Vous êtes sur la page 1sur 19

Genre en séries

Cinéma, télévision, médias


5 | 2017
Masculinités imag(in)les 2

S’imaginer en cinéma. Les hésitations genrées des


cinéastes amateurs en Tunisie
Patricia Caillé

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/ges/900
DOI : 10.4000/ges.900
ISSN : 2431-6563

Éditeur
Presses universitaires de Bordeaux

Référence électronique
Patricia Caillé, « S’imaginer en cinéma. Les hésitations genrées des cinéastes amateurs en Tunisie »,
Genre en séries [En ligne], 5 | 2017, mis en ligne le 01 juin 2017, consulté le 22 mars 2021. URL : http://
journals.openedition.org/ges/900 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ges.900

Ce document a été généré automatiquement le 22 mars 2021.

La revue Genre en séries est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons
Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
S’imaginer en cinéma. Les hésitations genrées des cinéastes amateurs en Tunisie 1

S’imaginer en cinéma. Les


hésitations genrées des cinéastes
amateurs en Tunisie
Patricia Caillé

1 Les cinémas arabes et maghrébins ont fait l’objet d’un certain nombre de travaux, qu’on
les pense dans leur dimension régionale (Armes, 2005 ; Aïdouni, 2008 ; Hillauer, 2006 ;
Dönmez-Colin, 2007 ; Brahimi, 2009 ; Caillé, 2010, 2016 ; Martin, 2011) ou nationale
(Chamkhi, 2002, 2009 ; Khélil, 2002, 2007, Lang, 2014). Mis à part les ouvrages d’Hédi
Khélil qui couvrent différents aspects du cinéma et de ses cultures, ce sont le plus
souvent les longs métrages de fiction envisagés comme des œuvres de résistance et les
trajectoires de leurs auteurs construites, elles, comme des parcours du combattant qui
monopolisent l’attention des chercheurs et font l’objet d’analyses pour ce qu’ils nous
disent des cultures dont ils sont issus et de leur participation ou non à un combat
émancipateur1. À ce titre, les films sur la condition des femmes et surtout sur les
réalisatrices et leurs films, ont fait l’objet de recherches (Dönmez-Colin, 2004 ; Hillauer,
2006 ; Caillé, 2010) car la place des femmes dans les cultures arabo-musulmanes
demeure un enjeu de la construction des savoirs dans un contexte postcolonial 2. Des
chercheures approchent ainsi la question du caractère postcolonial et de sa pertinence
à partir de la circulation des films (Caillé, 2016), ou explorent la façon dont la création
cinématographique peut rendre compte de nouvelles subjectivités conditionnées par le
flux accru des discours dans un contexte transnational (Martin, 2011). Si tous ces
travaux ont permis de mettre en lumière des cinématographies peu prisées, de telles
approches laissent dans l’ombre des activités qui fondent le rapport au cinéma et aux
films dans ces pays, la raison pour laquelle nous aimerions ici déplacer la focale.
2 Dans cet article, nous nous arrêterons sur le « cinéma amateur » en Tunisie, une
organisation et une pratique dont l’histoire a largement contribué à nourrir et modeler
un cinéma national. Un tel projet nous semble d’autant plus nécessaire que des
approches centrées sur l’analyse des longs-métrages tendent à construire
implicitement de « petits cinémas » (Hjort et Petrie, 2008) à l’image de

Genre en séries, 5 | 2017


S’imaginer en cinéma. Les hésitations genrées des cinéastes amateurs en Tunisie 2

cinématographies nationales plus développées alors même que ces filières


cinématographiques très fragiles, donc moins structurées sont soumises aux aléas de
politiques nationales et transnationales qui excluent la pérennité des financements.
Dans de tels fonctionnements, la distinction entre l’amateur et le professionnel souvent
floue s’estompe par l’interpénétration des deux statuts, qu’ils soient le fait de volontés
politiques ou de contraintes économiques. Tout en reconnaissant l’apport de
recherches fondatrices sur le rapport entre cinéma et amateur à travers le film de
famille et les usages privés du film (Odin, 1995) ou l’esthétique de la réception (Allard,
1994) particulièrement fécondes à un moment où il s’agissait en France de desserrer le
carcan élitiste des conceptions dominantes dans les recherches sur la culture, le
« cinéma amateur » en Tunisie, petite organisation dotée de puissants relais, nous
invite à nous déprendre du caractère marginal qui y est associé. En l’absence des actes
du colloque organisé à Tours en 2015 (Briggs, 2015), nous manquons d’un cadre
conceptuel suffisamment solide pour aborder le rapport entre l’amateur.e et le cinéma
aujourd’hui, mais nous tenterons néanmoins de mettre à l’épreuve du genre la
conception et la pratique du cinéma que partagent aujourd’hui les jeunes cinéastes
amateurs. Pour ce faire, nous resituerons brièvement le cinéma amateur dans une
histoire du cinéma tunisien, la place des femmes dans celui-ci, avant d’aborder les
différentes facettes sexuées et genrées de l’expérience des cinéastes amateurs
aujourd’hui ainsi que des films réalisés.
3 La Tunisie est caractérisée aujourd’hui comme hier par un tissu associatif très actif
souvent décrit comme un espace de débat politique de substitution dans un pays
longtemps aux prises avec un régime autoritaire. Tahar Cheriaa, figure tutélaire du
développement d’un cinéma national, avait fait de la Fédération Tunisienne des Ciné-
Clubs (FTCC), créée en 1950, un acteur essentiel de l’éducation au cinéma et de
l’intégration du cinéma arabe dans celle-ci, ce qu’il considérait comme un des enjeux
importants de la lutte pour l’indépendance non seulement politique mais aussi
culturelle (Cheriaa, 2010). Il en est de même pour la Fédération Tunisienne des
Cinéastes Amateurs (FTCA) initialement appelée Association des Jeunes Cinéastes
Tunisiens (AJCT), créée douze ans plus tard, qui constitue avec l’Association Tunisienne
pour la Promotion de la Critique Cinématographique (ATPCC) créée en 1986, deux
autres piliers du développement d’une culture et d’une pratique du cinéma exigeante
destinée à accompagner la construction nationale3.

Le cinéma amateur dans le cinéma tunisien


Quelques jalons historiques

4 Le premier club de l’AJCT qui s’est constitué en 1961 à Tunis autour d’Hassan Bouzriba
rassemble un groupe de jeunes hommes ayant l’ambition de s’initier à la réalisation,
avant d’essaimer dans d’autres villes. Mais cette première génération ouverte au projet
socialiste d’Habib Bourguiba qu’elle avait rencontré au Kef en 1963 (Fehri, 2017), se
trouve confrontée au tournant des années 70 à la révolte menée par Abdelwahab
Bouden, alors membre du club de Kairouan, contre un autoritarisme grandissant au
sein des clubs, de la fédération, comme du pouvoir. À l’écart du développement
souterrain de nombreux groupuscules très politisés à l’époque, dans une société qu’il
considère alors comme « conservatrice et violente », Bouden, soucieux de faire de la
FTCA un espace de création en toute liberté et en toute indépendance, convainc ses

