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Resumen
EL ESPECTRO, LAS MASCARAS Y LA PLUMA El análisis de un conjunto de relatos autobiográficos redactados рог
responsables políticos de la Quinta República révéla el peso de toda una red de convenciones y topicos relatives a esa literatura.
Sin embargo, evoluciones sensibles designan tanto la plaza recientemente ocupada por los periodistas y mediadores en el
campo politico соmо el malestar vivido por los profesionales de la politica frente a una configuración del juego que les obliga a
adoptar una postura teatral permanente.
Abstract
THE SCEPTRE, THE MASKS AND THE QUILL An analysis of a collection of autobiographical narratives written by the political
leaders of the 5th Republic reveals the importance of a network of conventions and locations that are common to this literature.
Significant developments nonetheless denote both the new place taken by journalists and mediators in the political field and the
unease experienced by professional politicians in the face of a game that keeps them locked into a permanent theatrical stance.
Résumé
LE SCEPTRE, LES MASQUES ET LA PLUME L'analyse d'un ensemble de récits autobiographiques rédigés par des
responsables politiques de la Cinquième République révèle le poids d'un réseau de conventions et de lieux communs à cette
littérature. Des évolutions sensibles désignent cependant tant la place nouvelle prise par les journalistes et médiateurs dans le
champ politique que le malaise ressenti par les professionnels de la politique devant une configuration du jeu qui les contraint à
une posture théâtrale permanente.
Neveu Erik. Le sceptre, les masques et la plume. In: Mots, septembre 1992, N°32. pp. 7-27.
doi : 10.3406/mots.1992.1715
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mots_0243-6450_1992_num_32_1_1715
Erik NEVEU
Centre de recherches administratives et politiques
Université Rennes 1
Alors que récits de vie et Mémoires ont fait une irruption dans
les sciences sociales, donnant lieu tant à un renouvellement du
genre biographique qu'à de riches débats épistémologiques sur les
conditions d'usage de ces matériaux, les politistes ne semblent
prêter qu'une attention distraite à de tels objets1. Les Mémoires
sont utilisés comme sources documentaires, mais peu souvent pris
plus au sérieux. S'il existe une généalogie du genre « mémoires
politiques », qui révèle la sédimentation des « mémoires d'épée »,
« mémoires de cour », « mémoires démocratiques », celle-ci vient
d'un historien2 et n'a stimulé que peu de travaux sur la production
contemporaine.
Or les Mémoires ont toujours constitué un instrument important
du travail symbolique par lequel gouvernants et hommes politiques
cherchent à ériger leur statue et contrôler leur image. Pierre Nora
montre, à ce propos, que les strates successives du genre peuvent
aussi s'identifier au regard de l'évolution de leurs fonctions
symboliques : « aspect symbolique d'une lutte pour le pouvoir,
pour le monopole du passé et la reconquête devant la postérité
de ce qui a été perdu dans la réalité » pour les plumes de la
noblesse d'épée, dévoilement des coulisses qui fait« appel des
comportements visibles » par la révélation des ressorts et des
intérêts cachés dans le mémoire de cour3.
A travers une approche qui visera plus à suggérer une grille
1. D'où une gratitude accrue aux lecteurs qui ont contribué à limiter les
défauts de ce texte : Annie Collovald, Patrick Lehingue et Bernard Pudal.
2. Pierre Nora, « Les mémoires d'Etat de Commynes à de Gaulle », dans Les
lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1983, tome 2, vol.. 2.
