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RECHERCHE EN LUTTE ET LUTTE EN RECHERCHE

Myriam Cheklab, Léa Laval

Éditions du Commun | « Agencements »

2019/1 N° 3 | pages 160 à 175


ISSN 2608-5739
ISBN 9791095630234
DOI 10.3917/agen.003.0160
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ET LUTTE EN RECHERCHE
RECHERCHE EN LUTTE
Myriam CHEKLAB et Léa LAVAL

160 • AGENCEMENTS n°3 - mai 2019


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Recherche en lutte et lutte en recherche

Myriam CHEKLAB et Léa LAVAL Myriam CHEKLAB et Léa LAVAL sont


en thèse (financée) en sciences de
l’éducation (laboratoire Experice).
Elles travaillent respectivement sur
RECHERCHE EN LUTTE la mise en dialogue d’expériences
de pédagogie décoloniale en France
ET LUTTE EN RECHERCHE et en Amérique latine ; et sur la
rencontre entre démarches de
recherche et éducation populaire pour
une université autrement populaire.
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Ce texte se propose de partager une expérience de recherche en
lutte au sein d’une université. Il s’est écrit quelques mois à peine
après le mouvement social contre la loi Travail, dont le plus fort
de la lutte s’est déroulé au printemps 2016 alors que l’état d’ur-
gence était toujours en vigueur suite aux attaques au Bataclan
de novembre 2015. Il est écrit par deux chercheuses en sciences de
l’éducation (doctorantes), toutes deux impliquées dans l’organisa-
tion du mouvement social à l’université de Paris 8 – Saint-Denis.

Introduction

Printemps 2016, le mouvement social contre la loi Travail prend


forme dans tout le pays et dans différents secteurs. L’Université
Paris 8 ne fait pas exception. Cette année, la journée de lutte pour
les droits des femmes sera également le jour où la première AG de
la fac remplira l’amphi X jusqu’à presque déborder et marquera le
début d’une mobilisation sans relâche pendant plusieurs mois.
En tant qu’étudiantes mobilisées et praticiennes-chercheuses de
l’éducation populaire, il nous a paru évident que ce moment était
propice pour réfléchir en actes au triptyque éducation populaire,
recherche et mouvement social. Nous décidons alors de nous en
saisir pour faire de la recherche, pour expérimenter ce que pour-
rait être une recherche en lutte et/ou une lutte en recherche.
Nous nous inscrivons dans une conception de la recherche
en éducation populaire comme production de savoirs sur et en
éducation populaire, dans une visée de transformation sociale et

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Engager la recherche, s'engager en recherche

politique. Ainsi, la recherche est pour nous un processus qui par-


ticipe de la conservation ou de la transformation du monde qu’il
s’attache à étudier. Un mouvement social nous semble constituer
un terrain éminemment opportun pour mettre au travail ce rap-
port dialectique entre action et réflexion qui nous est cher. L’en-
jeu de mettre en place un dispositif de recherche nous semble
résider dans son aspect éventuellement dérangeant. Comment
transformer à la fois les modes de recherche et les modes de lutte,
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tout en assumant d’être ouvertement au service du processus po-
litique incarné par le mouvement ?

Cette approche de la recherche s’éloigne des méthodes ethno-


graphiques « classiques », où l’on a tendance à considérer d’une
part l’enquête de terrain et, de l’autre, l’analyse des données et
la théorisation, comme des phases séparées dans le temps. Elle
se rapproche des démarches de recherche-action dont la portée
transformatrice constitue un élément central, mais elle en dif-
fère en termes de temporalité et de praticabilité du terrain. En
parlant de recherche-action, nous faisons essentiellement réfé-
rence à la définition qu’en donne René Barbier. Selon l’auteur, la
recherche-action permet, d’une part, d’assumer les transforma-
tions qu’elle produit et cherche à produire des connaissances sur
ces transformations. D’autre part, il postule « qu’en suivant cette
voie, la recherche-action débouche sur une nouvelle posture et
une nouvelle inscription du chercheur dans la société, par la re-
connaissance d’une compétence à la recherche des praticiens du
social. Dans cette foulée la recherche-action devient existentielle
et accepte de s’enquérir de la place de l’homme dans la nature
1. René Barbier, La Recherche et de l’action organisée pour lui donner du sens. »1 L’enjeu est
Action, Economica, Paris, 1996, ici de réinventer une méthodologie adaptée aux temporalités et
p. 7. aux spécificités d’un contexte de lutte, et qui puisse tout à la fois
contribuer à cette lutte.