Genre en séries, 5 | 2017


S’imaginer en cinéma. Les hésitations genrées des cinéastes amateurs en Tunisie 3

pairs d’adopter une forme de fonctionnement collégial dans une organisation


démocratique au sein de laquelle le pouvoir est partagé par tous. C’est la période de la
« Ré-forme » (Khélil, 2002)4 soutenue avec enthousiasme par les jeunes de la FTCA, qui
remodèle ainsi complètement le fonctionnement de la fédération 5. Une fois sa mise en
œuvre assurée, Bouden s’éloigne rapidement pour poursuivre des études de
philosophie à Paris.
5 Les cadres de la FTCA encore très présents aujourd’hui s’accordent sur un deuxième
tournant déterminant après celui de la « Ré-forme », la fermeture précipitée de la
session du Festival International du Film Amateur de Kélibia (FIFAK), vitrine de la FTCA,
en 1979 suite à la lecture par Néjib Ayed des « attendus des délibérations et des
recommandations du jury » qu’il présidait cette année-là (Khélil, 2002 : 413), un jury qui
enjoignait la FTCA de continuer à faire un « cinéma d’intervention sociale et politique »
(Fehri, 2017). Cet incident faisait suite à des années de tensions entre la FTCA et le
ministère concernant la mainmise de ce dernier sur l’organisation du festival et qui
avait mené à l’annulation du FIFAK en 1977. Désavoué par le Ministre de la culture, la
cérémonie de remise des prix n’eut pas lieu. Cette ingérence suscite une réaction lors
d’une assemblée générale qui avait réuni une soixantaine de membres à Mejez El Bab et
aboutit alors à une nouvelle plateforme d’inspiration Tiers-mondiste accessible
aujourd’hui encore sur la page Facebook, le premier outil de communication de la
fédération. La FTCA entendait lutter contre les industries culturelles hégémoniques du
divertissement et promouvoir une culture alternative par le biais d’un cinéma militant
qui rende compte des réalités et du vécu du peuple. Cette plateforme ainsi que des films
emblématiques comme Les Invalides (1977) par Lotfi Maoudoud qui a transformé le
regard porté sur les handicapés en Tunisie, ou encore Le Tunnel (1983), une réalisation
collective6 sur la torture pratiquée par le ministère de l’intérieur, demeurent
aujourd’hui le sceau d’un engagement politique et d’une indépendance farouchement
préservée au fil des années par ses statuts et son fonctionnement. Sa réflexion
politique, sa résistance au pouvoir, preuves d’une non-compromission et d’une
exigence forte, font de la FTCA un symbole de la vigueur de la culture tunisienne dans
une période post révolution du 14 janvier. Pourtant, l’évolution de la FTCA est ponctuée
de crises qui ont menacé son existence, qu’elles soient liées à la lassitude face à
l’ingérence tracassière du pouvoir, aux tensions internes entre différentes conceptions
de la formation au cinéma, les partisans d’une approche plus formelle et ceux qui
revendiquent un cinéma plus social et politique, ou structurelles comme l’impact de la
création d’écoles de cinéma sur le rôle de la fédération, ou le passage au numérique.
6 Les dimensions politiques et économiques des choix technologiques, les équipements et
des formats utilisés successivement, le 16mm, le Super8 puis le retour au 16mm, ont été
source de débats sur l’enjeu de la formation dans le cinéma amateur. Aujourd’hui, le
numérique s’il est moins onéreux rend les adhérents plus autonomes vis-à-vis de leur
club, l’adhésion plus diffuse, provoquant au sein de la fédération la crainte d’une
dispersion et d’une dissolution des valeurs. L’accès à un équipement cher exigeait un
suivi continu du processus d’élaboration des films, ce qui entretenait un débat autour la
conformité du contenu aux valeurs de la fédération. « Les films sont moins politiques »,
entend-on souvent. De la même façon qu’on peut regarder des films tout seul, on peut
très bien imaginer qu’un adhérent absent aujourd’hui passe son temps à se former
(Abid, 2014). Les écoles offrant maintenant des formations, le numérique rendant
accessible un équipement moins coûteux, le seul objectif qui reste à la FTCA est selon

Genre en séries, 5 | 2017


S’imaginer en cinéma. Les hésitations genrées des cinéastes amateurs en Tunisie 4

Mohamed Ben Tabib « l’engagement pour un cinéma indépendant et une culture


progressiste », tout en remarquant que si tous les membres sont d’accord sur le
principe, les jeunes sont aujourd’hui divisés sur ce à quoi un tel cinéma pourrait
ressembler (2015). C’est la place de l’individu, le statut du « personnel » et de l’intime
qui peut-être posent question et ce sur quoi nous reviendrons dans le cadre de cette
recherche.
7 Premier organisme de formation au cinéma en Tunisie bien avant que n’ouvrent les
écoles de cinéma et audiovisuel, la FTCA est une très petite fédération dont l’histoire
reste à faire. Même si les moyens varient beaucoup d’un club à l’autre, elle est en
premier lieu une école de la débrouillardise, les membres devant faire des films « avec
les moyens du bord » (JF 24 ans). Créer avec peu étant une contrainte valorisée,
l’ingéniosité et l’inventivité des membres doivent constamment suppléer au manque de
ressources, le fort capital scolaire et parfois social pouvant également aider. Mais au-
delà du cinéma et à travers lui, la FTCA qui incite ses adhérents à la prise de parole dans
un débat contradictoire, initie ses membres à la réflexion sur les enjeux d’un film et du
cinéma dans une culture, sur la capacité d’agir de l’individu et du collectif, sur les
formes et l’organisation de l’action collective. Cette palette de compétences a constitué
au fil des années pour de nombreux membres un tremplin vers d’autres sphères, les
syndicats, l’enseignement supérieur, le cinéma, les médias, etc., créant ainsi des vases
communicants, avec des relais capables de se mobiliser rapidement. Un tel réseau a
permis de transformer cette toute petite fédération en un pôle culturel attractif dont
les activités sont largement médiatisées à travers le pays. Comme l’indique son
ancienne présidente, « on fait dans le cinéma amateur, mais en pro » (Sardi, 2015).

Une Fédération très structurée

8 Même s’il n’a aucun statut juridique, le club dont la création dépend de la volonté
commune d’un groupe de 7 à 20 personnes, est l’unité fondamentale de la FTCA. Un
club qui se crée ne peut être considéré membre à part entière de la fédération qu’après
une période probatoire d’au moins un an pendant laquelle il doit prouver sa capacité à
s’investir dans des activités de formation et de réalisation et son adhésion aux valeurs
de la fédération. C’est ainsi qu’au fil des années la fédération a pu juguler l’infiltration
de son organisation par des membres au service du pouvoir, mais aussi déjouer les
trajectoires individuelles opportunistes (Amami, 2014). Un club doit assurer la
formation des membres en son sein et participer à deux formations nationales, dont
l’une n’est autre que son festival annuel, le Festival International du Film Amateur de
Kélibia (FIFAK), dans un petit port près du Cap Bon. Cette manifestation alterne Master
classes, débats avec les réalisateurs présents des films vus la veille et projections à la
nuit tombée dans un hémicycle en plein air plein à craquer avec plus d’un millier de
spectateurs. Le FIFAK comporte une compétition internationale des courts-métrages
sélectionnés, et une compétition nationale qui rassemble les meilleurs courts-métrages
de la FTCA, des écoles de cinéma en Tunisie et indépendants. À cela, s’ajoutent de
nombreux autres prix décernés par le syndicat, la FTCA, la Ligue des droits de l’homme,
etc7. Manifestation cinématographique reconnue en Tunisie, le FIFAK attire outre les
adhérents des clubs, un large public de la localité et de la région qui se presse jusqu’à
tard dans la nuit sur les gradins en béton très durs pour assister à la seule
programmation culturelle de l’année.

Genre en séries, 5 | 2017


S’imaginer en cinéma. Les hésitations genrées des cinéastes amateurs en Tunisie 5

