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L'après-coup.

La tentative d'inscrire ce qui tend à disparaître


Bernard Chervet
Dans Revue française de psychanalyse 2009/5 (Vol. 73), pages 1361 à 1441
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 0035-2942
ISBN 9782130573074
DOI 10.3917/rfp.735.1361
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 15/09/2023 sur www.cairn.info via Université Paris - Cité (IP: 195.220.128.226)

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II — Rapport de Bernard Chervet

L’après-coup.
La tentative d’inscrire
ce qui tend à disparaître1
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Bernard CHERVET

L’APRÈS-COUP AU PRÉSENT

Un souhait s’exprime par le terme d’après-coup, qu’il y ait un après, conju-


gué à un autre, que l’avenir soit une retrouvaille d’un coup du passé. La quête
d’un coup sans après, un coup de rêve, traverse toute la clinique des séances
d’analyse. Il s’agit de sauver le coup de toute déception. Un contrecoup s’y
oppose et tente d’inscrire ce qui tend à disparaître.
Dans ce chapitre, après quelques filigranes théoriques, sera abordé le travail
de l’après-coup proprement dit, ses moments, ses temps 1 et 2, ses scènes I et II.
Une brève vignette clinique illustrera ensuite l’utilisation par la pensée de l’ana-
lyste de plusieurs patients successifs afin de réaliser un après-coup propice à
l’interprétation.
La dynamique de l’après-coup s’avère centrale dans toute cure. La parole
d’incidence de l’analysant et l’écoute régrédiente de l’analyste en relèvent. Ils
créent ensemble un après-coup analytique, moteur de l’effet thérapeutique.
Les questions concernant la prégnance et l’incertitude de la réalisation de
ces après-coups sont laissées pour le chapitre « L’après-coup en abyme et l’opé-
ration meurtre » (p. 1432).

Filigranes théoriques

Le procès de l’après-coup est une théorie en action. Il contient la virtualité


des théories de la temporalité, de la causalité, de la générativité, toutes référées à

1. Les limitations éditoriales n’ont pas permis d’intégrer le sommaire détaillé et la bibliographie
complète d’origine parus dans le Bulletin de la SPP, no 90, 2008. Des 13 vignettes cliniques présentées,
une seule a pu être conservée, celle de C... Tous les autres chapitres ont été remaniés et raccourcis.
Rev. franç. Psychanal., 5/2009
1362 Bernard Chervet

l’ensemble avènement-disparition-résurgence. Il est la matrice des conceptions


scientifiques qui tentent d’appréhender le monde et sa genèse, la mentalisation
et sa constitution, la vie et sa disparition. S’il est engagé dans tous les grands
débats épistémologiques, c’est à cause de sa fonction princeps de mentaliser la
réalité traumatique active au sein de la psyché.
Toutes ces conceptions sont issues de la transposition, sur les réalités per-
ceptibles, des opérations psychiques inconscientes qui constituent ce procès.
Ces réalités sont élues et cooptées afin de servir de matériaux aptes à
promouvoir la mentalisation. Les diverses mémoires et modalités d’inscription
naissent du besoin de matériaux psychiques. Mis d’abord en réserve, ils ont
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pour destin de fournir les futurs retours nécessaires au traitement de cette réalité
traumatique endogène auquel la psyché est contrainte de jour comme de nuit.
Cette réalité traumatique se reconnaît elle-même en la perception de tout
manque inhérent à toutes différences. Elle s’éprouve et s’exacerbe à la percep-
tion du manque.
Ainsi la psyché est-elle une fabrique de retours dans sa fonction antitrauma-
tique et une fabrique de formations de l’inconscient dans sa fonction générative.
Se dessine un besoin de mémoire, un devoir de mémoires multiples, inconscien-
tes. La mémoire se révèle messagère de ce qui la contraint à s’inscrire comme
telle et de ce qui la menace d’effacement. Elle se dévoile mémoire des procès
psychiques, ceux déjà efficients et ceux empêchés ou restés potentiels. L’après-
coup est une réminiscence des procès qui le constituent et des tendances qui le
contraignent et l’animent. Il est une mémoire processuelle.
Freud crée le terme Nachträglichkeit en 1897, puis en 1917 il cesse de
l’utiliser quand il perçoit que la notion de traumatisme est liée à une qualité
fondamentale de la pulsion. Dans un travail antérieur1, j’ai souligné cette dis-
parition du seul substantif. Tout analyste est habitué à prêter attention à de
tels signes minimes, sachant qu’ils recèlent une significativité latente. Au sein
du travail de théorisation de Freud, la création du substantif relève de
l’abord phénoménologique, de la genèse temporelle en deux temps des symp-
tômes, sa disparition coïncide avec l’approfondissement métapsychologique
de la dimension régressive qui devient une qualité propre à chacune des pul-
sions constituant la dualité pulsionnelle. L’après-coup s’avère être la forme
de l’organisation de la sexualité humaine, avec son biphasisme et ses périodes
de latence. Cette disparition s’accompagne de l’extension de l’après-coup à
tout procès psychique, qu’il s’agisse de ceux impliqués dans la genèse, dans
l’instauration ou le fonctionnement psychique. Il est leur dénominateur et
référentiel commun.

1. B. Chervet (2006), L’après-coup. Prolégomènes, RFP, t. LXX, no 3, 671-700.


L’après-coup 1363

Le terme après-coup désigne le résultat temporel et manifeste d’un travail


psychique latent et intemporel, et le procès même de ce travail. Le travail de
l’après-coup appartient aux activités psychiques régressives de la passivité. Il est
animé par une motion régressive, par un impératif à produire un matériau pro-
grédient et par une référence à un fonctionnement mental idéal dont il est,
accompli, le modèle.
Le travail psychique qui tente de répondre à la tendance extinctive du pul-
sionnel est une théorie agie du fait que, pour traiter la réalité traumatique, il
met en scène une conception de celle-ci ; ainsi de la théorie du père auteur de la
castration. La pensée théorisante est ainsi agie bien avant de se formuler. De
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fait, le rêve est toujours une théorie libidinale du monde, une théorie du
complexe de castration, cette dernière devenant alors une conséquence de la
libido. L’activité psychique diurne peut agir aussi une telle conception libidi-
nale. Elle poursuit alors le travail de rêve en intégrant et interprétant les discon-
tinuités et déperditions perçues et ressenties. La pensée est alors animiste. Le
trauma y est envisagé comme une conséquence d’un événement d’origine
externe, provoqué ou fortuit, et cause d’un destin libidinal funeste.
Un pas reste à faire, celui de la reconnaissance de la nécessité qu’existent,
pour le fonctionnement psychique, de telles théories libidinales, les théories
infantiles et celles du déni. Ainsi la résolution d’un deuil ne peut-elle s’accomplir
que si les activités psychiques régressives sont disponibles. Or celles-ci reposent
sur la capacité de dénier momentanément ce qui contraint le deuil. Le mort doit
aussi être un disparu dans une scène primitive.
Le déni a une fonction psychiquement positive quand il est temporaire et
réversible. Il permet les activités psychiques régressives de la passivité au contact
du refoulé, responsables de la régénération libidinale. Suite à quoi, dans un
second temps, il peut et doit être abandonné momentanément. Le travail de
l’après-coup intègre ces théories du déni et celles de la résolution.
Le procès de l’après-coup se définit par deux caractéristiques : sa com-
plexité et son insaisissabilité. Un autre facteur renforce celles-ci, son incertitude
qui accompagne son déterminisme ; d’où les multiples vicissitudes cliniques.
En réaction à cette insaisissabilité, trois écueils se présentent : la complica-
tion, voire l’hermétisme ; la simplification, ou propension à aborder l’après-
coup par un seul de ses composants ; et l’esthétisation par la création de
quelque effet d’après-coup.
Concrètement, complexité et insaisissabilité sont le reflet des trois « pas »
de Freud constituant sa théorie des pulsions ; tout particulièrement de son
3e pas. Freud définit celui-ci en 1920 par une qualité très singulière de la pulsion,
son caractère conservateur, c’est-à-dire sa qualité régressive, sa tendance au
retour à un état antérieur jusqu’à l’inorganique. Freud rompt alors définitive-
1364 Bernard Chervet

ment avec le positivisme qui dominait encore les deux premiers pas que sont la
sexualité infantile et le narcissisme. Preuve en est, l’évolution de sa conception
de la régression. En 1900, elle embrasse les retrouvailles sensorielles ; en 1914,
elle se love dans le giron fœtal ; en 1920, elle s’abîme en deux extrêmes, l’inerte
et l’infini.
J’ai voulu, clinique à l’appui, prendre très au sérieux ce 3e apport de
Freud, pensant que notre référence souvent polémique aux deux topiques
tend à l’obérer. J’ai remplacé la longue formule de Freud par celle, plus
condensée, de régressivité extinctive. Pour Freud, elle concerne tant Éros que la
pulsion de mort et cette double régressivité extinctive n’invalide en rien leur
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asymétrie.
L’insaisissabilité est liée à cette régressivité, dans la mesure où son extincti-
vité ne peut se transposer sur aucune réalité traçable, donc échappe à tout tra-
çage et toute représentation de chose spécifique. Le manque en soi est hors
représentation de chose. La représentation du manquant se saisit toujours du
reste et de ce qui fut, avant l’effacement. Elle interprète tout manque comme le
résultat d’un retranchement. Par sa métaphore de l’ombilic du rêve, Freud vise
déjà cette régressivité extinctive qui ne peut se lier qu’à une perception, ressentie
et pensée en tant qu’effroi et disparition ; perception effrayante du manque de
pénis, prototype de toutes les différences ; théorie de la castration et de ses
raisons d’être.
La régressivité n’est, de ce fait, représentée qu’indirectement, par ses
conséquences ; d’une part, par la contrainte à utiliser les traces perceptives
émanant de réalités traçables et à les différencier en représentations de chose
aptes à s’opposer à la tendance extinctive ; d’autre part, par les qualités éma-
nant de ce travail, les traces de la processualité, ces traces de frayage que sont les
affects.
Elle contraint ainsi le travail psychique à se réaliser, l’ordre symbolique à
s’instituer, l’impératif processuel à s’impliquer.
Ajoutons encore une particularité ayant de grandes conséquences clini-
ques, le fait qu’il est possible d’atténuer cette insaisissabilité en octroyant à la
régressivité un mot, un signe. Mais celui-ci n’a pas alors le statut de représenta-
tion de mot car il n’est pas relié à quelque représentation de chose. Il ne peut
donc subir de régression formelle. Tel est le cas du mot castration en psychana-
lyse, à l’instar du mot, zéro en arithmétique. L’un et l’autre sont liés à des théo-
ries venant en lieu et place d’une trace manquante et d’une représentation de
chose ne pouvant que manquer.
La complexité, quant à elle, tient à la réponse à laquelle la psyché est
contrainte en termes de mentalisation. Cette réponse repose sur le déni et la
reconnaissance de ce qui la contraint. D’où son organisation selon la procé-
L’après-coup 1365

dure en deux temps de l’après-coup. Le travail de rêve, le travail de deuil, le


travail de séance sont tous des tentatives de réalisation de l’après-coup mues
par la nécessité téléologique d’une liaison à la conscience. La coexistence de
la régressivité et de l’impératif processuel frappe ce travail du sceau du
biphasisme. Ainsi, toute clinique est un après-coup manquant à être
accompli. Elle est à penser en référence à ce modèle idéal dont elle n’exprime
le plus souvent qu’un moment.
La différenciation clinique que permet l’extension du modèle de l’après-
coup n’est pas à situer entre les productions relevant de l’après-coup et celles
n’en relevant pas, mais entre celles relevant de tel ou tel moment de l’après-
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coup. Cette extension est présente dans la clinique de Freud. La distribution
selon les moments fonde les bases de la nosographie psychanalytique.
L’après-coup est composé de deux moments de travail séparés d’un hiatus.
Grâce au saut économique qu’ils réalisent en deux temps, ils participent
ensemble au traitement du traumatique.
Cette troisième qualité de la pulsion est la principale source de l’éprouvé de
désarroi et de déplaisir qui s’exprime à travers les impressions de complexité et
d’insaisissabilité. En effet, la régressivité extinctive prend à son compte le trau-
matique attribué auparavant aux divers conflits transgressifs, d’abord interper-
sonnels puis intrapsychiques, et le place au cœur même de la pulsion. Le fait
qu’elle s’oppose à l’objectalité et au narcissisme éclaire leurs vicissitudes. Cette
troisième qualité n’est pas de même nature que les deux autres. Elle est respon-
sable de l’existence d’un infantile de l’objectalité et d’un infantile du narcis-
sisme. Il n’y a pas de linéarité entre ce troisième pas et les deux autres. La
régressivité tend à l’extinction ; le narcissisme est chargé de la conservation ; la
sexualité infantile, des aspirations à la satisfaction.
Avec ce 3e pas dans la théorie des pulsions, la dimension traumatique se
trouve donc inscrite au cœur même de la pulsion, voire de la libido. Elle n’est
plus seulement un effet de la pulsion sur une psyché déjà organisée, elle se défi-
nit en tant que qualité primordiale de la pulsion pouvant grever l’installation
même de cette organisation.
La complexité trouve sa source dans le fait que cette tendance extinctive
oblige à penser nécessairement un autre pôle s’opposant à elle, une contre-
contrainte tendant à inscrire psychiquement ce qui tend à disparaître ; ne
serait.ce que par la forme ultime d’une mise en abyme. Il s’agit dès lors d’intro-
duire dans la métapsychologie un impératif de réalisation d’opérations psychi-
ques, un impératif processuel, un impératif tiers s’opposant à l’extinction propre
aux deux tendances pulsionnelles. Nous reconnaissons là ce qui était déjà pres-
senti au niveau de la technique, les raisons d’être de la Règle fondamentale,
cette contrainte impersonnalisée depuis l’abandon de la suggestion et du for-
1366 Bernard Chervet

çage d’influence. L’incertitude de l’après-coup relève donc d’une incertitude de


la réponse de l’impératif.
C’est ce couple régressivité extinctive - impératif processuel, qui fonde les
bases du procès de l’après-coup, c’est-à-dire de cet ensemble d’opérations, de
processus au sens de Vorgang, réalisant le processus de l’après-coup, au sens de
Proceb.
Certes, il est dès lors aisé d’identifier le coup avec l’effet de cette régressivité
extinctive, et le contrecoup avec la réponse émanant de l’impératif processuel.
Dans cette conception, la notion d’avant-coup devient une ineptie, sauf à être
considérée comme une réalisation de désir, le souhait que quelque chose existe
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avant même toute existence ; une hégémonie de l’existant. La notion d’avant-
coup dit la théorie prototypique du déni.
Certes le terme de coup est-il ambigu. Il désigne un destin sado-masochique
de la haine, avec une transvaluation possible de celle-ci sur le mode d’Un enfant
est battu. C’est en défaisant l’amalgame sado-masochisme-haine-traumatisme
que Freud a pu reconnaître l’existence de la régressivité extinctive interne à la
pulsion. Cela l’a obligé à penser un autre pôle s’opposant à cette extinction, le
pôle de l’impératif surmoïque. Le mot coup s’avère donc porteur d’une théorie
que la notion de régressivité extinctive ne contient pas. Il est un appel au maso-
chisme là où le sujet est aux prises avec le traumatique. Il co-sexualise le trauma-
tique et affirme une existence là où l’inexistence se laisse deviner.
Le couple basal régressivité extinctive - impératif processuel agit une
retenue qui fonde une tension, donc un masochisme premier, de fonctionne-
ment. Ce masochisme de fonctionnement, sans sadisme, inclut le contrecoup. Il
est réminiscence et dissimulation de ce qui a présidé à son avènement, le coup de
la tendance extinctive et le contrecoup de l’impératif de retenue.
C’est par ce masochisme de fonctionnement que le procès de l’après-
coup est d’abord à l’origine des motions pulsionnelles constitutives d’un Ça
envisagé en tant que grande réserve de libido. D’autres opérations créeront
ensuite la pulsion avec sa source, sa poussée, son but et son objet, ainsi que
la sexualité infantile utilisant de façon auto-érotique les représentations d’ob-
jet. L’après-coup est impliqué à chacune de ces étapes de la théorie des pul-
sions. Soumis à la contrainte des aspirations à régresser au-delà du principe
de plaisir, il réalise les opérations permettant la mutation de ce régime trau-
matique. Orienté par le principe de résolution, il travaille à l’instauration du
principe de plaisir.
Ainsi étudié de façon éparse par Freud, l’après-coup ne devient intelligible
que par la révélation de cette troisième qualité pulsionnelle. C’est celle-ci qui
permet d’envisager la fonction transformationnelle du travail psychique. Son
organisation en deux temps et sa bipolarité sont liées à la double contrainte qui
L’après-coup 1367

l’habite, la contrainte régressive jusqu’à l’extinction et la contre-contrainte de


l’impératif à réaliser et inscrire des actes processuels. L’un des deux pôles est
occupé par un travail envers la tendance à la disparition, un travail de retenue
et de double retournement ; le second, par un travail de liaison à la conscience,
par une élaboration secondaire, une mise en code.
Souvent sont nommés après-coups les seuls résultats progrédients de ce
procès, les formations psychiques. C’est le sens même de Nachträglichkeit, por-
ter vers l’avant. Pourtant le substantif est né du souci de Freud de rehausser l’en-
deux-temps et l’entre-deux-temps. Et son abandon en 1917 s’explique par la
valeur qu’il reconnaît à la régressivité dans le procès de l’après-coup, valeur que
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le terme laisse trop de côté. D’autres raisons viennent expliquer cet abandon, en
particulier la complexification de la théorie de la causalité. Le déterminisme ne
peut suffire. Le procès de l’après-coup nous apprend que les causes premières
doivent être transformées sous l’influence des causes dernières afin d’être mises
au service du psychique ; sinon elles sont psychiquement néfastes.
La double contrainte et le biphasisme qui en découle révèlent une fonda-
mentale discontinuité. Le hiatus se situe entre la contrainte à l’extinction jus-
qu’à l’inorganique et celle à l’inscription encodée jusqu’à la conscience. Entre
les deux prennent place tous les intermédiaires de la réalité psychique. L’hétéro-
généité topique, l’oscillation dynamique sont les reflets de ce hiatus ; ainsi que
l’intermittence économique de la psyché. Si Psyché ne se sait pas étendue, elle ne
se sait pas davantage intermittente.
Mais d’où vient alors la continuité ? Un autre point de complexité appa-
raît. Elle est le résultat du travail de la psyché et a deux origines : les théories du
déni et, de façon plus inattendue, le processus secondaire. L’élaboration secon-
daire a, en effet, un dessein que nous avons déjà évoqué, celui de présenter à la
conscience des matériaux reliant à celle-ci les économies et fonctionnements les
plus régressifs. Elle y parvient en réalisant un encodement. Elle fabrique de la
syntaxe qui impose la succession, la chronologie. Elle transmet ainsi un message
d’apparente continuité, même quand elle discourt sur la discontinuité. Comme
l’accès à la conscience dépend de ce principe du code, l’élaboration secondaire
entretient avec le déni des relations inextricables et inévitables. La logique réso-
lutive du processus secondaire contient donc une autre logique qui s’y oppose,
celle du déni. Elle agit un déni par son action même, puisqu’elle fait exister par
le code ce qui relève de l’inexistence. Où l’on retrouve le zéro et la castration.
Parler de la castration s’avère être à l’opposé de sa réalité. D’où la ruse du
clivage obligé consistant à en parler et à la dénier dans la même envolée.
Ces réflexions appellent quelques remarques : l’existence d’une isomorphie
entre le code et la nature de la conscience ; celle d’un réseau de relations entre
code, conscience et déni.
1368 Bernard Chervet

Cet aspect de l’après-coup confère à l’interprétation psychanalytique sa


subtilité et sa dynamique en deux temps. En effet, prise par sa nature langagière
dans la ruse signalée plus haut, elle est toujours double, puisque sa vérité parti-
cipe au déni. De même, la régressivité extinctive peut être nommée au sein d’une
théorie qui l’intègre, comme j’essaie de le faire, mais jamais sa nomination
n’abolira son insaisissabilité !

Le travail de l’après-coup, ses moments :


les temps 1 et 2, les scènes I et II
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Les travaux postfreudiens nous permettent de repenser les moments deve-
nus classiques de l’après-coup, les temps 1 et 2, les scènes I et II qui font partie
de notre corpus commun.
C’est en 1895, dans le Proton Pseudos du Projet, à propos d’Emma, que
Freud décrit, avant de le nommer, l’après-coup et ses moments. Son récit
s’appuie fidèlement sur les apports pré-analytiques de ses maîtres, la théorie du
symptôme de Charcot et la technique cathartique de Breuer. Charcot décrivit
l’organisation temporelle diachronique des symptômes hystériques en deux
temps, le temps 1 du choc traumatique et le temps 2 du symptôme après coup ;
entre les deux, une période qu’il nomme incubation psychique ou élaboration
psychique. Breuer inventa la méthode cathartique par rétrogression remémora-
tive et élaboration associative.
Freud se différencie de ses prédécesseurs par sa recherche étiologique, par
la notion d’attraction régressive du noyau pathogène et par le contenu qu’il lui
reconnaît, le facteur sexuel. Sa préoccupation étiologique entre en isomorphie
avec la tendance de ses patients à se remémorer selon un cheminement temporel
à rebours. Soucieux de libérer les troubles psychiques de l’impasse de la dégéné-
rescence, il conserve ces repères temporels et le mouvement de régression tem-
porelle, mais impose, par un impératif de verbalisation, un lien à la conscience.
Cela l’amène à proposer une nouvelle conception du symptôme et du traite-
ment : toute remémoration est un après-coup d’un souvenir inconscient ayant
acquis, dans l’après-coup de son refoulement, la valeur de coup traumatique.
L’interprétation du rêve naît de l’intérêt qu’il accorde à l’entre-deux-temps,
au travail de la latence dont le travail de rêve, entre deux moments diurnes, est le
prototype. Il met ces contraintes à régresser et à porter à la conscience au service
du but thérapeutique et les impose en tant que protocole et règle fondamentale.
Emma présente une agoraphobie des boutiques. Son symptôme se corrèle
successivement à deux souvenirs inconscients renvoyant chacun à une scène :
une récente, la scène I, des commis : « Le souvenir de la moquerie des commis
L’après-coup 1369

lors de l’entrée de Emma à 13 ans dans une boutique » ; une ancienne, la


scène II, de l’épicier : « Le souvenir refoulé des attouchements subis par Emma
dans une autre boutique quand elle avait 8 ans. »
L’attention que Freud accorde à la temporalité du dire de séance lui fait
ajouter, à la voie chronologique de l’histoire de la maladie, la diachronie propre
à la remémoration. Il numérote les scènes remémorées selon leur chronologie de
verbalisation et inverse le cours du temps. Il nomme donc scène I la première
énoncée en séance, qualifiée par Emma de souvenir récent, celui du rire des
commis ; scène II, celle dite en second et qualifiée de souvenir ancien, celui du
pincement de son bas-ventre par l’épicier.
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La reconstitution chronologique aboutit à un temps 1 décomposé en une
scène II précoce et une scène I tardive, puis un temps 2 symptomatique, l’agora-
phobie quant à entrer seule dans une boutique. Entre les deux, un temps de
latence avec la puberté.
Freud remplace le choc événementiel de Charcot par un événement cho-
quant, une séduction transgressive par éveil prématuré de la sexualité objectale.
Pour éviter toute confusion entre la numérotation des temps et des scènes,
je nommerai la scène I des commis scène-I-récente, et la scène II de l’épicier,
scène-II-ancienne.
Une difficulté est issue du jeu de ces temporalités croisées et inversées. Le
jeu des scènes est beaucoup plus aisé à manier du fait qu’il fait appel à des
représentations de chose – l’épicier, sa main, les commis, leur rire. La tempora-
lité exige l’ordonnancement chiffré.
Dans le discours associatif, les souvenirs se présentent chronologiquement
selon un ordre inversé à celui de l’historicité de leurs contenus. Ces qualités de
récente et ancienne sont des qualifications associatives, relevant avant tout du
dire du patient.
Plus tard, dans « L’Homme aux loups », Freud décrit une série de scènes
remémorées, où se mêlent rêve, phobies d’enfance, souvenirs-écrans. La scène
actuelle du transfert devient une énième scène.
Le déroulement progrédient de la remémoration construit donc la série
régrédiente des souvenirs. L’associativité construit la voie régrédiente. L’acti-
vité régressive de séance suit en même temps deux axes : progrédient,
temps 1 > temps 2 ; régrédient, scène-I-récente > scène-II-ancienne.
Dès lors, trois temporalités se superposent en séance : celle, chronologique,
du dire de l’associativité ; celle, inversée, des contenus de remémoration ; et
celle de la reconstruction secondaire d’une chronique de la maladie.
L’apport essentiel de Freud est sa conception du travail de l’entre-deux-
temps basé sur le travail de rêve et sur cette double temporalité de la séance.
L’à-rebours de la remémoration est bien plus qu’une inversion temporelle, c’est
1370 Bernard Chervet

une régression fonctionnelle. Si la remémoration reprend à son compte la charge


traumatique du choc, si le souvenir devient le trauma, c’est que la régression
s’ouvre sur le régime traumatique. La remémoration est la voie de l’effet théra-
peutique parce qu’elle permet une élaboration de ce régime pathogène. Le sou-
venir est en fait une réactualisation du choc du temps 1 en même temps qu’il est
une production ayant valeur de symptôme, donc de temps 2.
C’est une conception d’un appareil psychique apte à remonter le temps qui
se trouve présentifiée. Remonter le temps au sens où l’on remonte nos montres ;
c’est-à-dire laisser s’installer, à partir d’un régime psychique élaboré, une acti-
vité psychique régressive de la passivité, condition pour que l’économie régres-
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sive soit transformée en libido progrédiente. Ce travail réalisé dans la passivité
aboutit à une régénération libidinale de la psyché. Il redonne du temps au
temps.
Entre les deux scènes, récente et ancienne, existe un montant de l’après-
coup, c’est-à-dire un gradient de temps venant dire une différence entre deux
régimes économiques opposés. L’interaction entre les deux permet le passage
d’un régime régressif caractérisé par l’extinction, à un autre régime, le principe
de plaisir. Cette mutation se fait sous l’égide du principe de résolution. Celui-ci
exigera encore une autre étape, dénommée endeuillement. Mue par une généra-
tivité, cette logique progrédiente subit l’influence d’un impératif résolutif qui
dessine une fin et en limite l’infini.
Déjà la communication d’un cas de paranoïa (1915) nous invite à porter
attention à la disposition temporelle du dire, à la précession de certains conte-
nus sur d’autres, à leur distribution selon plusieurs séances successives. La diffé-
renciation des temporalités de séance permet d’aller plus loin.
La scène-II-ancienne ne peut exister qu’à partir du moment où la scène-I-
récente est trouvée-créée par le patient. Dès lors, la séance devient la tentative
de chercher, trouver, créer une scène-I-récente, par laquelle pourra advenir une
scène-II-ancienne.
La scène-II-ancienne ne devient un contenu refoulé qu’à partir du moment
où la scène-I-récente a été trouvée. La différenciation de la scène-II-ancienne en
représentation de chose-épicier refoulable est rendue possible par la mise en
latence de la représentation commis. La scène-II-ancienne change alors de sta-
tut. À partir du moment où elle est différenciée en représentation de chose, sa
conservation est assurée par son refoulement. Elle accède à l’intemporalité.
Auparavant, elle est une trace, un contenu soumis à une régressivité d’efface-
ment, immobilisé par un mécanisme s’opposant à l’effacement et relevant du
pare-excitation.
En 1896, Freud parle d’empreinte pour décrire une trace non différenciée
en représentation de chose. D’où l’hypothèse post-1920 que l’économie sise au
L’après-coup 1371

niveau de la trace-épicier est une économie régressive traumatique, au-delà du


principe de plaisir, menacée d’extinction. Son refoulement exige une transfor-
mation. Il revient au pare-excitation de l’immobiliser et de dénier tout ce qui
éveille sa tendance extinctive. Ce procès d’immobilisation est à l’origine de ce
que Freud nomme les impressions précoces (1915, 1938).
La scène-I-récente sert donc de véhicule à un surinvestissement permettant
que la scène-II-ancienne devienne une représentation de chose refoulée et soit
soumise au principe de plaisir. Telle est la fonction de la mise en latence de la
scène-I-récente, de servir de support à une liaison à la conscience de la scène-II-
ancienne, par la production d’un substitut manifeste. Chaque production psy-
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chique s’avère bien être un après-coup d’un matériau inconscient ayant acquis,
dans l’après-coup de son refoulement, la valeur de coup traumatique.
Les apports de 1920 permettent aussi d’envisager que la scène-II-ancienne
est une étape dans le traitement de la régressivité et la production des motions
pulsionnelles. Ainsi la trace épicier est-elle déjà l’objet d’une première transposi-
tion de la régressivité extinctive, une 1re retenue s’opposant à celle-ci par immobi-
lisation. La 2e étape est la différenciation et le refoulement de la représentation
de chose-épicier, donc la création de l’épicier en tant qu’objet de la pulsion ; la 3e
est l’avènement de l’épicier en tant qu’objet perdu. La réalisation de ces étapes se
fait sous l’égide du but à atteindre, l’instauration de l’objet perdu ; d’où l’impor-
tance pour le déroulement de l’après-coup de l’impératif de résolution.
Se laisse ainsi déduire l’existence, au sein de la scène-II-ancienne, d’une pro-
pension à chercher-trouver-créer une scène-I-récente qui permette cette trans-
formation de régime économique. Le procès de l’après-coup va élire, se saisir et
coopter certaines réalités extérieures, les scènes-I-récentes, avec la finalité de
permettre une opposition et une retenue envers la régressivité extinctive
attachée aux scènes-II-anciennes. Cette quête mutative va se faire grâce au jeu
de la répétition, du fort-da. Il existe une préconception de la nécessité d’un tel
en-deux-temps.
Une différenciation importante est à établir entre les modes de répétition.
La répétition de la scène traumatique de l’épicier est animée par une compul-
sion. L’après-coup tente alors de sauvegarder sa potentialité de transformation.
En revanche, la répétition propre aux scènes-I-récentes signe un achoppement
de l’accomplissement de l’après-coup. Ensemble, elles participent de la perlabo-
ration.
En résumé, le dire de séance réunit quatre identités. Il est un retour porteur
de la dimension traumatique, donc un temps 1. Il est une formation psychique,
donc un temps 2. En tant que réminiscence, il est aussi une scène-I-récente per-
mettant l’accès à un matériau inconscient et une scène-II-ancienne actualisée en
quête de scène-I-récente.
1372 Bernard Chervet