3. Ibid., p. 369-373.
d'analyse qu'à verrouiller un modèle explicatif, le propos de cette
contribution sera de réhabiliter l'importance des Mémoires et écrits
d'hommes politiques1 comme lieu privilégié d'observation de
stratégies symboliques, voie d'accès à plus d'intelligence du
« métier » politique. Si « étudier un homme politique qui est par
définition un entrepreneur en représentation suppose de prendre
en compte l'ensemble de ses différents modes d'existence
publique » 2, comment ignorer ceux qu'il peaufine lui-même en
de rares occasions par la médiation prestigieuse du livre ? Il
s'agira donc de repérer la contribution propre des Mémoires au
travail de gestion de l'identité stratégique des professionnels de la
politique. Celle-ci passe par trois espaces de contraintes : la rigidité
poétique du « genre » qui ne s'accommode pas d'une absolue
liberté du narrateur, les interactions qui structurent le champ de
production des livres et publications sur la politique, les modalités
variables d'investissement dans le métier politique, qui relèvent
elles-mêmes de dispositions des agents et de l'état du marché
politique à un moment donné. La complexité de ces variables
interdit à l'évidence toute conclusion précoce. Elle confronte à
une tension : être attentif aux signes et rhétoriques, sans écraser
la diversité des rapports au travail autobiographique et à ses
usages sociaux sous les invariants narratifs, bref penser les signes
en sociologue, attentif au feuilleté des réceptions et des partic
ipations au genre qui disqualifient le mythe sémiologique d'un sens
univoque3. La dimension de la tâche ne permet que de proposer
l'esquisse d'une construction d'objet...
8
Les invariants d'un genre
Bildungsromans
10
l'adhésion des professionnels à une représentation valorisante de
leur activité concordent pour exclure de ce choix tout relent de
carriérisme. Mais des logiques sociales distinctes sont au principe
des représentations désintéressées du métier politique.
Dans un premier modèle, dominant au sein d'un personnel
gouvernemental des débuts de la Cinquième République, souvent
passé par les premières promotions de l'ENA, l'entrée en politique
se fait comme insensiblement. La logique du « service », affirmée
par Jacques Chaban-Delmas (p. 68, 207), aboutit par dérives à
peine perceptibles à ce que le haut fonctionnaire se retrouve un
jour du côté des politiques. Peu attiré par la « bouillabaisse »
politicienne de la Quatrième République, Michel Poniatowski ira
au politique par amitié pour Valéry Giscard d'Estaing. Georges
Pompidou concède à Michel Jobert en le recrutant à Matignon :
« Puisque c'est votre condition vous ne ferez pas de politique » \
Les découpages et titres de chapitres fournissent ici un précieux
indice, indexant l'entrée en politique à des moments souvent bien
postérieurs à l'exercice de fonctions étatiques importantes.
Dans une seconde variante, plus caractéristique d'un personnel
jeune, lié aux entreprises politiques RPR et UDF, l'entrée en
politique apparait comme le résultat aléatoire de la rencontre
entre des convictions et des forces tutélaires. « C'est le fatum. Je
savais depuis longtemps que j'y viendrais », note Philippe Séguin
(p. 31). François Léotard donne au chapitre sur son entrée en
politique l'intitulé « Le hasard et la nécessité ». En d'autres récits
(Michèle Barzach, Alain Devaquet), le deus ex machina d'un
coup de téléphone de Matignon ouvre, à des protagonistes qui
insistent plus sur leur compétence professionnelle ou technique
que sur leur affiliation partisane, l'accès soudain aux responsabilités
politiques.
Enfin, chez les agents liés aux partis de gauche, l'entrée en
politique est en général revendiquée comme la forme nécessaire
d'un combat pour des idéaux. Chez les professionnels issus des
classes populaires, il s'agit d'une fidélité affichée à un milieu
d'origine. Pour Pierre Mauroy, qui ouvre son autobiographie sur
un « tout commence par ce train d'ouvriers qui a rythmé ma
jeunesse » (p. 11), l'adhésion est prise en compte d'une « tradi
tion» ancrée dans le sol du Nord ouvrier. Ralliant le Parti
communiste, Georges Cogniot constate : « Je suis resté moi-même,
1. P. 142. L'auteur précise : « II ajouta avec un sourire : " Vous ne ferez que
de la politique administrative ". »
11
peuple ». Chez les dirigeants ne bénéficiant pas de cette naissance
populaire, l'engagement se décrit plus volontiers comme le fruit
d'une réflexion intellectuelle (à Sciences Po pour Michel Rocard),
d'une observation méditée du champ politique pour F. Mitterrand
(p. 23).
