Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
171
nomie interne, la Tunisie peut se donner, sous réserve du respect du
bey et de la dynastie, les institutions politiques et administratives de
son choix. La convention générale proclame ainsi la pleine souverai-
neté interne de l'Etat tunisien. De fait, le visa résidentiel des décrets
beylicaux et les pouvoirs des contrôleurs civils sur l'administration
ont disparu dès l'entrée en vigueur des conventions. Le Secrétariat
Général est supprimé mais le préambule et l'article 2 de la convention
générale maintiennent le traité de Kassar Saïd, dit Traité du Bardo.
La coopération affirmée dans le préambule de la Convention géné-
rale se manifeste d'abord par le rythme progressif de certains trans-
ferts (police, fonction publique, justice). Les pouvoirs de police appar-
tiennent aux autorités tunisiennes mais les services de sécurité seront
maintenus, pendant deux ans, sous l'autorité du Haut-Commissaire
de France.
Les 5 autres conventions fixent le statut des Français de Tunisie ainsi
que les principes de la coopération judiciaire, économique et moné-
taire, culturelle et technique. On retiendra que la convention sur la
situation des personnes, la convention sur la coopération administra-
tive et la convention économique accordent un statut de faveur aux
Français de Tunisie. Ce statut leur assure la liberté de circulation, la
liberté d'établissement et d'entreprise, le respect des biens acquis, la
garantie de leurs biens qui ne peuvent être touchés par les nationali-
sations ou une réforme agraire.
En matière de droit des personnes, la Tunisie acquiert la faculté
d'établir sa législation sur la nationalité. En matière de justice, les
© L'Harmattan | Téléchargé le 09/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 102.171.159.25)
172
Relations franco-tunisiennes
173
ne saurait accepter l'idée d'une remise en cause des conventions de
1955 dont "l'existence constitue pour la France dans les discussions à venir
un avantage très sérieux. Il est important pour nous de discuter à partir de
textes qui nous sont dans l'ensemble favorables…"3. A Paris, Bourguiba
accepte de ne pas procéder à l'échange d'ambassadeurs avant le débat
parlementaire prévu en juin 1956 mais les convergences s'arrêtent là.
La Direction des affaires marocaines et tunisiennes s'inquiète bien
évidemment de la détermination tunisienne qui va aboutir "à une
situation confuse, particulièrement sur le plan diplomatique. Si, malgré notre
opposition, la Tunisie noue des relations diplomatiques avec les Etats étran-
gers, nous allons à une crise grave et ouverte de nos rapports avec elle...".
Mais nul ne se leurre : "... nous pouvons uniquement les différer, ajoute
cette note du 7 juin 1956, lorsqu'il s'agit de pays alliés... Il est donc néces-
saire de trouver immédiatement une solution. Il faut dire à Bourguiba que
l'exercice par la Tunisie de ses responsabilités diplomatiques... serait une
violation du droit international..."
Parallèlement à la poursuite de ses efforts diplomatiques auprès de
plusieurs pays (Liban, Turquie, Etats-Unis), la France menace, rejette
solennellement toute idée de "caducité" des conventions et exige la
signature d'un accord diplomatique "préalablement à tout échange
d'ambassadeurs" mais les pressions tunisiennes et américaines la
contraindront à renoncer à cette exigence. La relation privilégiée qui
s'instaure entre la Tunisie et les Etats-Unis est ressentie avec irritation
à Paris. A. Savary rappelle dans sa note du 8 juin 1956 que " la Tunisie
a accepté d'établir avec la France des rapports d'interdépendance...
© L'Harmattan | Téléchargé le 09/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 102.171.159.25)
174
Relations franco-tunisiennes
Il ne veut pas de texte qui puisse lui faire perdre la face, donc de texte qui
pourrait limiter sa liberté"4 conclut le haut-commissaire. Bourguiba
propose alors de compléter "l'Accord sur la représentation diploma-
tique" par un échange de lettres entre Guy Mollet et lui-même et un
communiqué commun des deux gouvernements.
