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Voyage au pays des MOOC, ou le récit d’une expérience

Jeremy Adelman, Traduit de l’anglais par Chloé Vettier


Dans Cités 2015/3 (N° 63), pages 37 à 54
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 1299-5495
ISBN 9782130650881
DOI 10.3917/cite.063.0037
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Voyage au pays des MOOC, ou le récit d’une expérience


Jeremy Adelman
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un étrange voyage

Il y a trois ans, je me suis embarqué dans un voyage au pays de l’ensei-


gnement en ligne. La première fois que je discutai avec Daphne Koller, la
directrice générale de Coursera, la plus grande plateforme mondiale de
MOOC (Massive Open Online Course), du fait de transposer le cours que 37
je donnais à l’université de Princeton, intitulé « Une Histoire du monde
depuis 1300 », vers un site internet, je partis avec l’impression qu’il suf-
Voyage au pays
fisait de préenregistrer les cours magistraux, d’appuyer sur le bouton « on », des MOOC,
et que le tour était joué. Passer au MOOC supposait que je reprenne le ou le récit
même contenu et que je mette à jour ma façon de dispenser le cours. d’une expérience
C’étaient des jours d’innocence ; Coursera n’était pas encore ouvert au Jeremy Adelman

public. Aujourd’hui, bien sûr, on en sait beaucoup plus.
Il est vrai que l’enseignement en ligne remet en perspective la relation
entre le professeur et l’étudiant. Mais ce n’est qu’un début. Passer au numé-
rique, je l’ai appris, c’est bien plus que de prendre les éléments oraux et tex-
tuels qui sont à la base de tout apprentissage et de les distribuer. Dans les
jours d’innocence, alors que l’année 2012 était célébrée comme « l’année
du MOOC » par le New York Times, tout le monde tonitruait à propos de
la facilité et des effets du passage à l’échelle supérieure1. L’année suivante

1. Laura Pappano, « The Year of the MOOC », The New York Times [en ligne], 2 novembre
2012. Disponible à l’adresse : http://www.nytimes.com/2012/11/04/education/edlife/massive-
open-online-courses-are-multiplying-at-a-rapid-pace. html?pagewanted=all&_r=0
cités 63, Paris, puf, 2015
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fut celle du procès2. Pour les triomphalistes, nous avions désormais un


moyen d’atteindre tous les recoins de la terre et de casser net les courbes
de prix toujours montantes. Pour les catastrophistes, c’était comme si l’on
faisait aux universités ce que la mule-jenny avait fait aux tisserands arti-
sanaux : on les recyclait dans des usines qui produisaient en masse le même
savoir, destiné à être consommé par des étudiants anonymes. Je ne suis
moi-même pas sûr de savoir si le MOOC sera révolutionnaire et s’il démo-
cratisera l’accès à la connaissance, ou s’il stratifiera encore plus l’écart entre
l’extrémité supérieure et l’extrémité inférieure de l’éventail institutionnel
en matière d’apprentissage. Comme pour bien des énigmes posées par le
capitalisme, il est probable que nous finissions par y voir une combinaison
des deux.
Mais un des aspects du débat a été occulté. Le voyage au pays du
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numérique soulève des problèmes fondamentaux quant au verbe qui fait
le trait d’union entre professeurs et étudiants : enseigner. Alors que tout
le sturm und drang s’est concentré sur la Massivité, l’Ouverture et les
technologies en Ligne, il existe, parmi les effets déconcertants, un vrai
drame : il concerne la façon dont nous concevons l’unité fondamentale
de notre enseignement, la dernière lettre, oubliée, de l’horrible acronyme
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MOOC, le Cours. Que se passe-t-il lorsque le cours n’est plus délimité
par les murs d’une salle de classe et dissocie le temps du professeur de
celui de l’étudiant ?
Dossier
L’Éducation
Que se passe-t-il lorsque le cours n’est plus simplement le cadre dans lequel
à l’âge on enseigne des expériences, mais devient lui-même une expérience ?
du numérique Ce témoignage vise non seulement à partager des réflexions person-
 nelles sur mon expérience de l’enseignement d’un MOOC, mais aussi à

comprendre ce que je fais lorsque j’enseigne, à se confronter aux constats
de ce qui fonctionne bien et de ce qui fonctionne mal, et à faire en sorte
que la rupture technologique puisse pénétrer plus profondément dans le
tissu d’un cours et, ce faisant, le transformer.

de l’ enseignement à l’ apprentissage

« Une Histoire du monde depuis 1300 » a traversé la pagaille et l’hys-


térie qui ont accompagné la courte carrière du MOOC. Aujourd’hui, mon

2. Steve Kolowich, « Faculty Backlash Grows Against Online Partnerships », The Chronicle of
Higher Education, 10 mai 2013.
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MOOC a trois ans, ce qui en fait un dinosaure. Mais sa conception et son


évolution ont coïncidé avec le débat plus vaste qui tournoyait au-dessus de
sa tête. Cette entreprise avait plusieurs objectifs. Le plus important avait
trait au contenu du cours. Il s’agit d’offrir une vue d’ensemble de l’histoire
du monde de 1300 à nos jours. Plutôt que d’enseigner à des étudiants cou-
pés du monde extérieur, j’ai souvent rêvé de leur faire découvrir le monde
de manière globale, de créer des rencontres et des échanges qui font partie
de cette même mondialisation que nous étudions. Peut-on amener la pla-
nète à un cours qui porterait sur elle-même ? C’était le défi.
Pour le cours, cela signifiait de passer à une échelle complètement
différente. Mais pour moi, en tant qu’enseignant, cela eut une réper-
cussion insoupçonnée : j’ai découvert que, moi aussi, j’étais en situation
d’apprendre.
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Le cours a été annoncé au public dans le cadre du déploiement de
Coursera, dont il était alors l’une des rares propositions de cours dans
le champ des Humanités. Il y en a aujourd’hui davantage, même si le
domaine du numérique demeure le privilège de la science, de la techno-
logie et des formations professionnelles. L’intense préparation initiale s’est
concentrée sur le pré-enregistrement de vingt-cinq cours, pour en intégrer
le contenu à ce que l’on appelle « la classe inversée3 ». Cela renvoie à la mise 39
en ligne de cours magistraux filmés afin que les professeurs et les étudiants
puissent consacrer le temps passé ensemble à d’autres tâches, vraisembla-
Voyage au pays
blement plus interactives ; les cours magistraux s’ajoutaient ainsi aux lec- des MOOC,
tures comme devoirs à la maison. Apprendre à enseigner dans une boîte ou le récit
noire clignotante au lieu d’une salle de classe relevait du défi ; ensuite il d’une expérience
fallait couper les scripts en des segments de dix-douze minutes ponctués Jeremy Adelman

