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DENNETT
,
LA STRATEGIE
'
DE L'INTERPRETE
Le sens commun
et l'univers quotidien
~essais
GALLIMARD
DU MÊME AUTEUR
La stratégie
de l'interprète
Le sens commun
et l'univers quotidien
Traduit de l'anglais
par Pascal Engel
Gallimard
Cet ouvrage a originellement paru sous le titre
THE INTENTIONAL STANCE,
A Bradford Book, The M./.T. Press, Cambridge, Massachusetts.
D.D.
Paris, mars 1990.
À la mémoire de Basil Turner,
voisin, ami et maître
PRÉFACE
Tufts University
Janvier 1987
PREMIÈRE PARTIE
La stratégie intentionnelle
I
PARTIR DU BON PIED
LA MORT PARLE
RÉFLEXIONS :
STRUCTURES RÉELLES, FAITS PROFONDS
ET QUESTIONS VIDES
Supposez que vous et moi croyions tous deux que les chats
mangent du poisson. Quelle est exactement la propriété que
nous devons partager pour que ce soit vrai de nous deux ?
Plus généralement, pour reprendre le style de question
qu'affectionnait Socrate, que doit-il y avoir de commun
entre des choses auxquelles on peut correctement attribuer
un prédicat intentionnel- tel que « veut visiter la Chine»
ou «s'attend à avoir des nouilles au souper». Comme le
remarque Socrate, dans le Ménon et ailleurs, de telles
questions sont ambiguës ou vagues. On peut d'une part
demander quelque chose comme une définition, ou d'autre
part quelque chose comme une théorie. (Socrate bien sûr
préférait la première sorte de réponse.) Qu'est-ce que les
aimants ont tous en commun? Première réponse : ils atti-
rent tous le fer. Deuxième réponse: ils ont tous telle ou telle
propriété microphysique (une propriété qui explique leur
capacité à attirer le fer). En un sens les gens savaient ce que
sont les aimants - des choses qui attirent le fer - bien
avant que la science ne leur ait dit ce que sont les aimants.
Un enfant apprend ce que le mot« aimant» veut dire non
pas, canoniquement, en apprenant une définition explicite,
mais en apprenant la « physique populaire » des aimants,
* Initialement présenté au Thyssen Philosophy Group et à l'atelier
Fulbright de Bristol, septembre 1978, et repris dans Reduction, time and
reality sous la direction de R. Healy (Cambridge : Cambridge University
Press).
62 La stratégie intentionnelle
dans laquelle le terme ordinaire « aimant » est impliqué ou
défini implicitement comme terme théorique.
Il arrive que des termes soient inclus au sein de théories
plus puissantes, et qu'ils soient inclus par définition expli-
cite. Qu'est-ce que tous les éléments chimiques qui ont la
même valence ont en commun? Première réponse: ils sont
disposés à se combiner avec d'autres éléments de même
quotient intégral. Seconde réponse: ils ont tous telle ou telle
propriété microphysique (une propriété qui explique leur
capacité à se combiner ainsi). La théorie des valences en
chimie était bien maîtrisée avant qu'on dispose de son
explication microphysique. En un sens les chimistes
savaient ce qu'étaient les valences avant que les physiciens
ne le leur disent.
Par conséquent ce qui apparaît chez Platon comme le
contraste entre donner une définition et donner une théorie
peut être considéré comme un cas particulier du contraste
entre donner une réponse théorique et donner une autre
réponse théorique, plus «réductrice ». Fodor (1975) fait la
même distinction entre des réponses « conceptuelles » et des
réponses « causales » à de telles questions et soutient que
Ryle (1949) défend des réponses conceptuelles au détriment
des réponses causales, en supposant à tort qu'elles sont en
conflit. Il y a quelque chose de juste dans l'attaque de Fodor
contre Ryle, parce qu'il y a certainement de nombreux
passages dans lesquels Ryle semble proposer ses réponses
conceptuelles comme un rempart contre la possibilité d'une
quelconque réponse scientifique et psychologique, mais il y a
une meilleure interprétation des thèses de Ryle, qui méri-
tent d'être réhabilitées. Le« béhaviorisme logique »de Ryle
est fait de ses robustes réponses conceptuelles aux questions
socratiques portant sur la nature des phénomènes mentaux.
Si Ryle pensait que ces réponses excluaient toute analyse
psychologique, il avait tort, mais s'il pensait seulement que
les réponses conceptuelles à ces questions ne pouvaient être
fournies en termes d'une psychologie réductrice, il était sur
un terrain plus ferme. C'est une chose que de donner une
explication causale d'un phénomène quelconque, et c'en est
une autre que de citer la cause d'un phénomène quand on en
analyse le concept.
Certains concepts ont ce que l'on pourrait appeler un
Trois sortes de psychologie intentionnelle 63
élément causal essentiel (voir Fodor 1975, p. 7, n. 6). Par
exemple, le concept d'un autographe authentique de Wins-
ton Churchill veut que la manière dont la traînée d'encre a
été causée en fait soit essentielle pour son statut en tant
qu'autographe. Des photocopies, des contrefaçons, des
signatures qui se trouveraient par hasard être identiques -
mais peut-être pas des copies sur papier carbone - sont
exclues. Ces considérations font partie de la réponse concep-
tuelle à la question socratique au sujet des autographes.
Or certains auteurs, y compris Fodor, ont soutenu que des
concepts tels que celui d'action intelligente ont aussi un
élément causal essentiel; un comportement qui apparaîtrait
comme intelligent pourrait être démontré comme ne l'étant
pas si l'on montrait qu'il est l'effet d'une cause non appro-
priée. Contre de telles positions Ryle peut soutenir que
même s'il est vrai que tout exemple de comportement
intelligent a une cause (et ainsi est susceptible d'une
explication causale), la forme exacte de son action causale
n'est pas essentielle à son caractère intelligent - et cela
pourrait être vrai même si tout comportement intelligent
exhibait en fait une structure commune d'explication cau-
sale. En d'autres termes, Ryle peut soutenir de manière
plausible qu'aucune analyse causale ne pourrait rendre
compte de la classe des actions intelligentes sauf de manière
accidentelle. A l'appui de ce genre de positions- en faveur
de laquelle il y a beaucoup à dire en dépit de la vogue
actuelle des théories causales -, Ryle peut avancer des
thèses du type de celle que Fodor cherche à dénigrer (« ce
n'est pas l'activité mentale qui rend l'action du clown habile
parce que ce qui rend son action habile sont des faits tels que
celui du déroulement de cette action en public, là où les
enfants peuvent la voir ») sans commettre l'erreur de suppo-
ser que des réponses causales et des réponses conceptuelles
sont incompatibles 1•
Le béhaviorisme logique de Ryle était en fait teinté d'un
préjugé antiscientifique, mais il aurait très bien pu ne pas
l'être. Il faut remarquer que l'introduction du concept de
valence en chimie était un exemple de béhaviorisme logique
chimique: avoir la valence n'était « par définition » être
disposé à se comporter de telle ou telle façon dans telles
ou telles conditions, que cette disposition au comportement
64 La stratégie intentionnelle
soit ou non susceptible un jour d'être expliquée par la
physique. Dans ce cas particulier, la relation entre la théorie
chimique et la théorie physique est maintenant bien en
place et bien comprise - même si les affres des gens de
l'idéologie en donnent quelquefois une description fausse-
et l'explication de ces propriétés combinatoires par la
physique est l'exemple majeur du type de succès scientifique
propre à inspirer des doctrines réductionnistes. On a montré
que la chimie se réduisait, en un certain sens, à la physique,
et c'est sans doute une bonne chose, le genre de chose que
l'on devrait tenter de réaliser encore.
Ce genre de progrès est une invitation à la recherche de
développements parallèles en psychologie. En premier lieu,
nous répondrons à la question : « Qu'est-ce que tous ceux
qui croient que pont en commun? » de la première manière,
la manière « conceptuelle », puis nous verrons si nous
pouvons aller plus loin en « réduisant » la théorie qui sortira
de notre première réponse à quelque chose d'autre -le plus
vraisemblablement à la neurophysiologie. Beaucoup de
théoriciens semblent tenir pour acquis qu'une réduction
quelconque de ce type est à la fois possible et désirable, et
peut-être même inévitable, même si les critiques récents du
réductionnisme, tels que Putnam et Fodor nous ont mis en
garde contre les excès inhérents aux credos réductionnistes
«classiques ». Personne aujourd'hui n'espère conduire la
psychologie du futur dans le vocabulaire du neurophysiolo-
gue, ni a fortiori dans celui du physicien, et on a proposé
diverses manières d'assouplir les «règles» classiques de
réduction. Le problème donc porte sur la question de savoir
quel type de liens réducteurs nous pouvons espérer - ou
devrions espérer- trouver pour unifier les thèses psycholo-
giques sur la croyance, les désirs et ainsi de suite avec les
thèses des neurophysiologues, des biologistes et des autres
chercheurs en sciences physiques.
Puisque les termes de « croyance », de « désir » et les
termes apparentés font partie du langage ordinaire, tout
comme le mot «aimant», par opposition à des termes
techniques tels que « valence », nous devons en premier lieu
examiner la « psychologie populaire » pour voir quelles
sortes de choses on nous demande d'expliquer. Qu'appre-
nons-nous sur la nature des croyances quand nous appre-
Trois sortes de psychologie intentionnelle 65
nons à utiliser des termes tels que « croyance » et « désir » ?
La première chose à dire est que nous n'apprenons pas
vraiment ce que sont les croyances quand nous apprenons à
utiliser ces mots 2 • Il est certain que personne ne nous dit ce
que sont les croyances, ou si quelqu'un le fait, ou si nous
venons par nous-mêmes à nous interroger sur ce point, la
réponse à laquelle nous parvenons, qu'elle soit sage ou
ridicule, n'aura qu'une place minime au sein de nos habi-
tudes de pensée concernant ce que les gens croient. Nous
apprenons à utiliser la psychologie populaire comme une
technologie sociale commune, une technique; mais nous ne
l'apprenons pas consciemment comme une théorie- nous
n'apprenons pas de méta théorie avec la théorie - et à cet
égard notre connaissance de la psychologie populaire res-
semble à notre connaissance de la grammaire de notre
langue maternelle. Cela ne rend pourtant pas notre connais-
sance de la psychologie populaire totalement distincte de
notre connaissance humaine de théories académiques expli-
cites; quelqu'un peut être un bon praticien de la chimie et se
trouver bien embarrassé quand il s'agit de donner une
bonne défini ti on de manuel de la notion de métal ou de celle
d'ion.
