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LCHS1 – Clémentine Lagneaux

Podcast sur les dictionnaires


Des mots classés de A à Z, des sens variés aux définitions plus ou moins précises ;
les dictionnaires font théoriquement l’inventaire d’une langue en toute objectivité. Mais s’il
existent en de si nombreuses versions, c’est que chacun ne partage pas la même vision de
la langue et du monde que celle-ci interprète.
Nous allons ainsi étudier le mot « fou » dans différents dictionnaires, afin de rendre
compte du travail de mise en ordre de ces ouvrages. Dans un premier temps, nous nous
pencherons sur la référence qu’est le Larousse, que j’ai choisi parce qu’il est le plus
apprécié des Français. Puis, l’on s’intéressera au dictionnaire de l’Académie française qui
cherche à préserver la langue française plutôt qu’à fournir un inventaire complet des mots
qui y sont (suffisamment) utilisés. Nous pourrons enfin les comparer avec le dictionnaire
de L’Internaute qui se trouve exclusivement en ligne.
Après avoir présenté les définitions dictionnaire par dictionnaire, nous conclurons
par une analyse de l’ordre et du désordre qui transparaissent de notre étude des
dictionnaires sélectionnés.

I- A) Larousse
Lorsqu’il est publié la première fois par Pierre Larousse dès 1863 (en tant que Grand
Dictionnaire universel du XIXe siècle ou Grand Larousse), notre premier dictionnaire offre
une représentation du monde plutôt qu’une description de ce que la langue a de plus
sacré, faisant ainsi preuve d’un immense progressisme car s’adressant aux classes
populaires plutôt qu’à une élite. Aujourd’hui encore, il se veut reflétant objectivement
l’évolution de la langue contemporaine.
Tout d’abord, le Larousse en ligne nous indique que l’étymologie de « fou » est
latine : follis, signifiant « ballon, outre ou sac gonflé(e) d’air ». Pour approfondir mes
recherches à propos de l’étymologie uniquement, j’ai visité le Wiktionnaire qui permet de
naviguer facilement de page en page pour mieux comprendre cette dernière.
Il explique cette origine ainsi : « le fou ayant, d’une manière imagée, la tête gonflée
de vent » ; ce qui s’interprète aisément comme vision du fou en tant que personne à la
tête vide, c’est-à-dire sotte, stupide. Toutefois, ces notions renvoient de nos jours à un
niveau intellectuel, un manque de sagesse, de clairvoyance ; mais jusqu’à il y a quelques
décennies à peine on regroupait sous le parapluie de la folie toute personne sortant un
peu trop des normes sociétales, par ses opinions, son comportement ou ses plaisirs par
exemple, comprenant alors ceux que la psychiatrie moderne appelle schizophrènes,
bipolaires, psychopathes, etc… et également les impies. Ainsi, cette stupidité, cette tête
pleine de vent que serait la folie servait à qualifier des personnes que la société tend à
rejeter du fait de leur inadaptabilité apparente. Est « fou » celui qui n’est pas fait
pour vivre dans une société en particulier.
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Pour en venir aux définitions, le nom et l’adjectif sont très proches et l’on va
s’intéresser aux deux dimensions principales prêtées au mot par le Larousse. En première
position, on trouve qu’un fou est une « personne atteinte de folie, de trouble mentaux »,
« qui a perdu la raison » ; l’adjectif s’opposant à « l’équilibré », le « normal et le