D’un autre côté, l’enjeu est également de sortir des carcans des
pratiques de lutte habituelles pour développer une lutte en re-
cherche, réinventer des formes de lutte par la recherche. Nous
concevons le mouvement social, non pas comme une explosion
suspendue dans le temps, sans passé ni avenir, mais comme
un moment du continuum qu’est la construction politique. Le
courant de l’analyse institutionnelle développe l’idée que l’his-

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Recherche en lutte et lutte en recherche

toire est faite d’alternance de périodes chaudes et froides2. Les 2. Georges Lapassade, Socianalyse
périodes froides parlent de nos quotidiens où la dimension poli- et potentiel humain, Gauthier-
tique des choses est à déceler dans nos pratiques ordinaires et nos Villars, Paris, 1975 (1e Partie,
tentatives d’organisation micropolitiques. Les périodes chaudes chapitre VI).
correspondent à des moments révolutionnaires (grèves, mobi-
lisations), où le rapport au pouvoir central se trouve perturbé,
les rapports d’exploitation sont remis en cause, les logiques qui
structurent les rapports sociaux éclatent pour faire place à des
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formes d’organisation alternatives, ici à visée d’autogestion.
Nous pensons le mouvement social comme une occasion de
mise en place de pratiques d’organisation en commun qui s’ap-
puie sur la mémoire des luttes et sur des expérimentations in situ,
pour entreprendre un processus réflexif producteur de pratiques
instituantes pour une société plus juste.

Petite histoire de la problématique

Lorsque l’idée de mener une recherche collective a émergé,


nous avons formulé la question de recherche suivante : « Com-
ment les outils de la recherche en sciences sociales et de l’éduca-
tion populaire peuvent servir les mouvements sociaux ? » Nous
voulions tenter d’y répondre à partir de la notion de démocratie
de Paul Ricœur retravaillée par Alexia Morvan. Ces auteur.e.s
considèrent qu’est démocratique « cette cité qui, se reconnaissant
divisée, se donne pour tâche essentielle d’exprimer ses contradic-
tions, de les analyser et de les arbitrer, si elle fait en sorte d’asso-
cier toujours le plus largement possible chacun de ses membres
à égalité en droit à ce travail d’expression, d’analyse et d’arbitrage
des contradictions. »3. Nous nous proposions alors d’observer la 3. Alexia Morvan, Pour une
manière dont ces différentes phases (expression, analyse, délibé- éducation populaire politique. À
ration, arbitrage) prenaient forme au sein des instances de ges- partir d’une recherche-action en
tion collective dans le mouvement social. Quelle démocratie se Bretagne, Thèse sous la direction de
Jean-Louis Le Grand, soutenue en
mettait en place ?
décembre 2011, Université Paris 8
Dès le début, nous nous sommes retrouvées confrontées à des – Saint-Denis, p. 270.
difficultés. Chercher et lutter en même temps n’allait pas de soi. Le
contexte particulier de la mobilisation et nos outils de recherche

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Engager la recherche, s'engager en recherche

nous sont apparus comme difficilement compatibles. D’un côté,


nos outils ne semblaient pas appropriés à la temporalité du mou-
vement social. De l’autre, le mouvement social ne semblait pas très
réceptif à la mise en place de ce type d’outils. En fin de compte,
nous ne sommes pas parvenues à mener à terme un travail appro-
fondi sur la question de recherche initiale. Néanmoins, nous sou-
haitons à présent nous saisir de cette expérience/expérimentation,
en analysant les obstacles, les échecs et les réussites, pour réfléchir
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à ce que signifie « faire de la recherche en lutte » et esquisser des
pistes pour penser les formes qu’elle pourrait prendre. Autrement
dit, en tentant d’instruire une expérience située, nous voulons ap-
porter des pistes à la question de savoir : comment faire de la re-
cherche impliquée dans un mouvement social ?

Recherche et temporalité du mouvement social

La temporalité d’un mouvement social au sein d’une université,


ici celle de Paris 8 – Saint-Denis, est particulière. Le temps de
l’ordinaire, du quotidien semble suspendu pour se mettre exclu-
sivement au service du mouvement social. Nous sommes mobi-
lisées depuis tôt le matin, pour les premières actions de blocage
ou de distribution de tracts, jusque tard le soir pour les dernières
réunions ou les rassemblements de soutien devant les commis-
sariats. Et le temps semble toujours manquer. La temporalité du
mouvement social se caractérise par une forme d’urgence perma-
nente. Il y a toujours quelque chose à préparer, organiser, débattre
dans des délais très courts. Les activités du mouvement social se
planifient à très court terme, quelques jours maximum, et sont
toujours sujettes à modification en fonction de la conjoncture.

