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HISTOIRES DE FOOT
Petite cordée d’écritures
Martine Bodineau, Régis Garcia, Sébastien Joffres, Arsène Mbuma, Pascal Nicolas-
Le Strat, Louis Staritzky, Victor Van der Woldenberg
© Éditions du Commun | Téléchargé le 01/02/2023 sur www.cairn.info via Université Paris 8 (IP: 193.54.180.221)
DOI 10.3917/agen.007.0182
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-agencements-2022-1-page-182.htm
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HISTOIRES DE FOOT
PETITE CORDÉE D’ÉCRITURES
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actif. Les mails se sont enchaînés ; les récits invitant à d’autres
récits, les confidences suscitant une envie de partage, l’expé-
rience d’autres nous faisant (re)découvrir la sienne. Un texte a
pris progressivement forme, sans que nous en ayons eu l’inten-
tion, correspondance après correspondance. Un mouvement
d’écriture s’est développé, sans objectif de départ, du seul fait de
souvenirs qui se répondaient et d’expériences qui dialoguaient.
J’ai nommé ce mouvement « cordée d’écriture », car j’ai senti que
chaque écriture invitait la suivante, et la soutenait (la supportait,
pour le dire avec un mot du foot). Une cordée, effectivement.
Une impulsion est donnée (une adresse) et, ensuite, lettre après
lettre, une écriture collective fraie son chemin. Il ne s’agit pas
de l’écriture de tous, au travail, ensemble, sur un même texte.
Il s’agit d’une écriture qui rend un « effet d’ensemble » par l’en-
chaînement de courts textes (des lettres), chacun restant très
personnel. L’écriture atteint une portée collective par cet effet
de prolongement, de rebond, d’entrée en dialogue, qui trame,
raccorde, met en prise des écritures singulières qui ne cherchent
pas nécessairement à se répondre.
Cette petite cordée d’écriture à propos de souvenirs de foot
nous a fait expérimenter une « méthode » pour parvenir à écrire
à plusieurs, en encordant les écritures personnelles, sans cher-
cher à viser une écriture qui serait celle de tous.
Ce sont donc à la fois ces courts récits de foot que nous
proposons à la lecture et cette « méthode » que nous invitons à
découvrir.
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Pascal : le 2 janvier 2021 à 20:44
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terrible car il se faisait insulter tant et plus. Il avait la particularité
de ne pas siffler les fautes et de laisser jouer, profondément dans
son caractère. Et imperturbable sous les insultes.
Et puis des bagarres incroyables. Des matchs qui partaient en
pugilat, avec les spectateurs, les femmes de joueurs… Et mon
père qui ensuite tentait de calmer l’arbitre, voire de le protéger
et qui se retrouvait le dimanche soir à la gendarmerie pour tenter
d’enterrer tout ça.
Le foot quoi !
J’ai été licencié. J’ai dû faire trois ou quatre matchs officiels. En
pupille ? En position d’arrière. Déjà je laissais les brillants s’agiter
à l’avant ;-))
Et, grande surprise, quand je me lie avec Toni Negri vers 91, je
découvre que l’on peut être un grand philosophe et aimer le foot.
La différence organique entre les intellectuels français et italiens
(je ne vois pas Deleuze avec un ballon de foot, mais je vois très
bien Toni).
Je vous souhaite de belles et grandes choses pour l’année qui
vient. Nos désirs, nos pensées, nos amours, nos amitiés, nos
coopérations, nos corps, nos âmes, nos recherches, personne ne
parviendra à les confiner.
Amicalement
Pascal
Hello,
J’adore ces photos et leur contexte d’époque. Rien à voir avec les
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sportifs bariolés sponsorisés :-).
Et l’histoire est très chouette aussi : ça se fout sur la gueule, les
dames tricotent mais peuvent aussi se jeter dans la mêlée…
J’imagine que ça ne s’appelait pas incivilité ou violence, en ces
temps pas si lointains.
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le stade Honneur, celui des seniors, ses gigantesques tribunes
qui m’impressionnaient tellement, et sa pelouse impeccable sur
laquelle nous avions parfois le privilège de jouer. Là où, en finale
du tournoi international organisé chaque année par le club,
j’avais marqué le but égalisateur, devant une foule que j’imagine
encore en délire et beaucoup plus fournie qu’elle ne l’était vérita-
blement ! C’était contre Grasse, qui avait ouvert le score très tôt.
Nous l’avions finalement emporté 4-1. Je devais avoir 8 ou 9 ans,
à l’époque où, naïvement, je pensais encore avoir les pieds mais
surtout les épaules pour, un jour, faire de ma passion un métier !
