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L’AFRIQUE, OU LA STRATÉGIE DEVANT LE MUR DU MONDE

Franck Tannery

Lavoisier | « Revue française de gestion »

2019/8 N° 285 | pages 187 à 209


ISSN 0338-4551
ISBN 9782746249158
DOI 10.3166/rfg.2019.00397
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2019-8-page-187.htm
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FRANCK TANNERY
Ausar Energy

L’Afrique, ou la
stratégie devant le mur
du monde
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Fort d’une double expérience théorique et pratique, l’auteur
expose les conditions de développement d’activités dans un
continent en pleine mutation : l’Afrique. La recherche quoti-
dienne de voies et moyens d’action dans ce vaste monde africain
amène à interroger la pratique de la stratégie pour mieux se
pencher sur l’inquiétude de l’être et de l’action. Cette recherche
s’applique à un terrain de jeu particulier : celui des énergies
renouvelables avec le déploiement de projets dans les sites
isolés non raccordés aux réseaux nationaux d’électricité.

DOI: 10.3166/rfg.2019.00397 © 2019 Lavoisier


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S
ur les cartes, la tâche reste toujours pas être raccordées au réseau électrique
immense, béante, dans tous les national en raison des distances. Nos
domaines : superficie, maladies, projets intéressent directement les opéra-
population, absence d’électrification ou teurs nationaux ainsi que les industriels. Le
d’eau potable, ressources minières et fores- développement de notre activité exige une
tières, pauvreté, corruption, etc. l’Afrique insertion en profondeur dans les pays où
serait encore la même, bloquée, malgré tant nous intervenons, comme le Cameroun, le
de discours sur ce nouvel Eldorado. Presque Gabon, la Côte d’Ivoire, Djibouti ou la
désespérant alors que la Chine ou l’Inde Mauritanie, tant sur le plan institutionnel
semblent être parvenues à modifier leur (ministères, gouvernement, collectivités
trajectoire. Les traces d’inflexion sont locales) que géographique (projection vers
pourtant bien là : innovations, croissance, des sites éloignés à l’intérieur des pays).
investissements, intégrations économi- Cette insertion dans toutes les échelles
ques… Bien que réunis, les ingrédients s’impose pour opérer dans le secteur de
restent insuffisants pour que les populations l’énergie que l’on reconnaît dorénavant
en bénéficient vraiment, notamment parce comme le premier facteur de développe-
que les taux de croissance économiques sont ment économique et social1. L’énergie est
souvent inférieurs au taux de croissance des aussi le mur de nos sociétés contempo-
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populations. Les imaginations sont à l’œu- raines. Poursuivre le niveau de consomma-
vre, révisent les cadres de pensée avec tion actuelle et le dérèglement climatique
vivacité, comme dans les arts. Si le potentiel s’emballe. Supprimer l’énergie, même s’il
est là, le point de blocage demeure toujours n’y aura peut-être pas de retour en arrière,
le même, à savoir un déficit chronique de avant l’âge du feu, signifie un effondre-
capacités pour réaliser les projets convena- ment social et économique à l’horizon
blement et disposer d’infrastructures avec une incapacité à faire dans tous les
suffisantes. domaines.
Ces réalités je les affronte tous les jours, Élargissons encore la focale. L’Afrique
depuis plus de quatre ans maintenant, tant forme le mur du monde en révélant les
sur le plan conceptuel que pratique. voies sans issues de notre dynamique
L’entreprise que je dirige, Ausar Energy, collective actuelle2. Alors qu’il devient de
développe des projets, à partir d’une plus en plus difficile de considérer la
solution technique propriétaire innovante destruction comme créatrice et de juger
de centrale solaire avec stockage, pour que le ruissellement puisse profiter à tous,
venir en substitution des groupes électro- l’épuisement généralisé guette plutôt avec
gènes diesel dans les localités isolées du un état de survie où les États s’effritent et les
continent africain. Ces localités ne peuvent biens communs sont abimés. L’Afrique

1. Nous renvoyons à cet article du Monde : https://www.lemonde.fr/blog/petrole/2014/04/19/gael-giraud-du-cnrs-le-


vrai-role-de-lenergie-va-obliger-les-economistes-a-changer-de-dogme/ qui renvoie aux analyses de Gaël Giraud, chef
économiste de l’Agence française de développement (AFD), qui démontrent une sous estimation de l’élasticité de
l’activité économique par rapport à l’énergie.
2. Des analyses récentes en géo-politique montrent que le Sud est effectivement un terrain qui recherche et indique de
nouvelles pratiques et règles (Badie, 2018).
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représente aussi le mur du monde car elle instantanée en-cours de manifestation


nous ramène sur les berges d’une situation invite à porter l’énergie de changement
vécue hier mais oubliée depuis : celle de la vers des situations favorables pour mieux
construction pour faire face aux défis espérer et expérimenter une amplification
cruciaux de sociétés balbutiantes où rien des effets.
n’est vraiment établi. L’Europe avait connu Dans un premier temps des impressions
cette situation après la Seconde Guerre africaines dessinent les éléments de contexte
mondiale. La construction s’imposait après et les impondérables anthropologiques pour
la destruction des villes, avec le manque l’action et la stratégie. Ces repères sont
d’accès à l’électricité, au tout à l’égout, etc. autant d’appuis pour envisager dans un
Répondre aux exigences d’une construction second temps des stratégies de création et de
impose de s’affranchir d’imaginaires développement adaptées dans des mondes
sociaux et politiques établis qui montrent africains. L’ensemble du panorama et des
leur impuissance, qui ancrent dans une expériences conçues et vécues invite pour
ornière où les actions bloquent l’avenir finir à interroger l’inquiétude de l’être et de
(Gorz, 2019). Agir pour et en Afrique invite l’action en stratégie. Il s’agit d’un texte
à tenter une sortie de route, à ne plus estimer témoignage et aussi réflexif qui, dans une
que le « business as usual » pourrait suffire. posture auto-ethnographique, modélise l’ac-
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Les efforts de transformation et de cons- tion entreprise tout en esquissant des
truction passent par de nouvelles accéléra- propositions conceptuelles. Bien que cons-
tions (De Sutter, 2016) pour déplacer les cient de l’immense diversité des mondes
murs, pour mieux décadrer l’action, pour se africains, ce témoignage met en exergue une
rendre en capacité de vivre les défis à la forme d’unité générique en s’appuyant sur
mesure des situations singulières. C’est la découverte et la pratique de projets dans
aussi cela que j’ai découvert en Afrique, de multiples pays.
en devenant un entrepreneur stratégique
dans un contexte particulièrement instable,
I – IMPRESSIONS AFRICAINES,
en intervenant dans le secteur éminemment
DES IMPONDÉRABLES
politique de l’énergie aux multiples et
ANTHROPOLOGIQUES QUI
innombrables ramifications.
S’IMPOSENT À LA STRATÉGIE
Cette expérience offre une opportunité pour
interroger les modes de pensée et d’action Ayant été un stratégiste avant de devenir un
en stratégie. Les pages qui suivent s’y stratège qui dirige une entreprise, je
emploient. Elles s’inscrivent dans le sillon bénéficiais a priori d’une situation favo-
des analyses qui privilégient une représen- rable puisque je savais ce qu’il faudrait
tation pragmatiste de la stratégie (Martinet, questionner, à défaut de savoir quoi faire. À
2018). Durant la transformation, que porte ce titre il était évident qu’il faut interroger en
toute espérance stratégique, prend forme un profondeur les contextes africains d’action
jugement continu sur les effets des actions et se nourrir des étonnements sur des
initiées plutôt qu’une focalisation sur la caractéristiques auxquelles on ne pense
seule édiction d’un horizon à atteindre. Une pas forcément en première instance. Si la
observation continue de la dynamique culture stratégique africaine répond à
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certaines logiques sous-jacentes (la dés- camerounais, maliens, guinéens, burkina-


