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Transverse

HISTOIRES DE FOOT
Petite cordée d’écritures

Martine Bodineau, Régis Garcia, Sébastien Joffres, Arsène Mbuma, Pascal Nicolas-
Le Strat, Louis Staritzky, Victor Van der Woldenberg

Éditions du Commun | « Agencements »

2022/1 N° 7 | pages 182 à 195


ISSN 2608-5739
ISBN 9791095630470
© Éditions du Commun | Téléchargé le 01/02/2023 sur www.cairn.info via Université Paris 8 (IP: 193.54.180.221)

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DOI 10.3917/agen.007.0182
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-agencements-2022-1-page-182.htm
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À LA RECHERCHE DE SOI
/ Transverse

Martine BODINEAU, Régis GARCIA, Sébastien JOFFRES,


Arsène MBUMA, Pascal NICOLAS-LE STRAT, Louis
STARITZKY, Victor VAN DER WOLDENBERG
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HISTOIRES DE FOOT
PETITE CORDÉE D’ÉCRITURES

Lors d’une recherche récente, que j’ai conduite avec Martine


Bodineau et Louis Staritzky, dans deux quartiers populaires de
l’agglomération de Dunkerque, j’ai partagé de longs moments
de chantier dans l’espace public avec des membres du collectif
1. Voir le blog : http:// En Rue1 qui auto – et co-construisaient avec les habitant·es les
fabriquesdesociologie.net/EnRue/ équipements (bancs, tables, barbecues…) qui manquaient cruel-
lement au quartier, en raison des manquements de la Collectivité
locale et du bâilleur social. De temps en temps, les chantiers s’in-
terrompaient pour une pause méritée et, immanquablement,
plusieurs personnes, principalement des hommes, se mettaient
en cercle et échangeaient des ballons. La culture foot. Un jour que
je passais à proximité, Féda m’interpelle et, dans un geste souriant,
m’adresse un ballon. Je le reçois, l’amortis sur la poitrine, le stabi-
lise sur la cuisse et le renvoie. Le ballon rebondira au sol sans
que personne ne s’en saisisse, tant la surprise des footballeurs fut
grande. Notre corps vit parfois des réminiscences, et réalise un
geste depuis longtemps oublié. Le foot est revenu en moi, un bref
instant, en raison de la surprise provoquée par l’envoi inattendu
de ce ballon. Si je l’avais anticipé, si je l’avais vu venir, mon corps
s’en serait inquiété et mon renvoi aurait été ce qu’il devait être,
un coup de pied quelconque. Enfouie, loin dans ma vie, existe

182 • AGENCEMENTS n°7 - mars 2022


Histoires de foot. Petite cordée d’écritures

une expérience forte avec le foot. Mon père s’occupait activement


de la société de foot de la petite ville dans laquelle nous vivions
et ma jeune enfance s’est déroulée au bord des stades, dans une
ambiance de match. En rangeant des photos, j’ai retrouvé l’une
d’elle, prise au tout début des années 60, où mon père pose avec
l’ensemble de son équipe. Amusé, j’ai eu envie de la partager à
plusieurs collègues et ami·es chercheur·es.
Plusieurs destinataires de mon message se sont pris au jeu et
ont partagé, eux et elles aussi, des souvenirs qui les lient à ce sport,
pour certains au passé, pour d’autres dans un présent encore
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actif. Les mails se sont enchaînés ; les récits invitant à d’autres
récits, les confidences suscitant une envie de partage, l’expé-
rience d’autres nous faisant (re)découvrir la sienne. Un texte a
pris progressivement forme, sans que nous en ayons eu l’inten-
tion, correspondance après correspondance. Un mouvement
d’écriture s’est développé, sans objectif de départ, du seul fait de
souvenirs qui se répondaient et d’expériences qui dialoguaient.
J’ai nommé ce mouvement « cordée d’écriture », car j’ai senti que
chaque écriture invitait la suivante, et la soutenait (la supportait,
pour le dire avec un mot du foot). Une cordée, effectivement.
Une impulsion est donnée (une adresse) et, ensuite, lettre après
lettre, une écriture collective fraie son chemin. Il ne s’agit pas
de l’écriture de tous, au travail, ensemble, sur un même texte.
Il s’agit d’une écriture qui rend un « effet d’ensemble » par l’en-
chaînement de courts textes (des lettres), chacun restant très
personnel. L’écriture atteint une portée collective par cet effet
de prolongement, de rebond, d’entrée en dialogue, qui trame,
raccorde, met en prise des écritures singulières qui ne cherchent
pas nécessairement à se répondre.
Cette petite cordée d’écriture à propos de souvenirs de foot
nous a fait expérimenter une « méthode » pour parvenir à écrire
à plusieurs, en encordant les écritures personnelles, sans cher-
cher à viser une écriture qui serait celle de tous.
Ce sont donc à la fois ces courts récits de foot que nous
proposons à la lecture et cette « méthode » que nous invitons à
découvrir.

