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Luiza Vasconcellos Pedrosa

Ferro Marc. Le film, une contre-analyse de la société ?. In: Annales. Economies,


sociétés, civilisations. 28ᵉ année, N. 1, 1973. pp. 109-124

Anne Kerlan. Aller au cinéma pour apprendre à être ” moderne ” ? : L’expérience de


la salle de cinéma à Pékin, fin des années 1910-début des années 1920.
Conserveries mémorielles, 2012, 2012: Publics de cinéma. Pour une histoire des
pratiques sociales (12), pp.en ligne.

Note critique 3e séance séminaire DIS

Dans « Aller au cinéma pour apprendre à être “moderne” ? » l’historienne


Anne Kerlan analyse l’histoire du cinéma en Chine, plus précisément dans la ville de
Pékin. Se différenciant d'une histoire traditionnelle qui chercherait à réaliser une
archéologie du cinéma et de son évolution dans la société, Kerlan pose une autre
question au cœur de sa recherche : quelle était l'expérience de la fréquentation du
cinéma entre 1910 et 1920 ? En d'autres termes, l'auteur tente d'imaginer à partir de
ses sources ce qu'était l'expérience du cinéma, non seulement en se concentrant sur
l'expérience du regard, mais en pensant au lieu où le film était joué, aux contacts
sociaux qui s'y développaient, à l'identité des personnes qui fréquentaient les salles
et à ce qui se faisait pendant le film. En outre, l'auteur s'interroge sur la signification
culturelle de la fréquentation des salles de cinéma.

A travers ces questions centrales et l'analyse des sources, Kerlan nous


montre que la fréquentation du cinéma n'était pas un simple loisir, mais une nouvelle
façon de penser l'insertion de la société chinoise dans le monde occidental. En ce
sens, l'auteur soutient que le cinéma était une représentation de la culture
occidentale : les nouvelles technologies venues d'ailleurs, la représentation à l'écran
d'un mode de vie complètement différent, l'architecture du bâtiment où le cinéma
serait installé, et même la manière de se comporter à l'intérieur des salles - ce qu'il
convenait ou non de faire dans ces lieux - servaient de moule à l'émergence d'une
nouvelle société chinoise, basée sur les coutumes « modernes » de l'Occident. Il est
intéressant de voir comment le cinéma crée un discours sur ce que la société devrait
idéalement être et sert également de propagande pour le reste du monde, en
montrant comment la Chine suivait les évolutions technologiques et même
culturelles. En ce sens, comme le montre l'auteur, on constate une « domestication
des corps » en Chine, ce qui signifie que des pratiques qui étaient auparavant
perçues comme culturelles - conversations pendant les projections de films, vente de
nourriture - ont été interdites au profit d'un modèle de modernité. L'étude de Kerlan
nous montre, et je pense que c'est ce qui est le plus innovant, comment une utopie
sociale chinoise a été créée par le biais du cinéma.

Dans l'article "Le film, une contre-analyse de la société ?" Marc Ferro écrit
une véritable ode au rôle que le cinéma pourrait jouer dans l'histoire. L'historien
divise l'article en deux blocs de réflexion qui se complètent : le premier, dans lequel il
fait une réflexion théorique et méthodologique en faveur de l'utilisation des films
comme sources légitimes de l'histoire, et la deuxième partie, qui est l'application de
la théorie qu'il défend à l'analyse de certaines œuvres cinématographiques. Ferro
souligne comment les sources officielles - documents élaborés par des organismes
publics, lois, traités - ont servi de fil conducteur à la recherche historique, au
détriment d'autres traces du passé, comme les films. Réfléchissant à la manière dont
nous écrivons l'histoire, Ferro révèle la primauté du mot sur l'image. Selon lui, les
historiens ne savent pas travailler avec les images et choisissent de ne pas faire des
films une source historique légitime parce que les films ne font pas encore partie de
l'horizon des possibilités des historiens, de sorte que le langage cinématographique
leur devient inintelligible.

Cette position de banalisation des œuvres cinématographiques adoptée par


les historiens s'inscrit dans un ensemble de normes sociales où, surtout au début du
20e siècle, l'élite lettrée considérait le cinéma comme une pratique vulgaire,
d'aliénation sociale, une forme de divertissement qui ne générait aucune réflexion sur
la société qui la produisait. Le rôle de la personne derrière la caméra, qui capte les
images, est totalement disqualifié, comme s'il n'était pas nécessaire de réfléchir à la
manière de filmer pour produire l'effet désiré. L'image est ainsi totalement
disqualifiée pour entrer dans la cité académique. À contre-courant de ces réflexions,
l'auteur montre non seulement comment les images dénoncent la mentalité de la
société de l'époque, mais aussi comment elles influencent la façon dont les gens
pensent et s'insèrent dans le monde. Ainsi, de nouvelles manières de penser le
passé peuvent émerger lorsque l'on choisit d'élever les films au statut de sources
historiques.

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