Quelque part, le football amateur n’a pas vraiment changé,
toujours constitué de ses ambiances et rituels sympathiques, si
l’on met de côté les bagarres et les passages à la gendarmerie ! De
mon expérience actuelle à Lemasson, les arbitres ne sont peut-
être pas plus nombreux qu’avant, mais sont tout de même un peu
plus protégés.
Et paradoxalement, si le football amateur n’a pas vraiment
changé, le football d’aujourd’hui, au sens large, n’est plus le
même que celui d’hier. Comme celui de demain ne sera plus le
même que celui d’aujourd’hui. À ce sujet, cela me fait penser
que dans le football aussi, beaucoup d’initiatives ont été et
continuent d’être pensées en commun, surtout par les suppor-
ters, ceux qui prennent part à la vie de leur club. Ils doivent
aujourd’hui se battre pour défendre leur vision du football, et
tendent à être délaissés par les instances dirigeantes. Quant à
elles, bien souvent, tournées vers de nouveaux consommateurs,
souvent au détriment des fidèles qui se rendent au stade. En ces
temps difficiles, les matches ont d’ailleurs repris sans eux…
Pour ceux qui le souhaitent (et qui ont le temps), je vous invite à
lire les travaux de Nicolas Hourcade ou encore Ludovic Lestrelin,
qui décrivent mieux que moi toutes les dynamiques collectives
Bref, je m’arrête ici pour ce mail qui vient surtout vous souhaiter
une belle année à tous. Courage et force à tous, il me tarde de me
nourrir à nouveau de vos échanges, ainsi que d’y participer !
Victor
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Martine : le 4 janvier 2021 à 16:32
Merci Victor,
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quand je vois mon inaptitude à jouer au foot. En même temps
j’ai fait cinq ans d’allemand et je ne sais pas aligner trois mots.
Finalement, à mieux y réfléchir, je sais quand même peut-être
mieux jouer au foot que parler allemand. C’est dire. J’étais
arrière, comme Pascal, numéro 4. Je me souviens que j’aimais
bien le numéro. Par contre j’avais une totale appréhension du
ballon et mon espoir le plus profond était qu’il se tienne le plus
loin possible de moi, du coup je partageais avec mes coéquipiers
la joie de nous voir gagner. J’entends encore l’entraîneur crier de
loin : “Régis, arrête de ramasser les pâquerettes !” Je pense quand
même que c’était une image un peu caricaturale qu’il utilisait
pour me secouer, je ne me souviens pas avoir, réellement, cueilli
des pâquerettes.
Mais, il est vrai que je me souviens très bien d’un match
pendant lequel j’avais sympathisé avec un avant-centre de l’autre
équipe qui avait Canal + – j’étais passionné de cinéma et Canal
venait de sortir, mais pas chez moi – et nous avions beaucoup
discuté des derniers films qu’il avait pu voir.
L’autre image que vos histoires de foot ont fait venir, c’est aussi
celle de mon père, mais pas sur le stade, devant la télé. Les soirs
de foot, le vrai spectacle c’était lui en train de regarder le match.
Être à ce point emporté, vivre les actions en se levant, criant, a
toujours été un mystère, un moment d’étonnement très drôle, à
partager avec lui.
Voilà pour mes brèves de foot.
La bonne année à vous ! en espérant que nos prochains rendez-
vous tiendront !!!!
Régis
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On verra si ça finit en article ou non :-))
MB
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ou des « goal à goal » en attendant que nous soyons au moins
dix pour commencer un match. Après une heure de jeu, le
terrain était généralement rempli de plusieurs équipes de cinq,
auto-constituées par ordre d’arrivée, et nous devions alors orga-
niser un tournoi. Quand nous voulions mettre de l’enjeu et de
l’intensité dans un match nous mettions en jeu une canette de
Real Cola pour l’équipe gagnante. La canette de soda leader price
coûtait 15 centimes au Franprix du quartier, les vainqueurs se
partageait la boisson en 5 gorgées équitables !
Un jour le terrain a été condamné pour travaux. Nous n’avions
pas reçu de pré-avis d’expulsion, ils n’avaient probablement pas
dû remarquer que nous étions les usagers exclusifs du lieu, et
qu’à ce titre, notre avis aurait pu compter. Ils l’ont détruit pour
en construire un aux « normes », avec grillage, revêtement et
dimensions standards. Nous n’avons plus jamais remis les pieds
au « terrain », d’ailleurs ce n’était plus « le terrain » c’était un
terrain, si un autre groupe voulait y mettre des guillemets qu’il le
fasse, nous, nous avions déjà migré vers un autre terrain…
Ces premiers moments de foot, d’occupations collectives de
lieux, d’autogestion du temps par une communauté de pratiques,
de gratuité (sauf quand nous mettions en jeu des canettes), ont
durablement marqué mes rapports à la ville et aux quartiers
populaires.
