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ÊTRE GROSSE

Du corps discréditable au corps discrédité

Solenne Carof

Presses Universitaires de France | « Sociologie »

2019/3 Vol. 10 | pages 285 à 302


ISSN 2108-8845
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 11/10/2020 sur www.cairn.info via INIST-CNRS (IP: 193.54.110.56)

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ISBN 9782130821922
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ENQUÊTES

Être grosse
Du corps discréditable au corps discrédité

Being Fat
From the discreditable body to the discredited body

par Solenne Carof *

R É S U M É ABSTRACT

En nous appuyant sur la réalisation d’une soixantaine Based on sixty semi-directive interviews, this article
d’entretiens semi-directifs, nous analysons les situa- analyses situations of weight-based stigmatization and
tions de stigmatisation et de discrimination selon le discrimination and compares experiences of intervie-
poids et comparons ainsi le vécu d’enquêtées catégori- wees categorized as “overweight” or “obese” by health
sées médicalement « en surpoids » ou « obèses ». Ces professionals. These differences are shown to be
différences selon la corpulence sont modulées par le
subject to variation by the interviewees’ gender, class,
genre, le milieu social ou l’âge des enquêtées. Face
and age. During the episodes of stigmatization in which
aux épisodes de stigmatisation, qui rendent l’ordre des
an unequal interaction order is produced, the intervie-
interactions inégalitaires, les enquêtées mettent en
wees, however, deploy strategies of "saving face". The
place des répertoires d’actions pour « sauver la face ».
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article shows that they are particularly helpless in the
Elles sont plus démunies face aux expériences de dis-
crimination, en particulier professionnelles, ces der- face of discrimination at the workplace, a key site of
nières ayant pourtant des conséquences importantes defining their social status. The description of these
sur leur statut social. La description de ces situations, situations highlights the frequency, virulence, and
et des réactions possibles, permet de montrer la fré- extent of such acts in French society.
quence, la virulence et l’ampleur de ces actes dans le
contexte français.

MOTS-CLÉS : stigmate, surpoids, obésité, stigmatisa- KEYWORDS: Stigma, overweight, obesity, stigmatization,
tions, espace public, discriminations, emploi public place, discrimination, job

* Chercheuse à Gustave Roussy et au Sesstim, équipe Canbios (Inserm, 1252)


Sesstim, Site Institut Paoli Calmettes (Canbios), 232 boulevard Sainte-Marguerite, BP 156, 13273 Marseille cedex 9, France
solenncarof@yahoo.fr

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À la fin du XIXe siècle, un nouveau cadrage médical de déclarent discriminés, contre 16 % des personnes en obésité
l’obésité prend de l’ampleur mais sans remplacer l’ancien de grade 1 (IMC 30-34,9 kg/m²) et 33 % des personnes de
cadrage moral de la grosseur. En tant qu’« attribut qui jette un grade 2 ou 3 (IMC au-dessus de 35 kg/m²).
discrédit profond » (Goffman, 1975, p. 13), la corpulence
reste un stigmate auquel sont associés de nombreuses carac- L’objectif de cette étude est de prolonger ces travaux existants
téristiques péjoratives. C’est le sociologue Werner J. Cahnman en interrogeant le cas français. Actuellement 24,6 % des
(1968) qui a été l’un des premiers à utiliser le concept de femmes et 36,1 % des hommes sont médicalement catégorisés
stigmate pour analyser les fortes corpulences. Il ne distingue en surpoids (IMC 25-29,9 kg/m²) en France, et 14,6 % des
cependant pas surpoids et obésité et exclut l’obésité massive femmes et 14,5 % des hommes sont définis comme obèses
de son champ d’analyse. Tout en nous situant dans la filiation (IMC au-dessus de 30 kg/m²) 2 (OECD, 2015). Les femmes de
de cet auteur, nous souhaitons en revanche mieux différencier milieu populaire ont un taux de prévalence d’obésité plus élevé
les fortes corpulences. Si le corps « discréditable » – le sur- que les femmes de milieu aisé (de Saint Pol, 2008), que l’on
poids – peut parfois se fondre dans l’invisibilité quotidienne analyse leur milieu de naissance ou leur milieu social d’arrivée
des interactions, le corps « discrédité » – l’obésité – se voit, (Sobal, 1991b). Chez les hommes, les différences de corpu-
dépasse et accroche le regard. Le sociologue Claude Fischler lence se saisissent moins avec le niveau de revenu qu’avec le
(1990, p. 303) affirmait que « le seuil socialement défini de niveau de diplômes (Pigeyre et al., 2012).
e
l’obésité s’est abaissé » à la fin du XIX siècle. En analysant la
fréquence et l’étendue des situations de stigmatisations et de Plusieurs chercheurs français se sont emparés de cette problé-
discriminations, cet article mettra en lumière les différences matique. Claude Fischler (1990) a exploré la variabilité des
de vécu des enquêtées selon leur corpulence. Le surpoids et seuils de l’obésité et Jean-Pierre Corbeau (2005) a analysé les
l’obésité sont en effet l’objet de représentations et d’interac- symboliques culturelles qui sous-tendent les normes alimen-
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tions différentes. Cette différence est modulée selon les lieux taires et corporelles. En 2000, un rapport de l’Inserm sur
et les contextes, ainsi que selon les caractéristiques des l’obésité a réalisé un premier état des lieux français sur la ques-
1
enquêtées rencontrées, comme leur genre, leur âge ou leur tion de la stigmatisation en reprenant les travaux fondateurs
milieu social. américains sur le sujet. Par la suite, plusieurs auteurs ont mis en
évidence les dimensions sociales et genrées des normes pondé-
De très nombreux articles décrivent depuis les années 1960, rales qui sous-tendent les expériences de stigmatisations et de
principalement aux États-Unis, la fréquence, l’extension et les discriminations (Amadieu, 2002 ; Tibère et al., 2007 ; de Saint
modalités des situations de stigmatisation (Cahnman, 1968 ; Pol, 2008). L’enquête « Histoire de vie – Construction des identi-
Allon, 1981 ; Sobal, 1991a ; Cramer & Steinwert, 1998). Ils tés » réalisée en 2003 par l’Insee a exploré la thématique pondé-
décrivent des différences de vécus selon le genre (Myers & rale dans une analyse plus générale sur les motifs des
Rosen, 1999), la race (Himmelstein et al., 2017), le niveau stigmatisations perçues (Galland, 2006).
d’éducation (Seacat et al., 2014) ou encore le poids. L’article
de Gareth R. Dutton et ses collègues, en 2014, montre notam- Jean-Pierre Poulain a décrit dans son ouvrage de 2009 le pro-
ment que la prévalence des discriminations est plus impor- cessus de stigmatisation, ainsi que les controverses portant
tante parmi les femmes caucasiennes très obèses (IMC au- sur les catégories médicales de « surpoids » et d’« obésité ».
dessus de 35 kg/m²) en comparaison avec les hommes cauca- Il a en outre cherché à objectiver les effets de la corpulence
siens et avec les africains-américains de même corpulence. sur la mobilité sociale des personnes obèses. Cet article
L’article de Deborah Carr et Michael A. Friedman (2005) s’appuie sur ce travail et sur celui de Thibaut de Saint Pol
démontre de son côté que 9 % des personnes en surpoids se (2008) pour les approfondir sur trois aspects. En premier lieu,

1. Seuls dix hommes ont été interrogés dans cette enquête. Les cinquante uniformisée pour permettre des comparaisons internationales. L’IMC est
autres entretiens concernent des femmes. Par conséquent nous féminiserons calculé par le poids, en kilogrammes, divisé par la taille, en mètre, au carré.
l’expression générale « les enquêtées ». Ces catégories de poids sont utilisées dans cette enquête comme un outil
pratique permettant de décrire des différences de vécus de discrimination
2. Le surpoids et l’obésité sont définis par l’Indice de masse corporelle (IMC), selon la corpulence, mais elles ont également été prises comme objet d’étude
dont l’Organisation mondiale de la Santé a préconisé en 2000 l’utilisation dans la thèse dont est issu ce travail.

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l’approche qualitative est au cœur de cette enquête et permet Dans la lignée de ces travaux qui étudient le « sentiment de stig-
de mettre en évidence comment les enquêtées vivent les situa- matisation et de discrimination », il s’agit dans cet article de
tions de stigmatisation et discrimination, les définissent et s’y décrire « l’identité pour soi » (Goffman, 1975, p. 128) des enquê-
opposent. Elle met également en lumière comment ces situa- tées, c’est-à-dire leur capacité à mettre à distance de manière
tions impactent toutes les sphères de la vie des enquêtées, réflexive leur vécu quotidien. Les situations de stigmatisation ras-
qu’elles soient professionnelle ou médicale, publique ou semblent les remarques, insultes, moqueries, regards ou gestes
privée. En second lieu, il s’agit de différencier les processus d’évitements qui tendent à manifester à l’individu concerné qu’il
de stigmatisation et de discrimination. Si ces deux notions sont est porteur d’un stigmate. Les situations de discriminations
souvent mobilisées dans la littérature, elles ne font pas l’objet regroupent, quant à elles, le refus d’un droit ou d’un bien ou
d’une description systématique de leur déroulement ou de leur l’interdiction d’accéder à un espace ou à un travail. Les expé-
conséquence. Les différencier et les préciser permet d’analy- riences de discrimination peuvent avoir un effet direct sur la posi-
ser plus finement les différences de vécu entre personnes en tion sociale des individus concernés, quand les situations de

surpoids et obèses. En troisième lieu, si certaines études amé- stigmatisation ne peuvent avoir qu’un effet indirect, par autocen-

ricaines démontrent quantitativement des différences selon la sure notamment, sur la mobilité sociale.