Pascal NICOLAS-LE STRAT

AGENCEMENTS n°7 - mars 2022 • 183


À LA RECHERCHE DE SOI

Le premier message est donc adressé par Pascal le 2 janvier 2021.


L’objet du message indique : « Bonne année à mes amis footeux…,
et aussi aux autres ami·es ;-)) ».
Les auteur·es ont fait le choix de reproduire les correspondances
dans leur forme originale : seules quelques « coquilles » ont été
corrigées.
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Pascal : le 2 janvier 2021 à 20:44

Une photo retrouvée.


Moi, le foot, c’est plutôt ça ;-))

Mon père, 4e à partir de la gauche, debout. Il a créé la société


de foot de Viviers, où je suis né et où j’ai toujours ma maison
de famille, en 60-61, avec plusieurs des personnes présentes sur
cette photo. Il a joué jusqu’à 42 ans.
Toute mon enfance, j’ai passé mes dimanches sur les terrains
de foot. Nous arrivions sur le terrain et, premier grand moment,
ma mère guidait mon père pour l’endroit où il fallait qu’il gare la
voiture car elle regardait le match assise dans la voiture tout en
tricotant !
D’abord comme souvenir, une odeur, celle de la sueur et du
dolpic dans les vestiaires. La communauté entre hommes dans

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Histoires de foot. Petite cordée d’écritures

les vestiaires, je ne connaîtrai pas par la suite car je me tiendrai


très éloigné de toute préoccupation sportive et physique.
Et, puis, à la buvette du stade, l’achat d’un pschitt, avec un
choix cornélien, orange ou citron (la consommation de masse
n’était pas encore là). Je devais être vraiment très gamin, et
j’avais du mal à prononcer, je tente quand même de commander
mon pschitt… et tout le monde rigole au comptoir de la buvette.
Souvenir cuisant.
Il n’y avait pas toujours des arbitres officiels. De temps en
temps (rarement, heureusement !), mon père arbitrait. Et c’était
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terrible car il se faisait insulter tant et plus. Il avait la particularité
de ne pas siffler les fautes et de laisser jouer, profondément dans
son caractère. Et imperturbable sous les insultes.
Et puis des bagarres incroyables. Des matchs qui partaient en
pugilat, avec les spectateurs, les femmes de joueurs… Et mon
père qui ensuite tentait de calmer l’arbitre, voire de le protéger
et qui se retrouvait le dimanche soir à la gendarmerie pour tenter
d’enterrer tout ça.
Le foot quoi !
J’ai été licencié. J’ai dû faire trois ou quatre matchs officiels. En
pupille ? En position d’arrière. Déjà je laissais les brillants s’agiter
à l’avant ;-))
Et, grande surprise, quand je me lie avec Toni Negri vers 91, je
découvre que l’on peut être un grand philosophe et aimer le foot.
La différence organique entre les intellectuels français et italiens
(je ne vois pas Deleuze avec un ballon de foot, mais je vois très
bien Toni).
Je vous souhaite de belles et grandes choses pour l’année qui
vient. Nos désirs, nos pensées, nos amours, nos amitiés, nos
coopérations, nos corps, nos âmes, nos recherches, personne ne
parviendra à les confiner.