acralisation du pouvoir, la solidarité, la bés, ivoiriens, béninois, nigérians, et parfois
parenté symbolique, l’arbre à palabres, la gabonais. Chaque trajet permet de parler
polychronie, le fatalisme) (Ouadrago et avec le chauffeur de la politique locale de
Antagana-Abe, 2014), le contexte africain son pays d’origine, au gré des élections qui
avec lequel la stratégie se doit de rentrer en s’y déroulent.
résonance présente des singularités généra- Cette croissance continue de la population
les. Difficile d’y déroger. L’étonnement impose des besoins nouveaux et multiples.
demeure entier devant le constat que ces Cela fait de l’Afrique un berceau d’inno-
singularités se manifestent de manière vations dans de nombreux secteurs pour les
commune à travers le continent, dans les biens et services aux personnes (assurance,
différents pays où nous intervenons. téléphonie, mobile money, transfert d’ar-
gent, solar home system, etc.). Ces attentes,
presque infinies par leur ampleur, amènent
1. Diasporas et migrations les entreprises à devoir dépasser le seul
Alors que les vieilles nations du 20e siècle objectif visant à exporter vers cette
(Europe et États-Unis) crient au loup devant nouvelle population de consommateurs. Il
des flux migratoires qui les submergeraient, est dorénavant attendu d’elles qu’elles
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une autre réalité prend forme sur le créent de l’activité locale, qu’elles s’in-
continent africain. À la fin d’une journée scrivent durablement dans le paysage local.
le continent africain aura vu sa population Cela exige une capacité organisationnelle
croître de 81 835 personnes alors que la singulière et suffisante avec un ancrage
croissance nette n’aura été que de 1 112 fort. Les conditions de cet ancrage sont loin
personnes en Europe et de 6 763 personnes d’être faciles et vont devoir prendre des
en Amérique du Nord3. Le pouls du monde formes multiples et s’éloigner de la simple
bat ailleurs, là-bas, avec une naissance par captation de ressources naturelles.
pulsation. Le retard accumulé dans les services publics
Les flux réels de population ne sont pas là où ou collectifs ou encore la planification
l’on veut bien le croire puisque 80 % de la urbaine dessinent des besoins d’investisse-
migration reste infra africaine sur le ment immenses auxquels les pays ne pour-
continent. Cette diaspora devient peu à ront pas facilement faire face. Un exemple,
peu le creuset d’une intégration économique parmi d’autres. Pour parvenir à acheter de
à l’échelle du continent avec des consé- l’essence, l’Éthiopie a besoin de devises,
quences sur la liberté de circulation des donc d’exporter alors qu’elle est enclavée.
biens, des services et des personnes et un Elle a dû contracter une dette très importante
possible retour aux espérances d’un pan vis-à-vis de la Chine pour investir dans la
africanisme. Cette multiculturalité se vit, ligne ferroviaire vers Djibouti, sa porte vers
plus qu’ailleurs, dans les taxis de Libreville le monde. Pas d’autre option que la
au Gabon dont les chauffeurs sont recherche de nouvelles solutions pour

3. Nous invitons le lecteur à saisir et observer cette réalité en allant sur le site internet suivant qui compile en continu
les données sur la croissance de la population mondiale : http://lapopulation.population.city/world/af
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parvenir à investir et éviter le risque de 2. La force des liens forts


déséquilibres durables alors que les États et de l’encastrement social
sont faibles, voire défaillants ou en partie
sous le contrôle du FMI. S’impose l’activa- Impossible d’avoir une actions collective
tion de l’ingénierie juridique, fiscale et organisée sans parole ni pensée sur ce qui
financière qui sait parfois faire des prou- est déployé. Dans ces conditions, en
esses utiles. Par le passé, tel fut le cas en Afrique, le langage peut vite devenir
France avec l’invention de la TVA en 1954 bloquant alors qu’il mobilise des concepts,
qui a contribué à financer les investisse- modèles et théories marqués par les
ments et la croissance lors des « Trente contextes et habitudes dans lesquels ils
Glorieuses ». Cette demande d’ingénierie se ont été élaborés. Cela concerne au premier
manifeste dans de nombreux domaines, et chef des concepts clés comme le contrat, la
notamment celui de l’énergie pour trouver loi, l’État, etc. qui n’existent pas dans les
d’autres mécanismes afin d’assurer l’inves- langues africaines vernaculaires (Legendre,
tissement dans les mini réseaux électriques 2013). Ces concepts, centraux pour l’orga-
non connectés. nisation moderne, semblent souvent calqués
Cette attente de création d’activité locale, sur une réalité dont les racines proviennent
fort justifiée par ailleurs, montre vite ses d’autres contrées.
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limites. Quelles que soient les solutions Lorsque les systèmes économiques demeu-
imaginées, toute la population n’aura pas rent flottants et que l’essentiel reste à
pour autant un emploi stable salarié, privé construire, mobiliser les cadres d’analyse
ou public. C’est impossible. L’Inde et la établis présente vite des limites. Si l’on
Chine n’y sont pas parvenues malgré leur considère dorénavant que les dynamiques
dynamique de croissance rapide. Du coup, des organisations s’appuient sur les capa-
les activités informelles resteront dominan- cités d’encastrement des acteurs dans des
tes et sources de créations. Cela invite à réseaux grâce à la mobilisation de liens,
concevoir une autre relation à l’activité tout quelle forme cela doit-il prendre en Afrique
en permettant des perspectives de vie aux pour asseoir durablement le développement
populations (Samba Sylla, 2017). de l’entreprise ?
La situation pour la stratégie devient Une chose est sûre. Le choix d’action ne
quelque peu paradoxale : les besoins et le peut se faire simplement et uniquement sur
potentiel ressortent presque comme infinis la base de critères techniques et économi-
et simultanément on affronte un océan ques pour comparer les options d’actions
rouge (pour reprendre l’image de Kim et par un effort d’objectivation. Cette impos-
Mauborgne) où tout semble vraiment très sibilité provient d’une absence de procédu-
difficile. Il est particulièrement compliqué res de décision mais aussi d’une réalité
d’établir des propositions de valeurs pér- décalée et peu en phase avec l’usage de tels
ennes et efficaces sachant que lors de critères.
l’élaboration des offres il n’est pas possible Là en Afrique, les relations à la base de la
de se limiter à quelques modifications confiance qui orientent les choix s’ancrent
marginales ou ajouts de fonctionnalités sur l’intimité, sur la force des liens forts.
nouvelles. Face à l’infini des besoins, des sollicitations
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et des projets dans lesquels il faudrait liens faibles sert en jouant sur le principe que
investir, il faut pouvoir être certain que sur l’ami de mon ami pourra ouvrir les marchés
la durée les options retenues seront per- et stabiliser les clients. Au contraire, en
tinentes. Face à la démultiplication des dernier ressort ce sont les acteurs forts au
enjeux, il faut avoir un critère simple pour centre du jeu qui décideront. Il en va en partie
trancher et décider. Lorsque les critères de même ici en Europe dans les grandes
objectifs deviennent insuffisants, puisqu’il métropoles pour les décisions d’infrastruc-
faudrait pouvoir tout faire, il reste alors la ture avec les présidents d’agglomération qui
subjectivité des liens forts. La France a favorisent telle ou telle option. Lors de
connu cela en son temps, par exemple pour l’installation d’une centrale solaire avec
le choix des sorties d’autoroute. Ceux-ci ont stockage de moyenne puissance dans une
souvent été faits parce que dans telle ou telle localité éloignée, comme nous le proposons,
localité il y avait un député maire proche de ceux qui prennent un vrai risque ce sont les
tel ou tel gouvernement. responsables locaux car sur la durée le
Dans le domaine de l’énergie, pour garantir la bénéfice politique dépendra du bon fonc-
bonne fin des projets menés, deux options se tionnement du système. Les citoyens se
présentent aux décideurs : soit mobiliser la tourneront vers eux en cas de défaillance et
démarche des appels d’offres internationaux, non vers l’entreprise qui aura apporté la
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soit mobiliser des acteurs avec lesquels les solution technique. Ces décideurs locaux ont
liens forts opèrent comme une assurance. La besoin de choisir une solution en étant
première approche présente le défaut de la rassurés par des liens forts. Cela explique
durée avec des projets de grande taille qui que les marchés d’équipements aient du mal à
tardent à sortir et aux budgets très importants se développer rapidement en Afrique, et pas
(grands barrages hydroélectriques, grandes seulement pour des raisons de limites en
centrales solaires photovoltaïques, champs termes de compétences techniques locales ou
éoliens). Dans le domaine de l’énergie de capacité financière d’investissement.
solaire, cette approche a été initiée par la Dès lors la pénétration du marché se fait en
Banque mondiale avec le programme « Scal- travaillant avant tout sur les relations
ing Solar ». Pour la production décentralisée sociales, sur l’intimité des liens affectifs,
d’énergie, ou bien pour les projets avec les parfois même claniques, ethniques ou
opérateurs nationaux et les entreprises, les amicaux. Paradoxalement c’est un levier
relations directes de gré à gré permettent de majeur pour éviter les risques de corruption.
travailler plus rapidement en profondeur sur Ces liens forts comptent plus en définitif que
l’ingénierie des projets et de s’adapter au le seul critère de performance économique à
mieux aux besoins spécifiques des commu- court terme. L’économique à certains égards
nautés et des territoires. est passé au second plan.
Pour l’entreprise qui souhaite entrer dans un
pays africain, si l’option des grands appels
3. Une régulation institutionnelle
d’offre internationaux ne lui est pas possible,
chaotique
alors il lui faut être capable de maîtriser des
liens forts. Tant et tant de PME se sont Cet encastrement social qui prend le
épuisées à croire qu’en Afrique la logique des dessus sur l’économique est renforcé par
L’Afrique, ou la stratégie devant le mur du monde 193