corpulence, elles s’intéressent peu au cas du « surpoids ». Les


travaux français, s’ils peuvent la constater, en font rarement Pour analyser ces situations en profondeur, nous avons effec-

un objet d’analyse en soi. Il s’agira donc de se demander si tué soixante entretiens semi-directifs avec des personnes en

les personnes en surpoids subissent actuellement les mêmes surpoids (21 femmes et 5 hommes) et obèses (29 femmes et

difficultés quotidiennes et déploient les mêmes répertoires de 5 hommes), d’âges et de milieux sociaux différents
(Tableaux 1 et 2).
réactions que les personnes obèses et si les représentations
médicales, morales et sociales de l’obésité s’appliquent égale-
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ment au surpoids. Cette comparaison mettra ainsi en lumière,
Tableau 1 : Répartition des enquêté.es par tranche d’âge
en s’inspirant du travail d’Erving Goffman, comment chaque
interaction, loin d’être uniquement fonctionnelle, reproduit en Âge Effectifs
permanence les structures sociales qui moralisent les plus 18-24 ans 12
fortes corpulences. 25-44 ans 23
45-64 ans 20
Plusieurs travaux sociologiques français ont analysé les inéga- + de 65 ans 5
lités sociales de corpulence (Régnier, 2003 ; Grignon, 2011 ; Total 60
Vandebroeck, 2015), sur le modèle des inégalités de taille
Source : enquête par entretiens 2008-2016.
(Herpin, 2006). Cette analyse des déterminants sociaux de
l’obésité donne cependant peu l’occasion de saisir le rapport
que les individus entretiennent avec leur corpulence, ni les
conséquences sur leur vécu des situations de rejet et d’agres- Tableau 2 : Répartition des enquêté.es par catégorie socio-
professionnelle
sion quotidiennes. De nombreuses recherches portent en
Catégorie socioprofessionnelle Effectifs
revanche, dans la sociologie française, sur les expériences de
Artisans, commerçants et chefs d’entreprise 2
stigmatisation et de discrimination des individus racisés et
Cadres et professions intellectuelles 14
mettent en évidence la capacité des acteurs sociaux à inter-
supérieures
préter et décrire leurs vécus quotidiens (Algava & Becque,
Professions intermédiaires 13
2004). Certaines de ces études ont ainsi montré une adéqua-
Employés et ouvriers 22
tion entre discriminations objectives et ressentis subjectifs Étudiants 8
(Beauchemin et al., 2016) bien que le milieu social, le genre, Inactifs 1
l’âge ou le lieu de résidence puissent influencer le fait de se Total 60
dire stigmatisés ou discriminés indépendamment de la réalité
objective des faits (Dubet et al., 2013). Source : Enquête par entretiens 2008-2016.

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Les personnes au chômage, à la retraite ou en congé parental l’IMC, bien que cette différence soit modulée par l’autodéfini-
temporaire ont été placées dans leur catégorie d’emploi précé- tion des individus sur leur grosseur.
dant leurs situations actuelles. Une femme au foyer depuis
longtemps a été placée dans la catégorie « inactifs » (son mari
est ingénieur). Les situations de stigmatisation

Les entretiens ont été réalisés selon une approche compré- Insulter, humilier et conseiller
hensive, entre 2008 et 2016, majoritairement en Île-de-France
et en Aquitaine. Ils ont duré en moyenne 1 heure 30 et ont Si E. Goffman (1975) a distingué différentes sortes de stig-
porté à la fois sur les représentations subjectives et les défini- mate, entre les « monstruosités du corps », « les tares du
tions du poids des enquêtées, mais également sur leurs pra- caractère » et « la race, la nationalité et la religion », ce n’est
tiques alimentaires, leurs interactions avec autrui, ainsi que pas lui, mais le sociologue Werner J. Cahnman (1968) qui a
leur engagement dans des associations. Les enquêtées ont été étudié le stigmate que constitue un poids jugé trop élevé. Dès
majoritairement rencontrées par le biais d’associations, lors qu’un individu par son comportement, sa tenue vestimen-
d’annonces déposées dans des cabinets médicaux et diété- taire, son handicap ou le volume de sa corporalité dépasse les
tiques, sur des forums « féminins » ou « médicaux » ainsi que normes sociales admises et dépendantes de ses caractéris-
par effet boule de neige. La comparaison hommes/femmes tiques sociales et du contexte, le fonctionnement routinier des
n’était pas l’objectif initial de l’enquête et comme dans de interactions déraille. Les situations de stigmatisation sont alors
nombreuses enquêtes en sciences sociales, il a été plus diffi- le résultat de ces « situations sociales mixtes [qui] tendent à
cile d’obtenir le témoignage d’hommes. Néanmoins l’analyse produire des interactions flottantes et angoissées » (Goffman,
du vécu de la dizaine d’hommes interrogés a révélé des diffé- 1975, p. 30). L’incertitude ouverte par ces interactions mixtes
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rences intéressantes avec le vécu des enquêtées, ces diffé- est liée à la méconnaissance de la situation dont E. Goffman
rences étant modulées par des caractéristiques de poids et a montré les conséquences. Lors d’une interaction avec une
d’origine sociale.
personne handicapée, un valide ne saura pas toujours
comment agir – proposer son aide, ou non, par exemple.
Nous décrirons dans une première partie les expériences de
L’individu non-stigmatisé, qui a intériorisé des stéréotypes
stigmatisation que vivent les enquêtées dans toutes les
péjoratifs, reproduira alors le discrédit qu’il a intériorisé pour
sphères de leur vie quotidienne. Ces règles du jeu ne sont pas
résoudre l’incertitude révélée par cette situation inhabituelle.
uniquement fonctionnelles, car si elles permettent à l’ordre
des interactions de se maintenir, elles révèlent également leur
Les remarques, les insultes et les moqueries, les regards, les
rôle structurel : elles manifestent et reproduisent les inégalités
gestes d’évitement et l’agression physique sont diverses
de l’ordre social en moralisant le corps gros, en particulier le
formes de stigmatisations possibles décrites dans les études
corps « très » gros. Dans une deuxième partie, nous nous atta-
(Barlösius et al., 2012 ; Puhl & Brownell, 2001). Ce sont les
cherons à décrire les actes de discrimination, ces derniers
personnes qui ont un niveau d’étude moins élevé, qui sont
n’ayant pas seulement un effet sur l’ordre des interactions,
mais également sur l’ordre social, par la relégation profession- plus âgées ou qui attribuent plus fréquemment aux personnes

nelle de cette population stigmatisée. Nous verrons également concernées une responsabilité personnelle dans leur corpu-

que la différence qualitative entre stigmatisation et discrimina- lence qui stigmatisent le plus les individus corpulents (Hilbert
tion permet de comparer le vécu des personnes en surpoids et al., 2008). Les membres de la famille, les médecins, les
et obèses. Dans une troisième partie, nous analyserons les collègues de classe, les vendeurs, les amis et les collègues
stratégies possibles face à ces situations. Les répertoires sont décrits comme des sources de stigmatisation fréquentes
d’actions choisis ont des effets positifs lorsqu’ils permettent (Puhl & Brownell, 2006). Dans une enquête parue dans le
aux enquêtées de retourner leur stigmate. Mais ils peuvent Journal of Health Psychology (Seacat et al., 2014), cinquante
aussi avoir des effets paradoxaux, les stratégies d’autocensure femmes blanches ayant un IMC moyen de 42,5 kg/m² ont
ou d’évitement ayant des conséquences pénalisantes pour les indiqué qu’elles subissaient en moyenne trois situations stig-
enquêtées. Ces répertoires diffèrent selon la corpulence de matisantes par jour. Les femmes les plus corpulentes, les plus