de quiz. Et puis il fallait s’assurer des copyrights pour pouvoir utiliser des
images. Cela m’a pris à peu près trois mois d’un été pour m’enregistrer
avant que les cours magistraux ne soient publiés, deux à la fois, tous les
dimanches pendant la durée d’un semestre de Princeton.
Qu’ai-je appris ? J’ai appris en premier qu’enseigner dans un MOOC,
c’est bien plus qu’enfermer l’enseignant dans une boîte noire et qu’appuyer
sur le bouton d’enregistrement. Et c’est la raison pour laquelle ce n’est pas
une alternative médiocre à l’enseignement en direct, à moins que votre
institution ne se consacre à la distribution de mauvais produits.
La difficulté suivante fut de savoir quoi faire du temps dégagé par la
mise en ligne de mes cours magistraux. Mon premier effort fut de créer

3. « Flipping the classroom » dans le texte original (NdT).


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les « Dialogues mondiaux », des rencontres hebdomadaires entre un invité


et moi, pendant lesquelles nous dialoguerions à partir d’un sujet prédéter-
miné avec tous les étudiants inscrits à Princeton. Avec Anthony Grafton
et Molly Greene, nous avons parlé de l’idée d’une Renaissance mondiale ;
avec John Ikenberry, nous avons abordé la fin de la guerre froide. Ces
conversations étaient filmées puis téléchargées sur le site de Coursera pour
accompagner le cours magistral qui avait été posté, afin que le monde entier
puisse les visionner et les commenter. C’était merveilleux. En théorie. En
pratique : les étudiants ne se montrèrent pas.
La transplantation avait planté.
Pourquoi ? L’une des raisons de mon échec était de ne pas avoir rendu
la participation aux Dialogues obligatoire pour les étudiants qui voulaient
valider le cours, et donc de ne pas en avoir fait une partie intégrante de
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leurs évaluations. En fait, les étudiants ne voyaient aucun intérêt à venir,
notamment parce qu’ils savaient qu’ils pouvaient regarder plus tard mon
talk-show sur leurs ordinateurs portables. Mais il y avait un challenge plus
important : une fois que le rituel hebdomadaire des cours magistraux fut
retiré de la structure du cours, le cours commença à perdre ses vertèbres.
Maintenant que je n’étais plus une source d’autorité physique en termes de
40
connaissances, quelle était ma fonction réelle ? Enregistrer les cours magis-
traux n’est que la première étape du processus ; je devais aussi réfléchir au
nouvel espace que j’avais ouvert une fois la barrière entre l’apprentissage
Dossier
L’Éducation
passif et l’apprentissage actif dissoute. Inverser la classe, c’était plus que
à l’âge de modifier simplement l’équilibre entre la passivité et l’activité, plus
du numérique que de créer des combinaisons syncrétiques à partir d’anciens éléments, ce
 à quoi se bornaient, au fond, les Dialogues. Il fallait prendre en considé-

ration le nouveau modèle qui avait transcendé la traditionnelle fracture.
L’évolution du cours en une espèce invertébrée devint encore plus claire
lorsque l’autre extrémité du spectre de l’enseignement – la classe « active » –
se décomposa à son tour. Ayant passé tout mon temps à enregistrer et à
préparer les Dialogues, je n’avais pas touché à l’identité traditionnelle de la
salle de classe. Les étudiants ingurgitaient toujours des articles et des livres
en supplément des cours et ils venaient aux rencontres hebdomadaires (on
les appelle « préceptes » à Princeton) pour discuter de ce qu’ils avaient lu,
les cours magistraux et le manuel fournissant un contexte pour le débat.
Voilà ce qui s’est néanmoins passé. Les étudiants attendaient de visionner
les cours magistraux préenregistrés pour les regarder comme sur Netflix,
tous d’un coup, de préférence près de la date de l’examen afin d’en faci-
liter les révisions. Par conséquent, les cours magistraux furent dissociés
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des lectures. Si on leur demandait quel rôle l’esclavage avait joué dans la
montée du capitalisme, les étudiants ne visionnaient pas la partie du cours
magistral sur la révolution industrielle. Le cours se désagrégeait alors même
qu’il se déployait. Aucune exhortation ne pouvait le rebâtir – notamment
parce que, pour les étudiants de Princeton, j’avais déménagé sur leurs
écrans d’ordinateur, en conséquence de quoi l’idée de retourner aux rituels
du xxe siècle paraissait complètement absurde.
Alors que les journaux, les radios et les blogueurs débattaient furieu-
sement de l’apocalypse qu’avait créée le MOOC, ma petite aventure à moi
m’ouvrait des perspectives bien plus banales, quoique déroutantes et par-
fois décevantes, sur les promesses et les périls de l’éducation en ligne. Ces
idées avaient si peu de choses à voir avec les insultes que se lançaient les
défenseurs et les ennemis du MOOC au-dessus de ma tête.
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ê tre massivement visible

