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9 : MICHEL FOUCAULT ET LE TERRITOIRE : GOUVERNEMENT ET

BIOPOLITIQUE

Tiziana Villani
in Thierry Paquot et al., Le territoire des philosophes

La Découverte | « Recherches »

2009 | pages 161 à 176


ISBN 9782707156471
DOI 10.3917/dec.paquo.2009.01.0161
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9

Michel Foucault et le territoire :


gouvernement et biopolitique

Tiziana Villani

Michel Foucault, né en 1926, philosophe, professeur à l’univer-


sité Paris-8 et au Collège de France de 1971 jusqu’à sa mort, en
juin 1984. Le titre de son enseignement était : Histoire des systèmes
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de pensée. Pendant les années 1978-1979 il consacra ses séminaires
aux thèmes de la biopolitique et de la sécurité-territoire-
population.
Chez Foucault, le problème du territoire se pose en relation
avec les micropouvoirs, c’est-à-dire avec toutes ces forces qui rè-
glent et déterminent les relations humaines avec le territoire. Le ter-
ritoire urbain se constitue comme un domaine privilégié de gou-
vernance de la vie. Ce qui est intéressant chez Foucault, c’est la
considération de l’espace urbanisé ; non pas seulement comme
l’ensemble des conditions matérielles qui concernent les rues, les
immeubles, les usines, etc., mais plutôt les processus d’urbanisation
comme mouvement de transformation continue des techniques de
gouvernement des hommes et de leurs attitudes. Dès la conférence
de Tunis en 1967, « Des espaces autres », Foucault s’interroge au su-
jet des concepts d’espace-temps, en transformant la catégorisation
traditionnelle en assignant à l’espace, c’est-à-dire à la spatialisation,
une autonomie et une position centrale due à l’analyse des disposi-
tifs disciplinaires qui, dans l’espace, se trouvent concrétisés par le
quadrillage. La discipline produit la répartition et la distribution des
corps dans l’espace, au sein duquel se forment ainsi les constructions
discursives et les pratiques d’assujettissement. Comme le note Paul
Hirst : « l’architecture humaniste est la transformation des sujets hu-
mains à travers l’espace géométriquement organisé1 ».
1. Hirst Paul, « Foucault and Architecture », in Architectural Association Files, n.26,
1994, maintenant in Michel Foucault, 2, Critical Assessments, Routledge, Londres-New
York, 1995, vol. V, p. 350-371.

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Le territoire des philosophes

Dans son analyse, c’est au XVIIIe siècle que l’État commence à


exercer un vrai pouvoir policier, ce que Foucault appelle
Polizeiwissenschaft, c’est-à-dire une nouvelle technologie gou-
vernementale dominée par la raison d’État. Cette transformation
est strictement liée à l’idéologie du libéralisme, selon laquelle on
soupçonne qu’on gouverne toujours trop. C’est à partir de ce mo-
ment-là qu’on assiste à une séparation entre État et société civile.
L’espace urbain commence à devenir l’espace dans lequel on tente
de gouverner les différents problèmes de la population : santé, hy-
giène, démographie, etc. Dès que le marché va devenir de plus en
plus « libre », le contrôle de la population nécessite des techno-
logies de gouvernement aux usages multiples.
Le pouvoir est un ensemble de mécanismes et forces qui font
partie de toutes les relations humaines. Donc la biopolitique est
un système polymorphe par lequel on essaie de gouverner le corps
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et le territoire, surtout parce que l’urbain est un espace fort com-
plexe dans lequel les hiérarchies sont sûrement matérielles mais
aussi sociales, linguistiques et comportementales. Donc il faut sé-
curiser l’espace urbain. Le paradigme de Bentham répond à cette
nécessité. À ce propos, Foucault remarque comment « l’État de
police, c’est un gouvernement qui se confond avec l’administra-
tion, un gouvernement qui est entièrement administratif et une
administration qui a pour elle, derrière elle, le poids intégral d’une
gouvernementalité2 ».
Le problème du gouvernement de l’espace urbain avait été
posé par Foucault à partir de la problématisation du rapport
« savoir/pouvoir ». Cette considération trouve à présent, non
seulement une confirmation, mais une articulation des plus
extrêmes puisque, avec le devenir urbain du territoire à l’échelle
planétaire, le savoir s’éloigne de plus en plus de la connaissance :
on peut ainsi articuler les systèmes de pouvoir en distinguant ceux
qui détiennent les savoirs et ceux qui en appliquent les connais-
sances, de façon de plus en plus partielle d’ailleurs. Le capitalisme
cognitif, qui est dorénavant une des formes de manifestation du
capital, concerne ainsi la transformation de la polis. Dans le texte
intitulé « Gouverner », Thierry Paquot, faisant référence au
problème du gouvernement et du statut catégoriel de la « cité »

2. Foucault Michel, Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France. 1978-


1979, Gallimard-Seuil, Paris, 2004, Leçon du 17 janvier 1979, p. 39.