Amicalement
Pascal

AGENCEMENTS n°7 - mars 2022 • 185


À LA RECHERCHE DE SOI

Martine : le 2 janvier 2021 à 21:19

Hello,

J’ai d’abord cru qu’on allait te voir en tenue sportive, Pascal.


Vague regret :-)))

J’adore ces photos et leur contexte d’époque. Rien à voir avec les
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sportifs bariolés sponsorisés :-).
Et l’histoire est très chouette aussi : ça se fout sur la gueule, les
dames tricotent mais peuvent aussi se jeter dans la mêlée…
J’imagine que ça ne s’appelait pas incivilité ou violence, en ces
temps pas si lointains.

Je suis mise au défi de retrouver une photo de moi en footeuse,


il y a quelques décennies.
Je m’étais un peu formée, enfant, avec mon frère et ses potes.
Un match féminin organisé par mon papa, qui animait lui aussi
le club de foot local (masculin d’ordinaire).
Il me faudra aller fouiller dans la boîte à photo familiale
conservée par ma sœur.
J’ai participé à d’autres parties mixtes officieuses, plus tard.
J’aimais bien donner quelques coups en vache aux garçons pour
équilibrer ma moindre force physique et capacité technique :-))).
Une autre version des questions « genrées »…

A vos histoires alors !!!


MB

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Histoires de foot. Petite cordée d’écritures

Victor : le 3 janvier 2021 à 15:25


Merci beaucoup, Pascal et Martine, pour ces récits, images
et odeurs qui parlent forcément à tous les amateurs de ballon
rond, d’ici et d’ailleurs ! Ces anecdotes me renvoient à celles de
mon enfance, en même temps qu’elles me donnent envie de
les partager, motivé par les encouragements de Martine. Tout
comme elles ravivent certaines de mes réflexions.
Ce sont les souvenirs de mes nombreuses années passées à
jouer sur les terrains du complexe sportif du FC Carpentras. Dont
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le stade Honneur, celui des seniors, ses gigantesques tribunes
qui m’impressionnaient tellement, et sa pelouse impeccable sur
laquelle nous avions parfois le privilège de jouer. Là où, en finale
du tournoi international organisé chaque année par le club,
j’avais marqué le but égalisateur, devant une foule que j’imagine
encore en délire et beaucoup plus fournie qu’elle ne l’était vérita-
blement ! C’était contre Grasse, qui avait ouvert le score très tôt.
Nous l’avions finalement emporté 4-1. Je devais avoir 8 ou 9 ans,
à l’époque où, naïvement, je pensais encore avoir les pieds mais
surtout les épaules pour, un jour, faire de ma passion un métier !
Quelque part, le football amateur n’a pas vraiment changé,
toujours constitué de ses ambiances et rituels sympathiques, si
l’on met de côté les bagarres et les passages à la gendarmerie ! De
mon expérience actuelle à Lemasson, les arbitres ne sont peut-
être pas plus nombreux qu’avant, mais sont tout de même un peu
plus protégés.
Et paradoxalement, si le football amateur n’a pas vraiment
changé, le football d’aujourd’hui, au sens large, n’est plus le
même que celui d’hier. Comme celui de demain ne sera plus le
même que celui d’aujourd’hui. À ce sujet, cela me fait penser
que dans le football aussi, beaucoup d’initiatives ont été et
continuent d’être pensées en commun, surtout par les suppor-
ters, ceux qui prennent part à la vie de leur club. Ils doivent
aujourd’hui se battre pour défendre leur vision du football, et
tendent à être délaissés par les instances dirigeantes. Quant à
elles, bien souvent, tournées vers de nouveaux consommateurs,
souvent au détriment des fidèles qui se rendent au stade. En ces
temps difficiles, les matches ont d’ailleurs repris sans eux…
Pour ceux qui le souhaitent (et qui ont le temps), je vous invite à
lire les travaux de Nicolas Hourcade ou encore Ludovic Lestrelin,
qui décrivent mieux que moi toutes les dynamiques collectives

AGENCEMENTS n°7 - mars 2022 • 187


À LA RECHERCHE DE SOI

qui peuvent exister, notamment au sein du mouvement ultra


(différent des hooligans !). Tout comme vous pouvez aussi vous
renseigner sur l’histoire du Football Club United of Manchester,
qui m’avait marqué !