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jeunes et celles qui avaient un niveau d’éducation moins élevé corps est visible – piscine, plage –, ou mis en valeur – maga-
relataient plus d’épisodes de stigmatisations. sins de vêtements, boîtes de nuits, bars – sont ainsi des lieux
propices à des situations d’agressions verbales pour les
De nombreux articles décrivent ainsi les différences de vécus enquêtées obèses. Mais ces reproches ou insultes peuvent
selon la corpulence et montrent que les situations de stigmatisa- également survenir dans l’espace public quotidien. Gaëlle
tion augmentent avec l’IMC (Roehling et al., 2007 ; Spahlholz témoigne ainsi comment un jour « une petite mamie avec son
et al., 2016). Il semble cependant exister un seuil au-dessus caddie » lui a déclaré à un arrêt de bus où elles patientaient
duquel les situations de stigmatisations ne progressent plus ensemble : « Tu ne trouveras jamais un mari si tu ne maigris
parallèlement au poids. Pour Andrea R. Myers et Jeffrey A. pas, il faut que tu maigrisses, tu comprends, parce que ce
Rosen (1999), ce seuil est l’IMC de 40 kg/m². Ces auteurs ne n’est pas bon pour ta santé… » Les enquêtées les plus corpu-
définissent pas, en revanche, à partir de quel IMC commencent lentes sont ainsi les plus sujettes aux « violations » ou
les situations de stigmatisation. Dans notre enquête, les femmes « offenses territoriales » (Goffman, 1973b, p. 62) de leur
en surpoids relatent beaucoup moins d’expériences d’agressions, sphère privée 4. Dans ce cas, l’offense s’effectue moins par
d’humiliations ou de remarques que les enquêtées obèses, que volonté d’agresser que par bienveillance. Léa (26 ans, obèse,
ce soit par le personnel médical, à l’école ou dans le monde styliste modéliste) décrit ainsi :
professionnel. Les relations familiales sont cependant un des À un moment dans mes cours, j’ai raté un mois de cours, à cause
espaces où la stigmatisation peut être très présente pour les de soucis médicaux qui n’avaient strictement rien à voir [avec
enquêtées en surpoids. Valentine (39 ans, surpoids, cadre dans l’obésité] et j’ai une prof, c’était au début de l’année, j’avais fait deux
mois de cours, la prof je la voyais une fois par semaine, elle ne
la fonction publique) a ainsi beaucoup souffert des remarques
savait pas qui j’étais quoi. Elle vient me voir au retour, et elle me
de son père sur son physique arrondi à l’adolescence. Ces dit : « Oui je voulais vous parler à propos de votre absence »,
remarques ont terni sa relation avec son frère, mince, qui ne « Oui ? », « Je peux vous donner les coordonnées de mon mari »,
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subissait pas ces critiques continuelles. Dans le cadre intime éga- « Pardon ? », « Oui, parce qu’il est chirurgien et il fait des chirurgies
bariatriques et je me disais que par rapport à vos soucis médicaux
lement, les enquêtées en surpoids ont évoqué les reproches de
ça pourrait être intéressant. » Et ça m’a complètement…
leur conjoint, bien que ce soient les enquêtées obèses qui disent
ressentir le plus souvent leur corpulence comme un obstacle Alors même qu’elle ne connait ni les raisons de l’absence de
pour trouver des partenaires sexuels ou amoureux. Une étude cette enquêtée, ni son état de santé physique ou psycholo-
française récente (Bajos et al., 2010) révèle ainsi que les femmes gique, ni si celle-ci n’a pas déjà subi une opération bariatrique,
en surpoids étaient plus nombreuses que les femmes obèses à ni même les risques personnels qu’elle pourrait avoir person-
avoir des partenaires sexuels dans les 12 derniers mois (mais nellement en se faisant opérer, cette professeure n’hésite pas
moins que les femmes normo-pondérées). à lui proposer de rencontrer son mari chirurgien. Ces
remarques bienveillantes révèlent, autant que les insultes,
Les enquêtées obèses, en plus des proches et pairs stigmati- l’empiètement de « l’espace personnel » (Goffman, 1973b,
sateurs, ont reçu fréquemment des insultes, des gestes agres- p. 44) des enquêtées. Les stigmatisateurs – ceux qui dans ce
sifs ou des conseils de la part d’inconnus dans l’espace public, cas respectent la norme pondérale ou y adhèrent sans y parve-
ce qui est extrêmement rare pour les enquêtées en surpoids. nir – envahissent ainsi le « territoire du moi » (idem, p. 54)
3
Simone (75 ans, obèse, aide-comptable à la retraite ) raconte des personnes stigmatisées.
un épisode vieux de trente ans dont elle se souvient encore :
« Une fois, dans un magasin, mais à l’époque j’étais mal je Les remarques fréquentes que subissent les personnes obèses
suis partie en courant, mais ça serait maintenant elle se ferait pour leur enjoindre de faire un régime ou de subir une opéra-
drôlement remonter les bretelles la fille. Elle m’a dit : “On tion bariatrique témoignent des stéréotypes péjoratifs asso-
n’habille pas les éléphants”.» Les espaces dans lesquels le ciant la grosseur à une suralimentation qui pourrait se

3. Les enquêtées seront présentées systématiquement par leur âge, leur cor- 4. Erving Goffman (1974) explique : « En général l’on pourrait dire que l’on
pulence et leur profession. évite une personne haut placée par déférence pour elle, et un inférieur par
souci de se préserver. »

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« corriger » par la volonté ou la technique. Dans ce cadre, de ça en me disant : « Euh oui, mais vous savez, vous n’avez pas
grand effort à faire pour perdre ces dix kilos. » J’ai dit : « Oui, mais
manger en public donne lieu à des agressions très fréquentes
si je suis bien. » « Ah, mais quand même, c’est mieux d’être dans
(Dzrodowski, 1996). Renée (67 ans, obèse, employée dans la norme. »
une association, à la retraite) raconte :
Si les enquêtées en surpoids, en particulier lorsque ce sont
D’ailleurs les gros, on les regarde tout de suite. Vous allez au restau-
des jeunes femmes, évoquent cette insistance d’autrui sur leur
rant, vous allez manger un peu trop… Moi j’ai vu : aller au restaurant
avec Denise 5 et que des gens nous observaient. Ils n’ont pas arrêté corpulence, ce sont les enquêtées obèses qui disent avoir
de nous regarder pendant qu’on mangeait, c’est gênant ! Bah vécu les situations de stigmatisations les plus violentes. Ce fut
écoutez, est-ce que moi je m’occupe de ce qu’ils mangent ? le cas pour Rachelle (51 ans, obèse, fonctionnaire de catégo-
rie C) qui a été la victime d’un cas de harcèlement moral sur
Dans l’espace professionnel également, manger devant ses
sa corpulence alors qu’elle travaillait dans un ministère public :
collègues est complexe. Les situations de déjeuners – en self-
service ou déjeuners d’affaires au restaurant –, les pots de Ben j’ai grossi, j’ai grossi avec la grossesse et puis après donc j’ai
départ ou les soirées festives ont été cités comme des situa- eu une dépression nerveuse, j’ai eu des problèmes au travail. On
m’a reproché d’être grosse […] Oui, oui, oui des petits cons, mais
tions propices aux remarques dévalorisantes. Manger en
des hauts placés, qui ont commencé à parler de moi et que… enfin
public agit comme une mise en visibilité d’une suralimentation sur moi comme ça et moi j’ai entendu leur discussion et bon… Et
supposée, perçue comme immorale, en particulier pour les puis, et puis j’ai pété les plombs, je me suis retrouvée à l’hôpital
femmes qui doivent plus fréquemment contrôler leur alimenta- psychiatrique […] C’était au ministère à l’époque, mais moi j’ai porté
plainte hein, ils ont été bougés de place, mais j’ai… Je me suis
tion. À l’inverse, « il appartient aux hommes de boire et de
retrouvée à l’hôpital psychiatrique, ma fille placée.
manger plus, et des nourritures plus fortes, à leur image »
(Bourdieu, 1979, p. 211). Normes alimentaires et normes cor- Aucune situation vécue par les enquêtées en surpoids n’est
porelles sont ainsi profondément intriquées (Corbeau & aussi violente.
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Poulain, 2002). Cette association entre immoralité et surali-
mentation supposée est renforcée par la tonalité dramatique
Des situations qui varient
que prennent les discours publics de lutte contre l’« épidé-
mie » d’obésité (Saguy & Riley, 2005).
Si les situations de stigmatisations diffèrent, par leur fréquence
et leur virulence, entre les enquêtées en surpoids et les enquê-
Dans cette enquête, il existe cependant une réelle différence tées obèses, elles diffèrent également selon d’autres caracté-
entre la médicalisation et l’immoralité associée à l’obésité et la ristiques sociales, comme le genre. L’apparence physique des
représentation sociale du surpoids. Au terme de « surpoids », femmes continue à être un critère de jugement important dans
les enquêtées vont préférer les mots de « ronde », « forte », notre société (Bihr & Pfefferkorn, 2002), alors que le corps
« enveloppée », « potelée », « bien bâtie », « grassouillette », masculin est moins souvent soumis à la norme de minceur
« boulotte », « plantureuse » ou « d’une ossature massive ». (Robineau & de Saint Pol, 2013).
Ces mots parlent d’une morphologie particulière, de personnes
« dodues » mais pas « malades », ainsi qu’elles l’affirment. Dans notre enquête, les hommes, quel que soit leur corpu-
Néanmoins la force des discours sociaux contre l’obésité lence, ont évoqué moins d’épisodes de stigmatisation. Jérémy
conduit à justifier les conseils médicaux bienveillants pour des (40 ans, en surpoids, cadre de santé) raconte :
personnes en surpoids. Une enquêtée en léger surpoids s’est
Moi, à chaque fois que je parle de moi, je dis toujours que je suis
ainsi vu proposer de perdre du poids par son médecin généra- en surcharge pondérale. Je me définis comme ça alors… Je pense
liste. Chloé (21 ans, en léger surpoids, aide-soignante) raconte : que ce n’est pas tout à fait vrai objectivement parce que je connais
des gens qui sont bien plus gros que moi ! [Rires] Et l’image que
C’est mon médecin généraliste, c’est à peu près tous les médecins
me renvoient les gens, c’est : « Arrête de dire ça, c’est débile quoi »
que je vois… Alors je ne sais pas si c’est de chez moi, mais… J’ai
Mais moi oui, oui… parce que je le dis souvent en déconnant.
été opérée d’un poignet, alors le poignet, oui le poignet, il m’a parlé

5. Denise est également une enquêtée et également en très forte surcharge


pondérale.