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Michel Foucault et le territoire

remarque qu’« Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, selon Michel


Foucault, l’on passerait d’un “État territorial” à un “État des
populations” », ce qui l’incite à tenter une histoire de la « gouver-
nementalité » et une analyse de la « biopolitique », deux concepts
dont il met alors l’élaboration en chantier. Ces indices, combinés
à la mondialisation à l’œuvre, que Michel Foucault ne pouvait
étudier, marquent peut-être la fin des deux acceptions du mot
« cité » qu’Émile Benveniste a si bien éclairée : « Dans le modèle
latin, le terme primaire est celui qui qualifie l’homme en une
certaine relation mutuelle, civis. Il a engendré le dérivé politès,
désignant le participant humain3. » T. Paquot, reprenant, à juste
titre, les réflexions de Benveniste sur ce que nous pourrions
appeler le statut, tellement discuté, de la citoyenneté, nous permet
de nous pencher sur les modifications intervenues dans la manière
de vivre des sujets au sein d’une polis qui, dans son mouvement
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de mutation, requiert la mise en œuvre d’un savoir que Michel
Foucault situe comme instrument nécessaire pour transformer la
vie. C’est la raison pour laquelle Foucault en appelle aux racines
de la pensée occidentale ; ce tournant a lieu au début des années
quatre-vingt, en 1983 exactement, quand il inaugure au Collège de
France le cours intitulé Le gouvernement de soi et des autres. Au
centre de la recherche menée au cours de ces séminaires, qui
débutent – ce n’est pas un hasard – par une leçon consacrée au
Kant de l’Aufklärung, se trouve le rapport entre la philosophie et
la cité, qui doit s’exprimer dans la parrêsia, c’est-à dire dans l’art
de dire le vrai, dans le discours vérité. Or, l’expression vrai-dire
n’est pas employée par Foucault de manière univoque, le
philosophe français en explore l’ambiguïté terminologique, en
recherche archéologiquement la signification et, ce faisant, il
assigne une place prééminente à certains textes grecs, parmi
lesquels le Ion de Euripide, le Périclès de Thucydide, la VIIe Lettre
de Platon mais il se penche surtout sur l’Apologie de Socrate et
sur le Gorgias. Ce qui est en jeu dans chacune de ces réflexions
qui s’interrogent sur le problème du dire vrai concerne le milieu
public, l’agora. C’est l’éternel problème de l’opposition entre

3. Paquot Thierry, « Gouverner ? », in Urbanisme, n° 358, janvier-février, 2008, p. 76.


Voir à ce propos aussi la réalisation de l’ouvrage, Habiter, le propre de l’humain. Villes,
territoires et philosophie, (sous la direction de Thierry Paquot, Michel Lussault et Chris
Younès), La Découverte, Paris, 2007, et en particulier l’Introduction de Thierry Paquot,
p. 7-16.

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Le territoire des philosophes

démocratie et tyrannie. Ce plan de recherche est du plus grand


intérêt et représente un tournant dans l’étude de l’espace et des
organisations spatiales. Dans les années 1980, Foucault assigne à
la philosophie une mission autonome par rapport à la cité et à ses
Lois et institutions. Cette mission concerne les moyens qui
peuvent permettre de libérer la vie dans un milieu, la cité, destiné
à garantir le pacte entre les hommes. Dans l’histoire de l’Occident,
ce pacte en constitue la particularité culturelle puisque, comme
du reste nous l’apprend Gilles Deleuze4, la philosophie qui voit le
jour sur les rivages grecs s’émancipe de la religion et s’engage
dans le domaine de l’immanent, de l’ontologique.
Michel Foucault retrace minutieusement le parcours de la genèse
de la parrêsia, il en souligne au fur et à mesure l’importance :
Il me semble – écrit-il – que ce qu’on voit naître autour de cette
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notion de parrêsia, ou, si vous voulez, ce qui est associé à cette
notion de parrêsia, c’est tout un champ de problèmes politiques
distincts des problèmes de la constitution, de la loi, disons de
l’organisation même de la cité. Ces problèmes de la constitution de
la cité, ces problèmes de la politeia existent. Ils ont leur propre
forme, ils impliquent un certain type d’analyse et ils ont donné lieu,
ils sont au point d’origine de toute une forme de réflexion politique
sur ce qu’est la loi, sur ce qu’est l’organisation d’une société, sur ce
que doit être l’État5.