9 Le FIFAK, vitrine du dynamisme de la FTCA, est tout entier investi dans le rappel de ses
valeurs caractérisées aujourd’hui par un engagement sur plusieurs fronts, la résistance
à toute forme d’oppression avec en particulier le soutien à la Palestine, la lutte pour la
justice sociale et pour une politique culturelle en accord avec les valeurs de la
fédération. Ces valeurs portées haut et fort par ses membres de longue date, sont
rappelées lors des discours d’ouverture et de clôture du festival annuel, dans la
programmation, la gazette quotidienne du festival, par des prises de position répétées
contre l’État qui emprisonne les artistes, contre le Maire de Kélibia qui a dû quitter la
scène du FIFAK sans prononcer un mot lors de l’ouverture en 2014, sous les huées d’un
public debout, à cause de son alliance avec le parti islamiste Nahda, en soutien à des
employés en lutte lors de la fermeture abusive d’un hôtel, etc.
10 La fédération est aujourd’hui organisée en 25 clubs (des chiffres en hausse puisqu’ils
n’étaient que 17 quatre ans plus tôt) répartis sur tout le territoire, et le dernier
recensement réalisé en 2015 fait état de 450 membres, le fruit sans doute de sa
réputation dans une Tunisie post-2011. Les adhérent.e.s constituent une communauté
de jeunes et moins jeunes très éduquée, des lycéen.ne.s, des étudiant.e.s dans
l’enseignement supérieur, des jeunes professionnel.le.s, mais aussi des diplômés /
chômeurs qui peuvent y trouver un environnement stimulant, palliatif (dérisoire ?) à
l’impasse professionnelle qui devient vite une impasse personnelle (H 35 ans) 8. Adhérer
à un club est un engagement social fort puisqu’il impose aux membres de passer une
grande partie de leur temps libre avec leurs pair.e.s dans le cadre des réunions
hebdomadaires, des formations (scénario, cadrage, montage, etc.) au sein des clubs et
au-delà comme par exemple le FIFAK. Tous les prix décernés à un film vont au club et
non au cinéaste du film récompensé, certains clubs revendiquant d’ailleurs une
réalisation collective au nom du club. Pour certains d’entre eux moins dotés, ces prix
constituent un fonds garantissant la mise en œuvre des projets l’année suivante. En
outre, le court-métrage étant un format peu courant et peu programmé au grand
public, le FIFAK est aussi pour les adhérent.e.s une des seules opportunités de projeter
les films réalisés, d’où l’enjeu d’une sélection. Les films disparaissent ensuite pour être
oubliés dans les voûtes du Ministère de la Culture, rares sont ceux qui en ressortent
pour une programmation ultérieure.

La place des femmes et de leurs films dans le cinéma amateur

11 C’est par la FTCA, le Club de Hammam-Lif, que les femmes en Tunisie sont venues au
cinéma. Dans Silence, elles tournent !, Abdelkrim Gabous (1998) mentionnait le premier
film réalisé par une femme, Crépuscule de Najat Mabouch en 1965. Sadia Ghelala (2015)
qui faisait partie du club se remémore l’effervescence de ce moment, une « grande soif
de liberté » et la volonté d’en découdre avec les tabous sous le regard bienveillant des
familles des cinéastes concernées : « On disait : ‘Dieu est mort, le bourgeois l’a
remplacé !’« . Les filles qui avaient seize ou dix-sept ans à l’époque, étaient arrivées à la
FTCA par leurs frères et s’étaient dit : « Pourquoi ne ferait-on pas un film à nous
toutes ? ». Créditée comme scripte, Sadia Ghelala reconnaît avoir complètement oublié
l’histoire de ce film mais évoque un couple qui s’embrasse, le baiser qui représentait
une transgression et reproduisait ce qu’elles voyaient dans les films de l’époque. Les six
filles ont travaillé ensemble sur le film et ne se sont attribué des postes que pour les
besoins du générique. L’année suivante, Selma Baccar, première réalisatrice tunisienne,
entrait elle aussi à la FTCA, et réalisait L’Éveil, dont l’héroïne voulait continuer ses

Genre en séries, 5 | 2017


S’imaginer en cinéma. Les hésitations genrées des cinéastes amateurs en Tunisie 6

études tandis que son père voulait la marier. L’activité ancienne de quelques filles dans
les clubs n’est pas synonyme de visibilité, des participants au FIFAK dans les années 70
se rappellent un public assidu et entièrement masculin alternant, pendant une
semaine, projections et débats intenses dans l’espace clos de l’École de pêche de Kélibia.
12 Si les femmes ont toujours été présentes dans les clubs, l’absence encore aujourd’hui
d’un fichier centralisé rend difficile l’obtention de chiffres précis concernant le nombre
de membres comme la durée d’adhésion, et cette absence n’est liée ni à une culture du
secret ni au manque d’intérêt pour de telles données, mais bien plutôt au fait que la
constitution d’une mémoire et d’une archive n’était pas jusqu’à très récemment la
priorité de la Fédération9. D’autant que le caractère relativement éphémère de
l’appartenance à un club comme l’intensité variable de l’engagement rend la
production de chiffres très aléatoire et de tels recensements au final assez abstraits.
13 Aymen Jlili, Président de la FTCA, nous a indiqué que le dernier recensement fait état
de 40 % de femmes aujourd’hui à la FTCA et que certains clubs rassemblent
majoritairement des femmes, Tunis Nord en particulier fondé il y a quelques années
par des femmes. Les photos des clubs postées sur la page Facebook attestent de cette
mixité. Mais, même si la dernière présidente de la fédération était une femme, elle était
aussi la première, celles-ci sont peu présentes en nombre dans les instances dirigeantes
de la fédération.
14 À ce titre, si l’appartenance à la FTCA implique un intérêt commun pour un cinéma
différent autour de valeurs partagées, évoquer la place des femmes parmi les cinéastes
amateurs en Tunisie nous impose de distinguer diverses formes d’appartenance. On
trouve ainsi dans les clubs des femmes adhérentes qui ont des projets de films, ont déjà
réalisé des films, et/ou participent aux tournages de leurs pair.e.s. Mais on trouve aussi
des femmes qui œuvrent au bureau fédéral, assurent les formations, et/ou participent à
l’organisation du festival. Ainsi apparaissent deux, voire même trois, types de
trajectoires – activités tournées vers la réalisation des films au sein d’un club, action au
sein du bureau fédéral ou rôle organisationnel lors de manifestations – souvent
distinctes parce que, d’une part, ces tâches peuvent être incompatibles parce que très
chronophages, d’autre part les femmes dans ces trajectoires ne viennent pas des mêmes
horizons et n’y ont pas les mêmes liens.
15 Car on peut également distinguer deux types de rapport à la FTCA, tout d’abord celles
et ceux qui y sont venus très jeunes et parfois avec leurs parents, qui ont grandi dans la
FTCA, ont été nourris à ses valeurs et ont côtoyé relativement tôt les instances
nationales, caractérisées par un lien social fort, on y vient et on y revient en couple
avec les enfants. Très à l’aise parmi les membres, les jeunes pétris de cette culture en
connaissent parfaitement les codes, le savoir être et le discours. Les femmes présentes
dans la durée sont celles qui y ont été intégrées très jeunes par leur famille ou qui y
viennent avec leur mari. Quelques-unes continuent à faire des films, d’autres plus
nombreuses participent activement à l’organisation du FIFAK, même si le nombre de
femmes créditées au programme qui varie beaucoup d’une année sur l’autre, n’en est
pas toujours le reflet. Seulement deux femmes sur 14 membres sont citées dans le
programme du FIFAK 2015 alors qu’elles étaient 8 sur 24 dans celui de 2014. Cette
fidélité sur le long terme contraste avec une beaucoup plus grande volatilité de
l’adhésion dans les clubs, de nombreux jeunes n’étant présents que pour une ou
quelques années, d’autres se rapprochant et s’éloignant au gré des projets et des
rencontres. Mais le programme 2016 atteste que la fédération désire faire appel à des

Genre en séries, 5 | 2017


S’imaginer en cinéma. Les hésitations genrées des cinéastes amateurs en Tunisie 7

membres plus jeunes pour l’organisation dont des femmes, un quart des noms cités,
surtout présentes en communication et dans l’équipe d’accueil.