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Solenne Carof 291

Comme là pareil, quand je dis que je passe un entretien avec une les classes populaires, mais également au fait que les repré-
sociologue, on me dit : « Mais pourquoi tu fais ça ? » Je dis : « Tu
sentations du corps y diffèrent des classes supérieures. En
sais bien, je suis en surcharge pondérale ! » « Première nouvelle ! »
On me dit : « C’est la nouvelle de l’année ça ! » [Rires]. revanche, les enquêtées moins favorisées décrivent fréquem-
ment les critiques reçues dans l’espace public, ainsi que par
Si Jérémy peut faire rire en parlant de sa « surcharge pondé-
le corps médical. De leur côté, les enquêtées très favorisées
rale », c’est parce qu’il est en surpoids. Le surpoids ou la faible
se plaignent de remarques entendues dans l’espace privé et
obésité chez les hommes peuvent en outre correspondre à des
professionnel même lorsqu’elles sont en léger surpoids. Plu-
corps musclés et sportifs plutôt valorisés socialement. La forte
sieurs d’entre elles ont cependant pu constater que leur cor-
obésité masculine, quant à elle, reste critiquée, en particulier
pulence leur permettait de s’imposer plus facilement dans
lorsqu’elle est associée à des rondeurs – celles de la poitrine –
certaines positions de pouvoir, à condition de ne pas dépasser
jugées plus féminines. Mais même dans des cas d’obésité
outre mesure le seuil du poids acceptable dans leur milieu.
importante, la force physique dégagée peut empêcher des
Le surpoids leur donnait l’occasion de déjouer les restrictions
remarques intempestives. Charles (61 ans, obèse, respon-
professionnelles liées à leur genre.
sable d’équipe dans l’industrie à la retraite), qui fait 112 kilos,
mentionne peu d’insultes dans l’espace public, probablement
L’âge peut également transformer la signification du poids. Les
parce que les gens « ont peur de se prendre une claque »
plus jeunes enquêtées ont cité plus fréquemment des situa-
comme il le dit avec humour.
tions récentes de stigmatisations quand les plus âgées ont
relaté plus d’expériences, mais moins récentes. Cette moindre
Si le genre et la corpulence modulent la force des situations
stigmatisation s’explique par une plus grande tolérance face
de stigmatisation, c’est également le cas du milieu social. Le
aux rondeurs jugées « naturelles » avec l’âge. Clothilde
corps le plus gros est jugé le plus laid dans tous les milieux
(55 ans, en surpoids, gynécologue-obstétricienne) qui a pris
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sociaux (Vandebroeck, 2015), mais c’est dans les milieux favo-
un peu de poids et aimerait désormais le perdre, explique :
risés qu’un léger surpoids est le plus critiqué (McLarena &
« Et alors y a le regard de la société qui maintenant me dit que
Kuh, 2004 ; Carof, 2015). La norme de minceur est justifiée
j’ai le corps d’une femme, d’une vieille femme, d’une femme
par la classe dominante par une corrélation supposée entre
ménopausée, alors que c’est faux ! » L’articulation entre
une faible corpulence et des caractéristiques morales posi-
tives. Muriel Darmon (2003) montrait dans sa thèse portant minceur et jeunesse renforce les critiques de celles qui

sur des jeunes femmes anorexiques, comment les restrictions s’écartent des corpulences admises pour leur âge.

alimentaires et les régimes étaient saisis par ces dernières


comme un moyen de montrer leur force de caractère. À Alors que l’« inattention polie » (« civil inattention »), décrite
l’inverse, un individu gros est socialement soupçonné « d’être par E. Goffman (1973b), sous-tend l’ordre de l’interaction
sans volonté, sans discipline, mou et de se laisser aller, veule lorsque rien ne trouble le regard ou l’ajustement des corps en
et passif » (Masson, 2003, p. 31). Être en surcharge pondérale présence, le corps obèse parce qu’il dérange l’ordre existant
est ainsi défini comme une faute morale, cette dernière s’ajus- est pris comme une ouverture à la rencontre possible, comme
e
tant sur la hiérarchie sociale. Au XIX siècle par exemple, les si son volume et sa visibilité empêchaient toute fermeture de
prostituées étaient plus « dodues » que les femmes de la bour- l’interaction. La définition du corps se modèle ainsi par son
geoisie qui se devaient d’être minces, les rondeurs allant de volume : lorsque celui-ci est jugé trop large, le corps devient
pair avec une forme de vulgarité et d’animalité, contre les- objet, à réguler socialement. Lorsque le volume du corps se
quelles les jeunes femmes bien nées devaient se protéger rapproche des normes sociales, le corps se fait personne, ses
(Corbin, 1978). frontières devenant alors infranchissables. Les expériences de
stigmatisation dans les interactions quotidiennes révèlent ainsi
Le seuil de corpulence « acceptable » dans l’espace public quelle est la corpulence « acceptable ». La fréquence et
interagit ainsi avec l’origine sociale des enquêtées. Les enquê- l’agressivité des situations de stigmatisations sont plus élevées
tées en surpoids moins favorisées sont moins critiquées dans pour les enquêtées obèses qu’en surpoids. Pour les personnes
leur milieu social, même si l’obésité y est critiquée, ce qui est en surpoids, elles sont moins systématiques et dépendent plus
lié à la fois à la prévalence du surpoids et de l’obésité dans des autres caractéristiques – genre, classe sociale, âge – des

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292 Être grosse. Du corps discréditable au corps discrédité

enquêtées, ou du contexte de l’interaction. Elles sont égale- L’obésité étant définie médicalement comme une maladie, les
ment moins fréquentes dans l’espace public, ce qui témoigne assurances ne souhaitent pas prendre de risques malgré les
du fait que l’ordre des interactions moralise et médicalise examens de santé positifs de Capucine. La médicalisation de
moins leur corpulence. Les enquêtées en surpoids peuvent l’obésité, qui peut être utilisée par les associations de défense
ainsi fréquemment oublier que leur poids dépasse un peu la des personnes très corpulentes comme une ressource pour
norme sociale et médicale, quand les enquêtées obèses sont rejeter la « faute » morale qui sous-tend le stigmate pondéral,
régulièrement rappelées à l’ordre. peut ainsi servir à légitimer des refus de droit. Dans le monde
médical, de nombreuses situations de discriminations sont
décrites, lorsqu’un médecin refuse de soigner un individu obèse
Puisqu’il existe des différences entre enquêtées, selon leurs
par exemple ou que le matériel inadapté (brancards, scanners
caractéristiques sociales et plus particulièrement leur corpu-
ou tensiomètres trop petits) conduit à une prise en charge
lence, face aux humiliations, insultes ou jugements dans
moins efficace (Carof, 2017). Ces situations concernent assez
l’espace public, nous pouvons nous demander si cela
peu les enquêtées en surpoids, dont la corpulence, moins
concerne également les cas de discriminations qui peuvent
médicalisée, est plus adaptée aux objets du quotidien.
avoir des conséquences sur les possibilités d’actions, l’accès
à certains droits ou la position sociale des individus.
Les enquêtées en surpoids n’évoquent pas non plus de diffi-
cultés à trouver un emploi, alors que les enquêtées obèses ont
de nombreux cas de discrimination à raconter. Or, ces situa-
Les actes de discrimination
tions peuvent avoir des conséquences directes sur leur trajec-
toire sociale. De nombreuses recherches ont montré que cette
Refuser, interdire et discriminer
discrimination commençait avant même l’entrée dans la
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sphère professionnelle, par exemple par le moindre recrute-
Dans une enquête récente, François Dubet et ses coauteurs
ment des personnes obèses dans les universités américaines
(2013, p. 86) définissaient la discrimination comme « une
(Canning & Mayer, 1996). Que ce soit à cause des expériences
action pratique, elle est le fait d’imposer ou de subir, en toute
de stigmatisation vécues, du fait d’une situation de discrimina-
illégalité, un traitement différent et inégalitaire par rapport à
tion directe ou d’autres limites sociales liées à la corrélation
d’autres ». Les actes de discriminations concernent l’interdic- entre corpulence et milieu social défavorisé, plusieurs études
tion d’accéder à des services, des biens, des positions profes- ont constaté que les personnes très corpulentes font en
sionnelles ou des espaces publics. Une enquêtée, Séverine moyenne des études moins longues (Crosnoe & Muller, 2004 ;
(31 ans, obèse, assistante de direction) raconte par exemple : Karnehed et al., 2006). Or, le fait d’avoir fait moins d’études
« Aujourd’hui, je suis une femme, je n’ai jamais pu accéder secondaires conduit par la suite à une mobilité sociale plus
aux boîtes à Paris. Bah oui je suis grosse, on ne va pas mettre limitée (Glass et al., 2010). De nombreuses enquêtes ont
une grosse dans une boîte à Paris ! Donc finalement y a des ensuite montré que les personnes très fortes sont particulière-
lieux qui ne me sont pas accessibles. » Cet exemple est carac- ment discriminées sur le marché de l’emploi. Elles ont plus de
téristique du fait qu’il existe une différence importante selon la difficultés à trouver du travail (Tunceli & Williams, 2006),
corpulence en termes de discriminations. Peu de refus de restent plus longtemps au chômage (Paraponaris et al., 2005)
droit concernent les personnes en surpoids. À l’inverse, Capu- et ont des salaires moins élevés (Gortmaker et al., 1993 ; Bru-
cine (47 ans, obèse, ingénieure formatrice dans une école nello & d’Hombres, 2007). L’obésité peut ainsi être désignée
d’ingénieurs) raconte qu’elle ne peut plus acheter de maisons comme un facteur de mobilité sociale descendante (Dupuy
et n’est plus couverte en cas d’accident de voiture à cause et al., 2004 ; Poulain, 2009), en particulier pour les femmes.

d’un IMC trop élevé : À l’inverse, la mobilité sociale ascendante fait baisser la proba-
bilité d’être obèse (Langenberg et al., 2003).
J’ai téléphoné et on m’a dit : « Oui, en fonction des données qu’on
a sur vous, c’est votre poids qui pose problème. » Je dis : « Mais les
Si les stéréotypes péjoratifs sont l’une des raisons souvent avan-
analyses sont très bonnes. » « Ben oui, elles sont très bonnes, donc
justement c’est pour ça qu’on a pu vous prendre en décès, mais on cées pour expliquer les actes de discrimination professionnelle,
ne peut pas vous prendre autrement. » les économistes étudient également les « discriminations