12
Honneger. L'aspirant en politique se voit tôt guidé par un illustre
mentor : au soir de la libération de Paris, un napoléonien :« C'est
bien, Chaban » consacre l'adoption par de Gaulle. G. Cogniot
souligne ce que lui apporta un apprentissage guidé par l'amitié
de Langevin, l'apport de Thorez, Kroupskaia et Dimitrov. Par un
processus de capillarité symbolique, l'aura des mentors et relations
vient profiter au narrateur. Le soin mis à faire état des relations
avec créateurs et intellectuels, de la chaleur affective des relations
avec les « pères » politiques peut se lire comme ces « désidenti-
ficateurs » analysés par Goffman, par lesquels une catégorie
d'acteurs met en avant des propriétés ou des valeurs que les
perceptions socialement dominantes lui marchandent.
La mise en scène de la sacralité du rôle politique emprunte
encore au thème du secret : détention de secrets d'Etat ou de
confidences d'acteurs importants, narration d'une crise (Mai 58,
Mai 68) vue de l'intérieur viennent manifester le passage de
l'autre coté du miroir1. La peinture valorisante du travail politique
culmine dans le topos des travaux héroïques où, à travers l'évocation
de réalisations parfois quasi épiques, le narrateur illustre le pouvoir
démiurgique qu'a la politique de changer le monde. Ce pouvoir
croît avec les positions occupées. Chaban, maire, marque le
paysage bordelais de nouveaux ponts ; ministre, il fait construire
le « France » ; devenu proche du Président, il dissuade les
Américains de propager la guerre au Laos (p. 194-288). Dans un
récit où il dit pourtant sa « réticence devant les signes ostentatoires
du pouvoir », et où il montre les tensions psychiques d'un
dirigeant, V. Giscard d'Estaing choisit deux exemples pour illustrer
son propos : l'intervention à Kolwezi et l'usage du droit de grâce.
Autant dire qu'en dépit du parti pris de human interest, c'est
encore le caractère sacré d'un pouvoir qui peut aller jusqu'à
commander la mort et la guerre2, qui demeure lisible. La capacité
à influer sur le monde est également revendiquée par opposants
ou cadets : F. Léotard sait qu'il a grandement contribué à faire
l'élection de mars 1986 ; simple haut fonctionnaire, Michel Rocard
aura agi efficacement pour hâter l'issue du conflit algérien ;
dirigeant de « corpo » J.-M. Le Pen aura contribué aux acquis
sociaux du monde étudiant. Plus qu'une dilatation du moi, ces
revendications illustrent une nécessité doxique du champ politique,
13
une de ses règles non écrites : il ne peut fonctionner qu'en
entretenant la croyance en son pouvoir prométhéen sur le monde
social. L'activation de cette croyance constitue a fortiori un
impératif lorsqu'au soir d'une vie, menée par et pour la politique,
le professionnel doit non seulement formuler son « j'avoue que
j'ai vécu », mais (se) convaincre de la richesse de sens de cette
existence.
14
Les ouvrages de journalistes sur les dirigeants politiques s'éman
cipent de la pure logique de connivence. Pour reprendre une
typologie posée par Annie Collovald, la logique du biographe ou
de l'analyste « se démarque des intérêts politiques — ou mieux
politiciens — du biographie ». Dans le même temps, les livres de
journalistes tendent à occuper sur le marché editorial une place
importante1, voire majoritaire parmi les titres publiés, et cela
spécialement dans les périodes clés de la vie électorale, telles que
les échéances présidentielles(cf. tableau).
Evolution du nombre de titres dans divers genres écrits par/sur les hommes politiques
1/- La catégorie regroupe tous les écrits d'hommes politiques autres que des mémoires : Programmes,
réflexions sur un dossier particulier, sur le métier politique.
2/- La catégorie regroupe tous les livres écrits sur des hommes politiques par d'autres auteurs que les
hommes politiques. Il peut s'agir d'ouvrages biographiques ou plus monographiques (Ex: "Les mots du
général").
15
en profondeur des interventions. La production des années 1960
devait beaucoup à la double contribution des dirigeants commun
istesappuyés sur leurs maisons d'édition, et de porte-parole de
la gauche non communiste à cheval sur le champ intellectuel et
politique (Marc Paillet, Gilles Martinet, Club Jean-Moulin...). Le
tarissement de ces sources suppose donc une bien plus grande
diversité de contributeurs pour expliquer le maintien de la pro
duction. Cette apparente banalisation du recours aux Mémoires
marque une évolution des usages et enjeux tactiques du genre.
