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Benoît Habert
Fiala Pierre, Habert Benoît. La langue de bois en éclat : les défigements dans les titres de presse quotidienne française. In:
Mots, décembre 1989, N°21. pp. 83-99.
doi : 10.3406/mots.1989.1504
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mots_0243-6450_1989_num_21_1_1504
Resumen
« LANGUE DE BOIS », LENGUA DEL OTRO, LENGUA DE SI El análisis comparativo de unos estudios
recientemente publicados en los países socialistas relativos a la relación lengua/politica, permite
realizar la imagen de la lengua practicada en estos textos meta-discursivos, y construir una tipologia de
las actitudes en cuanto a la oposición lengua del otro/lengua de si. En la mayoria de los casos, a
excepción de la literatura aforística yugoslava, la lengua de si se define соmо un «parler vrai » (« hablar
claro ») fuera del alcance de toda contaminación.
Abstract
« LANGUE DE BOIS », ONE'S OWN LANGUAGE, THE OTHER'S LANGUAGE: SEARCHING FOR
SINCERE TALK IN SOCIALIST EUROPE DURING THE YEARS 1980 Starting from a comparison
between recently published studies in various socialist countries on the relationship between language
and politics, the representation of language at work in these metadiscursive texts will be drawn and a
typology of attitudes toward the opposition the other's language versus one's language will be worked
out. In the majority of cases one's own language is considered as sincere talk free from contamination.
One exception should be noted : the aphoristic literature of Yugoslavia.
Résumé
LANGUE DE BOIS, LANGUE DE L'AUTRE ET LANGUE DE SOI : LA QUETE DU PARLER VRAI EN
EUROPE SOCIALISTE DANS LES ANNEES 1980 A partir d'une comparaison entre des études sur la
relation langue/ politique parues récemment dans différents pays socialistes, on dégage l'image de la
langue à l'œuvre dans ces textes métadiscursifs, et l'on construit une typologie des attitudes envers
l'opposition langue de l'autre/ langue de soi. Dans la majorité des cas la langue de soi est pensée
comme un parler vrai, hors de portée de toute contamination.Un cas fait exception : la littérature
aphoristique en Yougoslavie.
Pierre ИАЬА, Benoît HABERT
ENS Fontenay/Satnt-Cloud
URL Lexicométne et textes politiques
INaLF-CNRS
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autres calembours ont envahi durablement le discours des médias
écrits, tant le commentaire que l'information1. Ces jeux ont des
sites privilégiés dans les journaux. Ils se concentrent dans les
titres et les sous-titres, plus rarement dans les légendes accom
pagnant les clichés.
C'est Libération qui a introduit, ou du moins généralisé dans
la presse française, cette pratique de jeu de mots dans les titres.
D'autres journaux, tels Le Quotidien, Le Parisien, ont suivi et
cultivent le jeu de mots avec constance, aussi bien dans les
informations générales que dans les rubriques de politique inté
rieure ou étrangère. Cette pratique est plus limitée dans des
journaux comme le Figaro ou Le Monde qui, sans la bannir
absolument2, la réservent plutôt aux rubriques des faits divers,
des sports ou de la culture3.
Ces formes brèves — et futiles — de la dérision ne constituent
pas une nouveauté dans l'expression politique. On sait bien le
rôle important que l'ironie, la raillerie, et jusqu'aux utilisations
les moins recommandables de l'humour ont de tout temps tenu
au sein même du discours politique4.
Mais la généralisation de ces pratiques langagières dans le
champ politique, leur extension du discours polémique à celui du
commentaire, et les formes dominantes qu'elles ont prises dans la
communication médiatique contemporaine ne seraient-elles pas
symptomatiques d'une nouvelle situation du discours politique, de
son rapport aux médias, et de la place qu'y occupe la langue ?
Comment expliquer en tout cas la persistance de cette mode ?