Que l’analyste soit tour à tour et en même temps l’épicier choquant du


traumatique et le commis de service séducteur par lequel l’économie régressive
pourra être modifiée, personne aujourd’hui n’en sera surpris.
L’après-coup organise donc tout autant la parole d’incidence du patient que
la pensée interprétante de l’analyste. Le dire de séance est la seule certitude de
l’analyste à condition qu’il prenne en compte l’imprévisibilité et l’incertitude de
ses propres après-coups.
En se piégeant lui-même par son enquête, en essayant de soumettre les dires
de l’Homme aux loups au carbone 14 de la chronologie, Freud a poussé sa
quête jusqu’à s’en libérer. Il perçoit alors que le transfert est une tentative de
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reprendre l’accomplissement de l’après-coup là où il s’était interrompu. La suite
de son œuvre révèle rétroactivement la nature économique de ce montant de
l’après-coup dont la séance est dorénavant un des pôles. La fonction de l’après-
coup est de réduire une différence entre plusieurs régimes économiques et de
faire de cette réduction une fabrique de temps.
Le temps humain, c’est l’économie, sa régénération, bien sûr, mais surtout
sa disparition, la perte d’une potentialité quand elle est muée en effectivité. Cette
mutation ne peut avoir lieu que par la transposition de processus inconscients
sur la processualité efficiente d’un autre, par un transfert sur un autre de la pro-
cessualité.

L’après-coup et l’avènement de l’interprétation

Centrons-nous sur un aspect de notre travail quotidien : comment l’inter-


prétation peut-elle émerger de l’utilisation d’un patient par la pensée de l’ana-
lyste afin de réaliser un après-coup interprétatif concernant un autre patient ?
Mlle A est une jeune femme qui n’a jamais consulté. Elle est « grande,
mince, blonde » avec une ingénuité qui augmente le charme de son âge. Ces
propos ne prendront toute leur valeur qu’avec la séance de M. B qui suit immé-
diatement cette consultation.
La consultation est dominée par une tonalité hystéro-phobique et un
discours manifeste de résistance à l’après-coup. Mlle A s’est prémunie contre
l’éventuel excès de ses retours en apportant plusieurs pages qu’elle ne lâche pas
durant l’entretien. Toutefois elle ne les lit pas. Pas question pour elle de revisiter
son passé : elle est venue pour s’en libérer, alors à quoi servirait de le ressasser ?
Elle veut aller de l’avant, sans entendre le double sens du mot « avant » ! Son
malaise vient de son effort irrationnel de ne pas déplaire. Être aimée, telle est sa
quête. La théorie selon laquelle celui qui éveille un quelconque déplaisir ne peut
qu’être rejeté, organise son propos. Jeune femme proche de l’adolescence, sa
L’après-coup 1373

lutte l’aliène autant qu’elle dit son souhait de liberté. Il est aisé de reconnaître là
une réminiscence, d’où l’attente d’une remémoration associative. Mais, pour
elle, pas question de se retourner sur son passé.
Tout en l’écoutant, mes réflexions se portent vers les origines d’une telle
résistance à la régression temporelle ; ne pas se laisser capter par ses personna-
ges identificatoires, agir à son insu leurs prescriptions, s’identifier au discours
conjoncturel d’une jeunesse voulant obtenir un bien-être sans avoir à faire le
détour par ce qui détermine le malaise. Quelques années plus tôt, en consulta-
tion, se libérer des hypothèques historiques aurait pris une autre forme de résis-
tance, la revisitation systématique du passé. Dans tous les cas, il s’agit d’échap-
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per à la reconnaissance du déroulement passif de l’après-coup.
Je lui souligne ce silence sur son passé. Elle me répond que ce qui lui
importe, c’est d’améliorer sa vie actuelle, son avenir. Puis elle précise que, pour
elle, il s’agit de s’adapter à son interlocuteur. Elle se met alors à me parler de
son passé. Elle tente d’être conforme à une demande qu’elle transpose sur moi.
La dynamique transférentielle engagée devient cernable. Silencieux, je suis celui
qui lui demande de ne pas se référer à son passé. En le lui soulignant, je deviens
celui qu’elle déçoit, aussi tente-t-elle de s’adapter à mes supposées attentes. Son
discours manifeste de refus de l’après-coup est donc bel et bien son propre
après-coup de conformité.
Quelques minutes après son départ, M. B arrive à sa séance. Marié, père de
plusieurs enfants, sa demande d’analyse est motivée par son inquiétude envers
l’irrésistibilité des corps des jeunes filles nubiles – un accrochage perceptif aux
Lolita. Les formes féminines mûres sont sources d’écœurement, de dégoût. Ses
tendances pédophiles sont aisées à penser sous l’angle de défenses antitraumati-
ques, un évitement phobique de la perception de la castration sur le corps de la
femme, la jeune fille pubère mettant en scène par ses émergences corporelles la
théorie comme quoi cela va pousser.
Il s’allonge : « Grande, mince, blonde, petits seins, jeune... » « Comme
vous les aimez », dis-je. « Comme je les aime, en effet. » Il utilise ma phrase
pour soutenir son objectivation, alors qu’elle se voulait être un retour à son
monde interne. Il tente de rester avec sa perception du pas de la porte. Il pour-
suit en disant qu’il viendra régulièrement en avance pour la voir sortir.
Transférentiellement se dessine l’accès à l’analyste-mère par l’un de ses
patients-enfants, le couple mère-fille nubile étant, pour lui, exempt de tout
renoncement.
« C’est donc celle que vous attendiez », dis-je.
Il se justifie en précisant qu’il était là en avance, par hasard, qu’il ne savait
absolument pas que cette patiente serait là, qu’il ne l’a jamais vue sortir de chez
moi et qu’il ne pouvait donc pas l’attendre. Tenant compte du travail fait au
1374 Bernard Chervet

cours des années d’analyse, je peux lui souligner l’une de ses résistances : « Vous
n’aimez que le rationnel. » Sa rationalisation n’a toutefois pas éliminé son res-
senti. Il poursuit sur ses attentes, son émotion, son dégoût, etc.
Mon interprétation est porteuse d’un message implicite ; que son propos de
début de séance traduit le transfert d’un perceptif créé par lui sur une percep-
tion trouvée et élue à l’orée de la séance. Mais elle porte aussi le message de la
dynamique dont elle est issue, le message de la transformation en deux temps,
grâce à un substrat commis, du traumatique épicier en représentation épicier.
Quand M. B actualise en séance le moment épicier en m’impliquant et en
utilisant ma patiente, je me saisis de celle-ci et l’utilise comme commis afin de
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traiter l’attraction régressive de la scène transférentielle épicier. L’interprétation
devient alors possible : « C’est celle que vous attendiez. » C’est seulement après
celle-ci qu’il est possible de déduire que j’étais moi-même, avant, en attente
d’une occurrence commis.
C’est la résistance à l’après-coup qui fait le lien entre Mlle A, M. B et moi-
même. Le rapprochement de Mlle A et M. B est fortuit, alors que l’utilisation de
Mlle A par M. B est hautement déterminée. L’analyste est alors contraint à se
remettre au travail en utilisant lui aussi Mlle A, mais afin d’atteindre la compul-
sion traumatique de M. B.
Cette séquence attire l’attention sur l’interprétation psychanalytique, sur
ses deux visées en deux temps. Elle sollicite la différenciation des représenta-
tions de chose et tente de briser le déni de la régressivité extinctive. Entre-temps,
se déploie l’après-coup analytique, transitionnel, ce Moi - non-Moi propre à la
séance, fait de réminiscences croisées.

DESTINS SÉMANTIQUES ET SÉMÉIOLOGIQUES

Nachträglich et ses dérivés dans l’œuvre de S. Freud

Nachträglich, terme courant de la langue allemande, et ses dérivés sont


répertoriés environ 160 fois dans l’œuvre de Freud ; 6 pour le substantif
Nachträglichkeit, les autres pour l’adverbe et l’adjectif ; plus 5 utilisations du
substantif dans la lettre à Fliess no 146 du 14 novembre 1897, et une autre dans
la lettre no 169 du 9 juin 1898. Nachträglich et Nachträglichkeit sont absents des
mots clés des Werkkonkordanz.
Nachträglichkeit articule Nach : après et Tragen : porter, supporter. Son
signifié sémiotique est porter vers un après. L’ajout de keit lui confère le genre
féminin.
L’après-coup 1375

Sous la plume de Freud, Nachträglich désigne l’agencement diachronique


d’un phénomène en deux temps et le lien de causalité et de déterminisme existant
entre deux événements externes et mentaux. Le substantif Nachträglichkeit
désigne le procès psychique inconscient, l’adjectif et adverbe Nachträglich, sa
dynamique et ses résultats phénoménologiques.
Des équivalents sont aussi utilisés : post-effet, post-action, ex post, ainsi
que des expressions déclinant l’adverbe : abréaction, compréhension, élabora-
tion, compulsion, obéissance, action, effet, etc. En insistant sur porter vers un
après, ils privilégient la voie progrédiente et suspendent la logique d’inférence
régrédiente qui part de cet après.
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Nachträglich, adverbe de temporalité, s’inscrit dans le point de vue géné-
tique de la recherche étiologique de Freud. La notion de retour introduit une
dynamique temporelle discontinue sur la voie progrédiente. La tentative de
datation de Freud en sera l’apogée, en lien avec l’importance qu’il accorde à la
notion de périodes.
Un net écart est à noter entre l’usage que fait Freud des termes construits
à partir de Nachträglich et sa fréquente référence au phénomène. Dans le Projet,
seul l’adverbe est utilisé. Avec Emma, il insiste sur la précocité de la déliaison
sexuelle et ses conséquences après coup. Puis, en 1896, il parle de l’action pos-
thume d’un trauma infantile. Dans « Le Petit Hans », ses interprétations suivent
les logiques de l’après-coup, sans qu’il le nomme ; à nouveau, en 1925, quand il
articule les vu et entendu du complexe de castration avec le déni de sa réalité.
Une remarque déjà évoquée : la disparition du seul Nachträglichkeit dans
les textes de Freud après 1917. Cette disparition donne à penser à tout analyste.
L’élaboration d’une qualité fondamentale de la pulsion, sa régressivité extinc-
tive, est déterminante dans cette disparition. Le signifié progrédient se complète
d’un autre accordant un rôle majeur aux aspirations régressives.
La notion de retour, adossée à celle de tendance spontanée à devenir
conscient, doit être révisée. Ces retours répondent à la régressivité qu’ils
limitent et mutent en régression. S’ensuit une réflexion possible sur le coup
et sur le travail psychique qui articule la régressivité à un contrecoup promo-
teur des retenue, mutation et inscription. L’élaboration des notions de
régressivité pulsionnelle et d’impératif processuel, sur fond du trio pulsion
de vie - pulsion de mort - Surmoi, rend trop approximatif le substantif
Nachträglichkeit d’où le renoncement de Freud à l’utiliser.
1376 Bernard Chervet

Traductions et tenant-lieux

En français

Les premiers traducteurs de Freud en français ont su appliquer, en optant


pour le mot après coup, la méthode de traduction idéale préconisée par Goethe,
la conjugaison des littéralité et significativité. Le terme choisi ne doit pas « en
donner l’idée, mais en tenir lieu ». Lacan, sensible à cette formule, reprend à son
compte la notion de tenant-lieu.
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Cette méthode de traduction désigne un référentiel tiers, ici la langue psy-
chanalytique, cette langue étrangère tant pour les langues d’accueil que d’origine.
Tragen suggère porter et supporter, donc le masochisme. Coup dit le sado-
masochisme mais également le traumatique. Nach et après introduisent le futur
et l’optatif. Après-coup présentifie donc deux théories par retournement en son
contraire du traumatique. L’une explique le manque par un coup (le manque de
pénis comme après-coup de l’acte de castration), l’autre affirme une douleur là
où il y a un manque (là où ça fait mal, ça existe).
L’après-coup n’est apparu dans les index des traductions qu’avec les
OCF.P. Il est présent dans celui des Écrits de Lacan et dans le Vocabulaire de
psychanalyse de Laplanche et Pontalis.
L’apparent dilettantisme des premiers traducteurs s’appuie sur la souplesse
et les variantes de Freud lui-même. Lacan exacerbe ce maniement à sa guise des
termes allemands et français. Mais, depuis son insistance, tous les traduc-
teurs rehaussent la valeur conceptuelle du terme après-coup et cherchent à le
stabiliser.
Traduire Freud opte pour après-coup avec un trait d’union pour l’adjectif et
l’adverbe, et propose l’effet d’après-coup, avec un trait d’union, pour le substan-
tif. Ce choix s’étaie sur ceux de Strachey qui a retenu les expressions deferred
action et deferred effect.
Mais rapidement dans les tomes successifs des OCF.P sont utilisés, pour le
substantif, l’après-coup avec un trait d’union, et, pour l’adjectif et l’adverbe,
après coup sans trait d’union. Cet usage suit la démarche de Freud, substantiver
un terme courant. Référencé depuis 1650 dans les dictionnaires français sous sa
forme sans trait d’union d’adverbe de temps, après-coup avec un trait d’union
peut désigner le concept métapsychologique. C’est cet usage qui est suivi dans
ce rapport.
Notons enfin quelques locutions de traduction : l’effet d’après-coup, la voie
de l’après-coup (1895), le facteur de l’après-coup (1900), le montant de l’après-
coup (1914).
L’après-coup 1377

Dans les autres langues

La SE va infléchir les choix de toutes les autres langues vers la dimension


adverbiale de temporalité. La racine post se trouve privilégiée pour l’adverbe,
l’adjectif et le substantif.
Dans la SE, c’est le verbe to defer qui est utilisé pour désigner le phéno-
mène de l’après-coup. Les expressions avec deferred – deferred effect, deferred
action, entre autres1 – rendent compte de sa détermination temporalisée. Des
auteurs anglais ont introduit depuis les notions de retrogression et de retroactive
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attribution afin de compléter l’orientation progrédiente donnée par deferred.
Mais la fonction économique primordiale du travail régressif inconscient de l’a-
près-coup, son lien au masochisme, reste évincée par tous ces termes.
Ces choix terminologiques renseignent sur l’implicite des conceptions du
fonctionnement mental et de la méthode thérapeutique. Toutefois, une démar-
cation d’écoles basée sur le seul critère sémiotique est à pondérer.

Psychopathologie de la traduction quotidienne

Les différences terminologiques illustrent le fait que ce procès est l’objet et


le lieu même d’une tendance au conflit. Celle-ci s’actualise par une séméiologie
de la traduction, par une série de lapsus calami.
Quand Goethe décrit trois méthodes de traduction, il souligne la tendance
des Français à privilégier celle qu’il nomme parodique2. Freud est lui aussi réservé
quant à cette propension à infléchir la métapsychologie vers une psychanalyse à
la française. Mais tout traducteur ne tente-t-il pas d’imposer sa langue mère3 ?
Une autre remarque : les concordances de traduction sont frappées d’une
grande laxité. Pour 160 occurrences dans les GW, 46 dans la SE. Les OCF.P ont
le souci d’une stabilisation ; demeure l’écart entre les divers volumes et avec
Traduire Freud.
Le plus significatif est l’existence de lapsus calami portant sur les traduc-
tions de Nachträglichkeit. J. Laplanche s’étonne d’une coquille dans le Vocabu-
laire. La traduction anglaise qui y est donnée pour Nachträglich est differed. Le
mot anglais est en fait deferred, de « to defer », signifiant différer dans le sens
d’ « ajourner ». Differed renvoie à to differ, different, difference. Il signifie :

1. Deferred understanding, deferred obedience, deferred reaction, deferred comprehension, deferred


insight, deferred revision, deferred operation, deferred use, deferred fashion, etc.
2. Goethe (1814), Le Divan (notes et dissertations).
3. Voir M. Proust, Lettre à Marie Nordlinger, printemps 1904.
1378 Bernard Chervet

« différer, être différent, différends ». La prononciation est affaire d’accent


tonique et le terme français différer favorise le lapsus. Mais, dans Traduire
Freud, le symptôme insiste avec le néologisme : deffered.
Ces lapsus mêlent écart temporel, différence et conflit. Différer agit le
retour de la différence, du traumatique, et fait résonner la tendance au conflit
entre le hic et nunc et le en-deux-temps ; entre le principe de plaisir et l’au-delà de
ce principe ; entre réaliser ou non le travail de mutation permettant de passer
d’un régime économique à l’autre.
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Séméiologie de la conceptualisation

Le cheminement de la conceptualisation de la métapsychologie est déter-


miné par les trois pas de la théorie des pulsions. Le prototype est perlaboration,
concept utilisé à trois seules reprises, à chaque nouveau pas : 1895, 1914 et 1925.
Nachträglichkeit suit un autre parcours. Substantivé par Freud en 1897,
utilisé dans ses travaux à six reprises jusqu’en 1917, il est ensuite abandonné au
profit de la métapsychologie du procès. La significativité de ce signe clinique a
été abordée plus haut.

RÉTROSPECTION SUR LES CLINIQUES ÉCRITES

La clinique de S. Freud et l’après-coup

Ni Freud ni ses patients n’étant là pour nous opposer une contrainte et une
épreuve de réalité, les éléments cliniques qu’ils ont offerts à la postérité sont
libres pour les resignifications et exégèses. Avoir le dernier mot sur un tel maté-
riau malléable, une langue morte, engendre un embarras. D’où la tentation de
réanimer les textes anciens et d’en faire des objets cultuels.

La lettre à Fliess du 14 novembre 1897 et le Projet

C’est dans cette lettre 146 que Freud forge le substantif Nachträglichkeit. Il
évoque alors le Projet de psychologie, le chapitre « Le proton pseudos hysté-
rique » consacré à Emma, où il décrit l’après-coup avec précision et utilise
Nachträglich.
La logique qui domine est celle de la régression temporelle associative,
scène I récente - scène II ancienne. Elle s’inscrit dans le procès de remémora-
tion. Seule l’expression manifeste du symptôme est sur la voie progrédiente.
L’après-coup 1379

La remémoration articule l’adolescence à l’enfance, en partant de l’adoles-


cence. C’est la précocité sexuelle du coup traumatique II qui se réactualise en I à
l’occasion de l’éveil pulsionnel de la puberté. La communauté sexuelle entre II
et I apparaît clairement.
Le à-rebours mnésique est conçu d’abord comme spontané, puis il se révèle
devoir être soutenu par un impératif à se souvenir, d’où l’instauration de la
règle fondamentale. L’attraction par le noyau pathogène se trouve ainsi éveillée
et contrée en séance.
Se différencient les définitions des coup et après-coup déductibles des tra-
vaux pré-analytiques et de ceux de Freud. Selon la conception du choc, c’est
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l’apparition du symptôme qui est l’effet d’après-coup. Selon la recherche
cathartique, ce sont les souvenirs successifs qui, à partir du symptôme, sont des
après-coups ; et, selon la logique psychanalytique, chaque remémoration est un
après-coup d’un souvenir inconscient ayant acquis, dans l’après-coup de son refou-
lement, la valeur de coup traumatique. Dans le premier modèle, le coup est lié à
un événement traumatique ; dans le second, au souvenir ; dans le troisième, à la
réminiscence, au retour de souvenirs refoulés posthumes.

Les travaux de Freud et la Nachträglichkeit

« La sexualité dans l’étiologie des névroses » (1898). — Ce texte est dominé


par la préoccupation étiologique de Freud. Impliqué dans la détermination,
l’après-coup se trouve en tête des facteurs composant la théorie des psycho-
névroses et rend concevable une méthode thérapeutique par laquelle les traces
psychiques inconscientes peuvent être exhumées.

L’interprétation du rêve (1900). — Freud utilise Nachträglichkeit une seule


fois à propos d’une anecdote humoristique : « Un jeune homme, qui devint un
grand admirateur de la beauté féminine, déclara, un jour où l’on en venait à
parler de la belle nourrice qui lui avait donné la tétée : “Je regrette de n’avoir
pas alors mieux profité de la bonne occasion.” » Freud fait de cette anecdote la
référence prototypique de sa conception de l’après-coup.
L’après-coup n’est donc plus spécifique des psychonévroses. Il appartient
désormais à la pensée banale et participe même à l’humour et au mot d’esprit.
Cette anecdote conjugue déni et reconnaissance de la réalité. L’illusion
consiste à considérer que la sexualité infantile et la sexualité adulte sont en
continuité, et que le rapport à la castration n’est pas venu révéler un hiatus et
inscrire une discontinuité psychique.
Freud rapporte cette anecdote dans le chapitre V, « Le matériel du rêve ».
Dans le sous-chapitre, « Les sources infantiles du rêve », il illustre la participa-
1380 Bernard Chervet

tion des souvenirs de l’enfance au travail de rêve, puis montre la congruence des
deux premières sources, les souvenirs récents et matériaux indifférents de la veille
et les souvenirs d’enfance. Par les jeux de condensation et de déplacement se
trouvent mêlés passé récent et passé distant. Leurs économies respectives se
transfèrent de l’un à l’autre. Les souvenirs d’enfance sont porteurs de désirs
inconscients infantiles relevant du régime du primaire. Ils transfèrent leur inten-
sité sur les souhaits diurnes plus secondarisés. Ce transfert conjugue une
attraction régressive et une aspiration élaborative.
Sous la plume de Freud, l’anecdote apparaît dans un contexte associatif
précis, à propos de l’un de ses rêves : « Les Trois Parques » (Knödel). Il n’est
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pas possible de reprendre ici en détail cette logique associative. Dans les lignes
qui précèdent le récit de ce rêve, il est question d’une femme qui se bouscule,
pour sortir, faire des courses sur le Graben, célèbre avenue de Vienne sur
laquelle elle tombe sur les genoux. Puis Freud présente son rêve « Les Trois Par-
ques » (Knödel). Une pensée incidente lui vient alors à l’esprit. Elle concerne le
premier roman qu’il a lu à 13 ans dans lequel un jeune moine sombre dans la
folie et crie les trois noms de femmes qui ont signifié, dans sa vie, bonheur et
calamité. Freud poursuit : « Voilà qu’émergent, à propos de ces trois femmes,
les trois Parques, qui filent la destinée de l’homme... » Sa pensée incidente le
mène au destin funèbre de l’homme, et il mélange les Trois Parques avec le
thème des trois coffrets et les trois âges de la femme. S’y reconnaît un retour de
Graber ( « tombe » ) dissimulé dans « Graben » et une théorie infantile de la
conception dans laquelle l’enfant naît de la terre et y retourne. La mère nourri-
cière dissimule la séductrice empoisonneuse et la vie est source de culpabilité et
de dette. Freud reprend cette thématique de la dette de vie en 1915 à propos de
la guerre et la mort, puis en 1936 avec le sentiment de piété envers les aïeux.
Cette dette est une association du rêve « Les Trois Parques » (Knödel) et suit
le souvenir de Freud de la démonstration faite par sa mère, selon laquelle les
hommes sont faits de terre.
Se reconnaît là la culpabilité inconsciente, l’amalgame de celle liée aux
désirs incestueux avec celle produite par la désexualisation, fondatrice de la part
maternelle du narcissisme, vécue comme un meurtre de la mère ; d’où la rede-
vance et l’offrande à la Terre-mère.
Le complexe de castration reprend à son compte cette culpabilité issue de la
désexualisation et promeut les logiques religieuses et expiatoires envers un
parent pensé meurtri et à réparer. Se devine aussi le poids des demandes incons-
cientes aliénantes émanant de chaque parent, de leurs contre-Œdipe. Pour
Freud, cette mère chérie, dont il est le fils aîné préoccupé de ne pas la laisser
dépourvue de lui, en mourant avant elle ; et ce père auquel est adressé, sur
l’Acropole, son sentiment de piété.
L’après-coup 1381

Dans le rêve « Les Trois Parques » (Knödel), apparaît un matériau qui cor-
robore cette logique coupable. Il y est question de transgression quant à revêtir
l’habit d’un autre, une redingote trop grande avec des arabesques turques. Le
signifiant turc revient trois fois. Freud n’en dit rien. Mais un après-coup dans sa
théorisation, l’oubli du nom Signorelli, implique une culpabilité envers le sui-
cide d’un ancien patient turc. Nous y reviendrons.
Cette logique coupable est constante dans toutes les interprétations de Freud
de ses rêves de cette époque (l’injection faite à Irma, l’oncle à la barbe blonde, les
Trois Parques) au nom de sa responsabilité : « C’est la faute à... » Son insistance à
lier sa culpabilité et sa responsabilité de médecin paraît trop secondarisée.
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La même culpabilité se devine, sur fond d’humour, dans le regret envers la
nourrice, bien que voilée par la douleur du temps qui passe. L’anecdote réalise
le désir d’être jeune, façon d’épancher la culpabilité d’avoir fait tant de deuils et
de meurtres.
La construction précédente suit les voies intérieures de ma lecture. Vraisem-
blable, elle ne peut faire oublier cette remarque de Freud à F. Wittels : « Le vrai-
semblable n’est pas toujours le vrai » (1923). La littérature et l’art savent cette
distinction et l’exploitent. L’après-coup y devient un style, la mise en abyme.