la place et la forme des institutions naissance par leurs parents. Ils ne pourront
locales. À de rares exceptions près, les pas rentrer en classe, ne peuvent pas avoir de
pays africains disposent d’institutions sécurité sociale, ne peuvent pas voter. Au
faibles par rapport à l’environnement sein même des hôpitaux, l’acte d’état civil
juridique dans lequel les entreprises des n’est pas automatique.
pays de l’OCDE ont coutume d’intervenir. Pas d’autre choix que de faire avec cette
Même si les structures administratives faiblesse institutionnelle si l’on souhaite
existent et sont établies de manière mener des projets en Afrique. Elle semble
formelle, ce n’est pas pour autant que compensée par d’autres formes d’institu-
leurs modes de fonctionnement sont tions, notamment les régulations ethniques
stables et efficaces. Les classements des ou celles des chefferies traditionnelles. De
pays sur l’environnement des affaires ne manière très opérationnelle cela aura de
sont pas uniquement là pour faire plaisir à multiples conséquences sur les modalités
des cabinets de conseil. Ils reflètent une d’insertion locale avec une complication
réalité trop facilement oubliée par les pour contrôler les opérations et l’action.
multiples articles de la presse économique Souvent, on peut avoir l’impression que la
généraliste qui soulignent le miracle part du hasard prend le dessus, que le
africain. Tous les domaines du droit et système est finalement totalement chao-
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de la régulation économique ressortent tique. À titre d’exemple, les titres fonciers
comme faibles, incertains et instables pour l’implantation de nos centrales solaires
(commerce, social, fiscalité, propriété, avec stockage dans les localités isolées
etc.). Dans ces conditions, il n’est guère n’existent pas toujours, voire rarement.
étonnant que dans les analyses d’évalua- L’un des sujets clés est alors de parvenir
tion des risques pour les pays africains les à stabiliser les terrains avec les autorités
deux facteurs rouges soient le cadre locales et les chefferies.
juridique et le cadre politique auxquels À un niveau plus stratégique, les interven-
s’ajoutent les problèmes d’infrastructure tions requises amènent à devenir un entre-
(transport, logistique). preneur institutionnel en travaillant sur les
Au sein de l’OCDE chacun a acquis règles pour essayer de structurer le secteur
l’habitude de vivre parmi des organisations économique dans lequel on opère. Dans le
réglées. Avec un peu de recul, on perçoit domaine énergétique, cela concerne des
qu’il s’agit là d’une réalité singulière, peut- sujets aussi variés que les tarifs, les codes
être d’exception. La manifestation la plus techniques de connexion au réseau (« grid
significative de l’absence d’organisations code »), les conditions de pénétration des
réglées est donnée par l’existence de ces énergies renouvelables, les subventions et la
enfants fantômes qui sont estimés à près de péréquation économique, l’éducation et la
100 millions sur le continent africain, soit formation, etc. Cet effort de construction des
7 % de la population totale4. Il s’agit marchés est indispensable car les interlocu-
d’enfants sans état civil, non déclarés à leur teurs sont déjà suffisamment sollicités par

4. Nous renvoyons au documentaire Enfants fantômes : un défi pour l’Afrique, de C. Alline et D. Tchimbakala (Fr.,
2018, 52 minutes)
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leurs activités quotidiennes. Pour eux, organisationnel, pour se rendre en capacité


s’ouvrir à de nouveaux développements de bénéficier de cette congruence.
devient difficile en raison d’un manque
collectif de moyens, de ressources, de temps,
4. La force des pulsions
et même de compétences. Cette stratégie
et des croyances
d’action conjointe, qualifiable à certains
égards d’influence, a toujours existé lors Que faire lorsque le sort semble s’acharner
des phases de grandes constructions en vue contre vous ? Que faire lorsque prévaut
de l’implantation de nouvelles infrastructu- l’état de survie pour assurer son pain
res. Cependant, cette pratique est petit à petit quotidien ? Que faire lorsque la fatalité
devenue moins habituelle pour certaines semble s’obstiner et les destins sombrer ?
entreprises dans leur marché domestique La réponse et la force des peuples africains
aux macro-systèmes techniques déjà bien est de ne pas baisser les bras, de travailler et
établis. L’histoire de l’électrification en travailler, de rester ancrés dans cette pulsion
France nous le rappelle. Hier EDF avait de vie propre à l’être vivant. Cela se
directement construit l’institutionnalisation prolonge à travers de nombreuses activités
de la tarification au coût marginal de créatrices que le monde découvre petit à
l’électricité pour parvenir à favoriser l’accès petit au-delà du seul domaine musical : la
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de tous à l’électricité. Maintenant EDF tend à littérature, les sciences sociales et politi-
résister aux développements des énergies ques, la philosophie, les arts plastiques, la
renouvelables pour mieux défendre un mode, etc. Cette pulsion de vie s’amplifie et
certain pré carré établi. se prolonge par la mobilisation de croyances
Ce contexte institutionnel faible explique qui jouent une fonction centrale pour
largement la montée en puissance des rassurer. Le renvoi régulier à la religion
multinationales dites émergentes (MNE) par chacun s’inscrit dans ce besoin d’es-
issues de pays caractérisés par ce type de pérance et de rassurance. Devant les
situation (Vieu et al., 2014). Pensons par horreurs quotidiennes il faut parvenir à
exemple aux groupes pan africains comme disposer d’une explication simple qui puisse
Dangote dans le ciment, Olam dans servir pour regarder la réalité en face et
l’agroalimentaire ou MTM dans les télé- l’accepter malgré tout. La référence à la
communications qui ont rapidement pris des religion ressort tout particulièrement dans le
positions de leader. Leur force est telle que dernier livre de Jean Hatzfeld (2015) où
dans leur secteur respectif ces groupes ont celui-ci interroge au Rwanda les enfants des
pris le dessus sur les firmes multinationales survivants Tutsis ou ceux des génocidaires
plus anciennes qui se font sortir du marché Hutus. Tous considèrent ce génocide
ou qui ont durablement des difficultés à comme une fatalité divine. Sans cette
pénétrer les marchés. Ces MNE sont fatalité, il ne serait pas soutenable de tenter
alignées et congruentes avec ces contextes de continuer à construire, à cultiver la terre,
institutionnels africains et savent comment à partager des espaces communs.
y opérer. Le développement d’activités en Cette relation au monde singulière prête à
Afrique exige la maîtrise de compétences conséquences pour l’action et les processus
spécifiques, sur le plan humain, social, de décision. Malgré tous les efforts de vie
L’Afrique, ou la stratégie devant le mur du monde 195