Il n'y a pas de manuels d'introduction à la psychologie
populaire (bien que Le Concept d'esprit de Ryle puisse être
mis à profit pour cela), mais beaucoup d'explorations de ce
domaine ont été entreprises par des philosophes du langage
ordinaire (avec des intentions légèrement distinctes) et plus
récemment par des philosophes de l'esprit aux penchants
plus théoriques, et on peut tirer de tous ces travaux une
analyse de la psychologie populaire - composée en partie
de truismes et en partie de points litigieux. Que sont les
croyances ? Très approximativement, la psychologie popu-
laire contient l'idée que les croyances sont des états dans
lesquels se trouvent les gens, véhiculant une certaine infor-
mation, qui proviennent des perceptions, et qui, s'ils sont
reliés de manière appropriée à certains désirs, conduisent à
l'accomplissement d'actions intelligentes. Tout cela estrela-
tivement incontestable, mais la psychologie populaire sou-
tient-elle aussi que des animaux non humains ont des
croyances ? Si tel est le cas quel est le rôle du langage dans
les croyances? Est-ce que les croyances sont composées de
66 La stratégie intentionnelle
parties? Si oui, quelles sont ces parties? Des idées? Des
concepts ? Des mots ? Des images ? Les croyances sont-elles
comme des actes de langage, comme des cartes, comme des
manuels d'instructions, ou comme des phrases? Est-il
implicite dans la psychologie populaire que les croyances
figurent dans des relations causales, ou bien qu'elles n'y
figurent pas? Comment les décisions et les intentions
interviennent-elles entre les complexes de croyances-désirs
et les actions? Peut-on avoir accès aux croyances par
introspection, et si oui, quelle sorte d'autorité les affirma-
tions de celui qui a une certaine croyance peuvent-elles
avoir?
Toutes ces questions méritent une réponse, mais l'on doit
garder à l'esprit que l'on peut avoir différentes raisons de
s'intéresser aux détails de la psychologie populaire. L'une
des raisons est que c'est un phénomène existant, tout comme
une religion, un langage ou un code vestimentaire, et qu'elle
doit être étudiée au moyen des techniques et des attitudes de
l'anthropologie. Cela peut être un mythe, mais c'est un
mythe au sein duquel nous vivons, et en ce sens c'est un
phénomène« important» dans la nature. Une autre raison
est que la psychologie populaire semble être une théorie
vraie dans l'ensemble, qui par conséquent peut être candi-
date - tout comme la physique populaire des aimants et à
la différence de la science populaire de l'astrologie- à une
incorporation au sein de la science. Ces raisons distinctes
sont à l'origine d'enquêtes distinctes mais qui se recoupent.
La question anthropologique devrait inclure au sein de son
analyse de la psychologie populaire tout ce que les gens
incluent dans leur théorie, quelles qu'en puissent être les
erreurs, les incohérences ou les assertions gratuites. (Quand
l'anthropologue désigne comme fausse une partie du catalo-
gue de la théorie populaire, il peut parler de fausse cons-
cience ou d'idéologie, mais le rôle d'une telle théorie fausse
en tant que phénomène anthropologique ne s'en trouve pas
diminué.) L'enquête protoscientifique, d'un autre côté,
comme tentative en vue de préparer l'incorporation future
de la théorie populaire dans la science, ou sa réduction à
elle, devrait être critique et devrait éliminer tout ce qu'il y a
de faux ou de mal fondé, quel que soit l'enracinement des
doctrines populaires dans les esprits. (Thalès pensait que les
Trois sortes de psychologie intentionnelle 67
magnétites avaient des âmes, nous dit-on. Même si la
plupart des gens étaient d'accord, ce serait quelque chose à
éliminer de la physique populaire des aimants avant la
«réduction».) Une manière de distinguer le bon du mau-
vais, l'essentiel du gratuit, dans une théorie populaire est de
voir ce que l'on doit inclure dans la théorie pour rendre
compte des pouvoirs de prédiction ou d'explication qu'elle
semble avoir dans l'usage courant. De cette façon nous
pouvons critiquer au fur et à mesure que nous analysons, et
nous avons même la possibilité de rejeter finalement la
psychologie populaire si elle se révèle être une mauvaise
théorie, et avec elle les entités théoriques présumées qu'elle
contient. Si nous rejetons la psychologie populaire comme
théorie, il nous faut la remplacer par une autre théorie qui,
tout en faisant violence à nombre de nos intuitions, expli-
querait le pouvoir prédictif de la technique populaire
résiduelle.
Nous utilisons la psychologie populaire tout le temps,
pour expliquer et prédire mutuellement nos comporte-
ments; nous nous attribuons mutuellement des croyances et
des désirs sans nous poser de questions et très spontanément
et nous passons un bon moment de nos vies conscientes à
formuler le monde - y compris nous-mêmes - en ces
termes. La psychologie populaire est à peu près autant
partie intégrante de notre seconde nature que notre physi-
que populaire des objets de taille moyenne. Jusqu'à quel
point cette psychologie populaire est-elle bonne? Si nous
nous concentrons sur ses faiblesses nous remarquerons que
nous sommes souvent incapables de donner un sens à des
portions particulières de comportement humain (le nôtre y
compris) en termes de croyances et de désirs, même après
coup; il nous arrive souvent de ne pas pouvoir prédire ce
qu'une personne fera ou à quel moment elle agira; il nous
arrive souvent de ne pas trouver de ressources dans la
théorie pour régler des désaccords concernant certaines
attributions de désirs et de croyances. Si nous nous concen-
trons sur ses forces, nous découvrons en premier lieu qu'il y
a de larges secteurs dans lesquels cette théorie a un pouvoir
de prédiction extrêmement fiable. Chaque fois que nous
nous aventurons sur une autoroute, par exemple, nous
mettons nos vies en jeu sur la base des croyances percep-
68 La stratégie intentionnelle
tives, des désirs normaux et des décisions auxquelles sont
enclins les autres automobilistes. En deuxième lieu, nous
découvrons que c'est une théorie qui a un grand pouvoir
générateur et une grande efficacité. Par exemple, si nous
regardons un film au scénario très original et peu stéréo-
typé, nous voyons le héros de l'histoire sourire au méchant
et nous parvenons vite et sans effort au même diagnostic
théorique complexe : « Ha! ha! concluons-nous (peut-être
inconsciemment), il veut qu'elle pense qu'il ne sait pas
qu'elle a l'intention de faire du tort à son frère! » En
troisième lieu, nous découvrons que même les enfants en bas
âge acquièrent facilement ht théorie à un moment où ils ont
une expérience très limitée de l'activité humaine à partir de
laquelle ils peuvent induire une théorie. En quatrième lieu,
nous découvrons que nous pouvons tous utiliser la psycholo-
gie populaire presque sans rien connaître de ce qui se passe
à l'intérieur des crânes des gens.« Utilisez votre tête», nous
dit-on et nous savons que certaines personnes ont plus de
cervelle que d'autres, mais notre capacité à utiliser la
psychologie populaire n'est pas du tout affectée par notre
ignorance - même globale - des processus cérébraux.
Comme l'ont observé de nombreux philosophes, l'une des
caractéristiques distinctives de la psychologie populaire par
rapport à la physique populaire et par rapport aux sciences
physiques officielles est que les explications des actions qui
citent des croyances et des désirs décrivent ordinairement
non seulement la provenance des actions mais également les
justifient comme des actions qui sont, étant donné les
circonstances, raisonnables. Ce sont des explications qui
donnent des raisons, et qui font allusion de manière essen-
tielle à la rationalité de l'agent. C'est avant tout pour cette
raison, mais aussi à cause de l'ensemble des forces et des
faiblesses que je viens de décrire, que je suggère que l'on
peut considérer la psychologie populaire comme un calcul
rationnel de l'interprétation et de la prédiction - une
méthode d'interprétation idéalisante, abstraite et instru-
mentale, qui est un produit de l'évolution parce qu'elle
marche et qui marche parce que nous sommes des produits
de l'évolution. Nous entrons en contact les uns avec les
autres en tant que systèmes intentionnels (Dennett 1971),
c'est-à-dire comme des entités dont le comportement peut
Trois sortes de psychologie intentionnelle 69
être prédit au moyen de la méthode d'attribution de
croyances, de désirs et de capacités rationnelles, selon les
principes généraux suivants:
Dans (1) et (2) « devrait avoir »veut dire « aurait s'il était
idéalement logé dans sa niche environnementale ». Ainsi un
système intentionnel reconnaîtra comme tels tous les dan-
gers et vicissitudes surgis dans son environnement (i.e. il
croira que ce sont des dangers), et il désirera tous les
bénéfices- relatifs à ses besoins bien sûr. Quand un fait
relatif à son environnement est particulièrement pertinent
pour ses projets du moment (qui eux-mêmes seront les
projets qu'un tel être devrait avoir pour s'en tirer dans son
monde), il connaîtra ce fait et agira en conséquence. Et ainsi
de suite. Cela nous donne la notion d'un opérateur ou d'un
agent épistémique et conatif idéal, relativisé à un ensemble
de besoins de survie et de procréation, et à un environne-
ment dans lequel ses ancêtres ont évolué et auquel il s'est
adapté. Mais cette notion est encore trop vague et générale.
70 La stratégie intentionnelle
Par exemple, un être peut se trouver avoir un besoin
épistémique que son appareil perceptif n'est pas capable de
satisfaire (tout à coup toute nourriture colorée devient
empoisonnée mais il est hélas aveugle aux couleurs). D'où la
relativité par rapport aux capacités perspectives. De plus il
peut avoir ou ne pas avoir eu l'occasion d'apprendre quelque
chose par expérience, en sorte que ses croyances sont aussi
relatives à sa biographie de cette manière : il aura appris ce
qu'il aurait dû apprendre, c'est-à-dire en fonction des
données qui sont compatibles avec son appareil cognitif-
pour autant que ces données étaient « pertinentes » pour son
projet du moment.
Mais c'est encore trop vague, parce que l'évolution ne
nous donne pas un meilleur des mondes possibles, mais
seulement un ensemble de trucs passables. Nous devons
donc chercher plutôt des biais dans le plan auquel répon-
dent les organismes, qui dans des circonstances anormales
conduisent à des croyances perceptives fausses, etc. (Nous
ne sommes pas à l'abri des illusions-ce qui se produirait si
nos systèmes perceptifs étaient parfaits.) Pour compenser les
biais du plan nous devons aussi nous attendre à ce qu'il y ait
des bonus dans le plan : des circonstances dans lesquelles la
nature planifie un système cognitif «à bon marché» en
produisant un bénéfice additionnel quand le système donne
des résultats bons et fiables même en dehors de l'environne-
ment dans lequel le système a évolué. Nos yeux sont bien
adaptés pour nous donner des croyances vraies sur Mars
aussi bien que sur Terre, parce que la solution à bon marché
pour nos yeux-produits-de l'évolution-terrestre semble être
plus générale (cf. Sober 1981).
Je propose que nous poursuivions le mode de pensée qui
vient d'être illustré systématiquement- pas seulement pour
l'analyse du plan auquel répond le système visuel, mais
aussi pour celui auquel répond la délibération, la croyance,
et la production de stratégies. En utilisant cet ensemble
d'hypothèses optimistes (la nature nous a faits pour que nous
fassions les choses comme il faut; chercher les systèmes qui
croient ce qui est vrai et qui aiment ce qui est bon),
nous n'imputons pas de pouvoirs occultes aux besoins épis-
témiques, aux capacités perceptives, ni à la biographie
des systèmes, mais seulement les pouvoirs que le sens
Trois sortes de psychologie intentionnelle 71
commun attribue déjà à l'évolution et à l'apprentissage.