Cette temporalité particulière a mis en difficulté notre dispo-


sitif de recherche. Dans un premier temps, nous nous sommes
proposées de tenir un journal de recherche régulièrement et
d’écrire nos observations et analyses au fur et à mesure. Nous n’y
sommes pas parvenues pour différentes raisons : le manque de
temps, la fatigue, l’intensité des expériences vécues. Nous nous

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Recherche en lutte et lutte en recherche

sommes retrouvées dans une improvisation permanente, inca-


pables de planifier des moments réflexifs qui viendraient nourrir
la recherche et le mouvement.

Cet « état d’urgence », qui nous en rappelle un autre, constitue


une manière d’être en réaction permanente et immédiate à un
agenda qui nous échappe, pour occuper l’espace médiatique et
politique. Le mouvement social semble alors happé dans ce para-
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digme de l’urgence qui caractérise aujourd’hui les modes de gou-
vernance, et dont l’état d’urgence déclaré par le gouvernement
suite aux attaques du 13 novembre 2015 apparaît comme l’ex-
pression symptomatique. On y retrouve l’idée d’occupation per-
manente de l’espace par l’entretien de la peur, ainsi qu’un mode
d’action-réaction qui occulte les questions de fond. Contraint de
suivre les règles du jeu dictées par le pouvoir dominant contre
lequel il est en lutte, le mouvement social se retrouve pris au jeu
de l’urgence. Selon Jacques Rancière, la lutte a trop tendance à
s’organiser par rapport au pouvoir dominant et donc à rester pri-
sonnière de la scène politique dominante. Il considère que l’en-
jeu n’est plus de prendre le pouvoir ou de penser un objectif et
les médiations pour y arriver, mais de créer une alternative au-
tonome, avec son propre agenda et ses propres modalités d’ac-
croissement4. Que ce soit en recherche ou en lutte, la question se 4. Entretien avec Jacques Rancière
pose alors de savoir comment participer au jeu tout en imposant dans Alexis Cukier, Fabien Delmotte,
ses propres règles ? La position de Jacques Rancière nous semble Cécile Lavergne, Emancipation,
assez juste, bien que difficilement praticable dans le contexte de les métamorphoses de la critique
forte répression policière auquel nous avons été confronté.es. sociale, Éd. du Croquant, Paris,
2013, p. 160.
Ce paradigme de l’urgence implique forcément la notion de
priorité. Qu’est-ce qui est prioritaire ? Comment distinguer ce
qui est urgent de ce qui est important ? Cette question a soulevé
de nombreux débats dans les Assemblées Générales (AG) et en
dehors. Caractérisée notamment par le clivage entre une posture
qui privilégie l’action militante directement liée à la lutte contre
la loi Travail (préparation des manifs, actions, tracts, convergence
avec les autres secteurs, lutte contre la répression, etc.) et une
autre privilégiant la réorganisation autogérée de nos lieux de
travail et d’étude (proposition de cours alternatifs, d’ateliers, de
projections, collectivisations diverses et variées, etc.). Une des
manifestations de ce clivage s’illustre dans le processus de déci-
sion sur le blocage de l’université. Faut-il ou non bloquer l’accès à

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Engager la recherche, s'engager en recherche