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Solenne Carof 293

statistiques » (Thurow, 1975). Cette discrimination s’explique par commencé avant même d’entrer dans le monde du travail.
le fait que les employeurs n’ayant pas une « information par- C’est le cas de Séverine (31 ans, obèse, assistante de direc-
faite » sur les compétences individuelles dont ils devraient dispo- tion), qui a réalisé un CAP d’esthétique avec passion et l’a
ser théoriquement pour embaucher le meilleur travailleur obtenu en étant première de sa promotion. Elle qui avait eu
possible, s’appuient sur une logique probabiliste en associant les de très bons contacts avec les clientes d’un institut dans lequel
individus à leurs groupes sociaux. Ces croyances rationnellement elle avait réalisé son stage de CAP, n’a pas réussi à trouver un
utilisées dans des contextes de manque d’information ne sont employeur pour réaliser son brevet professionnel : « Là j’ai eu
pas nécessairement négatives ni fausses. Mais elles peuvent beaucoup de remarques désobligeantes. J’ai eu aussi une
l’être puisque est attribué à un individu les caractéristiques sup-
phrase, forcément à 18 ans, qui est un petit peu dur à avaler :
posées de son groupe. Par exemple, les problèmes de santé et
“L’esthétique c’est le monde de la beauté et vous ne représen-
l’absentéisme des salariés les plus obèses, ayant un coût élevé
tez pas votre métier”. » Dans une réunion de présentation
pour les employeurs (Finkelstein et al., 2005), impactent
dans un institut esthétique d’une grande chaîne, à laquelle
l’embauche, le salaire et la carrière des employés corpulents
Séverine assistait, la responsable a prévenu ses potentielles
même lorsqu’ils sont en bonne santé. Même sans intentionnalité
employées que leurs vendeuses et esthéticiennes faisaient la
directe de nuire, les employeurs peuvent ainsi se retrouver à dis-
taille 38 et qu’elles pouvaient partir si ce n’était pas le cas.
criminer les personnes en surcharge pondérale. D’autres études
s’intéressent de leur côté au concept de « discrimination mérito- On m’a dit aussi : « Vous ne vous rendez pas compte, moi si je veux
cratique » (Mason, 2012), qui permet de s’interroger sur le lien vendre des produits minceurs, comment je fais avec vous ? Je ne
vais pas les vendre. » Donc voilà, pendant un peu plus d’un an je
entre faible salaire des personnes obèses et moindre productivité.
me suis quand même battue, j’ai cherché, cherché, cherché parce
Certaines recherches affirment en effet que la biologie, voire la que c’était vraiment ce que je voulais faire et puis bah remarques
génétique, peut influencer à la fois le poids et l’origine sociale après remarques je me suis renfermée comme une huître, voilà…
(Stunkard & Sorensen, 1993), ce qui signifie que l’intelligence J’étais quelqu’un de très… […] Ben en fin de compte à un moment
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serait le facteur explicatif qui connecterait à la fois l’origine sociale donné j’ai tout lâché… J’ai changé complètement de personnalité,
je me suis renfermée sur moi-même, le monde pour moi était noir,
et le poids. Pour éviter ces interprétations, plusieurs études ont
je ne pouvais plus faire ce que j’aimais… dépression et puis toujours
inclus des scores d’intelligence ou un niveau d’étude dans leurs renfermée chez moi et puis bah prise de poids un peu forcément et
enquêtes et n’ont pas trouvé de lien entre ces paramètres et les puis… injustices ressenties clairement…
discriminations observées (Gortmaker et al., 1993 ; Karnehed
Dans le cas de Séverine, ses compétences sont attestées par
et al., 2006). Ce sont donc soit les stéréotypes péjoratifs, soit la
discrimination statistique, qui expliquent les discriminations pro- sa réussite au sein de son CAP et son expérience de stage.

fessionnelles des personnes grosses. Mais sa corpulence ne correspond pas à l’« identité sociale
virtuelle » (Goffman, 1975, p. 12) associée aux personnes tra-
L’analyse des causes des discriminations montre la complexité vaillant dans le domaine de l’esthétique. Elle est donc jugée
de ce processus et l’intérêt de différencier ce dernier avec le inadaptée non pas à cause de son incompétence technique,
processus de stigmatisation. Les conséquences de ces deux mais de son apparence physique. Si ces discriminations sont
situations sont également très différentes et permettent de dis- parfois justifiées par les employeurs par le rôle supposé de
tinguer le vécu des personnes en surpoids et obèses. L’étude l’apparence physique dans un métier, Jean-François Amadieu
de Mark V. Roehling et ses collègues (2007) révélait que les (2009), directeur de l’Observatoire des discriminations a
personnes en surpoids avaient 12 fois plus de risques que les montré dans un testing datant de 2005 que la discrimination
personnes normo-pondérées d’être discriminées profession- en fonction de la corpulence existait aussi pour un métier de
nellement quand les personnes obèses de grade 1 (IMC 30- télévendeur, hors du contact direct avec la clientèle.
34,9 kg/m²) avaient 37 fois plus de risques et les personnes
très obèses (au-dessus de 35 kg/m²) 107 fois plus.
Ces situations de discriminations dépendent de l’origine
sociale des enquêtées. Les enquêtées de milieu populaire se
Les discriminations professionnelles disent ainsi peu discriminées. Cela s’explique soit par le fait
qu’elles ont intériorisé les stéréotypes péjoratifs associés à leur
Dans notre enquête, les situations de discrimination grosseur et s’autocensurent, soit par le fait que leur corpu-
concernent principalement les enquêtées obèses. Elles ont lence s’accorde à l’« identité sociale virtuelle » de leurs

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294 Être grosse. Du corps discréditable au corps discrédité

métiers. Les professions qui correspondent aux personnes montrer plus de motivation que les autres, pour contrebalan-
fortes sont en effet pour une enquêtée « tout ce qui est com- cer les représentations sociales péjoratives associées aux
merce… commerce de proximité, un petit peu, quand on voit fortes corpulences, notamment de paresse et de manque de
dans les anciennes images c’est des personnes plus impo- volonté (Cramer & Steinwert, 1998), représentations qui sont
santes, même si dans la réalité, ce n’est plus forcément le également fréquemment associées aux personnes défavori-
cas ». Les « charcutiers-bouchers » sont cités plusieurs fois, sées. Plusieurs études ont ainsi révélé que les employeurs
notamment par une enquêtée qui les voit « rougeauds et cos- considèrent plus souvent que leurs employés en surpoids ou
tauds ». Plusieurs enquêtées citent les métiers du bâtiment, obèses sont moins consciencieux, plus émotifs et moins tra-
parce que ce sont des métiers physiques qui « donnent des vailleurs (Puhl & Brownell, 2001).
muscles » et une enquêtée évoque « les videurs de boîte » qui
doivent « en imposer ». Une autre précise : « Une femme De leur côté, les enquêtées favorisées se plaignent de l’inadé-
grosse, on ne va pas la mettre patronne. Voyez, on va la mettre quation de leur corporalité avec les attentes professionnelles
concierge, ou la bonne. » Les enquêtées sont ainsi de leur milieu, mais sans jamais être sûre d’avoir vécu des
conscientes de l’homologie entre corpulence et milieu social, cas de discrimination. Les employeurs évitent en effet souvent
cette homologie pouvant bénéficier à certaines d’entre elles. d’expliciter les raisons de leur refus. Certaines d’entre elles
Pour Lucie, autrefois aide-comptable : « Ça rassure un peu ont néanmoins réussi à traduire leur expérience en termes de
une grosse. » La forte corpulence est ainsi associée à un discrimination. C’est le cas d’Isabelle (49 ans, obèse, respon-
mélange de force et de douceur qui leur semble inspirer sable marketing en reconversion) qui a cherché du travail à
confiance dans certains métiers. Cela ne les empêche cepen- l’approche de la cinquantaine avec un Bac+5 et de nom-
dant pas de subir des situations de discrimination dans des breuses expériences professionnelles. Elle raconte sa prise de
trajectoires de mobilité ascendante, ni dans certains cas de conscience progressive :
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subir un double stigmate, comme le montre l’exemple de
Du coup j’ai pris la baffe dans la gueule, c’est-à-dire que vraiment
Renée (67 ans, obèse, employée dans une association, à la j’ai mis deux ans à m’en remettre, quand j’ai compris... J’ai trouvé
retraite) qui raconte la difficulté de se faire aider pour chercher ça très violent ! […] J’en avais ras le bol d’avoir des boulots d’intérim
un emploi : comme assistante... Vous savez je me suis retrouvée dans des
postes subalternes, où j’étais plus diplômée que le PDG. On a quand
Oui, oui, j’ai eu le chômage, j’ai eu comment dire une prospectrice- même une louche d’adversité supplémentaire, c’est le fait d’être dis-
placière qui ne me donnait jamais du travail. Je suis restée un an, criminés... Je veux dire, aujourd’hui je pourrais avoir un boulot à
elle ne m’a jamais rien donné et chaque semaine j’y allais et un jour 5 000 euros, acheter un appart et avoir quelqu’un qui fait mon
j’ai fini par m’énerver, je lui dis : « Écoutez, moi je ne peux pas vivre ménage bon... Ce n’est pas comme si c’était un idéal dans la vie !
comme ça tout le temps, à la mendicité des autres, je voudrais un C’est pas ça que je veux dire, mais mes moyens matériels d’exis-
travail, je veux m’en sortir, je voudrais un travail ! Qu’est-ce qu’il y a, tence ne seraient pas du tout les mêmes, je ne serais pas en train de
vous n’avez pas trouvé quelque chose pour moi ? » Elle me dit : compter les heures pour savoir si les Assedic vont m’aider un peu...
« Mais vous vous êtes regardée dans une glace ? » J’ai dit :
« Pardon ? » C’est vrai, je faisais 140 kilos, mais quand même ! « Ah Qu’Isabelle soit l’une des enquêtées rencontrées à se dire dis-
oui, dans l’état où vous êtes... » « Dans l’état où je suis… ? » « Vous criminée professionnellement n’est pas surprenant eu égard à
ne trouverez jamais de travail. » Alors ça m’a énervé, je lui dis :
ses caractéristiques de corpulence, d’âge et de genre, qui la
« Mais merci madame, vous avez bien fait de me dire ça, à partir
d’aujourd’hui vous allez me donner l’argent chaque mois et je ne rendent plus susceptibles de l’être objectivement.
cherche pas de travail puisque j’en trouverais pas, ce n’est pas la
peine que je me casse la tête. » Et c’est resté un an de plus, mais
La sociologue Katherine Mason, en 2012, a pris en compte
je ne cherchais pas… Et un jour le directeur m’a convoquée : « Oui
madame, on ne peut pas vous garder dans le chômage, vous ne
l’origine sociale, le niveau d’étude, la profession, le genre, la
cherchez pas de travail. » Je lui ai raconté… Il paraît qu’il l’a corpulence, la santé et l’origine ethnique et effectué une
engueulée comme du poisson pourri et une semaine après j’ai été analyse particulière pour saisir l’effet de la discrimination sta-
convoqué, j’ai eu un travail tout de suite, dans les cantines. Faut
tistique. Cette auteure montre ainsi que, toutes choses égales
pas se laisser faire, faut pas se laisser faire !
par ailleurs, les hommes à partir d’un IMC de 35 kg/m² et
La violence du témoignage de cette enquêtée montre quels les femmes d’un IMC de 30 kg/m² subissent des formes de
sont les obstacles supplémentaires que subissent les per- discrimination professionnelle. Si les hommes obèses
sonnes très corpulentes et l’obligation qui leur est faite de semblent plus souvent victimes de discriminations statistiques