La rédaction de récits (partiellement) autobiographiques cesse de
constituer une forme de dernière intervention chez des agents
ayant occupé une position centrale du champ politique. Elle se
banalise en touchant jusqu'aux entrepreneurs politiques les moins
proches du pôle du capital culturel. Elle devient un outil de
consolidation et d'affichage d'un seuil de promotion chez des
agents assignés aux seconds rôles (Michel Aurillac, André Laignel)
ou identifiés comme symboles d'une « base » (Hector Rolland).
Genre d'ainé, l'autobiographie fait aussi l'objet d'un détournement
par des jeunes en trajectoire très ascendante, qui, à peine franchie
la quarantaine, utilisent le genre pour lester précocement leur
personnage d'une charge de sérieux et de profondeur. Pour des
agents sans ambitions de carrière démesurées, la médiation de
l'écriture permet aussi d'intervenir sur le mode d'un plaidoyer
ponctuel pour réévaluer le sens d'un épisode politique médiatisé1.
L'ouverture des usages politiques du genre génère sa propre
dynamique. Elle brouille d'abord les typologies antérieures des
écrits de professionnels de la politique. Des fragments autobiogra
phiques côtoient dans un même volume des prises de position sur
l'actualité (P. Seguin) ou des propositions et réflexions sur les
« règles du jeu » politique (M. Rocard). Pour certains « cadets »,
la quasi inexistence d'une carrière à raconter pose un autre
problème. M. Barzach le résout en utilisant un stock d'anecdotes
liées à son passage au ministère de la Santé, ces exemples lui
servent alors de point de départ pour autant de chapitres couvrant
de façon thématique les problèmes de santé publique.
La dynamique du genre renvoie aussi à la banalisation-sophist
ication de ses usages. Partiellement désacralisé par ses usages
multiples, plus facilement accessible par le concours éventuel de
16
«nègres»1, sollicité par de nouveaux agents2, le registre auto
biographique a vu s'éroder les profits de distinction qu'il pouvait
apporter. Ce processus de dévaluation a, en retour, suscité des
innovations qui contribuent à une incessante redéfinition du genre :
recherche de nouveaux registres d'écritures et sollicitation de
genres littéraires inédits en politique3, mais aussi rupture avec
les conventions du genre par un parti pris d'« authenticité » et de
dévoilement parfois ostentatoires...
17
la disposition de ceux qui se consacrent à l'étude du mouvement
ouvrier, et rien de plus » ; « Ecrire est encore agir » \
Au discours du « nous » se joint celui du « il », dans lequel
l'engagement politique semble ne vouloir que l'inévitable, le
triomphe d'une rationalité technique indifférente aux idéologies2.
Ce style discursif s'observe en particulier sous la plume de certains
hauts fonctionnaires formés dans les écoles de pouvoir, dès que
le récit quitte les trajectoires individuelles pour les affaires
publiques. L'ouvrage de M. Poniatowski en donne une illustration,
qui annonce l'inexorable montée d'une société tertiaire, scientifique,
de masse, d'un avenir que la politique ne saurait qu'accompagner
par la prospective3. Certains passages du récit de V. Giscard
d'Estaing illustrent ce registre, lorsque le Président décrit comme
des moments « parmi les plus heureux de sa présidence » ceux
de conseils restreints concevant le politique comme « il était
souhaitable que les pays fussent gouvernés, pas d'affrontements
idéologiques, une démarche qui /.../ examinait les solutions /.../
pour retenir celle qui maximisait les résultats et réduisait les
inconvénients ou les risques » 4.