Jusqu’à présent, mon histoire s’est concentrée sur le processus de créa-


tion du MOOC, en vue d’inverser la classe. Puisque mon autre objectif
était de faire venir la planète au cours en l’ouvrant aux masses, je devais 41
faire face à un monde plus large dans tous les sens du terme. La première
année, 93 000 personnes s’étaient inscrites sur le portail de Coursera, de
Voyage au pays
Rio de Janeiro à Paris, en passant par Hong Kong, et visionnaient les cours des MOOC,
sur leurs écrans depuis chez eux, ou les téléchargeaient afin de pouvoir les ou le récit
regarder sur leurs smartphones dans le métro new-yorkais. Cela engendra d’une expérience
toute une série de problèmes imprévus sur la façon de maîtriser la visibilité Jeremy Adelman

en masse.
Le challenge le plus immédiat fut le suivant : comment des masses d’étu-
diants en ligne devaient-elles travailler et être évaluées ? Pour ce cas-ci,
je suivis la méthode de Coursera destinée aux cours qui requièrent plus
d’activité interprétative (écrire des dissertations, par exemple, au lieu de
passer des tests qui seront corrigés de façon automatique). Les étudiants
en ligne devaient écrire une courte dissertation (750 mots) tous les quinze
jours et les soumettre à ce qu’on appelle l’inter-évaluation – ce qui vou-
lait dire que chaque devoir serait envoyé à cinq étudiants anonymes pour
qu’ils l’examinent, et chacun de ceux qui avaient écrit une dissertation
recevraient cinq articles à évaluer. Nous avions conçu une rubrique que
les étudiants pouvaient suivre à mesure qu’ils s’évaluaient les uns les
autres, visant à tenter de les mobiliser pour qu’ils apprennent ensemble,
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en devenant critiques les uns des autres. Seule une petite portion des étu-
diants inscrits écrivirent vraiment ces dissertations ; la plupart visionnaient
simplement les cours magistraux et suivaient quelques-uns des débats en
ligne, s’apparentant à ce que l’on appelle aux États-Unis des « auditeurs
libres ». En tout, les étudiants remirent 5 000 textes et participèrent à
presque 30 000 évaluations.
Ce que j’ai appris de cet aspect de l’apprentissage en ligne confirma ce
que les données nous disent plus ou moins à propos de l’évaluation par
les pairs : à savoir que c’est mitigé. En tant que professeurs, nous oublions
souvent que noter et évaluer, c’est ce que nous faisons tout le temps ; nous
ne sommes peut-être pas formés à bien évaluer, mais c’est un savoir-faire
que nous acquérons (ou du moins certains d’entre nous). Le fait de jeter
une masse hétérogène d’étudiants dans ce rôle, avec un manuel, aussi bien
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pensé qu’il soit, pour seul guide, présente nécessairement des conséquences
diverses. Les étudiants qui ne comprennent pas l’esprit de l’évaluation entre
pairs la pratiquent très mal. Et il y a le problème prévisible des profiteurs :
certains des étudiants mettent plus d’énergie à écrire leurs propres disser-
tations qu’à évaluer celles des autres. Oui, une solution, c’est de demander
aux étudiants de se noter les uns les autres en tant qu’évaluateurs, et il y a
42
sans doute du bon dans un tel exercice, mais cela ne remédie que partiel-
lement au problème. Cependant, j’étais surpris de la patience des étudiants
devant les imperfections du système. Les devoirs individuels et l’évaluation
Dossier
L’Éducation
entre pairs étaient les maillons les plus faibles du cours. Ils me laissèrent
à l’âge indécis quant à la façon de mobiliser le travail des étudiants et de créer
du numérique des systèmes d’apprentissage en commun grâce auxquels mes assistants
 expérimentés et moi-même n’aurions pas à être submergés par des milliers

d’essais, ou à réduire l’étude historique à des quiz. La plupart des analyses
que je lisais – pour certaines très sophistiquées – concluaient que l’expé-
rience était classique et que, au mieux, l’évaluation entre pairs se montrait
« prometteuse ». Je ne pouvais qu’entendre ce bon mot de Cyril Connolly :
« Les dieux commencent par appeler “prometteurs” ceux qu’ils veulent
anéantir. » Du reste, comme on peut s’y attendre, il s’agit là d’un des élé-
ments du MOOC le plus massivement étudié (bien qu’il soit insondable) ;
c’est aussi un des contreforts contre lesquels il arrive qu’on se heurte.
Mais la rencontre entre des masses hétérogènes et globales produisit un
espace incroyable pour des échanges planétaires. Ce fut la meilleure surprise.
Le monde en ligne et celui de Princeton devaient coïncider à travers une série
de discussions sur des forums qui fonctionnaient comme des tableaux d’affi-
chage interactifs. Les forums variaient ; j’initiais et animais certains d’entre
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eux ; d’autres venaient des étudiants eux-mêmes. Finalement, le cours de


la première année se clôtura sur des chiffres sidérants, avec 1 466 entrées,
plus de 400 000 vues, 9 780 commentaires et 11 681 interventions inter-
actives. De longues bobines de conversation asynchrone impliquèrent des
étudiants de partout dans le monde. De temps en temps, il fallait que
j’intervienne pour les modérer, mais dans l’ensemble, j’étais impressionné
du fait que tant d’inconnus puissent soutenir un si haut niveau de civisme
dans leurs rapports ; dans ce sens, ce n’était pas tout-à-fait différent d’une
salle de classe bien menée mais celle-ci était alors considérablement plus
grande que d’habitude. En voici un exemple : une étudiante russe contesta
la phrase d’un des cours magistraux qui portait sur des cas de cannibalisme
pendant le siège brutal de Leningrad par les nazis, qui dura neuf-cents
jours. Elle protestait contre le fait que je recyclais des stéréotypes holly-
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woodiens sur les Russes alors perçus comme des barbares. Je répondis à
son message, expliquant que j’avais voulu illustrer les horreurs de la guerre
totale et, au contraire, montrer aux étudiants américains que la version de
la deuxième guerre mondiale que donne le film Il faut sauver le soldat Ryan
relève d’une vision partiale, pour ne pas dire provinciale. L’intervention
eut un effet viral et se transforma en une conversation planétaire fascinante
sur les stéréotypes nationaux. Le tout fut couronné par le concours d’une 43
étudiante en sociologie à l’université d’État de Saint-Pétersbourg, qui nous
confia que cet échange l’avait poussée à questionner sa grand-mère sur les
Voyage au pays
impacts de balles qui apparaissaient sur le plafond en plâtre de sa chambre. des MOOC,
« Ces impacts de balles datent de la Grande Guerre4 », a-t-elle appris. ou le récit
Il y avait bien sûr à cette échelle de communication asynchrone – où d’une expérience
les étudiants échangeaient à n’importe quel moment – un défaut : la sur- Jeremy Adelman