Bref, je m’arrête ici pour ce mail qui vient surtout vous souhaiter
une belle année à tous. Courage et force à tous, il me tarde de me
nourrir à nouveau de vos échanges, ainsi que d’y participer !
Victor
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Martine : le 4 janvier 2021 à 16:32
Merci Victor,

Les histoires appellent les histoires…


De là à ce que Pascal lance l’idée d’un article collectif :-)…
À bientôt
MB

188 • AGENCEMENTS n°7 - mars 2022


Histoires de foot. Petite cordée d’écritures

Régis : le 4 janvier 2021 à 22:07


Bonsoir,

C’est drôle, Martine, quand on a reçu le récit de Victor, je


me suis fait la même réflexion : “si ça continue ça va faire un
article…” ;)
Déjà l’histoire de Pascal, comme pour Martine et Victor appa-
remment, a immédiatement fait venir des images de mon foot à
moi. Et oui, moi aussi. Trois ans. Ça me paraît infiniment long
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quand je vois mon inaptitude à jouer au foot. En même temps
j’ai fait cinq ans d’allemand et je ne sais pas aligner trois mots.
Finalement, à mieux y réfléchir, je sais quand même peut-être
mieux jouer au foot que parler allemand. C’est dire. J’étais
arrière, comme Pascal, numéro 4. Je me souviens que j’aimais
bien le numéro. Par contre j’avais une totale appréhension du
ballon et mon espoir le plus profond était qu’il se tienne le plus
loin possible de moi, du coup je partageais avec mes coéquipiers
la joie de nous voir gagner. J’entends encore l’entraîneur crier de
loin : “Régis, arrête de ramasser les pâquerettes !” Je pense quand
même que c’était une image un peu caricaturale qu’il utilisait
pour me secouer, je ne me souviens pas avoir, réellement, cueilli
des pâquerettes.
Mais, il est vrai que je me souviens très bien d’un match
pendant lequel j’avais sympathisé avec un avant-centre de l’autre
équipe qui avait Canal + – j’étais passionné de cinéma et Canal
venait de sortir, mais pas chez moi – et nous avions beaucoup
discuté des derniers films qu’il avait pu voir.
L’autre image que vos histoires de foot ont fait venir, c’est aussi
celle de mon père, mais pas sur le stade, devant la télé. Les soirs
de foot, le vrai spectacle c’était lui en train de regarder le match.
Être à ce point emporté, vivre les actions en se levant, criant, a
toujours été un mystère, un moment d’étonnement très drôle, à
partager avec lui.
Voilà pour mes brèves de foot.
La bonne année à vous ! en espérant que nos prochains rendez-
vous tiendront !!!!
Régis

AGENCEMENTS n°7 - mars 2022 • 189


À LA RECHERCHE DE SOI

Martine : le 5 janvier 2021 à 17:40


Très jolie histoire aussi, Régis.
J’aime beaucoup celle des pâquerettes :-).
Et l’enchaînement continue parce que l’image de ton père
devant la télé me rappelle le mien.
Il se racontait dans la famille qu’en regardant un match avec
des amis, à l’époque où il n’y avait pas de télé dans toutes les
maisons, il s’était levé en hurlant et il avait cassé sa chaise en
retombant brutalement dessus.
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On verra si ça finit en article ou non :-))
MB