déployés pour essayer de faire advenir plein accès à l’énergie pour tous à un
quelque chose, trop souvent les résultats horizon temporel proche. Malheureusement
ne sont pas là, les aboutissements sont ces plans reviennent à prendre les désirs
faibles. Tant et tant de projets et de contrats pour la réalité. Les moyens financiers,
ont été signés mais n’ont pas été menés à humains et techniques sont insuffisants.
leur terme. En première instance, pour les Ces plans deviennent plutôt une source de
interlocuteurs africains celui qui vient avec confusion généralisée, par manque de ligne
une nouvelle proposition, avec un nouveau directrice. Tout se bloque alors que le
projet, va manquer de crédibilité. Il y a un secteur énergétique a besoin d’une planifi-
doute permanent sur la promesse, sur sa cation technique et économique à long
vraisemblance et sa possibilité de réalisa- terme avec des investissements pluriannuels
tion. Cette promesse s’avère pourtant récurrents et sécurisés. Plus personne ne
inhérente à toute gestion de projet, à toute parvient à saisir ce qui sera fait, ce qui peut
relation contractuelle. Ce décalage entre une être réalisé et ce qui n’aura pas lieu. À défaut
nécessité et un doute exige une énergie de de clarification, seul l’attentisme devient
changement forte pour mettre en confiance, raisonnable.
pour travailler sur la volonté de bien faire. Tout cela indique la difficulté des processus
Heureusement celle-ci reste présente et de décision en Afrique. Le long terme paraît
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invite à mobiliser l’espoir, toujours attirant souvent absent. Il ne prend le dessus que
par son appel à la pulsion de vie. lorsque la volonté de faire prend radicale-
À court terme, dans l’instant, devant la ment forme, envers et contre tout. Cette
masse de difficultés, si l’on évite l’écueil de quête du futur s’ancre dans des valeurs
l’accablement, la décision s’exprime sou- fortes qu’il s’agit de mobiliser lors des
vent sous un angle étrange pour ceux qui ont projets. Elles se nomment fierté envers le
l’habitude de la rationalité instrumentale. pays, défense des actions menées par
Une première tendance consiste à jouer sur patriotisme et non par cupidité, affirmation
un registre particulier, celui de la folie des d’une histoire culturelle singulière, et enfin,
grandeurs, de propositions presque irration- plaisir devant la beauté et la richesse de la
nelles ou du moins découplées des réalités nature du pays.
quotidiennes. L’instabilité de la mégaloma-
nie n’est pas très loin. Sinon, la pratique
5. La marque de l’histoire
inverse pointe, celle de l’hyper prudence qui
et de la géographie
confine à l’immobilisme. À court terme on
se trouve entre vouloir tout faire et vouloir Les cycles économiques de court terme, les
ne rien faire. jeux de pouvoir internes aux organisations,
Le secteur énergétique en Afrique illustre la sur médiatisation événementielle, les
parfaitement ce phénomène. Alors que le efforts continus des consultants pour vendre
taux d’électrification est faible, que la leurs services, sans oublier le manque de
qualité des réseaux est mauvaise, que le culture historique… tout converge pour que
niveau de production est insuffisant, que prédomine l’illusion de la rupture, de la
l’électricité est instable, tant et tant d’acteurs nouveauté merveilleuse en Afrique. Des
institutionnels annoncent des plans visant le phénomènes de long terme confirment
196 Revue française de gestion – N°285/2019

l’inflexion : une croissance de la population de connaissance historique s’impose pour


qui n’a jamais été aussi rapide sur un savoir comment les linéaments du passé
continent, la diffusion généralisée de solu- constituent une marque au fer rouge pour les
tions techniques différentes qui assurent un interlocuteurs.
saut générationnel (production distribuée Cela explique que ces dernières années les
d’énergie, téléphonie mobile, transfert d’ar- vents furent plus favorables aux investisse-
gent, etc.). Mais cette nouveauté ne fait pas ments chinois ou indiens. Ceux-ci n’ont pas
tout, n’est pas tout. commis d’exactions pendant plusieurs siè-
De tels discours sur la rupture confinent vite cles avec de bons mots à la bouche sur la
à l’amnésie des conditions structurelles du libération ou l’œuvre civilisationnelle. Eux
développement économique et social. De n’ont pas imposé les ajustements structurels
plus, ils oublient les invariants indépassa- de la Banque mondiale après avoir promis
bles que sont l’histoire des sociétés et la des aides multiples. Dans le temps la
géographie des pays. Tout développement situation pourra changer. La dette chinoise
d’activité en Afrique nécessite de revenir commence à se retourner contre certains
dessus. pays. Des constructions de piètre qualité
L’histoire marque durablement les esprits. font douter. Des appropriations de terres
À force de croire à la nouveauté, chacun fait rares apparaissent comme trop massives.
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comme si la mémoire n’existait pas. Pour- Ces doutes et réserves seront pour après-
tant à moins que l’oubli collectif soit demain.
parfaitement bien organisé, en situation La marque de l’histoire ne s’arrête pas au
chacun se remémore à un moment ou à seul champ politique. Elle concerne bien sûr
un autre des faits peu glorieux des nations aussi les secteurs économiques, les condi-
dont sont issus leurs interlocuteurs étran- tions singulières de leur constitution dans
gers. Aucune entreprise française ne peut chaque pays africain. Cela s’applique tout
faire comme si la Françafrique ou les particulièrement au secteur de l’énergie. Il
exactions des colonies n’avaient pas existé. n’y a pas de pénétration possible d’un pays
Par exemple, au Cameroun (Domergue dans ce domaine sans une connaissance
et al., 2016), la guerre d’indépendance à approfondie des plans de développement
laquelle certains interlocuteurs font réfé- actuels et passés du secteur pour compren-
rence ne renvoie pas à une issue favorable dre les points de blocage, les acteurs clés, les
pour le pays mais au contraire aux tueries de options techniques privilégiées ou possi-
masse des Bamileke réalisées par les bles, les conditions de réglementation, les
militaires français. Plus récemment on a errements récurrents, etc. La marque de
pu voir un pays francophone comme le l’histoire du secteur de l’énergie et des
Rwanda se détourner de la langue française techniques s’impose pour saisir les trajec-
à la suite du génocide et devenir rapidement toires et dépendances de sentier afin de
anglophone. L’image d’une entreprise fran- parvenir à définir la bonne stratégie.
çaise qui apporte ses solutions peut vite être Cet effort de documentation historique doit
confrontée à des limites si les équipes ne être complété par un regard sur la géogra-
parviennent pas à trouver une position phie car celle-ci conditionne les voies
socialement juste. Dans chaque pays l’effort d’accès ainsi que les solutions pertinentes.
L’Afrique, ou la stratégie devant le mur du monde 197

Pour se lancer à l’aventure de l’Afrique, il nouvelle frontière. Elles s’imposent à


faut avoir regardé une autre carte du monde l’action et conditionnent les stratégies
que celle qui traîne dans nos manuels envisageables ou éventuellement viables.
européens d’histoire géographie qui pré- Nous nous proposons d’esquisser ces lignes
sentent la projection européo-centrée du ci-dessous.
Mercator. Dorénavant il faut avoir à l’esprit
la projection de Peters5 qui offre une
meilleure perception de la superficie réelle II – LES LIGNES STRATÉGIQUES
des pays et du continent. Le Cameroun a par DE CRÉATION ET DE
exemple la même superficie que la France. DÉVELOPPEMENT EN AFRIQUE
Ce continent immense dont la superficie est Le contexte que je viens de dessiner, à
équivalente à celle de l’Europe, des États- grands traits, signale le cadre général de
Unis, du Japon, de l’Inde et de la Chine l’action à prendre en considération lors de
réunis, exige une organisation spatiale tout effort de développement d’activité en
particulière pour l’entreprise qui veut s’y Afrique, pour concevoir les stratégies
développer. Les raisonnements changent. pertinentes sur le continent. À juste titre
Les déplacements ne s’évaluent plus en Mol et al. (2017) soulignent le grand silence
distance mais en durée. La logistique locale des recherches sur l’Afrique en stratégie
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devient le point ardu de tout projet. Les alors qu’en matière de stratégie internatio-
conditions climatiques peuvent rendre les nale le contexte n’est pas seulement une
routes difficilement praticables. L’organisa- variable de contrôle mais bien un construit
tion de la maintenance est plus que jamais central qui détermine l’action et la théorie.
un enjeu crucial. L’intervention locale et la Fort de l’expérience accumulée, tant par la
projection en profondeur dans les territoires pratique que par l’observation des entre-
reculés exigent des capacités significatives. prises et groupes en Afrique6, cette seconde
Dans ces conditions, les possibilités de partie propose de modéliser le type de
déploiement sur plusieurs pays et marchés manœuvres et de stratégie qui convient.
simultanément appellent un effort d’inno- L’enjeu est simple : définir les actions
vation en termes d’offre et d’organisation. possibles dans un environnement africain
Ces contraintes de projection et d’opération lâche, marqué par une régulation chaotique,
dans l’espace ont directement et indirecte- afin de tout (re)construire, pour espérer faire
ment des conséquences sur les coûts. advenir un monde plus viable.
Cette marque de l’histoire et de la géo-
graphie peut devenir une source d’avantage
durable pour une entreprise qui parvient à 1. Une stratégie d’intégration au service
les maîtriser. de l’exécution
Ces impressions africaines dessinent un Si la stratégie est un art d’exécution au sens
paysage, un contexte particulier, une où il faut parvenir à assurer un déploiement

