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L'ACCOMPLISSEMENT ET L'ATTEINTE

André Beetschen

Presses Universitaires de France | « Revue française de psychanalyse »

2003/5 Vol. 67 | pages 1455 à 1527


ISSN 0035-2942
ISBN 2130535666
DOI 10.3917/rfp.675.1455
Article disponible en ligne à l'adresse :
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L’accomplissement et l’atteinte

André BEETSCHEN

À la mémoire de Thérèse R...

Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont


lâches ;
Nous nous faisons payer grassement nos
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aveux,
Et nous rentrons gaiement dans le chemin
bourbeux
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos
taches.
C. Beaudelaire, « Au lecteur »,
Les Fleurs du mal1.

I. LA CULPABILITÉ : UN SENTIMENT À DÉFAIRE

L’excès de la pulsion et le souci de l’autre : le conflit, puisant ses racines


dans la sexualité infantile, est au cœur de l’humain et S. Freud a fait du
renoncement pulsionnel et de ses aléas – l’hostilité suscitée par ce renonce-
ment ; le destin de cette hostilité dans le sentiment de culpabilité – la condi-
tion de notre développement d’être civilisé. La condition du vivre-ensemble et
avec soi.
La référence faite au développement concerne la théorisation même de la
« conscience morale » : on en prendra la mesure en lisant à la suite « La
morale sexuelle civilisée et la maladie nerveuse des temps modernes »2 et
Malaise dans la culture3, ou ces phrases de la préface à l’édition hébraïque des
Conférences d’introduction à la psychanalyse4 : « La théorie a fait des progrès
dans l’intervalle, elle s’est accrue de points importants, comme le démontage

1. C. Baudelaire, Les Fleurs du mal, Le Livre de poche, 1972, p. 5.


2. S. Freud (1908).
3. S. Freud (1930 c).
4. S. Freud (1930 b).
Rev. franç. Psychanal., 5/2003
1456 André Beetschen

de la personnalité en un moi, un sur-moi et un ça, une modification profonde


de la théorie des pulsions, des découvertes sur l’origine de la conscience
morale et du sentiment de culpabilité. »
De ces remaniements, je ne restituerai pas le détail et j’affronterai donc
l’attaque du sentiment de culpabilité qui surgit dès lors qu’on rencontre le legs
et l’héritage : impossible de rendre justice à tous ceux à qui je dois une part de
mon trajet1 !
De toute façon, on ne peut s’attaquer sans modestie ni crainte au senti-
ment de culpabilité si l’on prend la mesure du champ anthropologique qu’il
couvre : de la théorie du droit et de la justice au politique et à la morale2.
Cette étendue du champ devient même un obstacle à l’examen de sa nature
psychique, avec le risque d’une psychologisation. Peut-être est-ce pour cela
que S. Freud n’a jamais écrit de texte d’ensemble sur le sentiment de culpabi-
lité, tout en faisant pourtant de ce dernier le témoin de ses avancées métapsy-
chologiques. Mais, en le rapatriant dans l’infantile, il l’a d’abord arraché au
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religieux. Geste nietzschéen qui reste d’une lucidité sceptique sur l’acquis de
civilisation, même si la découverte analytique s’avère un progrès de culture
lorsqu’elle découvre une vie psychique infantile et qu’elle fait du névrosé un
gardien de la longue mémoire. Il n’empêche que notre langue s’est appuyée
depuis des siècles sur la conception judéo-chrétienne de la faute originelle
pour dire la conscience coupable devant le jugement divin et que le « for inté-
rieur » doit autant à Augustin qu’à Sophocle ou à Moïse.

1. Avec la pulsion : le but et le tort

Le sentiment de culpabilité est d’une double nature : tantôt il humanise.


tantôt il rend malade. C’est dire qu’il représente particulièrement le conflit psy-
chique, organisé par la pulsion, et qu’il est à la fois mode de liaison et de conte-
nance : honte et culpabilité – pour faire ici lien avec le travail de Claude Janin –
s’érigent en effet, dans leur rapport au sexuel infantile, comme ces « digues psy-
chiques » dont parle S. Freud dès les Trois essais sur la théorie sexuelle3 :

1. L’écriture, pour sa version définitive, de ce rapport s’écartera sur quelques points de celle du
texte proposé au Congrès. En effet, les discussions préalables dans des groupes de travail et les remar-
ques amicales m’ont permis de rendre plus claires, du moins je l’espère, certaines propositions ; ainsi
ai-je inséré dans la version présente quelques infléchissements présentés dans l’exposé introductif du
Congrès. Bien entendu, l’architecture d’ensemble n’est pas modifiée : cela appellerait un travail de plus
grande envergure. Par ailleurs, j’ai supprimé un certain nombre de notes qui surchargeaient le premier
texte. On trouvera dans ma bibliographie l’ensemble des références qui m’ont aidé.
2. N. Sarthou-Lajus (2002).
3. S. Freud (1905).
L’accomplissement et l’atteinte 1457

dégoût, honte-pudeur et morale, morale qui deviendra compassion et faculté de


compatir. Ces digues, formées avec le matériau même de la pulsion,
n’évoquent-elles pas déjà le « travail d’assèchement du Zuydersee » dont il sera
question plus tard ? C’est cet arrimage du sentiment de culpabilité au pulsion-
nel que j’ai voulu explorer, avec l’accomplissement et l’atteinte1.
L’accomplissement, c’est la recherche de satisfaction, dans l’excès même
de la revendication pulsionnelle : il s’agira donc de réinterroger l’acte psy-
chique infantile, l’acte inconscient et ses modes de réalisation ; de concevoir le
sentiment de culpabilité comme cette part de souffrance porteuse d’incons-
cient (l’angoisse reçoit ici une qualification topique et intentionnelle) qui, atta-
quant de l’intérieur, altère ou barre la satisfaction. De cette attaque interne, je
privilégierai moins la soumission à l’interdit que la violence liée à
l’insatisfaction, au déplaisir et à l’hostile, qui lestent irrémédiablement la satis-
faction. Le développement de la métapsychologie freudienne accordera de
plus en plus de place, on le sait, à cette part « négative » de l’insatisfaction, ce
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qui mettra en crise le fantasme au profit de l’agieren.
L’insatisfaction peut alors être envisagée selon plusieurs axes : celui du
refoulement et du jugement par le sur-moi ; celui de l’excès de la poussée pul-
sionnelle qui dépasse les possibilités de sa délégation psychique (je préfère
cette expression au mot de « représentance ») ; celui, enfin, d’une attaque per-
manente liée aux premiers objets – tant par leurs réponses aux revendications
pulsionnelles que par leur énigme d’altérité inconsciente –, objets qui fixèrent
les destins des premiers montages pulsionnels. Cette butée de l’insatisfaction
constitue une part obscure pour la pulsion elle-même et S. Freud écrit, dans
l’une de ses dernières notes : « La conscience de culpabilité se développe aussi
à partir de l’amour insatisfait. Comme la haine. À partir de ce matériau, nous
avons véritablement pu produire tout ce qu’on veut, comme les états autarci-
ques dans leurs produits substitutifs. »2
L’atteinte par l’insatisfaction : le mot rassemble le but réalisé et l’objet
touché, le déplaisir qui altère, ce que la pulsion fait à l’ « objet », et la blessure
retournée contre le moi par l’insatisfaction en « reste ». Le sentiment de culpa-
bilité – tension entre moi et sur-moi – exprime cette atteinte intériorisée dont
j’essaierai de suivre les modalités, selon les mécanismes psychiques dont elle
use (retournement, renversement) et l’état du moi que ces mécanismes rencon-
trent. Car le sentiment de culpabilité, cette qualification de l’angoisse en
« angoisse morale »3, est sentiment du moi. La langue française ne dispose que

1. Voie déjà largement ouverte par J. Goldberg avec son livre La culpabilité, axiome de la psy-
chanalyse (1985).
2. S. Freud (1938), p. 288.
3. J. Laplanche (1981).
1458 André Beetschen

d’un mot – conscience – pour dire à la fois l’être conscient et la conscience


morale, quand la langue allemande, elle, en dispose de deux. Ce recouvrement
n’est pas forcément un désavantage : plutôt que de séparer, il institue, au cœur
même de la conscience, une conscience informée de l’inconscient.
Défaire le sentiment de culpabilité à partir de l’amour insatisfait, ce sera
donc dégager le rôle du déplaisir et de la destructivité dans sa genèse, en pré-
cisant comment l’intériorisation progressive de l’hostile, en suivant les voies
du retournement ou du renversement, construit l’instance du sur-moi, et en
revenant sur la position charnière du narcissisme, qui contraindra S. Freud à
la théorisation du dernier dualisme pulsionnel.

2. La culture et la langue

Évaluer les origines de l’intérêt porté à un objet d’exploration se heurte à


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cette inévitable part d’obscurité qui lie l’asservissement de nos pensées à nos
exigences pulsionnelles ! Le souhait de travailler le champ du sentiment de
culpabilité, en profitant du temps qu’offre la longue perspective d’un rapport
de congrès – de cela, je suis infiniment reconnaissant envers ceux qui m’ont
donné cette chance –, s’est nourri à deux sources : d’une part, les difficultés et
les obstacles rencontrés dans certaines cures, quand s’y affronte un sentiment
de culpabilité précaire ou massif ; d’autre part, la relecture des écrits freudiens
d’après 1920, avec le souci d’y rechercher, après d’autres, comment
s’articulent narcissisme et destructivité pulsionnelle.
Et si l’impulsion pour le thème de nos rapports nous fut donnée, à
Claude Janin et à moi-même, par le Congrès des psychanalystes de langue
française de Montréal1, elle se trouva renforcée, de mon côté, par les échanges
du Congrès des psychanalystes de langue française de Paris2 : l’acte et la scène
(de punition ou de jugement) sont évidemment au premier plan des formes
psychiques de la culpabilité.
Mais d’autres origines se proposent ; elles en appellent à notre prise tra-
gique plus qu’heureuse dans l’humain.
C’est la réflexion jamais achevée sur le mal et sur l’existence psychique de
l’autre, réflexion qui fait surgir ces grandes figures culturelles qui ne cessent de
nous accompagner en veillant sur nous, comme si elles prenaient le relais de
nos parents d’enfance : Œdipe, Job, Hamlet... Et, parmi les écrivains de notre

1. L’idéal transmis (2000) et ses deux rapports : « Pure culture » de J. Mauger et L. Monette ;
« Sur-moi culturel » de G. Diatkine.
2. La figurabilité (2001) et ses deux rapports : « L’action de la forme » de L. Kahn ; « Figurabi-
lité et régrédience » de César et Sára Botella.
L’accomplissement et l’atteinte 1459

temps, celui dont le regard ronge la présence, F. Kafka – lui dont Le Procès1
est tellement devenu la fable emblématique de notre condition qu’une sorte de
pudeur en réserve l’usage. G. Steiner n’écrit-il pas, en commençant sa préface
à l’édition anglaise du Procès2 : « L’idée qu’il puisse y avoir quoi que ce soit
de neuf à dire du Procès de Franz Kafka n’est guère vraisemblable » ; et il
ajoute : « La littérature secondaire est cancéreuse... En vérité, l’accès spontané
et le choc de l’immédiateté sont devenus quasiment inimaginables. » Mais il
dira, plus loin : « Kafka se servit de son mal autant que son mal se servit de
lui, et cette réciprocité approfondit son sentiment de culpabilité. » On ne tra-
vaille pas sur la culpabilité sans, comme Job, creuser ses maux !
L’homme détruit et se détruit, avec acharnement parfois. Cet acharne-
ment peut effacer la culpabilité dans l’alibi de la masse, et c’est alors la pire
violence du monde : la guerre, le meurtre, les attentats, la condition bafouée
du vivre-ensemble. S. Freud n’a jamais renoncé, comme le signale M. Mosco-
vici3, à penser, d’un même tenant, la condition psychique de l’individu et celle
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de l’espèce humaine et à faire du sentiment de culpabilité, dans son origine et
son développement, le creuset où se mélangent pulsionnel et culturel. Cet
horizon de pensée nous oblige : il met en perspective l’histoire et le politique,
il maintient le primitif dans le civilisé.
Lyon, la ville de notre congrès, peut prétendre ici à quelque singularité.
Elle est en effet le lieu emblématique d’un premier et légendaire martyre chré-
tien : le lieu, encore, d’une des premières luttes sociales organisées où des
ouvriers-artisans de la « fabrique » textile – les canuts – prirent en main leur
destin pour plus de liberté et de justice (K. Marx saluera le geste inaugural de
ces canuts). Plus récemment, c’est ici que se déroula le procès « Barbie »,
après que se fut accomplie ici l’action d’un milicien, P. Touvier, dont le procès
– le premier à juger et inculper un accusé français de « crime contre
l’humanité » – fut nommé « celui de la mémoire retrouvée »4.
Avec la Shoah et l’imprescriptible du crime, qui fait moins front à la gra-
vité de la faute qu’au risque incessant de sa négation, avec les génocides de la
dernière partie du siècle, l’urgence de penser l’effacement de la culpabilité
individuelle – la « banalité du mal »5 – et les conditions d’une culpabilité col-
lective est devenue un enjeu de civilisation dont le « devoir de mémoire » ou la
« demande de pardon »6 sont les témoignages. La guerre, surtout lorsqu’elle

1. F. Kafka (2001).
2. G. Steiner (2002), p. 49.
3. M. Moscovici (2002).
4. L. Greilsamer, dossier « Paul Touvier, un collaborateur dans l’histoire » ; Le Monde,
17 mars 1994.
5. H. Arendt (1963).
6. J. Derrida, Le siècle et le pardon, Le Monde des débats, no 9, décembre 1999.
1460 André Beetschen

semble perdre tout sens, les actes de terrorisme (les attentats du 11 sep-
tembre 2001 ou le conflit israélo-palestinien ; pour les deux, ce même mot qui
semble clamer un redoublement de la mort : « attentat-suicide ») provoquent
cet ébranlement de la raison dont les revues de psychanalyse elles-mêmes se
font depuis peu l’écho insistant. « Tous coupables ? Non », s’emportait
P. Bruckner1, quand Monique Canto-Sperber2 écrivait, sous le titre « Injusti-
fiable terreur » : « Aucune explication par les causes sociales ou psychologi-
ques, aucune explication par le but, ne peut modifier la qualification morale
de ce qu’est l’acte de lyncher ou de tuer. » L’injustifiable a nécessité que soient
approfondis les liens entre « mémoire, histoire et oubli »3.
Car le sentiment de culpabilité n’est pas seulement lié à ce qu’on a fait ; il
trahit aussi ce que, par crainte, négligence ou lâcheté, on a laissé faire en vou-
lant ensuite l’oublier. Il en appelle ainsi à la responsabilité d’un sujet invité à
répondre à autant qu’à répondre de4. Il témoigne de la capacité psychique
d’intérioriser le dommage fait à autrui : identification à la violence subie par
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l’autre mais, tout autant, reconnaissance en soi de l’indompté de la sauvagerie
pulsionnelle, du « penchant à l’agression ».
Ces questions ne peuvent certes pas être traitées à la légère ; elles ne peu-
vent non plus être tues. Elles contraignent à ne pas démêler trop ce que la
langue tient assemblés : le langage du droit et du psychique (le jugement dans
sa double valence, l’acte dont on est agent et responsable, l’héritage reçu qui
fait devoir de transmettre). La difficulté de traduction, en français, du mot
allemand et freudien Schuld – faute, culpabilité ; le mot est dans le plus étroit
rapport avec die Schuld(en) : la (les) dette(s) – en est le signe patent, que
relève J. Laplanche dans sa Terminologie raisonnée5 en expliquant son choix
de « coulpe ».
Prêtons attention, donc, à ce que la langue nous lègue pour dire la culpabi-
lité, à cet « usage langagier » dont Freud fait à plusieurs reprises un argument
métapsychologique décisif : on y verra l’insistance signifiante du retournement
de l’hostile dans l’ambivalence. La peine, condamnation autant qu’atteinte
triste, qu’on reçoit ou qu’on se donne ; en vouloir à, où le désir trahit son envers
de haine, plus explicite encore dans le en vouloir à mort ; la polysémie de mal
(nom, adjectif, adverbe : avoir mal, faire du mal et mal faire ; interdit, échec et
douleur : « j’ai mal » appelle l’attention aimante, la sollicitude, la caresse) ; le
réfléchissement insistant des remords, repentir, reproche, ressentiment ; la

1. P. Bruckner, Le Monde, 26 septembre 2001.


2. M. Canto-Sperber, Le Monde, 4 octobre 2001.
3. P. Ricœur (2000).
4. J. Laplanche (1994).
5. J. Laplanche (1989), p. 87.
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menace de l’hostile dans l’hôte. Jusqu’à ces nouveaux mots du vocabulaire de la


guerre qui parlent du « traitement d’une cible » ou d’une « frappe chirurgi-
cale ». Et encore : la faute pour dire le manque (faute de...) et l’auteur dans son
ambiguïté (auteur de l’acte, avec cette ombre portée qui fait signe, là aussi, vers
l’hostilité : auteur de l’œuvre ou de l’écrit, certes, mais autant auteur du crime
et du forfait ; on ne dit pas auteur pour l’acte amoureux !).

3. La tâche à soutenir

Notre scène du monde – là où s’engage notre responsabilité – est d’abord


la cure analytique. Le sentiment de culpabilité en est l’un des moteurs ; il
s’accomplit malgré la réserve et la position de non-jugement que requiert le
« refusement de l’analyste ». Éloignement du pardon et de l’aveu, comme
S. Freud l’affirme dans La question de l’analyse profane1 : à « l’interlocuteur
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impartial » lui faisant remarquer que la technique analytique obéit au « prin-
cipe de la confession », il répond : « Dans la confession, le pécheur dit ce qu’il
sait, dans l’analyse le névrosé doit en dire plus. » Il s’agira, évidemment, de
saisir la nature de ce « dire plus qu’il ne sait ».
Le sentiment de culpabilité ne cesse d’accompagner l’analyste dans sa
tâche précaire. « Précaire » se dit, selon Le Robert, de « ce qui ne s’exerce que
grâce à une autorisation révocable ». Sans en appeler ici à la soumission
devant un sur-moi tyrannique, on mesure que la nécessaire présence du tiers
met le « ne s’autoriser que de soi-même » au rang des dangereuses illusions !
Ce sentiment se montre particulièrement actif quand les obstacles s’avèrent
insurmontables ou que les échecs – dont la responsabilité est toujours celle
d’une aventure partagée – n’ont pas tenu la promesse espérée de changement.
Inaccomplissement de fin d’analyse, quand les modifications psychiques parais-
sent minces : on se dit alors, pour se consoler, qu’il y a eu au moins un effet
psychothérapique, tout en se reprochant de n’avoir pas su ménager une ouver-
ture dans cette analyse, fût-ce au prix de l’angoisse. Car « il n’est pas facile de
comprendre comment s’y prendre pour retirer à la pulsion la satisfaction »2.
C’est dans « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin »3, ce texte à la fois testa-
mentaire et d’une incroyable jeunesse de pensée, que S. Freud, associant l’ana-
lyse à ces autres métiers impossibles que sont l’activité de gouverner et d’éduquer
– trois tâches qui concernent autant le désir que le vivre-ensemble –, relève la

1. S. Freud (1926 a), p. 11.


2. S. Freud (1930 c), p. 285.
3. S. Freud (1937), p. 264.
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butée et le risque, chez le patient comme chez l’analyste, du « Ils restent comme
ils sont »... Notre tâche est pourtant de ne pas cesser de remettre sur le métier ce
qui, entre patient et analyste, s’oppose au déplacement et à la transformation
psychiques. Le contre-transfert ne fait-il jamais rien d’autre que de reposer
l’insistante question : En quoi pactise-t-on avec les résistances de nos patients ?
Je n’approfondirai pas ici la question du « sur-moi analytique » ni celle de
l’éthique qui me semble relever d’abord, comme le souligne J. Sédat1, de
l’observation d’une méthode, celle de la déconstruction patiente des solutions
boiteuses et coûteuses échafaudées contre la poussée obstinée de la sexualité
infantile, déconstruction de formes dont L. Kahn2 nous a restitué avec rigueur le
travail. Mais notre sentiment de culpabilité est d’abord arrimé au transfert et à
ce que D. Clerc-Maugendre a appelé sa « nature excessive »3 : les bouleverse-
ments passionnels qu’il peut susciter, la destructivité qu’il peut déchaîner. Ces
effets, nous avons la conviction de les avoir provoqués, même quand se main-
tient tout au long de la cure cette distance polie et convenue qui semble ôter à
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l’analyse son caractère d’expérience incarnée, d’expérience au présent.
Le « maniement du transfert » – devant la puissance de ce dernier, nous
sommes contraints de nous incliner : il n’est que d’entendre, par exemple dans
certains entretiens d’admission à nos sociétés, comment des formes manifeste-
ment délinquantes de ce maniement ont pu se maintenir des années
durant – fait mesurer dans chaque cure l’incroyable ambition de notre tâche :
tenter de renverser le destin fixé d’une souffrance ancienne en une expérience
inédite, fondée sur la parole qui se souvient en s’écoutant et sur la construc-
tion qui la relance. Arracher par là à la religion et la fatalité les fausses conso-
lations qu’elles proposaient. « Le propre de la situation qui a lieu dans un
échange psychanalytique, écrit A. Green4, est d’accomplir le retour sur soi au
moyen du détour par l’autre. » Mais cet autre n’est vecteur de sens que par la
dissymétrie qu’il soutient, et la croyance en l’efficace de ce détour
– l’expérience transférentielle du déterminisme psychique – s’enracine dans ce
que J. Laplanche5 a appelé « situation anthropologique fondamentale ; con-
frontation, dans leur hétérogénéité, entre adulte et enfant ».
Quand S. Freud met en garde contre une « psychanalyse sauvage »6 qui
méconnaît le respect dû au transfert et à la pulsion, c’est le wild – le primitif,
ce mot de Totem et tabou7 – qu’il fait entendre : risque de l’impatience et de

1. J. Sédat (1999).
2. L. Kahn (2001).
3. D. Clerc-Maugendre (1991).
4. A. Green (2002), p. 50.
5. J. Laplanche (2002).
6. S. Freud (1910).
7. S. Freud (1913 b).
L’accomplissement et l’atteinte 1463

l’emprise, du chemin court, qui donnent a contrario à l’interprétation analy-


tique juste sa dimension « culturelle ». Pourtant, pas d’interprétation possible
ni efficace sans la croyance animiste en une part acceptée de toute-puissance
des pensées où se retrouve, défiant les mécanismes rationnels, la vigueur de la
fantaisie infantile : activité de pensée qui déroute, imagination avivée par la
régression formelle qui excite l’écoute, « alchimie des pensées » – le mot est
d’A. Petitier1 – œuvrant à disjoindre pour les recomposer des unités trop éta-
blies. Une manière de suspendre le jugement et le sérieux d’adulte pour le pré-
sent « étranger » du détour et du rêve.
Mais la résistance veille, des deux côtés de la scène analytique, et le senti-
ment de culpabilité est sans cesse à défaire, comme le sont ces états psychiques
ou sentiments « normaux », deuil et jalousie. Aussi délier ses strates est-il tan-
tôt faire surgir ce que sa possible complaisance et son excès de monstration,
son pathos, appellent, dans l’aveu et la recherche de punition, comme satisfac-
tion masochiste, tantôt deviner et faire apparaître, depuis les manifestations
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de répétition qui en signent le caractère inconscient, sa force agissante. C’est
construire le destin d’un retournement pulsionnel – la violence de l’auto dans
l’autoreproche – qui fait de l’intériorité fautive et souffrante un lieu de ten-
sion, certes, mais aussi un lieu de méconnaissance et de conservation des actes
psychiques inconscients. « La culpabilité, écrit J. Laplanche2, ne se nourrit pas
de la faute mais de l’énergie pulsionnelle réprimée. »
Car la culpabilité fait mal en prenant en charge l’hostilité suscitée par la
répression et le renoncement, en retournant contre le moi la part insatisfaite
de la pulsion. Violence d’autant plus cruelle que le déplaisir ne parvient pas à
être surmonté, et qu’il échoue à être qualifié.
J’ai donc choisi de prendre appui sur deux cures analytiques aux difficul-
tés différentes, mais où tentèrent d’être mis au jour, face à un sentiment de
culpabilité inconscient, latent ou expulsé, les forces pulsionnelles agissantes et
les efforts du moi pour parer à leur atteinte.
Ce choix laisse de côté les aspects cliniques manifestes, déplacés ou
bruyants, de la culpabilité, ceux que la névrose obsessionnelle, cette invention
clinique de S. Freud, donne à analyser dans le creuset où s’agitent désir meur-
trier, pulsionnalité anale et conduites religieuses. L’Homme aux rats3, bien sûr,
demeure un indispensable horizon de pensée. En privilégiant cependant les
formes latentes et agissantes, je souhaite examiner comment le transfert
devient l’épreuve révélante du sentiment de culpabilité.

