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Michel Bikoula
© Éditions du Commun | Téléchargé le 01/02/2023 sur www.cairn.info via Université Paris 8 (IP: 193.54.180.221)
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Michel BIKOULA
DÉCOUVRIR L’UNIVERSITÉ
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SE DÉCOUVRIR SOI À L’UNIVERSITÉ
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Mon dernier diplôme obtenu était un bac professionnel (section
commerce). Madame Marzouk m’informa qu’à son époque, il
était possible d’intégrer la licence sur équivalence professionnelle,
correspondant à un certain nombre d’années d’expérience dans un
champ professionnel en lien avec le cursus universitaire souhaité.
J’ai donc fait abstraction de mes doutes et j’ai tenté ma chance.
Je me suis donc penché sur la brochure des sciences de l’édu-
cation de l’université Paris 8. À vrai dire, c’était nouveau, pour
moi, de lire une brochure universitaire ; je ne l’avais jamais fait
auparavant. La syntaxe et les paragraphes étaient linéaires et
très structurés, quelque chose de nouveau et d’inédit pour moi.
J’avais l’habitude de lire des bandes dessinées. Lire une brochure
universitaire était pour moi une expérience nouvelle. Aussi
surprenant que ce fût, j’ai apprécié cette lecture, j’ai apprécié la
diversité des mots. Mais pour quelles raisons ? Bonne question.
Probablement parce que la plupart des mots m’étaient inconnus
ou, du moins, peu ou pas utilisés dans mon langage du quoti-
dien, ou, s’ils l’étaient, ce n’était pas de cette manière ou avec ce
sens. Parmi ces mots, l’intitulé en lui-même, « les sciences de
l’éducation », était quelque chose encore à explorer, à découvrir.
Dès lors, une première piste de réflexion m’est venue naturelle-
ment : « Que signifient les sciences de l’éducation ? ».
Sans toujours savoir ce que je lisais, je continuais à parcourir la
brochure, empli de curiosité, intrigué, et tout à la fois intéressé
par ce que je lisais. Je n’aurais jamais imaginé voir ce sentiment
survenir durant ma progression de lecture.
À ce moment précis, je me suis dit : « Michel pourquoi pas !
Ça ne coûte rien dans une vie. C’est une expérience et un
investissement sur soi-même ».
Ainsi, je me suis lancé dans cette nouvelle aventure, sans me
poser trop de questions, et sans appréhension. De la découverte
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J’ai donc commencé à rédiger cet écrit, avec l’appui de ma supé-
rieure hiérarchique.
L’écriture, pour moi, est un point très difficile. Ayant de
nombreuses lacunes en orthographe, cette première étape fut
vraiment un obstacle à affronter. De fait, j’étais dans le cœur du
cyclone, car je m’exposais à mes difficultés personnelles, limité
par un vocabulaire et une syntaxe approximatifs. Le soutien de
ma supérieure hiérarchique fut un apport bénéfique, avant tout
sur le plan rédactionnel, car cela m’a permis de découvrir des
codes d’écriture. J’ai été capable de développer une créativité à
l’occasion de ce moment d’écriture avec madame Marzouk.
Il m’a fallu une quinzaine de jours pour rédiger ma lettre
de motivation. Dans cette période, je devais concilier travail
professionnel et rédaction, une chose que je ne pensais pas
pouvoir réaliser mais qui, au fil du temps, s’est mise en place.
Cette gymnastique fut à la fois nouvelle, attrayante et enrichis-
sante. De fil en aiguille, un sentiment nouveau naquit en moi ;
je prenais goût à l’écriture. Pour quelle raison, je ne saurais dire.
Probablement parce que l’acteur de cet écrit, c’était bien moi : le
fait de m’investir sur moi, d’être capable de défendre ma candida-
ture et de faire toute cette démarche et, ceci, malgré toutes mes
lacunes dont j’avais conscience.
Après relecture de cette lettre de motivation avec madame
Marzouk, il était temps de la transmettre. Quelques jours après
l’envoi de cette lettre, je fus pris d’une appréhension. Est-ce que
ma lettre serait juste et adéquate, est-ce que mon profil pour-
rait correspondre au cursus « sciences de l’éducation », sachant
que je viens d’une filière commerce ? Mais, mes six ans d’expé-
rience pouvaient jouer en ma faveur. Par ailleurs, est-ce que mon
cursus scolaire ne me porterait pas préjudice ? Le fait d’avoir
obtenu un bac professionnel pouvait représenter une embûche
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faction. Je ne pensais pas que mon profil allait correspondre et
être retenu. La chose que je me suis dite : « qui ne tente rien n’a
rien ». Une vague d’émotion m’a submergé ; il y avait un mélange
de satisfaction, de fierté et d’accomplissement personnel.
Cependant, j’avais des doutes. Je ne savais pas si je serais
capable de supporter le rythme universitaire car, auparavant,
j’avais entendu dire par diverses personnes que ce rythme était
particulier et, aussi, très soutenu. Il fallait être en autogestion,
s’investir et comprendre le système universitaire. Serais-je
capable de supporter une telle charge de travail tout au long de
l’année ?