Louis : le 6 janvier 2021 à 15:19


Bonjour,

Puisqu’on ne s’envoie apparemment plus de vœux de bonne


année mais des histoires de football pour 2021, je vous transmets
un bout de la mienne :).
Mes souvenirs de foot, c’est avant tout des souvenirs de quar-
tiers, de terrains, de bandes… Mon premier moment c’était en
primaire au square de la Fontaine-à-Mulard. Le square sépa-
rait ma rue de la cité de la Brillat, un coin assez historique de
la géographie prioritaire de Paris. C’est ici que j’ai rencontré
certains amis avec qui je joue encore aujourd’hui au foot, vingt-
cinq ans plus tard, dans une ligue auto-arbitrée.
Le square n’avait pas de terrain de foot à proprement parler,
les rangées d’arbres qui se faisaient face délimitaient l’espace de
jeu et les buts. Le sol était en sable très fin et poussiéreux avec de
gros cailloux qui pouvaient laisser de belles traces sur les genoux
quand nous tombions. Aujourd’hui, le square a bien changé. Le
budget participatif de Paris a financé un projet de fleurissement
du lieu qui, d’extérieur, devait paraître bien pauvre et délaissé,
rendant ainsi notre terrain de foot improvisé définitivement
inaccessible. Comme le terrain de foot n’était visible que depuis
nos regards, ils n’ont pas dû se rendre compte qu’ils l’avaient
démoli.

190 • AGENCEMENTS n°7 - mars 2022


Histoires de foot. Petite cordée d’écritures

Arrivés au collège nous avions, de toute façon, déjà migré


vers un autre terrain. Dans un élan d’inspiration nous avions
surnommé ce nouveau terrain : « le terrain » et tout le monde
savait de quel terrain on parlait quand on disait : « rendez-vous
au terrain » ! Il s’agissait d’une sorte de petit city-stade en béton,
avec un grand banc en brique qui faisait tout le tour. Entre mes
onze et mes quinze ans c’est probablement l’un des lieux où j’ai
passé le plus de temps. Nous y étions tous les week-ends et tous
les jours de la semaine, dès que nos cours se terminaient, parfois
même avant. Les premiers arrivés faisaient des « soixantes »
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ou des « goal à goal » en attendant que nous soyons au moins
dix pour commencer un match. Après une heure de jeu, le
terrain était généralement rempli de plusieurs équipes de cinq,
auto-constituées par ordre d’arrivée, et nous devions alors orga-
niser un tournoi. Quand nous voulions mettre de l’enjeu et de
l’intensité dans un match nous mettions en jeu une canette de
Real Cola pour l’équipe gagnante. La canette de soda leader price
coûtait 15 centimes au Franprix du quartier, les vainqueurs se
partageait la boisson en 5 gorgées équitables !
Un jour le terrain a été condamné pour travaux. Nous n’avions
pas reçu de pré-avis d’expulsion, ils n’avaient probablement pas
dû remarquer que nous étions les usagers exclusifs du lieu, et
qu’à ce titre, notre avis aurait pu compter. Ils l’ont détruit pour
en construire un aux « normes », avec grillage, revêtement et
dimensions standards. Nous n’avons plus jamais remis les pieds
au « terrain », d’ailleurs ce n’était plus « le terrain » c’était un
terrain, si un autre groupe voulait y mettre des guillemets qu’il le
fasse, nous, nous avions déjà migré vers un autre terrain…
Ces premiers moments de foot, d’occupations collectives de
lieux, d’autogestion du temps par une communauté de pratiques,
de gratuité (sauf quand nous mettions en jeu des canettes), ont
durablement marqué mes rapports à la ville et aux quartiers
populaires.
Une bonne année à tous !

À bientôt
Louis

AGENCEMENTS n°7 - mars 2022 • 191


À LA RECHERCHE DE SOI

Arsène : le 8 janvier 2021 à 11:19


Hello les amis footeux !