L’enquête et son cadre


16 La question de la condition des femmes a été un enjeu fort de la construction nationale
en Tunisie10 autant que de la visibilité internationale de son cinéma 11, celle de leur place
dans la FTCA ne l’est pas. L’atmosphère durant le FIFAK, souvent décrite par les
membres comme de liberté et de résistance, s’accommoderait mal d’une approche plus
sociologique, tant la forte présence des jeunes au FIFAK, leur proximité bruyante et
grégaire tranche avec codes sociaux qui régissent les rapports entre les hommes et les
femmes dans l’espace public en Tunisie. En outre, l’idée largement répandue au-delà
des cinéastes amateurs, qu’en Tunisie la réalisation des films est un véritable combat et
qu’il soit mené par une femme ou un homme n’est pas la question, discrédite une
approche genrée12. Une jeune femme explique d’ailleurs qu’être une femme à la FTCA
peut être un avantage :
Le fait d’être une femme facilite la tâche : une femme a une meilleure capacité à
comprendre, coordonner, gérer, faire passer une info, à encaisser des coups, à
absorber la colère des autres, à adoucir l’ambiance. Elle a la manière. On n’a pas
besoin d’un chef rigide. On est là pour faire quelque chose qu’on aime. On est
passionné. Ça m’a aidée d’être une femme. Ce n’est pas une question de sexe, c’est
une question de caractère. On est fort ou pas. C’est une question de compétences,
on assure ou on n’assure pas. (JF 27 ans)
17 Nous avons ainsi choisi d’étendre l’enquête aux réalisateurs également afin de ne pas
imposer artificiellement la question genrée mais plutôt de l’extraire le cas échéant de
l’analyse des réponses obtenues et des observations. Cette enquête a été menée
principalement lors des éditions 2015 et 2016 du FIFAK, auprès des jeunes hommes et
femmes dans les clubs à qui nous avons demandé de remplir deux questionnaires, l’un
sur la vision qu’ils et elles ont de la réalisation, le second sur leur pratique des films et
leur culture du cinéma. Nous avons réuni un panel de jeunes femmes de 18 à 27 ans,
dont 2 lycéennes, 8 étudiantes et 2 jeunes professionnelles. Le panel des hommes est
plus âgé, de 19 à 35 ans et comprend un lycéen, 11 étudiants, 3 professions
intermédiaires et 2 chômeurs. Ces questionnaires ont été complétés par des
observations lors de deux éditions du FIFAK et douze entretiens avec des cinéastes
amateur.e.s, 7 femmes et 5 hommes. Nous avons également complété cette recherche
par des entretiens avec quelques cinéastes en formation dans une école de cinéma, 2
femmes et 4 hommes, et avec des cadres hommes et femmes de la FTCA 13.

Des dimensions genrées de l’être en cinéma


Des conceptions du cinéma partagées

18 Nous avions déjà montré dans une recherche sur les publics du FIFAK (2014) qui
s’étendait aux publics du festival que les jeunes hommes et les femmes partageaient la
même conception du cinéma amateur, un « moyen d’expression compris dans
l’opposition structurante entre un cinéma-art valorisé et un cinéma-commerce
dévalorisé » (Caillé, 2014). Pas seulement art, le cinéma qui est donc vécu par les
cinéastes hommes et femmes en opposition au cinéma commercial, est également
éducation, émancipation et surtout résistance, ce que confirme cette enquête. Loin des

Genre en séries, 5 | 2017


S’imaginer en cinéma. Les hésitations genrées des cinéastes amateurs en Tunisie 8

contraintes du cinéma commercial, le cinéma amateur apparaît ici comme un espace de


bien plus grande liberté et d’expérimentation. « C’est le monde qui t’appartient » (JF 24
ans).
19 Plus concrètement ici, le cinéma amateur est pour les cinéastes hommes et femmes
l’opportunité d’acquérir une connaissance et une pratique de la réalisation : « Le
cinéma, c’est la technique, réalisation », il faut savoir « bien réaliser, l’écriture du
scénario… avoir une idée sur le cadrage, la lumière, … » (JF 25 ans). Outre « la bonne
maîtrise des moyens techniques, la crédibilité du scénario », le cinéma est aussi
« l’expression des idées » (JH 25 ans). On ressent ainsi chez les jeunes cinéastes hommes
et femmes un très fort désir de s’exprimer, ce qui revient à mettre ces compétences
techniques au service des valeurs de la fédération. À la différence des doutes exprimés
par les cadres de longue date, cette enquête montre que les jeunes hommes comme les
jeunes femmes ont intériorisé les injonctions de la FTCA, « Le cinéma amateur, c’est
trouver des sujets importants concernant la société, l’humanité, les femmes, tout ça…Il
faut que les films aient un message important pour la société tunisienne » (JH, 21ans).
Le cinéma « crée un pont entre les peuples » (JH 24 ans). En cela, les jeunes cinéastes
voient la FTCA comme un agent potentiel de changement au tournant de l’histoire de la
Tunisie malgré ou au-delà des désillusions politiques et économiques de ces dernières
années. Le cinéma amateur « est une forme de révolution » (JH 21 ans), un moyen de
« changer le monde » (JF 19 ans). Mais cette conscience est en tension permanente chez
les jeunes hommes comme chez les jeunes femmes avec le désir d’expression
personnelle qui n’est pas mobilisé de la même façon.

Des regards genrés sur l’activité de réalisation

20 L’écart d’âge qui caractérise notre panel de jeunes hommes et de jeunes femmes
cinéastes n’est pas seulement le hasard de l’enquête mais aussi le reflet du
positionnement différent des hommes et des femmes et des espaces dans lesquels ils
peuvent évoluer du fait des contraintes d’âge liées au sexe. Comme nous l’indiquions
plus haut, les femmes plus âgées présentes au festival sont plutôt des femmes dans des
fonctions d’organisation au niveau national ou celles au bureau fédéral. Il n’est pas
certain qu’on voie du même œil un homme ou une femme célibataire de plus de 30 ans
sur le tournage d’un film dans un club de la FTCA. La relation au cinéma est aussi chez
les femmes plus intime, plus floue et moins projetée dans l’avenir, comme si des
barrières mentales ou un plus grand réalisme les empêchaient de considérer le cinéma
comme un avenir possible. Cette asymétrie, entre les femmes qui sont plus jeunes et se
projettent moins dans un avenir de cinéastes amateur.e.s, et les hommes qui sont plus
âgés et se projettent davantage dans une carrière de cinéma, pourrait expliquer la plus
grande retenue des femmes, comme si elles avaient intériorisé le fait que leur temps
dans le cinéma amateur était aussi plus compté. Seule une femme (JF, 25 ans) mue par
un fort désir de faire du cinéma définit celui-ci comme un ensemble de compétences
qu’elle est déterminée à acquérir, d’autant qu’elle a déjà été actrice, cette activité en
cinéma qui est aussi un rêve étant un moyen de sortir de la banalité du quotidien.
21 « Le cinéma est l’art de ma vie » (JF 20 ans), tout simplement « la vie » (JF 19 ans), ou
encore « ma vie » (JH 19 ans), les jeunes cinéastes n’ont pas de termes assez forts pour
décrire leur relation au cinéma amateur (qui est le Cinéma) et considèrent la passion,
l’imagination et la créativité comme étant essentielles. Si hommes et femmes surtout
mentionnent souvent « la patience », les hommes estiment qu’il faut de « l’audace », de

Genre en séries, 5 | 2017


S’imaginer en cinéma. Les hésitations genrées des cinéastes amateurs en Tunisie 9

« l’ambition », et même du « narcissisme », les jeunes femmes plus scolaires attendent