5. Pour découvrir la projection de Peters nous invitons à regarder l’article suivant sur internet : https://fr.wikipedia.org/
wiki/Projection_de_Peters
6. L’article « African companies are expanding across the continent » de The Economist (june 22nd, 2019) illustre
également bien les analyses que nous proposons.
198 Revue française de gestion – N°285/2019

correct des voies et moyens de l’action, – se rendre capable par l’intégration d’une
alors en Afrique il n’y a pas de projets intervention élargie sur l’ensemble du
possibles sans stratégie. Faire face à un milieu et des strates de décision. Alors
quasi-bazar généralisé, à un manque criant que les liens forts dominent, avec un espace
d’inefficacité, à une faible capacité pour de confiance dans des cercles finalement
mener à bien les projets, impose des efforts assez restreints, mener à bien les projets
continus pour déployer, pour viser une impose d’avoir des relais dans les différents
pérennité minimum à l’action. domaines requis par le projet. À défaut, il y a
Avec un risque d’effondrement significatif, un risque de dérapage des actions à mener,
la réalisation d’une performance constitue le notamment dans le temps.
point de fixation. Sans possibilité de mise en – contrôler par l’intégration toutes les
œuvre des projets, il n’y a plus d’action, opérations élémentaires. Alors que dans
seulement des éléphants blancs, des projets les pays de l’OCDE il est souvent efficace
virtuels, certes désirables, mais bien inuti- de passer par une coordination de type
les. Dès lors, en l’état actuel des institutions marchande dans le cadre d’une externalisa-
économiques et sociales en Afrique, seule tion vers de la sous-traitance, notamment
une stratégie d’intégration organisationnelle pour privilégier une agilité et se focaliser sur
assure une exécution durable. Un rapide un cœur d’activité, ce mode de coordination
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regard sur les groupes étrangers ou pan trouve vite ses limites en Afrique. Le monde
africains qui réussissent montre systémati- économique reste largement dominé par les
quement un déploiement par cette stratégie relations sociales sur lesquelles les régula-
d’intégration. C’est notamment la stratégie tions par les prix n’ont pas assez de prise.
déployée par des groupes comme Castels, Pour une efficacité sur la durée, ces règles
Dangote, Bolloré Logistics, Ethiopian Air- opératoires nécessitent un effort permanent
lines, Olam, MTN, etc. d’évaluation des situations et des risques,
Cette stratégie d’intégration pour l’exécu- alors que les pays africains se caractérisent
tion rend nécessaire la mise en place d’un encore par une forte instabilité. Ainsi même
ensemble de règles opératoires qui puissent dans les pays qui assurent normalement une
assurer que les projets entrepris aillent convertibilité change fixe avec l’euro,
jusqu’au bout. Loin d’être acquise, cette comme les pays de la zone CFA, il peut y
rationalisation passe par un triple investis- avoir un manque de devises euros qui
sement afin de : entraîne un rationnement monétaire pour
– maîtriser par l’intégration une insertion financer les projets et acheter des biens à
locale forte et totale. Il ne s’agit pas l’étranger. Les aléas sont quotidiens. Il faut
seulement d’une capacité d’intervention juste le savoir, apprendre à faire avec, jour
face aux faiblesses institutionnelles mais après jour, en contrôlant ce qui pourrait
avant tout de parvenir à saisir les cultures mettre en péril l’activité. Cette approche,
locales dans les processus de décision. On loin d’être acquise chez la plupart des
court toujours le risque de venir perturber responsables d’entreprises en Afrique ren-
des équilibres sociaux qui ensuite peuvent force le niveau d’incertitude mais aussi
se retourner contre l’action que l’on l’exigence de pratiquer l’évaluation et le
entreprend. contrôle serrés des opérations.
L’Afrique, ou la stratégie devant le mur du monde 199

Cette attention doit se porter sur un second 2. Une stratégie d’ingénierie générale
domaine majeur. Avec une population jeune pour concevoir les voies et moyens
et des institutions d’éducation relativement de l’action
faibles, les ressources humaines constituent
une richesse ainsi qu’une source majeure Ayant perdu la connaissance des mondes en
d’écueil. À cela vient s’ajouter de possibles construction ou en reconstruction totale, les
effets de clans ou d’ethnies au sein même responsables d’entreprises ici, des pays de
des organisations sans aucune référence à l’OCDE, recherchent l’innovation avant
des critères d’aptitudes et de capacités tout pour maintenir leur marché, quitte
effectives. L’effort d’évaluation des res- parfois à jouer la carte de l’obsolescence
sources et personnes clés devient à ce titre programmée, ou bien pour tenter de
une condition majeure de la réussite des construire de nouveaux désirs. Mais là, en
projets. Afrique, la donne est différente. L’ampleur
Ces principes concrets nous avons dû les des besoins auxquels il faut répondre
mettre en place pour le déploiement de nos s’avère réellement immense. On peut vite
projets. À ce titre nous mobilisons des avoir un sentiment grisant que tout sera
« global contractors » qualifiés pour l’ins- simple et atteignable. L’inverse prend le
tallation de nos centrales afin d’éviter de dessus avec une sensation d’épuisement,
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gérer par nous-mêmes une multitude d’opé- presque d’abattement, devant cet infini
rations qui nous mettrait en risque ; nous potentiel. Alors que l’on perçoit un champ
nous appuyons sur des partenaires locaux des possibles quasi illimité, qui serait si
forts dont la légitimité leur permet d’inter- simple à transformer, on est vite rappelé à
venir sur les processus de décision dans l’ordre par les conditions d’exécution très
l’environnement économique et social alors hasardeuses qui sollicitent une énergie
que l’implantation de centrales solaires dans extrême.
les sites isolés relève d’enjeux politiques Le sujet principal ne porte pas sur le
locaux et nationaux. Ces partenaires parti- potentiel mais sur la nécessité de construire
cipent sur la durée à nos projets en et reconstruire l’espoir. Alors que tant et tant
combinant plusieurs registres : prise en de réalisations n’aboutissent pas, domine
charge d’opérations spécifiques, aide au une aspiration pour un renouvellement de
montage financier, facilitation politique et l’espérance. Dessiner un imaginaire et
appui pédagogique sur le tempo des actions mobiliser les desseins de l’imagination
à mener. Enfin, nous avons des exigences devient crucial pour remettre sur la voie
totales dans le respect des règles de sécurité de la confiance en l’avenir, en ses prochains,
pour limiter les risques lors des installations en l’aptitude à réaliser des projets sur la
sur des territoires éloignés et difficiles durée.
d’accès. La posture est connue en stratégie. C’est tout
Cette stratégie d’intégration qui consiste à simplement celle de l’activité de conception
faire et à contrôler, plutôt qu’à faire faire, qui mobilise concepts et connaissances
appelle un effort complémentaire d’inven- pour ouvrir des perspectives plus sereines,
tion et de projection sur ce qu’il s’agit de correctement établies, suffisamment étayées
faire. et articulées. Concrètement, la stratégie
200 Revue française de gestion – N°285/2019

consiste à développer volontairement une l’illusion des promesses non tenues et dans
capacité d’ingénierie globale et générale sur l’ornière des projets qui ne se réalisent pas,
les voies et moyens de l’action. Cette l’effort premier doit se consacrer et se
approche assure le cadrage des projets et concentrer sur l’élaboration des situations.
des conditions de l’exécution pour construire Ce travail d’évaluation appelle des opéra-
l’avenir de manière plus assurée. tions centrales de formulation des questions.
Cette stratégie est au cœur du « Business Cette activité ne va pas de soi en Afrique en
Model » de notre entreprise en visant la raison de l’organisation sociale et politique.
construction et le développement de projets Formuler revient à risquer d’affirmer des
pour implanter des centrales solaires avec lignes de rupture, à ouvrir des décadrages
stockage pour les mini réseaux isolés, pour alors qu’il n’est pas certain que cette
réduire fortement la consommation de fuel approche soit vraiment acceptée ou auto-
et le coût de l’électricité produite. Nos risée localement. Par une stratégie d’ingé-
clients et interlocuteurs perçoivent bien les nierie, le pari est bien d’accompagner ce
difficultés auxquelles ils font face et qu’il mouvement petit à petit pour parvenir à
faudrait faire quelque chose. Une fois cette dessiner des horizons différents, à réévaluer
perception passée, l’inconnu se profile et les réalités entre celles qui ne prendront
demeure. Face à cette situation, nous jamais forme et celles qui finalement pour-
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prenons en charge l’intégralité des ques- raient avoir un intérêt. On doit reconnaître à
tions à traiter en nous positionnant comme la Banque africaine de développement cette
un architecte système qui développe et capacité à avoir fait bouger les lignes dans le
conçoit l’ensemble des projets, qui mobilise domaine de l’énergie à la suite d’un effort
toutes les ressources et les acteurs requis. pour formuler les enjeux de fond : sur
Cela nécessite une capacité d’ingénierie l’importance du développement du secteur
technique pour concevoir et déployer les de l’énergie, sur la nécessité d’investir dans
centrales solaires mais aussi une ingénierie les biens collectifs, sans oublier les leçons
juridique et financière pour permettre de l’histoire et les contraintes de la
l’investissement. Cette ingénierie mobilise, géographie (faible densité de la population
autant que possible, les ressources locales en moyenne, conditions climatiques extrê-
de nos partenaires afin de gagner en mes, politiques d’investissements et de
robustesse. Cela est notoirement le cas sur subvention, etc.).
le plan des jeux de pouvoir mais aussi pour La pratique complémentaire consiste à faire
la mobilisation des ressources techniques comprendre qu’une partie des blocages dans
(accès au foncier, contrôle des coûts locaux, l’exécution et dans la capacité à se projeter
supervision des opérations) et des ressour- vient d’un manque de connaissance des
ces financières (montage du financement en conditions de l’action. La posture d’ingé-
monnaie locale pour les réduire les coûts nierie globale appelle des interventions sur
globaux de financement des projets). le plan des savoirs des acteurs et des clients.
Cette stratégie nécessite dans un premier Dans un premier temps les efforts portent
temps de correctement évaluer les besoins sur le diagnostic des systèmes et solutions.
effectifs des acteurs ou des clients en Dans un second temps la demande locale
situation. À moins de retomber dans porte sur les transferts de connaissances, sur
L’Afrique, ou la stratégie devant le mur du monde 201