Il est intéressant de remarquer que ce cours s’inscrit dans


l’ensemble d’un projet visant à renouveler la philosophie
politique, à partir de ses racines classiques, à laquelle Foucault
avait consacré ses précédents cours, rassemblés par la suite dans
les ouvrages : Sécurité, Territoire, Population (1978-1979) et
Naissance de la biopolitique (1978-1979). La vérité y est désignée
comme fonction permanente du discours et, par ce geste, l’ensei-
gnement de Foucault s’exprime dans toute sa radicalité car il
assigne au savoir non seulement un rôle de critique mais une
fonction active qui s’exerce dans un espace qui est celui de la cité.
Il est nécessaire dorénavant de reconsidérer les racines de cette
fonction, c’est ainsi que Foucault souligne, en se référant au
Gorgias :

4. Cf. Deleuze Gilles-Guattari Félix, Qu’est ce que la philosophie ?, Minuit, Paris,


1991.
5. Foucault Michel, Le Gouvernement de soi et des autres. Cours au Collège de
France. 1982-1983, Gallimard-Seuil, Paris, 2008, Leçon du 2 févier 1983, p. 146.

164
Michel Foucault et le territoire

Ce que je voulais vous montrer c’est qu’on voit se déconnecter, ou


plutôt on voit s’ouvrir l’éventail du problème de la parrêsia. Cette
parrêsia civique, politique, liée à la démocratie et au problème de
l’ascendant de certains sur d’autres, eh bien ce problème de la
parrêsia prend à travers les textes de Platon de nouveaux aspects.
C’est, d’une part, le problème de la parrêsia dans un autre contexte
que le contexte démocratique ; c’est le problème de la parrêsia
comme action à exercer, non seulement sur le corps de la cité tout
entière, mais sur l’âme des individus que ce soit l’âme du Prince ou
que ce soit l’âme des citoyens ; et, enfin, on voit le problème de la
parrêsia apparaître comme étant le problème de l’action
philosophique proprement dit6.

L’action philosophique a donc à voir avec l’espace, les indivi-


dus qui l’habitent, qui le projettent, qui l’utilisent. Mais c’est
précisément l’utilisation de l’espace, son habitabilité qu’il faut
considérer comme des conditions souvent conflictuelles, dans les-
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quelles les mécanismes de « véridiction » ont souvent à voir avec
les processus de persuasion visant à garantir les instances domi-
nantes. C’est la raison pour laquelle la philosophie peut exercer
une fonction de renvoi permanent au discours vrai, qui se traduit
par un mouvement de mise en question constante de la cristalli-
sation de la Loi et des institutions. Il s’agit de mettre en œuvre
des pratiques qui ne se mobilisent pas autour de la création d’un
quelconque consensus, mais qui visent à intensifier ces espaces où
les vies apparaissent souvent soumises et affaiblies. Ce sont des
pratiques du quotidien, en rien abstraites ; elles mettent en cause
les existences, les soins, le logement, la création. La gouverne-
mentalité doit être considérée dans le cadre de ce large éventail de
situations.
Avec Michel Lussault, on peut lire à propos de l’expérience
spatiale de l’habiter dans le processus d’évolution de la
gouvernabilité chez Foucault : « l’habiter autorise une saisie globale
de la gouvernabilité, conçue dès lors en tant qu’articulation, par les
opérateurs sociaux concernés (ici de l’habitant à l’organisation
internationale via les entreprises du secteur et les pouvoirs publics),
dans un même domaine d’activité, ici celui des relations des
individus avec la distance, des quatre groupes de techniques. Pour
un géographe, on énoncera comme principe que cette articulation
peut se comprendre à travers l’analyse des agencements spatiaux

6. Ibid., Leçon du 9 févier 1983, p. 190.

165
Le territoire des philosophes

(idéels et matériels), des habitats de toute échelle, que l’habiter


contribue à agencer7 ».
Pour administrer l’espace urbain il faut organiser plusieurs
réseaux qui correspondent à des fonctions diverses, sociales,
économiques, de circulation et de sécurité. Il s’agit de mettre à
l’épreuve les techniques disciplinaires. En se référant à la
transformation des techniques disciplinaires, Foucault affirme :
La discipline également, bien sûr, s’exerce sur le corps des individus,
mais j’ai essayé de vous montrer comment, en fait, l’individu n’est
pas dans la discipline la donnée première sur laquelle elle s’exerçait8.

C’est la population, l’objet de ces pratiques de « veridictation »