plus simplement des formations qu’elles leur permettent de s’améliorer. Venant de
jeunes femmes étudiantes, certaines dans des filières scientifiques, de tels stéréotypes
peuvent sembler naïfs, mais ils prouvent à quel point les normes de genre structurent
toujours le rapport au cinéma même dans une organisation censée offrir une plus
grande liberté. Plus étonnant, alors même que la FTCA revendique une conception très
politique du cinéma pour une culture alternative, les jeunes hommes plus sûrs d’eux
sont davantage dans la prise de risque, un désir autocentré de réussite, la référence au
narcissisme pouvant même nous laisser à penser qu’ils se projettent dans une
trajectoire de réalisateur/ auteur/ artiste, le cinéma amateur devenant un tremplin
vers une carrière personnelle en cinéma. De façon plus pragmatique, penser le cinéma
revient pour les jeunes hommes, à se penser faisant du cinéma : le cinéma est « une
passion, une profession, un moyen d’expression » (JH, 22 ans). Pour les jeunes femmes,
outre un ensemble de techniques à acquérir, le cinéma amateur est davantage un
moyen de découvrir et changer le monde, de se décentrer, en accédant à « une autre
vision du monde » (JF, 20 ans).
22 Mis à part le « le conflit des générations » vécu par un jeune comme une réalité à
affronter (JH, 25 ans), dans l’ensemble les jeunes hommes mentionnent peu de
difficultés, alors que des jeunes femmes vivent mal la violence de la « concurrence
entre les clubs » (JF, 19 et 20 ans). Elles évoquent très souvent les obstacles au bon
déroulement du tournage, phase cruciale présentée par tou.te.s comme une période de
grande « pression » vécue dans le stress : « La première nuit du tournage, je n’ai pas
dormi » (JF 18 ans). Là encore, les jeunes hommes insistent bien davantage sur
l’ambiance, le plaisir du travail en commun, tandis que les jeunes femmes s’arrêtent sur
la difficulté de ce travail collectif et font part du doute constant qu’elles ont de parvenir
à leurs fins. Pour elles, demander la contribution des pairs et négocier des échanges de
services ne vont pas de soi. Ce qui apparaît donc, c’est un système de réciprocité assez
asymétrique, les femmes étant moins présentes sur les tournages que les hommes ou
ayant tout simplement plus de mal à valoriser leurs projets, à faire valoir leurs
compétences et leur contribution potentielle à d’autres projets.
23 Les jeunes femmes construisent ces difficultés comme étant personnelles alors que les
rares hommes qui signalent des difficultés, en font quelque chose d’extérieur à eux.
Celles-ci sont liées au manque de moyens, au mauvais état du matériel, ce dont se
plaignent aussi les femmes… ou tout simplement à « la paresse » ou à « l’indiscipline »
des pairs, cette dernière étant l’essence du cinéma amateur. Les jeunes femmes
cinéastes amateurs indiquent aussi avoir plus de mal à obtenir qu’on respecte la vision
qu’elles ont de leur film : « Le plus difficile, j’avais écrit le scénario, mais les gens
voulaient imposer leur avis… Le plus difficile, c’est de leur apprendre à te respecter …
J’avais envie de dire, ‘Si tu as une idée différente, prends une caméra. Vas-y !’ ... Là
maintenant, j’aurais la force de le faire » (JF 21 ans qui a quitté la FTCA). Le cinéma
amateur requiert enfin la capacité à défendre ses choix devant un public exigeant
rompu aux débats concernant les choix thématiques, esthétiques, idéologiques et
techniques. Même si certaines jeunes femmes n’hésitent pas à prendre, voire même
arracher la parole, les femmes ont dans l’ensemble plus de réserves et redoutent cette
épreuve. Cette ancienne cinéaste amateure se rappelle avoir « été massacrée au débat »,
avant de conclure « franchement, cela m’a appris à défendre mes idées… à accepter
l’avis négatif des gens et à m’autocritiquer », insistant sur le caractère formateur de
cette expérience. Alors que les jeunes hommes se projettent en cinéma, les femmes

Genre en séries, 5 | 2017


S’imaginer en cinéma. Les hésitations genrées des cinéastes amateurs en Tunisie 10

décrivent les apports en termes plus généraux ce qu’elles en tirent. Le cinéma amateur
apprend à « être généreux. C’est une expérience humaine ! Pas une école de cinéma »
(JF 27 ans). C’est une formation à l’endurance : « Le cinéma amateur m’a appris
comment … aller jusqu’au bout, malgré les obstacles … on doit faire face à tous les
problèmes et apprendre petit à petit qu’il faut avoir un fort caractère et faire face à
tout » (JF, 26 ans).

Les films par des femmes

24 La programmation des films sur les cinq dernières années montre que la présence des
films par des femmes est assez erratique14. Les films réalisés dans le cadre de la FTCA
sont en augmentation, et parmi ceux-ci, une moitié est sélectionnée dans la
programmation du FIFAK, le nombre de films par des femmes varie beaucoup, loin des
40 % correspondant à la place des adhérentes dans les clubs 15.

Nbre Films FTCA Film retenus FIFAK Films réalisatrices

FTCA 201216 16 13 0

FTCA 2013 16 9 1

FTCA 2014 20 10 4.5

FTCA 2015 22 11 1

FTCA 2016 26 20 6

25 Même si quatre femmes de diverses nationalités ont obtenu le Faucon d’Or, la plus
haute récompense de la compétition internationale, aucune cinéaste tunisienne ne l’a
jamais remporté alors que les meilleurs films tunisiens de la FTCA concourent dans la
section nationale et internationale.
26 Réalisés par 11 réalisatrices, les 13 films par des cinéastes amateures sélectionnés en
compétition nationale sur les cinq dernières années sont très divers. Les courts-
métrages de fiction dominent, ils sont 11 avec parmi eux deux films d’animation et 2
documentaires. Ces films mettent en majorité des jeunes femmes protagonistes en
scène (7 films), deux d’entre eux avec des protagonistes adolescentes, mais on compte
également trois films avec des protagonistes masculins et deux films avec des
protagonistes hommes et femmes. Regrouper les films en une typologie est impossible
tant les propos diffèrent, mais ceux-ci ont en commun de ne compter aucun film
traitant des relations amoureuses, du couple, du désir ou d’érotisme, etc. Alors même
que le cinéma amateur est considéré comme offrant plus de liberté concernant « les
choix, les thèmes et la manière de les traiter : on est plus créatif » (JF 26 ans), le
personnel, l’intime et la sexualité demeurent un point aveugle dans les films par des
femmes. Guère plus traitée par les jeunes hommes, la sexualité apparaît dans Barrage
(2016) par Seif-Eddine Dabbabi, sur une très jeune paysanne abusée par son amoureux
qui profite d’elle avant de l’abandonner enceinte, un film qui a suscité un débat
enflammé autour d’un plan lors du FIFAK 2016.

Genre en séries, 5 | 2017


S’imaginer en cinéma. Les hésitations genrées des cinéastes amateurs en Tunisie 11

27 De quoi traitent les films par des femmes ? De lutte et d’engagement, entre autres la
lutte des femmes. L’Épingle d’Aya Riahi (2014), assez classique dans sa facture, non sans
rappeler Les Femmes du bus 678 (Mohamed Diab), incite les adolescentes à défendre leur
espace et l’intégrité de leur corps, la réalisatrice indiquant d’emblée au débat qu’elle
voulait faire un film utile. Importunée par les mains baladeuses d’un voisin profitant de
l’obscurité pour la tripoter, une ado décide de se défendre avec l’épingle de ses
cheveux. D’autres montrent des femmes dans des métiers d’hommes, comme le
documentaire Fleur forgée (2014) de Nada Madi qui nous fait découvrir une jeune femme
en formation dans un atelier de fer forgé, non seulement un monde d’hommes, mais
aussi le monde déclinant de l’artisanat d’art.
28 Les sujets politiques ne sont pas cantonnés à la lutte des femmes. Ayadia de Marwa Tiba
(2016) documente la création des coopératives agricoles menée dans les années 70 par
Ahmed Ben Salah à Gafsa, à travers les souvenirs des habitants concernés. Certaines
abordent aussi avec ironie, les mutations contemporaines, comme le très drôle Mutation
(2016) par Sahar Elechi (ancienne adhérente de la FTCA maintenant en école de
graphisme), réalisé en stop motion qui met en image le passage d’un tout jeune diplômé
au statut de chômeur, une transition qui coïncide aussi avec la transformation du
militant politique sous la dictature, guettant toujours la présence possible d’un
indicateur à portée de voix, à l’activiste civique dans les ONG toujours connecté.
Nouveau contexte, nouveaux objectifs dans un contexte économique toujours aussi
plombé, avec toujours les mêmes formes de sociabilité pour quelles finalités
politiques ? D’autres films, comme Home (2016, Inès Ben Halima) privilégient des
thématiques consensuelles et plus convenues dans des réalisations assez sophistiquées,
une animation sur l’histoire de la lutte des Palestiniens sur deux générations à travers
le regard d’une femme assise sous l’olivier de son jardin se remémorant les étapes de sa
vie. Tous ces films montrent clairement que les jeunes femmes cinéastes respectent les
injonctions de la FTCA. Doit-on en déduire que l’accueil enthousiaste réservé par le
public et les pairs à de tels films signifie que ces films correspondent à ce qui est
attendu des jeunes femmes cinéastes au regard des réactions du bout des lèvres vis-à-
vis de constructions et narrations plus audacieuses ?