notre outil de travail ? Faut-il le transformer et se le réapproprier


plutôt que le bloquer ? Bloquer une université a le mérite de faire
parler du mouvement et de libérer complètement ses étudiant.e.s
pour participer aux manifestations et différentes actions. Pour
certain.e.s, le blocage apparaît comme complètement contra-
dictoire avec une réappropriation de ses usages. L’urgence de la
prise de décision sur le sujet, qui par ailleurs a ses raisons d’être,
ne permet pas de dépasser le clivage dont les contradictions ne
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sont pas si évidentes. Est-il possible de se réapproprier l’univer-
sité sans empêcher ou, au moins, déranger son fonctionnement
quotidien ? Comment trouver le temps d’une réelle réflexion
sur les significations, les implications et modalités d’un blocage
dans un temps contraint d’Assemblée Générale, et un agenda
qui doit tenir compte des manifestations et actions extérieures ?
Par ailleurs, le manque de communication et de coordination
des différentes initiatives qui se mettent en place dans un esprit
d’autogestion collective de l’université alimente les tensions et
désaccords autour de ce clivage.
En règle générale, les priorités se sont plutôt orientées du côté
de l’action, notamment à cause de la forte répression policière
exercée sur le mouvement ; ce qui a souvent multiplié les ren-
dez-vous organisés en urgence pour soutenir les camarades en
garde à vue, retenu.es par la police, etc.
Dans un mouvement social, moment particulier en termes de
temporalité, la posture du/de la chercheur.se impliqué.e mérite
selon nous une attention et une analyse propre. Le mouvement
social, en tant que « période chaude », intense et imprévisible,
ne nous a pas permis de déployer pleinement les outils que nous
connaissons, aussi bien ceux de l’ethnographie que ceux de la
recherche-action. Néanmoins, nous avons observé l’émergence
d’espaces-temps permettant une certaine réflexivité sur l’organi-
sation du mouvement en mettant à jour les rapports de domina-
tion qui s’y maintiennent, nous y revenons dans la dernière partie
de cet article.

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Recherche en lutte et lutte en recherche

Être militante et chercheuse :


une posture difficile à assumer

Au début de cette recherche, nous avons plutôt fait le choix


de nous impliquer pleinement dans le mouvement et dans des
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composantes déjà existantes (commissions, groupes non-mixtes,
etc.) plutôt que de créer un groupe de travail ou un dispositif spé-
cifique. Cela fait écho à la difficulté que nous avons eu à com-
muniquer sur notre recherche. Nous avons quelquefois tenté ti-
midement, en groupe restreint ou de façon informelle, de parler
de notre recherche et d’essayer d’impliquer des personnes mais,
en règle générale, nous avons eu du mal à assumer une posture
de recherche tout en étant impliquées dans le mouvement. À
présent, il nous semble intéressant de réfléchir à ce qui nous a
freinées pour pouvoir ensuite développer des pistes de solution
et commencer à penser ce que pourrait être une posture de mili-
tante-chercheuse.

Notre manque d’assurance révèle un manque de légitimi-


té qui a pu être motivé par plusieurs aspects. En premier lieu,
nous n’étions pas forcément à l’aise à exprimer notre démarche
ouvertement par peur de réactions hostiles. En effet, on peut
ressentir dans le mouvement étudiant une certaine réticence
envers des dispositifs réflexifs et, plus particulièrement, un sen-
timent de méfiance vis-à-vis des initiatives d’enseignant.es et
donc, par extension, de ce qui peut être lié à une activité d’en-
seignant.e·s-chercheur/se·s. Nous avions peur d’être perçues
comme surplombantes, objectivantes, voire apolitiques. Par ail-
leurs, notre conception de la recherche est minoritaire, souvent
considérée comme peu scientifique, voire méconnue. Comment
revendiquer, donner à voir et travailler la crédibilité de formes
de recherche impliquées et militantes ? Comment bousculer les
idées reçues sur la recherche et les chercheur/se.s ?
Une façon de nous protéger d’une posture surplombante a été
de nous positionner à l’intérieur d’espaces déjà existants sans
forcément imposer le mot « recherche ». Par ailleurs, pourquoi
prendre l’initiative d’ouvrir un espace spécifique de recherche

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Engager la recherche, s'engager en recherche

alors que d’autres en semblaient constituer d’intéressants sans


se nommer comme tels ? Par exemple, les rencontres « Paroles
non-blanches » ou les cinétracts des étudiant.e.s en cinéma ont
constitué, selon nous, des formes de recherche en lutte / de lutte
en recherche, dès lors qu’elles permettent de retourner la camé-
ra sur le mouvement lui-même. De plus, face aux nombreuses
activités proposées au sein du mouvement, notre initiative nous
semblait venir en superposition.
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Les démarches de l’éducation populaire nous semblent per-
mettre de travailler une posture qui soit à la fois réflexive et
tendue vers l’action, une posture qui permette d’aiguiser les vi-
gilances autour des rapports de pouvoir tout en les mettant au
travail. Toute la question est alors de savoir comment dégager
des espaces ou s’autoriser à proposer de telles démarches dans
un cadre qui, d’une certaine manière, semble fonctionner et donc
qu’un certain nombre de personnes ne souhaite pas transformer,
voire considère comme une perte de temps. L’enjeu principal est à
la victoire contre le gouvernement et tout le reste peut facilement
apparaître comme des « fronts secondaires ». Notre position est
de considérer que la cohérence entre les moyens et la finalité, si
elle n’est jamais dénuée de contradictions, doit faire l’objet d’une
vigilance permanente et que cette attention ouvre de réelles pos-
sibilités de transformation et protège de formes de récupération
des luttes et de la critique. D’où notre intérêt pour la pratique
d’une recherche en lutte et de lutte en recherche. D’autre part, la
volonté de travailler les espaces de décision collective, tels que les
AG, part du constat qu’il y est fort difficile d’y prendre la parole,
d’y mener une discussion constructive et collective, d’y travailler
les conflictualités. Cette difficulté à prendre la parole que nous
avons toutes deux expérimentée et notre réticence à participer
aux jeux de pouvoir dans le mouvement n’ont pas aidé à diffuser
notre volonté de mener une recherche. Autrement dit, comment,
dans un cadre où le charisme est d’une importance cruciale, des
personnes qui se sentent dénuées de tout charisme peuvent venir
transformer ce cadre ? Cela nous a été plus aisé au sein du dépar-
tement de sciences de l’éducation où, en groupe plus familier avec
nos démarches de recherche, nous avons pu expérimenter des
dispositifs et constituer une dynamique collective de recherche.

