N. Ches-
neau, 1573, in-So, XVI-171 p. (Rééd. 1577 et 1578.) [Rés. Ye 1826.}
BIBL/OGRAPHIE 743
309. Les deux premiers livres des apophtegmes d'Erasme, colligez et tirez de
plusieurs autheurs tant grecz que latins, traduits par quatrains en rime
françoise par Gabriel Prost ... Lyon, B. Rigaud, 1574, in-8·, 64 p. [Rés.
Ye 4597.]
310. BILLY (Jacques de). Anthologia sacra, exprobatissimis utriusque linguae
Patribus collecta atque oelastichis versibus comprehensa, auelore D. lacobo
Billio ... Parisiis, apud N. Chesneau, 1575, in-16, 181 ft. (Rééd. 1578.)
[Yc 8060.]
311. loannis Stobaei Ec/ogarum libri duo, quorum prior physicas, posterior
ethicas compleelitur ; nunc primum graece editi, interprete Gulielmo Can-
tero una et Gemisti Plethonis «De Rebus Peloponnes, orationes duae,.
eodem Gulielmo Cantero interprete ... Antverpiae, ex off. Plantini, 1575,
in-fol. 236 p. [R 498.]
312. Conradi Lycosthenis... Similium loci communes ... cum Theod. Zvingeri ...
similitudinum methodo ... Basileae, ex off. Episcoporum, 1575, in-8·, 1002 p.
et index. [Z 12904.]
313. Les Quatrains du seigneur de Pybrac ... contenans préceptes et enseigne-
mens utiles pour la vie de l'homme, de nouveau mis en leur ordre et aug-
mentéz par ledit seigneur. Paris, F. Morel, 1576, in-4·, 14 ff. [Rés. H
1031 (4).]
(In éd. 1574. Le genre des «quatrains,. est une dérivation parénétique
des recueils mnémotechniques de lieux communs.)
314. BELLEFOREST (François de). Les sentences illustres de Ciceron ... de Te-
rence ... de plusieurs autres autheurs ... S.1. 1582, in-16 [X 17699.]
315. Le Trésor des Morales de Plutarque de Chaeronae contenant les preceptes
et enseignemens qu'un chascun doit garder pour vivre honnestement avec
son estat et vacation ... Avec les beaux dicts et faicts, sentences notables,
responses... des empereurs, rois, ambassadeurs et vaillans capitaines tant
grecs que romains. Premierenzent recueillis et extraits en langue latine des
commentaires et morales de Plutarque, et depuis redigez en bon ordre
et disposition en langl/e françoise par François Le Tort... Paris, J. Poupy,
1577, in-S·, 888 p. [so R 10802.]
316. ROSSELLIO (Cosma), a.p. Thesaurus artificiosae memoriae ... Venetiis, 1579,
in-4°. [l 9956.]
317. Adagiorum Des. Erasmi... chitiades quattuor ... quibus adjeelae sunt Henrici
Stephani animadversiones... item adagia collecta ex Caetio Rhodigino,
polydoro Virgilio, Preto Gotofredo, Carolo Bovello, M. Antonio Mureto,
loann. Harungo, Adria. Turnebo, Gutielmo Gentio Noviomago. Parisiis,
apud N. Chesneau, 1579, in-fol., 1376 col. (Rééd. 1579, 1606.) [Z 542.]
318. Tabula compendiosa de origine, successione, aetate et doelrina veterum
philosophorum ex Pll/tarcho, Laertio, Cicerone et aUis ejus generis scripto-
ribus a G. More((o collecta, cam Hier. Wolfii annotationibus. Basileae,
ex off. Herragiana, 1580, in-12, 496 p. index. [R 44531.]
319. CONTI (Natale). Mythologia sive Explicationum Fabularum tibri X, in qui-
bus omnia prope na.turatis et moralis philosophiae dogmata contenta fuisse
monstratur ... Venetiis, 1581, in-4°, 730 p. (J 7805.]
(Trad. fr. J. de Mont/yard 1604 - J. 7807-7808) et J. Baudoin (1 627-J. 1943
(1). Editeur de rhéteurs et sophistes anciens, comme Vigenère, Conti a
fait de sa Mythologie - comme Vigenère de ses Tableaux - un recueil
de sources de l'invention et une mnémotechnique fondée sur l'imagination.)
744 BIBLIOGRAPHIE

320. Les sentences illustres de M.T. Ciceron et les apophtegmes, avec quelques
sentences de piété recueillies des œuvres du mesme Ciceron ; aussi les plus
remarquables sentences tant de Terence que de plusieurs autres autheurs
et les sentences de DenlOstlzenes ... Le tout traduict nouvellement de latin
en françois par François de Belleforest. S.I., par J. Lertout, 1582, in-16,
VIII-751 p. et index. (Rééd. Rouen T. Daré, 1610 et 1619.) [X 17699.]
(Voir les Sententiae selectae ... , Paris, 1567.)
321. Divini Platonis Gnomologia graecolatina, per locos communes perquam
apposite digesta. Lugduni, apud J. Turnaesium, 1582, in-16, 400 p.
[R 46868.1 (Voir aussi Divi Platonis Gemmae, 1552 [R 41958.1
322. Les sentences illustres de M.T. Ciceron et les apophtegmes arec quelques
senlences de suite recueillies des œuvres du mesme Ciceron (par J. de
Belleforest). Paris, J. Lertout, in-12, 1582,751 p., index. [X 17699.]
323. L'ANGLOIS (Pierre, sieur de Bel Estat). Discours des hiéroglyphes pour
exprimer toutes conceptions à la façon des eg)'ptiens par figures, et images
des choses au lieu de leltres avecque plusieurs interpretations de songes
et prodiges, le tout par Pierre L'Anglois, escuyer, sieur deI Bel-Estal. Paris,
Abel L'Angelier, 1583, in-4", IV, 112 fi. [Z 3574.]
:i24. TRUJILLO (Thoma a), O.P. Thesauri condonatorum tomus primus in quo
septem libris non solum accurate traduntur omnia documenta quae ad
concionandi munus cum dignitate subeundum servare opporteat, sed etiam
Sanctomm graviumque aLiorum Docforum ac Philosophorum fontes indi-
cantur copiosissimi, ad omnes totius anni... Ferias ... Lugduni, apud Caro-
lum Pesnot, 1584, 2 vol. in-fol. [D 647.]
(Autre éd. Venise, 1586, 0 5317. Alliance d'une Rhetorica ecclesiastica et
d'une Summa locorum communium.)
:.'25. Recueil de sentences plus insignes de l'œuvre imparfaict de saint Jean
Chrysostome sur l'Evangile saint Matthieu, reduictes en quatrains fran-
çois par Thomas Jardin ... Lyon, Pillehotte, 1584, in-8°, 104 p. [A 12718.]
326. GRENADE (Louis de). Sylva locorum communium omnibus divini Verbi
concionatoribus neenon variarum lectionum studiosis non minus utilis quam
necessaria, in qua tum veterum Ecclesiae Patrum, tum Philosophorum,
Dratorum, et Poetarum egregia dicta, aureaeque sententiae cuilibel, sermo-
nis instituto aptissime, copiose leguntur. Lugduni, sumpt. Petri Landry, 1586.
[0 36688.]
(Précédé d'un bref de Grégoire XIII à Louis de Grenade approuvant son
œuvre, daté du 21 juillet 1582.)
327. Thesaurus christiani hominis complectens libros sex... omnia fere ex
scriptis D. Aurelii Augustini... collecta et cOllcalenata per Joannem Fede-
ricum Lumnium ... Antverpiae, ex off. C. Plantini, 1588, in-8°. [0 42473.1
328. Le Bouquet des fleurs de Seneque. Caen, impr. J. Le Bas, 1590, in-8".
[Ye 25604.]
329. LANG lUS (Joseph). Adagia, sive Senlentiae proverbiales graecae, latinae,
germanicae ex praecipiis authoribus collectae ac brevibus Nolis illustratae,
iisque Locos commune redactae. Argentorati, Josia Rihelius, 1596, in-8°,
546 p. et Index. [Z 29107.]
330. ROA (Martinus de). Singularium locorum et rerum libri V ... Martini de
Roa ... Cordubae, ex officina F. de Coa, 1600, 3 part. en 1 vol. in-4".
- Singularium locorum et rerum Sacrae Scripturae libri VI. Lugduni,
sumpt. L. Anisson, 1602, in-8", 667 p. [A 72292.]
(Rééd. Lyon, 1604.)
BIBLIOGRAPHIE 745
331. Apophtegmata ex probatis graece latinaeque scriptoribus a Conrado
Lycosthene collecta et per locos communes juxta alphabeti seriem digesta ...
Accesserunt Parabolae sive similitudines ex Plufarcho et atiis olim excerp-
tae, deinde per Lycosthenem dispositae, ac nunc primum aliquot centuriis
auctiores editae. Genevae, exc. J. Stoer, 1602, 2 part. [Z 17614.J
(Réé<!. Caen et Rouen, 1610, Lyon 1614, en un vol. in-8·.)
332. NANI MIRABELLI (Domenico). Polyanthea, hoc est opus suavissimis floribus
celebriorum tam graecarum quam latinarum exornatum, quos collegere ...
Domenicus Nanus Mirabeltius, Barlholomaeus Amantius, et Franciscus
Tortius ... S. Gervasii, ex typis Vignonanis, 1604, in-fol., 851 p. [Z 319.]
(Rééd. Francfort, 1612, 1628; Lyon, 1620, 1625, 164S.)
333. CAMERARIUS (Joachim Kammermeister le jeune, dit). Symbolarum et emble-
matum centuriae tres ... Lipsiae, typis Voegelinianis, 1605, in-4·. [Z 3515.]
334. BEYERLINCK (Laurens). Apophtegmata christianorum ... Antverpiae, ex off.
P1antiniana, 1608, in-S·, 584 p. [Z 17729.J
335. Joannis Stobaei sententiae ex thesauris Graecorum delectae... Item loci
communes sententiarum collecti par Antonium et Maximum monachos
atque ad Stobaei locos relati... Aureliae Allobrogorum, pro F. Fabro ... , 1609,
3 part. en 1 vol. in-fol. [R 644-646.]
336. Ethicae ciceronianae libri duo, seu doctrina de honeste vivendi ratione ex
Ciceronis libris collecta ejusque verbis et sententiis expressa et Ramea
methodo digesta a M. Antonio Buschero... Hamburgi, impensis Carstens,
1610, in-8·, X1V-176 p. [E 1540.]
337. GRUTER (Janus). Florilegium ethico-politicum, nunquam antehac editum,
necnon P. Syri ac L. Senecae sententiae aureae, recognoscente J. Grutero ...
Accedunt gnomae paroemiaeque Graecorum, item proverbia germanica,
belgica, italica, gallica, hispanica. Francofurti, in Biblio. J. Rhodii, 1610-
1612, 2 part. et 6 fasc .en 3 vol. in-8·. [R 37849-37S5I.]
338. MATTHIEU (pierre). Tablettes ou quatrains de la vie et de la mort (Seconde
partie). Paris, Ruelle, 1612, 2 part. en 1 vol. in-So. [Ye 27469.]
(Nombreuses rééd. des deux parties au XVII' siècle.)
339. Elogia ciceroniana Romanorum domi militaeque illustrium... selecta a
Joanne Brantio ... Antverpiae, ex typo Verdussen, 1612, in-4·, V1I1-263 p.
(J 3715 et R 7314.]
340. Polyanthea Nova, hoc est suavissimis floribus celebriorum sententiarum tam
graecarum quam latinarum refertum, quod ex innumeris fere cum sacris
tum profanis authoribus, iisque vetustioribus et recentioribus summa fide
olim collegere ad communem studiosae juventutis utilitatem, eruditissimi
viri, Domenicus Nanus Mirabellius, Bartholomaeus Amantius, et Fran-
ciscus Torlius nunc vero sublata omni titulorum et materiarum confusione,
ordine bono digestum, et innumeris prope cum sacris tum profanis sen-
tentiis apophtegmatis ,similitudinibus, adagiis, exemplis, emblematis, hiero-
glyphicis, et fabulis auctum, locupletatum, exornatum, studio et opere
Josephi Langi Caesaromontani, P.L. et in Archiducali Academia Fribur-
gensi Brisgoiae Rhetorices et Graecae linguae Professoris, ed. altera...
Francofurti, Lazarus letzner, 1612, in-fol., 1257 p. [l 320.J
341. LANGIVS (Joseph). Loci communes sive florilegium rerum et materiarum
selectarum, praecipue sententiarum, apophtegmatum, similitudinum, exem-
plorum, hieroglyphicorum, ex sacris literis, Patribus item, aliisque Linguae
graecae et Latinae scriptoribus probatis collectum studio et opera J. Langii
ï46 BIBLIOGRAPHIE

Caesaromontani. Argentorati, 1613, apud Josiae Rihelii heredum, 630 ff.


(Faisant fonds sur Alciat et Camerarius, les Loci communes de Joseph
Langius, amplifient son volume d'Adagia publié en 1596.) IZ: 17742.]
342. RIPA (Cesare). lconologia, opera utile ad oratori, predicafori, poeti, piffori...
per inventar concetti ... per divisare qualsi voglia apparato nuttiale, fune-
raie, trionfale, per rappresentare poemi drammatici ... Siena, appresso hered.
M. Fiorini, 1613, in-4°, 436 p. [l 3606.] (p8 éd. 1593.)
(La Sylva locorum par excellence de la rhétorique des images, liée au
style orné et aux genres démonstratifs, épithalames, oraisons funèbres,
éloges et entrées princières. La trad. française de j. Baudoin paraît en
1636 Il 513].)
343. Le Sénèque ressuscité chrestien, nouvellement augmenté de deux centuries
entieres en ceste deuxième edition ... le tout faisant trois cents considerations
philosophiques et morales, chascune avec son application mesme. Œuvre
et stile extraordinaire, tiré de l'anglais de losef Hall (par le sieur de Tour-
val) ... Paris, F. Huby, 1614, 2 part. en 1 vol. in-8°. (Dédié à Mgr. le
Chancelier, priv. du 28 févr. 1610.) [R 38134.]
344. DINET (le P. Pierre). Cinq livres des hiéroglyphiques où sont contenus les
plus rares secrets de la nature et proprietez de toutes choses avec plusieurs
admirables considerations et belles Devises sur chacune d'icelles, œuvre
tres-docte, ingenieux, et eloquent necessaire à toutes professions de feu
M. P. Dinet, Docteur en théologie, Conseiller et maUre de la Chapelle du
Roy, son Predicateur ordinaire et de la Royne Louyse dOllairière. Paris,
J. de Heuqueville, 1614, in-4°, 709 p. [l 3575.]
345. SCHENCKEL (Lambert-Thomas). Flores et sententiae insigniores ex libris
De Constantia lustii Lipsii... selecti et ad usum loquendi quotidianum
accommodati... S.I., sumpt. auctoris, 1615, in-12, IV-97 p. [l 17739.]
(Voir aussi l 17740, et le Gazophylacium arlis memoriae ... Argentorati,
Bertramis, 1610, in-8°, 378 p., l 59821, traduit en 1623.)
346. - Le Magasin des sciences, ou Vrai art de mémoire, découvert par
Schenchelius, traduit et augmenté par l'alphabet de Trithemius, par Adrien
Le Cuirot. Paris, J. Quesnel, 1623, in-12, XXXIII-359 p. Il 11289.]
347. Apparatus concionatorum seu loci communes ac conciones ordine alphabe-
tico digesti, authore Francisco Lobate S.I. Lugduni, 1615, in-fol., 634 p.
[Rés. D 1892, D 648.]
348. BERLAYMONT (Philippe de), S.J. Paradisus puerorum in quo primaevae
honestatis totiusque pueritiae recte informatae reperiuntur exempla, senibus
juxta et pueris ad speculum admirationem, imitationem... Duaci, ex off.
Joannis Bogardi, 1618, in-8°, 844 p. [D 20763.]
(Cet ouvrage destiné à nourrir les sermons et les leçons de catéchisme des
Collèges ne contient pas moins de quatre exempla traités par Corneille:
Rodogune, Théodore, Héraclius, Nicomède, et un exemplum emprunté à la
Tragoedia Flavia du P. Stefonio (Rome, 16(0).)
349. CAUSSIN (le P. Nicolas, S.].). Elecforum symbolorum et parabolorum histo-
ricarum syntagmata ex Horo, Clemente, Epiphanio et aliis, cum notis et
observationibus, (suivi de) Polyhistor symbolicus, eleciorum symbolorum
et parabolorum historicarum stromata. Paris, Romain de Beauvais, 1618,
2 parties en 1 vol. in_4°. [l 3501-3502.1
(2 parties: «De symbolica Aegyptiorum Sapientia ~ et «Polyhistor sym-
bolicus. :» Rééd. à Paris en 1634, l 17364.)
H1BLlOGRAPHIE 747
350. Copia illustrandae et exornandae orationis ex omnibus M.T. Ciceronis
operibus locis communibus digesta auctore Andrea Diether... Parisiis, ex
off. N. Buon ,1619, in-12, pièces Iimin. 373 p. index. [X 17714 et 2D06O.]
351. BALINGHEM (Antoine de), S.J. Scriptura Sacra in locos communes morum
et exemplorum nova ordine distributa. Commodiore quam hactenus methodo
ad usum concionatorum digesta ... Duaci, 1621, in-foI., 2 vol. S70 et 235 p.
[A 1487.]
352. Apophtegmes de Plutarque ou dicts notables des anciens roys, princes et
grands capitaines, translatées de grec en françois par J. Amyot. Remis,
apud N. Constant, 1622, in-So. IZ 17596.]
353. GRUTER (Janus). Florilegii magni, seu Polyantheae tomus secundus Jani
Gruteri formatus, ex quinquaginta minimum authoribus quorum tamen
nulllls fere comparet in tomo primo ... Argentorati, sumptibus haeredum
L.Zetzneri, 1624, 2 parties en un vol. in-fol. [Z 324-325.]
354. - Loci communes, sive Florilegium rerum et materiarum ex auctoribus
vetustis '" ex Jani Gruteri Florilegii magni tomo secundo descerptum et
contractum ... Argentorati, sumptibus haeredum L. Zetzneri, 1624, in_So,
1447 p. [Z 17735.]
355. - Bibliotheca exulum, seu Enchiridion divinae humanaeque prudentiae.
Francofurti, sumptibus haeredum L. Zetzneri, 1625, in_So, 891 p.
356. MAGIRUS (Tobias). Polymemnon, seu Florilegium locorum communium
ordine nova exactiori... animatum ..., cura et opera Tobiae Magiri ... Franco-
furti, sumpt. C. Sieichii et viduae D. Aubrii, 1629, in-fol., pièces Iimin.,
2425 p. [Z 312.]
357. LIGETI Fortunio). Encyclopaedia ad aram mysticam Nonar;; Terrigenae,
anonymi vetustissimi... S.DN.P.P. Urbano Octallo. Patavii, apud G. Cri-
vellarium, 1630, in-4°, pièces timin. 175 p. et index. [ R 2922.] (Dans le
même volume, Allegoria peripatetica et Encyclopaedia ad aram pythiam :
autant d'exégèses d'inscriptions antiques où tout un monde de savoir est
supposé avoir été résumé et caché.)
358. BEYERLINCK (Laurens). Magnum Theatrum Vitae Humanae hoc est rerum
divinarum et humanarum syntagma, catholicum, philosophicum, historicum,
do~maficum. Coloniae Agrippinae, A. et A. Hierati fratres, 1631, in_SO.
[Rés. Z 1623.]
359. Desid. Erasmi... Flores una cum septem centuriis sapienter dictorllm, col-
lecti opera D. Simeonis Parthicii de Spitzberg. Amstelodami, apud J. Jan-
sonium, 1630, in-12, 332 p. [Z 39104.]
360. ORLEANS (Louis d'). Quatrains moraux pour l'instrllction de la jeunesse ...
Paris, F. Targa, 1631, in-So, 128 p. [Ve 7386.]
361. CRESSOLLES (Louis de) S.J. Anthologia sacra, seu de Selectis piorum homi-
num virtutibus animique ornamentis decas una (altera) ... Lutetiae Parisio-
rum, sumpt. S. Cramoisy, 1632-1638, 2 vol. in-fol. [D 370.]
362. Loca Moralia e Sacris literis decerpta, SS. Patrum expositionibus illllstrata ...
authore Francisco Labate S.J. Lyon, 163S, in-fol., 6 ff., 448 p. [0 1893.]
363. Les Quatrains des sieurs de Pybrac, Fabre et Matthieu, ensemble les Plai-
sirs de la vie rustique. Paris, Robinet, 1640, in_So, 106-16 p. [Ve 7401.]
364. Thesaurus Moralis R.P. Francisci Labatae ... ex locis communibus et appa-
ratu concionum coacervatlls... novis commentationibus auctus et selectiori-
blls SS. Patrllm sententiis, protanorum auctorum monitis, ethicis characte-
ribus, moralibus pronuntiatis locupletatus ... Antverpiae, 1652, 2 vol., in-fol.
[0 1894.]
748 BIBLIOGRAPHIE

365. L'Esprit de Seneque, ou les plus belles pensées de ce grand philosophe,


par Puget de la Serre. Paris, A. Soubron, 1657, in-8°, pièces limin. 288 p.
[R 40934.]
366. Les Apophtegm!s des anciens tirés de Plutarque, de Diogène Laërce,
d'Elien, d'Athénée, de Stobée, de Macrobe et de quelques autres et les
stratagemes de Frontin, de la traduction de N. Perrot, Sieur d'Ablancourt.
Paris, Billaine, 1664, in-4°, 512 p. [Rés. Z 931.]
367. NIEREMBERG (Juan Eusebio) S.J. Aforismos 0 dictamenes ... Bruxelles, T.
Mommarte, 1664, in-12, 261 p. [0 45930.]
368. - Succus prudentiae sacro-politicae ex nonnullis R.P.f.EN. operibus
expressus et per locos communes digestus, opera D. Pauli de Tarsia ...
Lugduni, C. Bourgeat et M. Liétard, 1659, in-12, 474 p. [0 45953.]
369. - Reflexions prudentes. Pensees morales. Maximes stoïciennes. Tra-
duites de l'Espagnol par le R.P. d'Obeilh ... Amsterdam, O. Elzevier, 1671,
in-12, pièces Iimin. 201 p. [R 18553.]

5. MANUELS D'ÉLOCUTION CICÉRONIENNE


(par ordre chronologique)

370. F. Ambrosii Calepini. .. Dictionarium ex optimis quibusdamque authoribus


studiose collectum, et recentius auctum et recogmtum... Parisiis, cura
J. Badii Ascensii, 1514, in-fol. [Rés. X 173.]
(Objet d'innombrables rééditions, cet ancêtre de nos dictionnaires, qui
ignore le purisme cicéronien, aura pour adversaire le Thesaurus cicero-
nianus de Nizolius.)
371. Hortulus elegantiarum magistri Laurentii Corvini partim ex Marci Tullii
Ciceronis, partim ex sua germine consitus ... Augustae, in aed. S. Otmar,
1516, in-4°, 23 ft. [Rés. X 1341.]
:I12. Dictionarium ciceronianum authore Huberlo Susannaeo ... Epigrammatum
ejusdem libellus. Parisiis, apud S. Colinaeum, 1536, in-8°, pièces limin. 80 ff.
[X 20063 (1).]
373. Connubium adverbiorum, id est elegans adverbiorum applicatio et mirificus
usus ex omnibus Ciceronis operibus ... (ab H. Susanneo). Lutetiae Parisio-
rum, per N. Oivitem, 1548, in-8°, 119 ft. (Rééd. Lyon 1621.) [X 8768.]
374. M. Nizolii in M. T. Ciceronem abservationes utilissfmae ; omnia illius verba,
universamque dictionem alphabeti ordine complectentes; Caelii Secundi
Curionis opera non parva, vocum accessione locupletatae ... Lugduni, apud
G. et M. Brungos, 1552, in-fol., 1706 col. [B.M. 12932 h 8.]
375. Thesaurus M. Tullii Ciceronis, authore Carolo Stephano. Parisiis, apud
C. Stephanum, 1556, in-fol., 1591 p. [X 227.]
376. Nizolius, sive Thesaurus ciceronianus omnia M.T. Ciceronis verba, Omnem-
que loquendi atque eloquendi varie/atem complexus, nunc iterum Caelii
Secundi Curionis labore ... quarta parte aucfior ... Basileae, apud J. Herva-
gium, 1559, in-fol., pièces Iimin. 3096 col. et tables. [Fol. X 4.]
(Rééd. Lyon, Pillehotte, 1588, 1613.)
377. Concetti e forme di Cicerone, dei Boccacio, dei Bembo, delle leUere di
diverse et d'altri, da M. Oratio Toscanella raccolli a beneficio di coloro
che si di/effano di scrivere leffere doffe e leggiadre ... Venetia, L. degli
Aranzi, 1560, in-8°, VIII-59 ft. [X 17707.]
BIBLIOGRAPHIE 749
378. NUNEZ (Pedro juan). Epitheta M.T. Ciceronis collecta... Venetiis, Aldus
Manutius, 1570, in-8°, 627 p. [X 17708.]
(Rééd. 1571, Cologne.) [X 17709.]
379. Epitheta, antitheta et adjuncta ex M. T. Cicerone collecta. Argentorati,
exc. T. Rihelius, s.d., in_8°. [X 2002.]
380. Locutioni dell'epistole di Cicerone, scielte da Aldo Manutio, utilissime al
comporre nell'una e l'altra Iingua ... Venetia, Aldus Manutius, 1575, in-8°,
367 ff., index. [Rés. X 2431.]
381. Formulae ciceronianae epistolis conscribendis utilissimae, auctore Magis-
tro Christophoro Vladeracco... Antverpiae, ex off. Plantiniana, 1586,
in-8°. [X 8836.]
382. Marii Nizolii ... Thesaurus ciceronianus cui permulta ... superaddita !ueruni
per Marcellum Squarcialupum... in hac recenti impressione accessere ...
idiomatis italici, gallici, et hispanici vocabula ... latinis adjuncta ... Ejusdem
Nizolii Iibellus in quo vulgaria quaedam verba parum latine sonantia
ad ciceronianae facundiae proprietatem ... redduntur. Venetiis, B. Baxtius,
1606, in-fol. [X 282.]
383. Phrases Iinguae latinae ex M.T. monumentis ab Antonio Schoro nuper
col/ectae... auctiores multo factae, eum indice omnium vocum ciceronia-
narum ... accessit hac u/tima editione index latino-gallieus ... Turnoni, sumpt.
G. Linocerii, 1607, in-12, 479 p., index. [X 20067.]
384. Am brosii Calepini Dictionarium octolingue, in quo latinis dictionibus,
hebraeae, graecae, gallicae, italicae, germanicae, hispanicae, atque angli-
cae adjectae sunt. Recensuit, defaecavit, auxitque Johannes Passeratius ...
S.l., sumpt. Caldorianae societatis, 1609, 2 t. en 1 vol. in-fol. [X 266.]
(Refaçonné, après tant d'autres, par jean Passerat, professeur au Collège
Royal, et maître de Nicolas Bourbon, le Calepin ciceronianisé, transformé
en dictionnaire international, connaît une seconde carrière: le P. L. de
la Cerda, S.j., le révise et le réédite à Lyon en 1646, et le P. Chifflet, S.j.,
fait de même en 1681.)
385. Polyonyma ciceroniana. Auctore Chrisphore Vladeracco... Rothomagi,
apud T. Daré, 1615,2 part. en 1 vol., in-12. (Même éd. chez Des Préaulx ;
rééd. chez D. du Petit-Val en 1625.) [X 17710.]
386. Thesaurus novus seu deleetus elegantioris ex unD quantum potuit Cice-
rone purioris latinitatis... ab uno Societatis Jesu. Flexiae, G. Griveau,
1646, in-8°. [X 14075.]
387. Hortus ciceronianus elegantissimus ... in quo leguntur lilia et rosae, effo-
ditur thesaurus, fluit fons al/reus purioris in utraql/e cum latina tum
gallica lingua loeutionis. quae quidem et aptil/s inter se cohaerent variis
partieularum et commissurarum nexibus illigantur studio et la bore unius
eruditissimi viri, nova editio recognita et accurate emendata ab unD e
Patribus S.j. Lemovicis, apud A. Barbou, 1650, in-8°, 1 223 p. [X 17713.)
(Un Thesaurus nizolianus latin-français, œuvre d'un jésuite de Limoges.)
388. ALBERTI (Alberto, dit Albertus de Albertis) S.j. Thesaurus eloquentiae
sacrae et profanae erutus ex Aclione contra ejusdem nitoris corruptores
per A. de A., s.j., in quo tum sacrae tum profanae eloquentiae candidatis
ostenditur artificium sistendi al/ditoribus suis puram, tersam, et gravitate
christiana condecoratam orationem, missis futilibus illis lenociis ejusdem
hactenus corruptorum. Cologne, 1669, in-12, 583 p.
(Un Thesaurus dans la lignée du cicéronianisme dévot du P. Strada et
du P. Petau, et en polémique contre le Cannochiale aristotelico de Te-
sauro.)
750 BIBLIOGRAPHIE

6. RHÉTORIQUE, ÉLOQUENCE ET LITTÉRATURE EN FRANCE


AU XVI' ET AU XVII' SIÈCLES (sauf S.J.)

(Voir CapIan et King. « French tracta tes on preaching ... ». Quarterly


Journal of Speech, 1950, 296-325.)
389. L'Antiphyllarque ou refutation des lettres de Phyllarque à Ariste. Lyon,
Pierre Drobet, 1630, in-12, 536 p.
(V. ch. III, p. 25-36, une intéressante critique de la notion d'éloquence
inspirée: «Pourquoy Phyllarque a voulu qu'on creust qu'il escrivit par
une force et boutade d'esprit?» II se réclame du Démon de Socrate, de
l'inspiration divine des apôtres et des Pères, de l'idéal du sublime selon
Longin (p. 29). II a voulu faire croire que «ses boutades lui fournissoient,
quand son esprit est eschauffé, ce que les hommes ordinaires ne peuvent
trouver que dans les lieux-communs, ou acquerir par un continuel etude ».
En fait, ces boutades ne témoignent pas d'un «Genie» extraordinaire, ou
d'une lumière d'En-Haut, mais de la «resverie» de leur auteur, de «sa
bile », de «sa maladie d'esprit,.. Phyllarque n'est qu'un «resveur », un
visionnaire, victime d'accès de fièvre. Socrate a jugé fols les poètes de
son temps. Phyllarque, dans sa prose, témoigne d'une fureur plus que
poétique.)
390. Harangues et actions publiques des plus rares esprits de nostre temps,
faicles tant allx ouvertllres des Cours souveraines de ce royaume qu'en
pillsiellrs autres signalées occasions. Paris, A. Beys, 1609, in_8°, 983 p.
[X 18783.)
391. Le Parterre de la rhetorique françoise, emaillé de toutes les plus belles
fleurs d'eloqllence qui se montrent dans les œuvres des orateurs tant
anciens que modernes, ensemble le verger de poësie, ollvrage tres-utile
à ceux qlli veillent exceller en l'un et l'autre art. Lyon, C. de La Rivière,
1659, in-12, 188 p. [X 18758.)
392. Le Thresor des Haranglles et des remonstrances faites aux ouvertures
du Parlement ... Paris, M. Robin, 1660, in-4°. [F 13813.)
393. Le Thresor des Harangues et remonstrances faites aux ouvertures du
Parlement ... recueillies par M.L.G. advocat en Parlement. Paris, M. Robin,
1668, 2 vol. in-12. [X 18790-18791.)
394. Nouveau recueil de Lettres, harangues et discours differens où il est traité
de l'Eloquence françoise et de pillsieurs matieres politiques et morales.
Paris, F. Pomeray, 1630, in-So, 725 p. {Z 14260.]
(Dédié au Président Nicolas Le Jay.)
395. Recueil des plaidoyers notables de plusieurs anciens et fameux advocats
de la Cour de Parlement ... Paris, E. Pepingué, 1644, in-So. [F 42996.)
396. Recueil des harangues prononcées par Messieurs de l'Académie françoise
dans leur reception. Paris, J.B. Coignard, 1698, in-4°. [X 3500.)
(Voir en particulier la harangue de Patru, qui ouvre le recueil et dans
celle-ci, une attaque en règle (p. 74-77) contre l'atticisme sénéquien et
le style coupé de Matthieu et de Malvezzi, qui fait suite (p. 24-33) à
une belle et savante discussion hostile aux conceptions stoïciennes en
matière de langage.)
397. Recueil des plus beaux vers de MM. Malherbe, Racan, Monfuron, May-
nard, Boisrobert, L'Estoille, Lingendes, Motin ... Mareschal et autres des
pills fameux esprits de la Cour, par le commandement de M. le Comte de
Morel. Paris, T. du Bray, 1627, in-8°. [Ve 11454.)
BIBLI OGRAPH lE 751

398. ABLANCOURT (N. Perrot d'). Letlres et Préfaces critiques (publiées avec
une introduction, des notices, des notes et un lexique par R. Zuber). Paris,
Didier (S.T.F.M.), 1972, in-12, 290 p.
399. AMYOT (J.). Projet d'eloquence royale composé pour Henri JII, Roi de
France ... d'après le manuscrit autographe de l'auteur. Versailles, Ph.
O. Pierre, 1805. [Rés. X 1255 - X 20402.]
400. ARNAULT (Antoine). Antiespagnol autrement les Philippiques d'un Demos-
thene françois touchant les menees et ruses de Philippe roy d'Espagne
pour envahir la Couronne de France. S.I., 1590, in-8°. [Lb 35312 A.]
401. - Le Franc et veritable discours au Roy sur le retablissement qui
luy est demandé pour les Jesuites. S.I., 1602, in-8°. [Ld 3933 A.]
402. - Le Plaidoyé de M. Antoine Arnauld advocat au Parlement ... pour
l'Université de Paris demanderesse, contre les Jesuites defendeurs, ces 12
et 13 juillet 1594. Paris, Mamert Patisson, 1594, in-8°. [Ld 3915.]
403. ARNAULD (Antoine, dit le Grand). De la Fréquente Communion. Paris,
A. Vitré, 1643, in-4°. [Rés. D 6291.]
404. - Réflexions sur l'éloquence des prédicateurs. Paris, Delaulne, 1695,
in-12. [D 15266.]
405. ARNAULD (Antoine) et NICOLE (pierre). La Logique ou l'art de penser.
Paris, C. Savreux, 1662, in-12. [R 10983.]
(Voir Ant. Arnauld et Pierre Nicole, La Logique ou l'art de penser, éd.
critique par P. Clair et Fr. Girbal. Paris, P.U.F., 1965, in_8°, 432 p.
[8° R 65606 (3)].
406. ARNAULD D'ANDILLY (Robert). Mémoires ... Coll. Michaud et Poujoulat, 2-
série, IX, Paris, 1815-1838, Paris, chez l'Editeur du Commentaire analy-
tique du Code civil. Gr. in-8°. [L 4522.]
407. AUDIGUIER (Vital d'). Epistres françoises et libres discours ... seconde par-
tie, Paris, Berjon, 1611, in-12. [Z 14321.]
(Rééditées en 1625 dans les Diverses affections de Minerve ... )
408. - La Philosophie soldade, avec un manifeste de l'autheur Il Mgr. le
Prince. Paris, T. du Bray, 1604, in-12. [R 24915.]
(Contient les éléments d'une autobiographie analogues à ceux du Page
disgrâcié de Tristan. On y observe le passage de la sententia morale
à la «pointe :..)
409. AUBEROCHE (Pierre d'), régent de collège. lIIustriss. cardo Richelio Elo-
quentiae Pantarba, cum necessaria ad oratoria disserendllm dialectica ...
Accedit methodlls dicendi et scribendi tam facilis ut ... ad disserendum vel
mediocri ingenio viam planam ... aperiat. Parisiis, apud J. Libert, 1626,
in-8°. [X 17830 - Rés. p. Yc 1024 (2).]
(Œuvre d'un ex-jésuite, et d'intention polémique contre la rhétorique de
la Compagnie.)
410. - Panegyricus de augustissimo Franciae Senatu ... Parisiis, J. Trom-
pere, 1626, in-4°. [Ln 27 20196.]
(Dédié au Premier Président N. de Verdun. Contient des éloges de l'élo-
quence des principaux «ténors,. du Parlement, et, en particulier, un
vibrant panégyrique de J. Bignon, summus Heros.)
411. AUBESPINE (Gabriel de l'). L'ancienne police de l'Eglise sur l'adminis-
tration de l'Eucharistie. Paris, A. Estienne, 1629, 2 vol. in-8°. [D 13166.]
412. AUBIGNAC (François Hedelin, Abbé d'). Discours académique sur l'élo-
quence prononcé en l'hostel du Marquis d'Hervautt, le 12 juillet 1668,
Paris, P. Colin, 1668, in-12. [X 26230.]
752 BIBLIOGRAPHIE

413. AYRAULT (P.). De l'ordre et instruction judiciaire dont les Grecs et les
Romains ont usé ès-accusations ... Paris, Sonnius, 1588, in-4°. [F 11647.]
(Comparaison entre le stylus Curiae Parlamenti et le «style» des
Anciens.)
414. - Les plaidoyers de feu Monsieur P. Ayrau/t ... seconde édition. Paris,
P. Rigaud, 1613, in-8°. [F 28627.]
415. BACILLY (Bénigne de). Remarques curieuses sur l'art de bien chanter ...
Paris, Ballard, 1668, in_8°, IX-430 p. [V 25359.]
416. - L'Àrt de bien chanter de M. de Bacilly, augmenté d'un discours qui
sert de réponse à la critique de ce traité ... Paris, l'autheur, 1679, in-8°, XII-
32-430 p. [V 25208.]
417. BAILLET (Adrien). La Vie d'Edmond Richer. Liège, 1714, in-8°, IV-412 p.
[Ln 27 17453.]
(Ouvrage capital pour l'étude du gallicanisme sous H. IV et L. XIII. Voir
p. 8, précieuses remarques sur le style de Richer prédicateur, et p. 25,
commentaires sur l'œuvre de Richer érudit (De Analogia) et grammairien
(Grammatica obstetrica) dans la lignée de j.-C. Scaliger. Rien sur Richer
rhéteur.)
418. BALZAC (J.-L. Guez de). Les Œuvres de M. de B. divisées en deux tomes.
Paris, L. Billaine, 1665, 30 if., 1059 p., et 4 ff., 717 p., 2 vol. in-fol.
[Z 772-773.]
(pour la bibliographie de B., on se reportera à B. Beugnot. Guez de
Balzac, bibliographie générale. Presses de l'Univ. de Montréal, 1969, petit
in-8°, 164 p., Guez de Balzac, bibliographie générale, supplément l,
Presses de l'Université de Montréal, 1969, in-8·, 72 p. et supplément JI,
Saint-Etienne, 1979.)
419. - Les Entretiens: 1657, édition critique avec introduction, notes et
documents inédits ... par B. Beugnot. Paris, Didier (S.T.F.M.), 1972, 2 vol.
XLV-659 p., in-12. [16" Z 15965 (1-2).]
420. BARDIN (Pierre). Le Lycée du Sr. Bardin où en plusieurs promenades il est
traité des connoissances, des actions, et des plaisirs d'un honneste homme.
Paris, j. Camusat, 1632-34, 2 vol. in_8°.
(Auteur d'une harangue à l'Académie, le 21 Mai 1635, Du style philoso-
phique, Bardin fut le premier Académicien à laisser une place vacante
par sa mort, qui suivit de cinq jours sa harangue. Son Lycée est un bon
témoignage sur les idées qui animaient le premier groupe d'Académiciens.
On lit dans la préface Au Lecteur: «Deux genres d'Escrivains occupent
maintenant toutes les Imprimeries ... ; les uns s'efforcent de faire voir tout
ce que peut inventer l'Imagination, et les autres à estaler toutes les
richesses de la Memoire. Les premiers sont les Poetes et les faiseurs de
romans ... qui ont trouvé une place dans le Cabinet des Dames; les autres
sont ceux qui, pour se mettre en estime parmi les gens de sçavoir, tra-
vaillent sur les langues, sur les opinions des premiers doctes ... , sur l'es-
c1aircissement des passages obscurs des livres anciens ... et nous donnent
des lieux communs sur toutes sortes de matieres. Je n'accuseray pas ces
personnes là d'avoir manqué de ceste faculté de l'âme qu'on appelle
jugement, mais bien de ne l'avoir pas employé comme ils eussent peu ...
je prefereray tousjours des sujets où il y aura de l'exercice pour le
jugement, à ceux où il faudroit des efforts d'Imagination et de Memoire.
(Cet ouvrage) n'a rien de la mode, mais il tient quelque chose de ceux
des anciens qui ne se proposoient que de la realité et de ('utilité ... Mon
stile ne doit sentir ny de ('austerité des doctes ny de la mignardise des
Escrivains fabuleux; je n'ay peu souffrir ny de la crasse, ny du fard, et
B1BU OGRAPH lE 753
n'ay point voulu que le discours de mon Honnestc Homme eust d'autre
beauté que celles que l'on voit sur le visage des honnestes femmes, quand
elles sont belles, qui provient de leur santé.:' L'atticisme en prose est ici
défini comme une médiation entre la rhétorio.'1e savante des citations et
la rhétorique mondaine de l'imagination.)
421. BAR y (René). La rhétorique françoise. Paris, 1653, in-12, 423 p. (Rééd.
en 1659, seule éd. fig. à la B.N. sous la cote X 18456.)
(publié avec un Discours sur la rhétorique françoise, de J.F. Le Grand.)
422. Actions publiques sur la Rhetorique françoise... Paris, Le Petit,
1658, in-4°, 368 p. (X 3446.]
423. - La fine philosophie accommodée à l'intelligence des dames. Paris,
S. Piget, 1660, in-12, 406 p. IR 13750.]
(Rééd. en 1669 sous le titre Logique où il est donné l'usage de la logique
mesme.) Dans la tradition des traités de logique à l'usage des « ignorans :..
424. - Methode pour bien prononcer un discours et pour le bien animer ...
Paris, D. Thierry, 1679, in-12, 131 p.
425. BERTRAND (Séverin). Rhetorique royalle françoise et tres-chrestienne utile
à tous estats. Paris, 1617, in-12, XXIV-IOO p.
(Par le curé de La Ferté-Bernard. Mentionné par Cior. sous le n° 11822.)
426. BÉTHUNE (philippe de). Le Conseiller d'Esta t, ou recueil des plus gene-
raies considerations servant au maniement des affaires pllbliques ... Paris,
E. Richer, 1632, in-4°, 503 p. I-E 611.]
(Voir en particulier ch. XXXI, p. 163 et suiv., considérations sur le droit
de Remonstrance des Officiers à leur Roi, compensation à l'influence des
courtisans sur celui-ci.)
427. BOISROBERT (François Le Metel de). Palmae regiae invictissimo Ludi-
vico XIII regi christianissimo a praecipuis nostri aevi poetis in trophaeum
erectae. Paris, S. Cramoisy, 1634, in-4°. IYe 1312.]
428. - Le Parnasse royal, où les immortelles actions du très-chrétien et
très-victorieux monarque Louis XIII sont publiées par les plus célèbres
esprits de ce temps. Paris, S. Cramoisy, 1635, in-4°. IYe 1311.]
429. BOURBON (Nicolas). Oratio habita in Aula Grassinorum Calendis Octobris
1602 pro foelici studiorum instauratione. Parisiis, e typo S. Prevosteau,
1604, in_8°, 41 p. (Rz 2830.]
(Dédié à Etienne Pasquier.)
430. - Poematia exposita, alienam operam et manum qua sparsim jacentia
tollerentur atque servarentur nacta. Quibus accesserunt aliquot praefa-
liones et Divi Cyrilli Archiepiscopi Alexandrini liber primus contra lulia-
num ... Paris, Robert Sara, 1630, in-8°, XXIV-408 p. IYc 8104-8105.]
(Dédié à Mathieu Molé. Voir p. 157, un hommage funèbre rendu à
Paul Petau, cousin du jésuite Denis Petau.)
431. BOURBON (Nicolas) (en hommage à). Nicolai Borbonii in Academia Pari-
siensi Eloquentiae graecae professoris Regii Tumulus ... ab amicis exstruc-
tus. Parisiis, R. Sara, 1649, in-12, 83 p. IYc 8111.]
(Dédié par R. Sara à Claude de Mesmes, Comte d'Avaux. Contributions
des PP. Vavasseur et Petau, des deux Ogier, des deux Colletet, de
F. Guyet, de Ch. Féramus, de Chapelain, du P. Nico1aï et de nombreux
lettrés de Robe.)
432. BOURBON (Nicolas). Opera omnia, poemata, orationes, epistolae, versiones
e Graeco quibus accessit ejusdem tumulus ... Paris, apud vid. R. Sara,
1651, 3 part. en 1 vol. in-12. IYe 8109-8111.]
754 BIBLIOGRAPHIE