la formation et sur le développement de dépenses mobilisées pour pénétrer ne serait-


compétences au sein des pays. La posture du ce qu’un seul marché.
colonisateur qui impose tout et ne transfère Pour le démarrage d’une activité, une
rien s’avère plus que jamais non tenable, stratégie dite de « scaling up » s’impose
non désirable. Cela passe par des partena- afin de viser une réplication à l’échelle du
riats avec des entreprises locales qui, sur la continent. Pour une PME comme la nôtre
durée, devraient devenir en capacité de cela veut dire qu’il n’y a guère d’autre
faire et de prendre en charge certaines option que de se penser comme « born
opérations. Elles deviendront même les global » en visant plusieurs pays et marchés
meilleurs ambassadeurs pour l’entreprise dès sa constitution. La nécessité d’une telle
après-demain. stratégie à l’échelle du continent permet
d’évaluer la concurrence réelle qui n’est pas
si significative que cela. Au-delà de l’intérêt
3. Une stratégie de réplication
affiché pour l’Afrique, de nombreuses PME
pour un déploiement à grande échelle
manquent de moyens pour viser le conti-
Les lois de la géographie imposent un nent. Leur capacité reste faible à nulle.
certain regard pour repérer comment assurer Quant aux groupes ils sont nombreux à
un déploiement durable sur le continent rester à l’écart de l’Afrique car s’ils
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africain. Bien sûr il serait possible de se perçoivent bien le potentiel, les conditions
concentrer uniquement sur un seul pays. d’accès au marché sont souvent compli-
Cela reviendrait à ne pas avoir une stratégie quées pour leur offre et présentent un intérêt
africaine mais juste construire une offre moindre que ce qu’une analyse sommaire
pour un pays spécifique. Cette option est tendrait à le faire croire.
limitative et dangereuse dès lors que l’on en La stratégie consiste à développer une
vient à répondre et à construire une solution capacité organisationnelle pour opérer à
qui vise à s’adresser à un type de segment de l’échelle du continent. Cette capacité, qui
marché. Le danger provient de l’incapacité à porte sur tous les domaines (commercial,
penser de manière suffisamment générique, finance, production, logistique, installation
laissant l’opportunité à d’autres entreprises ou distribution, services) vise la démulti-
de le faire, alors qu’en termes de niveau de plication sur tous les pays à travers une offre
richesse le continent a plutôt la taille d’une suffisamment standardisée mais aussi adap-
mer intérieure que d’un grand océan. Le tée et modulaire pour tenir compte des
continent africain a des capacités économi- particularismes locaux. Ces particularismes
ques limitée avec un PIB annuel équivalent concernent notamment les exigences en
à celui de la France, PIB calculé sur la base matière de logistique, d’accès aux sites ou
des prix de marché. La Côte d’Ivoire ou le de maîtrise commerciale des jeux sociopo-
Cameroun ont un PIB deux fois inférieurs à litiques locaux.
celui de la Métropole Lyonnaise. Cette Cette stratégie représente une véritable
relativisation de l’eldorado africain invite à politique générale qui revient à essayer de
considérer que seule une stratégie conti- constituer un marché continental. Une
nentale permet d’obtenir un retour sur action délibérée s’impose pour créer des
investissements suffisant pour couvrir les conditions requises du point de vue
202 Revue française de gestion – N°285/2019

institutionnel et un environnement favo- réussite, sur l’espérance de gain, sur la


rable pour mobiliser des ressources. En possibilité d’arriver à construire quelque
raison de la faible maturité des marchés, chose.
cette création politique tente de répondre au En second lieu, le développement de
manque de congruence entre les conditions capacités organisationnelles en vue d’une
d’exercice de l’activité et le système d’offre réplication à l’échelle du continent africain
déployé. La mobilisation de deux registres requiert l’établissement de règles et modes
contribue directement à cette création. opératoires adaptés. La stabilisation des
En premier lieu, la recherche d’une identi- projets ainsi que la sécurisation de l’action
fication à l’entreprise ou à l’offre appelle dans des environnements compliqués appel-
une revendication franche et forte du champ lent des investissements significatifs sur des
d’action. Cela passe par une intervention composants clés (ex : les plateformes à
sur les cadres de références (ex. : grid code, distance de suivi et de gestion de l’énergie
système de tarification de l’électricité, pour rendre possible des modèles de
mode de calcul du coût de revient de paiement du type « pay as you go »,
l’énergie) et par une affirmation d’un l’électronique de puissance et l’ « energy
leadership en termes de capacités, techni- management system » pour optimiser le
ques ou financières, pour accélérer la taux de pénétration des énergies renouvela-
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confiance des acteurs (institutionnels, cli- bles et réduire la production d’électricité par
ents, partenaires). Ce leadership n’est le gasoil) ou des partages de la valeur avec
vraiment reconnu qu’avec des efforts des acteurs forts (ex : contrat avec des
récurrents pour s’ancrer localement et « general contractors » pour l’installation
mobiliser les ressources et capacités des de nos centrales isolées, partenaires finan-
acteurs locaux afin de créer de la valeur sur ciers pour rendre possible les investisse-
les territoires. Les ressources mobilisables ments dans les centrales).
ne sont pas connues ex ante. L’investisse- Cela peut aller jusqu’à des manœuvres
ment dans la formation locale reste toujours visant à contrer l’entrée de certains sur le
nécessaire pour transférer des connaissan- marché pour avoir le temps de prendre pied
ces et permettre l’appropriation des systè- dans un pays (ex : lock in des relations avec
mes techniques. Cela contribue en plus à la des décideurs et des acteurs clés d’un pays).
dissémination d’histoires en faveur de ce Les efforts ne s’arrêtent pas là. Ils visent
qui est déployé (multiplication des réfé- aussi à contrôler l’action pour mieux
rences sur lesquelles s’appuyer pour renforcer la capacité d’exécution et de
démontrer son savoir-faire en matière de déploiement.
production d’énergie décentralisée). L’objectif de cette combinaison stratégique
Cet effort d’identification présente un (intégration, ingénierie générale, réplication)
intérêt indirect d’auto-persuasion et de mise est clair : tenter de construire la légitimité
en confiance pour l’entrepreneur en de sa propre offre jusqu’à ce qu’elle paraisse
Afrique. Les conditions d’actions sont évidente et devienne une quasi-référence
tellement singulières et ardues (nous y locale pour le marché qu’elle aura ainsi
reviendrons par la suite) qu’il faut réguliè- réussi à stabiliser, à construire. Cependant,
rement se rassurer sur la probabilité de les actions entreprises affrontent et se
L’Afrique, ou la stratégie devant le mur du monde 203