1. A. Petitier (2001).
2. J. Laplanche (1989).
3. S. Freud (1909).
1464 André Beetschen

La suite de ces deux cas peut sembler épouser trop facilement la succes-
sion théorique « première-seconde topique », alors que, bien sûr, cette évolu-
tion de la métapsychologie n’asservit pas notre travail analytique quotidien.
Nous pensons conscient-préconscient-inconscient en même temps que conflit
d’instances et on a déjà souligné ce qu’il y avait d’excessif (au regard de la
marche même de la pensée freudienne, qui avance en faisant constamment
retour) à radicaliser un « tournant de 1920 » qui commence en fait dès 1914
avec Actuelles sur la guerre et la mort1 et qui fait d’un texte comme « Dos-
toïevski et la mise à mort du père »2 une suite évidente des textes de 1908-
1912. D’ailleurs, l’expression « seconde topique » n’est-elle pas, à certains
égards, discutable ? Comme S. Freud lui-même le signale, s’il s’est agi, dans
un premier temps de la théorisation, de préciser les « qualités » de l’appareil
de l’âme, c’est l’introduction du narcissisme – l’investissement libidinal du
moi – puis celle du nouveau dualisme pulsionnel qui, en affrontant de manière
plus serrée les faits de résistance et de destructivité, ont exigé une conception
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renouvelée de la topique : régions de l’appareil de l’âme et invention des ins-
tances sous l’influence de l’identification, du moi inconscient et de la prise en
compte de l’objet. La seule véritable topique est celle d’après 1920.
Ainsi les deux analyses sur lesquelles je reviens – où se remarquera, dans
des configurations différentes, une emprise particulièrement forte du religieux
et de la mort dans la vie infantile – tentent-elles d’explorer l’axe narcissisme-
destructivité, qu’A. Green a particulièrement contribué à éclairer, et sur lequel
J. Laplanche3 a proposé que la théorie freudienne de la pulsion de mort
(théorie d’une autodestructivité soumise à l’agissement d’une « pulsion
sexuelle de mort » au maximum de sa déliaison) soit envisagée comme la
nécessité théorique – au regard de la sexualité infantile, découverte freudienne
fondamentale – de délier ce que le narcissisme et son pouvoir amoureux de
liaison avaient par trop lié. Avec cette exploration se poursuit aussi un ques-
tionnement personnel sur la construction psychique du père, le souhait meur-
trier et la fixation libidinale4.
Construction du père : le sentiment de culpabilité, en appui sur le narcis-
sisme, interroge au plus vif, en effet, la présence inquiétante-protectrice de
l’imago paternelle, l’érotisation homosexuelle qui s’y excite, l’advenue du sur-
moi et de la transmission que celui-ci assure. Cette construction vise moins à
dévoiler des faits de structure que des éléments constituants de l’activité de
fantasme, qu’il s’agisse de souhait meurtrier et de castration, d’interrogation

1. S. Freud (1913 a).


2. S. Freud (1927 c).
3. J. Laplanche (1995).
4. A. Beetschen (1997 et 2000).
L’accomplissement et l’atteinte 1465

sur le désir et la trahison de la mère, ou de positions identificatoires devant la


scène primitive. Car notre activité d’analyste ne peut s’envisager sans que s’y
privilégie, quelle que soit l’intensité de la souffrance présentée, le devinement
de l’activité fantasmatique qui anime la parole et le transfert des patients. La
question de l’ « être » est, par nécessité et méthode de cure, soumise au « dési-
rer », et l’écoute doit se rendre attentive à ce travail psychique de figuration-
déformation-transformation qui n’est jamais totalement en défaut, même
quand le recours au « traumatisme » et à sa supposée manifestation plus
directe semble proposer une voie qui se soutient de l’ « irreprésentable ».

II. LE MASQUE DE LA DÉCEPTION

1. L’analyse de Pierre
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Pierre a fait avec moi une analyse de neuf ans. C’était un homme cultivé,
mais qui se sentait éloigné des autres et des affects, souffrant d’une indiffé-
rence un peu glacée – même dans l’humour – qui ne correspondait pas à la
violence profonde de ses sentiments. Réserve absolument contrainte, donc,
mais dont la raison lui échappait absolument. La déception l’habitait : les
plaisirs éprouvés étaient toujours en deçà de la promesse de satisfaction mais
l’inhibition, le retard à entreprendre accompagnaient le fait que cet homme ne
se risquait jamais vraiment.
Tout était ainsi chez lui en demi-teinte, en léger deuil. Mais la déception
et la culpabilité éprouvée de gâcher régulièrement ses chances avaient au
moins cet avantage de ne pas laisser se développer les violents sentiments
d’imposture ou d’usurpation qui accompagnaient régulièrement ses réalisa-
tions.
Pierre ne méconnaissait pas ce qu’il y avait d’actif dans son inhibition et
ce que celle-ci comportait d’hostilité, en particulier dans sa relation aux
femmes, à la sienne notamment : il échouait dans ses relations sexuelles, ne
jouissant pas ni ne pouvant faire jouir. Évidemment, sa déception et son inhi-
bition lui donnaient la conviction coupable qu’il n’en faisait jamais assez pour
ceux qui l’entouraient et qu’il aimait.
Particularité de son histoire : son père était mort d’un cancer qui avait
dramatiquement évolué en un an, et qui était apparu alors que l’enfant avait
6 mois. Or Pierre était le dernier enfant et seul fils de la famille, avec trois
sœurs aînées. Toute son enfance se passa donc auprès de ses sœurs et de sa
mère, mais sous la tutelle omniprésente – selon les vœux de sa mère –
1466 André Beetschen

d’éducateurs religieux tour à tour bienveillants et rigoureux. Il envisagea, un


moment, de se consacrer à la prêtrise.
Ce qui amena Pierre à l’analyse, on l’aura deviné : trouver une réponse à
comment être un homme – sur quelles ressources infantiles s’appuyer –, à la
fois devant la sexualité des femmes et dans le conflit avec des rivaux. Com-
ment être un père – Pierre avait le sentiment coupable et violent de n’y pas
parvenir –, comment « construire un père en lui » alors que le père mort trop
tôt n’avait cessé d’être présent dans un discours maternel éternellement
endeuillé et dans celui de la famille ? « Comme cet enfant ressemble à son
père », lui serinait-on dans les réunions familiales. Il retenait sur les lèvres une
réponse acerbe : « Oui, mon père tout craché !... », et il donnait tous les gages
d’un enfant sérieux, réussissant brillamment en classe, et, plus tard, d’un ado-
lescent plus intéressé par la philosophie que par les filles.
L’analyse, rendue longtemps difficile par la retenue associative de Pierre,
emprunta plusieurs voies qui, pour certaines, convergèrent dans la reconnais-
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sance d’une identification ambivalente, amoureuse et hostile, au père.
Il y eut la découverte progressive d’une sexualité infantile centrée sur
l’intensité de plaisirs passifs activement recherchés : rester au lit dans la proxi-
mité d’une mère qui lui prodiguait, disait-il, des « tombereaux de tendresse »,
comme si la tombe était présente dans cette tendresse prodiguée ; découvrir et
répéter le plaisir masturbatoire que procurait le frottement des draps sur son
sexe ; s’abandonner à une curiosité très vive et mêlée d’effroi quant au sexe
féminin. Se sentant, adulte, « livré sans recours aux excès des femmes », il
recherchait avec elles « un éblouissement, une irradiation, le désir accompli
d’une caresse infinie » et sa sexualité qu’il jugeait « effondrée-effondée »
retrouva, dans l’analyse, l’inquiétude infantile suscitée par une masculinité
d’autant plus menacée que son pénis d’enfant, seul phallus de la famille, pre-
nait, selon ses mots, l’allure d’un « ex-voto »...
Cette inquiétude, un rêve vint l’élaborer à propos d’une incertitude de
nomination quant à l’ « isthme » sur une carte de géographie. « Langue de
mer entre deux continents » ou « bande de terre entre deux mers » ? « C’était
là qu’il fallait chercher », et le rêve se poursuivait par l’image d’un enfant
de 18 mois urinant debout, mais avec l’impression d’un canal qui se vidait
entre les jambes.
Il y eut surtout l’expérience obscure et douloureuse du transfert : car, der-
rière la recherche d’une protection et d’un amour bienveillant, compatissant, la
quête était vive d’une complicité homosexuelle méconnue, mais qui empruntait
les chemins de l’intelligence séductrice. Pierre me fit le cadeau de ces mots :
« L’analyse, c’est le miroir sans tain des mots. » Cette neutralisation du trans-
fert dura longtemps, jusqu’à ce que les accès de dépression et de désespoir – et
L’accomplissement et l’atteinte 1467

un tournant de la cure que j’évoquerai plus loin – en vinrent à briser la distance


civilisée et la réserve en laissant libre cours à la plainte et aux reproches véhé-
ments. Non, l’analyste ne le guérissait pas de son inhibition, et la déception per-
dait de son amortissement pour laisser remonter son fond de rage. Cruauté de
la dépression : « Une analyse, pour en arriver à ça ? » Avec sa violence
d’insomnie, cette cruauté appelait parfois l’idée du suicide.
Mais dans cette évolution de l’analyse apparurent aussi, peu à peu, des
moments d’émotion submergeante où les larmes venaient brusquement aux
yeux devant le surgissement de scènes de tendresse complice ou masculine ou
l’évocation de grandes cérémonies funéraires.
Longtemps, j’ai pensé qu’à son noli me tangere ma réserve silencieuse
venait apporter un accord trop soutenu, et je me disais parfois qu’il aurait fallu
un « geste inamical »1 pour briser la carapace qui, dans ce type de cures, donne
l’impression que l’on progresse désespérément en surface. « Comme un mous-
tique qui marche sur l’eau », me dit un jour un autre patient.
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Mais cette attente d’un geste venu du dehors – dans le temps où étaient
reprochées mes insuffisances – me permit aussi de saisir l’inhibition que je
m’imposais, et que le transfert agissait : la compassion pour l’enfant endeuillé
qu’avait été mon patient trahissait, au fond, mon empêchement et ma crainte
de prendre la place du père mort. Et cela répondait sans doute à un souhait
du patient : ne pas aimer un nouveau père pour devoir le perdre à nouveau.
Cette découverte contre-transférentielle, pour banale qu’elle paraisse du
dehors, dut assez modifier mon attitude et mon activité interprétative pour
que se firent jour dans la cure de nouvelles représentations du père. « Un père
pas si bien que ça » et dont il n’avait pas voulu, pendant longtemps, imaginer
les nombreux ratages professionnels qui avaient émaillé sa vie avant sa mort ;
un père soudain incarné puisqu’il l’imaginait, sans en avoir de souvenir réel,
« avec une voix, une odeur, des yeux » ; un père qu’il souhaitait « autori-
taire », tout en imaginant la souffrance triste de cet homme condamné, proche
d’un fils « qu’il ne verrait pas grandir ».
Il me confia un jour ce secret : sa mère avait dispersé toutes les affaires
du père, sauf deux paires de gants, qu’elle lui avait données. Ils étaient trop
grands pour lui mais, depuis l’enfance, Pierre, qui avait dessiné leur contour,
mettait ses mains sur le dessin ; et depuis peu lui était venu le souhait d’enfiler
ces gants quand il partait, seul, se promener. Je lui dis : « Vous promener avec
lui en lui donnant la main ? » Un père avait pris chair. en se dégageant d’une
identification nostalgique, mais la proximité retrouvée en fantasme barrait la
route à l’ambivalence et la rivalité.

1. S. Freud (1937), p. 248.


1468 André Beetschen

C’est alors que survint, dans les dernières années de l’analyse, une chose
inattendue, sur le mode d’un transfert latéral (mais le transfert latéral est tou-
jours une forme d’expression du transfert) : l’irruption d’une jalousie très vive,
torturante, vis-à-vis d’un homme, une ancienne relation amoureuse de sa
femme, et qui manifestait à nouveau sa présence. Or, de ce lien, il ne s’était
pas jusqu’ici préoccupé ; il n’avait pas voulu le « voir ». C’est le contraire qui
arrivait maintenant, avec l’attaque interne par des scènes sexuelles insupporta-
bles et avec la répétition d’actes de vérification qui le laissaient profondément
coupable. C’est, j’en suis convaincu, l’analyse et l’évolution du transfert qui
firent advenir cette jalousie, avec non seulement des préoccupations obsé-
dantes sur le désir inconscient de sa femme1 mais surtout des fantaisies de
rivalité meurtrière et de compétition phallique avec « l’autre homme ». Parlant
un jour de son désir ardent d’ « explorer les parties du corps d’une femme... »,
il s’entendit avec surprise et voulut se reprendre : « C’est pas vraiment le mot
qui convient ! » Et il retrouva, dans cette situation de détresse que lui causait
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la jalousie, le souvenir refoulé d’une possible et brève liaison de sa mère avec
un homme de passage : les bruits étouffés entendus depuis son lit, ce jour où il
avait gardé la chambre, comme il suppliait souvent sa mère de le lui laisser
faire.
La jalousie et son attaque interne, la haine qu’elle suscita et l’excitation
homosexuelle qu’elle mit au jour dans le lien au rival – et donc dans le trans-
fert –, modifièrent considérablement l’économie dépressive et narcissique anté-
rieure, en même temps qu’elles donnèrent à Pierre le sentiment qu’il était
« abandonné une seconde fois ». Un reproche amer resurgit vis-à-vis du père
qui s’était absenté et dans le transfert vis-à-vis de l’analyste accusé d’avoir
provoqué une détresse dont l’enfant se vivait jusqu’alors comme protégé, par
son inhibition même. La violence du désir infantile incestueux – l’enfant actif
cette fois et pas seulement victime – se découvrit dans un intense sentiment de
culpabilité.
Je ne peux résumer cette cure longue de neuf ans à ces quelques élé-
ments ! J’ai laissé de côté ce en quoi la violence de l’attaque pulsionnelle
interne – la passivité éprouvée devant la jalousie, et la cruauté des jugements
dépressifs – exigeait de concevoir un sur-moi qui puisait ses racines dans le
lien précoce à une mère préoccupée, dans le tout jeune âge de son fils, par la
mort annoncée de son mari, puis à une mère-femme longtemps endeuillée qui
avait maintenu son seul fils, dernier représentant des mâles de la famille, dans
une idéalisation nostalgique où l’identification phallique s’était trouvée dans
une impasse paradoxale. L’inquiétude, chez Pierre, d’une régression non

1. S. Freud (1922), p. 90.


L’accomplissement et l’atteinte 1469

contrôlée par l’activité de pensée convoquait ainsi un objet maternel-féminin


dont la tristesse lui apparaissait sans fond. Aussi le détachement coupable vis-
à-vis de cette mère endeuillée fut-il un autre fil constamment retissé dans cette
cure.
Ce qui m’intéresse ici est le destin narcissique imposé précocement à la
satisfaction pulsionnelle – destin lié aux particularités de l’histoire singulière
et qui, ne trouvant pas la ressource d’une identification ambivalente au père,
tint longtemps la culpabilité et l’excitation homosexuelle dans une position
inconsciente.

2. La capture narcissique

Ce destin, ici accentué, mais rencontré dans nombre d’analyses de névro-


sés, s’éclaire évidemment de la lecture de « Pour introduire le narcissisme »1 et
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de « Deuil et mélancolie »2 qui lui fait suite. Car si la culpabilité est l’atteinte
du moi dans un mouvement d’autoretournement, on peut penser que
l’investissement libidinal du moi, investissement amoureux et défensif, montre
la voie de ce retournement.
« Pour introduire le narcissisme » est l’un des écrits les plus libres et les
plus audacieux de Freud. Texte-charnière, à la jointure de deux champs
métapsychologiques, il ouvre, dans tous les sens, des perspectives qui sont
autant de promesses (amour, choix d’objet, homosexualité, psychose, etc.).
Remarquons comment, alors qu’il propose l’idée d’un investissement unifié du
moi, il se dérobe à une mémoire qui le saisirait dans toutes ses articulations !
C’est un texte qui pousse de tous les côtés, un texte d’adolescence de la
théorie : d’ailleurs, non seulement le mot « adolescent » – Herandwachsend, où
s’entend le wachsen (croître, pousser) du gewachsenen Fels, le fameux et mal
traduit « roc d’origine » de « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin » – y
figure alors qu’il est rare dans l’ensemble du texte freudien (on le retrouve
dans « Le créateur littéraire et la fantaisie »), mais il s’agit aussi, de bout en
bout, d’un formidable texte clinique sur l’adolescence, abordant un à un les
problèmes rencontrés dans ce moment crucial de passage : troubles de l’image
corporelle, orientation sexuelle, constitution des idéaux, hypocondrie et états
psychotiques, hésitations du choix d’objet et premiers sentiments amoureux...
Écrit adolescent encore – c’est-à-dire voué à transformation-disparition
en laissant derrière lui les plus puissants effets – quand on évalue son destin

1. S. Freud (1914).
2. S. Freud (1917).
1470 André Beetschen

dans la suite de l’œuvre. Certes le narcissisme est, comme contribution nou-


velle à la théorie, l’objet de rajouts, dans les Trois essais sur la théorie sexuelle
notamment, mais il devient difficile à situer dans la topique d’après 1920, et il
n’y est par exemple quasiment pas fait allusion dans « L’analyse avec fin et
l’analyse sans fin ».
Prendre la mesure du retournement de l’investissement libidinal sur le
moi – que J. Laplanche a mis en valeur avec le mot de « rebroussement »1 –,
c’est constater qu’il y a là une des constantes de la pensée freudienne lors-
qu’elle affronte un obstacle. Rebroussement de l’auto-érotisme morcelé sur
l’unité totalisante du moi ; repli sur la « réserve » du fantasme quand, dans les
« Formulations sur les deux principes de l’advenir psychique »2, les pulsions
sexuelles s’accrochent en renâclant ou rechignant à se soumettre au principe
de réalité ; retournement en son contraire ou sur la personne propre pour ces
destins de pulsion qui fixeront les rapports activité-passivité et orienteront le
masochisme. Ne dirait-on pas, à propos de ces destins primaires, que la pul-
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sion « gigotte » dans l’inquiétude, ou l’impatience, de trouver un objet ? Le
refoulement, lui, proposera un destin radicalement différent : en maintenant la
percée vers l’objet, et en assurant une certaine innocence à la tendresse, il
« fixera » dans l’inconscient les représentations inconciliables, en leur permet-
tant cette « prolifération dans l’obscur » qui dédommagera, par sa créativité
potentielle, de ce à quoi on a dû renoncer. L’hypothèse de la pulsion de mort,
elle aussi, obéira à cette logique de retournement, en y associant le retour vers
le commencement, vers le plus précoce, ce frühest dont Freud fait si souvent
un argument de causalité.
Ce retournement est constitutif de la scène du fantasme, la scène même
du sexuel comme F. Gantheret3 le soutient à propos du second temps, incons-
cient, du fantasme masochiste.
Cependant, on peut noter, dans « Pour introduire le narcissisme », com-
bien le moi ainsi investi par le rebroussement libidinal est instable : il a aus-
sitôt besoin d’être soutenu dans sa valeur (idéal du moi) et surveillé (dans
une nouvelle boucle de retournement) par cette instance d’observation qui
deviendra le sur-moi. C’est alors que se multiplient, dans le texte, ces diffé-
renciations qui sont autant de couches superposées : la conscience morale,
gardienne de l’idéal du moi ; le sentiment du moi ; le sentiment de grandeur
du moi... Cette complexité de la structure feuilletée du moi, qui s’augmentera
de la pluralité des identifications et de l’admission d’une part inconsciente,
n’est-elle pas congédiée dans la dénonciation sans nuance que fait Lacan de

1. J. Laplanche (1970), p. 148.


2. S. Freud (1911).
3. F. Gantheret (2002), p. 29.
L’accomplissement et l’atteinte 1471

l’instance ou, mais autrement, dans la théorie du sur-moi précoce de Melanie


Klein ?
Qu’est-ce qui pousse au rebroussement libidinal sur le moi ? La réponse
ne peut pas être univoque puisque le moi tire son investissement amoureux de
deux côtés : d’une part, de l’amour primaire reçu – celui qui assure que « ça
vaut la peine » de vivre ; un amour qui transporte aussi, comme J. Laplanche
l’a soutenu, la séduction par l’autre-inconscient du parent – ; d’autre part, de
l’investissement interne et détourné, attraction par l’éclat du moi aimé. On
peut voir alors se dessiner trois forces différentes qui poussent au rebrousse-
ment libidinal sur le moi : d’une part, l’excès dangereux, par sa virtualité
déliante, de l’auto-érotisme sexuel (il faut rassembler en une unité les pulsions
sexuelles auto-érotiques et se prendre soi-même comme objet d’amour pour
affronter les exigences du développement : concentration des forces devant
l’obstacle en somme), d’autre part, la puissance d’attraction de l’iden-
tification ; enfin, l’insuffisante résistance de l’investissement d’objet. Ainsi le
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moi s’impose-t-il comme unique objet, parant par là à l’angoisse de perte
d’amour ou d’inconstance.
Qu’est-ce que le rebroussement narcissique apporte à la satisfaction pul-
sionnelle ? La marque et les caractères spécifiques du moi : l’action freinatrice,
et un mode d’accomplissement qui propose à la décharge un effet de comble-
ment, de remplissage. L’inquiétude liée à la fin de l’excitation cherche un apai-
sement dans la constance ou l’élation.
La capture narcissique oriente le sentiment de culpabilité dans son mou-
vement d’intériorisation. Elle alimente l’autoreproche lorsque s’y dénonce en
particulier l’usage fait de l’objet : la faute de ne pas aimer vraiment en
s’aimant trop. celle de voler, à son seul profit, les qualités d’un objet aimé.
Autoreproches de faux, de mensonge, voire d’usurpation : comme si
l’investissement libidinal du moi gardait trace de l’angoisse qui l’avait provo-
qué et du dommage fait à l’objet dont il s’était détourné. Autoreproche qui va
jusqu’à stigmatiser un moi-bouffon qui tient sa fausse grandeur de la dépen-
dance maintenue à l’objet.
C’est un véritable amortissement – le mot contient celui de mort – que la
défausse narcissique offre ainsi à l’accomplissement pulsionnel. Parade et
ravissement, pour reprendre le beau titre de M. Duras1. Amortissement du
sentiment de culpabilité, au prix d’un éloignement de la violence pulsionnelle
infantile. « C’est pas grave », « il ne peut rien t’arriver », dit le moi devant
l’attaque pulsionnelle, en reprenant ainsi les paroles aimantes et lénifiantes de
l’environnement, et en faisant le lit des procédés de l’annulation rétroactive.