433. BOURZEIS (Amable de). Discours sur les desseins de l'Académie et sur
le différent génie des langues, publié dans Zeitschrift für franz6sische
Sprache und Literatur, 81 (1971), p. 210-240, d'après ms. fr. 31797, avec
variantes du ms. fr. 19195.
(D'après Pellisson, prononcé devant l'Académie le 12 février 1635.)
434. BOYER (Philibert), procureur au Parlement de Paris. Le stile de la cour
de Parlement et forme de procéder en toutes les cours souveraines du
royaume ... Paris, P. Pautonnier, 1606, in-12, 599 p. [F 25352.]
435. BREMOND D'ARS-MIGRÉ (H. de) attr. à. De l'Eloquence, manuscrit publié
par Pierre de Bremond d'Ars-Migré. Mâcon, Protat, 1938, in-8°, 260 p.
(II faut restituer cet ouvrage au précepteur du jeune H. de Bremond d'Ars,
le P. Pierre Pelleprat, s.j. Voir sur celui-ci et sur son frère homonyme,
l'art. de Jules Pellisson, «Les Deux Pelleprat », Bull. Soc. Archiv. hist.
Saintonge, t. 4, 1883, p. 21-26.)
436. BRÛI..ART DE SILLERY (Fabio, évêque de Soissons). Réflexions sur l'Elo-
quence (par Antoine Arnaud, F. Brulart de Sillery et le P. Fr. Lamy).
Paris, Josse, 1700, in-12, X-359 p. [X 18633.]
(Contenant une rééd. des Reflexions ... d'Arnauld, la réponse de Fr. Lamy
à l'évêque de Soissons et la réplique du dernier.)
437. BUDÉ (Guillaume). Annotationes ad Pandecias ... Paris, 1508, in-fol.
[Rés. F 114.]
438. - De Asse... Paris, 1514, in-fol., 172 ff. [Rés. J 672.]
439. - De Philologia libri II ... Parisiis, J. Badius, 1532, in-fol., 75 H.
[l305.]
440. - Forensia. Lutetiae, ex off. R. Stephani, 1544, in-fol., 270 p.
[F 1092.]
441. - Le livre de l'institution du Prince ... Paris, J. Faucher, 1547, in-8°,
192 H. [* E 3136.]
442. BUNEL (pierre). Petri Bunelli familiares aliquot epistolae, in adolescen-
tulorum Ciceronis studiosorum gratiam (cum epistola Pauli Manutil).
Lutetiae, cura C. Stephani, 1551, in-8°, 120 p. [l 13889.]
(Edition d'Henri Estienne sur commande du roi Henri III.)
443. - PB. galli praeceptoris et Paulii Manutii itali discipuli epistolae
ciceroniano stylo scriptae. Aliorum gallorum pariter et italorum epistolae
eodem stylo scriptae. S.I., 1581, in-8°, XIV-319 p. [Z 13892.]
444. CAMUS (Jean-Pierre). Homélies des Etats Généraux (/614-1615), texte
établi et commenté par Jean Descrains... Genève, Droz, Paris, Minard,
1970, in-16, 646 p.
445. - Le Voyageur Inconnu, histoire curieuse et apologétique pour les
religieux par M. l'Evesque de Belley. Paris, Denys Thierry, 1630, in-8°,
VI-420 p. [0 21216.]
(Cette «apologie pour les religieux », dont Goulu prenait entre autres la
défense contre les pointes de Balzac, est aussi (p. 89-119) une apologie du
style « clair, rond et naïf» de Camus, et une attaque contre <<l'elegance »,
et la « delectation» libertine des écrivains profanes.)
446. - Conference academique sur le different des belles lettres de Nar-
cisse et de Phyllarque, par le sieur de Musac. Paris, Joseph Cottereau,
1630, in-8', IV-334 p. [l 19919.]
447. Industries spirituelles contre les stratagèmes de l'amour propre.
Caen, P. Poisson, 1638, in-32, 107 p. [0 27678.]
BIBLIOGRAPHIE 755
44S. CAUS (Salomon de). La Perspective, avec la raison des ombres et miroirs ...
Londres, 1. Norton, 1612, in-fol., 65 ft. [Rés. V 442.)
449. CHABANEL (J. de). Les sources de l'elegance françoise ou du droit et naïf
usage des principales parties du parler françois. Toulouse, 1612, in-12,
226 p. [X 13297.]
(Grammaire dont les exemples sont tirés de l'œuvre de Ronsard et des
poètes de la Pléiade.)
450. CHAPELAIN (Jean). De la lecture des vieux romans, publié par Alphonse
Feuillet. Paris, A. Aubry, 1870, in_So, 52 p. [Y 22245.]
451. - Opuscules critiques ..., éd. par Alfred C. Hunter. Paris, Droz, 1936,
in-I6, 535 p. [8° Z 27614.]
452. - Lettres inédites de Jean Chapelain à P.D. Huet (1658-1673), publiées
par Léon G. Pélissier ... Nogent-le-Rotrou, Daupeley-Gouverneur, 1894,
in_8°, 40 p. [8° Z Pièce 840.]
453. - Lettres de Jean Chapelain de l'Académie française, publiées par
Ph. Tamizey de Larroque ... Paris, Impr. nationale, 1880-1883,2 vol. in-4°.
[L 45 31 E.]
454. - Soixante-dix-sept lettres inédites à Nicolas Heinsius, 1649-1658,
publiées par B. Bray. La Haye, M. Nijhoff, 1966, in-8°, VIll-407 p.
(Voir C.R. Ciureanu, S.F., 1965.) [8° Z Pièce 4712.]
455. - Lettere inediti di Jean Chapelain a correspondanti italiani (1639-
1673); intr. e note di Petre Ciureanu, Genova, Di Stefano, 1964, in_So,
XCVI-343 p. [8° Ln27 88239.]
456. CHARRON (Pierre). La Sagesse. Bordeaux, S. Millanges, 1601, in-8°,
772 p. [Rés. R 2030.]
457. - De la Sagesse, livres trois ... Leyde, J. Elsevier, s.d., in-12, 621 p.
[Rés. R 2037.]
458. COEFFETEAU (Guillaume). Compendiosa formandae orationis concionisque
Ratio seriatim delineata, ex optimis bene dicendi Magistris, fideliter col-
lecta ad sapienter, erudite, et eloquenter dicendllm, la bore et indllstria
G.C. Cenomanensis, presbyteri theologi. Parisiis, Robert Sara, 1643,
in-8°, 44 p. [X 17877.]
459. COLLETET (G.). L'art poétique du sieur Colletet où il est traité de l'épi-
gramme, du sonnet, du poème bucolique, de l'églogue, de la pastorale et
de l'idylle, avec un discours contre la traduction et la nouvelle morale du
même auteur. Paris, Sommaville, 1658, 6 parties en 2 vol. in-12.
[Y 583-584.]
(Voir l'édition par P.A. Jannini du Traitté de l'épigramme et du Traitté
du sonnet, Paris, Droz et Minard, 1965, in-12, XXVI-264 p.)
460. - Discours de l'eloquence et de l'imitation des Anciens, Paris, Som-
maville, 1658, in-12, 53 p. [Yc 3733 (5) et Y 588.]
(D'après Pellisson, prononcé devant l'Académie le 7 janvier 1636.)
461. - Vie de Guy du Faur de Pibrac, publiée par Philippe Tamizey de
Larroque. Paris, A. Aubry, 1871, in-8°, 75 p. [Ln 27 25959.]
462. COLOMBY (François de Cauvigny, sieur de). Discours prononcé en la
chambre de l'Académie françoise. S.l.n.d., in-4°, 56 p. [Rés. X 2567.]
(V. p. 6, 18 et 20, éloge insistant des «gloires de l'éloquence Fran-
çoise~, toutes du Parlement, et p. 30 éloge de l'Université: l'institution
de l'Académie est inutile, ou néfaste.)
463. COSTE (Hilarion de). Eloges et vies des reynes, princesses, dames et
demoiselles illustres en piété, courage et doctrine ... Paris, Cramoisy, 1630,
in-4°, 696 p. [Rés. G 1161.]
756 BIBLIOGRAPHIE

464. CROSILLES (J.B .de). Leitre de Monsieur de Crosilles à Monsieur le


Comte de Cramail. Paris, 1625, in_8°, 14 p. [Zp 2622.]
(Contre Balzac, « Phenix de l'Eloquence» et ses «fleurs de Rhétorique ».)
465. CUREAU DE LA CHAMBRE (Marin). Discours j:fononcé par Monsieur de
la Chambre dans l'Académie françoise où il est prouvé que les François
sont les plus capables de tous les Peuples de la perfection de l'Eloquence.
Paris, s.l.n.d., in-4°, 22 p. [Bib. mun. Reims MM 200 (4).]
(Discours prononcé selon Pellisson le 19 mars 1635. L'existence de cette
brochure fort rare nous a été signalée par R. Zuber.)
466. DES RUES (François). Les Fleurs du bien dire, premiere partie, recueillies
ès-cabinets des plus rares Esprits de ce temps pour exprimer les passions
amoureuses, tant de l'un comme de l'autre sexe, avec un nouveau recueil
des traiets plus signalez redigez en forme de lieux communs, dont on peut
se servir en toutes sortes de discours amoureux... Lyon, 1595, in-12, 216 p.
[8° Z 16210 (1).]
(Dédié à Madame, Catherine de Bourbon, sœur d'Henri IV.)
467. - Les Marguerites françoises ou seconde partie des fleurs du bien
dire, recueillies des plus beaux discours de ce temps, et mis dans l'ordre
alphabetique. Paris, Fleury Bourriquant, 1609, in-12, 212 p. [Z 46911.]
468. - Les Marguerites françoises ou fleurs de bien dire ... Rouen, Reinsart,
1612, 2 t. en 1 vol. in-12. [X 18756.]
(Dédié à Marguerite de Rohan. Rééd. en 1614 et 1625. Le patronage
de deux grandes dames protestantes, Catherine de Bourbon et Marguerite
de Rohan, marque probablement la filiation entre le goût des «margue-
rites» à la cour d'Henri IV et le goût « maniériste» de la cour de Nérac.
V. Eugénie Droz, «La Reine Marguerite de Navarre et la vie littéraire
à la cour de Nérac, 1579-1582 ». Bull. de la Soc. des biblio. de Guyenne,
n° 80, p. 1-46. Sur Des Rues, voir Laisné (A.M.), « Notice bibliographique
sur Fr. Des Rues », Mémoires de la soc. archéol. d'Avranches, t. Il, 1859,
p. 77-86.)
469. DINET (le P. François). Le Thé/Ure françois des Seigneurs et Dames
illustres ... Paris, N. et J. de la Coste, 1642, in-4°. [4° LJ2 1.]
470. - Le Théâtre de la Noblesse françoise... La Rochelle, Du Rosne,
1648, in-fol. [Fol. LJ2 2.]
471. DOLET (Etienne) ... , Dialogus de imitatione ciceroniana, adversus Deside-
rium Erasmum Roterodamum, pro Christoph oro Longolio. Lugduni, apud
S. Gryphium, 1535, in-4°, 197 p. [Rés. X 1093.]
(Voir l'édition commentée de Emile V. Telle, L'Erasmianus sive Cicero-
nianus d'Etienne Dolet (1535) .Genève, Droz, 1974, in-4°, 477 p.)
472. - Liber de imitatione ciceroniana adversus Floridum Sabinum. Lug-
duni, apud eumdem Doletum, 1540, in-4°, 55 p. [Rés. X 875.]
473. DOUTREVILLE (?). Le Democrite de la cour, où il est traité de l'eloquence
à la mode. Paris, 1641, in-8", 574 p. [Z 38941.]
(Recueil satirique de lettres composées de centons tirés ou imités des
Lettres de Balzac, selon un procédé utilisé par Goulu, puis par Du Pes-
chier: écho tardif de la Querelle Balzac-Goulu, mais significatif par là
même de son importance centrale dans l'histoire de la prose au XVII"
siècle.)
474. DUBOIS-GOIBAUD (Philippe). Sermons de Saint-Augustin sur le Nouveau
Testament... Paris, Coignard, 1694. 4 vol. in-8°. [C 3100.]
475. DU Bosc (le P. Jacques). L'Honneste Femme (Ire Partie). Paris, P. BiI-
laine, 1632, in-8°, 347 p. [R 34163.]
BIBLIOGRAPHIE 757
476. - L'Honneste Femme (2' Partie). Paris, André Soubron, 1634, in-4°,
381 p. [R 6228.] (Une 3" partie paraîtra en 1636 chez A. Courbé
IR 6229].)
477. Du BREUIL (Guillaume). Stilus supremae curiae parlamenti parisiensis,
nuper e suo prototypo... transsumptus, cum novis annotationibus Do.
Caroli Molinaei et antiquis additionibus Do. Stephani Auttrerii... Paris,
G. Prat, 1551, in-4°, 435 p. [F 11862.]
478. - Stilus Curiae Parlamenti, éd. critique par Félix Aubert. Paris, A.
Picard, 1909, in-8°, LXXX-259 p. [8° L 4560.]
479. Du CROS (Simon). L'Histoire de la vie de Henry, dernier Duc de Mont-
morency, Paris, Sommaville-Courbé, 1643, in-4°, 303 p.
[Rés. Ln 27 14696.]
480. Du PERRON (J. Davy). Les Diverses Œuvres de l'Illustrissime Cardinal
Du Perron, archevesque de Sens, Primat des Gaules et de Germanie et
grand Aumônier de France. Paris, Antoine Estienne, 1622, in-fol.
[Z 1756.] ,
(Voir p. 759-770, Avant-discours de rhetorique ou traité de l'éloquence,
prononcé probablement devant l'Académie du Palais. V. p. 765, une
justification de l'art, adjuvant indispensable de la nature, pour peu qu'il
s'accompagne d'exercice. L'éloge de l'éloquence «pour toutes les choses
vraisemblables qui peuvent tomber en discours entre les hommes '>, sert
de péroraison.)
481. - Perroniana, sive excerpta ex ore cardinalis Perronii, J. et P. du
Puy, 1. Vossio, ed. Genève, Columesius, 1667, in-8°, 334 p. [Z 18245.]
482. DUPLEIX (Simon). La logique ou l'art de discourir et raisonner ... Paris,
D. Salis, 1604, in-12, 309 ft. [R 34554.]
(2" éd. dédiée à la Reine Marguerite.)
483. DUPRÉ DE LA PORTE (J.). Pourtraict de l'eloquence française, avec X
actions oratoires. Paris, 1621, in_8°, 37-425 p. [X 18563.]
484. Dupuy (pierre). Traittez des droits et des Libertez de l'Eglise gallicane,
avec les preuves. S.1., 1639, 2 vol. in-fol. [Rés. Ld lO 7.]
485. - Commentaire sur le «Traité des Libertez de l'Eglise gallicane:.
de Maistre Pierre Pithou ... Paris, S. et G. Cramoisy, 1652, in-4°.
[Rés. Ld lO 12.]
486. Dupuy (Pierre) éd. Instructions et lettres des rois très chrestiens et de
leurs ambassades et autres actes concernant le concile de Trente ... Paris,
1654, in-4°. [Rés. B 1946.]
487. - Histoire du ditterend d'entre le Pape Boniface VIII et Philippe
le Bel ..., Paris, S. et G. Cramoisy, 1655, in-fol., VI-683 p. [Fol. Lb 20 4.]
488. DURAND (Estienne). Méditations d'Etienne Durand, réimpression ... précé-
dée de la Vie du poëte par Guillaume Colletet et d'une notice par Fré-
déric Lachèvre. Paris, H. Leclerc, 1906. Gr. in-8°, LVI-271 p. [4° Ye 297.]
489. DURANT (J. Himbert) (?). Les Lumières de l'eloquence prinses du vray
usage de la raison et reduittes en art de bien dire par une methode nOl/-
velle, briefve, et facile pour ceux qui n'ont pas eu le loisir d'apprendre
ès escholes grecque et latine. Paris, Pierre Deshayes, 1625. [X 3447.]
(Dédié à M. Dt'ageant, Premier Président en la Cour des Comptes du
Dauphiné, par son ancien précepteur I.H.D.S.D.P. (?). Distingue entre
lumière de l'oraison et lumina orationis qui ne sont qu'embellissements.
« Toutes les beautez de l'eloquence ne sont que purs esclairs de la raison,
et la raison n'estant que la production de l'entendement, tenant le milieu
entre l'intellect et l'imagination, produit ses esclairs par les arguments ... :.
758 BIBLIOGRAPHIE

D'où «dissiper par notre methode les brouillards des tropes et figures
qui ont jusqu'ici caché les lumieres de l'oraison ... :.. Cet ouvrage, tout
imprégné de la doctrine de Ramus, est un important témoignage de la
diffusion de celle-ci en France dans les années qui précèdent le Discours
de la Méthode de Descartes.) (I.H.D. est, selon nous,· J. Himbert-Durant.
V. ci-dessus, B.N., Anc. fr. 2551-2555.)
490. Du ROURE (Jacques). La Rhétorique françoise nécessaire à tous ceux
qui veulent parler, ou écrire comme il faut, et faire ou juger des discours
familiers, des lettres, des harangues, des plaidoyers et des prédications.
Paris, chez l'Auteur, 1662, in-4°, 90 p.
[Ars. 4° BL 931. Sainte-Geneviève: X 4° 46S (7).]
(V. p. 1, éloge de Ramus; p. 22, attaque contre les Fleurs de la rhét. fr.
de Salabert.)
491. Du VAIR (Guillaume). Les Œuvres de Messire Guillaume Du Vair, Eves-
que et Comte de Lizieux, et Garde des Sceaux de France. Paris, Claude
Cramoisy, 1625, in-fo!., 11S9-76 p. [Z 769.]
492. - De l'éloquence françoise, Edition critique précédée d'une étude sur
le traité de Du Vair ... par R. Radouant. Genève, Slatkine, 1970, in-8·,
XIV-194 p. (Ire édition: Paris, 1907). [SO X 27461.]
(Sur la bibliographie de Du Vair, voir l'essai contenu dans ce volume.)
493. Du VAL (J.-B.). L'Eschole françoise pour apprendre à bien parler et
escrire selon l'usage de ce temps et pratique des bons autheurs ... Divisé
en deux livres, dont l'un contient les premiers elements l'autre les parties
de l'oraison, ensemble les conjectures hieroglyphiques pour l'alliance et
service mutuel des consonantes. Paris, Eustache de Foucault, 1604, in-12.
292 p. [X 9794. Microfiche m. 77S.]
494. DUVERGIER DE HAURANNE (Jean, abbé de Saint-Cyran). Apologie pour
Messire Henry Louys Cllastaignier de la Rochepozay, evesque de Poi-
tiers ... S.I., 1615, in_So, X-280 p. [SO Ln 27 4060.]
495. - La Somme des fautes et faussetez capitales contenues en la
«Somme théologique» du P. François Garasse ... Paris, Bouillerot, 1626,
2 vol. in-4°. [D 5734.]
496. - Lettres chrétiennes et spirituelles ... Paris, M. Durand et J. Le Mire,
1645-1647, 2 vol. in-4°. [D 3717.]
497. - Lettres chrétiennes et spirituelles non encore imprimées. S.I., 1744,
2 vol. in-12. [D 11989.]
49S. - La spiritualité de Saint-Cyran, avec ses écrits de piété inédits (édité
par J. Orcibal). Paris, Vrin, 1962, in-4°, 543 p. [4° H 713 (5).]
499. ESTIENNE (Henri). De latinitate falso suspecta, expostulatio H.S. Ejusdem
de Plauti latinitate et ad lectionem iUius Progymnasmata. S.I., 1576, exc.
Henric. Stephanis, in-12, 400 p. [E.N.S. Rés. LP 1 9 A 12°.]
(Le premier traité conseille un moyen terme entre le purisme des « hyper-
cicéroniens », qui suivent Nizolius, et les erreurs des barbares scolas-
tiques. Une liberté qui ne soit pas licence, et qui n'en secoue pas moins
la terreur paralysante, dangereuse pour la diffusion du latin, que répan-
dent les «Nizoliens:l>. Comparer avec les thèmes d'un Dupré, d'une
Gournay, d'un La Mothe Le Vayer polémiquant contre le purisme de
Cour. Le second traité plaide la cause de Plaute contre Térence, favori
des cicéroniens. La comice jocandi norma n'est pas le privilège du second.
Plaute a une affinité particulière avec les Français, et sa langue avec
la leur.)
BIBLI OGRAPHIE 759
500. - Pseudo-Cicero, dialogus Henrici Stephani, in hoc volumine non
solum de multi:t ad Ciceronis sermonem pertinentibus, sed etiam quem
delectum editionem ejus habere et quam cautionem in eo legendo debeat
adhibere, lector monebitur. Genevae, excud. Henricus Stephanus, 1577,
in_So, IV-22S p. [X 17721 (1).]
501. - Nizolio - Didascalus, sive Monitor ciceronianorum-nizolianorum,
dialogus ... (Genevae), Henri Estienne, 157S, in_So, VIII-200 p.
[X 17721 (2).]
502. - Deux dialogues du nouveau langage françois italianizé. Intr. et
notes par P. Ristelhuber, Paris, Lemerre, IS85, 2 vol. in_SO.
[Rés. p. X 2S4. so X 3303.)
(Ire éd. 157S.)
503. - La Precellence du langage françois (réimpr. avec notes, grammaire
et glossaire par Ed. Huguet). Paris, Colin, 1896, in-12, 434 p.
(Ire éd. Mamert Patisson, 1579.)
504. FARET (Nicolas). Recueil de Lettres nouvelles ... Paris, T. du Bray, 1627,
2 part. en 1 vol. in_So. [Z 14254.]
(Voir en particulier la lettre du Marquis de Bréval (frère de l'Abbé, puis
Archevêque Harlay de Chanvallon) à Balzac, p. 35-50, invitant son cor-
respondant à prendre plus nettement ses distances avec ses thuriféraires
de Cour.)
505. - L'Honneste Homme ou l'art de plaire à la Cour ..., éd. critique
par M. Magendie. Paris, P.U.F., 1925, in_So, 120 p. [SO R 34ISS.]
506. FAUCHET (Claude). Recueil de l'origine de la langue et poésie françoise,
ryme et romans, plus les noms et sommaire des œuvres de CXMCCC poetes
françois vivans avant l'an MCCC ... Paris, M. Patisson, 15SI, in-4°, 209 p.
[Rés. X S94 et S95.]
507. FAYE D'EsPEISSES (Jacques). Les Remonstrances ou harangues faictes en
la Cour de Parlement à Paris aux ouvertures des plaidoyries. Paris, Les-
cuyer, 1600, 2 part. en 1 vol. in-So. [SO Lf25 23. A.]
(Importante dédicace de l'éditeur, Jean de Sponde, à MM. de Gillot et
de S. Fussian, conseillers du Roy, qui définit le style de D'Espeisses,
«viril et nerveux », « retranchant» comme Phocion le «fard» et le
« superflu» de paroles pour atteindre «la simple beauté de la nature».)
(premières éditions: Lyon, 1581-1598.)
508. - Lettres inédites de Jacques Faye et de Charles Faye, publiées par
Eugène Halphen. Paris, Champion, IS80, in-16, XI-143 p. [8° La 24 IS.]
509. FÉNELON (François de Salignac de la Mothe). Réflexions sur la gram-
maire, la rhétorique, la poétique et l'histoire, ou Mémoire sur les travaux
de l'Académie françoise ... Paris, J.B. Coignard, 1716, in-12, 177 p.
[Z 11307.]
510. - Dialogues sur l'éloquence en général et sur celle de la chaire en
particulier; avec une Lettre écrite à l'Académie françoise ... Paris, F.
Delaulne, 171S, in-12, VIII-412 p. [X IS635.]
511. FICHET (Guillaume). Rhetorica. Parisiis, in aedibus Sorbonae, 1471, in-4°.
[Rés. X 1114.]
(Dédiée au cardinal Bessarion.) Voir F. Simone, « Guillaume Fichet, retore
e umanista~, MI'.71oril! dl'l/'Accademia delle scienze di Torino, série Il,
t. 69, 1939. [R 5667.]
760 BIBLIOGRAPHIE

512. FIL~RE (Alexandre-Paul de). Discours contre les citations du grec et du


latin ès plaidoyés de ce temps ... Paris. F. Huby. 1610. in-12. 66 p.
[F 25416.]
513. FLURANCE-RIVAULT (David de). L'art d·embellir. tiré du sens de ce sacré
paradoxe: «La sagesse de la personne embellit sa face.:. Paris. HiOS.
in-22. 233 H. [R 49248.]
(Précédé d'un poème de Malherbe. Eloge philosophique et moral de la
beauté. qui est indirectement une apologie de l'ornatus.)
514. - Le dessein d'une Academie et l'introduction d'icelle en la Cour ...
Paris. P. Le Court. 1612. in-8°. 111-16 H. [J 1971S (6).]
(Episode intermédiaire entre l'Acad. du Palais de Pibrac et l'Académie
française de Conrart et Chapelain. Plan d'une sorte de Collège pour
adultes. formant la noblesse de Cour à l'éloquence.)
515. - Discours sur le dessein de faire entretenir le Roy par des hommes
sçavans ... Paris. M. Verac. 1610. in-8°. 32 p. [SO Lb 36 3427.]
(Précepteur de L. XIII. Flurance-Rivault s'était d'abord soucié de pré-
server le jeune roi de 1'« ignorance:. de son entourage de Cour. Pour
la même raison. N. Le Fèvre choisira pour compagnon du jeune roi
Jérôme Bignon.)
516. - La leçon faicte en la premiere ouverture de l'Academie royale
au Louvre, le 16 May 1612 ... Paris. P. Le Court. 1612. in-So. 27 p.
[Rés. Z 4255.]
(Voir aussi du même auteur sa Minerva armata. discours latin prononcé
devant l'Académie des Humoristes à Rome. et publié dans cette ville
en 1610.)
517. FLEURY (Claude). Dialogues de Claude Fleury sur l'éloquence judiciaire
(1664). «Si l'on doit citer sans les plaidoyers:. (édité par F. Gaquère).
Paris. J. de Gigord. 1925. in-8°. 150 p. [SO F 30047.)
(Voir Hepp (N.): «Humanisme et cartésianisme. la guerre ou la paix:..
dans Mélanges ... offerts à R. Pintard. Strasbourg. Centre de Philologie
romane. 1975. p. 451-461 ; et la thèse de F. Gaquère. La vie et les
œuvres de Cl. Fleury. Paris. 1925 (SO F 3(047).)
51S. FONTAINE (Nicolas). Mémoires pour servir à l'histoire de Port-Royal...
Utrecht. aux dépens de la Compagnie. 1736. 2 vol. in-So. [So Ld3 S7.)
519. FOUQUELIN DE CHAUNY (Antoine de). La Rhetorique françoise ... à Tres-
Illustre Princesse Madame Marie Royne d'Escosse, nouvellement reveue
et augmentée. Paris. Wechel. 1557. in-So. 63 H. [X 18454.)
(Ire éd. Paris. 1555. Rés. X 2534.)
(Sur les rapports entre cette traduction et la Rhetorica de Talon. v. Roy
Leake. «The relationship of two ramist rhetorics:.. B.HR .• XXX. 1968.
p. S5-10S. Le fait que la première rhétorique en langue vulgaire ait été
une œuvre ramiste n'a-t-il pas eu des conséquences sur la persistance du
ramisme en France. parmi les «ignorans:.. en dépit de l'hostilité de
l'humanisme gallican officiel?)
520. FRANÇOIS DE SALES (Saint). Lettre à M. Fremyot, archevêque de Bourges ...
(5 octobre 1604) dans Œuvres de saint François de Sales.... Annecy.
J. Niérat. IS92-1964. t. XII. [0 83371.)
521. - Oraison funèbre sur le trépas du Duc de Mercœur ... Paris. Thierry
et Foucault. 1602. in-So. 64 p. [SO Ln27 14012.]
(Voir Hennequin.)
522. FRÉNICLE (Nicolas). L'Entretien des Illustres Bergers .. , Paris. J. Dugast.
1634. in-So. 430 p. [Ye 7700.)
(Voir Il' chant, Les Eloges de l'Eloquence, p. 163-170.)
BIBLIOGRAPHIE 761

523. - Jésus crucifié ... Paris, j. Camusat, 1636, in-12, préface et 166 p.
[Ye 770\.]
524. - Paraphrase des psaumes ... Paris, J. Camusat, 1638, in-4°, 52 p.
[Rés. m. Yc 957 (5).]
525. FURETIÈRE (A.). Nouvelle allegorique ou Histoire des derniers troubles
arrivez au royaume d'eloquence. Paris, P. Lamy, 1658, in-8°, 7 ft., 171 p.
[Y2 29079 - l 12754.]
526. GASSENDI (Pierre Gassend, dit). Viri illustris Nicolai Claudii Fabricii de
Peiresc ... vita ... Parisiis, S. Cramoisy, 1641, in-4°, 405 p. [Rés. Ln 27 15952.]
527. GODEAU (Antoine). Discours sur les œuvres de M. de Malherbe, dans
Malherbe. Œuvres. Paris, Chapelain, 1630, in-4°. [Rés. Ye 615-616.]
528. - Œuvres chrestiennes et morales en prose. Paris, Le Petit, 1658,
2 t. en 1 vol. in-8°. [l 49772 - l 49773.]
(Contient, imprimé pour la première fois, le discours Contre l'Eloquence,
prononcé par Godeau devant l'Académie, selon Pellisson, le 22 février
1635.)
529. GODET (Louis). La Fleur de Marguerite, dédiée à la Reyne Marguerite
de France. Paris, 1. Moreau, 1612, in-8°, 16 p. [Ye 23406.]
530. - Le Sacré Hélicon, ou le devot logis de la Muse devote, par Louis
Godet (anagramme de devot logis). Châlons, Claude Guyot, 1608, in-8°,
84 ft. [Ye 7498.]
53\. - Apologie des jeunes advocats avec la recommandation de la poésie
et de la nouvelle jurisprudence ... Châlons, J. Griffard, 1613, in_So.
[Ye 7499.]
532. GODY (Le P. Simplicien). Ad Eloquentiam via ... Paris, P. de La Brèche,
164S, in-12, 312 p. [X 18012 (1).]
533. GOULU (Dom Jean de Saint-François). Discours funebre sur le trespas
de M' Nicolas Le Febvre, conseiller et précepteur du tres-chrestien
Louis X1l1 ... Paris, J. de Heuqueville, 1612, in_So, XVI-12S p.
[SO Ln27 12034.]
534. La Vie du bien-heureux Mre François de Sales ..., 2· éd. Paris,
J. de Heuqueville, 1625, in_So, 592 p. [8° Ln 27 18380 A.]
535. - Letires de Phyllarque à Ariste où il est traité de la vraye et de
la bonne Eloquence contre la fausse et la mauvaise au Sieur de Balsac,
2· éd. Paris, N. Buon, 1627, in_So, 555 p. [l 15123.]
536. - Première (Seconde) partie des Leltres de Phyl/arque à Ariste,
3· éd. Paris, N. Buon, 162S, 2 vol. in-So. [l 15124-15125.]
537. GouLU (Nicolas). Oratoriae facultatis breve compendium ex Cicerone et
Quintiliano per Nicolaum Gulonum colledum. Coloniae, M. Chotum, 1559,
in-So.
(Professeur au Collège Royal, N. Goulu, époux de Madeleine Dorat, est
le père de l'adversaire de Balzac.)
538. GRAMMONT (Scipion de). La Rationnelle ou l'art des consequences pour
bielZ inférer et conclure. Paris, Fleury Bourriquant, 1614, in_So, VIlI-
205 p. [R 37592.]
(Dédié à M. de Noroy, Conseiller au Parlement, fils de M. de Champigny,
ancien ambassadeur à Venise. Grammont déclare s'inspirer de Titelmans
(Fr.), O.F.M. De Consideratione dialedica. Parisiis, apud J.L. Tiletanum,
1544, in_So [R 10777] et Compendium dialedicae, Parisiis, Calvarin, 1539,
in_So [R 54552], le second ouvrage réédité jusqu'en 162\.)
762 BIBLIOGRAPHIE

539. - L'Abbrégé des artifices, traietant ... d'un secret et moyen exquis
pour entendre et comprendre quelque langue que ce soit dans un an.
Aix, j. Tholosan, 1606, in-8°, VIII-195 p. [Z 51069.]
540. GOMBERVILLE (Marin Le Roy, seigneur de). La Première (Cinquième)
partie de Polexandre, revue ... Paris, A. Courbé, 1641, 5 vol. in-8°.
[Ve 7313-7317.]
541. GOSSELIN (Jean). La Phisionomie ... Paris, G. Auvrey, 1599, in-4°, 19 p.
[Rés. V 2252.]
542. GOURNAY (Marie de). L'Ombre de la demoiselle de Gournay œuvre com-
posée de Mélanges. Paris, J. Libert, 1626, in-8°, 1202 p. [Z 19853 -
Rés. Z 2821.]
543. - Les advis ou presents de la demoiselle de Gournay. Paris, J. de
Bray, 1634, in-4°, 860 p. [J 4003 - Rés. Z Payen 539 et 540.]
544. GRANGIER (Jean). Oratio funebris in laudem Ludovici Servini Comitis
Consist. Regii in Senalu Patroni ... Parisiis, ex typo Joann. Libert, 1626,
in-4°, 47 p. [4° Ln 27 18890.]
(Dédié à Nicolas de Verdun, hommage du Collège Royal à l'Avocat
général gallican. Contient un éloge de Jérôme Bignon, successeur de
L. Servin.)
545. - Oralio funebris in laudem illuslrissimi viri Nicolai Verduni Equitis
Torquati et in Curia Parisiensi Primarii Praesidis, habita in aede Col-
legii Praeleo-Bellovaci... Parisiis, J. Libert, 1627, in-4°, IV-36 p.
[4° Ln 27 20200.]
(Hommage du Collège Royal au Premier Président du Parlement, précédé
d'une épigramme de l'avocat j. Isnard à J. Grangier.)
546. GRENAILLE (François de, sieur de Chatou ni ères). La Bibliothèque des
Dames ... Paris, T. Quinet et Sommaville, 1640, in-4°, 224 p. [R 6237.]
(Dédié à la Duchesse d'Aiguillon. Contient la traduction de deux traités
de Tertullien, et de Lettres de saint Paulin de Nole et de saint Jérôme
à la louange des grandes dames chrétiennes.)
547. - Les Plaisirs des Dames, dediez à la Reyne de Grande-Bretagne.
Paris, G. Clousier, 1641, in-4°, 387 p. et table. [R 6221.]
(V. p. 118-160, de longs développements sur les miroirs qui sont une
paraphrase - sans référence de sources - du Miroir sans tache du
jésuite Filère (1636).)
548. - NOl/veau recueil de Lettres des Dames tant anciennes que modernes
en 2 tomes. Paris, T. Quinet, 1642, in-12, 439 et 436 p. [Z 14310 - 14311.]
(Le t. Il contient une traduction des Lettres d'Isabelle Andreini, et des
c Lettres de complimens"» de «Dames de ce temps », dont une adressée
à Balzac. V. Jacques Chupeau, «Remarques sur la genèse des Lettres
Portugaises », R.H.L.F., LXIX, 1969, p. 516 et suiv.)
549. - La Mode ou Charactere de la Religion ... et du style du tems. Paris,
Gassé, 1642, in_4°, 388 p. [Z 4022.]
(V. surtout ch. V, p. 99-136: «De la Mode, ... de ses causes et de ses
effets l> ; p. 107 «La Mode est une maladie des femmes l> ; p. 108, Mode
Moderne; p. 117, «le Principe le plus general de la Mode, c'est l'esprit
humain qui, n'estant presque jamais en une mesme posture, se plaist à
changer toutes les choses qui relevent de son Empire l>; p. 119, la
France «changeante"» plus que toute autre nation; p. 131, Mode et
imagination; voir aussi, p. 258 et suiv. discussion sur la conversation;
p. 262, les compliments à la mode; p. 267, l'idéal, c'est «parler naïve-
ment» ; p. 227, les habits à la mode avec une trad. du De Pallio de
BIBLIOGRAPHIE 763
Tertullien. Enfin, p. 359-385, «Le style à la mode, où il est traité de
l'Eloquence et de la Poësie du temps :..)
550. GUÉRET (Gabriel). Entretiens sur l'éloquence de la chaire et du Barreau.
Paris, Jean Guignard, 1666, in-12, X-213 p. [X 18613.]
551. HEERE (De). Conferences academiques recueillies et mises en lumiere
par le Sr De Heere, doyen de Saint-Aignan d'Orléans. Paris, Denys
Langlois, 1618, in-8°, VIII-492 p. [Z 19834.]
552. Huetiana ou pensées diverses de M. Huet, evesque d'Avranches. Paris,
Jacques Estienne, 1722, 8°, 436 p. [Z 18216.]
553. JACOB (p.), Avocat au Parlement. La Clavicule ou la Science de Raymond
Lulle, avec toutes les figures de rhétorique ... et la vie du mesme Ral'-
mond Lulle par M. (François) Colletet, Paris, j. Rémy, 1647, in-8·, 256 p.
[R 39096.]
554. - Le Parfait secrétaire, ou la Manière d'escrire et de respondre à
toutes sortes de lettres par préceptes et exemples... Paris, Sonunaville,
1646, in-8·, 420 p. [Z 13372.]
(V. ch. V, «Quel est le vray style de l'Eloquence », qui se réfère entiè-
rement à Cicéron, et ch. VI, «Des styles que l'on doit eviter », où
Sénèque est curieusement condamné: «S. met un style dont la compo-
sition n'est que Musique, tant elle est douce, coulante et flatteuse: c'est
le vray style de la Cour, aussi bien que du Siècle, et que les hommes
ne doivent point recevoir, puisqu'elle renverse toutes les marques de
l'amitié et de la société civile par ses charmes trompeurs qui en empê-
chent le discernement.:.)
555. JAUNIN (Claude) et NYCOLE (Anger). Les complimens de la langue fran-
çoise, œuvre tres util et necessaire à ceux qui sont à la Cour des Grands
et qui font profession de hanter les Compagnies. Paris, J. Bessin, 1630.
[X 15122.]
(Attribué par Barbier à Claude Jaunin et Anger Nycole. Réimpr. en 1641
avec Le Secrétaire à la Mode de La Serre, et en 1738, à usage de la
«culture populaire », par «la Bibliothèque Bleue» de Troyes.)
556. LA BOETIE (Etienne de). Discours de la servitude volontaire, intr. et notes
par Paul Bonnefon. Paris, Bossard, 1922. Gr. in-16, 215 p. [8° R 31411.]
557. LA GUESLE (Jacques de). Les Remonstrances de Messire Jacques de la
Guesle, Procureur General du Roy. Paris, Chevalier, 1611, in-4°, VI-1009 p.
[F 13814.]
558. LAMBIN (Denis). Dionysii Lambini Monstroliensis, litterarum graecarum
doctoris regii. De Philosophia cum arte dicendi con jung enda... Lutetiae,
apud Joannem Benenatum, 1568, in_4°, 16 p. [Rz 1577. X 3431 (1).]
559. LA MOTHE LE VAYER (François de). Considérations sur l'éloquence fran-
çoise de ce temps. Paris, Cramoisy, 1638, in-8°, 211 p.
[X 18566. X 18567. Rés. G 2682 (2).]
560. - La Rhétorique du Prince. Paris, 1641, in-8°, 120 p. [X 18455.)
561. - Opuscules ou petits traités. Paris, Sommaville, 1643, in-8°, 288 p.
[R 40543. Z 20068.]
(Voir en particulier l'essai intitulé De la lecture de Platon et de son élo-
quence, p. 1-41.)
562. - L'Hexameron rustique. Paris, Th. Jolly, 1670, in-12, 253 p.
[Y2 41973. Z 16624.]
(Voir en particulier la Cinquième journée, où un sévère jugement sur le
style de Balzac est attribué à Ménage.)
764 BIBLIOGRAPHIE

563. - En quoy la piété des François diffère de celle des Espagnols.


Paris, A. Courbé, 1658, in-4°. [4° Li' 4.]
564. - Discours de la contrariété d'humeurs qui se trouve entre certaines
nations et singulièrement en la françoise et l'espagnole ... Paris, E. Richer,
1636, in-8°. [8° Li' 1.]
565. - Œuvres, nouvelle édition ... Paris, Billaine, 1669, 15 vol. in-12.
[Z 20039-20053.]
566. LAMy (Bernard). De l'art de parler. Paris, A. PraIa rd, 1672, in-8°. (Nom-
breuses rééditions jusqu'en 1741.) [X 18461.]
567. LAMY (François). De la connaissance de soy-mesme et Eclaircissemens.
Paris, Pralard, 1694-1698. 4 vol. in-12. [R 18697-18700.]
568. LANCELOT (Claude). Mémoires touchant à la vie de M. de S. Cyran ...
pour servir d'esclaircissement à l'Histoire de Port-Royal... Cologne, aux
dépens de la Compagnie, 1738, 2 vol. in-8°. [8° Ld3 88.]
569. LANCELOT (Nicolas). Le Parfait Ambassadeur divisé en trois parties,
composé par Don Antonio de Pera et de Cuninga, et traduit en françois
par le sieur Lancelot. Paris, Sommaville, 1635, in-4°. [·E 637.]
(Dialogue. Voir p. 144: «On ne peut estre bon ambassadeur sans estre
bon orateur... La Rhétorique et l'art de bien dire est necessairement requis
en la personne d'un ambassadeur ... :. Sur l'idéal de l'ambassadeur-orateur,
voir L. Delavaud, La diplomatie d'autrefois. Paris, Plon, 1915; Rousseau
de Charmoy (L.). L'idée du parfait ambassadeur. Paris, Pedone, 1912;
et surtout Mattingley (Garrett). Renaissance diplomacy. Londres, J. Cape,
1955. [Sorbo L. 14 188 in-8°.]
570. LA PINELlÈRE (Guérin de). Suille des Visions de Quevedo. Paris, T. Du
Bray, 1636, in-8°, 99 p. [y2 75748.]
571. - Le Parnasse ou la Critique des Poètes. Paris, 1635, in-8°. [Ars.;
8· BL 8647 Rés.]
572. LA ROCHE-FLAVIN (Bernard de). Treize livres des parlemens de France ...
Bordeaux, S. Millanges, 1617, in-fol., 928 p. [Fol. Lf 25 1.]
573. LA SERRE (Jean Puget de). Le Bouquet des plus belles fleurs de l'Elo-
quence, cueilly dans les jardins des sieurs Du Perron, Coiffeteau, Du Vair,
Bertaud, D'Urfé, Malerbe, Daudiguier, La Brosse, Du Rousset, La Serre.
Paris, P. Billaine, 1624, in-8·, VI-607 p. [X 18757.]
574. - Le Secretaire à la mode, ou Methode facile d'escrire selon le temps
diverses lettres de compliment amoureuses et morales... augmenté des
complimens et des elegances françoises accommodées au langage du
temps ... S.I., 1641, 2 part. en 1 vol. in-12. [Rés. Z 4106.]
(Les «compliments" reprennent l'ouvrage de CI. Jaunin et A. Nycole
de 1630. Une nouvelle éd. augmentée paraît à Rouen en 1651. [Z 13384.]
575. - Le breviere des courtisans ... Bruxelles, F. Vivien, 1631, in-8°, 304 p.
[·E 3438.]
576. LAVAL (Antoine de). Desseins des professions nobles et publiques conte-
nans plusieurs traitez divers et rares et... l'Histoire de la Maison de
Bourbon ... Paris, Vve A. Langellier, 1612, in-4°, 461 ff., index.
[4° Lm 3 118 A.]
(Voir entre autres ch. Il, p. 3 et suiv.: «Qu'il est necessaire d'apprendre
la logique qui n'est autre chose que parler par raison,,; éloge de la
Logique, de l'Arithmétique, des Mathématiques, et de la Géométrie dans
l'éducation des enfants, écoles de la vérité, correctifs d'une éloquence
toute enflée de mots.)
(1 re éd. Paris, 1605.)
BIBLIOGRAPHIE 765

577. - Paraphrase des pseaumes de David tant littérale que mystique,


avec annotations necessaires, le tout fidellement extraict des sai/lcts Doc-
teurs receuz et approuvez en la saincte Eglise catholique Apostolique et
Romaine, au tres-Chrestien, tres-Grand et tres-Invincible Henri IV. Paris,
Langellier, 1610, in-4°, 1046 p. [A 3115.]
578. LE BRET (Cardin). Les Œuvres de Messire Cardin Le Bret, conseiller du
Roy ... Paris, Du Bray, 1635, in-fol., 1240 p. [F 1322.]
(Les Remonstrances qui s'échelonnent de Pâques 1605 à 1625, Y figurent
p. 649-811.)
579. LE FAUCHEUR (M.). De l'action de l'orateur, ou de la prononciation et du
geste. Revu, corrigé et publié par Comart. Paris, 1657, in-12, XII-243 p.
et table. [X 18741. X 18742.]
580. LE ROY (Louis). Gulielmi Budaei viri clarissimi vita. Parisiis, jean Roigny,
1540, in-4°, 70 p. [4° Ln 27 3214.]
(Dédié à Guillaume Poyet, Chancelier de France.)
581. - Drationes duae ... a/tera de jungenda sapienter sentiendi scientia
cum ornate dicendi facultate. Lutetiae, ex off. Morelli, 1576, in-4°, 18 ff.
[Rés. X 1246.]
582. - Deux oraisons françoises de Loys Le Roy, prononcees par luy à
Paris avant la lecture de Demosthène, Prince des orateurs ... l'une des
langues doctes et vulgaires, et de l'usage de l'eloquence, l'autre de l'Estat
de l'ancienne Grece ... Lutetiae, Fed. Morellus, in-4°, 19 ff. [Rés. X 1246.]
(Ce recueil, qui rassemble entre autres des cours inauguraux de Le Roy,
est d'un intérêt capital pour l'histoire de la rhétorique au Collège royal
au cours du XVI' siècle.)
583. LOISEL (Antoine). Divers opuscules tirez des mémoires de M. Antoine
Loisel, auxquels sont joints quelques ouvrages de M. Baptiste Du
Mesnil, de M. Pierre Pithou, sieur de Savage, et de plusieurs autres, le
tout recueilliz par M. Claude foly ... Paris, impr. de Vve Guillemot, 1652,
in-4', LXXVII-754 p. [F 11681.]
584. - Pasquier ou le Dialogue des Advocats du Parlement de Paris,
éd. par M. Dupin. Paris, Videcoq, 1844, in-18, VIII-362 p. [8° Lf49 55.]
585. L'HOSPITAL (Michel de). Epistolarum seu sermonum libri sex. Paris,
Mamert Patisson, 1585, in-fol., 11-381 p. [Yc 155.]
- Discours de M. le chancelier de L'Hospital à ses amis, tourné du
latin (par Nicolas Rapin). Poitiers, j. Blanchet, 1601, in-4°, 18 p.
[Yc 1456 (2).]
(U ne des nombreuses traductions partielles du recueil précédent.)
Œuvres complètes, éd. par A. Tardieu. Paris, Boulland, 1824-
1825, 3 vol. in-8°. [l 53606-53608.]
586. - Œuvres inédites ..., éd. par j.S. Dufey. Paris, Boulland, 1825, 2 vol.
in-8°. [l 53609-53610.]
587. MALHERBE (Fr. de). Œuvres Poétiques, texte établi et présenté par R.
Fromilhague et R. Lebègue ... Paris, Belles-Lettres, 1968, 2 vol. in-16,
264 p. [8' l 24786 (67, 1-11).]
588. - Œuvres, éd. par Antoine Adam. Paris, Gallimard, Pléiade, in-12,
1085 p.
589. MARBEUF (Pierre de). Les Recueils de vers de M. de Marbeuf ... Rouen,
D. du Petit Val, 1628, in-8', IV-252 p. [Ye 27209.]
766 BIBLIOGRAPHIE