Malgré mes angoisses, ainsi que mes doutes, j’étais déterminé
à décrocher mon diplôme. Je savais que cela allait être plus
difficile pour moi que pour les autres étudiants en raison de
mon parcours. Connaissant mes lacunes grammaticales, j’étais
conscient que je devais faire preuve de rigueur, de détermination
et surtout d’assiduité mais, aussi, malheureusement pour moi,
travailler deux fois plus qu’un étudiant lambda.
Ainsi, en septembre 2015, me voici étudiant en sciences de
l’éducation à l’université de Paris 8 à Saint-Denis.
Ma première année est une phase d’adaptation dans un nouvel
environnement. Je découvre l’amphithéâtre, dont j’avais entendu
parler par ma sœur et par des amis qui avaient été inscrits à l’uni-
versité avant moi, mais qui n’avaient pas poursuivi pour diffé-
rentes raisons personnelles. Je prends conscience aussi qu’il faut
choisir des enseignements par bloc de 3 heures, avec 10 minutes
de pause entre chaque enseignement.
Ma première année fut très difficile, car la peur avait pris le
contrôle de mes émotions. En effet, reprendre des études à 28 ans
n’est pas facile. Tant de nouveautés et de choses à découvrir me
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à l’université était la plus forte. Pourquoi ? Je ne sais pas. Cela
était probablement dû aux efforts antérieurs que j’avais fournis
pour obtenir mon inscription. Et, effectivement, je ne pouvais
pas envisager d’abandonner. Me désengager était pour moi
inconcevable.
Je n’avais pas les moyens de payer mon année universitaire.
Mais malgré tout, je trouvais le moyen de me rendre dans certains
enseignements pour continuer à aguerrir mon savoir. Dans cette
situation, beaucoup d’étudiants auraient abandonné, mais moi
non. Malgré mon statut de clandestin, j’assistais à certains cours,
bien sûr pas à tous. Je m’accrochais à cette filière universitaire.
Être étudiant clandestin, c’est partir avec une balle dans le pied.
Tu sais qu’à tout moment le jeu peut s’arrêter. Il se peut que l’ad-
ministration découvre que je n’ai pas payé mon inscription. Je me
rends compte que le manque de ressource peut être un frein pour
les étudiants non boursiers et pour ceux qui se retrouvent dans
une situation précaire, inconfortable financièrement, alors qu’ils
ont envie de s’instruire et de se socialiser à l’université.
La troisième, et ultime année, fut celle du déclic. Plusieurs
rencontres inattendues, tout au long de l’année, me poussent
inconsciemment à donner le meilleur de moi-même. Je pense
que les rencontres peuvent être un tremplin pour un dépasse-
ment de soi-même, afin d’atteindre la réussite.
Tout a commencé un vendredi. J’avais sélectionné un cours avec
deux enseignantes, Delphine Leroy et Nicole Blondeau. La raison
pour laquelle j’avais choisi d’assister à cet enseignement était de
« tuer mon vendredi ». J’étais tombé dans une routine où je préfé-
rais rester avec mes amis à tenir le mur du bâtiment de 11 heures
du matin à 00 h, voire plus tard. Et je ne me reconnaissais plus. Je
commençais à me couper du monde. Mon objectif était d’éviter
de perdre du temps et, aussi, de sortir de ma zone de confort, car
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bancs de la fac. Lorsque j’étais à l’université, je ne pensais pas à
mon quotidien et j’étais libéré du poids que représente la vie de
banlieue et ses codes (bagarre, vol, fumer, etc.).
Lors des différentes séances avec Delphine et Nicole, j’ob-
serve que l’enseignement n’est pas magistral ; la configuration
était pour moi inédite car je n’avais jamais vu, dans une salle de
cours, une disposition des tables en cercle. Cette configuration
permettait d’avoir un rapport de réciprocité avec l’enseignante
et les autres étudiants. L’enseignante était sur un pied d’égalité
avec nous, elle faisait corps avec nous. Les échanges étaient
synchronisés, car nous pouvions tous nous voir pour échanger.
Je n’avais pas l’impression d’être en cours. Cela m’a donné envie
d’apprendre à communiquer et envie de connaître les autres
étudiants. C’était beaucoup. Mais cela devenait plus facile car
nous étions dans un atelier-débat où les différentes idées s’entre-
mêlaient et où il était donc plus simple d’échanger avec d’autres.
Je me souviens que Nicole venait souvent à notre rencontre.
Elle n’hésitait pas à venir nous « chercher ». J’aimais bien cela,
car ça me permettait de prendre la parole et de pouvoir exposer
ma réflexion, défendre mes idées, les exposer et les dire à haute
voix ; ça me permettait aussi de prendre part, de partager des
prises de parole.
