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ROBERT, Jean-Michel, « Glissements, transparence et problèmes de traduction », ELA.

Études de Linguistique Appliquée, n°141, Paris, Klincksieck, 2006, p.61-63.

Vous rédigerez une contraction du texte suivant d’une longueur idéale de 268 mots
(minimum 242 mots ; maximum 294 mots). Votre devoir doit rendre compte de la structure
complète et de la tonalité du texte ci-dessous sans le paraphraser.
Vous placerez un repère tous les 50 mots et indiquerez le nombre total de mots utilisés à
la fin de votre travail.

Les langues évoluent plus vite que les dictionnaires. De nombreux termes (issus
principalement du monde des média et de la publicité) font régulièrement leur apparition.
Même s’ils ne se trouvent pas (encore) dans les dictionnaires, le contexte permet
généralement (au locuteur natif comme à l’étudiant étranger) de comprendre ces
récentes créations lexicales :
• « Avec tel supermarché, je positive ! ». Le verbe provient de l’adjectif positif : qui
a un caractère d’utilité pratique.
• « La dangerosité s’accroit à Bagdad ». Variante récente du danger, la dangerosité
exprime une possibilité, voire un état de danger.
• « Non au ouisme ! ». Non à la tyrannie de ceux qui veulent imposer le oui à la
Constitution européenne.
Le style journalistique actuel se caractérise outre des néologismes comme
dangerosité, par l’emploi d’un registre de plus en plus relâché : malbouffe, flics, potes,
copains, etc. C’est ainsi que tel film est « une merde (in USA) pas si mal » (Libération, 10
septembre 2003) ou qu’« on est en train de bousiller le système médical français » (Le
Monde, 6 septembre 2003). « Le magistrat n’en revient pas : La fédération de boxe n’a
pas vérifié votre casier ? Ils doivent être complètement marteaux… Sans déconner, je suis
scié » (Libération, 27-28 décembre 2003, p. 15). Cette liberté de langage atteint même les
académiciens, si l’on en croit le titre de cet article paru dans Le Monde du 10 septembre
2003 : Du « ça-va-pétisme » et de ses ravages, par Bertrand Poirot-Delpech, de
l’Académie Française. L’emploi irréfléchi de termes calqués sur l’anglais, ou une traduction
approximative, peut provoquer des faux-sens particulièrement dans la presse audio-
visuelle comme la confusion entre crime et délit ou quotidien et tabloïde. Certains
rédacteurs se contentent de traduire l’anglais mot à mot : « « C’est moi qui suis en
charge », répond Georges Bush aux critiques » titre Le Monde du 15 octobre 2003 (p. 3).
Où est le temps où les hommes d’état étaient aux commandes ?
Certains glissements de sens peuvent surprendre l’étudiant étranger : « Le 30 mai
2005, le gouvernement s’est réveillé avec la gueule de bois ». Se serait-il enivré la veille ?
C’est à cette conclusion qu’aboutirait l’étudiant de français langue étrangère qui
trouverait la définition suivante de gueule de bois dans le Robert : « bouche empâtée et
sèche par suite d’un excès de boisson ». L’expression provient probablement d’une
élection (législative, régionale ou européenne), dont la victoire semblait aussi assurée
qu’évidente à un parti politique. Il l’a sans doute trop fêtée à l’avance et l’échec du
lendemain a occasionné la fameuse « gueule de bois ». Ce qui n’était absolument pas le
cas lors du référendum du 29 mai, le « ouisme » gouvernemental étant donné perdant
par tous les sondages. Mais aujourd’hui, « se réveiller avec la gueule de bois », dans le
contexte politique, a comme sens : avoir perdu les élections ou avoir fait un mauvais
score. Glissements de sens qui se doublent souvent d’un glissement de style : l’argot,
dans les médias, est devenu langue familière et la langue familière langue standard.
Un autre phénomène récent oppose les sémantiques française et anglaise. Il n’est
pas rare de lire ou d’entendre que telle action du gouvernement, que telle association ou
organisation est supportée (au sens de soutenue). L’emploi de supporter (tolérer,
s’accommoder de) pour soutenir (encourager) est de plus en plus fréquent, peut-être en
raison de la confusion que peut entretenir le substantif d’origine anglaise supporter (d’une
équipe de football). Ce type d’anglicisme se retrouve avec des termes tels qu’opportunité,
définitivement ou romantique. L’opportunité, caractère de ce qui est opportun, désirable,
souhaitable (ne pas voir l’opportunité de déménager) cède la place à opportunité, chance,
occasion : (avoir une opportunité de déménager). Définitivement (de façon définitive, ce
qui ne sera pas remis en cause) emprunte parfois des traits sémantiques de l’anglais
definitely (clairement, sans conteste possible). Le terme romantique ne pose pas de
problèmes lorsqu’il est utilisé comme adjectif pour désigner la littérature, les écrivains ou
les artistes qui se réclament du romantisme. Lorsqu’il s’écarte de ce courant littéraire, le
terme romantique pourra avoir deux sens en français, selon qu’il qualifie une personne
ou une chose. On aura des restaurants, des ambiances, des spectacles, des paysages
romantiques. Cet aspect romantique évoque l’amour, les grands sentiments, l’intimité,
etc. Le risque de confusion intervient lorsqu’il s’agit d’une personne romantique, d’un (ou
d’une) romantique. Un romantique évoque les attitudes et les thèmes chers aux
romantiques (littéraires), comme sensibilité, excitation, rêverie, mais c’est aussi quelqu’un
qui « manque de réalisme, qui sacrifie l’analyse positive des faits à une certaine mystique,
à un certain esprit chevaleresque » (Le grand Robert), « chez qui la sensibilité et
l’imagination l’emportent sur les qualités raisonnables et pratiques » (Le grand Larousse
universel). Mais ce romantique semble être passé de mode et le terme admet de plus en
plus aujourd’hui le sens anglais de romantic : les films d’amour et certains acteurs sont
qualifiés de romantiques.
Ces glissements (sémantiques, stylistiques) posent véritablement des problèmes
de traduction. D’un côté, les dictionnaires ne tiennent compte de ces changements que
très tardivement (supposant que certains glissements ne sont que passagers), de l’autre
l’enseignant, surtout s’il est étranger, peut très bien les ignorer. Toute langue évolue. La
conjonction malgré que, longtemps considérée comme fautive, a fait son apparition dans
les dictionnaires, le subjonctif n’est plus obligatoire après des verbes comme penser ou
croire à la forme interrogative ou négative. Les changements linguistiques des médias
reflètent en partie les nouvelles tendances de la société française : jeunisme,
décontraction face à la langue, etc. Mais cette évolution a comme conséquence une perte
de référence pour l’étudiant étranger : la langue des médias n’est plus la langue standard
et donc plus un modèle. En effet, elle s’oppose à la langue standard enseignée par les
manuels de français langue étrangère. Or beaucoup d’apprenants voient toujours dans
la langue des média un exemple de langue standard, exemple à imiter. Ce qui peut
provoquer l’emploi, lors d’épreuves écrites d’examens, d’articulateurs normalement
réservés à l’oral (du coup, histoire de), mais que les apprenants ont lus ou entendus
(presse, radio, télévision). Fracture donc entre le « bon usage » et l’usage « naturel » de
la langue, fracture palpable dans les médias, mais aussi dans certains dictionnaires.

1070 mots.

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