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Recherche en lutte et lutte en recherche

Se jouer des jeux d’acteur/trice.s

Un des enjeux d’une rencontre entre espaces de recherche et


espaces de lutte est selon nous de mettre en lumière et de tra-
vailler les rapports de domination à l’œuvre au sein même de ces
mouvements.
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L’Assemblée Générale prend souvent l’allure d’une joute entre
les différent.e.s « représentant.e.s » (ceux et celles qui se sentent
légitimes) des grands courants en présence. Organisations poli-
tiques, syndicats ainsi que collectifs informels (souvent plus li-
bertaires et dont les membres se retrouvent autour de positions
assez unifiées) semblent produire un ensemble de figures par-
ticulièrement adaptées à cette forme d’assemblée. Ces organisa-
tions construisent leur discours et décident des positions à tenir
en amont des AG. Elles sont alors capables de former des indi-
vidus assurés et charismatiques qui iront défendre les idées éla-
borées par ailleurs dans un cadre sans doute plus confortable. Il
s’agit alors d’une confrontation d’idées entre quelques personnes
formées et ayant acquis une certaine légitimité, en tout cas re-
pérées par tous et toutes pour ces qualités. La plupart des autres
assistent en spectateurs et spectatrices et se prononcent en faveur
de l’idée défendue par untel ou unetelle au moment des votes se-
lon qu’illes aient été plus ou moins convaincant.e.s.
Leur légitimité charismatique ne tient pas seulement à leur élo-
quence et leur « capital politique », il tient par ailleurs à leur in-
vestissement total dans la lutte. Illes sont les premier.e.s levé.e.s
le matin et les dernier.e.s couché.e.s après l’écriture des tracts et
autres communiqués, illes participent à toutes les manifestations
et toutes les actions. On ne peut s’empêcher de penser à la figure
de l’intellectuel organique élaborée par Antonio Gramsci. Selon
lui, l’intellectuel est une figure essentielle dans l’organisation du
mouvement social, il a une fonction de persuasion permanente
et tire sa légitimité de son implication militante, il n’est pas celui
qui pense en surplomb mais celui qui organise et théorise la pen-
sée des « masses » pour mieux servir l’action.
« D’ailleurs l’unité organique de la pensée et la solidité culturelle
n’étaient possibles qu’(...) à la condition que les intellectuels eussent