J’ai connu d’autres enseignements où il m’arrivait de « m’ab-
senter ». Il fallait écouter l’enseignant et prendre des notes. Je
suis quelqu’un qui aime échanger et Nicole avait cette capacité
à venir à notre rencontre pour que l’ensemble du groupe d’étu-
diants reste actif ! et conserve cette dynamique d’échange. Je
pense être quelqu’un d’assez spontané. Il est arrivé que Nicole
parle d’un sujet et que, d’un coup, des mots fassent sens dans
mon esprit et m’incitent alors à prendre la parole. C’est comme si
elle enclenchait un interrupteur en moi ; cela me faisait écho et,
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de croire en mes capacités et a contrecarré mes lacunes. Parfois,
il m’est arrivé d’oublier que j’avais des difficultés à l’écrit, notam-
ment dans l’enseignement de Nicole. Je dispose d’une bonne
mémoire ; donc le fait d’être activement présent à l’oral a facilité
mon entrée en réflexion et ma capacité à développer mon propre
savoir, et à créer ma propre pédagogie.
Durant cet enseignement, l’une des choses qui m’a marqué,
c’est qu’un étudiant devait faire un « compte rendu » de la séance
précédente. C’était un moyen de garder un lien et une continuité
pour avancer de séance en séance, un exercice que j’ai beaucoup
apprécié car il nous permettait un feed-back de courte durée
sur le cours précédent afin de rentrer au mieux dans le nouveau
cours et qu’il nous faisait profiter du compte rendu d’une autre
personne qui, elle, avait perçu le cours différemment avec une
vision et un regard qui lui étaient propres. C’était un peu scolaire,
mais aussi ludique ; c’était avant tout un temps pour mesurer ce
que chaque étudiant avait compris. Parfois, cela pouvait conduire
à un échange collectif car nous n’étions pas tous d’accord sur les
sujets abordés. Je trouvais particulièrement intéressant d’être
capable de débattre tout en conservant une certaine neutra-
lité. C’était un moment que j’affectionnais parce qu’on pouvait
observer que des étudiants s’affirmaient, des étudiants qui ne
parlaient pas forcément facilement ou qui, au premier abord,
paraissaient timides ; on les voyait se transformer, échanger, s’ex-
poser et défendre leurs idées.
C’est par ce type de moments pédagogiques que j’ai pu me
socialiser avec d’autres. Un jour, une étudiante avait abordé la
situation de l’un de ses élèves qui avait des problèmes de disci-
pline. Elle était assistante d’éducation. Elle avait la volonté de
venir en aide à cet élève, car elle ne voulait pas que son comporte-
ment le pousse à interrompre ses études. Je ne me souviens plus
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avec Hashim dans l’enceinte de la fac pour échanger sur nos
trajectoires de vie. Cela me permettait, là aussi, d’enrichir mon
vocabulaire. Lors de nos échanges, j’arrivais à positionner des
mots que d’autres utilisaient en salle de cours.
A contrario, je sentais que j’apportais quelque chose durant
les échanges en salle de cours. J’étais fier de partager une
réflexion, des mots, une pensée. Le fait de venir d’un bac
professionnel n’était pas nécessairement un handicap, loin de
là. J’ai pu confronter mes idées avec celles d’autres étudiants ;
c’était enrichissant car nous n’étions pas toujours en accord. J’ai
apprécié cette diversité dans les manières de penser. Le point
positif a été pour moi de passer à l’oral durant cet enseignement
et d’être capable d’exposer mes idées et de les défendre. C’est
devenu l’un de mes atouts majeurs dans mes études. Défendre
ses idées, c’est un moyen de s’affirmer ! Tout en gardant une
certaine distance. C’est ce que j’ai ressenti lorsqu’il m’arrivait
de prendre la parole en cours et d’échanger. Un jour un ami
m’a dit : « on n’apprend pas tout à l’école, la meilleure école,
c’est l’école de la vie ». Il avait raison. C’est mon expérience
de vie qui m’a appris à défendre ainsi mon point de vue et de
l’argumenter.
Je me souviens aussi d’un autre enseignement lorsque j’étais
encore « étudiant clandestin ». C’était un enseignement d’Alain
Guy (psychanalyse). C’est grâce à cet enseignant que j’ai pris goût
à lire des ouvrages sur le développement personnel et la psycha-
nalyse, notamment Freud.
Lors de l’une des séances, nous avions évoqué la question du
désir d’apprendre. C’est quoi le désir d’apprendre et, surtout
d’apprendre quoi ? On peut apprendre à maîtriser un geste au
judo sans y prendre plaisir. La personne le fait peut-être car elle
veut apprendre à se défendre. Une personne veut peut-être se
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posant trop de questions qu’on se met en échec. On finit par ne
pas y aller ; on se met des barrières ainsi que des empêchements.
Pour en revenir au premier enseignement, un lien s’est créé
avec les deux enseignantes. Ce lien m’a permis de m’investir, et
c’est à partir de ce moment précis que l’envie de lire et d’écrire est
apparue. D’ailleurs, petite anecdote : le premier ouvrage univer-
sitaire que j’ai lu se nomme « Il n’y a pas d’identité culturelle »
de François Jullien. C’est un livre qui a attiré mon attention. En
lisant la préface, j’ai été brusqué par le vocabulaire employé et la
syntaxe des phrases. Au bout de 5 minutes, un mal de tête m’a
pris et je suis naturellement parti me coucher.