Endosser plutôt que questionner la posture militante

29 Les jeunes femmes cinéastes amateurs, comme peut-être les hommes d’ailleurs, sont
prises dans une contradiction, celle de ne pouvoir interroger la posture militante,
d’autant qu’on semble attendre d’elles les formes éprouvées d’un cinéma militant qui
ne se conjugue pas aisément à la première personne du singulier…. Alors même que les
jeunes femmes se réjouissent de « pouvoir parler de notre quotidien, de nos
problèmes » (JF, 25 ans) « avec une touche artistique », c’est justement ce que leurs
films ne font que très marginalement. Peu de ces films construisent ou revendiquent le
regard spécifique d’une femme, mis à part quelques réalisations touchantes comme
Ecchymoses (2015, Fairouz Osman) sur les petits arrangements avec la vérité nécessaires
à l’amitié entre deux adolescentes. Ou encore, l’elliptique « … » (2013, Lilia Ben Achour)
qui construit un univers totalement imaginaire blanc et rouge dans lequel des figures
mi-Barbie mi-ange semblent flotter avec pour seule arme des épingles à nourrice
perçant les ballons rouges, un film qui n’a suscité qu’un silence incompris lors de sa
projection au FIFAK et que Lilia Ben Achour décrit comme « un échec dont [elle est]
vraiment fière ». Lilia Ben Achour revendique une approche plus expérimentale du

Genre en séries, 5 | 2017


S’imaginer en cinéma. Les hésitations genrées des cinéastes amateurs en Tunisie 12

cinéma amateur, la possibilité de reconcevoir en film l’image qu’elle a imaginée plutôt


que la production « de messages directs », le cinéma permet « l’implicite ».
30 Les films qui expérimentent complètement en dehors des sentiers battus passent plus
inaperçus. Under the Skin (2016, Meriem Khenissi), autre film très elliptique et sans
dialogues avec une bande son travaillée qui emprunte au film d’horreur, traite du
stigmate physique d’une femme, symbolisé par « la tache de naissance » sur la joue. Se
déroulant dans un hôpital recréé, il mélange les images et intègre l’imagerie médicale,
le bouillonnement des cellules et l’écran du moniteur de rythme cardiaque. Le récit est
construit dans une boucle commençant par une devise cryptée dans une échelle murale
d’acuité visuelle avec des caractères de plus en plus petits, « I am not like them but I can
pretend » pour se terminer sur une autre devise représentée de façon identique, « Why
fit in when you are born to stand out ? ». Entre les deux, Meriem Khenissi explore les
possibilités du récit non-linéaire par le montage, dans un projet certes inabouti mais
très intriguant où des femmes sont aux prises avec le stigmate… sans qu’on sache
vraiment comment donner du sens à cette figure adolescente assise dans un espace aux
contours flous et inquiétants, les baigneurs et poupées marqués de la même tache
prenant vie dans une ronde macabre avant de s’enflammer. Tout en parlant du rapport
de la mère à l’enfant, elle se distancie de toute approche qui engendrerait de
l’empathie. Dans Une hirondelle perdue (2014), Sonia Khanfir met en scène un vieil
homme qui regarde un album photo avant de s’assoupir et de rêver d’une manifestation
violemment réprimée contre le pouvoir. Khanfir sème le doute sur ce qui relève du rêve
ou de la réalité. Est-il un héros ou un lâche ? Une narration complexe donne au récit la
possibilité de développements opposés afin de perdre ses spectateurs. La cinéaste a
d’ailleurs posté depuis sur Internet les différentes options possibles de ce système
complexe qui rend l’interprétation impossible. Peut-être maladroits, ces deux films
suggèrent la volonté d’une approche très conceptuelle de la réalisation par des femmes
qui n’est pas valorisée.
31 À ce titre, il est évident que les films d’école tournés dans le cadre d’une formation avec
davantage de moyens, d’encadrement et de temps ne peuvent être comparés à ceux
produits par la FTCA qui sont effectivement plus « bruts ». Une telle comparaison est
pourtant riche d’enseignements puisque ces films d’école, conçus davantage dans une
posture d’auteur, sont beaucoup plus tournés vers le personnel et l’intime. En sont-ils
pour autant moins politiques ? Lors du débat, Souha Baroun, auteure de Points de suture
(2016), un film dans lequel la jeune protagoniste cherche par tous les moyens à s’évader
d’un hôpital psychiatrique, décrit d’entrée de jeu son film comme étant fondé sur une
expérience personnelle, mettant en avant le caractère autobiographique. Si le cinéma
amateur est effectivement « une façon de vivre, d’être en relation avec les autres »
(Briggs, 2015), au regard des difficultés d’intégration exprimées par les jeunes femmes
de la FTCA durant les tournages, rassembler une équipe, trouver des acteurs pour
participer au film, s’imposer, etc., il est peu probable qu’aucune d’elles n’aurait osé une
telle mise à nue, le club étant aussi un lieu de vie au sein duquel le regard des pairs est,
bien sûr, important. On peut imaginer que les jeunes femmes sont ainsi tenues à une
certaine retenue ou pudeur qui rend des sujets plus consensuels, et extérieurs à soi,
comme la dénonciation de l’oppression des Palestiniens, certains récits sur la condition
des femmes, contre le harcèlement beaucoup plus faciles à assumer. Pourtant, l’hôpital
psychiatrique construit du point de vue d’une femme comme lieu de déstructuration de
la personnalité est-il potentiellement moins politique que le harcèlement ? Un autre

Genre en séries, 5 | 2017


S’imaginer en cinéma. Les hésitations genrées des cinéastes amateurs en Tunisie 13

film, Lou (2013) de Lara Lotz étudiante de l’ISAMM décrivait il y a quelques années un
monde hiérarchisé sur le critère de la beauté, dans lequel hommes et femmes engagés
dans une lutte sans merci pour l’ascension sociale garantissant l’amélioration du
quotidien, ont renoncé à tout désir ou découverte de l’autre, de l’amour. Un cinéma
militant par des femmes pour une culture progressiste n’est pas l’apanage de la FTCA.

Conclusion
32 Les personnages de fous, poètes, philosophes, et autres figures marginales de prophètes
censées rendre compte d’une société postrévolutionnaire toujours habitée par le doute,
le dysfonctionnement et l’exclusion, abondaient dans les films de la FTCA ces dernières
années. Il s’agissait de films par des hommes avec des protagonistes masculins,
beaucoup plus rarement des films par des femmes. « Yes, mime ! » (2015) de Safa Ghali,
avec son personnage de mime au sourire doux fait de maquillage nous parait une
métaphore de la perplexité de nombreuses jeunes femmes cinéastes sur ce qui est
attendu d’elles. Mime revenant au pays essaie de trouver sa place en s’investissant dans
la lutte pour un ordre nouveau postrévolutionnaire, mais inexorablement ballotté de
lieu en lieu, son mimétisme de bonne volonté ne l’amenant nulle part dans une culture
de l’action dont il n’est que le ventriloque. Tout désir d’intégration se heurte à un échec
même si le mime semble retrouver sous la statue d’Ibn Khaldoun, la nuit, une certaine
paix. Non retenu dans la compétition, ce film nous semble caractéristique de la
difficulté qu’ont des jeunes femmes cinéastes à donner forme à leur engagement.
33 Si la place des cinéastes femmes à la FTCA n’est jamais évoquée ni par les hommes, ni
par les femmes, la place des films par des femmes dans les corpus soumis à l’analyse ne
l’est pas davantage17. La condition de la femme étant intimement liée au projet
national, on considère sans doute qu’elle appartient aussi bien aux hommes qu’aux
femmes tant et si bien qu’on ne pose pas non plus la question du regard sexué et genré
du dispositif cinématographique. Peut-on en faire l’économie ?
34 La force de la FTCA tient certes à sa capacité à emporter avec elle une adhésion à
laquelle les jeunes cinéastes répondent avec enthousiasme, ce faisant ces derniers
songent davantage à trouver les sujets qui leur permettront de se fondre dans cette
voix plus qu’ils ne questionnent une posture militante qui porte avec elle cinquante ans
d’histoire. Les jeunes cinéastes hommes et femmes « font » ainsi « corps »
publiquement dans leur engagement soucieux de montrer qu’une alternative est
possible, plutôt qu’ils ne s’interrogent sur la façon dont eux aujourd’hui voient ce
monde du combat politique, de la lutte contre l’injustice sociale. Prise dans l’étau d’une
lutte pour une culture progressiste à faire advenir, une cause que les jeunes cinéastes
hommes et femmes épousent avec conviction, la question des perspectives multiples à
partir desquelles cette culture pourrait être construite n’est pas vraiment posée. Peut-
on ignorer que le tiers-mondisme qui a inspiré la plateforme est fondé sur un modèle
très masculin de l’engagement politique ?
35 En cela, les femmes réalisatrices se trouvent prises dans un étau à la fois social et genré.
Si on regarde avec indulgence les arrangements avec la vérité d’une adolescente un peu
lâche prête à tout pour sauver une amitié, on en reste un peu trop vite à valoriser la
fraîcheur du propos plus qu’à interroger la violence des rapports sociaux de sexe qui le
sous-tendent. Les femmes cinéastes se trouvent ainsi confinées dans des approches
consensuelles sur des thématiques mises en récit bien balisées.