1. M. Duras (1964).
1472 André Beetschen

Pardonné, le pauvre enfant, avant même le procès... Cependant, outre que la


capture narcissique dérobe à l’intéressé le sens même de son acte, outre qu’elle
favorise ainsi le déni, elle charge l’accomplissement pulsionnel du poids
d’omnipotence du narcissisme infantile. À chaque fois que S. Freud évoque la
« toute-puissance des pensées » chez les patients obsessionnels, quand se mani-
feste la satisfaction la plus directe du souhait meurtrier, c’est à la toute-
puissance du narcissisme infantile qu’il la rattache.
De cette capture narcissique, le symptôme régulier est la déception, dont
se dessine la fonction : éviter, comme A. Green l’a montré dans son étude Le
narcissisme moral1, le surgissement de la culpabilité.
Pierre était un homme de la déception, qu’il s’infligeait autant qu’il la fai-
sait subir. Il avait entendu ces phrases émailler son enfance : « Tu n’es jamais
content ; tu as les yeux plus grands que le ventre... » et il se disait être lui-
même un « éternel déçu ». Il en concevait une rancœur un peu vague, plus
qu’une rancune (les deux mots ont la même racine, ils viennent de « rance » :
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quelque chose d’amer et d’un peu difficile à avaler ; S. Freud dit de la jalousie
paranoïaque qu’elle est une homosexualité « tournée à l’aigre » !) et il
l’éprouvait avec le sentiment à la fois honteux et coupable qui accompagnait
la conviction que ne pas satisfaire était aussi le prix qu’il faisait payer à l’autre
pour son insatisfaction.
De la déception – Entäuschung – S. Freud parle en plusieurs lieux et,
comme toujours, avec cette précision qui lui fait la différencier de la frustra-
tion, du défaut, de l’échec ou de la vexation. Ainsi dans les « Formulations
sur les deux principes de l’advenir psychique »2 : « C’est seulement l’absence
de la satisfaction attendue, la déception, qui eut pour conséquence l’abandon
de la tentative de satisfaction par voie hallucinatoire. » Déception, encore, que
celle causée par la guerre de 1914, dans « Actuelles sur la guerre et la mort »3,
face « au psychique primitif impérissable ». Et la déception est aussi mise en
position de déclencher la bascule mélancolique.
Elle témoigne donc de la part narcissique présente dans l’insatisfaction,
quand le reproche et l’attaque qui visent l’objet, autant que l’attaque interne
par le déplaisir, sont à la fois captifs et amortis dans le moi.
La déception tente de rester secrète, de ne pas se montrer. Elle touche ici
à la honte et à l’humiliation : honte de la castration, humiliation devant
l’exigence faite au moi d’être « grand ». Cachée d’autant plus, donc, que la
revendication pulsionnelle doit masquer sa tyrannie infantile ! La vie quoti-
dienne et sa psychopathologie ne montrent-elles pas régulièrement que nos

1. A. Green (1983).
2. S. Freud (1911), p. 14.
3. S. Freud (1913), p. 135.
L’accomplissement et l’atteinte 1473

déceptions s’attachent à nos souhaits les plus vifs ? Rencontres ratées pour
lesquelles nous nourrissions la plus grande attente ; objets de sublimation – un
film, un livre, un opéra : qu’ils déçoivent et la critique est « féroce » – pour
lesquels nous nous étions obligés au long détour de la patience, en nous rap-
pelant l’impatience infantile fébrile d’ouvrir les cadeaux ! La déception ou
l’insatisfaction retenue : toute cette patience, tout ce travail du moi... pour
rien !

3. Retrouver l’attaque pulsionnelle

Le travail de la cure – cette marche à rebours du rebroussement narcis-


sique, alors même que le patient est avide des preuves d’amour qui ont cons-
truit et aliéné son moi – vise à dépouiller la déception de sa gangue narcis-
sique en retrouvant, dans le transfert même et dans les indices qu’en donne la
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parole, l’accomplissement d’actes et de scènes inconscients qui atteignent le
moi dans l’estime qu’il se porte, cri menaçant de lui faire perdre le soutien
amoureux dont il croit disposer « à vie ».
Ce travail tente toujours, au fond, de décomposer la demande d’amour
pour en faire apparaître les veines pulsionnelles. Ici, avec la capture narcis-
sique : l’excitation inconsciente de l’identification homosexuelle, l’attente
méconnue du masochisme féminin1, les souhaits de grandeur (être l’élu, le pré-
féré, le plus aimé pour se conformer à l’attente de l’autre et le séduire, et pour
parer à la détresse menaçante).
Dans l’analyse de Pierre, cette retrouvaille de la pulsion passa par la revi-
viscence coupable, excessivement nette – überdeutlich, avec cet effet d’intensité
et d’éclipse que le mot convoque – d’impulsions infantiles à voir et à toucher,
avec la nostalgie d’instants anciens où se cherchait, dans la tristesse même,
une sorte de « douleur exquise » qui était comme un petit royaume. La sur-
venue de la jalousie déclencha – fit resurgir plutôt – une interrogation
d’enfant sur l’attribution phallique : si l’angoisse de castration s’y manifestait,
elle s’adjoignait des fantasmes de punition qui permettaient de retrouver
homosexuellement le père absent – ce père dont l’entourage familial avait fait
pendant les années d’enfance une figure de Dieu dans le ciel.
L’indice révélateur d’un mouvement de l’économie narcissique de trans-
fert vers une découverte du pulsionnel me semble être l’apparition d’une néga-
tivité : ambivalence pulsionnelle que le moi ne peut éviter dans son rapport à
l’objet, hostilité envahissante – die Feindseligkeit – qui, différente de la haine

1. C. Chabert (2000).
1474 André Beetschen

ou du meurtre et de leur focalisation, installe dans le moi l’inconnu et


l’informe, le pas ou pas encore représenté, l’écho du primitif. L’hostilité est
devenue l’inquiétant, unheimlich, de l’hôte.
Dans ce temps de négativité instauratrice, c’est l’angoisse qui s’impose
peu à peu à la déception, et la reconnaissance de l’acte infantile éclaire la cul-
pabilité assourdie. La nature de l’accomplissement pulsionnel s’en trouve
interrogée, comme elle l’est par les travaux récents de D. Widlöcher1, en parti-
culier son « Amour primaire et sexualité infantile : un débat de toujours »2,
autour duquel s’est établie une large discussion. D. Widlöcher plaide avec
vigueur pour une satisfaction auto-érotique de la sexualité infantile, liée au
caractère inconscient d’une scène fantasmatique par nature inaccessible et
« construite a partir de signifiants détachés de toute intentionnalité séman-
tique ». Comme il l’a soutenu auparavant, « un acte – fait accompli – ne
prend pas son sens des objets qui le composent ; c’est lui, au contraire, qui
leur confère un sens »3. Mais, si l’on admet le caractère strictement auto-
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érotique de l’accomplissement, comment penser l’hostilité et le déplaisir ?
Question même de l’insatisfaction dans ou à côté de l’accomplissement,
insatisfaction qui n’est pas réductible au plaisir-déplaisir recherché comme but
masochiste mais qui semble liée à l’accomplissement dans la mesure où celui-
ci, dans son effectivité hallucinatoire, ne se saisit sans doute pas de toute la
motion pulsionnelle. Il y a un reste, un excès, un élément de pure quantité sur
lequel M. de M’Uzan4 insiste lorsqu’il parle des « esclaves de la quantité ». Ce
reste serait l’inqualifiable et je crois que César et Sára Botella l’évoquent dans
ce qu’ils proposent d’appeler « objet-perdu-de-la-satisfaction-hallucinatoire »5,
en prêtant toute leur attention aux échecs ou aux impasses de la figurabilité.
Hallucination et perte de l’objet ne sont-ils pas des mots qui, dans leur
usage banalisé, finissent par faire écran ? J. Laplanche6 a dit depuis longtemps
sa réserve vis-à-vis de l’hallucination primitive. La perte d’objet, qui en instau-
rerait la capacité, est en fait inscrite dans un long travail de séparation, qui
concernera toute la sexualité infantile. L’accomplissement pulsionnel, même
s’il est bien de nature auto-érotique dans la scène inconsciente du fantasme,
ne cesse de convoquer des indices arrachés à l’objet, des restes de sa présence,
que celle-ci ait été amoureuse ou folle. En cela, il reste soumis à l’attraction de
l’objet sur lequel il tente d’agir : paradoxe de l’agieren.

1. D. Widlöcher (2000).
2. Ibid.
3. D. Widlöcher (1986).
4. M. de M’Uzan (1988).
5. C. et S. Botella (2001), p. 1160.
6. J. Laplanche (2000), p. 78.
L’accomplissement et l’atteinte 1475

L’hostilité – cette part de déplaisir née de l’inaccomplissement – revient


ainsi au moi depuis les objets que la pulsion a visés, qu’ils soient aimés et
interdits, qu’ils soient endommagés dans le fantasme et chargés d’une violence
primitive de rétorsion. Insupportable hostilité, souvent : on le voit dans ces
situations cliniques où, pour s’affranchir des conséquences psychiques du
déplaisir et de la déception, la rupture du lien avec l’objet devient la seule
solution possible.
La conception de D. Widlöcher d’un strict auto-érotisme de la satisfac-
tion hallucinatoire l’amène, assez logiquement, à proposer que l’accomplis-
sement fantasmatique est initial (l’ « avant-plaisir »1) et s’accomplit sur le
mode du flash, de l’instantané du rêve ou du mot d’esprit : « Le plaisir se
situe à l’origine de l’acte. » Mais cette conception fait peu mention du narcis-
sisme (sinon dans la référence à l’organisation phallique-narcissique) et de la
destructivité.
Elle traite aussi, d’une façon particulière, de la place psychique du père
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dans les montages pulsionnels. Car celui-ci, situé essentiellement comme
« marqueur réel de la différence des sexes », se présenterait surtout comme
« figure présente dans l’activité fantasmatique auto-érotique », une activité
privilégiant la dimension imaginaire sadomasochiste et, par le jeu des posi-
tions multiples et des renversements dans le fantasme, l’homosexualité incons-
ciente. Pour D. Widlöcher, c’est à la mère que revient le rôle d’inductrice-
séductrice de la vie fantasmatique et le père, lui, semble davantage actif, plus
par son absence que par son interaction réelle, à moins qu’il ne soit un père
« schrébérien »...
Un père édicteur de la Loi ? Je partage, sur « la structure de la fonction
paternelle symbolique s’inscrivant toujours en deçà de l’histoire indivi-
duelle »2, les réserves de D. Widlöcher. Mais je vois difficilement comment on
peut se passer d’un père de l’identification, de l’identification ambivalente
– elle l’est toujours, pour S. Freud – qui va lier, dans le moi, l’hostilité du
renoncement au déplaisir de l’insatisfaction et provoquer cette création expul-
sive du bastion de l’hostilité qu’est le sur-moi. Attracteur et médiateur
d’hostilité, le père l’est encore en soutenant la possibilité de l’inhibition quant
au but, processus dont S. Freud souligne que, s’il empêche d’atteindre les buts
sexuels directs, il permet néanmoins de s’en approcher et d’établir ainsi des
liens particulièrement solides et durables entre les hommes. L’inhibition quant
au but : un premier pas vers la sublimation.

1. D. Widlöcher (2000).
2. Ibid.
1476 André Beetschen

III. UNE DESTRUCTIVITÉ SANS DIGUE

Si, chez Pierre, l’amortissement de la capture narcissique éloignait la vio-


lence pulsionnelle et, du même coup, tentait de protéger le moi de l’attaque
par le sentiment de culpabilité, la vie, pour en perdre beaucoup de sa saveur,
était néanmoins préservée. lei, la destructivité va faire rage sans trouver le
secours d’une protection narcissique. Le renversement pulsionnel semble
transformer le sexuel en mortel, et quand c’est de vivre, plus que de désirer,
qu’il est interdit, le sentiment de culpabilité s’évanouit devant la détresse
insupportable. Ou il exerce son action en se soustrayant radicalement à la
conscience.
« La mort dans la vie » : il est frappant de lire la même formule chez des
analystes – A. Green, J.-B. Pontalis, N. Zaltzman – qui ont chacun exploré, à
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partir de S. Freud, ces « limites » de la vie psychique, où l’attraction
« aimantée » de la mort pervertit le mouvement d’intériorisation.

1. L’analyse de Marie

Marie décida d’entreprendre une analyse avec moi après une très longue
analyse avec une analyste jungienne, qui s’était terminée sur un lien transgres-
sif d’amitié intense, lien qui, s’il lui procurait un soutien constant à tonalité
homosexuelle, laissait inentamés des accès d’angoisse disséquante, avec des
souhaits exacerbés de mettre fin à ses jours. Marie ne me dit pas, lors des
entretiens préliminaires, ni au début de son analyse, qu’elle avait déjà fait
deux tentatives de suicide dont l’une assez grave – elle me le dira après la pre-
mière tentative de suicide faite pendant l’analyse – et, de mon côté, je ne
l’imaginai pas, tant cette femme vive, pulsionnelle, qui me parlait avec chaleur
de sa vie amoureuse et familiale et de ses intérêts culturels variés, me semblait
animée d’une vie psychique aux multiples investissements. Elle m’avait dit,
cependant, présenter un symptôme dont la violence était intrigante : la sensa-
tion anéantissante d’une boule dure qui s’installait dans la gorge et qui
s’accompagnait de l’impression que son visage devenait celui « d’une momie,
avec un masque en ciment ». Cette douleur était persécutoire ; quand elle sur-
venait, Marie se sentait effondrée.
Dés le début de l’analyse, le transfert s’installa dans une dimension amou-
reuse passionnelle où l’idéalisation sans nuance s’associait à de multiples et
répétées transgressions agies : Marie m’appelait par mon prénom, elle me
L’accomplissement et l’atteinte 1477

tutoyait, elle refusait de prendre la monnaie que je lui rendais, elle me faisait
des cadeaux que je refusais. Tout cela en se préoccupant obstinément de ma
santé et en gardant une emprise très grande sur le déroulement de l’analyse :
elle faisait le compte des séances, l’une après l’autre, mais elle avait beaucoup
de mal à accepter de s’en remettre à sa pensée associative à qui elle réclamait
immédiatement une signification.
« Le contre-transfert – écrit J.-B. Pontalis –, c’est quand on est touché au
mort. »1 J’ai eu le sentiment de l’être, en subissant avec un violent sentiment
de culpabilité les attaques de mort que Marie s’infligeait, en constatant aussi
que chaque avancée de l’analyse – ou ce qui me paraissait être tel – était suivie
d’un épisode de rage destructrice qui paraissait l’annihiler, comme en une
illustration trop parfaite d’une réaction thérapeutique négative impitoyable.
« Une enfance de rêve », à l’étranger... C’était l’ombre et la lumière, des
moments de plaisir fébrile et des épisodes de désespoir absolu : une anorexie
précoce, des troubles de constipation rebelles conduisant à des lavements,
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donnés par la mère jusque tard dans l’enfance, des crises d’eczéma géant et
invalidant, des terreurs nocturnes avec un cauchemar récurrent d’écrasement,
une masturbation compulsive qui se terminait dans la douleur infligée au sexe.
Puis l’effroi causé par la mort précoce, après quinze jours d’agonie liée à une
atrésie œsophagienne, d’un petit frère né cinq ans après elle. Les morts,
d’ailleurs, scandaient la vie de Marie : ce petit frère d’abord, puis sa mère et
son père, puis un enfant – un fils – mort à sa naissance, puis, précédant et
provoquant l’une de ses tentatives de suicide, celle de son demi-frère, premier
enfant de sa mère.
L’infantile retrouvé dans l’analyse, ce fut la passion inquiète pour une
mère mystique, d’une exigence de sainte, entourée de directeurs de conscience
religieux. Objet vénéré et inatteignable, surtout depuis qu’elle était « au ciel ».
« C’était ma seule amie ; depuis qu’elle est morte, je lui parle encore tous les
jours. »
L’infantile retrouvé, ce fut encore la catastrophe mélancolique du père,
dans les jeunes années de Marie, après la mort du fils, catastrophe qui con-
traignit cet homme à arrêter sa vie professionnelle d’accoucheur pour partir se
faire soigner en clinique psychiatrique en France. Désespoir d’un abandon,
qui laissa l’enfant seule avec sa mère. Marie fera une tentative de suicide dans
l’une des maisons léguées par son père, après qu’un rêve eut figuré le départ
du bateau qui avait emmené celui-ci, rêve dans lequel était prononcée sans
doute l’une de ses phrases : « Le bateau m’attend. » Avec un très violent senti-
ment de vengeance. Marie barbouillera les murs d’inscriptions haineuses.

1. J.-B. Pontalis (1975).


1478 André Beetschen

Ses réalisations professionnelles brillantes étaient menacées très vite de


destruction, comme si la sublimation montrait ici crûment son envers de mort.
Marie, d’ailleurs, conduisait ses entreprises « à la limite », et jusqu’à
l’épuisement. Mais elle était d’une extrême sensibilité à la rupture et à
l’éloignement : pour y parer, elle faisait appel à une excitation sexuelle vio-
lente, qui cependant n’apaisait pas. C’était comme pour sa vie imaginative :
riche, excitante, mais trop riche, trop excitante, et comme refusant de
s’attacher, de s’arrêter. Elle rêvait, beaucoup, et pourtant j’avais l’impression
qu’une vie fantasmatique n’était pas parvenue à se constituer.
L’envie de mourir suivait parfois un scénario de minutieux carnage (tout
saccager dans sa maison, détruire tout ce qui lui était cher) mais elle pouvait
aussi succéder à un moment de bonheur sexuel ou à un éprouvé d’intense
beauté : comme si un reste inqualifiable, mais lié à un extrême déplaisir dans
l’accomplissement, devait être liquidé, en prenant de court masochisme et cul-
pabilité. Au plus fort de la fatigue qui l’envahissait parfois, elle dit un jour :
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« Je veux l’inconciliable et l’impossible. »
« Exténuée de désir » : elle tenait à ces mots d’une autre pour dire un
transfert exclusif, qui abolissait l’existence de mes autres patients mais qui lui
rendait insupportable la non-satisfaction de ses désirs de contact physique,
comme celui qu’elle avait eu avec sa mère. Je pensais, de mon côté, à son
eczéma.
Je privilégie ici les moments destructifs d’une cure qui ne s’y résume pas,
mais dont ils constituèrent jusqu’au bout l’ombre menaçante. Et la chose qui
importa vraiment fut non seulement de « tenir » mais de saisir dans la sidéra-
tion même quelles transformations, quelles images se produisaient chez moi. Il
y avait une sorte d’oscillation entre l’ « inanimer » (ruine de l’entreprise analy-
tique, comme une attaque « à mort » des idéaux mystiques écrasants de la
mère ; inanité de mes interprétations lorsqu’elles cherchaient à faire recon-
naître la haine dans le transfert et la culpabilité qui pouvait s’y associer) et
l’exigence que mon attention fût constamment en éveil, insomniaque, témoi-
gnant par là que le père n’était pas enfermé dans son effroyable silence mélan-
colique.
Et aussi une exigence de vérité quant à l’amour, une demande que je
baisse le masque qu’elle me prêtait, demande que j’avoue la haine meurtrière
qui, pour elle, ne pouvait que m’habiter. Cela prit la forme d’un souhait assez
terrifiant : que je la voie, morte (mais que je voie quoi : l’apaisement, enfin ?
une enfant qui dort ? un ange ? Je lui dis ce jour-là que c’était son petit frère
qui était mort et qui, pour sa mère, était au ciel).
Ce fut à partir de la reconnaissance par Marie des scénarios de vengeance
contre son père, et avec le sentiment de culpabilité qui, pour la première fois, se
L’accomplissement et l’atteinte 1479

manifesta – elle se reprochait d’avoir laissé son père seul après le décès de sa
mère, et ce reproche en appelait un plus ancien : avoir laissé partir son père seul
dans sa mélancolie –, qu’un changement se dessina. Elle fut alors occupée,
assaillie plutôt, par des fantaisies de scène primitive qui recrutèrent de nom-
breux souvenirs visuels de la maison d’enfance et qui donnèrent tout d’un coup
aux insomnies précoces de la petite fille une autre portée : elle se levait pour
aller voir. Même si se mêlaient alors, dans une indistinction effrayante, la scène
d’agonie du petit frère mort et la chambre des parents, il me fut impossible de
lui interpréter ce que j’entendais là comme souhait meurtrier.
Marie retrouva, dans ce moment-là, une curiosité infantile très vive quant
à la puissance sexuelle et inquiétante du père – et des « pères » –, curiosité
enfantine qu’elle avait longtemps déplacée sur l’énigme du désir des hommes.
Se découvrit dans le même temps le sens d’un fantasme de transfert longtemps
associé à ses désirs de suicide : me léguer un objet précieux qui avait appar-
tenu au père, un ibis ancien, au long cou érigé.
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En même temps, elle trouvait là la voie d’une identification ambivalente
au père accoucheur : « Je voudrais mettre au monde mes désirs sans blesser
ceux que j’aime. »
J’ai fait le choix de cette cure pour continuer à explorer l’énigme que fut
jusqu’à la fin l’autodestructivité de Marie, autodestructivité agie dans une vio-
lence d’accomplissement qui congédiait toute culpabilité consciente, en la
refusant au nom de la souffrance. Mais les actes visaient aussi à disqualifier
chez l’analyste l’espoir mis dans l’entreprise analytique.
Le désarroi fait chercher des appuis : des collègues avec qui l’on parle, des
lectures. L’une d’entre elles fut le récit, par M. Little1, de son analyse avec Win-
nicott, après deux expériences précédentes de psychothérapie et d’analyse. Car
j’y ai été frappé – au-delà des « innovations techniques » de Winnicott, sur les-
quelles on a beaucoup glosé, et qui témoignent avant tout, comme l’a indiqué
P. Fédida, de la capacité d’imagination que l’analyste trouvait dans sa propre
régression – par les mots de Margaret Little pour dire son sentiment de
« n’avoir pas le droit d’être ». « Clinique du désespoir » où la détresse est pré-
sente dès les premières lignes du texte, associée au meurtre ou à la mort : pré-
sence inquiétante dès la rencontre avec Ella Sharpe, la première analyste, de
l’hallucination de l’analyste en araignée avec l’évocation du crime de Macbeth ;
mort présente, encore, dès la première rencontre avec Winnicott quand celui-ci,
en pleine réunion scientifique de sa société, demande qu’on tienne compte du
risque réel et mortel des bombes qui s’abattent alors sur Londres !