Je me suis rendu compte que j’étais inapte à lire cet ouvrage,
car j’avais une mauvaise compréhension des mots et des phrases.
Pour pallier cette difficulté, une idée m’est venue. J’ai imaginé un
procédé pour avoir une meilleure compréhension de ce que je
lisais. Chaque soir, avant de m’endormir, je récitais des mots qui
n’avaient pas spécialement de sens entre eux. J’ai développé mon
panel de mots et enrichi mon vocabulaire ; ce qui faisait appel
à mes fonctions cognitives et à mes capacités de mémorisation.
Ensuite, lorsque je marchais, je m’intéressais à ce qui était écrit
sur les panneaux publicitaires dans la rue ; je transformais ces
phrases en adoptant un langage plus soutenu tout en gardant la
même signification. Pourquoi ai-je agi ainsi ? Je ne sais pas du
tout ; c’est venu comme ça. Indirectement et sans le savoir, cet
exercice m’a permis d’avoir une meilleure compréhension de
l’ouvrage de François Jullien. J’ai appris à combler mes lacunes et
à dépasser mes difficultés par des procédés issus de mon imagi-
nation, et sans l’aide de personne.
Je pense que c’est à partir de ce moment que j’ai commencé à
développer certaines compétences intellectuelles. L’une d’entre
elle est la compréhension, le fait de lire et de comprendre. J’ai
très vite pris conscience que certains ouvrages étaient plus acces-
sibles que d’autres, mais qu’avec du travail chaque ouvrage était à
ma portée. En discutant avec Delphine et Nicole, elles ont déve-
loppé mon envie de lire des livres et d’en comprendre le sens. À
ce propos, un autre ouvrage m’a marqué, il s’agit des « Lettres de
Sénèque à Lucilius ».
Entre ma licence 3 et mon année de master 2, mon rapport
à l’écriture a beaucoup changé. Pendant mes années scolaires
antérieures, je n’étais pas spécialement adapté à l’écriture. Je
pense que le fait d’avoir été un « élève dyslexique » a représenté
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un frein pour moi, étant plus jeune. C’est sans doute pour cela
que j’ai toujours été plus à l’aise à l’oral. En y repensant, il est
vrai qu’à cette période j’ai été initié au théâtre. Cette pratique
sous forme ludique m’a permis d’être au-devant de la scène, ce
qui a considérablement exercé mon éloquence ; je pense qu’à
cette période, inconsciemment, le théâtre a désinhibé en moi
une peur de m’exprimer à la vue des autres. Le fait de consulter
un orthophoniste afin de soigner mes difficultés liées à l’écri-
ture était pour moi un calvaire plutôt qu’une aide. Aujourd’hui,
en y repensant, c’était vraiment plus une corvée qu’un soutien.
Par conséquent, ici, dans cette introspection, je dois mettre
en évidence que je n’ai jamais été réellement axé sur l’écriture
malgré un goût assez prononcé pour la lecture des mots.
À ce jour, cela fait maintenant 5 années que je suis inscrit à
l’université. Il a germé en moi quelque chose d’assez particulier,
voire d’inattendu, qui a littéralement changé mon rapport
à l’écriture. Effectivement, ma vision des choses a pris une
direction assez nouvelle : « oser et affronter ». Mon goût pour
les lettres s’est décuplé en licence. En effet, une perturbation
positive est survenue. La découverte d’un enseignement :
« le souci de soi ». En premier lieu, lors de cet enseignement
que j’ai suivi en licence avec Didier Moreau, je devais rendre
une note de synthèse. À ce moment-là, j’avais emprunté
comme livre « Les lettres de Sénèque à Lucilius ». Pour cette
note de synthèse, j’avais choisi de travailler sur la lettre XLV.
Ayant parcouru cette lettre, celle-ci m’a fait réfléchir et m’a
poussé à reconsidérer certaines questions telles que l’amitié,
l’enseignement, la dualité entre le bien et le mal, l’estime de
soi, les qualités, le pouvoir, des questions qui font partie d’une
éducation tout au long de la vie. La lecture de cette lettre a
été très inspiratrice dans mon développement spirituel ainsi
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pas pratiqué le théâtre, est-ce que cette dyslexie ne se serait pas
propagée à toute ma personnalité ? ». Probablement que je ne
serais pas devenu la personne que je suis aujourd’hui (avec une
facilité à me socialiser) et que cette difficulté aurait empiété sur
tout mon être. Avec du recul, en m’étant reconnu dans cette
lettre, j’ai ressenti cette dualité qu’il y a entre ce qui aura été un
bien pour moi (la pratique du théâtre) et un mal (les séances
d’orthophonie) car à ce moment-là de ma vie, ces deux pratiques
extra-scolaires m’ont fait comprendre que je ne prenais aucun
plaisir à me rendre chez l’orthophoniste. A contrario, le théâtre
me permettait d’extérioriser mon mal être.