des pouvoirs. Mais le concept de population commence à être
entendu d’une façon organologique, c’est-à-dire comme la base
biologique du corps social. Cette conception deviendra au XIXe et
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XXe siècles le fondement des théories de la race et de l’apparte-
nance identitaire remarquée non seulement par la pensée
conservatrice de Carl Schmitt, mais aussi par la pensée libérale
proche à se convertir en une pensée biopolitique.
Le problème qui se pose concerne la distribution de la
population dans l’espace, et surtout dans l’espace urbain qui doit
représenter une sorte de laboratoire de la nouvelle organisation
administrative et économique, l’organisation « fordiste » qui
deviendra le modèle d’organisation aussi des champs nazis. Dans
ces derniers, on vérifie jusqu’à quel point on peut résister à ces
conditions extrêmes, on essaie alors de contrôler, discipliner,
surveiller le corps autant que l’espace. C’est toute la pensée de la
souveraineté qui est mise en cause.
Il est intéressant de voir comment, d’ailleurs, à travers cette grille
de la souveraineté comme problème fondamental, on voit apparaître
un certain nombre de fonctions proprement urbaines, fonctions
économiques, fonctions morales et administratives, etc. » dit
Foucault, et encore « l’aménagement de la ville était essentiellement
pensé dans la catégorie plus générale, plus globale du territoire.
C’était à travers un macrocosme qu’on essayait de penser la ville,

7. Lussault Michel, « Habiter, du lieu au monde. Réflexions géographiques sur l’ha-


bitat humain », in Thierry Paquot, Michel Lussault et Chris Younès (dir.), Habiter, le propre
de l’humain. Ville, territoires et philosophie , op. cit., p. 51-52.
8. Foucault Michel, Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France. 1978-
1979, op. cit., p. 13.

166
Michel Foucault et le territoire

avec une espèce de répondant de l’autre côté, puisque l’État lui-


même était pensé comme un édifice9.

Donc la ville réalise la concrétisation de la conception méta-


physique de la souveraineté de l’État. Cette considération
marque, dans les analyses de Foucault, l’irruption de la « natu-
ralité » de l’espèce humaine à l’intérieur d’un milieu artificiel10.
À partir de cette considération, la notion de milieu devient,
depuis le XVIIe siècle, le plan sur lequel la souveraineté exerce
l’interpolation entre l’espèce humaine et la réalisation artificielle
d’un nouveau projet, un projet de biopolitique, ce que certains
auteurs appellent le post-human11.
Dans ce sens, il faut rappeler les mots de Gilles Deleuze, dans
son essai intitulé « Instincts et institutions », il affirmait que :
« l’homme est un animal en train de se dépouiller de l’espèce12 ».
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Donc, pour Foucault et pour Deleuze aussi, la question concerne
la tendance en cours, celle de contrôler la vie entière des humains.
Foucault ne concevait pas le pouvoir comme une totalité abstraite,
il préférait parler de micro pouvoirs, d’un réseau de relations où
agissent des forces qui peuvent toujours modifier une situation
donnée.
Mais avant tout, il faut comprendre la méthode archéologique
et généalogique selon laquelle Foucault étudie les transformations
des techniques de gouvernement aux différentes époques.
En se référant aux modalités de gestion du territoire et de la
population, Foucault conçoit un nouveau concept, le concept de
l’hétérotopie. L’hétérotopie possède une double signification,
d’un côté c’est le lieu des institutions totales, de l’autre, sont
hétérotopiques ces espaces qui constituent des espaces-crise, des
lieux de l’à-côté qui réalisent des expériences intenses comme,
par exemple suggère Foucault, les navires, les drives in, le voyage
de noces, etc13.

9. Ibid., p. 16 et 17.
10. Ibid., p. 23.
11. Cf. Marchesini Roberto, Post-human, Bollati Boringhieri, Turin, 2002.
12. Deleuze Gilles, L’Île déserte et autres textes, Minuit, Paris, 2002, p. 26.
13. Foucault Michel, « Des espaces autres », in Architecture, Mouvement, Continuité,
n° 5, oct. 1984.

167
Le territoire des philosophes

Les rapports entre le territoire et le milieu

Dans le séminaire du 18 janvier 1978, Foucault distingue, pour


la première fois, les mécanismes de sécurité des mécanismes dis-
ciplinaires. À ce moment, il commence à esquisser l’opposition
entre « peuple » et « population ».
Le milieu est décrit comme l’ensemble de ressources humaines
et économiques sur lesquelles il faut exercer tout un ensemble de
techniques de persuasion, dissuasion, de police pour assurer la
circulation des marchandises ; on pourrait lire à présent ce
paradigme comme une préfiguration des actuelles technologies
de « précarisation des existences » assurant la flexibilisation du
capitalisme néolibéral.
Voilà ce que Foucault écrit :
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Comment (au XVIIIe siècle) le souverain du territoire était devenu
architecte de l’espace discipliné, mais aussi, et presque en même
temps, régulateur d’un milieu dans lequel il ne s’agit pas tellement de
fixer les limites, les frontières, dans lequel il ne s’agit pas tellement de
déterminer des emplacements, mais surtout essentiellement de
permettre, de garantir, d’assurer des circulations : circulations des
gens, circulations de marchandise, circulations de l’air, etc14.