En rupture avec ces modèles, des publications apparues à la
fin des années 1980 donnent au « je » un nouvel espace d'ex
pression qui est aussi revendication d'un dévoilement des affects,
d'une divulgation ostentatoire d'une personnalité vraie derrière les
masques et les fonctions. Le récit de son septennat par V. Giscard
d'Estaing constitue la manifestation la plus visible de ce cours
nouveau des Mémoires. Le livre s'ouvre sur le récit d'un vertige
lors d'une prise d'armes, souvenir qui révèle à l'auteur « cet
extraordinaire malentendu qui éloigne les gouvernés des gouver
nants, en leur faisant croire qu'ils appartiennent à des espèces
18
humaines différentes » ; « Pas de mémoires donc, mais un essai
pour communiquer le vécu de mon septennat : ce que j'ai ressenti,
moralement, physiquement, intellectuellement » ; « La seule
réponse possible me parait être celle de la spontanéité et de la
simplicité » (p. 10-12). Les contenus du livre donnent quelque
crédibilité à ce pacte de lecture : l'auteur y évoque avec force
détails « la santé des dirigeants » et leurs malaises physiques. Il
les montre partageant des expériences et des émotions ordinaires :
besoin anxieux de transférer son « petit bric-à-brac sécurisant »
dans le bureau élyséen, émotion extrême devant la première grâce
refusée à un condamné à mort, remontée inopinée de souvenirs
d'enfance, peur du ridicule lorsqu'une installation malcommode
l'oblige à parler « perché comme un ouistiti dans un arbre ». Les
comptes rendus médiatiques n'ont pas manqué de souligner l'i
nnovation incarnée par cet ouvrage1, son exceptionnelle ouverture
à la mise en scène d'un personnage plus privé. Mais le cas n'est
pas unique, comme le montre le prière d'insérer de l'ouvrage, au
titre symbolique de A mots découverts, de F. Léotard : « Pourquoi
faut-il qu'en France, par tradition, les hommes politiques se figent
dans des postures d'automate ? Et d'où vient leur frayeur dès
qu'on les prie de secouer l'uniforme où ils suffoquent mais dont
ils ne peuvent, ni ne veulent, se libérer ?» ; « Voici, peut-être,
pour la première fois, l'autoportrait sans fard d'un homme de
conviction et de rigueur qui abat son jeu » ; « Et s'il ne s'agissait,
enfin, que de se montrer sans masque, tel que l'on est ? ». Si le
lecteur peut être fondé à s'interroger sur le respect de ce
programme dans les pages où le ministre en exercice s'exprime
sur sa contribution au gouvernement Chirac, la promesse d'épan-
chement garde cependant du sens. F. Léotard tient des propos
peu conventionnels sur la cruauté du jeu politique, la labilité de
certains de ses choix politiques, son désir d'ascension sociale, son
séjour au monastère, y évoque « les somptueuses cuissardes »
d'une très belle condisciple de l'ENA (p. 41, 43, 77, 88). Ces
registres nouveaux s'observent dans une part croissante des titres
récents. Le livre de M. Barzach en fournirait d'autres illustrations
lorsque celle-ci souligne avec ironie la part théâtrale du métier
politique, dresse un tableau critique de la crispation et de la
rétention affective qu'elle observe lors d'un Conseil des ministres2.
19
Les déterminants de l'évolution
20
épisode défavorable, de répondre à des articles hostiles par un
autoportrait flatteur. J.-M. Le Pen insiste longuement sur ce
dernier point dans un « Avertissement » où « le lecteur constatera
avec quelque étonnement que celui qu'on décrit comme un
extrémiste pense comme lui sur la plupart des sujets et qu'il le
dit » \
Comment ne pas observer au passage la disproportion entre le
flux des parutions et la modestie du nombre de ventes ? Elle
vient suggérer que bien des titres sont moins conçus pour être
lus que pour recevoir publicité et commentaires. La production
vise en bonne partie les médiateurs tant du fait de leur poids en
tant qu'instance de cotation que de par leur pouvoir de divulgation
de scènes et morceaux choisis d'un livre. Repris par la presse
écrite, racontés lors d'invitations jusque dans des émissions de
variété, les morceaux choisis du Pouvoir et la vie (la rêverie sur
la fougue amoureuse d'Alice Saunier-Seité, le malaise d'Helmut
Schmidt) contribuent même chez les non-lecteurs à offrir de
l'ancien Président une image plus chaleureuse, contrastant avec le
trait « hautain » repéré par les sondages2. Philippe Lejeune
analyse en ce sens la place prise par les journalistes jusque dans
les pages des Mémoires, où ils relancent et questionnent, comme
une manifestation de la présence du public qui intervient explic
itement par le truchement du questionneur3 ; la représentation de
ce « public » n'est pas indépendante des modalités sociales de
définition de l'opinion, dont la traduction dominante renvoie
actuellement aux sondages.