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Solenne Carof 295

à l’embauche, les femmes obèses continuent de subir des dis- Que ce soit dans l’accès des individus à des droits, des biens
criminations liées aux préjugés tout au long de leurs carrières. ou des services, l’ordre de l’interaction se transforme en un
Dans une étude réalisée par le Défenseur des droits et par ordre social discriminatoire. Si le genre et l’origine sociale ont
l’Organisation internationale du travail en 2016, en France, qui un effet aggravant ou atténuant sur ces situations, la corpu-
portait sur 998 demandeurs d’emploi, 10 % des femmes lence est une variable très importante. Les personnes obèses
disaient avoir été discriminées à l’embauche pour leur appa- subissent non seulement des remarques, humiliations et
rence physique. Les femmes obèses déclaraient huit fois plus insultes mais risquent également de ne pas être soignées cor-
souvent que les femmes normopondérées avoir été victimes rectement et de se voir refuser l’accès à certains postes profes-
de discrimination, les femmes en surpoids quatre fois plus, et sionnels ou à certains espaces ou services. Les personnes en
les hommes obèses trois fois plus. Les hommes en surpoids surpoids sont très peu concernées par ces situations de discri-
ne déclaraient en revanche pas plus d’épisodes de discrimina- minations, leur corpulence étant moins moralisée et moins
tion que les hommes normopondérés. Ainsi, si les études pathologisée. Dans le processus de discrimination « statis-
montrent que les personnes obèses se disent plus souvent tique », l’employeur suppose moins que leur corpulence va les
discriminées professionnellement que les personnes en sur- obliger à prendre un arrêt maladie. Différencier les processus
poids (Cawley, 2004), cette variable de corpulence doit être de stigmatisation et de discrimination permet ainsi de montrer

modulée avec celle du genre. Une étude anglaise portant sur que la différence de vécus entre surpoids et obésité est moins

119 669 hommes et femmes a ainsi observé que les hommes une différence quantitative que qualitative en termes d’expé-

grands étaient les individus les mieux payés dans la sphère riences de vie. Dans les deux cas cependant, les enquêtées

professionnelle quand les femmes obèses l’étaient le moins peuvent mettre en place de nombreux répertoires d’action.

(Tyrrell et al., 2016). Un point d’IMC en plus était associé chez


les femmes à une perte annuelle moyenne de 1890 livres.
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(Ré) Agir face aux stigmatisations
Dans l’article de M. V. Roehling et al. (2007), 27,7 % des
et discriminations vécues
femmes très obèses (IMC au-dessus de 35 kg/m²) évoquaient
une discrimination professionnelle liée à leur corpulence,
Fuir, se cacher et s’autocensurer
contre seulement 12,1 % des hommes de même corpulence.

Erving Goffman (1974, p. 56) décrit la société comme un


Ces différences en termes de genre expliquent sans doute « système d’accords de non-empiétement ». Les individus qui
pourquoi aucun enquêté homme rencontré n’a mentionné troublent l’indifférence des interactions du fait de leur corporalité
d’épisodes de discriminations directes. Outre le fait que le discréditée subissent des rappels à l’ordre fréquents. Face à ces
corps gros n’a pas la même signification selon le genre, situations de stigmatisations normatives, dont de nombreuses
d’autres raisons ont pu expliquer ce manque de vécu discrimi- études ont montré les conséquences négatives sur la santé
natoire pour les enquêtés rencontrés. Plusieurs d’entre eux ont (Muennig, 2008 ; Shafer & Ferraro, 2011), le sociologue Jeffery
pris du poids avec l’âge et n’ont pas eu à rechercher du travail Sobal (1991a) a montré qu’il était possible de réagir. Andrea R.
une fois obèse. Certains ont également des professions dans Myers et Jeffrey A. Rosen (1999) ont de leur côté décrit vingt-
lesquelles une forte corpulence n’est pas perçue négative- et-une stratégies principales. Dans leur étude, aucune différence
ment, comme cariste ou cuisinier. D’autres ont pu être influ- de genre n’est notée et si les personnes les plus corpulentes
encées par les normes masculines qui limitent la capacité à réagissent le plus, c’est parce que ce sont elles qui se disent le
se reconnaître ou à se dire victime. Il faut cependant noter plus stigmatisées. Certaines stratégies de « coping » peuvent
que si les fortes corpulences masculines sont mieux réparties avoir des conséquences négatives, en accroissant les troubles
dans les différentes sphères professionnelles, les hommes du comportement alimentaires par exemple. En revanche, le
ayant un haut niveau de diplômes sont cependant, en soutien d’autrui et les discours intérieurs positifs ont des effets
moyenne, plus minces que les moins diplômés, preuve que le bénéfiques sur l’estime de soi et le taux de dépression. Rebecca
seuil d’acceptabilité du corps gros masculin varie aussi socia- Puhl et Kelly D. Brownell (2006), dans leur étude, n’ont pas
lement, bien que cette variabilité dépende plus du capital trouvé de différences selon l’IMC dans le type de stratégies utili-
culturel que du capital économique (Vandebroeck, 2015). sées, mais ils ont noté que les adultes qui étaient en surcharge

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pondérale enfants se défendaient moins que les autres. En estiment ne pas avoir le corps adéquat à certaines positions
outre, les jeunes utilisaient plus que les vieux des stratégies sociales et s’abstiennent d’y postuler. Ce phénomène d’auto-
défensives, auto-agressives ou agressives. censure peut conduire au processus qu’a décrit Robert K.
Merton (1953) de « prophétie autoréalisatrice ». La croyance
Dans le vécu des enquêtées, nous avons pu décrire deux que les personnes en surpoids ou obèses sont moins compé-
répertoires d’actions principaux. Le premier « défensif » a pour tentes que les autres – que cette croyance engendre des com-
objectif de protéger la « face » (Goffman, 1974, p. 9). Il portements de discrimination ou d’autocensure – conduit à les
regroupe les pleurs, la fuite, la conformité, l’invisibilisation, laisser dans des situations professionnelles moins élevées, ce
l’autocensure et toutes les formes de désengagement de qui renforce la croyance initiale.
l’interaction. Dans ce répertoire « défensif », les comporte-
ments d’autocensure ressemblent à la pratique figurative de Cette pratique d’évitement est un répertoire d’action plus fré-

l’« évitement » décrite par E. Goffman (1974, p. 17) et qui quemment déclaré par les enquêtées obèses ou en surpoids

permet de maintenir une face positive. Si les enquêtées en qui s’autodéfinissent comme très corpulentes ou ont une