La "manoeuvre" n'échappe pas à A. Savary qui place, encore une
fois, le débat sur le terrain du droit. Il refuse car "... la combinaison
proposée par les Tunisiens pour remplacer la déclaration commune présente
un inconvénient, celui de donner un caractère confidentiel aux seuls docu-
ments qui auraient une valeur réelle, c'est-à-dire l'échange de lettres. Notre
souci est de montrer que le futur traité d'amitié et d'alliance complète en
matière de défense et d'affaires extérieures les conventions de 1955, tandis
que celles-ci restent valables dans les autres domaines...". Il remarque aussi
que "le futur traité n'est plus défini d'aucune manière, que le mot "interdé-
pendance" a disparu, que le principe de l'action concertée en matière de
défense et d'affaires extérieures a été omis"5. Nouvelle impasse. Qui va
désormais céder? Sûrement pas Bourguiba.
Pour Roger Seydoux, la notion de mouvement paraît alors primor-
diale, Français et Tunisiens sont précisément dans une évolution et
non pas dans quelque chose de définitif. Convaincu que le temps est
désormais compté, Seydoux ne veut en aucune manière contrecarrer
Bourguiba, qui "... craint de ne plus pouvoir résister à des pressions qui
s'exercent contre lui et contre nous... Le facteur "temps" me paraît être un
élément essentiel..."6 conclut-il.
"L'accord sur la représentation diplomatique" est finalement signé le
© L'Harmattan | Téléchargé le 09/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 102.171.159.25)
175
La pression tunisienne s'accentue ; le gouvernement français s'af-
firme toutefois en position de force. Le 7 décembre 1956, Maurice
Faure déclare tranquillement : "Le règlement des problèmes posés par la
présence française dans la Tunisie indépendante devrait s'inspirer du double
principe approuvé par le conseil interministériel du 23 novembre 1956 : la
Tunisie a encore besoin de notre aide ; notre aide doit nous permettre d'ob-
tenir différentes contreparties... comme le maintien d'un certain nombre de
positions françaises dans les domaines militaire, judiciaire, économique et
culturel..."8. En fait de "contreparties", c'est le démantèlement des
conventions qui s'accélère, surtout à partir de l'automne 1956.
176
Relations franco-tunisiennes
177
prendre forme. Pourtant, deux questions importantes restent en
suspens : la défense commune et les terres coloniales.
178
Relations franco-tunisiennes
179
tiellement à éviter la rupture sans vouloir réellement jouer le jeu de la coopé-
ration… Nous donnons aux Tunisiens l'impression … de pratiquer une poli-
tique dictée davantage par les exigences de notre situation parlementaire que
par une volonté éclairée de l'analyse des faits. Enfin, la lenteur de nos réac-
tions, la complexité de notre administration nous placent souvent en situa-
tion d'infériorité devant un partenaire auquel un régime autoritaire et la
petitesse du pays permettent des actions et des répliques particulièrement
rapides. Les résultats obtenus ne sont, en effet, rien moins que décevants..."14
Les Tunisiens marquent donc des points et incitent le gouvernement
français, malgré les apparences de fermeté, à réviser ses objectifs. Les
négociations doivent aboutir désormais à "des accords partiels mais défi-
nitifs" lui permettant essentiellement de "légaliser" sa position à Bizerte
et d'obtenir des facilités sur les bases aériennes et navales de Gafsa,
Remada, Gabès et Sfax, précise C. Pineau dans sa note du 19 décembre
1957. Ces accords partiels sont "destinés, écrit encore C. Pineau, à s'in-
tégrer ultérieurement dans le Traité de Défense commune", mais à dire vrai
la France ne pense plus à un accord d'ensemble.
Le bombardement de Sakiet (8 février 1958) vient ajouter à un climat
déjà tendu une véritable crise de confiance. Toutefois, Bourguiba, au
lendemain de Sakiet, ne semble pas avoir envisagé la rupture. Il
accepte non sans réserve les propositions du gouvernement Pflimlin
du 26 mai 1958 qui prévoient le retrait de toutes les forces françaises,
sauf celles de Bizerte, dans un délai de 4 mois, l'engagement de la
Tunisie de laisser à la disposition de la France la base stratégique de
Bizerte, enfin la liberté complète de circulation aux forces françaises.
© L'Harmattan | Téléchargé le 09/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 102.171.159.25)
180
Relations franco-tunisiennes
Bizerte.