« À partir de l’histoire d’une névrose infantile » (1914-1918). — Dans ce


texte, Freud est animé d’une compulsion à la datation. Il veut établir une chro-
nologie des événements psychiques remémorés, des réponses trouvées par l’en-
fant Sergueï pour traiter l’état de détresse vécue lors de l’éventuelle perception
de la scène primitive. Ce faisant, Freud tente d’installer le contre-investissement
qui manque à son patient. Il recourt à un croquis, à des représentations diver-
ses, mais surtout à cet acte de chiffrage.
Le procès de l’après-coup est à l’œuvre. Il se révèle sériel, polymorphe et insai-
sissable. D’où la tentative de le calculer. Le recours au chiffrage archéologique
laisse deviner que la catégorie des représentations de chose ne peut répondre
seule à l’attraction de la scène primitive. Mesurer le montant économique exis-
tant entre la scène primitive et les productions psychiques, en appeler à des signes
abstraits, permet de s’opposer à cette attraction négative. Freud approche le
contre-investissement primaire, celui réalisé par la détresse et la sensorialité. Un
lien étroit entre scène primitive, affect et mathématiques se révèle.
L’attraction-séduction laisse deviner l’enjeu : la désorganisation topique du
sujet, sa dilution en la scène de jouissance du couple primitif ; d’où cet appel à
la mesure et aux garde-temps.
Une nouvelle conception du coup se dessine en rapport avec la détresse
infantile, la régression traumatique et les procès nommés fantasmes originaires.
Une asymétrie apparaît entre eux trois. Les deux premiers disent l’attraction
1382 Bernard Chervet

par l’objet de la pulsion – en l’occurrence, la Bête à deux dos. Le troisième en


désigne la conséquence et fait un appel au père de l’impératif processuel. En
figurant les articulations des instances, les formules objectalisées des fantasmes
originaires avec leurs représentations d’actions motrices fournissent un contre-
investissement à cette attraction.
Dans ce texte, Freud fait officiellement du transfert un après-coup. L’ac-
tualisation par répétition transférentielle fait partie de la perlaboration. S’y arti-
culent dans le transfert l’ancien inconscient, le récent remémoré, l’actuel répété.
Les résultats manifestes des contrecoups réalisés ainsi sont polymorphes.
Le rêve, la phobie des guêpes, les divers souvenirs, le transfert de séance, les cro-
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quis et datations sont tous des après-coups, des écrans-couvertures de l’éprouvé
de détresse et de l’effroi sous-jacent.
Après avoir rectifié plusieurs écarts de temporalité, Freud utilise l’expres-
sion montant de l’après-coup. Son attention se tourne vers la valeur économique
de ce procès, vers les différences de potentiels entre les scènes II et I. L’action
qui porte sur l’économie régressive et se traduit par une production d’inscrip-
tions régressives est désignée rétrofantasier. La datation vient ainsi freiner la
régression traumatique et cerner les tensions des économies libidinales entre les
divers lieux psychiques. Le montant de l’après-coup, en se formulant en écart de
temps, traduit un écart d’économie.

« Communication d’un cas de paranoïa contredisant la théorie psychanaly-


tique » (1915). — La sixième occurrence où Freud utilise Nachträglichkeit se
trouve dans ce texte. Il y présente les deux entretiens qu’il a eus, à la demande
d’un avocat, avec une jeune femme aux prises avec des faillites de ses investisse-
ments érogènes et des constructions palliatives. Elle tente de se protéger d’un
effroi apparu depuis une scène érotique avec son amant où elle a perçu un bruit,
pour elle suspect. Elle est en quête de raisons raisonnantes, de convictions, pou-
vant contre-investir sa désorganisation et permettre une néo-réorganisation.
Son amant lui propose une solution phobique. À l’origine du bruit, il
désigne le déclic du réveil, lui offre un substitut par déplacement sur une repré-
sentation consciente et une perception effective. Il compte ainsi muter son
angoisse en peur et permettre un évitement du danger.
Mais cela ne la convainc pas. Elle poursuit sa quête, faisant d’un paquet
emballé rencontré dans l’escalier plus tard un appareil de photo captateur de
son corps dénudé, de sa sexualité. Elle a la conviction que cet appareil a été dis-
simulé derrière les rideaux de la chambre afin de la prendre en photo, conviction
qui survient en lieu et place de la pénétration. Ses sensations génitales sont rem-
placées par sa construction délirante, accusatrice et explicative de son manque
et étayée sur ses battements clitoridiens. Elle établit à partir d’indices trouvés-
L’après-coup 1383

créés une fausse causalité par laquelle elle dit une part de sa vérité, la faillite de
sa sensorialité génitale et sa croyance d’avoir été spoliée.
Son sentiment de réalité effective traduit l’hypothèque historique de ses
investissements érogènes. Les battements de son clitoris réveillent ce qui en elle
demeure topiquement en extraterritorialité de son Moi corporel (dans la
montée d’escalier), et capté par un autre, reconnu en la vieille dame, ses aspira-
tions vaginales de capture du pénis. L’amant et les jeunes hommes de l’escalier
en sont les agents. Il lui faut une scène du dehors. Le bruit est, pour elle, celui du
retranchement.
Apparaît une nouvelle conception du coup : ce qui manque est désigné
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comme coup. Ce qui lui manque à l’intérieur, elle en reconstruit la cause au-
dehors. La faillite de ses investissements génitaux lui revient du dehors et non
pas sous la forme d’une angoisse-signal transmettant l’origine interne. La trans-
position phobique banale devient une projection avec retour du dehors.
L’après-coup se présente sous la forme d’une construction. Il produit une
théorie ayant fonction de pallier la faille d’investissement du corps sexuel, donc
le défaut du narcissisme primaire issu des investissements sexuels d’organe se
traduisant par des impressions sensorielles.
Un retour vers Schreber permet de préciser ces logiques défensives. Freud y
avait décrit quatre modes d’opposition à la formule directe, pulsionnelle : « Moi
un homme, je l’aime lui, un homme », agissant toutes une négation ou une
négativation. Les trois premières transforment respectivement le verbe, l’objet,
le sujet de la formule positive ; d’où les solutions persécutoire ( « Je ne l’aime
pas ! Je le hais ! Parce qu’il me persécute » ), érotomane ( « Ce n’est pas lui que
j’aime, c’est elle que j’aime parce qu’elle m’aime » ), par jalousie ( « Ce n’est pas
moi qui aime l’homme, c’est elle qui l’aime » ). À ces trois solutions, il faut ajou-
ter celle de la négativation absolue : « Je n’aime absolument pas et personne – je
n’aime que moi. »
Les apports de 1920 précisent ce à quoi s’opposent ces logiques défensives ;
pourquoi « Je l’aime » n’est pas élaborable. Il signifie une transformation totale
du processus primaire, vécue comme une métamorphose du corps réalisée par la
voie de la pénétration, agent de la castration, une aspiration au-delà. « Je
l’aime » signifie pour Schreber : « Cela ne pouvait qu’être vraiment fort beau
d’être une femme qui est soumise à la copulation. » D’où l’obligation d’opposer
une objection radicale à ce souhait.
Ces logiques de l’au-delà articulent déni et transvaluation de la castration.
Celle-ci devient la voie permettant l’accès à l’objet de la pulsion sous couvert de
l’objet de l’idéal. Tout enfant est confronté à de telles attractions. Il y répond
par l’élaboration de ses théories sexuelles infantiles de la castration, le para-
noïaque en fait ses tentatives d’autoguérison.
1384 Bernard Chervet

Une autre clinique : le processus de théorisation de S. Freud

Signorelli et l’écriture en deux temps. — J’ai signalé plus haut que, dans le
rêve « Les Trois Parques » (Knödel), le signifiant turc insiste à trois reprises,
sans que Freud ne livre aucune association. En 1898, il rédige un premier article
sur l’oubli ; puis, en 1901, un second. Dans le premier, il développe une libre
concaténation associative. Dans le second, il relie celle-ci à une mise en latence
de pensées concernant un événement traumatique récent, la mort d’un ancien
patient turc, avec, alors qu’il est sous le coup de cette nouvelle, une répression
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des affects douloureux.
Par cette élaboration théorique en deux temps, Freud met en acte
l’après-coup, il articule un déni et une prise en compte ultérieure de l’impres-
sion première.
Le déni appartient au premier temps. Il rend possible le travail régressif
tant associatif et préconscient que nocturne et inconscient. Le travail d’interpré-
tation ne se termine vraiment que dans un second temps, par la rupture finale
de ce déni inaugural. Où l’on perçoit qu’un tel cheminement, régrédient puis
progrédient, a une fonction essentielle ne pouvant être remplacée par quelque
compréhension intellectuelle. Le temps du déni permet un travail sur le refoulé
et le régressif, travail qui rend possible le second temps, la rupture du déni et la
reconnaissance de l’existence de la dimension traumatique. L’abandon du déni
achève le procès régressif et ne se fait que dans un second temps.
Ces articles sur Signorelli sont agis par le sentiment d’être coupable de ne
pas arriver à réparer la castration d’un autre, susceptible de se l’infliger sous
forme irréversible ; là, le suicide (sui caedere).
L’Acropole, les ruines et le sentiment océanique. — L’événement d’un
trouble du souvenir sur l’Acropole a lieu en 1905 ; la lettre à Romain Rolland,
en 1936. Plus important que cet en-deux-temps est l’écho existant entre le senti-
ment de piété que Freud donne comme interprétation de son trouble et la situa-
tion où il fut ressenti : face à des ruines.
Le trouble et la lettre sont des après-coups de l’impression éveillée par la
perception des ruines rentrant en écho avec les deuils du père puis de la mère
de Freud.
D’où son interprétation du sentiment océanique, du sentiment religieux et
de toutes les croyances groupales et privées que se donnent les humains en tant
que solutions anti traumatiques.
Au-delà, les cliniques de la conviction et le Surmoi. — Aussitôt « Au-delà du
principe de plaisir » écrit et la régressivité pulsionnelle reconnue, Freud se
L’après-coup 1385

préoccupe des solutions antitraumatiques ; d’où sa rédaction de « Psychologie


des masses » et son étude des complicités relevant de la télépathie ou de l’adhé-
sion à des Weltangschaung, comme celle, démoniaque, du peintre Haitzmann
envers l’Église. Eu égard au complexe paternel, elles ont valeur d’obéissance
après coup révélant l’incertitude du Surmoi. Celui-ci trouve sa place dans la
métapsychologie en 1923, après l’étude de ces situations où il apparaît sous ses
modalités partielles et palliatives.
S’accentuent les solutions narcissiques de 1914, celle du retrait des investis-
sements libidinaux sur le Moi1. En 1921, c’est autour d’un objet porteur d’un
idéal sans deuil, élu en lieu et place d’un Surmoi individuel, que des bataillons
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entiers font masse. Il ne s’agit plus de resserrer le narcissisme autour d’un trou,
mais de dénier le manque et de le remplacer par une aspiration vers un idéal.
La préoccupation de Freud pour les croyances, en tant que moyen anti-
traumatique, parcourt la suite de son œuvre. Se dessinent les cliniques de la
conviction. Le clivage du Moi fait co-exister un fonctionnement régi par l’impé-
ratif de résolution et un autre par la conviction. L’idéal d’endeuillement peut
alors servir de voie pour échapper au deuil. Freud se sent trompé par une telle
falsification. Il qualifie cette clinique perverse d’hypocrite.
Son attention se porte vers les convictions tant partagées que privées.
L’exemple princeps est le fétichisme dont le modèle se prolonge dans les néo-
constructions délirantes. Ces croyances et théories ont fonction de saturer la
conscience et de renforcer la répression des éprouvés et perceptions de manque.
C’est dans « Le problème économique du masochisme » que Freud aborde
la solution la plus favorable à la vie psychique, la retenue douloureuse, empê-
chant la régressivité de faire d’un trou un gouffre, d’un idéal une élation. Cette
retenue a valeur de reconnaissance de la réalité de la castration. Le déni
contourne cette douleur de fonctionnement.

La télépathie, la divination, l’occulte. — Les quatre textes sur la télé-


pathie sont un bel exemple d’après-coups antitraumatiques. Immédiatement
après 1920, Freud accepte de se pencher sur l’idée que des pensées peuvent cir-
culer, dans des conditions particulières, entre des personnes différentes, en
dehors de tout substrat perceptif concret et de tout indice tangible. Cette
croyance s’oppose à la désobjectalisation et affirme le lien au-delà des sépara-
tions, ce que font toutes les sciences occultes qui veulent ignorer les capacités de
reconstruction de l’après-coup.
De telles constructions en deux temps se retrouvent encore dans les canoni-
sations. Le besoin conjuratoire d’assurer une prédictivité antitraumatique et

1. « Son âme se resserre au trou étroit de la molaire » (W. Busch), p. 226.


1386 Bernard Chervet

magique s’étaie sur un traumatisme privé, en révèle le sens de message occulte et


l’offre au collectif.
Nous vivons avec les horoscopes, les loteries et les bulletins météoro-
logiques.

Les conceptions de l’après-coup de Sigmund Freud

Le procès idéal de l’après-coup est formé de trois moments masqués par


une phénoménologie manifeste en deux temps : une régrédience figurative, une
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réduction économique et une production progrédiente.
Le processus de théorisation de Freud se caractérise aussi par ces trois
moments processuels. Il conjugue un cheminement régrédient, une élaboration
de constellations régressives selon un ordre déterminé, une réverbération rétro-
active de ces élaborations sur celles antérieurement formées et la formulation de
nouvelles conceptions.
La théorie de l’après-coup et du coup est tributaire de l’évolution de Freud
quant à la régression. Le mouvement régrédient de la pensée est conçu d’abord
selon une triple stratification puis diverses régressions entrecroisées. Freud
attribue l’attraction régressive successivement au noyau pathogène (1895), à l’at-
traction négative de l’inconscient (1915), à la tendance au retour à un état anté-
rieur (1920), à l’attraction des prototypes du Ça (1925). La régression est envi-
sagée en 1900 aboutir à des retrouvailles sensorielles ; en 1914, au giron du
narcissisme primaire fœtal ; puis, en 1920, elle s’ouvre sur les abysses d’un au-
delà ayant l’inorganicité et l’infini comme horizons.
C’est cette théorisation régressive que Freud dénomme en 1920 ses trois pas
dans la théorie des pulsions, en référence aux trois étapes processuelles fondant
le désir, la sexualité infantile, le narcissisme, la libidogenèse – chacune étant
concernée par la régressivité sous-jacente.
Pour définir le coup, Freud établit un véritable bornage, depuis les événe-
ments traumatiques externes constitutifs du noyau pathogène jusqu’à la régres-
sivité pulsionnelle endogène. Chemin faisant, il désigne les mésusages de la
sexualité actuelle, la neurotica et ses transgressions choquantes, la sexualité
infantile, l’amnésie infantile, l’effet posthume du fantasme inconscient, les inter-
férences des instances traduites en termes de fantasmes originaires, l’efficience
des inclusions aliénantes, l’ombre portée des identifications narcissiques, les
identifications défectives et les failles conséquentes, la culpabilité inconsciente et
son besoin de punition et de maladie, le déni de réalité, en particulier celui por-
tant sur la différence des sexes et sur la féminité, le roc du biologique et la ques-
tion de la réalité de la castration.
L’après-coup 1387

Progressivement, c’est le couple régressivité extinctive - impératif proces-


suel qui définit au mieux le coup. Ce terme offre son double sens : celui de la co-
excitation libidinale faste à la croissance et celui d’une solution perverse où les
sexualisations adviennent de façon éhontée en lieu et place du travail de
désexualisation. Freud étudie cette déviation dans « Un enfant est battu », suite
à quoi il peut reconnaître la régressivité traumatique de la pulsion puis la néces-
sité d’une instance s’y opposant, le Surmoi.
L’approche de Freud de l’après-coup fait se croiser deux conceptions, l’une
restrictive, l’autre extensive.
Au sein de celle restreinte à la psychopathologie, il réserve d’abord l’après-
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coup aux psychonévroses de défense, les futures névroses de transfert (1895-
1900). Puis il le reconnaît actif dans « L’Homme aux loups » et dans « Un cas
de paranoïa » ; d’où une conception élargie à l’ensemble de la psychopatho-
logie. L’après-coup n’est plus réservé à aucune des trois grandes catégories
nosographiques. Chacune est envisagée comme un après-coup de la phyloge-
nèse. Ferenczi étend cette proposition à la vie sexuelle.
Entre-temps, l’anecdote de la Traumdeutung étend aussi l’usage de l’a-
près-coup à la pensée elle-même. La conception extensive considère que toute
production psychique est le résultat d’un tel procès où sont engagées les ten-
dances fondamentales, réductrice et extensive, et un conflit entre cette double
régressivité extinctive et un impératif de retenue. L’organisation du travail
psychique en deux temps et la bivalence de la pensée en sont les consé-
quences.
L’après-coup apparaît ainsi sous des formes accomplies, partielles ou dis-
tordues. Il peut être élaboratif, régressif, répétitif, voire défectif. Son procès est
sériel et graduel. En séance, l’analyste est toujours confronté à un énième temps
d’actualisation transférentielle.
En résumé, l’après-coup devient pour Freud le modèle de référence des
procès de pensée. Relié au biphasisme de la sexualité humaine (1925), l’après-
coup accède à l’universel. Déterminé par un facteur physiologique, il ne peut
s’exprimer que par le truchement du facteur historique. Cette complexité
métapsychologique contribue à l’abandon par Freud de Nachträglichkeit.
Une incertitude pèse désormais sur la réalisation de ce procès, ce que tend à
dénier le substantif. Une fois installé dans la théorie, l’impératif régissant le
procès de l’après-coup se découvre fragile. En créant dans un premier temps
un substantif contenant l’affirmation d’un avenir, Freud s’opposait d’abord à
la régressivité négativante. Dans un second temps, il reconnaît le travail
qu’elle exige.
1388 Bernard Chervet

Autres présences de l’après-coup

Jacques Lacan : être l’après-coup de Freud

Extraire de l’œuvre de J. Lacan ses conceptions métapsychologiques est


une véritable gageure tant il a l’art d’être déroutant par sa capacité à soutenir
deux logiques incompatibles de façon concomitante.
Par son style d’abord, le « mi-dire », il tient à faire ressentir que « la vérité,
c’est ce qui manque au savoir », que tout discours se double de la tentative de
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réaliser hallucinatoirement un désir inconscient, qu’il est un après-coup déter-
miné par le jeu des signifiants. La définition qu’il donne de ceux-ci n’est pas
aisée à saisir. Représentants pulsionnels par excellence, il n’en fait pas des repré-
sentations de chose. Ils échappent à la resexualisation mais ne sont pas des
représentations de mot. Comme dans la névrose obsessionnelle, ils sont sexuali-
sables, mais possèdent une qualité antitraumatique quasi fétichique. Cette
conception l’éloigne des linguistes et de Freud pour qui la part du mot engagée
en tant que représentant pulsionnel est minime mais participe au double sens
des mots primitifs. Le « mi-dire » de Lacan a pour fonction de transmettre le
message selon lequel l’assomption jubilatoire du Moi, dans l’image de soi qu’est
le Un, n’est qu’un leurre où choit le sujet de l’inconscient, le sujet divisé. La
monosémie est alors envisagée comme étant un leurre.
De fait, la parole de séance est constituée de ses équivoques. Tout à la fois
récit de scène et scène du récit, elle est polysémique et en double sens, lieu d’un
transfert rendant erronée toute conception des relations humaines dans les seuls
termes de l’intersubjectivité. Ces leurres sont des réalisations d’une aspiration
infantile à être un Moi idéal, un Tout, His majesty the baby, le Phallus d’un autre
érigé ainsi en tant qu’Autre. Cette identification au pénis totémisé et au pénis
fétichisé a une fonction ; classiquement avec Priape, celle d’être apotropaïque,
puis, avec le Diable, celle d’être conjuratoire ; pour la psychanalyse, celle de sou-
tenir un déni de la castration ; pour un sujet, d’écarter tout affect de manque.
Par ce déroutement du style et le jeu avec l’hermétisme, Lacan veut se saisir
du procès de l’après-coup. Il affirme ne pas se laisser prendre en ses propres
leurres, contrairement à ses interlocuteurs dont il exhibe le ridicule, c’est-à-dire
la castration. La dérision de Lacan bat alors son plein. Pour saisir les incidences
de son style, il convient d’adjoindre au « mi-dire » ses sarcasmes fléchés de ses
sagaies, par lesquels il agit au-delà du sujet divisé, le sujet clivé.
Néanmoins, ce faisant, il formule des vérités. Le procès de l’après-coup est
« toujours à recommencer » (1972). « Tout discours doit être forcé de toujours
se reprendre au principe, comme nachträglich, après coup ».
L’après-coup 1389