« sensé » ; et le nom étant synonyme du « dément », « aliéné » ou « déséquilibré », ainsi
que le « barjo », « cinglé » ou « détraqué » pour ce qui est des termes familiers. C’est
effectivement le sens que l’on attribue au « fou » lorsque l’on le mentionne la plupart du
temps, hors de tout contexte ironique ; on dira par exemple d’un meurtrier en série ou
d’un dictateur violent qu’il est fou car ses actions sont hors normes et dépassent toute
logique de comportement sain au sein d’une société.
La deuxième définition du mot décrit une « personne au comportement extravagant,
déraisonnable, imprudent ou malavisé ». On peut la coupler à la cinquième définition de
l’adjectif qui évoque quelque chose de « contraire à la raison, à la sagesse, à la
prudence » ; mais l’adjectif « extravagant » de la deuxième définition semble alors
d’autant plus détonner, et l’on voudrait lui donner une définition à part. En effet, l’on
n’associerait pas d’instinct l’extravagance à la folie ; c’est un terme plutôt inoffensif qui
semble se rapporter à l’originalité, au non-conformisme d’une personne au sujet de son
comportement ou de ses goût vestimentaires par exemple ; mais pour le Larousse
justement, l’extravagance, je cite : « choque et surprend par son caractère singulier,
déraisonnable ». Ne nous attardons pas sur un autre mot, mais associer raison et
extravagance donne le sentiment qu’une personne différente aux yeux de la
société mérite d’être qualifiée de folle, c’est-à-dire qu’elle serait déraisonnable,
manquerait de jugement ; en bref, ne se comporterait ni penserait comme il le
faudrait.
Tout cela donne inévitablement l’impression d’un manque d’ouverture d’esprit des
éditions Larousse, et si l’on jette un œil aux synonymes et antonymes proposés pour ces
deuxième et cinquième définitions, on lit que le fou est « absurde, désespéré, farfelu,
loufoque, saugrenu », et qu’il s’oppose au « pondéré, prudent, raisonnable, rassis,
réfléchi », au « sage » et au « sensé ». Encore une fois, l’association de
l’extravagance au manque de raison voire de prudence semble très réducteur.
Mais revenons à la première définition. Pour ce qui est du nom, il est précisé que
c’est un terme auparavant utilisé en médecine mais tombé en désuétude. Alors, pourquoi
placer en première position une définition faisant directement appel au médical ? Cette
précision est même absente de la définition équivalente de l’adjectif. C’est aussi la toute
première à apparaitre sur le site Internet, celle que tout le monde lira donc : compte tenu
de l’étymologie, n’est-ce pas prendre le parti de la marginalisation de ces « fous » ? Si la
rédaction du Larousse était partisane d’un certain progrès à ce sujet, n’aurait-elle pas
modelé le contenu et l’ordre des définitions pour influencer ses lecteurs ?
Il ne faut toutefois pas oublier que le travail du lexicographe est de retranscrire les
acceptions suffisamment répandues des mots dans leur ouvrage, ce de façon objective,
même si ce travail diffère suivant la subjectivité de chaque dictionnaire. Au fond, si le
Larousse est encore et toujours LA référence française pour les questions de langue, c’est
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qu’il conserve l’héritage de son fondateur en permettant à la grande majorité de la