1. M. Little (1985) ; autour de ce texte, récemment retraduit, s’est tenue une journée de travail
organisée par J. André, sur le thème « Transfert et états limites » (2002).
1480 André Beetschen

Dans ce récit, le suicide est un risque constant. D. Winnicott interprète


d’ailleurs comme désir suicidaire l’accident qui a suivi la première explosion
de sa patiente contre sa mère, après que l’analyste eut dit : « Votre mère, vrai-
ment, je la hais. » Parallèlement, M. Little fait preuve d’un souci incessant
pour les ennuis de santé, et le risque vital associé, de son analyste.
Impressionnante encore est la manière répétée dont M. Little qualifie
d’ « humain » le travail de son analyste, ajoutant cette précision qui qualifie-
rait psychiquement le « holding » : « Il gardait le contact à tous moments avec
tout ce qui se passait... avec ça, moi et sur-moi. »
Enfin, ce texte soucieux d’héritage et de transmission – car il s’agit pour
M. Little de transmettre la manière dont travaillait D. Winnicott – se termine
sur un chapitre heureusement retraduit par « Winnicott en professeur » : on y
entend se manifester un puissant transfert paternel – le père de M. Little était
professeur – avec toute l’ambivalence qu’il véhicule.
Il aura fallu du temps et beaucoup d’invention pour que surviennent dans
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cette cure un sentiment de culpabilité et le souci de l’autre, après l’expérience
faite de la destructivité ; il aura fallu du temps pour que l’ambivalence succède
au clivage.
« Bien des années plus tard, écrit M. Little, longtemps après que l’analyse
eut été terminée, alors que je lui demandais son avis au sujet d’un patient per-
turbé qui sciemment et régulièrement s’efforçait de me faire du mal, je men-
tionnais que je lui avais fait du mal. Il me dit que c’était vrai mais que cela
avait été “utile”. »1

2. Le moi assailli par la mort

Marie revenait de ses tentatives de suicide en me disant : « Pardonnez-


moi ! », mais je n’avais pas l’impression qu’un réel sentiment de culpabilité
l’habitait, ni qu’il était à même de retenir l’autodestructivité : celle-ci exigeait
l’assouvissement immédiat, et c’est l’extrême difficulté du moi à la contenir ou
à lui donner le détour des mots qui était patente. Comment, dans ces condi-
tions, le sentiment de culpabilité peut-il encore être sentiment du moi ?
Examiner les motifs de cette cruauté autodestructrice jusque dans ses for-
mes extrêmes, c’est revenir, bien sûr, au débat sur la « pulsion de mort » : sa
réalité, sa nature, les conditions de reconnaissance.
Ce débat, engagé depuis l’apparition de la pulsion dans le champ théo-
rique, continue d’animer la communauté analytique. Il reçut l’apport majeur

1. M. Little (1985).
L’accomplissement et l’atteinte 1481

des travaux d’A. Green1 (La folie privée comme métaphore des états limites ;
regroupement du masochisme, de la culpabilité inconsciente et de la réaction
thérapeutique négative dans une perspective qui déplace la question de la
mort vers celle de la destructivité et de son orientation interne ; réévaluation
du rôle de l’objet alors qu’est spécifiée « la fonction désobjectalisante de la
pulsion de mort »). Et l’on sait que le débat, en France du moins, a été mar-
qué par la position de J. Laplanche2 qui, après avoir différencié les deux
modes d’accomplissement sexuel que sont décharge et constance, va insister
sur le caractère « auto » de la destructivité de la pulsion de mort et s’opposer
à la théorisation d’une destructivité séparée du sexuel en considérant la « soi-
disant pulsion de mort » comme pulsion sexuelle au maximum « mortel » de
sa déliaison, contre les forces de liaison que le narcissisme et le moi ont
installées.
La position de J. Laplanche me semble partagée, à certains égards, par
P. Denis dans son travail sur « les deux formants de la pulsion », en particu-
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lier avec sa proposition : « la libido qui tue »3. La position ferme de
J. Laplanche laisse cependant ouvertes quelques questions : sur l’existence
d’un « penchant à l’agression » qui prendrait sa source dans les « pulsions du
moi », dont S. Freud fait les prototypes de la haine ; sur le fait, aussi, que, à
réintégrer la pulsion de mort dans les pulsions sexuelles, on voit difficilement
ce que celle-ci conserve de ce qui, pour Freud, fait la spécificité de celles-là :
leur plasticité et le caractère échangeable de leurs objets et de leurs buts. Le
propre de la mort et de la destructivité agie est bien qu’elles ne s’échangent
pas, que leur but est obstinément le même, avec un acharnement qui fait le
vide. « La mort, spectre masqué, n’a rien sous sa visière. »4
Cependant, la focalisation sur l’énigme de la pulsion de mort, sur son
caractère muet et non saisissable autrement que par ses formes de mixtion-
démixtion avec Éros, ferait oublier que son ravage n’est tel qu’à effondrer le
moi (la menace est ici d’anéantissement plus que de débordement : la culpabi-
lité n’a plus fonction de « digue » et le sentiment sombre avec le désastre du
moi). La qualification de pulsion de mort est aussi celle que le moi exsangue
donne à la pulsion qui l’assaille sans qu’il trouve de recours.
Cette tension entre narcissisme et pulsion était au cœur de l’analyse de
Marie. Car la destructivité était bien sexuelle, dans la façon d’attaquer son
corps par ses gestes suicidaires, dans ses revendications passionnées dans le
transfert, jusqu’au point où toute satisfaction intense, notamment sublimée

1. A. Green (1990).
2. J. Laplanche (1995), p. 189.
3. P. Denis (1997), p. 138.
4. V. Hugo, La Légende des siècles, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade ».
1482 André Beetschen

(un travail intellectuel réussi et, plus encore, une émotion esthétique : le désir
de mourir l’envahissait après qu’elle eut été « emportée » par une exposition
de peinture ou par un paysage), pouvait se renverser – comme si
l’accomplissement devait être total, à mort, sans reste, et qu’il revenait à la
pulsion de traiter, par son renversement, la douleur du déplaisir. Ce traite-
ment de la détresse par la pulsion n’était aussi impérieux qu’à révéler un moi
terrassé par, d’un côté, une idéalisation écrasante à la mère, et de l’autre, des
identifications mortifères au père mélancolique et au petit frère mort.
Observons que cette tension narcissisme-pulsion est, dans le moment
d’invention de la pulsion de mort, absolument constante. Elle donne à
l’entreprise théorique sa boiterie congénitale. Car sont écrits d’une même main,
et quasiment en même temps, « Au-delà du principe de plaisir » et « Psycho-
logie des masses et analyse du moi »1, ce texte du rassemblement et de l’extrême
liaison. Un peu plus tard, quand « Le moi et le ça », utilisant comme un scalpel
l’énergie séparatrice de la pulsion de mort, décomposera les instances psychi-
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ques pour construire la topique de l’appareil psychique, son dernier chapitre,
« Les relations de dépendance du moi », apparaîtra comme le prolongement
direct et l’approfondissement de « Pour introduire le narcissisme ».
Dans « Au-delà du principe de plaisir »2, cette boiterie est perceptible
dans la marche même du texte et la succession des chapitres : un pas d’un
côté, un pas de l’autre. Si le premier reprend la question du déplaisir, les cha-
pitres II et IV s’attachent à décrire le travail du moi (pare-excitation et trau-
matisme ; liaison trace-mémoire ; maîtrise de l’excitation déplaisante) et les
chapitres III et V théorisent la destructivité interne de l’excitation sexuelle
déliée, en précisant, avec la contrainte de répétition, la nature du pulsionnel.
Le chapitre VI, écrit un peu plus tard, comme si l’auteur avait dû reprendre
son souffle, proposera, en s’appuyant sur la mort naturelle, biologique,
l’hypothèse de la pulsion de mort et le réexamen de la théorie de la libido.
Ainsi est-ce bien, avec la pulsion de mort, la résistance et l’investissement
du moi que Freud approche, en examinant sa défaillance, la fragilité de sa pro-
tection externe, les échecs du travail de liaison et des pulsions d’auto-
conservation : il conviendrait peut-être de maintenir, en français, l’écart entre
konservativ et Erhaltung (le maintien, la préservation), en pensant à cette phrase
de « La question de l’analyse profane » : « La différenciation d’un moi est
avant tout un pas vers la conservation de la vie. »3 Le sentiment de culpabilité
œuvre, quand le moi en permet l’installation, à la conservation de la vie psy-
chique, non seulement en y instaurant le conflit, mais en sollicitant activement

1. S. Freud (1921).
2. S. Freud (1920).
3. S. Freud (1926).
L’accomplissement et l’atteinte 1483

l’exploration de l’origine : quand le D. Winnicott de La nature humaine1 cher-


chera à penser l’émergence de l’humain en discutant avec le S. Freud de « Au-
delà du principe de plaisir », il soutiendra : « (Celle-ci) ne s’est pas faite à partir
d’un état inorganique, mais à partir de la solitude » ; puis : « Cet état est bien
antérieur à la pulsion, et plus encore éloigné de la capacité de culpabilité. »
Or, au sein de la spéculation freudienne sur l’originaire, la tension pulsion
de mort - narcissisme va s’observer dans l’opposition forte entre identification
primaire et pulsion de mort. Comme si l’une et l’autre se répondaient et
s’excluaient. D’où l’éclairage qui peut être jeté sur ce passage énigmatique de
« Analyse avec fin et analyse sans fin », où c’est dans la suite des lignes
concernant la modification du moi qu’est introduite la conception du nouveau
dualisme pulsionnel : l’exemple, le fait clinique sur lequel S. Freud s’appuie ici
est précisément un conflit d’identification (la question du choix homosexuel et
de la bisexualité).
La violence déliée de la pulsion de mort révèle donc une faille, un défaut
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d’identification, un moi en mal d’identification. Défaut que tentera de com-
bler le moi-idéal et ses aspects grandioses, si présents chez Marie. Mais c’est
aussi une figure destructrice – le diable, le père primitif, le sur-moi – qui peut
mettre le moi sous surveillance pour tenter de lier malgré tout le pulsionnel de
mort : solution exemplairement mise en évidence dans « Dostoïevski et la mise
à mort du père 2 où Freud interprète les » accès de mort « chez l’écrivain
comme » l’identification avec un mort mis à mort par le souhait «. On mesure
ce que cette identification, qui tyrannise et soumet homosexuellement un
moi en détresse de mourir, bouleverse quant à la problématique de
l’accomplissement de souhait inconscient, celle que l’analyse de L’Homme aux
rats (» mon père-mourir «, écrit J. Laplanche3) avait découverte.
Court excursus, mais qui nous fait rester dans l’identification mortelle : le
combat de Tancrède et Clorinde. Proposé par S. Freud comme « la description
poétique la plus saisissante de l’éternel retour du même », il anime la tension
excitée de la musique de Monteverdi au rythme des coups et du cœur. J’ai
cherché, dans La Jérusalem délivrée4 du Tasse, comment s’annonçait cette des-
tinée mortelle où écrit S. Freud : « Le héros Tancrède tue, sans savoir que
c’est elle, sa bien-aimée Clorinde dans un combat où elle a revêtu l’armure
d’un chevalier ennemi » ; et où il continue à la frapper dans la foret enchantée
« en fendant un grand arbre de son épée ». La lecture du Tasse apprend que
l’armure revêtue par Clorinde est « ô, présage funeste, noire et sans orne-

1. D. Winnicott (1988), p. 173.


2. S. Freud (1927 c).
3. J. Laplanche (1981).
4. Le Tasse (1858).
1484 André Beetschen

ments », et que ce noir présage fait parler l’eunuque Arsète « qui veilla sur son
enfance depuis le berceau » : il révèle à la jeune femme le secret de sa nais-
sance. Née d’une reine noire – « mais la couleur noire ne nuit pas à la
beauté » – qui fut aimée d’une folle passion jalouse par son époux, elle vint au
monde avec la peau blanche ; alors sa mère, inquiète « car elle connaît le roi
et ses jalousies », se décida à cacher son accouchement et, substituant à sa fille
une enfant noire, confia à Arsète et à l’exil sa vraie fille. Suit le récit aventu-
reux de cet exil et des périls qui furent affrontés jusqu’à Jérusalem.
Le point décisif est ici que c’est en revêtant l’armure noire – noire comme
la peau de sa mère –, pour se dérober à la nuit et à la reconnaissance de son
amant, que Clorinde va se trouver hors les murs, privée de l’apparence qui la
protégeait d’ordinaire, et qu’elle va mourir sous les coups de celui qu’elle aime
mais qui ne la reconnaît plus. Dans la furie du combat, elle lui lance alors,
comme un appel qui viendrait de très loin : « Ô toi qui me poursuis de la
sorte, que m’apportes-tu ? » Tancrède répond : « Le combat et la mort. »
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Le moi peut donc défaillir d’être habité par un mort, et il ne peut remplir
sa tâche : supporter, lier, ralentir l’excitation et surtout, peut-être, qualifier le
déplaisir selon le dehors et le dedans. D’où le désespoir et l’épuisement mais
aussi, parfois, une accentuation paradoxale du sentiment de culpabilité : auto-
accusation de se sentir petit et faible, mais aussi excité par quelque chose qu’il
ne sait pas et qui lui fait pressentir une complicité jouissive dans la passivité.
À ce moi défaillant, piteux valet ou cavalier en péril, l’objectif du travail
analytique est de porter secours, « en faisant ligue contre les ennemis : les exi-
gences pulsionnelles du ça et les exigences morales du sur-moi »1. Tout est,
évidemment, dans la nature de ce porter secours : il ne peut s’agir d’un replâ-
trage ou du refuge dans l’illusion, dont la religion serait le très ancien modèle.
Il s’agit, avec la construction de l’agieren du transfert, de « faire revivre »,
puisque : « Ce qui une fois est venu à la vie sait s’affirmer avec ténacité. »2 Et
le revivre passe, dans l’expérience de l’analyse, par la retrouvaille d’une insa-
tisfaction pulsionnelle qui détruit d’autant plus qu’elle ne peut accéder au sta-
tut de désir haineux ou meurtrier.

3. Le renversement et l’hostile
L’hostilité infiltrée dans le moi conjugue les effets de la déception, du
déplaisir, de l’accomplissement raté. Elle est effet toxique du « reste », destruc-
tivité latente qui appelle la rigueur de la condamnation pour surmonter la
détresse. Elle corrompt les « relations de dépendance du moi » : Abhängigkei-

1. S. Freud (1946), p. 40.


2. S. Freud (1937), p. 244.
L’accomplissement et l’atteinte 1485

ten, curieux mot, là encore, quand le verbe abhängen signifie tout à la fois
« décrocher, détacher » et, sous sa forme intransitive, « dépendre de » ; le
détachement inscrit dans la dépendance.
S. Freud a, dans « Le moi et le ça », cette phrase étrange : « Ce que le
moi redoute du danger externe et du danger libidinal dans le ça, on ne peut
l’indiquer ; c’est, nous le savons, le terrassement ou l’anéantissement, mais on
ne saurait le concevoir analytiquement. Le moi suit simplement la mise en
garde du principe de plaisir. »1
N’est-ce pas là pourtant que nous est nécessaire, vitale, une réflexion sur
le mal et l’évanouissement de l’humain-civilisé quand doit être affrontée
l’énigme de la destruction de masse et ses exigences folles de purification ?
Quand doit être préservée une mémoire de l’imprescriptible qui permette que
l’on continue à compter les morts un par un ? Réflexion forte d’A. Green
dans « Pourquoi le mal »2, quand C. Lanzmann soutient, de son côté : « Ma
loi d’airain a été de ne pas comprendre. »3
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Analystes, nous sommes démunis devant la violence criminelle, et rares
sont les courageux – C. Balier4 ou G. Bonnet5 – à y être allés voir de plus
près, pour transmettre comment le sentiment de culpabilité pouvait, à partir
du crime, redevenir une valeur humaine. On doit à H. Arendt d’avoir éclairé
un « mal radical, impunissable et impardonnable »6, en écoutant Eichmann à
Jérusalem comme Freud le faisait avec son patient mélancolique, avec cette
même conviction qu’ « il devait avoir raison » et qu’il fallait penser cette rai-
son absurde.
À l’un de ses juges, Eichmann répond : « J’ai obéi et exécuté ce qui était
ordonné... Je devais suivre les ordres. » À la question lui demandant s’il
n’avait jamais eu de conflit de conscience, il répond : « Je dirais plutôt un
dédoublement qui me faisait passer d’un côté à l’autre. » C’est finalement
l’absence de pensée, la faillite de la faculté de juger que H. Arendt tient pour
génératrices du mal : « L’absence de pensée fait plus de mal que tous les ins-
tincts destructeurs réunis. »
Faillite, donc, d’une identification à une figure humaine qui puisse
prendre souci de l’autre. Cette faillite, P. Wilgowicz7 l’assigne à une identifica-
tion au meneur quelle nomme « hypnotique, adhésive ou vampirique », au
sens où elle s’attaquerait à la possibilité même d’une descendance vivante ;

1. S. Freud (1923), p. 273.


2. A. Green (1988).
3. C. Lanzmann (1988).
4. C. Balier (2001).
5. G. Bonnet (2000).
6. H. Arendt (1963), p. 315.
7. P. Wilgowicz (2000).
1486 André Beetschen

faillite à laquelle N. Zaltzman oppose, en refondant le travail de la cure sur le


« travail de culture », l’ « identification survivante »1.
En tout cas, dans ces états de terrassement ou de faillite du moi, il y a
une réelle difficulté à décider si la destructivité s’est affranchie de tout sur-moi
ou si nous sommes au contraire en présence d’un extrême renforcement de sa
violence (obéir eux ordres, au meneur fou et sadique, perdre sa faculté de
juger) parce qu’une motion pulsionnelle liée à une jouissance passive féminine
doit à toute force demeurer inconsciente. Et le sentiment de culpabilité
s’efface derrière la réaction : le mot, chez S. Freud, est toujours associé au
déplaisir, à l’impossibilité de traiter psychiquement le déplaisir. On devrait
attacher au mot de réaction celui de renversement, en le distinguant de retour-
nement-rebroussement. Le renversement, dont le prototype est « en son con-
traire », se produit, dans sa réaction fulgurante, de ne rien trouver d’autre que
l’inversion négative de son signe. Il ne retourne pas à ou sur...
Dans « De la technique psychanalytique », ce chapitre de l’Abrégé de psy-
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chanalyse2 qui prend en compte les avancées de la dernière doctrine des pul-
sions, S. Freud parle, pour « les sources de résistance... qui nous laissent parti-
culièrement désarmés », de renversement – die Verkehrungt – de la pulsion
d’autoconservation (rappelons-nous : « Les gardiens de la vie sont devenus les
suppôts de la mort »), et, dans les lignes suivantes, on peut lire
l’impressionnante insistance du « soi-réfléchi » – jusqu’au suicide – qui signe
la défaillance de l’ « auto » du fantasme.
Ce renversement hostile, comment ne pas le percevoir chez le patient
mélancolique, enfermé dans une plainte qui déclenche la haine en retour,
tyrannisant les êtres autour de lui avec « une culpabilité à qui il manque la
honte »3 ? Le moi sidéré est envahi par une identification qui fait place nette :
rien d’autre que l’objet ou l’idéal perdus. La mélancolie est-elle, plus qu’une
souffrance particulière, le destin auquel obligerait toute perte de nos objets
infantiles les plus aimés ? J.-C. Rolland, sans doute, le pense un peu... et il
soutient l’invention du diable comme la meilleure chance anti-mélancolique
donnée à l’humanité4 ! Le peintre de la « névrose diabolique du XVIIe siècle »5
lui donnerait certainement raison, et tout autant R. Burton6, dont une traduc-
tion récente et complète nous fait enfin prendre connaissance de sa formidable
Anatomie de la mélancolie.

1. N. Zaltzman (1999).
2. S. Freud (1946), p. 48-49.
3. S. Freud (1917), p. 26.
4. J.-C. Rolland (1998).
5. S. Freud (1922).
6. R. Burton (2000).
L’accomplissement et l’atteinte 1487

Envahi par l’hostile, le moi est au bord de la catastrophe, constamment


occupé à maintenir des limites en voie d’effondrement, érigeant la barrière qui
le protège contre l’envahissement délirant (une dimension persécutoire, déli-
rante, me semble toujours à l’arrière-plan immédiat de la mélancolie). Un
homme me dit, parlant d’une douleur qui ne cesse, comme une pulsion infer-
nale, de l’attaquer et de le ruiner : « J’ai l’impression de lutter avec un géant. »
S’il n’y a plus de lutte, c’est la détresse absolue, entraînant cette « perte de
réalité » qui impose la construction d’une nouvelle réalité dont S. Freud nous
dit que l’hallucination a charge de « procurer les perceptions »1.
Pourtant, dans « Deuil et mélancolie », S. Freud dit encore quelque chose
de précieux ; moins que l’objet, c’est « la relation d’amour qui n’a pas à être
abandonnée ». L’amour est conservé dans le meurtre sans cesse recommencé,
et dans la préservation des reliques de l’objet ou de l’idéal perdus. Cette pré-
servation de la relique, le renversement pulsionnel – cette perversion de
l’autoconservation – a peut-être charge de l’assurer.
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Mais je veux revenir un instant au noyau hostile et destructif de
l’exigence pulsionnelle pour en préciser quelques traits.
D’abord dans le transfert avec l’exigence répétée par le patient d’une
vérité de l’amour, sans laquelle s’imposent disqualification et clivage de
l’analyste en un praticien contraint de faire son travail mais ne supportant pas
la détresse du patient et exerçant alors un jugement sans appel sur sa misère et
sa dépendance. Un analyste accusé de contre-investir sans cesse sa haine ou
son mépris. Devant cette demande insistante, toute vacillation du cadre vaut
pour confirmation d’un aveu tenu secret. L’hostilité fait le lit du malaise, car,
bien sûr, il y a de la haine dans le contre-transfert !
Cette disqualification trouve sa source dans l’impossibilité du moi de
refouler et de qualifier les excitations pulsionnelles destructrices et grandioses
qui l’assaillent. « Même là où elle survient – S. Freud vient de parler de la pul-
sion de mort liée sous forme du sadisme – sans visée sexuelle, y compris dans la
rage de destruction la plus aveugle, on ne peut méconnaître que la satisfaction
est connectée à une jouissance narcissique extraordinairement élevée du fait
qu’elle fait voir au moi ses anciens souhaits de toute-puissance accomplis. »2
Et la plainte hostile est aussi portée contre le langage, ce que J.-B. Ponta-
lis a singulièrement éclairé. Expérience douloureuse, en effet, que les mots ne
s’inscrivent pas, que les représentations acquises se transforment aussitôt sur-
venues, que les interprétations faites ne marchent pas ou, plutôt, qu’elles ne

1. S. Freud (1912).
2. S. Freud (1930).
1488 André Beetschen

tiennent pas, qu’elles n’évitent pas, alors même lorsqu’elles sont attendues
avec avidité, le retour d’affects de désespoir et de solitude. La plainte contre le
langage appelle, avec une sorte de rage, à exiger la présence réelle – le corps,
le visage, le contact ; la « livre de chair », dit J.-B. Pontalis1 – comme si le lan-
gage même, et son activité symbolisante, signifiait que l’objet a été perdu sans
trace, définitivement.
L’analyse de Marie donna de cette plainte la confirmation répétée, en y
ajoutant un renversement : à ne pas devoir subir une étrangeté des mots qui la
dépossédait de toute maîtrise, elle s’acharnait à découvrir un sens, le sens. Dans
cette cure, la réalité historique d’un père mélancolique a joué un rôle important
et le souvenir est venu d’énoncés et d’attitudes imprévisibles pour l’enfant
puisque y alternaient des silences effrayants qu’elle habitait de reproches et des
colères clastiques qui lui faisaient redouter une sauvagerie destructrice.

Il n’est pas fortuit que la difficulté de ces cures nous porte vers des écrivains
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qui ont mis la défaillance, voire l’agonie du langage au centre de leurs œuvres.
Derniers mots de Soubresauts, de S. Beckett2 : « Tel à titre d’échantillon
le vacarme dans son esprit soi-disant jusqu’à plus rien depuis ses tréfonds qu’à
peine à peine de loin en loin oh finir. N’importe comment n’importe où.
Temps et peine et soi soi-disant. Oh tout finir. »
Derniers mots de Kurtz – « l’horreur, l’horreur » – dans Au cœur des ténè-
bres de J. Conrad3, dont F. F. Coppola tira ce film admirable sur la guerre et
le primitif qu’est Apocalypse now. « Il y avait, écrit J. Conrad, une note
vibrante de révolte dans ce murmure, cela avait le visage terrifiant d’une vérité
entraperçue, une étrange mixture de désir et de haine. »
Il arrive que nos mots aussi nous deviennent hostiles, quand notre activité
d’interprétation est contrainte d’inventer sous la violence de ces formes de trans-
fert où l’espoir déçu menace de disqualification ! Nous cherchons alors, et sou-
vent dans le désarroi que suscite le sentiment de culpabilité, des représentations
d’attente et d’aide pour que se construisent, dans l’identification à la souffrance
de l’autre, des figures de la défaillance ou du terrassement du moi. Et la
recherche imaginative se fonde sur la réserve inquiète du silence, inquiète de pac-
tiser avec la passivité du renoncement. incertaine de savoir user à bon escient des
instruments que la théorisation des mécanismes psychiques les plus précoces a
proposés, et dont nous n’avons pas toujours eu l’expérience transférentielle.
L’écart est souvent grand, en effet, entre la richesse de la spéculation empruntée
(celle d’une M. Klein ou celle, plus proche d’un D. Anzieu avec sa théorie du

1. J.-B. Pontalis (1990), p. 70.


2. S. Beckett (1989).
3. J. Conrad (1999).
L’accomplissement et l’atteinte 1489

moi-peau et des enveloppes psychiques) et ce que nous faisons vraiment dans la


cure ! C’est le privilège des seuls inventeurs de pouvoir dire, comme Melanie
Klein : « Ma conception du transfert comme enraciné dans les stades les plus
précoces du développement et dans les couches profondes de l’inconscient est
beaucoup plus large et entraîne une technique par laquelle, à partir de l’ensemble
du matériel présenté, les éléments inconscients du transfert sont déduits. »
Notre fondement le plus solide prend appui sur cette double polarité que
nous ne cessons, pour reprendre les mots d’A. Green1, de maintenir au trans-
fert : transfert sur l’objet et transfert sur la parole. Avec la conviction que le
fantasme ne dévoile sa réalité inconsciente et agissante que dans la surprise
d’un dire qui déroute l’acharnement du sens et utilise, d’une façon qui nous
reste mystérieuse, la trame silencieuse de nos constructions. Avec cette idée,
aussi, si bizarre pour les analystes anglo-saxons avec qui nous échangeons,
que le patient n’est pas toujours à aider ou à soulager sans délai d’une
détresse de pensée ; et que le sexuel – qui est excitation, plasticité, échange de
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buts, c’est-à-dire recherche de plaisir dans toute souffrance, aussi grande soit
sa sévérité – a besoin du temps, de l’espace vide, d’objets à trouver pour que le
procès de son refoulement ou le trajet de son déplacement, indices du travail
psychique et de la culpabilité qui l’accompagne, se figurent.