590. - Epigrammatum liber ... Paris, Huby, 1620, in-4°, 36 p. [Yc 1513.]
591. MARCIlE (Théodore). Drationes IV de laudibus Academiae parisiensis,
item aliae V de lingua latina. Paris, Prat, 1586, in-8°, 57 p. [X 18389.]
592. MARESCHAl (André). La Chrysolite ou le Secret des romans. Paris, N.J.
La Coste, 1634, in-8°, XVII-623 p. [Y2 7107.]
(Avec une clé manuscrite.)
593. - Le Railleur ou la satire du temps, éd. G. Dotoli, Patron, Bologne,
1971, in-8°, 279 p. [Yf 3154.]
(A rapprocher de L'Esprit fort de Claveret et de la Place Royale de Cor-
neille dans satire's des «beaux esprits:. de Cour.)
594. MARION (Simon, baron de Druy). Plaidoyé de Simon Marion sur lequel
a esté donné contre les Jésuites l'arrest du 16 octobre 1597 inséré à la fin
d'iceluy. Paris, M. Patisson, 1597, in-8°, 12 ff. [8° Ld 39 24.]
595. - Playdoyez et advis sur plusieurs grandes et importantes affaires ...
Paris, Bouillerot, 1625, in-4°, 978 p. [F 13815.]
596. MAROllES (Michel de). Mémoires ... Paris, Sommaville, 1656-1657, 2 vol.
in-fol. [Fol. Ln 27 13551.]
597. MASSON (Jean-Papire). Christophori et Augustini Thuanorum Elogia.
Paris, Morel, 1595, in-4°, 12 p. [4° Ln21 19598.]
598. MATIHIEU (Pierre). Discours veritable et sans passion sur la prinse des
armes et change mens advenus en la ville de Lyon ... sous l'obeissance de
la S. Union et de la coronne de France ... Lyon, 1593, in-8°, 12 p.
[8° Lb 3D 490 A.]
599. - Eloge sur les actions les plus signalées et immortelles d'Henry le
Grand, dressé en François par Pierre Matthieu et traduit en hebreu, grec
et latin par les Pères de la Compagnie de Jesus. S.I.n.d., in-4°, 14 p.
[4° Lb 3D 78.]
600. - Histoire de France... durant les années de paix du règne de
Henri IV. Paris, Métayer, in-4°. [4° Lb 8D 4.]
601. - Histoire des derniers troubles de France sous le règne des rois
Henri II/ et Henri IV. S.I., 1600, in-8°. [8° La 2' 5 B.]
602. - Aelius Sejamus, histoire romaine ... Paris, R. Estienne, 1617, in-12,
162 p. [J 16489.J
- Rééd. Rouen, Berthelin, 1635, in-12, 548 p. [J 14211.)
603. MAUCROIX (Abbé François de). Lettres, éd. R. Kohn. Paris, P.U.F., 1962,
in-8°, 331 p. [4° Ln 27 87751.]
604. MAUSSAC (Ph.-Jacques de). Ed. Harpocrationis Dictionarium in decem
Rhetores ... , Philippus Jacobus Maussacus supplevit et emendavit. Paris,
Claude Morel, 1614, in-4°. [X 1972.]
605. - Militia Christiana, quae per centurias varia Epigrammata continet
in la/ldem S. Martyrum, Ex voto ... Paris, Gilles Robinot, 1614, in-12, 77 p.
[Yc 8360.]
606. MÉNAGE (Gilles). Vies de Pierre Ayrault, G. Ménage et M. Ménage, tra-
d/lites du [alÎn ... par Blordier-Langlois. Angers, Pavie, 1844, in-8°, 184 p.
[8< Ln 27 856.]
607. - Vita Matthaei Menagii ... Paris, Martin, 1674, in-4°, XX-126 p.
[4° Ln 27 13958.]
608. Vita Petri Aerodi... et Gulielmi Menagii... Paris, Journel, 1675,
in-4°, XLlI-540 p. [4° Ln 27 855.]
BIBLIOGRAPHIE 767
609. MÉRÉ (Antoine Gombaud, chevalier de). Œuvres, texte établi et présente
par Charles-H. Boudhors. Paris, Les Belles-Lettres, 1930, 3 vol. in_8°.
(V. t. Il, Les Discours. Des Agremens, de l'Esprit, de la Conversation;
réflexions de Méré sur l'ornatus, sur l'ingenium et sur «l'art de confé-
rer» ; et, t. III, Œuvres posthumes, le discours III «De l'Eloql/ence et
de l'Entretien:>. [8° Z 24786 (4) [-/II.]
610. MESMES (Henry de, seigneur de Roissy). Mémoires inédits de Henry de
Mesmes, suivis de ses Pensées inédites écrites pour Henri III... précédés
de la Vie publiql/e et privée de Henry de Mesmes, avec notes et variantes
par Edouard Frémy ... Paris, E. Leroux, s.d., in-16, 111-243 p.
[8° Ln 21" 32667 A.]
(Genève, Slatkine, 1970.)
611. MÉZIRIAC (Gaspard Bachet de). Commentaires sur les Epistres d'Ovide
avec plusieurs autres ouvrages du même auteur, dont quelques-uns parois-
sent pour la premiere fois. La Haye, H. de Lauzet, 1716, 2 vol. in-8°,
XXXII-76-460 et 470 p. et table. [Yc 6569-6570.]
(Contient le discours envoyé par M. à l'Académie et prononcé par Vau-
gelas le 10 décembre 1635, selon Pellisson, sous le titre De la Tra-
duction. Indication communiquée par R. Zuber.)
612. MIRAULMONT (Pierre). Mémoires sur l'origine et l'institution des Cours
souveraines et autres juridictions subalternes, encloses dans l'ancien
Palais royal de Paris. Paris, l'Angellier, 1584, in-8°, 174 ff.
[8° Lf23 1.]
613. - De l'Origine et establissement du Parlement et al/tres jurisdictions
royal/es estans dans l'enclos du Palais royal de Paris. Paris, Chevallier,
1612, in-8°, 675 p. [8° Lf23 2.]
614. MOLE (Mathieu). Mémoires (1615), publiés par A. de Champollion-Figeac.
Paris, Renouard, 1855-1857, 4 vol. in-8°. [8° Lb s7 4552.]
615. NAUDÉ (Gabriel). Considérations politiques sur les coups d'Etat. Rome,
1639, in_4°, 222 p. [Rés. E 826.]
616. - Gabrielis Naudaei Epigrammata in virorum literatorum imagines
quas illustrissimus Eques Cassianus a Puteo sua in Bibliotheca dedicavit ...
Romae, Lud. Grignanus, 1641, in-8°, 17 ff. [Yc 11465.]
617. NERVÈZE (Antoine de). Les œuvres morales du sieur de Nerveze, secre-
taire de la Chambre du Roy. Paris, A. du Breuil et Toussaint du Bray,
1610, in-12, 229 ff. [R 24466.]
(Dédié au Roi. V. p. 26 et suiv. un règlement pour vivre chrétiennement
à la Cour qui anticipe sur La Cour Sainte du P. Caussin. En part. f. 34
et suiv., apologie de l'éloquence, alliance de la vertu et du discours,
contre la «douceur de langage» qui enveloppe «le venin des desseins
amoureux ». Son utilité pour des gens de guerre.)
618. NESMOND (André de). Remonstrances et ouvertures de Palais et arretz
prononcés en robes rouges ... Poitiers, Mesnier, 1617, in-4°, pièces limi'l.
881 p. [4° Lf25 100.]
(Editées par son fils François-Théodore, avec une oraison funèbre du
Père François Garasse.)
619. NICÉRON (le P. Jean-François, O.M.). La Perspective curieuse ... Paris,
Billaine, 1638, in-fol., 122 p. [V 1661.]
- Thal/matllrglls optiCllS ... Paris, Langlois, 1646, in-fol., 218 p.
[V 1660.]
(Trad. en latin de la «Perspective curieuse :t.)
768 BIBLIOGRAPHIE

620. OOiER (François). Jugement et censure du livre de la Doctrine du P.


François Garasse ... Paris, 1623, in-8°. [D 46413.)
621. - Apologie pour M. de Balzac. Paris, C. Morlot, 1627, in-4°, 382-52 p.
[Z 4017.) Rééd. par Jean Jehasse, Ed. Univ. Saint-Etienne, 1977, in-4°.
[8° Z 41946 (7).)
622. Actions publiques de François Ogier ... Paris, L. de Villac, 1652-
1665, 2 vol. in-4°. [D 5253.)
623. - Eloge ou Panégyrique de Monsieur d'Avaux. Paris, L. de Villac,
1652, in-4°, IV-96 p. [4° Ln 27 828.)
(Charles Ogier, frère de François, était le secrétaire de D'Avaux, frère
du Président De Mesmes. Voir p. 45, l'éloge de Nicolas Bourbon, maître
du Comte, «qui le façonna à cette belle manière de s'exprimer, et à cette
eloquence masle et majestueuse dont il estoit sans mentir un grand
Maistre ». Voir aussi p. 49, un portrait du style de M. d'Avaux, tantôt
grave, sérieux, dépouillé dans ses relations diplomatiques, fort appréciées
de Richelieu, tantôt «fleurissant et enjoué », .. délices de la Cour », pas-
sant aisément du «Conseil d'En-Haut» au «Cercle de la Reine ».) Sur
d'Avaux, voir Charverat (E.). Le Comte d'Avaux et son père, le sieur
de Roissy. Lyon, Mongin-Rusand, 1888, et Boppe (A.). Correspondance
inédite du comte d'Avaux avec son père, J.J. de Mesmes, sieur de Roissy.
Plon, 1887, in-8°.
624. ORL~ANS (Louis d'). Cantique de victoire par lequel on peut remarquer
la vengeance que Dieu a prise dessus ceux qui vouloient ruyner son
Eglise et la France. Paris, Mangnier, 1569, in-8·, 39 p. [8° Ye Pièce 2485.)
625. - Plaidoyé des Gens du Roy ... Paris, Musson, 1593, in-8°, 168 p.
[8° Lf 25 47.)
626. - Les Ouvertures de Parlements... auxquelles sont adjoustées cinq
Remonstrances autrefois faictes par iceluy. Paris, Des Rues, 1607, in-4°,
pièces Iimin., 588 p. [4· Lf 25 25.)
627. ORMESSON (Olivier Le Fevre d'). Journal..., éd. Chéruel. Paris, Impr.
Impériale, 1860-1861, 2 vol. in-4°. [4° L411 30.)
628. OUDIN (Antoine), secrétaire interprète de S.M., Curiositez françoises, pour
supplement aux Dictionnaires, ou recueil de plusieurs belles proprietez
avec une infinité de Proverbes, Quolibets pour l'explication de toutes
sortes de livres. Paris, Sommaville, 1640, in-8·, pièces Iimin., 616 p.
[X 14017.)
(A l'usage des étrangers. Oudin précise qu'il n'entend rien aux « escrits
des Anciens ", mais qu'il s'attache à «quelques Modernes », reflets de
« l'embellissement ~ récent de la langue, et dédaigneux de «la vieille
façon d'escrire >, des « antiquailles» et des auteurs qui persistent à
ignorer « l'ornement >. Il cite Malherbe, Silhon, Balzac, la conclusion
de l'Astrée, Polexandre, Ariane et Polyxène.)
629. PASQUIER (Etienne). Le plaidoyer de M. Pasquier pour l'Université de
Paris, deffenderesse contre les Jésuites, demandeurs en requeste. Paris,
Abel l'Angelier, 1594, in-8·, 104 p. [8· Ld39 17.)
630. - Le Catechisme des Jesuites ou examen de leur doctrine. «Ville-
franche », Grenier, 1602, in-8·, 358 ff. [8° Ld 39 30.)
631. Les Recherches de la France ... Paris, L. Sonnius, 1607 et 1624,
in-4°, 1 175 p. [4° L46 1.1.)
632. - Epigrammatum liber... Paris, Sonnius, 1618, in-16, 320 p.
[Yc 8434.)
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633. - Œuvres. Amsterdam, aux dépens de la compagnie des libraires
associez, 1723, 2 vol. in-fol. (V. t. Il, Lettres d'Et. et Nicolas Pasquier.)
[Z 2223-2224.]
634. - Choix de lettres sur la littérature, la langue et la traduction, éd.
par D. Thickett. Genève, E. Droz, 1956, in-16, XXXVI-I60 p.
[16° Z 783 (70).]
635. - Lettres historiques pour les années 1556-1594, éd. par D. Thickett.
Genève, Droz, 1966, in-16, 515 p. [16° Z 783 (123).]
636. - Letires familières, éd. par D. Thickett. Genève, Droz, 1974, in-16,
X-454 p. [16° Z 783 (203).]
637. PATRU (Olivier). Plaidoyers et Œuvres diverses. Paris, S. Mabre-Cra-
moisy, 1681, 2 t. en 1 vol. in-8° (3' éd. en 1714, 4' en 1732). [F 41381.]
(T. 1 : Plaidoyers; t. II : Œuvres diverses.) (Ire éd. des Plaidoyers seuls:
1670.)
638. PEIRESC (Nicolas - Claude Fabri de). Letires de Peiresc, t. 1-11-111 aux
frères Dupuy, éd. par Philippe Tamizey de Larroque. Paris, Impr. Natio-
nale, 1888-1892, 3 vol. in-4°. [4° Ln4G 31 F.]
639. PELLlSSON-FONTANIER (Paul). Relation contenant l'histoire de l'Académie
françoise ... Paris, T. Jolly, 1672, in-12, VIII-618 p. [16° Z 3792.]
640. - Relation contenant l'histoire de l'Académie française ... Paris, P.
Le Petit, 1653, in-8°, 596 p. [Z 28246.]
641. - Histoire de l'Académie française par Pellisson et d'Olivet, édité
par Ch.-L. Livet... Paris, Didier, 1858, 2 vol. in-8°. [Z 28255-28256.]
642. PIBRAC (Guy du Faur de). Recueil des poincts principaux de la premiere
et seconde remonstrance faicte en la Cour de Parlement de Paris, à
l'ouverture des plaid oie ries après les festes de Pasques et la Sain ct
Martin ... Paris, R. Estienne, 1569, in-4°, 50 p. [Rés. F 1099 (1).]
(Réimpr. à la suite des Remonstrances de J. d'Espeisses, en 1592 et
1600. Réimpr. à part en 1570, 1573, 1579, etc.)
643. PITHOU (Pierre). Les Libertez de l'Eglise gallicane. Paris, M. Patisson,
1594, in-8°, 27 H. [8° Ld 4 25.]
644. PURE (Abbé Michel de). Vita Eminentissimi Cardinalis Arm. Joan. Plessei
Richelii vitae et fortunae exordia ab anno rep. f. 1585 ad annum 1619.
Parisiis, apud Alexandrum Lesselin, 1656, in-12. [8° Ln27 17409.]
645. RAMUS (Pierre de la Ramée dit). Rhetoricae distinctiones ad Carolum
Guisianum. Oralio ejusdem de studiis philosophiae et eloquentiae conjun-
gendis (Lutetiae habita anno 1546). Parisiis, 1549, 2 part. en 1 vol. in-8°,
119 p. [R 47957 - Z 19120.]
(A rapprocher de l'oratio de Muret sur le même thème, Venise, 1557,
de Denis Lambin, Paris, 1565, et de Louis Le Roy, Paris, 1576.)
646. - ... Ciceronianus et 8rutinae quaestiones. Basileae, per D. Pernam,
1573, in_8°, 263 p. (X 20064 (1).)
(Ire éd. 1558.)
647. - Advertissemens sur la Réformation de l'Université de Paris, au
Roy ... Paris, A. Wechel, 1562, in-8°, 100 p. [R 40759.]
648. RANCH IN (Guillaume). Remonstrance de Maistre G. Ranchin, Conseiller
du Roy et son Advocat General en la Cour de Montpellier, avec le recueil
des deux autres remonstrances faites par le mesme autheur d l'ouverture
des plaidoieries apres la {este Saint Martin. Montpellier, Jean Gillet,
1598, in-8°, 89 p. [8° Ln27 46266.]
770 BIBLIOGRAPHIE

6-l9. RAPINE (f1orimond). Recueil tres exad et curieux de tout ce qui s'est
faid et passé de singulier et mémorable en l'Assemblée generale des
Estats tenue d Paris en l'année 1614 ... Paris, au Palais, 1651, 2 parties
en 1 vol. in-4°. [4° Lel7 43.]
650. REFUGE (Eustache du). Traidé de la Cour. 5.1., 1661, in-So, 20S p.
[·E 3443.]
651. RENAUDOT (Théophraste). Recueil general des questions traictées és
Conferences du Bureau d'Adresse. Paris, L. Chamhoudry, 1655-1656,
4 vol. in-So. [Z 20076-20079.]
(Ouvrage capital pour l'étude de la topique du public des «demy-sça-
vans:. parisiens sous Louis XIII et la Régence. L'inventaire des «ques-
tions:) traitant d'éloquence a été fait et publié par P. Jannini, Les
Conférences publiques de Th. Renaudot (Questioni di lingua et lette-
ratura), Milan, 1972, in-4°, 121 p. Celui des questions traitant de critique
d'art, par J. ThuiIlier, «Doctrines et querelles artistiques au début du
XVII' siècle, quelques textes oubliés ou inédits:), Archives de l'art fran-
çais, t. XXIll, 1968, p. 125-217.)
652. RENOUARD (Nicolas). Les fleurs de l'eloquence françoise, extraides des
epistres herolques d'Ovide, tant par les sieurs Du Perron et Renouard
qu'autres esprits des plus relevez de ce tems. Paris, Estoc, 1615, in-12,
175 p. [V c 11634.]
(Anthologie suivie d'un petit traité de rhétorique (p. 123-173) conforme aux
idées de Du Perrin. Intéressantes considérations sur le genre démons-
tratif (p. 131 et suiv.), qui range la mythologie et la philosophie morale
parmi les «lieux:) privilégiés de l'éloge. Peu ou pas de considérations
sur le meilleur style dans cet ouvrage qui est plutôt une topique.)
653. RICHELIEU (Armand-Jean du Plessis, cardinal de). Harangue prononcée
en la sale du petit Bourbon, le 23 février 1615, à la closture des Estats
tenus à Paris, par le RP. en Dieu Messire Armand du Plessis de Riche-
lieu, evesque de Luçon. Paris, Sebastien Cramoisy, 1615, in-So, 66 p.
[SO Le l1 31.]
654. - Harangue de Monsieur le Cardinal Duc de Richelieu, faite en
Parlement, sa Majesté y estant présente. S.I., 1634, in-So, 16 p.
[SO Lb 3 6 29SI.]
655. - Mémoires ... (1610-1638). Paris, 1S37, 3 vol. in-So (éd. Michaud et
Poujoulat). [4° Ln 45 22 (11, 7, 9).]
656. - Mémoires ... publiés d'après les manuscrits originaux par la Société
d'Histoire de France. Paris, H. Laurens, 1908-1931, 10 vol. in-So.
[SO Lb36 62 A.]
657. RICHER (Edmond). De arte figurarum et causis eloquentiae, opus non
pueris modo compendiosius et facilius erudiendis, sed Poetis atque Ora-
toribus imitandis et Sacris Scripturis interpretandis necessarium. Parisiis,
apud Potonnier, 1605, in-So, 3S4 p. [X 179SS (3).]
(Dédié à Louis Séguier, avec un vibrant éloge de sa famille. Richer
accorde une place capitale à la Poétique de Scaliger, et, entre autres,
à ses remarques sur Denys d'Halicarnasse (v. p. 2 et 1S); il condamne
violemment Ramus.)
658. - De arte et causis rhetoricae ac methodo eam ad usum vitae civilis
revocandae. Parisiis, Mathurin Dupuis, 1629, in-So, 477 p.
[X 17S13 - R 49145.]
BIBLIOGRAPHIE 771

659. RICHESOURCE (Oudard de). L'Eloquence de la Chaire ou la Rhetorique des


Predicateurs ... Paris, chez l'auteur, 1665, in-12, 288 p. [X 18611.]
660. - Le masque des orateurs, c'est-à-dire la manière de déguiser faci-
lement toute sorte de discours ... Paris, Acad. des orateurs, 1667, in-12,
64 p. [X 18739.]
661. - La Methode des orateurs ou l'Art de lire les autheurs, de les
examiner, de dresser le plan d'un discours et de faire des remarques
et des collections qu'on appelle lieux-communs. Paris, Académie des
Orateurs, 1668, in-8°, 108 p. [X 13357.]
662. - La Rhetorique du Barreau, ou la Maniere de bien plaider ... Paris,
Acad. des Orateurs, 1668, in-12, 320 p. [X 18747.]
663. RIGAULT (Nicolas). Exhortations chrestiennes imitées des anciens Pères
wecs et latins. Paris, impr. de R. Estienne, 1629, in-8°, 11-160 p.
[0 15535.]
664. - Viri Eximii P~tri Puteani Regis Christ, a consiliis et bibliotheca
Vita ... lutl'tiae Parisiorum, ex off. Cramosiana, 1652, in-4°, 315 p.
[4° ln2T 6862.]
(Dédié au Premier Président Mathieu Molé.)
665. RULLMAN (Anne). Harangues prononcées... aux entrées de plusieurs princes
et seigneurs, à la reception des Consuls et presentations d'avocats, avec
quelques plaidoyers ... Paris, F. Huby, 1614. [Ars. 8° BL 2822.]
(Ire éd. 1612. Dédié au Prince landgrave de Hesse. Harangues d'un
avocat réformé nÎmois, prononcées à Nîmes.)
666. SAINT-EvREMOND. Letlres, éd. René Ternois, Paris, Didier (S.T.F.M.),
1967-1968, 2 vol. in-16. [16° Ln 2T 89101 (1-2).]
(V. t. l, p. 69, Lettre à M. d'Olonne (1656): «Je sçay bien que de mon
temps on ne faisoit estudier les gentilshommes que pour l'être d'Eglise;
encore se contentoient-i1s le plus souvent du latin de leur bréviaire. Ceux
qu'on destinoit à la Cour ou à l'armée alloient honnestement à l'Aca-
démie. On apprenoit à monter à cheval, à danser, à faire les armes, à
jouer du luth, à voltiger, un peu de mathématique, et c'estoit tout. Vous
aviez en France mille beaux gens d'armes, galants hommes: c'est ainsi
que se formoient les Termes, les Bellegardes, les Montmorencis. Du
latin de mon temps, d'homme de bien, un gentilhomme eût été deshonoré. ~)
667. SALABERT (Jean). Les fleurs de la rhetorique françoise avec une conduite
pour ceux qui veulent se former à l'eloquence. Paris, C. Collet, 1638,
in-8°, 127 p. [R 50012.]
(V. Surtout Part. Il, ch. Il, «Qu'est-ce que le style, et combien il y en a
de sortes », où le « style simple et doux» est défini par sa « naïfveté »
et sa proximité, privée d'ornements, avec la « façon commune de par-
1er» (p. 69); ch. III, «De quelques proprietez du style excellent », le
sublime défini comme « la perfection du style excellent» (= genus grande) :
«c'est une belle perfection dans un discours qu'il soit clair, sans trop
de simplicité, et subtil, sans trop d'obscurité»; « le style doit estre
coulant, et non interrompu, et comme decousu, mais avec une telle suitte
et liaison des paroUes, qu'il remplisse l'oreille d'une douceur... attra-
yante ... »; « Je vous prie de ne pas laisser flotter votre style au gré
de vos imaginations, sans ordre, sans mesure, sans proportion avec un
embarras de plusieurs pensées, où une seule suffiroit, estant bien de-
duite ... »)
772 BIBLIOGRAPHIE.

- Les adresses du parfait raisonnement où l'on descouvre les thre-


sors de la logique franroise et les ruses de plusieurs sophismes ... Paris,
Collet, 1638, in-8', pièces Iimin., 340 p. [R 5OOII.J
(D'inspiration aristotélicienne, ce traité de logique à la portée du grand
public s'inscrit dans une lignée où il serait intéressant de situer le Dis-
cours de la Méthode. Voir plus haut n" 480 - 4S9 - 53S.)
668. SALAZAR (Ambrosio de). Miroir general de la grammaire en dialogues'
pour sravoir la ... prononciation de la langue espagnolle (avec) ... aucunes
histoires gracieuses et sentences notables. Rouen, Adrien Morront, 1614,.
in-8', 52S p. [X 14682.J
(Dédié à Louis Xlii par le 4: professeur d'espagnol à Rouen ». Un poème
liminaire dit: Celuy est fol qui s'efforce / D'oster la plus dure escorce /
Du Grec du Latin aussi / De toute langue estrangere / S'il n'a la volonté
entiere / D'enrichir la sienne aussy.)
669. SAUMAISE (Claude). Eucharisticon Jacobo Sirmondo pro adventoria de
regionibus et ecclesiis suburbicariis. Paris, Drouart, 1621, in-4', XVIII-
720 p. [E 2043.J
670. SCALIGER (J.-C.). Oratio pro M.T. Cicerone contra D. Erasmum Rote-
rodamum. Lutetiae, aenundatur, s.d., in-S' (dédicace et priv. de 1531).
[Rés. X 2445.J
671. - Adversus Desid. Erasmi dialogum ciceronianum oratio secunda.
Lutetiae, apud V. Vidovaeum, 1537, in-S'. [Rés. p. X 377.J
672. - Pro M. T. Cicerone contra D. Erasmum oratio 1 (-II). Tolosae,
typo R. Colomerii, 1620, in-4'. [l 3415-3416.J
(Edition procurée par j. de Maussac, dédiée aux frères Dupuy.)
673. - ... Adversus Desid. Erasmum orationes duae eloquentiae romanae
vindices. Una cum e;usdem epistolis et opusculis aliquot nondum vulgatis._
Tolosae, D. et P. Bosc, 1621, in-4'. [X 3434.J
(Rééd. augmentée du n' précédent.)
674. - De causis linguae latinae ... Lyon, apud S. Gryphium, 1540, in-4',
356 p. [X 2031.J
675. - Poetices libri septem ... Genève, j. Crispin, 1561, in-fol., 364 p.
[Rés. Y 5.J
2' éd. S.l., ap. P. Santandreanum, 15SI, in-S', 945 p. [Y 37S.J
(Rééd. avec introduction par August Buck, Friedrich Friemann Verlag;
Stuttgart, 1964.)
676. - Epistolae et orationes ... Leyde, Plantin, 1600, in-S', IV-476 p.
[l 13960.J
677. SCALIGER (Joseph-juste). Diatriba de critica. Leyde, exc. jacobus Marci,
1619, in-12. [Y2 7294.J
67S. - Josephi Scaligeri Epistolae ... Leyde, Elzevier, 1627, in-8', 887 p_
[Z 14OO2.J
679. - Scaligerana, sive excerpta ex ore Josephi Scaligeri, per F.F.P.P.
(fratres Puteanos). Genève, ap. P. Colomesium, 1666, in-S', 36S p.
[l IS267.J
BIBLIOGRAPHIE 773
680. Scaligerana, Thuana, Perroniana, Pithoeana, Colomiesiana, ou Remar-
ques historiques, critiques, morales et littéraires, Amsterdam, Covens et
Mortier, 1740, 2 vol. in-So. [Z IS228-1S229.]
681. SCUDÉRY (Madeleine de). Conversations sur divers sujets. Paris, Barbin,
1680, 2 vol. in_8°. [Z 20478-20479.]
(Voir t. l, p. 203-250, «Du parler trop et trop peu », et t. Il, p. 540-586,
«De la raillerie».)
6S2. SÉBASTIEN DE SENLIS - O.F.M. Epistres morales où toutes les dames qui
pretendent au Paradis treuvent les vertus d'une Cour Sainte et celles
des c/oistres réformés ... Paris, M. Soly, S.d. (1645), in_So, 478 p. [051812.]
683. - Le Flambeau du Juste pour la conduite des esprits sublimes ...
Paris, Buon, 1643, 2 vol. in-4°. [0 5560.]
684. SERVIN (Louis). Actions et plaidoyez de M' Louys Servin... avec les
arrets intervenus sur iceuls. Paris, Heuqueville, 1613, in-8°. [Rés. F 1682.]
(Rééd. augmentées, 1619, 1620, 1629, 1631, 1640... )
685. - Plaidoyez de M' Louys Servin, conseiller du Royen son Conseil
d'Estat, et son Advocat General en sa Cour de Parlement. Paris, J. de
Heuqueville, 1603, in-8°. [F 27603.]
(T. Il, 1605; t. III, 1608; t. IV, 1613.)
686. - Actions notables et plaidoyez de messire Louis Servin ..., dernière
édition, ensemble les plaidoyers de M. A. Robert, Arnault et autres. Paris,
G. Alliat, 1631, in-4°. [F 13877.]
687. - Extrait du Plaidoyé de Monsieur Servin, Advocat General, pour
Monsieur le Procureur General du Royen la cause de Messire André
Valladier ... Relié à la suite de Valladier (André). Tyrannomanie estran-
gère, Paris, P. Chevallier, 1626, i~-4·, 750 p. [4° Ld10 3.]
688. SOREL (Charles). La bibliothèqlle françoise, de M. Charles Sorel ou le
choix des livres françois qui traitent de l'Eloquence, de la Philosophie,
de la Devotion et de la Conduite des mœurs et de ceux qui contiennent
des Harangues, des Lettres, des Œuvres meslées, des Histoires, des
Romans, des Poesies, des Traductions, et qui ont servy au progres de
nostre langue, avec un traité particulier où se trouve l'ordre, le choix,
et l'Examen des Histoires de France. Paris, Cie Lib. du Palais, 1664,
in-12, 400 p. [Q 3423.] (2' éd. 1667, réimpr. Genève, Slatkine, 1970)
(V. en particulier, ch. l, «Des livres qui traitent de la Pureté de la
langue française» ; ch. Il: «Des livres qui apprennent à parler avec
éloquence» ; ch. VII: «Des Lettres de M. de Balzac et des livres faits
pour la Querelle sur son éloquence» ; et p. 20, précieuse bibliographie
des ouvrages de logique en langue vernaculaire.)
689. TALON (Omer). Rhetorica e Petri Rami professoris praelectionibus
observata. Parisiis, apud A. Wechelum, 1562, in-8°, 168 p. [X 17838.]
(Rééd. Paris 1572, 1577, Bâle 1572, Francfort 1600, 1608.)
690. TALON (Omer, Avocat Général au Parlement de Paris, collègue de J.
Bignon). Œuvres d'Omer et Denis Talon publiés sur les manuscrits auto-
graphes par DB. Rives•.. Paris, A. Egron, 1821, 6 vol. in-8°.
[F 44930-44935.]
691. THOU (Jacques Auguste de). Préface de M. le Président de Thou sur
la première partie de son histoire, mise en françois par le Sr. de V R.
(Jean Villiers Hotman). Paris, Pierre Le Bret, 1604, in-So, 48 p.
[SO La20 12.]
774 BIBLIOGRAPHIE

692. - Historiarum sui temporis pars prima libri CXXV ... (Dernière édi-
tion complète parue du vivant de l'auteur.) Lutetiae, apud A. et H.
Drouart, 1609-1614, II vol. in-12. [Rés. 8° La 20 7 D.]
693. - Histoire de M. de Thou, des choses arrivées de son temps, mise
en françois par P. du Ryer ... Paris, A. Courbé, 1659, 3 vol. in-fol.
[Fol. La 20 14.]
69-l. TRISTAN L'HERMITE (François). Le Page disgrâcié, éd. par Marcel
Arland. Paris, Delamain et Boutelleau, 1946, in-16, 325 p. [16° Z 212 (7).]
695. TORY (Geoffroy). Champfleury ou l'Art et la science de la proportion
des lettres ... , éd. G. Cohen. Paris, Ch. Bosse, 1931, in-4°, IV-XX-SO ff.,
67 p. [4° Q 2129.]
(Ed. princeps 1529, Rés. V. 515.)
696. TURNÈBE (Adrien). De nova captandae utilitatis e litteris ratione epistola
ad Leoquercum. Paris, Attaignant, 1559, in-8°, 3 ff. [Vc S716.]
697. URFÉ (Honoré d'). L'Astrée ... Paris, A. de Sommaville, 1633-1652, 5 vol.
in-So. [V2 72257-72261.]
- L'Astrée ... , éd. par Hugues Vaganay. Lyon, P. Masson, 1925-1 92S,
5 vol. in_So. [SO V 70995.] (Réimpr. Genève, Slatkine, 1966.)
698. VALLADIER (André). Partitiones oratoriae seu De Oratore perfecto, opus
ad sacrtlm etiam instituendum concionatorem pernecessarium... Paris,
Pierre Chevalier, 1621, in_So, S5S p. [X 19999.]
(Dédié à « la Cour Suprême du Parlement de Paris ». Ouvrage rédigé
sous forme scolastique. Voir en part. L. l, quaestio VI, p. 71-S5: Qua
ratione Rhetorica et Sophistica inter se dissentiunt.)
699. - Les Divines Paralleles de la saincte Eucharistie, sermons pour
l'octave du Sainct Sacrement presches à Saint-Meric l'an 1612 ... Paris,
P. Chevallier, 1613, in_So, 473 p. [SO Z Le Senne 116S6.]
700. - La Tyrannomanie estrangere ou Plaincte libellée au Roy ... Paris,
P. Chevallier, 1626, in-4°, 750 p. [4° Ld10 3.]
701. VAUGELAS (Cl. Favre de). Remarques sur la langue françoise utiles à ceux
qui veulent bien parler et bien escrire. Paris, Vve]. Camusat et P. Le
Petit, 1647, in-4°, pièces limin., 594 p. [Rés. X 917.]
(Voir l'éd. critique par J. Streicher, Paris, Droz, 1934.)
702. VAUX (M. de). Tombeau de l'Orateur françois ou Discours de Tyrsis pour
servir de response à la lettre de Periandre, tOl/chant à l'Apologie de
M. de Balzac. Paris, A. Taupinart, 162S, in-4°, 441 p. [Z 3S932.]
(Dédié à Mgr. de Sourdis, archevêque de Bordeaux. Fine critique, au
demeurant mesurée, de l'éloquence de Balzac, d'un point de vue gentil-
homme d'épée, ami de Cramai! et de Montmorency. Voir, dans la pré-
face: « Une de mes intentions estant de faire voir que le naturel prevaut
par dessus l'etude et les lettres, je ne me suis servy pour prouver mes
propositions, que de ma raison naturelle », et p. 6: « Aussy n'ay-je pas
beaucoup leu, et ne sçay de la grammaire que ce qu'il en faut pour
lire et escrire, ni de la Rhetorique que ce que la nature m'en a appris ...
Tous les hommes estans nez raisonnables, je puis sans le secours des
arts, parler raisonnablement, et traiter, estant esclairé de la lumière
naturelle, des choses que la raison a devancées, ou qu'elle a mesme pro-
duites.» L'ingenil/m naturellement éclairé du noble rejoint la foi éclairée
d'En-Haut du chrétien, tel Goulu, ou Camus, dans le même dédain de
« l'art» oratoire.)
BIBLIOGRAPHIE 775

703. VIALART (Charles de Saint-Paul). Tableau de l'Eloquence françoise où


se voit la maniere de bien escrire. Paris, 1632, in-8·, VI-350 p. [X 18564.)
704. VIAU (Théophile de). Œuvres poétiques, édition critique par Jeanne Strei-
cher. .. Genève, Oroz, 1951-1958, 2 vol. in-16. [16 Z 783 (45 et 79).]
0

7. RHÉTORIQUE, ÉLOQUENCE ET LITTÉRATURE EN ITALIE


AU XVI'ET AU XVII' SIÉCLES (sauf S.j.) (1500-1650 circa)

(Voir B. Weinberg, Trattati ..., Laterza, 1970, t. Il, biblio. et CapIan et


King, c Italian treatises on preaching ... '", Speech Monographs, 1949, 243-
252.)

705. ALLACCI (Léon). Apes Urbanae, sive de viris illustribus qui ab anno 1630
per totum 1632 Romae adfuerunt ac typis aliquid evulgarunt. Romae,
excudebat Grignanus, 1633, in-8°. [K 9543.)
706. - De erroribus magnarum virorum in dicendo, dissertatio rhetorica
Romae, apud haeredes Mascardi, 1635, in-8°. [X 17980 (1).)
707. ARESI (Paolo), évêque de Tortona. Arte di predicar bene ... con un trattato
della memoria e un altro dell'imitatione ... Venetia, B. Giunta, 1611, in-4°.
[0 6271.]
(C'est contre ce traité de l'imitation que polémique, entre autres, Agos-
tino Mascardi dans son Dell'Arte Historica.)
708. BAGLIONE (Fra Luca). L'arte di predicare contenuto in tre libri. Venezia,
Andrea Torresano, 1562, in-8°, 119 ff. [0 24849 et Rés. 0 14850.)
709. BARBERINI (Matteo, Cardinal, puis Pape sous le nom d'Urbain VIII). In
Divum Ludovicum IX regem Francorum Ode pindarica bilinguis. S.l.n.d.,
in_4°, 24 p. [Yc 4292.]
(La dédicace à Louis XIII est signée du traducteur Frédéric Morel.)
710. Poemata ... Paris, A. Stephanus, 1620, in-4', 7-103 p. [Yc 4207.)
711. - Poe mata. Poesie toscane. Parisiis, e Typographia regia, 1642, 2
part. en 1 vol. in-fol., 318 p. (Rés. g Yc 559.]
(On ne saurait surestimer l'autorité que Maffeo Barberini, Nonce à Paris,
puis Pape, élève des jésuites romains, et Prince de l'Eglise, poète,
conféra au cicéronianisme dévot du Collegio Romano, juste mesure entre
une délectation de source «classique:. et un ethos chrétien «réformé:.
selon le Concile de Trente.)
712. BARONIO (Cesare, dit Baronius). Annales ecclesiastici ... Romae, ex typo
Congregationis Oratorii, 1593-1607, 12 vol. in-fol. [H 101-112.)
713. - Les Annales de l'Eglise ... trad. par André Tod, 1er vol. Paris,
P. Chevalier, 1614, in-fol., 913 p. [H 245.)
714. - L'Abrégé des Annales ecclésiastiques ... fait par Henri de Sponde,
trad. par P. Coppin. Paris, j. Petitpas, 1636-1655, 3 vol. in-fol.
[H 246-248.)
715. BEMBO (pietro). Christophori Longolii oraliones duae pro defensione
sua ... Ejusdem episfolarum libri quattuor. Episfolarum Bembi et Sadoleti
liber llnus. Florentiae, per haeredes Ph. juntae, 1524, in-4°, 163 ff.
[Rés. X 2529.]
776 BIBLIOGRAPHIE

716. - Petri Bembi Epistolarum Leonis Decimi Pont. Max. nomine scrip-
tarum; libri sexdecim ad Paulum Tertium Pont. Max. missi. Venetiis,
P. et V. de Ruffinellis, 1535, in-fol. [Rés. Z 154.]
(Le monument du cicéronianisme romain, publié sous l'invocation de deux
grands Pontifes, et appuyé de tout le prestige attaché depuis le Moyen
Age au style latin de la Secrétairerie aux Brefs. Rééd. augmentée de
lettres à Longueil, Erasme et Budé à Lyon, 1538. [Z 15897].)
717. - Leitere di messer Pietro Bembo a sommi Pontifici e a cardinali
e a altri signori e personne ecc/esiastiche, scritti, divise in dodici libri.
Roma, Fratelli V. e L. Dorico, 1548, in-4°, 397 p. [4° Z 78.]
718. - Epistole di Imitatione di G.F. Pico della Mirandola e di Pietro
Bembo (edit. Giovanni Santangelo). Firenze, L.S. Olschki, in-8°, 1954,
IV-89 p. [8 Z 31673 (II).]
0

(Voir recension de Raffaelo Spongiano dans Giornale storico della leit.


italiana [8 Z 2349], t. CXXXI, 1954, p. 422-437.)
0

719. BOCCAPADULI (Antonio). Antonii Buccapadulii de Summa Pontifiee creando,


oratio ... (12 mai 1572). Rome, apud Haeredes A. Bladii, 1572, in-4°, Il p.
[X 3639.]
720. BONIFACIO (Giovanni). L'arle dei cenni con la quale {ormandosi si favello
visibile : si traita della muta eloquenza che non e altro che un {acondo
si/enzio ... Vicenza, F. Grossi, 1616, in-4 D , 624 p. [l 5592.]
721. BOTERO (Jean). De Praedicatore Verbi Dei libri quinque iussu ... D.D.
Caroli Cardo Borromaei. Parisiis, Chaudière, 1585, in-8 D • [*E 903.]
722. BRACCIOLINI (Francesco). Lo Scherno de gli Dei dei gentili, poema ... con
l'aggiunta di sei canti, et altre rime piacevoli del/'istesso autore ... Roma
et Bologna, C. Ferroni, 1628, in-12, 478 p. [Yd 2532.]
723. BRIGNOLE SALE (Antonio). Le instabilità dell'ingegno... divise in otto
giornate ... Bologna, G. Monti e C. lenero, 1635, in-4°, 479 p.
(Biblioth. Nice selon le répertoire Michel. Autre éd. 1641 à la Mazarine.)
724. - Panegirici saeri... recitati nella chiesa di Santo Siro di Genova
nei giorni de'BeaU Gaetano Tieme e Andrea Avellino. Venetia, Baba,
1662, in-12, 54 p.
(Bibliothèque d'Aix, Arbaud.)
725. - Maria Maddalena peccatrice e convertit a... , panegirici saeri. Vene-
tia, Turrini, 1652, in-12, 216 p.
(Biblioth. Bordeaux. Autres éditions à Aix (Ar baud) et à la Mazarine.)
726. BRUNI (Leonardo, d'Arezzo). Leonardus Aretinus de studiis et Weris, ex
bibliotheca Gabrielis Naudaei. Parisiis, ap. viduam G. Pelé, 1642, in-8" ,
VIII-34 p. [l 10501.]
(Réédition sous Richelieu d'un des textes fondateurs de la renovatio /ite-
rarum et artium italienne du xv' siècle. Sur le Chancelier Bruni, voir
les travaux cit. de H. Baron, P.-O. Kristeller et E. Garin.)
727. CARBONE DA COSTARACIO (Luigi). De Oratoria et dialectica inventione,
vel de locis communibus libri quinque. Venise, D. Zenarus, 1589, in-S D ,
647 p. [X 17964.]
(Dédié à Fr.-Marie Duc d'Urbin, avec un éloge de l'Optimlls princeps,
arbitre des passions que la liberté déchaînerait, moderator de la société
humaine, protecteur des humaniores litterae.)
BIBLlOORAPHIB

728. - De dispositione oratoria disputationes XXX ... Venise, D. Zenarus,


1590, in-So, 397 p. [X 17976.]
(Dédié au Duc d·Urbin. avec un éloge de l'éloquence, et surtout en la
personne du Prince, car elte est l'auxiliaire indispensable du pouvoir
royal. conciliant l'empire du Prince et la liberté raisonnable des sujet!l.
la sapientia, l'auctoritas et I·eloquentia.)
729. - De Elocutione oratoria libri IV ... Venise, j.-B. Cotti. 1592. in-8°.
1058 p. [X 17977.]
(Dédié au Duc François-Marie d·Urbin. avec une attaque sévère contre
ceux qui. facultatis oratoriae destituti. parlent par sentences. brisent leurs
phrases en brefs segments, et néanmoins, ignorant l'art de la période
et de la composition. se répètent et tombent dans la prolixité. L'art de
l'élocution, selon Cicéron même, est peut-être la principale partie de
I·éloquence ...)
730. - Divinus Orator vel de Rhetorica divina libri septem ... Venetiis,
apud Societatem Minimam, 1595, in-4°. 479 p. [0 531S.J
(Dédié au R.P. Hippolyte Beccaria. Général de l'Ordre des Frères Prê-
cheurs.)
'731. CASA (Giovanni delta). Il Galateo ...• ovvero Traffato de·costumi. e modi
che si debbono tenere 0 schifare nella commune conversatione. Fiorenza.
Jacopo e Bernardo Giunti. 1561, in-8°, p. 72-120.
732. - Traffato degli uftici communi tra gli amici superiori e inferiori.
Fiorenza. 1571. in-12, 120 p.
(Reliés dans le même volume à la B.N. R 25956.)
733. - Le Galatee premierement composé en italien par J. de la Case,
et depuis mis en Français, Latin, Allemand et Espagnol ..., Genève. Jean
de Tournes, 1609, in-12, 609 p. [R 25957.]
734. - Les devoirs mutuels des Grands seigneurs et de ceux qui les
servent ou l'Art de vivre à la Cour et de converser avecque les Grands,
excellent traicté de Messire Jean de la Case, archevesque de Benevent en
Italie, mis de latin en françois par le Sieur Colletet, Paris. Somma ville.
164S, in-8°, 117 p. [R 2101.]
(Dédié au Cardinal Mazarin.)
735. CASTIGLIONE (Baltazar). Il libro dei CorteRiano, édition critique par
Bruno Maier, U.T.E.T., Turin, 1964, in_So, 732 p.
736. CASTIGLIONE (Giuseppe). Silvii Antoniani, SR E. cardinalis vita a Josepho
Castalione, ejusdem orationes XIII ... Romae. Mascardi. 16\0, in-4°, VIII-
140 p. [H 3336.]
737. CAVALCANTI (Bartolommeo). La Retorica di M.B.C. Vinegia, Giolito de
Ferrari, 1559. in-fol.. 563 p. [Fol. X 150.J
738. CHARLES BORROMÉE (Saint). Actae ecclesiae Mediolanensis ... Mediolani.
P. Ponti us, 15S3. in-fol., 4-353 ff. [B 364.J
739. - Pastorum concionalorumque inslructiones ... Cologne. Cholin. 1587,
in-16, 425 p. [0 26597.]
740. - ... Ex Mss. Codicibus Bibliothecae Ambrosianae Nocles Vaticanae
seu Sermones habiti in Academia a S. Carolo Borromeo in Palatio Vati-
cano instituta... Augustae Vindelicorum. 1758. 2 vo1., in-fol. [0 307S. J
74t. FleIN (Marsile). De Triplici vita libri tres ... Bononiae. 1501, in-4°.
[Rés. Tc Il 14 E.J
- Les Trois Livres de la vie ... traduit en français par Guy Le Fèvrc
de la Boderie, .. Paris, A. L'Angelier, 1581. in-8°, .200 ft. [8° Tc Il 16.J
778 BIBLIOORAPHlE