population métropolitaine de s’approprier la langue, car elle se reconnait dans le
vocabulaire proposé… et dans la vision du monde présentée dans les définitions.

II-B : Académie Française


Bien, nous allons maintenant étudier les définitions du dictionnaire de l’Académie
Française, plus précisément dans sa 9ème version dont le tome contenant le mot « fou »
date de l’an 2000.
L’institution a durant très longtemps été liée à l’Etat, à l’autorité et son héritage la
place donc au service d’une certaine vision du monde, qui appartient à une élite sociale et
intellectuelle. En tant que femmes et hommes de lettres et de science, les académiciens ne
vivent pas la langue de la même façon que le commun des mortels. Pour le dictionnaire, le
rôle qui leur est ainsi confié est de « veiller sur la langue française », de définir ses
normes, c’est-à-dire d’instruire à propos de la façon dont elle devrait exister. Sa mission
est ainsi prescriptive là où le Larousse et la plupart des autres dictionnaires les plus
populaires sont descriptifs. Elle est alors réputée plus conservatrice que ses homologues et
on lui reproche de ne pas être assez actuelle, de s’éloigner de la réalité de ce qu’est la
langue française au quotidien car son évolution est ignorée. De plus, les décennies qui
séparent la publication de chaque version n’aident pas la modernisation du dictionnaire.
Si l’on jette donc un œil à la page internet réservé au « fou », on constate tout
d’abord que l’étymologie proposée est plus complète. On retrouve « l’outre gonflée », le
sac rempli d’air de celui qui n’aurait rien dans la tête et il est même précisé que follis a fini
par désigner le sot, l’idiot. Un sens supplémentaire est même mentionné, celui du
« soufflet pour le feu ». Donner une telle précision pour l’étymologie du mot témoigne de
l’importance que l’on lui reconnait, et elle ne peut alors être ignorée dans les sens que
l’Académie donne au mot.
Selon les définitions du nom commun, le fou est avant tout une « personne atteinte
d’aliénation mentale » et liée au danger, comme on le voit avec les exemples donnés : on
parle de « fou furieux, délirant », de « folle dangereuse », et « d’asile de fou » dont on
sait quelle répulsion ont les gens à l’égard d’une telle institution. Elle ne parle alors que
d’un terme « vieilli » et ne précise pas qu’il n’est plus utilisé en psychiatrie, bien que cette
première définition soit inévitablement relative au médical, ce qui est plus évident pour
l’adjectif qui qualifie celui « qui a perdu la raison ; qui présente des troubles, des
désordres mentaux, qui est atteint de démence ». Alors, compte tenu de cette importance
accordée à l’étymologie, n’est-ce pas prendre le parti de l’aliéné mental (celui qui obéit à
des raisons n’étant pas déterminées par sa conscience) comme personne sotte et
incapable de raisonner, de penser comme il le faudrait dans une société donnée ?
Ensuite, l’Académie ne reconnait pas la définition parlant d’un fou « manquant de
sens commun, de prudence, de modération » comme étant l’usage le plus courant du mot,
et la définition équivalente pour l’adjectif n’est même qu’en troisième position, où on
retrouve l’idée de l’extravagance, et « qui est déraisonnable en paroles ou en actes ». On
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peut interpréter cela comme dû au fait que dans le langage courant, beaucoup de termes
ont dévié de leur sens originel à force d’être utilisés voire mal employés, et on peut alors
imaginer que les sphères sociales lisant le dictionnaire de l’Académie ont une plus grande
tendance à utiliser les mots le plus correctement possible. Si l’on s’intéresse d’ailleurs aux
versions précédentes du dictionnaire, la perte de la raison a toujours été en première
position avant que ce deuxième sens plus ironique ne gagne en importance. Tout cela
expliquerait que la simple définition du fou comme extravagant ne soit considérée qu’en
arrière-plan, car il s’agit d’un terme très général qui ne sonne pas autant inoffensif et
ironique dans les sphères plus intellectuelles que chez la population commune.
Placer la définition médicale en premier, en particulier dans un dictionnaire qui veut
fixer les usages de la langue, complète le sentiment global qui ressort en lisant les
définitions de l’Académie française. Elles surprennent un peu, paraissent archaïque, l’on a
l’impression que ceux que l’on appelle des « fous » sont mis dans ces cases qui
correspondent à un rejet global par la société. Les sens qui sont donnés au nom comme à
l’adjectif marginalisent car ils insistent sur la différence de ces « fous » par rapport aux
gens qui sont ou se conduisent normalement et c’est comme s’il leur revenait de
s’adapter plutôt qu’à la société de leur faire une place.