confrontent à la difficulté radicale qu’est la ainsi que de l’entreprise qu’il porte et qui le
construction du monde en Afrique. Ce sera le porte.
dernier point que nous souhaitons dévelop- Par sa pratique courageuse, continue et
per ici. cheminante pour tenter de transformer
durablement la réalité et pour dénouer les
situations (Nonaka et Zhu, 2012, p. 165 et
III – SUR L’INQUIÉTUDE DE
suiv.), l’être-au-monde du stratège appelle
L’ÊTRE ET DE L’ACTION
des qualités singulières. Celles-ci concer-
Face à la nécessité de la (re)construction nent les exercices de pensée sur l’action,
totale, l’expérience des mondes africains l’appréhension du monde et enfin la
amène à proposer un troisième enseigne- capacité d’association avec les autres. Ces
ment pour la stratégie. Trois images ou trois sujets font l’objet des points ci-dessous
ressorts m’animent dorénavant. Elles se
rapportent aux affects du stratège lorsqu’il
1. Agir sans savoir devant l’inconnu
pratique et pense, dans l’inquiétude de son
permanent
être et de son action. Ces images font
directement écho à l’invitation de Nonaka et Même après avoir signé un contrat ou être
Zhu dans leur ouvrage Pragmatic Strategy déjà fortement présent dans un pays
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(2012) de mener une stratégie contingente africain, voici le genre de questions et
donc congruente avec le contexte (partie I), réponses à affronter : Où déployer les
qui soit collective et co-créative avec les projets ? Partout et nulle part… Quand
ressources locales (partie II). Mais cela ne fixer les rendez-vous ? quand vous arrive-
saurait suffire. rez… Comment aménager les terrains ? cela
Revenir sur l’expérience extrême vécue va se faire… Les circonstances restent
depuis la levée de fonds pour créer toujours mouvantes et instables, ouvertes
l’entreprise, au déploiement actuel sur plus et indéfinies. Alors le plaisir de l’inconnu,
de huit pays à partir d’une technologie de la découverte, de l’étonnement, de
innovante, sur un segment de marché l’ouverture à l’imprévu ne doit surtout pas
naissant, dans des contextes politisés à s’émousser sauf à vite se fatiguer, voire
l’économie financière incertaine, vient s’épuiser. La création de bifurcations
interroger le geste profond d’entreprendre devient plutôt le lot quotidien devant un
en Afrique. L’aventure extrême amène à chemin jamais tracé, ni linéaire.
une situation quasi suicidaire puisque l’on En cela l’Afrique fait découvrir le mur du
vise de nouveaux marchés avec de nouvel- monde. Ici, simplement, on apprend à
les offres (Sarasvathy, 2008, p. 93). reconnaître que l’on ne sait jamais ce qu’il
La théorie a dorénavant plutôt bien établi ce y a derrière le mur, ce que l’instant suivant
qu’est une stratégie et comment lui donner réserve avec sa part permanente de mystère.
forme. Il en va de même pour les qualités Les obstacles à franchir, les démarches à
attendues du dirigeant manager. La question entreprendre, les rencontres que l’on va
demeure plus ouverte sur la sensation à faire, etc. on ne sait rien a priori. Plus on
cultiver de la part du dirigeant stratège pour agit, plus on expérimente, plus on découvre,
amener une préservation de son être intime, plus le constat s’impose qu’il n’y a pas de
204 Revue française de gestion – N°285/2019

ligne claire possible. Il n’y a guère de techniques, sociales, économiques et poli-


connaissances qui puissent être mobilisées tiques, d’hier et d’aujourd’hui, sont rare-
de manière assurée. ment le fruit de desseins clairement établis,
Seule une certaine posture semble pragma- définitifs. Elles s’ancrent dans les circons-
tiquement opératoire et se révéler porteuse : tances rencontrées, dans l’exploitation de
celle de la recherche, du doute méthodique, ressources locales et la farouche volonté de
de l’interrogation continue sur les hypo- mouvement, de construction des êtres
thèses qu’il faut bien tenter d’élaborer sur humains, avec leurs quêtes et errements.
les situations vécues. Tout cela pour mieux Le Congo, à lui seul, indique la « définition
essayer de se forger une perception du hésitante du monde » (p. 708).
monde dans lequel on opère tout en sachant Cette part d’inconnu radical interroge direc-
le remettre en cause en permanence. tement le corpus en stratégie qui a retenu
Compte plus l’adoption d’une attitude que l’option qu’il fallait « savoir pour agir »
l’appui sur certaines connaissances établies. (selon le beau titre de Argyris) en faisant de
Devant cet inconnu permanent, la seule l’apprentissage organisationnel un principe
connaissance que l’on découvre vite, la fondateur de l’action collective. Pourtant on
seule certitude qui prend le dessus, c’est que saisit l’inverse : qu’il convient d’accepter, de
l’arrêt de l’action et la suspension du vivre et d’agir sans savoir, quitte à devoir se
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jugement ne garantissent aucune viabilité, tourner vers la pratique de la stratégie. Cette
ni à court terme, dans l’instant, ni à long pratique reste plus que jamais indispensable
terme. Le cheminement s’impose, l’expéri- pour gagner en habileté, pour s’exercer à
mentation continue, sauf à privilégier une devoir supporter et absorber l’inconnu. Les
option où finalement il ne se passera rien, où chemins, toujours en recomposition, appel-
le monde derrière le mur n’existera pas, où lent à développer un état d’alerte permanente
rien ne se construira. La construction se par une évaluation des situations. On ne sait
déploie entre la contingence des événements jamais sur quoi l’on va tomber, ce que l’on va
et l’invariance humaine visant à toujours trouver, comme interlocuteur, comme diffi-
vouloir faire, penser et dire. culté, comme situation et pourtant la pour-
Cette découverte prend toute sa mesure à la suite de l’œuvre initiée se tente, s’impose.
lecture de la magistrale fresque « Congo » La pratique de la stratégie dans tous ses
de David Van Reybrouk (2012). Celui-ci aspects forme et forge le caractère par lequel
nous plonge dans le temps de l’humanité, de on construit une identification suffisante
l’antiquité à nos jours, pour nous faire aux événements auxquels on contribue,
ressentir à travers l’histoire longue du aux mondes dont on accompagne la
Congo (ex Zaïre, dorénavant République construction.
démocratique du Congo) combien les Mais cela se fait sans fin.
événements du quotidien et de l’histoire
sont le fruit d’une fréquentation assidue de
2. Savoir agir sans fin devant l’infini
chemins non balisés et indéterminés. En
lenteur des transformations
nous exposant le quotidien d’aventuriers
comme Stanley ou simplement celui du Entreprendre en Afrique apparaît en pre-
peuple, il montre que les mutations mière instance comme merveilleux devant
L’Afrique, ou la stratégie devant le mur du monde 205

l’ampleur et l’amplitude des possibles. On resterait plus qu’une fossilisation des êtres
se retrouve comme un jardinier devant un et des institutions.
jardin d’Éden qui verrait l’abondance des Une sensation étrange prend forme, celle de
récoltes sans avoir à travailler la terre, sans l’absurde. On se sent comme Sisyphe qui
devoir déployer des efforts. Ce rêve, on peut remonte une pierre qui va de toute façon (re)
aisément l’imaginer en ressentant le champ dévalée la pente, indéfiniment. Dans le
des possibles, tant il y a à faire pour apporter Mythe de Sisyphe Albert Camus (1942) a
des biens et services au bénéfice des magistralement indiqué la posture à tenir :
organisations, des États, des entreprises, « vivre une expérience, un destin, c’est
des familles ou des individus. Se dessine les l’accepter pleinement… » (p. 78). Même si
contours d’une œuvre infinie où il y a tant et la vacuité peut être ressentie devant les
tant à construire, à créer. Mais quand il y efforts continuels à fournir, sa conscience
trop de tout, quand il y a tout à faire, seule permet d’accepter de poursuivre
brusquement le potentiel prend une tournure l’engagement vers des constructions et se
étrange. Il devient plus éprouvant que nourrir de révoltes pour déplacer des lignes,
prodigieux et désirable. des pierres.
L’action s’inscrit dans un engagement de Le corpus en stratégie semble loin de ces
tous les instants dont la construction finale sensations, même les perspectives dites
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s’éloigne au fur et à mesure des avancées. critiques. Les thèmes centraux que sont le
Ce mur du monde élève un édifice monté leadership, la résilience, le sensemaking,
pierre par pierre, jour après jour, sans fin. La l’intentionnalité, la gestion du changement,
sensation d’entreprendre renvoie à ces soulignent combien la possibilité d’une
maçons du temps des cathédrales qui œuvre absurde n’est pas intégrée. Comme
savaient que durant leur existence ils ne si cela faisait trop mal de le souligner, de
verraient pas la fin de l’œuvre. l’exprimer, de le reconnaître. Le corpus
Cette absence de fin ne concerne pas privilégie une image d’acteurs maîtres de
seulement l’engagement permanent dans leur œuvre, de leur destin, des finalités qu’ils
l’action et la construction. Elle interroge visent. Et pourtant, le réel est et reste bien là
plus en profondeur. La si lente transforma- avec son champ infini de possibilités qui
tion des esprits, des hommes, des ins- devient la source de l’absurdité. La pratique
titutions, des projets amène parfois à de la stratégie n’en devient pas moins une
douter de la réalité du changement. Et œuvre salutaire. Deux raisons au moins à
puis il y aura les retours en arrière, les cela.
barbaries qui se manifesteront de nouveau Face à l’adversité d’une construction sans
où les hommes prendront la voie de la fin, la stratégie offre une source et un
destruction réciproque. Rien ne sert de remède absolus pour et dans l’action.
s’inquiéter des finalités, car le temps Chaque jour offre son lot de difficultés,
humain ne permettra pas de connaître la de blocages mais aussi d’ouvertures, de
forme que tout cela aura finalement pris. bonnes nouvelles. Si l’on devait osciller, si
Juste accepter d’agir pour agir. Sans cette l’on devait vaciller, si l’on devait avoir des
tentative d’action sans fin, la vie s’estom- variations d’humeur au gré de ces fluctua-
perait, la respiration ne se ferait plus, il ne tions, l’âme et l’esprit seraient meurtris et
206 Revue française de gestion – N°285/2019