En bref, nous nous traitons les uns les autres comme si
nous étions des agents rationnels, et ce mythe- car il ne fait
pas de doute que nous ne sommes pas tous rationnels-
marche bien parce que nous sommes suffisamment ration-
nels. Cette simple hypothèse, combinée à des vérités fami-
lières concernant nos besoins, capacités et les circonstances
typiques dans lesquelles ils surgissent, engendre à la fois une
interprétation intentionnelle de nous-mêmes en tant que
possesseurs de croyances et de désirs et une masse de
prédictions effectives du comportement. Je soutiens, par
conséquent, que la meilleure façon de concevoir la psycholo-
gie populaire est de la considérer comme une sorte de
béhaviorisme logique: ce que cela veut dire de dire que
quelqu'un croit que p, est que cette personne est disposée à
se comporter de certaines manières sous certaines condi-
tions. De quelles manières et sous quelles conditions? Selon
les manières idéalement rationnelles de se comporter, étant
donné les autres croyances et désirs de la personne. La
réponse risque bien d'être circulaire, mais on peut considé-
rer l'analogie suivante: une explication de ce que c'est pour
un élément que d'avoir une certaine valence fera pareille-
ment référence de manière essentielle aux valences d'autres
éléments. Ce que le vocabulaire des valences nous donne est
tout un système d'attributions liées les unes aux autres, qui
cesse d'être vide à partir du moment où il nous fournit des
prédictions testables.
Je viens juste d'esquisser une méthode de prédiction et
d'explication du comportement des personnes et des autres
créatures intelligentes. Je voudrais à présent distinguer
deux questions à ce sujet : est-ce quelque chose que nous
pourrions faire, ou est-ce quelque chose que nous faisons en
fait? Je pense que la réponse à la première question est
évidemment oui, ce qui ne veut pas dire que la méthode
produira toujours de bons résultats. C'est quelque chose que
l'on peut établir par réflexion et par expérience de pensée.
De plus on peut reconnaître que la méthode est familière.
Bien que nous n'utilisions pas habituellement la méthode
consciemment, nous l'utilisons consciemment quand le
comportement d'une personne nous rend perplexe, et cela
produit souvent des résultats satisfaisants. De plus le fait
72 La stratégie intentionnelle
que notre recours à cette forme consciente et délibérée de
résolution de problème nous soit si aisé et naturel renforce
l'idée que dans ces cas nous ne changeons pas de méthode
mais devenons simplement conscients et capables d'articu-
ler explicitement ce que nous accomplissons habituellement
de manière tacite ou inconsciente.
Aucune autre conception de la psychologie populaire, à
mon sens, ne peut expliquer le fait que nous parvenions si
bien à prédire le comportement d'autrui avec des données
aussi minces et approximatives: la stratégie consistant à
nous traiter naturellement comme des systèmes intention-
nels marche (dans la mesure où elle le fait) parce que nous
sommes en réalité bien configurés par l'évolution, et par
conséquent parce que nous approchons de la version idéale
de nous-mêmes que nous exploitons pour faire nos prédic-
tions. Mais non seulement l'évolution ne garantit pas que
nous ferons toujours ce qui est rationnel: elle garantit que
nous ne le ferons pas. Si nous sommes planifiés par l'évolu-
tion, alors nous ne sommes certainement rien de plus qu'un
paquet de trucs, mis les uns avec les autres par une Nature
satisfiante [satisficing] - selon le terme d'Herbert Simon
(1957) - et ne sommes pas mieux lotis que nos ancêtres ne
devaient l'être pour s'en tirer. De plus les réquisits de la
nature et ceux d'un cours de logique ne sont pas les mêmes.
Quelquefois - même normalement dans certaines circons-
tances- cela paye de sauter rapidement aux conclusions (et
même si l'on oublie qu'on l'a fait), en sorte qu'en vertu de la
plupart des mesures philosophiques de la rationalité (être
logiquement cohérent, s'abstenir de faire des inférences non
valides) il est probable qu'il y ait eu une certaine pression
positive de l'évolution en faveur de méthodes « irration-
nelles » 3 •
Jusqu'à quel point sommes-nous rationnels? Des
recherches récentes en psychologie sociale cognitive (par
exemple, Tversky et Kahneman 1974; Nisbett et Ross 1978)
suggèrent que nous ne sommes que minimalement ration-
nels, étonnamment prompts à sauter sur des conclusions ou
à nous laisser influencer par des traits logiquement non
pertinents des situations. Mais cette vision calamiteuse est
une illusion engendrée par le fait que ces psychologues
essaient délibérément de produire des situations qui provo-
Trois sortes de psychologie intentionnelle 73
quent des réponses irrationnelles - en induisant de la
pathologie dans un système en le soumettant à des pressions
- et y réussissent, puisque ce sont de bons psychologues.
Personne n'engagerait un psychologue pour montrer que les
gens choisiront qu'on leur paye des vacances en prison si on
leur proposait un choix informé. Tout au moins pas dans les
meilleurs départements de psychologie. On peut avoir un
sentiment plus optimiste sur notre rationalité si l'on consi-
dère les difficultés engendrées par la recherche en intelli-
gence artificielle. Même les programmes d'intelligence arti-
ficielle les plus sophistiqués trébuchent aveuglément dans
des fausses interprétations et des erreurs que même des
enfants en bas âge sont capables d'éviter sans réfléchir (voir,
par exemple, Schank 1976; Schank et Abelson 1977). De ce
point de vue, nous semblons être merveilleusement ration-
nels.
Quel que soit notre degré de rationalité, c'est le mythe que
nous sommes des agents rationnels qui structure et organise
nos attributions de désirs et de croyances à d'autres et qui
règle nos propres délibérations et investigations. Nous
aspirons à la rationalité, et sans le mythe de notre rationa-
lité les concepts de croyance et de désir seraient déracinés.
La psychologie populaire, par conséquent, est idéalisée en
ceci qu'elle produit ses prédictions et explications en calcu-
lant dans un système normatif; elle prédit ce que nous
croirons, désirerons, et ferons, en déterminant ce que nous
devons croire, désirer et faire 4 •
La psychologie populaire est abstraite en ceci que les
croyances et les désirs qu'elle attribue ne sont pas - ou
n'ont pas besoin d'être - présumés intervenir dans un
système interne capable de causer le comportement. (Je
développerai ce point un peu plus bas.) Le rôle du concept de
croyance est comparable au rôle du concept de centre de
gravité, et les calculs qui produisent les prédictions ressem-
blent plus aux calculs que l'on accomplit avec un parallélo-
gramme des forces qu'aux calculs que l'on accomplit avec
un schéma de leviers internes et de rouages.
La psychologie populaire est ainsi instrumentaliste en un
sens que le plus ardent des réalistes devrait accepter; les
gens ont réellement des désirs et des croyances, selon ma
conception de la psychologie populaire, tout comme il y a
74 La stratégie intentionnelle
réellement des centres de gravité et que la Terre a un
équateur 5 • Reichenbach distinguait deux sortes de référents
pour les termes théoriques: les illata- des entités théori-
ques postulées- et les abstracta- des entités liées au calcul
ou des constructions logiques 6 • Les croyances et les désirs de
la psychologie ordinaire (mais pas tous les événements ou
états mentaux) sont des abstracta.
Cette conception de la psychologie ordinaire devient plus
claire quand on la compare avec une thèse diamétralement
opposée, dont chacune des implications a été soutenue par
un philosophe quelconque, et dont au moins quelques-unes
ont été défendues par Fodor :
;::::>>> --~<-
_.·.·.;.···.
RÉFLEXIONS :
L'INSTRUMENTALISME RECONSIDÉRÉ
1nstrumentalisme
Il n'y a que (1) qui soit une croyance fausse, mais comment
peut-on dire qu'il croit cela s'il croit toutes les autres
choses? Il n'est sûrement pas plausible de dire qu'il a mal
inféré (1) des autres croyances, directement ou indirecte-
ment. C'est-à-dire que nous ne serions pas enclins à lui
attribuer l'inférence de (1) directement à partir de (7) et-
de quoi? peut-être inférerions-nous
RÉFLEXIONS
QUAND LES GRENOUILLES (ET LES AUTRES)
FONT DES ERREURS
Attitudes propositionnelles
Attitudes phrastiques
0
Ainsi croire est supposé être une relation entièrement
non sémantique entre une personne et un objet caractérisé
syntaxiquement. La « certaine manière » dont on est disposé
à employer la phrase est laissée indéterminée, bien sûr, mais
on doit présumer que l'on pourrait spécifier cela en termes
purement syntaxiques. Il n'y a que comme cela que la
relation peut ne pas « poser problème » pour un matéria-
liste.
Tant que Field s'en tient aux phrases d'une langue
naturelle comme relata de la relation de croire 0 , il est sur un
terrain solide, car une phrase d'une langue naturelle peut
être identifiée indépendamment des dispositions que peut
192 La croyance passée au crible
avoir une personne à l'utiliser de différentes manières. Mais
à partir du moment où Field se tourne vers les phrases du
mentalais (ou vers des analogues de phrases, comme il les
appelle)- comme ille doit, pour des raisons bien connues
tenant à l'existence de croyances chez les muets, chez des
animaux et chez des êtres qui n'ont pas encore le langage,
par exemple - cette définition approximative initiale de
« croire o » devient très problématique- bien que Field lui-
même caractérise ce déplacement comme une « modifica-
tion mineure».
Prenons seulement l'exemple le plus simple : le « mes-
sage» envoyé par un élément récepteur relativement péri-
phérique près de la rétine. Appelons cet élément « Rep ».
Supposons que notre première hypothèse soit que le signal
de Rep est un token de la phrase mentalaise (traduite
strictement en français) : « Il y a maintenant une petite
tache rouge au milieu du champ visuel. » En désinterprétant
la phrase, nous voyons qu'elle a la forme syntaxique (à nos
propres fins, et quelles autres fins pourraient compter?) il y
a maintenant un FGH à J de K. Nous considérons qu'il y a
tous ces termes dans le message simplement parce que nous
supposons qu'il peut avoir toutes ces contributions en vertu
de ses liens. Mais il se peut que nous ayons mal interprété sa
fonction dans le système. Peut-être que la phrase mentalaise
qu'il faut associer à ce message (à nouveau traduite stricte-
ment en français) est:« Il y a une tomate devant moi», ou
simplement: «Au moins dix cellules rétiniennes de type F
sont dans un état G », ou peut-être: «Quelque chose
m'apparaît rougement. » Ces phrases (tout au moins sous la
forme de leurs traductions en français) reçoivent des ana-
lyses syntaxiques tout à fait distinctes. Mais quelle est la
forme syntaxique de la chose que nous avons localisée dans
le cerveau? nous pouvons être capables de déterminer la
« configuration » d'un élément - un type d'événement par
exemple - dans le cerveau, mais nous ne pouvons pas
déterminer sa forme syntaxique (distinguée de ses pro-
priétés décoratives- même si elles sont distinctives) sauf en
déterminant ses pouvoirs particuliers de combinaison et de
coopération avec d'autres éléments, et en dernière instance
son impact environnemental à travers ses pouvoirs d'interac-
tion.