surpoids peuvent dans ce cadre mentionner préférer porter représentation corporelle très péjorative. Les enquêtées en
surpoids mentionnent leur insatisfaction personnelle bien
certains vêtements plus que d’autres – trop serrés, trop décol-
avant la mention de remarques négatives pour expliquer leurs
letés ou trop courts –, certaines enquêtées obèses
comportements, ce qui tend à montrer qu’elles ont intériorisé
s’empêchent de leur côté de faire des activités quotidiennes,
les représentations sociales péjoratives associées à leur corpu-
soit par peur de se faire remarquer, soit par peur des objets
lence, même en l’absence de rappels à l’ordre réguliers. Elles
inadaptés – transports en commun, vélos, sièges de cinéma,
ont cependant plus de possibilités d’action que les enquêtées
etc. Dans ce cas, la peur d’un inconfort physique est étroite-
obèses dans les espaces sociaux dans lesquels le corps passe
ment mêlée avec l’inquiétude du regard d’autrui. Delphine
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au second plan des interactions. Les femmes obèses, en
(34 ans, obèse, hotliner) raconte : « En fait la piscine j’aimerais
revanche, ainsi que les plus jeunes et celles qui vivent ou tra-
bien la faire, mais je… je ne pourrais pas assumer le regard
vaillent dans des espaces sociaux qui valorisent la minceur,
des autres, je ne me sens pas du tout capable d’assumer le
ont plus d’injonctions à cacher leurs rondeurs. Les plus favori-
regard des autres. » Alfred Schütz (1998) a montré l’impor-
sées peuvent, de leur côté, atténuer leur stigmate grâce à leur
tance des « anticipations réciproques » avant même une ren-
pouvoir d’achat, contrairement aux enquêtées défavorisées,
contre. Les routines cognitives étant communes à la majorité
qui s’autocensurent en évitant certains espaces ou en portant
des acteurs sociaux, elles sont utiles pour maintenir une cohé-
des vêtements « couvrants ». Les enquêtés hommes disent, de
rence et un ordre social. Les enquêtées agissent ainsi de la
leur côté, moins se limiter, bien qu’ils évitent de porter certains
manière dont elles s’imaginent que les autres s’attendent à
vêtements (shorts ou T-shirts trop courts par exemple).
ce qu’elles agissent. Elles peuvent ainsi mettre en place des
« échanges réparateurs » (Goffman, 1973b, p. 101) pour com-
Les répertoires de (ré)actions peuvent parfois se retourner
penser leur déviance corporelle.
contre les enquêtées, individuellement lorsque leur présence
dans des espaces « interdits » accentue leurs expériences de
Cette pratique de l’évitement peut être négative en termes de stigmatisations et collectivement lorsque leur relégation profes-
statut social. Camille (47 ans, obèse, assistante de direction) sionnelle accentue l’association qui est faite entre surcharge
raconte : pondérale, manque de volonté et pauvreté. En outre, si le
Après quand j’ai changé de patron, parce qu’il y a eu des change- répertoire défensif peut être efficace pour les personnes stig-
ments au niveau de la hiérarchie, etc., je me suis dit « pourvu matisées individuellement, il est inefficace pour défendre
qu’il… » J’avais la pensée un moment, je voulais postuler sur
l’ensemble des personnes corpulentes prises collectivement.
d’autres postes, je ne l’ai pas fait parce que j’étais très mal dans ma
peau et je me suis dit le type il va me voir, il va se dire : « C’est quoi
cette… cette grosse dondon qui vient postuler et tout. » J’y ai pensé
Négocier, s’engager ou s’embellir
bien sûr.

Les enquêtées perçoivent une homologie entre corpulence et Le second répertoire d’action, « offensif », concerne le dia-
hiérarchie sociale, ce qui freine leur désir d’ascension. Elles logue, les insultes, l’humour, la défense de la beauté des ron-

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Solenne Carof 297

deurs et la défense des personnes grosses par le biais sonnes les plus concernées. Cette position témoigne d’objec-
d’associations. Il regroupe aussi les réclamations et les tifs, de répertoires d’actions et de discours qui diffèrent parmi
plaintes. les associations. Défendre les personnes discriminées s’adres-
sera ainsi prioritairement aux personnes obèses, quand la
Rachelle, qui a vécu une situation de harcèlement moral au défense de « belles rondeurs », comme peut le faire l’associa-
travail en lien avec sa corpulence, a porté plainte contre sa tion Cosmo Plus 7, pourra rassembler également les femmes
hiérarchie. Des associations de défense des personnes en sur- en surpoids.
charge pondérale, comme Allegro Fortissimo 6 ou l’ancien
Pulpe Club, soutiennent les individus dans ces processus de Si les actions offensives contre les situations de discrimina-
reconnaissance légale des discriminations subies. En France, tions sont peu fréquentes, et nécessitent parfois le soutien
les articles L1132-1 et L1132-2 du Code du travail rappellent d’un collectif, les enquêtées peuvent en revanche agir indivi-
l’interdiction des formes de discrimination directe ou indirecte duellement contre les situations de stigmatisation. L’insulte fait
concernant l’apparence physique, le handicap ou l’état de ainsi partie des répertoires d’action utilisés par presque tous
santé – cités dans l’article 225-1 du Code pénal. Mais les les enquêtés, hommes ou femmes. Elle permet de retourner
auteurs d’un rapport récent pour le Défenseur des droits et la violence subie ou ressentie. Lucie (74 ans, obèse, aide-
l’OIT (2016) affirment que le critère de l’apparence physique comptable à la retraite) raconte :
est « rarement invoqué devant les juges ou le Défenseur des
Vous savez on a un petit bus à Montmartre qui monte sur la butte,
droits (4,2 % des réclamations pour discriminations dans
j’étais dedans et je parlais à quelqu’un, je disais : « Oui, il fait froid
l’emploi en 2015) ». Ce motif de plainte est donc peu fréquent et moi on ne peut pas dire, mais je n’ai pas froid, vraiment » « Y
juridiquement. En revanche, des lettres ouvertes contre des avait un homme, à 60 ans, si ce n’est pas plus, facile. Il s’est mis à
médecins ou des actions de collaboration avec les compagnies ricaner : « Ah bah, ce n’est pas étonnant avec la graisse que vous
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avez sur le dos ! » [Elle secoue la tête avec un air désabusé et
d’avions, sont possibles. Ils nécessitent cependant un engage-
énervé] Je lui dis : « Moi, j’ai peut-être de la graisse sur le dos, mais
ment collectif auquel toutes les enquêtées n’adhèrent pas. vous, vous avez de la connerie dans le cerveau ! » [Rires].

Les personnes en surpoids connaissent rarement les associa- Cette réponse et ses variantes (« Fais attention, toi c’est ta
tions sur le sujet et ne se définissent pas comme faisant partie connerie qui grossit à vue d’œil », « Oui peut-être, mais moi je
d’un groupe discriminé. En outre, elles critiquent les discours peux perdre du poids, toi ta connerie tu la perdras jamais, elle
supposés de ces associations. Carole (40 ans, en surpoids, ne fera que grossir ») sont très courantes. Solange (47 ans, en
fonctionnaire) explique : surpoids, propriétaire de chambres d’hôtes) promeut de son
côté une réaction calme, mais qui suit le même processus de
Moi, ceux qui font Fortissimo machin, les assos comme ça, qui
disent qu’ils sont bien, obèses… Je n’y crois absolument pas ! Je retournement, la faute morale n’étant plus celle de la personne
pense qu’on leur donne une baguette magique avec 25 ou 30 kilos attaquée, mais celle de l’agresseur intolérant :
de moins, ben elles prennent ! Faut pas dire qu’elles ne prennent
Solange : Je ne laisse plus passer de remarques sur mon poids,
pas et elles seraient très heureuses avec 35 kilos en moins.
même de la part d’une vendeuse. C’est sans agressivité, avec un
Proches de la norme, ces enquêtées en surpoids vont soit très grand sourire, en disant : « Mais heureusement qu’on n’est pas
tous pareils quoi. »
tenter de la rejoindre, par des régimes, soit valoriser leurs ron-
Enquêtrice : Avant, c’était quelque chose que vous laissiez passer ?
deurs tout en les différenciant de l’obésité décrite comme dan- Solange : Ah bah ça avant, ben je me remettais dans ma coquille
gereuse pour la santé. À l’inverse, de nombreuses enquêtées et puis je pouvais pleurer une soirée entière et puis voilà.
obèses utilisent l’engagement associatif ou la revendication sur Enquêtrice : Et cette capacité à réagir, c’est venu quand vous avez
les réseaux sociaux comme un acte de réappropriation per- commencé à accepter votre poids ?
Solange : C’est… oui, à partir du moment où j’ai accepté mon poids
sonnelle mais également de défense d’un groupe social injus-
et surtout à partir du moment où j’ai refait ma vie avec quelqu’un
tement maltraité. Si certaines militantes estiment que ce qui m’a dit : « Tu es comme ça point. »
combat s’adresse à tous, d’autres souhaitent le limiter aux per-

6. http://www.allegrofortissimo.com/. 7. https://assocosmoplus.com/.

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298 Être grosse. Du corps discréditable au corps discrédité

Le registre des possibilités d’agir de Solange a été modifié par Delphine (34 ans, obèse, hotliner) transgresse ainsi les règles
son état psychologique, par l’expérience acquise au fur et à du jeu liées à sa très forte corpulence :
mesure des années et par la rencontre avec un partenaire qui Ben en boîte et moi je suis hyper laxe, c’est-à-dire qu’enfant je
aime ses rondeurs. Plusieurs enquêtées ont également souli- faisais comme les contorsionnistes, je prenais les pieds et je les
gné que l’âge les a rendues plus combatives et plus résistantes mettais devant la tête et je fais encore le grand écart, c’est la seule
chose que je sais encore faire avec plus de 160 kilos. Et donc avec
face aux propos stigmatisants. Le fait d’être moins stigmatisées
ça et comme en plus j’adore la musique. Et donc je sais danser, j’ai
dans le quotidien, mais également d’être moins sensibles à le rythme dans la peau et donc du coup je n’étais pas du tout gênée
leur apparence physique dans un contexte de vie dans lequel en boîte, parce c’était quelque chose… J’étais dans mon élément,
la séduction n’est plus aussi importante, joue sans doute un je n’y allais pas pour brancher, pour moi c’était la musique en fait,
et souvent, pas tout le temps, pas toutes les personnes, mais
rôle dans cette évolution des répertoires de réactions pos-
souvent c’était : « Ah tu danses bien » avec le truc d’ailleurs de dire
sibles. La présence d’un soutien, partenaire, ami ou membre « Pour une femme forte, pour quelqu’un de fort, pour quelqu’un de
de la famille, renforce également ce répertoire offensif. rond, enfin tu te bouges bien quoi. »