Qu’est ce que l’architecture de l’espace ? Maîtriser l’espace


signifie lui donner une sorte d’identité. L’identité de l’espace ur-
banisé au XVIIIe siècle revient à discipliner les façons et les moyens
par lesquels on contrôle les mouvements internes à l’économie,
qui commence alors à transformer les règles et les sujets qui la
soutiennent. Mais ce n’est pas seulement un modèle économique
qui change. En même temps, tous les sujets, toutes les formes de
communications et toutes les relations sociales commencent à se
modifier. Donc, l’architecte de l’espace, au moment où il modi-
fie la configuration de l’espace, change aussi le domaine dans
lequel les subjectivités agissent.
L’architecte devient le souverain et aussi l’homo faber qui
réalise une utopie disciplinaire qui a comme but la création d’une
société bien réglée et bien disciplinée.
C’est cela le paradigme que Foucault considère comme l’ex-
pression de la mise en œuvre des nouvelles technologies de

14. Foucault Michel, Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France. 1978-


1979, op. cit., p. 13.

168
Michel Foucault et le territoire

pouvoir. « Les technologies de pouvoir ne sont pas immobiles : ce


ne sont pas des structures rigides visant à immobiliser par leur
immobilité même des processus vivants. Les technologies de pou-
voir ne cessent de se modifier sous l’action de très nombreux
facteurs. Et quand une institution craque, ce n’est pas forcément
parce que le pouvoir qui la sous-tendait a été mis hors circuit. Ce
peut être parce qu’elle est devenue incompatible avec quelques
mutations fondamentales de ces technologies. Exemple de la ré-
forme pénale15… » Le processus continu de transformation des
technologies de pouvoir semble être la formule à partir de laquelle
les pouvoirs surveillent l’espace social, et en particulier l’espace
urbain à partir du XVIIIe siècle. Foucault écrit dans un feuillet ma-
nuscrit du 29 mars 1978, Population : « La police renferme dans
son objet toutes les choses qui servent de fondement et de règle
aux sociétés que les hommes ont établies entre eux. » – Et il
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ajoute : « Un ensemble d’individus ayant des relations de coexis-
tence qui les font vivre et habiter ensemble. En somme une
population16. » L’ensemble des hommes, des objets, des relations
constituent le plateau, l’horizon sur lesquels des sciences, des dis-
ciplines comme la démographie, le droit, la santé, l’éducation,
sont obligées de s’interroger pour reformuler les distinctions entre
ce qui a droit de faire partie de la nouvelle polis et ce qui doit en
être exclu. Polis et population soulignent la question de la ci-
toyenneté. Question de la Loi, mais aussi et surtout question des
institutions, c’est le plan des micro-pouvoirs comme l’enseigne
Foucault, des « lignes de fuite », c’est-à-dire des espaces de sous-
traction à l’exercice de la biopolitique. On peut dire maintenant
que le paradigme de la biopolitique que Foucault avait esquissé
dans les cours du 1978-1979, semble dépassé par l’eugénisme qui
à travers les biotechnologies actuelles ne touche pas seulement le
domaine du bìos, mais aussi celui de la zoé.
C’est le cas de l’anatomo-politique, c’est à dire des actions des
contrôles régulateurs qui posent la thématique des droits, comme
le souligne Jean-Claude Monod : « Contre les justifications télé-
ologiques des terreurs et des oppressions d’État, Foucault voit
l’exigence d’un droit des gouvernés se former, se chercher comme
droit supranational et transétatique, notamment à travers le rôle

15. Ibid., p. 123-124.


16. Ibid., p. 340.

169
Le territoire des philosophes

grandissant des opinions publiques et en liaison avec l’essor de


certaines organisations internationales (Amnesty international,
Terre des hommes, etc.) : un “nouveau droit” qui oppose aux excès
des gouvernements et à tout abus de pouvoir une solidarité des
gouvernés, empiétant activement sur le “domaine réservé” des re-
lations internationales17. »
Il s’agit là d’une stratégie qui met en jeu les espaces dans ce
qu’ils ont de multiple, et donc aussi la nécessité de savoir pro-
duire des organes de gouvernement qui dépassent les
appartenances identitaires ; les espaces ne sont pas des îlots qui
échappent au droit commun, il faut donc repenser leurs relations
réciproques et les écarts continuels qui se produisent entre eux.
Comme dirait Foucault, les lieux et les institutions ne sont pas des
fondements, et encore moins les fondements des pratiques de gou-
vernementalité.
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L’urbanisation du territoire
Or quand on regarde, de fait, quels sont ces différents objets qui sont
donc définis comme relevant de la pratique, de l’intervention et aussi
de la réflexion de la police et sur la police, on voit, première chose
à remarquer, que ces objets sont tout de même essentiellement des
objets que l’on pourrait appeler urbains. Urbains, en ce sens que les
uns, certains de ces objets, n’existent que dans la ville et parce qu’il
y a une ville. Ce sont les rues, les places, les bâtiments, le marché,
le commerce, les manufactures, arts mécaniques, etc. Les autres sont
des objets qui font problème et qui relèvent de la police dans la
mesure où c’est surtout en ville qu’ils prennent l’essentiel de leur
importance18.