4. De l’inconscient du sentiment de culpabilité

Même s’il est inféré à partir des formes les plus fortes de résistance – mais
S. Freud dira, dans Malaise dans la culture2, qu’il est présent dans toute
névrose –, le sentiment inconscient de culpabilité est porteur d’un espoir : celui
que le travail psychique de la cure en permette la transformation. Le caractère
paradoxal de l’assemblage doit continuer à intriguer : c’est là sa fécondité.
Caractère scandaleux, même, au regard d’une conscience morale qui se vou-
drait lucide pour être efficiente. Dans les « sentiments inconscients »3, ce cha-
pitre de « L’inconscient » de 1915, S. Freud examine le paradoxe : j’en retiens
la différence proposée quant à l’inscription différente de la représentation
inconsciente ( « formation réelle dans le système inconscient » ) et de l’affect
( « simple possibilité d’amorce à qui il n’a pas été permis de parvenir à son
déploiement » ).
Ce déploiement empêché est l’œuvre du négatif et de la manière dont
celui-ci s’est imposé, et fixé, dans le traitement du déplaisir pulsionnel.

1. A. Green (2002).
2. S. Freud (1930 c).
3. S. Freud (1915), p. 218-220.
1490 André Beetschen

F. Kafka1 le dit à sa façon : « Agir négativement nous est imposé en sus. posi-
tif nous est donné a priori. »
Acte et réaction tiennent éloigné le non du langage, celui qui rassemble le
refus et l’interdit, celui de la dénégation. Et c’est la réaction thérapeutique qui
négative : avec elle, pour approcher l’énigme du sentiment de culpabilité
inconscient, qui émane d’une part inconsciente du moi, nous ne quittons pas
le champ du transfert.
Je crois qu’on ne dirait plus aujourd’hui, comme le fait J.-B. Pontalis
en 1981 en commençant son article : « Non, deux fois non – tentative de défini-
tion et de démantèlement de la “réaction thérapeutique négative”2 – que “les psy-
chanalystes ne parlent guère de réaction thérapeutique négative et [que] la litté-
rature sur la question est, par comparaison à la masse des publications,
relativement rare”. » C’est peut-être même le contraire et c’est là un signe du
temps psychanalytique ! Aussi vais-je un instant explorer l’écart qui apparaît
dans le traitement de cette « réaction », entre J.-B. Pontalis et R. Roussillon,
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dont deux articles traitent d’elle : « Le paradoxe de la culpabilité de l’innocence ;
réflexion sur la réaction thérapeutique négative »3 et « Violence et culpabilité
primaire »4.
Je reviens un instant à Freud, d’abord. La « réaction thérapeutique néga-
tive », introduite dans « Le moi et le ça », apparaît ensuite dans tous les textes
métapsychologiques importants, jusqu’à l’Abrégé de psychanalyse5 où besoin
de souffrir et besoin d’être malade sont dits « deux autres sources de résis-
tance, deux facteurs nouveaux (qui) méritent toute notre attention ». Et là
deux origines différentes sont évoquées : la première, le sentiment de culpabi-
lité ou conscience de culpabilité – « que le malade ni ne ressent ni ne
connaît » –, provient d’un Sur-moi dur et cruel qu’il faudra tenter de
« démanteler lentement » ; la seconde, là où « la pulsion d’autoconservation a
subi un véritable retournement ». se caractérise par une « désunion des pul-
sions et une libération excessive de la pulsion de destruction tournée vers le
dedans ». Elle reste, dit S. Freud dans l’Abrégé, beaucoup plus énigmatique.
Emprise du non : décomposant les mots de la formule, J.-B. Pontalis
insiste sur cette puissance de négativation qui prend en masse le transfert
( « Plutôt tomber malade que guéri » ) en faisant du corps le lieu de la souf-
france psychique. Liant résistance et réaction (dans le champ de l’agir), il
construit le « fantasme agissant » au cœur de cette résistance : désir acharné
de guérir, de changer « la mère folle à l’intérieur de soi » et ce faisant de
1. F. Kafka (1994).
2. J -B. Pontalis (1981), p. 74.
3. R. Roussillon (1991).
4. R. Roussillon (1999).
5. S. Freud (1946), p. 50-51.
L’accomplissement et l’atteinte 1491

s’approprier et de contrôler « l’étranger », avec la volonté de ne perdre ni le


combat ni l’objet.
R. Roussillon s’intéresse beaucoup plus au sur-moi, en faisant de celui-ci
« une instance de dépôt de l’originaire » et, plus précisément, « un récepteur des
traces d’expériences traumatiques précoces par rupture du pare-excitation » ;
l’hypothèse traumatique, ou plutôt celle de l’inscription des « réponses » des
objets primaires aux pulsions qui les ont visés, prévaut ici sur l’hypothèse fan-
tasmatique. La cruauté du sur-moi agirait alors un sentiment de culpabilité lié à
la fois à la non-intégration et à l’incertitude des limites. En somme, être « plu-
tôt coupable qu’impuissant », mais l’impuissance ne renvoie pas ici à la castra-
tion mais à la détresse traumatique. R. Roussillon développera ensuite plus
amplement, avec la notion de « culpabilité primaire », le destin d’une « défense
paradoxale » dans l’expérience précoce avec un objet qui ne serait pas parvenu
à « qualifier la potentialité créatrice et structurante de la destructivité ».
Je cite ces deux auteurs – qui reconnaissent tous deux leur dette à l’égard
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de D. Winnicott – pour indiquer la pluralité féconde des chemins ouverts par
la topique d’après 1920 et, tout particulièrement, par la question du sentiment
de culpabilité inconscient dans la réaction thérapeutique négative.
En constatant, dans le texte freudien, que la réaction est, dans le trans-
fert. une « réponse » à une satisfaction énoncée par l’analyste (et entendue
comme séduction), on conviendra que l’agieren vise ici à provoquer le décou-
ragement et le sentiment coupable de manquer à sa tâche. Mais est-ce que, en
attaquant ainsi les idéaux de guérisseur ou d’interprète de l’analyste, il n’est
pas recherché de lui faire éprouver un sentiment de culpabilité dont on devine
parfois que, dans un environnement précoce dominé par les agis, il a singuliè-
rement fait défaut ?
La réaction thérapeutique négative va souvent de pair avec une « réaction
amoureuse négative » que le patient évoque dans sa cure : non seulement le
refus d’une dépendance à l’objet aimé, mais le sabotage répété qui, sous le
masque de la souffrance subie, indique l’intolérable de recevoir, de se sentir
continuellement inquiet du don et finalement de ne pas être à la fois l’objet
qui donne et celui qui reçoit.
À plusieurs reprises, la violence de la réaction thérapeutique négative m’a
fait penser à ce qu’on a appelé la « culpabilité des survivants ». Notamment
dans des situations de folie familiale : une femme, qui fut une enfant sévère-
ment battue par une mère qui présentait régulièrement des épisodes de jalousie
délirante et qui faisait rechercher sa fille l’ « autre femme » dans la maison, pré-
senta pendant longtemps une impressionnante résistance à la guérison. Jusqu’à
ce que percevant qu’elle commençait à sortir de sa souffrance et de l’implacable
d’un destin de folie qui avait également frappé sa jeune sœur, elle puisse accep-
1492 André Beetschen

ter que guérir n’était pas voler pour elle seule le trésor d’une vie psychique heu-
reuse. Que guérir n’était pas trahir, ni abandonner sa mère à la folie.
Si est inconscient le sentiment de culpabilité – s’il ne peut donc être situé
topiquement que dans une part inconsciente du moi –, il faut essayer, en
acceptant la nature paradoxale de la formule, de proposer des hypothèses
quant au refoulement qui en assure la fixation. Soit le moi est trop informé,
via le sur-moi, des actes – non seulement destructeurs mais porteurs aussi
d’un accomplissement sexuel et masochiste interdit – qui provoquent le senti-
ment de culpabilité : celui-ci doit donc disparaître en emportant la scène qui le
détermine et le retour du refoulé se produira sur une scène où la souffrance
corporelle tiendra lieu des souhaits refoulés. Ce serait là sa version « hysté-
rique », à ceci près que le corps souffrant sera celui de la douleur, de
l’hypocondrie – bref, le lieu d’une atteinte portant le stigmate du narcissisme.
Autre hypothèse : c’est l’insatisfaction et l’hostilité accompagnant
l’accomplissement pulsionnel (du fait, pour une part, du renoncement) qui
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surchargent de haine un sur-moi cruel. Si celui-ci se déchaîne en écrasant le
moi pour des vétilles, ou en retournant aussitôt la violence pulsionnelle dans
l’exercice implacable de la loi du talion, il faut le mettre dans l’impossibilité
d’accomplir sa destructivité.
On n’a pas manqué, enfin, de relever, avec le « besoin de punition », le
curieux attelage de mots proposé par S. Freud dans l’embarras où il se trouve
pour préciser le statut du sentiment inconscient de culpabilité. Curieux en
effet, car ces mots réunissent ce qui, avec le besoin, a toujours été placé du
côté de l’autoconservation – les grands besoins vitaux, comme un peu plus
tard, le « besoin religieux » ou le « besoin de protection par le père » – et ce
qui est d’abord une scène, l’accomplissement d’un fantasme : la punition.
S. Freud ne dit pas « souhait de punition ». Mais ne retrouve-t-on pas ici le
dérèglement de l’autoconservation qu’agit la pulsion de mort, alors que le
caractère inconscient de la punition en appelle, lui, à une excitation maso-
chiste ? Espoir même du sexuel – sa malice – quand c’est la mort qui prétend
triompher.

IV. L’INTÉRIORISATION : EMPIRE DE L’INSTANCE, FIN DU RELIGIEUX

Le sentiment de culpabilité advient. comme et avec le sur-moi qui va


constituer une sorte de bastion ou de réserve de l’hostile. Et cette intériorisa-
tion est paradoxale puisqu’elle installe un conflit désormais « perdurant ».
Mais c’est un conflit fécond pour la pensée.
L’accomplissement et l’atteinte 1493

1. Décomposition du sur-moi

Avec l’élaboration de la topique d’après 1920, S. Freud va arrimer à la


théorie du sur-moi l’analyse du sentiment de culpabilité, en faisant de celui-ci
le résultat de la tension moi - sur-moi : c’est là l’enjeu des grands textes
de 1926-1930 dont Malaise dans la culture1 est le pivot central, texte d’une
densité telle qu’il donne souvent à son commentaire l’effet d’un dommageable
affadissement !
Je ne peux reprendre ici l’ensemble des travaux auxquels le sur-moi a
donné lieu car le champ est immense ! Je souhaite néanmoins dire combien la
lecture rigoureuse de J.-L. Donnet2 et des auteurs publiés dans les deux volu-
mes d’une monographie consacrée au sur-moi m’a été précieuse.
Mon questionnement s’attachera à quelques-uns des paradoxes du Sur-
moi qui font toute la difficulté de sa reconstruction et de son « démantèle-
ment » dans la cure. Avec cette première évidence que l’analyse, explorant à
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rebours des étapes du développement de l’instance, va retrouver, sur le chemin
de l’intériorisation, ses diverses polarités : punition-protection, maintien de
l’ancienne demande d’amour, réserve d’hostilité et transmission d’héritage
psychique.
L’insistance freudienne mise sur le développement est constante ; on l’a
vue présente dans les « Formulations sur les deux principes de l’advenir psy-
chique » où, même si est refusée l’idée d’une pulsion de perfectionnement, le
sort et le devenir de ce qui reste en réserve, de ce qui ne se soumet pas à la con-
trainte du développement, vont tisser le lien indissoluble du sexuel, du fantasme
et du primitif. Le sur-moi post-œdipien lui-même est mémoire du primitif.
Intériorisation de l’hostilité : c’est la conquête psychique et culturelle que
propose S. Freud quant à l’instauration progressive, dans le développement,
du sur-moi. Une conquête qui prend certainement appui sur la « tonalité hos-
tile » de la première identification, telle qu’elle est dite dans « Le moi et le
ça » : « Le sur-moi n’est pas simplement un résidu des premiers choix d’objet
de ça : il a aussi la signification d’une formation réactionnelle – à nouveau la
réaction et son indice de déplaisir, d’hostile – énergique contre eux. »3
Cette intériorisation de l’hostile par la première identification, qui trou-
vera dans l’antécédence du meurtre son appui primitif, éclaire-t-il le fait que le
sur-moi, né pour observer et protéger un moi amoureusement investi et ali-
mentant son narcissisme de l’amour porté aux premiers objets, retourne

1. S. Freud (1930 c).


2. J.-L. Donnet (1995).
3. S. Freud (1923).
1494 André Beetschen

contre celui-ci l’attaque pulsionnelle cruelle dont il devait le prémunir ? Cer-


tes, le sur-moi cruel peut aussi devenir bienveillant, et c’est là toute la proposi-
tion du texte sur « L’humour »1. Mais cet apaisement ne doit pas leurrer :
c’est d’abord par sa charge hostile, par la sévérité de l’attaque interne, que se
manifeste un sur-moi qui instruit à charge. Dans son éventuel déchaînement,
avec ce caractère d’objets partiels – voix, œil, cri, etc : – qu’ont les puissances
attaquantes, J. Laplanche voit à l’œuvre une instance de déliaison qu’il rap-
proche d’une formation de type psychotique. Et il affirme que son chantier
théorique reste ouvert2.
Car c’est toujours l’insatisfaction qui se réfugie dans le bastion de
l’hostile jamais content, le sur-moi !
Un constant dédoublement préside, en tout cas, à la formation de
l’instance : sur-moi protecteur et menaçant ; sur-moi constitué du dedans (par
clivage - expulsion du moi) et du dehors (avec le rôle de l’ « influence externe ») ;
sur-moi issu de deux sources : pulsionnelle et identificatoire ; sur-moi précoce et
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sur-moi post-œdipien ; sur-moi individuel et sur-moi de la culture.
De ce point de vue, la construction du Malaise dans la culture3 est remar-
quable lorsqu’on en suit la progression4 : si les deux premiers chapitres repren-
nent et développent, autour de l’aspiration de l’homme au bonheur et des
moyens qu’il se donne pour parvenir à cette fin, les propositions avancées
dans les « Formulations sur les deux principes de l’advenir psychique », voici
que surgit, au milieu du texte et en le faisant comme pivoter, la question de
l’hostilité contre la culture, hostilité imposée par le renoncement pulsionnel. Á
ce tournant vers la « pulsion d’agression », S. Freud résiste lui-même avec une
très longue note – il faut lire les notes de Freud comme ses « repentirs » – qui
clôt le chapitre précédent en précisant : « Quelque chose tenant à l’essence de
la fonction (sexuelle) elle-même nous refuse la pleine satisfaction et nous
pousse sur d’autres voies. » Il évoque alors l’ « obscure » bisexualité, la résis-
tance de l’objet érotique envers le penchant à l’agression qui le vise, la « répu-
gnance » qui s’attache à la fonction sexuelle « qui résiste au développement
culturel ». Gardons donc à l’esprit qu’une pulsion d’agression totalement
séparée du sexuel assurerait sur lui un amer triomphe...
Mais avec l’introduction du « penchant à l’agression » – conséquence du
changement survenu dans la doctrine des pulsions : l’hostilité prend en charge
le déplaisir le sentiment de culpabilité va laisser à l’arrière-plan sa liaison à
l’érotique, sauf pour ce qui sera sa dimension masochiste. Et c’est là que le

1. S. Freud (1927 a).


2. J. Laplanche (2002).
3. S. Freud (1930).
4. J. Le Rider et al. (1998).
L’accomplissement et l’atteinte 1495

mouvement d’intériorisation différenciera une scène interne, en distinguant


alors deux origines pour le sentiment de culpabilité : angoisse devant (autorité
et angoisse devant le sur-moi.
À la fin : le sur-moi, instance intériorisée, sait l’accomplissement visé par
les pensées autant que par les actes ; c’est un juge compromis et corrompu par
la pulsion, et c’est aussi une réserve pour l’hostilité.
« Contre un malheur externe menaçant – perte d’amour et punition de la
part de l’autorité externe – on a échangé un malheur interne perdurant, la ten-
sion de la conscience de culpabilité. »1 Paradoxe de l’être moral, après
S. Freud : il l’est moins par obéissance à l’injonction d’aimer que par la
faculté d’avoir accès, par le contact gardé avec le conflit psychique, à une
réserve d’hostilité retournée contre lui. Le sentiment moral est, de principe,
une forme d’humour !
Le dernier chapitre de Malaise dans la culture, explorant tout le registre
des mots de la culpabilité – conscience morale, besoin de punition, remords,
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éthique –, discutera la qualité inconsciente du sentiment de culpabilité et diffé-
renciera, encore, et à propos du sur-moi individuel, agressions, exigences et
préceptes : « Seules les agressions du sur-moi se manifestent à très haute voix
tandis que les exigences elles-mêmes restent souvent à l’arrière-plan. Amenées
à la conscience, elles coïncident chaque fois avec les préceptes d’un sur-moi de
la culture donné. »2
Cette décomposition, ces dédoublements qui usent de zones de recouvre-
ment plus que de séparations tranchées, rendent discutable une opposition
rigoureuse entre idéal du moi, moi idéal et sur-moi ; ils font se demander s’il
est légitime de faire un usage théorique unifié du sur-moi, tant il faudrait pré-
ciser à chaque fois, surtout quand il s’agit de le « démanteler » dans la cure, à
laquelle de ses strates on fait appel. Cela pour aller à l’encontre d’une simplifi-
cation de la théorie qui prend parfois l’allure, surtout quand on a recours à
cet affreux mot de « fonctionnement », d’une physiologie mentale. Le sur-moi,
alors, ne manque pas d’être revendiqué par son heureux propriétaire – « mon
sur-moi ! » – et arboré en blason...
En maintenant fermement son origine dans les aléas de l’investissement
narcissique du moi – et on remarquera qu’à l’autre bout du développement
infantile, « La disparition du complexe d’Œdipe », ce ne sera pas dans la cul-
pabilité vis-à-vis des objets parentaux que Freud verra la cause de « la des-
truction du complexe dans l’inconscient », mais dans la sauvegarde de
l’investissement narcissique du pénis –, on soutiendra que la condamnation est

1. S. Freud (1930 c), p. 315.


2. S. Freud (1930 c), p. 323.
1496 André Beetschen

toujours l’envers redouté d’un amour trop fort, fixé par l’insatisfaction.
L’identification et son ambivalence structurelle déterminent le destin de la
constitution de l’instance.
Ce développement du sur-moi à partir du narcissisme est ce que laissent
de côté les théories de M. Klein. Je n’aborderai pas ici la discussion du senti-
ment de culpabilité et du sur-moi dans l’élaboration kleinienne, avec la place
qui est donnée à la position dépressive1. Non que je ne lise pas M. Klein : au
contraire, son audace de pensée me stimule plutôt mais elle ne trouve pas de
correspondant ni de fondement dans ma pratique d’analyste ou dans ma for-
mation. Et quand je rencontre la théorie kleinienne lors d’échanges réguliers
et amicaux avec des analystes britanniques, je me prends parfois à regretter de
ne pas savoir faire usage de ce merveilleux outil – un peu passe-partout quand
même ! – qu’est l’identification projective avec sa spatialisation psychique...
Il m’est difficile en tout cas, d’adhérer à une proposition comme : « Le
noyau du sur-moi est ainsi le sein de la mère, à la fois bon et mauvais »2,
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c’est-à-dire à la conception d’un sur-moi précocissime, qui ne passerait pas
par le temps narcissique.
D. Winnicott, dont la fidélité profonde à Freud n’est pas le moindre
paradoxe – « Comme Freud l’a dit quelque part, le sentiment de culpabilité
permet à l’individu d’être méchant » –, a pris assez tôt ses distances avec le
sur-moi précoce kleinien, notamment sur la question de l’envie. Il est revenu
avec insistance, à propos de la tendance antisociale sur l’origine, la constitu-
tion, mais aussi l’absence du sentiment de culpabilité (il donna, en 1958, pour
le centenaire de la naissance de Freud, sa conférence désormais célèbre : « La
psychanalyse et le sentiment de la culpabilité »3).
Dans sa conception centrée sur le développement affectif et l’intégration
et sur ce que ceux-ci laissent comme restes psychiques atemporels – « Les gens
n’ont pas seulement leur âge ; jusqu’à un certain point ils ont tous les âges, ou
n’en ont pas »4 –, il proposera avec la « capacité de sollicitude » ou concern
une construction de « la tolérance de l’existence des impulsions destructrices
dans l’amour primitif », qui « décrit le lien entre les éléments destructeurs
dans les relations pulsionnelles avec les objets et les autres aspects positifs
d’une relation »5. La capacité de ressentir la sollicitude « au centre de tout jeu
et de tout travail constructif » est capacité d’implication : elle s’associe à
l’éprouver et à « l’acceptation d’une responsabilité ».

1. M. Klein (1958).
2. M. Klein (1952).
3. D. Winnicott (1958).
4. D. Winnicott (1962), p. 120.
5. D. Winnicott (1962), p. 127.
L’accomplissement et l’atteinte 1497

L’apport de D. Winnicott a été d’ouvrir plus largement, après M. Klein,


le chemin que S. Freud, occupé par une théorisation paternelle du sur-moi,
avait fait entrevoir. Il a ainsi lié le développement de l’instance à la séparation
d’avec l’objet, aux fantasmes d’omnipotence et à la détresse narcissique. Le
sur-moi n’est plus seulement le gardien des limites du moi : le voici devenu
témoin de leur effondrement ou de leur excessive rigidité. C’est rester dans le
fil freudien que de voir cependant comment ce gardien témoin attire à lui
l’excitation pulsionnelle pour monnayer sa protection d’un plaisir qu’il voile
dans son agissement : plaisir de condamnation masochiste, plaisir de soumis-
sion passive et féminine.
Dans les deux cures que j’ai évoquées, les aléas de l’investissement mater-
nel sont au premier plan : mère endeuillée et reportant massivement son
amour sur son seul fils ou mère envahie par un idéal mystique écrasant, et qui
nia probablement les besoins de contact psychique et corporel de l’enfant, au
profit dune vie spirituelle tyrannique. Mais les défaillances ou absences de la
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figure paternelle (père mort très tôt ou père mélancolique) pèsent également
d’un poids très lourd. Tous deux orientent le chemin de l’identification, et le
suivre est toujours faire revivre le travail de la cure n’opère pas sans présence
incarnée dans le transfert. C’est là une conviction freudienne, jusqu’aux der-
niers écrits : « L’analysé voit en son analyste le retour, la réincarnation d’un
personnage important de son enfance, de son passé, et c’est pourquoi il trans-
fère sur lui des sentiments et des réactions certainement destinés au modèle
primitif. »1 L’intensité vivante de cette réincarnation ne se manifeste-t-elle pas.
d’ailleurs. dans le sentiment d’ « incroyable » qui saisit les patients lorsque,
pour la première fois, ils retrouvent, dans les rêves suscités par le transfert,
leurs parents d’enfance ? Présence du corps du père, entre inquiétude et pro-
tection ; présence hallucinée du visage de la mère et de son sourire. Mais
quelle étrangeté aussi, qu’il y ait chez nos patients si peu de souvenirs de leur
mère enceinte !
Cette réincarnation onirique et transférentielle contesterait une théorisa-
tion du sur-moi qui courrait le risque d’une excessive abstraction – celle qui
en fait trop vite, notamment, une « instance impersonnelle » ou le lieu d’une
« pure culture de pulsion de mort ». Car cette abstraction se mettrait en
quelque sorte au service de la déliaison qui menace au cœur de l’instance : en
la désincarnant, ne méconnaît-elle pas que l’hostilité infantile en appelle tou-
jours à la méchanceté de figures primitives porteuses de la sauvagerie du pul-
sionnel ? Qu’on songe ici à la puissance d’évocation du film de C. Laughton,
La nuit du chasseur.