(C’est drôle que j’utilise ce terme alors qu’adolescent, je l’ai


toujours détesté. Je trouvais qu’il ne mettait pas assez en avant
le caractère sérieux de l’affaire. Pire, footeux pour moi c’était
un peu comme clown, le terme faisait offense à ma pratique.
Heureusement depuis j’ai soigné (un peu) mes névroses)
Quel plaisir de vous lire, et forcément les souvenirs remontent
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à la surface pour moi aussi. Alors j’en partage quelques-uns !
Le foot chez moi c’était d’abord voir ma mère batailler. Batailler
pour m’inscrire en sports études à 11 ans au collège Pierre Moreto
de Thuir, près de Perpignan. Ils ne voulaient pas m’inscrire parce
que je ne faisais pas (encore) de foot en club. D’autres pour-
tant étaient dans mon cas, ce qui fut dur à accepter pour elle.
J’ai quand même pu passer des tests de sélection, tests que j’ai
réussis pour moi, mais surtout pour nous. Je me souviens que
pour me préparer aux tests je jouais seul sur la grande place de la
mairie, la place de la république de mémoire.
Jouer n’est pas le mot qui convient, non je m’entraînais sur
la place de la mairie. Jongle pied droit, pied gauche. Têtes. En
faire le plus possible. Conduite de balle (slalom), pied droit,
pied gauche, entre les poteaux qui délimitaient l’espace piéton
(on appelait ça les bites). Seul jusque tard, et ma mère qui me
guettait par la fenêtre. Je me souviens l’avoir vue batailler pour
m’emmener au foot au milieu de tous ces hommes, avec lesquels
elle n’avait aucune proximité nous qui n’étions sur le territoire
français que depuis peu. Elle n’était pas à la buvette. Elle tenait à
prendre sa voiture et être là, malgré sa conduite disons… approxi-
mative. Cette conduite qui nous faisait partir souvent très, très,
très tôt pour arriver à l’heure du rdv pour le match à l’extérieur.
Elle était juste là, sur les gradins ou dans la voiture à me regarder,
uniquement moi (ma petite sœur jamais très loin). Elle ne regar-
dait pas le jeu, elle me regardait moi. Je crois que – de son propre
aveu – elle ne connaissait pas très bien les règles. Par contre elle
était capable de dire avec fermeté et assurance si j’avais fait un
bon match. Ce qui me frustrait “maman, tu ne sais même pas
ce que c’est un hors-jeu comment peux-tu me dire que j’ai fait
un mauvais match ?” Pourtant elle savait. Si les hommes de la
buvette parlaient de moi, nous souriaient en partant du stade,

192 • AGENCEMENTS n°7 - mars 2022


Histoires de foot. Petite cordée d’écritures

c’est que j’avais fait un bon match.


Le foot pour ma mère et comme dans beaucoup de familles,
c’était quelque chose de sérieux. Clairement une porte de sortie.
Je n’allais pas vraiment au foot pour m’amuser, bien que j’y aie
pris du plaisir évidemment. Mais dans mes jeunes années, j’al-
lais au foot pour y réussir. C’est un peu cliché ? C’était pourtant
énoncé clairement, et c’est comme ça que nous le percevions.
D’ailleurs une fois les espoirs de nous voir réussir éteints (mon
grand frère a tutoyé le haut niveau un temps) elle n’a plus parlé
de foot.
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Maintenant on s’en amuse.

Belle année à tous et au plaisir de vous revoir bientôt


Arsène

Sébastien : le 6 avril 2021 à 11:11


Bonjour à vous,

Je ne réagis que maintenant.