Pourquoi une forme d'expression, confinée jusqu'alors à une
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tradition certes reconnue (la caricature ou le billet d'humeur),
mais limitée et homogène — le discours drolatique sur le monde
politique — a-t-elle débordé de son cadre pour envahir ce qui
était auparavant son objet ? La prolifération de cette parole
joueuse et railleuse au sein même de l'information et du comment
aire politiques ne correspond-elle pas précisément aux remises en
cause actuelles du discours politique traditionnel et en particulier
aux condamnations, survenues récemment des divers horizons
politiques, d'une prétendue « langue de bois » qui affecterait avant
tous les appareils institutionnels, politiques, administratifs ou syn
dicaux ? Autant de questions qui nous paraissent justifier une
réflexion sur leur forme linguistique, leur fonctionnement discursif,
leurs conditions d'émergence et leurs effets éventuels dans le
champ politique 1.
Un premier examen des jeux de mots dans les titres met en
évidence, parmi d'autres formes possibles d'expression ludique2,
un procédé massivement attesté : le défigement des expressions
figées. Nous consacrerons notre réflexion plus particulièrement à
ce phénomène en raison de sa fréquence, mais surtout parce que,
plus que d'autres, ce type de jeu de langage paraît mettre en
cause ce que la langue a de plus rigide, c'est-à-dire les formes
composées soudées. A ce titre, l'étude des défigements peut
éclairer les débats actuels sur la langue de bois, qu'on présente
souvent comme une variété de langue qui serait constituée
essentiellement d'unités figées et sans référence. La question, on
le verra, est plus complexe.
1. Notre étude repose pour l'essentiel sur l'analyse des titres, à caractère
politique, de Libération, qui ont fait l'objet d'un recueil extensif depuis deux ans.
Pour certaines périodes limitées, des corpus exhaustifs ont été constitués. Ils ne
peuvent donner lieu à un examen systématique, vu l'importance du matériel et la
diversité des phénomènes, mais nous ont fourni la plupart des exemples qui
illustrent notre réflexion.
2. On peut relever, dans Libération par exemple, des formes très diverses de
jeux de langage que nous mentionnons ici sans nous y arrêter : assonances et
échos sonores : « La police mute tous azimuts » (1er juin 1989), « Le Pen peine »
(28 janvier 1988, après le passage à « L'heure de vérité ») ; rapprochements
sémantiques incongrus : « La marche du Seuil » (1er juin 1989, après un changement
de direction) ; variation de registres de langue : « Chirac siffle la fin de la récré
du RPR » (5 juin 1989, après les remous suscités par les initiatives du groupe
des « rénovateurs »).
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Jouer avec la langue, c'est d'abord en (é)prouver la
solidité et la stabilité
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C'est pour une large part employer des « blocs » tout faits. La
langue, toute ( ?) langue, est pétrie de figements. Lorsque,
qualifiant tel ou tel discours de « langue de bois », on prétend
justifier cette appellation par le constat d'une forte présence
d'expressions figées et de phrases toutes faites, l'argumentation est
viciée à la base. Tant qu'on n'a pas établi un inventaire métho
dique des expressions figées du français, et surtout de leur
répartition dans divers types de discours, il paraît gratuit d'affirmer
que le discours de tel locuteur politique est particulièrement figé1.
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arrêté, etc. De même, le sens global d'une expression figée ne se
laisse pas aisément déduire de la combinaison du sens de chacun
de ses éléments. Le lien entre chercher des crosses à quelqu'un
et son sens (« chercher des sujets de querelles avec quelqu'un »)
ne pourrait pas « se calculer » à partir de ses composants. Ces
restrictions syntaxiques et sémantiques n'empêchent nullement que
les expressions figées soient susceptibles de variations, les unes ne
remettant pas en cause le figement, les autres produisant au
contraire un effet de défigement.
Le figement ne se limite pas aux syntagmes ; il peut concerner
des structures de phrases, entières ou partielles. Exemple :
« Le gorba nouveau n'est pas arrivé » (3 novembre 1987 ; à
propos d'une réhabilitation partielle de Staline à l'occasion du
soixante-dixième anniversaire de la Révolution d'Octobre) ;
où l'on identifie une structure analogue à celle de la phrase toute
faite :
« Le vin (le Beaujolais) nouveau est arrivé ».