Genre en séries, 5 | 2017


S’imaginer en cinéma. Les hésitations genrées des cinéastes amateurs en Tunisie 14

36 Les jeunes femmes qui s’engagent avec cœur dans la réalisation à la FTCA sont
effectivement des cinéastes amateurs qui n’ont pas toujours les moyens de devenir des
cinéastes femmes amateures. Toujours à la lisière du dedans/dehors, leur position leur
paraît trop fragile pour même envisager la question de ce que pourraient apporter des
regards de femmes en cinéma à la construction d’une « culture progressiste » (Ben
Tabib, 2015). Cette question de la dimension politique du personnel s’inscrit
aujourd’hui dans une réflexion plus vaste sur le fonctionnement des clubs. Leur
position est d’autant plus précaire que la perception partagée d’une très grande liberté
laisse dans l’ombre tout un pan de questionnements sur le fait que cette liberté est
inégalement partagée. La dimension politique qui est au cœur de l’identité de cinéma
amateur renvoie les femmes aux marges, même si quelques velléités de changement
affleurent. Peut-être sera-t-il plus facile et émancipateur pour elles de devenir
cinéastes indépendantes si la redéfinition des ambitions et des objectifs du cinéma
amateur amène la fédération à revendiquer un cinéma indépendant plutôt qu’un
cinéma amateur.

BIBLIOGRAPHIE
ABID Adel (2014), Entretien avec Patricia Caillé, le 3 décembre.

AÏDOUNI Hamid (2008), « Cinémas du Maghreb », Wechma, n° 3.

ALLARD Laurence (1994), « Dire la réception - Culture de masse, expérience esthétique et


communication », Réseaux, n° 68, p. 65-84.

AMAMI Lamine (2014), Entretien avec Patricia Caillé, le 3 décembre.

ARMES Roy (2006), Les Cinémas Du Maghreb : Images Postcoloniales, Paris, L’Harmattan.

BEN HALIMA Ridha (2014), Entretien avec Patricia Caillé, le 1 er décembre.

BEN TABIB Mohamed (2015), Entretien avec Patricia Caillé, le 15 août.

BOUDEN Abdelwaheb (2002 [1974]), « Le Cinéma ‘Amateur’ En Tunisie et La Ré-Forme : Passé,


Présent et Perspectives D’avenir », dans Hedi KHELIL (dir.), Le Parcours et La Trace : Témoignages et
Documents Sur Le Cinéma Tunisien, Salammbô, Tunisie, MediaCom, p. 463-86.

BRAHIMI Denise (2009), 50 ans de cinéma maghrébin, Paris, Minerve.

BRIGGS Anna (2015), « Colloque international « L’amateur en cinéma, un autre paradigme ? »,


23-24 juin 2015, Université de Tours », Mille huit cent quatre-vingt-quinze, vol. 3, n° 77, p. 176-184.
[En ligne] www.cairn.info/revue-1895-2015-3-page-176.htm [consulté le 7 nov. 2016]

CAILLÉ Patricia (2010), « Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie des réalisatrices ou la construction du


Maghreb dans un contexte postcolonial », Maghreb et Sciences Sociales 2009-2010, p. 261-277.

CAILLÉ Patricia (2015), « Fifak 2013. Expressions sexuées, genrées et générationnelles d’une
passion du cinéma en Tunisie », Diogène, n° 245, p. 104-124.

Genre en séries, 5 | 2017


S’imaginer en cinéma. Les hésitations genrées des cinéastes amateurs en Tunisie 15

CAILLÉ Patricia (2016), « La Circulation des films maghrébins par des réalisatrices : Une question
de genre ? » dans Abdel BENCHENNA et al., La Circulation du film : Afrique du Nord et Moyen Orient,
Paris, L’Harmattan, p. 70-87.

CAILLÉ Patricia et Florence Martin (dir.) (2012), Les Cinémas du Maghreb et leurs publics, Africultures,
Paris, L’Harmattan.

CAILLÉ Patricia (2007), « Figures du féminin et cinéma national tunisien » dans Jean-Pierre BERTIN-
MAGHIT et Geneviève SELLIER (dir.), La Fiction éclatée : Études socio-culturelles, Paris, L’Harmattan,
p. 195-210.

CHAMKHI Sonia (2002), Cinéma tunisien nouveau : parcours autres, Tunis, Sud éditions.

CHAMKHI Sonia (2009), Le Cinéma tunisien à la lumière de la modernité, Centre du Publication


Universitaire, Tunis.

CHERIAA Tahar (2010), « Des ciné-clubs aux Journées cinématographiques de Carthage », Maghreb
et Sciences Sociales 2009-2010, p. 163-174.

DÖNMEZ-COLIN Gönul (2004), Women, Islam and Cinema, London, Reaktion Books.

FEHRI Mouldi (2017), Entretien avec Patricia Caillé, le 28 mars.

GABOUS Abdelkrim (1998), Silence, elles tournent. Les femmes et le cinéma en Tunisie, Tunis, Cérès -
Centre de recherches, d’études, de documentation et d’information sur la femme.

GHELALA Sadia (2015), Conversation avec Patricia Caillé, le 14 août.

HADDAD Tahar (1978), Notre femme, la législation islamique et la société, Tunis, La Maison tunisienne
de l’édition.

HILLAUER Rachel (2006), Encyclopedia of Arab Women Filmmakers, 2 nd ed. Cairo, The American
University in Cairo Press.

HJORT Mette et Duncan PETRIE (2008), The Cinemas of Small Nations, Bloomington, IN, Indiana
University Press.

KHÉLIL Hédi (2007), Abécédaire du cinéma tunisien, Tunis, MediaCom.

KHÉLIL Hédi (dir.) (2002), Le Parcours et La Trace : Témoignages et Documents Sur Le Cinéma Tunisien.
Salammbô, Tunisie, MediaCom, p. 463-86.

MARTIN Florence (2011), Screens and veils : Maghrebi women’s cinema, Bloomington, IN, Indiana
University Press.

LANG Robert (2014), New Tunisian Cinema : Allegories of resistance, New York, Columbia UP.

ODIN Roger (1995) (dir.), Le Film de famille. Usage privé, usage public, Paris, Méridiens Klincksieck.

SARDI Meriem (2015), Entretien avec Patricia Caillé, le 16 août.

Films de la FTCA par des femmes sélectionnés par le FIFAK de 2012 à 2016 :

Lilia Ben Achour, « … » (2013), Club Tunis Nord, 5min.

Club Tunis Nord (collectif), Ciné magie (2014), 8 min.

Inès Ben Halima, Accident de travail (2014), Club de Hammam-Lif, 9 min.

Eya Riahi, L’Épingle (2014), Club de Hammam-Lif, 3.50 min.

Nada Madi, Fleur forgée (2014), Club de Monastir, 11 min.

Genre en séries, 5 | 2017


S’imaginer en cinéma. Les hésitations genrées des cinéastes amateurs en Tunisie 16

Sonia Khanfir, Une hirondelle perdue (2014), Club de Tunis Ibn Rachiq, 13 min.