Au-delà de la croyance 193
Une expérience de pensée nous permettra de dégager ce
point plus clairement. Supposez que notre tâche consiste à
construire un langage de la pensée plutôt qu'à découvrir un
langage de pensée déjà existant en action. Nous imaginons
ce que nous voulons que croie (désire, etc.) notre système, et
nous écrivons des versions de toute cette information dans
des phrases d'une certaine espèce provisoire de mentalais.
Nous inscrivons chaque phrase rapportant une croyance
dans une boîte séparée faisant partie de la vaste carte du
système que nous sommes en train de construire. Notre
boîte à croyances contient la traduction mentalaise de la
phrase «la neige est blanche». Mais il va de soi que la
simple inscription des symboles dans la boîte ne peut pas
stocker l'information que la neige est blanche. Au minimum
il doit y avoir une certaine machinerie conçue pour utiliser
ces symboles dans cette boîte de façon à faire une différence
-la différence qui ferait que le système croit que la neige
est blanche. Cette machinerie doit, par exemple, lier d'une
certaine façon la boîte qui contient « la neige est blanche » à
toutes les boîtes dans lesquelles le mot men talais« blanc» a
une occurrence. Ces boîtes sont reliées les unes aux autres,
systématiquement, et en dernier lieu à quelque chose
comme la périphérie du système - à la machinerie qui
pourrait signaler la présence d'une substance blanche
froide, et ainsi de suite. La boîte« la neige est blanche» est
aussi liée à toutes les boîtes« neige», qui sont elles-mêmes
liées à toutes les boîtes« précipitation »,et ainsi de suite. Ce
vaste réseau imaginaire de liens transformera la collection
des boîtes en quelque chose comme les treillis classifica-
toires, les réseaux d'héritage ou les filets sémantiques que
l'on trouve dans les systèmes d'intelligence artificielle (voir
par exemple Woods 1975, 1981). Puis interviennent tous les
liens avec la machinerie, quelle qu'elle soit, qui s'appuie sur
ces boîtes pour contribuer de manière appropriée au
contrôle du comportement de tout le système - ou mieux
encore à celui de la créature dans laquelle le système se
trouve incorporé. Sans tous ces liens, les inscriptions dans
les boîtes ne sont que des fioritures- ou tout au mieux des
labels mnémoniques qui enregistrent pour nous (plus ou
moins bien) l'information qui se trouve emmagasinée pour le
système à ce nœud en vertu des liens qu'il entretient avec
194 La croyance passée au crible
d'autres nœuds du système. La vraie «syntaxe», la struc-
ture interne du système dont dépend sa fonction, est tout
entière dans ces liens. (J'utilise le mot « lien » comme un
joker désignant tout ce qui peut jouer ce rôle; personne ne
sait encore (pour autant que je sache) comment résoudre ce
problème dans le détail.)
La séparation qu'on imagine dans notre exemple entre les
liens et les inscriptions dans les boîtes ne reflète bien sûr pas
la situation réelle à laquelle on est confronté en intelligence
artificielle (I.A.). La raison d'être des langages de program-
mation est qu'ils soient habilement conçus afin que leurs
inscriptions, une fois incorporées correctement dans le
système, créent divers liens avec des éléments qui sont dans
d'autres inscriptions. C'est ce trait qui rend les langages de
programmation si différents des langages naturels, et c'est
sans doute ce trait que doit posséder tout langage de la
pensée- si cette hypothèse est destinée à éviter un épiphé-
noménalisme stérile des labels que nous imaginons dans les
boîtes. Et pour tout « langage» ayant ce trait, il y a
évidemment une relation étroite entre forme et fonction- si
étroite que la distinction dans le schéma de Kaplan au
niveau (0) entre la contribution des traits syntaxiques et la
contribution des « conventions linguistiques » n'a pas d'ho-
mologue dans un modèle plausible quelconque d'un « lan-
gage de la pensée» en psychologie. Le fait d'obtenir le
« texte » indépendamment de son interprétation ne peut pas
apporter grand-chose à la psychologie. Il s'ensuit que la
division projetée par Field du problème de la croyance en un
sous-problème (a) syntaxique et un sous-problème (b)
sémantique, si elle revient à un programme de recherche en
psychologie, est vouée à l'échec.
Mais peut-être le problème de Field ne doit-il pas être
compris comme formulant un programme de recherche,
mais comme formulant une importante distinction de rai-
son. Même si nous ne pouvons pas réellement déterminer en
premier la syntaxe, puis la sémantique d'un langage de la
pensée (pour des raisons épistémologiques), la distinction
peut toujours signaler quelque chose de réel, si, ayant
anticipé la mise en place à la fois d'une théorie sémantique
et d'une théorie syntaxique du langage de la pensée, nous
pouvions distinguer les propriétés syntaxiques du système
Au-delà de la croyance 195
de ses propriétés sémantiques. Il ne fait pas de doute qu'une
distinction comme la distinction sémantique/ syntaxe
pourra être faite après coup dans une psychologie de la
croyance bien confirmée parvenue à maturité, car il doit y
avoir une manière de décrire l'opération du système nerveux
indépendamment de son insertion dans le monde en vertu
duquel nous fixons ses propriétés sémantiques. Mais suppo-
ser que cette distinction ait quelque chose de commun avec
la distinction entre syntaxe et sémantique pour une langue
naturelle revient à adopter une fonne gratuite d'inscription-
nisme.
On peut en effet tirer une morale plus forte de la
discussion du problème de l'association d'un message expli-
cite à la contribution de Rep, le transducteur visuel périphé-
rique. Nous supposions que nous avions isolé Rep comme
composant fonctionnel du système cognitif, composant que
nous pouvions considérer comme informant le système de la
présence d'un certain trait visuel. Puis nous avons rencontré
le problème de trouver une transcription linguistique appro-
priée pour cette contribution- c'est-à-dire en trouvant une
phrase représentant explicitement et exactement le message
émis par Rep. Et nous avons vu que le choix de la phrase
dépendait de manière cruciale des possibilités combina-
toires effectives du message émis par Rep. Même en suppo-
sant que nous puissions déterminer cela, même en suppo-
sant que nous pourrions établir que nous sommes en
possession de la meilleure description fonctionnelle possible
du système dont Rep fait partie, et que nous pourrions dire
exactement quelles fonctions peut remplir le signal émis par
Rep, rien ne nous garantit que nous aurons désigné correcte-
ment et précisément ces fonctions si nous soutenons en
quelque façon que ce soit que le message de Rep comprend la
phraseS (dans le langage L) à titre de prémisse d'un système
inférentiel quelconque. La conviction qu'il doit être possible
de transcrire linguistiquement une telle contribution me
semble être un présupposé d'une bonne partie de l'idéologie
méta théorique, et je soupçonne que ce présupposé repose en
partie sur une confusion entre le fait qu'un certain signal est
déterminé et le fait qu'il soit explicite 10 • Supposez que la
contribution sémantique de Rep, la manière dont il informe
le système, soit entièrement déterminée. En d'autres termes,
196 La croyance passée au crible
nous pouvons dire exactement comment son occurrence
peut produire des effets qui se ramifient à travers le système
en produisant des changements dans le contenu ou la
contribution sémantique d'autres sous-systèmes. Il ne
s'ensuivrait pas pour autant que nous pourrions rendre cette
contribution explicite sous la forme d'une ou de plusieurs
phrases affirmées par le système. Nous pourrions être
capables de décrire la contribution sémantique de manière
parfaitement explicite, sans la décrire comme une affirma-
tion explicite dans un quelconque langage.
Je ne suis pas simplement en train de faire allusion à la
possibilité que l'activité qui se déroule dans une certaine
partie d'un système cognitif puisse avoir un effet sémanti-
que, bien que plein de bruit- ou tout au moins un effet non
porteur de contenu- sur une autre partie dudit système.
Des effets de ce genre sont tout à fait possibles. Le fait de
sentir une odeur de sulfure peut conduire quelqu'un à
penser au base-hall sans raison. C'est-à-dire qu'il pourrait
n'y avoir aucun lien informationnel, tel que des souvenirs
d'avoir joué à des jeux dans des odeurs d'usine à gaz, bien
qu'il pourrait y avoir un lien causal fiable mais sans
justification. J'admets que de tels effets sont possibles, mais
je veux avancer une remarque plus conséquente : qu'il
pourrait y avoir des relations hautement sensibles au
contenu, informationnelles, épistémiquement utiles et pla-
nifiées entre des activités relevant de sous-systèmes cogni-
tifs distincts mais qui défieraient néanmoins toute interpré-
tation inscriptionniste. Supposez, par exemple, que Pat dise
que Michou « a un truc avec les rouquins ».Ce que Pat veut
dire, en gros, est que Michou a un stéréotype du rouquin qui
le conduit à une attitude plutôt dépréciatrice et qui
influence les attentes de Michou au sujet des rouquins et de
ses interactions, mais qu'il a une attitude idiosyncrasique et
particulière vis-à-vis des rouquins. Et Pat peut avoir raison
-avoir plus raison encore que nous le croyions ! Il pourrait
se faire que Michou a un truc, un morceau de machinerie
cognitive qui porte sur les rouquins au sens où elle se met
systématiquement en marche chaque fois qu'on parle des
rouquins ou d'un rouquin, et qui ajuste divers paramètres de
la machinerie cognitive, rendant les hypothèses flatteuses
au sujet des rouquins moins faciles à entretenir ou à
Au-delà de la croyance 197
confirmer, rendant aussi un comportement relativement
agressif vis-à-vis des rouquins plus facile à se déclencher que
de coutume, et ainsi de suite. Un tel truc au sujet des
rouquins pourrait être un mécanisme très complexe, ou bien
très simple, et dans un cas comme dans l'autre son rôle
pourrait rendre impossible toute caractérisation de la
forme:
Attitudes notionnelles
car Bill n'a jamais rencontré ce colosse russe, quel qu'il soit.
En revanche il est vrai que
De re et de dicto démantelés
A moins que nous ne soyons prêts à dire que « l'esprit ne
peut pas aller au-delà du cercle de ses propres idées », il nous
faut reconnaître que certaines des choses du monde peuvent
en fait devenir les objets de nos attitudes intentionnelles. L'un
230 La croyance passée au crible
des faits concernant Oliver B. Garrett, c'est qu'il a un jour
habité dans le Massachusetts; un autre fait, c'est que la police
l'a recherché pendant de nombreuses années; un autre
encore, c'est que j'ai entendu parler de lui pour la première
fois lorsque j'étais jeune; un autre encore, c'est le fait que je
crois qu'il est toujours en train de se cacher. (Chisholm 1966.)