Le dilemme du sujet se situe donc entre un empêtrement dans des substituts


imaginaires, tenant compte sourdement de l’existence de la castration, et un
fonctionnement en déni, apparemment libérateur mais reposant sur des pieds
d’argile, au risque d’un effondrement colossal. Pour échapper à un tel dilemme,
Lacan propose une continuelle extension au nom de l’Idéal du Moi, donc un
refus de toute régression autre que celle passant par l’Idéal du Moi. Le Moi
idéal est à l’horizon de l’Idéal du Moi, bouclant ce dernier sur le narcissisme.
Tel est le paradoxe dans lequel la conception de Lacan va être prise. Il
extrait mieux que quiconque toutes les données freudiennes concernant l’après-
coup et dans la même envolée le stigmatise au seul jeu des signifiants, échappant
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ainsi à ses implications économiques eu égard au réel du traumatique.
La célèbre phrase de Lacan selon laquelle l’inconscient est structuré comme
un langage est tout à fait recevable dans les moments où l’inconscient dyna-
mique des représentations de chose, celui des pictogrammes-traces, le précons-
cient latent des rébus et le conscient manifeste des représentations de mot sont
articulés en une parole ayant en partie valeur de rejeton, de retour d’un refoulé
ainsi transcrit et dissimulé. Lacan s’étaie sur l’article de Freud de 1898 dans
lequel ce dernier suit la concaténation langagière exemplaire liée à son oubli du
nom de Signorelli, le menant aux substituts Botticelli et Boltraffio. Mais Lacan
n’articule pas ce texte à celui de 1901. Cette mise à l’écart de l’un des deux
moments élaboratifs et le privilège accordé à l’autre permettent de reconnaître
la mission dont s’est revêtu Lacan et qui lui confère la néo-identité inconsciente
d’être l’après-coup de Freud, du seul Freud de 1898.
Plus que tout autre, Lacan est sensible au fait que toute conception théo-
rique se ravale en savoir qui peut à son tour s’affadir et se perdre s’il n’est régu-
lièrement revisité et revigoré libidinalement. Ces tendances négativantes, Lacan
les déniche et s’en moque chez les autres. Il s’octroie une identité de sujet pou-
vant extraire la substantifique moelle de la pensée de Freud, rehausser de la
puissance de la vérité les notions freudiennes réduites à un vil savoir ou tombées
dans l’oubli, et échapper à leurs lois. C’est ce sarcastisme lacanien qui oblige à
penser les rapports de son discours au déni.
Il fait voler en éclats le savoir freudien, affiche une fidélité à la termino-
logie de Freud, le lit dans le texte et soutient le mot allemand contre toutes les
traductions-trahisons-réductions. En même temps, il n’en fait qu’à sa guise et
n’utilise que Nachträglich en le substantifiant : le nachträglich.
Son retour à Freud se veut être un retour de Freud. Eu égard à celui-ci
comme grand Autre, il devient l’après-coup fécondant la communauté analy-
tique, le Saint-Esprit.
En tant que signifiant pour un autre signifiant, les cinq lettres de Lacan
pour les cinq lettres de Freud, il fait un retour à Freud selon le modèle du tra-
1390 Bernard Chervet

vail de rêve où une pensée verbale mise en latence fait un retour aux sources
pulsionnelles par un cheminement figuratif à rebours. Une régression formelle
la fait passer de pensée verbale à un rébus puis à une figure-image apte à rentrer
en contact avec les souvenirs du passé infantile et par ceux-ci avec les sources
pulsionnelles. Ensuite, celles-ci sont mutées en représentation de chose de la
pulsion et promues sur la voie progrédiente en tant qu’images propres à donner
un récit secondarisé présentable à la conscience ; voire à d’autres consciences
par l’énonciation d’un récit. Telle est la métaphore freudienne de l’architecte et
du promoteur dans la production de cet après-coup surdéterminé qu’est le rêve.
Ce retour à Freud, en tant que source pulsionnelle et qu’idéal, tous deux
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attracteurs, exige la régression du verbe en figurations de rébus organisées selon
une logique de code. Le retour du pulsionnel double cette logique de la fonction
de représentance des motions qui, elles, sont hors langue. De la double identité,
de code et de motion hors langue, résulte la réalisation hallucinatoire de désir.
Cette hétérogénéité se trouve impliquée dans toute parole. Le signifiant seul,
étendu aux diverses modalités de représentance psychique, ne peut en rendre
compte. À l’extinction s’oppose le code ; à l’inscription, la castration.
Grâce au rehaussement du Nachträglich, Lacan dénonce le ravalement subi
par la psychanalyse dans les années postguerre, marquées par un génétisme psy-
chologisant, une théorie de la temporalité progrédiente, une éviction du point
de vue topique, etc.
L’esprit de la psychanalyse s’en trouve renouvelé. Si la psychanalyse fran-
çaise s’est autant développée dans le demi-siècle dernier, elle le doit en grande
partie à l’aiguillonnage de Lacan et au travail que les analystes ont effectué sur
son incitation. Lacan réouvre l’analyse « à la critique de ses fondements, faute
de quoi elle se dégrade en effets de subornement collectif ». Il cherche à ce que
le contact avec l’inconscient reste ouvert, percevant que tout savoir sur l’incons-
cient a valeur de sa refermeture.
C’est au nom du dit de séance qu’il va rappeler la découverte freudienne
des Études sur l’hystérie, la différenciation entre une parole cathartique et une
parole appelant un effet de sens. Lacan s’oppose au risque de confondre le
bavardage d’un devenir conscient par substitution infinie et la prise de cons-
cience incluant un jugement de sens, un interprétant.
Lacan perçoit ce ravalement en la réduction de la notion d’après-coup à sa
forme de simple adverbe de temps, et à la détermination linéaire entre deux évé-
nements. Cet écrasement est un retour des travaux d’un autre Maître, Charcot.
S’étayant sur le rôle de l’après-coup dans la genèse du symptôme hysté-
rique, Lacan va s’employer malgré lui à rattacher la psychanalyse à Charcot et
à la tradition psychiatrique française. Il remplace les termes de Charcot et ceux
de Freud par des expressions privilégiant, comme Charcot, la seule logique tem-
L’après-coup 1391

porelle. Ce dernier avait décrit la genèse du symptôme selon trois temps. Lacan
les rebaptise : l’instant de voir, le temps de comprendre, le moment de conclure.
Où nous retrouvons l’association entre le traumatique et le vu, rejoignant la
significativité accordée par Freud à la perception de la différence des sexes. Le
temps de comprendre remplace la période de latence, mais tire le procès de
l’après-coup vers le processus secondaire. Le moment de conclure correspond
aux productions du symptôme, du rêve, de tout discours.
C’est la théorie du symptôme comme réminiscence que Lacan rappelle
ainsi. « La nature de la construction du symptôme est d’être nachträglich »
(1956). L’après-coup est une restructuration des événements passés, une resub-
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jectivation d’un passé inconscient qui se transcrit dans une formation de
l’inconscient.
Avec son langage personnel, Lacan rappelle que le « nachträglich ou après-
coup, selon lequel le trauma s’implique dans le symptôme, montre une structure
temporelle d’un ordre plus élevé que la rétroaction » (1960). Se référant aux
deux temps et à la mise en latence, il écrit : « L’après faisait antichambre, pour
que l’avant pût prendre rang. » Mais il ne suit pas la significativité de la mise en
latence et du travail régrédient eu égard au trauma. Il insiste sur un seul aspect,
le rôle de la surdétermination impliquée dans la chaîne verbale « par l’après-
coup de sa séquence » (1958). Nous retrouvons ainsi au cœur de la causalité
lacanienne une primauté accordée à la temporalité progrédiente.
La part de vérité de l’insistance de Lacan, c’est le rôle du surinvestissement
porté par le langage dans la détermination. L’impératif processuel est transmis
par les représentations de mot. L’autorité et la tendresse post-œdipiennes sont
portées par la voix. Lacan est sensible à tous ces paramètres. Il qualifie la causa-
lité psychique de l’après-coup de « circulaire et non réciproque », et souligne
ainsi la dissymétrie existant entre les deux scènes II et I, de même qu’en séance,
entre les deux protagonistes. Freud était parti des symptômes hystériques avant
de se centrer sur la parole transférentielle de séance. Lacan privilégie l’après-
coup dans la parole associative, alors que Freud propose une conception de la
cure où se combinent, en la parole, les transferts sur le corps, sur le langage et
sur l’objet.
Lacan étend la structure de code du langage à tous les niveaux du psy-
chique, ce qui contient une part de vérité. La processualité est en effet engagée
aux trois étapes constitutives de la pulsion, et le langage en est le principal
médiateur en tant que support du principe du code. C’est ce qui permet la cure
par la parole. Ces nœuds de processualité ne sont pas du langage. D’ailleurs
Lacan parle de structure et dit « comme ». Mais tous les processus inconscients
impliquent un principe de code dont l’expression la plus élaborée est le langage ;
d’où leur résistance et leur consistance. Il y a une similitude entre ce que je
1392 Bernard Chervet

nomme processualité et le symbolique de Lacan. Le processuel en tant qu’agent


de réduction, de désexualisation et d’endeuillement ne peut être issu d’une
désexualisation réversible. Il ne peut être renversé par resexualisation. Mais il
peut être écarté, éliminé. Ce meurtre correspond au meurtre du père du complexe
d’Œdipe. Logique avec sa conception du signifiant, Lacan fait du complexe
d’Œdipe une articulation des signifiants père-mère-infans, et introduit dans cette
structure ternaire un élément quatrième d’irréversibilité, la mort.
De cette structure du sujet, Lacan propose une topologie, avec une figura-
tion du procès de l’après-coup, l’image du tore. La parole de séance devient des
tours de dire rendus nécessaires par la présence en ce tore d’une coupure, d’une
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fente, la division du sujet ; ces tours de dire permettent que ce tore se fasse bande
de Möbius – pour Lacan, message énonçable.
Le sujet symbolique est figuré par un tel tore et de tels tours de dire. En
revanche, quand le symbolique fait défaut, le trou au centre du tore y aspire le
sujet, en particulier des parts du symbolique. Lacan nous fournit ainsi une topo-
logie de notre pratique du dire, l’après-coup étant figuré par les contorsions, ren-
versements et inversions de ces tours de dire. Ces propositions tardives ampli-
fient sa définition optique de la parole en tant que message revenant au sujet
sous une forme inversée. Les notions de tores, de boucles et de nœuds consti-
tuent une représentation formelle de l’après-coup, le mot devenant dans cette
topologie un « nœud dont un trajet se ferme de son redoublement renversé ».
Cette imagerie fait incontestablement écho à la conception dynamique de
l’après-coup de Freud, aux couples continuité-discontinuité, régrédience-
progrédience.
Ce rôle du trou du tore, lors de la défaillance du symbolique et de la régres-
sion à l’imaginaire, a valeur de retour au sein de la théorisation de Lacan. Lui-
même le pense en termes de refoulement originaire. « Au commencement était
le “trou” », énonce-t-il en 1967. Reviennent là, ce qui apparaît le plus exclu de
sa théorie du signifiant, le rôle du traumatique et la fonction économique de
l’après-coup. Il rejoint là Freud qui ouvre le psychique sur le somatique par une
régression à l’inorganique. Mais Freud reconnaît la présence tout aussi origi-
naire d’un impératif de mutation économique de l’excitation sexuelle somatique
en excitation sexuelle psychique. La butée régressive sur le corporel, le risque
que, celui-ci se désorganisant, se réalise un mésusage du somatique, vont s’arti-
culer chez Freud au niveau du masochisme primaire érogène, aspect exclu de la
conception de Lacan. La douleur morale, comme fond de tous les autres affects,
n’est pas présente dans sa théorisation. Le corporel n’articule pas chez lui le
soma, le signifiant psychique et l’objet.
En cohérence avec sa conception du signifiant, il affirme qu’il n’y a pas de
rapport sexuel dans la mesure où la jouissance ne peut s’inscrire langagièrement.
L’après-coup 1393

La jouissance constitue un barrage « à l’avènement du rapport sexuel dans le


discours », écrit-il. Dans cette logique, le langage « ne connote, en dernière ana-
lyse, que l’impossibilité de symboliser le rapport sexuel chez les êtres qui l’habi-
tent ». Lacan réintroduit ainsi l’hétérogénéité entre le signifiant porteur de pro-
cessualité et le signifiant représentant pulsionnel. Ce double sens du langage
rappelle l’impossibilité de réussir définitivement un déni de la castration et de la
régressivité, déni qui assurerait l’inanité du procès de l’après-coup et serait un
véritable pacte, non pas avec le signifiant Diable, mais avec son au-delà, le trou.
Un tel pacte renverse le signifiant-verbe en désêtre.
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Les auteurs kleiniens et postkleiniens

Melanie Klein s’est particulièrement intéressée à des patients psychotiques


et non névrotiques aux prises avec des éprouvés d’angoisse térébrante et
n’ayant comme recours que des solutions de clivage narcissique. La topique
naissante et le refoulement primaire s’y présentent éclatés. Dominent alors les
logiques du conflit intranarcissique, transposé en luttes et combats dans un
monde externe clivé en bons et mauvais objets selon leur valeur défensive. Les
éprouvés dissimulant le vécu paranoïde d’anéantissement sont la persécution, la
destruction, la réparation.
L’intérêt porté par le mouvement kleinien au narcissisme primaire bénéficie
aux patients et à la théorie. Le travail du psychanalyste s’oriente vers la destruc-
tivité et les défenses narcissiques.
Ces travaux s’originent au carrefour de la détresse revécue en séance en tant
que réminiscence. Le postulat kleinien affirme que celle-ci est la position basale
de tout bébé. Les interprétations de M. Klein montrent toutefois qu’elle consi-
dère que, même avec un très jeune enfant, les contenus pouvant rendre compte
de son angoisse sont déjà là. Pour A. Green, l’archaïque est construit après
coup ; pour elle, il est déjà-là. Les deux conceptions s’articulent quand on prend
en considération que le déjà-là est un potentiel qui va partir en quête de contenus
lui permettant par effet rétroactif de transformer sa potentialité en effectivité.
Les travaux de ses successeurs ouvrent cette détresse sur un conflit et une
angoisse de morcellement, une crainte d’effondrement, une angoisse sans nom,
voire une agonie primitive. Pour eux, les opérations aptes à mettre en place une
retenue masochique primaire ne semblent pas exister en tant que bagage poten-
tiel du bébé. Ces opérations doivent alors venir du dehors, être fournies par une
personne secourable, réalisées par la rêverie maternelle. Domine le modèle du
commensalisme.
S’écartant ainsi de M. Klein, Winnicott et Bion emboîtent le pas à un pos-
tulat appartenant à la tradition philosophique anglaise, selon laquelle la pensée
1394 Bernard Chervet

se développe sur un fond de sensorialité qui n’est pas un acquis de l’histoire


individuelle mais une donnée, la catégorie des préconceptions. Pour eux, la
transformation de l’angoisse primitive ne se fait pas par l’élaboration d’un
contenu régressif potentiel que l’interprétation anticipe, mais par le soutien du
développement, de la croissance, de la générativité progrédiente. Il convient de
lutter, grâce à cette générativité, contre un éprouvé sensoriel traumatique basal.
Un tel combat originaire est déjà au centre de la théorie de M. Klein, mais
sous la forme d’un conflit symétrique, direct et bruyant, entre les pulsions de vie
et de mort. La dynamique en deux temps est supplantée chez elle par le coup sur
coup.
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Les auteurs postkleiniens ont des positions diverses quant à ce conflit pri-
mordial, mais ils se réfèrent tous à une situation clinique proche de celle de la
névrose traumatique, centrée sur la détresse, sur le fait qu’un sujet est plus ou
moins démuni des moyens pour traiter la dimension traumatique endogène. Ce
carrefour de la détresse, quand il est dépourvu d’angoisse signal d’alarme, donc
de la haine et de moyens psychiques de retenue étayés sur la processualité de l’en-
tourage, se retrouve être le lieu d’une angoisse automatique. S’y articulent une
névrose actuelle (1916-1917), une névrose traumatique (1919) et toutes sortes de
désorganisations, effondrements et agonies. Le terme de Freud d’inorganique
résonne avec ces destins ainsi qu’avec les pathologies somatiques, les paliers de
désorganisation-réorganisation, de régression-fixation envisagées par Marty.
Leur réponse à cette détresse consiste à soutenir l’accomplissement, ce qui
est en faveur du procès de l’après-coup, de sa mission générative, productive et
progrédiente.
Nous reconnaissons en la méthode du Squiggle l’étayage d’une telle pro-
ductivité. Ces tracés à deux, Winnicott les utilise aussi pour aborder l’histoire de
ses petits patients et tenir compte des liens de détermination. De même, quand
Bion envisage les conditions optimales de la croissance psychique, de ce Lan-
gage d’accomplissement (Keats) de la séance, il inclut l’expérience de l’analyste,
cet état de patience et de sécurité, ce point régressif « 0 » « où n’existe AUCUN
souvenir, AUCUN désir, AUCUNE compréhension ». Il ne dit rien de la régression
formelle de l’analysant, mais insiste sur la valeur de celle de l’analyste. Cette
régression, il la caractérise par une négativité de tout contenu. Il s’agit d’une
régression à un idéal absolu, sans contenu, apophatique (Pasche), proche du
sentiment océanique. Elle répond à la détresse d’effondrement du patient et à sa
régression à la dépendance. Bion place les procès de transformation, instaura-
teurs de la fonction alpha et des éléments du même nom, dans la rêverie mater-
nelle et dans celle de l’analyste, dans un en-dehors entre-deux. Les notions de
secours, d’objet secourable, d’identifications projectives positives et négatives y
trouvent leur justification.
L’après-coup 1395

Freud esquisse une autre réponse dans « Le problème économique du


masochisme ». Elle a été explorée surtout par les auteurs français, tant à la SPP
qu’à l’IPSO. Le masochisme érogène est engagé dans le procès de l’après-coup au
niveau de la constitution de la source pulsionnelle et de la mutation écono-
mique productrice de libido psychique.
Les théories kleiniennes exploitent peu cette partie de l’œuvre de Freud. Le
rapport à la douleur de fonctionnement et à l’objet perdu est masqué par la
régression à la dépendance. Le sujet kleinien est aux prises avec la régressivité
extinctive et il est dépourvu de processus gardien de la vie (Rosenberg), de pare-
excitation rendant possible une retenue masochique et une co-excitation avec le
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corps, les objets, le langage. Les logiques kleiniennes attirent bien plus l’atten-
tion sur les défauts de congruence entre les potentialités de l’enfant et les répon-
ses et apports d’un entourage favorisant plus ou moins l’émergence de celles-ci.
De ce fait, l’attention se porte sur l’après-coup analytique, cette production
transitionnelle de séance.

Présences implicites

La dynamique d’un tel après-coup englobant les deux protagonistes a fait


l’objet de nombreux travaux. Sont concernés l’espace et l’objet transitionnel de
Winnicott, la chimère de M. de M’Uzan, l’objet analytique de A. Green, le tiers
analytique de T. Ogden. C’est cet objet qui est visé par les travaux sur la transi-
tionnalité et le jeu, sur l’animisme à deux et le travail en double. L’après-coup se
déroule chez chacun des protagonistes, et par une répartition distributive de ses
pôles fonctionnels sur les deux protagonistes.
Référé à cette configuration, J.-L. Donnet insiste sur la dimension aléatoire
de l’effectuation de l’après-coup. Cet aspect se trouve en conflit avec le détermi-
nisme qui pèse sur ce procès, amenant le sujet à trouver-créer ou non les percep-
tions dont cette effectuation a besoin pour se réaliser. C’est ce à quoi H. Faimberg
propose d’être attentif par l’écoute de l’écoute.
La querelle qui a tenté de s’installer entre les deux rives de la Manche, à
propos d’un après-coup qui existerait sur une rive et non sur l’autre, relève
de la tendance au conflit inhérente à ce procès et transposée sur des écoles, la
géographie et l’histoire. La différence de tension économique que le procès de
l’après-coup est chargé de réduire et muter tend à s’actualiser dans des polé-
miques d’écoles. De procès de la latence, l’après-coup devient concept man-
quant (the missing concept) impliqué dans les Controverses. L’après-coup est
alors identifié à quelque Schibboleth de reconnaissance et d’exclusion justi-
fiant les anathèmes, expliquant les querelles. Il est utilisé pour contrer ce qui
l’exige.
1396 Bernard Chervet

Toutefois, toutes les différences évoquées entre les diverses écoles tiennent
au privilège accordé à tel moment partiel du procès de l’après-coup. Elles évo-
quent une vérité de Shakespeare :
« Qu’y a-t-il dans un nom ? Ce que nous appelons rose
Par n’importe quel autre nom sentirait aussi bon » (Roméo et Juliette).
En fait, des échanges, débats et travaux ont lieu et sont publiés, montrant
que la rencontre est possible et l’incompatibilité un effet de simplification. Deux
faits sont à prendre en considération : d’une part, et cela depuis Freud, le phé-
nomène de l’après-coup est souvent reconnu sans être dénommé ; d’autre part,
le terme d’ « après-coup » est fréquemment utilisé par les analystes dans sa
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signification courante de déplacement temporel et de réflexivité antérograde
n’impliquant pas les attractions de l’inconscient au même degré que le concept
psychanalytique.
Tous les travaux psychanalytiques peuvent être envisagés comme des
après-coups de ce qui a motivé ceux de Freud. En lui emboîtant le pas, ils déve-
loppent, affinent et resignifient ses propositions. En s’affrontant à quelque élé-
ment resté prisonnier de la régressivité, au sein même de son travail, ils les enri-
chissent et rectifient. Un retour à la source est alors nécessaire afin qu’une
nouvelle parcelle puisse être élaborée.
Schématiquement, ils suivent deux voies :
— celle de la resignification d’une nouvelle version. La présentation par
Kohut des deux psychanalyses de M. Z... rend parfaitement compte d’une
telle démarche. Les modifications de la source pulsionnelle et du fonction-
nement psychique n’y sont pas explicitées, la seconde est jugée meilleure
que la première ;
— celle de l’élaboration résolutive d’une nouvelle part du régressif. Dans L’en-
fant de Ça (Green, Donnet), les auteurs répètent le dispositif de Freud et
Breuer qui deviendra le modèle de la supervision. L’enjeu est d’élaborer un
point de réalité. J.-L. Donnet en extrait un approfondissement de la
méthode. A. Green y puise de nouveaux aspects du négatif, le « blanc » de la
pensée.

INSISTANCES ET PERSISTANCES : LA CLINIQUE DES SÉANCES

Dans ce chapitre, je vais être schématique pour diverses raisons. La


première est liée à mon goût pour la théorie et pour les schèmes, mon contre-
transfert de précession. La seconde concerne les limites d’utilisation de la cli-
nique, le point de vue éthique : « sincérité totale contre discrétion absolue »
L’après-coup 1397

(1939). La troisième est une conséquence de ma conception de l’après-coup.


Toute la clinique de séance reflète les accomplissements, vicissitudes et avatars
du travail de l’après-coup ; depuis l’occurrence où l’après-coup s’est déroulé de
façon préconsciente et discrète jusqu’à celle où l’attention a été requise, où le
contre-transfert s’est montré plus exigeant du fait des distorsions subies par ce
procès. D’où la présentation, dans le rapport initial, de 13 moments cliniques1.
Les diverses fonctions de l’après-coup s’y révèlent résolutive, élaborative,
défensive, palliative, défective.
Le devoir de discrétion exige d’extraire le plus significatif du point de vue
du thème – l’après-coup, le coup et le contre-coup. Se trouve alors masqué tout le
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travail de passivité, lent, par petites touches, sur fond duquel l’après-coup révèle
ses résultats ; et, par eux, l’inconscient, ses contenus et processus. Les moments
cliniques ainsi circonscrits sont à recontextualiser au sein de la perlaboration
d’ensemble, sinon ne sont retenus que l’apparence, l’aberration rationnelle, la
logique saugrenue et délirante, le degré de violence de l’interprétation, l’effet
magique et sa recette.
Les lignes qui suivent portent sur ce qu’il est possible de déduire à propos
de l’après-coup en restant au plus près du travail de séance.

Le procès, sa dynamique, ses résultats

L’après-coup construit de multiples liaisons entre des moments temporels


plus ou moins distants, des événements apparemment indépendants, des élé-
ments psychiques hétéroclites. Les composants de l’après-coup peuvent même
organiser des styles associatifs.
Ainsi tel patient qui ne cesse de référer tous les contenus de ses rêves, toutes
ses pensées de séance, à tel ou tel aspect de son histoire remémorée, construisant
de l’en-deux-temps manifeste. Et tel autre qui cherche à reprendre, à chaque
début de séance, ses associations là où il les a laissées à la précédente, suppri-
mant l’entre-séance, forçant la continuité.
La résistance à l’après-coup, la tentative d’emprise sont évidentes, par la
construction artificielle de discontinuité temporelle ou par sa continuelle annu-
lation. Ces styles sont des matériaux associatifs, des réminiscences dissimulées
dans quelque néo-règle venant en place de celle énoncée par l’analyste. Faire des
liens, suivre un fil, être cohérent, exécuter un travail sont des cryptomnésies de

1. Les exigences éditoriales obligent le retrait de 12 de ces moments cliniques, d’où le renvoi du
lecteur à mon article de 2006 et à mon Rapport pré-CPLF paru dans le Bulletin no 90 de la SPP où ils
sont tous présentés.
1398 Bernard Chervet

l’éducation des processus secondaires soutenue par le système familial et


scolaire.
Une phénoménologie des liens est donc issue de l’après-coup, alimentée par
le travail de rêve, celui de séance, par l’animisme à deux qui s’y déploie. S’y
révèle la fonction princeps de celui-ci : traiter la déliaison due à la régressivité
extinctive, muter la tendance à la disparition en une discontinuité prenant
valeur de continuité.
C’est de cette mutation qu’émane l’effet de guérison de la cure. L’après-
coup, quand il est idéalement accompli, quand il résout la tendance trauma-
tique extinctive, est l’effet thérapeutique même. Un lien entre après-coup et Sur-
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moi apparaît. Tout comme le Surmoi doit être potentiellement déjà là pour réa-
liser la résolution œdipienne dont il est l’héritier, l’après-coup doit être déjà là
pour réaliser la mise en efficience des opérations psychiques qui le constituent et
dont dépend l’issue thérapeutique.
L’après-coup participe à la clinique de l’infantile, celle prenant en compte
l’économie régressive traumatique en l’élaborant en économie du principe de
plaisir, et aussi à la clinique du déni, clinique de la conviction, des constructions
interprétatives et des théories idéologiques niant la tendance traumatique à
l’œuvre au sein de la psyché. Il permet de sortir du manichéisme entre déni et
reconnaissance, au profit de leur articulation oscillatoire. Dans le meilleur des
cas, il œuvre à la résolution des conflits et à l’émergence d’une prime de désir.
Mais il participe aussi au déni et à l’imposition des constructions théoriques qui
le soutiennent.
« La théorie, c’est bon, mais ça n’empêche pas d’exister » ; d’où le second
conseil : « Il faudrait y revenir et y rester »1 auprès des patients.

Le perceptif et la perception

L’insistance et la persistance des faits s’accompagnent aussi d’une propen-


sion à imposer une perception créée de l’intérieur par l’hallucinatoire et la théo-
risation secondaire.
Est nommé ici perceptif cette catégorie de matériaux élaborés psychique-
ment et projetés sur la face interne de l’écran de la conscience dans le but de la
saturer. Le perceptif est à distinguer de la perception, phénomène passif auquel
est soumis l’être humain et contre lequel il dispose d’un mécanisme différencié à
partir du pare-stimulus originaire, le déni. Celui-ci se présente selon deux moda-
lités selon que le désinvestissement qu’il agit s’accompagne ou non de régres-

1. Aphorismes et conseils attribués à Charcot et repris à son compte par Freud.


L’après-coup 1399

sion. Le désinvestissement avec régression correspond au déni du sommeil-rêve


et de la parole d’incidence de séance. Le perceptif produit sature la conscience
momentanément. Le désinvestissement sans régression correspond au déni de la
psychopathologie. Il utilise le perceptif produit par le fonctionnement régressif
précédent et l’impose par une saturation stable et continue. Le premier est tem-
poraire et réversible, il est favorable aux activités psychiques régressives. Le
second a pour visée le renforcement continu de la saturation. Il aboutit aux dis-
torsions que sont les systèmes de croyance privés ou partagés et génère toutes
les Weltanschauung. Le premier s’inscrit dans une oscillation diphasique ; le
second, dans un forçage monophasique.
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Par le perceptif, l’hallucination négative se différencie nettement du déni.
Elle appartient aux activités psychiques régressives et participe à réaliser les
désirs figurés par l’invisibilité, et à produire un perceptif affirmant que ce qui
n’est pas perceptible existe dans cette invisibilité. Au contraire, le déni sans
régression ne réalise pas de désir, hormis celui de partager le déni d’un autre. Il
impose un perceptif progrédient en guise de néoréalité. Le procès de l’après-
coup dans sa version idéale diphasique peut ainsi régresser sur le plan structurel
et laisser place à des distorsions monophasiques qui ne conservent du procès
typique que quelque trait, le déterminisme, la relation de cause à effet, la
succession temporelle, l’aspect répétitif sériel.

L’oscillation nuit-jour

Le système sommeil-rêve montre bien comment le déni est engagé dans un


processus dynamique coutumier et banal. Temporaire et réversible, il fait partie
des conditions du rêve et il est réclamé, en tant que besoin de dormir, par la
nécessité de rêver. Durant la vie vigile, il se réalise par des mises en latence, anti-
cipatrices du sommeil, et rend possible le travail de rêve qui soutient en retour
ce déni inaugural pendant le temps de la nuit grâce à ses productions relevant
du perceptif.
Mais l’appel à se réveiller prouve que la réalité interne, qui fut l’objet des
mises en latence soutenues par le déni, exige d’être prise en compte grâce à une
réouverture aux perceptions et un retour à l’objectalité. Une honte inconsciente
est sécrétée par la tendance à se maintenir dans la régression du sommeil, elle
appelle le réveil. Ce dernier est renversé à son tour par la culpabilité inconsciente
produite par la désexualisation diurne (D. Braunschweig). L’oscillation, abordée
par Freud pour la seule culpabilité dans Totem et tabou, est celle de la nuit, le
jour. Elle peut se concevoir comme un balancier entre ces deux affects typiques.
Leur appréhension exige de les articuler à la douleur inconsciente de fonctionne-
1400 Bernard Chervet

ment. Celle-ci est le lieu d’un conflit entre une quête honteuse visant l’objet de la
pulsion et un renoncement coupable, producteur de l’objet perdu. Ces affects
inconscients sont les marqueurs cliniques de séance du procès de l’après-coup.