L’urbain devient ainsi le sujet qui doit fournir sa propre iden-


tité à la police. Après avoir formulé ce problème d’identité, on
comprend mieux comment la sécurisation de l’espace social est
surtout une question de moyens par lesquels on arrive à maîtriser
la ville.
C’est à la suite de cette réflexion que des philosophes, tel par
exemple Ian Hacking, ont essayé de comprendre certaines
maladies du comportement comme des vraies maladies sociales,

17. Monod Jean-Claude, La Police des conduites, Michalon, Paris, 1997, p. 96.
18. Foucault Michel, Sécurité, Territoire, Population, Cours au Collège de
France. 1977-1978, Gallimard-Seuil, Paris, 2004, Leçon du 11 janvier 1978, p. 24-25.

170
Michel Foucault et le territoire

des réponses à un État de plus en plus policier visant à contrôler


le plus petit espace peuplé19.
Foucault souligne que la ville-marché est devenue, à partir du
XVIIe siècle :

Le modèle de l’intervention étatique sur la vie des hommes, je crois


que c’est là le fait fondamental qui caractérise la naissance de la
police au XVIIe siècle. Il y a un cycle, si vous voulez, raison d’État et
privilège urbain, entre police et primat de la marchandise, que le
vivre et le mieux vivre, que l’être et le bien-être des individus sont
effectivement devenus pertinents, et pour la première fois, je crois,
dans l’histoire des sociétés occidentales, pour l’intervention du
gouvernement. Si la gouvernementalité de l’État s’intéresse, et pour
la première fois, à la matérialité fine de l’existence et de la
coexistence humaine, à la matérialité fine de l’échange et de la
circulation, si cet être et ce mieux-être, la gouvernementalité de
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l’État le prend pour la première fois en compte et ceci à travers la
ville et à travers des problèmes comme ceux de la santé, des rues, des
marchés, des grains, des routes, c’est parce que le commerce est
pensé à ce moment-là comme l’instrument principal de la puissance
de l’État et donc comme l’objet privilégié d’une police qui a pour
objectif la croissance des forces de l’État20.

Puisque la ville est de plus en plus un espace complexe, il faut


assurer à la police, mais aussi aux autres institutions, des
méthodes qui réalisent une sorte de statut dont le but est de créer
de nouvelles hiérarchies, des forces capables de cataloguer les
problèmes principaux qu’une population urbanisée génère.
Si le territoire est un mouvement existentiel, il faut bien
souligner la différence entre milieu et environnement. Foucault
semble privilégier le milieu en tant qu’expression de l’existence
humaine dans un territoire. Je préfère souligner comment l’envi-
ronnement, en tant que plan matériel, existentiel et social du
devenir urbain du monde, s’impose à tous simultanément à une
transformation anthropologique. L’environnement se présente
comme l’ensemble des technologies d’existence dans le domaine
public et économique.
La question du contrôle dans un domaine aussi complexe
devient sans doute un problème non seulement de police, mais

19. Cf. Haking Ian, Les fous voyageurs, L’âme réécrite, Les Empêcheurs de penser en
rond, Paris, 2002.
20. Foucault Michel, Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France. 1978-
1979, p. 342.

171
Le territoire des philosophes

aussi, comme le dit Deleuze, de communication. Mais il est


également et surtout le problème de la ville et du « souverain » :
Ce n’est plus celui qui exerce son pouvoir sur un territoire à partir
d’une localisation géographique de sa souveraineté politique, le
souverain c’est quelque chose qui a affaire à une nature, ou plutôt à
l’interférence, à l’intrication perpétuelle d’un milieu géographique,
climatique, physique avec l’espèce humaine, dans la mesure où elle
a un corps et une âme, une existence physique [et] morale ; et le
souverain, ce serait celui qui aurait à exercer son pouvoir en ce point
d’articulation où la nature, au sens des éléments physiques, vient
interférer avec la nature au sens de la nature de l’espèce humaine, en
ce point d’articulation, là où le milieu devient déterminant de la
nature. C’est là que le souverain va intervenir, et s’il veut changer
l’espèce humaine, c’est bien, dit Moheau, en agissant sur le milieu.
Je crois qu’on a là un des axes, un des éléments fondamentaux dans
cette mise en place des mécanismes de sécurité, c’est-à-dire
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l’apparition, non pas encore d’une notion de milieu, mais d’un projet,
d’une technique politique qui s’adresserait au milieu21.

L’environnement représente la réalité de notre vécu.