C'est là un fait sur les gens, mais aussi sur les serpents. C'est-
à-dire que:
n'est pas
(A) Dans le ... sens opaque« veut »n'est pas un terme relatif
reliant des gens à quoi que ce soit, concret ou abstrait, réel ou
idéal. (1960, p. 155-156.)
(B) Si on prend la croyance de manière opaque, alors {Tom
croit que Cicéron a dénoncé Catilina] ne relie expressément
Tom à aucun homme (p. 145.)
(C) (1) « Tully était romain » est trochaïque.
(2) Le commissaire est à la recherche du directeur de
l'hôpital.
L'exemple (2), même si on ne le prend pas d'une manière
purement référentielle, diffère de (1) en ce qu'il paraît avoir
beaucoup plus de portée sur le directeur de l'hôpital, aussi
doyen qu'il puisse être, que (1) n'en a sur Tully. Ainsi mon
expression prudente« pas purement référentielle» avait pour
but de s'appliquer à tous les cas de ce genre et de n'affirmer
aucune distinction entre eux. Si j'omets l'adverbe, c'est pour
des raisons de brièveté (p. 142.)
Si c'est le cas, alors est-ce que Tom ne doit pas avoir un nom
vivant de la baleinité? (Kaplan 1968).
Il faut distinguer (26) de
(28) Bill croit que les plus gros mammifères sont des
mammifères.
Si tout ce que Bill sait des baleines est que ce sont les plus
gros mammifères, il a un nom très peu vivant de la baleinité.
La plupart d'entre nous avons une meilleure prise sur ce que
sont les baleines, grâce aux médias. Mais considérez:
(32) Je pensais que votre yacht était plus long qu'il n'est.
(37) Tom croit que l'espion le plus petit est une femme.
(47) Tom croit que sa femme (qui qu'elle puisse être) est
une excellente nageuse
RÉFLEXIONS :
À PROPOS D'À PROPOS
Les propositions
Mondes notionnels
Le principe de Russell
De re/de dicto
Évolution et intentionnalité
VI
STYLES DE REPRÉSENTATION
MENTALE*
RÉFLEXIONS
LE LANGAGE DE LA PENSÉE RECONSIDÉRÉ
Le problème
Quatrième ordre
Tom veut que Sam reconnaisse que Tom veut que Sam
croie que
il y a un léopard
il y a un carnivore
il y a un animal quadrupède
il y a un animal vivant plus gros qu'une huche à pain.
Troisième ordre
Tom veut que Sam croie que Tom veut courir dans les
arbres.
Premier ordre
Tom veut provoquer la fuite de Sam vers les arbres (et il
a le dispositif vocal qui produit cet effet; il utilise le
dispositif pour induire une certaine réponse chez Sam).
Selon cette lecture, le cri signalant un léopard appartient
à la même catégorie générale que le fait de s'approcher de
quelqu'un et de dire « Bouh! » Non seulement l'effet
recherché ne dépend pas de la reconnaissance chez la
victime des intentions de celui qui perpètre cet acte, mais
encore ce dernier n'a pas besoin d'avoir la moindre concep-
tion de ce qu'est l'esprit de la victime: faire des gros bruits
derrière certaines choses a pour effet de les faire sursauter.
Ordre zéro
Tom (comme d'autres singes vervets) est habituelle-
ment sujet à trois sortes d'anxiétés de qualités diffé-
rentes: la peur des léopards, la peur des aigles, et la peur
des serpents 1 • Chacune a sa vocalisation symptomatique
caractéristique. Les effets des autres sur ces vocalisations
ont des résultats heureux, mais c'est simplement un
tropisme, à la fois chez le locuteur et dans l'assistance.
Nous avons atteint le fond triste du tonneau : une analyse
qui n'attribue aucun trait mental, aucune intelligence,
Les systèmes intentionnels en éthologie cognitive 321
aucune communication, aucune intentionnalité que ce soit
au vervet. D'autres analyses aux niveaux intermédiaires
sont possibles, et certaines peuvent être plausibles. Je
choisis ces options pour des raisons de simplicité et de
clarté. Le canon de parcimonie de Lloyd Morgan nous
enjoint de nous en tenir à l'hypothèse la plus maussade, la
moins romantique possible, qui rendra compte systémati-
quement du comportement observé et observable, et pen-
dant longtemps le credo béhavioriste selon lequel les
courbes pouvaient s'adapter correctement aux faits à leur
niveau le plus bas a empêché d'explorer les arguments en
faveur des systématisations d'ordre supérieur du comporte-
ment de ces animaux. La thèse selon laquelle on pouvait
toujours fournir en principe une analyse d'ordre inférieur
d'un comportement animal (une analyse entièrement phy-
siologique, ou même une analyse restreinte aux critères
béhavioristes d'une complexité inimaginable) n'a plus
d'intérêt. C'est comme de dire qu'en principe le concept de
nourriture peut être ignoré par les biologistes - ou le
concept de cellules ou de gène en l'occurrence- ou c'est
comme de dire qu'en principe on peut toujours donner une
analyse située à un degré purement électronique du compor-
tement d'un ordinateur. Aujourd'hui ce qui nous intéresse
est de demander quels gains en perspicacité, en pouvoir
prédictif, en généralisation, pourraient être augmentés
si nous adoptions une hypothèse d'ordre supérieur qui
prendrait le risque de donner une caractérisation inten-
tionnelle.
Il s'agit d'une question empirique. La tactique qui
consiste à adopter le point de vue intentionnel ne consiste
pas à remplacer des investigations empiriques par des
investigations a priori («en chambre»), mais à utiliser ce
point de vue pour suggérer quelles questions empiriques
brutes poser à la nature. Nous pouvons tester les hypothèses
en compétition en exploitant la présupposition de rationa-
lité du point de vue intentionnel. Nous pouvons commencer
à n'importe quel bout de l'échelle: ou bien en recherchant
les données empiriques qui déclasseront une créature en lui
refusant l'accès à une interprétation d'ordre supérieur, ou
bien en partant à la chasse des données réconfortantes qui
promeuvent une créature en la créditant d'une interprétation
322 Évolution et intentionnalité
d'ordre supérieur (cf. Bennett 1976). Nous sommes récon-
fortés d'apprendre, par exemple, que les singes vervets
mâles solitaires voyageant en bande (et par conséquent hors
de portée de l'écoute, pour autant que nous sachions, des
autres vervets) à la vue d'un léopard, chercheront, en silence,
refuge dans les arbres. Autant pour l'hypothèse rabat-joie
des jappements d'anxiété en présence de léopards. (Assuré-
ment, aucune hypothèse ne succombe si aisément. Des
modifications ad hoc peuvent sauver l'hypothèse, et il est
facile de rêver à quelques changements simples «de
contexte » pour que les mécanismes de cris d'anxiété en
présence de léopards puissent donner un sursis à l'hypothèse
d'ordre zéro un peu plus longtemps.) A l'autre bout de
l'échelle, le simple fait que des singes vervets aient appa-
remment un registre si limité de choses qu'ils peuvent dire
augure mal de notre capacité à découvrir une utilité théori-
que réelle quelconque pour une hypothèse aussi hasardeuse
que celle d'une intentionnalité de quatrième ordre. C'est
seulement dans des contextes ou des sociétés dans lesquels
on doit exclure (ou inclure) des possibilités telles que
l'ironie, la métaphore, la capacité à raconter des histoires, et
l'illustration (des usages des mots «en seconde intention»
comme diraient les philosophes 2), que nous devons nous
doter de telles interprétations puissantes en termes de
second ordre. Les confirmations empiriques ne sont pas
encore au rendez-vous, mais il faudrait être romantique
pour nourrir en ce domaine de grands espoirs. Et pourtant il
y a des anecdotes encourageantes.
Seyfarth rapporte (dans une conversation) un incident:
une bande de vervets perdait du terrain au cours d'une
échauffourée avec une autre bande pour s'emparer d'un
territoire. L'un des singes qui se trouvait du côté des
perdants, mis temporairement sur la touche, sembla avoir
une idée brillante: il émit soudain un cri d'alarme signalant
des léopards (en l'absence d'un de ces animaux), conduisant
tous les vervets à reprendre le cri et à se précipiter sur les
arbres. Ce qui provoqua une trêve et permit aux vaincus de
regagner le terrain qu'ils avaient perdu. Le sentiment
intuitif que nous avons tous- que c'est peut-être (interpréta-
tion maussade mise à part) un incident révélateur d'une
grande habileté - peut conduire à un diagnostic détaillé en
Les systèmes intentionnels en éthologie cognitive 323
RÉFLEXIONS :
COMMENT INTERPRÉTER LES SINGES,
LES THÉORICIENS ET LES GÈNES
Ancêtres et descendants
«J'y vais.
- Bien reçu. Tu y vas. »
« Suivez-moi !
- Oui mon capitaine!»
Construire un robot
Ou en d'autres termes :
L'idée que nous n'avons pas un accès« direct» aux faits qui
portent sur la question de savoir si nous signifions plus ou
quus * [Q ou QB dans le cas du détecteur de sous] est en tout
cas bizarre. Ne sais-je pas, directement, et avec un bon degré
de certitude, que je veux dire plus?[ ...] Il peut y avoir certains
faits me concernant auxquels mon accès est indirect, et à
propos desquels je dois former des hypothèses provisoires ;
mais à coup sûr le fait concernant ce que je signifie «plus»
n'est pas l'un d'eux. (p. 40.)
Mon point n'est donc pas bien sûr que le solipsisme est vrai;
il est simplement que la vérité, la référence, et le reste des
notions sémantiques ne sont pas des catégories psychologi-
ques. Ce qu'elles sont, le voici : ce sont des modes du Dasein,
je ne sais pas ce qu'est le Dasein, mais je suis sûr qu'il y en a
des tas tout autour, et je suis sûr que vous et moi et Cincinnati
l'avons tous. Que voulez-vous de plus? (1980, p. 71; reproduit
in 1981 a.)
CHAPITRE Il
CHAPITRE III
Réflexions
1. Bechtel (1985) observe : « Dennett semble réduire la question de
l'instrumentalisme par opposition au réalisme à un problème empirique
portant sur la manière dont le système cognitif humain est structuré- s'il
se trouve qu'il y a une projection raisonnable des idiomes intentionnels sur
des états de traitement d'information, alors le réalisme sera justifié;
l'instrumentalisme sera justifié s'il n'y a pas de projection de ce genre »
(p.479).
2. Notez, je vous prie, que notre capacité à «faire de l'arithmétique»
sans succomber directement aux erreurs qui consistent à arrondir ou à
tronquer les résultats ne montre en rien que nous ne sommes pas des
mécanismes ou que nous ne sommes pas finis ! Il y a des systèmes
informatiques (tels que MACSYMA) qui sont capables de manipulations
algébriques et qui ont à leur disposition diverses manières de représenter
les nombres irrationnels, par exemple.