AGENCEMENTS n°3 - mai 2019 • 169


Engager la recherche, s'engager en recherche

été les intellectuels organiques de ces masses, qu’ils eussent élaboré


et rendu cohérents les principes et les problèmes que ces masses po-
saient par leur activité pratique, et cela par la constitution d’un bloc
5. Antonio Gramsci, Cahiers de culturel et social. »5
prison, éd. Robert Paris, Paris, Travailler à repérer les « leaders » des différentes organisations
Gallimard, 1978-1992, 5 vol., et collectifs, créer des alliances et faire pression sur ces groupes
p. 77. pourraient être une stratégie pour les convaincre d’expérimenter
des outils d’éducation populaire. Ce que préconisait par exemple
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6. Alinsky Saul, Manuel de Saul Alinsky à travers sa théorisation du community organizing6,
l’animateur social. Une action qui n’a que récemment traversé l’océan Atlantique pour inspirer
directe non violente, 1ere trad. certaines pratiques de lutte. Très pragmatiquement, cela paraît
française : Hellier Odile et Gouriou être une solution à court-terme, une « tactique » pour arriver à
Jean, éd. Seuil, Paris, 1976 (titre un objectif précis. S’appuyer sur le pouvoir que détiennent ces
original : Rules for radicals, Random figures charismatiques du mouvement apparaît comme contra-
House, 1971).
dictoire avec notre volonté de créer plus d’égalité.
Par exemple, en réunion de préparation des AG, nous avons
émis l’idée d’organiser des petits groupes de discussion sur les
différents points à l’ordre du jour, dans l’objectif d’échanger dans
un cadre plus rassurant. Quand certain.e.s (dont nous faisons
partie) affirment que cette forme permet d’enrichir la réflexion
de celleux qui ne prennent jamais la parole, d’autres diront que
diviser l’Assemblée Générale crée une déperdition de connais-
sances, les personnes les plus « compétentes » ne pouvant être
partout. En effet, pour certains partis, syndicats ou groupes orga-
nisés, cette transformation des interactions pour lesquelles elles
sont formées peuvent être perçues comme un danger. Elles ne
pourraient plus influer sur l’Assemblée Générale grâce à un ou
deux éléments charismatiques s’exprimant sur tout. Néanmoins,
il faut reconnaître que ces organisations sont aussi dépositaires
de pratiques et mémoires de luttes particulièrement précieuses.
Ces organisations perdraient en visibilité, en temps de parole, et
donc en pouvoir de décision, elles seraient contraintes de réadap-
ter leur stratégie.
Cette proposition pourtant validée en réunion a ensuite été faite
en Assemblée Générale, où elle a été immédiatement remise en
question par quelques « leaders » virulent.e.s alors qu’un certain
nombre de personnes présentes étaient plutôt ouvertes à l’expéri-
mentation. Discuter en amont avec ces différents « leaders » au-
rait pu éviter de relativement violentes diatribes contre les indi-
vidus qui courageusement ont fait la proposition publiquement.

170 • AGENCEMENTS n°3 - mai 2019


Recherche en lutte et lutte en recherche

Ceci reste une hypothèse, qui occulte toutes les critiques que l’on
pourrait faire au community organizing, notamment sur la ques-
tion de savoir comment dialoguer avec des personnes ayant des
positions opposées tout en gardant la confiance de celleux avec
lesquelles on s’engage ?
Dégager des espaces de réflexion collective sur ce qu’est et ce
que nous voudrions que soit une Assemblée Générale s’est avéré
possible au sein des commissions dites « AG ». Mais les dispo-
7. Le débat mouvant s’organise
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sitifs expérimentaux pensés ne seront pas mis en place lors de
autour d’une affirmation clivante,
ce mouvement. Néanmoins, ces discussions ont permis d’ouvrir
parfois appelée « malhonnête »,
des possibles au moins dans les imaginaires. La suite au prochain annoncée aux participant.e.s et
mouvement. par rapport à laquelle illes devront
se positionner selon qu’illes sont
d’accord ou non avec celle-ci. Il
n’est pas possible de choisir la voix
Défaire l’urgence par la mise en recherche du milieu mais les participant.e.s
sont ensuite encouragé.e.s à
échanger des arguments depuis
chacun de leur « camp » et ont
En dépit de ces nombreux questionnements et d’un sentiment l’autorisation de changer de côté si
d’échec partiel, il nous semble intéressant de décrire et d’analyser l’argument annoncé dans le camp
les dispositifs de mise en réflexivité que nous avons tout de même de « l’opposition » les touche, leur
commencé à mettre en place collectivement au sein de différents parle,… Il permet de déblayer les
premiers arguments autour d’une
groupes auxquels nous avons participé.
question par rapport aux personnes
Dans les AG du département de sciences de l’éducation, nous en présence et souvent d’échauffer
avons pu aller plus loin dans l’expérimentation d’outils. Dès le un peu le corps et l’esprit avant
début, nous avons privilégié le débat et la réflexion, avec un mode de passer à des réflexions plus
de fonctionnement par consensus, en évitant le vote et l’installa- approfondies. Dans l’expérience
tion de stratégies de rapports de force. Nous avons notamment racontée ici, les affirmations avaient
introduit des outils tels que le débat mouvant7, ce qui a permis de été transformées en phrases d’action
faire émerger la parole de personnes qui n’ont pas l’habitude de la et les participant.e.s devaient se
prendre et de complexifier les débats autour des notions de grève, positionner selon deux critères :
de blocage et de réappropriation des espaces. L’idée n’était pas d’accord ou non avec l’action (sur
le plan des valeurs) et capable ou
seulement de se positionner pour ou contre, mais aussi en termes
non (disponibilité, sentiment de
de possibilité et de capacité d’action. Cela évite, par exemple, capacité,…).
que, lorsque toute une AG vote l’occupation d’une salle, trois per-
sonnes se retrouvent finalement à le faire.
Nous avons également tenté de mettre en place un emploi du
temps alternatif afin de pouvoir concilier études et mobilisation.
D’une part, il s’agissait de libérer les temps dédiés à la lutte (AG,