population. C’était étrange de découvrir que cet espace infini pouvait être
aussi exigu. Il se passait en fait beaucoup trop de choses, même si nous
avons réussi à éviter « l’effet Babel ». Les nouveaux cours hebdomadaires
et mes questions de réflexion avaient de fait contribué à empêcher les étu-
diants de s’en éloigner et de passer à de nouvelles questions avant que les
interventions ne s’assèchent. Mais il y avait tant d’étudiants qui voulaient
prendre la parole qu’il y avait beaucoup trop de conversations à sens uni-
que, d’interventions sans réponses, d’arguments sans contre-arguments. Le
problème avec la communication synchrone, c’est que les échanges entre
les étudiants, limités par le temps, fonctionnent comme des bloqueurs

4. La « Grande Guerre patriotique » est le terme qui fut utilisé par l’Union soviétique pour
désigner la deuxième guerre mondiale (NdT).
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intégrés ; toute discussion réussie a son modérateur et ses limites tempo-


relles. Pas le panneau d’affichage, qui présente, dans la plupart des cas, des
possibilités illimitées, sauf lorsqu’il s’agit de se frayer un chemin à travers la
quantité de trafic verbal. Beaucoup d’étudiants s’épuisèrent. Les étudiants
de Princeton ne se donnèrent jamais cette peine. D’autres, de façon légè-
rement inquiétante, devinrent accros. Avant la fin d’un semestre au rythme
particulièrement effréné, bon nombre d’étudiants étaient déjà trop épuisés,
et m’écrivaient pour s’excuser de leur implication décroissante. Restaient
les infatigables accros, qui passaient leurs nuits à marteler leurs claviers
pour débattre de la colonisation néerlandaise en Indonésie, ou de la chute
du mur de Berlin. Quand je me levais le matin et que je me connectais au
site, je pouvais voir les longues traînées laissées par la joute verbale qui avait
opposé une minorité toujours diminuante de « moocaholics ».
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La visibilité d’« Une Histoire du Monde » transforma le cours en un
artefact du débat polarisé. J’avais moi-même un rôle fortuit dans quelques
décisions universitaires. Le corps enseignant du Amherst College organisa,
de façon largement médiatisée, un débat public pour savoir s’il fallait ou
non rejoindre Coursera. Amherst me proposa une réunion Skype avec tout
le corps enseignant pour que je témoigne de mon expérience. Par une soi-
44
rée digne de comédie, passée à lutter contre un débit très mauvais alors que
mon visage restait gelé sur le grand écran, nous passâmes quelques-unes
de mes impressions en revue. Mais à la fin, rares étaient les collègues qui
Dossier
L’Éducation
pouvaient encore endurer les problèmes techniques et la salle se vida ; une
à l’âge semaine plus tard, le corps enseignant de Amherst vota catégoriquement
du numérique contre l’idée de joindre Coursera.
 Il y eut aussi des moments un peu plus étranges, alors que le cours

en lui-même était rempli de blogueurs. Plusieurs de mes étudiants en
ligne tenaient des journaux, publics, sur ce que c’était que de suivre un
MOOC. L’un d’eux n’était autre que Jonathan Rees, un historien de la
classe ouvrière américaine et un activiste s’opposant à la précarisation de
la force de travail universitaire aux États-Unis, enseignant dans une uni-
versité du Colorado. Il postait sur son blog, hystériquement appelé « More
or less Bunk5 », ses réflexions et ses coups de gueule réguliers sur le cours.
Après qu’un de mes étudiants m’eut informé du blog, je commençai à
suivre les comptes rendus exhaustifs de Rees au sujet de mes cours, sa
frustration vis-à-vis des appréciations qu’on lui donnait sur ses essais (qui

5. Nommé d’après une citation de Henry Ford, « History is more or less bunk » en anglais, qui
signifie : « L’histoire est plus ou moins foutaise » (NdT).
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devaient être bonnes, et je me suis d’ailleurs souvent demandé si les pairs


qui l’évaluaient appréciaient ce qu’ils lisaient sur leurs écrans). C’était une
leçon d’humilité que d’être soumis à ce genre de critique ouverte. « Dans
l’ensemble, une intro pas trop horrible à Coursera, mais ça ne me fait pas
me précipiter pour en avoir plus », notait un commentateur. Pourtant,
c’était aussi intéressant. J’ai fini par me lancer dans la gueule du loup en
lisant ce qui suit : « Voilà un gars qui fait son numéro habituel dans une
situation plus qu’inhabituelle. Je pense que c’est pour cela qu’il traite sa
pauvre étudiante Valeria comme Wilson le ballon de volley-ball. Il veut
faire le genre de choses qu’il peut faire en face-à-face dans une classe mais
le mec de la régie et elle sont les seuls spectateurs qui peuvent répondre en
temps réel. Ah, la difficulté d’être un super professeur ! » Je ne souhaitais
pas tant me défendre, quoique j’aie dû me mordre les doigts pour contenir
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ma pulsion, que de corriger les fausses impressions. Par la suite, Rees et
moi tînmes sur son blog un débat parallèle qui portait sur l’enseignement
et l’apprentissage dans le cours. Il apparut bientôt que bon nombre des
étudiants inscrits dans le MOOC suivaient le débat sur le blog de Rees.
C’était là une méta-discussion sur l’apprentissage en ligne alors même que
l’expérience continuait de se déployer, mettant toutefois un bémol à cette
idée que le professeur fait figure d’autorité et l’étudiant de subalterne6. 45
La visibilité massive transforme l’écosystème d’un cours autant qu’elle
l’étend. Alors que des siècles de vie universitaire ont été régulés par cette
Voyage au pays
hiérarchie intime, bien définie, entre professeurs et étudiants, qui s’orga- des MOOC,
nisait autour de rencontres rituelles, le passage aux cours en ligne, lui, ou le récit
magnifie la distance verticale en même temps qu’il la dynamite. J’ai dû d’une expérience
abandonner toutes les certitudes que je maîtrisais, fût un temps, dans ma Jeremy Adelman

salle de classe aux panneaux de bois, pour redevenir moi-même un élève,
sujet à des commentaires et des analyses continuels, avec mes improvi-
sations et mes adaptations aux vues de tous.