1. S. Freud (1946), p. 42.


1498 André Beetschen

L’incarnation régressive de l’instance – à laquelle l’analyste, certes, n’a


pas à répondre « en personne » ; P. Fédida1 l’a fortement indiqué – reconduit
dans le transfert la dépendance infantile et la dissymétrie adulte-enfant. Elle
maintient donc un écart fondamental avec l’apaisement illusoire des « mora-
les ». Le terme d’ « empathie », tout juste qu’il soit, laisse peut-être un peu de
côté cette dissymétrie sur laquelle s’établit la violence du sur-moi. On est en
effet toujours coupable devant... et le retour du fils prodigue témoigne, par
renversement, de l’émotion secrètement excitante de la scène du pardon.
Cette incarnation s’écrit d’ailleurs en clair dans « Pour introduire le narcis-
sisme » quand, à propos de l’auto-observation et de l’ancienne censure,
S. Freud introduit l’idéal du moi : « Si nous pénétrons plus avant dans la struc-
ture du moi, nous pouvons reconnaître encore le censeur du rêve dans l’idéal du
moi et dans les manifestations dynamiques de la conscience morale. »2
Si la topique d’après 1920 propose à la vie d’âme « des régions ou des
royaumes », il faut s’intéresser aux rois de ces royaumes ! Comme à
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l’inquiétant du diable et à ses voix, comme aux scènes du Jugement dernier
qui ont figuré depuis si longtemps justice autant que luxure. Je crois donc à la
nécessité de maintenir, dans le travail analytique et le maniement du transfert,
la puissance psychique de l’imago. Celle-ci n’est évidemment en rien la per-
sonne réelle, même si elle lui emprunte des traits : elle est construite par le pul-
sionnel, et le sur-moi lui confère sa violence primitive.
L’imago paternelle, à être convoquée. ne saurait cependant être massifiée.
M. Moscovici3, dans la lecture qu’elle offre de L’homme Moïse et la religion
monothéiste, a cette formule heureuse : « mise en pièces du père », avec
laquelle elle souligne le dédoublement des figures et du nom, où se retrouve
(le dédoublement traversant le sur-moi. G. Rosolato4 a entrepris, quant à lui.
de décomposer l’imago paternelle en père réel, père idéalisé et père mort pour
que prennent sens avec plus de rigueur les motions pulsionnelles qui la visent
et les représentations psychiques qu’elles construisent.

2. Le souhait meurtrier et le jugement

Plutôt que de revenir, à propos du sur-moi et de l’imago, à la question de


la fonction paternelle, je veux essayer de rester dans le champ du pulsionnel
en y privilégiant le souhait meurtrier et en observant le destin que lui fixe

1. P. Fédida (1995).
2. S. Freud (1914), p. 99.
3. M. Moscovici (2002).
4. G. Rosolato (1969).
L’accomplissement et l’atteinte 1499

S. Freud : fondement du sur-moi et fil rouge dans la transmission psychique


culturelle que celui-ci assume.
Spécifier le souhait meurtrier vis-à-vis de la haine, c’est indiquer qu’il vise
à faire disparaître ce qui a fait obstacle à l’accomplissement pulsionnel, à sup-
primer avec une pleine force d’exécution – « nul ne peut être tué in effigie ou
in absentia » –, alors que la haine, elle, maintient sans fin le lien à l’objet
qu’elle tient. Ce souhait de faire disparaître prend racine, certainement, dans
l’hallucination négative, cette forme primitive de traitement du déplaisir ; mais
il en est le dépassement grâce au sentiment de culpabilité, qui est mémoire
dans la dialectique de l’ambivalence : le tort fait à l’autre se heurte à l’amour
qu’on lui porte.
Que le souhait meurtrier convoque alors, sous le sentiment de culpabilité,
la menace angoissante de la castration. la langue française nous le dit : être
coupable, c’est être coupable...
Le souhait meurtrier est peut-être à l’arrière-plan de la constitution du
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fantasme – de sa « dépressivité », écrit P. Fédida1 – comme scène
d’accomplissement pulsionnel dans la mesure où sa visée d’absenter l’objet,
et de prendre sa place, installe dans le scénario une puissance d’éviction dont
se soutient le principe de plaisir. Et la focalisation sur le père, ou sur la
figure qui en tient lieu – celle qui empêche ou interdit, certes, mais aussi
celle, qui possède sexuellement la mère et qui détient par là le secret de sa
jouissance –, permet que soit perçues psychiquement et représentées les satis-
factions pulsionnelles attendues et provoquées par l’énigme sexuelle de
l’objet.
« Ce n’est guère un hasard – écrit S. Freud2 – si trois chefs-d’œuvre de la
littérature de tous les temps traitent le même thème, celui de la mort du père :
l’Œdipe-Roi de Sophocle, le Hamlet de Shakespeare et Les Frères Karamazov
de Dostoïevski. Dans tous les trois, le motif de l’acte, la rivalité sexuelle pour
la femme est également mise à nu. » Ce n’est pas un hasard non plus si, dans
l’œuvre freudienne, les rêves de mort des personnes chères accompagnent
chaque avancée de la théorie : de L’interprétation des rêves, bien sûr, aux
« Formulations sur les deux principes de l’advenir psychique » où est repris.
dans les dernières lignes, le rêve de la mort d’un père. On en retrouvera
l’insistance clans les nouvelles remarques sur l’interprétation des rêves3. dans
les pensées ou les rêves télépathiques4, associés aux élaborations nouvelles
de 1920.

1. P. Fédida (2001).
2. S. Freud (1927 c), p. 219.
3. S. Freud (1925).
4. S. Freud (1922).
1500 André Beetschen

Hamlet traverse ainsi toute l’œuvre freudienne comme un fil rouge et il


accompagne sans cesse la mise au jour du sentiment de culpabilité : « Traitez
chaque homme selon son dû, et qui échappera au fouet ? »1
Car il est la figure exemplaire, pour S. Freud, du progrès du refoulement
la tragédie est dite ici de caractère quand l’antique tragédie, elle, était celle du
destin d’Œdipe. On s’étonnera cependant de l’étrange insistance avec laquelle
S. Freud, jusque dans le texte écrit pour la remise du prix Goethe2, met en
cause la paternité de l’œuvre : non, décidément, le grand Shakespeare ne pou-
vait être pour lui un vulgaire batteur d’estrade !
Rapidement, l’interprétation fut donnée du motif de l’inhibition de la
vengeance chez Hamlet : il ne pouvait tuer celui qui réalisa son propre souhait
inconscient ! Mais retenons ici qu’un éclairage saisissant sur la pluralité des
strates du sur-moi est apporté dans le rapport ambigu d’un fils à un père mort
qui se refuse à l’oubli. Rapport aux multiples clivages : terreur et exaltation ;
fantôme et rival, épées et poison ; et jusqu’à ces mots énigmatiques du prince
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meurtrier de Polonius : « Le corps est avec le roi, mais le roi n’est pas avec le
corps. » Et voici que la convocation hallucinatoire du fantôme paternel vient,
après le meurtre déplacé, apaiser la folle excitation incestueuse et matricide
qui s’empare du fils contre la mère excitante et mensongère, dans la chambre
de celle-ci :
Le spectre : «Mais regarde : l’égarement assiège ta mère.
Oh ! Fais un pas entre elle et son âme qui combat :
L’imagination, dans les plus faibles corps, fait la plus grande besogne,
Parle lui, Hamlet. »
Parler et apaiser plutôt que condamner et punir : le jugement rassemble
pourtant toutes ces polarités. Il est acte et accomplissement parce qu’il évalue
des actes. Mais les actes psychiques du for intérieur, à quelle aulne les évaluer,
à quel temps les assigner ?
De l’agissement du sur-moi, le jugement est l’effet constant. Hostile,
excessif, cruel, tantôt assourdi dans l’attente d’une action qui le déclenchera,
tantôt parlant « à haute voix », pour vouer à l’indignité. « Pour qui te prends-
tu ? » : dans la formule qui vise à l’humiliation narcissique, le juge, de camper
à l’intérieur, dénonce l’identification en sachant les souhaits d’inceste et de
meurtre et leurs accomplissements déguisés. Mais. croyant tenir son pouvoir
d’une loi transcendante, le juge ne sait pas, ou veut méconnaître, que c’est
aussi la pulsion – excès et renoncement – qui l’a institué !
Le spectre du jugement dirait à la fois son caractère effrayant de revenant
hostile et son champ d’action ou d’étendue. Car le mot « jugement » lui-même

1. W. Shakespeare (1983).
2. S. Freud (1930 a).
L’accomplissement et l’atteinte 1501

– en allemand, Urteil, l’un de ces mots où s’entend, avec l’Ur, l’originaire ; le


jugement de condamnation se dit, lui, Verurteilung – est aussi, dans notre
langue, soumis à un développement culturel : né en 10801 avec La Chanson de
Roland, il est d’abord assigné à la justice et à la sentence reçues et exécutées ;
puis il va progressivement s’intérioriser pour signifier l’avis, l’opinion, avant
de désigner la faculté de discerner et, avec Descartes, la décision mentale par
laquelle s’affirme une proposition. Juger lie ainsi, indissolublement, la dési-
gnation de la faute et l’activité d’une pensée qui s’intériorise.
Même mouvement chez F. Kafka quand change le titre de son roman Le
Verdict devient Le Procès, dont le seul chapitre publié du vivant de l’auteur,
« Devant la loi », résiste encore de son immense force d’énigme. « Il semble,
écrit G. Steiner, qu’il y ait autant de façons de lire “Devant la loi” qu’il est de
manières de conduire et d’imaginer sa vie. »2
Le jugement interpelle dans une prescription négative, « Tu ne... ». Même
s’il retrouve les mots d’interdits parentaux proférés pendant l’enfance, c’est sa
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structure de dialogue qui est caractéristique de la scène psychique interne,
celle où le Sur-moi a pris le moi pour objet. Apostrophe : le mot dit étrange-
ment l’interpellation et l’élision ! Ici s’établirait un premier rapprochement
avec la religion monothéiste : le jugement est l’autre versant de la prière et de
l’appel confiant ou soumis du religieux à son Dieu. Justice divine, Jugement
dernier : on sait la puissance et l’efficacité des représentations que l’homme
s’est forgées là-dessus3. F. Kafka en donne une interprétation plutôt radicale
« Seule notre conception du temps nous permet de parler de Jugement der-
nier ; en fait, il s’agit de loi martiale ! »4
Et, dans la cure, la permanence de la crainte transférentielle du jugement
reproduit douloureusement la situation de dépendance infantile. Mais elle dit
en même temps la menace inquiétante – unheimlich – d’une surveillance hostile
et la demande d’un amour qui l’effacerait. Cette crainte est toujours au service
de la résistance, soit qu’elle masque l’attente inconsciente et masochiste de
punition, soit qu’elle use du sentiment de culpabilité et de la punition pour
tenir éloignée l’angoisse liée à la revendication pulsionnelle actuelle. Faire
usage de l’avant contre le présent, c’est évidemment penser que le jugement
connaît une antécédence de pacte et que le sur-moi en est un lieu de transmis-
sion. C’est par là que S. Freud a lié l’infantile au religieux.

1. Dictionnaire Le Petit Robert de la langue française (2001).


2. G. Steiner (2002).
3. Une édition récente – « Le Jour du Jugement » – offre le texte, datant du XIVe siècle, du seul
mystère français à traiter de l’Apocalypse (Chambéry, Éd. Comp’act, 2000).
4. F. Kafka (1994).
1502 André Beetschen

3. Antécédence et destins du meurtre

Au jugement intériorisé qui s’instaure dans le psychique avec le refoule-


ment – comme une conscience informée de ce qui s’y soustrait – l’infantile ne
fait pas que se soumettre. Il n’a de cesse aussi de l’amadouer ou de le défier.
Et puisque le sur-moi porte en lui le principe culturel du renoncement pulsion-
nel et l’hostilité déclenchée par ce renoncement, il est mis en position de trans-
mettre, dans la psyché individuelle, l’héritage de civilisation, la loi des pères.
On invoque régulièrement la proposition freudienne que le sur-moi se
forme sous l’influence du sur-moi parental. Mais il faut essayer d’en préciser
les modalités, tout comme le « sentiment de culpabilité emprunté »1 nécessite
que soit éclairci le mode psychique de l’emprunt. Que véhicule l’interdit et
quelle attente inconsciente se glisse dans le renoncement exigé, par exemple
lorsqu’on observe, chez un patient obsessionnel, qu’une identification contrai-
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gnante aux rituels interdicteurs de la mère semble avoir pour but de s’emparer
du plus intime de l’excitation pulsionnelle de celle-ci et renvoie à une identifi-
cation secrète et paternelle. où se nouent, dans l’organisation œdipienne, nar-
cissisme et castration ? La souffrance insomniaque du sur-moi est sans doute
de devoir tenir inconscients ou clivés autant ses emprunts que la jouissance
effractive, homosexuelle notamment, que son agissement déclenche : et les
autoreproches sadiques, jusque dans leur caractère d’objets partiels et dans
leur littéralité de mot, ne sont-ils pas comme des rejetons inconscients faisant
retour, arrachés à l’inconscient de l’autre ?
Mais S. Freud va envisager selon cieux voies, là encore, la transmission
psychique opérée par le sur-moi : l’une, identificatoire, est liée au développe-
ment pulsionnel infantile ; l’autre, « héréditaire », est faite de la transmission
des traces du passé archaïque de l’espèce humaine.
C’est là l’hypothèse de la « transmission héréditaire du sentiment de cul-
pabilité »2, hypothèse selon laquelle « le sur-moi figure avant tout le passé de
la civilisation ». S. Freud a soutenu très tôt l’exigence de penser le développe-
ment culturel de l’espèce humaine sous l’égide – c’est le postulat de
l’analogie – du développement psychique, en nourrissant l’espoir d’obtenir un
éclairage inédit sur les temps originaires de l’humanité grâce aux acquis de la
« science psychanalytique », grâce à ce « fossile psychique » que représente
pour lui le névrosé. Avec les travaux de M. Moscovici3 et de P. Lacoste4, à la

1. J. Cournut (1983).
2. S. Freud (1930 c).
3. M. Moscovici (2002).
4. P. Lacoste (1986).
L’accomplissement et l’atteinte 1503

suite de l’enseignement de W. Granoff1, ce courant de la pensée freudienne


s’est trouvé puissamment réouvert. Mais la nécessité demeure, là encore, de
penser la nature de l’héritage – celui qui permet aux nouvelles générations de
ne pas devoir refaire tout le trajet psychique et culturel fait avant elles – et le
mode de sa transmission.
Ici se situe l’intérêt du débat qu’a noté S. Freud avec la religion. Je vais
l’explorer un peu, en espérant approfondir les rapports du jugement et de
l’instance qui le profère, que celle-ci soit divine ou surmoïque.
Avec l’apparition du sur-moi, en effet, le ciel se vide. L’intériorisation de
l’instance s’établit sur la reconnaissance de la nature humaine et pulsionnelle
du divin, même si F. Kafka apporte cette nuance : « L’homme ne peut vivre
sans une confiance durable en quelque chose d’indestructible en lui. Mais
cette confiance et cette chose peuvent lui rester dissimulées à jamais et
s’exprimer par la croyance en un Dieu personnel. »2
Le débat est ancien puisqu’il est engagé dès les années 1906-1908 avec le
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rapprochement de la névrose de contrainte et des formes de pensées et rituels
religieux3. Mais après 1925, et parallèlement à la théorisation du sur-moi et du
sentiment de culpabilité, la discussion devient très serrée ; elle trouvera son
aboutissement avec L’homme Moïse et la religion monothéiste. Et ce débat
refoule sans doute un autre courant de pensée plus souterrain mais qui vien-
dra au jour en même temps que les premières discussions de S. Freud avec M.
Klein, dans « La sexualité féminine » : celui de l’élaboration non seulement
pour la fille mais pour les deux sexes du lien avec la mère primitive, pré-
œdipienne, celle de la civilisation « mino-mycéenne ».
1927 : S. Freud écrit quasiment en même temps L’avenir d’une illusion4 et
« Dostoïevski et la mise à mort du père »5. La lecture croisée de ces dieux tex-
tes propose deux destins pulsionnels différents au traitement, par le sur-moi,
du souhait meurtrier visant le père. Si l’un culmine dans la violence impla-
cable d’un jugement de condamnation (puisque le meurtre ne cesse d’être à la
fois agissant et refusé), l’autre aboutit, quand l’acte a été psychiquement
admis, à un gain de pensée avec l’espoir mis dans la science et dans
l’intelligence.
Tel est l’enjeu de L’avenir d’une illusion6, un écrit vif, brillant, passionné.
Comme un écho à distance de La généalogie de la morale7. Son développement

1. W. Granoff (1975).
2. F. Kafka (1994).
3. S. Freud (1907).
4. S. Freud (1927 b).
5. S. Freud (1927 c).
6. S. Freud (1927 b).
7. F. Nietzsche (1971).
1504 André Beetschen

noue le psychique et le culturel et dessine en une fresque puissante les rap-


ports que l’homme entretient depuis les premiers temps avec ses dieux. C’est
un écrit polémique aussi, car l’adversaire est de taille ! S. Freud va d’ailleurs
faire appel à un interlocuteur imaginaire, un adversaire plutôt, qui incarne
l’instance conservatrice du sur-moi religieux de la tradition. Un adversaire
dont on remarque qu’il apparaît dans le texte au moment où il est question du
père !
Le psychanalyste, « ministre des âmes laïc » comme il est dénommé dans
« La question de l’analyse profane » : peut-on dire plus radicalement
l’appropriation du « traitement d’âme » qu’a instauré le rapatriement dans
l’infantile de l’origine du sentiment de culpabilité ? Et n’est-ce pas avec une
certaine ironie que L’avenir d’une illusion, qui ferraille avec le comman-
dement divin « Tu ne tueras point », se termine sur des mots très voisins de
ceux de la Genèse, quand Yahvé envoie Adam et Ève vers le « monde
hostile » ?
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Essayons de suivre patiemment la construction du texte. Commençant
par relever l’hostilité que provoque le renoncement pulsionnel et constatant
l’inéluctable des tendances destructrices, que seuls des « grands hom-
mes »seraient en mesure de canaliser, S. Freud signale le progrès – « un fond
culturel précieux » – que représente l’advenue du sur-moi comme intériorisa-
tion d’une contrainte externe. Certes, la morale n’est pas acquise, car elle peut
donner le change devant l’autorité, mais la culture la compte à ses actifs avec
les idéaux, l’art et les représentations religieuses.
Il va falloir préciser les formes et la valeur de celles-ci. Car c’est d’abord
pour assurer protection contre la détresse devant la nature – comme repro-
duction de la détresse infantile, introduite ici en motif majeur – que les for-
ces naturelles vont s’humaniser et devenir des dieux qui compensent et
dédommagent. Le rassemblement de ceux-ci en un Être unique dessinera le
noyau paternel en jeu. Et, s’agissant de ce noyau, voici que s’élabore en deux
moments la complexité du rapport au père où se figurent les deux pôles de
l’ambivalence.
Dans un premier passage. après que S. Freud a évoqué la situation de
détresse infantile, survient cette phrase curieuse :
« C’est ainsi que la mère. qui satisfait la faim, devient le premier objet
d’amour et certainement aussi la première protection contre tous les dangers
indéterminés qui menacent l’enflant clans le monde intérieur. Elle devient,
osons-nous le dire, le premier pare-angoisse. Dans cette fonction, la mère est
bientôt relayée par le père, plus fort, à qui cette fonction dès lors reste
dévolue toute l’enfance. Cependant, le rapport au père est affecté d’une ambi-
valence particulière. Le père lui-même est un danger, qui remonte peut-être au
L’accomplissement et l’atteinte 1505

rapport antérieur à la mère. On n’éprouve pas pour lui moins de peur que de
désirance et d’admiration. »1
On voit ici que la fonction pare-angoisse de la mère est relayée par un
rapport au père marqué par l’ambivalence : les mots « danger » et « peur »
viennent en même temps que ce transfert de protection. C’est dire qu’une hos-
tilité engagée dans le rapport au père devient une condition de protection
psychique.
Un peu plus loin, S. Freud évalua le fondement et l’efficace de l’interdit
de tuer, à propos du commandement « Tu ne tueras point ». Après avoir
interprété l’illusion religieuse dans son caractère d’accomplissement de sou-
hait, après avoir fait de la divinité cette figure humaine qui protège et
demande obéissance, il va rechercher une solution pulsionnelle pour rendre
compte de l’efficace de l’interdit. Solution pulsionnelle et pas simplement
rationnelle, « car les motifs purement rationnels – qui fonderaient l’interdit
culturel – sont chez l’homme d’aujourd’hui encore de peu de poids face aux
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impulsions passionnelles ; combien plus impuissants encore doivent-ils avoir
été chez cet animal – homme des temps originaires ! »2.
La solution pulsionnelle – ici fait retour l’hypothèse du meurtre origi-
naire –, c’est l’antécédence d’un accomplissement, c’est un acte autre et d’une
portée décisive puisqu’il met fin à une violence jusqu’ici infinie : l’acte meur-
trier qui abattit le père primitif et suscita « une réaction de sentiment irrésis-
tible et lourd de conséquences ». C’est d’elle qu’est issu le commandement :
« Tu ne tueras point », car : « Le déplacement sur Dieu de la volonté humaine
est pleinement justifié. les hommes savaient bien qu’ils avaient éliminé le père
par un acte de violence et, en réaction à leur acte sacrilège, ils se promirent de
respecter dorénavant sa volonté. »
Accomplissement déterminant, puisque, par les sentiments qu’il laisse der-
rière lui – triomphe initial, nostalgie du père mort et de sa puissance, senti-
ment de culpabilité partagée –, l’acte meurtrier originaire inhibe la répétition
du meurtre tout en rappelant pour chaque génération son inévitable recom-
mencement psychique. « Tu ne tueras point... » parce que l’acte, cet acte-là, a
été commis. Recommencement accompli historiquement dans L’homme Moïse
et la religion monothéiste, qui construira l’origine du monothéisme en faisant
du peuple juif le gardien mémoriel du refoulement du meurtre d’un père.
Ainsi le sur-moi devient-il bien plus que le réceptacle de traditions archaï-
ques : il est, dans sa composante hostile même et dans l’oubli actif de l’acte
originaire, gardien de l’histoire et de l’accomplissement psychique du meurtre.