Parole d’incidence et écoute régrédiente

Pour l’analyste, l’occurrence la plus ordinaire de l’après-coup est l’associa-


tion libre et ses incidences, ces pensées qui tombent et créent l’effet de surprise sur
l’écran de la conscience du couple analysant-analyste. Mieux que l’associativité,
c’est la parole d’incidence qui constitue l’activité psychique régressive de la passi-
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vité spécifique des séances. L’expression « coq-à-l’âne » met en avant la sexuali-
sation du verbe, en faisant appel à des membres significatifs du bestiaire. Mais
un refusement de cette sexualisation est soutenu par la contrainte à maintenir
l’investissement du langage. Cet impératif est inscrit au fronton de la cure par la
règle fondamentale.
La libre association et l’attention en égal suspens promeuvent le travail
d’incidence dans la parole et dans l’écoute. L’incidence se révèle être aussi un
objet Moi - non-Moi de séance en tant que sang-mêlé appartenant à l’analysant
et à l’analyste.
Tout comme le sommeil est nécessaire au rêve, la délégation du pôle pro-
cessuel à l’analyste est nécessaire à la régression d’incidence. Un système de
séance se met en place, en conflit et en complémentarité avec les fonctionne-
ments individuels de chaque protagoniste, l’animisme à deux consistant en une
répartition distributive des deux pôles processuels, le pôle régressif de l’inci-
dence et le pôle accompli du jugement de sens. Ces répartitions de fonctions
dans la situation analytique vont infléchir la production du discours de séance
et l’ensemble du déroulement de la cure.
Comme exemples d’après-coups de séance, nous pourrions prendre n’im-
porte quelle séance, une seule ou une séquence, une période d’analyse, son inté-
gralité, mais aussi la pensée de l’analyste se servant de plusieurs patients (cf. le
1er chapitre). L’après-coup s’y repère dans toutes les occurrences. Il apparaît
selon divers tempos et vitesses de réalisation. Fulgurants parfois, hésitants,
voire lénifiants à autres.
La règle fondamentale dessine les adjacences de la scène de la séance en
s’opposant à leur attraction. Elle soutient un contre envers la régression senso-
rielle, la régression formelle onirique, la régression à une désexualisation idéa-
lisée. La séance est bornée et bordée des scènes sexuelles, oniriques, sociales,
sublimatoires. Chacune est présente dans la séance sous la forme d’un discours
les concernant et sous celle d’une attraction à sortir transgressivement de la
régression d’incidence spécifique des séances.
L’après-coup 1401

La clinique de séance est constituée du côté de l’analysant par la série récit


de rêve - libre association - parole d’incidence, qui agit le transfert. S’y présen-
tent plusieurs après-coups imbriqués rendant compte des narcissismes primaires
et secondaires. Le rêve est connu en séance, en tant qu’après-coup, par son
récit. Le travail de rêve est à situer dans le temps d’élaboration psychique repré-
senté par le trait-d’union du terme « après-coup ». Du récit du rêve est née la
libre association, bien avant la psychanalyse, en tant que tendance du rêve à se
terminer de jour en utilisant une oreille complaisante et une interprétation au
service du refoulement et de l’amnésie de réveil. La psychanalyse est l’héritière
des oniromancies et clés des songes.
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L’en-deux-temps et la répétition

Dès qu’un traitement analytique dure, analyste et analysant sont aux prises
avec la répétition et la compulsion. Une façon de les éviter est de le raccourcir,
d’introduire une mise en acte du type scansion ou changement de protocole.
Toutes réalisent une fracture là où le patient a maille à partir avec la mise en
place interne de l’en-deux-temps.
Celui-ci est au principe de la régularité discontinue des séances. Les rup-
tures cherchent à imposer du dehors ce qui manque au-dedans, à fabriquer un
avant et un après dans l’espoir qu’ils servent d’étayage à la création du passé,
acte définissant et relevant du Surmoi.
Les analyses entrecoupées, « en tranches », sont une façon d’inscrire par
leur tempo séquentiel cette dynamique de l’après-coup. Une telle interruption
volontaire d’analyse, Freud l’a agie avec l’Homme aux loups qui fut le premier
à confronter les analystes à la clinique des tranches.
Le maniement technique de tels actes de rupture est particulièrement déli-
cat. L’arbitraire et les justifications théoriques les prolongent. Agir ainsi, c’est
refuser à l’analytique une part notable de la clinique, c’est ne pas laisser aux
procès psychiques le temps de s’installer grâce à leur principal outil, la répéti-
tion, celle que Freud a repérée positivement à l’œuvre, dans le jeu des enfants.
La théorie de la séance se réfère donc tout autant à la doctrine du rêve du
fait de la production des incidences, qu’à celle du jeu du fait de l’usage de la
répétition en tant que moyen de la méthode.
Le jeu associatif n’est pas enchâssé dans le sommeil et il utilise le langage
comme support de la répétition. Celle-ci cherche à installer les procès psychi-
ques, même quand elle répète leurs vicissitudes. De ce double point de vue, il est
l’équivalent du jeu des enfants. Le couple langage-analyste y tient lieu de
bobine.
1402 Bernard Chervet

Surdétermination et topiques éclatées

La clinique est la grève sur laquelle viennent mourir tous les schématismes
théoriques. À l’écoute, elle apparaît plurielle et éclatée. Les expressions de fonc-
tionnements éclatés et de topiques éclatées reprennent à leur compte la conden-
sation propre à celle de surdétermination et la complètent de celle d’amalgames
réalisés à partir de fonctionnements incompatibles.
C’est par le fétichisme, en tant que prototype des constructions des néo-
réalités, et par le mécanisme du clivage du moi que Freud reconnaît la co-
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existence clinique de telles incompatibilités. Il s’agit d’amalgamer des fonction-
nements relevant du déni et de la reconnaissance de la castration, et de
dissimuler les clivages.
Dès lors peuvent être masquées des logiques œdipiennes par un tableau
manifeste ne l’étant pas, ou peut être arboré un tableau œdipien dans le but de
dissimuler des fonctionnements basés sur une élimination de la dynamique œdi-
pienne. Un après-coup peut en cacher un autre. Une gageure pour les analystes,
dont les interprétations sont dorénavant à même d’être pertinentes du point de
vue d’une logique, et au service du refoulement d’une autre logique, solidaires
ainsi d’un déni de réalité.

Déterminisme et réminiscence : la mémoire processuelle

En 1937, Freud propose une théorie généralisée de la réminiscence


regroupant tous les tableaux cliniques. Les retours, les résurgences et émer-
gences se font, non plus comme Freud l’a cru avant 1920, du fait d’une pro-
pension spontanée à venir à la conscience, mais sous l’impact de la nécessité
de traiter la régressivité traumatique. Un contre-appel antitraumatique
convoque des matériaux mnésiques différenciés à partir des traces percep-
tives. Vont y participer les contenus mais aussi les opérations psychiques
jusque-là non disponibles. Existe donc une mémoire processuelle, sans
contenu, une mémoire des opérations de pensée et des conditions et aléas
de leur émergence. C’est elle que Freud puis Ferenczi font relever de la
phylogenèse.
La réminiscence élémentaire et universelle est celle de la réalité de la régres-
sivité et de tous les moyens dont dispose la psyché pour y répondre, en particu-
lier les opérations psychiques elles-mêmes. Pour devenir efficiente, celles-ci vont
se transposer sur des scènes externes successives (les scènes I et II) qui vont
fournir des traces. Ces scènes sont ainsi surdéterminées.
L’après-coup 1403

Dans quelles conditions se fait le créer-trouver de telles scènes aptes à être


cooptées ? Quel contexte est favorable à ce double transport, la transposition de
l’ancien sur le nouveau, et la cooptation du nouveau vers l’ancien ?
C’est, bien sûr, la scène transférentielle qui sollicite ce double transport éla-
boratif avec la répétition des solutions anciennes et le recours à d’autres nouvel-
lement sollicitées, jusqu’à ce que le meurtre « in presentia » portant sur la régres-
sivité pulsionnelle et ayant fonction de la réduire puisse avoir lieu.
Par l’interprétation, l’implication de l’analyste en tant que support identifi-
catoire disposant de l’opération meurtre est patente. Il est impliqué dans la
reprise de la dynamique de l’après-coup. Mais la transposition de cette opéra-
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tion de meurtre sur l’objet support du transfert revient in fine au patient. L’ana-
lyste se propose, le patient en dispose. Cette transposition crée la fausse liaison
transitoire du meurtre de l’objet. L’ambivalence à réaliser sur la pulsion cette
opération fondatrice l’oriente dans un premier temps vers l’objet. La
dynamique œdipienne en découle.

La réminiscence d’une opération psychique en souffrance :


une phobie scolaire

C. est un petit garçon de 7 ans. Je le reçois avec sa mère et son beau-père. Il


ne va plus à l’école depuis plus de six mois suite à des crises de panique ayant
lieu chaque dimanche après-midi et chaque veille de retour en classe. Même
accompagné, son angoisse ne cède pas. Il suit une scolarité par correspondance.
Il a perdu son père à l’âge de 5 ans, accidentellement. Sa mère vit à nou-
veau en couple. C. est enfant unique.
Après les avoir laissés parler spontanément, j’oriente les parents sur leurs
deuils respectifs, voulant que C. entende leurs rapports intimes à la douleur
morale.
L’importance de l’angoisse paralysante, l’implication d’un trauma tangible,
la disposition transférentielle perceptible durant le premier entretien et le souci
des parents sont en faveur d’une potentielle reprise par C. de sa croissance.
Il s’engage immédiatement dans un discours verbal. Pendant plus d’un an et
demi, il me parle à bâtons rompus de thèmes répétitifs : jeux vidéo, provider, télé-
phone mobile, forfaits, opérateurs, ainsi que trains et locomotives. Il est abonné
à La vie du rail ! Il prend le TGV, seul ou accompagné, pour aller dans sa famille
grand-paternelle, l’un des seuls lieux où il se sente bien. Il y retrouve oncles, tan-
tes, cousines. Il n’évoque jamais ses difficultés scolaires, ni l’accident de son père.
Je l’invite de temps à autre à parler de ce qu’il ressent et souligne son silence sur
ses copains, sa scolarité, ses souvenirs. Il semble ne guère prêter attention à mes
remarques. Toutefois, il me signale qu’il faudra bien qu’un jour il me parle.
1404 Bernard Chervet

Lors d’une séance, il évoque son travail scolaire, regrette le temps où il


allait en classe avec ses copains et associe immédiatement sur sa mère toujours
inquiète de ce qu’il va devenir. Je perçois une crainte coupable envers elle. Lassé
de toute cette répétition, tel le lion qui ne bondit qu’une fois, je lui dis : « Si tu
retournes à l’école et te mets à travailler, tu vas faire à ta mère ce que tu as déjà
fait à ton père, la tuer. » Il s’immobilise puis se révolte. Il me dit en colère et
avec chaleur qu’il ne comprend rien à ce que je lui dis, que les psys disent n’im-
porte quoi ; qu’il n’a vraiment rien compris, que je devrais lui expliquer, et il
essaie de répéter ma phrase sans y parvenir. Il continue, courroucé, en me
disant qu’il faut que je sois complètement dingue pour dire des choses pareilles.
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Pendant plusieurs séances, il reprend ses thèmes répétitifs. Il se méfie,
évoque la séance où j’ai dit des « trucs » qu’il n’a pas compris, me surveille,
craint et attend une nouvelle intervention de ma part.
Il en a parlé à sa mère. Celle-ci lui a dit que j’ai sûrement voulu parler de ce
qu’il pensait, de ce qui se passait en lui. Il se demande s’il va continuer à venir
ici pour entendre des choses aussi dingues.
Pendant de longs mois, il n’en parle plus. Il reprend ses thèmes répétitifs et
je me lasse à nouveau. Je devine incidemment qu’il est en train de réintégrer le
circuit scolaire à temps partiel et que, l’année suivante, il est prévu qu’il
reprenne à temps complet.
Il commence à me raconter, de-ci de-là, ses anciennes crises de panique,
précise qu’il s’angoisse encore, se réveille parfois la nuit, « mais c’est suppor-
table, et quand je suis à l’école je suis content ».
De temps en temps, il me jette un regard, me toise et me dit : « Bon, vous
n’allez pas recommencer à dire n’importe quoi, comme l’autre fois », « C’est
bien des trucs de psy, ça », « Mais où allez-vous chercher des trucs pareils ? »
De temps en temps : « Il faudra bien un jour que je vous parle. »
Nous nous rencontrons depuis environ trois ans, il s’assied et me dit :
« Bon, il faut que je vous parle. » Il me décrit alors en détail la mort de son père.
Sa sortie d’école, sa grand-mère qui l’attend de façon inhabituelle, l’annonce de
l’accident, le téléphone, les appels de sa mère, sa mère absente, les allers-retours
à l’hôpital, son père dans le coma.
Puis le prêt, par le frère de sa mère, d’une grosse moto ; l’essai, 200 km/h ;
puis l’endroit précis, en pleine ville, l’accident, le bord du trottoir, une 2 CV
jaune, les multiples fractures, son père à l’hôpital, le coma, la morgue.
S’égrènent ainsi tous les substituts répétitifs des séances : téléphone, dépla-
cements, jeux vidéo de courses, d’avion, de camion, surtout de train, la grande
vitesse, ainsi que le lien école-mort du père. Tous sont engagés dans son récit de
la scène où il a appris l’accident puis la mort de son père. La fixation au trau-
matisme est patente. Pendant plusieurs séances, il me décrit tous les détails
L’après-coup 1405

racontés par sa mère : l’accident, l’enterrement, les bougies, la dame au man-


teau jaune (comme la 2 CV), les gens derrière l’église qui s’amusent, le
cimetière, etc.
Une confidence : « Je n’ai jamais pu y retourner, même avec ma mère. » Sa
phobie du cimetière, sa phobie scolaire.
Quelques mois plus tard, il m’explique qu’après la mort de son père il avait
peur de sa mère, il ne supportait pas qu’elle s’approche de lui, qu’elle le touche.
Puis il se souvient d’un rêve répétitif de cette époque : « Je suis sur un terrain,
un chantier, avec des machines partout. Ma mère essaie de m’attraper ; elle me
court après ; je me sauve, je cours, je cours, je cours. J’arrive dans un virage, il y
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a un mur, je glisse et je m’écrase contre le mur. » De lui-même, il associe sponta-
nément le mur à la 2 CV et au trottoir.
Six mois plus tard, il réintègre sa classe à temps complet.
La dilution de sa fixation phobique est évidente. Il peut aller à l’école sans
trop s’angoisser et, à l’opposé, ressentir dans la famille de son père, des peurs.
Progressivement, elle s’actualise en séance. Face à mon silence et à certains
lâchages d’attention, soit par distraction soit par réflexion, il sursaute et me
demande pourquoi je le regarde comme cela, qui je regarde. Il se retourne vive-
ment, vérifie derrière son fauteuil, puis transforme son inquiétude en ludisme.
Un récit d’une scène clé : jouant avec ses cousines dans les arènes de la ville
où demeure sa famille paternelle, ils se font interpeller par quelques garne-
ments. Devant la provocation à se battre, il s’angoisse. « J’ai eu peur de leur
vengeance », me dit-il en pleine irrationalité ; un retour vengeur, de son père ?
Son activité onirique redevient officielle. Il me raconte des rêves dans les-
quels il est question de meurtres, d’accidents, où il tombe et se dit qu’il est mort,
que c’est ça d’être mort.
Dans l’un d’eux, un père lui demande de tuer son enfant. Il revit ce rêve en
séance, de façon quasi hallucinatoire, faisant le geste de saisir l’enfant par le cou.
Son père, bien que portant un casque, a eu une fracture des vertèbres cervicales.
Il me dit, sous la forme d’une dénégation : « Ne venez pas me dire qu’il s’agit de
mon père. » Je lui signale qu’il lui est désormais possible d’y penser, et je lui
interprète son rêve : il faut donc tuer l’enfant qui se met à penser à la mort de son
père. Attentif : « J’essaie de comprendre comment vous pensez. » Puis : « Ma
mère m’a dit de vous parler de mes rêves quand je lui ai dit que j’aimerais bien
savoir où ils pourraient me mener. » Sur le pas de la porte : « Qu’est-ce que j’ai
bien fait de venir aujourd’hui, hou la la ; bon, on continuera la prochaine fois. »
Un écart dans la similarité apparaît entre ces séances séparées de deux
années. Elles ont valeur de scènes II et I au sein de la thérapie. Dans chacune se
retrouvent le meurtre, le détour par la mère, le transfert d’interpellation. Ce der-
nier est un surinvestissement antitraumatique de l’objet présent. Le soutien d’un
1406 Bernard Chervet

travail de censure s’objective par « faire parler » la mère. L’opération meurtre


suit une progression. Dans la première scène, elle est agie dans l’immobilisation
et verbalisée par l’analyste, dans le but de s’attaquer au déni. Dans la seconde,
cette opération est active dans le travail de rêve, présente en tant que contenu,
associée par un lieu de mise à mort, l’arène, reliée au père par une dénégation,
formulée comme interprétation de la culpabilité.
Ces séances sont des après-coups de la régressivité immobilisée depuis des
années. Elles sont habitées par la réactualisation des mouvements meurtriers
paralysés à l’égard du père. L’appropriation de l’opération meurtrière passe par
la réaction haineuse, la rencontre évocatrice avec un cherché-trouvé fortuit, le
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travail de rêve dissimulateur, la dénégation, l’interprétation.
L’en-deux-temps a permis la libération de cette opération meurtre et son
intégration au service des procès psychiques. La fonction de l’interprétation se
dessine. Elle a valeur de coup en contrecoup de la régressivité traumatique
intensément éveillée par le décès du père. Elle réalise un ébranlement du déni de
la temporalité. Par sa violence, elle a brisé l’amalgame meurtre-régressivité, tout
en formulant l’opération nécessaire au traitement de celle-ci.
Se crée ainsi un espace transitionnel, un après-coup analytique présent
en chaque séance, au sein de séquences et de l’ensemble de la cure. Le contre-
transfert de précession de chaque analyste y est impliqué selon diverses moda-
lités mêlées – émotionnelles, figuratives, théoriques.
Il fallut à C. un long temps de latence, afin qu’il puisse faire, d’un autre évé-
nement évoquant la question du meurtre, une autre scène ressentie de façon
traumatique mais favorable à la reprise de la première, bien plus traumatique.
Où est perceptible la double connexion entre les deux scènes rendue possible par
les séances : la plus récente, celle des arènes, a réveillé l’ancienne, celle de l’acci-
dent. Mais l’ancienne a trouvé et coopté la récente afin de poursuivre son élabo-
ration en souffrance. L’analogie entre les deux scènes signe le passage du régime
économique de la régressivité à celui du principe de plaisir. Cette fonction définit
très précisément le procès de l’après-coup et est initialisée par l’interprétation.
En début de traitement, les après-coups de séance se réduisent à des rémi-
niscences sans effet thérapeutique. Après l’interprétation apparaissent les remé-
morations détaillées comme dans un procès de deuil. S’actualisent, en souve-
nirs, en hallucinations et en actes, les solutions antitraumatiques conçues après
l’accident, en particulier sa phobie de sa mère, basée sur la théorie selon laquelle
elle est responsable, par son frère, de la disparition du père : une moto, une
sœur, une 2 CV jaune, une dame en jaune ; voilà à cause de quoi, de qui, mon
père est parti.
Les vicissitudes du devenir de ce garçon sont loin d’être terminées. Il faudra
des détours, des arrêts et reprises de son traitement pour qu’il puisse s’intéresser
L’après-coup 1407

à la personnalité de son père – « tête brûlée », « casse-cou » – et passer au-delà


de l’événement accident, renoncer à en faire un écran, et s’intéresser aux événe-
ments de sa mentalisation. Il ne peut toujours pas aller au cimetière. Pour tra-
vailler, il lui faut ne pas être seul, surtout dans la maison où il est né. Ses choix
d’objet de jeune homme restent hésitants, marqués de sa tentative de maintenir
une relation à un père en vie.

LA FRACTALITÉ DE L’APRÈS-COUP ET L’ÉROGÉNÉITÉ


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L’en-deux-temps et le facteur physiologique

Après avoir cessé d’utiliser Nachträglichkeit, Freud recourt à d’autres


expressions, en particulier l’en-deux-temps. L’instauration en deux temps, le
caractère en deux temps sont déclarés « la condition biologique de la disposition
à la névrose ». Freud se réfère d’abord à la formation des symptômes puis à la
sexualité humaine. L’après-coup accède alors à l’universalité. Il est le procès
même de la sexualité humaine et celui qui préside à son installation, à l’avène-
ment de l’érogénéité.
Freud met ainsi en relief la contrainte physiologique des procès psychiques
dont le sujet cherche à se libérer par le facteur fantasmatique offrant un senti-
ment de liberté. Le déplaisir lié au principe de réalité promu par le facteur phy-
siologique en tant que butée au principe de plaisir se trouve ainsi atténué. Il est
déplacé sur le facteur historique et sur son impact d’aliénation. Le facteur phy-
siologique reste ainsi méconnu. Une tension dialectique apparaît entre ces trois
facteurs et avec l’aléatoire du hasard.
Cela explique pourquoi Freud, dans « Au-delà du principe de plaisir »,
s’est appuyé sur des données biologiques pour élaborer la troisième qualité de la
pulsion, sa régressivité extinctive, et l’existence d’opérations psychiques consti-
tuant la processualité. L’élaboration métapsychologique des réalités inconscien-
tes exige le détour par une transposition sur un matériau externe adéquat.
Freud formule clairement cette loi psychique en 1922. La transposition acquiert
sa fonction de mécanisme indispensable au devenir conscient : « Ce qui prove-
nant de l’intérieur veut devenir conscient doit tenter de se transposer en percep-
tions externes » ( « Le Moi et le Ça » ). Après avoir permis une première
connaissance par méconnaissance métaphorique et déformation, elle participe,
dans un second temps, à l’accès à la connaissance par reconnaissance.
Ce détour de transposition introduit l’historicité, les paramètres des sup-
ports de transposition, l’aléatoire et le champ fantasmatique. Le procès de
1408 Bernard Chervet

l’après-coup, déterminé par la physiologie des opérations psychiques, n’aboutit


à une efficience que par ce cheminement, ce détour par l’autre de la processualité.
L’infantile du sexuel de 1900-1905 exprime le facteur fantasmatique, le nar-
cissisme de 1914 le point de vue historique, et le processuel de 1920-1923 le
point de vue physiologique.
De nombreux travaux psychanalytiques privilégient le facteur historique
avec l’espoir de s’en libérer. En revanche, le réel rebute et le fantasme distrait.
Cette mise à l’écart de la contrainte du principe de réalité se retrouve aussi dans
le privilège accordé au processus-Proceß d’un déroulement temporel, aux
dépens du processus-Vorgang des opérations psychiques. Le jeu de traduction
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de l’allemand vers le français s’avère favorable à la dissimulation des lois con-
traignantes. Proceß participe du principe de plaisir, contrairement à Vorgang.
Ce déplaisir amène à taxer la prise en compte du facteur physiologique de
réification, ce qui contient une part de vérité quand les trois facteurs ne sont pas
articulés. Le transitionnel, au contraire, les réunit. La notion de première posses-
sion Moi - non-Moi rejoint celle de transposition, de pré-conscient et de sang-
mêlé.
Quand Freud aborde la physiologie de l’angoisse (en 1925, dans Inhibition,
symptôme et angoisse), il définit l’affect comme un symbole mnésique d’expé-
riences anciennes. Il envisage alors que les opérations physiologiques basales
sont acquises phylogénétiquement. Le symbole d’affect traduit la nécessité bio-
logique de traiter les menaces internes en les transposant sur des situations de
danger. L’expression angoisse de castration hérite de cette démarche.
La transposition précoce pose le problème du refoulement originaire. Celui-
ci dépend d’un facteur physiologique, le pare-stimulus, étayé sur et par la ren-
contre avec un entourage porteur de procès psychiques organisés eux-mêmes
par un tel refoulement. L’identification première est une identification au
modèle d’un fonctionnement mental.
L’existence du refoulement originaire impose d’intégrer à la théorie un
impératif tout aussi originaire impliqué dans la différenciation des toutes pre-
mières opérations psychiques, et articulé au pare-stimulus. L’impératif et le
pare-stimulus combinent un déni des perceptions externes avec l’exercice d’opé-
rations primordiales permettant la genèse et la captation dans le Ça des motions
pulsionnelles. Cela sous-entend une transposition précocissime des tendances et
processus primordiaux sur des perceptions externes et matériaux internes, les
traces perceptives, ayant les mêmes qualités de consistance que les perceptions.
Cette transposition dès le début s’oppose à la régressivité extinctive qui devient
le premier refoulé.
Se dessine une fonction pour les traces et le traçage, et un modèle de fonc-
tionnement psychique articulant le réel du somatique à celui de la réalité
L’après-coup 1409

externe et des traces. Il est composé de quatre facteurs : la contrainte de la


régressivité extinctive, l’impératif processuel, le procès des opérations élémen-
taires et la visée de résolution libératrice. Ce modèle est celui de l’après-coup. Il
est similaire à tous les niveaux de la processualité, ponctuelle ou globale, régres-
sive ou accomplie ; d’où son caractère fractal.

Qu’appelons-nous castration en psychanalyse ?


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La question de la castration et du traumatique se trouve totalement renou-
velée en 1920 par le troisième apport de Freud à sa théorie des pulsions. Cela
nous oblige à préciser sa significativité du point de vue métapsychologique et à
réviser son identité de menace et punition.
La nouvelle conception du traumatique, en tant que qualité intrapulsion-
nelle, rend intelligible l’en-deux-temps du travail psychique de l’après-coup et
son oscillation régrédience-progrédience. La transposition de la régressivité
extinctive sur la perception externe de la castration confère à celle-ci dans un
premier temps sa qualité traumatique ; puis la capacité de dénier cette percep-
tion permet de traiter de façon endopsychique, dans un second temps, la
régressivité extinctive.
La notion de complexe de castration, entité totalement élaborée par Freud,
condense des éléments aussi divers qu’un fantasme, donc une réalisation de
désir, une angoisse, donc un message de menace impliquant un élément négati-
vant, une théorie, donc une interprétation explicative, une perception, donc un
réel ayant valeur traumatique.
Les castration-fantasme, castration-angoisse, castration-causalité, castration-
réalité constituent la constellation typique du complexe de castration.
J’ajoute à ces identités celle de support de transposition de la régressivité
extinctive de toute pulsion. Elle a pour particularité de n’offrir aucune
matérialité.
Cette typicité a pour effet que la castration est présente dans de nombreux
mythes liée à la valeur fondatrice de l’acte telle qu’énoncée dans la Bible1,
reprise par Goethe2 puis Freud. Les diverses Genèses impliquent un acte de
tranchement d’un état originaire de complétude. Cet acte vise l’ensemble des
organes génitaux masculins et se renverse fréquemment en acte de générativité
au nom du déni de toute perte propre au mythe. Celui-ci postule en effet un état

1. « Au commencement était le Verbe » ou « Au principe était la parole » (Jean 1, 1).