Gouverner l’espace signifie gouverner la complexité de la trans-
formation accélérée que Foucault avait déjà comprise à partir de
la formulation de son paradigme sur l’âge classique. La gouver-
nementalité est certes une question de police mais aussi de gestion
du consensus de l’ensemble de la communauté, c’est-à-dire du
contrôle de l’environnement.
Dans la modernité, ce qui est en cause c’est l’ethos, comme le
précise Chris Younès : « un ethos urbain dans lequel le partage
comme les limites et les passages instaurés par et entre les lieux
sont des facteurs déterminants des conditions d’urbanité22 ».
L’« en-commun » dont parle Chris Younès est une condition de
partage, d’accessibilité, qui prend en charge la complexité de
l’urbain actuel au delà des pratiques de ségrégation, distribution
et sécurisation de la population, et permet de nourrir une nouvelle
citoyenneté.

21. Ibid., p. 346.


22. Younès Chris, « Conclusion », in Habiter, le propre de l’humain. Villes, territoires
et philosophie, op.cit., p. 362.

172
Michel Foucault et le territoire

Gouvernementalité et population

D’un mot, si vous voulez, la nouvelle gouvernementalité qui, au XVIIe


siècle, avait cru pouvoir s’investir tout entière dans un projet
exhaustif et unitaire de police, se trouve maintenant dans une
situation telle que, d’une part, elle devra se référer à un domaine de
naturalité qui est l’économie. Elle aura à gérer des populations. Elle
aura aussi à organiser un système juridique de respect des libertés.
Elle aura enfin à se donner un instrument d’intervention direct, mais
négatif qui va être la police. Pratique économique, gestion de la
population, un droit public articulé sur le respect des libertés, une
police à fonction répressive : vous voyez que l’ancien projet de
police, tel qu’il était apparu en corrélation avec la raison d’État, se
disloque ou plutôt se décompose entre quatre éléments – pratique
économique, gestion de la population, droit et respect des libertés,
police –, quatre éléments qui viennent s’ajouter au grand dispositif
diplomatico-militaire qui, lui, n’a guère été modifié au XVIIIe siècle23.
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La gestion de la population s’affiche de plus en plus difficile
dès que l’urbain réalise un croisement des stratégies économiques,
sociales et disciplinaires.
Le problème de l’économie à présent est de se transformer en un
pouvoir de gestion de l’existence à travers les régimes de la
publicité et de la communication. La communication s’affirme
comme stratégie d’auto-persuasion, d’autoréglementation de la
véracité du « lieu commun ». Dans cet esprit, on peut comprendre
comment les technologies disciplinaires interviennent dans ce qui
touche la vie dans sa réalité la plus intime : le génome, la « nue
vie »24 en tant que patrimoine du « bien commun ». Selon Foucault,
c’est surtout l’économie qui détermine la réalité des nouvelles
relations humaines, mais il faut bien comprendre qu’il y a un coté
presque paradoxal dans ce domaine, car l’économie n’est pas une
science exacte et il s’agit surtout d’une métanarration qui vise à
gérer la vie en tant qu’état instable du devenir de tout vivant.
Se soustraire à ce régime de gouvernement signifie « devenir
autre », les gens qui s’enfuient sont perçus au contraire comme
des marginaux, soumis à la police, au pouvoir de discrimination
et de ségrégation.

23. Michel Foucault, Sécurité, Territoire, Population, Cours au Collège de France,


1977-1978, Gallimard-Seuil, Paris, 2004.
24. Cf. Agamben Giorgio, Homo sacer. Il potere sovrano e la nuda vita, Einaudi,
Turin, 1995.

173
Le territoire des philosophes

C’est à ce moment que le problème des micropouvoirs, de la


possibilité de réaliser des lignes de fuite, acquiert chez Foucault
une dimension ontologique. D’après Félix Guattari :
Il n’y a pas une logique de contradiction entre les niveaux molaire
et moléculaire. Les mêmes types d’éléments, les mêmes types de
composantes individuelles et collectives en jeu dans un espace social
déterminé peuvent fonctionner de manière émancipatrice au niveau
molaire et, en même temps, être extrêmement réactionnaires au
niveau moléculaire. La question micropolitique est celle de savoir
comment nous reproduisons (ou non) les modes de subjectivation
dominants25.

Les deux auteurs envisagent la configuration d’une plus large


thématique environnementale, où les pratiques et les relations
interagissent amplement, entre tensions homogénéisantes et
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systèmes de soustraction, entre l’intériorisation des modèles
dominants et la possibilité d’une résistance.