(Sur l'importance de cet ouvrage dans l'histoire de la mélancolie aux


XVI" et XVII", voir Klibansky, Saxi et Panovsky, Saturn and Melancholy,
ouvr. cit.)
742. GEORGES DE TRÉBIZONDE. Rhetoricorum libri quinque. Parisiis, apud j.
Roigny, 1538, in_So, index et 646 p. [X 16765.]
743. GIRALDI CINZIO (Giovanni-Battista). ... Poematia... Ejusdem epistola ad
Coelium Calcagninum de imitatione. C. Calcagnini super imitatione com-
mentatio ... Basileae, R. Winter, 1544, 2 part. en 1 vol. in-So. [Yc 100SI.J
(La lettre à Ca1cagnini énonçant la doctrine dt! l'imitalio allulta figure
p. 200-22S.)
744. GUAZZO (Stefano). La civil conversatione dei S. Stefano Guazzo, gen-
tiluomo di Casale di Monferrato, divisa in JIll libri, ne quale dolcemente
si ragiona di tutte le maniere dei conversare .... Venetia, presso Gratioso
Perchaciao, 1581, in-12, 280 ff. [Z 16984.]
(Avec Castiglione et DeUa Casa, un des plus importants monuments de
la rhétorique de la conversation de Cour.)
745. - La civile conversation du S. Etienne Guazzo, traduict en François
par François de Belleforest, Paris, P. CaveUat, 1579, in_So, 624 p.
[Rés. p Z 526.]
746. - La Civile conversation divisée en quatre livres, traduite de fitalien
par Gabriel Chappuys, Tourangeau, Lyon, jean Bérard, 1579, in-So, 556 p.
[Z 16983.]
747. LANDI (Ortensio). Paradossi, cioè Sententie fuori dei commune parere
novellamente venute in luce ... Lyon, Pullondarrin, 1543, in-So.
[Rés. Z 3575.]
748. - Paradoxes, ce sont propos contre la commune opinion de battus en
forme de declamations forenses pour exciter les jeunes esprits en causes
difficiles, reveus et corrigez pour la seconde fois. Paris, Ch. Estienne,
1554, in-So. [Ars so BL 2814.]
749. - Les declamations paradoxales où sont contenues plusieurs questions
debattues contre fopinion du vulgaire, traitté utile et recreatit, propre
à eveiller la subtilité des esprits de ce temps, reveu et enrichi d'anno-
tations fort sommaires par J. Du Val. Paris, J. Micard, 1603, in-S'.
[Ars. So BL 2S15.]
(Deux traductions à finalité bien différente: l'une à usage des avocats,
dans l'esprit des Controverses de Sénèque le Père; l'autre à l'usage des
gens de Cour qui y exerceront leurs «railleries ~ et leurs pointes.)
750. LOREDANO (Giovanni-Battista). Degli scherzi geniali... dans t. 1 des
Opere, Venezia, Guerigli, 1653, in-16. [Z 31051.] (Ire éd. Venise, 1634.)
751. - Les caprices héroïques (trad. François Grenaille de Chatounières).
Paris, Ant. Robinot, 1644. [Y2 49474-49475.]
(Cette traduction paraît la même année que le Tarquin le Superbe de
Malvezzi traduit par Vion Dalibray.)
752. - Bizzarie academiche ... con altre compositioni dei medesimo ... Vene-
tia, ad istanza deU'Academia, 1643, in-12, 351 p. [Rés. Z 3593.]
753. - La Dianea ... libri quattro. Venetia, ad istanza dell'Academia, 1643,
in-12, 432 p. [Y2 10535.]
754. - La Dianée ... à M. le Maréchal de Schomberg... Paris, SommaviIIe
et Courbé, 1642, 2 vol. in-8°. [Y2 10536.]
BIBLlOORAPHIE 779

755. MALVEzzI (Virgilio). Discorsi sopra Cornelio Tacito dei Conte M.V. al
Serenissimo Ferdinando 1/ Gran Duca di Toscana. Venetia, M. Ginami,
1622, in-4°, 402 p. [·E 814.)·
756. Il Romolo ... Bologna, Ferroni, 1629, in-4°, 103 p. [·E 921.]
757. DQllide Perseguidato ... Bologna, Ferroni, in-4°, 154 p. [yI 410.]
758. Il Tarquinio Superbo ... di nuovo ristampato. Genova, P. Alberto,
1635, in-12, 151 p. [J 15012 (2).)
759. - Tarquin le Superbe, avec des considerations politiques et morales
sur les principaux événements de sa vie (traduit par Vion Dalibray). Paris,
J. Le Bouc, 1644. [R 24383.]
760. - Le Romulus du Marquis Malvez:zi, avec des considerations poli-
tiques et morales sur sa vie. Paris, J. Le Bouc, 1645. [·E 1187.]
(II est significatif que les traductions de Malvezzi ne paraissent qu'après
la mort de Richelieu, au moment où un renouveau du sénéquisme se
manifeste au théâtre. Le style sénéquien italo-espagnol de Malvezzi était
la cible préférée de l'Académie.)
761. MANZINI (Giambattista). 1 Furori della gioventù, esercitii retorici. Roma,
F. de Rossi, 1633, in-12, 276 p. [X 28520.)
762. - Les Harangues ou Discours Académiques de lB. Manzini (traduits
par G. de Scudéry). Paris, Corbin, 1642, in-12. [l 19346.)
763. - Il Cretideo ... Roma, Mascardi, 1642, in-12, 454 p. [y2 10532.)
764. - Delle Meteore retforiche ... Bologna, G. Minti, 1652, in-8°, VI-309 p.
[X 19264.)
765. MANuCE (Paul). Tre libri di Letfere volgari... Venetia, 1556, in-8°, 135 ff.
et table. [Rés. Z 2406.)
(Rééd. Venise, 1560, Rés. l 2409.)
766. - ... Epistolae et Praefationes quae dicuntur ... Venetia, in Academia
veneta, 1558, in-8°, 148 ff. [Rés. Z 2212.)
(Rééd. Venise, 1560, Rés. Z 2214; ibid. 1561, Rés. Z 2215: dans cet ex.
les lettres à Marc Antoine Muret figurent f. 65-82; ibid. 1569.)
767. MARIANI (Michelangelo). II più curioso e memorabile della Francia ...
Venezia, Hertz, 1673, in-4°, 215 p. [4° Lb 37 5200.)
(Véritable «reportage> journalistique sur la France et en particulier sur
la Cour dans les premières années du règne de Louis XIV. Ce Gaudissart
italien, en dépit de sa réclame, est bien informé et ses clichés ont le
mérite de ne pas être les nôtres.)
768. MARINO (Giovanbattista). Epistolario ..., édité par Angelo Borzelli et Fausto
Nicolini. Bari, Laterza, 1911-1912, 2 vol. in-8°. [8° Z 19447 (20) et (29).]
(Voir en particulier les éblouissantes lettres-reportages sur le Paris de:;
années 1615-1620.)
769. - Dicerie saere e la strage degl'lnnoeenti, a cura di Giovanni Pozzi.
Turin, Einaudi, 1960, in-8°, 628 p.
770. MASCARDI (Agostino). Dell'Arte historiea d'Agostino Maseardi trattati
cinque. Roma, G. Facciotti, 1636, in-4°, pièces limin., 676 p. [Z 3167.]
771. - ... Ethicae prolusiones ... Parisiis, apud S. Cramoisy, 1639, in-4°,
pièces limin., 240 p. [R 6025.)
772. - ... Romanae dissertation es de atfectibus sive perturbationibus animi
earumque charaeleribus. Parisiis, apud S. Cramoisy, 1639, in-4°, 243 p.
[R 6024.)
780 BIBLIOGRAPHIE

773. MINOZZI (Pier Francesco). Delle Libidini dell'ingegno ... Milano, Ghilolfi,
1636, in-12, 383 p. [l 31038.]
774. - Sfogamenti d'ingegno ... Venetia, per li Turrini, 1641, in-12, 333 p.
[l 31040.]
775. MURET (Marc Antoine). Oraliones volumen secundum. Venitiis, apud F.
Semensem, 1591, in-12, 288 p. [X 18050.]
(Rééd. Rouen 1607, Lyon 1613.)
(Le meilleur de sa carrière s'étant déroulé à Rome et son art s'inscrivant
dans la tradition du cicéronianisme romain, Muret peut être rangé parmi
les humanistes italiens plutôt que français.)
776. - M.A. Mureti... Hymnorum sacrorum liber ... ejusdem alia quaedam
poematia. Lutetiae, ap. M. Patissonium, 1576, in-16, 24 ft.
[Rés. A 6764 (2).]
777. - Opera omnia ex mss. aucla et emendata cum brevi adnotatione
Davidis Ruhnkenii, silldiose ab se recognita, emendata, aucta, selectisque
aliorum et suis adnotalionibus instrucla accurate edidit Carolus Henricus
Frotscher ... Lipsiae, sumpt. Serigianae librariae, 1834-1841, 3 vol. in-8°.
[l 55988-55990.]
778. NATTA (Marc Antoine) .... Volumina quaedam nuper excussa, nllmero et
ordine qui subjicitur ... Venetiis, Aldus, 1562.
(V. fO' 76 et suiv. : De Christianorum eloquentia liber.)
779. PANIGAROLA (François). Tre prediche di mons. Panigarola fatte da lui in
Parigi... Asti, Grandi, 1592, in-16, 101 p. [8° Lb3~ 256.]
780. - Cent sermons sur la Passion de N.S. prononcez à Milan par
RP.F. Panigarola, et traduiets en François par Gabriel Chappuys. Paris,
Cavellat, 1586, in-4°, 642 p. [0 9107.]
781. - L'art de prescher et bien faire un sermon, avec la mémoire locale
et artificielle faiet par RP.FP ... et traduit par Gabriel ChappII)'s, secre-
taire et interprete dll Roy, ensemble l'Art de Memoire de Hierosme Mora-
fiote, Calabrois, Théologien. Paris, Chaudière, 1604. [0 46381.]
(L'Art de la Mémoire (v. F. Yates, ouvr. cit.) renvoie à Simonide et s'at-
tarde sur Giulio Camillo, p. 83. La technique consiste ici à répartir les
« lieux» dans une ville intérieure, avec son amphithéâtre, son palais, son
monastère ...}
(Sur \cs traités de rhét. ecclésiastiques en italien de Panigarola, v. CapIan
et King, art. cit.)
782. PELLEGRINI (Matteo). / Fonti dell'/ngegno ridolti ad arte. Bologna, 1650,
in-8°, 310 p. [R 45930.]
783. PICO DELLA MIRANDOLA (Giovanni-Francesco). j.FP.M. domini, Physici
libri dllO, / : De appetitu primae materiae ; Il : De elementis et Rheforici
duo; de imitatione ad Petrum Bembum, Petri Bembi de imitatione liber
unlls. Basileae, apud Frobenium, 1518, in-4°, 124 p.
[Rés. X 1218 (2). Rés. l 640 (4).]
(Première édition de l'échange de lettres de imitatione ciceroniana entre
G.F. Pico et Bembo. Voir l'éd. critique de G. Santangclo, sllpra, n° 695.)
784. PÉTRARQUE (Francesco Petrarca dit). Let/ere di Francesco Petrarca delle
cose familiari libri ventiqualtro ; leltere varie libro unico ... Dra la prima
volta raccolte, volgarizzate e dichiarate COll note da Giuseppe Fraca~setti
Firenze, F. Le Monnier, 1864-1865, 5 vol. in-8°. [l 57608-57612.]
BIBLIOGRAPHIE 781

785. POLITIEN (Angelo Poliziano, dit le). Omnia opera Angeli Politiani et alia
quaedam lectu digna. Venetiis, in aed. Aldi, 1498, in-fol. [Rés. Z 294.)
(Réimpr. Florence, 1499. Autre éd. Bâle, 1553, [Z 569).)
786. - Dissertissimi viri A.P., linguae lalinae vindicatoris, epistolae lepi-
dissimae ... Anvers, 1514, in-4°. [Rés. Z 756.)
787. - Omnium Angeli Politiani operum quae quidem exsare novimus
tomus prior, in quo sunt Epistolarum libri duodecim ... Paris, Josse Bade,
1519, 2 t. en 1 vol. in-fol. [Rés. Z 298.)
788. - Angeli Politiani et aliorum virorum illustrium Epistolarum libri XII.
Hanoviae, apud C. Antonium, in-12, 1604, 610 p. [Z 14164.)
(Lettres de Politien à Cortesi de imitatione ciceroniana, p. 307-309, et
réponse de Cortesi, p. 309-314.)
789. POSSEVINO (Giovan Battista). Discorsi sulla vila e allioni di Carlo 80r-
romeo ... Home, appresso j. Tornerii, 1581, in-8°, 283 p. [H 9230.)
(Trad. fr. Bordeaux, 1611, in-8°, 368 p., [H 9231])
790. RICCOBONI (Antoine) .... Commentarius in universam doctrinam oratoriam
Ciceronis... Simulque libri rhetoricae Aristotelis perstringuntur. Addito
compendio totius Rhetoricae ex Aristotele et Cicerone junioribus ediscendo.
Francofurti, apud A. Wecheli haeredes, 1596, in-8°, 308 p. [X 16711 (2).)
791. SANSOVINO (Francesco). L'arte oratoria secondo i modi della lingua vol-
gare. Venezia, G. dal Griffo, 1546, in-8°, 80 p. [X 19723.)
792. - L'Avocato, dialogo divise in cinque libri ne quali brevemente 8i
contiene materia della cose dei Palazzo Veneto ... Venetia, 1554, in-8°,
48 ft. [F 24219.]
(Voir également F 27080, éd. de 1559.)
793. TET! (Girolamo, Comte). Aedes Barberinae ad Quirina/em... descriptae.
Romae, Mascardus, 1642, in-fol., 221-36 p. [Rés. V 388. Fol. K 274.]
794. TESAURO (Emmanuele). 11 cannochiale aristotelico osia l'ldea delle argu-
tezze heroiche, vulgarmente chiamete imprese, et di tutta l'arte simbolica
e lapidaria ... esaminata in fonte co rettorici precetti deI divino Aristotele,
che comprendono tutta la Retlorica et Poetica elocutione ... Torino, Sim-
baldo, 1654, in-fol., 784 p. [Z 519.)
(2' éd. 1663, Venise.)
795. VALIERO (Agostino). De Rhetorica ecclesiastica ad clericos, libri tres,
aucli et locupletati. Veronae, S. et J. A. Donis, 1574, in-8°. [D 15241.)
(Ed. parisienne, 1575, D 15242 (1). Cologne, 1575, avec L. de Grenade;
Venise, 1578, X 4932; Cologne, 1582, trad. fr. Dinouart, 1750, rééd.
1851.)
796. VALLA (Lorenzo). Elegantiarum liber ... Parisiis, 1471, in-fol. [Rés. X 641.)
797. - Opus Elegantiarum linguae latinae ... Romae, 1471, in-fol.
[Rés. X 134.)
798. VETTORI (Piero). Epistolarum libri X, orationes Xllll et liber de [audibus
!oannae Austriae. Florentiae, apud Junctas, 1586, in-fol., 227 p.
[Rés. X 156 (I).J
799. - Commentarii longe doctissimi in tres libros Aristotelis, de Arte
dicendi, nunc primum in Germania editi. Basileae, ex off. J. Oporini,
1549, in-fol., 871 col. [Rés. R 156.J
(Rééd. Florence, 1579. Voir également les Commentarii du même auteur
sur l'Art poétique (Florence, 1560), l'Ethique à Nicomaque (ibid., 1584)
et la Politique (ibid., 1576) d'Aristote.)
782 BIBLIOGRAPHIE

800. - Castigationes in libros III de Oratore ad Quintum fratrem, in


Brutum sive de Claris oratoribus, in Perfectum oratorem ad Brutum, in
Rhetoricam ad Herennium, Basileae, 1541, in-4°. [X 740.]
801. - Commentarii in librum Demetrei Pha/erei de Elocutione ... , Flo-
rentiae, in off. Juntarum, 1562, in-fol., 268 p. [X 719.]

8. RHÉTORIQUE, ÉLOQUENCE ET LITTÉRATURE EN ESPAGNE


ET PAys-BAS ESPAGNOLS AU XVI" ET AU XVII" SIÉCLES
(sauf S.).) 1575-1630 circa.

(Voir Sagües Azcorta. Diego de Estella Modo di Predicar. Madrid, 1951,


biblio., et CapIan et King. '" Spanish tractates on preaching... :.. Speech
monographs, 1950, 161-170.)
802. ARIAS MONTANO (Benito). Rhetoricorum libri IV Benedicti Ariae Montani ...
cum adnotationibus Ant. Moralii, quae rem omnem quam brevissime
explicant ... Valentiae, ex praelo B. Monfort, 1775, in-8°.
803. DIEGO DE ESTELLA (O.F.M.). Modo de Predicar y Modus concionandi
studio doctrinal y edicion critica por Pio Sagüès Azcona O.F.M. Madrid,
Instituto Miguel de Cervantès, 1951, 2 vol. in-8°.
804. HUARTE (juan). Anacrise ou parfait jugement et examen des Esprits pro-
pres et naiz aux sciences, traduit par Gabriel Chappuis. Rouen, T. Rein-
sart, 1598, in-12, 208 ff. [R 38804.]
(Ire éd. Lyon, 1580. Ed. originale du texte espagnol, Baeza, 1575. Voir
aussi, pour l'histoire de la mélancolie au XVII" siècle en France, Guibelet
(Jourdain). Trois Discours sur la mélancolie ... Paris, 1603, R 37931.)
805. - L'Examen des esprits pour les sciences où se montrent les diffe-
rences d'esprits qui se trOl/vent parmy les hommes, et à quel genre de
science chacun est propre en particulier ... (traduit par Vion d'Alibray).
Paris, Jean Le Bouc, 1645, in-8°, 825-XXIV p. [R 38807.]
806. LIPSE (juste). Admiranda sive de Magnitudine romana, libri quattuor ...
Parisiis, Nivelle, 1598, in-8°, 374 p. [K 7865 (2).]
807. - Epistolica Institutio ... Lugduni Bat., Plantin et Raphelengius, 1591,
in-8°, 44 p. [Z 13345.]
808. LORENZO DA VILLACENTIO (Ermite de saint Augustin). De formandis sacris
concionibus seu de Interpretatione Scripturarum populari Libri IV ...
S.I.n.d., in-4°. [0 6482.]
809. - De recte formando studio theologico libri quattuor ac de for-
mandis sacris concionibus libri tres ... Coloniae, Agrippinae, haered. Burck-
manni, 1575, in-8°, 868 p. [0 11654.]
8\0. LOUIS DE GRENADE. Ecclesiasticae Rhetoricae sive de Ratione concionandi
libri sex ... Venetiis, apud F. Zilettum, 1578, in-4°, 334 p. [X 4932.]
(Rééd. Cologne, 1582 - 1594 - 1611. Edition parisienne 1635, avec le
De Modo concionandi de Diego de Estrella.)
811. PUTEANUS (Erycius) (VAN DE PUTTE, Henri). Suada attica, sive orationum
select arum syntagma. Item Palaestra bonae mentis prorsus innovata ...
s.l., ex off. elzeviriana, 1623, in-8°, 613 p. [X 20099.]
812. - Erycii Puteani Amoenitatum humanarum diatribae XXI, quae par-
tim phil%giam, partim phi/osophiam spectant ... Lovanii, Typis C. Flavii,
1615, 8°, 845 p. [Z 19195 (1).]
BIBLIOGRAPHIE 783
813. QUEVEDO y VILLEGAS (Francisco Gomez de). .., Suenos y Discursos...
Barcelone, P. Locavalleria, 1628, in-12, 120 ff. [y2 11220.]
- Les visions de D. Fr. de Quevedo y Villegas, traduites... par le
sieur de la Geneste. Paris, Billaine, 1632, in-16, XVI-252 p.
[8° y2 54326.J
(Voir aussi La Pinelière (G. de). La suite des visions ... Paris, Du Bray,
1636, n° 552.)
813 bis. VIVÈS (Juan Luis). Rhetorica sive de recte dicendi ratione libri tres ...,
Basileae, Lasius, in-8°, 272 p. et index. [X 19994 (1).] Rééd. Cologne,
1537.)

9. RHÉTORIQUE, ÉLOQUENCE ET LITTÉRATURE


EN EUROPE DU NORD AU XVI' ET AU XVII' SIÉCLES (sauf S.J.) :
ANGLETERRE, PROVINCES UNIES, ALLEMAGNE

814. AGRICOLA (Rodolphe). De Inventione Dialectica liber primus. Paris, ex off.


Christiani Wecheli, 1535.
(L'œuvre de R. Agricola est le point de départ d'une réflexion sur rhéto-
rique et logique dont le principal relais, avant la Logique de Port-Royal,
est l'œuvre de P. de la Ramée.)
815. BARCLAY (John). Icon animorum. Londini, ex off. Nortoniana apud J.
Billium, 1614, in_S", 356 p. [R 19885.J
(Contaminatio entre le genre Moriae Encomium d'Erasme, le genre Exa-
men des Esprits de Huarte et le genre des Charaeters de l'évêque Hall.)
816. - Le Pourtraict des Esprits mis en françois. Paris, N. Buon, 1625,
in-12, 430 p. [R ISQ8:.]
(Trad. par Nanteuil de Boham.)
817. - Le Tableau des Esprits par lequel on cognoist les humeurs des
Nations, leurs advantages, et defaux, les inclinations des hommes tant
à cause de leur naturel que des conditions de leurs charges. Paris, J.
Petit-Pas, 1625, in_So, 443 p. [R 19889.]
818. Euphormionis Lusinini... satyricon, pars prima. Parisiis, Huby,
1605, in-12, 126 ff. [Rés. y2 1284.]
819. - Les Satyres d'Euphormion de Lusine, contenant la censure des
aclions de la plus grande partie des hommes en diverses charges et
vacations... mises en françois par 1. T.P.A.EP. Paris, J. Petit-Pas, 1625,
in_So, 692 p. [Y2 6156 (1).]
820. - L'oeil clairvoyant d'Euphormion, mis en nostre langue par M. Nau,
avocat au Parlement. Paris, A. Estoct, 1626, in_So, 277 ff. [Y2 6157.]
(V. f. 50, attaque redoublée par le traducteur contre les courtisans, flat-
teurs, railleurs et ignorants.)
821. - La Satyre d'Euphormion mise nouvellement en françois. Paris,
J. Guignard, 1640, in-8°, 648 p. [Y2 6158.]
(Trad. j. Béraut. V. p. 50, une autre version de la satire du langage
de Cour.)
822. BULWER (John). Chironomia or the Art of Manual rhetorique. London,
T. Harper, 1644, in_So, XVl-147 p. [Rés. X 1653 (2) ..]
784 BIBLIOGRAPHIE

823. - Chirologia or the natural language of the hand. London, T. Har-


per, 1644, in_So, XXIX-IS9 p. [Rés. X 1653 (1).]
(A rapprocher des chap. du P. de Cressolles, infra, n° 864, sur l'art
de parler avec les mains.)
824. CAMERARIUS (Johannes). Elementa rhetoricae sivl! capita exercitiorum
studii puerilis et slili ad comparandum utriusque linguae facullatem,
colleeta a Joachimo Camerario, nuncque denuo cum emendatiora, tum
locis aliquot aucliora, in lucem edita ... Basileae, per j. Oporinum, 15·15.
in_So, XII-402 p., index. [X 19997.]
825. - Notalio fij(urarum orationis et mutatae simplicis eloculionis in
apostolicis scriplis ad perspiciendam de intellecto sermone sententiam
authorum,' accessere et in libn/m 1tpO:~'wv et O:7':O",,),U ~ ")Ç simi/cs nota-
lion es, nunc primum elaboratae studio Joachimi Camerarii. Lipsiae, edita
denuo procurante. E. Wegelino, in-4°, XXXI-369 p. [D2 583.]
826. CASAUBON (Méric). A treatise concerning Enthusiasm, as it is an effect of
nature, but is mistaken by many for either divine inspiration or diabolic
possession. London, T. Johnson, 1655, in_So, pièces Iimin., 22S p.
[D2 3756.]
827. - De Enthusiasmo commentarius, in quo cum de enthusiasmo in
genere, tum de contemp/alivo et philosophico, rhetorico, poetico, preca-
torio in specia luculenter agitur, cura J. F. Mayeri... per A. Fabricium
ex anglico laline redditus ... Lipsiae, Strausius, 1724, in-4°, 160 p.
[Ars BL 4594. B.N. Rz S37.]
(1 re éd. 170S.)
(Ouvrage fondamental à rapprocher du De erroribus d'Allacci, sur le
grand débat autour de l'enthousiasme et dll sublime qlli court de Pom-
ponazzi à Burke.)
82S. CAULER (Simon). Rhetoricorum Simonis Cauleri libri quinque editio tertia,
praeceptis auctior, illustrior exemplis, et epitome praeclari luvenis P%ni
Christophori de Chalecz lucu/entior. Parisiis, H. de Mamef, apud Dioni-
siam Cavellat, 1606. [Ars so BL 2709.]
829. ERASME (Désiré). De Duplici copia verborum et rerum commentarii duo,
adjectis ad marginem Christophori Longolii... scholiis. Argentorati, ex
aed. Schurerianis, 1514, 3 part. en 1 vol., in-4°. [Rés. l 761.]
830. - De recta latini graecique sermonis pronuntiatione... dialogus.
Ejusdem dialol!us cui titulus Ciceronianus sive de optimo genere dicendi...
Basileae, in off. Frobeniana, 152S, in_So, 463 p. [Rés. p. X 431.]
(Ed. parisienne S. Collinet, Paris, 152S, Rés. X 1730.)
831. - Dialogus cui titulus Ciceronianus sive de oplimo genere dicendi...
Tolosae Tectosagum, 1621, 1 vol. in-4°. [l 3413-3416. l 3434.]
(Edition préfacée par j. de Maussac.)
832. - ... Ecclesiastes sive de ratione concionandi libri quattuor... Ant-
verpiae, M. Hilenius, 1535, in_So, 231 ff. [D 15240.]
833. - ... Opera omnia emendatiora ... Johannes Clericus edidit... Lugduni
Batavorum, P. Van Der Aa, 1703-1706, 10 t. en 11 vol., in-fol.
[l 597-607.]
(L'édition de référence en attendant J'achèvement du n° suivant.)
834. - ... Opera omnia ... Amsterdam, North-Holland Publ. Company, 1969.
[4° l 6702.]
BIBLIOGRAPHIE 785
835. Correspondance Erasme-Budé, éd. et trad. par M.-M. de La Garan-
de rie. Paris, Vrin, 1967. Gr. in-8°, 327 p. [4° l 5384 (13).]
836. Il Ciceroniano 0 dello stilo migliore, testo latino critico, traduzione
e note a cura di Angiolo Gambara ... Brescia, La Scuola, 1965, in-8",
363 p. [8° X 26458.]
837. - La Philosophie chrétienne. L'Eloge de la Folie. L'Essai sur le Libre
arbitre. Le Cicéronien. La Réfutation de Clichtove, introd. et notes de
P. Mesnard, Paris, Vrin, 1970, in-4", 403 p. [4° l 5384 (22).]
838. HALL (Joseph, évêque d'Exeter et de Norwich). Charaeters of Vertu es
and Vices in a Recollection of such treatise, as have been heretofore
severally published, and are now revised. London, H. Fetherstone, 1620-
1621, in-fol., X-967-166 p. [D2 4133.]
(Voir, s.v. Théophraste, la trad. du sieur de Tourval, Paris, 1610,
R 38132.) Voir aussi le n° 343.
839. HEINSIUS (Daniel Heins dit). D. Heinsii De Politica Sapientia Oratio ...
Leyde, Elzevier, 1614, in-4°. [X 3429.]
840. HENISCHIUS (Georgius). Praeceptionum rhetoricarum libri V, et exercita-
tionum libri 1/, quibus quidquid ad Rhetoricae tum scientiam tum usum
cum primis pertinet, ordinatim et distincte demonstratur. Augustae, ex
off. Michaëlis Mangeri, 1593, in-8°. [X 17896.]
(Contient une Series oratorum et rhetorum praecipuorum a Cadmo ad
nostrum usque saeculum, où l'on peut lire à la date de 1399: Hoc tem-
pore in Italia literarum et linguarum studia postquam 700 fere annis
tetra barbarie oppressa et foedata fuerant, renasci atque excoli iterum
coeperunt. Memorabile autem est quod ait Sabellicus primum leetione
librorum Ciceronis De Oratore postquam ii reperti essent, excita/os essE'
in Italia homines studiosos ad diligentius dicendum, et EX HIS LIBRIS
QUASI RENATAM ESSE ELOQUENTIAM. (Nous soulignons.»
841. MERULA (Paul). Vita Desiderii Erasmi Roterodami ex ipsius manu fide-
liter repraesentata ... Additi sunt epistolarum libri duo ... Leyde, Thomas
Basson, 1607, in-4°. [M 10745.]
842. SCIOPPIUS (Gaspard). De Arie critica, Mayence, 1662, in-4". [l 12951.]
(Ire éd. Altodorsii, 1598. V. p. 13: ... « Hoc Gallis penilus persuasllm
esse apparet : non posse quem magnum aliquem Jllrisconsultum fieri nisi
Philologicis hisce studiis probe instruetus.)
- De Rhetoricarum exercitationibus generibus, praeciplleque de reeta
Ciceronis imitatione ... dissertatio. Mediolani, 1628.
(Sur la pensée de Scioppius, un des témoins les plus autorisés de la
culture de son temps, catholique antijésuite, v. D'Addio (Mario). Il pen-
siero politico di G. Scioppio ... Milan, Giuftrè, 1962, in-4°, p. 1 à 253.)
843. SNEL VAN ROYEN (Rudolf). Dialogismus rhetoricus qui commen/arius sil
in Alldomari Talaei Rhetoricam ... Leyde, 1600, C. Raphelengium, in-8°,
397 p. [X 17840.]
844. STURM (Jean). De amissQ dicendi ratione et quomodo ea recuperanda sit
libri duo, emendati et aueti ab ipso auctore. Argentorati, per N. Rihelium,
1543, in_8°. [l 39989.]
845. - De imitatione oratoria libri tres ... Argentorati, imprimebat B. Jobi-
nus, 1574, 2 part. en 1 vol. in-8°. [X 17999.]
.846. - De literarum ludis recte aperiendis liber Joannis Sturmii... Argen-
torati, apud N. Rehelium, 1543, in-8·, 46 ft. [l 38989 (1).]
786 BIBLIOGRAPHIE

847. - Partitionum dialecticarum libri duo ... Parisiis, C. Wechelium, 1539,


in-8°, 136 p. [R 10756.]
848. VOSSIUS (Gérard). De Rhetorices natura ac constitutione et antiqui3 rhe-
toribus, sophistis, et oratoribus liber. Lugduni Batav., j. -Maire, 1622,
in-8°, 238 p. [X 17814 (1).]
849. - Rhetorices contractae sive partitionum oratoriarum libri V. Lug-
duni Batav., J. Maire, 1622, in-8°, 416 p. [X 17814 (2).]

10. RHÉTORIQUE ET ÉLOQUENCE DE LA SOCIÉTÉ DE JÉSUS


(1570-1650 circa)

a) France

850. ABRAM (Nicolas) S.j. Commentarius in tertium volumen orationum M. L


Ciceronis. Lutetiae Parisiorum, S. Cramoisy, 1631, 2 vol. in-fol.
[X 924-925.]
(Le P. Abram est aussi un grand éditeur et commentateur de Virgile.)
851. BINET (Etienne) S.j. Essay des Merveilles de Nature et des plus nobles
artifices, piece très-necessaire à tous ceux qui font profession d'eloquence,
par René François, Predicateur du Roy. Rouen, Romain de Beauvais,
1621, in-4°, 569 p. [Z 3996.]
(13 rééditions jusqu'en 1657.)
852. CAUSSIN (Nicolas) S.j. Eloquentiae sacrae et humanae parallela... Paris.
Chappelet, 1619, in-fol., 671 p. [X 897.]
(Rééd. 1623, 1627, 1643.)
853. - Tragoediae sacrae. Paris, Chappelet, 1620, in-8°. [Yc 8147.]
854. - La Cour Sainte ou Institution chrestienne des grands avec les:
exemples de ceux qui dans les cours y ont fleury dans la saincteté. Paris,
S. Chappe let, 1624, in-8°, 800 p. [Rés. D 21280.]
- Rouen, Ferrand, 1642, in-8°, 646 p. [D 29421.]
855. CELLOT (Louis) S.J. Orationes panegyricae ... Coloniae Agrippinae, apud
J.E. Fromart, 1627, in-12, IV-473 p. [X 18295.]
(V. en part. Oratio VII, p. 238, Utrum res literaria plus libris scriptis
an viva voce promoveatur, et Oratio VIII, p. 271, Vetus pronuntiatum,
oratorem esse virum bonum solis oratoribus christianis convenire.)
856. - ... Panegyrici Flexienses Ludovico XIII dicti ... Flexiae, apud G. Laboe
et M. Guyot, 1629, 3 part. en 1 vol. in-8°. [Lb 36 2691.]
857. - '" Panegyrici et orationes ... Parisiis, Seb. Cramoisy, in-8°, 1631, IV-
459 p_ [X 18294.]
858. CHAMPION (Pierre) S.j. La vie et la doctrine spirituelle du P. L. Lalle-
mant ... Paris, E. Michallet, 1694, in-12, XX IV-531 p. [Ln 27 11129.]
859. CLÉMENT (Claude) S.j. Musei sive bibliothecae tam privatae quam publicae
cxtmctio, instructio, cura, vis, libri IV, accessit accurata descriptio Regiae
Bibliothecae S. Laurenti Escurialis, insuper Paraenesis allegorica ad
amorem litteratum. Lugduni, Jacques Prost, 1635, in_4°, 552 p. [Q 706.1
BIBLIOORAPH lE 787
860. COTON (Pierre) S.j. Institution catholique où a été déclarée et confirmée
la vérité de la foy contre les heresies et superstitions de ce temps, divisée
en quatre livres qui servent d'antidote aux quatre de l' c Institution:. de
Jean Calvin. Paris, S. Chappelet, 1610, in-4". [0 5961.]
861. - Institutio catholica ... Moguntiae, sumpt. Henningii, 161S, in-4",
S72 p. [0 7209.]
(Traduction en latin de l' «Institution catholique:. par L. de Cressoles.)
862. - Sermons sur les principales et plus difficiles matieres de la foy
faicts par le RP. Coton ... et reduicts par luy-mesme en forme de medi-
tations. Paris, S. Huré, 1617, in-S·, 922 p. [0 15531.)
863. CRESSOLLES (Louis de) S.j. Theatrum veterum rhetorum, oratorum, decla-
matorum quos in Graecia nominabant ao<ptaTcXç. Parisiis, Cramoisy,
1620, in-S·, 52S p. [X 16783.)
864. - Vacation es autumnales, sive de Perfecta oratoris actione et pro-
nunciatione libri 111... Lutetiae Parisiorum, S. Cramoisy, 1620, in-4·,
706 p. [X 3264 (1).]
865. - Mystagogus de sacrorum hominum disciplina opus varium e stro-
matis SS. Patrum et aliorum eruditione contextum quo Scriptura expli-
catur, Patres illustrantur, Script ores emendantur, Antiquitas lucem capit,
mores instruuntur, pietas commendatur. Lut. Paris., Seb. Cramoisy, 1629,
in-fol., 1 258 p. [0 369.)
866. FILÈRE (Joseph) S.j. Le Miroir sans tache enrichi des merveilles de la
nature dans les miroirs, rapportée aux ef/ets de la grâce pour voir Dieu
en toutes choses et toutes choses en Dieu. Lyon, Vve de C. Rigaud, 1636,
in-S·, 1028 p. [0 35085.)
867. GARASSE (François) S.j. La Doctrine curieuse des beaux esprits de ce
temps, ou prétendus tels ... Paris, S. Chappelet, 1623, in-4·, 1025 p.
[0 11421.]
868. - Apologie du Père François Garassus ... pour son livre contre les
Athéistes et libertins de nostre siècle, et response aux censures et calom-
nies de l'autheur anonyme ... Paris, Chappelet, 1624, in-12, 360 p.
[0 21570.]
869. - Lettre du P. François Garassus, ... à M. Ogier, touchant leur récon-
ciliation, et response du sieur Ogier sur le mesme sujet. Paris, S. Chap-
pelet, 1624, in-12, 80 p. [8° Ld39 112.)
870. - Histoire des Jésuites de Paris pendant trois années (1624-1626) ...
Ed. par le P. Auguste Ca rayon, s.j., Paris, 1864, in-8·. [Ld39 904.)
S71. GUY ART (Robert) S.j. Le sainct charactere de l'éloquence sacrée, vray
contrepoison de l'éloquence à la mode. La Flèche, 1638, in-8°, 540 p.
(paraît J'année même où le P. Vavasseur prononce son Oratio latine
contre l'éloquence à la mode et où le P. Sirmond publie ses deux rhéto-
riques ecclésiastiques inspirées par la doctrine de l'Académie française.
A rapprocher des numéros 901 - 902 - 903.)
872. jOSSET (pierre) S.j. Rhetorice, placida quam Pieris irrigat unda, grandia
facundae reserans praecepta loquelae ; haec etiam logicae praeludia docta
sagacis, striclaque grammaticae compendia digerit artis, authore P.J.
Lemovicis, A. Barbou, 1650, in-12, 414 p. [X 20003.)
873. LE jAY (Je P. Gabriel François) S.j. Bibliotheca rhetorum praecepta et
exempla complectens, quae tam ad oratoriam facultatem quam ad poe-
ticam pertinent, discipulis pariter ac magistris perutilis opus bipartitum ...
Par!:'iis, G. Dupuis, 1725, 2 vol. in-4°. [X 3244-3245.)
788 BIBLIOGRAPH lE

874. LE MOYNE (Pierre) S.J. Les Peintures morales ... Paris, Cramoisy, 2 vol.
in-4°, 1640-1643. [Rés. R 1136-1137.)
875. - Entretiens et lettres poétiques ... Paris, E. Loyson, 1665, in-12,
327 p. [Ve 7968.]
876. - La Gallerie des Femmes fortes ... Paris, Sommaville, 1647, in-fol.,
378 p. [Rés. G 447.1
877. - Devises héroïques et morales ... Paris, Courbé, 1649, in-4°, 111 p.
[Ve 1356.)
878. - De l'Art de régner. Paris, Cramoisy, 1665, in-fol., LVI-730-XVlIl po
[·E 142.]
879. LUCAS (Jean) S.J. Actio oratoris, seu de gestu et voce.,. Paris, S. Bénard.
167!!, in-12, 58 p. [X 18001.]
(Rapprocher des numéros 720 - 822 - 823 - 864.)
880. MACHAULT (Jean-Baptiste de) S.j. Eloges et Discours sur la triomphante
réception du Royen sa ville de Paris après la prise de La Rochelle.
Paris, P. Rocolet, 1629, in-fol., 179-11 p.
(Attribué par M. Praz, Studies ..., t. 1 (1939), p. 162. Un chef-d'œuvre du
grand style démonstratif jésuite en français, en prose et en vers, déjà
influencé par Balzac et Malherbe, et ouvrant la voie au P. Le Moyne.)
881. MAIMBOURG (Louis) S.j. De Galliae Regum excellentia ad illud dictuTTt
D. Gregori Magni quanto caeteros homines Regia dignitas antecedit tanto
caeterarum gentium Regna Regni Franciae culmen excedit, panegyricus.
Rouen, L. Le Boullenger, 1641, in-8°, IV-56 p. [8° Le4 40.]
882. - Ludovico XIII ... ob Galliam Virgini conSecratam Justo Magno Pio.
Rouen, L. Le Boullenger, 1640, in-8°, V-146 p. [8° Lb36 3178.)
883. PAjOT (Charles). Tyrocinium eloquentiae, sive Rhetorica nova et faciIior.
Blesis, Fr. de la Saugère, 1647, in-8°, 402 p. [Rés. X 2463.]
884. PELLETIER (Gérard) S.j. Palatium Reginae Eloquentiae. Lutetiae Paris.,
sumpt. Vid. Nicolai Buon, Joannis Camusat et Claudii Sonnii, 1641, in-fol.,
593 p. [Rés. X 439.]
885. - Reginae Palatium Eloquentiae primo quidem a RR.PP. Societ.
Jesll in Gallia exquisite studio et arte magnifica exstructum, nunc vero
revisum et sensui moribus Germanorum aliarumque nationum accommo-
datum et in bonum non modo Eloquentiae studiosorum sed etiam Verbi
divini Praeconum ac Concionatorum editum a RR.PP. Societ. Jesu Mo-
gunt ... Moguntiae, impr. Joann. Godefridi Schônwetteri, typo Nicolai Heilii,
1652, in-fol.
(Ed. qui n'est pas à la B.N.)
Reginae palatium eloquentiae ... revisum. Lyon, J.A. Candy, 1653,.
in-4·, 11-892 p. [X 3239.]
886. - Reginae Eloquentiae Palatium sive Exercitationes oratoriae, nunc'
autori suo restitutae R.P. Gerardo Pelletier Vosagensi, S.J., ad prin-
cipem anni millesimi sexcentesimi quadragesimi primi editionem diligenter
exactae, atque innumerabilibus mendis expurgatae quibus Moguntinenses
et Francfortienses in Germania Harpyiae et Lugdinensis Typogr. vindi-
canda legibus teneritas, eximium illud opus et ad Gal/orum laudes mira
arte conflatum foedaverant ut ex sequenti praefationes disces. Parisiis.
ap. Eimonem Belnard, 1663, in-4°, 894 p. [Rés. X 1113.]
BIBLIOGRAPHIE 789
887. PELLEPRAT (Pierre). Prolusiones oratoriae. Paris, apud Joan. Libert, 1644,
2 part. en 1 vol. in-8°. [X 20103.]
(Dédié à Josias de Bremond d'Ars-Migré. Voir p. 263-304, Taius, sive
MaJ!ni Judicis idea ... , portrait idéal du haut magistrat. Une autre œuvre
de P. Pelleprat, attribuée par l'éditeur à son élève, figure sous le n° 437.)
888. PETAU (Denis) et CAUSSIN (Nicolas) S.j. Pompa Regia Ludovici X/Il
Franciae et Navarrae Regis Christianissimi, a Fixensibus Musis in Hen-
riceo Societatis Jesu Gymnasio vario carmine consecrata. Flexiae, apud
Jacob Rezé, 1614, in-4°, 111 p. [Yc 1616.]
889. PETAU (Denis) S.} .... Opera poetica. Paris, Cramoisy, 1624, in-8°, 506 p.
[X 18137 (2).]
(1 re éd. 1620; rééd. 1622, 1624, J 642, 1653.)
890. - Drationes editio ultima auctior et castigatior. Lutetiae Parisiorum,
apud S. Cramoisy, 1653, in-8°, 395 p. [X 18139 (1).]
(Ire éd. 1620; rééd. 1621, 1624, 1642.)
891. POMEY (François). Candidatus Rhetoricae, seu Aphtonii Progymnasmata
in meliorem formam usumque redacta, auet. Fr. Pomey, Lugduni, A.
Molin, 1659, in-12, 408 p. [X 17929.]
892. RICHEOME (Louis) S.}. Response de Rene de La Fon pour les religieux de
la Compagnie de Jesus au Playdoyé de Simon Marion en l'arrest donné
contre iceux le 16 octobre 1597, avec quelques notes et autres subjects
des recherches d'Estienne Pasquier, «NN.SS. du Parlement. à Ville-
franche", G. Grenier, 1599, in-8°, 238 p. [8° Ld39 26.]
893. - Tableaux sacrez des figures mystiques du tres-auguste sacrement
et sacrifice de l'Eucharistie ... Paris, Sonnius, 1601, in-8°, 517 p.
[0 50573.]
894. La chasse du renard Pasquin ... «Villefranche:p, Le Pelletier, 1602,
in-8°, 111-188 p. [8° Ld 3 9 32.]
895. - Plainte apologétique au Roy Tres-Chrestien de France... contre
le libelle de l'aucteur sans nom intitulé le Franc et veritable discours
avec quelques notes sur un autre libelle dict le Catechisme des Jesuites.
Bordeaux, }. Millanges, 1603, in-8°, 503 p. [8° Ld39 35 (1).]
896. - Le Pelerin de Lorète ... Bordeaux, S. Millanges, 1604, in-8·, 984 p.
[H 10271.]
(Trad. lat., Cologne, 1621.)
897. - La peinture spirituelle, ou l'art d'admirer, aimer et louer Dieu
en toutes ses œuvres, et tirer de toutes profit salutere, au très-révérend
Pere Claude Acquaviva... Lyon, Pierre Rigaud, 1611, in-8°, XVI-790-
XXIV p. [Sorbo TTa 15, in-8°.]
(Rééd. 1613, 1628.)
898. SIRMOND (Antoine) S.}. L'auditeur de la parole de Dieu ... Paris, Camusat,
163S, in-So, 231 p. [0 52403.]
899. - Le Predicateur ... Paris, Camusat, 163S, in-So, 269 p.
(Par le neveu de ). Sirmond, et, comme son oncle, dévoué à Richelieu
- pour qui il écrivit en 1641 La déffense de la vertu - deux rhétoriques
ecclésiastiques publiées par le libraire de l'Académie française. A rap-
procher du n° 871 et du n· suivant.)
900. VAVASSEUR (François) S.}. F. Vavassoris s.j. Drationes. Lut. Paris., S. et
G. Cramoisy, 1646, in-So, 352 p. [X 18381.]
790 BIBLIOGRAPHIE

901. - De Ludicra dictione liber... Paris, 1658, in-4·, 463 p. [Y2 523 (1).]
902. - Multiplex et varia poesis, autea passim edita, nunc in unum col-
lecta ... Parisiis, apud vid. C. Thiboust, 1683, 2 part. en 1 vol. in-8·.
[Yc 8744.]

b) Italie

903. Trium hujus saeculi oratorum praestantissimorum Marci Antoni Mureti,


Caroli Sigonii, Petri Joannis Perpiniani, ex cujus libri lectione ac cogni-
tione cum eloquentiae latinae studiosi plane mirificum utilitatis fructum
percipient; tum M. Ciceronem recte imitandi viam et rationem cognoscent.
Ingolstadt, ex off. D. Sartorii, 1584, in-8·, 606 p. [X 18065.]
(Rééd. Rouen, 1607.)
904. ACQUAVIVA (Claudio) S.J. Epistolae duae ... ad universam societatem, aUera
de renovatione spiritus, aUera de studiis perfectionis et charitate fraterna ...
Tolosae, apud R. Colomerium, 1599, in-12. (D 23643.]
(Pour les mandements du général Acquaviva relatifs à l'éloquence sacrée,
v. CapIan et King, bibliogr. cit.)
905. - Industries et moyens pour remedier aux maladies spirituelles de
l'âme ... mis du latin en français. Paris, Michel Soly, 1625, in-12.
(D 23648.]
(Trad. de Industriae ad curandos animi morbos. Mandement capital dans
l'histoire de la mélancolie au XVII" siècle.)
906. - Le médecin spirituel, traduit en français par le R.P. Pierre Par-
celly ... Paris, D. Moreau, 1625, in-12. (D 23560.]
907. ALBERTI (Alberto, dit Alexander de Albertis) S.j. In Eloquentiae cum
profanae tum sacrae corruptores ... Mediolani, 1651, in-12, 582 p. (La
dédicace au Cardo Roma est datée de 1639.)
908. BENCI (Francesco) S.J. Oratio in funere Marci Antonii Mureti (1585).
Romae, apud Fr. Zannettum, in-4·, 15 p. [Ln27 14991.]
909. - F.B. orationes et carmina cum disputatione de stylo et scriptione.
Ingoldstadii, exc. D. Sartorius, 1595, 2 t. en 1 vol. in-8·. (X 18117.]
(1 re éd. Rome, 1590 et la même année à Lyon.)
910. DONAT 1 (le P. Alessandro, s.j., de Sienne). De arte poetica libri tres ...
S.l.n.d. (autour de 1625), in-16, 432 p. (Y 395.]
911. FERRARI (Giovanni-Battista) S.j. ... Orationes .. , Lugduni, sumpt. L. Prost,
1625, in-8°, 318 p. (X 18114.]
912. GALLUZZI (Tarquinio) S.j. Carminum libri tres... Parisiis, S. Chappelet,
1619, in-16, 414 p. (Yc 7719.]
913. - Orationes ... Parisiis, S. Chappe let, 1619, in-8·, 820 p. [X 20092.]
(Dédié au cardo Maffeo Barberini, futur Urbain VIII. Voir en part.
Oratio IV, p. 101-122, De studio eloquentiae; V, p. 123-143, De Rhe-
torum ornamentis ab oratore divino num abhorrentibus; IX, p. 223-252,
ln Philippicas M. T. Ciceronis; X, p. 253-273, De studiis humanitatis.
Somme de classicisme dévot qui prépare la «réforme» des PP. Petau
et Vavasseur.)
914. - ... In funere Roberti Cardo Bellarmini oratio ... habita Romae ... dib.
Octobr. anno MDXXI ... Romae, Zannetti, 1621, in-4°, 30 p. (K 5264.]
(L'oraison funèbre latine entendue à Rome par Balzac, et dont il fait
état dans Les Passages défendus.)
BIBLIOGRAPHIE 791

