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politique
Hassner Pierre. Aron (Raymond) - Dimensions de la conscience historique. In: Revue française de science politique, 13ᵉ
année, n°1, 1963. pp. 197-201;
https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1963_num_13_1_392709_t1_0197_0000_002
Alfred Grosser
Pensée Politique
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causes sont multiples et tiennent autant à la curiosité que nous tournons vers
l'avenir qu'à la texture même de notre histoire ... C'est la signification de ce
monde nouveau sorti du demi-siècle belliqueux qui nous pose la question
ultime. Nous voulons savoir ce qui est arrivé plus encore que comment cela est
arrivé. »
Pourtant, c'est par un nouveau renversement que se conclut l'article, à savoir
par un avertissement contre l'illusion rétrospective de fatalité qui menace
souvent l'interprétation de l'histoire par les « forces profondes » : « Après coup,
nous sommes enclins à juger inévitable, conforme à la logique de l'économie,
ce qui est arrivé, à oublier l'évidence : les sociétés du xx* siècle sont
économiques en ce sens que des moyens de production dépend leur force et que le
développement de l'industrie est à la fois leur objectif et leur fatalité. Mais
c'est de la politique, c'est-à-dire des rivalités de puissance entre Etats, des
luttes entre partis à l'intérieur des Etats et des régimes au pouvoir que sont
sorties les grandes décisions, les grandes révolutions de la première moitié
du XX* siècle ... La rivalité entre Etats commande aujourd'hui la vie propre de
chacun d'eux. La prospérité ne deviendrait le but, l'économie de bien-être, la
loi, qu'au jour où la paix mettrait fin à la guerre chaude ou froide. Tant que
dure la guerre, la politique règne et les personnes agissent ».
Nous voici arrivés à une idée qui sera le thème central de l'autre essai que
nous avons distingué, « L'aube de l'histoire universelle », comme elle était celui
des premiers chapitres des Guerres en chaîne : celle de la dualité entre
l'évolution impersonnelle, voire nécessaire, des techniques et des sociétés, et le jeu
ou les conflits imprévisibles de la politique.
Les grands sociologues du xix* siècle, en particulier Auguste Comte et Karl
Marx, « n'ont pas méconnu la mutation historique qui était en train de se
produire sous leurs yeux, mais ils ont sous-estimé la persistance de l'aspect
traditionnel de l'histoire ... Méconnaissant l'autonomie partielle de l'ordre
politique, les doctrinaires de la sociologie ont raisonné comme si l'histoire, au sens
de la succession des guerres et des Empires, des victoires et des défaites, était
désormais finie. Aujourd'hui, en 1960, le siècle que nous avons vécu me paraît
double. Il est traversé par la révolution intellectuelle, technique, économique
qui, à la manière d'une force cosmique, entraîne l'humanité vers un avenir
inconnu, mais à certains égards il ressemble à de multiples précédents, il n'est
pas le premier siècle de grandes guerres. D'une part, la nécessité d'un progrès,
de l'autre, history as usual et le drame des Empires, des armées et des héros ».
Voilà pourquoi, s'il est vrai que « l'actuelle génération comprend mieux que
les précédentes le monde dans lequel nous vivons et dont les penseurs du
siècle dernier avaient intuitivement pressenti l'originalité », cette prise de
conscience ne prouve pas que l'avenir de l'humanité soit désormais pacifique. « Rien
ne prouve que les temps soient révolus et que désormais le procès rationnel se
prolonge sans drame. Il se peut que l'histoire universelle soit à cet égard autre
que les histoires provinciales des millénaires écoulés ... Il ne s'agit que d'un
espoir soutenu par la foi. Cette esquisse ne comporte probablement pas d'autre
conclusion que la formule précédente, en son équivoque même. »
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