2. Goethe (1808), Faust I : « Au commencement était l’action ».
1410 Bernard Chervet

narcissique primordial auquel il serait possible de revenir par le biais d’un tel
retranchement.
Cette logique se prolonge dans l’étymologie du mot « sexe ». Secare et
sexion associent les signifiés de la coupure et de la jouissance. La butée finale de
l’orgasme se boucle sur la coupure inaugurale du mythe. Le sentiment d’un
manque à jouir est expliqué par le mythe et compensé par la générativité. Par les
mots est donc transmis le message selon lequel la sexualité contient quelque
chose qui la coupe. Le passage à coupable est d’autant plus aisé qu’il réalise le
désir d’une sexualité échappant à toute coupure. La méconnaissance du fait que
la pulsion contient ce qui travaille à sa propre disparition est ainsi soutenue. La
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réalité de la négativation transmise par le langage (la petite mort) est alors
repoussée par une idéalisation de la sexualité.
Pour échapper à cette épreuve de réalité et soutenir une telle idéalisation,
il convient soit de suspendre toute sexualité terrestre, soit de la compléter de
toutes sortes d’adjuvants préparant les réveils douloureux des lendemains qui
déchantent, soit d’orienter son destin vers la seule procréation.
Freud n’a pas échappé à ce mythe d’un état originaire narcissique absolu.
En 1915, il projette d’écrire une métapsychologie synthétique centrée sur une
topique ternaire solipsiste. La régression est alors dominée par l’aspiration à
retrouver l’état narcissique fœtal. Il rectifie presque aussitôt sa position puis la
récuse par son étude de la mélancolie. En 1919, il fait du refoulement une
névrose traumatique élémentaire et réintroduit dans sa topique ternaire non plus
la visée d’une unité, mais un conflit, celui de la dualité pulsionnelle. L’après-
coup retrouve sa source traumatique, cette fois en la régressivité extinctive des
pulsions transposée sur la castration des organes génitaux et sur tous ses
substituts.
L’usage psychanalytique du terme de « castration » se distingue ainsi de
tout autre. Les castrations animalières, médicales, anthropologiques offrent des
déplacements à celle du complexe de castration portant sur le désir.
Pour l’inconscient, la castration n’existe pas, elle a les valeurs du dispa-
raître. Le manque propre à toute différence peut donc être utilisée par la dyna-
mique de l’hallucination négative. Le complexe se porte sur le pénis du fait que
la représentation de chose-pénis est le représentant par excellence de toutes les
autres représentations de chose et des investissements libidinaux, sexuels, nar-
cissiques, objectaux, donc de tout désir. Il est, dans l’ordre du sexuel d’organe,
le lieu visible et représentable de sensations ne pouvant subir de désexualisation
achevée. C’est ce que Freud pressent quand il affirme que la libido est d’essence
masculine, formule dont se sont emparés les mouvements féministes et les
reproches bâtis sur un je sais bien mais quand même. Ces résistances refusent la
démarche d’abstraction consistant à concevoir le pénis comme la partie réelle
L’après-coup 1411

du corps élue de façon privilégiée en tant que support de transposition de


l’émergence des investissements. Le support est pris par ces résistances pour la
motion elle-même. Le pénis est tout à la fois un organe de conversion de cette
émergence et le vu représentable sur lequel se transpose l’effectivité de cette der-
nière ; l’érection comme preuve. Cette double fonction lui confère une sensibi-
lité différente des autres parties du corps, plus ouverte sur la régression senso-
rielle, car plus marquée de régressivité. De ce fait, son disparaître lui ouvre les
voies de la jouissance et de l’idéalisation suprêmes.
La castration-fantasme est pleine de l’espoir schrebérien de pouvoir
atteindre une jouissance idéale, infinie, celle prêtée au sexe féminin, et aussi, par
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la voie désexualisée, un amour idéal, déique ; espoir d’être le lieu narcissique
auto-érotique d’une jouissance infinie et d’une générativité de démiurge. Ces
veines de l’idéalité sont envisagées réalisables par le retranchement du pénis. La
castration acquiert une valeur mystique (Abélard et Éloïse).
La castration-angoisse conjugue une sensation de menace, de danger immi-
nent sans objet défini, un message et un signal. Elle apparaît en tant que visée
de la menace et est désignée comme la conséquence d’un mésusage, d’une trans-
gression, d’une aliénation, d’un pacte démoniaque travaillant à la perte de celui
qu’il hante, d’une compulsion qui de répétition se fait compulsion de réduction.
La castration-angoisse participe à un avertissement et un appel à modifier une
orientation néfaste de l’activité psychique.
La castration-causalité est celle de toutes les théories sexuelles infantiles.
Celles-ci interprètent l’absence de pénis sur le bas-ventre féminin comme une
castration, une conséquence d’un acte précis. Elle est intégrée dans une concep-
tion qui la dénie en tant que réalité en soi. Les théories sexuelles infantiles nour-
rissent l’espoir d’échapper à ce destin. Il suffit d’éviter la cause pour ne pas subir
les effets. Dans ces théories, la castration, cause de la théorisation, devient
conséquence.
La castration-réalité apparaît dans l’irréductibilité de sa valeur de réel trau-
matique perceptible. Elle redevient cause. Il convient de lui appliquer les logi-
ques phobiques, de l’éviter et de s’en protéger par des mesures préservatrices,
conjuratoires. Elle est l’objet du retrait d’investissement définissant le déni,
mécanisme puisant ses origines dans le pare-stimulus originaire tourné vers l’ex-
térieur, actif lors de l’endormissement. De façon plus banale, ce retrait consiste
en une mise en latence des matériaux entrant en connexion avec la castration-
réalité et qui seront l’objet du travail de rêve.
Cette valeur traumatique est vraiment accessible par les effets que la per-
ception de la castration a sur le fonctionnement mental, par la contrainte exi-
geant le déroulement d’un travail psychique, et par les avatars symptomatiques
de celui-ci, les indices de castration. Les réalités morbides sont des modalités
1412 Bernard Chervet

d’inscription de la castration au sein du travail psychique et des tentatives de


reprise du travail selon des modes évitant l’irréversibilité. Elles essaient de la
soumettre au principe de plaisir en l’intégrant dans le champ du réversible. Mal-
heureusement existent toutes sortes d’amputations venant réaffirmer la caté-
gorie de l’irréversible.

La castration déjà-là et la régressivité pulsionnelle

Le complexe de castration s’oppose à l’avènement du sujet désirant et


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limite les effets de désorganisation liés à l’attraction de la régressivité extinctive.
Au mieux, ce conflit se solde par la régression aux auto-érotismes. Cette solu-
tion est celle du désinvestissement de l’endormissement au profit du pôle régres-
sif hallucinatoire avec pour finalité une régénération libidinale réorientée vers
une objectalité de réveil.
Ce phénomène en deux temps s’inscrit dans le cycle nycthéméral et dans
l’oscillation nuit-jour de l’activité mentale non plus en termes de complexe mais
en termes de procès assurant le traitement de la dimension traumatique interne
à la psyché.
La corrélation du complexe de castration avec les phobies banales de l’en-
fance rend compte des enjeux conflictuels du complexe d’Œdipe occupant ce
procès. Le message de menace de castration a pour fonction d’empêcher les
régressions transgressives, les resexualisations des narcissismes primaire et
secondaire (inceste). Il ne s’oppose pas à la régression, mais soutient le travail
de régrédience qui permet de côtoyer la régressivité pulsionnelle tout en la
maintenant contre-investie. Cette tâche éthique incombe au Surmoi, à la cen-
sure du rêve et au pare-excitation.
Dans le champ de l’objectalité, cette conflictualité s’exprime par l’oscilla-
tion objectalité infantile - objectalité mature. C’est l’impératif d’endeuillement
et de résolution, donc le futur Surmoi qui en est l’objet.
Au niveau du narcissisme, le complexe de castration se traduit par les
angoisses de perte et de séparation propres aux relations d’objet narcissiques. La
clinique est alors celle des inhibitions dépressives, des dépressions d’infériorité,
des troubles du caractère et de la tonicité, etc. Les enjeux conflictuels de la cas-
tration sont encore perceptibles au niveau de la libidogenèse par ses vicissitudes.
Apparaissent les défauts de dynamisme et de vitalité psychique, les diverses qua-
lités libidinales. Se dessine une conception généralisée de la castration avec, pour
conflit central, celui entre les logiques du déni et celles de la résolution.
Toutes les activités psychiques régressives normales, dont le prototype est
le travail de rêve, s’amorcent par une mise en latence de l’impératif de résolu-
L’après-coup 1413

tion, d’où un réinvestissement d’un fonctionnement régressif délié, en contact


avec le processus primaire et par celui-ci avec la régressivité. Cette régression
côtoie la resexualisation potentielle du narcissisme ; d’où une phobie fréquente
en séance quant à se laisser aller à laisser venir.
Le complexe d’Œdipe articule cette élimination de l’impératif (meurtre du
père) et cette resexualisation du narcissisme (inceste). La castration devient la
conséquence de la liquidation de l’impératif et de la resexualisation du narcis-
sisme. Elle dit la perte et la butée.
Dans le meilleur des cas, le Surmoi mis en latence régresse à l’état de
censure qui assure le travail à réaliser. L’éveil de la dimension traumatique
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exige parfois la régression au pare-excitation. La qualité des liens entre pare-
excitation, censure et Surmoi sont essentiels. Ils s’expriment par la clinique de
l’après-coup. Quand ces liens se défont, le procès de l’après-coup se désorganise
en coup sur coup et en à-coups répétitifs.
Le complexe de castration articule une menace ayant valeur de limitation
et d’exigence de travail, un fantasme permettant un degré de réalisation halluci-
natoire de désir et une causalité correspondant à une transgression des lois
psychiques.
L’interdit et la transgression révèlent les lois biologiques du fonctionne-
ment de l’appareil psychique, transposées dans l’organisation de toute éduca-
tion et transmises par les personnes supports de ces transpositions, en tant que
messages de prudence et de croissance. Les enjeux de transgression se traduisent
par les théories sexuelles infantiles, mais l’interdit lui-même est issu de la téléo-
logie de la matière psychique dont la transgression a pour conséquence
l’éprouvé et la formulation de tels interdits.
Cette transgression porte sur les rapports des instances tels que formulés
par les expressions des fantasmes originaires ; celui de séduction, de l’enfant par
l’adulte, du Moi par le Ça ; celui de scène primitive, l’enfant-rejeton redevenant
un Ça pulsionnel des parents. Le troisième fantasme originaire énonce les
conséquences néfastes des deux premiers, présente la solution d’une perte d’une
partie pour sauver le reste et s’oppose à l’attraction négativante. Ce fantasme,
en désignant le père comme auteur de la castration, le restitue en tant que sup-
port du Surmoi. Il exprime un appel au père et une butée.
L’apport de 1920 éclaire une dimension présente au sein des identifications,
la dimension défective. Ce terme souligne le fait que les identifications peuvent
œuvrer aux défaites de la mentalisation. Elles imposent une castration déjà là.
Le sujet se trouve, dès lors que le déni qui les occupe vacille, aux prises directes
avec une réduction de ses fonctions mentales, avec une mise en acte d’une cas-
tration se réalisant au sein de sa psyché, sur son économie, sa dynamique, son
organisation topique, sur son champ d’investissement.
1414 Bernard Chervet

De telles identifications défectives sont à l’œuvre dans le contre-Œdipe


banal, dans les névroses de destinée, les tableaux dominés par la réaction théra-
peutique négative, par la compulsion de réduction. Ce sont les cliniques des
scissions, clivages, éclatements, celles de la dégradation.
La question de la castration en psychanalyse concerne donc sa significati-
vité eu égard à la régressivité extinctive. Les indices de castration expriment les
vicissitudes du travail psychique requis pour traiter celle-ci. Le coup qui déter-
mine l’après-coup concerne donc le pouvoir traumatique de la régressivité, les
atteintes des processus constitutifs du travail psychique, et l’effet des percep-
tions dénommées castration servant de transposition.
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La régressivité extinctive procède de l’angoisse. Selon des modalités diver-
ses, elle est toujours angoisse de castration. Le rôle de l’interprétation est de
renforcer, par la formulation verbale des contenus, fonctions et processus
inconscients, le contre-investissement de cette régressivité vide de tout contenu
représentatif direct, mais néanmoins verbalisable. Nous avons déjà signalé que
l’absence de contenu représentatif spécifique de la régressivité, la trace man-
quante, pousse à utiliser le verbe qui la formule à des fins de dénégation. Je sais
bien mais quand même en est l’expression la plus courante.

La transposition des impressions processuelles : les vu et entendu

Freud a remarqué qu’il ne trouvait pas dans l’inconscient de contenu repré-


sentatif spécifique de la névrose traumatique. Privée des logiques substitutives,
elle a un impact traumatique sur la métapsychologie de 1900.
La dimension mnésique n’est toutefois pas absente. Existe une similarité
entre les effets de vu impliquant des perceptions de manque actuelles et d’autres
de l’enfance, en particulier celle de manque de pénis sur le bas-ventre féminin ; de
même entre deux effets d’entendu reliant des impressions internes et des messages
maternels de prudence et paternels d’appel à la croissance. Les affects d’effroi, de
détresse et les appels à recours et secours se font écho, au-delà de la temporalité.
Cet entendu est né de la transposition sur le discours verbal de la valeur de
message de menace de certaines impressions endogènes précoces. Celles-ci sont
des conversions des tendances et conflits primordiaux affectant les opérations
psychiques élémentaires génératrices de l’économie pulsionnelle. Les frayeurs,
détresses et élations qui en émanent sont reliées aux messages parentaux invi-
tant à la croissance et au renoncement aux solutions inachevées des auto-
érotismes et idéalisations.
Par ces opérations se dessine une préconception des scènes primitive et ori-
ginaire, et de la future scène érotique. Celle-ci sera pensée selon de nombreux
L’après-coup 1415

scenarii traduisant les diverses combinaisons des opérations génératrices du


sexuel du Ça.
Les résultats et vicissitudes de ces opérations se composent de ces produc-
tions et impressions. Ils se transposent sur le vu de la double différence des sexes
– masculin-féminin, nanti-châtré –, sur les deux catégories de l’existant – le
visible et l’invisible –, et sur la catégorie de l’inexistant.
Vu et entendu sont ainsi des après-coups construits à partir des impressions
précoces grâce au mécanisme de la transposition. Ils articulent les opérations
mentales premières, les messages verbaux des parents et les perceptions senso-
rielles de la double différence des sexes.
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Ni vu ni entendu

Selon la configuration du complexe de castration, sa forme positive ou


inversée, les vu et entendu n’auront pas le même sens. Ils s’articulent de deux
façons, au nom de la référence résolutive et de celle consistant à se faire aimer
d’un parent par le biais du soutien défensif qui lui est procuré. Cette conflictua-
lité s’exprime par toutes sortes de disjonctions entre les messages résolutifs et
négativants, entre ceux issus du vu et ceux issus de l’entendu.
Une hésitation se retrouve dans les travaux de Freud, quant à savoir si
l’entendu précède le vu ou l’inverse. La question de la précession, de la précocité
et de la prématurité, des rétroactions de l’un sur l’autre s’y trouve soulevée.
Ces contradictions sont liées au fait que Freud articule une dynamique
résolutive avec une autre dominée par le déni. Ce dernier porte soit sur
l’entendu, le message, sur le vu, la constatation, voire sur les deux. Dans tous les
cas, il s’agit de réprimer les ressentis d’une menace interne reconnue dans les
messages verbaux, et d’un constat d’échec interne, manques reconnus en une
réalité perçue.
L’aspect confusionnant de la contradiction de Freud vient d’une associa-
tion inconstante entre garçon et résolution, fille et déni.
En séance, le conflit entre l’impératif de résolution et l’imposition de non-
résolution se traduit par l’utilisation de la haine au service de la non-résolution.
Se produit une véritable transvaluation des messages liés aux affects. La culpabi-
lité accompagne les tentatives de construire une indépendance, et la honte
émane de l’orientation non incestueuse de la sexualité. La haine s’oriente vers
tout ce qui rappelle l’impératif de résolution. L’analyse peut en faire les frais. Il
en est de même avec la douleur quand elle devient la voie vouée à rendre présent
l’objet perdu, ou qu’elle est associée à sexualiser la haine comme dans « Un
enfant est battu ».
1416 Bernard Chervet

Le double sens du transfert négatif s’y retrouve, celui utilisant positivement


la haine à la construction de l’objet (l’objet naît dans la haine) et celui négati-
vant qui recoupe le transfert d’énamouration (Lacan). Culpabilité, doute, haine
et douleur se montrent alors favorables à la destruction et la mortification.
Cette double ambivalence se porte sur le parent et l’analyste. D’un côté, le
parent support de messages de résolution est positivement haï ; de l’autre, celui
utilisant son enfant pour ses besoins défensifs est négativement aimé.

Prise en compte de la régressivité et théories sexuelles infantiles


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Intellectuellement, le complexe de castration est une aberration ; psychi-
quement, une nécessité. Il est le prototype de l’irrationnel. Nous avons déjà
signalé qu’il est présent à chacun des trois nœuds organisateurs de la pulsion (la
sexualité infantile, le narcissisme, la libidogenèse) et exprime les vicissitudes du
travail psychique les affectant.
La contradiction entre le non-sens intellectuel et la significativité pour le
fonctionnement psychique se traduit par la formule d’entrée dans la perver-
sion : Je sais bien mais quand même. Reconnaissance et déni de la castration y
coexistent. Plusieurs vérités s’y côtoient : la castration existe ; la castration est
un fantasme ; la castration n’a jamais été réalisée sur les filles ; l’absence de
pénis n’est pas une castration mais un fait. L’affirmation selon laquelle la
femme est châtrée est donc vraie et fausse. La femme présente par son corps un
manque de pénis et ce pénis ne lui a pas été enlevé.
Le traitement de la dimension traumatique liée à ce manque oblige à conce-
voir une théorie l’interprétant, selon laquelle ce qui manque devrait être là, a été
là, a été enlevé, a été déplacé en un autre lieu invisible (en haut, en bas, devant,
derrière, dedans, dehors), qu’il va réapparaître, revenir, repousser, etc. Ces
théories postulent qu’il est possible de le faire apparaître, réapparaître, qu’il suf-
fit de trouver la méthode adéquate. Le coup de la disparition est suivi d’un
après-coup de résurgence. Nos aspirations thérapeutiques et réparatrices sont
empreintes de telles théories.
La fonction antitraumatique de cette théorisation permet de réunir les deux
vérités apparemment incompatibles. Le dilemme vrai-faux s’y dissout. Une
théorie sexuelle infantile est fausse en tant que contenu, mais vraie en tant que
procès de théorisation répondant à une nécessité. L’après-coup transmet l’exis-
tence d’une discontinuité en même temps qu’il produit une continuité. En tant
que théorie agie, il révèle et affirme ce qu’il dénie.
L’installation de la sexualité féminine, mais aussi de celle masculine, va
suivre cette double logique propre à l’après-coup. Le premier moment de réso-
lution du complexe d’Œdipe, l’entrée dans la latence, articule les deux temps du
L’après-coup 1417

complexe de castration au pénis et à l’érogénéité du visible ; le second, celui de


la postpuberté, concerne le couple vagin-pénis et l’érogénéité du couple visible-
invisible. Chaque étape résolutive se fait elle-même en deux temps articulant
visible et invisible au couple châtré-nanti.
La régressivité pulsionnelle est liée par transposition au manque perçu sur
le corps de la femme, donc à la sexualité de celle-ci. Dépourvue de pénis, elle est
pensée sans désir. Quand ce dernier apparaît, il est vécu comme la voie de la dis-
parition du pénis. Le refoulement prolongé du vagin permet cet amalgame éro-
généité intérieure - castration. Les autres orifices en bénéficient, d’où les nom-
breuses injures et formules populaires liant leurs revendications pulsionnelles à
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la castration.
L’association féminité-castration renforce le refoulement d’une pulsion
vaginale envisagée dangereuse et contagieuse. Il faut du temps pour que cette
théorie devienne contre-investissante et libère l’accès pour les deux sexes, au
féminin. La liaison régressivité-érogénéité vaginale va produire tous les fan-
tasmes de disparition dans le corps féminin, que cette disparition concerne la
partie ou le tout. Le désir et la jouissance de la femme sont ressentis comme une
avidité sans fond au pouvoir attracteur incommensurable. Ils trouvent comme
images de figuration les tourbillons, gouffres et autres aspirations par le vide, le
néant mais aussi l’infini.
Cette association castration-féminité produit encore d’autres théories, en
particulier celle considérant que le désir féminin est libéré de tout danger de cas-
tration puisque ayant déjà eu lieu. Après la théorie d’une castration conta-
gieuse, se présente celle d’une castration une fois pour toutes, libératrice. En psy-
chanalyse a été soutenu un tel après-coup théorique issu d’un déni : l’absence de
complexe de castration chez la femme, et son absence de Surmoi. Cliniquement,
cette théorie est à la base d’après-coups identitaires, de néo-identités féminines
mêlant défi et effronterie, se vouant à une cause masculine et défiant tous les
dangers et les interdits au nom de leur invulnérabilité.
L’installation en deux temps du couple masculin-féminin est due à la
régressivité à laquelle chaque pôle se trouve confronté par le doublet nanti-
châtré. Le nanti va s’appliquer successivement à chacun des pôles du couple
masculin-féminin puis être indexé qualitativement du facteur de renoncement et
désindexé du phallisme infantile. La castration ne devient un éprouvé de
manque qu’à partir du moment où ce couple masculin-féminin est construit.

Déni de la castration

En 1937, Freud s’étonne du fait que les êtres humains ne sont pas tous
bisexuels. Il renvoie la nécessité de faire un choix de genre à la dualité pulsion-
1418 Bernard Chervet

nelle et à une fondamentale tendance au conflit. Le choix d’objet bisexuel est


une tentative d’atteindre une complétude narcissique, donc un déni du fait que
chaque élément du bipôle a à se confronter à la castration selon la classique
répartition distributive du couple nanti-châtré sur celui masculin-féminin.
D’autres constellations impliquent aussi le déni ; bien sûr, celles relevant du
narcissisme phallique, la masculinité phallique (le rouleur de mécaniques) et la
féminité phallique (la vamp, la virago). Du côté de la femme, nous trouvons
encore l’attente du don d’enfant avec la condensation de l’enfant du père et du
pénis perdu. Freud a aussi décrit la conviction de la petite fille face à ce qu’elle
interprète comme une injustice qu’elle pense avoir subie, avec sa décision redou-
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table de consacrer sa vie à une quête de réparation et de vengeance, quand elle
ne s’enferme pas dans un statut d’infériorité. Parallèlement, il soutient que l’in-
vestissement d’une mère pour son fils est le seul à être pur de toute ambivalence.
Le fils-héros fournit à sa reine-mère ce qui lui manque, et elle le lui rend en le
protégeant de toutes menaces de castration.
Existe une autre occurrence, dérivée de la précédente : la gestion par la
femme de son propre complexe de castration en le délégant à un homme qu’elle
aide à réaliser ses idéaux. Tour à tour, elle peut éveiller chez lui l’angoisse, les
vécus de menace, ou au contraire se présenter comme celle qui détient un élixir
magique de protection. Elle réalise ainsi le souhait d’être indispensable à un
autre.
Ces constellations cliniques se révèlent fréquemment en cours de cure, en
tant que néo-identités restées jusque-là latentes. Ce sont des après-coups typi-
ques du rapport à la castration authentifiée en tant qu’événement traumatique
– en fait, support de la régressivité interne.

Résolution, déni et opération de meurtre

L’irrationalité de l’après-coup tient au fait que ce procès est soumis à des


tendances incompatibles, la régressivité négativante et un impératif élaboratif
référé à un idéal de fonctionnement mental. Son achèvement dépend de l’impé-
ratif de résolution propre au Surmoi. Il s’agit de la résolution du complexe
d’Œdipe et plus précisément de l’ambivalence portant sur la réalisation de l’o-
pération de meurtre promotrice de cette résolution.
Selon que ce meurtre se fait sous l’égide de l’impératif et concerne la pul-
sion, ou qu’elle se porte sur l’impératif lui-même et laisse alors libre cours à la
régressivité pulsionnelle, se dessinent plusieurs destins. Le premier est celui de la
fondation et de la croissance du psychique ; le second, celui de sa négativation à
sa source.
L’après-coup 1419

Une troisième solution concerne le meurtre de l’objet-support de transposi-


tion. Un cycle réparateur s’installe avec, au premier plan, le réérigement de l’ob-
jet. Cela a des conséquences sur la place accordée à l’objet dans le travail de
cure et dans la théorie, qui subissent alors un excès d’objectalisation avec le
risque intersubjectiviste qui s’ensuit. Le support de transposition est pris pour la
motion à intégrer et pour le procès à installer.
Une autre solution, celle du déni, porte sur la valeur de la castration. Le
travail régrédient n’a alors pas lieu. Les productions utilisées par le déni sont
des matériaux régressifs, donc des réminiscences investies en permanence sur la
voie progrédiente. Elles ont pour principal but de soutenir la seule orientation
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progrédiente et non de modifier l’économie régressive à sa source. L’opération
de meurtre se met au service de cette continuité de déni. L’après-coup devient
monophasique par ses productions progrédientes qui saturent la conscience de
telle façon qu’aucune perception de l’attraction régressive n’est ressentie.
L’accomplissement achevé de l’après-coup signe l’authentique prise en
compte psychique de la castration et de sa corrélation avec la régressivité. Ni le
déterminisme, ni l’en-deux-temps ne témoignent de cet accomplissement ; mais
l’oscillation résolutive du travail psychique, c’est-à-dire l’effectivité du meurtre
promoteur de la réduction libidinalisante, de la désexualisation narcissisante et
de l’endeuillement objectalisant.
Chaque parent est un support de transposition de l’ambivalence de résolu-
tion. Il endosse la double identité de support de l’impératif processuel et de sup-
port de sa liquidation. L’acte meurtrier fondateur est en conflit avec le meurtre
œdipien, chaque parent devenant tour à tour un séducteur de la resexualisation
transgressive et un parent tendre et ferme. La castration y trouve sa place en tant
que conséquence du doublet meurtre-resexualisation, et la menace de castration
sa valeur en tant qu’appel à réinvestir les commandements de l’impératif.
L’appel au père du fantasme originaire de castration par le père se retrouve ici.
Ainsi la résolution se définit-elle par une oscillation qui ne se réduit ni au
tout ou rien, ni au partiel et à l’achevé. L’impératif qui préside à son déroule-
ment se présente selon deux modalités : un impératif de progrédience menant à
l’objectalité endeuillée et un impératif de régression rendant possible la générati-
vité économique et les activités psychiques régressives du pôle hallucinatoire et
du pôle sensoriel. Ce doublet en contient un autre qui lui est indispensable mais
peut lui être fatal, celui de la prise en compte et celui du déni de la régressivité.