915. GUINIGGI (Vincenzo) S.]. Allocutiones Kymnasticae... Romae, apud F.


Corbelletum, 1626, in-8·, VIIl-264 p. [X 18119 (1).]
916. - ... Poesis Heroica, Elegiaca, Lyrica, Epigrammatica ... Romae, apud
F. Corbelletum, 1627, in-8", 216 p. lX 18119 (2).J
(Voir en part. p. 21-32, un remerciement en vers latins à Louis Xlii
pour la réouverture du Collège de Clermont; p. 155-158, un poème
lyrique à la gloire de l'Eloquentia principis nostri (Urbain VIII). Ce
recueil, chef-d'œuvre du cicéro-virgilianisme dévot du ColIège Romain,
doit être étudié comme l'un des modèles de la poésie religieuse d'un
Nicolas Frenicle et d'un Antoine Godeau.)
917. - Poesis ... , aucta et recensita, item dramatica, nunc primum in lucem
edita ... Antverpiae, ex off. Plantiniana, 1637, in-12, 388 p. [Vc 7736.]
918. KIRCHER (Athanase) S.]. Turris Babel sive Archontologia qua primo post
diluvium hominum vita, moris, rerumque gestarum magnitudo explicantur ...
Amstelordami, ex off. Janssonia-Waesbergiana, 1679, in-fol., 219 p. et
index. [A 1375 (2).]
(Voir surtout L. Il, ch. 7 et 8, L. IJI, ch. 2.)
919. MAZARINI (Giulio) S.j. Cento discorsi sul cinquantesimo salmo el suo
titolo intorno al peccato, alla pemtenza, e alla santità di Davide. Davide
ristorato, la terza parte de discorsi sul cinquantesimo salmo... Roma,
Zannetti, 1600, 3 part. en 2 vol. in-4·. [A 5256.]
920. - Cent discours sur la chute, penitence et restauration du roy et
prophete David ... traduits en nostre langue par FN. de La Rue ... Paris,
F. Huby, 1610, in-4·, 550 ff. [A 5257 (1).]
921. - Cent trente discours de Iules Mazarin .. , sur le Psalme 50, Mise-
rere mei Deus, divisez en 1/1/ Parties ... traduicts par Gabriel Chappuys ...
2' éd. Paris, Chaudière, 1611,4 part. en 2 vol. in-8·. [A 6217.]
922. - La Gloire de la Trinité divine illustrée en trente discours sur le
Gloria Patri... tournez en nostre langue par F.S.L. (François Soulier
Limousin). Paris, F. Huby, 1612, in-4·, 387 p. [A 5257 (2).]
923. - Praticque pour bien prescher où sont donnez les Preceptes neces-
saires aux Predicateurs pour Inventer, Disposer, Orner, Apprendre par
cœur et Reciter un sermon ... Paris, jean Mejay, 1618. [0 42867.]
(Dédié au cardo Guido Bentivoglio par j. Baudouin, qui insiste, dans sa
préface au lecteur, sur le caractère pratique et bref de l'ouvrage.)
924. Orationes quinquaginta de Christi Domini morte habitae in die Sancto
Parasceves a Patribus SI in Pontificio sacello. Romae, typo V. Mascardi,
1641, in-12. [0 46587.]
(Anthologie d'« Oraisons funèbres du Christ» qui peut passer pour le
joyau de l'éloquence latine du Collège Romain de 1575 à 1640.)
925. PALLAVICINO (Sforza) S.]. Considerazioni sopra l'arte dello stife e del
dialogo. Rome, 1646, in-12, 498 p. [X 9590.]
926. - Trattato dello stife e dei dialogo, ove dei cercarsi l'Idea dello
scrivere insegnativo ... composta dal P. Sforza P ... Bologna, per G. Monti,
1647, in-12, 324 p. [X 9587.]
927. - Vindicationes Societatis lesu quibus multorum accusation es in ejus
instutum, leges, gymnasia, mores, repel/untur. Romae, typis D. Manelphi,
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Corbonium, 1588, in-8°, 255 ff. [X 18066.]
(D'origine espagnole, mais fondateur de la tradition cicéronienne du
Collège Romain, le P. Perpiiià peut être rangé parmi les humanistes
jésuites italiens. Ses Oraliones ont été souvent rééditées en France où
il enseigna: Lyon 1594, Douai 1598, Lyon 1603, Rouen 1606, Lyon 1607,
Douai 1608, Rouen 1611, Lyon 1622. Cette édition des Oraliones est
l'œuvre de Francesco Benci.)
930. - Petri foanni Perpiniani... aliquot epistolae ubi, praeter caetera, de
artis rhetoricae locis communibus ac de juventllie graecis lalinisque
literis erudienda agit ur. Pro/erre in lucem coeperat ... F. Vavassor, edidit
P.J. Lucas. Parisiis, apud Vid. Thiboust, 1683, in-8°, 192 p. [Yc 8745.]
931. POSSEVINO (Antonio) S.j. Cicero, collatus cum ethnicis et sacris scripto-
ribus ... quo agitur de arte conscribendi epistolas, de arte dicendi ecciesias-
lica. Lugduni, J. Pillehotte, 1593, in-16, 128 p. [X 17698.]
932. - Antonii Possevini Bibliotheca Selecla qua agitur de ralione stu-
diorum. Romae, e typis Apostolica Vaticana, 1593, 2 t. en 1 vol. in-fol.
[Rés. Q 6-7.]
(Rééd. augm. Venise, 1603, Q 213-214.)
933. REMOND (Francis) S.J .... Epigrammata, elogiae et orationes ... Burdigalae,
apud S. Millangium, 1605, in-12, 238 p. [Rés. p Yc 1116.]
(Autres éd. Milan 1605, Lyon 1605, Rouen 1606, Ingoldstadt 1607, Paris,
Cramoisy, 1613, Rouen 1616; rééd. augmentée et corrigée par l'auteur.
La Flèche, 1616 ... ) D'origine française, le P. Rémond peut être rangé
parmi les jésuites romains, dont il illustre l'esthétique chrétienne, et parmi
lesquels il vécut comme professeur au Collège Romain.
934. REGGIO (Carolo) S.J. Orator chrislianlls. Romae, apud B. Zannetum, 1612,
in-4°, pièces limin., 830 p. et index. [0 9547.]
(Rééd. à Munich et Cologne en 1613.)
935. SACCHINI (Francesco) S.j. Paraenesis ad magistros seholarum in/eriorum
Societatis fesu ... Lugduni, J. Perra, 1632, in-12, 16 p. [0 87457 (2).]
(1 re éd. Rome, 1625.) (Voir aussi, du même, ibid., le Protrepticon. __ )
936. STEFONIO (Bernardino). Posthumae Bernardini Stephonii ... epistolae, cum
egregio tracta/II: De /riplici slylo, ad amiellm per epis/olas misso. Romae,
sumptibus Tinassii, 1677, 292 p. [Z 14104.]
937. STRADA (Famiano). Prolusiones Academicae. Romae, apud 1. Mascardum,
1617, in-4°, X-496 p. et index. [X 3283.]
(Rééd. Cologne 1625, [X 18105] ; Lyon 1627, [X 18107] ; et Oxford 1661,
[X 18103].)
938. - De Bello Belgico, Decas Prima. Romae, F. Corbelletti, 1632, in-fol.,
347 p. [M 1469.]
- ... Deeas seellnda. Romae, ex typo Haered. Corbelletti, 1647, in-fol.,
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Flandro Belgiea ejusdem societatis repraesentata. Antverpiae, ex officina
Plantiniana B. Moreti, 1640, in-foL, VI-952 p. [H 1784.]
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(Sur les mandements du Général Fr. de Borgia concernant l'éloquence
sacrée. voir Capian et King, bibliogr. cit. et le recueil de Theologia pasto-
ralis de Peter Binsfiels, Rouen, 1620, [0 26082].)
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diligenter colleeti.. .• Lipsiae. Schürer et Goltzius, 1637, 8°. 781 p.
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951. - Mellificium oratorium in quo eloquentiae flores e variis oratorum
viridariis defracti... Lipsiae, ]. Schürer et M. Goltzius. 1662, in-8°.
[X 18031.]
(La préface est datée de 1627. A rapprocher de Binet et de Mendoça.)
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familiarium ... Turnoni, ap. O. Linocerium, 1606, in-S·, 80 p. [l 13529.)
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INDEX

ABLANCOURT (Perrot d'): 396, 617, ARISTOTE: 13, 41, Ill, 116, 117, 145,
620, 621, 651, 669, 670, 671, 694. 146, 168, 187, 311, 314, 333, 383, 465,
Abondance (voir Ubertas). 527, 528, 529, 546, 570, 575, 576, 578,
Académie Française: 20, 22, 203, 622, 580, 644, 670.
674-ééO, 693. ARNAULD (Antoine): 3, 233, 235, 236,
Académie des humoristes: 192. 237, 241, 369, 389, 442, 493, SOI, 552,
Académie Romaine: 191-192. 558, 583, 586, 587, 588, 590, 624, 625.
Acedia: 128. 626, 650, 666.
ACQUAVIVA (Claudio): 178, 252, 297, ARNAULD (Antoine, dit le Grand) : 640,
298, 404. 684.
Actio oratoria: 12, 30-51, 315, 317, 325, ARNAULD D'ANDILLY (Robert): 442,
509, 540. 552, 558, 587, 623, 625, 627, 629.
Acumina (voir sententiae): 61, 74, 99, ARRIEN: 94.
125, 158, 181, 198, 290, 413. Art 1 nature: 51, 119·120, 132, 168, 177,
ADAM (Antoine): 327, 594, 597, 608, 611. 202.
AELIUS ARISTIDE: 214, 215, 216, 217, Asianisme: 54, 58, 160, 164, 185, 188, 189.
255, 288, 304, 309. 193, 198, 199, 458, 459, 460, 676, 689,
AELIUS THEON : 213, 214, 222, 291, 310. 691.
Aemulatio (voir imitatio): 88, 245. Aspérité (asperitas): 189, 198, 318, 319,
AGRICOLA (Rodolphe): 99, 461. 322, 324.
AILLY (Pierre d'): 432. ATHANASE (Le P.); 39.
ALBALAT (Antoine): 6. Atticisme (atticistes): 33, 53, 54, 58, 67,
ALCIAT (André): 175, 590. 87, 88, 159, 171, 174, 189, 198, 199, 458,
ALDOBRANDINI (Cardinal Piero): 213. 459, 460, 464, 489, 496, 565, 577, 580,
AL~ANDRE (Jérôme): 192, 254, 405, 557. 588, 591, 60S, 651, 652, 659, 665, 666,
ALESSANDRI (Alessandro): 600. 669, 672, 676, 678, 683, 685, 688, 690, 694.
ALLACCI ou ALLATIUS (Léon): 190, Atticisme chrétien: 149, 489, 652, 653,
206, 209, 210, 213, 226, 299, 321, 581, 650. 657, 672.
ALVAREZ (Baltazar): 350. AUBESPINE (Gabriel de l'): 395.
AMBROISE (Saint): 124, 134, 141, 142, AUBIGNAC (Abbé d'): 580, 694.
145, 184, 288, 463, 642 . AUBIGNÉ (Agrippa d'): 413.
AMMIRATO Scipione: 217. AUCHY (Vicomtesse d'): 542.
AMYOT (Jacques): 121, 334, 353, 444, Auctoritas (autorité): 25, 320, 487, 489.
452, 494, 495, 496, 497, 504, SIS, 647, 652, AUDIGUIER (Vital d'): 543.
665, 676, 700, 701.
AUERBACH (Erich): 12.
ANDRÉ DE SAINT DENIS (le Frère) :
474, 60S, 669. AUGUSTE: 65, 88, 91, 471, 622, 666, 684.
ANNE D'AUTRICHE: 693. AUGUSTIN (Saint): 3, 57, 69, 70·76, 79,
93, lOI, 102, 106, 107, 108, 109, 110, 124,
ANTONIANO (Silvo): 118, 136, 162, 127, 129, 134, 135, 136, 138, 141, 142, 145,
164. 147, 149, ISO, 166, 168, 182, 186, 187, 188,
APHTONIUS: 214, 222, 288, 310. 189, 194, 200, 202, 219, 229, 276, 277, 288
APOLLONIUS DE TYANE: 180. 311, 331, 333, 364, 375, 377, 388, 403,
Aptum (Convenientia): 51, 157, 158, 161, 463, 514, 516, 517, 553, 554, 563, 611,
185, 189, 195, 265, 456, 459, 463, 689 635, 639, 640, 645, 671.
APUL~E: 94, 96, 100, 301, 304, 375. AULBEROCHE (Pierre d'): 443.
ARETINO (Pietro): 331. AULU·GELLE: 95, 96, 99, 216, 281, 295,
ARIOSTO (Ludovico): 129, 597. 296, 299, 309, 665.
838 INDEX

AUSONE: 99, 471. 175, 180, 190, 191, 193, 197, 200, 229, 287,
AVAUX (Claude de Mesmes, Comte d'): 312, 340, 341, 397, 401, 402, 452, 500,
329, 380, 381, 405, 416, 545. 504, 523, 589, 614, 622, 671, 684, 685, 705.
AVILA (Jean d'): 135, 143. BENCI (Francesco): 153, 175, 176-179,
Avocats: 65, 436, 437, 438, 439, 440, 442, 191, 192, 397, 398, 400, 420, 507.
464, 466, 467, 469, 471, 482, 485-488, 539, BENICHOU (Paul): 17.
540, 542, 552, 585-622, 631. BENTIVOGLIO (le cardinal Guido):
AYRAULD (Pierre): 463, 483, 586, 589. 546.
AYRAUD (Le P. René): 589. BERNARD DE CLAIRVAUX (Saint):
124, 145, 147, ISO, 288, 364, 371, 554, 643.
BACHASSON (Catherine): 558. BERNIN (Lorenzo Bernini dit le):
BAGLIONE (frère Lucas): 136, 138. 176, 202, 205, 280, 379.
BAïF (Jean·Antoine de): 521, 633, 647, BÉROALDE (Philippe): 63.
670. BERTAUT (Jean): 381, 523, 578.
BAILLET (Adrien): 2, 578. BERTIUS (Pierre): 37.
BAILLEUL (Président Nicolas de): BÉRULLE (le cardinal Pierre de): 421,
380. 422, 480, 516, 544, 549, 555, 563, 565, 690.
BALDWIN (Charles): 14, 71. BEUGNOT (Bernard): 540, 695.
BALZAC (Jean·Louis Guez de): 6, 98, BIGNAMI-ODIER (Jeanne) : 210, 557.
114, 115, 121, 140, 192, 196, 203, 213, 226, BIGNON (Jérôme): 39, 443, 479, 515,
273, 308, 329, 330, 333, 334, 336, 337, 522, 546, 551-568, 581, 588, 590, 614, 620,
338, 352, 353, 356, 384, 416, 419, 474, 630, 631, 634, 635, 667.
510, 521, 525, 543, 544, 545, 546, 547, 556. BIGNON (Roland): 552, 553, 588, 690.
567,568,571,573,575,581,582,583,594, BINET (le P. Etienne): 100, 140, 252,
605, 609, 613, 621, 627, 629, 630, 631. 257, 264, 265, 266, 267, 268, 270, 272,
632, 635, 638, 644, 650, 658, 659, 671, 273, 274, 282, 283, 284, 285, 297, 307,
678, 684, 690, 693, 694, 695-706. 312, 336, 337, 338, 354, 355, 356, 372, 374.
BARBARO (Daniele): 119, 167. 384, 388, 389, 433, 497, 539, 542, 599, 676,
BARBARO (Ermolao) : 83, 119, 312, 578. 6ï7.
BARBERINI (cardinal Antonio): 204, BLET (le P. Pierre): 417.
207, 210, 212. BLONDO (Flavio): 79.
BARBERINI (cardinal Francesco): 204, BLOUNT (Thomas Pope): 190.
207, 208, 209, 210, 211 ,212, 546, 557. BLUCHE (François): 322, 585.
BARBERINI (Taddeo): 205. BLUNT (Anthony): 320, 322, 482.
BARCLAY (John): 522. BOCCACE (Giovanni): 78, 89, 121.
BARILLON (Le Président): p. 567, 628, BODIN (Jean): 570.
630. BOÈCE: 288, 385.
BARON (Hans): 43, 44, 79. BOILEAU (Nicolas): 106, 198, 417, 515.
BARON lUS (le cardinal Cesare): 249, BOISROBERT (François Le Métel de) :
253, 362, 364, 395, 514, 630. 240, 520, 578.
BARTHES (Roland): 7, 11. BOISSIER (Gaston): 15.
BARTOLE (Bartolo di Sassoferrato, BOLGAR (Ralph): 47 ,
dit): 451, 590, 595. BOLLAND (Jean) : 405.
BARZIZZA (Gaspare): 47. BOMPAIRE (Jacques): 213.
Bas (style, voir humile genus): 167, BONAVENTURE (Saint): 375.
196, 641. BONIFACIO (Giovanni): p. 314.
BASCAPE (Carlo): 143. BONORA (Ettore): 85.
BASILE LE GRAND (Saint): 124, 142, BORDEAUX (Jean de): 267.
180, 216, 331.
BASSOMPIERRE (François de): 571, BORGE RH OFF (E.B.O.): 8, 14, 16.
608, 649, 693. BORGIA (le cardinal Alexandre): 192.
BATAILLON (Marcel): 132, 143. BORROMÉE (le cardinal Frédéric):
BAYLEY (Peter): 14, 135. 137.
Beauté (voir ornatus). BOSSUET (Jacques Bénigne): 19, 139,
BEDE le Vénérable: 145. 566, 705.
BELLI ER (Pierre): 478, 479. BOTERO (Jean): 139, 142, 143, 148-152,
BELLIÈVRE (Pomponne de): 443. 173, 183, 202, 341, 635, 636, 680.
BEMBO (Pietro): 56, 83-91, 94, 97, 98, BOUHOURS (le P. Dominique): 416,
lOS, 106, 107, 110, 115, 116, 118, 139, 417.
153, 162, 163, 164, 166, 167, 170, l7l, 174, BOULANGER (André): 96.
INDEX 839

BOURBON (Henri de, marquis de Ver· CARON (Antoine): 260.


neuil): 37, 252, 311, 322, 329, 344, 400, CARRINGTON-LANCASTER (Henry):
404. 609.
BOURBON (Nicolas) : 400, 405, 416, 454, CASA (Giovanni della): 121, 523.
523, 544, 578, 692, 699. CASAUBON (Isaac): 19, 159, 261, 331,
BOURDALOUE (le P. Louis): 138. 381, 386, 522.
BOURDELOT (Pierre): 416. CASSAGNE (Abbé Jacques): 353.
BOURDOISE (Adrien): 556, 567, 634. CASSIODORE: 313.
BOYER (Philibert): 443. CASTIGLIONE (Baldassare): 29, 30,
BRACCIOLINI (Francesco): 211. 44, 88, 89-91, 191, 312, 500, 504, 523,
BRAMANTE: 91. 574, 614, 615, 701.
BRANTÔME: 539. CASTORI (Bemadino): 362.
BRAY (René): 6. CATON D'UTIQUE: 44, 49, 659.
BR~MOND (Henri): 19, 255, 257, 258, CATON L'ANCIEN: 96, 104, 113, 130,
262, 264, 350. 146, 160, 320, 435, 444, 451, 456, 470,
BREUIL (GuiIIaume du): 433, 436438, 471, 485, 487, 540, 552, 590, 622, 658,
441, 463. 665.
BR~VAL (Marquis de): 612. CAUCHIE (Maurice): 611.
Brièveté (brevitas, laconismus) : 54, 100, CAUSSIN (le P. Nicolas): 161, 186, 243,
157, 159, 160, 183, 224, 401. 470, 486, 246, 250, 252, 255, 274, 279-298, 299, 322,
531, 541. 324, 334, 335, 336, 337, 338, 340, 345,
BRIGNOLE SALE (Antonio Giulio)' 347, 349, 353, 354, 362-170, 371, 382, 383,
220, 222. 388, 389, 398, 401, 409, 418, 432, 433,
BRIQUET (Etienne): 567. 436, 445, 465, 477, 507, 539, 548, 549,
BRISSON (Barnabé) : 260, 261, 470, 496, 571, 599, 629, 630, 677, 680, 682, 693.
497, 503, 504, 509, 687. CAVALCANTI (Bartolomeo): 121.
BRODY (Jules): 14, 562. CELLOT (le P. Louis): 410.
BROSSE (Salomon de): 429. CELSE: 164, 347, 403.
497, 503, 504, 509, 687 CERTEAU (Michel de): 136.
BRULART DE SILLERY (Fabio): 3, CERVANTES: 128.
640. C~SAR: 52, 87, 164, 194, 223, 253, 288,
BRUNI (Leonardo): 44, 79. 347. 455, 456.
BRUNO (Giordano): 114, 129. CESARINI (Virgilio): 204.
BRUNOT (Ferdinand): 6, 435. CHAIGNET (Anthelme-Edouard): 5, 7
BUCCAPADULI (Antonio): 163. 9.
BUD~ (Guillaume): 38, 110, 180, 248, Chaire (éloquence de la) (voir élo-
430, 434, 446452, 461, 462, 465, 470, quence sacrée).
472, 478, 535, 577, 664-686. CHAMPAIGNE (Philippe de): 556.
BULLART (Isaac) : 24. CHAPELAIN (Jean): 106, 121, 190, 192,
BUNEL (Pierre): 110, 112, 116, 416, 472, 212, 326, 329, 353, 520, 524, 575, 580,
603. 582,583,621,627,649,656,658,684,694.
BUONAMICO (Lazare): 117, 452. CHAPPELET (Claude): 250.
BURCKHARDT (Jakob): 16. CHAPPUYS (Gabriel): 127, 129, 143, 144,
493.
CALCAGNINI (Cello): 164. Characteres dicendi: 13, 224, 225.
CALEPINUS (Ambrosius): 600. Characteres ethici: 294, 381, 386, 387.
CALLISTRATE: 265. CHARLES 1" STUART: 533.
CALVIN (Jean): 113, 116. CHARLES IX: 494.
CAMERARIUS (Joachim): 175, 222, 310. CHARLES BORROMÉE (Saint): 70,
CAMUS (Jean·Pierre) : 222, 262, 548, 54~, 109, 111, 115, 122, 123, 135, 136, 138,
551, 572-576, 630, 639, 648, 669, 671. 139, 141, 142, 143, 148, 150, 162, 163,
CAMUSAT (Jean): 76, 651, 670. 215, 242.
CANAYE (Philippe): 478, 486, 606. CHARLES.QUINT: 92.
CANTIMORI (Delio): 44.
CAPLAN (Henry): 14, 144. CHARRON (Pierre): 331, 473, 506, 546.
CARAFFA (le P. Vincenzo): 90. CHASTEL (André): 103.
CARAVAGE (Polidoro Caldara, dit le): CHATEAUBRIAND (François-René de):
149. 4.
CARBONE (Louis): 182-186, 303, 315. CHEVALLIER (Jean-Claude): 601, 619.
CARO Annibal): 523, 702. CHRISTINE DE SUt::DE: 203.
l~;)EX

ClAM POLI (Giovanni): 204. CONRART (Valentin): 312, 353.


CIC:aRON: 16,41,43,44, 45, "'-57, ln, 73, CONTI (Armand, Prince de): 343.
77, 82, 84, 90, 94, 100, lOI, 108, 111, Convenientia (voir aptum, decorum)_
m, 116, 117, 123, 127, 129, 130, 136, 139, Conversation (art de la): 495, 496, 612.
144, 145, 146, 149, ISO, 154, 160, 161, 164, Copia verborum: 100, 156, 160, 470.
166, 168, m, 174, 177, 181, 182, 183, CORNEILLE (Pierre): 9, 21, 70, m,
189, 191, 192, 198, 200, 202, 211, 224, 227, 185, 353, 437, 481, S02, 517, 525, 528.
273 ,278,279,287,288,301,311,314,317, 556, 576, 581, 601, 609, 617, 643, 684,
318, 321, 333, 339, 345, 347, 349, 352, 384, ln2, 700, 702, 70S.
385, 405, 408, 409, 412, 418, 439, 440, 441, CORREGE (Antonio Allegri, dit le):
443, 444, 448, 455, 456, 457, 458, 463, 206.
484, 490, 492, 497, 500, SOI, S02, 507. Corruptio eloquentiae (décadence de
513, 514, 523, 524, 532, 546, 551, 578, l'éloquence ,voir sophistique): 62, 66,
579, 580, 593, 598, 604, 610, 617, 618, 74, 77, 141 .160, 229, 411, 413, 415, 525,
622, 642, 644, 651, 655, 668, 6tn, 670, 528, 547, 548, 622, 648, 690.
683, 689, ln2, ln5. CORTESI (Paolo): 79, 81-83, 193, 287.
Ciceronianus Stylus (voir Tullianus CORTONA (Piero da): 200, 206.
Stylus, imitatio ciceroniana): 77, 81· COSME 1"' DE MÉDICIS: m, 173, 570_
88, 103-106, 111, 114, 130, 154, 164, 171, COSPEAU (Philippe): 544.
398, 401, 419, 452, 461, 525, 619, 620, COSSART (le P. Jean): 417.
657, 667, 681, 689. COTON (le P. Pierre): 140, 238, 241
CINQ-MARS: 568, 630. 242, 247, 249, 252, 257, 263, 264, 272,
CISNEROS (le cardinal): 135. 330, 355, 356, 383, 405, 675, 677.
Citations: 445, 473, 474, 489, SOI, 591, 603- Coupé (style): 54, 57, 61, 183, 349, 414,
608, 681, 687, 688. 500.
Clarté (perspicuitas) : 8, 54, 73, 148, 224. Cour: 367, 427, 428, 616, 626, 655, 657,
CL~MENT (le P. Claude): 311. 674. 696, 697.
CL:aMENT (Louis) : 434, 461, 462, 464. Cour de France: 20, 21, 29, 32, 33, 140,
CL:aMENT D'ALEXANDRIE: 281, 288, 592, 597, 601-603, 608, 611, 612, 630,
320, 374, 555, 560 • 662, 675, 677, 683, lnl, ln2, 699.
CL:aMENT VI: 92. Cour romaine: 21, 33, 204-205.
CLÉMENT VlIl: 182. COUSIN (Jean) : 9.
CLÉMENT IX ROSPIGLIOSI: 178. CRAMAIL (Adrien de Montluc, Comt"
COBELUZZI (Scipion): 557. de): 524, 533, 633.
CO~FFETEAU (Nicolas): 39, 273, 337, CRAMOISY (Sébastien): 202, 250, 397.
345, SB, 523, 543, 549. CRASHAW (Richard): 679.
Cœur (pectus, cor): 189, 199, 201, 645, CRESSOLLES (Louis de): l, 186, 243,
646. 252, 255, 285, 299-326, 334, 335, 346, 354,
COLLETET (Guillaume): 76, 329, 608, 377,383,389,393,394,417,421,423,433,
611, 651, 652. 509, 539, 594, 599, 601, 681.
Collocatio verborum (arrangement des CROLL (Morris W.): 12, 13, 14, 153, 156,
mots dans la phrase): SO, 63, 456, 162, 169, 170, 171.
60S, 701. . CROSILLES (Jean-Baptiste de): 533,
COLOCCI (Angelo): 91. 534. 535.
COLOMBY (François de Cauvigny, CUJAS (Jacques): 38, 169, 472, 589,
sieur de): 649'()50, 657. 590.
COLUMELLE: 164. CUREAU DE LA CHAMBRE (Marin):
Comédiens: 317, 486488, 594, 597. 609. 381, 386.
COMMIRE (le P. Jean): 417. CURTIUS (Ernst-Robert) : 11.
COMMYNES (Philippe de): 590. CYPRIEN (Saint): 124, 134, 141, 142,
COMPAYR:a (Georges): 5. 148, 288, 331.
Compunctio cordis: 147, 151. CYRILLE (Saint): 403, 555.
«Conceptions. (voir sententiae): 60,
691, 699. DAGENS (Jean): 134, 4SO, 555, 563.
Concetti (voir acumina): 198. DAINVILLE (le P. François de): 9,
COND:a (Henri II de Bourbon, Prince 245, 599.
de): 553. DAVIDSON (Hugh M.): 14.
Condicio temporum: 468, 483. Decentia (décence): 157, 189.
CONDREN (le P. Charles de): 480. Déclamateur (voir sophiste): 172.
INDEX 841

Decorum (convenientia, convenance): DONATI (le P. Alessandro): 177, 178,


22, SO, 54, 125, ISO, 157, 183, 190, 201, 528.
317, 318, 323, 330, 331, 622, 639, 645, DORAT (Jean): 169, 380, 416, 463, 547,
649, 668, 688. 583, 586.
DEJOB (Charles): 12, 13, 135, 136, 162, DOUAREN (François): 169.
169, 170. Douceur (voir suavitas, art du conci-
DELACHENAL (Roland): 435, 438. liare): 49, 90, 149, 189, 203, 388, 487,
DELARUELLE (Louis): 446 . 496, 544, 574, 601, 602, 615, 618, 647,
Delectatio (voluptas, voir plaire): SO, 677, 678, 692, 701, 702, 705.
52, 67, 71, 72, 73, 123, 140, 141, 319- DOUSA (François): 527.
320, 511. DU BARTAS (Salluste): 266, 267, 272.
Delectus verborum (choix des mots, 278, 310, 337, 522, 523, 676.
pureté): 50, 63, 88, 121, 184, 224, 321, DU BELLAY (Joachim): 450. 461, 464.
331, 339, 357, 681, 691, 692, 701. DU BOSC (Jacques): 353.
Délibératif (genre): 49, 166, 167, 493. DUBU (Jean): 609.
DELIDEL (le P. Claude): 692. DUCHESNE (Léger): 514.
DELMINIO (Giulio Camillo): 225, 665. DU MESNIL (Baptiste): 470, 471.
DEL RIO (le P. Martin): 405. DU MOULIN (Charles): 328, 436, 463,
DEMETRIUS DE PHALÈRE: 55, 156, 577.
272, 2n, 337, 465, 496, 701. DUNN (Catherine): 156.
Démonstratif (ou épidictique, genre). DU PERRON (Jacques Davy): 278, 334,
éloge: 49, 166, 167, 185, 189, 292, 33l, 337, 345, 353, 381, 494, SB, 514, 518, 519,
669, 672, 677, 682, 685, 691, 697. 520, 522, 524, 532, 543, 549, 553, 58!!,
Demonstratio (hypotypose, voir ek- 633, 652, 665, 700, 704.
phrasis, description, peinture): 258, DUPR:e DE LA PORTE (J.): 535-542,
284, 294. 551, 573, 587, 593, 616, 648, 6SO, 669.
D:eMOSTHt!NE: 44, SO, 53, 87, 149, 167, DUPRONT (Alphonse): 137.
168, 181. 189, 278, 2tr1, 309, 314, 319,
339, 412, 439, 440, 450, 455, 464, 492, DUPUY (Claude): 498.
SOI, S07, 529, 689. DUPUY (Jacques): 416, 475, 524, 545,
DENYS D'HALICARNASSE: 68, 337. 546, 547, 551, 552, 581, 582, 583, 589,
616, 627, 667.
DENYS L'AREOPAGITE (le Pseudo-):
292, 375, 377, 379, 563, 567. DUPUY (Pierre): 416, 475, 524, 545, 552,
DEROO (André): 136. 576, 577, 581, 582, 583, 589, 667, 686.
DESCARTES (René): 19, 98, 106, 384, DURAND (Etienne): 667.
517, 683, 690, 700. DU VAIR (Guillaume): 6, 39, 70, 273,
DESCRAINS (Jean): 15. 322, 334, 337, 345, 353, 405, 445, 474,
Description (voir ekphrasis, demons· 475, 476, 479, 487, 488, 490, 492·520. 524.
tratio): 381, 384, 415, 676. 529, 530, 536, 538, 543, 544, 545, 549,
DESMARETS (Roland): 405, 589. 551, 552, 553, 554, 555, 558, 564, 570,
DESPORTES (Philippe): 267, 381, 390. 580, 583, 586, 603, 613, 614, 618, 627 ,
DES RUES (François): 266, 267, 337, 633, 637, 642, 647, 666, 667, 676, 685, 687,
521, 541. 688-690, 695, 699, 702-705.
Dialectique: 145, 151, 383-384, 578-580. DU VAL (Jean-Baptiste): 601-603, 614
Dialogisme: 360, 385.
DIDEROT (Denis): 104, lB, 317. Ecrit / oral: 30, 154, 157, 172, 197, 263
Dilectio: 71-72. 264, 272, 351, 355, 356, 409, 457, SOI, 502,
DINET (le P. Pierre) : 283, 284, 363. 512, 676, 681, 689.
DIOGt!NE-LA~RCE: 375. Effoeminatio: 323, 324.
DION CHRYSOSTOME: 215,288. EGGER (Emile): 439, 554.
Disert: 602, 618. EHSES (Stephanus): 137, 140.
Dispositio: 7, 84, 166, 383-384, 638. Ekphrasis (voir demonstratio, descrip-
Dissonance (voir dysphonia): 198. tion): p. 261, 262, 284, 294, 298, 312,
Docere (instruire, utilité): 72, 73, 75, 331, 377, 382, 402, 421, 468, 511, 677,
95, 139, 160, 166, 194, 203, 488, 504, 511, 678, 679, 701.
617, 618. Elégance (elegantia): 149, 163, 184, 185,
DOLET (Etienne) : 110-115, 116, 123, 125, 463, 574, 583, 688.
139, 329, 395, 416, 452, SOI. ELIAS (Norbert): 204.
DONAT: 99. ELIOT (T.S.): 14.
842 INDEX

E/ocutio (élocution): 7, 10, li, 12, 49, FARET (Nicolas): 89, 90, 353, 612, 693
59, 73, 50, 84, 108, 112, 127, 139, 147, 151, FAUCHET (Claude): 491, 619, 633.
166, 224, 495, 508, 509, 542, 566, 574, 602, FAUCON DE RIS (le Président): 244.
604, 618, 638, 650, 657, 666. FAYE D'ESPEISSES (Jacques): 470,
Eloge (voir démonstratif, genre). 471, 475, 477, 481, 483,·484, 487, 491,
Eloquence sacrée: 73, 137-152, 410, 634- 492, 494, 503, 539, 546, 549, 551, 558,
642. 564, 591, 592, 606.
E/oquentia cum sapentia con;ungenda: FÉNEWN: 387, 391, 441, 554, 640.
37, 39-42, 51, 65, 68, 126, 149, 172, 178, FERRERO (Ottaviano): 165.
193, 443, 511, 538-539, 650, 689. FESTUGIÈRE (le P. A.J.): 516, 562.
Emouvoir (voir movere, f/ectere): 166. FICHET (Guillaume): 436.
Enargeia (evidentia): 99, 108, 421. FICIN (Marsile): 128.
Enf/ure (inf/atio verborum): 341, 413. Figures de mots: 285, 309, 441, 459.
ENGHIEN (Louis, duc d'): 343, 344, Figures de pensée: 269, 278, 358-361, 441,
345. 511, 678, 681.
Enjouement (voir plaisanterie): 89. FILÈRE (Alexandre de): 6034J6, 607.
ENNIUS: 96. 620.
Entendement: 129, 130, 132, 134, 166. FILÈRE (Joseph): 370-379, 383.
Enthousiasme: 66, 68, 304, 307. Flectere (voir movere): 72, 73.
ÉPICTÈTE: 63, 136, 484. FLEURY (Claude): 607.
ÉPICURE: 95, 403. FLURANCE-RIVAULT (David de): 522,
Epigramme: 526. 523.
Episcopus orator: 140-142. FOIS (Mario): 78, 81.
FONSECA (le P. Pedro de): 145, 387.
Epistolaire (art): lOS, 155, 156, 174, FONTAINE (Jacques): 16, 70, 96, 148,
181, 572, 699. 152.
ERASME (Désiré): 56, 57, 70, 81, 92- FONTAINE (Nicolas): 559, 634, 642, 695.
115, 125, m, 134, 135, 138, 140, 144, Force (voir véhémence): 59, 60, 511,
145, 146, 148, 150, 153, 154, 157, 159, 618, 647, 669, 702, 705.
161, 165, 185, 192,200,201,205,224,227, FOURNIER (le docteur, d'Orléans):
287, 301, 308, 309, 314, 315, 333, 353, 549, 599, 601.
368, 433, 447, 449, 450, 456, 461, 462, FRANCE (Peter): 3, 14.
463, 465, 468, 472, 484, 486, 524, 526, FRANÇOIS le,: 89, 423, 442.
527, 530, 531, 547, 554, 575, 600, 611, FRANÇOIS (Alexis): 435.
635, 636, 643, 652, 666, 668, 671, 675, FRANÇOIS DE SALES (Saint): 144,
678, 705. 218, 258, 265, 277, 353, 381, 524, 556,
ESCHINE: 412. 567 .
.ESTELLA (Diego de): 144. FREDOUILLE (Jean-Claude): 96.
ESTHER (allégorie de l'éloquence); FRENICLE (Nicolas): 274, 608, 611.
184. FROISSART (Jean) : 427.
ESTIENNE (Charles): 603. FROMILHAGUE (René): 497, 500, 509.
ESTIENNE (Henri): 110, 122, 159, 165, FRONTON DE CIRTA: 64,96.
328, 331, 393, 433, 434, 441, 456, 461. FRONTON DU DUC (le P.): 249, 253,
462, 494, 528, 535, 574, 601, 676, 691. 274, 298, 329, 330, 336, 404, 405, 534,
ESTIENNE (Robert): 333, 433. 555.
EUNAPE: 291. FURETIÈRE (Antoine): 2, 24, 469.
Euphonie (euphonia, symphonia verbo-
rum, voir douceur): 148, 60S, 701. GALLAND (Jean): 588.
Eutrapéle (voir rire, raillerie): 333, GALLAND (Pierre): 514.
416.
E"ercices spirituels (de Saint Ignace): Gallicanisme: 32, 33, 233-246, 254, 430-
170, 177, 178, 201, 259, 260, 350, 353, 432, 566-570, 623~, 686.
362, 365, 371, 375, 377, 382, 394, 409, GALLUZZI (le P. Tarquinio): 177, 178,
420, 421, 422, 502, 678. 200, 204, 399, 400, 528, 698.
E"ercitatio: 40, 67, 177. GAMACHE (Philippe de): 39.
E"i/is (stylus): 157, 160. GARAND ERIE (M.M. de la): 90, 446,
449, 479.
Facilitas (voir naturel): 512. GARASSE (le P. François): 254, 326·
FAGGIOW DELL'ARCO (Maurizio): 335, 402, 413 ,547, 594, 669, 676, 677,
205. 681, 692.
INDEX M3

GARIN (Eugenio) : 43,44, 71, 81, 83, 118, GReGOIRE XIII BUONCOMPAGNI:
152, 506. 136, 162, 163, 170, 178, 179, 200, 203.
GASSENDI (Pierre): 81. 410.
GAULMIN (Gilbert): 526. GRENAILLE (François de): 220, 223,
GAULTIER (Léonard): 280, 283. 369, 370.
GeNeBRARD (Gilbert): 331. GRONOVIUS (Johannes-Fredericus) :
GENETTE (Gérard): 11, 265. 254, 699.
Genius (daimdn): 405. GROTIUS (Hugo) : 406, 553, 557, 567.
GERSON (Jean): 43Z, 563. GROULARD (Claude): 4'11.
GIBERT (Balthazar): 2, 3, 8, 255, 299, GRÜNEWALD (Mathias): 200.
354. GUeRET (Gabriel): fiJ7.
GILSON (Etienne): 41, 82, 138, 643. GUEVARRE (Antoine de): 333.
GIRALDI (Jean-Baptiste): 164, 180, 525, GUIBERT (le P. Joseph de): 298, 350.
675. GUINIGGI (le P. Vincenzo): 171, 178.
GODEAU (Antoine): 274, 326, 353, fiJ7, GUISE (Charles de Lorraine, duc de):
611, 651. 571, 593.
GODEFROY (Théodore): 686. GUIZOT (François): 5.
GODET (Louis): 595, 596, fiJ3. GUSTAVE ADOLPHE VASA, Roi de
GOIBAUD-DUBOIS (l'abbé Philippe): Suède: 704.
3, 75, 640. GUYON (Jeanne): 19.
GOMBERVILLE (Marin Le Roy de):
222, 649. HALL (Joseph): 386.
GOMBRICH (E.H.): 282, 292. HARLAY (Achille de): 244, 540, 57S.
GONGORA (Luis de): 199. 650.
GONTERY (le P. Jean): 247. HASKELL (Francis): 205.
GONZAGUE (Elisabeth de) : 89, 90. HAY DU CHASTELET (Paul): 516,
GONZAGUE (François Marie de, duc 517, 653-657, 693.
d'Urbin): 183. HAYDN (Hiram): 131.
GORGIAS: 149, 311. HAZARD (Paul): 9.
GOUJET (Abbé CIaude-Pierre): 3, 0, HEERE (doyen Nicolas de): 593, 594.
8, 354. 599, 658.
GOULART (Simon): 266, 695. HEINSIUS (Daniel): 528, 529, 571, 580.
GOULU (Dom Jean de Saint-François): 695.
140,336, 510, 514, 525, 546-551, 553, 563, Hélène de Troie (allégorie de 1'1dea) :
567,573, 575, 587, fiJl, fiJ5, 613, 616, 84, 92.
627, 630, 639, 643, 644, 648, 650, 651, HeLIODORE: 288, 292, 301, 376, 444,
671,671. 495, 676.
GOURNAY (Marie de): 321, 322, 324, HENNEQUIN (Jacques): 15, 556.
451. 542, 552, 567, 568, 573, fiJl, 650. HENRI III: 261, 282, 283, 492, 494, 495,
697. 496, 505, 513, 522.
GRACIAN (Balthazar): 89, 90. HENRI IV: 236-238, 239, 240, 241, 275,
GRAMONT (Scipion de): 548. 442, 493, 494, 502, 512, 513, 521, 522, 556,
Grand (style, grandis stylus, sublime 578. 615, 704.
genus): 73, 74, 149, lfiJ, 166, 178, 197, HERMÈS TRISMeGISTE: 292, 516,
199, 200, 340, 342, 352, 353, 402, 453. 562.
672. 682, 685. HERMOGÈNE: 161, 214, 215, 222, 225,
Grandeur d'âme (magnanimité): 21,44, 337.
61, 68, 69, 157, 161, 168, 170. HeRODE ATTICUS: 291, 294.
GRAN GER (Jean): 28. HeRODOTE: 449.
GRANGIER (Jean): 39, 514. Héroïsme, héros (voir grandeur d'âme) ..
Gravité (gravitas): 55, 65, 66, 184, 187, Hiéroglyphique (philosophie): 28/-284
188, 320, 322, 340, 364, 518, 663. 348.
GREGOIRE DE NAZIANCE (Saint): HILAIRE DE POITIERS (Saint): 134.
124, 142, 180, 253, 290, 302, 318, 320, HOLSTENIUS (Lucas): 204, 210, 405"
394. 403, 555. 406.
GReGOIRE DE NYSSE (Saint): 253, HOMÈRE: 168, 194, 354, 422, 451, 452,
288, 308, 320, 555. 453, 480, 483, 563, 619, 656, 666.
GReGOIRE LE GRAND (Saint): 142, «Honnesteté. (voir urbanitas).
147, 288. HORACE: 79, 82, 390, 392, 412, 598.
844 INDEX

HORAPOLLO: 281, 282, 374. J~SUS-CHRIST: 104, lOS, 106, 107, 108.
HUARTE (Juan): 17:7-134, 159, 194, 653, m, 114, 124, 148, 149, 178, 541, 565,
654, 655, 687. 635, 678.
HUET (Pierre-Daniel): 248, 419. Jeunesse (voir corruption de l'éloquen·
HUGHES DE SAINT-VICTOR: 145. ce) : 547 (n. 294), 548, 593, 594, 597, 608,
HUGO (Victor): 4, 5. 612, 615, 616.
Humanitas: 28, 90, 492. Jocositas : 245, 599.
Humile (genus, voir simple, style). JOSEPH (François du Tremblay, dit le
HURAULT (Philippe, comte de Chever- P.): 578.
ny): 494. JOSS ET (le P. Pierre): 295, 308, 348,
HURET (Grégoire): 379. 349-354, 384, 407, 676, 683, 685.
HUYGHENS (Constantin): 696. JOULET (François): 513.
Hyperbole: 701, 702 . JOUVANCY (le P. Joseph de): 6, 245.
Judiciaire (genre, voir aussi avocats):
Idea (voir optimus stylus): 167, 168, 49, 68, 166, 167.
177, 202, 340. Judicium: 85, 87, 88, ISO, 158, 181, 189,
IGNACE DE LOYOLA (Saint) : 233, 698. 194, 223, 224, 254, 276, 297, 310, 311,
« Ignorans. (rudes): 20, 23, 126, 606, 331, 351, 399, 401, 406, 685, 687, 700.
616, 674. Judith (allégorie de l'éloquence): 181,
Imagination: 129, 130, 132, 134, 347, 351, 184.
361, 371, 407, 421, 597, 677, 678, 679, Jugement (voir ;udicium): 166, 194,
687. 657, 703.
Imitatio: 22, 40, 78-115, 134, 158, 272, Juges: 476-485, 517, 566, 662, 688.
287, 347, 365, 408, 409, 507, 525, 531, JULES II DELLA ROVE RE : 203.
668, 675, 677, 682, 685, 690, 692. JULIEN L'APOSTAT: 180, 185, 214, 288,
Improvisation (subitaria dictio): 157, 310, 393, 394, 395.
487, 5SO. JUSTIN (Saint): 142, 375.
Ingenium (esprit, ingenio, ingegno, JUSTINIEN: 314.
wit) : 79, 84, 85, 129, 130, 155, 157, 158, JUVÉNAL: 99. 598.
166, 194, 195, 196, 223, 224, 225, 288, 331,
351, 382, 399, 406, 414, 654, 676, 677, KELLEY (Donald R.); 429, 431, 446,
680, 688, 691, 694, 699. 470, 577, 589, 590.
INGHIRAMMI (Tommaso): 93, 104, KENNEDY (George): 16,46,52, 53, 57,
ISO, 192, 201. 59, 61, 64.
INNOCENT X PAMPHILI: 179. KIRCHER (le P. Athanase): 280, 374,
Inspiration divine (impetus divini spi- 405.
ritus): 127, 139, 146, 151, 152, 185, 187. KLIBANSKY (Raymond): 128.
201, 639. KUENTZ (Pierre): 11.
Inventio (invention): 49, 73, 84, 134,
139, 151, 166, 194, 509, 638, 645, 650, 689. LABBÉ (Philippe): 249, 405.
IR~N~E (Saint): 134. LABITTE (Charles): 138.
Iris (aIIégorie de l'éloquence): 346. LA BOÉTIE (Etienne de): 152, 505, 695.
Ironie (voir aussi raillerie, rire): 68, LA BRUYÈRE: 226.
330. LA CERDA (le P. Melchior de): 272,
284, 314, 400.
ISIDORE DE S~VILLE: 145 .
LACHÈVRE (Frédéric):' 611, 612.
ISOCRATE: 53, 149, 180, 197, 394, 412, Laconismus (voir brièveté): 196, 487,
618. SOI.
ISSALI (Jean): 635. LACTANCE: 145, 146, 288.
JANNINI (Paolo): 533, 571. LA GUESLE (Jacques de) : 244,470, 476,
JEAN CHRYSOSTOME (Saint): 134, 484, 545, 578, 586, 590, 592, 603, 667.
142, 171, 181, 249, 253, 298, 303, 306. LALLEMANT (le P. Louis): 350.
317, 337, 364, 463, SS5, 629. LAMBIN (Denis): 169, 170, 380, 460, 577.
JEHASSE (Jean): 154, 216, 217. LA MESNARDIÈRE (Jules de) : 580.
JERECZEK (Bruno): 138, 143, 144, 147, LAMOIGNON (Guillaume): 416.
151. 'LA MOTHE LE VAYER (François):
J~ROME (Saint): 78, 99, 124, 134, 142, 326, 345, 348, 582, 584, 596, 607, 615, 618,
145, 146, 174, 194, 288, 311, 333, 370, 375, 648, 650, 656, 669, 670, 693.
403. LAMY (FrançOis): 3, 640.
INDEX 845