3. Je considère une tactique de ce genre dans le chapitre 1 de Content and
Consciousness, où l'option était une théorie de l'identité compliquée de la
même façon, et je me décide contre elle: «N'a-t-on pas perdu l'objectif
456 Notes
d'une théorie de l'identité quand on commence à traiter des phrases entières
comme des noms de situations ou d'états de choses qui sont alors proclamés
identiques à d'autres situations ou états de choses? » (p. 18 n.).
CHAPITRE IV
Réflexions
1. Les limites de la précision dans l'attribution des états mentaux à une
grenouille ont été récemment examinés en détail et exhaustivement par
Israel (inédit). Dans les années qui ont suivi l'article classique « What the
Frog's Eye Tells the Frog's Brain» par Lettvin, Maturana, Mc Culloch et
Pitts (1959}, les philosophes ont souvent fait figurer des grenouilles (et des
crapauds) dans leurs analyses du contenu mental. Il est instructif de
comparer les discussions de Dennett (1969, p. 48, 76-83}, Millikan (1986}, et
du chapitre VIII de ce livre à l'analyse beaucoup plus élaborée de Israel, une
variété de «réalisme naturalisé» présenté comme une option rivale du
réalisme de Fodor, et à Ewert (à paraître}, qui est une présentation détaillée
de ce que l'on peut dire aujourd'hui du point de vue du plan de la manière
dont les crapauds saisissent leurs proies.
CHAPITRE V
1. Field, dans une postface à Field 1978, dans Block 1980, vol. 2,
considère que sa thèse conduit inévitablement à la thèse forte :
« La théorie de la mesure ... explique pourquoi des nombres réels peuvent
être utilisés pour "mesurer" la masse (ou mieux: pour servir d'échelle
pour la masse). Elle le fait de la manière suivante. En premier lieu certaines
propriétés et relations parmi les objets doués de masse sont citées- des
propriétés et des relations que l'on peut spécifier sans faire référence à des
nombres. Puis on démontre un théorème de représentation : ce théorème
dit que si un système d'objets a les propriétés et les relations citées, alors il
y a une fonction qui envoye ce système sur les nombres réels et qui
" préserve la structure ". Par conséquent, assigner des nombres réels aux
objets est une façon commode de discuter les relations de masse dans
lesquelles entrent ces objets, mais ces relations intrinsèques ne requièrent
pas elles-mêmes l'existence des nombres réels ...
« Pouvons-nous résoudre le problème de Brentano de l'intentionnalité
des attitudes propositionnelles de manière analogue? Pour le faire, il nous
faudrait postuler un système d'entités [mes italiques (D.D.)] à l'intérieur du
sujet qui a des croyances qui serait relié à travers une fonction de projection
préservant la structure au système des propositions. La" structure "qu'une
telle projection devrait préserver serait le type de structure qui importe aux
propositions; c'est-à-dire une structure logique, et je pense que ceci veut
dire que le système des entités qui est à l'intérieur du sujet qui a des
croyances peut être considéré comme un système de phrases- un système
interne de représentations » (p. 114).
Pour les objets doués de masse nous postulons ou isolons des« propriétés
Notes 457
et relations»; pourquoi pas des propriétés et relations, plutôt qu'un
«système d'entités,., dans le cas des sujets psychologiques? Quoi que l'on
puisse « mesurer» avec des prédicats d'attitudes propositionnelles, on le
mesure indirectement, et le recours de Field à un« langage de la pensée»
pour« expliquer »le succès (dans la mesure où il ne se dessine toujours pas)
de la mesure propositionnelle est un coup de sonde prématuré, pas une
implication de sa propre conception des prédicats.
2. Avoir un gros nez rouge est un état qui peut figurer de façon dominante
dans la psychologie de quelqu'un, mais il n'est pas en lui-même un état
psychologique. Croire que l'on a un gros nez rouge est l'un des nombreux
prédicats psychologiques qui vont ordinairement avec le fait d'avoir un
gros nez rouge, et sans lequel l'état d'avoir un gros nez rouge tendrait à être
psychologiquement inerte (comme le fait d'avoir un gros foie rouge). Cela
montre juste, sans prétendre expliquer, les distinctions intuitives entre des
états psychologiques et les autres états d'une créature.
3. L'un des plus simples et des plus convaincants est dû à Vendler (en
conversation) : supposez que pendant une période de dix ans je croie que
l'Angola est une nation indépendante. Intuitivement c'est une constance
d'état psychologique- quelque chose à mon sujet qui ne change pas- et
pourtant cette croyance que j'ai peut changer en valeur de vérité pendant la
période. Si l'on considère que mon état est un état de croyance perdurante,
cela ne peut pas être une attitude propositionnelle.
4. On peut résumer la thèse que nous présentent Putnam, Kaplan et
Perry: les propositions ne sont pas saisissables parce qu'elles peuvent nous
échapper; la présence ou l'absence d'une proposition particulière« à notre
portée » peut être psychologiquement non pertinente.
S. Les problèmes qui se posent dans les débats au sujet des mots-
mentaux-opposés-aux-images-mentales recoupent largement les questions
discutées ici, qui concernent des problèmes qui doivent être résolus avant
que soit les images soit les phrases mentales puissent recevoir un bon
bulletin de santé comme entités théoriques.
6. John Mc Carthy pense que c'est trop fort: les schèmes purement
formels de répétition et de co-occurrence que l'on doit trouver dans des
suites de caractères qui ont la longueur d'un livre imposent une condition
très forte- que l'on peut appeler la condition du cryptographe- à toute
personne qui essaie de fournir diverses interprétations non triviales d'un
texte. Un certain nombre de « trucs faciles » produiront différentes inter-
prétations de peu d'intérêt. Par exemple, déclarer que la première personne
du singulier en anglais est une variante de la première personne du
singulier en schmanglais [cf. note p. 181 (N.d.T.)], et (en en rajoutant un
peu) transformer une autobiographie en biographie. Ou déclarer que le
schmanglais a des mots très longs - longs comme un chapitre en anglais,
en fait- et transformer tout livre qui a dix chapitres en une phrase de dix
mots de votre choix. La perspective d'avoir des interprétations qui diffèrent
de manière intéressante d'un texte est difficile à évaluer, mais elle vaut la
peine qu'on l'explore, car elle nous donne une condition limite pour la
« traduction radicale » (et par conséquent pour l' « interprétation radi-
cale»- voir Lewis 1974) et les expériences de pensée qui vont avec.
7. Field (1978) relève ce problème, mais, à ma surprise, ille rejette:« la
notion d'identité de type entre des tokens dans un organisme et des tokens
458 Notes
dans un autre organisme n'est pas requise pour la théorie psychologique et
doit être considérée comme une notion sans signification» (p. 58, n. 34). Les
raisons qu'il a de défendre cette thèse remarquable ne sont pas moins
remarquables- mais trop déviantes pour qu'on les examine ici. Il y a de
nombreux points d'accord et de désaccord d'importance entre l'article de
Field et celui-ci en plus de ceux que je discuterai, mais les discuter
doublerait probablement la longueur de cet article. Je discute l'adoption
par Fodor (1975) de l'inscription dans« A Cure for the Common Code »dans
Brainstorms.
8. Voir aussi Field (1978, p. 47), qui considère des thèses comme : « Il
croit qu'une certaine phrase de son langage qui joue approximativement le
rôle dans sa psychologie que la phrase " Il y a ici un lapin " joue dans la
mienne.» Il décide que des thèses de ce genre impliquent que l'on
introduise « une notion plus ou moins sémantique » dans une théorie
psychologique qui était pourtant supposée libérée des problèmes sémanti-
ques. Voir aussi Stich 1982 sur l'attribution de contenu.
9. Fodor (1980) fait la même remarque en argumentant en faveur de ce
qu'il appelle la condition de formalité : des états mentaux peuvent être
distincts (en types) seulement si les représentations qui constituent leurs
objets sont formellement distinctes. Voir aussi Field 1978.
10. Les discussions du caractère explicite et de l' « explication » par
Charles Taylor ont aidé à former les thèses de cette section.
11. « Sous-tend » est un terme allusif utile pour lequel nous pouvons
remercier le neurophysiologue. En adjoignant deux éléments de jargon,
nous pouvons dire qu'une croyance survient [supervenes] sur l'état qui la
sous-tend. [Cf. note p. 209 (N.d.T.).]
12. Burge (1979) présente une expérience de pensée détaillée sur des
croyances au sujet de l'arthrite qui peut être considérée comme établissant
une frontière entre le système au sens propre et son environnement
entièrement en dehors de l'individu biologique; les variations de contextes
impliquent des pratiques sociales en dehors de l'expérience du sujet (pour
une critique de Burge, voir chapitre VIII).
13. Que peut-on dire des objets des craintes, des espoirs et des désirs?
Comme ce sont des habitants du monde notionnel du sujet, devons-nous
ajouter un monde de désirs, un monde de peurs, et ainsi de suite au monde
de croyances du sujet? (Joe Camp et d'autres m'ont pressé sur ce point.)
Quand quelque chose que le sujet croit exister est aussi craint, ou désiré,
par lui, il n'y a pas de problème: un certain habitant de son monde
notionnel est simplement coloré de désir ou de crainte, ou d'admiration ou
de quoi que ce soit d'autre. Comment traiter« la maison rêvée que j'espère
un jour construire »est une autre affaire. Je laisse les détails pour une autre
occasion, mais je vais m'aventurer à faire quelques remarques générales.
Ma maison de rêve n'est pas un habitant de mon monde notionnel qui soit
sur le même plan que ma maison ou la maison dans laquelle je finirai mes
jours; penser à elle (ma maison rêvée) ne doit pas, par exemple, être analysé
de la même manière que penser à ma maison ou penser à la maison dans
laquelle je finirai mes jours. (J'en dirai plus sur ce thème dans la section qui
suit.) Ma maison rêvée se constitue indirectement dans mon monde
notionnel à travers ce que nous pouvons appeler des spécifications, qui sont
des habitants tout à fait ordinaires de mon monde notionnel, et avec mes
Notes 459
croyances générales et autres attitudes. Je crois en mes spécifications, qui
existent déjà dans le monde comme éléments d'ameublement mental créés
par ma pensée. A cela s'ajoutent mes croyances générales et désirs qui
impliquent ces spécifications : dire que ma maison de rêve est faite de
cèdre, ce n'est pas dire que ma spécification est faite de cèdre, mais c'est
dire que toute maison construite selon ma spécification serait faite de
cèdre. Dire que je projette de la construire l'année prochaine, c'est dire que
je forme le projet de construire une maison à mes spécifications l'année
prochaine.
14. Les traits spécifiques de la fiction (littéraire) conduisent Lewis à
apporter des modifications particulières et ingénieuses à cette idée, afin de
rendre compte du rôle des hypothèses d'arrière-plan, de la connaissance du
narrateur, et autres choses semblables dans l'interprétation normale de la
fiction. Par exemple, nous supposons que la carte de la Londres de Holmes
est celui de la Londres victorienne sauf là où elle est modifiée par les
inventions de Conan Doyle; les textes n'affirment ni n'impliquent stricte-
ment que Holmes n'avait pas une troisième narine, mais les mondes
possibles où c'est le cas sont exclus.