La grille de lecture ici proposée peut s'appuyer sur le fait qu'y
compris en des périodes de moindre activisme symbolique des
hommes politiques, les Mémoires ont toujours été écrits avec une
gomme, pour rectifier des perceptions. Ils relèvent de cette
rhétorique de la prolepse qui « consiste à prévenir ou à répéter
d'avance une objection que l'on pourrait essuyer » 4. Le procédé
surabonde dans notre corpus : M. Rocard traite avec insistance de
ses compagnonnages gauchistes pour souligner qu'ils ne furent que
21
conflictuels et qu'il a contribué à dissiper la tentation terroriste
(p. 55-58, 62, 65) ; F. Mitterrand revient longuement sur son
intervention du 28 mai 1968 pour démontrer que la perception
négative de sa candidature au pouvoir vient d'un véritable trucage
de l'enregistrement de son propos (p. 165), V. Giscard d'Estaing
souligne sa lucidité précoce sur l'épisode des « avions renifleurs »
en évoquant l'« énorme éclat de rire » que lui occasionne une
démonstration manquée (p. 135).
La mécanique de la prolepse, initialement utilisée de façon
stratégique à l'occasion rare d'une sortie de Mémoires, ne peut
que s'emballer en usages tactiques chez des acteurs politiques
soumis à une cotation incessante et fluctuante, sommés d'intervenir
sur les sujets les plus variés, confrontés à un impératif permanent
de contrôle et d'infléchissements de leurs identités successives. Ce
sont alors jusqu'à ses propres écrits dont l'homme politique doit
gérer la perception par d'autres travaux littéraires : le Mitterrand
qui cite Marx et Lénine est sans doute fonctionnel en 1969
(p. 134, 273, 280), onze ans après cette habileté devient stigmate
et demande d'autres publications (Livres, Propositions) encore
corrigées par d'autres (« Lettre à tous les Français »).
La « privatisation » des contenus peut apparaître comme une
surenchère de ruse *. Le « parler vrai » et les « mots découverts »
peuvent constituer des calculs rationnels, mobilisant le personnage
privé pour faire réévaluer les perceptions de l'homme public. Le
masque de la fonction ou du rôle abandonné, c'est une personnalité
méconnue, vraie et séduisante qui ressortirait. Une autre rhétorique
se repère ici : celle de « L'écrivain en vacances », épinglée par
Barthes2. Ainsi l'écrivain porte de banals pyjamas bleus ? Il
aime, comme tant de ses lecteurs, « les jolies filles,le reblochon
et le miel de lavande » ? Sans doute, mais en pyjama il lit
Bossuet, devant un fromage il rédige l'œuvre qui le mènera Quai-
Conti. La distance déniée est aussitôt réintroduite. De même, le
Président peut être sujet aux malaises ou troublé par une belle
ministre, il n'en décide pas moins entre ces émois ordinaires de
lancer la Légion sur Kolwezi. La sincérité ostentatoire et l'effusion
des sentiments fonctionneraient alors comme un moyen de solliciter
le citoyen en jouant des ressorts d'un modèle intimiste où
22
l'achèvement de la relation entre individus passe par le dévoilement
de sa personnalité « vraie », « profonde » \ Elle permettrait aussi
de contrer une représentation, fréquente en milieu populaire, de
la politique comme univers de calculs cyniques, d'agents sans
affectivité 2.
23
conformément à des standards comportementaux liés aux valeurs
de simplicité et d'authenticité.
Si elle permet de réinsérer le comportement des professionnels
de la politique dans une évolution lourde de la gestion des
émotions, cette formulation de la référence à Elias risque à la
fois de gommer la singularité de l'univers politique et de suggérer,
à travers la référence au contrôle émotionnel, une vision exces
sivement calculatrice de l'expressivité. Or la montée d'un registre
plus porté sur l'expression des affects, l'affirmation d'un personnage
vrai et consistant sous les dehors empesés de la fonction manif
estent aussi une part de vérité essentielle du métier politique.
Elle peut se lire comme l'expression chez les acteurs politiques
d'un malaise croissant, lié aux formes que revêt pour eux la
tension entre formalisation et dé-formalisation des manifestations
émotionnelles, pour emprunter encore ce couple conceptuel à
Elias. Dominique Memmi fournit, dans un riche article, la trame
d'une telle analyse1. Métier de représentation, la politique
confronte ses agents à une tension permanente entre naturel et
artifice, calcul et spontanéité. Il faut à la fois assumer un travail
des apparences, une activité théâtrale et préserver l'adhésion au
rôle.