LANCELOT (Claude): 63M36, 637, 642. Litterae humaniores: 21, 24, 28, 90,
L'ANGLOIS (Pierre): 282, 284, 363 . 123, 164, 169, 170, 203, 642.
.LANSON (Gustave): 6, 7, 8, 13. LOGES (Mme des): 542, 700.
LANTOINE (Henri-Eugène): 5. Logos endiathetos et logos prophori-
LA PINELI~RE (Guérin de): 609. kas: 478, SIS, 516, 562, 646, 690, 697.
LA PORTE (Maurice de): 265, 600. LOISEL (Antoine): 429, 436, 470, 514,
LA QUINTINIE (Jean de): 19. 552, 589, 591.
LA ROCHE FLAVIN (Bernard de): LONGIN (pseudo-): 4,47,61,67,68, 107,
436, 438, 488, 493, 590, 592. 139, 165, 166 ,167, 168, m, 178, 187,
LA ROCHEFOUCAULD: 221. 189, 197, 202, 214, 222, 277, 297, 322, 325,
LA RUE (le P. Charles de): 417. 335, 337, 339, 345, 346, 348, 450, 451,
LASNE (Michel): 536. 465, 479, 507, 508, 549, 578, 581, 650,
Latinitas (correction): 50, 73, 75, 80, 682, 690.
87, 148, 158, 457. LONGUEIL (Christophe de): 91, lOI,
LATOMUS (Barthélémy): 514. 110, m, 116, 169, 174, 287, 449, 450,
LAUS8ERG (Hcinrich): 12. 452.
LAVAL (Antoine de): 258, 273-279, 339, LONGUEIL (Guy, Louis de): 588.
~9. 470, 537, 549, 651, 668, 671. LONGUEIL (Jean de): 437.
LA VALETTE (Louis de Nogaret, car- LONGUEVILLE (duc de): 536_
dinal de): 544. LONGUS: 444, 495.
LE BRET (Cardin) : 476, 546. LOREDANO (Giovan-Maria): 219, 222.
LEEMAN (A.E.): 16, 46, 53, 57, 59, M. LOUET (Madeleine): 588.
LE F~VRE (Nicolas): 39, 57, 99, 172, LOUIS DE GRENADE: 143, 144-148, 182,
252, 253, 362, 472, 498, 503, 514, 522, 208, 315, 341, 466, 635, 636, 639, 671.
533, 554, 556, 578. 678, 680, 705.
LErtVRE DE LA BODERIE (Guy): LOUIS XIII: 243, 244, 252, 396, 410, 411,
563. 494, 519, 567, 597, 649.
LEIBNIZ: 122. LUCAIN: 69, 413, 471.
LE JAY (le p_ Gabriel François): 2,354. LUCAS (le P.Jcan): 417.
LE JAY (Nicolas): 612. LUCIEN: 94, 96, 102, 224, 273, 288, 291,
LE MAISTRE (Antoine): 559, 614, 622, 301, 308, 368, 463, 464, 497, 676.
623-632, 634, 635, 642, 647, 671. LUCINGE (René de): 148.
LE MOYNE (le P. Pierre): 207,246,251, LUCR~CE: 136.
304, 322, 353, 355, 370, 379-391, 392, 402, LUILLIER (François): 582.
404. 409, 419, 423, 496, 612, 677, 678. LULLE (Raymond): 600.
682, 683, 702. LYCOSTH~NE (Conrad): 600.
L~ON X M~DICIS: 83, 87, 88, 91, 92, LYSIAS: 54, 412, 450, 588 .
191, 192, 203, 684.
LE PELLETIER (Claude): 552, 557, MAC GOWAN (Margaret): 14_
558, 567. MACHIAVEL (Nicolas): 81, 528, 529.
LE ROY (Louis): 429, 447450, 452, 454, MACROBE: 99, 299.
501, 504, 512, 665, 686. MODERNO (Carlo): 205.
LESCOT (Pierre): 428.
MAIER (Bruno): 89.
LEVI (Anthony): 544.
MAïER (Ida): 82.
L'HERMITE (Tristan): 597, 598, 617_
MAIMBOURG (le P. Louis): 410.
L'HOPITAL (Michel de): 38, 380, 432,
462, 472, 478, 479, 490, 499, 500, 539, MAINARD (François): 533.
540, 545, 552, 627, 666. MAIRET (Jean): 609.
LIBAN lUS: 180, 215, 216, 288, 291, 309, MAJORAGGIO (Marcantonio): 122.
394. MALE (Emile): 12, 257.
Lieux communs (loci communes): 7, MALEBRANCHE (le P. Nicolas): 19.
10, 17, 151, 158, 510, 588, 600, 638, 681. MALHERBE (François de): 267, 273,
LINGENDES (Jean de): 533, 534. 285, 321, 338, 353, 413, 434, 508, 509,
LIPSE (Juste): 63, 89, 90, 100, 125, 152- 523, 524, 531, 532, 533, 535, 542, 543,
159, 161, 164, 174, 180, 193, 194, 196, 216, 544, 546, 578, 583, 597, 613, 648, 652,
217, 219, 227, 229, 263, 272, 285, 287, 678, 699, 701.
290, 291, 307, 331, 397, 401, 402, 406, MALLEVILLE (Claude de): 649.
408, 500, 501, 525, 527, 531, 553, 555, MALVEZZI (Virgilio): 89, 90, 133, 199,
570, 580, 688, 705_ 217-219, 225, 285, 413, 654, 676, 691.
846 INDEX

MANGOT (Jacques): 470, 475, 486, 503, Mercure (dieu de l'éloquence): 23, 516,
551, 558. 538.
MANUCE (Paul): 110, 118, 120, 122, 162, M~RIDIER (Louis): 96, 261, 285, 3O-J.
164-168, 175, 177 ,191, 202, 225, 348, 308.
398, 472, SUl, 600. MERULA (Paul): 527.
MANZINI (Giambattista): 199, 220, MESMES (Henri de): 380,462,472,478.
222, 225, 595. MESMES (le Président de, frère du
MARACHE (René): 94, 96. comte Claude d'Avaux): 380, 381, 545,
MARBEUF (iPerre de): 533, 534. 567.
MARC·AURÈLE: 64, 484. Métaphore: 279, 680, 702.
MARCILE (Théodore): 514. MÉTRAL (Denise): 260.
MARESCHAL (André): 608. MICHEL (Alain): 45, 51, 52, 64, 90, 111.
MARGUERITE DE VALOIS (reine de 117, 168, 173, 317, 439, 440, 618, 645,
Navarre): 543. 659.
MARIANI (Michel Ange): 534. MICHEL-ANGE: 92, 206, 549.
MARIE DE M~DICIS: 242, 493, 502, Minerve (déesse de la sagesse, insépa-
512, 519, 521, 522, 569, 587. rable de l'éloquence): 23, 185.
MARILLAC (Michel de): 545. MINOZZI (Pierre Francesco): 199, 220,
MARINO (Giambattista): 198, 211, 212, 221.
213-216, 267, 302, 310, 375, 391, 533, 535, MlRAULMONT (Pierre de): 427.
601, 676, 702.
MARION (Simon): 237, 442, 549, 586, MIRON (François): 324.
624, 626, 650. Mode (novitas) : 68, 86, 369, 530, 691.
MARMONTEL: 3. MOHRMANN (Christine): 15, 71, 102_
MAROLLES (Michel de): 329, 533, 648, Moïse (modèle du sublime inspiré):
691. 465, 478, 479, 481, 508, 645.
MARROU (Henri-Irénée): 15, 70, 517. MOLE (Mathieu) : 443, 568, 578, 620, 628,
MARTIAL: 99, 145. 667, 686.
MARTIN (Henri-Jean): 27, 250. MOLHO (Raphaël): 4.
MARTINI (Pierre): 310, 395. MOLIÈRE: 82, 133, 417, 70S.
MARTZ (Louis): 259, 264, 420. MOLIERE (François-Hugues, sieur de,
MASCARDI (Agostino): 176, 192, 204, et d'Essertine): 533.
223-226. MOLINA (molinisme): 182.
MASSON (Papire): 445, 471.
MATTHIEU (Pierre): 285, 493, 691. MOLINO (Jean): 127.
MoUities (voir effoeminatio, asia·
MAU CORS (Piat): 534, 535.
nisme): 318.
MAUCROIX (Abbé François de): 607,
MONANTHEUIL (Henri de) : 547.
618.
MAUSSAC (Jacques de): 524-535, 537, MONSTRE LET : 427.
538, 542, 544, 547, 551, 575, 580, 594, MONTAIGNE: 70, 98, 104, 128, 131, 153,
601, 604, 616, 651, 667, 668. 171,194,213,226,264,265,273,277,307,
324, 331, 363, 368, 406, 408, 445, 451,
MAXIME DE TYR: 304.
463, 465, 47t, 490, 491, 492, 493, 494,
MAZARIN (le cardinal Jules): 179, 212. 500,SOI, SOS, 506, 508, 513, SIS, 536, 560,
MAZARINI (le P. Giulio): 218, 301. 588,604, 637, 644-645, 655, 677, 681, 686,
Méditation (voir (invention): 510, 703. 688,689, 695, 699, 700, 70S.
Medium (genus, voir moyen, style). MONTESQUIEU: 498.
« Meilleur style» (voir optimus stylus). MONTMORENCY (Henri de): 524, 526,
Mélancolie: 90, 127-134, 155, 156, 196, 533, 535, 569, 571, 608, 609, 633, 693.
319, 449, 664. MOREL (Frédéric): 253, 261, 301, 393,
Mémoires: 30, 129, 130, 166, 194, 347, 394, 478, 515, 554, 555, 563, 611.
351, 421, 689. MOREL (Jean de): 472, 473.
Menzoria: 49, 509, 598, 638, 681. MORET (le comte de): 252, 322, 344,
MÉNAGE (Gilles): 248, 556, 557, 588. 404, 533, 534, 535, 608, 691.
MÉNAGE (Guillaume): 588, 624. MORHOFF (Georg): 2, 3, 7, 354.
M~NAGE (Pierre Guillaume): 588, 589. MORIER (Henri): 12.
MÉNAGE (Mathieu): 588. MORNET (Daniel): 7, 8, 9.
Ménélas (modèle d'éloquence): 196,480. MORPURGO-TAGLIABUE (G.): 118.
MERCŒUR (François, duc de): 556. MOUSNIER (Roland): 236, 585, 586.
INDEX 847

Movere (voir fleetere, force, véhé- Orator (orateur): 16, 26, 27, 28, 30, 40,
mence): 49, 72, 75, 195, 488, 504, Sll, 44, 65, 74, 141, 154, 440, 443, 445, 464,
603, 618. 469, 623, 625, 633, 689.
Moyen (style, medium genus, tempera- Oratorius (modus): 40, 70, 95, 99, 122,
tus stylus): 74, 167, 196, 669, 672, 682, 125, 126, 169.
697, 754, 759. ORCIBAL (Jean) : 211, 334, 626, 627, 629,
MUNTEANO (Basil): 3, 15, 16. 630, 631, 632, 633, 638, 645.
MURET (Marc-Antoine): 5, 13, 57, 88, Ordre des mots (voir collocatio verbo-
99, 112, 115, 116, 122, 153, 154, 161, 162, rum): 50, 63, 456.
164, 168, 175, 178, 192, 197, 206, 215, ORIGÈNE: 134, 288.
217, 223-228, 380, 397, 398, 399, 400, 402, ORLÉANS (Gaston, duc d'): 571, 608,
406, 411, 433, 476, 500, 5fJl, 514, 516 693.
570, 600, 622, 633, 676, 685. ORLÉANS (Louis d'): 427-429, 493, 590.
ORMESSON (André d'): 597, 598.
NADAL (le P. Jérôme): 259, 260, 262, Orna tus, subst. (ornement, ornate di-
366, 379, 678, 680. cere, beauté oratoire): SO, 53, 55, 56,
Narcisse (modèle du sophiste): 114, 57, 59, 71, 73, 95, 101, 125, 148, 183, 187,
547, 594. 188, 288, 290, 291, 297, 310, 319, 388,
Narratio (voir demonstratio): 331. 389, 441, 457, S03, 649, 668, 692.
NATTA (Marc-Antoine): 123-126, 138, Orphée (modèle d'orateur): 37, 64, 68,
184. 318.
Naturel (voir facilitas): 149, 158, 184, ORS (Eugenio d'): 257.
185, 224, 401, 512, 550, 556, 575, 639, ORSINI (cardinal Alexandre): 191.
669, 688. ORSINI (Virginio): 191.
NAUDÉ (Gabriel): 1 ;n, 28, 42, 209, OSSAT (le cardinal Arnaut d'): 513,
255, 520, 584, 669, 670, 680. 546.
NAVAGERO (NAUGERIUS): 191, 397. Ostentation (ostentatio): 188.
Neglegentia diligens (naturel dans l'élé- Otium «< vivre noblement»): 65, 66.
gance) : 54, 62, 63, 73, 89, 146, 341, 487, 69, 485486, 589 .
556, 639, 670. OVIDE: 58, 145, 198, 229, 305, 598.
NESMOND (André de): 476. Oxymore (voir acumen): 160.
Nestor (modèle d'orateur): 196.
NEUFVILLE (Simon de): 112, 113, 116. PALLAVICINI (le P. Sforza): 178, 225.
NICÉPHORE CALLISTE: 253. PANAETIUS: 484.
NICOLAI (Jean de): 39, 405. PANIGAROLA (Francesco): 142, 143,
NIEREMBERG (le P. Juan Eusebio): 215, 216, 275, 301, 493, 665, 676.
292. PANOFSKY (Erwin): 85, 128.
Parisiensis (stylus): 78, 458.
NISARD (Charles) : 42, 213, 328, 333. PASCAL (Blaise): 19, 201, 327, 390, 391,
Nitor (poli du style): 65, 125, 399, 401, 490.
407, 574. PASCAL (Etienne): 552.
NIZOLIO (Mario): 111, 121, 122, 170, PASCHAL (Pierre): 464, 472, 547, 665.
600. PASCHINI (Pio): 136.
Nobilitas: 324, 325. PASQUIER (Etienne): 233, 235, 236,
NORDEN (Eduard): 219. 237, 241, 328, 331, 427, 429, 430, 440,
Nota (notatio, adnotatio, voir mé- 444, 445, 469471, 487, 490, 491, 492,
moire): 259. 494, 498, 499, 523, 526, 537, 539, 552,
Novitas (voir mode). 556, 574, 585, 586, 589, 591, 592, 615,
616, 625, 666.
Obscurité (obscuritas): 54, 401. PASQUIER (Nicolas): 324, 434, 537.
OGIER (Charles): 416, 545. PASSERAT (Jean): 380, 454, 514.
OGIER (François): 308, 329-334, 337, PASTOR (Ludwig von): 85, 92, 179.
405, 413, 416, 545, 546, 571, 652, 669, PATRIZZI (Francesco): 152,433,476.
671, 6n, 681, 699, 700, 701. PATRU (Olivier): 326, 605, 607, 612-622,
OLIVET (Abbé d'): 617. 631, 636, 647, 651, 670, 683, 692.
ONG (le P. W.J.): 457. PAUL DE TARSE (Saint): 124, 131, 142,
Optimus stylus (meilleur style, voir 145, ISO, 181, 186, 187, 331, 375, 403,
Idea): 23, 82, 83, 105, lB, 114, 178, 478.
196, 340, 400, 410, 621, 647, 657, 659, 688. PAUL III FARNESE: 172, 570.
848 INDEX

PAUL V BORGHESE: 182, 246, 557. PICO DELLA MIRANDOLA (Giovanni


PAULHAN (Jean): 10, 11. Francesco): 83-86, 105, 166, 181, 287.
Pédant (caricature de l'orateur): 594, PIE IV M~DICIS: 122, 136, 162, 170
599, 602, 610. PINTARD (René) : 209, 255, 498, 533, 545,
Peinture (voir description): 147, 673- 548, 568, 577, 581, 596, 607, 628.
683. PITHOU (Pierre): 253, 301, 312, 313,
PEIRESC (Nicolas de): 275, 475, 519. 463, 472, 498, 502, 503, 514, 552, 554,
520, 526, 545, 546, 551, 552, 557, 578, 557, sn, 589, 666.
583. Plaire (delectare): 72, 73, 75, 95, 160,
PELLETIER (le P. Gérard): 255, 344· 166, 195, 203, 488, 504, 618.
349, 354, 371, 379, 382, 402, 409, 680, Plaisanterie (voir rire).
682. PLATON: 48, 52, 87, 88, lOI, 102, 187,
PELLISSON FONTAN 1ER (Paul): 619. 195,304,309,320,346,375,385,403,
P~RAU (Abbé Gabriel-Louis): 552, 558. 449,453,478,479,485,497,515,529,
PEREGRINI (Mario): 223. 615,617.
Périodique (style): 51, 349. PLAUTE: 96, 99, m, 158, 456, 461.
P~ROUSE (Gabriel): 127. PLETHON (Gémistius): 395.
PERPINIEN (le P. Pierre Jean): 175, PLINE L'ANCIEN: 99, 164.
178, 397, 398. PLINE LE JEUNE: 69, 96, 183, 206,
PERRAULT (Charles): 23. 456.
PERROT (Emile): m, 116, 472. PLOTIN: 403.
PERSE: 99. PLUTARQUE: 375, 444, 463, 478, 485,
Persona: ISO, 490. SIS, 516, 517, 610, 645, 665.
Perspicuitas (voir clarté): 73, 148, 157, Pointes (sententiae): 61, 414, 501, 691,
185. 692.
PERUGIN: 206. Pointu (style): 57, 61, 342, 352, 414.
PETAU (le P. Denis): 19, 39, 249, 253, POLITIEN (Ange): 41, 43, 81-83, 110,
254, 255, 289, 326, 329, 344, 349, 380,
165, 166, 227, 287, 399, 601, 652, 675.
384, 392407, 415, 416, 532, 534, 621, Politique (et rhétorique): 152, 153, 154,
678, 681, 692. 669, 670, 704.
PETAU (Paul): 253, 261, 392, 393, 418, Polyanthée (cornucopia): 444, 465, 600,
420, 423. 606, 638.
n.TRARQUE: 43, 44, 7UJ3, 89, 121.
P~TRONE: 331.
POMPONAZZI (Pietro): 118, 119.
PETRUCCI (le P. Jérôme): 190, 204. POMPONIUS LAETUS: 56, 91, 191.
Phantasia (voir imagination): 407, 678. POMPONNE (Simon Arnauld, marquis
de): 624, 625.
PHILIPPE (de Macédoine): 529.
PONTANO (Giovanni): 191, 399.
PHILIPPE LE BEL: 423, 432, 438.
PONTANUS (le P. Jacob Spanmüller,
PHILIPPE LE HARDI: 438. dit): 180, 245, 599.
PHILIPPE N~RI (Saint): 136, 137, ISO, POSSEVIN (le P. Antoine): 1, 2, 3, 163,
362, 698. 180-182, 287, 311, 326, 394, 397.
PHILIPS (Margaret Mann): 93, 154. POTIER (Augustin, évêque de Beau-
PHILON d'Alexandrie: 61, 168, 214, 295, vais): 443.
465, 478, 479, 480, 508, 514, SIS, 516, POUSSIN (Nicolas): 176, 320, 380, 482,
517, 564, 567, 576, 581, 610, 645, 665. 485.
PHILOSTRATE: 96, 100, 102, 206, 212, POZZO (Cassiano dei): 210.
213, 215, 254, 257, 260, 288, 291, 301, Prédestination: 124, 127.
372, 387, 394, 400,496, 676. Prédicateur: 27, 42, 106-109.
Phocion (modèle d'orateur): 44, 306, Prédication (voir éloquence sacrée):
444, 471, 485, 487, 665. 73, 137-152.
PIBRAC (Guy du Faur de): 38, 432, PROAERESIUS: 291.
444, 446, 470, 471, 472, 475, 4TI, 478, Probatio: 49, 67, 95, 147, 468, 668.
482, 483, 484, 487, 494, 496, 500, 503,
504, 511, 515, 521, 545, 549, 551, 552, Protée (antonomase de la rhétorique):
558, 564, 606, 642, 643, 647, 670, 690, 86, 346.
696. PROUST (Marcel): 5, 6, 9.
PICCOLOMINI (Alexandre): 578. Prudentia (voir judicium): 150, 195,
PICO DELLA MIRANDOLA (Giovanni): 399, 566.
194, 312. Pudeur: 488.
INDEX 849

PUGET DE LA SERRE (Jean): 369, RICHELET (Nicolas): 611.


542, 543, 691. RICHELIEU: 20, 22, 89, 141, 142, 178,
Pulchritudo (honesta): 254, 288, 291, 179, 203, 252, 338, 519, 520, 521, 530, 544,
321, 379, 389. 553, 555, 567, 568, 569, 570, 571, 577,
PUTEANUS (Erycius, alias Henri van 578, 580, 581, 612, 613, 614, 622, 623,
de Putte): 159.161, 285. 626, 627, 628, 629, 630, 632, 635, 64/,
649, 669, 683, 684, 693, 694, 700, 705.
QUEVEDO (Francisco): 89, 90, 199, RICHEOME (le P. Louis): 237, 241,
610, 676. 247, 252, 254, 257, 258, 260, 262, 264,
QUINTE·CURCE: 347. 265 ).74, 284, 321, 379, 384, 398, 402,
QUINTILIEN: 56, 58, 63, 69, 77, 90, 95, 497, 676, 677, 678, 682.
96, 99, lOS, 109, 127, 141, 144, 146, 147, RICHER (Edmond): 530, 577, 571J.581,
311, 315, 448, 455, 456, 462-464, 4611, 583, 644, 668, 669, 670.
498, 579, 593. RIGAULT (Nicolas): 297, 554, 576 577,
582, 583, 628. '
RABELAIS (François): 152, 328, 330, Rire: 49, ISO, 324, 381, 416, 460, 463 468
331, 441, 450, 676, 681 . 488, 519. ' ,
RACAN (Honorat de Bueil, marquis RIVAILLE (Louis): 9.
de): 535. RIVET DE LA GRANGE (Dom An-
RACINE (Jean): 70, 664. toine): 18.
RADOUANT (René): 6, 475, 494, 498, RIZZA (Cecilia): 212, 217, 557.
499, 506, 508, 514, 540, 547. ROBERT BELLARMIN (Saint): 378.
Raillerie (voir aussi rire, ironie): 3Z1, 422, 698.
330, 332, 361, 364, 381, 390, 682, 691, 700. ROBORTELLO (Francesco): 165, 578.
RAIMONDI (Ezio): 190, 198, 223. ROCHEMONTEIX (Claude de): 280,
Raison d'Etat: 183, 629, 630, 649, 670. 337, 629.
RAMBAUD (Antoine de): 606-607. RODOCANACHI (Emmanuel): 92.
RAMBOUILLET (Catherine de Vivonne, ROHDE (Erwin): 219.
marquise de): 91, 542, 658, 683, 684, ROLLIN (Charles): 6.
694, 700. RONSARD (Pierre de): 267, Z12, 354,
RAMUS (Pierre de la Ramée, dit) : 310, 390, 445, 461, 472, 473, 493, 521, 583,586,
454461, 470, SOl, 578. 579, 580, 665, 608, 652, 656.
689. ROQUES (René): 563.
RANCHIN (Guillaume): 487, 546. ROSSI (Paolo): 121.
RANCONET (le Président): 462. RUYSSCHAERT (Mgr. José): 153.
RAPHA~L: 91, 145, 206, 549.
SABBADINI
79. (Rerni.no):
c ·47 , 63 , 70, 77 .
RAPIN (le P. René): 13, 417, 621.
REGGIO (Carlo): 186-190, 197, lOI, 286, SACCHI (Andrea): 206, 207, 210.
303, 304, 315, 317, 388, 402, 680. SACCHINI (le P. Francesco): 245.
R~GNIER (Mathurin): 254, 328, 330, SADOLET (le cardinal Jacques): 56,
331, 578, 676, 681. 91, 110, 115, 171, 174, 175, 191, 397,
RÉMOND (Francis): 398, 399, 400. 589, 685.
Remonstrances d'ouverture: 469, 471, SAGOES-AZCONA (le P. Pio): 126, 144.
473, 475492, 489, 491, 503, 545, 559·566,
586, 590, 629, 687, 690, 702. SAINT·CYRAN (Duvergier de Hauran-
RENAUDOT (Théophraste): 694. ne, abbé de): 334, 389, 390, 547, 554,
RENOUARD (A.A.): 164. 558, 559, 568, 630-M6, 647, 671, 695,
RENOUARD (Nicolas): 518, 519, 523. 696, 700.
Renovatio literarum: 173, 203. SAINTE-BEUVE (Charles): 4, S, 445,
Renovatio spiritus: 135, 139, 161. 547, 626, 627, 630, 631, 632, 638, 641,
Res literaria (voir c sçavans »): 18, 19, 642, 695.
21, 24, 159. SAINTE-MARTHE (Scévole de): 24.
Respub/ica literaria (république des 354, 472, 526.
lettres): 20, 32, 33, lOS, 155, 430432, SAINT-EVREMOND: 649.
524, 5Z1, 662. SAINT-SIMON (Louis, duc de): 19.
Res/signa (voir le suivant): 63, 71. SALAZAR (Ambroise de): 601.
Res/verba: 43, 61, 63, 72, lOI, 126, 148, SALLUSTE: 158, 160, 164, 216, 288, 347,
170, 403, 618, 634, 651, 666, 670. 449, 456, 676.
RETZ (cardinal de): 19, 567. SALUTATI (Colluccio): 43, 44.
850 INDEX

Sanitas (voir latinitas); 54, 65, 66. Severitas (sévérité, sérieux): 50, 90.
SANNAZARO (Jacopo); 202, 682. 198, 390..1. 459, 468, 687.
SANSOVINO (Francesco); 121. SE.VIGNt (Marie de Rabutin, Chantal,
SAPHO; 292, 304. marquise de): 19.
Sapientia; 23. SHAKESPEARE (William); 128.
SARPI (Paolo); 557, 578. SIGONIO (Carlo); 398.
SARRAU (Claude); 567, 628. Silence; 325, 517, 690.
SARTO (Andrea dei) ; 206. SILHON (Jean); 353, 693.
SAUMAISE (Claude); 19, 254, 255, 526, SIMONE (Franco) : 57, 145, 446, 554.
557, 567, 588. Simple (style, genus humile, sermo
SAVOIE (cardinal Maurice de); 213, humilis, simplicitas); 54, 59, 60. 61,
215. 62,73, 74, 80, 89, 148, 149, 156, 157, 173,
SAXL (Fritz); 128. 341, 342, 352, 353, 401, 402, 575, 669.
SCAGLIONE (Aldo); 14. 682, 683.
SCALIGER (Joseph Jules); 19, 39, 159, SINGLIN; 635, 641.
169, 171, 215, 237, 331, 405, 412, SIRLETO (le cardinal); 169, 174, 175.
416,522,523,524,557,579. SIRMOND (le P. Antoine); 693.
SCALIGER (Jules-César): 110,169,411, SIRMOND (le P. Jacques): 19, 249, 251,
411, 416, 419, 452-454, 461, 524, 525, 527, 252, 253, 254, 255, 299, 312, 326, 329,
529, 530, 531, 548, 551, 575, 580, 611, 362, 405, 416, 534, 577.
619-620, 622, 655, 656, 666, 668, 670, 705. SIRMOND (Jean) ; 693.
« Sçavans» (eruditi); 22, 23, 24, 125, SIXTE-QUINT; 179.
127, 468, 582, 6SO, 674, 687. SMIT (Anne-Marie); 82.
Scholasticus (modus); 40, 70, 95, 125, SOAREZ (Cyprien); 245.
143, 146, 198. Sobriété (sobrietas); 184.
SCHOMBERG (maréchal de); 700. SOCRATE; 49, 52, lOi, 130, 133, 449,
SCHOTT (Andreas); 287, 290, 291, 331, 450, 451.
404, 405, 406. SOISSONS (Louis de Bourbon, comte
SCIOPPIUS (Gaspard); 290, 328. de): 608, 693.
SCRIBANIUS (le P. Charles): 527. Sophiste (par opposition à orateur);
SCUDE.RY (Georges de); 220, 222, 353, lOi, 159, 299-310, 485488, 529, 538, 591.
581. Sophistique (par opposition à élo-
SEBILLET (Thomas); 470. quence); 23, 26, 66, 184, 185, 187, 188,
SEGNERI (Paolo); 139. 679, 701, 703.
SEGNI (Bernardino); 117. SORBIÈRE (Samuel); 693.
SE.GUIER (Pierre, chancelier); 381,
SOREL (Charles): l, 2, 4, 8, 354, 594,
410. 597, 600, 608, 611.
SE.GUIER (Pierre, président au Parle· SPERONI (Sperone); 118-120, 122, 136,
ment): 405, 443, 627, 628, 630. 167, 452.
sE.GUIER (Tanneguy); 410. Sprezzatura (voir neglegentia dili-
SEGUIRAN (le P. Gaspard de); 330. gens); 54.
SELLSTROM (Donald): 14. STAËL (Germaine de); 4, 5.
SE.NÈQUE le philosophe: 57-63, 73, 79, STANISLAVSKI (Constantin); 104.
82, 94, lOI, 139, 141, 158, 161, 171, 172, STAROBINSKI (Jean); 128.
m, 180, 188, 189, 196, 214, 215, 216, STEFONIO (le P. Bernardino); 178,
217, 219, 226, 229, 287, 289, 290, 317,
320,339, 351, 353, 364, 371, 372, 378, 384, 196, 200, 396.
403,413,437,451,456,463,483,484,485. STOBE.E: 94.
500, SOI, 553, 580, 610, 645, 676, 688, STRADA (le P. Famiano): 178, 190-202,
689. 204, 206, 219, 223, 224, 268, 286, 312,
SE.NÈQUE le rhéteur: 57, 99, 172, 215, 335, 340, 351, 354, 399, 402, 406, 407,
221, 236, 413, 439, 547, 676, 689. 420, 595, 622, 680, 684, 698, 702, 705.
Sententiae (sentences, traits, pointes): STURM (Jean): 225.
57, 61, 95, 96, 97, 98, 100, lOI, 198, 199, SUAREZ (le P. Francesco); 182, 194.
445, 463, 468, SOI, 509, 510, 668, 676, Suavitas (voir style moyen); 73, 74, 90.
681, 699. 196, 198, 681.
Serré (style ,voir brevitas); 59, 62. SUBLET (François, seigneur de
SERVIN (Louis); 39, 244, 328, 443, 578, Noyers); 250.
667. Sublime (genus, voir grand style).
'INDEX 851

Sublime (degré suprême d'éloquence, TOFFANIN (Giuseppe): 80, 116, 117,


·voir grandeur d'âme): 61, 67, 68, 69, 121.
149, 152, 161, 166, 167, 168, 181, 450, TOMITANO (Bernardo): 119.
451, 479, 489, 508, 635, 682, 690, 703. TORY (Geoffroy): 433, 435.
:Subtilitas (subtilité, caractéristique du Traits (acute dicta): 414.
style de Sénèque): 54, 351, 371. TR~BIZONDE (Georges de): 116, 394.
SUETONE: 291. TRENTE (concile de): 69, 123, 126, 136,
SULLY (Maximilien de Béthune, duc 137, 139, 140, 141, 142, 144, 145, 154.
de): 543. TRUCHET (Jacques): 15.
SURIN (le P. Jean-Joseph): 19. TRUJILLO (le P. Tomas a) : 466.
SYN~SIUS DE CYRÈNE: 214, 216, 249, Tullianus stylus (voir ciceronianus
253, 288, 290, 302, 308, 393, 395, 403. stylus).
TURNÈBE (Adrien): 169, 174, 299, 380,
TACITE: 5, 16, 47, 63-70, 77, 88, 141, 393, 462465, 472, 478, 547, 583, 665.
152, 153, 154, 158, 160, 171, 172, 173, TURNÈBE (Odet de): 441.
183, 196, 214, 216, 217, 219, 223, 322, TURSELLIN (le P. Horace): 178, 397.
339, 456, 494, 500, 505, 506, 507, 512, TUVE (Rosamund): 13.
547, 548, 570, 621, 655, 690, 695, 697. TYARD (Pontus de): 494.
TAINE (Hippolyte): 5.
TALLEMANT DES R~AUX (Gédéon): Ubertas (abondance): 100, 183, 470.
618, 620, 629, 653, 671. ULPIEN: 438.
TALON (Omer): 315, 443, 563, 567, 620. Ulysse (modèle d'orateur): 195, 196
TASSO (Torquato): 121, 391, 597, 682. 480.
TATIUS (Achille): 301, 376. URBAIN VIII BARBERINI: 178, 179,
TELLE (Emile V.): 11H15. 190, 200, 202, 203, 204, 206, 396, 397,
Temperantia (juste mesure): 518. 400.
Temperate dicere (voir moyen ou mé- Urbanitas (" honnesteté.): 21, 89, 206,
diocre, style): 73. 279, 330, 463, 574, 599, 659, 660, 706.
Temperatus (st y/us, voir genus me- URFÉ (Honoré d'): 373, 614, 615, 616,
dium): 160. 617, 619, 631, 637 .
T~RENCE: 158, 456, 461, 598.
TERTULLIEN: 99, 134, 145, 152, 188, VALÈRE-MAXIME: 145, 290.
189, 288, 297, 319, 364, 370, 375, 478, VALERIANO (Giovanni, Pierio): 282.
554, 583, 601, 628. VALÉRY (Paul): 9, 11, 19.
TESAURO (Emmanuel): 199, 223. VALIER (Augustin): 136, 142, 144.
TETI (comte Girolamo): 205-212, 423. VALLA (Lorenzo): 41, 79, 50, 81, 179,
TEX TOR (Jean Tixier de Ravisi, dit): 600.
VALLADIER (André): 252, 274, 275.
600.
THEMISTIUS: 216, 249, 253, 288, 291.
Varietas (variété): 53, 54, 55, 62, 74,
87, 100, 197, 199, 206, 224, 318, 331,
304, 306, 393, 395, 396. 340, 346, 353, 401, 408, 415, 653, 654,
Théologie: 126, 130, 135, 141, 143, 146, 656, 668, 677, 682, 690.
151, 169. VARRON: 99, 113, 347, 456.
TH~OPHRASTE: 384.
VAUGELAS (Claude Favre de): 618,
THOMAS D'AQUIN (Saint): 146, 314, 619, 648, 692.
383, 402, 421, 563. VAUQUELIN (Jean, seigneur de la
THOU (Christophe de): 445, 463, 470, Fresnaye): 497.
471, 498, 499, 586, 647, 650, 664. VAUQUELIN (Jean, seigneur des Yve.
THOU (François Auguste de): 568, 630. taux) :556.
THOU (Jacques-Auguste de): 159, 195, VAUX (M. de): 533.
233, 238, 244, 270, 354, 400, 460, 472, VAVASSEUR (le P. François): 312,327,
487, 498, 503, 514, 524, 552, 554, 577, 332, 333, 348, 352, 355, 380, 381, 384, 392,
578, 628, 666. 398, 405, 406, 407417, 418, 420, 423, 525,
THUCYDIDE: 53, 173, 449, 451. 621, 681, 683, 685, 688.
THUILLIER (Jacques): 482. V~GÈCE: 347.
TILLET (Jean du): 556. Véhémence (vehementia, voir movere) :
TITE-LIVE: 136, 164, 223, 288, 347, 449, 49, 74, 149, 298, 314, 317, 504, 603, 618.
456. Vehemens (genus), voir grand, sublime
TITIEN: 206. (style): 54, 59.
852 INDEX

Véhément (style): 167. VION (Charles de, seigneur d'Alibray):


VELASQUEZ: 199. 127, 129, m, 134, 653.
VENDÔME (César, duc de): 556, 557, VIRGILE: 65, 66, 168, 349, 412, 452, 453,
571, 693. 471, 523, 598, 609, 610, 666.
Venus tas (voir élégance): SO, 157, 158. Viril, virilité (voir mollities, effoemi-
VERDUN (Nicolas de) : 39, 270, 393, 394, natio): 160, 161.
404.
Vis oratoria (voir force): 66.
VITELLESCHI (le P. Muzio): 179, 190,
Vérité et vraisemblance rhétorique: 73, 255, 299, 344.
104, 106, 118, 126, 130, 146, 187, 346, 351, VITRUVE: 347.
402-403, 422, 481, 483, 497, S03, 559, VIVES (Luis): 600.
566, 579, 634, 640, 643, 645, 649, 6SO, VOELLUS (le P. Jean): 387.
666, 667, 671, 679, 680, 683, 689, 690, VOITURE (Vincent): 19, 649, 694.
697. Voluptas (voir delectatio).
VETTORI (Pietro): 120, 121, 272, 465, VOSSIUS (Gérard): 224, 527, 577.
496, 578, 582, 701. VOUET (Simon): 380.
VIALART (Dom Charles de Saint Paul):
338-342, 572, 669. WALKER (D.P.): 562, 563.
VIAU (Théophile de): 114, 115, 327, 328, WEINBERG (Bernard): 117.
329, 332, 336, 524, 533, 571, 572, 594, WILAMOWITZ-MOELLENDORF (Ty-
608, 667, 675, 677, 681. cho von): 219.
VIDA (Girolamo): 202, 397. WILLIAMSON (George): 13, 14, 57, 156_
VIGEN~RE (Blaise de): 100, 112, 212, WITTKOWER (Rudolf): 128.
254, 260, 261, 265, 272, 273, 274, 276,
289, 320, 337, 379, 390, 396, 496, 497, 498, X~NOPHON: 53, 87, 88, 94.
522, 542, 665, 676, 687.
VIGNEUL-MARVILLE: 617, 618, 629. YATES (Frances): 259, 264, 282, 283,
VILlAVICENTE (Laurent de): 126-127, 383, 421, 600, 665, 670.
129, 134, 135, 138. ZANTA (Léontine): 555.
VILLOSLADA (le P. Ricardo): 176, 179. 649, 658, 659.
VINCENT DE BEAUVAIS: 333. ZUBER (Roger): 15, 114, 396, 611, 612_
VINCENT FERRIER (Saint): 333. 649, 658, 659.
L'ILLUSTRATION
DES TRAITÉS DE RHÉTORIQUE
ET d'ÉLOQUENCE

PLANCHES
PLANCHE 1. - Portrait gravé de Marc Antoine Muret ornant les pages de titre de l'édition post-
hume, publiée par le p, Francesco Benci, S.J., des Opera Omnia de Sénèque le Philosophe,
Rome, 1585.
(Voir texte p. 170 et suiv. et biblio. n" 225.)
PLANCHE 2. - Frontispice du traité du P. Carlo Reggio, SJ., Ora/or Christian us, Rome, 1612.
(Voir texte p. 186-190 et biblio. nO 934.)
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Pl.ANCHE 3. - Frontispice du traité du P. Famiano Strada, Profusiolles academicae, Rome, 1617.


(Voir texte p. 190-202 et biblio. n" 937.)
l'LANCHE 4. - Frontispice de l'ouvrage de Georges de Scudéry, Les Harangues
ou Discours
académiques de Jean Baptiste Manzini, Paris, 1642.
(Voir texte p. 220 et biblio. n" 762.)
PLANCHE 5. - Frontispice du traité de l'humaniste italien Agostino Mascardi, Ethic"e profusion es.
publié à Paris chez l'éditeur Sébastien Cramoisy, en 1636.
(Voir texte p. 226 et biblio. n" 771.)
PLANCiIF 6. - Frontispice du traité d'Agostino Nlascardi, Romanae dissertatione.\, Paris.
Cramoisy, 1636.
(Voir texte p. 226 et biblio. n" 772.)
meditutiones in
PLANCHE 7. - Frontispice de l'ouvrage du P. Jeronimo Nadal, S.J., Adnotationes et
Evangelia, Anvers, 1594.
(Voir texte p. 259 et biblio. n' 952.)
PLANCHE 8. - Planche intérieure de l'ouvrage du P. Nadal, Adnotationes et meditationes in Evangelia,
Anvers, 1594.
(Voir texte p. 259 et biblio. n° 952.)
PLANCHE 9. -- Frontispice de l'édition Artus Thomas sieur d'Embry de la traduction par Blaise de
Vigenère des Images ou Tableaux de Platte Peinture des deux Phi/ostrates sophistes grecs,
Paris, 1614.
(Voir texte p. 260 et biblio. n" 125.)
PLANCHE 10. - Planche intérieure de l'ouvrage de Vigenère, dans l'édition Artus Thomas,
Paris, 1614.
(Voir texte p. 260 et biblio. n" 125.)
PLANCHE II. - Frontispice du traité du P. Melchior de La Cerda, SJ. Usus et exercitatio
demonstrationis, Cologne, 1617.
(Voir texte p. 272 et biblio. n° 944.)
PLANCHE 12. - Frontispice du traité du P. Etienne Binet, S.1., Essay des merveilles de Nature et
des plus nobles artifices, Rouen, 1621.
(Voir texte p. 264-271 et biblio. n° 851.)
PLANCHE 13. - Frontispice du recueil du P. Pierre Coton, SJ., Sermons sur les principales et plus
difficiles matieres de la foy, Paris, 1617
(Voir texte p. 263 et biblio. n" 862.)
PLANCHE 14. - Frontispice du recueil du P. Nicolas Caussin, S.1., Electorum Swnb%rum el
paraholarum hi.\·toricarum syntagmata, Paris, 1618.
(Voir lexle p. 280-281 el biblio. n" 860.)
EI . OQ\·"E\J
S;\CR',~
r H'v'f\.t·~''\/\:J
PARAI~LEL/\

PLANCHE l5. - Frontispice du traité du P. Nicolas Caus . . in. Eloquentiue S(lcrae et hunumae
parulie/a, La Flèche, 1619.
(Voir texle p. 286·298 et biblio. n" 852.)
PLANCHE 16 - Frontispice du traité du P. Nicolas Caussin, S.1., La Cour minte ou l'institution
chrétienne de" Grands, Paris, 1624.
(Voir texte p. 362-370 et bibl iD. n" 854.)
PLANCHE 17 - Frontispice du traité du P. Francisco de Mendoça, SJ., Viridarium sacrae el
profanae auditionis, Lyon, 1635
(Voir biblio. n" 949.)
PLAr-..:CHE 18. Frontispice du traité du P. Gérard Pelletier, SJ., Palatium regil1ae e/oquef1tiae,
Paris, 1641.
(Voir texte p. 343-349 ct hiblio. n" H84.)
PLANCHE 19. - Frontispice de l'ouvrage du P. Pierre Le Moyne, S.J., Les Peintures Morales, t. l,
Paris, 1640.
(Voir texte p. 379-391 et biblio. n' 874.)
LE PARADIS DES FIDELES MORTS.
PLANCHE 20. - Planche intérieure du t. Il de, Peintures Morales, Paris, 1643.
PLANCHE 21. - Frontispice du recueil Les Remonstrances de Messire Jacques de La Guesle.
Procureur General du Roy, Paris. 1611.
(Voir texte p. 476 et biblio. n" 557.)
PLANCHE 22 ~ Frontispice du recueil des Remorlstrances ouvertures de Palais et arretez prononcez
en Robes rouges par Messire André de Mesmond, ... Premier Président au Parlement de Bourdeaux,
Poitiers, 1617.
(Voir texte p. 476 et biblio. n" 618.)
PLANCHE 23. - Frontispice de l'ouvrage de Puget de La Serre, Le Bouquet des plus bel/es fleurs de
l'Eloquence, Paris, 1624.
(Voir texte p. 543 et biblio. n" 572.)
PLANCHE 24. - Frontispice de l'ouvrage de J. Dupré de La Porte, Le Pourtraict de l'Eloquence
françoise, Paris, 1621.
(Voir texte p. 536-543 et biblio. n" 483.)
PLANCHE 25. - Frontispice d'après un dessin de Nicolas Poussin. des Puhlii Virgilii Maronis Opera,
Paris, Imprimerie royale. 1641.
L'ILLUSTRATION DES TRAITÉS DE RHÉTORIQUE
ET D'ÉLOQUENCE

NOTICES DES PLANCHES

PLANCHE 1.

L'effigie gravée de Muret est ici héroïsée par l'ovale d'un camée à
l'antique et par les inscriptions latines: l'ouvrage posthume est traité
en tombeau fixant les traits définitifs de la gloire de l'humaniste fran-
çais, liée à celle de l'Eglise romaine et à celle de Rome.

PLANCHE 2.