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Engager la recherche, s'engager en recherche

manifs) et d’utiliser des temps de cours pour réfléchir au mouve-


ment. D’autre part, de dégager des espaces-temps pour travailler
collectivement sur les mémoires et autres rendus à faire valider.
Cette initiative n’a pas eu autant de succès qu’espéré, mais elle a
permis la constitution d’un groupe d’étudiant.es mobilisé.es qui
s’est consolidé lorsque le collectif de ces AG se clivait autour de
la question de la validation. En effet, à l’approche des examens,
alors que les cours avaient été fortement perturbés par le mou-
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vement, a émergé la proposition d’une validation universelle.
Est votée, en AG du département, une validation universelle
dont les modalités sont : une obligation de rendu avec retours
des profs et la note de 16 pour tout le monde quelle que soit la
qualité du rendu. Mais la grande majorité des enseignant.es ont
refusé de reconnaître cette décision comme valide et légitime. Le
groupe d’étudiant.es a produit un texte d’intervention qui tentait
d’analyser ce qui s’était passé et pourquoi la notion de validation
universelle avait été aussi clivante. Ce groupe, dont nous faisons
partie, continue aujourd’hui encore à réfléchir et à agir collecti-
vement au sein de l’université, et constitue un point d’appui pour
développer une recherche en action à l’université.
Cet élan nous semble aussi permettre de dépasser la notion
d’urgence et de penser le moment de lutte comme un processus
ne se terminant pas avec la fin du mouvement, mais comme un
espace de mise en place d’outils, d’énergies, de constitution de
collectifs ayant vocation à se pérenniser.
Deux autres initiatives nous semblent vouloir dépasser le pa-
radigme de l’urgence pour réfléchir au mouvement-se-construi-
sant : le groupe de réflexion en non-mixité de genre et le groupe
de réflexion en non-mixité racisée. Ces groupes non-mixtes se
sont construits de façon autonome par rapport à l’organisation
du mouvement (AG, comité de mobilisation, commissions).
Depuis le début du mouvement, nous avons participé aux réu-
nions en non-mixité de genre (femmes et genres minorisés) qui
a abouti à la constitution d’un groupe qui se réunissait réguliè-
rement pour réfléchir aux questions de sexisme et aux formes de
dominations liées au genre dans le mouvement. Un des disposi-
tifs qui a été mis en place par ce groupe a été l’analyse des prises
de parole en AG. Ce dispositif de recherche a été mené sur trois
ou quatre AG. Il comprenait une partie quantitative où il s’agis-
sait de compter les prises de parole des femmes, des hommes,

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Recherche en lutte et lutte en recherche

des personnes blanches, non-blanches, des personnes encartées,


non-encartées. Puis une partie qualitative, où il s’agissait d’ana-
lyser qui coupe la parole à qui, quelles propositions sont écou-
tées, qui dépasse le temps de parole, etc. À chaque début d’AG, le
groupe faisait un compte-rendu de la dernière AG. Ce dispositif
qui demandait un travail considérable était intéressant en ce qu’il
permettait d’établir un état des lieux régulier de la progression
de la distribution de la parole dans les AG. Malheureusement, il
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n’a pas pu être mené avec rigueur jusqu’au bout par manque de
temps, d’énergie et de perspectives.