par - delà le groupe étudiant

De deux façons, et non des moindres, le cours a dépassé la forme de la


communauté, qui est pourtant caractéristique de ce que nous tentons de

6. Pour information, Rees et moi nous sommes ultérieurement rencontrés, et avons même par-
tagé un panel ensemble à la Société américaine d’histoire. Vous pouvez suivre son blog ici : https://
moreorlessbunk.wordpress.com/category/technology/MOOC/world-history-mooc/
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créer dans le monde de l’enseignement supérieur. Sans murs, l’espace de la


communauté s’est désagrégé. Et, sans le temps partagé et les rituels synchro-
nisés et structurés, l’écosystème avait acquis des normes et des règles diffé-
rentes. Quoique jamais auparavant je n’eus pensé à un cours en tant que
communauté temporellement ou spatialement délimitée, je reconnus ce que
j’avais perdu une fois que la chose fut corrompue. Et je dus trouver un nou-
veau modèle. Puisque j’apprenais autant que j’enseignais, je décidai d’appe-
ler cela un laboratoire, cadre de découvertes expérimentales. « Une Histoire
du monde » devint un « Laboratoire d’Histoire du Monde ». J’étais devenu à
la fois le type avec sa blouse de labo blanche et le rat dans le labyrinthe.
La salle de classe ayant déjà été inversée, la deuxième étape consistait à
inverser l’intégralité du cours.
Devenu laboratoire, le cours fut plus explicitement expérimental, offrant
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un espace pour explorer de nouvelles façons d’enseigner au-delà de toute
limite, et pour que les étudiants apprennent via une collaboration ouverte
et planétaire. Cela voulait dire qu’il fallait repenser les relations entre les
différentes composantes du cours – cours magistral, lectures et devoirs –
qui étaient complètement désarticulées, après que la moelle épinière eut
été enlevée.
46
La première étape fut de s’occuper de cet objectif contrarié, où il s’agis-
sait d’encourager mes étudiants de Princeton à l’apprentissage planétaire.
Ni les Dialogues ni les Forums n’offrirent ce que je cherchais à créer à
Dossier
L’Éducation
l’origine : des zones d’échanges entre les étudiants de Princeton et les étu-
à l’âge diants en ligne, afin d’effacer les limites entre échelles locales et échelles
du numérique mondiales. Comme pour les Dialogues, les étudiants de Princeton évi-
 tèrent les forums comme une cave putride. Les deux groupes ne conver-

gèrent jamais.
Y avait-il un moyen d’intégrer les étudiants de Princeton plus active-
ment dans l’espace numérique et de recombiner les éléments de l’ancien
cours ? Une idée me vint alors que je regardais l’entraîneur de l’équipe
masculine de volleyball de Princeton qui s’efforçait d’améliorer simulta-
nément les compétences individuelles et les compétences de l’équipe. Je
regardai les joueurs faire valoir les talents de chacun en tant qu’équipe.
Parallèlement, je lus une ébauche des conférences Tanner de 2013 de
William Bowen à Stanford – et une phrase me sauta aux yeux : le pro-
fesseur devrait peut-être prendre les traits d’un entraîneur, spéculait-il7 ?

7. Aujourd’hui publié : William G. Bowen, Higher Education in the Digital Age, Princeton,
Princeton University Press, 2014.
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C’était un rôle où il ne s’agissait pas seulement de mêler apprentissage pas-


sif et apprentissage actif ; cela impliquait une stratégie tout à fait différente,
c’est-à-dire faire en sorte que les étudiants apprennent ensemble à travers
un travail de collaboration. Par conséquent, je supprimai les lectures heb-
domadaires de livres et d’articles ainsi que les classes organisées autour de
la discussion de celles-ci. À la place, les étudiants inscrits étaient regroupés
en équipes. Chaque équipe recevait toutes les semaines un dossier avec
des documents authentiques afin de faire des études de cas, modèle que
j’ai emprunté à la méthode d’apprentissage de l’induction interprétative
pratiquée à la Harvard Business School. Tout en s’appuyant sur les cours
magistraux et les manuels pour comprendre les documents, les équipes
devaient répondre toutes les semaines à une « Question Défi » et poster
leurs résultats collectifs en ligne. La constitution d’équipes transforma les
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anciens « préceptes » hebdomadaires en des réunions frénétiques avec leurs
entraîneurs (mes assistants et moi) – et chacune d’entre elles accomplissait
une série d’exercices qui culminait sur des présentations à mettre en ligne.
Entre les réunions hebdomadaires, les étudiants travaillaient ensemble à la
préparation de leurs présentations sur des documents « Google Doc » – je
pouvais ainsi mesurer, contrôler leurs interactions et partager des réflexions
au fur-et-à mesure de la préparation. 47
Finie la confiance excessive à l’égard de la seule heure de la semaine
où les étudiants seraient actifs. Voilà que l’heure de réunion devenait au
Voyage au pays
contraire beaucoup plus intense que tout ce que j’avais pu voir en un quart des MOOC,
de siècle de profession ! Fini aussi le rituel des étudiants rédigeant leurs ou le récit
devoirs pour une seule paire d’yeux – les miens. Voilà que les étudiants d’une expérience
se mobilisaient bien plutôt pour les présentations, précisément parce que Jeremy Adelman