Ce frontispice représente un retable, architecture éphémère de fête


religieuse, orné de festons, de devises, de peintures et de statues de
saints. li métaphorise le livre en chapelle ardente dédiée à l'Eloquence
sacrée. Dans le vide ouvert par le fronton brisé, une effigie peinte du
Christus Orator prêchant assis sur un trône épiscopal. Elle est encadrée
par les statues de saint Pierre et de saint Paul dotés de leurs symboles
accoutumés: les clefs, le livre ouvert, l'épée. Le titre de l'ouvrage est
gravé à l'étage inférieur sur un linge liturgique qui voile probablement
le tabernacle et le Saint Sacrement. Entre les deux paires de colonnes,
deux paires de devises sont suspendues: cons onet ut sonet; ardeat ut
leriat et quod sonlls hoc index; inl/ante spiritu, où s'entrecroisent les
lieux métaphoriques de l'éloge de l'éloquence, douceur musicale du
de/ectare, véhémence fulminante du docere et ceux de l'éloquence sacrée:
appel au pécheur pour l'avertir que l'heure de la mort et du repentir
cst proche, invocation à l'inspiration divine. Sur le socle du retable,
deux couples de Pères de l'Eglise: saint Grégoire le Grand et saint
Bernard de Clairvaux, saint Jean Chrysostome et saint Augustin, enca-
drent une devise: Verbo Domini. L'ensemble de l'édifice à trois étages
résume la majesté sacrée de l'Eloquence ecclésiastique, dont la source
est dans le Verbe divin, qui fait tourner les astres autour de la terre
et qui, par la médiation de l'Eglise, ramène l'humanité pécheresse à la
vérité et au salut. Les formes architectoniques empruntées au vocabulaire
antique, surchargées de signes modernes et catholiques, sont au surplus
investies d'une fonction symbolique: celle de représenter l'ordre et l'unité
organique de l'Eglise triomphante et militante, du Ciel et de la terre,
du Verbe divin et de ses interprètes dans le monde sublunaire. Version
bien romaine du cicéronianisme dévot.
854 NOTICE DES PLANCHES

PLANCHE 3.

Ce frontispice représente un monument allégorique, autre type d'ar-


chitecture éphémère rythmant l'itinéraire d'une fête, par exemple à Rome
la « prise de possession» de la ville par un nouveau pontife. Il méta-
phorise le livre en temple de l'Eloquence profane, soumise à l'autorité de
l'Eloquence sacrée. Sur le socle central, assise sur une chaire et s'ap-
puyant sur un gouvernail, se dresse une statue de l'Eloquence profane
(Ars orataria) rectrice de la société civile (les fasces consulaires) et de
la sagesse humaine (le caducée de Mercure). De son bras droit, elle
montre le Ciel où elle puise elle aussi son inspiration. Sur deux socles
symétriques, à ses pieds, la statue de l'Histoire, une vieille femme qui
mesure au compas, dans un miroir-sorcière, la vérité, fWa temparis, et
celle de la Poésie, une jeune fille qui porte les symboles du Drame
(un masque tragique) et du Lyrisme contemplatif (une lunette astrono-
mique). Cette Sacra canversazione entre les tmis pieuses Muses repose
sur un socle plus large, orné de bas-reliefs. Sous la statue l'Histoire, un
Imperator harangue ses troupes; sous la Poésie, une scène homérique:
Zeus envoie Hermès au camp des Orecs devant Troie. Sous l'Eloquence,
une devise dont l'âme est: Dacet ut de/eetat et dont le corps est un
jardin artistement ordonné en horloge solaire. Le programme de clas-
sicisme qui s'énonce ici est entièrement ordonné à l'esprit de réforme
chrétienne de l'Eglise tridentine.

PLANCHE 4.

Ce frontispice d'esprit très italien introduit en fanfare la traduction


par Georges de Scudéry des Furari della Oiaventù de Giambattista Man-
zini, un prosateur mariniste itaiien. Le rapprochement s'impose avec le
frontispice de l'Oralar chrisfianus (Pl. 2). C'est le même parti architec-
tonique transposé dans le registre profane, comme si l'Eloquence profane
n'était que le double ludique de l'Eloquence sacrée. Même fronton brisé
au sommet d'un « retable» de fête, mêmes devises en pendentif ou en
bas-relief sur le socle. Les anges sonnent la Renommée, et non plus la
majesté, du Verbe.

PLANCHE 5.

Ce frontispice allégorique rompt avec le parti jusque-là obligé du


retable ou de l'arc triomphal. Il demeure cependant lié à l'idée d'Entrée,
de seuil sacré. Mais celle-ci est désormais intégrée dans un espace pic-
tural ou théâtral et les personnages allégoriques ne sont plus des statues
fixées à une architecture frontale, mais des acteurs interprétant une
action dans un lieu scènique montré selon une perspective de biais. Devant
une porte surmontée par le titre du livre, traité en inscription, Mercure,
dieu de l'Eloquence, invite à entrer Minerve, déesse de la Sagesse, qui
rengaine son épée, et Eros, dieu de l'Amour, qui brise son arc et ses
NOTICE DES PLANCHES 355

flèches. L'Art oratoire est la psychagogie de la tranquillitas animi, de la


paix d'une âme conquise par la sagesse. Le spectacle allégorique du
frontispice métaphorise le livre en temple de cette sagesse. A rapprocher
du frontispice du Palatium Reginae Eloquentiae (PI. 18).

PLANCHE 6.

Même principe de représentation qu'à la planche précédente. L'idée


de l'entrée, du seuil, de la porte, est maintenue, mais elle s'affaiblit au
point de devenir un simple élément de décor, à l'arrière-plan. Au premier
plan, un « tableau» ou une « scène» de théâtre occupe toute l'attention:
Caïn sur le point d'assassiner son frére Abel. Les signes silencieux
révélant les passions des personnages sont soulignés par l'allégorisme
des angelots. L'un dévoile le visage, theafrum animi, de Caïn contracté
par la jalousie et la haine; l'autre tend un flambeau enfumé qui allume
dans le cœur du criminel le feu dévorant et noir qui lui fait soulever son
épée. Un troisième tient un miroir où se reflète la pureté du cœur d'Abel,
dont le visage paisible et sans méfiance est penché, tel celui d'un saint
Roch, vers un chien fidéle quïl caresse, image de sa foi confiante en
Dieu. Le sujet du livre est bien résumé par cette action de caractère
très théâtral. La gravure des pl. 5 et 6 est signée]. Picar!.

PLANCHE 7.

Retour en arrière chronologique, et retour aussi au principe du


retable-arc triomphal. Le fronton brisé, sur lequel sont assis des anges
porteurs de plames porte en son centre le sigle de la Compagnie de
Jésus, le JHS flammé surmonté d'une croix, au dessus des trois clous.
Encadrant le titre, traité en inscription à l'antique, les statues dans leurs
niches des quatre évangélistes. Sur le socle, quatre lunettes peintes repré-
sentent des Pères de l'Eglise: Grégoire le Grand, Ambroise, Augustin,
Jérôme.

PLANCHE 8.

Cette scène de l'Evangile gravée, illustrant les Adnotafiones du


P. Nadal, n'est qu'un exemple dans une série qui résume en « tableaux '>
toute la Vita Christi. La liberté d'invention du dessinateur -- qui utilise
des éléments du vocabulaire plastique de la Renaissance, espace en per-
spective, toges anoblissantes et gestes éloquents à l'antique, des per-
sonnages sacrés - est aussi étroitement soumise à un programme dicté
par l'auteur ecclésiastique du livre que pouvait l'être un «ymagier»
médiéval. Le programme est ici inspiré par des considérations mnémo-
techniques: l'espace de la représentation est orienté par un trajet et le
trajet balisé par des points de repère: A, B, C. Les « points .. essentiels
du texte évangélique sont ainsi soutenus dans la mémoire par le pitto-
resque de l'image et sa logique plastique. Ils correspondent aux « points"
856 NOTICE DES PLANCI-IES

essentiels de la « méditation» sur le texte à laquelle l'image doit aider.


A chacun de ces points correspond, dans la section imprimée de l'ouvrage,
un recueil de «citations» bibliques et patristiques propres à nourrir
cette méditation méthodique. La memoria, la copia et la dispositio du
discours intérieur pieux sont ainsi soigneusement préparés pour l'utili-
l'ateur du livre. Chaque planche correspondant à un évangile dominical,
c'est l'ensemble de l'année liturgique qui devient une retraite ininterrom-
pue d'exercices spirituels. (Voir Frances Yates, l'Arf de la mémoire,
biblio. n° 1266).

PLANCHE 9.

L'étrange édifice représenté sur cette gravure de frontispice est la


métaphore du livre de Vigenère, «galerie» de tableaux allégoriques et
symboliques où toute une encyclopédie savante est décryptée dans le jeu
de miroirs de la description et de l'image. C'est une mnémotechnique
profane qui fait pendant à la mnémotechnique sacrée des Adnofationes
de Nada\. De la coupole du Templum memoriae (au dessus du lanternon
brille le soleil, métaphore de l'intellect et dans une des fenêtres apparaît
en buste l'auteur du livre, Vigenère) partent deux galeries qui ouvrent
une sorte de coin au regard et le prennent au piège (la colonnade du
Bernin, devant la coupole de Michel Ange, quoique édifiée selon le prin-
cipe de l'ovale brisé et non de l'angle ouvert, répond à la même finalité).
Sur les murs de ces deux galeries, des «tableaux de platte peinture»
que méditent de doctes personnages. Au dessus des pavillons qui
rythment les galeries, des anges-amours sonnent les trompettes de la
Renommée d'où sortent des phylactères gravés de devises: USQUE
AD FINES ORBIS TERRARUM ; IN AETERNUM. L'ambition encyclo-
pédique de ce Vatican du savoir humaniste enveloppe donc la totalité
de l'espace et du temps. Entre les deux galeries, au pied de la coupole,
au fond de l'angle, un groupe de statues: Apollon et les neufs muses.
Au premier plan, le titre du livre est traité en parterre de jardin imitant
une inscription à l'antique.

PLANCHE 10

Dessinée par Antoine Caron, cette planche laisse supposer que l'édi-
tion Artus des Images ou Tableaux de Vigenère a été conçue dès la fin
du règne d'Henri III, comme la Civitas Veri d'Alphonse d'Elbène. Inter-
prétée dans son sens moral par deux quatrains d'Artus, sieur d'Embry,
l'image d'Ajax le Locrien saisi dans les replis de la foudre, de Jupiter
devient l'emblème de l'ubris humaine et de son inévitable châtiment.

PLANCHE Il

Ce frontispice gravé mime la marquetterie de cuir d'une reliure


lourdement ouvragée, elle-même mimant la ferronnerie d'une porte ou
NOTICE DES PLANCHES ~157

d'un couvercle de coffret. Au dessus du médaillon de titre, la devise


Omnibus O1llnia avec pour corps le soleil, qui sera réutilisée dans l'Imago
Primi SaecuU SI parmi celles propres à la Société de jésus. Dans le
médaillon central, entouré de la devise ln universa terra admirabile nomen,
le sigle de la Société, déjà rencontré sur le frontispice des Adnotationes
(PI. 7) : le j.H.S. flammé surmonté d'une croix, au dessus des trois clous,
avec ici la variante fréquente du cœur transpercé. Ce médaillon est
encadré par deux anges en prière, et les « ferrures" de la reliure sont
parsemées de fleurs, symboles de l'éloquence (Voir Le Parterre de la
rhetorique françoise, biblio. n" 391 et le titre d'un autre traité du P. de
La Cerda : Eloquentiae Campus, biblio. n" 945).

PLANCHE 12

Sur ce frontispice du type retable-arc de triomphe, une statue de


l'Eloquence en majesté siège au dessus de la loge centrale, encadrée par
deux pots à fleurs (voir la pl. précédente) et brandissant d'une main la
foudre, tandis que l'autre tient un livre ouvert. Debout devant les deux
paires de colonnes ioniques qui saillent de chaque côté de la loge cen-
trales, une statue de la Nature, tenant d'une main un soleil (symbole du
judicium), de l'autre une corne d'abondance (symbole de la copia rerum),
et .une statue de l'Art, tenant d'une main un compas (comme l'Histoire,
sur le frontispice des Proillsiones academicae, pl. 3) et un globe. Sur le
socle, sous la statue de la Nature, un bouquet de fleurs; sous la statue
de l'Art, une composition rassemblant des instruments de mesure: com-
pas, sextant, boussole, règle. La Nature est ainsi perçue sous le signe
de l'abondance, l'Art sous celui de l'élagage judicieux et approprié. La
gravure est signée j. Picart.

PLANCHE 13

Ce frontispice de type retable (signé Mich. Faure) conjugue la repré-


sentation de la peinture Oe panneau supérieur et les deux socles) et celle
de l'architecture et de la sculpture (les deux paires de colonnes corin-
thiennes encadrant le titre, et les deux statues allégoriques dressées
devant celles-ci). Le panneau supérieur, représentant une peinture assez
sommaire de chérubins en prière sur un fond de nuages, sert de décor à
une statue du Christus Orator, assis en majesté et prêchant. Son trône
est dressé sur un socle pourvu de deux longs manches destinés à son
transport processionnel, à l'occasion d'une fête religieuse. A l'étage
inférieur, de chaque côté du titre, un Père de l'Eglise grecque (probable-
ment saint jean Chrysostome, auteur du Miroir et boëte de saincle Mag-
deleine, tiré du cabinet de saint Jean Bouche d'Or, traduit par Fédéric
Morel et publié à Paris, en 1599 [Rés. C 2721 (6)]) et sainte Marie-
Madeleine en prière et le regard tourné vers le saint, médiateur de la
parole divine. Sur les socles, une devise s'applique à l'éloquence de
faint jean Chrysostome: Renovabor, accompagnée de l'image du Phénix;
une autre s'applique à la Madeleine: un soleil se reflétant dans un
858 NOTICE DES PLANCHES

bassin, avec la sentence: si quiescat, désignant l'âme pécheresse que


l'éloquence peut conduire au repentir et au repos.

PLANCHE 14

Ce frontispice, signé Léonard Gaultier, emprunte ses références plas-


tiques à un autre domaine de l'architecture éphémère des fêtes, celui des
fontaines monumentales. Pyramides couvertes d'hiéroglyphes, cornes
d'abondance, Dieu Nil et crocodile, ornent un édifice hydraulique qui
symbolise la circulation du Verbe divin, depuis l'Agneau dressé sur le
Mont Thabor et portant sur son oriflamme l'inscription latine: Fons
sapientiae Verbum Dei in excelsis, jusqu'aux eaux terrestres du fleuve
Nil qui écoule dans le temps humain la parole de salut (Voir Ile partie,
pp. 280-283).

PLANCHE 15

Pour ce vaste traité de rhétorique, M. Tavernier a gravé, sur un


programme probablement dicté par l'auteur lui-même, le P. Caussin,
un retable-arc de triomphe à trois étages, analogue à celui des pl. 2, 7, 12
et 13. A l'étage supérieur, la reine Eloquence, sculptée en haut-relief, est
assise sur son trône, tenant d'une main la corne d'abondance et de
l'autre le caducée. Appuyés contre ses gcnoux qu'ils dissimulent, l'écus-
son et les armes du roi Louis Xlii, à qui l'ouvrage est dédié. De chaque
côté du trône, outre les angelots qui volétent autour du trônc, deux
figures allégoriques sculptées s'avancent pour rendre hommage à la
reine, l'une masculine, les yeux bandés, tenant un vase clos, l'autre
féminine, tenant une couronne et accompagnée d'un paon. L'étage infé-
rieur, orné de deux paires de Colonnes corinthiennes, voit se dresser
devant celle de gauche une statue masculine d'orateur à l'antique, dont
le sens allégorique, en correspondance avec la figure masquée de l'étage
supérieur, est indiquée par le mot grec BIA : la Force, aveugle d'abord,
puis éloquente; devant la paire de droite, une statue féminine âgée, vue
de profil, drapée elle aussi à l'antique, mime l'acte de plaider: elle est
la transfiguration, après la rencontre de la reine Eloquence, de la figure
féminine de l'étage supérieur, plus jeune et encore imbue de vanité. Elle
est PEITHO, l'allégorie de la douceur persuasive, parente de la beauté;
conjuguée avec la force, elle résume le pathos oratoire. A l'étage du
socle, deux tableaux emblématiques répètent la signification des deux
statues allégoriques: l'éclair de la foudre, métaphore de la véhémence
oratoire; les sirènes, métaphores de la douceur qui touche les cœurs.
L'ensemble de l'édifice - qui donne la sensation tactile de reproduire
un modèle travaillé dans le bois - a l'aspect d'un portique qui résume
- sous le voile des symboles - une des leçons centrales du traité qu'il
inaugure.
NOTICE DES PLANCHES 859

PLANCHE 16

Ce frontispice signé Briot semble représenter le tableau final d'une


tragédie sacrée fictive, avec machines. A l'étage supérieur, et en toile
de fond peinte, une assemblée de rois de France, auréolés et assis en
majesté, entourent une gloire où apparaît le sigle jésuite réduit au j.H.S.
surmonté d'une croix. A l'étage intermédiaire, comme si elle venait de
descendre des cintres célestes sur la scène terrestre, une actrice joue
le personnage de SANCTIT AS, dont le nom apparaît dans l'auréole
hérissée de pointes lumineuses qui rayonne de son visage. Elle prêche,
et au sommet de sa main droite apparaît une étoile; de sa main gauche,
elle tient les insignes de la royauté, le sceptre et la couronne. A sa droite
et à sa gauche, deux anges tenant chacun un phylactère, avec les ins-
criptions : inter spinas secur, in/el' flammas intac!a. La Sainteté a touché
terre au sommet d'un rocher où flamboie un bûcher, où verdoie un buisson
d'épines. Au pied du rocher, et de même taille que celui-ci, un acteur
debout, les bras levés, lui rend un hommage d'admiration; une actrice
debout, d'un geste éloquent, invite à lui rendre le même hommage. Tous
deux sont auréolés et surmontés d'un phylactère où l'on peut lire, au
dessus de l'homme: Ibo rt videbo visiunem hanc magnam ; au dessus
de la femme: Hac itur in astra. Ce sont peut-être saint jean-Baptist~ et
sainte Marie-Madeleine. eett composition - qui rappelle vaguement
celle de l'Assunta du Titien - résume le sens de La Cour Sainte: même
et surtout au milieu des périls et des épines de la Cour, la sainteté peut
triompher, comme le prouvent tant d'exemples, en particulier celui de
saint Louis, ancêtre éponyme et modèle de Louis XIII.

PLANCHE 17

Frontispice signé Grégoire Huret, dans la manière virtuose et la


matière quasi picturale de ce grand graveur. Comme dans la pl. 16, le
retable-arc de triomphe est infléchi ici vers le théâtre et la peinture de
décors de théâtre; son personnel allégorique est infléchi de la sculpture
vers l'art du comédien «vivant ». L'étage supérieur de l'édifice repré-
sente, derrière une balustrade somptueusement ornée, entre autres d'em-
blèmes floraux (la rose, avec la sentence biblique: Labia dolosa, Ps. 30 ;
la tulipe, avec la sentence: N oluit intell1gere ut bene ageret), ct à l'arrière-
plan d'une porte monumentale, un jardin. Sous l'arc de la porte, et devant
la perspective d'une majestueuse allée bordée d'arbres, se dresse l'Ar-
change saint Michel, l'épée flamboyante à la main; à ses pieds une
devise: Cus/os est divitis horti, virg. Eclog. 7. C'est l'allégorie du Viri-
darium du titre, métaphore de la copia rerum. Voir le frontispice de
l'Essay du P. Binet (pl. 12) où la Nature métaphorise la copia, corrigée
par l'Art qui élague et ordonne cette copia selon la convenance. L'image
du jardin fait la synthèse de la copia remm et du judicium.
Mais c'est un jardin qui, comme celui d'Eden, est interdit aux
860 NOTICE DES PLANCHES

profanes et aux pécheurs: franchir son seuil suppose une purification


préalable. Les deux adjectifs du titre (sacra et profana) sont allégorisés
par les deux actrices jouant, à l'étage intermédiaire, de chaque côté
du titre, le rôle l'une de l'Eruditio sacra, reine pudique baissant les
yeux, l'autre l'Eruditio profana, jeune fille plus élégante que majestueuse
et regardant le spectateur: les deux actrices soulèvent un phylactère
qui les unit et qui porte des mots: Utraque manu, virg. comme pour
souligner leur collaboration, l'une étant la princesse et l'autre la suivante.
A l'étage inférieur, le nom de l'auteur, dernière section du titre, est
illustré par un portrait du P. Mendoça, représenté à mi-corps, de biais,
dans la posture d'écrire, selon un modèle qui remonte à l'Erasmc d'Hol-
bein. De chaque côté de ce portrait, deux médaillons contiennent chacun
une devise: Folium ejus non defluel, qui fait allusion à la transcendance
des sciences sacrées par rapport au temps humain, et Torrente voluplatis,
qui renvoie à la deleelatio, à la douceur persuasive (voir l'antithèse
Bia/Peithô sur le frontispice des Parallela du P. Caussin, pl. 15). L'édifice
visuel du frontispice glose donc, allégoriquement et minutieusement, le
programme de l'ouvrage tel que le titre le résume: une topique de l'in-
vention tirée des auteurs de l'Antiquité païenne et chrétienne, la première
destinée à l'ornement agréable, l'autre à l'édification solide.

PLANCHE 18

Autre frontispice signé Grégoire Huret. L'idée de porte, de seuil solen-


nel et sacré, présente dans la plupart des frontispices, sinon dans tous,
est modifiée ici, comme dans les frontispices contemporains de J. Briot
(pl. 5 et 6) par le parti théâtral et pictural de la représentation. Le péri-
~tyle, de style romain, d'un palais royal, est montré ici de profil, comme
pour définir un espace théâtral. Les deux paires de colonnes et l'enta-
blement sont richement ornées de panneaux peints - ou traités en
bas-relief - et de devises rattachées par des festons. Panneaux et
devises illustrent les divers chapitres du traité ,: Ara Eloquentiae ; Ar-
mamenlum Eloquentiae; Thealrum Eloquentiae'; Coelum Eloquentiùe;
Triumphus Eloquenliae; Tribunal Eloquentiae; Thronum Eloquentiae,
dont les titres métaphoriques, outre celui de l'ouvrage, énumèrent les
images, mais aussi les institutions réelles, auxquelles l'éloquence est
associée au XVII" siècle, Sur les marches du péristyle, le graveur a repré-
senté la scène conclusive de ce qui pourrait être une tragédie sacrée,
telle la Rodogune de Cornei\1e (1644) ou telle tragédie de Collège jésuite.
Debout et dominant la scène, une actrice semble incarner la reine Elo-
quence qui, de la main droite, invite Mercure (debout devant la paire de
colonnes symétrique de celle devant laquelle elle-même se tient, voir
pl. 12, 13 et 15) à faire entrer dans son Palais le Duc d'Enghien et son
frère Conti, deux portraits «au naturel» et en costume de cour Louis
XIII. Aux côtés de la reine Eloquence, Minerve brandissant l'épée et
Apollon, tendant son arc, achèvent d'anéantir un groupe de Vices dont
les corps blessès, dans un grand déploiement de gestes de terreur et de
NOTICE DES PLANCHES 331

désespoir, s'amoncellent sur les marches. Rapprocher le geste d'invi-


tation de celui de Mercure, sur le frontispice des Prolusiones elhicae,
Pl. 6. Rapprocher le groupe allégorique de Minerve terrassant les vices
de celui que sculpta plus tard à Rome Duquesnoy, et qui orne l'autel
de saint Ignace au Gesù de Rome: l'Eglise lerrassaill l'hérésie. Toute
une culture s'évoque ici : architecture, peinture, arts décoratifs, devises,
allégories, mythologie; éthique et rhétorique fusionnent harmonieusement
dans un espace théâtral qu'organise l'antithèse du Bien et du Mal, de la
vraie et de la fausse Eloquence, au service du Grand Œuvre de la société
catholique et monarchique: l'éducation humaniste et chrétienne des
Princes.

PLANCHE 19

Ce frontispice signé Grégoire Huret adopte le même parti spatial que


le précédent, bien que la scène reste vide d'action. La gravure renonce à
la perspective frontale et aux étages superposés des frontispices-retables
pour adopter la perspective de biais - anticipant sur le style des Bib-
biena - et l'unité de lieu propre à l'espace pictural du tableau de chevalet
ou de la scène tragique. Les trois registres superposés subsistent tout
de même, mais ils sont fondus harmonieusement dans un espace qu'uni-
fient puissamment les pilastres corinthiens de l'édifice central: à la
hauteur de la balustrade, en effet, volète un groupe d'angelots portant
des couronnes et un écusson sur lequel se lit le titre de l'ouvrage; au
dessous de la galerie qui occupe le vaste étage intermédiaire, deux grands
pots à fleurs et un parterre de broderies végétales marquent la survi-
vance du socle orné des retables de naguère (Voir par exemple le bouquet
de fleurs sur le socle gauche, pl. 12). La galerie qui occupe le centre de
la composition, et qui saille vigoureusement sur le fond d'une profonde
perspective de biais, n'est qu'une aile d'un vaste palais dont le plan
n'ensemble, qu'on peut distinguer aisément grâce à la netteté des loin-
tains, est tout à fait analogue à celui qui, vu d'une perspective plongeante
et centrale, occupait tout le frontispice des Images el Tableaux de Vige-
nère (pl. 9). Les {( peintures» des deux galeries étaient, dans ce parti
naïf, à peine esquissées et visibles. lei, grâce au point de vue de biais
ct d'en bas des marches, deux de ces peintures peuvent être montrées
Iisiblemcnt. Le parti-pris de valoriser un détail ne nuit donc pas à la
perception de l'ensemble et permet de mieux comprendre comment fonc-
tionne ce Palalium Memoriae tapissé de « peintures morales », métaphore
plastique de celui qu'a éloquemment édifié, dans l'espace imprimé du
livre, le P. Le Moyne.

PLANCHE 20

Une des gravures de Grégoire Huret redoublant par l'image les des-
criptions morales du P. Le Moyne, au L. II de son traité. Ici, c'est l'inven-
tion poétique et allégorique du « Paradis des fidèles morts », où le P. Le
Moyne s'accorde la licence théologique, au nom de la vraisemblance
862 NOTICE DES PLANCHES

propre aux poètes, d'imaginer un Templum Memoriae, édifié sur une


île, et où les victimes de la fidélité amoureuse trouveraient sépulture et
gloire éternelles. Cette description d'un lieu mythique et imaginaire était
eil puissance une ekphrasis à la manière de Philostrate. Le graveur
Huret, de son côté, comme Antoine Caron pour les ekphraseis traduits
par Vigenère, a conçu sa gravure comme si elle reproduisait un tableau
de maître traitant le même sujet que la description du P, Le Moyne.
« Peinture muette» et «peinture parlante» rivalisent donc ici à servir
i'invention du poète jésuite, qui elle-même est au service d'une mnémo-
technique de la séduction, destinée à imprimer dans les âmes une éthique
chrétienne des passions, eile-même rendue intrinsèquement «douce» et
~éduisante par le molinisme de l'auteur. Vertige des ricochets d'images
dans les miroirs.

PLANCHE 21

Nous passons ici du côté des parlementaires gallicans. Mais l'auteur


de la gravure de ce frontispice est Léonard Gaultier, qui a aussi travaillé
pour le jésuite Caussin (Voir pl. 14). Il s'est toutefois accommodé à
l'esprit sévère de la Grande Robe française. L'idée de retable fait place
ici à celle d'arc de triomphe, qui lui est d'ailleurs fod voisine, mais qui
est plus convenable à un Prince de la noblesse de robe. L'étage supérieur
est traité en dais, sous lequel siègent en majesté, sur les lys, les deux
rois que servit fidèlement tour à tour Jacques de La Guesle : Henri III
et Henri IV, chacun représenté comme présidant une séance du Parlement,
avec tous les ornements du sacre, couronne, sceptre, main de justice,
manteau fleurdelysé. Tous deux portent aussi le collier de Grand-Maître
de l'ordre du Saint-Esprit fondé par Henri III. Entre eux, un globe
terrestre où la France occupe tout l'espace géographique, lui-même sur-
monté de la couronne fermée de saint Louis. A l'étage moyen, encadré
par les armes des deux rois, le médaillon portant le titre de l'ouvrage.
Au pied des deux pilastres, de chaque côté de l'inscription de l'adresse
ct du nom du libraire, deux statues allégoriques, l'une de la justice,
tenant l'épée et la balance, l'autre de la Loi, tenant les Tables de Moïse.
Deux cornes d'abondance, symbolisant la copia rerum du Droit et de
la jurisprudence, répandent leurs trésors au pied des deux statues.

PLANCHE 22

Dans ce frontispice, la formule retable semble adoptée, quoique pour


un recueil typiquement robin. Il est vrai que le Président de Nesmond
était ami des jésuites, et que le graveur provincial a peut-être négligé
des convenances plus perceptibles à un Léonard Gaultier. Toutefois ce
« retable» pourrait aussi bien être un cadre d'ébène pour tableau ou
miroir, d'un type fréquent au XVIe siècle et archaïque en 1617. Les per-
sonnages allégoriques seraient en cette hypothèse des pièces d'une matière
différente rapportées sur un cadre de bois. Sur le fronton, le graveur a
NOTICE DES PLANCHES 863

posé deux anges porteurs de palmes, qui, assis, tiennent un écusson


armorié. A l'étage médian, deux statues allégoriques: l'une de la Justice,
lcs yeux bandés, et tenant l'épée et la balance; l'autre de la Charité,
secourant des orphelins et tenant dâns l'autre main le rameau d'olivier.
Devant le socle, deux pots à fleurs (voir pl. 12 et 19) encadrant un autre
écusson armorié, traité en marquetlerie, semble-t-il. Les armes du fron-
Ion sont ccux du Président de Nesmond, ceux du socle ceux du libraire.

PLANCHE 23

Sur le frontispice de ce recueil anthologique, le bouquet de fleurs,


qui apparaît souvent dans ce genre d'ouvrages sous forme de fleurs en
pot (voir pl. 12, 17, 19 et 22) occupe tout l'espace au lieu de ne figurer
qu'à une échelle réduite, à titre de détail. Le graveur s'est inspiré d'un
genre rendu célèbre par la peinture hollandaise. Chaque fleur représente
allégoriquement l'éloquence d'un des auteurs cités dans l'anthologie. La
tulipe centrale porte le titre, qui forme une phrase nominale (( bouquet ...
cueilly dans les jardins des Sieurs ») achevée par les noms figurant sur
les autres fleurs. Le pot, avec scs guirlandes et sa tête de lion en relief,
est d'une lourde somptuosité, inusitée dans les tableaux hollandais de
ce genre. La gravure est signée Crispin de Pas.

PLANCHE 24

Version gallicane et sévère, par Michel Lasne, du frontispice jésuite


des Prolusiones Academicae (pl. 3). Sur un socle cylindrique se dresse
le trône de la reine Eloquence, portant la couronne fermée et fleurdelysée
des rois de France, l'armure de Minerve et le vaste manteau liturgique de
la Vierge de Miséricorde. Au dessus d'elle, deux angelots sonnent de
la trompette, avec un phylactère où l'on peut lire: « 11 fait bon la servir ».
Un autre phylactère se déploie à la hautcur de la tête de la reine, avec
l'inscription: « Je ne tiens mes sujets qu'aux gages de l'honneur», ce
que confirment le coffret de piéces d'or et le sceptre, avarice et ambition,
qu'elle foule aux pieds. Elle couronne de lauriers deux personnages
debout au dessous de son trône. Le phylactère dit: « Encore celle-cy,
et cette autre encore.» Les deux personnages, en habits du temps (voir
pl. 18) sont l'un un gentilhomme de Cour (le Duc de Longueville, Gou-
verneur de Normandie, selon Jeanne Duportal), l'autre un haut dignitaire
du Parlement (Guillaume Du Vair, Garde des Sceaux, selon le même
auteur). Sous le socle du premier, une devise commentant l'entrelacement
de l'épée et du caducée: « Le miel est en sa bouche et le fer en ses
mains» ; sous le socle du second, U/1 caducée entouré de palmes est
commenté en ces termes: «Le miel est en sa bouche et le droie! en ses
mains.» L'ensemble de la composition est complété par un étroit ban-
deau qui traite le frontispice comme le «corps» d'une devise don!
« l'âme» est ainsi formulée: «Donnez Illy vostre espée et prenez sa
balance, vous serez l'abrégé de l'humaine prudence. » C'est bien la thèse
864 NOTICE DES PLA]\;CltES

centrale du livre, qui appelle au ralliement de la noblesse d'épée à


l'éloquence des Parlements, moyennant quelques concessions « ornemen-
tales» de la part de celle-ci.

PLANCHE 25

Gravé d'après un dessin de Nicolas Poussin pour un ouvrage publié


sur les presses de la Typographie royale en 1641, ce frontispice pourrait
aisément passer, grâce à son évidente parenté avec l'Inspiration du Poete
du Louvre, pdur une manifestation et un symbole du « Premier classi-
cisme» ou « Classicisme Richelieu ». Mais L'Inspiration du poète, selon
j. Thuillier (Poussin, Flammarion, 1974, p. 92) a été peinte dix ans
pl us tôt et le classicisme de cette planche refléte davantage à la fois
une des facettes du génie personnel de Poussin, et un des versants du
goû t romain, que quelque consensus parisien autour d'un classicisme
plastique. Néanmoins, on peut considérer que la référence si directe
à la plastique antique, si indifférente aux modes mondaines ou dévotes,
telle qu'elle apparaît ici, correspond au moins au goût d'une élite docte
et responsable groupée autour de Richelieu. Le parti adopté par Poussin
pour ce frontispice n'est pas moins audacieux que son style: alors que
la tendance de graveurs comme Grégoire Huret, maître du genre, va
vers le pictural et le théâtral, au sens le plus scénique du terme, Poussin
choisit de se référer à la statuaire, dépouillée, ou quasi, de tout effet
d'espace scénique ou pictural. Son groupe à l'antique, d'un équilibre
raffiné, résume une perception exceptionnellement juste et profonde de
l'art de Virgile et du rythme serein qui transfigure chez le poète le pathos
en beauté, le mouvement en grâce chorégraphique.
TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION .

1. Historiens de la rhétorique aux XVI' et XVII' siècles: Possevin,


Cresso Iles, Naudé, Sorel, Morhof, Gibert, 1-3 ; Passage de l'histoire
de la rhétorique à l'histoire littéraire: de Marmontel à Sainte-Beuve,
3-5; La réforme universitaire de 1885 et l'œuvre de Lanson; place
de l'Art de la prose dans la méthode lansonienne, 5-7 ; Histoire litté-
raire et histoire de la rhétorique: Radouant, Mornet, Cousin, Rivaille,
Dainville, 7-9 ; Renouveau d'intérêt pour la rhétorique dans le milieu
littéraire: Valéry, Paulhan. Passage du «Tel Quel» de Valéry à la
revue Tel Quel: l'idéologie linguistique et la rhétorique, 9-11 ; Fécon-
dité de la philologie romane et histoire de la rhétorique en Allema-
gne : Curtius, Lausberg; aux Etats-Unis: M.-W. Croll, l'Ecole de
Chicago, Ch. Baldwin, H. CapIan, Borgerhoff, Brody, Davidson, Sca-
glione; en Angleterre: Williamson, France, Mc Gowan, 11-14;
Renaissance en France de l'histoire de la rhétorique: rôle pionnier
de B. Munteano; historiens de l'éloquence sacrée (Truchet), de la
traduction (Zuber). Rôle stimulant joué par les historiens de la rhéto-
rique antique: Marrou, Michel. Les synthèses déjà possibles dans
ce domaine: W. Kroll, G. Kennedy, A.-D. Leeman, 14-16; Conjonc-
tion de l'histoire de la rhétorique avec une histoire de la littérature
néo-latine, 16.
II. Le statut de la «littérature >">. Sa définition romantique. Position
de Ernst-Robert Curtius, de Paul Bénichou. Etat présent de la
« littérature", 17-18; De l'Histoire littéraire de la France de Dom
Rivet à celle de Gustave Lanson: privilège que celle-ci accorde aux
écrivains « mondains », et à leur suprême réussite, l'écrivain roman-
tique; effet rétroactif sur notre vue des Lettres au XV,,' siècle, 18-20;
Eloquence française et res literaria savante, 20-22 ; Fonction média-
trice de la rhétorique, 22-23; Statut de la « littérature" au XVII'
siècle: le témoignage de Perrault, de Sainte-Marthe, de Bullart, du
Dictionnaire de Furetière, 23-27; Le témoignage de Naudé, du P.
Granger, 27-28; Coexistence d'une eloquentia savante, qui a pour
elle l'antériorité et l'Antiquité, et d'une éloquence mondaine qui doit
imposer sa légitimité, 28-29 ; Eloquence orale et éloquence écrite, 30 ;
Transfert en langue française des valeurs et des formes de la culture
savante: rôle médiateur des collèges jésuites, 30-31 ; De l'Eloquence
aux Belles-Lettres, 31-32; Principes inspirateurs du plan de cet
ouvrage, 32-34.
866 TABLE DES MATIERES

Première partie: ROME ET LA QUERELLE DU CICÉRONIANISME 35

Introduction: Aetas ciceroniana 37


Eloquentia cum sapientia con jung end a : thème de leçon inaugurale
pour un régent à Paris en 1621,37-40; Trait essentiel, devenu alors
lieu commun ,de la nouvelle culture qui trouve en Italie au XV' siècle
son foyer d'élection, et dont Cicéron, par sa biographie comme par
son œuvre, est le modèle et le maître, 41-45 ; Réactivation des débats
de la rhétorique latine devenus « lieux de l'invention» pour les débats
de la nouvelle culture, 46.

Chapitre premier. - Le «ciel des Idées» rhétorique 47

Cicéron. Le De Oratore, le Brutus, l'Orator .. .. .. 47


L'Eloquentia cicéronienne: alliance de la philosophie et de la rhéto-
rique ; programme de culture et d'action pour une aristocratie civi-
que; conclusion romaine du débat entre Platon et les sophistes,
entre Platon et Aristote sur les conditions de légitimité de la rhéto-
rique, 47-52 ; Le débat autour du De Oratore: atticistes et asianis-
tes, partisans du style sévère et du style fleuri, sur les limites et la
légitimité de l'ornatus ; l'esprit de conciliation qui préside à la syn-
thèse proposée par Cicéron dans le Brutus et l'Orator, 53-57.

Sénèque et Tacite. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. 57
Sénèque, les Letlres à Lucilius, 57-63 ; Sénèque le Rhéteur et Sénè-
que le Philosophe, 57-59 ; Sénèque à la fois tributaire et adversaire
de la «corruption de l'éloquence» décrite par son père. Son éthi-
du style philosophique, sévère dans ses intentions, 59-61 ; Sénèque
et Cicéron, 62-63.

Tacite, le Dialogue des Orateurs .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. 63


Tacite, le Dialogue des Orateurs, 63-70 ; Tacite est la grande révé-
lation de l'érudition humaniste, 63 ; Régime impérial, sophistique, et
salut de la véritable éloquence, 64-65; Idéal esquissé dans le Dia-
logue : fusion de la philosophie, de l'éloquence et de la poésie dans
un art littéraire inspiré par l'exemple de Virgile, 65-68; Deux
manières d'être fidèle à Cicéron dans des conditions historiques
différentes des siennes: Tacite et Quintilien, 69; L'actualité de
Tacite aux XVI' et XVII' siècles n'est pas seulement politique:
l'humanisme fait reposer sa pédagogie sur Cicéron, et doit s'accom-
moder de régimes monarchiques; le passage d'un idéal d'eloquentia
républicaine et scolaire à une littérature adulte, à la fois fidèle à
cet idéal et consciente des réalités institutionnelles, est favorisé par
l'exemple de Tacite et la leçon du Dialogue, 69-70.

Saint Augustin, le De Doctrina Christiana .. .. .. 70


La dernière des grandes rhétoriques antiques est chrétienne. L'idéal
épiscopal est l'occasion d'une reviviscence de l'idéal de l'eloquentia
sénatoriale, 70-71 ; La doctrine augustinienne des signa et la critique
TABLE DES MATlÉRES H67

de la delectatio, 71-72; Cicéron et saint Augustin: de l'Ora/or au


Doclor, 72-73; Les qualités du style sévère chrétien, 73-74; La doc-
trine augustinienne du sublime: inspiration de l'orateur et compunclio
cordis de l'auditoire, 74-75; Le classicisme sévère du De Doc/rina
christiana est travaillé par le soupçon contre l'art oratoire: une
double tentation l'habite: le primitivisme de l'éloquence cordiale
mais sans art, et la liberté de l'autobiographie, dont le pathétisme
est justifié par la sincérité, 75-76.

Chapitre II. - Essor et désastre de la première Renaissance cicé-


ronienne 77

De Pétrarque à Bembo 77
L'orgueil national italien s'identifie à la res/itlliio de la pureté latine
et au combat contre la barbarie du s/ylus schulaslicus. L'imitalio des
classiques, instrument de cette restitulio, 77-78 ; Doctrine de l'imita-
tion chez Pétrarque, 78 ; Progrès du cicéronianisme, et son apogée
dans la Rome des Papes, où il rencontre la tradition de la Secré-
tairerie aux Brefs, 79-81 ; Résistance de l'humanisme florentin: que-
relle Politien-Cortesi, 81-83; Querelle Pico-Bembo, origine de
l'Epis/ola De Imi/alione de celui-ci, 83-84; L'Epis/ola De Imilatione
et la quête de la perfection idéale, 85-9\ ; Europe du Nord et Italie:
un conflit plus vaste et de plus longue portée reprend et englobe
ce conflit Florence-Rome, 9\-92.

La fin du «siècle de Léon X ». Le Ciceronianus d'Erasme 92


Mars 1527: le Sac de Rome. Mars 1528: le Ciceronianus. Erasme
et Rome, 92-93 ; La préface de la 1" éd. des Adages (1500), 93-97 ;
La «rhétorique des citations », d'Erasme à Montaigne, 97-100;
Le De duplici copia verboTllm e/ rerum, 100; Le CiceronianllS, \01-
\06 ; L'Ecclesias/es, 106-110.

Le martyr français du cicéronianisme : Etienne Dolet et le De Imi-


tatione ciceroniana ., .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. 110
Scaliger et Dolet - pour des raisons différentes - hostiles au Cice-
ronianus, 1\0 ; Dolet défend l'autonomie de la forme, qui est en elle-
même une perfection digne des grandes âmes. Sources padouanes
de cette séparation entre la vertu de l'orateur et la réussite de son
œuvre, 111-113; Hostilité à l'éclectisme, 114; Caractère scanda-
leux de ces positions. Dolet, précurseur malheureux de la génération
de 1630, 114-115.

Chapitre III. - Le Concile de Trente et la réforme de l'éloquence


sacrée . .. . ... 116

Cicéronianisme italien et anti-cicéronianisme espagnol (I528-


1575) . . . . . . . . 116
Venise ou 1'« été de la Saint-Martin» de la Haute-Renaissance, 116-
117 ; Sperone Speroni et les Infiammali: la RhétoriqJ1e d'Aristote au
secours du De Ora/ore, 118-\2\ ; Mario Nizolio et le Thesaurus cice-
868 TABLE DES MATIERES

ronianus, 121-122; La Rome de la Réforme catholique: l'Académie


des Nuits Vaticanes de Charles Borromée, 122-123; Débats autour
de la légitimité et des limites de l'ornatus chrétien: Marc Antoine
Natta et le De Christianorum eloquentia, 123-126; Villavicente et le
De formandis sacris concionibus, 126-127; ,L'anti-cicéronianisme
espagnol: l'Examen des Esprits de Huarte, 127-130; Mélancolie et
genus floridum des bavards, 131-134; La Renaissance des Pères de
l'Eglise, 134-135.

Christus Orator: les rhétoriques «borroméennes» (1575-1595) .. 135


La «seconde conversion» de Charles Borromée et l'~volution de
l'Académie des Nuits Vaticanes, 135-136; Fixation dans les années
1575-1590 de l'idéal «sévère» de l'éloquence catholique, 137-138;
Inspiré du De Doctrina christiana et de l'Ecclesiastes, cet idéal fait
de Cicéron, et accessoirement de Quintilien, les garants d'une «juste
mesure» ornementale chrétienne, 139-140; Les rhétoriques jésuites,
se départissant de cet idéal sévère, déplaceront la «juste mesure:.
chrétienne vers la «douceur», mais se réclameront plus encore de
Cicéron, et n'exalteront pas moins la suprématie de l'Orateur sacer-
dotal, maître des âmes, 140-141 ; Prestige de la chaire catholique,
héritière de l'éloquence des Pères: elle contribue à répandre dans un
vaste public les valeurs de la rhétorique antique, 141-142; L'atelier
de rhétorique «borroméen» : l'Italie du Nord et l'Espagne, 142;
le De Ecc/esiastica rhetorica de Louis de Grenade, 143-148; le
De Praedicalore de Jean Botero : un idéal de sublime chrétien, 148-
152.

Juste Lipse et l'Institutio Epistolica .. .. .. .. .. .. .. .. .. 152


Situation de l'humanisme laïc devant la consolidation des nou-
veaux régimes absolutistes, et le nouvel empire du clergé qui les
soutient, 152-153; Muret et Lipse se disputent l'honneur d'éditer
Tacite, 153-154; ils dessinent, l'un au Nord, l'autre au Midi, un
nouveau type de magistrature intellectuelle, et donc d'éloquence, à
l'intérieur des monarchies de la Réforme catholique, 154 ; L'Episto-
/ica institutio de Upse : plus qu'un traité d'art épistolaire, une défi-
nition nouvelle du style et des moyens d'expression d'une magistra-
ture intellectuelle et morale, 155-158; L'héritier et vulgarisateur de
Lipse: Erycius Puteanus et son De laconismo synlagma, 159-161.

Chapitre IV. - La seconde Renaissance cicéronienne 162

Marc Antoine Muret et Francesco Benci .. .. .. .. 162


Muret à Rome, après Padoue et Venise. Malaise du cicéronianisme
romain, soumis au soupçon du puritanisme dévot, 162-163; Indispen-
sable réforme de l'éloquence catholique, qui l'accorde à la Renais--
sance des Pères de l'Eglise, sans rompre la tradition italienne des
/itterae humaniores. Paul Manuce, après Robortello, édite le Traité
du Sublime. 11 le commente en italien, 164-167; Quête d'une élo-
quence "civile» qui surmonte le «soupçon» dévot contre l'élo-
quence, 167-168; Muret médiateur entre l'érudition du Nord et
,l'élégance académique du Midi, 169; 11 greffe le cicéronianisme
TABLE DES MATIERES 869
romain sur l'encyclopédie des érudits du Nord, 170-171 ; Muret pro-
fesseur à la Sapienza, 171 ; Son atticisme n'est pas une rupture avec
la tradition cicéronienne de Rome et de Venise, mais la conjonc-
tion de celle-ci avec les sciences profanes et sacrées, 172 ; Son cours
sur les Annales de Tacite et sur les EpUres de Cicéron, 172-175;
11 se fait prêtre, tandis que son plus cher disciple Francesco Benci,
devenu jésuite, fait du Collège Romain l'héritier de l'humanisme de
Muret, 176 ; La prolusio De Stylo de Benci : la conquête du meilleur
style par l'émulation avec les grands modèles, analogue de l'ascèse
des Exercices Spirituels, 176-179.