En surprenant ses partenaires d’interaction, connus ou incon-


Pour éviter une place de victime mal vécue, une solution offen-
nus, Delphine démontre que les préjugés péjoratifs associés à
sive fréquente est la capacité à rire ou faire rire de son poids.
l’obésité n’ont pas lieu d’être. La gestion de son corps stigma-
Séverine (31 ans, obèse, assistante de direction) évoque ainsi tisé passe ainsi par la transformation des signes attachés à
sa manière d’entrer dans le jeu de ses collègues : celui-ci. Ce « retournement du stigmate » (Goffman, 1975)
Alors moi il [un collège] me dit souvent : « Tu as beaucoup de fonctionne d’autant mieux qu’il s’appuie sur une transforma-
courbes. » Et puis il rigole. Alors voilà, alors je me prends à son tion des schèmes cognitifs habituellement déployés lors d’une
jeu… Je dis : « Ils disent l’important c’est d’avoir la ligne, moi j’en
interaction :
ai plusieurs des lignes, qu’elles soient horizontales ou verticales, peu
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importe l’important c’est d’en avoir… » Voilà donc je le prends à son Lorsqu’ils n’ont aucune connaissance préalable de leur partenaire,
jeu, mais y a rien de méchant… les observateurs peuvent tirer de sa conduite et de son apparence
les indices propres à réactiver l’expérience préalable qu’ils peuvent
Cette réaction est cependant ambivalente, ainsi que le recon- avoir d’individus à peu près semblables ou, surtout, propres à appli-
nait Séverine : « Je trouve que dès fois, limite mes réponses quer à l’individu qui se trouve devant eux des stéréotypes tout
constitués (Goffman, 1973a, p. 11).
sont mauvaises pour moi et après je réalise et je me dis :
“Mais je m’insulte moi-même là ?” » La négociation du cadre Cette stratégie concerne surtout les enquêtées ayant des obé-
d’interaction se fait aux dépens de cette enquêtée, qui en est sités très fortes, les enquêtées en surpoids n’ayant pas une
consciente. corporalité assez « anormale » pour surprendre leurs parte-
naires d’interactions par un comportement particulier.
Définir ou négocier l’interaction sont des répertoires d’actions
fréquemment utilisés. Pour les enquêtées obèses, il semble Pour d’autres enquêtées, il s’agit plutôt de modifier les
cependant plus efficace non pas de négocier, mais de déso- schèmes de réflexion des individus sur la beauté. La mode
béir aux injonctions attendues. Erving Goffman l’a rappelé, une grande taille, défendue par de nombreux blogs 8 et sites mar-
personne stigmatisée doit agir en conformité avec ce qui est chands 9, est utilisée dans ce cadre. Les militantes contre la
attendu d’elle : « J’ai appris aussi que l’infirme doit prendre grossophobie relèvent que les mannequins « grande taille »
garde à ne pas agir différemment de ce que les autres sont généralement en surpoids, rarement dans la catégorie
attendent. Et, par-dessus tout, ils attendent de lui qu’il soit d’obésité 10, ce qui montre que ce répertoire d’action – la
infirme : invalide et impuissant ; leur inférieur ; et, s’il ne beauté des rondeurs – est socialement perçu comme une stra-
répond pas à leur attente, leur malaise les rend soupçon- tégie efficace pour les personnes en surpoids quand l’autocen-
neux » (Carling, 1962, cité dans Goffman, 1975, p. 131-132). sure vestimentaire serait recommandée aux individus obèses.

8. http://www.leblogdebigbeauty.com. 10. http://www.themilitantbaker.com/2015/01/why-people-hate-tess-


munster-and-other.html
9. http://www.vivelesrondes.com ; http://www.ma-grande-taille.com.

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Solenne Carof 299

Dans notre enquête, la stratégie vestimentaire dépend moins ou des biens. Ils limitent également les possibilités d’ascension
de la corpulence des enquêtées que de leur expérience pra- sociale, en particulier des femmes obèses.
tique du corps et de leur engagement politique sur le sujet.
Or, les enquêtées en surpoids sont moins politisées sur cette L’empiètement de l’espace personnel des enquêtées obèses
problématique de la grosseur. Elles ne sont donc pas toujours par des inconnus démontre que les situations de stigmatisa-
plus revendicatives en termes esthétiques que certaines tion diffèrent fortement selon la corpulence. Mais c’est surtout
enquêtées obèses très critiques de la norme de minceur. En en étudiant le processus de discrimination que l’on peut ainsi
outre, certaines enquêtées en surpoids se sont plaintes d’avoir mettre à jour des vécus très différents entre personnes en sur-
une corpulence intermédiaire, qui les empêche de trouver des poids et personnes obèses. Corps « un peu » au-dessus de la

vêtements (taille 44-46) dans les magasins « normaux », tout norme, moins moralisé et peu médicalisé, le surpoids est

comme dans les rayons « grande taille ». Cette plainte tend moins soumis aux rappels à l’ordre constant et n’est pas défini

cependant à se réduire au vu de la prise en compte plus large comme un problème public, qui justifierait regards mal-
veillants et insultes de la part d’inconnus. Le milieu social et
des besoins vestimentaires des femmes rondes. Elle persiste
le genre sont en outre des variables qui peuvent faire basculer
en revanche pour les enquêtées obèses, qui ont toujours du
sa signification, de discréditable à discrédité, ou inversement.
mal à s’habiller comme elles le souhaitent.
Ainsi, si les hommes obèses sont stigmatisés et discriminés,
c’est très peu le cas des hommes en surpoids.
Conclusion
Face à ces situations, les enquêtées ont mis en place des
Cet article s’inscrit dans une sociologie du stigmate pondéral répertoires d’actions variées, allant de la défense de leur

qui part de la parole des acteurs sociaux pour reconstruire le « face » – par la fuite, le conformisme, l’autocensure ou l’évite-
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vécu des personnes désignées comme « trop grosses » dans ment – à la remise en cause des stigmatisateurs – par l’insulte,
le déplacement du stigmate ou la transformation du sens attri-
la société. Il ne s’agit pas de décrire les déterminants sociaux
bué à celui-ci. Les enquêtées obèses, voire très obèses, ont
du poids, mais d’analyser les conséquences sociales d’être en
également la possibilité de s’engager dans des associations
surpoids ou obèse. La corpulence est un des éléments de
qui luttent contre la grossophobie, alors que les enquêtées en
l’interaction, qui régit ce que l’individu a le droit de faire ou
surpoids se reconnaissent peu comme membres d’un groupe
non. Ces règles sont également structurées par des normes
social particulier. Le degré d’engagement dans ces réponses
de genre, de classe et d’âge qui définissent la bonne « tenue »
n’est cependant pas figé, les modalités d’action étant en
(Goffman, 1974, p. 68). Ces « règles de conduite » révèlent
constante évolution. L’âge fait ainsi fréquemment basculer les
que les interactions sont construites sur une base structurelle-
enquêtées d’un répertoire défensif à un répertoire offensif ;
ment inégalitaire puisque le corps en surpoids est moralement
quand les difficultés des trajectoires de vie et la mésestime qui
discréditable et le corps obèse moralement discrédité.
les accompagnent peuvent au contraire conduire une enquê-
tée à s’autocensurer alors qu’elle était plus offensive dans sa
Différents degrés de stigmatisations ont ainsi été dépeints, des
jeunesse. L’expérience pratique du corps et l’autodéfinition de
moins agressifs – sous la forme de conseils bienveillants ou soi ont ainsi parfois plus d’importance pour comprendre ces
de gestes d’évitement – aux plus violents – sous la forme répertoires d’action que la corpulence objective des
d’agressions verbales ou de harcèlement moral. Les personnes enquêtées.
obèses, les femmes, les personnes défavorisées ou les plus
jeunes se disent les plus souvent stigmatisées. Si ces rappels Contre l’amalgame médiatique, politique et social du surpoids
à l’ordre normatifs sont blessants ou pénibles, ils n’ont pas avec l’obésité, notre étude a permis de montrer les différences
d’effet direct sur la trajectoire sociale des enquêtées – bien de représentations, de vécus et de réactions entre enquêtées
qu’ils puissent en avoir indirectement par le processus d’auto- en surpoids et obèses. Si l’ordre social discriminatoire, la
censure. Les actes de discrimination, en revanche, trans- moralisation et la médicalisation de la grosseur concernent
forment l’ordre des interactions en un ordre social, en surtout l’obésité, cela ne signifie pas pour autant qu’être en
interdisant ou en restreignant l’accès à des droits, des services surpoids soit considéré comme « normal ». Si cela peut être

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300 Être grosse. Du corps discréditable au corps discrédité

parfois le cas pour les hommes, les personnes âgées et dans catégorie d’entre-deux, permet de saisir la variabilité des
certains contextes sociaux, les femmes et les jeunes sont régu- normes pondérales en fonction des caractéristiques sociales
lièrement rappelées à l’ordre pour leur surpoids. L’incorpora- et des contextes d’interactions. Il est important de le distinguer

tion de la norme de minceur et la force des discours médicaux de l’obésité, pour ne pas contribuer à l’amalgame constant
entre ces deux catégories. Cet amalgame participe à la
critiquant les dangers de l’obésité peuvent ainsi avoir des
construction d’un corps gros comme danger public et tend à
conséquences chez celles et ceux dont le corps pourrait être
dépolitiser les rapports de pouvoir qui médicalisent et mora-
défini comme un « stigmate normal ». Le surpoids, en tant que
lisent l’obésité.
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