Dans mon apprentissage à l’université, une découverte m’est
apparue importante : « les Sciences de l’éducation » ne nous
cantonnent pas à une seule matière. Le fait de lire des ouvrages
de différentes disciplines (philosophie, sociologie, psychanalyse)
m’a permis d’en prendre conscience. Un livre, en particulier, a
été un appui pour mon apprentissage à travers la découverte de
ce que signifie le souci de soi : « Souci et soin de soi. Liens et
frontières entre histoire de vie, psychothérapie et psychanalyse »
de Christophe Niewiadomski et Guy de Villers. En licence 3,
j’ai pu ainsi découvrir, avec plusieurs auteurs et chercheurs, les
diverses approches de l’histoire de vie ; l’une des approches que
j’ai appréciées a été celle de l’autobiographie langagière, décou-
verte au cours de l’enseignement de Nicole Blondeau. L’exercice
que Nicole nous proposait était de narrer notre parcours de vie
à partir, en particulier, d’anecdotes poignantes. À ce moment-là,
je n’étais pas conscient d’être pris dans une dynamique de
recherche. C’est au cours de l’année universitaire que, de fil en
aiguille, j’ai commencé à prendre la mesure de l’impact de diffé-
rentes structures sociales (famille, université, activité sportive)
sur ma trajectoire.
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conscience de « l’élégance des mots » et de la résonance qu’ils
pouvaient avoir sur ma conscience.
J’ai vécu une seconde expérience singulière dans ma « décou-
verte » de l’écriture : celle de l’entrée dans l’exercice du « journal
du moment » (Rémi Hess). Il s’agit ici d’écrire sur un support
(cahier, agenda, bloc note, etc.) des faits et situations de son
quotidien, dans l’instant présent, de manière rythmée et séquen-
tielle ; cette écriture peut intervenir en journée, de façon pério-
dique (matin/midi/soir) et dans des lieux insolites (transport,
salle d’attente, etc.). Elle a contribué à ce que je me connaisse
mieux et que je sache qui je suis réellement. Cependant, je n’ai
pas compris cela tout de suite ; ce fut un cheminement sur le
long terme. En effet, de fil en aiguille, le journal a été pour moi
un support thérapeutique me permettant d’entrer en intros-
pection de manière périodique sur ma vie quotidienne. Cette
pratique a commencé de manière anodine lors d’une journée
où une enseignante à fait intervenir Remi Hess. Durant cette
séance, j’ai eu l’occasion de lire certaines fresques de vie, extraits
de ses journaux. Je me souviens avoir été ému et touché par le
fait qu’il soit capable de partager et faire ressentir ses émotions
aux étudiants présents. Il nous a ouvert à une partie de son
intimité. Chacun de ses journaux était rédigé dans un format
spécifique : ils avaient différentes tailles et une hétérogénéité
dans l’écriture, dans le vocabulaire. Je découvre, à la lecture de
ses journaux, qu’il n’a pas peur de nous inviter dans son inti-
mité. C’est ce message que Remi Hess nous a transmis : écrire la
réalité, notre quotidien sans réticence et ni peur.
À la suite de cette rencontre, j’ai suivi un enseignement où
je devais tenir un journal et je me suis dit : « joue le jeu, tu ne
dois pas avoir peur d’écrire ». Ma première crainte venait de
ma dyslexie. Cependant, contre toute attente, j’ai accepté mes
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énonçant des faits particuliers du moment (anecdote, situation,
aléas du direct, etc.). Par conséquent, tout ce panel de mots et
de « faits » prenait forme de manière incongrue et spontanée.
Mon objectif n’était plus l’évaluation de l’enseignement et le
système de notation, même si c’était un facteur que je devais
toujours prendre en considération. J’avais adopté la posture
d’un individu qui considère que sa trajectoire d’apprentissage
est plus importante que la note butoir. En outre, j’étais entré
dans un processus d’histoire de vie : « mon histoire de vie ».
La difficulté que j’ai rencontrée dans l’écriture de mon histoire
de vie a été de trouver la bonne « profondeur » dans la façon
de me livrer, en posant ou non des filtres entre ma vie privée
et ma vie d’étudiant-chercheur. Malgré cela, j’ai continué à
recueillir des données et des situations pour mettre en forme
mon journal. Progressivement, j’ai senti plus de clarté dans mon
propos. Dans ce cycle d’écriture, je me suis laissé du temps pour
relire mon journal, c’est-à-dire qu’il était important pour moi
de prendre le temps de laisser mûrir cet écrit pour y revenir
plus tard. En faisant cela, j’ai découvert des choses qui m’ont
frappé, comme le fait d’écrire régulièrement et de s’apercevoir
qu’au même moment dans la journée « nous écoutons la même
musique ». J’ai recueilli dans mon journal beaucoup de petites
choses anodines. J’ai appris ainsi à mieux me connaître, et j’ai
compris que l’écriture devenait un outil dans mon développe-
ment personnel. Par la suite, pour donner plus de sens à mon
écrit, j’ai peaufiné mon vocabulaire ; et, pour ce faire, je me suis
appuyé sur la lecture d’ouvrages et de revues (sur Cairn). C’était
intéressant, dans une démarche de chercheur sur soi, d’aller à la
rencontre de ces différentes ressources. Dans cette écriture, j’ai
inscrit mes doutes, mes peurs, mes peines, mes faiblesses.