1. S. Freud (1927 b), p. 164.


2. S. Freud (1927 b), p. 183.
1506 André Beetschen

Une sorte d’attracteur inconscient. G. Rosolato proposera dans sa théorie du


sacrifice et de ses fonctions – dont celle, essentielle, du traitement de la culpa-
bilité – une forme de liaison culturelle du meurtre originaire et du sur-moi. Il
précisera alors l’écart entre Père mort et victime sacrificielle :
« Le Père mort est donc repérable de deux manières : dans le mythe sacri-
ficiel comme une virtualité, au-delà d’une puissance suprême sur laquelle por-
tent les souhaits de mort, dans le maximum de pouvoir qu’y trouvent ces sou-
haits, mais contre lesquels la structure même du sacrifice offre une radicale
substitution. Que l’on songe aux caractères de la victime émissaire : son inno-
cence ou son humanité, sa faiblesse surtout sont le négatif du Père idéalisé
tout-puissant, féroce et haï par envie collective, et coupable de toutes ses vio-
lences arbitraires. La victime révèle ainsi par renversement le sens de la substi-
tution et son effet d’occultation. Telle est la logique qui soutient celle-ci et sans
laquelle le sacrifice resterait opaque.
« L’autre voie est celle du meurtre accompli... (mais) : il semblerait que le
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Père mort soit donc insaisissable. Nous l’avons pourtant cerné précisément
comme le point virtuel du sacrifice, mais aussi, faut-il ajouter, comme la
mémoire, le noyau symbolique qui demeure quand la raison défait tout mythe
pour ne laisser persister que le nom du père, seule trace sur une pierre tombale
et dans la succession des trois générations de la généalogie, dans sa structure,
telle qu’elle est également développée et codifiée par le mythe religieux mono-
théiste... Le Père mort est cette antériorité mémorielle du Père dans sa portée
future. »1

« Au commencement était l’acte » : le meurtre cannibalique du père de la


horde primitive par ses fils liés contre lui. Ensuite vinrent, avec l’oubli du
meurtre, la nostalgie pour le père mort, les débuts de l’organisation sociale et
la fixation des rites sacrificiels. Cette hypothèse du meurtre du père de la
horde primitive, je ne peux pas en reprendre ici la discussion approfondie.
Dans sa vérité historique, et même si elle est construite à partir des traces lais-
sées par la pensée totémique d’abord, puis par la religion, l’hypothèse est
indécidable. Mais la forme de son récit en appelle à l’efficace du mythe plus
qu’à la raison scientifique.
On sait que cette hypothèse « phylogénétique » divise : il y a ceux qui y
voient, avec J. Laplanche2, un « fourvoiement », qu’il associe au « fourvoie-
ment innéiste » de S. Freud : il y a ceux qui pensent au contraire que son
oubli ou son discrédit éloignent du plus vif de la découverte freudienne.

1. G. Rosolato (1987), p. 76.


2. J. Laplanche (2002).
L’accomplissement et l’atteinte 1507

Il reste que l’ « analogie » entre développement psychique et développe-


ment culturel ne va pas de soi et que le souhait même d’éclairer par le psy-
chique certains des avatars tragiques de la civilisation – la guerre, le meurtre
de masse, etc. – se heurte à des objets complexes, où l’infantile et le « primi-
tif » rencontrent d’autres déterminismes.
Mais les arguments critiques, même fondés quand ils sont historiques ou
anthropologiques, laissent de côté l’essentiel, qu’il faut examiner : la logique
de pensée qui soutient Freud – et qui se révèle par exemple dans L’avenir
d’une illusion – et la valeur fondatrice qu’a pour la vie psychique, et donc pour
la cure analytique, cette construction réaffirmée dans Malaise dans la culture :
« Nous ne pouvons pas échapper à l’hypothèse que le sentiment de culpabilité
de l’humanité est issu du complexe d’Œdipe et fut acquis lors de la mise à
mort du père par l’union des frères. II y eut en ces temps-là une agression qui
ne fut pas réprimée mais exécutée, cette même agression dont la répression
chez l’enfant est censée être la source du sentiment de culpabilité. »1
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Peut-être est-ce l’aspect contraint – « nous ne pouvons pas échapper »... –
qui m’embarrasse le plus ! Car il s’accompagne d’une évidente surestimation
narcissique : fantasme de tenir le caractère décisif de l’origine dans une théori-
sation qui, par ailleurs, se substitue à celle du « péché originel » ; conviction
qui fait front à la dure réalité des faits la contestation scientifique du lamarc-
kisme – et qu’on retrouve dans la manière avec laquelle est affirmée
l’existence de la pulsion de mort, cette autre construction de l’originaire ;
nécessité de donner un rôle historique aux « grands hommes » ; fantasme du
destin glorieux du « dernier fils préféré de la mère », qui s’accomplit ensuite
dans celui du héros-poète (héros toujours évoqué, indique M. Moscovici,
comme « le premier qui... », en écho aux mots de l’historien Breasted nom-
mant Akhénaton « le premier individu dans l’histoire humaine »).
Perplexité aussi, quant au mode de transmission inconsciente et « phylo-
génétique » des événements psychiques primitifs, et donc du meurtre du père
originaire. C’est là tout le problème de l’inscription et de la survivance de ces
événements, de leur survivance dans l’oubli lui-même ; lorsque M. Moscovici2
les relie à ces « documents psychiques » que fournit l’analyse du névrosé, on
peine malgré tout à concevoir leur statut. Et la solution que propose S. Freud
dans « Le moi et le ça »3 – les expériences répétées du moi s’inscriraient dans
le ça – manque d’approfondissement métapsychologique...
Devant la violence faite par la conviction freudienne, l’envie vient de par-
courir l’histoire des religions, même si Freud en récuse par avance la portée.

1. S. Freud (1930 c), p. 324.


2. M. Moscovici (2002), p. 102.
3. S. Freud (1923), p. 249.
1508 André Beetschen

pour observer comment l’intériorisation de l’hostilité meurtrière, son retourne-


ment culturel, vont peu à peu laisser se développer la culpabilité et l’amour, ce
sentiment tardif.
Ainsi E. R. Dodds1 dessine-t-il, pour la Grèce antique, une progression
culturelle d’une civilisation de la honte à une civilisation de la culpabilité, en
remarquant que le mot philotheos – l’amour du dieu – « fait défaut dans le
vocabulaire grec le plus ancien » et qu’ « il apparaît pour la première fois chez
Aristote ». Il propose de voir dans l’importance croissante des liens de la
famille une racine de l’émergence de la culpabilité.
Dans le croissant fertile où naquit notre civilisation (j’ai depuis longtemps
été frappé par cette correspondance historique qui fait, à quelques années
d’intervalle, découvrir la civilisation mésopotamienne dont il ne restait aucun
monument visible mais seulement des traces écrites à déchiffrer, et surgir une
science, la psychanalyse, qui s’intéressera aux traces et fossiles psychiques),
J. Bottero2, qui a traduit le premier récit épique d’un deuil3, a su montrer
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comment, avec « la naissance du péché, une religion primitive de l’observance
par crainte des châtiments divins s’était transformée par l’intériorisation d’une
culpabilité qui se mit à interroger, notamment dans le grand poème de Job4,
une cause qui se dérobait à celui qui la subissait »5.
Dans la lecture attentive qu’il fait du texte biblique – dont on sait que
l’écriture, au VIe siècle avant J.-C. et au retour de l’exil babylonien, obéit à une
contrainte d’unification du peuple juif autour du pouvoir royal –, J. Cazeaux6
écrit : « La grandeur d’Israël est d’avoir retourné en mauvaise conscience
féconde une mémoire qui pouvait enfanter une épopée glorieuse ou vengeresse ;
d’avoir conservé dans son livre les stigmates de sou échec politique pour y
dénoncer le crime originel et universel de la volonté de puissance... »
Les commencements de la religion chrétienne poussèrent sans doute sur le
terreau de la brutalité romaine et guerrière, et de la culpabilité qu’elle laissait
derrière elle. Il se trouva que l’éternité promise au chrétien au-delà de la mort
chercha parfois à se gagner délibérément par un renversement de l’acte meur-
trier : tel fut le cas du phénomène du martyre, tout à fait inconnu dans
l’Antiquité. G. W. Bowersock7 montre que le mot, dénommant initialement le
témoin, en vient autour de 100 après, J.-C. à désigner les actes de chrétiens
qui affrontent et provoquent le pouvoir, jusqu’à donner l’impression d’un

1. E. R. Dodds (1959).
2. J. Bottero (1992).
3. Épopée de Gilgamesh (1992).
4. J. Bottero (1986).
5. La Bible Osty (1973).
6. J. Cazeaux (2001).
7. G. W. Bowersock (1995).
L’accomplissement et l’atteinte 1509

enthousiasme suicidaire. L’étonnant n’est-il pas d’entendre alors, comme chez


le martyr Ignace d’Antioche, un renversement de la pulsion cannibalique ?
Désirant « être moulu par la dent des bêtes, pour devenir un pur pain du
Christ », il appelle : « Venez feu et croix, troupeaux de bêtes, lacérations, écar-
tèlements, dislocation des os, mutilation des membres, mouture de tout le
corps... »
Mais le progrès de l’intériorisation est fragile, jamais assuré ! Que l’unité
de l’Église romaine soit menacée par un schisme et voici qu’à la conscience
morale intériorisée se substitue la cruauté investigatrice et meurtrière de
l’Inquisition, ce modèle de sur-moi sauvage et implacable exigeant de ses victi-
mes – d’abord les Cathares, les purs – l’aveu de fautes qu’ils n’ont pas commi-
ses. G. Verdi a fait entendre avec une saisissante profondeur, dans une scène
sombre et poignante de Don Carlo, l’affrontement de deux pères qui, parce
qu’ils se sentent mortellement menacés dans leurs idéaux narcissiques, devien-
nent meurtriers en dévoyant leur morale religieuse
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« — Philippe : La nature et le sang, se tairont-ils en moi ?
— L’inquisiteur : tout s’incline et se tait lorsque parle la foi. »

En fin de compte, quel est le gain proposé par l’abandon de l’ « illusion »


religieuse et par l’hypothèse de l’acte meurtrier ? L’adversaire de S. Freud. en
un dernier argument assez retors, ne manque pas de lui demander : pourquoi
priver l’humanité de ce qui la console même en la trompant ? N’est-il pas ras-
surant que soit circonscrite une crainte bien connue et qui a fait ses preuves ?
En somme :
« Soumis avec respect à sa volonté sainte,
Je crains Dieu Cher Abner, et n’ai point d’autre crainte. »1
S. Freud ne tremble pas et soutient, dans L’avenir d’une illusion, que le
gain est considérable : avec la reconnaissance du désir meurtrier visant la
figure du Dieu-père, avec la levée de l’oubli et la saisie de la correspondance
névrose-religion – « la religion serait la névrose de contrainte universelle de
l’humanité, comme celle de l’enfant, elle serait issue du complexe d’Œdipe et
de la relation au père »2 –, c’est non seulement un pan de vérité psychique qui
se découvre mais un espace de liberté de pensée qui s’étend. L’écrit se termine
alors, comme peu d’écrits freudiens le font, sur un espoir fervent en
l’intelligence et en le dieu Logos, comme en les possibilités créatrices d’un
enfant qui serait enfin élevé « irréligieusement ». Espoir fervent en la science
aussi – la « jeune science », psychanalytique – dont est attendue la possibilité
d’apprendre pas à pas, et par l’expérience, « sur la réalité du monde quelque
1. J. Racine,. Athalie, in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade ».
2. S. Freud (1927 b).
1510 André Beetschen

chose par quoi nous pouvons accroître notre puissance et d’après quoi nous
pouvons aménager notre vie ».
Singulier chemin que celui où cette exploration patiente, acceptant
d’abandonner les hypothèses démenties par la réalité, n’opère qu’en défaisant
le « tout » où « l’un » de la croyance et de sa valence narcissique. L’événement
cannibalique du meurtre du père primitif désigne d’ailleurs un chemin à
l’identification : d’être dévoré par les frères ligués contre lui, le père mort ne
peut pas être possédé par un seul d’entre eux... Contrairement au destin
mélancolique, chacun des fils prend en lui un « trait ». W. Granoff1 qui a sou-
tenu que la psychanalyse freudienne était peut-être le dernier avatar du mono-
théisme, le dit autrement en parlant du rapport au père qui s’institue après
son meurtre : « La décision de se rendre le père, de le ré-instituer après l’avoir
écarté... peut seule parvenir à fonder le réel. »
La découverte intelligente du monde passe ainsi par un changement du
sur-moi, devenu éveilleur de réalité ! Et le jugement que le sentiment de culpa-
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bilité remettait au Dieu se trouve peut-être intériorisé pour venir construire
cette fonction du jugement dont S. Freud dit, dans « La négation », qu’ « elle
a pour l’essentiel deux fonctions à prendre... ». La négation porterait ainsi la
trace atténuée et transformée du souhait meurtrier.
Le gain est dans ce qui se découvre de la nature du psychique, que
l’expérience de la cure explore avec le transfert : l’oubli est forme de mémoire
inconsciente, une mémoire d’actes accomplis dont le sentiment de culpabilité
fait survivre les traces. Le transfert les fera venir au jour, permettant ainsi que
se construisent les actes de la « préhistoire » des patients, préhistoire où se
rencontrent, dans la régression qui sollicite l’écoute imaginante de l’analyste,
les formes du primitif (de l’avant de l’histoire et du langage).
P. Fédida, dans « L’oubli du meurtre dans la psychanalyse », interroge la
question de la violence et de la personne à la lumière du mythe freudien origi-
naire. Il montre comment la construction de son oubli – qui le fait advenir
comme « meurtre non violent » – est seule à pouvoir maintenir une pensée
métapsychologique qui ne verse pas dans l’idéologie et qui, en garantissant
une « absentisation » de l’analyste, donne un espoir de représentation dans le
transfert à l’hostilité du primitif, en offrant des mots pour la violence. Il écrit :
« Ce que Freud énonce autour de cette soustraction sensorielle – les
représentations psychiques (Vorstellungen) donnant droit à la liberté imagina-
tive – en présence des corps des pères – renvoie directement à la conception de
la situation analytique et donc à sa construction “paternelle”» (l’étranger-
père). Comme s’il fallait ici clairement entendre que la violence est sans doute

1. W. Granoff (1975), p. 521.


L’accomplissement et l’atteinte 1511

dans ce défaut de construction et, en un sens kafkaïen, dans ce défaut de père


là où celui-ci exerce une emprise si considérable sur le psychique et dénie aux
fils à la fois le pouvoir de leur propre paternité et la capacité d’identifications.
C’est là où la neutralité de l’analyste (du moins une certaine neutralité) équi-
vaut à une violence inouïe comme par lâcheté de castration ! »1

Dans L’avenir d’une illusion, et dans la vivacité de son combat contre


l’illusion religieuse, S. Freud ne propose pas une théorie du sur-moi qui assu-
rerait le triomphe d’une morale laïque dont le souci de l’autre serait le fonde-
ment. C’est qu’ « aimer son prochain comme soi-même » est un commande-
ment qui ne va pas de soi ! La tâche est donc annoncée pour Malaise dans la
culture qui se saisira de ce que la fin de l’illusion religieuse n’a pu résoudre :
l’hostilité suscitée par le renoncement pulsionnel et le penchant à l’agression.
« Dostoïevski et la mise à mort du père » propose justement, dans le
même temps d’écriture que L’avenir d’une illusion, un destin psychique plus
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sombre de l’hostilité, qui nous ramène à l’implacable d’un jugement dont
l’attaque interne terrasse le moi (les « accès de mort » : P. Fédida en propose
un équivalent avec les « états léthargiques » dans lesquels tombent certains
patients en analyse). Les mots désignent ici la violence d’un accomplissement
que ne vient apaiser aucun renoncement : « On est en droit de dire que Dos-
toïevski, écrit S. Freud, ne s’est jamais libéré de la charge que fait peser sur sa
conscience l’intention de commettre le meurtre du père. » Et, un peu plus
loin : « Si, au total, il n’accéda pas à la liberté et devint un réactionnaire, cela
résulta de ce que la coulpe filiale, commune à tous les hommes, sur laquelle
s’édifie le sentiment religieux, avait atteint chez lui une force supra-
individuelle et resta insurmontable même pour son intelligence. »2
L’intérêt est alors – grâce à ce que révèle l’excès de la souffrance psy-
chique – qu’une nouvelle complexité du sur-moi se fait jour.
D’abord, avec le rappel de la place déterminante de l’identification ambi-
valente qui noue l’amour excessif au souhait meurtrier. « On a souhaité qu’un
autre soit mort ; maintenant on est cet autre et l’on est soi-même mort. »
Ensuite, avec la substitution topique désignée : « Au total la relation
entre la personne et l’objet-père s’est transformée, en maintenant son contenu,
en une relation entre moi et sur-moi, une mise en scène sur un second
théâtre. » Mais sur ce théâtre-là se déchaîne le spectre du jugement : « Tu as
voulu tuer le père pour être toi-même le père. Eh bien ! Tu es le père mais le
père mort... Maintenant c’est le père qui te tue. »

1. P. Fédida (1995), p. 45.


2. S. Freud (1927 c).
1512 André Beetschen

Enfin, par l’insistance mise sur un élément nouveau et décisif la force de


la bisexualité et du souhait inconscient de soumission féminine au père, sou-
hait rencontrant l’horreur de la castration. Le sur-moi en vient à se battre sur
deux fronts. Ainsi s’éclaire une phrase comme : « Le symptôme précoce des
accès de mort peut donc se comprendre comme une identification au père du
moi autorisée à titre punitif par le sur-moi. » Le renoncement à l’incessant du
meurtre passe par un renoncement à l’amour trop fort et féminisant pour le
père.
« Dostoïevski et la mise à mort du père » se termine sur un dernier agisse-
ment cruel du sur-moi : l’écrivain génial ne peut se mettre à écrire qu’après
avoir dilapidé tout son argent au jeu, sa passion. Ainsi, « son sentiment de
culpabilité était satisfait par les punitions qu’il s’était infligées à lui-même ».
À vrai dire, la toute fin est plus énigmatique, quand apparaît le person-
nage féminin d’une nouvelle de S. Zweig, « Vingt-quatre heures de la vie
d’une femme ». C’est une femme veuve, « mère de deux fils qui n’avaient pas
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besoin d’elle » et qui tombe amoureuse d’un joueur du même âge que son fils
aîné, en étant fascinée par la vue de ses mains.
Voici donc, pour conclure un écrit consacré au souhait meurtrier envers
le père et à la violence du sur-moi, que sont évoqués non seulement la com-
pulsion sexuelle masturbatoire mais aussi le fantasme d’une mère séductrice-
initiatrice aimante et protectrice : « Une sympathie inexplicable l’a contrainte
à le suivre et à entreprendre toutes les tentatives pour le sauver. » Le sauver,
c’est-à-dire, sans doute, éviter qu’il ne meure comme le fils qu’elle a narcissi-
quement perdu. Elle apprendra plus tard qu’ « elle n’a pas réussi à le préser-
ver du suicide ».
Cette survenue d’une figure de mère compatissante et amoureuse sur quoi
s’active un texte décrivant le huis clos de l’affrontement entre père et fils
ménage une ouverture que Malaise dans la culture ne reprendra pas. Elle
donne sans doute une autre version de cette transformation du sur-moi pro-
posée dans « L’humour », transformation qu’a éclairée A. Petitier1 et dont
S. Freud dit : « Si c’est effectivement le sur-moi qui dans l’humour parle au
moi intimidé en le consolant avec tant d’amour, soyons avertis que nous
avons encore toutes sortes de choses à apprendre sur l’essence du sur-moi. »2
On retrouve ici le renversement de la phrase relevée dans L’avenir d’une
illusion et qui concernait la protection assurée par le père ! Le sur-moi, au
fond, n’est jamais une instance duelle, quelle que soit la rigueur du juge et du
jugement. Il porte en lui les identifications œdipiennes jusque dans ce qui fut

1. A Petitier (2002).
2. S. Freud (1927 c).
L’accomplissement et l’atteinte 1513

leur éventuelle guerre infantile ; il les porte avec leurs indices de réalité :
dépression, mélancolie ou effondrements parentaux. « Il n’est pas sans signifi-
cativité, écrit Freud, comme facteur accidentel que le père, redouté dans cha-
cun des cas, soit dans la réalité aussi particulièrement violent. »
Mais le sur-moi garde de son origine narcissique la trace de
l’investissement amoureux qui constitua le moi, la trace de la qualité de cet
investissement. C’est d’ailleurs quand celui-ci a été défaillant et précaire que le
sur-moi semble s’évanouir, ou rendre les armes dans les combats séparés que
lui impose un moi clivé, ou encore se réduire au spectre ricanant qui menace
de démolir plus que de punir, en dénonçant une identification dont la forte
composante homosexuelle doit être déniée et rejetée. Ici, la haine et la disqua-
lification s’imposent à l’ambivalence, et l’action apaisante et civilisatrice de
l’instance s’efface devant l’omnipotence narcissique et le souhait honteux
autant que coupable – mais un souhait non inconscient – d’anéantir l’autre,
par vengeance ou parce que tout lien fait revivre une menace de destruction.
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Décisive est alors l’importance du lien au groupe et du mode de survie
psychique qu’il maintient : quand le jugement de condamnation appelle,
comme on l’entend fréquemment dans ces situations, une scène d’humiliation
publique ou de bannissement, le risque est grand d’un effondrement.
Aussi est-il nécessaire que soit pris en compte et travaillé le transfert dans
sa négativité pour que l’intolérable du déplaisir puisse trouver une autre issue
que le désespoir ou l’exaspération narcissique. On pourrait voir se dessiner ici
un rapprochement inattendu entre S. Freud et D. Winnicott : le père mis à
mort ou l’objet utilisé et atteint, c’est en survivant psychiquement qu’ils ins-
taurent des transformations qui présageront d’un avenir possible.

V. LA CRAINTE, L’AUTEUR, L’INHIBITION

1. Trembler n’est pas créer

Avec l’intériorisation du sur-moi et l’advenue psychique et culturelle du


sentiment de culpabilité, l’accomplissement pulsionnel et son destin invitent à
faire retour à la névrose. Elle est en effet à l’origine de notre pratique et elle
en reste le cœur. Et le destin de pulsion sur lequel elle se construit, le refoule-
ment, demeure dans chaque cure à penser et à construire.
Associée à l’extension de plus en plus grande donnée aux cas dits difficiles
ou limites, l’idée s’est peu à peu installée qu’avec une conception théorique
désormais plus sûre la transformation de la souffrance névrotique par la cure
1514 André Beetschen

analytique était acquise. Il suffirait de relire « L’analyse avec fin et l’analyse


sans fin » pour s’en dissuader, ou de constater la multiplication des « tran-
ches », le mot lui-même jouant ironiquement avec une impossible coupure ! Il
y a en effet, de l’ « intraitable »1 dans la névrose, et il ne tient pas seulement à
l’ « archaïque » mais à la fixité des solutions infantiles précoces, à la solidité
économique de ses compromis. Bref, à la résistance de l’inconscient. Le senti-
ment de culpabilité – et ce qu’il concède secrètement à la persistance du reli-
gieux – n’est-il pas l’un des éléments les plus solides de cette fixité de la
névrose ?
L’atteinte souffrante du névrosé, celle qui l’amène à l’analyse, se présente
toujours comme un échec de réalisation : qu’il s’agisse de la répétition de symp-
tômes qui amputent, ou d’une inhibition, tous semblent priver le sujet de sa
prise sur le monde et lui donnent cette conviction désespérante de rester un
enfant qui ne grandit pas. Lorsqu’une crise ou quelque nouvel échec s’imposent
à un regard lucide, le jugement est celui d’un sur-moi sévère : imposture, men-
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songe, avec cette phrase si souvent proférée : « Qu’as-tu as fait de ta vie ?
Qu’as-tu fait des objets aimés ? Qu’as-tu fait de ce que tu as reçu ? »
« Et pourtant écrit S. Freud dans L’avenir d’une illusion, l’infantilisme est
destiné à être surmonté, n’est-ce pas ? humain ne peut rester éternellement
enfant, il faut qu’il finisse par sortir à la rencontre de “la vie hostile”. »2
Mais l’hostilité est interne, dans la conscience douloureuse de ce à quoi
l’on manque : la tâche, l’œuvre, l’amour. Une vie mal « remplie »,
l’accomplissement pulsionnel détourné par le conflit, ce qui ne parvient pas à
éviter la négligence ou la demi-mesure. Le sentiment de culpabilité « sait » ce
qui s’accomplit dans ce qu’on ne fait pas, dans la promesse non tenue, dans la
dépendance infantile maintenue et l’impossibilité de risquer.