15. Les problèmes autour de «Je» et de l'indexicalité sont bien plus
compliqués que ce que cette mention rapide ne le révèle. Voyez non
seulement Perry et Lewis, mais aussi Castafieda (1966, 1967, 1968). Pour des
réflexions éclairantes sur le même thème, voir Hofstadter, 1979, p. 373-376.
16. «Un homme pense qu'il croit que p, tandis que son comportement
peut seulement être expliqué par l'hypothèse qu'il croit non-p, étant donné
que l'on sait qu'il veut z. Peut-être la confusion dans son esprit ne peut-elle
être traduite par une analyse simple [ou complexe, D.C.D.] de ce qu'il croit :
peut-être seulement une reproduction de la complexité et de la confusion
sera appropriée » (Hampshire 1975, p. 123).
17. Voyez la discussion de la phénoménologie et de la « feenomanolo-
gie,. dans « Two Approaches to Mental Images», in Brainstorms. Voir
aussi les remarques de Lewis sur la manière dont il faut traiter l'incohé-
rence dans une œuvre de fiction.
18. Kaplan (1968) est explicite : « Le trait crucial de cette notion [les
noms vivants de Ralph] est qu'il dépend seulement des états mentaux
présents de Ralph, et ignore tous les liens par ressemblance ou genèse avec
le monde réel [ ...] Il est destiné à rendre compte de l'aspect purement
interne de l'individuation,. (p. 201).
19. Mon Doppelgiinger n'aurait cependant pas de pensée à propos de mor
quand il penserait «J'ai sommeil» et ainsi de suite. La référence du
pronom à la première personne n'est pas affectée par le changement de
mot, bien sûr (voir Putnam 1975 a; Perry 1977, 1979, Lewis 1979). Mais on
doit faire attention de ne pas gonfler cette remarque pour en faire une
doctrine métaphysique sur l'identité personnelle. Considérez cette varia-
tion sur un thème de science-fiction familier en philosophie. Votre vaisseau
spatial s'écrase sur Mars, et vous voulez retourner sur Terre. Heureusement
il y a un téléporteur. Vous vous mettez dans une cabine et il fait une analyse
microphysique complète de vous qui requiert une dissolution de vos atomes
composants, évidemment. Il projette par rayonnements l'information sur
Terre, où le récepteur, plein d'une quantité d'atomes tout comme une
photocopieuse a un stock de papier blanc disponible, crée une réplique
460 Notes
exacte de vous-même, qui sort et «continue» sa vie sur Terre avec votre
famille et vos amis. Est-ce que le téléporteur «vous tue par dissection» ou
est-ce qu'il vous a transporté à la maison? Quand le vous-même qui vient
d'arriver sur Terre dit: «J'ai eu un sale accident sur Mars», est-ce que ce
qu'il dit est vrai? Supposez qu'un téléporteur puisse obtenir de l'informa-
tion sur vous sans vous dissoudre, en sorte que vous puissiez continuer une
vie solitaire sur Mars. A vos marques, prêt, partez ... (Certains auteurs ont
repris ce jeu philosophique pour soirées mondaines : Hofstadter et Dennett
1981, Nozick 1981, Parfit 1984, Nagel1986.)
20. Les connaisseurs de la littérature noteront que cette phrase reproduit
délicatement une ambiguïté familière qui est la marque du genre : est-ce
que « de re » modifie « parler de » ou « croyances »? est-ce que « de dicto »
modifie« attributions» ou« croyance»?
21. Evans, dans des conférences à Oxford en 1979, a développé l'idée du
processus de garder la trace des choses dans le monde (voir Evans 1982).
Cela fait écho à un thème central dans le renoncement apostat par Neisser
(1976) des expériences bidimensionnelles, tachiscopiques, en psychologie
de la perception, en faveur d'une approche« écologique » gibsonienne de la
perception.
22. Le problème qui consiste à préserver cette correspondance se
rattache centralement au «problème du cadre» [frame problem] en
intelligence artificielle, qui se pose pour des systèmes capables de faire des
projets et qui doivent raisonner sur les effets de leurs actions projetées. Voir
McCarthy et Hayes 1969, et Dennett 1978 a, chap. 7, et 1984 c. C'est soit le
problème le plus difficile que l'I.A. doit - et finalement résoudre -, soit
une réduction à l'absurde de la théorie de la représentation mentale.
23. « On peut accepter la thèse de Brentano soit en montrant le caractère
indispensable des idiomes intentionnels et l'importance d'une science
autonome de l'intention, ou comme montrant que les idiomes intentionnels
sont sans fondements et qu'une science de l'intention est vide. Mon attitude,
à la différence de celle de Brentano, est la seconde» (Quine 1960, p. 221).
24. Quine (1969) oppose cette croyance « de mauvais augure » à des
croyances« triviales »telles que la croyance que l'espion le plus petit est un
espion- mais plus tard dans le même article il est conduit à considérer une
thèse« qui annule virtuellement l'opposition apparemment vitale entre de
telles croyances [ ...]Au début cela paraît intolérable, mais on y vient ». Si
on cultive assez l'exemple, c'est bien ce qui se passe, et c'est ce que je vais
essayer de montrer.
25. Quine renonce explicitement à cette thèse, tout en espérant représen-
ter toutes inférences utiles et importantes qu'il peut y avoir (1960, p. 221;
1969). Pour des arguments supplémentaires à l'appui de la thèse selon
laquelle certains états psychologiques sont des attitudes de re envers des
propriétés et des relations, voir Aquila 1977, en particulier p. 84-92.
26. Les conceptions de Kripke sur les licornes requièrent non seulement
qu'il n'y ait pas de licornes, mais qu'il ne pourrait pas y en avoir. Pourrait-il
y avoir un attribut de licornité? Voir l'Appendice à Kripke 1972, p. 763-769.
27. Il serait ainsi également vrai que vous parlez à propos d'elle (en ce
sens vague) quand vous affirmez que je pensais à l'espion le plus petit. Ainsi
je dois rejeter ce que dit Kripke: « Si une description est enchâssée à
l'intérieur d'un contexte (intensionnel) de dicto, nous ne pouvons pas dire
Notes 461
que nous sommes en train de parler à propos de la chose décrite, soit en tant
qu'elle satisfait la description, ou en tant qu'autre chose. Pris au sens de
dicta« Jean croit que la débutante la plus riche de Trifouillis va se marier
avec lui » peut être affirmé par quelqu'un qui pense (supposons que ce soit
à tort) qu'il n'y a pas de débutantes à Trifouillis; il est certain qu'il n'est en
aucune manière [je souligne (D.D.)] en train de parler de la débutante la
plus riche, même « attributivement » (1977). Imaginez le cas de Gigi, qui
sait très bien qu'elle est la débutante la plus riche de Trifouillis, entendant
cette remarque; elle pourrait très bien commenter : « Tu ne le sais peut-
être pas, mon gros, mais c'est de moi que tu parles, et tu m'as bien fait rire.
Car bien que Jean ne me connaisse pas, je sais qui il est- ce petit minable
arriviste- et il peut toujours courir.»
28. Sellars (1974) discute la formule: • Jean croit avec respect envers
quelqu'un (qui peut être réel ou non) qu'il est sage.»
29. A cet égard, les énoncés mentaux sont considérés comme des qualia:
des traits apparemment intrinsèques des esprits que l'on doit opposer à des
traits relationnels, fonctionnellement caractérisables. Je soutiens que ces
conceptions des qualia est incohérente dans « Quining Qualia » (1988 e).
Pour une expression claire de la thèse suspecte, voir Burge 1977, p. 345 :
«D'un point de vue sémantique, une croyance de dicta est une croyance
pour laquelle le sujet qui croit se trouve relié seulement à une proposition
exprimée [dictum]. »
30. Kaplan (1980) fait un usage si explicite qu'il en est désarmant de
cette image en proposant d' « utiliser la distinction entre discours direct et
discours indirect pour la faire correspondre à la distinction entre caractère
et contenu» (de pensées ou de croyances, pas de phrases); cela, en dépit de
la concession tout aussi désarmante qu' « il n'y a pas de vraie syntaxe du
langage de la pensée ».
31. Quand Burge (1977) doute de l'existence de croyances de dicta
« pures » on le comprend mieux, je crois, si l'on considère qu'il voit ce
point. Voir aussi Field 1978, p. 21-23.
32. Hornsby (1977) discute le cas de « Dupond, un individu peu éduqué
qui a [ ...] trouvé " Quine " sur une liste de noms de philosophes. Il ne sait
rien de cet homme, mais vient seulement à croire qu'il pourrait affirmer
quelque chose de vrai avec les mots " Quine est un philosophe ". Dans des
circonstances comme celles-là une lecture relationnelle ne peut pas être
correcte. Mais dans ces circonstances, Dupond ne croit réellement rien
d'autre que les propriétés d'être appelé "Quine" et d'être un philosophe
sont co-instanciés quelque part »(p. 47). Mais cette dernière phrase est une
lecture relationnelle, et selon les circonstances d'autres lectures relation-
nelles sont plausibles: par exemple la propriété d'être une personne
nommée « Quine » que les auteurs de cette liste ont voulu inclure sur cette
liste est instanciée uniquement par quelqu'un qui instancie aussi la
propriété d'être un philosophe.
33. Richmond Thomason, dans une conversation, suggère que les pro-
blèmes posés par ces cas {1), (2), (25) et (29) sont en fait des problèmes qui
portent sur la logique du pluriel. Il distinguerait entre croire que les
dugongs sont des mammifères et croire que tous les dugongs sont des
mammifères. Peut-être devons-nous faire cette distinction- et si c'est le
cas, c'est dommage, car Thomason dit que personne n'a encore réussi à
462 Notes
donner une analyse convenable du pluriel- mais même si nous faisons
cette distinction, je pense que nous ne perdons qu'un certain naturel si nous
reformulons mes exemples comme des exemples de croyance que les
serpents sont visqueux, que toutes les baleines sont des mammifères, et
ainsi de sui te.
34. Tous ceux qui croient à l'hypothèse causaliste ne construisent pas les
exemples de la même manière. Vendler (1981) insisterait pour dire que
même dans le cas où je ne vois pas le jet du papier à chewing-gum,
puisqu'une seule personne aurait pu avoir jeté ce papier à chewing-gum
-puisqu'une seule personne aurait pu avoir fait cette « insertion dans
l'histoire » kripkéenne- ma croyance est rigidement et fortement au sujet
de cette personne.« Ne sommes-nous pas mis en relation directe, dans un
sens très réel, avec l'esclave par ailleurs inconnu qui a laissé la marque de
son pied sur la tombe du roi Touth? Ou avec le scribe qui a gravé ce
hiéroglyphe particulier dans pierre il y a quatre mille ans? » (p. 73). Je
soupçonne que la position apparemment extrême de Vendler est la seule
position stable qu'un théoricien causaliste puisse adopter. Mais peut-être
ai-je mal compris Vendler. Peut-être que quelqu'un d'autre aurait pu jeter
ce papier à chewing-gum, mais personne d'autre n'aurait pu laisser cette
empreinte de pied. Alors la croyance de Tom sur quiconque a laissé
l'empreinte dans le béton humide, selon laquelle il est un cochon insou-
ciant, est directement à propos de cet individu de la manière dont sa
croyance sur le jeteur de papier chewing-gum n'est pas directement à
propos de lui. Ce n'est pas pour rien que certains esprits subtils ont appelé
la théorie causale la doctrine du sens originel [Original Sinn]. [N.d.T.