Naissance de la biopolique

« La biopolitique ne peut se concevoir comme une bio-


régulation par l’État26. » C’est le problème du libéralisme : le
problème de la politique de la vie.
On peut même dire, de façon globale, générale, que toutes les
politiques nationalistes, les politiques étatiques, etc., vont être des
politiques dont le principe de rationalité sera indexé à la rationalité ou,
si vous voulez, en d’autres termes, à l’intérêt et à la stratégie des
intérêts de l’individu souverain, ou de l’État en tant qu’il constitue une
individualité souveraine. De la même façon, on pourra dire que le
gouvernement réglé à la vérité n’est pas non plus quelque chose qui a
disparu. […] vous voyez dans le monde moderne, celui que nous
connaissons depuis le XIXe siècle, toute une série de rationalités
gouvernementales qui se chevauchent, s’appuient, se contestent, se
combattent les unes les autres. Art de gouverner à la vérité, art de
gouverner à la rationalité de l’État souverain, art de gouverner à la
rationalité des agents économiques, d’une façon plus générale art de

25. Guattari Félix – Rolnik Suely, Micropolitiques, Les Empêcheurs de penser en


rond, Paris, 2007, p. 186-187.
26. Foucault Michel, Il faut défendre la société. Cours au Collège de France. 1975-
1976, p. 85.

174
Michel Foucault et le territoire

gouverner à la rationalité des gouvernés eux-mêmes. Et ce sont tous


ces différents arts de gouverner, ces différents types de manière de
calculer, de rationaliser, de régler l’art de gouverner qui, en se
chevauchant les unes les autres, vont faire, en gros, l’objet du débat
politique depuis le XIXe siècle. Qu’est-ce que c’est que la politique,
finalement, sinon à la fois le jeu de ces différents arts de gouverner
avec leurs différents index et le débat que ces différents arts de
gouverner suscitent ? C’est là, me semble-t-il, que naît la
biopolitique27.

Gouvernement, art de gouverner et biopolitique n’interrogent


pas seulement le régime de la vérité, plutôt celui d’une rationalité
apte au gouvernement des hommes.
Le dispositif biopolitique semble agir comme une technique
d’autocontrôle, une sorte de rapport entre pouvoir et savoir qui
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pousse jusqu’au bout l’adéquation totale. Mais Foucault nous
prévient de l’existence des « lignes de fuite », pouvoirs de
soustractions qui neutralisent les mécanismes de contrôle. En
d’autres termes, la puissance de l’environnement contre la
géopolitique. L’environnement s’impose à l’âge de la biopolitique
comme le plan de la contamination possible des micros pouvoirs
qui visent à créer une nouvelle polis. L’environnement, avec les
mots de Foucault, correspond à la production d’espaces autres.
L’hétérotopie, c’est une métaphore, mais en même temps une
technique de création d’environnement28.
Le rôle de l’hétérotopie est de subvertir, de désarticuler la
« grammaire majeure », c’est une « technocritique », puisque
Foucault a inlassablement souligné qu’il n’existe pas de
fondements métaphysiques destinés à exprimer les problèmes
d’une société, qu’il existe plutôt des relations réciproques, des
écarts, des pratiques qui nous montrent que les jeux ne sont jamais
complètement définis ou faits une fois pour toutes. C’est ainsi que
la position centrale que Foucault assigne à l’espace acquiert
l’importance d’une méthode apte à explorer la réalité, à savoir
l’intuition de cette transformation des catégories de l’espace et du
temps que l’on ne peut plus concevoir dans un sens idéaliste, ni
dans un sens dualiste puisque l’impact des technologies, autant

27. Foucault Michel, Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France. 1978-


1979, op. cit., p. 316-317.
28. Foucault Michel, « Des espaces autres », op. cit., p. 46-49.

175
Le territoire des philosophes

que l’accélération des stratégies économiques et sociales,


soulignent une transformation radicale des systèmes de savoir qui
nécessitent une recherche ontologique des plus attentives,
recherche qui est en même temps une question de langage.

BIBLIOGRAPHIE

Livres de Michel Foucault


Les Mots et les Choses. Une archéologie des sciences humaines, Gallimard,
Paris, 1966.
Surveiller et punir. Naissance de la prison, Gallimard, Paris, 1975.
Sécurité, Territoire, Population, Cours au Collège de France, 1977-1978,
Gallimard-Seuil, Paris, 2004.
Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France. 1978-1979,
Gallimard-Seuil, Paris, 2004.
Le Gouvernement de soi et des autres, Cours au Collège de France. 1982-1983,
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Gallimard-Seuil, Paris, 2008.
« Des espaces autres », Architecture, Mouvement, Continuité, n° 5, oct. 1984.
Il faut défendre la société, Cours au Collège de France. 1975-1976, Gallimard-
Seuil, EHESS, Paris, 1997.

Quelques ouvrages critiques


DELEUZE G., Foucault, Minuit, Paris, 1986.
ERIBON D., Michel Foucault, Flammarion, Paris, 1991.
GROS F., Michel Foucault, PUF, Paris, 1996.
Ouvrage collectif, Au risque de Foucault, Centre Pompidou, Paris, 1997.
« Michel Foucault : de la guerre des races au biopouvoir », Cités n° 2, PUF,
Paris, 2000.

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