Cette souffrance névrotique trouve un champ d’élection dans l’activité de


pensée et dans l’investissement pulsionnel des objets de culture, dans la créati-
vité ou l’écriture. Si l’attaque interne du jugement y déchaîne sa violence, c’est
que se poursuit là le conflit infantile du penser avec et du penser contre, et
que se manifeste l’effet des interdits qu’affronte une pensée soumise à
l’excitation sexuelle de ce qu’elle vise à accomplir.
Ici s’omrirait la question de l’auteur. Car parler ou écrire en son nom en
trouvant sa propre voix, c’est bien là l’espoir que nous plaçons dans la mise en
route de nos travaux, Singularité que nous recherchons quand nous lisons en
quête d’auteur, pour découvrir un inconnu ou pour retrouver un compagnon

1. J.-B. Pontalis (2000), p. 18.


2. S. Freud (1927 b), p. 190.
L’accomplissement et l’atteinte 1515

fidèle, maître ou frère de nos chemins de pensée, et que ces chemins ouvrent à
l’inquiétude ou au plaisir.
Deux livres explorent de front cette question de l’auteur, en mettant en ten-
sion l’idée d’appropriation. M. Schneider1, dans Voleurs de mots, son étude sur le
plagiat, écrit : « Nous sommes faits des mots des autres, défaits, refaits ; de cela
l’analyse doit prendre la mesure. Pourtant, ne pas penser par soi-même, c’est
cette pathologie que l’analyse tente de dénouer et de prendre en charge dans les
névroses et les psychoses » ; et, plus loin : « Le style, comme le deuil, ne se trans-
met pas. Il faut en passer par là. Seul, soi-même, en personne. »
P. Audi2 est philosophe, et semble assez réservé vis-à-vis de la psychana-
lyse. Les psychanalystes, il est vrai, rendent souvent la pareille aux philoso-
phes et peut-être que leur réserve, dite au nom de la pulsion, est l’un des ava-
tars de l’hostilité provoquée par le renoncement pulsionnel qu’impose la
culture... Cherchant, dans L’autorité de la pensée, « à rendre compte du deve-
nir – auteur de la pensée », il écrit : « Pour autant que le devenir-auteur
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résulte de cet acte d’appropriation au moyen duquel l’autorité d’un sens
donné se trouve située à la même hauteur qu’une vérité personnelle, qu’une
certitude tout intérieure, ce ne peut donc jamais être la constante référence à
une œuvre extérieure ayant pour ainsi dire déjà “fait ses preuves”, qui “auto-
rise” ou légitime la pensée qui s’en réclame, et garantit du même coup la
“validité” présumée de celle-ci. »
Appropriation, le mot fait nu peu sursauter quand nous cherchons plutôt
à défaire les propriétés qui paraissent trop assurées d’elles-mêmes... Et, pour-
tant, il y a de cela quand même : penser, c’est prendre le temps, pouvoir
demeurer dans la lenteur naissante de la forme, éloigner la trop grande excita-
tion de l’idée qui surgit, tenir en réserve l’immédiateté du jugement mais déci-
der de l’affronter, à la fin...
Il faut écouter l’étrange ambivalence que la langue attache au nom
d’auteur. Auteur d’un livre, auteur d’une œuvre, bien sûr, mais aussi auteur
d’un crime ou d’un forfait, et, encore, auteur des jours pour désigner à
l’arrière-plan l’acte de génération. Si l’auteur, selon le dictionnaire et
l’étymologie, est celui qui est à l’origine, celui qui agrandit, il est avant tout
l’auteur de l’acte, et la part d’accomplissement inconscient qui s’attache à
l’acte fait de l’auteur un présumé coupable. Quand du moins l’auteur n’est pas
atteint de l’inflation narcissique comique dont se gausse Molière :
« Je soutiens qu’on ne peut en faire de meilleur [de sonnet]
Et ma grande raison c’est que j’en suis l’auteur. »3

1. M. Schneider (1985), p. 359.


2. P. Audi (1997), p. 16.
3. Molière, Les Femmes savantes, III, 3, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade ».
1516 André Beetschen

Craindre se souvient du souhait meurtrier c’est l’épreuve de la pensée


quand elle s’adresse, quand elle se pose devant, quand elle assume l’excitation
d’origine inconnue qui la met en mouvement. Craindre – appréhender, redou-
ter, respecter – vient de trembler : trembler devant le jugement, devant son
Dieu, devant l’autorité, devant le père. Craindre que la pensée trahisse l’usage
qu’elle fait secrètement des souhaits inconscients. L’invention perpétuelle de la
langue, toujours plus juste que nos rationalisations, a eu cette trouvaille
récente : ça craint, pour dire la perception redoutée d’un déplaisir immédiat
ou à venir.
La crainte : ce sentiment infantile perdurant de petitesse devant ceux qui
continuent d’incarner l’autorité primordiale des parents. Un patient long
temps plongé dans une intense inhibition d’écriture découvre combien le mot
« devoirs » – à rendre, à donner au maître, à « mettre au propre » quand il
avait envie de barbouiller rageusement ses cahiers – avait suscité en lui de
rébellion inavouable quand il lui avait fallu apprendre à écrire. On ne tient
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peut-être pas assez compte de la violence qu’incarnent, au sortir de l’enfance,
l’épreuve du « cours préparatoire » et la figure surmoïque du « premier
maître ». Le patient, dans ses échecs d’écriture, y était resté fixé. J’ai pensé
plusieurs fois, en l’écoutant, à ces mots de F. Katka :
« Le devoir à faire, c’est toi. Pas un élève aux alentours. »1

Si un analyste semble ne plus être soumis à la crainte, c’est bien D. Win-


nicott, Pour qui le plagiat est la faute par excellence... On connaît l’élan de ses
mots : « J’ai besoin de parler comme si jamais personne n’avait étudié la ques-
tion avant moi » et, désespoir de tout rapporteur : « Cela me tuerait de
concocter un index des références sur la créativité ! » Pour lui : « La créativité,
c’est donc le “faire” qui dérive de l’ “être” »2, et il précisera ensuite : « La
créativité, c’est donc conserver tout au long de la vie une chose qui à propre-
ment parler fait partie de l’expérience de la première enfance : la capacité de
créer le monde. »
Cette expérience de l’aire d’illusion, chacun en éprouve l’urgence ou la
nécessité : disposer d’un petit champ d’omnipotence, d’un espace de jeu non
envahi, pour qu’un acte créateur ait quelque chance de se faire jour. Je ne suis
pas sûr, cependant, de partager l’idée de la préséance de l’être sur le faire, en
raison de ce qu’elle entraîne : un relatif silence, chez D. Winnicott lui-même
sur la contrainte du fantasme et sur l’inhibition devant la figure paternelle et
son jugement – ce qu’on a vu se déchaîner, et avec quelle violence, chez Dos-

1. F. Kafka (1994).
2. D. Winnicott (1970), p. 43.
L’accomplissement et l’atteinte 1517

toïevski. Cette préséance de l’être ne conduit-elle pas à une inflation problé-


matique du lieu – jusqu’au « ce qui n’a pas eu lieu » – et des souffrances dites
« identitaires » ?
La vérité de la psychanalyse est de s’attacher aux ratages, aux échecs, plu-
tôt qu’aux réalisations accomplies. De s’attacher à la pensée craintive quand
celle-ci ne parvient pas à se défaire de la gangue de la conformité ou des gages
sans lesquels elle ne peut avancer. Et, s’agissant de la névrose, la réalisation est
sous la dépendance du faire infantile : l’auteur est divisé par l’agent qui accom-
plit en lui, malgré lui. Il est donc un inévitable lieu de tension : ça fait en lui et
cet agissement en grande partie lui échappe d’être asservi au fantasme.
L’inhibition est, tout particulièrement, cette atteinte souffrante de
l’accomplissement par l’effet d’entrave exercé par le sentiment de culpabilité.
Elle éclaire cette remarque de S. Freud que le sentiment de culpabilité jus-
qu’ici latent ou inconscient se révèle avec l’engagement d’une action. Car
commencer est activer aussitôt les représentations inconscientes qui
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s’attachent à l’acte envisagé. On retrouverait là les idées de D. Widlöcher sur
« l’avant-plaisir dans le fantasme ».
À propos du fantasme, justement, on remarquera combien la référence qui
y est faite devient rare dans les textes freudiens d’après 1925, après ce moment
de crête que constitue : « Un enfant est battu »1, et même si « Dostoïevski et la
mise à mort du père » en est l’illustration inverse. Comme si l’élaboration de lit
topique et du sentiment de culpabilité inconscient repoussait à l’arrière-plan, au
profit d’une conflictualité des instances, la nature de la scène du fantasme.
C’est pourtant la dynamique inconsciente d’une satisfaction accomplie comme
scène d’action que le travail analytique essaie de saisir et de construire, en liant
les perceptions anciennes à la logique primaire de la condensation et du dépla-
cement. Le fantasme, donc, n’a pas d’auteur : il est soumis à ses agents pulsion-
nels. L’action accomplie de la scène lui suffit ; elle « comble ».
L’inhibition et le déplaisir qu’elle ne cesse de provoquer sont au cœur de
la tension entre auteur et agent. Il n’est pas indifférent que S. Freud, repar-
courant avec Inhibition, symptôme et angoisse2 le champ des symptômes névro-
tiques après l’invention de la pulsion de mort et l’élaboration nouvelle du sen-
timent de culpabilité, place l’inhibition en tête du titre de son article.

Débrouiller les fils enchevêtrés de l’inhibition de penser, remonter aux


formes infantiles de la crainte, c’est découvrir l’excessive sexualisation dans
laquelle le fantasme tient les objets de pensée. Les destins en sont multiples :
du doute paralysant qui s’empare de l’obsessionnel raturant ses brouillons de

1. S. Freud (1919).
2. S. Freud (1926 b).
1518 André Beetschen

la veille – faire que rien, par l’écriture, ne soit arrivé – à la procrastination


« hamlétienne » qui ne cesse de repousser au lendemain ce que la réalisation
actuelle trahirait comme accomplissement inconscient.
C’est ici que le sentiment de culpabilité, asservi à la crainte déclenchée
devant l’autorité sévère ou idéalisée, peut révéler une répétitive et masochiste
demande de punition, qui repousse aussi fortement que possible l’angoisse de
castration activée par la tâche à accomplir et éventuellement à exposer.
Repensons ici à ces lignes de S. Freud qui concluent « Les relations de dépen-
dance du moi »1 :
« En revanche, on peut dire ce qui se cache derrière l’angoisse du moi
devant le sur-moi, derrière l’angoisse de conscience. Venant de l’être supé-
rieur, qui est devenu l’idéal du moi, provint autrefois la menace de castration,
et cette angoisse de castration est vraisemblablement le noyau autour duquel
se dépose l’angoisse de conscience ultérieure, c’est elle qui se continue sous
forme d’angoisse de conscience. »
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Mais l’inhibition coupable peut aussi protéger d’une violence brutale et
arrogante de la pensée, et dit souhait d’emprise ou de triomphe narcissique.
La honte se mêle au sentiment de culpabilité quand l’ambition de la pensée
cherche à répéter une inépuisable demande d’amour ou d’admiration, à capter
à son profit la surestimation d’idéaux enviés. Être l’élu, le premier, triompher
des frères, retrouver le « bébé en majesté », jusqu’à perdre dans cette attente
éperdue son propre nom et sa voix. La grenouille de la fable, on le sait, en fait
les frais :
« Est-ce assez ? dites-moi ; n’y suis-je point encore ?
— Nenni. – M’y voici donc ? – Point du tout – M’y voilà ?
— Vous n’en approchez point. » La chétive pécore
S’enfla si bien qu’elle creva2.
Elle est encore, l’inhibition, cet évitement de la souffrance d’une pensée
en déroute qui, se heurtant à ce qu’elle ne parvient pas à saisir, rencontre
alors la confusion ou le blanc dans la rage et la destructivité qui accompa-
gnent l’acharnement à explorer l’objet ou l’étrange qui résistent.
Se retrouverait ici, dans l’entrave de l’inhibition, le mouvement maintes
fois souligné du retournement d’une hostilité liée au déplaisir, celle qui accom-
pagna sans doute le premier mouvement d’ « inhibition quant au but ». Ran-
cune de l’inhibition, qui semble activée avec prédilection dans le rapport aux
œuvres de culture : l’ambivalence critique y est à la mesure de l’envie qu’elles
suscitent, leur approche phobique à la mesure du plaisir coupable de leur

1. S. Freud (1923), p. 273.


2. J. de La fontaine, Fables, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade ».
L’accomplissement et l’atteinte 1519

conquête. Les « grandes » œuvres ne s’abordent souvent qu’après d’étranges et


complexes manœuvres d’évitement, comme si le désir qui poussait vers elles se
heurtait non seulement à l’interdit mais aussi à la violence pressentie de la
sublimation qui leur a donné le jour.
« La composante érotique, écrit S. Freud, n’a, après la sublimation, plus la force de
lier toute la destruction qui y est adjointe, et celle-ci devient libre comme penchant à
l’agression et à la destruction. C’est de cette démixtion que l’idéal en général tirerait
ce trait dur, cruel, qu’est le “tu dois” impérieux. »1

Il faut donc, avec le déplaisir coupable de l’inhibition, explorer le conflit


entre pensée et fantasme et l’opposition de deux registres que la barrière du
refoulement essaie de séparer. Le sentiment de culpabilité que l’activité de
pensée suscite est l’indice de la perméabilité de la barrière. Le fantasme
attaque la pensée par la séduction qu’exerce le circuit court du processus pri-
maire et de son accomplissement immédiat. Séduction de l’émergence de
l’idée, qui exige toujours une fragmentation en petites quantités, un renonce-
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ment à l’excès de l’intensité, pour qu’une forme parvienne à se construire,
dans le travail d’écriture, par exemple.
Ce renoncement dont l’excès serait la perte de l’animation de la pensée
n’est-il pas à l’œuvre dès que l’analyste se soumet à l’écriture, et qu’il lui faut
abandonner l’intensité du processus associatif et régressif de la cure, la suresti-
mation narcissique de sa toute-puissance de pensée ?
Si la névrose témoigne d’un renoncement pulsionnel trop violent, trop
précoce et dont la fixation a valeur de vestige, le « travail de culture » qui est
son traitement vise à séparer peu à peu, après en avoir permis le rapproche-
ment, la pensée du fantasme. Ainsi traitement de la névrose et progrès culturel
partagent-ils tous deux l’admission d’une hostilité liée au renoncement pul-
sionnel, hostilité dont la pensée peut faire longtemps les frais. Si le symptôme
est pour la névrose la voie préservée de la jouissance infantile et inconsciente,
gageons qu’il existe aussi des symptômes de la culture !
Du rapprochement du fantasme et de la pensée, la cure analytique pro-
pose, avec le transfert, l’agent primordial. L’agieren obscur du transfert – la
poussée vers le haut de la représentation inconsciente – n’est pas seulement le
destin marqué du sceau mortel de la répétition. Il est aussi l’espoir qu’avec un
autre humain se découvre une vérité refoulée des satisfactions infantiles. Et
qu’avec elle se gagne la promesse d’autres plaisirs, auprès des objets du pré-
sent. Car la satisfaction inconsciente et auto-érotique du fantasme ne vaut
jamais autant que le plaisir de l’amour ou que celui de l’amour qui
s’échafaude et s’accomplit peu à peu.

1. S. Freud (1923), p. 259.


1520 André Beetschen

Mais l’objet du transfert ne saurait se réduire à l’objet secourable ou à


l’objet du lien d’interaction. La réincarnation n’est pas une pure reproduction
quand l’écoute silencieuse de l’analyste et son activité de construction sont, pour
les pulsions érotiques comme pour les pulsions meurtrières, les attracteurs par
lesquels le fantasme peut sortir de sa réserve inconsciente, fût-elle préhistorique.
Aussi le sentiment de culpabilité ne peut-il être que franchi : admis et sur-
monté certes, amoindri dans ses excès, mais sans qu’on puisse croire dans
l’illusion de sa disparition. Car la nature inéluctable de la dissymétrie de la
situation infantile, celle-là même que reproduit la cure et qu’explore le trans-
fert, ne saurait être abolie dans ses effets de dette et de génération.

Il faut revenir, donc, à la reconnaissance et au traitement psychique du


souhait meurtrier, à l’écart qu’il creuse entre accomplissement et atteinte, et
au travail de déformation auquel il contraint, masqué qu’il est souvent par la
prévalence donnée à la haine. De ce travail, on connaît plusieurs manifesta-
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tions transférentielles : la résistance farouche et l’appropriation du silence de
l’analyste, mais aussi l’anticipation de son activité interprétative par une maî-
trise du sens visant à annuler l’écart et la différence ou à congédier un senti-
ment intolérable de soumission.
Cette reconnaissance suit des voies différentes chez l’homme et la femme.
D. Margueritat1, remarquant qu’on ne trouve pas de mythes dans lesquels un
père est mis à mort par sa fille – il faudrait cependant évoquer Médée mettant
à mort les enfants symboles d’une paternité honnie –, écrit : « Les femmes
sont héritières de quelque chose à quoi elle n’ont pas participé. Pour elles, le
meurtre est une figure d’emprunt. » En proposant que la fille n’a pas à tuer
son père, mais à y renoncer, elle voit dans le souhait de le déshonorer un équi-
valent féminin du souhait meurtrier.
C’est certainement dans le contre-transfert que l’agissement inconscient
du souhait meurtrier infantile trouve d’abord à se construire. Dans l’impuis-
sance ressentie ou dans l’interprétation dénonciatrice, dans la difficulté à
maintenir un silence qui fasse place à l’hostile et à la mémoire des morts, dans
l’assentiment complaisant donné à une idéalisation qui tente de toutes ses
forces de repousser l’inacceptable.
Hamlet, après la visite du spectre du père mort :
« Me souvenir de toi ? Oui, sur les tablettes de la mémoire.
J’effacerai tous les souvenirs naïfs et simples,
Tous les savoirs des livres, toutes les formes, toutes les marques passées
Que la jeunesse et l’observation ont, là, copiées. »2

1. D. Margueritat (1990).
2. W. Shakespeare (1983).
L’accomplissement et l’atteinte 1521

2. Entre dette et autorité, la fantaisie

À la jouissance auto-érotique du fantasme ou à l’obstination de l’agieren,


qui tiennent l’inhibition dans leurs griffes, la reconnaissance de l’antériorité et
de l’héritage inflige une nécessaire blessure. C’est du refus exacerbé de cette
reconnaissance – qu’elle entraîne le sentiment d’une insupportable soumission
ou qu’elle rive le sentiment de culpabilité à l’accomplissement masochiste
inconscient – que l’infantilisme névrotique persiste, au prix de la promesse
goethéenne non tenue : « Ce que tu as reçu de tes pères, c’est à toi maintenant
de l’acquérir. »
Il y aurait cependant quelque illusion à faire de la filiation-transmission
un apaisement consolateur : les auteurs du Congrès de Montréal de 2000 sur
« L’idéal transmis » ont su montrer quelle violence pulsionnelle ne cessait de
s’y manifester et G. Diatkine a éclairé l’origine biblique et guerrière du
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« schibboleth »... Souvenons-nous de la double signification de Schuld en alle-
mand : à la fois culpabilité et dette.
W. Granoff a soutenu, en lisant le S. Freud de « La question de l’analyse
profane » et de « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », que la question du
maître – Lehrer – et du modèle – Vorbild – ne pouvait être écartée de la doc-
trine psychanalytique sans que s’altèrent les conceptions du transfert, du père
et de la transmission. En maintenant la double valence civilisatrice et interdic-
trice d’une instance, le sur-moi, où la fonction de jugement s’instaure dans le
lien au pulsionnel, on pourrait avancer que « l’autorité de la pensée » – en se
souvenant de la méditation de H. Arendt sur l’autorité1 – figure la tension
entre une autorité exercée comme droit (jusqu’à l’absolu d’un pouvoir que le
maniement du transfert vient parfois pervertir) et une autorité conférée, reçue,
reconnue à celui ou celle qui fait à la communauté le don assumé d’être
auteur. À ce don-là S. Freud ne s’est pas dérobé, de L’autoreprésentation à
L’homme Moïse et la religion monothéiste.
Nous avons en partage l’héritage freudien. Nous venons après, comme
l’écrit J.-B. Pontalis2 en ajoutant :
« Il m’arrive pourtant, comme tout analyste j’imagine, de penser – et ça
m’est très déplaisant – que je ne fais que m’avancer sur des chemins déjà bali-
sés. » Et, un peu plus loin : « Il n’existe pas de commencement premier. Freud
lui-même est venu après. Les hystériques viennoises, le petit Hans, l’Homme
aux rats, sa propre névrose lui ont appris la psychanalyse. En quelque

1. H. Arendt (1962), p. 121-185.


2. J.-B. Pontalis (2000), p. 144-145.
1522 André Beetschen

domaine que ce soit, nous venons toujours après et, pourtant, indéfiniment,
nous commençons. Chaque analyse, quel que soit le nombre d’années de notre
pratique, est la première fois. »
À quelles conditions, donc, ce recommencement qui fait de la fidélité
autre chose que la soumission ou la répétition du même ? Rappelons-nous la
phrase de V. Jankélévitch1 : « La véritable fidélité est toujours infidèle par
fidélité... » Il faut continuer de lire et de faire travailler l’œuvre là où elle
résiste, puisque sa grandeur est de résister différemment selon ceux qui
l’interrogent ! Et même si un livre récent comme celui de J. Le Rider2 vient
éclairer vivement l’univers culturel viennois duquel émergea le père de la psy-
chanalyse, il nous faut admettre que l’essentiel est ailleurs : c’est au mode de
la pensée freudienne que nous sommes arrimés, à cette manière toujours sur-
prenante qu’elle a d’avancer en opérant des renversements de sens et de posi-
tion psychique – bref, à cette façon de soumettre le mouvement de
l’exploration scientifique à l’animation de la fantaisie.
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Une fantaisie qui n’est plus strictement, ici, le fantasme inconscient,
même si elle tire de lui sa puissance de figuration et son aptitude aux transfor-
mations. Une fantaisie qui va vers l’étranger en retrouvant le plaisir
d’invention et les échecs cuisants des tentatives de théorisation infantile. Sans
l’idéaliser, donc, donnons-lui cette valeur de pas et d’aide au franchissement,
la force joueuse d’un enjambement résolu, tel celui que propose A. Rimbaud :
« Petit Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course,
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou. »3
Capter l’impulsion de la pensée – sa force d’accomplissement, sa possi-
bilité d’atteindre le « monde extérieur » – quand s’allège la chappe de
l’inhibition : ce mouvement, cette décision ne peut que frapper les dernières
pages de L’avenir d’une illusion, où s’affirment avec fougue la fin d’une
croyance, le plaidoyer pour la pensée libre de l’enfant et l’espoir maintenu
en un « primat de l’intelligence ». Avec la fermeté qu’autorise sa convic-
tion en la « jeune science », S. Freud répond à l’objection qui lui est faite
quant aux résultats purement subjectif, qu’obtiendrait la méthode psycha-
nalytique :
« Notre organisation, c’est-à-dire notre appareil animique, s’est déve-
loppée justement dans l’effort pour prendre connaissance du monde extérieur,
et doit donc avoir réalisé dans sa structure un certain degré de filialisation : il

1. V. Jankélévitch (1962).
2. J. Le Rider (1962).
3. A. Rimbaud, Ma bohème, in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la
Pléiade ».
L’accomplissement et l’atteinte 1523

est lui-même une partie constitutive de ce monde que nous devons explorer et
il permet fort bien une telle exploration. »1
Explorer le monde, quelle meilleure promesse d’accomplissement ? En
sachant que le chantier reste ouvert et que « ça n’est jamais ça » – donc qu’il
faut continuer après et contre ceux qui nous ont précédés. Avec ce que
l’analyse permet, quand elle a opéré : le pas-à-pas plutôt que le tout, le chan-
gement de point de vue quand il faut se séparer un peu de nos croyances2 et le
risque pris d’avancer en son nom sans craindre les foudres infantiles du juge-
ment.
Cela n’abolira pas le sentiment de culpabilité, ce témoin de l’excès pul-
sionnel infantile et du souci maintenu de l’autre, cette part d’attaque interne
puisant son origine dans l’atteinte de l’insatisfaction. Mais si l’éloignement de
son caractère cruel ou paralysant se gagne par l’admission progressive de
l’hostile et la reconnaissance de la part arrogante ou meurtrière de psyché, le
sur-moi, peut-être, abandonnera la violence de l’imago pour, en mêlant cultu-
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rel pulsionnel, devenir « impersonnel ».
André Beetschen
5, place Croix-Pâquet
69001 Lyon

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Revue française de Psychanalyse, 2000, t. LXIV, no 1, « Devoir de mémoire entre pas-
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