« Sinn » : Sens fregéen ; « Sin » : péché.]
35. Considérez la différence entre
(a) J'entre dans une cabine téléphonique et je trouve dix cents dans la
boîte qui retourne les pièces ; je crois que quiconque a utilisé la cabine a
laissé dix cents dans la boîte.
(b) J'entre dans une cabine téléphonique, fais un appel et laisse délibéré-
ment une pièce de dix cents dans la boîte à pièces ; je crois que quiconque
utilisera ensuite la cabine trouvera une pièce de dix cents dans la boîte.
Est-ce que ma croyance en (b) est déjà à propos d'un individu particulier?
Mais je n'ai pas la moindre idée de qui il s'agit ou s'agira! (cf. Harman
1977). Et alors? (cf. Searle 1979). Je n'ai pas la moindre idée non plus sur
qui peut être l'objet de ma croyance dans (b), et en fait il est beaucoup plus
probable que je puisse découvrir l'objet de ma croyance en (b) que celui de
ma croyance en (a). Si je crois que quiconque a laissé dix cents a kidnappé
Dupond, le kidnappeur est probablement à l'abri; si je crois que quiconque
trouve les dix cents est le kidnappeur (c'est le signal dans la scène d'échange
de la rançon), la capture de l'individu devient plus probable.
36. Je suis reconnaissant envers les âmes patientes qui ont essayé de
m'aider à me frayer un chemin pour sortir de ce projet. En plus de tous ceux
mentionnés dans les autres notes et dans la bibliographie, je veux
reconnaître l'aide de Peter Alexander, David Hirschmann, Christopher
Peacocke, Pat Hayes, John Haugeland, Robert Moore, Zenon Pylyshyn, Paul
Benacerraf, et Dagfinn F0llesdal. Cette recherche a été financée par une
bourse N.E.H., et par la National Science Foundation (BNS 78-24671) et la
Fondation Alfred P. Sloan.
Notes 463
Réflexions
1. Voir Dennett 1983 b pour un autre développement de l'analogie entre
la science cognitive et le contre-espionnage.
2. Stalnaker (1984) a fourni l'enquête la plus subtile et la plus systémati-
que à ce sujet. L'objection standard, et supposée dirimante, au traitement
en termes de mondes possibles des propositions crues est que, la possibilité
étant ce qu'elle est, il peut y avoir (pour n'importe quel sujet qui a des
croyances) seulement une seule proposition logiquement vraie ou logique-
ment nécessaire- vraie dans tous les mondes possibles- alors que les
mathématiciens, par exemple, sembleraient certainement croire et ne pas
croire beaucoup de vérités logiques différentes. Stalnaker soutient que ce
phénomène peut être traité en distinguant les diverses croyances des
mathématiciens au sujet de formules particulières dans la mesure où ce sont
des« expressions» de la vérité logique solitaire. Bien que cette intrigue me
semble être un stratagème désespéré, je trouve qu'il peut avoir des
justifications indépendantes. Les distinctions fines entre les vérités logi-
ques sont accessibles (saisissables par, qui font une différence pour) des
systèmes intentionnels utilisant un langage seulement; les états psycholo-
giques en cause, par conséquent, sont les états verbalement contaminés que
j'appelle des opinions, et la montée sémantique de Stalnaker est une façon
prometteuse de défendre cette idée.
3. Curieusement, on peut tirer la même morale de la considération d'un
français imaginaire différent à Londres- le Pierre de Kripke, qui peut
croire ou ne pas croire que Londres est jolie (Kripke 1979) ; parmi les
nombreuses réponses à Kripke, voir en particulier Marcus 1983.
CHAPITRE VI
Réflexions
1. Ces réflexions résument des thèmes développés dans des articles
récents, des comptes rendus critiques et des commentaires que j'ai
464 Notes
considérés comme trop spécialisés pour être inclus dans ce volume : 1984 a,
b, c; 1986 c, à paraître e.
2. Pour une esquisse pionnière, voir par exemple, la démonstration par
Touretzky et Hinton (1985) de la manière dont on peut construire un
système de production (l'une des architectures du computationnalisme
intégriste) à partir d'une machine de Boltzman (l'une des fabriques
néoconnexionnistes).
CHAPITRE VII
Réflexions
1. Kitcher (1987) note que « c'est une réussite majeure que de diviser le
flux du comportement animal en unités signifiantes, pour décrire ce que
l'animal a fait», mais il demande ensuite: « Dans quelle mesure les
descriptions qui sont sous-tendues par des analyses en termes d'optimalité
ont-elles plus de chances d'être vraies, en vertu de ce seul fait? »C'est déjà,
subtilement, la mauvaise question. Son dual en psychologie serait: dans
quelle mesure est-ce que les attributions intentionnelles sont sous-tendue~
par une justification rationnelle qui ait plus de chances d'être vraie, en
vertu de ce seul fait?- comme s'il était possible de séparer les problème::
de l'attribution et ceux de la justification rationnelle. Kitcher demande
quand un argument d'optimalité peut réussir à« déclencher la probabilité
initiale de certaines descriptions fonctionnelles », mais- pour continuer le
parallèle dans une perspective légèrement différente - Quine (1960)
insisterait sur le fait que ce serait une erreur que de demander sous quelles
conditions le fait de découvrir une incohérence logique peut« déclencher
les probabilités initiales» d'une traduction radicale hypothétique.
2. On peut trouver des discussions éclairantes des différentes facettes de
la relation entre la théorie évolutionniste et la psychologie - des discus-
sions avec lesquelles je ne suis pas toujours d'accord dans Patricia Kitcher
{1984), Sober (1985) et Rosenberg (1986 a, b).
3. NovaGene, une compagnie de biotechnologie de Houston, a adopté la
politique de « marquage de l'A.D.N.»: écrire la traduction codée de la
marque de leur compagnie dans des acides aminés dans l'A.D.N.« en trop »
ou «à recycler» de leurs produits (selon les abréviations standard,
asparagine-glutamine-valiene-alanine-glycine-acide glutaminique-aspara-
gine-acide glutaminique = NQVAGENE (Scientific American, juin 1986,
p. 70-71). Cela suggère un nouvel exercice de traduction radicale pour les
philosophes : comment pourrions-nous confirmer ou infirmer l'hypothèse
que les marques de fabrique - ou les manuels d'utilisation - sont
discernables dans l'A.D.N. qui n'est apparemment pas impliqué dans la
direction de la formation du phénotype? La vision du point de vue des
gènes de Dawkins prédit, et donc peut expliquer, la présence de cet« A.D.N.
égoïste » (voir Dawkins 1982, chap. 9 : « Selfish D.N.A., Jumping Genes,
and a Lamarckian Scare »)mais cela ne montre pas qu'il ne pourrait pas y
avoir une source plus dramatique - et donc une signification.
CHAPITRE VIII
CHAPITRE IX
CHAPITRE X
1. Qu'on ne doit pas confondre avec le pôle Est, qui a une géographie très
différente dans Dennett 1984 b et à paraître e.
2. L'influence de Sellars a été constante mais presque inconsciente (si l'on
en juge par la pauvreté des citations de Sellars parmi les fonctionnalistes).
Il est clair que Putnam, Harman, et Lycan (1974, 1981 a, 1981 b) ont été
tout à fait directement influencés par Sellars, mais Dennett, Fodor, Blocket
Lewis révèlent une influence de Sellars en seconde main, et principalement
à travers la série d'articles très influents de Putnam, repris dans Putnam
1975 b. Le rôle de Sellars dans le développement du fonctionnalisme est
rendu clair par Putnam (1974) et par les commentaires de Dennett (1974 a)
sur« Meaning as functional classification: a perspective on the relation of
syntax to semantics », et dans la réponse de Sellars, au colloque sur
l'intentionnalité, le langage et la traduction à l'université du Connecticut
en mars 1973. Les actes de ce colloque, publiés dans un numéro spécial de
Synthèse (1974) sont aussi un trésor d'analyses sur la thèse quinienne de
l'indétermination de la traduction radicale et sa relation au problème de
l'intentionnalité en philosophie de l'esprit. Voyez aussi Harman 1968, 1986
et Lycan 1981 b pour d'autres clarifications de cette histoire.
3. Il est instructif de comparer le livre de 1975 de Fodor au Tltought
(1973) de Harman, une version de la thèse du langage de la pensée qui a des
consonances marquées avec Quine et Sellars- bien que Harman ne cite
jamais Sellars.
4. Voyez Fodor 1981 c, pour une diatribe contre la sémantique procédu-
rale récente. Fodor (1975) ne cite pas Sellars, et dans 1981 a il y a une
référence à Sellars: «Je découvre, très tard, qu'une analyse qui ressemble à
certains égards à la mienne fut jadis proposée par Sellars (1956). L'œuvre
de Sellars semble remarquablement anticiper (à mes yeux) les présupposi-
tions de la psychologie cognitive contemporaine» (p. 325-326).
S. Pour une herméneutique œcuménique héroïque, cette façon de mettre
Heidegger dans la bergerie quinienne n'a de rivale que dans la discussion
par Wheeler (1986) de Derrida, Quine, Dennett et Davidson.
BIBLIOGRAPHIE
PREMIÈRE PARTIE
LA STRATÉGIE INTENTIONNELLE
DEUXIÈME PARTIE
LA CROYANCE PASSÉE AU CRIBLE
TROISIÈME PARTIE
ÉVOLUTION ET INTENTIONNALITÉ
APPENDICES
Notes 451
Bibliographie 471
Index nominum 489
!!!fessais
NRF Essais n'est pas une collection au sens où ce mot est communément entendu
aujourd'hui: ce n'est pas l'illustration d'une discipline unique, moins encore le porte-
voix d'une école ni celui d'une institution.
NRF Essais est le pari ambitieux d'aider à la défense et restauration d'un genre :
1' essai. L'essai est exercice de pensée, quels que soient les domaines du savoir : il est
mise à distance des certitudes reçues sans discernement, mise en perspective des objets
faussement familiers, mise en relation des modes de pensée d'ailleurs et d'ici. L'essai est
une interrogation au sein de laquelle la question, par les déplacements qu'elle opère,
importe plus que la réponse.
1 Ill
9 782070 719419 & 90-X A71941 ISBN 2-07-071941-3 180FFtc