Je pense que la « rencontre », aller vers, est quelque chose qui
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peut réfléchir à ce que l’on a fait dans un temps calme. À travers
nos mots, on perçoit différemment la scène que nous avons
vécue ; on l’imagine autrement. On peut se la représenter d’une
nouvelle façon en changeant certains détails.
Lorsque j’écris, je prends du plaisir, car il s’agit de mon quoti-
dien. Quand on est impliqué dans son écriture, c’est avec encore
plus de plaisir qu’on prend le temps d’y ajouter des détails,
des couleurs, une atmosphère, un ton. C’est un écrit qui a
fait sens pour moi, bien que ça n’a pas toujours été facile avec
l’orthographe.
Ma langue maternelle est le français. C’est la langue qui m’a été
transmise par mon père et ma mère, qui sont tous deux d’origine
camerounaise et, pour qui, le français est leur deuxième langue
(leur langue maternelle est le béti). Le français m’a été transmis
et appris par la voix et certains mouvements du corps de mes
parents, ainsi que par la télé et mon institutrice d’école mater-
nelle. Bien avant que j’intègre l’école maternelle, ma mère me
lisait des histoires afin de me familiariser avec le français parce
que mes parents, chez moi, me parlaient français et camerounais.
Donc pour moi, c’était un peu dur de suivre les deux langues.
Je me rappelle que, dans ma salle de classe, les lettres de l’al-
phabet étaient écrites sur des feuilles accrochées en haut du
tableau, et je me souviens de séances d’entraînement où nous
répétions les lettres de l’alphabet, soit sous forme de chanson,
soit lettre par lettre. J’ai gardé un bon souvenir de cette méthode
d’apprentissage.
Dans mon enfance, une autre langue était donc présente chez
moi : c’était le béti, la langue maternelle de mon père et de ma
mère. Ils sont nés au Cameroun sont venus en France à l’âge de 15
ans pour mon père, et à l’âge de 21 ans pour ma mère.
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tion avec quelqu’un, j’essaye d’être le plus spontané possible tout
en restant dans une démarche réflexive afin de pouvoir répondre
ou apporter des éléments de réponses à mon interlocuteur.
À l’université, il m’est souvent arrivé de rencontrer des
étudiant·es et il y a, alors, un jeu qui se met en place. C’est comme
lorsque vous mettez une pièce dans la machine et que vous
essayez d’attraper la peluche qui vous plaît, vous n’êtes jamais
sûr de l’attraper. Dans une nouvelle interaction, c’est pareil ! Je
prends le temps de m’adapter et de laisser la personne s’adapter
à mon propos. Cela passe par un comportement, une posture, un
ton et des mots qui peuvent faire sens pour l’autre.
Je vais prendre un exemple, il m’arrive souvent de solliciter
des étudiants à l’université pour allumer ma cigarette. Parfois, je
suis conscient d’avoir mon briquet, mais c’est un prétexte pour
créer le contact avec l’autre. À l’image d’une clé qu’on utilise
pour démarrer un véhicule, il faut appuyer sur l’embrayage pour
démarrer correctement. Il en va de même lorsque je rencontre
un.e inconnu.e. Le prétexte du briquet, c’est la clé qui ouvre
une possibilité à la conversation. Dans certaines situations,
cela démarre avec la question suivante : « Tu es étudiant dans
quel domaine ? ». Lorsque cette question est lancée, la voiture
a commencé à rouler. Il faut maintenant passer les vitesses. « Et
toi ? Qu’est-ce que tu fais comme étude ici ? ». Lors de ce temps
d’échange, j’analyse la personne que j’ai en face de moi : son
niveau d’élocution, sa façon de se tenir, le timbre de voix, son
style vestimentaire. Grâce à cet inventaire, je peux me faire une
idée de la personne que j’ai en face de moi.
L’interaction avec un inconnu, c’est une possibilité d’apprendre
sur soi, de voyager un court instant dans le quotidien de l’autre
et de créer une connexion entre deux personnes. C’est un moyen
d’apprentissage et, d’après ce que j’ai vécu durant ces cinq
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intentionnel, car on oublie parfois qu’il est possible d’apprendre
dans l’institution sans passer par l’enseignant, l’amphithéâtre,
etc. Il s’agit d’une socialisation sur un mode auto-organisé.
Par contre, il m’a fallu du temps pour comprendre cela. On n’est
pas conscient de ces choses-là sur le moment, lorsqu’on arrive à
l’université. Il faut un laps de temps afin de se rendre compte
qu’il est possible d’apprendre dans l’institution sans la présence
des enseignants. J’apprends à me socialiser avec des outils qui
me sont personnels. Cela demande de la réflexion. Parfois, du
bon sens, du flair, de la tactique, et beaucoup d’observations.
Des ingrédients indispensables pour apprendre à se socialiser, et
apprendre tout court. Je ne demande pas un briquet à n’importe
qui. Je prends un temps pour l’observer. Mon humeur peut jouer
aussi. Si je suis pressé par le temps, car j’ai cours juste après, je
vais regarder si des fumeurs sont dans les parages, je vais m’ap-
procher d’eux mais je ne vais pas lancer une longue conversation.