On touche ici une deuxième dimension du figement, celle du
mémoriel, qui renvoie à l'ensemble des énoncés ou des fragments
d'énoncés circulant « en bloc » à un moment donné et qui sont
perçus comme formant un tout, dont l'origine est, ou n'est pas,
repérable \
Relèvent aussi du figement toutes les unités composées appar
tenant à des domaines particuliers, langues de métier2, jargons
techniques. Dans tel ou tel type de texte — juridique, administ
ratif,scientifique, politique, philosophique — , les suites de mots
peuvent donner lieu à des figements spécifiques. Dans les titres
détournés, ces figements peuvent avoir des effets de connotation ;
dans :
« Rocard : enquête de moralité publique » (17 août 1987 ;
déclarations de Rocard sur le rôle de la morale en politique), la
combinaison de locutions du vocabulaire administratif {enquête de
moralité, moralité publique, enquête d'utilité publique) vient se
Figures du défigement
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défigement dans les titres politiques en fonction des critères
précédents. En premier lieu, les indices externes peuvent être
simplement liés à la connaissance de la situation. Dans :
« Le Pen invite ses rivaux de la majorité à faire front pour
88 » (17 août 1987 ; Le Pen met en veilleuse ses attaques contre
la « bande des quatre », et tente la « concertation » avec Barre,
Léotard et Chirac),
il est tentant de voir derrière le verbe composé « faire front »
quelque chose comme « faire Front (national) », puisqu'une partie
du débat politique d'alors tournait autour des « valeurs » respect
ivesde la droite traditionnelle et du Front national.
On peut trouver aussi des indices plus explicites dans les
contextes entourant les titres. Le chapeau, voire le texte de
l'article, contient souvent des éléments poussant le lecteur à
reconsidérer une première interprétation du titre. Dans :
« Parti socialiste : les rocardiens gardent le moral » (19 août
1987 ; M. Rocard, par ses déclarations sur la morale en politique
avait déclenché une polémique interne au PS),
un chapeau explicite le jeu contenu dans le titre : « Je ne crois
pas qu'en prônant un comportement moral en politique nous nous
éloignions du PS », a affirmé hier le directeur de campagne de
Michel Rocard, qui a lui aussi cherché à « calmer le jeu ». Outre
le sens habituel de l'expression (« ne se découragent pas »), ce
commentaire suggère qu'il faut comprendre que les rocardiens se
veulent à la fois gardiens de la morale, et qu'ils gardent le moral,
ce qui correspond assez à l'image de Commandeur que Rocard
entendait alors offrir, dans la lignée de Mendès France.
Les indices internes sont le plus souvent des cas de violation
des règles de combinaison des éléments d'une expression figée :
— par modifications morphologiques, indiquées par l'orth
ographe :
« Le RPR se met aux courants » (4 juin 1989) ;
— par modifications phonétiques :
« Harlem a mis le droit dessus » (21 août 1987 ; au cours de
« L'heure de vérité » : Harlem Désir a insisté, avec succès, sur
le respect des principes républicains) ;
— par commutations lexicales :
« Des Arabes d'Israël mis au badge » (1er juinl989 ; des
travailleurs palestiniens dans certains territoires occupés par Israël
se voient forcés d'arborer un badge blanc) ;
— par violation des règles de combinaison de l'expression figée
avec son contexte :
« Solidarité entend surmonter sa victoire » (7 juin 1989).
Le verbe « surmonter » accepte un nombre restreint de mots
comme complément d'objet : « défaite », « échec », qui tous ren-
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voient à des situations délicates. « Victoire » contrevient à cette
règle contextuelle, tout en l'utilisant : cette victoire est effectiv
ement aussi délicate à négocier qu'une défaite. De même dans cet
autre exemple :
« Les sociétés minières envoient les mineurs par le fond » (28
juillet 1989 ; Afrique du Sud, licenciement de nombreux grévistes
pour obliger à une reprise du travail),
l'expression envoyer par le fond, signifiant « couler (un navire) »,
est détournée par l'emploi de « mineurs » comme complément
d'objet. Mais il s'agit bien, dans ce cas, à la fois de « couler la
grève » et d'envoyer les mineurs reprendre leur travail au fond.
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va au-delà d'une certaine « légitimité », ou du moins de ce qui
était communément attendu (par la droite).
Autres exemples d'ambivalence par télescopage, dans :
« Tabac : Barzach clopin-clopant » (17 septembre 1987 ; le
ministre de la Santé s'attaque mollement au tabagisme),
la superposition de dopant (« fumant ») et clopin-clopant suggère
la démarche hésitante de la campagne engagée contre le tabagisme.