Le groupe non-mixte racisé, auquel l’une d’entre nous a par-


ticipé, a également joué un rôle important dans l’analyse du
mouvement social en cours de constitution. La mise en place des
rencontres « Paroles non-blanches » pendant la mobilisation
nous semble constituer une forme de recherche en lutte. Ces ren-
contres où intervenaient des chercheur.se.s et militant.e.s raci-
sé.e.s s’inscrivent dans un processus de critique réflexive du mou-
vement social. Elles partent du constat que les logiques racistes
opèrent bel et bien dans le contexte de la mobilisation alors que
celle-ci se revendique comme antiraciste. La série de conférences
et ateliers cherchait à replacer au cœur des débats les questions
de race et de racisme dans le mouvement social, et plus largement
dans l’université et dans le monde du travail. Ces rencontres, bien
qu’organisées dans des délais très courts, ont permis de créer des
espaces de réflexion dans une autre temporalité que celle du
mouvement social. Elles ont permis de réunir des militant.es et
des collectifs antiracistes, des chercheur.se.s et des étudiant.es
pour réfléchir ensemble dans une visée d’action.
S’inspirant de ce modèle, le groupe non-mixte de genre a en-
suite organisé une semaine de rencontres « Parle à mon genre ».
Différents ateliers de réflexion et de mise en recherche eurent
lieu : un atelier d’analyse du mouvement, un atelier de théâtre-fo-
rum, des groupes de partage d’expériences en non-mixité choisie,
entre autres.

Ces initiatives nous semblent être des exemples concrets cor-


respondant à cette proposition de Jacques Rancière de sortir des
temporalités et agendas imposés et de créer des espaces auto-
nomes de construction politique.

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Engager la recherche, s'engager en recherche

Pour ne pas conclure

À partir de cette expérience de la mobilisation contre la loi Tra-


vail à l’Université Paris 8, nous proposons trois pistes de réflexion
à creuser pour continuer à travailler à des formes de recherche en
lutte et de lutte en recherche. Il s’agit de se projeter au-delà du
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printemps 2016 pour que les périodes « froides » ne soient pas
des ères glacières.

Une perspective située et matérialiste

En premier lieu, en tant que doctorantes contractuelles, il nous


semble intéressant, voire primordial, de partir de l’analyse de nos
conditions de travail et matérielles sur notre lieu de travail qu’est
l’université. Le constat est assez désespérant. Aucune ou très peu
d’organisation collective entre les enseignant.es et les étudiant.
es. Un manque criant d’espaces de travail pour l’organisation
collective. Peu de communication entre les différents niveaux
(Licence, Master, doctorant.es, enseignant.es). Peu de place aux
étudiant.es dans les prises de décision. Il nous semble frappant
combien nos conditions de travail se sont dégradées ces dernières
années sans qu’aucun mouvement d’ampleur ne voi le jour chez
les enseignant.es. Ce sur quoi, par exemple, le collectif national
des précaires de l’ESR tente de mobiliser.
Il s’agit alors d’œuvrer collectivement à transformer nos condi-
tions de travail pour installer un quotidien propice aux formes de
recherches et d’actions que nous voulons développer.

Une méthodologie de la trace ?

Nous nous posons également la question de la production pen-


dant les moments de lutte. La forme de recherche que nous re-
vendiquons consiste à produire, non pas des connaissances sur

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Recherche en lutte et lutte en recherche

le mouvement, mais de l’action transformatrice dans le mouve-


ment. Mais si chercher c’est transformer, la phase de « recueil de
données » de la recherche classique en sciences sociales semble
perdre son sens. La systématisation et l’objectivation de données
de recherche ne sont pas des phases en soi, l’action venant valider
ou invalider les réflexions collectivement menées. Il nous semble
plus pertinent de déplacer la question du « recueil de données »
pour privilégier une pensée du « faire trace ». La question qui se
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pose alors est de savoir comment faire trace sur cette action pro-
duite pour maintenir la dynamique en spirale.

Déjouer les jeux d’acteur/trice.s

Le troisième chantier de réflexion que nous voudrions soulever


est la question du travail des jeux d’acteurs. Comment dépasser
la figure du leader dans nos luttes ? Comment s’affranchir de la
question du charisme ? L’expérience du collectif d’étudiant.e.s
en sciences de l’éducation et des groupes non-mixtes nous ont
permis à la fois de porter une parole collective plus facilement
dans les instances centrales qui cherchent à sortir de la lo-
gique des « leaders » et, à la fois, de travailler une dynamique
de groupe nourrie par des intérêts communs et plus particuliers,
dynamique qui, pour certains groupes, s’est perpétuée au-delà du
mouvement.

En période de mouvement social, l’enjeu ne se situe plus tant


dans l’éternelle volonté de massification des mouvements et dans
les questions de leadership que dans la coordination d’une multi-
plicité de groupes d’organisation politique.
Dans les périodes froides, il nous semble important de réfléchir
à comment essaimer et multiplier ce type d’espaces, comment ré-
introduire de l’organisation collective et politique dans nos quo-
tidiens. Tâche qui nous semble être une des ambitions majeures
des démarches d’éducation populaire.

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