L’érogénéité et le point de vue génétique

Les identités de la castration décrites plus haut rendent compte du rapport


de la psyché à la réalité pulsionnelle négativante qui produit des variations de
1420 Bernard Chervet

tension et des différences qualitatives au sein de la sensitivité proprioceptive. La


régressivité extinctive se saisit de toutes ces différences ressenties au contact ou
non des objets, en lien ou non avec le langage. Ces perceptions de manques ne
peuvent donner lieu à des traces directes. Elles ont lieu en même temps que des
perceptions relevant d’une autre catégorie, celles directement traçables. Eu
égard à celles-ci, les perceptions sans trace prennent valeur de manque à tracer.
Un double écart occupe toutes les différences, entre les perceptions avec
trace et les perceptions sans trace, entre le manque à tracer et le traçage effectif.
Manque à tracer et recherche de traçage se trouvent imbriqués.
La plus belle illustration d’un tangible sollicité par un ressenti de manque
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nous est donnée par la main de l’enfant qui se porte à son bas-ventre au cours
de ses activités, qu’il soit fille ou garçon. Son geste témoigne d’une excitation
dominée par le ressenti de la régressivité. Il a valeur de vérification et de contre.
L’intervention des adultes renforce ce dernier. Alors que, de façon erronée, ils
prêtent à l’enfant une maturation qu’il n’a pas en interprétant son geste en
termes d’auto-érotisme et d’échappement sphinctérien, ils soutiennent positive-
ment l’appel vécu par l’enfant à une réalisation processuelle.
La transposition, sur les deux catégories de perceptions, avec et sans trace,
des tendances extinctives élémentaires et des opérations primordiales d’inscrip-
tion fournit des préconceptions de la future scène érotique. Leur conversion
corporelle participe à fonder les zones érogènes.
Ces opérations primordiales doivent dompter-réduire les tendances pulsion-
nelles élémentaires et les muter en motions pulsionnelles captées dans le Ça.
Une voie d’investissement est alors nécessaire afin de s’opposer à la régressivité
toujours active en leur sein. La co-excitation avec le corps et les objets externes
va fabriquer de telles voies. Les perceptions et les traces qui en sont issues les
constituent.
Les contraintes extinctives et élaboratives aboutissent à la double inscrip-
tion des traces en figures-rébus et en représentants-représentations pulsion-
nelles. Chacun de ces deux pôles est soumis à la régressivité pulsionnelle et
au principe du code, mais l’un est plus étroitement relié au langage, l’autre, à
la pulsion.
Pour se produire, ces diverses opérations exigent des conditions précises,
celles transmises par les soins précoces, par le code qui les organise en langage
de soin et les relie au langage verbal. Le code est le principe de toute processua-
lité. Par les processus de pensée, il a valeur de cadre. Les traces des soins mater-
nels appartiennent à l’histoire de la mise en place de la processualité. Leur prin-
cipal message concerne l’impératif à maintenir un lien au principe du code et
à l’établir selon le détour régrédient, la voie longue permettant la liaison au
pulsionnel.
L’après-coup 1421

Par ces soins, la processualité d’un autre se propose, introduisant une


potentielle objectalité et offrant aux transpositions le temps d’utiliser cet autre
en tant que support de constitution des procès psychiques. Idéalement, la régres-
sivité ne se révèle complètement par l’orgasme dans l’érotisme, qu’après un long
parcours de co-excitation, de sexualisation et de désexualisation tant du corps
que des objets, après que soient instaurés les narcissismes, primaire corporel et
secondaire objectal.
Le rôle de cet objet-support de la processualité est essentiel dans la
mutation du sexuel d’organe et de la sensorialité primaire en érogénéité. Ils
constituent les premiers refoulés refoulant la régressivité et permettent son
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premier retournement en une poussée pulsionnelle. Celle-ci reste soumise à
une puissante attraction régressive vers le sexuel d’organe. Son haut degré de
réversibilité trouvera des possibilités de réactualisation en la régression senso-
rielle de la vie érotique et de ses préliminaires. Cette transposition sur le
corps participe à fonder une carte de l’érogène avec ses zones, à partir du
sexuel d’organe.
Au cours des cures, la géographie de l’érogène se modifie considérablement.
Seules les zones érogènes, et tout particulièrement celles génitales, conservent la
potentialité de régresser sensoriellement au sexuel d’organe. Ces zones témoi-
gnent des limites de la désexualisation fondatrice du narcissisme primaire et de
la resexualisation au-delà du sexuel d’organe.
Ces opérations constituent la source pulsionnelle elle-même, lui donnent
ses caractéristiques, ses variations de rythme et d’intensité. La contrainte liée à
la régressivité explique la discontinuité de l’excitation et de la poussée, de même
que les différences d’intensité et d’excitabilité des zones investies, les seuils et
périodes réfractaires. D’où la reconnaissance d’une discontinuité des objets et
de leurs genres.
L’érotisme réunit les deux supports des narcissismes primaire et secondaire,
le corps propre et l’objet, et articule une régression sensorielle à un investisse-
ment d’objet.
L’intégration des sexuels d’organe et d’objet dans une sexualité objectale se
réalise en deux temps. Elle nécessite des opérations inaugurales qui se déroulent
aussi en deux temps pour chacune des zones du corps et pour chacun des objets
servant de support ; puis une seconde opération les réunit et les place sous un
même impératif d’objectalisation. De nombreuses vicissitudes portent sur cha-
cune des érogénéisations ponctuelles et au niveau de leur mise en constellation
globale. Une fois la génitalité atteinte, le ponctuel et le global se combinent
dans les préliminaires.
La future scène érotique est déjà-là, par les sensations et préconceptions
impliquant chacune des parties du corps. Ce déjà-là est en attente de l’après-
1422 Bernard Chervet

coup adolescent dont émerge la constellation finale avec l’identification à l’éro-


généité de l’autre sexe.
L’actualisation de la régressivité, typique de l’adolescence, contraint
l’émergence de l’érogénéisation du vagin et du désir féminin. Les diverses précur-
rences sensitives, celles liées à la tétée, à la défécation, à chaque partie du corps
– se reformulent dès lors en des termes évoquant les rapports des corps masculins
et féminins. L’érogénéité des diverses parties du corps durant l’enfance trouve sa
pleine significativité érotique suite à l’après-coup de l’adolescence.
Les résultats du procès d’érogénéisation sont identifiés aux zones sexuelles
spécifiant l’homme et la femme, et les manques à érogénéiser associés à leurs
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différences. La présence de l’investissement est identifiée après coup à la pré-
sence visible du pénis, la présence des sensations, à celle non visible, des orifices,
et in fine celle du vagin.
Toute la conflictualité – les menaces et manques à réussir ces opérations –
est transposée sur l’autre différence de la différence des sexes, la présence et
l’absence de pénis pensées en termes de castration. Le pénis est l’objet de mena-
ces et d’atteintes, le vagin aussi. Les vu et entendu s’appliquent aux deux zones
érogènes de la génitalité, dans leurs rapports à une menace portant pour l’un
sur sa visibilité, pour l’autre sur ses ressentis invisibles.
Cette transposition des sensations liées à l’exercice de la processualité a lieu
sur l’ensemble du corps et sur le couple corps propre - corps de l’autre. Ils s’as-
socient dans la sensorialité émergée au contact de l’autre. Se dessine un double
chiasme des sensations, mêlant celles liées aux résultats des procès, à la bisexua-
lité psychique, et celles liées à la conflictualité de la réalisation de ces procès, en
rapport à la castration. Chacune des parties du corps est donc bisexuelle et
concernée par la castration.

La fractalité de l’érogène

La dynamique en deux temps de l’après-coup se réalise au niveau de cha-


cun des nœuds organisationnels de la pulsion qui qualifie de sa spécificité
chaque élément pris isolément ainsi qu’en leur ensemble. Chaque investissement
de chaque partie du corps et de chaque objet les rend porteurs de l’infantile, du
narcissisme et du traumatique. Vont ainsi s’inscrire les procès d’érogénéisation
de la bouche avec en après-coup le fantasme de fellation ; de l’anus, avec la
sodomie ; du pénis avec la pénétration ; du vagin avec l’intromission. La con-
flictualité propre au procès de l’après-coup fait que chaque zone est porteuse de
la bisexualité de ces fantasmes et des théories de la castration – orale, anale,
génitale externe et interne.
L’après-coup 1423

Toutes vont s’accompagner de scenarii d’exécution de trous et de retran-


chements divers. La castration de la logique œdipienne est réalisée par un acte
– oral, anal, de pénétration, d’absorption, etc. Les revendications et avidité pul-
sionnelles se lient encore à la castration-disparition, soutenant leurs aspirations
à des réalisations suprêmes hors représentation.
L’après-coup fonde donc les zones érogènes isolément puis les rassemble et
les fait converger grâce à la résolution du complexe d’Œdipe. La dynamique
globale de l’après-coup se révèle fractale. Elle articule le ponctuel et le global.
L’après-coup crée la sensorialité première et son orientation vers l’objet.
Les conflits qui l’occupent sont à l’origine de l’oscillation entre le partiel et le
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résolutif. Nous y retrouvons les prémisses du Surmoi sous le mode de divers
impératifs actifs au sein des premiers après-coups.
La structure du procès qui met en place l’érogénéité au niveau de chaque
zone est similaire à celle qui reprend l’ensemble du corps pour fonder l’érogé-
néité objectale sous l’égide du Surmoi. Toute régression retrouve les après-
coups ponctuels, mais aussi ceux qui ont été objets de vicissitudes. Les jeux de
disparition et de résurgence inhérents à l’après-coup s’appliquent à lui-même
dans des circonstances particulièrement traumatiques. En découle le destin du
terme qui le désigne et l’une de ses formes, sa mise en abyme. Plus il y a péril en
la demeure, plus cette forme devient perceptible. Le rêve dans le rêve en est la
parfaite illustration. La mise en abyme est la forme régressive de la fractalité.
Se dessine ainsi une génétique basée sur le déroulement de ces procès orga-
nisateurs au niveau de chaque partie du corps et de chaque élément du monde
des objets. Cette génétique est avant tout processuelle, elle subsume celle des
stades et des phases. Son achèvement est la reprise de toutes les résolutions
ponctuelles ayant eu lieu, par un principe de résolution les réunissant et les orien-
tant vers l’objet. La régression à un fonctionnement ponctuel reste alors
ouverte, l’ensemble se trouvant en latence. Elle se traduit par toutes les varia-
tions des préliminaires jusqu’aux mises en abyme formelles.

UNE IMPLICATION MÉTAPSYCHOLOGIQUE : LA TRACE MANQUANTE

Le travail de l’après-coup articule deux réalités incompatibles. Il trans-


forme un hiatus en une discontinuité ayant valeur de continuité. Son élabora-
tion métapsychologique procède de la construction théorique. Elle mêle la
stricte inférence et la liberté imaginative.
La discontinuité entre le moment régrédient de composition des figures-
rébus et celui progrédient de production de formations représentatives implique
1424 Bernard Chervet

ces deux dimensions de la pensée tant dans la conception de l’interprétation que


dans celle de la théorie. Cette rupture de logique fonde l’irrationnel et les écarts
association-interprétation, clinique-théorie, en même temps qu’interprétation et
théorie relèvent de la clinique.
Deux attitudes envers l’imagination spéculative se dessinent. La première
affirme, méfiante, que l’imagination est la folle du logis (N. de Malebranche) ;
la seconde, narquoise, que l’imagination est plus importante que le savoir
(A. Einstein).
Ce saut de nature concerne la régressivité inductrice de la mise en latence et
des diverses formes de régression, et l’impératif promoteur sur la voie progré-
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diente des formations relevant du principe du code et aptes à devenir conscien-
tes – la nécessité et la finalité.
C’est cet écart qui est à l’origine du procès de l’après-coup, de sa forme en-
deux-temps avec un troisième intermédiaire, régressif et bivalent. Son déploie-
ment exige une identification précossissime au modèle processuel d’un autre,
l’autre de la processualité. L’identification processuelle est modélique.

Le modèle de la mentalisation

La régressivité pulsionnelle extinctive n’a pas posé à Freud les mêmes diffi-
cultés pour Éros et la pulsion de mort. La régressivité extinctive jusqu’à l’inorga-
nique relève d’une pulsion de mort travaillant en silence à la réduction et à
l’extinction de tout ce qui vit. Avec Éros, Freud ressent un embarras que les
solutions des poètes (Platon) ne lui permettent pas de résoudre. La qualité
conservatrice dans son œuvre désigne tour à tour la sauvegarde des acquis puis
le retour à un état antérieur. Il octroie ainsi deux qualités à Éros, une tendance
extensive et une autre de liaison, impliquées dans la formation d’ensembles de
plus en plus vastes. La dynamique propre à l’idéalité plaide pour la qualité
extensive, celle de liaison requiert une retenue issue d’un effet de la pulsion de
mort sur Éros, et vice versa. Dès lors, la régressivité d’Éros peut être envisagée
comme une propension à échapper à toute retenue et à retrouver une extensivité
infinie. L’idéal est alors une voie régressive.
La régressivité extinctive est donc double, par réduction jusqu’à l’inorga-
nique pour la pulsion de mort, par extension à l’infini pour Éros, toutes deux
qualifiables de traumatiques et impliquées dans l’angoisse. Inorganicité et infini
se conjuguent dans toute théorie de l’angoisse et constituent les deux tendances
aux limites de l’inconscient dont toutes les représentations de chose sont inves-
ties : épuiser le sujet, le dissoudre par idéalité.
Mais qu’est-ce qui préside à cette liaison-déliaison par intrication-désintri-
cation des pulsions ? L’existence d’un travail de la psyché permet d’inférer que
L’après-coup 1425

ces deux régressivités asymétriques – l’une silencieuse, l’autre bruyante – ne font


pas que s’opposer l’une à l’autre selon un principe d’homéostasie, mais qu’elles
sont placées toutes deux sous l’égide d’un troisième terme, un impératif de
retenue qui s’y oppose. La double retenue qui en découle fonde les tensions psy-
chiques et le masochisme primaire, un masochisme de fonctionnement. Cet impé-
ratif a, comme perspective de résolution de ces tensions, le désir érotique
objectal.
Se dessine une double hétérogénéité, entre les deux régressivités extinc-
tives et entre leur commune tendance à l’extinction et la visée de l’impératif
processuel à inscrire cette économie dans la psyché et à l’orienter vers la
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conscience. C’est cette double différence qui se transpose sur la différence des
sexes.
La réflexion se porte alors sur ce qui favorise et s’oppose à l’efficience de
cet impératif, sur ce qui promeut les opérations psychiques ayant valeur de
meurtre sur chacune des deux tendances extinctives. L’acte de meurtre peut pro-
mouvoir le psychique ou, au contraire, porter sur l’impératif et libérer les
régressivités. Se trouvent ainsi formulées de façon abstraite et élargie les asser-
tions du complexe d’Œdipe et de sa résolution. Reste la question de l’origine de
ce meurtre qui définit au mieux le sujet en tant qu’il est l’auteur de ce qui le
fonde mais aussi l’agent de ce qui tend à le faire disparaître.
La notion de résolution est consubstantielle du complexe d’Œdipe et
désigne le déclin de ce dernier et l’installation du Surmoi, instance qui
regroupe tous les impératifs ponctuels et veille à ce que tout travail psychique
soit réalisé en lien avec le contexte d’ensemble. Tous les résultats de l’après-
coup sont référés à son aune. Elle implique une finalité du travail psychique.
Ce dernier doit réduire la double régressivité et orienter l’économie psychique
sur la voie progrédiente jusqu’à la conscience. Cette réduction consiste à
extraire les qualités extinctives des tendances pulsionnelles élémentaires. L’im-
pératif s’en trouve doté et les utilise au service du traçage et de la différencia-
tion des traces en inscriptions mnésiques. Intervient là l’économie spécifique
de la processualité dont l’impératif a la responsabilité. Freud l’a dénommée
surinvestissement et l’a qualifiée de neutre, déplaçable, propre au Surmoi et
spécifique du langage. De nature libidinale, elle est impliquée dans les trois
nœuds processuels organisateurs de la pulsion. Il s’agit d’une libido proces-
suelle. Les sauts et mutations d’une économie extinctive en une économie du
principe de plaisir et une économie de résolution sont réalisés grâce à de tels
apports de libido processuelle. Celle-ci est liée au principe du code représenté
par tous les langages, ceux des affects inclus. Seule sa présence rend possible
le devenir conscient. Une hypothèse en découle : la nature du code serait une
qualité de la conscience.
1426 Bernard Chervet

Cette contrainte à établir et soutenir un lien avec la conscience, via le code


du langage, est reprise à son compte par la règle fondamentale et participe à
l’effet thérapeutique de tous les traitements psychanalytiques.
En résumé, le procès de mentalisation qu’est l’après-coup est composé de
deux tendances opposées ayant une même finalité, l’extinction, et d’un impératif
de résolution utilisant cette opposition afin de réduire la double régressivité en
un résultat de vie. Son moyen d’action est l’acte de meurtre, sa visée idéale, la
résolution en un désir érotique.
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Traces mnésiques, traçage et point de vue économique

Le modèle ainsi dessiné a une fonction économique essentielle. La pré-


gnance des régressivités menace les opérations qui la réalisent. D’où un recours
au mécanisme antitraumatique de l’accrochage à une matérialité tangible, celle
du corps propre et celle du monde externe. D’où aussi la production de maté-
riaux psychiques utilisables à discrétion.
La perception offre une telle matérialité par les traces qu’elle permet. Mais
cette solution antitraumatique se double d’un éveil traumatique du fait de
l’existence de perceptions sans trace, les perceptions de toutes différences des-
quelles émane une trace manquante.
Les différences ne donnent pas lieu à un traçage, mais à un travail direct
sur l’économie, donc à des frayages, des ressentis et impressions précoces, ou à
un déni immobilisateur. L’usage de la tangibilité matérielle des traces se com-
plète de celle du pare-stimulus et du déni qui en est issu. Le rapport à la percep-
tion se trouve oscillatoire.
Du fait que les zones érogènes génitales restent les plus frappées par la
régressivité, la transposition de celle-ci se réalise électivement sur la double dif-
férence des sexes, celle des genres et celle de la castration. Se trouvent réunies
des perceptions avec traces, le couple masculin-féminin, et des perceptions sans
trace, leurs différences étant subsumées par celle nanti-châtré.
A déjà été souligné dans un chapitre précédent que parmi les perceptions
avec traces sont à distinguer celles en rapport avec le visible, transformables en
images et représentations, et celles avec l’invisible donnant lieu à des sensations.
Se trouvent réunies la régressivité à l’inorganique, transposée sur l’absence
de pénis sur le corps féminin pensée en termes de castration, et la régressivité
extensive transposée aussi sur l’absence de pénis mais pensée en tant qu’as-
somption du pénis. Le manque de pénis donne ainsi lieu à une double interpré-
tation, un retranchement et une transcendance. Les deux se combinent de plus
aisément, la première devenant la voie alchimique de la seconde.
L’après-coup 1427

Par ces transpositions, se réalisent tous les jeux de co-excitation qui utili-
sent les perceptions, les traces, les représentations, l’absence de traces liée à la
réalité des différences et les opérations processuelles.
Au niveau du traçage, deux pôles se distinguent, celui du sans-trace lié à
des perceptions ne pouvant donner de trace, donc de représentation de chose, et
celui des traces perceptives issues du corps propre, des objets, du langage, de
l’autre des procès de pensée, de l’autre du modèle.
Les perceptions sans trace sont ressenties en tant que manque à tracer.
Indexées de la qualité traumatique, elles doivent être traitées par un travail de
pensée n’ayant pas à sa disposition de contenus spécifiques. Là où la trace est
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manquante, le travail psychique devient strictement processuel. Sa visée écono-
mique est alors au premier plan. Là où les traces existent, la même fonction éco-
nomique est dissimulée par leur utilisation.
Eu égard à la trace manquante, le fonctionnement psychique est contraint
de trouver un autre moyen que celui de différencier des inscriptions psychiques
à partir des traces perceptives. Une solution consiste à utiliser des représenta-
tions issues d’autres perceptions, voire des perceptions et traces adjacentes à la
trace manquante. Toutefois celles-ci ne pourront jamais correspondre ni
répondre de façon suffisamment adéquate au manque de trace spécifique ; d’où
l’éprouvé d’un manque à penser et la quête d’une perception apte à combler le
manque à tracer. Une compulsion au traçage, la production d’un perceptif vont
tenter de surseoir à tout manque à tracer en saturant de l’intérieur la conscience
perceptive. Les représentations deviennent alors excessivement nettes et subis-
sent une multiplication en nombre et en intensité (le médusage). La confection
du fétiche en est l’illustration prototypique. Les traces, à partir desquelles il est
fabriqué, sont trouvées sur le chemin de la régression qui mène à la perception
traumatique. Elles lui servent d’arrêt et de butée.
Une autre solution est l’inscription, sous forme de conversions, des éprou-
vés issus du travail psychique lui-même. Une autre encore réside dans la pro-
duction de liaisons théoriques et interprétations transformant la perception sans
trace, la trace manquante, en manque à tracer et manque à percevoir ; d’où la
quête de la perception et de la trace faisant défaut. La théorie affirme alors que
quelque chose devrait exister là où quelque chose manque.
Dès lors que le procès de réduction de la régressivité est sollicité par une
perception sans trace ou directement par la régressivité extinctive, une détresse
minimale a lieu. Les retours sortent de l’ombre du refoulement et se présentent
comme recours. Le besoin de matériaux psychiques se fait ressentir. Les traces
sont alors convoquées et différenciées en doubles inscriptions au service de ce
travail de réduction économique. Nous retrouvons là la question des diverses
mémoires et du besoin de mémoire.
1428 Bernard Chervet

Si le traçage est lié à l’impact sensoriel avec la réalité externe, sa différencia-


tion en inscription est mue par les besoins processuels sollicités par le sans-trace
traumatique.
Cet appel au traçage et à la construction des inscriptions mnésiques se
retrouve impliqué de la même façon dans la naissance de l’écriture et dans l’uti-
lisation de l’acte d’écrire comme transposition et étayage des opérations d’ins-
cription. L’écriture est mue par un souhait de conservation, mais plus encore
par la fonction antitraumatique de l’acte et de la matérialité du tracé, appelée
par la nécessité de parer aux éprouvés d’effacement.
Nous avons déjà souligné que la production d’un signe comme trace mani-
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feste référée à un code ne permet pas de résoudre l’absence de représentation de
chose spécifique de la perception sans trace. Les mots ne relèvent pas de la seule
représentance pulsionnelle. Nous retrouvons l’écart régressivité-code.

Affect, théorisation et abstraction

L’économie créée par les opérations réalisées avec ou sans recours aux
représentations de chose peut accéder à la conscience sans l’intermède de conte-
nus représentatifs, en tant que quantum d’affect et que produit psychique parti-
culier représentant l’acte même de ces opérations. Il s’agit de l’acte de théorisa-
tion et des théories sexuelles infantiles dont les matrices sont les fantasmes
originaires. Se trouvent réunis, de façon étroite, affect, théorisation et abstrac-
tion. Ils sont des conséquences du travail psychique lié au manque à percevoir
et à la trace manquante. D’où leur propriété commune de pouvoir exister sans
image, même s’ils s’associent fréquemment à celles-ci. Du point de vue du code,
la théorisation est aux signes ce que l’affect est au corps.
Une question se présente, corollaire à la notion de trace manquante, celle de
l’effacement des traces et inscriptions inconscientes. Freud n’a cessé de réaffir-
mer qu’elles sont l’objet d’une conservation intemporelle et qu’elles échappent à
l’usure du temps. Pourtant la clinique des négativismes au long cours (schizo-
phrénie) ou en extemporané (autisme) plaide pour l’existence d’un effacement.
Une telle effaçabilité ferait naître les traces d’une désexualisation réversible. Le
sujet devient l’auteur du traçage, donc de la perception. L’existence d’une réa-
lité perceptible non traçable complexifie la question. Freud considère la percep-
tion comme une imposition passive. Le sujet ne peut se couper d’elle que très
momentanément ou en fabriquant un perceptif qui la supplante sans toutefois
l’annuler, ou encore en la déniant, ce qui ne peut se faire qu’après qu’elle a eu
lieu. Perception et conscience ne sont pas équivalentes, la première peut avoir
lieu alors que la seconde est empêchée. Le traçage et l’impact du sans-trace de
L’après-coup 1429

certaines perceptions amènent à distinguer les traces perceptives et les inscrip-


tions mnésiques différenciées à partir de celles-ci. Se réalise une double diffé-
renciation, celle des représentants pulsionnels et celle des signes du code.
La psychose schizophrénique nous apprend que la différenciation des
représentants pulsionnels peut manquer ou être effacée. Les mots, ces différen-
ciations reliées au principe du code, servent de tenant-lieu. Ils s’avèrent ineffi-
cients à terme quant à remplir cette fonction palliative. Ils sont alors disloqués.
Mais en aucun cas les traces n’apparaissent effacées.
Dans le cas de l’autisme, les représentants pulsionnels gardent une très
grande labilité leur conférant la possibilité d’être régulièrement effacés ; mais
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s’ajoute, dans ce cas, la non-disponibilité des mots. Ces représentants du code
ne sont opérants que soutenus de l’extérieur, et encore ! Dans ce cas, c’est la
double différenciation et l’investissement dont chacune est l’objet qui est grevée,
ainsi que celui de leur liaison.
La nature même des traces leur confère donc une ineffaçabilité avec la possi-
bilité de rester inefficiente au sein de la psyché. Si elles sont créées par l’impact de
la perception sur la régressivité, seule leur double différenciation en deux pôles,
l’un accessible au pulsionnel, l’autre dominé par le principe du code, permet
l’élaboration d’une réponse psychique à cette régressivité. Les considérer effaça-
bles serait sous-estimer la prégnance du pôle code et accorder la primeur à celui
de la régressivité au point de penser qu’il pourrait exister seul. Mêmes les stéréo-
typies de l’autisme engagent la présence active d’un principe de code, réduit à sa
plus simple expression, quelques actes de frayage sans inscription de contenu.
Nous pouvons déduire qu’un travail de rêve peut se réaliser sans contenu.
C’est probablement ce qui se passe chez les tout-petits enfants, avant qu’ils
n’aient construit leurs représentations. Cela est probablement vrai aussi pour
certaines de nos nuits. Peut-être que l’utilisation des matériaux des pensées
latentes et des restes diurnes n’est perceptible que lors de difficultés à réussir ces
opérations économiques. Les déplacements et condensations représentent ces
opérations de réduction et de genèse de libido psychique.
L’impact de la trace manquante se précise. Le fonctionnement psychique ne
peut se définir de la seule catégorie de la représentance que sont les représenta-
tions et les affects. Il faut lui adjoindre celle du processuel, au sens des opéra-
tions et des procès psychiques qui constituent la pensée et qui se traduisent par
des impressions et des affects. Ils correspondent aux aspects qualitatifs de la
mentalisation. Affects, sentiments, émotions, impressions et éprouvés consti-
tuent l’ambiance qualitative de la pensée.
Quand le traitement de la régressivité achoppe, une sensibilité exacerbée de
certaines régions corporelles traduit le maintien de façon inappropriée du sexuel
d’organe à leur niveau.
1430 Bernard Chervet

La régressivité extinctive ne peut être apurée, la complétude narcissique


atteinte. Si la structure ternaire peut être achevée du point de vue de sa fonction-
nalité, son travail reste frappé d’inachèvement du point de vue de cette régressi-
vité. La carte de l’érogène est la preuve vivante de sa présence. Freud affirme
que, dans le conflit reconnaissance-déni de la castration, c’est cette dernière qui
finit par l’emporter ; entendons la régressivité transposée sur la castration.