Une bonne année à tous !
À bientôt
Louis
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à la surface pour moi aussi. Alors j’en partage quelques-uns !
Le foot chez moi c’était d’abord voir ma mère batailler. Batailler
pour m’inscrire en sports études à 11 ans au collège Pierre Moreto
de Thuir, près de Perpignan. Ils ne voulaient pas m’inscrire parce
que je ne faisais pas (encore) de foot en club. D’autres pour-
tant étaient dans mon cas, ce qui fut dur à accepter pour elle.
J’ai quand même pu passer des tests de sélection, tests que j’ai
réussis pour moi, mais surtout pour nous. Je me souviens que
pour me préparer aux tests je jouais seul sur la grande place de la
mairie, la place de la république de mémoire.
Jouer n’est pas le mot qui convient, non je m’entraînais sur
la place de la mairie. Jongle pied droit, pied gauche. Têtes. En
faire le plus possible. Conduite de balle (slalom), pied droit,
pied gauche, entre les poteaux qui délimitaient l’espace piéton
(on appelait ça les bites). Seul jusque tard, et ma mère qui me
guettait par la fenêtre. Je me souviens l’avoir vue batailler pour
m’emmener au foot au milieu de tous ces hommes, avec lesquels
elle n’avait aucune proximité nous qui n’étions sur le territoire
français que depuis peu. Elle n’était pas à la buvette. Elle tenait à
prendre sa voiture et être là, malgré sa conduite disons… approxi-
mative. Cette conduite qui nous faisait partir souvent très, très,
très tôt pour arriver à l’heure du rdv pour le match à l’extérieur.
Elle était juste là, sur les gradins ou dans la voiture à me regarder,
uniquement moi (ma petite sœur jamais très loin). Elle ne regar-
dait pas le jeu, elle me regardait moi. Je crois que – de son propre
aveu – elle ne connaissait pas très bien les règles. Par contre elle
était capable de dire avec fermeté et assurance si j’avais fait un
bon match. Ce qui me frustrait “maman, tu ne sais même pas
ce que c’est un hors-jeu comment peux-tu me dire que j’ai fait
un mauvais match ?” Pourtant elle savait. Si les hommes de la
buvette parlaient de moi, nous souriaient en partant du stade,
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Maintenant on s’en amuse.
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un petit acteur-réseau-foot qui contribue à faire LE foot. Et ça,
j’ai trouvé que ça faisait recherche. J’ai trouvé dingue de voir
comment à partir de quelques anecdotes on voyage à travers un
monde social.
Dans le fond, si j’écris, ce n’est pas pour partager ces souvenirs
de non-foot, c’est plutôt motivé par ce que j’entraperçois dans
la dynamique de vos échanges et dans ce qu’ils stimulent chez
moi. Dans la succession de mails que l’on pourrait voir comme
une simple correspondance se trouve à mon avis une méthode
implicite drôlement intéressante sur un plan politique. Personne
n’a vraiment répondu à personne, soit au sens de commenter en
surplomb l’histoire de l’autre comme s’il y avait une vérité supé-
rieure à tirer des expériences de chacun, soit au sens de mettre un
terme à la tension narrative engagée. Plutôt, chacun a répondu à
partir de ce que suscitaient en lui les histoires précédentes et en
jouant franc-jeu sur ce plan. Pas de réponse terme à terme, pas de
clôture, aucun recouvrement d’un autre récit par le sien.
Cette « méthode » de correspondance, je l’ai remarquée dans
mes échanges avec Pascal. Je crois qu’on s’est très rarement
répondu l’un à l’autre au sens d’apporter une réponse définitive à
une question posée. On l’a bien sûr fait un peu sur des questions
de scolarité liées au master, puis à la thèse dans une logique infor-
mationnelle. Mais la part la plus importante de nos échanges
(et ils sont sacrément conséquents) a été de répondre en échos
personnels, d’explorer, à partir du récit de l’autre, une portion de
son expérience. Si je dois utiliser des métaphores, je dirais que
« répondre terme à terme » revient à accueillir quelqu’un à un
guichet, prendre sa question, lui donner les réponses fixées par
l’institution et passer au suivant. Mais ici, notre échange s’ap-
parente plutôt à une promenade amicale au cours de laquelle a
lieu une longue discussion qui suit les rebonds des propos de
Sébastien
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