Jacques Chirac note : « Tout homme politique est un acteur,
ceux qui ne le reconnaissent pas sont des menteurs » 2. Le poids
des sollicitations médiatiques, l'inflation d'activisme symbolique
donnent aux professionnels une conscience troublée du paradoxe
du comédien. Un indice de cette sensibilité se lit dans le retour
au sein des Mémoires d'une réflexion explicite sur le thème du
jeu, largement gommée depuis les sociétés de cour. M. Rocard
inventorie des « règles du jeu », le poids des « fictions » et de
« biais du système médiatique ». V. Giscard d'Estaing consacre un
chapitre aux « symboles ». La hantise d'une activité politique
dévorée par le théâtral, l'érosion de la dignité du politique sous
la pluie des artifices ressortent aussi d'une majorité des récits
analysés. M. Barzach ouvre son récit sur une anecdote propice
aux gloses : au moment où J .Chirac la sollicite pour entrer dans
le gouvernement, ses fillettes sont occupées à colorier le visage
de leur mère à l'aide d'un jeu de crayons à maquillage. Mme la
ministre aura la plus grande peine à faire disparaître ce masque
24
coloré pour venir figurer sur la photographie officielle du gouver
nement. L'incident peut passer pour métaphore des tensions entre
masques publics et privés.
La sensibilité accrue des professionnels de la politique à cette
tension inscrite dans la structure même de leur activité peut au
final se lire par d'autres grilles qu'un choix entre éloge de leur
sincérité et dénonciation d'un usage cynique des affects. Elle
dénote une tension, parfois une souffrance, imposée par les
contraintes du jeu. Poussé à une surenchère de gesticulations
médiatiques, l'homme politique peut en ressentir une forme de
dévaluation de sa fonction, y percevoir avec une violence accrue
le paradoxe des « deux corps du roi », la fissure sans cesse
menaçante entre le masque et l'agent social — toujours limité
par ses propriétés — qu'il couvre d'un revêtement protecteur mais
fragile. Dans le même temps, la revendication émotionnelle et
parfois pathétique d'une vérité intérieure, d'une sensibilité authent
ique, a d'autres sens qu'une protestation contre le stress du rôle,
la charge d'une activité théâtrale de tous les instants. En faisant
appel d'un personnage vrai contre les grimaces obligées, le
personnel politique retrouve le conseil du publicitaire
M. Bongrand : « Soyez vous-même ». Sous l'apparence de la pla
titude, la maxime fournit matière à réassurance symbolique. Elle
naturalise le bien-fondé du représentant politique à être ce qu'il
prétend en donnant à l'occupant du poste l'alibi d'une nature, de
qualités charismatiques (autorité, sensibilité, chaleur, intuition des
affects ď autrui) qui ramènent les artifices confessés à la dimension
rassurante de techniques d'expression subordonnées au primat
d'une personnalité, d'une « animalité politique » l mise en évidence
par le roman de formation.
Nombre de commentaires journalistiques ont analysé les
mémoires de V. Giscard d'Estaing comme une « thérapie ». Pour
quoi borner l'observation à un usage unique et polémique ? Le
processus de privatisation des Mémoires est toujours une thérapie2
qui permet au représentant politique de se penser avec moins
d'inconfort pour autre chose que ce qu'il est et, par-là, d'entretenir
une adhésion au rôle devenue plus difficile dans le nouveau champ
politique. Mais ce contrôle de soi est aussi contrôle du regard
des autres, dès l'instant où la médiation de l'écrit et l'amplification
25
des commentaires lui donnent écho dans l'espace public. L'auto-
biographe se fait journaliste de sa trajectoire pour ne pas en
abandonner les interprétations aux seuls commentateurs de la
presse. Il confirmerait alors combien le « je » ne peut être qu'un
autre ; le locuteur politique, une anticipation de revue de presse ;
la protestation sincère d'une authenticité privée, le meilleur gage
d'efficacité du masque public.
PROJET №REVUE
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1992
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26
Résumé / Abstract / Compendio
27