ces tâches leur permettraient de mieux se préparer pour leurs examens !
De cette façon, les études de cas permirent de réarticuler les différentes
parties du cours et fournirent aux étudiants une occasion de collaborer et
de mettre leurs analyses sur le web pour que tout le monde, que ce soit de
Princeton ou de Paris, puisse les suivre et les commenter. Certes, il y eut
les contretemps et les difficultés techniques habituels. Mais désormais, les
étudiants de Princeton se joignaient à moi dans l’établissement de connais-
sances adressées au reste du monde. Telle fut la deuxième année de la courte
existence de ce cours.
Cette expérience fut réussie en partie seulement. Le problème ? Alors
que les étudiants de Princeton se consacraient à leurs présentations pour
le blog, les étudiants de Coursera les évitaient, de la même manière exac-
tement que les étudiants de Princeton avaient évité les Dialogues et les
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Forums. De plus, le blog n’avait pas grand-chose à voir avec leur appren-
tissage, et il leur était toujours demandé de soumettre massivement des
devoirs individuels pour les évaluations par pairs, réalisées en masse elles
aussi. Je n’avais toujours pas trouvé le moyen de rallier les étudiants en
ligne à ceux de Princeton. C’était dû au fait que, alors que j’avais innové
avec les équipes de Princeton, j’avais laissé les étudiants de Coursera avec
leurs devoirs à rendre toutes les deux semaines et leurs forums hyperactifs.
(Les Dialogues étaient désormais simplement postés sur le site en guise
de suppléments ; j’ai fini par les enlever du fait qu’ils étaient devenus de
simples ornements.) Ainsi qu’un des étudiants de Coursera me l’avait écrit,
légèrement frustré qu’il était du fait que ses travaux rédigés n’avaient rien
à voir avec les blogs des étudiants de Princeton, « une idée à prendre en
compte serait de demander aux étudiants d’écrire sur certains des sujets
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donnés dans le cadre des devoirs à rendre. Cela aurait été bien de comparer
nos travaux aux leurs ».
Ainsi s’acheva la deuxième année de la courte carrière du cours.

autre plateforme , autre e x périence

48
Cette lettre, et la suggestion d’un ami qui me conseillait d’envisager
une plateforme alternative à Coursera – une qui serait plus disposée aux
Dossier
L’Éducation
projets collaboratifs qu’aux devoirs individuels et aux évaluations aléa-
à l’âge toires – m’ont conduit à me séparer de Daphne Koller, à qui j’attribue
du numérique le mérite de m’avoir ouvert les yeux sur ce nouvel univers de possibilités.
 Mais Coursera n’était pas adapté aux logiciels de groupe. Se présentèrent

les gens de NovoEd, une start-up dont le personnel connaissait mon cours.
Ce que NovoEd offrait, c’était la possibilité de permettre aux étudiants en
ligne de se livrer aux mêmes études de cas que les étudiants de Princeton
élaboraient de manière collaborative. Désormais, les étudiants en ligne et
ceux de Princeton étaient confrontés aux mêmes tâches et partageaient le
même écosystème. De fait, NovoEd destitue complètement le professeur
du rôle central qu’il avait dans un cours n’offrant qu’un choix de cours
magistraux ou d’instructions professorales. Les étudiants étaient devenus
le centre névralgique du cours. Même l’esthétique de ce dernier changea.
On nomma sa page d’accueil « la galerie », parce qu’en fin de compte, voilà
à quoi ça ressemblait : à un mur de peintures ou de post-it, qui, si l’on
cliquait dessus, ouvraient sur des présentations de groupe en tout genre,
qui devinrent de plus en plus sophistiquées à mesure que les étudiants
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s’habituaient au médium. La galerie permit aux équipes en ligne et à celles


de Princeton de poster leurs travaux côte-à-côte, avec des sections sous-
jacentes pour les commentaires et les analyses. Les étudiants de Princeton,
pendant ce temps, devaient utiliser la galerie pour réviser leurs examens de
milieu et de fin de semestre. Les étudiants à Princeton, et au-delà, étaient
devenus mes partenaires.
La galerie connut des moments superbes. Pour le premier devoir, on
demanda aux étudiants en ligne de poster une image du passé dans la
galerie et d’expliquer ce qu’elle représentait pour eux. L’idée était de créer
un espace où les étudiants pouvaient se rencontrer les uns les autres et
ainsi former des équipes. Une étudiante ukrainienne posta une image d’un
monument à Kiev protestant contre l’ingérence russe à l’Est et expliqua
son inquiétude face à la guerre. En réponse, un étudiant sibérien exprima,
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dans la section des commentaires, son espoir qu’elle ne le considèrerait pas
comme un ennemi, pour la simple et unique raison qu’il était Russe. Les
deux étrangers échangèrent leurs opinions sur la guerre et sur l’identité
nationale jusqu’à devenir coéquipiers, amis, et promettre de se rendre visite
l’un à l’autre – non plus seulement au mépris de la guerre, mais malgré
elle.
Le passage à l’apprentissage collaboratif et la conversion du cours en 49
une galerie spécialement dédiée aux étudiants furent deux étapes impor-
tantes en vue de briser les barrières conventionnelles. Cependant, un
Voyage au pays
troisième élément apparut, qui n’avait pas tant à voir avec ces barrières des MOOC,
qu’avec la découverte d’un objectif sous-jacent – mais caché. Cela n’aurait ou le récit
pas pu avoir lieu sans que la classe et le cours n’aient été inversés. Alors d’une expérience
que les étudiants étaient devenus pourvoyeurs de savoir, bénéficiant ainsi Jeremy Adelman