Dans :
« Neuf sages comme des images » (25 janvier 1989 ; nomination
du nouveau conseil supérieur de l'audiovisuel),
la double appartenance catégorielle du mot sage (à la fois substantif
et adjectif) qui renvoie d'une part à des expressions comme « les
sept sages », d'autre part à des prédicats tels « sages comme une
image » qui s'appliquent plutôt à des enfants, produit un énoncé
contradictoire qui, par sa tension même, indique qu'on ne sait
pas ce qui l'emportera dans ce nouveau conseil : l'indépendance
ou la soumission à l'égard du pouvoir politique.
A part quelques cas où le jeu est purement formel et gratuit,
l'ambivalence produit toujours une sorte de valeur ajoutée, une
plus-value sémantique, mais aussi idéologique et, bien sûr, éco
nomique. Comment fonctionne cette plus-value ? A travers quels
thèmes se réalise-t-elle ? Quel en sont les fondements ?
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« Israel : l'OLP prend la fronde » (2 février 1988 ; regain de
violence dans les territoires occupés).
« Afrique du Sud : la loi du bâillon » (25 février 1988 ; Pretoria
interdit l'activité des organisations anti-apartheid).
Les expressions issues de l'histoire sont réutilisées :
« Afghanistan : la drôle de paix » (15 avril 1988).
Les titres d'œuvre célèbres sont détournés :
« Le livre et la tortue » (22 janvier 1988 ; parution de l'ouvrage-
programme de Raymond Barre, qui s'était comparé à la tortue
de la fable).
« Téhéran : la guerre de succession n'aura pas lieu » (5 juin
1989 ; mort de Khomeiny).
Ces marques de connivence dessinent en pointillé un lectorat
relativement restreint, pour qui la lecture d'un quotidien implique
un rapport sous-jacent à la culture et à l'histoire.
Le sexe politique
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« Le dernier stade de l'horreur » (L'Humanité ), '
« Les gradins de l'enfer » (Le Quotidien ),
« L'odieux du stade » (Libération ).
Pas de pitié non plus pour les morts politiques. Lorsque le
Secrétaire américain au Commerce meurt écrasé par son cheval,
Libération titre :
« Malcom Baldridge meurt embotté » (27 août 1987). « Kho-
meiny enterré en flagrant délire » (7 juin 1989),
témoigne du même irrespect (ou de la même crainte refoulée)
face à la mort.
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cet ébranlement politico-langagier consécutif à Mai 68, dont elle
a gardé et systématisé les procédés de dérision '.
Elle s'apparente aussi à d'autres phénomènes de l'époque, et
d'abord au discours publicitaire. Il est difficile de dire lequel, du
discours des médias ou de celui des publicitaires, a imité l'autre.
Il est sûr en tout cas qu'ils se rejoignent dans les jeux de
défigement. On peut d'ailleurs expliquer de diverses façons pour
quoi l'un et l'autre bâtissent leur fond de commerce sur l'exploi
tation de ce filon. L'obligation de décrypter le message sollicite
plus intensément l'attention du destinataire ; elle est aussi source
de plaisir. L'existence de structures figées favorise la mémorisation
des formules. Quant au mécanisme de création, contrairement à
l'idée qu'on s'en fait ordinairement, il est relativement aisé, donc
peu coûteux. Il permet de pratiquer l'à-peu-près, et fournit ainsi
des formules séduisantes et rapides là où la quête d'une expression
exacte est souvent laborieuse et pénible. Ce mécanisme de création
trouve de plus dans la masse énorme des expressions figées de la
langue une matière première illimitée. Des programmes de géné
ration de slogans publicitaires à partir d'expressions toutes faites
existent. Le défigement peut donc se réduire à une activité
quasiment mécanique ou automatique2, comparable à d'autres
pratiques élémentaires de jeux ou d'énigmes linguistiques liées à
l'exercice de la parole (verlan, etc.). En témoignent d'ailleurs les
récurrences que l'on peut observer dans les défigements. Le
défigement ne crée pas des images neuves, il en réveille tout au
plus. « II se fait plus de figures en un seul jour de marché à la
halle qu'il ne s'en fait en plusieurs jours d'assemblées acadé
miques », observait Du Marsais dans son Traité des tropes, (1734).