Voilà, ce qui est intéressant : « lancer une conversation ». Je
pense être bon dans cet exercice. Lorsque je rencontre une
nouvelle personne, il faut créer une tension pour converser.
Lorsque je ne connais pas une personne, je ne débarque pas,
comme si j’arrivais de l’espace, en demandant à la personne
ce qu’elle fait dans la vie, même si je le pourrais. Cependant,
comme j’aime que le contact se crée, j’introduis une tension,
c’est-à-dire un élément qui va déclencher la conversation. Il peut
s’agir d’un détail vestimentaire, un compliment, une blague bien
placée. Avec cela, je crée les conditions pour pouvoir démarrer la
conversation.
Je prends un exemple, il m’est arrivé de manger seul à la café-
téria du campus. Ce jour-là, je ne voulais pas manger seul. Ainsi,
en arrivant devant une table, je vois une place de disponible, le
reste de la table est occupée par une étudiante. Je crée le contact
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faire un compliment ou une blague pour rendre la conversation
joyeuse.
Le jeu est aussi un espace d’apprentissage. Si je prends du
plaisir à considérer la socialisation comme un jeu. Je vais prendre
du plaisir à lire, enrichir mon vocabulaire, améliorer mes compé-
tences à m’exprimer. Dans le jeu, il y a une envie de gagner,
donc une règle de départ et une finalité, la défaite ou la victoire.
Dans la socialisation, il n’y pas de défaite car, même si nous ne
créons pas d’affinité avec la personne, il est possible de tirer de
bonnes choses d’une interaction. Il m’est arrivé de discuter avec
quelqu’un et qu’un mot employé par la personne me frappe et
fasse sens dans mon esprit. J’ai appris quelque chose. Lorsque
je suis en interaction avec quelqu’un, j’apprends à me nourrir de
son expérience. Les informations circulent dans les deux sens. Je
donne et je reçois. Ce que je reçois peut être une source d’inspira-
tion, de créativité, de motivation.
Je marche énormément dans la fac et j’observe alors davantage
puisque je suis en mouvement. L’observation me permet d’être
ancré dans mon environnement, de comprendre ce qu’il s’y
passe et de décoder les situations. Il m’arrive de savoir si deux
personnes sont en couple ou pas. Cela passe par un comporte-
ment, des gestes, des mouvements, une distance entre les deux
protagonistes.
Lorsque je me balade, je suis comme un touriste, je m’attends à
découvrir et rencontrer. Je n’ai pas peur de me retrouver dans des
situations inhabituelles.
Je trouve qu’il y a quelque chose de stimulant dans le fait de
sortir de sa zone de confort, à longueur de temps. C’est aussi ce
qui fait ma posture de chercheur. Je ne me contente pas de réflé-
chir. Je suis en action. Je produis cette recherche en action. Une
situation se présente et je m’engage à être en action dans celle-ci.
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qui ne veut pas dire que lorsque je suis assis durant trois heures
en salle de cours, je ne me sens pas bien. Il est évident que j’aime
être en mouvement et qu’un apprentissage en mouvement me
convient bien. Lors d’un enseignement universitaire, je ne suis
pas vraiment libre, car je suis contraint de suivre l’enseignement,
prendre des notes et ne pas perdre le fil au risque, sinon, de ne
pas avoir suffisamment d’éléments pour le valider.
J’arrive à mener cette double vie à l’université, à la fois l’étu-
diant et Michel. L’étudiant se plie aux règles telles que se rendre
à l’heure aux enseignements, écouter l’enseignant, interagir, etc.
Michel, lui, est différent en dehors de la salle de cours. Il peut
apprendre différemment dans l’enceinte de l’université. Il peut
s’introduire dans un enseignement sans que personne le sache, il
peut rencontrer, découvrir, s’autoriser à des possibilités.
J’ai pris l’exemple du tourisme parce que, lorsque je suis à
l’université, je suis en terre inconnue. C’est-à-dire que l’espace
ne m’appartient pas et je suis amené à croiser des inconnus au
quotidien. C’est similaire pour le touriste, il s’éloigne de son
domicile pour aller à la découverte. Il y a un changement d’es-
pace. C’est une dimension particulière dans le tourisme. Avec
une prise de recul, il est possible de voir les « coins attractifs »
de l’université. Par exemple, à chaque entrée de bâtiment, il est
possible de rencontrer des fumeurs avant et après les cours. C’est
un détail insignifiant, mais il mérite une attention. Pourquoi
ne pas s’éloigner de l’entrée du bâtiment ? Car, finalement, elle
marque aussi le sentiment d’appartenance à la discipline dans
laquelle nous étudions. Si je vois un groupe de fumeurs devant le
bâtiment A, je sais approximativement qu’il pourrait s’agir d’étu-
diants en Sciences de l’éducation, en psychologie, etc.
L’université représente un lieu touristique, en lien avec ce
que je recherche, c’est-à-dire l’interaction sous forme de jeu.
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à l’image de LinkedIn (réseau professionnel).
