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Littérature et science

Dembo SADIO
Professeur de Lettres modernes
NOUVEAU LYCEE DE KAOLACK

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a. De leur différence
C’est fondamentalement au niveau de la démarche.

♦ En littérature
La démarche est poétique. L'écrivain est celui qui travaille sur le langage, celui qui
exploite la fonction poétique (cf. Appendice, 1, p. 183), c’est-à-dire cette fonction du langage
qui est propre à toutes les œuvres littéraires (poésie, roman, théâtre …), donc à ces œuvres
qui, parce qu’elles visent à capter l’attention du lecteur, se distinguent des autres textes par
l’usage esthétique qu’elles font du langage.

♦ En science
La science, elle, a une démarche analytique. Elle impose l’objectivité, la soumission aux
faits par l’expérience (faits positifs pour parler comme Auguste Comte), et parfois
l’observation de leurs relations invariables à travers des lois. Elle aune finalité utilitaire, mais
une finalité utilitaire qu’elle trouve dans la technique (comme une application de la science à
des fins pratiques).
En effet, comme le dit Louis de Broglie, la science et la technique « sont comme l’âme et
le corps de la science et leur union est indispensable à sa vie ». Ce sont, précise-t-il, deux
formes de l’activité scientifique, qui « procèdent l’une de l’autre. Les découvertes de la
science pure, très souvent faites sans aucun souci d’applications possibles, sont cependant la
condition nécessaire des progrès techniques et ceux-ci en général ne tardent guère à suivre
les progrès de la science pure ».

♦ De l’utilisation des faits en littérature


La littérature, même si elle s’inspire des faits, des faits sociaux en particulier, se plaît
souvent à les présenter d’une manière déformée. C’est d’ailleurs dans ce sens qu’il faut
comprendre ces propos de François Mauriac, un romancier français du XXe siècle, lorsqu’il
dit que « l’œuvre d’art déforme bien plus qu’elle ne renseigne ». En fait la littérature, comme
création, ne propose au lecteur qu’une illusion de réalité, et non une situation réelle.

b. De leur complémentarité
Même si elles sont au service de l’homme, la science et la littérature divergent dans leurs
préoccupations.

♦ La science : une absence de cœur


A travers la technique, la science donne à l’homme les moyens d’agir sur la nature et
contribue à son bonheur en permettant le progrès, en développant la civilisation matérielle1, en
un mot en transformant le mode de vie des gens. Elle « nous apparaît, dit Louis de Broglie,
comme ayant deux visages, l'un tourné vers la lumière rayonnante de la vérité, l'autre penché
vers les difficultés et les misères de la condition humaine et attentif à tout ce qui peut lui venir
en aide », à tout ce qui peut servir l'humanité. C'est pourquoi, considère Jean Perrin «
l'immense utilité de ce qu'on doit à la science et de ce qu'on peut en espérer, n'est donc pas
sérieusement discutable. Les merveilles (connues), et celles, inconnues plus surprenantes et

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C’est une civilisation, au XIXe siècle, qui a inspiré, entre autres, des écrivains comme Honoré de Balzac, Victor Hugo et
Émile Zola. Dans leurs œuvres, ils ont parlé des réalités socio-économiques de l’époque, conséquences de la Révolution
industrielle, comme le développement de la puissance cynique de l’argent, la misère, l’écrasement des pauvres et des faibles,
la dureté des puissants, la naissance des mouvements ouvriers, l’antagonisme des nouvelles classes sociales.

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prodigieuses, qui sont l'espérance de demain, vont se répandre de plus en plus parmi les
hommes qui, tous, en profiteront de plus en plus, sur une planète harmonieusement
coordonnée, où la Maladie aura disparu, où la Vieillesse et la Mort auront reculé ».
Cependant la science favorise, au nom du progrès, tout ce qui asservit l'homme, le fait souffrir
dans certaines de ses applications (par exemple, les méfaits de la bombe atomique). Elle
méconnaît la sensibilité, n’a que faire des qualités du cœur. « La géométrie, souligne Blaise
Pascal, laisse l’esprit comme elle le trouve », parce que, comme science, elle ne donne pas le
sens moral qui pénètre les individus, n’éclaire pas sur le bien ni sur le mal.

♦ La littérature : une expression de l’humain


La littérature aide l’homme « à découvrir son être et sa vocation sur terre», donc
«empêche, dit Eugène Ionesco, les hommes d’être indifférents aux hommes ». Elle travaille
pour la société, en proposant à l’homme un « miroir critique » (Jean-Paul Sartre) qui lui
permet de prendre parti dans les luttes de son temps, de prendre conscience des aspirations
sociales de son époque.
En cela, elle offre à la science un supplément d’âme car, comme le dit François Rabelais,
« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Elle complète donc la science dans la
formation de l’homme, puisque le rôle de l’écrivain, relève André Malraux, est de « tenter de
donner conscience à des hommes de la grandeur qu’ils ignorent en eux ».
Par rapport aux fins utilitaires de la science, « La littérature, écrit Claude Roy, est
parfaitement inutile: sa seule utilité est qu’elle aide à vivre », puisqu’elle se présente,
souligne Jean-Louis Curtis, comme un « moyen qu’on a trouvé de respirer mieux, d’être un
peu moins mal à l’aise dans le monde, d’être soi-même avec plus de joie ».

En somme même « si la littérature, comme le souligne Henri Queffélec, n'est pas une
science, elle a sa place tout aussi naturellement que les sciences, dans le savoir humain. Il n'y
a pas de cloisons étanches entre elle et les chercheurs scientifiques. L'œuvre littéraire
s'ébauche et se crée, comme toute chose en ce monde, à partir de matériaux extérieurs
empruntés à la vie ». En fait, même si elles ont acquis leur autonomie et leur spécificité, les
deux disciplines trouvent dans les réalités de la vie leur matière première, cherchent
effectivement, à partir de ces réalités, à faire comprendre le monde. Elles « n’ont pas,
considère notre auteur, à rougir de travailler en commun à expliquer le monde, de travailler
en commun à faciliter aux hommes l’admiration du monde », en un mot de travailler en
commun pour que le progrès moral aille de pair avec le progrès scientifique.

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