J’ai tardé à prendre la parole, par impression de n’avoir rien à
dire, d’être dans un échange dans lequel je me sens à côté ; je
n’ai pas d’affection particulière pour ce sport, ni de souvenirs
auxquels je tienne particulièrement en lien avec le ballon rond.
Du foot, j’ai surtout une rencontre manquée à raconter, en trois
souvenirs principaux. Tout d’abord, il y a les matchs en 1 contre 1
ou 2 contre 2 (un peu plus lorsqu’il y avait des invités) avec mes
voisins. Je n’ai jamais bien joué, mon voisin, du haut de ses 8
à 12 ans savait faire preuve d’une grande pédagogie, patience et
adaptabilité à mon bas niveau et celui de ma sœur. Pourtant,
on jouait souvent. Je ne sais pas comment il réussissait à appré-
cier. Ensuite vient le souvenir de vacances chez mon meilleur
ami, amateur de foot avec son frère. Et ce dernier, l’aîné, un vrai
tyran par moment, qui nous obligeait à venir jouer avec lui sur le
terrain du quartier alors qu’on avait d’autres projets. Ça doit être
lié à ma timidité et au fait que je n’ai jamais été à l’aise avec la viri-
lité sportive (bien que je découvre que vous l’êtes et que ça ne m’a
jamais dérangé !). Pour terminer, une année, je me suis inscrit

AGENCEMENTS n°7 - mars 2022 • 193


À LA RECHERCHE DE SOI

au club de foot pour l’entraînement du samedi matin. Après 2


séances, l’entraînement est passé l’après-midi pour arranger une
des familles probablement importantes du club. De mon côté,
j’avais une activité à mon église, plus importante que le foot.
Donc, j’ai arrêté. Tout ça pour une famille ! Quelques années
après, le père, dentiste, est devenu maire. Un notable peut-être ?
Mais… J’ai pris grand plaisir à vous lire. Chaque message me
faisait voyager un peu. J’ai imaginé Louis avec son terrain cabossé,
la mère d’Arsène et la place d’un village proche de Perpignan, le
père de Pascal à la gendarmerie. Chacun portait un petit univers,
© Éditions du Commun | Téléchargé le 01/02/2023 sur www.cairn.info via Université Paris 8 (IP: 193.54.180.221)

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un petit acteur-réseau-foot qui contribue à faire LE foot. Et ça,
j’ai trouvé que ça faisait recherche. J’ai trouvé dingue de voir
comment à partir de quelques anecdotes on voyage à travers un
monde social.
Dans le fond, si j’écris, ce n’est pas pour partager ces souvenirs
de non-foot, c’est plutôt motivé par ce que j’entraperçois dans
la dynamique de vos échanges et dans ce qu’ils stimulent chez
moi. Dans la succession de mails que l’on pourrait voir comme
une simple correspondance se trouve à mon avis une méthode
implicite drôlement intéressante sur un plan politique. Personne
n’a vraiment répondu à personne, soit au sens de commenter en
surplomb l’histoire de l’autre comme s’il y avait une vérité supé-
rieure à tirer des expériences de chacun, soit au sens de mettre un
terme à la tension narrative engagée. Plutôt, chacun a répondu à
partir de ce que suscitaient en lui les histoires précédentes et en
jouant franc-jeu sur ce plan. Pas de réponse terme à terme, pas de
clôture, aucun recouvrement d’un autre récit par le sien.
Cette « méthode » de correspondance, je l’ai remarquée dans
mes échanges avec Pascal. Je crois qu’on s’est très rarement
répondu l’un à l’autre au sens d’apporter une réponse définitive à
une question posée. On l’a bien sûr fait un peu sur des questions
de scolarité liées au master, puis à la thèse dans une logique infor-
mationnelle. Mais la part la plus importante de nos échanges
(et ils sont sacrément conséquents) a été de répondre en échos
personnels, d’explorer, à partir du récit de l’autre, une portion de
son expérience. Si je dois utiliser des métaphores, je dirais que
« répondre terme à terme » revient à accueillir quelqu’un à un
guichet, prendre sa question, lui donner les réponses fixées par
l’institution et passer au suivant. Mais ici, notre échange s’ap-
parente plutôt à une promenade amicale au cours de laquelle a
lieu une longue discussion qui suit les rebonds des propos de

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Histoires de foot. Petite cordée d’écritures

chacun, les réminiscences suscitées, et surtout implique chacun


à partir de son vécu et non de son statut, dans une forme égali-
taire de l’échange où ce qui compte est l’implication et non la
subordination.

Sébastien
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