II-C : L’internaute
Passons maintenant au troisième dictionnaire, qui se trouve exclusivement en ligne,
celui du site d’actualité L’Internaute. Il appartient au groupe Figaro dont le journal est
réputé plutôt de droite et conservateur. Son dictionnaire se veut très pratique en
proposant des définitions courtes et accessibles à tout le monde, souvent agrémentées
d’un exemple, d’une traduction en anglais et d’une large gamme de synonymes dans tous
les registres de langue, ou encore des expressions et citations comprenant le mot.
Pour en revenir au « fou », le premier sens selon l’Internaute renvoie à
l’extravagance, pour l’adjectif comme pour le nom. Comme le sous-entend son nom, ce
dictionnaire se veut le plus moderne possible et a conscience que la langue française a
évolué et évoque moins le « fou » pour parler de troubles mentaux, et les synonymes
expriment alors aussi l’excentricité, mais également le « détraqué ». Toutefois, la seconde
définition du nom renvoie aux troubles mentaux et l’on compte parmi les synonymes
proposés le « dément » et « l’aliéné », qui renvoient à l’irresponsabilité. Conséquence
malheureuse de la concision de ce dictionnaire, l’on pourrait comprendre ici que
toute personne atteinte de troubles mentaux mérite d’être caractérisée de folle.
On peut ainsi reprocher à L’Internaute de manquer de précision et de ne pas
fonctionner selon une démarche lexicographe digne de ce nom, une démaque scientifique
qui cherche à éviter toute mécompréhension et confusion.
De plus, il n’est pas précisé que le terme de « fou » ne s’utilise plus dans le domaine
médical, ce qui semble quelque peu archaïque. Toutefois, l’on ne peut pas savoir si cela
est une conséquence du format du dictionnaire qui se veut rapide à consulter, ou si cela
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est dû à l’acception de la rédaction. Dans tous les cas, c’est une responsabilité que de ne
pas préciser que ça ne se dit plus, d’autant plus que l’Internaute apparait le plus souvent
en deuxième position lorsque l’on recherche une définition sur Internet, ce qui veut dire
que son dictionnaire est très visité.

III- Ordre/Désordre
Cette étude pose donc cette question : la langue française est-elle la langue que les
Français parlent, ou la langue qu’ils devraient parler ? C’est le choix premier que doivent
faire les lexicographes lorsqu’ils ordonnent un dictionnaire ; il oppose une vision
progressiste de la langue comme objet modulable et en constante évolution, à une vision
plus conservatrice qui voudrait un ouvrage fixant la langue qu’il est correct de parler et
d’écrire.
>L’académie Française essaie de maintenir un ordre dans la langue et considère
qu’une grande partie de son évolution n’est qu’un désordre inutile. Son souci de la
précision et sa rigueur fait de son dictionnaire un formidable outil de recherche.>Le
Larousse doit sa popularité au fait qu’il se place en défenseur du peuple français en
prenant en compte dans la mise en ordre de son dictionnaire ce que sa langue a de plus
moderne, bien que cet ordre soit parfois contestable.>Si le dictionnaire de L’Internaute est
le plus accessible de tous et semble se rapprocher le plus de ce que les nouvelles
générations voient en la langue, il s’apparente à un désordre lexicographique de par son
défaut de précision.
>L’avantage du Larousse, c’est que tout le monde le consulte, tout personne qui
utilise Internet à la recherche de définitions est susceptible de consulter le Larousse en
ligne. Néanmoins, cela donne une grande responsabilité quant aux propos qui y sont tenus
car ils construisent la langue de millions d’individus. Le travail de mise en ordre d’un
dictionnaire aussi important est donc crucial et tout biais qu’il met en évidence a le pouvoir
d’influencer progressivement la vision du monde des lecteurs, à propos d’un sujet en
particulier.

CCL
Le rôle des dictionnaires est censé être de refléter l’usage de la langue écrite et
parlée, ce sans porter de jugement, mais l’on ressent pourtant des biais à la lecture des
définitions, et même lorsque certains mots sont absents d’une édition en particulier. Cela
reflète la vision du monde la plus partagée par la population selon les lexicographes.
Ces ouvrages sont ainsi un outil politique qui permet de partager si ce n’est
d’imposer une vision du monde aux lecteurs, à travers leur interprétation de la langue et
leur usage du langage, notamment par le choix des mots et de l’ordre donné aux
définitions. Toutefois, si les lexicographes sont responsables de l’usage qu’ils font des
mots, l’on peut faire confiance aux dictionnaires professionnels les plus connus qui
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n’usurpent pas leur réputation, mais toujours en gardant un regard critique dans sa
lecture.
Les dictionnaires ont donc pour fonction de décrire, de retranscrire ce qui fait une
langue, mais constituent également un argument d’autorité qui leur donne le pouvoir de
prescrire l’usage de la langue.

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