Les théoriciens jésuites du cicér.onianisme dévot: le P. Reggio et le


P. Strada .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. 179
L'imposante forteresse pédagogique édifiée à Rome par Grégoire
XIII est confiée aux Jésuites: elle a pour donjon le Collegio Romano,
179 ; Elle a pour programme la Ratio Studiorum publiée par la Com-
pagnie en 1599; la Bibliotheca Selecla du P. Possevin, manuel des
hautes études jésuites en harmonie avec la Ratio, 179-180; La conclu-
sion favorable à la Compagnie du débat De Auxiliis: harmonie
possible entre la théologie, la morale, la pédagogie et la rhétorique
institutionnelle de la Compagnie, 181-182 ; Le sacerdos-orator jésuite
dispose à la fois du magistère de l'éloquence sacrée et d'un magis-
tère érudit et critique sur l'humanisme profane: la Bibliolheca
Seleela confirme ce rôle nouveau d'un Ordre de prêtres humanistes,
182; Un émule de Possevin : Louis Carbone, élève des Jésuites, et
son œuvre rhétorique, 183-186; Deux grandes synthèses jésuites
en matière d'éloquence sacrée (l'Oralor christianus du P. Reggio) et
d'éloquence profane (les Prolusiones Academicae du P. Strada):
deux volets du classicisme dévot du Collège Romain, 186-202.

Cicéron Pape: Urbain VIII Barberini et la seconde Renaissallce


romaine. 202
Un Pape cicéronien et poète, Maffeo Barberini, ancien élève du
Collège romain et ancien Nonce à la Cour de France, 202-204;
La Cour pontificale, gouvernement de l'Eglise, Académie néo-latine,
et couvent, 204-205; Fonction de l'art de plaire et de l'éloge dans
une société de Cour, 205; Un chef-d'œuvre de l'art démonstratif au-
lique: les Aedes Barberinae du Comte Teti, 205-206; Le Palais
Barberini, chambre optique platonico-chrétienne, machine de célé-
bration, 207-208 ; La Bibliothèque, lieu des lieux de l'invention catho-
lique, 208-211 ; Un ouvrage francophile, dans la tradition de la fa-
mille Barberini, 212; Le marinisme du comte Teti, latent sous la
surface «cicéronianiste »,212-213; L'« aile gauche» de l'humanisme
littéraire italien: Marino et les Dicerie Sacre, 213-215; Marino,
« second sophiste» en pleine Réforme catholique, 215; Renaissance
des Pères et Renaissance de la Seconde Sophistique: l'une est
l'ombre inévitable cie l'autre, 216-217; L'« aile droite» de l'huma-
nisme littéraire italien: Virgilio Malvezzi. Atticisme sénéquien et
asianisme mariniste : la synthèse du P. Strada s'efforce de dépasser
le dilemme et de dégager une juste mesure chrétienne et classi-
que, 217-219; Essor de la prose mariniste en Italie: points de
contact et de fusion entre atticisme sénéquien et asianisme mari-
870 TABLE DES MATIERES

nisle; Loredano, Brignole Sale, Minozzi, Manzini, 219-222; Le


magistère «cicéronien» du P. Strada ; son De Bello Belgico, 223 ;
Le magistère de Mascardi, ami du P. Strada, protégé de la famille
Barberini: le De Arte Historica, 224-226.

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE .. .. .. 227

Deuxième partie: Du MULTIPLE À L'UN: LES STYLES JÉSUITES.. .. 233

Introduction: Jésuites et Gallicans, une rivalité d'orateurs 233

1. Premiers débats (1550-1604) 233


La Compagnie de jésus à plus d'un titre intruse en terre gallicane.
A ces prêtres-humanistes ultramontains, le cleTf~é, l'Université et le
Parlement font un interminable procès, 233-235 ; E. Pasquier, avocat
de l'Université en 1565, devant le Parlement, 235; A. Arnauld et
l'expulsion des jésuites en 1594, 236-237 ; Réconciliation d'Henri IV
avec Rome: en dépit des objurgations des gallicans, réhabilitation et
retour des jésuites décidés par l'Edit de Rouen, 238; Les jésuites
français désormais suspendus au bon plaisir royal, 239-240; Riche-
orne et la conversion des jésuites français à la « douceur» du style de
l'éloge. Leur fonctiun de pédagogues et panégyristes royaux, 240-242.

2. La réouverture du Collège de Clermont (/618) .. .. .. .. .. 242


Le Collège de Clermont, excepté de la grâce accordée aux jésuites.
Opposition du Parlement, 242; Le coup d'Etat de Louis Xlii en
1617 réaffermit l'autorité du Roi et lui permet d'imposer au Parle-
ment et à l'Université la réouverture du Collège, 243; Hymnes de
reconnaissance des jésuites, 243 ; Bénéfices que la royauté peut atten-
dre de leur pédagogie: contraste entre la «douceur» de celle-ci et
la rugosité des mœurs et méthodes de l'enseignement universitaire,
244-245; Résistance de l'Université: elle garde le privilège de ne
distribuer les diplômes de théologie qu'à ses seuls élèves, 245; La
chance des jésuites est du côté de la Cour, 246.

3. La mise en place des institutions jésuites à Paris (/618-1643) 247


Rhétorique jésuite et sociologie parisienne: les deux élites, noblesse
de Cour et clercs du Parlement et de l'Université, exigent deux lan-
gages différents. Une spécialisation est indispensable, 247 ; La Mai-
son Professe est tournée vers la Cour, dont le goût commande celui
des «ignorans », le Collège de Clermont vers l'Ile de la Cité et le
Quartier Latin, 248-249 ; jésuites rhéteurs, spécialisés dans l'aposto-
lat du «monde» (concionatores de la Maison Professe); jésuites
érudits spécialisés dans l'apostolat de la République des Lettres galli-
canes (régents de haute qualité et script ores du Collège), 249-252 ;
Offensive de librairie pour appuyer la réouverture du Collège, 252-
256.
TABLE DES MATleRES s71

Chapitre premier. - Les Jésuites français et la sophistique sacrée


(1601-1624) .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. 257

l. Les prédicateurs de Cour, Richeome, Cotoll, Binet 257


H. Bremond et l'humanisme dévot. Les prédicateurs jésuites sont des
orateurs conscients de leur propre rhétorique, 257-258 ; Les «pein-
tures» du P. Richeome ; l'ekphrasis ou demonstratio figure majeure
d'un style démonstratif destiné à édifier; l'imitatio Naturae, prélude
à la révélation des « sens mystiques », 258; Le P. Nadal, ses Médi-
tations. et les Exercices Spirituels, 259-260 ; Les Tableaux de Philos-
trate, traduits par Vigenère, 261-262; Les Sermons du P. Coton,
262 ; Oral et écrit, 264; L'Essay du P. Binet, 264--265; Son idéal
stylistique, 265-269; Ses conseils savoureux allx orateurs du Palais,
l'imitatio adulla des prédicateurs de Cour, 272; Leur rhétorique
de l'imagination n'échappe pas au soupçon d'asianisme, 273 ; L'Epî-
tre aux prédicateurs d'Antoine de Laval: elle prend pour cible un
ex-jésuite, André Valladier, qui porte à l'extrême les tendances de
l'Ordre,274-275; Diatribe contre la «corruption de l'éloquence »,
Primat du jugement sur l'imagination. Rapprocher le style moyen
du style simple. Idéal du «naturel» chrétien, 275-279.

2. Les théoïiciens de la sophistique sacrée 279


Le P. Nicolas Caussin 279
Le P. Nicolas Caussin, 279-298; Le P. Caussin et l'hiéroglyphique
chrétienne, 279-281 ; Il poursui! une tradition qui a posé de pro-
fondes racines à la Cour (les Cinq Livres ... du P. Dinet) et qui s'est
répandue dans le peuple (Discours des hiéroglyphes ... de L'Anglais),
281-284; Le P. Caussin, dramaturge de Collège. Son amitié avec
P. Matthieu, et son estime pour la prose de l'ancien ligueur. L'Aelius
Se jan us de ce dernier, modèle pour Malvezzi, et méprisé par Mas-
cardi, 284-285; Les Eloilucntiae ... Parallela : éloquence « humaine»
(i.e. profane et «civile») èluquence héroïque (i.e. ecclésiastique).
Plus proche de la « sévérité » de Possevin, que de la j liste mesure des
jésuites romains, 286-287 ; Caussin et Cicérun : celui-ci est chez lui
le patron de l'imitatio adulla et de l'éclectisme le plus large. Place
éminente, parmi les modèles, de la Seconde Sop' 1istique. Mais contre-
poids recherché chez les Pères. Double idéal d'éloquence « humaine»
pour Caussin : la pompe fleurie (cicéronienne) et la densité puintue
(sénéquienne), 288-293; Polemique cuntre l'atticisme des érudits,
293 ; Partisan de l'ornatus, le P. Caussin flotte entre la fascination
qu'exercent sur lui les raffinements de l'art démonstratif, et la véhé-
mence pathétique de l'éloquence sacrée, 294 ; Polémique contre l'élo-
quence judiciaire des robins français, 295-296 ; Célébration de l'élo-
quence «héroïque» de l'orateur sacré, dont le modèle est jean
Chrysostome: rhétorique de l'imagination pathétique, de couleur
grave et sombre. En somme, libéralisme stylistique pour les «hu-
mains », mais soumis aux foudres des «maîtres des âmes », lèS
orateUrs sacrés, 296--298.
Le P. de Cresso Iles .. .. 299
Le P. de Cressolles, 299-326; Un jésuiie de grande culture, tourné
vers Rome où il finira ses jours, 299 ; Le Theatrum Veterum Rhe-
872 TAillE DES MATIERES

forum, une somme sur la sophistique antique et sur le problème


qu'elle pose à l'éloquence chrétienne, 300-301 ; Son tableau de la
Seconde Sophistique est aussi une méditation sur les tendances
comparables qui se manifestent, tant du côté «sénéquien» que
« mariniste », dans l'éloquence contemporaine, à commencer par les
prédicateurs de la Compagnie. Seconde Sophistique: triomphe du
genre démonstratif et du style moyen très orné. Matamorisme et soif
de publicité des seconds sophistes. Leur prétention à l'enthousiasme
et à l'inspiration irrationnelle, 301-305; Leur avarice, leur goût du
théâtre, 306; Leur stylIstique; leurs fontes oratoriae: les «poin-
tes:> et leur habillage brillant, 307 ; Leur recherche de la douceur
voluptueuse et de la délectation. A cet asianisme extrème correspond,
en réaction non moins affectée, un atticisme archaïsant, 307-309;
Le P. de Cressolles cunclut néanmoins à une imitation « modérée chré-
tiennement» de la Seconde Sophistique, 309-310 ; Le P. Clément et
son Musei sive Ribliothecae lnstructio: la conscience du « péril sophis-
tique» et la définition d'un classicisme chrétien, 311 ; Les Vacation es
Autumnales du P. de Cressolles: une somme sur l'actio rhetorica,
et sur l"harmonie entre bonnes mœurs et bonnes manières, sous
forme de dialogue, 311-312; Effort pour conjuguer l'érudition à la
française et la variété fleurie du style moyen «démonstratif »,
312; Effort pour trouver un style commun aux deux Nublesses du
royaullle, 312; La Bibliothèque, lieu initiatique, 314-314; Rhétorique
ecclésiastique et actio rhetorica, 315; Débats esthétiques dans les
Vacationes: véhémence et douceur, apreté et élégance, 316-322;
Le type idéal de l'Orator : son physique, 323; Son tempérament et
son style d'actio, 324 ; L'idéal de la Nobilitas et le sublime, 325-326.

3. Les maladresses du P. Garasse et du P. Caussin .. .. .. .. 325


Le P. Garasse et la Querelle de la « raillerie» chrétienne, 326-
334 ; Pourquoi les jésuites, dont la pédagogie est certainement une
des conditions de possibilité du classicisme français, sont-ils restés,
suus Louis Xlll, en retrait et en retard sur la « génération classi-
que» 1630-1640? 326-327; Le frontispice de la Doctrine curieuse
du P. Garasse: une vignette menaçante. L'affaire de l'Amphithea-
trum honoris ct l'art de l'invective jésuite. Malaise de la Compagnie
dans ce domaine, qui lui réussit moins que l'art de la célébration, 327.
Garasse mélange le rire « gaulois» et la gravité menaçante du Juge:
imitatio adulta dépourvue de judicium, de sens du decorum, 328;
La critique de la Doctrine curieuse dans le jugement et Censure de
François Ogier, 32~-332; Les justifications avancées par Garasse,
332-334.
Le P. Caussin ct la Querelle du «sublime» chrétien, 334-342;
faible rôle des jésuites dans la Querelle Balzac-Goulu, creuset de
la prose classique française. jugement d'Ogier sur cette Querelle
dans la préface de ses Actions oratoires, 334-335; Belle occasion,
manquée pour les Jésuites, de se poser en arbitres du débat, 335 ;
Les préfaces de la Cour Sainle du P. Caussin : l'idée qu'il se fait
de l'éloquence " héroïque» des prêtres-orateurs le pousse à se rallier
au style sévère et au «primitivisme» de Goulu, au moment même
où ceux-ci sont sur la défensive et le déclin, 335-336; Sa vocation de
«Chrysostome français» le poussera, contrairement aux autorités
de son Ordre, à se dresser contre Richelieu, qui l'exilera, 336; Le
TABLE DES i\lATIEIŒS 873

successeur de Goulu, Dom Charles de Saint-Paul, dans son Tableau


de l'Eloqurnce, sait au contraire tirer pour son Ordre le meilleur
parti de la Querelle. Il définit pour la noblesse de Cour une idée
du meilleur style françai~, prochc du style simple, mais orné avec
sobriété, et accordé à lin decorum dl' la «gr:JI1deur », 337-34~.

Chapitre II. - Apogée et crépuscule de la sophistique sacrée 343

1. Us théoriciens 343
Le P. Grmrd Pelletier, 343-349; La supercherie du Palatium
Rerzinae Eloqllen/iae. Flatterie à l'égard de la Maison de Condé,
proche du trône, 3-\:1<114 ; Le P. Pelletier, précepte:1f du Dlic d'En-
ghien pendant ses t,tudes au Collège de Bourges, 345 ; Le Palafillm
de Pelletier et les Paralle!a dn P. Caussin, 3·15 ; Uile rhétorique de
l'imagination et dl' la variété que Ile traverse nulle inquiétude, 346-
347 ; L'imifalio adlllla de\'cnIJe principe pédagogique, 347 ; Une péda-
gogie de la virtuosité, 348-3·19.
Le P. Pierre Josset, 39-354; Les uscillations de la rhétorique
jésuite sous Louis XIII, 349 ; Une épopée de la rhétorique chrétienne
il Limoges, 350; I<héturique ct spiritualité, :J.~l ; Une rhétorique de
l'inRenium et de la variété. L'admiration du P. Josse! pour le stylus
sllbtilis de Sénèque, 351-52 ; Et pOllf son héritier fronçais, le style
de Balzac, 353; Le P. Jos,et énllmère des pcrivain, de son temps,
slir le mode de la c(>Jébr:Jlinn, 353; Son admiration pour I<onsard,
354 ; On retrouve il l'intérieur de la Compag:nie en France le même
écartèlement qu'en Italie entre atticisme sénéquicn et asianisme,
et les mêmes «scellements ignorés» entre Irs deux tefld:lr1ces, 354.

2. Rhétorique jésuite et spirituuhlé iRllaticnnr (1624-/643) 354


Un traité de rhétoriqlle pratique: le (, Parterre de la rhétorique
frallçaise~, 354-3G2 ; Ou\'rage tardif, mais dont l'esprit est l'ontem-
porain de l'Essay des Mervrilles, 354-355; Une table des matières
flomle, 355 ; Aucun attrait pour les modèles cbssiques, aucune men-
tion de l'imitation, 355; Une rhétorique de l:! prédication, en polé-
mique contre le style de la cOn\'ersation et de l'écriture de Cour,
Oral et écrit, 357; Une rhétorique de l'imagination pathétique à
l'usage d'un public provinci:J1 et populaire: la chaire-théâtre, 357-
360 ; Même contradiction chez l'auteur que dans les préfaces du P.
Caussin : mépris chrétien pour la «rhétorique» païenne, et liberté
chrétienne de recollfir à une sorte d'hyperrhétoriquc, 36l-36~.
La Cour Sainte dll P. Nicolas Caussill, 362-370; La Cour Sainte,
somme écrite de sermons prêchés devant la Cour, 362 ; Carrefour de
tous les genres consacrés il la pédag:ugie de la noblesse d'épée, 363 ;
Chef-d'œuvre de l'éloquence «héroï(jue» définie par les Paral/ela,
364; Vastes Exercices Spirituels pmposés à la noblesse, 365; Méthode
du P. Caussin : splendeur de la noblesse; néant de la noblesse, 365-
366 ; Passage de la \'isibilitè mondaine à l'exercice de la présence
de Dieu, 367-368 ; Transfiguration de la Cour (;n palestre de sainteté.
Characteres ethici. La « méditation ignatienne » à ia portée du public
de Cour, 368-370.
874 TABLE DES ,\\'\Tl!~RES

Le Miroir sans tache du P. joseph Filère, 370-379; La <: subti-


lité », maître-mot du P. Filère, 370-371 ; Principe de style et de mé-
thode : faire glisser le sens des apparences sensibles ,du matériel au
spirituel. Ce que la «peinture» était pour Richeome, le «miroir»
le devient pour Filère, 372; Une encyclopédie des miroirs ct des
reflets du monde dans les miroirs, 373-37·,; Appel aux merveilles
de la catoptrique savante, 374 ; Une amplification ornée de la méthode
des Exercices Spirituels. 375-3ï7 ; EkplIrasis et néo-platonisme, 379.

Les Peintllres Morales du P. Le .'IDyne, ~70-391 ; Le frontispice


du T. 1 des Peintures Morales, 379 ; Les dl'dicaces au Président de
Mesmes et au Président de Bailleul, 38ü-31"l1 ; Chi/ractcres ctllici:
au principe du style démonstratif et de b méthode parén0tique
de Le Moyne, 3R2-3S3 ; Le l\1oyne sc rapproche du type de 1'0cril'ain
profane. lin de la rhétorique des citations, 384 ; Disposition log-ique
dérivée cIe la sctllastique, 385; Dialogismes, tableaux, «characte-
res» : lt:s iet:hniqucs du roman appliquées à la parénèse murale, 381)-
388; Parti pris de « douccur ", 3813 ; Prudence redouhlée de la pré-
face Ul! t. Il : garantie de l'Histoire, refus du «Théâtre " et apolu-
gie du style moyen orme, 3.~8-3kéJ; Légitimité d'une adaptation du
style au public visé, impUissance du style sévère auprès des mon-
dains, :1,,9 ; Les Elltretiells ct Lettres poétiques: Le Moyne se donne
un modèle classique, mais se donne aussi la liberté d'adapter son
style, ses mŒurs, et son ironie au goût chrétien» et à un noble
decorum. La <, rhétorique des peintures» soumise en France à une
critique incess:lnte, est contrainte de se discipliner et de se sllfveiller.
389-391.

Chapitre III. - Les adversaires jésuites de la « corruption de


l'éloquence» .. .. .. .. 392

1. L'atticisme cicérol/ien du P. Denis Pelau 392


Le P. Petilu, comme les autres jésuites érudits ---- Sirmond, Fronton
du Duc, Labbe -- a des attaches familial", avec la Hobe, 3<12-303 ;
Ses éditions de Synésius, Thémistius et julien, la dédicace de Louis
XIII de son édition de julien révèlent un g(lût attique, 394 ; Indépen-
dance du P. Pctau qui n'hésite pas à éditer dans la tr,adition galli-
cane et protestante de l'érudition française, 394; Ses idées sur la
traduction, d'après la dédicace de son SYTlI'SÎUS à G. de l'Aubespine,
:395; Idéal de l'éloge classique déjà formé chez le P. Petau : simpli-
cité <'t noblesse, 396; Denis Petau, poète et dramaturge, tenu pour
un égal par ses collègues du Collège Htlmain, 396-397 ; Ses œuvres
rejoignent les œuvres néo-latines des Jéf;uites LIu Collège Romain
abondamment diffusées en France: Perpinien, Benci, Rémond, Gal-
luzzi, dans la tradition de Marc Antoine Muret, 397-399; Poésie et
Eloquence, 399 ; La préface-manifeste des OralioTles et Opera poelica
à Henri de Verneuil: définition d'un idéal d'atticisme, 4lXl-4ü2;
La définition du « meilleur style» dans les Tlzeologica Dogmala, 402-
404; Prestige du P. Petau dans les milieux «sçavans» de Robe
gallicane et de la République des Lettres européenne. Ses lettres à
A. Schott, à L. Holstenius, 404-406 ; Ses lettres de direction à Fran-
çois Vavasseur, 406-407.
TABLE DES MATIÈRES 875

II. Le programme de réforme du P. François Vavasseur .. .. .. 407

La préface des Oraliones du P. Vavasseur, 407-408; Sa définition


de l'atticisme: style uni, simple et personnel, 408-409; La véritable
imitalio adulta est l'imitalio ciceroniana, 409; Le fondement de la
pédagogie littéraire doit être l'apprentissage du style simple écrit,
409 ; Amor patriae du P. Vavasseur, 410 ; L'Oralio pro vetere genere
dicendi contra novum (1636), 411 ; La critique des novatores, 412-
415; Aisance du P. Vavasseur dans les milieux de la Robe lettrée,
416; Ralliement de la Compagnie de jésus à la cause d'un classi-
cisme national, 417.

CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE .. .. .. .. .. ., .. ., .. 418

Troisième partie: LE « STILE DE PARLEMENT» .. .. .. .. .. .. 425

Chapitre premier. - Eloquence parlementaire et république des


Lettres . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. 427

1. Le Stylus Curie Parla menti : les assises institutionnelles de la


rhétorique parlementaire .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. 427
Les deux pôles de Paris selon Louis d'Orléans: la Civitas litterarum
de la rive gauche, et la «Ville neufve» sur la rive droite, avec le
Louvre: au centre la « Vieille Ville », avec l'enclos du Palais de jus-
tice et Notre-Dame, 427-429; Style «à l'antique» et style « à la
moderne », selon E. Pasquier, 429 ; Dans les deux cas, fonction cen-
trale et médiatrice du Parlement de Paris, 430 ; L'humanisme a donné
à l'élite de Robe de nouveaux titres de prestige et de nouveaux
moyens d'action, au service de la doctrine gallicane, 430-432 ; Répu-
blique des Lettres et aristocratie de Robe, 432 ; L'« usage du Palais»
reste au XVI' siècle la norme de la langue: analogie entre la fonc-
tion de vérification langagière de la Cour de justice et sa fonction
de vérification législative, 433-435 ; Tradition d'éloquence française
au Palais antérieure au XVI' siècle, 435 ; Les origines parlementaires
du « style sévère» français: le Stylus de Guillaume du Breuil, 436-
437; Les Ordonnances royales réglant la profession d'avocat, 438-
439; Le mythe humaniste de l'Orator est difficile à incarner au
Palais, mais il habite aussi bien les magistrats que les avocats, 439-
443; Situation des magistrats chrétiens: une grande éloquence
qui se veut « sans rhétorique », 443-444 ; Le témoignage d'E. Pas-
quier : le modèle de l'éloquence pour Pibrac, c'est Plutarque: subor-
dination de la rhétorique à la philosophie morale, de l'élocution à
l'invention savante, 444-446.

2. La quête d'une éloquence philosophique: débats autour de l'at-


ticisme au XVIe siècle en France .. .. .. ., .. .. .. .. .. 446
Le rôle fondateur de Guillaume Budé: il fixe le type du grand magis-
trat érudit, 446 ; La Vila Budaei de Louis le Roy: critique du style
876 TABLE DES MATIERES

de Budé, à travers les analyses d'Erasme et de Longueil, 447-450 ;


Le Roy plaide pour une prose française régénérée par l'imitation
des oratelJrS attiques et de Platon, 450; Budé et Erasme inspirent
Rabelais et Montaigne, 451-452; Peu de chances pour l'atticisme
cicéronien au XVI' siècle en France. Scaliger préserve toutefois son
avenir en le plaçant sous l'invocation d'un poète, Virgile, et en lui
donnant une haute signification civique, 452-454; Le Ciceronianus
de Ramus: un vaste programme d'aggiornamento de la culture
française, 454 ; Défense de la prose en langue vulgaire, 455 ; Exemple
de Cicéron, 456; Mais refus du cicéronianisme à l'italienne, 456;
Sens équilibré de l'éloquence orale et de la prose écrite, 457 ; Espoir
dans l'évolution du style sévère du Palais, 458; Atticisme et asia-
nisme : l'imitation de Cicéron ùoit être judicieuse et aller dans le
sens d'un atticisme chrétien, 458-460; L'Oratio de philosophia cum
arte dicendi con jung end a de Denis Lambin: pour un atticisme docte,
460-461 ; Turnèbe et Quintilien, 461-462; La «rhétorique des cita-
tions », transposition humaniste de la tradition gothique du Palais,
mais aussi choix philosophique: les «choses» contre les «mots »,
464-466.

3. Naissance d'une grande éloquellce des magistrats .. .. .. .. 466


Le témoignage d'Antoine de Laval, 466-469; Nouveau témoignage
de Pasquier: naissance et essor de l'art des Remonstrances d'ou-
verture, sous l'égide de Christophe de Thou. La génération de L'Hos-
pital et de Pibrac est celle qui a fait le succès de Ronsard, 469-473 ;
La rhétorique des citations fonde une éloquence philosophique qui
a long avenir devant elle: la préface de la Sagesse de Charron,
la polémique du Fr. André contre Balzac, 473-474.

Chapitre Il. - La magistrature oratoire du Palais (1560-1627) 475

I. Les Remonstrances d'ouverture du XVIe siècle .. .. .. .. 475


La diffusion au début du XVII' siècle des harangues de magistrats,
475-476; Leur célébration du Logos, 477-478; Les sources philo-
niennes de cette célébration, 479-482; Défiance envers la tentation
sophistique des avocats et l'imitation de Cicéron, 482-487; Guerre
au rire et au comique, 488 ; Citations et spiritualité érudite, 488-490 ;
Pasquier incite Faye d'Espeisses à se départir des citations, 490-
492.

2. Guillaume du Vair et le mythe d'une grande éloquence civique 492


Développement, à la faveur des guerres civiles, de l'éloquence déli-
bérative, 492; Hostilité de Montaigne, inspiré par Tacite, contre le
genre délibératif, 493-494 ; Henri III orateur, 494 ; Amyot et le Pro-
jet d'éloquence royale, 494-496; Vigen ère et ses Images, 496-497 ;
La Cour des Valois entre le délibératif et le démonstratif; Pasquier
et du Vair, 499-500; Du Vair en faveur du délibératif, 500-501 ;
La critique de la rhétorique des citations, 502-505; Idéal d'aristo-
cratie sénatoriale «républicaine» chez du Vair, 505-506; Le traité
De l'Eloquence et ses modèles, 507-508; Du Vair et Longin, 508;
Grandeur d'âme et érudition "méditée l>, sources de l'éloquence,
TABLE DES MATIÈRES 1377

509-511 ; Atticisme clceronien de Du Vair ,512; Echec de ce pro-


gramme de grande éloquence politique, 512-513; Les Remons-
trances d'Aix: retour à Pibrac, 513--519.

3. Crépuscule de la magistrature oraloire du Palais .. '. .. .. 51 9


La mort de Guillaume du Vair (1621) ; la vacance d'autorité rhéto-
rique, 519-543 ; Du Vair Garde des Sceaux. Le rôle auprès de lui
de Peiresc, 519-520; Jugement sévère de Richelieu sur 1'« incapa-
cité politique» de Du Vair et de Thou, 520; Grave problème posé
par la noblesse d'épée ,sous Louis XIII : désordre de la Cour de
France, 521-524; Cri d'alarme adressé par le Conseiller Maussac
aux frères Dupuy et à Du Vair en 1620. Il faut surmonter le conflit
entre Scaliger et Erasme, qui affaiblit l'autorité de la République
des Lettres. Il faut restaurer le prestige du style tullien, palladium
de l'humanisme, dont Scaliger a été l'avocat, 524-526; Maussac,
type du magistrat érudit gallican. Ses deux préfaces font écho à une
polémique interne à l'humanisme hollandais: la Vita Erasmi de
Merula répond aux Epistolae et Orationes de J.-C. Scaliger éditées
par F. Dousa. Sens du débat: l'oratio de politica sapientia de Hein-
sius, qui médite sur la position du sage à l'intérieur d'une société
de Cour, 526-528 ; Maussac est en quête d'une stratégie de la Répu-
blique des Lettres face à la «corruption de l'éloquence» dont la
Cour est le lieu. Tableau de cette dégénérescence. Un retour à Cicé-
ron est indispensable à la santé de l'Etat, 528--532; A qui songe
Maussac? Probablement à Marolles et à son cercle, chez qui des
élèves du P. Petau cicéro nia ni sent en français, 532-535; La santé
du langage est l'affaire des savants, et non des ignorants de Cour,
535; Le Pourtraict de l'Eloquence françoise du Conseiller du Pré:
même inquiétude que chez Maussac devant l'autorité nouvelle con-
quise par les gens de Cour en matière de langage, 535--542 ; le Bou-
quet des plus belles fleurs de La Serre, 543.
Le «Discours sur la Parole» de Jérôme Bignon, 543-569; Les
Lettres de Balzac, 543-544 ; Triomphe du « langage de Cour » insup-
portable pour les «sçavans », 545--546 ; Contre-offensive de Goulu,
fils et petit-fils de professeurs au Collège Royal, ami de Nicolas
Le Fèvre, 546; Dans les Lettres de Phyllarque, comme dans le
Voyageur Inconnu de ].P. Camus, la prétention de parler au nom
des maîtres de la rhétorique antique va de pair avec le mépris chré-
tien pour l'art des rhéteurs et pour l'élégance, 547-551 ; Jacques
Dupuy annonce le «Discours sur la Parole» de M. Bignon, 551-
552; Prosopographie de celui-ci, enfant prodige de l'humanisme
érudit gallican, 552 ; Protégé de Nicolas Le Fèvre : portrait de celui-
ci par son ami Goulu, 553-555 ; Jérôme Bignon à la Cour, 556 ; En
Italie, 557 ; Reçu avocat, riche mariage, reçu Avocat Général, 558 ;
Son Discours inaugural: chef-d'œuvre ultime de la rhétorique des
citations. Célébration du Logos d'un Parlement-Temple de la Justice
divine. Condamnation des « mots» et de leur délectation. Idéal d'une
éloquence reflétant l'architecture du Réel divin. Programme religieux
et politique, 558-566; Dilemme de l'aristocratie gallicane du Parle-
ment, 567-569.
Le magistère critique de la République des Lettres, 569-584; Poli-
tique et mystique du gallicanisme, 569-570 ; Le principat de Richelieu
878 TABLE DES MATlËRES

contraint l'élite de Robe à choisir, 570; Le salut de l'éloquence ne


passe plus par le Parlement mais par le Prince et par une littérature
accordée à sa Majesté, 570; Dispersion des mécènes féodaux de la
décennie précédente, 571 ; La voie est libre pour un magistère cri-
tique des «sçavans », encouragé par Richelieu, 572; La Confé-
rence académique de J.P. Camus, 572-574; Le magistère critique
des « sçavans » transpose celui des avocats généraux sur les avocats,
575-576 ; Légalisme et libéralisme de la critique docte, 576; Evolu-
tiun du Cabinet Dupuy : le ralliement des héritiers de j.-A. de Thou
il la politique gallicane de Richelieu commande une considération
noul'elle pour les «Belles Lettres» françaises, ciment et symbole
d'un ordre politique national, 577-578; Le testament d'Edmond
Richer va dans le même sens que les préfaces de Maussac: un ordre
rhétorique, garant d'un ordre politique civilisé, est le meilleur soutien
de la philosophie chrétienne, 578-581 ; Balzac reconnu par la Répu-
blique des Lettres, 581-583; Apparition au sein du Cabinet Dupuy
des libertins érudits, 583-584.

Chapitre III. - La prl'mière médiatio/1 classique (1627-1642) 585-

1. De l'avocat à l'homme de lettres .. .. .. .. .. .. .. 585·


Le malaise d'une profession, 585-592 ; Déclin du prestige du Palais.
Prestige croissant de la mode de Cour. Attraction sur les jeunes
avocats, 585-586; Durcissement de la hiérarchie parlementaire au
XVII' siècle. Ecart plus grand que jamais entre la «sévérité» des
mœurs et du style du monde de la Robe, touché plus que tout autre
par la Réforme catholique, et l'hédonisme des mœurs de Cour, 586-
587 ; Le dédain des magistrats n'a d'égal que le dédain des gens de
Cour: nostalgie pour la condition des avocats au XVI' siècle. Le
témoignage d'Arnauld d'Andilly; le témoignage de Ménage dans
les Vitae écrites pour son neveu, 588-589; Les avocats et l'olium
cum dignitate érudit, 589 ; Sévérité redoublée des Remonstrances des
Avocats et Procureurs du Roi à l'encontre du Barreau, 590 ; Le Dia-
logue des Avocats d'Antoine Loisel, 591-592.
Le malaise d'une génération, 592-596 ; Le «mal du siècle» des jeu-
nes robins, 592-593; Les Conférences académiques du doyen de
Heere, 593-594; Le témoignage du P. de Cressolles, 594 ; L'Apologie
des jel/nes avocats de L. Godet, 595-596; Le témoignage de La
Mothe Le Vayer, 596.
La tentation littéraire des je/ines robins, 596-612 ; Le déclin du pres-
tige du Palais est lié à celui de l'Université. Etonnant décalage entre
la culture d'un jeune gentilhomme et celle d'un jeune robin: le
cas de Tristan l'Hermite, narré par lui dans Le Page disgrâcié,
et celui d'André d'Ormesson, 596-599 ; portrait du Pédant dans la
harangue académique du Docteur Fournier, 599-601; Le Collège
de Clermont, « cheval de Troie », sur la colline Sainte-Geneviève,
601 ; Un avocat à la Cour; jean-Baptiste du Val et l'Eschole fran-
çaise, 601-603; Le manifeste «cicéronien» d'un jeune avocat: le
Discours contre les citations d'Alexandre de Filère, 603-606; La
réplique du Conseiller Rambaud, 606-607; Persistance de la rhéto-
rique des citations, et même son apologie chez La Mothe Le Vayer,
TABLE DES MATIERES fl79

607-û08; Afflux des avocats dans l'entourage des jeunes lions de


la Cour, et dans les cercles littéraires, 60S ; La civilité de Cour s'em-
pare de la jeunesse du quartier Saint-André-des-Arts: le témoi-
gnage de la Chrysolite de l'avocat André Mareschal, 609 ; Le Par-
nasse de la Pinelière : un milieu littéraire est né, soutenu par le public
de Cour et de jeunes gens, et redoutant le magistère critique des
« s,'avans ", 609-611 ; Naissance difficile de l'homme de lettres:
à la frontière de deux mondes, il doit faire des concessions aux
deux; Colletet et Frenicle; du Parnasse satyrique aux Illustres
bergers, 511-612,
Url nouvel équilibre: l'atticisme cicéronien d'Olivier Patru, 612-622 ;
L'attraction du mécénat de Richelieu, soutenue par le sentiment natio-
nal gallican. Le Recueil de Faret (1627), suivi en 1630 d'un Nouveau
Recueil anonyme: éloges du Cardinal, du royaume de France; éloge
de l'Eloquence française telle que l'ont fondée Balza.: et Malherbe,
612-51 .. ; Cette éloquence nouvelle fait son entrée au Palais avec
Antoine Le Maistre et Olivier Patru, 614; Prosopographie d'Olivier
Pat ru : son « chemin de Damas» fut la lecture de l'Astrée, 614-616 ;
Voyage en Italie de Patru : antithèse de celui de Bignon; Cicéron,
médiateur entre la « douceur» aulique de l'Astrée et la tradition éru-
dite et atticiste du Palais, 516-61H ; Patru fidèle à son milieu d'ori-
gine, 619; Sa dette envers Scaliger, le grand théoricien d'un clas-
sicisme docte, 619-520 ; Le manifeste des Huit oraisons de Cicéron,
620 ; L'équivalent du P. Strada apparaît en France: mais il n'est pas
jésuite et il donne des leçons aux Jésuites, 620-622.

2. L'Aventin de la Parole gallicane: Antoine Le Maistre et Saint-


0~ ..................... ~

Une famille éloquenle, 623-532 ; Antithèse du destin de Patru ct de


celui de Le Maistre: le billium Herculis de la Parole gallicane, 623 ;
Le panégyrique de la famille Arnaud par d'Andilly, 623-624;
Antoine Le Maistre héritier d'une tradition de «Cicerons françuis ».
Malaise d'une dynastie d'avocats privée de grande cause. Peu de
place pour l'indépendance d'une haute magistrature d'Orator sous
Richelieu. Servilité, aux yeux des dévots, d'une partie des «Séna-
teurs» du Parlement: l'esprit «républicain» de la tradition galli-
cane se conjugue chez les Arnauld avec l'esprit chrétien de la « primi-
tive Eglise ». La nouvelle éloquence patronnée par Richelieu est insé-
parable de sa « tyrannie». Le cas du P. Caussin, "Chrysostome
françois », 625-629; Le sens de la retraite de Le Maistre: rupture
avec la nouvelle éloquence dont il était l'alibi, autant qu'avec le
régime « machiavélique» de Richelieu, 629 ; Le drame de la Parole
gallicane ressenti vivement par Balzac, 630-631 ; La rencontre Le
Maistre - Saint-Cyran, antithèse de la rencontre Patru - d'Urfé, 631;
Sainte-Beuve a eu tort de se servir de Balzac comme repoussoir:
l'art de la célébration balzacienne a son ordre qui n'est point mineur,
632.
CHRISTUS ORATOR : l'itinéraire oratoire de Saint-Cyran, 632-642 ;
Richelieu, Saint-Cyran, Du Perron: trois grandes âmes éloquentes
de la Réforme catholique française, 632 ; L'Apologie pour la Roche-
posay: revendication d'une magistrature universelle, et en particu-
lier politique, pour le Sacerdos-Orator de la Catholicité. Sur ce ter-
880 TABLE DES MATIEIŒS

rain, Richelieu distance aisément Saint-Cyran, 633-634; La seconde


conversion de Saint-Cyran: le témoignage de Lancelot sur l'élo-
quence de Saint-Cyran seconde manière, Numquam sic lowtus est
homo. Accomplissement de l'idéal des rhétoriques «borroméennes ».
Le sublime augustinien, 634-636; «Parole du cœur» chrétienne et
profane: la langue vernaculaire «se dcsnoue}) selon le vœu de
Du Vair, 636-637 ; Réflexions sur le « naturel chrétien» : prodigieuse
préparation rhétorique de Saint-Cyran, puis prodigieuse préparation
érudite; les deux voies de la connaissance théologi(jue selon Jansé-
nius : érudition et inspiration; le «naturel» chrétien selon Louis de
Grcn:tJc, qui suit saint Augustin: penclant chrétien de la neglegen-
tia dilir;ens cict:ronienne et du .: naturel» classique, 637-639 ; Chris-
tianisme et culture: la « grâce» du naturel est la récompense ultime
d'une culture maîtrisée: noblesse et richesse de la tradition sur la-
quelle s'appuient Saint-Cyran et Port-Royal, 640-64\ ; Les genres
« intimes » pratiqués par Saint-Cyran: lettre spirituelle et confé-
rence de cénacle dévot; la simplicité chrétienne exclut la foule et la
prétention littéraire, 641-642.
Le c!zant du cYf{ne des Remonstrances, 642-646; Le bonheur
d'expression dans le style sévère, 642 ; Saint-Cyran devant Le Mais-
tre. Rhétorique et spiritualité selon Saint-Cyran, 643-644; Idée en
germe chez un Goulu, mais dégagée de sa gangue humaniste, 644 ;
Parallèle entre l'inspiration naturelle chez Montaigne et l'inspiration
de la Grâce chez Saint-Cyran: deux ressorts de la « liberté classique,
644-646.

3. Le Parnasse de l'Eloquence royale: l'Académie française sous


Richelieu . . . . . . . . . . . . . . . . . .. .. .. .. .. 647
L'Académie fondée par Richelieu a des buts plus modestes et plus
positifs que les Académies des Valois: donner à l'unité du royaume
forgée par la politique une langue et un style qui la symbolisent
et qui la cimentent, 647 ; Le Projet d'Académie tel que le ,rapporte
Pellisson. Inspiration scaligérienne du Projet, la «perfection de
la langue ". Mais cette perfection est dans un «tempérament» dont
le dosage est objet de débat, 648; La référence du decorum:
la « grande âme» du Cardinal-Imperator; le dosage de l'oma-
tus: goût de la Cour ou goût des doctes? La harangue de
Colomby, ultime protestation contre les concessions nécessaires au
goût de Cour, 648-649; Position prudente de La Mothe Le Vayer :
des concessions, mais le moins possible, 649; La harangue Contre
l'Eloquence de Godeau : elle fait entendre à l'Académie la note « bor-
roméenne », 650; La harangue De l'Imitation de Colletet: fidélité
réaffirmée à la doctrine du Ciceronianus ; revendication de la moder-
nité chrétienne contre l'asservissement aux modèles antiques, 651 ;
La harangue De l'Eloquence françoise de Hay du Chastelet : richesse
de ses motifs qui reflètent la difficulté de la tâche impartie à l'Aca-
démie. Diversité des ingenia individuels, des génies des peuples,
des époques d'un même peuple, des génies des langues ,des goûts
différents de la «Cour» et du « peuple ». Comment les surmonter
pour définir une Idée de la langue et du style? Confiance aux
« conférences» académiques pour doser raison et usage, 652-656;
Le ton et les thèmes des débats académiques reflètent le magistère
de l'humanisme de Robe: pourtant le souci de dépasser la rhétorique
TABLE DES MATIÈRES 881

institutionnelle du Palais et de la République des Lettres et de


pratiquer, dans un esprit national, une diplomatie rhétorique, y est
perçu avec force, 657 ; Un autre synthèse est proposée par Balzac,
dans sa dissertation De la conversation des Romains, dédiée à Mme
de Rambouillet. Réflexions sur l'importance des cénacles privés, de
l'initiative privée, dans l'élaboration d'une civilisation et d'une littéra-
ture classiques. Atticisme et urbanité selon Balzac. Le miroir «ro-
main» est une louange détournée adressée à l'Hôtel de Rambouillet,
657-659.

CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE:De l'académie de Christophe


de Thou à l'Académie Française . .. .. .. .. .. .. .. .. 660

CONCLUSION: Les deux rhétoriques 673


1. La rhétorique jésuite des peintures, 673-685; jésuites et galli-
cans, 673-674 ; Les jésuites à la conquête des « ignorans », 674-675 ;
Les jésuites et l'imitatio adu/ta, 675-676; Sources et techniques du
style démonstratif jésuite, 676-67ï; La varietas ingeniorum justifie
son éclectisme, 678; Fonction centrale de l'ekphrasis ou demonstra-
tio, 673-679; Rhétorique et spiritualité jésuites, 67~80; Incompa-
tibilité du genre démonstratif jésuite et du style simple: l'exemple
de l'Imago Primi Saeculi S.j., 681-682 ; L'autocritique du P. Vavas-
seur, prononcée dès 1636, publiée en 1646, 583-684 ; Ralliement des
jésuites français à l'atticisme national, 685.
2. Essor, déc/in et transfiguration de la rhétorique des « citations »,
685-705; Culture écrite et spiritualité érudite des magistrats, 685-
686; Rhétorique jésuite et rhétorique gallicane, 687; Du genre
démonstratif érudit des Remonstrances à l'idéal délibératif de Du
Vair, 588-690; La rhétorique savante des magistrats face aux
modes du « langage de Cour », 691-692 ; Magistrature critique des
« sçavans» et politique absolutiste de Richelieu, 693-694; La syn-
thèse de Balzac entre l'héritage de la République des Lettres et
1'« élégance» de Cour, 695-705.

BIBLIOGRAPHIE . .. .. 707

1. Sources manuscrites 708

II. Sources imprimées 712


1. Rhéteurs, orateurs, sophistes, Pères de l'Eglise grecs, éditions
et traductions du XV," et du XVII' siècles (1500-1650), 712; 2. Rhé-
teurs, orateurs, sophistes et Pères de l'Eglise latins, éditions et
traductions du XV," siècle et du XVII" siècles (1500-1650), 725;
3. Brève récapitulation des traductions publiées par J. Camusat et
patronnées par l'Académie française sous Richelieu, 738 ; 4. Recueils
de sources de l'invention, 738 ; 5. Manuels d'élocution cicéronienne,
748; 6. Rhétorique, éloquence et littérature en France au XV," et
au XVII- siècles (sauf S.j.), 750; 7. Rhétorique, éloquence et litté-
882 TABLE DES MATlERES

rature en Italie au XVI' et au XVII' siècles (sauf S.).), 775 ; 8. Rhé-


torique, éloquence et littérature en Espagne et aux Pays-Bas espa-
gnols aux XVI' et XVII' siècles (sauf S.J.) (1575-1630) 782; 9. Rhéto-
rique, éloquence et littérature en Europe du Nord aux XVI' et XVII' siè-
cles (sauf S.1.) 783; 10. Rhétorique et éloquence de la Compagnie
de Jésus (1570-1650); al France, 786; b) Italie, 790; c) Espagne,
793.

III. Etudes 794


1. Rhétorique et littérature dans l'Antiquité classique, 794 ; a) Géné-
ralités, 794; bl Grèce antique, 795; cl Rome, 798; 2. Points de repère
pour une histoire de la rhétorique dans l'Europe moderne, 801 ; 3. Rhé-
torique, culture et société aux XV!' et xvn' siècles, études et instruments
de travail, 812.

INDEX. . .. .. .. .. .. .• .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. 837

L'ILLUSTRATION DES TRAITÉS DE RHÉTORIQUE ET D'ÉLOQUENCE. Notice


des planches .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. 853
Bibliothèque de « L'Évolution de l'Humanité»

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Marc Bloch, La Société féodale.


Jean Ehrard, L'Idée de nature en France dans la première moitié du XVIlf siècle.

Marc Fumaroli, L'Age de l'éloquence. Rhétorique et « res litera ria » de la


Renaissance au seuil de l'époque classique.
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xVIlf siècle.

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La reproduction photomécanique de ce /ivre
et l'impression ont été effectuées
par Normandie Roto Impression s.a. à Lonrai (61250)
pour les Éditions Albin Michel

Achevé d'imprimer en avril 1994


N° d'édition: 13659. N" d'impression: I4-0593
Dépt5t légal: avril 1994

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