à l’apprentissage de chacun de leurs coéquipiers, je me rendis compte
que les matériaux des études de cas ne donnaient pas nécessairement
d’instructions sur la question de comment préparer une présentation sur
le passé. Les premières présentations exigèrent souvent des efforts hési-
tants aux étudiants devant unifier leurs travaux. La plus grosse difficulté
consistait sans doute dans le fait de savoir comment réduire l’écart entre
les différentes voix auxquelles les étudiants étaient confrontés dans les
documents authentiques et un contexte plus large auquel ils se confron-
taient dans les cours magistraux. Je pouvais voir dans toutes leurs présen-
tations qu’ils peinaient à élaborer des explications, ce qui était d’autant
plus difficile qu’ils avaient à le faire en groupe. Une solution se présenta
grâce aux créneaux libérés par les Dialogues Globaux désormais disparus.
L’initiative fut prise d’enseigner des stratégies de « Narrative Mapping »
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dans ce que l’on appelle des « forums » (« Mapping a Narrative », pour


faire bref, consiste à identifier les éléments clés, à les replacer dans le
contexte d’un espace-temps planétaire, et à leur appliquer un concept
historique mondial – division du travail, conquêtes, intégration éco-
nomique, etc.). Ceux-ci devinrent des moments privilégiés pour tenir
compte des questions hebdomadaires, en les aidant à sélectionner et à
rassembler des preuves dans leurs études de cas, à tirer le contexte du
manuel et des cours magistraux et à construire un argument. À la fin
du semestre, le principe du cours devint clair ; derrière toutes les images et
tout le bruit numérique, je concentrai mon énergie d’enseignant non plus
sur la transmission de contenus historiques, mais sur les capacités inter-
prétatives des étudiants. On ne demandait pas aux étudiants de réfléchir
seulement à la dynastie Ming ou encore à la rencontre entre Européens
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et natifs Américains en 1492, mais aussi à l’application d’outils qui leur
permettraient de révéler leur signification planétaire et de les présenter
dans des arguments cohérents et convaincants.
Par conséquent, le fait d’inverser le cours bouscula les rituels conven-
tionnels et en défit les éléments complémentaires qui n’avaient pas été
intégrés. De nouvelles fondations avaient été posées, avec de nouveaux
50
procédés tels que la collaboration, l’apprentissage par la pratique et les
échanges par-delà les frontières, tous intégrés à cette limite poreuse qui
sépare le réel du numérique. C’est peut-être dû au fait que nous sommes
Dossier
L’Éducation
dans une période de transition vers l’ère des fonctions inversées, ère dans
à l’âge laquelle les éditeurs ont aussi supprimé les lignes de démarcation entre les
du numérique genres pour remettre en question ce que c’est qu’un cours à l’âge du numé-
 rique. De tels faits, pour certains, sont purement et simplement déconcer-

tants. La maison d’édition américaine Simon & Schuster, par exemple, a
annoncé récemment son projet de rassembler en ligne les « cours » portant
sur des livres et des auteurs populaires. À cette fin, la nouvelle direction
de l’enseignement, appelée SimonSays, satisfera les attentes des lecteurs en
proposant « plus que les simples livres » de leurs auteurs. L’idée consiste
à publier plus de contenu pour produire une marge brute d’autofinan-
cement plus importante, et cela afin de compenser la baisse des ventes du
livre8. Qui peut le leur reprocher ? Partout dans le monde, un milliard

8. Alexandra Alter, « Simon & Schuster to Sell Online Courses Taught by Popular Authors »,
The New York Times [en ligne], 12 janvier 2015. Disponible à l’adresse : http://www.nytimes.com/
2015/01/12/business/media/simon-schuster-to-sell-online-courses-taught-by-popular-
authors.html?ref=business&_r=0
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de gens regardent 300 millions d’heures de vidéos YouTube tous les jours.
Que je sois sur une pente rendue glissante par les simplifications de l’expé-
rimentation et de l’apprentissage planétaire, cela reste à prouver. Mais je
ne pense pas que cela soit le cas. Je ne me soucie guère d’avoir une « fan
base ». J’ai des étudiants, et jusqu’à présent, il n’y a rien dans les MOOC
qui permette de confondre les deux.

bilan

Cette chronique de ma propre expérience présente des exemples d’un


cycle d’apprentissage dans lequel les conséquences fortuites se sont révélées
former l’aspect le plus intéressant, sinon le plus transformateur, du change-
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ment opéré par la disruption technologique. Il y avait, bien sûr, une grande
part d’improvisation dans le fait d’essayer d’apprendre de cette façon, mêlée
à de la consternation devant le fait de ne pas pouvoir résoudre un pro-
blème sans en révéler ou en créer un autre. Telle que nous l’avons pratiquée
à Princeton, l’improvisation aura souvent été, en toute connaissance de
cause, aussi déroutante que formatrice. S’il y a une leçon plus importante
que les autres à retenir, c’est que l’on doit apprécier le processus, le voyage, 51
pour ce qu’il est. En trois ans d’expérience, le cours a été complètement
renversé. Au lieu d’être l’espace dans lequel j’« enseigne » et les étudiants
Voyage au pays
« apprennent », les rôles binaires se sont confondus ou ont été remplacés des MOOC,
par d’autres. Les étudiants s’enseignent les uns aux autres. Je deviens un ou le récit
apprenant comme eux. Rien de cela n’implique l’absence de hiérarchie ; d’une expérience
les méta-paramètres du cours sont les miens ; je suis le seul à en avoir écrit Jeremy Adelman

le contenu. Pourtant, force est de rappeler que la nature expérimentale du
cours n’était pas son objectif originel ; mais cet effet secondaire important
et non intentionnel a fini par en devenir la caractéristique principale.
Certains cours reposent sur une culture de l’expérimentation. Celle-ci
est particulièrement importante dans les domaines des sciences et des tech-
nologies où le médium est le message et la technologie l’objet d’étude ; où
l’on examine les données modifiées par le fait même d’apprendre – tels que
les habitudes d’apprentissage ou les modèles d’intelligence – à travers des
simulations de jeux comportementaux. Mon cours ne comportait aucun
de ces paramètres. Mais il rechignait à s’édifier autour d’un contenu délivré
à travers la trilogie traditionnelle, à savoir la série de cours magistraux, les
devoirs d’usage, et les évaluations, car il entendait désormais se construire
à l’aide de pratiques de collaboration visibles par tous.
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Il y a quelques siècles, les murs de l’université médiévale, véritable sanc-