C’est cette prise de risque qui m’intéresse. Quel avantage il y a
à rester avec les membres de sa classe ? En tant que chercheur,
j’essaye d’aller, quand la situation se présente, à la rencontre de
l’autre. L’auto-organisation de son propre voyage d’apprentis-
sage. Cette auto-organisation prend souvent la forme d’un agen-
cement souple sans programmation stricte, avec de l’improvisa-
tion, de la flexibilité ; ce qui conduit à un autre rapport à l’espace
et au temps. On pourrait évoquer ainsi une certaine sérendipité
de ce type de voyage par opposition aux voyages courts beaucoup
moins favorables au hasard des rencontres.
Surmonter sa peur, c’est accepter de se laisser porter par ce
qui se passe, “de se relâcher”, c’est accepter d’autres fonction-
nements, un autre rapport au temps. Il est intéressant de voir
que la peur est en relation avec le fait d’attendre un fonctionne-
ment conforme à celui qu’on connaît. Surmonter la peur, c’est
apprendre à accepter des fonctionnements différents.
Sans prise de risque, on ne crée pas le contact ! La prise de
risque est donc la condition sine qua non ; c’est en sortant de
sa zone de confort que l’on crée le possible. Lorsque j’engage la
conversation avec la fille de la cafétéria, j’ose et j’ouvre la porte au
possible. Une tout autre attitude pouvait être adoptée dans cette
situation. J’aurais pu rester patiemment dans la file d’attente sans
lui adresser le moindre mot. À ce moment-là, l’interaction n’a
pas lieu, nous restons dans nos habitudes.
Cette situation me montre que je suis un observateur en action,
et que je porte une attention à mon environnement. C’est ce qui
me permet d’entrer en interaction avec celui-ci. Il suffit que j’en-
tende un mot, un son, que je remarque un détail, une situation,
une scène pour que je puisse entrer en action. La spontanéité
joue un rôle prépondérant pour créer des interactions. Si l’un
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et qui permet d’outiller ma compréhension des interactions et
du comportement des différents interlocuteurs avec qui nous
échangeons. Je suis quelqu’un qui affectionne l’échange au quoti-
dien, et peu importe le sujet de discussion. Mon expérience de
vie me montre que j’ai développé de la curiosité au fil des années.
C’est ce goût prononcé pour l’interaction qui m’a ainsi incité à
lire davantage. Apprendre de nouveaux mots, des nouvelles
expressions. C’est important pour moi de me mettre à jour
constamment.
Les mots permettent de voir le niveau d’instruction d’une
personne. Sa façon de s’exprimer et la posture qu’il a, son statut
social. Ces deux facteurs ne trompent pas généralement. En
discutant avec un.e inconnu.e, il est possible de voir si cette
personne lit des ouvrages. Un vocabulaire riche est dû à un temps
de lecture conséquent. Je le ressens pour ma propre personne.
Lorsque je lis chaque soir vingt pages avant d’aller dormir et que
je mémorise les mots qui me sont inconnus, j’enrichis mon voca-
bulaire et je peux ensuite utiliser ces mots lorsque j’interagis avec
des personnes. Je trouve ça plaisant de parler avec des mots que
l’on n’utilise pas forcément dans le quotidien.
Je ne me vois pas aller dans une salle de cours et écouter un
enseignant durant trois heures. J’ai besoin qu’un rapport de réci-
procité se développe. En prenant du recul, il me parait évident
que j’ai besoin d’un apprentissage en action et que l’enseignant
soit en interaction avec les étudiants. C’est très difficile de rester
concentré trois heures sans perdre le fil.
Dans les enseignements en action, j’ai l’impression d’ap-
prendre plus vite, car je suis dans le feu de l’action. Je joue un rôle
dans mon apprentissage. Il ne s’agit pas simplement d’écouter
l’enseignant. En licence, lors d’un enseignement, il était ques-
tion de lire des textes en groupe et de débattre autour de la
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étions quatre à présenter à tour de rôle le fruit de notre réflexion
concernant un ensemble de concepts tirés d’un texte scienti-
fique. C’était motivant de travailler en groupe et d’apprendre des
autres. Je me souviens que, lors de mon passage, je savais exacte-
ment ce que je voulais dire, mais, en écoutant mes camarades, j’ai
ajouté des éléments à mon propos, comme si le contenu exposé
par les autres étudiants avait ajouté une saveur particulière à ce
que j’allais prononcer. Il s’agissait d’un mot plus adéquat, d’une
tonalité dans le ton de la voix, de la posture. Je m’inspirais d’eux
sans le faire au détail prêt, dans l’optique de proposer quelque
chose de pertinent à l’oral. C’est dans ce type de situation que je
comprends pourquoi un chercheur ne peut pas travailler seul. Il
a besoin de se socialiser, de confronter ses idées, d’accaparer des
outils pour les transformer.
L’université est un endroit de rencontre. Au cours de ces cinq
dernières années, j’ai pu le constater. Il ne s’agit pas seulement
d’un endroit permettant de valider un diplôme. Il s’agit d’un
endroit de socialisation. Il suffit d’arriver à l’entrée de l’université
pour s’en rendre compte.