La négociation sur la base de Bizerte demeure l'enjeu-clé du gouver-
nement. L'opération de Bizerte, destinée à renforcer la souveraineté de
l'Etat, doit être le prélude d'une offensive plus large, incluant le tracé
des frontières et la récupération des terres coloniales. Mais les événe-
ments, on le sait, se déroulent rarement comme prévu, surtout en
temps de guerre. Et la "bataille de l'évacuation" est un échec.
181
réglementation de certaines activités au profit des seuls nationaux
(professions libérales, transporteurs...)
Le gouvernement américain désapprouve en décembre 1959 cette
campagne de "décolonisation", qui se fait sous le couvert de la légis-
lation17. On constate alors à la fin de 1959 plus de souplesse de la part
de Tunis - qui s'engage à renoncer aux "spoliations" - et davantage de
compréhension du côté français. Lorsque Boegner succède à Gorse
(décembre 1959), la France semble disposée au versement d'un loyer
pour Bizerte18 et, en janvier, Boegner, Ladgham et Mokkadem se
mettent d'accord sur le principe d'un programme échelonné de
cession de terres. Mais la question de la participation financière n'est
pas résolue19.
Il a fallu trois mois de négociations serrées pour aboutir à un texte
de protocole, le 13 octobre 1960, qui prévoit le transfert de 400 000 ha
à l'Etat tunisien contre le versement d'une indemnité forfaitaire d'un
million de dinars et la libre jouissance pour les agriculteurs qui
souhaitent continuer à exploiter leurs terres. Mais sur les lots doma-
niaux, le gouvernement tunisien a prononcé des déchéances de droits,
sans qu'aucune indemnité ne soit versée aux propriétaires dépos-
sédés20.
L'ambassadeur Jean Sauvagnargues, nommé en août 1962, a pour
mission de reprendre la négociation avec Mongi Slim. Le protocole du
2 mars 1963 maintient le texte du 13 octobre 1960. Mais quelques mois
après la décision algérienne (1er octobre 1963), Bourguiba décide à
son tour, le 12 mai 1964, la nationalisation des terres (350 000 ha) et la
© L'Harmattan | Téléchargé le 09/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 102.171.159.25)
182
Relations franco-tunisiennes
souveraineté nationale pour la Tunisie, le jeu n'est sans doute pas égal.
Mais la France a tardé à prendre son parti de la liquidation du protec-
torat et de la volonté d'émancipation des Tunisiens. Le Protocole du 20
mars 1956 est apparu alors comme un compromis honorable qui
ménage les apparences et les transitions nécessaires. A la fin de 1956,
en fait, pour tous ceux qui étaient clairvoyants, l'indépendance dans
l'interdépendance était bien terminée. Encore fallait-il l'accepter.
Notes :
1. Tél. de Seydoux au ministère des Affaires étrangères - 20.4.1956-370.
2. Note de Dulles à ambassadeur à Paris - 8.5.1956-772.00.
3. Note de Seydoux à ministère des Affaires étrangères - 17.5.1956-342.
4. Tél.de Seydoux à Savary -7.6.1956-342.
5. Note de Savary à Seydoux - 9.6.1956-342.
6. Note de Seydoux à Savary - 10.6.1956-342.
7. Note du secrétaire chargé des Affaires marocaines et tunisiennes aux représentants diplo-
matiques -18.6.1956/342.
8. Note de Faure à Seydoux - 7.12.1956-335.
9. Note du ministre de la Défense au secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères - 29.11.1956-
340.
10. Note sur la révision de la convention judiciaire franco-tunisienne - 9.2.1957-340.
11. Note de Gorse au secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères - 3.7.1957-335.
12. Note de Gorse au secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères - 3.7.1957-335.
13. Ibid.
14. Note pour le secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères - 9.12.1957-335.
15. Tél. de Gorse au ministère des Affaires étrangères - 12.10.1959-DDF/1959, n°181.
16. Note de Gorse au ministère des Affaires étrangères - 26.11.1959-DDF-1959, n°250.
17. Note de Gorse au ministère des Affaires étrangères - 18.12.1959-370.
18. Les Tunisiens proposent en novembre 1959 de lier le problème des terres à celui de Bizerte.
© L'Harmattan | Téléchargé le 09/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 102.171.159.25)
183