La pensée théorisante
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Cette notion de transposition soulève des questions théoriques. Elle est au
principe de ce que nous nommons transfert, sur le corps, le langage et l’objet.
Sans elle, le fonctionnement psychique ne pourrait ni se mettre en place, ni se
déployer, ni être l’objet de reprises et restaurations. Elle est le mécanisme par
lequel une potentialité devient effectivité. Le jeu de la bobine en est l’exemple
prototypique. La transposition apparaît en tant que postulat fondamental. Elle
est considérée ici présente dès le début.
De ce fait, s’impose à nous l’existence d’un impératif de transposition sans
lequel le contre-investissement originaire de la régressivité extinctive ne pourrait
se faire. Il est réalisé par cette transposition sur les perceptions sans trace et par
le déni portant sur celles-ci. Ce déni n’assure pas l’élimination des éprouvés
endogènes. Cette liaison entre la perception d’un manque et un acte s’opposant
à l’extinction établit une théorie selon laquelle un manque à percevoir est la
conséquence d’un acte de retranchement. Une première théorie est née. Elle
concerne l’effroi de disparition.
Il revient aux théories sexuelles infantiles d’assurer la fonction d’apaiser
l’affect d’effroi en proposant des logiques causales entretenant l’espoir de pou-
voir éviter ce qui éveille cet affect. Elles sont efficientes bien avant de pouvoir
être formulées. Ces éprouvés sont à l’origine de la dimension interprétante et
théorisante de la pensée.
La régressivité extinctive sous-tend toute conception du fonctionnement
mental de deux façons : en tant que référentiel théorique s’inscrivant dans l’éla-
boration d’une conception du fonctionnement mental, et en tant que réalité
impliquée dans la contrainte à produire une théorisation. Cela explique que la
psyché ne puisse se passer de cette modalité du penser, la pensée théorisante
et interprétante. Celle-ci peut prendre de multiples formes. L’interprétation
psychanalytique en est une.
La composante interprétative de la pensée répond à la nécessité pour l’ap-
pareil psychique de traiter la dimension traumatique, l’absence de trace et de
représentation de chose de la qualité pulsionnelle la plus fondamentale.
L’après-coup 1431

La pensée est constituée de diverses composantes – affective, représenta-


tive, interprétante. Le travail psychique utilise des contenus de représentations,
des liaisons phénoménologiques, des conversions affectives, des narrations,
chronologisations, des inférences, déductions, interprétations causales, des
théorisations. Il convient de les envisager comme des modalités distinctes mais
complémentaires de l’activité mentale. Tous se développent sous la contrainte
des éprouvés internes et grâce à des transpositions sur des perceptions.
Cela remet en cause la fréquente dichotomie clinique-théorie. Les théories
appartiennent à la clinique. Privilégier la clinique contre la théorie est une
théorie qui énonce qu’il serait possible de se passer de la composante théori-
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sante de la pensée, de nier sa fonction. La théorie est un objet clinique qui a une
particularité : elle peut se développer sans se référer aux représentations issues
de la perception sensorielle, cela du fait qu’elle est sollicitée par les perceptions
sans trace tant d’origine endogène qu’externe. Se projettent sur l’écran de la
conscience, sous forme de sensations et impressions, tous les manques à jouir, à
être idéal, à percevoir. La théorisation est sollicitée par ces impressions. Elle
peut s’appuyer sur quelque perception externe de différence, mais aussi suivre
des cheminements indépendants de tout substrat de trace et de représentation.
Toutefois, elle a besoin d’un substrat spécifique relevant de la catégorie du code.
Son expression dépend de ce dernier.
C’est cette indépendance de la théorie envers les traces et représentations
que désigne le terme d’abstraction. Il s’agit de s’abstraire de la perception immé-
diate, ce que fait déjà le rêve toutes les nuits, mais aussi parfois des représenta-
tions issues de la perception. L’abstraction est le reflet direct des opérations psy-
chiques inconscientes qui ne nous sont connues que par inférence à partir des
sensations que leur réalisation génère.
Les procès de théorisation fournissent des théories qui peuvent devenir de
la perception quand elles accèdent à une formulation secondarisée. Elles servent
alors de perceptif, saturent l’écran de la conscience et participent à la clinique de
la conviction.
Même quand le travail psychique utilise des contenus représentatifs,
comme c’est le cas pour le travail de rêve, il agit toutes sortes de théories incons-
cientes, particulièrement les théories des équivalences, typiques du processus
primaire et de l’inconscient dynamique des représentations de chose. Le « ni
négation, ni doute, ni degré dans la certitude » est la base d’un tel principe
d’équivalence et d’intemporalité. Tout manque est ressenti comme un retour à
un état antérieur, une déperdition, une rupture de l’illusion des équivalences. La
valeur de l’absence de pénis est encore retournée en son contraire et devient le
résultat d’une désexualisation idéale, une façon d’atteindre le principe de toute
équivalence. Le pénis, sublimé en extase et en œuvre divine, est instauré dans
1432 Bernard Chervet

son omniprésence. Invisible, il est l’essence même du monde (cf. le panthéisme


et la substance blanche de Spinoza).
Si la fonction de soutenir un déni est facilitée par l’abstraction, la théorie
n’en a pas l’apanage. Les travaux sur la construction nous rappellent que cette
fonction est soutenue par les représentations (l’arrêt sur image du fétichiste), par
la sensorialité (la quête de sensations extrêmes), par la transformation du corps
(body-building et carnal-art), et cela grâce à l’intensité, la multiplication et la per-
formance.
Ce qui spécifie le procès de théorisation, c’est de pouvoir imaginer les pro-
cès sous-jacents aux phénomènes, de les inférer, les spéculer. Sans spéculation, il
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n’y a ni science ni avancées possibles.

L’APRÈS-COUP EN ABYME ET L’OPÉRATION MEURTRE

L’imprévisibilité est la qualité la plus précieuse de l’après-coup réussi. Elle


est le reflet de la présence d’une prime de désir libre de contenu, d’un investisse-
ment ouvert à la diversité ; le meilleur de nos réveils.
Cette prime relève d’un travail frappé d’incertitude mais aussi de pré-
gnance, qui fonde les raisons de notre exercice de psychanalystes.
Reste à approfondir la nature des opérations dont l’impératif processuel est
le garant en tenant compte du fait que cette incertitude provient de l’impératif
lui-même. Il n’y a rien de moins certain que le Surmoi !
Cette incertitude de la réalisation de l’après-coup nous oblige à revenir sur
le mécanisme censé fournir au travail psychique les matériaux dont il a besoin,
c’est-à-dire le traçage. Ce phénomène du traçage consiste-t-il à être frappé du
sceau de la perception ? Ne faut-il pas plutôt envisager un travail particulier rele-
vant du pare-excitation ? Ce travail aboutirait non pas à une empreinte indélé-
bile mais plutôt à l’inscription de traces aptes à être transformées en représenta-
tions, c’est-à-dire ayant un certain degré de plasticité, de malléabilité ; entre tout
est écrit et écrire dans l’eau. Que ce soit parfois sur le corps qu’une trace indélé-
bile soit frappée donne à penser sur le rôle des tatouages et des scarifications,
sur le marketing des traces irréversibles, des cicatrices volontaires. De telles
demandes désemparent certains chirurgiens esthétiques. Nous retrouvons là les
sources traumatiques du banal maquillage, dissimulées sous le rôle de ce dernier
de vecteur réversible des jeux de la séduction.
Au cours de ces pages, nous avons reconnu que tout travail psychique est
occupé par la procédure complexe de l’après-coup, qu’il en constitue le dénomi-
nateur commun. Nous avons tenté de cerner ce qui contraint cette procédure à
L’après-coup 1433

se réaliser selon deux moments de travail spécifiques, un travail de retenue et


d’inscription, d’abord ; un autre de présentation et de mise en conscience,
ensuite. S’y articulent le déterminisme des opérations et processus psychiques et
la contingence des réalités conjoncturelles cherchées-trouvées, élues puis
cooptées afin de réaliser ces deux moments.
Nous avons aussi insisté sur la nécessité d’une transposition sur un objet
d’étayage, support de processualité, et la valeur de la réponse de cet objet. Le
détour par un objet secourable apte à répondre à la détresse dessine la trajec-
toire de l’advenue de l’objet objectal. L’objet secourable s’offre en fait à être
utilisé en tant qu’objet support de processualité. Le détour par cet objet pro-
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cessuel est à l’origine de l’objet de l’objectalité. Cet objet processuel s’incarne
et s’objective par l’objet secourable des soins précoces. Dans cette logique,
l’idée d’un objet primaire est une condensation et un déni. Il amalgame l’ob-
jet processuel et l’objet non fiable. Il objectalise prématurément l’autre de la
processualité afin d’affirmer la certitude de sa présence et de dénier ses fail-
lites ainsi que les vicissitudes de son avènement. Chose qui peut surprendre,
la finalité du travail de la psyché n’est ni l’objet ni le langage, mais la cons-
cience. La réalisation de ce dessein exige le détour par le corps, par l’objet et
par le langage, les trois lieux de transposition et de transfert. L’objet objectal
est issu de ce détour de transposition ; le langage, de la contrainte à encoder ;
le corps érogène, de la spécificité de l’inscription des affects, leur conversion.
L’objet objectal est donc le de-surcroît de l’objet processuel, comme l’espé-
rance est celui du bonheur.
Pour se mettre en place, la mentalisation doit donc s’étayer sur la proces-
sualité efficiente d’un autre. Tel est le rôle de l’identification première, l’appro-
priation d’un modèle idéal de fonctionnement.
Ce besoin de l’efficience d’une autre processualité est tellement important
que, quand l’infans ne la trouve pas, il la cherche dans la matérialité concrète de
cet autre auquel il s’aliène, ou dans celle d’une autre réalité perceptible à la
consistance tangible de laquelle il va désespérément s’accrocher, afin de trouver
un peu de cette fiabilité mentale dont il a besoin.
Les enfants autistes nous montrent comment l’autre de la processualité peut
être remplacé par un morceau de matière dure, un morceau de plastique, de
bois, une ficelle, un fil, ceux-ci étant alors animés par l’enfant lui-même d’un
frayage frénétique stéréotypique. La tentative de sauver les opérations proces-
suelles primordiales contre une extinction imminente est là directement percep-
tible ; elles ne tiennent qu’au fil de la stéréotypie.
L’éprouvé le plus fondamental n’est pas celui de la détresse mais celui de
l’effroi, appelé à devenir le tragique : se ressentir disparaître à soi-même. D’où le
titre de ce rapport et celui de ce chapitre. La détresse est un affect second venant
1434 Bernard Chervet

dire le dépourvu, le manque de moyens dont dispose un sujet pour traiter l’ef-
froi traumatique. Selon que nous considérons comme premier la détresse ou
l’effroi, notre travail ne sera pas le même ; notre conception du psychique, notre
métapsychologie, non plus ; notre façon de vivre, également. Toutefois la
réponse à la demande de la détresse véhicule une processualité sur laquelle
l’identification processuelle peut s’étayer. L’écart dans la réalité concrète est
alors moindre qu’en théorie.
La processualité a donc une valeur de consistance matérielle. Mais elle est
plus qu’une matérialité, tout comme le deuil est plus qu’un refoulement. Alors,
quelle est-elle ? Qu’est-ce que Freud a voulu dire en écrivant « destruction » du
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complexe d’Œdipe ? Il ne suffit pas de récuser et de changer le mot selon nos
guises, il nous faut savoir ce qui a amené Freud à utiliser ce terme.
Ces recours extrêmes, comme dans le cas de l’autisme, aux limites de la
mentalisation, nous montrent la force de la négativation émanant de la régressi-
vité extinctive, mais aussi la puissance du contrecoup, du rebond promu par
l’impératif processuel, engagé dans toutes les solutions cliniques, même les plus
désespérées. Cette puissance à réaliser un travail d’inscription psychique et
l’incertitude de l’effectuation se conjuguent dans tous les tableaux cliniques
évoqués.
Une des vignettes cliniques exposée dans le rapport initial nous offre une
occurrence particulière eu égard à cette conjugaison. Mme L. utilise l’analyse
afin de réanimer ses fonctions biologiques suspendues – son aménorrhée – et
afin de s’étayer sur l’instrumentalisation médicale pour réaliser son but, avoir
un enfant. Elle nous montre qu’un sujet peut chercher, trouver et utiliser la pro-
cessualité d’un autre, voire d’une institution, dont il a besoin, afin d’atteindre
un but précis, sans construire, sans introjecter ni s’approprier les processus psy-
chiques qui le rendraient indépendant de cet autre. Mme L. a pu avoir un
enfant sans construire d’objet interne enfant.
Cette occurrence nous est banalement accessible lors d’un état amoureux,
avec la capacité de cette constellation à révéler les potentialités d’un sujet ; et
aussi lors des lunes de miel de certains débuts de cure. Nous savons alors que le
travail reste à faire. L’actualisation de ce jeu de délégation et d’étayage nous est
familière.
Qu’il soit possible d’utiliser un Surmoi externe, ou un équivalent faisant
fonction de Surmoi, sans construire un quelconque Surmoi, ni personnalisé ni
culturel, encore moins impersonnel, n’est pas une grande nouveauté, même s’il
est utile de le rappeler.
Avec Mme L., nous assistons encore à quelque chose d’autre, à un compro-
mis de responsabilité. Un acte peut être accompli sans appropriation des
moyens qui le permettent ; il se définit alors comme un comportement.
L’après-coup 1435

L’identification processuelle peut donc se faire avec ou sans appropriation.


Un acte peut être indexé ou non d’une histoire inconsciente le déterminant. Une
culpabilité particulière, de responsabilité, est liée à cette appropriation. D’où
la tentation d’y échapper peu ou prou. Pointe alors la culpabilité de s’être
défaussé, d’avoir démissionné ; Charybde et Scylla.
Nous en déduisons que l’identification processuelle, dont le destin idéal est
l’instauration du Surmoi, peut aboutir à une identification avec ou sans deuil de
l’objet qui a servi de support. L’identification se dévoile là dans son identité de
forme régressive du Surmoi impersonnel.
Le mystère de cette identification processuelle première se présente à nou-
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veau à nous, avec sa prégnance et son incertitude, sa matérialité et sa fragilité, sa
plasticité et sa résistance. La résistance à l’après-coup s’affronte à la résistance
de l’après-coup. Le travail thérapeutique consiste à muter ce conflit de résis-
tance en consistance.
Mme L... nous montre qu’une préconception de la processualité existe,
d’où la quête possible de cette patiente. Personne ne lui a intimé de venir chez
moi. Un sujet qui est dépourvu d’une processualité efficace peut malgré tout
être en mesure de la chercher et de la reconnaître. Mme L... fut capable de faire
sonner mon téléphone, de prendre rendez-vous et de venir à ses séances. Elle
s’étaya sur l’une de ses sœurs en analyse. Par sa sœur, elle a pu incarner son
transfert de précession. Quelques siècles plus tôt, qui aurait-elle sollicité ? Et qui
dans quelques siècles ?
Les opérations processuelles élémentaires sont donc déjà là en tant que pré-
conceptions, aptes à se transposer sans forcément se réaliser. Notre métier nous
place à leur service. Si cette appropriation peut ne pas se faire, pouvons-nous
l’aider et comment ? Nous faut-il passer par une appropriation d’influence, le
risque étant que celle-ci devienne l’aboutissement ? La question n’est pas nou-
velle. Elle porte sur l’interminabilité, avec ou sans analyse !
C’est en suivant Freud que va encore poindre mon étonnement et qu’une
ébauche de réponse va se dessiner. Une notion est restée très en retrait tout au
long de ce texte, alors qu’elle vient sous la plume de Freud en même temps qu’il
décrit, puis nomme l’après-coup. Elle aussi a eu pour destin de disparaître de
façon manifeste, en fait de suivre un cheminement, celui de la phylogenèse.
C’est la notion de posthume.
C’est seulement après la rédaction de mon rapport qu’elle m’est apparue
essentielle dans son accompagnement de l’après-coup. Elle nous oblige à revenir
au conseil de Freud de 1937, celui de veiller à ne pas sexualiser les processus
psychiques. Freud dit cela à propos de la conception du refoulement de Fleiss
selon lequel le refoulement reposerait sur une mise en conformité de la bisexua-
lité avec le sexe biologique.
1436 Bernard Chervet

Pour faire un acte thérapeutique, il faut autre chose que du sexuel, un autre
chose qui est impliqué dans la mise en place de la sexualité humaine. Posthume
renvoie au couple « inhumer-exhumer ». Le principe du thérapeutique ne peut
donc être le sexuel, même si celui-ci est le contenu fréquent de l’inhumation-
exhumation. Pour aboutir à un effet thérapeutique, il nous faut installer l’infan-
tile du sexuel, mais aussi l’infantile du narcissisme, His Majesty the Baby.
Existe-t-il un infantile du traumatique ? Freud semble le proposer quand il dis-
tingue une angoisse-signal d’une angoisse automatique ; de même quand nous
différencions, après lui, motion et excitation. La voie du retournement de l’ex-
tinction nous en propose encore un autre, l’infantile de l’idéal avec l’idéalisa-
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tion. Mais il ne peut exister d’infantile de la régressivité extinctive ! Elle est sans
régression formelle, par définition.
Posthume : son étymologie est double. Comme souvent, l’une suit les
racines ; l’autre, la contagion homophonique par effet d’un signifié inconscient.
Ainsi, posthume hérite d’une graphie erronée du point de vue de l’étymologie. Pos-
tumus veut dire « dernier ». Il a été altéré par humus, d’où posthumus. Mais c’est
l’évolution du sens qui nous intéresse. Celui de postumus est passé de « dernier » à
« dernier né ». Puis, par condensation des deux signifiés, dernier-né et humus, pos-
thumus a signifié « dernier enfant né après la mort du père ». Une progéniture
après la mort du père ; l’après de la mort du père ; la mort du père et l’après-coup.
Avec la notion de mort du père et sa trajectoire dans l’œuvre de Freud, nous
embrassons toute la métapsychologie. Sous la plume de Freud, posthume
désigne un retour, un après-coup d’un refoulement ayant rapport à la mort du
père. Ce que signifie mort du père, l’élimination de l’impératif processuel, est au
cœur même de l’après-coup.
Ce petit brin d’enquête sur l’étymologie de posthume vient d’agir une
démarche provoquée par tout contact avec la réalité de la mort, et plus encore
avec la mort d’un être cher, celle d’induire psychiquement une enquête. Freud s’y
est engagé d’un bout à l’autre de son œuvre qui est une immense enquête sur
le meurtre. Dès Œdipe, le traitement de la peste de Thèbes exige une enquête.
L’enquête est l’après-coup du meurtre. Elle est aussi le vecteur salvateur.
L’enquête ? Freud d’abord, bien sûr, et sa quête étiologique ; Freud encore
et sa quête chronologique dans « L’Homme aux loups » ; Lacan plus tard qui lui
emboîte le pas avec « La lettre volée » d’E. A. Poe. Identifiant le psychanalyste à
Dupin, il se lance sur les traces du forfait et sur la méthode consistant à retrouver
le signifiant mis en latence par un ministre peu scrupuleux afin de le restituer à
qui de droit, la Reine. Dans l’affaire, le Roi a la place du mort.
En fait, Dupin, Freud et Lacan suivent pas à pas la même méthode, celle
agie par Freud quand il enquête en deux temps, deux articles, sur son oubli du
nom Signorelli.
L’après-coup 1437

Avec la mort du père, le meurtre et l’enquête, c’est toute une lignée de la


pensée de Freud qui se présente, celle de la phylogenèse ; non pas qu’il s’agisse
d’accepter ou de récuser l’anthropologie de la phylogenèse, mais de se deman-
der ce que Freud veut désigner du psychisme quand il utilise le terme de
« phylogenèse ».
Évoquons les quatre étapes principales où se mêlent meurtre et phylo-
genèse :
— 1900 : Œdipe, bien sûr, avec le meurtre du père de l’histoire personnelle,
meurtre ouvrant grande la régression transgressive de l’inceste et son destin iné-
luctable, la castration. Freud place déjà ce meurtre sous les auspices du typique,
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de la typicité universelle constituée par les processus génériques de la pensée
humaine.
— 1911-1912 : le Père primitif de Totem et tabou avec la genèse de la
culture sous l’effet de la culpabilité et du repentir faisant suite à ce meurtre.
Tour à tour se répètent le meurtre du père et son érigement. Le phallisme de la
représentation du père se déploie et éclipse le meurtre.
— 1923-1924 : le deuil du père permet la résolution du complexe
d’Œdipe et l’instauration de son héritier, le Surmoi. Freud introduit une
nuance de poids : pas seulement le père, les parents. Le paternel devient une
instance et le meurtre s’impersonnalise et s’intériorise, engagé qu’il est dans le
travail de deuil.
— 1938 : le roman historique de Freud, L’homme Moïse et le monothéisme.
Dans ce texte, l’acte de meurtre et son déni l’emportent sur l’objet du meurtre. Ce
qui fait retour, ce sont des séquelles, des vestiges, des fossiles attracteurs de l’acte
lui-même. Freud donne là comme exemple la circoncision ; ajoutons les stig-
mates. C’est cet acte qui est responsable d’une culpabilité de fonctionnement.
Moïse est le roman de l’après-coup de Freud, un roman qui dévoile et qui
reconnaît le meurtre comme opération mentale princeps engagée dans tous les
actes psychiques.
Ces étapes portent toutes sur le meurtre en tant qu’acte, acte moteur et acte
psychique. Le signifié « meurtre » était déjà enclos dans le terme « posthume ».
Une théorie du meurtre s’est ainsi transposée très tôt dans le langage théorique
utilisé par Freud, bien avant que le meurtre ne devienne un objet et un élément
de la métapsychologie.
Au cours de cette trajectoire, le meurtre se révèle avec son double sens,
d’ouverture à la morbidité et de principe fondateur ; d’où sa valeur en tant
qu’acte thérapeutique analytique.
Ma propre enquête sur l’après-coup vient de s’enrichir d’un indice : l’après-
coup dissimule un meurtre qui a présidé à son existence et qu’il agit. L’appel à
l’enquête trouve là toute sa justification.
1438 Bernard Chervet

Le terme de « meurtre » désigne l’opération processuelle par excellence,


celle qui instaure le psychique. Le meurtre est l’acte psychique primordial.
Après 1920, cette opération n’est plus synonyme de deuil ou de désexualisation
narcissisante, elle désigne le rapport à l’extinction. Le meurtre est une opération
contre-extinctive, une réduction de l’extinctivité qui s’étaie sur le paternel des
psychismes parentaux. Il est caractérisé par ce qu’il introduit, l’irréversibilité.
Freud emploie souvent l’idée d’une extraction. Nous pouvons alors envisager
une extraction de la tendance extinctive. Dès lors, celle-ci peut servir à amortir
les stimuli externes et à fonder des traces aptes à devenir des représentations.
Tel serait le travail du pare-excitation.
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La spécificité de l’impératif surmoïque n’est pas d’empêcher la régression ni
l’oscillation régrédience-progrédience, bien au contraire, mais d’indexer la réali-
sation de l’une et de l’autre d’un degré d’irréversibilité, sans quoi elles s’avèrent
transgressives. La libido du Surmoi est une libido porteuse d’irréversibilité.
C’est seulement par son contenu qu’un fantasme peut nous laisser croire qu’il
flotte dans un imaginaire malléable à l’infini, alors qu’il puise ses origines dans
le processuel. Son existence engage le processuel et transmet le message de cette
responsabilité envers l’irréversible.
Nous avons reconnu que la processualité et le meurtre qui la spécifie ont
pour particularité d’être déjà là en tant que potentialité et que leur effectivité
nécessite qu’elle s’inscrive dans une historicité contingente. Nous nous sommes
aussi étonnés de la prégnance avec laquelle cette inscription s’impose par les
voies les plus diverses.
Faisons un pas de plus : cette potentialité est elle-même un héritage d’une
historicité antérieure. Se dessine là une théorie de la transmission psychique. Une
histoire ancienne agie effectivement se mute en potentialité psychique qui se mute
elle-même en une nouvelle effectivité en s’étayant sur une nouvelle histoire singu-
lière. L’histoire d’un double meurtre organise la transmission.
L’homme Moïse, ce roman de l’après-coup, nous apprend que l’après-coup
est la méthode même de cette transmission psychique. C’est ce que Freud nous
lègue, une conception de la transmission psychique fondée sur une double série
de meurtres.
Mais que devient le meurtre quand il n’est pas drainé par la processualité,
par le travail psychique ? L’horreur est alors le masque donné à l’effroi.
Sinon il travaille au progrès, ce dernier mythe du XXe siècle qui a dû s’ou-
vrir à son tour à la déception et apprendre que l’illusion est son chemin et qu’il
doit aussi y renoncer.
Bernard Chervet
39, rue du Professeur-Florence
69003 Lyon
L’après-coup 1439

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