Osman Fairouz, Ecchymoses (2015), FTCA Club Foued Najm, 8 min.

Manel Balti, Rêve inaccessible (2016), FTCA Club Ahmed Fouad Najm, 6.22 min.

Inès Ben Halima, Home (2016), FTCA Club d’Hammam Lif, 4.13 min.

Mayssa Ezzine, Temps mort (2016), Club de Hammam-Lif, 15.57 min.

Safa Ghali, Cyclone (2016), FTCA Club Tahar Haddad, 8 :30 min.

Meriem Khenissi, Under the skin (2016), FTCA Kelibia, 4.10 min.

Marwa Tiba, Ayadia (2016), FTCA Club de Gafsa, 14.29 min.

NOTES
1. Voir la réflexion de Robert Lang sur le cinéma intrinsèquement associé au libéralisme et la
position des cinéastes tunisiens qui sont des « modernes » et représentent ainsi le meilleur
héritage culturel de Bourguiba même si le réformisme et l’entrée dans une économie mondialisée
affichés par l’État n’ont été que des effets d’annonce d’un régime plus soucieux du contrôle
(2014 : 24-33).
2. Un enjeu qui, par la fascination qu’il exerce, reste parfois teinté d’orientalisme, voir Patricia
Caillé, « Figures du féminin dans le cinéma tunisien » (2007).
3. C’est par le ‘A’ de ‘Amateur’ qu’Hédi Khélil commence sont Abécédaire du cinéma tunisien (2007),
marque de l’importance accordée à cette organisation.
4. Une version remaniée par Abdelwahab Bouden du texte de cette « Ré-forme » est accessible
dans Le parcours et la trace : Témoignages et documents sur le cinéma tunisien d’Hédi Khélil (2007),
Tunis, Médiacom, p. 463-486.
5. Entretien de Patricia Caillé avec Abdelwahab Bouden, le 12 août 2016. Je tiens également à
remercier Kamel Ben Ouanès pour son éclairage sur cette période de l’activité des cinéastes
amateurs.
6. Le Tunnel est réalisé par Ridha Ben Halima, Belgacem Hammami et Mohammed Abdessalem.
7. La place de la compétition comme les catégories mises au concours dans une telle
manifestation font régulièrement débat puisque le FIFAK est aussi un lieu de formation.
8. Selon l’Institut National des Statistiques en Tunisie, le taux moyen de chômage est de 14,5 %
(11 % chez les hommes et 21 % chez les femmes), mais il est de 22 % pour les 20-24 ans et de 31 %
pour les 25-29 ans, la tranche d’âge la plus affectée. Voir, http://census.ins.tn/sites/default/
files/1_tunis-1_0.pdf (consulté le 23 juillet 2016). Par contre, nous n’avons pas rencontré au cours
de cette enquête de femme diplômée/chômeuse à la FTCA.
9. La création d’une base de données des adhérents est à l’ordre du jour du Bureau fédéral.
10. L’ouvrage de Tahar Haddad, Notre femme dans la législation islamique et la société (1930) qui
condamna son auteur à l’exil et l’oubli est un texte fondateur du Code du Statut Personnel de la
Femme promulgué par Habib Bourguiba en 1957 qui garantit un certain nombre de droits
fondamentaux aux femmes en Tunisie. Ce code est emblématique du vent de modernité qui
accompagna la construction nationale.
11. En Europe, la condition des femmes au Maghreb a longtemps été incarnée par les films
tunisiens de Ferid Boughedir, Moufida Tlatli, Raja Amari, etc., dont le succès critique et populaire
a contribué à la renommée internationale de ce cinéma national.
12. C’est une idée qui avait été clairement exprimée par Selma Baccar lors d’un colloque sur les
réalisatrices au Maghreb organisé à Saint-Denis en mai 2010.

Genre en séries, 5 | 2017


S’imaginer en cinéma. Les hésitations genrées des cinéastes amateurs en Tunisie 17

13. Pour certains entretiens, nous nous sommes limitée à la prise de notes, à la demande des
enquêtés qui ne souhaitaient pas être enregistrés. Le rapport des enquêtés à un tel entretien est
ambivalent partagés qu’ils sont entre une certaine réserve, voire même pour certains une
timidité, et le désir qu’on parle de leurs films d’où la nécessité de communiquer.
14. La FTCA sélectionne les films qui seront montrés au FIFAK, soit dans la compétition nationale,
soit dans la compétition internationale, une activité génératrice de tensions entre les clubs.
15. Nous regrettons de n’avoir pu accéder à l’ensemble des films sélectionnés et surtout non-
sélectionnés afin de comprendre les processus de sélection à l’œuvre dans la programmation.
Seulement quelques films non-sélectionnés nous ont été accessibles.
16. Une seule femme apparait au palmarès cette année-là, Safa Ben Yaghlane, récompensée pour
le meilleur scénario, une catégorie parallèle de la compétition, avec C’est privé. À notre
connaissance, ce scénario n’a pas donné lieu à un film.
17. Concernant la culture du cinéma développé par les hommes et les femmes, voir « FIFAK
2013 » (Caillé 2014). La FTCA s’est fondée sur une culture du cinéma exigeante ancrée dans une
approche auteuriste d’un cinéma politique. Bien que très diverses, les références les plus souvent
citées par les jeunes cinéastes, hommes et femmes, sont Stanley Kubrick, Toni Gatlif, Emir
Kusturica ou Youssef Chahine…

RÉSUMÉS
Après une évocation de l’histoire du cinéma amateur en Tunisie, son enjeu politique, son
organisation et ses valeurs, nous évoquons la place et les différentes trajectoires des femmes
dans la Fédération des Cinéastes Amateurs (FTCA). À travers une enquête de terrain menée sur
deux ans, nous analysons les dimensions genrées des interactions sur les tournages, du rapport
au cinéma amateur et des films réalisés. Malgré une adhésion aux valeurs de la FTCA partagée
par les cinéastes hommes et femmes, cette recherche fait apparaître des rapports asymétriques
qui rendent la position des cinéastes amateures plus fragile, le fait d’une posture militante
hégémonique qui fédère les énergies sans que les femmes ne se sentent jamais la légitimité de
revendiquer une perspective de femmes dans les films qu’elles réalisent.

After a brief introductory history of the organisation, values and political engagement of
amateur filmmaking in Tunisia, this article examines the place and trajectories of women in
Tunisia’s Federation of Amateur Filmmakers (FCTA). Based on a two-year project of fieldwork in
Tunisia, we analyse the gendered dimension of interactions on the film set as well as the
relationship of women to amateur cinema and its productions. Despite the shared values of
filmmakers in the FTCA, this study brings to light the asymmetry of the gender relationship,
rendering the situation of women filmmakers more precarious than their male counterparts. We
argue that the hegemonic militant posture of the FTCA that federates the efforts of the
filmmakers as a group makes it difficult for women filmmakers to feel legitimate in promoting
issues that are relevant from the women’s standpoint.

Genre en séries, 5 | 2017


S’imaginer en cinéma. Les hésitations genrées des cinéastes amateurs en Tunisie 18

INDEX
Mots-clés : cinéma amateur, FTCA, femmes cinéastes amateurs, genre
Keywords : amateur movies, FTCA, amateur women filmmakers, gender

AUTEUR
PATRICIA CAILLÉ
Patricia Caillé est Maîtresse de Conférences en Information-Communication à l’Université de
Strasbourg. Coordinatrice du projet Maghreb et Cinémas (2009-2012), coorganisatrice du projet
MENA Cinémas (2013-2016), cofondatrice du réseau HESCALE (2016), ses recherches portent sur
les cinémas maghrébins, les réalisatrices, les publics, les pratiques spectatorielles, etc. Elle a
codirigé les dossiers Africultures n° 89, « Les Cinémas du Maghreb et leurs publics » (2012), et
n° 100-101, « Circulation des films : Afrique du Nord et Moyen Orient » (2016), ainsi que Regarder
des films en Afriques (Septentrion 2017).

Genre en séries, 5 | 2017

Vous aimerez peut-être aussi