On pourrait aujourd'hui détourner la remarque : « II se défait
plus de figures en un seul jour de marché publicitaire qu'il ne
s'en crée en plusieurs jours de stages de créativité ». En ce sens,
les publicistes comme les journalistes n'ont rien des poètes de la
modernité, qu'on a voulu parfois voir en eux3. Ils seraient au
plus des pilleurs de métaphores assoupies.
Faut-il alors voir simplement dans cette pratique consistant à
exprimer plusieurs choses à la fois un nouvel « abus des mots »
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rappelant celui qui, dès le 18e siècle, était stigmatisé par les
grammairiens et les puristes, qui prêchaient l'idéal linguistique de
l'univocité et de l'exactitude du langage ' ? Certes, les fonctions
de résumé et d'indicateur de contenu traditionnellement dévolues
aux titres de presse, ainsi que les propriétés qui s'y attachent,
l'informativité et la transparence2, sont affectées par des propriétés
de masquage, d'opacité et d'ambiguïté. Ce nouvel « abus des
mots » nous semble pourtant viser à un renouvellement des formes
d'expression du politique.
Les titres déviés figurent, de façon emblématique, un rapport
nouveau au discours politique, et le rôle que la presse veut y
jouer. Le discours politique n'est plus perçu comme portant une
référence globale, immédiate, transparente, à la réalité. Les
hommes politiques ne dictent plus simplement le vrai (respect
ivement le faux), ils jouent à dire le vrai, ils le mettent en scène,
ils l'habillent. Tout observateur, même le plus éloigné de la chose
politique, perçoit au moins en partie le fonctionnement distancié
de ce jeu, à travers les représentations des différents médias. Dès
lors, le commentateur ne commente pas simplement le discours
politique comme si celui-ci traitait d'une vérité au premier degré.
Il le construit tout en le déconstruisant3, il le décompose, en
suggère les miroitements sans pour autant le dévoiler totalement.
Le titre défigé marque ainsi cette distance par rapport au discours
politique : il indique que ce discours ne doit pas être pris dans
son univocité et dans sa globalité, qu'il est à la fois jeu et enjeu.
Il invite l'observateur à le décortiquer, à s'en amuser, à ne pas
en être dupe, même si, à l'occasion, il l'invite à se laisser
convaincre par lui. Les jeux de langage peuvent donc s'expliquer
par des visées ludiques, par des effets de modes, de complicité
culturelle, ou par des mécanismes publicitaires, mais ils expriment
aussi cette fonction spécifique du commentaire de presse dans la
critique du jeu politique contemporain. A cet égard, la concomi
tance de ces deux phénomènes récents — stigmatisation de la
langue de bois et jeux de langage dans les commentaires politiques
— n'est pas, nous l'avons dit, une simple coïncidence.
1. Sur la querelle de l'« abus des mots » durant la Révolution française, voir
J. Guilhaumou, La langue politique et la révolution française, Paris, Méridiens-
Khncksieck, 1989.
2. Voir M. Mouillaud, J.-F. Têtu, Le journal quotidien, Lyon, Presses univers
itaires de Lyon, 1989, p. 117-128.
3. Voir E Veron, Construire l'événement. Les médias et l'accident de Three
mile island, Paris, Editions de minuit, 1981, p. 85 et suiv.
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Ambivalence dans le discours et incertitude
dans le monde
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du poids des mots sur le réel : ce serait les mots, non les
hommes, qui feraient l'histoire (drôle et moins drôle). Là est
l'enjeu. Du côté des « défigeurs » comme des critiques de la
« langue de bois », un seul avenir, la rhétorique.
Ce qui, dans les deux versions « la langue peut tout, il faut
parler vrai » / « la langue ne peut rien, jouons sur les mots »,
redonne de toute façon la part belle aux intellectuels comme
professionnels du langage, en particulier à ces montreurs du monde
que sont les journalistes. Mais plaisir d'humour ne dure qu'un
instant, probablement. La dénonciation fantasmatique du syndrome
de la « langue de bois », comme l'abandon à son double éclatant,
le défigement systématique, ne sont que deux penchants de Г
attitude actuelle de l'individu face au discours politique.
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Résumé / Abstract / Compendio
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