tuaire du savoir, commencèrent à s’effriter. À travers le prisme de la longue
durée, l’avènement du MOOC apparaît à coup sûr comme une étape sup-
plémentaire dans le processus d’immersion des universités dans les sociétés
qui les soutiennent et dépendent d’elles. Dans l’histoire que je raconte
ici, le MOOC – mais l’on pourrait très bien élargir la perspective et par-
ler plus généralement de la numérisation de l’enseignement, la Massivité
et l’Ouverture ne constituant pas les seuls traits saillants du changement
technique –, le MOOC, dis-je, aura marqué en profondeur le fondement
intérieur, la micro-fondation, de l’enseignement supérieur.
À mesure que j’avançais dans mon voyage, il m’est arrivé de me demander
si je n’étais pas en train de devenir un professeur « post-humaniste ». À
l’heure de la MOOCification, de la disparition d’icônes journalistiques
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telles que The New Republic, de la propagation des Digital Humanities
(alors que la vaste majorité des enseignants de sciences humaines n’ont
aucune idée de ce que c’est), à l’heure aussi du culte des données, et de
la confusion gratuite entre savoir et information, interminables sont les
débats. Qu’il faille, aux États-Unis du moins, sans cesse se préoccuper
de savoir si les départements d’anglais sont destinés à faire long feu, et
52
faire le compte des impétrants (y compris des étudiants qui se spécia-
lisent en anglais, un nombre qui, quand on fait bien le calcul, équivaut
plus ou moins à ce qu’il était à la fin du grand boom universitaire des
Dossier
L’Éducation
années 1960), voilà ce qui aura occupé les esprits catastrophistes autant
à l’âge que les autorités universitaires. Et il n’est pas jusqu’aux récents efforts
du numérique accomplis en vue d’élaborer une carte des connectomes humains – c’est-
 à-dire de créer une cartographie de nos émotions, de nos passions, de nos

compétences et de nos souvenirs –, qui ne nous présentent le spectre de
la conscience humaine transformée en data.
Du coup, fais-je partie du problème, tel un ennemi infiltré, ou de la
solution, un de ceux qui sont désormais versés (inversés ?) dans le « lan-
gage de l’art de la vente9 » ? Au lieu d’être une fatalité, le « Laboratoire
d’Histoire du Monde » a pris la forme d’une expérimentation. Mais il s’agit
davantage de la méthode d’enseignement que de matière à enseigner. Les
étudiants continuent à lire des livres, à examiner des textes anciens (en fait,

9. Martha Nussbaum, Not for Profit : Why Democracy Needs the Humanities, Princeton,
Princeton University Press, 2012 ; Blaine Greteman, « The Crisis in the Humanities has a Long
History », The New Republic [en ligne], 13 juin 2014. Disponible à l’adresse : http://www.
newrepublic.com/article/118139/crisis-humanities-has-long-history
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ils en consultent plus, grâce à Google Books et à la Digital Public Library


of America10), à écrire toutes les semaines, et ils passent toujours quelques
heures épuisantes à leur bureau, à gratter pour les examens finaux. Et bien
sûr, je donne toujours des cours magistraux ; plus que jamais, en fait. Au
fond, je continue à travailler sur les écrits des étudiants. Quant à mon sujet
– les interactions mondiales –, il serait tout à fait reconnaissable pour un
humaniste du xve siècle.
Le post-humanisme, pour reprendre la récente accusation de Leon
Wieseltier, « choisit de comprendre le monde en termes de forces et de
structures impersonnelles, et de nier l’importance, et même la légitimité,
du pouvoir humain11 ». Si c’est une maladie, elle a sans doute moins à voir
avec la technologie elle-même qu’avec ce que les gens en pensent. Mais on
n’a pas à aller aussi loin pour faire face à un tel problème de perception.
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Ma propre université, aussi obsédée que le reste par les technologies qui
génèrent des données et par les bâtiments qu’il faut ériger pour les abriter,
est en train de mesurer systématiquement ce qu’il en est de son activité
en ligne : elle a, pour cela, diligenté des sondages quantitatifs et étudié de
près les données provenant des évaluations portées sur mon enseignement
telles que les produisent, entre autres, les étudiants en ligne. Ayant proposé
à la Commission de la rencontrer pour lui raconter l’histoire du cours, je 53
me suis vu poliment répondre que ce ne serait pas nécessaire d’entendre
la version du principal intéressé. Les données informatiques, j’imagine, y
Voyage au pays
pourvoient largement. des MOOC,
On sait que les révolutionnaires et les contre-révolutionnaires s’appli- ou le récit
quent à exagérer leurs plaidoyers. Mais le présent article a surtout pour but d’une expérience
de mettre en lumière les déformations qui affectent l’enseignement aujour- Jeremy Adelman

d’hui et de rappeler, ce faisant, que toutes les histoires que l’on raconte sur
la révolution numérique sont, en fin de compte, assez partiales. En effet,
parfois ce n’est que la technologie qui change. Dans la grande lutte entre
le médium et le message, ce qui est souvent tenu à l’écart, c’est ce que la
méthode nous enseigne. Certes, il est juste de dire que créer un MOOC
dans le champ des Humanités rend l’humanisme beaucoup, beaucoup
plus accessible. Mais l’on ne peut agrandir davantage l’échelle de ce dont
traite le « Laboratoire d’Histoire du Monde ». D’autant qu’il y va de ce qui

10. La Digital Public Library of America (DPLA) a été créée en 2013. Il s’agit d’une bibliothèque
numérique gratuite et accessible partout dans le monde (NdT).
11. Voyez, par exemple, Leon Wieseltier. « Among the Disrupted ». The New York Times [en
ligne], 18 janvier 2015. Disponible à l’adresse : http://www.nytimes.com/2015/01/18/books/
review/among-the-disrupted. html?_r=1
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10 août 2015 11:34 - Revue cités n° 63 - Collectif - Revue cités - 175 x 240 - page 54 / 240 10 ao

touche aussi à la petite échelle : l’ancien plaisir d’apprendre des histoires


et de les interpréter y demeure fondamental. Si donc nous ne prêtions pas
attention à ce que nous devons voir de près, nous pourrions bien passer à
côté de tout ce qu’a à nous dire l’incessante rumeur où il nous est parlé de
l’éducation à l’âge du numérique.

Traduit de l’anglais par Chloé Vettier.


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Dossier
L’Éducation
à l’âge
du numérique



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