s’abimeraient, épuisés par la poursuite de Sensation alors vraiment étrange qui inverse
l’action. La stratégie assure le recul suffisant la situation communément admise à la suite
pour accepter, pour constater sans subir, de l’éducation reçue : l’être humain et la
juste pour poursuivre ce qui a été initié avec société ne maîtrisent plus rien. Ce sont les
persévérance et constance. forces de la Nature qui prennent le dessus.
Face à l’absurdité, à travers l’effort d’argu- Le mur du monde et sa construction
mentation et de formulation qu’elle exige, la paraissent alors bien vains, inutiles. De
stratégie désigne les situations en-cours. toute façon cela va s’effondrer, s’effriter,
Ainsi, malgré tout, elle provoque un atta- moisir, à plus ou moins brève échéance.
chement à l’action, aux autres, aux paysages, D’autres périodes de l’histoire avaient
au bénéfice d’un désir de s’engager encore reconnu la place de cet état de fait comme
plus avant sur les chemins empruntés. La l’atteste la présence significative du thème
stratégie n’indique peut-être par la voie, mais des vanités dans les peintures du 17e et 18e
assure la construction de ces briques élé- siècles. Ces vanités rappelaient à l’être
mentaires, des moyens requis, qu’il faut venir humain sa condition première de mortel.
poser indéfiniment sur ce mur qui construit le Même la bande dessinée Astérix évoque
monde, jour après jour. cette connaissance centrale avec l’empereur
Tout cela se fait pour rien, bien sûr… César toujours accompagné sur son char par
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cet esclave qui porte sa couronne et lui
3. Accepter d’agir pour rien devant susurre à l’oreille « Memento Mouri » pour
les forces de la Nature lui signifier que son triomphe n’est qu’é-
phémère, qu’il doit se souvenir qu’il va
La fréquentation assidue de l’Afrique centrale mourir.
met face à une Nature autre, tellement Apprentissage douloureux mais libératoire
particulière. Il ne s’agit pas ici d’affronter qui vise à agir pour la beauté du geste, pour
une Nature hostile par ses températures conserver sa capacité de vivre ce que l’on
extrêmes, de chaleur ou de froid, face à ressent comme important pour soi-même.
laquelle l’être humain excelle pour tenter de On retrouve dans ce mouvement la folie du
relever des défis et se surpasser. Là l’expé- voyage au combien démesuré de Fitzca-
rienceest toutautre devantces arbresetplantes raldo, dans le film de Wermer Herzog, où le
immenses, ces sous-bois impénétrables où héros tente de construire un opéra au milieu
grouillent tous types d’animaux. Cette Nature de la forêt amazonienne. Cette folie d’en-
domine, enserre. Impression bizarre que si treprendre malgré tout invite à une prise de
l’on devait rester au milieu d’elle, des racines distance singulière qui consiste à accepter
nous ancreraient dans le sol, le corps serait d’agir pour rien. Le taoïsme ou bien encore
envahi de plantes. La rencontre n’est plus avec Sénèque dans ses lettres à Lucilius avaient
une Nature hostile mais avec les forces infinies déjà indiqué la voie et la posture : ne pas
delavie.Du couplesobjetstechniques,queles chercher les fruits de l’action.
sociétés humaines aiment tant et tant produire Là encore, on éprouve un certain trouble
et développer souffrent, sont mis à rude alors qu’une catégorie aussi centrale pour le
épreuve, en étant parfois vites envahis par des corpus en stratégie que la performance perd
moisissures. de son intérêt. Entreprendre ne saurait être
L’Afrique, ou la stratégie devant le mur du monde 207

porté par une quête première de perfor- des situations tout en assurant une conti-
mance, quelle qu’elle soit7. Celle-ci est bien nuité de l’action. Là encore le nœud porte
trop éphémère pour représenter un ressort moins sur la quête finale que sur la
intime suffisant pour l’action. Si l’action s’y capacité d’agir, sur le maintien d’une
réfère régulièrement, alors une sorte de possibilité de faire. Bien que connue, cette
sensation de souffrance, de malaise prend persévérance de l’être dans l’action et par
petit à petit le dessus puisque jamais cette son action, comme les forces de la Nature,
performance ne sera vraiment au rendez- est trop souvent occultée en insistant plus
vous. Au lieu de porter l’être dans son sur la performance et les objectifs à
action, la référence à la performance satisfaire. Cette aptitude à se saisir du
enferme, peut même devenir source moment opportun, à mobiliser les circons-
d’angoisse. tances, à profiter du Kairos, a le mérite de
Face à ces forces de la Nature, la stratégie va rassurer en s’inscrivant dans une trajec-
encore opérer en devenant ce bâton sur toire tout en ressentant la simplicité
lequel s’appuyer et prendre racine. Elle relative des événements.
permet une double opération. Cette pratique de la stratégie, laisse libre
Par l’effort d’argumentation, de mise en court à l’action pour elle-même.
mots et en images, la stratégie vient indiquer Petit à petit, pas après pas, elle assure la
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des raisons d’agir. Elle aide à raconter et à se création d’un futur, donc d’un monde.
raconter l’histoire en train de se faire au
milieu du chaos des événements. Pas d’autre
CONCLUSION
option que de se doter d’une force d’action
face à la vivacité et la violence des processus À l’issue de ce rapide exposé d’un parcours
évolutionnaires sous-jacents que l’on qui a pris forme il y a plus de quatre ans, il
affronte dans la tornade quotidienne de me semble intéressant de revenir un instant
l’action. La pratique assidue de la stratégie sur un débat récurrent au sein du corpus
aide à s’extraire, à sortir de la confusion. théorique en stratégie : celui de la forme de
Sensation vraiment étrange, ô combien la recherche et les attentes que l’on peut
chaleureuse, que de ressentir cette maîtrise avoir vis-à-vis de la recherche. Ma sensi-
d’une compréhension des dynamiques à bilité initiale en faveur de la recherche
l’œuvre. La question ne concerne plus la pragmatique et ingénierique (Tannery et al.,
finalité, la performance, mais juste de 2014) a été confirmée au fur et à mesure de
parvenir à s’inscrire convenablement dans mon activité entrepreneuriale et de direc-
le temps. tion. Il y a les ouvrages et articles sur
Cette inscription s’appuie simultanément lesquels je peux m’appuyer pour réfléchir,
sur les systèmes de rationalisation mobi- innover, modéliser et concevoir le monde
lisés et mis en place. Les dispositifs sont là dans lequel j’interviens, que j’essaye de
pour faire avec, pour essayer de se jouer construire, pour tenter de distinguer les

7. Les propositions sur l’effectuation à partir des recherches initiales de Sarasvathy (2008) sont particulièrement
explicites et lumineuses sur cet aspect. La performance ne peut servir de guide, de fin en soi, pour l’entrepreneuriat
stratégique.
208 Revue française de gestion – N°285/2019

bonnes et les mauvaises stratégies (Rumelt, construire. Le mot qui me vient alors à
2011). Et il y a ceux qui n’offrent aucune l’esprit est acuité. Voilà ce dont j’ai besoin
image, qui établissent uniquement des au quotidien, de l’acuité, pour essayer de
relations entre des variables construites limiter mes erreurs tout en sachant que je
artificiellement sans aucune empreinte dans vais continuellement en commettre, que je
le monde réel. À ce titre les questions de ne choisirai pas toujours les bons vents,
pertinence et de rigueur, je les trouve un peu que certaines contrées et pays seront plus
dépassées face à mon quotidien. Je me difficiles que d’autres, que les échanges et
réfère simultanément aux deux critères, ou les relations sociales seront parfois compli-
bien à aucun des deux. Mon souci qués. Acuité, juste pour poursuivre
permanent est d’établir et manipuler des l’Odyssée si humaine d’Ulysse (Tesson,
hypothèses sur le réel pour mieux le 2018).

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L’Afrique, ou la stratégie devant le mur du monde 209

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